Langues et sociétés en contact: Mélanges offerts à Jean-Claude Corbeil [Reprint 2014 ed.] 9783110932935, 9783484560086

This volume assembles articles by some 50 authors from three continents. The subjects discussed are very varied but they

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French Pages 589 [592] Year 1994

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Table of contents :
Présentation
Bibliographie de Jean-Claude Corbeil
Mélanges en l’honneur de Jean-Claude Corbeil
Hommage
Politiques lingüístiques amb objectius comparables
L’éducation et le syndrome de la femme de César
Neo-Marxist and Post-Structural Critiques of «Classical» Language Planning
La Suisse ou la non-politique linguistique
La politique linguistique dans révolution d’un État-Nation
La planificació lingüística a Catalunya : cap a un Pla General de Normalització Lingüística
L’aménagement linguistique au Québec et dans les pays de l’ancien empire soviétique : contrastes et similitudes
L’aménagement linguistique aux Îles Baléares
L'immersion comme mesure d'aménagement linguistique
La stratégie de l'image en terminologie : l’expérience du VISUEL
Genèse et développement de la terminologie dans le monde francophone : une vision industrialisante de la langue
Contribution à la définition de la terminologie
La crise de la terminologie : le recours informatique
L’expérience de la terminologie à la Commission des Communautés européennes
Écoles de terminologie : mythe ou réalité? Les cas autrichien et québécois
Vers une méthodologie de la définition terminologique
Recherches terminologiques québécoises dans le domaine de la gestion
Jean-Claude Corbeil, polyvalent des industries de la langue
Les industries de la langue. Chronique d’une mort annoncée
Télématique et orthographe. Le programme Orthotel
Maîtrise du vocabulaire et communications organisationnelles
Exigences de la synthèse par règles
«Pogner» un verbe qui ne pogne pas chez les lexicographes
L’aménagement de l’arabe et de l’hébreu modernes
L’aménagement du lexique spécialisé dans le dictionnaire de langue. Du prélexicographique au microstructurel
Caractéristiques lexicales des textes scientifiques : premières analyses
Ethnonymia Americana
La complejidad léxica del español contemporáneo, desde el punto de vista internacional
Quelles sont les suites à l’avis du Conseil de la langue française sur l’aménagement de la langue?
À la recherche de la norme : un dictionnaire québécois
Le lexique et l’image
Catalans et immigrés hispanophones en Catalogne : le changement de la langue des intercommunications
La perception des écarts linguistiques par rapport à la norme en milieu diglossique
Autour de la norme lexicale
Bilinguisme et érosion lexicale dans une communauté montagnaise
La mémoire dans la langue
«En effeuillant la marguerite» : quelques considérations sur l’évolution des attitudes concernant les français régionaux en francophonie et plus spécialement le français d’Afrique noire
Alternance codique et langue minoritaire
Psychologie sociale et aménagement linguistique : le cas du Québec
Droits linguistiques universels et diversité socioculturelle : critères sociolinguistiques
Les droits linguistiques dans le cadre de l’enseignement : survol de droit comparé et de droit international
Le contexte démographique de l’aménagement linguistique au Québec : l’exemple de Montréal
L’usage du français au travail par les francophones du Québec : une analyse économique
La situation linguistique du Maroc : le Maroc entre la francophonie et l’arabisation
Situation et politique linguistiques en République Centrafricaine
Politique et aménagement linguistiques au Burundi
Le théâtre radiophonique comme laboratoire d’aménagement du corpus : étude de cas de l’influence de la Famille Zot sur la diversification lectale en créole de l’île Maurice
Étude littéraire de Mandeng ma Bilog ou Amour d’outre-tombe
Résumés
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Langues et sociétés en contact: Mélanges offerts à Jean-Claude Corbeil [Reprint 2014 ed.]
 9783110932935, 9783484560086

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CAN ADIAN A R O M A N I C A publiés par Hans-Josef Niederehe et Lothar Wolf Volume 8

LANGUES ET SOCIETES EN CONTACT Mélanges offerts à Jean-Claude Corbeil

publiés par Pierre Martel et Jacques Maurais

Max Niemeyer Verlag Tübingen 1994

Die Deutsche Bibliothek - CIP-Einheitsaufnahme Languages et sociétés en contact : mélanges offerts à Jean-Claude Corbeil / pubi, par Pierre Martel et Jacques Maurais.-Tübingen : Niemeyer,1994 (Canadiana Romanica ; Vol. 8) NE: Martel, Pierre [Hrsg.]; Corbeil, Jean-Claude: Festschrift; G T ISBN 3-484-56008-8

ISSN 0933-2421

© Max Niemeyer Verlag G m b H & Co. KG, Tübingen 1994 Das Werk einschließlich aller seiner Teile ist urheberrechtlich geschützt. Jede Verwertung außerhalb der engen Grenzen des Urheberrechtsgesetzes ist ohne Zustimmung des Verlages unzulässig und strafbar. Das gilt insbesondere für Vervielfältigungen, Übersetzungen, Mikroverfilmungen und die Einspeicherung und Verarbeitung in elektronischen Systemen. Printed in Germany Druck: Weihert-Druck G m b H , Darmstadt Einband: Hugo Nädele, Nehren

Table des matières Pietre Martel & Jacques Maurais, Présentation

1

Jean-Claude Boulanger & Rosita Harvey, Bibliographie de Jean-Claude Corbeil

3

Alain Landry, Mélanges en l'honneur de Jean-Claude Corbeil

21

Camille Laurin, Hommage

23

Miquel Reniu i Tresserras, Catalunya, Quebec : Politiques linguistiques amb objectius comparables Gilles Bibeau, L'éducation et le syndrome de la femme de César

25 35

Joshua A. Fishman, Neo-Marxist and Post-Structural Critiques of «Classical» Language Planning

41

François Grin, La Suisse ou la non-politique linguistique

49

William F. Mackey, La politique linguistique dans l'évolution d'un État-Nation

61

Isidor Mari i Mayans, La planificado lingüística a Catalunya : cap a un Pia General de Normalització Lingüística

71

Jacques Maurais, L'aménagement linguistique au Québec et dans les pays de l'ancien empire soviétique : contrastes et similitudes Aina Moli, L'aménagement linguistique aux Iles Baléares

81 95

Louise Péronnet, L'immersion comme mesure d'aménagement linguistique

107

Ariane Archambault, La stratégie de l'image en terminologie : l'expérience du VISUEL

113

Pierre Auger, Genèse et développement de la terminologie dans le monde francophone : une vision industrialisante de la langue

121

Bruno de Bessé, Contribution à la définition de la terminologie

135

Robert Dubuc, La crise de la terminologie : le recours informatique

139

Roger Goffin, L'expérience de la terminologie à la Commission des Communautés européennes

149

John Humbley, Écoles de terminologie : mythe ou réalité? Les cas autrichien et québécois 159 Louis-Jean Rousseau, Vers une méthodologie de la définition terminologique

169

Marie-Éva de Villers, Recherches terminologiques québécoises dans le domaine de la gestion

175

Guy Bertrand, Jean-Claude Corbeil, polyvalent des industries de la langue

181

Robert Chaudenson, Les industries de la langue. Chronique d'une mort annoncée

187

Charles Muller, Télématique et orthographe. Le programme Orthotel

195

Table des matières

Richard Parent, Maîtrise du vocabulaire et communications organisationnelles

205

Laurent Santerre & Guy Basque, Exigences de la synthèse par règles

213

Normand Beauchemin, «Pogner» un verbe qui ne pogne pas chez les lexicographes

231

Abdelkrim Boufarra, L'aménagement de l'arabe et de l'hébreu modernes

245

Jean-Claude Boulanger, L'aménagement du lexique spécialisé dans le dictionnaire de langue. Du prélexicographique au microstructurel

253

Hélène Cajolet-Laganière & Pierre Martel, Caractéristiques

lexicales des textes

scientifiques : premières analyses

269

Jean-Yves Dugas, Ethnonymia Americana

283

Luis Fernando Lara, La complejidad léxica del español contemporáneo, desde el punto de vista internacional

291

Pierre Martel, Quelles sont les suites à l'avis du Conseil de la langue française sur l'aménagement

de la langue?

303

Alain Rey, À la recherche de la norme : un dictionnaire québécois

311

Josette Rey-Debove, Le lexique et l'image

317

Albert Bastardas-Boada, Catalans et immigrés hispanophones en Catalogne : le changement de la langue des intercommunications

327

Annette Boudreau, La perception des écarts linguistiques par rapport à la norme en milieu diglossique

341

Teresa Cabré i Castellví, Autour de la norme lexicale

351

Lynn Drapeau, Bilinguisme et érosion lexicale dans une communauté montagnaise

363

Pierre Dumont, La mémoire dans la langue

377

Danièle Latin, «En effeuillant la marguerite» : quelques considérations sur l'évolution des attitudes concernant les français régionaux en francophonie et plus spécialement le français d'Afrique noire

387

Karmele Rotaetxe, Alternance codique et langue minoritaire

395

Dominique Lepicq & Richard Y. Bourhis, Psychologie sociale et linguistique : le cas du Québec

aménagement 409

Rainer Enrique Hamel, Droits linguistiques universels et diversité socioculturelle : critères sociolinguistiques

435

Antoni Milian i Massana, Les droits linguistiques dans le cadre de l'enseignement : survol de droit comparé et de droit international

457

Michel Paillé, Le contexte démographique de l'aménagement linguistique au Québec : l'exemple de Montréal

473

François Vaillancourt & René Champagne & Lise Lefebvre, L'usage du français au travail par les francophones du Québec : une analyse économique

483

Table des matières

vii

Khadija Bnoussina, La situation linguistique du Maroc : le Maroc entre la francophonie et l'arabisation

495

Michel M. Koy t, Situation et politique linguistiques en République Centrafricaine

503

Philippe Ntahombaye, Politique et aménagement linguistiques au Burundi

517

Didier de Robillard, Le théâtre radiophonique comme laboratoire d'aménagement du corpus : étude de cas de l'influence de la Famille Zot sur la diversification lectale en créole de l'île Maurice Emmanuel Soundjock-Soundjock, d'outre-tombe Résumés

529 Etude littéraire de Mandeng ma Bilog ou Amour 547 559

1

Mélanges Jean-Claude Corbeil

Présentation La carrière de Jean-Claude Corbeil est exemplaire à bien des égards. Jean-Claude Corbeil commence sa vie professionnelle en 1959 à titre d'enseignant à l'école normale Jacques-Cartier puis, très tôt, il part pour Strasbourg où il obtient un doctorat en linguistique française. Peu après son retour au Québec, il occupe un poste de professeur régulier à l'Université de Montréal. En 1971, Jean-Claude Corbeil est appelé à assumer les fonctions de directeur linguistique de l'Office de la langue française et, á partir de cette date, toute sa carrière se poursuivra dans la fonction publique. Jean-Claude Corbeil est un des principaux pionniers de la politique linguistique du Québec. Il participe à l'élaboration des lois linguistiques importantes (lois 22 et 101) et dote l'Office de la langue française d'une véritable politique linguistique qui fera de cet organisme le principal agent responsable de faire du «français la langue de l'État et de la Loi aussi bien que la langue normale et habituelle du travail, de l'enseignement, des communications, du commerce et des affaires» (préambule de la Charte de la langue française). Durant plus de deux décennies, l'Office développera et appliquera des programmes linguistiques conçus et planifiés sous et par Jean-Claude Corbeil. Au milieu de l'action «linguistique», Jean-Claude Corbeil développe en même temps un cadre théorique et méthodologique de l'«aménagement linguistique». Ses réflexions et ses nombreux écrits concourent au développement de cette discipline et placent le Québec à la fine pointe de ce domaine dans la francophonie. Son expérience de l'Afrique, et notamment de l'Afrique du Nord où il a vécu et de secrétaire du CIRELFA, le fit connaître sur la plan international. Jean-Claude Corbeil s'est assuré une place importante dans la communauté scientifique grâce à ses travaux concernant l'aménagement du français québécois. Ses écrits sur la norme du français québécois, sur les dictionnaires de langue générale, sur l'évolution de la langue française et québécoise, etc., font de lui un des grands linguistes québécois dont la contribution scientifiqe marquera les générations que le suivront. Devant une carrière si riche et si importante pour le dossier de la langue, tant sur le plan national qu'international, nous avons donc décidé d'offrir à Jean-Claude ce recueil de Mélanges. Nous le lui dédions en reconnaissane de ce qu'il nous a apporté et en témoignage d'estime pour une personne que nous avons eu la joie de côtoyer durant plusieurs années. Merci Jean-Claude. Pierre Martel - Jacques Maurais

2

Présentation

Afin de respecter la diversité des langues dont il est ici question et du désir formulé

par

certains auteurs de ces «Mélanges», certains textes sont rédigés en d'autres langues que le français. Nous les avons fait précéder, chaque fois, d'un résumé en français.

Remerciements La publication de ces Mélanges Jean-Claude Corbeil a été rendue possible grâce au soutien financier du Ministre responsable de l'application de la Charte de la langue française du Québec, de l'Office de la langue française, du Conseil de la langue française et de l'Université de Sherbrooke. Nous tenons à remercier Linda Pépin qui nous a assistés dans la préparation de ce volume.

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Jean-Claude Boulanger Université Laval

Rosita Harvey Conseil de la langue française

Biobibliographie de Jean-Claude Corbeil 1 . Notes biographiques Jean-Claude Corbeil naît à Montréal, le 3 avril 1932. Il fait ses études classiques au Collège Sainte-Croix. En 1954, il obtient un baccalauréat ès arts de l'Université de Montréal, puis, en 1955, il décroche un baccalauréat en pédagogie de cette même université. En 1959-1960, il entreprend une carrière d'enseignant à l'École normale Jacques-Cartier qu'il quittera pour participer à la fondation de l'École normale Ville-Marie, en septembre 1960. Tout en enseignant, il poursuit des études de maîtrise et de doctorat, respectivement aux universités de Montréal et de Strasbourg. Il est maître ès arts en 1962 — titre de son mémoire : L'influence du morphème final sur la détermination du genre en français parlé — et docteur en linguistique en 1966 — titre de son doctorat : Essai sur les structures fondamentales du français moderne. Les arrangements des éléments fonctionnels dans la phrase française. Son doctorat est publié à Paris en 1968, année où il devient professeur au Département de linguistique de l'Université de Montréal. Il occupera ce poste pendant trois ans, période au cours de laquelle il animera, à Radio-Canada, une émission radiophonique intitulée «Langage de mon pays». En 1971, il amorce une nouvelle carrière en entrant au service de l'État. Il est alors nommé au poste de directeur linguistique de l'Office de la langue française du Québec. Il demeurera à ce poste jusqu'à la fin de 1977. À partir de 1978, il donne une envergure plus internationale à sa carrière en devenant chargé de mission auprès de l'Association des universités partiellement ou entièrement de langue française (AUPELF) et de l'Agence de coopération culturelle et technique (ACCT). L'Afrique francophone devient son principal foyer d'activité. En 1980-1981, il s'installe à Tunis où il sera conseiller scientifique auprès de l'Institut Bourguiba des langues vivantes (IBLV). Il s'occupe principalement de questions de terminologie et de sociolinguistique tout en assurant quelques charges d'enseignement centrées sur l'aménagement linguistique. En octobre 1981, il est nommé secrétaire général du Conseil international de recherche et d'étude en linguistique fondamentale et appliquée (CIRELFA), organisme qui relève de l'ACCT. Il assurera le secrétariat du CIRELFA jusqu'en février 1989. Par la suite, tout en poursuivant diverses activités professionnelles, il occupera un poste de conseiller-cadre au Conseil de la langue française du Québec. En 1991, il prend sa retraite de l'État afin de pouvoir se consacrer à plein temps à des recherches linguistiques et lexicographiques, notamment auprès des Éditions Québec/ Amérique inc. Parallèlement à ces préoccupations, il demeure toujours un grand expert international en matière d'aménagement linguistique.

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Jean-Claude Boulanger & Rosita Harvey

Dans ses premières fonctions de professeur de français dans une école normale, Jean-Claude Corbeil découvre à la fois l'insuffisance de la grammaire traditionnelle et le rôle normatif déterminant d'un système d'enseignement. Il décide d'approfondir ces questions en devenant professeur de didactique et en participant à la fondation et au démarrage de l'Association canadienne de linguistique appliquée (ACLA) et de l'Association québécoise des professeurs de français (AQPF). L'ACLA est fondée en 1965 et l'AQPF en 1967. Il occupera également le poste de vice-président de l'Association des professeurs de français de Montréal de 1968 à 1971. Son intérêt pour la problématique de la langue française au Québec, tant en ce qui concerne sa qualité qu'au regard de son statut, l'amène à accepter la direction linguistique de l'Office de la langue française. Il jouera alors un rôle important dans la préparation et la rédaction des lois linguistiques québécoises de 1974 — Loi sur la langue officielle — et de 1977 — Charte de la langue française. C'est à cette époque qu'il entreprend de formuler les principes fondamentaux de l'aménagement linguistique en situation de bilinguisme et de multilinguisme. Dans la suite de ces travaux, il élabore avec ses proches collaborateurs de l'Office de la langue française une théorie et une méthodologie de la terminologie appliquée. Son expérience et ses travaux d'aménagiste le font connaître en Europe et dans le monde francophone. La renommée qui en découle le conduit bientôt à jouer les rôles de conseiller et d'expert international, rôles qu'il continue d'assurer avec grande compétence. Il est bientôt appelé à rédiger, pour l'ACCT, un rapport sur les problèmes linguistiques avec lesquels se débat la francophonie. C'est durant cette période qu'il est expertconseil auprès de l'IBLV à Tunis pour la mise en place d'un programme d'enseignement de la terminologie axé sur les besoins de modernisation de la langue arabe. La carrière de Jean-Claude Corbeil revêt de multiples facettes qui, cependant, montrent toutes qu'il se préoccupe plus particulièrement de trois aspects de la langue : la variation linguistique, la coexistence des langues et les comportements linguistiques perçus sous l'angle d'un modèle culturel spécifique à chaque communauté sociale. Sa participation aux travaux de la Commission Gendron — à partir de 1968 —, pour des questions relatives à la norme et aux modèles linguistiques, constitue en quelque sorte le début de sa réflexion sur l'aménagement linguistique. Le développement de ces idées l'amènera à exercer une influence profonde dans la francophonie et en fera l'expert international qu'il est devenu par la suite. Au Québec, Jean-Claude Corbeil est à l'origine des recherches et des travaux de terminologie, tant théoriques qu'appliqués, qui ont fait du Québec un maître d'oeuvre dans le domaine de l'aménagement de la terminologie. C'est sous sa direction et sous son ascendant intellectuel que sont mis au point les principaux concepts relatifs aux grandes questions de la terminologie, de la néologie et de la normalisation. L'analyse des problèmes liés au transfert terminologique propre à faire du français la langue de travail et l'expérimentation systématique dans les entreprises sont à l'origine de tous les travaux actuels ayant trait à la terminologie et à la francisation au Québec. La méthodologie du travail terminologique, rédigée sous sa direction entre 1975 et 1977, est devenue un classique du genre. Elle est maintenant traduite dans plusieurs autres langues (espagnol, catalan...) et les travaux québécois servent de point d'ancrage et de source d'inspiration pour de nombreux pays ou États qui ont à réaliser des projets de société par

Biobibliographie de Jean-Claude Corbeil

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l'intermédiaire de l'aménagement linguistique. On pense ici en particulier à la Catalogne, à l'Afrique maghrébine et à de nombreux pays d'Afrique noire. Les recherches conduites par ce chef de file dans les années 1970 ainsi que les colloques nationaux ou internationaux qu'il a organisés ou auxquels il a participé et collaboré, sont également à la source du grand brassage d'idées qui a débouché sur la création de banques de données terminologiques — dont la première fut celle de l'organisme qu'il dirigeait — et de plusieurs programmes d'enseignement universitaire de la terminologie. Vers la fin des années 1970, la terminologie était enseignée dans huit universités québécoises ainsi qu'à Ottawa, ce qui illustre bien à quel point les besoins de formation des terminologues étaient impérieux. Depuis vingt-cinq ans, Jean-Claude Corbeil a joué un rôle de premier plan dans la naissance, la croissance et le mûrissement des activités d'aménagement de la langue au Québec. Sa pensée est bien synthétisée dans son livre L'aménagement linguistique du Québec, ouvrage qu'il publie en 1980. Son influence est primordiale dans la réussite de l'important projet de société que les Québécois et les Québécoises se sont donné en voulant faire du français la langue officielle de l'éducation, de l'affichage, du travail, du commerce et des affaires. En effet, c'est dans le droit fil des travaux qu'il a encouragés que ces secteurs importants de l'économie de service ont pris la forme et la qualité qu'on leur reconnaît maintenant. Partout, dans les ministères, dans la petite, la moyenne et la grande entreprises, dans les universités, les méthodes de travail et les programmes de formation trouvent leur origine dans les activités terminologiques menées à l'Office de la langue française pendant son mandat de directeur linguistique. Parallèlement à ses préoccupations d'ordre terminologique, on ne peut non plus passer sous silence son influence sur les réflexions menées dans le dossier de la langue générale. L'élaboration d'une norme lexicale québécoise doit beaucoup à la contribution de ce grand linguiste et de ce grand francophone, pour qui le français d'ici possède une légitimité sociale propre. Dès le début de sa carrière scientifique, il affirmait, dans les deux premières phrases du premier article qu'il a publié : «Que nous parlions un français différent de celui de Paris, c'est un phénomène normal, inévitable et nécessaire. Comme une identité de la langue ne peut que coïncider avec une identité de la culture, c'est une impossibilité sociologique que nous parlions un français rigoureusement identique à celui de Paris et il en sera ainsi tant que notre culture différera de la culture française» (1964 : 47). On retrouve dans ce texte, datant du début de la Révolution tranquille, les grandes préoccupations permanentes de Jean-Claude Corbeil, dont il n'a jamais dérogé depuis, le fil d'Ariane qui a animé toute sa carrière scientifique, à savoir l'unité et la diversité de la langue française en tant que principal corps de doctrine de la francophonie. Enfin, ses idées formulées au plan théorique ont commencé à porter fruit dans la pratique d'une lexicographie générale de la langue française québécoise. Les nombreux dictionnaires généraux qui paraissent régulièrement au Québec depuis une dizaine d'années s'inspirent, pour la plupart, de la conception corbeillienne de la norme légitime de notre variété de français. En 1982, Jean-Claude Corbeil s'est lui-même mis à la tâche pour mettre en pratique active les principes et méthodes lexicographiques qu'il a toujours préconisés et défendus. D'aménagiste théoricien, il s'est transformé en véritable praticien pour élaborer son propre ouvrage lexicographique qu'il publie en 1986 : le Dictionnaire thématique

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Jean-Claude Boulanger & Rosita Harvey

visuel, titre qui résume on ne peut mieux l'intérêt de son auteur pour la chose dictionnairique, pour les savoirs d'experts — les LSP — et pour le volet didactique de renforcement au plan de l'apprentissage que représente le recours à l'iconographie. En 1989, lors de la dernière refonte du Petit Larousse illustré, il a contribué au choix des québécismes que les éditeurs français ont intégré à la nomenclature de ce célèbre dictionnaire encyclopédique. Au plan international, l'expertise longuement mûrie de Jean-Claude Corbeil a été souvente fois mise à contribution et nombre de programmes d'aménagement linguistique dans les pays francophones du Sud — Afrique noire et Maghreb — sont directement inspirés des travaux menés en territoire québécois en cette matière. Sous la direction de l'infatigable aménagiste, l'Office de la langue française s'est largement ouvert à la collaboration avec les principaux partenaires francophones européens que sont la France et la Belgique, sans négliger la Suisse, même si elle fut moins présente à ce moment-là. Ces relations ont favorisé, entre autres choses, la prise de conscience chez les lexicographes européens de la vitalité des parlers régionaux en dehors de l'Europe et de la nécessité de consigner dans leurs dictionnaires une part de ces trésors francophones. Dans ce volet international, il est également de mise de rappeler le succès considérable du Dictionnaire thématique visuel — devenu en 1992 Le visuel. Dictionnaire thématique français / anglais — qui a été adapté en de nombreuses langues et publié en de multiples versions bilingues ou multilingues, de sorte que l'on peut dire que le DTV a eu une diffusion quasi planétaire. Cette expérience de lexicographie a été l'occasion pour Jean-Claude Corbeil de dépasser les cercles de la francophonie pour atteindre à la dimension universelle par les mots et par l'image. Tout récemment, l'éminent linguiste a contribué d'une manière fort importante à l'ouverture du Québec aux questions entourant l'émergence et le développement du tout nouveau domaine des industries de la langue. Dans cette foulée, il a préparé pour le compte du Conseil de la langue française un ouvrage portant sur ce sujet. Cet intérêt qu'il manifeste pour les nouveaux champs de connaissance caractérise toute la carrière de Jean-Claude Corbeil, carrière qui est faite d'une ouverture permanente sur le monde et qui est vouée à l'écoute des autres afin de mieux comprendre toute la complexité des rapports entre la culture, la langue et la société québécoises d'une part, et de mieux saisir les liens entre les cultures, les langues et les sociétés si diversement colorées qui modèlent la francophonie d'autre part. Au yeux de ceux et celles qui ont œuvré ou qui œuvrent avec lui, qui le connaissent ou qui ont eu l'occasion de le côtoyer, Jean-Claude Corbeil offre un exemple et un modèle à suivre au plan de la pensée, au plan de ses qualités de leader, mais par-dessus tout ce sont ses grandes qualités d'humaniste qui touchent tous et chacun de ses élèves, collègues et amis. 2 . Bibliographie : trente ans d'aménagement linguistique La présente bibliographie des écrits de Jean-Claude Corbeil ne recense que ses contributions à caractère scientifique ainsi que ses articles de vulgarisation. Nous avons écarté les textes dont le contenu ne traitait pas spécifiquement de sujets linguistiques. Essentiellement, il s'agit des multiples préfaces des dictionnaires terminologiques (lexiques, vocabulaires...) de l'Office de la

Biobibliographie de Jean-Claude Corbeil

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langue française, des mots d'ouverture, de bienvenue ou de clôture prononcés lors de colloques nationaux ou internationaux que Jean-Claude Corbeil avaient organisés ou auxquels il avait participé à un titre ou à un autre. Lorsque ces contributions faisaient état d'une problématique scientifique reliée au contenu des ouvrages préfacés ou des actes des rencontres en question, elles ont été citées (voir par exemple le numéro 23). Ne sont pas mentionnés non plus les ouvrages terminologiques, terminographiques ou portant sur des problèmes d'aménagement linguistique dont le chercheur n'a fait que superviser l'élaboration et la publication ou encore les collections dont il avait la charge alors qu'il occupait la fonction de directeur linguistique de l'Office de la langue française ou alors qu'il était secrétaire général du CIRELFA. Nous avons également décidé de ne pas inclure toutes les versions du Dictionnaire thématique visuel — édition de 1986 — ou celles du Dictionnaire visuel junior — édition de 1989. Seules les versions française, anglaise et la version bilingue français-anglais — considérées comme les ouvrages sur lesquels sont fondées toutes les autres adaptations — figurent à la bibliographie du premier dictionnaire tandis que seule l'édition française est signalée pour le dictionnaire destiné aux enfants. Il est bien clair toutefois que les publications dans d'autres langues (l'espagnol, l'hébreu, le chinois, etc.) ont été réalisées sous la responsabilité de l'auteur principal. Bien entendu, la deuxième édition du Visuel, qui vient tout juste de paraître, est citée. Il convient de noter que tous les titres de cette bibliographie furent vérifiés dans les documents originaux et que, le cas échéant, le premier tirage faisait foi de l'ensemble des informations fournies sous un numéro. Comme il est d'usage dans des mélanges, la liste des publications suit l'ordre chronologique. L'année est clairement indiquée au début de chaque grand paragraphe. L'indication de la date de parution n'est pas reprise dans la première référence bibliographique puisqu'il s'agit de la même année. Cependant, lorsqu'un texte a été publié plus d'une fois, les références complètes sont regroupées chronologiquement sous la date la plus ancienne (voir par exemple le numéro 28). Une entrée-renvoi, précédée d'un double astérisque [**], reprend le titre à chacune de ses années de publication. Certains écrits diffusés par des canaux différents contiennent parfois des modifications plus ou moins importantes : versions revues et augmentées, versions abrégées, titres qui diffèrent, d'autres ont été traduits en anglais, ainsi de suite. Dans chaque cas, les nuances sont signalées en fin de référence et entre crochets (voir par exemple les numéros 22,28, 64). — La bibliographie est à jour au 30 novembre 1992. 1962 1. L'influence du morphème final sur la détermination du genre en français parlé, Thèse présentée à la Faculté des Lettres de l'Université de Montréal pour l'obtention du grade de maître ès arts (en linguistique), Montréal, Université de Montréal, 106 p. 1964 2. «Un français différent de celui de Paris» dans: Québec 64. Le Canada français d'aujourd'hui, vol. 1, n s 2, octobre, p. 47-48. [Publié aussi dans Le Devoir du 16 mars 1964.]

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Jean-Claude Boulanger & Rosita Harvey

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n2 43 ** Aspects sociolinguistiques de la langue française au Québec -» 1980, n2 44 ** Théorie et pratique de la planification linguistique —> 1981, ns 48 ** Compte rendu de : Inventaire des particularités lexicales du français en Afrique noire, Paris, AUPELF-ACCT, fase. 1, A-B, 1980, 130 p., fase. 2, C-F, 1981, 146 p. 1982, n s 50

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** Myrtille ou bleuet. Les Québécois devant la norme 1982, na 51 ** Traduction, terminologie et variétés du français 1982, n2 52 ** L'emploi des langues nationales dans les organismes internationaux 1983, n s 58 ** Les enjeux terminologiques de l'innovation 1984, na 60 ** Réflexions sur la relation entre variation linguistique et langue standard —» 1984, na 61 ** Aménagement linguistique et développement —> 1984, n s 64 ** Le «français régional» en question —> 1984, n s 66 ** Problématique de la politique linguistique de l'Agence de coopération culturelle et technique -> 1984, n s 67 ** La politique linguistique québécoise : une fugue perpétuelle à trois voix —> 1986, n2 79 79. «La politique linguistique québécoise : une fugue perpétuelle à trois voix» dans : Langue et usage des langues. Recueil de textes, coll. «Notes et documents», n s 50, Québec, Conseil de la langue française, Gouvernement du Québec, p. 133-154. [Conférence prononcée au Colloque de Barcelone, mai 1985.] Québec-Catalogne : deux nations, deux modèles culturels, sous la direction de Gaétan Tremblay et Manuel Parés i Maicas, Montréal, Université du Québec à Montréal, 1987, p. 123-142. ** Langue et société. Étude préalable à la création d'un centre international de recherche en linguistique fondamentale et appliquée, 1978, n2 42 1987 80. «Commentaire de la communication de Sélim Abou : Éléments pour une théorie générale de l'aménagement linguistique» dans : Actes du Colloque international sur l'aménagement linguistique, Ottawa 25-29 mai 1986, coll. «Travaux du Centre international de recherche sur le bilinguisme», n2 A-21, Québec, Les Presses de l'Université Laval, p. 17-23. 81. «Vers un aménagement linguistique comparé» dans : Politique et aménagement linguistiques, Textes publiés sous la direction de Jacques Maurais, coll. «L'ordre des mots», Québec / Paris, Conseil de la langue française / Le Robert, p. 553-566. 82. «L'aménagement linguistique face à la science linguistique» dans : Bulletin de l'ACLA, vol. 9, n 2 2, automne, p. 9-16. [Actes du 18 e Colloque annuel tenu à l'Université de Montréal en mai 1987.] 83. «Souvent français varie» dans : Langue et société, Commissariat aux langues officielles (Ottawa), Nouvelle série, n2 20, automne, p. 46-47. 84. — , et Ariane Archambault, Dictionnaire thématique visuel / Visual Dictionary. Françaisanglais. French-English, Montréal, Éditions Québec / Amérique inc., Toronto, Stoddart Publishing Co. Limited, New York, Facts on File, Londres et Paris, Harrap, 928 p. [La même année, l'éditeur Harrap a publié le dictionnaire sous le titre Harrap's Visual. Dictionnaire anglais / américain / français. Voir aussi 1992, n 2 108] ** La politique linguistique québécoise : une fugue perpétuelle à trois voix, 1986, n2 79.

Biobibliographie de Jean-Claude Corbeil

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1988 85. «Assumer ou taire les usages lexicaux du Québec» dans : Revue québécoise de linguistique théorique et appliquée, vol. 7, n s 1, janvier, p. 69-78. [Pour un dictionnaire du français québécois : propositions et commentaires] 86. — , et Ariane Archambault «À propos du Dictionnaire thématique visuel (DTV)» dans : L'Actualité terminologique, vol. 21, nB 1, p. 24-25. TermNet News, n s 23, 1988, p. 156159. 87. «La terminologie au futur» dans : Actes du sixième Colloque OLF-STQ de terminologie. L'ère nouvelle de la terminologie, Montréal, 27 au 29 novembre 1985, Montréal, Office de la langue française, Gouvernement du Québec, p. 267-276. 88. «Les terminologies devant Babel» dans : Actes du Colloque Terminologie et technologies nouvelles, Paris-La Défense, 9 au 11 décembre 1985, Montréal, Office de la langue française, Gouvernement du Québec, p. 49-62. 89. «Formation de terminologues et formation terminologique des traducteurs» dans : Rencontre internationale sur l'enseignement de la terminologie. Documents contributifs, 21-22 septembre 1988, Genève, École de traduction et d'interprétation, Université de Genève, septembre, p. 223-230. 90. Préface dans : Marie-Éva de Villers, Multidictionnaire des difficultés de la langue française, Montréal, Éditions Québec / Amérique inc., p. XI-XIII. [Repris dans : Dico pratique. Expression écrite — correspondance, Paris, Éditions Québec / Amérique inc. — Librairie Larousse, 1989, p. IX-X et dans Correspondance, expression écrite. Dico pratique. 8 guides en 1, Paris, Éditions Québec / Amérique inc. — Librairie Larousse, 1989, p. IX-X : le texte comporte de légères variantes. Repris aussi dans la deuxième édition québécoise du Multidictionnaire, 1992, p. XI-XII.]

1989 91. — , et Ariane Archambault, Dictionnaire visuel junior, coll. «Langue et culture», Montréal, Éditions Québec / Amérique inc., VII + 159 p. 92. «Quinze ans de politique terminologique au Québec» dans : Terminologie diachronique. Actes du Colloque organisé à Bruxelles les 25 et 26 mars 1988, Rédactrice Caroline de Schaetzen, Paris, Conseil international de la langue française (CILF) et Ministère de la Communauté française de Belgique, p. 186-192. 93. «Préface» dans : Les répertoires terminologiques de la bureautique. Bibliographie analytique, sous la direction de Monique C. Cormier et Jean-Claude Boulanger, coll. «Travaux du Centre international de recherche sur le bilinguisme», n s F-6, Québec, Les Presses de l'Université Laval, p. IX-X. 94. «Terminologie et banques de données d'information scientifique et technique» dans : Meta, vol. 36, na 1, mars, p. 128-134. [La terminologie dans le monde : orientations et recherches] L'Actualité terminologique, vol. 22, n2 3, p. 5-6. [Version abrégée.] ** Préface 1988, n s 90

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Jean-Claude Boulanger & Rosita Harvey

1990 95. «L'idéologie de la langue nationale : une grande invention de 1789» dans : Bulletin du Conseil de la langue française, vol. 7, nB 1, hiver, p. 4-5. 96. «Comment orienter l'usage d'une langue» dans : La lingüística aplicada. Noves perspectives - Noves professions - Noves orientations, coll. «Cicle de conferències», n s 9, Barcelona, Universität de Barcelona, Fundació Caixa de pensions, p. 79-85. 97. «Relation entre sentiment national et langue» dans : Autonomie et mondialisation. Le Québec et la Catalogne à l'heure du libre-échange et de la Communauté européenne, sous la direction de Gaëtan Tremblay et Manuel Parés i Maicas, Sillery (Québec), Presses de l'Université du Québec, p. 321-327. 98. [Sous la direction de -—] Les industries de la langue : un domaine à la recherche de luimême, coll. «Notes et documents», n s 78, Conseil de la langue française, Québec, Gouvernement du Québec, XII + 280 p. 99. «Bilan de la stratégie et des travaux en matière d'aménagement de la langue» dans : Actes du Colloque sur l'aménagement de la langue au Québec. Communications et synthèse, MontGabriel (Québec), 7 et 8 décembre 1989, coll. «Notes et documents», n s 75, Québec, Conseil de la langue française, Éditeur officiel du Québec, p. 19-29. 100. «Commentaires sur la communication de Juan Cobarrubias : The Spread of the Spanish Language in the Americas» dans : Actes du Colloque Diffusion des langues et changement social. Dynamique et mesure, Université Laval (Québec), mars 1990, coll. «Travaux du Centre international de recherche sur le bilinguisme», n s A-22, Québec, Les Presses de l'Université Laval, p. 93-96. 1991 ** Terminologie et banques de données d'information scientifique et technique 1989, n2 94 101. «Le marché des industries de la langue» dans : Actes du Colloque Les industries de la langue. Perspectives des années 1990, Montréal, 21-24 novembre 1990, Montréal, Gouvernement du Québec, Office de la langue française / Société des traducteurs du Québec, p. 989-997. 102. «Arrière-plan linguistique et sociolinguistique d'un dictionnaire du français québécois» dans : Revue québécoise de linguistique théorique et appliquée, vol. 10, n® 3, juin, p. 153159. [Recherches sur le français québécois] 103. «Aménager la langue française» dans : Le Français dans le monde, n s 242, juillet, p. 6871. 104. «L'aménagement linguistique en Acadie du Nouveau-Brunswick» dans : Vers un aménagement linguistique de l'Acadie du Nouveau-Brunswick. Actes du Symposium de Moncton, 3, 4 et 5 mai 1990, Éditrice Catherine Phlipponneau, Moncton, Centre de recherche en linguistique appliquée, Université de Moncton, p. 19-28.

Biobibliographie de Jean-Claude Corbeil

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105. «Pour une stratégie globale en aménagement linguistique de l'Acadie du NouveauBrunswick» dans : Égalité, Revue acadienne d'analyse politique, n s 30, automne, p. 185197. 106. «L'activité lexicologique au Québec» dans : Cahiers francophones d'Europe centreorientale, (Pécs et Vienne), n s 1, p. 29-39. [Mots du Québec] ** Le français au Québec 1976, na 35 1992 107. Lynn Drapeau et — , «Les langues autochtones dans la perspective de l'aménagement linguistique» dans : Les langues autochtones du Québec, sous la direction de Jacques Maurais, coll. «Dossiers CLF», n2 35, Québec, Conseil de la langue française, Les Publications du Québec, p. 387-414. ** Préface 1988, na 90 108. — , et Ariane Archambault Le visuel. Dictionnaire thématique français-anglais. Deuxième édition, Montréal, Éditions Québec/Amérique inc., XXXI + 896 p. [Voir aussi 1986, n2 74 et n s 75, 1987, n2 84].

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Alain Landry Sous-ministre adjoint Multiculturalisme et Citoyenneté Canada

Mélanges en l'honneur de Jean-Claude Corbeil La réputation de Jean-Claude Corbeil, linguiste bien connu, dépasse largement les frontières du Canada, de par son exceptionnelle contribution à la discipline de la terminologie tant au pays qu'à l'étranger. Concepteur original, réalisateur d'envergure et ambassadeur hors pair, voilà autant de qualificatifs attribués à ce docteur en linguistique de lTJniversité de Strasbourg, dont la carrière s'échelonne sur plus de trente ans. Aménagement linguistique du Québec Membre de la Commission Gendron sur la langue au Québec et professeur de linguistique à l'Université de Montréal, Jean-Claude Corbeil pilote, durant près de dix ans, le dossier de l'aménagement linguistique au Québec, en tant que directeur de la terminologie à l'Office de la langue française du Québec. Il met ainsi au point une méthodologie rigoureuse de travail en terminologie qui le mènera du fichier manuel contenu dans une boîte à chaussures à la banque de terminologie du Québec! Véritable humaniste, il procède également à une pléiade d'études que lui suggère son insatiable curiosité de la réalité sous toutes ses formes et dans tous les domaines. Enfin, il est maître d'œuvre de nombreux colloques nationaux et internationaux en linguistique. Épris de clarté, il participe à la rédaction de la Charte de la langue française du Québec. Bourreau acharné de travail, il compte pas moins de 70 publications à son actif et est conseiller en matière linguistique auprès du Conseil de la langue française du Québec et de la maison Larousse à Paris. Scène internationale Tel Ulysse, Jean-Claude Corbeil sillonne la scène internationale. Membre-fondateur de l'Association québécoise des professeurs de français (AQPF) et de l'Association internationale de terminologie TERMIA, il est également membre du Conseil international de la langue française (CILF) à Paris. Chargé de mission auprès de l'Agence de coopération culturelle et technique (ACCT) et de l'Association des universités partiellement ou entièrement de langue française (AUPELF), il occupe aussi durant plusieurs années le poste de Secrétaire général du Conseil international de recherche et d'étude en linguistique fondamentale et appliquée (CIRELFA). Conseiller scientifique auprès de l'Institut Bourguiba des langues vivantes de Tunisie, il organise des tables rondes à l'Institut linguistique international d'Afrique du Nord et visite les centres linguistiques du Sénégal, du Rwanda, du Zaïre et du Cameroun, à titre de conseiller en matière linguistique.

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Alain Landry

Poursuivant son odyssée, Jean-Claude Corbeil va du Monterey Institute de Californie à l'École internationale de Bordeaux et entretient des liens étroits avec les organismes qui, de par le monde, s'intéressent à la langue et à la terminologie (AFNOR, CCE, ISO, CNRS, INFOTERM, Haut Conseil de la francophonie, etc.) Communication parlée et écrite En ce qui a trait à la carrière de Jean-Claude Corbeil auprès des médias, qu'il suffise de mentionner son rôle dans le film J'ai pas dit mon dernier mot de l'Office national du film du Canada, ainsi que des émissions de la Société Radio-Canada auxquelles il participe, soit la série Moi aussi je parle français et la chronique radiophonique Langage de mon pays. Directeur linguistique aux Éditions Québec/Amérique, il supervise étroitement la rédaction des succès de librairie que sont Le Dictionnaire thématique visuel, le Dictionnaire visuel junior et le Multidictiormaire des difficultés de la langue française. Ces ouvrages ont amorcé une brillante carrière à l'étranger, avec la publication d'éditions multilingues dans le cas des deux premiers. Pérennité du dossier linguistique A maintes reprises, Jean-Claude Corbeil a souligné la pérennité du dossier linguistique : une carrière individuelle n'y suffit pas. D'où l'importance de la relève pour assurer une continuité dans l'action. Π rappelle les objectifs que lui et ceux de sa génération ont poursuivis : décoloniser la langue française au Québec et assurer la vitalité du français. Pour décoloniser la langue française au Québec d'abord par rapport à l'anglais, il fallait démontrer la capacité terminologique du français dans tous les domaines technique, scientifique, administratif, commercial et économique, objectif maintenant atteint. Π fallait ensuite implanter l'usage de la langue française dans les entreprises comme langue de travail, action en cours qui nécessite cependant une vigilance constante. Pour décoloniser la langue française au Québec ensuite par rapport au français de France, il fallait affirmer la légitimité du français québécois, le décrire et réduire la variation à ce qu'elle a de nécessaire, d'indispensable, tout en maintenant comme objectif la vitalité d'un français de qualité. Conclusion De concert avec les autres pays de la francophonie, il faut arrêter une politique de la néologie pour que le français puisse s'affirmer comme langue internationale forte et moderne. Tout au long de sa carrière, Jean-Claude Corbeil a démontré que le terme «impossible» n'est pas français. À nous maintenant de lui emboîter le pas...

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Camille Laurin, m.d. Chef du Département de Psychiatrie, Hôpital du Sacré-Coeur de Montréal Ancien ministre responsable de l'application de la Charte de la langue française

Hommage Jean-Claude Corbeil n'a pas été qu'un grand savant, un professeur éminent et un vulgarisateur hors pair, mais aussi un homme d'action qui a mérité la profonde reconnaissance du peuple québécois. La Charte de la langue française, dont il est l'un des principaux inspirateurs et artisans, n'aurait pas constitué un tel virage historique et un tel facteur de cohésion sociale sans sa participation. Je ne connaissais pas ses nombreux écrits lorsque j'ai accepté la suggestion que l'on me faisait d'en faire mon conseiller privilégié pour l'élaboration et la rédaction de la Charte. Mais je me suis vite rendu compte de la pertinence de ce choix. Au fil des semaines et des mois, JeanClaude m'a fait partager son immense savoir et il est devenu mon maître à penser en matière d'aménagement linguistique. En plus de posséder une maîtrise approfondie de sa discipline professionnelle, il excellait à établir des ponts entre celle-ci et les sciences humaines connexes, faisait montre d'une imagination créatrice qui l'amenait à formuler de nouvelles hypothèses aussi fines que rigoureuses, pouvait traduire ses connaissances en principes et formules d'action marqués au coin du pragmatisme et du respect des exigences de la réalité. Il n'ignorait aucun des aspects du dossier linguistique québécois, que ce soit dans ses dimensions historiques, sociologiques, économiques ou politiques. Il connaissait toutes les expériences étrangères d'aménagement linguistique et pouvait en tirer pour le Québec de judicieuses leçons grâce à l'analyse critique aiguë qu'il faisait de leurs postulats, de leurs avatars et de leurs succès. Il y avait en particulier sans cesse à l'esprit chacune des nombreuses études qu'avait menées la Commission Gendron ainsi que les interprétations, conclusions et recommandations qu'elles lui avaient inspirées. Il leur appliquait la même grille d'analyse qu'aux expériences étrangères et pouvait ainsi en décanter la substantifìque moelle. Jean-Claude Corbeil était aussi et surtout un passionné de la langue et de la culture françaises. Raciné et formé dans cette langue martemelle qu'il situait au coeur de son identité, il lui trouvait des qualités qui ne cessaient de l'enchanter : clarté, précision, rigueur, faite pour la pensée, sérénité, finesse et beauté. Cette langue informait pour lui une culture millénaire, l'une des plus riches et foisonnantes du monde, vouée par essence à l'universalité et qui constituait une assise majeure de la civilisation occidentale. La langue et la culture d'ici se situaient pour lui dans le droit prolongement de cet héritage dont elles participaient à l'enrichissement C'était là pour lui, et

Camille Laurin

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espérait-il pour notre peuple, un grand motif de fierté, de satisfaction et d'espoir. Il fallait donc assurer à tout prix et pour toujours et solidement le statut du français dans toutes les sphères de la vie collective, le débarrasser des scories résultant d'une trop longue domination politique et économique, améliorer sa qualité, en faire une langue vivante et créatrice, génératrice d'une culture en perpétuel renouvellement Ce sont tous là principes pour l'action, une action racinée dans le passé et projetée vers l'avenir, forte du savoir où elle se fonde et balisée par les exigences du temps présent et les contraintes de la réalité. C'est en y revenant et s'y appuyant sans cesse que Jean-Claude m'a nourri de ses précieux conseils. Je ne crois pas en avoir rejeté un seul et c'est bien ce qui donne à la Charte sa force, son réalisme et son efficacité. J'aurais bien aimé que Jean-Claude, après avoir tant et si bien oeuvré à l'élaboration de la Charte, présidât à son application. Il s'y fût révélé un excellent capitaine, l'oeil toujours fixé sur l'objectif mais attentif aux moindres mouvements de la mer et aux pièges qu'elle recèle. Mais les volontés politiques l'ont emporté sur mon désir. Le CIRELFA y a gagné un président dynamique et le Conseil de la langue française un conseiller éclairé. La publication de ses oeuvres et des témoignages que lui vaut son action exemplaire en révélera encore mieux les raisons ainsi que le droit qu'il a mérité à la reconnaissance et à l'affection des générations présentes et futures.

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Miquel Reniu i Tresserras Director general de Política

Lingüística

Catalunya, Quebec: Politiques linguistiques amb objectius comparables

Résumé : La Catalogne et le Québec : D e s politiques linguistiques à objectifs comparables Malgré la distance que présente sous bien des aspects la situation québécoise par rapport à la situation de la Catalogne, les actions de planification linguistiques menées à tenne depuis de nombreuses années au Québec nous ont été très utiles en vue de mener à bien le processus de normalisation linguistique en Catalogne. Outre certaines caractéristiques démographiques communes — nos deux communautés constituent une minorité dans le cadre d'une superstructure étatique plus vaste —, tant le Québec que la Catalogne ont dû faire front au cours de ces dernières années à une assimilation nationale et linguistique; mais en même temps nos deux peuples ont démontré à maintes reprises leur ferme volonté de maintenir leur identité sans renoncer pour autant aux principes de tolérance dans leurs relations avec la communauté dominante. C'est dans ce cadre spécifique qu'il faut souligner tout particulièrement l'apport et la collaboration de M. Corbeil à la normalisation de la langue catalane. Non seulement il a contribué d'une manière décisive à la vulgarisation des connaissances québécoises en matière de sociolinguistique et de politique linguistique, mais il a aussi collaboré avec nous au moyen de consultations qui nous ont été très utiles au cours de ces dernières années pour l'application de nos plans dans divers domaines : terminologie, recherche sociolinguistique, enseignement, entre autres. Un bon exemple de la précieuse collaboration de M. Corbeil est son travail critique du processus de planification linguistique au Québec, La politique linguistique québécoise : une fugue perpétuelle à trois voix, sous lequel on pouvait déceller une critique latente de la politique linguistique catalane vu la grande influence de la première sur celle-ci. Il va sans dire que ce travail nous a été très utile vu qu'il nous a fait prendre en considération certains facteurs qui nous ont aidé à rectifier certaines activités et améliorer le degré d'application de certaines autres. C'est donc pour tout cela que le monde de la politique linguistique catalane se joint avec un enthousiasme renouvelé à cet hommage à M. Corbeil. En effet, grâce à lui nous avons pris conscience des coïncidences entre les processus catalan et québécois, en même temps que nous avons puisé un profond enrichissement scientifique qui nous a permis d'améliorer et de donner une plus grande efficacité à notre politique linguistique.

Malgrat la distància en múltiples sentits que separa Catalunya del continent americà, l'administració de la Generalität de Catalunya sempre ha vist l'experiència quebequesa de recuperació lingüística i nacional c o m un model d'on extreure conseqiiències utils per al propi procès del nostre país. I és que entre les realitats nacionals — i també entre les situacions linguistiques respectives — hi ha uns paral lelismes tan eloqiients que per força e s produeixen espontàniament fenòmens parangonables. Donem-ne algunes dades. El primer fet que hom acostuma de destacar és el nombre d'habitants dels respectius territoris, que ronda els sis milions. Aquesta població constitueix una minoría molt significativa dins de cada un deis dos estats, i hi conforma una personalitat nacional diferenciada respecte a la resta de l'Estat. La immigració rebuda a causa del fort desenvolupament econòmic dels dos pai'sos, juntament amb altres avatars històrics, fan que no tota la població de Catalunya i Quebec estigui adscrita lingiiísticament i nacionalment al territori on viuen. En tots dos casos, però, s'esdevé que la població d'origen

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Miquel Reniu i Tresserras

català o quebequès constitueix per una banda una minoría dintre de lTistat, però per l'altra una majoria dintre del tenitori propi. Aquesta població, també en tots dos casos, té una notable consciència nacional i lingüística — una voluntat de ser i de continuar mantenint la pròpia identitat col-lectiva —, i ha coincidit també en la història recent en la possibilitat de frenar un procès d'assimilació nacional i lingüística que hauria éliminât progressivament la seva realitat diferenciada. Així, se'ns ha dit que al Quebec es van produir actuacions institucionals i socials efectives de recuperació de la identitat nacional i lingüística principalment des deis anys setanta ençà, les quals tenien el seu origen en la «revolució tranquil-la» deis anys seixanta. A Catalunya s'esdevé un procès d'actuació institucional i també social d'origen ben different, però que presenta aspectes certament comparables. Les possibilitats de recuperació nacional i lingüística s'han fet realitat principalment des deis anys vuitanta, ja que és el 1980 quan se celebren les primeres eleccions al Parlament de Catalunya, i per tant és a partir d'aquest moment que es va articulant una administració autònoma catalana que té — naturalment a més de les altres tasques d'una administració moderna — la missió de contribuir a aquell procès de recuperació de la identitat nacional i de la llengua catalana mitjançant decisions i actuacions de govern. Aqüestes possibilitats s'anunciaven, però, en la década anterior amb la ñ de la dictadura del general Franco (1975) i la restauració de la Generalitat, institució histórica de l'autogovern de Catalunya, els orígens de la quai es remunten a lEdat mitjana. En fi, el context de semblances entre Catalunya i Quebec que permeten fer parangons entre els dos processos podría allargar-se força més. Ens agrada de destacar, però, un altre aspecte curiós i subtil, i és el carácter ferm i decidit deis nostres pobles per mantenir la seva identitat, però alhora pacific i tolerant a l'hora deis tractes. A Catalunya es diu que la nostra història ens ha fet essencialment «pactistes». Aquests elements que ens permetien relacionar els processos català i quebequès, i el fet que aquest darrer fos relativament més avançat en aquells aspectes que permeten una certa comparació, han fet que la Generalitat de Catalunya hagi posât sovint la seva atenció en l'altre procès per inquirir les experiències d'aquest, tant les reeixides com les fallides. En el camp de la planificació lingüística, que constitueix la nostra activitat en l'administració catalana, els contactes amb el Quebec han estât permanents, i també ho han estât les aportacions i l'enriquiment que ens ha reportât el coneixement dels problèmes i les experiències quebequeses. Precisament aquesta miscel-lània ens brinda l'oportunitat de destacar el paper de pont que ha tingut Jean-Claude Corbeil per al coneixement mutu de les dues realitats. És principalment a través d'eli que hem tingut coneixement del procès de recuperació del francés al Quebec, i dels aspectes que més podien interessar el nostre procès de normalització lingüística. En primer lloc el senyor Corbeil ha collaborai eficaçment en les nostres estades al Quebec, i eil mateix no s'ha estât de venir a Catalunya prou sovint per observar i col-laborar en el nostre procès. Ell ens ha facilitat utilíssims contactes en totes les matèries que són l'objecte de la nostra atenció, ja sigui la terminologia, la sociolingüística o la llengua a l'ensenyament. Però per altra banda, la col-laboració del senyor Corbeil s'ha traduit també en informes expressant la seva opinió sobre el nostre procès de normalització lingüística a la Hum de l'experiència quebequesa. En aquest sentit, a part dels camps ja esmentats al final del paràgraf

Catalunya, Quebec : Politiques linguistiques amb objectius comparables

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anterior, ens ha estât especialment i extraordinàriament útil la seva informació sobre l'experiència del seu país en matèria de dinamització lingüística en sectors com ara el sòcio-econòmic, les relacions i l'activitat laborals, la joventut, la immigració i els altres col-lectius al-lòglots, i les seves impressions sobre les nostres actuacions en aquests sectors. Aquesta informació ens ha servit per encetar actuacions en aquests àmbits, corregir errors i endegar les que ja estaven en marxa, detectar noves necessitats de carácter legislatiu i normatiu i, en definitiva, concebre i dissenyar noves iniciatives, com és el cas d'una campanya recent anomenada «el català, eina de feina», de sensibilització del món sòcio-econòmic, empresarial i laboral amb vista a incrementarhi l'ús del català mitjançant actuacions publicities i de foment. Destaquem especialment el paper de Corbeil en les activitats de formació de planificadors linguistics, que han permès la consolidaci d'un col lectiu de professionals especialistes en un conjunt de matèries interdisciplinàries que, com a tais, i encara menys vistes des de la perspectiva lingüística, no es poden trobar reunides en cap programa vigent d'estudis superiors. A fi d'exemplificar la lucidesa de les valoracions amb qué Corbeil sintetitza la realitat quebequesa en esguard de la nostra, i la utilitat que aqüestes tenen per a nosaltres, podem donar un cop d'ull a un deis múltiples treballs que ha fet per a nosaltres els catalans, en el mare d'una de les diverses coMaboracions entre les nostres instituerons i les quebequeses. Posem per cas el seu treball titulat «La política lingüística quebequesa : una fuga perpètua a tres veus», on fent un didàctic símil musical, retrata els aspectes de la política lingüística quebequesa que més ens podien afectar en aquell moment (1985). En alguns aspectes el treball es podia llegir, com veurem, clau de crítica constructiva en relació amb la política lingüística catalana d'aquell moment, ja que tot descrivint els errors del país de l'autor, ens hi podíem sentir plenament identificats en entreveure possibles errors semblants comesos a casa nostra. Detallant la forma com es van corregir, i sota quins principis el govern quebequès es va inspirar per fer-ho, els treballs de Corbeil ens suggereixen iniciatives concretes. L'autor enceta el seu treball criticant que l'aventura de la política lingüística quebequesa, que s'institucionalitza a principis deis seixanta, centrava les seves preocupacions en la qualitat de la llengua, i els nous organismes anaven «aferrissadament a l'encalç de l'anglicisme, atès que hom pensava poder redreçar la situació lingüística de Quebec bo i apel lant a la consciència lingüística deis quebequesos i a la responsabilitat personal deis locutors». Les dicotomies entre treball per la qualitat de la llengua o per l'augment de l'ús social per una banda, i entre el català purista que rebutja tot castellanisme, i la defensa del català efectivament parlat amb més o menys crosses i manlleus castellans per una altra banda, constitueixen dos débats que reapareixen constamment entre els professionals de la llengua a Catalunya, i en algún moment han abastat els mitjans de comunicació i fins i tot el debat del carrer. Evidemment la Generalität reinstaurada va traballar des del primer moment per la conscienciació lingüística i la responsabilitat de tothom en la normalització lingüística, efectuant per exemple una importantissima campanya en aquests sentits els anys 1981 i 1982. També s'ha treballat des del primer moment per l'extensió del coneixement i l'ús de la llengua catalana. Però no ha deixat tampoc de banda el treball per la qualitat de la llengua. Així, a més de la influència global que l'ensenyament i els mitjans de comunicació tenen

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Miguel Reniu i Tresserras

en la qualitat de la llengua, les administracions catalanes ofereixen personal ment, per telefax o per telèfon un assessorament linguistic immédiat, permanent, descentralitzat i gratuit que, a més, és previst que ben aviat sigui, pel que fa a l'atenció telefònica, dotât d'un modem sistema automàtic d'atenció de consultes. Encara, i entre d'altres actuacions, el govern de la Generalität, juntament amb l'Institut d'Estudis Catalans — màxima autoritat quant a la fixació de la llengua —, va crear el 1985 un Centre de Terminologia Catalana (TERMCAT) i, per donar una important dada recent, el 1991 el Parlament de Catalunya va promulgar una Liei per la qual es reconeix i s'impulsa l'autoritat lingüística de l'Institut d'Estudis Catalans. Aquesta Ilei ha estât discutida, per posar un exemple del segon debat plantejat més amunt, pels partidaris d'admetre la inevitable influència castellana i, per tant, reconèixer sense recels els usos arrelats en el català efectivament parlat. Corbeil ens diu, i seguim sempre el treball esmentat, que una política lingüística és com una fuga musical on hi ha una interacció de tres veus : la social, la legislativa i la jurídica. La veu social, diu, és la que «assoleix un to major ja que, en definitiva, és la que determina les altres dues». En donar aquesta importància a la veu social, i en insistir en altres treballs posteriors sobre la importància del món sòcio-econòmic, creiem que el professor quebequès donava un seriós toc d'atenció a la política lingüística de la Generalitat. Certament en els últims anys ha calgut enfocar més la nostra atenció en aquests àmbits, i actualment som, dones, en aquest procès. És per això que darrerament hem encetat una política d'establiment de convenís amb entitats de relleu del món sòcio-econòmic català, com és el cas d'empreses publiques i privades, agrupacions empresarials i sindicats de treballadors, els quais convenís preveuen la creació de serveis linguistics d'assessorament i dinamització linguistics en el si de les entitats concernides, amb el compromis per part de la Generalitat de subvencionar parcialment el cost del personal i de les activitats d'aquests serveis, de formar i assessorar permanentment aquest personal, i de coordinar i orientar les activitats d'aquests serveis. Per la seva part, les entitats col-laboren en el manteniment deis serveis i impulsen la normalització del sector que abracen. Així mateix, en els darrers anys hem dut a terme diverses campanyes que afecten específicament diversos sectors del món sòcioeconòmic com són per exemple els rètols de les empreses o les cartes dels restaurants. Les actuacions incloïen subvencions, publicacions, assessorament gratuit, visites als establiments i publicitat en tots els mitjans possibles. Es tracta, per tant, no només de conscienciar sinó d'aconseguir un increment de la presèneia i de l'us efectiu del català en el sector triât. Aqüestes iniciatives han culminât en la recent campanya «el català, eina de feina» general per a tot el sector i que ja hem esmentat més amunt. No obstant això, les deficiències en l'ús del català en el món econòmic i laboral a Catalunya són encara ben notòries, i és previst d'incrementar les actuacions de les nostres administracions en aquests sectors. Els treballs de Corbeil posen també en evidèneia les mancances de la nostra legislació en aquests àmbits, i en tal sentit preveiem mesures legislatives que comentarem més avail. Corbeil, seguint el seu comentari sobre la «veu social» de la «fuga», comenta els aspectes que componen aquesta «veu» a Quebec, els quals tenen clars paral lelismes amb la realitat catalana. Així, destaca la importància de la composició i l'evolució demográfica del país. Tot i que la realitat quebequesa en aquests aspectes és certament distant de la catalana, cal coincidir

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però en la necessària consideració i transcendència d'aquests aspectes en tota planiñcació lingüística, observant i preveient amb prou antelació les tendències dinàmiques que es van albirant per tal d'adequar-hi la política triada. Així, per exemple, en el cas de Catalunya, ens és bàsic quantificar científicament el procès d'integració lingüística dels immigrats de parla castellana, i naturalment dels que parlen altres llengües. En aquest sentit cal estar atent a una sèrie de variables : si els castellanoparlants esdevenen bilingües, si arriben a usar el català i en quines ocasions, si els seus fills van a escoles catalanes, etc. A Catalunya hi ha signes que indiquen l'existència d'aquest procès d'integració, fet que ens apareix com a decisiu si tenim en compte, a més de la composició actual de la societat catalana, el fet que les families castellanoparlants són en general més prolifiques que les catalanoparlants. Per acabar la seva referència a la veu social del projecte lingüístic, Corbeil expressa la necessitat que aquest respongui a un «projecte col lectiu», i enceta aquesta qüestió amb unes intéressants reflexions sobre la consciència lingüística dels firancòfons del Quebec. Entre altres coses ens diu el següent : avui més aviat diríeu que els francòfons s'han adormit tot fent-se la il-lusió d'una seguretat lingüística garantida per la Carta de la Llengua Francesa, i sembla que la consciència lingüística hagi minvat entre els joves.

Aquesta reflexió és un toc d'alerta per a nosaltres. Mentre que la Carta de la Llengua Francesa és la quarta Ilei lingüística del Quebec, la Liei de Normalització Lingüística de Catalunya de 1983 és la primera Ilei lingüística a casa nostra, i a hores d'ara ja podem albirar alguns signes de l'«adormiment» a qué es refereix l'autor quebequès. Aquest ens presenta uns punts de consens per part dels francòfons, als quais haurem d'arribar també els catalanoparlants. Per una banda ens cal un increment de la consciència lingüística que ens faci ser més lleials lingüísticament, és a dir, que tot i conèixer dues o més llengües, ens habituem a utilitzar el català fins i tot en les relacions amb els castellanoparlants, atès que les estadístiques i la realitat mateixa ens mostren com aquests entenen el català. Aquesta práctica facilitaría la integració lingüística dels castellanoparlants, o almenys els faria perdre el costum de veure com els catalanoparlants canviem automàticament de llengua en sentir parlar castelli D'altra banda, i entre altres consensos, els francòfons del Quebec están també d'acord que el francés ha de ser la llengua de treball i la llengua comercial. Aquest, com ja hem ressaltat, és un deis reptes importants queja hem començat a afrontar a Catalunya, sobretot a les envistes de la unió europea. Entre els anglòfons del Quebec, Corbeil sospita que el seu ideal implicit «és retornar al bilingüisme com a fórmula generalizada», i que aquells esgrimeixen una estratègia alhora de «denigració» i alhora d'«entesa, amb l'acceptació d'una part de la legislació lingüística, però refusant-ne alguns elements com per exemple el de la retolació exclusivament en francés». Atesa la presència efectiva del castellà a Catalunya, són insignificants i sense cap representativitat les poques veus que s'han aixecat des de dintre de Catalunya contra el procès de normalització lingüística. Val a dir així mateix que l'acceptació, per part dels castellanoparlants, de la presència creixent del català és deguda també a l'ampli consens politic i social amb què s'està duent a terme aquell procès, al carácter gradual i mínimament impositiu de la política lingüística i, potser, a un increment, també entre els castellanoparlants, del sentiment

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que encara que el català no sigui necessari per viure a Catalunya, sí que ho és per a sentir-s'hi plenament intégrât i fins i tot per tenir més possibilitats d'ascens social. Cal tenir en compte que la majoria dels empresaris d'establiments catalans són catalanoparlants d'origen, mentre que el castellà és parlat majoritàriament entre les classes assalariades, d'origen o de pares immigrants, a les zones industrials del país. El prestigi que aquesta realitat — juntament amb la presència hegemònica del català en l'administració local i de la Generalität, en l'activitat política i en les manifestacions culturáis de dins de Catalunya — han donat a la llengua catalana un prestigi que afavoreix sens dubte el procès de normalització de la llengua. Pel que fa a la «veu legislativa» de què ens parla Corbeil, és a dir, a «la forma concreta com la política lingüística es formalitza en textos de tipus legislatiu», l'autor ens diu que ha de recollir «el sentit de la voluntat col lectiva» : la veu social influeix en l'evolució d'aquesta legislació — pels estira-i-arronsa dels partits politics i els canvis de govern — induint-la adés cap a un major precisió de les disposicions, adés cap a un assuaujament d'alguns articles o, fins i tot, en casos extrems, cap al bandejament pur i simple de la Ilei.

En parlar dels principis de la intervenció lingüística, Corbeil ens diu que «moites de les liéis linguistiques, en pai'sos multilingües, reposen sobre un principi de territorialitat, és a dir, que l'ús de les llengües es defineix en funció d'unes circumscripcions territorials», i continua dient que «el principi de territorialitat és aplicable d'una manera molt peculiar en el cas de Quebec. (...) Quebec ha optât, per tant, pel principi de la llengua oficial única». El marc legal a Catalunya, si més no formalment, ofereix més dificultats que la legislació quebequesa per aplicar el principi de territorialitat tal com s'entén en els països esmentats per Corbeil, és a dir Suïssa, Bèlgica i l'actualment desapareguda Iugoslàvia. Certament amb Tactual Constitució espanyola era difícil que el català pogués ser declarat a Catalunya llengua oficial única, i per tant l'Estatut d'Autonomia va dibuixar — també per raons politiques — un sistema de doble oficialitat lingüística. D'altra banda, tothom convé que en un sistema bilingüista, la llengua minoritària — el català ho és respecte al conjunt de l'Estât espanyol — o minoritzada — el català ha estât perseguii legalment i efectivament durant la major part dels dairers dos segles i mig — continua corrent el perill de ser substituida per la llengua majoritària i històricament imposada — en el nostre cas el castellà —, i la prova és que algunes llengües protegides d'acord amb el principi de territorialitat — o d'oficialitat única en el cas del Quebec — han passat pièviament un període de cooficialitat amb la llengua que les posava en perill, fins que els governante s'han adonat que un règim així nb satisfeia els drets linguistics col lectius, i que fins i tot continuava estant en perill la supervivència de la llengua que es tractava de protegir. Essent el castellà també oficial a Catalunya, i gaudint-hi per tant dels mateixos drets linguistics personals els catalanoparlants i els castellanoparlants, ens vam haver de plantejar sota quin principi — jurídic o politic — podien emparar-se els nostres juristes i legisladors per justificar una planificació lingüística que es pogués fixar com a objectiu fer que el català tingui una presència predominant, hegemònica i preferent en totes les activitats oficiáis i públiques al nostre país. La solució teòrica ha estât la d'acudir al concepte de llengua pròpia i desenvolupar-lo,

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diferenciant-lo i en certa manera contraposant-lo al concepte d'oficialitat. Observem l'article 3 de la Liei Orgànica 4/1979, d'Estatut d'Autonomia de Catalunya : 1. La llengua pròpia de Catalunya és el català. 2. L'idioma català és l'oficial de Catalunya, així com també ho és el castellà, oficial a tot l'Estat espanyol. 3. La Generalitat garantirà l'ús normal i oficial d'ambdós idiomes, prendrà les mesures necessàries per tal d'assegurar llur coneixement i creará les condicions que permetin d'anibar a llur igualtat piena quant als drets i deures del ciutadans de Catalunya. 4. La parla aranesa serà objecte d'ensenyament i especial respecte i protecció. L'èmfasi que l'article posa en el concepte de llengua pròpia, atribuït al català, és palès en tant que mereix un apartat exclusiu situât abans que la mateixa declaració d'oficialitat. La Liei de normalització lingüística actual reitera el carácter de llengua propia i oficial que té el català, per contraposició al carácter únicament oficial del castellà, i així mateix precisa que el català, com a llengua pròpia de Catalunya, «ho és també de la Generalitat i de l'Administració territorial catalana, de l'Administració local» (article 5.1) i «de l'ensenyament en tots els nivells educatius» (article 14). No obstant això, la Ilei no especifica quines conseqiiències juridiques i efectives tenen aqüestes declaracions de propietat lingüística, ni tampoc queda prou clara una distinció entre aquest concepte i el d'oficialitat, ni, en fi, la lectura de la Ilei tampoc no ens permet relacionar clarament el carácter propi de la llengua catalana amb els objectius del procès de normalització lingüística. En una futura actualització de la Liei de normalització lingüística, ja anunciada pel govern de la Generalitat, és previst d'acollir aquesta proposta de la doctrina jurídica catalana de distingir entre el principi de llengua pròpia, aplicable a la llengua catalana, i el principi d'oficialitat, aplicable al català i al castellà. Del principi de propietat en derivarien conseqûències semblants al principi de tenitorialitat, és a dir, que la Ilei preveuria mesures destinades a fer que la llengua pròpia fos «la llengua normal i habitual en les relacions de treball, en l'ensenyament, en les comunicacions, en el comerç i en els tractes deis afers», per dir-ho amb les paraules del preàmbul de la Carta de la llengua francesa del Quebec, a més de ser-ho en totes les Administracions, fins i tot les de carácter estatal per raó precisament de l'aplicació territorial íntegra del principi de propietat, que fa que aquelles administracions també estiguin juridicament concemides per tal principi. I tot això sense peijudici de la vigència, perfectament compatible, d'uns drets linguistics individuals — que comportaran uns deures linguistics per a les institucions — per als administrais, per als consumidors i usuaris i en definitiva per als ciutadans quan actu'in com a tais, els quais drets deriven del principi d'oficialitat i per tant afecten les dues llengües oficiáis. Corbeil subratlla que «una Ilei lingüística és aplicable a les institucions, i no pas als individus com a individus». Però mentre que la Carta de la llengua francesa no té inconvenient a regular els aspectes linguistics de les institucions privades, quan es tracta d'aspectes que tenen un interés public com per exemple els rètols, l'etìquetatge o les relacions de treball, la legislació catalana no va gosar anar més enllà de l'establiment de la possibilitat d'usar les dues llengües oficiáis, i de la

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previsió de mesures de foment per a l'ús del català en aquests casos. És curiós que la Liei de normalització lingüística de Catalunya, inspirant-se clarament en la Carta de la llengua francesa del Quebec, fes en el seu article 2.1 — dins el títol preliminar — una declaració general de drets linguistics referida a la llengua catalana amb un contingut calcat i pel mateix ordre que el que ofereixen els articles 2 a 6 de la Ilei quebequesa, que integren el seu capítol II intitulât «Eis drets lingüístics fonamentals». La diferència entre ambdues liéis en aquest cas rau en el fet que per una banda la quebequesa desplega a continuació d'aquest capítol cadascun deis drets enunciats, amb normes imperatives que constrenyen a utilitzar la llengua oficial, amb una relació de casos d'ús obligat del francés tan detallada com ben estudiada, i amb una previsió de les sancions corresponents en cas d'incompliment. La Ilei catalana en canvi només desplega parcialment aquests drets de l'article 2.1, i concretament ho fa en el cas de les administracions publiques i en el de l'ensenyament. Els drets que afecten les relacions jurídico-privades no són desplegats posteriorment, i en cap cas la Ilei catalana preveu cap mena de sanció, amb què en cas d'incompliment el jutge o l'autoritat corresponent dictará les mesures que consideri convenients segons el supòsit de què es tracti. Evidemment una futura actualització de la Liei de normalització lingüística haurà de preveure una intervenció en àmbits on s'han detectat mancances i on la Carta de la llengua francesa ha demostrat la seva eficàcia, i tant per reforçar els drets i les obligacions que es deriven de l'oficialitat, com per establir obligacions destinades a les institucions i derivades del carácter de llengua pròpia que té la llengua catalana. La nova Ilei hauria de definir també un sistema de sancions contra el seu incompliment per tal que, com diu Corbeil en el treball que seguim, «hom la prengués seriosament», i per més que les sancions sempre s'han de considerar com un últim recurs després d'esgotar totes les vies de persuasió i de collaboració per al compliment voluntari de la Ilei. És normal que al cap de pocs anys després d'una primera Ilei lingüística l'evolució del procès de normalització, de la «veu social», de la doctrina i la jurisprudència i, fins i tot, de la conjuntura política faci que es puguin millorar aspectes en el sentit que hem anat descrivint en els paràgrafs anteriors. Les observacions del professor Corbeil han contribuii a perfilar també alguns dels objectius de la reforma legislativa que estem préparant, i l'experiència del Quebec ens demostra que no ens ha de fer por modificar la legislació lingüística tantes vegades com les noves circumstàncies històriques ho demanin. Una reforma d'una Ilei d'aquest tipus requereix, però, tenir en compte el màxim nombre de matisos de la «veu social», i cercar el màxim de consens entre els seus représentants elegits democràticament, ja que un error d'apreciació d'aquella veu podría arribar a ocasionar conflictes linguistics de conseqüéncies imprevisibles. El fruit i el profit que hem pogut treure d'un expert com Corbeil ens palesa com, malgrat les distàncies, hi ha una quantitat i una intensitat important de coincidències entre els processos quebequès i català que ens permeten — sobretot al nostre — pouar idees de les experiències del Quebec i de les relacions d'aquest pais amb l'estat canadenc, el quai enriquiment ens permet perfilar millor les fites de la nostra política lingüística, i les passes que cal donar per arribar-hi.

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Ens volem sumar entusiàsticament, des d'aquestes pàgines, a l'homenatge a Jean-Claude Corbeil que tan cordialment ha coMaborat amb nosaltres, i que tantes aportacions ha fet a la nostra tasca. Bibliografìa citada Corbeil, Jean-Claude (1985), «La política lingüística quebequesa : una fuga perpètua a tres veus», dins Catalunya, Quebec. Dues nacions, dos models culturáis. Ponències del I Simposi, maig 1985, Generalität de Catalunya, Entitat Autònoma del Diari Oficial i de Publicacions, 1988 : 117-136.

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L'éducation et le syndrome de la femme de César Quoniam meos tam suspicione quam crimine judico carere oporiere

Le mois suivant, elle arriva dans mon bureau avec un air décomposé. D'habitude souriante et gaie, Alexandra avait une grande tension dans les muscles du visage et les yeux exorbités. Elle dit : - Monsieur Bibeau! C'est effrayant d'enseigner dans des classes du secondaire : y' avait 38 élèves, 3 handicapés physiques, 3-4 très bons, une bonne douzaine de nuls, 5-6 nouveaux immigrants qui ne maîtrisent pas le français ni l'anglais, pis le reste pas trop forts en anglais, pis pas trop intéressés. - Tas pas aimé ton stage? - Non!... Mais, ... oui! Ben!... J'ai aimé les jeunes, ils sont le fun... J'ai aimé mon maître-hôte. C'est un vieux professeur plein de patience, plein de tolérance, plein de gentillesse ... Plein de trucs aussi... Bien que l'anglais soit pas sa spécialité. Le professeur d'anglais d'avant s'est fait «bomper» par lui. - Ben alors. Tas aimé ça, d'une certaine manière! - Oui! Oui! D'une certaine manière. Le monde! J'ai aimé le monde, comme je vous ai dit. Mais l'enseignement, l'apprentissage!... C'est pas évident!... - Pis ton superviseur? - Ma superviseuse, elle était très bien. Elle est conseillère pédagogique. Pis a l'air de ben connaître son affaire... Elle est venue me voir deux fois,... mais à savait pas trop quoi me conseiller. J'avais toujours trop de matière, pas assez de temps. Je savais pas comment faire pour m'ajuster à tout le monde. Les besoins sont tellement différents... J'avais de la misère avec la discipline. J'étais portée à me fâcher. Pis, y a des élèves qui se moquaient un peu de moi. J'arrivais pas... J'arrivais pas bien à enseigner. La majorité, y' apprenaient rien, comme. Ils voulaient pas. Tout le monde me consolait, même quelques élèves... Mais!... J'me demande si j'suis faite pour l'enseignement, Monsieur. En tout cas, j'ai un gros down!... J'aimerais ça qu'on en reparle un peu plus tard... - Je suis à ta disposition. On regardera ça plus en détail. Décante un peu, pis reviens me voir.

Les conditions pédagogiques Encore une fois, dans ma vie de didacticien formateur d'enseignants professionnels, je me retrouvais non seulement en face du désarroi compréhensible d'une tout-débutante, mais en face des conditions pédagogiques qui sont faites à un trop grand nombre d'écoles secondaires et qui rendent l'enseignement-apprentissage des plus difficiles. Hétérogénéité maximale des classes, grand nombre d'élèves, encadrement axé beaucoup plus sur la patience, la tolérance et la «compréhension» sociale et culturelle que sur la formation et lerendementscolaire.

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Encore une fois, je me retrouvais devant cette tâche impossible de former des futurs enseignants qui seront accaparés beaucoup plus par le para-scolaire que par le scolaire. Des enseignants et enseignantes sur lesquels on «dompera» la responsabilité des maigres succès scolaires de cette génération du melting-pot pédagogique. Si au moins on arrivait à maintenir les jeunes dans les écoles et à leur faire tous terminer leurs études secondaires avec cette patience et cette compréhension! Mais ce n'est pas ce qui arrive : plus de 30 % décrochent avant d'obtenir leur diplôme d'enseignement secondaire. Certains matins de fièvre pédagogique, je me dis que si je voulais organiser un système éducatif qui serait assuré de ne pas fonctionner, ou en tout cas de ne pas donner les résultats scolaires attendus dans les programmes, je l'organiserais comme il l'est maintenant. Ces matinslà, je me perds en conjectures sur les raisons qui peuvent expliquer une situation semblable. Peuton faire cela volontairement? Je retourne alors dans les objectifs des programmes et dans l'évaluation de l'atteinte des objectifs. Dans les programmes, je redécouvre deux types d'objectifs : des objectifs psychosociaux comme l'autonomie, le développement personnel, la créativité, le respect des niveaux actuels de connaissance et de capacité; ensuite, des objectifs d'ordre académique, des savoirs et des savoir-faire bien structurés en objectifs généraux, intermédiaires et terminaux et en contenus répartis plus ou moins spécifiquement selon les ordres d'enseignement et les matières. Puis je me tourne vers l'évaluation. En évaluation, je redécouvre non seulement que les objectifs psychosociaux ne sont pas évalués, mais que les objectifs académiques sont évalués par le ministère à la fin du secondaire et de façon identique et égale pour tous. En anglais langue seconde, par exemple, on fait passer les mêmes examens oraux et écrits aux élèves de Montréal ouest ou de Scotstown qui, souvent, le parlent couramment parce qu'ils habitent dans des régions bilingues, et au Saguenay-Lac St-Jean où l'anglais n'est présent qu'à 2 ou 3 %. Cela sans se préoccuper, bien entendu, des objectifs psychosociaux, par ailleurs aussi officiels que les objectifs académiques et qui prévoyaient qu'on tienne compte des variations individuelles et régionales. Pourquoi? Pour quelle raison? D'autres matins ronds et généreux, je me sens rempli de patience, de tolérance et de compréhension et je regarde l'étendue des intérêts de l'école, la compétence statutaire des enseignants, l'accessibilité, la liberté, l'égalité, l'interdisciplinarité, la qualité des services, l'accueil, etc., et je me dis que nous avons raison d'être fiers et d'avoir confiance. Et puis, je relis le rapport de la Commission Parent et je revis cette sorte d'illumination des commissaires qui modernisaient l'éducation, la mettaient au diapason des éducations de l'Europe et de l'Amérique. Après ces années, pourtant, après tous ces matins, j'ai la conviction qu'on fait de moins en moins de l'éducation dans le sens prévu par la Commission. On est incapable de faire cela. On n'arrive pas à le faire. On est coincé dans quelque chose qui détermine nos choix éducatifs, qui domine l'éducation, qui la rend incohérente, sans mesure des résultats, sans liens étroits et forts avec la vie active de l'économie et du travail. Cette éducation ne paraît plus avoir assez de rapports avec l'Éducation dans le sens noble du terme...

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Quand je regarde aller cela d'en haut, je constate finalement que le premier objectif des systèmes d'éducation des sociétés modernes ne peut être qu'un objectif sociopolitique général, celui de traiter tout le monde de la même manière, de mettre tout le monde sur un pied d'égalité, de créer, pour ainsi dire, l'égalité, de la rendre dominante, nécessaire, de la placer au dessus de tout. Cet objectif se double d'un autre objectif qui est celui d'assurer tout le monde qu'il en est ainsi, de faire en sorte que personne jamais ne doute que le système est égalitaire à tous points de vue. Plus beaucoup de place dans ce système pour les variations individuelles et régionales, malgré les objectifs psychosociaux des programmes. La femme de César D'après C. Suétone, historien romain (Vie des douze Césars, ch. LXXIV), Jules César (empereur de Rome, premier siècle avant Jésus-Christ) a répudié sa femme Pompeia parce qu'elle était accusée publiquement de l'avoir trompé. Il aurait affirmé, sans chercher à savoir si l'accusation était fondée, que «les siens doivent être exempts de tout soupçon autant que de crime» (trad. Ailloud). De même, notre gouvernement, à l'instar de la plupart des gouvernements démocratiques, applique, me semble-t-il, une politique d'égalitarisme total dans les institutions éducatives, non seulement pour que l'égalité des élèves et des enseignants existe, si cela est possible, mais pour que cela paraisse vrai, et pour que tous les citoyens démocrates soient convaincus qu'il en est ainsi. Cela signifie que l'égalitarisme est la première règle éducative : elle est au dessus de toutes les autres et même parfois au dessus du bon sens, avec l'idée que l'institution éducative ne peut être soupçonnée de générer ou d'entretenir quelque forme que ce soit d'inégalité. Comme dans le cas de Jules, peu importent les faits ou les preuves, c'est la «réputation» qui est au dessus de tout. Ainsi, l'idéologie sociopolitique de l'égalitarisme en éducation doit dominer tout, y compris les objectifs et les idéologies éducatives ou pédagogiques. Tant mieux si nous avons de bons éducateurs et de bons enseignants, tant mieux si nos administrateurs scolaires sont compétents et délurés, tant mieux si les élèves apprennent autre chose que l'égalité, mais ce ne sont pas là les priorités du système. On pourrait même dire : tant mieux si les citoyens arrivent à s'exprimer, à se développer selon leurs goûts et leurs talents, arrivent à se réaliser, mais ce qui est encore le plus important, c'est qu'ils soient égaux et qu'ils soient convaincus de l'être. Bien sûr, rien n'empêche un enseignant, un conseiller pédagogique, un directeur d'école, un directeur des études d'une commission scolaire de faire plus que d'égaliser. Chacun d'eux, avec les autres ou isolément, peut tenir compte des différences individuelles ou régionales, s'occuper spécialement des doués ou des faibles, des retardés, des handicapés, mais le système ne fera rien pour encourager cela ou pour le soutenir, car cela pourrait menacer sa crédibilité d'égalitariste. Donnons un exemple. Si le gouvernement voulait réorganiser l'enseignement du français pour amener un nombre plus grand de jeunes à une maîtrise plus avancée de la langue, il faudrait qu'il crée des inégalités : inégalités dans le temps consacré aux matières scolaires et dans la considération de leur importance relative (il faudrait en donner plus au français et moins à

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d'autres matières), inégalité des tâches d'enseignement pour les enseignants de français qui auraient besoin de plus de temps, éventuellement inégalité des critères de sélection des enseignants et des critères de formation des enseignants, inégalité de traitement individuel des élèves pour accompagner les forts et stimuler les faibles, etc. Aussi, le gouvernement préfère-t-il apporter de petites corrections de surface et maintenir non seulement l'égalité mais l'assurance de l'égalité. Notre enseignement-apprentissage du français et notre tentative de réforme de l'enseignement-apprentissage du français souffrent du syndrome de la femme de César. L'enseignement-apprentissage des sciences de la nature, des mathématiques, des sciences humaines, des arts, des technologies me paraît fournir autant d'eaux aux moulins de tous les Césars... L'analyse du syndrome Mais ..., autant il est facile d'observer ce que je décris ici et de constater que le syndrome existe même s'il est implicite, non exprimé, comme quelque chose d'entendu, d'il-va-sans-dire, autant il est difficile de conclure à de la négligence, à de l'ignorance, à des effets de la trop grande complexité du système, à la domination d'impératifs bêtement et courtement budgétaires, à la rupture du lien entre ce que les citoyens veulent et ce que le gouvernement fait ou a des intentions machiavélo-duplessistes. Aussi, avant d'interpréter trop étroitement les symptômes césarisques, il convient peut-être de se poser quelques questions de compréhension ou d'interprétation de ce qui peut ressembler à un complot ou à un désarroi généralisé. Des questions comme : Est-ce conscient ou volontaire de la part de l'institution? Les citoyens sont-ils en accord avec la position prioritaire de cette idéologie sociopolitique de l'égalitarisme? Comment évaluer cela, lorsqu'on est dans l'institution, dans le système éducatif? Est-ce mauvais? Nul ne contestera les objectifs d'égalité et l'égalisation effective dans les sociétés démocratiques. À plus forte raison en éducation. Conscients ou inconscients, les gouvernements et beaucoup d'hommes politiques ne font d'ailleurs là qu'appliquer des principes souhaités par la majorité des citoyens. La conviction que les humains sont égaux en droits et en statuts sociaux et politiques est de plus en plus répandue, grâce à la réduction progressive des dogmatismes, au développement des sciences humaines, en particulier la psychologie, l'ethnologie et la linguistique, à la généralisation de l'éducation, à l'urbanisation massive, à la libéralisation et à la démocratisation, grâce même à des expériences sociales poussées comme le communisme et le socialisme. On peut penser que c'est là œuvre civilisatrice et progrès de l'humanité. Il y a cependant des problèmes liés à la structure même des démocraties actuelles et de leur gouvernement qui font que les gouvernants ne veulent plus ou ne peuvent plus prévoir ou préparer le développement des États : ils récupèrent plutôt ce qui se fait, ils rallient, ils absorbent les tensions (et les déficits), ils accordent de nouveaux droits sans pouvoir imposer les devoirs correspondants. Ils égalisent parce que c'est facile, mais ils n'ont pas le «kratos» réel, ne représentant qu'une portion souvent minoritaire du «démos». D'un «démos» pluraliste tirant toujours plus fort sur la couverture dans toutes les directions à la fois. Les gouvernements

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gouvernent sans pouvoir se donner des objectifs sociaux et éducatifs autres que l'égalité. Peutêtre le «kratos» est-il trop proche du «démos» pluriel et dans une relation de temps (élections trop fréquentes), d'intérêts (conflits d'intérêts constants) et de moyens (interventions trop directes dans l'action) plus propices au crime, comme dirait César, qu'au bien commun dans le sens traditionnel du terme. Ainsi, les ministres de l'Éducation, qui se trouvent à gérer quelque chose comme le quart du budget national, sont-ils incapables de dépasser la règle de la simple égalisation, faute de temps, d'intérêts et de moyens. L'égalité, souvent l'ennemie de l'équité À cause de l'égalité, des handicapés font maintenant la queue comme les autres devant les guichets des salles publiques puisqu'on leur a fabriqué des rampes d'accès appropriées. Ils sont traités «également». On n'ose pas se demander si l'égalité gagnée ne coûte pas, en souffrances durant l'attente, plus que son prix et si le fait d'assurer tout le monde que les citoyens sont égaux ne crée pas une injustice à l'égard de ces personnes. Car si on appliquait une politique d'équité, peut-être serait-on incité à étudier les effets parfois pervers d'une égalisation devenue aveugle, souvent source d'injustices et, à toute fin utile, d'inégalité ou mieux d'iniquité. Dans le monde de l'éducation, on peut se demander si ce ne sont pas des injustices et des iniquités qui sont créées par le fait de ne pas tenir compte des variations régionales et individuelles de traiter les forts comme les faibles, et, dans le cas des langues secondes, de garder dans la même classe des unilingues et des bilingues et de mesurer tout le monde de la même manière, aveuglément, vers la fin du secondaire. Ce qui paraît juste du point de vue de l'égalité du traitement n'est-il pas injuste du point de vue des chances accordées àchacun? Les bilingues ou les forts en thème ont-ils des chances égales (conformes à leurs possibilités) dans ces classes maximalement hétérogènes, toutes considérations faites, que les unilingues ou les faibles, et vice-versa? Il me semble qu'un égalitarisme véritable devrait s'arrêter à la seule égalité de droit et de statut et ne pas s'appliquer au traitement car il ne peut que générer l'injustice et l'inégalité, comme par définition, à plus forte raison lorsqu'on a lu les «principes directeurs» des programmes d'enseignement et qu'on a accepté de considérer les variations individuelles et régionales. Il faut peut-être remplacer l'égalitarisme par l'équitabilisme (néologisme dédié à notre collègue Corbeil). Oui! Il faut peutêtre faire cela, travailler à plus d'équité; le mot équité ne renvoie-t-il pas au concept même de justice? Le difficile, dans l'application du principe d'équité plutôt que celui d'égalité dans le traitement, c'est d'amener les intéressés à s'entendre sur les critères servant à identifier les variations et à les classer afin d'adopter les régimes et les méthodes aux conditions du terrain. Et là, il y a des besoins immenses, besoins d'organisation, de structure de concertation et de conscientisation professionnelle et administrative pour garder la justice dans la variété. Car nous sommes en train de faire de l'égalité l'ennemie de l'équité en la rendant aveugle. Nous avons

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besoin d'une nouvelle mission, celle de la concertation, de la critériation, celle du diffìcile, mais du plus juste. Dans l'état actuel des choses, c'est une mission que j'aurais tendance à confier aux professionnels de l'Éducation, en attendant... la réforme des structures de gouvernement des démocraties modernes, en attendant que le «kratos» s'éloigne un peu du «démos» pour mieux le voir. Et puis, à la fin du trimestre : - Bonjour, Alexandra! Comment vas-tu? - Bien, Monsieur, mieux! Je me sens mieux. Je vais mieux. - Si je comprends bien, tu as eu le temps de faire le ménage dans tes sentiments et dans tes idées sur l'enseignement de l'anglais au secondaire. - Oui! J'ai suivi un bon cours sur les objectifs de l'éducation, j'ai réfléchi, j'ai lu quelques bons documents, j'ai lu voue article dans les Mélanges Corbeil, j'ai discuté avec mes collègues, mes parents, mes professeurs. - Alors? On ne quitte plus la profession d'enseignante? - Non! Pas tout de suite en tout cas. Je me donne du temps sur le terrain. Je pense que je peux être utile. Et heureuse, si je parviens àpartager mon amour des jeunes, mon respect à leur égard. Et satisfaite, si je réussis à transmettre, en plus de l'anglais et avec l'anglais, quelques idées sur les critères sociaux et éducatifs de l'équité, comme vous l'avez souhaité. - Est-ce que ma courte argumentation t'a aidée un peu? - Le fait de dire les choses ou de retrouver dans un texte ce qu'on cherche à dire nous réconcilie parfois avec le monde extérieur. - Oh!... Je trouve cela bien sérieux, mais je suis très content. Cela me réconcilie moi-même avec le présent et l'avenir de l'éducation. Je nous souhaite beaucoup d'Alexandras. Bonne chance!

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Joshua A. Fishman Distinguished University Professor Emeritus, Yeshiva University and Visiting Professor, Stanford University

Neo-Marxist and Post-Structural Critiques of «Classical» Language Planning

The recent political and economic collapse of almost the entire Communist bloc carries with it both new opportunities as well as new dangers for the social sciences and for language planning research, theory and practice. Among the opportunities is the possibility of more democratically inspired langage planning. Among the dangers is the possibility that the theoritical sensitivities of neo-Marxist and post-structuralist social theory will also receive less attention than they deserve. Although the regimentation, brutalization and stultification of Communism have been justifiably condemned and rejected, turning a deaf ear to neo-Marxism and post-structuralism in the social sciences would be tantamount to throwing out the baby with the bath-water. This is particularly true in the area of the planning sciences, where Neo-Marxist and post-structuralist thinkers have placed on the agenda the question of re-centering planning theory and practice on the problems of empowering the disadvantaged. As one who has focused on threatened languages during my entire professional career, I have, nevertheless, consistently rejected Marxist theory and ideology, both in my teaching and my writing. But, at this juncture, I do believe that it is worth recognizing that, particularly in its substantially revised neo-Marxist and post-structuralist reincarnations, there are also kernels of truth contained in the critiques of mainstream social science, kernels that it would be unfortunate to lose sight of. One of these kernels is the insight that language planning is frequently a hegemonic pursuit. This is the particular kernel (along with its associated and constituent charges) that I would like to examine at the present time. 1. The «Elitist Self-interest» Accusation Neo-Marxist and post-structuralist criticism of language planning and of the social sciences more generally have made us more aware than we were, or otherwise would have been, that language planning, engaged in as it is by «authorities», is particularly susceptible to being skewed in the direction of the interests of those who authorize, conduct and subsidize it. Language planning is often disguised in the garb of ethnonational ideals and related to the righting of past wrongs, but these appeals are often mere «cover ups» for the fact that those who advocate, conduct and implement language planning themselves have class, ethnic, political or religious interests which stand to benefit from the success of the language planning undertaken (and that they have opponents who stand to suffer therefrom). We all know of endless cases of this kind the world over and, therefore, it is probably not really necessary to be invidious, by

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actually cite chapter and verse, in order to underscore this point. This is a particularly sensitive point, because many minority groups and threatened, weakened or otherwise disadvantaged languages all over the world have undoubtedly suffered as a result of language planning engaged in by and on behalf of their Big Brothers. This criticism must be granted, I believe, but after granting it, one must ask if it truly raises a solvable problem or merely states a dilemma. Are not those minority groups that are themselves engaged in language planning also pursuing their self-interests? Do not their authorities try to persuade their constituencies that such planning is justified on ideological and philosophical grounds, whereas, were this planning to succeed, would not these «minority authorities» themselves also stand to benefit from the changes that are to be planned for? Granted that it is true that minorities and subjugated peoples living in their own ancestral lands deserve better treatment and a far larger measure of self-rule and sociocultural and econotechnical advantage than they by-and-large attain, and that such improvements in the lives of minorities must be paid for (or compensated for by corresponding decreases in the greater power of) majorities or ruling outside establishments, self-interest per se does not appear to be a factor which differentiates between one set of authorities and another or between majorities/subjugators and minorities/subjugatees. Can self-interest be escaped in any human pursuit, particularly in any socially organized and societally supported one? Has not recent history convinced us that the pretense of escaping self-interest merely leads to the empowerment of yet another set of authorities who disguise their own rampant self-interest and, in ideologizing their disguise, they merely leave their constituencies apathetic and unengaged. It seems to me, therefore, that one must admit that the answer to this question («Is not self-interest inescapable, rather than a particularly telling critique of language planning?») is in the affirmative. At the same time, however, this does not free us from engaging in the structural reshaping of society that is needed in areas associated with language planning, reshaping that will give minorities and subjugated populations a greater opportunity to regulate their own lives and identities.

2 . Language Planning Reproduces Sociocultural and Econotechnical Inequalities This charge is often true, I believe, just as it is true that the classical language planning literature and most of the major language planning operations have generally been oblivious to this fact. However, minority and resistant language planning, such as the countless RLS (Reversing Language Shift)1 movements thoughout the world are certainly not guilty of seeking to preserve «structural inequalities» but, rather, are associated with (as they must be in order to have any impact) quite the opposite, namely with efforts to overcome such inequalities (even though they may well seek to set up new structural inequalities when and if they succed). Finally, it must be asked once again whether there is really a cure to the malady. Is a world

An ongoing enumeration of such efforts can be found in Contact, the bulletin of the European Bureau of Lesser Used Languages. For a less Euro-centric view of such efforts, as well as for a parsimonious theoretical approach to this entire realm of activity, see my Reversing Language Shift; The Theoretical and Practical Foundations of Assistance to Threatened Languages, Clevedon (England), Multilingual Matters, 1991.

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without structural inequalities possible? The twentieth century leaves us all more pessimistic on that score than we were at the century's beginning. At any rate, the sadness that may well envelope us in this connection, should not be taken out on language planning. Language panning is not itself the problem and indeed, can be part and parcel of efforts to (temporarily) undo structural inequalities and overcome the constraints on unhampered creativity and cultural expression that inevitably derive from them. All in all, I conclude that language planning is not inherently hegemonic (unless one also considers all organized efforts toward societal goals [including education, public health, environmental protection, etc.] to be inherently hegemonic) and that language planning can be engaged in side by side and simultaneously with efforts to foster human freedom and the ability to resist excessive control over the expression and the selection of preferences. Of course, a theory of limits must apply in connection with ethnolinguistic democracy,2 just as it must apply in connection with democracy of any kind and in all human relations whatsoever, but the «middle ground» need not be oppressively hegemonic. Between the iron-fisted oppression of fascist, communist and other sorts of dictatorial regimes, on the one hand, and totally laissez faire anarchy, on the other, there must be a safe and sane «middle ground» which is judged to be relatively non-hegemonic and language planning can find a fitting home among the other constructive sociocultural activities engaged in on that middle ground. 3 . Language Planning Inhibits or Counteracts Multiculturalism Whoever is concerned for the perservation of diversity in society must be concerned with this charge, yet it seems to me to paint language planning with an inappropriately and unnecessarily broad brush. Once again, as in the two charges discussed above, it does not seem to differentiate sufficiently between language planning carried on precisely on behalf of diversity and language planning carried on in opposition to diversity. The fact that language planning can be used for evil purposes must not blind us to the fact that language planning can be and has öfter been used for benevolent purposes. The same is true of medecine, of law, of religion, indeed, of all human pursuits and institutions (government, schools, museums, universities, hospitals, etc.), all of which were also pressed into service by Hitler and Stalin. Are they all to be denigrated and opposed «in principle»? Of course, societies and cultures differ (and will always differ) as to their interpretations of exactly what is good and what is bad, but within the modern sector at least, there is a broad middle ground of agreement about the basic desirability of, or the generally inoffensive nature of, many types of societal efforts. Language planning strikes me as being in this middle ground. However, I can well understand that those who have been «burned» by language planning who will steadfastly maintain that «It all depends» on who is doing it, «the goodies» or «the badies». Even this position is a far cry from maintaining that language planning is inherently «monistic», «hegemonic» or «establishmentarian».

On a theory of limits in the ethnolinguistic domain, see my «Varieties of Ethnolinguistic Democracy», Georgetown University Round Table on Languages and Linguistics, 1992, (in press).

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4 . Language Planning Espouses Westernization and Modernization for All Once again, we must grant that there is some truth to this charge and that it has frequently gone unrecognized in «classic» discussions. We have often tended to overlook the fact (even the sociologists among us) that many societies and cultures have little reason to be enamored of the West and that modernization has brought with itself an endless host of social dislocations that impinge upon and seriously undermine the most vital societal processes, not only in the nonWest but in the West itself. Language planning is very frequently part and parcel of these two worldwide processes. It would neither be known nor engaged in without them. Much of language planning is motivated by a desire to render a particular language capable, or more capable, of expressing the realia, the relationships and the ideas and ideals that stem from the modernized West However, we must also admit that the West and modernization have both been more widely corted, copied, mimicked and followed, with or without suitably congruent or ameliorating local adaptations, than have the counterpart processes emanating from any other part of the globe of any other period of human development. I must admit the immediately foregoing, although I have spent the larger portion of my adult life being both selectively resistant to and ambivalent about the modern West, whether in connection with my own life or in connection with the structured inequalities that Western-based modernity has introduced between languages, countries, peoples and regions. I do not believe that Westernization and modernization, as I know them, for example, in New York and California, need be the optimal forms of sociocultural ad econotechnical organization. However, both of these developments exist on a continuum, I firmly believe, and many will and should opt for less rather than more of them. I also believe that there are reversals and zigzags, rather than a straight line of development, in connection with these phenomena and, all in all, that there are a tremendous number of combinations and permutations combining Western and modern ingredients with others that are neither essentially Western nor modern. Wherever such combinatorial and adaptational approaches are followed they are clearly reflected in language planning as well. Language planning too is not a straight line. It also has its ups and downs, reversals and zigzags, in concert with the larger, surrounding societal processes in which language planning is always (and must always be) anchored. Modernization and westernization are by no means constants nor universals, but neither is the spirit of opposition to them or to any other mainstream-derived process. Both hegemonic and anti-hegemonic tendencies are deeply ingrained in the human psyche and in the social fabric, but they are neither of them constants. They wax and wane, disappear and reappear, manifesting themselves in different guises. It is incumbent upon language planning theory and language planning research to help us to understand the circumstances under which these variations come to pass. They both obviously come to pass, at times, in a concerted and planned fashion and language planning can be part of them when they are ascendent as well as when they recede. Thus, the charge of linear espousal of Westernization and modernization is unfounded, since nativizers and traditionalizers also engage in language planning for their own purposes. Those

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who would deny the universality, linearity and exemplarity of modernization and Westernization would do well not to set up against them a mythically universal and constant «anti-hegemonic» tendency. Social science theory cannot be built out of flimsy stuff such as that. Social science theory requires the contextual specification of the various transformations in degree and in kind that societal characteristics undergo.3 5 . The salvational capacity of ethnography The co-occurrence of the revival of ethnography with post-structuralist and neo-Marxist thinking has led to the easy combination of the two as belief-systems with purported salvational capacities. Both ethnography and post-structuralism are revisionist approaches that differ markedly from prior established paths in the social sciences. They have both enriched our thinking and our research in connection with language planning, but their salvational espousal can ultimately only lead to disappointment. The «sanctification» of ethnography as a particularly «anti-hegemonic» methodology is a development which is particularly regrettable, since ethnography per se is a reputable method, in its own right, and only suffers by dint of its forced marriage to philosophical positions, regardless of their acceptability on a more ideological than methodological level of analysis. Indeed, such «sanctification» and the corresponding «devilization» of other methods, smacks of Stalinism and its early glorification of Marr and Lysenko, on the one hand, and prohibition of Freud and Einstein. It is certainly true, that surveys and experiments would not be permitted by totalitarian regimes and that the populace itself would be leery of giving information or expressing opinions that would enable researchers to gauge whatever oppositional and anti-hegemonic thought might exist under such regimes. However, the notion that ethnographies would be permitted by such regimes is a complete chimera. Sudam Husein is not inclined to permit anthropologists to wander about and ethnographically observe, elecit or note-down anti-hegemonic sentiments that are present in the population under his control. And where they are permitted and engaged in by investigators sufficiently interested in overcoming structural inequalities, surveys too can be designed to show the prevalence, strenght and contextual accompaniments of oppositional values, thoughts, preferences and commitments. A variety of methodological preferences obviously and inevitably exist among students of language planning, as they should, but, as one who has also included some ethnographic inquiry in every major piece of research that I have ever undertaken, I am convinced that the choice between methods should definitely be made on technical rather than on salvational grounds. Cost and necessary sample size are frequent determinants of methods, as is the specific question to be answered and the complexity of the universe to which generalizations are ultimately to be attributed. While I do not believe that either subjectivism or objectivism are cure-alls in social science research, I also do not believe that ethnography is either the middle ground between them or necessarily free of either of them. I have attempted such specification and delimitation of «ethnolinguistic identity» in my «Epilogue : the rise and fall of the ethnic revival», in J.A. Fishman, et ai. The Rise and Fall of Ethnic Revival, Berlin, Mouton, 489-526.

