Fins et commencements. Renvois et interactions: Melanges offerts a Michel Gourgues 9042936320, 9789042936324, 9789042937031

Le present volume contient les melanges offerts a l'exegete canadien Michel Gourgues, reconnu pour ses travaux sur

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French Pages 416 [417] Year 2018

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Table of contents :
TABLE DES MATIÈRES
AVANT-PROPOS
COMME ON FAIT SON JARDIN…
BIBLIOGRAPHIE SCIENTIFIQUE DE MICHEL GOURGUES 1975-2018
CRÉATION : COMMENCEMENT
À LA CROISÉE DU TEMPS DIVIN ET DU TEMPS HUMAIN
DEUT 6,4 AND ITS CONTEXTUAL UTILIZATION IN GAL 3,20
DU MESSIE « MALÉDICTION » AU MESSIE BÉNÉDICTION
HOMME ET FEMME CHEZ PAUL
DÉBUTER ET FINIR ROMAINS
À QUI LE DERNIER MOT : AU DIEU QUI ÉLIT OU AU DIEU QUI FAIT MISÉRICORDE ?
LORSQUE COMMENCEMENT ET FIN TRANSCENDENT LE TEMPS DU RÉCIT
« LIVRE DE LA GENÈSE DE JÉSUS CHRIST » (MT 1,1)
LUC 1,1-4 : LES ORIGINES DE LA TRADITION ÉVANGÉLIQUE
COMMENCER ET BOUCLER LE RÉCIT EN FONCTION DU LECTEUR
AC 10–11 : LES SEPT ÉTAPES D’UN COMMENCEMENT
LA FINALE DES ACTES (AC 28,17-31)
VARIATIONS JOHANNIQUES SUR LE « COMMENCEMENT »
QUAND LA FIN S’ANNONCE COMME UNE ÉNIGME
« L’HEURE EST VENUE », OU LA FIN AU PRÉSENT
« DU TEMPS, IL N’Y EN AURA PLUS ! »
LA FIGURE ÉTYMOLOGIQUE
THE
« NE FALLAIT-IL PAS… ? » (LC 24,26)
ABRÉVIATIONS
INDEX DES NOMS PROPRES
INDEX DES RÉFÉRENCES BIBLIQUES
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Fins et commencements. Renvois et interactions: Melanges offerts a Michel Gourgues
 9042936320, 9789042936324, 9789042937031

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Biblical Tools and Studies 

F

ins et Commencements Renvois et interactions MÉLANGES OFFERTS À MICHEL GOURGUES

Édité par

Maxime Allard Emmanuel Durand Marie de Lovinfosse

PEETERS

FINS ET COMMENCEMENTS RENVOIS ET INTERACTIONS

BIBLICAL TOOLS AND STUDIES Edited by B. DOYLE, G. VAN BELLE, J. VERHEYDEN KU Leuven

Associate Editors G. BAZZANA, Harvard Divinity School – A. BERLEJUNG, Leipzig K.J. DELL, Cambridge – J. FREY, Zürich – C.M. TUCKETT, Oxford

Biblical Tools and Studies – Volume 35

FINS ET COMMENCEMENT RENVOIS ET INTERACTIONS MÉLANGES OFFERTS À MICHEL GOURGUES

ÉDITÉ PAR

MAXIME ALLARD, EMMANUEL DURAND ET MARIE DE LOVINFOSSE

PEETERS LEUVEN – PARIS – BRISTOL, CT 2018

Cover: T±v kain±v Diaqßkjv †panta. Eûaggélion Novum Iesu Christi D.N. Testamentum ex bibliotheca regia. Lutetiae: ex officina Roberti Stephani, 1550. in-folio. KU Leuven, Maurits Sabbe Library, P225.042/F° Mt 5,3-12

No part of this book may be reproduced in any form, by print, photoprint, microfilm or any other means without written permission from the publisher. A catalogue record for this book is available from the Library of Congress

ISBN 978-90-429-3632-4 eISBN 978-90-429-3703-1 D/2018/0602/75 © 2018, Peeters, Bondgenotenlaan 153, B-3000 Leuven (Belgium)

TABLE DES MATIÈRES

TABLE DES MATIÈRES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

VII

Maxime ALLARD Avant-propos : Vous vous en souviendrez… . . . . . . . . . . . .

XI

I. MICHEL GOURGUES ET SON ŒUVRE Lorraine CAZA Comme on fait son jardin… Présentation de Michel Gourgues . .

3

Emmanuel DURAND – Marie DE LOVINFOSSE Bibliographie scientifique de Michel Gourgues . . . . . . . . . . .

15

II. DE L’ANCIEN VERS LE NOUVEAU Walter VOGELS Création : commencement. ‘Adam : dernier (Gn 1) et premier (Gn 2)

33

Jean-Jacques LAVOIE À la croisée du temps divin et du temps humain. Étude de Qo 3,10-11 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

53

Ayodele AYENI Deut 6,4 and its Contextual Utilization in Gal 3,20: From the Oneness of God to the Fatherhood of One God . . . . . . . . . .

69

Adrian SCHENKER Du Messie « malédiction » au Messie bénédiction. Pourquoi Paul cite-t-il Dt 21,22-23 en Ga 3,13 ? . . . . . . . . . . . . . . . .

95

Aurélie CALDWELL Homme et femme chez Paul. De Ga 3,28 à 1 Co : régression, statu quo ou progression ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 105

VIII

TABLE DES MATIÈRES

III. COMMENCEMENTS ET ACHÈVEMENTS Alain GIGNAC Débuter et finir Romains. Des mots pour dire le messie . . . . . . 125 Simon BUTTICAZ À qui le dernier mot : au Dieu qui élit ou au Dieu qui fait miséricorde ? L’avenir d’Israël selon Rm 9–11 . . . . . . . . . . . . . . 141 Camille FOCANT Lorsque commencement et fin transcendent le temps du récit. L’exemple de Marc . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 159 Daniel MARGUERAT « Livre de la genèse de Jésus Christ » (Mt 1,1). Commencer l’Évangile selon Matthieu . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 177 Jean-Paul MICHAUD Luc 1,1-4 : les origines de la tradition évangélique . . . . . . . . 193 Martha ACOSTA VALLE Commencer et boucler le récit en fonction du lecteur. Pistes de lecture narrative de Lc 1,1-4; Ac 11,4 et Ac 26,16. . . . . . . . . . . . 213 Marie DE LOVINFOSSE Ac 10–11 : les sept étapes d’un commencement . . . . . . . . . . 231 Chantal REYNIER La finale des Actes (Ac 28,17-31). Une dialectique de commencement ?

247

Jean ZUMSTEIN Variations johanniques sur le « commencement » . . . . . . . . . 263 Pierre LÉTOURNEAU Quand la fin s’annonce comme une énigme : Jn 1,51 et la finale du quatrième évangile 279 Benoît STANDAERT « L’heure est venue », ou la fin au présent : Jn 17 et l’enjeu interecclésial du quatrième évangile . . . . . . . . . . . . . . . . . . 297 Michel BERDER « Du temps, il n’y en aura plus ! » Observations sur la signification de χρόνος en Ap 10,6 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 319

TABLE DES MATIÈRES

IX

IV. POSTÉRITÉS LITTÉRAIRE ET THÉOLOGIQUE Paolo GARUTI La figure étymologique αὔξειν τὴν αὔξησιν τοῦ θεοῦ (Col 2,19) . 335 Étienne NODET The Didache and Peter: The Early Teaching of the Apostles . . . 345 Benoît BOURGINE – Emmanuel DURAND « Ne fallait-il pas… ? » (Lc 24,26) La relecture à partir de la fin, entre nécessité et contingences . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 371 ABRÉVIATIONS . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 385 INDEX DES NOMS

PROPRES

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 387

INDEX DES RÉFÉRENCES BIBLIQUES . . . . . . . . . . . . . . . . . . 395

AVANT-PROPOS VOUS VOUS EN SOUVIENDREZ…

« Vous savez bien… vous vous en souvenez… » : voilà bien deux tournures chères à Michel Gourgues. Elles sont disséminées, à répétition dans ses prédications autant que dans ses cours. Relevant, certes, de la captatio benevolentiae, elles témoignent de sa confiance dans la connaissance antérieure des personnes auxquelles il s’adresse. Elles disent aussi son tact, son approche qui désire inscrire son propos dans des propos déjà reçus, ruminés… depuis l’origine. Il inscrit sa parole dans celle d’autrui, dans le respect de celle-ci… dans l’espoir que nous – ses interlocuteurs et ses auditrices – oserons nous en nourrir et le transmettre à notre tour. Mais c’est depuis ce souvenir, la méditation des origines, que l’horizon d’une compréhension et d’un avenir deviennent possibles selon lui. Vous vous souviendrez donc qu’au XVIIe siècle, Boileau écrivait dans L’art poétique : Aimez donc la raison : que toujours vos écrits Empruntent d’elle seule et leur lustre et leur prix. La plupart, emportés d’une fougue insensée, Toujours loin du droit sens vont chercher leur pensée : Ils croiraient s’abaisser, dans leurs vers monstrueux, S’ils pensaient ce qu’un autre a pu penser comme eux. […] Avant donc que d’écrire, apprenez à penser. […] Ce que l’on conçoit bien s’énonce clairement, Et les mots pour le dire arrivent aisément. […] Hâtez-vous lentement, et sans perdre courage, Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage, Polissez-le sans cesse, et le repolissez, Ajoutez quelquefois, et souvent effacez1.

Vous vous en souvenez peut-être un peu moins, ou vous ne le saviez pas, mais dans Minima moralia, Adorno, au XXe siècle, revenait à la charge dans l’aphorisme 51 intitulé « Derrière le miroir » : 1. N. BOILEAU, L’art poétique, Chant I, Paris, Larousse, 1933, p. 66-72.

XII

M. ALLARD

Celui qui veut exprimer une chose s’en trouve tellement affecté qu’il se laisse entraîner sans plus y réfléchir. L’on est trop impliqué, « pris dans ses pensées » au point d’oublier ce que l’on veut dire. Aucune correction n’est top infime ou insignifiante pour que l’on y renonce. Parmi cent modifications il se peut que chacune paraîsse inepte ou pédante ; toutes ensemble elles peuvent constituer un niveau différent du texte. Il ne faut jamais raturer avec parcimonie. On ne doit pas estimer qu’une chose mérite d’exister pour la simple raison qu’elle se trouve là, qu’elle a été écrite. Si plusieurs phrases semblent n’être qu’une variation sur la même idée, c’est parce qu’elles ne font que marquer les amorces diverses d’une pensée dont l’auteur n’est pas encore maître2.

Plus récemment, devant prêcher pour la nième fois sur les textes retenus par la liturgie pour la fête des saints archanges, le frère Michel Gourgues déclarait qu’il devenait difficile de trouver un angle nouveau pour ne pas se répéter. Il le disait sans ironie, c’est certain ; l’ironie n’est guère son genre. Mais à suivre l’impressionnant corpus d’articles et de livres qu’il a écrit, on se prend à croire qu’il n’y a guère de crainte à avoir. La lecture des textes signés « Michel Gourgues » est toujours aisée ; elle n’est pas drapée dans du jargon ou des effets littéraires. Il avait certainement lu et médité ce passage de Boileau au Collège de Lévis et appris à passer à l’acte en suivant ce conseil. Mais la citation de Boileau et sa version moderne, adornienne, ne sont pas proposées ici en simple clin d’œil à cette qualité d’écrivain. Ensemble, elles me semblent aussi porter sur le geste de lecture réfléchissante des mêmes textes néotestamentaires par Michel Gourgues. Car il s’agit de pensée exégétique et pas seulement d’exposition pédagogique et littéraire. Mieux encore, il s’agit d’apprendre à penser, à articuler la foi vive au corps à corps avec des textes. De le faire, pour que d’autres puissent bénéficier d’un parcours balisé, sans aspérité, guidant vers l’essentiel. Pour paraphraser Ricœur et son expliquer plus pour mieux comprendre3 (et retour), on pourrait dire de Michel Gourgues qu’à lire à nouveaux frais, il apprend à mieux penser et, pensant mieux, il apprend à lire mieux (et retour)… et à inciter autrui à mieux relire. Le tout pour donner à faire l’expérience du plaisir du texte et de l’« Évangile » qui s’y annonce. Cela n’est jamais fait une fois pour toutes. On quitte peu le seuil, le lieu des commencements et des recommencements, du besoin de maintenir de la fraîcheur et le plaisir de la nouveauté revisitée. 2. T. ADORNO, Minima Moralia. Réflexions sur la vie mutilée, É. KAUFHOLZ – J.-R. LADMIRA (trad.), Paris, Payot & Rivages, 2001, p. 115. 3. P. RICŒUR, « Expliquer et comprendre. Sur quelques connexions remarquables entre la théorie du texte, la théorie de l’action et la théorie de l’histoire », Revue Philosophique de Louvain 75 (1977) 126-147 ; C. COLLIOT-THÉLÈNE, « Expliquer/comprendre : relecture d’une controverse », Espaces Temps 84-86 (2004) 6-23.

AVANT-PROPOS

XIII

En effet, ayant à revenir aux mêmes textes, aux mêmes sections du Nouveau Testament, pour des fins d’enseignement selon un cycle régulier depuis le début des années 70, Michel Gourgues a lu et relu, proposé et reproposé des interprétations des mêmes péricopes ou passages. Il y parvient, sans relâche, sans « perdre courage », sans recourir aux clichés, sans accumuler de débris, sans entretenir des scories. Attentif aux nouvelles propositions de ses collègues exégètes, à l’émergence de problématiques et de thématiques inédites, il reprend sa lecture. Patiemment, il retisse de liens entre les péricopes, les différents genres… il ne se laisse pas entraîner sans plus y réfléchir dans un sens ou dans un geste. Il y va toujours d’avancer prudemment sans oublier de dire ce qu’il désirait ouvrir comme piste, offrir comme hypothèse, engager comme suggestion. Chez lui, on ne trouve pas de « murmure » d’une pensée usée. Au contraire, pour mettre en évidence le texte, il sait dresser des obstacles : la lecture rendue ainsi plus attentive, plus circonspecte et rusée, l’interprétation et son exposition gagnent en précision et en limites claires. Je ne parlerais pas de « méthode » réfléchie et argumentée – ce n’est pas plus son genre que l’ironie – mais de discipline du geste de lecture qui devient exposition structurée, offrant des entrées successives, concentriques, dans des textes. Proposer de manière responsable et laisser libre de la réponse, voilà l’art exégétique et pédagogique de Michel Gourgues. Ne pas piéger ses lecteurs, les soutenir dans leur apprentissage d’une bonne « conception » : voilà des impératifs de la lecture et de l’écriture de Michel Gourgues. Vous vous souviendrez… vous le savez bien… Michel Gourgues a réussi à faire cela tout en étant plongé dans l’administration universitaire, à divers niveaux, pendant la plus grande partie de sa recherche exégétique. Il a su entre les réunions, les sollicitations, les décisions, le recrutement et l’attentions aux alumni, entre aussi les sollicitations et reconnaissances internationales, les participations à des comités scientifiques et colloques, tisser une œuvre, comme une toile d’araignée dépouillée de la capacité de retenir et de tuer, une oeuvre dense et transparente, bien structurée et solide4 comme une offrande, comme une annonce… comme une prédication. Je l’en remercie. Je lui suis reconnaissant. Je lui dois – avec quelques autres frères dominicains – d’avoir appris le plaisir de la lecture qui dure… Ce volume témoigne de ce que je ne suis pas seul dans ma catégorie.

Maxime ALLARD, o.p. – Président Collège universitaire dominicain, Ottawa [email protected] 4. T. ADORNO, Minima Moralia (n. 2), p. 118.

I. MICHEL GOURGUES ET SON ŒUVRE

COMME ON FAIT SON JARDIN… PRÉSENTATION DE MICHEL GOURGUES

À peine l’invitation à participer au volume de Mélanges devant souligner le 75e anniversaire de naissance de Michel Gourgues, o.p., m’est-elle parvenue, qu’à ma grande surprise, la première image de lui qui m’est revenue à la mémoire fut celle de Michel penché alternativement sur les plantes dans le petit espace-jardin du 96 avenue Empress. Et avec cette image, les premiers mots d’une composition du chanteur-auteur Robert Lebel : « Comme on fait son jardin… » Rendre témoignage à Michel, pour moi, c’est célébrer un jardinier de grande classe. Ses jardins se trouvent au foyer Gourgues de SaintMichel-de-Bellechasse, au collège de Lévis, dans l’ordre de Saint Dominique, au Collège universitaire dominicain d’Ottawa, à l’École Biblique et Archéologique Française de Jérusalem, et au cœur de tous ces jardins, il y a la Parole de Dieu, le Nouveau Testament de la Bible chrétienne. Du jardinier, Michel a cultivé, à un rare degré : la patience, la discrétion, le sens de l’ordre, de la précision, de l’organisation méthodique, la fidélité. Michel sait depuis longtemps qu’il est inutile de tirer sur les tiges, qu’il faut apprendre à vivre avec la variété des saisons, des climats, des terrains. Il respecte le mystère des espaces et des temps, garde une joie de vivre à travers les intempéries et n’a cessé de cultiver un sens aigu de la transcendance. Je sais peu de choses, des deux premiers jardins mentionnés, mais ce dont j’ai été témoin dans la vie adulte de Michel m’autorise à deviner quelques traits du Michel de Saint-Michel de Bellechasse et de Lévis. I. LE FILS DE DOMINIQUE ET L’ARTISAN INCONTOURNABLE DU COLLÈGE UNIVERSITAIRE DOMINICAIN C’est depuis le début de la vingtaine que Michel est engagé dans le jardin de Dominique. Comme frère-étudiant, il était déjà un des ces membres proactifs dont on devine d’avance qu’ils joueront un rôle particulièrement significatif pour la qualité de la vie fraternelle en communauté, pour la fidélité au charisme des institutions dans lesquelles ils œuvrent, pour la profonde

4

L. CAZA

simplicité du rapport au divin. Non seulement Michel aura-t-il continué de semer, d’arroser, de bêcher, de suivre attentivement le développement du carré de jardin où il était lui-même placé, mais c’est tout le jardin de l’Ordre qu’il voulait contribuer à faire fleurir. Je ne puis me permettre de parler au nom de ses frères dominicains mais, du lieu si proche où j’étais moi-même située, j’ai assisté, me semble-t-il, à la croissance permanente du frère universel, du frère à la fois si fier de l’Ordre et si compatissant pour les épreuves qui surgissent infailliblement. Oui, venons-en au grand carré du jardin où tous les dons de Michel se déploient depuis que, comme enseignant, d’abord, il joue un rôle impressionnant dans la croissance de tant d’étudiants et d’étudiantes de la Faculté de Théologie du collège, à Ottawa. Être dans un carré cultivé par Michel, c’est avoir le privilège de s’initier à toutes les plantations du Nouveau Testament avec un pédagogue exceptionnel ; et, si on le choisit comme mentor dans la rédaction d’un mémoire de maîtrise ou d’une thèse de doctorat, alors les chances sont grandes de porter des fruits savoureux. II. PAS

UN COIN DU

NOUVEAU TESTAMENT

QU’IL N’AIT LABOURÉ

Témoigner du mystère pascal en sa face résurrection-glorification Toute une vie plongée dans les différentes traditions du Nouveau Testament a fait de Michel un jardinier-exégète exceptionnel. De 1978 à 2011, ses écrits me semblent exprimer que, pour lui, le mystère pascal est au centre de ses perspectives et de ses soins. Mais comment Michel a-t-il conduit son travail de jardinier fixé sur le mystère pascal ? Il a d’abord été attiré par la face résurrection-glorification du mystère. Ce jardinage va de sa thèse doctorale À la droite de Dieu1, publiée en 1978 à sa réflexion inspirée de la tradition johannique du Je le ressusciterai au dernier jour2 en passant par le Cahier Évangile 41, intitulé : L’au-delà dans le Nouveau Testament3. Le travail doctoral de Michel constitue une vérification du fait que les premières générations chrétiennes ont privilégié la représentation du Christ « assis à la droite du Père » pour exprimer la foi pascale. La multitude des significations véhiculées par ce symbole, affirme Michel, se rattachent toutes 1. M. GOURGUES, À la droite de Dieu. Résurrection de Jésus et actualisation du Psaume 110:1 dans le Nouveau Testament (EBib), Paris, Gabalda, 1978. 2. M. GOURGUES, Je le ressusciterai au dernier jour. La singularité de l’espérance chrétienne (Lire la Bible, 173), Paris – Montréal, Cerf – Médiaspaul, 2011. 3. M. GOURGUES, L’au-delà dans le Nouveau Testament (CaE, 41), Paris, Cerf, 1982.

PRÉSENTATION DE MICHEL GOURGUES

5

à la signification fondamentale d’une vie en permanence dans la communion avec Dieu4. Au terme de sa recherche exégétique, Michel, soutenu par la réflexion de Paul Ricœur sur le langage symbolique, rappelle que ce langage est encore valable aujourd’hui. « Il parle de l’invisible et de l’indicible en recourant à des représentations sensibles, ouvertes sur une réalité qui les dépasse et dont le sens immédiat renvoie à un autre sens5 ». Bien sûr, le risque du langage symbolique est de « réduire le transcendant, de voiler les différences, d’objectiver les suggestions de l’imaginaire, d’historiciser le nonhistorique ». Michel reconnaît que « le croyant d’aujourd’hui saisit mieux une expression conceptuelle de la réalité visée par le symbole », mais il se hâte d’affirmer que « le langage symbolique comme tel n’est pas devenu inaudible6 ». Nous verrons que cette conviction ne l’a pas quitté. Dès 1982, son cœur de catéchète et de pasteur amène Michel à se livrer « à un examen minutieux et approfondi de tout ce qui, dans le Nouveau Testament est susceptible d’éclairer les énigmes de nos vies dans l’au-delà7 ». C’est dans le rayonnement de la résurrection-glorification du Christ que Michel tentera de répondre aux questions que tous et toutes portent : « Que se passe-t-il après la mort ? Comment imaginer le ciel ? Retrouverons-nous dans l’autre monde les êtres aimés ?8 » Sous le langage symbolique du « À la droite du Père », Michel avait découvert la vie du Christ ressuscité comme vie en permanence dans la communion avec Dieu. L’avenir que nous attendons en est aussi un de plénitude, de communion avec Dieu9. Et cet au-delà reçu gratuitement de Dieu « ne supprime pas pour autant la responsabilité de l’engagement humain10 », précise Michel. Notre horizon dernier entre en continuité avec la dynamique d’existence déjà à l’œuvre dans le présent. Notre résurrection à la suite du Christ ne représente en effet que le plein épanouissement d’un don déjà reçu, celui des « arrhes de l’Esprit11 ». Le croyant, toujours selon Michel, reconnaît dans la résurrectionexaltation de Jésus le OUI de Dieu à un certain type d’existence12. Trente trois ans après la publication de sa thèse doctorale, en 2011, alors que la foi de nombreux chrétiens en leur propre résurrection rencontre des 4. M. GOURGUES, À la droite de Dieu (n. 1), p. 235. 5. Ibid. 6. Ibid. 7. M. SEVIN, « Présentation », in M. GOURGUES, L’au-delà dans le Nouveau Testament (n. 3), p. 4. 8. Ibid. 9. M. GOURGUES, L’au-delà dans le Nouveau Testament (n. 3), p. 61. 10. Ibid., p. 62. 11. Ibid., p. 63. 12. Ibid., p. 62.

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L. CAZA

défis majeurs, des épreuves sérieuses, Michel, toujours fidèle à sa méthode maintenant parfaitement maîtrisée, se livre à une étude précise des textes du Nouveau Testament relatifs à la résurrection. Il aborde ces passages, des plus anciens au plus tardifs, « dans une perspective de genèse et d’évolution de la certitude croyante13 ». Son étude lui permet de répondre à deux questions majeures : la résurrection suit-elle immédiatement la mort ? Et Qui nous ressuscitera : le Père ou le Christ ?14 Ces trois ouvrages à eux seuls mettent déjà en lumière la polyvalence des dons de Michel. Il est à l’aise dans le discours exégétique et théologique savant, mais il garde un cœur de pasteur et de catéchète que les étudiants et étudiantes peuvent percevoir dans ses cours et que des contributions comme sa rédaction de plusieurs Cahiers Évangile manifestent très clairement. Michel n’a absolument rien d’un bagarreur, mais il est bien sensible aux questions pointues qui se posent aux chrétiens dans la société contemporaine. Son étude de 2011 n’entre pas en polémique avec des affirmations inconciliables avec la foi en la résurrection, mais, tout comme sa réflexion sur l’attitude du premier christianisme à l’égard de la femme publiée en 2013 sous le titre Ni homme ni femme,15 elle me dit que Michel reste en état de vigilance constante face aux grands défis contemporains posés à la foi. Témoigner du mystère pascal en sa face passion et mort Jardinier dans le carré central du jardin néotestamentaire qui veille sur notre intelligence du mystère pascal, Michel ne pouvait-il ne labourer que la dimension résurrection-glorification du mystère ? Il est très vite venu à la vie et à la mort de Jésus dont la résurrection dévoile le sens ultime et définitif. C’est de novembre 1979 qu’est daté le Cahier Évangile 30 qu’il a consacré à l’étude de Jésus devant sa passion et sa mort. C’est que la résurrection de Jésus est « l’acte par lequel Dieu nous oblige à relire le destin de Jésus16 ». Le but de Michel, en cet écrit, est de fournir son apport à l’approfondissement de notre foi et de notre réflexion sur le mystère du Christ et aussi sur le mystère de la souffrance17. Il conclura que « la souffrance et la mort de Jésus sont 13. M. GOURGUES, Je le ressusciterai au dernier jour (n. 2), p. 5 s. 14. Ibid., p. 203-214. 15. M. GOURGUES, Ni homme ni femme. L’attitude du premier christianisme à l’égard de la femme. Évolutions et régressions (Lire la Bible, 175), Paris – Montréal, Cerf – Médiaspaul, 2013. 16. M. SEVIN, « Présentation », in M. GOURGUES, Jésus devant sa passion et sa mort (CaE, 30), Paris, Cerf, 1979, p. 4. 17. M. GOURGUES, Jésus devant sa passion et sa mort (n. 16), p. 7-10.

PRÉSENTATION DE MICHEL GOURGUES

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fidélité au Père, aux pécheurs et aux pauvres18 » Quant à notre souffrance et à notre mort, « elle n’est, dira-t-il, ni masochisme, ni dolorisme, ni résignation, ni évasion, ni explication ». Sa réponse à la question du pourquoi de la souffrance : « Ce que je sais, c’est que Jésus est passé aussi par là, qu’il a vécu d’une certaine manière sa souffrance, qu’il lui a donné un sens en la vivant pour les autres dans la solidarité et le service de Dieu et des hommes19 ». Le petit ouvrage : Le défi de la fidélité20 publié en 1985, reprend les thèmes de Gethsémani, de la souffrance et de la mort de Jésus. Il énonce cinq caractéristiques de la fidélité de Jésus : fidélité personnelle au sens d’une fidélité non à quelque chose, mais à quelqu’un. Fidélité incarnée dans un service de Dieu et des autres. Fidélité créatrice, réinventant constamment son visage, toujours à la recherche des voies de la continuité à travers les situations nouvelles et toujours mouvantes du présent. Fidélité conséquente au sens de fidélité cohérente, lucide, courageuse21. Trois années plus tard, soit le 14 septembre 1988, le jardinier a suffisamment retravaillé le carré du mystère de la croix pour nous offrir : Le Crucifié 22. Cette fois, Michel s’arrête à trois dimensions du mystère de la croix : d’abord, regard sur l’événement : histoire et témoignage ; puis, élaboration d’une théologie de la croix conduisant de l’échec à la fécondité. Enfin, à la lumière de la croix du Christ, réflexion sur la croix des chrétiens. III. JARDINER EN TERRAIN JOHANNIQUE Ils sont surabondants et savoureux les fruits et les fleurs déjà récoltés du travail de préparation de cours et d’enseignement continu de Michel sur les trois grandes traditions néotestamentaires (en alternance : Paul, les Synoptiques, Jean). Notre jardinier semble, cependant, avoir été particulièrement attiré par le champ johannique. Sous sa plume, dès 1982, paraissaient des pistes d’exploration de l’évangile de Jean qu’il intitulait : Pour que vous croyiez23… Il y précisait trois lignes d’exploration : comparative, thématique, littéraire, et présentait, sous cette lumière, six textes particuliers : Le Prologue (Jn 1,118) ; le récit de la Samaritaine (Jn 4,1-42) ; le discours sur le pain de vie 18. Ibid., p. 57-60. 19. Ibid., p. 60-63. 20. M. GOURGUES, Le défi de la fidélité (Lire la Bible, 70), Paris, Cerf, 1985. 21. Ibid., p. 135-140. 22. M. GOURGUES, Le Crucifié (Jésus et Jésus-Christ, 38), Montréal – Paris, Bellarmin – Desclée, 1988. 23. M. GOURGUES, Pour que vous croyiez. Pistes d’exploration de l’évangile de Jean (Initiations, 4), Paris, Cerf, 1982.

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(Jn 6,22-71) ; le récit de l’aveugle-né (Jn 9,1-41) ; le texte sur le Bon Pasteur (Jn 10,1-18) ; le récit de la crucifixion (Jn 19,17-37). Il s’agissait toujours pour notre chercheur de cerner un peu mieux l’identité de Jésus, Verbe de Dieu, Sauveur du Monde, Pain de Vie, Lumière du monde, Bon Pasteur, Crucifié. Vingt ans plus tard, soit en 2002, Michel retourne à ce coin de son jardin exégétique et publie un nouvel ensemble des pistes d’exploration du 4e évangile, sous le titre : En Esprit et en Vérité24. En première partie de cette étude, Michel identifie trois clés de lecture de l’évangile spirituel : Un évangile à deux étages ; l’évangile de l’écluse ; l’évangile de la foi partagée. En seconde partie, le travail de notre jardinier consistera à dégager le rôle de l’Esprit Saint dans le 4e évangile. Il le présentera « comme une source d’eau ». Il identifie d’abord la double annonce de l’Esprit par Jean : l’Esprit vient (Jn 1,23-34) ; l’Esprit viendra (Jn 3,34). Il repère ensuite la double annonce de l’Esprit par Jésus, sous l’étiquette : L’eau et l’Esprit (Jn 3,1-8 ; Jn 4,1-24). Il pointe ensuite le rôle de l’Esprit dans le dévoilement (Jn 7,37-39) et dans l’accomplissement (Jn 19,28-37 ; 20,19-23). Il retrace enfin la présentation du Paraclet, de l’Esprit de vérité dans le discours d’adieux (Jn 14–16). Il conclut en faisant ressortir l’originalité de la vision johannique, œuvre répartie en livre des signes (Jn 1–12) ; passion-résurrection (Jn 18–21) et discours d’adieux (Jn 13–17). Le jardinier Michel aime beaucoup Jean. Je soupçonne qu’il se délecte dans la riche utilisation des symboles par l’évangéliste. À la façon de bien des travailleurs de la terre, il procède avec beaucoup d’humilité et de modération. On n’attend pas de lui qu’il commence son travail par une analyse globale, par une synthèse de l’ensemble des écrits johanniques. Personnellement, je le reconnais tout à fait dans cette approche où il identifie ce qu’il fait comme des pistes d’exploration, oui, d’humbles pistes d’exploration, mais dont nous serons bien avisés de suivre attentivement les lendemains. Je reconnais aussi Michel dans les deux volumes qu’en 1993 il a livré au public comme jardinier-pasteur-homéliste. Il s’agit de commentaires de textes très riches du 4e évangile qui figurent comme lectures dominicales du carême et de Pâques pour les années liturgiques A et B. ce sont : Jean. De l’exégèse à la prédication, en deux tomes25. En présentant le premier de ces deux ouvrages, Michel prend soin d’avertir qu’il veut éviter un double écueil : « Ni commentaire d’exégèse s’en tenant sèchement à décortiquer les textes sans se préoccuper 24. M. GOURGUES, En Esprit et en Vérité. Pistes d’exploration de l’évangile de Jean (Sciences bibliques, 11), Montréal, Médiaspaul, 2002. 25. M. GOURGUES, Jean. De l’exégèse à la prédication. Tome 1 : Carême – Pâques, Année A (Lire la Bible, 97) ; Tome 2 : Carême - Pâques, Année B (Lire la Bible, 100), Paris, Cerf, 1993.

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de les faire parler pour aujourd’hui. Ni considérations édifiantes développées à l’occasion des textes mais coupées de véritables contacts avec eux ». Il dit vouloir s’astreindre « à l’effort de pénétrer vraiment dans le texte, de l’écouter longuement, d’en repérer les accents, pour pouvoir ensuite le traduire et l’actualiser26 ». Je ne veux pas quitter le coin de jardin johannique de Michel sans évoquer l’article qu’il a signé dans les Mélanges J.-M. R. Tillard en 1995, « La Vigne du Père (Jn 15,1-17) ou Le Rassemblement des Enfants de Dieu », article sous-titré : « Les conditions d’effectuation et de durée ». À noter qu’avec Gillian R. Evans, Michel était éditeur de ce volume27. L’article s’ouvre par une comparaison entre deux symboles : celui du lavement des pieds et celui de la Vigne du Père. Joie de retrouver ici l’intérêt pour le langage symbolique de la recherche doctorale. À travers un geste symbolique, le lavement des pieds, Jn 13 rend compte de deux réalités à la fois : d’une part, le sens de la mission de Jésus, représentée sous l’angle du service et de l’amour poussés « jusqu’à l’extrême » ; d’autre part, l’idéal et la responsabilité des disciples, appelés eux aussi à servir et à vivre dans l’amour. Jn 15,1-17 fait de nouveau intervenir le symbolisme… Le symbole de la Vigne sert à évoquer, sous un angle partiellement différent, les mêmes réalités que le lavement des pieds, à savoir l’œuvre de Jésus et la responsabilité des disciples. Ne sommes-nous pas en présence d’un nouveau cas de « marée montante » pour reprendre une image parfois utilisée pour caractériser la manière de Jean ? On revient sur des choses déjà dites, mais en allant un peu plus loin. On évoque les mêmes réalités, mais en les soumettant à un éclairage qui en fait miroiter des facettes nouvelles28.

C’est la manière de Jean… la marée, les deux étages. De toute évidence Michel s’y plaît. Aussi peut-on penser que Paul Ricœur lui dirait : parce que vous savez si bien interpréter, vous pouvez à nouveau, entendre. IV. DES PLANTS

CHOISIS AU ROYAUME DES

SYNOPTIQUES

Depuis plus de 40 ans, le jardinier Michel travaille la terre des évangiles synoptiques et des Actes des Apôtres, mais, pour partager ses découvertes avec un large public, il s’est concentré sur les paraboles, celles de Luc en 199729, 26. Ibid., Tome 1, p. 9. 27. M. GOURGUES, « La Vigne du Père (Jn 15:1-17) ou le rassemblement des enfants de Dieu. Les conditions d’effectuation et de durée », in Communion et Réunion. FS Jean-Marie R. Tillard (BETL, 121), Louvain, Leuven University Press, 1995, p. 265-281. 28. Ibid., p. 265. 29. M. GOURGUES, Les paraboles de Luc. D’amont en aval, Montréal, Médiaspaul, 1997.

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celles de Marc et de Matthieu, en 1999, dans une perspective « D’amont en aval30 ». La présentation de tout l’univers des paraboles dans les Synoptiques est impressionnant, mais puisque nous reconnaissons en Michel les vertus d’un jardinier, notons rapidement au moins les lignes d’actualisation proposées dans sa présentation de la parabole sur « Le figuier improductif ou le temps du changement (Lc 13,1-9) », au chapitre 4 du livre sur les paraboles de Luc. « “Coupe-le”, ordonnait le propriétaire, “laisse-lui encore sa chance”, implore le vigneron. “Je vais creuser autour et y mettre du fumier” : l’arbre n’a rien produit, le vigneron prendra les devants, il fera tout pour l’amener à porter du fruit. Cette idée de la bonté prévenante à l’égard des pécheurs correspond à celle que Luc s’est tellement plu à souligner dans le comportement et la prédication de Jésus… Ne pas rejeter le pécheur, être patient, faire tout pour le “trouver”. » En résumé : « proclamer l’exigence mais inséparablement du don… Il faut garder bien en vue l’idéal, mais il importe de savoir consentir à des délais… ». Et l’improductivité ? « Quoi qu’il en soit du passé et, si incompréhensible que soit le présent, j’ai du moins cette certitude qu’aux yeux de Dieu je compte assez pour qu’il m’appelle à toujours plus que ce que je suis, à grandir dans la ligne de son dessein31. » Les deux premiers chapitres du livre commentant les paraboles de Jésus en Marc et Matthieu mettent aussi en jeu un jardinier : parabole du blé qui pousse tout seul (Mc 4,26-29) parabole de l’ivraie à travers le blé (Mt 13,2430 ; 36-43). Méditant sur le blé qui pousse tout seul, Michel dira que l’implication qui se dégage de l’étape des semailles (Mc 4,26), c’est qu’« il faut semer ». En lien avec l’étape de la moisson, Michel ajoute : « il vaut la peine de continuer ; il faut garder confiance, assuré pour une part de l’issue finale (paraboles du semeur et du grain de sénevé) et, en outre, de la force de croissance inhérente au Règne annoncé32 ». Notre jardinier a accordé une attention considérable à la parabole de l’ivraie à travers le blé. Dans la partie « Résonances » de ce chapitre 2, il s’explique : il « a essayé de remonter jusqu’en amont, c’est-à-dire de retrouver la signification première qu’ont pu avoir la parabole et son explication dans la prédication de Jésus et la vie de la communauté de Matthieu ». Parcourant le trajet inverse, il tente de « retracer en aval quelque chose de la pertinence que gardent la parabole et son explication pour la foi et l’expérience croyantes, aujourd’hui33 ». 30. M. GOURGUES, Les paraboles de Jésus chez Marc et Matthieu. D’amont en aval, Montréal, Médiaspaul, 1999. 31. M. GOURGUES, Les paraboles de Luc (n. 29), p. 87-90. 32. M. GOURGUES, Les paraboles de Jésus chez Marc et Matthieu (n. 30), p. 20. 33. Ibid., p. 52s.

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Après la description de la situation problématique, l’ivraie au milieu du blé, Michel rend compte de la décision du maître : Il n’entre pas dans le plan divin que le bien puisse se cultiver seul, dans un monde préservé. Le lieu de l’expérience spirituelle n’est pas différent de celui de l’horticulture où le mélange est inévitable. Les valeurs du Règne de Dieu ont à prendre corps dans un monde bien réel où elles ne sont pas les seules. Les disciples ne sauraient à la manière pharisienne ou essénienne, constituer une communauté à part. L’expérience de foi ne saurait se vivre en ghetto, dans un monde aseptisé34.

Le chapitre ne prend fin qu’avec un effort spécial de Michel pour identifier de quelle ivraie il s’agit. Au temps où les études sur les paraboles sont publiées, Michel a déjà accordé beaucoup d’attention au deuxième livre de Luc, publiant en 1987, le Cahier Évangile 60 sur les 12 premiers chapitres des Actes des Apôtres et, en 1989, le Cahier Évangile 67 portant sur les chapitres 13–28 des Actes. L’angle d’approche qu’il avait choisi dans la rédaction de ces deux cahiers est celui de l’ouverture aux autres. V. LE

JARDINIER EST-IL À L’HEURE DES SYNTHÈSES ?

La parution, en 2007, de l’ouvrage sur l’ensemble de Marc et des deux ouvrages de Luc, sous le titre : Marc et Luc. Trois livres, un évangile35 semble indiquer que l’heure est venue pour Michel d’offrir des études d’ensemble, des synthèses. La note de modestie, de simplicité reste bien présente, néanmoins. On aura remarqué le sous-titre : « Repères pour la lecture ». L’horticulture des lettres pastorales appelait une expertise Ces dernières années, Michel est devenu, pour le monde francophone de l’exégèse, un spécialiste des lettres pastorales à Timothée et à Tite. On a chaudement applaudi, en 2009, la publication de son œuvre magistrale : Les deux lettres à Timothée. La lettre à Tite36. Présentement, Michel poursuit ses recherches sur ces mêmes lettres à l’intérieur du grand projet biblique dont le nom de code, la BEST, tient pour La Bible En Ses Traditions. Ce vaste 34. Ibid., p 55. 35. M. GOURGUES, Marc et Luc. Trois livres, un évangile. Repères pour la lecture, Montréal, Médiaspaul, 2007. 36. M. GOURGUES, Les deux lettres à Timothée. La lettre à Tite (CbNT, 14), Paris, Cerf, 2009.

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chantier international, lisons-nous au site de l’Ordre Dominicain, veut offrir au lecteur, à la fois : « les différentes formes textuelles de la Bible assorties d’une annotation philologique et historique et les diverses traditions de son interprétation au sein des communautés qui la reçoivent comme un texte sacré. Sereinement catholique dans son inspiration, le projet est, pour cette raison même, œcuménique et dans une certaine mesure, interreligieux. » Michel pouvait-il ignorer les psaumes et les hymnes ? Dès sa recherche doctorale, Michel a bien compris que le psaume 110 n’était pas le seul psaume introduit par les évangélistes dans leur témoignage sur Jésus. Il n’est donc pas surprenant qu’Étienne Charpentier, cherchant quelqu’un qui rendrait compte des psaumes attribués à Jésus et même utilisés par lui, d’après nos évangiles, ait confié un tel travail à Michel, dès 1978. Ce qui nous a valu le livret : Les psaumes et Jésus. Jésus et les psaumes37. Bien sûr, Michel avait le mérite d’avoir bien repéré les références aux psaumes dans le Nouveau Testament, mais il avait un autre titre l’habilitant à bien maîtriser ce dossier puisque, comme fils de Dominique, il pratiquait, au quotidien, la psalmodie, alors qu’il participait à la prière des heures, l’office divin où l’ensemble du psautier est proclamé au fil du temps. Faut-il croire que c’est aussi le fervent de la liturgie de l’Église, le Dominicain, familier de l’office choral qui s’est laissé entraîner à nous proposer ce que Philippe Gruson a appelé une « visite guidée » dans sa présentation du Cahier : Prier les hymnes du Nouveau Testament, que Michel a réalisé en 199238. En commentant attentivement et minutieusement : la grande bénédiction de Ep 1,3-14, les cantiques évangéliques du Benedictus (Lc 1,6879) et du Magnificat (Lc 1,46-55), les cantiques sur le mystère du Christ, en 1 P 2,21-24 ; Ph 2,6-11 ; Col 1,15-20 et les cantiques de l’Apocalypse (Ap 4,11 et 5,9-10.12 ; Ap 11,17-18 et 12,10b-12b ; Ap 15,3s. ; Ap 19,12.5.6b-7), Michel, toujours selon le présentateur du Cahier ne s’est pas contenté « d’analyser de vieilles formules, mais de rendre aux mots de la prière leur jeunesse, leur vrai poids de foi et de louange39 ».

37. M. GOURGUES, Les psaumes et Jésus. Jésus et les psaumes (CaE, 25), Paris, Cerf, 1978. 38. M. GOURGUES, Prier les Hymnes du Nouveau Testament (CaE, 80), Paris, Cerf, 1992. 39. Ph. GRUSON, « Présentation », in M. GOURGUES, Prier les Hymnes du Nouveau Testament (n. 38), p. 4.

PRÉSENTATION DE MICHEL GOURGUES

VI. L’ANIMATEUR

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DE RETRAITES ET LE CONFÉRENCIER,

AUX PÉRIPHÉRIES MULTIPLES

Depuis déjà un certain nombre d’années, le jardinier exégète, pasteur, catéchiste, homéliste est devenu animateur de retraites spirituelles dans différents milieux. Je ne saurais énumérer les thèmes qu’il a touchés dans ces multiples engagements. J’ai, cependant, choisi de participer aux retraites qu’il a prêchées à la Maison de Prière Notre-Dame, à Longueuil, au Québec. Quel guide nous avions pour développer les aptitudes que nous pouvions avoir pour être, à notre tour, jardiniers et jardinières. Il nous a présenté des visages du Christ : « Le connaître, Lui » en 2009 ; des facettes du Dieu Abba, révélé à la plénitude des temps, en 2012 ; plusieurs récits de rencontres avec Jésus en 2015. Quelle chance de nourrir à la fois l’intelligence et le cœur profond ! J’ai rendu grâce pour le pédagogue, pour l’exégète de haute pointure, pour l’artiste de la parole de Dieu, pour l’ami de Dieu. Le jardinier Michel ne travaille pas les sols qui sont les siens en vase clos. Il est proactif dans d’importantes associations de Biblistes. Il a assumé la présidence de l’Association Catholique des Études Bibliques au Canada (ACÉBAC) et assuré, à ce titre, avec Michel Talbot, la publication des Actes des Congrès de 2001 et 2002, portant, les premiers, sur les conceptions et expériences bibliques du temps40 et les seconds, sur les conceptions et expériences bibliques de l’espace41. Des invitations à des congrès et à des colloques ; des appels de ses frères dominicains de différents pays ont considérablement agrandi le carré de jardin confié au soin de Michel, mais je ne crois pas me tromper en disant que, de tous ces nouveaux terrains, celui de l’École Biblique et Archéologique Française de Jérusalem (EBAF) est celui qui a davantage conquis son cœur. Le jardinier semble avoir trouvé, en ce lieu, des conditions idéales pour labourer, soigner ses terres et leur assurer une étonnante fécondité. Ont aussi donné un enrichissement supplémentaire à toute sa vie dominicaine, à sa mission d’exégète, ces nombreux voyages en Terre Sainte, en Grèce et en Turquie. Faire de tels voyages sous la direction de Michel est un privilège pour tous les participants ; une dimension nouvelle est donnée à la façon de comprendre tout le Nouveau Testament, toute la Bible.

40. M. GOURGUES – M. TALBOT (ed.), En ce temps-là… Conceptions et expériences bibliques du temps (Sciences Bibliques, 10), Montréal, Médiaspaul, 2002. 41. M. GOURGUES – M. TALBOT (ed.), Partout où tu iras (Sciences Bibliques, 13), Montréal, Médiaspaul, 2003.

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Tout ce dont j’ai témoigné en ces pages est fidèle, je crois, au jardinier de Saint-Michel, de Lévis, de la famille de Dominique, à l’exégète, au pasteur, au catéchète, au prédicateur, au conférencier, au pèlerin, à l’homme de prière, mais comment passer sous silence l’administrateur chevronné, le pilier sans lequel le Collège universitaire dominicain aurait eu grande peine à continuer de servir l’Église d’ici et d’ailleurs comme il le fait encore aujourd’hui. La contribution ininterrompue de Michel à la vitalité et au développement de cet important jardin de l’Ordre Dominicain est immense. Et je crois être particulièrement autorisée, par mes nombreuses années d’étroite collaboration avec lui, pour lui exprimer le MERCI de toutes les personnes du corps étudiant, du corps professoral, de l’administration du Collège comme aussi des amis et bienfaiteurs de l’Institution depuis qu’il s’y est engagé. J’ai commencé ce témoignage en citant le « Comme on fait son jardin » de Robert Lebel. J’aurais pu reprendre, au compte de Michel, le début des 2e et 3e strophes de ce chant : « Comme on transmet le feu en tenant le flambeau radieux qui traverse le temps » et « Comme on cueille les fruits à l’heure des moissons ». Oui, Michel, c’est tout cela. Je terminerai ces pages, cependant, par un emprunt à quelqu’un que Michel connaît. Georges Madore, commentant la parabole de l’ivraie dans le blé, disait : « J’aime la patience, dit Dieu. J’aime le cultivateur qui regarde mûrir les plants de son champ et qui ressent de la joie en affirmant : «Dans deux semaines, ce sera prêt». J’aime la patience de la jardinière qui regarde ses tomates encore vertes, mais déclare : Ce sera une belle récolte ». « Oui j’aime cette patience, dit Dieu, car elle est l’amour qui sait attendre. Oui, je l’aime, car il y a un peu de moi là-dedans42. » Lorraine CAZA, CND Congrégation de Notre-Dame, Montréal [email protected]

42. Texte d’introduction du Prions en Église, Mensuel de juillet 2017, au dimanche 23 juillet.

BIBLIOGRAPHIE SCIENTIFIQUE DE MICHEL GOURGUES 1975-2018

Pour chaque année, l’ordre de classement des titres est le suivant : volumes monographiques, articles de revues, contributions à des ouvrages collectifs, directions d’ouvrages. 1975 1. « Exalté à la droite de Dieu (Actes 2:33 ; 5:31) », Science et Esprit 27 (1975) 303-327. 1976 2. « Lecture christologique du Psaume CX et fête de la Pentecôte », RB 83 (1976) 5-24. 1977 3. « Remarques sur la «structure centrale» de l’épître aux Hébreux », RB 84 (1977) 26-37. 4. « Psaume 110 (109) », in Permanence et présence du psautier chrétien, Paris, Téqui, 1977, p. 299-306. 1978 5. À la droite de Dieu. Résurrection de Jésus et actualisation du Psaume 110:1 dans le Nouveau Testament (EBib), Paris, Gabalda, 1978, 270 p. 6. Les psaumes et Jésus, Jésus et les psaumes (CaE, 25), Paris, Cerf, 1978, 64 p. → 7, 27, 36 1979 7. Los salmos y Jesus, Estella (Navarra), Verbo Divino, 1979, 2e éd. 1980, 65 p. → 6

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 8. Jésus devant sa passion et sa mort (CaE, 30), Paris, Cerf, 1979, 64 p. → 10, 17, 33  9. « Jésus et la violence », Science et Esprit 31 (1979) 125-146. 1980 10. Jesús ante su pasión y su muerte, Estella (Navarra), Verbo Divino, 1980, 63 p. → 8 11. « L’an prochain à Jérusalem – Approche concrète de l’espérance biblique », La Vie spirituelle 639 (juil.-août 1980) 610-630. 12. « And he charged them not to depart from Jerusalem », in The Meaning and Mission of Religious Life in the Local Church, Ottawa, C.R.C., 1980, p. 143-145. → 13 13. « Il leur commanda de ne pas quitter Jérusalem », in Le sens et la mission de la vie religieuse dans l’Église locale, Ottawa, C.R.C., 1980, p. 143146. → 12 14. Direction de la publication et contribution à l’ouvrage collectif Les enfances de Jésus. Exégètes et historiens à Radio-Canada, Montréal, Bellarmin, 1980, p. 17-52. 15. « Jésus le prophète », in Jésus aujourd’hui. Exégètes et historiens à RadioCanada, I, Montréal, Bellarmin, 1980, p. 31-42. 16. « L’actualité de Jésus », in Jésus aujourd’hui. Exégètes et historiens à RadioCanada, II, Montréal, Bellarmin, 1980, p. 133-142. 1981 17. Gesù davanti alla sua passione e alla sua morte, Turin, Gribaudi, 1981, 60 p. → 8 18. « Section christologique et section eucharistique en Jean VI. Une proposition », RB 88 (1981) 515-531. 19. « À propos du symbolisme christologique et baptismal de Marc 16:5 », NTS 27 (1981) 672-678. 20. « «On t’appellera d’un nom nouveau» : Jésus nomme Dieu, Dieu nomme Jésus », La Vie spirituelle 642 (janv.-fév. 1981) 108-125. 21. « L’Évangile », en collaboration avec É. CHARPENTIER, in Évangiles synoptiques et Actes des Apôtres (Petite Bibliothèque des Sciences Bibliques – N.T., 4), Paris, Desclée, 1981, p. 11-54. → 30 1982 22. L’au-delà dans le Nouveau Testament (CaE, 41), Paris, Cerf, 1982, 64 p. → 26, 50, 139

BIBLIOGRAPHIE SCIENTIFIQUE DE MICHEL GOURGUES

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23. « Pour que vous croyiez... » Pistes d’exploration de l’évangile de Jean (Initiations, 4) Paris, Cerf, 1982, 295 p. 24. « Eucharistie et communauté chez saint Paul et les synoptiques », Église et Théologie 13 (1982) 57-78. 25. « L’aveugle-né (Jn 9). Du miracle au signe : typologie des réactions à l’égard du Fils de l’homme », NRT 104 (1982) 381-395. 1983 26. El mas alla en el Nuevo Testamento, Estella (Navarra), Verbo Divino, 1983, 65 p. → 22 27. Os Salmos e Jesus, Jesus e os Salmos (Cadernos Biblicos, 15), Lisboa, Difusora Bíblica, 1983, 68 p. → 6 28. « «L’Apocalypse» ou «les trois Apocalypses» de Jean ? », Science et Esprit 35 (1983) 297-323. 29. « Vangeli sinottici e Atti degli Apostoli », en collaboration avec É. CHARPENTIER, in Piccola Enciclopedia Biblica (n° 9), Rome, Borla, 1983, 329 p. → 21 30. « Introduccion a los Evangelios », en collaboration avec É. CHARPENTIER, in Evangelios Sinopticos y Hechos de los Apostoles, Madrid, Ed. Christiandad, 1983, p. 23-68. 1984 31. « Pour un regard agrandi sur la résurrection de Jésus », Communauté Chrétienne 133 (1984) 33-42. 1985 32. Le défi de la fidélité – L’expérience de Jésus (Lire la Bible, 70), Paris, Cerf, 1985, 148 p. → 42 33. Jesus diante de sua paixâo e morte (Cadernos Biblicos, 24), São Paolo, Ed. Paulinas, 1985, 68 p. → 8 34. « The Thousand-Year Reign (Rev 20:1-6): Terrestrial or Celestial? », CBQ 47 (1985) 676-681. 35. « Deux miracles, deux démarches de foi (Marc 5,21-43 par.) », in À cause de l’Évangile. Mélanges offerts à Dom Jacques Dupont (LD, 123), Paris, Cerf – Publications de Saint-André, 1985, p. 229-249. 1986 36. Os Salmos e Jesus, Jesus e os Salmos (Cadernos Biblicos, 25), São Paulo, Ed. Paulinas, 1986, 68 p. → 6

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37. « Esprit des commencements et Esprit des prolongements dans les Actes. Note sur la «Pentecôte des Samaritains» (Act. VIII,5-25) », RB 93 (1986) 376-385. 38. « Marie, la «femme» et la «mère» en Jean », NRT 108 (1986) 174191. → 45 39. « L’autre dans le récit exemplaire du bon samaritain (Lc 10,29-37) », in M. GOURGUES – G.-D. MAILHIOT (ed.), L’altérité – Vivre ensemble différents. Actes du Colloque pluridisciplinaire tenu à l’occasion du 75e anniversaire du Collège dominicain de philosophie et de théologie (Ottawa, 4-5-6 octobre 1984) (Recherches NS, 7), Montréal-Paris, Bellarmin-Cerf, 1986, p. 257-268. 40. M. GOURGUES – G.-D. MAILHIOT (ed.), L’altérité – Vivre ensemble différents. Actes du Colloque pluridisciplinaire tenu à l’occasion du 75e anniversaire du Collège dominicain de philosophie et de théologie (Ottawa, 4-5-6 octobre 1984) (Recherches NS, 7), Montréal-Paris, Bellarmin-Cerf, 1986, 455 p. 1987 41. Mission et communauté (Actes des Apôtres 1–12) (CaE, 60), Paris, Cerf, 1987, 68 p. → 44, 52, 55 42. La sfida della fedelta. L’esperienza di Gesù, Rome, Borla, 1987, 148 p. → 32 43. « Halakâh et Hagaddâh chrétiennes. Les indications de Marc 2,23-28 et parallèles (les épis arrachés) sur le “sens chrétien de l’Ancien Testament” », in La vie de la Parole – De l’Ancien au Nouveau Testament. Études d’exégèse et d’herméneutique biblique offertes à Pierre Grelot, Paris, Desclée, 1987, p. 195-209. 1988 44. Mission y comunidad. Hch 1–12 (Caduernos Biblicos, 60), Estella (Navarra), Verbo Divino, 1988, 68 p. → 41 45. « Mary, the Mother of our Faith. Part One: Mary the “Woman” and the “Mother” in John », Theology Annual [Hong Kong] 2 (1987-1988) 93-117. → 38 46. « La pédagogie de l’appel. Le témoignage du Nouveau Testament », in F. JACQUES – J. VERREAULT « (ed.), Différents appels pour la vie. Actes du Congrès national des Responsables de pastorale des vocations (mai 1987), Québec, CCFPV, 1988, p. 25-44.

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155. « Rien d’autre que le kérygme. La lecture lucanienne du signe de Jonas (Lc 11,29) », in A. GAGNÉ – A. GIGNAC – S. PAQUETTE LESSARD (ed.), Le Vivant qui fait vivre. Esprit, éthique et résurrection dans le Nouveau Testament. Mélanges offerts à la Professeure Odette Mainville (Sciences Bibliques), Montréal – Paris, Médiaspaul, 2011, p. 217237. → 167 156. « “Tout a été créé par lui et pour lui” (Col 1,16) : sens et portée d’une proclamation christologique », in E. AGAZZI – F. MINAZZI (ed.), Evolutionism and Religion. Proceedings of the Meeting in Florence, 1921 November 2009, Milan, Mimesis Ed., 2011, p. 217-238. 2012 157. « Los Poderes en Via de Institucionalización en las Cartas Pastorales », AnáMnesis 22 (2012) no. 43, 1-29. → 144 158. « “Qui ne croira pas sera condamné” (Mc 16,16) : sur la déclaration surprenante de la finale de Marc », in G. VAN OYEN – A. WÉNIN (ed.), La surprise dans la Bible. Hommage à Camille Focant (BETL, 247), Leuven, Peeters, 2012, p. 259-275. 159. « Les pouvoirs en vie d’institutionnalisation dans les épîtres pastorales », in D. LUCIANI – A. WÉNIN (ed.), Le Pouvoir. Enquêtes dans l’un et l’autre Testament (LD, 248), Paris, Cerf, 2012, p. 289-323. 160. « Qui est l’Esprit Saint dans l’évangile de Jean ? », in E. PISANI (ed.), 100 questions sur Dieu, Perpignan, Artège, 2012, p. 53-60. 161. « En quoi l’évangile de Jean est-il différent des trois autres? », in E. PISANI (ed.), 100 questions sur Dieu, Perpignan, Artège, 2012, p. 135-143. 2013 162. « Ni homme ni femme ». L’attitude du premier christianisme à l’égard de la femme. Évolutions et régressions (Lire la Bible, 175), Paris – Montréal, Cerf – Médiaspaul, 2013, 163 p. → 166 163. « “Despierta, tú que duermes…” (Ef 5 :14) : de la evocación de la Pascua bautismal, a la motivación parenética », AnáMnesis 23 (2013) no. 46, 9-29. → 151 164. « Les formes prélittéraires, ou l’Évangile avant l’écriture », in B. POUDERON (ed.), Histoire de la littérature grecque ancienne. Tome 2 : De Paul à Irénée de Lyon (Initiations aux Pères de l’Église), Paris, Cerf, 2013, p. 265-282. 165. M. GOURGUES – M. CANNUYER (ed.), L’ecclésiologie des Églises orientales, numéro spécial de Science et Esprit 65 (2013), 274 p.

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2014 166. « Né uomo né donna ». L’atteggiamento del cristianesimo delle origini nei confronti della donna (Parola di Dio. Seconda serie), Rome, San Paolo, 2014, 176 p. → 162 167. « Nada más el Kerigma. La lectura lucana del signo de Jonás (Lc 11:2932) », AnáMnesis 24 (2014) no. 47, 1-20. → 155 168. « La tierra para los mansos (Mateo 5,4). Un Horizonte Paradójico », AnáMnesis 24 (2014) no. 48, 35-45. → 153 169. « Les échos du discours d’adieu dans les récits johanniques de christophanie pascale », in J. VERHEYDEN – G. VAN OYEN – M. LABAHN – R. BIERINGER (ed.), Studies in the Gospel of John and its Christology. FS Gilbert Van Belle (BETL, 265), Leuven, Peeters, 2014, p. 485-499 2015 Les contingences de l’édition font qu’aucun titre n’est paru cette année-là. 2016 170. « Jesus’s Testimony before Pilate in 1 Timothy 6:13 », Journal of Biblical Literature 133 (2016) 639-648. 171. « Sur les demeures d’éternité. Le témoignage du Nouveau Testament », Lumen Vitae 71 (2016) 271-282. 172. « Les formes prélittéraires, ou l’Évangile avant l’écriture », in B. POUDERON – E. NORELLI (ed.), Histoire de la littérature grecque chrétienne des origines à 451. Tome II. De Paul de Tarse à Irénée de Lyon (L’âne d’or), Paris, Les Belles Lettres, 22016, p. 221-237. 173. « L’amour mutuel comme facteur d’identité des disciples de Jésus en Jn 13,35 et 15,14.17 : un écho de 1 Jn ? », in A. GAGNÉ – A. GIGNAC – G. OEGEMA (ed.), Constructing Religious Identities during the Second Temple Period, Construction des identités religieuses à l’époque du Second Temple. FS Jean Duhaime (Biblical Tools and Studies, 24), Leuven, Peeters, 2016, p. 189-207 2017 174. « “Ni Juif ni Grec, ni esclave ni libre, ni mâle ni femelle” (Ga 3,28). Sur une contribution de la première génération chrétienne à une affirmation des droits humains », Science et Esprit 69 (2017) 241-262. 175. « Les paraboles évangéliques sans “free pass”. Sur la cinquième étape d’une entreprise monumentale », Science et Esprit 69 (2017) 427-439.

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E. DURAND – M. DE LOVINFOSSE

2018 176. Les deux lettres à Timothée. La lettre à Tite (La Bible en ses traditions), Leuven, Peeters. 177. « La miséricorde en trois temps. Le témoignage de Luc », Science et Esprit 70 (2018). 178. « Le mystère du Christ Jésus dans les deux lettres à Timothée et la lettre à Tite. Tantôt en amont, tantôt en aval, tantôt en coïncidence », dans Ch. RAIMBAULT (ed.), ACFEB, Paul et son Seigneur : trajectoires christologiques des épîtres pauliniennes. XXVIe congrès de l’Association catholique française pour l’étude de la Bible (Angers, 2016) (LD), Paris, Cerf, 2018, p. 257-290. 179. « Thessaloniciens (première épître aux) » ; « Thessaloniciens (deuxième épître aux »), dans Dictionnaire de la Bible. Supplément, tome XIV, Paris, Letouzey et Ané. 180. « 2 Timothée 2, ou le lieu de fracture », in R. BIERINGER (ed.), The Second Letter to Timothy. Acts of the XXIst Colloquium Oecumenicum Paulinum held in Rome, September 14-19, 2010 (Colloquium Oecumenicum Paulinum, 24), Leuven, Peeters. 181. « The Second Epistle to Timothy. Introduction and Commentary », in M.D. JANUS (ed.), The Paulist Biblical Commentary, Mahwah NJ, Paulist Press. 182. « “Il n’y a pas de mâle et de femelle”. L’attitude du premier christianisme à l’égard de la femme : évolutions et régressions », à paraître dans les Actes du congrès conjoint de l’Association catholique des études bibliques au Canada (ACÉBAC) et de la Société canadienne de théologie tenu à l’Université Laval, Québec, 5-7 juin 2017, Leuven, Peeters. 183. « Temps court et temps long, temps urgent et temps courant : une tension interne dans la seconde lettre à Timothée », in M. LEROY – M. STASZAK (ed.), Perceptions du temps dans la Bible (EBib), Leuven, Peeters, p. 396-418. EMMANUEL DURAND – MARIE DE LOVINFOSSE

II. DE L’ANCIEN VERS LE NOUVEAU

CRÉATION : COMMENCEMENT ‘ADAM : DERNIER (GN 1) ET PREMIER (GN 2)

C’est avec grand plaisir que j’ai accepté l’invitation de collaborer au Festschrift pour honorer Michel Gourgues, ami et collègue de longue date. Ma seule hésitation était la différence entre son domaine de recherche et le mien, lui spécialiste du Nouveau Testament et moi travaillant l’Ancien. Mais le thème unificateur « Commencement et fins », proposé par les éditeurs du volume, m’a donné une ouverture. En effet, les deux premiers chapitres de la Genèse constituent bien le « commencement » de toute la Bible. En plus, la création d’‘adam dans le récit de la création (Gn 1) se situe tout à fait à la « fin », comme dernière œuvre du Créateur, tandis que dans le récit du paradis (Gn 2) ‘adam apparaît au « commencement », la première œuvre de Yahvé Dieu. Le « dernier » devient le « premier », si l’on suit la séquence littéraire des deux chapitres ; ou bien le « premier » devient « le dernier », si l’on suit la séquence chronologique, communément acceptée, de ces deux chapitres. La parole de Jésus : « les derniers seront les premiers et les premiers les derniers » (Mt 19,30 ; 20,16) semble prouvée. Les temps présents sont des plus intéressants pour les études bibliques1. Il n’y a pas si longtemps que la méthode historico-critique (ou mieux : les méthodes historico-critiques) était pratiquement la seule méthode scientifique qui dominait la recherche universitaire et académique. Conscient que les textes bibliques ont une longue histoire complexe, on cherchait à en déterminer l’évolution, la croissance ; en somme la préhistoire du texte, que ce soit par la critique des sources ou par la critique de rédaction. L’approche est diachronique. Ces recherches ont produit des résultats remarquables et elles resteront toujours nécessaires et indispensables. Il faut avouer pourtant 1. W. VOGELS, Interpreting Scripture in the Third Millennium: Author – Reader – Text (Novalis Theological Series), Ottawa, Novalis, 1993 ; ID., « Approaches to the Reading of the Scriptures: Author – Reader – Text », MST Review 6 (2004) 74-107 ; ID., « Biblical Studies Then and Now: The Last 50 Years », in T. FEREDAY – M. DAVIDSON (ed.), Triumph of Hope: Essays in Celebration of the 50th Anniversary of the Ottawa School of Theology and Spirituality 1963-2013, Ottawa, OSTS, 2013, p. 297-315.