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Ethnographies represent neither a methodological panacea to what ails the social sciences nor a substantive panacea to what ails society. Ethnography is merely another method and it will suffer from some of the ills that plague other methods as well as from some that are uniquely related to it alone. Conclusions The specific criticisms of language planning that flow from post-structuralist and neo-Marxist discussions of culture and ideology do not sufficiently differentiate between language planning theory and language planning practice. Not caring for the latter, the critics have blamed the former, even though very little language planning practice has actually been informed by language planning theory. Nevertheless, it strikes me as quite appropriate to castigate language planning theory for intentionnaly or unintentionally whitewashing the chasm between language planning practice and the rebuilding of society along more structurally egalitarian and less hegemonic lines. Language planning must also aim at changing the majority and its establishment, rather than only at changing the minorities/subjugatees and their ethnolinguistic patterns. The majorities must be weaned away from their ingrained patterns of (a) ignorance visa-vis the minority languages in their midst, (b) stigmatization of these minority languages and (c) regulation of minority life in an «outside do-gooder» fashion, at best, and in an authoritarian fashion, at worst. Language planning must become associated with efforts on behalf of language rights and must be implemented in a fashion which permits and encourages minorities to regulate their own lives and to help shape the policies that effect them, rather than merely being the «objects» of policies coming from the outside. Language planning practice must be «re-centered» on contributing to the empowerment (rather than merely to the re-ethnification, relinguification and assimilation) of the disadvantaged. To the extent that classical language planning theory has not sufficiently focused upon these desiderata it is justifiable to criticize it. However, language planning theory and theoretically informed language planning research must have other goals as well. They must be relevant to hegemonic and proto-hegemonic as well as to anti-hegemonic efforts. They must strive toward multi-methodological skills and train neophytes to be able to choose and implement the research methods that are best suited to particular problems and research circumstances. Language planning specialists must know how to choose between methods rather than be locked into any one all-purpose method. Finally, language planning specialist must realize that although much of the post-structuralist and neoMarxist criticism directed at them has been and continues to be justified, that most of the issues raised by this criticism cannot be fully rectified, even were society to be entirely overturned and rebuilt. Authorities will continue to be motivated by self-interest. New structural inequalities will inevitably arise to replace old ones. More powerful segments of society will be less inclined to want to change themselves than to change others. Westernization and modernization will continue to foster both problems and satisfactions for the bulk of humanity. Ultimately, language planning will be utilized both by those who favor and those who oppose whatever the sociopolitical climate may be. This is a truth that neo-Marxist and post-structural critics of

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language planning never seem to grasp and, therefore, they seem to go beyond their critique as decisively or as productively as their critique per se. Above all, those interested in language planning must realize that for it to succeed, it must be plugged into a more powerful and more all-encompassing vision than language planning per se. It is only a small part of the total socio-cultural pie and its own nature and prospects are conditioned by the larger context within which it functions. While it cannot be blamed for all that may be wrong with the larger context, its students, practitioners, researchers and theoreticians are co-responsible and must «pull their weight» in creating a better sociocultural reality for all those whose lives are touched by the efforts that language planning encompasses.4

I would like to express my thanks for the stimulation provided by my graduate seminar in Language Planning at Stanford University, winter 1992, where many of the issues mentioned in this paper were initially discussed.

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François Grin FNRS (Suisse) et Chercheur invité, CRDE (Université de Montréal)

La Suisse ou la non-politique linguistique1 Introduction Le plurilinguisme de la Suisse jouit d'une flatteuse réputation. Pour beaucoup, la pluralité linguistique y est gérée et intégrée à la vie publique, voire privée, de manière exemplaire, à tel point que certains y voient un exemple dont d'autres pays pourraient s'inspirer (Brenner, 1991; Laponce, 1992). Dans une large mesure, cette réputation est surfaite. L'état actuel du débat linguistique en Suisse révèle du reste des divergences qui ne cadrent pas avec l'image d'un pays ayant miraculeusement réussi là où tant d'autres ont échoué, et fournissant un cadre culturel, politique et institutionnel dans lequel quatre communautés linguistiques peuvent cohabiter en harmonie. Commençons par mettre en garde contre un mythe fort répandu à l'étranger, que l'on rencontre dans les déclarations des politiciens et parfois même sous des plumes scientifiques : le plurilinguisme de l'État fédéral, et le bilinguisme (voire le trilinguisme) des gouvernements de certains des cantons qui constituent la Suisse n'impliquent en rien le plurilinguisme de ses résidents. À toutes fins utiles, la Suisse est, sauf dans les régions de langue romanche, un pays de monolinguismes juxtaposés. Il reste que cette simple juxtaposition passe pour être un succès dont ne sauraient se prévaloir d'autres États de tradition démocratique, comme la Belgique ou le Canada. Toutefois, à y regarder de plus près, le miracle helvétique comporte également ses zones d'ombres, et débouche, notamment en ce qui concerne la survie de la langue romanche, sur un constat d'échec. La prise de conscience, sinon d'un échec, du moins d'une dégradation, alimente actuellement une réflexion de fond sur le statut des différentes langues de la Suisse, et une révision de l'unique article de la Constitution fédérale portant sur les langues. Le processus de révision met en évidence des tensions, voire des fractures, dont certaines se révèlent plus profondes que le discours rituel et convenu sur le quadrilinguisme ne l'aurait laissé supposer. Certes, l'existence, l'importance et la gestion même du multilinguisme suisse sont étudiées depuis longtemps (voir par exemple Schmid, 1981, ou McRae, 1983) tandis que l'éventuel élargissement, à l'heure actuelle, des clivages qu'il recouvre demeure une hypothèse dont il est difficile, à chaud et faute de recul historique, d'évaluer la pertinence. Cependant, le fait même que les caractéristiques du plurilinguisme suisse sont en mutation ne fait guère de doute (Ris, 1989; Froidevaux, à paraître). Des enjeux nouveaux s'affirment, ce qui rend 1

Cet article a bénéficié du soutien financier du Fonds national de la recherche scientifique (Suisse) et du Centre de recherche et développement en économique de l'Université de Montréal, ainsi que de discussions avec Bernard Cathomas, Alain Pichard, Chasper Pult, Roland Ris et François Vaillancouit Les opinions exprimées ici n'engagent naturellement que l'auteur.

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particulièrement urgent pour la Suisse de formuler une véritable politique linguistique, plutôt que de se cantonner dans un minimalisme devenu insuffisant (Bianconi, 1992). Le présent article fait le point sur le débat constitutionnel sur les langues en Suisse, analyse certaines traditions helvétiques en matière de gestion des rapports entre les communautés linguistiques, et montre leur effet négatif sur la capacité de la Suisse à mettre sur pied un véritable aménagement des langues. L'examen des structures et traditions qui pèsent sur la prise de décision en matière linguistique permet de mettre en évidence quelques-uns des changements nécessaires à la mise sur pied d'une politique permettant à la Suisse d'être à la hauteur de sa réputation.2 L'état du débat constitutionnel sur les langues Commençons par rappeler brièvement quelques ordres de grandeur. Les germanophones, ou Alémaniques, représentent 65 % de la population résidente, les francophones, ou Romands, 18,4 %, les italophones 9,8 %, et les Romanches, utilisant l'une ou l'autre des cinq variantes écrites du rhéto-romanche, 0,8 %.3 Depuis plus de cent vingt ans que sont tenues des statistiques linguistiques, ces chiffres n'ont que peu changé, et les frontières linguistiques sont demeurées remarquablement stables, sauf dans le canton des Grisons où se trouvent les régions de langue romanche. La Suisse est constituée de 26 cantons ou demi-cantons, dont dix-sept germanophones, quatre francophones, un italophone, deux bilingues français-allemand à prédominance francophone, un bilingue allemand-français à prédominance germanophone, et un trilingue allemand-romanche-italien. Le principe de territorialité est la pierre angulaire de l'aménagement des rapports entre communautés linguistiques (Département fédéral de l'Intérieur, 1989). Dans sa version actuelle datant de 1938, l'article 116 de la Constitution fédérale stipule sobrement que la Suisse a quatre langues nationales : l'allemand, le français, l'italien et le romanche, mais que seules les trois premières sont langues officielles du pays. Cette maigre disposition constitutionnelle s'avère, une cinquantaine d'années plus tard, incapable de garantir un quadrilinguisme vivant et équilibré. Les symptômes de l'échec sont bien connus : dégradation de la position du romanche, érosion de l'italianité tessinoise et de la présence de l'italien au niveau national, dé-légitimation réciproque de l'allemand et du français de part et d'autre de la frontière linguistique entre les deux communautés, rôle croissant et mal contrôlé de l'anglais dans les échanges entre citoyens suisses de langue maternelle différente, sans compter l'ambiguïté quant aux rôles respectifs de l'allemand et des dialectes locaux en Suisse alémanique (Camartin, 1989 et 1990; Furer, 1991 et 1992; Ris, 1990). 2

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J'emploie ici comme synonymes les termes de «politique» et d'«aménagement», en évitant par contre l'expression de «planification» linguistique. Pour une discussion des distinctions entre ces différents termes, voir Daoust et Maurais (1987). Si l'on ne tient compte que de la population de nationalité suisse, ces pourcentages sont respectivement les suivants : Alémaniques : 74,5 %; Romands : 20,1 %; italophones (en majorité Tessinois) : 4,0 %; Romanches : 1,0 %. La distinction est importante vu le poids démographique des résidents non-Suisses, qui représentent plus de 15 % de la population, et dont l'aménagement linguistique doit tenir compte.

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En 1985, un parlementaire romanche déposa une motion demandant la révision de l'article 116. Le Parlement et le gouvernement fédéral partageant les préoccupations du député, un groupe de travail fut mis sur pied, et un rapport intitulé Le quadrilinguisme en Suisse - présent et futur, rendu public en 1989. Bien que la motion originale ait avant tout traduit le souci de s'attaquer au plus urgent des problèmes en cause, à savoir le déclin du romanche, l'examen en profondeur de la situation linguistique suisse permit de montrer que l'on avait affaire à un ensemble complexe de questions, méritant une approche d'ensemble (Département fédéral de l'Intérieur, 1989). En s'appuyant sur les conclusions du rapport, ainsi que sur les résultats de la procédure de consultation qui suivirent sa publication, le gouvernement soumit au Parlement (Conseil fédéral, 1991), le texte d'un nouvel article constitutionnel destiné à remplacer la version de 1938. Le gouvernement proposait un nouvel article en cinq alinéas, reposant sur les axes suivants : la liberté de la langue, la sauvegarde et la promotion des quatre langues nationales dans leurs territoires de diffusion, notamment là où celles-ci sont menacées, et le développement de la compréhension entre les communautés linguistiques. Le texte se référait donc à des concepts traditionnels de droit linguistique, à savoir la liberté de la langue et, sans la nommer expressément, la territorialité. Cependant, il innovait en relativisant le second par rapport au premier, et en les reliant clairement à des tâches incombant à la Confédération et aux cantons. Ce texte était donc le fruit d'un effort de réflexion indéniable, d'une procédure de consultation étendue, et d'une quête de compromis très helvétique : il fallait placer au niveau fédéral certains principes de politique linguistique, tout en évitant d'effaroucher les fédéralistes convaincus que seuls les cantons doivent demeurer compétents en matière linguistique, qu'ils fassent leur travail ou non. Toutefois, certains politiciens, notamment francophones, persuadèrent le Conseil des États, c'est-à-dire la chambre haute du Parlement, d'adopter un texte d'où la notion de liberté de la langue est gommée, et l'engagement de la Confédération ramené à une fonction de soutien et de compréhension, ce qui n'accroît guère son champ d'action (voir tableau). Tableau : LE NOUVEL ART. 116 CST 1 2 3

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{La liberté de la langue est garantie). Les langues nationales de la Suisse sont l'allemand, le français, l'italien et le romanche. (La Confédération et) Les cantons veillent à sauvegarder et à promouvoir les quatre langues nationales dans leurs territoires de diffusion. Les cantons prennent des mesures particulières afin de protéger les langues nationales qui sont menacées dans un territoire donné; la Confédération leur accorde un soutien à cet effet La Confédération et les cantons encouragent la compréhension entre les communautés linguistiques (et la présence des quatre langues nationales dans l'ensemble de la Suisse). Les langues officielles de la Suisse sont l'allemand, le français et l'italien. Le romanche est langue officielle pour les rapports que la Confédération entretient avec (les citoyennes et les citoyens) romanches (et avec les institutions romanches). Les modalités sont réglées par la loi.

Sources : Conseil fédéral, 1991; «Le Nouveau Quotidien», 9 octobre 1992. En italique et entre parenthèses, les passages figurant dans la version du gouvernement et supprimés de la version adoptée par le Conseil des États. Le Conseil national, ou chambre basse, doit encore se prononcer sur ce texte avant qu'il ne soit soumis au vote populaire.

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Les divergences entre ces deux versions sont riches d'enseignements. Par exemple, l'omission de la liberté de la langue traduit la crainte, guère fondée mais exprimée de manière plus ou moins voilée dans différents milieux ou associations telles que la «Communauté romande du Pays de Fribourg», d'une «germanisation» de régions situées le long de la frontière linguistique. Plus généralement, ces divergences sont l'expression de visions différentes de la substance même du plurilinguisme suisse. Mais surtout, elles reflètent le poids de certaines traditions, et la difficulté à mettre sur pied un véritable aménagement du statut des langues en présence. Des décisions ont beau être prises, elles ne procèdent pas pour autant d'une vision générale de l'aménagement des langues. Ce qui, en effet, a marqué la Suisse jusqu'à présent, c'est la non-politique linguistique. Il n'est pas de mon propos ici de dresser une liste des mesures spécifiques qu'appellent les chiffres alarmants sur le déclin du romanche, ou de discuter de la place que devraient avoir les différentes langues nationales dans la scolarité obligatoire; ces questions sont abondamment traitées dans de nombreux ouvrages ou articles (voir par exemple Cathomas, 1988; Furer, 1984; Keller, 1990). Par contre, je chercherai à mettre en évidence les causes du minimalisme de l'aménagement linguistique en Suisse, et d'en déduire les conditions nécessaires à l'élaboration d'une véritable politique linguistique visant à un quadrilinguisme rénové et capable de tenir compte des nouvelles données internationales auxquelles la Suisse est confrontée. Le poids du juridisme et l'absence des sciences sociales Depuis longtemps, la Suisse accorde aux juristes une place de choix dans la gestion de la chose publique, ainsi que dans les orientations de sa politique. L'aménagement linguistique ne fait pas exception. La Suisse dispose ainsi d'une tradition juridique fort distinguée en la matière, et la réflexion sur la nature, le fondement, la portée et les effets juridiques de certains grands principes de politique linguistique est à l'origine d'une jurisprudence et d'une littérature importantes (voir Rossinelli, 1989; Viletta, 1991; Voyame, 1989). Non seulement les juristes sont ceux qui s'expriment le plus, mais c'est avant tout d'eux, en Suisse, qu'on sollicite les avis. Ce quasi-monopole accordé au droit est regrettable. D'abord, il enferme les décisions de politique linguistique dans un formalisme qui ne fait pas justice à certaines caractéristiques essentielles des problèmes de langue. Par exemple, dans l'arrêt Brunner, rendu en 1982, le Tribunal fédéral a décrété qu'il fallait considérer comme bilingue une zone où plus de 30 % de la population résidente parle une autre langue nationale que celle parlée par la majorité cantonale. Ceci pourrait passer pour une mesure qui favorise les minorités, mais il n'en est rien : elle ne favorise que les minorités en expansion, comme les germanophones qui s'installent dans les communes de langue romanche, ou dans les communes francophones du canton de Fribourg. Il existe une asymétrie de statut entre les différentes langues, de sorte que le mot «minorité» ne veut pas toujours dire la même chose. La littérature sociolinguistique souligne du reste qu'il doit être pris au sens sociologique, plutôt que démographique, et qu'il serait plus juste de parler de langue dominée et de langue dominante, plutôt que de majorité ou de minorité linguistique (voir par exemple Calvet, 1987). Une vision strictement juridique peine à intégrer cette différence essentielle.

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Toutefois, le problème dépasse celui de décisions isolées. Ce qui est en cause, c'est la conception même d'une politique linguistique. Une appréhension essentiellement juridique ne permet guère de saisir le besoin d'une vision d'ensemble, ni d'utiliser pour cela les concepts développés dans les sciences sociales. C'est là mettre la chairue devant les boeufs : il revient aux disciplines qui ont pour vocation de penser le social, y compris dans ses dimensions linguistiques, de proposer les orientations et les buts de la politique linguistique, ainsi que de démontrer quelles sont les mesures qui permettent d'atteindre ces buts, et à quelles conditions. Le droit sert, quant à lui, à codifier les mesures proposées et, le cas échéant, à suggérer des modifications afin de les rendre compatibles avec le reste de l'échafaudage législatif du moment. De plus, le droit conserve un indispensable rôle éthique, en assurant le lien entre les mesures de politique linguistique et les normes morales de l'État de droit. Par contre, on ne peut demander au droit de générer à lui seul l'essentiel de la réflexion et des connaissances nécessaires à une politique linguistique. Cela vaut pour l'analyse de questions très générales, comme le lien entre la distribution du pouvoir politique et économique d'une part, et le déclin des langues minoritaires d'autre part, aussi bien que de questions plus spécifiquement sociolinguistiques, comme la transmission des langues d'une génération à l'autre dans les familles bilingues. Que l'on s'entende bien : l'apport des juristes demeure indispensable à la formulation d'une politique linguistique. Il est vrai, par ailleurs, que la Suisse dispose également de solides traditions en linguistique proprement dite. Cependant, si les linguistes peuvent observer de manière très fine des phénomènes tels que l'érosion de certaines spécificités dialectales, ou le maintien du français chez une famille romande établie à Bàie (Liidi, de Pietro et Papaloïzos, 1989/90), cela ne leur permet pas forcément de définir et de formuler une politique linguistique comme élément d'un projet de société. En particulier, ils demeurent désarmés — au même titre, du reste, que les juristes eux-mêmes — face aux questions centrales que soulève toute politique, linguistique ou autre : qu'est-ce qui vaut la peine d'être fait? Pourquoi? Sous quelles conditions? Et à quel prix? Sans les avoir pour autant résolues, les différentes sciences sociales les ont identifiées, et peuvent proposer des éléments de réponse (voir à ce propos Cooper, 1989; Rubin et Jernudd, 1971). Jusqu'à présent, les décisions concernant la langue ont donc été enfermées dans un carcan étroit, d'où sont largement exclues les contributions de la sociolinguistique, de l'économique, ou de la science politique. Cela empêche de tenir compte de la pratique sociale des différentes langues, des coûts et des bénéfices — à prendre au sens le plus large — qu'il y a à choisir l'une ou l'autre forme d'environnement linguistique, et des enjeux de pouvoir liés à ces choix. Faute de se reconnaître comme telle, la politique linguistique suisse s'est donc jusqu'ici privée de moyens, et enfermée dans une vision étriquée des questions auxquelles il lui appartient de répondre. La conscience du Sonderfall Nombre d'États doivent gérer la pluralité linguistique. De fait, l'homogénéité est l'exception, et non la règle, de par l'existence des minorités autochtones et des nouvelles minorités constituées par les vastes flux migratoires contemporains. Des 12 États actuellement membres de la

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Communauté européenne, seul le Portugal est considéré comme homogène linguistiquement (European Bureau for Lesser Used Languages, 1990). Certains pays, comme l'Espagne et le Royaume-Uni, ont clairement pris acte de leur multilinguisme; d'autres traînent les pieds, comme la France, ou se cabrent, comme la Grèce. Il reste qu'à des degrés divers, ils offrent tous l'exemple de la pluralité linguistique. Celle-ci est, de plus, un trait quasi-systématique des États africains et asiatiques; on sait qu'elle est également répandue dans les Amériques, si l'on veut bien se souvenir de l'existence des langues amérindiennes. À l'échelle mondiale, les nations monolingues constituent une nette minorité (Calvet, 1987), et la Suisse n'est donc pas seule dans son cas. Toutefois, la référence aux exemples étrangers est étonnamment absente du discours politique, de même que de l'essentiel du discours universitaire suisse. Habituée à être citée en modèle, ancrée dans la certitude d'être un cas à part (couramment désigné par le terme allemand Sonderfall), la Suisse confond la paix des langues et la torpeur linguistique (Raffestin, 1982). Cela exclut d'emblée la possibilité de s'inspirer des exemples étrangers pour procéder aux nécessaires aménagements que requiert notamment la survie du romanche. Ainsi, il n'est actuellement guère possible de poursuivre une scolarité en romanche au-delà de la quatrième année primaire — le romanche étant alors petit à petit relégué au rang de «matière», comme les sciences naturelles ou le français. Bien évidemment, ceci empêche la majorité des Romanches de développer une pleine compétence écrite dans leur langue, tout en limitant l'éventail de leur maîtrise orale. De même, en ce qui concerne la présence visible de la langue, il est surprenant qu'aucune disposition juridique n'oblige à la présence du romanche dans l'affichage publicitaire et l'étiquetage des produits, et que l'on puisse ouvrir une simple Bäckerei dans un village romanche, en ignorant superbement la langue locale. Étonnant aussi que si peu soit fait pour inciter les entreprises à fournir un cadre de travail où il soit possible de fonctionner en romanche. Pourtant, de nombreuses législations à travers le monde portent l'aménagement linguistique sur le terrain du travail, du commerce et des affaires : par exemple, la Direction générale de politique linguistique de Catalogne a enquêté auprès d'un millier de personnes, afin de mieux cerner les attitudes envers l'usage du catalan dans la vie économique, et définir les moyens de propager cet usage (Generalität de Catalunya, 1988); l'Office de la langue galloise fait aux entreprises une série de suggestions, offre un soutien logistique pour les mettre en pratique, et collabore avec un comité d'hommes d'affaires engagés pour la promotion du gallois dans le monde des affaires (Bwrdd yr Iaith Gymraeg, 1990). L'Estonie, avant même l'indépendance retrouvée en août 1991, avait adopté une loi contraignante en matière d'affichage, d'étiquetage, et de langue de communication interne dans les entreprises (Grin, 1991), et plusieurs autres républiques de l'ancienne Union Soviétique ont par la suite légiféré dans ces domaines (Maurais, 1991). À cet égard, c'est sans doute le Québec qui prend l'une des positions les plus en flèche, puisque les lois 101 et 178, adoptées pour garantir le «visage français» de la province, restreignent fortement l'usage des langues autres que le français dans l'affichage commercial (Québec, 1989).

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Il y aurait matière à multiplier les exemples précis en provenance de différentes régions du monde. Non pour suggérer que des mesures adoptées ailleurs soient reprises telles quelles en Suisse : en effet, chaque contexte a ses particularités, rendant nécessaires des mesures qui lui soient propres. D'autre part, les mœurs politiques de la Suisse, en particulier sa tradition consensuelle, excluent des mesures trop radicales. En revanche, une leçon générale se dégage : nombre d'États et de collectivités publiques étrangères sont allés beaucoup plus loin que la Suisse ne l'a jamais fait en matière de politique linguistique. La Suisse a donc encore devant elle une vaste marge de manœuvre, et un grand nombre de possibilités d'action déjà expérimentées et appliquées ailleurs. Π serait utile de s'y référer pour élaborer les «mesures particulières afin de protéger les langues nationales menacées dans un territoire donné» dont parle le deuxième alinéa du nouvel article constitutionnel. L'ignorance des expériences étrangères amène aussi à négliger l'influence que peuvent exercer, par-dessus les frontières nationales, la modification d'équilibres linguistiques dans d'autres pays. Comme le note Coulmas (1992), une politique linguistique ne peut plus guère, à l'heure actuelle, fonctionner sans tenir compte des données supranationales, voire mondiales. Ceci est d'une importance primordiale pour la Suisse qui demeure, de par sa position géographique, l'importance du commerce extérieur dans son produit national, et son plurilinguisme même, particulièrement ouverte sur l'étranger. Bien que n'étant pas membre de la Communauté européenne, la Suisse n'échappe pas à son influence. Sa politique économique est d'ores et déjà largement conditionnée par cette grande voisine, qui pèse également sur ses décisions en matière de transports, d'énergie, de droit d'asile, etc. Il en ira de même pour la politique linguistique, qui sera affectée par l'un des principaux enjeux linguistiques de l'unification européenne : quelle langue, ou quelles langues, prédomineront dans la vie communautaire? Est-il possible et légitime d'intervenir dans les processus selon lesquels l'influence de certaines langues s'étend ou se réduit? Quelle ampleur une éventuelle intervention doit-elle avoir? La distinction bruxelloise entre «langue officielle» et «langue de travail» de la Communauté est-elle pertinente?4 Toutes ces questions demeurent d'autant plus ouvertes qu'il n'existe, à l'heure actuelle, guère de perspective théorique pour y répondre. Toutefois, la rivalité entre langues majeures se manifeste d'ores et déjà (Leitner, 1991), et la Suisse ne pourra l'ignorer, puisque ses trois principales langues nationales figurent parmi celles dont l'anglais pourrait menacer le rayonnement. Outre le jeu non réglementé de l'expansion et du déclin de différentes langues, il y aura lieu de tenir compte des interventions délibérées en la matière.5

Pour une analyse du rôle du français dans l'Europe communautaire, voir par exemple Labrie (1992a). La Communauté européenne considère que l'aménagement linguistique, bien que compétence des États membres, reste soumis à des normes définies au niveau communautaire. Ainsi, dans un arrêt du 28 novembre 1989 (Affaire 371/87, Anita Groener et «The Minister for Education and the City of Dublin Vocational Educational Committee»), la Cour européenne a confirmé la légitimité de règlements édictés par les États (en l'occurrence, l'Irlande), mais indiqué «qu'il existe des limites dans l'autonomie des décisions des politiques nationales ... [et rejette] le point de vue défendu par le gouvernement français selon lequel la politique linguistique est entièrement extérieure aux finalités de la Communauté» (Labrie, 1992b : 74).

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Un exemple également frappant est celui des conséquences linguistiques des flux migratoires contemporains. Qu'elle le veuille ou non, la Suisse s'achemine lentement vers une pluralité plus grande encore : l'immigration n'est pas qu'une question de chiffres; c'est aussi une question de nature, en ceci que les conditions de l'immigration contemporaine n'ont rien à voir avec celles du xix« siècle (Sait, 1989) : le développement et la baisse des coûts relatifs des télécommunications, ainsi qu'une mobilité considérablement accrue, permettent à présent d'entretenir des relations permanentes et suivies avec le pays d'origine. L'adaptation, voire l'assimilation, n'ont donc plus du tout la même signification de nos jours (Grin, à paraître). D'ici dix, vingt ou cinquante ans, la pluralité linguistique de la Suisse englobera donc, de façon durable, des langues parlées par des communautés immigrées. Indépendamment de toute préférence à cet égard, et de l'éventuelle expression de celle-ci au travers des instances politiques, cela aura des répercussions sur le rôle, officiel ou privé, des quatre langues nationales, notamment sur l'objectif de compréhension entre les groupes linguistiques auquel le nouvel article constitutionnel accorde une telle importance. La gestion de cette pluralité accrue ne peut se faire entièrement au sein du microcosme helvétique, mais seulement dans le cadre d'une perspective globale sur le multilinguisme et la multi-ethnicité.

La tradition fédéraliste Une analyse des failles de la politique linguistique suisse ne saurait être complète sans discussion d'une donnée culturelle, politique et institutionnelle fondamentale, à savoir le fédéralisme, qui constitue le rempart de l'autonomie cantonale. Bien que la tradition fédéraliste ait prouvé sa valeur dans l'exercice des droits démocratiques, elle se manifeste aussi par une méfiance parfois paralysante à l'égard du pouvoir central, auquel la constitution fédérale ne reconnaît que des compétences expressément mentionnées, les autres demeurant, par défaut, attribuées aux cantons (Voyame, 1989). La modestie de l'accroissement des compétences fédérales en matière de langue consenti par le Conseil des États (voir tableau 1) traduit bien cette méfiance, ainsi que la répugnance à imposer aux cantons plus particulièrement concernés par la sauvegarde des langues menacées l'affront d'une immixtion du gouvernement fédéral. Ceci restreint non seulement les possibilités de mise sur pied de mesures propres à protéger et à promouvoir les langues menacées, mais aussi de prise de position sur des questions linguistiques d'envergure mondiale. En effet, la participation à des débats de cet ordre présuppose l'existence d'un organisme de politique linguistique doté d'un mandat clair, dans lequel d'autres parties peuvent trouver un interlocuteur, en Suisse, un tel organisme devrait se situer au niveau fédéral, mais il n'existe toujours pas. Prenons l'exemple de la francophonie, qui tente de s'affirmer comme un contrepoids à l'influence de l'anglais. On peut discerner une certaine convergence entre le développement de la francophonie (à titre d'alternative au quasi-monolithe anglophone, et de pilier de la pluralité linguistique au niveau mondial), et la pluralité linguistique que la Suisse cherche à maintenir à l'intérieur de ses frontières. La Suisse aurait donc de bonnes raisons de devenir un partenaire actif dans la francophonie internationale, et de joindre sa voix à celles du Québec, de la Belgique et de nombreux États d'Afrique Occidentale, afin de contribuer à faire de la langue française la

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propriété commune de toute la francophonie plutôt qu'un domaine sur lequel la France continue à prétendre à des prérogatives particulières. C'est là une des conditions du succès de l'entreprise. Il est utile de souligner que la langue anglaise doit son rayonnement international, entre autres, au fait qu'elle n'est plus la chasse gardée de l'Angleterre, mais qu'elle est devenue un bien commun sur lequel les Australiens, les Indiens, les Canadiens, les Irlandais ou les Américains ont tout autant à dire. La langue est créée, produite chaque jour par ces différentes communautés qui ont à cela une légimité égale (voir par exemple Bryson, 1990; McCrum, Cran et MacNeil, 1986). Malheureusement, faute d'accorder au gouvernement fédéral les compétences nécessaires, la Suisse n'a jamais été en mesure de prendre des positions claires au niveau international. Bilan et perspectives Dans les sections qui précèdent, j'ai tenté de montrer que la politique linguistique suisse a jusqu'ici évité de se définir elle-même, voire même d'admettre sa propre existence. La Suisse s'est donc cantonnée dans ce qu'on pourrait appeler une non-politique linguistique. On peut y voir trois causes principales : une approche étroitement juridique des problèmes de langue, combinée à une omission de l'apport analytique des sciences sociales; une non-prise en compte du savoir accumulé à l'étranger en matière d'aménagement linguistique; et une application paralysante de la tradition fédéraliste. Il en résulte une ambiguïté foncière : la Suisse ne s'est jamais dotée des moyens d'un aménagement linguistique, tout en prétendant gérer (fût-ce de la façon la plus minimaliste qui soit) les rapports entre quatre communautés linguistiques. Pour atteindre les objectifs que le nouvel article constitutionnel lui assigne, ainsi que pour faire face à des conditions nouvelles dont le politique n'a que partiellement tiré les conséquences, la Suisse ne peut pas faire l'économie d'une démarche structurée, et doit se donner les moyens de la réaliser. Elle ne peut donc, comme par le passé (Rossinelli, 1989; Viletta, 1991), se contenter des avis du Tribunal fédéral pour interpréter la portée des textes adoptés sur la base du nouvel article. Il lui faut un organisme pour analyser, conceptualiser, définir, proposer, mettre sur pied, appliquer, coordonner, évaluer et entretenir les différentes étapes et composantes d'une politique linguistique efficace. Pour cela, la création d'un nouvel organe au niveau fédéral s'avérera à terme indispensable. Cette idée avait du reste été envisagée par les auteurs du rapport d'août 1989, et conserve toute sa validité. En effet, à l'heure où sont écrites ces lignes, le nouvel article constitutionnel n'a pas terminé son parcours parlementaire, et ne peut entrer en vigueur qu'après avoir recueilli l'approbation d'une majorité des citoyens et des cantons. Il est cependant probable qu'en définitive c'est une version relativement faible de ce texte qui sera inscrite dans la Constitution. Les véritables enjeux de la politique linguistique se sont donc transportés du plan constitutionnel au plan législatif : il convient que la future législation exploite au maximum les maigres compétences de la Confédération. La mise sur pied d'un organe consacré à l'aménagement linguistique répond d'abord à des impératifs d'efficience. Toutefois, il convient de tenir compte d'une dimension politique plus large. S'il est vrai, comme le note Lapierre (1988 : 38), que «le pouvoir politique ne peut pas ne

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pas s'occuper de la langue», il traduit aussi, sous forme de décisions politiques, une représentation que la collectivité se donne d'elle-même. Ainsi, l'aménagement linguistique concerne l'ensemble de la Suisse, et doit être clairement reconnu comme tel. La création d'un organisme de politique linguistique permet la nécessaire identification de celle-ci comme entreprise commune à toute la Suisse, et donc la clarification des choix qu'elle fait pour l'avenir. Il est permis de penser que l'importance d'une telle entreprise dépasse le cadre des frontières helvétiques. En effet, en dépit de plusieurs faiblesses, l'arrangement institutionnel et les pratiques sociales qui régissent au quotidien les rapports entre les communautés linguistiques ont au moins réussi à éviter l'acrimonie, voire les conflits ouverts que connaissent tant d'autres États plurilingües. À ce titre, le cas suisse conserve valeur d'exemple ou de symbole, et il est donc nécessaire que l'aggiornamento de sa politique en matière de langue soit couronné de succès. Sur ce plan, ce n'est pas tant la nature même des solutions qui importe : la question n'est donc pas d'établir les vertus respectives des principes de territorialité ou de liberté de la langue et de tirer hâtivement, de l'observation de leur dosage en Suisse, des conclusions supposées s'appliquer partout ailleurs. Ce qui compte, c'est de démontrer la capacité à poser les problèmes et à proposer des solutions; en d'autres termes, la Suisse a, envers la communauté internationale, la responsabilité de prouver qu'elle est capable de se doter d'un processus d'aménagement linguistique, et de maintenir un plurilinguisme vivant et équilibré. Il y a en effet fort à craindre, dans le contexte actuel d'éclatement des antagonismes linguistiques et ethniques, que la déliquescence du modèle suisse ne donne un exemple désastreux : car, dira-t-on, si la Suisse échoue, qui donc pourra réussir?

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Dans ses écrits sur l'aménagement linguistique, Jean-Claude Corbeil fait souvent état des circonstances où cela est possible. Il a démontré comment un aménagement linguistique dépend de la diversité linguistique du territoire, de la concurrence entre les langues ainsi que de la volonté des personnes concernées d'ordonner l'usage (Corbeil, 1980). En évaluant une politique linguistique et ses chances de réussite, on doit faire appel à ces mêmes concepts. C'est cela que je me propose de faire à l'intérieur du contexte historique du français. À titre de préface, j'aimerais toutefois profiter de cette occasion pour remercier l'auteur de L'aménagement linguistique du Québec d'avoir remplacé le concept pseudo-technocratique de planification linguistique (soit du coipus soit du statut) par une distinction bien plus conforme à la réalité vécue par les praticiens du métier. Cette distinction entre aménagement et politique en matière de langue nous a permis de maintenir les différences réelles entre forme et fonction, entre le comment et le pourquoi, bref, entre linguistique et politique (Mackey, 1989a). L'évolution de la politique linguistique du Québec telle qu'elle est documentée et expliquée par Corbeil dans son admirable monographie, nous fournit maints exemples des problèmes posés par la politique et l'aménagement linguistiques. C'est à la suite de sa longue évolution que la politique linguistique du Québec est devenue l'une des plus élaborées dans le monde contemporain. C'est pourquoi elle commence à servir de modèle pour plusieurs pays, fort divers, qui veulent maintenant promouvoir l'une de leurs langues nationales comme langue officielle. Certaines de ces nouvelles langues officielles, il est vrai, jouissent d'une tradition littéraire aussi ancienne que celle du français. Plusieurs, par contre, sont à un stade de développement comparable à celui du français vers l'an mille. Cette différence n'est toutefois pas souvent mise en évidence. On fait souvent abstraction du fait que l'aménagement linguistique du Québec ainsi que ses politiques linguistiques s'inscrivent dans le cadre d'une évolution qui date du MoyenÂge. Ce n'est pas dans l'espace d'une génération que le français a fini par résoudre ses problèmes de diversité et de concurrence linguistiques. Au contraire, la création, voire l'institution, d'une langue unique a pris des siècles (Mackey, 1991). Il est donc difficile d'imaginer que n'importe quel dialecte pourrait, dans l'espace d'une génération, revivre la même expérience que le français pour arriver aux mêmes résultats. Ce n'est pas surprenant que parmi les six mille langues du monde, moins d'une centaine fonctionnent comme langues officielles. Il est également compréhensible que la plupart des pays utilisent les mêmes langues comme l'une de leurs langues officielles (Clyne, 1992).

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Actuellement, plus de la moitié des États ont comme langue officielle le français ou l'anglais, l'espagnol ou l'arabe, de pair, parfois, avec une langue nationale. Toutefois, depuis le milieu du siècle, dans la nouvelle politique linguistique d'États en voie de développement, le nombre de langues nationales transformées en langues officielles ne cesse de s'accroître. Pour un modèle de politique linguistique, ils se tournent vers le Québec. Avant d'appliquer l'expérience d'aménagement linguistique du Québec à une langue autre que le français, il sera nécessaire de comprendre comment le français s'est institué en langue nationale officielle compte tenu de la diversité linguistique de la France historique ainsi que de la concurrence interne et externe entre les langues et les parlers qui ont coexisté pendant des siècles. D'abord, il faudra se rappeler que c'est seulement au XXe siècle, après une longue évolution suivie d'une profonde révolution politique, mais surtout après avoir digéré les fruits de la Révolution industrielle, que les parlers de la majorité des Français sont devenus plus ou moins uniformes, ou au moins intercompréhensibles. Durant les siècles précédents, même au Siècle d'or du français classique, on pouvait dire, avec Racine, qu'«à cent lieux de Paris on ne peut plus se faire comprendre.» À l'aube du XIXe siècle, cette situation n'avait pas beaucoup changé, si l'on croit les résultats de l'enquête de l'abbé Grégoire, qui préface ainsi son fameux rapport (4 juin 1794) devant l'Assemblée nationale : La langue française a conquis l'estime de l'Europe, et depuis un siècle elle y est classique : mon but n'est pas d'assigner les causes qui lui ont assuré cette prérogative [...]. Mais cet idiome, admis dans les transactions politiques, usité dans plusieurs villes d'Allemagne, d'Italie, des Pays-Bas, dans une partie du pays de Liège, du Luxembourg, de la Suisse, même dans le Canada et sur les bords du Mississipi, par quelle fatalité est-il encore ignoré d'une très grande partie des Français? (Grégoire dans : De Certeau et ai., 1975).

Par «grande partie», il voulait dire la population non scolarisée qui formait la majorité. Car ce grand porte-parole du peuple savait bien que le français fut installé comme langue de l'élite non seulement en France mais dans toute l'Europe. Bien avant que le français devienne la langue des Français, il fonctionnait comme sociolecte national et international, et cela à la suite d'une politique linguistique voulue qui date de la Renaissance. Afín de diffuser le français parmi l'élite, il a fallu à la fois faire face à la diversité linguistique du pays et à la concurrence interne et externe d'une grande langue internationale, le latin. Il fallait également tenir compte du prestige et de la montée du castillan comme langue de la diplomatie européenne. Cette rivalité a été accentuée par la concurrence géopolitique avec l'Espagne d'une part, et d'autre part avec le Saint Empire romain germanique qui avait maintenu le latin comme langue internationale de l'Europe. Le premier à lancer une politique linguistique ferme sur les deux fronts — national et international — fut François I e r . Le contexte de cette politique est bien illustré par cette petite anecdote de Pierre de La Ramée (1572), qui raconte l'entretien entre François I e r et quelques notables de province venus se plaindre de sa politique linguistique :

Mais ce gentil esprit de Roy, les delayans de mois en mois, et leur faisant entendre par son Chancelier qu'il ne prenoit point plaisir d'ouir parler en aulire langue que la sienne, leur donna occasion d'aprendre soigneusement le françoys : puis quelques temps après ils exposerent leur charge en harangue françoyse. Lors ce fut une risée de ces orateurs qui estoient venus pour combattre la langue Françoyse et néanmoins par ce combat l'avoient

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aprise, et par effect avoient monstre que puisquelle estoit si aysée aprise aux personnes agees, comme ils estoient, quelle serait encores plus facile aux jeunes gens, et qu'il estoit bien séant, combien que le langaige demeurant à la populasse, néantmoins que les hommes plus notables estans en charge publicque eussent, comme en robbe, ainsi en parolle quelque preeminence sur leurs inférieurs (Caput, 1:164).

L'objectif est donc par sa langue de se distinguer du peuple et de faire ainsi partie d'une élite nationale. Il s'agit donc d'une politique linguistique venue d'en haut et non d'en bas. Cette direction de la politique linguistique n'a jamais changé. Même pendant et après la Révolution, la politique linguistique est issue du pouvoir central. Elle suit ainsi l'évolution de la Ranee en Étatnation centralisant Liée pendant des millénaires à l'ethnie de la personne, les parlers régionaux à la suite de la création des institutions de la féodalité revêtent une association territoriale. Avec la centralisation dans l'État souverain, le contrôle se fait progressivement par des lois de plus en plus uniformes, d'où la nécessité de normaliser de prime abord le langage juridique. On peut identifier quatre étapes de cette évolution : 1. On ne vise pas la langue en soi mais sa fonction, d'abord son rôle dans la codification juridique. 2. On appuie les individus ainsi que les groupes (les Académies) qui veulent enrichir ou standardiser les formes de la langue. 3. On encadre la langue (ses formes et fonctions) dans une idéologie politique. 4. On légifère directement sur la forme et la fonction de la langue (Judge, 1993). La première étape date du XVe siècle au moment où la couronne commence à faire codifier les coutumiers régionaux pour leur donner force de loi. Cela touche indirectement à la forme de la langue, car il fallait s'assurer que le même mot conserve toujours un sens précis dans un contexte bien délimité. L'un des premiers actes de ce genre fut l'ordonnance de Moulins en 1490. L'objectif fut donc de faciliter l'administration de la justice en standardisant la langue. Jusqu'en 1539, on accepte la langue locale au même titre que le français. Après quelques générations, la version française avait gagné la préférence par opposition à la version latine ou autre. En 1539, l'ordonnance de Villers-Cotterêts de François I e r est venue confirmer et normaliser cette situation de fait. Nous voulons d'ores en avant que tous arrests, ensemble toutes autres procédures, soient de nos cours souveraines et autres subalternes et inférieures, soient de registres, enquestes, contrats, commissions, sentences, testaments, et autres quelconques actes et exploicts de justice, ou qui en dépendent, soient prononcez, renregistrez et délivrez en langaige maternel français et non autrement (Caput, L 1:163-4).

La deuxième étape dans l'évolution de l'aménagement linguistique indirecte fut la promotion officielle d'organismes intéressés à la promotion et à l'enrichissement de la langue ainsi qu'à sa normalisation. Cela remonte à la création de l'Académie du palais en 1570 dont le mandat fut de développer l'emploi du français dans les fonctions réservées au latin. Elle fut recréée en 1625, et enregistrée par le Parlement en 1637 comme «Académie française» dont la tâche serait de codifier la langue.

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Dans l'intervalle, à part son imposition comme langue juridique, le français parlé a eu également son histoire. Il s'est répandu d'une façon plus graduelle, en commençant tout d'abord par la petite noblesse. Il s'agit d'abord d'un sociolecte, c'est-à-dire d'un parler qui unit une couche de la société sur toute l'étendue du territoire. C'est cela qui unifie le pays par en haut. Par en bas, les parlers régionaux coexistent à côté du français. Cela est compréhensible si on sait que jusqu'au début du X I X e siècle le peuple et la paysannerie ne comptaient que pour peu de chose dans la politique du pays. C'est de l'aube du X I X e siècle que date la troisième étape de l'évolution de la politique linguistique du français. Il s'agit de l'encadrement d'une variété prestigieuse de la langue (formes et fonctions) par une idéologie politique nationale — celle de la Révolution française. Afin d'assurer l'égalité, il fallait donner à tous accès à la langue du pouvoir, en l'occurrence le français. Donc, l'une des premières politiques de l'Assemblée nationale qu'avait engendrée la Révolution fut d'anéantir les parlers régionaux et d'imposer (encore une fois par en haut) la langue royale, langue du pouvoir. La centralisation de l'État a aussi rendu nécessaire l'uniformisation du parler des futurs citoyens-soldats. Ces trois premières étapes de l'évolution de la politique linguistique du français, qui se sont prolongées du XVe siècle jusqu'à l'aube du XIXe siècle, comportent des actes de législation touchant les fonctions de la langue (la forme étant la responsabilité des académies). C'est seulement plus tard que l'État commence à légiférer directement sur la forme linguistique. Avant de passer à cette quatrième étape, il serait utile de voir comment et pourquoi les trois premières étapes ont réussi, non seulement à l'échelle nationale mais également sur le plan international. Une politique linguistique qui vise la modification par la loi du comportement langagier ne peut se réaliser que dans un climat propice (Mackey, 1989b). On a déjà cité comme exemple l'ordonnance de Villers-Cotterêts. Cela est vrai également à l'échelle internationale où le poids démographique et culturel de la France a compté pour beaucoup comme élément de prestige et de propagation du français. Jusqu'au début du XIXe siècle, la population de la France a été le double de celle de toute autre puissance européenne (de la Grande-Bretagne, de la Russie ou de l'Autriche). Π faut ajouter à cela la production intellectuelle, scientifique et culturelle de la France. C'est dans ce contexte que le français devint la langue de l'élite de toute l'Europe. Pour ce qui est de la diffusion du français en France, il faut compter plusieurs facteurs, tels que : la centralisation de l'éducation, le service militaire obligatoire, l'urbanisation, les forces qui accompagnent le commerce, l'industrie, la communication (routes et rails) et la vélocité d'interaction que cela comporte. On pourrait même arguer que c'est la Révolution industrielle qui a réalisé la politique linguistique de la Révolution française. Il en est de même pour la langue écrite. C'est l'histoire, et non pas seulement la politique linguistique, qui a affaibli la concurrence des autres langues. La guerre de Cent Ans, la grande famine, la peste et tout ce que cela a signifié pour le déclin des arts et de la civilisation, y compris l'éducation des clercs et de la noblesse de robe, décimant ainsi la population capable d'écrire en latin des testaments, des baux et autres documents officiels. Et n'oublions pas les effets

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linguistiques du grand schisme d'Occident de 1378 et de la montée de l'Église gallicane. Tout cela avait favorisé l'utilisation du français écrit avant même l'invention de l'imprimerie, moyen que la Réforme a saisi pour mettre la traduction de la Bible en français entre les mains d'une population de plus en plus alphabétisée (Furet et Ozouf, 1977). Pour les fonctions de la langue écrite, la concurrence ne venait pas seulement du latin. Il y avait aussi des langues régionales à tradition écrite. C'est ici que le pouvoir central a pu exercer son autorité d'une façon plus catégorique, surtout quand des territoires allophones sont tombés sous l'autorité des rois de France. Signalons à titre d'exemple le cas du Roussillon catalanophone. Pour assurer dans cette région frontalière l'exclusivité du français, Louis xiv lui-même a dû intervenir. Son ordonnance du 17 février 1700 peut servir d'exemple. Puisque ce document est peu connu et guère disponible, je me permets d'en citer textuellement l'essentiel : Louis par la grâce de Dieu Roy de France et de Navarre, a tous presents et a venir, salut. Depuis plus de quarante ans que nous possédons en pleine souveraineté les Comtés et Vigueries de Roussillon et Conflans qui nous ont esté cédés avec une partie du Comté de Cerdaigne par le Traité de Paix des Piiennées les procedures des justices subalternes des dits pays les deliberations des magistrats des villes les actes des nottaires et autres actes publics ont continué a y estres couchés en langue catalane par un usage que l'habitude seule a authorisé [...]. Mais comme outre que cet usage repugne et est en quelque façon contraire a Nôtre authorité a l'honneur de la Nation françoise [...], Nous avons jugé que pour remedier a ces inconvenians il estoit a propos d'ordonner qu'à l'avenir toutes les procedures et les actes publics qui se feront dans les dits pays seront couchés en langue françoise [...]. Sçavoir faisons que pour ces causes et autres bonnes considérations, a ce nous essoucians, de Nôtre Certaine Science pleine puissance et authorité Royale Nous avons dit statué declaré et ordonné, disons statuons déclarons et ordonnons par ces presentes signées de Nôtre main; Voulons et nous plaist que doresnavant et a commencer du premier may prochain toutes les procedures qui se feront dans les sieges et jurisdictions des dits pays de Roussillon, Conflans et Cerdaigne, comme aussy les deliberations des magistrats des villes et communautés les actes des nottaires et generallement tous autres actes publics qui se passeront en dits pays seront mis et couchés en langue françoise a peine de nullité [...]. Defendons a tous avocats, Procureurs, Greffiers, Nottaires et autres de ne plus servir pour cet effet de la langue catalane et aux Juges et Magistrats de ne souffrir ny de prononcer leurs jugements ou deliberations qu'en langue françoise [...] (Extrait de l'Ordonnance de Louis XIV du 2 avril 1700. — Je remercie Antoni Milian i Massana de la Faculté des sciences historico-juridiques de l'Université autonome de Barcelone de m'avoir procuré photocopie du manuscrit de ce document).

Si l'on considère jusqu'à quel point la France de Richelieu avait été centralisée, on n'est guère surpris de cette directive catégorique de Louis XIV qui est conforme à sa politique de consolider sous un même régime juridique et linguistique l'ensemble de ses possessions, jusqu'aux frontières de son territoire, et au-delà. Car la politique linguistique d'un État dominant ne s'arrête pas à la frontière. On peut difficilement éviter le contact avec les pays qui nous entourent; on ne peut guère échapper aux négociations qu'imposent nos voisins. Dans toute négociation, on sait qu'en forçant son adversaire à négocier dans une langue qu'il possède mal, on le place automatiquement dans une position d'infériorité. L'auteur d'une victoire militaire peut bien insister sur l'emploi de sa langue dans les négociations de paix, la raison du plus fort est toujours la meilleure. Pour réussir le contraire, il faut faire appel à l'art de la diplomatie.

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Nul pays en Europe n'a pu dépasser la France dans l'exercice de cet art — l'art en particulier de transformer en victoire linguistique une défaite militaire. À titre d'exemple, signalons deux des plus grandes défaites de la France : celle de Louis XV et celle de Napoléon. Dans le traité de paix de 1763 qui a marqué une défaite humiliante pour la France à la fin de la guerre de Sept Ans, on a pu faire accepter le français comme langue unique de ce traité. Également après la défaite de Napoléon par les alliés, dont l'Angleterre, qui sort de la guerre comme nation dominante en Europe, les Actes du Congrès de Vienne (1815), convoqué pour démembrer l'Empire napoléonien, ainsi que le texte du traité, figurent exclusivement en français. Ces victoires linguistiques du français ne sont ni les fruits du hasard, ni les effets d'un concours de circonstances. Ce sont les résultats de l'évolution d'une politique linguistique inscrite dans une tradition dès la fondation en 1484 du service diplomatique français. Le développement de cette initiative de Louis XI a été beaucoup accéléré par les efforts de François I e r qui l'a transformé en service permanent, instrument d'une politique linguistique qui n'a guère changé. L'objectif : établir la langue française comme langue nationale, langue officielle et langue internationale. Pour atteindre cet objectif à l'échelle internationale, il fallait éliminer deux langues concurrentes — l'espagnol d'une part, et le latin de l'autre. L'espagnol, ou plus exactement le castillan, après avoir pris le dessus sur son grand concurrent catalan, a fini par remplacer le latin en Espagne dans la plupart de ses fonctions civiles. Normalisé depuis le règne d'Alphonse le Sage (1252-1284), la langue de Cervantes avait fonctionné comme langue officielle depuis 1525, et en exclusivité après que Charles Quint eut interdit l'utilisation officielle de l'arabe. Le castillan fut connu comme langue diplomatique dans toutes les chancelleries de l'Europe. Et les forces militaires de l'Espagne dont François I e r a été prisonnier après sa défaite à la bataille de Pavie, ont maintenu leur domination jusqu'à la décimation de leur grande Armada en 1588. Ce fut le début d'un déclin de l'influence de l'Espagne et du prestige du castillan comme langue diplomatique. Reste le latin, langue qui avait régné comme idiome international depuis déjà un millénaire. Partout en Europe, un document destiné à la postérité était dressé obligatoirement dans une langue stable et permanente, en l'occurrence le latin. Ce fut également la langue officielle du grand rival de la France, le Saint Empire romain germanique. Il fallait donc éliminer le latin, tout en empêchant la montée d'autres langues concurrentes telles que l'allemand, l'italien, l'anglais et les langues scandinaves. L'application systématique et à long terme de cette politique linguistique française et sa remarquable réussite sont dues non seulement aux rois qui les ont patronnées, mais surtout au travail d'un service diplomatique professionnel permanent capable d'appliquer indépendamment une politique stable. Comme exemple de son pouvoir de négociations, on pourra se référer au traité de Rastadt de 1714. Afin de faciliter les négociations avec le représentant de l'Empire, le prince Eugène, qui avait insisté sur l'usage du latin, Louis XIV lui fait parvenir une note («Le roy consent que le traité soit dressé en latin») par l'entremise de son délégué, le maréchal de Villars. Ce demier, au lieu de transmettre la note, insiste que le traité soit écrit en français et le prince finit par consentir (Brunot, t. ν : 418).

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Panni les noms qui jalonnent le cheminement de cette politique linguistique, signalons : Georges d'Ambroise, Sully, Richelieu, Mazarin, de Villars et, bien sûr, Talleyrand. Leur grande stratégie a été d'inscrire la langue française comme élément de toute discussion à titre de préalable à toute entente et de refuser d'utiliser à titre officiel toute autre langue que le français. Ces grands maîtres de l'art du possible ont fait appel à diverses tactiques selon les circonstances du moment. D'abord, on a fait accepter un texte français d'un projet de traité à titre d'équivalent du texte latin, comme ce fut le cas dans le traité de Westphalie de 1647, qui mit ñn à la guerre de Trente Ans. Ensuite, la diplomatie française a réussi à réduire le statut du latin par rapport à celui du français. À titre d'exemple, citons le Mémoire adressé à l'Empereur durant les négociations à Francfort en 1682 touchant la question de l'annexation de Strasbourg : (1) Il n'y a point de prince dans l'Europe, qui ayt droit d'imposer aux autres la nécessité de se servir d'une certaine langue dans les conférences et assemblées, qui se font entre souverains [...]. (2) Pour les traitez et autres actes communs où toutes les parties doivent signer, il est raisonnable entr'égaux de convenir pour cela d'une langue commune, ou de faire plusieurs originaux [...]. (3) Le Roy est en possession d'escriie en françois et à l'Empire, à tous les princes d'Allemagne et aux Roys du Nord et de Pologne, et d'en reçevoir response en latin [...]. Ils n'ont assurement aucune bonne raison pour obliger aujourd'huy l'embassade de France de changer de stile à Francfort et d'y donner à l'avenir ses écrits particuliers pour l'Empire en latin [...]. (4) Les Impériaux pourroient dire avec raison que si nous faisons nos écrits particuliers en françois ils feront les leurs en allemand, qui est leur langue naturelle; mais ils ne veulent pas prendre ce parti, parce qu'ils se font un honneur de se servir de la langue latine avec les Etrangers [...] (Cité par Brunot, t.v : 444).

Cette tactique de la diplomatie française a effectivement atteint son but tout en admettant l'utilisation de l'allemand (qui ne fut guère un concurrent possible) comme langue officielle pour les fins de l'entente au même titre que le français. On a donc réduit le statut du latin en le recatégorisant comme langue auxiliaire par opposition aux deux langues dites «authentiques». Fort de cette dégradation du latin, on a pu faire admettre une clause de réserve dans tout autre traité comprenant un texte en latin, comme, par exemple, dans le traité d'Utrecht de 1713. Par la suite, ce précédent est transformé en «droit de réserve» devenu pour la France un avantage technique. Dans une position de faiblesse, comme ce fut le cas en 1763 et en 1815, on maintient le français comme langue du texte tout en cédant à l'autre le droit de réserve. Il fallut donc interrompre une longue coutume internationale généralisée et bien établie en la contournant continuellement par de nouvelles initiatives confuses et par des réserves, jusqu'au moment où celles-ci deviennent redondantes. À titre d'exemple, voici deux extraits de traités séparés dans le temps par une génération. Dans celui de 1718, on fait accepter des réserves contre la continuité du latin comme langue diplomatique. Trente ans plus tard, on accepte des réserves contre le français comme langue exclusive des traités au moment où cette exclusivité est en train de devenir un fait accompli. En 1718: Quelques-uns des Plenipotentiares aiant demandé avec instance, qu'il ne fut dressé aucun Acte de Traité de ce jour, sans être muni en même-tems, de la signature, de toutes les Parties contractantes, ce qui a fait que tous les Actes du dit traité ont été dressez en langue latine.

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Dans cette vue, afin que cet example ne passe point en usage entre le Roi de la GrandeBretagne et le Roi Très-Chrétien, nous Plénipotentiaires de Sa Majesté Britannique, à la réquisition du Plénipotentiaire de Sa Majesté Très-Chrétienne, déclarons que tous ce qui a rapport à la langue dans laquelle est écrit le Traité de ce jour ne pourra servir d'example, ni être cité a l'avenir, mais que l'usage qui étoit reçu auparavant entre l'une et l'autre couronne aura lieu; de sorte que ce qui s'est fait aujourd'hui n'y dérogera en aucune mannière, et ne donnera point de nouveau droit pour en user autrement. (Extrait du traité de la Quadruple Alliance, pacte entre l'Angleterre, l'Autriche, la France et les Provinces-Unies pour maintenir le traité d'Utrecht). En 1748 : Il a été convenu et arrêté, que la langue française, employée dans tous les examplaires du présent traité, ne formera point en exemple qui puisse être allegué, ni tiré à conséquence, ni porter prejudice, en aucune manière, à aucune des puissances contractantes; et que l'on se conformera à l'avenir, à ce qui a été observé, et doit être observé, à l'égard et de la part des puissances, qui sont en usage de donner et de reçevoir des exemplaires de semblables traités et actes en une autre langue que la française. Le présent traité, et les accessions qui interviendront, ne laissant pas d'avoir la même force et vertu, que si le susdit usage y avait été observé. (Extrait du Traité d'Aix-la-Chapelle, qui a mis fin à la guerre de la Succession d'Autriche). Ainsi, on a réussi à établir effectivement l'exclusivité du français comme langue de la diplomatie. Il fallait maintenant faire le nécessaire pour maintenir cette exclusivité. À titre d'exemple, citons un incident linguistique survenu au Congrès de Berlin en 1878, à l'époque même où l'Angleterre avait atteint l'apogée de sa puissance et de son influence mondiale. Son premier ministre Disraeli, qui représentait l'Angleterre, est intervenu comme d'habitude en français; mais on lui a interdit d'intercaler dans son discours une petite clarification en langue anglaise. Même à cette époque où la France, après sa défaite de 1870, ne dominait guère la politique mondiale, le français a continué à dominer pendant très longtemps les textes des traités, des congrès, des conventions internationales, ou à titre exclusif ou à titre co-officiel. Durant le XXe siècle, alimentée par les organismes de la francophonie mondiale, cette politique linguistique de la France continue à fleurir (Mackey, 1987). En commençant par la fondation en 1883 de l'Alliance française, jusqu'à la création, en 1966, du Haut Comité de défense et d'expansion de la langue française, de l'Agence de coopération culturelle et technique en 1970, du Haut Conseil de la francophonie (avec son Commissariat général et son Conseil consultatif) en 1984, et, en 1989, d'une Délégation générale et d'un Conseil supérieur de la langue française, la politique linguistique de la France s'est répandue bien au-delà des frontières de l'Hexagone. Dans l'intervalle, il y a eu une accélération de l'intervention directe de l'État dans la forme même de la langue — l'orthographe, le vocabulaire et la grammaire, ce qui représente une quatrième étape dans l'évolution des politiques linguistiques.

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Toutefois, c'est seulement après que les fonctions de la langue eurent été protégées par la loi (les trois étapes de l'évolution de la politique linguistique) que l'État commence à légiférer directement sur les formes de la langue. Il s'agit ici de l'orthographe, de la grammaire et de la terminologie. Dès 1674, on donne une existence légale à l'orthographe unique que l'Académie avait adoptée l'année précédente. Cette orthographe, obligatoire pour tous, a survécu à la Révolution, même après la dissolution de l'Académie en 1793 et sa reprise partielle en 1795 (et entière en 1816). Car il est devenu manifeste qu'un État centralisé ne pouvait pas se passer d'une langue normalisée. En 1882, l'orthographe de l'Académie devint obligatoire pour les examens scolaires. Toutefois, au XX e siècle, devant l'inefficacité et l'illogicisme de ce système graphique, l'État a dû intervenir directement dans les réformes de l'orthographe — en 1901, en 1975 et enfin en 1990. Il a dû également légiférer directement en matière de bon usage et de terminologie. Dans ce dernier domaine, le Québec avait pris les devants avec la création en 1961 de l'Office de la langue française. À partir de 1966, il y a eu de la législation directe touchant l'étiquetage, la toponymie et la terminologie dont les services tels que la banque de terminologie sont accessibles au public. À partir de 1965, le Québec a organisé de nombreux colloques sur la politique et l'aménagement linguistiques, sur le français hors de France (en 1967 et en 1973), sur la normalisation et la qualité de la langue, la néologie et la terminologie en 1973, 1974, 1977 et 1979, et sur l'intervention juridique en 1976. Après avoir publié trois tomes sur la situation du français et les droits linguistiques au Québec (le célèbre Rapport Gendron) en 1972, le Québec a fait paraître de nombreuses directives techniques pour aider à l'implantation de sa Charte de la langue française. Signalons seulement les publications sur le français de l'entreprise en 1974 et en 1976, la série de documents sur la normalisation et la terminologie. Cela, ainsi que tout ce qui fait partie de l'évolution de la politique linguistique du Québec, a déjà été si bien documenté dans les nombreuses publications de Jean-Claude Corbeil entre 1965 et 1992 qu'il serait superflu d'y insister davantage. Grâce à lui et à ses collègues en politique et aménagement linguistiques, on dispose maintenant de suffisamment de données pour hasarder quelques conclusions. Ce qui décide de la nature et de la portée d'une politique linguistique, c'est non seulement la diversité linguistique, mais également la concurrence entre les langues ainsi que le désir d'ordre dans les affaires de l'État. Afin de déterminer les éléments nécessaires pour élaborer une politique linguistique, en prenant l'exemple de la France, on a pu constater ce qui suit : (1) la politique linguistique évolue selon les besoins de l'État; (2) la politique peut réussir quand les conditions d'implantation sont propices; (3) la politique linguistique est venue d'en haut et non d'en bas; (4) après que les fonctions langagières sont en place, le besoin de standardiser les formes se manifeste; (5) une politique linguistique seule ne peut guère modifier le comportement langagier d'une population d'usagers qui s'y oppose; (6) les fonctions d'une langue sont maintenues par son prestige accumulé, même après la disparition de son statut; (7) on peut axer une politique linguistique sur le maintien du prestige de la langue; (8) la politique n'existe pas dans un vide : une langue revêt partout ou en partie la fonction de l'autre langue qu'elle remplace.

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Dans le cas de la France, on a vu que l'essor des langues nationales est intimement lié à l'évolution de l'État. Après avoir été associée à l'ethnie, la langue, avec l'organisation de l'État féodal, devient attachée au territoire. Après la centralisation de l'État, la langue est liée à la loi — d'abord dans la codification juridique, ensuite dans l'organisation de formes littéraires par encadrement dans une idéologie nationale, et enfin comme objet d'une législation directe. Pour toutes ces raisons, on peut dire que c'est le français, avec sa longue histoire de normalisation et de diffusion, qui reste la langue tout à fait indiquée pour l'étude de la politique et de l'aménagement linguistiques dans l'évolution de 1 "État-nation.

Bibliographie Brunot, F. (1905 et seq.), Histoire de la langue française. 21 vol., Paris, Colin. Caput, J.-P. (1972), La langue française, histoire d'une institution, 2 vol., Paris, Larousse. Clyne, M. (dir.) (1992), Pericentric Languages, Berlin, Mouton de Gruyter. Corbeil, J.-C. (1980), L'aménagement linguistique du Québec, Montréal, Guérin. De Certeau, M., et al. (1975), Une politique de la langue : La Révolution française et les patois. Paris, Gallimard. Furet, F. et J. Ozouf (1977), Lire et écrire : l'alphabétisation des Français de Calvin à Jules Ferry. Paris, Ed. de Minuit. Judge, A. (1993), «French : A Planned Language», in Carol Sanders (dir.) French Today : The Language in its Social Context, Cambridge, University Press, p. 7-27. Mackey, W.F. (1987). «Les paradoxes de la francophonie : origine, sens et directions», Mémoires de la Société royale du Canada V (t.l) : 107-122. Mackey, W.F. (1989a), «Politique et aménagement linguistiques : une discipline ou deux?», Langues et linguistique XV : 123-163. Mackey, W.F. (1989b), «La modification par la loi du comportement langagier» In : Langue et droit. Montréal : Wilson & Lafleur, p. 45-54. Mackey, W.F. (1991), «L'institution du français, essai de colinguisme des Carolingiens à la République» par Renée Balibar, Paris : Presses Universitaires de France. Compte rendu dans : Journal of the History of European Ideas (Oxford, Pergamon Press) XIII : 125-131.

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Isidor Mari i Mayans Subdirector General de Política Lingüística Generalitaí de Catalunya

La planificació lingüística a Catalunya : cap a un Pía General de Normalització Lingüística

Résumé: Politique linguistique en Catalogne : Plan Général d'aménagement de la langue On peut trouver des précédents à la planification linguistique en Catalogne dès le début de notre siècle, mais c'est après le vote du statut d'autonomie de la Catalogne en 1979 qu'une Direction générale de politique linguistique a été créée (1980) et que l'on a conçu l'aménagement linguistique dans son ensemble. Au cours de la première période législative (1980-84), une loi d'aménagement linguistique a été adoptée à l'unanimité par le Parlement catalan, et une organisation interministérielle et territoriale a été établie. La politique linguistique pendant cette étape a obtenu des résultats importants en ce qui concerne l'utilisation du catalan dans l'administration autonome et locale, sa présence comme langue véhiculaire de l'éducation et l'audience de la radio et de la télévision publiques. Cependant, l'étape suivante (1984-88) a permis de constater les limites juridiques et stratégiques de l'approche initiale : la diffusion des journaux, des vidéos et du cinéma en catalan n'avançait guère; les matériels et les logiciels informatiques étaient véhiculés en d'aubes langues, et les activités économiques étaient lentes à adopter le catalan comme langue des rapports entreprise-clients. Le besoin d'envisager des stratégies renouvelées et des techniques de planification dans la politique linguistique a commencé à se répandre dès le II e Congrès international de la langue catalane (1986). L'année suivante, la Direction générale de la politique linguistique créait un groupe de fonctionnaires spécialisé en planification linguistique. La période suivante (1988-92) a signifié un changement de paradigme dans la politique linguistique catalane. Une étude de grande envergure sur l'état de la langue et les besoins d'une actualisation de la loi linguistique, avec un grand effort de développement organisationnel, fournissent les bases pour l'élaboration et la mise-en-oeuvre d'un «plan général d'aménagement linguistique», qui est en train d'être préparé avec la participation du Conseil social de la langue catalane, organisme créé en 1991. La principale hypothèse stratégique de ce plan est que le changement des comportements langagiers individuels pourra être induit par la modification du fonctionnement linguistique des organisations complexes. C'est dans cette perspective que l'on envisage la nouvelle période législative qui vient de commencer, dans laquelle une loi de protection des droits des consommateurs (incluant les droits linguistiques) et une nouvelle loi d'aménagement linguistique vont être présentées au Parlement

Alguns precedents immédiats La planificació lingüística a Catalunya té precedents que es remunten almenys a començaments de segle, en allò que es refereix a la planificació del corpus de la llengua : el Primer Congrès Internacional de la Llengua Catalana (1906), la fundació de l'Institut dTìstudis Catalans (1907) i la promulgació de les normes ortogràfiques (1913) i de la gramática normativa de l'Institut (1918) serien algunes fîtes iniciáis d'aquest procès. En certa manera, podríem considerar també que són simultanis els inicis de la planificació relativa a Testatus de la llengua, ja que la moderna codificació del català s'inscriu en el conjunt de la política cultural i educativa de la Diputació de Barcelona, primer (1907-14), i de la Mancomunitat de Catalunya, després (1914-25).

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Des d'aquest punt de vista, podríem afirmar que la codificació del català modem culmina el 1932 amb el Diccionari general de la llengua catalana de Pompeu Fabra—diccionari normatiu de l'Institut d'Estudis Catalans —, justament quan la Generalität de Catalunya reprenia la planificació de Testatus del català en el marc de la Segona República Espanyola (1931-39). La importància de tots aquests antecedents és indiscutible, i sense ells seria impossible entendre l'evolució posterior de la planificació lingüística a l'àrea de llengua catalana. No obstant això, en aquest text ens cenyirem a un període més recent, tant per raons pràctiques de limitació de l'espai disponible, com per respectar més estrictament la noció de planificació lingüística pròpiament dita, que no neix com a disciplina autoconscient fins a finals dels anys 50 i tan sols vint anys després comença a ser significativament coneguda a les terres catalanes. Per aquests motius, el nostre objecte será, dones, exposar a grans trets com ha evolucionat la planificació lingüística a Catalunya al llarg dels darrers 12 anys, en el marc de l'Estatut d'Autonomia de Catalunya de 1979. Els inicis Per més que algunes iniciatives de política lingüística (com la introducció del català a l'ensenyament el curs 1978-79) ja havien estât adoptades des del restabliment provisional de la Generalitat (setembre de 1977), abans per tant de l'Estatut d'Autonomia de 1979, es pot dir que és després de les primeres eleccions autonòmiques de 1980 quan es comença a organitzar institucionalment i a gran escala la política lingüística a Catalunya. Efectivament, una de les primeres decisions del govern autonòmic sorgit de les eleccions de 1980 va ser la creació de la Direcció General de Política Lingüística (DGPL) el mes de maig. Poe després, el Décret 90/1980, de 27 de juny, establia que l'administració autonómica usaría el català, i que s'ajustaria a les normes de l'Institut d'Estudis Catalans. El 24 de juliol del mateix any es feia pública una Declaració del Conseil Executiu de la Generalitat de Catalunya on s'establien els principis orientadors de la política lingüística en aquells moments iniciáis. Partint del marc jurídic de doble oficialitat lingüística establert per la Constitució Espanyola de 1978 i l'Estatut d'Autonomia de Catalunya de 1979, aquella Declaració anunciava el propòsit de restablir l'ús general del català com a llengua pròpia de Catalunya, dins del respecte del dret de cada ciutadà a usar la seva llengua personal, fos el castellà o el català. Tenint en compte que el català — a diferèneia del castellà — no era generalment conegut per la població, la Declaració preveia «una acciò decidida en el camp de l'ensenyament» i per facilitar als adults l'aprenentatge de la llengua pròpia de Catalunya. Com a mesura per afavorir l'ús del català, la Declaració recomanava, «a nivell públic i privat», el bilinguisme passiu (és a dir, la conversa bilingüe alternativa) sempre que els interlocutors almenys entenguessin el català. Després d'aquests principis generals, els dos apartats següents de la Declaració tractaven de l'ús oficial del català a la Generalitat i entre els seus funcionaris. Finalment, s'hi feia una crida a les entitats publiques i privades perqué col.laboressin a la difusió social del català i se'ls oferien serveis d'assessorament lingüístic.

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Val a dir que aquest enfocament responia en bona mesura, tant en els aspectes organitzatius com en les estratègies, al model plantejat a les conclusions de l'Àrea de Llengua del Congrès de Cultura Catalana (CCC) — una sèrie de débats àmpliament participatius que havien tingut Hoc entre 1976 i 1978, en els quais s'havien establert els objectius col.lectius en tots els fronts de la cultura. El CCC constitueix, per tant, un bon exponent del que Corbeil (1988) anomena la veu social, de la quai la Declaració de 1980 seria un bon reflex en forma de veu política. Tal com havia plantejat el CCC, la Direcció General de Política Lingüística va ser adscrita al Departament de Cultura — un dels ministeris autonòmics. De manera semblant, la hipótesi estratègica de partida era, en sintesi, la mateixa que havia dissenyat el CCC : la recuperació del català seria possible combinant l'impuls espontani de la societat amb l'impuls institucional. Aquest últim havia d'assegurar l'ús generalitzat de la nostra llengua a l'Administració, al sistema educatiu i a la ràdiotelevisió de titularitat pública, i proporcionar mesures de promoció i suport en els altres camps (singularment, a les empreses privades). L'impuls social faria la resta. Cal fer constar, però, que no s'havien complert dues premisses importants incloses en el plantejament del CCC : En primer lloc, que la Constitució de 1978 i l'Estatut de 1979 implanten un marc plurilingüe desigual i asimètric, basat en l'oficialitat exclusiva del castellà en els òrgans comuns de l'Estat i un règim de doble oficialitat compartida del català amb el castellà a Catalunya, a diferència de l'oficialitat estatal compartida i l'oficialitat territorial única del català que havia pressuposat el CCC. D'altra banda, que tampoc no es partía — com havia propugnat el CCC — de la unitat d'actuació en política lingüística entre tots els territoris de llengua catalana. La primera legislatura (1980-84) : implantació del model inicial Entre els anys 1980 i 1984, la política lingüística es va concentrar en el desenvolupament del marc jurídic i Normalització Lingüística que agrupa représentants de tots els departaments del govern. El mateix any 1980 fou presentat al Parlament de Catalunya el text de la proposició de Liei de Normalització Lingüística que seria aprovada sense cap vot en contra el 1983 (Liei 7/1983, de normalització lingüística a Catalunya) i és encara vigent. La DGPL s'estructurà des de 1980 en tres serveis : el de Normalització Lingüística encarregat de l'extensió de l'ús del català - , el d'Assessorament Lingüístic - dedicat a la difusió extraescolar del coneixement de català i a l'elaboració i difusió deis llenguatges d'especialitat - i l'Institut de Sociolingüistica Catalana - que s'ocupa de les recerques sobre la situació de la llengua. Amb lleugeres modificacions, aquesta és encara la seva estructura. Cal subratllar, però, que alguns camps molt importants de la política lingüística van ser assumits des del principi per altres departaments de la Generalität, i no per la DGPL. Aixi, en l'àmbit de l'administració pública, l'actuació correspon al Departament de Governació; en l'àmbit educatiu, al Departament d'Ensenyament, i quant als mitjans de comunicació, la Corporació Catalana de Ràdio i Televisió és un organisme adscrit al Departament de Presidència. La

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necessitat de mécanismes de coordinació interdepartamental vinculats a la DGPL va portar 1 la creació poc després de la Liei 7/1983 d'una Comissió per a la Normalització Lingüística que agrupa représentants de tots els departaments del govern. Des d'un punt de vista territorial, a cadascuna de les delegacions del Departament de Cultura s'hi va assigner personal tècnic de política lingüística. El més destacable en aquest front, però, és la cooperació que es va establir des del primer moment entre els poders locals i la DGPL, que va permetre una incidència generalitzada a tot el país i una actuació unitària entre nivells (liferents de l'administració, per damunt de les discrepàncies de signe politic. Així, per mitjà de convenís, es van poder establir a molts punts del territori cursos de català per a adults, serveis municipals de català i Centres de Normalització Lingüística. Aquest esforç legislatiu i organitzatiu, acompanyat de l'ús oficial creixent del català a les institucions autonòmiques i locals, de l'extensió graduai del català com a llengua vehicular del sistema educatiu i de l'èxit de les emissores publiques de ràdio i, sobretot, de la Televisió de Catalunya (TV3), són els fets més significatius de la legislatura 1980-84. Apuntem també el notable impacte de la primera gran campanya de sensibilització que tingué Hoc durant la temporada 1981-82 sota el lema «El català, cosa de tots», amb una nena anomenada Norma com a protagonista. L'adhesió de la societat catalana al projecte de normalització lingüística fou general — malgrat algún signe d'oposició, com un manifest signât el 1981 per professionals de llengua castellana—. Les coses començaven, dones, amb bon peu. La legislatura 1984-88 : l'expansió i els limits del model Al llarg de la legislatura següent hom intenta aprofitar al màxim les potencialitats del marc jurídic i organitzatiu que acabem de descriure, i al mateix temps que s'aconsegueix una transformació significativament positiva de la situació lingüística existent el 1980, es constaten les limitacions del model i la difîcultat de transcendir-les. Pel que fa al marc jurídic, per exemple (i a la veu judicial de Corbeil), d'una banda es regula l'ús generalitzat del català a la Generalität per mitjà del Décret 107/86, però de l'altra és objecte d'impugnació i suspès en la seva aplicació l'article 34 de la Liei 17/1985, sobre la Fundó Pública de la Generalitat de Catalunya, que establia l'exigibilitat de coneixements oráis i escrits a tot el personal al servei de l'administració autonómica. La sentència del Tribunal Constitucional — finalment favorable a la Generalitat — es faria esperar fins al febrer de 1991, quan la major part del personal ja havia consolidât el seu lloc de treball. Mentrestant, diverses sentències del mateix Tribunal, emeses el juny de 1986, havien anul.lat alguns articles de les lleis de normalització de Catalunya, el País Base i Galicia. En concret, foren suprimits dos articles de la Liei 7/1983 (relatius a la primacía del text català de les lleis del Parlament de Catalunya i a la possibilitat d'actuació judicial de la Generalitat en defensa dels drets linguistics dels ciutadans). Així quedava fixât un limit interpretatiu al règim de doble oficialitat Tot i això, l'evolució de la situació lingüística presentava signes positius, tal com hem dit. El cens linguistic de 1986 indicava que el 90 % de la població entenia el català, un 64 % el parlava, un 60 % el llegia i un 32 % l'escrivia. Entre la població de 10 a 19 anys, les xifres encara eren

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més elevades : 97 %, 78 %, 80 % i 63 %, respectivament. Si tenim en compte que les estimations de 1980 eren que prop del 80 % entenia el català i sols un 60 % sabia parlar-lo, ens farem càrrec de l'impacte de la nova política lingüística. També el procès d'estandardització i especialització funcional de la llengua havia fet avanços : no sois la difusió i l'acceptació social i territorial de l'estàndard català s'havia eixamplat notablement, sinó que el Centre de Terminologia TERMCAT, créât el 1985 per acord entre la Generalität i l'Institut dEstudis Catalans, feia més fácil el cultiu i l'expansió de les llengües d'especialitat L'ús de la llengua catalana es pot dir que cap a 1988 era habitual a l'administració local i autonómica (no a l'administració perifèrica estatal o a la judicial), fet insólit el 1980; en el camp educatiu, un 40 % dels alumnes de primària rebien l'ensenyament en català (amb uns 60.000 alumnes seguint programes d'immersió), el 40 % dels centres de secundària ensenyaven en català almenys dues matèries per curs i a les universitats prop de la meitat deis cursos s'impartien en llengua catalana (el curs 1978-79 el 55 % dels centres de batxillerat i el 32 % dels alumnes de primària de Barcelona encara no tenien ni tan sols classe de català); les edicions en català havien fet un salt notable (dels 1 132 títols de 1978, als 4 145 de 1987); les emissions de televisió en català havien passat d'un 12 % del total el 1980 a prop del 50 %, amb una audiència equiparable a les emissions en castellà (l'entrada en funcionament el 1988 de canals privats de televisió, que emeten sols en castellà, alteraría però aquest equilibri). En canvi, l'evolució de la premsa diària en català era molt més lenta (del 6 % de la difusió el 1980 al 12 % el 1988), i la presència del català en el vídeo, el cinema, la informàtica i les activitats econòmiques no progressava gaire, malgrat diverses campanyes sectorials de promoció impulsades per la DGPL. Els signes evolutius, dones, eren ambivalents, i els progressos, més lents del que molta gent havia previst. L'any 1986, el Segon Congrès Internacional de la Llengua Catalana va mobilitzar sectors nombrosos de la societat en un detallat balanç de la situació sociolingüística, que en realitat consistía en diversos congressos simultanis a diferents ciutats deis Països Catalans : Plantejaments i processos de normalització lingüística (Lleida), Dret (Andorra), Mitjans de Comunicació (Perpinyà), Sociología de la llengua (Girona), Ensenyament (Tarragona), Història de la llengua (València) i Lingüística Social (Palma). Les sessions i les conclusions d'aquest congrès van servir, alhora, per avaluar els avanços, per identificar els obstacles més importants i per subratllar la necessitat d'una planificació global en el procès de normalització lingüística. La idea de planificació transcendía d'aquesta manera els cercles de sociolingüistes per convertir-se en una aspiració coLlecüva. Poe després, el 1987, la DGPL impulsava la creació d'un grup de funcionaris de planificació lingüística en el Cos Especial de Titulats Superiors de la Generalität de Catalunya. El programa depositions per a l'accès a aquest grup consta deis apartats següents : sociolingüística general (7 temes), sociologia i psicologia social (7 temes), la situació lingüística internacional (10 temes) i planificació lingüística (16 temes). La planificació lingüística era adoptada, dones, explícitament com a tècnica de treball en la política lingüística de Catalunya.

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Pel mateix temps, la Universität de Barcelona, amb la coLlaboració de la DGPL, iniciava també, entre els estudis de tercer cicle en lingüística aplicada, un Màster en planificació i serveis linguistics, destinât a la formació de professionals capaços de fer-se càrrec de la gestió dels serveis linguistics de les organitzacions complexes. Les tècniques de planificació lingüística s'estenien així també al sector privat. La legislatura 1988-92 : un canvi de paradigma A finals de 1988, diverses raons afavorien la consciència cada vegada més clara de la necessitai d'una renovació en el model de política lingüística seguit fins aleshores per la Generalität. D'una banda, es tractava de raons internes : la mateixa evolució de la situació lingüística plantejava noves possibilitats i noves exigències, que es podrien resumir dient que l'extensió dels coneixements de català entre la població obria una etapa que s'havia de centrar en l'extensió del seu ús social; l'anàlisi crítica de l'experiència de prop d'una década de política lingüística autonómica presentava nombrosos modus de reflexió i reconsideració, ja plantejats en part pel Congrès de 1986. Però també en un ordre més ampli i extern es presentaven elements dignes d'atenció : les perspectives de reajustament del model de lïstat autonòmic espanyol i el procès d'integració europea obligaven també a una visió renovada de la política lingüística. Ens trobàvem sens dubte en una etapa de replantejament general, de canvi qualitatiu, de definició d'un nou paradigma. Al mateix temps, però, aquesta consciència anava acompanyada de la convicció que es tractava d'un canvi tan necessari com difícil, ja que anava indestriablement lligat al rellançament de totes les aspiracions collectives dels catalans — socials, econòmiques, culturáis o politiques. Perqué el procès no originés tensions o divergències socials innecessàries, calia plantejar-lo com una transformació protagonitzada i assumida majoritàriament per la societat, proporcionant als représentants qualificats de tots els sectors uns elements de reflexió i uns canals per debatre la readaptació dels esquemes de normalització lingüística i per redefinir les seves formes d'implicació en aquest rellançament del canvi sociolingüístic. Així, durant l'any 1989, la DGPL va iniciar dues línies complementàries d'actuació : I.- Un conjunt d'estudis sobre la situació sociolingüística i les possibilitats de transformar-la, que consta de dos blocs : a) Un treball coordinai per l'Institut de Sociolingüística Catalana, amb participació d'experts catalans i estrangers, que consta de tres apartats complementaras : 1) L'anàlisi de la situació del català en els diversos sectors socials; 2) L'estudi de la dinàmica dels processos de canvi social i dels factors que poden influir sobre l'evolució de la llengua, i 3) La selecció d'experiències de planificació lingüística desenvolupades en altres pai'sos. Aquest conjunt d'estudis ha estât publicat recentment (v. Estudis i propostes, 1991). b) Un estudi elaborai per diversos juristes sobre les possibilitats máximes que ofereix el marc constitucional i estatutari per a la normalització del català, inclosa l'actualització del marc legislatiu de la política lingüística. Aquests treballs havien d'oferir les bases sociolingüístiques i juridiques per a un debat social sobre la nova política lingüística.

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IL- La configuració d'un Pia General de Normalització Lingüística (PGNL) on totes les institucions publiques i privades vegin especiñcat el seu paper i la seva participació en el procès. Amb aquesta finalitat, s'ha impulsât el desplegament d'una estructura organitzativa tècnicament capacitada per actuar en els (liferents sectors socials i els diversos territoris com a agents de la nova etapa de política lingüística. Així, s'ha potenciat la Xarxa Tècnica de la Comissió de Normalització Lingüística de la Generalitat, que ha començat a elaborar coordinadament els projectes anuals de política lingüística de cada departament; des de 1988, s'ha creat un Consorci per a la Normalització Lingüística com a organisme d'acció concertada entre els poders locals i la Generalitat, amb una implantació territorial que abasta gairebé tot el territori de Catalunya; ñnalment, s'ha promogut la creació de serveis linguistics a tots els sectors de la societat civil : organitzacions empresarials, sindicáis i de consumidors; universitats, federacions esportives, etc. La formació del personal tècnic que s'ha de fer càrrec d'aquests serveis ha estât objecte d'atenció especial : a part de l'organització del gnip de funcionaris de planificació lingüística, al quai s'han incorporât ja tres promocions, la DGPL s'ha ocupat de promoure nombrosos cursos específics sobre didáctica de la llengua, assessorament lingüístic i dinamització sociolingüística, i ha col.laborat en les tres séries del Màster de planificació i serveis linguistics de la Universität de Barcelona. En una altra dimensió organitzativa, la Ilei 8/1991 expressava el més alt reconeixement a l'Institut d'Estudis Catalans com a autoritat académica per a la llengua catalana, i el Decret 28/1991 creava el Conseil Social de la Llengua Catalana, òrgan de gestació del nou consens i d'implicació participativa de les institucions més representatives de la societat. El presideix el mateix President de la Generalitat de Catalunya i en formen part représentants de l'Institut d'Estudis Catalans, el Tribunal Superior de Justicia, organitzacions empresarials i sindicáis, associacions de municipis, grans mitjans de comunicació, etc. Des de la mateixa sessió constitutiva, la DGPL va proposar al Conseil Social la seva participació en l'elaboració d'un Pia General de Normalització Lingüística, començant per definirne l'objectiu general i contribuint gradualment a dissenyar les estratègies més adequades per a cada sector de la política lingüística, a partir de les quals es puguin articular com un tot coherent els programes d'actuació de la DGPL, deis departaments de la Generalitat, del Consorci per a la Normalització Lingüística i de tots els altres serveis linguistics. En sessió plenària de 18 d'octubre de 1991, el Conseil Social de la Llengua Catalana adoptava l'acord de participar en l'elaboració del PGNL. El Pía General de Normalització Lingüística Segons l'acord esmentat, la finalitat del PGNL és, partint de la innegable relació entre les transformacions econòmiques, socials o politiques i el canvi sociolingüístic, aconseguir que s'articulin entre si la resposta de la societat civil i la intervenció deis poders publics davant d'aquestes transformacions.

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El PGNL considera cinc eixos complementaris : el context europeu i internacional, el marc estatal, els territoris de llengua catalana, el funcionament lingüístic deis organismes (privats i publics) i la definició d'estratègies sectorials prioritàries. Tenint en compte la interdependència entre quatre dimensions del canvi sociolingüístíc (l'evolució de la consciència lingüística, la disponibilitat de models lingüístics, la difusió del coneixement de la llengua i l'extensió del seu ús social), la principal hipótesi estratègica del PGNL és que la transformació gradual del comportament lingüístic de les persones ha de ser el résultat del canvi també gradual del funcionament lingüístic deis organismes que vertebren la societat i influeixen en tots els ordres de la vida individual — entitats publiques i privades de tot tipus, de treball o de Heure. Els principis que regeixen l'elaboració i l'execució del PGNL són : participació, manteniment de la consciència de canvi en curs, gradualitat, globalitat sistemàtica, rendibilitat màxima, procediments preferentment persuasius, consens màxim i evitació de conflictes socials, i l'associació de la llengua amb els factors d'innovació i prestigi. L'objectiu general és aconseguir un estadi de normalització lingüística descrit des de dos punts de vista complementaris : col.lectivament, que la llengua pròpia de Catalunya sigui habitualment usada per les institucions publiques i privades en tots els usos públics i s'hi desenvolupi, en condicions de no subordinació, tota l'activitat; i individualment, que siguin plenament respectais els drets lingüístics de cada ciutadà de Catalunya pel que fa al desenvolupament de totes les activitats publiques, professionals, culturáis, socials o de lleure, sabent que els poders públics empanen l'exercici d'aquests drets, sense conculcar el dret coLlectiu de la comunitat lingüística catalana a la llengua pròpia del territori. L'estructura de programes pervista pel PGNL consta de cinc programes sectorials - 1) ús oficial i drets lingüístics, 2) Educació i joventut, 3) Mitjans de comunicació i industries culturáis, 4) àmbit sòcio-econòmic i 5) Món associatiu - , dos programes territorials - 6) Actuació territorial i 7) Projeccció exterior - i tres programes de suport - 8) Recerca sociolingüística, 9) Estandardització i 10) Suport tèe nie i administratiu - . Conclusió i balanç Si tenim en compte l'enorme complexitat de les institucions publiques i privades que influeixen en l'evolució de la situació lingüística, el grau de coordinació unitària aconseguit fins ara en la planificació lingüística a Catalunya es pot considerar satisfactory El Conseil Social pot contribuir eficaçment a unir els podere públics i la societat civil entom d'unes mateixes estratègies a llarg termini, degudament actualitzades i ajustades a les transformacions socials. És previsible, per exemple, que els programes de 1993 de tots els serveis lingüístics puguin començar a ajustarse ja a un mateix marc estratègic. D'altra banda, durant la legislatura que acaba de començar, tot fa pensar que serán presentats al Parlament de Catalunya dos projectes de Ilei decisius : el de l'Estatut del Consumidor, amb un capítol de protecció deis seus drets lingüístics, i el d'actualització de la Liei de Normalització Lingüística.

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No obstant això, no podem ignorar les dificultats que representará aconseguir una bona articulació general : probablement, tan sols després d'uns anys es notará una dinàmica unitària en la planificació lingüística i és possible que tot i això encara subsisteixin manques de coordinació en alguns punts. Els màxims esforços dels responsables de la política lingüística catalana al llarg de la legislatura 1992-96 s'hauran d'orientar, per tant, a aconseguir un rang i una centralitat suficient per als òrgans directius del PGNL : el moment actual requereix una atenció globalment integrada, primordial i constant per part del govern de Catalunya.

Referències Corbeil, Jean-Claude (1988), «La política lingüística quebequesa : una fuga perpètua a tres veus», dins Parés & Tremblay (1988 : 117-136). Estudis i propostes per a la difusió de l'ús social de la llengua catalana (1991), Barcelona, Generalität de Catalunya. Parés, Manuel i Gaétan Tremblay (eds.) (1988), Catalunya, Quebec : dues nacions, dos models culturáis, Barcelona, Generalität de Catalunya.

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Jacques Maurais Conseil de la languefrançaise(Québec)

L'aménagement linguistique au Québec et dans les pays de l'ancien empire soviétique : contrastes et similitudes

De 1989 à 1991,12 des 15 républiques fédérées de l'ancienne Union Soviétique ont adopté des lois linguistiques dont la portée est aussi étendue que celle de la Charte de la langue française du Québec. Ce sont, par ordre chronologique : l'Estonie (18 janvier 1989), la Lituanie (25 janvier et 20 février 1989), la Lettonie (5 mai 1989), le Tadjikistan (22 juillet 1989), le Kazakhstan (22 septembre 1989), la Kirghizie (23 septembre 1989), la Moldavie (1 e r septembre 1989), l'Ouzbékistan (octobre 1989), l'Ukraine (28 octobre 1989), la Biélorussie (26 janvier 1990), le Turkménistan (24 mai 1990) et la Russie (25 octobre 1991).1 Les trois républiques restantes, la Géorgie, l'Arménie et l'Azerbaïdjan, ont plutôt adopté des programmes de développement linguistique. Le gouvernement soviétique, dans une tentative pour encadrer ces diverses initiatives d'aménagement linguistique, a rédigé une loi générale (loi du 24 avril 1990). Dès avant la dissolution de l'Union Soviétique, le processus de législation linguistique avait atteint le niveau des républiques autonomes (Mikhal'chenko et Pigolkin, 1991 : 341) : la Karakalpakie, territoire situé en Ouzbékistan (loi du 1 e r décembre 1989) de même que la Tchouvachie (27 octobre 1990) et Touva (14 décembre 1990), ces deux dernières régions faisant partie de la Fédération de Russie. Depuis la disparition de l'Empire, le processus législatif s'est poursuivi et la plupart des territoires autonomes de la Russie envisageraient maintenant l'adoption de lois linguistiques (Mikhal'chenko, communication personnelle). Nous avons pu consulter les projets de loi de sept autres républiques autonomes, toutes situées dans la Fédération de Russie : la république des Komis, la Tatarie, la Yakoutie, la Kalmoukie, le Daghestan, la Mordovie et la Bouriatie. La plupart de ces textes législatifs ont un trait commun, c'est d'être ce que la sociolinguistique catalane a appelé des lois de normalisation, la normalisation étant ici entendue comme un processus destiné à corriger une situation sociolinguistique indésirable résultant d'un processus historique d'acculturation, de minorisation et de colonisation. Ainsi que l'affirme Aracil (1982 [1965] : 33; trad.), ... une véritable normalisation ne peut se limiter aux aspects 'purement' linguistiques mais doit aussi prendre en compte de nombreux facteurs sociaux, donc essentiellement politiques. [...] L'action est condamnée à l'échec si elle n'avance pas simultanément sur un double front : linguistico-culturel (développement des fonctions socioculturelles de la langue) et sociopolitique (réorganisation des fonctions linguistiques de la société). Contrairement à ce que d'aucuns imaginent, la réorganisation 'interne' du système linguistique n'est pas l'objectif poursuivi par la normalisation. Nous avons déjà eu l'occasion de présenter les principaux éléments de la plupart de ces textes législatifs dans un certain nombre d'articles auxquels nous renvoyons le lecteur (Maurais, 1990; 1991 a et b; 1992).

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Dans de telles circonstances, la loi devient un projet linguistique collectif destiné à réadapter au courant historique considéré comme normal une situation jugée anormale. Q nous apparaît donc nécessaire d'établir une distinction, en aménagement linguistique, entre, d'une part, lois de normalisation linguistique et, d'autre part, lois linguistiques à caractère plus général. Dans la première catégorie peuvent être rangées la Charte de la langue française du Québec, les lois (précisément appelées de «normalisation linguistique») de la Catalogne, du Pays Basque, de la Galice, des Baléares, etc., et la quasi totalité des lois linguistiques adoptées dans l'ex-U.R.S.S. depuis 1989. Dans la seconde catégorie figurent des textes législatifs qui ne constituent pas, en quelque sorte, un projet de société : citons, à titre d'exemples, la loi du 31 août 1989 de la Moldavie «sur la restitution de la graphie latine à la langue moldave» ou bien la loi 178 du Québec faisant suite au jugement sur l'affichage et la publicité commerciale rendu le 15 décembre 1988 par la Cour Suprême du Canada. Déjà l'ex-empire soviétique constituait un incroyable laboratoire pour l'aménagement linguistique : quelque 130 langues maternelles (dont au moins 45 utilisées dans l'enseignement), 15 républiques fédérées, 20 républiques autonomes, 8 régions autonomes et 10 arrondissements nationaux (voir Creissels, 1977 ou Comrie, 1981). L'adoption, par les divers gouvernements de ce territoire, d'une vingtaine de lois de normalisation linguistique devrait contribuer considérablement à la réflexion sur les modes d'intervention juridique pour assurer le statut des langues. Dans le cadre du présent article, nous nous proposons d'examiner, à la lumière des récentes expériences d'aménagement linguistique dans l'ex-U.R.S.S., quelques propositions ou quelques principes formulés par Jean-Claude Corbeil dans certains de ses ouvrages. Ce sont surtout les textes juridiques qui seront soumis à l'examen, étant donné l'absence de description de la situation sociolinguistique de l'ex-U.R.S.S. (notée dans Solncev et al., 1990) et les difficultés à obtenir des renseignements sur autant de cas d'aménagement linguistique. La démarche ici adoptée pourra certainement être taxée d'ethnocentrique, car c'est à la lumière de l'expérience québécoise que seront jugées les expériences d'autres pays mais, en l'absence d'une théorie générale de l'aménagement linguistique pouvant sous-tendre ce genre de comparaison, il peut difficilement en être autrement; il faut donc accepter les risques et les contraintes de la méthode choisie. Il va sans dire que, compte tenu de l'espace limité imparti aux collaborateurs des Mélanges Corbeil, il a fallu faire un choix, assez subjectif, quant aux éléments qui seront ici présentés. * * *

Dans «Théorie et pratique de la planification linguistique», conférence inaugurale présentée en 1978 lors du cinquième congrès de l'Association internationale de linguistique appliquée, JeanClaude Corbeil affirmait : «Toute intention d'aménagement linguistique suppose que l'on connaît fort bien la situation linguistique de départ..» (Corbeil, 1986 : 20). C'était là, pour Jean-Claude Corbeil, le premier principe de l'aménagement linguistique et il devait servir à éviter le «fort danger d'impressionnisme [...], provenant aussi bien de la complexité du phénomène que du jeu

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inconscient des a priori et des préjugés». Le Québec offre une situation idéale pour l'application de ce premier principe, puisque deux commissions d'enquête y ont examiné la situation linguistique (la Commission royale d'enquête sur le bilinguisme et le biculturalisme, dite Commission Laurendeau-Dunton, créée en 1963 par le gouvernement fédéral; la Commission d'enquête sur la situation de la langue française et sur les droits linguistiques au Québec, dite Commission Gendron, créée par le gouvernement du Québec en décembre 1968) et que cette analyse se continue grâce à l'action de divers organismes gouvernementaux (Office et Conseil de la langue française; Commissariat des langues officielles, pour ce qui relève du gouvernement central). Aucune des lois de normalisation linguistique votées dans les différents territoires de l'ancien empire soviétique n'a bénéficié d'une analyse exhaustive et préalable de l'état de compétition entre les différentes langues en présence. Cette faiblesse n'est pas passée inaperçue de certains législateurs. C'est ainsi que, dans la loi de Russie, on peut lire : «La protection sociale des langues prévoit la réalisation d'une politique linguistique basée scientifiquement et orientée vers la conservation, le développement et l'apprentissage de toutes les langues des peuples de la Fédération de Russie...» (art. 4, § 2); on trouve la même formulation dans la loi de la Tatarie (art. 4). Il s'agit bien, me semble-t-il, d'une reconnaissance implicite du manque d'études scientifiques préalables à la prise de décision. Un tel amateurisme ne doit pourtant guère surprendre dans un pays qui a offert à la science universelle des Lyssenko et des Marr et où un dictateur, en l'occurrence Staline, s'est amusé à intervenir dans les débats théoriques de la linguistique! * * *

L'étape suivante du processus d'aménagement linguistique est décrite ainsi par Jean-Claude Corbeil (1986 : 23) : «Quand la situation linguistique que l'on désire atteindre est définie, il faut ensuite mettre au point une stratégie qui permettra de passer de la situation de départ à la situation cible.» Il ajoute un peu plus loin : «Les principales personnes, physiques ou morales, responsables de prendre les dispositions propres à réaliser la politique linguistique, doivent rendre compte, périodiquement, des mesures qu'elles ont prises à cette fin devant une personne ou un organisme dûment mandaté, et doté d'autorité.» Même si cela n'est pas dit en toutes lettres, on peut sans doute déduire de ce passage que la mise en application d'un projet d'aménagement linguistique doit se faire, le plus souvent, par l'intermédiaire d'un organisme spécialement mandaté, comme l'Office de la langue française au Québec ou la Direction générale de la politique linguistique en Catalogne ou au Pays Basque; lorsque Jean-Claude Corbeil suggère qu'une personne en particulier puisse être chargée de contrôler l'application d'une politique linguistique, il pense probablement au Commissaire aux langues officielles du Canada, responsable devant les deux Chambres et assisté d'un personnel lui permettant d'assurer le suivi de la mise en oeuvre des dispositions législatives. Comment la mise en application des lois linguistiques se fait-elle dans les pays de l'ancienne Union Soviétique? En Estonie, en Lituanie, en Moldavie, en Kirghizie et en Ouzbékistan, cette

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application relève de la «responsabilité personnelle» des cadres. Au Kazakhstan et en Ukraine, elle se fait par le Conseil des ministres, au Turkménistan et au Tadjikistan par le Conseil des ministres, les soviets locaux et leurs organes exécutifs, les ministères, les comités gouvernementaux et les offices de même que les dirigeants des entreprises, institutions et organisations. Quant au contrôle de l'application de la loi, il s'effectue, dans tous ces cas, par le Présidium du Soviet Suprême, dans certains cas aussi par le Conseil des ministres ou les soviets locaux. Pour l'Estonie, la Lettonie, la Moldavie et l'Ouzbékistan, la loi ajoute la mention d'une Commission linguistique créée soit par le Présidium du Soviet Suprême, soit par le Soviet Suprême. On trouve les mêmes mesures d'application et de contrôle dans les républiques autonomes (sauf en Kalmoukie et en Mordovie, où les projets de loi sont muets à ce chapitre et en Yakoutie et en Bouriatie, où les projets de loi attribuent ces responsabilités aux fonctionnaires et aux employés des entreprises en général!). Il est remarquable de constater que, contrairement à ce qui s'est passé dans d'autres pays, aucun organisme n'est spécifiquement créé pour faire appliquer les lois linguistiques. Les Commissions de la langue mentionnées dans certains textes (Estonie, Lettonie, Moldavie, Ouzbékistan, Karakalpakie et république des Komis) sont des commissions parlementaires plus que des organismes d'aménagement linguistique. Sauf erreur, seule la Russie a prévu la création d'organismes nouveaux et encore ne s'agit-il pas là d'organes chargés de la mise en oeuvre de la politique linguistique : un Institut des langues des peuples de la Fédération pour donner des garanties scientifiques au plan d'action linguistique du gouvernement et un Service des traductions.2 Dans ces conditions, il est permis de se demander si les mesures contenues dans tous ces textes législatifs seront effectivement mises en oeuvre. Les renseignements recueillis lors d'un séjour à Tallinn en juin 1990, un an et demi après l'adoption de la loi estonienne, indiquent que cette dernière a été peu suivie d'effet. Le même constat a été dressé par le Conseil des ministres de Touva : «Pour toutes sortes de raisons, la mise en application de la loi se fait à un rythme lent.»3 À notre connaissance, un seul rapport a été publié sur l'évaluation de l'impact d'une de ces lois linguistiques. Π s'agit d'un article rédigé par Sarma Klavina (1991), titulaire de la chaire de langue lettone à Riga et une des personnes ayant travaillé à la rédaction de la «Loi sur les langues» de la Lettonie. Elle note que, près de deux ans après son adoption, la loi n'est toujours pas appliquée même si 14 de ses 23 articles sont déjà entrés en vigueur. La moitié de la population de la république4 ne connaît pas le letton et ne sent même pas le besoin de l'apprendre (en revanche, 80 % des lettophones connaissent le russe). Elle se demande si, dans ces conditions, le temps n'est pas venu de rédiger une nouvelle loi, non plus une «Loi sur les langues» mais une «Loi sur la langue officielle». La nécessité s'impose aussi, croit-elle, de créer un organisme gouvernemental d'aménagement linguistique. 2 3 4

Décret du 25 octobre 1991 paru dans la Rossijskaja Gaie ta du 11 décembre 1991. Décret n° 16 du 17 janvier 1992 de la République de Touva. Pour mieux saisir l'enjeu démolinguistique, voici la composition ethnique de la Lettonie en 1989 : Lettons 52 % (mais 62 % en 1959), Russes 34 %, Biélorusses 4,5 %, Ukrainiens 3,5 %, Polonais 2,3 %, autres 3,7 % (GOSKOMSTAT, 1991: 16).