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W. VOGELS

que les résultats restent généralement hypothétiques et sont à réviser régulièrement. Ces dernières années, on a pris conscience qu’une autre dimension du texte a ainsi été omise. Il est vrai que les textes bibliques ont une préhistoire, mais chaque texte a maintenant sa forme finale, canonique. Pour certains textes il y a parfois des manuscrits qui donnent des versions différentes, mais même là, chaque version est un texte qu’on peut analyser sous sa forme concrète. Ce sont surtout les méthodes littéraires qui s’occupent du texte sous sa forme finale ; l’approche est synchronique. L’importance de la création dans la tradition et la théologie bibliques, ainsi que la place d’‘adam dans cette création, deviennent très différentes selon l’approche diachronique ou synchronique de ces premiers chapitres de la Bible (Gn 1–2).

I. LA CRÉATION

AU COMMENCEMENT OU À LA FIN DU MESSAGE DE LA

BIBLE

Dans les approches diachroniques de la Bible, on propose souvent que la notion du Dieu Sauveur précède celle du Dieu Créateur. En effet, quand Dieu appelle Moïse pour devenir le chef de son peuple afin de le libérer de son esclavage d’Égypte, Moïse essaie de trouver toutes sortes d’excuses pour échapper à cette mission2. La première excuse porte sur sa propre personne : « Qui suis-je », à quoi Dieu répond : « Je serai avec toi » (Ex 3,11-12). Dieu révèle ainsi un aspect de son être, il est celui qui est avec, ce qui reviendra comme un refrain dans la Bible. Après Moïse Dieu le promet à Josué, « je serai avec toi comme j’ai été avec Moïse » (Jos 1,5) ; il l’a été avec David comme le prophète Natân le lui assure : « car Yahvé est avec toi » (2 S 7,3) ; et Jésus le promet à ses disciples : « Et moi, je suis avec vous pour toujours, jusqu’à la fin du monde » (Mt 28,20). Cette promesse ne satisfait pas Moïse et il recourt à une deuxième excuse : « “Mais s’ils demandent quel est son nom, que leur répondrai-je ?” Dieu dit alors à Moïse : “Je serai ce que je suis [...] Yahvé, le Dieu de vos pères [...] m’a envoyé vers vous” » (Ex 3,1315). Yahvé affirme explicitement que ce nom « Yahvé », révélé à Moïse, était inconnu des patriarches : « Je suis Yahvé [...] mais je ne me suis pas fait connaître d’eux (Abraham-Isaac-Jacob) sous mon nom de Yahvé » (Ex 6,2-3). Il y a bien des discussions sur l’origine de ce nom, mais selon la tradition biblique il n’y a aucun doute, le nom du Dieu d’Israël, qui en fait sa fierté, 2. W. VOGELS, « The Prophet Who Exhausted All Excuses (Ex 3:1–4:17) », MST Review 14 (2012) 1-31.

‘ADAM : DERNIER (GN 1) ET PREMIER (GN 2)

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est intimement lié à la sortie d’Égypte, l’événement salvifique par excellence : « C’est moi Yahvé, ton Dieu, qui t’ai fait sortir du pays d’Égypte, de la maison de servitude » (Ex 20,2). Cette première rencontre entre Yahvé et son peuple a convaincu Israël que son Dieu est un Dieu Sauveur. Ce que Yahvé a fait au moment de la sortie de l’Égypte, il l’a fait à plusieurs reprises dans l’histoire de son peuple, ce qui a consolidé la foi d’Israël que Yahvé est un Dieu Sauveur. Seulement par après, Israël s’est dit, si Yahvé est le Sauveur, il doit également être le Créateur. On pourrait presque dire que la foi dans un Dieu Créateur est un appendice, une « afterthought ». Les chercheurs invoquent surtout deux arguments pour confirmer cette position assez généralement acceptée dans la recherche critique3. D’abord, il y a très peu de textes dans l’Ancien Testament qui s’intéressent à la création et ces textes sont généralement jugés tardifs. Il y a deux passages dans le livre d’Amos (4,13-17 ; 5,8-9), quelques Psaumes4, et le grand discours de Dieu dans le livre de Job (38–39). Dans le livre d’Isaïe, la création joue un rôle central, mais c’est dans le Deutéro-Isaïe, qui est tardif (VIe siècle avant J.C.) et non pas du temps du prophète Isaïe (VIIIe siècle avant J.C.). On propose qu’Israël a commencé à penser à Dieu comme Créateur vers la fin de l’exil (Neh 9,6) et précisément, le premier chapitre de la Genèse, attribué à la tradition sacerdotale (P), daterait de cette époque. Dans ce chapitre majestueux, le prêtre s’adresse aux besoins des exilés dont la foi était profondément mise à l’épreuve. Puisqu’Israël avait perdu la guerre, le dieu des Babyloniens devait être plus fort que le Dieu d’Israël. Impossible, dit l’auteur P, car notre Dieu est le Créateur de tout l’univers. Ce Dieu qui a su mettre de l’ordre dans le chaos la première fois au moment de la création, est capable de le faire une autre fois pour ces exilés qui vivent dans le chaos. En plus, l’auteur P fait ressortir la fidélité du Créateur ; en effet, ce que Dieu dit, il le fait : « Dieu dit, “Qu’il y ait […]” [...] Dieu fit » (par ex. Gn 1,13-14) ; cela aussi les exilés avaient besoin de l’entendre, car ils se posaient bien des questions sur les grandes promesses que Yahvé avait faites à son peuple5. Un deuxième argument en faveur de cette datation tardive de la foi au Dieu Créateur provient d’une proposition de G. von Rad (1901-1971). Cet auteur, qui eut une influence très grande, d’ailleurs bien méritée, dans 3. Il suffit de référer à un auteur parmi bien d’autres : J.A. SOGGIN, Das Buch Genesis: Kommentar, Darmstadt, Wissenschaftliche Buchgesellschaft, 1997, p. 15. 4. Ps 8 ; 19 ; 104 ; 136. 5. Pour plus de détails sur ces grandes affirmations de l’auteur P sur Dieu : W. VOGELS, Nos Origines, Genèse 1–11, Montréal, Bellarmin, 2000, p. 51-54.

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W. VOGELS

la recherche biblique au XXe siècle, suggère qu’Israël avait son « Credo historique6 ». Au moment où le croyant apporte au prêtre les prémices de la récolte, il est invité à faire une profession de foi : « Tu prononceras ces paroles devant Yahvé ton Dieu : “Mon père était un Araméen errant [...] et Yahvé nous fit sortir d’Égypte [...] Il nous a conduits ici et nous a donné ce pays [...]” » (Dt 26,5-10). Ce Credo comporte trois grandes phases de l’histoire d’Israël : patriarches – sortie d’Égypte – don de la Terre promise. Il n’y a aucune référence à la création. Von Rad retrouve ce même Credo dans d’autres textes (Dt 6,21-23 ; Jos 24,2-13) et, chaque fois, sans mention de la création. Il affirme aussi que ce Credo est très ancien, d’où sa conclusion que la foi au Dieu Créateur est de date récente. Ainsi, beaucoup de professeurs et de livres d’introduction à la Bible commencent avec l’Exode et le Dieu Sauveur, plutôt qu’avec la Genèse et le Dieu Créateur, pour introduire étudiants et lecteurs à la compréhension de la Bible. Toute la discussion qui précède est basée sur une approche diachronique : au commencement Israël a pris conscience d’un Dieu Sauveur, vers la fin seulement d’un Dieu Créateur. Du salut et de l’alliance, on remonte à la création. Le commentaire de von Rad sur le récit sacerdotal de la création (Gn 1) résume bien cette position : La place de l’histoire de la création, au début de la Bible, a souvent provoqué un malentendu, en donnant à la « doctrine » de la création la valeur d’objet central de la foi dans l’Ancien Testament. Or, ce n’est pas le cas. Ni là, ni chez le Second Esaïe, la référence à la création n’existe pour elle-même. La foi de la création n’est ni l’origine, ni le but des déclarations de Gn 1 et 2. Le Jahviste comme le document sacerdotal s’en tient fondamentalement à la foi dans le salut et l’élection. [...] cette partie ne devrait jouer dans l’ensemble qu’un rôle auxiliaire 7.

Les arguments apportés sont sérieux, mais il y a tout de même déjà quelques remarques à faire. Premièrement, la question qui est toujours à réviser est bien la datation des textes bibliques. Les textes qui mentionnent la création peuvent être plus anciens qu’on ne le croyait. La tradition P de Gn 1 est généralement datée de la période exilique ou post-exilique, quelques exégètes, par contre, la considèrent très ancienne. G. Wenham, par exemple, croit que P, qui donne la structure à l’ensemble de Gn 1–11, daterait du temps du premier temple, du second millénaire avant J.-C.8 Amos, qui a deux passages sur la création, 6. G. VON RAD, Théologie de l’Ancien Testament. Vol. I : Théologie des traditions historiques d’Israël, Genève, Labor et Fides, 1963, p. 112-118 et 123-138. 7. G. VON RAD, La Genèse, Genève, Labor et Fides, 1968, p. 41 et 42. 8. G.J. WENHAM, Genesis 1–15 (WBC, 1), Waco TX, Word Books, 1987, pour la date de P, p. xxxi-xxxii ; ID., « The Priority of P », VT 49 (1999) 240-258 ; voir une longue discussion

‘ADAM : DERNIER (GN 1) ET PREMIER (GN 2)

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est le premier prophète écrivain et se situe donc bien avant l’exil. À quoi l’on répond parfois que ces deux textes d’Amos, seraient des doxologies, qui pourraient être des ajouts tardifs. Les Psaumes de création, comme bien d’autres psaumes, peuvent avoir leur origine dans de vieux cantiques. L’existence de ce « Credo historique » est mise en question et surtout son ancienneté ; ceux qui l’acceptent encore le datent d’une époque plus récente. Deuxièmement, la foi dans un Dieu Sauveur, qui a envoyé les signes (souvent appelés les “plaies”) d’Égypte (Ex 7–11) et qui a séparé la mer en deux (Ex 14,1331), présuppose bien qu’on le croie maître de la nature et donc de la création. Troisièmement, les auteurs sont d’accord pour dire que les textes bibliques de la création sont inspirés par des textes de création Babyloniens, Égyptiens ou Ugaritiques9. Tous ces textes extrabibliques sont reconnus par les orientalistes comme très anciens ; ce qui prouve l’ancienneté de la foi au Dieu Créateur chez ces peuples. Pourquoi alors la foi au Créateur, exprimée dans les textes bibliques parallèles, serait récente et une sorte d’appendice ? Le dossier n’est pas clos. Le tout change complètement dans une approche synchronique de la Bible. La création se trouve bien au commencement de la Bible, même dès ses premiers mots : « Au commencement (bereshit)10 Dieu créa le ciel et la terre [...] » (Gn 1,1). La critique biblique doit fournir des arguments, et il faut qu’ils soient solides, pour prouver que le concept de la création se situe à la fin. Pour voir que la création se trouve au début, il ne faut aucune preuve. Le fait est là indéniable ; toute la Bible, Ancien et Nouveau Testament ensemble, s’ouvre par cette vision majestueuse d’un Dieu Créateur. Ceci n’est certainement pas un pur hasard, les rédacteurs ou les éditeurs de la Bible ont dû faire un choix ; ils auraient pu commencer autrement, par exemple par l’Exode et le Dieu Sauveur, mais ils ne l’ont pas fait. Tout auteur sait qu’il est important de bien soigner le début d’un texte, que ce soit celui d’un article ou d’un livre. Si le début n’est pas bien écrit ou peu intéressant, le texte finira vite au panier. En plus, le début annonce ce qui suit, parfois il en donne même les grandes orientations. Il en est de même pour la Bible. A. Marchadour offre entre plusieurs chercheurs : J. BLENKINSOPP, « An Assessment of the Alleged Pre-Exilic Date of the Priestly Material in the Pentateuch », ZAW 108 (1996), 495-518 ; J. MILGROM, « The Antiquity of the Priestly Source: A Reply to Joseph Blenkinsopp », ZAW 111 (1999) 10-22 ; A. HURVITZ, « Once Again: The Linguistic Profile of the Priestly Material in the Pentateuch and its Historical Age: A Response to J. Blenkinsopp », ZAW 112 (2000) 180-191. 9. C. WESTERMANN, Genesis 1–11: A Commentary, Minneapolis MN, Augsburg Publishing House, 1984, p. 19-47 ; R.J. CLIFFORD, Creation Accounts in the Ancient Near East and in the Bible (CBQMS, 26), Washington, The Catholic Biblical Association, 1994 ; W. VOGELS, Nos Origines : Genèse 1–11 (n. 4), p. 15-17 avec une abondante bibliographie à la n. 5. 10. J. L’HOUR, « Ré’shît et beréshît encore et toujours », Bib 91 (2010) 51-65.

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W. VOGELS

le commentaire suivant de Gn 1 : « placé au seuil du livre tout entier (Ancien et Nouveau Testament) il joue le rôle d’ouverture, annonçant les motifs les plus importants11 ». Ce commentaire est presque à l’opposé de celui de von Rad cité plus haut. Il est possible, qu’Israël ait pris conscience du Dieu Créateur après son expérience de Dieu comme son Sauveur, mais pour le lecteur de la Bible, aujourd’hui, c’est le Dieu Créateur qui vient en premier lieu. Ceci n’est pas sans conséquences pour la compréhension de toute la Bible. La préhistoire (Gn 1–11) parle non d’un peuple particulier, mais de l’humanité. Adam et Ève ne sont pas des Israélites, ni des Chrétiens, mais tout simplement des êtres humains. La Bible ne commence pas par l’histoire d’Israël, elle ouvre dans une perspective largement universaliste ; elle énumère même tous les peuples de la terre descendants des trois fils de Noé (Gn 9,18-19 ; 10). Toute l’humanité est une seule grande famille. Cette ouverture universaliste va se concentrer petit à petit sur quelques individus, comme les patriarches et les matriarches, puis sur un peuple de douze tribus, et de ce peuple sur douze disciples, pour revenir à la fin à la dimension universaliste : « Allez-donc, de toutes les nations faites des disciples » (Mt 28,39)12. Les tenants des approches diachroniques accusent parfois les approches synchroniques d’être fondamentalistes, ce qui n’est pas nécessairement le cas, au contraire. Elles sont post-critiques et permettent de rejoindre les interprétations patristiques et rabbiniques pré-critiques qui offrent parfois des vues profondes, mais trop longtemps négligées dans les études bibliques critiques modernes. Signalons comme exemple la lecture de Gn 1 de Rashi (acronyme de Rabbi Shlomo Itzhaki), rabbin de France (1040-1105), auteur du premier commentaire complet du Talmud et de la Tanak (notre Ancien Testament) et donc de la Torah. Il est un des rabbins les plus importants qui continue à inspirer la tradition juive de notre temps. Rashi note que le récit de la création ouvre par « Au commencement (bereshit) Dieu créa le ciel et la terre » (Gn 1,1)13. Curieux ! Gn 1, et donc toute la Torah, n’ouvre pas par la première lettre de l’alphabet hébreu : alef (‫ )א‬mais par la seconde lettre : beth (‫)ב‬, ce qui fait conclure à Rashi que ce qui précède, à savoir le commencement absolu, nous échappe ; avant la création de l’univers, il y a le mystère de Dieu qui nous est totalement inaccessible. En hébreu on écrit et on lit de 11. A. MARCHADOUR, Genèse. Commentaire pastoral, Paris, Bayard, Centurion, 1999, p. 50. 12. W. VOGELS, God’s Universal Covenant: A Biblical Study, Ottawa, University of Ottawa Press, 21986, p. 17-28. 13. A. MARCHADOUR, Genèse (n. 10), p. 51.

‘ADAM : DERNIER (GN 1) ET PREMIER (GN 2)

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droite à gauche. Cette lettre beth (‫ )ב‬est fermée à droite ; donc ce qui vient avant cette lettre, ce qui précède la création est fermé à l’homme. À gauche cette lettre est ouverte ; donc le déroulement de la création est ouvert à l’homme. À partir de maintenant le Dieu Créateur se manifeste, Dieu montre sa présence dans le développement de l’histoire biblique, il nous révèle graduellement son mystère. Rashi se demanda aussi pourquoi la Torah (La Loi) ne commence pas avec le premier commandement donné à Israël – le commandement d’observer la Pâque (Ex 12) –, mais par la création. Sa réponse est la suivante : elle commence par la création pour établir que Dieu est propriétaire de toute la terre14. La création se situe vraiment au commencement.

II. ‘ADAM :

DERNIER ET PREMIER DE LA CRÉATION

Les approches diachroniques de la Torah ont montré la complexité de sa composition. Wellhausen (fin XXe, début XXe siècle) et son école ont proposé que la Torah est basée sur quatre traditions : tradition yahwiste (J), élohiste (E), deutéronomiste (D), et sacerdotale (P). La tradition (J) était jugée la plus ancienne, du Xe siècle av. J.C., du temps de Salomon, et la tradition (P) serait du temps de l’exil ou post-exilique. Cette théorie documentaire, qui eut un succès remarquable jusqu’aux dernières années, est maintenant remise en question15. Elle garde cependant sa valeur pour la Préhistoire (Gn 1–11) qui est clairement basée sur deux traditions. On les retrouve aisément dans Gn 1–2 ; le premier récit (Gn 1,1–2,4a [en bref Gn 1]) est classé comme un texte P16, et le deuxième (Gn 2,4b-24 [en bref Gn 2])17 14. R.E. FRIEDMAN, Commentary on the Torah with a New English Translation, San Francisco CA, Harper, 2001, p. 5. 15. Voir l’ouvrage de J.-L. SKA, Introduction à la lecture du Pentateuque. Clés pour l’interprétation des cinq premiers livres de la Bible (Le livre et le rouleau, 5), Bruxelles, Lessius, 2000 ; A. DE PURY – T. RÖMER, Le Pentateuque en question : Les origines et la composition des cinq premiers livres de la Bible à la lumière des recherches récentes (MdB, 19), Genève, Labor et Fides, 2002 ; T.B. DOZEMAN – K. SCHMID – B.J. SCHWARTZ (ed.), The Pentateuch: International Perspectives on Current Research (FAT, 78), Tübingen, Mohr Siebeck, 2011. 16. M.S. SMITH, The Priestly Vision of Genesis 1, Minneapolis MN, Fortress, 2010. 17. Il y a des discussions sur Gn 2,4a. Le mot toledoth, terme typique de la tradition P, ouvre normalement une nouvelle section P (5,1 ; 6,9, 10,1 ; 11,10.27), tandis qu’ici il vient en conclusion du récit de la création. Ainsi quelques auteurs le prennent comme ouverture du récit J, ce qui ferait alors 1,1-2,3 (P) et 2,4-25 (J) ; D. CARR, « βιβλος γενεσεως Revisited: A Synchronic Analysis of Patterns in Genesis as Part of the Torah », ZAW 110 (1998) 159177, 327-347 ; M.A. THOMAS, These Are the Generations: Identity, Covenant, and the “Toledot” Formula (LHBOTS, 551), New York – Londres, T&T Clark, 2011.

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un texte J. La tradition P de la théorie documentaire reste la plus solide, pratiquement pas remise en doute ; certains chercheurs, par ailleurs, ont des hésitations sur la tradition J18, ils préfèrent parler de textes « non-P19 ». Comme on l’a vu, la datation est également remise en question ; la tradition J, ou non-P, serait plus tardive que le Xe siècle, et pour certains chercheurs la tradition P serait beaucoup plus ancienne que l’exil. Ce qui renverserait la position classique selon laquelle J était plus ancienne que P ; ce serait alors juste le contraire, P serait antérieure à J. Les méthodes historico-critiques soulignent qu’à l’intérieur de chacun de ces deux récits, il y a d’autres irrégularités qui prouvent que leur préhistoire est encore plus complexe. On suggère, par exemple, que le récit de la création P est basé sur deux sources, un Wortbericht, dans lequel Dieu crée par sa parole : « Dieu dit, Qu’il y ait [...] et il en fut ainsi », et un Tatbericht, dans lequel il crée par ses actions : « Dieu fit […] » (par exemple v. 6-8)20. Le récit J ou non-P a également plusieurs anomalies, surtout de fréquents doublets. Certains l’expliquent par la critique des sources : le récit serait basé sur des sources antérieures ; une proposition assez répandue suggère qu’il y aurait eu un récit de création et un récit de paradis. D’autres auteurs recourent à la critique de la rédaction et voient jusqu’à quatre niveaux de rédaction21. Les hypothèses ne manquent pas. Dans cette approche diachronique, on parle souvent de deux récits de création parallèles. En général les auteurs s’occupent peu du lien entre les deux. Puisque P est généralement jugé plus récent que J, certains suggèrent que P a été écrit pour corriger J22, mais ce qu’il aurait corrigé n’est pas dit. Ceux qui renversent la chronologie traditionnelle, considèrent alors J comme le dernier rédacteur qui relit ou corrige P23. Ou on croit qu’il s’agit de deux 18. T.B. DOZEMAN – K. SCHMID (ed.), A Farewell to the Yahwist: The Composition of the Pentateuch in Recent European Interpretation (SBLSymS, 34), Atlanta GA, SBL, 2006 ; par contre un grand défenseur de J, J. VAN SETERS, The Yahwist: A Historian of Israelite Origins, Winona Lake IN, Eisenbrauns, 2013. 19. Voir par exemple l’un des derniers commentaires très fouillé de Gn 1 : J. L’HOUR, Genèse 1–2,4a. Commentaire (EBib NS, 71), Leuven, Peeters, 2016, volume de 267 pages avec une bibliographie impressionante, p. 245-266. L’auteur promet aussi un commentaire sur Gn 2–3, p. 235. 20. W.H. SCHMIDT, Die Schöpfungsgeschichte der Priesterschrift, Neukirchen, Neukirchener Verlag, 1964. 21. J. VERMEYLEN, « Le récit du paradis et la question des origines du Pentateuque », Bijdragen 41 (1980) 230-250. 22. H. SCHÜNGEL-STRAUMANN, « On the Creation of Man and Woman in Genesis 1–3: The History and Reception of the Texts Reconsidered », in A. BRENNER (ed.), A Feminist Companion to Genesis, Sheffield, JSOT Press, 1993, p. 53-76. 23. J. BLENKINSOPP, « Introduction to the Pentateuch », in The New Interpreter’s Bible I, Nashville TN, Abingdon, 1994, p. 305-318, ici p. 315.

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récits indépendants, deux visions, qui pourraient même être contemporains24. Une chose sur laquelle ces interprétations s’accordent est que, chez P., l’homme (‘adam) est créé à la fin, après toutes les autres créatures, et que homme et femme sont créés en même temps : « Dieu créa l’homme [...] mâle et femelle il les créa » (1,27). Dans le récit J, ou non-P, par contre, la première créature est l’homme (‘adam) (2,7) et l’apparition de la femme ne vient qu’à la fin du récit (2,22). La différence entre les deux récits est considérable, surtout pour le thème du Festschrift : « commencement et fins ». Est-ce que l’homme est dernier (P) ou premier (non-P) dans la création ? Ensuite, est-ce que l’homme et la femme sont créés ensemble (P) ou, au contraire, l’homme au début et la femme à la fin (non-P) ? Cette dernière question mène à de grandes discussions. Les exégètes féministes questionnent, avec raison, l’exégèse patriarcale qui a trop souvent souligné – aidée par saint Paul (1 Tm 2,1113) – que l’homme, puisque qu’il a été créé le premier, doit être le plus important dans la pensée du Créateur et donc le chef de la famille25. Les résultats de ces approches diachroniques expliquent bien certaines questions qu’on peut se poser en lisant ces textes. Mais au lieu de chercher la préhistoire de Gn 1–2, on peut aussi se demander comment cet ensemble, tel qu’il se présente maintenant au lecteur, sous sa forme finale et canonique, se tient26. Les éditeurs ou rédacteurs qui ont mis ces deux récits ensemble, et dans l’ordre actuel, le récit plus récent avant le plus ancien (selon la datation la plus communément acceptée), ont dû avoir une intention, une logique ; ils devaient certainement être convaincus que l’ensemble faisait sens. À nous de le retrouver par une approche synchronique de Gn 1–227. 24. M. VERVENNE, « Genesis 1,1–2,4. The Compositional Texture of the Priestly Overture to the Pentateuch », in A. WÉNIN (ed.), Studies in the Book of Genesis: Literature, Redaction and History (BETL, 155), Leuven, University Press – Peeters, 2001, p. 35-79. 25. W. VOGELS, « “It Is not Good that the ‘Mensch’ Should Be Alone; I Will Make Him/ Her a Helper Fit for Him/Her” (Gen 2:18) », Église et théologie 9 (1978) 9-35, sur ce point, p. 18-19. 26. L’auteur le plus connu pour ce qu’on appelle « canonical criticism » est B.S. Childs. Il lit Gn 1 ensemble avec Gn 2, il parle de « canonical shaping » ou « the final form of the text ». Parmi ses nombreuses publications concernant cette approche canonique : B.S. CHILDS, Introduction to the Old Testament as Scripture, Philadelphia PA, Fortress, 1979 ; Biblical Theology of the Old and New Testaments: Theological Reflections on the Christian Bible, Minneapolis MN, Fortress, 1993 ; sur une telle approche du livre de la Genèse, R.L. COHN, « Narrative Structure and Canonical Perspective in Genesis », JSOT 25 (1983) 3-16. 27. R. ALTER, The Five Book of Moses: A Translation with Commentary, New York, W.W. Norton, 2004, p. 11 : « The informing assumption of my translation and commentary is that the edited version of Genesis – the so-called redacted text – which has come down to us, though not without certain limited contradictions and disparate elements, has powerful coherence as a literary work, and that this coherence is above all what we need to address as readers ».

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Une première remarque importante est qu’on ne trouve pas en Gn 1–2 deux récits de création28, même si beaucoup de commentaires et de traductions de la Bible continuent à parler en ces termes29. Seul le premier (Gn 1) est un vrai récit de création ; il décrit la création de tout l’univers jour après jour. Il est d’ailleurs comparable aux récits de création extrabibliques. Le deuxième (Gn 2) ne l’est pas ; il ne mentionne nullement l’apparition du temps, des espaces, de la lune et du soleil, des poissons, des oiseaux ; il est complètement centré sur l’homme et ses besoins30. Ce qui pourrait suggérer que le deuxième récit veut développer en quoi consiste l’homme créé au sixième jour dans le premier récit31. Au lieu de parler d’un récit de création, il vaut mieux de parler d’un récit du paradis (2,4b–3,24) qui comporte deux panneaux en forme chiastique : le monde de nos rêves (2,4b-24) et le monde réel (2,25– 3,24)32. L’auteur du récit de la création (Gn 1,1–2,4a) n’avait aucune information historique ni scientifique pour savoir comment la création a pu se dérouler, mais il pouvait réfléchir. Les gens qui construisent un habitat pour leur famille commencent par débroussailler le terrain, sur lequel ils bâtissent ensuite la maison ; après quoi ils y apportent les meubles, éventuellement leurs animaux, et en tout dernier lieu, quand tout est prêt, ils y installent leur famille. C’est ainsi qu’on le fait partout au monde dans toutes les cultures. Ainsi Dieu a dû suivre la même procédure pour la construction de l’univers, la maison de l’humanité. Dieu a mis l’ordre dans le chaos initial (v. 2) par une semaine de travail. Durant les trois premiers jours Dieu a créé : 1. jour 28. B. JACOB, The First Book of the Bible: Genesis, His commentary abridged, edited and translated by E.I. JACOB – W. JACOB, Jersey City NJ, Ktav Publishing House, 2007, p. 15 ; resumé du livre de B. JACOB, Das Buch Genesis, Stuttgart, Calwer Verlag, 2000, 1055 p. 29. Par exemple, BJ l’édition de 1961, « Premier récit de la création » (1,1–2,4a), « Second récit de la création » (2,4b-25), mais la BJ dans l’édition de 1986, « Premier récit de la création » et « L’épreuve de la liberté. Le paradis », assez curieux ; le titre pour Gn 2 suggère qu’il n’est pas un récit de création ; par ailleurs, en parlant de Gn 1 comme « premier » récit de création, on laisse entendre que Gn 2 en serait un deuxième. 30. En parlant de Gn 2, W. BRUEGGEMANN, Genesis (IBC), Atlanta GA, John Knox, 1982, p. 40 : « Whatever may be concluded about literary history, theologically this text is best understood in its canonical context. We should not speak of a second, parallel story of creation. Rather, this is a more intense reflection upon the implications of creation for the destiny of humanity ». 31. Les titres donnés dans la TOB (édition 1975) semblent plus justes : « La création » (1,2–2,4a) ; « Les débuts de l’humanité » (2,4b–5,32) ; ou N.M. SARNA, Genesis (The JPS Torah Commentary), Philadelphia PA, The Jewish Publication Society, 1989 : Gn 1 « Creation », Gn 2–3 « Eden and the Expulsion: The Human Condition ». 32. W. VOGELS, « L’être humain appartient au sol. Gn 2,4b–3,24 », NRT 105 (1983) 515534 ; R. OURO, « The Garden of Eden Account: The Chiastic Structure of Genesis 2-3 », Andrews University Seminary Studies 40 (2002) 219-243.

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et nuit, donc le temps, 2. les deux espaces du ciel et de l’eau, 3. le troisième espace de la terre, avec la végétation (v. 3-13). Le gros de la construction est fait. Durant les trois derniers jours de la semaine, qui correspondent parfaitement aux trois premiers jours, Dieu emmène les meubles et les habitants : 4. le soleil pour le jour et la lune pour la nuit, 5. les poissons pour les eaux et les oiseaux pour le ciel, 6. les animaux terrestres pour la terre ferme (v. 14-25). La maison est complètement prête ; Dieu peut finalement emmener sa propre famille dans cet univers harmonieux. Il le fait comme sa dernière œuvre, mais toujours au sixième jour (v. 26-31)33. a lumière b mer – ciel c  terre – végétation a’ luminaires b’ poissons – oiseaux c’ animaux terrestres – hommes

Tout le monde, ou presque...34, est d’accord pour dire que le récit souligne l’importance de la création de l’homme. Bien des détails de cette section le montrent. La description de sa création est beaucoup plus longue que celle de n’importe quelle autre créature ; le texte spécifie la nature de l’homme, sa mission et sa diète. On y trouve même un petit poème (Gn 1,27) qui vient interrompre la structure régulière des autres jours, et qui chante la nature de cette dernière créature. Pour certaines autres créatures, Dieu invite la terre à collaborer à leur production : « Que la terre verdisse [...] » (v.11), « que les eaux grouillent [...] » (v. 20), « que la terre produise [...] » (v. 24). Pour l’homme, la terre n’en semble pas capable, car pour lui, et seulement pour lui, la formule est : « Faisons l’homme [...] ». L’homme vient d’en haut, les autres créatures viennent d’en bas. Le verbe bara’, le verbe bien spécial pour parler de la création et qui a seulement Dieu comme sujet, puisque lui seul en est capable, se retrouve jusqu’à trois fois pour la création de l’homme (v. 27) et avec cette unique qualification que l’homme est à l’image et la ressemblance de Dieu. C’est ainsi que Dieu, qui a parlé tout le temps dans le récit : « Dieu dit [...] », parle maintenant, et pour la première fois, à quelqu’un : « Dieu les bénit et leur dit [...] » (v. 28). On dirait que 33. Pour une analyse plus détaillée de la création de l’homme (Gn 1,26-31), W. VOGELS, Nos Origines : Genèse 1–11 (n. 4), p. 63-70. 34. Conscients des problèmes écologiques graves, certains auteurs réagissent contre une lecture trop anthropocentrique et proposent de lire la Bible à partir de la terre. N.C. HABEL – S. WURST (ed.), The Earth Story in Genesis (The Earth Bible, 2), Sheffield, Sheffield Academic Press, 2000 ; dans ce volume : N.C. HABEL, « Geophany: The Earth Story in Genesis », p. 3448.

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Dieu a créé l’homme pour avoir quelqu’un à qui parler, et en lui parlant, il se regarde comme dans un miroir, il voit son image. Pratiquement après chaque œuvre, Dieu évalue ce qu’il vient de faire : « Dieu vit que cela était bon » (v. 4.10.12.18.21.25), quand l’homme apparaît comme dernière œuvre, Dieu conclut « voici c’était très bon » (v. 31)35. Dieu parle jusqu’à trois fois dans ce passage et son nom « Dieu » (Elohim) y est répété plusieurs fois. Tout souligne le caractère spécial de cette section du récit, le sommet du texte36. La création de l’homme vient à la fin, les auteurs n’arrêtent pas de le qualifier comme le sommet, le pinacle, l’apex, le couronnement, le climax ; tout le récit pointe vers ce moment final37. Le texte hébreu utilise le mot ‘adam qui est un terme inclusif  38 ; il réfère à un être humain, qu’il soit homme ou femme ; il peut aussi signifier l’humanité. La langue française n’a pas de terme inclusif ; « homme » peut inclure la femme ou peut être restrictif : l’« homme » comme distinct de la « femme »39. Pour éviter cette ambiguïté, on pourrait traduire ici par « l’humain ». Le texte dit explicitement que Dieu créa en même temps l’homme (mâle) et la femme (femelle) (Gn 1,27) : « Dieu créa l’humain (‘adam) à son image à l’image de Dieu il le créa, mâle et femelle il les créa »

Le récit continue en affirmant que, après l’humain, l’activité créatrice de Dieu est finie : « Ainsi furent achevé le ciel et la terre [...] Dieu conclut au septième jour l’ouvrage [...] » (2,1-2)40, et que Dieu se repose et sanctifie le septième jour « après tout son ouvrage de création » (2,3). 35. J. L’HOUR, Genèse 1–2,4a (n. 18), insiste qu’ailleurs la formule est kî (« que c’était bon »), mais pour l’homme « voici » ; p. 194 : « Ici ce n’est plus Dieu seulement qui voit que c’est bon, mais le narrateur et son lecteur égalememt ». 36. Pour certains, le sommet du récit de la création serait le 7e jour (2,1-4a). Peu importe cette discussion, la création de l’homme est sans aucun doute le sommet des six jours durant lesquels Dieu a créé. L’homme est sa dernière œuvre ; il complète et couronne le tout et en reçoit la responsabilité. Voir S. AMSLER, Le dernier et l’avant-dernier : Études sur l’Ancien Testament, Genève, Labor et Fides, 1993. 37. J. L’HOUR, Genèse 1–2,4a (n. 18), p. 22 : « En outre Gn 1 ne parle que de la création, et on peut même affirmer que c’est le seul pur récit de création que l’on connaisse. Tout y conduit à la création des humains célébrée comme le sommet du monde et le grand bienfait d’Elohim. » 38. S. CAZELAIS, « La masculoféminité d’Adam : Quelques témoins textuels et exegèses chrétiennes anciennes de Gen 1,27 », RB 114 (2007) 174-188. 39. Le même problème se pose en Anglais « man ». Les langues germaniques ont un mot inclusif : « Mensch » (Allemand), « mens » (Néerlandais) ; bien d’autres langues en ont un. 40. É. NODET, « Œuvre achevée le VIe ou le VIIe ? (Gn 2,2) », RB 118 (2011) 116-122.

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Pourtant, à la surprise du lecteur, la narration ne s’arrête pas. L’approche diachronique considère que ce qui suit est un nouveau récit de création d’une tradition différente, tandis que dans une approche synchronique, on se demande quel est le rapport entre les deux morceaux de la narration (Gn 1 et Gn 2). L’éditeur ou le rédacteur a fait un lien remarquable entre les deux par le v. 441. a Telle fut toledoth du ciel et de la terre b quand ils furent créés b’ au jour où Yahvé Dieu fit a’ la terre et le ciel

Par sa structure chiastique, ce verset est un verset clef, le pont entre les deux morceaux de la narration ; il renvoie à ce qui précède et oriente vers ce qui suit42. Les critiques littéraires reconnaissent ici une technique éditoriale par laquelle un nouveau récit donne un supplément, un développement de ce qui est donné brièvement, surtout vers la fin d’un récit précédent43. Il s’agit d’un principe stylistique qui consiste à présenter d’abord une affirmation générale et ensuite l’élaboration détaillée. On le trouve tant dans la littérature biblique que dans la littérature extrabiblique de l’Ancien Orient44. Il est intéressant de noter que ce que les critiques littéraires modernes proposent rejoint ce que des anciens rabbins et exégètes chrétiens disaient déjà45. 41. T. STORDALEN, « Genesis 2,4: Restudying a locus classicus », ZAW 104 (1992) 163177 ; D. LUCIANI, « Genèse 2,4 : théorie documentaire ou analyse narrative ? », NRT 129 (2007) 279-284 ; T. GUTBERGEN, « The Unity of Gen 2,4 », SJOT 24 (2010) 235-252. 42. Cette proposition résoud le problème de la coupure entre les deux récits : est-ce que le v. 4a appartient au récit P ou à J ( non-P) ? Voir n. 17. Il se peut que le v. 4a, à cause de la « toledoth formule », était primitivement au début de Gn 1 comme premier verset et ouverture, et que le rédacteur l’ait changé de place pour en faire le pont. 43. G.J. WENHAM, Genesis 1–15 (n. 7), p. 156 ; D.A. DORSEY, The Literary Structure of the Old Testament: A Commentary on Genesis – Malachi, Grand Rapids MI, Baker, 1999, p. 49 : « The second unit [...] is linked to the preceding one by the technique of “pearling”: it picks up a topic introduced near the end of the first unit – “humankind” (‘adam) – and makes it the new central focus ». Cette même technique se retrouve en Gn 2,25, un verset qui est souvent vu comme conclusion du Gn 2, mais qui joue autant comme ouverture de Gn 3 ; il fonctionne comme pont entre les deux panneaux du récit du paradis : 2,4-24 et 2,25-3,24. Voir supra et n. 32. 44. U. CASSUTO, A Commentary on the Book of Genesis. Part I: From Adam to Noah, Genesis I–VI,8, translated from the Hebrew by I. ABRAHAMS, Jerusalem, Magnes Press, 1961, p. 91-92 où il donne un exemple de l’épopée babylonienne de la création ; K.A. MATHEWS, Genesis 1–11:26 (The New American Commentary, 1A), Nashville TN, Broadman & Holman, 1996, p. 189 : « [...] comparative studies show that the telling of human origins in doublet is a feature observed in Sumerian and Babylonian stories [...] the former in general and the second specific ». 45. Ainsi dans la Baraïta de Rabbi Eliézer fils de Rabbi Yossé de Galilée ; Le Pentateuque avec commentaire de Rachi, sous la direction du Rabbin E. MUNK, Paris, Fondation S. et O. Levy,

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La narration vient de mentionner la création de l’humain (‘adam), homme et femme, à l’image de Dieu (1,26-31), mais elle affirme seulement « que » Dieu l’a créé ; maintenant le texte poursuit en expliquant « comment » Dieu l’a fait46. La structure chiastique du v. 4 indique bien le changement de perspective. La formulation « ciel et terre » (v. 4a) est caractéristique du récit précédant (1,1 ; 2,1) qui décrit bien la création du ciel (jours 1 - 2 - 4) et de la terre (jours 3 - 5 - 6). Le changement en « terre et ciel » (v. 4b) indique que dorénavant le texte s’intéresse d’abord à la terre, à tel point qu’il ne dit plus rien du ciel, seulement que Dieu le fit un jour (v. 4b), mais sans plus, sans aucun détail. Toute l’attention se porte sur la terre, et avant tout sur l’humain auquel la terre est confiée dans le récit de la création (1,28)47. Dans le récit qui précède Dieu est au centre, dans le récit qui suit c’est l’homme48. En effet, « Le ciel, c’est le ciel de Yahvé, la terre, il l’a donnée aux fils d’Adam » (Ps 115,16). Le changement du verbe « créer » (v. 4a) à « faire » (v. 4b) est également significatif. Le verbe « créer » (bara’ )49 a toujours et uniquement Dieu comme Tome I. La Genèse, 1976, p. 15 : « Un fait général est suivi d’un fait particulier, c’est pour nous en donner le détail. Dieu créa l’homme (1,27), voilà le fait général, sans nous préciser avec quoi ni par quel acte. Puis le texte reprend [...] En entendant cela on pourrait croire que c’est un autre fait. Mais non, ce n’est que le détail du premier ». 46. C. WESTERMANN, Genesis 1–11: A Commentary, Minneapolis MN, Augsburg Publishing House, 1984, p. 174 : « P does not answer the question, “How did God make the world?” [...] He tells of creation of the world and of humanity in such a way as to make them face how incomprehensible, inscrutable, indescribable is the subject of the story » ; D. CARR, Reading the Fractures of Genesis: Historical and Literary Approaches, Louisville KY, Westminster John Knox, 1996, p. 62-68 : « The creation » ; il montre les correspondences entre Gn 1,26-31 et 2,4b-25, et il conclut p. 63 : « Gn 1:26-30 briefly states the idea that God created both genders of humanity in God’s image, while Gn 2:4b-25 describes how God did so ». 47. R.E. FRIEDMAN, Commentary on the Torah (n. 13), p. 16 : « [...] placing the cosmic conception first creates the impression of the wide camera view narrowing in » ; R.S. CANDLISH, Studies in Genesis, Grand Rapids MI, Kregel, 1979, souligne bien cette idée par les titres qu’il donne aux deux récits : Gn 1 « The creation of the world and man viewed on its heavenly side » (p. 18), Gn 2 « The creation of man viewed as on the side of earth: and its earthly origin and relations » (p. 34) ; D. LUCIANI, « Genèse 2,4 : théorie documentaire ou analyse narrative ? » (n. 41) : « Gn 2,4 (et non pas 2,4b) marque le début d’une nouvelle unité narrative et sa fonction est de faire passer le lecteur, par effet de zoom, d’une perspective universelle à une perspective intramondaine ». 48. W.G. PLAUT, The Torah: A Modern Commentary. Vol. I: Genesis, New York, Union of American Hebrew Congregations, 1974, p. 17 : « Where before man appeared in generic form, he now becomes concretely human: he speaks and feels ». 49. Pour l’usage bien particulier de ce verbe, W. VOGELS, Nos Origines : Genèse 1–11 (n. 4), p. 56 avec bibliographie dans la n. 9 ; W. RANDALL GARR, « God’s Creation br’ in the Priestly Source », HTR 97 (2004) 83-90 ; E. VAN WOLDE, « Why the Verb br’ Does Not Mean “to Create” in Genesis 1:1–2:4a », JSOT 34 (2009), 3-23, le verbe signifierait « séparer » ; en réponse : T.E. WARDLAW Jr., « The Meaning of br’ in Genesis 1:1–2:3 », VT 64 (2014) 502513.

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sujet, et on n’indique jamais la matière dont Dieu se sert pour créer ; et, de fait, Dieu a créé l’humain seulement par sa parole. Le verbe « faire », par contre, que l’on trouve déjà dans le récit précédent avec Dieu comme sujet (1,7.16.25.26), peut aussi avoir l’homme comme sujet ; et, pour faire quelque chose, celui-ci a besoin de matière. Le récit qui suit pourra donc nous dire quelle matière Dieu a utilisé pour « faire » l’humain, et « comment » Dieu a exécuté son projet : « faisons l’homme » (1,26). Il y a en plus un changement du nom divin dans ce verset clef. Dans la description de la création « du ciel et de la terre », le nom est toujours « Dieu » (Elohim), le Dieu créateur, le Dieu transcendant qui réside au ciel (Gn 1). Par contre, celui qui fait « la terre et le ciel », est « Yahvé Dieu » (2,4b ; tout Gn 2–3)50. Le rédacteur adopte toujours le même principe stylistique : après le nom général pour Dieu, Elohim, il spécifie que ce Dieu Elohim est Yahvé. Le Dieu Créateur est identifié à Yahvé, le Dieu de l’histoire, de l’alliance, qui viendra se promener sur la terre (3,8) près de l’homme, l’habitant de la terre. Après le verset clef « au jour où Yahvé Dieu fit la terre et ciel » (v.4b)51, le texte décrit cette terre, que Dieu a fait, comme un désert (v. 5). Une raison en est qu’« il n’y avait pas d’homme (‘adam) pour cultiver le sol » (v. 5), et pour y remédier « Yahvé Dieu modela l’homme (‘adam) de la glaise du sol (‘adamah) » (v. 7). Finalement nous savons comment Dieu « fit » l’homme : il l’a modelé comme un potier. Traditionnellement, dans les approches diachroniques où Gn 1 et Gn 2 sont lus comme deux récits indépendants, le mot ‘adam ici est compris comme référant à l’homme (sens restrictif), puisqu’en plus la femme ne vient que par après (v. 22). Mais dans une lecture synchronique, surtout si l’on accepte que ce passage de la formation d’‘adam (2,5-7) explicite ce que le récit précédent dit sur la création de l’‘adam (1,26-31), on doit, en toute honnêteté, comprendre ce même mot en 2,5-7 dans le même sens inclusif, comme il l’a clairement été quelques versets avant, en 1,26-27. Ce contexte élargi l’exige et le contexte immédiat le confirme. Si, en effet, cet ‘adam est formé pour « cultiver le sol », pour changer ce désert en terre fertile, pas seulement les « hommes » le font, mais aussi les « femmes », en certaines cultures même plus que les hommes. Ce sont surtout les exégètes féministes qui étaient parmi les premières à souligner

50. J. L’HOUR, « Yahweh Élohim », RB 81 (1974), 524-556 ; J. ALEXANDRE, « Sur les deux noms de Dieu de Genèse 2,4b–3,24, ou la “théologique” d’un Dieu critique », ETR 77 (2002) 415-420. 51. J. COLLINS, « Discourse Analysis and the Interpretation of Gen 2:4-7 », The Westminster Theological Journal 61 (1999) 149-174.

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l’illogisme de l’exégèse traditionnelle52. Dieu modela cet « humain » (‘adam) du « sol » (‘adamah). Ce dernier mot est grammaticalement le féminin de ‘adam ; il n’est pourtant pas certain qu’il y ait un lien étymologique entre ces deux mots, mais il s’agit clairement d’un jeu de mots populaire53. Ensuite, « il insuffla dans ses narines une haleine de vie et l’humain (‘adam) devient un être vivant » (v. 7). Tout ce qui est dit sur la formation de l’‘adam s’applique tant à l’homme qu’à la femme. Les deux, au moment de la mort, donnent leur dernier souffle et ce qui reste d’eux redevient poussière, retourne au sol (3,19). Cet ‘adam que Dieu vient de former est « ni homme ni femme54 » ; il est un être humain, qui est tant mâle que femelle. Il reste une différence entre Gn 1 et Gn 2 qui est souvent une des raisons pour reconnaître deux traditions dans une approche diachronique. Dans le récit de la création (Gn 1), cet ‘adam est créé comme deuxième œuvre au dernier jour (le 6e), il est vraiment le dernier ; en Gn 2, il est le premier. Dans le récit de la création la notion « jour » (yom) joue un rôle important ; l’auteur énumère fidèlement les jours après chaque œuvre créatrice. Cette importance de la chronologie est confirmée par le rôle que l’auteur donne aux luminaires, qui servent « de signes pour les fêtes, pour les jours et les années » (1,14)55, et également quand il mentionne et détermine la fonction du « septième jour » (2,1-3). Un tel jour n’a rien à faire directement avec un récit de création, mais l’auteur l’y introduit pour enseigner la signification du Sabbat56. Le « jour (yom) » en Gn 1 est clairement la période de 52. Une des premières est P. TRIBLE, « Eve and Adam: Genesis 2–3 Reread », Andover Newton Quarterly 13 (1973) 251-258 ; ID., « A Love Story Gone Awry », in God and the Rhetoric of Sexuality (Overtures to Biblical Theology), Philadelphia PA, Fortress, 1978, p. 72165 ; voir aussi W. VOGELS, « “It Is not Good that the ‘Mensch’ Should Be Alone ; I Will Make Him/Her a Helper Fit for Him/He” (Gen 2,18) », Église et théologie 9 (1978) 9-35, surtout III. Mensch: Man and Woman, p. 25-35 avec bibliographie ; E. VAN WOLDE, Words Become Worlds: Semantic Studies of Genesis 1-11 (Biblical Interpretation Series, 6), Leiden, Brill, 1994, chap. 2 : Man and Woman in the Garden of Eden, p. 13-31 (‘adam in 2-3 as human not yet differentiated) ; M.A. DE LA TORRE, Genesis (Belief: A Theological Commentary on the Bible), Louisville KY, Westminster John Knox, 2011, p. 41-42. 53. Certaines traductions essaient de garder ce jeu de mot : par ex. « human » – « humus », R. ALTER, The Five Books of Moses (n. 26), p. 21 : le terrien – la terre. 54. Ce qui pourrait plaire à Michel GOURGUES qu’on honore dans ce Festschrift ; voir ses publications : « Ni homme ni femme ». L’attitude du premier christianisme à l’égard de la femme. Évolutions et durcissements, Paris – Montréal, Cerf – Médiaspaul, 2013 ; « “Ni juif ni grec, ni esclave ni libre, ni mâle et femelle” (Ga 3,28) : sur une contribution de la première génération chrétienne à une affirmation des droits humains », Science et Esprit 69 (2017) 241-262. 55. W. VOGELS, « The cultic and civil calendars of the fourth day of creation (Gen 1,14B) », SJOT 11 (1997) 163-180. 56. W. VOGELS, « The Restful Blessed Holy Seventh Day (Genesis 2:2-3) », National Bulletin of Liturgy 32/156 (1999) 21-25.

‘ADAM : DERNIER (GN 1) ET PREMIER (GN 2)

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24 heures : « il y eut un soir il y eut un matin, jour un (sic), [...] deuxième jour [...] etc. » (v. 5.8)57. En Gn 1, ‘adam vient le dernier chronologiquement parlant pour souligner ainsi qu’il est le premier en importance. Dans la suite de la narration, quand l’auteur développe comment Dieu a fait cet ‘adam, il dit : « Au jour (yom) où Yahvé Dieu fit la terre et le ciel [...] » (2,4b). Ce « jour » est la seule indication de temps dans tout le reste du récit. On dirait que, ce même jour, Dieu a dû faire tout, en commençant par l’humain (v. 7), suivi éventuellement par tout ce qu’il fait du v. 5 jusqu’au v. 24. Ceci implique que Dieu aurait créé l’humain dans un désert (v. 5), car c’est seulement après l’avoir modelé que « Yahvé Dieu planta un jardin [...] » (v. 8). Ceci ne semble pas très logique pour un Dieu qui vient de créer un monde harmonieux et bien planifié. L’humain aurait eu le temps de mourir avant que le jardin et les arbres poussent. Grammaticalement, on pourrait aussi traduire « Yahvé Dieu avait planté un jardin [...] », alors Dieu l’aurait fait avant de modeler l’homme, mais cette lecture n’est pas la plus normale et pratiquement pas suivie58. Ainsi, contrairement aux jours bien identifiés du récit précédent, ici ce « jour » est à comprendre comme « au temps où59 ». Le temps et la chronologie ne jouent plus aucun rôle. Dans le récit de la création (Gn 1), l’humain vient à la fin de la semaine, tout ce qui a été créé les jours avant est pour lui, le récit conduit à sa création comme le sommet. L’humain est le dernier chronologiquement parlant, mais le premier en importance. La narration qui décrit comment Dieu l’a fait (Gn 2) commence donc nécessairement par l’humain. Le fait qu’il soit le « premier » avant tout autre chose, n’a pas de connotation chronologique ; il est simplement le premier en importance60, le reste du texte décrit 57. R.V. MCCABE, « A Defense of Literal Days in the Creation Week », Detroit Baptist Seminary Journal 5 (2000) 97-123 ; W.M. BOOTH, « Days of Genesis 1: Literal or Nonliteral? », Journal of the Adventist Theological Society 14 (2003) 101-120 ; W. HILBRANDS, « Die Länge der Schöpfungstage: Eine exegetische und rezeptionsgeschichtliche Untersuchung von yom (“Tag”) in Gen 1,1–2,3 », BN 149 (2011) 3-12. 58. G.J. WENHAM, Genesis 1–15 (n. 7), p. 61, il cite la traduction de la Vulgate : « plantaverat » et d’autres auteurs qui optent pour cette traduction. 59. Que Dieu aurait fait en un jour ce que lui a pris six jours pour le faire, posa problème déjà dans l’antiquité. Ainsi REMIGIUS D’AUXERRE, Exposition on Genesis Gen 1–3, écrit « We are able to deal with this question easily of we take “day” the way it is commonly used in Scripture, as it says elsewhere » et il renvoie à 2 Co 6,2 : « Au temps favorable, je t’ai exaucé ; au jour du salut, je t’ai exaucé », voir J.A. SCHROEDER, The Book of Genesis, Grand Rapids MI, Eerdmans, 2015, p. 65. 60. J.E. HARTLEY, Genesis (NIBC), Peabody MA, Hendrickson, 2000, p. 58 : « In act I the narrator introduces the characters and defines the crucial props in a topical, not a chronological, order (2:4b-25) ».

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ce dont il a besoin61. En cela, le texte suit toujours le même principe : il explicite ce qui est dit avant en général dans le récit de la création. Le récit de la création décrit (1,27-31) : a la nature de l’humain, d’être mâle et femelle et qu’ainsi il peut se multiplier, b sa mission de soumettre la terre et de dominer sur les animaux, c sa nourriture.

La narration poursuit en explicitant avec plus de détails (2,8-24) : c’ sa nourriture b’ sa mission de travailler le jardin et de nommer les animaux a’ la nature de l’humain d’être homme et femme

Comme le v.4 a une structure chiastique « ciel et terre » – « terre et ciel », soulignant que dorénavant la terre prend priorité, la structure chiastique se poursuit. Le premier récit qui est plus spéculatif développe la description de l’humain en passant, pourrait-on dire, de l’essentiel au plus pratique (a – b – c), tandis que la suite qui est plus concrète et toute centrée sur l’homme, le fait en sens inverse, en commençant avec le besoin immédiat, le plus pratique (c’ – b’ – a’). L’humain que Yahweh Dieu a modelé dans ce désert est seul, tout seul, il ne pourra pas survivre longtemps. La première chose dont il a absolument besoin, et sans tarder, est de quoi se nourrir ; pas surprenant que le récit y revienne constamment, au point que manger y est central62 : « Yahweh Dieu planta un jardin [...] fit pousser du sol toute espèce d’arbres séduisants à voir et bon à manger et l’arbre de vie63 [...] Tu peux manger de tous les arbres [...] » (v. 8.9.16). La plantation du jardin pour l’humain (hommefemme) explicite la création des plantes de 1,12-1364 ; et la nourriture que ce jardin lui offre développe en détail sa nourriture de 1,29 ; elle reste implicitement végétarienne65 comme dans le récit précédent. 61. B.T. ARNOLD, Genesis (The New Cambridge Bible Commentary), Cambridge, University Press, 2009 p. 57 : l’humain « is now the pivot of the story, as in Chapter 1 he was the climax » ; où l’A. tire cette citation de D. KIDNER, Genesis, Downers Grove IL, Inter-Varsity Press, 1967, p. 58. 62. Dans ce récit du paradis « manger » occupe une place importante, W. VOGELS, « To Eat or Not To Eat: Once More Genesis 2–3 », MST Review 10 (2008) 1-34. 63. Il y a deux arbres au centre, W. VOGELS, « The Tree(s) in the Middle of the Garden (Gn 2:9 ; 3:3) », Science et Esprit 59 (2007) 129-142. Un des deux arbres est défendu et devient l’objet de la transgression décrite en Gn 3 ; cette question ne touche pas au sujet de la présente étude. 64. Ainsi G.J. WENHAM, Genesis 1–15 (n. 7), p. 61 où il reprend la pensée de Westermann. 65. Dans Gn 1, la diète est végétarienne ; cela se voit clairement en comparant avec la diète après le déluge (Gn 9,3) ; c’est aussi la diète des animaux (1,30). Qu’en Gn 2,8.9.16, la diète soit aussi végétarienne est implicite, car il n’y a pas encore des animaux.

‘ADAM : DERNIER (GN 1) ET PREMIER (GN 2)

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Dieu place l’humain dans ce jardin « pour le cultiver et le garder » (v. 16) comme sa mission était « emplissez la terre et soumettez-la » en 1,28. L’humain se sent encore seul, il a besoin de compagnie ; aussi Yahweh Dieu « modela du sol » toutes sortes d’animaux (v. 19) comme il « modela l’humain du sol » (v. 7). Ces êtres ne sont pas l’aide que l’humain cherche (v. 20), mais « L’humain donna des noms à tous les bestiaux [...] » ce qui correspond à « dominez sur les poissons [...], les oiseaux [...] les bestiaux [...] » en 1,26.28. Malgré ce beau jardin et les autres êtres créés, l’humain reste toujours seul. La narration développe alors en détail comment Dieu fait de cet humain (‘adam) deux êtres, un « homme » (ish) et une « femme » (ishah)66, ce qui explicite l’affirmation du premier récit que l’humain est « mâle et femelle » (1,27), ce qu’il a en commun avec les animaux, et ce qui lui permet de se multiplier (1,28) comme les animaux le peuvent (1,22). Le récit est ici comparable à d’autres mythes qui mentionnent comment Dieu au début avait créé un androgyne, qui par après est divisé en deux : homme – femme67. Ainsi Platon dans le Symposium et une tradition aux Philippines qui raconte comment un bambou poussa et se divisa ensuite en deux, homme et femme. La narration biblique utilise l’image de la côte, ou du côté ; l’homme est un côté de l’être humain, la femme est l’autre côté. Le premier récit parle de mâle et de femelle en vue de leur procréation (1,27-28) ; le deuxième récit, comme il l’a fait souvent, explicite le premier : il parle de l’homme et de la femme et de leur complémentarité, l’un est pour l’autre « une aide qui lui soit assortie », ce qui implique beaucoup plus que la procréation. Le récit commence par un seul être humain (v. 7.18), ce n’est qu’à la fin du récit que de cet être, deux apparaissent, homme et femme en même temps. Donc comme dans le récit de la création, homme et femme sont créés en même temps et à la fin.

66. W. VOGELS, Nos Origines : Genèse 1–11 (n. 4), p. 95-101. 67. G.P. LUTTIKHUIZEN (ed.), The Creation of Man and Woman: Interpretations of the Biblical Narratives in Jewish and Christian Traditions, Leiden, Brill, 2000 ; Y. ENGLARD, « The Sixth Day of Creation: Literal Problems, Visual Expressions and Theological Interpretations », in J.C. EXUM – D.J.A. CLINES (ed.), Biblical Reception 3 (2014), Sheffield, Sheffield Phoenix Press, 2015, p. 57-95 : « Reflecting the view that Genesis 2 details and elaborates Genesis 1, they [medieval Jewish and Christian exegesis] depict the first man as having been created as a single male [...] who holds the female aspect within him or as an androgynous figure whose two parts are attached to another at the side or back. In either case the feminine is subsequently separated from the male form in the Garden of Eden » [published abstract].

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CONCLUSION Le lecteur de la Bible n’y échappe pas, la création est bien placée en tête, au commencement de tout le message biblique (Gn 1-2) ; elle ne vient pas par après et certainement pas à la fin. Dans le premier récit (1,1-2,3) qui est un vrai récit de création, la création de l’humain vient à la fin de toute l’œuvre créatrice de Dieu, comme son sommet ; il est le dernier, homme (mâle) et femme (femelle) en même temps (1,26-31). L’humain est créé le dernier chronologiquement parlant, mais il est le premier en importance. Après un verset qui fait le pont (2,4), la narration se poursuit. Cette section de la narration (2,5-24) n’est pas un vrai récit de création, il ne fait qu’expliciter et développer ce que le récit précédent dit sur l’humain et sa création (1,26-31). Tout est centré sur l’humain et ce dont il a besoin pour vivre dans le monde qui lui est confié. L’humain est ainsi, mais d’une autre manière, considéré comme le plus important. Il est le premier que Dieu a modelé. Il est vrai que l’auteur ne dit pas ce que Dieu a pu faire éventuellement avant « au jour où Yahweh Dieu fit la terre et le ciel ». Mais que l’humain soit fait le premier ou non, il est certainement le premier en importance, et les deux côtés de cet humain, homme et femme, apparaissent en même temps exactement comme au récit de la création, un (l’homme) n’est pas au début et l’autre (la femme) à la fin. Walter VOGELS Université Saint-Paul, Ottawa [email protected]

À LA CROISÉE DU TEMPS DIVIN ET DU TEMPS HUMAIN ÉTUDE DE QO 3,10-11

Commentant le texte latin de Qo 8,6 (« Il y a un temps et un moment pour tout »), Thomas d’Aquin, qui fait partie de la grande famille des dominicains à laquelle appartient Michel Gourgues, écrit : « À chaque temps, en effet, convient sa sollicitude propre, comme à l’été le souci de la moisson, à l’automne le souci de la vendange1. » Le temps est maintenant venu de rendre hommage à Michel Gourgues, qui a immensément moissonné et récolté, et c’est un plaisir pour moi de lui offrir ces quelques pages sur Qo 3,10-11, un bref mais dense passage qui donne à penser sur le mystère du temps, notamment celui-là même qui va du commencement jusqu’à la fin. Pour bien comprendre ce passage, je proposerai d’abord une traduction qui sera accompagnée de quelques notes de critique textuelle2. Puis, je présenterai une brève critique structurelle. Enfin, je terminerai mon enquête par une critique littéraire, c’est-à-dire une analyse philologique et sémantique de chacun de ces deux versets. La mise en application de ces diverses méthodes me permettra non seulement de valider et d’infirmer certaines interprétations existantes, mais aussi d’en proposer de nouvelles – si tant est qu’il puisse y avoir du nouveau sous le soleil ! – qui sont tantôt complémentaires, tantôt en contradiction avec celles déjà défendues par mes prédécesseurs.

1. THOMAS D’AQUIN, Somme théologique, IIa-IIae, q. 55, a. 7, resp., tome 3, Paris, Cerf, 1985, p. 366. 2. Pour le texte massorétique (à l’avenir : TM), je travaille avec les deux éditions critiques suivantes : F. HORST, Ecclesiastes, in K. ELLIGER – W. RUDOLPH (ed.), Biblia Hebraica Stuttgartensia, Stuttgart, Deutsche Bibelgesellschaft, 1977 (à l’avenir : BHS) ; Y.A.P. GOLDMAN, Qoheleth, in Biblia Hebraica Quinta editione cum apparatu critico novis curis eleborato. General Introduction and Megilloth, Stuttgart, Deutsche Bibelgesellschaft, 2004 (à l’avenir : BHQ). Pour le texte grec et le texte latin j’utilise les éditions suivantes : A. RAHLFS – R. HANHART, Septuaginta. Id est Vetus Testamentum graece iuxta LXX interpretes. Editio altera, Stuttgart, Deutsche Bibelgesellschaft, 2006 (à l’avenir : Septante) ; Biblia Sacra iuxta latinam Vulgatam versionem, Romae, Typis Polyglottis Vaticanis, 1957 (à l’avenir : Vulgate).

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I. TRADUCTION v. 10 : J’ai considéré le souci que Dieu a donné aux fils de l’être humain de se soucier. v. 11 : Il fait toute chose convenable en son temps ; aussi, il a donné dans leur cœur le sens de la durée / du temps lointain / du temps caché, sans que l’être humain puisse découvrir l’œuvre que le Dieu fait du commencement jusqu’à la fin.

II. CRITIQUE TEXTUELLE Verset 10 Au v. 10, Goldman, dans la BHQ, croit qu’il faut lire le mot ‫ אלהים‬précédé de l’article ‫ה‬, comme le suppose la Septante qui a ὁ θεὸς. À mon avis, il n’y a pas lieu de croire que la Septante suppose une Vorlage avec l’article, car elle ajoute également l’article devant le mot ‫ אלהים‬en 1,13 ; 5,3 ; 7,18 et 8,13, tandis qu’elle rend correctement ‫ אלהים‬sans article en 3,13 ; 5,18 et 8,2. Qui plus est, elle a même deux emplois supplémentaires du mot θεός (cf. 5,5a et 7,13c). Quant à la Vulgate, on ne peut rien en déduire, car elle a toujours Deus, « Dieu », sans article. La Peshitta est encore moins fiable, car son traducteur rend le mot ‫ )ה( אלהים‬24 fois par ’alāhā’, « Dieu », sans article (3,15.17.18 ; 4,17 ; 5,1[2×].3.5. 6.18. 19 ; 6,2[2×] ; 7,13.14.18.26. 29 ; 8,2.13.15.17 ; 9,1.7) et 16 fois par māryā’, « Seigneur » (1,13 ; 2,24.26 ; 3,10-11.13. 14[2×] ; 5,17.18 ; 8,12 ; 11,5.9 ; 12,7.13. 14), l’équivalent du nom de ‫ יהוה‬dans les autres livres bibliques3. En somme, il n’y a aucune raison valable de corriger le TM. Au lieu du qal ‫ ַל ֲענוֹת‬du TM, qui a le sens de « se soucier », Lange préfère retenir la leçon d’un fragment du Caire, la forme piel du verbe ‫ענה‬, qui a le sens d’opprimer4. Il est vrai que l’emploi du verbe ‫סגף‬, « tourmenter », « affliger », dans le Targum5, suppose une forme piel du verbe ‫ענה‬, mais la paraphrase targumique n’est guère fiable pour justifier une correction 3. Je travaille à partir de l’édition critique de D.J. LANE, « Qoheleth », in The Old Testament in Syriac According to the Peshitta Version. Part II, Fascicule 5, Leiden, Brill, 1979 (à l’avenir : Peshitta). 4. A. LANGE, Weisheit und Torheit bei Kohelet und in seiner Umwelt (Europäische Hochschulschriften, Reihe XXIII: Theologie, 433), Frankfurt am Main, Peter Lang, 1991, p. 98, qui affirme que c’est là la lectio difficilior. 5. M. TARADACH – J. FERRER, Un Targum de Qohéleth. Editio Princeps du LMS-M-2 de Salamanca. Texte araméen, traduction et commentaire critique (MdB, 37), Genève, Labor et Fides, 1998, p. 38.