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Dans plusieurs de ses écrits, Jean-Claude Corbeil a insisté sur une distinction essentielle à ses yeux : la différence entre communication individualisée et communication institutionnalisée. Il consacre près de trois pages à cette analyse dans L'aménagement linguistique du Québec (Corbeil, 1980 :78-81). Il précise encore davantage, dans un autre texte, la motivation profonde qui est à la base de cette distinction; c'est qu'en aménagement linguistique il ne saurait être question de faire reposer une transformation sociale aussi considérable que la récupération des fonctions d'une langue sur les épaules d'individus isolés : nous croyons [...] qu'il est dangereux de faire peser le changement linguistique uniquement sur les individus. Leur responsabilité, en la matière, est très limitée. Chacun le sait d'instinct dans sa vie quotidienne. Trop faire appel à la responsabilité de l'individu pour obtenir des changements significatifs à une situation linguistique donnée conduit tout droit à une sorte de sentiment d'impuissance collective et à la dégradation accélérée de cette situation, comme le Québec l'a fort bien expérimenté entre la fin du xix e siècle et le début des années 60 (Corbeil, 1986 : 5).

La distinction entre communications individualisées et communications institutionnalisées soustend l'armature de la Charte de la langue française, qui a principalement pour objectif de déterminer le comportement linguistique des institutions, même si la distinction n'apparaît pas comme telle dans le texte lui-même. Il n'a pas paru nécessaire de préciser que le législateur n'intervenait pas dans les communications privées entre individus. Par contraste, il est curieux de constater que plusieurs régions de l'ancienne Union Soviétique ont cru devoir préciser, dans leur loi linguistique, que celle-ci ne concernait pas les relations interpersonnelles. À titre d'exemple, voici le texte de l'article 1, § 2, de la «Loi sur les langues des peuples de la Fédération de Russie» : La présente loi embrasse les sphères des relations linguistiques soumises à la régulation juridique et ne fixe pas de nonnes juridiques d'emploi des langues des peuples de la Fédération de Russie dans les relations inteipersonnelles non officielles ni dans les activités des associations et organisations sociales et religieuses.

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Dans la conférence qu'il a donnée Ion de la Biennale de la langue française de Moncton, JeanClaude Corbeil a émis un autre principe, celui-ci difficilement généralisable bien entendu puisqu'il vise d'abord le Québec : «La société québécoise ne doit pas être une société bilingue» (Corbeil, 1986: 3). Il précise sa pensée en introduisant les distinctions, d'une part, entre bilinguisme comme projet individuel et bilinguisme comme projet collectif et, d'autre part, entre bilinguisme institutionnel et bilinguisme fonctionnel. Pour lui, ce sont le bilinguisme comme projet collectif et le bilinguisme institutionnel de la société québécoise qui sont rejetés au profit du bilinguisme fonctionnel et du bilinguisme individuel : Le Québec a rejeté le bilinguisme comme institution et a accepté le bilinguisme fonctionnel, mais en étant très rigoureux sur les raisons motivant l'emploi d'une autre langue, décrétant le principe que l'usage du français

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Les lois linguistiques de l'ancienne Union Soviétique offrent, à l'égard de cette façon de considérer le rôle du bilinguisme, un contraste particulièrement frappant. Ce sont, en effet, des lois dont l'objectif est plutôt de faire la promotion du bilinguisme (voir, par exemple, l'opinion de Rannut, 1989 : 19 à propos de la loi estonienne). Nous avons déjà eu l'occasion de montrer ailleurs (Maurais, 1990 et 1991) les raisons de ce choix. Compte tenu de la composition démolinguistique de la plupart de ces républiques, où la population russophone est beaucoup moins bilingue que la nationalité titulaire et où cette dernière est parfois (comme en Lettonie ou en Estonie) encore à peine majoritaire et à l'occasion même minoritaire dans quelques grandes villes (quand ce n'est pas dans les capitales elles-mêmes), l'imposition du bilinguisme revient, dans les faits, à imposer aux russophones l'apprentissage de la langue officielle de chaque nouveau pays. C'est la première étape d'un plan visant à redonner, à toutes ces langues, un statut vraiment majoritaire en transférant le fardeau du bilinguisme sur les épaules de le population d'origine russe ou assimilée à la langue russe. La situation des langues à la fin de l'ancien empire soviétique constitue bel et bien un état de diglossie, celle-ci étant entendue au sens d'une inégalité impliquant une distribution fonctionnelle entre deux langues (sur l'origine et l'évolution du concept de diglossie, voir Prudent, 1981). Les Estoniens Mati Hint (1988a : 48) et Mart Rannut (1989) n'hésitent pas à employer le terme de diglossie en parlant de la situation linguistique de leur pays et Gak (1990 : 145-146) décrit tous les symptômes d'une situation diglossique même s'il n'ose pas utiliser le mot et même si, surtout, il n'ose pas clairement appliquer ce concept à l'Union Soviétique. Au Québec, depuis le petit ouvrage de Pierre Chantefort (1970) et à l'exception d'un numéro de la Revue québécoise de linguistique théorique et appliquée de 1989 qui ne porte que marginalement sur la situation des francophones québécois, on n'a à peu près rien publié sur la diglossie, comme s'il s'agissait, pourrait-on croire, d'un sujet tabou. La diglossie, en elle-même, n'est pas particulièrement intéressante si l'on se limite tout bonnement à constater une situation d'inégalité entre deux langues. Mais ce qui est, en revanche, essentiel du point de vue de l'aménagement linguistique, c'est d'étudier les représentations diglossiques, c'est-à-dire les constructions idéologiques qui maintiennent, entretiennent et confortent pareille situation inégalitaire. Une telle étude apporte des justifications supplémentaires aux positions de JeanClaude Corbeil sur le bilinguisme. Ce sont surtout les écoles catalane et occitane de sociolinguistique qui se sont penchées sur ces problèmes et dans une perspective, de l'aveu même des Catalans, de conflit linguistique. Les paragraphes qui suivent seront donc fortement redevables aux travaux de ces deux écoles (notamment ceux de Robert Lafont et Henri Boyer du côté occitan, de Lluís V. Aracil et Rafael LI. Ninyoles du côté catalan). Les idéologies diglossiques tendent à mettre l'accent sur les éléments de stabilité d'un système sociolinguistique donné où existe un phénomène de péjoration d'une langue. Ninyoles (1976 : 155) donne la définition suivante du concept d'idéologies diglossiques : «l'ensemble des croyances tendant à consolider la superposition entre les deux langues en conflit». De telles

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idéologies servent à justifier et à perpétuer l'inégalité de fait entre deux langues et elles peuvent être diagnostiquées par l'existence, dans le vocabulaire métalinguistique courant, des dichotomies suivantes : langue normée / langue sans grammaire, langue du progrès ou langue de l'esprit / langue du coeur ou langue des tripes, langue artificielle / langue spontanée, langue culturelle / langue vernaculaire, etc. Nous nous attacherons, dans les lignes qui suivent, à présenter les trois aspects des idéologies diglossiques qui ont été plus particulièrement étudiés par l'école catalane : 1. le mythe bilinguiste; 2. le phénomène de Yauto-odi; et 3. l'inversion de l'inégalité. 1 . Le mythe bilinguiste Ce point a été développé par Aracil (1973), à partir de la définition du mythe donnée par Claude Lévi-Strauss : les mythes sont des solutions pour faire le pont entre deux extrêmes, ils servent à dépasser une contradiction entre deux termes. Les oppositions demeurent latentes parce que, justement, le mythe sert à les dissimuler, mais elles sont quand même là, car autrement il n'y aurait pas de mythe. Le mythe révèle un désir profond de réduire un dilemme douloureux. La transformation du bilinguisme en mythe vise à neutraliser, au moins dans l'imaginaire, les tensions et les incertitudes d'une situation sociolinguistique donnée. Le bilinguisme est un compromis et le louer est la façon la plus simple de réconcilier deux extrêmes. Dans une situation donnée, il faut choisir entre deux langues : ou l'on choisit sa langue maternelle minorée et l'on abandonne ses chances de promotion sociale, ou l'on choisit la langue dominante et l'on renie sa langue maternelle et ses origines. Le mythe bilinguiste est une façon de ne pas choisir, d'essayer de garder les avantages des deux extrêmes. Le mythe remplace alors le choix par la combinaison. Le mythe implique que les deux langues sont compatibles mais en même temps il indique qu'elles ne sont pas et ne peuvent pas être sur un pied d'égalité. Il y a complémentarité parce qu'il y a inégalité. Ce n'est pas la fonction du mythe bilinguiste que de décrire la réalité sociolinguistique car il n'est là que pour cacher une vérité désagréable : il la cache en l'embellissant et en la sublimant. C'est un refus de la réalité qui sert en fait à cacher l'inégalité entre deux langues. Mais, plus profondément, il sert à cacher le changement linguistique car c'est précisément l'inégalité qui est le moteur du changement linguistique. Notons ici que si le changement linguistique est un fait relevant par définition de la diachronie, son moteur sociolinguistique — qui est la perception d'une inégalité entre deux langues — relève de la synchronie : l'inégalité se perçoit en synchronie. L'imposition de la langue dominante est présentée, par les tenants de l'assimilation, c'est-à-dire par les promoteurs du mythe bilinguiste, sous un jour favorable, non pas comme une substitution, comme une disparition à plus ou moins long terme de la langue maternelle, mais comme un enrichissement et cette présentation est teintée de paternalisme : c'est pour leur bien que l'on offre aux locuteurs de la langue dominée la possibilité d'acquérir la maîtrise d'une langue qui leur offre plus de possibilités. Aracil ajoute que le mythe bilinguiste n'est pas né chez les immigrants hispanophones que compte le Pays Valencien : très pauvres, ils ne sont pas bilingues et, de plus, la frontière linguistique de l'arrière-pays (entre espagnol et catalan) est stable depuis déjà très longtemps. En

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revanche, la haute bourgeoisie valencienne s'est assimilée, castillanisée, très tôt et d'elle-même. Les notables ont joué un rôle dans l'assimilation et c'est parmi eux qu'est apparu le mythe bilinguiste, pour servir de paravent à la castillanisation. Pour les personnes qui sont en voie d'assimilation, l'exaltation du bilinguisme joue, selon l'expression pittoresque de Ninyoles (1969 : 43), le rôle des analgésiques en chirurgie : elle prépare le patient en vue de l'opération. 2 . L'auto-odi C'est là une notion introduite par Ninyoles (1969) et c'est la traduction en catalan du terme self-hatred de la psychologie américaine. Ninyoles (1969 : 97) reprend la définition de G.W. Allport (dans The Nature of Prejudice), elle-même basée sur les travaux de Kurt Lewin (Resolving Social Conflicts et Self-Hatred Among Jews) : «sentiment de honte parce que l'on possède les qualités que l'on apprécie le moins dans son propre groupe, que ces qualités soient réelles ou imaginaires». En d'autres termes, c'est «la négation de l'appartenance à son propre groupe» (Ninyoles, 1969 : 105). Le premier effet de l'auto-odi est l'identification au groupe dominant, dont on finit par adopter le point de vue, les valeurs, l'idéologie (c'est l'exemple des Noirs qui se font défriser ou teindre les cheveux en blond). L'auto-odi concerne principalement les individus qui sont en ascension économique (dans leur cas, «mobilité sociale» implique «changement linguistique» ou plus exactement «assimilation»). Ils développent un sentiment d'agressivité envers ceux qui continuent de parler et de défendre leur langue maternelle. L'autoodi s'explique par la conjonction de deux éléments : la pression exercée par le groupe dominant (ce peut être une majorité ou une minorité) et l'acceptation de la situation par le groupe dominé. 3 . L'inversion de l'inégalité La diglossie est fondamentalement un déséquilibre : les deux langues en présence n'ont pas la même importance, elles ne jouissent pas du même statut. Pour restaurer l'équilibre, il faut contrebalancer le rapport de force fondamental. Et un moyen d'obtenir un équilibre consiste en une inversion idéologique de ce rapport. L'idéalisation du terme inférieur—c'est-à-dire de la langue minorée — ajoutera donc une relation inversée — image secondaire et fictive — à l'asymétrie fondamentale : rapport fondamental niveau supérieur niveau inférieur

langue A langue Β

rapport inversé (compensation) langue Β langue A

Source : d'après Ninyoles (1976 : 156)

Pour résoudre le problème présenté par le rapport fondamental langue dominante > langue dominée, les locuteurs de la langue minorée peuvent choisir la solution de dénigrer la langue qui occupe la position supérieure; mais ils peuvent aussi choisir d'idéaliser la langue qui occupe la position inférieure dans le rapport fondamental en créant une image inversée de ce rapport fondamental. C'est ainsi que l'on en vient à souligner les qualités esthétiques de la langue

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dominée — beauté, poésie, finesse, douceur, etc. — par opposition aux caractéristiques moins nobles de la langue dominante — langue «rude» et «sans fioritures», bonne uniquement pour les échanges commerciaux, etc. Mais l'idéalisation n'est pas la seule attitude puisque le dénigrement est aussi possible, comme le montre l'exemple du Pays Valencien, où une partie importante de l'aristocratie terrienne et de la classe moyenne urbaine a adopté l'espagnol et présente le catalan comme une langue rude et à dédaigner, devant être seulement utilisée pour la plaisanterie, les interpellations et les expressions populaires. Ninyoles (1976 : 158) commente de la sorte cet exemple : «On constate que cette attitude, surtout dans la classe moyenne urbaine, est généralement liée à un vif sentiment de haine à l'égard de sa propre personnalité linguistique.» Dénigrement et idéalisation du catalan sont donc les préjugés dominants et, pour Ninyoles, qui prend la comparaison du dieu Janus, il s'agit là des deux faces du même phénomène. Quelle explication Ninyoles donne-t-il pour concilier ces deux attitudes en apparence antithétiques? Il propose le schéma explicatif suivant (basé sur Ninyoles, 1976 : 159) : Attitudes de la couche sociale supérieure envers la langue dominante envers la langue dominée

attitude pratique adhésion (+) dénigrement (-) modèle fondamental

attitude compensatrice désaffection(-) idéalisation(+) modèle inversé

L'histoire des attitudes par rapport au français au Québec est encore à faire en grande partie. Il est évident que plusieurs faits bien connus de notre histoire sont justement à mettre en rapport avec des manifestations d'idéologies diglossiques : ainsi en est-il du «messianisme canadienfrançais», curieusement fondé sur l'agriculturisme, ce qui permettait de perpétuer la main-mise anglophone sur l'économie québécoise. Comme l'écrivait Mi? Louis-Adolphe Paquet dans un discours prononcé le 23 juin 1902 : «notre mission [...] consiste moins à allumer le feu des usines qu'à entretenir et à faire rayonner au loin le foyer lumineux de la religion et de la pensée» (cité par Bouthillier et Meynaud, 1972 : 26). La querelle du jouai, en revendiquant publiquement une variété linguistique stigmatisée, s'inscrit dans le schéma d'inversion de l'inégalité. Et tout le discours sur la mauvaise qualité du français parlé au Québec peut servir en fait, dans bien des cas, à conforter la position dominante de l'anglais, donc s'inscrit dans le cadre des représentations diglossiques, s'il part du principe que la dégradation de la langue est la cause de l'infériorité économique constatée - comme on a tenté de le faire croire pendant longtemps - et non l'inverse; il est en effet faux de croire qu'il n'y a aucun lien entre statut et qualité de la langue. L'étude des représentations diglossiques au Québec est donc une priorité du point de vue de l'aménagement linguistique. Non pas qu'il faille nécessairement postuler que toute la société québécoise fonctionne sur le mode diglossique; mais il y a sûrement des secteurs où la diglossie continue de jouer un rôle non négligeable : ce sont ces fonctionnements diglossiques et les

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représentations mentales destinées à stabiliser une situation de tension sociale et à occulter un conflit linguistique qu'il faudrait étudier. L'analyse de la diglossie ne semble pas plus avancée du côté de l'ancienne Union Soviétique même si, à partir de 1987, un large débat sur le bilinguisme a eu lieu dans toute l'Union, à la suite de la publication d'un article («Le problème du bilinguisme : un regard sans lunettes roses») de l'Estonien Mati Hint (Hint, 1987) qui avait pourtant été en partie édulcoré par la censure (Hint, communication personnelle) : «À l'occasion de cet important échange d'articles, publicistes, linguistes, historiens et scientifiques ont dressé le constat d'une véritable catastrophe nationale. Le bilinguisme étant le plus souvent devenu du 'semi-linguisme' et la langue n'étant plus réservée qu'à des sphères mineures d'utilisation, on assisterait à un effondrement de la culture nationale» (Sokologorsky, 1992 : 157). Ce que l'on peut reprocher à l'analyse de Hint (1987,1988a), c'est de n'être qu'une description quasi uniquement linguistique et, somme toute, assez traditionnelle des effets du bilinguisme sur les deux langues en contact, l'objectif de l'auteur étant de montrer que même la langue dominante, en l'occurrence le russe, sort perdante d'une telle situation puisque, dans les territoires alloglottes, le russe est utilisé sous une forme simplifiée (Hint, 1998a : 47); il n'y a pas de véritable analyse sociolinguistique, encore moins de critique idéologique comme celle qu'a menée Aracil en domaine catalan. * * *

La dernière proposition de Jean-Claude Corbeil que nous allons analyser est la suivante : «Pour désigner une réalité, l'emprunt linguistique demeure le moyen le moins opportun.» Cette prise de position est motivée par le fait que «les emprunts peuvent s'accumuler et qu'à la longue une part importante du vocabulaire d'une discipline est empruntée. Il ne s'agit plus alors d'emprunt, mais de colonialisme terminologique» (Corbeil, 1986 :11). L'histoire du Québec montre en effet que la domination socio-économique d'un groupe linguistique entraîne des effets sur la langue même du groupe minoré, en particulier sur son lexique puisque l'industrialisation faite par des entrepreneurs anglais ou américains a entraîné l'anglicisation de larges domaines terminologiques. La situation sociolinguistique de l'ancienne Union Soviétique montre aussi l'importance que doivent recevoir les emprunts dans toute théorie de l'aménagement linguistique. Pendant des décennies, le thème de la «fusion» (slijanie) ou du «rapprochement mutuel» (vzaimoblizhenie) de langues typologiquement diverses a tenu lieu de politique linguistique (voir, par exemple, Imart 1983). L'«enrichissement» des langues devait se faire à partir du stock lexical russe (Crisp, 1989 : 34). On aboutirait ainsi à une sorte de Sprachbund soviétique, miroir au plan linguistique de la société socialiste du futur; en fait, la langue de cette future société serait le russe et non une macédoine résultant d'un véritable croisement de tous les parlers soviétiques, ce qui aurait pourtant été la conséquence logique de la théorie de la fusion des langues. Q n'est pas étonnant, dans ces circonstances, de constater les effets de cette politique de russification dans le lexique et la structure de plusieurs langues. Guy Imart, qui a étudié le cas du kirghize, langue turque d'Asie centrale, donne des exemples de textes macaroniques où abondent les emprunts au russe et

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d'autres de textes lexicalement kirghizes mais où le sens ne peut être déduit qu'à partir du russe. Imart (1983 : 233) ajoute ce commentaire : «Sociolinguistiquement, l'important n'est pas ce mimétisme vain, cette danse devant le miroir, mais l'impression, qui s'ancre, qu'il n'y a pas de frontière nette entre langue nationale et langue russe, que la première n'est plus que le reflet pâle, sans prestige, sans originalité, relictuel et redondant de la seconde.» Bernard Comrie (1981:34) dit que l'impression qui se dégage de la lecture d'un texte en tchouktche (langue paléo-asiatique) consacré à la vie moderne (et non à un sujet ethnologique) est celle d'un texte comprenant un vocabulaire de base russe auquel s'ajoutent quelques mots étranges et des morphèmes exotiques. Mati Hint (1988b : 241) mentionne qu'en Biélorussie le mélange de russe et de biélorusse qu'on y parle a reçu le nom de «transiank» (au propre, «mélange de foin et de chaume»). Mais c'est surtout à l'analyse de l'influence du russe sur l'estonien que Mati Hint a consacré ses efforts (voir notamment Hint 1990 et 1991) : Hint montre que cette influence n'affecte pas que le lexique mais la structure même de la langue (remplacement des formes verbales traditionnelles de type agglutinatif par des formes analytiques, remplacement de la séquence nom + postposition par la séquence préposition + nom, etc.). Les exemples québécois et soviétiques montrent bien que le rejet, ou plus exactement (au moins dans le cas québécois) l'acceptation contrôlée des emprunts (voir Office de la langue française, 1980), ne provient pas d'un réflexe puriste frileux mais est une nécessité en aménagement linguistique. Les emprunts sont, en effet, une manifestation concrète des rapports qui s'établissent entre deux langues; si les locuteurs d'une langue détiennent une avance dans un domaine quelconque du savoir ou de la technique, les termes de ces disciplines auront de bonnes chances de passer dans les langues étrangères : ainsi en fut-il du vocabulaire français des chemins de fer au XIX e siècle qui contient beaucoup d'emprunts à l'anglais (tunnel, rail, wagon, tender, etc., les deux premiers mots ayant été eux-mêmes empruntés au français quelques siècles plus tôt). Mais lorsque les emprunts se font à une langue dominée, comme par exemple beaucoup d'emprunts faits à l'arabe par le français depuis le début de la colonisation de l'Algérie, les termes ainsi empruntés tendent à recevoir une connotation péjorative alors que les emprunts arabes plus anciens, de l'époque où l'arabe était une langue scientifique de prestige, sont neutres du point de vue des connotations : d'un côté nous avons des exemples comme toubib ou bled, de l'autre alcool, alchimie, sirop, goudron, jupe ou chiffre. Enfin, l'emprunt, même massif, joue certes un rôle dans la communication mais ce rôle peut perdre de son efficacité si le terme emprunté devient trop opaque pour les locuteurs de la langue emprunteuse. En aménagement linguistique, on ne peut donc se permettre d'affirmer sans nuance que l'emprunt est un moyen d'enrichir le lexique tout comme on ne peut se contenter de le rejeter sans autre forme de procès. * * *

Dans les lignes qui précèdent, nous avons essayé de montrer que la comparaison avec des situations étrangères confirme les affirmations de Jean-Claude Corbeil sur l'aménagement linguistique et, dans certains cas, permet de préciser sa pensée en introduisant dans la discussion

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des faits qui étaient absents de la situation québécoise. L'approfondissement de la réflexion en aménagement linguistique ne peut en effet guère se faire sans confrontation avec des expériences étrangères.

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Dirrecció General de Política Lingüística (Palma de Mallorca)

L'aménagement linguistique aux îles Baléares Présentation Les îles Baléares (que je nommerai de leurs noms officiels catalans : Mallorca, Menorca, Eivissa et Formentera) forment l'archipel le plus occidental de la Méditerranée, à l'est de la péninsule ibérique. Elles font partie du territoire de langue catalane, divisé entre trois États, mais dont près de 95 % fait partie de l'Espagne. N'ayant pas de nom officiel, cet ensemble reçoit des dénominations diverses, dont la plus étendue est celle de Pays Catalans·, mais souvent on a recours à des périphrases descriptives, telles que territoires de langue catalane, domaine linguistique catalan, etc. Aperçu historique À cause de leur position stratégique dans la Méditerranée, les Baléares ont été habitées par une longue succession de peuples et d'ethnies, avec peu de rapports entre eux depuis la préhistoire, jusqu'à leur réincorporation définitive au christianisme et à la civilisation occidentale par la conquête catalane au XIIIe siècle. Jacques I e r d'Aragon conquiert Mallorca en 1229, puis Eivissa en 1235 (Menorca sera conquise en 1267); il les repeuple de Catalans et il en fait, avec des comtés pyrénéens qui font actuellement partie de la France, un royaume indépendant qu'il lègue à son second fils (Jacques II). C'est un royaume à double capitale (à Palma de Mallorca et à Perpignan), dont l'indépendance ne dure que 87 ans : en 1349, Pierre III le Cérémonieux le réincorpore «perpétuellement et en union indissoluble» à la couronne catalano-aragonaise, dont les Baléares partageront désormais la destinée : l'expansion méditerranéenne d'abord, qui lui donne l'hégémonie de la Méditerranée et un grand prestige culturel et politique dans toute l'Europe médiévale; le déclin ensuite (à partir du mariage de Ferdinand d'Aragon et d'Isabelle de Castille en 1479), pendant toute l'époque impériale espagnole (XVIe et XVIIe siècles); sa disparition après la guerre de Succession (1713), lorsque toute l'Espagne (à l'exception de Menorca, cédée aux Anglais avec Gibraltar par le Traité d'Utrecht) est soumise aux lois de Castille; et la difficile survie de sa langue et de sa culture dans l'Espagne unifiée, jusqu'à nos jours. En fait, les îles n'ont formé une unité administrative qu'après la réincorporation de Menorca à l'Espagne en 1798. C'est la province espagnole des Baléares, devenue en 1983 la Communauté autonome des îles Baléares — une communauté à construire, à vrai dire, puisque les liens administratifs n'en ont jamais fait une vraie unité.

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Les îles Baléares dans l'histoire de la langue catalane Le seul vrai lien entre les îles est la langue catalane et la culture qu'elle véhicule. Elles ont même joué un rôle capital à certains moments-clés de l'histoire du catalan et de son aménagement. 1. Au Moyen Âge. Le premier grand «aménageur» de la langue catalane — et l'une des plus grandes personnalités de l'Europe médiévale — est Ramon Llull (Raymond Lulle), né à Mallorca quatre ans après la conquête catalane. Il a forgé le catalan littéraire, scientifique et philosophique (voir Badia et Moll, 1960). 2. À la veille de l'aménagement linguistique. Au début du XXe siècle, un autre grand «homme de combat» (Moll, 1962), le majorquin Mossèn («Monseigneur») Antoni Maria Alcover (18621932), a eu une influence décisive pour le réveil de la conscience linguistique des Pays Catalans, qu'il a parcourus d'un bout à l'autre pour diffuser son projet d'un «dictionnaire exhaustif de la langue catalane». Connu sous le surnom d'Apôtre de la langue catalane, il a organisé et présidé en 1906 le premier Congrès international de la langue catalane (Moll, 1981 [1962] : 75-82) et a été le premier président de la section philologique de l'Institut d'Estudis Catalans — dont le document de création, en 1911, constitue un programe d'aménagement du corpus et du statut de la langue. Malheureusement, une suite de graves dissensions (Moll, 1962 : 161-213) l'ont mené à la rupture avec l'Institut et à rejeter les Normes de Fabra (Bastardas, 1987) pour son Diccionari, dont il n'a pu rédiger qu'une partie du premier volume. Il a pourtant autorisé son successeur Francese de Boija Moll (1903-1991) à les adopter après sa mort — survenue en 1932, la même année où les normes de Fabra étaient adoptées (sous le nom de Normes de Castellò) par l'élite des intellectuels valenciens réunie dans la ville de Castellò. 3. Pendant le franquisme. L'implantation des normes s'est faite en même temps dans tous les Pays Catalans, grâce au Diccionari Català-Valencià-Balear (1931-1962, plus connu sous le nom de Diccionari Alcover-Moll) et aux publications de l'Editorial Moli (la première à ouvrir des brèches dans le mur que le franquisme opposait aux livres catalans). Les manuels de grammaire et les travaux de vulgarisation de Moll (1931,1937,1968, etc.; bibliographie complète dans la revue Randa, η® 11, Barcelone, 1981) et du philologue valencien Manuel Sanchis Guarner (1931, 1949, 1950, etc.), son collaborateur de 1943 à 1959, ont été décisifs pour l'implantation de la langue codifiée aux Baléares et au Pays Valencien et pour y éveiller des vocations littéraires. D'autre part, l'Obra del Diccionari, grâce aux secrétariats qu'on a créés à Mallorca, à Barcelone et à Valence pour en rendre possible l'édition, est devenue pendant les années 1950 le moteur de la résistance culturelle catalane. Conférences et expositions sur la langue catalane, cours de langue, formation d'enseignants, édition de livres et de revues..., une tâche énorme a été faite pour la promotion du catalan et la sauvegarde de son unité. Lors de la publication du dernier volume du Diccionari en 1962, ses secrétariats ont été dissous. Des associations privées en ont pris alors la relève dans chaque «pays» et les liens entre les «résistants culturels» des différents territoires sont devenus moins forts, mais ils se sont renoués périodiquement (pour le Congrès de Cultura Catalana, de 1975 à 1977, par exemple), et c'est grâce à l'action de la société civile qu'on a pu faire face à la politique linguistique

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assimilatíonniste de Franco et que nous pouvons affronter le défi de réussir l'aménagement définitif de la langue sous la constitution de 1978. La constitution espagnole de 1978 et l'Espagne des Autonomies La constitution espagnole en vigueur est le fruit d'un grand effort de consensus qui n'a réussi qu'au prix d'une considérable ambiguïté dans les questions les plus épineuses. Ainsi, elle reconnaît le caractère plurilingue et pluriculturel de l'Espagne, «nation indivisible de tous les Espagnols», formée de régions et de nationalités (qu'elle ne définit pas) et organisée en Communautés autonomes, classées en ce moment en trois «catégories» différentes. La Catalogne, dont on a reconnu le caractère de «communauté historique», a le plus haut degré d'autogouvernement; la Communauté Valencienne se trouve dans le groupe intermédiaire, avec d'importantes compétences, notamment celles de l'enseignement, qui restent interdites aux Baléares, dans l'attente d'une réforme des «Statuts de la voie de l'article 143», que le gouvernement central a bloquée. La normalisation linguistique des Pays Catalans — dans le sens que les sociolinguistes catalans donnent à ce terme, comprenant l'aménagement du corpus et du statut de la langue — reste confiée à trois communautés autonomes gouvernées par des partis politiques différents et dont la situation sociolinguistique et le degré de normalisation sont très différents aussi. Les difficultés de l'aménagement Pour comprendre les problèmes auxquels se heurte l'aménagement linguistique aux Baléares, il faut tenir compte des faits suivants : 1. Par suite des circonstances de la conquête catalane, le dialecte qu'on y parle actuellement fait partie du catalan oriental, mais l'insularité a favorisé le maintien de certains traits — phonétiques, morphologiques et lexicaux — qui ont disparu, du moins en partie, du catalan péninsulaire; cela a façonné pour chaque île une personnalité bien définie qui a son reflet dans la langue, au point que bien des parlants n'ont même pas conscience de partager un dialecte commun et s'identifient, dans un rapport diglossique catalan / castillan, avec les sous-dialectes insulaires : mallorqui, menorquf et eivissenc. 2. Les îles ont souffert, au long du XXe siècle, une profonde transformation qui a bouleversé toutes leurs formes de vie. En 1900, elles avaient 311 649 habitants (catalanophones, à l'exception des fonctionnaires de l'Administration); c'étaient des îles pauvres vivant du secteur primaire, avec un flux d'émigrants qui coulait depuis des siècles (Serra, 1989). Selon le dernier recensement municipal publié (IBAE, 1987), en 1986 leur population de droit s'élevait à 679 965 habitants, et celle de fait à 752 741. Elles sont aujourd'hui à la tête des Communautés espagnoles en PNB, elles approchent des 30 % de population immigrée et les deux tiers de leur population occupée travaillent dans le secteur des services (Alenyar, 1989). Leur transformation est, bien sûr, étroitement liée à l'éclosion et au développement du tourisme. 3. Les Baléares manquent de tradition politique nationaliste. Elle commençait tout juste à la veille de la guerre civile de 1936 par un échange de «messages» entre intellectuels—Missatge als

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mallorquins et Resposta als catalans (Moll, 1975 : 20-24) —, favorisé par la Generalitat de Catalogne; mais les signataires de la Réponse, que bientôt on a qualifiée de «manifeste», ont eu des difficultés au début de la guerre civile (Moll, 1975 : 37-44) et toute activité politique a été arrêtée. Les activités de résistance pendant le franquisme, à caractère exclusivement culturel, ont créé un mirage de nationalisme «pancatalan», mais il s'est évanoui au moment de la transition, où seule la Catalogne a pu compter sur des partis nationalistes forts. Le cadre juridique actuel en matière de langues L'article 3 de la constitution, tout en proclamant le castillan langue officielle de l'ensemble de l'État, ouvre les portes de l'officialité aux «autres langues espagnoles» dans les Communautés Autonomes respectives, «en accord avec leurs statuts». Mais elle ne délimite pas les territoires de ces «autres langues espagnoles» (qu'elle ne nomme même pas), et cela a favorisé les manoeuvres politiques visant à semer la confusion et à empêcher l'unité linguistique des communautés de langue catalane. Ces manœuvres ont assez réussi au Pays Valencien, au point que son statut a proclamé le valencien comme langue officielle de la Communauté, mais elles ont heureusement échoué jusqu'à présent aux îles Baléares, dont le statut d'autonomie (loi organique 2/1983, B.O.E. 1/3/1983) et la loi de normalisation linguistique (1986) suivent de très près le modèle de leurs correspondants catalans, promulgués en 1979 et 1983 respectivement. Le statut dispose, à l'article 3 : La langue catalane, propre aux Iles Baléares, aura, avec la langue castillane, le caractère de langue officielle. Tous ont le droit de la connaître et de l'employer, et personne ne pourra être discriminé à cause de la langue.

Q dépasse même sur certains points le statut catalan : La langue catalane étant aussi le patrimoine d'autres Communautés Autonomes/...) la Communauté Autonome des îles Baléares pourra participer à une institution créée pour la sauvegarde de l'unité linguistique; cette institution sera formée par toutes les Communautés qui reconnaîtront la coofficialité de la langue catalane (Deuxième disposition additionnelle).

Sous cette forme volontairement confuse, c'est la déclaration de l'unité de la langue la plus «audacieuse» que l'on puisse trouver dans les textes statutaires des Pays Catalans. Plus tard, le parlement autonome a fait de nouveau preuve de courage en abordant, dans le préambule de la Loi de normalisation linguistique, le sujet de la territorialité de la langue catalane en ces termes : La langue catalane et la langue castillane sont toutes deux langues officielles de la Comunauté Autonome, avec le même rang, mais de nature différente : l'officialité de la langue catalane se base sur un statut de territorialité, dans le dessein de maintenir la primauté de chaque langue sur son territoire historique. L'officialité du castillan, établie par la Constitution pour tout l'État, se base sur un statut personnel, afin de protéger les droits linguistiques des citoyens, même si leur langue n'est pas celle qui est propre au territoire (Deuxième disposition additionnelle).

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La Loi établit que les citoyens ont le droit de connaître «la langue catalane, propre aux îles Baléares» et de l'utiliser librement dans toutes leurs activités publiques et privées «sans que jamais on en puisse exiger traduction» (art. 2) et, tout en sauvegardant le droit des citoyens d'employer librement la langue officielle de leur choix, elle engage l'Administration autonome à employer généralement sa langue propre, à en mettre la connaissance à la portée de tous les citoyens et à en promouvoir l'usage dans tous les secteurs des relations publiques non officielles (Colom i Pastor, 1987). La situation sociolinguistique Selon le recensement de 1986, sur les 679 965 habitants des Baléares, 71,1 % sont autochtones, 25,3 % proviennent d'autres régions de l'Espagne et 3,5 % de l'étranger. La situation de Menorca est de beaucoup la plus favorable (20 % d'immigration) et la plus grave celle dTiivissa et Formentera, où 41,1 % de la population est immigrée (et le pourcentage atteint 62.5 % dans la frange d'âge de 25-49 ans). Ce recensement a été le premier à fournir des données sur le degré de connaissance du catalan aux Baléares et dans la Communauté Valencienne (en Catalogne il y avait eu des précédents, analysés par Reixach, 1985). Elles ont été publiées par les Instituts de statistique de chaque communauté et montrent aux Baléares une situation intermédiaire entre la Catalogne et le Pays Valencien (Reixach, 1991; pour les Baléares, IBAE, 1988 et A. Moll, 1989 et 1990). D'après ce recensement, 71 % des habitants des Baléares parlent le catalan, 18,7 % ne le parlent pas mais le comprennent, et 9,9 % déclarent ne pas le comprendre. La distribution est très irrégulière selon les variables de l'âge, de l'origine et du lieu de résidence (la situation de Menorca étant de beaucoup la plus favorable). Quant a l'alphabétisation, 16.6 % des habitants des Baléares âgés de plus de six ans étaient alphabétisés en catalan. Le taux est très bas chez les adultes (17,8 % des autochtones et 4,5 % des immigrés âgés de 25 à 49 ans déclarent savoir écrire en catalan, et dans la couche d'âge de plus de 50 ans, la moyenne est, respectivement, de 6,3 et 3,8 %), tandis que chez les jeunes, les résultats de l'enseignement du catalan à l'école (généralisé à partir de 1983) se font déjà sentir : le taux d'alphabétisation le plus élevé est de 47,0 % chez les autochtones de 15-19 ans, et de 22 % chez les immigrés de 10-14 ans. La connaissance de la langue est en proportion inverse du taux d'immigration, tandis que la variable niveau d'instruction n'est pas significative (A. Moll, 1989). Les attitudes envers la langue Nous manquons d'études sur les attitudes linguistiques du genre de celles qu'on a faites en Catalogne avant de mettre sur pied les cours de catalan adressés aux adultes (1983) ou une campagne pour la catalanisation du commerce (1988). Pourtant, on peut affirmer qu'au moment de la promulgation du Statut d'autonomie, la grande masse de la population — autochtone ou immigrée — était bien installée dans une situation diglossique qui ne générait pas de conflit social.

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La grande majorité des autochtones, tout en restant analphabètes en leur langue, s'étaient de plus en plus familiarisés avec le castillan par l'élévation du degré d'instruction générale (reçue exclusivement en castillan jusqu'en 1980) et surtout par la présence exclusive de la langue officielle dans les médias audiovisuels qui envahissaient les foyers, même dans les zones rurales où le castillan n'avait jamais pénétré auparavant. Au surplus, le castillan restait à leurs yeux la langue du prestige, la clé de l'accès à la promotion sociale et l'instrument normal de relation avec les castillanophones; ceux-ci n'avaient pas la moindre chance et ne ressentaient pas la moindre nécessité d'apprendre la langue du pays. Il y avait aussi chez les adultes un manque de conscience de l'unité de la langue catalane qui, habilement manipulé par une minorité antidémocratique, se traduisait souvent en attitudes d'anticatalanisme et de défense passionnée (faite le plus souvent en castillan) de la variété dialectale de chaque île. La minorité consciente de son identité catalane et de la nécessité de sauvegarder l'unité de la langue pour en rendre possible la normalisation était en général très «modérée», mais un nationalisme radical pointait déjà chez quelques jeunes gens (des enseignants et des étudiants, surtout). La politique linguistique Avant 1978, il n'y a jamais eu de politique linguistique institutionnelle aux Baléares. On y a toujours appliqué celle du gouvernement central. Elle a été inaugurée pendant la période préautonomique par un Conseil interinsulaire dont le président (appartenant à l'Union du Centre démocratique) a compris l'importance de l'aménagement linguistique : il a fait distribuer 50 000 exemplaires d'une brochure de Moll (1968) éclairant la question du nom de la langue et de son territoire et il a chargé un groupe d'intellectuels aux idées claires et à l'idéologie variée de préparer un avant-projet de statut d'autonomie, grâce auquel, sans doute, le nom scientifique de la langue a prévalu dans le texte statutaire définitif et il s'est créé un état d'opinion où la dialectisation n'était plus possible. Or, aux élections de 1983, le parti de la droite espagnole AP, «Alliance populaire» (devenue ensuite «Parti populaire»), a eu la majorité; fortement implanté dans la bourgeoisie castillanisante et dans les zones rurales à population catalanophone bien installée dans la diglossie, c'était le seul parti à ne pas avoir d'anciens défenseurs de la cause catalane dans ses rangs et à avoir défendu l'officialisation du dialecte en tant que «langue propre» aux Baléares. Heureusement, pour gouverner il a eu besoin de l'appui parlementaire du jeune parti UM («Union majorquine»), formé quelques mois avant les élections par la branche la plus autonomiste de l'éteinte UCD. Il a accepté désormais le texte statutaire et a pris une attitude de plus en plus favorable à la récupération de la langue, mais la politique linguistique du gouvernement baléare se caractérise par une extrême prudence, qui cache mal une faible volonté politique. La deuxième force politique est le parti socialiste (PSOE) qui gouverne l'Espagne depuis 1982. D a dans ses rangs une minorité de «nationalistes de toute la vie», mais ils ont peu de force devant les instances centrales du parti et devant une masse de militants et d'électeurs castillanophones.

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C'est ainsi que les pouvoirs publics (gouvernement, conseil insulaire de Mallorca et quelques municipalités, notamment celle de la capitale Palma), au lieu d'établir une politique linguistique propre, ont confié dès le début une partie de leurs responsabilités dans le champ de l'aménagement linguistique à une institution privée, 1 Obra Cultural Balear, qui y travaillait depuis 1962 en collaboration étroite avec des institutions semblables de Catalogne et du Pays Valencien. Par des accords annuels avec les différentes institutions, 1 'Obra Cultural Balear a organisé des cours de catalan adressés aux fonctionnaires et aux adultes en général, des services linguistiques, un service de dynamique éducative pour les écoles municipales de Palma, etc. En 1987, une coalition électorale PP-UM a obtenu la majorité absolue, et une militante dUM a accédé à la Conselleria («ministère autonome») de la Culture. Avec elle, la politique linguistique du gouvernement baléare s'est affermi. Elle a établi des accords avec le ministère de l'Éducation nationale et l'Université des îles Baléares, elle a trouvé des occasions de collaboration avec les gouvernements de Catalogne et de la Communauté Valencienne et, à l'initiative de YObra Cultural Balear, elle a cherché à unifier les actions d'aménagement linguistique en promouvant un Accord institutionnel pour la normalisation linguistique. La campagne de normalisation linguistique Par cet accord, signé au plus haut niveau le 18 octobre 1988 (BOCAIB du 22/11/89), le gouvernement baléare, les trois conseils insulaires et la municipalité de Palma s'engagent à accélérer leur propre normalisation interne et externe, à coordonner leurs actions dans le champ de la langue et à «mener ensemble une campagne de normalisation linguistique, de sorte à établir une politique linguistique pour l'ensemble de la Communauté autonome». Une annexe au document de l'accord précise qu'on entend par «campagne de normalisation» un programme d'aménagement linguistique qui devra se poursuivre pendant plusieurs années, et elle en dessine une structure formée par une Commission interinstitutionnelle, une Commission technique organisée en groupes de travail, un Secrétariat et une Coordination générale. Chaque institution se fera responsable des programmes approuvés par la Commission interinstitutionnelle dans le champ de sa compétence. La gestion des actions faites au nom de toutes les institutions, ainsi que la direction du Secrétariat de la campagne, sont confiées à YObra Cultural Balear, et la coordination générale à celle qui signe ces lignes «compte tenu de son expérience en la matière» (allusion à la direction générale de la politique linguistique de la Generalität de Catalogne, exercée de 1980 à 1988). On voit bien que cette campagne au caractère si particulier ne pourra jamais remplacer un organisme gouvernemental (que le gouvernement baléare se refuse toujours à créer), puisque la réalisation des programmes approuvés par la Commission interinstitutionnelle dépend exclusivement de la volonté politique des responsables de chaque institution ou entreprise. Mais elle a quand même des avantages : I o En présentant la récupération de la langue comme «la tâche de tous», elle a reçu l'adhésion formelle des municipalités, partis politiques, syndicats, collèges professionnels, etc., presque sans exception, ainsi que la collaboration d'experts de toutes les tendances politiques.

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2° Par l'adhésion du ministère de l'Éducation nationale et de l'Université des îles Baléares, la campagne est devenue le point de rencontre naturel de toutes les institutions qui se partagent actuellement les compétences en enseignement. 3° Son caractère ambigu lui a permis de diffuser au nom des institutions administratives les résolutions des institutions académiques responsables de l'aménagement du corpus de la langue pour l'ensemble du territoire catalan (l'Institut d'Estudis Catalans, qui compte parmi ses membres des représentants de toutes les universités des Pays Catalans, et le TERMCAT, «Centre de terminologie catalane», avec siège à Barcelone et délégation à l'Université des îles Baléares), et de divulguer les connaissances élémentaires sur la langue et la culture catalanes et sur les droits linguistiques des citoyens, sans la contrainte des préjugés politiques ou partisans. Dans l'organisation de la campagne, on a tâché de suivre autant que possible la voie marquée par la Direction générale de la politique linguistique de la Generalitat de Catalunya (1983; voir aussi Bastardas, 1987 : 141-151). On a créé le Bureau de la campagne de normalisation linguistique, siège de la coordination et du secrétariat où se tiennent les séances des commissions et des groupes de travail. D comprend un Service de normalisation et un Service de consultations linguistiques, qui assurent les rapports entre les divers organismes travaillant à l'aménagement du statut et du corpus de la langue, respectivement, et s'occupent d'en promouvoir l'acceptation de la part des citoyens. Un troisième service, le Service de l'enseignement, est consacré à la promotion de l'enseignement en catalan et entretient une exposition permanente des matériels didactiques (manuels, cassettes, vidéos, cartes murales, etc.) sur toutes les matières scolaires, produits dans tout le domaine linguistique catalan. La structure de la campagne s'est formée très lentement et n'est pas encore complète. Compte tenu des circonstances géographiques et psychologiques, les Commissions institutionnelle et technique, présidées, respectivement, par la Consellera de la Culture du gouvernement baléare et par la coordinatrice générale, se sont créées à deux niveaux : communautaire et insulaire, et comprennent des représentants du gouvernement, des conseils insulaires, des municipalités, du ministère de l'Éducation nationale et de l'Université des îles Baléares. Les travaux de la Commission technique se font dans les Groupes de travail de l'Administration (en deux sections, pour la normalisation de l'Administration autonomique et locale, respectivement), l'enseignement (en trois sections : promotion de l'enseignement en catalan, promotion du catalan dans les activités extrascolaires et problèmes administratifs), usages publics non officiels et sensibilisation populaire. Le travail de sensibilisation est très important (l'Accord institutionnel le reconnaît explicitement en manifestant que l'objectif essentiel de la campagne est d'«engager l'ensemble de la société baléare dans un projet collectif visant la pleine normalisation de la langue des îles Baléares, dans un climat d'harmonie et de respect des droits de tous»), et les institutions l'ont confié totalement à la coordination de la campagne. On prétend en premier lieu éveiller chez les autochtones l'orgueil de la langue et la conscience de son unité, ainsi que du chemin à parcourir pour qu'elle joue effectivement le rôle de langue propre à la communauté. Dans ce but, on maintient un contact permanent avec le public, au moyen de conférences, tables rondes, stages et

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rencontres diverses, ainsi que par une présence permanente dans les moyens de communication (par exemple, un espace hebdomadaire Lima Directa amb la CNL, «Fil direct avec la CNL», dans un journal de Palma [A. Moll, 1992] et deux programmes de radio en direct, avec participation des auditeurs). Cela permet de faire face aux tentatives toujours renouvelées de ségrégation linguistique, d'orienter l'opinion publique quant aux droits linguistiques individuels et collectifs et de remédier à des situations de conflit en faisant les démarches pertinentes auprès des institutions en cause. En novembre et décembre 1991, on a fait, pour la première fois aux îles Baléares, une grande campagne publicitaire multimédia sous le slogan Ne te mords pas la langue, parle catalan, qui s'est avérée très efficace. Dans les champs de l'Administration et de l'enseignement, le rôle de la campagne est de stimuler l'action des institutions publiques et privées, tout en respectant leurs compétences, et d'assurer la coordination entre elles. En fonction de la situation sociolinguistique de chaque institution ou secteur de la société, la Commission technique propose des plans et en surveille l'exécution une fois qu'ils ont été approuvés par les responsables institutionnels. Ainsi, par exemple, après une enquête sur l'usage réel des langues officielles dans les différentes institutions, on a classé celles-ci en trois groupes selon leur degré de normalisation et on a établi pour chaque groupe un modèle de projet linguistique pour 1991; une nouvelle enquête en janvier 1992 a permis de vérifier à quel point les objectifs ont été atteints et d'établir un nouveau programme pour l'étape 1992-93. On a créé de nouveaux services linguistiques institutionnels, et on forme lentement deux réseaux techniques de normalisation, l'un pour l'aménagement de l'Administration de la Communauté et l'autre pour celui de l'Administration locale, couvrant l'ensemble du territoire selon une carte élaborée par la Commission technique. Pour l'enseignement, on a suivi les mêmes démarches que la Generalitat catalane (Bastardas, 1987 : 144-145) dans la planification de l'enseignement en catalan : programmes d'immersion pour enfants castillanophones, formation, recyclage et conditions d'accès et de promotion des enseignants, etc. Quant aux usages non officiels, une enquête sur l'usage linguistique de l'Église de Mallorca a montré une situation pleinement normale dans les communes de l'intérieur, mais de graves insuffisances dans la capitale et dans les zones touristiques; un groupe de travail s'est formé pour y porter remède. Pour les secteurs du travail et du commerce, on a fait appel aux associations d'employeurs, aux syndicats et aux fédérations d'entreprises; tous ont répondu favorablement, mais le travail dans ces champs est à peine amorcé. Situation actuelle et perspectives d'avenir Il est difficile d'établir un diagnostic sur la situation actuelle du processus de récupération de la langue aux Baléares, et plus encore d'en prédire l'avenir. Il est indéniable qu'il y a eu des progrès considérables depuis la signature de l'Accord institutionnel : promulgation du décret 100/1990 qui règle l'usage officiel de l'Administration autonomique et des règlements correspondants des conseils insulaires et de la plupart des municipalités; mise en fonctionnement de la Junta Avaluadora de Català, parallèle à la Junta Permanent de Català de la Généralité de Catalogne (Bastardas, 1987 : 145), grande augmentation des cours de catalan pour les

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fonctionnaires et pour les adultes en général, etc. Le pourcentage des institutions classées dans le groupe 3, «encore très castillanisé», s'est réduit de 30 à 20 %, et celui du groupe 1 «très avancé dans la voie de la normalisation», a passé de 10 % à 20 % (trois communes ayant été déclarées «totalement normalisées», compte tenu non seulement de leur administration mais de tous les aspects de la vie sociale). L'enseignement en catalan a fait des progrès (voir Pissarro, 1992), et on est en train de le planifier avec des possibilités de succès; l'objectif prioritaire pour l'année 1993-94 — déjà approuvé par la commission interinstitutionnelle —, c'est d'assurer l'emploi véhiculaire du catalan dans une ou plusieurs matières, à tous les degrés et niveaux et dans tous les secteurs de l'enseignement. La cause de la normalisation gagne des adeptes de jour en jour, et l'on peut espérer des progrès rapides, si l'Accord institutionnel continue ferme. Mais le danger de rupture du consensus est grand en ce moment, car les résistances deviennent plus fortes, et les impatiences plus aiguës, à mesure que le sentiment d'identité collective s'éveille dans le peuple. Les débats surgis en Catalogne sur les modèles de langage public (Pericay et Toutain, 1986; Tubau, 1990; Royo, 1991) et sur les perspectives d'avenir de la langue catalane (Prats, Rafanell et Rossich, 1990; Mari, 1992; Aymà, 1992) trouvent aux Baléares un écho passionné, ainsi que l'engouement nationaliste (il y a un fourmillement de formations qui se réclament du nationalisme sans se mettre d'accord sur la nation — les Pays Catalans, les Iles Baléares, chaque île en particulier— qu'il faut revendiquer...). Tout cela met le consensus en danger. Π faudra attendre quelques années — et continuer à travailler ferme — pour savoir si nous avons des chances de sortir définitivement du processus de substitution linguistique où nous étions plongés il y a vingt ans.

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L'immersion comme mesure d'aménagement linguistique Introduction Vous aurez sans doute deviné que le terme «immersion» est entendu ici dans son sens le plus communément utilisé au Canada, à savoir l'immersion française, ce programme d'enseignement du français langue seconde destiné aux anglophones, mis sur pied au pays dans les années 1965. Pour les non-Canadiens, le terme a une extension beaucoup plus large et peut être appliqué au mode particulier d'apprentissage de n'importe quelle langue seconde ou étrangère qui consiste à placer l'élève dans le milieu de la langue cible. Au Canada, les applications de ce mode d'apprentissage à l'anglais langue seconde sont rares. Nous n'entrerons pas ici dans les nuances des divers types d'immersion, ni dans la bataille autour de l'origine de cette nouvelle approche pédagogique.1 Cet article a un seul but, celui d'évaluer les conséquences sociopolitiques de l'immersion française dans le contexte d'aménagement linguistique2 qui a cours au Canada depuis la loi sur les langues officielles (1969). L'aspect didactique et pédagogique du programme ne sera donc abordé qu'indirectement, lorsque cet élément intervient comme facteur dans les conséquences sociopolitiques. À ce moment-ci, qu'il suffise de rappeler que l'immersion française, telle qu'elle est pratiquée au Canada depuis maintenant plus de 20 ans, est maintenant reconnue internationalement comme étant une approche innovatrice de grande efficacité. Il s'agit essentiellement de créer une situation d'apprentissage aussi naturelle que possible en plaçant le jeune enfant anglophone dans un contexte scolaire francophone. Le mode et le degré d'exposition à la langue seconde peuvent varier selon le type d'immersion et l'âge de l'enfant. Par rapport aux programmes de base d'enseignement d'une langue seconde au Canada, en 1986 l'immersion comprenait environ 10 % des élèves (Tanguay, 1986: 37). La question posée est la suivante : du point de vue de la politique du bilinguisme qui découle directement de la loi sur les langues officielles du Canada, le programme d'immersion n'est-il pas un traitement «de faveur» envers le groupe majoritaire? N'y a-t-il pas là une aberration? Puisque le groupe minoritaire vit une situation problématique par rapport à sa langue maternelle, n'est-ce pas ce groupe qui devrait de toute évidence profiter d'un vaste programme d'aide de la part du fédéral en matière de langue?

Pour plus de précisions sur l'historique du terme et ses différentes acceptions, voir le récent ouvrage de Micheline Ouellet sur l'immersion française au Canada (voir bibliographie). Le terme «aménagement linguistique» est entendu ici au sens large, puisque en réalité, au Canada, en dehors du Québec il n'existe pas de programme formel digne de ce nom. C'est d'ailleurs ce qui peut expliquer qu'une pratique comme celle de l'immersion ait pu exister pendant 20 ans sans jamais avoir été remise en question.

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Le scandale de l'immersion D'après Bibeau (1982 : 173), l'objectif principal du programme canadien d'immersion française est de nature politique : «Bien qu'elle (l'immersion) se réalise dans une salle de classe, chez des individus d'âge scolaire, elle prend ses racines dans le monde politique et ne vise pas en premier lieu des objectifs linguistiques». D'ailleurs les parents, qui sont les principaux instigateurs du programme («Canadian Parents for French»), ne cachent pas cet objectif qu'ils préfèrent cependant qualifier d'«avantage économique». Cependant, ils ne lui accordent que la troisième place, après un premier objectif de nature pédagogique et un deuxième, d'orientation plus générale. Voici ces trois objectifs dans l'ordre : 1) il est plus facile d'apprendre très jeune une langue seconde; 2) l'expérience sera enrichissante; 3) la connaissance de deux langues représente un avantage économique (Tanguay, 1986 : 36). Jusqu'à présent, le point de vue sociopolitique de l'immersion a été très peu étudié. Ceux qui ont senti le problème social de l'immersion y ont simplement fait allusion, sans en faire une analyse poussée. Le plus souvent, les remarques sur le sujet se sont limitées aux conséquences des programmes d'immersion sur la dualité du système scolaire. Il y avait de quoi, puisque à un moment donné, surtout au tout début de la nouvelle approche, la popularité de ces programmes a bien failli mener à la désaffection des écoles de langue maternelle française, notamment dans certaines régions bilingues. Il a fallu légiférer (Tremblay, 1986 et Bordeleau, 1987). Vivian Edwards (1984 : 44) est celle qui est allée le plus loin dans l'analyse de l'aspect sociopolitique du programme d'immersion au Nouveau-Brunswick, en constatant que ce programme a pour effet de produire une meilleure formation bilingue du côté anglophone. Si on s'arrête un instant pour mesurer toute la portée de cette simple constatation, on s'aperçoit que l'immersion est un véritable scandale politique, puisqu'il s'agit d'un programme spécial qui favorise le développement d'un groupe linguistique aux dépens de l'autre. C'est un scandale qu'il y a lieu de dénoncer au nom de la loi sur les langues officielles du Canada, dont l'objectif premier est d'enfin réduire l'écart d'inégalité qui a trop longtemps existé entre les francophones et les anglophones du pays. Or, avec l'immersion cette loi est directement enfreinte (du point de vue moral, sinon du point de vue légaliste), puisque le groupe majoritaire anglophone profite de moyens spéciaux pour acquérir une formation bilingue, ce qui lui permet encore une fois de devancer le groupe minoritaire francophone et ainsi de perpétuer l'écart qui a toujours existé entre les deux communautés de langues officielles au Canada. Ce qui est cruel, cette fois, c'est que les anglophones sont en train de conquérir l'un des seuls terrains où les francophones se sont sentis supérieurs pendant des siècles, le bilinguisme. Pendant un très court moment entourant la loi sur les langues officielles, quelques années avant et après 1969, le bilinguisme a été pour les anglophones une réelle menace de perte de pouvoir au profit des francophones, dont la plupart des locuteurs étaient déjà bilingues par la force des choses. Mais avec l'immersion française bon nombre d'anglophones, jusque-là unilingues, sont rapidement devenus bilingues, permettant ainsi à leur groupe linguistique de maintenir sa position traditionnelle de supériorité. Le groupe minoritaire, lui, qui avait cru un moment pouvoir enfin accéder à l'égalité sociale par le biais de son bilinguisme séculaire, s'est

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vite retrouvé à la case départ. La période d'illusion aura été de courte durée. Fini le cauchemar de la majorité. Fini l'espoir de la minorité. Voici de façon schématique comment se présente la situation entre les deux groupes linguistiques par rapport au bilinguisme, avant et après l'immersion : Groupe minoritaire

Groupe majoritaire

Avant l'immersion

Bilinguisme soustractif

Unilinguisme

Après l'immersion

Pas d'amélioration

Bilinguisme additif

Tableau de la situation du bilinguisme canadien3 Cette situation d'inégalité que crée l'immersion peut être qualifiée de faute, d'irrégularité par rapport au droit constitutionnel qui garantit aux minorités une éducation (générale) de «qualité équivalente» à celle dispensée à la majorité (Bordeleau, 1987). Concrètement, cela signifie que l'État doit fournir à l'enseignement de la langue maternelle minoritaire tous les moyens nécessaires pour permettre d'atteindre cette qualité équivalente. À première vue, on peut penser que des moyens de même qualité que ceux qui sont offerts au groupe majoritaire vont suffire pour réaliser cet objectif d'égalité. C'est faux. En matière de promotion des langues officielles, la parité ne prévient pas nécessairement l'assimilation linguistique, comme le rappelle le grand expert en bilinguisme, William Mackey (1981 : 10-14). Plus de moyens et surtout des moyens de qualité supérieure doivent être mis à la disposition du groupe minoritaire, si on veut que celui-ci accède à l'égalité : Le fait d'accorder des droits égaux à des langues inégales ne peut produire des situations égalitaires; [...] les situations égalitaires ne seraient possibles que dans la mesure où un État accorderait des inégalités compensatoires aux minorités (Lecleic, 1986 : 274).

Or, avec l'immersion, c'est au contraire le groupe majoritaire qui profite d'un moyen de qualité supérieure dans le cadre de la politique du bilinguisme canadien. Est-il possible de préciser les parts de responsabilité dans le dossier de l'éducation bilingue au Canada? D'abord, il est difficile d'évaluer avec exactitude l'engagement du fédéral dans les programmes de l'immersion, pour la simple raison que les documents sur le sujet sont peu disponibles pour ne pas dire du tout. La difficulté d'accès de la documentation officielle sur l'immersion serait-elle une preuve de la mauvaise conscience du fédéral relativement à son rôle dans le dossier de l'immersion? Pour sa part, Micheline Ouellet s'est heurtée à un mur lorsqu'elle a voulu consulter les documents sur l'immersion pour sa Synthèse historique de l'immersion française au Canada. En fin de compte, après bien des démarches, elle n'a réussi à consulter que quelques rares documents «épurés», selon son expression (Ouellet, 1990 : 8-9). On sait pourtant qu'il a existé un protocole d'entente entre le fédéral et les provinces relatif au 3

Les termes «soustractif» et «additif» appliqués au bilinguisme font référence au degré de maîtrise de la langue maternelle, au moment de l'apprentissage de la langue seconde. Bilinguisme additif = maîtrise suffisante de la LM + L2. Bilinguisme soustractif = maîtrise insuffisante de la LM + L2 (Landry et Allard, 1990).

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financement de l'enseignement de la langue de la minorité et d'une langue seconde. À ce sujet, Tanguay (1983 : 39) précise que ce protocole «est un signe encourageant que les gouvernements s'engagent fermement dans la réussite de ces programmes». Il poursuit en citant les propos d'un conseil scolaire : «Le gouvernement a versé des subventions pour l'implantation du programme». Ce sont là des confirmations de la participation du fédéral dans le dossier de l'immersion, mais l'importance de cette aide n'a jamais été révélée. Bibeau (1982 : 161) cite le chiffre de 700 millions à 1 milliard de $ qui est investi chaque année par le Canada pour l'éducation bilingue, mais ce chiffre global ne précise pas la part attribuée à l'immersion. Néanmoins, malgré le peu d'information disponible, les quelques bribes glanées ici et là suffisent pour enlever tout doute quant à la participation du fédéral au financement de l'immersion. En comparaison, que sait-on de l'aide fournie par le fédéral au groupe minoritaire? D'abord, on sait que cette aide est administrée par un organisme directement responsable des minorités linguistiques, le Secrétariat d'État. Michel Bastarache4 (1986 : 25) estime que l'action de cet organisme ne peut suffire à la tâche et prie le fédéral de mettre en œuvre «une politique concertée (de tous les ministères) d'égalité linguistique qui soit puissante». En effet, les subventions de ce Ministère ressemblent souvent à des solutions de rapiéçage, genre «bien-être social». Il serait temps que la situation de rattrapage qui est celle du groupe minoritaire fasse l'objet d'une analyse sérieuse. Ce serait le premier pas vers la mise sur pied d'un programme d'envergure en vue de développer un bilinguisme additif chez les minoritaires francophones. Le paradoxe de l'immersion C'est une réalité bien connue qu'une situation, même défavorable, peut avoir des effets bénéfiques. Dans le cas de l'immersion, les éléments suivants ont été identifiés comme pouvant servir au groupe minoritaire dans la poursuite de l'égalité linguistique : 1. D'abord du point de vue de la relation entre les groupes. Même si le but des parents en développant l'immersion était plutôt intéressé (la sauvegarde des emplois), on constate un changement d'attitude de la part des enfants bilingues qui sont plus ouverts que leurs congénères envers le groupe minoritaire de langue française. 2. Deuxièmement, du point de vue pédagogique. a) Au Nouveau-Brunswick, où environ 56 % des élèves des écoles françaises sont des unilingues francophones, un projet pilote en enseignement de l'anglais langue seconde est en train de rattraper l'immersion française en efficacité (Forsyth et Mackey, 1989). b) Les qualités de dynamisme et d'efficacité du programme d'immersion pourraient servir de modèle pour l'enseignement de la langue maternelle en milieu fortement minoritaire, moyennant une adaptation. Michel Bastarache est co-auteur du Rapport Poirier-Bastarache, Vers l'égalité des langues officielles au Nouveau-Brunswick, 1982, Direction des langues officielles. Gouvernement du Nouveau-Brunswick (Fredericton).

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c) Le type de compétence bilingue que permet l'immersion chez le groupe majoritaire est une émulation pour le groupe minoritaire, qui pour ne pas être en reste doit revendiquer les moyens de passer d'un bilinguisme soustractif à un bilinguisme additif. Ces conséquences positives que l'immersion peut exercer sur le groupe minoritaire n'excusent en rien l'injustice foncière du programme tel qu'il fonctionne actuellement dans le contexte de la politique sur le bilinguisme au Canada. Conclusion C'est en replaçant l'immersion française dans le contexte de la loi sur les langues officielles au Canada (depuis 1969) qu'il est possible de parler de scandale. Le manque de disponibilité des documents officiels sur le sujet contribue à laisser planer le doute sur la «régularité» de la participation du fédéral dans la mise en oeuvre de ce moyen spécial en éducation bilingue du côté anglophone, surtout si on pense aux faibles subventions qui sont accordées par le Secrétariat d'État à la minorité francophone, en contrepartie. Un traitement juste exigerait au contraire que les moyens offerts à la minorité soient plus importants, puisque pour ce groupe le bilinguisme est une réelle menace pour la langue maternelle. Pour le groupe majoritaire, la menace se situe au niveau de l'emploi seulement. Avec l'immersion pour anglophones, c'est une nouvelle situation d'inégalité qui resurgit. Non seulement les majoritaires deviennent bilingues, mais leur bilinguisme est de type additif, alors que celui des minoritaires demeure de type soustractif avec toutes les conséquences négatives qui y sont rattachées. Comment corriger la situation? Il faut surtout éviter que le groupe minoritaire se culpabilise encore une fois de cette nouvelle forme d'inégalité. Pour que cette réaction masochiste, qui est encore fréquente, disparaisse, il est nécessaire de souligner la responsabilité des pouvoirs publics dans le dossier des langues officielles, en ce qui a trait au développement bilingue. La conclusion est la suivante : en compensation et en toute justice, le groupe minoritaire est en droit de demander au fédéral que soit mis sur pied un programme d'envergure, bien structuré, de qualité au moins équivalente à l'immersion pour anglophones. Les miettes du Secrétariat d'État sont de la poudre aux yeux. Le scandale a assez duré. Pour que cette revendication soit entendue, il est nécessaire de mettre sur pied une véritable structure d'aménagement linguistique, une structure officielle, mais indépendante du gouvernement, dont le mandat serait de voir à la mise en oeuvre d'une politique juste en matière d'éducation bilingue.

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Louise Péronnet

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Ariane Archambault Les Éditions Québec!Amérique

La stratégie de l'image en terminologie : l'expérience du VISUEL

La première édition du Dictionnaire thématique visuel a paru à Montréal à l'automne 1986, en fiançais et en anglais, version unilingue, sous copyright Québec/Amérique. L'édition française a été diffusée par Québec/Amérique, l'édition de langue anglaise par Stoddart (Toronto) pour le Canada et Facts on File (New York et Londres) pour les États-Unis et l'Angleterre. L'année suivante, le dictionnaire paraissait en version bilingue anglais-français, avec ajout des usages britanniques de l'anglais, grâce à la collaboration d'un lexicographe de Londres, Martin Manser. Le succès a été immédiat, au Québec, au Canada et aux États-Unis, confirmé par la publication de traductions dans d'autres langues, en chinois (Hong Kong), en indonésien (Jakarta), en espagnol (Mexico), en suédois (Helsinski) et en hébreu (Jérusalem). D'autres éditeurs ont préféré diffuser la version originale français-anglais avec introduction dans leurs langues (Hongrie et Yougoslavie). Ce succès tient pour beaucoup à la conception même de l'ouvrage. Principale caractéristique : il s'agit d'un dictionnaire image/mot. L'image décrit et analyse l'univers quotidien de ce qui vit en culture post-industrialisée en regroupant les informations par thèmes : astronomie, géographie, règne végétal, règne animal, être humain, communications, sports, énergies, transports, engins et machines, etc. L'image remplit une fonction précise : elle sert de définition aux mots, en ce sens qu'il est possible de «voir» immédiatement ce que chaque mot désigne. Les mots sont ceux dont toute personne, sans être spécialiste, a besoin dans un univers quotidien où le vocabulaire technique est omniprésent. L'ouvrage est donc destiné au grand public et le contenu choisi en conséquence. À l'origine, le dictionnaire a été conçu sur la base de l'analyse de la vie quotidienne en Amérique du Nord et en comparant deux langues, le français et l'anglais. L'expérience des adaptations dans d'autres langues, donc pour d'autres cultures, a rapidement mis en relief les inconvénients de la première édition et surtout les limites de la publication par photocomposition. Les illustrations étaient figées sur la feuille de papier, donc difficiles ou impossibles à modifier. Le montage de la terminologie sur les planches d'illustrations exigeait ou que le personnel de Québec/Amérique connaisse la langue ou qu'on expédie les films à l'étranger avec perte de contrôle sur le produit. Certains éléments de contenu posaient des problèmes d'adaptation quasi insolubles, par exemple les modèles de lettres qui varient d'une coutume à l'autre, les coupes des animaux de boucherie où à la fois le signifié et le signifiant sont arbitraires, l'alphabet phonétique à cause des exemples, l'alphabet des sourds-muets qui n'est pas constant, etc. Par contre, des ajouts devenaient nécessaires, par

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Ariane Archambault

exemple le hockey sur gazon pour l'Europe, le jeu de cricket pour l'Angleterre, etc. Les éditeurs étrangers qui utilisent le français ou l'anglais comme langues étrangères en regard de leur propre langue, dans des éditions bilingues ou multilingues, choisissent la norme européenne à la fois pour le français et pour l'anglais. Nous avons, en conséquence, fait soigneusement le tri des usages nord-américains de ces deux langues par rapport à leur usage européen et nous avons organisé la banque de données terminologiques de manière à pouvoir générer automatiquement le texte d'une édition en sélectionnant l'un ou l'autre usage du français et de l'anglais ou les deux à la fois. Enfin, la demande d'éditions du dictionnaire dans des langues inconnues de nous, comme l'allemand ou le suédois, nous a conduit à automatiser également le montage du texte sur l'illustration, jusqu'à concurrence de quatre langues (édition quadrilingue). Pour toutes ces raisons et suite aux rapides progrès de l'éditique et de l'infographie à partir surtout de 1985, Québec/Amérique a pris la décision d'informatiser complètement la seconde édition du Dictionnaire thématique visuel. Q a donc fallu refaire une à une, par informatique et en couleurs, toutes les illustrations, à partir de nouvelles références, refaire l'analyse du contenu en fonction de tous les commentaires des lecteurs et des éditeurs partenaires, revoir l'analyse terminologique, soit pour la vérifier et l'améliorer, soit parce que les nouvelles illustrations ne coïncidaient plus parfaitement avec les anciennes. Pour bien marquer la différence, le dictionnaire a changé de titre : il s'intitule maintenant LE VISUEL, avec, comme sous-titre, DICTIONNAIRE THÉMATIQUE. Tous les exemples de cet article sont tirés de cette édition. Le travail de mise au point de la deuxième édition nous a amplement donné le temps et l'occasion de réfléchir au rôle des illustrations dans un ouvrage d'orientation terminologique. D'une manière plus spécifique, nous sommes parvenus peu à peu à mieux concevoir la relation entre illustration et terminologie et à nous faire une idée plus précise de ce qu'est une illustration terminologique. Nous nous proposons, dans cet article, de dresser, à nos risques et périls, une première synthèse de nos réflexions sur ce sujet. Nous identifions aujourd'hui cinq types différents d'illustrations, dont nous passerons en revue les caractéristiques : 1) les séquences d'opérations, 2) les schémas, 3) les coupes, 4) les représentations d'objets et 5) les mises en situation de termes. 1) Les séquences d'opérations On peut vouloir illustrer les diverses opérations d'un processus, par exemple la production de l'électricité par énergie hydraulique. La mise au point d'une telle illustration se fait en plusieurs étapes. Il s'agit d'abord de découper le processus en phases, en tenant compte du niveau d'analyse où se situe l'ouvrage (ici, le grand public) : d'où une première remarque, ce choix est une intervention arbitraire du terminologue, en ce sens qu'il pourra varier d'un auteur à un autre et varier selon les publics cibles. Il faut ensuite nommer les phases, en respectant le mieux possible à la fois la terminologie propre à ce secteur et le public cible. Deux remarques s'imposent ici : d'une part, la marge de jeu du terminologue dans la sélection des termes est ici restreinte par la standardisation du vocabulaire de spécialité; d'autre part, les étapes sont, en général, identifiées par des groupes nominaux qui sont, du point de vue linguistique, de

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véritables phrases nominales. Dans le cas de notre exemple, nous avons distingué onze étapes, identifées, par exemple, de la manière suivante : mouvement rotatif de la turbine, transmission du mouvement au rotor, production de l'électricité par l'alternateur, transport de l'électricité à la tension de l'alternateur, élévation de la tension, transport de l'électricité à haute tension. Enfin, sur la base des renseignements précédents, il faut créer une image qui soit techniquement juste et qui constitue un bon support visuel pour le vocabulaire. La conception de cette image est guidée par le contenu, mais sa réalisation graphique laisse un grande marge de liberté à l'illustrateur. Ces illustrations sont très intéressantes du point de vue pédagogique. Elles sont peu nombreuses dans le VISUEL. Nous considérons cependant qu'elles ne sont pas terminologiques, en ce sens qu'elles ne renvoient pas à des notions, donc à des termes, mais plutôt à un texte illustré, rédigé en phrases nominales.

2) Les schémas Les schémas sont fréquents dans les ouvrages terminologiques ou dans les dictionnaires encyclopédiques. Nous réfléchirons sur ce type d'illustrations à partir d'un cas connu : les ordres d'architecture (dorique, ionique, corinthien). Les schémas représentent des ensembles de notions avec leurs dénominations. La manière d'établir la relation entre notion et dénomination se ramène à deux types principaux : ou bien un filet reliant directement notion et dénomination sur le schéma lui-même (c'est la politique du VISUEL), ou bien un filet relié à un chiffre ou à une lettre, eux-mêmes renvoyant à un bas de vignette ou au texte environnant. Nous sommes donc ici en présence d'illustrations terminologiques, à la différence du cas précédent. Cependant, les schémas ont ceci en commun avec les séquences d'opérations qu'ils sont arbitraires dans leur conception, mais jusqu'à un certain point seulement, puisqu'ils doivent rendre compte d'une réalité préexistante, dans notre exemple les colonnes elles-mêmes, avec leurs différences et leur manière de s'enchâsser dans l'architecture de l'édifice. Ces représentations ont tendance à se figer, en ce sens que le dépouillement de la documentation nous ramène constamment au même schéma, avec de légères variantes. Tout le monde se souvient d'avoir vu quelque part les schémas des ordres d'architecture. De même, pour les types de moteurs, le mécanisme du piano droit, le mécanisme de l'orgue, dont les schémas sont pratiquement les mêmes d'une source à l'autre.

3) Les coupes Ces illustrations sont à mi-chemin entre les schémas et les représentations d'objets, dont nous parlerons par la suite. Prenons comme exemples la coupe d'une fraise ou d'une framboise par rapport au schéma d'une baie. Dans la coupe, la fraise et la framboise doivent se reconnaître du premier coup d'oeil et ne pas se confondre l'une avec l'autre. Seule la partie coupe est arbitraire et tend à mettre en relief la différence de structure interne entre la fraise et la framboise, bien qu'elles soient l'une et l'autre des fruits complexes. Dans le schéma d'une baie, c'est la structure générale de ce type de

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fruits qui est représentée, sans aucune obligation d'y reconnaître une baie en particulier, mais avec obligation de bien mettre en relief la différence de structure interne d'avec les autres fruits, par exemples les fruits à noyau, les fruits à pépins ou les agrumes. Les coupes sont extrêmement commodes en terminologie. C'est, pour ainsi dire, le seul moyen de rendre compte de la terminologie interne des objets, par exemple la coupe d'un appareil photographique reflex, la coupe d'une centrale hydroélectrique, la coupe d'un barrage en remblai, les planches d'anatomie du corps humain, l'anatomie d'un poisson, etc. Ces illustrations sont terminologiques. 4) Les représentations d'objets Les représentations d'objets sont les illustrations terminologiques par excellence. L'objet impose sa réalité à l'illustrateur, et au terminologue un ensemble de notions constitutives, dont il ne peut guère s'éloigner. La part d'arbitraire est donc très réduite. Pour l'illustrateur, la liberté se réduit au choix des détails qu'il peut négliger par opposition aux détails pertinents qu'il doit retenir. C'est là la différence essentielle entre photographie et illustration : l'illustration généralise la représentation de l'objet en omettant les détails inutiles, la photographie la singularise du fait qu'elle les englobe tous. Quant au terminologue, sa seule liberté réside dans le choix des notions et des termes qu'il veut ou peut placer sur l'illustration, selon que le point de départ a été l'analyse terminologique ou l'illustration. L'expérience du VISUEL nous suggère plusieurs observations aux sujet des représentations d'objet. Alors qu'il s'agit, du point de vue terminologique, de désigner une classe d'objets, une notion, la représentation oblige à choisir un individu comme représentant de sa classe, en introduisant, de ce fait, des caractéristiques individualisantes qui trahissent l'intention terminologique initiale. En d'autres termes, il est impossible de représenter l'abstrait. Prenons un exemple simple. Soit l'intention terminologique de représenter la notion de vis. Pour créer l'illustration, il faudra choisir un type de tête, alors qu'il y en a au moins trois, tête plate, tête ronde, tête bombée, un type d'encoche, entre les trois possibles, fente, cruciforme (Phillips®) et carrée (Robertson®), déterminer l'écartement du filet et la longueur du fût par rapport au filet. En somme, l'illustration représentera un type particulier de vis, et non la vis et ce n'est que par convention tacite que le terminologue et le lecteur accepteront l'un et l'autre que cette illustration soit celle de la vis. Une longue expérience de la documentation nous conduit à penser que l'illustration doit alors représenter l'objet le plus commun, donc le moins spécialisé, et respecter la tradition lorsqu'une représentation est habituelle. La part d'originalité est ici souvent réduite. Dans le même ordre d'idée, on constate que l'individu choisi comme représentatif de sa classe peut, dans certains cas, être imposé par la conception même que se font les usagers de cet objet. En somme, d'une culture à l'autre, ou d'une communauté linguistique à une autre à l'intérieur d'une même langue, l'archétype de l'objet peut ne pas être le même. L'exemple le plus significatif de ce phénomène est la notion de marteau. Pour nous, le marteau comporte nécessairement une panne fendue, qui sert à'arrache-clou. Pour les Français, le marteau ne

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comporte pas de panne fendue, mais une panne en biseau d'un seul tenant. Puisque LE VISUEL se distribue aussi en France, il a donc été impossible de représenter la classe générale des marteaux à cause de cette différence de perception et il a fallu descendre d'un cran dans l'abstraction en nommant notre marteau marteau de charpentier et celui des Français marteau de menuisier, ce qui correspond à la dénomination exacte de chaque objet. De part et d'autre de l'Atlantique, nous n'avons pas choisi le même marteau comme outil de la vie quotidienne, ce qui différencie de part et d'autre la conception et donc la définition de cet objet tout simple. Les objets manufacturés posent d'autres problèmes, qui proviennent soit des normes de fabrication de chaque pays ou région, soit du design habituel des objets dans une culture donnée. Le premier cas est celui, par exemple, des fiches en électricité, à lame plate en Amérique du Nord, à broche ronde en Europe. Dans le chapitre de l'électricité, il faut nécessairement illustrer les deux types de prises. Cependant, pour toutes les illustrations d'appareils qui comportent un branchement électrique, on ne peut pas systématiquement placer deux types de fiches à l'extrémité de chaque fil et force est alors d'en choisir un et d'espérer que les lecteurs feront mentalement la correction en fonction de leur propre contexte industriel, en se référant au besoin à la planche de l'électricité. Les problèmes d'illustration causés par le design des appareils sont beaucoup plus embarrassants, subtils, arbitraires, quasi inconscients. Par exemple, en quoi l'appareil ménager appelé cuisinière est-il européen ou nord-américain et jusqu'à quel point les différences de design sont-elles pertinentes dans un ouvrage terminologique? La réponse est diffìcile : d'une part, il se peut que le lecteur ne se reconnaisse pas dans l'objet et si ces cas sont très nombreux, la carrière commerciale de l'ouvrage peut en être affectée; d'autre part, si le design introduit des notions différentes, le terminologue et l'illustrateur doivent évaluer attentivement les circonstances où il vaudra mieux créer deux illustrations ou trouver une stratégie pour neutraliser les différences au profit de la terminologie commune. C'est presque une question de proportion entre le semblable et le différent. On constate cependant que la mondialisation des marchés entraîne une certaine uniformité des objets manufacturés et qu'en conséquence, les problèmes de terminologie et d'identification aux objets s'atténuent de plus en plus. La représentation des objets oblige enfin à distinguer soigneusement analyse terminologique et analyse encyclopédique. L'analyse terminologique tend à identifier les notions et les termes qui cernent une classe d'objets, à un niveau d'analyse déterminé, par exemple, l'analyse de la morphologie du corps humain ou d'un poisson, les parties d'un champignon ou d'une carrosserie de voiture, la terminologie d'une bicyclette, d'un voilier quatre-mâts, etc. L'analyse terminologique peut épuiser son objet s'il est bien défini et circonscrit L'analyse encyclopédique de type nomenclature vise à identifier et à nommer tous les individus d'une même classe, par exemple tous les champignons, tous les poissons, tous les oiseaux, tous les papillons, etc. Ce type d'analyse conduit à des listes de grande étendue, dont on constate qu'elles ont de la difficulté à être exhaustive, soit parce que le raffinement de l'enquête permet d'identifier des individus nouveaux, soit parce que la taille de l'ouvrage projeté impose des limites à l'inventaire. Nous avons donc choisi, comme politique du VISUEL, d'éviter le plus possible l'analyse encyclopédique. Ainsi, la planche du champignon présente les parties d'un champignon type,

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évoque les trois catégories de champignons pertinentes à la vie quotidienne, champignon comestible, champignon vénéneux, champignon mortel, avec, comme illustration de la notion un seul représentant de chaque catégorie, et se complète par la représentation des champignons comestibles les plus connus, davantage par souci de terminologie que par préoccupation encyclopédique, puisque le choix est restreint à quelques champignons et fondé uniquement sur les habitudes alimentaires occidentales. 5) Les mises en situation de termes C'est notre dernière catégorie d'illustrations. Entre terminologie et illustration, on constate ici deux démarches possibles, selon que l'on part de la terminologie vers l'illustration, ou de l'illustration vers la terminologie. Prenons comme exemple de la démarche terminologie vers illustration la représentation des composantes d'une chaîne stéréo. La liste des composantes est limitée à un certain nombre d'appareils, qui gravitent autour de l'amplificateur et dont les représentations visuelles nous ramènent à la catégorie précédente d'illustrations. Sur ce point, le réel s'impose et il n'y a pas d'arbitraire possible. Par contre, la manière de représenter l'ensemble, la composition d'un système, peut varier énormément et est, en définitive, totalement arbitraire, en ce sens qu'avec les mêmes éléments, on peut créer de multiples illustrations du système. Dans les cas limites de cette démarche, l'illustration est inventée de toutes pièces pour servir la terminologie : c'est le cas des planches d'écologie dans le VISUEL où l'illustration a pour fonction d'évoquer, de mettre en situation une terminologie abstraite, comme la notion de biosphère, ou le concept de chaîne alimentaire ou de pollution. La deuxième démarche, de l'illustration à la terminologie, est plus délicate. En général, ce mouvement s'impose lorsque le réel est trop multiforme et trop aléatoire, au point qu'il soit difficile d'en tirer un archétype. Par exemple, comment choisir le représentant de la notion de salle de spectacle ou de édifice à bureaux : dans chaque cas, on peut dresser la liste des notions et des termes qui définissent fondamentalement ces types d'édifices et les distinguent des autres. Par contre, la manière de réaliser en architecture ces notions est très variable, d'une part, et, d'autre part, chaque projet particulier possède ses propres ajouts notionnels et terminologiques. Il vaut mieux alors sélectionner l'image la plus englobante et astreindre la terminologie à la dénomination des notions qu'illustre ce représentant particulier. Le terminologue doit cependant s'imposer une discipline stricte, mettre au point d'une manière précise la terminologie fondamentale de cet ensemble et être très rigoureux dans le choix de l'image qui servira de prétexte à la terminologie. Il est facile ici de tomber dans la paresse et de sacrifier la terminologie pour une belle image. LE VISUEL représente l'expérience la plus poussée et la plus réfléchie d'utilisation d'illustrations en terminologie. Du point de vue terminologique, l'ouvrage offre ample matière à qui voudra réfléchir sur la visualisation des termes, à la fois sur le style de l'illustration (style dessein technique dans LE

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VISUEL) et sur la typologie des illustrations, à partir de celle que nous proposons dans cet article. Pour la réalisation des illustrations, LE VISUEL a utilisé à fond les ressources d'un logiciel d'infographie et, ce faisant, il témoigne du niveau de qualité que l'on peut alors atteindre. Nous avons le sentiment d'introduire dans les illustrations terminologiques un nouveau standard, qui allie les avantages du choix des éléments pertinents à la possibilité d'une représentation réaliste proche de la photographie. Cette orientation nous semble très prometteuse et nous poursuivrons la même réflexion dans nos prochains ouvrages.

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Pierre Auger Université Laval

Genèse et développement de la terminologie dans le monde francophone : une vision industrialisante de la langue1 Depuis les années 1970, la terminologie comme domaine de recherche et d'application a acquis une visibilité importante parmi les sciences du langage. Un des facteurs déterminants de structuration de la terminologie comme activité professionnelle autonome a été sa mise en contact avec les concepts fondamentaux de la linguistique du mot. Pour le français, en particulier, cette rencontre aura été déterminante. La filiation naturelle de la terminologie avec les sciences du mot (lexicologie, lexicographie, sémantique) a été suffisamment démontrée à compter de cette date par des auteurs comme Wüster (1979), Guilbert (1975), Rey (1979) et plus récemment par Kocourek (1991) sans qu'il soit nécessaire d'expliciter davantage cette filiation. Faut-il citer également les apports du structuralisme et du générativisme, à titre d'exemple, qui ont amené l'émergence de modèles comme celui de l'analyse componentielle en sémantique lexicale, ou de la génération syntagmatique en morphosyntaxe (Guilbert, 1970)? Les méthodes contemporaines d'analyse textuelle, on le verra également, vont constituer un apport très fertile pour l'avenir de la terminologie, comme par exemple l'étude des phraséologismes dans les analyses de contenu. Plus récemment encore, les développements modernes de la sociolinguistique ont orienté de façon nouvelle la recherche en terminologie vers de nouvelles considérations inconnues jusqu'alors. On peut citer ici, à titre d'exemple, la mise en évidence de phénomènes comme la stratification lexicale dans le discours professionnel technico-scientifique (Phal, 1970 et 1971) ou encore la diffusion, la standardisation et l'implantation sociale des terminologies en aménagement linguistique (Corbeil, 1980). En outre, la compréhension de ces mêmes phénomènes a amené les chercheurs à se pencher sur des questions cruciales comme l'analyse de la résistance au changement dans les projets d'aménagement linguistique, la définition de critères d'acceptabilité terminologique dans les projets d'aménagement terminologique, questions reliées à ce qu'on appelle aujourd'hui la socioterminologie. Malgré une vogue manifeste dans les milieux langagiers pour la terminologie, ce n'est qu'à une époque récente (vers 1985) que les lexicographes des dictionnaires généraux français se sont arrêtés à actualiser la définition du terme terminologie d'abord comme «l'ensemble des termes appartenant à un domaine d'activités de connaissances et correspondant à un système de notions et système de termes», puis comme «l'ensemble des activités théoriques ou pratiques portant sur les systèmes de notions et leurs désignations au moyen de noms organisés en système (termes)» (définitions d'après PR1985). Le Grand Robert de la langue française, dans l'édition de 1985, 1

Cet article utilise et met à jour les données présentées dans La terminologie au Québec et dans le monde, de la naissance à la maturité (Auger, 1988).

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Pierre Auger

est le premier dictionnaire de langue à inclure dans sa nomenclature la famille lexicale entière dérivant du mot terme - au GRLF, les séries terminographe «personne spécialisée en terminographie (1975)», termino graphie «terminologie appliquée, descriptive (1976)», terminologie, terminologique et terminologue «spécialiste de la terminologie en général (d'abord au Québec, vers 1960) et spécialiste de la terminologie théorique» font l'objet d'entrées distinctes. 1 . Un peu d'histoire 1.1. Les origines de la terminologie Il ne faudrait pas pour autant conclure que la terminologie dans le domaine du français soit une pratique nouvelle. Elle découle directement d'une longue tradition encyclopédiste et lexicographique gallo-française qui tire ses racines du Moyen Age (Rey, 1982). Cette activité de répertorier des termes techniques et de les gloser n'est donc pas une activité récente dans l'histoire du français. Π faut se rappeler que les encyclopédies, les dictionnaires, les glossaires, tous les genres de répertoires de mots en fait, ont d'abord été perçus comme des ouvrages propres à améliorer la connaissance du monde réel et des choses en général. Manifestement conçus comme des instruments de consignation et de transmission du savoir à travers une architecture très pratique constituée par une liste de mots/termes définis et classés selon l'ordre alphabétique, ces projets ont en commun le même caractère encyclopédique. Des mots pour savoir (ou des termes), plutôt que le savoir des mots, l'encyclopédie donc, avant le dictionnaire général nous amène lentement à la dialectique de la terminologie. Vue sous cet aspect, l'Encyclopédie de Diderot est une somme terminologique par le contenu technique très riche qu'elle véhicule. Il est donc logique d'affirmer qu'avec les projets des encyclopédistes on n'était, en effet, pas très loin de la démarche terminologique moderne et que d'une certaine façon on faisait de la terminologie en élaborant des encyclopédies. Le courant encyclopédiste verra son prolongement moderne dans le développement des sciences de la documentation et des langages documentaires fondés sur la classification des notions se rapportant aux choses et à la connaissance en général, de même qu'à leur hiérarchisation (par exemple, les ouvrages de systématique dans les sciences naturelles ou les thésaurus techniques en documentation). Plus près de nous, la formalisation et la représentation des connaisssances dans des systèmes experts en expriment les perspectives les plus modernistes. Nous verrons plus loin comment la documentologie et la classification, basée sur la référence, ont influencé en profondeur certaines écoles terminologiques et, en particulier, celle de Vienne avec Wüster (1979). La tradition lexicographique dans le domaine français remonte au XIIe siècle; le Moyen Age a été une époque très fertile en ouvrages de compilation de toutes sortes (glossaires, lapidaires, bestiaires, volucraires, antidotaires, flores) dans lesquels sont données en langue vulgaire (le français d'alors) les dénominations des choses (Rey, 1982). À compter du XVIe siècle, alors que sont apparus les premiers dictionnaires généraux, une part importante de la nomenclature de ces mêmes dictionnaires est constituée par les termes techniques, ressentis intuitivement par leurs auteurs comme plus difficiles à décoder et méritant donc d'être définis en priorité.

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Cette tendance s'est poursuivie à des intensités diverses jusqu'à aujourd'hui. Il y a donc très tôt chez les lexicographes français une tradition terminologique entendue au sens très large. À partir de la Renaissance surtout, apparaissent une multitude de dictionnaires spécialisés (commerce, agriculture, droit, etc.) qui, eux, sont à situer assurément dans la lignée des ouvrages terminologiques. Tout cela pour dire que c'est très certainement dans la foulée de la tradition lexicographique (française pour ce qui nous concerne) que se situent les développements modernes de la terminologie. Toutefois, il faut aussi préciser que le cheminement qui vient d'être décrit s'applique tout aussi bien aux autres zones non francophones de l'Occident. Retenons donc que la terminologie comme discipline de traitement du terme (reconnaissance, compilation, définition, classement et diffusion) était déjà partiellement contenue dans l'activité d'élaboration de répertoires plus généraux des lexicographes et ce, depuis le Moyen Age. On pourrait parler ici de tradition préterminographique pour caractériser cette période. C'est au contact des langues et de leurs variétés qu'on doit le foisonnement dès cette époque de répertoires bilingues de type terminologique. En effet, l'histoire de la lexicographie fait apparaître les dictionnaires bilingues, latin-français par exemple, déjà au Moyen Age pour permettre au lecteur le décodage de textes écrits en langue, pour lui, étrangère. Textes savants ou spéciaux, pour la plupart, où la difficulté terminologique constitue une barrière supplémentaire. Aujourd'hui, ce contact a acquis une intensité telle qu'il a forcé le déploiement d'innombrables outils de décodage des discours spéciaux, lesquels sont omniprésents dans nos sociétés de type postindustriel. De la lapalissade des termes pour traduire au raccourci «antiterminologique» des termes traduits, on peut extraire un autre pôle d'appartenance de la terminologie : celui de la traduction (ou celui plus large encore des transferts linguistiques). Au plan épistémologique, cela veut dire que la terminologie est apparue comme le vecteur donnant accès aux «termes pour traduire» (recherche de termes), mais encore, que, pour traduire, on s'est mis à «traduire les termes» (élaboration de termes). Cette double démarche marquera longuement et profondément l'histoire de la terminologie jusqu'à aujourd'hui. Certaines écoles considèrent encore la terminologie comme étant une discipline d'assistance à la traduction, sans plus. D'autres courants plus récents définissent la terminologie comme une discipline autonome pluraliste qui tire ses origines à la fois des sciences du langage, de la pensée (logique) et de l'information (documentation, classification, cognitique). D'ailleurs, les travaux contemporains les plus récents semblent vouloir leur donner raison sur cette question (cf. Sager, 1990; Kocourek, 1991).

1.2 Les courants de pensée en terminologie C'est en fait dans les années 1930, en Europe de l'Est, qu'il faut rechercher les sources de la terminologie moderne. Pour schématiser un peu, on peut dire que la terminologie moderne vient d'Europe centrale et orientale (vers 1930), qu'elle a essaimé vers l'Ouest (Allemagne, France, Canada, Québec) puis le Nord de l'Europe (Belgique, Pays-Bas et pays nordiques) dans une deuxième vague ( à partir des années 1960), la troisième vague, plus récente, se situe selon un axe noid-sud (Afrique du Nord, Afrique subsaharienne, Amérique centrale et Amérique du Sud). Le désavantage d'un tel découpage est de simplifier à outrance le développement de la

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terminologie tel qu'il s'est réalisé dans les faits et de faire table rase de ce qui s'est fait en terminologie en Europe occidentale et du Nord avant l'influence de Vienne, de Prague ou de Moscou. C'est très certainement une erreur, pour ce qui concerne le domaine français du moins, de nier la longue tradition lexicographique française qui a précédé le courant terminologique des années 1930, qu'il provienne de Prague, de Vienne ou de Moscou. Selon le point de vue épistémologique, il est intéressant de tenter une typologie des Écoles ou des courants de la terminologie contemporaine qui tienne compte des diverses démarches de travail qui ont cours aujourd'hui dans diverses parties du globe. La première articulation de cette typologie serait constituée à partir des motifs puis des tendances des différents groupes de terminologie. Selon qu'on étudie ou qu'on pratique la terminologie pour connaître le rôle du discours spécialisé dans le système de la langue, pour observer le fonctionnement des langues de spécialité ou les codifier, pour traduire des textes techniques vers d'autres langues, pour faire de l'aménagement linguistique ou de l'aménagement terminologique, on pourra observer certaines caractéristiques propres à chaque catégorie et qu'on peut réduire à quatre tendances principales : - le courant linguistico-terminologique, - le courant traductionnel, - le courant aménagiste et enfin - le courant «industriel». On verra d'ailleurs que ces quatre courants se situent dans une continuité chronologique à peu de choses près. Le premier courant qualifié de linguistico-terminologique constitue le noyau dur du développement de la terminologie modeme. Π est constitué de trois écoles qu'on peut qualifier de fondamentalistes et qui ont isolé la terminologie comme un objet d'étude en soi et en ont fait une discipline autonome : - l'École de Vienne (vers 1930) regroupée autour dliugen Wüster qui fait un peu la synthèse de tous les travaux tant théoriques que pratiques produits avant 1930. Un des grands mérites de Wüster a été d'avoir élaboré un modèle théorique complet de la terminologie et jeté les bases méthodologiques de la terminographie. Wüster a écrit des centaines d'articles spécialisés sur la terminologie; il est l'auteur de plusieurs ouvrages dont le célèbre Dictionnaire de la machine-outil (1968). L'essentiel de sa pensée tient dans son cours Introduction à la théorie générale de la terminologie et à la lexicographie terminologique (1979), cours reconstitué par ses collaborateurs après sa mort et publié en allemand en 1979. C'est principalement par le biais du Comité technique 37 de l'ISO et d'Infoterm, deux organismes basés en Autriche, qu'ont été perpétués les enseignements du grand maître de Vienne (Felber, 1984 et Picht, 1985). Aussi, tous les vocabulaires techniques élaborés dans le cadre de l'ISO l'ont été selon les principes terminographiques énoncés par Wüster. L'école autrichienne a largement essaimé en Allemagne (ex-RFA avec le groupe DIN et ex-RDA avec Hoffmann, 1976 et 1985) et dans les pays d'Europe du Nord qui se regroupent aujourd'hui sous la bannière de Nordterm. - YÉcole de Prague qui dérive de l'école praguoise de linguistique fonctionnelle. Ses travaux théoriques ont surtout touché la description fonctionnelle des langues de spécialité, la norme linguistique et la normalisation terminologique, la morphologie du terme. Les principes terminographiques énoncés par l'École de Prague ont trouvé leur application dans l'abondante production terminologique de l'Institut de la langue tchèque rattaché à l'Académie des Sciences.

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Entre autres, les travaux de Lubvomir Drozd (Drozd et Seibicke, 1973) ont largement contribué à la diffusion des théories de l'École de Prague. - l'École de Moscou qui émane directement dans les années 1930 des travaux de Lotte et de Wüster, tôt rattachée à l'Académie des Sciences de Moscou, s'est d'abord préoccupée d'appliquer les théories terminologiques de Wüster à la langue russe en les poussant parfois beaucoup plus loin. Elle est à l'origine d'une intense activité terminologique tant au plan de la description théorique qu'au plan de la production terminographique. Un accent très fort a été consenti à la normalisation terminologique du russe selon des principes très soigneusement décrits. C'est le contexte fortement plurilingue de l'URSS d'alors et celui d'une administration très centralisante qui a motivé cette intense activité de normalisation terminologique (Rondeau, 1984). L'École de Moscou est demeurée très près spirituellement de l'École de Vienne jusqu'à aujourd'hui et, au plan international, elle a eu une influence déterminante en matière d'aménagement linguistique et de normalisation terminologique. Ces trois Écoles ont comme trait commun une approche linguistique de la terminologie qui s'est traduite et se traduit encore par une abondance extraordinaire d'écrits théoriques et pratiques sur la terminologie. On verra que ce n'est que beaucoup plus tard que des auteurs francophones se sont mis à la description théorique de la terminologie, en privilégiant l'approche systématique en terminographie. L'influence de ce courant, on le verra plus loin, a été considérable pour le courant terminologique aménagiste qui a pris naissance au Québec vers la même époque. Le second courant qu'on peut qualifier de traductionnel lie très étroitement les concepts de terminologie et de traduction. Il représente historiquement le courant le plus important de développement des activités de terminologie dans le monde francophone. En effet, c'est le plus souvent en relation avec la mise sur pied de bureaux de traduction qu'on a créés en parallèle des structures de recherche en terminologie (cf., par exemple, à la Commission des Communautés européennes, au Bureau des traductions du gouvernement canadien, au Bureau des traductions de l'ONU à New-York). Plus encore, dans l'ensemble des pays francophones, la terminologie n'a été longtemps enseignée (quand elle l'était) que dans les écoles de traduction et liée exceptionnellement aux programmes de linguistique dans les universités (Dubuc, 1978). Ce lien privilégié entre la terminologie et la traduction est historiquement très important au Québec, et c'est autour des milieux de la traduction (universités, STQ, entreprises), que s'est constitué dans les années 60 le noyau de terminologues qui est à l'origine d'une activité terminologique unique au monde par l'ampleur qu'on lui a donnée. Il faudra attendre les années 1970 pour voir apparaître chez nous le courant aménagiste avec un organisme comme l'Office de la langue française orienté non plus cette fois vers les travaux de traduction mais plutôt vers les premières tentatives d'aménagement linguistique sur le terrain (Auger et Rousseau, 1978). C'est aux différentes législations linguistiques qui se sont succédé au Québec depuis les années 1970, qu'on doit l'accroissement des besoins en traduction des entreprises pour accroître le statut du français comme langue du travail, du commerce et des affaires. Ainsi, il a existé peu d'exemples, ailleurs qu'au Québec, d'une si forte concentration de professionnels de la terminologie qui ont permis de structurer la profession (cf., la Secter SECtion TERminologie de la STQ). Les efforts

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conjoints de la Société des traducteurs du Québec et de l'Office de la langue française y sont certes pour quelque chose dans cette diffusion sociale remarquable de la terminologie (BoutinQuesnel, 1985). Ce n'est qu'à une date relativement récente qu'on commence à trouver ailleurs dans le monde, en Europe du Nord, par exemple, des regroupements de langagiers possédant un dynamisme comparable. Ce lien très étroit entre terminologie et traduction est aussi à l'origine, dans les années 1970, de la conception et de la création des banques de terminologie, en Europe et au Canada, pour appuyer les activités de traduction. Seuls, en effet, des besoins terminologiques de l'ampleur de ceux générés par la traduction technique pouvaient justifier de pareils investissements de la part de gouvernements. La nécessité et l'utilité de ces systèmes n'est plus aujourd'hui à démontrer. Ils servent aussi bien à rentabiliser les activités de traduction (cf. CEE et Canada) qu'à instrumentaliser des projets d'aménagement linguistique (cf. BTQ au Québec). Le troisième courant, qualifié d'aménagiste, a donné un souffle nouveau à la terminologie à compter des années 1970 et c'est particulièrement vrai du Québec avec ses projets linguistiques. Le concept d'aménagement terminologique découle méthodologiquement de la mise en rapport des concepts de francisation (ou plus généralement de changement linguistique) et d'aménagement linguistique. Et si l'identification de ce concept est assez récente (cf. Corbeil, 1980), les pratiques modernes d'aménagement terminologique remontent, elles, aux années 1930 dans certains pays industrialisés. Il importe ici de s'interroger sur le sens des expressions aménagement linguistique et aménagement terminologique. L'expression aménagement linguistique doit être entendue avec le sens que le linguiste J.-C. Corbeil (1980) lui a donné dans ses travaux, c'est-à-dire de «processus planifié de changement linguistique» (c'est le language planning des Américains). L'expression aménagement terminologique réfère, elle, à un «processus éclairé et réfléchi par lequel sont conçues, élaborées et implantées des terminologies dans le vécu langagier d'un groupe-cible» (Auger, 1983). Ces expressions réfèrent donc essentiellement à des concepts dynamiques par lesquels des changements linguistiques sont mis en œuvre selon un plan déterminé et un calendrier précis. On peut caractériser l'aménagement terminologique par six fonctions fondamentales : 1) la fonction recherche, 2) la fonction normalisation, 3) la fonction diffusion, 4) la fonction implantation, 5) la fonction évaluation et contrôle et 6) la fonction mise à jour. Au plan dynamique, ces fonctions peuvent correspondre à autant de phases ou d'étapes qui vont de la conception initiale d'un produit terminologique jusqu'à son implantation auprès d'un groupe-cible selon une planification rigoureusement établie qui suppose à la fois l'identification d'un objectif à atteindre et le recours à une stratégie globale d'intervention. Pareille définition de l'aménagement terminologique suppose la mise en œuvre d'un appareil de recherche très important qui va bien au-delà des activités proprement terminographiques. C'est dans cette veine que l'Office de la langue française a mis en circulation, depuis le début des années 1970, des centaines de répertoires terminologiques conçus pour et avec les entreprises dans le cadre de ses opérations de francisation. Cette activité se poursuit encore aujourd'hui, vingt années plus tard, elle a même servi de modèle à des expériences analogues ailleurs dans le

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monde. Ainsi, la Catalogne, sous l'égide de la Generalitat de Catalunya, conduit d'importants travaux d'aménagement linguistique et terminologique qui ne sont pas sans rappeler les travaux des Québécois. Plusieurs États du Maghreb ou d'Afrique noire ont également adopté des démarches aménagementales inspirées des travaux québécois. Le quatrième courant vient situer la terminologie dans une vision «industrielle» de la langue (cf. l'expression industries de la langue pour dénommer un concept qui remonte au début des années 1980) à la fois comme composante essentielle des nouvelles technologies de l'information (par exemple, représentation des connaissances dans les systèmes-experts) et comme produit issu du traitement automatique de la langue naturelle (Auger, 1988b). Fait remarquable encore, les activités proprement linguistiques des entreprises (traduction, terminologie) sont de plus en plus soutenues par des technologies dérivant des IDL qui permettent de les rentabiliser ou du moins d'en restreindre les coûts. En considérant les recherches menées ces dernières années en vue d'automatiser la chaîne de travail terminographique, il ressort clairement que la terminographie peut tirer profit de l'informatique et que la gestion des différentes étapes de la recherche poursuit une logique parfaitement adaptable aux technologies existantes de manipulation de l'information textuelle (Auger, 1989 et 1991). Les réalisations accomplies dans le cadre des projets actuels de recherche sur l'automatisation des tâches du terminologue sont énormes si l'on considère que l'automatisation était pratiquement nulle en ce domaine il y a dix ans à peine. On peut aujourd'hui affirmer que toutes les étapes de la recherche terminographique peuvent transiter par l'informatique, rendant ainsi inutiles la plupart des interventions manuelles auxquelles s'adonne traditionnellement le terminographe. 2 . Une destinée à plusieurs voies On a vu à travers les moments du développement de la terminologie moderne pointer certaines tendances données comme caractéristiques d'une époque. D'un point de vue contemporain, cette fois, nous allons définir cinq zones d'influence de la terminologie moderne, zones qui interagissent et confirment cet aspect pluraliste d'une discipline carrefour comme l'est la terminologie.

2.1 Terminologie et lexicographie C'est devenu un lieu commun de parler des besoins de développement terminologique du français face à l'explosion technologique mondiale. Faut-il rappeler ici que la terminologie est un vecteur nécessaire du développement, de l'acquisition et de la diffusion des connaissances? Et plus le savoir se fait spécialisé ou «pointu», plus grands deviennent les besoins terminologiques pour une langue donnée. Plus encore, le poids actuel des langues peut se mesurer à leur degré de développement terminologique. Aussi, il n'est pas étonnant que l'activité d'élaboration de dictionnaires terminologiques va croissant avec les années, au même rythme (ou peu s'en faut) que le progrès scientifico-technique lui-même. L'Office de la langue française du Québec a répertorié cette dernière année, dans la francophonie, plus de 415 projets de terminologie en

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cours. C'est donc dire que l'activité terminographique joue un rôle important dans le développement des langues modernes véhiculaires et que ce rôle n'est pas près de perdre de son importance au rythme où vont les choses. Pour une bonne part, toute cette recherche terminographique est orientée vers la néologie et donc vers ce qu'on peut appeler la mise à jour terminologique du français. Le marché des dictionnaires, par son dynamisme dans l'ensemble de la francophonie, s'appuie sur des besoins constants en rapport avec ce que nous définirons plus loin comme 1' «industrialisation du français».

2.2 Terminologie et traduction La traduction demeurera toujours la clientèle privilégiée de la terminologie. Faut-il insister sur le boom médiatique de la dernière décennie, de même que sur l'internationalisation et l'instantannéisation des communications? L'Europe moderne est un bel exemple de la vivacité de ce que certains ont appelé le marché des langues. Il faut ici mentionner les besoins sans cesse croissants en terminologie vive engendrés par le flux informationnel spécialisé (techno-scientifique) des années 1980. Mentionnons à titre d'exemple le marché actuel de la traduction, grande consommatrice de terminologies vives. Ce marché mondial de la traduction représente aujourd'hui 150 millions pages/an avec un contingent de 175 000 traducteurs. Le marché européen de la traduction (C.C.E.), pour sa part, s'étend sur 12 pays utilisant 9 langues, ce qui représente 72 couples de langue à traduire répartis sur 1,5 millions de pages/an pour un effectif de plus de 2 000 traducteurs. Si l'on analyse cette fois les domaines généraux faisant l'objet de cette intense activité traductionnelle, on aura la ventilation approximative suivante: 70 % pour la traduction de documents administratifs, - 30 % pour la traduction de documents techniques et - 4 % seulement pour la traduction littéraire. Ces chiffres cités par J.-F. Dégremont lors du Congrès de l'Aupelf, au mois de décembre 1988 à New-Delhi (AUPELF), parlent d'eux-mêmes de ce flux terminologique intense provoqué par les communications modernes spécialisées et qui va s'intensifiant à chaque année. La traduction automatique (ou assistée par ordinateur), en offrant des solutions praticables pour l'avenir, va multiplier encore les besoins en «terminologies vives» et devoir s'appuyer sur des dictionnaires électroniques colossaux, exhaustifs et constamment à jour.

2.3 Terminologie et technolectes Une des missions importantes qu'aura à soutenir la terminologie dans les prochaines années est certes la pédagogie des langues de spécialité. Le français a un retard important à combler en ce domaine, retard qui touche surtout son instrumentalisation, à des fins pédagogiques entre autres. Π est plus que certain qu'une pédagogie du français langue maternelle orientée vers les langues de spécialité est un élément important pour le maintien du français comme langue véhiculaire de la science et des techniques. Si on utilise de moins en moins le français dans les communications scientifiques et techniques, c'est bien souvent qu'on en ignore les possibilités en se disant que seul l'anglais permettra d'être lu par la communauté scientifique internationale. Ceci est un point

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important si l'on considère que la prise en compte terminologique est un élément fondamental de la structuration de la pensée et que cette opération ne peut jamais être aussi bien conduite que dans sa propre langue maternelle. Plus encore, et en dépassant le strict niveau terminologique, cette fois, le texte de LSP dans sa globalité est maintenant pris en compte dans les analyses en linguistique des LSP, que ce soit pour en décrire la stylistique (statistique lexicale et mesure de la lisibilité), rendre compte des collocations propres aux discours de LSP (extraction des groupes phraséologiques), ou effectuer des analyses de contenu (niveau cognitif du texte de LSP).

2.4 Terminologie et sciences de l'information La terminologie grande consommatrice d'information entretient des liens privilégiés avec les sciences de l'information : documentation, classification, informatique. Songeons ici à l'élaboration des thésaurus dans les sciences et les techniques, les classifications scientifiques, le classement de l'information dans les banques de terminologie, la structuration des systèmes experts, les dictionnaires électroniques spécialisés des systèmes de T.A.O. Ces liens touchent tant la théorie de l'information que ses applications. L'informatique au premier chef s'est révélée un outil extraordinaire pour le développement des méthodes de travail en terminologie. La terminologie, comme de nombreuses disciplines reposant sur le traitement de l'information écrite, a évolué naturellement dans le sens d'un rapprochement constant avec l'informatique et ses moyens. En effet, la terminographie (comme la lexicographie) repose sur un traitement extensif et intensif de l'information textuelle : - extensif parce qu'elle traite du texte sous toutes ses formes, prenons pour exemple la diversité des informations nécessaires à l'accomplissement d'un travail terminologique et les tâches de traitement qui s'y rattachent; intensif : songeons seulement au volume considérable de cette documentation et aux lourdes tâches, souvent répétitives, qui attendent le terminologue dans sa recherche; on se rapproche ici sensiblement d'un idéal méthodologique d'exhaustivité que permet seul l'automate. On sait maintenant que toutes les tâches terminograhiques traditionnellement conduites manuellement peuvent, séparément, faire l'objet d'un traitement automatique, et cela avec des degrés divers d'automatisation. Une projection vers un avenir qui n'est certes pas très lointain permet d'imaginer l'automatisation complète de l'ensemble de la chaîne de traitement terminographique depuis les premières recherches documentaires jusqu'à l'obtention du produit final, le dictionnaire terminologique, quelle que soit sa forme (imprimée ou électronique). Ce scénario futuriste laisse entrevoir le poste «intelligent» de terminographie regroupant sous une même coquille toutes les composantes d'un système expert de terminotique apte à la décision. L'informatisation offre désormais des solutions pratiques au lexicographe et au terminologue pour qui les problèmes de temps, d'efficacité et de rentabilité sont toujours présents. Enfin, la mise à jour continue des dictionnaires terminologiques est envisageable dans un environnement de travail informatisé (Auger, 1989). Les retombées les plus importantes de l'utilisation de techniques informatiques d'analyse et de manipulation des textes de LSP à des fins terminographiques ont donné au terminologue une vision plus large de son travail en l'obligeant à dépasser les limites du seul terme pour ses

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descriptions, à percevoir le texte comme le lieu de réalisations de différentes strates lexicales, de collocations privilégiées que forment les phraséologismes.

2.5 Terminologie et aménagement linguistique Il reste encore beaucoup à faire et à découvrir en matière d'aménagement terminologique. On sait d'ores et déjà que l'aménagement terminologique constitue la pièce maîtresse de tout projet d'aménagement linguistique et qu'il est une condition sine qua non du développement moderne des langues. Le poids des langues sur la carte linguistique du monde réside avant tout dans leur capacité de véhiculer la science et la technologie dans leurs développements les plus récents (Auger, 1988b). Ce qui est vrai pour le français l'est encore davantage pour les langues nationales des pays en développement. Le développement linguistique est intimement lié au développement terminologique dans cette décennie où les communications se font plus spécialisées et la technologie plus lourde, et c'est en ce domaine que le déficit terminologique des langues en développement est le plus grand (Boulanger, 1989). Il est important de souligner que le Québec a d'abord fondé sa stratégie de francisation des entreprises sur l'activité terminologique (recherche, difffusion, implantation) considérée comme étant la clef du changement planifié. En se référant à la distinction entre langue développée et langue en développement, il apparaît évident que la réalisation de projets d'aménagement terminologique ne peut s'effectuer selon des méthodologies identiques dans les deux cas. Avec le français, par exemple, nous avons à traiter avec une langue déjà bien développée sur le plan terminologique et qui comporte déjà un fonds terminologique très important. Pour les langues en développement, il en va bien souvent tout autrement. D'abord, la description linguistique de ces langues n'est généralement pas terminée comme cela se produit très souvent avec les langues à tradition orale. Ensuite, l'inventaire terminologique de ces langues à tradition orale n'a pas encore été poussé très loin, ce qui ajoute à la difficulté de systématiser des modèles morphosyntaxiques de dénomination. À cela s'ajoute le problème quasi général des dialectes à l'intérieur des entités géopolitiques; d'où des problèmes de choix à caractère normatif. Malgré des approches et des finalités différentes, les travaux québécois ont servi et servent encore souvent de modèles pour des projets d'aménagement linguistique conduits en Europe, en Afrique ou en Amérique centrale et du Sud.

3 . Dans le complexe des industries de la langue Depuis 1985 environ, un concept nouveau a fait émergence pour préciser la place qu'occupent les sciences du langage dans le développement des technologies modernes de l'information qui utilisent l'informatique, concept auquel on a donné le nom d'industries de la langue. Cette étiquette commode pour mettre en évidence le double rapport qui s'est établi entre la linguistique et l'informatique - la linguistique comme outil de formalisation de la programmation informatique en langue naturelle, l'informatique comme outil de traitement des langues naturelles - , vient redéfinir cette relation d'efficacité entre l'homme, sa langue et la machine, et les technologies nouvelles qu'elle met en œuvre et confirmer par le fait même des finalités

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pratiques à la recherche en linguistique (ce qu'on était bien loin de soupçonner il y a dix ans à peine). On reconnaît aujourd'hui le rôle central des terminologies qui sont des systèmes organisés de dénomination et, partant, des éléments fondamentaux de formalisation de la connaissance dans cette perspective d'industrialisation du français. Les besoins en terminologies vives vont sans cesse progresser pour alimenter et documenter les systèmes de traitement de l'information qui sont la conséquence de cette industrialisation du français; cette explosion de la demande devrait avoir pour pendant des développements substantiels dans le domaine de la terminographie assistée par ordinateur, appellée le plus souvent terminotique. Pour en arriver à cette phase «industrielle» de la terminologie, il faudra certainement longtemps compter encore sur les progrès de la recherche en informatique linguistique et sur les travaux systématiques de centres comme le LADL (lexique et syntaxe du français), ATO à 1TJQAM (dépouillement automatique de termes et termes complexes, cf. projet avec l'OLF) et bien d'autres encore, avant de voir résolus les problèmes que nous venons d'évoquer. Mentionnons également des centres d'application comme le CRITT (au Québec) ou la DIST en France (Délégation de l'information scientifique et technique) dont la mission est de soutenir le développement de projets et d'applications d'automatisation linguistique. Pour la terminotique spécifiquement, une coordination internationale paraît nécessaire pour éviter les dédoublements et orienter les efforts de développement selon des axes coopératifs. Les travaux du groupe ISO/TC 37/SC 3 Ν 37 touchant les Computer aids in terminology se situent dans cette voie rendue plus ardue encore par le dialogue des langues. Pour donner un aperçu des nouveaux outils de traitement du langage que l'informatique met déjà à notre disposition et qui seront perfectionnés encore dans les prochaines années pour servir le terminologue, mentionnons : -

Les systèmes intelligents de reconnaissance de caractères; Les correcteurs textuels; Les analyseurs textuels (indexation des bases de données textuelles); Les analyseurs syntaxiques (parsers); Les découpeurs de mots/termes et de termes complexes; Les lemmatiseurs; Et, enfin, les nouvelles technologies de diffusion de l'information terminologique comme les CD-ROM, les vidéo-disques, les disques WORM, etc. (outils de référence linguistique comme les banques de terminologie).

Pour conclure ce panorama, disons que ces perspectives modernistes de la terminologie ou de la terminotique contribuent à l'industrialisation de la langue française et, partant, au maintien de son statut international comme grande langue véhiculaire de la science et des techniques. Faut-il insister sur la nécessité qu'il y a pour les langagiers à l'aube de l'an 2 000 de participer à cet effort technologique d'industrialisation de la langue française? Les terminologues, en particulier, pour leurs travaux de «rattrapage terminologique» dans les domaines scientifiques et techniques

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fortement néologiques, trouveront dans cette orientation nouvelle des moyens efficaces de réduction du «déficit terminologique» chronique dont souffre le français et qui constitue une menace à son rayonnement et à sa diffusion dans le monde. Tout le progrès technologique réalisé au cours de la présente décennie contribue à faire de la terminologie une discipline vraiment internationale au même titre que d'autres disciplines des sciences humaines. De plus, la nature même de la terminologie, en contexte plurilingue, en fait une discipline particulièrement internationalisante en facilitant les transferts linguistiques entre les peuples. Enfin, la terminologie, par sa nature et son rôle dans le discours spécialisé, est liée intimement au processus cognitif humain dans la préhension du savoir contemporain; plus encore, elle est créatrice de savoir en ce qu'elle lui est simultannée. On connaît l'engouement contemporain pour la modélisation du savoir humain pour faire fonctionner des ordinateurs selon des mimétismes anthropoïdes. Ces systèmes utilisent des connaissances formalisées utilisables par les automates où la terminologie joue un rôle structurant de première importance.

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Brano de Bessé École de traduction et d'interprétation Université de Genève

Contribution à la définition de la terminologie Dans l'introduction du Guide du travail en terminologie publié en 1973 par l'Office de la langue française, Jean-Claude CORBEIL écrivait : «La terminologie est une activité relativement récente, qui connaît aujourd'hui un essor considérable et qui cherche sa voie». Cette constatation vaut encore en 1992, même si la terminologie est de plus en plus considérée comme une discipline. Il n'est donc pas surprenant que la définition d'une science en devenir reste dans une large mesure à formuler et que les terminologues éprouvent encore des difficultés à définir la terminologie. La définition de la terminologie pourrait s'articuler autour de cinq sens principaux. 1. Terminologiefl] — Les termes Tout d'abord terminologici1 ] sert à identifier l'objet lui- même, les termes proprement dits, et les produits, c'est-à-dire les recueils et les collections de termes.

1.1. L'objet Terminologie[l] désigne l'ensemble des termes propres à un art, à une technique, à une science, à une discipline, à un domaine, à une activité ou à une pratique, à une usine, à une entreprise, à une école, à un chercheur ou à un groupe de chercheurs, à un auteur. Cet ensemble statique de termes, en principe cohérent, reflétant un système conceptuel, est employé pour la pratique d'une activité déterminée et il est nécessaire à son exercice. En ce sens terminologici 1] désigne l'ensemble des termes que doivent employer les personnes compétentes dans leurs activités pour exprimer et maîtriser les réalités pratiques et théoriques impliquées par cet exercice. On parle ainsi de terminologie de l'informatique, de terminologie du machinisme agricole, de terminologie de la chimie, pour désigner l'ensemble des termes propres à ces disciplines. Terminologici 1] s'oppose alors au vocabulaire général et à la langue commune. Cette définition de terminologici 1 ] coïncide en partie avec celle de lexique, qui désigne également l'ensemble des termes appartenant à un langage de spécialité. Ce sens recoupe également celui de vocabulaire employé pour signifier l'ensemble de mots spécialisés d'une discipline ou d'un auteur. Cette signification de terminologie rejoint enfin celle de nomenclature dans certains domaines comme la chimie, la botanique ou la zoologie. On peut ainsi, tout aussi bien, parler de vocabulaire de l'informatique, de lexique du machinisme agricole ou de nomenclature de la chimie.

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1.2. Les produits Terminologici 1] sert également à désigner les termes contenus dans une publication ou dans une banque de données. Le contenant prend alors le nom du contenu, et terminologie! 1] comprend tous les recueils imprimés, de même que toutes les collections informatisées, qui sont le résultat d'une description. Pour désigner ces produits on parle habituellement de dictionnaire, de lexique, de vocabulaire, de glossaire, quand ils se présentent sous la forme d'un livre, et de banque de données, quand ils sont accessibles par l'intermédiaire de l'informatique. 2 . Terminologie[2] — La désignation Terminologie[2] désigne également la dénomination des concepts et la constitution de systèmes conceptuels, c'est-à-dire l'ensemble des opérations nécessaires à la création de terminologies[l] au sens premier. La démarche consiste à dénommer des réalités nouvelles et à trouver les termes les plus appropriés pour identifier des concepts nouveaux. Dans ce cas la démarche est onomasiologique. L'acte de dénomination va de l'objet au concept, du concept au signe, du signifié au signifiant, c'est-à-dire au terme. En effet, toute création, toute invention, toute découverte, implique nécessairement l'apparition de nouveaux concepts et nécessite la création de termes pour désigner des réalités nouvelles. Les créateurs, les inventeurs, les découvreurs doivent nommer ce qui n'avait jusqu'alors ni existence conceptuelle, ni désignation terminologique. Ils ont alors une activité nommante, allant du concept au signe, qui se situe au moment où le nommable n'est pas encore nommé. Le créateur part du concept nouveau et s'attache à trouver le terme le plus adéquat pour désigner ce concept. Pour ce faire, il peut puiser dans le lexique disponible de sa langue et donner un sens nouveau à des termes déjà existants, ou créer, en véritable démiurge, des termes nouveaux. La création terminologique accompagne nécessairement toute nouveauté conceptuelle. Les créateurs de concepts, les concepteurs, sont incontestablement les premiers terminologues même si, comme c'est souvent le cas, ils n'en ont guère conscience. Ce sont eux qui, en général, construisent des terminologies[l], créent des néologismes et méritent, plus souvent que les professionnels de la communication (en particulier les rédacteurs et les traducteurs), le titre de néologue. 3 . Terminologie[3] — La description On parle aussi de terminologie[3] pour désigner l'activité qui consiste à étudier, de façon systématique, une réalité terminologique existante, constituant un ensemble structuré, à effectuer l'inventaire des termes propres à un domaine, à les décrire, à les classer, à mettre en évidence leur place dans un système conceptuel organisé et structuré, à les accompagner d'un certain nombre d'informations, à les mettre en rapport avec leur équivalent dans d'autres langues, à les stocker le cas échéant dans une banque de données et à diffuser le produit ainsi obtenu.

Contribution à la définition de la terminologie

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Comme en lexicographie, il convient de recenser et de récolter l'ensemble des termes employés dans un secteur donné pour en faire l'analyse rigoureuse. Le travail consiste à décrire le sens des termes, à les classer par domaine, à préciser leur emploi, à montrer leur fonctionnement, etc. Effectué dans plusieurs langues, ce travail a pour but d'établir une correspondance entre les différents systèmes conceptuels et les terminologies!1] propres à chaque langue pour un même domaine. Dans ce cas, la démarche est sémasiologique. On part des termes, du signifiant, pour aller au signifié, puis au concept et enfin à la réalité. Le travail terminologique consiste à effectuer une description lexicale et conceptuelle d'un secteur d'activité. L'activité est interprétative et analytique, allant du signe au concept. Cette activité consiste à produire des dictionnaires ou des fichiers terminologiques. C'est pourquoi on pourrait parler plus justement de terminographie, par analogie avec la lexicographie. Cette comparaison ne signifie pas pour autant un parallélisme entre les deux activités. La terminographie ne saurait être réduite à une simple lexicographie des langages de spécialité. Les méthodes comportent des points communs mais aussi quelques différences. En effet, les présupposés théoriques sont bien différents. La lexicographie réunit et décrit des unités lexicales. La terminographie s'occupe des signes nommants, par rapport à des objets à désigner. La multiplication des activités terminographiques suscitées par des besoins précis s'est traduite par la création de la profession de terminologue ou plus justement de terminographe, et par l'organisation de programmes de formation coirespondant à cette nouvelle pratique. 4 . Terminologie[4] — Les études et les recherches Terminologie[4] désigne en outre la réflexion sur les processus de désignation, sur l'organisation et la structuration conceptuelles, sur le fonctionnement des termes dans la langue. La terminologie[4] étudie ainsi les moyens qui permettent de satisfaire les besoins de désignation, analyse les mécanismes de dénomination des réalités nouvelles et examine les modes d'organisation du réel et la conceptualisation, comme la perception et la vision du monde reflétées et imposées par la langue. La terminologie[4] étudie les rapports des signes du langage avec le monde des objets. La terminologie[4J s'intéresse également à l'organisation des concepts en classes et en systèmes et à leur prise en charge par les structures lexicales et syntagmatiques. Ainsi, les terminologies visent à être des langues bien faites, c'est-à-dire qu'elles doivent satisfaire à une certaine cohérence conceptuelle et lexicale. La terminologie[4] désigne aussi l'étude systématique des lexiques de spécialité, la réflexion sur les nomenclatures, leur élaboration, leurs structures, leur mise en rapport avec l'expérience et leur insertion dans les vocabulaires et leur prise en compte par l'usage. La terminologie[4] s'intéresse donc à l'organisation, au fonctionnement et à l'évolution linguistiques des différentes terminologies[l] dans le système de la langue. En ce sens la terminologie[4] est une discipline proche de la lexicologie qui relève de la sémantique et fait appel à la sémiotique. Cette activité plutôt théorique en est encore à ses débuts à

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bien des égards, même si on la crédite de tous les travaux de lexicologie portant sur les langages de spécialité. Enfin, la terminologie[4] examine l'utilisation des terminologies par la masse des locuteurs. Il est, en effet, intéressant de voir comment les locuteurs d'une langue, indépendamment du système, prennent en compte les terminologies[l] propres aux inventions. On pourrait parler de socioterminologie pour désigner l'étude des rapports entre terminologie[4] et société. 5 . Terminologie générale et théorique[5] Comme tout savoir humain, la terminologie[5] se constitue en projet scientifique cohérent et se dote d'une méthodologie.

5.1. Terminologie théorique[5] Comme toute science, elle est constamment à la recherche d'un cadre théorique susceptible de consolider ses fondements, d'enrichir ses connaissances et d'améliorer ses pratiques. Pour ce faire, elle fait appel à Yépistémologie, à l'histoire des connaissances, à la taxinomie, à la logique et à l'ontologie. Elle cherche également sa place dans la linguistique et alimente sa réflexion dans ses rapports avec la traduction et la documentation.

5.2. Terminologie générale[5] Les activités terminologiques et terminographiques manquent encore de fondements théoriques. Il convient de définir, de critiquer, d'améliorer le travail des praticiens, à partir d'une réflexion sur ces pratiques et de proposer une véritable méthodologie fondée sur le plan scientifique et efficace sur le plan pratique. L'essentiel reste encore à faire. Certes les terminologues et les terminographes disposent de quelques éléments de réflexion et travaillent selon certains principes, mais dans la pratique ils sont souvent amenés, faute de réponses adéquates disponibles, à faire appel à des recettes ou à faire du bricolage.

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Robert Dubuc Ex-chef des services linguistiques à Radio-Canada

La crise de la terminologie : le recours informatique La terminologie est en crise. La dernière récession lui a coûté cher. Elle a écopé durement des cures d'amaigrissement de la fonction publique et de l'entreprise. Il devient évident que pour survivre, il lui faut fournir un effort sérieux de réflexion et de remise en question. Dans ce processus, l'informatique prend une importance spéciale parce qu'elle semble fournir des armes pour faire face à la situation. L'informatique et la terminologie ne sont pas l'une pour l'autre des inconnues. Déjà dans les années 70, l'informatique a joué un rôle de premier plan dans le stockage et la diffusion des données terminologiques. Depuis quelques années, on cherche à l'associer au travail terminologique même : nomenclature, dépouillement, analyse terminologique. Enfin, elle devra faire sa place dans les systèmes de traduction assistée par ordinateur. Il reste à déterminer les conditions qui permettront à l'informatique de sortir la terminologie de sa crise. 1.0 Stockage et diffusion 1.1 Banques de terminologie Depuis plus de vingt ans, la grande informatique a permis la constitution et l'exploitation de volumineuses bases de données terminologiques, appelées banques de terminologie. Ces banques ont exploité comme unité d'information la fiche terminologique bilingue ou multilingue qui répond aux critères de validité définis par la discipline (Dubuc, 1985 : 75). Ces fiches, saisies informatiquement, ont été consignées dans de vastes mémoires pour être accessibles par diverses clés : unités terminologiques, complètes ou partielles, domaines d'application, sources, etc. Les banques ont été conçues comme des pôles universels de regroupement de l'information terminologique. Elles ont cherché à réunir, autant que possible, toute l'information terminologique existante et répondant à des critères minimaux de validité. Elles ont voulu en outre mettre de la terminologie au point dans les domaines lacunaires. Selon leur vocation première, les banques devaient s'orienter non pas vers une simple fonction de vecteur de l'information terminologique, mais bien vers un rôle de coordination et de stimulation de la recherche terminologique. Pour répondre à cette vocation, elles se sont dotées de structures informatiques de grande capacité, tant pour le stockage que pour la diffusion des données. Pour leur mission de générateur de terminologie, elles s'en sont le plus souvent remises aux organismes qui les chapeautaient L'alimentation des banques a été la plupart du temps le fait des

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terminologues travaillant pour ces organismes : le Secrétariat d'État à Ottawa et l'Office de la langue française à Québec. La combinaison de ces efforts a permis la mise en place de bases de données qui font aujourd'hui partie intégrante de l'univers des traducteurs et de bon nombre de professionnels de la langue de tous horizons. Les banques représentent des outils de consultation rapide et relativement simple et fournissent des réponses satisfaisantes à une proportion raisonnable des demandes qui leur sont faites, avec une qualité de renseignements qui répond aux attentes des usagers.

1.2 L'avenir des banques Après une quinzaine d'années de fonctionnement, il semble que les banques ont dû renoncer à leur objectif initial d'exhaustivité. Non pas que les systèmes informatiques ne le permettaient pas, mais bien à cause des coûts des travaux terminologiques originaux. Il a fallu aussi tenir compte des hésitations des «fabricants» extérieurs de terminologie à confier le produit de leurs travaux aux banques de terminologie en renonçant, ce faisant, à une partie de leur propriété intellectuelle. En outre, les dispositions de la loi sur le droit d'auteur limitent singulièrement la possibilité d'utiliser les citations, qui forment l'armature de la fiche terminologique, à des fins d'exploitation commerciale — lucrative ou non — sans l'obtention de licences qui peuvent ajouter notablement aux coûts des travaux terminologiques. Il faut bien constater que c'est au chapitre des coûts que le bât blesse le plus. La recherche terminologique et la mise à jour des informations existantes apparaissent d'un coût démesuré aux gestionnaires, qui rognent de plus en plus sur les crédits accordés à ces fins. Les banques ont donc tendance à vivre sur l'acquis sans évoluer au rythme des besoins. À long terme, cette tendance pourra signifier la destruction de la raison d'être des banques qui perdront leur avantage sur les supports traditionnels, notamment en ce qui concerne l'actualité de l'information. La crise de la terminologie tient donc pour une bonne part au fait que les décideurs considèrent la qualité de la langue comme un luxe dont on peut se passer sans grands inconvénients. Pourtant, à quoi sert d'avoir des lois pour protéger la langue, si de l'intérieur on n'en assure pas la qualité? Tant que la mentalité des décideurs n'évoluera pas, la terminologie se heurtera à des difficultés insolubles de financement. Les banques risquent d'être les premières victimes de cette situation : si elles se contentent d'être des greniers de terminologie, elles ne justifieront plus leur existence. Π leur faut retrouver leur vocation de moteurs de la recherche et de vecteurs d'une information constamment à jour. Il ne faut pas que s'implante dans les banques, sous forme informatisée, la désuétude reprochée aux ouvrages sur support papier. Les banques ne peuvent fonctionner sans des équipes de terminologues qui les alimentent et tiennent l'information à jour. C'est à partir de ces données qu'il faut étudier le financement des banques dans la conjoncture actuelle. Ce financement doit être repensé. Les usagers seront peut-être appelés à porter une part plus grande du fardeau. Mais il faut aussi reconsidérer l'exploitation des banques en fonction des ressources disponibles.

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Sur le plan des méthodes de travail, il faut éviter de donner dans l'angélisme : la terminologie n'est pas la lexicographie. Le rapport terme-notion n'a pas à être surattesté. Le témoignage d'une seule source qui répond à des critères rigoureux de validité (langue de rédaction originale, correction de la forme, autorité de l'auteur) peut suffire, sans qu'il soit nécessaire de multiplier les confirmations, ce qui ralentit d'autant le rendement quantitatif des terminologues. Π faut faire du bon travail, tout en sachant doser le degré de qualité pour en arriver à un rapport qualité-prix raisonnable. Pour éviter le problème posé par l'utilisation des citations, il conviendrait peut-être de remplacer l'unité de base de diffusion de l'information par l'article de vocabulaire comportant une définition inférée de la fiche terminologique de base, qui reste la pierre angulaire du travail terminologique. Peut-être y aurait-il moyen d'économiser sur les frais d'exploitation technique? Les économies ainsi réalisées pourraient être affectées aux travaux d'alimentation et de mise à jour. Termium, la banque de terminologie du Secrétariat d'État à Ottawa, a déjà expérimenté l'utilisation du disque compact à mémoire morte (CD-ROM). Ne pourrait-on pas trouver de ce côté un substitut avantageux à la connexion directe? Moyennant l'acquisition d'un lecteur spécialisé, l'abonné peut avoir un accès illimité au capital terminologique consigné sur ces disques à grande capacité. Le temps n'est peut-être pas loin où les usagers de terminologie auront à leur disposition un véritable «juke-box» terminologique où les contenus des banques et des dictionnaires seront consultables à partir d'un même poste d'interrogation. Les frais de liaison coûteux pourraient ainsi être partiellement effacés. S'il est certain que les banques doivent faire des économies, il n'est pas moins indiscutable que ces économies ne doivent pas se faire au détriment de la qualité et de l'actualité de leur capital terminologique.

1.3 Les fichiers terminologiques Parallèlement aux banques de terminologie se sont développés les fichiers terminologiques soit pour répondre aux besoins internes des entreprises, soit pour aider les traducteurs à résoudre les problèmes de terminologie posés par leur travail. Deux types de fichiers ont été ainsi constitués : le fichier central d'entreprise et le fichier individuel du traducteur. Jusqu'à une date relativement récente, ces fichiers étaient établis manuellement. Depuis cinq ou six ans, grâce à l'apparition de programmes de saisie et de gestion de fichiers terminologiques, la tendance est à l'informatisation. On retrouve donc, à échelle réduite, le triple avantage que l'informatique a apporté aux banques de terminologie : facilité de traitement, de stockage et d'accès.

1.4 Automatisation des fichiers terminologiques C'est l'avènement de la microinformatique qui a permis l'automatisation rentable des fichiers terminologiques. Toutefois, avant de décider d'automatiser un fichier, il faut en identifier clairement le type et la taille, puis déterminer l'utilisation qu'on veut en faire. De cette identification dépendra le choix des logiciels à mettre en oeuvre.

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Quel que soit le type de fichier à traiter, le logiciel choisi devra répondre aux caractéristiques suivantes : simplicité de la saisie, convivialité de la consultation et souplesse de la structure. Simplicité de la saisie d'abord. Plus la procédure de saisie sera simple, moins elle offrira de risque d'erreur. De plus, toute personne capable d'exploiter un programme de traitement de texte sera en mesure de saisir l'information qui pourra provenir de sources diverses. Cette caractéristique est particulièrement importante si le fichier à automatiser a déjà un nombre considérable de fiches accumulées. Les programmes de saisie devront permettre la vérification orthographique et technique du fichier. La vérification orthographique éliminera les malencontreuses coquilles si désagréables à trouver dans les fiches consultées tandis que la vérification technique garantira la présence des données nécessaires à la validité de l'information, conformément aux principes appliqués par la discipline. Convivialité de la consultation ensuite. L'expérience atteste que, s'il faut un cours complet pour pouvoir accéder à l'information d'un fichier, les usagers préféreront s'en priver. Π est donc important que la consultation du fichier devienne possible moyennant une simple initiation. La consultation doit de plus donner accès à l'information stockée à partir de l'une ou l'autre des langues de travail du fichier, selon les unités terminologiques déclarées. Souplesse de la structure enfin. Il importe que les champs réservés aux diverses catégories de renseignements soient de longueur variable pour s'adapter aux diverses situations et qu'un champ inoccupé n'accapare pas d'espace mémoire. En outre, le fichier doit permettre le regroupement de l'information par domaines et sous-domaines à des fins d'exploitation thématique. Enfin, le système doit permettre aux usagers de décoder tous les symboles et abréviations utilisés dans la rédaction des fiches. Les logiciels de fichiers terminologiques devraient offrir ces caractéristiques. Toutefois, selon le type, la taille et la vocation d'un fichier, d'autres facteurs doivent entrer en ligne de compte. Pour un fichier individuel de traducteur, de taille modeste (de 5 000 à 10 000 fiches environ), il suffit que le logiciel permette une simple consultation des fiches, sans autre forme de traitement. Cependant, il est important que le fichier puisse être consulté en «résidence», c'est-àdire sans obliger le traducteur à sortir de son programme de traitement de texte en cours de traduction. S'il s'agit d'un fichier centralisé, consultable par plusieurs usagers et dont la capacité peut atteindre jusqu'à 50 000 fiches, le logiciel doit avoir la capacité de traitement pour gérer cette quantité considérable d'informations : temps de consultation brefs et possibilité d'offrir des sommaires lorsque la question posée peut impliquer plusieurs possibilités de réponse. Π lui faut ensuite assurer la sécurité du contenu pour éviter les interventions intempestives touchant l'ajout, la modification et la suppression des fiches. La gestion du fichier doit relever d'un point de contrôle centralisé. La «résidence» n'est plus ici une condition sine qua non. Le fichier étant plus nourri, l'usager pourra plus facilement consentir à grouper ses interrogations. Si le fichier doit desservir principalement des traducteurs travaillant en réseau informatisé, il serait bon de prévoir tout de même ses possibilités de «résidence».

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1.4 Avantages de l'automatisation Les gains de temps et d'efficacité que pennet l'automatisation sont d'autant plus opportuns que l'opération ne pose pas de grandes difficultés. Si les fiches sont faites selon les règles de l'art, leur saisie et leur exploitation informatique offrent des avantages marqués sur le fichier artisanal. La même unité d'information (fiche) peut être accessible par de multiples clés (unités de base, synonymes, domaines, etc.), alors que le fichier artisanal exige la répétition de la même information pour chaque clé d'accès. De même, le contrôle des données déjà stockées pour correction et mises à jour se trouve considérablement simplifié.

1.5 Exploitation dérivée Les terminologues qui font de la recherche thématique devraient pouvoir se servir du logiciel de leur fichier pour traiter leur recherche et en communiquer le résultat à leurs clients. La possibilité de transférer sur disquette une partie du fichier selon des paramètres prédéfinis apparaît comme une propriété importante d'un logiciel de traitement de fichier terminologique. La disquette peut alors servir de base au traitement éditique de vocabulaires ou de lexiques thématiques, tirés du fichier. Un logiciel, comme Édibase, offre déjà cette possibilité, mais l'application en est laborieuse. De fait, il pourrait suffire de transférer sur Wordperfect la partie du fichier visée en vue du traitement éditique. Par les nombreux avantages qu'elle offre, l'automatisation des fichiers peut apporter aussi un élément de solution à la crise de la terminologie. Mais attention! l'automatisation n'est pas une solution magique. L'efficacité d'un fichier informatisé dépend en tout premier lieu de la qualité de l'information stockée, ce qui suppose une gestion par un ou des terminologues compétents. À cet égard, il n'y a pas de court-circuit possible.

1.6 Un corollaire : l'intégration des fichiers aux systèmes de T A O (traduction assistée par ordinateur). Le recours à l'informatique ne touche pas seulement la terminologie. La traduction l'étudié aussi très sérieusement. Les logiciels de traduction assistée par ordinateur ne sont plus une rareté. Il resterait pourtant à définir les modalités optimales d'intégration des fichiers terminologiques automatisés à ces programmes de traduction assistée. Pour y parvenir, il faudrait que les terminologues soient présents dans l'élaboration de ces programmes. Leur absence dans cet important dossier risque non seulement de réduire l'efficacité de la TAO, mais les prive peut-être d'un débouché prometteur pour leur profession. Pour sensibiliser les terminologues à cet aspect de la TAO, il faudrait, dans leur formation, donner plus de place aux divers aspects de la terminotique et de la traductique.

2.0 L'informatique et les méthodes de travail terminologiques Parmi les efforts de rationalisation à fournir pour «rentabiliser» le travail terminologique, la possibilité d'appeler l'informatique au secours des méthodes traditionnelles doit être prise en

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compte. Déjà des équipes sont au travail (Plante et Dumas : 1988 et Auger et coll. : 1991) pour mettre au point les modalités du recours à l'informatique aux diverses étapes du travail, notamment l'établissement de la nomenclature et l'analyse terminologique.

2.1 Les préalables L'automatisation des méthodes de travail en terminologie suppose un certain nombre de conditions préalables sans lesquelles les avantages de l'opération risquent d'être effacés par les inconvénients d'une mauvaise application. Le terminologue, appelé à travailler avec l'assistance informatique, doit avoir la pleine maîtrise des méthodes de travail traditionnelles : il doit savoir identifier un terme, le découper et circonscrire un contexte significatif qui atteste le rapport du terme à sa notion. L'automatisation ne saurait en aucun cas être un palliatif aux carences du terminologue. Bien au contraire, elle exigera de lui une plus grande compétence. Il en est de même de la connaissance du domaine de la recherche. Alors que, dans la démarche traditionnelle, le terminologue pouvait approfondir au fur et à mesure de ses dépouillements documentaires sa connaissance du domaine, cette ressource, dans le travail assisté par ordinateur, lui est enlevée, puisque la machine se charge du dépouillement des textes. Π lui faudra donc compenser cette perte par des études et des lectures préalables. On ne le répétera jamais assez : la recherche terminologique — automatisée ou non — est impossible sans une connaissance raisonnable du domaine étudié. Le recours à l'informatique exige en outre que les textes à étudier soient sous une forme exploitable par la machine, soit que les textes soient déjà en format ASCII (par exemple les disquettes fournies par les bases de données documentaires), soit qu'on fasse saisir les textes à dépouiller par un lecteur optique, soit enfin qu'ils fassent l'objet d'une saisie par traitement de texte. L'utilisation des disquettes de bases de données documentaires ne pose pas d'autres difficultés que celle de leur acquisition. Quant à la saisie par lecteur optique, elle ne semble pas encore la solution idéale. La fidélité de la lecture laisserait encore à désirer même si le coefficient d'erreur est relativement faible. Les coûts de l'opération ne sont pas négligeables non plus. Mais l'avenir laisse entrevoir une réduction significative à cet égard. Quant à la saisie manuelle par traitement de texte, son efficacité dépend de la compétence du personnel de saisie. Elle reste relativement lente et onéreuse. Le corpus d'une recherche informatisée doit donc faire l'objet d'une sélection rigoureuse tant pour réduire les coûts de saisie que pour éviter l'engorgement par des informations parasites. Le terminologue doit donc judicieusement choisir les textes qui vont faire l'objet d'un traitement automatique en appliquant les principes de sélection utilisés pour la démarche artisanale (Dubuc, 1985 : 52) avec plus de rigueur encore. Il faudra privilégier les textes les plus susceptibles de fournir les renseignements recherchés. La qualité devra primer la quantité.

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2.2 Automatisation du dépouillement Grâce aux logiciels d'analyse de textes et d'indexation, il est possible de soumettre les textes retenus à un premier dépouillement automatique qui produirait une liste initiale servant de base à l'établissement de la nomenclature. Cette première étape suppose qu'on définisse informatiquement le mot, par exemple, comme un assemblage de lettres précédé et suivi d'un espace, le trait d'union étant traité comme une lettre. Cette définition doit s'accompagner d'un corpus d'exclusion ou anti-dictionnaire qui éliminerait les formes non susceptibles de représenter une unité terminologique : mentionnons, à titre d'exemples, les assemblages de trois lettres ou moins, le relevé des pronoms et des adjectifs démonstratifs, possessifs ou indéfinis, les adverbes en -ment, l'énumération des mots outils, etc. La liste ainsi produite doit être épurée par le terminologue qui va marquer les mots qui lui apparaissent former une unité terminologique ou faire partie d'une unité terminologique. Certains logiciels d'indexation s'accompagnent d'un relevé des fréquences d'apparition. Le terminologue peut se servir de ces statistiques comme d'indices de la présence ou de la pertinence d'une unité terminologique. Toutefois, la fréquence d'apparition peut être significative ou trompeuse. Il faut donc se garder de lui conférer une valeur absolue. D'une façon générale, pour marquer les mots, le terminologue doit se fier plutôt à sa connaissance du domaine et à son flair. Ce travail engendrera une liste épurée contenant seulement les mots susceptibles de former des unités terminologiques pertinentes ou des éléments d'unités terminologiques pertinentes. L'opération suivante consistera à repérer les unités terminologiques complexes formant syntagmes. Pour ce faire, il faudra définir, selon les langues, des modèles syntagmatiques susceptibles de recouvrir les unités complexes recherchées. Par exemple, pour le français, on pourrait définir les modèles suivants : mot marqué + préposition + mot (modèle de syntagme à complément déterminatif), mot marqué + mot (modèle de syntagme nom-adjectif ou nom composé par juxtaposition), l'ordre pourrait être inversé pour produire le modèle mot + mot marqué pour couvrir les cas d'antéposition du déterminant. Ces modèles généreront une nouvelle liste que le terminologue épurera en marquant les unités qui lui semblent pertinentes, en s'inspirant au besoin des critères de découpage des unités terminologiques (Dubuc, 1985 : 59). Les éléments marqués dans les deux listes constitueront la nomenclature virtuelle de la recherche. Pour contrevérifier la pertinence de ses choix, le terminologue élaborera son arbre de domaine et classera chaque unité retenue dans la case pertinente, comme on le fait pour une recherche artisanale. À l'heure actuelle, les ressources de l'automatisation ne semblent pas pouvoir être mises à contribution pour élaborer l'arbre de domaine. Toutefois, il serait intéressant d'étudier les possibilités d'application d'un programme comme Work au classement des unités terminologiques.

2.3 Découpage des contextes L'arbre de domaine en place, les unités terminologiques classées, il reste maintenant à opérer cette étape capitale de l'analyse terminologique : le découpage des contextes.

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Pour chaque terme de la nomenclature, le programme d'analyse ou d'indexation va permettre d'aller chercher les contextes d'utilisation. Ce travail peut se faire en deux étapes. La première consiste à définir le module de découpage. Deux possibilités principales s'offrent ici : définition d'un module de longueur arbitraire (par exemple, trois lignes, comprenant la ligne où figure l'unité terminologique, la ligne qui la précède et celle qui la suit), définition d'un module grammatical (par exemple, la phrase où figure l'unité terminologique, la phrase étant définie comme tout énoncé entre deux points ou entre le début d'un paragraphe et un point). Ces deux options présentent avantages et inconvénients. Dans le premier cas, le terminologue devra traiter séparément chaque contexte retenu pour lui donner la cohérence de lecture nécessaire, mais les risques de perte d'informations significatives sont réduits. Dans le deuxième cas, la cohérence de lecture est assurée, mais la phrase n'est pas toujours un véhicule assez grand pour contenir tous les traits sémantiques pertinents révélés par le texte. Le cas échéant, le terminologue doit vérifier les phrases adjacentes si le contexte ne lui apparaît pas satisfaisant. L'intervention du terminologue à cette étape vise donc deux objectifs, retenir un contexte significatif et assurer sa cohérence de lecture. La seconde étape du découpage consiste à retenir le contexte le plus significatif. Le terminologue fondera son choix sur le nombre et la qualité des descripteurs contenus dans le contexte. Π attachera une importance particulière à la présence des descripteurs de nature et de fin. Encore ici, il faut se garder de la tentation de l'accumulation des données. Un bon contexte devrait suffire à établir le rapport du terme à sa notion.

2.4 Rédaction des fiches unilingues Grâce au programme d'indexation, le terme marqué et le contexte retenu sont automatiquement référencés (source et page). Il est donc possible, moyennant un logiciel de gestion de fichier terminologique, de transférer dans les champs pertinents de la fiche terminologique (unité terminologique, source, page, contexte) les données retenues, sans opération de recopie. Ce transfert permet de créer une fiche unilingue que le terminologue n'aura qu'à compléter des renseignements supplémentaires nécessaires ou utiles (datation, marques d'usage, logiques ou grammaticales).

2.5 Appariement interlangue des termes Les opérations précédentes permettent d'établir des fichiers unilingues. S'il faut établir des fichiers bilingues ou multilingues, il convient de faire l'appariement interlangue des termes en justifiant la parenté des notions qu'ils recouvrent. Cette opération suppose l'identification du crochet terminologique, qui atteste la présence de descripteurs communs aux contextes de chaque langue. Dans l'état actuel des choses, cette partie du travail ne peut encore bénéficier d'un secours informatique. Peut-être les progrès de l'intelligence artificielle permettront-ils un jour de dégager les crochets terminologiques et d'assurer ainsi l'appariement automatique des fiches. Pour

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l'instant, cet appariement reste l'apanage du terminologue. Il se constituera donc un fichier bilingue où la fiche A de la langue a^ (fichier de langue de départ) sera associée à la fiche Y de la langue a^ (fichier de la langue d'arrivée). D lui restera à compléter la fiche par les mentions de domaine et sous-domaines, en s'inspirant de la structure de l'arbre et à circonscrire au moyen des marques logiques pertinentes la correspondance des unités, le cas échéant. L'intervention du terminologue reste donc essentielle à l'automatisation du travail terminologique proprement dit. Pour l'instant, il faut parler d'assistance informatique plutôt que d'informatisation au sens strict. L'importance des interventions humaines dans le processus de recherche assistée rend encore plus impérieuse la compétence du terminologue. Il lui faut bien connaître le domaine dans lequel il œuvre; il doit maîtriser parfaitement les techniques d'identification et de découpage du terme, ainsi que celles de l'analyse contextuelle pour bien dégager les descripteurs. Il ne faut pas croire non plus que la recherche assistée par ordinateur pourra permettre aux spécialistes de faire leur terminologie sans le concours des terminologues. Le travail terminologique implique une compétence linguistique inhérente qui doit faire l'objet d'un apprentissage long et contrôlé. Le spécialiste peut certes acquérir cette compétence, mais il lui faudra se soumettre au même apprentissage. Automatisation ou non, le jumelage spécialisteterminologue reste une clé indispensable de tout travail terminologique sérieux. 3.0 Conclusion La crise de la terminologie est essentiellement liée à la situation économique que nous traversons. Elle se double d'une difficulté supplémentaire du fait de l'absence de motivation des décideurs économiques touchant l'importance d'une information terminologique rigoureuse et à jour. À ce chapitre, les terminologues doivent défendre leur position avec un peu plus d'acharnement qu'ils ne l'ont fait par le passé. La terminologie est une donnée essentielle de la santé de notre langue, si bien qu'on ne peut la sacrifier sans mettre en péril l'efficacité même de notre langue comme outil de communication. De leur côté, les terminologues doivent aussi se soumettre à la cure de rationalisation exigée par la situation économique. Il leur faut devenir très conscients du rapport qualité-prix de leurs travaux. Dans cette optique, les méthodes de travail doivent être réexaminées et, au besoin, rajustées. C'est aussi dans cet esprit que doivent être reconsidérés le fonctionnement et l'exploitation des banques et des fichiers de terminologie. Enfin, il faut espérer que l'assistance informatique puisse contribuer à l'efficacité de nos méthodes et à la qualité de nos produits.

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Bibliographie Dubuc, Robert (1985), Manuel pratique de terminologie, Montréal, Linguatech. Plante, Pierre et Lucie Dumas (1988), «Le dépouillement terminologique par ordinateur» dans Terminogramme, Québec, Office de la langue française, na 46 : pp. 24 et suivantes. Auger, Pierre et coll. (1991), «Automatisation des procédures de travail en terminologie», dans Méta, Journal des traducteurs, Montréal, Presses de l'Université de Montréal, vol. 36, n2 1 : 121-127.

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Roger Goffin Commission des Communautés européennes Université de Bruxelles

L'expérience de la terminologie à la Commission des Communautés européennes Un bilan provisoire (1958-1992)

La terminologie, telle qu'elle est pratiquée au quotidien à la Commission des Communautés européennes, a désormais acquis ses lettres de noblesse. Pourtant, cette activité, parfois contestée et tenue pour «le tertiaire du tertiaire» par certains mais à laquelle on a fini par accorder l'investiture, doit, en toute occasion, donner le témoignage de son bien-fondé et fournir la preuve de sa rentabilité par des réalisations concrètes et des conquêtes sur le terrain. Quant au terminologue, son statut administratif est mal défini — la dénomination ne figure même pas au tableau des fonctions. Paradoxalement, la profession a son cursus honorum qui va du traducteur (terminologue)-adjoint au chef d'unité, voire au conseiller. Entrés en terminologie par un acte de foi, les fondateurs ont inlassablement poursuivi leur parcours de combattants, toujours soucieux de convaincre une hiérarchie sourcilleuse et de servir une clientèle exigeante. La terminologie est née dans le sillage, sinon dans le giron de la traduction, elle s'est frottée à elle et s'est fortifiée à son contact. Elle a grandi de ses pratiques multiples pour s'élever progressivement vers des sphères plus théoriques. La linguistique est en passe de lui apporter une conceptualisation plus rigoureuse et une stratégie d'analyses plus fines et de lui donner, par un discours rigoureux et ordonné, le statut de science qu'elle revendique. Les colloques organisés sous la houlette de J.- C. Corbeil par l'Office de la langue française, de 1972 à 1977, ont largement contribué à déterminer l'objet de la discipline (qu'est-ce que la terminologie?), à définir ses modes de description et ses hypothèses d'explication conformes aux critères fondamentaux de l'esprit scientifique. Le débat du théorique et du pratique, pour avoir ignoré la dialectique de leur relation, a déjà suscité beaucoup de longues et vaines controverses. Le chemin qui conduit de la pratique à la théorie est semé d'embûches; pour certains, ce sont même deux voies parallèles, qui, par leur nature même, ne se recouperaient pas. La présente contribution suivra pourtant le chemin qui conduit des pratiques à la théorie en quatre étapes : (1) l'étape des pratiques ou de la pratique praticienne : celle de l'homme de terrain, du terminologue aux pièces (le terminologue est «rechercheur»); (2) l'étape qui mène de la pratique à la théorie, des recherches ponctuelles à la recherche thématique (le terminologue se fait terminographe);

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Roger Goffin (3) l'étape qui conduit de la théorie à la pratique et à une application terminotisée (le terminologue devient terminotìcien); (4) l'étape de la théorie (le terminologue se fait linguiste).

1 . Multilinguisme, traduction et terminologie 1.1 Les fondements juridiques du multilinguisme institutionnel L'odyssée du multilinguisme et la saga de la terminologie ont pratiquement commencé en 1957 avec la signature des traités de Rome par les pères fondateurs de l'Europe. Le régime linguistique trouve son origine dans l'article 217 du traité instituant la Communauté économique européenne et l'article 190 du traité de l'Euratom et dans le premier règlement adopté par le Conseil sur la base de ces articles et qui établissait l'allemand, le français, l'italien et le néerlandais comme langues officielles et langues de travail d'une Communauté composée de six États membres. Les élargissements successifs firent passer l'espace communautaire de six à douze pays et le nombre de langues de quatre à neuf (l'allemand, le français, l'italien, le néerlandais, l'anglais, le danois, le grec, l'espagnol et le portugais). C'est pour des raisons juridiques et au nom de la démocratie et de la diversité des dimensions humaines et culturelles que la Communauté européenne s'est engagée sur la voie originale et royale d'un multilinguisme institutionnel et a pris l'audacieux pari d'officialiser l'usage égal de neuf langues historiques. L'applicabilité directe de la législation communautaire dans les États membres postule que les textes législatifs soient disponibles dans toutes les langues et une limitation des langues aurait pour conséquence extrême que certains États membres devraient appliquer des dispositions législatives qui, faute d'avoir été traduites dans la langue nationale, ne pourraient être comprises par tous les citoyens. Dès le moment où, pour remplir leur rôle législatif, les Communautés appliquaient la règle du multilinguisme intégral, la traduction devenait le passage obligé de tout acte européen et le traducteur un maillon indispensable de la chaîne de communication puisqu'il participait à l'exercice de l'autorité publique par la traduction de textes qui font foi au même titre dans les neuf versions (voir Goffin, 1987).

1.2 L'organisation de la traduction La politique du multilinguisme a conduit les Institutions européennes à mettre en place d'imposants services de traduction, d'interprétation et de terminologie. Au 1 e r janvier 1991, la Commission à elle seule comptait 1080 traducteurs permanents et près de cinq cents fonctionnaires de soutien. Depuis 1989, le Service, devenu autonome sous l'autorité d'un directeur général, s'est doté d'une organisation dans laquelle les traducteurs sont répartis en sept grandes unités thématiques multilingues. Forte de 150 traducteurs, chaque grande unité thématique, gérée par un coordinateur-conseiller comprend à son tour neuf unités de base unilingues, de 15 à 20 traducteurs, animées et dirigées par un chef d'unité. Vaste chantier de production, le service traduit près d'un million de pages par an. Parallèlement aux sept grandes unités dites de production opèrent les unités de soutien, appelées horizontales, qui assurent un appui logistique

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(recrutement, formation, traductions extérieures) ou linguistique (terminologie, documentation et coordination linguistique), au sein de la Direction des affaires générales et linguistiques.

1.3 Les Bureaux de terminologie Très tôt, la nature des textes soumis à la sagacité des traducteurs devenant plus technique et plus diversifiée, une spécialisation s'est révélée nécessaire. Les traducteurs devaient s'attaquer à des textes ardus et trapus, qui dépassaient leurs connaissances d'honnête homme. Toujours pressés par des délais serrés, souvent dépassés par la technicité des textes, les traducteurs ont cherché assistance auprès de certains collègues mieux renseignés ou mieux outillés, à qui ils ont confié certaines de leurs recherches. Ainsi se sont profilés les premiers terminologues, véritables chasseurs de mots, traquant les «termes en situation concrète de vie», à l'affût du mot propre, scrutant les vecteurs des langues de spécialité pour débusquer l'équivalent rebelle. Dans l'euphorie de l'Europe naissante, les Services de traduction s'enhardirent jusqu'à créer des «bureaux de terminologie» autonomes, appelés à prêter une assistance directe aux traducteurs. Le premier bureau fut fondé à l'Euratom en 1958 en application de l'article 8 du Traité qui prévoyait «l'établissement d'une terminologie nucléaire uniforme». C'est l'acte de naissance de la terminologie européenne. La Communauté économique suivait en 19S8 à Bruxelles, la Communauté charbon-acier en 1963 à Luxembourg. Jusqu'en 1968, les trois bureaux ont fonctionné presque séparément, deux à Bruxelles (Euratom et CEE) et un à Luxembourg (CECA). De 1968 à 1982, les deux bureaux de la Commission coexistent et sont implantés, l'un à la Division de la traduction à Bruxelles, l'autre au Service à moyen et long terme à Luxembourg. De 1982 à 1990, le Service, devenu «Terminologie et applications informatiques», est placé sous l'autorité d'un conseiller et réparti sur deux sièges. Depuis 1990, l'Unité Terminologie fonctionne comme service «horizontal» (Luxembourg-Bruxelles). 2 . La pratique des pratiques L'assistance terminologique directe se présente aujourd'hui sous deux formes complémentaires : les recherches ponctuelles, qui ont constitué l'activité originaire, et l'accompagnement terminologique.

2.1 Les recherches ponctuelles Le service SVP ou des consultations (hot line), c'est la main secourable tendue au traducteur. Aussi chevronné qu'il puisse être, le traducteur, qui fait ses propres recherches et doit en avoir le goût, n'a pas toujours le «loisir» de pousser ses investigations aussi loin qu'il le souhaiterait vu les délais, souvent très serrés, qu'on lui impose. Alors, il demande au terminologue de se substituer à lui, de l'assister, sinon de prendre en charge la solution d'un problème terminologique. C'est la recherche terminologique ponctuelle, à vrai dire une recherche sur demande et sur mesure. Π s'agit dans un premier temps (démarche sémasiologique) d'identifier le terme, d'en délimiter le sens dans la langue source, de remonter à la notion ou à la chose qu'il

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désigne et d'en cerner les contours en identifiant le domaine d'emploi et de relever les contextes pour déterminer le fonctionnement du terme dans le tissu de l'énoncé. Il s'agit, dans un deuxième temps (démarche onomasiologique), de retrouver dans la langue cible la désignation de la notion et d'établir l'équivalence partielle ou totale, en contournant le piège des interférences (voir Goffin, 1981). Ces aides ponctuelles, petites ou grandes, appréciables ou même inappréciables, nécessitent bien souvent un travail en binôme par deux terminologues de langue maternelle différente. L'exigence de la clientèle justifie ce luxe. En effet, le terminologue natif saisit le message dans sa langue et situe autrement le terminologisme rebelle que ne le fait le traducteur ou le terminologue de la langue cible. En ponctuel, le terminologue intervient dans les trois phases de l'opération traduisante : (a) la phase de compréhension ou de saisie des sens (décryptage), (b) la phase de confrontation des langues et (c) la phase de restitution du texte (ré-écriture). Les recherches ponctuelles constituent souvent une tâche d'autant plus ingrate que le terminologue ne peut desservir chaque traducteur avec le même bonheur (le rapport est de moins de 5 terminologues pour 100 traducteurs!). Les esprits chagrins diront que parfois, souvent ou presque jamais, la réponse n'est pas tout à fait satisfaisante ou arrive trop tard. Beaucoup de choses restent à faire, notamment l'éducation des demandeurs trop vite enclins à lancer à la tête du terminologue un terme sans contexte, provoquant ainsi, sans le vouloir, une réelle panique lexicale qui traumatise le terminologue le plus résistant.

2.2 L'accompagnement terminologique C'est une forme d'assistance immédiate au traducteur, directement liée à un texte en voie d'être traduit en plusieurs langues. Il présuppose une collaboration suivie et un dialogue entre toutes les parties concernées (demandeur, traducteur, terminologue, documentaliste). Toute une équipe de terminologues — un par langue cible — participe en même temps au travail sous la responsabilité d'un terminologue coordinateur. Ce dernier établit les contacts nécessaires avec l'auteur ou le service demandeur, recueille les informations en amont, rassemble, avec l'appui d'un documentaliste, les sources et les références nécessaires ainsi que les traductions antérieures. Le traducteur marque dans le texte les termes qui posent des problèmes. Le terminologue recherche ces termes avant que le traducteur ne commence son travail, donc en amont, ou en parallèle, ou encore en «consécutif» (par exploitation de la terminologie en gestation). Cette approche participative permet d'obtenir un produit final approprié et fiable. 3 . De la pratique à la théorie Les recherches ponctuelles, en principe en deux langues, ont été étendues aux autres, multilatéralisées, et publiées sous forme de fiches jaunes et vertes de 1965 à 1985 dans le Bulletin de terminologie pour déboucher naturellement sur la recherche thématique. Après avoir mené à bien plusieurs recherches sur des termes appartenant à un même domaine ou sous-domaine, le

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terminologue est tenté de reconstituer la mosaïque d'un champ terminologique en collectant l'ensemble des termes qui relèvent de ce domaine ou de ce sous-domaine.

3.1 La recherche thématique À la Commission, les recherches thématiques consistent à étudier la terminologie d'un domaine ou d'un sous-domaine d'activité de l'institution. Celle-ci étant appelée à faire des propositions ou à soutenir des études dans les spécialités les plus diverses, aucun domaine ne lui est vraiment étranger. Les recherches ont d'abord porté sur le droit primaire (Traités de Rome, Acte unique, Traité de Maastricht) et sur le droit dérivé, règlements, directives, décisions, lesquels véhiculent une terminologie communautaire contraignante, dite parfois intouchable, et des formules stéréotypées. Ces textes, qui font foi en plusieurs langues, constituent un corpus délimité, dépouillé rétrospectivement, dont le vocabulaire est recensé en aval. Les équivalences, préétablies, sont contraignantes et le choix des termes comme le découpage des contextes sont effectués par le terminologue qui se laisse guider par des considérations pragmatiques. Pratiquement dès l'origine, les recherches ont eu pour objet la langue administrative et économique liée au fonctionnement des institutions et aux politiques communes. Ces textes, qui existent souvent en versions parallèles officielles, usent et abusent d'une terminologie mi-figée, mi-libre (Statut, Budget, Fonctions et emplois-types, TVA). Le vocabulaire, recensé en aval, calque souvent, dans les langues «traduites», les structures d'une langue de départ implicite. Le travail terminologique, actif et critique, pousse à la confrontation des modes de dire nationaux et communautaires (Tabac, Vinification, Engins de pêche). D'autres recherches ont eu pour thème la langue utilisée pour décrire les systèmes juridiques et les systèmes sociaux des États membres, dans lesquels prédominent les dénominations nationales et pour lesquels le terminologue trouve refuge dans les équivalences paraphrastiques (Sécurité sociale, Monde du travail). Enfin, une grande majorité de recherches ont été consacrées aux sciences et aux techniques, d'abord celles qui sont l'objet des traités (Exploitation des Mines, Normes de l'acier, Euratom), puis celles qui relèvent de secteurs de pointe (Physique des plasmas. Nouvelles sources d'Énergie, Nouvelles techniques de transport, ESPRIT, Biotechnologie). Ces vocabulaires ont été rassemblés au terme d'un travail prospectif, en amont, les domaines et sous-domaines ayant fait l'objet d'une structuration par arbres des notions.

3.2 Les ouvrages terminographiques Les recherches thématiques, foisonnantes, ont donné naissance à une activité publicitaire sans précédent. D'abord sauvages et œuvres d'un seul homme, les travaux terminographiques ont gagné en solidité méthodologique (corpus systématique accompagné d'un index lemmatisé dans chaque langue). Le Service de terminologie compte aujourd'hui à son actif une cinquantaine

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d'ouvrages, souvent en neuf langues (voir Goffin, 1986). La liste, commentée et mise à jour en 1991, figure dans le Répertoire des publications de terminologie multilingue (voir bibliographie). 4 . De la théorie à la pratique 4.1 Les premières tentatives d'automatisation Les procédures d'obédience informatique se sont rapidement avérées comme le seul outil satisfaisant pour relever le défi du multilinguisme et pour faire face à l'inflation galopante de termes scientifiques et techniques. Les premières tentatives d'automatisation remontent au début des années soixante, à l'époque où la calculatrice électronique n'était qu'une simple machine de tri et d'impression (en 1962, publication de l'Euratom Glossary) et un moyen d'établir des tables de concordances textuelles et des listes alphabétiques. Le dictionnaire EUROTERM permit la compilation, par voie automatique, de concordances phraséologiques multilingues, du type KWIC, tirées de textes communautaires. Construit en 1963, le dictionnaire automatique DICAUTOM (voir Bachrach, 1971 et 1987) permit aux traducteurs d'interroger des phrasesexemples dans plusieurs langues.

4.2 La terminotìque EURODICAUTOM C'est 10 ans plus tard, en 1973, que fut lancée la banque de données terminologiques multilingues EURODICAUTOM, née de l'heureuse conjonction de quelques visionnaires, terminologues, traducteurs et informaticiens (voir François, 1976; Reichling, 1976 et Goetschalckx, 1977 et 1981). EURODICAUTOM se présente comme un vaste fichier multilingue (neuf langues) et multidirectionnel (72 combinaisons) de données terminologiques (termes, synonymes, définitions, contextes) stockées, triées et archivées par voie électronique. C'est un dictionnaire automatique, consultable àdistance, destiné à assister les traducteurs et autres fonctionnaires des Institutions européennes dans leurs recherches d'équivalences terminologiques dans les langues officielles. Il contient aujourd'hui plus de 550 000 concepts, ce qui représente plus de 3 millions de termes. La création d'une banque conviviale, souple et dynamique a été une entreprise ambitieuse qui s'est appuyée sur une profonde réflexion théorique menée dans les années 1970 par les traducteurs et les terminologues. À la croisée des contraintes d'ordre politique et technique, les promoteurs ont été guidés par quelques idées-forces (la théorie) qui gouvernent les langues de spécialité et ils leur ont donné une application informatique (la pratique). Les lignes de force sont les suivantes : (1) puisque les terminologies constituent une classe ouverte au nombre illimité d'unités, souvent complexes, il faut, sur le plan informatique, rejeter une approche du type «tout ou rien» et prévoir une combinatoire syntagmatique; (2) puisque les terminologies sont largement polysémiques et que la machine ne reconnaît que des suites de caractères homographiques, il faut imaginer un outil informatique capable de lever ces homographies encombrantes, par exemple un code matière approprié;

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(3) puisque seules les nomenclatures «pures», de conceptualisation scientifique rigoureuse («terminoclatures») présentent des correspondances bi-univoques, il faut, pour prendre en compte les allomorphismes, prévoir un large environnement contextuel et traiter les blocs phraséologiques. Les caractéristiques linguistiques et informatiques d'EURODICAUTOM ont été abondamment décrites : présentation de la fiche avec comme vedette l'unité terminologique simple ou complexe, description des fonds terminologiques, stratégies de recherche, domaines représentés, procédures de consultation et spécificités du progiciel maison (voir Goetschalckx, 1982; Goffin, 1986b; Reichling, 1981 et 1990a). L'originalité du système se situe : (1) dans l'utilisation d'un code matière pour présélectionner les réponses les plus pertinentes et lever — en partie — les homographies, (2) dans l'automatisation de la troncation en fonction des langues et de la longueur du mot, évitant la réduction morphologique et la lemmatisation, (3) dans l'automatisation de la combinaison syntagmatique qui permet à la machine d'afficher, suivant une logique de pondération originale, des réponses partielles et approchées à défaut d'un multiterme avec tous ses éléments constituants. Aujourd'hui, presque banalisé dans les services de la Commission, EURODICAUTOM est appelé à s'intégrer davantage dans le poste de travail informatisé du traducteur et aux projets de TAO. Il sera bientôt élargi à d'autres langues, s'ouvrira à des publics plus diversifiés et sera complété par des outils de repérage, de production et de gestion de la terminologie (voir Reichling, 1990b). 5 . La théorie de la théorie Les pratiques terminologiques à la Commission constituent un champ privilégié d'observation et de réflexion pour le linguiste qui souhaite étudier comment une institution plurilingue et à vocation juridique se forge une langue spécifique pour se dire et se décrire et comment cette langue, que je qualifierai d'eurolecte, fonctionne dans le choc des concepts traditionnels et la résonance de ses atavismes. Ces pratiques constituent aussi un laboratoire de recherche en terminologie différentielle pour le linguiste qui veut analyser, en situation de constante confrontation, les resssources multiples de neuf technolectes qui n'avaient jamais été appariés auparavant.

5.1 L'eurolecte L'Europe en devenir et la législation communautaire ont donné naissance à des notions nouvelles, «méta-nationales», sans correspondance exacte dans aucun des pays et dans aucune des langues et qui se sont fixées, voire figées, par un usage répété en un cortège d'équivalences stéréotypées et qui toutes se démarquent du sens qu'elles pourraient avoir dans les langues nationales. Le caractère contraignant et normalisateur du discours législatif communautaire confère la dignité de textes classiques aux textes dont ces équivalences sont tirées et le statut de

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canoniques et d'intouchables à ces termes, correspondances-types, formules figées et traductions pré-établies. Un mode de dire communautaire s'ébauche, lequel sera repris systématiquement d'un acte à l'autre, d'un texte à l'autre. Les termes appartiennent au domaine économique : mesures d'effet équivalent, montants compensatoires monétaires, prélèvements de coresponsabilité, principe de subsidiarité, comitologie, politique d'accompagnement, ruralisation, serpent communautaire, procédure du filet. L'eurolecte vient bouleverser les structures existant dans les langues et perturber leur fonctionnement autonome, mettant en évidence des hiérarchies lexicales nouvelles. C'est ainsi que la terminologie grecque a établi des distinctions nouvelles pour faire la différence entre institution (il y a quatre instances communautaires désignées par ce nom) et organe (les autres instances), du fait que le grec traduit institution par òrgano. C'est ainsi que le couple nationalcommunautaire, notamment dans les syntagmes travailleur national ou impôt national, appelle un réarrangement de certains champs sémantiques. C'est pour combler des lacunes dans une des langues que l'on forge parfois des termes artificiels inconnus des spécialistes, par exemple les distinctions entre F. développement musculaire, E. muscularity, F. charnure, E. fleshiness et E. conformation, F. conformation, bouchère. Par ailleurs, l'extension du sens du terme cabotage au transport routier et aérien oblige l'allemand, qui ne peut utiliser ici Kiistenschiffahrt, à recourir au calque ou à l'emprunt, Rabotage. Le texte communautaire, visant à établir une norme commune à plusieurs États, prend appui sur un modèle national prépondérant qui imprègne quant au fond (habitudes de pensée) et quant à la forme (habitudes d'expression) le texte-compromis. C'est la langue juridique allemande qui a profondément imprégné la terminologie de la concurrence, c'est la langue administrative française qui a marqué le statut de la fonction publique européenne décalqué du statut français, à preuve des expresssions comme titularisation, autorité investie du pouvoir de nomination, récupération, dégagement. Les habitudes langagières du texte original devenu texte originaire transparaissent comme en filigrane dans les terminologies traduites, qui semblent s'hybrider. Enrichissante pour les uns, qui parlent d'innovation de la langue d'accueil, perturbante pour les autres, qui parlent de colonisation de langues investies, cette imprégnation défie le terminologue soucieux d'éviter tout dérapage terminologique, toute dérive sémantique ou tout démarquage des pratiques langagières nationales (voir Goffin, 1990). Mis au pilori par les hommes politiques, stigmatisé par les parlementaires et les journalistes (qui s'insurgent contre l'eurobabillage), l'eurolecte n'est pas plus glacé que la langue des chancelleries nationales et, même s'il paraît quelque peu ésotérique, les notions nouvelles mises en jeu devaient bien se parer d'un habit néologique.

5.2 La terminologie différentielle Confronté aux langues dans le choc de leurs idiosyncrasies, le terminologue communautaire constate très tôt que chacune des langues dispose d'un mode de fonctionnement morphologique et lexical propre pour répondre aux défis langagiers que lance l'ordre scientifique et technique international. En situation de dénomination constante, les technolectes, sans cesse plus ramifiés et

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inflatíonnaires, ne vont pas au même rythme et certains ont du mal à suivre le tourbillon de la créativité de plus en plus dynamiques. Ici aussi, il y a un modèle terminologique national suivant le stade de développement qu'aura atteint telle ou telle technique dans l'un ou l'autre pays. La terminologie allemande prend le pas dans le domaine de la sustentation magnétique sur lequel l'Allemagne a fait porter l'essentiel de ses recherches. C'est la terminologie française qui sert de modèle dans le domaine des turbotrains (TGV) et turbines à gaz développés en France. Le terminologue aura tôt fait de constater que les technolectes opèrent, d'une langue à l'autre, des découpages non superposables et imposent des grilles aux objets du monde, prouvant ainsi que les délimitations des terminologismes sont bien souvent des délimitations dans l'intuition d'une réalité que chaque langue segmente, analyse et structure à sa manière. Comparons les découpages différents du français durée de mise en température et de l'allemand Erwärmdauer— Durchwärmdauer et la trifurcation allemande Entkohlung, Auskehlung, Abkohlung pour le français décarburation. Toutes ces observations font éclater les systèmes rassurants des correspondances qu'on croyait bi-univoques et les ensembles que l'on espérait délibérément organisés et montrent, dans les langues protagonistes diversément lacunaires, les incohérences, les divergences, les dérives, voire les déviances sémantiques (Goffin, 1991). Conclusion Ce parcours en territoire de la terminologie européenne révèle dans tous les secteurs d'activité des acquis incontestables en dépit des barrières qui se dressent encore sur le chemin qui aboutit à l'édification d'une véritable doctrine. Après trente ans, on peut s'en émouvoir. Il n'en reste pas moins que la Commission a, par sa politique du multilinguisme institutionnel, conféré à la fonction terminologique un relief nouveau et au terminologue une responsabilité élargie au coeur même de la politique de communication. À lui seul le va-et-vient entre pratiques et théories n'en laisse pas de montrer que le jour est assez proche où le terminologue de terrain, cessant d'être seulement un acteur qui s'aveugle sur sa propre pratique, deviendra un observateur complice, donc un linguiste réfléchira sur lui-même, devenant un observateur complice qui tente de ressaisir par la réflexion et la réflexivité sur soimême les mécanismes inconscients de la démarche terminologique.

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John Humbley Centre de terminologie et de néologie

Écoles de terminologie : mythe ou réalité? Les cas autrichien et québécois 1. Quelles sont les écoles de terminologie? Parmi les mérites de Jean-Claude Corbeil, et non des moindres, on peut souligner la part très active qu'il a jouée dans la fondation de ce que l'on pourrait appeler une école québécoise de terminologie. Cette action éminemment novatrice appelle en même temps une réflexion sur les écoles de terminologie en général, et en particulier sur l'utilité pédagogique et pratique que peut avoir une telle description aujourd'hui. S'agit-il d'un processus historique, fixé dans le temps et dans l'espace, ou plutôt d'une dynamique encore vivante qui marque de façon significative la production terminographique? Est-il possible, par exemple, sachant qu'un dictionnaire est réalisé selon les préceptes d'une école donnée, de déterminer à l'avance comment il est fait? Notre but ici est de fournir quelques éléments de réponse à cette question, à savoir la réalité des écoles telle qu'elle se reflète dans leurs dictionnaires. Il est intéressant, avant d'aborder l'analyse des écoles elles-mêmes, de passer en revue les auteurs qui les évoquent, et d'examiner brièvement ce qu'ils en disent. D'où vient précisément cette appellation, «écoles de terminologie»? On la relève surtout dans les écrits des héritiers directs de Wüster, en particulier chez Felber (1987[1984] : 23-31), Felber et Budin (1989 : 44-57), Picht et Draskau (1985 : 30-31), et Laurén (1989). Les premiers distinguent bien entre les pionniers, les écoles classiques, et les tendances qui ont suivi, qui n'ont pas le titre d'école. Pour Alain Rey (1979 : 30) les écoles classiques remontent toutes à la théorie de Wüster concernant la conception de la notion; il les trouve d'ailleurs toutes proches, car mentalistes. Guy Rondeau (1984[1981] : 38-46) met tout le monde à égalité et ne parle que de «travaux» et de «sources». Les héritiers de Wüster insistent toujours sur les valeurs pédagogiques des écoles de terminologie : Heribert Picht, président de l'Institut international pour la recherche en terminologie (Internationales Institut für Terminologieforschung), et Christer Laurén préparent un manuel et un recueil de textes de base, dont un des buts est de fournir de la documentation sur les écoles de terminologie, en les illustrant par leurs textes. C. Laurén a suggéré au Symposium Nordterm de 1989, à Varde, une typologie qui permet de visualiser un certain nombre de différences d'approche entre les écoles de terminologie. Pour qu'il y ait école, selon cette analyse, il faut postuler une triple unité de pensée fondée sur une communauté de théorie, d'objectif et de stratégie (Laurén, 1989 : 15). On serait tenté de conclure de cette initiative que les différentes orientations des écoles constituent un des fondements de la théorie terminologique, et qu'elles doivent faire l'objet d'une initiation particulière pour des terminologues en herbe. Une rapide consultation des manuels les

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plus récents est cependant loin de confirmer cette opinion. On s'aperçoit que même Picht ne les a pas mentionnées dans au moins un de ses derniers ouvrages (Arntz et Picht, 1989). Ce genre de référence manque également dans nombre de nouveaux manuels, qu'ils soient français (Gouadec, 1990), néerlandais (Temmerman, Simonis, Luyten, 1990), pourtant à orientation très wiistérienne, ou anglais (Sager, 1990), ainsi que dans des ouvrages à finalité plus pratique comme Dubuc (1980[1978]) ou Hohnhold (1990). Cette absence n'est certainement pas un oubli, du moins dans le cas de Daniel Gouadec et de Juan Carlos Sager. Gouadec ne traite dans le volume cité que de pratique terminographique, et Sager révise de façon radicale certains des fondements des écoles classiques. La réalité historique des écoles n'est donc pas mise en cause, mais leur utilité pour la terminologie contemporaine semblerait, d'après ces silences, sérieusement entamée. En plus d'examiner les fondements doctrinaux de ces écoles, ce qui est essentiel, on peut aussi, et avec autant de légitimité, s'interroger sur l'usage pédagogique que l'on pourrait faire de ces distinctions telles qu'elles sont reflétées dans la terminographie. 2 . La théorie terminologique reflétée dans les produits terminologiques Le lien entre théorie terminologique et pratique termino-graphique n'est pas aussi facile à établir que l'on pourrait le penser au premier abord, et il n'est pas aisé d'isoler, même en théorie, des critères distinctifs qui permettent une classification claire, dans le but de proposer une grille d'analyse qui aide à vérifier ou à infirmer ce genre d'hypothèse. Une partie de la difficulté s'explique par la relative inaccessibilité des textes de base pour les écoles d'Europe de l'Est, malgré les efforts du Gisterm à Québec et de l'Inalco à Paris (Slodzian, 1989). On est renvoyé aux manuels cités ci-dessus, qui se contentent d'esquisser les grandes lignes des doctrines concernées. Par conséquent, le présent sondage est limité aux seules écoles autrichienne et québécoise, pour lesquelles la documentation est abondante. Laurén (1989) retient seulement deux critères distinctifs : orientations linguistique ou transdisciplinaire, et nationale ou internationale. Ces distinctions appellent quelques explications. Par orientation linguistique, Laurén fait allusion à la place de la terminologie : s'agit-il d'une branche de la linguistique? La réponse serait affirmative pour les Canadiens et pour les Tchèques, négative pour les Viennois, pour qui la terminologie est transdisciplinaire, et la linguistique n'est qu'une de ses nombreuses composantes. Par orientation nationale ou internationale, l'auteur songe aux efforts déployés par Wüster pour faire accepter sur le plan international les normes élaborées par les groupes d'ingénieurs. Il suggère (Laurén, 1989 : 19) que ces efforts d'harmonisation internationale se traduisent aussi sur le plan de l'expression, et on sait que Wüster tenait à un rapprochement entre langues grâce à l'adoption d'un vocabulaire spécialisé le plus homogène possible, fondé sur des racines communes, entre autres. Il range ainsi Vienne au pôle «international» et le Canada au pôle «national». Laurén n'a pas eu le temps en revanche de développer la première prémisse de sa répartition en écoles : les objectifs. Ce pourquoi on fait de la terminologie semble cependant primordial lorsqu'on considère les méthodes et leurs résultats. Au risque de trop schématiser et de forcer

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certains traits, on peut dire que parmi les priorités de l'école de Vienne figure le versant linguistique de la normalisation industrielle, activité qui s'inscrivait dans la ligne des travaux de Schlomann et des ingénieurs-experts. Parmi les apports de Wüster était la prise en compte de la langue, mais c'était la langue qui devait refléter le plus fidèlement et le plus systématiquement possible les concepts sous-jacents. Pour Prague, il s'agissait d'exploiter la réflexion linguistique dans le but de donner à une langue dominée, le tchèque en l'occurrence, les moyens dont elle avait besoin pour fonctionner comme langue de communication scientifique et technique. Le cas canadien serait à rapprocher de celui des Tchèques, puisque la terminologie est appréhendée comme moyen de s'affranchir d'une domination linguistique. Ce n'est pas un hasard sans doute si certains linguistes tchèques, ayant émigré en Amérique du Nord, se font recenser deux fois, comme représentants de deux écoles. Dans les paragraphes qui suivent, nous tâcherons d'isoler certains traits typiques des deux écoles pour lesquelles nous disposons d'une documentation adéquate, avec toutefois quelques références aux autres, et nous imaginons quelle peut en être la traduction terminographique. La nature du terme est au centre de la réflexion de chaque école : pour l'école de Vienne, il s'agit de l'union indissoluble entre l'expression et le concept (Wüster, 1979 : 156 et Lerat, 1989 : 55-60). Si on définit le terme comme l'expression d'un concept, comme le font les Tchécoslovaques, et non comme l'union du concept et de l'expression, quelle en est la conséquence au niveau de la définition terminographique des termes? Est-il concevable que l'une se définisse moins par rapport au système dans lequel le concept se trouve? En d'autres termes, les écoles plus linguistiques se contentent-elles d'une définition qui décrit le mot plutôt que les liens avec des concepts voisins? Aucune école ne se déclare indifférente à la structuration de l'ensemble de la terminologie étudiée, mais on peut s'attendre à différents degrés d'exhaustivité dans la détermination par rapport aux autres concepts, les écoles «conceptualistes» se situant tout en haut de cette échelle. C'est ainsi que l'on pourra dénombrer les liens entre concepts, concrétisés par des renvois aux autres termes du dictionnaire. La définition tient une place centrale dans la théorie terminologique : ce n'est pas toujours le cas dans la pratique terminographique et on peut s'attendre à des divergences significatives entre les écoles en ce qui concerne les stratégies les plus communément adoptées. Son analyse, bien plus délicate que celle des éléments externes et facilement chiffrables présentés plus bas, fait l'objet d'un travail en cours, qui complétera celui-ci. La normalisation terminologique, contrairement à la norme de la langue générale, est un critère plus facile à manier, car elle dépend d'une autorité reconnue et reconnaissable (association nationale ou internationale de normalisation, syndicat professionnel, etc., et non des autorités linguistiques). Les écoles qui considèrent que la normalisation industrielle fait partie des activités du terminologue feront une large place à des citations de ces autorités dans leurs dictionnaires. D est clair par ailleurs que cette orientation limite la terminologie aux domaines industriels. Peut-on pratiquer la terminologie normative dans les domaines juridiques et administratifs, où l'autorité est d'un autre ordre, dans les sciences humaines où les autorités sont multiples, voire dans la recherche tout court, où le chercheur conteste les autorités, et affirme son devoir de «néologuer»

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(Gentilhomme, 1982: 81)? Le rôle de la normalisation est d'éliminer autant que faire se peut les synonymes (mais voir Depecker, 1990), et il paraît donc légitime de dénombrer les synonymes inclus dans le dictionnaire comme indice de l'intérêt porté à la normalisation, encore qu'il faille bien distinguer entre norme à dominance conceptuelle et norme à dominance linguistique. L'orientation nationale ou internationale, mentionnée par Laurén, ne devrait pas être diffìcile à déceler dans les dictionnaires. À priori, plus il y a de langues inclues dans un dictionnaire, plus l'orientation est internationale, surtout si les différences entre aires géographiques de la même langue sont prises en compte. À plus forte raison, la présence d'équivalents autorisés dans plusieurs langues, par référence aux autorités nationales et professionnelles, renforce cette orientation. L'orientation linguistique par rapport à une orientation factuelle se reflétait encore naguère dans la macrostructure du dictionnaire : une école à dominance factuelle et interdisciplinaire optait pour une présentation logique, raisonnée, onomasiologique, tandis qu'une prise de position plutôt linguistique retenait un ordre alphabétique. Grâce à l'informatisation, la présentation des données terminologiques est rendue bien plus libre, et ce critère perd aujourd'hui beaucoup de sa raison d'être. Cependant, on peut s'attendre dans le premier cas à un système de renvois qui construit un réseau conceptuel, l'approche linguistique se contentant de renvois moins systématiques. Cette deuxième approche s'attachera davantage aux notes linguistiques (indications morphologiques, listes de cooccurrents...) et en particulier au «bien formé» linguistique des termes plutôt qu'à l'usage. La néologie, ou néonymie selon Rondeau (1984[1981] : 121-142), est un indicateur d'orientation linguistique (orientation nationale également), mais les néologismes ne sont pas nécessairement décrits comme tels dans les dictionnaires. L'emploi de contextes en tant qu'attestations d'usage est également indicatif d'une approche plutôt linguistique. Comme le disait Jean-Marie Fortin (Office de la langue française, 1973 : 8) en présentant en 1972 la fiche terminologique de l'Office de la langue française employée depuis 1969 environ : «La définition pourra peut-être satisfaire davantage l'ingénieur ou le technicien, et le contexte répondra mieux aux besoins du traducteur, du rédacteur ou du réviseur.» Avant d'examiner quelques produits terminographiques à la lumière des doctrines des écoles citées ci-dessus, on ne peut s'empêcher de s'interroger sur la légitimité de cette démarche. Quiconque a réalisé un dictionnaire spécialisé connaît les décisions pratiques qu'il faut prendre, parfois à l'encontre de ses positions théoriques. Puis, la présentation reflète souvent une ambition bien plus limitée que celle qui a présidé à la confection de la terminologie prédictionnairique. Au Centre de terminologie et de néologie, par exemple, les fiches comportent une série de champs logiques et sémantiques : le terme est accompagné de son argument, de son prédicat, on relève ltiyponyme... Autant d'activités qui sont destinées à faciliter les recherches conceptuelles comme linguistiques. Les dictionnaires «papier», en revanche, se contentent de citer les synonymes et les concepts associés. Il semble que cette amputation ne soit pas rare du tout en lexicographie spécialisée. De même, une structuration onomasiologique du travail est transformée en

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dictionnaire lexical par l'adoption de l'ordre alphabétique. L'observateur n'a donc pas tous les éléments en main lorsqu'il observe un dictionnaire; mais il n'en a pas d'autres. Bien que l'étude soit limitée à deux écoles de terminologie, la collecte de dictionnaires représentatifs n'a pas été aisée : comment déterminer en effet qu'un dictionnaire est le produit d'une école donnée? Pour celle de Vienne, au moins, la question ne se pose pas : Eugen Wüster a fait du Dictionnaire multilingue de la machine-outil, 1968, la défense et illustration de sa théorie. C'est donc l'aune à laquelle tous les autres produits seront comparés. Pour l'école québécoise, nous savons que la pratique a précédé la théorie : nous pouvons donc raisonnablement prendre les dictionnaires de l'Office de la langue française de la même période, époque à laquelle une doctrine a été élaborée (voir Corbeil, 1973). Pour les besoins de la comparaison, il est souhaitable de disposer d'une unité de temps (dates de publication proches), de sujet (on compare soit des dictionnaires techniques, soit des dictionnaires scientifiques...) et même de volume (un dictionnaire de 200 entrées n'est guère comparable à un de 6 000). Seul le dernier critère n'a pu être respecté. On peut se demander par ailleurs si ce type de comparaison serait possible pour les autres écoles, faute de dictionnaires représentatifs et comparables. 3 . Sondage de trois dictionnaires 3.1 Présentation des dictionnaires Nous prenons comme base du sondage une série de cent entrées consécutives choisie au hasard dans trois dictionnaires : celui de Wüster (1968), un dictionnaire des débuts de l'activité de l'Office de la langue française du Québec (Adlerblum, 1971-72) et un dictionnaire plus récent du même organisme (Paquin, 1991), qui permet de voir si les options initiales sont encore en vigueur. Les résultats sont présentés dans le tableau qui suit. Macrostructure alphabétique nombre de langues Microstructure définitions/article* renvois/article* générique, spécifique/article* synonymes/article* illustrations/article réf normalisation/article* note grammaticale/article"1 note socioling./article* note étymologique/article* attestation emploi/article*

Wüster non 2(3)

OLF71 oui 1(2)

OLF91 non 1(2)

1 à,ii 0,15 1,27 1,08 1,85 Ó 0? Ô Ô

1 0,58 0,15 0,07 0,06 0 0,01 Ô,ll Ô,(W Ô,Ô1

1 Ô 0 0 M 0,56 0 1,31 0,15 0 Ô

* Note : moyenne par article, établie sur la base des cent entrées analysées.

3.2 Discussion La présentation de la macrostructure par ordre alphabétique paraît moins fondamentale que l'on ne pourrait penser, même dans le contexte pré-informatique. Bien sûr, l'école de Vienne

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l'emploie, mais les terminologies de l'OLF adoptent en fait la présentation qui convient au public ciblé, qu'elle soit alphabétique ou conceptuelle. Cela dit, la différence est importante entre le vocabulaire de l'astronautique, ouvrage destiné à combler des lacunes lexicales dans un domaine en pleine vulgarisation et présenté par ordre alphabétique, et un dictionnaire qui rend compte systématiquement du vocabulaire d'un domaine technologique, et qui est organisé de façon conceptuelle. Plus encore que des a priori doctrinaux, ce sont le public visé et le type de travail envisagé qui orientent le choix de présentation. Le nombre de langues employées est significatif de l'orientation nationale/internationale. Dans le cas de Wüster, il s'agit d'un dictionnaire dont les deux langues principales ne sont pas celles des rédacteurs. L'allemand, visiblement présent dès la conception, est relégué à un premier supplément, car cette langue n'avait pas, à l'époque, le caractère international requis. En outre, les variantes normalisées par pays (États-Unis, Grande-Bretagne, France, Suisse, Belgique) sont notées systématiquement. Dans le cas de l'OLF, il s'agit de dictionnaires destinés à fournir les équivalents en français du Québec de dénominations de langue anglaise. Les stratégies sont diverses : le premier dictionnaire est rangé par ordre alphabétique par vedette française, avec un index anglais qui permet d'accéder par cette langue aux informations; le second est rangé par ordre conceptuel et donne d'abord la vedette anglaise puis française. Une troisième solution, vedette anglaise, équivalent français et le reste de l'article en français est un compromis très souvent retenu par l'OLF. Quelle que soit la solution adoptée toutefois, l'orientation linguistique des travaux québécois semble confirmée par ce critère. Microstructure Les critères qui indiqueraient une orientation conceptuelle ou transdisciplinaire d'une terminologie sont plus difficiles à manier. Les dictionnaires québécois, à l'image de celui de Wüster, comportent une définition par entrée. Les lexiques se limitant à l'équivalent en langue étrangère n'ont pas fait l'objet d'examen. Un dictionnaire qui donne deux définitions par entrée serait donc d'orientation plutôt lexicographique, mais parfois, dans les dictionnaires québécois, une définition double correspond à la définition d'un spécifique du terme vedette. Le nombre de renvois par article est très important dans le dictionnaire de Wüster, plus de trois en moyenne. Les ouvrages québécois, qui comportent une nomenclature plus restreinte, ne pourraient pas prétendre à un réseau notionnel aussi complexe, mais même étant donné les contraintes de leur genre, on constate que les articles font peu de liens explicites avec la structure conceptuelle. La cohérence notionnelle est fournie par des renvois aux graphiques, qui, surtout dans le cas du dictionnaire le plus récent, illustrent l'ensemble des relations partie-tout. La systématisation des renvois semble effectivement typique d'une approche conceptuelle. Les relations partie-tout sont bien reflétées par les illustrations. Celles qui indiquent le générique et le spécifique, en revanche, sont rarement précisées de façon explicite, sauf en ce qui concerne les quasi-synonymes (en fait des entités en relation hiérarchique) présentés en vedettes.

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Encore une fois il s'agit d'un critère qui ne serait opérationnel qu'après un examen minutieux des définitions. Le nombre de synonymes donnés par les dictionnaires réserve des surprises : le normalisateur qu'est Wüster en indique plus d'un par article, les Québécois seulement 0,07 en moyenne pour l'ouvrage de 1971, guère plus en 1990 (0,36, même en comptant les variantes orthographiques et les formes abrégées). Très souvent, cependant, Wüster donne comme synonymes des dénominations normalisées par différentes autorités. Dans le cas des ouvrages québécois, il s'agissait souvent de traductions récentes de l'anglais (surtout pour l'aérospatiale), ou de l'adaptation de termes employés en France (pour la mécanique automobile). Il s'agissait alors moins de normalisation industrielle que de prescription linguistique. Dans les trois dictionnaires on constate que c'est l'anglais qui comporte de loin le plus de synonymes : témoin d'une langue hautement polycentrique? L'orientation normalisatrice de Wüster ne peut être mise en doute, car il cite 1,85 organisme de normalisation industrielle par article, les Québécois aucun. Le nombre d'illustrations est difficilement quantifiable, car Wüster présente un nombre important de dessins détaillés, tandis que les Québécois préfèrent les planches plus générales. Le nombre de renvois aux graphiques est en revanche facile à vérifier et on s'aperçoit que presque chaque article de Wüster renvoie à une illustration, tandis que même le dictionnaire québécois le plus récent n'en comporte que la moitié. Les notes linguistiques forment un ensemble qui permet de confirmer la prépondérance québécoise en la matière et le peu d'intérêt que Wüster lui accorde dans ce cadre-ci. Les remarques morphologiques ne trouvent pas de place dans la partie vocabulaire de Wüster; les ouvrages québécois les incorporent, mais pas dans tous les ouvrages. Les autres remarques linguistiques sont révélatrices : quasi absentes dans Wüster, elles accusent une fréquence modeste dans les ouvrages québécois, à part celui de 1971 qui inclut des notes étymologiques. Les contextes servant d'attestations sont absents presque partout.

4 . Conclusion La réalité des écoles de terminologie semble un fait démontrable, au vu des dictionnaires qui s'inspirent de leurs préceptes et cela malgré tous les aléas de la dictionnairique. Mais la métalexicographie nous réserve toujours des surprises, et l'adhésion à des principes ne se réalise pas toujours de la façon attendue. Ainsi, les Québécois, à orientation linguistique, ne donnent pas plus de contextes-attestations que le Wüster. Nous ne sous-estimons pas l'effet réducteur de l'image projetée par ce type de démarche. Il est évident que la terminologie philosophique revendiquée par Wüster ne se prête guère à un traitement terminographique. Il est également clair que même sur le plan de la production papier nous avons occulté une partie importante de la terminographie québécoise, multiforme, car adaptée à une variété de situations d'aménagement linguistique, que Jean-Claude Corbeil (1989) a conçu dans un cadre de réflexion sociolinguistique.

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La question de la pérennité des écoles et de leurs enseignements reste d'actualité. Certes, il semble que, par certains côtés, l'exemple québécois de 1990 soit moins «linguistique» que celui de 1971, très porté sur des remarques sur la langue. Plus important, l'avènement de la terminotique a bouleversé la donne et pose de nouvelles questions. Les grandes banques terminologiques sont particulièrement menaçantes : Alain Rey note que «Plus encore que dans les ensembles imprimés, la spécificité terminologique est ici menacée. [.··] l'adaptation des techniques informatiques aux besoins n'est satisfaisant que dans [...] trois cas : documentation, normalisation, traduction» (Rey, 1979: 105). J.-C. Sager (1990 : 9) suggère d'en tirer la conclusion qui s'impose et de s'orienter plutôt vers les textes et la langue. Mais l'informatique est aussi la micro-informatique et la création d'une multiplicité de bases de données très spécialisées, gérées par des logiciels de type wiisterien (MC4 ou TERMISTI). Si l'on met en parallèle les dictionnaires et la pensée terminologique de ces deux écoles, la production terminographique s'explique mieux par les buts extraterminologiques poursuivis. Dans le cas de Wüster, le cadre conceptuel renvoyait à une planification industrielle et internationale; dans le cadre québécois, la terminologie est un moyen d'arriver à la francisation du milieu professionnel et donc à la survie d'une communauté linguistique. Les options retenues dans les dictionnaires étudiés s'expliquent autant par cette constatation que par l'organisation terminologique invoquée.

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Hohnhold, Ingo (1990), Übersetzungsorientierte Terminologiearbeit, Stuttgart, InTra. Laurén, Christer (1989), «Terminologiska skolar» dans Terminologi, edb og videnskab, Nordterm 3 : 15-22. Lerat, Pierre (1989), «Les fondements théoriques de la terminologie», La Banque des mots, numéro spécial 1989 : 51-61. Office de la langue française (1973), Les données terminologiques, Actes du colloque international de terminologie, Baie Saint-Paul, octobre 1972, Québec, OLF. Picht, Heribert et Jennifer Draskau (1985), Terminology : an Introduction, Guildford, University of Surrey. Rey, Alain (1979), La Terminologie : noms et notions, Paris, Presses universitaires de France, coll. «Que sais-je?», ns 1780. Rondeau, Guy (1984 [1981]), Introduction à la terminologie, Chicoutimi, Gaétan Morin Editeur. Sager, Juan Carlos (1990), A Practical Course in Terminology Processing, Amsterdam et Philadelphie, John Benjamin Publishing Company. Slodzian, Monique (1989), «Les nouveaux horizons de la terminologie spécialisée : apports de l'école soviétique de terminologie», La Licorne 15 : 507-512. Temmerman, Rita, Femke Simonis et Lucia Luyten (1990), Terminologie : een methode, Amersfoort, Louvain, Acco. Dictionnaires Adlerblum, Armand (1971-72), Vocabulaire de l'astronautique. Fascicule 1, 2, 3, Office de la langue française, Québec. Paquin (1991), Vocabulaire des véhicules de transport routier. Office de la langue française, Québec. Wüster, Eugen (1968), Dictionnaire multilingue de la machine-outil. Notions fondamentales définies et illustrées/ The Machine-Tool. An Interlingual Dictionary of Basic Concepts, Technical Press, Oxford.