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textuelle. Quant à la traduction de la Vulgate par distendo, « tourmenter », elle relève probablement plus de l’interprétation que de la critique textuelle, car c’est le verbe occupo, au sens d’être occupé ou accaparé, qui est employé en 1,13 et 5,196. À mon avis, il y a deux bonnes raisons de maintenir le TM. Premièrement, la leçon de 3,10 est identique à celle de 1,13b. Deuxièmement, la Septante confirme le TM, car elle a le verbe περισπάω, à l’infinitif du présent moyen passif, au sens de « se tracasser », « être tiraillé ». Verset 11 Au v. 11, le ms 7aI de la Peshitta a le mot ‘ml’, « labeur », « peine », et non le mot ‘lm’ qui est l’équivalent du mot ‫ עלם‬du TM. Par contre, les mss 8aI, 9cI, 10cI, 11cI et 12aIfam de la Peshitta sont conformes au TM, puisqu’ils ont le mot ‘lm’. Sans faire appel à la version syriaque qu’ils ignorent, d’aucuns supposent la présence d’une métathèse et lisent ‫עמל‬, « labeur », « peine7 ». D’autres ne corrigent que la vocalisation et proposent de lire ‫( עלם‬avec deux ṣéré ou un ṣéré et un segol) au lieu de ‫ ; ע ָֹלם‬puis, faisant dériver ce mot d’une racine verbale qui signifie « cacher », « tenir en secret », ou encore d’une racine ougaritique qui signifie « obscurité », ils traduisent le mot en 3,11 par « caché », « inconnaissable », « ignorance » ou « obscurité8 ». À mon avis, aucune correction du TM ne s’impose, car la vocalisation ‫ ע ָֹלם‬est bien attestée dans la Septante (τὸν αἰωνα), la traduction du commentaire de Jérôme (saeculum9) et la Vulgate (mundum), laquelle a toutefois donné un sens spatial au mot ‫ע ָֹלם‬, sens qui était devenu commun à l’époque talmudique. En outre, j’aurai l’occasion de montrer que le contexte immédiat exige le maintien du mot ‫ ע ָֹלם‬au sens temporel du terme. Il n’y a aucune raison de suivre la BHS qui propose de voir une dittographie dans l’expression ‫בלבם‬, « dans leur cœur », et de corriger le suffixe à 6. Dans la traduction de son commentaire, c’est également le verbe occupo qui est employé en Qo 1,13 ; 3,10 ; 5,19. Voir S. Hieronymi Presbyteri opera. Pars I. Opera exegetica I, Turnhout, Brepols, 1959, p. 258, 277, 296. 7. O. KAISER, Zwischen Athen und Jerusalem. Studien zur griechischen und biblischen Theologie, ihrer Eigenart und ihrem Verhältnis (BZAW, 320), Berlin, Walter de Gruyter, 2003, p. 261 ; M.V. FOX, A Time to Tear Down & a Time to Build Up. A Rereading of Ecclesiastes, Grand Rapids MI, Eerdmans, 1999, p. 192, 211 ; A.A. FISCHER, Skepsis oder Furcht Gottes? Studien zur Komposition und Theologie des Buches Kohelet (BZAW, 247), Berlin, Walter de Gruyter, 1997, p. 226, 233-235. 8. J.L. CRENSHAW, Qoheleth. The Ironic Wink, Columbia SC, University of South Carolina Press, 2013, p. 64, 103, 115, 146, n. 54 ; A. PINKER, « The Cause of Unhappiness in Qohelet 3:11 », Scriptura 107 (2011) 213-222, 218-219 ; B.P. GAULT, « A Reexamination of “Eternity” in Ecclesiastes 3:11 », Bibliotheca Sacra 165 (2008) 39-57, p. 51-54, 57. 9. S. Hieronymi (n. 6), p. 277.

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l’aide du singulier ‫בלבו‬, « en son cœur ». L’antécédent au v. 10 est bel et bien un pluriel : « aux fils de l’être humain ». Enfin, il est impossible de suivre Pinker lorsqu’il propose de corriger l’expression ‫ מבלי אשר‬en ‫בל יאשר‬, « afin de ne pas le rendre heureux10 ». D’une part, cette proposition suppose de trop nombreuses modifications : une dittographie du ‫מ‬, le rattachement du ‫ י‬de ‫ מבלי‬au mot suivant et une nouvelle vocalisation. D’autre part, elle n’a aucun appui textuel dans les anciennes versions.

III. CRITIQUE STRUCTURELLE Le temps constitue le thème majeur de Qo 3,1-15. En effet, c’est évident pour Qo 3,1-9, mais aussi pour 3,10-15, qui forme une petite unité introduite par le verbe « j’ai vu » (voir aussi la reprise du même verbe au v. 16). C’est ce qu’indiquent clairement tout le v. 15 ainsi que le vocabulaire temporel aux v. 11-13 : ‫( עת‬3,11), ‫( עלם‬3,11.13), ‫ראש‬, ‫( סוף‬3,11) et ‫( בחייו‬3,12)11. En ce qui concerne les v. 10-11 qui retiennent mon attention, ils portent sur l’agir de Dieu qui alterne entre l’acte de donner et l’acte de faire : A Dieu a donné (‫ )נתן‬le souci (v. 10) B Dieu fait (‫ )עשה‬toute chose convenable en son temps (v. 11a) A’ Dieu a donné (‫ )נתן‬le ‫ עלם‬dans leur cœur (v. 11b) B’ Dieu fait (‫ )עשה‬son œuvre, du commencement jusqu’à la fin (v. 11c)

Ainsi, le don du souci (A) correspond au don du ‫( עלם‬A’), tandis que toute chose convenable faite en son temps (B) correspond à l’œuvre faite, du commencement jusqu’à la fin (B’). Si le don divin met l’accent sur la relation de dépendance de l’être humain à l’égard de Dieu, le faire divin, lui, souligne la finitude humaine puisqu’il s’agit, d’une part, d’un faire convenable au temps de Dieu et non de l’être humain et, d’autre part, d’un faire que l’être humain ne peut découvrir. Bien sûr, cette critique structurelle est loin de résoudre toutes les difficultés que posent les v. 10-11. C’est pourquoi elle doit être complétée par une critique littéraire.

10. A. PINKER, « The Cause of Unhappiness in Qohelet 3:11 » (n. 8), p. 220. 11. Contre A. PINKER, « The Cause of Unhappiness in Qohelet 3:11 » (n. 8), p. 214, qui affirme que Qo 3,10-15 est une unité indépendante de 3,1-9 puisqu’elle ne traite pas du même thème. Pour une analyse détaillée des relations structurelles entre Qo 3,10-15 et 1,4–3,9, voir T. ESPOSITO, « Observations on God and Wind (Qoheleth 3,10-15) », BN 167 (2015) 79-97, p. 81-84.

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IV. CRITIQUE

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LITTÉRAIRE

Ma critique textuelle permet de lire le TM tel quel, sans lui imposer aucune correction, tandis que ma critique structurelle permet de comprendre que les v. 10-11 font partie d’un vaste ensemble qui va du v. 1 au v. 15 et qu’ils sont structurés autour de deux verbes clés, donner et faire, qui ont Dieu pour sujet. En toute rigueur de méthode, il me faut maintenant analyser chacun des mots de ces deux versets afin de mieux exposer leur signification. Verset 10 Le v. 10 s’ouvre par l’emploi du verbe ‫ראיתי‬, littéralement « j’ai vu ». L’emploi de ce verbe, qui revient 47 fois en Qo, dont 21 autres fois à la première personne du singulier (1,14 ; 2,3.13.24b ; etc.), indique bien que Qo fait appel à son propre jugement et non à la tradition. Toutefois, la traduction par « j’ai considéré » ou « j’ai examiné » est plus appropriée, car ce que Qo déclare avoir vu ne peut être vérifié de manière empirique. Les deux acteurs qui font l’objet de l’examen de Qo sont Dieu et les fils de l’être humain. Il est bien connu que Qo n’utilise jamais le nom de Yhwh et qu’il emploie 40 fois le mot ‫אלהים‬, dont 32 fois avec l’article défini ‫ ה‬et 8 fois sans article12. Quant aux ‫בני האדם‬, littéralement « les fils d’Adam », ils désignent tous les êtres humains sans distinction (cf. 1,13 ; 2,3.8 ; 3,18. 19.21 ; 8,11 ; 9,3.12). Le verbe ‫נתן‬, « donner », apparaît 25 fois en Qo ; Dieu est sujet de ce verbe 11 fois (1,13 ; 2,26[2×] ; 3,10.11 ; 5,17.18 ; 6,2 ; 8,15 ; 9,9 ; 12,7) et il revient deux fois en lien avec le substantif ‫מתת‬, « don » (3,13 ; 5,18). 12. Avec l’article, cf. Qo 2,24.26 ; 3,11.14[2×].15.17.18 ; 4,17 ; 5,1[2×].5. 6.17.18.19 ; 6,2[2×] ; 7,13.14.26.29 ; 8,12.15.17 ; 9,1.7 ; 11,5.9 ; 12,7.13.14 ; sans article, cf. Qo 1,13 ; 3,10.13 ; 5,3.18 ; 7,18 ; 8,2.13. A. VONACH, Nähere, Dich um zu hören. Gottesvorstellungen und Glaubenvermittlung im Koheletbuch (BBB, 125), Berlin – Bodenheim, Philo Verlagsgesellschaft, 1999, p. 23, fait une distinction entre l’emploi du mot ‫ אלהים‬avec article et sans article : le premier fait référence à la foi de Qo, tandis que le second concerne des déclarations de foi générale. L. SCHWIENHORST-SCHÖNBERGER, Kohelet (HTKAT), Freiburg, Herder, 2004, p. 92, a repris cette distinction : Dieu avec l’article désigne le Dieu d’Israël, tandis que Dieu sans article fait référence à Dieu de manière plus générale, sans appartenance à une religion particulière. À mon avis, les huit emplois sans article n’ont pas une signification particulière, puisqu’on rencontre le mot ‫ אלהים‬avec ou sans article lorsqu’il est accompagné des mêmes verbes : avec le verbe « donner », pour sujet : ‫( האלהים‬5,17.18 ; 6,2 et 8,15) ou ‫( אלהים‬1,13 ; 3,10) ; avec le verbe « craindre », comme objet : ‫( האלהים‬3,14 ; 8,12) ‫( אלהים‬7,18 ; 8,13). Le mot ‫ אלהים‬apparaît aussi sans article dans les expressions « don de Dieu » (3,13 ; 5,18), « vœu à Dieu » (5,3) et « serment de Dieu » (8,2).

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Dans le livre de Qo, c’est le verbe le plus fréquemment employé avec Dieu pour sujet. En Qo, Dieu est le seul sujet du verbe ‫ נתן‬au qal accompli à la troisième personne du masculin. Le verbe peut être rendu par un passé (a donné) ou par un présent en général (donne), car le Dieu de Qo est un Dieu qui intervient de manière continue (creatio continua) dans la vie des êtres humains. Les dons divins sont certes variés, mais à trois reprises il est dit que Dieu donne aux êtres humains le souci (1,13 ; 2,26 et 3,10). Le mot « souci » traduit ‫ענין‬, un aramaïsme qu’on ne retrouve dans la Bible qu’en Qo, mais qui est fréquent dans le Talmud. L’entourage lexical montre qu’il s’agit nettement d’un « souci » ou d’une « préoccupation » et non d’une simple « occupation ». En effet, le mot ‫ ענין‬est associé au chagrin (2,23), au songe (5,2), à ce qui est malheureux ou mauvais (1,13 ; 4,8 ; 5,13) et à l’incapacité humaine de trouver le repos et le bonheur (2,23.26 ; 4,8 ; 5,13 et 8,16). La traduction de la Septante et celle de la Vulgate confirment cette interprétation, car la première rend systématiquement le mot ‫ ענין‬par περισπασμός, « tracas », « tiraillement », tandis que la seconde le traduit par afflictio, « affliction » (2,26 ; 3,10 ; 4,8 et 5,13), occupatio, « occupation », mais au sens de ce qui accapare l’esprit (1,13), aerumna, « peine » (2,23) et distentio, « tourment13 ». L’emploi du verbe ‫ ענה‬suivi de la préposition ‫ ב‬ne se trouve dans la Bible qu’en Qo (1,13 ; 2,23.26 ; 3,10 ; 4,8 ; 5,2.13 ; 8,16). On distingue habituellement quatre racines ‫ ענה‬: 1- « répondre » (cf. 10,19) ; 2- à l’intensif, « opprimer », « affliger » ou « humilier » ; 3- « se soucier », « peiner », « être préoccupé » (cf. 1,13 ; 3,10 et 5,19) ;4- « chanter » (absent en Qo). D’aucuns estiment que les deuxième et troisième sens sont ici possibles14. Faessler semble d’avis qu’il s’agit de la racine ‫ ענה‬II puisqu’il traduit par « pour s’en violenter15 ». Willmes juge que l’on peut traduire aussi bien par « répondre » que par « humilier16 ». À mon avis, la traduction par « se soucier » a l’avantage 13. Quant à la traduction par cura, « soin », en Qo 5,2, elle relève de la paraphrase. Dans la traduction de son commentaire de Qo, Jérôme rend correctement le mot ‫ ענין‬par sollicitudo, « inquiétude », « souci ». Voir S. Hieronymi (n. 6), p. 291. 14. M. OH, Sprachliche Gestaltung und Semantik. Untersuchungen zu den biblischen Büchern Proverbien und Kohelet (Kieler Theologische Reihe, 13), Berlin, LIT, 2014, p. 226, 229 : « de telle sorte qu’il les garde occupés » ou « dans le but de les humilier » ; P. ZAMORA, Fe, Política y economía en Eclesiastés. Eclesiastés a la luz de la Biblia hebrea, Sira y Qumrán, Navarra, Verbo Divino, 2002, p. 331 : « pour les humilier » ou « pour les maintenir occupés » ; T. FRYDRYCH, Living under the Sun. Examination of Proverbs and Qoheleth (VTSup, XC), Leiden, Brill, 2002, p. 74 : « pour les occuper », « pour les affliger ». 15. M. FAESSLER, Qohélet philosophe. L’éphémère et la joie. Commentaire herméneutique de l’Ecclésiaste (Essais bibliques, 47), Genève, Labor et Fides, 2013, p. 81. 16. B. WILLMES, Menschliches Schicksal und Ironische Weisheitskritik im Koheletbuch. Kohelets Ironie und die Grenzen der Exegese, Neukirchen – Vluyn, Nekirchener Verlag, 2000, p. 118-119.

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de mettre en évidence le fait que le verbe ‫ ענה‬appartient à la même racine que le mot ‫ענין‬, « souci ». Quoi qu’il en soit, loin d’être généreux, ce don du souci est un don empoisonné. Verset 11a Le verbe ‫עשה‬, « faire », apparaît 43 fois en Qo, dont sept fois avec Dieu pour sujet (3,11[2×].14[2×] ; 7,14.29 ; 11,5). Le verbe est toujours employé à l’accompli, sauf en 3,14a où il est à l’inaccompli. En 3,11.14, le traducteur de la Septante a rendu ce verbe ‫ עשה‬par l’aoriste ἐποίησεν, « a fait », renvoyant ainsi de manière encore plus explicite à la création originelle (Gn 1). Dans la Vulgate, en 3,11.14, Jérôme a fait de même en rendant le verbe ‫עשה‬ par fecit, « a fait ». De nombreux exégètes ont également traduit le verbe au passé : « a fait » ou « fit17 ». Pinker est même d’avis que le double emploi de ce verbe ‫ עשה‬au v. 11 fait référence à Gn 118. Il n’a pas totalement tort. Toutefois, la forme accomplie du verbe en 3,11a et c a la valeur d’un verbe d’état qui décrit un attribut de Dieu. Le verbe doit donc être rendu par un présent (fait), car la creatio prima ne peut être séparée de la creatio continua. C’est ce qu’indique 3,11c qui souligne qu’il s’agit de l’œuvre que Dieu fait, du commencement jusqu’à la fin. Ce créateur, poursuit Qo, fait toute chose, ou littéralement « le tout » (‫)הכל‬. Le mot ‫כל‬, « tout », est l’un des mots préférés de Qo puisqu’il est employé 90 fois ; ce nombre élevé n’a d’équivalent dans aucun autre livre biblique. L’expression ‫הכל‬, « le tout », se trouve 17 autres fois en Qo, dont une autre fois pour souligner que Dieu fait toute chose (11,5). Cet emploi de l’expression « le tout » fait non pas simplement référence à tout l’univers qui a été créé les six premiers jours de la création (Gn 1)19, mais aussi au double emploi du mot ‫כל‬, en Qo 3,1, et aux sept distiques des v. 2-8 qui symbolisent la totalité des activités humaines20. Autrement dit, Dieu fait tout ce 17. M. FAESSLER, Qohélet philosophe (n. 15), p. 81 ; A. PINKER, « The Cause of Unhappiness in Qohelet 3:11 » (n. 8), p. 216, 222 ; M. BUNDVAD, Time in the Book of Ecclesiastes, Oxford, Oxford University Press, 2015, p. 99 ; M.R. SNEED, The Politics of Pessimism in Ecclesiastes. A Social-Science Perspective (Ancient Israel and Its Literature, 12), Atlanta, Society of Biblical Literature, 2012, p. 2 ; J.-J. WAHL, Illusion des illusions. Une nouvelle traduction de l’Ecclésiaste, Paris, Desclée de Brouwer, 2011, p. 47. 18. A. PINKER, « The Cause of Unhappiness in Qohelet 3:11 » (n. 8), p. 216. 19. Comme l’affirme A. PINKER, « The Cause of Unhappiness in Qohelet 3:11 » (n. 8), p. 217. 20. En effet, Qo 3,2-8 présente un tableau qui symbolise la totalité des activités humaines, celles qui sont désirables comme celles qui sont indésirables. C’est ce que confirment, d’une part, le double emploi du mot « tout » au v.1, qui comprend sept mots, et, d’autre part, les sept distiques et les 28 mentions du mot « temps » (7 x 4 = 28) en 3,2-8. Or, les chiffres sept

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qui arrive dans la vie des êtres humains (creatio continua), ce qui est désirable comme ce qui est indésirable. C’est ce que souligne également 7,14 qui déclare que Dieu fait aussi bien le jour du bonheur que le jour du malheur. Cette affirmation que Dieu fait toute chose est plutôt rare dans la Bible (Gn 1 ; Is 44,24 ; 45,7 ; Si 43,33 ; cf. aussi Si 11,14 ; 18,1), précisément parce que le « tout » inclut aussi ce qui est indésirable ou négatif. Ce créateur, précise Qo, fait toute chose ‫יפה‬. D’aucuns traduisent ce terme par « beau » ou « belle21 », puisque tel est le sens premier et habituel de ce mot dans le reste de la Bible (Gn 12,11.14 ; 29,17[2×] ; etc.). À mon avis, il vaut mieux le traduire par « convenable » ou « approprié », comme c’est le cas dans le seul autre passage où il apparaît en Qo. En effet, en 5,17, il s’agit bien d’un bonheur qui est convenable (‫ )טוב אשר יפה‬et non d’un bonheur qui est beau, car il est difficile de voir comment manger, boire et travailler pourraient être des beautés au sens esthétique du terme. Tel est aussi le sens de ce mot en hébreu rabbinique22. Quelques auteurs reconnaissent qu’une telle affirmation fait écho à Gn 1 où l’œuvre du créateur est dite bonne/belle (‫)טוב‬23. Toutefois, si le mot ‫ טוב‬est évité, c’est à cause non seulement de la connotation morale qu’il peut facilement avoir (cf. Qo 7,18.20 et 9,2), mais aussi de la connotation hymnique qu’il a en Gn 1 (cf. ‫כי טוב‬ en Gn 1,4.10.12.18.21.25 et Ps 100,5 ; 106,1 ; 136,1 ; 1 Chr 16,34) ; en outre, c’est peut-être parce que la création s’est corrompue (Gn 6,5.11-12 ; 8,21). Contrairement au faire humain dont le profit est nul (cf. 3,9 qui fait écho à 1,3, à la différence que Qo emploie le verbe ‫ עשה‬et non plus le verbe ‫)עמל‬, et quatre symbolisent souvent dans la Bible la totalité. Pour le chiffre sept, cf. Gn 1 ; Mt 18,2122 ; Mc 8,5.20 ; Ap 1,4.11–12.20 ; etc. Quant au chiffre quatre, chiffre de la totalité cosmique, il désigne parfois ce qui a un caractère de plénitude (Εz 1,5 ; 14,21 ; Ap 4,6 ; etc.). 21. M. BUNDVAD, Time in the Book of Ecclesiastes (n. 17), p. 99 ; M. FAESSLER, Qohélet philosophe (n. 15), p. 81 ; M. OH, Sprachliche Gestaltung und Semantik (n. 14), p. 226, 230 ; J. ASURMENDI, Du non-sens. L’Ecclésiaste (LD, 249), Paris, Cerf, 2012, p. 30. 22. M. JASTROW, Dictionary of the Targumim, Talmud Babli, Yerushalmi and Midrashic Literature, New York NY, The Judaica Press, 1989, p. 585. 23. M. LEUENBERGER, « “Gott ist im Himmel und du auf der Erde” (Koh 5,1). Exegetische und theologische Überlegungen zur Gottesvorstellung (nicht nur) nach Kohelet », BZ 58 (2014) 211-238, p. 226 ; A. SCHELLENBERG, Qohelet, Zürich, Theologischer Verlag, 2013, p. 75 et M. KÖHLMOOS, Kohelet. Der Prediger Salomo (Das Alte Testament Deutsch. Neues Göttinger Bibelwerk, 16,5), Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 2015, p. 121, traduisent toutefois le mot ‫ יפה‬par « belle ». Par ailleurs, Schellenberg reconnaît que le mot ‫ יפה‬peut avoir le sens de « bon » ou de « convenable », tandis que Köhlmoos n’exclut pas une influence grecque du mot καλός sur le mot ‫יפה‬. Dans sa paraphrase de Qo 3,11, Ben Sira revient au texte de Gn 1 en employant le mot ‫ טוב‬: « Les œuvres de Dieu sont toutes bonnes (‫ )טובים‬et à tout besoin il pourvoit en son temps (‫( » )בעתו‬Si 39,16 ms B). Pour le texte hébreu, voir F. VATTIONI, Ecclesiastico. Testo ebraico con apparato critico e versioni greca, latina e siriaca, Napoli, Istituto Orientale di Napoli, 1968, p. 209.

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le faire divin est convenable et approprié « en son temps », c’est-à-dire au temps de Dieu et non à celui de l’être humain ! La nuance est importante. En outre, le mot « temps » (‫ עת‬24) renvoie ici à 3,1-825. Que tout soit fait au temps de Dieu signifie que rien ne lui échappe, que c’est lui qui est responsable de tout ce qui arrive, alors que l’être humain ne peut déchiffrer ni le temps ni l’œuvre divine (cf. aussi 8,17 ; 9,11-12 et 11,5). Verset 11b L’emploi de la particule ‫ גם‬n’a pas ici une valeur adversative26 ; en effet, soit elle indique que Qo commence une nouvelle réflexion, soit elle a une force emphatique. C’est pourquoi on peut la rendre par « aussi », « en outre » ou « même ». L’expression « il a donné / il donne dans leur cœur » fait écho à l’expression parallèle au v. 10. Le suffixe « leur » ne peut donc renvoyer à l’expression ‫הכל‬, « le tout », du v. 11a27. Il renvoie plutôt aux « fils de l’être humain » du v. 10. Le cœur étant le siège de l’intelligence, l’expression signifie donner à l’être humain une idée (Ex 35,34 ; Ne 2,12 ; Esd 7,27 ; etc.). Autrement dit, elle fait référence à une activité intellectuelle : Dieu a donné ou donne à l’être humain la capacité de réfléchir sur le ‫עלם‬. Encore une fois, creatio prima et creatio continua sont indissociables. L’objet du don est le ‫עלם‬, un terme qui a fait couler beaucoup d’encre28. Outre le sens cognitif (ignorance, obscurité, secret, oubli, etc.) et le sens anthropologique (labeur, travail), fondés tous deux sur des modifications textuelles qui n’ont pas de raison d’être (voir section II), les exégètes ont retenu trois autres sens : un sens spatial (monde, univers, etc.), un sens temporel (éternité, sens de la durée, temps lointain, temps caché, durée indéterminée, etc.) ou encore un sens à la fois spatial et temporel. À mon avis, le contexte 24. La signification du mot ‫ עת‬en Qo 3,2-8 est sujette à de nombreuses controverses. Le mot peut désigner le temps fixé, le temps déterminé, le temps approprié, le concours des circonstances, etc. Pour un bon état de la recherche, voir P.-M. F. CHANGO, Qohélet et Chrysippe au sujet du temps. Εὐκαιρία, αἰών et les lexèmes ‫ עת‬et ‫ עלם‬en Qo 3,1-15, Paris, Gabalda, 2013, p. 38-41, 46-48, 71-74. 25. Et non au temps mythique des origines, comme l’affirme H.-P. MÜLLER, « Theonome Skepsis und Lebensfreude – Zu Koh 1,12-3,15 », BZ 30 (1986) 1-19, p. 13. 26. Contre A. PINKER, « The Cause of Unhappiness in Qohelet 3:11 » (n. 8), p. 219 et A. LANGE, Weisheit und Torheit bei Kohelet und in seiner Umwelt (n. 4), p. 113, 114, n. 83. 27. Contre T. ZIMMER, Zwischen Tod und Lebensglück. Eine Untersuchung zur Anthropologie Kohelets (BZAW, 286), Berlin, Walter de Gruyter, 1999, p. 79-80, qui donne, à la n. 54, une longue liste d’auteurs qui partagent son interprétation. 28. Pour un bon état de la recherche, voir B.P. GAULT, « A Reexamination of “Eternity” in Ecclesiastes 3:11 », (n. 8), p. 39-57 et P.-M. F. CHANGO, Qohélet et Chrysippe au sujet du temps (n. 24), p. 93-107.

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immédiat (3,1-9), le sens clairement temporel du mot ‫ עלם‬en 3,14 (précédé du ‫ ל‬comme en 1,4.10 ; 2,16 et 9,6) et l’expression « du commencement jusqu’à la fin » au v. 11c sont autant d’indices qui montrent que le mot ‫עלם‬ ne peut avoir ici qu’un sens temporel. Dans la Bible, le mot ‫ עולם‬désigne le temps le plus long et lointain possible, dans l’avenir (Ps 89,2 ; Is 45,17 ; etc. ; cf. aussi l’expression ‫עד עולם‬, « jusqu’à toujours », cf. Gn 13,15 ; 1 S 1,22) comme dans le passé (Ps 24,7.9 ; 143,3 ; etc. ; voir aussi l’expression ‫מעולם‬, « depuis toujours », cf. Ps 25,6 ; Pr 8,23 ; Jr 5,15 ; etc.). Dans tous ces passages, le mot ‫ עולם‬réfère à l’idée de continuité et d’invariabilité. C’est par exemple ce qu’illustre bien le Ps 41,14 : « Béni soit Yhwh, le Dieu d’Israël, du passé le plus lointain à l’avenir le plus lointain (‫)מהעולם ועד העולם‬, amen et amen ! » (voir aussi Ps 90,2 ; 103,17, etc.). En somme, on peut très bien rendre ‫ עלם‬par « sens de la durée », « notion du temps total29 », « vision unifiée du temps30 » ou « temps lointain31 », c’est-à-dire le temps des origines et le temps de la fin, comme l’indique précisément le v. 11c. Mais on peut aussi rendre ce mot par « temps caché32 ». En effet, l’emploi du mot ‫ עלם‬sans ‫ו‬ peut faire référence à un jeu de mots entre le temps lointain (‫ )עולם‬et ce qui est caché ou secret (cf. la racine ‫ עלם‬en 12,14), d’où le « temps caché », le temps de Dieu, le temps dont le commencement et la fin échappent au savoir humain (3,11c). Spieckermann est d’avis que ce don du ‫ עלם‬dans le cœur de l’être humain a la même signification que la déclaration de l’être humain à l’image de Dieu en Gn 1,26. Bühlmann croit même que le don du ‫ עלם‬dans le cœur de l’être humain peut correspondre à « une reformulation («hellénistique») de la conception de l’homme comme image de Dieu33 ». Cette équation me semble simpliste et l’hypothèse d’une influence hellénistique est purement spéculative. Toutefois, le rapprochement entre Qo 3,11 et Gn 1,26 n’est pas inapproprié, car le don du ‫ עלם‬est propre à l’être humain et le distingue des animaux, tout comme le fait qu’il ait été créé à l’image de Dieu.

29. J. ASURMENDI, Du non-sens. L’Ecclésiaste (n. 21), p. 30. 30. T. ESPOSITO, « Observations on God and Wind (Qoheleth 3,10-15) » (n. 11), p. 82. 31. M. KÖHLMOOS, Kohelet. Der Prediger Salomo (n. 23), p. 121 et M. OH, Sprachliche Gestaltung und Semantik (n. 14), p. 226. 32. M. FAESSLER, Qohélet philosophe (n. 15), p. 81 et P.-M. F. CHANGO, Qohélet et Chrysippe au sujet du temps (n. 24), p. 118. 33. H. SPIECKERMANN, « Suchen und Finden. Kohelets kritisch Reflexionen », Bib 79 (1998) 305-332, 315 et A. BÜHLMANN, La structure logique du livre de Qohélet ou comment être sage sous les Ptolémées ? (Biblische Notizen Beihefte, 12), München, Mabfred Görg, 2000, p. 80.

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Verset 11c La suite de la phrase est introduite par ‫מבלי אשר‬, une expression qui, sous cette forme précise, n’apparaît nulle part ailleurs dans la Bible. Les premiers traducteurs l’ont comprise de différentes façons. Sachant que la Peshitta a rendu le mot ‫ עלם‬par ‘ml’, « labeur », « peine », l’emploi de la préposition ’k suivie de la particule d peut être comprise d’au moins deux façons, soit comme une conjonction finale (« afin que »), soit comme une conjonction consécutive (« de manière que34 »). Le traducteur de la Septante a rendu l’expression ‫ מבלי אשר‬par la conjonction ὅπος qui exprime une finalité : « afin que », « de sorte que ». Par contre, Aquila a préféré rendre l’expression par le mot ὥς, qui peut être compris comme un adverbe exprimant une intention (« comme pour ») ou une conjonction exprimant un dessein (« en vue de », « afin que35 »). Dans la Vulgate, comme dans son commentaire de Qo, Jérôme suppose que l’expression ‫ מבלי אשר‬a une nuance consécutive puisqu’il la traduit par ut, « en sorte que », « de manière que36 ». En somme, les traductions grecques et la traduction latine supposent que le ‫ עלם‬est un obstacle à la compréhension de l’œuvre de Dieu. Les traductions modernes de l’expression ‫ מבלי אשר‬sont également variées. Par exemple, ceux qui traduisent le mot ‫ עלם‬par « obscurité » ou « ignorance » n’hésitent pas à donner à l’expression ‫ מבלי אשר‬un sens causatif et à la rendre par « parce que37 ». D’un point de vue grammatical, il est vrai que le ‫ מן‬de ‫ מבלי‬a parfois un sens causatif, d’où la traduction de la formule ‫ מבלי‬par « parce que » (Ex 14,11 ; 2 R 1,3.16 où le mot est précédé de l’interrogation ‫ ה‬et suivi de la négation ‫ )אין‬ou « parce que ne pas » (cf. Dt 9,28 ; 28,55 où le mot introduit une proposition verbale sans le pronom ‫ )אשר‬ou encore « faute de », avec la nuance causative du « parce que » suivi de la négation (Is 5,13 ; Éz 34,5 ; Os 4,6 ; So 3,6 ; Jb 4,11 ; 24,7.8 ; 31,19 ; Lm 1,4). Cependant, on ne peut donner un sens causatif à l’expression ‫מבלי‬ ‫ אשר‬que si l’on traduit le mot ‫ עלם‬par « obscurité », « ignorance » ou des termes équivalents. Or, j’ai montré que le mot ‫ עלם‬ne peut avoir ici qu’un sens temporel.

34. L. COSTAZ, Grammaire syriaque, Beyrouth, Dar-el-Machreq, 2003, p. 205. 35. Pour la version d’Aquila, je travaille avec l’édition suivante : Origenis Hexaplorum quae supersunt ; sive veterum interpretum graecorum in totum Vetus Testamentum fragmenta, Tome II, Texte établi par F. FIELD, Clarendoniano, 1875. 36. S. Hieronymi (n. 6), p. 277. 37. J.L. CRENSHAW, Qoheleth. The Ironic Wink (n. 8), p. 116 ; T. FRYDRYCH, Living under the Sun (n. 14), p. 75 ; N. KAMANO, Cosmology and Character. Qoheleth’s Pedagogy from a Rhetorical-Critical Perspective (BZAW, 312), Berlin, Walter de Gruyter, 2002, p. 99-100.

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Parmi ceux qui donnent au mot ‫ עלם‬un sens temporel, on trouve également diverses traductions. Par exemple, d’aucuns traduisent ‫ מבלי אשר‬par « sans quoi » ou « sans lequel38 », supposant ainsi que si Dieu n’avait pas mis dans le cœur de l’être humain le ‫עלם‬, celui-ci ne pourrait découvrir l’œuvre que Dieu fait, du commencement jusqu’à la fin. Cette traduction est invraisemblable, car elle est en contradiction avec d’autres passages du livre qui soulignent le fait que l’être humain ignore l’ensemble de l’œuvre divine (cf. 8,17 avec le verbe ‫ מצא‬et 11,5 avec le verbe ‫)ידע‬. C’est donc avec raison que d’autres exégètes supposent plutôt que l’être humain ne peut découvrir l’œuvre que Dieu fait, du commencement jusqu’à la fin. Parmi ces derniers, d’aucuns donnent à l’expression ‫מבלי אשר‬ une nuance d’intention et traduisent par « de sorte que39 », supposant ainsi que Dieu a délibérément fait en sorte que l’être humain ne puisse découvrir son œuvre. Il est vrai que le mot ‫ מבלי‬a parfois une nuance de finalité ou de conséquence et qu’il peut être rendu par « afin que » ou « de sorte que », suivis de la négation (cf. Jr 2,15 ; 9,9.10.11 ; Éz 14,15 ; Jb 18,15). Toutefois, la nuance de causalité ou de finalité doit être écartée, car le don du ‫עלם‬ ne saurait être un obstacle à la compréhension de l’œuvre que Dieu fait, du commencement jusqu’à la fin. Par ailleurs, par un phénomène d’atténuation des significations premières, mentionnées ci-dessus, le mot ‫ מבלי‬a fini par signifier simplement « sans ». C’est par exemple clairement le cas en Jb 4,20 et 6,6. À l’instar de ces deux textes, la formule ‫ מבלי‬en 3,11b a simplement un sens restrictif et doit donc être rendue par « sans ». Quant au pronom ‫אשר‬, il est le complément de la préposition ‫ מבלי‬: « sans que ». Certains exégètes donnent aussi une nuance adversative à l’expression ‫ מבלי אשר‬et traduisent par « Mais sans que », « mais sans lui » ou « toutefois, sans que40 ». Ces traductions ne sont pas fautives dans la mesure où elles permettent de souligner le contraste inattendu entre l’affirmation du v. 11a et celle du v. 11b. En effet, le propos de Qo est ironique, car il y a une contradiction flagrante entre ce que le lecteur est en droit de 38. M.A. SHIELDS, The End of Wisdom. A Reappraisal of the Historical and Canonical Function of Ecclesiastes, Winona Lake IN, Eisenbrauns, 2006, p. 139, 142 ; A. MAILLOT, Qohélet ou l’Ecclésiaste. La contestation, Condé-sur-Noireau, Les bergers et les mages, 1987, p. 37 ; La Bible, traduite du texte original par le rabbinat français sous la direction de Z. KAHN, Paris, Colbo, 1989, p. 1043. Quant à La Bible. Traduction œcuménique, Paris, Cerf, 1995, p. 1644, elle propose deux traductions : « sans que » et « sans quoi ». 39. P. ENNS, Ecclesiastes, Grand Rapids MI, Eerdmans, 2011, p. 55 ; L. GEERING, Such Is Life: A Closer Encounter with Ecclesiastes, Salem OR, Polebridge Press, 2010, p. 58, 176 ; P. ZAMORA, Fe, Política y economía en Eclesiastés (n. 14), p. 331-332 ; C.-L. SEOW, Ecclesiastes. A New Translation with Introduction and Commentary (AB, 18C), New York, Doubleday, 1997, p. 163. 40. M. FAESSLER, Qohélet philosophe (n. 15), p. 81 ; J.-J. WAHL, Illusion des illusions (n. 17), p. 47 ; L. SCHWIENHORST-SCHÖNBERGER, Kohelet (n. 12), p. 260.

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s’attendre en ce qui concerne le don divin du ‫עלם‬, qui rapproche étroitement les fils de l’être humain de Dieu, et l’affirmation du v. 11b relative à l’ignorance de l’être humain, soulignée par une double négation (‫ מבלי‬+ ‫)לא‬ et l’emploi du verbe ‫מצא‬. Ce verbe ‫מצא‬, qui apparaît 16 autres fois en Qo, signifie littéralement « trouver ». Toutefois, en Qo, ce verbe a souvent une connotation intellectuelle et peut alors être rendu par « découvrir », « comprendre », « connaître » ou « saisir » (7,14.24.27b ; 8,17[3×] ; 12,10). Le verbe ‫ מצא‬est également précédé de la négation en 7,14.28a.c ; 8,17a.b.c. En 7,24, il est précédé de l’interrogation ‫ מי‬qui suppose une réponse négative. Pour bien souligner que l’être humain est foncièrement un ignorant, Qo emploie aussi le verbe ‫ידע‬, « connaître », précédé des négations ‫( לא‬9,12 ; 10,14 ; 11,2.5) et ‫( אין‬9,1 ; 11,5.6) ou du pronom interrogatif ‫ מי‬qui suppose une réponse négative (2,19 ; 3,21 ; 6,12 ; 8,1). De tous ces textes, deux s’apparentent à 3,11b dans la mesure où l’objet de l’ignorance humaine est le même, c’est-à-dire l’œuvre de Dieu (8,17 et 11,5). Le mot ‫מעשה‬, « œuvre », qui apparaît 21 fois en Qo, fait ici clairement référence à l’œuvre de Dieu (cf. aussi 1,14 ; 2,17 ; 7,13 ; 8,17 ; 11,5), mais il fait parfois aussi référence à l’œuvre des êtres humains (2,4.11 ; 3,17.22 ; 4,4 ; 5,5 ; 8,11.14[2×] ; 9,7.10 ; 12,14), voire à la fois à l’œuvre des êtres humains et de Dieu (1,14 ; 2,17 ; 4,3 ; 8,9.17). Le verbe ‫ עשה‬est rattaché à l’œuvre de Dieu à huit reprises, tantôt au qal accompli (3,11[2×]) ou inaccompli (11,5), tantôt au niphal accompli (1,14 ; 2,17 ; 4,3 ; 8,9.17). Comme je l’ai déjà indiqué, il est préférable de rendre la phrase par « l’œuvre que Dieu fait », car la creatio prima ne peut être séparée de la creatio continua. L’expression « du commencement jusqu’à la fin » est unique dans la Bible et a clairement une connotation temporelle. En effet, le mot ‫ סוף‬précédé de la préposition ‫ עד‬a toujours un sens temporel (Dn 6,27 ; 7,26 ; Si 51,14 ms 11 QPsa41). Cette expression ne vise pas seulement à qualifier l’œuvre de Dieu ; elle vise aussi et surtout à préciser les limites de la perception humaine. On peut interpréter le couple « commencement – fin » (‫ )סוף – ראש‬comme un mérisme qui désigne la totalité de l’œuvre de Dieu. Toutefois, cette expression, qui fait référence aux deux extrémités du ‫עלם‬, peut être comprise de plus d’une façon. Pour certains, ce que l’être humain ne peut comprendre, c’est l’œuvre de Dieu dans sa totalité ; il peut toutefois comprendre en partie l’œuvre de Dieu42. Au contraire, d’autres sont d’avis que l’être humain ne 41. Pour ce texte de Ben Sira, voir F. VATTIONI, Ecclesiastico (n. 23), p. 279. 42. A. SCHELLENBERG, Kohelet (n. 23), p. 75 ; M. OH, Sprachliche Gestaltung und Semantik (n. 14), p. 233-234 ; L. SCHWIENHORST-SCHÖNBERGER, Kohelet (n. 12), p. 268.

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comprend absolument rien à l’activité de Dieu dans son ensemble, du commencement jusqu’à la fin43. Quoi qu’il en soit de ces deux interprétations, ce qui semble certain, c’est que l’être humain, malgré sa capacité de transcender les limites de son temps (3,11b), ne peut avoir accès au point de vue de Dieu (3,11c). Autrement dit, l’expression « du commencement jusqu’à la fin » indique que Qo se distancie, d’un point de vue théologique, de ses prédécesseurs qui prétendaient pouvoir présenter une théologie de l’histoire44, et ce, du commencement – cf. les théologiens de la tradition sacerdotale (Gn 1,1–2,4a) – jusqu’à la fin – cf. les théologiens de la tradition prophétique qui disent savoir ce que Dieu fera à la fin des temps ou à la fin des jours (Is 46,10 ; Jr 48,47 ; Ez 38,16 ; etc.). En outre, comme le mot ‫סוף‬ précédé de la préposition ‫ עד‬est un terme qui a une connotation apocalyptique (cf. Dn 6,27 ; 7,26), il n’est pas exclu que Qo vise aussi les précurseurs de la tradition apocalyptique qui prétendaient connaître la fin45.

POUR

NE PAS CONCLURE

D’aucuns déclarent que Qo 3,11 décrit un sabotage divin ou assimilent ce verset au thème de la jalousie du dieu qui refuse quelque chose à l’être humain de peur qu’il ne devienne son égal46. Que l’on soit d’accord ou non avec ces lectures, il est certain que Qo 3,10-11 nous invite à penser du point de vue temporel ce que Qo 5,1 affirme du point de vue mythologique (Dieu est au ciel et l’être humain sur la terre), à savoir la distance radicale qui sépare Dieu de l’être humain. Certes, l’être humain est unique en ce qu’il a la capacité de transcender, dans ses réflexions (cœur), les limites de son temps et de son monde (3,11b). Toutefois, cette capacité, qui est un don divin, ne lui permet pas pour autant de comprendre le temps de Dieu (‫ )עלם‬et tout ce qui arrive, du commencement à la fin, selon le temps (‫ )עת‬de Dieu (3,11a.c). Le temps inévitable de la mort (3,2.19-20) – elle qui nous incite à donner un sens au temps bien que le temps s’arrête avec elle (9,10) – empêche toute 43. J.A. LOADER, Ecclesiastes. A Practical Commentary, Grand Rapids MI, Eerdmans, 1986, p. 40 ; M.V. FOX, A Time to Tear Down & a Time to Build Up (n. 7), p. 212. 44. M. KÖHLMOOS, Kohelet. Der Prediger Salomo (n. 23), p. 122. 45. Ce ne serait d’ailleurs pas le seul passage du livre de Qo qui critique la tradition apocalyptique. Voir à ce sujet J.N. DOUGLAS, A Polemical Preacher of Joy: An Anti-apocalyptic Genre for Qoheleth’s Message of Joy, Eugene, Pickwick, 2014 ; il ignore toutefois maints travaux de ses prédécesseurs qui abondent dans un sens plus ou moins semblable. 46. M.R. SNEED, The Politics of Pessimism in Ecclesiastes (n. 17), p. 3, 259 ; D.B. MILLER, Ecclesiastes, Scottdale, Herald Press, 2010, p. 72 ; S. BURKES, Death in Qoheleth and Egyptian Biographies of the Late Period, Atlanta GA, SBL, 1999, p. 62.

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véritable compréhension du temps de Dieu. En plus d’empêcher de saisir le temps de Dieu, la mort rend le temps humain comparable à un piège funeste ; elle le réduit à un destin (9,11-12)47. Malgré le caractère inéluctable de la mort, d’aucuns pourraient croire que s’il y a un temps pour chercher, il y en a un pour trouver. Mais ce n’est pas ce que dit Qo : certes, il reconnaît qu’il y a un temps pour chercher, mais il n’y a pas un temps pour trouver, comme on pourrait s’y attendre, mais un temps pour perdre (3,6) ! Jean-Jacques LAVOIE Université du Québec à Montréal [email protected]

47. Voir à ce sujet J.-J. LAVOIE, « Temps et finitude humaine. Étude de Qo IX 11-12 », VT 46 (1996) 439-447.

DEUT 6,4 AND ITS CONTEXTUAL UTILIZATION IN GAL 3,20 FROM THE ONENESS OF GOD TO THE FATHERHOOD OF ONE GOD

Christianity is a monotheistic religion. Unlike its ancestor religion, Judaism, when it comes to describing the contours of monotheism in Christianity, especially within the letters of Paul, one comes up against an arduous task. Dogmatic theologians, in the question of the Trinity, have got to contend with this complexity of monotheism in Christianity more often than Biblical scholars do1. The idea of a Festschrift in honor of my thesis director, Prof. Michel Gourgues, o.p. gives me the impetus to delve into this article, particularly because Michel Gourgues has championed, since 1976, the research into the use which the New Testament authors made of the Old Testament. His doctoral dissertation explored how New Testament authors used and understood Psalm 110,1. That dissertation paved the way for more explorations in the lines of “pre-formed” or formulaic materials in the New Testament. It seems fitting to honor him with an article that furthers on his area of research, which has influenced mine as well. May this contribution serve as my humble token of appreciation to my mentor and friend, Michel Gourgues. INTRODUCTION Biblical scholars are of the opinion that Deut 6,4 – ‫ְשׁ ַמע יִ ְשׂ ָר ֵאל יְ הוָ ה‬ ‫ֹלהינוּ יְ הוָ ה ֶא ָחד‬ ֵ ‫“( ֱא‬Hear, O Israel: The Lord is our God, the Lord alone2”) – expresses the Jewish concept of monotheism in its simplest form. The question whether the verse is a Jewish Credo3 or a formula is secondary to the 1. For a list of scholars who speak of monotheism since Moses, see M.S. SMITH, The Early History of God: Yahweh and the Other Deities in Ancient Israel (The Biblical Resource Series), Grand Rapids MI, Eerdmans, 22002, n. 737. 2. All scriptural references will be taken from the New Revised Standard Version, 1989. 3. N. MCDONALD, Deuteronomy and the Meaning of “Monotheism”, Tübingen, Mohr Siebeck, 22012, p. 60; D.I. BLOCK, “How Many is God? An Investigation into the Meaning of Deuteronomy 6:4-5”, Journal of the Evangelical Theological Society 47 (2004) 193-212, p. 194-195.

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fundamental consensus that that verse proves that monotheism is a part of Jewish beliefs4. How does the context of Deut 6:4 explain the fact that God is “one”? We need to answer this question before we look at how St. Paul understands and uses the same verse in his letter to the Galatians. Our contribution will be developed in three parts: firstly, we will study the uniqueness of Deut 6,4 within its contexts (micro and macro) to ascertain its contextual meaning; secondly, we will study the appearance and echo of Deut 6,4 in Gal 3,20, focusing on the shades of meaning Paul gives to this contextual usage of Deut 6,4; thirdly, we will deduce a concise conclusion, on the basis of a comparative analyses of Gal 3,20 and Deut 6,4 (parts I & II).

I. THE UNIQUENESS OF DEUT 6,4 WITHIN ITS CONTEXTS (MIRO AND MACRO): OUT OF MANY GODS, ISRAEL HAS ONE GOD 1. An Overview When one looks at the macro-context of Deut 6,4, that is, Deut 5–6, in contradistinction to Deut 6,4 (micro-context), two issues are clearly delineated, Israel is a legal (Deut 5) and a theistic5 (Deut 6) nation. While the so-called Ten Commandments are enumerated in chapter 5, giving Israel a legal foundation, chapter 6 preoccupies itself with an expatiation of the first of the Ten Commandments of Deut 5,6-10 – a descriptive idea of Israel’s God and his dealings with Israel. From all implications, the emphasis is laid on the fact that other nations have many gods or are polytheistic, but Israel has to be monotheistic because the God of Israel is the deliverer of Israel from Egypt and the same God has dispossessed other nations of their goods and enriched Israel with their booties6. An important dimension of Israel’s legality and its way of construing this legalism, at least from a Deuteronomistic perspective7, is that it goes beyond 4. T. RÖMER, The Invention of God, Cambridge MA-London, Harvard University Press, 2015, p. 210-241. 5. Römer argues that both polytheism and monotheism are found in the Bible. According to him, monotheism evolved through the deuteronomists reinvention of Yahwism; T. RÖMER, “Le problème du monothéisme biblique”, RB 124 (2017) 12-25, p. 16-24. 6. This is the fundamental point of Richard Jude Thompson’s thesis: the Deuteronomistic historian reconstructs the anger of the God of Israel against other gods in the book of Deuteronomy. See my review of the book in Science et Esprit 68 (2016) 145-149. The details of Thompson’s book is in n. 10 below. 7. For a good and concise overview of deuteronomistic history, see T. RÖMER, The SoCalled Deuteronomistic History: A Sociological, Historical and Literary Introduction, London, T&T Clark, 2005.

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the Decalogue. This point is clearly made in Deut 6,1: “Now this is the commandment – the statutes and the ordinances8 – that the Lord your God charged me to teach you to observe in the land that you are about to cross into and occupy9”. The different legal terms (laws, statutes, ordinances) Deut 6,1 uses here suggest a wider scope of laws beyond the Decalogue. Thompson corroborates this idea that there more laws in Deuteronomy than the Decalogue because they (laws) include “the observance of the larger tôrāh code of social, cultic, and juridical instruction10”. The ritual explanation (Deut 5,22-33) of how the Decalogue was given underscores the involvement and participation of the people in the ritual of bonding or initiation as the people of this God11. Moreover, the implication for breaking the law, which the greater part of chapter 6 enumerates, provides a flipside to the deliverer-God; it presents him as a God who also punishes. So, the God of Israel both delivers/loves and punishes (Deut 5,9-10), the fact which gives scholars interested in the history of covenants the argument to qualify this kind of covenant as a suzerainty covenant – a superior person/ being and a vassal in agreement12. The fact that Israel’s God punishes plays a double role: 1) it shows why other nations are punished – polytheism (their land had to be taken and sanctified to YHWH [Deut 1,8]), and 2) it explicates why Israel is loved – monotheism. This is the case because each time Israel went after other gods or raised an altar to other gods, God’s chastisement was never long in visiting them. The approbation Josiah received for the restoration of God’s altar in Israel, in contradistinction to the punishment meted out to Jeroboam for raising foreign altars, bears us out13. It follows that the primary importance of Deut 6,4 was not to emphasize the Ten Commandments, but the oneness of Israel’s God. Therefore, the “love” of God, of which Deuteronomy speaks, simply means to remain within the confines of monotheism. The Old Testament puts this idea forward in the grammatical structure of Deut 6,4, as noted by scholars, since “[i]t may also be noted that in MT the letters ‫ע‬ in ‫ ְשׁ ַ ֖מע‬and ‫ ד‬in ‫ ֶא ָחד‬are enlarged (litera majuscula), probably to emphasize 6,4[sic]. Other explanations of this phenomenon include that the letters spell

8. Emphasis added in order to underscore the legal broadness of the text. 9. The beginnings of Deut 5,1 and Deut 6,1 are essentially the same. 10. R.J. THOMPSON, Terror of the Radiance: Aššur Covenant to YHWH Covenant, Fribourg – Göttingen, Academic Press – Vandenhoeck & Ruprecht, 2013, p. 24-25. 11. According to D.J. McCarthy similar ritual language is indicative of a covenant or it is a covenant formula: D.J. MCCARTHY, Institution and Narrative: Collected Essays, Rome, Biblical Institute Press, 1985, p. 21-41. 12. Ibid., p. 53. 13. R.J. THOMPSON, Terror of the Radiance, p. 28-30.

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‫ ֵעד‬since 6,4 bears witness to YHWH’s unity, or that they prevent mistaken readings (either confusing ‫ ֶא ָחד‬with ‫‘ ַא ֵחר‬other’ or ‫ ְשׁ ַ ֖מע‬with ‫‘ ְשׁ ַ ֖מא‬perhaps’)14”. Our statement in the previous paragraph, “It follows that the primary importance of Deut 6,4 was not to emphasize the Ten Commandments but the oneness of Israel’s God,” needs explaining, which the exegesis of Deut 6 will show below. However, the first point that buttresses our assertion is the macro-context (Deut 6) of Deut 6,4. There is no other sin, that is, no interhuman or social sin mentioned in Deut 6, other than Israel’s expected reaction to foreign or alien gods, the gods that did not bring them out of Egypt. Even though we limit our macro-context of Deut 6,4 to chapters 5 and 6, for reasons of space, there is a clear indication that the idea of the “uniqueness” of YHWH among other gods is the only point underscored in Deut 5–12. Second, there is a formula that is refrained at strategic places to drive home the uniqueness of YHWH among the gods, and that formula runs through and unifies the statements of Deut 5–1215. Here is the seminal form of it: “Hear, O Israel, the statutes and ordinances that I am addressing to you today; you shall learn them and observe them diligently” (Deut 5,1). Similar statements are present in Deut 4,1; 6,1; 11,1; 12,1. What is conspicuous about this refrain is the reality that it is a preamble to a legal statement16. Closely linked to this formula, is another formula17, widely accepted as such by scholars – “[…] the place that the Lord your God will choose […]” (Deut 12,5). Going by this second formula18, there is a liturgical dimension to the uniqueness of YHWH, which the place to be designated for his worship emphasizes. If Deut 12,519 is not explicit on the liturgical function of the uniqueness of YHWH, the context of Deut 26,220 makes it abundantly clear.21 14. N. MCDONALD, Deuteronomy and the Meaning of “Monotheism” (n. 3), p. 62, n. 19. 15. For now, before other elements are provided below, what is suggestive of a “formula” is the criterion of “multiple attestation”; see Deut 4,1; 5,1; 6,1; 11,1; 12,1. 16. H.D. PREUSS, Deuteronomium, Damstadt, Wissenschaftliche Buchgesellschaft, 1982, p. 100-101. 17. Generally called “formula of centralization”, see T. RÖMER, The Invention of God, Cambridge MA, Harvard University Press, 2015, p. 204-205, 286, n. 37. 18. For a relatively old study of this formula, see L. LABERGE, “Le lieu que YHWH a choisi pour y mettre son nom : TM, LXX, Vg et Targum ; contribution à la critique textuelle d’une formule deutéronomiste”, Estudios Biblicos 43 (1985) 209-236. For a more recent study, see T. RÖMER, The Invention of God (n. 17), p. 191-209. 19. For parallels, see Deut 12,11.21; 16,2.6.11; 26,2. 20. “You shall take some of the first of all the fruit of the ground, which you harvest from the land that the Lord your God is giving you, and you shall put it in a basket and go to the place that the Lord your God will choose as a dwelling for his name.” 21. A solid and plausible case can be made, from the two formulas we evoked, for seeing the promotion of an ideology of God’s oneness through liturgy or worship. This is beyond the scope of our study.

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If two formulae surround Deut 6,4, what can we deduce from that reality? The two formulae in question both satisfy the criteria of multiple attestations and uniqueness, but not the same for Deut 6,4 which lacks the criterion of multiple attestation. An exegesis of Deut 6, where Deut 6,4 appears, will shed light on the meaning of “the Lord is our God, the Lord alone”; after which we will look at its provenance, as aid to deciphering its uniqueness or formulaic nature. 2. Contextual Exegesis of Deut 6: The Novelty of Monotheism in Israel A close look at Deut 6 shows the dominance of two correlated themes – Land and Law. These two themes function as conjunctive and rhetorical refrain binding Deut 6 to the rest of the Book of Deuteronomy, so they serve as inclusiones. Besides, the role played by the ideas of “Land and Law”, in three parts of Deut 6, namely, Deut 6,4-5.13-15.20-25, all stand out as novelties; they provide additional elements of meaning to the themes of “Land and Law”, which (meaning) dominates Deut 6. In our estimation, Deut 6 can be divided thus, from a thematic perspective: A Law (Deut 6,1-2) B Land (Deut 6,3) C Love of the One God (Deut 6,4-5) A’ Law (Deut 6,6-9) B’ Land (Deut 6,10-12) C’ Importance of One God (Deut 6,13-15) A” Law (Deut 6,16-17) B” Land (Deut 6,18-19) C” Importance/relation of Law, God and Land (Deut 6,20-25)

The recurrences of “Law and Land”, that is, A-B, make two salient arguments plausible: 1) there is only one Law that is central to Deut 6 – the nature of Israel’s God; and, 2) constitutive of the nature of Israel’s God is locality or attachment to a locus/place. These two ideas (of unique Law and Land) put a third idea in relief to them, the uniqueness of Israel’s God. In other words, as far as Israel is concerned, there is One Law, One Land, and One God (Deut 6,20-25). Anticlimactically, not in importance but in the order of presentation because of the contents of (Deut 6,20-25), the redactor of Deut 6 provides an answer to the outline of chapter 6 in verses 20-25, the very end of the chapter, where he argues for the “Importance of Law, God and Land”. This is instructive because it answers an imaginary and anticipated question by future generations of Israel – “When your children ask you in time to come, ‘What is the meaning of the decrees and the statutes and the ordinances that the Lord

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our God has commanded you?’” (Deut 6,20). Indeed, it is possible to see the contention of Deut 6 as providing an answer to the question of Deut 6,20, on account of which we speak of “anticlimax” in chronological arrangement of arguments. In fact, it is very probable that that question was already in vogue at the time of the redaction of Deut 6, and had to be attended to. Fundamentally, however, the raison d’être of Israel is the worship of God, going by the question of Deut 6,20 and the logic of Deut 6. This point comes across strongly when Deut 6,5 makes the “love of God” the uniting factor between the “Law” of Deut 6,1-2 and the “Land” of Deut 6,3, which the unique God gives to Israel. It is precisely to forestall a wrong understanding of God, who has been in relationship with Israel through their ancestors (“the land that he [God] swore to your ancestors, to Abraham, to Isaac, and to Jacob, to give you” [Deut 6,10]) from being misconstrued that his essence was defined in Deut 6,4. As we have mentioned earlier, the requirement of “God’s love” expected of Israel is outlined in Deut 6,13, in threefold attitudinal approaches: 1) nomenclature (name), 2) liturgy (worship), and 3) ethics (awe/fear). Here, we have a very nice summary of the first three commandments relating to God, contained in Deut 5,6-15. 3. A New Law or Perspective on the God of Covenants: The Contours of Monotheism In 1.1 above, we have isolated three important aspects of Deut 6: a) it deals with two related themes – Law and Land; b) Deut 6,20-25 summarizes the essence of the whole chapter as worship of God; and, c) it argues that Israel must have the same God as its ancestors. We now turn to how Deut 6 makes the God of Israel, which Deut 6,4 presents as “One” or “unique” continuous with Israel’s past. A comparative analysis of the end of Deut 5, especially verses 28-33, and the beginning of Deut 6, with specific reference to verse 1, indicates a shift from the Decalogue of chapter 5 to the relevance of the Law, that is, the relationship of Israel with God, as it concerns how to live in the Promised Land. Deut 5,30, “Return to your tents,” makes Mount Sinai the derivative context for the contents of Deut 5, while Deut 6,1 suggests a didactic context for Deut 6. The difference in contexts buttresses our claim that there is a change of emphasis and subject matter from the Decalogue of Deut 5 to an interest in the relevance of God to Israel, when Israel comes into the Promised Land. More so, since Moses was not to enter the Promised Land (Deut 3,23-29), there was the need to explain the exigencies of living in the Promised Land to Israel beforehand.

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There are two senses in which to consider Deut 6 as enunciating a “new Law” (as our subheading suggests), strictly concerned with monotheism, with the idea of covenant in the background: first, there was a consistency of ancestry in Israel, and, second, Israel once made a god (molten calf) and designed it as God. So, the history of Israel and the infidelity of Israel (Deut 6,16) necessitate some teachings or updating of the implication of monotheism or the vision of monotheism expected of Israel. The repetition of covenantic promises of multiple descendants and land, “and so that you may multiply greatly in a land flowing with milk and honey, as the Lord, the God of your ancestors, has promised you” (Deut 6,3), anchors the nature and terms of monotheism in the homogeneity of the ancestral God of Israel and the fulfillments of some conditions ratified in God’s covenants with Israel. Ubiquity of God-consciousness is the expected hallmark of Israel and a vital teaching to propagate; this is brought to the fore by the range of places where God’s insignia are to be displayed: Keep these words that I am commanding you today in your heart. Recite them to your children and talk about them when you are at home and when you are away, when you lie down and when you rise. Bind them as a sign on your hand, fix them as an emblem on your forehead, and write them on the doorposts of your house and on your gates. (Deut 6,6-9)

What is intriguing about the multiple ways to help Israel remember God (Deut 6,6-9) is that everything is predicated of the statement “the Lord is our God, the Lord alone” (Deut 6,4). Hence, to speak of Deut 6,4 as a “New Law” is defendable. “Oneness” as Uniqueness to Promote Monotheism It is one thing to claim that Deut 6,4 argues in favor of a “New Law”, and another to explicate what this New Law (monotheism) means. Evidently, given our comparative analysis between Deut 5 and 6, new elements are introduced into chapter 6 that are absent from chapter 5. These new elements, especially the statement of Deut 6,4, makes a new claim which is worth exploring, and to that claim we now turn. The understanding of Israel’s God as being “one” is construed as “uniqueness” by the context of Deut 6,4. This is the case because this “one” God is only known through his activities – covenants with the ancestors of Israel, deliverance from Egypt, guidance through the desert and provision of the Decalogue – not through his numerical strength (the Lord is ONE). The descriptive groundings of the oneness of God provides this certitude of his uniqueness – he has a way of behaving with and to Israel. If beginnings and

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language are arguments worth evoking, the language and the beginnings of the Book of Deuteronomy make Israel out as a nation under construction and a people in-the-making – gentes infieri. God’s command to Moses, “Resume your journey” (Deut 1,7), puts in perspective the itinerant and ideological nature of Israel in Deuteronomy. The comparative ethos (Deut 4 and 6) and liturgy (Deut 12) enshrined in Deuteronomy, between what Israel should be and what other nations are, gives credence to a reformist agenda postulated by the book of Deuteronomy; what Israel was, before its deliverance from Egypt, has to give way to what it must become, which is not finalized yet in Deuteronomy. The book of Deuteronomy makes “memory” central to its reformist agenda, the future is to be constructed from a correct reading of the experiences of the past, the right reading of God’s interventions on behalf of Israel – intervention in a bid to bring about monotheism and fidelity. “To Remember” and “To Forget”: Two Hermeneutic Principles that Undergird the Meaning of God’s “Oneness” Commentators on Deuteronomy wont to lump together Deut 1–11 as dealing with legal issues, and Deut 12–34 as dealing with ideologies borrowed from the Assyrians22. Even though the portion of Deut 1–12 which interests us is Deut 6,4, we have noted that the interpretation of that verse is dependent on its context, both macro and micro. We have also noted that Deut 6:4 cannot be treated as a formula, at this present level of our analysis because we are unable to locate a similar expression elsewhere, if multiple attestation is the only criterion for justifying a formula (fortunately, it is not). However, having indicated that chapter 6 of Deuteronomy comes in the heels of an enumeration of laws in chapter 5, what seems expedient is to do a verbal comparative analysis between the macro and micro contexts of Deut 6,4. In doing that, we will concentrate on the verbs in imperative form vis-à-vis their subject matter or substantives. The aim of doing this is to examine if it is the same or different laws that are underscored in Deut 5 in contradistinction to Deut 6, and to know whether the imperative verbs of Deut 5 corroborate the imperative verb “hear”, which begins the Shema or Deut 6,4, therefore, making Deut 6,4 a “New Law”. Let us tabulate the imperative verbs of Deuteronomy chapters 5 and 6 and their qualifying nouns: 22. T. RÖMER, The So-Called Deuteronomistic History (n. 7), p. 45-65; C.L. CROUCH, Israel & The Assyrians: Deuteronomy, the Succession Treaty of Esarhaddon, & the Nature of Subversion, Atlanta GA, SBL, 2014.

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Deut 5,1 “Hear O Israel the laws and the statutes” Deut 5,7 “you shall not have, make or bow to other gods” Deut 5,11 “You shall not take the name of God in vain” Deut 5:12 “Observe the Sabbath” Deut 5,16 “Honour your Father and Mother” Deut 5,17: “You shall not murder” Deut 5,18 “You shall not commit adultery” Deut 5,19 “You shall steal” Deut 5,20 “You shall bear false witness” Deut 5,21a “You shall not covet your neighbor’s wife” Deut 5,21b “You shall not covet your neighbor’s house”

Deut 6,4 “Hear O Israel, the Lord is one/alone” Deut 6,5 “You shall love the Lord your God” Deut 6,7 “You shall teach, talk, bind, and write them” Deut 6,12 “Take care not to forget the Lord” Deut 6:13 “You shall fear, serve and swear by the Lord” Deut 6,14 “You shall not go after other gods” Deut 6,16 “You shall not put the Lord to the test” Deut 6,17 “You shall keep diligently the commandments and statutes of the Lord” Deut 6,18 “You shall do what is right” Deut 6,21 “You shall tell your children God freed you from slavery in Egypt”

It is evident, from the table above, that there is a difference in emphasis between the imperatives of the two chapters: while Deut 5 enumerates many commandments, providing ample reasons for talking about the Decalogue or Ten Commandments, Deut 6 elucidates the first of the Commandments exclusively. The formulaic phrase “Hear O Israel”, begins the two enunciations of the legal instructions given in Deuteronomy 5 and 6, suggesting their common source as legal instructions or statements as well as their intrinsic correlation. Their difference is the addition of “the Lord our God, the Lord is One” (Deut 6,4)24, which is absent in Deut 5,125, on top of the nine other commandments of chapter 5. “To remember” or “remembrance” undergirds the importance of the legal emphasis in Deut 6. The different hermeneutical details, provided for the first commandment, at least, from the Deuteronomistic crafting of it in chapter 6, bears Prof. Frank Moore Cross, jr.26 out that there was a bad taste left in the 23. There are different ways of representing the order and number of the Decalogue. Our interest is simply the presence of imperative verbs and their significance. For debates on the number and order of the Decalogue, see J.J. STAMM – M.E. ANDREW, The Ten Commandments in Recent Research, London, SCM, 1967, p. 13-22. 24. My literal translation. 25. It is also absent in Deut 4,1; 6,1; 11,1; 12,1. 26. F.M. CROSS, Canaanite Myth and Hebrew Epic: Essay in the History of the Religion of Israel, Cambridge MA – London, Harvard University Press, 1973, p. 274-289.