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Louis-Jean Rousseau Chef du Service des travaux terminologiques Office de la langue française du Québec

Vers une méthodologie de la définition terminologique

Située au coeur même de la terminologie, la question de la définition semble être une préoccupation permanente chez tous ceux qui s'intéressent au domaine. Il n'y a en effet pas de texte méthodologique d'importance qui ne consacre un bon nombre de pages à la définition, qui est universellement citée comme l'un des deux objectifs principaux de la démarche terminologique, l'autre étant bien entendu le terme lui-même. Témoignant de cette importance de la définition, l'ISO, dans son vocabulaire de la terminologie, énumère parmi les tâches de la terminologie «la représentation des notions au moyen de définitions et de désignations» (ISO 1087 : 13) et consacre à cette question tout un chapitre de sa norme intitulée Principes et méthodes de la terminologie (ISO 704), où l'on énonce, à la suite d'une typologie de la définition terminologique, les principaux principes d'élaboration des définitions que préconise l'ISO. Cette importance que l'on accorde à la définition tient au rôle qu'elle joue, non seulement en terminologie où elle soutient les fonctions cognitive et classificatoire de cette discipline, mais également en conceptologie et en cognitique : «les définitions constituent les conditions sine qua non de la précision de la langue dans la démonstration et l'acquisition de connaissances sur les choses et les situations, et, par conséquent, de la construction de systèmes scientifiques» (Dahlberg, 1981 : 245). De plus, si la définition a retenu l'attention des épistémologues de la terminologie relativement aux processus traditionnels de l'élaboration, de la transmission des connaissances et dans la communication spécialisée, il est permis de penser que la réflexion devra, dans un avenir rapproché, être davantage poussée dans le contexte de l'ingénierie de la connaissance et du développement des systèmes experts, à l'intérieur desquels les données terminologiques joueront un rôle important. La définition doit être dans un premier temps distinguée des autres moyens de description des notions, dont la forme et la variété se multiplient. En effet, aux premiers dictionnaires visuels, où la définition est remplacée par l'image, soulignant ainsi la dimension didactique de la terminologie et de la terminographie (voir Rousseau et Loubier, 1987), se sont ajoutés, notamment et surtout dans les systèmes d'information, différents moyens de description des notions, tels des schémas notionnels dont les formes peuvent varier à l'infini. Déjà dans le passé, la chimie nous avait habitués à remplacer la définition traditionnelle — telle la définition d'un corps par l'énumération de ses propriétés — par la description au moyen d'un schéma moléculaire qui permet de visualiser la structure inteme du corps à définir et dont les propriétés sont déduites. La définition d'objets complexes ou des notions intégrantes (celles qui font référence à un objet considéré comme un tout) donne souvent lieu également à des schémas notionnels où les caractères de la

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Louis-Jean Rousseau

notion à définir sont représentés par des symboles complexes ou dans des structures arborescentes dont la lecture relève d'une démarche prédéfinitionnelle ou associative qui peut paraître obscure au non-initié. C'est le cas par exemple, en électricité, du schéma d'un type de transformateur ou, en électronique, d'un schéma de circuit. Cette recherche de moyens autres de description des notions, dont l'inventaire reste à faire, peut être interprétée comme un indice des limites de la définition ou des difficultés méthodologiques que présente son élaboration. La définition logique Historiquement en terminologie, la définition aristotélicienne a dominé. C'est la définition classique dans laquelle un objet est défini par la mention du genre prochain et par rémunération des différences spécifiques. Ce type de définition, que les terminologues nomment définition générique, figure bien en évidence dans tous les manuels de terminologie. Elle répond d'ailleurs aux objectifs qu'on assigne à la définition en la présentant comme un «énoncé qui décrit la notion et qui permet de la différencier des autres notions à l'intérieur d'un système de notions» (ISO 1087 : 4). Le recours aux principes de classement des systèmes documentaires, largement utilisés en terminologie et dans les banques de terminologie, peut expliquer cette prédominance de la définition générique. Il est vrai, par ailleurs, que c'est le type de définition qui convient le mieux dans beaucoup de domaines d'expérience, notamment dans les domaines où les definiendo sont constitués d'un matériel observé susceptible d'être classé en genres et en espèces, ce qui est le cas, par exemple, des sciences naturelles, mais aussi dans de nombreux domaines techniques. Cette structuration des objets et des notions est fréquente dans bien des domaines d'expérience, même dans les domaines construits où la conceptualisation peut également s'ordonner en notions génériques et en notions spécifiques. Cette structuration est typique des typologies qui viennent souvent servir d'exemples dans les manuels de terminologie : par exemple, la classe des aéronefs (avions, hélicoptères, planeurs, etc.), la classe des moteurs électriques (moteurs synchrones, moteurs asynchrones). Les sciences et les techniques abondent en exemples de la sorte, et force est de constater que la définition générique a fait ses preuves depuis des temps immémoriaux et que son avenir est encore prometteur. Toutefois, sa généralisation, souvent faite à l'exclusion de tout autre type de définition, peut constituer une simplification, voire une distorsion du monde réel. Le recours systématique à ce type de définition se fait comme si l'univers des connaissances et la totalité des champs d'expérience pouvaient (et devaient) s'organiser en systèmes de notions hiérarchiques du type genre-espèce. On peut penser que ce choix majoritaire tient au fait que la définition terminologique est pratiquée massivement par des organismes de normalisation technique, c'està-dire de normalisation de «choses». L'école wüstérienne a pourtant proposé à son heure une diversification de l'approche de la définition, sous l'influence de la conceptologie. Plus récemment, Sager (1990 : 42) nous propose une longue énumération de types de définitions que l'on retrouve dans la pratique terminographique : définition générique, définition par synonymes, définition paraphrastique, définition synthétique, définition par extension, définition

Vers une méthodologie de la définition terminologique

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par démonstration, ce dernier type relevant de la description imagée des notions que nous avons abordée plus haut. Le polymorphisme des systèmes de notions L'extension du travail terminologique à la presque totalité des domaines d'expérience a mis au jour la difficulté de la structuration des ensembles notionnels. Plus particulièrement, la pratique terminologique a mis en évidence l'impossibilité de la généralisation du classement des notions en systèmes hiérarchiques. C'est manifestement le cas dans les domaines interdisciplinaires, lesquels sont aujourd'hui majoritaires. Les technologies nouvelles sont pratiquement toutes héritières de plusieurs sciences fondamentales et empruntent à de nombreux autres domaines. La structuration des connaissances devient alors multiforme et fait éclater les schémas traditionnels. La multiplicité des types d'organisation des connaissances et des types de systèmes de notions rend nécessaire la révision de la pratique de la définition terminologique qui doit en principe correspondre au besoin de rendre compte de la diversité des systèmes de notions euxmêmes. Plusieurs typologies de systèmes ont été proposées (Dahlberg, 1984: 142; ISO 704,1987 : 3; Sager, 1990 : 28) dont la plupart se ramènent aux éléments suivants : systèmes génériques systèmes hiérarchiques systèmes partitifs systèmes non hiérarchiques

(systèmes pragmatiques ou fonctionnels fondés sur des relations spatio-temporelles, causales, des relations d'opposition, etc.)

systèmes mixtes

(systèmes dans lesquels on voit apparaître des relations génériques, partitives, séquentielles, etc.)

Cette typologie, qui mériterait d'être développée davantage, nous permet d'illustrer les limites de la définition générique, dans la mesure où celle-ci doit en principe être constituée de la mention de la notion superordonnée et des caractères particuliers qui correspondent à ce que l'on nomme par ailleurs les différences spécifiques. Ainsi, l'inadéquation de la définition générique à un système partitif devient évidente, le définisseur ne pouvant être la notion immédiatement superordonnée dans le système de notion en question. Dans l'exemple qui suit (tiré de la norme ISO 704 : 1987), la notion de piston ne peut être définie par la notion superordonnée moteur à piston, mais par un définisseur du type «partie de» ou «pièce de», suivi, par exemple, des caractères relatifs à la fonction de l'objet :

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moteur à piston

piston

cylindre

[notion intégrante (tout)]

bielle

[notions partitives]

La même difficulté se pose si l'on veut utiliser la définition générique dans une des variantes de systèmes séquentiels. La définition appropriée peut et doit reprendre la formulation des relations internotions que l'on veut illustrer, comme la cause, la conséquence, l'effet, le produit, la composition, etc. Ainsi en va-t-il des procédés industriels divers qui ne peuvent être définis qu'à travers des caractères de nature différente (étapes de production, intrants, matériaux, instruments, etc.). Il n'est guère possible de tenter de dresser un inventaire un tant soit peu complet des types de relations thématiques susceptibles de faire partie des constituants d'une notion ou d'un système de notions. En fait, dans la définition, tout nous ramène vers le système de notions, vers les relations entre les notions à décrire et vers les caractères de ces notions. L'analyse notionnelle, fondement de l'établissement des systèmes de notions, doit être mise en œuvre dans l'élaboration des définitions. Effectivement, la définition des notions est indissociable de l'établissement des systèmes eux-mêmes qui se déploient selon les caractères retenus et selon la structuration qui en est faite. D'où l'idée de proposer l'approche systémique comme base et comme méthode de définition en terminologie. L'analyse référentielle Dahlberg (1981 et 1983) a déjà proposé une méthode d'analyse notionnelle fondée sur l'étude et la structuration des caractères notionnels qu'il n'y a pas lieu de reprendre ici. Cette approche repose sur l'analyse référentielle à l'aide d'une grille de catégories et de sous-catégories de notions. Cette grille est constituée d'éléments telles les entités (principes, objets matériels, objets immatériels), les propriétés (quantités, relations, qualités), les activités (opérations, procédés), les dimensions (temps, espace, position). Ces grilles peuvent être développées autant qu'on le souhaite, selon la nature du champ notionnel analysé. L'utilisation de cette typologie des caractères notionnels et d'une typologie des relations entre notions permet la délimitation de chacune des notions considérées, puis rend possible l'élaboration d'un système de notions et la définition de chacune d'entre elles. L'essentiel de cette approche, qui a été largement mise en œuvre dans les travaux terminographiques, a été repris dans différents manuels de terminologie. L'analyse textuelle Par ailleurs, si l'on admet que le lieu de formation des terminologies est le discours technoscientifique (voir Loubier et Rousseau 1993), il apparaîtra évident que l'analyse textuelle doit être également mise à contribution dans l'analyse notionnelle. Le texte est le véhicule de la terminologisation : c'est dans le discours technoscientifique que s'élaborent les notions et

Vers une méthodologie de la définition terminologique

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qu'apparaissent les dénominations. Si la description du matériel observé (analyse référentielle) peut conduire à l'identification de caractères susceptibles d'être retenus dans les définitions, cette forme d'analyse ne saurait être complète en soi dans la mesure où la définition va au-delà de la simple énumération de caractères. L'analyse d'échantillons représentatifs de la production textuelle propre à un domaine permet l'extraction de prédicats, libres ou liés, mettant en relief les caractères attribués à l'objet représenté, de même que la nature de la relation établie entre l'objet et son environnement. Ces prédicats signalent également les notions voisines avec lesquelles des relations sont établies. C'est dans le texte que se construisent les notions et que les termes trouvent leur signification. L'analyse textuelle est de nature, selon l'ampleur et la représentativité du corpus étudié, à déterminer la pertinence des caractères à retenir dans l'élaboration de la définition. Elle peut également, par l'examen des prédicats, permettre la collecte de formulations de relations susceptibles d'être reprises dans la définition. Ainsi, les structures sémantiques et syntagmatiques du texte se retrouvent dans l'ensemble des définitions produites. L'analyse situationnelle Les langues de spécialités, en tant que pratiques discursives, sont liées à des pratiques socioprofessionnelles. Les systèmes de notions s'élaborent également dans ces pratiques et la rédaction des définitions doit se faire en regard de la fonction qu'on lui assigne selon le point de vue de l'usager. L'approche socioterminologique de la définition présente des exigences qui rendent nécessaire, parallèlement à l'analyse référentielle et à l'analyse textuelle, une analyse de la situation des usagers. Cette analyse doit permettre de caractériser les éléments tels la situation de communication, le niveau de technicité, etc. Cette analyse permet de déterminer la fonction particulière que l'on doit assigner à la définition dans un contexte particulier, qui commande la nature et la pertinence des caractères à retenir et du type de relations à formuler selon les besoins. Ces données socioterminologiques s'ajoutent à celles qui doivent être recueillies auprès des informateurs, de préférence sur le terrain, pour l'ensemble de la démarche terminologique dans laquelle s'inscrit la définition. Le caractère discursif de la définition Toutefois, si les composantes de l'analyse notionnelle ont été largement décrites, il en va autrement de la synthèse qui doit suivre l'analyse et qui doit se concrétiser par la rédaction de définitions. La définition terminologique doit constituer une synthèse de ce que l'on sait sur la notion et de ce que l'on retient en fonction des différents critères évoqués ci-dessus. Il est indéniable que la définition relève du discours dans la mesure où elle constitue elle-même un énoncé. Π y a une véritable «grammaire» de la définition dont les éléments varient selon le type de système et selon la nature des rapports qui s'établissent entre les caractères jugés pertinents. Nous préférons utiliser ici la notion de «caractères pertinents» plutôt que celle de «caractères essentiels / accidentels», dont la nature n'est pas toujours simple à déterminer et qui ne fait pas en soi référence aux destinataires. Le type de relation établi se traduit dans la définition par une formulation qui signale à l'usager la nature de la structuration choisie pour représenter l'ensemble

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Louis-Jean Rousseau

ou le sous-ensemble de notions considéré. Si l'inventaire de ces formulations semble facile à établir pour ce qui est des relations génériques (genre - espèce), il n'en va pas de même avec les relations partitives et encore moins en ce qui a trait aux relations séquentielles dont les possibilités semblent infinies. L'établissement d'une véritable méthodologie de la définition fondée sur l'analyse notionnelle doit être précédé, nous semble-t-il, d'un inventaire le plus exhaustif possible des formulations de relations entre caractères et entre notions.

Bibliographie Dahlberg, I. (1981), «Les objets, les notions, les définitions et les termes», Textes choisis de terminologie, Québec, GIRSTERM (Université Laval), 1981, p. 221-282. Dahlberg, I. (1983), «Terminological Definitions : Characteristics and Demands», Problèmes de la définition et de la synonymie en terminologie, Québec, GIRSTERM (Université Laval), 1983, p. 15-34. Dahlberg, I. (1985), «Begriffsbeziehungen und Definitionstheorie», Terminologie und benachbarte Gebiete [Terminologie et disciplines connexes], Wien, Hermann Böhlaus Nachf., p. 137-148. ISO 704 (1987), Principes et méthodes de la terminologie [norme internationale], Genève, Organisation internationale de normalisation, 16 p. ISO 1087 (1990), Terminologie - Vocabulaire [norme internationale], Genève, Organisation internationale de normalisation, 18 p. Loubier, C. et L.-J. Rousseau (1993), «L'acte de langage, source et fin de la terminologie» [à paraître en 1993 dans ALFA (Actes de langue française et de linguistique, Université Dalhousie)]. Rousseau, L.-J. et C. Loubier (1987), «Des images et des mots», Terminogramme n s 41-42, février, Québec, Office de la langue française, p. 2-6. Sager, J.C. (1990), A Practical Course in Terminology Processing, Amsterdam/Philadelphia, John Benjamins, 254 p.

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Marie-Éva de Villers École des Hautes Études Commerciales

Recherches terminologiques québécoises dans le domaine de la gestion

Depuis les vingt dernières années, le foisonnement de l'activité terminologique québécoise est remarquable. Les Québécois, désormais résolus à franciser la langue du travail, doivent se doter des outils linguistiques propres à répondre aux besoins les plus pressants des entreprises québécoises. Il importe en effet de mettre rapidement à la disposition des travailleurs les termes techniques nécessaires à l'exercice de leurs fonctions en français. Dans de nombreux secteurs d'activité économique du Québec, c'est la langue anglaise qui a prédominé jusqu'en 1970 et, en conséquence, c'est la terminologie anglaise qui est usitée. Il suffit de répertorier les publications terminologiques destinées à la francisation des entreprises québécoises pour prendre conscience de l'immense effort consenti par les divers agents pendant les deux dernières décennies : grandes entreprises, PME, organismes professionnels, associations sectorielles, maisons d'enseignement, organismes gouvernementaux, Administration. Principalement orchestrés par l'Office de la langue française (OLF) de 1970 à 1980, les travaux terminologiques ont touché la majorité des grands secteurs d'activité économique en vue d'aider les entreprises dans leur effort de francisation. Sous la direction de Jean-Claude Corbeil, l'organisme gouvernemental a mis au point et diffusé une méthodologie rigoureuse de la recherche terminologique qui orientera désormais la plupart des publications aussi bien du secteur public que du secteur privé. En effet, les services linguistiques des grandes entreprises, des organismes ont harmonisé leurs méthodes de travail avec celles de l'OLF et ont recruté des terminologues, des traducteurs très bien formés. Parallèlement, la Société des traducteurs du Québec, qui regroupe également des terminologues, a instauré des critères très stricts pour l'aménagement de ses membres. Toutes ces actions concertées ont eu pour résultat un accroissement marqué de la qualité des travaux de terminologie, de rédaction et de traduction. Dans de nombreux domaines de la gestion, les terminologies se sont implantées avec succès et les usagers de ces vocabulaires spécialisés ont pris conscience de la nécessité d'une harmonisation linguistique fondée sur la pertinence et la qualité des termes proposés. À compter de 1980, l'activité terminologique a essaimé dans l'entreprise où elle a été principalement prise en compte par ses utilisateurs directs. Au fur et à mesure des demandes exprimées, les services linguistiques des grandes entreprises ont bâti et enrichi des fichiers terminologiques qui répondent aujourd'hui à la majorité de leurs besoins.

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Des regroupements sectoriels ont permis la mise en commun des efforts et ont favorisé l'harmonisation et l'implantation des divers vocabulaires spécialisés. Cependant, il reste fort à faire pour convaincre les travailleurs d'utiliser ces terminologies qu'ils doivent parfois apprivoiser non sans difficultés. Dans les petites ou les moyennes entreprises qui ne disposent pas de services linguistiques et qui n'ont pas accès aux fichiers terminologiques des grandes entreprises, dans certains secteurs d'activité économique plus vulnérables, où les effectifs sont fortement allophones, où la motivation et la concertation sont absentes, le travail est loin d'être terminé. Par ailleurs, la langue technique doit s'actualiser constamment en intégrant les néologismes qui nomment les nouvelles réalités du vaste domaine de la gestion. La terminologie de la gestion des ressources humaines Dans un premier temps, ce sont les organigrammes, et tout particulièrement les désignations de fonctions, qui ont fait l'objet de recherches terminologiques. Parce qu'elles définissent le plus immédiatement l'image de l'entreprise, les cartes professionnelles des cadres, les structures organisationnelles, les appellations de métiers ont été francisées prioritairement. De nombreux lexiques portant sur les titres de fonctions et d'unités administratives ont été publiés notamment par l'Office de la langue française, le Secrétariat d'État, Hydro-Québec, Bell Canada et la Banque Royale. Les imprimés administratifs qui touchent un très grand nombre d'agents dans les sociétés et les organismes et qui circulent également en amont chez les fournisseurs et en aval chez les clients ont aussi suscité de multiples recherches terminologiques et ont été francisés dans la plupart des entreprises. Au cours de cette période, la langue des relations professionnelles se modifie considérablement. Auparavant, les conventions collectives étaient fréquemment négociées en anglais et les travailleurs francophones devaient se contenter de versions françaises. La composition de la direction et de la main-d'œuvre s'étant modifiée de façon importante, il n'apparaît plus possible désormais de se limiter à de simples traductions pour des textes qui encadrent si fondamentalement les activités des travailleurs. Gérard Dion a poursuivi ses travaux sur la langue des relations professionnelles et publie un important dictionnaire des relations du travail qui est largement diffusé dans les entreprises. De nombreuses sociétés, plusieurs organismes ont également produit des lexiques portant sur ces termes ainsi que sur la gestion des ressources humaines (formation, rémunération, organisation, etc.). De façon générale, on peut affirmer aujourd'hui que la majorité des termes techniques français se rapportant à la gestion des ressources humaines sont à la disposition des entreprises et organismes du Québec.

Recherches terminologiques québécoises dans le domaine de la gestion

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La terminologie de la gestion comptable et financière La langue de la comptabilité De 1970 à 1992, la langue de la comptabilité s'est métamorphosée. À la consultation des divers documents administratifs, des rapports techniques et des états financiers des entreprises, on ne peut que constater une amélioration marquée de la terminologie comptable française. Ce nouvel état de fait résulte d'une concertation exceptionnelle entre les ordres professionnels, les praticiens et les professeurs spécialistes de la comptabilité. Pendant de nombreuses années et jusqu'à la Révolution tranquille, la profession comptable était largement dominée par les anglophones. Ainsi ce n'est qu'en 1959 qu'un président anglophone de l'Ordre des comptables agréés du Québec fit une partie de son discours en français lors de l'assemblée annuelle. Mais au cours des trois décennies qui ont suivi, l'organisme a donné au français la place qu'il méritait. Aujourd'hui toutes les activités de l'Ordre se déroulent exclusivement en français et les membres de la profession disposent d'une excellente terminologie française qui a fait l'objet d'une importante diffusion. Comme la pratique de la profession comptable est très strictement réglementée, les normes qui régissent les activités des praticiens ont une influence prépondérante sur la diffusion et l'implantation du vocabulaire de cette spécialité. L'enseignement des sciences comptables et administratives, compte tenu de la terminologie préconisée par l'Ordre des comptables agréés, favorise dès le départ l'apprentissage du vocabulaire exact. De plus, les examens des candidats francophones du concours d'agrément des c.a. sont formulés à l'aide de la terminologie : pour réussir, l'aspirant au titre recherché de c.a. doit bien connaître les termes français de sa spécialité. Les travaux et les publications de l'Ordre des comptables agréés du Québec et de l'Institut canadien des comptables agréés ont toujours été de très haute tenue. Le sérieux et la crédibilité dont jouit cet ordre professionnel n'ont pas à être démontrés. Dans ce contexte déjà favorable s'imposèrent pour le choix des termes des critères très stricts de qualité et de conformité au français international, préconisés notamment par le professeur Yves-Aubert Côté, le pionnier de l'action terminologique de l'Ordre, et par le regretté Fernand Sylvain. Vers 1974, l'OLF a tenté d'établir une terminologie de la comptabilité, tâche impossible sans une formation comptable. Au même moment, Fernand Sylvain demandait la collaboration de l'OLF en vue de concevoir une méthodologie de la recherche terminologique relative à la langue comptable. C'est ainsi qu'a été associé l'OLF à l'élaboration de la première édition du Dictionnaire de comptabilité (1977), un ouvrage qui a joué et joue toujours un rôle capital dans l'harmonisation de la langue comptable tant au sein de la profession que dans l'ensemble des facultés des sciences administratives et des entreprises. La deuxième édition mise à jour et enrichie a été publiée en 1982. Établie en collaboration avec l'Ordre des experts comptables français et l'Institut des reviseurs d'entreprises belges, la

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nomenclature comporte les termes comptables usités en France et en Belgique et reflète donc l'usage du français international. Puisque l'ordre professionnel assure le leadership du vocabulaire comptable français, il associe de façon étroite les praticiens, les théoriciens et les terminologues du domaine à l'élaboration de cette langue technique qui s'enrichit constamment. Cette interaction permanente des parties intéressées garantie la pertinence des termes préconisés et leur adéquation aux besoins. La troisième édition du Dictionnaire de la comptabilité et des disciplines connexes, prévue pour 1993, sera augmentée d'environ 25%, ce qui est considérable si l'on tient compte de la nomenclature actuelle. Outre la mise à jour des termes comptables, cette édition intégrera plusieurs entrées relatives à la fiscalité, à la bourse, au domaine bancaire, aux instruments financiers, à la vérification informatique, à la comptabilité de l'État, à l'évaluation d'entreprise, à la gestion, à la bureautique, à la télématique et à l'informatique, domaines lacunaires selon plusieurs spécialistes. La langue des valeurs mobilières La Commission des valeurs mobilières a profité de la refonte de la Loi sur les valeurs mobilières pour modifier radicalement la terminologie de ce domaine. C'est Antoni Dandonneau qui a effectué les recherches qui ont permis d'harmoniser les termes de notre loi avec ceux des textes juridiques de la francophonie. L'organisme a également publié en 1987 un Lexique anglais-français, français-anglais des valeurs mobilières. Le texte législatif constitue un instrument privilégié d'implantation terminologique. En très peu de temps, les spécialistes du domaine ont adopté les nouveaux termes de la loi, ce qui paraissait totalement utopique à de nombreux observateurs. Dans le domaine de la comptabilité et des instruments financiers, de nombreuses recherches ont été conduites de façon rigoureuse et la diffusion a été assurée avec succès au cours des vingt dernières années. Cependant, des mises à jour permanentes doivent être faites afin de suivre l'évolution des méthodes et des techniques. La terminologie de la gestion des ressources Les grandes entreprises de fabrication industrielle ont largement automatisé leur fonction de production. Les constructeurs aéronautiques ou automobiles, les entreprises de produits pharmaceutiques, les fabricants d'appareils électriques, par exemple, ont mis en place des systèmes informatiques complexes qui intègrent la planification des besoins matières, la gestion des approvisionnements, la gestion des stocks au plan directeur de production. Ces activités regroupées sont depuis peu désignées par l'expression gestion des ressources. Le ternie vient d'être créé en américain (integrated resource management) pour élargir le champ d'action des praticiens qui depuis longtemps ont dépassé le stade de la production de biens. En fait, les entreprises du secteur tertiaire sont maintenant beaucoup plus nombreuses et exigent des gestionnaires tout aussi chevronnés que ceux du secteur secondaire.

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Les techniques avant-gardistes, la robotique, la gestion de la qualité, les méthodes de gestion de plus en plus raffinées comportent de nouvelles notions qui sont d'abord désignées en anglais et qu'il faut nommer en français le plus rapidement possible. L'Association canadienne pour la gestion de la production et des stocks (ACGPS) qui regroupe les grandes entreprises de fabrication industrielle, en collaboration avec le département de la gestion de la production des HEC de Montréal, a entrepris de mettre à jour et d'enrichir la langue de la gestion de la production. Grâce aux contributions de ses membres ainsi qu'au programme de soutien financier pour la francisation des entreprises que gère l'OLF, l'association professionnelle publiera en 1992 un Dictionnaire de ¡a gestion des ressources qui sera mis à la disposition des praticiens du domaine, des entreprises québécoises, des professeurs spécialisés et des étudiants en administration des affaires. L'ouvrage comprendra les terminologies française et anglaise relatives à la planification des besoins matières, à la gestion des approvisionnements, à la programmation directrice de production, à la gestion des capacités et des stocks. Les spécialistes, les gestionnaires de la francisation ont fait état de lacunes terminologiques dans ce grand domaine et ont insisté sur l'importance d'une harmonisation des vocabulaires: l'ACGPS, constituée par un regroupement sectoriel dont la majorité des membres viennent des grandes entreprises, pourrait jouer le même rôle que l'Ordre des comptables agréés pour la terminologie comptable. Conclusion Après plus de vingt ans d'une active mobilisation, tant du secteur privé que du secteur public, il est possible d'affirmer que, règle générale, les grandes entreprises disposent de la majorité des termes français du domaine de la gestion qu'exigent leurs activités et que les étudiants en administration des affaires, futurs gestionnaires et chefs d'entreprise, peuvent être formés en français. Des réseaux de communication efficaces se sont établis entre les terminologues et les traducteurs des services linguistiques qui peuvent ainsi limiter leurs travaux et l'activité précise de leur entreprise et bénéficier du savoir-faire des autres services dans les spécialités qui leur sont propres. À titre d'exemple, une entreprise du domaine bancaire concentrera ses travaux de recherche sur le vocabulaire de la banque et de la finance. Étant utilisatrice d'informatique, de télématique, l'entreprise bancaire consultera les promoteurs de ces services pour obtenir les termes de ces domaines. Les fournisseurs de biens ou de services deviennent ainsi des agents privilégiés de la diffusion et de l'uniformatisation de leurs terminologies. Dans le milieu spécialisé de la terminologie et de la gestion linguistique, l'activité fébrile de la première décennie a fait place à la maturité et à la sagesse. Un large consensus s'est établi autour de deux grands thèmes: la concertation et l'harmonisation. La concertation requiert des réseaux permanents d'information, le regroupement des efforts en vue d'une maximisation des résultats. L'harmonisation nationale et internationale des

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vocabulaires spécialisés, qui est essentielle, repose sur la qualité des recherches terminologiques et sur la volonté des groupes intéressés d'utiliser une terminologie uniforme qui assurera efficacement la communication.

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Guy Bertrand Université du Québec

Jean-Claude Corbeil, polyvalent des industries de la langue

En novembre 1990, Jean-Claude Corbeil publiait Les industries de la langue : un domaine à la recherche de lui-même, avec la collaboration de Pierre Auger, André Bougaïeff et Pierre Georgeault. Ce document témoigne de la connaissance profonde de son auteur du domaine des industries de la langue. La première partie du premier chapitre s'intitule : «Historique et examen critique». Jean-Claude Corbeil y écrit : D'un autre point de vue, la Conférence de Paris donne une nouvelle orientation à la coopération linguistique entre pays francophones sans toutefois faire allusion aux programmes de coopération linguistique mis de l'avant par l'AUPELF et surtout par l'ACCT, programmes qui avaient créé, entre les pays, des réseaux dynamiques d'experts et qui étaient nettement plus orientés vers les besoins des pays en développement, notamment en ce qui concerne l'éducation, l'alphabétisation et l'actualisation des langues nationales. À tort ou à raison, ce silence a été interprété par les responsables de ces programmes et par la plupart des experts qui y travaillaient comme un désaveu, comme l'abandon des objectifs qu'ils poursuivaient. Deux groupes d'intervenants se formeront : ceux de la nouvelle vague des industries de la langue et ceux de la coopération linguistique, qu'on dira traditionnelle. Réconcilier ces groupes ne sera pas facile (Corbeil, 1990:16).

La difficile réconciliation Aujourd'hui ces deux groupes ne sont toujours pas réconciliés. Les premiers s'expriment à travers les observatoires nationaux des industries de la langue (France, Canada, Wallonie, Québec et bientôt Suisse). Les seconds poursuivent leurs travaux dans le cadre de l'ACCT, de l'AUPELF-UREF, du CIRELFA et du FIDELCA. Il faut bien avouer que l'évolution rapide des structures de préparation et de suivi des Sommets ne rend pas cette réconciliation plus facile. Les structures actuelles comportent un comité de programme pour la culture et l'aménagement linguistique et une direction générale du même nom à l'ACCT, où se retrouve une direction de l'aménagement linguistique. Jean-Claude Corbeil a joué un rôle majeur au sein de ces deux groupes d'intervenants. D a été membre des Comités québécois des industries de la langue pour les Sommets de Paris (1986), Québec (1987) et Dakar (1989). Π a été le seul à œuvrer dans les trois comités, une longévité de plus de trois ans. À la suite du Sommet de Dakar et pour la préparation et le suivi de celui de Chaillot (1991), l'Observatoire québécois des industries de la langue a pris la relève du Comité québécois. D'autre part, jusqu'en février 1989, Jean-Claude Corbeil a été secrétaire du Centre international de recherche et d'étude en linguistique fondamentale et appliquée (CIRELFA). Pour ma part, je ne suis devenu membre du Comité québécois des industries de la langue qu'après le Sommet de Paris, au début de 1987. C'est là que j'ai rencontré Jean-Claude Corbeil. Je ne puis donc témoigner de son œuvre avant cette date. Puisque je n'ai jamais été membre du CIRELFA,

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Guy Bertrand

Jean-Claude Corbeil me classerait sûrement parmi le premier groupe d'intervenants, ceux de la nouvelle vague des industries de la langue; je ne puis témoigner, non plus, de son action dans le groupe de la coopération linguistique dite traditionnelle. La polyvalence de Jean-Claude Corbeil a été précieuse pour les travaux du Comité québécois des industries de la langue. D'abord sur cette diffìcile problématique de réconciliation des intérêts des pays à différents stades de développement On le comprend facilement, l'enjeu des industries de la langue ne s'exprime pas de la même façon au Québec, société qui s'informatise de façon accélérée et qui veut le faire en français; dans les pays du Maghreb, où l'informatisation est plus lente et où on vise à l'arabisation; et dans plusieurs pays d'Afrique où on en est aux premiers stades de l'aménagement linguistique. Pourquoi investir tant de ressources pour enseigner le français aux ordinateurs de la francophonie, quand la majorité des personnes y sont analphabètes? Les besoins des ordinateurs sont-ils plus importants que ceux de millions de personnes? Les horizons du développement La francophonie œuvre sur plusieurs horizons de développement. Elle supporte la coopération des communautés dont le français est la langue usuelle et qui sont pour la plupart les plus riches de la francophonie. Elle exprime la solidarité entre ses membres les plus riches et ceux dont le développement économique est moins avancé. Elle soutient les efforts de développement de certains des pays les plus pauvres de la Terre. Il y là un délicat équilibre à trouver quant à la part des ressources à consacrer sur chacun de ces horizons. Restreindre l'action de la francophonie à un seul de ces horizons en nierait la raison d'être. Elle ne peut se replier sur les besoins des plus riches mais elle doit aussi en tenir compte. Les besoins d'aujourd'hui des plus développés seront sans doute les besoins futurs des autres au fur et à mesure de leur développement. Les pays en voie de développement auront eux aussi à faire face à la problématique de la modernisation et de l'informatisation de leurs langues de travail. On ne peut se développer économiquement sans maîtriser l'outil qu'est la langue de travail. Plus s'accroît la valeur ajoutée du travail, plus on a besoin d'une documentation écrite complexe, décrivant les méthodes à utiliser, les principes à respecter, les politiques à suivre, etc. Le Comité québécois des industries de la langue, au moins après le Sommet de Paris, s'est efforcé de proposer une programmation qui visait à un équilibre entre ces différents horizons de développement. L'expérience et les connaissances de Jean-Claude Corbeil y ont été très utiles. D était le seul qui œuvrait sur la plupart des horizons concernés. Il continuait de jouer un rôle majeur dans les interventions d'aménagement linguistique au Québec, au Conseil de la langue française, après avoir tant contribué aux travaux de l'Office de la langue française. Son attachement pratique et réaliste à la langue française témoignait bien des aspirations qui réunissaient les ouvriers des Sommets. Son respect et sa connaissance des valeurs et des besoins des pays en développement guidaient nos travaux. Enfin sa collaboration aux Éditions Québec/Amérique lui valait une expérience concrète du caractère commercial des industries de la langue qui manquait à la plupart des autres membres du Comité. L'annexe 1 de son livre

Jean-Claude Corbeil, polyvalent des industries de la langue

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(Corbeil, 1990 : 245-248) fournit la liste de tous les membres des diverses compositions du Comité québécois des industries de la langue. Les industries de la langue au Québec Le livre de Jean-Claude Corbeil, cité précédemment, montre bien que la prise de conscience de l'enjeu des industries de la langue, avant le Sommet de Paris, venait de France. Nous du Québec, avons pris le train en marche, mais nos atouts étaient nombreux, comme l'a montré la suite des événements. Plusieurs petites entreprises québécoises commercialisaient déjà des produits des industries de la langue : Logidisque, John Chandioux experts-conseils, Destin, Inform II Microfor, Machina Sapiens, etc. Ceux qui le désirent trouveront plus de détails à ce sujet dans le chapitre 3 du livre en question. Les Recherches Bell-Northem menaient des travaux de pointe sur la synthèse et la reconnaissance de la parole en plusieurs langues. IBM à Montréal de même que Digital avaient des réalisations importantes en matière d'informatique en français. Le dynamisme de notre recherche universitaire était encore plus grand. Plusieurs de ces produits commerciaux émanaient d'ailleurs d'équipes universitaires. Certains affirment même que la recherche universitaire ici en industries de la langue est plus avancée que celle de France et de Belgique. Mais les industries de la langue ne sont pas d'abord une activité universitaire. Elles sont, surtout, une activité industrielle et commerciale. Les travaux du Comité québécois des industries de la langue devaient refléter cette réalité. Jean-Claude Corbeil nous y a beaucoup aidé grâce à la polyvalence de ses expériences. Les industries de la langue sont surtout des industries du logiciel. La reconnaissance de leur spécificité veut mettre en évidence les effets de la mise au point de logiciels aptes àréaliser automatiquement des traitements s'appuyant sur une certaine compréhension de la langue naturelle. De ce point de vue, on ne devrait pas opposer coopération linguistique et industries de la langue. Pour la première, les industries de la langue sont un outil de plus dont on dispose pour l'action et ne représentent qu'une seule des dimensions du contexte d'intervention. La coopération linguistique peut utiliser avec profit les produits des industries de la langue et ne peut ignorer l'impact de leur disponibilité commerciale dans ses milieux d'intervention. À moyen et long terme, les produits des industries de la langue structureront les contextes linguistiques et la coopération linguistique ne doit pas les ignorer trop longtemps. Jean-Claude Corbeil s'est d'ailleurs exprimé là-dessus dans une conférence lors du colloque de Montréal en novembre 1990, «Les industries de la langue : Perspectives des années 1990» : Dernière remarque : nous sommes convaincu que toute stratégie qui favorise l'usage d'une langue comme langue de travail doit se donner comme moyen l'existence de versions dans cette langue des principaux logiciels de bureautique. Aujourd'hui déjà, et encore davantage demain, la langue de travail passe par les interfaces des logiciels (Corbeil, 1991: 992).

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Le développement économique Au point de départ, il faut bien avoir en tête que les produits des industries de la langue suivent exactement la même logique d'économie de marché que tout autre produit. Les paramètres sont les mêmes : la clientèle, le prix de revient et le profit. (Corbeil, 1991: 989)

Les Sommets n'ont pas d'abord des visées commerciales. Ils peuvent, bien sûr, avoir des retombées commerciales importantes et les participants en sont conscients. Les possibilités de retombées ne sont pas les mêmes pour tous les domaines de coopération. Par exemple, la coopération juridique devrait en susciter beaucoup moins que la coopération audio-visuelle. Pour ce qui est des industries de la langue, elles sont fondamentalement de nature commerciale. Le marché français intéresse tous les industriels de la langue de la francophonie. Le marché de langue arabe deviendra certainement un marché important. Les marchés d'Afrique se développeront moins rapidement, mais deviendront plus tard attrayants eux aussi. La coopération multilatérale en industries de la langue est affectée par ces visées commerciales : La demande restera faible pour les produits spécialisés. La mise au point des produits pose beaucoup de problèmes, d'ordre informatique d'une part, et relatifs à la performance professionnelle du logiciel d'autre part. Les versions se succèdent rapidement, avec de fortes différences entre chacune : la vie d'une version est courte, même si le prix d'achat est élevé. C'est le secteur où la coopération francophone devrait être la plus intense pour favoriser la conception et la mise au point de produits originaux qui s'imposeront sur le marché par leurs propres qualités et leur performance. Mais il semble bien qu'il soit très difficile de mettre en place cette coopération. L'entreprise privée reste dramatiquement en dehors de la concertation pour deux raisons évidentes : chacun veut garder ses secrets pour protéger sa part du marché face aux entreprises concurrentes qui seraient, incidemment, ses partenaires dans une entreprise conjointe. La coopération entre chercheurs universitaires est plus facile et fonctionne relativement bien, mais elle ne débouche que très rarement sur des produits. Rien ne nous incite à penser que cette situation changera dans un proche avenir. Les produits spécialisés sont notre véritable défi (Corbeil, 1991: 997).

J'ai tenu à citer, au long, cet extrait de la conférence de Jean-Claude Corbeil au colloque de 1990, pour illustrer l'éclectisme de son analyse des industries de la langue. Au Comité québécois des industries de la langue nous avons toujours travaillé en équipe. De telle sorte qu'il est bien difficile de mettre en évidence les contributions particulières. D'autant plus qu'il est si facile et si agréable de travailler en équipe avec Jean-Claude Corbeil. Pour ma part, je ne saurais dire très précisément qu'elles ont été ses apports personnels aux travaux du Comité, autrement qu'en décrivant la complexité des problématiques auxquelles nous nous attaquions et en soulignant sa polyvalence, son intelligence, sa vision éclairée et sa facilité à travailler en équipe. J'ai eu récemment la chance et le grand plaisir d'être appelé à travailler de nouveau avec lui, comme membre d'un comité consultatif du Conseil de la langue française. En aparté, j'ai retrouvé avec beaucoup de joie sa sérénité et son énergie. Il nous a parlé avec enthousiasme de microinformatique, de commerce avec l'Afghanistan, de ses dernières acquisitions de logiciels, etc. Le Conseil nous demandait d'envisager les industries de la langue dans une perspective québécoise plutôt que francophone et internationale. Il faut nous rendre compte que la dynamique des Sommets et du Comité québécois des industries de la langue nous ont amené à centrer notre

Jean-Claude Corbeil, polyvalent des industries de la langue

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réflexion des cinq dernières années surtout sur la dimension internationale. Mais ce n'est pas nécessairement la perspective la plus importante. Les industries de la langue sont une activité de production à forte valeur ajoutée et qui pourrait constituer une voie prometteuse de développement économique pour le Québec. La demande nationale pour ces produits est forte et en croissance. Elle s'appuie sur des besoins fondamentaux de la population. Les Québécois tiennent à la langue française et veulent l'utiliser le mieux possible et le plus possible. «La langue de travail passe par les interfaces des logiciels», nous dit Jean-Claude Corbeil (1991 : 992). Les Québécois y ont développé beaucoup de dynamisme et de compétence avec plusieurs entrepreneurs et beaucoup d'activités universitaires. La recherche et le développement y sont très avancés. Ce sont là les ingrédients du succès commercial national et même international. Les entreprises québécoises pourraient aussi exporter sur le marché francophone et sur les marchés d'autres langues. En desservant le marché québécois et canadien elles peuvent acquérir une expertise du multilinguisme qui pourrait les servir pour répondre aux besoins d'autres communautés linguistiques, besoins qui y sont en croissance comme chez nous. La coopération francophone est donc une voie prometteuse et naturelle, mais ce n'est pas la seule. H y a aussi le marché national québécois ou canadien et le marché multilingue. La promotion et le développement du français L'apport à leur développement économique n'est pas le seul aspect des industries de la langue qui peut intéresser les Québécois. Il faut nous intéresser aussi à leurs impacts sur la place du français chez nous. L'informatisation de notre travail ne doit pas nous éloigner du français comme langue de notre travail. Si les logiciels comprenant en partie l'anglais deviennent beaucoup plus performants que ceux comprenant le français, il deviendra plus productif dans certaines occasions d'utiliser l'anglais, pour profiter de cette meilleure performance. La langue est un outil très utilisé au travail. On s'en remet à elle pour représenter une très large part de l'information, des connaissances et du savoir-faire accumulés. Les textes, en particulier, constituent le plus grand volume d'information dans nos entreprises et nos organisations. Π ne faudrait pas que leur représentation en français devienne un handicap parce que les produits des industries de la langue française seraient beaucoup moins performants que ceux de la langue anglaise. Il est sans doute utile ici de porter plus particulièrement à votre attention la distinction entre les produits en français et les produits pour le français. Elle tient à la disponibilité de produits, surtout de logiciels, comprenant partiellement les langues naturelles. On voit facilement qu'un logiciel fait pour comprendre l'anglais, par exemple, ne pourra pas bien fonctionner si on l'alimente avec du français. Les différences entre ces deux langues sont trop importantes. Un logiciel pourrait communiquer en français avec ses usagers mais ne pas être en mesure de comprendre cette langue, par exemple si l'usager répond en désignant un des choix qui lui est offert. Un traitement de texte peut très bien supporter les caractères français, mais si ses

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Guy Bertrand

correcteurs associés, orthographique ou grammatical, ont été faits pour l'anglais, ils seront inutiles pour le français. L'anglais étant beaucoup plus utilisé que le français dans le monde, les lois du marché favoriseront le développement de produits pour l'anglais. Il est probable que la langue anglaise soit la plus favorisée de toutes les langues. Il est donc important pour toutes les autres communautés linguistiques de s'assurer de la disponibilité de produits compétitifs pour leurs langues. Aussi est-ce à la fois une menace et une occasion à saisir. Une menace pour ceux qui ne s'en préoccuperont pas et un marché pour ceux qui s'en occuperont intelligemment. Les industries de la langue auront donc un impact important sur la promotion et le développement du français chez nous. Vous vous doutez combien il est agréable de travailler à ces questions avec Jean-Claude Corbeil.

Bibliographie Corbeil, Jean-Claude avec la collaboration de Pierre Auger, André Bougaïeff et Pierre Georgeault (1990), Les industries de la langue : un domaine à la recherche de lui-même, Québec, Conseil de la langue française. Corbeil, Jean-Claude (1991), «Le marché des industries de la langue», Actes du colloque Les industries de la langue : Perspective des années 1990, Québec, Office de la langue française : 989-997.

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Robert Chaudenson CIRELFA

Les industries de la langue. Chronique d'une mort annoncée

Lors du Premier Sommet des Chefs d'États et de Gouvernement ayant en commun l'usage du français (Paris, 1985), la mise en place d'un réseau consacré aux «Industries de la langue» avait surpris, étonnant les uns et charmant les autres. Le concept était nouveau; selon P. Auger (in J.C. Corbeil, 1990, p.8), une des premières attestations et définitions du terme serait due à J.F. Dégremont (collaborateur de B. Cassen à la MIDIST) dans la revue Brises (p.5), en avril 1984. En tout cas, le terme n'est pas venu des industriels qui ne l'ont jamais adopté, en Europe du moins. La langue française (car il s'agissait d'elle) apparaissait par là comme une ressource naturelle susceptible d'exploitation industrielle pleine de promesses; ce que les sciences du langage ont d'inutile ou même de futile aux yeux de bien des décideurs politiques se trouvait avantageusement mis au second plan par le prestige du mot «industries», lui-même riche de connotations économiques. Qu'entendait-on par là? Le «Rapport intermédiaire sur les orientations et les perspectives du développement des industries de la langue» était encore très vague dans la définition qu'il proposait : Le concept récent des industries de la langue [...] a été avancé pour désigner de façon générique et provisoire [on appréciera le zeugma!] les applications industrielles, connues ou prévisibles, du traitement de la langue — en tant que matériau — par les machines informatiques, (p. 1)

Le document de synthèse «Industries de la langue», présenté par le Réseau «Industries de la langue» au Sommet de Québec (1987), est un peu plus précis : L'expression «Industries de la langue», qui est employée dans les milieux les plus divers [sic], est un terme générique désignant des objets et notions variées et cohérentes. Dans un sens restreint, cette expression fait référence à un ensemble d'activités économiques qui répondent aux besoins nouveaux de l'ère informationnelle. On range habituellement les industries de la langue dans le domaine des nouvelles technologies de l'information. Entrent dans ces nouvelles technologies, le dictionnaire électronique, le correcteur orthographique et les systèmes d'enseignement assisté par ordinateur. Dans un sens plus large, cette expression englobe des activités plus traditionnelles relatives à la langue comme la traduction, la composition et l'édition, la terminologie, la néologie qui utilisent l'informatique de façon de plus en plus intensive. On peut y ajouter des activités de formation reliées à l'informatique, la linguistique et les sciences cognitives. (1987, p. 111)

Dans le passé, j'ai eu l'occasion (R.C., 1989) de commenter cette formule, «industries de la langue», et je ne puis guère que répéter ici ce que j'ai déjà écrit : La langue, associée de façon quasi automatique à la culture, souffrait en effet d'une certaine dévalorisation dans un contexte où l'on semblait vouloir donner la primauté à l'économique; son association à «industries» paraissait dès lors propre à redorer un blason bien terni. Cette association provocante de mots avait en effet

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Robert Chaudenson l'avantage, au moins apparent, de satisfaire à la fois les technocrates, soucieux d'efficacité, de pragmatisme, de rentabilité qui trouvaient leur compte dans «industries», et les hommes de culture qui se devaient d'être comblés par la seule mention du mot «langue» (cette félicité étant poussée à la béatitude par le charme subtil, ambigu et, qui sait, universaliste, de l'article défini). Par ailleurs, dans l'esprit de ceux, nombreux sans doute, pour qui la langue ne pouvait être que le français, dans le contexte d'une menace, de plus en plus pesante, d'un hégémonisme anglo-saxon en matière d'information et de communication, «industries de la langue», dans cette prometteuse association du pluriel des premières au singulier de la seconde, cumulait avantageusement les séductions de la modernité et de l'efficacité et les exaltations d'une panculturalité francophone. (1989b, p. 129)

Toutefois, la dernière définition citée, celle de 1987, se caractérise par son flou, mais aussi déjà par un sensible décalage par rapport aux activités industrielles réelles où, il faut le répéter, l'expression «industries de la langue» n'est pas utilisée. La France, chargée du pilotage de ce Réseau, avait pourtant bien fait les choses; trois éminents linguistes se sont succédé à sa tête : J.M. Zemb, C. Hagège et B. Quemada. Cette succession, en moins de deux ans, de ces trois personnalités, si éminentes qu'elles soient, a malheureusement conduit à déléguer, dans cette période cruciale, les responsabilités décisionnelles majeures à des gens infiniment moins capables de les remplir. Faute peut-être du temps nécessaire pour conduire une réflexion spécifique préalable, le projet de réseau des Industries de la langue s'est largement inspiré au départ, comme le texte fondateur le reconnaît d'ailleurs, d'un rapport élaboré, un peu auparavant (en 1984-5), à la demande d'Hubert Curien, Ministre français de la Recherche et de la Technologie, par B. Cassen, alors Directeur de la MIDIST («Mission Interministérielle pour l'informatisation de la documentation et de l'information scientifique et technique»). Le recours à ce document, remis en novembre 1985 et rendu public en 1988 sous le titre Les industries de la langue, un grand enjeu culturel, scientifique et technologique pour la France, a posé problème. En effet ce travail, par ailleurs excellent à son moment, pour ses finalités et dans sa perspective d'élaboration, a eu des conséquences qu'on aurait pu pourtant facilement prévoir. On peut en citer trois, parmi les plus évidentes. La première est que, le Rapport Cassen étant un document français, préparé à la demande d'un ministère français et visant à informatiser en France la documentation et l'information scientifique et technique, il aurait fallu, en l'utilisant, prendre en compte la dimension francophone du Réseau. L'inspiration étant trop directe, les partenaires étrangers ont eu le sentiment que les Français tiraient singulièrement la couverture à eux. Le Rapport intermédiaire contenait même des formules si maladroites qu'elles passèrent alors pour des provocations. Les Belges apprécièrent tout particulièrement cette phrase, à la syntaxe par ailleurs étrange : «Il existe plus de dix laboratoires en France, au Canada, au Québec, susceptibles de recevoir ces stagiaires, voire en Belgique» (p. 10). Un autre problème, plus évident encore, même s'il se rattache au précédent, était posé par les États francophones du Sud qui eurent, à juste titre, l'impression que toute cette affaire ne concernait que les pays du Nord; il aurait fallu sans doute leur présenter le dossier d'une façon tout à fait différente. En effet, à terme, tout aménagement industriel de la langue française concerne tous les États francophones; il aurait fallu l'expliquer et surtout constituer un autre

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réseau prenant en charge de façon directe les problèmes de la francophonie du Sud qui sont d'un ordre tout différent. Le point le plus grave a été, au plan problématique et programmatique, de confondre, sans doute par ignorance du domaine, la perspective du rapport Cassen (centrée sur les problèmes de la gestion informatisée de l'IST) et les problèmes qu'aurait dû poser une réflexion plus large et mieux adaptée, conduite en concertation avec de véritables partenaires industriels qui, faut-il le dire, n'ont jamais été consultés, sauf, de façon tardive et symbolique. Classer les industries de la langue dans «les nouvelles technologies de l'information» revenait, dès le départ, à limiter le domaine à des aspects, somme toute, mineurs. C'est ainsi qu'un secteur comme l'intelligence artificielle ou le génie logiciel n'a pratiquement jamais figuré de façon sérieuse dans les programmes du réseau, même si le terme a fini par apparaître, alors que sa place est centrale pour la plupart des laboratoires industriels. J'aurais peut-être dû dire, en commençant cet article, comment j'ai été amené à connaître et à suivre l'activité de ce réseau. Mon premier contact avec le Réseau des Industries de la Langue a eu lieu en 1986. J'étais alors membre du Conseil International de Recherches et d'Etudes en Linguistique Fondamentale et Appliquée (CIRELFA) dont Jean-Claude Corbeil était alors le Secrétaire; l'Agence de Coopération Culturelle et Technique, que nous avions mission de conseiller dans ce domaine scientifique, sollicita alors très logiquement notre avis sur le premier document concernant ce Réseau. Début 1988, élu par le CIRELFA comme Secrétaire, je retrouvai le dossier et l'ACCT me demanda, à plusieurs reprises, de siéger dans sa délégation, à l'occasion des réunions de ce Réseau. J'ai donc été amené à dire dans ces sessions ce que je dis ici; de ce fait, j'ai bien souvent passé, dans le meilleur des cas, pour un oiseau de mauvais augure (d'où le titre de cet article) et quelquefois, aux yeux de certains, pour un dangereux saboteur de la francophonie. J'ajouterai que pour qui souhaiterait une vue plus apaisée et peut-être plus objective de l'histoire du concept, sinon du Réseau des Industries de la Langue, l'ouvrage de J.- C. Corbeil, Les industries de la langue : un domaine à la recherche de lui-même, réalisé en collaboration avec P. Auger, A. Bougaïeff et P. Georgeault, fournira les éléments souhaités. L'évolution et l'action du Réseau ont été marquées de façon irrémédiable par ces défauts initiaux de perspective et de structure, bien avant l'arrivée de B. Quemada et son action n'a pas pu changer le cours des choses. Comme trop souvent, on a cédé aux politiques qui ne savent pas toujours ce qu'ils veulent, mais qui le veulent tout de suite! Mis sur pied dans la hâte, sans réflexion préalable et concertation avec de vrais partenaires industriels, dirigé en théorie par des linguistes éminents dont la succession a été trop rapide ou l'arrivée trop tardive pour que leur action soit déterminante et leur contrôle réel, ce Réseau des Industries de la langue a commencé à fonctionner sans problématique spécifique ni objectifs valides, mais surtout sans réelle concertation ni transparence de gestion. C'est ainsi que la «néologie» et la «terminologie» qui ne figuraient pas dans le projet initial et dont les liens avec les «industries de la langue» ne sont pas évidents, surtout pour la néologie, sont venus s'intégrer au projet; il s'agissait par là d'apaiser les partenaires nord-américains, légitimement irrités du caractère «franco-français» du projet, en donnant place au Réseau

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International de Néologie et de Terminologie (RINT). Un véritable programmine scientifique ne s'élabore pas en termes de concessions ou de compromis; il doit résulter d'une réflexion partagée ou d'une commune adhésion à une problématique et à des objectifs. Ce défaut a été plus net encore pour ce qui concerne la place des États du Sud dans le Réseau des Industries de la langue. C'est lors de la réunion de Rabat (3 et 4 novembre 1988) qu'a été prise, sous la pression du Sud, la décision de changer la dénomination du Réseau, baptisé désormais «Industries de la langue et développement linguistique». J'ai, en cette occasion, manifesté mon opposition radicale à une telle proposition, mi-chèvre mi-chou, qui visait, par l'adjonction de l'expression «développement linguistique», à faire, soi disant, une place aux États du Sud dans le Réseau des Industries de la langue. Là encore, j'ai défendu l'idée que les industries de la langue devaient rester un secteur d'intervention spécifique, à condition de faire fonctionner ce réseau selon des modalités différentes et en redéfinissant ses objectifs; l'aménagement linguistique des Etats du Sud, dont le Sommet de Dakar (mai 1989) allait bientôt faire une priorité, méritait autre chose qu'un quart de strapontin dans un réseau, qui, en tout état de cause, gardait des centres d'intérêt radicalement différents. Bien entendu, je n'ai pas été suivi alors que le simple constat des ventilations budgétaires du Réseau suffisait à faire apparaître l'absence d'intérêt réel pour le «développement linguistique» du Sud. La création d'«observatoires des industries de la langue» dans les pays en développement (Afrique du Nord, Afrique centrale et ocidentale) fut, une fois de plus, un mauvais compromis sans effet réel. À ce moment, au sein du RIL, l'objectif sous-jacent était, avec des intentions tout à fait différentes selon les protagonistes, de créer des structures plus durables que le Réseau lui-même auquel le Sommet de Dakar paraissait devoir mettre un terme, l'ACCT devenant l'opérateur unique des programmes. Le RIL fut ainsi informé à Rabat (novembre 1988), que DAICADIF, simple association Loi 1901 qui, du côté français, bénéficiait très largement du soutien du Réseau, venait de se muer soudain en «Observatoire français des Industries de la Langue», sans changer toutefois de statut juridique, mais en donnant l'impression, par sa dénomination même, qu'il s'agissait d'un organisme officiel. Du côté québécois et belge, on engagea, en revanche, de réelles procédures de concertation pour mettre en place des «observatoires» qui n'avaient évidemment que le nom de commun avec le précédent Je reviendrai un peu plus loin sur ces institutions. À plusieurs reprises durant ces deux ans (1987-9), j'ai essayé, non sans candeur (1989a et 1989b), de poser le problème du marché des industries de la langue. Les faits précédemment évoqués démontrent qu'aucune logique industrielle n'a été mise en oeuvre dans la conception du programme initial des industries de langue, lui-même conçu à partir d'un rapport dont les orientations et les finalités étaient bien autres. H en est malheureusement de même pour tout ce qui touche au marché. On aurait dû, dès le départ, prendre en considération le lien étroit entre les «industries de la langue française» et la «francophonie» (au sens étymologique et plein), c'est-à-dire la diffusion du français. Aucun industriel sérieux (mais il n'y en a jamais eu dans le RIL) ne se désintéresse du marché des produits qu'il élabore, fabrique et donc envisage de vendre. Il faut sortir ici d'une limitation significative du registre métaphorique : «industries de la

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langue» est noble, mais «marché» ou «vendre» ne semblent pas l'être, puisque ces aspects sont soigneusement occultés et ces termes évités. En l'occurrence, la vente des produits des industries de la langue française n'est envisageable que si l'on dispose d'un marché c'est-à-dire d'un ensemble, aussi étendu que possible, de consommateurs potentiels disposant à la fois de compétences linguistiques en français et des moyens économiques indispensables pour acquérir ces produits industriels. Les productions des industries de la langue et de la culture supposent, bien entendu, de la part des acheteurs potentiels des compétences linguistiques qui ne sont pas indispensables dans le cas des autres produits industriels. On peut se servir d'une bicyclette ou d'une voiture françaises sans parler le français; il en est tout autrement pour les produits des industries de la langue. Comme la francophonie du Nord (France, Canada, Belgique, Suisse, Monaco) est un marché de taille réduite et, au mieux, en stagnation démographique, la francophonie du Sud est, pour le prochain millénaire, le seul marché potentiel sérieux. Si l'on veut y vendre les produits des industries de la langue, il est donc indispensable d'y généraliser les compétences linguistiques (par une réelle diffusion du français) et d'y favoriser le développement économique, ces deux aspects n'étant évidemment pas sans lien. De tels aspects n'ont jamais été pris en compte, ni même évoqués. Ce Réseau a donc été initialement conçu sans réflexion réelle sur ses objectifs, sans transparence sur ses modes de fonctionnement, sans prospective sur ses finalités. On conviendra que la présence de ces trois mauvaises fées autour du berceau du nouveau-né n'encourageait pas à parier gros sur son avenir. Le Sommet de Dakar (mai 1989) amène, comme on le pensait, la disparition des réseaux en tant que tels et l'attribution à l'ACCT, à partir du 1 er janvier 1990, des responsabilités de gestion des moyens affectés à ces domaines d'intervention. Ma naïveté m'avait amené à écrire dans la hâte (février 1989) un livre dont j'espérais qu'il pourrait attirer l'attention sur la situation critique de la francophonie (1989. Vers une révolution francophone?). Cette naïveté était d'ailleurs double; je pensais en effet que cet ouvrage pourrait sortir avant le Sommet de Dakar (prévu pour mai); je m'imaginais par ailleurs qu'il pourrait peut-être avoir quelque influence sur les décideurs politiques et le choix des programmes. Le livre ne parut qu'en juillet 1989 (trois mois après le Sommet) et son principal effet fut de m'attirer, par le chapitre sur les industries de la langue, des foudres que je ne méritais nullement. En effet, j'exprimais dans cet ouvrage, comme ici, des remarques strictement personnelles et exactement conformes au point de vue présenté ci-dessus dont l'avenir a montré qu'il était assez raisonnable. La dernière réunion du Réseau (Montréal, ñn 1989), à laquelle je n'ai pu assister, a arrêté le programme 1990 en matière d'«Industries de la Langue et de Développement Linguistique»; une telle décision, de la part d'une instance qui devait cesser d'exister quelques semaines plus tard, était un peu étonnante; elle eut pour conséquence directe de retirer, durant l'année 1990, à l'ACCT, devenue opérateur des programmes, toute capacité réelle d'intervention, puisque l'Agence dut se limiter à l'exécution des choix effectués à Montréal par le RIL finissant. De telles circonstances rendaient indispensables, ñn 1990, un bilan et une réelle évaluation du fonctionnement et des actions conduites par le Réseau depuis 1986; mon conseil, sur ce point

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comme sur bien d'autres, n'a malheureusement pas été suivi; une réunion interne de bilan, tenue à l'initiative de l'ACCT par le groupe d'experts des Industries de la Langue les 11, 12 et 13 novembre 1990, a manqué pour une bonne part son objet en raison de l'absence du principal intéressé, A. Abbou. L'année 1991 a été, de ce fait, pour les Industries de la Langue le commencement de la fin alors que, paradoxalement, ce secteur commençait à avoir un fonctionnement plus normal et des objectifs mieux définis. J'illustrerai cet aspect par trois faits. Un des apports positifs du Réseau a été la mise en place et le fonctionnement, hélas éphémère, du groupe «Formation». Le RIL comprenait en effet deux volets, très inégaux au plan budgétaire; le premier, «Recherche et développement industriel», concentrait l'essentiel des moyens sous la direction d'A. Abbou, par ailleurs, responsable administratif de l'ensemble du Réseau; ce dernier était aussi représentant de la partie française par son rattachement à la Délégation Générale à la Langue Française; comme représentant de DAICADIF, association privée devenue l'OFIL, il était enfin un des principaux opérateurs du RIL. Le second volet, «Formation», sous la responsabilité d'Irène Bessières, ne bénéficiait que de moyens réduits (1 million de francs par an en moyenne venant du Ministère français de la Coopération). L'activité de ce groupe «Formation» a été tout à fait exemplaire à la fois sur le plan du fonctionnement (mise en place d'un groupe de réflexion représentatif et d'un jury de sélection des boursiers) et sur celui de la définition des objectifs scientifiques. L'essentiel des moyens a été consacré à des bourses et stages de formation dans des instituts et laboratoires universitaires et s'est même opérée, en 1991, une certaine ouverture vers le milieu proprement industriel. La mise en place des Observatoires des Industries de la Langue illustre aussi l'évolution favorable qui s'est peu à peu esquissée; si l'Office Français des Industries de la Langue n'avait résulté que du simple changement de nom d'une association Loi 1901, les Québécois et les Belges, par une large concertation avec tous les partenaires intéressés, se sont efforcés de mettre en place de vrais observatoires nationaux ou provinciaux; la Suisse elle-même a suivi cette voie avec un certain délai (prudence helvétique oblige!). Hors de France, ces divers observatoires se sont en fait définitivement mis en place au moment même où le secteur des Industries de la Langue disparaissait des préoccupations du Sommet et des programmes de l'ACCT. Le fait le plus significatif est, àcet égard, la publication de la brochure Connaissez-vous les Industries de la langue? Perpectives des années 1990-2000. Sommet francophone de Chaillot, 19-21 novembre 1991 (ACCT, 1991,43 pages), préparée conjointement par les Observatoires canadien et wallon des industries de la langue. Le titre même de cette plaquette montre assez le caractère inattendu pour les principaux intéressés de la décision prise à Chaillot. On peut d'ailleurs penser qu'elle n'entraînera pas nécessairement, hors de France au moins, la disparition de ces observatoires. Un dernier élément de l'amélioration des choses était le début de rapport entre les Industries de la langue et de vrais partenaires industriels. En 1988 je crois, j'avais eu l'occasion d'assister à une réunion du RIL (Recherche et développement industriel) tenue à Matignon par A. Abbou; je m'attendais évidemment à y rencontrer les représentants des principaux groupes industriels spécialisés (Cap Sogeti, CISI, etc.); en fait, les seuls «industriels» présents étaient quelques

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universitaires, en rupture de ban ou en situation de cumul, ayant ouvert ici ou là une officine de consultation ou de création de logiciels. Certes la relation avec le milieu industriel réel n'est pas facile. D est évidemment plus tentant de traiter dès lors avec des sociétés ou des institutions (la différence n'est pas toujours nette) mi-universitaires, mi-PME; elles s'accommodent de budgets modestes (énormes cependant par rapport à ceux qu'elles peuvent espérer de leurs financeurs institutionnels habituels), mais leurs moyens effectifs sont incertains et leurs engagements flous. Un vrai partenaire industriel calcule ses propres coûts et son investissement en termes réels (y compris son bénéfice), mais ses engagements et sa programmation sont précis et scrupuleusement respectés (avec éventuellement des pénalités de retard). Dès lors que vaut-il mieux faire? Financer 10 projets de 100 000 francs d'où il ne sortira rien ou un projet d'un million de francs, en prise sur le milieu industriel réel, qui aboutira au produit envisagé dans les conditions et les délais prévus? Il faut là encore se placer dans une logique; si la SNCF, EDF ou Air-France consacrent quelques millions de francs à l'étude de systèmes experts de gestion, de réservation ou de facturation, c'est parce que ces sociétés ont défini des besoins et des objectifs; dans le domaine qui nous occupe, celui de la coopération francophone, les quelques dizaines de millions de francs qu'on a dépensés dans le domaine des Industries de la Langue en S ans l'ont été, mises à part les opérations de formation, sans véritable définition d'une politique et surtout sans évaluation des résultats (l'auto-évaluation n'étant pas, à mes yeux, une forme crédible de contrôle!). Il est évidemment inutile d'épiloguer sur le passé, mais la plupart des gens pensent qu'on a choisi de supprimer ce secteur d'intervention plutôt que de reconnaître les erreurs commises et de faire un bilan rigoureux de l'usage des moyens utilisés en regard des résultats obtenus. En guise de conclusion Certes on peut penser, et cet argument est fort en apparence, que les budgets consacrés aux Industries de la langue n'étaient pas suffisants pour permettre une véritable présence au plan proprement industriel. C'est vrai si l'on prétendait, à travers le RIL, développer, avec 6 ou 8 millions de francs annuels, un programme de recherche industrielle du type ESPRIT. En revanche, si l'on sait exactement quels types de besoins on a dans les divers domaines (formation par exemple, mais aussi besoins spécifiques correspondant à des objectifs préalablement définis), on peut tout à fait, en relation avec des laboratoires universitaires et/ou des partenaires industriels, par des procédures publiques d'appel d'offres, faire élaborer les produits qu'on estime utiles ou indispensables. On contribue ainsi, modestement certes, à soutenir un secteur, on favorise des formations (le lien action/formation peut tout à fait être établi) et on suscite l'élaboration de produits industriels donc l'intérêt et/ou la nécessité ont été préalablement mis en évidence. Ce qui est en cause est aussi la nature de la relation avec le milieu industriel qu'on a mise en avant, sans beaucoup de réflexion. Espérer avec des moyens aussi dérisoires «doper» le secteur des industries de la langue française face à la concurrence anglo-américaine était évidemment absurde. Ce qui s'est passé l'est encore plus, puisque l'essentiel de ces moyens est allé, quelquefois, à des organismes aux rôles et aux fonctions mal définis, plus généralement, à des

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groupes universitaires ou para-universitaires dont les engagements contractuels ont été sans doute très inégalement respectés. La seule voie raisonnable aurait été de déterminer dans quels domaines les vrais «industriels de la langue» (c'est-à-dire aujourd'hui aussi et peut-être surtout les groupes qui opèrent dans des secteurs comme le génie cognitif, la gestion de la connaissance, les multi-médias, etc.) peuvent aider à résoudre des problèmes qui se posent à la francophonie. L'usage même de la dénomination «industries de la langue» témoigne initialement de cette double ignorance du milieu industriel et des thèmes de recherche/action les plus riches de perspectives. La traduction automatique, désormais réduite à la TAO, est un secteur qui est très loin d'avoir tenu toutes ses promesses; l'enseignement assisté par ordinateur, EAO, que certains rêvent d'exporter au Sud, paraît étrangement inadapté aux réalités quotidiennes de l'école dans les États africains; la terminologie, essentielle dans le contexte de la francisation industrielle du Québec, a sans doute ailleurs une importance moindre. L'analyse automatique du français elle-même se révèle, dans tout le champ de l'intelligence artificielle et du génie cognitif, moins porteuse de perspectives qu'on aurait plus le croire; il en résulte que le «rattrapage», à peu près impossible pour les langues de l'espace francophone autres que le français, est peut-être, somme toute, inutile. Si la gestion de la connaissance est l'un des défis technologiques majeurs des décennies à venir (rendu de plus en plus diffìcile à soutenir par l'énorme puissance des modes modernes d'accumulation des données et des savoirs), «les industries de la connaissance» sont sans doute, plus que les industries de la langue, un secteur de coopération scientifique pour la francophonie, relativement dégagé des aspects proprement linguistiques. Par ailleurs, dans les rapports avec le milieu industriel, il aurait été opportun de rechercher des formules qui ne fassent pas des partenaires industriels de simples prestataires de services; on aurait pu songer à quelques formules mais il y en a sans doute d'autres : l'investissement communicationnel (pour ne pas dire «sponsoring»!); les financements préférentiels de coopérations laboratoires universitaires/partenaires industriels (en liaison avec les actions de formation).

Bibliographie Chaudenson, Robert (1989b), Vers une révolution francophone?, Paris, L'Harmattan. Corbeil, Jean-Claude (en collaboration avec P. Auger, A. Bougaïeff et P. Georgeault) (1990), Les industries de la langue : un domaine à la recherche de lui-même, Conseil de la langue française, Québec.

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Charles Muller Professeur émérite Université de Strasbourg Vice-Président du CJL.F.

Télématique et orthographe. Le programme Orthotel En décembre 1979, au CILF, on me posa la question suivante : «Peut-on créer une Banque de données orthographiques et grammaticales?» Question qui m'embarrassa fort, car mes idées sur les banques de données étaient très vagues. Puis je fus invité à présenter, à l'assemblée générale d'avril 1980, une communication sur la «faisabilité» d'un programme ainsi défini. J'ouvris une tâtonnante enquête, et plusieurs personnes me dirent : «Pourquoi des gens iraient-ils taper sur un clavier, suivre une procédure étrange et onéreuse, puis déchiffrer un écran... alors qu'il est si simple d'ouvrir le petit dictionnaire que la plupart de nos compatriotes ont à portée de la main?» C'est le bon sens qui parlait par leur bouche. Et le bon sens se trompe souvent, surtout en matière de langage (le récent débat sur l'orthographe en a fourni des preuves définitives!). Car aujourd'hui la dite «banque» existe et fonctionne. Elle se nomme ORTHOTEL (réseau TELETEL 3, appel sur 36 15); elle a enregistré, pendant les deux années 1990 et 1991,77 081 appels. Ce programme télématique (l'un parmi quelque quinze mille en service), accessible aux six millions de détenteurs d'un MINITEL, comporte actuellement huit sous-programmes, énumérés sur la «page d'accueil» :

Pour écrire un français sans fautes ORTHOGRAPHE - GRAMMAIRE - VOCABULAIRE 1. MODE D'EMPLOI - CONSEILS 2. LEXIQUE : dépannage immédiat 3. VOS QUESTIONS - VOS MESSAGES 4. ORTHOTEL CORRIGE VOS TEXTES 5. ORTHOTEL-JEUX: Recyclez-vous! 6. NOS INFORMATIONS 7. AIDE A LA CORRESPONDANCE 8. LA «NOUVELLE ORTHOGRAPHE». Votre choix + ENVOI

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Charles Muller

Il s'agira ici essentiellement du LEXIQUE, qui est le noyau autour duquel les autres parties sont venues, l'une après l'autre, s'ajouter; nous verrons qu'il est non seulement la partie la plus ancienne et la plus volumineuse, mais aussi celle qui doit rester l'élément esssentiel du dispositif. Ce Lexique, on ne cesse de le répéter, n'est pas un dictionnaire. Mais, s'il n'a pas les mêmes ambitions qu'un Larousse, un Robert, un Hachette, il représente cependant, lui aussi, un outil de description et de consultation du vocabulaire français, et participe donc, sous une forme modeste, mais innovante, à la lexicographie. D'où la question qui est à la base de cet article : en quoi diffère-t-il de l'instrument traditionnel? En est-il le concurrent, le substitut, le complément? Quelle est son utilité propre? Et quel est l'usage qui en est fait? Le dictionnaire, une fois rédigé, imprimé, diffusé et vendu, échappe à ses auteurs. S'ils y découvrent une erreur ou une lacune, il leur sera très difficile, sinon impossible, de la pallier. Et jamais ils ne sauront lesquels des articles ont été consultés, lesquels n'ont pas répondu à l'attente du consultant, lesquels même n'ont suscité l'intérêt d'aucun usager. L'informatique, qui substitue ses supports magnétiques au papier et à l'encre d'imprimerie, a ouvert au gestionnaire d'ORTHOTEL des perspectives inespérées : un contrôle discret, mais constant et infaillible, de la consultation; des mémoires qui gardent une trace de chaque visite, de chaque «entrée» d'un usager, tout en respectant strictement son anonymat. L'ordinateur du centre serveur enregistre tout, et il nous suffit de le consulter, sur notre terminal, pour connaître chaque instant de la vie du programme. Ce contact quotidien, révélant les lacunes et les imperfections, entraîne la possibilité de corriger très rapidement ces défauts; notre Lexique reste ouvert à toutes les retouches; il a pu être mis en service (1984) dans un état presque embryonnaire : moins de dix mille entrées, et une conception balbutiante de la méthode; mais, d'année en année, ce sont les appels et les questions du public qui ont orienté son extension (actuellement quelque vingt-cinq mille entrées), et qui dictent une constante amélioration du contenu. Cette souplesse de la gestion, cette plasticité du support sont d'incontestables avantages. Mais il faut mesurer aussi les servitudes inhérentes au Minitel. Et d'abord la faible capacité de son écran. Vingt-cinq lignes de 40 signes ou espaces; mais qu'on n'espère pas remplir ces mille emplacements; il faut réserver, en haut et en bas de l'écran, deux ou trois lignes pour les indications de service; chaque emploi, dans le texte, de lettres de grand format consomme deux lignes; ensuite, un écran plein d'un texte trop serré est pénible à la lecture; un peu d'aération s'impose. La typographie, enfin, n'a pas la richesse de l'imprimé. Le contenu maximum de la page-écran est donc plutôt, en moyenne, de six à sept cents signes ou espaces. C'est dire qu'une colonne du Petit Robert, introduite dans le Minitel, se traduirait par une suite de dix à douze pages-écrans, dont la consultation serait fort inconfortable. Il arrivera que l'unité «article» tienne sur une page-écran; sinon, deux moyens nous sont offerts. Une série consécutive, dont l'ordre est immuable, chaque page n'étant obtenue, par la touche SUITE, qu'après la traversée de toutes les précédentes; solution que nous n'appliquons

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guère au-delà de trois pages-écrans. Ou alors un «choix» : une page offrant une sorte de brève «table d'orientation» vers le bon choix. Exemple :

FAIRE pour faire faire + infinitif (faire réparer, ne

tapez 1 2

faire que rêver...)

DER

se faire

3

(faisable, faiseur, infaisable, etc.)

4

ENTREZ VOTRE CHOIX + ENVOI

Le Minitel n'est pas fait pour une lecture lente; on ne parcourt pas des pages-écrans comme les colonnes d'un dictionnaire; on ne feuillette pas le Minitel... Il y a donc intérêt à faire court. Le but initial étant d'aider l'usager à appliquer les règles de l'orthographe et de la grammaire, le Lexique sacrifie tout ce qui n'est pas indispensable à cette tâche. Un dictionnaire se consulte tantôt pour vérifier la graphie d'une forme, tantôt pour préciser le sens d'un mot, parfois pour s'informer sur un fait syntaxique. Notre Lexique réduira la sémantique à sa plus simple expression : pas d'inventaire exhaustif des significations quand elles sont sans effet sur la graphie; pas d'amples définitions, mais de brefs «repères sémantiques», suffisants pour que l'usager sache qu'il ne fait pas fausse route. En revanche, nous bénéficions d'une souplesse peu accessible au dictionnaire, dont le lecteur ne trouve immédiatement un mot que s'il en connaît l'orthographe : nos articles s'inscrivent sur l'écran même en partant d'une graphie aberrante, pourvu qu'elle respecte la prononciation usuelle; ainsi un mot comme gentil est obtenu même en tapant GENTI, GENTILLE, JANTI, JENTI, JAN l lL ou JEN 1 IL, JANTILLE, JANTIE, etc.; nous pouvons même tenir compte de graphies ou de prononciations vicieuses, mais courantes : une bonne partie des usagers écrivent ACCEUIL, PARMIS, etc.; beaucoup prononcent, écrivent... et lisent DILEMNE; charitablement, nos «entrées» en tiennent compte. Mais, précaution essentielle, aucune de ces cacographies ne peut s'inscrire sur l'écran, sauf si elle est tapée par l'usager; leur présence dans le programme reste cryptée. Il faut ajouter que l'usager, spontanément, tape en majuscules, sans signes diacritiques ou ponctuations; qu'il n'a donc pas à tenir compte des accents, des traits d'union, des espaces, etc.;

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s'il tape PATE, il obtiendra pâte, pâté et patte, et fera son choix; il trouvera ci-joint (très demandé!) même en appelant CIJOINT ou CI JOINT, voire CüOIN, SUOINT ou SüOIN. Le premier rôle du Lexique est donc, en partant de la forme phonique du mot, de fournir sa bonne graphie; et ce service doit s'appliquer aussi aux flexions. Le pluriel d'un nom, le féminin d'un adjectif doivent donc, même s'ils sont réguliers, apparaître soit en entrée, soit dans des exemples; quant aux verbes, ils sont illustrés par plus de 520 conjugaisons (toutes les formes simples, en deux pages-écrans), qui servent de base pour plus de 2 000 verbes (tous ceux des deuxième et troisième groupes, ainsi que ceux du premier dont certaines formes peuvent créer une difficulté : infinitifs en -eler, -eter, -ier, -yer, -uer, -éer, -cer, -ger, etc.). Libérée de l'ordre alphabétique, la banque de données peut réunir, sur une même page-écran, des unités sémantiquement apparentées (vergue/envergure), même morphologiquement indépendantes (mica/quartz; bloc/monolithique), mais aussi des mots «à ne pas confondre» (chaos/cahot; chaotique/cahoteux; notamment/ notablement/notoirement; conjoncture/conjecture, etc.). Les exemples sont brefs et sans prétention littéraire; ils servent certes à illustrer les significations les plus courantes, mais souvent à fixer un fait syntaxique; presque tous les verbes s'accompagnent d'un ou plusieurs exemples montrant l'accord ou le non-accord du participe passé, généralement suivis d'une remarque introduite par le mot ACCORD. Les entrées dans le LEXIQUE se font par une page «mot» :

Tapez le mot qui vous crée une difficulté: —>

ATTENTION Un seul mot à la fois Les verbes à l'infinitif Les noms au singulier Les adjectifs au masculin singulier Pas de noms propres.

J'ai dit que toute graphie qui respecte la prononciation du mot sans la compliquer à plaisir doit obtenir une réponse. Ne parlons pas d'«orthographe phonétique» (notion inutilisable pour le grand public, et usage exclu par le clavier du Minitel), mais de «graphie minimale», ou encore de «squelette graphique du mot». Ainsi celui qui a entendu succinct, ou cynique, ou caution, mais n'a jamais vu ces mots écrits, pourra connaître leur forme correcte en interrogeant SUXIN, SINIC ou CINIC, CAUSSION, COSSION ou COTON.

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Les homophones, par définition, ont la même transcription minimale : mer, mère et maire, cour, cours et court ont même squelette, et devront donc être réunis. Ainsi, quand on tape METRE ou METTRE ou MAITRE, on obtient ce choix, avec ses «repères sémantiques» :

POUR maître n.masc. * maître et élève

TAPEZ 1

POUR mètre n. masc. * il mesure deux mètres et dérivés

TAPEZ 2

POUR mettre v.

TAPEZ 3

* mettre un chapeau sur sa tête POUR se mettre v. * se mettre à l'ouvrage

TAPEZ 4

L'ordinateur du centre serveur comprend deux mémoires, qui enregistrent toutes les frappes proposées au LEXIQUE; dans l'une, les frappes qui ont obtenu une réponse; dans l'autre, celles auxquelles le programme a répondu :

Cette forme ne figure pas (encore) dans notre nomenclature. Nous en prenons note.

Nous consultions ces deux mémoires environ une fois par semaine, avant de les vider, jusqu'au jour où la possibilité a été créée de les enregistrer sur disquettes, et de les exploiter ensuite sur un micro-ordinateur utilisé comme terminal. J'ai donc entrepris un relevé méthodique, dont je livre ici les premiers résultats, sur une période de six mois (du 1er août 1991 au 31 janvier 1992), et je poursuis cette expérience pour chacun des mois suivants. Pendant ces six mois, ORTHOTEL a enregistré 14 709 appels (ceux émis par la gestion sont exclus), fournissant 26 403 entrées dans l'un des sous-programmes (un appel peut concerner plusieurs sous-programmes); 7 840, soit près du tiers (30 %), portaient sur le LEXIQUE. Ce dernier a enregistré 12 414 frappes (une entrée peut interroger plusieurs mots), dont 8 069 sont venues s'inscrire dans la mémoire des «présents», et 4 345 dans celle des «absents». Notons d'abord l'effectif relatif de ces deux listes. Dans les débuts, elles s'équilibraient à peu près. Puis, à mesure que la liste des «absents» nous dictait les additions souhaitables, cette dernière perdit du terrain; actuellement, elle ne représente plus qu'un tiers des appels.

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Mais il serait très inexact d'en conclure que les «absents» sont tous des mots manquant au Lexique. Cette mémoire s'alimente surtout par la non-observation des consignes (très nombreux noms tapés au pluriel, formes verbales autres que l'infinitif ou le participe, groupes de mots, voire phrases entières); en outre les fautes de frappe sont nombreuses, par distraction ou précipitation. En fait, sur cent «absents», seulement une dizaine correspondent effectivement à des lacunes du Lexique, dont la plupart sont alors comblées rapidement. C'est cette observation qui enrichit le Lexique de plusieurs centaines d'unités par an. Quant au contenu de ces listes, il est riche en informations. Les débuts du Minitel, on le sait, ont été essentiellement ludiques; ce jouet nouveau s'ouvrait sur des jeux, et surtout sur des messageries vite tournées au «rose». Un certain esprit gaulois s'y donnait très librement cours. On se ruait sur les drôleries; on se délectait d'étaler sur l'écran les 25 lettres d'«anticonstitutionnellement», ou de varier à l'infini les graphies de l'«ornithorynque», vocables dont l'utilité dans la vie quotidienne est douteuse. Les questions utilitaires étaient rares. Ce n'est que lentement qu'on vit naître des appels sur des mots d'usage courant ou sur des verbes «difficiles». Actuellement les appels farceurs sont devenus exceptionnels; la consultation d'ORTHOTEL atteint progressivement son but, qui est le «dépannage» de gens qui, dans une correspondance (souvent commerciale ou administrative, parfois privée), ou dans un rapport, un avis, une demande, une publicité, hésitent sur un point d'orthographe lexicale ou syntaxique, et sont soucieux d'éviter la «faute». Dans nos derniers relevés, les mots les plus fréquemment appelés ont été : AVOIR FAIRE ETRE RAPPELER POUVOIR

53 40 39 37 35

PERMETTRE GRE APPELER VOIR TOUT

30 29 28 28 27

CENT DYSFONCT JOINDRE RENOUVELER CI-JOINT

25 25 25 23 21

QUELQUE DONNER DEMI ENVOYER PARMI

20 20 19 19 19

suivis de : APPARAITRE - ACOMPTE - COMPTE RENDU - DEVOIROn y lit une double motivation : d'une part des difficultés grammaticales bien connues; d'autre part un contenu thématique très lié à la correspondance utilitaire et à ses formules convenues. On note au passage GRE, très fréquent aussi dans les questions (choix 3) et les textes à corriger (choix 4) : de très nombreux usagers connaissent auditivement la formule «je vous saurais gré de...», utile aussi bien dans une humble demande que dans une impérieuse réclamation, mais ils hésitent entre «saurai» et «saurais», et plus souvent qu'on ne l'imagine entre «saurai(s)» et... «serai(s)» (avec parfois un «grée» quand l'auteur est féminin; ce qui, du reste, nous ramènerait au latin : «tibi grata sim»). Autre formule à la mode, souvent entendue mais difficilement transcrite : «d'ores et déjà». Si les «absents» constituent encore entre le 1/3 et même le 2/5 des appels, cela est dû aussi au fait que le maladroit fait plusieurs essais sur un seul mot; nous relevons de tels tâtonnements : p.ex. un même questionneur essaie successivement (au moment des J.O. d'Albertville) :

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BIAHTLON, BIATELON, BIATHELON, BIATHLON, BIATLON, BIHATELON avant de se convaincre qu'ORTHOTEL ne connaît pas (encore) ce mot. Les graphies déviantes, qu'elles atteignent ou non leur but, appellent une interprétation. Quelques-unes sont visiblement volontaires, soit par jeu ou provocation (HORTEAUGRAFFE), soit pour tester le programme. Quant aux autres, on ne devine pas toujours s'il s'agit de paresse (taper CONCOMITAMENT, et laisser au Minitel le soin de placer les consonnes doubles où il faut) ou d'ignorance (LANGUAGE, aussi fréquent que LANGAGE, ACCEUILLIR, PARMIS, etc.). Nos sous-programmes Questions et Correction de Textes nous révèlent, chaque jour, des fautes naïves qui peuvent surprendre; on trouve des usagers qui ne réussissent pas à distinguer mon et m'ont, ma et m'a(s), ses, ces et c'est, etc.; mais, après tout, il est normal que ce programme attire surtout ceux qui ne savent pas, de même qu'une consultation médicale accueille plus de malades que de gens bien portants. Je ne me risquerai donc pas à avancer ici des nombres qui ne pourraient être qu'hypothétiques. On ne sera pas surpris de constater que les accords de participes tiennent une place de choix dans les questions et les textes à corriger. Moins prévisible : on n'imagine pas les soucis que cause le pluriel; le complément d'un nom en prend-il la marque quand le nom le fait? Exemple : un stage de spécialité : des stages de spécialité(s)? Plus généralement, l'homophonie des deux nombres cause de nombreuses hésitations, surtout dans les expressions négatives : «sans faute ou sans fautes? classer par nom(s), par nationalité(s)? salle de réunion(s)? pour tout renseignement, ou pour tous renseignements? en toute(s) circonstance(s)? bureau d'étude(s)? etc. L'inquiétude ne diminue pas quand nous accordons la liberté au questionneur en l'invitant à s'inspirer du sens, dont il est maître. Et souvent on nous demande : «quelle est la règle?» là où aucune règle ne saurait exister; et d'une décision ponctuelle on est tenté de tirer un principe général. ORTHOTEL est soumis à des dialogues instructifs, mais souvent embarrassants. Il y aurait cent autres enseignements à tirer de cette expérience unique. L'un des plus frappants est que l'enseignement de la «grammaire» a laissé dans les esprits des mots (le «métalangage»), mais que leur sens souvent s'est évaporé. Les plus prudents évitent d'en user : on ne demande pas : «dois-je mettre je viendrai au conditionnel?», mais : «faut-il mettre un -s?»; aussi révélateurs des énoncés comme : «faut-il mettre (ce verbe) au subjonctif ou au présent?» Vaste sujet! Aussi ORTHOTEL ne parle-t-il pas de verbes transitifs ou intransitifs, de compléments indirects, etc.; nous préférons, pour des accords souvent sollicités comme : «elles se sont confié(es)...», présenter deux types : SE = SOI («...à leurs amies»), et SE = A SOI («...leurs secrets»). Gérer ORTHOTEL, c'est d'abord, chaque soir, répondre aux questions (choix 3) et (deux fois par jour) corriger les textes (choix 4). C'est, régulièrement, consulter la liste des mots «absents», puis compléter et améliorer les pages du Lexique. Et je passe ici sur les autres rubriques (Jeux, Information, Aide à la Correspondance, Orthographes nouvelles, ainsi que les réponses pré-enregistrées) dont le contenu, sans exiger des interventions fréquentes, n'est jamais définitif.

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C'est aussi entretenir avec le centre serveur des rapports confiants , plus qu'hebdomadaires (heureusement in situi). Mais ne nous égarons pas dans la technique! Mais c'est surtout aider, guider, éduquer l'usager. Le but essentiel est de l'habituer à utiliser au maximum le LEXIQUE, de l'encourager à «recycler» ses connaissances par les Jeux; donc de le dissuader de recourir aux Questions quand le renseignement souhaité figure au Lexique. Exemples quasi quotidiens : «Comment s'écrit le futur de recourir? - Quel est le pluriel de scénario (ou le féminin de désuet)?» - Notre réponse invite l'étourdi (ou le paresseux?) à consulter le choix 2 avant de nous interroger. Il faut détourner aussi les scolaires, fervents du Minitel, de nous poser des questions candides du type : «quand c'est qu'on met le subjonctif? Je voudrai (sic) savoir les mots composés - Explique-moi le participe, marci»; ou mieux : «Comment faire un résumé de texte? - Comment avoir des idées en rédaction?», et même : «Qui a inventé les conjugaisons?» (sans doute pour lui élever un monument). Et, puisque ORTHOTEL s'occupe du «français», on nous recopie des sujets de dissertation, avec prière de fournir «les idées»; nous fûmes, récemment, invités à «résumer les arguments du frère et de la soeur», sans indication du texte en question (probablement l'Horace de Corneille). Nous entretenons un lot de réponses pré-enregistrées qui servent à remettre les égarés sur la bonne voie, en rappelant les limites de notre modeste rôle. Mis à part le cas des scolaires, nous tâchons d'habituer notre public (résolument anonyme, à d'infimes exceptions près), à ne nous donner (choix 4) que des phrases entières; à ne pas considérer (choix 3) qu'un mot ou un bout de phrase suffit comme «question»; enfin, sans relâche, à utiliser au mieux le Lexique. Travail de Pénélope, car il y a sans cesse des «nouveaux», gens pressés qui ne lisent pas notre «Mode d'emploi» (choix 1), ou qui sautent les mises en garde de chaque sous-programme. Ce qui m'amène à parler du coût de la consultation, déterminé par la durée de l'opération. Il est actuellement de 1,25 F par minute. La durée moyenne des appels est de 3 minutes et 40 secondes, mais elle varie suivant les sous-programmes : 1 minute et demie pour le Lexique; autant pour les Questions (mais il y faut supposer deux appels : 1 à 3 minutes pour taper la question, moins d'une minute pour lire la réponse le lendemain); 7 à 9 minutes pour les Jeux, dont chacun comporte 10 questions, autant de corrigés, un score et une appréciation finale. En durée, le Lexique fournit 21% de l'utilisation; les Questions : 12 %; les Textes, 30 à 35 %; les Jeux, 25 %. L'ordinateur, qui note tout, nous apprend que la consultation est plus forte pendant les heures de bureau et les jours ouvrables; elle est donc largement professionnelle. L'Île-deFrance, qui a 25 % du parc de Minitels, occupe plus de 30 % du trafic d'ORTHOTEL. L'Alsace, lieu de naissance d'ORTHOTEL, terrain de ses premiers essais et de son implantation, lui reste fidèle : avec 2,5 % des terminaux, elle fournit toujours plus de 5 % des appels. Tels sont quelques-uns des enseignements que l'on peut tirer de nos années d'expérience. J'ai eu plaisir à les soumettre à J.- C. Corbeil et à ses amis québécois; mais le sujet est loin d'être épuisé!

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Note Le centre serveur SDV-PLURIMEDIA, qui dessert ORTHOTEL, peut désormais être atteint au départ de l'Amérique du Nord. On peut s'informer à San-Francisco, tel. 1 4157050519 (Laure STEHELIN).

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Richard Parent Direction générale des technologies de l'information Ministère des Communications du Québec

Maîtrise du vocabulaire et communications organisationnelles Introduction En tant que société moderne, le Québec dépend de plus en plus du monde des techniques pour son fonctionnement. L'importance de cette infrastructure de techniques et de connaissances se manifeste tout particulièrement dans le phénomène croissant d'informatisation. La langue ellemême n'y échappe pas : nous verrons en quoi consistent les industries de la langue, comment elles sont susceptibles d'être mises en œuvre dans les grandes organisations, et l'importance centrale qu'y prend la maîtrise du vocabulaire. Industries de la langue Origine On attribue généralement l'expression «industries de la langue» à Cassen (1985); l'expression a été largement publicisée lors du premier Sommet francophone à Paris en 1986. Cassen a constaté combien les usagers de la langue française étaient mal servis encore à cette époque récente au niveau des accents par la première vague du traitement de textes (appareils, puis logiciels). Les usagers de l'informatique se multipliant, l'enjeu de l'identité culturelle devenait critique pour les non-francophones. Objet de discussion lors d'un colloque organisé par le Conseil de l'Europe (fin de février 1986), le rapport Cassen a conduit à l'adoption du Manifeste de Tours (ville où se tenait le colloque). Ce manifeste réclame la conduite de recherches pour «informatiser et industrialiser» les diverses langues d'Europe. Il y a donc eu une émergence politique des «industries de la langue» en réaction à une technologie obligatoire, mais trop insensible aux spécificités culturelles. Les adaptations rpquises pour le traitement de textes étaient pourtant faciles, ce dont témoigne l'évolution qui s'est faite depuis. Cette émergence a aussi eu une motivation économique, à savoir que, dans une «société de l'information», la langue sera forcément importante en tant que vecteur principal de représentation des connaissances. Associée aux idées d'«intelligence artificielle» en vogue, la langue est perçue comme devant être décrite, «mise à plat», afin de permettre un traitement automatisé de toute forme d'expression au moyen de la langue (texte, parole).

Définition La langue naturelle étant ce qu'elle est, c'est-à-dire multiple, multidimensionnelle, vivante, complexe, on ne sera pas surpris d'apprendre que les définitions reliées à son «industrialisation»

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sont variées. Un élément commun aux diverses définitions est de désigner les produits et services qui font appel au traitement automatique de la langue naturelle. Les divergences surviennent dès que l'on tente de décrire l'extension d'une telle définition : l'édition en général en fait-elle partie? Sinon, au moins l'édition de dictionnaires? Et les logiciels de traitement de textes doivent-ils être inclus, ou du moins les plus avancés? Et où tranche-t-on en ce qui concerne les logiciels de gestion documentaire? Quelles fonctions faut-il à un répondeur (téléphonique) pour en faire partie? La fabrication d'un clavier avec accents doit-elle être incluse? Selon la théorie des «grappes» industrielles si populaire au Québec ces années-ci, les industries de la langue font partie de la grappe des technologies de l'information, caractérisée par la nature horizontale de ses produits qui interviennent comme facteur de production dans tous les autres secteurs industriels.

Classification Plusieurs principes de classification ont été appliqués aux industries de la langue : par segment de marché (bureautique, jeux, correction de handicaps physiques, enseignement...); - par produits vedettes (traduction, dictée vocale, dictionnaires électroniques...); - par type d'intrant (parole, texte, écriture cursive); - par type de traitement (phonologique, morphosyntaxique, lexico-textuel, statistique) en fonction des connaissances linguistiques intégrées dans le fonctionnement des logiciels. Aucun de ces critères de classification n'a l'étendue ou la profondeur suffisantes pour organiser les différents phénomènes que l'on voudrait inclure. Les classifications proposées font appel à des combinaisons variables de ces critères en plus de privilégier tantôt l'offre existante, tantôt la demande potentielle. Entre les limites modestes de ce qui est déjà commercialisé et l'imagination parfois délirante qui voit l'humain discuter avec le robot, il y a possibilité de proposer une classification qui regroupe l'existant en classes de fonctions et qui anticipe légèrement sur ce qui pourrait être grâce à un regard prospectif informé par les percées pragmatiques effectuées dans le monde de la recherche. Les classes sont présentées en ordre décroissant d'importance selon la solvabilité de la demande prévisible en fonction de ce qu'apporteront ces classes d'outils dans un horizon d'une dizaine d'années. Il va sans dire que le résultat d'un tel exercice présenté ci-après reste hypothétique et discutable. Des huit classes présentées, les cinq premières ont des interrelations plus fortes entre elles quant à leur dépendance d'un tronc commun de connaissances linguistiques, alors que les trois dernières devront connaître un progrès plus autonome en termes de recherche et développement.

1.

Logiciels de gestion de base de données textuelles : emmagasinage, indexation, repérage; contrôle et structuration du vocabulaire, gestion de thésaurus; hypertexte, navigation, lectures multiples;

Maîtrise du vocabulaire et communications organisationnelles

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modèles de documents, normalisation; intégration avec logiciels courants en bureautique. 2.

Logiciels d'analyse de texte : assistance à l'indexation; annotation de textes, catégorisation conceptuelle; analyseurs textuels, lexicaux, morphosyntaxiques, sémantiques et pragmatiques.

3.

Logiciels d'aide à la rédaction : traitement de textes, formatage, édition; détection et correction d'erreurs morphologiques, grammaticales, stylistiques, calcul de lisibilité; consultation de dictionnaires; besoins spéciaux pour l'édition de textes scientifiques, techniques, administratifs.

4.

Logiciels pour tâches langagières : traduction; terminographie; lexicographie.

5.

Banques de données textuelles : d'information linguistique comme les dictionnaires, terminologies, le Trésor de la langue française.

6.

Traitement de la parole : synthèse : dans le multimédia, pour aveugles; reconnaissance : dictée vocale, identification de la voix.

7.

Reconnaissance de l'écrit : lecture optique etreconnaissancede caractères imprimés; reconnaissance de l'écriture cursive; authentification des signatures.

8.

Didacticiels pour langue maternelle ou langues secondes

Une lecture de cette liste de produits permet d'en percevoir la grande hétérogénéité. Certains reçoivent une couverture favorable dans les médias, même si cela est parfois indu. C'est particulièrement le cas des logiciels de traduction : historiquement la cible privilégiée des approches dites d'intelligence artificielle, les capacités de traduction automatique restent carrément inacceptables en pratique. La raison en est sans doute que des compétences humaines de très haut calibre sont requises pour passer d'une représentation dans une langue à une représentation

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équivalente dans une autre langue : il s'agit en fait d'une des tâches à caractère langagier parmi les plus complexes. Une excitation aussi imméritée du point de vue pratique affecte également la reconnaissance de parole, une autre tâche extrêmement difficile, bien que pour des raisons différentes. La couverture pourtant favorable que ces catégories d'application reçoivent dans les médias ont un effet négatif sur le reste des applications des industries de la langue. Année après année, le succès est annoncé pour bientôt et pourtant la ligne d'horizon ne cesse de reculer. On peut d'ailleurs considérer que les logiciels de correction, pourtant déjà populaires au niveau du volume des ventes (à faible prix il es· vrai), souffrent des mêmes visions chimériques. En effet, l'usage de ces logiciels est fort loin de dispenser d'une relecture attentive du texte et peu de gens les utilisent encore quelques mois après leur acquisition. Dans l'horizon de la prochaine décennie, les industries de la langue devront faire montre de plus de sobriété et énoncer leur potentiel plutôt en termes d'assistance qu'en termes de traitement automatique. Mais surtout, plutôt que de se concentrer sur des bénéfices individuels, il faudra vraisemblablement mettre l'accent sur une appropriation qui passe par le niveau organisationnel en prenant pour pivot les logiciels de gestion de base de données textuelles (classe n a 1 cidessus). C'est autour d'un tel pivot que pourra s'articuler un fonctionnement qui pourra alors mettre en jeu les cinq premières classes de logiciels de la liste. C'est ce dont il sera maintenant question. Vocabulaire de l'organisation De la même façon que c'est la demande des organisations, par opposition au marché domestique, qui a de loin le plus contribué à l'essor des micro-ordinateurs (Nintendo exclu), on peut prévoir que les industries de la langue verront leur essor suivre un parcours semblable. Après un bref portrait des contraintes organisationnelles à cet égard, la place stratégique du vocabulaire de l'organisation sera expliquée.

Contraintes organisationnelles Depuis plus de dix ou quinze ans, les organisations ont investi des sommes importantes pour supporter leurs opérations au moyen de systèmes informatisés, particulièrement des données numériques, calculables, faciles à structurer. Mais les méthodes mises en œuvre par les informaticiens se sont avérées trop simplistes pour la gestion d'une information moins facile à structurer comme peuvent l'être les textes. Pourtant ceux-ci contiennent une grande partie des informations requises pour opérer. On peut dire que les solutions se sont avérées insuffisantes pour la gestion de l'information textuelle : lois, règlements, jurisprudence, manuels, guides, procédures, correspondance, il y a foisonnement. La gestion de l'information textuelle doit se préoccuper de la façon dont les textes sont saisis, emmagasinés, indexés, édités, diffusés et consultés au sein de l'organisation. Paradoxalement, cela se fait encore très largement au moyen du support papier en dépit du fait qu'une décennie

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d'usage des logiciels de traitement de textes a permis de constituer des masses considérables de données textuelles. Peu d'organisations ont commencé à les exploiter avec des outils informatiques. Les nouveaux défis organisationnels partent d'une perception qu'il faut renouveler des enchaînements administratifs dans lesquels s'inscrivent les tâches reliées aux textes : par exemple, remplir des formulaires, acheminement, approbation, classement, et éventuellement repérage. En regard de ces nouveaux défis, deux pistes de solution complémentaires apparaissent avec plus de saillance : -

la normalisation, de façon à réduire le coût des échanges : on pense particulièrement à SGML («Standard Generalized Markup Language»), soit des solutions au niveau du support des structures informationnelles (un chapitre, un paragraphe, un tableau sont des exemples de structure informationnelle à ce niveau); le vocabulaire en fonction de préoccupations de réduction des coûts encore, mais en s'attaquant plutôt au contenu même des textes et documents. C'est de cette seconde piste de solution dont il sera question ci-après.

Place stratégique du vocabulaire Tel que noté auparavant, des masses considérables de textes ont été et doivent être constituées dans les organisations. Ces phénomènes d'accroissement des capacités d'emmagasinage placent l'organisation moderne face au défi du repérage de cette information. Car plus on dispose de textes à fouiller, plus il devient difficile d'y trouver l'information pertinente. Le repérage de l'information textuelle peut être décrit de façon générale au moyen d'un modèle conceptuel composé de trois éléments principaux : un corpus de textes, des utilisateurs, et un vocabulaire pour le repérage. 1. CORPUS L'ensemble de textes à interroger, composé d'un nombre plus ou moins élevé de documents. 2. UTILISATEURS Des profils d'intérêt pour des parties du corpus, et un degré de connaissance du vocabulaire employé dans les textes du corpus. 3. VOCABULAIRE Entre des utilisateurs et le corpus, il y a un élément intermédiaire, le vocabulaire, élément de médiation entre les concepts et expressions connus des utilisateurs et les mots employés dans les textes. Le vocabulaire est vu comme médiateur entre les deux autres éléments du modèle. C'est dans ce vocabulaire que peuvent être formulées des requêtes pour repérer le (les) segment(s) de texte

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contenant l'information recherchée. Cette idée fondamentale du vocabulaire comme un médiateur entre utilisateurs et textes est l'une des idées centrales pour améliorer la gestion de l'information textuelle dans les organisations. Une telle perspective pragmatique conduit donc à accorder une importance accrue à la question du vocabulaire et de son aménagement dans des bases de données lexicales. Dans les milieux administratifs, l'idée qu'il y a des vocabulaires de domaine à recueillir, identifier, classer, définir est devenue courante. Elle s'impose en fait à l'évidence dès que l'on se met à constituer un corpus et à l'analyser pour un domaine donné, le «domaine» pouvant être défini à divers niveaux de généralité. Plus il est défini étroitement, plus vite on pourra en avoir fait le tour. Cet investissement dans le vocabulaire peut être vu dans beaucoup de cas comme un substitut de faible coût à l'approche d'indexation des textes eux-mêmes. C'est particulièrement le cas lorsqu'on peut faire appel à des logiciels de gestion de base de données et à des logiciels d'analyse de textes qui permettent l'établissement automatisé de liens entre des textes et le lexique ou vocabulaire de ces textes. Nous allons prendre des exemples dans l'Administration publique québécoise pour illustrer une possible architecture lexicale. En contexte administratif, il y a plusieurs situations de recherche d'information dans des textes et dossiers volumineux et peu faciles à consulter. On peut penser aux classes de situations suivantes de recherche d'information dans des textes par les employés : -

dans un contexte de choix ou décision pour un cas donné, qu'est-ce que le règlement/la procédure prévoit? - dans un contexte de rédaction, qu'est-ce qu'on a déjà dit à propos de telle chose? dans un contexte d'apprentissage initial ou continu dans un emploi, pour obtenir un complément d'information, une définition, une description, une liste, etc. Le vocabulaire est le support de la formulation de requêtes par les utilisateurs sur le contenu du corpus. Plusieurs chercheurs, comme au Centre d'ATO à l'UQAM, explorent les méthodes de passage du lexique automatique des formes du texte à un vocabulaire contrôlé et organisé en thésaurus navigable (Bertrand-Gastaldy, 1990; Paquin et al., 1990). Le vocabulaire occupe une position centrale de médiation entre les utilisateurs et le corpus. Cet élément est ce qui doit être développé pour augmenter l'efficacité au repérage. Les coûts élevés de ce type de développement incitent fortement à le décomposer pour essayer de tirer un meilleur profit des investissements : d'où l'idée d'une architecture lexicale qui sera décrite ici en trois grands axes. Il n'est pas inutile de rappeler que la préoccupation étant centrée sur le contenu textuel, les axes retenus ici concernent surtout la signification des entrées lexicales : un axe sémantique, un axe pragmatique, et les noms propres. SÉMANTIQUE Cet axe relève de l'opposition fréquemment établie entre le lexique de la langue générale (disons 50 000 mots simples et 250 000 mots complexes ou locutions) et les multiples

Maîtrise du vocabulaire et communications organisationnelles

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terminologies, vocabulaires de spécialités ou de domaines scientifiques et techniques (des millions de mots, complexes pour la plupart). C'est le niveau où le sens des éléments lexicaux est transportable d'une organisation à l'autre, définissable hors contexte. PRAGMMIQUE Cet axe ressemble au précédent en opposant un volet général et un volet spécialisé : le sens des éléments lexicaux est ici interprété en contexte, avec des référents identifiables. L'axe distingue les entrées lexicales relevant d'un tronc commun de vocabulaire (référents utiles à tous dans l'organisation) par contraste avec les parties de vocabulaire qui désignent des référents plus spécialisés (utiles à une ou des parties de l'organisation). On peut supposer qu'il y a des emboîtements successifs d'éléments lexicaux entre l'ensemble de l'organisation et ses parties les plus petites : par exemple, il y aura des référents propres à quelques ministères (par ex. : mission économique ou mission sociale), puis à un ministère (par ex. : santé), à une direction générale (par ex. : santé mentale), ou une unité plus petite (par ex. : les institutions de ce type en gériatrie). Quant au tronc commun de l'organisation, il comprend le lexique de «fonctions horizontales» comme la gestion comptable et la gestion des ressources humaines. Le projet français appelé «Dicoforme» s'attaque justement à ce niveau des référents courants dans les applications de gestion (Berger, 1991). NOMS PROPRES Cette classe est utile d'abord parce que les noms propres sont invariables, ce qui est un facteur important en linguistique informatique. Aussi, les appartenances de classe (lieu, personne, organisme, etc.) des référents de noms propres rendent faciles certaines inférences. Enfin, l'isolement des noms propres permet de leur accorder l'importance qu'ils ont en contexte applicatif et devrait favoriser leur organisation en une typologie qui aide à la maîtrise du vocabulaire. Peu d'attention a jusqu'à maintenant été accordée à leur riche typologie : toponymes, patronymes, initiales de personnes, noms d'organismes et entreprises, marques de commerce, sigles, etc. On peut en outre tirer profit du fait que certains signes numériques (ex. : date, numéro de produit, numéro de dossier, numéro de téléphone) «fonctionnent» comme des noms propres dans les textes. Divers projets ont des objectifs assimilables à ceux d'une telle architecture lexicale. Ainsi, GENELEX poursuit un objectif de réduction des coûts de développement de la partie «dictionnaire» des applications (Nossin, 1991). Chiaramella (1990: 545) va dans le même sens en évoquant «la mise à disposition d'outils de base de ce type permettant d'éviter, au niveau des applications très diverses, des investissements de base fort coûteux (dictionnaires, analyseurs morphologiques notamment)» (p. 545). La question posée est semblable à celle qui sous-tend le génie logiciel (Martin, 1991) : comment bâtir de façon structurée, aisément révisable et réutilisable, quand plusieurs intelligences autonomes ont à intervenir dans un ensemble conceptuel sans créer d'incohérence? L'architecture

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Richard Parera

lexicale est donc un moyen pour faciliter le travail en équipe et la répartition des tâches en génie linguistique et domaines associés. Wierderhold et al. (1991) vont dans le même sens en parlant des «domaines structurés du discours» permettant de relier les connaissances pragmatiques aux données factuelles : l'organisation a des domaines de connaissances (par exemple, personnel, finances) à organiser, et les subdivisions doivent être d'étendue formalisable et contrôlable par des responsables humains précis ayant une tâche faisable à réaliser. La préoccupation pour une synergie d'ensemble à long terme s'articulerait sur le fonds commun de la langue générale, dans lequel s'inscrit un tronc commun lexical dans une organisation, le tout soutenant la spécialisation de multiples vocabulaires. La stratégie de construction lexicale pour les besoins des applications est d'emprunter au maximum aux BDL déjà développées, en adaptant ou spécifiant en fonction du niveau pragmatique. Au niveau d'une grande organisation, l'architecture lexicale est un moyen pour permettre d'organiser en une base commune les BDL de façon à ce qu'elles soient aisément mises à profit dans le développement d'applications.

Bibliographie Berger, Pierre (1991), «Un dictionnaire national pour harmoniser les données de l'Administration», Le Monde informatique, 4 mars 1991. Bertrand-Gastaldy, Suzanne (1990), «L'indexation assistée par ordinateur : un moyen de satisfaire les besoins collectifs et individuels des utilisateurs de bases de données textuelles dans les organisations», ICO Québec 2, 3 (sept. 1990) : 71-91. Chiaramella, Yves (1990), «Recherche d'informations et traitement des langues naturelles : deux exemples d'approches», Actes du colloque Les industries de la langue. Perspectives des années 1990, 21-24 novembre 1990, p. 529-545. Martin, Daniel (1991), «La norme de référentiel IRDS : objectif et fonctions», Génie logiciel & systèmes experts 22 (mars 1991) : 16-23. Molino, Pierre (1982), «Le nom propre dans la langue», Langages 66 (juin 1982) Larousse : 5-20. Nossin, Marc (1991), «L'ordinateur apprend les mots pour le dire», La Recherche 231 (avril 1991) : 496-498. Paquin, Louis-Claude, Luc Dupuy et Yves Rochon (1990), «Analyse de texte et acquisition des connaissances : aspects méthodologiques», ICO Québec 2β (sept. 1990) : 95-113. Schmitz-Esser, W. (1990), «Thesauri facing new challenges» International Classification, 17/3 et 4 : 129-132. Wiederhold, G., P. Rathmann, T. Barsalou, B. Suk Lee et D. Quass, «Partitioning and composing knowledge», Information Systems, G.B. Pergamon Press 151 : 61-72.

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Laurent Santerre Département de linguistique Université de Montréal

Guy Basque Services informatiques Université de Montréal

Exigences de la synthèse par règles On est porté à penser, aussi bien chez les linguistes que chez les informaticiens, que la synthèse automatique de la parole est une démarche essentiellement informatique. La production des sons par ordinateur est relativement triviale si on se limite à des formes acoustiques régulières et assez simples, comme par exemple de la musique ou de la parole réglée comme sur du papier à musique. Mais ce qui est acceptable pour la musique ne l'est pas du tout pour la parole naturelle.1 Placé devant ce problème, l'informaticien est totalement démuni; c'est au phonéticien de venir à sa rescousse. Lorsqu'on veut utiliser un ordinateur pour synthétiser la parole, on veut faire beaucoup plus que produire de la musique au moyen d'un instrument quel qu'il soit. Ce qu'on cherche en définitive, c'est combiner la matière acoustique pour produire des messages phonétiques inédits, qui n'ont jamais été prononcés par aucun locuteur humain. Quand le phonéticien est appelé à la rescousse de l'informaticien, il découvre rapidement que ses notions de phonétique lui sont de peu d'utilité en la matière. En effet, la phonétique n'a pas été développée pour apprendre à des machines à parler, mais pour enseigner ce qu'est la parole à des humains intelligents qui parlent déjà. Dans l'état actuel des choses, il semble qu'il faudra refaire une nouvelle phonétique spécialement adaptée pour la synthèse acoustique, si l'on espère un jour pouvoir faire parler l'ordinateur d'une façon naturelle. Nous montrerons au moyen d'exemples que la synthèse suppose une analyse linguistique complexe à plusieurs niveaux et que la recherche fondamentale aurait avantage à adopter une démarche plus expérimentale pour faciliter la synthèse et la reconnaissance automatiques des langues naturelles. Ce qu'est la synthèse par règles La synthèse consiste à faire produire, au moyen de règles fournies à l'ordinateur, les formes sonores de la parole naturelle. Les règles de synthèse sont des commandes informatiques à l'image des réflexes systématiques auxquels on recourt spontanément pour parler. La démarche a pour ultime effet de composer dans la mémoire de l'ordinateur des représentations numériques binaires équivalentes à celles accumulées par un convertisseur analogique-numérique à partir d'une prise de son par microphone. On sait en effet que le micro convertit les composantes 1

Cet article s'adresse aux ingénieurs des industries de la langue et aux linguistes qui n'ont pas eu à envisager les problèmes posés par la synthèse par règles.

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acoustiques de la parole en énergie électrique analogique, énergie électrique que le convertisseur numérique met en mémoire. Cette séquence de chiffres binaires, quand elle est lue dans l'ordre et à la vitesse de son acquisition, reproduit par conversion inverse numérique-analogique l'énergie électrique originale du microphone; ce signal amplifié et joué dans des écouteurs ou un haut-parleur fait entendre la parole originale, comme le fait un magnétophone au moyen d'une bande enregistrée magnétiquement ou numériquement. Pourquoi des règles? La synthèse suppose qu'on fournisse à l'ordinateur, sous forme de commandes ou d'algorithmes de production, toutes les dimensions physiques de la parole à imiter. Il serait irréaliste de vouloir produire chaque centiseconde de parole au moyen de commandes ponctuelles et séparées. Des règles ad hoc «gèrent» l'évolution dans le temps de toutes les dimensions acoustiques de la parole à l'image des systématiques que le locuteur exploite pour parler. Exemple : la production d'un /t/ nécessite, après une période de silence (occlusion), une explosion de quelque cinq millisecondes d'énergie dans les fréquences de 4 000 à 5 000 Hertz [Hz] et au- delà. Un /s/ est fait d'un bruit analogue, mais qui commence à intensité audible et va s'amplifiant rapidement pour diminuer après quelques centisecondes. Des règles de production des sons du langage de cette simplicité feraient entendre de la parole très robotique ou mécanique. Un /a/ aussi simplifié ressemblerait à un coup de klaxon. Des règles beaucoup plus fines adaptent les formes acoustiques aux nombreuses contraintes imposées par le débit, l'intensité globale, les phonèmes voisins, la place du phonème dans la syllabe, la place de la syllabe dans le mot et du mot dans la phrase, etc. Ces règles sont de diverses natures, comme nous le verrons plus loin. La conversion grapho-phonémique Avant l'application des règles de synthèse, le texte orthographique à synthétiser doit être converti en une suite de phonèmes qui représentent la prononciation. Cette opération est propre à chaque langue et se fait en français québécois en tenant compte du système phonologique qui comporte quatre voyelles longues opposées à quatre voyelles brèves (Bernardi, 1985; Santerre, 1974). S'il suffisait de reproduire ces phonèmes pour obtenir des mots intelligibles, la synthèse serait acquise depuis trente ans. Mais la parole est loin d'être une juxtaposition de sons articulés, moins encore que la musique est une succession de notes. La conversion grapho-phonémique doit être suivie de nombreuses étapes qui constituent à proprement parler la synthèse de la parole et qui équivalent à une complexe conversion phonémico-phonétique. Ce sont ces étapes qui donnent à la parole de synthèse sa surface phonétique correspondant à la parole naturelle. Les phonèmes sont des unités théoriques; leur réalisation se fait dans des formes très variées, les variphones phonétiques. La phonétique d'un même mot varie d'un locuteur à l'autre. Bien plus, chaque son du langage varie sous l'effet de son entourage dans la chaîne parlée et sous les contraintes de bien d'autres facteurs auxquels on fera allusion plus loin. C'est cette variabilité

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étroitement conditionnée qui rend si complexes l'analyse, la synthèse et la reconnaissance automatiques de la parole naturelle. Analyse, synthèse et reconnaissance automatiques Ces trois opérations sont étroitement liées et complémentaires dans la démarche des chercheurs qui travaillent dans le domaine des industries de la langue. La clé de la synthèse et de la reconnaissance automatique est cachée dans l'analyse de la parole naturelle. Sans analyse, point de synthèse, on le conçoit facilement. La qualité de la synthèse est à la mesure de l'exactitude de l'analyse. L'analyse fait la preuve de son exactitude en fournissant à la synthèse des paramètres acoustiques qui reconstituent fidèlement la parole analysée. Si la synthèse reste robotique et la reconnaissance limitée à des mots isolés et choisis, c'est qu'on n'a pas encore pu fournir à l'ordinateur une description suffisamment réaliste des formes acoustiques à reproduire ou à reconnaître, parce qu'on a espéré jusqu'à maintenant pouvoir s'en tenir à des méthodes rapides d'analyse automatique. La méthode d'analyse automatique LPC Parmi les méthodes qui présentent des avantages marqués sur la plan de la reproduction du signal, il y a une méthode qui s'est imposée depuis une quinzaine d'années et qu'il convient de décrire un peu en détail. Π s'agit de la méthode LPC (Linear Predictive Coding) qui a été mise au point par les Américains Markel et Gray (1976) et qui est basée sur une technique mathématique mise au point vers 1940 par le mathématicien américain Norbert Wiener. Si on examine un signal quelconque, variant de façon continue mais comportant un certain nombre de composantes périodiques - c'est le cas pour les signaux acoustiques de parole - , on remarquera que les points voisins dans le temps sont assez fortement corrélés. Donc on peut présumer qu'un point donné dépend linéairement des points voisins, et comme on s'intéresse ici à un phénomène causal, on peut s'attendre à ce que chaque point dépende mathématiquement des points précédents. La méthode LPC exploite cette caractéristique du signal. Donc, il ne s'agit plus d'expliquer un signal à partir d'un répertoire extérieur de formes, mais bien d'expliquer comment le signal est relié aux valeurs précédentes du même signal. Bref, il s'agit de construire un modèle mathématique qui permettra de reproduire le plus fidèlement possible (au sens des moindres carrés) le signal expérimental. Ce faisant, la représentation mathématique que l'on utilisera pour produire le signal synthétique permettra de caractériser les traits phonétiques recherchés, du moins on l'espère. Sur ce plan, la méthode LPC s'est avérée la technique la plus fructueuse et elle est la plus utilisée. Supposons que le signal expérimental est représenté par une suite de points s¡ où t représente le temps (mesuré par exemple en dix millièmes de seconde). On cherche alors à approximer st par une variable s't égale à une combinaison linéaire des valeurs s{.¡ représentant les valeurs du signal expérimental aux instants précédents t-1, t-2, ... et ainsi de suite pour un certain nombre d'instants t-i. On obtient alors l'expression suivante :

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s , t = e t +\i\su( i=1 . n .ais t _i) Il s'agit donc de trouver les valeurs des coefficients a¿ minimisant l'erreur e¡, et ce pour des intervalles du signal suffisamment longs. Une fois les ai trouvés, on pourra synthétiser le signal à partir des a¡ et des e¡. L'avantage de ce procédé, c'est que les coefficients a¡ correspondent aux caractéristiques du conduit vocal, et, par conséquent, ils varient moins rapidement que le signal lui-même. Pour ce qui est de l'erreur et, cette variable peut être analysée et l'information qu'elle renferme correspond soit au voisement, soit au bruit de frication. Ces deux renseignements peuvent être extraits de l'analyse des et et on peut les comprimer pour qu'ils prennent moins de place en mémoire. Sur le plan purement pratique, la méthode LPC nous dispense de conserver tous les points du signal, il suffit de conserver les coefficients a; et les informations extraites de et. À titre indicatif, si le signal est échantillonné à 10 KHz avec 12 bits de résolution, on obtient 120 000 bits d'information par seconde. En codifiant les coefficients a¡ et les informations extraites de e¡ par des techniques appropriées, on peut réduire le volume d'information à environ 2 400 bits par seconde, soit un gain par un facteur de 50. Bien que strictement mathématique, la méthode LPC possède une interprétation physique. En effet, aux différents coefficients a¡ obtenus et qui sont habituellement au nombre de 14, on peut faire correspondre une description du conduit vocal. Ce dernier est alors décrit comme un assemblage de tubes cylindriques de diamètres différents (sept tubes) et qui correspondent aux variations de diamètre du conduit vocal, en partant de la glotte et en allant vers les lèvres. En plus du modèle basé sur les sections cylindriques, on peut faire correspondre un modèle équivalent utilisant les coefficients de réflexion acoustique. Ces deux dernières informations permettent de calculer la fréquence des formants et leur largeur de bande. En résumé, la méthode LPC permet de reproduire le signal de parole à partir d'informations condensées appelées coefficients de prédiction. Dans un deuxième temps, les coefficients de prédiction permettent d'obtenir trois types de renseignements : 1) la géométrie du conduit vocal 2) les coefficients de réflexion 3) les fréquences et les largeurs de bande des formants. Pour conclure à propos de la méthode LPC, on peut dire qu'il s'agit d'un compromis technique qui est loin d'être parfait. Dans la réalité, le système phonatoire est beaucoup plus complexe que le modèle théorique sur lequel la méthode LPC est basée. Dans la pratique cependant, ce modèle est très utile et il demeure le plus utilisé à ce jour. Insuffisance de l'analyse automatique La description fine des formes du langage naturel, même si on s'en tient à un seul et même locuteur, est une entreprise d'une ampleur insoupçonnée. Dans n'importe quelle langue, aussi bien pour la reconnaissance que pour la synthèse, la cause des piétinements est le manque de connaissances concrètes, précises et très variées sur la nature linguistique et phonétique du

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langage et de la parole. Ces connaissances ne sont pas seulement d'ordre acoustique ou physique, elles sont aussi d'ordre linguistique. Ce n'est pas la puissance ou la vitesse des moyens de traitement du signal qui font défaut, ni l'ingéniosité des informaticiens qui est en cause, mais bien le fait que la parole humaine est beaucoup plus complexe et mystérieuse qu'on le croit toujours, même après quelques décennies de recherche rigoureuse. On a d'abord espéré pouvoir se fier aux analyses automatiques du langage. Dans l'état actuel de la technique, l'analyse LPC est un outil indispensable, mais le mieux qu'elle peut faire reste nettement insuffisant. Prenons un exemple : l'extraction du pitch. L'extraction de la fréquence fondamentale est une tâche qui constitue la pierre d'achoppement pour tous les algorithmes de traitement du signal de parole. Or, la détection exacte des impulsions glottiques conditionne la justesse des résultats pour les autres paramètres. Quand on a pris soin de marquer manuellement les impulsions glottiques là où la chose est possible, l'analyse LPC sépare assez bien les éléments du signal entre ce qui relève de la fonction de source, la glotte, et ce qui relève de la fonction de transfert, c'est-à-dire du conduit vocal de la glotte à la sortie des lèvres. Ainsi séparées, les pièces du puzzle de parole laissent apparaître les résultats, souvent aberrants, obtenus par LPC sur les fréquences formatiques (Fl à F5) et leurs largeurs de bande (B1 à B5), et indirectement leurs intensités relatives. Il est facile de reconstituer le puzzle par synthèse pour retrouver exactement l'image acoustique qu'on avait soumise à cette analyse. Mais il suffit de changer une pièce du puzzle pour gâter le paysage sonore. Actuellement, l'analyse automatique ne peut faire une analyse acoustico-phonétique qui respecte la nature de la parole et fournisse les paramètres permettant de formuler des règles de production de la parole naturelle; la preuve en est que, si l'on veut synthétiser ne serait-ce qu'une syllabe à partir des seules données brutes de l'analyse, cette syllabe est robotique, le timbre est affecté et on ne reconnaît plus la voix du locuteur. L'analyse LPC est puissante, mais il faut en corriger les résultats. Comment le faire? C'est le travail du phonéticien. Il n'y a pas d'autre moyen pour faire une analyse réaliste que de procéder par corrections manuelles successives et de soumettre les nouveaux paramètres à la synthèse pour faire la preuve de leur exactitude. C'est seulement quand le résultat de la synthèse donne exactement à entendre ce qu'on a soumis à l'analyse qu'il convient de faire entrer ces paramètres dans des règles de production. Ce travail est lent, au début surtout, mais il est immensément instructif et passionnant. Pour l'instant, il n'existe pas de meilleur moyen d'approcher efficacement la constitution acoustico-phonétique de la parole, ni de meilleur moyen d'apprendre à formuler des règles de synthèse de la parole naturelle. L'apport de la linguistique On commence à se rendre à l'évidence que les progrès en analyse, et partant en synthèse et en reconnaissance, devront de plus en plus faire appel aux spécialistes de la langue. Mais attention, une déception nous attend. Les linguistes et les phonéticiens se sont très peu souciés jusqu'ici de donner à leurs recherches une orientation qui saurait rendre leurs conclusions immédiatement exploitables par les scientifiques informaticiens. Il manque une puissante interface entre les données de la phonétique et les programmes de synthèse et de reconnaissance automatiques.

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Voyons un exemple pour nous en convaincre. 1. Jean prend du café.

assertion

2. Jean prend du café?

interrogation

3. Jean, prends du café!

ordre

4. J'en prends, du café!

réplique à l'ordre

Dans les quatre cas, la transcription grapho-phonémique sera la suite des phonèmes /¿âpRâdykafe/. L'analyse syntaxique et sémantique traditionnelle rend facilement compte des différents regroupements de phonèmes, de la nature et de la fonction des mots ainsi formés, des schèmes prosodiques capables de traduire ces énoncés. Mais comment fournir ces connaissances à l'ordinateur? Il faudrait un programme complexe d'analyse linguistique pour différencier ces sens. On sait que l'intelligence artificielle n'arrive pas à le faire pour la traduction automatique. En attendant, l'analyse des structures profondes devra être faite par le concepteur ou le rédacteur du message, et des codes grammaticaux élémentaires seront insérés dans le texte pour manifester ses intentions. Il n'y a pas qu'à ce niveau que le hiatus entre les données linguistiques et l'informatique rend difficile leur utilisation dans la synthèse par ordinateur. Même dites par le même locuteur, ces phrases comportent d'importantes différences de réalisation acoustique. Les descriptions phonétiques et les règles correspondantes peuvent traduire ces différences. Les programmes de synthèse qui aboutissent à une production que les auditeurs jugent assez naturelle pour ne pas les distraire du message sont d'un raffinement non encore atteint. Pour donner une idée des recherches qu'une telle synthèse suppose, voici des exemples de règles qui devront être mises en oeuvre une fois qu'auront été appliquées les règles de haut niveau qui précisent la nature et la fonction des mots dans la phrase. La phonétique et la gestuelle articulatoire Le programme de synthèse comporte un ensemble de règles dites de surface articulatoire et coarticulatoire pour la réalisation des chaînes phonémiques. Ces règles de surface phonétique sont de deux ordres distincts : des règles mécaniques ou physiologiques qui échappent au contrôle du locuteur, et des règles proprement linguistiques et phonétiques qui rendent compte de la compétence du locuteur à produire le langage selon les normes linguistiques et sociolinguistiques. Le nombre des arrangements usuels des phonèmes du français isolés ou incorporés dans diverses sortes de syllabes s'élève à au-delà de treize ou quatorze cents. Avec l'expérience, le phonéticien peut mettre à jour des généralisations sous forme de règles qui font la part nécessaire entre les effets de la mécanique articulatoire et les formes phonétiques porteuses de signification. Ce sont ces dernières qui sont proprement linguistiques et qui font la parole naturelle. Les caractéristiques personnelles de chaque locuteur qui tiennent à la physiologie et à la mécanique de production doivent aussi être constamment respectées dans les règles de synthèse, comme on le

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verra. Ce sont elles qui assurent, avec la gestuelle articulatoire, l'identité du locuteur et le maintien de celle-ci au cours du message.

La parole naturelle est nécessairement celle d'un seul et même locuteur Les régularités systématiques mises à jour dans la production d'un locuteur se retrouvent dans celle des autres locuteurs de cette langue. Ces régularités constituent le code phonétique et, par construction des formes de tous les niveaux du signifiant, le code linguistique tout entier. Chaque locuteur applique ce code commun en lui superposant son empreinte vocale et sa gestuelle personnelle. Il n'est pas nécessaire ni même indiqué de dégager des systématiques à partir de la moyenne des mesures faites sur la production de plusieurs locuteurs; la tâche est déjà assez lourde de s'en tenir à un seul locuteur; d'ailleurs, l'ordinateur n'a pas à parler comme une moyenne de locuteurs. La moyenne des mesures de plusieurs locuteurs aurait pour effet d'effacer des systématiques fines mais importantes pour le naturel de la parole. En réalité, la parole naturelle ne peut jamais être que celle d'un seul et même individu. Un instrument de musique à la fois L'instrument de musique offre ses possibilités et impose ses contraintes au musicien. De même, les caractéristiques physiques et physiologiques d'un locuteur : sa voix, ses résonances formantiques et ses spectres de bruit, sont l'instrument stable et permanent dont il joue dans la production de la parole. Il y a lieu de bien définir les dimensions acoustiques de cet instrument et d'établir comment les divers paramètres acoustiques interagissent les uns avec les autres au cours de leurs variations. La perception des voyelles ne tient pas tant à la place qu'elles occupent dans un espace à trois dimensions formantiques qu'aux relations que cette place entretient avec les dimensions d'autres espaces qui font office de gestalt (Carlson et al. 1979; Kahn et al. 1978). Une voyelle porte en elle un timbre phonologique précis à condition de renseigner en même temps sur les caractéristiques de sa source (homme, femme, enfant, sexe, âge, etc.). Le cadre de référence est primordial aussi bien pour la production que pour la perception. Ce cadre de référence physique, c'est l'instrument de parole de chaque locuteur. La théorie générale de production des phonèmes est assez bien connue, mais pour permettre la modélisation d'une articulation naturelle, elle a besoin d'être étroitement adaptée aux caractéristiques du résonateur buccal du locuteur dont on décrit la production. À défaut de modéliser avec précision cet outil de production pour un même locuteur, on génère des sons qui ne paraissent pas provenir de la même source, ce qui va contre toute vraisemblance et ajoute au caractère robotique. Pour prendre une image dans le monde musical, le résonateur buccal doit rester le même et conserver ses caractéristiques dans tous ses états possibles, comme un violon ou un piano doit garder son accord et ses timbres au cours d'une exécution. On n'a pas encore accordé une attention suffisante à cet aspect de la synthèse vocale. Pour systématiser le mouvement des formants sous l'effet de l'articulation, il est nécessaire d'avoir recours à un modèle théorique de résonance du conduit vocal simulé par un tuyau ouvert

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aux lèvres et fermé à la glotte. Un tel résonateur est le lieu de résonances propres dont la longueur d'onde correspond au 1/4, aux 3/4, ou aux 5/4 de sa longueur physique. Les constrictions de ce résonateur par l'articulation permettent de prévoir les mouvements vers le haut ou vers le bas des fréquences formantiques (Fant 1970, Santerre 1972, Badin 1991). Ce n'est pas tellement la précision des paramètres physiques qui donne à la voix ou à l'instrument sa qualité et son naturel, mais les justes rapports que les paramètres entretiennent entre eux. Comment les spectres varient-ils en fonction de l'articulation et des évolutions du Fo et de l'intensité globale? Plus que le trapèze vocalique individuel, il faut établir les résonances de toutes les positions articulatoires au moins sur trois formants, pour ne pas courir le risque de solliciter le résonateur en dehors de ses caractéristiques normales. Un musicien unique Les règles proprement linguistiques et phonétiques représentent l'usage que le locuteur fait de son instrument personnel de production. Ce sont ses habitudes articulatoires, ses débits rythmiques, ses écarts mélodiques et dynamiques, sa gestuelle articulatoire, ses moyens de réaliser les divers ordres d'accentuation, etc. (Rossi et al. 1981; Pasdeloup 1990). Du locuteur relève la prise en charge de la syntaxe et de la sémantique au moyen de ses patrons prosodiques personnels, de ses regroupements accentuels et de ses pauses. La parole synthétique d'un locuteur paraîtra naturelle dans la mesure où sa parole réelle aura été analysée et informatisée. L'analyse linguistique et plus précisément acoustico-phonétique et la formalisation des règles relèvent avant tout du phonéticien; la mise en œuvre de ces règles revient à l'ingénieur informaticien. Un grand nombre de règles complexes Les règles de coarticulation qui gèrent les fonctions de transfert du conduit vocal sont assez bien identifiées mais elles ne sont pas décrites avec assez de précision en termes acoustiques. Quant aux règles prosodiques, qui gèrent les fonctions de source (les ajustements du larynx pour les variations de la fréquence fondamentale et le contrôle de l'intensité par la pression sous-glottique), elles sont beaucoup moins bien connues et constituent assurément la plus grande lacune de la théorie linguistique et de la synthèse. Pour illustrer ces règles, prenons comme exemples de coarticulation quelques-uns des variphones du /R/. Dans le domaine prosodique, nous verrons l'organisation de la durée des voyelles et le jeu de l'intonation dans deux phrases différentes. Quelques variphones du /R/ Voir 'Saphir et perles précieuses' (fig. 1), à la fin de l'article Le /R/ de saphir. Ce /R/ est réalisé d'abord par la convergence de Fl et F2 causé par le recul du dos de la langue dans la zone du palais mou et de la luette, puis par l'occlusion de cette zone; il est donc dans un premier temps vocalique et, dans un second temps, occlusif et sourd.

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Le /R/ de perle se réalise aussi par convergence formantique, cette fois dans une zone plus basse dans le pharynx, soit sous la luette, ce qui fait monter Fl jusqu'à 850 Hz. Suit une légère constriction pendant laquelle l'apex tendu touche aux alvéoles quelques centisecondes avant l'occlusion du /p/. Ce /R/ vocalique ne devient pas vraiment consonantique parce qu'il est suivi dans la même syllabe par une consonne apicale qui se substitue à lui : jeu complexe dans une suite de quatre consonnes. Le /R/ de précieuse n'est réalisé, après le V.O.T., que par les mouvements divergents de Fl et de F2 à partir de fréquences qui font supposer que ce /R/ a été articulé sous le palais mou et la luette. Lui aussi n'a été que vocalique. Les règles de variphonie du /R/ doivent donc tenir compte de la position dans la syllabe, de la coupe syllabique, du degré d'accentuation, de la hauteur ou de la postériorité des voyelles voisines, et de bien d'autres conditions. Voir '«Il pari' russe». «Il parle le russe»' (fig. 2), à la fin de l'article Dans ces derniers exemples, les /R/ de parle sont exclusivement vocaliques, et ceux de russe sont des constrictives sonores; leur indice acoustique et perceptuel se trouve dans le point de départ de Fl à 400 Hz et de F2 à 1250 Hz pour la réalisation du /y/. Un élément vocalique est nécessaire ici entre le /l/ et le /R/, mais non en sens inverse entre le /R/ et le Ν dans parle. L'épenthèse est inaudible. On remarquera la forme différente de F2 dans les deux Ν géminés qui ne sont guère plus longs que le /l/ simple parce qu'ils forment un cluster de trois consonnes. On le voit, les problématiques ne sont pas simples. La durée des voyelles Dans la prosodie, l'organisation des durées est primordiale. Voir '«C'est Louis qui a l'huile à lampe rouge»' (fig. 3), à la fin de l'article -C'est : RI. Durée intrinsèque des voyelles (Santerre, 1987 et 1992) indépendamment de la coarticulation et de l'accentuation : /e/ = 70 ms R2. Allongement du /e/ en syllabe ouverte par l'accent d'insistance produit par la topicalisation de C'est...qui : 70 ms * 1,8 = 126 ms. -Louis : RI. Durée intrinsèque de /i/en syllabe ouverte : 70 /1,2 = 58 ms. R2. Allongement par topicalisation : 5 8 * 2 à 3 = 116à 174 ms. Ici la durée mesurée est de 188 ms. La durée accentuelle aux frontières majeures peut être librement longue. -quii R3. Ν devient /j/ devant une voyelle basse; 58 ms * .6 = 35 ms. -a : RI. /a/ = 70 * 1,32 = 92 ms. L'accentuation ne se fait pas parce qu'elle est bloquée par une règle qui stipule qu'on n'accentue pas trois syllabes de suite dans le même groupe rythmique. -l'huile :

Laurent Santerre et Guy Basque

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R4. La syllabe entravée est libérée dans la prononciation par l'enchaînement du fi/ avec le /a/ qui suit. RI. /i/ = 70 ms /1,2 = 58 ms. R5. Accentuation de début de groupe rythmique et formation d'un arc accentuel : 58 * 1,8= 104 ms. (Fonagy 1983). -à: RI. Durée intrinsèque des voyelles basses : /a/ = 70 * 1,32 = 92 ms. -lampe : RI. Durée intrinsèque des nasales : 70 * 1,75 = 122 ms. R6. Une légère accentuation sur lampe crée une frontière douteuse entre ce mot et rouge, de sorte qu'on ne perçoit pas bien à l'écoute s'il s'agit d'une lampe rouge ou d'huile rouge : 122 * 1,25 = 137 ms. Remarque : une voyelle haute de 104 ms est perçue plus longue qu'une nasale de 137 ms, surtout si cette dernière est abrégée par sa coda. R7. Abrègement par une coda occlusive sourde : 137 * 0,9 = 123 ms. -rouge : RI. Durée intrinsèque des voyelles hautes : /u/ = 70 /1,2 = 58 ms. R8. Allongement par une coda constrictive sonore /$/ : 58 * 1,52 = 94.ms. R9. Accentuation de fin de phrase par une durée facultative : 94 * 1,5 à 2,5 = 141 à 235. Ici la durée mesurée est de 233 ms. L'intonation Voir 'C'est le château que j'ai acheté.' (fig. 4), à la fin de l'article La variation de la fréquence fondamentale doit obéir à des règles qui tiennent compte des analyses syntaxique et sémantique pour distinguer deux sens de base dans cette phrase. Ces analyses portent sur la fonction de la relative «que j'ai acheté». S'il s'agit d'une relative qui détermine le mot château, l'intonation sur la dernière syllabe de ce mot accentuable devra être de nature continuative pour marquer le lien entre les deux syntagmes. Le sens dans ce cas est : «Voici le château que j'ai acheté.» Par contre, si la relative ne se rapporte pas à château, mais à «C'est... que», l'intonation n'est pas continuative ou jonctive, mais disjonctive et conclusive après château. Le sens est alors : «C'est le château (et non la ferme ou les vignes) que j'ai acheté.» Dans ce cas, la relative ne renseigne pas sur le château, mais se rattache à c'est pour compléter la topicalisation de château. Dans le premier cas, l'intonation est la suivante (schème A) : C'est

l'châ-

teau

que

j'ai-ach'-



122-112

135-125

150-138

105

129-98

92 Hz

223

Exigences de la synthèse par règles

Dans le second cas : (schème B) : C'est

l'châ-

te; teau

121

125

120-98

qu' jai-ach92

té 90 Hz

Dans le premier cas, la continuation de part et d'autre de la frontière entre château et la relative est faite par le lien que l'oreille fait entre 138 Hz sur le loi de teau et 129 Hz sur le /e/ de

(peu

importe la fréquence sur que qui n'est pas accentuable et qui peut être élidé). Dans le second cas, la rupture à la frontière après château est marquée par la chute abrupte de l'intonation sur la dernière syllabe de ce mot. Cette descente du Fo dans le registre le plus bas du locuteur indique que l'information est complète et que ce qui suit est redondant ou ajouté en parenthèses. Dans la terminologie de Rossi (1985 et 1987), la première phrase porte le schème de continuation majeure à la frontière, et celui de conclusion majeure à la fin : C'est le château /CT/ que j'ai acheté ICC/. Dans la seconde phrase, le schème conclusif est à la frontière et tout ce qui suit est sous le signe d'une parenthèse qui n'ajoute rien à l'information : C'est le château /CC/ que j'ai acheté /PAR/. Cet exemple illustre la fonction syntaxique et sémantique des schèmes intonatifs dans le langage. Les règles prosodico-syntaxiques gèrent en partie la fréquence fondamentale, les schèmes accentuels et les pauses. À ces schèmes liés à la syntaxe se superposent d'autres schèmes de focalisation sémantique. De plus, un certain nombre de règles rythmiques viennent gérer la rencontre des intonèmes et des accentèmes trop rapprochés. Enfin, des effets stylistiques laissés à la décision subjective et imprévisible du locuteur viennent compléter le relief prosodique de la phrase. La prosodie du langage en situation de communication peut devenir très complexe, comme le montre la phrase de celui qui dit avec humeur : «Est-ce que je savais, moi, qu'un homme qui ne paie pas ses impôts peut aller en prison!» On entrevoit la complexité et l'importance de la prosodie dans le langage. Les recherches sur la prosodie des langues, celle du français en particulier, n'ont vraiment débuté que depuis quinze ou vingt ans et connaissent une forte accélération dès lors qu'on dispose de moyens d'analyse phonétique de plus en plus conviviaux. Mais ce n'est pas pour cela que les ordinateurs parleront prochainement dans le respect des règles élémentaires de la prosodie et de l'articulation. Car les sciences humaines ne sont sans doute pas moins complexes que les sciences de la nature, mais elles sont loin de faire l'objet de recherches aussi bien subventionnées. La place nécessaire de la psychoacoustique Une difficulté de taille, qui s'ajoute à celles que nous venons d'entrevoir, réside dans le fait que les règles de production de la parole de synthèse doivent être faites à l'image des systématiques psycholinguistiques ou psychoacoustiques qui commandent la production de la parole naturelle en vertu de la compétence du locuteur. On ne découvre pas les systématiques du langage en décrivant matériellement la surface des choses. La compétence à produire du langage et de la parole naturelle repose sur des réflexes systématiques et conditionnés que les codes créés par l'usage ont inscrits dans des zones spécifiques du cerveau. Les règles prosodiques et

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Laurent Santerre et Guy Basque

pragmatiques formulées par les linguistes pour représenter ces systématiques sont encore assez élémentaires, et celles qui sont le mieux connues ne sont pas suffisamment précises. On sait bien peu de choses sur ce qui se passe dans les zones langagières du cerveau; il faut se contenter de découvrir, au niveau de ce qu'on appelle la surface sonore du langage, les marques des systématiques que les analyses syntaxiques, sémantiques, morphologiques, phonologiques, phonétiques et pragmatiques obligent à mettre en place dans le signal acoustique. Les systématiques que les règles doivent traduire sont d'ordre psychique et se manifestent phonétiquement dans le signal acoustique. Il ne faut pas oublier que le signe linguistique est une réalité psychique dont les deux faces, aussi bien la face faite des formes psychoacoustiques signifiantes que la face des formes signifiées, sont des représentations psychiques. On fait couramment l'erreur de chercher à formuler des règles de production de la parole de synthèse en s'en tenant à une description matérielle et acoustique du signal sonore. Dans ce signal sonore, seules les formes et leurs variations paramétriques commandées «intentionnellement» par le locuteur en vertu de sa compétence relèvent des systèmes de la langue. Les commandes linguistiques formalisables sous forme de règles ne sont pas responsables des aspects mécaniques du signal de parole. En effet, une bonne partie des caractéristiques acoustiques de la parole sont le résultat du système de production mécanique et physiologique et échappent au locuteur et à l'auditeur, comme on l'a dit plus haut, et n'ont, pour cette raison, aucune signification proprement linguistique. Les règles mécaniques de production représentent ce qu'on a comparé à un instrument de musique dont les caractéristiques sont permanentes et imposées, tandis que les règles linguistiques représentent la compétence du musicien. Conclusion La recherche sur l'articulation et la coarticulation des unités du langage se poursuit depuis longtemps, de sorte que les ordinateurs parlent de façon assez compréhensible bien qu'encore mécanique ou robotique. C'est la prosodie qui constitue la plus grande lacune des systèmes de synthèse, et pour cause, car elle est pour les linguistes un champ d'investigation dont on commence seulement à concevoir l'ampleur et la complexité. C'est pourquoi la synthèse actuelle n'exploite que quelques schèmes prosodiques vite perçus comme monotones, et dont l'effet est très souvent en porte-à-faux avec le sens des phrases. Après cette revue de difficultés, on peut avoir l'impression que la tâche est vraiment irréaliste. S'il fallait tout faire en même temps, elle le serait sans doute. Mais il faut commencer par la description d'un seul style de la production d'un seul locuteur, en ayant bien soin de cibler l'usage qu'on voudra faire de la synthèse. Il faudra se laisser guider ensuite par la demande. Pour l'instant, il semble bien que le grand public s'attende à ce que la synthèse devienne quasi naturelle pour lui faire un sort dans les communications. Il ne faut pas penser que la synthèse par imitation précise de la parole est un vain exercice d'école. Si la synthèse est fidèle et satisfait aux exigences des auditeurs, elle constitue un excellent moyen de tester les règles et les hypothèses de production de la parole, ce qui est primordial en science. Les règles sont des énoncés d'observation qui peuvent être falsifiés et

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Exigences de la synthèse par règles

corrigés ou simplifiés ou ratifiés (Chalmers, 1987). La phonétique expérimentale, et plus particulièrement la méthode d'analyse par synthèse, est une discipline qui permet aux sciences humaines de viser à autant de rigueur dans sa démarche que les sciences de la nature. Elle a beaucoup fait progresser la linguistique dans les années 50-60 (Delattre et al., 1952; Stevens, 1972), elle est en mesure de le faire bien davantage aujourd'hui. La synthèse de la parole n'est pas un but en elle-même; elle est un moyen privilégié de recherche fondamentale sur la nature et le fonctionnement du langage. La linguistique y trouve son compte, et plus encore les sciences de l'homme. S'il se trouve de plus que l'analyse, la synthèse et la reconnaissance automatiques du langage font aussi progresser les industries de la langue, voilà une raison de plus pour ne pas négliger la recherche fondamentale qu'elles supposent. Il faudra se rendre à l'évidence que si l'on veut améliorer la synthèse automatique, on ne pourra pas faire l'économie de longues recherches en linguistique et en phonétique surtout dans le domaine de la prosodie et des caractéristiques individuelles des locuteurs. Cette recherche est fondamentale et incontournable. Elle est prometteuse d'applications insoupçonnées, comme c'est souvent le cas pour les recherches qui vont au fond des choses.

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Erìgences de la synthèse par règles

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Normand Beauchemin Université de Sherbrooke

«Pogner» un verbe qui ne pogne pas chez les lexicographes

Le Québécois même instruit sera surpris de voir un article sur un verbe aussi ordinaire que pogner,1 Tout locuteur francophone d'Amérique est spontanément convaincu qu'il s'agit là d'un verbe ordinaire du français. Un artiste, comédien bien connu, ex-président de l'Union des artistes (Montréal), m'affirmait récemment, dur comme fer, que c'était là un mot de son vocabulaire courant : je le «pognais» sans doute en flagrant délit de relâchement, lui qui a toujours donné l'impression d'être légèrement trop soigné. À la limite on croit, bien sûr, que ce verbe comme bien d'autres mots québécois ne peut pas s'employer dans n'importe quelle circonstance, que peut-être à cause de certains de ses sens, ce n'est pas un «bon» mot et qu'il ne faut certainement pas l'utiliser quand on soigne son langage. On se rappellera aussi probablement qu'à l'école élémentaire, déjà, la maîtresse exigeante n'admettait pas ce genre de mots... Bref, pogner évoque à la fois le meilleur et le pire dans le sentiment linguistique du Québécois. Un survol des dictionnaires confirme rapidement le malaise. Les dictionnaires du français hexagonal ne connaissent que l'adjectif poignant (qui point, qui pique), forme équivoque du verbe poindre (du latin pungere). Au cours des siècles, on aurait refait un verbe poigner sur ce poignant, ou aurait-on confondu le poignier (XIIe) (combattre, s'efforcer de...) (du latin pugnare, celui-là) avec le verbe poindre? La conjugaison plus régulière du barbarisme poigner (comme aimer), comble facilement les lacunes de poindre : certains sens de poindre sont aussi carrément en régression par rapport à pointer par exemple, un autre verbe en -ER. Le Trésor de la langue française (1988 : t. 13) présente plutôt le verbe pogner comme un dérivé de pogne. C'est là une proposition qui a plus de mérite, à mon avis, en particulier pour justifier l'usage très étendu de pogner en québécois et ses nombreux sens plus proches de empoigner que de piquer. Il semble donc bien que le verbe «parasite» poigner a lui-même une histoire plutôt piquante (qui dirait «poignante»!), et, au cours du dernier siècle en particulier, quelques auteurs se sont laisser pogner (attraper) à l'utiliser. Le sentiment linguistique des lecteurs français serait beaucoup moins clair, sur ce sujet, que ne le laissent croire les usages consignés dans les grands dictionnaires. Nous adoptons la graphie POGNER et non POIGNER, pour bien marquer que ce verbe québécois n'est pas nécessairement le même que l'on trouve sous POINDRE. Tout en respectant la graphie POIGNER de plusieurs auteurs, nous pensons que la position du Trésor de la langue française est à privilégier : en rattachant POGNER à POGNE, on adopte aussi la prononciation plus ancienne et sans doute populaire de POGNER. Les sens et les usages du mot en québécois n'ont vraiment rien à voir avec POINDRE qui aurait généré le barbarisme POIGNER.

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Le Robert électronique commence son article sur poindre par une remarque de Ch. Muller qui remet les choses en place à mon avis : (...) je me demande (...) si tous les lecteurs sentent bien derrière cette forme (POIGNAIT) le sens vrai de POINDRE, qui est «piquer». Je crois bien que plus d'un rapproche confusément ce mot raie de la série «poing, poigne, poignée», et qu'il conçoit plutôt une idée voisine de celle d'«étreindre» (Ch. Muller, dans La Classe de français, mai-juin 1956, p. 175).

Etienne Le Gai, pour qui «règle et usage» sont souvent en équilibre temporairement instable, souligne, dans son commentaire résumé à propos de poigner, que «[c'est] un barbarisme, mais il se répand de plus en plus». Dans son examen des sens acceptés du verbe, il mentionne le cas intéressant, pour nous Québécois, de F. Mars qui admet poigner non au sens de piquer, mais au sens de serrer comme d'une poigne. «Dans cette acception, dit-il, je vois poindre avec joie le verbe poigner» (La Croix, 24-25 mai 1953). Le Gai conclut son examen des exemples d'auteurs en disant, comme tout le monde, qu'il faut bien se rendre à l'évidence : un certain nombre d'écrivains, et non des moindres, emploient des barbarismes. Ici ce serait par ignorance, puisqu'on ne sait plus conjuguer le verbe poindre... Et il ajoute que ce barbarisme a bien des chances de survivre pour les raisons suivantes : c'est un verbe en -ER, du groupe de loin le plus actif et le plus nombreux, il est influencé et il sera soutenu par EMPOIGNER qui est bien vivant, lui, à la différence de POINDRE, il semble répondre aux besoins de bien des auteurs qui ont besoin d'un verbe actif, alors que poindre ne l'est pas, etc. «Quant au sens précis de POIGNER il sera déterminé peu à peu par l'usage.» Le verbe poigner actif et neutre, au sens de toucher avec le poing, est attesté au XVIe s. dans le Godefroy (1889 : 249). Comme verbe transitif et pronominal, on le retrouve au sens de masturber dans Cellard et Rey (1980 : 647). Par ailleurs, le mot pognon de même famille n'est à peu près pas utilisé en français du Québec : on le connaît et on le comprend, mais il reste toujours un vocable hexagonal perçu comme tel. Ce n'est pas le cas de poigne (pogne) qui connaît au Québec des usages très proches de l'usage français (homme de poigne, poigne solide, avoir de la poigne, etc. (la graphie est le plus souvent POI, dans les journaux où nous avons trouvé la plupart des exemples de ce type). Nous ne parlerons ici que de pogner et non des substantifs apparentés. Mentionnons toutefois le syntagme québécois serre-la-pogne (avare, grippe-sous) que nous n'avons pas trouvé dans nos dictionnaires français. Est-ce un oubli dictionnairique ou une création québécoise? Il est aussi assez fréquent de constater une absence à peu près totale de pogner dans plusieurs ouvrages sur le français du Québec : Dubuc et Boulanger (1983), par exemple, ont une seule entrée à pogné, adj. et nom., avec des définitions fort incomplètes. Nos plus anciens lexicographes étaient déjà bien plus complets dans leur amateurisme. Oscar Dunn (1880 : 141) donne poigner (pron. pogner) Empoigner, attraper, surprendre. ex.: Je l'ai poigné sur le fait. S. Clapin (1894 : 251-2) donne pogner comme verbe actif, au sens d'empoigner, saisir, prendre par surprise, surprendre, attraper, arrêter «D s'est fait pogner bien bêtement».

*Pogner» un verbe qui ne pogne pas chez les lexicographes

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N.-E. Dionne (1909 : 515) ne mentionne pas pogner. N'y est donné que pognasser au sens à'empoigner, manier avec ses mains. Il est diffìcile de croire à un oubli ou à l'ignorance de Dionne. Croyait-il déjà comme tout le monde maintenant que pogner est un mot du français ordinaire...? Était-ce aussi le cas de Dubuc et Boulanger? A. Turenne (1962 : 52) le donne sous forme d'expressions, qui se traduisent d'ailleurs toutes de la même manière avec le verbe PRENDRE, soit : pogner du poisson, pogner le rhume, pogner quelqu'un sur le fait. L. Bergeron (1980 : 380) donne au verbe transitif les sens de attraper, toucher, prendre, surprendre, avoir du succès (?), exiger de grands efforts(?), être tendu, être complexé, puis quelques expressions comme se faire pogner (se retrouver enceinte), pogner le(s) shake(s) (se mettre à trembler). La forme pronominale donne se battre, se disputer, puis des expressions figées : se pogner le cul (paresser), se pogner après qqch. (ou qqn) s'agripper à..., pogner une femme (lui faire l'amour?). David Rogers (1977 :187) donne les sens de prendre, surprendre, saisir, empoigner avec un seul exemple, tiré de Germaine Guévremont et cité par le Trésor de la langue française (1988 : t. XIII). Robinson et Smith (1990 : 12, 13, 112, 130, 216 et 225) reprennent un bonne partie de ce qu'on trouve dans Bergeron. P. Desruisseaux (1990 : 298) ne donne que le sens de complexé, timide sous pogné, comme Dubuc et Boulanger. Il ajoute toutefois l'expression se faire pogner : se faire prendre, surprendre. Nous-mêmes n'avions inclus qu'une demi-douzaine de locutions figurées dans notre petit Dictionnaire d'expressions figurées... (Beauchemin, 1982 : 64). Bref, les sources métalinguistiques ordinaires du québécois mentionnent presque toutes le verbe pogner (parfois avec la graphie POI) et plusieurs de ses sens. Nous ne les avons toutefois encore jamais tous vus dans un ensemble ordonné. Seuls Bélisle (vers 1950), Bergeron (1980) et Dulong (1989) permettent une approximation assez juste, encore qu'incomplète même quand on les réunit. Dulong, le plus récent, est aussi le moins incomplet de tous nos dictionnaires indigènes. L'Index de son Atlas linguistique de l'Est du Canada (1980 : vol. 10, p. 666) mérite à lui seul plusieurs heures de réflexion, sur les attestations nombreuses de poigner (dont nous regrettons la graphie normalisante injustifiée). Nous ne les avons pas utilisées dans cet article, par crainte d'être accusés de parler d'emplois et d'usages anciens et ruraux du verbe. Ce ne serait pas le cas, toutefois, puisque l'examen attentif de YALEC ne révèle pas de sens ou d'usage de pogner qui seraient désuets maintenant. Mais il faudrait trop d'espace pour le démontrer. Voyons quels sont tous ces sens. Nous tenterons une définition précise pour chacun, en essayant de le lier à une stucture explicite et, si possible, en le liant à la classe des noms qui lui servent d'arguments. L'examen attentif des emplois et des sens de pogner, dans l'usage québécois, nous a été facilité par l'existence d'un corpus informatisé assez important que nous avons mis en chantier à Sherbrooke, il y a déjà plusieurs années. Constitué d'abord de textes de langue parlée, ce corpus

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Normand Beauchemin

se révèle extrêmement riche en exemples autrement difficiles à observer dans les conversations courantes. Au cours des années se sont ajoutées plusieurs oeuvres de notre littérature, qui dans bien des cas viennent confirmer les observations déjà faites sur les textes parlés. Enfin nous avons aussi pu examiner, par ordinateur, une année presque entière du journal La Presse, le plus grand quotidien français d'Amérique. On comprendra que le manque d'espace nous empêche ici de donner les quelques centaines d'exemples que notre cueillette nous a permis d'examiner. 1 . pogner : actif et transitif A) C'est le sens sans doute de loin le plus simple et probablement aussi le plus fréquent en langue parlée. On peut presque toujours remplacer ici pogner par PRENDRE, ATTRAPER, SAISIR ou EMPOIGNER, pour avoir une idée précise de son sens : il s'agit alors de mettre en sa main, le tout premier sens de prendre auquel s'ajoute l'idée soit de vigueur, de rapidité, de décision, soit de rudesse, de force, d'agressivité. À l'idée de «mettre en sa main», s'ajoute probablement celle de la main refermée en poing, du moins au départ, mais cet élément sémantique de pogner s'estompe vite à mesure que l'on examine les sens de plus en plus éloignés du sens le plus concret. On pognera ainsi une chose, un instrument, pour l'avoir bien en main, pour s'en servir (pogner la pelle, le rateau) pour commencer à nettoyer le terrain, pour l'enlever à qqn, pour l'enlever de son chemin, pour l'intercepter au passage (pogner le ballon, au basket, la balle, au baseball, la rondelle au hockey, etc.). B) On pognera aussi un animal domestique avec ses mains, un oiseau avec une cage ou un filet, un animal sauvage avec un piège, un poisson à la ligne ou au filet, ou en général du poisson, du gibier, au sens de capturer, attraper ou prendre. D'où le côté un peu drôle du personnage (Alexis) souligné par l'expression de l'exemple suivant, dans lequel il s'agit d'un animal domestique capturé, comme un animal sauvage et la prise se fait dans l'eau, comme pour un poisson : «Alexis ne put s'empêcher de fendre l'air d'un éclat de rire formidable. - T'as eu peur, hein, mon maudit Séraphin? C'est comme ça qu'on pogne ça, nous autres, des vaches à l'eau» (le contexte d'une page nous a montré Alexis courant sur les billots, comme un draveur, pour aller rattraper une vache en perdition, emportée dans le courant d'une rivière en crue : il lui a passé une corde aux cornes — comme un lasso — pour la tirer et la ramener à terre...) (ClaudeHenri Grignon, Un homme et son péché 1933 : 211). C) Par extension, la police peut pogner un voleur (l'arrêter après l'avoir attrapé) ou un chauffard (lui remettre une contravention après l'avoir chronométré au RADAR, ou l'avoir attrapé, encore ici) : « [ils]...auront tendance comme la majorité des citoyens honnêtes (c'est ceux qui, comme vous et moi, ne se sont jamais fait pogner) à parler des flics...» («Les flics» de Jacques Cimon dans La Presse, 5-08-90, p. A3).

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D) pogner a le sens de surprendre, prendre par surprise, avec un être animé comme objet (le sujet peut être animé ou non) : «...l'île à la Cavale, [...] là, on se met à l'abri, tard l'automne, quand les gros vents nous poignent pendant qu'on chasse [...]. La mer qui lève sur le lac, pendant les tempêtes, c'est pas disable. Ça fait peur !» (Germaine Guévremont, Marie-Didace, 1947 : 58). Même sens avec l'idée d'attaquer et vaincre, en prenant l'adversaire par derrière ou par le côté : «Je t'avais quand même dit que ça valait rien leur ligne Imaginot (sic), recommença Latour...c'était comme moi derrière mon comptoir, t'avais qu'à me poigner sur le côté...» (Gabrielle Roy, Bonheur d'occasion, 1945 : 364). «Okay. Tu peux pas m'attaquer de devant, mais qu'est-ce qui t'empêche de faire le tour pis de me poigner par derrière?» (idem, 1945 : 52). E) pogner s'emploie aussi au sens de capter une station de radio : «...avec une chose de carbone...puis il passait une aiguille...puis là il poignait des postes avec ça...» (Corpus de l'Estrie, 602, 25h : 9-39). Notez que les «postes» ici sont les stations et qu'il s'agit, par le contexte, d'un récepteur à galène ou à cristal, comme on dit ici. F) Au sens de atteindre telle vitesse, tel prix, telle valeur, telle dimension. L'objet est le plus souvent une limite, «...on poignait cent-dix milles à l'heure avec ce Ford-là...» (Corpus de l'Estrie, 112,26h : 32-6); «...(le sirop d'érable) quand t'as pogné quatre piastres avec ça, c'est tout...» (idem : 31-23). Sont à rattacher à cet emploi : pogner le bois, ...l'asphalte, ...le beau chemin, ...le chemin de terre, dans lesquels on retrouve l'idée de arriver à... atteindre (physiquement), commencer à marcher ou à rouler ou à courir dans le bois, ou sur l'asphalte, ou dans tel chemin. 2 . pogner pseudo-transitif Malgré l'apparence d'un complément d'objet, on ne voit pas bien le sens transitif toutefois dans les expressions et locutions figées qui suivent : il nous apparaît plutôt que, malgré la construction transitive, le sujet semble soumis à un état spécifié par le complément que supporte le verbe. pogner le fixe : se mettre à regarder fixément dans le vide. pogner la chienne : 1- se mettre à avoir peur; 2- se laisser aller à la paresse, ne plus être d'humeur à travailler. pogner le shake : se mettre à trembler de peur ou de froid. pogner les bleus : avoir un accès de mélancolie. pogner les nerfs : s'énerver, perdre la maîtrise de soi sous le coup de la colère ou de la peur ou par timidité. pogner le gros nerf ', même sens que le précédent, mais avec une pointe d'ironie en plus, par ex. si l'on parle de quelqu'un d'autre. «Trêve de socio avant qu'Elliot, le boss, pogne le gros nerf...» (avant qu'il ne se fâche...) (G. Godin, L'Ange exterminé, p. 30).

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On retrouve aussi en acadien pogner le pesant (G. Massignon, 1962 : Π, 614), pour faire un cauchemar. Il s'agit ici du pesart (a. fr. sommeil), sans doute à assimiler aux états dont il est question plus haut. Dans aucun de ces cas, le pseudo-objet ne reçoit véritablement l'action. Pourtant, dans au moins quatre de ces cas, le sujet peut devenir objet, grammaticalement, ce qui ressemble beaucoup au phénomème ordinaire du passage de l'actif au passif : la chienne l'a pogné : syn. de pogner la chienne, le shake l'a pogné : syn. de pogner le shake, les bleus le pognent : syn. il pogne les bleus, les nerfs le pognent : syn. de pogner les nerfs; «...on aurait dit que les nerfs commençaient à me pogner...» (Corpus de l'Estrie, 188,42h : 244-8). Dans les cas inversables, la saisie du sujet humain par un état de type émotionnel est plus facile à voir, quand le sujet grammatical (être humain) est devenu le complément d'objet. C'est une question de fréquence qui nous porte à considérer ainsi les choses : la construction que nous appelons ici «pseudotransitive» est éminemment plus fréquente que son inversion où l'être animé est complément d'objet. Dans ce dernier cas, la construction semble bien réellement transitive : d'un point de vue théorique peut-être est-ce celle qui a engendré l'autre. 3 . pogner sans complément 3.1 Avec un sujet animé (personne) A) Avoir du succès, de la popularité auprès du sexe opposé, homme ou femme : «Dans ce kit il y a un mini-dictionnaire. Le québécois dans le film\ le québécois dans le texte...vous allez voir à ... pogner avec les femmes : avoir du succès». (Il s'agit d'un glossaire destiné au spectateur non québécois, à un festival international...) («Les fourchettes de Louise et les vôtres» de Francine Grimaldi dans La Presse, 01-05-1991, p. C4) B) pogner a aussi le sens de avoir du succès, être aimé des foules, devenir populaire et bien se vendre, pour un artiste par exemple : «Bref il est content de ne pas avoir "pogné" dès le festival de Granby en 1983». «Ça rend con d'avoir un hit trop tôt...» — et pas fâché de «pogner» maintenant. «C'est bête à dire, mais il faut gagner sa vie» («Daniel Lavoie : faire des shows» de Bruno Dostie dans La Presse, 30-03-1991, p. D8). Le succès peut être d'un autre type et c'est probablement une extension du sens précédent que l'on retrouve dans l'exemple suivant : «Ça nous a pris une heure et demie à poigner sur le pouce...» (à réussir à nous trouver une voiture qui s'arrête pour nous faire monter) (sur le pouce = en auto-stop) (Corpus de l'Estrie, 006 22f, 3 : 32).

3.2 Avec sujet animé ou inanimé C'est aussi dans ce sens qu'une campagne publicitaire peut pogner (réussir), que des chansons nouvelles ou des modes nouvelles pognent (ont du succès), qu'un bon ou mauvais tour fait à quelqu'un pognera ou ne pognera pas (réussira ou pas) : «Ça pogne...!» (il y croit, le

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manège réussit...). Mais aussi, à l'inverse, la victime du manège peut être sujet du verbe : «Vous pognez toujours à ça, madame Jodoin? On vous la fait quasiment toutes les semaines...» (= vous vous laissez toujours attraper à y croire...) (Michel Tremblay, La grosse femme d'à côté est enceinte, p. 23). Les racines d'une plante pognent (reprennent) après quelques jours, sans quoi la plante mourra. Le fun pogne (commence), la bagarre a pogné (a commencé) : «Quand ça faisait pas, ben la chicane pognait là-dedans» (Corpus de l'Estrie, 102 48h 18 : 5) (plusieurs exemples dans Tremblay); sens : la bagarre naissait, commençait, etc. La glace pogne sur le lac = le lac commence à geler. Quand on l'a assez brassé, le sirop d'érable pogne en sucre = tourne en sucre solide. Le lait pogne en pain, quand il caille pourfaire le fromage. Le Jell-0 a pogné = le liquide de gélatine sucrée s'est solidifié. Une odeur très forte peut [vous] pogner (prendre, piquer ?) au nez : «...ils ont du stuff fort, là, ça poigne au nez...» (Corpus de l'Estrie, 645 61F, 8 : 5). Différent de l'exemple tiré de G. Guévremont, donné plus haut, l'exemple suivant, où le sujet est «le vent», présente un sens assez spécial : «...je manœuvrerais de front au su', que le vent poigne pas de travers dans la voile...» (= donne, frappe, arrive, etc.) (Corpus de l'Estrie, 870 Théâtre Dufresne, 25 : 32). N.B : Tous les cas qui précèdent se conjuguent avec AVOIR (sauf, bien sûr, les pronominaux, dont la conjugaison normale se fait avec «être», comme en français ordinaire). Mais il existe aussi de nombreux cas où le mot pogné (participe ou adjectif, on ne peut pas toujours le voir clairement) est employé avec «être» et prend alors d'autres sens particuliers. Être pogné à faire...(forcé de faire... par les circonstances le plus souvent) : «J'ai refusé deux invitations en Inde. Je sais que je n'irai jamais au Japon. Je suis un paresseux pogné à travailler. Un sédentaire pogné à voyager». — C'est son agent John Goodwin qui l'a forcé à sortir du Québec. (Michel Tremblay en entrevue dans L'Actualité, 15 mai 1992, p. 112) (sens dans les deux cas = obligé, incapable de ne pas...). Être pogné pour faire..., qui a le même sens que le précédent, et qui m'apparaît plus fréquent : «Toutes les pages seront blanches. Je m'enrichirai vite et l'on ne pourra pas m'accuser d'ennuyer les lecteurs : ils seront pognés pour l'écrire eux-mêmes leur maudit roman» (= seront forcés de l'écrire...) («[Noël] Audet : l'institution littéraire pourrie», par Réginald Martel, dans La Presse, 16-09-90, p. C2). Être pogné après quelque chose (agrippé, accroché, retenu à quelque chose). Être pogné sur quelqu'un (être entiché de quelqu'un) (selon Robinson et Smith (1990: 112) (rare à mon avis au Québec... Peut-être est-ce un emploi franco-ontarien, du type to be stuck on...?). Être pogné sur quelque chose : être pris par quelque chose, ne faire que cela, ne penser plus qu'à cela. Il s'agit le plus souvent d'une activité humaine : la chasse, la pêche, le sport, l'informatique, etc.

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Être pogné de...: «... à part de ça, je suis poigné de la prostate, c'est effrayant, Gédéon, c'est pus une pissette que j'ai, c'est un compte-goutte...» (Corpus de l'Estrie, 468 Monologues de Lussier, 188 : 1). Le contexte le plus fréquent est plutôt : être pogné du coeur (être malade du coeur). Être pognée (enceinte, dans le cas d'une grossesse non voulue, mais l'on dirait plutôt, la plupart du temps, s'être fait pogner). Il s'agit encore ici d'un sens identique au français «prise = enceinte», donné comme quatrième sens au Robert électronique, pour l'adjectif PRIS. Être pogné : avoir le rhume et le nez enchifrené (accompagné du geste de la main ouverte sous la bouche et le nez...). Être pogné : complexé, timoré, gêné par son éducation morale. Un os de poulet pogné (pris de travers) dans la gorge, une pelure de cerise pognée (coincée) dans les dents, des bardanes (gratteaux, pipiques, gratte-culs, etc.) pogné(e)s (emmêlé-e-s, accrochées) dans les poils du chien,etc.). 4 . pogner pronominal réfléchi A - avec objet direct : Se pogner + objet direct + circonstant, avec le sens général de se prendre, s'attraper + objet direct + circonstant : Se pogner un doigt dans la porte, le castor s'est pogné une patte dans le piège, le chasseur s'est pogné un beau castor (avec la nuance : il l'a pris pour lui-même, il veut le garder et non le vendre...?). Comme aussi l'exemple suivant : «J'pensais jamais qu'a se pognerait un prospect si vite...» (Michel Tremblay, Laura Cadieux, p. 45). Il s'agit ici de la fille qui s'est trouvé, ou attrapé un prétendant sérieux, un fiancé, un prospect, elle l'a captivé (prospect : client potentiel et sérieux, comme dirait un représentant de commerce ou le premier vendeur venu). Tous ces cas ressemblent à l'usage du français de Gascogne, où l'usage abusif (en français) du réfléchi fait sourire le non-initié : «La pomme, je me la prend, je me la pèle et je me la mange...» On trouve aussi des cas en québécois où le pronom apparaît inutile sinon abusif : «On n'avait pas d'argent pour s'acheter des tires... on mettait de la grosse corde, là, en-dessous des rings, là, on se pognait pas de flat avec ça...» (Corpus de l'Estrie, 602 : 4-12) (en clair : faute de sous, les pneus sont remplacés par du câble de gros calibre. On évitait [n'attrapait pas de...] les crevaisons avec ça...). La même construction se rencontre au sens figuré : se pogner le cul (à rien faire) au sens de paresser, être oisif, perdre son temps au lieu de travailler. Il s'agit ici d'une expression figée toutefois, malgré l'exemple suivant où l'auteur, économiste et journaliste à La Presse, ne veut pas choquer ses lecteurs dans un sérieux article sur l'économie du Québec : «Soyons encore plus francs : parce que nous nous sommes pogné le derrière (euphémisme...)(= nous avons été paresseux) dans notre douillette petite sécurité, depuis un quart de siècle, nous n'avons plus le choix...» («Le Mexique, oui! Mais 25 ans trop tard...», Claude Picher, La Presse, 12-2-91, p.

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Dl). En littérature, Gérald Godin appelle les choses par leur nom : «...tout ça c'était pour les pôloques qu'Elliot roulait pendant ses longues fins de semaines au lieu de se pogner le cul (paresser) à regarder le sport à la télévision...» (Gérald Godin, L'Ange exterminé, p. 12). Β - sans complément d'objet direct : «(les animaux) ils se poignaient à manger là-dedans» (Corpus de l'Estrie, 060 Lavoie, 3-31) (= ils se faisaient attraper, ils se prenaient au piège, en mangeant l'appât, ou en interprétation passive : ils étaient capturés...). La vigne sauvage se pogne dans la brique pour grimper (elle s'agrippe à la brique). C - Se faire pogner mérite peut-être une place à part, compte tenu de son emploi très fréquent, surtout à cause de plusieurs expressions figées dans lesquelles on le retrouve. Se faire pogner a le sens général de se faire attraper, se faire prendre, être surpris, le plus souvent par la police. «...Même chose pour la chasse, aux États-Unis, un gars qui se fait pogner là, i perd son char, pis c'est la prison direct...» (Corpus de l'Estrie, 188 42h : 237-21) (voir aussi l'exemple sous l.C). À la limite de l'extension des sens figurés, on trouve même devenir enceinte de manière non planifiée, par accident ou par surprise : «...était sure que Denyse s ' f rait jamais pogner, parce qu'à c't'âge-là toutes les p'tites filles prennent la pilule...» (Corpus de l'Estrie, Monologues de Barrette, 390: 124-1). Se faire pogner les culottes baissées pour se faire prendre en flagrant délit, insistance plus grande que dans le cas précédent sur le caractère de surprise dans l'action que subit la victime. «C'est ce qu'on appelle se faire pogner les culottes baissées...» (Michel Tremblay, La grosse femme d'à côté est enceinte, p. 51). Enfin mentionnons aussi se faire pogner + complément d'objet, comme l'exemple suivant, où il s'agit de deux pièces au jeu de dames : «Le trique (tour, truc...) du tricolé... si tu fais pas attention tu peux t'en faire pogner deux par en arrière, d'un coup sec...» (= prendre, saisir, manger) (Corpus de l'Estrie, 397 [Monologues Lussier] 163 : 3). S. pogner

pronominal réciproque

A) «Si ça peut se pogner un peu, on va enfin avoir de l'action» («C'est plate à dormir, au Forum» de Réjean Tremblay, La Presse, 24-01-91, p. S5). Il s'agit du sens en venir aux coups, se battre, ici entre joueurs de hockey sur glace. B) Au sens figuré, des adversaires politiques, par exemple, pourraient aussi se pogner, se battre en paroles, s'apostropher et se répondre vivement. De même, en toute discussion passionnée, quand les adversaires s'échauffent, on pourra dire qu'ils se pognent, même s'ils n'en viennent pas aux coups. C'est le sens de l'exemple suivant : «Comme je me suis pogné (j'ai discuté fort, montré ma divergence d'opinion, etc.) en partant avec un des profs responsable du

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programme, je n'en sais pas plus...» («La mort assassinée» de Piene Foglia, La Presse, 4-1290, p. A5). Par le contexte on voit que le professeur a coupé court à la conversation sur la thanatologie et les cadavres prêtés pour fins pédagogiques, dans le programme des 30 thanatologues diplômés annuellement au CEGEP de Rosemont : le journaliste était sans doute trop agressif dans ses questions ou ses commentaires, ce qui est compris ici sous se pogner avec...

pogner et prendre. Des synonymes? Les locutions figurées nombreuses dérivées de la famille des sens actifs et transitifs : pogner qqn aux cheveux (ou par les cheveux), par la peau du cou, à la gorge, à bras-le-corps (pron. abraskor) existent en français standard dans le même sens, avec le verbe prendre ou l'un de ses synonymes. On pourrait aussi pogner le taureau par les cornes, comme le cheval pourrait pogner le mors aux dents. Mais à cause de la familiarité plus grande ou de la vulgarité, parfois, sousjacentes dans certains cas de locutions figurées, on ne pourrait utiliser que pogner, par exemple pogner par la ganse ou pogner par les chenolles (fr. testicules). Mais attention! *pogner son courage à deux mains, *pogner une pincée de sable, *pogner de la terre avec une pelle ou de l'eau avec un seau ou du foin avec une fourche, *n'être pas à pogner avec des pincettes, créeraient tous un certain effet comique, en québécois ordinaire. En résumé, si pogner peut toujours se remplacer par prendre, ce dernier ne pourrait pas toujours devenir pogner : la synonymie n'est pas parfaite! Tels sont plusieurs emplois importants de prendre (mettre avec soi, amener à soi, comme prendre un sac sur son dos, prendre un parapluie pour sortir, prendre le pain chez le boulanger, prendre un enfant sur ses genoux ou sur son dos ou à la garderie, ou le taxi qui vous prend, ou le docteur qui ne peut vous prendre, ou Dieu qui vous prend un être cher, etc.) pour lesquels le verbe pogner ne conviendrait pas. De même aussi plusieurs emplois figurés de prendre (avec un complément de manière) sont fermés au domaine de pogner : prendre la vie du bon côté, prendre les choses bien ou mal ou comme elles sont, savoir prendre qqn (ou le prendre du bon côté), prendre en bonne ou en mauvaise part, etc. Même chose pour les emplois de prendre qqn ou qqch. En... suivi du nom d'un sentiment : prendre en pitié, en aversion, en amitié, en dégoût. Mais on peut pogner qqn en traître, en défaut ou en faute, puisqu'il ne s'agit plus ici de sentiments (malgré le classement bizarre du Robert électronique, qui a laissé ces 3 dernières expressions au paragraphe des sentiments...). Certains sens et emplois de prendre, pourtant bien proches de pogner, semblent aussi exclus du domaine de pogner : «agir de façon à avoir, à posséder qqch., qqn» comme prendre sa part, prendre ce qu'on trouve, prendre une partie de..., à prendre ou à laisser, etc., ou encore «demander, exiger» comme le travail prendra 3 heures, le garage vous prend maintenant plus de 50 $ de l'heure, etc. Peut-être pouvons-nous faire l'hypothèse que dans tous les cas où prendre ne pourrait être remplacé par pogner (actif et transitif), c'est qu'il manque ou bien une certaine célérité dans l'action ou une certaine proximité de l'objet. En termes guillaumiens, la saisie serait plus tardive

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pour pogner que pour prendre, dans la genèse du sens (idéogenèse) sur l'axe du temps opératoire. Quelques cas pourraient aussi s'expliquer par une opposition des contenus sémantiques de pogner ou prendre avec le contenu sémantique des compléments : ainsi pourrait s'expliquer qu'on ne peut *pogner une pincée de sable, on pourrait seulement la prendre... à cause de l'image du poing, dans pogner, opposée à l'image du bout des doigts dans la pincée. Conclusion Il nous semble bien encore ici que l'usage québécois a profité de son éloignement géographique de la France et n'a pas attendu pour élargir le champ sémantique et les sens de poigner : ce verbe ne paraît pas avoir été dénoncé comme barbarisme ici aussi unanimement qu'en France. Peut-être est-ce en partie parce que sa graphie fréquente en pogner a toujours bien laissé entendre qu'il ne s'agissait pas du même mot. Les barrières grammaticales officielles, comme on sait, n'ont pas souvent empêché notre «jouai» québécois de gambader allègrement dans le vert pâturage des libertés linguistiques. Le français du Québec a peu créé, comme le démontrait Jean Marcel, il y a déjà plus de 20 ans. Π a par contre souvent utilisé de nombreux éléments déjà présents dans le système et leur a ajouté ici un élément sémantique, là un usage particulier, là une construction grammaticale inattendue pour les vieux utilisateurs, là encore il a mutiplié par 25 ou par 50 la fréquence d'emploi d'un mot alors qu'il ignorait complètement un autre mot pourtant fréquent en hexagonal. Nous sommes bien conscients que cet inventaire des usages et des emplois de pogner n'est peut-être pas absolument complet : nous croyons toutefois qu'il manque ici peu de cas et que, de toutes manières, ceux qui auraient été oubliés pourraient être rattachés à l'un ou l'autre des cas mentionnés. Π aurait fallu aussi, bien sûr, indiquer les niveaux de langue où chacun des emplois de pogner est utilisé. D'une part, de nombreux exemples donnent déjà une idée nette du contexte social qui, en grande partie, fixe le niveau de langue à utiliser. D'autre part, ici comme ailleurs en lexicographie, le référent aide beaucoup à déterminer ces niveaux de langue ( que nous essayerons un jour, espérons-le, de décrire plus en détail ailleurs). Ainsi, être pognée (enceinte) ne sera pas utilisé chaque fois qu'il est question d'une grossesse involontaire, on l'aura compris. De même, se pogner le cul (à rien faire) (paresser), a ses propres limites à cause du référent anatomique évoqué. Par contre, on ne voit pas bien en vertu de quelles règles de bienséance on ne pourrait pas utiliser pogner comme l'a fait l'ex-ministre de la justice du Québec, dans l'exemple suivant : Selon la transcription de la conversation téléphonique enregistrée par l'agent Tardif avec le ministre Choquette, ce dernier avait considéré la possibilité que Noseworthy tente de pénétrer dans son appartement... (...) Vous comprenez ce que je veux dire là? (Tardif d'acquiescer) Puis là, si on le pognait (prenait) sur le fait... (Denis Lessard, Nouvelles, La Presse, 25-09-90 p. A7)

Nous croyons qu'il est grand temps : 1- que nos linguistes commencent à consigner ce genre d'usage, même dans les ouvrages de vulgarisation, 2- que les éditeurs de dictionnaires aient le courage de décrire la langue qui se parle au Québec, 3- que les enseignants à tous les niveaux se mettent au courant d'une réalité grouillante de faits de langue. Je comprends qu'il ne faut pas que

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le Québec devienne un ghetto linguistique, selon ce que plusieurs de nos savants collègues prêchent depuis la révolution tranquille : heureusement, toutefois, Michel Tremblay n'a pas écouté ce sermon sur les bonnes manières linguistiques... Son universalisme est reconnu, même s'il est fondé plutôt sur la réalité grouillante d'une quotidienneté ordinaire que sur les bonnes manières que trop de nos intellectuels québécois ont jusqu'ici recommandées : ... Difficile d'imaginer que l'homme vêtu d'un t-shirt de Mickey Mouse (...) a son nom dans le Larousse (depuis 1987), que son oeuvre est traduite en 22 langues et est jouée d'Anchorage à Tokyo. «Le plus universel des Québécois» selon Le Monde, recevra en juillet un doctorat honorifique de l'Université Sterling en Ecosse. — «De quoi faire rougir ceux qui prétendent que seul le français international est exportable», dit-il en riant dans sa barbe... (Christian Rioux, «Le fils de la grosse femme a 50 ans», L'Actualité, 15 mai 1992, p. 112).

Ne serait-ce pas en approfondissant librement et sans contraintes pédantes la connaissance de l'idiome du ghetto que l'on peut devenir universel? La soi-disant pauvreté de vocabulaire du Québécois moyen serait sans doute d'une richesse étonnante si notre langage populaire était délesté des contraintes bêtes et méchantes qu'on a voulu lui imposer, le plus souvent par ignorance. On a oublié au Québec que la langue a des mots pour toute la réalité vécue, même celle qui n'est pas belle, ni bonne, ni polie, ni souhaitable, etc. Une description lexicographique honnête doit aussi rendre compte des mots qui nomment ces laids référents... Nommer les choses par leur nom n'a jamais été synonyme d'une approbation, d'un encouragement à aller dans le sens des choses nommées. L'apparition très tardive du mot putain au Petit Larousse (1968) n'a rien changé à la prostitution, ne l'a ni encouragée ni approuvée : c'est une sorte de tabou qui retenait les auteurs du dictionnaire et ils ne s'en portent pas plus mal, que je sache, depuis qu'ils l'ont ignoré. Enfin, nous croyons l'avoir abondamment démontré, pogner n'a pas toujours un laid et méchant référent..

Bibliographie Beauchemin, Normand (1982), Dictionnaire d'expressions figurées en français parlé du Québec, Sherbrooke, Université de Sherbrooke. Bergeron, Léandre (1980), Dictionnaire de la langue québécoise, Montréal, V.L.B. éditeur. Cellard, Jacques et Alain Rey (1980), Dictionnaire du français non conventionnel, Paris, Hachette. Clapin, Sylva (1894), Dictionnaire canadien-français, Québec, P.U.L., (éd. de 1974). Desruisseaux, Pierre (1990), Dictionnaire des expressions québécoises, Montréal, Bibliothèque québécoise. Dionne, Narcisse-Eutrope (1909), Le parler populaire des Canadiens-Français, Québec, P.U.L., (éd. de 1974). Dufresne, Guy (1972), Docile: comédie en 2 actes, Montréal, Leméac, coll. Répertoire québécois. Dugas, André et Bernard Soucy (1991), Le Dictionnaire pratique des expressions québécoises, Montréal, Les éditions Logiques.

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Dulong, Gaston (1989), Dictionnaire des canadianismes, Québec, Larousse et Septentrion. Dulong, Gaston et Gaston Bergeron (1980), Atlas linguistique de l'Est du Canada, Québec, éditeur officiel du Québec et Office de la langue française. Dunn, Oscar (1880), Glossaire franco-canadien, Québec, P.U.L., (éd. de 1976). Godefroy (1889), Dictionnaire de l'ancienne langue française, Paris. Grignon, Claude-Henri (1933), Un homme et son péché, Édition critique (1986) par A. Sirois et Y. Francoli, Presses de l'Université de Montréal. Le Gai, Etienne (1961), Le parler vivant au XXe siècle, Paris, Denoël. Guévremont, Germaine (1947), Marie-Didace, Montréal, Éd. Beauchemin. Massignon, Geneviève (1962), Les parlers français d'Acadie, Paris, Klincksieck. Robinson, Sinclair et Donald Smith (1990), Dictionnaire du français canadien, Toronto, Stoddart. Rogers, David (1977), Dictionnaire de la langue québécoise rurale, Montréal, Éd. VLB. Trésor de la langue française (1988), C.N.R.S., tome ΧΠΙ. Turenne, Augustin (1962), Petit dictionnaire du «JOUAL» au français, Montréal, Éditions de l'Homme.

Autres références non conventionnelles Le Robert Électronique (1990), disque compact, Dictionnaires Le Robert, Paris. Journal La Presse (1991), juillet 1990 à mai 1991, disque compact, publié par Périodisc, Montréal. Corpus de l'Estrie, fichier électronique de 3 millions de mots, constitué à l'Université de Sherbrooke sous la direction de Normand Beauchemin, avec la collaboration de Pierre Martel et Michel Théoret (les références comprennent le numéro de l'échantillon, l'âge et le sexe de l'informateur pour les enquêtes orales, l'auteur, la page et la ligne d'un texte publié, s'il y a lieu).

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Abdelkrim Boufarra Université d'Oujda (Maroc)

L'aménagement de l'arabe et de l'hébreu modernes Nous proposons d'aborder, dans cet article, quelques questions, problèmes et objectifs liés à l'aménagement linguistique dans le cas de l'hébreu et de l'arabe modernes. Notre propos est de décrire, grosso modo, les procédés dont se servent les deux langues (désormais 2L) conjointement et/ou séparément L'intitulé de cet article appelle deux remarques fondamentales à notre avis : la première concerne la notion même d'aménagement; la deuxième concerne la notion de modernité. L'aménagement d'une langue relate la conscience d'une communauté linguistique donnée dans ses rapports avec le moyen d'expression dont elle se sert dans la vie quotidienne. Cette conscience peut se manifester de différentes manières : telles que le sentiment d'une appartenance géographique délimitée, le besoin de s'affirmer dans une situation dominée par un quelconque rapport de force, l'envie de rendre une langue donnée l'idiome de communication par excellence. Aussi éprouve-t-on la nécessité de rendre telle ou telle langue officieuse, voire officielle au sein d'une seule ou de plusieurs communauté(s). L'objectif étant l'homogénéité du groupe; c'està-dire un accord passé tacitement quant au choix d'une norme linguistique précise. Toutefois, rien n'empêche l'existence d'une situation bilingue ou même plurilingue, du fait que le choix d'une langue n'exclut pas l'utilisation (l'existence) d'une autre ou d'autres langues. Il s'agit donc d'une intervention humaine consciente sur les langues (Denise Daoust et Jacques Maurais, 1987 : 13). Cette intervention touche aussi bien à la grammaire, à l'orthographe qu'au dictionnaire (Einar Haugen, 1959). 1. Nous entendons par arabe et hébreu modernes ces deux langues issues respectivement de deux mouvements de renaissance : Nahda (1800- ) pour l'arabe et Haskala (1750-1880) pour l'hébreu. 1.1 : Nous avons dégagé ailleurs (Boufarra, 1990 : 70 et passim) les principaux facteurs qui ont contribué au retour massif des 2L depuis le début du XIXe siècle. Expliquer la renaissance de l'arabe par le seul fait du contact avec l'Occident (Beeston, 1970: 15 et Blau, 1976 : 10) demeure une démarche excluant, en bloc, d'autres facteurs non moins décisifs quant à l'avenir et l'advenir non seulement de la langue, mais de la nation arabe. 1.2 : Il en va tout autant de l'hébreu. Eliezer Ben Yehuda (1858-1922) ne fut pas le seul promoteur de l'hébreu moderne (Avineri, 1981 et Witold, 1980). La modernité vise à fixer un statut quasiment défini des 2L parmi les locuteurs arabophones et hébréophones. Ce statut explique le choix de l'arabe littéral par rapport à l'arabe dialectal, et le

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choix de l'hébreu plutôt qu'une autre langue juive, le yiddish par exemple (Jean Baumgarten, 1990: 101). 2. Entre l'aménagement du statut et l'aménagement du corpus : 2.1.1 : L'aménagement du statut en arabe Définir un statut de l'arabe moderne, c'est aborder l'arabe de la période antéislamique, l'arabe des périodes islamiques (500-661, 661-750, 750-1280, 1280-1800, correspondant aux règnes des Califes RâSidin, des Oumeyyades, des Abbassides et à l'époque du déclin). Il s'agit donc de repérer cet arabe dans sa totalité, c'est-à-dire dans sa continuité historique. D'où cette question qui est en soi une vraie problématique : quel arabe allons-nous choisir? et comment? L'arabe se situe dans deux dimensions différentes : l'une religieuse et l'autre nationale. Il existe un arabe «islamique» et un arabe «panarabe», sans que l'un complète l'autre ou que le premier contredise le second. Définir un statut demeure d'autant plus difficile que le manque d'une coordination effective entre les différentes académies arabes perpétue l'image d'un arabe «ambigu» se situant dans une longue chaîne historique et se voulant être constamment actuel. L'Académie de Damas (fondée en 1910), celle du Caire (1932-3) et celle de Baghdad (1947) tentent de situer dans le temps et dans l'espace l'arabe tel que l'on parle de nos jours. Le Bureau permanent pour la coordination de l'arabisation (B.P.C.A.) (1961) est censé, entre autres tâches, unifier la terminologie scientifique à travers le monde arabe. Ces institutions officielles se trouvent confrontées à des problèmes relevant de la néologie, de la réforme de l'orthographe, du choix d'un «stock» lexical capable de répondre aux exigences de la vie courante. La dichotomie mettant la continuité face à la discontinuité ne s'est jamais posée avec autant d'audace et, donc, d'acuité. Nous entendons ces variétés arabes qui se réclament de l'arabe littéral sans pour autant le suivre à la trace. La diglossie intervient ici pour donner à la question de «purisme» une nouvelle signification. Le «dire et ne pas dire», n'est-il pas une manière de tolérer l'utilisation d'une norme et la prohibition d'une autre? Cette même question de «purisme» est liée à l'idée de «fixation», de «standardisation» et en plus, pour l'arabe, à la sauvegarde d'un arabe non affecté d'influences turques ou persanes, par exemple. L'on évite de la sorte toute situation de contact qui pourrait donner lieu à un mélange ou à une interférence quelconque. Car il s'agit, en définitive, de l'homogénéité d'un groupe afin d'éviter toute confusion éventuelle. Nous pouvons avancer que, sur le plan officiel, l'arabe a été défini vis-à-vis de ses rapports avec une chaîne historique précise ainsi qu'avec ses propres variétés. Autrement dit, la codification ne prend pas l'arabe en soi. Ici perdure l'approche parallèle alors que la définition du statut doit prendre en premier lieu l'arabe dans sa totalité inteme (et non exteme). Toutefois, nous assistons sur le plan individuel ou officieux à des démarches qui essaient de donner un profil à cet arabe moderne.

L'aménagement de l'arabe et de l'hébreu modernes

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Ainsi, Anis Furayha (1980) cerne les problèmes fondamentaux de l'arabe, selon lui, en cinq points : 1. L'existence de deux langues totalement différentes (sic); l'arabe littéral et l'arabe dialectal. 2. La codification d'un arabe qui puise ses sources dans les règles de la poésie ancienne et dans la logique aristotélicienne. 3. La graphie arabe, à l'instar des langues sémitiques, insiste sur les consonnes plutôt que les voyelles. Ce qui rend la lecture plus diffìcile. 4. L'arabe, selon lui, n'est pas en mesure de s'adapter à des domaines nouveaux tels que la science, les (beaux-) arts et la philosophie... 5. Le dernier problème est d'ordre pédagogique et concerne l'enseignement de l'arabe et de ses littératures. Furayha n'énumère pas une série de problèmes, ni ne les décrit; il s'exprime subjectivement et va jusqu'à poser une barrière entre l'arabe littéral et l'arabe dialectal. Il ne propose pas de solutions et contredit la réalité linguistique (3 e et 4 e points). 2.1.2 : L'aménagement du statut en hébreu : Fallait-il vraiment qualifier de miracle la renaissance de l'hébreu? et en quoi consiste-t-il? (voir : Koestler, 1949). En nous référant aux différents documents relatifs à la renaissance de l'hébreu moderne, nous remarquons que la conscience nationale, bien avant le mouvement sioniste, avait préparé les esprits à réutiliser l'hébreu. L'objectif étant de renouer avec l'héritage biblique, l'envie de reparler l'hébreu fût aussi intense que cette nostalgie de la vision messianique. Ainsi, Ben Yehuda évoque dans son livre autobiographique (1916) ce passage du rêve à la réalité. D'ailleurs l'ouvrage s'intitule : «Ha halom vé äivrü». La renaissance de l'hébreu doit passer, selon lui, par le retour aux langues sémitiques; en l'occurrence l'arabe. E. Sappir (1869-1913) et J.G. Klausner (1874-1958) adoptèrent la même position. L'hébreu est cette langue de la Tora (tout comme le Coran pour l'arabe) qui est en mesure d'exprimer les realia de la vie courante; fût-ce au péril - si danger il y a - de puiser dans l'arabe tout ce dont ce pionnier a besoin pour refaire vivre sa langue millénaire. Ben Yehuda veut ressusciter l'hébreu de ses aïeux depuis les Patriarches jusqu'à l'époque de la Haskala. Ici l'histoire dans sa totalité constitue une étape diachroniquement définie. Le passage de l'hébreu biblique à l'hébreu mishnique, ou encore à l'hébreu médiéval ne signifie que le choix parmi des variétés linguistiques traitées dans leur totalité comme un ensemble d'éléments homogènes ou conçues comme telles. Ben Yehuda en s'installant en Palestine en 1881 décida de ne communiquer qu'en hébreu. Il voulut éviter toute situation de mélange émanant du contact de l'hébreu avec l'allemand, l'anglais, le yiddish et le français. Nous pouvons dire que tout mouvement de réforme antérieur à 1910 avait pour occupation majeure la fixation d'une norme officiellement soutenue par diverses associations linguistiques.

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Abdelkrim Boufarra

C'est ainsi que Safa Berüra (La Langue pure), créée en 1890, Le Va'ad Ha LaSun ha 'Ivrît (Comité de la langue hébraïque, 1890), Agudat Ha Moiîm (Union des Professeurs, 1903), Va'ad ha BalSani (Le Comité linguistique, 1904), 'Ivriyya Association (1906), toutes ces organisations avaient pour objectif de promouvoir l'utilisation et l'expansion de l'hébreu, tout en faisant sélection d'une néologie adéquate et d'une prononciation typiquement hébraïque, c'est-à-dire à caractère oriental (sémitique). C'est ainsi également qu'il y a eu la réforme de la prononciation dès 1907, la diffision de la brochure «'al tomar -'emor» (ne dis pas et dis) à partir de 1911. Cette réforme de la prononciation résulte d'une divergence dans les habitudes phonétiques chez les Juifs sépharades et ashkénazes. S'ajoute à cette réalité la centralité de Jérusalem qui fait de la ville sainte un lieu de rencontre de locuteurs dont le système de prononciation et d'articulation diffère d'un Palestinien citadin à un palectinien bédouin, d'un juif yéménite à un juif polonais. La réforme de la prononciation est une des caractéristiques de l'aménagement de l'hébreu moderne (Daoust et Maurais, 1987 : 32). La renaissance de l'hébreu signifiait essentiellement parler (ou reparler) l'hébreu. C'est cette caractéristique qui fait la «spécificité» de l'hébreu vis-à-vis d'autres langues et d'autres renaissances (voir : Saulson B. Scott, 1979 : 30, C. Rabin, 1988, M. Masson, 1984 : 449, O. Schwarzwald et R. Herzlich, 1985 : 397 et H. Maggid, 1984 : 151). L'adoption de la prononciation sépharade par le : Va'ad depuis 1889-1900 et ultérieurement par l'Académie de la langue hébraïque, fondée le 27 août 1953, est l'aboutissement non moins réussi de ce que l'on appelle la «Guerre des langues». En effet, il fallait décider du sort de l'hébreu devant la quasi-dominance de l'allemand et du yiddish, et, à un degré moindre, de l'anglais et du français (l'arabe jouit, selon Shivtiel 1985, d'une reconnaissance officielle parmi les promoteurs langagiers). Nous pouvons imaginer le grand effort déployé par les pionniers en vue de lui fixer un statut Hemda, l'épouse de Ben Yehuda, relate dans un ouvrage intitulé Ha Milhama 'im Satán («le combat contre Satan») les activités intenses entreprises par son mari et par ses collègues. La renaissance de l'hébreu parlé constitue la première étape dans l'aménagement linguistique (1890-1916) selon M. Nahir (1979 :105) et a été suivie de deux étapes : - La standardisation de la langue (1916-1948). - La modernisation lexicale (1948—). Mais, à notre avis personnel, la standardisation de l'hébreu a été effective bien après 1948. Avec la création d'Israël, l'hébreu fut encore qualifié de «moderne», notion ambiguë d'autant que cet hébreu diffère de l'hébreu biblique. Les habitudes linguistiques des communautés juives ne font que perpétuer cette situation. Cet hébreu moderne existe et évolue dans le temps. Il subit des changements donc. Alors, que fallait-il faire? ne pas reconnaître cette évolution, et par conséquent récuser cet hébreu, ou alors l'adopter et l'adapter en fonction des circonstances nouvelles? H.B.Rosén a proposé de l'appeler «hébreu israélien» (1955 : 107, 1958a : 41, 1958b : 90).

L'aménagement de l'arabe et de l'hébreu modernes

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Cet hébreu est israélien parce que non seulement il est subordonné à la création d'Israël, mais parce qu'il est essentiellement héritier de l'hébreu ancien, ou plutôt des diverses langues hébraïques et/ou juives qui lui ont été antérieures. Ainsi, cet hébreu - bien que différent car il a évolué dans le temps - se réclame de l'héritage biblique tout en puisant dans les différentes sources de l'hébreu sans délimitation chronologique. Les successions dans l'histoire linguistique sont comprises alors dans le contexte d'une évolution bipolaire : l'hébreu israélien (désormais H.I) et l'hébreu ancien (ou pour être précis les hébreux anciens, désormais Hs). L U I ne se définit pas par rapport à un pêle-mêle de synchronies : Tore, Mishna, Talmud, Moyen-Age, Haskala... mais sur la base de deux synchronies que nous illustrons de la manière suivante : H.I

> Hs.

Il s'ensuit que lorsque l'on voudrait aborder les sources de 1Ή.Ι, il importe beaucoup moins de les énumérer que de les situer dans une seule et unique synchronie; si bien que l'on finit par tolérer n'importe quel passage dans Hs s'agissant en définitive d'une même synchronie. Ainsi, 1Ή.Ι constitue une étape postérieure à l"Hs. H.I
Hs.

2.2 : L'aménagement corpus : Nous n'allons pas nous attarder sur ce deuxième volet du fait que les problèmes d'aménagement de ce type ne se posent pas avec la même acuité que celle remarquée dans l'aménagement du statut. Nous estimons, par ailleurs que la réussite dans le choix d'une langue aide énormément à résoudre les problèmes de néologie par exemple. Le «purisme» s'impose chaque fois qu'il est question de corpus d'une langue. En effet, l'emprunt n'est toléré ou contesté qu'en fonction de la valeur attribuée à ce même «purisme». On sait que chaque locuteur se veut de veiller sur le bon usage de sa propre langue. La présence de l'emprunt est une autre question non moins prépondérante. Il divise les locuteurs entre partisans, adversaires et ceux qui adoptent une position intermédiaire. Cette attitude est universellement partagée, et rien n'empêche de ne pas la «repérer» dans les 2L. L'emprunt est exploité tout comme d'autres procédés néologiques, tels que les réactivations et les néologismes avec tout ce qui s'ensuit : calque, composition, dérivation, siglaison... (Boufarra : 1990 et 1992 en cours). 3. Le statut de l'arabe moderne tel qu'il a été défini ici fait apparaître quelques problèmes relevant du profil que l'on pourrait donner à cet arabe ainsi qu'à son corpus. L'arabe distingue l'emprunt du calque, de l'arabisé, du généré, du vocable proposé par une académie... moyennant une répartition rigoureuse qui limite dans le temps et dans l'espace toute notion néologique, Les grammairiens et les philologues arabes anciens ont défini une période appelée «époque d'al v Ihtijàj» (Argumentation) comme étant le point de repère chronologique de

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l'emprunt, par exemple. Cette époque s'étend dans le temps entre la fin du vii e siècle pour les Arabes citadins, et la fin du ix e pour les Arabes bédouins. Ainsi, tout vocable antérieur à ces dates est traité comme faisant partie intégrante du système morphosyntaxique arabe. En revanche, tout lexique répertorié au-delà de ces dates est qualifié d'emprunt du fait des situations de mélanges (arabe, persan...). Il s'ensuit qu'au sein de ce repérage chronologique, l'on aboutit à distinguer entre des étapes différentes dans l'histoire de l'arabe : A< Al, A2, A3, ...An. Ainsi, le passage d'un vocable appartenant à l'arabe antéislamique à un autre appartenant à l'époque de la renaissance n'est ni admis ni toléré, car l'on doit passer par plusieurs étapes avant d'arriver à l'époque moderne. Autrement dit, le passage d'une synchronie à une autre suit un parcours regoureux où Al précède A2, A2 devance A3, A3 se place avant An. Il en est tout autrement pour ce qui concerne 1Ή. I. du fait de la bipolarité dans le passage de : H.I

> Hs.

et vice-versa : H.I
ΙΟ οίοOJ

φ •ΕΙΟ φ •ο •φ ς:

φ E U φ -σ •φ Σ

ceι Σ +-> ε •— ι Φ4-0- εω • Ο -ο 0Ε0 Ο •f— -V rΕo 1 0 ΕΟ (0 >, Ν > JυZ U ο Ν E 4J 00 V ιοο Ε Φ) 101000 — (0 L. CL Ο Σ 1— ^ CSI CO CVJ C M C M

Caractéristiques lexicales des textes scientifiques: premières analyses

Annexe 2 : Les termes techniques

281

282

Hélène Cajolet-Laganière et Pierre Martel

Graphiques des indices de fréquence des termes techniques

10. 9

8J 7

6J 5 4 _ 3 2 _ 1

13

11

10 12

16

1

14

ESSAIS MEMOIRES

9

8

22 2

23 15

17 18

19

Numéro du texte EXPOSES DE THEORIES OU DE STRATEGIES

21

20

ENUMERATION CARACTERISATION

283

Jean-Yves Dugas Gouvernement du Québec Commission de toponymie

Ethnonymia Americana Plusieurs écrivains et des sociétés historiques des États-Unis ont cherché un nom pour remplacer «Américain» appliqué à leur peuple. Faute d'avoir trouvé un mot convenable on n'en parle plus. (Benjamin Suite)

À l'occasion du cinquième centenaire de la découverte de l'Amérique par Christophe Colomb, il nous a semblé indiqué d'effectuer un tour d'horizon de la question du gentilé - de l'ethnique, rectifieraient nos amis les Français - qui identifie les citoyens de la contrée qu'il aurait été le premier à repérer, exploit dont on lui reconnaît généralement la paternité. D'autre part, il peut apparaître assez singulier d'examiner ici un dérivé dont la dénomination souche célèbre le souvenir d'Amerigo Vespucci, navigateur italien du XVe siècle, et non celle du découvreur du Nouveau Monde, Cristóbal Colón, ce phénomène constituant une remarquable illustration des aléas de la désignation, mieux de l'identification des lieux. Le problème de l'adoption, dans l'usage courant, du terme Américain pour désigner les habitants des États-Unis a suscité une telle panoplie de discussions, comme en fait foi la substantielle bibliographie qui accompagne le présent texte, que l'on a proposé près de 80 formes de remplacement au fil des ans. En effet, les États-Unis ne formant qu'une partie des Amériques, il est vite apparu sinon incorrect, du moins inadéquat, que ses citoyens puissent être collectivement coiffés du titre exclusif d'Américains. De là à déceler une forme d'impérialisme dénominatif, il n'y a qu'un pas que certains n'ont pas hésité à franchir allègrement. Autre constatation intéressante, ce mouvement de contestation, voire de création gentiléenne, a balayé tant le monde anglophone que les milieux francophones, les propositions d'alternatives, de substitutions onomastiques, variantes incluses, se repartissant presque à égalité entre les deux langues. Eu égard à la masse des informations recueillies et afin d'en offrir une synthèse la plus cohérente possible, nous avons opté pour une présentation simplifiée au maximum. Ainsi, dans un premier volet, nous passerons en revue les principales solutions, créations, formes en usage qui ont eu cours ou qui subsistent toujours en anglais, nous livrant, dans un second temps, à un exercice similaire en ce qui a trait à la langue de Molière. En guise de conclusion, nous tenterons de dresser un bilan de la situation en regard de l'économie générale de la langue tant du point de vue du lexique que de celui de l'onomastique. Notre regard s'inscrit résolument dans une optique descriptive et notre intention n'est pas de proposer une énième substitution à cet onomatisme controversé.