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mouth of the Deuteronomists after their experience of the Babylonian exile, and they wanted to forestall a repeat of it. In other words, the conclusion of the Deuteronomists that the exile to Babylon was premised on the “forgetfulness” of Yahweh and the theistic prostitution of Israel with other gods led to the exile in Babylon necessitated an expansive and detailed treatment of the first commandment of the Decalogue. The Deuteronomists’ solution to “forgetfulness” of Yahweh was two pronged – ritual and surplus reason or emphasis on the need to be monotheistic. Old Testament scholars have long noticed that the phrase “Hear O Israel” is a recipe for recitation of the Torah27. The ritual reenactment of the Torah, epitomized in Ezra’s reading out of the commandment to the children of Israel (Nehemiah 8), argues in favor of a tradition in Israel and its environs which encouraged public reading of legislations in order to help citizens to remember and keep the law; they needed to be reminded of it constantly. In fact, the prophets of Israel were avant-gardists of this movement of “reminders” of Israel of their covenant engagements to God and the need to keep God’s laws. Even though Frank Cross28 construes the centralization of the Israelite cultus in Jerusalem as consequent upon the necessity of making prophetic oracles and predictions concerning the perpetuity of the Davidic reign in Jerusalem come true, there is another view. This other view prioritizes the “uniqueness” of Yahweh among the gods and as the only God of Israel, over and above royal ideology29. It is better to harmonize and conjugate the different strings that argue for monotheism in Israel as a whole, rather than separate the individual elements from the whole. As it were, the transition from “El”, the God of the ancestors of Israel to “Yahweh”, the unique God of Israel, there is an evolution that went beyond and predated Israel’s monarchy. Furthermore, the centralization of the worship of Yahweh in one-futureplace, which God will point out, is a repudiation of polytheism and polylatria or worship of multiple gods. “The Lord is our God, the Lord Alone” (Deut 6,4) as a Summary of a Belief If it is granted as correct, as we have argued, that “Hear O Israel” is a legal preamble, then, there is a novelty in Deut 6,4 because there is nowhere else where the “oneness” of God is predicated of that phrase, hence, that preamble makes Deut 6,4 a new law or a legal statement. The question to 27. D.J. MCCARTHY, Old Testament Covenant: A Survey of Current Opinions, Atlanta GA, John Knox, p. 6-7. 28. F.M. CROSS, Canaanite Myth and Hebrew Epic (n. 26), p. 274-289. 29. R.J. THOMPSON, Terror of the Radiance (n. 10), p. 78-106.

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be asked, the answer to which will prove that Deut 6,4 condenses the beliefs of Israel, is this: why predicate the oneness of God on that phrase at that juncture? Our purposes will be better served by assembling, in general, few passages that are similar to the context of Deut 6,4 but which lack “The Lord is our God, the Lord alone”. The need to do that is to see what additional knowledge is provided by the presence or absence of that phrase in its present context. Here are some other pericopes with similar phraseology: Assonance

Dissonance

“And now, O Israel, listen to the statutes and the rules that I am teaching you, and do them, that you may live, and go in and take possession of the land that the Lord, the God of your fathers, is giving you” (Deut 4,1).

“Hear therefore, O Israel, and be careful to do them, that it may go well with you, and that you may multiply greatly, as the Lord, the God of your fathers, has promised you, in a land flowing with milk and honey” (Deut 6,3).

“Hear, O Israel, the statutes and ordi- “Hear, O Israel: The Lord is our God, nances that I am addressing to you today; the Lord alone” (Deut 6,4) you shall learn them and observe them diligently” (Deut 5,1). “Hear, O Israel: you are to cross over the Jordan today, to go in to dispossess nations greater and mightier than you, cities great and fortified up to heaven, a people great and tall, the sons of the Anakim, whom you know, and of whom you have heard it said, ‘Who can stand before the sons of Anak?’ Know therefore today that he who goes over before you as a consuming fire is the Lord your God. He will destroy them and subdue them before you. So you shall drive them out and make them perish quickly, as the Lord has promised you” (Deut 9,1-3). “And if you will indeed obey (‫)שׁ ַמע‬ ָ my commandments that I command you today, to love the Lord your God, and to serve him with all your heart and with all your soul, he will give the rain for your land in its season, the early rain and the later rain, that you may gather in your grain and your wine and your oil. And he will give grass in your fields for your livestock, and you shall eat and be full” (Deut 11,13-15).

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On the one hand, all the other citations we assembled under “assonance” agree on one fundamental point – warning against disobedience to the commands of God and the punishments to be meted out to defaulters and to the whole of Israel. These citations are reminiscent of treaties and the conditions to be meted out under them. On the other hand, Deut 6,3-9 paints a picture of a stratagem for remembering that Israel’s God is a loving and caring God. So, while Deut 6,4-9 underscores the love of God, the other passages display how vengeful God is. Since the passage emphasizing the love of God is in the minority, it must be part of a new Deuteronomistic perspective (law) painting a different view of Israel’s God, despite his apparent violence towards nonconformists to his laws. The other texts, besides Deut 6,4-5, are inserted within the context of the renewal of the history of the Decalogue. By implication, Deut 6,2-5 brings on board a novelty to the understanding of law, which justifies our claim about the uniqueness of Deut 6,4 in the deuteronomistic corpus. Furthermore, the argument of Schüle, in conjunction with that of Walter Zimmerli, “that the Priestly transmission in the Pentateuch intentionally disconnects the Sinai events and the Sinai legislation from the notion of covenant30” finds a justification here. Additionally, Edenburg’s argument that there is no mention of ‫( ְבּ ִרית‬berit-covenant) in Deut 12,1–28,45 confirms our earlier contention that Deut 6,4-5 provides a new perspective to the understanding of and the relatedness between the covenant and the Decalogue. One point of agreement, apart from legal concord, among all the texts cited, is the fact that the statutes and laws they talk about are meant to be kept, when Israel eventually arrives in the Promised Land, not immediately. In other words, the formulated ethos is based on a new homeland and habitation, which Israel had not taken possession of. But the uniqueness of Deut 6,4 “the Lord our God, the Lord is one31” comes from comparison with Deut 6,13: “The Lord your God you shall fear; him you shall serve, and by his name alone you shall swear” (Deut 6,13). As it were, the Lord whom Deut 6,4 says is “One”, has distinguishing markers – he has a name, YHWH; this name of his has two functions, 1) for oath taking, and 2) as the sole object of worship. In order to corroborate this our reading of Deut 6,13, the very next verse (Deut 6,14) makes this statement – “Do not follow other gods, any of the gods of the peoples who are all around you” (Deut 6,14). This statement (Deut 6,14) only makes

30. A. SCHÜLE, “The ‘Eternal Covenant’ in the Priestly Pentateuch and the Major Prophets”, in R.J. BAUTCH – G.N. KNOPPERS (ed.), Covenant in the Persian Period: From Genesis to Chronicles, Winona Lake IN, Eisenbrauns, 2015, p. 41. 31. My translation.

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sense when Israel is able to make out what differentiates its God from other gods. As far as Deut 6 is concerned, ethos and liturgy will distinguish Israel from her neighbors. The God of the Covenant Before the God of the Apodeictic Laws The argument that Deut 6,4 is a new law needs further supporting argument, namely, the source of such a law. Perhaps the best suggestion toward finding out the origin and meaning of “The Lord our God, the Lord is one” (Deut 6,4) comes from the consensus among most scholars that the most ancient of the Decalogue are those related to God32; the first three Commandments of the Decalogue have their origin in Israel’s covenants with God, and they are perpetuated in Israel’s liturgies or rites. The statements “I am Yahweh” and “I am the God of Abraham, Isaac and Jacob” favor the idea of sameness and oneness of the God worshipped by the ancestors of Israel, and provide a link with Israel’s past; what better place to trace this link with the past than the idea of “covenant33”? The idea of “covenant”, in Israel, provides a sense of continuum with the experiences of different generations of Israelites with God; it links Israel’s past to its present, because although it (its experiences) took place in the past, it has a future dimension and meaning. It is at the intersection of the past and the present that “covenant” serves the interests of Deuteronomistic authors. Therefore, to evoke the centrality of “covenants” in the evolution of the consciousness of God in Israel is to lay emphasis on a diachronic perspective of religion and nationhood in Israel. Even though different scholars contest the contours of “covenants” and their hermeneutics, they, nonetheless, accept the existence of the same in Israel34. It follows that the vestiges of the ideas of “covenant relationship” between Israel and God provide a foothold in the assessment of Israel’s understanding of God, by the same token, it admits of evolution in Israel’s conceptions of God. It is precisely at this juncture that we are justified in broadening the exploration of the idea of God’s “oneness” and identity beyond the confines of the Book of Deuteronomy, and argue in favor of the idea that Deuteronomy built on past experiences of Israel. What better place to begin than an exegesis of Deut 6, because of the particularity of Deut 6,4?

32. F.M. CROSS, Canaanite Myth and Hebrew Epic (n. 26), p. 5, 293-300. 33. D.J. MCCARTHY, Institution and Narrative: Collected Essays (n. 11), p. 21-53. 34. D.J. MCCARTHY, Old Testament Covenant (n. 27), passim.

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A stark contrast is evident, when one compares Deut 6,4-9 with Deut 6,2025. The knowledge of God that will be available to Israel, from the implementation of the directives of Deut 6,6-9, renders useless the need for Israel’s children to ask the question in Deut 6,20. This contradiction is only resolved, should one consider Deut 6,4-9 as an addendum to the rest of Deut 6. This will explain the uniqueness of Deut 6,4, as well as the social and demographic context for the implementation of Deut 6,5-9. Importantly, the ancestry connection of Israel to its past, which is the argument of Deut 6,10 (When the Lord your God has brought you into the land that he swore to your ancestors, to Abraham, to Isaac, and to Jacob35, to give you – a land with fine, large cities that you did not build), plunges the roots of Israel’s covenantic attachment to its God beyond the Sinaitic Covenant, which Deut 5,1-5 evokes. This is an added proof that the God of Israel predated and is continuous with the God of the Decalogue. Particularly, the emphasis of Deut 6,4 is to reconcile the God of the Covenants of Israel with the Lawgiver God of Israel. At this juncture, it is safe to say that two kinds of laws are at stake here: 1) the laws emanating from the Sinaitic Decalogue (Deut 5) and the Law and promises (Deut 6) originating from God’s covenants with the ancestors of Israel, especially Abraham. And, when one reads the experience of the exile to Babylon into the necessity of the pronouncement of Deut 6,4, the logical conclusion will be to consider it (Deut 6,4) a revamp of the demands and conditions of the terms of Israel’s covenant with God, as a precondition for future blessings and the fulfillment of God’s Promises to Israel. Clearly, the language of Deuteronomy shows that the promises of God were far from having been fulfilled. 4. The Formula “The Lord our God, the Lord is One” (Deut 6,4) So far, what we have been able to demonstrate include the following: a) Deut 6,4 is a “New Law” which emphasizes monotheism in Israel; b) the contexts (macro and micro) of Deut 6,4 provide ample evidences that there isn’t a disconnect between the God of the Decalogue and the God of the ancestors of Israel; and, c) that the meaning of Deut 6,4 is to provide a summary for Israel’s belief. The final part of this Part I is to show the reasons for considering Deut 6,4 a formula.

35. Emphasis added.

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Summarily, there are five criteria36 for deciphering a formula: i) multiple attestation, ii) distinctive style, iii) introductory statement, iv) unique beginning, and v) rupture from its environment. Quite often, it is difficult to have all these elements present to make a case for a formula, but the greater the number of criteria found, the stronger the possibility for a formulaic form. Multiple Attestation To our mind, there is no known identical formulation to Deut 6,4 in the Bible. Having said that, Zech 14,9 (‫וּשׁ ֥מוֹ ֶא ָ ֽחד‬ ְ ‫הו֛ה ֶא ָ ֖חד‬ ָ ְ‫ )י‬and Is 45,5 provide analogous statements to that in Deut 6,4. Statements like “I am the Lord, and there is no other; besides me there is no god” (Is 45,5.6.14.18.21.22) come very close to that of Deut 6,4. The primary difference is the use of numeral “one” (‫)א ָחד‬, ֶ but the sense of exclusivity is present in the verses we have indicated earlier. Going by the arguments of experts on the divisions of the prophecy of Isaiah, Is 45 – Deutero-Isaiah or Second-Isaiah – encapsulates the hope of captive Israel for an imminent return to its homeland; the book of Zachariah belongs to the same exilic and post-exilic genre. If this opinion is correct, the need for a “New Law” and the promise of a new place of worship to be pointed out by God, which are echoed in Deut 6, will make Is 45, Zech 14,9 and Deut 6 contemporaneous. Which means that ideas expressed in them both have similar origins and contexts. Introductory Formula “Hear, O Israel” serves as the introductory formula to “the Lord our God, the Lord is one” (Deut 6,4). This introductory formula is in line with the formula which introduces legal statements in other parts of Deuteronomy. What is more important is the insinuation of this introductory formula that “the Lord our God, the Lord is one” is a legal statement. If this is accepted, it follows that our claim that Deut 6,4 postulates a “New Law”, which summaries the expected ethos of Israel in the Promised Land, makes sense.

36. A. AYENI, The Antithesis “Neither Jew nor Greek” in Galatians 3:28a. Its Context, Application, Meaning and Origin, Frankfurt, Lambert Akademikerverlag, 2012, p. 248, n. 510; ID., “Ni Judío ni Griego: Justificacíon de la fórmula en Gal. 3:28 y su Hermenéutica contextual”, AnáMnesis 25 (2015) no. 50, 41-64.

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Unique Vocabulary The qualification of God in numerical strength “Our Lord God is One”– ‫הו֥ה׀ ֶא ָ ֽחד‬ ָ ְ‫ֹלהינוּ י‬ ֖ ֵ ‫( ֱא‬Deut 6,4), is novel. “Our Lord God is One37” – ‫הו֥ה׀‬ ָ ְ‫ֹלהינוּ י‬ ֖ ֵ ‫ֱא‬ ‫( ֶא ָ ֽחד‬Deut 6,4) contrasts Israel’s One-God to other gods – ‫ֹלהים ֲא ֵח ִ ֑רים‬ ֣ ִ ‫ֱא‬ (Deut 6,14). For other gods, there was no effort to either name or number them. As a matter of fact, the “oneness” of the God of Israel is congruent to the “oneness” of the people of Israel. This conclusion is deducible from the claim that other nations have their gods – ‫ֹלהי ָ ֽה ַע ִ֔מּים‬ ֙ ֵ ‫ֹלהים ֲא ֵח ִ ֑רים ֵמ ֱא‬ ִ ‫ֱא‬ (Deut 6,14). Therefore, the God of Israel is One and different from those of other nations (‫ֹלהי ָ ֽה ַע ִ֔מּים‬ ֙ ֵ ‫)א‬. ֱ Rupture from its Environment From the outline of Deut 6 above (1.1 Contextual Exegesis of Deut 6: The Novelty of Monotheism in Israel), Deut 6,4-5 disrupts the flow of the chapter. We have shown that in a chapter whose major themes are “Law and Land”, we suddenly have the teaching on God’s “oneness” and the “love” required of this God. Also, from a claim that there are many laws and statutes commanded by God (Deut 6,1-3), the next verse (Deut 6,4) states that there is only one God requiring of human love. And, immediately after the requirement of “love of God” had been introduced, the logic of the chapter returns to the issues of “Law and Land.” Distinctive Style The criterion of “distinctive style” refers to poetic style of writing, instead of a prosaic style of writing, where the rhythm of a section is easily identifiable. This is normally the case with New Testament pericopes like Phil 2,611. However, the distinctive style of Deut 6,4-5 is arguable from the use of a preformed phrase “Hear oh Israel”, and the detailed analysis of the places where the law of “monotheism” is to be written and sustained. The style of writing there is germane to a distinctive style from the rest of its context. Preliminary Conclusion Deut 6,4 appears as a creed coined by deuteronomists as a formula to teach the essence of Israel’s monotheism, especially the meaning of God’s covenants with Abraham. This formula points Israel on the right path towards receiving the promises of God to them. Let us see how Paul uses this notion of God’s “oneness” in Gal 3,20. 37. My literal translation.

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II. THE ECHOS OF DEUT 6,4

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1. Paul and Monotheism: Creating a Space for Jesus? There are many instances, where Paul mentions and teaches the oneness of God38, a classic of which, semantically proximate to Deut 6,4 in Greek, is the statement of Gal 3,20 – “God is One” ὁ δὲ θεὸς εἷς ἐστιν. When put side by side, κύριος ὁ θεὸς ἡμῶν κύριος εἷς ἐστιν – “the Lord Our God, the Lord is One” (Deut 6,4) and ὁ δὲ θεὸς εἷς ἐστιν “God is One” (Gal 3,20), the essential similarity is both grammatical and lexical. Lexical similarities are the use of the verb “to be,” which is absent in the Hebrew of Deut 6,4, but present in the Septuagint as well as Gal 3,20, and the use of the numeral “one” – εἷς, which is present both in the Masoretic Text, Septuagint and Gal 3,20. In fact, Paul is arguably more precise in his description of the oneness of God in Gal 3,20 because he doubles or makes emphatic the sense of God’s oneness by contrasting it with the role of a mediator who represents someone else ὁ δὲ μεσίτης ἑνὸς οὐκ ἔστιν, ὁ δὲ θεὸς εἷς ἐστιν (Gal 3,20)39. The necessity to make both sentences distinctly by allotting to each a finite copulative verb (ἐστιν) alludes to their autonomy and independence. For the purposes of coherence and clarity, the macro and micro-contexts of Gal 3,20 need to be studied to bring out Paul’s meaning of “the Lord is One”, before we can distinctively ascertain his understanding of that statement. Although there are many approaches scholars use to delimit a text, thematic resonances will determine our delimitation of our text. Obviously, scholars are generally of the opinion that the letter to the Galatians deals with a crisis situation, the problem of the ethical imperative for Jews and nonJews, after the Christ event. Given the nomenclature (the δικαιόω verb and the substantive δίκαιος) Paul uses in Galatians, the crisis is popularly known as “justification by faith”. If we use the theme and term “justification” as guide, the macro-context of Gal 3,20 begins at Gal 2,15. Authors40 who use forensic rhetorical method will approve of our delimitation because it tallies with their second step in 38. 1 Cor 8,4.6; 1 Tim 2,5; Eph 4,6. 39. Roger Le Déaut says that there are two versions as to the giving of the Law on Mount Sinai: the direct giving of the Law by the mediation of angels (Alexandrian) and God’s giving of the Law directly in the presence of angels (Palestinian). See R. LE DÉAUT (trans.) – J. ROBERT (coll.) Targum du Pentateuque. Vol. IV: Deutéronome, Paris, Cerf, 1980, p. 284-285, n. 5; G. VERMES, “The Decalogue and the Minim” in M. BLACK – G. FOHRER (ed.), In Memoriam Paul Kahle, Berlin, Alfred Töpelmann, 1968, p. 239; G. FRIEDLANDER, Pirkê de Rabbi Eliezer, New York, Sepher – Hermon Press, 41981, p. 320, n. 3. 40. J.-N. ALETTI, Justification by Faith in the Letters of Saint Paul: Keys to Interpretation, Rome, Gregorian and Biblical Press, 2015, p. 43-117.

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rhetorical analysis – the propositio or the provision of theme or topic of contention in Galatians. If it is relatively easy to locate the beginning of our pericope, it is not the case with where it ends. Some authors opine that it concludes at Gal 3,29 (Gal 2,15–3,29), others prefer to extend it to Gal 4,7 (Gal 2,15–4,7). However, since the macro-context of Gal 3,20 is part of the question of justification, thanks to the role of Christ in human salvation, we will take the delimitation of our text to end at Gal 4,741. As our subtitle implies, we intend to investigate the relevance of Jesus and the salvation he procured for humanity, since the reality of Jesus Christ necessitated the discussion on justification by faith. It is our argument that the question of adoption of Christians as children of God, and the roles of Jesus and the Holy Spirit (Gal 3,1-6; 4,4-7) will be important to our investigation, hence, we added Gal 4,1-7 to the pericope under review. 2. The Exegesis of Gal 2,154,7: Jesus Christ and Paul’s Reconstruction of God’s Oneness Our exegesis of Gal 2,15–4,7 will necessarily be abridged because our fundamental focus is Gal 3,20. A comprehensive exegesis of Gal 2,15–4,7 is readily available in Commentaries on Galatians, for those who want to know more. For our purposes, we will now present a thematic outline of Gal 2,15– 4,742: A Introduction or Statement of the Problem: Justification, Christ Jesus and Holy Spirit (Gal 2,15–3,5) B Hypothesis: The Promise to and Blessing of Abraham versus faith (Gal 3,6-9) C Rationale: Justification by faith versus the Law (Gal 3,10-14) C’ Example: The Covenant with Abraham versus Human Laws (Gal 3,1518) B’ Thesis: Jesus Christ and the New Situation of Israel (Gal 3,19-25) A’ Conclusion or the Christian Reality: Baptism/Holy Spirit and Adoption in the Son of God (Gal 3,26–4,7)

The choice of a chiastic outline for our pericope is intentionally meant to draw attention to the correlation that exists among the different parts of our pericope beyond the rhetorical development of Paul’s argument that usually partitions Gal 2,15–4,7 into Propositio and Probatio. The interplay between A and A’ links two important micro-contexts together to argue that: 1) the 41. Ibid., p. 61-100. 42. For a different thematic outline, see M. GOURGUES, Ni homme ni femme: L’attitude du premier christianisme à l’égard de la femme. Évolutions et régressions, Paris – Montréal, Cerf – Médiaspaul, 2013, p. 49-55.

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coming of Christ (the “sending formula” [Gal 4,4])43 for human adoption (Gal 2,15-16; Gal 4,5) is strictly tied to Jesus’ crucifixion (Gal 2,19-21); 2) the Law that made adoption impossible prior to the coming of Christ Jesus (Gal 2,16; 3,21b), the Son of God (Christ Jesus [Gal 2,20; 4,4,6]) redeems the “subjects” of the Law and adopts them as children of God (Gal 4,7); 3) “Physical (φύσις) Jews,” that is the physical sign of circumcision which makes a Jew an adopted child of God is supplanted by the physical ritual of Baptism (Gal 3,26) to become children of God (Gal 3,28; 4,7); finally, 4) Paul enlarges the boarders of identity to include Jews, Greeks, Slaves, Free Persons, male and female (Gal 3,28). Let us make this condensed synopsis more explicit, because there is a huge presupposition made by Gal 2,16: the Christ spoken of, where does he come from and is he human or divine? Is the believe in Christ considered as a belief in a divinity or a human being? These two questions we have summarily explained, but subsequent micro-contexts will help to clarify further the status of Christ and the role he plays in Paul’s argument on justification. While the arguments of Gal 2,15-21 revolve around the first person plural “we” and the first person singular “I”, those of Gal 4,1-7 are built around the second person plural “you” and the second person singular “he” (Christ/ God). Statement of the Problem: What is the Difference Between Judaism and Christianity or the Link Between Justification and Christ Jesus? The practical line of demarcation between Palestinian Judaism and nascent Christianity provides the Galatian crisis of faith. Precisely, what are the elements of continuity and discontinuity between the two (Judaism and Christianity) given the fact that some members of the community at Galatia were both Jews and non-Jews? What adjustments are expected of Jews and Greeks vis-à-vis the experience44 of salvation in Jesus Christ? For Paul, the concept of “justification” explains the new reality, which he takes the pains to explicate in succeeding verses (Gal 2,15–3,5 and Gal 3,26–4,7). If the succinct summary arguments of Gal 2,15-16 is considered, the apostles of Jesus Christ, who were Jews, had already believed in Jesus Christ (“And we have come to believe in Christ Jesus” [Gal 2,16]) evidenced by the use of two aorist verbs – ἐπιστεύσαμεν and δικαιωθῶμεν. The fact that 43. E. SCHWEIZER, «Zum religionsgeschichtlichen Hintergrund der ‘Sendungsformel’: Gal 4,4f. Rm 8,3f. Joh 3,16f. 1 Joh 4,9”, ZNW 57 (1966) 199-210. 44. Paul mentions the phenomena of the gift of the Spirit and miracles as experiences of salvation or adoption, see Gal 3,1-6.

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Paul uses “we” (“we believed” and “we are justified”) means he includes himself among those, though Jews, who believed in Christ Jesus towards justification. By implication, there should be an existential difference between a Jew who believes in Christ Jesus and another who does not believe in Jesus. As far as Paul is concerned, the difference lies in the fact that the Law is no longer the basis for justification or rightness with God, but the new faith and believe in Christ Jesus. For Paul, the death of Christ brought this new reality to all and sundry – “for if justification comes through the law, then Christ died for nothing” (Gal 2,21). Evidently, Paul evokes the concept of “justification” because there was a definition of it which was extant among the Jews, in connection with Abraham’s faith (Gen 15,6), but which Paul provides a nuance to by introducing the Christ event. However, Paul concentrates on the impact of the Jewish person’s faith in the Christ event, first and foremost, before looking at its implication for non-Jews. So, Gal 2,15-21 centers on the new scenario the Christ Jesus event brings about in the lives of Christian Jews, and the ethical imperatives that should be operative among the Jews as a consequence. Simply put, the difference between Judaism and Christianity is the belief in Christ Jesus, which makes both Jews and non-Jews Christians. The faith of Abraham was a faith in God (Gen 15). Is the faith in Christ Jesus the same, that is, is Christ Jesus a God? For Paul, Jesus has a filial relationship to God because he calls him “Son of God”: “And the life I now live in the flesh I live by faith in the Son of God 45, who loved me and gave himself for me” (Gal 2,20). This nuance is signification because it gives a Christian dimension to Jewish monotheism. State of the Question (Gal 3,1-5; 3,26–4,7): The Presence of the Holy Spirit as a Sign of Justification/Christianity The mention of the duo - Holy Spirit and the Law, in the first section of chapter 3 (Gal 3,1-5), hides the concept of “covenant”. The laws and beliefs of Israel all sprang from covenants with God46, the justification of Abraham included. From God’s covenants with Abraham comes the Promise of descendants to Abraham (Gen 15–17). Seemingly for Paul, the confusion was that the Greeks or non-Jews and Jews, in Galatia, could not read the meaning aright of the phenomenon of the Holy Spirit working among them. Jewish 45. Emphasis added. 46. I subscribe to the intuitions of McCarthy against that of Perlitt, see D.J. MCCARTHY, Institution and Narrative (n. 11), p. 111-113.

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traditional teachings is partly to be blamed, at least, it taught them that it is via Abraham that one becomes a child of God through the covenant-ofpromise47 or circumcision. It becomes very apparent that the “laws” or “works of the law” (Gal 3,2.5) in question denote the regulations attached to circumcision by looking at Gal 5,1-5 – “Once again I testify to every man who lets himself be circumcised that he is obliged to obey the entire law” (Gal 5,3). This will be the situation of the Jews who did not believe in Jesus Christ, and the condition of humanity before the coming of Christ – “Now before faith came, we were imprisoned and guarded under the law until faith would be revealed” (Gal 3,23). For non-Jews and those Jews who believed in Jesus, like Paul, the old status quo was overtaken. Hear what Paul says, “You who want to be justified by the law have cut yourselves off from Christ; you have fallen away from grace” (Gal 5,4). The covenant and the observance of the Lord changed with the coming of Christ – “Listen! I, Paul, am telling you that if you let yourselves be circumcised, Christ will be of no benefit to you” (Gal 5,2). By implication, the “Spirit” (Gal 3,1-5) at work among the Jews is “the Spirit of his [God’s] Son” (Gal 4,6), given to the Galatians who believed, whether they be Jews or Greeks. This is the experience of adoption and justification. This new situation will necessitate that explain his conclusions, this he does in the relationship between (hypothesis and thesis) B and B’ (Gal 3,6-9 versus Gal 3,19-25). Those justified cut across every stratum of the society to include Jews, Greeks, slaves, free people, male and female (Gal 3,28). Furthermore, the borders of what it meant to be a descendant of Abraham had also been broadened (Gal 3,29). Christ Jesus, the Law and the Promise to Abraham Time is of the essence, when it comes to the relationship between B and B’ (Gal 3,6-9 versus Gal 3,19-25). The statement “until the offspring would come to whom the promise had been made” – ἄχρις οὗ ἔλθῃ τὸ σπέρμα ᾧ ἐπήγγελται (Gal 3,19) puts the covenant with Abraham in historical perspective. As a matter of fact, Paul was reading the Old Testament from the purview of the Christ event. The use of the aorist verb προϊδοῦσα (Gal 3,8), denoting an action which took place just one time in the past but with reverberating effects into the future, suggests a looking backwards from the present. Timely events or God’s interventions in human history determines 47. Paul does not evoke the “promise of a land” here, but focuses on circumcision.

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the purposes of God’s covenants, Paul argues. For instance, we have seen how decisive is the meaning of “But when the fullness of time had come” – ὅτε δὲ ἦλθεν τὸ πλήρωμα τοῦ χρόνου (Gal 4,4) as a game changer; in like manner, the coming of “the seed of Abraham” ushers in a new beginning or new understanding of God’s covenant with Abraham. Paul makes the intervention of God through the sending of Christ Jesus, Son of God, continuous with the activities of One-God and not multiple gods. The fact that Paul insists on the fact that God is one (Gal 3,20), which is part of the micro-context B’, underscores the note of unity and consistency in the actions of God. It follows that with the coming of Christ, metaphorically called “faith” in Gal 3,25, there was a new dawn and reality. Consequently, Gal 3,6-9 explains the status quo ante the coming of Christ, as a precondition for understanding what has happened through the coming of Christ. Paul explains a scenario prior to the covenant with Abraham and how Abraham himself was justified – the Law played no role in all that (Gal 3,69). The Christ event, according to Paul, makes possible justification without the requirements of the Law, but on the basis of faith, which was the case for Abraham48 – “those who believe are the descendants of Abraham” (Gal 3,7). He further explains that the medium for Abraham’s justification is what Scripture ordains for the descendants of Abraham – And the scripture, foreseeing that God would justify the Gentiles by faith, declared the gospel beforehand to Abraham, saying, “All the Gentiles shall be blessed in you” (Gal 3,8). Therefore, the reality Paul explains is the fulfillment of what was “promised” as medium of justification. The question of a mediator, in Gal 3,20, emphasizes the activities of OneGod in the contexts of two different kinds of law: covenantic law and sinaitic law, which are not at variance with each other.49 Paul makes this distinction 48. Philo of Alexandria considered Abraham as an adopted child of God in his commentary on Gen 18,17. See F.H. COLSON – G.H. WHITEHAKER (trans.), Philo, Cambridge MA, Harvard University Press, 1938, p. 233. 49. “In the wake of the study of Walter Zimmerli (1960), the significance of the Priestly concept of covenant is often seen in the fact that both the Noah and the Abraham covenants are unilaterally established by God and not contingent on any human condition or contribution. Additionally, both the Noah and the Abraham covenants are depicted as everlasting covenants. The priestly work thus presents a twofold covenant of grace. According to Zimmerli, the Priestly concept of Covenant is to be understood against the background of the exile. The experience of exile questioned the Sinaitic covenant, which is connected with the promulgation of the law. The exile revealed that the people did not follow the law as covenantal obligation. Thus, when the Priestly authors, in exile or postexilic times, wrote their redraft of Israel’s foundation history, they detached the covenant from Sinai, they transferred it to the primeval and the ancestors’ history, and they depicted it as a pure covenant of grace.” J. WÖHRLE, “Abraham

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between the two laws and their reconcilability when he evokes the chronological difference in the time they were given: “My point is this: the law, which came four hundred thirty years later, does not annul a covenant previously ratified by God, so as to nullify the promise” (Gal 3,17); and, Paul addresses the purposes for which they were put in place – “Why then the law? It was added because of transgressions, until the offspring would come to whom the promise had been made” (Gal 3,19). Justification by Faith and Human Legal Reasoning (Gal 3,10-18) The core of Paul’s argument, according to our chiastic outline, centers on the superiority of God’s plans over any contrived obstacles, especially when human beings themselves seem to fare better in their legal practices than the obstructions of religious beliefs to the realization of God’s plans. In this connection, Paul pits together the legal experience of his day and the Jewish law in order to demonstrate, in the phrase of Murphy-O’Connor, the “irrevocable will of God50” to justify humanity despite the Law, even though Paul considers the Jewish understanding of the Law as impinging on the fulfillment of God’s promise of justification very erroneous. A cogent way to construe the “Law” as obstructive to God’s design can be seen in the different observances required by the laws extant in Israel (Gal 3,10b). “The curse of law” has to yield to the superiority of “faith in Christ” (Gal 3,11). The personality of Christ and what he stands for changes the dynamics of justification. Moreover, human legal reasoning seemingly arrived at that conclusion before the Jewish faith, since an heir’s right to inheritance promised him was “irrevocable”. Here, Paul’s understands God’s covenant with Abraham as a “covenant-of-Promise” – the heirship of Christ. Christ as the seed or descendant of Abraham opens the way for the rise of a new family51 of God through Christ. Deeper still, and that is the underlining contention of Gal 3,20, is the oneness of God and the unitary purpose of his laws (cf. 2.1.4 above). Despite Christ, the monotheism of God is safeguarded and the importance of Christ in God’s project of justification is very well accentuated. amidst the Nations: The Priestly Concept if Covenant and the Persian Imerial Ideology”, in R.J. BAUTCH – G.N. KNOPPERS (ed.), Covenant in the Persian Period (n. 30), p. 23. For Wöhrle’s reference to Zimmerli, see n. 1. 50. J. MURPHY-O’CONNOR, “The Irrevocable Will (Gal 3:15)?”, RB 106 (1999) 224-235. 51. Wright prefers the term “family” to descendants, see: N.T. WRIGHT, The Climax of the Covenant: Christ and the Law in Pauline Theology, Minneapolis MN, Fortress, p. 157173.

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CONCLUSION In this concluding section, we want to summarize Paul’s application of Deut 6,4 in the context of Gal 3,20. We will do this by establishing tangential points between Deut 6,4 and Gal 3,20, as a proof that Paul had Deut 6,4 in mind as he applies “God is one” to his teaching on Justification. 1) The macro-context of Deut 6,4 shows, as we have argued in Part I, that there were two sources of law – sinaitic and covenantic. We argued that the covenantic aspect of the law is the interest and preoccupation of Deut 6,4. In this regard, Gal 3,20 is also faithful to the intuitions of Deut 6,4. Paul introduces the formula of God’s oneness to argue that Justification by faith is based on God’s covenant with Abraham and not with the requirements of the Decalogue. 2) Characteristic of covenantic law is the presence of “promise”. The contexts Deut 6,4 inscribes it into the ambiance of promises of inheritances of blessings of land and bounty. As for Gal 3,20, it was a promise of descendant and justification. Consequently, the areas of emphasis between Deut 6,4 and Gal 3,20 are different but they both agree on the importance of the law and promise, in relation to covenant. 3) In like manner to the experience of the exile to Babylon which made deuteronomistic authors to adduce the formula of God’s oneness, the experience of the Christ event and Paul’s personal experiences led him to develop his understanding of the fulfillment of God’s promise to give descendants to Abraham through the covenant with him. In other words, it was the event of the exile to Babylon that warranted the deuteronomistic reading of the terms of the covenant, and Paul is doing like because of the reality of the Christ event. 4) While we can call the formula of Deut 6,4 strict monotheism, Paul added nuances to that formula in the macro-context of Gal 3,20. The additions of Christ Jesus as the Son of God and the Holy Spirit as the “Spirit” of God’s Son all argue in favor of a nuanced monotheism in Christianity, when compared to the Jewish concept of monotheism52. 5) Surprisingly, Paul does not use Deut 6,4 as the summary of the commandments as it is the case with Mark’s gospel does53. Paul seems to have 52. Dunn calls this reality, a nuanced monotheism, “the parting of the ways between Christianity and Judaism”, see: J.D.G. DUNN, The Partings of the Ways Between Christianity and Judaism and Their Significance for the Character of Christianity, London, SCM, 22006, p. 301338. 53. Mk 12,29.

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been influenced by currents of ideas of inter-testamental period to reformulate the meaning of Deut 6,4. Few years ago, researches on Qumran54 have shown, as part of the anticipation of a Messiah, that there was a textual proof of a Messiah Son of God being awaited. This will confirm the Inter-Testamental and Neo-Testamental appellations of Jesus as Son of God and Son of Man55. We have attempted to show that there is a strong fidelity, mutatis mutandis, between Paul’s application of Deut 6,4 in Gal 3,20 and the exegesis of Deut 5–6. Martin Noth56 and Nicholas T. Wright57 have shown some aspects of the influences of Deuteronomy on Paul’s argument in Gal 3. Although our focus was on “monotheism” in both texts (Deut 6,4 and Gal 3,20), the proximity in ideas between Paul’s exegesis of Deut 6,4 and what contemporary Old Testament scholars now notice in the texts of Deuteronomy prove that Paul’s exegesis in Gal 3 is well made and founded. If there is any place where the argument on the formulaic nature and intent of Deut 6,4 is felt, it is its resonance in the theology of Paul, and Paul’s perpetuation of a hermeneutic reading of Deuteronomy, in general, and Deut 6,4, in particular, in his theology of justification. This fact favors some continuum between the scholarly ideas of Inter-Testamental times and the theology of Paul; meaning that Paul was dependent on a theology or exegesis that predated him, which may possibly not have filtered into the popular domain, but was there in scholarly circles. Ayodele AYENI C.S.Sp. Newman Theological College, Edmonton [email protected]

54. 4Q174. There is a dispute over the Phrase “Son of God” at 4Q246; see G. VERMES, The Dead Sea Scrolls, London, Folio Society, 2000. 55. For a rich bibliography of Old Testament texts, Pseudo-epigraphical writings, and Inter-Testamental sources, with a condensed argument for the New Testament appellations of Jesus as Messiah, Son of God, Son of Man, etc., see J.D.G. DUNN, The Partings of the Ways Between Christianity and Judaism (n. 52), p. 215-270. 56. M. NOTH, The Laws in the Pentateuch and Other Studies, Philadelphia PA, Fortress, 1966, p. 118-131. 57. N.T. WRIGHT, The Climax of the Covenant (n. 51), p. 140-141, n. 14.

DU MESSIE « MALÉDICTION » AU MESSIE BÉNÉDICTION POURQUOI PAUL CITE-T-IL DT 21,22-23 EN GA 3,13 ?

Malgré un consensus exégétique quasi général sur Ga 3,13, dans le sens d’une malédiction que le Messie (le Christ) Jésus aurait prise sur lui pour « nous » en affranchir, l’exégèse proposée ici suggère de lire le v. 13 comme un argument scripturaire de Paul démontrant aux Galates qu’ils ne doivent pas endosser la Loi. Car la prescription de la Loi en Dt 21,23 exclut que Jésus puisse être le Messie descendant d’Abraham qui portera la bénédiction promise à Abraham aux nations du monde. I. LE PARADOXE DU MESSIE MALÉDICTION PARCE EN GA 3,13

QUE

« PENDU AU

BOIS »

Qu’il soit permis à un collègue vétérotestamentaire d’offrir à Michel Gourgues, exégète de grande renommée du Nouveau Testament, la modeste étude d’un passage paulinien, célèbre pour sa difficulté. Ce qui m’encourage à faire cette incursion dans le champ de l’interprétation du Nouveau Testament, c’est l’apôtre Paul lui-même qui se réfère à une loi du Deutéronome, Dt 21,22-23. Sa citation est seulement partielle. Le contexte est celui d’une réflexion très dense sur le rapport entre la Loi révélée à Israël et la promesse de Dieu de bénir tous les peuples de la terre, c’est-à-dire l’humanité, en Abraham et en son descendant, le Christ ou Messie. La loi spécifique de Dt 21,2223 lue en elle-même peut sembler complètement étrangère à cette problématique de théologie scripturaire. Mais elle est centrale pour Paul dans son contexte de Ga 3. C’est pourquoi elle relève à la fois de l’interprétation de l’Ancien et du Nouveau Testament. La thématique générale de ces mélanges, rédigés en honneur de notre distingué collègue et de mon frère dans l’Ordre de Saint Dominique, n’exclut pas cette recherche sur le sens de la citation de Dt 21,22-23 en Ga 3,13, puisqu’elle traite de la promesse divine pour Abraham et sa réalisation en

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Jésus, son descendant promis, en faveur de l’humanité, c’est-à-dire effective jusqu’à la fin des temps. Abraham est le départ du salut des hommes et Jésus son point d’arrivée, en attendant l’achèvement eschatologique total. Ma contribution voudrait montrer que Paul ne cite pas Dt 21,22-23 pour montrer que le Messie crucifié aurait pris sur lui la malédiction en se substituant aux hommes tombés sous la malédiction, lui l’innocent à la place des coupables. En réalité cette citation est destinée à montrer que dans ce commandement particulier la Loi révélée à Israël entre en contradiction avec le mystère du salut divin, révélé à Abraham et dans la venue du Messie Jésus. Par conséquent cette Loi n’est pas absolue en toutes ses parties.

II. LA LOI DE DT 21,22-23 La disposition de Dt 21,22-23 s’exprime en forme « casuistique » et procède en trois temps. Cette structure est identique dans le texte massorétique (TM) et dans celui de la Septante (LXX). Le législateur commence par exposer le « cas », introduit par la conjonction conditionnelle ou temporelle : « et si » ou « et lorsque » (Dt 21,22). Ensuite il promulgue la conséquence que le cas doit entraîner de la part du destinataire de la loi, Israël (v. 23a première partie). En troisième lieu, la raison de la loi est expliquée, dans une phrase qui s’ouvre par la conjonction causale « car, parce que ». Voici donc la teneur de la loi selon le TM : V. 22 (le cas) : Et s’il se trouve chez un homme un péché (ou un délit) qui mérite la condamnation à mort et qu’il est mis à mort, et que tu le pends à un arbre (ou à un bois), V. 23a première partie (la conséquence) : son cadavre ne passera pas la nuit sur l’arbre (ou sur le bois) mais tu l’enseveliras le jour même, V. 23a deuxième partie - v. 23b (la raison de la loi) : car le pendu est une malédiction de Dieu, et tu ne souilleras pas ta terre, celle que Yhwh te donne comme patrimoine1.

Le texte de la LXX diffère du TM en plusieurs points de formulation sans changer la disposition de la loi. Il n’est pas nécessaire de discuter ces différences pour notre propos2. 1. Cette loi est expliquée à la lumière des recherches récentes dans E. OTTO, Deuteronomium 12,1–33,15 (HTKAT), Freiburg – Basel – Wien, Herder, 2016, p. 1623, 1659-1661. Qu’il me soit permis de renvoyer à ce commentaire récent et très complet pour l’histoire de l’interprétation sans ajouter d’autres commentaires. 2. Voir le commentaire textuel de C. MCCARTHY, Deuteronomy (BHQ), Stuttgart, Deutsche Bibelgesellschaft, 2007.

POURQUOI PAUL CITE-T-IL DT 21,22-23 EN GA 3,13 ?

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Interprétons le cas, la conséquence et la motivation. Le cas : le législateur ne définit pas le délit. Ce n’est pas une loi pénale qui fixe la peine d’un délit. Elle veut préciser seulement l’application d’une peine spécifique (qui frappe peut-être plusieurs délits), celle de la pendaison du délinquant. Celle-ci est la condamnation à mort par pendaison, ou plutôt mise à mort du délinquant avec exposition de son cadavre par pendaison. La formulation laisse ouvertes les deux interprétations3. Il faut supposer que l’auteur et les lecteurs originels savaient par tradition juridique ce qui était à faire. La pendaison du cadavre était infamante (cf. 1 S 31,10-13). Elle exposait le condamné à la vue de tous. De plus, elle privait le condamné de la sépulture et en faisait la proie de vautours et d’autres bêtes (cf. 2 S 21,1-14). Cela signifiait l’anéantissement total car les morts reposant dans la tombe survivaient dans leurs ossements (cf. Am 2,1). Le délit est appelé « péché », ‫ח ָטא‬, ָ LXX ἁμαρτία. Ce terme suggère peutêtre que le méfait implique une offense touchant directement Dieu. Le terme « malédiction de Dieu », appliqué au criminel mort au v. 23, pourrait corroborer cette possibilité. La conséquence : La loi ne légifère ni sur le crime ni sur l’auteur de celui-ci. Il statue exclusivement sur la pendaison qui qualifie ici la peine de mort. Elle aggrave celle-ci. Le législateur veut limiter la durée de cette deuxième partie de la peine en une prescription négative : le mort ne doit pas rester pendu durant la nuit qui suit l’exécution, et par une prescription positive : le jour même de la mise à mort il doit être enterré. La motivation : comme la conséquence de la loi sa motivation consiste également en une raison positive et négative. La raison positive : « le pendu est une malédiction de Dieu » selon le TM, « le pendu est maudit par Dieu » dans la LXX, tandis que la raison négative est l’impureté de la terre : « et tu ne rendras pas impure ta terre, celle que Yhwh te donne comme patrimoine ». La première raison va être citée par Paul en Ga 3,13, sous une forme qui ne coïncide ni avec celle du TM ni avec celle de la LXX dont elle est 3. Les commentaires de Gal 3,19 voient souvent une difficulté dans la citation de Paul parce que la pendaison d’un mort ne correspond pas à la crucifixion de Jésus, par. ex. A.M. BUSCEMI, Lettera ai Galati. Commentario esegetico, Jerusalem, Terra Santa, 2004, p. 291-292, qui renvoie à la discussion dans la littérature rabbinique et dans la recherche moderne. Il note à juste titre que Paul ne s’intéresse pas à la possibilité de deux interprétations de la loi. Il note également que deux textes de Qumran, le Rouleau du temple 64,6-13 ; 4QpNah I,7-8 semblent interpréter la pendaison de Dt 21,22-23 dans le sens de la mise à mort. Ici je ne citerai que quelques commentaires anciens et récents de l’épître aux Galates, de préférence en langues autres que l’anglais, sans viser à l’exhaustivité bibliographique. J’espère néanmoins donner une vision représentative de la recherche pour les points examinés spécifiquement dans cette contribution.

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cependant plus proche. Cette raison explique qu’un criminel pendu est une malédiction de Dieu ou – selon la LXX et Paul – est maudit. La malédiction est malheur et destruction, comme son contraire, la bénédiction est bonheur et plénitude de biens. Pourquoi « malédiction de Dieu » puisque, selon le Deutéronome, Dt 28, toute bénédiction et malédiction viennent de Dieu ? La pendaison d’un mort est plus qu’une humiliation infamante post mortem, c’est surtout la privation de la sépulture. 2 S 21,1-14 le montre. C’est un acte impie, un péché grave (cf. Am 2,1). Ici, Dieu autorise explicitement l’application de cette peine-malédiction, mais de manière rigoureusement limitée. Il me semble que ce soit là le sens de l’expression. La deuxième motivation de la loi fait valoir l’impureté inhérente à un cadavre suspendu en public. Il va se décomposer. C’est la cause de l’impureté qui affecte tout ce qui est mort. Puisque rien d’impur ne doit entrer en contact avec Dieu, qui habite au milieu de son peuple dans sa terre, il faut mettre immédiatement fin à la présence de toute source d’impureté dans le pays. En conclusion, le législateur de la disposition de Dt 21,22-23 veut protéger les Israélites et leur terre de la catastrophe d’une malédiction qu’éveillerait la présence publique prolongée d’un criminel, mis à mort et pendu à cause d’un méfait grave. L’hypothèse est tentante : l’intention du législateur en Dt 21,2223 serait d’abolir la peine la plus cruelle d’une pendaison à durée indéfinie en vue de priver le délinquant de sa vie sur terre et de sa survie dans la tombe, une peine qui semble être présupposée en 2 S 21,1-14. Dt 21,22-23 ne supprime pas complètement cette peine mais en écarte l’anéantissement définitif de la personne, probablement pour des raisons d’humanité (cf. Am 2,1).

III. LE

CONTEXTE DE

DT 21,23

CITÉ EN

GA 3,13

Paul cite une partie de la loi de Dt 21,21-23 dans la section de Ga 3,118. Celle-ci explique la place de la loi divine donnée à Israël dans son rapport à la promesse de Dieu donnée à Abraham en faveur des nations de la terre, c’est-à-dire de l’humanité. Ce rapport bien compris fera voir aux Galates qu’ils n’ont pas besoin de pratiquer toute la loi donnée à Israël. Elle n’est pas nécessaire pour parvenir au salut que Dieu veut accorder à toute l’humanité, Juifs et Non-Juifs, en Abraham et en son descendant, le Messie Jésus (Ga 3,16.26-29). Le terme de salut, employé ici, ne figure pas en Ga 3. Mais il est évoqué par six expressions équivalentes : bénédiction, v. 8 et 14, justice, v. 6,11,21 et 24, vie, v. 11 et 12 et encore 21, patrimoine, v. 18 et 29, être fils de

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POURQUOI PAUL CITE-T-IL DT 21,22-23 EN GA 3,13 ?

Dieu, v. 26 et Esprit de Dieu, v. 2,3,5 et 14. Le don de l’Esprit est le signe du salut et de la justice donnés dèjà maintenant aux Galates qui sont venus à la foi en Jésus Messie avant toute pratique de la loi. Ainsi peuvent-ils, et devraient-ils, comprendre que les biens divins de la bénédiction, de la justice, de la vie, du patrimoine, de l’adoption filiale et de l’Esprit leur sont venus parce qu’ils ont cru d’avoir reçu ces dons en Abraham et en son descendant, le Messie Jésus selon les promesses de Dieu. Si la pratique de la loi n’est pas nécessaire pour participer aux bénédictions de Dieu il est indispensable d’accueillir les promesses de Dieu placées sur Abraham et le Messie Jésus. Or, on les accueille en y croyant, c’est-à-dire en les acceptant comme vraies. Voilà pourquoi la foi en les promesses de Dieu l’emporte sur la pratique de la loi. Paul fonde la prééminence de la foi sur deux raisons. La première part du constat qu’une pratique parfaite de la loi n’est pas possible (Ga 3,11). La deuxième est précisément l’argument scripturaire de Dt 21,23 : « un homme pendu au bois est maudit par Dieu ». Ce commandement qui fait partie de la loi est l’exemple qui montre une limite de la loi vis-à-vis de la foi en le Messie Jésus.

IV. LA PORTÉE

DE L’ARGUMENT SCRIPTURAIRE DE

DT 21,23

EN

GA 3,13

Paul fait allusion à la disposition de Dt 21,22-23 par une citation partielle afin de montrer que la pratique de la loi sur ce point en fait exclurait le Messie Jésus source de la bénédiction divine, en qui les Galates croient avec Paul. En effet, en tant que pendu au bois de la croix il est malédiction alors que, en réalité, il est celui en qui seront bénies toutes les nations, selon les promesses de Dieu. Une contradiction s’ouvre entre la loi donnée à Israël et la crucifixion du Messie Jésus. Vu dans la perspective de la loi en effet le Messie crucifié est maudit (selon LXX) ou une malédiction de Dieu (selon TM). En revanche, vu dans la perspective de la foi en les promesses de Dieu pour Abraham et pour son descendant, le Messie Jésus accomplit ces promesses et apporte les bénédictions à l’humanité. Car l’accomplissement des promesses par la crucifixion du Messie n’est pas annoncé dans la Loi. Il relève du mystère qui est le projet divin inaccessible à l’homme (1 Co 2,1-10), et qui s’est révélé avec la venue du Messie Jésus. La loi exclut plutôt un Messie crucifié précisément à cause de sa disposition de Dt 21,22-23. Paul en conclut que la loi, prise comme un absolu, fermerait l’accès à la foi en Jésus Messie crucifié.

100

A. SCHENKER

En conclusion Paul cite cette loi par mode allusif afin d’en montrer l’incompatibilité partielle avec la foi des nations (et des Juifs !) en Abraham et en son descendant, le Messie crucifié qui leur apportent la bénédiction de Dieu. C’est pourquoi il commence le v. 13 en disant : « le Messie nous a rachetés de la Loi ». Le commandement concret de Dt 21,22-23 montre que la loi n’est pas entièrement en adéquation avec le projet divin de la bénédiction des nations puisque celui-ci prévoit pour le réaliser un Messie « pendu au bois ».

V. « POUR NOUS »

EN

GA 3,13

Lorsqu’on comprend ainsi la fonction de l’allusion de Paul à Dt, en Ga 3,13 la préposition « pour » dans la tournure « devenu malédiction pour nous », ὑπὲρ ἡμῶν n’a pas le sens « à notre place », mais « en faveur de nous, dans notre intérêt, pour notre bien4 ». Elle n’exprime pas l’idée de substitution, mais d’utilité. Le Messie ne prend pas sur lui notre malédiction pour la porter à notre place. Il devient malédiction pour nous rendre un grand service. Comme ce n’est pas l’interprétation courante et majoritaire5, il faut la fonder par deux raisons, une d’ordre générale, l’autre spécifique pour Ga 3. En effet, il faut d’abord constater de façon générale que le remplacement des coupables par un innocent dans le châtiment est chose injuste. L’impunité d’un coupable échangée contre la peine imposée à un innocent ne rétablit d’aucune manière la justice. Au contraire elle aboutit à deux injustices : l’impunité de celui qui mérite une sanction et la peine infligée à celui qui ne l’a pas méritée. Ce sentiment de justice violée par la substitution dans la peine la Bible elle-même l’exprime dans des passages comme Ex 32,32-33 et Gn 18,25. Ce n’est donc pas seulement contraire au sens de justice moderne, mais c’est déjà celui de la Bible elle-même6. 4. M.-J. LAGRANGE, Saint Paul Épître aux Galates (EBib), Paris, Lecoffre, 1918, p. 71 ; T. ZAHN, Der Brief des Apostels Paulus an die Galater (Kommentar zum N.T., 9), Leipzig, A. Deichert, 21922, p. 157 ; H. SCHLIER, Der Brief an die Galater (KEK, 7), Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 1949 (31965), p. 138 ; A.M. BUSCEMI, Lettera ai Galati (n. 3), p. 289. 5. L’interprétation de Lagrange, Schlier et Buscemi (n. 4) est caractéristique à cet égard : après avoir déterminé le sens de « en faveur, pour l’utilité », ils ajoutent que la signification « à la place, en substitution » y est aussi présente, si bien qu’il faut y voir les deux sens à la fois puisqu’ils interprètent le v. 13 au sens de la substitution. 6. A. SCHENKER, Knecht und Lamm Gottes (Jesaja 53). Übernahme von Schuld im Horizont der Gottesknechtlieder (Stuttgarter Bibelstudien, 190), Stuttgart, Katholisches Bibelwerk, 2002 ; ID., Douceur de Dieu et violence des hommes. Le quatrième chant du serviteur de Dieu (Connaître la Bible, 29), Bruxelles, Lumen Vitae, 2002.

POURQUOI PAUL CITE-T-IL DT 21,22-23 EN GA 3,13 ?

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La substitution peut être juste dans le domaine de la responsabilité pour un dommage causé. Là un tiers peut assumer la réparation ou la compensation du dommage à la place de celui qui en porte la responsabilité. En revanche, dans le domaine pénal où il y a faute morale une tierce personne ne peut pas se mettre à la place du fautif parce que celui-ci fait le mal volontairement. Ce mal-là entraîne ainsi un double devoir de la réparation et de la peine. Car une telle faute peut être effacée de manière juste seulement par le juste châtiment ou par un pardon accordé sous certaines conditions. Mais le déplacement de la faute et de son juste châtiment sur un innocent ne crée pas la justice. Même dans le cas où l’innocent se soumettrait volontairement à la peine pour l’épargner au coupable par amour, à la manière d’un otage volontaire il n’y aurait pas une juste réparation du mal commis. Un tel acte d’amour aurait certes une grande valeur en lui-même mais il ne réparerait pas la justice blessée. En effet, la générosité de l’otage volontaire ne dispenserait pas le fautif du devoir d’apporter lui-même une compensation en lieu et place de la peine qui lui aura été épargnée. Seule cette juste compensation guérirait la justice violée par la faute. En conclusion, la malédiction, châtiment pour les fautes commises contre la loi divine (Lv 26 ; Dt 28), placée sur le Messie innocent, serait elle-même une injustice. En outre, Paul ne peut pas avoir voulu dire en Ga 3 que le Messie a porté la malédiction « pour nous » au sens de « en notre place ». En effet, la malédiction de la loi ne pouvait pas tomber sur l’humanité parce que cette loi ne lui était pas destinée. Elle était promulguée pour Israël. Les nations de la terre ne pouvaient donc pas encourir la malédiction en punition de transgressions de la loi. La tournure « pour nous » comprise au sens de la substitution « à notre place » impliquerait par conséquent que Paul parlerait des Juifs 7. Cependant aux v. 13 et 14 où Paul emploie le verbe à la première personne du pluriel, qui correspond au pronom « nous », il ne se réfère pas seulement aux Juifs, dont il fait partie lui, mais aussi aux Galates, qui appartiennent aux nations. C’est particulièrement évident au v. 14 où le « nous » comprend aussi ceux qui viennent des nations et reçoivent l’Esprit et la bénédiction promise à Abraham pour les nations qui croient au Messie Jésus. Puisque l’expression « pour nous » du v. 13 ne peut donc pas signifier « à notre place » au sens de la substitution elle doit signifier « en faveur de 7. C’est la raison pour laquelle beaucoup de commentateurs interprètent le « nous » du v. 13 des Juifs, par ex. M.-J. LAGRANGE, Saint Paul Épître aux Galates (n. 4), p. 71 ; T. ZAHN, Der Brief des Apostels Paulus an die Galater (n. 4), p. 157 ; J.-P. LEMONON, L’épitre aux Galates (CbNT, 9), Paris, Cerf, 2008, p. 122 ; B. CORSANI, Lettera ai Galati, Genova, Marietti, 1990, p. 209-210 résument la discussion dans la recherche et montrent que l’interprétation au sens des Juifs et des nations est la plus probable.

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A. SCHENKER

nous, pour notre bien ». Le Messie est « devenu » malédiction par sa mise à mort avec pendaison, et non parce qu’il l’aurait ôtée de « nos » épaules et prise sur les siennes. Il a porté l’infamie de la pendaison pour notre bien. Il s’est humilié pour nous élever, appauvri pour nous enrichir, selon la parole de 2 Co 8,9. La malédiction assumée par le Messie crucifié est le signe de l’abaissement librement voulu et porté8. En conclusion, Paul signifie par son expression « pour nous » ce que le Messie Jésus a fait pour notre bien, comme il dit « pour moi », ὑπὲρ ἐμοῦ, dans le sens « pour mon bien » en Ga 2,20. La citation allusive de Dt 21,2223 en Ga 3,13 est d’ailleurs préparée dès le début, Ga 3,1 : « devant vos yeux était écrit [pour ainsi dire placardé] Jésus, Messie crucifié ». « Crucifié » implique la pendaison au bois. Ce Messie-là leur avait été montré. En lui ils ont cru, et avec lui la loi de Dt 21,22-23 entre en violente collision. Car cette loi ne semble-t-elle pas exclure que Jésus, Messie crucifié, puisse être le Messie appelé à apporter la bénédiction promise aux nations ? Le verbe « racheter », ἐξαγοράζειν, au v. 13 pourrait cependant donner l’impression, dans un premier moment, qu’il s’agirait de substitution : le Messie « nous » a rachetés en effet de la malédiction qui pesait sur « nous », donc sur Paul et les Galates, et qui serait passée sur lui, le Messie9. Mais le verbe ἐξαγοράζειν peut signifier simplement racheter un bien aliéné ou une personne privée de liberté, que cette aliénation ou privation soit intervenue dans le passé ou qu’elle soit une menace pour ceux qui veulent prendre sur eux l’asservissement à la Loi, comme les Galates. Ainsi le verset veut dire écarter l’aliénation présente ou à venir moyennant le versement d’un prix. 8. T. ZAHN, Der Brief des Apostels Paulus an die Galater (n. 4), p. 157, souligne que, selon Paul, le Messie n’est pas identifié à la malédiction mais considéré comme maudit ou malédiction puisqu’il a accepté l’infamie d’être crucifié comme s’il avait été un criminel. Mais la grande majorité des commentaires interprète dans le sens de la substitution. 9. Tout récemment N.T. WRIGHT, Paul and the Faithfulness of God, Londres, Fortress, 2006, p. 865-867, avec véhémence et ironie, rejette l’interprétation ici proposée. Son argument repose sur l’idée de substitution : le Messie représente et prend la place d’Israël sur lequel « la Torah a imposé nécessairement et à juste titre une malédiction […] que le Messie a supprimée (dealt with) par sa propre mort » (p. 867). C’est pourquoi Wright interprète le « nous » de 3,13 comme référant à Israël, ce qui n’est pas probable à cause du « nous » continué par le verbe au v. 14 qui réfère clairement aux Juifs et aux Non-Juifs. En outre, vouloir trouver l’idée de substitution dans la Bible est problématique. On l’a montré. Gal 2,20 peut être compris parfaitement sans l’idée de substitution. Car être identifié au Messie, Gal 2,19-20, n’implique pas que le Messie se serait substitué à Paul. Il ne s’agit pas de nier que le Messie assume la malédiction de la Loi mais de comprendre ce que Paul veut dire par là (N.T. WRIGHT, p. 865 : « our task is to discern Paul’s original meaning »). – Ici Paul veut montrer que la Loi peut empêcher la foi dans le Messie Jésus mort suspendu au bois de la croix. Mais Paul lui-même, et de nombreux passages bibliques, expliquent que le Messie a voulu s’abaisser sous cette malédiction-là. C’est l’humilité du déshonneur qui justifie l’expression de Ga 3,13, non l’échange de cette malédiction entre les hommes et le Messie.

POURQUOI PAUL CITE-T-IL DT 21,22-23 EN GA 3,13 ?

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Le sens du pronom « nous », Juifs et Non-Juifs, dans le contexte de Ga 3,1314 suggère pour le verbe « racheter » cette signification ouverte sur l’affranchissement de l’esclavage de la Loi effectif ou désiré. CONCLUSION L’interprétation proposée ici peut se résumer dans les six points suivants : Premièrement, le contexte de Ga 3,6-18 est l’explication de Paul pourquoi les Galates qui croient au Messie (Christ) Jésus ne doivent pas vouloir pratiquer la Loi que suivent les Juifs. Deuxièmement, la raison en est que cette Loi ne peut procurer ni aux Juifs ni aux nations la bénédiction que Dieu a promise à Abraham et à son descendant, le Messie Jésus. Troisièmement, la preuve de cette incapacité de la Loi, c’est qu’elle déclare maudit un homme condamné et suspendu au bois. Or, le Messie Jésus accomplit la promesse de bénédiction universelle de Dieu en mourant sur le bois de la croix. Ainsi est-il maudit selon la Loi. Mais il est impossible que celui qui est source de la bénédiction soit maudit en même temps. Il est donc évident que la déclaration de la Loi concernant l’homme condamné et suspendu au bois n’est pas vraie dans le cas du Messie Jésus crucifié. Ici la Loi passe à côté de l’œuvre de Dieu qui veut bénir toute l’humanité en Abraham et en le Messie Jésus, mort sur la croix. Quatrièmement, il n’est pas possible de contourner la difficulté en comprenant Paul dans le sens d’un échange : le Messie Jésus apporterait la bénédiction à l’humanité en se chargeant de la malédiction de celle-ci. À part la théologie biblique vétérotestamentaire qui exclut l’idée de substitution dans le châtiment, le pronom « [il est devenu] malédiction de la Loi pour nous » exclut également cette interprétation. En effet, dans ce « nous » l’apôtre inclut Juifs (parmi eux Paul lui-même), nations non juives (parmi elles les Galates à qui la lettre s’adresse). Or, les nations non juives ne sont pas sous la malédiction de la Loi. Par conséquent il n’existait pas de malédiction sur les nations que le Messie aurait pu prendre sur lui. C’est pourquoi « pour nous » veut dire « pour notre bien » et le « devenir malédiction » signifie que le Messie Jésus est devenu malédiction au sens de la Loi : comme condamné suspendu au bois. Cet abaissement le Messie l’a pris librement sur lui, au sens de Ph 2,6-10. Mais il n’y a ni substitution ni représentation du Messie pour les « nous10 ». 10. Il est remarquable que l’exégèse ancienne n’interprète jamais la malédiction du Messie de Ga 3,13 au sens de substitution ou de représentation, mais toujours au sens de l’abjection

104

A. SCHENKER

Cinquièmement, la confession de foi dans le Messie « rédempteur » en Ga 3,13a : « le Messie Jésus nous a rachetés / libérés de la malédiction de la Loi » signifie : il nous a affranchi nous, les Juifs, et nous les nations, car d’une part les Juifs ne doivent plus craindre la malédiction de la Loi parce qu’ils ne l’ont pas parfaitement accomplie, et d’autre part les nations ne doivent pas désirer suivre la Loi pour s’exposer ainsi à la malédiction frappant les transgressions de celle-ci. Les nations seront quittes de la malédiction liée à la Loi puisqu’elles ne l’auront pas adoptée tandis que pour les Juifs la malédiction est levée par la foi au Messie qui apporte la bénédiction de Dieu promise à leur père Abraham. Sixièmement, après avoir montré ainsi que la Loi ferme par Dt 21,23 l’accès à la foi au Messie Jésus, simultanément accomplissant la bénédiction de Dieu pour Abraham et mourant suspendu sur le bois de la croix, Paul peut conclure au caractère relatif de la Loi et à l’accès à la bénédiction universelle de Dieu, grâce à la foi aux promesses de Dieu et à leur accomplissement en Jésus Messie. Adrian SCHENKER, o.p. Université de Fribourg CH [email protected]

volontairement assumée, ainsi St. JUSTIN, Dialogue avec Tryphon, 32,1 ; 89,2 ; 90,1 ; 94,5 ; 95,1 ; 111,2, où Justin explique à l’aide d’Is 53 et de Ps 21(22) que l’humiliation fait partie de la mission du Christ selon les prophètes ; l’éditeur Ph. BOBICHON, Justin Martyr. Le dialogue avec Tryphon (Paradosis, 471/2), Fribourg, Academic Press – Éd. Saint-Paul, 2003, tome 2, p. 669, note que Justin évoque la malédiction systématiquement en lien avec la Loi. La fréquente mention de la malédiction et du déshonneur du Messie dans le Dialogue reflète la discussion vive entre Juifs et chrétiens, les uns rejetant un Messie maudit et déshonoré, les autres cherchant à montrer qu’il devait l’être. St. Jérôme consacre à Gal 3,13 un véritable petit traité d’exégèse et de théologie biblique : D. VALLARSI, S. Hieronymi comm. In epistolam ad Galatas, II,3, S. Hieronymi Opera, tome 7, Verona, 1727, cc. 434-438, spécialement c. 438 : les multiples abaissements volontaires du Messie évoqués dans l’Écriture Sainte, et parmi eux l’acceptation de la malédiction de Gal 3,13, élèvent ceux qui croient en lui et leur donnent accès aux bénédictions d’Abraham et au don du Saint-Esprit. St. AUGUSTIN D’HIPPONE, Epistolae ad Galatas expositio, PL 35, cc. 2119-2122 : la mort est le châtiment du péché du premier homme, Gn 3, et le Christ a aussi voulu prendre sur lui cette peine en devenant librement un homme mortel, mort sur la croix. Le Messie partagea ainsi librement la condition mortelle de l’humanité. St. THOMAS D’AQUIN, Super epistolam ad Galatas, cap. III, lectio V : Jésus est maudit aux yeux des Juifs qui le voyant suspendu à la croix, le tenaient pour un pécheur, et il peut également être appelé maudit parce qu’il a volontairement accepté de partager la peine et la mort des hommes. Mais jamais ces auteurs conçoivent la malédiction du Messie comme un échange par lequel il aurait ôté la malédiction des hommes pour s’en charger à leur place.