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Jean-Yves Dugos

On prendra, en outre, en compte que même si notre propos concerne au premier chef le gentilé Américain et ses variantes historiques, les mêmes constatations peuvent également être faites en ce qui a trait aux adjectifs géographiques ou toponymiques, aux autres déonomastiques - pour recourir à un terme récent qui englobe tout dérivé de nom propre - auxquels ils ont déjà ou pourraient éventuellement donner naissance. D'Alleghanian à Yanky Dès la fin du XVIIIe siècle, dans une pièce qui connut peu de succès, The Politician Outwitted (1789), la désignation Columbian, qui présente le mérite non négligeable d'évoquer le découvreur Colomb, était avancée. En dépit de la parution de The Columbiad de Joel Barlow, en 1807, bientôt suivie de la création de Columbard, un dérivé aux effluves péjoratifs, le gentilé tiré du patronyme du protégé de la reine Isabelle la Catholique ne réussit pas à s'implanter dans la pratique. Le phénomène tient vraisemblablement au fait que déjà des formes concurrentes avaient vu le jour à la même époque. Henry Louis Mencken (1947 : 241-246), sous le titre éloquent de «Names for Americans», retrace avec esprit et patience les différentes tentatives gentiléennes qui ont eu cours à l'aube du XIXe siècle, qu'il s'agisse notamment du Fredonian ou Frede de Samuel Mitchill (1803), tiré d'un hypothétique Fredon, à rapprocher de freedom, évoquant une terre de liberté, ou encore de Colonican (1837), formé sur le nom de Colomb en espagnol et servant de pseudonyme à l'auteur d'un article paru dans The Mirror de New York. En 1839, l'écrivain Washington Irving proposa de modifier le nom du pays, United States of America, en United States of Appalachia ou Alleghania (allusion à un ensemble montagneux important de l'Est des Etats-Unis), suggestion qui entraînait la création des dérivés Appalacian ou encore Alleghanian qui, on s'en doutera, n'ont subsisté que l'espace d'un matin. Même le grand poète Walt Whitman (1819-1892) a apporté sa contribution avec la proposition espagnolisante Americano, vouée elle aussi rapidement à l'oubli. Les formes United Statesian (1892), provenant d'United States, et Usonan, reposant sur Usona, tirée de la forme complexe United States of North America, n'ont pas connu la faveur du public et ce, en dépit de ce que cette dernière ait été avancée à la même époque par un homme politique important, sir Edward Clarke, solliciteur général d'Angleterre. D'autre part, des créations comme Usian - on y reconnaît U.S. - , Statesian et Washingtonian (influence du premier président du pays?), issues d'une consultation menée en 1928 par le Français Camille Meillac dans le Figaro et l'Américaine Minott Saunders dans le New Orleans States, ont constitué autant de comètes qui ont traversé rapidement le ciel de la gentilistique «américaine». Quant à la dénomination American (1598), tirée du toponyme Amérique et attestée pour la première fois en 1782 à titre de substantif, elle se révélait déjà d'usage courant au début du XIXe siècle, suivant John Pickering en 1816. The general term American is now commonly understood (at least in all places where the English language is spoken) to mean an inhabitant of the United States, and is so employed except where unusual precision of

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language is required. English writers, in speaking of us, always say the Americans, the American government, the American ambassador, etc. The French (as a correspondent observes) extend the appellation Americans (Américains) to the inhabitants of the West Indies. Their writers accordingly sometimes distinguish us by the name of Anglo-Americans. The words Fredonia, etc., are never now used in the United States except by ridicule (Mencken, 1947 : 242).

Ces assises solides ne devaient pas ébranler les amateurs de néologismes qui rivaliseront d'ingéniosité en proposant : Usonian, modification de YUsonan de Clarke déjà signalé; Uessian, U-S-ian, assez transparents; Uesican, réunissant les États-Unis (U.S.), le Canada (i de Canadian) et la Jamaïque (can de Jamaican)!; U-Station et Ustation, pour la U.S. Nation et ses habitants; United Statesman, United Stateser, Unied Statesard et United Staese (De Ford, 1927 : 315)... Là ne s'est pas arrêtée la frénésie onomastique uessienne, celle-ci provoquant l'émergence d'appellations comme Uesican, Uessian, Unionist, tirée d'Union (Jones, 1934 : 12), United American, United Statesian, United-States-man (oh sexisme, horresco referensl), United Station, Usaman, Usaner, Usian, etc. Bien que reflétant plus ou moins fidèlement le nom de lieu dont elles dérivent, les initiales U.S., de United States, étant mises à profit, ces formes n'ont pas connu, tant s'en faut, la consécration onomastique et demeurent des curiosités confinées à des textes peu connus. Elles sont davantage envisagées comme le résultat d'élucubrations précieuses de cerveaux en mal d'originalité. Enfin, on peut relever sporadiquement depuis 1758 l'appellation argotique Yankee (neutre à l'origine, voir Rey-Debove, 1980 : 1118-1119) et ses variantes Yank, Yankey, Yanky, Yanqui, forme tirée vraisemblablement du hollandais Janke, diminutif de Jan «Jean» (Jan Kaas «Jean-leFromage», surnom dont les Hollandais affublaient les Anglais de la Nouvelle-Angleterre et de New York). Suivant la théorie la plus répandue, l'appellation résulterait de l'altération du mot English dans certains parlers amérindiens. Américains ou États-Uniens? La palette verbale des francophones ne se révèle pas moins riche que celle des anglophones du point de vue du provignement gentiléen. Toutefois, la fantaisie n'est pas au rendez-vous, étant donné que la plupart des propositions avancées ou des formes usitées ont été tirées d'Amérique, d'États-Unis ou de Yank, dans un autre registre cependant pour ce dernier cas. La panoplie des dérivés qui prennent pour base le toponyme Amérique paraissent tantôt un tantinet recherchés tels Américanien, Américunien, tiré d'Amérique-Unie (Rigaud, 1967 :718), ou encore neutres et de bonne frappe comme Américain (1838), orthographié anciennement Amériquain, Américain du Nord, Nord-Américain, sous l'empan duquel on ne range pas les Canadiens ou encore Américois (Médard, 1990 : 22). Pour sa part, le vocabulaire de l'argot, suivant sa nature généreuse et libre, a entraîné la formation d'une série de dérivés à connotation péjorative comme Amerlaud, Amerlo, Amerloque, Amerlot, Amerluche, Amerloquin, Ricain, tiré d'Américain, etc. (Doillon, 1975 : 67). Pour ce qui est d'États-Unis, nom officiel du pays voisin, on en a tiré les dénominations États-Unien, la plus près graphiquement du toponyme souche, dont les éléments sont tantôt

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soudés comme dans Étatsunien, Étasunien ou disjoints comme pour États-Unisien, sans compter la coquetterie de nature phonétique Étazunien (Robert, 1985, 4 : 177). On a poussé le mimétisme jusqu'à former certaines appellations sur la dénomination anglaise de United States, qui a donné naissance à Unistatais, Unistatien et, dans une moindre mesure, à Unitin, Usan et Usanien (C.N., 1912 : 367 et Quidonc, 1912 : 467). Le constituant States a, pour sa part, provoqué l'émergence de Statien, peu heureux sur le plan euphonique, et de Stateunien ainsi que Statunien qui résultent de la permutation des deux éléments constitutifs du nom du pays. On ne pouvait pousser plus loin le jeu verbal sans risquer de tomber dans le ridicule gentiléen le plus complet D'un point de vue historique, les appellations Bastonnais et Bostonnais étaient appliquées par les Canadiens aux habitants des colonies anglaises, les Américains d'alors, jusqu'au premier quart du XIXe siècle, alors que les écrivains français identifiaient comme Bostoniens les membres de la population américaine de la Nouvelle-Angleterre (Clapin, 1901 : 191 et Suite, 1919 : 6). Clapin (1974 : 38) signale que les plans d'attaque étant préparés en Nouvelle-Angleterre, la dénomination Boston(n)ais, usitée lors de l'Invasion américaine de 1775, trouvait ainsi sa justification sémantique. À l'instar des anglophones, le mot Yankee, qui identifie d'abord les soldats de la NouvelleAngleterre, puis les colons anglo-saxons de cette région, avant d'être étendu à l'ensemble des habitants du pays dès 1784 (Rey-Debove, 1980 : 1118-1119), est, de nos jours, employé dans des contextes flétrissants. Il a donné naissance à moult variantes dont Yank, Yanké, Yankey, Yanki et Yanqui demeurent les plus fréquentes. En regard de la situation qui prévaut pour American et consorts en langue anglaise, on peut constater qu'en français la concurrence entre Américain et États-Unien se révèle davantage vive. Bien que le gentilé Américain demeure la forme courante en usage, la plupart des ouvrages lexicographiques signalent également Éta(t)sunien, dénomination davantage exacte. Ce trop bref panorama d'une situation exceptionnelle d'identification illustre à l'envi le poids de l'usage en matière des dérivés de noms de lieux que forment les gentilés. Malgré que l'impropriété du terme soit évidente, Américain s'est maintenu contre vents et marées, fort d'une implantation ancienne tant dans la langue de Shakespeare que dans celle de Molière. Ni le nombre de suggestions ni l'astuce démontrée parfois dans les propositions de substitution n'ont réussi à éroder de manière significative le poids de cette dénomination, excepté peut-être en français où Éta(t)sunien gagne sans cesse des points, surtout au cours des dernières années, sans toutefois parvenir à la déloger vraiment. On peut établir un parallèle avec le gentilé Québécois qui sert à désigner à la fois les habitants de la province et ceux de la ville de Québec, le contexte permettant d'effectuer une distinction sans équivoque. Toute tentative d'apporter un correctif à cette situation, notamment en recourant à des graphies différentes comme Québecquois et Québécois, a été vouée à l'insuccès. De toute évidence, il apparaît comme souhaitable que la forme États-Unien ou Éta(t)sunien supplante un jour Américain, étant donné qu'elle reflète mieux le nom du pays, ce que l'italien a compris avec Statunitense et l'espagnol avec Estaduniense. De plus, l'adjectif américain subit

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parfois la rude concurrence de U.S., employé également comme qualificatif (le dollar U.S., la politique US.), et que pallierait avantageusement le lexème étatsunien. Il convient, dans ce contexte, de laisser jouer les forces internes de la langue qui, on a pu le constater, sont peu enclines à subir des pressions de l'extérieur, fussent-elles exercées par des personnes ou des langagiers de renom. En matière de gentilé, l'acceptation par les usagers d'une forme nouvelle ou l'adoption d'une appellation modifiée constitue une condition indispensable à son intégration permanente à l'usage. À titre de volet important du patrimoine culturel d'un peuple, le nom collectif qui l'identifie a largement droit à notre respect non interventionniste.

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Luis Fernando Lara Ei Colegio de México

La complejidad léxica del español contemporáneo, desde el punto de vista internacional

1. La lengua española llegó a América en 1492 y en menos de un siglo ya se había impuesto no sólo como lengua de la administración colonial, sino sobre todo como lengua materna de los nuevos pueblos que se formaban por la mezcla de españoles, indios y negros. Tres siglos después de iniciada la colonia española en los territorios mesoamericanos que hoy forman México, por ejemplo, cerca del 40 % de sus habitantes era hispanohablante, mientras todavía el 60 % era de indios que hablaban más de setenta lenguas diferentes.1 La lengua española, sin embargo, era ya la lengua dominante por la coerción del Estado, que la imponía como obligatoria a todos los habitantes de la Nueva España, así como por su carácter de lingua franca entre ellos, una vez deshancado el náhuatl de su antiguo papel, y por el hecho histórico de que las autoridades coloniales eran españolas, la economía dependía totalmente de la explotación y la producción dirigidas por criollos, y la vida popular de las ciudades era mestiza. A tres siglos de distancia de la conquista de la Mesoamérica mexicana, se había formado ya una nueva nación, distinta de la española y de las amerindias que le dieron origen. La lengua española se convirtió en la base de esa nueva nación. Lo que sucedió en territorio mexicano ocurrió de manera muy semejante en cada uno de los territorios conquistados por España en América. Las diferencias que hay entre ellos son de época de colonización, de densidad poblacional y de contacto económico con la metrópoli española. Cinco siglos después de la Conquista, hay en América 19 estados nacionales cuya lengua materna mayoritaria es el español. Es decir, el español es lengua nacional de 19 países hispanoamericanos. Para todos ellos, incluso para Guatemala, el Perú y Bolivia, que tienen altos porcentajes de habitantes hablantes de lenguas amerindias, su identidad como países es una identidad establecida por la lengua española, como base de todas sus herencias históricas, tanto sociales, como políticas, económicas y jurídicas. De ahí el carácter de lengua nacional que reviste el español en todos ellos, independientemente de la manera en que reconozcan y respeten a sus minorías lingüísticas.

1.1.La lengua española traída a América hace cinco siglos evolucionó de maneras relativamente distintas en cada región americana : las capitales virreinales, como México y Lima, no solamente desarrollaron normatividades de carácter culto de su lengua, sino que además extendieron su Según el censo mexicano de 1810. Cf. Lara/Zimmermann (1988).

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influencia sobre los territorios cuya conquista partió de ellas (en el caso de México, particularmente el norte del trópico de Cáncer, hasta Nuevo México, Colorado y Texas). Las islas de las Antillas y las costas atlánticas adquirieron su personalidad lingüística del contacto permanente con Andalucía, condicionado por el comercio y la inmigración española hasta este siglo. Centroamérica, aislada por el Atlántico debido a la inclemencia de sus regiones costeras, a la agresividad de miskitos, suras y otros pueblos que la habitaban, y a la amenaza de los piratas jamaiquinos, evolucionó alejada de las cortes virreinales, en un territorio poco poblado y de menor interés económico para la metrópoli. La región del río de La Plata, por su parte, a sus características atlánticas agregó las inmigraciones española, italiana y de otras regiones europeas a la determinación de sus maneras de hablar y de valorar sus hablas. En fin, cada una de estas evoluciones dio un carácter particular al español que se habla en Hispanoamérica. Produjo variedades nacionales de la misma lengua histórica.2

1.2. La metrópoli española, que nunca se dio cuenta cabal de lo que había y se desarrollaba en América, más interesada en la explotación de la riqueza americana para sostener sus intereses europeos que en comprender las naciones que se gestaban en ella, jamás pudo reflexionar el sentido de sus relaciones con esos territorios, ni la vida propia que iban adquiriendo delante de ella. La idea de la lengua en España se cristalizó demasiado pronto en una concepción unitaria y centralista, regida por la ideología del imperio y administrada por la Real Academia Española. En América, la misma idea metropolitana de la lengua se fue extendiendo, ante todo por la soberbia de las autoridades coloniales recién llegadas de España, que discriminaban las formas de hablar de criollos y mestizos; pero también porque las naciones hispanoamericanas aceptaron su «desvío constitutivo» de las normas españolas. Las variedades nacionales de Hispanoamérica se volvieron variedades «provinciales». Cuando discrepaban de la evolución lingüística peninsular, se censuraban como barbarismos; cuando, sobre todo en el léxico, designaban realidades propias de esas naciones o regiones, no se censuraban, sino que se marcaban de pintoresquismo; cuando se conservaban por más tiempo de lo que se conservaban en España, se caracterizaban como arcaísmos.

1.3. El español internacional contemporáneo, por lo tanto, aunque existe y se comprueba su existencia con sólo viajar de un país a otro, no tiene una identidad reconocida por todos y armonizada entre todos. Para la Península Ibérica el único «castellano» reconocido (el nombre de «castellano» lo establece la nueva Constitución española; para México sigue llamándose «español») es el que fija la Academia madrileña, de acuerdo con criterios que nunca han sido suficientemente equitativos, claros y objetivos. El resto de las hablas castellanas de la Península 2

Es muy larga la lista de obras dedicadas a las características contemporáneas del espafiol americano, así como al polémico asunto de sus orígenes. A pesar de todo lo que se ha escrito, hace falta una visión de conjunto basada en estudios cuidadosos de los hechos históricos, demográficos, culturales y geográficos que explican la evolución de la lengua española en América. Véase entre tanto, Lapesa (1984) y Moreno de Alba (1988), así como Canfield (1982), Lara (en prensa), Menéndez Pidal (1967), y Zamora Munné/Guitait (1982).

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forma una oscura masa cuya realidad contemporánea apenas se conoce. El reconocimiento del español «americano» en España depende de las mínimas aportaciones de datos de las Academias americanas correspondientes de la española, la mayor parte de las cuales no es capaz de emprender un estudio serio de sus vocabularios. Para cada país hispanoamericano, por su parte, hay diversos grados de esquizofrenia entre el vocabulario «sancionado» por la Academia Española y el vocabulario que efectivamente se usa en ellos, excepto el caso de los «americanismos», que, por pintorescos y por corresponder a valores nacionales (como el indigenismo en México), se aprecian a pesar de la sanción académica. Pese a todo ello, se han desarrollado fuertes variedades nacionales del español, todavía no reconocidas en sus verdaderas proporciones, pero que determinan el aspecto que tiene la lengua española en el campo internacional.

1.4. En este trabajo me propongo establecer los marcos generales de caracterización del léxico del español internacional o, mejor dicho, de la lengua española en su globalidad, con el objeto de aclarar los derroteros que tendrían que seguir los estudios que hacen falta para conocerla con suficiente precisión, así como los criterios que deberían tomar en cuenta tanto la lexicografía hispánica contemporánea, como la elaboración de obras de consulta multilingiies interesadas en incluir el español en ellas, y el planteamiento de cursos para la enseñanza de la lengua española en el extranjero.

2. El léxico hispánico contemporáneo se puede considerar desde cuatro puntos de vista por lo menos : a) el de la existencia de un vocabulario efectivamente pan-hispánico, que es el que posibilita la existencia de un español internacional; b) el de la realidad inmediata de los vocabularios nacionales de cada país hispanohablante, que sin embargo pueden formar parte de vocabularios más amplios, correspondientes a regiones históricas; c) el de la presencia de vocabularios efectivamente exclusivos en cada país o en cada región histórica; y d) el del papel que juegan hoy en día los vocabularios especializados, ya sea en cada país o, en ciertos casos, de carácter internacional.

2.1. El léxico pan-hispánico debe estar formado por la intersección de todos los léxicos existentes en todas las regiones hispanohablantes. Los llamados «vocabularios fundamentales»3 son el conjunto mínimo de una intersección de esa clase, mientras que el conjunto más interesante sería

No hay una definición única de lo que es un vocabulario fundamental. Se entiende que forman parte de este conjunto todos los vocablos necesarios para poder articular una oración en espaflol. De ahí que formen parte de él todas las voces correspondientes a paradigmas cerrados (artículos, pronombres, preposiciones, etc.), asf como cierta cantidad de nominales y verbos. La manera de definir un vocabulario fundamental que nos ha parecido más segura, ha sido la de considerar, en una exploración cuantitativa del léxico del espaflol mexicano, la acumulación del 75 % del total de ocurrencias en el corpus, que nos da 1 131 vocablos para el espaflol mexicano. Cf. Lara (1979 y 1990) para detalles de cómo se hizo el cálculo y qué resultados se obtuvieron.

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aquel que pudiera reunir el léxico activo entre todos los hispanohablantes junto con el léxico pasivo en todos ellos.

2.1.1. Por el momento se ha avanzado en cierta medida en el reconocimiento de un español pan-hispánico fundamental, basado en varias investigaciones cuantitativas del léxico de la lengua española. Las más modernas, cuyos métodos de trabajo han sido mejor establecidos son la de Juilland/Chang-Rodríguez (1964), la de Lara/Ham (1974) y la de Morales (1986). De su comparación se puede discernir un vocabulario fundamental entre los tres países que representan : España, México y Puerto Rico respectivamente. Este vocabulario fundamental presenta poca disparidad entre países en el rango de 1000 vocablos; su divergencia crece relativamente poco hasta el rango de 5000 vocablos. Así por ejemplo, el que determinamos en el español mexicano (1131 vocablos) difiere solamente en 132 vocablos del que determinaron Juilland y Chang-Rodríguez, por lo que el porcentaje de coincidencia entre ambos es del 90,08 %. Una comparación somera de los resultados entre esas tres investigaciones indica que la coincidencia entre los tres vocabularios fundamentales es del 87,09 %; entre el español mexicano y el puertorriqueño la coincidencia en ese conjunto es del 91,32 %, en tanto que el puertorriqueño y el peninsular coinciden en un 92,78 %.4 Si los vocabularios fundamentales de los otros 16 países tienen las mismas características, se podrá concluir en un solo vocabulario fundamental pan-hispánico, de gran importancia para el conocimiento y la enseñanza del español internacional.

2.1.2. Pero lo que seria deseable sería un conjunto máximo, formado, como se dice antes, por el vocabulario activo y el vocabulario pasivo comunes a todos los hispanohablantes, que podría constar de varios miles de voces más que el vocabulario fundamental. El establecimiento de un conjunto tal impone dos clases de dificultades prácticas : de un lado, para reconocer el léxico activo, se requiere contar con grandes levantamientos de datos léxicos en cada país o en cada región del mundo hispánico, que provean a la investigación de varios miles de vocablos, entre los cuales se pueda discernir una intersección lo suficientemente grande como para asegurar una representación suficiente del vocabulario común a todos los hispanohablantes, es decir, del léxico verdaderamente internacional. Aunque difícil, por requerir del concierto de varios equipos de investigación en todos los países hispanohablantes, y relativamente menos por el gasto que implica una investigación comparativa de esas grandes dimensiones, llevar a cabo una determinación internacional del vocabulario activo entre todos los hispanohablantes es una tarea ya iniciada : el Diccionario del español de México propuso en 1988 el Proyecto de elaboración de corpora nacionales o regionales del español contemporáneo a varios colegas hispanoamericanos y españoles. Este proyecto plantea que, cuando se llegue a contar con corpora de datos

4

Los cálculos los ha hecho mi compañera de trabajo Luz Fernández. Hay que considerar que los criterios de lematización entre los tres estudios son distintos, por lo cual habrá leves variaciones en estos resultados cuando se sometan a un solo criterio de identificación de vocablos.

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contemporáneos cercanos a los dos millones de ocurrencias de palabras en cada país o en cada región, se podrán efectuar las comparaciones internacionales e interregionales que hacen falta para conocer el léxico activo pan-hispánico. El primer estudio terminado para ese proyecto - en realidad, el que dio origen a la idea - es el Corpus del español mexicano contemporáneo (1921-1974) del Diccionario del español de México·, actualmente se están elaborando el Corpus integral del español de Chile, dirigido por Leopoldo Sáez Godoy, y el corpus correspondiente de España, que dirige Nelson Cartagena. Una vez que se logre extender el proyecto al resto de los países hispanohablantes estaremos en mejores posibilidades de establecer un vocabulario pan-hispánico basado en la realidad y no en la imposición académica.

2.1.3. Del otro lado, el léxico pasivo debe ser parte muy importante del español internacional, pues es el que se aprende con la lectura y, para ello, los sistemas educativos de los países hispanohablantes enseñan casi el mismo cánon de obras literarias hispánicas, sin distinguir, más que con finalidades de localización geográfica y de identidad nacional, su procedencia específica. Es así que no sólo la literatura española de los Siglos de Oro, sino también la contemporánea, junto con la argentina, la mexicana, la cubana, etc., contribuyen a enseñar un léxico común que, aunque no se utilice en cada región específica, es parte del acervo pasivo general de los hispanohablantes. Sin duda ese léxico se refleja en los corpora cuantitativos, pero queda alguna cantidad que no se recupera nunca. El problema práctico de investigar este último componente del español internacional es el procedimiento para lograrlo y todo apunta a que es imposible. 2.2. Se conocen muy poco los vocabularios nacionales de los países hispanohablantes. Ello se debe al predominio de la visión centralista española que, mediante el papel que juega la Academia Española en todo el mundo hispánico, inhibió el estudio de las variedades nacionales en su léxico, para favorecer la ilusión de que el Diccionario de la lengua española de la Academia (DRAE) representa a un español común y general a todas ellas. De ahí que la única posibilidad que se ofrecía históricamente a la lexicografía americana era el estudio de los regionalismos, caracterizados precisamente por su ausencia en el DRAE,3 con lo que el único conocimiento del léxico con que se cuenta en Hispanoamérica es el diferencial y no el que efectivamente se utiliza en la vida cotidiana de cada país.

2.2.1. La tradición «diferencialista» es la más extendida en Hispanoamérica. Casi todos los países hispanoamericanos cuentan con diccionarios de sus regionalismos. Desde el de Antonio de Alcedo (1789) hasta los contemporáneos de Tejera (1984) en Venezuela, Morales/Quiroz/Peña (1984) en Chile y la red del Nuevo Diccionario de Americanismos que dirigen Günther Haensch y Reinhold Werner (1978). Estos diccionarios registran palabras que, por no estar incluidas en el DRAE y por documentarse en cada país en particular, parecen ser exclusivas de cada uno de 5

Cf. Haensch (1984) y Sala (1982).

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ellos. Naturalmente que, basados solamente en la ausencia de registro en el DRAE, suelen considerar regionalismos exclusivos de un solo país muchos vocablos que realmente forman parte de muchos otros vocabularios regionales como, por ejemplo, sucede con abaratar 'hacer disminuir el precio o la calidad de alguna cosa', abarrote 'artículo de consumo doméstico', abofetear 'dar bofetadas', abriles 'años (de una persona)', acarrear '2.conducir a alguien, sin su deseo, a alguna parte', cachar 'coger alguna cosa en el aire', caché 'lucimiento, prestigio o distinción de alguien o algo', y cardán 'cierto engranaje', que el Diccionario ejemplificado de chilenismos (Morales/Quiroz/Peña 1984) registra como chilenismos, aunque también sean comunes, por ejemplo, en México. Mientras no haya una base documental suficientemente grande en todo el mundo hispánico, que permita hacer comparaciones entre países, hablar de regionalismos exclusivos será siempre provisorio y no se podrán sacar conclusiones definitivas para la enseñanza del vocabulario de la lengua española, ni para su inclusión en diccionarios multilingues. No obstante, la valiosa documentación de usos regionales en Hispanoamérica que se puede encontrar en esas obras constituye un aporte al conocimiento verdadero del español internacional que no se puede negar y que, por el contrario, encontrará su plena significación cuando se conozca el léxico efectivamente pan-hispánico.

2.2.2. Hasta hoy, el único diccionario orientado al registro de un vocabulario nacional es el Diccionario del español de México (DEM), que venimos elaborando desde hace veinte años. Basado en el Corpus al que se hace referencia más arriba, es el primer estudio integral de la lengua española tal como se usa en un solo país. Tendrían que elaborarse diccionarios semejantes a éste en cada país hispanohablante, al menos en su orientación y en el tipo de base documental que tiene, para poder llegar a establecer las comparaciones necesarias, que permitan delimitar un léxico pan-hispánico y los vocabularios regionales del español en América (por ejemplo, vocabulario común entre México y Cuba, México y Centroamérica, etc.), así como las voces exclusivas de cada país. Los vocabularios nacionales presentan una notable variedad. A manera de ejemplo, considérense algunas voces con que se designan objetos domésticos entre España y México : es bien sabido que el hormigón español, con que se construyen muchas casas, es el cemento mexicano; del mismo modo, un tabique español es un muro mexicano, pero en este caso, en México se usa también la palabra tabique, sólo que para designar al ladrillo español (que también es la voz del español general culto). Lo que para España es una bañera, para México es una tina, así como la piscina española es una alberca mexicana. La ducha española es la regadera mexicana; los grifos de agua españoles son las llaves mexicanas. El pavimento de una casa española es el piso mexicano, pues en México pavimento es el piso de una calle. La moqueta española es una alfombra mexicana; el somier español es un tambor mexicano. Con sólo este puñado de ejemplos se puede ver hasta qué punto los vocabularios de la vida cotidiana difieren entre dos países, al grado, por ejemplo, de que una oración como la siguiente (tomada de una revista española de decoración) es incomprensible en México : «Un lavabo se encastró en la encimera alicatada en azul» (habría que «traducirla» en México como «Un lavabo se empotró sobre la plataforma

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revestida con azulejos de color azul»). Si las autovías españolas tienen badenes a los lados, por donde circulan autobuses, coches y muchos tipos de camiones cargados de mercancías, en las autopistas mexicanas hay cunetas y junto con los coches circulan sobre ellas camiones de pasajeros, trocas (en el norte de México) y materialistas (camiones de carga de materiales). En México, las llantas de los automóviles son los neumáticos de hule que se sobreponen a lo largo del rin y sufren ponchaduras de vez en cuando. En España, llanta parece ser tanto el rin mexicano - la rueda - como el neumático, y se pincha. Se podrían multiplicar enormemente los ejemplos de divergencia entre estos dos países, sin hacer intervenir los vocabularios nacionales de los otros 17 países. ¿Cómo seguir creyendo que se puede hablar de un español internacional sin tomar en cuenta estas divergencias y sin buscar en qué medida hay unidad o cómo resolver la disparidad? De igual importancia que las diferencias de vocabulario entre países es la imposibilidad de determinar una norma de vocabulario para todos los hispanohablantes; es decir, los vocabularios nacionales están tan arraigados (aunque parezca una perogrullada decirlo), que sus hablantes no admiten la imposición de otros vocabularios, así lleguen con la sanción de la Academia Española. Por este motivo no es posible en este momento hablar de un vocabulario realmente pan-hispánico que rebase el límite de lo fundamental. Su establecimiento, a pesar de las Academias de la lengua, no puede ser efecto de una imposición ni de una convención, sino de una determinación comparativa de la realidad entre todos los países hispanohablantes, considerados como iguales entre sí. Hay que considerar al mundo hispánico, en consecuencia, una comunidad lingüística multicéntrica, sobre la cual es imposible imponer un solo vocabulario global y, por lo tanto, ajustar las obras de consulta a esa variedad (haciendo uso, por ejemplo, de bases de datos multirrelacionales en las computadoras) y junto con ellas los cursos de enseñanza del español en el extranjero.

2.2.3. Es muy probable que haya vocabularios nacionales que puedan subsumirse en un vocabulario general de una región histórica. Una historia común, por ejemplo la de Centroamérica o la de la cuenca del río de la Plata, puede haber dado lugar a un vocabulario regional compartido por dos o más países. La investigación comparativa entre países podría dar como resultado el establecimiento empírico de esas grandes regiones, lo cual contribuiría a facilitar la enseñanza de un español internacional.

2.3. La investigación de regionalismos exclusivos de cada país, a la que se ha dedicado históricamente la lexicografía hispanoamericana, muestra la existencia de vocabularios regionales dentro de los países. Esos vocabularios obedecen a las diferencias de población y de colonización que se dieron en cada región. En México, por ejemplo, la península de Yucatán tiene una fisonomía léxica propia, derivada de la presencia adstrática de la lengua maya yucateca y de las características de su colonización desde mediados del siglo XVI. Otra región bien caracterizada es la que une al estado mexicano de Chiapas con Guatemala, Honduras, El Salvador y Nicaragua,

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que formaron parte de la Audiencia de Guatemala durante la Colonia. La separación de Chiapas de Centroamérica en 1821 no alteró demasiado su vocabulario regional centroamericano. La investigación regional interna de cada país requiere trabajos de levantamiento de datos muy específicos, sobre todo si se considera que el regionalismo se mantiene mejor en la lengua hablada que en la escrita. Correspondería su realización a la dialectología, pero ésta tendría que reorientarse en Hispanoamérica hacia la búsqueda de lo diferencial y del valor etnográfico, en vez de guiarse por los intereses tradicionales de la lingüística histórica española. Hay varios diccionarios de regionalismos en cada país hispanoamericano. En México, por ejemplo, hay diccionario de sonorensismos (Sobarzo, 1966), sinaloensismos (Esqueda, 1981) y colimotismos (Reyes, 1989), dedicados al vocabulario diferencial de los estados de Sonora, Sinaloa y Colima respectivamente. Estos diccionarios adolescen de dos tipos de defectos : de un lado, su doble dependencia de los registros del DRAE y de los diccionarios generales de regionalismos (en México, el Diccionario de mejicanismos de Santamaría, 1959) para determinar el valor diferencial del vocabulario que recogen; del otro, su concepción por divisiones políticas (Estados federales), que no corresponden a fronteras dialectales. El trabajo comparativo entre diccionarios americanos de regionalismos ha avanzado sobre todo con los estudios del grupo de la Universidad de Augsburgo, que dirigen Haensch y Werner. Datos comparativos importantes anteriores al trabajo antes citado se encuentran en Sala et al. (1982), aunque con la limitación constitutiva de tomar como punto de referencia el DRAE. Desde el punto de vista del español internacional que interesa a la lexicografía multilingue y la enseñanza de segundas lenguas, el papel del regionalismo interior a cada país es secundario, aunque su estudio forma parte del mismo proceso de determinación del léxico pan-hispánico que se ha venido considerando.

2.4. De manera relativamente independiente a la existencia de unidades nacionales y regionales del léxico hispánico contemporáneo, el vocabulario especializado adquiere cada vez mayor importancia. Así, como se dijo antes, el vocabulario culto es más homogéneo en el mundo hispánico que el coloquial y popular. Pero en el vocabulario culto hay que distinguir entre el de las humanidades, en particular el literario y el jurídico, y el vocabulario de carácter terminológico de las ciencias y las técnicas modernas.

2.4.1. El vocabulario literario conserva sus tradiciones hispánicas generales y es el que sirve de norma, por ejemplo, en la traducción al español desde lenguas extranjeras;6 el jurídico, ligado a las instituciones del derecho español que heredaron los países hispanoamericanos, conserva notable unidad en todos ellos. En cambio, las terminologías científicas y técnicas presentan una preocupante heterogeneidad, tomando en cuenta que en esos campos lo que interesa socialmente 6

Aunque hay diferencias importantes entre los traductores hispánicos. Suele suceder que el traductor espaflol confunda un vocabulario culto general con el que se utiliza en España, con lo que se encuentran traducciones literarias poco comprensibles en Hispanoamérica. Un traductor hispanoamericano, en particular un colombiano o un mexicano, suele tener mayor cuidado en la selección de vocabulario general.

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es una convención uniforme, que garantice la comunicación técnica y las relaciones tecnológicas y comerciales entre los países hispánicos y el resto del mundo. Es un hecho histórico que los vocabularios científicos hispánicos no tuvieron el mismo desarrollo que los de otras lenguas como el francés, el inglés o el alemán. Por diversas condiciones políticas y religiosas, que ojalá se sometan a un estudio más profundo en España y en otros países hispanoamericanos, las ciencias modernas se extendieron tarde por los territorios hispánicos y no participaron en la creación de los neologismos que requerían.7 Por tal motivo, la cultura hispánica contemporánea sólo tiene un núcleo terminológico común a todas sus regiones cuando se trata de las ciencias que se desarrollaron desde los siglos XVII y XVOI, como la biología y la física, cuyas terminologías son fundamentalmente de raíz grecolatina. En cambio, cuando se trata de ciencias más modernas, cuyas terminologías proceden de lenguas modernas como el inglés, el francés o el alemán, cada país sigue las corrientes terminológicas que le dictan las influencias científicas a que está sometido : los Estados Unidos de América, Inglaterra, Francia. (Habría que estudiar ahora la influencia del ruso en el español científico cubano.) De ahí que la terminología científica hispánica sea caótica e impida, en realidad, la comunicación entre científicos hispanohablantes de diferentes países.8 En las ciencias contemporáneas y en las investigaciones llamadas «de frontera», casi no hay un vocabulario hispánico común. Y aun cuando, por ejemplo, en España, hay una clara conciencia de las dificultades terminológicas contemporáneas (Martín Municio, 1991), no parece haberla ni allí ni en otros países hispanohablantes en cuanto se refiere a la necesidad de un vocabulario científíco pan-hispánico, elaborado sobre las mismas bases de reconocimiento de la pluralidad de centros de irradiación lingüística que he venido postulando en este trabajo. Lo mismo sucede en los vocabularios de las técnicas. Las tradicionales, como la navegación a vela, la construcción de pequeñas embarcaciones de madera, la albañilería o el cuidado del ganado, conservan un vocabulario relativamente común. Las modernas, como la navegación actual, la ingeniería, el cine, la televisión o la electrónica, no solamente sufren las mismas dificultades que las ciencias, sino que además agregan el hecho, muy común en Hispanoamérica, de que los técnicos que se dedican a esos trabajos tienen poca educación formal y más bien han aprendido a trabajar en la práctica; como se dice en México, son «empíricos» o «líricos». Eso hace que la mayor parte de los vocabularios técnicos contemporáneos sean dobles : una versión culta, que procede de las escuelas técnicas y de los inventores de la técnica, y otra popular, que se gesta en el trabajo mismo. Entre ambas, difícilmente hay comunicación. He aquí una somera comparación entre los vcabularios del cine entre España y México (Carderò, 1989; cito primero 7

8

Cf. Lapesa (1984: 429), citado por Martín Municio (1991 : 5) : «En la mayoría de los casos, como consecuencia del inmovilismo filosófico y científico de nuestro siglo XVII, y a causa también del vigor expansivo de la Ilustración europea, la renovación del vocabulario cultural espaflol se hizo por trasplante del que había surgido o iba surgiendo más allá del Pirineo, aprovechando el común vivero grecolatino.» Algunos ejemplos : hay titubeo entre científicos a propósito de la versión hispánica de Eigenwert a veces traducida como Eigen-valor, a veces como valor propio·, el spin de la física nuclear es a veces spin, a veces espín, a veces giro; Martín Municio (1991) ofrece el caso complicado de esnurposoma, una versión española de un acrónimo inglés, que pierde toda transparencia en espaflol; hay países que habland de software, computadora y byte, mientras que otros optan por logicai, ordenador y octeto.

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los vocablos españoles y después los mexicanos) : plató/foro

o set;

claqueta/pizarra;

paellera/cazuela o skypan; a ello hay que agregar la terminología popular de los técnicos del cine que, en México, han creado nombres para diversos tipos de reflectores : bote, cazuela, chupi y diabla, bajo la consideración de la forma de su pantalla (cazuela y chupi) y del calor que producen (bote y diabla). El problema se ve aumentado por el hecho de que, ante la diversidad de las terminologías técnicas, cada vez más cientíñcos y técnicos optan por desarrollar sus comunicaciones en inglés. Para las culturas hispánicas este hecho, que tiende a producir una diglosia en que el inglés sea la lengua de la comunicación científica y técnica y el español un conglomerado de tecnolectos sin comunicación entre sí, es una verdadera amenaza. Hasta ahora, aunque haya coincidencias parciales en los vocabularios especializados de cada país hispanohablante con algún otro, el panorama que ofrecen es de dispersión; y una dispersión que no corresponde a las evoluciones históricas del español, sino a la influencia de los diversos centros mundiales de irradiación científica y técnica. Ello viene a agregar una dificultad más al reconocimiento de un español internacional, y vuelve todavía más difícil esperar que exista una obra de referencia válida para todos los hispanohablantes, así como que sea posible enseñar un español científico y técnico común válido para todos nuestros países. Las tareas de la lexicografía y la terminografía hispánicas son, en consecuencia, enormes y además urgentes.

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Quelles sont les suites à l'avis du Conseil de la langue française sur l'aménagement de la langue? En acceptant la présidence du Conseil de la langue française (CLF), je m'étais donné comme premier objectif de poursuivre les travaux déjà nombreux qui renforçaient le volet du «statut» de la langue au Québec et à y émettre des avis tout aussi pertinents. Mes prédécesseurs, messieurs Jean-Denis Gendron, Michel Plourde et Jean Martucci avaient placé le Conseil de la langue française au centre du débat linguistique et avaient donné une forte crédibilité aux prises de position de cet organisme conseil auprès de l'État québécois. Spécialiste dans le domaine de la linguistique, je me devais d'apporter une contribution personnelle et significative au volet «qualité» de la langue au Québec. C'était mon second objectif de départ au Conseil. En effet, l'aménagement interne de la langue n'avait pas reçu toute l'attention voulue; durant les dix premières années de son existence, le CLF s'était surtout occupé à promouvoir, à juste titre d'ailleurs, l'existence et la survie de la langue française au Québec. Quelques études sur la «norme» du français au Québec avaient paru, mais n'avaient pas donné lieu à un avis sur le sujet ni à un plan d'actions quelconque. En janvier 1988, je suis donc anivé au Conseil avec le dessein de mettre sur pied un projet de recherche et la rédaction d'un avis visant l'aménagement inteme de la langue. Voulant cependant vérifier la pertinence de mes quelques réflexions préliminaires, je rédigeai un premier document de travail et le montrai au conseiller cadre rattaché au Conseil, monsieur Jean-Claude Corbeil. Je me suis vite rendu compte que Jean-Claude Corbeil et moi-même partagions la conviction profonde que les Québécois devaient se doter de leurs propres outils langagiers, de façon à refléter fidèlement le français standard d'ici et la variation sociolinguistique du Québec. Les nombreuses discussions que nous eûmes par la suite à ce propos me confirmèrent que nous avions tous deux des points de vue communs ou fortement convergents sur ce dossier. Un comité d'études fut créé par le Conseil et l'Avis sur «L'aménagement de la langue : pour une description du français québécois» fut rendu public en mai 1990, c'est-à-dire quelques mois avant la fin de mon mandat La diffusion de cet Avis fut immédiat et la réception fut unanimement favorable si, bien entendu, on ne compte pas l'exception qui confirme la règle. Le ministre responsable de l'application de la Charte de la langue française, monsieur Claude Ryan, trouva intéressantes les propositions du Conseil et confia le mandat d'une vaste consultation québécoise à messieurs Jean-Claude Rondeau, alors Secrétaire au Secrétariat à la politique linguistique du Québec, et Guy Dumas, appartenant au même Secrétariat. Plus d'une trentaine de personnes furent interrogées, dont un certain nombre de linguistes d'universités québécoises enseignant ou faisant

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des recherches sur le français québécois et d'autres figures bien connues du dossier linguistique du Québec (journalistes, sous-ministres, présidents d'organismes, etc.). Encore une fois, les réactions furent unanimes en ce qui a trait à la nécessité de créer un «fonds québécois de données linguistiques» (FQDL). Cette proposition du Conseil a été vue par toutes les personnes consultées comme l'étape prochaine et nécessaire dans le dossier de l'aménagement de la langue au Québec. C'était, rappelons-le, la recommandation essentielle de l'Avis du Conseil. Par contre, sur les questions du rattachement du Fonds à un organisme existant, les avis furent partagés : la question du «situs» était en effet très délicate. Le président de l'Office de la langue française, monsieur Jean-Claude Rondeau (l'ancien secrétaire), partagea l'avis du Conseil sur la nécessité que l'Office participe et soit membre actif dans ce projet. Néanmoins, il émit le souhait que l'Office n'en soit pas le lieu de rattachement ni même qu'il assume le rôle de maître d'oeuvre du projet. Le Conseil proposa l'IQRC (Institut québécois de recherche sur la culture) comme lieu de rattachement du projet : cette suggestion ne recueillit pas l'assentiment de tous les hauts fonctionnaires et spécialistes consultés. Il est vrai que cela signifiait que l'on ajoute un autre organisme responsable d'un volet du dossier linguistique du Québec. La suggestion qu'une université, par exemple, en devienne le lieu de rattachement ne créait pas moins d'opposition. La recommandation de rédiger le Dictionnaire général du français québécois ne recueillit pas, elle non plus, l'assentiment unanime, ni même les questions reliées au contenu de ce dernier (marques, norme du français standard d'ici, etc.). Mais ce dictionnaire, selon la proposition nettement formulée par le Conseil, ne venait qu'après la constitution du FQDL et devait être précisée tout au long de l'établissement du Fonds, qui s'échelonnerait forcément sur plusieurs années. Les discussions portant sur ce dictionnaire général étaient donc prématurées. Le rapport de cette enquête ne fut pas rendu public, mais nous savons qu'il concluait en faveur de l'avis du Conseil, au moins sur sa principale recommandation. Le pouvoir politique, plutôt sympathique au projet, accorda même des subventions (modestes) à deux universités (Laval et Sherbrooke) pour effectuer des travaux préparatoires à l'élaboration du FQDL. Malheureusement, le gouvernement ne donna pas d'autre suite au projet, faute d'argent disponible et, on peut le dire, par manque de volonté politique de doter le Québec dans l'immédiat de ce fonds documentaire. L'événement le plus marquant qui suivit fut la rencontre qui rassembla monsieur Bernard Quemada, vice-président du Conseil supérieur de la langue française (France), des représentants de la France, de la Belgique, de la Suisse, de l'Afrique, de l'Ontario, de l'Acadie et du Québec, les 4 et 5 mai 1991 à l'Université Laval1 : en tout, 44 personnes. Il s'agissait de linguistes intéressés à la question des banques de données et de ceux touchés par le dossier de l'aménagement de la langue au Québec. Le but de cette rencontre était l'étude du projet «Trésor informatisé des vocabulaires francophones» élaboré par monsieur Bernard Quémada. Dans le Quelques rencontres eurent lieu en Europe avant celle de Québec : elles réunirent les mêmes personnes provenant de l'extérieur du Québec et une seule personne du Québec, Claude Poirier, qui y participa à titre personnel.

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compte rendu de la rencontre, on écrit que les participants à la réunion se mirent d'accord sur les propositions suivantes : «a) L'assemblée demande au Secrétariat à la politique d'aviser le ministère des Affaires internationales de la volonté de la communauté scientifique concernée, du Conseil de la langue française et de l'Office de la langue française de participer au projet international d'un «Trésor informatisé des vocabulaires francophones». b) L'assemblée confie au Secrétariat à la politique linguistique la responsabilité d'un inventaire des ressources, des réalisations et des orientations de recherche des équipes de chercheurs québécois sur le lexique et sur les banques et bases de données. c) L'assemblée propose que le Secrétariat à la politique linguistique s'entende avec le ministère de l'Enseignement supérieur et de la Science pour proposer un plan de concertation des équipes après consultation auprès des chercheurs, des autorités universitaires, du Conseil de la langue française, de l'Office de la langue française et des aubes organismes éventuellement concernés. [...]».

La communauté des linguistes et lexicologues québécois a donc exprimé clairement sa volonté de collaboration entre eux et de participation à un projet général d'aménagement de la langue française au Québec : «Les propositions qui ont fait l'objet d'un consensus entre les participants, et que reproduit le compte rendu, sont les résultats tangibles de la volonté de collaboration qui anime les chercheurs et les divers autres intervenants intéressés par la mise sur pied d'une base de données linguistiques», lit-on encore dans la lettre de transmission du rapport de cette réunion. Cet événement fut important dans la mesure où la communauté scientifique concernée exprima à l'unanimité son accord au projet du CLF mais qui, par ailleurs, n'alla pas plus loin. En effet, les modalités de gestion difficilement discutables lors d'une telle rencontre internationale n'y furent pas abordées. Les propositions adoptées étaient essentiellement destinées au dossier préparatoire de la rencontre des pays francophones du Nord au chapitre des «Industries de la langue». Ce thème devait constituer en effet un point de l'ordre du jour de la IVe conférence des chefs d'État et des gouvernements des pays ayant en commun l'usage du français, réunion qui se tint au Palais de Chaillot, à Paris en novembre 1991. Malheureusement, ce point des «industries de la langue» ne fut pas inscrit au Sommet; le domaine des «industries de la langue», discuté aux Sommets précédents, n'apparut pas dans celui de Chaillot et ce fut la fin des subventions reliées à cet axe de développement et de coopération francophones. La rencontre de Québec fut donc sans lendemain et, malgré la volonté commune exprimée une fois de plus, la suite du projet redevint hypothétique. Dans la poursuite des propositions du CLF, on peut inscrire les séances de travail qui regroupèrent des linguistes de trois universités (Laval, UQAM et Sherbrooke), le Secrétariat à la politique linguistique, l'Office de la langue française et un représentant du ministère des Communications. L'objectif immédiat de travail consistait en l'élaboration d'un projet de mise en commun de données de textes scientifiques. Cette première mise en réseau de données textuelles scientifiques, une fois établie, aurait pu servir de point de départ à une éventuelle banque commune et élargie de données textuelles du français québécois. Ce projet était envisagé comme un banc d'essai aux modalités «techniques» et «politiques» du FQDL. Les questions du lieu d'implantation du centre serveur créa, bien entendu, des difficultés; la question de la composition du comité directeur n'était pas non plus chose facile à régler (une entente aurait pu cependant

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aboutir après quelques discussions supplémentaires), mais le projet s'arrêta net lorsque la question du financement reçut une réponse négative ferme du ministère de l'Enseignement supérieur et de la Science, seule source susceptible de financer un tel projet Les propositions de 1990 faites par le Conseil de la langue française n'ont donc pas eu, à ce jour, de suites concrètes. Est-ce à dire que cet avis n'était pas pertinent? En réponse à cette question, je crois nécessaire d'examiner la production lexicographique québécoise depuis mai 1990 et de se demander comment les ouvrages parus se situent par rapport à l'Avis du Conseil. Depuis lors, en effet, beaucoup de dictionnaires ont vu le jour au Québec. Je les répartirai en trois classes distinctes : les dictionnaires normatifs (le Multi et le Visuel), les dictionnaires descriptifs (le Dictionnaire des fréquences d'utilisation des mots en français écrit contemporain et le Dictionnaire de fréquence des mots du français parlé au Québec) et, en troisième lieu, le Dictionnaire du français québécois, qui est seul dans sa catégorie. Une «nouvelle édition mise à jour et enrichie» du Multidictionnaire des difficultés de la langue française (Québec/Amérique, 1324 pages, 1992) parut à l'été 1992. Une réédition, revue et augmentée, d'un dictionnaire montre le succès certain de cet ouvrage. Nous savons que ce dictionnaire des difficultés du français québécois est «populaire» et qu'il est largement utilisé dans le réseau scolaire québécois. Q faut reconnaître, à mon avis, que ce dictionnaire répond à un des besoins des Québécois en matière de langue reconnus par le Conseil : les Québécois ont de plus en plus le souci de bien écrire et l'alignement «sur la norme du français international» (Préface) constitue une forte tendance chez un vaste public québécois. En ce qui a trait aux spécificités du français québécois, l'auteure du Multi a suivi la politique de l'Office de la langue française, organisme normatif du Québec en matière de langue. Même si je regrette que les références au français standard d'ici ne soient pas plus nombreuses, j'admets que la nature essentiellement normative de ce type de dictionnaire ne permettait pas à l'auteure d'adopter une politique rédactionnelle très différente. Un autre dictionnaire connaît un vif succès au Québec : il s'agit du Dictionnaire thématique visuel de Jean-Claude Corbeil et d'Ariane Archambault (Québec/Amérique, 1992, 896 pages). Constitué d'un ensemble de termes renvoyant à des réalités matérielles ou concrètes, cet ouvrage prend davantage l'allure d'une liste terminologique que d'une description du lexique général de la langue. On pourrait penser qu'il a peu à voir avec la description lexicographique de la langue française au Québec : cependant, la question de la norme du français québécois se posait aux deux auteurs. Dans le domaine du hockey, par exemple, le vocabulaire est presque entièrement québécois. Par contre, la norme internationale (rappelons que ce dictionnaire vise un marché international) est tout aussi présente sinon plus; à la planche des panneaux de signalisation routière, par exemple, on y retrouve le mot international «stop» et non celui de «arrêt» propre au Québec. Ailleurs, il était difficile d'éviter la synonymie française/québécoise : voir, par exemple, l'appellation de certains animaux (élan et orignal, renne et caribou, cerf de Virginie et chevreuil, etc.), de pièces de vêtement (bonnet et tuque, moufle et mitaine, collant et bas-culotte, etc.), etc. Il ne faut pas manquer de voir les points communs entre ces deux ouvrages : ils représentent une langue dont la norme s'aligne clairement sur le français international; ils connaissent un grand

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succès auprès du public (2 e édition dans les 2 cas); finalement, ils sont tous deux basés sur une documentation importante (fichiers du Service de consultation de l'Office de la langue française et large éventail de lexiques différents). Il est intéressant de noter que ces ouvrages ont été écrits par des linguistes de Montréal. Estce un effet du hasard si un grand nombre d'ouvrages normatifs du Québec proviennent en effet de Montréal ou de cette région : Les anglicismes (1970) de Gilles Colpron, Dictionnaire des difficultés de la langue française au Canada (1967) de Gérard Dagenais et Le Petit Breton (dictionnaire scolaire, Éditions HRW, Montréal, 1990, etc.). Π est permis de s'interroger, en tout cas, sur ce qui, à mon avis, est plus qu'une coïncidence. Le contexte multi-culturel et plurilingue de Montréal apporte peut-être une explication à ce phénomène. Je crois que la forte présence d'immigrants à Montréal attire l'attention des linguistes de cette région du Québec et les amène à créer des ouvrages langagiers pour que les immigrants adoptent le français du Québec. Or les immigrants, on le sait, rejettent tout parler régional, tout «dialecte local» pour ne vouloir apprendre que le français international ou, tout du moins, un français qui se rapproche du français international. Il est tout aussi intéressant de noter par ailleurs que plusieurs des ouvrages de type descriptif (Atlas, glossaires, etc.) ou les dictionnaires du français québécois (par exemple le Plus et le DQA) ont été rédigés par des auteurs de Québec ou d'autres régions que celle de Montréal. On pourrait croire qu'à Québec, le français en usage étant en pleine sécurité et sûr de sa place «hégémonique» (Québec est la capitale du Québec, ne l'oublions pas), il peut s'imposer comme norme pour l'ensemble du Québec. En somme, à Québec, le point de vue sur le français québécois relève d'une certaine idéologie de la langue, non interventionniste, alors qu'à Montréal, la dimension sociolinguistique du français québécois prédomine et s'accompagne généralement d'une approche «aménagiste» de la langue. La deuxième série de dictionnaires parus depuis l'Avis du Conseil, sont deux ouvrages purement descriptifs. Le premier traite des Fréquences d'utilisation des mots en français écrit contemporain de Jean Baudot (Presse de l'Université de Montréal, 1992, 431 p.) et le second s'intitule Dictionnaire de fréquence des mots du français parlé au Québec (Peter Lang, New York, 1992, 767 p.) des auteurs Normand Beauchemin, Pierre Martel et Michel Théoret, tous trois professeurs à l'Université de Sherbrooke. Il s'agit, dans les deux cas, de dictionnaires de fréquence reproduisant fidèlement les données de corpus, l'un de textes journalistiques français et québécois et l'autre, de textes reflétant le français parlé au Québec (Montréal, Québec, Saguenay/Lac-St-Jean, Estrie et des textes radiophoniques, des téléromans, des monologues, des pièces de théâtre et des contes folkloriques du Québec). Ces ouvrages sont évidemment destinés à un public spécialisé de linguistes et d'universitaires. Ils apportent surtout des matériaux préalables et nécessaires à la description générale du français québécois. Grâce à de tels ouvrages (traduisant les données objectives et réelles des «discours»), les futurs dictionnaires du français québécois gagneront en précision en ce qui a trait aux marques de fréquence (rare, fréquent, courant, etc.), de temps (vieux, vieilli, etc.), etc.

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L'ouvrage qui s'insère le plus dans la problématique définie par le Conseil reste sans contredit le Dictionnaire québécois d'aujourd'hui de Jean-Claude Boulanger, Jean-Yves Dugas et de Bruno de Bessé, publié chez Le Robert (1992). Les réactions suscitées par ce dictionnaire sont nombreuses, dont certaines, agressives, montrent à l'évidence que la norme du français québécois est encore sujet de passions. Ne pourrait-on pas croire que détracteurs et sympathisants du DQA sont profondément divisés au sujet de la description du français québécois, tant sur le contenu de sa nomenclature que sur la «norme»? Personnellement, je suis convaincu du contraire et je vais tenter de le démontrer en passant en revue les principales critiques entendues et lues et en situant ces dernières par rapport à la position du Conseil dans son Avis de 1990. Mon intention ici n'est donc pas de faire un compte rendu détaillé de ce dictionnaire, mais simplement de le situer par rapport au dossier linguistique de l'aménagement de la langue. Tout d'abord, je tiens à souligner que ce «dictionnaire» constitue pour moi un avancement notable dans les travaux de description du français québécois. En le comparant à ses prédécesseurs (par exemple le Bélisle et le Plus), il est celui qui décrit le plus précisément et le plus systématiquement le français parlé et écrit au Québec. Le Conseil proposait, je le rappelle, de procéder d'abord à l'établissement d'un FQDL, car ces données étaient essentielles et préalables à la rédaction de dictionnaires du français québécois, même si nous savons tous, par ailleurs, que l'existence d'une banque de données textuelles, quelle que soit sa taille, ne parvient jamais à couvrir la totalité des vocables à inclure dans un dictionnaire. L'auteur du DQA ne disposait pas d'un tel fonds québécois ni d'aucune autre banque de données textuelles. Aussi, les faiblesses de l'ouvrage tiennent-elles en grande partie à l'absence d'une banque de «discours» québécois. Les critiques n'ont pas manqué de déplorer, par exemple, l'absence de citations d'auteurs littéraires et d'exemples réels tirés de banques textuelles. Cette critique est importante, mais d'autres conséquences plus significatives encore en découlent : l'absence d'exemples amoindrit certainement la qualité de la description lexicographique : les articles seraient mieux fournis, plus précis et les sens mieux délimités si un corpus d'exemples avait servi de matière à la description lexicographique! Mais, ce qui est le plus important à mes yeux, est le choix des entrées : un FQDL aurait offert une nomenclature différente à ce dictionnaire. En effet, un certain nombre de mots et de sens décrits dans le DQA sont rares ou absents en français québécois, alors que d'autres, fréquents en québécois contemporain, y sont absents. L'adaptation d'une base lexicographique française pour la description du français québécois est une opération certes légitime et utile, mais elle ne saurait donner un portrait linguistique juste et satisfaisant du français québécois. Pour moi, c'est la principale lacune de l'ouvrage; d'ailleurs l'auteur lui-même le reconnaît, étant d'accord avec la nécessité de créer un FQDL. Mais la plupart des critiques ont fait porter leur contestation sur la question des «marques». Sous cette étiquette, je distinguerai plusieurs catégories de remarques. Tout d'abord, je relève chez les opposants à ce dictionnaire, que le système de «marquage» y est déficient. La marque «anglicisme» est celle qui est la plus critiquée. Un examen attentif du

Quelles sont les suites à l'avis du Conseil de la languefrançaisesur l'aménagement de la langue?

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dictionnaire révèle en effet à cet égard une certaine incohérence, car le lecteur qui a lu dans la «liste des signes [...] et abréviations» que l'anglicisme est un «mot anglais employé en français et critiqué comme emprunt abusif ou inutile (...)» ne peut être d'accord avec l'ajout de cette marque à certains mots, alors qu'elle est absente à d'autres mots qui sont visiblement des anglicismes. Si certains Québécois se sont insurgés contre des mots grossiers ou vulgaires du français parlé d'ici, selon eux, indignes de faire leur entrée dans un dictionnaire, presque tous ont souligné la faiblesse du DQA dans la description des registres de langue (familier, populaire, etc.) : l'absence de marque ou leur inadéquation avec la réalité sociolinguistique du Québec reviennent souvent dans leurs commentaires. Enfin, certains ont exprimé leur déception face à l'absence de marques topolectales. On sait bien que sur ce point, l'unanimité n'est pas encore faite, et d'ailleurs, il n'est absolument pas nécessaire qu'il y en ait une! Toujours est-il qu'au delà des arguments idéologiques ou des principes, un grand nombre de lecteurs les réclament. C'est une demande exprimée par une large partie de consommateurs de dictionnaires québécois et, comme les dictionnaires ne sont pas rédigés pour les besoins de leurs auteurs, mais bien pour ceux des lecteurs, il faut donner, à mon avis, tous les renseignements qu'ils réclament. Les tenants de l'absence des marques topolectales se basent en grande partie sur le fait que les dictionnaires français ne donnent pas les marques semblables; partant de là, les Québécois n'ont pas à le faire. Quant à la difficulté, voire à l'impossibilité d'indiquer des marques topolectales avancées par certains lexicographes, il me semble qu'à partir du moment où un auteur ajoute la marque topolectale «en France», «surtout en France», «francisme», etc. et précise les limites d'emploi des mots (de niveau de langue, d'emploi, etc.), il ne peut soutenir que les marques «au Québec», «surtout au Québec», etc. ne font pas partie de la même description lexicographique objective. Encore sur cette question des marques, notamment les marques topolectales, l'Avis du CLF demeure pertinent et propose les avenues demandées par les Québécois pour donner satisfaction aux usagers et aux usagères de la langue au Québec. En dernier lieu, j'ajouterai que, dans ce dictionnaire, la description du «français standard d'ici» ne ressort pas avec assez d'évidence. Je rappelais ci-dessus le succès de deux ouvrages «normatifs» du Québec. Il me semble encore que les Québécois veulent la description de leurs usages, y compris celui qui fait la norme, norme qui ne peut être identique à celle de Paris, mais qui s'aligne toutefois sur un français correct ou de «bon aloi». Somme toute, les Québécois rêvent d'un DQA et d'un Multi fondu en un seul dictionnaire à la condition que les deux soient revus complètement : le premier, confectionné à partir d'une banque de données textuelles et le second, avec un système de marques, revu et adapté parfaitement à la situation socioculturelle du Québec. Tout compte fait, les dictionnaires parus depuis deux ans ont fait avancer le débat et ont apporté des précisions quant aux attentes des Québécois : ces derniers ont dit clairement ce qu'ils apprécient et ce envers quoi ils sont en désaccord. Il reste que le point fondamental et préalable était, et reste toujours, celui de la constitution d'un FQDL.

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De ce côté, il faut ajouter que nous avons progressé depuis mai 1990 : à l'Université de Sherbrooke, mon collègue, Normand Beauchemin, a créé en 1977 la Banque de données textuelles de Sherbrooke (BDTS) et n'a cessé de l'enrichir grâce à des subventions obtenues au Centre d'analyse et de traitement informatisé du français québécois (CATIFQ), auquel cette Banque est rattachée. À l'heure actuelle, la BDTS contient cinq millions de mots; de nouveaux textes y sont régulièrement intégrés. Dans une communication présentée au XXI e Congrès de philologie et de linguistique romanes à Zurich, j'ai présenté les caractéristiques de cette banque et la typologie des textes que nous y stockions (voir «La question de la documentation, notamment non littéraire dans l'élaboration de textes dictionnairiques québécois», à paraître dans les Actes). De plus, nous avons établi des collaborations avec d'autres universités du Québec : UQAM, Université du Québec à Chicoutimi et des liens existent avec Laval. Aussi, un protocole d'entente a été signé entre l'Office de la langue française et l'Université de Sherbrooke visant à «établir une coopération officielle [...] en vue de favoriser le développement de la banque de données textuelles et linguistiques servant à l'analyse et au traitement du français québécois.» Nous sommes rendus au point où cette Banque constitue l'embryon du FQDL. Q s'agit maintenant pour l'équipe de Sherbrooke d'envisager son avenir et son exploitation à des fins dictionnairiques. Étant donné que, jusqu'à présent, l'État n'est pas disposé à appuyer financièrement ce projet d'envergure, d'autres avenues doivent être explorées. Conclusion Depuis l'élaboration des propositions du Conseil, beaucoup de chemin a été parcouru. Même si le plan lui-même n'est pas en marche, les «événements» linguistiques et lexicographiques au Québec qui se sont produits depuis mai 1990 comportent l'option retenue par le CLF. À mon avis, il ne fait aucun doute que le Conseil a su dégager des consultations effectuées alors, les principales lignes directrices qui s'imposent pour faire progresser le dossier de l'aménagement interne de la langue au Québec. Le rôle que joua alors Jean-Claude Corbeil au sein du Comité scientifique qui élabora ce plan fut primordial et essentiel. Sans sa participation active, sans sa juste vision de la situation linguistique du Québec et des moyens à mettre en oeuvre pour accomplir un véritable plan de l'aménagement interne de la langue française au Québec, l'Avis du Conseil n'aurait pas toute la qualité qu'il a et, par conséquent, ne serait plus aujourd'hui le point de référence dans le dossier. C'est donc avec beaucoup d'admiration, de gratitude et d'amitié que je dis merci à Jean-Claude Corbeil pour sa contribution au dossier de l'aménagement de la langue au Québec.

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À l'intérieur de toute communauté linguistique complexe - qu'il s'agisse du français, de l'anglais, de l'espagnol, de l'arabe, du chinois ... - la question très générale de la variation des usages sociaux, question primordiale, se pose chaque fois que l'on songe à l'établissement d'une ou plusieurs normes, et à la transmission d'un modèle par l'école. Pour le français, grammaires et dictionnaires véhiculent trop exclusivement, en tant que norme, un seul usage, celui de la partie éduquée de la population d'île-de-France. D'excellentes raisons historiques motivent ce choix, mais d'autres raisons, plus récentes, le contestent, en France même. Le réveil des régionalismes, l'impact des effets de substrats de langues et de dialectes différents du français, le souci d'identification de maints groupes sociaux conduisent à discuter la norme unique dans chaque partie de la francophonie et d'élaborer des normes spécifiques. Je ne veux pas discuter ici de cet aspect des choses, mais de l'adéquation d'une norme française valable pour l'Hexagone, au français ou plutôt, aux français parlés et écrits dans d'autres régions du monde. Déjà les terminologies institutionnelles varient selon chaque État : royaume de Belgique, grand-duché du Luxembourg, Confédération helvétique, province de Québec - pour se borner aux lieux d'élection du français langue maternelle. En outre, des variations plus profondes, phonétiques, syntactiques, lexico-sémantiques, caractérisent chaque «région» langagière francophone, à l'intérieur d'un même pays et parfois à cheval sur une frontière (franco-provençal de Savoie et de Suisse). Les dictionnaires de français sont longtemps restés remarquablement insensibles à la variation. Pour mieux dire, ils l'ont réprimée ou ignorée, en France même et hors de France. Seules des descriptions différentielles ont vu le jour, un peu à la manière de la lexicographie de l'espagnol d'Amérique. Ce ne sont ni les connaissances, ni la sensibilité, ni les convictions qui manquent pour faire exister un véritable dictionnaire fonctionnel de l'espagnol argentin, du français de Belgique ou de l'anglo-indien, mais les moyens ou plutôt l'évaluation des moyens. Car les besoins sont évidents et les moyens économiques et financiers devraient suivre, au moins s'agissant de communautés industrielles et post-industrielles. Les véritables freins sont alors plutôt idéologiques et politiques. Curieusement, il paraît plus facile - la volonté identitaire étant présente partout - de développer une lexicographie générale basque ou catalane que suisse romande ou québécoise. Cette hésitation culturelle est cautionnée

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sinon engendrée par une «langue commune» - ici, le français - qui devient, à force d'abstraction, une entité lointaine ou une contrainte idéologique. Parfois, l'écart entre usage effectif notamment usage parlé - et langue de l'école paraît trop faible pour susciter le très coûteux appareil d'une description lexicale globale et spécifique. Mais, dans certains cas, cet écart dépasse de beaucoup un seuil de tolérance, à certains niveaux fonctionnels du moins : usages spontanés, familiers ou même ensemble des usages effectifs et actifs - indépendamment d'une compétence passive qui, elle, peut être beaucoup plus unifiée. La compétence active, celle qui produit les discours parlés et écrits, la communication à l'intérieur du groupe social - que ce groupe soit national, régional ou local - est en français, chacun le sait et l'éprouve, l'objet de variations que certaines pratiques (la littérature, la parole et l'écriture médiatiques) effacent ou masquent, au moins relativement. Un terrain essentiel est l'école, qui n'est pas seulement un lieu de production de discours, mais le lieu où les conditions mêmes de leur production se fixent, se définissent. En un mot, un des laboratoires de la norme, et peut-être le principal (les médias de masse en sont un autre, incontrôlé et dangereux). Car, s'il existe objectivement des normes pour chaque entité sociale, pour chaque entité régionale, pour chaque unité socioculturelle nationale ou à vocation nationale doit correspondre une norme dominante, reconnue, appréciée, enseignée. Cette norme unique de l'école est plus nettement visible dans l'écrit socialisé (journaux, littérature, production administrative et professionnelle de discours, etc.) que dans l'oral ou dans l'écrit privé. Mais cette norme unique nécessaire au bon fonctionnement langagier des sociétés est en même temps une illusion, et plutôt un projet qu'une réalité déjà construite. La norme est toujours à faire ou à refaire, en tout cas à adapter aux conditions évolutives de la pratique des discours et de la communication. Cette situation générale engendre des effets très variables selon les communautés. Pour le français langue maternelle, on peut distinguer hiérarchiquement un ensemble de normes générales, commodément identifiées par la référence nationale, et plus ou moins assurées subjectivement - par un sentiment de sécurité linguistique. Car l'idée d'une norme de France, ou de Suisse romande, est déjà artificielle, sauf sur ce plan de la subjectivité sociale majoritaire (des minorités divergentes existant toujours). La norme du français de Belgique est dans une situation voisine, mais le problème linguistique et culturel de cet État - sans même parler, outrancièrement peut-être, de «guerre des langues», - ne peut que la fragiliser. Ceci dit, il apparaît qu'une supernorme du français européen existe, avec des variations phonétiques, terminologiques, institutionnelles (par États, en tenant compte du fédéralisme suisse) et sociosémantiques (essentiellement lexicales). À cet ensemble, qui n'est certes pas un bloc, il faut nettement distinguer l'ensemble francophone nord-américain, avec un centre par l'importance et la vitalité, constitué par le Québec et quelques zones limitrophes (Ontario occidental, Ottawa). L'Acadie, le Manitoba, les restes de francophonie du Maine aux États-Unis, la Louisiane, s'ajoutent à ce français québécois et leur norme, leurs usages dépendent en grande partie de ceux du Québec. Tout comme celle de la France, la norme langagière québécoise est évolutive et connaît des variations régionales et sociales fortes. Sur le plan subjectif, elle est moins nettement définie et elle s'interroge beaucoup plus, ce qui est un avantage quant à sa vitalité. L'illusion immobiliste de

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beaucoup de Français sur leur langue et leur sentiment excessif de sécurité engendrent en effet de graves risques de passivité. L'un des symptômes de la vitalité langagière en matière de construction de la norme est la circulation et l'utilisation des dictionnaires de langue (qu'il faut ici nettement distinguer des encyclopédies). Celle-ci est importante en France, en Belgique, en Suisse et - semble-t-il nettement plus au Québec - sauf en ce qui concerne les gros ouvrages multivolumes. Ceci, non par hasard. Or, les dictionnaires de la langue, d'apprentissage, descriptifs et fonctionnels, de «difficultés», sont majoritairement conçus et réalisés en fonction, soit d'une norme francofrançaise stricte, norme où domine d'ailleurs les variantes régionales de l'Île-de-France et des anciens dialectes d'oïl, soit de cette même norme élargie par la reconnaissance de spécificités lexicales belges, suisses et québécoises - ceci depuis les années 1970. Au Québec, cette situation est évidemment anormale, puisqu'elle aboutit à proposer pour norme des usages en partie étrangers à la pratique spontanée de l'utilisateur, et à négliger en grande partie les usages étrangers à la norme européenne dominante de notre langue commune. Cette bizarrerie n'est en effet possible que parce qu'il existe un noyau important, commun aux différents usages du français langue maternelle. Π en résulte qu'un dictionnaire du français de Belgique, ou du français du Québec, ne doit pas nécessairement reposer sur un corpus exclusivement belge, ou québécois. Ce parti est souhaitable, théoriquement, mais pourrait aboutir à souligner excessivement les différences, et surtout à gommer certaines convergences, ressemblances et identités. En effet, une circulation générale des discours fait que la «compétence passive», pour chaque communauté, déborde la compétence active du discours effectivement produit. Le français de Ramuz, celui de Pierre Mertens fait partie des références littéraires en français de France, celui de Marguerite Duras - par exemple - en français du Québec. En outre, les terminologies techno-scientifiques - qui comprennent bien des mots usuels - appartiennent le plus souvent à l'ensemble francophone entier. Au contraire, de très grandes divergences s'observent, sur le plan lexical, (a) dans le domaine institutionnel, (b) dans les registres que les dictionnaires appellent «familiers» ou «populaires», comprenant mots, locutions, jurons et sacres (mot inconnu en fiançais de France)... En l'absence de dictionnaires fonctionnels des principales variantes du français, il existe des recueils, plus ou moins pertinents, de «différences». De même, il n'existe pour l'espagnol - à l'exception du Mexique - que des dictionnaires d'«americanismos». Indépendamment de leurs défauts et qualités propres, ces recueils se différencient très fortement des dictionnaires généraux et souffrent d'une faiblesse fondamentale : ils ne peuvent servir à former un discours, un texte, un simple énoncé, puisqu'ils négligent le noyau commun - qui se trouve être formé de mots indispensables et de haute fréquence. De tels recueils peuvent être remarquables et fort sérieux : c'est le cas du Dictionnaire des belgicismes de François Massion (Verlag Peter Lang, 1987, 2 vol.), de l'ancien et remarquable dictionnaire neuchâtelois de Pierrehumbert et à l'évidence de ce que l'on connaît du Trésor de la langue québécoise.

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Mais, outre leur caractère non-fonctionnel, ces dictionnaires - auxquels on peut joindre quelques recueils de régionalismes français - ne procèdent que par ajouts. À la différence d'un dictionnaire bilingue de différences, ils notent des usages lexicaux et phraséologiques en plus, dans la langue décrite, et jamais les manières de s'exprimer vieillies, absentes ou inconnues - le tout par rapport à une abstraite «langue générale de référence» (le français) ou à une plus concrète variante dominante (le français de France, ou même sa variante d'Île-de-France et de Paris). Entre le dictionnaire belge, suisse ou québécois sur corpus - qui présenterait les mêmes insuffisances que les dictionnaires français de naguère, dépourvus de québécismes, belgicismes, etc. - et le dictionnaire différentiel d'ajouts, deux autres possibilités existent, l'une perverse, l'autre, je crois, très légitime. La première consiste à ajouter à un dictionnaire dit «général» du français, c'est-à-dire à un dictionnaire franco-français, des éléments spécifiques, belges, suisses, québécois, sans modifications ou avec des modifications mineures pour le reste de la description. Ces recueils ne sont évidemment pas des lexiques québécois (ou belges, suisses), mais des lexiques québécisés (belgicisés, etc.) plus trompeurs que les dictionnaires de différences et plus hétérogènes, puisqu'ils juxtaposent - par exemple - un traitement québécois des «québécismes» à un traitement antérieur, non québécois, de ce fameux noyau commun sans lequel Québécois et Français ou Belges ne pourraient communiquer. Car ce noyau commun est trompeur : il ne faut pas trop s'y fier. Il permet de communiquer, mais aussi de multiplier les quiproquos ou les connotations divergentes. Ainsi briser, casser, face, figure, caillou, roche sont des mots français pour toute la francophonie. Mais ce caillou que je lance à Paris, - que je garrocherai sans doute à Sherbrooke ou à Trois-Rivières (on me dira si je me trompe) - il arrive roche au Québec, ce verre que je brise à Montréal, je le casse à Lille ou à Toulouse ... Ainsi de suite, pour l'emploi réel, précis de la plupart des mots, pour les effets sémantiques, pour les allusions culturelles, les contextes, l'esprit et la couleur des mots. En bref, il ne suffit pas de traiter la cabane à sucre et les ouaouarons sans modifier le traitement «français» de casser, briser ou roche, et d'un très grand nombre de mots partagés, pour «entrer en québécois». Pas plus que les mots et locutions du «français non conventionnel», enregistrés par Jacques Cellard et moi-même - si étranges, si comiques pour un lecteur québécois - ne suffisent pour entrer en «francité». Jean-Claude Corbeil se souviendra sans doute de nos amicales québéco-françaises conversations, où nous explorions ces chausses-trapes (ou chausse-trappes) sémantiques, qui ne nous empêchaient jamais de communiquer en profondeur. Par parenthèse, l'apport de cette sympathie linguistique et terminologique québéco-française, si visible dans les travaux lexicologiques de linguistes tels que le regretté Pierre Guilbert, dans les recherches terminologiques de Bruno de Bessé, dans mes propres investigations lexicographiques, a coloré la pratique lexicale de nombre de Français - malgré et contre - les maudits préjugés de la majorité d'iceux. Donc, à côté des dictionnaires venus de France - pour des raisons économiques et aussi de personnes, car «notre» plus célèbre grammaire d'usage est écrite et publiée en Belgique - , à côté

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des dictionnaires de différences répertoriant les spécificités géographiques du français, qui existent pour le Québec, la Belgique, la Suisse, l'Afrique noire, nous avions depuis longtemps, Jean-Claude Corbeil, moi-même et beaucoup d'autres, envisagé des dictionnaires fonctionnels propres aux grandes communautés francophones qui le souhaitaient. Le Québec figure évidemment au premier rang : importance démographique, histoire, besoins scolaires et pédagogiques, utilité d'une représentation (même modeste et, pourquoi pas, intuitive) de cette norme québécoise qui se définit activement depuis la Révolution tranquille, niveau économique et culturel et, par rapport à l'ensemble francophone, spécificité remarquable : santé du français langue maternelle, conscience aiguë de la problématique des langues, causée et stimulée par le contact avec l'écrasante présence de l'anglais nord-américain, enfin politique voulue et entretenue d'aménagement linguistique, grâce à des hommes - on excusera ce générique : «plus de la moitié des hommes sont des femmes», disait judicieusement Simone de Beauvoir - comme Jean-Claude Corbeil. Certes, le Québec ne s'est pas endormi et on ne sous-estimera pas les parutions lexicographiques récentes, ou les projets avancés, tel l'admirable Trésor de la langue québécoise, préalable obligé à toute description fonctionnelle, mais qui ne peut proposer une norme québécoise, puisqu'il s'en tient aux spécificités. Par ailleurs, un dictionnaire de difficultés comme celui de Marie-Éva de Villers, conçu pour l'utilisateur québécois, joue un rôle didactique précieux tout en atténuant, par ses intentions mêmes, les divergences, les variations au profit d'une norme homogène par ailleurs nécessaire. Cette norme générale est en effet nécessaire à la pédagogie, à la langue cultivée, au discours écrit; c'est un peu celle d'un dictionnaire tel que le Petit Robert, où certains usages non français de France sont pris en compte, mais sur un fonds hexagonal. Que faire pour aborder la question d'une norme pédagogique et sociale vraiment québécoise sans pour autant requérir vingt ou trente ans de description approfondie des usages québécois dans leur ensemble, la réunion et l'analyse d'innombrables corpus (ou corpora), leur traitement lexicographique supposant des choix (à la manière du Co-bmlt britannique)? Il m'a semblé qu'une relecture québécoise complète, critique, attentive d'un dictionnaire français didactique d'ampleur moyenne (donc moins franco-français que les descriptions développées, puisqu'il concerne surtout le noyau dur du «français général», pouvait figurer une solution intermédiaire et un grand pas en avant. Les conditions étaient : des lexicographes québécois, si j'ose dire «pure laine», un témoin non québécois connaissant bien les usages québécois, et donc capable de les identifier différentiellement - ce qu'on ne peut faire de l'intérieur. Il fallait aussi une méthodologie exigeante, portant : (a) sur le niveau des ajouts québécois, qui devaient être homogènes avec le reste du traitement et, peut-être un peu plus riches, pour accroître le sentiment de familiarité langagière de l'utilisateur, souvent une ou un jeune, souvent néo-canadien. (b) sur la suppression et/ou le marquage de toutes les manières de dire inconnues au Québec et pratiquées en français d'Europe. Le marquage est nécessaire, mais ne doit pas procéder par rapport au français de France - comme c'est le cas dans le Petit Larousse ou le Petit Robert·, au contraire, il doit opérer par rapport au français québécois, par une remarque comme : «en

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France», «surtout en France», caractérisant des faits d'usage connus (ou à connaître par l'école) au Québec, par la lecture, l'écoute de programmes, de films français, belges ou suisses. (c) sur une révision totale des exemples, qui doivent refléter le contexte nord-américain francophone et non plus le contexte européen, surtout français de France. (d) sur une intégration d'éléments institutionnels - donc terminologiques - propres au Québec, au Canada, à l'Amérique du Nord et parallèlement sur la suppression d'éléments analogues propres à la France, à la Belgique ou à la Suisse, dès lors qu'ils n'offrent pas un intérêt international. Je ne parle pas ici de l'adaptation nécessaire du traitement des noms propres qui procède lui aussi par suppressions et ajouts, pour se détacher de la norme culturelle de France. Cependant, l'élaboration d'un ouvrage entièrement différent ne me paraît pas nécessaire, sauf à nier, encore une fois, la communauté culturelle qu'engendre l'usage du français : ainsi la description de l'Europe non francophone ou celle de l'Asie peuvent avantageusement être partagées - tout comme le «noyau commun» de la langue - , par les Belges, les Suisses, les Français, les Québécois, les Acadiens, les Antillais, etc. Ce programme n'est plus un projet. On va pouvoir juger sur pièces le Dictionnaire québécois d'aujourd'huile critiquer, le compléter, le comparer à ce qui existe dans ce domaine de la lexicographie spécifique et pédagogique d'un usage essentiel de la langue française. Chapitre non négligeable, ont estimé ses auteurs et moi-même, d'une politique d'aménagement, contribution modeste - toujours soumise au sentiment d'un usage objectif, sans parti pris normatif, mais aussi à la finalité didactique. Si les jeunes Québécois et Québécoises - et les moins jeunes - reconnaissent leur langue et se reconnaissent mieux que par le passé dans ce type d'ouvrage, un pari aura déjà été gagné. Si une contribution à l'édification d'une norme identitaire mais ouverte aux échanges francophones s'en dégage, ce sera encore mieux. Les discussions sont ouvertes. En tout cas, sur le front lexicographique, une série d'ouvrages québécisés ou québécois posent aujourd'hui le problème d'une norme en progrès. L'impulsion, il y a quelques années, fut donnée par les fondateurs de l'Office de la langue française et par des sociolinguistes imaginatifs et actifs, dont le prototype demeure pour moi le destinataire de ces Mélanges.

Principaux contributeurs : Jean-Claude Boulanger, Jean-Yves Dugas, Bruno de Bessé.

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Le lexique et l'image 1. Le référentiel Le lexicographe, on le sait, est le linguiste qui est le plus impliqué dans les problèmes de référentiel : découpage du monde par le lexique d'une langue, rapport du mot à la chose désignée, codification de ce rapport, production de la définition qui classe et spécifie le référent de telle sorte qu'il ne puisse être confondu avec un autre. Le référentiel est l'ensemble de représentations dont une société dispose à un moment donné et dans une langue donnée. Ces représentations sont en relation avec le monde réel, qu'il soit naturel ou fabriqué (notion de cheval, notion de train) et avec le monde sémiotique construit par cette société (notion de licorne, notion de liberté), monde qui englobe l'imaginaire. Le référentiel est formé de classes et d'individus (le cheval, mon cheval) dont certains portent un nom particulier appelé nom propre (Pégase, Rossinante). Pour les individus simplement désignés par le nom de la classe (mon cheval), ce nom est appelé nom propre de parole par certains linguistes. Le référentiel inclut également les signes qui servent à en parler (le mot, ce mot; chevaux est un pluriel, Pégase est illisible). Il est de la nature du référentiel de se donner, dans le discours, comme extérieur à l'homme et doué d'existence, même si ce discours s'emploie à la nier : «une fourmi de dix-huit mètres avec un chapeau sur la tête, ça n'existe pas», écrit Robert Desnos, mais c'est trop tard, nous l'avons «vue» en représentation. Et cette façon d'exister prend un caractère social lorsque ce dont on parle possède un nom lexical, c'est-à-dire se trouve codifié dans la langue. Le mot licorne désigne bien un animal; et ce mot employé dans une phrase supporte toutes sortes de prédicats, y compris la licorne est un animal (imaginaire). Comme le langage est supposé dire le vrai, tous les jugements acceptés par la société, ou lieux communs (jugements sémiotiques de U. Eco) sont aussi la base de notre connaissance actuelle. Codification lexicale et jugements sémiotiques sont solidaires et fondateurs d'une civilisation où l'invention, l'erreur et le mensonge ont constamment leur place. Si le référentiel est un ensemble de représentations des choses pour le philosophe, il est plutôt l'ensemble des choses représentées pour le linguiste, car le référentiel est radicalement hors du signe. Le fait qu'il soit dans l'esprit et, conjointement ou non, objet de perception ne change rien aux structures du discours sur le monde. Lorsqu'on dit je vais acheter un cheval ou je voudrais être un ange, cheval et ange ne désignent pas une représentation, de la même façon que ces mots ne signifient pas un signifié. Pour être bref, on dira que le référentiel c'est tout ce dont on parle, soit avec le langage primaire, soit avec le métalangage. On appellera référent chaque partie du référentiel, individu ou classe, qui est une chose-nommée liée à signe -nommant.

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2 . La désignation et le nom En étudiant la relation des mots aux choses, le lexicographe est dans une sémantique de la désignation, et non dans une sémantique de la signification. C'est en effet sa démarche première, la seule qui lui permette de faire la preuve par la synonymie : Un X est un Y qui ... Après seulement, il en déduit que X signifie «y qui...», car un mot signifie au moins ce qu'il désigne; c'est son signifié dénotatif, auquel s'ajoute le signifié connotatif. Ces deux types de prédications s'expriment normalement au moyen de deux noms, X et Y étant respectivement sujet et objet /nom attribut, dans la phrase. Dans le langage primaire, l'identité met en relation deux nominaux; c'est pourquoi nous avons donné des exemples de noms (cheval, train). Pour mettre le référentiel en relation avec des mots d'autres catégories grammaticales, il faut les nominaliser; soit par le pronom : Manger, c'est prendre de la nourriture, soit en syntagme nominal : Les êtres qui mangent sont ceux qui prennent de la nourriture, Une personne susceptible est une personne qui se vexe facilement, Faire quelque chose rapidement c'est faire quelque chose en peu de temps. La même structure nominale fonctionne dans la relation de signification, et cette fois automatiquement par les noms de mots appelés autonymes : Manger signifie «prendre de la nourriture», Dans signifie «à l'intérieur de». Il ne faut pas identifier le métalangage à la relation de signification. Car il existe bien une désignation métalinguistique sans phénomène d'autonymie, où le référentiel est un signe et le nom d'une classe de mots. Ainsi, voulant décrire les parties du discours, le grammairien écrit : Le verbe désigne une action ou un état, l'adjectif désigne une qualité, la conjonction désigne une relation, etc. Et tout comme dans le discours primaire, le contenu atteint est nominal pour n'importe quelle partie du discours; impossible d'échapper à cette formulation décevante, où les parties du discours ne sont pas caractérisables. La spécificité des catégories grammaticales comme référents disparaît dans la désignation. À ce titre, on peut considérer le référentiel comme nominal. Au contraire, la relation métalinguistique de signification, nominale dans son expression, échappe au nom dans son contenu en respectant les parties du discours; dans Manger signifie «prendre de la nourriture», prendre a bien un signifié verbal. Ces remarques générales qui pourraient paraître n'avoir aucun rapport avec l'image, sont déterminantes pour expliquer son apparition dans le dictionnaire conjointement avec les noms. 3 . Le référent qui n'est pas l'objet du discours Le référent comme «chose représentée» peut être soit concrètement présent (référent in presentía) soit absent, soit pris en charge par un autre système que le langage (référent in absentia). Le référent présent Le référent in presentía appartient au monde sensible, et parfois même s'il est abstrait; on peut percevoir indirectement la joie par ses manifestations, encore cette perception est-elle sans garantie quant à l'identification de la notion de joie. La plupart des notions abstraites sont si

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complexes que les situations de perception sont insuffisantes. Néanmoins, les enquêtes judiciaires utilisent des «preuves» de ce genre. Dans le monde sensible, le visible est prédominant par rapport à ce qui est perçu par l'ouïe, le tact, le goût et l'odorat. La vue et l'ouïe ont une particularité notable, celle de percevoir le langage. Le réfèrent in presentía est toujours particulier. On veut dire qu'il ne se présente jamais comme classe, mais toujours comme un élément de cette classe : un cheval, un chant de rossignol, un velouté, une odeur de brûlé, un goût acide, une joie. Les particuliers présents et porteurs de noms propres, à leur tour, ne se manifestent jamais dans leur unité. Π y a un moment de l'objet ou de la personne, lié à un aspect qui ne saurait les résumer, quand cette synthèse ne peut être faite, il existe parfois plusieurs noms propres : «Déjà Napoléon perçait sous Bonaparte» (Victor Hugo), Doctor Jekyll and. Mr Hyde, de Stevenson. Enfin, dans le domaine visuel, le référentiel se présente comme un continuum où il est difficile de discerner et d'identifier les individus et leurs parties, les matières et les masses. On peut, pour délimiter le réfèrent, le montrer du doigt (le «pointing»); mais comme l'ont expliqué les philosophes, notamment Quine, le point de rencontre de cette direction du doigt et de la chose à nommer est indéterminé et cela, même si le doigt touche l'objet. On pense aujourd'hui qu'il est plus facile de décrire ou de définir par le langage que de montrer, à rencontre de ce que pensait Wittgenstein. C'est la preuve que le réfèrent présent n'a d'autre identité que celle dont la société décide, banalité en accord avec l'hypothèse linguistique de Sapir-Whorf.

Le réfèrent reproduit Le réfèrent in absentia est la situation la plus ordinaire par laquelle nous pensons les objets et nous en parlons. Il arrive que ce réfèrent soit pris en charge par un système de reproduction dans le même canal (photos en couleur, disques et bandes sonores, parfum de muguet) ou par un système transitoire de notation (do bémol présenté graphiquement sur une portée, pas de danse transcrit dans le code visuel chorégraphique). Tout signe graphique est, par sa nature même, représentable (l'accolade, le point-virgule, la flèche, l'alphabet grec) et la précision exige même qu'il soit représenté puisque le canal s'y prête. Le réfèrent noté pénètre dans un système sémiotique qui peut lui conférer une généralité (le do bémol à la clé, en général). Le réfèrent reproduit, au contraire, est toujours particulier comme l'original. Ainsi, dans le domaine visuel, la photo est la plus particulière des représentations et la moins éclairante pour la connaissance de l'objet, contrairement aux idées reçues. C'est ou bien un exemple de classe (photo d'un cheval) ou bien un aspect d'un individu (photo de ce cheval dans telle position, telle lumière etc.). Mais déjà le dessin peut tenter d'accéder à une certaine généralité par une neutralisation des traits non pertinents pour la classe. Le dessinateur essaie de donner un exemple typique, comme le fait E. Rosch avec le prototype, et non un exemple quelconque. Certes, le photographe choisit la photo, mais il ne peut faire disparaître tous les traits non pertinents pour la connaissance de

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l'objet. Quant au photographe d'art et au peintre, leur projet est d'exprimer plus ou autre chose. La photo n'est pas didactique. Le Dictionnaire thématique visuel de Jean-Claude Corbeil ne l'utilise pas. Par ailleurs, la couleur n'est pas neutralisable. Tantôt elle est pertinente et nécessaire (définitionnelle), tantôt elle est particularisante et gênante (cheval blanc, par exemple). Enfin le schéma est le type de représentation qui s'approche le plus de la généralité par son extrême simplification. Bien qu'il ne montre du référent aucune de ses caractéristiques non visuelles, il montre plus que ce qui est vu en réalité par le moyen de coupes de l'objet et par la représentation de processus où le temps intervient, sur le modèle de la bande filmique. Néanmoins, l'image étant prise pour ce qu'elle est, elle ne peut jamais donner une idée exacte de l'objet, même visuellement Les dimensions ne sont pas respectées parce que, dans la majorité des cas, l'objet est trop grand ou trop petit pour être reproduit tel quel, et la taille est souvent pertinente. D'autre part, elle ne peut neutraliser ce qui, dans le langage, est objet de choix. Le dessin d'un manchot (personne) doit opter pour une absence de bras droit ou de bras gauche (un bras quelconque, dans le langage). L'image qui montre l'absence de bras gauche reste bien un exemple, trop déterminé pour être général. Le seul rattrapage possible est encore langagier, c'est la légende de l'image, qui module la relation au référent, par exemple, dans le cas évoqué : Manchot (du bras gauche). 4 . L'image dans le dictionnaire Il est de tradition qu'un dictionnaire de langue ne présente pas d'images, dans la mesure où il informe sur des signes décrits comme tels; l'article minimal est la définition du signe-entrée. Ce qui est dit du référent prend des voies détournées. Le signifié de l'entrée exprimé par la définition a pour base la relation d'identité référentielle Un X est un Y qui ..., avec le recours à la nominalisation de toute entrée, quelle que soit sa catégorie grammaticale (v. ci-dessus 2). L'exemple, qui est censé montrer l'emploi du mot, ne peut le faire que par un discours sur le référent, et plus l'article est long, mieux on est informé sur lui. Le mot-entrée, dans l'exemple langagier, peut signifier le particulier (nom propre de parole) comme le général, auquel cas ce mot est engagé dans un jugement sémiotique. L'exemple de signe est aussi forcément exemple de contenu du signe. En cela, l'exemple forgé est, par rapport à l'exemple cité, dans le même rapport que le dessin à la photo (et l'exemple cité littéraire à la photo d'art). L'organisation de l'article semble être en mesure d'assumer tout ce qu'on veut dire du référent. Néanmoins, on attend l'illustration dans les ouvrages qui parlent directement du référent : catalogue d'objets légendés (par exemple, catalogue de vente de la Redoute), dictionnaire général encyclopédique (Petit Larousse illustré), dictionnaire général terminologique (Webster's Third illustré), dictionnaire des noms propres (Petit Robert 2). Cette illustration se manifeste uniquement en compagnie des substantifs et entretient avec ce nom des relations très diverses. Dans le Petit Larousse 1992, l'illustration — dessin, photo ou schéma — épouse la variété des prédicats encyclopédiques rejetés en fin d'article. Ainsi l'entrée abeille est illustrée par sept dessins concernant la production du miel, l'entrée acier par quatre schémas sur sa fabrication. À

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affiche, on présente la photo de cinq affiches comme cinq exemples dignes du nom propre. L'art abstrait est illustré par six photos d'œuvres signées et présentées à abstrait nominalisé en art abstrait dans la légende. La relation encyclopédique de l'image et de l'entrée est repérable chaque fois que la légende (nom de l'image) est différente de l'entrée; l'entrée ADN (sigle η. m.) donne lieu à un schéma dont la légende est «Structure en double hélice». Il arrive aussi que l'entrée et la définition soient dans une relation de pseudo-équivalence avec l'image; le mot albatros est accompagné d'un dessin d'albatros, sans légende. Et c'est ce cas qui nous intéresse le plus parce que l'image, comme exemple prototypique, s'approche autant qu'elle le peut d'une définition de classe, celle des albatros. 5 . L'image au secours de la langue Parmi les dictionnaires de langue, ceux qui sont illustrés de façon presque obligatoire sont les dictionnaires d'enfants, et la fonction pédagogique de l'image est là plus évidente qu'ailleurs. La présence de l'image est parfois interprétée comme un agrément dont les enfants ne sauraient se passer, puisque toutes leurs lectures sont des livres ou des journaux illustrés. Le rapport quantitatif de l'image au texte s'adapte à l'âge du lecteur : beaucoup d'images et peu de texte dans les premiers livres qui apprennent à lire, et le contraire dans les derniers qui, en France, correspondent au cours moyen 2 e année (enfants d'environ dix ans). On peut encore envisager l'image comme l'ornement d'un beau livre que l'éditeur met sur le marché; auquel cas il vaut mieux insister sur les fleurs et les oiseaux que sur les machines-outils. Il arrive aussi que des dictionnaires bilingues offrent la représentation de quelques référents inconnus appartenant aux civilisations anciennes (Dictionnaire latin-français de Gaffiot, Hachette) ou de civilisations contemporaines dont le référentiel est forcément différent — et ceci, beaucoup plus qu'on ne croit. Par ailleurs, très nombreuses sont les personnes qui souhaitent des illustrations, dans la mesure où la définition qui remplit sa fonction abstraite d'identification est insuffisante pour évoquer l'objet. D'abord parce que les traits pertinents qu'elle propose sont différentiels plus que positifs (distinguer l'âne du mulet, la faucille de la faux, le bouleau du peuplier); ensuite parce que les traits liés à l'aspect visuel sont parfois secondaires et que néanmoins ce sont ces traits-là qui nous aident à identifier l'objet. Par exemple, pour la baleine, c'est essentiellement sa forme qui la distingue parmi les animaux marins, l'occasion ne nous étant pas fournie de la voir mettre bas. L'image fonctionne plus comme un signal que comme un ensemble de traits; en cela elle triche avec le contenu du mot. Car si le dictionnaire représente un pompier dans son costume et avec son matériel, on sait que, tout nu dans son lit, ce personnage est encore pompier. Par ailleurs, un des avantages de la définition sur l'image, et non des moindres, est sa pérennité due à sa plus grande abstraction. Les objets fabriqués changent d'aspect et rarement de fonction; un dessin d'automobile vieillit entre deux salons. La demande d'illustration est plutôt limitée aux formes pertinentes. Non que le langage soit impuissant à les décrire, mais la définition serait alors extrêmement longue et embarrassée. La seule faiblesse du langage est, on le sait, l'impossibilité de définir une couleur, un goût ou une

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odeur autrement qu'en fournissant, dans la définition même, des exemples de référents qui les possèdent - bleu comme un ciel pur le jour, acide comme un citron, etc. Le langage offre toujours une solution, et rien n'est indicible. C'est seulement une question de simplicité, de compréhension et d'élégance. 6 . L'image et la sémantique lexicale Dans le dictionnaire de langue, il y a donc place pour l'image dans sa fonction prototypique (le meilleur exemple du référent), dans son projet de simuler la généralité (neutralisation des traits non pertinents) et d'entrer dans la double prédication sur le contenu du signe : Un X est un Y qui ... et Un X, c'est [cette image], au sens où un X désigne un X quelconque ou tous les X. On a vu que le nom seul était directement illustrable sans légende; cette exigence caractérise d'autant mieux le dictionnaire de langue. Si l'on souhaite illustrer un verbe, l'image doit montrer le sujet qui agit, et sans légende, l'illustration sera décodée comme «personne qui fait ceci ou cela». En effet, l'image sans légende n'offre aucun trajet pour son décodage, et ce qui domine dans la lecture que l'on en fait ne correspond pas toujours à l'intention de l'illustrateur. Si l'on souhaite montrer à quoi correspond le verbe escalader, c'est peine perdue, car on comprendra escaladeur, alpiniste ou ascensionniste; et même escalade qui est un nom d'action (pas un nom d'objet), n'est guère plus favorisé. Dans la manipulation définitionnelle déjà évoquée Une personne qui escalade est une personne qui..., le lexicographe efface le sujet; mais dans l'illustration tout est là, et rien n'est effaçable. Pour l'illustration «identitaire», il faut que le visible soit représentable et que le représentable soit lisible. Si l'on ajoute la nécessité pour l'image d'apporter une information intéressante, il reste bien peu d'illustrations possibles par rapport à ce que montre le référentiel. L'étude (malaisée) d'un échantillon de nomenclature du Robert des jeunes révèle que sur 371 mots, 271 mots correspondent, au moins par un sens, à un référent visible, ou à des manifestations visibles pour certains mots dits improprement «abstraits»; or 69 mots, soit environ 18 % de l'échantillon envisagé, sont utilement représentables dans un projet d'illustration optimale. Si l'on imagine que le coût de l'illustration influence l'éditeur, ces vignettes ponctuelles se réduisent ordinairement à 4 %, les autres étant, au mieux, réparties dans des planches relativement moins onéreuses. Quels sont les caractères de l'illustration dans le dictionnaire de langue? On observe qu'elle est effectivement en rapport avec la sémantique lexicale. En dehors du cas le plus simple, également présent dans les dictionnaires encyclopédiques (albatros, image de cet oiseau), on peut observer : a) Une illustration du référent qui n'est qu'une partie d'un tout; par exemple, le foie comme partie du corps au mot/oie : le foie est représenté dans l'ensemble du corps et indiqué par une ligne-guide ayant même fonction que le pointing, ou par un encadré. On observe que les parties du corps, dans les dictionnaires encyclopédiques, sont plutôt signalées à l'article «corps humain», ce qui est très différent. Le Dictionnaire thématique visuel de J.-Cl. Corbeil, puisqu'il procède par thèmes, est très informatif pour le nom des parties du tout envisagé.

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b) Une illustration liée à la polysémie·, par exemple, dans le Hachette junior, l'aiguille de pin et l'aiguille à coudre. Il est évident que ce rapprochement des référents est dépourvu d'information encyclopédique. D'autre part, l'illustration conjointe des homographes n'est pas pratiquée puisqu'elle est liée à plusieurs entrées séparées, ni à notre connaissance celle des homophones puisque le dictionnaire se fonde sur des graphies. c) Une illustration multiple liée à un superordonné. On appelle superordonné un hyperonyme qui ne tolère pas la neutralisation de l'image parce qu'il est le nom d'une classe dont les sous-classes sont trop disparates; ainsi, il est impossible de représenter le mammifère parce que les caractères communs au bœuf, à la souris et à la baleine ne relèvent pas du visible. Néanmoins, ce superordonné ne doit pas être confondu avec un mot abstrait puisqu'il sert d'anaphorique pour désigner n'importe quel animal de cette classe (la souris est granivore, ce mammifère etc.). Certains hyperonymes désignent de si nombreuses sous-classes portant un nom que seules les planches permetttent de les regrouper. Mais le plus général de la chaîne des hyperonymes n'est jamais illustrable, par exemple le mot animal, ce type de superordonné gouvernant une arborisation complexe de classes disparates. 7 . Les planches entre paradigme et syntagme La plupart des dictionnaires pour enfants offrent des planches illustrées, généralement des hors-textes en couleur répartis également dans l'ensemble du livre; le titre de la planche n'est pas à proximité du mot correspondant de la nomenclature; c'est aussi pourquoi un titre est indispensable. Le titre, qui est le plus souvent en haut de page, a un contenu très général; c'est le titre qui est le nom de la planche. Et la légende, s'il y en a une, ne joue plus ce rôle, elle indique quelle lecture on doit faire de cette image complexe et ce qu'il faut retenir de ce qui est présenté. On peut distinguer quatre espèces de planches : a) Des planches totalement encyclopédiques qui n'ont rien à voir avec le lexique; elles constituent un livre dans un livre, livre destiné à la connaissance du monde qui est inséré dans un livre conçu pour la connaissance du lexique : aucun lien n'est fait entre les deux. Ainsi en est-il du Robert des jeunes qui n'a aucune illustration lexicale. b) Des planches développant une paradigmatique, et qui sont plutôt traditionnelles. Ces planches présentent deux types : Le premier, à partir d'un titre lexical, offre de multiples exemples qui n'ont pas forcément de nom spécial. Ainsi les planches bien connues des drapeaux ou des costumes au cours de l'histoire. Les illustrations représentent tantôt des sous-classes, tantôt des éléments d'une classe (planche des cathédrales célèbres, dont chacune est unique). Le deuxième type est engagé dans des taxinomies et son titre est un superordonné (planche des reptiles, etc.). Les images paradigmatiques correspondent à des cohyponymes désignant des sous-classes. Dans ces deux types, les objets sont caractérisés et légendés à leur place à l'intérieur de la planche.

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c) Des planches développant une syntagmatique, et dont le modèle paraît assez récent. La planche représente un lieu en perspective où se trouvent réunis des objets qu'on rencontre ensemble : planche de la ville avec ses monuments principaux, ses maisons, ses rues, ses commerces, ses voitures, etc., ou encore planche intitulée «la forêt» avec ses arbres, ses animaux, ses champignons, etc. Ces planches reproduisent un «champ référentiel» aménagé (tout ce qui pourrait être visible à la fois) où sont nommées les parties discrètes ou continues d'un milieu. Chaque planche offre au lecteur un champ sémantique lexical, qui correspond à un projet pédagogique opposé au précédent. Au lieu de faire mémoriser des classifications, il introduit le lecteur à des juxtapositions dont l'utilité n'est pas évidente pour l'apprentissage du lexique; chaque item de la planche porte un numéro qui renvoie à son nom en bas de page dans une légende globale. d) Des planches mixtes où, dans un lieu paysagé se trouvent réunis les deux modèles précédents. Ces planches ont des titres encyclopédiques; par exemple, «La protection des espèces menacées» (Hachette junior, 1990) où cohabitent le pingouin, la cigogne, l'ours brun et la salamandre. Ou encore «L'Amérique du Nord» (Larousse Maxi débutants, 1991), planche qui présente un paysage central hétéroclite, des encadrés comprenant des animaux, le lancement d'une navette spatiale, le base-bail, la récolte du sucre d'érable, etc. 8 . Conclusion La métalexicographie, très active depuis une quinzaine d'années, est surtout l'œuvre de lexicologues et de terminologues. On a beaucoup progressé dans l'étude théorique du texte de dictionnaire sans toujours bien le positionner par rapport à ce qui n'est pas la langue : le référentiel et l'image. Cet article cursif, qui aborde des points dont chacun mériterait une étude détaillée, ne prétend à rien d'autre qu'à une tentative de mise en situation du dictionnaire dans l'univers sémiotique d'une société. Le référentiel ne représente qu'une partie de la réalité et y ajoute beaucoup plus. Il est en perpétuel devenir, comme les mots du lexique. Ses unités ont une expression nominale parce qu'elles sont dans un processus de désignation. Le langage est, parmi les systèmes sémiotiques naturels, celui qui peut décrire tous les autres; lui seul est apte à rendre compte du général parce qu'il est arbitraire et neutralisant. L'image ne fonctionne que comme exemple prototypique. Elle ne soutient pas véritablement le référentiel visuel, car elle est souvent ou inutile ou impossible. On peut estimer qu'une illustration du lexique de l'ordre de 18 %, ce n'est pas beaucoup pour une civilisation qui prétend être une civilisation de l'image. Dans le domaine visuel, ce qui domine et gère la connaissance, c'est l'écrit, et non l'image. Une prédominance de l'oral changerait le rapport du lexique à l'image dans des regroupements homonymiques (pin et pain), pour le dictionnaire de langue. On a fait de nombreux et passionnants travaux sur l'image, mais moins sur le rapport de l'image à la langue. Encore ces travaux ont-ils surtout porté sur le singulier (titres des tableaux, par exemple). L'image en relation pseudo-équivalente de «rivalité» avec le nom commun est un

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sujet de choix pour le sémioticien linguiste. Et nous pensons que le système lexicographique mixte à quatre termes, motldéfinitionlimagellégende, mériterait une exploration très élaborée.

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Albert Bastardas-Boada Universität de Barcelona Facultat de Filologia Secció de Lingüística General

Catalans et immigrés hispanophones en Catalogne : le changement de la langue des intercommunications1 1. Introduction au problème La situation sociolinguistique actuelle en Catalogne offre une multitude de potentiels apports théoriques et pratiques. Dans cette intéressante gamme, on a sélectionné le problème de la modification planifiée des comportements linguistiques interpersonnels de l'ensemble ethnicolinguistique autochtone dans ses relations habituelles avec les nombreux individus d'origine non catalane résidant actuellement en Catalogne. Il s'agit d'un problème de pleine actualité dans ce pays et en même temps, peut-être, il n'est pas encore suffisamment étudié sur le plan international. Dans ce genre de problématique, deux questions se posent simultanément en accord avec Watzlawick et alii (1975) : 1. Comment persiste la situation non voulue? et 2. Que faut-il faire pour la changer? 2 . Situation actuelle et causes historiques L'actuel processus de normalisation linguistique, commencé en Catalogne depuis la fin de la situation politique autoritaire antérieure (voir Bastardas, 1987 et 1989), a commencé à apporter des progrès importants au catalan sur le plan des communications institutionnalisées - par exemple dans le système éducatif, dans l'administration publique autonome et locale, à la télévision, à la radio, etc.-, mais beaucoup d'autres plus modestes, par contre, dans celui des communications orales interpersonnelles, celles que Corbeil (1980) qualifie d'«individualisées». Le centre de la problématique se situe, spécialement, dans les relations que les autochtones, qui ont le catalan comme première langue, soutiennent avec ces individus qui ont comme première langue l'espagnol - la plupart à la suite de mouvements migratoires originaires d'autres endroits de l'Espagne (voir Bastardas, 1986) - qui n'utilisent pas habituellement la langue catalane dans leurs communications entre différents groupes. La situation est telle qu'il paraît que, dans ces cas-ci, l'usage de l'espagnol de la part des deux interlocuteurs est encore le comportement le plus fréquent et majoritaire. À part une minorité consciente sociolinguistiquement et militante de l'usage de la langue qui probablement maintient en Catalogne l'usage exclusif du catalan face à n'importe quel interlocuteur et dans toutes ou presque toutes les situations, le comportement le plus habituel des Texte basé sur une communication présentée au Symposium on Code-Switching (European Science Foundation, Barcelone, 21-23 mars 1991).

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autochtones dans l'ensemble de leurs milieux sociaux paraît être celui de parler généralement en espagnol à n'importe quelle personne qui soit perçue et considérée comme quelqu'un qui ne parle pas catalan (Boix, 1989 et 1990; Tuson, 1985 et 1990). Cette norme inclut aussi bien ces individus inconnus à qui on s'adresse en catalan et qui répondent en espagnol, comme ceux déjà connus, qui sont capables maintenant de parler en utilisant le code des autochtones; ils ne l'utilisaient pas dans les premières rencontres où il s'établit une relation qui, plus tard, se transformerait en quelque chose de fréquent. Ainsi, on peut déjà trouver aujourd'hui en Catalogne de nombreux individus qui ont l'espagnol comme première langue. Selon leur comportement linguistique au moment de la rencontre, quelques Catalans s'adressent à eux en catalan et à d'autres en espagnol, selon, probablement, la langue qu'eux, les allochtones, utilisèrent dans leurs premières interactions avec les autochtones, où il s'établit la norme d'usage qui continuerait à s'utiliser entre les deux individus. Cette norme d'usage linguistique entre différents groupes inclut aussi - spécialement à Barcelone et dans son agglomération - ces cas de rôles sociaux ou professionnels qu'on considère normalement occupés par des individus qui ne parlent pas catalan, comme par exemple des garçons de café, des chauffeurs de taxi, des policiers, des enfants de parents immigrés, catalogués comme des personnes qui ne parlent pas catalan et, même, des inconnus qu'on peut rencontrer dans la rue, etc., auxquels la population tend déjà à s'adresser, tout d'abord, en espagnol. C'est alors dans ce genre de situations qu'il peut se produire des conversations en espagnol même entre les membres du groupe autochtone qui ont le catalan comme première langue, encore que, parfois, ces conversations peuvent être ramenées vers le catalan si un, ou bien les deux interlocuteurs, cessent de considérer l'autre comme quelqu'un qui ne parle pas catalan (par l'accent qu'il a quand il parle espagnol, parce qu'il utilise une expression catalane, etc.). Cette situation est un produit évident des contextes historiques où se sont produites les rencontres successives entre autochtones et allochtones, qui généralement sont caractérisées par l'absence du catalan qui est remplacé par l'espagnol, dans les milieux institutionnels, particulièrement dans le système scolaire, dans les médias et dans l'administration, ce qui produisait un bilinguisme plus ou moins important de la part des Catalans et, en même temps, ce fait maintenait l'unilinguisme de la population immigrée, qui avait l'espagnol comme première langue, à différents degrés, selon les individus et leur environnement. Dans ces contextes, la substitution entre différentes générations favorisa le progrès du bilinguisme des Catalans par rapport à l'espagnol, plutôt que celui des immigrés par rapport au catalan. Ce dernier fait agissait à nouveau rétroactivement sur la pratique de l'espagnol de la part des autochtones et, en même temps, augmentait sa familiarité. Le résultat de cette dynamique a été une situation caractérisée par l'existence de beaucoup plus d'individus autochtones qui, d'habitude, parlent couramment l'espagnol avec les allochtones, que de personnes d'origine immigrée qui parlent catalan avec des personnes d'origine catalane. Avec le temps, la norme pour utiliser l'espagnol - qui ne présente pas trop de problèmes de compétence et de facilité pour les nouvelles générations autochtones avec tous ces individus classés comme ne parlant pas catalan, cette norme est devenue complètement assimilée et automatisée, et elle a été reconnue comme tout à fait naturelle et

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pertinente. Donc, le comportement initial, destiné à rendre possible la communication avec les nouveaux arrivés de langue différente - malgré l'augmentation graduelle de la connaissance du catalan de la part des individus allochtones, surtout sur le plan de la compréhension - devint une considérable expectative sociale consacrée par l'habitude, avec toutes les conséquences que cela signifie pour le changement de ces normes de comportement. 3 . Les interventions en faveur du changement et le phénomène de la persistance À part des dispositions générales qui font référence au changement des usages linguistiques dans le système éducatif et dans l'administration autonome en faveur du catalan (et d'autres actions sur l'administration locale et sur certains secteurs concrets d'activités culturelles ou économiques), le gouvernement catalan a effectué des campagnes publicitaires destinées, en particulier, à changer les comportements oraux de la population. On peut citer, par exemple, des campagnes centrées autour de messages comme «parler catalan ici, cela dépend de vous» ou «en catalan par respect pour vous-même et pour les autres». Même si le degré du changement que ces interventions ont pu provoquer est inconnu, ce qui paraît possible de pouvoir affirmer - à partir des études encore peu nombreuses et des impressions personnelles - , c'est que, en tout cas, ce changement se produit lentement et qu'il n'est pas un phénomène de masse. Le nombre d'individus qui maintiennent «des conversations bilingues» - chaque interlocuteur parlant dans sa langue maternelle - ne paraît pas être important aujourd'hui; par contre, l'adaptation (quasi) automatique de ceux qui parlent catalan à la langue espagnole de l'interlocuteur est encore très répandue dans les communications interpersonnelles, même si l'interlocuteur peut déjà comprendre facilement le catalan ainsi que les statistiques le démontrent. Quelle est la raison de l'obstination à parler espagnol à ceux qui normalement ne parlent pas catalan, étant donné que, à présent, la compréhension serait possible dans la plupart des cas? Pourquoi ce changement est-il silent? Les questions, donc, coïncident avec celles que Bourhis (1984) se posait sur la situation du français et de l'anglais au Québec, au moment où il se rendit compte que les francophones continuaient encore avec la norme de s'adapter linguistiquement aux anglophones après d'importants efforts gouvernementaux pour améliorer le statut du français au Québec. Même si les situations du Québec et de la Catalogne sont différentes à certains égards, on se trouve, probablement dans les deux cas, face au puissant phénomène social général de la perpétuation des routines, des coutumes et des fonctions, qui caractérise l'esprit conservateur de la vie quotidienne des humains (Nisbet, 1979). Dans ce cadre, on étudiera maintenant, et à titre exploratoire, quelques hypothèses sur des facteurs qui puissent expliquer ces évolutions sociolinguistiques.

3.1 Subconscience et fonctionnalité Une cause importante qui pourrait expliquer en bonne partie le phénomène de la persistance des comportements établis dans des contextes qui après ont été modifiés est probablement le

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caractère subsconscient lui-même de beaucoup de conduites sociales, et notamment des conduites linguistiques (Bourdieu, 1982; Gumperz, 1985). Une fois qu'on a décidé d'une norme de conduite sociale en réponse à une problématique concrète, elle devient routinière et subconsciente, de telle façon qu'on n'y prêtera plus d'attention jusqu'au moment où celle-ci sera suscitée par une crise produite dans le contexte. L'habitude interrompra, donc, la pensée consciente (Nisbet, 1982) et l'individu prendra conscience du manque qui se produit dans son dépôt de connaissance seulement dans le cas où une nouvelle expérience ne coincide pas avec ce qui jusqu'à ce moment a été considéré comme le schéma de référence valable présupposé (Schutz & Luckmann, 1977 : 29). La majorité de la population autochtone qui a le catalan comme première langue n'a sûrement vécu, dans son contexte pratique, aucune crise qui mettrait en question, d'une façon importante, la manière habituelle de se mettre en rapport avec les individus qui ne parlent pas catalan. L'efficacité et la fonction sociocommunicative de l'organisation actuelle de l'usage linguistique interpersonnel entre les autochtones et leurs concitoyens d'origine immigrée sont généralement totales et il ne semble pas, pour le moment, que d'autres facteurs d'ordre symbolique ou idéologique qui pourraient, éventuellement, mettre en question l'ordre actuel aient assez de force pour la majorité de la population.

3.2 Évaluation consciente Une autre partie de la population, peut-être généralement plus informée, à l'affût des médias, et aussi plus prédisposée à penser et à évaluer des conduites personnelles, peut contacter avec les messages gouvernementaux et y consacrer quelques égards, encore que, de bonne foi, elle peut juger que ce changement de comportement par rapport à ceux qui ne parlent pas catalan ne devrait pas se réaliser comme s'il s'agissait d'un mépris et d'un manque d'éducation envers les personnes ayant ces caractéristiques. La longue pratique qu'ils ont de parler espagnol aux immigrés fait que ces gens ne peuvent pas arriver à concevoir et à tolérer une situation dans laquelle ils devraient parler catalan à ceux qui ne le parlent pas. Ils se sentent, donc, absolument en faveur de continuer leur conduite linguistique actuelle envers la population allochtone non bilingue, sur le plan de l'expression orale. Leur «habitus» exclut automatiquement les comportements qui peuvent être considérés comme anormaux (Bourdieu, 1980). Ils ignorent ou ils ne donnent aucune importance à l'anomalie que ceci représente pour la communauté linguistique autochtone et, non plus, aux possibles résultats futurs du comportement majoritaire actuel. À partir, probablement, des représentations de la réalité différentes de celles du groupe antérieur, et avec des prédispositions idéologiques plus inclinées à concevoir la réalité actuelle de manière différente, un autre sous-groupe de l'ensemble ethnico-linguistique autochtone, peut accepter l'idée d'une autre normalité possible, qui consisterait dans le fait que l'adaptation linguistique viendrait de la part de la population d'origine immigrée et non pas de la population autochtone. Ces personnes trouveraient raisonnable, donc, de recourir à la conversation bilingue. Les plus convaincus essaient de l'employer, mais ils ne trouvent pas cela facile dans la vie sociale réelle. Ils arrivent à le faire avec une certaine facilité dans les relations avec des individus plutôt

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anonymes et, plus dans des situations institutionnalisées que dans les communications individualisées, où l'autochtone se trouve dans une position de «non-subordination» ou de «nécessité non absolue» (un client dans un commerce, un client qui demande un service, etc.). Ces relations bilingues sont, cependant, plus difficiles à maintenir si les individus qui ne parlent pas catalan ont une position sociale d'un certain pouvoir sur l'autochtone (supérieur hiérarchique, etc.), ou bien s'il existe une claire disproportion numérique dans la composition du milieu où les interactions ont lieu, ou bien dans d'autres situations où l'emploi du catalan pourrait être évalué négativement (avec ses conséquences) par l'interlocuteur ou les interlocuteurs d'origine allochtone. Cette partie de la population viserait, probablement, à ne pas se servir de la conversation bilingue au moment de parler avec des individus qui ne parlent pas catalan, dans des situations informelles et amicales où l'empathie mutuelle est très valorisée; encore qu'il peut y avoir des cas où, s'il y a une bonne relation d'amitié et la norme linguistique est abordée explicitement en obtenant l'acceptation positive de l'interlocuteur qui ne parle pas catalan, l'autochtone qui le veut pourra suivre assez naturellement la norme de la conversation bilingue. Mais cette norme sera plus difficile à introduire auprès d'individus avec lesquels on a déjà eu des relations en espagnol pendant une période assez importante. L'habitude stabilisée de parler espagnol à «quelqu'un de concret» deviendra une puissante constriction du changement linguistique. La valeur sociale du changement de la norme joue un rôle fondamental dans toutes ces évaluations conscientes du changement du comportement linguistique. Le fait que ce comportement soit subconscient ne veut pas dire que les actes devenus habituels perdent leur caractère significatif pour l'individu (Berger & Luckmann, 1983) parce que, comme G.H. Mead l'a affirmé, «awareness or consciousness is not necessary to the presence of meaning in the process of social experience» (1934 : 77). La rupture des expectatives sociales généralement acceptées et suivies n'est pas, donc, un phénomène neutre; au contraire, elle est objet d'attention de la part de l'autre individu en interaction et aussi d'autres personnes, témoins éventuels de cette communication, qui essaieront de chercher les intentions et les raisons du changement de la norme et qui évalueront le fait en conséquence. La conscience de ces faits et des répercussions des évaluations des autres individus de la part de l'acteur social est, probablement, un facteur de contrôle normatif très décisif pour le mantien et la persistance des comportements sociaux, étant donné que l'individu valorise et dépend à un degré élevé de l'estime et des considérations positives des autres humains avec lesquels il entre en relations (Berger, 1963; Davis, 1984; Milroy, 1987). C'est, probablement, ce genre d'éléments qui doit se trouver à la base des observations de «speech-convergence» qui ont été décrites par Giles et ses collaborateurs (1979). Dans la situation analysée, il est possible que les individus du groupe autochtone aient une conscience considérable que le changement de comportement par rapport au groupe qui ne parle pas catalan pourrait être interprété négativement, car ceci agit comme élément d'intimidation qui peut empêcher le changement à cause de l'histoire des relations entre les deux groupes en contact, qui a pu produire facilement l'existence d'une violence symbolique latente (Bourdieu, 1982).

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Parmi les individus qui ont décidé d'adopter la nouvelle norme, il peut souvent arriver que, dans une interaction qu'ils ont choisie de faire en catalan, l'autochtone change de langue à cause du haut degré d'automatisation du comportement (répondre en espagnol à une émission dans ce code); cela peut faire qu'il choisit cette langue à mesure qu'il relâche l'attention sur ce point, notamment au début, quand on veut appliquer le nouveau comportement. C'est un phénomène observé plusieurs fois dans des débats à la télévision où interviennent des membres des deux groupes linguistiques : même des conseillers du gouvernement catalan utilisent l'espagnol - dans un programme ou chaîne identifiés comme catalans - quand ils répondent à un interlocuteur qui parle espagnol, surtout quand le climat du débat augmente et la possibilité de contrôle conscient du comportement linguistique diminue. La persistance de l'ancien comportement et, par conséquent, la résistance au changement sont dues, semble-t-il, ou bien au caractère fonctionnel et subconscient de l'actuelle conduite linguistique des autochtones, qui ne trouve pas un contexte qui oblige à activer l'intérêt de façon qu'elle soit révisée, ou bien à la peur que peut provoquer une interprétation négative de ce changement de la part de ceux qui ne parlent pas catalan, étant donné qu'il ne s'agit pas d'une norme sociale très généralisée et il y a assez d'expériences - valables ou non en fait - dans le groupe autochtone, pour présupposer et craindre de possibles réactions négatives - à la limite de quelques individus du groupe d'origine immigrée. 4 . Fondements pour le changement Comme dans la plupart des problèmes socioculturels, l'analyse de cette persistance démontre qu'on ne se trouve pas face à une situation facile à transformer, mais qu'elle est plutôt compliquée et de diffìcile intervention si on veut obtenir des résultats immédiats (Nisbet, 1982). En effet, attirer l'attention des autochtones, leur donner des raisons pour qu'eux-mêmes décident de changer la norme de l'usage linguistique avec ceux qui ne parlent pas catalan (avec qui ils vivent en commun chaque jour) et, finalement, essayer d'éliminer les aspects d'automatisation qui caractérisent l'actuel comportement majoritaire, ceci ne paraît pas une tâche facile et rapide, mais plutôt lente et difficile, spécialement dans une même génération. Les normes actuelles d'usage linguistique entre différents groupes sont enracinées dans la vie quotidienne catalane et elles ont un fonctionnement total et efficace. Il est alors beaucoup plus facile d'obtenir leur continuité que leur changement. Rompre, maintenant, avec les comportements bien intériorisés d'une communauté qui en a fait l'expérience et, qui, jour après jour pendant des années, les a considérés comme utiles et non conflictuels dans le contexte immédiat, ceci peut être une tâche impossible. Prétendre, en plus, qu'une communauté, qui pendant des années ne l'a pas fait, ait maintenant, majoritairement, un comportement de divergence linguistique par rapport aux individus qui ne parlent pas la langue autochtone, même dans un nouveau contexte politique plus favorable, cela peut être aussi une tâche difficile. Une nouvelle approche au problème du changement des comportements linguistiques des autochtones devrait tenir compte fondamentalement, selon toute probabilité, de ces points de départ théoriques :

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1. Tout changement massif des comportements linguistiques est de nature lente et d'intervention directe difficile à partir des institutions politiques, notamment dans ces cas où les formes utilisées jusqu'à ce moment accomplissent à la perfection leur fonction communicative explicitement linguistique aussi bien que celle qui fait référence aux significations sociales qui sont en rapport. C'est pour cela que Bourdieu peut dire que les «"moeurs linguistiques" ne se laissent pas modifier comme le croient souvent les partisans d'une politique volontariste de "défense de la langue"» (1982 : 36). Les habitudes sociales consacrent des conduites déterminées et celles-ci sont maintenues par l'interaction sociale elle-même, qui a la tendance à se fonder sur des normes et des expectatives mutuelles jugées comme acceptées généralement et aussi comme provocatrices de quelque sorte de sanction sociale si on cesse de les suivre (Davis, 1984). Tout changement dans les expectatives peut être considéré - des deux côtés qui sont en relation - comme une punition ou une agression, ce qui peut se répercuter dans la qualité de la relation interpersonnelle si la modification est évaluée négativement. Au contraire, si l'évaluation était positive, la relation personnelle ne souffrirait aucune altération ou bien elle s'améliorerait, ce qui stimulerait la production du changement. 2. Les comportements linguistiques ont tendance (sauf dans une situation exceptionnelle de conflit généralisé, dont il ne s'agit pas en Catalogne) à devenir très routiniers et subconscients, ce qui permet d'interrompre l'attention et de la concentrer plus sur les signifiés spécifiques qu'on veut transmettre et non pas sur les formes spécifiques qui sont utilisées. 3. Face à une situation de nécessité ou de réflexion sur le changement, chacun des locuteurs évaluera l'opportunité et décidera en conséquence. S'il le considère légitime, approprié et sans perspectives de résultats inconvénients, il utilisera le nouvel usage et il essaiera de le mettre en pratique, tout en évitant les difficultés initiales que l'automatisation du comportement peut lui occasionner dans la réalité (Bandura, 1982). À partir de ces tendances générales des comportements socioculturels humains, on peut essayer de se demander quelles nouvelles bases devraient inspirer les nouvelles mesures à adopter par les pouvoirs publics sur l'ensemble des problèmes qui se produisent dans les relations linguistiques entre les différents groupes. Il paraît que les points principaux de la situation catalane seraient le problème de la routine fonctionnelle/subconscience/inconscience majoritaire des comportements linguistiques et ceux de la motivation/légitimité/interprétation du changement et de l'absence d'inconvénients si le changement se produit vraiment. En supposant qu'à travers des campagnes massives dans les puissants médias actuels on arrive à attirer réellement l'attention de la majorité de la population sur le comportement linguistique entre les différents groupes et que, moyennant un sens positif et de consensus, non pas conflictuel, on arrive à justifier/légitimer le fait que maintenant, d'une façon majoritaire, les autochtones commencent à parler catalan et non espagnol aux allochtones qui pour le moment n'utilisent pas le catalan, même dans ce cas il resterait, en pratique, le fait de l'absence d'inconvénients pratiques pour la suite du nouveau comportement, ce qui est un élément décisif pour la réussite d'une nouvelle norme. Cesser de parler espagnol aux personnes qui encore aujourd'hui ne parlent pas catalan et se mettre à utiliser le catalan peut signifier encore aujourd'hui pour les autochtones : a)

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se trouver face à des difficultés de compréhension de certains mots ou de tournures des messages émis, ce qui détériore l'efficacité de l'acte communicatif et, en conséquence, les résultats désirés; b) une sensation d'incommodité quand l'interlocuteur insiste pour continuer à parler espagnol parce que beaucoup de personnes ne sont jamais, ou presque jamais, arrivées à pratiquer l'expression en catalan - ce qui fait que l'autochtone se sent obligé, à nouveau, de converger en un seul code dans la conversation (phénomène de speech-convergence), et c) il existe toujours, au fond, une certaine peur de la réaction négative possible (interprétation de l'intention) de l'interlocuteur de qui l'autochtone sait qu'il est habitué au fait qu'on lui réponde en espagnol et non en catalan, même s'il parle avec une personne d'origine catalane. Tous ces inconvénients, aujourd'hui bien réels, doivent être contrecarrés si l'on veut que le changement des comportements entre différents groupes de Catalans soit un jour, à moyen terme, une réalité massive. On a besoin du temps pour résoudre les points a) et b) qui font référence à la compétence réceptive et émettrice en catalan de la part des allochtones. Arriver à approfondir l'actuel processus de développement massif de la compréhension du catalan de la part des immigrés qui aujourd'hui habitent en Catalogne, exige des changements structuraux suffisants sur le plan macro, afin que cette communauté se trouve dans un contexte qui l'expose suffisamment à toute sorte de messages en catalan qui lui permettent d'avancer plus encore dans cette connaissance. Ceci veut dire qu'il faut plus de catalan que d'espagnol à la télévision, au cinéma, à la radio, dans tout l'enseignement, qu'il doit y avoir plus de cours pour les adultes, plus de cours spécialisés pour les entreprises, etc. Arriver à vaincre le point b) - qui fait référence à l'expression en catalan - exige d'un côté plus de temps - car la population âgée a plus de difficultés à s'exprimer dans une langue qu'elle a apprise étant adulte; il faut viser, donc, spécialement les nouvelles générations - et ceci exige aussi, encore une fois, des changements structuraux qui favorisent le catalan par rapport à l'espagnol, surtout dans le système scolaire et les activités de loisirs qui ont une grande importance pendant la période de socialisation primaire des nouveaux individus d'origine allochtone, afin qu'ils puissent développer réellement leur facilité à parler catalan au moment le plus approprié, qui est, semble-t-il, avant la puberté. Résoudre le point c) - la peur d'une interprétation/réaction négative de la part de l'interlocuteur qui ne parle pas catalan (mais qu'il comprend) - serait une conséquence de la supération du point b), qu'on ait une compétence émettrice suffisante. Lorsque les interlocuteurs répondent en catalan et maintiennent une conversation dans cette langue, l'autochtone n'a plus l'anxiété de parler catalan avec un individu qui n'utilise pas cette langue pour s'exprimer et c'est pour cela qu'il n'y a plus de peur d'aucune réaction parce que c'est l'interlocuteur lui-même qui démontre son accord en utilisant le catalan. Mais, étant donné qu'il va falloir encore beaucoup de temps pour que ce soit une réalité massive, l'intervention des institutions de politique linguistique devrait se chercher, pendant ce temps, à résoudre le problème de la légitimité de ce nouveau comportement qu'on veut induire. Il faudrait orienter les actions vers ce que Watzlawick (1975) nomme «recadrement de la situation».

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Si les autochtones doivent se sentir de plus en plus libres de parler catalan aux individus qui ne le parlent pas encore, ils doivent recadrer leur perception de la situation et être sûrs que le changement de leur comportement est tout à fait justifié et compris positivement et non de manière conflictuelle par la majorité du sous-groupe qui ne parle pas catalan. C'est pour cela que la signification sociale de ce changement doit être abordée à partir de raisons positives et non négatives. En d'autres termes, les messages qu'il faut émettre ne doivent pas être du genre «c'est ton droit, ne renonce jamais au catalan» - ce qui ne résout pas la perception d'une situation de conflit de la part des autochtones - mais, au contraire, ils devraient être du genre «ne mets pas de barrières au futur, facilite l'intégration sociale et linguistique»; avec ce dernier message, on répond à une tendance qui existe déjà dans certaines couches de la communauté d'origine allochtone et on transforme positivement le changement de comportement des autochtones. Π me semble que seraient également acceptables et nécessaires les actes orientés à faire que les autochtones - aussi bien les adultes que les enfants et les jeunes - parlent catalan aux enfants d'immigrés - en fait, donc, à tous ceux du pays - qui aujourd'hui sont en train d'apprendre le catalan à l'école, mais qui peuvent se trouver majoritairement dans des contextes qui continuent à les condamner à être perçus comme «non catalans», ce qui ferait qu'on leur parle espagnol à cause du fait que les voisins et les compagnons autochtones de l'école les associeraient à leurs parents immigrés. Il faut donc donner priorité et activer au plus haut point l'attention au changement des générations. Notre réflexion nous a emmenés, par conséquent, à réaliser que peut-être le centre d'attention du problème ne se trouve pas uniquement dans le groupe autochtone mais en même temps - et probablement de manière prioritaire - dans le groupe d'origine allochtone. Ainsi, en définitive, on pourrait affirmer que l'usage du catalan avec les immigrés de la part des Catalans augmenterait de manière massive seulement dans la mesure où les allochtones parlent aussi catalan, ou bien (mais à un degré plus faible), quand les autochtones démontrent une acceptation claire et positive du changement. De toute façon, selon toute probabilité la situation ne pourra commencer à changer de manière massive que si la population allochtone commence à parler catalan avec les autochtones (par exemple, dans les nouvelles relations qu'ils établiront à partir du moment où les personnes immigrées se décident à être celles qui utilisent le catalan et non l'inverse). Le changement généralisé des comportements des Catalans paraît dépendre, donc, plutôt du changement de comportement des immigrés. La question centrale du problème paraît être non seulement de savoir comment changer les comportements des Catalans mais aussi comment contribuer à changer ceux de? immigrés. Il s'agit, en définitive, de savoir comment construire une réalité dans laquelle, de façon naturelle, les relations entre différents groupes se développent en catalan, non en espagnol comme jusqu'à présent. Donc, le problème des autochtones n'est pas sûrement un vrai problème; par contre, d'un point de vue du comportement social, le noeud du problème réside dans le fait que ce sont les immigrés qui ne parlent pas catalan, et non pas dans le fait que les autochtones parlent espagnol. C'est en définitive un problème des deux groupes à la fois qui exige d'être abordé de manière globale de façon qu'on puisse comprendre la dynamique

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de l'ensemble de la situation, étant donné la causalité non linéaire mais circulaire et rétroactive de n'importe quelle interaction humaine (Elias, 1982). 5 . Conclusions Après les analyses précédentes, il paraît possible de conclure, d'une perspective pratique, que les actions de persuasion publicitaire, destinées à favoriser le changement des comportements linguistiques entre différents groupes parmi les autochtones, auront tendance à entrer en collision avec la norme d'usage qui règne majoritairement et avec l'obligation sociale d'être respectée. Dans cette étape - à mon avis - le maximum qu'on peut atteindre en réalité - mais non majoritairement - pourrait être l'usage du catalan avec ceux qui ne le parlent pas dans les commerces et dans les relations sporadiques et anonymes, mais non dans les relations déjà établies ou dans celles de création nouvelle où l'interlocuteur immigré n'a pas une attitude vraiment positive ou bien une attitude d'acceptation du fait qu'on lui parle en catalan, même s'il s'exprime en espagnol. De la même façon, on peut progresser dans la perception positive du changement de la norme entre différents groupes de la part de l'ensemble de la société. Mais le problème doit être perçu du point de vue du temps et envisagé à partir d'interventions prioritaires sur les nouvelles générations, spécialement sur celles qui ont l'espagnol comme première langue. Les interventions doivent être faites de préférence sur le plan institutionnel de la société et moins sur le plan individuel, à cause de la difficulté d'une intervention directe sur ce demier niveau. Du point de vue le plus théorique, la situation qu'on a examinée nous montre que les normes d'usage linguistique sont, d'une certaine façon, autonomes avec une puissante tendance à leur propre persistance et elles sont soutenues avec force par le contrôle social qui est un produit de l'interaction et de la nécessité d'estimation et d'approbations mutuelles qu'éprouvent les êtres humains. H paraît, en tout cas, que le changement a la propension à se produire au moment de la transition entre différentes générations, c'est-à-dire au moment où se produisent de nouveaux processus de socialisation qui influeront et caractériseront les individus dans beaucoup d'aspects pour le reste de leur vie. C'est à ce moment-là que les compétences linguistiques se développent, que des normes de comportement se forment et sont adoptées, qu'on acquiert des identités, etc. (Berger & Luckmann, 1983). C'est le point crucial du changement de la tendance entre différentes générations à la persistance des comportements. On peut adopter et propager quelques innovations - même si elles ne concordent pas avec les comportements des adultes - et encore qu'une partie puisse disparaître avec l'évolution de la génération, d'autres peuvent rester stables et consolidées dans la nouvelle couche sociale qui, à nouveau, les maintiendra de manière subconsciente mais en même temps socialement coercitive tout au long de la vie de la génération, sauf si des crises véritables se produisent, ce qui favoriserait leur changement ou obsolescence. Il paraît que les changements dans les comportements linguistiques ont, en général, une dynamique qui n'est pas différente de celles des changements dans d'autres sphères de la conduite sociale de l'homme. Leur acceptation dépend probablement de l'évaluation de leurs avantages et inconvénients jugés à la lumière de chaque réalité sociale concrète. Les changements légitimes et justifiés qui ne présentent pas d'inconvénients dans cette définition de la réalité

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pourront être propagés plus rapidement et se répandront à partir des centres d'innovation jusqu'à atteindre toute la société. Par contre, les changements qui peuvent produire des résistances sociales, qui ne trouvent pas une acceptation sociale et qui comporteraient des sanctions ou des inconvénients pratiques dans la vie quotidienne, s'étendront et s'imposeront beaucoup plus difficilement, même au point que leur implantation sociale majoritaire puisse devenir impossible. Mais, cependant, les changements linguistiques qui impliquent des capacités motrices complexes, à cause de la condition d'habilité individuelle et sociale, auront tendance à se réduire, précisément à cause du manque permanent de prédisposition des êtres humains envers le développement de ces capacités. Ainsi, dans le phénomène linguistique, le développement plus ou moins considérable des habilités indispensables sera un facteur important qui pourra avoir une influence sur l'étendue des changements et sur les attitudes des individus qui jouent un rôle dans ces situations sociales. D'autre part, le degré de développement de ces habilités linguistiques échappe souvent au contrôle de l'individu même et il dépend de la structure des contextes où il participe. Finalement, la situation catalane étudiée peut aussi servir d'exemple par rapport à l'apparition de la norme d'usage linguistique dans les rencontres entre différents groupes. Elle sera, donc, un produit aussi bien des conditions de ce moment précis et de la situation que de l'histoire vécue par les différents groupes humains en contact. La compétence linguistique que, jusqu'à ce moment, les individus auront développée, les représentations de la réalité produites par les expériences vécues et les relations globales de pouvoir entre ces deux groupes, conditionneront le choix et l'évolution du comportement linguistique intercommunautaire. Si l'on progresse vers une intégration sociale profonde et stable, cette norme aura, selon toute vraisemblance, des répercussions sur la direction des changements linguistiques qui se produiront à l'avenir dans la nouvelle société aux origines diverses. Changer plus tard la norme, adoptée au commencement par la majorité et consacrée par l'usage quotidien, ne sera pas un processus facile ou rapide ni d'intervention directe sur les individus; mais, au contraire, cela sera une action lente et probablement son succès total ne pourra se produire que grâce à la substitution entre différentes générations de la société. Comme on l'a déjà dit, la planification du changement devra se fonder d'une part sur les activités qui s'exerceront sur le plan institutionnel de la société - celui qui d'une façon indirecte se répercutera sur le plan individuel - et d'autre part sur des actions complémentaires qui conduisent peu à peu à de nouvelles perceptions de la situation qui permettent de donner un sens positif et d'acceptation générale au changement désiré.

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Albert Bastardas-Boada

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Annette Boudreau Département d'études françaises Université de Moncton

La perception des écarts linguistiques par rapport à la norme en milieu diglossique Les usages sociaux de la langue doivent «leur valeur proprement sociale» au fait qu'ils tendent à s'organiser en système de différences reproduisant dans l'ordre symbolique des «écarts différentiels» le système des différences sociales. Ce que parler veut dire (P. Bourdieu).

Dans son rapport sur l'aménagement de la langue, le Conseil de la langue française du Québec rappelle que la majorité des travaux universitaires portant sur la description du français québécois sont consacrés à l'étude des écarts qui différencient ce parler du français européen, recherches qui, malgré leur importance incontestable, «risquent de marginaliser toute une communauté linguistique» (Rapport du Conseil de la langue française, 1990). Car comme l'explique Jacques Maurais, Le premier danger qui guette les normalisateurs qui voudront faire un tri dans le lexique québécois, c'est d'en venir à considérer le français québécois comme un ensemble d'écarts : en ne relevant que les traits distinctifs, on peut facilement laisser croire que la légitimité de l'usage se situe hors du Québec (Maurais, 1986 : 81).

Ainsi en n'étudiant que les écarts différentiels, on pourrait croire que la norme est ailleurs surtout si les locuteurs de la langue ou de la variété étudiée ne sont pas dotés du prestige socioéconomique qui confère à celle-ci une légitimité pouvant la hisser au rang des idiomes à imiter. Or, en Acadie du Nouveau-Brunswick, dans «l'imaginaire linguistique» (Houdebine, 1982) de nombreux Acadiens, la norme est sûrement ailleurs (voir Boudreau, Dubois, 1992) bien que le sentiment d'insécurité linguistique qui découle de cette hypothèse soit plus accentué chez les Acadiens vivant en situation fortement diglossique que chez ceux qui sont majoritaires chez eux. Dans la perspective d'un aménagement de la langue acadienne (Phlipponneau, 1991 et Péronnet, 1992), il nous semble important d'analyser l'image subjective que les Acadiens se font de leurs usages personnels, et ainsi d'observer s'ils considèrent leur langue comme un ensemble d'écarts ou, au contraire, comme une variation légitime s'inscrivant dans la francophonie mondiale. Une recherche des attitudes langagières trouve sa place dans l'analyse de la «situation de départ», une des grandes étapes de l'aménagement linguistique où «il s'agit de décrire objectivement la situation sociolinguistique du pays» (Corbeil, 1991 : 22). Partant des réflexions métalinguistiques d'adolescents francophones du Nouveau-Brunswick tirées d'interviews réalisées en 1989 et 1990, nous tenterons de voir ce que les élèves considèrent comme des écarts, comment ils les apprécient et comment il les intègrent ou les excluent de leurs usages. Précisons

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que cette réflexion ne s'appuie pas sur une analyse quantitative des écarts mais se veut plutôt un sondage «d'opinions» qui décrit le(s) sentiment(s) que les sujets expriment concernant les écarts. 1. Régions étudiées La recherche s'est effectuée dans trois régions de l'Acadie du Nouveau-Brunswick : le Nord-Est, le Sud-Est et le Nord-Ouest. Dans le Nord-Est, nous avons fait des enquêtes dans les villes de Caraquet, Shippagan et Tracadie, situées dans le comté de Gloucester, les francophones y composent 84 % de la population. Dans le Sud-Est, les entrevues ont été réalisées dans Westmorland (à Moncton et à Shédiac) et dans Kent (à Bouctouche); les francophones sont minoritaires dans Westmorland où ils forment 42,6 % de la population du comté et majoritaires dans Kent où ils constituent 79,2 % de la population. Dans le Nord-Ouest, les villes de SaintLéonard, Grand-Sault, Edmundston, Kedgwick et Saint-Quentin ont été retenues comme points d'enquête. Saint-Léonard et Edmundston se situent dans les comtés de Madawaska (95,2 % de francophones), Grand-Sault dans le comté de Victoria (43,5 % de francophones), Kedgwick et Saint-Quentin dans le comté de Restigouche (64,0 %) à la frontière du comté de Madawaska (voir carte I). 2 . L'enquête L'enquête comportait deux volets : le premier consistait en un questionnaire composé de 95 questions auxquelles ont répondu environ 500 témoins, tous terminant leur diplôme d'études secondaires; le second volet était constitué d'une enquête orale au cours de laquelle on interrogea 41 témoins choisis au hasard, dans chaque région et ayant au préalable répondu au questionnaire écrit. Ont été exclus de l'échantillonnage les francophones qui habitaient le Nouveau-Brunswick depuis moins de cinq ans. Une partie du questionnaire écrit consistait à recueillir des données pour établir le profil sociolinguistique des répondants, une deuxième partie cherchait à évaluer les usages linguistiques et la troisième partie (la plus importante) portait sur les représentations que les jeunes se faisaient de leurs usages. Les résultats partiels de l'enquête (deux régions) seront publiés à l'automne 1992 (Boudreau et Dubois, 1992). Le choix s'est porté sur ce groupe d'élèves puisqu'une conscience linguistique réfléchie devrait normalement caractériser des individus arrivés au terme des études secondaires. Les entrevues en face à face ont été enregistrées et transcrites telles quelles selon des conventions linguistiques internationales.1

Les barres obliques indiquent les pauses; les parenthèses apportent des précisions sur le contexte situationnel, ou tout renseignement nécessaire à la compréhension de la séquence enregistrée. Les X (xxx) sont l'indication d'un passage incompréhensible, les majuscules à la fin des mots indiquent que cette lettre particulière, exemple : pluS, est prononcée.

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La perception des écarts linguistiques par rapport à la norme en milieu diglossique

Carte 1

Pourcentages des francophones du Nouveau-Brunswick selon les régions étudiées

• Nord - Est Shippagan Tracadie

j

st.

Nord - Ouest

Grand - Sault

> Sud-Est Shédiac

• • Source : Statistique Canada carte: Serge Martin CR LA

TQftft i:'OD

Français Anglais

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3 . Pourquoi l'oral? Nous avons donné une place de choix au discours oral de nos témoins parce que, depuis Labov surtout, s'est instituée une sociolinguistique de la «parole» qui a vraiment fait date dans l'histoire de la sociolinguistique. Ses nombreuses enquêtes sur le vernaculaire noir ainsi que ses enquêtes à Martha's Vineyard et dans les magasins de New York ont fortement influencé les recherches actuelles. Comme il l'a bien démontré : La linguistique doit avoir pour objet l'instrument de communication qu'emploie la communauté; et [que,] si nous ne parlons pas de «ce» langage-là, c'est qu'il y a quelque chose de trivial dans nos procédures (Labov, 1976: 262).

Nous croyons aussi, avec Annette Paquot, que «l'enquête reste le seul moyen de contrôler les variables sociologiques et de donner une voix à ceux qui, d'habitude, ne prennent pas la parole sur ce genre de sujet» (Paquot, 1988 : 2). Les enquêteurs étaient tous trois Acadiens et s'exprimaient en «acadien», c'est-à-dire qu'ils avaient l'accent d'ici et posaient leurs questions dans leur langue la plus naturelle. L'entrevue était semi-directive et cherchait à mesurer les représentations langagières des témoins : leur image de la langue française, l'évaluation qu'ils faisaient de leurs usages (qui pouvait bien sûr être complètement différente de leur performance effective) et les rapports qu'ils entretenaient avec «l'autre» qui parlait autrement. Si nous avons privilégié le thème de la langue dans les entrevues, c'était pour solliciter le plus possible de commentaires métalinguistiques; Henri Boyer qui a produit de nombreux articles autour de la question occitane n'affirme-til pas que : Lors de mises en scène langagières, qu'elles soient ou non médiatiques, l'interaction (jouée ou spontanée) est sûrement beaucoup plus riche en expression de représentations sociolinguistiques, lorsque, bien entendu, le thème du discours concerne leQes) langue(s) et ses/leurs usages (Boyer, 1990:113-114).

4 . «On parle le français, ben on a pas la même manière de parler que zeux» (parlant des Québécois) La conscience de la variation linguistique est évidente pour tous les interviewés mais n'est vécue de la même manière par aucun. Cependant, nous avons cru pouvoir déceler certaines particularités propres aux régions étudiées.

4.1 Le Nord-Est Globalement, il ressort que, dans le Nord-Est, les témoins font une évaluation assez positive de leurs usages et entretiennent une relation plutôt sereine avec leur langue; ils disent souffrir de lacunes (surtout lexicales) mais se disent pour la plupart satisfaits de leur performance linguistique; ils souffrent parfois d'insécurité linguistique lorsqu'ils se comparent aux francophones d'ailleurs - aux Français de France surtout et aux Québécois de temps en temps mais, par contre, 27 % d'entre eux disent parler le meilleur français au Canada. Leur confiance est surtout manifeste au Nouveau-Brunswick lorsqu'ils se comparent aux francophones des

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autres régions : ils affirment dans une proportion de 90,6 % parler le meilleur français au Nouveau-Brunswick (Boudreau et Dubois, 1992). Cette sécurité, somme toute relative, permet aux témoins du Nord-Est d'identifier certains écarts qui distinguent leur langue des autres variétés du français, ce qui les différencie d'autres régions où, nous le verrons plus loin, l'insécurité est telle que tout devient écart, comme si le vernaculaire lui-même, en entier, était un écart en soi qui vient marginaliser tout un groupe. Au contraire, dans le Nord-Est, les témoins discutent facilement de ce qui les distìngue : - «Comme à la place de dire beurre [bœr], on dit beurre [ b0r] des choses comme ça là/j'aimerais mieux comme parler pluS bien là pis / mais je crois bien que je suis satisfaite de même.» - «J'ai mon accent de par icitte ... y a des mots qu'on raccourcit comme / à place de dire maintenant, on va dire asteure.» - «J'aimerais avoir un français pluS parfait... c'est qu'on est porté avec des expressions de la région ... (on dit) des mots plus au moins franglais comme qu'on appelle nous autres comme on pourrait dire un pneu mais on dit un tire.» Dans ces «paroles», la prononciation standard est valorisée [bcer] plutôt que [b0r], les expressions standard ont la préférence, «maintenant» plutôt qu«asteure» - régionalisme pourtant très fréquent - et bien sûr les anglicismes sont stigmatisés. Ces quelques exemples résument assez fidèlement les propos retrouvés dans plusieurs corpus. Tous récusent les anglicismes (et ce, dans les trois régions étudiées) et plusieurs donnent la préférence aux expressions courantes d'aujourd'hui plutôt qu'aux expressions qu'ils jugent anciennes. En effet, plusieurs témoins du Nord-Est disent vouloir se défaire des «mots anciens», désir qu'ils expriment de la façon suivante : «c'est pas que c'est pas du bon français mais c'est un vieux vocabulaire si tu veux (...) c'est presque de la culture ancienne..» «C'est pas de l'anglais, c'est comme les coutumes d'avant les mots». «Chaque petite place a ses mots anciens (...) qu'est-ce que tu vas faire si tu sors à l'extérieur pis tu dis ça le monde te comprendra pas parce que c'est pas un français standard si tu veux/ça fait que// moi je pense que je parle un français standard parce que je me fais comprendre partout...» Les mots valorisés seraient donc ceux de la modernité; les termes «archaïques» pourtant caractéristiques de la langue acadienne seraient presque considérés comme des mots d'avant les mots, des mots perçus comme de la «culture ancienne» empêchant la communication avec la francophonie mondiale. Le français standard représenterait donc l'ouverture à l'autre. Lors des questions portant sur l'auto-évaluation, les finissants se disent souvent satisfaits de leur performance pour ensuite affirmer dans la même phrase qu'ils voudraient s'améliorer, contradiction caractéristique des milieux diglossiques, comme l'ont démontré les sociolinguistes catalans (Ninyoles, 1976; Aracil, 1982) et occitans (Lafont, 1979; Boyer, 1990). Le Nord-Est

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pourrait-il être qualifié de région diglossique même s'il est majoritairement composé de francophones? Nous répondons par l'affirmative puisque les francophones de la péninsule acadienne vivent en situation diglossique dans la province du Nouveau-Brunswick si l'on définit la diglossie par «l'existence d'un rapport de force entre deux langues ou deux variétés d'une même langue» (Daoust et Maurais, 1987 : 20), car même s'il n'y a pas (encore) de conflit ouvert, même si tout peut sembler relativement harmonieux (et c'est cette harmonie apparente que le discours dominant évoque pour valoriser le bilinguisme officiel), la seule province officiellement bilingue du Canada ne peut guère se glorifier d'avoir éliminé les conflits entre ses deux groupes linguistiques principaux. Aussi pensons-nous, avec Daoust et Maurais, que «la diglossie est souvent dissimulée dans le discours dominant sous le masque du bilinguisme» (1987 : 19). Le Nouveau-Brunswick, dans son ensemble, serait donc diglossique. 4.2 Le Sud-Est - «Le chiac, c'est tcheuque affaire» 2 La grande majorité des jeunes locuteurs du Sud-Est disent parler «moitié français, moitié anglais, le chiac»,3 et n'en sont guère fiers. Ils avouent trouver difficile de discuter avec des francophones d'ailleurs, étant tellement conscients de parler un français dévalorisé. Rencontrant des étrangers - ou des gens qui parlent français autrement - les jeunes sentent le besoin de s'excuser de la qualité de leur langue : «j'ai dit excuse mon français Λ à/ y est pas parfait là»; une autre étudiante parlant de son séjour au Centre Terry-Fox à Ottawa, où elle avait fait un stage, dira : j'ai déjà été à des camps pis euh le monde me demande souvent de parler fiançais ben je sais pas (...) quand je le parle i comprennent pas parce que je parle comme acadien là tu sais (...) c'est une langue dérivée du français là.

Plusieurs affirment que le mélange continuel des deux langues les empêche de trouver «le bon mot au bon moment» et s'émerveillent de découvrir les autres venus d'ailleurs qui, eux, s'expriment facilement. Pour les jeunes du Sud-Est, «l'autre» parle toujours mieux. Ils affirment dans une proportion de 47,5 % parler le plus mauvais français au Canada et dans une proportion de 90,6 % parler le pire français en Acadie (Boudreau et Dubois, 1992). Un élève, troublé d'avoir toujours à chercher ses mots parce que, dit-il, «tout est écrit en anglais» (dans les magasins et dans l'affichage en général), se dit tout surpris d'entendre parler des Africains à son école «qui s'expriment parfaitement en français pis tu penses comment ça se fait que le français est rendu là» (en Afrique). Plusieurs encore affirment que l'usage du vernaculaire de la région

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Titre donné par un étudiant à une rédaction sur le chiac. Le chiac est un terme communément utilisé pour identifia' la langue et les locuteurs (on parle des chiacs) du Sud-Est du Nouveau-Brunswick. Le chiac compte souvent deux acceptions : 1) on parle du mélange de français et d'anglais à l'intérieur d'une même phrase; 2) on parle d'un mélange de français standard et d'expressions populaires et/ou d'archaïsmes. Le premier est qualifié de mauvais chiac, le deuxième de bon chiac, «d'agréable à l'oreille», «de retour aux sources». Dans le film L'éloge du chiac réalisé en 1968 par Michel Brault, les protagonistes font la distinction entre ces deux variétés.

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(dans leur esprit, le chiac) constitue une limitation s'ils veulent sortir du milieu; cette étudiante résume bien les propos de plusieurs : Si que je veux tout le temps rester icitte à Shediac i y a rien là ... je trouve que je parle bien pour quelqu'un qui reste à Shédiac (...) par icitte c'est OK ben si je veux m'en aller plus haut j'aimerais d'être pluS habile pis (que) les mots me sortent pluS facilement

«Plus haut», lapsus révélateur, vient renforcer l'idée que la langue parlée sur place n'est pas la langue haute. La norme est loin, très loin, ailleurs. Dans leur «imaginaire linguistique» les témoins oublient ou ne savent pas que le français parlé dans la région s'établit sur un continuum pouvant varier du français dit «standard» au français très anglicisé; pour ces derniers, c'est comme si une seule variété, le chiac, était parlé par tous et de la même façon dans le Sud-Est du Nouveau-Brunswick. Mais, ce qui importe ici, c'est bien la représentation subjective que se font de leurs usages les adolescents; si celles-ci sont globalement négatives ou plutôt dévalorisantes, on pourrait formuler l'hypothèse que la cause en est le discours véhiculé par les tenants de la norme légitime qui relèvent constamment les écarts négatifs de la langue régionale pour en montrer la piètre qualité. Or, l'imaginaire linguistique des locuteurs se structure à partir des discours qui sont tenus sur les langues. [ ] Ce discours peut être repéré dans de nombreuses productions discursives spontanées ou non (discours politiques, syndicaux, textes divers, journalistiques, littéraires, pédagogiques ...) écrites ou orales, en particulier dans les situations conflictuelles où les langues constituent un enjeu de pouvoir (Morsley, 1990).

Intériorisant ces discours, les élèves du Sud-Est stigmatisent leur langue qui ne serait qu'un immense écart par rapport au français standard. Par ailleurs, ils cherchent souvent à atténuer cette infériorité en disant qu'il existe pire «dialecte» ailleurs; ainsi les étudiants habitant Moncton disent que c'est pire à Shédiac, ceux de Shédiac, que c'est pire à Moncton. Les locuteurs de ces deux villes disent que c'est pire à Baie-Ste-Anne (petit village de pêcheurs), ou en Nouvelle-Écosse. Les contradictions entourant la perception des usages abondent dans les propos étudiants; ils diront que la langue française est importante, qu'il faut la conserver mais sans «exagérer»; ils disent mal parler pour ensuite affirmer qu'«après tout, c'est acceptable»; ils disent que le chiac est à condamner pour aussitôt déclarer qu'en fin de compte, toutes les langues se valent et que l'important, c'est de se comprendre. Ils disent être satisfaits de leur langue pour ensuite affirmer que «ça pourrait être mieux». Les paroles des témoins du Sud-Est sont tout à fait conformes aux représentations contradictoires, caractéristiques des situations diglossiques où Les préjugés comme les fantasmes sont partie prenante d'une situation qui engendre des/se nourrit d'attitudes apparemment contradictoires mais en réalité convergentes, comme la culpabilisation et l'idéalisation, le dénigrement et la fétichisation, la stigmatisation et la mythification (Boyer, 1990: 106).

4.3 Le Nord-Ouest - «Tout le monde parle un p'tit peu mal» Le Nord-Ouest du Nouveau-Brunswick, partageant une partie de sa frontière avec le Québec, l'autre avec le Maine, est composé majoritairement de francophones qui subissent à la fois une

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influence française et une influence américaine. À Grand-Sault, région bilingue située dans le comté de Victoria dont la proportion d'anglophones et de francophones est quasi semblable à celle du comté de Westmorland, il se dégage des interviews une insécurité linguistique qui semble s'apparenter à celle découverte dans le Sud-Est.4 Dans les deux autres comtés, le sentiment est moins accentué mais reste très présent; serait-ce en raison de l'influence anglaise (de nombreux mots anglais se glissent dans les phrases, et les élèves en sont conscients, ce qui les amène à dire qu'ils parlent mal) ou encore serait-ce en raison de la proximité du Québec qui leur montre une norme à imiter qui n'est pas la leur et qui leur semble la bonne? En effet, la moitié des finissants du Nord-Ouest voient dans le parler québécois un modèle à imiter alors que, pour l'autre moitié, les Français de France sont le modèle par excellence. Une étudiante dira d'ailleurs : «J'ai hâte d'aller parler avec des vrais Français» (en parlant des Français de France); une autre affirmera qu'elle était «toute émerveillée de les écouter (car avec eux), il faut tout mettre les mots à la bonne place, bien placés pour qu'i peuvent comprendre.» Dans le Nord-Ouest, tout écart par rapport aux modèles intériorisés est immédiatement déclaré fautif puisque les locuteurs «légitimes» (Bourdieu, 1982) font un usage autre. Le mot «bonnet» par exemple, couramment utilisé au Nouveau-Brunswick pour désigner une coiffure en laine sans rebord, définition d'ailleurs attestée dans Le Robert, est remis en question par rapport à l'expression «tuque» (terme québécois désignant la même chose); une étudiante dira qu'elle ne savait pas qu'un bonnet s'appelait une tuque et s'excusera presque de ne pas connaître ce mot ajoutant qu'elle avait appris depuis sa première année scolaire à utiliser le mot bonnet Une autre déclare que les Européens et les Français de France n'ont pas de «pis» dans leur langue; ils n'auraient que des «puis» - «ils ne connaissent pas ça, des pis.» Une autre encore élimine consciemment le mot misère pour le remplacer par difficulté : «J'aide les élèves qui ont de la misè/de la difficulté en français». Cette rupture dans l'enchaînement syntaxique est révélatrice dans la mesure où elle indique la censure opérée sur le mot régional pour lui préférer un mot standard. La valeur accordée aux usages n'est donc nullement tributaire de critères objectifs conférant un statut particulier à certaines expressions, mais est liée au prestige accordé aux locuteurs légitimes de l'usage. En raison de la relation qui unit le système des différences linguistiques et le système des différences économiques et sociales, on a affaire non à un univers relativiste de différences capables de se relativiser mutuellement, mais à un univers hiérarchisé d'écarts par rapport à une forme de discours (à peu près) universellement reconnue comme légitime, c'est-à-dire comme l'étalon de la valeur des produits linguistiques (Bourdieu, 1982:44-45).

Conclusion Gérald LeBlanc, ce poète essentiel et pour moi cet ami indéfectible. Le relire à quinze ans de distance, depuis quinze ans, me fait voir l'ampleur du projet qu'il s'était donné. Relier l'Acadie à l'Amérique et faire entrer la Les élèves disent d'ailleurs parler le chiac qu'ils définissent d'après la première acception formulée auparavant. Le terme réservé jadis pour désigner le parler du Sud-Est se populariserait pour signifier l'utilisation de codes mixtes dans la même phrase, et ce indépendamment des légions.

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modernité dans notre écriture, elle qui avait été si brutalement prise en otage par le folklore et tous ceux qui auraient voulu que nous mourions dans notre accent en parlant p'tit nègre, emmurés vivants dans les Villages Acadiens de la planète (Chiasson, 1988 : 8).

Dans sa préface à l'Extrême Frontière de Gérald LeBlanc, Herménégilde Chiasson salue celui qui veut, par ses mots, faire entrer l'Acadie dans la modernité. Il s'en prend, du même coup, à ceux qui méprisent l'accent acadien et qui asservissent son peuple en le maintenant dans une image folklorique périmée. Dans son recueil de poésie, Gérald LeBlanc plaide pour une revalorisation et une réappropriation de la langue acadienne en tant que langue de communication et de création. Par leurs démarches, les deux écrivains viennent rejoindre les voeux exprimés par les témoins de l'enquête qui aspirent à la modernité tout en voulant conserver leur identité sans être étiquetés d'après les seuls écarts différentiels qu'ils perçoivent la plupart du temps négativement. Tout en admettant les variétés régionales, surtout sur le plan phonétique - «tout le monde a un accent» - , la majorité des élèves voudraient se débarrasser des stigmates langagiers qui les pourchassent pour se réapproprier un parler qui soit le leur et participer à part entière à la francophonie mondiale. En situant la variété acadienne par rapport aux autres variétés du français et notamment le français québécois et le français européen par un travail de normalisation de la langue, il sera peut-être possible de radier peu à peu le sentiment d'insécurité linguistique observé chez de nombreux Acadiens. En donnant à la langue acadienne la place qui lui revient dans l'éventail des variétés du français, il s'ensuivra que ses locuteurs seront davantage en mesure de cultiver des représentations langagières sereines qui en retour agiront sur les attitudes, car «à côté des représentations, et très souvent en liaison avec celles-ci se développent des attitudes linguistiques» (Lafontaine, 1986: 15); celles-ci devront être les plus positives possible puisqu'elles sont déterminantes pour le développement et l'épanouissement d'une langue, surtout en milieu minoritaire.

Bibliographie Aracil, L. V. (1982), Papers de sociolingiiistica, Barcelona, Edicions de la Magrana. Boudreau, Annette (1991), «Les rapports que de jeunes Acadiens et Acadiennes entretiennent avec leur langue et avec la langue», Egalité 30. Boudreau, Annette et Lise Dubois (1992), «Insécurité linguistique et diglossie : étude comparative de deux régions du Nouveau-Brunswick», Revue de l'Université de Moncton. Bourdieu, Pierre (1982), Ce que parler veut dire, Paris, Fayard. Boyer, Henri (1990), «Les représentations de la langue : approches sociolinguistiques», Langue française 85. Chiasson, Herménégilde (1988), Préface, L'extrême frontière par Gérald LeBlanc, Moncton, Editions d'Acadie. Conseil de la langue Française (1990), «L'aménagement de la langue : Pour une description du français québécois», Conseil de la langue française, 23.

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Annette Boudreau

Corbeil, Jean-Claude (1991), «L'aménagement linguistique en Acadie du Nouveau-Brunswick», Vers un aménagement linguistique de l'Acadie du Nouveau-Brunswick, CRLA, Moncton, N.-B. Daoust, Denise et Jacques Maurais (1987), «L'aménagement linguistique», Politique et aménagement linguistiques, Paris, Collection «L'ordre des mots», Le Robert Houdebine, A.-M. (1982), «Norme, imaginaire linguistique et phonologie du français contemporain», Le français moderne 1. Labov, William (1976), Sociolinguistique, Paris, Éditions de Minuit. Lafont, Robert (1979), «La diglossie en pays occitan, ou le réel occulté», Bildung und Ausbildung in der Romania, München, Fink Verlag. Lafontaine, Dominique (1986), Le parti pris des mots, Bruxelles, Pierre Mardaga. Maurais, Jacques (1986), «Régionalismes et langue standard», Langue française au Québec 8. Morsley, Dalila (1990), «Attitudes et représentations linguistiques», La linguistique 26. Ninyoles, R. L. (1976), «Idéologies diglossiques et assimilation», Diglossie et littérature, Bordeaux-Talence, Maison des Sciences de 1 Homme. Paquot, Annette (1988), Les Québécois et leurs mots, Québec, Les Presses de l'Université Laval. Péronnet, Louise (1992), «Pour un aménagement de la langue en Acadie du NouveauBrunswick», Présence Francophone 40 :9-28. Phlipponneau, Catherine (1991), «Politique et aménagement linguistiques au NouveauBrunswick», Vers un aménagement linguistique de l'Acadie du Nouveau-Brunswick, CRLA, Moncton, N.-B.

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Teresa Cabré i Castellví Universität de Barcelona

Autour de la norme lexicale Le comportement de l'individu n'est pas totalement libre : il se situe à l'intérieur d'un cadre de référence qui à la fois facilite la conduite, puisqu'elle n'a pas ainsi à être inventée à tout moment, et sécurise l'individu, puisque alors il ne provoque aucune hostilité de la part des autres membres du groupe (Corbeil, 1983).

S'il est en soi déjà difficile et complexe d'aborder le sujet de la norme linguistique de façon abstraite, entrer dans le terrain de la norme d'une langue en particulier intensifie encore cette complexité initiale. En effet, une simple analyse du thème de la norme en général révèle d'emblée que le concept de norme embrasse plusieurs notions toutes reliées entre elles, qui se chevauchent et qui, très souvent, sont difficiles à délimiter; appliquer cette notion au cas d'une langue en particulier complique sans doute la chose par la confluence d'un ensemble de phénomènes pas toujours faciles à élucider. La complexité du sujet est évidente lorsque l'on établit une série de points, sans la concrétion desquels il devient difficile d'aborder de manière claire l'analyse du fonctionnement de la norme dans une communauté sociale. En premier lieu, il faut considérer la polysémie du terme norme lui-même, ce qui fait que nous ayons à éclaircir d'entrée les différents concepts cachés sous ce terme et l'acception particulière que nous utilisons à chaque occasion. En deuxième lieu, il faut évaluer la complexité et la multidimensionnalité du fonctionnement de la norme dans une communauté linguistique qui subit les interférences de facteurs de différente nature, toujours en interaction dynamique. En troisième lieu, il est nécessaire d'analyser la complexité de la réalité sociale d'une communauté parlante au sein de laquelle se matérialisent les différentes normes. Et, en quatrième et dernier lieu, il faut prendre en considération le réseau discursif que produisent les différents agents sociaux autour de la norme, réseau qui exerce une influence sur la délimitation de la norme et qui est à la fois le reflet de l'interaction entre la norme et la société en son ensemble. Il va donc sans dire que la norme est un thème véritablement compliqué à traiter. Le propos de cet article est de contribuer à éclaircir la complexité que, dans le cadre se référant à la norme linguistique en général, la norme lexique établit dans une société déterminée - la société catalane - , composée (comme il est normal dans toutes les sociétés) de groupes et d'infragroupes 1 qui se chevauchent les uns les autres, et par rapport auxquels, de manière multidimensionnelle, les individus s'identifient et adoptent des comportements spécifiques. Nous utilisons le terme «infragroupe» dans les sens de Corbeil (1983).

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1. Sur le concept de norme linguistique Jespersen (1969), dans son célèbre article sur les nonnes de correction, ne définit pas proprement la norme; mais il fait cependant allusion à la proposition de Noreen (1895) concernant les bases pour décider si une forme est plus correcte qu'une autre. Noreen expose trois argumentations qui permettent de justifier une option linguistique déterminée comme étant plus correcte qu'une autre : la littéraire-artistique, la naturelle-historique, et la rationnelle. Selon la première opinion, le critère de correction est déterminé par les bons écrivains, mais pas tant par les écrivains actuels que par ceux d'époques antérieures; ainsi donc, à partir de cette perspective, les formes et structures utilisées par les écrivains considérés comme classiques dans une tradition littéraire déterminée seraient correctes. Il est évident qu'un modèle de correction archaïsant dérive de ce paramètre. Le deuxième critère est basé sur la considération que la langue est un organisme qui suit les lois de la nature en liberté absolue et que, par conséquent, toute intervention artificielle dans ce processus est tout à fait illégitime; cette opinion repose sur les théories de l'évolution naturelle, très acceptées à l'époque de Noreen. Il va sans dire que, si le premier critère nous amenait à une option archaïsante, ce deuxième critère peut facilement conduire, selon les circonstances, à la substitution de la langue en situation de faiblesse par celle se trouvant en situation de domination. Finalement, le critère que Noreen dénomme de rationnalité ou de sens commun consiste littéralement (toujours suivant Noreen) en ce que l'énoncé suivant transmet : «le mieux est ce qui peut être compris le plus exactement et le plus rapidement par l'auditoire présent, et produit le plus facilement par celui qui parle». Il est inutile de souligner que la troisième proposition de justification suggérée par Noreen (qui manifeste, sans aucun préjugé, que c'est pour lui la seule norme valide) est pleine d'ambiguïté, surtout parce que, au lieu d'éclairer les critères d'après lesquels on doit considérer une forme correcte en opposition à une autre qui serait incorrecte, il se limite à évaluer quelle serait la forme la plus utile du point de vue communicatif. Mais ce qui n'est pas jaugé dans l'argumentation de Noreen, c'est la difficulté d'établir l'utilité de certaines formes face aux situations communicatives en général, car ces situations peuvent être d'une grande diversité, aussi bien par le type de situation que par les éléments qui interviennent dans un acte communicatif. Ainsi donc, compte tenu de la complexe diversité des situations communicatives, l'argument de Noreen nous amènerait à défendre que le plus utile est ce qui s'adapte le mieux à chaque type de situation de communication et aux interlocuteurs qui y interviennent Mais ce qui s'avère difficile dans cette position, c'est de déterminer en fonction de quels paramètres cette proposition doit être interprétée. En plus des éléments que nous venons de présenter, et pour aborder plus concrètement le thème des situations communicatives qui réclament une norme déterminée, il faut tenir compte de la situation générale où se trouvent les individus dans tout système social organisé, de la gestion qu'ils font normalement des échanges communicatifs et de leurs comportements psychosociaux.

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Ainsi, par exemple, il est nécessaire d'évaluer que, dans toute situation communicative, ceux qui y participent développent une sorte de pacte implicite de coopération (préalable à l'échange), qui, outre la sélection des règles pragmatiques (par exemple, qui commence la conversation, quel sujet on va traiter ou quel ton on doit employer), comporte un accord implicite sur un «modèle de langue» déterminé. Dans cet échange, les individus n'agissent pas de manière totalement libre et suffisante à chaque situation de communication, mais ils actualisent une variété déterminée de comportements en fonction d'une sorte de typologie intériorisée qui agit comme point de répère pour la collectivité. Corbeil se situe dans cette ligne, si nous tenons compte des mots de la phrase que nous avons citée en tête de ce texte : «Le comportement de l'individu n'est pas totalement libre : il se situe à l'intérieur d'un cadre de référence qui à la fois facilite la conduite, puisqu'elle n'a pas ainsi à être inventée à tout moment». Ainsi, le choix d'une variété linguistique déterminée relative à la correction est un des éléments du comportement individuel et collectif. Donc, une fois la question posée non pas tant en termes d'individus que de communautés linguistiques, il faut observer qu'il n'est pas nécessaire d'en arriver à des limites exagérées de diversité dans la typologie des situations communicatives, mais qu'au sein d'une communauté fonctionnent des tendances ou des modèles intériorisés par les sujets parlants de manière presque inconsciente et qui fondent le choix que ces sujets et les groupes font d'une ligne linguistique déterminée, modèles qui sont la réponse qu'ils donnent à la question «quel est le critère pour décider qu'une façon de s'exprimer est plus correcte qu'une autre». Or, la réponse générale à cette question est multiple et à nouveau complexe; les sujets parlants basent leur critère de correction sur divers modèles qui servent de point de répère. De ces modèles, appelés normes, Jespersen, s'inspirant des trois critères établis par Noreen, en souligne sept : a) la norme d'autorité : le modèle correct est celui que les organismes académiques proposent. b) la norme géographique : le modèle correct est celui qui est utilisé dans une zone géographique déterminée. c) la norme littéraire : le modèle correct est celui qui est utilisé par les écrivains considérés comme classiques. d) la norme aristocratique : le modèle correct est celui qui est utilisé par les classes sociales illustrées. e) la norme démocratique : le modèle correct est celui qu'utilise la majorité des sujets parlants d'une langue. f) la norme logique : le modèle correct est celui qui (dit-on) ne contredit pas la pensée. g) la norme artistique : le modèle correct est celui qui s'avère le plus esthétique et le plus élégant. Évidemment, aucune des sept options se suffit à elle seule pour expliquer le comportement individuel et social par rapport à la variété, mais l'ensemble qu'elles forment, soit les sept normes réunies, soit une partie des ces sept normes, délimite chez les locuteurs certaines tendances à

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choisir en fonction de ce qu'ils croient être le plus correct. Et on ne doit pas perdre de vue que la sélection de certaines normes déterminées (et l'abandon consécutif de certaines autres), tout comme la hiérarchisation des différentes normes montrent clairement la position du sujet parlant 2 . Les sujets parlants et la norme linguistique Parallèlement aux normes de référence générale, que chaque groupe social hiérarchise de manière spécifique, les sujets parlants, en tant qu'individus, agissent dans ce panorama cherchant à conserver un équilibre entre, d'un côté, le droit à la diversité, à l'originalité ou à l'identification personnelle, et, de l'autre, la tendance à l'uniformisation sociale et à l'identification collective. Pour ce qui est de la première tendance, on doit souligner que le droit à la diversité dont dispose le sujet parlant n'est absolu qu'en termes théoriques, non pas en termes pratiques. En effet, si nous considérons le langage comme un instrument social, la liberté des individus n'est pas infinie, mais, au contraire, restreinte par des principes généraux qui régissent la communication dans sa totalité et par les règles de comportement de la société ou des groupes dont les sujets parlants font partie et avec lesquels ils s'identifient. Il se produit ainsi une tension dynamique constante entre l'individu et la communauté, une négociation implicite continue entre la liberté individuelle et les normes sociales. Mais, d'autre part, une langue n'est pas non plus un ensemble de ressources fermé et inaltérable; elle est aussi un système changeant et relativement ouvert qui offre au sujet parlant une série de possibilités pour qu'il sélectionne celles qu'il considère comme les plus appropiées. En ce sens, le sujet parlant se trouve entre deux forces qui agissent en sens contraire : l'une le fait tendre à l'anarchie, et donc, à la différentiation; l'autre à la discipline, donc, à l'unité. Tout comportement est réglé par des normes; il n'existe pas une seule norme en dehors de laquelle tout autre comportement serait automatiquement fautif. Tout au contraire, le réel linguistique, aussi différent qu'il puisse être de certain code, n'en répond pas moins à des contraintes linguistiques et sociales que l'on peut observer et analyser (Aléong, 1983).

On peut donc dire, suivant Aléong (1983), que, dans cette double possibilité, la conduite des sujets parlants quant à la sélection d'un modèle d'expression est réglée par deux types de réactions : l'une visant au mimétisme, influencée par l'action d'intégration de la langue; et l'autre visant l'originalité, influencée par la réaffirmation de la personnalité. Et ceci se produit si nous parlons aussi bien d'individualités que de groupes. Inutile de souligner, car cela semble assez clair, que la double tendance que nous venons de mentionner est la même que celle qui se produit dans l'ensemble d'une communauté à mesure que son degré de complexité augmente. D'une part, il se produit une tendance à la variation (sous forme de dialectes, de registres et de styles); d'autre part, il se produit une deuxième tendance en sens contraire vers l'unification (sous forme d'une modalité standard ou d'une modalité normative). En plus de ces caractéristiques, il faut aussi considérer que, parallèlement aux considérations communicatives que nous avons faites jusqu'ici, nous ne pouvons concevoir le langage comme un seul moyen de communication social et d'expression individuelle qui reflète une vision

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déterminée du monde, mais encore comme un moyen d'identification individuelle, de groupe et social qui peut signifier des valeurs stratégiques déterminées dans l'interaction des rôles et des statuts sociaux; en d'autres mots, c'est un indicateur de groupe ou de statut. Partant de cette perspective additionnelle qui souligne le caractère d'identification du langage, les individus intégrés dans des groupes sociaux déterminés adoptent les formes d'expression qui les identifient en tant que membres de ces groupes.2 L'appartenance à un groupe auquel un sujet parlant veut être identifié fait qu'il s'exprime d'une manière déterminée. Il est propre à la psychologie humaine en général d'imiter le comportement référentiel du groupe auquel on appartient et auquel un individu se sent identifié. Appartenir à un groupe spécifique demande de la part de l'individu l'adoption de modèles de comportement et de règles de discours aussi bien en ce qui concerne l'expression que le contenu transmis. Ces règles de comportement ne sont pas nécessairement explicites, bien qu'elles puissent l'être. Il y a des normes sociales implicites et des normes sociales explicites; comme il y a des normes linguistiques explicites (la codification normative en est un exemple) et des normes linguistiques implicites (celles qui, sans avoir été affirmées par aucun organisme, ont été parfaitement intériorisées par les sujets parlants et font qu'ils ne s'expriment pas de la même manière à n'importe quelle occasion). Une fois cette distinction faite entre normes linguistiques implicites et explicites, on doit souligner que les normes explicites requièrent des conditions déterminées pour être considérées comme telles : elles exigent, en premier lieu, qu'il y ait un discours sur la norme, qui détermine explicitement quel est le bon usage linguistique (en condamnant indirectement les autres usages, en leur attribuant une valeur relative spécifique en référence à d'autres usages ou en les circonscrivant à des espaces communicatifs déterminés); en deuxième lieu, les normes explicites doivent procéder d'un élément de référence (un organisme ou groupe social ayant une autorité morale reconnue et étant donc capable de légitimer la proposition de bon usage); et, enfin, les normes explicites doivent avoir en leur faveur les voies de diffusion naturelles à partir desquelles la norme est normalement imposée (les moyens de communication, les enseignants, les écrivains, les spécialistes, etc.). Si tous ces facteurs convergent vers une seule proposition de correction (fait qui n'exclut pas que la norme soit différente selon les circonstances de communication), nous nous trouvons sans aucun doute face à une situation optimale qui a peu de chances de se présenter dans la réalité. En effet, la situation la plus habituelle se produisant normalement dans les diverses communautés linguistiques est celle d'un «conflit» de normes, tant en ce qui concerne la référence multiple (très souvent il n'y a pas un élément de référence unique) que pour ce qui est de la diversification que demandent les différentes situations de communication (on ne peut pas suivre le même point de répère pour toutes les situations). 2

Les formes d'expression que peut adopter un sujet parlant peuvent être des caractéristiques spécifiques à plusieurs groupes, puisqu'un même individu peut appartenir à plus d'un groupe en fonction de sa multidimensionnalité et, en même temps, une option d'expression déterminée peut caractériser plus d'un groupe, puisque les différents groupes ne maintiennent pas entre eux que des relations exclusives, mais au contraire, des relations complémentaires, intersectionnelles et inclusives.

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Ainsi, le sujet parlant se trouve très souvent face à une diversité de références de correction (organismes et groupes qui marquent le bon usage) et face aux divers modèles d'expression offerts par la langue (les différents dialectes, registres fonctionnels et modalités d'expression), par rapport auxquels il maintient une position déterminée (les préjugés par rapport à sa propre modalité dialectale et celles d'autrui, par rapport à la variété normative, par rapport à la diversité, etc.)· Pourquoi cacher que beaucoup de ces attitudes et préjugés sont fondés sur certaines routines culturelles et sur des patrons idéologiques? En cas de conflit de variétés, l'imposition d'une variété sur une autre ne s'obtient pas tant de façon naturelle que par une intervention subliminale au moyen d'une série de forces qui déterminent un choix ou un autre. 3 . Aspects de la norme lexicale Dans ce panorama qui vient d'être présenté sur la norme, quatre aspects conceptuels opposés, de nature bien différente, se mélangent. D'une part, la dichotomie entre la norme explicite et la norme implicite que nous avons déjà mentionnée; ensuite, l'opposition entre normatif (dans le sens de correct) et normal (dans le sens d'usuel); puis l'opposition entre correct et préférable et entre incorrect et possible; et, finalement, la dichotomie entre idéal et réel par rapport aux faits du langage. Mais s'il est en soi déjà diffìcile de délimiter clairement chacun de ces aspects par rapport au langage en général, ça l'est encore plus si nous descendons au niveau des langues particulières, et plus encore pour le cas du lexique. L'analyse de la norme par rapport aux unités lexicales implique une complexité supplémentaire. En effet, les mots, à la différence des structures syntaxiques, sont les éléments référentiels minimaux par lesquels les sujets parlants se rapprochent de la réalité et désignent ses éléments. Ce n'est donc pas étonnant que les mots soient les signes les plus immédiats d'identification d'une langue, bien qu'ils n'en soient pas les éléments le plus représentatifs. Les mots sont des unités qui, à la différence des unités phonologiques, dépassent les limites de la grammaire modulaire et de la compétence linguistique du sujet parlant. Les mots sont des unités désignatives par lesquelles nous identifions la réalité, à la différence de la syntaxe qui demande la présence des mots pour se matérialiser en structures de constituants. Certes, dans la conception modulaire de la grammaire selon laquelle une proposition de modules en interaction renseignerait sur la description de la langue, on prévoit un module lexical initial qui, à la différence du reste des ensembles modulaires (la syntaxe, la phonologie et la sémantique), inclurait, en plus des règles spécifiques et des conditions de bonne formation, un dictionnaire. Ce dictionnaire comprendrait, selon la proposition générative, un ensemble d'unités de lexèmes informées formellement et sémantiquement. Chacune de ces unités serait un ensemble de données descriptives de leur bonne utilisation dans le contexte d'une langue particulière. Mais rendre compte de la production et de l'interprétation des mots d'une langue ne peut pas se limiter aux données lexicales de type grammatical, car ce serait traiter le langage du point de vue de son idéalisation, ni réduire l'étude du lexique à la seule connaissance qu'en a le sujet

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parlant compétent d'une langue, car cette proposition, bien que parfaitement légitime, serait absolument réductionniste et n'expliquerait en aucun cas l'usage qu'en font les sujets parlants dans les situations communicatives. Par conséquent, c'est seulement en considérant les mots comme des éléments complexes qui, du point de vue de la compétence, incluent des données linguistiques provenant de la grammaire et d'autres données encyclopédiques provenant de l'expérience; c'est seulement en considérant les mots dans le cadre d'une théorie qui, parallèlement à la compétence, inclurait la pratique et par conséquent tiendrait compte de l'usage que les sujets parlants font des mots dans les différentes situations; enfin, c'est seulement en considérant les mots comme des pièces linguistiques mais en même temps culturelles, sociales et politiques, matérialisées dans des textes qui ont une valeur de discours; c'est, donc, seulement en gardant bien présents à l'esprit les divers aspects qui composent les mots, que nous pourrons en rendre compte sans les rabaisser ni dans leur valeur sociale de discours ni dans leur complexité linguistique (pas seulement grammaticale). Dans ce cadre, la norme lexicale explicite doit être comprise pour le moment en terme d'inclusion dans des ouvrages de référence normative (dictionnaires essentiellement); et la norme lexicale implicite, en terme d'adéquation à chaque type de situation communicative (les registres fonctionnels) et de bon goût (le style personnel et l'esthétique). Mais considérer que seuls sont corrects les mots inclus dans le dictionnaire de référence normative supposerait de la part d'un linguiste la méconnaissance de la base même de la linguistique et du lexique. Certes, l'avoir lexical d'une langue - à la différence de tous les autres : phonologique, morphologique et syntaxique - est un inventaire en renouvellement permanent, de par la façon dont les mots (nous venons tout juste de le souligner) servent à désigner une réalité en permanent processus de changement et à nous y rapporter, et en même temps reflètent interactivement ce changement Dans cette conception, les concepts de correct et de normatif par rapport au lexique ne peuvent donc pas être considérés comme synonymes; pas plus que deux notions apparemment différentes, comme le sont celle de la correction normative et celle de la grammaticalité des mots, ne doivent être confondues. En théorie, tous les mots qu'une langue considère comme propres sont grammaticaux, et, par conséquent, activement (et non seulement passivement) inclus dans la liste des mots disponibles que possède un locuteur de cette langue.3 La conception de sujet parlant, cependant, est certainement un des points les plus conflictuels de délimitation de la notion de grammaticalité. En effet, si l'on observe la réalité de ceux qui utilisent une langue, ce que l'on remarque d'emblée c'est que, si les sujets parlants d'une même langue partagent des unités lexicales qui sont la base Ce sujet parlant-auditeur, dans les propositions génératives, est un idéal abstrait sans conflit de langues ni aucune interférence, qui sait tout de la langue qu'il parle et qui est capable de différencier sans hésitation les phrases grammaticales (réelles ou potentielles) qui font partie de la grammaire de la langue qu'il utilise, et les non-grammaticales, qu'il ne produirait lui-même en aucune circonstance. Logiquement, cette idéalisation de la théorie linguistique, nécessaire pour garantir à la linguistique un statut de discipline scientifique, est loin de décrire la complexité de la réalité et les caractéristiques, les aptitudes et l'habileté des sujets parlants réels de n'importe quelle langue réelle dans une situation réelle de communication.

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de leur intercompréhension, ils en utilisent aussi d'autres (variétés marquées) qu'ils singularisent Et si l'on prend la peine de vérifier par la suite si toutes les unités utilisées par deux locuteurs dans une situation communicative déterminée sont ou ne sont pas dans le dictionnaire, on remarque aisément que non, mais que le fait de ne pas y être ne leur a causé aucune sorte d'entrave ni au niveau de l'expression ni à celui de la communication. Ainsi donc, les dictionnaires ne contiennent (ni ne peuvent contenir) les mots d'une langue, mais seulement un sous-ensemble déterminé. Cette impossibilité est à tout point de vue logique. D'emblée, l'avoir lexical d'une langue ne se réduit pas aux unités réelles utilisées par les locuteurs - qu'elles soient correctes ou incorrectes - , mais il comprend aussi l'ensemble des mots potentiels de la grammaire du lexique, qui inclurait tous ces mots qui, en utilisant les possibilités de combinaison (de composants ou de lexèmes) ou de conversion (syntaxique ou sémantique) que la grammaire offre, pourraient à tout moment être actualisés par un sujet parlant quelconque sans aucun risque d'interrompre ou de faire vaciller la communication. Mais, en plus des recours de formation, l'inventaire des mots d'une langue peut toujours recevoir de nouvelles unités de création directe (création ex nihilo) ou d'emprunt d'une autre langue (historique ou actuelle). Si un dictionnaire général, cela semble évident, ne doit pas contenir «les» mots d'une langue (puisque cela est impossible), un dictionnaire normatif ne devra contenir qu'un sous-ensemble de l'ensemble de ceux qui sont considérés comme corrects, et, par conséquent, laissera la porte ouverte à l'usage de nouveaux mots qui, bien que n'y étant pas inclus, sont également normatifs. Ces mots normatifs ne coïncident pas (et, à notre avis, ils n'ont pas à le faire) avec ceux qui sont le plus utilisés par les sujets parlants. Certes, si l'usage était le seul indicateur de la correction, le langage serait encore une fois soumis à une seule influence, celle des relations de dominance de la part de forces externes qui, par leur affirmation hiérarchique, imposeraient une option linguistique ou, à l'intérieur d'une langue, une modalité spécifique. Par conséquent, l'usage, qui semble apparemment le point de répère le plus neutre et le plus objectif en vue d'établir un modèle de correction, est en soi un indicateur profondément marqué et idéologiquement déterminé. La représentativité de la part d'un groupe dominant d'un modèle culturel et idéologique, ou bien le contrôle de la part d'un groupe des voies de diffusion les plus fondamentales, peut déterminer l'imposition d'une option linguistique au-dessus des autres, également représentatives, mais sans le même pouvoir d'accès aux voies de diffusion d'une modalité. Ainsi, une proposition qui apparemment semble la plus objective devient absolument subjective. Cependant, en plus des considérations critiques que nous avons faites sur la proposition d'établir la norme de correction à partir de l'usage, puisque deux des piliers sur lesquels elle repose (le respect des sujets parlants et sa neutralité supposée) ne semblent pas être appropriés, il faut encore tenir compte d'un autre argument contre l'usage comme indicateur de la correction. Les situations de communication, comme nous l'avons dit, ne sont pas homogènes mais diverses et demandent par conséquent une diversité d'expression adaptée à chaque situation. Défendre un modèle unique de correction pour une langue semble par conséquent impropre si nous considérons la pratique réelle de cette dernière. Ainsi, en plus de la correction et à un degré

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semblable d'importance, il faut considérer l'adéquation. Une proposition correcte peut être tout à fait inadéquate par rapport à une situation de communication donnée et sera, par conséquent, réfutable. Cela veut donc dire qu'il est nécessaire de proposer un modèle de correction pluridimensionnel qui inclut, en plus de la grammaticalité, l'adéquation. Ainsi, face aux diverses formes correctes, le sujet parlant peut choisir la plus adéquate à une situation, et, en ce sens, c'est l'option qui est préférable. La réalité est diversité, et la langue, en sa qualité de système d'expression de la réalité et pour la réalité, doit être également diverse : À la limite, le principe de persistance entraîne une sorte d'hypocrisie qui amène les membres d'un groupe ou d'un supragroupe à nier la variation, ou encore au mieux à la minimiser en la désignant par des expressions euphémiques du type «niveaux de langue», «régionalisme» (Corbeil, 1983).

4 . L'importance sociale de la norme lexicale Les langues sont, finalement, des créations humaines et c'est non seulement un droit, mais encore un devoir, de contribuer avec toute notre modeste habileté à les rendre meilleures pour nos compagnons et pour les générations à venir (Jespersen, 1925 [1969]).

Il est naturel que le sujet parlant s'identifie avec une ou différentes propositions linguistiques en fonction de l'idée qu'il a de ce qu'une langue est et de ce que son avenir doit être, de quel modèle de correction il s'agit et comment ce modèle doit être. Un des paramètres qu'un sujet parlant utilise pour se situer par rapport à la correction est de considérer la signification qu'une langue (la sienne propre) a pour lui, et de situer les autres langues en fonction de celle-ci.4 C'est par rapport à ce critère que le sujet parlant se situe face au modèle linguistique de référence et le concept plus ou moins pluriel en fonction de la signification qu'une langue a pour lui. Il est important de remarquer, même s'il s'agit d'un fait amplement décrit, que les sujets parlants en général se décident linguistiquement pour l'une ou pour l'autre conception de ce que doit être le modèle de référence, non pas tant à travers le système global de la langue qu'à travers les mots. Certainement, les mots sont pour les sujets parlants d'une langue les signes d'identification les plus immédiats et, en ce sens, ils profilent plus leur position linguistique autour des options lexicales qu'autour des options phonologiques, morphologiques ou syntaxiques. Cependant, comme nous l'avons déjà dit plus haut, les mots, dans le cadre de la grammaire d'une langue, forment un inventaire relativement ouvert, qui admet (parce que c'est nécessaire) un renouvellement continu et permanent, soit par la voie de la formation de nouveaux mots sans transgression du système d'une langue (dérivation, composition, conversion syntaxique, 4

On peut donc concevoir une langue comme un instrument de communication exclusivement; ou comme un instrument de communication et un système d'identification d'une communauté, et, en même temps, comme un outil de transformation politique de la situation existante.

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conversion sémantique, syntagmatìque, lexicalisation d'une forme grammaticale, etc.), soit par la voie d'emprunter des unités à d'autres langues plus ou moins proches structurellement. De cette façon, des unités nouvelles qui, si elles surgissent par la première voie, ne sont même pas perçues comme de nouveaux mots par les sujets parlants (et qui le sont par contre par les linguistes) apparaissent constamment dans le vocabulaire d'une langue. Par contre, si elles proviennent d'un emprunt, elles sont explicitement décelées et peuvent être perçues comme conflictuelles. Mais l'incorporation d'emprunts dans une langue doit être en principe considérée comme un phénomène normal. Les situations de contact linguistique, comme il est évident, causent des transferts d'unités entre divers systèmes; l'uniformisation culturelle qui se produit actuellement partout doit forcément causer un transvasement d'unités lexicales d'un système à l'autre. C'est là la situation de départ, en cohérence avec laquelle le recours lexical qui consiste à emprunter des unités d'un système linguistique étranger pour désigner dans la propre langue de nouvelles unités de pensée ou pour explorer de nouvelles formes d'expression, doit être dédramatisé et ressenti plutôt comme un recours d'incorporation de nouvelles unités (exclusives ou alternatives) à l'inventaire lexical des sujets parlants. C'est là la conception qu'il faut avoir de l'emprunt, si l'on considère les langues exclusivement comme des moyens de communication, de plus en plus uniformes parce qu'elles reflètent (et, en même temps, font allusion à) une réalité de plus en plus uniforme. Mais si nous tenons compte qu'il y a d'autres conceptions qui conçoivent la langue comme un système d'identification d'une communauté, l'emprunt ne peut plus être analysé comme une conséquence naturelle du contact des langues sans plus. En effet, dans une langue en situation d'instabilité pour une raison quelconque, historique ou actuelle, l'entrée dans le lexique d'unités provenant d'autres langues, surtout si l'incorporation de ces unités se produit de manière incessante et intensive - sans que le système puisse réagir ni les sujets parlants générer des désignations à partir de leurs propres recours - , peut être perçue comme un processus irréversible de substitution linguistique et peut, par conséquent, monopoliser (inadéquatement si c'est fait de manière réductionniste et sans penser à la diversité fonctionnelle ni aux autres niveaux grammaticaux) le débat sur le modèle de correction. Les mots sont des unités grammaticales indispensables dans n'importe quelle langue, mais ce sont fondamentalement la syntaxe, la morphologie et le système phonologique qui marquent de façon définitive la physionomie d'une langue. Et ceci ne peut pas être oublié. L'admission dans le lexique de mots empruntés n'est pas en soi un fait négatif. Dans une situation non marquée, ce fait doit même être naturel, car il révélerait autrement le caractère artificiel d'une langue. Or, l'incapacité des sujets parlants d'une langue de réagir activement face à l'emprunt systématique est un indicateur de la faiblesse de la compétence et il s'agit donc d'un phénomène qui ne peut pas être minimisé. Néanmoins, il ne faut pas oublier que les processus d'emprunt révèlent, plus que des situations de contact, des situations presque toujours de domination (explicite ou implicite) par rapport auxquelles les locuteurs prennent également position par leur option linguistique.

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Malgré l'importance des mots, le lexique d'une langue, comme Francese de Boija Moll affirme très justement au propos de la langue catalane, n'est rien que l'ensemble des pièces complémentaires d'une structure : Une langue peut se comparer à un bâtiment. Les mots seraient les pierres; la construction ou le système grammatical serait la structure ou l'édification. Si nous voyons deux maisons où les étages, les murs, les toitures, les entrées et les fenêtres sont pareilles, nous dirons que ce sont deux maisons pareilles, même si l'une a des pierres plus grosses ou de couleur différente que l'autre, ou si l'escalier a deux ou trois marches de plus. Ainsi sont les dialectes ou modalités d'une langue; des immeubles qui ont la même structure (grammaire) et des pierres de différente sorte (mots) (Moll, 1971).

Bibliographie Aléong, S. (1983), «Normes linguistiques, normes sociales, une perspective anthropologique», dans É. Bédard et J. Maurais (1983 : 255-280). Bédard, É. et J. Maurais (éds.) (1983), La norme linguistique, Québec et Paris, Gouvernement du Québec et Éditions Le Robert. Corbeil, J.-C. (1983), «Éléments d'une théorie de la régulation linguistique», dans É. Bédard et J. Maurais (1983 : 281-303). Jespersen, O. (1925), Menneskehed, Nasion og Individ i Sproget, Oslo, (traduction en catalan (1969), La llengua en la humanitat, la nació i l'individu, Barcelona, EDICIONS 62). Moll, F. (1971), «¿Qué és el català? ¿Qué és el mallorquí?», dans F. Moll (1983), Materials de divulgado científica, Palma, Universität de Palma de Mallorca.

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Lynn Drapeau Université du Québec à Montréal

Bilinguisme et érosion lexicale dans une communauté montagnaise1

L'étude des langues en contact avait permis de mettre en lumière les différents types d'interférence (Weinreich, 1968) qui peuvent modifier l'évolution d'une langue au contact d'une autre. Plus particulièrement, certains se sont attachés à souligner l'ampleur des changements qui peuvent affecter une langue dès lors que la communauté atteint un haut niveau de bilinguisme individuel et que les deux langues sont utilisées (ou entendues) couramment dans la vie quotidienne (voir Nadkarni, 1975; Thomason et Kaufman, 1988; Hill et Hill, 1986; MyersScotton et Okeju, 1973). Ces phénomènes conjugués entraînent des manifestations de bilinguisme caractéristiques des communautés bilingues telles que le code-switching, le codemixing et un taux élevé d'emprunts. Au cours des quelque vingt dernières années, des linguistes ont cherché, à travers l'étude de situations d'obsolescence linguistique, à identifier des types de changements, dans la langue en voie de remplacement, qui seraient directement attribuables au processus de mort des langues, voire plus généralement aux situations de transfert d'allégeance linguistique (voir Dorian, 1973; 1978; 1980; 1989; Hill, 1978; Hill et Hill, 1977; Hill et Hill, 1986; Schmidt, 1985; Dressier, 1982). Ainsi, il a pu être démontré que le transfert graduel d'allégeance s'accompagne généralement de profonds bouleversements dans la langue ancestrale du groupe. Ces bouleversements vont dans le sens de la contraction dans la mesure où on assiste à une simplification formelle et à une diminution du répertoire stylistique (voir Mougeon et Beniak, 1989). Cet article a pour but de présenter les résultats d'une enquête sur la contraction lexicale dans une communauté qui connaît un niveau très élevé de bilinguisme individuel et où les deux langues sont utilisées quotidiennement.Cette communauté se caractérise toutefois par le maintien de la transmission intergénérationnelle normale de la langue ancestrale. Nos données proviennent de la communauté autochtone montagnaise de Betsiamites, dans le Nord-Est québécois, où la langue maternelle autochtone2 côtoie le français comme langue seconde.

Les résultats présentés ici sont le fruit d'un programme de recherche financé par le CRSH du Canada (19901993) dans le cadre du projet «La dynamique du changement dans une langue en péril». Je tiens à remercier mon collègue Robert Papen avec qui j'ai discuté de nombreux points de cet article. Le montagnais est une langue de la famille algonquienne reliée à la branche dite centrale de cette famille, qui comprend plusieurs langues parlées au Québec, en Ontario et dans l'Ouest canadien, de même qu'aux ÉtatsUnis. Il fait partie de ce que les algonquinistes désignent sous le terme de continuum cri-montagnais-naskapi. Le montagnais au sens propre est parlé dans neuf villages dans le Nord-Est de la péninsule Québec-Labrador et le nombre de locuteurs est d'environ 7 000.

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1 . Caractérisation sociolinguistique de la communauté de Betsiamites Cette section présentera quelques caractéristiques sociolinguistiques de la communauté de Betsiamites, tirées d'une enquête que nous y avons menée à l'été 1991 alors qu'un questionnaire de 81 questions a été administré à un échantillon représentatif de 282 personnes âgées de 18 à 86 ans. Il est ressorti que le montagnais est la langue normale des échanges verbaux entre Montagnais dans ce village de quelque 2 000 autochtones où résident une poignée de Blancs francophones. Le français est utilisé comme langue d'instruction dans les écoles et constitue la langue des médias à l'exception de la station de radio communautaire qui émet en langue montagnaise. L'enquête de l'été 1991 a mis en lumière le fait que, à l'heure actuelle, le bilinguisme s'étend à la quasi totalité de la population, les monolingues âgés formant moins de 8 % de la population. De fait, à peine 2 % de l'échantillon disaient ne pas comprendre du tout le français. Le taux d'unilinguisme montagnais augmente cependant si on inclut les enfants d'âge préscolaire. Comme le montagnais est la langue d'usage dans la famille, les taux de monolinguisme chez les jeunes enfants sont très élevés. L'enquête révèle de surcroît que la communauté n'est pas en processus de changement d'allégeance linguistique (language shift) en faveur du français et que la langue autochtone est encore transmise normalement aux jeunes enfants au sein des familles.

2 . Description du test Un test d'identification a été élaboré et administré à plusieurs sous-groupes de la communauté. Il consistait à identifier 118 dessins3 représentant a) des unités de vocabulaire concret de base (en anglais core vocabulary), b) des objets culturellement importants pour les Montagnais et c) des articles de la vie courante à l'exception des innovations modernes. Tous les items obtenus possèdent un équivalent montagnais dans le parler des locuteurs monolingues. Nous avons éliminé de la liste toutes les unités dont la désignation en montagnais contemporain est un mot d'emprunt, fût-il intégré. Dans l'ordre de présentation, nous avons pris soin de briser les réseaux sémantiques et de varier le niveau de difficulté. Ce test a été administré oralement d'abord à deux groupes d'élèves, un de 4 e année (N=21) et un de 7 e année (N=20). Il a également été administré à un échantillon stratifié de 24 adultes âgés de 20 à 59 ans. Les sujets devaient identifier les dessins tour à tour en français et en montagnais selon l'ordre suivant : les 59 premiers dessins étaient nommés en français, puis les 59 derniers en montagnais; cette dernière moitié était ensuite nommée en français et, en dernier lieu, la première moitié de dessins était nommée en montagnais. De plus, on a demandé à 82 élèves de l r c et de 2 e année secondaire (âgés de 12 à 16 ans) de répondre au même test par écrit, en montagnais seulement. Enfin, un exercice similaire a été fait auprès de 17 enfants de prématernelle (quatre ans), auxquels on a demandé d'identifier 46 objets familiers (l'objet et non le dessin de l'objet). Une grande partie de

Les dessins ont été réalisés avec la collaboration d'Anne-Sophie Oudin, étudiante à 1TTQAM, et de Jean-Luc Hervieux, peintre et illustrateur attaché à l'équipe d'amérindianisation de Betsiamites.

Bilinguisme et érosion lexicale dans une communauté montagnose

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ces objets reprenaient des unités déjà couvertes dans le test d'identification. Tous les tests ont été administrés par des Montagnaises4 de la communauté. 3 . Résultats Les résultats globaux présentés au tableau 1 démontrent un phénomène d'érosion graduelle du vocabulaire de base du montagnais du même type que celui observé à maintes reprises dans les études sur la contraction des langues minoritaires au contact d'une langue majoritaire socioculturellement dominante. Tableau 1: Moyenne des bonnes réponses en montagnais Groupe Moyenne

Adultes 92 %

Sec. 1-2 72 %

7e 62 %

4e 48 %

L'analyse par item démontre que ceux qui ont une fréquence d'utilisation plus grande sont mieux réussis que les autres. Par exemple, en ce qui concerne l'identification des parties du corps, on rencontre des taux de réussite élevés pour tous les groupes pour les unités les plus courantes (graphique 1).

Graphique

1:

Identification des parties du corps

(1)

Pourcentage de bonnes réponses

dent

nez

bouche

langue

oreille

Je remercie les enseignantes montagnaisesrattachéesà l'équipe d'amérindianisation de Betsiamites (Evangéline Picard-Canapé, Louise Canapé, Adélina Bacon et Denise Bacon) qui se sont chargées de la passation des tests oraux et écrits aux élèves, ainsi que Laura Rock et Rose-Aima Collard, qui ont effectué les entrevues auprès des adultes.

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Le graphique 2 illustre une baisse marquée du taux de réussite des items moins courants et ce, même dans la population adulte.

Graphique 2: Identification des parties du corps (2) Pourcentage de bonnes réponses

Adultes

• — — Sec I-li •— — 7e C i - — 4e

Pour ce qui est du vocabulaire de la nature, seuls les mots très fréquents sont bien connus par les jeunes, tels que les mots pour «arbre», «fleur», «sable», «soleil», et «neige», comme on le voit au graphique 3.

Graphique 3:

Identification des items se rapportant à la nature • O

1 y 0.9 •• 0.8 • •

0.7 · 0.60.5 il· 0.4 - • 0.31) 0.2-· °·1

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