HOMME ET FEMME CHEZ PAUL DE GA 3,28 À 1 CO : RÉGRESSION, STATU QUO OU PROGRESSION ?

Il est encore difficile de mesurer toute l’ampleur de l’apport de Michel Gourgues, tant dans ses publications que dans ses cours, sur une multitude de thèmes et de livres du Nouveau Testament. Comme le titre l’indique, cette modeste contribution touchera à deux de ses domaines d’expertise : les formulaires pré-pauliniens et l’attitude du premier christianisme envers la femme. Grand jardinier devant l’Éternel, Michel Gourgues a défriché, bêché et fleuri ces « domaines » avec autant de soin que ses plates-bandes. Quel meilleur hommage à lui rendre que d’explorer un coin de ce jardin, tant pour l’admirer et apprécier le travail accompli que pour tenter d’y débusquer quelque fleur cachée ou, qui sait, une mauvaise herbe oubliée ? Ce texte s’esquisse donc à partir des apports majeurs de Michel Gourgues1 sur les passages des deux œuvres authentiques de Paul2 faisant référence aux rapports hommes-femmes, soit l’Épître aux Galates (en 3,28) et la première Épître aux Corinthiens (aux ch. 7, 11 et 14). Je m’inspirerai donc surtout de Michel Gourgues avec tout au plus quelques allusions à un petit nombre d’autres auteurs. Considérant son exégèse rigoureuse comme un acquis qu’il est inutile de répéter, je me servirai surtout de ses conclusions pour lancer quelques questions et réflexions3. S’il m’arrive de me démarquer à l’occasion de Michel 1. M. GOURGUES, « Ni homme ni femme ». L’attitude du premier christianisme à l’égard de la femme. Évolutions et régressions, Paris – Montréal, Cerf – Mediaspaul, 2013 ; « «Ni juif ni grec, ni esclave ni libre, ni mâle et femelle» (Ga 3,28) : sur une contribution de la première génération chrétienne à une affirmation des droits humains », Science et Esprit 69 (2017) 241262 ; ID, « Qui est misogyne : Paul ou certains Corinthiens ? Notes sur 1 Co 14, 33b-36 », in J.-P. PRÉVOST (ed.), Des femmes aussi faisaient route avec lui, Montréal, Mediaspaul, 1995, p. 153-162. 2. C’est-à-dire reconnues unanimement comme telles : Rm, 1 Co, 2 Co, Ga, Ph, Phm. Je ne m’attarderai pas à Col que certains (comme par exemple J. Murphy-O’Connor) considèrent authentique. 3. Ce choix, vu le cadre restreint de ce texte, ne lui rendra pas justice. Je le regrette et ne peux que renvoyer le lecteur aux œuvres de Gourgues qui m’a beaucoup inspirée, et pas seulement dans les citations explicites. Cela dit, je ne prétends aucunement l’avoir lu ou compris correctement.

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A. CALDWELL

Gourgues, il ne faudra pas s’en étonner. Ce serait un bien piètre tribut à rendre à celui qui fut et reste mon maître que de me contenter de le répéter. L’objectif de cette contribution est de déterminer si la position de Paul envers la femme – surtout par rapport à l’homme – telle qu’exprimée dans la première Épître aux Corinthiens, manifeste une régression, un statu quo ou encore une progression par rapport à la proclamation de Ga 3,28 considérée comme un formulaire baptismal primitif par Michel Gourgues avec un grand nombre d’exégètes4. En concluant son examen des passages de 1 Co faisant référence à la femme, Michel Gourgues écrit : Comme on le voit, dans cette lettre, Paul s’inscrit dans la ligne de la tradition antérieure et reste conséquent avec la proclamation fondamentale selon laquelle « il n’y a ni homme ni femme ». Sa contribution consiste à préciser le visage de cette égalité dans deux domaines de la vie croyante : la vie conjugale et la prière communautaire5.

Cette affirmation implique 1) que le formulaire primitif cité en Ga 3,28 constitue une sorte de sommet, du moins pour l’époque, exprimant l’égalité de la femme par rapport à l’homme ; 2) que Paul, dans la première Épître aux Corinthiens, se situe dans la ligne de cette affirmation d’égalité, en précisant certaines modalités. Selon Michel Gourgues, en 1 Co, Paul maintiendrait en quelque sorte le statu quo par rapport à l’affirmation primitive qu’il a insérée dans l’Épître aux Galates. Dans un premier temps, nous examinerons brièvement Ga 3,28, son sens et sa portée. Puis, nous lirons la première Épître aux Corinthiens à l’affût de versets qui pourraient aller moins loin, faire du « sur place » ou effectuer un bond en avant par rapport au sens de Ga 3,28 qu’aura précisé notre brève exploration. I. LA POSITION DE PAUL SUR L’HOMME ET LA L’ÉPÎTRE AUX GALATES

FEMME DANS

Le seul passage de cette épître qui fasse référence à l’homme et à la femme est Ga 3,28abc. Que cette locution bien frappée soit antérieure à Paul ou qu’il en soit le créateur, le sous-titre ci-haut se justifie puisque, si ce formulaire a 4. Voir la justification de cette position dans M. GOURGUES, « Ni homme ni femme » (n. 1), p. 72-74 ; « «Ni juif ni grec, ni esclave ni libre, ni mâle et femelle» (Ga 3,28) », p. 248-254. L’auteur traite plus longuement des critères indiquant la présence de formulaires traditionnels insérés en des textes ultérieurs dans « Les formes pré-littéraires, ou l’Évangile avant l’écriture », in B. POUDERON (ed.), Histoire de la littérature grecque chrétienne. Vol II : De Paul à Irénée de Lyon (Initiation aux Pères de l’Église), Paris, Cerf, 2013, p. 265-270. 5. M. GOURGUES, « Ni homme ni femme » (n. 1), p. 126 (nous soulignons).

DE GA 3,28 À 1 CO

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été inclus par son auteur dans l’Épître aux Galates, on peut présumer que Paul en assumait totalement le contenu, le sens et la portée que nous tenterons brièvement de préciser. 1. Ga 3,28abc : οὐκ ἔνι Ἰουδαῖος οὐδὲ Ἕλλην, οὐκ ἔνι δοῦλος οὐδὲ ἐλεύθερος, οὐκ ἔνι ἄρσεν καὶ θῆλυ : formulaire primitif et/ou vision originale de Paul ? Si la première partie de ce verset6, la négation des trois paires d’opposition – juif-grec, esclave-libre, homme-femme – figure dans l’Épître aux Galates, considérée assez unanimement comme authentiquement paulinienne, Michel Gourgues comme la plupart des exégètes y voit un formulaire primitif  7. Certains croient que le caractère primitif s’étend du v. 26 (« Car vous êtes tous fils de Dieu par la foi dans le Christ Jésus ») à la fin du v. 28 (« car tous vous ne faites qu’un dans le Christ Jésus8 »). Alors que, selon Michel Gourgues, il s’agit d’un formulaire baptismal, certains, tout en reconnaissant le caractère primitif de la triade, en doutent9. Nonobstant cette opposition, nous acceptons la conclusion de Michel Gourgues. En réponse à Légasse, disons 1) que le baptême est bien sûr un thème non étranger à Paul, et que, 2) quel que soit le sens, strictement baptismal ou non de l’expression « revêtir le Christ », le contexte de la triade en 28abc est explicitement baptismal (v. 27 : « vous tous baptisés dans le Christ ») tout comme dans les deux autres contextes où se retrouvent deux paires du formulaire (1 Co 12,13 ; Col 3,11). D’ailleurs, 6. Le verset 28 (28d) se termine, à cause de γὰρ qui l’introduit, par une sorte de justification de 28abc: πάντες γὰρ ὑμεῖς εἷς ἐστε ἐν Χριστῷ Ἰησοῦ : « car vous êtes tous un dans le Christ Jésus ». En effet, cette conjonction sert le plus souvent à expliquer ce qui précède immédiatement. C’est ainsi que Thomas d’Aquin l’avait compris, dans son commentaire sur l’Épître aux Galates, sur le v. 28 du ch. 3 : Super Gal. III, 28, ed. Marietti, Rome, 1953, lect. 9, no. 185 : « Expositionem autem manifestationis ponit cum dicit : “Non est Judaeus, etc.” quasi dicat : vere dixi quod “quicumque in Christo Jesu, etc.” ». 7. Voir n. 4 précisant les références de certains endroits où l’auteur justifie cette position. 8. M. GOURGUES, « Ni homme ni femme » (n. 1), p. 248, n. 16 en mentionne quelques-uns en Ga 3,28 : « Ni juif ni grec, ni esclave ni libre, ni mâle et femelle ». À l’encontre de cette position, mentionnons seulement que si deux des paires d’opposition de la triade du v. 28 se retrouvent ailleurs, pointant ainsi vers leur caractère primitif, par ailleurs plusieurs des thèmes des v. 26-27 et de la fin du v. 28 sont typiquement pauliniens : filiation divine par la foi dans le Christ Jésus (v. 26) baptême dans le Christ (v. 27), unité dans le Christ des baptisés (fin du v. 28). 9. Comme par exemple S. LÉGASSE, L’Épître aux Galates, Paris, Cerf, 2000, p. 273 : « Si l’on admet que la triade du verset 28abc est antérieure à Paul, on doute qu’elle lui ait été communiquée sans un contexte. Reste que celui qui l’entoure dans notre épître, ne porte pas de traces suffisantes de cette antériorité et pas davantage de son rattachement au rite baptismal : la mention du baptême ne saurait être qualifiée de non-paulinienne et on ne peut établir que «revêtir le Christ» reflète un élément cérémoniel de ce même rite ».

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si le formulaire provient d’un rituel baptismal, vu le lien intrinsèque et nécessaire entre foi au Christ et baptême, il rejoindrait le contexte de Ga 3,28 où filiation divine ou justification par la foi dans le Christ, baptême dans le Christ, revêtement du Christ, et unité dans le Christ sont invoqués explicitement (3,26-28). Comme l’opposition homme-femme ne se retrouve qu’en Ga 3,28, et non en 1 Co 12,13 ou Col 3,11, figurait-elle dans le formulaire primitif au même titre que les paires « juif-grec » et « esclave-libre » ? Si l’on répond par la négative, elle serait alors une création de Paul. Ce serait lui qui le premier aurait proclamé que, puisque « tous [sont] baptisés dans le Christ », il n’y a plus « ni homme ni femme car tous vous ne faites qu’un dans le Christ Jésus ». Paul aurait alors trouvé cet ajout justifié par le contexte dans l’Épître aux Galates. Or, concernant la triple proclamation 28abc en Galates, Michel Gourgues, à la suite d’une rigoureuse et éclairante exégèse de l’Épître de 2,15 à 3,29, conclut que, si dans le contexte très immédiat (v. 27-28) qui porte sur le baptême et ses effets, les trois pôles de la triade s’avèrent pertinents10, seul le premier (« ni juif ni grec ») le demeure si l’on se situe dans l’ensemble 3,629. En effet, alors que les paires « esclaves-libres » et « hommes-femmes » sont étrangères à cet ensemble, on y fait référence aux juifs, par de constantes allusions à la Loi, et aux païens11 qui, mentionnés dès Ga 2,15, deviennent justifiés par la foi (3,8) et ainsi héritiers de la promesse à Abraham (3,14)12. Soulignons une intéressante perspective développée par Fricker qui trouve une pertinence particulière au « ni homme ni femme » en Ga 3,28. Selon lui, dans le contexte de l’Épître aux Galates, où Paul se situe dans le contexte de la « nouvelle création » instaurée par le Christ et mise en œuvre par la foi en lui et par le baptême, qui remplace l’ordre de la première création, en mettant l’accent sur la filiation spirituelle remplaçant la filiation naturelle, il est particulièrement à propos d’énoncer la fin de la différence homme-femme découlant de la première création justement remplacée par la nouvelle13. 10. Puisque tous, quelles que soient leurs différences religieuses, sociales ou sexuelles, sont devenus Un dans le Christ (Ga 3,28d). 11. On sait que sous la plume du juif Paul, les mots grecs et païens sont souvent équivalents, signifiant non-juifs. Dans la première Épître aux Corinthiens, il utilise indifféremment tantôt l’un tantôt l’autre. 12. Voir M. GOURGUES, « Ni homme ni femme » (n. 1), p. 46-69 pour l’exégèse et p. 70-71 pour cette conclusion. L’auteur y conclut aussi (p. 71) que si l’on se place plutôt dans le contexte de Ga 3,15-29, la triple proclamation aurait pu être omise sans que le texte en souffre. Le texte du haut de la p. 71 parle de Ga 3,5-29 mais compte tenu du développement qui précède, il semble que ce soit une coquille. 13. D. FRICKER, « «Il n’y pas l’homme et la femme» (Ga 3,28), Utopie ou défi ? », RevSR 83 (2009) 5-22, surtout p. 10, 17-18. L’auteur signale de plus que, la Loi étant dépassée, la circoncision, ce marqueur religieux inapplicable aux femmes, devient évidemment caduc. Ce qui renforce l’opinion de l’auteur de la pertinence du « ni mâle ni femelle » dans son contexte en Galates.

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Compte tenu du contexte plus global de Ga, et du fait que l’ajout paulinien de « ni homme ni femme » aurait été plus approprié en 1 Co et en Col où il est plus souvent question des rapports hommes-femmes, il reste plus probable que les trois paires d’opposition – i.e. incluant « ni homme ni femme » – qui visaient les principaux facteurs de différentiation et de division entre humains – aient fait partie d’un formulaire baptismal primitif. 2. Les destinataires de Ga 3,28abc Certains accordent au formulaire de Ga 3,28abc une portée générale qui en ferait une sorte de « Magna Carta of Humanity14». Il est vrai que, concernant le « ni homme ni femme » en particulier, depuis quelques décennies, avec la montée de l’égalitarisme, du féminisme, de l’émancipation des femmes et de l’exégèse féministe, on a eu tendance à élargir la portée du célèbre formulaire pour y voir l’expression absolue de l’égalité de la femme et de l’homme15. On ne peut arriver à une telle vision qu’en coupant totalement Ga 3,28abc de son contexte, soit baptismal originel, soit dans l’Épître aux Galates. L’histoire de l’exégèse antérieure16 montre toutefois que l’on s’entendait assez unanimement pour dire que cette mise en parenthèse des principales différences entre humains, religieuses, sociales ou sexuelles, c’est la foi au Christ (Ga 3,26) des baptisés, le fait pour eux de revêtir le Christ (3,27) qui l’accomplit et qui les rend tous un dans le Christ Jésus (Ga 3,28d) : S’il n’y a « ni juif ni grec […] ni mâle et femelle », c’est parce que – à cause du γὰρ de Ga 3,28d – tous sont un dans le Christ Jésus : πάντες γὰρ ὑμεῖς εἷς ἐστε ἐν Χριστῷ Ἰησοῦ (3,28d). Michel Gourgues, s’interrogeant sur la possibilité que le formulaire primitif puisse servir « d’appui au principe de la dignité égale de tous » reconnue dans les Chartes de droits, reconnaît cela et l’exprime éloquemment : Par ailleurs, il faut bien préciser la portée malgré tout limitée des affirmations de Ga 3,28. Ce qu’elles proclament, elles le font à partir de convictions de foi et à propos de croyants seulement. Il faut se garder de détacher ces affirmations de leur contexte pour en faire des principes universels appelant à une vision et une pratique égalitaires l’ensemble de l’humanité ou simplement l’ensemble de la société de l’époque17. 14. P.K. JEWETT, Man as Male and Female: A Study in Sexual Relationships from a Theological Point of View, Grand Rapids MI, Eerdmans, 1975, p. 142. 15. En somme, « the feminist Credo of equality » selon l’expression de R. & B. Allen, citée par S.L. JOHNSON JR., « Role Distinctions in the Church, Galatians 3:28 », in J. PIPER – W. GRUDEM, A Response to Evangelical Feminism, Wheaton, Crossway Books, 1991, p. 148-160, ici p. 148; cf. R. ALLEN – B. ALLEN, Liberated Traditionalism: Men and Women in Balance Portland, Multnomah Press, 1985, p. 134. 16. Voir les brefs survols mentionnés précédemment. 17. M. GOURGUES, « “Ni juif ni grec, ni esclave ni libre, ni mâle et femelle” (Ga 3,28) » (n. 1), p. 256.

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3. Ga 3,28 : les différences abolies ? Expression d’égalité ? Est-ce à dire que pour les croyants, pour les baptisés, selon Ga 3,28abc, les différences ethniques, sociales et sexuelles sont abolies ? Une phrase de Michel Gourgues pourrait le laisser croire, lui qui qualifie ainsi Ga 3,28 : « l’énoncé selon lequel il n’y a plus de distinctions et d’inégalités à établir ou à maintenir entre les humains qu’elles découlent de l’origine religieuse ou raciale, de la condition sociale ou de la différence sexuelle18 ». Encore là, un survol des interprétations, depuis les Pères de l’Église jusqu’à l’exégèse plus « scientifique » du XXème siècle, au moins jusqu’à sa deuxième moitié, indique une presque unanimité : les principales distinctions entre humains sont « dépassées mais non abolies19 », ou comme le résume bien Fricker : « L’abolition des différences entre hommes et femmes est alors cantonnée à des domaines bien délimités telles les expériences de la vie communautaire, du salut, de l’espérance eschatologique ou de la vie spirituelle20. » C’est pourquoi E. Schüssler-Fiorenza peut se baser sur Ga 3,28 pour réclamer qu’il n’y ait aucune domination dans la communauté chrétienne « y compris celle fondée sur les distinctions sexuelles 21». Michel Gourgues utilise à propos du formulaire en Col 3,11 des expressions comme « relativisation des différences », « à l’intérieur de l’humanité nouvelle où «Christ est tout en tous» […] les différences sont dépassées22 ». Il serait bien étonnant que Paul reprenne à son compte en Ga un formulaire abolissant les différences, alors que peu de temps auparavant il écrivait aux Corinthiens de ne rien changer à la situation dans laquelle les a trouvés l’appel de Dieu, mentionnant explicitement deux des distinctions du formulaire : circoncision-incirconcision et esclavage-liberté (1 Co 7,17-21) ; 18. M. GOURGUES, « “Ni juif ni grec, ni esclave ni libre, ni mâle et femelle” (Ga 3,28) » (n. 1), p. 241. Une affirmation semblable figurait déjà dans « Ni homme ni femme » (n. 1), p. 75 : « Il y a lieu de reconnaître en elles [les proclamations primitives présentes en Ga 3,28, 1 Co 12,13 et Col 3,11] comme l’écho d’une sorte de saisissement face à la nouveauté chrétienne : devant Dieu dans le Christ, il n’y a plus de distinctions et d’inégalités à établir et à maintenir entre les humains, qu’elles découlent de l’origine religieuse ou raciale, de la condition sociale ou de la différence sexuelle. » 19. P. BONNARD, L’Épître de Saint Paul aux Galates (CNT, IX), Neuchâtel, Delachaux et Niestlé, 1972, p.79 ; cité par D. FRICKER, « Il n’y a pas l’homme et la femme » (n. 13), p. 6. 20. D. FRICKER, « Il n’y a pas l’homme et la femme » (n. 13), p. 6. Déjà Augustin d’Hippone écrivait, en commentant Ga 3,28, PL 35, col. 2123 : « […] differentia ista vel Gentium, vel conditionis, vel sexus, jam quidem ablata est ab unitate fidei, sed manet in conversatione mortali ». 21. E. SCHÜSSLER-FIORENZA, En Mémoire d’elles (Cogitatio Fidei, 136), Paris, Cerf, 1986, p. 302 ; cité par D. FRICKER, « Il n’y a pas l’homme et la femme » (n. 13), p. 6. 22. M. GOURGUES, « “Ni juif ni grec, ni esclave ni libre, ni mâle et femelle” (Ga 3,28) » (n. 1), p. 254.

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dans la même lettre, il insistait encore avec acharnement sur la distinction homme-femme (1 Co 11,2-16) et sur les distinctions au sein de la communauté (ch. 12). Le sens de « ni juif ni grec […] ni mâle et femelle » n’est donc pas d’abolir les différences les plus significatives entre humains mais de les relativiser. Citons encore Michel Gourgues : « Le partage de la même identité spirituelle et de la même relation fondamentale au Christ l’emporte sur les différences qui peuvent exister par ailleurs entre les croyants. Si bien que devant Dieu, dont ils sont devenus les enfants, ces différences ne comptent pas23 ». Les différences ne comptant plus devant Dieu, comptent-elles encore pour les croyants entre eux ? Cette relativisation des différences qu’exprime Ga 3,28 implique-t-elle égalité ? D’une certaine façon, à peu près tous s’entendent pour affirmer que par rapport à la foi dans le Christ, au salut, au baptême, à la filiation divine, à l’incorporation à la communauté, tous, juifs ou grecs, esclaves ou libres, hommes ou femmes, sont en quelque sorte sur un pied d’égalité puisque tous y ont accès et deviennent véritablement enfants de Dieu par le Christ. D’ailleurs les premières communautés ont remarquablement intégré tous ces groupes en leur sein… sans que cette « ouverture » se transpose nécessairement dans leurs rapports sociaux ou conjugaux, malgré les efforts présumés de tous de répondre au commandement de l’amour, d’insuffler l’amour dans leurs relations. En fait, si l’on utilise la suite du verset, 28d, comme principe d’interprétation, le mot-clé est « un ». C’est parce que tous sont UN dans le Christ Jésus qu’il n’y a plus ni juif ni grec… ni homme ni femme24. Cette unité, au-delà des distinctions, les premières communautés l’ont réalisée. La proclamation d’origine est donc moins l’expression d’une abolition des différences ou une déclaration d’égalité qu’une affirmation qu’en dépit et à travers ces différences, tous et toutes peuvent atteindre Dieu par le Christ, 23. Au moment où il montre la pertinence du formulaire en Ga dans son contexte immédiat. Développement qui s’amorce ainsi : « Lors du baptême, tous individuellement ont été orientés, dirigés […] vers le Christ en vue de lui appartenir (v. 27a), tous ont revêtu le Christ et ont acquis une nouvelle identité spirituelle (v. 27b). Ainsi donc, tous ensemble, ils ne font plus qu’un dans le Christ auquel le baptême les a ainsi rattachés. » Voir M. GOURGUES, « Ni homme ni femme » (n. 1), p. 70. 24. C’est l’importance du thème de l’unité qui a conduit certains commentateurs de la mouvance évangélique à insister sur le fait qu’unité n’implique pas nécessairement égalité, ou encore qu’égalité n’est pas incompatible avec soumission, et n’implique donc pas nécessairement que tous puissent accéder à des postes de leadership dans la communauté. On en trouve une illustration dans S.L. JOHNSON JR., « Role Distinctions in the Church, Galatians 3:28 » (n. 15). Une autre tendance d’auteurs évangéliques est d’insister sur le fait que l’Écriture ne peut se contredire. Nous y reviendrons en examinant 1 Co 14,34. Ajoutons que le mouvement évangélique est multiforme et comprend plusieurs exégètes « égalitaristes » ou féministes.

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parce que devant Dieu, dans le Christ, les différences sont relativisées. En fait, selon L. Windsor, du moins dans la réappropriation du formulaire par Paul, le simple fait que ces trois paires d’opposition sont énoncées est un indice de leur maintien25. II. LA POSITION DE PAUL SUR L’HOMME ET LA FEMME DANS LA PREMIÈRE ÉPÎTRE AUX CORINTHIENS La première Épître aux Corinthiens est, de toute la littérature épistolaire du Nouveau Testament, celle qui traite le plus, et dans des contextes différents, des rapports hommes-femmes. Le ch. 7 y est presqu’entièrement consacré, dans le contexte conjugal, en plus d’ouvrir, pour tous, une porte vers le célibat ; puis Paul veut asseoir ses directives différenciées sur la tenue des femmes et des hommes dans les assemblées liturgiques par des considérations plus générales sur « ce qu’ils sont fondamentalement » l’un envers l’autre ; enfin au ch. 14, on trouve une déclaration, apparemment contradictoire, interdisant aux femmes le droit de parler dans les assemblées. Nous examinerons donc d’abord les versets qui semblent marquer une régression par rapport à Ga 3,28, pour ensuite considérer ceux qui pourraient indiquer, soit le statu quo ou même une progression. 1. Régression ? 1 Co 11,3.7.8-9 et 14,34-35 Expédions d’abord assez rapidement le cas de 1 Co 14,34-35, qui arrive, à l’intérieur du développement sur les charismes, dans un passage énonçant des conseils plus pratiques sur la façon de les exercer (11,26-32), en particulier le don de prophétie (29-31). 34

que les femmes se taisent dans les assemblées, car il ne leur est pas permis de prendre la parole ; qu’elles se tiennent dans la soumission, selon que la Loi même le dit. 35Si elles veulent s’instruire sur quelque point, qu’elles interrogent leur mari à la maison ; car il est inconvenant pour une femme de parler dans une assemblée. (1 Co 14,34-35)

25. L. WINDSOR, « History of Interpretation of Galatians 3:28 », p. 4 (accédé en ligne sur http://www.lionelwindsor.net) : « So in using these couplets, instead of denying the distinctions of race, status and gender, Paul is actually maintaining their diversity » ; ce dernier s’inspirait de R.W. HOVE, Equality in Christ? Galatians 3:28 and the Gender Dispute, Wheaton, Crossway, 1999, p. 71. Dans cet article, Windsor distingue entre interpretations « complémentaristes » et « égalitaristes » et fait un bref survol de l’interprétation des origines jusqu’à nos jours en passant par les Pères de l’Église et les Réformateurs.

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Puisque Paul, au ch. 11, s’est appliqué par toute une panoplie d’arguments à réglementer la coiffure des femmes qui « prient et prophétisent », donc exercent un leadership liturgique26, on voit tout de suite la contradiction. De plus, ce passage contredit ce qui vient d’être dit juste auparavant en 1 Co 14,31 : « Car vous pouvez tous prophétiser, à tour de rôle, pour que tous soient instruits et exhortés27 ». Pour contourner cette contradiction, toutes sortes d’hypothèses ont été avancées, de l’interpolation au type de parole supposé différent aux ch. 11 et 14, en passant par le statut différent des femmes en cause qui seraient mariées ou pas28. Nous ne ferons que renvoyer le lecteur à l’exégèse de Michel Gourgues qui s’étend du v. 33b : « Comme dans toutes les églises des saints » au v. 36 : « Ou bien la parole de Dieu est-elle sortie de chez vous ? Ou bien est-elle arrivée chez vous seuls ? ». Nous endossons totalement sa conclusion qu’il présente à la suite d’un rigoureux et convaincant raisonnement. Les passages controversés sur la soumission féminine (les v. 34-35) n’exprimeraient pas la position de Paul mais seraient l’écho d’une position corinthienne à laquelle Paul réagit ensuite29. Alors même que les deux versets 1 Co 14,34-35 sont véritablement régressifs par rapport à la proclamation de Ga 3,28, on ne peut accuser Paul luimême de cette régression. Passons à 1 Co 11,3.7.8-9. Ces versets se situent à l’intérieur du passage bien délimité de 1 Co 11,2-16 qui forme un tout littéraire admirablement construit, avec les nombreux parallélismes antithétiques concernant les hommes et les femmes qui le structurent et son utilisation astucieuse de mots ou racines de mots grecs qui se relancent à divers moments du développement. Dans ce texte Paul donne des directives pratiques sur la coiffure lors des assemblées de 26. On peut trouver une justification de cette affirmation dans A. CALDWELL, Paul, misogyne ou promoteur de l’émancipation féminine ? Étude de 1 Co 11:2-16 (EBib NS, 72), Leuven – Paris – Bristol, Peeters, 2016, p. 45-53. 27. C’est la traduction de la Bible de Jérusalem. Une traduction plus littérale serait : « vous pouvez tous à tour de rôle prophétiser afin que tous soient instruits et que tous soient exhortés » pour rendre δύνασθε γὰρ καθ’ ἕνα πάντες προφητεύειν, ἵνα πάντες μανθάνωσι καὶ πάντες παρακαλῶνται. Gourgues remarque fort justement que les deux derniers πάντες s’appliquant évidemment à tous, incluant les femmes, il est vraisemblable qu’il en soit de même du premier. 28. Une autre tentative d’éviter de trouver l’Écriture – et Paul en particulier – en flagrant délit de contradiction, fut de considérer le cadre liturgique comme étant différent, privé ou semi-privé au ch. 11 et public au ch. 14. Pour l’exposé de cette tentative et de quelques autres, voir A. CALDWELL, Paul, misogyne ou promoteur de l’émancipation féminine ? (n. 26), p. 45-53. M. GOURGUES donne d’autres exemples dans « Ni homme ni femme » (n. 1), p. 115-120. 29. M. GOURGUES, « Qui est misogyne : Paul ou certains Corinthiens ? » (n. 1), p. 153162, et « Ni homme ni femme » (n. 1), p. 109-125.

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culte, directives qu’il appuie par toute une série d’arguments. Michel Gourgues et moi-même30 avons étudié ce passage. Si notre exégèse diffère sur certains points, notamment sur le découpage du passage et sur l’interprétation de certains versets, notre exégèse comporte plusieurs points de convergence, notamment 1) que le passage se structure entre volets pratiques et volets plus théoriques ; 2) que, concernant le rapport homme-femme, le passage comporte une première section de caractère plus hiérarchique et une deuxième plus égalitariste ; 3) que ce texte ne se limite pas à insister sur une simple différenciation entre hommes et femmes et la nécessité de refléter cette distinction dans la tenue lors du culte31 ; 4) que la multiplicité d’arguments invoqués par Paul répond à une volonté de s’adapter à des groupes divers au sein de la communauté de Corinthe. En effet, au ch. 10, Paul dit vouloir, pour l’Évangile et ne pas y faire d’obstacle, se faire « juif avec les Juifs », « grec avec les Grecs » (10,20), « tout à tous » (10,22). Il est impossible de faire ici l’exégèse de tout le passage32. Nous nous attarderons seulement aux versets pouvant représenter une régression par rapport à Ga 3,28, et ensuite à ceux qui marqueraient une progression, nous contentant d’exposer nos options interprétatives concernant les versets étudiés, sans justifier ces choix, justification qu’on retrouvera dans notre étude Paul, misogyne ou promoteur de l’émancipation féminine ? Puisque les versets à caractère hiérarchisant tout comme les plus égalitaristes se chevauchent dans tout le passage, il ne saurait être question à leur sujet de « slogan corinthien », ni même d’interpolation dans un ensemble dont l’authenticité intégrale est établie. 1 Co 11,3 : « Je veux que vous le sachiez : le Christ est la tête de tout homme, l’homme est tête de la femme, Dieu est la tête du Christ33 ».

30. Et une foule d’autres auteurs. Voir la bibliographie – incomplète ! – sur ce passage dans A. CALDWELL, Paul, misogyne ou promoteur de l’émancipation féminine ? (n. 26), p. 404411. 31. Cette position est contraire à celle de J. Murphy-O’Connor qui, dans tous ses textes sur ce passage, ou dans ses commentaires généraux, insiste sur la différenciation comme étant le message principal, pour contrer l’homosexualité surtout masculine à Corinthe. Voir dans A. CALDWELL, Paul, misogyne ou promoteur de l’émancipation féminine ? (n. 26), la bibliographie aux p. 409 et 413. 32. Pour une exégèse complète, nous renvoyons à M. GOURGUES, « Ni homme ni femme » (n. 1), p. 77-108, et à A. CALDWELL, Paul, misogyne ou promoteur de l’émancipation féminine ? (n. 26). 33. θέλω δὲ ὑμᾶς εἰδέναι ὅτι παντὸς ἀνδρὸς ἡ κεφαλὴ ὁ Χριστός ἐστι, κεφαλὴ δὲ γυναικὸς ὁ ἀνήρ, κεφαλὴ δὲ Χριστοῦ ὁ Θεός. Alors que nous utilisons le plus souvent les traductions de la Bible de Jérusalem, il nous arrive, comme ici et dans d’autres versets de 1 Co 11,216, de donner des traductions plus littérales pour restreindre le risque d’« interpréter » trop rapidement.

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Il est difficile de ne pas détecter dans ce verset une hiérarchie à quatre échelons : Dieu, le Christ, l’homme et, tout en bas, la femme, qui seule n’est la tête de personne. De plus, on ne peut éviter d’accoler au terme κεφαλή, qui sert de métaphore pour illustrer les relations des uns envers les autres, une connotation de prééminence, de position au-dessus, comme l’est la tête par rapport au corps. Cette gradation a pour conséquence de situer la femme non seulement au-dessous de l’homme, mais plus « loin » par rapport à Dieu et au Christ, puisqu’il y a trois paliers intermédiaires – contre deux pour l’homme – entre elle et Dieu et deux entre elle et le Christ contre un seul pour l’homme. Ainsi la femme atteint Dieu par l’intermédiaire non seulement du Christ, tout comme l’homme, mais en plus par l’intermédiaire de l’homme. Cet ordre hiérarchique des êtres, qui se donne des airs de principe général, sera renforcé et expliqué par les versets 7-9. Comment ne pas voir là une régression par rapport à la proclamation que dans le Christ Jésus « il n’y a ni homme ni femme » ? 1 Co 11,7b-8-9 : (7aUn homme en effet) 7bn’est pas obligé de se couvrir la tête, étant image et gloire de Dieu, 7cmais une femme gloire d’un homme 8acar un homme n’est pas d’une femme 8bmais une femme d’un homme ; 9acar de plus un homme n’a pas été créé à cause de la femme mais une femme à cause de l’homme34.

Le premier principe théorique du v. 3, Paul l’explique par ces autres versets à caractère théorique de 7b à 9. Avant de nous y attarder, notons d’abord un autre point qui marque une régression par rapport à Ga 3,28. Paul exprime ses directives pratiques à l’aide d’un verbe très fort ὀφείλει35 qui implique un devoir, une dette, une obligation. L’homme, lui n’est pas obligé (οὐκ ὀφείλει) de se couvrir la tête (v. 7a) alors que la femme, elle, est obligée (ὀφείλει) d’avoir quelque chose sur la tête (v.10). Pourquoi cette non-obligation pour l’homme ? Parce qu’il est image et gloire de Dieu alors que la femme est gloire l’homme (v.7b). Et pourquoi cela ? Parce que, selon le récit de la création de Gn 2, ce n’est pas l’homme qui a été fait à partir d’une femme mais la femme à partir d’un homme (v. 8), et que ce n’est pas l’homme qui a été créé à cause de la femme mais la femme à cause de l’homme (v. 9). Pour les fins de ce raisonnement, Paul a dû 1) amalgamer le récit de Gn 1 et celui de Gn 2 ; 2) « manipuler » Gn 1,27 en appliquant au mâle seul la qualité d’image de Dieu et 3) ne retenir du 34. 7 ἀνὴρ μὲν γὰρ οὐκ ὀφείλει κατακαλύπτεσθαι τὴν κεφαλήν, εἰκὼν καὶ δόξα Θεοῦ ὑπάρχων· ἡ γυνὴ δὲ δόξα ἀνδρός ἐστιν. 8οὐ γάρ ἐστιν ἀνὴρ ἐκ γυναικός, ἀλλὰ γυνὴ ἐξ ἀνδρός· 9 καὶ γὰρ οὐκ ἐκτίσθη ἀνὴρ διὰ τὴν γυναῖκα, ἀλλὰ γυνὴ διὰ τὸν ἄνδρα. 35. Apparentées à ce verbe sont les ὀφειλήματα du Pater, les dettes que nous demandons à Dieu de nous remettre comme nous les remettons à ceux qui nous doivent (ὀφειλέταις)

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récit de la création de Gn 2 que l’antériorité masculine et le fait que la femme ait été créée à cause de lui plutôt que ce qui décrit sa parenté (2,23) et sa complémentarité avec lui (2,24). Aussi décourageante, du moins d’un point de vue féminin, est l’insistance, comme si on voulait être sûr d’enfoncer le clou : Paul ne se contente pas d’affirmer que la femme vient de l’homme, il le dit après avoir dit que ce n’est pas l’homme qui vient de la femme (v. 8) ; la même « décourageante symétrie » comme l’a qualifiée une auteure, se retrouve au v. 9. Comme on le voit, loin d’exprimer la non-pertinence de la distinction homme-femme (comme en Ga 3,28), Paul insiste au contraire et renforce, par ses arguments, une distinction hiérarchisée. Toute une régression ! Même si Paul utilise ces arguments pour rejoindre une partie de la communauté de Corinthe, peut-être d’origine juive ou gréco-romaine plus traditionaliste, il ne craint pas de le faire avec maîtrise et astuce. En eux-mêmes, ces versets sont clairement régressifs par rapport à Ga 3,28. 2. Statu quo ou progression ? 1 Co 11 et 7 Il serait sans doute plus logique de commencer par un examen du ch. 7 pour procéder de façon progressive, mais nous débuterons néanmoins par les versets du ch. 11 parce qu’ils font suite et corps avec ceux que nous venons d’examiner. 1 Co 11,5 : « toute femme qui prie ou prophétise la tête découverte déshonore sa tête36 ».

Ce n’est pas tant le déshonneur qu’apporte à « sa tête37 » une femme qui « prie ou prophétise » la tête découverte qui nous intéresse ici, mais bien la reconnaissance de facto que la femme exerçait ce rôle de leadership cultuel, comme la plupart des commentateurs interprètent le couplage des deux verbes prier et prophétiser dans ce contexte. Rôle de leadership que Paul ne remet jamais en question même s’il tient à prescrire à la femme une tenue qu’il juge appropriée et nécessaire pour l’exercer. 1 Co 11,10 : « à cause de cela, la femme doit [est obligée d’]avoir une autorité sur sa tête à cause des anges38 ». 36. πᾶσα δὲ γυνὴ προσευχομένη ἢ προφητεύουσα ἀκατακαλύπτῳ τῇ κεφαλῇ καταισχύνει τὴν κεφαλὴν ἑαυτῆς 37. C’est-à-dire à elle-même ou à celui qui est dit être sa tête au v. 3. Le mot κεφαλή (tête) signifie en effet couramment « toute la personne ». C’est l’un de ses sens les plus courants dans la Septante. 38. διὰ τοῦτο ὀφείλει ἡ γυνὴ ἐξουσίαν ἔχειν ἐπὶ τῆς κεφαλῆς διὰ τοὺς ἀγγέλους.

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Oui, la tenue prescrite aux femmes est exprimée en termes d’obligation alors que le v. 7 annonçait aux hommes une non-obligation (ὀφείλει … οὐκ ὀφείλει). De ce fait, ce v. 10 se rattache à ce qui précède (διὰ τοῦτο) : c’est parce que la femme, créée à partir de l’homme et à cause de l’homme (v. 8-9), est gloire de l’homme, alors que lui est image et gloire de Dieu, (v. 7) que lui n’est pas obligé, et qu’elle l’est, d’avoir quelque chose sur sa tête. Mais voilà que ce quelque chose est qualifié d’autorité : la femme est obligée ἐξουσίαν ἔχειν ἐπὶ τῆς κεφαλῆς. Si la femme doit avoir la tête couverte, c’est comme signe de son autorité d’exercer un leadership cultuel, pour l’afficher et la garantir aux yeux de tous. Ce v. 10, par son ambivalence, en conjuguant obligation et autorité, se rattache à la fois à la première partie de 1 Co 11,21639, la partie hiérarchisante, qu’il complète en faisant pendant à la directive aux hommes du v. 7 ; mais en même temps, à cause de l’autorité accordée à la femme, il annonce la deuxième partie plus égalitariste du passage. Cette reconnaissance d’autorité marque donc une progression par rapport au « ni homme ni femme » de Ga 3,28 qui ne fait que minimiser les différences. 1 Co 11,11 : « Toutefois, ni femme sans homme ni homme sans femme dans le Seigneur40 ».

Cette affirmation, que la femme n’est pas sans l’homme ni l’homme sans la femme représente un prodigieux bond en avant par rapport au « ni homme ni femme » de Ga 3,28. On affirme que « dans le Seigneur », c’est-à-dire dans l’ordre nouveau instauré par le Christ, donc également dans la communauté des croyants incorporés à lui, l’homme n’existe pas sans la femme ni la femme sans l’homme. On ne dit plus que les différences homme-femme « ne comptent plus ». On affirme qu’elles existent, que l’homme et la femme sont différents et que, de ce fait, ils ne peuvent être l’un sans l’autre. Parce qu’ils sont différents, ils peuvent se compléter l’un l’autre. On affirme par là leur interdépendance. S’ils sont interdépendants, s’ils peuvent se compléter l’un l’autre, c’est précisément parce qu’ils ne sont pas identiques, parce qu’ils sont différents. Remarquable progression ! 1 Co 11,12 : « car de même que la femme [vient] de l’homme, de même l’homme vient par la femme ; et tout vient de Dieu41 ». 39. M. GOURGUES, « Ni homme ni femme » (n. 1), p. 91-93 croit plutôt que ce v. 10 amorce lui-même la deuxième partie. Nous divergeons parce que d’une part le v. 10 fait pendant au v. 7, les deux annonçant des directives pratiques utilisant le même verbe, et d’autre part parce qu’un changement de cap est mieux amorcé par un marqueur linguistique qui a cette propriété au v. 11 : πλὴν οὔτε ἀνὴρ…. 40. πλὴν οὔτε γυνὴ χωρὶς ἀνδρὸς οὔτε ἀνὴρ χωρὶς γυναικὸ ἐν Κυρίῳ. 41. ὥσπερ γὰρ ἡ γυνὴ ἐκ τοῦ ἀνδρός, οὕτως καὶ ὁ ἀνὴρ διὰ τῆς γυναικός, τὰ δὲ πάντα ἐκ τοῦ Θεοῦ. À propos de ces deux versets, nous avons des divergences majeures avec Gourgues.

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Or le v. 12 vient donner une explication (ὥσπερ γὰρ) tout aussi étonnante et remarquable. Alors que le v. 8 avait eu recours au récit de la création de la femme en Gn 2 pour asseoir l’antériorité, la priorité de l’homme sur la femme, tout en reprenant cela (« la femme existe à partir de l’homme »), i.e. la causalité de l’homme pour l’apparition de la femme selon le récit de la création originelle, le v. 12 complète le tableau en affirmant la causalité de la femme pour l’apparition de l’homme dans le processus naturel de génération; ce que Michel Gourgues appelle avec bonheur « création continuée ». Ainsi, pour venir à l’existence, si la femme vient de l’homme, l’homme – comme la femme ! – ne saurait exister que par la femme. L’homme et la femme dépendent l’un de l’autre dans leur existence même42. Et tout cela « vient de Dieu », autant l’interdépendance de l’homme et de la femme dans leur existence même, que leur interdépendance et leur complémentarité « dans le Seigneur ». Ironiquement, alors que le v. 8 avait d’abord eu recours au récit de Gn 2 pour justifier la priorité de l’homme sur la femme, ce v. 12 en sa totalité rejoint davantage le récit de Gn 2 dans sa globalité où la parenté de la femme avec l’homme, dans sa différence, est fortement exprimée. Ainsi, selon 11,12, parce que l’homme et la femme dépendent l’un de l’autre dans leur venue à l’existence, ils ne peuvent être l’un sans l’autre et se complètent l’un l’autre « dans le Seigneur ». L’ordre de la première création et l’ordre de la nouvelle création instaurée par le Christ se rejoignent dans l’affirmation de l’importance de la différence homme-femme pour qu’ils puissent se compléter l’un l’autre dans la vie naturelle comme dans la surnaturelle. Et « tout vient de Dieu ». On dépasse là et de beaucoup Ga 3,28 qui ne faisait que relativiser les différences. Passons à 1 Co 7. Nous nous contenterons d’un bref survol de ce chapitre43 qu’on pourrait considérer soit comme le maintien des acquis du formulaire Contrairement à nous il considère les v. 11 et 12 comme 2 arguments distincts – cela à l’intérieur d’une structure de tout le passage avec chiasmes très attrayante – alors que pour nous les v. 11 et 12 forment un tout le v. 12 expliquant, justifiant le v. 11. De plus, M. GOURGUES, « Ni homme ni femme » (n. 1), p. 100-104 considère les v. 10-12 comme exprimant une préséance de la femme faisant suite à une section sur la subordination de la femme. Notre propre position, qui ne lit pas dans le texte une préséance de la femme, est exposée et justifiée par A. CALDWELL, Paul, misogyne ou promoteur de l’émancipation féminine ? (n. 26), p. 192-216. 42. Certains ont voulu minimiser le type de causalité attribué à la femme par contraste avec celui de l’homme à partir des prépositions utilisées dans les deux cas : ex pour l’homme et dia pour la femme, faisant écho à l’utilisation des deux mêmes prépositions en lien avec la causalité du Père [de (ex) qui] et celle du Fils [par (dia) qui] en 1 Co 8,6. Nous croyons que le point principal n’est pas que la causalité de la femme soit inférieure, mais plutôt – ce qui est assez révolutionnaire – qu’elle soit elle aussi cause. 43. M. GOURGUES se penche sur le début du chapitre 7 dans « Ni homme ni femme » (n. 1), p. 78-89.

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originel, soit même comme une progression. On s’attardera surtout à la presque parfaite réciprocité avec laquelle les femmes et les hommes sont traités. Pour les v. 1-7, on lira l’analyse de Michel Gourgues qui fait ressortir tous les points importants, comme par exemple que le v. 1 reflète un point de vue corinthien, que ces versets portent sur les relations sexuelles dans le mariage, etc. et surtout que femmes et les hommes sont traités de façon strictement parallèle, ce qui implique qu’ils sont considérés sur un pied d’égalité. Voici, ramassé en quelques mots son regard sur ces versets : « six membres strictement parallèles se répondant deux à deux où tout ce qui est affirmé comme droit ou devoir du mari dans le premier membre l’est ensuite à propos de la femme dans le second ». Et on peut ajouter à cela que c’est d’un commun accord (ἐκ συμφώνου), par consentement mutuel que les époux peuvent s’abstenir l’un de l’autre pour un temps seulement pour la prière. Aux v 8-9, Paul s’adresse aux ἀγάμοις καὶ ταῖς χήραις. Ici il s’agit plutôt de mariage que de relations sexuelles dans le mariage. Les non-mariés (au masculin ?) du v. 8 sont-ils des veufs pour faire pendant aux veuves ? Si oui, Paul, souhaitant qu’ils « restent comme lui » indiquerait qu’il a déjà été marié. Cela se justifie si l’on maintient le strict parallélisme homme-femme. Sinon, ce serait le seul endroit avant les v. 10-12 où l’homme et la femme ne sont pas traités de la même manière. Signalons tout de même que l’homme est toujours mentionné en premier, sauf au v. 10. Aux v. 10-11, concernant la pérennité du lien conjugal, il y a presque parallélisme. On donne la même injonction – présentée comme venant du Seigneur – aux hommes et aux femmes mais le verbe diffère. On demande à la femme ἀπὸ ἀνδρὸς μὴ χωρισθῆναι, qu’elle ne se sépare pas de son mari, alors que le mari ne doit pas γυναῖκα μὴ ἀφιέναι, renvoyer sa femme ; ce qui reflète la coutume juive où la répudiation, le renvoi est l’apanage du mari. Ceci n’altère pas la réciprocité puisqu’à la femme il est recommandé, et cela assez révolutionnairement de ne pas se séparer de son mari44. La première consigne s’adresse à la femme et non à l’homme. Une recommandation additionnelle à la femme est toutefois intercalée, rompant un peu la symétrie : « si elle se sépare, qu’elle reste non mariée ou se réconcilie τῷ ἀνδρὶ ». 44. Selon la Mishna, de rares situations pouvaient justifier qu’une femme puisse demander de quitter son mari qui devait alors lui accorder une répudiation, par exemple si le mari est atteint « d’une maladie répugnante ou exerce une profession malodorante (collecteur de fumier ou tanneur) ou bruyante (batteur de cuivre) », « même si elle l’a épousé en connaissance de cause ». Voir L. AYNARD, La Bible au féminin. De l’ancienne tradition à un christianisme héllénisé (LD, 138), Paris, Cerf, 1990, p. 163 qui cite Ket 13, 7 où l’épouse peut dire : « Je croyais pouvoir le supporter, mais je ne le supporte pas ». Sur la condition de la femme juive selon la Bible, la Mishna et les Targums, voir p. 160-166. Même si la Mishna date du IIème siècle, on peut croire que ces traditions sont plus anciennes.

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Aux v. 12-16, concernant les croyants ayant un conjoint non-croyant, il y a parallélisme là aussi. Au v. 12 : εἴ τις ἀδελφὸς γυναῖκα ἔχει ἄπιστον μὴ ἀφιέτω αὐτήν (« si un frère a une femme non croyante qui consente à cohabiter avec lui, qu’il ne la renvoie pas »). Au v. 13, la directive identique à la femme s’exprime par le même verbe cette fois, contrairement au v. 10, avec la répétition cohérente du mot frère : « si une femme a un frère non croyant qui consente à cohabiter avec elle, qu’elle ne le renvoie pas [μὴ ἀφιέτω αὐτόν] ». Le parallélisme strict revient au v. 14 où il est dit que le mari non croyant, comme la femme, peut être sanctifié par son conjoint croyant. Au v. 15, le parallélisme semble faire défaut au v. 15 (« si le non-croyant [ὁ ἄπιστος] veut se séparer… »), mais la suite indique qu’il n’en est rien : « le frère ou la sœur ne sont pas liés. Retour encore au parallélisme strict au v. 16 : « Que sais-tu, femme, si tu sauveras ton mari [τὸν ἄνδρα σώσεις] » et la réciproque utilisant le même verbe grec (τὴν γυναῖκα σώσεις). Le traitement strictement parallèle de l’homme et de la femme semble s’essouffler dans la section, amorcée au v. 17, où il est recommandé à chacun de ne rien changer à la condition où « l’a trouvé l’appel de Dieu ». Ainsi, aux v. 25-26, on semble s’adresser surtout à l’homme, avant de proclamer au v. 28, assez étrangement en contexte juif, que l’homme ou la jeune fille qui se marient ne pèchent pas. Par ailleurs, aux v. 32-35, quand Paul souhaite qu’on ne se marie pas et énonce les avantages du célibat, il reprend son traitement parallèle de l’homme et de la femme. Arrêtons-nous là. Ce tour d’horizon fait voir suffisamment qu’au ch. 7 de l’Épître aux Corinthiens, Paul traite les hommes et les femmes de façon presque rigoureusement parallèle, démontrant ainsi qu’il leur accorde une importance égale, que ce soit à propos des relations sexuelles dans le mariage, de répudiation, ou encore du célibat par rapport au mariage. En accordant un traitement égal aux hommes et aux femmes, il se situe dans la ligne du formulaire repris en Ga 3,28, selon lequel il n’y a « ni homme ni femme », donc qu’on ne doit pas faire de distinction entre eux. CONCLUSION Dans la première Épître aux Corinthiens, il y a bien sûr quelques versets qui marquent une régression par rapport au formulaire primitif de Ga 3,28. Paul a l’excuse de les utiliser par souci pastoral pour l’efficacité de son annonce de l’Évangile. Mais il se « rachète » amplement. Il a non seulement maintenu la presque égalité homme-femme implicite en Ga 3,28 mais il est allé

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beaucoup plus loin. D’abord, tout au long du ch. 7, il prend soin de traiter de façon presque strictement parallèle la femme et l’homme, ce qui indique qu’il les traite, dans un domaine aussi sensible que celui du mariage, sur un pied d’égalité. Puis au ch. 11, surtout aux v. 5.11-12, il dépasse cela. Au lieu d’être relativisées et de « ne pas compter », les différences homme-femme sont valorisées : si l’homme et la femme ne vont pas l’un sans l’autre « dans le Seigneur » (11,11), s’ils peuvent ainsi être interdépendants et complémentaires l’un l’autre, c’est par leur différence. Si Murphy-O’Connor eut le tort de ne voir dans 1 Co 11,2-16 que l’insistance de Paul sur la différenciation hommefemme, Michel Gourgues, par son insistance sur une égalité, d’ailleurs plus un élargissement que strictement justifiée par le texte des v. 11-12 – tout comme dans le formulaire de Ga 3,28 – n’y voit peut-être pas assez une valorisation des différences. C’est par cette valorisation des différences que 1 Co dépasse le formulaire primitif « ni homme ni femme ». Par les versets 11 et 12, par leur référence au dessein créateur du v. 12 tout autant qu’à celui de la nouvelle création en Christ au v. 11, Paul rejoint la tradition biblique sur les origines où perce l’intention divine de créer un univers différencié : différentiation des êtres tout au long de la création des 6 jours, différenciation sexuelle : « homme et femme il les créa » en Gn 1,27, mode de création différencié de la femme en Gn 2 faisant ressortir à la fois sa parenté et sa distinction d’avec l’homme, union et communion différenciée plutôt que fusion de l’homme et de la femme en Gn 2,24. Cette valorisation des différences, Paul l’accentuera encore, au ch. 12 de la même épître, par la belle image du corps humain figurant l’Église, où tous les membres, par leur diversité même et leurs différentes fonctions, contribuent également à la vitalité et à l’unité de tout le corps qui sera un tout en étant pluriel et différencié. Valorisation des différences qui s’exprimera plus tard dans les Actes des Apôtres par le dépassement de Babel en Pentecôte où la distinction des langues, de division et cacophonie, devient moyen de communication dans la différence. En 1 Co 11,11-12, Paul nous a légué un principe susceptible d’informer et d’inspirer la vie des croyants. Mais il ne se contente pas d’énoncer un principe général qui ne ferait que préciser, « ontologiquement » si l’on peut dire, la nouvelle condition de l’homme et de la femme ἐν Κυρίῳ sans incidence sur leurs rapports réciproques. Il en a déjà tiré des conséquences pratiques pour le mariage, en considérant la femme et l’homme sur un pied d’égalité y compris, révolutionnairement, dans les directives concernant la « répudiation », présentées comme venant du Seigneur. Il est vrai que Paul, en 1 Co 11,2-16, pour rejoindre les différents groupes ethniques représentés dans la communauté de Corinthe, n’a pas honte d’utiliser des arguments qui, loin de refléter

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une vision égalitaire des hommes et des femmes, font écho à des conceptions hiérarchisantes de certains d’entre eux. Par contre, s’il déploie tant d’énergie à réglementer la tenue des femmes, c’est qu’il reconnaît à la femme l’autorité, jamais remise en question, de « prier et prophétiser » dans les rassemblements de culte, i.e. de jouer un rôle d’animation communautaire (11,5.10). Bien plus, il justifie cette autorité de la femme aussi grande que celle de l’homme, par leur dépendance réciproque, leur interdépendance, si bien que « ni la femme [n’est] sans l’homme ni l’homme sans la femme dans le Seigneur […] car tout vient de Dieu », interdépendance qui présuppose leur différence et en découle, tant en Christ que selon l’intention originelle du Créateur (11,11-12). Ce faisant, Paul dépasse la portée de Ga 3,28 qui ne faisait que relativiser les différences dans le Christ. Comme l’exprimait Michel Gourgues dans une phrase déjà citée – en attribuant à Ga 3,28 une connotation d’égalité que nous hésitons à lui reconnaître – : « Sa contribution [à Paul] consiste à préciser le visage de cette égalité dans deux domaines de la vie croyante : la vie conjugale et la prière communautaire ». Je dirais plutôt qu’en 1 Co, Paul réussit à progresser vers une égalité homme-femme seulement pressentie en Ga 3,28, égalité qui, présentée comme exprimant non seulement le statut des croyants en Christ mais reflétant l’intention créatrice de Dieu, pourrait prétendre à une portée plus universelle. Aurélie CALDWELL Collège universitaire dominicain, Ottawa [email protected]

III. COMMENCEMENTS ET ACHÈVEMENTS

DÉBUTER ET FINIR ROMAINS DES MOTS POUR DIRE LE MESSIE

Mon père, qui est de la même génération que Michel Gourgues, aime redire cet adage : « Dans la vie, il y a deux choses qui sont particulièrement difficiles ou délicates : commencer et finir. » Cela s’applique à plusieurs domaines de l’existence : la vie amoureuse (les premières approches et, parfois, la rupture), les cycles d’études (de l’accueil de 1re secondaire au bal des finissants de 5e secondaire), la vie elle-même (avec la naissance et la mort). Cela s’applique aussi aux lettres de Paul. L’Apôtre excelle à débuter ses lettres – de 1 Th à Rm, il ne cesse de s’améliorer. Il a le génie « épistoral1 » de bonifier l’adresse stéréotypée de la lettre gréco-romaine pour mettre en discours, d’emblée, une théologie en action. La lettre aux Romains ne fait pas exception, avec la longue phrase des sept premiers versets – même si on n’accorde probablement pas à l’ouverture de Rm l’importance qui lui est due, à cause de la survalorisation de Rm 1,16172. Par contraste, Paul semble avoir de la difficulté à terminer la lettre, qui « n’en finit pas de finir3 » – un état de fait reflété ou accentué par la transmission manuscrite4. Dans l’état actuel du texte canonique, on repère en effet pas 1. Épistoral est un néologisme que j’emprunte à une candidate au doctorat, Rachel de Villeneuve. Il fusionne les mots « épître », « oral » et « pastoral » pour caractériser le genre littéraire nouveau inventé par Paul, où la composante d’oralité est prégnante. 2. J.W. JIPP, « King and Justice: God’s Righteousness and the Righteous King in Romans », in Christ Is King: Paul’s Royal Ideology, Minneapolis MN, Fortress, 2015, p. 211-271. 3. S. LÉGASSE, L’épître de Paul aux Romains (LD – Commentaires, 10), Paris, Cerf, 2002, p. 909. 4. Je ne reviendrai pas ici sur la question extrêmement complexe de la transmission manuscrite, que j’ai résumée dans mon commentaire, A. GIGNAC, L’Épître aux Romains (CbNT, 6), Paris, Cerf, 2014, p. 39-41. Pour ce qui concerne notre propos, il suffit de constater qu’il a probablement existé une forme de la lettre qui se terminait à Rm 14 (sans aucune des conclusions ici traitées) et peut-être une lettre qui se terminait à Rm 15. Un indice de ces deux formes est que l’endroit d’insertion de la quatrième conclusion (16,25-27) fluctue : après Rm 14, après Rm 15, à la fin de Rm 16. Cela indique trois choses : 1) il y eut très tôt une incertitude sur l’étendu de Rm (avec plusieurs éditions en circulation) ; 2) il exista, de ce fait, une insatisfaction quant à la manière dont se termine la lettre ; et donc 3) même 16,25-27 pourrait être carrément un ajout postpaulinien destiné à combler cette insatisfaction.

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moins de quatre fins possibles (15,7-13 ; 15,33 ; 16,17-20 ; 16,25-27)5. Et aucune ne semble être capable de boucler les cinq grands blocs de la lettre6. Comme si le texte bégayait, incapable de clore le discours. Je me propose donc de réexaminer la question, en montrant la portée christologique de l’adresse, et la pertinence des conclusions successives de Rm, qui répondent à celle-ci par touches impressionnistes. Sans être une rétractation – au sens d’Augustin – cet essai que j’offre à Michel Gourgues constitue un recul critique par rapport au commentaire que j’ai offert de toute la lettre, il y a quelques années7. Si Michel m’a appris une chose, c’est bien qu’il faut reprendre sans cesse notre travail. Je m’aperçois que j’ai en quelque sorte sous-estimé le début et la fin de Rm. La présente expérimentation, qui s’oblige à lire en stéréophonie l’adresse et les conclusions qui la reprennent, et cela indépendamment du corps de la lettre, permettra, je l’espère, de découvrir un ressort inédit de cette lettre qui ne cesse de nous surprendre. Comme des étudiants trop astucieux en quête d’efficacité, demandons-nous ce qui arrive, comme effet de sens, lorsqu’on passe directement de l’introduction aux conclusions de Rm, sans lire les développements qui mènent de l’une aux autres. I. RM 1,1-7 : INTRONISATION DU ROI-MESSIE (ADRESSE) 1

Paul, esclave du messie (χριστός) Jésus, appelé [comme] apôtre, mis à part en vue de l’Extraordinaire annonce (εὐαγγέλιον) de Dieu – 2qu’il annonça et promit d’avance (προεπηγγείλατο) par ses prophètes dans les écritures saintes 3au sujet de son fils, advenu de la semence de David selon la chair, 4désigné fils de Dieu dans/par [la] puissance (ἐν δυνάμει) selon le souffle de sainteté (πνεῦμα ἁγιωσύνης), à la suite du relèvement (ἐξ ἀναστάσεως) des morts, Jésus messie notre seigneur – 5par qui nous reçûmes grâce et mission d’apôtre en vue de l’obéissance de la foi, dans toutes les nations en faveur de son nom, 6parmi lesquelles vous êtes, vous aussi, appelés de Jésus messie : 7à tous ceux étant à Rome, aimés de Dieu, appelés, saints, à vous grâce et paix de la part de Dieu notre père et du seigneur Jésus messie. (1,1-7)

L’adresse paulinienne calque la forme hellénistique « un tel à un tel, salut », mais avec emphase. Cela permet au destinateur de caractériser longuement son identité, aux v. 1 et 5, et celle de ses destinataires, aux v. 6-7a : 5. Ces quatre conclusions coïncident avec une série de cinq prières qui rythment la clôture de la lettre : 15,5-6 ; 15,13 ; 15,33 ; 16,20 ; 16,25-27. 6. Il y a consensus sur les cinq grandes divisions de Rm : cadre épistolaire (1,8-16 ; 15,833), justice de Dieu (1,18–4,25), vivre en Christ (5–8), élection d’Israël (9–11), une vie transformée (12,1–15,6). Bien sûr, dans mon commentaire, je montre comment chaque conclusion attache certains fils conducteurs de la lettre et reprennent des thèmes de ces grandes divisions – choses que je n’aborderai pas ici, sinon en note et de manière condensée. 7. A. GIGNAC, L’Épître aux Romains (n. 4).

DÉBUTER ET FINIR ROMAINS

Paul (v. 1.5) • • • • •

esclave du messie Jésus appelé apôtre

mis à part [par Dieu] pour annoncer grâce et mission d’apôtre par Jésus messie notre seigneur • pour les nations • en vue de l’obéissance de la foi

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Romains (v. 6-7a) • appelés de Jésus messie, appelés • aimés de Dieu • saints • • parmi lesquelles vous êtes

On constate trois choses. 1) Ces deux identités sont en corrélation et se font écho (il y a des correspondances entre les colonnes). 2) Elles sont déjà reliées aux tiers que sont Dieu le père et le seigneur Jésus (mots soulignés ci-dessus). 3) Bien plus, grâce à une parenthèse assez longue qui décrit l’évangile de l’avènement du messie (v. 2-4), les deux identités sont placées, sous un mode narratif, en contrechamp de l’action décisive de ce binôme. Reprenons ces trois considérations qui fournissent, dès l’ouverture, des clés de lecture de la lettre, clés qui seront reprises dans les différentes conclusions8. D’abord, il faut lire l’identité apostolique en corrélation avec l’identité des Romains. Destinateur et destinataires partagent certains traits de caractères qui créent entre eux une connivence : ils sont appelés et mis à part (ou saints). Bien sûr, Paul a en propre d’être apôtre. Mais il est frappant que la condition d’esclave et l’obéissance de la foi (sémantiquement reliée entre elles, ainsi qu’avec le mot « seigneur »), sont absentes du côté des Romains. À la jonction des deux identités, Paul mentionne qu’il doit conduire les nations à « l’obéissance de la foi ». Or, il sera spécifié plus loin que celle-ci caractérise l’agir du messie Jésus (5,19). On peut faire l’hypothèse que le but de la lettre, en déployant un vaste parcours, est de conduire les destinataires à cette attitude – non seulement s’agit-il de décrire aux Romains l’obéissance qu’est la foi, ou l’obéissance croyante, mais surtout de la leur faire assumer, à la suite du messie. Autrement dit, destinateur et destinataires partagent la même identité fondamentale – appelés par le messie et mis en réserve (ou sanctifiés) – mais il manque aux Romains quelque chose. Ensuite, la relation horizontale qui s’établit entre Paul et ses destinataires, est comme aspirée par la relation verticale que chacun entretient simultanément 8. Il va sans dire que l’adresse annonce aussi des thématiques importantes de 1,16–15,6, avec le vocabulaire de la filiation, de l’appel, de l’esclavage et de l’obéissance – ainsi que l’avalanche de citations scripturaires. Voir A. GIGNAC, L’Épître aux Romains (n. 4), p. 80, 81, 84, 86.

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avec le père et le fils. Tant les Romains que Paul sont ce qu’ils sont de par ce lien à Dieu et à Jésus. Bien plus, un double « notre [ἡμῶν] » unit je et vous entre eux et avec le Dieu père (v. 7) et le seigneur (v. 4). Enfin, inséré comme un coin au cœur de l’adresse, on trouve un mini-récit centré sur l’intronisation du messie. Il faut lire ces versets en ayant en tête l’histoire de David et l’intronisation royale du Ps 2 : le messie est choisi parmi les fils de David (Ammon, Absalom, Salomon). Être descendant de David est une condition nécessaire mais insuffisante pour devenir « fils de Dieu ». Selon la chair (l’hérédité familiale), Jésus est de la famille de David et sa résurrection (littéralement : le relèvement des morts) constitue une intronisation comme roi, dans la puissance ou par la puissance de Dieu9. Jésus est donc institué messie10. Alternativement, ou de façon complémentaire, on pourrait lire ce mini-récit comme l’envoi du Fils : ayant assumé la condition charnelle (faiblesse humaine), le messie, par sa résurrection, retrouverait sa puissance de Fils. Jésus serait donc déclaré messie, révélé comme ce qu’il est réellement11. Quoi qu’il en soit, l’identité du destinateur et des destinataires est fonction de ce moment-pivot, décisif, que constitue la résurrection. Ce contexte narratif nous autorise à traduire le mot χριστός par messie, même si on a pris l’habitude de considérer Χριστός comme un titre ayant la fonction d’un nom propre12. Cette connotation messianique est accentuée par l’accumulation du vocabulaire politique13, tant dans ses résonnances bibliques que hellénistiques : • évangile (message de Dieu ; annonce d’un avènement ou d’une victoire) ; • fils de Dieu (messie, dans la Bible ; apothéose impériale post mortem, à Rome) ; • seigneur (traduction du tétragramme divin YHWH ; titre impérial) ; • grâce (du souverain hellénistique) ; • paix (shalom messianique ; propagande impériale) ; • Rome (capitale impériale) ; • apôtre (l’envoyé qui parle au nom du maître). 9. L’expression ἐν δυνάμει est ambiguë. 10. Ainsi M.-É. BOISMARD, « Constitué fils de Dieu (Rom. 1,4) », RB 60 (1953) 5-17. 11. Par exemple, M.-J. LAGRANGE, Épître aux Romains (EBib), Paris, Gabalda, 41931 (1922), p. 7. 12. Par exemple, M. HENGEL, « “Christos” in Paul », in Between Jesus and Paul: Studies in the Earliest History of Christianity, Philadelphia PA, Fortress, 1983, p. 65-77. 13. Entre autres, revoir D. GEORGI, « God Turned Upside Down », in R.A. HORSLEY (ed.), Paul and Empire. Religion and Power in Roman Impeial Society, Harrisburg PA, Trinity, 1997, p. 148-157, ici p. 148-152 ; N. ELLIOTT, « Paul and the Politics of Empire. Problems and Prospects », in R.A. HORSLEY (ed.), Paul and Politics. Ekklesia, Israel, Imperium and Interpretation, Harrisburg PA, Trinity, 2000, p. 17-39, 35-39.

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La rédaction de Rm coïncide avec le début du règne de Néron, qui laisse présager le retour de l’âge d’or augustéen. Face à l’évangile de l’avènement d’un empereur sauveur dont la propagande affirmait que son règne avait été prophétisé, Paul proclame l’évangile d’un messie juif, ressuscité, annoncé par les prophètes et capable de régner sur les nations païennes et de leur apporter la paix. Dès l’ouverture, la lettre présente donc un messie intronisé dans la puissance et nous invite à redécouvrir la portée politique de la chose – par delà la thématique de la justification (ou en-deçà), dont on a sans doute hypertrophié l’importance14. En somme, il ne faut pas attendre l,16-17 pour recevoir une description de l’évangile, « puissance de Dieu en vue du salut pour quiconque croit ». Dès l’adresse, Paul met à l’avant-plan le messie seigneur dont l’exaltation « avec puissance » a des répercussions sur lui-même et ses destinataires. Voilà l’évangile annoncé par Paul et attesté par les Écritures d’Israël. II. RM 15,7-13 : LA

COMMUNAUTÉ DOXOLOGIQUE

(1re CONCLUSION)

7

C’est pourquoi accueillez-vous les uns les autres, comme aussi le messie vous accueillit en vue de la gloire de Dieu. 8 Car je dis que [le] messie est devenu serviteur de la circoncision pour la vérité de Dieu – en vue de confirmer les promesses [faites aux] pères – 9 tandis que les nations glorifient Dieu pour [sa] miséricorde, comme il est écrit: « À cause de cela je te confesserai publiquement parmi les nations et ton nom je chanterai » [Ps 18,49] ; 10 et il dit encore: « Réjouissezvous, nations, avec son peuple » [Dt 32,43]; 11 et encore: « Toutes les nations, louez le seigneur, et qu’ils le louangent, tous les peuples » [Ps 117,1] ; 12 et encore Isaïe dit: « Il y aura un surgeon de Jessé et celui qui s’est levé (ἀνιστάμενος) pour commander aux nations, en lui les nations espéreront. » [Is 11,10] 13 Le Dieu de l’espérance vous remplisse de toute joie et paix dans la foi, en vue du fait que vous débordiez d’espérance en puissance du souffle saint. (15,7-13)

Passant par dessus quinze chapitres, on arrive à la première conclusion15. Le champ lexical dominant est celui de la gloire (« gloire, glorifier, chanter, 14. Pour répondre à la question du 16e siècle : « suis-je sauvé ? », la Réforme (dont on célèbre le 500e anniversaire cette année) a lu Rm à travers le prisme de la justification forensique (métaphore légale d’un jugement où le juge gracie gratuitement le coupable). Or, la justice de Dieu est plus que la « righteousness ». Replacée dans son contexte messianique, elle recouvre une dimension politique en tant que projet de société, utopie à réaliser. Rm 1,1-7 permet de ne pas réduire la justice à sa seule dimension individuelle du croyant face à Dieu. 15. Bien sûr, 15,7-13 est la conclusion de 14,1–15,6 : accueil du faible (14,1) ; confession de la gloire de Dieu (14,11) ; parallélisme entre le plan rhétorique de 15,1-6 et de 15,7-13. C’est aussi la conclusion de la section 12,1–15,6 : le rassemblement liturgique est présidé par le messie illustre le « culte de l’ordre du logos » (12,1) ; le pronom de réciprocité « les uns les autres » (15,7) revient huit fois auparavant dans la section (12,5.10.16 ; 13,8 ;

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louer, louanger », mots en italiques ci-dessus), tandis que la chute de la conclusion insiste à trois reprises sur l’espérance (soulignement, aux v. 12-13). C’est la raison pour laquelle on a pu parler ici de la description d’une communauté doxologique16. Mais, comme nous allons le constater, on pourrait aussi parler d’une communauté messianique qui, à la suite du messie auquel elle obéit, célèbre sa foi. Commençons par quelques échos évidents de l’adresse. En 1,2, l’évangile avait été annoncé et promis d’avance (προεπαγγέλλομαι) par les prophètes dans les écritures saintes. Ici, les promesses sont confirmées (v. 8) et les écritures, amplement citées. En 1,4, le messie issu de la semence de David vivait le relèvement (ἐξ ἀναστάσεως) d’entre les morts. Ici, un rejeton sort de la racine de Jessé, père de David – il se lève (ἀνιστάμενος) pour être le commandant des Païens (v. 12). En 1,4 toujours, la puissance (liée au souffle saint) caractérisait le messie ou permettait sa résurrection. Ici, cette même puissance agit maintenant pour vous (v. 13). Enfin la prière pour la paix de 15,13 reprend la salutation de l’adresse (1,7). Mais il existe une analogie plus profonde entre l’adresse et la première conclusion, non au plan des énoncés, mais à celui de leur énonciation ellemême. D’emblée on retrouve, dans l’exhortation du v. 7, un télescopage entre horizontalité et verticalité, analogue à ce qui était mis en place dans l’adresse. En effet, l’accueil dont il est question possède une double dimension : la réciprocité communautaire (horizontalité) s’enracine dans le fait que chacun a une relation au messie en vue de rendre gloire à Dieu (verticalité). En finale, au v. 13, on revient sur le rapport à Dieu, dans un souhait qui rappelle la salutation de 1,7 : 1,7 : χάρις ὑμῖν καὶ εἰρήνη ἀπὸ θεοῦ πατρὸς ἡμῶν καὶ κυρίου Ἰησοῦ Χριστοῦ. 15,13 : Ὁ δὲ θεὸς τῆς ἐλπίδος πληρώσαι ὑμᾶς πάσης χαρᾶς καὶ εἰρήνης ἐν τῷ πιστεύειν, εἰς τὸ περισσεύειν ὑμᾶς ἐν τῇ ἐλπίδι ἐν δυνάμει πνεύματος ἁγίου. 14,13.19 ; 15,5) ; la miséricorde (15,9) ouvre la section en 12,1 (compassion de Dieu). Comme conclusion de tout 1,18–15,6, il y a reprise des thèmes théo-logiques suivants : gloire, vérité-fidélité, miséricorde et espérance, et surtout la confirmation que l’Évangile ne sépare pas mais unit « Juifs d’abord mais aussi Grecs (ou Gentils) » (1,16) et que les promesses aux pères sont confirmées (4,16 ; 9,1-5 ; 9,6-29 ; 11,29). Voir A. GIGNAC, Épître aux Romains, p. 533-534. 16. A.B. DU TOIT, « Die Kirche als doxologische Gemeinschaft im Römerbrief », Neotestamentica 27 (1993) 69-77, p. 69.

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La paix est mentionnée aux deux endroits, tandis que la grâce (χάρις, nominatif) de 1,7 est remplacée par la joie (χαρᾶς, génitif), dans une prière adressée au Dieu de l’espérance capable de communiquer une espérance dont la visée est le messie, car « en lui les nations espéreront » (v. 12). Contrairement à la salutation de 1,7, qui était à la fois théo-logique et christologique, la prière de 15,13 est essentiellement théo-logique, mais le thème de l’espérance la relie quand même au messie. Soulignons enfin que le parallélisme irrégulier du v. 13 (encadré ci-dessus17) met en valeur le trop-plein de la sollicitude divine (πληρώσαι, περισσεύειν) et associe la foi et l’espérance – l’amour, le troisième terme de la fameuse triade paulinienne, n’est pas mentionné, mais se profile derrière l’accueil du v. 7. Alors que dans l’adresse, les Romains devaient être conduits à l’obéissance de la foi, ils semblent maintenant habiter un espace de foi, d’espérance et de puissance. La transformation est notable. Ils sont plus étroitement associés au messie – jusque dans la puissance du souffle saint, comme je l’ai déjà souligné. Comme dans l’adresse, entre l’exhortation du v. 7 et la prière du v. 13 – qui entrecroisent les identités horizontales et verticales des Romains –, plusieurs versets s’insèrent en coin pour décrire l’action du messie, en deux temps. D’abord, les v. 8-9a, une phrase dont la syntaxe est notoirement difficile18, articulent l’action du messie et ce qu’elle révèle de Dieu : d’une part, le messie confirme les promesses faites aux Juifs et démontre que Dieu est vrai ; d’autre part (et sans doute, en conséquence), le messie permet aux Païens de glorifier Dieu (et démontre ainsi que Dieu est miséricordieux). (On peut aussi comprendre que la miséricorde de Dieu manifestée envers les Païens par l’entremise du messie les incite à glorifier Dieu.) Ensuite, aux v. 9b-12, un collage de quatre citations scripturaires19, dont le dispositif énonciatif est extrêmement sophistiqué20, crée une mise en scène liturgique rassemblant Juifs et Païens sous le leadership du messie et ayant pour raison d’être la glorification de Dieu. Le mini-récit de 15,8-12 montre que l’association des Romains au messie souhaitée aux v. 7 et 13 – y compris la participation à la puissance du souffle saint – se réalise. Autrement dit, dans un premier temps, Paul résume dans un témoignage personnel (« je dis ») l’action du messie et ses conséquences, par trois verbes à l’infinitif : devenir serviteur, confirmer les promesses, glorifier Dieu. 17. Je n’avais pas noté ce parallélisme dans mon commentaire. 18. A. GIGNAC, L’Épître aux Romains (n. 4), p. 532-533, 535-536. 19. Ps 17,50 ; Dt 32,43 ; Ps 117,1 ; Is 11,10. 20. A. GIGNAC, « Enunciation, Personification, and Intertextuality Characterization », in B.J. OROPEZA – S. MOYISE (ed.), Exploring Intertextuality: Diverse Strategies for the New Testament Use of Texts, Eugene OR, Cascade, 2016, p. 187-206, 202-205.

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Dans un deuxième temps, Paul donne la parole à un je non paulinien, puis au prophète Isaïe, deux personnages dont les prises de paroles appuient son témoignage. Avec plusieurs auteurs21, on peut entendre dans ce je le messie qui s’adresse à Dieu du sein des nations, pour le glorifier (v. 9b), et qui invite celles-ci à se joindre à lui et au peuple de Dieu pour glorifier Dieu (v. 10-11). Que Paul rapporte les paroles du messie est renforcé par la parole d’Isaïe, qui est un oracle messianique (v. 12). En s’associant à la louange du messie, les nations (dont sont les chrétiens romains) reconnaissent son autorité et lui obéissent. Comme on le voit, les trois clés de lecture identifiées dans l’adresse se retrouvent dans la première conclusion : obéissance de la foi, articulation de l’horizontalité et de la verticalité, mise en scène messianique. Dans l’adresse, les conséquences sotériologiques de la manifestation du messie n’étaient pas développées. Ici, les traits messianiques s’accumulent, en termes d’actions qui ont des conséquences pour le salut. Ce messie, serviteur de la circoncision, accueille les chrétiens de Rome, confirme les promesses, permet aux nations de glorifier Dieu, confesse lui-même Dieu publiquement parmi les nations, commande à celles-ci et est l’objet de leur espérance. L’intrigue de cette petite narration décrit donc le rapport triangulaire qui s’établit entre le messie, Israël et les Nations. Le messie ne concerne pas uniquement Israël, mais aussi les nations ; en unissant Israël et les nations en une unique louange à Dieu, le messie réalise l’attente de l’écriture, à savoir qu’Israël glorifie enfin son Dieu et que les nations se joignent à lui. Nous assistons, comme sortie de l’écriture, à une liturgie où le messie dirige un chœur de louange, les choristes étant principalement les Païens. Cette triangulation « messie, Israël et nations » était absente de l’adresse, semble-t-il. Mais l’était-elle vraiment? Car rétrospectivement, la première conclusion révèle peut-être l’ambigüité des destinataires de la lettre, en 1,5b6a : « 5b dans toutes les nations […], 6 parmi lesquelles vous êtes ». Il y a là un double entendre, dans lequel tous les chrétiens de Rome (1,7) pouvaient se reconnaître : faire partie des nations (« dont vous êtes »), ou habiter parmi les nations, comme peuple d’Israël dispersé – à l’instar du messie qui confessera publiquement le nom de Dieu parmi les nations (15,9b). Une lettre adressée aux chrétiens de Rome au nom du roi-messie ne peut que concerner, et les chrétiens d’origine juive, et les chrétiens d’origine païenne. 21. M.-J. LAGRANGE, Épître aux Romains (n. 11), p. 347 ; C.E.B. CRANFIELD, A Critical and Exegetical Commentary on the Epistle to the Romans (ICC), Edinburgh, Clark, 1975 ; 1979, p. 743-744; U. WILCKENS, Der Brief an die Römer (EKKNT, VI), Zürich – Neukirchen, Benziger – Neukirchener, 1978, 1980, 1982, Vol. 3, p. 108 ; R.B. HAYS, Echoes of Scripture in the Letters of Paul, New Haven CT – London, Yale University Press, 1989, p. 72.

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Quoi qu’il en soit, à l’intronisation messianique que constitue la résurrection, en 1,1-7 (où la focalisation se centre uniquement sur le messie), correspond une assemblée messianique liturgique, en 15,7-13 (où l’angle de vision s’élargit et englobe les disciples du messie, dans une perspective collective). III. RM 15,33 : « LE DIEU DE LA PAIX AVEC VOUS (2e CONCLUSION)

TOUS,

AMEN »

« Le Dieu de la paix avec vous tous, Amen. » (15,33) Il s’agit du quatrième amen de la lettre22, mais juste avant les amples salutations du chapitre 16, ce pourrait être la finale (certes lapidaire) de la lettre – surtout si on acceptait que Rm 16 ait pu constituer un billet ad hoc accompagnant une copie de la lettre envoyée à Rome, ou encore à Éphèse. Au-delà de la seule phrase, il faut dire un mot, quand même, du contexte de ce souhait de paix conclusif – qui forme inclusion avec la salutation de paix de l’adresse (1,7)23. Le souhait se situe, à titre de chute théo-logique, à la fin du deuxième volet du cadre épistolaire (15,14-32), où Paul communique ses projets aux chrétiens de Rome. On y trouve d’abord un écho explicite de l’adresse où Paul présentait sa mission envers les nations en termes d’obéissance (1,5) et où la puissance (δυνάμις) liée au souffle caractérisait le messie ressuscité (1,4) : 18

Car je ne m’enhardirais pas à dire quelque chose que le messie n’aurait pas œuvré effectivement par mon intermédiaire, en vue de l’obéissance des nations, par parole et œuvre, 19 en puissance de signes et prodiges, en puissance du souffle de Dieu. (15,18-19a – je souligne.)

Ensuite, juste avant la prière du v. 33, la péricope se termine sur une appréhension, qui s’exprime par l’image d’un combat mené par Paul, auquel les Romains peuvent s’associer par la prière : Je vous exhorte, frères, de par (διὰ) notre seigneur Jésus messie et de par (διὰ) l’amour du souffle, à combattre avec moi dans les prières pour moi auprès de Dieu, 31 afin que je sois libéré de ceux qui désobéissent (ἀπειθούντων) en Judée et que mon service envers Jérusalem soit bien accepté par les saints ; 32 afin que dans la joie, allant auprès de vous, de par (διὰ) la volonté de Dieu, je trouve le repos avec vous. (15,30-32) 30

22. Après les « Amen » de 1,25 ; 9,5 et 11,36. 23. La paix est un fil conducteur de la lettre, car elle caractérise le fait d’être en Christ : 2,10 ; 3,17 ; 5,1 ; 8,6 ; 14,17.19; 15,13. Elle revient aussi dans la troisième conclusion (16,20).

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Paul est incertain de l’issue de sa démarche à Jérusalem24, du fait que des chrétiens de Judée seraient du côté de la désobéissance. Incidemment, avec ἀπειθούντων (un antonyme de ὑπακούω), on retrouve à nouveau l’idée d’obéissance, inversée. Il y a une lutte à mener (et à finir) entre Paul qui obéit et a pour mission de conduire les nations à l’obéissance, et ceux qui désobéissent, en refusant que les nations elles aussi puissent obéir au messie. Subtilement, l’imagerie du combat rappelle la dimension agonistique du roi-messie – qui « s’est levé pour commander aux nations » (15,12). Abruptement, le souhait de paix appuyé par un « Amen » établit un contraste avec ce combat. La dimension verticale irénique vient court-circuiter la dimension horizontale agonistique. Enfin, comme en 1,1-7 et 15,7-13, il est fait mention du trinôme : Dieu – son messie – le souffle, dont les termes, pour une rare fois chez Paul, sont associés à une même préposition (διὰ). Bref, le contexte de la deuxième conclusion fait écho, encore une fois, aux trois clés de lecture de l’identité chrétienne – ou identité messianique – que nous avons mises en relief dans l’adresse : obéissance de la foi, croisement de la verticalité et de l’horizontalité, royauté du messie. On admettra cependant qu’une telle conclusion, qui ne comporte qu’une seule phrase, convient peut-être à une lettre (cadre épistolaire 1,1-17 + 15,1433) mais non à une épître (1,18–15,13) – contrairement à 15,7-13. En d’autres termes, le déséquilibre est flagrant entre la première et la seconde conclusion. De toute manière, la lettre, dans sa forme actuelle, ne se termine pas ici… IV. RM 16,17-20 : AVERTISSEMENTS EXHORTATIFS (3E CONCLUSION) 17

Je vous exhorte, frères, à surveiller les fauteurs de dissensions et scandales, à l’encontre de l’enseignement que vous avez suivi, et détournez-vous d’auprès d’eux 18 – car ceux-ci ne sont pas esclaves de notre seigneur messie, mais de leur ventre à eux ; et par le discours onctueux (χρηστολογία) et le discours de finesse, ils trompent les cœurs de ceux sans méchanceté. 19 Car votre obéissance parvint en vue de tous. Donc, à votre propos, je me réjouis ; or, je veux que vous soyez sages en vue du bon, cependant sans mélange en vue du mal. 20 Le Dieu de la paix écrasera Satan en vitesse, par vos pieds. La grâce de notre seigneur Jésus avec vous !

Après toute une série de salutations très empathiques et iréniques (16,116), on arrive à un passage assez prosaïque. Le changement de ton est abrupt – rude, voire agressif. Pourtant, lu en regard de 1,1-7 (adresse) et 15,7-13 24. Paul entend porter une somme assez considérable aux chrétiens de Jérusalem, en signe concret de solidarité entre judéo-chrétiens et pagano-chrétiens – cette fameuse collecte a accaparé une part appréciable de son activité missionnaire en Grèce.

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(1re conclusion), cette troisième conclusion établit une claire continuité discursive. D’une part, il appert que les Romains – à l’exception des « fauteurs de dissensions et de scandales » – ont atteint le statut d’esclaves du messie dont l’obéissance est connue de tous, statut qui leur faisait défaut au départ, c’est-à-dire dans l’adresse. De plus, la paix et la grâce de 16,20 reflètent la salutation initiale de 1,7, dans ses versants tant théo-logique que christologique. D’autre part, l’exhortation de 16,17 prend le contrepied de celle de 15,7 : il ne s’agit plus d’accueil mutuel entre frères et sœurs, mais de rupture. Et l’attitude des « fauteurs de dissensions et scandales » vient contrecarrer l’unanimité du chœur messianique de 15,9-12. Bien plus, leur « discours onctueux », et donc trompeur, constitue une sorte d’anti-christologie – le terme χρηστολογία se présentant comme un quasi homonyme ironique de « χριστολογία ». En quelque sorte, le portrait-robot des « fauteurs de dissensions et scandales », s’avère l’antithèse de la caractérisation des destinataires en 1,1-7 et 15,7-13. Et le combat (messianique) qui était à l’arrière-plan de 15,33 se retrouve ici : à la question horizontale des dissensions communautaires se superpose un combat cosmique de dimension verticale : « Le Dieu de la paix écrasera Satan en vitesse, par vos pieds. » (15,20) Si 16,25-27 est effectivement un ajout (voir section V), cette troisième conclusion serait aussi la dernière conclusion de Rm – certes suivi par quelques salutations aux v. 21-23. Que la lettre se termine par un ultime « je vous exhorte » serait alors significatif. Rien ne doit être tenu pour acquis. L’enseignement est sans cesse à reprendre et sa réception demeure toujours fragile. Une dernière fois, Paul « exhorte » – on pourrait même comprendre « supplie » – les Romains, pour qu’ils réalisent l’enseignement de la lettre. Mais finalement, répétons-le, cet enseignement est considéré comme réalisé : eux qui étaient en chemin vers l’obéissance de la foi au début de la lettre (1,5), voient maintenant leur obéissance aller vers tous (16,19). Il y a donc ambigüité : il y a un acquis, et rien n’est acquis. De la sorte, ce postscriptum incite à reprendre la lecture de la lettre. Nous serions en présence d’une « commande » discursive qui programmerait la lecture en boucle de Rm25. Après avoir parcouru 25. Comme les autres conclusions, 16,17-20 reprend non pas toutes mais plusieurs des thématiques essentielles de la lettre. Rappel de Rm 6 (n’être esclave que du seigneur). Rappel de 12,1–15,13, dont les deux séries d’exhortations se trouvent récapitulées : 1/ « sages en vue du bon, cependant sans mélange en vue du mal » (16,19) renvoie à « vous êtes haïssant le mauvais, étant soudés au bien » (12,9, clé de 12,1–13,14) ; 2/ « fauteurs de dissensions et scandales » (16, 17), « esclaves de leur ventre à eux », « le langage onctueux et le discours de finesse », « ceux sans méchanceté » (16,18) renvoient à la question des forts faisant trébucher les faibles à propos de discussions alimentaires (14,1–15,13). Rappel enfin de 8,31-39 où les puissances cosmiques étaient vaincues – tandis qu’ici, Satan sera écrasé en vitesse (16,20).

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l’enseignement de Rm, et en avoir été transformés, les lecteurs sont subtilement conviés à reprendre cette lecture, pour que leur transformation devienne plus profonde, plus effective, moins fragile. La victoire est pour bientôt, mais la lutte doit se poursuivre. Soulignons au passage que les autres conclusions ont elles aussi une visée exhortative, quoique plus discrète – le terme technique παρακαλῶ n’apparaît qu’ici (encore qu’il soit présent dans le contexte immédiat de 15,33, au v. 30). Enfin, on peut imaginer que ces versets constituent la signature de Paul, la souscription qui marque habituellement, dans les lettres de l’Antiquité, l’identité du destinateur et l’authenticité de la lettre. Par quelques lignes de sa main, l’expéditeur résumait le contenu de la lettre transcrite par un secrétaire et attestait ainsi sa provenance. La souscription est cependant plus claire dans d’autres lettres (1 Co 16,19-24 ; Ga 6,11-17 ; aussi 2 Th 3,16-18 ; Col 4,18). V. RM 16,25-27 : DOXOLOGIE (4e CONCLUSION) À celui qui a la puissance de vous affermir, selon mon Annonce et la proclamation de Jésus messie, selon le dévoilement du mystère – [depuis] des temps séculaires, réduit au silence 26 cependant manifesté à présent par les écritures prophétiques selon l’ordre du Dieu éternel en vue de l’obéissance de la foi, connu de toutes les nations – 27 À l’unique Dieu sage, par Jésus messie, à lui la gloire pour les siècles, amen ! 25

L’origine strictement paulinienne de ces versets est contestée. Je l’ai mentionné, s’il s’agissait d’un ajout, il faudrait considérer la troisième conclusion comme « originale ». Comme alternative à une rédaction paulinienne, on a successivement évoqué : l’éditeur du corpus paulinien (voire l’auteur de Éphésiens), Marcion (85-160 environ), un scribe aux prises avec la version écourtée de Marcion tronquée d’une conclusion, etc. – mais plusieurs commentateurs défendent encore la rédaction paulinienne26. Quoi qu’il en soit, cette quatrième conclusion reprend plusieurs grands thèmes de Rm, si bien qu’on peut la considérer comme une fort pertinente conclusion – à mettre donc en corrélation voire en tension avec la première conclusion (15,7-13). Autrement dit, qu’elle soit de la main de Paul qui n’est jamais à court de créativité ou du sens de l’adaptation (lorsqu’il emprunte du matériel juif ou chrétien), ou qu’elle soit de la main d’un relecteur attentif de Paul, le geste 26. Rappelons que le point d’insertion de 16,25-27 est fluctuant (revoir n. 4).

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herméneutique est fascinant et pertinent : on est en présence d’une synthèse ramassée et poétique de la lettre-fleuve qu’est Rm27. Les mots en italique dans la traduction ci-dessus sont repris de l’adresse : « force, annonce, messie, écritures prophétiques, obéissance de la foi, nations ». Une absence notable est celle du souffle. Par ailleurs, l’horizontalité de la relation destinateur / destinataires est encore là : mon Annonce et proclamation à vous (v. 25), mais c’est vraiment la verticalité qui l’emporte, que ce soit de haut en bas, ou de bas en haut : • • • •

Dieu peut vous affermir (↓) Mystère dévoilé (d’en haut, ↓) Ordre du Dieu éternel (↓) À lui la gloire (↑)

Contrairement à 1,1-7 et 15,7-13 (et même 15,33 et 16,17-20, en filigrane), la perspective est moins messianique que théo-logique. Ici, c’est Dieu qui est décrit, et non pas son messie, comme celui qui a la force, qui affermit, qui possède un dessein mystérieux, qui est unique et sage, et à qui revient la gloire. Or, ce Dieu et le dessein qu’il déploie ne sont pas une abstraction ontologique, mais sont partie liée à je et à vous. Et contrairement à 1,1-7 et 15,7-13, il n’y a aucune mention explicite de la résurrection. Cela dit, la quatrième conclusion, sans décrire la proclamation du messie, y fait référence, renvoyant à 1,3-4 et à 15,7-13. L’éternité fait irruption dans le temps humain par Jésus messie proclamé (16,25), et la prière humaine y répond, par ce même Jésus messie (16,27). Enfin, cette prière hautement mystique réussit le tour de force d’exhorter une dernière fois les destinataires, quoique de manière indirecte : « À celui qui a la force de vous affermir. » Toutes les conclusions ont donc une couleur exhortative. Il est intéressant de comparer les deux mises en scène de 15,7-13 et 16,2527, qui déploient toutes deux la gloire de Dieu, mais de manière différente. Dans la première conclusion, on était devant une chorale dirigée par le messie, dans un contexte liturgique où on parlait beaucoup, avec chants et louanges. Dans la quatrième et ultime conclusion, on contemple comme en silence l’abyme vertigineux de l’éternité d’où surgit la gloire divine. D’un côté, 27. Quelques fils conducteurs de Rm ici repris : « mon Annonce » (2,16 ; voir aussi 1,16), dont toute la lettre est la mise en discours ; les « écritures », mentionnées d’emblée (1,2), maintes fois citées, dont la pertinence pour l’aujourd’hui a été soulignée (15,4) ; l’expression « manifesté à présent par les écritures prophétiques » reprend presque tel quel le retentissant « maintenant » de 3,21 ; la gloire (1,23 ; 2,7.10 ; 3,7.23 ; 4,20 ; 5,2 ; 6,4 ; 8,18.21 ; 9,4.23 ; 11,36 ; 15,7).

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glorification ; de l’autre, contemplation de la gloire. La perspective apocalyptique de 16,25-27 (dévoilement du mystère) répond pourtant à l’adresse (et à 1,16) où l’arrière-plan de l’intronisation messianique était liée à un contexte apocalyptique. L’adresse présentait d’entrée de jeu la résurrection comme une manifestation de puissance et un point tournant, entrevu par les écritures saintes. La quatrième conclusion insiste elle aussi sur ce point de basculement, alors que se dévoile, à présent, le mystère. Bref, Larry Hurtado n’a pas complètement tort de voir en 16,25-27 un résumé de 15,7-13 : Si on lit 15,1-13 et ensuite immédiatement 16,25-27, il devient clair comment la doxologie [16,25-27], rendant gloire à Dieu et évoquant le message du salut des gentils maintenant dévoilé à travers les écrits de l’AT, reprend parfaitement le contenu de 15,1-13, où la glorification de Dieu par et pour les gentils convertis est mentionnée, et où il est montré par des exemples que l’AT pointe vers leur salut28.

Toutefois, le ton de l’énonciation est radicalement différent – plutôt que de se terminer par une louange bruyante et expressive, Rm se termine par une invitation à la contemplation, sur une note apophatique29 ! * *  * Que retenir de ce parcours ? La conclusion épistolaire se trouve en 15,33 ; la conclusion de l’enseignement de la lettre se trouve en 15,7-13, sous la forme d’un collage scripturaire ; la lettre se serait effectivement terminée par une exhortation en forme de post-scriptum (qui constituerait peut-être aussi la signature sous forme de subscriptio), en 16,17-20 ; enfin, un hymne poétique aurait été ajouté par dessus tout cela, comme la cerise sur le sundae30, en 16,25-27. À l’occasion de ces conclusions successives, on a l’impression que le texte paulinien ne veut pas interrompre son discours, comme s’il y avait encore à dire, ou que la communication ne devait pas être rompue, ou que l’auteur implicite avait de la difficulté à livrer son texte, ou à le clore.

28. L.W. HURTADO, « The Doxology at the End of Romans », in E.J. EPP – G.D. FEE (ed.), New Testament Textual Criticism: Its Significance for Exegesis. FS Bruce M. Metzger, Oxford, Clarendon, 1981, p. 185-199, ici p. 198. 29. Et quant à l’ensemble de la lettre, et en comparaison avec 15,7-13, il faut mentionner un silence de taille de cette doxologie solennelle : l’absence de la question d’Israël et de la première moitié du leitmotiv : « Juif d’abord, mais aussi Grec », pourtant si bien articulé en 15,7-13. 30. Ou, si l’on préfère, la cerise sur le gâteau. Comme il s’agit d’un hommage à un exégète québécois, je me permets ce québécisme, en précisant qu’en Amérique, un sundae est une crème glacée sertie d’une sauce sucrée (chocolat, caramel, fraise, etc.).

DÉBUTER ET FINIR ROMAINS

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Mais la mise en série de ces quatre conclusions révèle des transversalités intéressantes : elles sont toutes exhortatives ; elles comportent toutes des prières (et 16,25-27 est tout entière une prière) ; la dialectique entre la relation communautaire horizontale et la relation verticale entre le(s) croyant(s) et le binôme Dieu-messie structure le discours; la thématique de l’obéissance revient comme un leitmotiv; elles ont toutes une connotation messianique, quoique cela s’avère plus flagrant en 15,7-13 et 16,25-27. En cela, ces conclusions font écho de manière substantielle à l’adresse, dont j’ai voulu montrer que la christologie est avant tout messianique, au sens propre. La mise en miroir de 1,1-7 et 15,7-13 est à ce titre particulièrement éloquente. En Rm, il n’est guère question du royaume de Dieu (sauf en passant, en 14,17), sinon de manière négative, lorsqu’on dit que le règne de Péché et Mort a été renversé (5,14.17.21 ; 6,12). Toutefois, on lit en 5,21 : « afin que […] la grâce règne par la justice en vue de la vie éternelle par Jésus messie notre seigneur. » En somme, une trouvaille collatérale du présent essai, qu’il conviendrait de creuser ultérieurement plus à fond, est de remettre en valeur le caractère politique de la justice messianique en Rm31. Ce qui soulève une dernière question, sous la forme d’un paradoxe. Alors que l’adresse de 1,1-7 ouvre la lettre sur une note messianique nettement politique, la doxologie de 16,25-27 la clôt sur un point d’orgue mystique. De la sorte, est-ce que la doxologie vient contredire l’ouverture ? Serait-on en présence, au sein même du discours, de l’élision du messianisme politique utopique qui serait transformé en une sorte de spiritualisme ? Rm, en son début et dans ses fins, porterait déjà une tension, voire une contradiction qui a traversé les deux millénaires du christianisme. Voilà il me semble, de bonnes questions à offrir à notre collègue Gourgues. Alain GIGNAC Université de Montréal [email protected]

31. En ce sens, voir T.W. JENNINGS, Outlaw Justice: The Messianic Politics of Paul, Stanford CA, Stanford University Press, 2013, et mon essai : A. GIGNAC, « Pour renouveler la lecture de Rm 3,21-26. Poésie et poétique d’un discours métaphorique », in C. BREYTENBACH (ed.), God’s Power for Salvation: Romans 1,1–5,11 (Colloquium Oecumenicum Paulinum, 23), Leuven, Peeters, 2017, p. 117-145.

À QUI LE DERNIER MOT : AU DIEU QUI ÉLIT OU AU DIEU QUI FAIT MISÉRICORDE ? L’AVENIR D’ISRAËL SELON RM 9–11

INTRODUCTION ET

REMARQUES PRÉLIMINAIRES

Dans l’exégèse moderne du Nouveau Testament, c’est une brochette impressionnante de questions en débat que soulèvent les chapitres 9 à 11 de Romains1 : ce long développement consacré à Israël forme-t-il une annexe à l’épître, sans réelle nécessité rhétorique ? pire encore, un corps étranger importé d’un autre contexte de communication ? Ou ces chapitres sont-ils, au contraire, solidaires de l’argumentation paulinienne face aux croyants de Rome, voire en constituent-ils l’acmé ? De même, Paul est-il ici contraint de se rétracter face à d’autres propos antérieurs tenus au sujet d’Israël, en Galates notamment2 ? Ou son raisonnement est-il strictement dogmatique, abstrait de toute contingence historique ? Mieux encore : le raisonnement conduit à propos de l’Israël « incrédule et contestataire » (10,21) est-il cohérent ou confine-t-il à l’aporie ? Autant de questions qui ont connu un regain de vitalité au lendemain de la Shoah, l’exégèse biblique identifiant dans ce passage un bienvenu contrepoison face à la théorie du remplacement jusque-là monnaie courant dans la théologie biblique, néotestamentaire singulièrement3. 1. À ce propos, on observera le déploiement de ces diverses questions et hypothèses dans le collectif dirigé par L. DE LORENZI (ed.), Die Israelfrage nach Röm 9–11 (Monographische Reihe von « Benedictina ». Biblisch-ökumenische Abteilung, 3), Rom, Abtei von St Paul vor den Mauern, 1977, ainsi que dans le volume édité par F. WILK – J. ROSS WAGNER (ed.) : Between Gospel and Election: Explorations in the Interpretation of Romans 9–11 (WUNT, 257), Tübingen, Mohr Siebeck, 2010. Pour un état des questions en débat, l’on se reportera en particulier à l’étude de W.G. KÜMMEL, « Die Probleme von Römer 9–11 in der gegenwärtigen Forschungslage », in L. DE LORENZI (ed.), Die Israelfrage nach Röm 9-11 (n. 1), p. 13-56. 2. Ainsi : M. THEOBALD, Studien zum Römerbrief (WUNT, 136), Tübingen, Mohr Siebeck, 2001, p. 324-349, en particulier p. 328. 3. B. SCHALLER, « Die Rolle des Paulus im Verhältnis zwischen Christen und Juden », in F. WILK – J. ROSS WAGNER (ed.), Between Gospel and Election: Explorations in the Interpretation of Romans 9–11 (WUNT, 257), Tübingen, Mohr Siebeck, 2010, p. 8-9 : « Die entscheidenden Anstöße zu den “im Schatten der Schoah” christlicherseits erfolgten Bemühungen um

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C’est à l’un des grands chantiers en cours sur ces trois chapitres que nous souhaitons consacrer cette étude en hommage à Michel Gourgues : l’argumentaire paulinien déployé en Rm 9–11. La critique rhétorique appliquée depuis maintenant deux générations à l’exégèse biblique a en effet permis de mettre au jour l’unité et la construction réfléchie de la séquence considérée4. Reste que la logique théologique présidant à l’élucidation par Paul du destin d’Israël résiste encore à l’acribie exégétique. C’est à reprendre cette crux interpretum que nous souhaitons nous engager ici. Pour ce faire, nous commencerons par retracer le parcours argumentatif de Paul : de quoi Rm 9–11 est-il l’enjeu et comment l’apôtre y prétend-il ? Nous nous intéresserons ensuite à l’inscription contextuelle de cet argumentaire, au sein de l’écrit aux Romains dans son ensemble : en quoi est-il requis par le propos paulinien aux croyants domiciliés dans la capitale impériale ? Nous reviendrons enfin sur la logique théologique engagée par l’apôtre à propos du destin d’Israël : comment cet avenir est-il envisagé et sur quelle(s) conviction(s) théologique(s) se fonde-t-il ? I. RM 9–11 : ESQUISSE D’UN PARCOURS ARGUMENTATIF Que ce soit thématiquement, sémantiquement ou discursivement5, l’organisation des ch. 9 à 11 de Romains ne souffre guère de contestations6. Son eine neue Israel-Theologie, zu einer grundstürzenden neuen Sicht des Judentums als lebendiger Größe in und mit seiner das Evangelium von Jesus Christus zurückweisenden Haltung, die entscheidenden Anstöße dazu sind von Paulus ausgegangen, in erster Linie von seinen Äußerungen in den Kapiteln 9–11 des Römerbriefs, in denen er sich mit dem Faktum der jüdischen Ablehnung des Evangeliums auseinandersetzt und diese ebenso ausführlich wie ausdrücklich theologische reflektiert » ; plus largement : ibid., p. 1-36 ; J. BECKER, Paul. « L’Apôtre des nations » (Théologies bibliques), Paris – Montréal, Cerf – Médiaspaul, 1995, p. 529 : « Du fait de son attitude positive à l’égard d’Israël, Rm 9–11 joue […] un rôle particulier dans le dialogue judéochrétien actuel, d’autant que certains interprètes y discernent l’affirmation qu’il existe une voie du salut particulière pour Israël à côté du Christ ou, à tout le moins, l’approche la plus pénétrante et la plus sensible de l’élection irréversible d’Israël ». Plus largement, lire aussi : W. KRAUS, « Die Bedeutung von Römer 9–11 im christlich-jüdischen Gespräch », in F. WILK – J. ROSS WAGNER (ed.), Between Gospel and Election (n. 1), p. 505-523. 4. A ce sujet, notamment : J.-N. ALETTI, Comment Dieu est-il juste ? Clefs pour interpréter l’épître aux Romains, Paris, Seuil, 1991, en particulier p. 112-203 ; ID., Israël et la Loi dans la lettre aux Romains (LD, 173), Paris, Cerf, 1998, en particulier p. 167-265. Les travaux pionniers d’analyse rhétorique appliquée au Nouveau Testament ont été, c’est un fait bien connu, entrepris par H.D. BETZ à la fin des années 1970 : ID., Galatians (Hermeneia), Philadelphia PA, Fortress Press, 1979. 5. Sur la nécessité de conjoindre plusieurs critères dans la structuration dudit passage, nous rejoignons les saines prémisses méthodologiques émises par J.-N. ALETTI, Comment Dieu est-il juste ? (n. 4), p. 141s. 6. A ce propos et pour la suite de notre progression, l’on se référera à J.-N. ALETTI, Comment Dieu est-il juste ? (n. 4), notamment p. 140-150 ; ID., Israël et la Loi dans l’épître aux Romains

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unité est en effet assurée par l’encadrement hymnique disposé autour de la séquence (la doxologie consignée en 11,33-36 rappelant la louange, doublée d’un « amen », lue en 9,5b)7, les développements situés en ses deux extrémités se voyant dès lors élevés au rang d’exordium (9,1-5) et de peroratio (11,33-36) respectivement. Entre ces deux bornes et en trois vagues ou périodes successives (9,6-298 ; 9,30–10,21 ; 11,1-32), c’est la probatio qui se donne à lire, soit la section centralement argumentative du discours paulinien où s’enchaînent moult preuves scripturaires et autres raisonnements logiques. Mais de quoi Rm 9–11 est-il le nom ? Quel en est le thème directeur, le fil rouge ? Plusieurs pistes ont été proposées dans l’histoire de l’exégèse moderne. Ulrich Luz les a regroupées en trois familles d’hypothèses : le destin d’Israël, l’histoire du salut ou, encore, la fidélité de Dieu à sa Parole 9. Assurément, ces trois thèmes sont tous attestés en Rm 9–11 et en déterminent, chacun pour une part, la substance10. Maintenant, deux arguments nous semblent favoriser la première proposition thématique : 1) absent ailleurs de l’écrit aux Romains, le vocable « Israël » revient en cascade tout au long de ces trois chapitres (11 occurrences, au total), surgissant notamment en ses deux (n. 4), notamment p. 172-174 ; J. BECKER, Paul. « L’Apôtre des nations » (n. 3), p. 539-546 ; P.T. GADENZ, «Resurrection and Restoration. How 1 Corinthians 15 Sheds Light on Romans 11? », in F. BIANCHINI – S. ROMANELLO (ed.), Non mi vergogno del Vangelo, potenza di Dio. Studi in onore di Jean-Noël Aletti SJ, nel suo 70° compleanno, Roma, GBP, 2012, p. 123-124 ; M. QUESNEL, « La figure de Moïse en Romains 9–11 », NTS 49 (2003) 321-335, p. 322-324 et, surtout, à F. WILK, « Rahmen und Aufbau von Römer 9–11 », in ID. – J. ROSS WAGNER (ed.), Between Gospel and Election (n. 1), p. 227-253. 7. J. BECKER, Paul. « L’Apôtre des nations » (n. 3), p. 538 ; F.J. MATERA, Romans, Grand Rapids, MI, Paideia, 2010, p. 212-213. 8. La césure entre la première et la deuxième période de l’argumentation est disputée : alors que la particule οὖν semble assigner les v. 31-33 au statut de conclusion du premier mouvement argumentatif, ces mêmes versets inaugurent la sémantique de la justification absente en amont et omniprésente au ch. 10. De même, Israël devient ici le sujet principal des verbes conjugués (dès 9,31), alors que Dieu dominait les débats précédemment (8 occurrences du terme θεός aux v. 6-29). Au reste, la formule τί οὖν ἐροῦμεν; possède, en Romains, toujours une fonction introductive (4,1 ; 6,1 ; 7,7 ; 8,31 ; 9,14). Voir J.-N. ALETTI, Comment Dieu est-il juste ? (n. 4), p. 140-150 ; H. HÜBNER, Gottes Ich und Israel. Zum Schriftgebrauch des Paulus in Römer 9–11 (FRLANT, 136), Göttingen, Vandenhoeck und Ruprecht, 1984, p. 60 ; W.G. KÜMMEL, « Die Probleme von Römer 9–11 in der gegenwärtigen Forschungslage » (n. 1), p. 18-19, n. 19 ; C. SENFT, « L’élection d’Israël et la justification (Romains 9 à 11) », in L’Évangile hier et aujourd’hui. Mélanges offerts au Professeur Franz-J. Leenhardt, Genève, Labor et Fides, 1968, p. 135-136. Pour un résumé des positions et des arguments en présence, lire aussi : F. WILK, « Rahmen und Aufbau von Römer 9–11 » (n. 6), p. 230-231. 9. U. LUZ, Das Geschichtsverständnis des Paulus (BEvT, 49), München, Kaiser, 1968, p. 22-25 (« die Frage nach dem Schicksal Israels » ; « die Frage nach der Heilsgeschichte » ; « die Frage nach Gott, seiner Treue zu dem in die Geschichte gegebenen Wort »). 10. U. WILCKENS, Der Brief an die Römer (EKKNT, VI), Zürich – Neukirchen, Benziger – Neukirchener, 21987, p. 181 ou U. LUZ, Das Geschichtsverständnis des Paulus (n. 9), passim.

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extrémités (9,6b et 11,26a)11 ; 2) en dépit de son caractère sibyllin12, l’exorde de la section, dont la fonction dans la rhétorique classique était d’annoncer la cause à plaider et de rendre l’auditoire bienveillant13, énonce obliquement le sujet des tourments pauliniens : « [ses] frères, [ses] parents selon la chair » (9,3b)14, la thématique historico-salutaire (cf. déjà 9,4-5a) ou la problématique de la fidélité de Dieu à ses promesses (cf. 9,6a) étant subordonnées à cette source de « peine » et de « douleur » (cf. 9,2). Précisément, c’est la condition historico-salutaire de l’Israël empirique/ethnique – ce dernier se trouvant hors du salut, en raison de son refus du Messie Jésus – qui tourmente l’apôtre (c’est dire si, ici déjà, l’articulation, au regard de l’Israël incrédule, entre l’Évangile et l’élection constitue un enjeu prioritaire pour Paul)15. 11. L’observation est de K. HAACKER, « Das Thema von Römer 9–11 als Problem der Auslegungsgeschichte », in F. WILK – J. ROSS WAGNER (ed.), Between Gospel and Election: Explorations in the Interpretation of Romans 9–11 (WUNT, 257), Tübingen, Mohr Siebeck, 2010, p. 59 : « Das Thema selbst ist nur dann treffend benannt, wenn dabei das Stichwort Israel fällt; denn dieses Stichwort erweist sich durch seine Häufigkeit und durch sein Vorkommen zu Beginn und am Schluss dieser drei Kapitel als Bezeichnung der Sache, um die es geht (vgl. 9,6.27.31; 10,19.21; 11,2.7.25.26; ferner “Israelit[en]” in 9,4; 11,1), womit allerdings noch nicht festgestellt ist, unter welchem Aspekt Israel das Thema dieses Briefteils ist » (l’auteur souligne). Voir aussi : U. SCHNELLE, Paulus. Leben und Denken, Berlin – New York, de Gruyter, 2003, p. 379, n. 149. 12. U. LUZ, Das Geschichtsverständnis des Paulus (n. 9), p. 26, n. 38. 13. À propos de Rm 9,1-5 compris comme exordium (et comme narratio indirecte), voir ici et pour ce qui suit : F. WILK, « Rahmen und Aufbau von Römer 9–11 » (n. 6), p. 235-241 ainsi que J.-N. ALETTI, Comment Dieu est-il juste ? (n. 4), p. 146-147 et ID., Israël et la Loi dans l’épître aux Romains (n. 4), p. 168-170. Pour de plus amples détails au sujet de l’exordium discursif antique, on lira également : H. LAUSBERG, Handbuch der literarischen Rhetorik. Eine Grundlegung der Literaturwissenschaft, München, Max Hueber Verlag, 21973, §§ 263–289. 14. H. HÜBNER, Gottes Ich und Israel. Zum Schriftgebrauch des Paulus in Römer 9–11 (n. 8), p. 14. 15. Avec M. WOLTER, « Das Israelproblem nach Gal 4,21-31 und Röm 9-11 », ZTK 107 (2010) 19-20, en particulier p. 20 : « Wie lässt sich Israels gegenwärtige Unheilssituation mit seiner Erwählung theologisch vereinbaren? Im Kern geht es dabei um Israels Gottesverhältnis »). Dans un sens proche, si ce n’est identique : J.-N. ALETTI, Israël et la Loi dans l’épître aux Romains (n. 4), p. 168 : « Rm 9, 1-5 est peut-être l’exorde le plus saisissant des lettres pauliniennes ; il notifie avec une force inégalée l’enjeu des questions : en n’adhérant pas à l’Évangile la majorité des israélites se sont-ils coupés du salut ? Et les privilèges qui leur furent accordés sont-ils de ce fait réduits à néant ? » ; B.R. GAVENTA, « On the Calling-Into-Being of Israel: Romans 9:6–29 », in F. WILK – J. ROSS WAGNER, Between Gospel and Election (n. 1), p. 257 : « […] one of the questions raised by Rom 1–8 is what precisely Paul is saying about Israel. And to ask about Israel is necessarily to ask about God and Israel, since Paul writes nothing about an Israel that can be isolated as an ethnic entity or a “nation”, but only as God’s creation in each patriarchal generation » (l’auteur souligne) ; K. HAACKER, « Das Thema von Römer 9–11 » (n. 11), p. 66 : « Unstrittig ist, dass Paulus das Thema Israel unter einem negative Vorzeichen aufgreift. Das zeigt seine Klage in 9,1-3 in Verbindung mit den Aussagen über die Gerechtigkeit und Heil in 9,30-33 und 10,1-3. [...] Nicht zu bestreiten ist zweierlei : Erstens, dass der Unglaube der Mehrheit Israels gegenüber dem Christus-Evangelium für Paulus das Problem ist, das ihm zu schaffen macht (vgl. 10,14-21 und 11,20.23), und zweitens, dass

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La suite en exposera les différentes facettes, le Tarsiote procédant comme souvent par un examen échelonné et différencié de son objet d’étude16. Si la section située à cheval entre le ch. 9 et le ch. 10 (soit de 9,30 à 10,21) dresse dans toute son ampleur la tragédie dans laquelle se trouve actuellement l’Israël « incrédule et contestataire » (10,21b)17, l’unité formée par 9,6-29 en a préalablement préparé l’énoncé, déployant le rapport entretenu par Dieu à l’égard du peuple d’Abraham dans son histoire passée18. Le troisième temps de l’argumentation paulinienne peut, dès lors, parachever cet examen, en abordant désormais le futur de cette relation entre Dieu et Israël (11,1-32), dans une perspective sotériologique singulièrement19. Cette belle cohérence argumentative – notamment garantie par la mise en scène d’une temporalité suspendue entre passé, présent et à venir20 – ne doit pas masquer les tensions théologiques qui accident le raisonnement de l’apôtre. Pour sûr, comme l’ont régulièrement observé les lecteurs de Paul, ce sont deux théologoumènes de prime abord incompatibles qui sont successivement convoqués dans l’argumentation : le motif de l’élection souveraine et libre de Dieu, tout d’abord ; l’Évangile de la justice par la foi, ensuite21. Ou, aus seiner Sicht daran – bisher jedenfalls – die Teilhabe Israels am Heil scheitert (vgl. 10,1.913) » (l’auteur souligne) ; F. WILK, « Rahmen und Aufbau von Römer 9–11 » (n. 6), p. 241 : « Aus diesen Bezügen [entre l’exordium et la peroratio de Rm 9 à 11] lässt sich die Leitidee erschliessen : Sie besteht in der Aufhebung des Widerspruchs, der – aus Sicht des Paulus – hinsichtlich der nicht christusgläubigen Israeliten zwischen der Perspektive des Evangeliums und der Perspektive der Erwählung besteht ». 16. Dans la discussion qui suivit la communication de W.G. KÜMMEL, « Die Probleme von Römer 9–11 » (n. 1), Jean-Marie Cambier déclarait à propos de la manière paulinienne d’argumenter ceci : « Rien, dans un exposé paulinien, n’est d’une nécessité logique, à la manière grecque ; sa logique est sémitique, où se succèdent les associations d’images et de mots (cf. les mots-crochets, Stichwort), les rebondissements inattendus de la pensée et, en particulier, ce que j’ai déjà appelé ses parenthèses ou plongées théologiques (cf. J. CAMBIER, art. “Paul”, in Dictionnaire de la Bible. Supplément, tome 7, Paris, Letouzey et Ané, 1966, col. 336s.) » (ibid., p. 37-38). Dans ce sens, aussi : J.-N. ALETTI, Comment Dieu est-il juste ? (n. 4), p. 181-182 et passim ; U. LUZ, Das Geschichtsverständnis des Paulus (n. 9), p. 28.36 et passim ; U. SCHNELLE, Paulus. Leben und Denken (n. 11), p. 380. 17. Voir aussi U. SCHNELLE, Paulus. Leben und Denken (n. 11), p. 383. 18. J.-N. ALETTI, Israël et la Loi dans l’épître aux Romains (n. 4), notamment p. 173.234 ; J.M.G. BARCLAY, Paul and the Gift, Grand Rapids MI – Cambridge, Eerdmans, 2015, p. 524 ; P.T. GADENZ, « Resurrection and Restoration. How 1 Corinthians 15 Sheds Light on Romans 11? » (n. 6), p. 124 ; W.G. KÜMMEL, « Die Probleme von Römer 9–11 in der gegenwärtigen Forschungslage » (n. 1), p. 19-22 ; M. WOLTER, « Das Israelproblem nach Gal 4,21-31 und Röm 9-11 » (n. 15), p. 17-30, en particulier p. 21-28. 19. J.-N. ALETTI, Israël et la Loi dans l’épître aux Romains (n. 4), notamment p. 171, 173174, 234 ; J.M.G. BARCLAY, Paul and the Gift (n. 18), p. 524-525. 20. J.-N. ALETTI, Israël et la Loi dans l’épître aux Romains (n. 4), p. 173-174 ; J. BECKER, Paul. « L’Apôtre des nations » (n. 3), p. 538s. 21. D’où le titre donné au collectif dirigé par F. WILK – J. ROSS WAGNER : Between Gospel and Election (n. 1).

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dit autrement : l’avantage d’Israël dans son statut de peuple élu de l’histoire sainte, d’une part ; la suspension de toute différence entre Juifs et païens sur un plan à la fois hamartiologique et sotériologique, de l’autre22. À titre de contrôle, l’analyse sémantique permet de mettre au jour deux isotopies qui se succèdent dans le propos paulinien : les notions d’élection, de choix et de promesse dominent les débats en 9,6-2923, alors que les concepts de justice, de Loi, de foi et d’œuvres interviennent en force dès 9,3024. Une partition qui n’est toutefois pas totalement étanche, puisque Paul réinterprète, en 9,12a déjà, le motif de l’élection divine à l’aune de son Évangile-sans-les œuvres25. Et surtout, cette double sémantique investit-elle ensuite de concert 11,1-32, les v. 17-32 singulièrement26 ; nous aurons l’occasion d’y revenir. On le voit, c’est bien l’articulation de ces deux points de vue interprétatifs, l’un proprement théo-logique et adossé à l’histoire élective d’Israël, l’autre informé par l’Évangile de la justification et centré sur la dramatique de l’Israël empirique, qui aimante tout le développement couché en Rm 9 à 11 et attise la controverse parmi les exégètes de Paul27. Car comment tenir ensemble ces 22. Voir notamment C. SENFT, « L’élection d’Israël et la justification (Romains 9 à 11) » (n. 8), p. 131-142, en particulier p. 133 ; M. WOLTER, « Das Israelproblem nach Gal 4,21-31 und Röm 9-11 » (n. 15), p. 17-30, en particulier p. 28-29. 23. ἐκλογή : 9,11b ; ἐπαγγελία : 9,8.9a ; καλέω : 9,7b.12a.24.25b.26c. Voir J.-N. ALETTI, Israël et la Loi dans l’épître aux Romains (n. 4), p. 173, n. 2 ; H. HÜBNER, Gottes Ich und Israel (n. 8), p. 25-26. 24. δικαιοσύνη : 9,30(3×).31 ; 10,3(3×).4.5.6a.10a ; πιστεύω : 9,33c ; 10,4.9.10a.11b. 14(2×).16d ; πίστις : 9,30c.32b ; 10,6a.8c.17a ; νόμος : 9,31 ; 10,4.5 ; ἔργον : 9,32b. Voir P.T. GADENZ, « Resurrection and Restoration » (n. 6), p. 124 ; H. HÜBNER, Gottes Ich und Israel (n. 8), p. 25.60 ; U. LUZ, Das Geschichtsverständnis des Paulus (n. 9), p. 30. Un inventaire lexical de Rm 9 à 11 se lit chez F. WILK, « Rahmen und Aufbau von Römer 9–11 » (n. 6), p. 228-229. 25. Avec C. SENFT, « L’élection d’Israël et la justification (Romains 9 à 11) » (n. 8), p. 135 : « Ainsi s’établit une ambiguïté. Tout en argumentant selon le schème de l’élection du peuple, l’apôtre est guidé en fait par les nécessités de sa propre pensée théologique. On en découvre dans ce chapitre [9] les signes non équivoques. C’est ainsi qu’il interprète la πρόθεσις κατ’ ἐκλογήν, le choix qui accueille les uns et rejette les autres, comme une confirmation de sa thèse, selon laquelle le salut n’est pas ἐξ ἔργων, mais a pour cause l’acte créateur du καλεῖν divin (v. 12), de même il peut voir dans l’arbitraire (ὃ θέλει) de la miséricorde et de l’endurcissement (v. 17 [sic]) la confirmation de l’Évangile du sola gratia : οὐ τοῦ θέλοντος οὐδὲ τοῦ τρέχοντος (v. 16). Il est évident, enfin, qu’au verset 24 : οὐ μόνον ἐξ Ἰουδαίων ἀλλὰ καὶ ἐξ ἐθνῶν, lieu commun de la théologie paulinienne, il faut percevoir la claire allusion à l’Évangile devant lequel “il n’y a pas de différence” (3:22 ; 10:11 ; cf. Gal 3:28-29) » (l’auteur souligne). 26. A) isotopie de l’élection : ἐκλογή en 11,5.7d.28b ; κλῆσις en 11,29 ; B) isotopie de la justification : ἀπιστία en 11,20b.23b ; ἔργον en 11,6b ; εὐαγγέλιον en 11,28 ; πίστις en 11,20c ; χάρις en 11,5.6(3×) ; χάρισμα en 11,29. Voir P.T. GADENZ, « Resurrection and Restoration » (n. 6), p. 124 ; F. WILK, « Rahmen und Aufbau von Römer 9–11 » (n. 6), p. 228-229. Sur la sémantique paulinienne de la justification en général (y compris Romains) : M. WOLTER, Paulus. Ein Grundriss seiner Theologie, Neukirchen – Vluyn, Neukirchener, 2011, p. 349-350. 27. U. SCHNELLE, Paulus. Leben und Denken (n. 11), p. 390.

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deux convictions théologiques, sans les travestir ? Et à qui donner le dernier mot : au Dieu qui élit par libre dessein ou au Dieu qui justifie par la foi ? Mieux encore : l’invocation en 11,25-26 d’un « mystère » divinement inspiré n’est-elle pas finalement une pirouette argumentative, l’apôtre suspendant le raisonnement conduit jusque-là à l’aune du kérygme et amorçant de facto une ligne de pensée inédite ?28 Avant de reprendre à bras-le-corps cette épineuse problématique, il convient toutefois de préciser les raisons qui ont conduit Paul à empoigner le dossier d’Israël au moment d’écrire aux Romains et de lui conférer cette ampleur dans une lettre qui, selon la belle expression de François Vouga, se présente telle une « carte de visite théologique » face à une Église que l’apôtre n’a ni fondée ni visitée29. II. LES

RAISONS DE

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On l’a dit, le débat sur les raisons de Rm 9–11 dans l’ensemble de l’écrit aux Romains est loin d’être clos. De nos jours pourtant, la thèse d’un « corps étranger », autrefois défendue par Charles Dodd30, ne semble plus rencontrer l’adhésion des chercheurs31. Deux autres hypothèses semblent faire davantage d’émules : 1) pour certains, c’est le contexte épistolaire, soit la situation personnelle de l’apôtre en bute à l’opposition d’une fronde judéo-chrétienne32 ou alors les divisions internes à la communauté de Rome mettant aux prises judéo- et pagano-chrétiens33, qui expliquerait ce long développement, unique en son genre dans la correspondance paulinienne ; 2) pour d’autres, la raison en serait moins contextuelle que dogmatique. En effet : arrivé en 8,39 au terme de son exposé de l’Évangile de la justice de Dieu « pour quiconque croit, le 28. Ainsi : U. SCHNELLE, Paulus. Leben und Denken (n. 11), p. 390 : « Paulus spricht in Röm 11,25b.26a offensichtlich als Prophet, der eine Erkenntnis mitteilt, die argumentativ nicht aus dem Kerygma ableitbar ist » (l’auteur souligne). 29. F. VOUGA, « L’épître aux Romains », in D. MARGUERAT (ed.), Introduction au Nouveau Testament (MdB, 41), Genève, Labor et Fides, 42008, p. 189. 30. C.H. DODD, The Epistle of Paul to the Romans, Londres, Hodder and Stoughton, 1932, p. 148s. 31. J.M.G. BARCLAY, Paul and the Gift (n. 18), p. 520 : « Recent discussion of Romans 9–11 has reached consensus on at least two matters: that these chapters are an integral component of the letter (not an appendix to its main argument) and that their subject matter is God’s dealings with Israel (not election or predestination in abstract) ». 32. Ainsi, par ex. : J. BECKER, Paul. « L’Apôtre des nations » (n. 3), p. 538-539. 33. Dans une certaine mesure : W.S. CAMPBELL, « The Addressees of Paul’s Letter to the Romans: Assemblies of God in House Churches and Synagogues? », in F. WILK – J. ROSS WAGNER, Between Gospel and Election (n. 1), p. 171-195, en particulier p. 183-190.

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Juif premièrement, le Grec aussi » (1,16), Paul se devrait de neutraliser « une difficulté fondamentale [en lui offrant] une solution sans laquelle tout l’édifice s’écroulerait34 ». Pour sûr : si le salut dépend exclusivement de la foiconfiance en Dieu, quid des promesses faites à Israël et, plus largement, de l’histoire juive du salut ? L’Évangile du Christ viderait-il l’histoire sainte de sa substance35 ? Se fondant chacune sur des indices forts et convaincants, ces deux propositions ne sont pas nécessairement à tenir pour des alternatives36. En effet : si Paul juge la « question d’Israël » théologiquement essentielle à l’exposé de son Évangile face aux chrétiens de Rome, dans la mesure où elle constitue une possible mise en accusation de Dieu lui-même – que ce soit de sa fidélité (si Israël voit son privilège dénoncé en raison de sa fermeture au Messie Jésus) ou de sa justice (si Israël est sauvé non pas au nom de sa foi, mais de ses œuvres37) –, c’est probablement qu’il y a là aussi un enjeu réel – historique ou biographique – pour l’écriture épistolaire du Tarsiote, affectant son rapport naissant à l’Église de Rome38. III. QUEL DIEU À LA

FIN ?

Arrivés à ce stade de notre enquête, il nous faut reprendre à bras-le-corps « la » grande question qui occupe l’exégèse de Rm 9–11 : quel futur Dieu 34. Propos de S. LYONNET lors la discussion qui suivit la conférence de W.G. KÜMMEL, « Die Probleme von Römer 9–11 » (n. 1), et protocolé à la page 43 du même article. Voir aussi : J.-N. ALETTI, Comment Dieu est-il juste ? (n. 4), p. 202 : « Rm 9–11 n’a rien d’une exhortation ou d’un avertissement adressé à la communauté de Rome, mais se présente au contraire comme un exposé didactique sur la situation présente et future d’Israël, provoqué par les positions de l’Apôtre sur l’identité du chrétien et sur l’espérance qui lui est promise (Rm 8) : c’est dans la dynamique même de l’argumentation que le lecteur peut trouver l’occasion première de Rm 9–11. L’élargissement très net de la réflexion montre bien que si l’épître vit le jour grâce au voyage de Paul à Rome, elle n’est pas qu’un document de circonstance : elle mérite son titre de “traité sur l’Évangile” » (l’auteur souligne). 35. Pour l’ensemble du point 2, aussi : U. SCHNELLE, Paulus. Leben und Denken (n. 11), p. 336, 378-379. Ce dernier considère néanmoins l’écrit aux Romains comme un « situationsbedingtes Schreiben » (ibid., p. 334). Voir aussi la note 38 ci-dessous. 36. Pour un état des lieux et une évaluation des hypothèses en présence : K. HAACKER, « Das Thema von Römer 9–11 » (n. 11), p. 60-61. 37. Sur la mise en accusation de Dieu lui-même, de sa justice et de sa fidélité singulièrement, lire en priorité : J.-N. ALETTI, Comment Dieu est-il juste ? (n. 4) ; ID., Israël et la Loi dans l’épître aux Romains (n. 4), ch. VI, VII, VIII, IX. 38. Ainsi par ex. : S. Lyonnet lors du débat subséquent à la conférence de W.G. KÜMMEL, « Die Probleme von Römer 9–11 in der gegenwärtigen Forschungslage » (n. 1), p. 42-43. De manière semblable, aussi : J.M.G. BARCLAY, Paul and the Gift (n. 18), p. 455-459, 523-524 et passim ; U. SCHNELLE, Paulus. Leben und Denken (n. 11), p. 334-338.378-390 ; M. WOLTER, « Das Israelproblem nach Gal 4,21-31 und Röm 9-11 » (n. 15), p. 17-30, en particulier p. 17-19.

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réserve-t-il à son peuple, singulièrement à ceux qui en Israël repoussent le Messie et l’Évangile ? Et sur quel fondement sotériologique penser cet avenir ? Présentons ici trois tentatives de réponse. Celle de Michael Wolter, tout d’abord. Pour l’exégète de Bonn, l’antithèse entre l’« Évangile » et l’« élection » mise en scène par Paul en Rm 9 à 11 confine à une aporie du raisonnement39, aporie que résume bien le v. 28 du ch. 11. La raison en est non seulement la contradiction entre l’élection d’Israël et son refus christologique énoncée dès le seuil d’entrée de la séquence (9,1-5), mais surtout le clivage existant entre le Paul juif et le Paul chrétien. Insoluble, cette aporie ne peut être dépassée que par le recours à une autre forme de langage : l’apocalyptique40. C’est ce que Paul fait en 11,25-27, Wolter déclarant à cet endroit : Seule la voie de la révélation ésotérique s’ouvre à lui comme preuve certaine que l’amour de Dieu pour son peuple, subsistant κατὰ τὴν ἐκλογή [sic], triomphera quand même41.

Dit autrement : ce qui permet à Paul d’espérer in fine le salut de « tout Israël », ce n’est ni la logique élective de Dieu dans l’histoire passée du peuple choisi, ni l’Évangile de la miséricorde divine manifestée en Jésus Christ, mais un savoir apocalyptique révélé au prophète Paul et entièrement suspendu à la consistance de l’agir divin42. La deuxième proposition que nous souhaitons présenter ici est celle de John M.G. Barclay dans Paul and the Gift 43. Contrairement à la grande majorité des lecteurs de Romains 9 à 11, c’est à démontrer la cohérence argumentative 39. Voir le titre que donne Wolter à la section de son article consacrée à Rm 9-11 : « Die theologische Aporie der Israel-Frage: Röm 9–11 ». Voir M. WOLTER, « Das Israelproblem nach Gal 4,21-31 und Röm 9-11 » (n. 15), p. 17-30. Voir aussi ibid., p. 27 : « Paulus hat das IsraelProblem im Römerbrief [...] nicht gelöst, sondern das Nachdenken über Israel hat ihn in eine Aporie geführt » et, plus loin, à la page 28 : « Die Lösung des Israel-Problems in Röm 11,2529 zeigt nämlich, dass Paulus sich in eine theologische Aporie hineinargumentiert hat, die deutlich macht, dass er an der Israel-Frage gescheitert ist. » 40. M. WOLTER, « Das Israelproblem nach Gal 4,21-31 und Röm 9-11 » (n. 15), p. 27 : « [Paulus] muss in 11,25-27 auf die Form der apokalyptischen Rede zurückzugreifen, weil er die in V. 28 formulierte Antithese zwischen “Evangelium” und “Erwählung” nicht überbrücken kann: κατὰ τὸ εὐαγγέλιον kann er nur Israels gegenwärtige Heilsferne feststellen ». Dans ce sens, aussi : U. WILCKENS, Der Brief an die Römer (n. 10), p. 183 : « Paulus führt seinen Gedankengang so durch, dass sich die Aporie am Ende so zuspitzt, dass sie nur durch die Eröffnung eines bislang verborgenen Geheimnisses gelöst wird » (l’auteur souligne). 41. M. WOLTER, « Das Israelproblem nach Gal 4,21-31 und Röm 9-11 » (n. 15), p. 27 : « Für den Erweis der Gewissheit, dass Gottes κατὰ τὴν ἐκλογή [sic] weiterhin bestehende Liebe zu seinem Volk sich schließlich doch noch durchsetzen wird, steht ihm nur der Weg der esoterischen Offenbarung offen ». 42. À ce sujet, notamment, le paragraphe « Paulus als Prophet » chez U. SCHNELLE, Paulus. Leben und Denken (n. 11), p. 390. 43. J.M.G. BARCLAY, Paul and the Gift (n. 18), p. 520-561.

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des trois passages en question que l’exégète de Durham s’engage résolument : par-delà les différences langagières ou rhétoriques existant entre la doctrine de l’élection et l’Évangile de la justification44, tous deux puisent, selon Barclay, leur substance dans une seule et même conviction théologique, soit le « don inconditionné » (c’est là une formule chère au bibliste britannique) de Dieu pour celui ou celle qui en est indigne45. Exprimée de manière ultime dans l’événement Jésus Christ, cette vérité théologique non seulement porterait à son accomplissement l’histoire des promesses faites à Israël, mais surtout en manifesterait la raison sous-jacente. En un mot : la dépendance exclusive et radicale du peuple choisi à « l’appel incongru de Dieu » (« God’s incongruous call46 »). Israël ne serait dès lors pas à tenir pour un peuple unique en son genre, mais bien plutôt pour un peuple exemplaire de « la miséricorde créative de Dieu » (« the creative mercy of God47 ») – une miséricorde appelée à se manifester auprès du concert des nations dans sa totalité. Précisément : passant en revue les différentes périodes argumentatives qui se succèdent en Romains 9 à 11 (9,6-29 ; 9,30–10,21 ; 11,1-32), Barclay identifie dans ces pages l’empreinte récurrente de ce qu’il nomme un « pattern of incongruity48 », soit l’appel divin adressé à celui ou celle qui n’a pas de valeur. Cette thèse n’est pas sans affinité avec l’hypothèse développée en son temps par Christophe Senft, dans un article en hommage à FranzJ. Leenhardt49. Dans cette incisive étude en effet, ce dernier montre que l’Évangile de la justification irradie de fait déjà la doctrine de l’élection, déployée dans le chapitre 9, dans la mesure où c’est la grâce qui motive le choix par Dieu d’un « reste » en Israël50. Ceci se continue ensuite en aval de 9,30 et dans la déclaration conclusive consignée par Paul en 11,32 : « L’Évangile du sola gratia-sola fide, cause de l’exclusion d’Israël, est aussi seule chance et chance permanente de son salut. En sa brièveté, le verset 32 condense tous les éléments de la réponse, et il éclaire définitivement le destin d’Israël51 ». Bref, serait ainsi appliqué au cas particulier d’Israël la vérité générale valable pour l’humanité entière et déployée par Paul en Rm 1–8, dans la mesure où 11,32 44. Ibid., p. 525-526. 45. Ibid., p. 521 : « What gives theological coherence to these chapters (though they are often regarded as hopelessly inconsistent) is the fact that God’s mercy (or grace) is given without regard to worth, and thus forms the creative root of God’s purposes for the world ». Voir aussi : ibid., p. 525. 46. Ibid., p. 521 (nous traduisons l’original anglais). 47. Ibid., p. 521 (nous traduisons l’original anglais). 48. Ibid., p. 524. 49. C. SENFT, « L’élection d’Israël et la justification (Romains 9 à 11) » (n. 8), p. 131-142. 50. Ibid., p. 132-136, 141. 51. Ibid., p. 141.

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en résumerait l’essentiel : « “Dieu a enfermé tous les hommes dans la désobéissance”, est le résumé de 1,18 à 3,20, tandis que le v. 32b, “pour faire à tous miséricorde”, est celui de 3,21 à 8,3952 ». Une interprétation sensiblement opposée se lit chez Bruce W. Longenecker. Lui aussi considère que, malgré sa complexité argumentative et son alternance de différents points de vue, le raisonnement de Paul en Romains 9 à 11 n’en est pas moins consistant. À l’inverse de la thèse défendue par Barclay ou Senft, c’est néanmoins dans la perceptive ethnique de l’histoire du salut et dans le rôle singulier d’Israël à travers ses époques successives que se matérialise, selon Longenecker, la cohérence de la séquence en question53. En effet, l’histoire ethnique de Dieu avec les siens possède une portée immanquablement universaliste54, l’alliance d’Israël devant s’élargir à toutes les nations de la terre à la fin des temps55. C’est ainsi aussi qu’il faut comprendre, selon Longenecker toujours, le ministère de Paul auprès des nations, portant à son avènement les prophéties, ésaïennes notamment, d’un pèlerinage eschatologique des peuples au mont Sion56. Last but not least : ce processus ethnico-salutaire prendra fin avec la rédemption de « tout Israël », lorsqu’un Sauveur, le Messie d’Israël (9,5), sortira de Sion pour le peuple juif et que ce dernier lui prêtera foi57.

52. Ibid., p. 142. Voir de manière similaire l’approche de Rm 9 à 11 développée par B.R. GAVENTA, « On the Calling-Into-Being of Israel: Romans 9:6-29 » (n. 15), p. 268-269 : « God’s actions – both in the case of Israel and in the case of Pharaoh – have as their goal the publication of God’s own power and glory, yet God’s power and glory are not ends in themselves but have as their goal mercy on God’s children, Jew and Gentile alike. This history of God’s creation and redemption allows the concerns of ch. 10 to be heard rightly – God has always acted mercifully toward Israel (10:21) – and sets the stage for the conclusion of ch. 11, that God intends mercy for all (11:32). ». 53. B.W. LONGENECKER, « Different Answers to Different Issues: Israel, the Gentiles and Salvation History in Romans 9-11 », JSNT 36 (1989) 112-113 : « One should not look for a single line of argument, for Paul’s case is worked out from various angles and approaches. Underlying it all is a distinctively ethnic view of salvation history and Israel’s role in it throughout its successive stages. Put more succinctly, Paul is convinced that God is faithful to Israel » (l’auteur souligne). 54. B.W. LONGENECKER, « Different Answers to Different Issues » (n. 53), p. 105 : « […] when the whole picture of salvation history is in view, those of the present age who are admitted as members of the people of God apart from Jewish heritage must recognize that what they are participating in is fundamentally an ethnic process whereby the salvation of all humanity is effected. Gentiles are welcome to take part and, at this stage of the process, can enter fully into it. Now that the old age has passed away, admission is free. But, in fact, what Gentile believers have associated themselves with is the salvation that God has effected through the vehicle of the Jewish people » (l’auteur souligne). 55. Ibid., p. 113. 56. Ibid., p. 113. 57. Ibid., p. 98-101.

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À lire ces différents essais d’interprétation, l’exégèse de Romains 9 à 11 serait confinée : a) soit à dénoncer l’inconséquence argumentative de Paul, en raison de l’insurmontable tension théologique au fondement de son raisonnement – seule une pirouette apocalyptique/ésotérique permettant, selon Wolter ou Schnelle, de surmonter le paradoxe de la communication auquel semble aboutir l’apôtre ; b) soit à réduire l’aporie ainsi produite, en amalgamant l’un à l’autre les deux pôles de l’antithèse. Chez Barclay comme chez Senft, c’est in fine la doctrine juive de l’élection qui se voit dissoute et intégrée à l’Évangile de la grâce, la situation unique d’Israël dans l’histoire du salut étant réduite au statut de paradigme d’une vérité générale, en un mot : la grâce sans condition ou le « don incongru58 ». Alors que chez Longenecker, c’est la fidélité de Dieu à l’histoire d’Israël – cette histoire ethnico-salutaire devant culminer dans le rassemblement de toutes les nations de la terre au sein du peuple choisi 59 – qui aimanterait l’ensemble de l’argumentaire paulinien, l’Évangile de la grâce étant une modalité, voire « la » modalité eschatologique, de la réalisation de l’histoire juive du salut pour les Gentils comme pour les fils et les filles d’Israël60.

58. J.M.G. BARCLAY, Paul and the Gift (n. 18), p. 553. Nous rejoignons à cet égard la critique développée par Horrell à ce propos, précisément en réponse à un premier essai de Barclay au sujet de Rm 9 à 11 paru sous le titre : ID., « Paul’s Story. Theology as Testimony », in B.W. LONGENECKER (ed.), Narrative Dynamics in Paul. A Critical Assessment in Paul, Louisville – London, Westminster John Knox Press, 2002, p. 150-153. Précisément, à l’endroit de la thèse défendue par Barclay, Horrell déclare : « [I]t seems to me that the notion of continuity in the history of the people of Israel is rather too firmly excluded and the significance of Israel downplayed » (ID., « Paul’s Narratives or Narrative Substructure? The Significance of “Paul’s Story” », in B.W. LONGENECKER (ed.), Narrative Dynamics in Paul (n. 58), p. 164), et de poursuivre à la page suivante : « To be sure, as Barclay stresses, this is a story of divine election and grace, but it is one in which Paul never loses sight of the fact that this is also a story of Israel and of the continued existence within Israel of a true Israel, or a remnant, chosen by grace, who serve as the demonstration of the truth that God has not rejected his people, has not forgotten his irrevocable gifts and calling. At no point, despite what might seem appearances to the contrary, would it be true to say that God had abandoned his people » (ibid., p. 165). Pour l’ensemble du propos de D.G. HORRELL : ibid., p. 157-171. 59. B.W. LONGENECKER, « Different Answers to Different Issues » (n. 53), p. 113 : « [H]is point [de Paul] is not simply that Gentile Christians cannot exist without Israel but, even more, that Gentile Christians cannot exist except within Israel » (l’auteur souligne). Tenant ainsi, avec raison, le particularisme et l’universalisme dans sa lecture de Romains 9 à 11, Longenecker peut dès lors conclure : « The universalism of his gospel is rooted in, and comes to fruition with, an ethnic particularism. In Rom. 9–11, Paul illustrates that his is a universalism contained within the confines of Jewish ethnocentrism » (ibid., p. 114). 60. Ibid., p. 95-123.

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De notre avis, dénoncer l’insurmontable aporie du raisonnement paulinien ou en lisser la tension effective n’est pas rendre justice à la finesse et à la complexité de l’argumentation conduite en Romains 9 à 11. En effet, nous souhaitons montrer que c’est précisément la tension existante entre les deux théologoumènes convoqués par l’apôtre (l’élection et la grâce ; l’unicité et l’universalité) qui lui permet d’apporter une solution satisfaisante à l’Israelfrage. Sans renier les acquis des travaux précités, ce dialogue fécond mérite d’être examiné. Voyons cela. Si, comme l’ont souvent noté les lecteurs de Romains, l’apôtre semble opter successivement pour deux explications théologiques incompatibles – d’une part, l’élection gratuite d’un « reste » en Israël (9,6-29, puis derechef en 11,110), signe tangible de la fidélité divine aux promesses données ; d’autre part, le refus en Israël de « la justice [qui vient] de la foi », et cela au profit de « la propre justice » (9,30–10,21)61 –, ces deux convictions sont ensuite entrelacées et réinsérées dans un même schème argumentatif à partir de 11,11, comme nous le signalait déjà l’analyse sémantique62. Regardons cela de plus près63. L’image de l’olivier développée en 11,17-24 permet en effet de tenir ensemble ce qui semble de prime abord contradictoire64 : 1) le statut particulier d’Israël en raison de son élection, élection ici symbolisée par la « racine sainte » (v. 16bα)65 ; 2) sa communauté de destin avec les non-Juifs au nom de 61. Voir notamment C. SENFT, « L’élection d’Israël et la justification (Romains 9 à 11) » (n. 8), p. 131-142. 62. Ici et après, en partie aussi : J.-N. ALETTI, Comment Dieu est-il juste ? (n. 4), notamment p. 179-198 (ibid., p. 198 : « L’appel des nations ne rend pas obsolète ou périmée l’élection d’Israël – de la racine sainte –, puisque c’est par l’Israël de l’élection que les croyants reçoivent leur mémoire, leur histoire de fils et d’héritiers ; de même, l’élection trouve sa finalité dans la miséricorde faite à toute l’humanité : en choisissant un homme, une famille, un peuple, Dieu ne condamnait ni n’abandonnait le reste de l’humanité, mais se réservait de l’appeler, lorsque les temps seraient mûrs ») ainsi que D.G. HORRELL, « Paul’s Narratives or Narrative Substructure? » (n. 58), p. 162-166. 63. L’hypothèse ici développée et étayée nous est apparue à l’écriture d’un petit livre de vulgarisation intitulé : S. BUTTICAZ, Pâques, et après ? Paul et l’espérance chrétienne (Parole en liberté), Bière, Cabédita, 2014, p. 73-84. Nous en reprenons et prolongeons la démonstration dans ce qui suit. 64. Sur l’enjeu de la dialectique particularisme – universalisme dans l’exégèse de Rm 9 à 11 : J. BECKER, Paul. « L’Apôtre des nations » (n. 3), p. 528-529. Pour cette même dialectique appliquée à différentes sections de Romains (à Romains 9 à 11, notamment ; à la parabole de l’olivier, en particulier), nous renvoyons ici et pour la suite de notre propos aux fines remarques faites par D.G. HORRELL, « Paul’s Narratives or Narrative Substructure? » (n. 58), p. 162-166, en particulier p. 166. 65. Sur ce sens donné à la « racine sainte », voir aussi : J.M.G. BARCLAY, Paul and the Gift (n. 18), p. 550. Voir aussi : C. SENFT, « L’élection d’Israël et la justification (Romains 9 à 11) » (n. 8), p. 139 : « Les Juifs sont les rameaux de l’arbre, issus κατὰ φύσιν (v. 21) de la racine (Abraham-promesse) ; c’est l’idée de l’antécédence, dans l’ordre historique, du peuple juif (1, 16) ». Ce dernier repère également la doctrine de l’élection en 11,24 (ibid., p. 140), mais ne l’articule

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l’universalité du péché et de la miséricorde divine, communauté de destin qu’illustrent, dans le cadre de la parabole, leur semblable statut de greffon (v. 19-24)66. Exprimons cela avec toute la clarté requise : la racine symbolise l’histoire des promesses à laquelle Dieu s’est intimement lié depuis les pères. L’infidélité d’une majorité en Israël ne la remet pas en question : elle favorise au contraire la greffe de l’olivier sauvage, soit les non-Juifs, sur la « racine sainte » – et cela au nom de leur foi et de la bonté divine (11,17-22). De même en sera-t-il aussi des Juifs, s’ils renoncent à leur incrédulité : ils seront regreffés sur la racine qui est, « par nature », la leur (cf. v. 24 : τῇ ἰδίᾳ ἐλαίᾳ)67 ! C’est dire si la situation présente d’Israël est faite de deux particulae veri qui, tout en étant situées en tension, ne sont néanmoins pas contradictoires ; Paul les résume en 11,28-29. Primo, le peuple juif ne se voit pas ravir son élection ; il reste à jamais le peuple de l’histoire du salut, « car irrévocables sont les dons et l’appel de Dieu » (11,29)68. L’image de la racine sainte l’exprime sans détour : Dieu ne tire pas un trait sur le passé électif d’Israël, et la sainteté dont il est l’impétrant69. En témoigne également la citation scripturaire, précisément la prophétie ésaïenne convoquée en 11,26b-27 (cf. Es 59,20 et 27,9)70. Dans ce cas aussi, c’est sur la base des promesses confiées aux prophètes de l’Israël ancien que l’espérance eschatologique est fondée (cf. καθὼς γέγραπται en 11,26b)71, pas vraiment à l’Évangile de la justification, y voyant simplement le symptôme d’un irréversible attachement de l’apôtre pour son peuple, attachement à l’origine de sa volonté d’atteindre « plus que l’Évangile » (ibid., p. 140). Ou mieux dit, comme le pense Senft : « l’élection et la prédestination ne sont théologiquement vraies qu’englobées dans l’Évangile, c’est-à-dire comme données de la situation créée par la proclamation de la grâce en Jésus-Christ » (ibid., p. 134). 66. Ici et ci-dessous, nous rejoignons en partie C. SENFT, « L’élection d’Israël et la justification (Romains 9 à 11) » (n. 8), p. 131-142, en particulier p. 139-142. En effet, ce dernier a correctement reconnu, dans la métaphore des rameaux coupés et (re-)greffés, l’expression de l’Évangile paulinien de la foi (ibid., p. 140). Voir aussi : M. WOLTER, « Das Israelproblem nach Gal 4,21-31 und Röm 9-11 » (n. 15), p. 17-30 (passim). 67. D.G. HORRELL, « Paul’s Narratives or Narrative Substructure? » (n. 58), p. 166. 68. J. BECKER, Paul. « L’Apôtre des nations » (n. 3), p. 539s. ; D.G. HORRELL, « Paul’s Narratives or Narrative Substructure? » (n. 58), p. 166. 69. D.G. HORRELL, Ibid., p. 166 : « Though the mysterious workings of God’s grace have led to the inclusion of gentiles as well as Jews, and though salvation is available through faith to all without distinction (cf. 11,20.23; also 3,22 ;10,12), God’s gifts and calling belong to Israel in a way that cannot be said of the gentiles (11,25-29) ». 70. Pour le montage scripturaire allégué par Paul en 11,26b-27, on se reportera notamment à U. WILCKENS, Der Brief an die Römer (n. 10), p. 256-257. 71. O. WISCHMEYER, « Römerbrief », in ID. (ed.), Paulus. Leben – Umwelt – Werk – Briefe (UTB), Tübingen – Basel, Francke Verlag, 2012, p. 309. C. SENFT, « L’élection d’Israël et la justification (Romains 9 à 11) » (n. 8), p. 140, reconnaît ce point, quand il déclare : « [L] e μυστήριον apocalyptique du salut final de «tout Israël» (v. 25-27) n’est, pas plus que l’idée analogue des versets 11-14, lié par un lien direct et organique à l’Évangile du Christ, mais à l’idée traditionnelle de l’élection du peuple » ; voir aussi : ibid., p. 140, n. 1. Une conviction que Senft juge néanmoins temporaire dans le raisonnement de Paul, ne lui offrant nulle solution, le Tarsiote

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même si là encore « le libérateur [qui] viendra du mont Sion » sera nul autre que le Christ Jésus72, identité que seule le kérygme pascal permet d’élucider73. Bref, si Dieu ne dit pas « non » au peuple juif, c’est « à cause des pères » (11,28b) ou, mieux dit, c’est au nom de l’élection dont ils ont été et sont toujours les bénéficiaires74. Secundo : si le Dieu qui élit tient ouverte la porte sur l’avenir d’Israël, ce n’est toutefois pas lui qui favorisera le regreffage de l’olivier franc sur la « racine sainte », mais bien plutôt le Dieu qui fait miséricorde à tous75. Pour faire court : c’est l’Évangile à qui appartient le dernier mot – qui est, d’ailleurs aussi, le premier mot de l’écrit aux Romains (1,16ab)76 –, un Évangile qui « a enfermé tous dans la désobéissance, afin de faire miséricorde à tous » (11,32)77. Bref si, à la fin des temps, Dieu dira « oui » au peuple juif (cf. 11,25-27), ce n’est pas au nom de ses innombrables privilèges (cf. 9,1-5), mais bien « selon l’Évangile » (11,28a) 78. IV. REPRISE ET CONCLUSION Quel avenir pour l’Israël qui rejette le Messie Jésus ? C’est là la cause de douleur qui tourmente Paul au moment d’écrire aux Romains. Deux convictions sotériologiques s’offrent à lui – l’élection ou l’Évangile – sans que, considérés indépendamment l’un de l’autre, ces deux théologoumènes permettent d’atteindre une conclusion satisfaisante. En effet, si Dieu élit par libre « ne [pouvant] concevoir, même pour le peuple élu, un salut autre que la justification par la foi en Jésus-Christ » (ibid., p. 141). 72. Hypothèse plébiscitée par U. WILCKENS, Der Brief an die Römer (n. 10), p. 256. B.W. LONGENECKER, « Different Answers to Different Issues » (n. 53), p. 95-123, insiste avec raison sur l’identité juive du Christ Jésus induite en Romains (ici et ailleurs ; ibid., notamment p. 103-107), ce dernier portant à leur avènement les promesses historico-ethniques et scripturaires d’Israël, notamment l’espérance d’un pèlerinage eschatologique au mont Sion. Reste que cette identification dépend in fine d’une révélation externe aux Écritures d’Israël. 73. J.-N. ALETTI, Israël et la Loi dans l’épître aux Romains (n. 4), p. 252 : « Le mystèrion ouvre […] (christologiquement) les Écritures, et en retour, ces dernières permettent d’entrer dans la logique et la cohérence du plan divin de salut ». Voir aussi U. LUZ, Das Geschichtsverständnis des Paulus (n. 9), p. 295 : « Paulus will die Zukunftsaussage V. 25f. durch das Zitat christologisch begründen und sie ausdrücklich als Explikation der in Jesus Christus geschenkten Gnade verstanden wissen » (l’auteur souligne). 74. J.M.G. BARCLAY, Paul and the Gift (n. 18), p. 550. 75. Ici et après, aussi : J.M.G. BARCLAY, Paul and the Gift (n. 18), p. 520-561 ; C. SENFT, « L’élection d’Israël et la justification (Romains 9 à 11) » (n. 8), p. 139-142. 76. Nous devons cette observation à D. Marguerat. Qu’il en soit ici remercié. 77. Ici et ci-dessous, voir aussi J.-N. ALETTI, Comment Dieu est-il juste ? (n. 4), p. 153154 ; ID., Israël et la Loi dans l’épître aux Romains (n. 4), p. 236-242 et, surtout, C. SENFT, « L’élection d’Israël et la justification (Romains 9 à 11) » (n. 8), p. 141-142. 78. Ainsi, aussi : U. LUZ, Das Geschichtsverständnis des Paulus (n. 9), p. 298-299.

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dessein un « reste » en Israël, « les autres » semblent irrémédiablement déchus – et de l’histoire sainte et de l’Évangile de la grâce79 ; Dieu serait dès lors à la fois infidèle à ses promesses et injuste au regard de la doctrine de la justification80. Mais si Dieu fait à tous miséricorde, dénonçant le péché universel de l’humanité et justifiant cette dernière sans opérer de différence entre Juifs et non-Juifs, Israël se voit dès lors dépouillé de ses « privilèges » – ces dons divins qui ont nourri son histoire passée (cf. 9,4-5a) – pour s’assimiler, dans le péché comme dans la foi, aux nations. Et non sans perte et fracas : car dans ce cas c’est Dieu qui serait infidèle, se dédisant face aux innombrables promesses confiées aux prophètes des temps anciens et couchées dans les rouleaux de la Bible. C’est donc par opter pour une autre approche de cette paradoxale argumentation que nous avons procédé, sondant la fonction respective de ces deux motifs théologiques dans l’unique raisonnement paulinien. Leur reprise concomitante en 11,11-32, à propos notamment de la parabole de l’olivier, s’offrait comme un terrain privilégié, l’apôtre s’efforçant dans ce cadre précis d’entrelacer ces deux réseaux isotopes81. Le résultat ne fut pas long à attendre : Paul confère aux motifs de l’élection particulière d’Israël et de la miséricorde universelle de Dieu deux rôles distincts dans la même économie de salut82. Le premier motif, soit la doctrine de l’élection, lui permet d’assurer à Israël – de manière permanente et imprescriptible – une place au sein de l’histoire du salut : jamais la porte ne se fermera sur son avenir, en dépit de son endurcissement présent83. 79. C. SENFT, « L’élection d’Israël et la justification (Romains 9 à 11) » (n. 8), p. 135. 80. Pour de plus amples détails à ce propos et pour la suite, se reporter en priorité à J.-N. ALETTI, Comment Dieu est-il juste ? (n. 4) ; ID., Israël et la Loi dans l’épître aux Romains (n. 4), ch. VI, VII, VIII, IX. 81. Ici et après, voir aussi : J.-N. ALETTI, Comment Dieu est-il juste ? (n. 4), p. 184-185. Ce dernier note non seulement l’entrelacement en question, livrant de Rm 9 à 11 une synthèse, mais observe aussi la montée en puissance de plusieurs thèmes, que ce soit le thème de l’endurcissement d’Israël dans sa fonction salvifique ou le motif de la miséricorde dont l’ultime reprise, dans l’argumentation paulinienne, se lit en 11,32 (ibid.). 82. On le voit, notre lecture se rapproche en partie (mais en partie, seulement) de celle plébiscitée par B.W. LONGENECKER, « Different Answers to Different Issues » (n. 53), p. 95-123. En témoigne le questionnement qui se lit sous sa plume à la page 98 : « […] is election the reason for the salvation of Israel, or is election only the assurance that Israel will, in the end, turn to faith in the Messiah? » (l’auteur souligne). La seconde option est celle que semble défendre l’exégète anglo-saxon, ce dernier tenant ensemble l’histoire particulière d’Israël et le théologoumène de la foi universelle, respectivement l’Évangile de la miséricorde gracieuse de Dieu (son déploiement s’effectuant néanmoins à l’interne du peuple juif). Si nous le suivons un bout sur ce chemin, nous considérons néanmoins que l’Évangile paulinien fait in fine céder devant Dieu et dans la perspective du salut dernier la différence entre Juifs et non-Juifs, sans pour autant annuler l’histoire singulière (passée comme présente) entretenue par Dieu avec Israël (une histoire faite d’élection, d’alliances et de promesses, notamment ; Rm 9,4-5). En écho à notre propos, lire : C. SENFT, « L’élection d’Israël et la justification (Romains 9 à 11) » (n. 8), p. 141(y compris la n. 2 !)-142. 83. Bonne formulation chez J.-N. ALETTI, Israël et la Loi dans l’épître aux Romains (n. 4), p. 256 : « L’élection n’a donc pas seulement pour fonction de manifester que les choix divins sont entièrement gratuits (v. 7), elle est aussi ce qui motive l’amour continu de Dieu pour tout

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Mais, la conversion de tout Israël et son salut collectif ne se réaliseront pas au nom des « œuvres » mais bien « selon l’Évangile84 », Dieu faisant miséricorde par la foi à tous les pécheurs, donc aussi à l’Israël « incrédule et contestataire » (10,21)85. Ultima verba de l’histoire sainte86. Simon BUTTICAZ Université de Lausanne [email protected]

son peuple, même ceux qui ne sont pas élus. Selon Paul, qui suit en cela le judaïsme, l’élection et le salut final d’Israël sont ainsi liés, puisque c’est à cause des pères que Dieu continue d’aimer ceux qu’il a pourtant endurcis. Bref, à la fin de Rm 11, le lecteur sait que l’élection est gage et promesse du salut de tout Israël » (l’auteur souligne). Voir aussi : ibid., p. 259 : « En Rm 9–11, c’est donc l’élection et l’alliance qui permettent de résumer au mieux le devenir d’Israël, du commencement à la fin, de la grâce à la miséricorde » et qui « déterminent une réponse humaine positive ». Voir aussi : D. MARGUERAT, Un homme aux prises avec Dieu. Paul de Tarse (Parole en liberté), Bière, Cabédita, 2014, p. 65-66. 84. Sur le salut de « tout Israël » en Rm 11,25-26 – le sens de cette espérance, sa réalisation et sa portée –, avec J.-N. ALETTI, Comment Dieu est-il juste ? (n. 4), p. 186-189 ; ID., Israël et la Loi dans l’épître aux Romains (n. 4), p. 253-254 ; B.W. LONGENECKER, « Different Answers to Different Issues » (n. 53), p. 95-123, en particulier p. 96-101. 85. Avec U. LUZ, Das Geschichtsverständnis des Paulus (n. 9), p. 298 : « Die Bekehrung Israels wird iustificatio impii sein » ou C. SENFT, « L’élection d’Israël et la justification (Romains 9 à 11) » (n. 8), p. 141-142 : « […] Israël, ayant refusé l’Évangile, est maintenant rassemblé par Dieu avec la masse humaine désobéissante ; tellement confondu dans cette masse, qu’on ne peut même plus parler de lui comme d’une grandeur distincte : τοὺς πάντας désigne tous les hommes, et c’est la négation définitive de tout privilège qui pourrait, d’une manière ou d’une autre, rendre superflu le Christ et suppléer la foi. Il n’y a point de différence : tous sont privés de la gloire de Dieu (3,22-23). Mais c’est précisément parce qu’il n’y a point de différence, que tous […] ont le même Seigneur, riche envers tous ceux qui l’invoquent (10,12). Joints à la masse des pécheurs, les Juifs sont avec eux les πάντες auxquels est destinée, en Jésus-Christ, la miséricorde de Dieu ». Si Jürgen BECKER, Paul. « L’Apôtre des nations » (n. 3), p. 544-545, souligne, lui aussi, ce point, il lie néanmoins le salut de « tout Israël » à une ultime mission d’évangélisation à destination du peuple juif. Rien ne permet de vérifier cette supposition ; une inconnue entoure le « comment ? » du salut final d’Israël, alors que le « fait » de cette rédemption est assuré : telles sont les deux dimensions de Rm 11,25-32 qui ont été, à juste titre, rappelées par M. Wolter dans sa Presidential Address lors du 72ème General Meeting de la SNTS qui s’est tenu à Pretoria en août 2017 (à paraître dans NTS 64 [2018]). 86. J.-N. ALETTI, Comment Dieu est-il juste ? (n. 4), p. 184-185 ainsi que D. MARGUERAT, Un homme aux prises avec Dieu (n. 83), p. 65-66 : « Mais, en plus de la souveraine liberté de Dieu, en plus de sa tendresse inviolable, Paul est forcé en quelque sorte par une troisième conviction : celle qui habite le cœur de sa théologie, la justification par la foi. S’il est définitivement vrai que Dieu sauve par grâce, et non en faisant le compte de l’obéissance, alors Israël aussi bénéficiera du prodigieux cadeau. La théologie paulinienne de la grâce trouve ainsi son aboutissement ultime à confesser que nul n’est propriétaire de Dieu. Ni Israël, ni l’Église. Si l’histoire de la grâce se tisse désormais avec les chrétiens, ce n’est pas pour autant que le lien de Dieu avec Israël se vide de la miséricorde qui l’a nourri. Non parce que l’Israélite serait méritant, mais parce que Dieu est Dieu ».

LORSQUE COMMENCEMENT ET FIN TRANSCENDENT LE TEMPS DU RÉCIT L’EXEMPLE DE MARC

Le découpage d’un récit est important pour déterminer son sens. Et il est bien vrai que « le commencement et la fin d’un écrit sont des lieux privilégiés pour saisir ce qui se trame et s’élabore dans le livre entier1 ». La finale suspendue et abrupte de Mc 16,8 étonne depuis longtemps les commentateurs. La manière dont le récit évangélique débute est également surprenante, même si cela a été moins souligné. En tout cas, que ce soit pour le commencement ou pour la fin de son récit, Mc est très différent des trois autres évangiles. Chacun à sa manière, l’incipit et la finale débordent le temps du récit et renvoient en deçà ou au-delà du récit proprement dit. I. L’ENTRÉE

EN MATIÈRE DE

MARC

Délimiter avec précision ce qu’on appelle le « commencement » d’un récit n’est jamais facile. À l’évidence, il débute avec le premier mot du texte. Mais il est moins clair de déterminer où se termine l’entrée en matière pour laisser place au corps du texte. C’est vrai de l’évangile de Marc pour lequel quatre hypothèses principales ont été proposées : – v. 1-8 : l’œuvre de Jean le Baptiste comprise comme le commencement de l’évangile de Jésus Christ, dans une perspective biographique. – v. 1-13 : un prologue qui se situe avant la prédication de Jésus en Galilée – laquelle débute aux v. 14-15 – et où les personnages actifs sont non pas Jésus, mais bien Jean le Baptiste et l’Esprit Saint. – v. 1-15 : hypothèse proposée dans une perspective plus littéraire que biographique comme la précédente, mais intégrant au prologue le programme de la prédication de Jésus énoncé dans les v. 14-15. – un commencement ouvert, dont on se refuse à préciser la clôture2. 1. J. DELORME, L’heureuse annonce selon Marc. Lecture intégrale du 2e évangile. Rédaction finale par J.-Y. THÉRIAULT (LD, 219), Paris, Cerf, 2008, tome 1, p. 30. 2. C’est l’opinion de E.S. MALBON, « Ending at the Beginning: A Response », Semeia 52 (1990) 171-184, voir p. 176 : « Mark seems to have an open-ended beginning as well as ending ».

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C. FOCANT

Après avoir présenté les arguments avancés en faveur de chaque hypothèse, j’ai dit ailleurs pourquoi ma préférence allait aux v. 1-133. La fonction du prologue de Mc est de fournir au lecteur/auditeur « un échantillon du sujet4 ». En termes d’analyse narrative, l’évangéliste met en place une série de repères qui permettront de mieux entrer dans l’intrigue et en saisir les ressorts. Des précisions importantes sont apportées concernant l’acteur principal surtout dans l’incipit (v. 1) et le récit de l’expérience spirituelle de Jésus (v. 9-13). En revanche, aucun des personnages auxquels Jésus sera confronté au fil de l’intrigue qui va suivre – disciples, pharisiens, scribes… – ne sont présents dans ce prologue. Ils ne sont donc pas au courant d’une série d’informations offertes au lecteur et qui lui donnent une longueur d’avance pour la compréhension des actions et dialogues de la suite. Certes le lecteur/auditeur aura beaucoup de choses à découvrir au fil du récit. Mais quelles que soient les surprises qui lui sont réservées, il sait d’avance qu’il s’agit de la révélation du Messie, Fils de Dieu5, venu combattre le mal par la force de l’Esprit Saint. Lui reste à apprendre quelle forme prendra ce combat dans la vie de Jésus, ses paroles et son action. Le premier mot de l’évangile est « Commencement [Ἀρχή] ». C’est original ; c’est le seul cas pour l’ensemble des livres bibliques. Certes, on retrouve le À la même page, elle pose la question : «Beginnings formally begin at the beginning, of course. But where do beginnings end? ». 3. C. FOCANT, « Fonction intertextuelle et limites du prologue de Marc », in D. MARGUERAT (ed.), La Bible en récits : L’exégèse biblique à l’heure du lecteur (MdB, 48), Genève, Labor et Fides, 2003, p. 303-315, ici p. 303-310 ; repris dans C. FOCANT, Marc, un évangile étonnant. Recueil d’essais (BETL, 194), Leuven, Peeters, 2006, p. 115-126, ici p. 116-122. 4. L’expression est d’ARISTOTE, Rhétorique 3,14,1415a ; trad. de M. DUFOUR – A. WARTELLE, Paris, Belles Lettres, 2003 : « Dans les discours et les poèmes épiques, l’exorde est un échantillon du sujet ; ainsi les auditeurs sauront d’avance sur quoi doit porter le discours et leur esprit ne restera pas en suspens ; car ce qui est indéterminé le laisse dans le vague ; si donc on lui met le commencement pour ainsi dire dans la main, on lui donne un fil qui lui permet de suivre le discours ». 5. La variante « Fils de Dieu [υἱοῦ θεοῦ] » se lit dans tous les types de textes (alexandrin, césaréen, antiochien, occidental) et elle est la plus anciennement attestée. Pour la liste des témoins, voir A. GLOBE, « The Caesarean Omission of the Phrase “Son of God” in Mark 1:1 », HTR 75 (1982) 209-218, p. 214-215. Mais une leçon courte négligeant ces mots a souvent été préférée depuis sa découverte dans le Sinaïticus, première main, et en s’appuyant sur des versions anciennes syriaque et géorgienne ; voir en ce sens, P.M. HEAD, « A Text-Critical Study of Mark 1,1 “The Beginning of the Gospel of Jesus Christ” », NTS 37 (1991) 621-629. Les mots auraient alors été ajoutés volontairement par un scribe révérencieux. Mais la leçon brève reste circonscrite à un petit nombre de manuscrits, surtout de type césaréen. Elle pourrait bien provenir tout simplement d’une omission accidentelle par homoioteleuton. C’est tout à fait compréhensible à partir de l’usage de l’abréviation des noms sacrés : de l’ensemble ΙΥΧΥΥΥΘΥ (Jésus Christ Fils de Dieu), le scribe aurait omis les deux derniers noms abrégés ΥΥΘΥ (Fils de Dieu). Vu sa forte attestation et le rôle important que joue en Mc la désignation de Jésus comme Fils de Dieu (dès 1,11), la leçon longue qui se trouve entre crochets dans Nestle-Aland28 me paraît préférable.

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même mot au tout début de la Genèse et de l’évangile selon Jean. Mais, en ces deux occurrences, le mot vient en second et il est précédé par la préposition « Au [Ἐν] ». C’est tout différent, car l’expression « Au commencement [Ἐν ἀρχῇ] » renvoie à l’origine du monde, au début du temps, plus précisément à ce qu’y fit Dieu (Gn 1,1) ou comment le « Verbe [λόγος] » était auprès de lui (Jn 1,1). En revanche, en Mc 1,1, le mot « Commencement [Ἀρχή] » est suivi par le génitif « de l’heureuse annonce [τοῦ εὐαγγελίου] ». Que désigne le « commencement de l’heureuse annonce » en ce cas ? Deux sens sont possibles. L’expression peut couvrir le prologue (1,2-13) désigné comme commencement de l’intrigue qui va être racontée dans la suite du récit6. Mais, selon l’opinion la plus répandue, l’expression « Commencement de l’heureuse annonce [Ἀρχὴ τοῦ εὐαγγελίου] » désigne plutôt l’ensemble de l’intrigue (ministère galiléen et passion-résurrection) considéré comme point de départ temporel et principe fondamental de l’heureuse annonce prise en charge par la mission chrétienne après Pâques pour un temps indéterminé 7. L’ambiguïté subsiste cependant. Au début d’une première lecture de Mc, il est possible que le mot « Commencement [Ἀρχή] » soit compris comme introduisant l’histoire de Jésus qui suit. Mais lorsqu’il arrive à la finale abrupte et ouverte de l’évangile, le lecteur prend conscience que l’ensemble de ce qu’il vient de lire constitue en fait le commencement de l’aventure des disciples à qui il reviendra de prolonger l’heureuse annonce à destination de toutes les nations (13,10). Bref, pour le lecteur informé, c’est tout le récit de Marc qui constitue un commencement. Mais paradoxalement, il ne s’agit pas d’un commencement absolu. Le « commencement [ἀρχή] » est lui-même situé dans un englobant « Bonne nouvelle » ou « Heureuse annonce » [εὐαγγέλιον] qui le dépasse. En effet, le commencement est situé par rapport à une parole qui lui est bien antérieure sur le plan temporel ; il est modalisé par une citation attribuée au prophète Isaïe remontant à plusieurs siècles plus tôt. Pour prendre conscience de ce phénomène, il importe toutefois de ne pas isoler le v. 1 de ce qui suit immédiatement ; l’en-tête doit être suivi par une virgule et non par un point8 : 6. Ainsi, par exemple, R.H. GUNDRY, Mark: A Commentary on His Apology for the Cross, Grand Rapids MI, Eerdmans, 1993, p. 31-32 ; A. YARBRO COLLINS, Mark: A Commentary (Hermeneia), Minneapolis MN, Fortress, 2007, p. 131. 7. D.O. VIA, The Ethics of Mark’s Gospel: In the Middle of Time, Philadelphia PA, Wipf & Stock, 1985, p. 46-47 ; S.H. SMITH, A Lion with Wings: A Narrative-Critical Approach to Mark’s Gospel, Sheffield, Sheffield Academic Press, 1996, p. 129. 8. J. MARCUS, The Way of the Lord: Christological Exegesis of the Old Testament in the Gospel of Mark, Edinburgh, Westminster John Knox, 1992, p. 18 ; H.J. KLAUCK, Vorspiel im Himmel? Erzähltechnik und Theologie im Markusprolog (BTS, 32), Neukirchen – Vluyn, Neukirchener, 1997, p. 22 ; R.E. WATTS, Isaiah’s New Exodus and Mark (WUNT, II/88),

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« Commencement de l’heureuse annonce de Jésus, Christ, Fils de Dieu, comme il est écrit dans le prophète Isaïe… ». Que la citation d’Écriture commente le v. 1 est confirmé par l’usage constant de la formule « comme il est écrit [καθὼς γέγραπται] » en Mc, même si en 9,13 et 14,21 la formule n’est pas suivie par une citation explicite9. Les trois premiers versets de Mc peuvent donc être compris comme ceci : l’heureuse annonce de Jésus Christ a commencé comme il est écrit dans le prophète Isaïe. Tout se passe comme si, pour prendre l’heureuse annonce à son commencement, le récit écrit par Marc devait en appeler à une parole prophétique antérieure. Loin d’être absolu, le commencement dont il est ici question s’origine dans une parole que personne ne maîtrise, ne domestique10. Une limite est ainsi affichée. Il est suggéré que l’heureuse annonce était déjà à l’œuvre avant le récit qui la prend désormais en charge, avant toute proclamation verbalisée de Jésus, Christ, Fils de Dieu. En son commencement, le récit cède la première place à l’Évangile qui s’atteste en une Écriture bien en deçà de lui-même. Du coup, la narration ne s’identifie pas avec l’heureuse annonce, elle ne l’absorbe pas. C’est plutôt elle qui est englobée dans l’heureuse annonce qui la précède. Il y a un certain caractère abrupt au début de Mc. Dès ses premiers mots, cet évangile pose l’identité messianique de Jésus, sans rien dire de ses origines ; il ne comporte ni récit de naissance miraculeuse, ni généalogie, ni description de l’incarnation du logos divin. Toute l’attention du lecteur est concentrée sur le commencement de l’heureuse annonce et son enracinement scripturaire. Il est bien connu que la citation de Mc 1,2-3 est complexe. La première partie (v. 2) semble composée à partir d’Ex 23,20 et Ml 3,1. Le texte marcien est littéralement plus proche de celui de l’Exode, mais l’idée de s’occuper du chemin semble reprise à Malachie, même si Mc emploie le verbe « préparer [κατασκευάζω] » plutôt que « se tourner vers [ἐπιβλέπομαι] » utilisé dans la LXX de Ml11. La seconde partie (v. 3) vient du prologue du Deutéro-Isaïe. Tübingen, Baker, 1997, p. 56 ; P. DANOVE, Linguistics and Exegesis in the Gospel of Mark: Applications of a Case Frame Analysis (JSNT SS, 218), Sheffield, T&T Clark, 2001, p. 78-83 ; M.E. BORING, Mark: A Commentary (NTL), Louisville KY – Londres, Westminster John Knox, 2006, p. 29. 9. On retrouve le même usage en 7,6 avec une formule légèrement différente : ὡς γέγραπται. 10. J. DELORME, « “Commencement de l’Évangile” et commencement de Marc (Marc 1,1) », in P. BEENTJES et al. (ed.), « Gelukkig de Mens ». FS Nico Tromp, Kampen, VBK, 1991, p. 159168, ici p. 165. 11. Cette divergence trahit vraisemblablement une compréhension différente de l’hébreu ‫ פנה‬que la LXX a interprété au sens du qal (ἐπιβλέπομαι, « se tourner vers », « s’occuper de »),

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Le texte de la LXX d’Is 40,3 est reproduit littéralement, si ce n’est le remplacement en finale des « sentiers de notre Dieu » par « ses sentiers ». Le Seigneur Jésus prend ainsi la place tenue par Dieu dans le texte du prophète. Que signifie le fait que, dans un travail de relecture biblique, Mc a placé sous le patronage d’Isaïe une citation empruntée à deux ou trois livres différents de l’Ancien Testament ? Pour le discerner, il importe de tenir compte des contextes de ces textes vétérotestamentaires. En Ex 23,20, le messager est envoyé pour protéger Israël en route vers la terre promise. En Ml 3,1, il doit préparer le chemin pour le jour de la venue du Seigneur et de son jugement redoutable. En Is 40,3, il survient dans un contexte de consolation et d’heureuse annonce12, car Israël va être libéré de l’exil et vivre un nouvel exode, le retour vers la terre promise. En attribuant la citation à Isaïe, Mc indique la perspective dans laquelle il convient de la lire13 : un messager est envoyé par Dieu pour préparer le chemin de Jésus et ce chemin sera celui d’un nouvel exode, d’un nouvel acte libérateur de Dieu14. L’exégèse rabbinique des textes précités de Malachie et de l’Exode identifie symboliquement ce messager avec un retour d’Élie. Dans l’histoire de Jésus telle que Mc la raconte, il s’agit de Jean le Baptiste (1,4-8) et celui-ci sera symboliquement identifié avec Élie par Jésus lui-même un peu plus tard dans le récit : « Élie est bien déjà venu et ils lui ont fait ce qu’ils voulaient, comme il est écrit de lui » (9,13). L’analyse qui précède fait ressortir la façon originale selon laquelle Mc commence son récit. Or, le choix du point de départ d’un livre est tout sauf anodin. Toute marque de commencement introduit une brisure dans le temps et c’est un choix de l’auteur. En ce sens, l’histoire que va conter Mc est certes porteuse d’une nouveauté radicale, celle de l’heureuse annonce introduite par Jésus en paroles et actes. Et pourtant cette annonce commence en s’ouvrant d’abord par le biais d’une citation en direction d’une source cachée, à savoir une parole qu’il n’est pas possible de mettre en scène, mais dont on peut relever les traces dans les mots de l’Écriture. Le récit du commencement « marque ainsi la limite que la narration ne peut franchir en amont. Il y a tandis qu’il est interprété au sens du piel (κατασκευάζω, « déblayer », « aplanir », « préparer ») en Mc. Aquila va aussi dans le sens du piel et traduit : ἀποσκευάσει. 12. Dans la LXX d’Is 40,9, le participe εὐαγγελιζόμενος apparaît à deux reprises pour désigner celui qui annonce la bonne nouvelle à Sion, à Jérusalem. 13. C’est pourquoi il est erroné de surévaluer l’influence de Malachie et de lire toute la citation dans une perspective de jugement, comme le fait, par exemple, P.J. SANKEY, « Promise and Fulfillment: Reader-Response to Mark 1.1-15 », JSNT 58 (1995) 3-18. 14. J. MARCUS, The Way of the Lord (n. 8), p. 12-47 ; R.E. WATTS, Isaiah’s New Exodus and Mark (n. 8), p. 88-90.

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là un fait d’énonciation remarquable et trop facilement négligé15 ». Pour Mc, un commencement ne peut pas être attribué à l’heureuse annonce « sans que soit évoquée une parole qui le devance, se trouve déjà là et reste contemporaine. Ce qui autorise l’auteur de Mc, c’est la parole d’un autre16 ».

II. LA FINALE DE MARC Si le commencement de Mc réservait des surprises au lecteur, que dire de sa finale ? Après que Jésus ait été arrêté, jugé et crucifié une veille de sabbat, le dimanche à l’aube, quelques femmes se rendent au tombeau où il a été inhumé. Un mystérieux messager leur annonce qu’il n’y est pas, qu’il est ressuscité. Et il les charge d’aller annoncer cette bonne nouvelle aux disciples de Jésus et à Pierre. Or, que font-elles ? « Étant sorties, elles s’enfuirent du tombeau, car les tenaient tremblement et stupeur, et elles ne dirent rien à personne, car elles avaient peur » (16,8). Point final ! Connaît-on un autre livre qui se termine par un comportement aussi frustrant de la part de ces disciples restées les plus fidèles, même lors du chemin de croix et de la mort ignominieuse de celui qu’elles suivaient ? Un autre livre qui se termine par les mots « car elles avaient peur [ἐφοβοῦντο γάρ] » ? Le silence apeuré des femmes a paru tellement absurde pour clôturer un évangile que l’on a cru bon plus tard d’ajouter douze versets d’apparitions du ressuscité, celui-ci délivrant aux apôtres un discours de mission clair et encourageant. Ce texte est communément appelé la « finale longue » (FL). Absente notamment dans le Vaticanus et le Sinaïticus, la FL est l’œuvre d’un auteur différent de celui de Mc 1,1-16,8. En effet, plusieurs particularités linguistiques et stylistiques de Mc ne s’y retrouvent pas, tandis que le vocabulaire non-marcien y est abondant17. Déjà M.-J. Lagrange rejetait l’authenticité de ces versets, ce qui a été confirmé nombre d’auteurs, parmi lesquels M. Gourgues, à qui j’ai le plaisir de dédier cet article18. 15. J. DELORME, L’heureuse annonce selon Marc (n. 1), p. 44. 16. Ibid. 17. Cela est développé clairement par R. MORGENTHALER, Statistik des neutestamentlichen Wortschatzes, Zürich, Gotthelf, 1958, p. 58-60, qui conclut fort justement : « Indizien für eine Echtheit finden sich praktisch keine. Hingegen sind die Unechtheitsindizien so mannigfaltig und so massiv, dass man den Schluss wird ziehen dürfen, dass Mk. 16,9-20, nach den wortstatistischen Ergebnissen beurteilt, niemals von derselben Hand geschrieben sein kann wie das übrige Markusevangelium » (p. 60). 18. M.-J. LAGRANGE, Évangile selon saint Marc (EBib), Paris, Gabalda, 61942, p. 463-466 ; M. GOURGUES, À la droite de Dieu. Résurrection de Jésus et actualisation du Psaume 110:1 dans le Nouveau Testament (EBib), Paris, Gabalda, 1978, p. 203-208.

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Mais quand la FL canonique, mais non authentique a-t-elle été ajoutée et pourquoi ? Le terminus ante quem remonte au moins aux alentours de 180, lorsque Irénée de Lyon cite explicitement 16,19 comme faisant partie de la finale de Mc19. Il peut même être situé plus tôt si on reconnaît une allusion à Mc 16,20 dans un texte de la Première apologie de Justin écrite peu après 15020. Comme il semble probable que la FL date d’une époque où l’ensemble des évangiles néotestamentaires faisaient déjà partie d’une collection, il n’est guère possible de la faire remonter avant 120. Dès lors, une fourchette allant de 120 à 150 est une hypothèse raisonnable21. Ce texte était-il un fragment rédigé antérieurement dans un autre but : catéchèse22 ou encore compilation de récits pascaux destinée à l’instruction des missionnaires23 ? Il me paraît plus vraisemblable qu’il ait été composé ad hoc en vue de compléter un évangile de Marc jugé incomplet. Son auteur veut manifestement insister sur la nécessité d’une mission universelle, d’une part, et sur le rôle des miracles dans la formation à la foi, d’autre part24. L’auteur de ces versets semble bien avoir imité volontairement les quatre évangiles, et même les Actes des apôtres25. S’il en est ainsi, la FL n’a pu être composée qu’à une époque où les évangiles et probablement les Actes avaient déjà été rassemblés dans une même collection, ce qui facilitait leur comparaison et faisait ressortir plus nettement encore la particularité de la finale authentique de Mc sans récits d’apparition.

19. IRÉNÉE DE LYON, Adv. Haer. III,10,6 : « In fine autem Evangelii ait Marcus : Et quidem Dominus Jesus, posteaquam locutus est eis, receptus est in caelos et sedit ad dexteram Dei ». 20. On y retrouve trois mots significatifs de Mc 16,20, bien que dans un ordre légèrement différent. Là où Mc 16,20 a ἐξελθόντες ἐκήρυξαν πανταχοῦ, JUSTIN écrit : ἐξελθόντες πανταχοῦ ἐκήρυξαν (Apol. I,45,5). 21. Ainsi J. KELHOFFER, Miracle and Mission. The Authentication of Missionaries and Their Message in the Longer Ending of Mark (WUNT, II/112), Tübingen, Mohr Siebeck, 2000, p. 175. En promettant des miracles qui seront réalisés non par des apôtres seulement, mais aussi par des chrétiens anonymes (16,17), la FL se situe dans la ligne des apologistes chrétiens des IIe et IIIe siècles, à commencer par Justin. 22. S. LÉGASSE, L’évangile de Marc (LD – Commentaires, 5), Paris, Cerf, 1997, tome 2, p. 1012. 23. R. PESCH, Das Markusevangelium (HTKNT, 2), Freiburg – Basel – Wien, Herder, 1984, p. 546 ; J. HUG, La finale de l’évangile de Marc (Mc 16,9-20) (EBib), Paris, Gabalda, 1978, p. 217, 220, 223. Pour M. GOURGUES, À la droite de Dieu (n. 18), p. 208, n. 37, la FL reflète une situation de crise de la mission au début du IIe siècle. 24. Ceci est bien mis en valeur par V. KRAUSS, « Verkündet das Evangelium der ganzen Schöpfung! »: Eine exegetisch-bibeltheologische Untersuchung von Mk 16,9-20 (dissertation non publiée), Wien, 1980, p. 198-203. 25. La démonstration de J. KELHOFFER, Miracle and Mission, p. 121-150 paraît assez probante.

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Comme la FL est un des premiers écrits chrétiens à trahir une connaissance de tous les évangiles ainsi que des Actes des apôtres26, il est vraisemblable que l’auteur de la FL ait fait son travail de révision de la finale de Mc lors de ou peu après l’émergence du canon des évangiles27. Or, dans le codex de Bèze, la FL est bien présente ; elle survient bien sûr en finale de Mc, mais aussi et surtout en finale de l’ensemble des évangiles, puisque ceux-ci y sont présentés dans l’ordre Mt-Jn-Lc-Mc. Or, la diffusion de cet ordre est importante : on le retrouve dans des témoins anciens assez nombreux en Italie et en Égypte. Il a résisté à l’ordre aujourd’hui devenu commun Mt-Mc-Lc-Jn – dont on n’a pas d’attestation sûre avant Eusèbe de Césarée –, en tout cas suffisamment longtemps pour que des exemplaires aient subsisté jusqu’à présent28. L’hypothèse n’est dès lors pas invraisemblable que la FL ait été composée comme « épilogue des quatre évangiles réunis dans l’ordre Mt-JnLc-Mc29 ». La finale de Mc 16,8 doit effectivement avoir paru encore plus abrupte et dérangeante, lorsqu’elle était lue au terme d’un codex rassemblant les quatre évangiles. Plutôt que de laisser cet ensemble se terminer sur un silence apeuré, un auteur inconnu a vraisemblablement composé une finale nouvelle sous forme de récapitulation des apparitions pascales présentes dans les autres évangiles et y a ajouté un envoi en mission très universaliste – à l’adresse de toute la création –, ainsi qu’une promesse d’assistance à tous les chrétiens qui prendront en charge cette mission. Le scandale théologique30 potentiel provoqué par la finale brève était ainsi surmonté, mais au prix d’une défiguration de l’œuvre originale31. Si on en 26. M. HENGEL, Die Evangelienüberschriften (Sitzungsberichte der Heidelberger Akademie der Wissenschaften. Philosophisch-historische Klasse, Jahrgang 1984, Bericht 3), Heidelberg, Universitätsverlag, 1984, p. 22. 27. J. KELHOFFER, Miracle and Mission (n. 2), p. 480. 28. Voir la démonstration par P. BOGAERT, « Ordres anciens des évangiles et tétraévangile en un seul codex », RTL 30 (1999) 297-314, qui relève l’ordre Mt-Jn-Lc-Mc dans p45 D 032 et la plupart des évangiles non vulgates (Vercellensis, Veronensis, Codex Bezae Cantabrigiensis, Palatinus, Brixianus, Corbeiensis, Sangallensis, Monacensis). 29. C.-B. AMPHOUX, « La “finale longue de Marc” : Un épilogue des quatre évangiles », in C. FOCANT (ed.), The Synoptic Gospels: Source Criticism and the New Literary Criticism (BETL, 110), Leuven, Peeters, 1993, p. 548-555, voir p. 550. 30. F. KERMODE, The Genesis of Secrecy: On the Interpretation of Narrative, Harvard – Cambridge – London, Harvard University Press, 1979, p. 67 : « The scandal is, of course, much more than merely philological ». 31. Une autre attestation de ce scandale est le fait qu’un autre scribe a tenté d’y remédier par le biais d’une addition courte. Celle-ci n’est transmise seule que dans le Codex Bobbiensis (k), un manuscrit de la vieille latine daté du IVe siècle ; elle est habituellement transmise en combinaison avec la FL (L Y 099 0112 274 579 syh). L’optimisme sans réserve de cette addition courte contraste avec les questions posées au lecteur tout au long de Mc et particulièrement dans la finale suspendue et ouverte de 16,8.

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revient à celle-ci, il convient d’essayer d’interpréter le silence apeuré des femmes au tombeau vide à la lumière de ce qui précède dans le récit et en restant dans le droit fil de celui-ci. Ce choix méthodologique diffère de l’interprétation littérale du silence des femmes et de l’absence de récits d’apparition proposée par J.D. Crossan. Pour lui, la façon selon laquelle Mc termine son récit « nous présente un Jésus absent […]. Sur terre, il n’y a pas d’apparitions, mais seulement le fait négatif et dur du tombeau vide et du Seigneur «qui n’est pas ici». Et il y a le combat rigoureux de la communauté marcienne en Galilée qui invite en vain la communauté de Jérusalem à obéir à son Seigneur en préparant son retour dans la souffrance, le service et la mission envers le monde32 ». La finale brutale de 16,8 ne signe pas non plus l’aboutissement d’un récit absurde qui se terminerait sur un silence à comprendre comme définitif  33, sans quoi il est peu probable qu’il aurait été retenu dans le Canon du Nouveau Testament lors de sa formation. Mais le fait que Mc ait été si peu cité par les Pères de l’Église est probablement un indice d’un certain malaise à son égard, sa finale n’y étant sans doute pas pour rien. Celle-ci correspond pourtant parfaitement au style de Mc, comme en témoigne déjà le commencement abrupt de l’évangile dont il a été question ci-dessus. Comme l’a bien montré J.L. Magness, diverses techniques narratives peuvent être mises en œuvre en cas de finale suspendue pour suggérer que l’histoire se poursuit : annonce du développement futur par un des acteurs, sommaire des événements postérieurs dans la vie des protagonistes, notes d’espoir ou de crainte34. Reste que le silence final a pour fonction d’en appeler à l’interprétation du lecteur. L’opposition entre la promesse de 16,7 et le silence de 16,8 peut se résoudre dans une lecture non pas littérale, mais ironique de la finale de Mc35. Une suite est impliquée avec la présence du 32. J.D. CROSSAN, « Empty Tomb and Absent Lord », in W.H. KELBER (ed.), The Passion in Mark: Studies on Mark 14–16, Philadelphia PA, Fortress, 1976, p. 135-152, ici p. 152. 33. Les conséquences d’une telle compréhension de la finale de Mc sont bien dégagées par J.D. HESTER, « Dramatic Inconclusion: Irony and the Narrative Rhetoric of the Ending of Mark », JSNT 57 (1995) 61-86, p. 83 : « If the implied author is unreliable, not only the disciples, but also Jesus must be unreliable. Actual readers are led to believe that they have been duped, and the whole story is a mockery and a swindle. Actual readers who are uncommitted to the Gospel message and story may just accept this and leave the story in quite a cynical mode ». 34. J.L. MAGNESS, Sense and Absence: Structure and Suspension in the Ending of Mark’s Gospel (SBL Semeia Studies), Atlanta GA, SBL, 1986, p. 49-63. 35. R. VIGNOLO, « Una finale reticente: Interpretazione narrativa di Mc 16,8 », Rivista Biblica 38 (1990) 129-189, p. 169 : « L’ironia di 16,8 sta cioè nel contrastare e differire – senza svuotarli di senso – il comando dell’angelo e la promessa di Gesù, dimostrando quanto fino all’ultimo il punto di vista degli uomini fatichi ad accogliere quello di Dio e di Gesù ».

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Ressuscité pour ses disciples et le lecteur. Mais comme Mc ne la raconte pas, il revient au lecteur de la construire36, en tentant de rester en consonance avec la structure du récit37. Pour ce faire, il n’est pas dépourvu de moyens, s’il veut bien se référer aux textes qui, en amont de cette finale suspendue, constituent autant de prolepses de ce qui se situe au-delà du récit de la visite au tombeau. Trois prolepses au moins – la transfiguration (9,2-9), l’annonce de la passion de la communauté (13,9-13) et l’onction à Béthanie (14,3-9) – induisent chez le lecteur l’idée que l’heureuse annonce aura un avenir au-delà de la finale abrupte de l’évangile. 1. Le récit de la transfiguration (9,2-9) comme prolepse de la présence du Ressuscité dans un évangile qui ne comporte pas de récit d’apparition La question du genre littéraire du récit de la transfiguration a été et reste fort discutée. Parfois, certains y ont vu un récit de résurrection antidaté dans la vie de Jésus38. Cette opinion n’est plus suivie aujourd’hui par la majorité des exégètes39, tant la différence avec le genre littéraire des récits d’apparition du Ressuscité est frappante. Dans aucun de ceux-ci, en effet, il n’y a d’apparition de personnages autres que Jésus, tels Moïse et Élie. Jamais une voix n’y vient du ciel pour dire l’identité de Jésus. Et surtout, aucun de ces récits ne comporte le verbe « métamorphoser » si caractéristique du récit de la transfiguration. Au lieu de penser à un récit d’apparition antidaté, il est préférable de s’orienter vers une prolepse de la résurrection de Jésus, comme une sorte de parousie anticipée. Effectivement, Jésus vient d’annoncer qu’« il en est d’ici présents qui ne goûteront pas la mort avant d’avoir vu le Règne de Dieu venu avec puissance » (9,1). Cette déclaration a de quoi surprendre dans un contexte où, depuis la confession de Pierre à Césarée, il n’est plus question que de l’annonce de la Passion et de ses conséquences pour la vie des disciples (8,3138). La déclaration de 9,1 et le récit de la transfiguration semblent bien en 36. J.D. HESTER, « Dramatic Inconclusion » (n. 33), p. 85 : « It is the actual reader who either fails or completes the story ». 37. F. KERMODE, The Genesis of Secrecy (n. 30), p. 65 : « We can derive the sense of fulfilled expectation, or satisfactory closure, from texts that actually do not provide what we ask, but give us instead something that, out of pure desire for completion, we are prepared to regard as a metaphor or synecdoche for the ending that is not there ». 38. J. WELLHAUSEN, Das Evangelium Marci, Berlin, G. Reimer, 21909, p. 71 ; R. BULTMANN, Die Geschichte der synoptischen Tradition (FRLANT, 29), Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 7 1957, p. 278-279. 39. J. GNILKA, Das Evangelium nach Markus (Mk 8,27–16,20) (EKKNT, II/2), Neukirchen, Neukirchener, 1979, p. 30-31.

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rupture avec le contexte narratif dans lequel ils se trouvent. C’est tout à fait dans la manière paradoxale de Marc. Un reflet de la « gloire » dans laquelle viendra le Fils de l’homme (8,38) est projeté dans la vie présente de Jésus, mais c’est au cœur d’un ministère marqué par la souffrance et le rejet. On retrouve dans le fil du récit la même tension que dans l’annonce de 8,31 où il était question dans un même souffle et de la Passion et de la résurrection, mais il apparaît ici que Marc évite de les situer dans une simple succession chronologique. Véritable venue anticipée du Règne de Dieu, la transfiguration précède la croix, mais sans l’abolir d’aucune manière. Cette scène est étrange dans son rapport à l’espace et au temps. D’une part, le lieu de l’action est déconnecté de l’espace des échanges et de la communication ordinaires ou de la topographie du récit englobant. « Les acteurs ont été transférés sur une autre scène – comme celle du rêve – où la vision va pouvoir montrer ce qui ne se voit pas dans l’espace ordinaire40 ». D’autre part, les repères temporels sont passablement brouillés par l’abolition de la barrière qui sépare les morts des vivants. On voit en effet le protagoniste du récit principal, Jésus, entrer en conversation avec des personnages morts ou disparus depuis des siècles. Cet espace-temps décalé marque le caractère particulier de la révélation qui se déploie dans le récit de la transfiguration. Quelle peut bien être la fonction de celui-ci dans le macro-récit évangélique marcien ? Pour la déceler, on peut faire l’hypothèse qu’il convient de l’articuler à l’absence de tout récit d’apparition pascale à la fin de l’évangile. Cet épisode fonctionne alors comme une prolepse de la résurrection de Jésus41, mais une prolepse inachevée. Celle-ci n’est pas sans lien avec la compréhension ouverte de la résurrection créée par la finale suspendue de l’évangile. Le narrateur prépare ainsi son effet final. Lors de la transfiguration, un processus de compréhension est entamé, mais il reste nécessairement inachevé en 9,8 car il manque la croix. De la même façon le processus de compréhension-adhésion restera inachevé dans la finale suspendue de 16,8. C’est en effet dans le monde de l’auditeur/lecteur que pourra s’effectuer la confession de foi42. Le lien entre la résurrection et la croix semble bien au cœur du problème. Les trois disciples qui viennent d’être témoins de l’anticipation, annoncée en 9,1, de la venue du Règne de Dieu avec puissance se voient intimer le 40. F. MARTIN, « Figures et Transfiguration », Sémiotique et Bible 70 (1993) 3-12, p. 5. 41. A. DEL AGUA, « The Narrative of the Transfiguration as a Derashic Scenification of a Faith Confession (Mark 9.2-8 Par.) », NTS 39 (1993), 340-354, p. 345-347. 42. C. CLIVAZ, « La Transfiguration au risque de la compréhension du disciple : Mc 9,2-10 », ETR 70 (1995) 493-508, p. 506.

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silence, du moins jusqu’à la résurrection du Fils de l’homme (9,9). Dans la logique paradoxale de Marc, la transfiguration, la révélation de la gloire du Fils de l’homme et de la venue du Règne en puissance, ne peut être dévoilée qu’après le passage par la croix et la résurrection. Alors seulement, tout contresens sera devenu impossible43. C’est bien l’au-delà du récit qui est visé dans la transfiguration, mais de manière inchoative, sans qu’il soit permis de se passer de la suite du récit évangélique. 2. Le rapport de la passion des disciples (Mc 13,9-13) avec la fin ambiguë de Marc Un autre saut vers l’au-delà du récit se rencontre dans l’évocation de la passion des disciples en 13,9-13. Le discours du chap. 13, le plus long discours ininterrompu de Jésus en Marc, est constitué d’un patchwork littéraire44 composé de treize versets d’enseignement apocalyptique (v. 7-8.14-20.24-27) et de vingt versets d’enseignement parénétique ou exhortatif (v. 5b-6.9-13.2123.28-37). Dans ce discours, le mode verbal dominant est l’impératif ; on en compte dix-neuf. Cela souligne l’importance de la parénèse. L’objectif est avant tout d’avertir les disciples. C’est pourquoi on pourrait parler d’un discours pseudo-apocalyptique. C’est en fait un discours sur la passion de la communauté, dans lequel l’exhortation occupe la première place45 même si elle est mâtinée d’enseignements apocalyptiques. Marc met dans la bouche de Jésus un discours où il enseigne aux disciples comment sa Passion et sa résurrection influeront sur leur propre condition de disciples dans le temps d’après Pâques46. La première partie du discours (v. 5b-23) est rythmée par trois avertissements où on retrouve chaque fois l’impératif « prenez garde [βλέπετε] ». La première et la dernière de ces mises en garde visent les imposteurs (v. 5b-6 et 21-23). Au centre, entourés par deux annonces de guerres (v. 7-8 et 14-20), les v. 9-13 mettent en garde et appellent à tenir bon lorsque surviendront les persécutions. On peut disposer cette partie centrale en structure concentrique comme suit :

43. J. ANSALDI - É. CUVILLIER, Il fut transfiguré devant eux. Une oasis rafraîchissante sur le chemin de la foi, Poliez-le-Grand, 2002, Éd. du Moulin, p. 59. 44. S. SCHLUMBERGER, « Appel au lecteur ! (Lecture de Marc 13) », Foi et Vie 98/4 (1999) 87-96, p. 88. 45. P. MYERS, « Marc 13. Une lecture synchronique », ETR 67 (1992), 481-492, p. 481. 46. T. GEDDERT, Watchwords: Mark 13 in Markan Eschatology (JSNT SS, 26), Sheffield, Sheffield Academic Press, 1989.

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a) v. 9a : avertissement b) v. 9b-10 : annonce de persécutions à cause de Jésus et de l’évangélisation c) v. 11 : témoignage avec l’aide de l’Esprit b’) v. 12-13a : annonce de divisions et trahisons à cause de Jésus a’) v. 13b : promesse

L’avertissement du début (v. 9a) rappelle celui du v. 5, mais il est formulé de manière plus emphatique, grâce à l’addition de deux pronoms : « Vous, prenez garde à vous-mêmes [ὑμεῖς ἑαυτούς] ». Cette fois, les tribulations à venir sont propres au groupe des disciples. Les versets suivants scandés par la répétition de verbes et de pronoms à la deuxième personne du pluriel (v. 9.11.13) le confirment. Il est d’abord annoncé aux disciples qu’ils seront livrés, remis tant à des institutions juives qu’à des autorités païennes (v. 9bc). Ils seront roués de coup à cause de leur engagement envers Jésus. Celui-ci consiste en la nécessaire proclamation de l’Évangile à toutes les nations (v. 10). Mais les v. 9bc et 11-13a qui encadrent cette affirmation donnent à entendre qu’en échange de leur heureuse annonce à tous, les disciples recevront la haine de tous. Au v. 10, l’adverbe « d’abord » indique que l’accomplissement de l’annonce à toutes les nations est un préalable à la fin, c’est-à-dire à la venue du Fils de l’homme dont il est question aux v. 24-27. On ne peut mieux souligner la responsabilité des disciples : plutôt que de s’interroger vainement sur le moment de l’issue, il leur revient de ne jamais cesser d’annoncer l’Évangile. Leur protection dans cette tâche sera l’affaire de l’Esprit Saint (v. 11), celui-là même qui est descendu sur Jésus lors de son baptême pour le pousser au désert en vue du combat contre Satan (1,9-13), l’Esprit contre qui on ne peut pas blasphémer (3,29). La mention de l’Esprit marque la continuité entre l’œuvre de Jésus et celle des disciples, particulièrement lorsque ceux-ci se trouveront dans une situation comparable à la Passion de Jésus. La suite du discours avertit les disciples qu’ils ne seront pas confrontés seulement à des oppositions religieuses ou politiques extérieures, mais que la haine les rejoindra au sein même de leurs familles (v. 12-13a). Ce tableau de trahisons et de dénonciations intrafamiliales se termine sur une note de haine universelle. Les futurs évangélisateurs se heurteront à la même haine que celle qui est rencontrée par Jésus. Ces annonces terrifiantes se terminent toutefois sur une promesse à l’adresse du disciple fidèle jusqu’à la fin, jusqu’à la mort : celui-là sera sauvé (v. 13b). En l’occurrence, « être sauvé » ne signifie pas échapper à la mort physique, mais renvoie au salut final par Dieu47.

47. J. GNILKA, Das Evangelium nach Markus (Mk 8,27–16,20) (n. 39), p. 192.

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Au cœur de cette nouvelle prolepse de l’au-delà du récit, il y a la prédication évangélique à toutes les nations. Le discours du chap. 13 avertit les disciples qu’appelés à prêcher l’Évangile au-delà de la Passion et de la résurrection de Jésus, ils devront comme leur maître en supporter les conséquences. Il ne s’agit pas d’un appel à souffrir avec Jésus en tant que tel, mais bien d’une invitation à envisager lucidement les suites pénibles de l’action positive qu’est l’annonce de la Bonne nouvelle48. 3. La mémoire évangélique mentionnée dans le récit de l’onction à Béthanie (14,2-9) Au seuil de la Passion, un autre texte parle de la proclamation de l’Évangile dans le contexte – à première vue curieux – d’une onction de Jésus pratiquée à Béthanie par une femme anonyme (14,2-9). À l’opposé de Jérusalem et du Temple où la polémique bat son plein entre Jésus et les autorités religieuses (11,12–12,40), Béthanie est le lieu où Jésus se retire en sécurité (11,11-12). La maison du lépreux où se déroule la scène de l’onction est, sous l’angle du système de pureté commun en Israël, l’extrême opposé du Temple49. Le geste original, et même extravagant, de la femme anonyme est rapporté dans une extrême sobriété narrative, toute l’attention se concentrant sur le conflit qu’il déclenche entre deux interprétations. La première proposée par « quelques-uns [τινες] », non autrement identifiés, se place sur le registre de l’indignation : le parfum y est réduit à sa valeur marchande évaluée à trois cents deniers et le geste est lu comme un gaspillage au détriment des pauvres (14,4-5). Ce souci de l’argent met les râleurs en parallèle dans le contexte immédiat avec les grands prêtres qui promettent de l’argent à Judas pour sa trahison (14,11). Ce sont d’ailleurs les deux seules mentions de l’argent dans le récit marcien de la Passion. Jésus s’oppose à leur interprétation et en propose une autre. S’il leur demande de laisser la femme en paix, c’est moins par pitié pour elle que par admiration pour sa « belle œuvre » envers lui (v. 6). Sans contester l’importance de l’action envers les pauvres qui restera toujours possible, Jésus reproche à ses interlocuteurs un manque de clairvoyance sur le temps présent. Il attribue au geste extraordinaire de la femme une signification exceptionnelle, celle d’une onction de son corps en vue de son ensevelissement (v. 8). Entre le parfum qui ne produit son effet qu’en s’évaporant et son corps qui va vers sa perte, Jésus 48. B.K. BLOUNT, « Preaching the Kingdom: Mark’s Apocalyptic Call for Prophetic Engagement », Princeton Seminary Bulletin, Supplement 3 (1994) 33-56, p. 55. 49. S.C. BARTON, « Mark as Narrative: The Story of the Anointing Woman (Mk 14:3-9) », Expository Times 102 (1991) 230-234, p. 232.

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discerne un lien symbolique. Versé, le parfum perd sa valeur marchande et c’est à ce prix qu’il est signe. Le geste de la femme est un geste-métaphore : c’est « un parfum perdu pour un corps perdu50 ». Dans son interprétation de la métaphore, Jésus indique une rupture dans le temps de son propre corps. En recevant son geste lu comme une onction funéraire, il vit une anticipation de son ensevelissement. De cette manière, il a en quelque sorte commencé à intégrer la menace de mort qui pèse sur lui, « à l’incorporer dans le futur qu’il anticipe, à se familiariser lui-même et à familiariser ses disciples avec cette étrangeté51 ». Enfin, en conclusion, Jésus relie le geste accompli par la femme à la proclamation de l’Évangile dans le monde entier (ὅπου ἐὰν κηρυχθῇ τὸ εὐαγγέλιον εἰς ὅλον τὸν κόσμον, v. 9). Ce geste à jamais unique sera raconté en mémoire de celle qui l’a posé. De ce point de vue, il est bien différent du « faire » utile et bénéfique toujours à recommencer en faveur des pauvres. Le geste symbolique de la femme, lui, restera singulier. Il peut se perpétuer, mais c’est dans l’ordre symbolique du langage52. Il y a en effet une mystérieuse connivence entre ce geste et la prédication de l’Évangile. La perte du parfum peut être mise en relation avec la perte du corps qui, une fois enseveli, ne sera jamais retrouvé. De fait, lorsque les femmes viendront au tombeau de Jésus, le premier jour de la semaine, pour l’oindre, elles ne trouveront plus son corps, dont la place sera prise par la parole de l’Évangile, le message de la résurrection (16,1-7). Ainsi interprété, le lien paraît naturel entre le sens du parfum perdu et l’Évangile qui est heureuse annonce dans le monde d’une parole de vie tirée de la mort, de la perte d’un corps. Comme dans la transfiguration et dans le discours sur la passion des disciples, l’ordre chronologique est bouleversé. Cette onction qui précède la mort bouscule la temporalité. Ce faisant, elle ouvre sur un temps autre, celui des signes. Le repas où se situe l’onction à Béthanie est immédiatement suivi d’un autre repas, la dernière Cène (14,12-25). Dans les deux cas, le lecteur est témoin d’une action rituelle qui a pour objet le corps de Jésus (v. 8 et 22) dans le cadre de sa mort prochaine. Ce corps, auquel nulle attention n’a été prêtée jusque-là dans l’évangile, occupe tout à coup le centre de la 50. J. DELORME, « Sémiotique et lecture des évangiles à propos de Mc 14,1-11 », in A. CAQUOT (ed.), Naissance de la méthode critique. Colloque du centenaire de l’École biblique et archéologique française de Jérusalem (Patrimoines. Christianisme), Paris, Cerf, 1992, p. 161-174, ici p. 170. 51. E.S. MALBON, Narrative Space and Mythic Meaning in Mark (Biblical Seminar), Sheffield, Sheffield Academic Press, 1991, p. 48. 52. J. DELORME, « Parole, évangile et mémoire (Marc 14,3-9) », in D. MARGUERAT – J. ZUMSTEIN (ed.), La mémoire et le temps. FS Pierre Bonnard (MdB, 23), Genève, Labor et Fides, 1991, p. 113-135, ici p. 120.

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perspective : d’abord parfumé d’avance pour l’ensevelissement (v. 8), il est ensuite donné symboliquement aux disciples à travers le partage du pain béni et rompu (v. 22). Et en finale du récit évangélique, il sera remplacé dans le tombeau par l’annonce de la résurrection qui est au cœur de l’Évangile.

CONCLUSION L’heureuse annonce destinée après Pâques à toutes les nations (13,10) a une histoire bien plus longue que celle de Jésus de Nazareth qui en est le « commencement [ἀρχή] » et le fondement originaire (1,1). C’est à la fin de l’évangile que l’on comprend en quel sens il convient d’entendre son premier mot : le récit évangélique qui vient d’être parcouru n’est que le commencement et, sur ce fondement, il reste à construire. Telle est la tâche ouverte au lecteur. Et le dernier verset de l’évangile (16,8) rappelle de manière ironique que, si grand soit-il, ce kérygme doit s’articuler à la lenteur d’une foi qui doit grandir. S’ils vont en Galilée, autrement dit, s’ils retournent au début de l’évangile et agissent conformément aux enseignements de Jésus, tous les disciples verront ce qu’ont vu Pierre, Jacques et Jean lors de la transfiguration. C’est à cette expérience que les lecteurs de Marc sont renvoyés et non à quelque apparition ou au tombeau vide. En annonçant que Jésus les précède en Galilée, le jeune homme les invite à quitter le tombeau : Jésus les attend ailleurs et il sera encore à suivre. La mention de la Galilée ne rappelle pas seulement l’annonce de 14,28, mais aussi le début du récit évangélique qui commence par la prédication en Galilée (1,14-15). La boucle est ainsi bouclée. Le récit de Marc n’est que le commencement d’un Évangile lui-même inscrit dans une Écriture antérieure (Isaïe). Il ne détient donc pas en lui-même sa propre origine. Par ailleurs, il n’est qu’un commencement ouvert sur l’Évangile du crucifié-ressuscité à mettre en œuvre dans la prédication et l’action qui constituent l’au-delà du récit. La retenue de Marc à la fin de son évangile stimule le lecteur à déployer sa propre intelligence de l’Annonce heureuse. Et elle l’ouvre sur le rôle qu’il peut jouer dans l’histoire du kérygme évangélique à l’époque de sa propre lecture. Après une telle finale, la question « Que va-t-il arriver dans l’histoire du lecteur ? » est bien plus pertinente que la recherche des événements historiques survenus dans la vie ultérieure des protagonistes de l’évangile, même si cette dernière question peut évidemment se poser, elle aussi. Bref, la finale suspendue rend le lecteur conscient du fait que l’aventure de l’Évangile, telle qu’elle s’est jouée dans la vie-mort-résurrection de Jésus

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n’en est qu’à ses débuts. En même temps, elle lui ouvre un champ de responsabilité dans l’œuvre inépuisable de l’Annonce heureuse. L’évangile de Marc lie fermement celle-ci à l’histoire de Jésus de Nazareth, le crucifié-ressuscité. Et en même temps, il ne l’y enferme pas. Dès ses premiers mots, il relie le commencement à une parole d’Écriture bien antérieure où il trouve déjà un écho de l’Évangile. Et il a préparé de multiples façons l’absence corporelle de Jésus par des allusions à la mission future des disciples, leur heureuse annonce étant définitivement connotée par la crucifixion et la résurrection de leur maître. Camille FOCANT Université catholique de Louvain [email protected]

« LIVRE DE LA GENÈSE DE JÉSUS CHRIST » (MT 1,1) COMMENCER L’ÉVANGILE SELON MATTHIEU

Je participe volontiers au festival de l’amitié que constitue l’offrande de ces Mélanges à Michel Gourgues. C’est le collègue au fin regard exégétique que je salue, l’homme de foi et l’ami souriant qui m’a fait découvrir le Canada francophone. En outre, le thème choisi ne peut que réjouir le narratologue que je suis. Commencement et fin sont deux lieux stratégiques d’un écrit, qu’Aristote avait détectés bien avant la narratologie moderne1. C’est là que le narrateur organise la rencontre entre le lecteur et le monde du récit, soit en l’y faisant entrer (incipit), soit en orchestrant l’adieu au monde du récit et le retour du lecteur à son monde (clôture). J’ai choisi de m’arrêter sur le commencement de l’évangile de Matthieu, qui présente notoirement quelques énigmes. Mais où s’arrête son incipit : à la titulature (Mt 1,1), à la fin du chapitre 1, ou au terme de l’Évangile de l’enfance (fin du chap. 2) ? Je considère que l’Évangile de l’enfance (Mt 1–2) constitue l’exorde narratif du récit matthéen ; on y a vu, avec raison, un condensé de la christologie de Matthieu. Je vais toutefois me limiter au chapitre 1, dont les trois unités littéraires sont liées par un jeu d’inclusions : la titulature (1,1), la généalogie (1,2-17) et l’annonce faite à Joseph (1,18-25)2. En analyse narrative, le commencement d’un récit est considéré comme ce lieu stratégique où le narrateur contracte avec son lecteur un pacte de lecture ; il met ainsi en place, au seuil de la narration, les informations visant à programmer la lecture du texte dans le sens souhaité par l’auteur3. Question : quel pacte de lecture Matthieu met-il en place en son chapitre 1 ? On peut le 1. ARISTOTE, Poétique 1450b, 24-34. La rhétorique ancienne a surtout traité de l’incipit, mais elle est aussi consciente de l’effet de la fin sur le lecteur. Sur le rôle du péritexte dans la programmation de la lecture, voir D. MARGUERAT – Y. BOURQUIN, Pour lire les récits bibliques. Initiation à l’analyse narrative, Paris – Genève, Cerf – Labor et Fides, 42009, p. 168170. 2. γένεσις Ἰησοῦ Χριστοῦ (1,1) est repris en 1,18 ; Ἰησοῦς (1,1) revient en 1,25. 3. Je renvoie pour la théorie au manuel de D. MARGUERAT – Y. BOURQUIN, Pour lire les récits bibliques (n. 1), p. 167-170.

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dire autrement : comment les trois unités littéraires de Mt 1 concourent-elles à construire le seuil christologique par lequel l’évangéliste a voulu faire débuter la lecture de son récit ? I. MT 1 : UNE

HISTOIRE DE NAISSANCE

Le premier verset de l’évangile a une fonction metanarrative4 ; il présente la titulature de l’œuvre entière, que confirme l’absence de verbe : « Livre de la genèse de Jésus Christ, fils de David, fils d’Abraham » (Mt 1,1). Le lecteur du premier siècle capte immédiatement l’allusion : βίβλος γενέσεως (« livre de la genèse ») est le titre grec sous lequel est connu le premier livre de l’Ancien Testament5. On le lit en Gn 2,4 et 5,1 LXX. L’évangéliste Matthieu affiche donc d’emblée son ambition : son livre ne peut être compris qu’à la lumière de l’Ecriture d’Israël, mais en même temps il présente une autre origine, un autre commencement, à partir de quoi tout devra être regardé : une histoire qui prend sa source en Jésus Christ. Mais quelle est la « genèse » de Jésus ? Une double filiation lui est d’emblée affectée : davidique (il est Messie) et abrahamique (il est un vrai Israélite). La généalogie qui suit, débutant avec Abraham (1,2a) et passant par David (1,6), confirmera cette filiation ethnique et messianique, mais d’une étrange manière. 1. Une étrange généalogie Faire débuter un récit par une longue généalogie n’est pas anodin. Le genre littéraire des tôledot (« générations ») est familier au lecteur de la Bible hébraïque dès son premier livre (Gn 4,17-22 ; 5,1-32 ; 11,10-26) ; il n’est pas étranger non plus à la culture hellénistique, mais la formule récurrente ἐγέννησεν (« il engendra ») ne se lit pas en dehors de la littérature biblique. M.D. Johnson a énuméré quatre fonctions des généalogies bibliques : A) elles démontrent les liens entre Israël et les tribus voisines ; B) elles comblent des vides historiques entre les traditions sur l’origine d’Israël ; C) elles permettent des spéculations chronologiques ; D) elles légitiment le statut de personnages politiques ou religieux en établissant la pureté de leur origine6. À la différence 4. F. SCHNIDER – W. STENGER, « Die Frauen im Stammbaum Jesu nach Matthäus. Strukturalen Beobachtungen zu Mt 1,1-17 », BZ 23 (1979) 187-196, p. 188. 5. Attestation classique chez PHILON D’ALEXANDRIE, De aeternitate mundi 19 ; De posteritate Caini 27 ; De Abrahamo 1. 6. M.D. JOHNSON, The Purpose of the Biblical Genealogies with Spèecial Reference to the Setting of the Genealogies of Jesus (SNTS MS, 8), Cambridge, Cambridge University Press, 1969, p. 77-82. Voir aussi R.R. WILSON, « The Old Testament Genealogies in Recent Research »,

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des généalogies horizontales du type A (axées sur les ramifications), les généalogies linéaires et verticales ont une fonction premièrement légitimatrice (type D). Ainsi la généalogie matthéenne légitime-t-elle l’appartenance de Jésus au peuple élu, et singulièrement à la descendance de David. Dans une perspective théologique, on ajoutera que la généalogie atteste la permanence de la promesse : la succession des générations concrétise l’indéfectible fidélité de Dieu qui assure aux siens sa bénédiction. La conclusion de la généalogie (1,17) synthétise le cycle des engendrements en trois périodes de quatorze générations. Le compte n’y est pas tout à fait, ce qui constitue une difficulté classique pour les commentateurs7 ; par ailleurs, la symbolique du nombre 14 n’est pas claire. On retiendra le message de fond : la périodisation de l’histoire a toujours renvoyé dans la pensée juive à l’accomplissement des temps sous l’autorité souveraine de Dieu. Autrement dit : la venue de Jésus le Christ accomplit l’histoire de son peuple ; initiée avec le patriarche Abraham, elle atteint dans cet événement sa plénitude. La surprise, bien connue, vient de la mention de cinq femmes. Si la présence des femmes n’est pas exceptionnelle (la généalogie de 1 Chr 2 comporte 14 noms féminins), leur proportion est en revanche surprenante (5 sur 39 générations) autant que leur identité. De plus, sur les neuf gloses8 qui interrompent le rythme monotone « X engendra Y », cinq concernent les femmes : « Juda engendra Pharès et Zara, de Thamar » (1,3a) ; « Booz engendra Jobed, de Ruth » (1,5a) ; « Salmon engendra Booz, de Rahab » (1,5b) ; « David engendra Salomon, de la femme d’Urie » (1,6b). La cinquième nommée, Marie, bénéficie aussi d’une glose : « Jacob engendra Joseph, l’époux de Marie, de laquelle est né Jésus, que l’on appelle Christ » (1,16). On dénombre ainsi quatre noms féminins introduits par la préposition ἐκ marquant l’origine (« de »), puis la mention de Marie, pourvue d’un commentaire plus élaboré. Les quatre JBL 94 (1975) 169-189. V. Gillet-Didier relève que les généalogies bibliques sont des instruments stratégiques de légitimation d’un individu ou d’un groupe plutôt que comme le fruit de recherches généalogiques visant à reconstruire l’ascendance biologique d’un personnage (recherches bien aléatoires à l’époque !). Ceci explique la « fluidité » des généalogies, c’est-à-dire la diversité de leurs compositions, bien illustrée par la comparaison de la généalogie matthéenne avec celle de Luc (Lc 3,23-38). Voir V. GILLET-DIDIER, « Généalogies anciennes, généalogies nouvelles », Cahier Biblique 40 (2001) – Foi et Vie 100 (2001) no. 4, 3-12. Sur la légitimation des prêtres en Israël par la pureté de leur ascendance, voir J. JEREMIAS, Jérusalem au temps de Jésus, Paris, Cerf, 1976, p. 365-375. 7. Sur ce problème classique dans l’exégèse et les solutions proposées pour le résoudre, voir le dossier chez X. LÉON-DUFOUR, Études d’Évangile (Parole de Dieu), Paris, Seuil, 1965, p. 55-58. 8. M. MAYORDOMO MARIN, Den Anfang hören : Leserorientierte Evangelienexegese am Beispiel von Matthäus 1-2 (FRLANT, 180), Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 1998, p. 221, parle de « syncopes » pour indiquer que ces gloses éditoriales rompent le rythme de la généalogie.

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premières femmes sont associées par l’usage d’une même préposition, alors que Marie est alignée sur elles (ἐξ ἥς, « de laquelle ») tout en bénéficiant d’un traitement narratif spécifique. Qui sont ces quatre ancêtres féminines ? Le fait que le narrateur se contente de leurs noms indique qu’elles font partie, selon lui, de l’encyclopédie des lecteurs premiers. 2. Quatre ancêtres féminines L’histoire sulfureuse de Tamar est contée en Gn 38. Mariée successivement aux deux premiers fils de Juda, elle se retrouve veuve et sans descendance ; elle aurait dû, selon la loi du lévirat, épouser le troisième fils, Shéla, mais Juda le lui refuse. Elle use alors d’un stratagème, se déguisant en prostituée pour séduire son beau-père et concevoir un enfant de lui. Apprenant que sa belle-fille est enceinte, Juda réclame qu’elle soit brûlée pour cause d’adultère. Mais une fois que la vérité éclate, Juda s’écrie : « Elle a été plus juste que moi, car de fait, je ne l’avais pas donnée à mon fils Shéla. » Le livre des Jubilés exonère Juda de sa faute : « Il eut le pardon parce qu’il s’était détourné de son péché et aussi en raison de son ignorance, bien qu’il eût gravement péché devant son Dieu » (Jubilés 41,25). Mais c’est une exception dans la tradition interprétative, qui innocente Tamar et charge Juda. Le Targum Neofiti 1 décrit l’émoi de Tamar accusée d’adultère, suppliant Dieu et finalement délivrée par lui9. Une autre version du Targum est encore plus explicite : « Tamar est innocente, c’est de moi qu’elle est devenue enceinte », déclare Juda. Alors une voix céleste descend du ciel et dit : « C’est de moi qu’est venue toute l’affaire10 ». Philon voit en elle le type de la femme païenne délaissant les ténèbres « pour passer dans le camp de la piété » et construisant la maison d’Israël par sa vertu, car elle assure une descendance à Juda (De virtutibus 221-222). Un texte rabbinique la considère comme un exemple moral, « car elle a vécu cachée dans la maison de son beau-père11 ». Rahab est la fameuse prostituée de Jéricho, tenancière d’auberge12, qui ment pour protéger les deux espions d’Israël (Jg 2 et 6)13. Les rabbis en font 9. Cité selon R. LE DÉAUT, Targum du Pentateuque 1 (Sources chrétiennes, 245), Paris, Cerf, 1978, p. 350. 10. R. LE DÉAUT, Targum du Pentateuque 1, 353, 355. Je dois ces citations à Ph. ABADIE, « Les généalogies de Jésus en Matthieu et Luc », Lumière et Vie 241 (1999) 47-60, p. 56-57. 11. bMegilot 18 ; cité par H.L. STRACK – P. BILLERBECK, Kommentar zum Neuen Testament aus Talmud und Midrasch I, München, Beck, 51969, p. 18. 12. Selon FLAVIUS JOSÈPHE, Antiquités Juives 5,8. 13. La graphie Ῥαχάβ (au lieu de Ῥαάβ) retenue par Matthieu est étrange, mais l’identité de la femme n’est pas sujette à caution ; R.E. BROWN, « Rachab in Mt 1,5 Probably is Rahab of Jericho », Bib 63 (1982) 79-80.

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un sexe symbole, l’une des quatre plus belles femmes de l’histoire, qui aurait acquis son expérience sexuelle avec des princes et des seigneurs14. Son immoralité est accentuée pour contraster avec sa foi. La tradition la dit devenue prosélyte à 50 ans (Mekhilta Ex 18,1). La réhabilitation de Rahab dans la tradition rabbinique se fait par sa descendance et par son adoption de la foi israélite. Dans sa réception chrétienne, elle est une figure de la fidélité à Dieu parmi les païens (Jc 2,25 ; He 11,31). Ruth la Moabite est la plus célèbre de ces quatre femmes. Devenue veuve et pressée par Naomi, sa belle-mère juive, de retourner dans son pays, elle déclare : « Où tu iras j’irai, et où tu passeras la nuit je la passerai ; ton peuple sera mon peuple et ton dieu mon dieu » (Rt 1,16). Sur le conseil de celle-ci, elle se glisse de nuit sous la couverture de Booz, qui devient son protecteur et la prend pour femme. Comme Rahab, Ruth est le prototype de la prosélyte qui, par son action vertueuse, devient totalement israélite15. Flavius Josèphe raconte son histoire pour montrer comment Dieu, dans sa puissance, peut élever des gens simples à la plus haute dignité (Antiquités Juives 5,318-337). Il entend par là le fait qu’en engendrant Jobed, Ruth est devenue la grand-mère de David. Bethsabée est mêlée à l’épisode le plus scabreux de la vie du roi David (2 S 11–12). Séduit à la vue de Bethsabée se baignant sur sa terrasse, David la fait venir et couche avec elle. Afin de pouvoir l’épouser, il ordonne que son mari Urie soit placé à un endroit exposé du front et soit tué. David, selon Flavius Josèphe, fut un roi parfait, courageux, prudent, juste, vertueux « qui n’a commis aucune faute, sauf dans le cas de la femme d’Urie » (Antiquités Juives 7,391). La faute est, traditionnellement, imputée au roi. Bethsabée n’est d’ailleurs pas désignée par son nom, mais comme « celle d’Urie » (Mt 1,6b). L’afficher comme telle insiste sur l’irrégularité du lignage. Mariée à un étranger – Urie est un Hittite –, Bethsabée a été intégrée au peuple d’Israël par la voie illégale d’un assassinat ; elle n’assure pas moins une descendance royale à David16. 3. Une commune irrégularité Si l’identification des quatre femmes ne fait guère difficulté, les commentateurs se divisent en revanche sur la question : quel point commun rassemble ces quatre figures féminines17 ? 14. Textes rassemblés par H.L. STRACK – P. BILLERBECK, Kommentar zum Neuen Testament aus Talmud und Midrasch I (n. 10), 20. 15. Ibid., 26-27. 16. Voir M. PETIT, « Bethsabée dans la tradition juive jusqu’aux Talmudim », Judaica 47 (1991) 209-233. 17. On lira chez M. MAYORDOMO MARIN (Den Anfang hören [n. 8], p. 243-249) une présentation de l’histoire de la réception des figures féminines de la généalogie matthéenne.

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La lecture la plus prisée par l’Eglise ancienne est de voir en ces femmes des pécheresses. Origène les considère comme des êtres de péché réprimandées par les Ecritures : peccatrices et quas scriptura reprehenderat (In Lucam 28). Pour Jérôme, aucune sainte femme n’a été introduite dans la généalogie du Sauveur, mais seulement celles que blâme l’Ecriture : nullam sanctarum adsumi mulierum, sed eas quas scriptura reprehendit (In Matthaeum 1,3). Jean Chrysostome, dans ses Homélies sur l’évangile de Matthieu, interroge : Pourquoi, en ayant nommé quelques-unes, ne les a-t-il pas toutes nommées ? Et pourquoi, passant les plus saintes comme Sara et Rebecca et d’autres semblables, il n’y rapporte que celles qui étaient connues par quelque vice qui était en elles, comme par la fornication, par l’adultère, par des mariages illégitimes, ou par la qualité d’étrangères et de barbares à l’égard du peuple de Dieu ? […] N’était-il pas raisonnable si on voulait parler des femmes, de les nommer toutes, ou s’il n’en fallait nommer que quelques-unes, de choisir plutôt celles qui étaient recommandables par leur vertu, que celles qui étaient décriées par le dérèglement de leur vie18 ?

Au final, l’évêque de Constantinople rejoint Origène en voyant anticipée dans ce choix l’expiation par le Christ des péchés de l’humanité : « s’étant revêtu de notre chair, il a bien voulu avoir pour ses ancêtres des personnes publiquement déshonorées, sans rougir de se charger en quelque sorte de la honte de nos maux19 ». En réalité, cette lecture heurte frontalement la réception juive de ces figures, que je viens de rappeler. Dans le cas de Tamar et Bethsabée, la faute est imputée à Juda et à David. Rahab n’est pas critiquée, et Ruth est hors de cause. Marie échoue aussi à ce critère. Les exégètes modernes se sont plutôt arrêtés à l’origine de ces femmes : elles sont étrangères. Leur insertion dans la généalogie du Messie répondrait à la visée universaliste de l’évangile de Matthieu (voir 28,16-20) : dans l’ascendance du Messie d’Israël, déjà, des païens sont présents. Popularisée par Martin Luther, cette lecture a de quoi s’appuyer sur la suite du texte : la venue des mages à Bethléem (2,1-12) n’illustre-t-elle pas l’accueil que les païens, au contraire du roi Hérode, réservent au Messie20 ? La difficulté est que si 18. JEAN CHRYSOSTOME, Homélies sur l’évangile de Matthieu, Homélie 1, PG 57,21 (trad. P.A. de Marsilly). 19. JEAN CHRYSOSTOME, Homélies sur l’évangile de Matthieu, Homélie 3 ad Mt 1,3, PG 57,37 (trad. P.A. de Marsilly). 20. Cette position est retenue par H. STEGEMANN, « «Die des Uria». Zur Bedeutung der Frauenname in der Genealogie von Matthäus 1,1-17 », in Tradition und Glaube. FS Karl G. Kuhn, Göttingen, Vandenhoeck und Ruprecht, 1971, p. 246-276 ; U. LUZ, Das Evangelium nach Matthäus (Mt 1-7) (EKKNT, I/1), Düsseldorf –Neukirchen, Benziger – Neukirchener Verlag, 52002, p. 135-136, et C.S. KEENER, A Commentary on the Gospel of Matthew, Grand Rapids MI, Eerdmans, 1999, p. 80, adoptent cette position.

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l’origine étrangère convient à Rahab et à Ruth, et peut-être à Tamar21, elle ne s’applique pas à Bethsabée, même si l’on sait qu’Urie était Hittite (2 S 11,3) ; mais l’Ecriture ne dit rien sur son origine. En outre, la tradition juive d’interprétation ne type pas Tamar et Bethsabée comme non-juives, mais comme procréatrices assurant la pérennité de la lignée. La mise en défaut de ces deux explications a conduit certains commentateurs à penser qu’il n’y avait pas de lien mono-causal à l’énumération de ces quatre figures22. Ulrich Luz a cependant fait remarquer avec raison que le choix de ces femmes est si inhabituel, si provocateur, qu’il fallait plutôt postuler entre elles une affinité23. Si l’évangéliste a délibérément écarté les matriarches qu’on aurait attendu (Sarah, Esther, Judith)24, c’est en raison d’un point de vue homogène. Lequel ? Après avoir écarté les deux premières explications, Raymond Brown a fait remarquer que les quatre femmes partagent avec Marie une particularité : l’irrégularité de l’union avec leur partenaire – « une union qui, bien qu’elle peut avoir été scandaleuse aux yeux de l’extérieur, a continué le lignage béni du Messie25 ». En effet, dans chaque cas, la filiation suit un détour imprévu, que les gloses éditoriales doivent justifier. La maternité de Tamar est fruit de l’inceste. Rahab et Ruth n’appartenaient pas au peuple choisi. Bethsabée est intégrée au lignage par un acte immoral, vrai abus de pouvoir royal. Marie, quant à elle, se trouve enceinte alors qu’elle est fiancée à Joseph et n’habite pas avec lui (Mt 1,18) ; Jésus a donc été conçu hors mariage. Incontestablement, dans ces cinq situations, la naissance de l’enfant s’est produite hors norme. Mais il ne faut pas perdre de vue la réception juive des quatre figures féminines : ces quatre femmes ne sont pas blâmées par la tradition, mais honorées pour leur rôle dans la perpétuation de la lignée. Dit autrement : malgré leur situation répréhensible, ou mieux : au sein de leur situation répréhensible, elles ont été l’instrument que Dieu s’est choisi pour assurer la venue du Messie. J’insiste : 21. Tamar est tantôt dite tantôt araméenne, tantôt cananéenne, tantôt juive ; la majorité des sources juives voit cependant en elle une païenne ; M. MAYORDOMO MARIN, Den Anfang hören (n. 8), p. 228. 22. Une solution mixte est adoptée par M. MAYORDOMO MARIN, Den Anfang hören (n. 8), p. 248-249 ; J.P. HEIL, « The Narrative Role of the Women in Matthew’s Genealogy », Bib 72 (1991) 538-545, p. 544-545 ; J. NOLLAND, « The Four (Five) Women and Other Annotations in Matthew’s Geneaology », NTS 43 (1997) 527-539. 23. U. LUZ, Das Evangelium nach Matthäus (Mt 1-7) (n. 20), p. 135. 24. Sarah est la matriarche per definitionem. La reine Esther était honorée comme la protectrice de son peuple (Est 5–7). Judith est qualifiée de « suprême orgueil d’Israël » (Jdt 15,9). 25. R.E. BROWN, The Birth of the Messiah (ABRL), London, Chapman, nouvelle éd. 1993, p. 73.

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c’est parce qu’elles ont été à la fois partenaires d’une union anormale et honorées pour leur participation à la pérennité du peuple de Dieu que ces quatre femmes ont été choisies pour figurer dans la généalogie26. Leur nomination avant Marie prend dès lors tout son sens ; elle prépare le lecteur à accueillir l’inattendu de Dieu dans la naissance de Jésus. La naissance irrégulière de celui « que l’on appelle Christ » (Mt 1,16b) n’est donc pas un novum dans l’histoire de Dieu avec son peuple ; elle a été précédée, à quatre reprises, par un engendrement aussi condamnable au regard de la morale. À ce constat d’irrégularité vient répondre le récit qui suit immédiatement : l’annonce faite à Joseph (1,18-25). Marie tombe enceinte « avant qu’ils soient ensemble [συνελθεῖν] » (1,18a). Mais l’ange qui apparaît en songe à Joseph le dissuade de répudier sa femme enceinte : « Joseph, fils de David, ne crains pas de prendre chez toi Marie, ton épouse : ce qui a été engendré en elle vient de l’Esprit Saint » (1,20). L’enfant à naître bénéficiera donc d’une filiation davidique par Joseph (1,16b), spirituelle par l’action de l’Esprit en Marie (ἐκ πνεύματος ἁγίου 1,18b). La succession des deux séquences (la généalogie avec ses quatre anomalies et l’annonce à Joseph) soulève la question : pourquoi Matthieu a-t-il éprouvé le besoin de préparer l’annonce de la naissance hors mariage de Jésus ? Quelles que soient les sources littéraires de sa généalogie27, pourquoi l’évangéliste a-t-il anticipé l’annonce de la naissance irrégulière du Messie en affichant une ascendance aussi extravagante ? L’hypothèse d’une visée apologétique demande à être explorée : Matthieu ne cherche-t-il pas à contrecarrer d’autres explications de la naissance de Jésus ? II. JÉSUS LE « FILS DE MARIE » On lit en Mc 6,3 cette curieuse interrogation des habitants de Nazareth à propos de Jésus : « N’est-ce pas le charpentier, le fils de Marie ? ». Rattacher un enfant à la mère plutôt qu’au père est incongru dans la culture juive. Matthieu et Luc ont corrigé ce qui leur est apparu inconvenant : « N’est-ce pas le fils du charpentier ? Sa mère ne s’appelle-t-elle pas Marie… ? » (Mt 13,55). 26. Bien vu par E.D. FREED, « The Women in Matthew’s Genealogy », JSNT 29 (1987) 3-19, citation 4 : « they have in common with Mary something unusual in their relationships with the man in their lives, and […] each woman took some action to make the plan of God for his people successful ». 27. Les commentateurs hésitent entre attribuer à l’évangéliste la composition de la généalogie, voir W.D. DAVIES – D.C. ALLISON, The Gospel according to Saint Matthew (ICC), Edinburth, Clark, 1988, Vol. I, p. 165-167, et lui imputer la partielle réécriture d’une tradition à sa disposition, voir U. LUZ, Das Evangelium nach Matthäus (Mt 1–7) (n. 20), p. 130-131.

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« N’est-ce pas là le fils de Joseph ? » (Lc 4,22). Il s’agit visiblement de recompositions secondaires de l’énoncé premier de Marc, qui fait silence sur l’identité du père. Jane Schaberg en a déduit que Jésus était en réalité un enfant illégitime ; par leurs Évangiles de l’enfance, Matthieu et Luc auraient travesti en conception surnaturelle ce qui était la suite d’un viol ou d’une union hors mariage28. Cette hypothèse, comme on sait, est tout que nouvelle. Origène cite les propos de Celse, qui avait appris d’un juif vers 178 l’histoire de la naissance illégitime de Jésus : Marie aurait été chassée par son mari charpentier parce qu’elle avait commis l’adultère avec un soldat romain appelé Panthera (Contre Celse 1,32). Vingt ans plus tard, Tertullien rapporte la rumeur juive traitant Jésus de quaestuariae filius, « fils de prostituée » (Des spectacles 30,6). La thèse de l’enfant illégitime est largement répercutée dans les Toledot Yeshou : Marie aurait été violée par Ben Pandera ou Ben Panthera, ou alors elle aurait eu une relation cachée avec lui (les versions divergent). Voltaire, dans son Traité sur les juifs, considérait les Toledot Yeshou comme un écrit plus ancien que les évangiles et rapportant la version authentique de la naissance de Jésus. Il se trompe. Ce recueil de traditions populaires juives date du moyen âge, même si les traditions qu’il recueille sont anciennes29. Elles sont en tous cas postérieures aux évangiles chrétiens de l’enfance, dont elles présentent une sorte de parodie. La théorie qui se déploie dans ce pamphlet, ce contre-Évangile pourrait-on dire, émane de la polémique juive contre la foi chrétienne en la naissance virginale : celle-ci ne serait qu’une imposture visant à camoufler une sordide affaire de mœurs. Faut-il en rester là ? Faut-il classer la théorie de la naissance illégitime comme une calomnie tardive et réactive aux affirmations chrétiennes sur l’origine divine de Jésus ? La version des Toledot Yeshou est assurément tardive, mais elle peut se fonder sur des rumeurs bien plus anciennes. Preuve en est une tradition rapportée par le Talmud de Babylone en deux versions quasi identiques (bShabbat 104b ; bSanhedrin 47a)30. Un rabbi du IVe siècle y cite une parole d’un sage du début du IIe siècle, Pappos ben Jehuda, selon laquelle Marie s’est montrée infidèle à son mari et a conçu un fils avec son amant, Ben Panthera (ou Pandera). Marie était sota, c’est-à-dire adultère31. Cette tradition 28. J. SCHABERG, The Illegitimacy of Jesus. A Feminist Theological Interpretation of the Infancy Narratives, San Francisco CA, Harper and Row, 1987. 29. La première attestation littéraire date du IXe siècle. Sur la question de la datation, voir R.E. VAN VOORST, Jesus Outside the New Testament, Grand Rapids MI, Eerdmans, 2000, p. 122129. 30. P. SCHÄFER, Jesus im Talmud, Tübingen, Mohr Siebeck, 22010, p. 29-46. 31. P. SCHÄFER Jesus im Talmud (n. 30), p. 37, explique que le seul fait que la femme soit soupçonnée d’avoir un amant rendait suspect le statut juridique de son enfant.

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rejoint celle invoquée par Celse, à ceci près que Celse ajoute à l’adultère l’origine païenne de Jésus. En outre, la version de Celse nomme Jésus, alors que le Talmud lui donne un nom d’emprunt (Ben Stada)32. Peter Schäfer en conclut que les deux versions, celle du Talmud datant du IVe siècle et celle de Celse du IIe siècle, se fondent sur une même tradition. Il les considère comme un contre-récit de l’Évangile de l’enfance, visant à contredire la théorie de la parthénogénèse33. Une lecture attentive des évangiles révèle toutefois que les doutes sur la naissance de Jésus sont perceptibles au sein même du Nouveau Testament34. Le texte cité de Mc 6,3 statue l’absence du père. Dans l’évangile de Jean figure un échange tendu entre Jésus et les juifs, où ceux-ci lui lancent : « Nous ne sommes pas, nous, nés de la prostitution ! » (Jn 8,41). Dans le même évangile, Jésus est interrogé : « Ton père, où est-il ? » (Jn 8,19). La lecture classique assigne à ces formules un sens théologique, le terme « prostitution » étant compris comme une allusion à l’idolâtrie35. Mais cette lecture ne s’impose pas ; on peut penser au contraire qu’affleure ici un sarcasme juif contre la thèse chrétienne de la naissance virginale. S’il en est ainsi, cela signifie que les rumeurs de naissance illégitime datent déjà du premier siècle. Circulaient-elles du temps de Jésus ? La lecture des prescriptions juives en matière de morale sexuelle pourrait bien fournir la réponse. 1. Jésus le mamzer Bruce Chilton36 a proposé de voir en Jésus un mamzer. Le mamzer est un bâtard, un enfant né hors mariage. À cet égard, la législation juive est d’une extrême sévérité : le mamzer est banni de la congrégation religieuse et ses descendants le sont jusqu’à la dixième génération (Dt 23,3). Ses droits d’héritage sont minimes, ses possibilités de fonder un foyer et d’avoir des enfants aléatoires. Le mamzer ne peut se marier qu’avec une femme de sa condition, c’est à dire une mamzeret, et ses enfants seront considérés comme des bâtards. 32. Sur la question complexe de la nomination de Jésus dans le Talmud, on lira Th. MURCIA, Jésus dans le Talmud et la littérature rabbinique ancienne, Turnhout, Brepols, 2014, p. 5792. 33. P. SCHÄFER, Jesus im Talmud (n. 30), p. 41 : « eine Gegenerzählung zu Jesu Familienhintergrund, die den neutestamentliche[n] Bericht von der Geburt Jesu in ihr Gegenteil verkehrt ». 34. E.D. FREED, « The Women in Matthew’s Genealogy » (n. 26), p. 5-6. 35. Voir par ex. J. ZUMSTEIN, L’Évangile selon saint Jean (1–12) (CNT, IVa), Genève, Labor et Fides, 2014, p. 287 et 300. 36. B. CHILTON, Rabbi Jesus. An intimate Biography, New York, Doubleday, 2000. Voir aussi, du même auteur : « Jésus, le mamzer (Mt 1,18) », NTS 47 (2001) 222-227.

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Le traité Ketubot 1,9 énonce deux positions rabbiniques face à l’enfant né hors mariage, l’une (libérale) qui valide la nomination du père par la mère, l’autre (restrictive) qui exige des témoins. Qumrân a opté pour la ligne dure de l’exclusion pour cause d’impureté (4Q 511). Mais, remarque Chilton à la lecture du traité Qiddushin 4,1, la caste des mamzers est associée aux shetuqis, un terme qui signifie « mis au silence ». Les shetuqis, qui partagent les mêmes pénalités sociales et religieuses que les mamzers, sont les individus connaissant leur mère et non leur père, ceux dont la paternité ne peut être prouvée ou qui ne sont pas en mesure d’attester que leur naissance est issue d’une union approuvée par la Torah37. N’est-ce pas exactement la situation dans laquelle s’est trouvé Jésus ? La théorie de la naissance de Jésus comme fruit d’un viol ou d’une relation hors mariage de Marie est, comme on l’a vu, une réaction polémique à l’affirmation chrétienne de la naissance virginale. En revanche, l’incapacité à prouver la légalité religieuse de sa naissance doit dater du vivant même de Jésus. Jésus fut un enfant en délit de paternité, incapable de prouver que sa naissance s’était produite dans le cadre du droit conjugal. Les deux Évangiles de l’enfance sont en effet d’accord sur ce point : Marie et Joseph n’ont pas eu de rapport sexuel avant que Marie soit enceinte. Suivant Luc, Marie déclare à l’ange : « Je ne connais pas d’homme » (Lc 1,34). Matthieu formule en termes plus juridiques : Marie était fiancée avec Joseph (μνηστεύομαι 1,18), c’est à dire qu’ils étaient liés par un accord matrimonial, la ketoubba. Cet accord prévoyait que les fiancés vivaient encore séparés, la fiancée demeurant une année chez ses parents avant la fête des noces pour préparer le trousseau. La cohabitation matrimoniale débutait avec les noces. Si le fiancé découvre que sa promise a couché avec un autre homme, il a le choix entre la dénonciation d’adultère qui aboutit à la lapidation (Dt 22,23-27) ou la rédaction d’une lettre de répudiation (Dt 24,1). Cette dernière est publique et nécessite la présence de témoins. Joseph avait prévu une voie encore plus douce : répudier secrètement Marie pour préserver sa réputation (Mt 1,19). Il en sera dissuadé par l’ange. Résultat : en vertu du droit matrimonial, Joseph est considéré comme le père légal de Jésus sans être son père biologique. Cette distorsion ne pouvait que déclencher rumeurs et médisances autour de l’enfant à naître. Faut-il dès lors s’étonner que l’appellation « fils de Marie » (Mc 6,3) soit appliquée dans la ville où Joseph et Marie ont vécu leurs fiançailles, la ville de l’enfance de Jésus : Nazareth ? Le rejet dont Jésus est la victime à la synagogue de Nazareth (Mc 6,1-6) pourrait bien être le reflet de l’ostracisation du mamzer dans la ville de son enfance. 37. B. CHILTON, Rabbi Jesus (n. 36), p. 13.

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On comprend qu’à partir du soupçon de mamzerut adressé à Jésus de son vivant, l’anonymat du père biologique s’est transformé en dénonciation d’un père païen (Ben Panthera). En effet, selon l’interprétation du traité Qiddushin dans le Talmud de Babylone, le fruit de l’union entre un païen ou un esclave est mamzer (bQidd 70a)38. Au final, les calomnies médiévales des Toledot Yeshou n’apparaissent pas comme de méchantes fantaisies, mais comme le lointain avatar des doutes que les contemporains de Jésus ont, d’emblée, émis à propos de cette naissance irrégulière. J’insiste : quelles que soient les modalités de la conception de Jésus, le bébé est né hors mariage, et ce fait ne pouvait que générer rumeurs et soupçons. 2. Un père absent Pourquoi le soupçon de mamzerut, provoqué par cette naissance hors norme, n’a-t-il pas été contré efficacement du vivant de Jésus ? Une réponse se présente : la mort précoce de Joseph. Il est de fait que les évangiles évoquent Marie de la naissance à la croix, mais pas Joseph. Cité lors de la naissance, le père légal de Jésus est le grand absent. L’ensemble de l’activité publique de son fils (et une part de sa jeunesse ?) semblent s’être passé sans lui. Le Protévangile de Jacques (9,2) fait de Joseph un vieillard à qui est confié la jeune Marie adolescente. A-t-on gardé ici la trace de l’âge de Joseph ? Quoi qu’il en soit, l’unanime mutisme des évangiles à son propos, hormis la naissance et son métier de charpentier, s’explique au mieux par sa disparition précoce. L’absence du père légal a favorisé l’expansion de la rumeur. L’image d’un Jésus réputé mamzer a-t-elle une influence sur notre compréhension de lui ? Et plus profondément, devoir assumer ce soupçon a-t-il influé sur la compréhension qu’a eu Jésus de lui-même ? Sans nous aventurer dans des hypothèses psychologiques auxquelles les sources documentaires ne se prêtent pas, il vaut la peine de relier à ce phénomène quelques particularités de l’activité du Nazaréen. Les tensions entre Jésus et sa famille apparaissent sous un jour nouveau. Les évangiles ne cachent pas que les rapports de Jésus avec sa famille furent houleux. Un jour, raconte Marc, les gens se pressaient autour de Jésus à tel point que ses disciples et lui ne pouvaient même pas manger ; alors sa famille cherche à l’enlever en disant : « Il a perdu la tête [ἐξέστη] » (Mc 3,20-21). Le verbe ἐξίστημι est fort ; il signifie : être hors de soi, perdre la raison. Les autres évangiles n’ont pas osé reproduire l’incident.

38. B. CHILTON, « Jésus, le mamzer (Mt 1,18) » (n. 36), p. 225.

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A une autre occasion, alors qu’on annonce à Jésus que sa mère et ses frères sont dehors et qu’ils le cherchent, il répond : « Qui sont ma mère et mes frères ? » Et, posant son regard sur les auditeurs assis autour de lui, il déclare : « Voici ma mère et mes frères. Quiconque fait la volonté de Dieu, voilà mon frère, ma sœur, ma mère. » (Mc 3,31-35 ; par. Mt 12,46-50). La recomposition de la famille à partir de l’obéissance à la Parole est une décision théologique du Nazaréen ; elle traduit néanmoins une défiance face aux liens du sang, qui trouverait bien son origine dans son statut anormal au sein du cercle familial. Et que penser du célibat de Jésus ? Que Jésus n’ait pas été marié, au contraire de tous les rabbis à qui la foi juive faisait obligation de donner l’exemple par la création d’une famille nombreuse, est une véritable énigme. Car Jésus a fréquenté Jean le Baptiseur, mais sans partager sa morale ascétique et sa vie rigoureuse au désert. Pour un rabbi, la possession d’une famille illustrait la fécondité de la promesse divine à son peuple (« Croissez et multipliez »). Se marier était un devoir. Pourquoi Jésus est-il demeuré célibataire, alors qu’il ne peut être suspecté d’antiféminisme ? Son ouverture aux femmes fut en effet singulière et novatrice. Son non-mariage refléterait-il la gêne attachée à son statut ? Car le Talmud impose de strictes restrictions de mariage aux individus suspectés de mamzerut. On ne peut s’empêcher aussi de penser que sa propre condition de marginalité sociale a rendu Jésus sensible à la situation des marginaux de la société juive dont il s’approchera. Un dernier élément mérite d’être cité : sa relativisation des règles de pureté. Jésus rencontre systématiquement ceux que la société juive considérait comme impurs : les malades, les femmes, les collaborateurs romains, les gens à moralité douteuse, les gens en contact avec des païens, etc. Il les fréquente au mépris des mesures de précaution et d’éloignement qu’observaient les pieux. Son approche des malades, et parmi eux des impurs parmi les impurs que sont les lépreux39, signale un dédain à l’égard des rituels de pureté. Il n’est pas anodin de penser que cette marginalité sociale pour raison de pureté, Jésus l’enfant mamzer en a fait auparavant, et personnellement, la dure expérience. Sa position est formulée dans l’axiome de Mc 7,15 (par. Mt 15,11) : « Il n’y a rien d’extérieur à l’homme qui puisse le rendre impur en pénétrant en lui, mais ce qui sort de l’homme, voilà ce qui rend l’homme impur ». Toute idée d’impureté intrinsèque à l’individu est récusée ; c’est son comportement face à autrui qui construit sa pureté ou son impureté. Séparation de la famille, célibat, compassion pour les marginaux, relativisation des règles de pureté : ces accents forts de l’éthique de Jésus portent, 39. Mc 1,40 par. ; Mc 14,3 par. ; Mt 10,8 ; 11,5 ; Lc 17,12.

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à mon avis, les traces d’une enfance exposée au soupçon d’impureté et d’une volonté de la transcender. Revenons à Matthieu. Le détour historique par la législation juive de la mamzerut et le détour littéraire par l’auscultation des évangiles ont permis d’étayer l’hypothèse d’un soupçon d’illégitimité de la naissance de Jésus, peutêtre de son vivant déjà, mais certainement au premier siècle. Le statut social du mamzer en démontre la faisabilité historique. Les évangiles portent les traces de ce soupçon, dont on peut constater que Matthieu a tenté de les effacer dans sa réécriture de Marc (Mc 6,3 ; Mt 13,55). On peut légitimement conclure que l’évangéliste et sa communauté sont au courant de cette polémique, véhiculée par la communauté juive. La rédaction de la généalogie, au seuil de l’évangile, vise à lui barrer la route. CONCLUSION Quelle est la stratégie du narrateur en Mt 1, demandions-nous ? Comme tous les incipit, le commencement de l’évangile de Matthieu exerce une fonction décisive dans le rapport entre narrateur et lecteurs : orienter la lecture dans le sens souhaité par l’auteur. Si l’incipit fonctionne comme un pacte de lecture entre l’auteur et ses lecteurs, il porte le plus souvent – et la règle se vérifie ici – sur la présentation du personnage principal du récit. L’Évangile matthéen de l’enfance (Mt 1–2) tout entier peut être considéré comme un condensé de christologie. La titulature de l’évangile (Mt 1,1) emprunte la désignation du premier livre de la Bible ; elle signale que l’évangile s’inscrit dans la succession de l’histoire de Dieu avec Israël et qu’en même temps commence une nouvelle histoire inaugurée par la venue de Jésus. Une double filiation est affectée à Jésus le Christ : fils de David, il est le Messie attendu ; fils d’Abraham, il est un vrai Israélite. La généalogie (1,2-17) décrit cette « genèse » de Jésus en déroulant le fil de ses ancêtres, d’Abraham à Joseph via David en 41 générations. La généalogie de Jésus le construit comme héritier et aboutissement d’une fidélité millénaire de Dieu envers son peuple Israël. La surprise vient de la nomination des quatre femmes, dont le point commun est l’irrégularité de leur conjugalité : Tamar conçoit à la suite d’un inceste ; Rahab est une prostituée païenne de Jéricho ; Ruth séduit Booz sur l’aire de battage du blé ; Bethsabée, « celle d’Urie », est arrachée à son mari par David. Néanmoins, au travers d’elles, Dieu tisse son dessein de salut. La cinquième femme de la généalogie, Marie, partage cette anomalie de statut avec celles qui l’ont précédée.

COMMENCER L’ÉVANGILE SELON MATTHIEU

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L’annonce angélique à Joseph (1,18-25) commente et légitime ce qu’on peut appeler l’irrégularité mariale : Jésus a été conçu hors mariage, mais il vient de l’Esprit Saint (ἐκ πνεύματος ἁγίου 1,18b). La succession de cette extravagante généalogie et de l’annonce à Joseph relève donc d’une stratégie du narrateur : il s’agit de préparer la situation d’exception qui caractérise la conception de Jésus au sein du couple Marie-Joseph par le précédent que sont les naissances irrégulières dans la généalogie du Messie. La stratégie narrative de Matthieu s’inscrit dans une visée apologétique. L’explication historique qui me paraît s’imposer est que l’évangéliste est au courant des rumeurs entourant dans le milieu juif la paternité de Jésus et veut les contrer par deux arguments : 1) l’irrégularité sexuelle de la naissance de Jésus a des précédents dans l’histoire du salut ; 2) cette irrégularité ultime, celle de Marie, s’explique par une action de l’Esprit Saint. Une enquête sur le statut social du mamzer fonde la plausibilité du soupçon pesant sur la paternité de Jésus ; l’impossibilité de prouver la régularité de sa naissance a déclenché, vraisemblablement de son vivant déjà, des soupçons sur sa naissance illégitime ; ils se concrétiseront plus tard dans la légende de l’union de Marie avec Ben Panthera (le Talmud, Celse et les Toledot Yeshou). La rumeur d’une naissance infâmante n’est donc pas seulement la réponse polémique du judaïsme à l’affirmation chrétienne de la naissance virginale ; elle a circulé parallèlement à elle. L’exemple de Mt 1 fait penser que les chrétiens du premier siècle ont déjà profilé l’argument de la conception de la parthénogénèse contre la version juive de la naissance honteuse. Daniel MARGUERAT Université de Lausanne [email protected]

LUC 1,1-4 : LES ORIGINES DE LA TRADITION ÉVANGÉLIQUE

Si, comme on a dit, « le commencement est le lieu de l’insaisissable, du radicalement impossible à percevoir », cet insaisissable, pourtant, n’a cessé « d’engendrer des récits1 ». Quand on reste, malgré tout, fasciné par le commencement, c’est à partir de ces récits et pas ailleurs, qu’il faut lancer la quête. C’est dans cette perspective qu’on peut regarder les récits évangéliques, nos évangiles canoniques. D’où viennent ces récits ? Ni Marc, ni Matthieu, ni Jean ne nous disent ce qui a précédé leur écriture. Luc est le seul, dans la préface remarquable de son évangile (Lc 1,1-4), à révéler jusqu’à un certain point, avec ses intentions, le secret de ses sources. C’est à partir de cette préface que je voudrais tenter d’appréhender quelque chose de ce qui n’est sans doute pas totalement saisissable : les origines de la tradition évangélique. Voici une traduction de cette préface, qui reflète évidemment une lecture du texte grec qui sera justifiée en cours de route : 1

Puisque beaucoup ont entrepris de composer un récit des événements accomplis parmi nous, 2d’après ce que nous ont transmis ceux qui, dès le début, ont vu de leurs yeux et sont devenus serviteurs de la parole, 3il m’a paru bon, à moi aussi, après m’être soigneusement informé de tout à partir des origines, d’en écrire pour toi un récit ordonné, très honorable Théophile, 4afin que tu puisses constater la solidité des enseignements que tu as reçus. (Lc 1,1-4)

I. PARATEXTE

HISTORIOGRAPHIQUE…

Avant d’aborder l’analyse de chaque verset, il faut jeter un regard plus général sur cette préface de l’évangile de Luc. Au début d’un récit, la préface est pour ainsi dire en « surplomb », un hors-texte, ou métadiscours (discours sur un discours), qui se prononce sur l’intention de la narration et fournit en * Je suis heureux de présenter amicalement, à Michel, ces réflexions sur les commencements dont il s’est beaucoup occupé. 1. P. GIBERT, Bible, mythes et récits de commencement (Parole de Dieu), Paris, Seuil, 1986, p. 8.

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quelque sorte un cadre herméneutique. La préface appartient, en effet, à ce que Gérard Genette a appelé le paratexte, « l’un des lieux privilégiés de la dimension pragmatique de l’œuvre, c’est-à-dire de son action sur le lecteur », le « lieu particulier de contrat ou pacte générique2 » de lecture. C’est le rôle que joue Lc 1,1-4, la préface de l’œuvre de Luc, qui en indique le genre, en effet, et commande toute sa lecture. D’aucuns n’y ont vu, cependant, qu’une « convention littéraire », dont on n’aurait rien à tirer. En ce sens, on a plusieurs fois souligné le « flou rhétorique » de ces quatre premiers versets. Il est vrai que ni le nom de ses prédécesseurs, ni celui des témoins oculaires devenus serviteurs de la Parole, pas plus d’ailleurs que l’identité du mystérieux pronom à la première personne du pluriel (v. 1 : ἐν ήμῖν ; v. 2 : ήμῖν) ou celle du « je » qui pointe dans la préface (v. 3 : κἀμοί) ne sont livrés3.

Mais ce n’est là qu’une première vue et il est permis de penser autrement. C’est ce qui ressort, en tout cas, de l’analyse sémiotique que présente Agnès Gueuret des « trois paliers d’énonciation » du prologue de Luc, mettant en évidence les relations entre narrateur et narrataire, soulignant le nombre des acteurs (ou sujets performants) impliqués dans ce texte, le tout au service d’un certain pouvoir transmis à Théophile, le constituant « garant de la / vérité / du discours [c’est-à-dire du reste de l’œuvre de Luc, évangile et Actes] qui lui est destiné4 ». Ces quatre versets, bien loin d’être coupés de la suite de l’œuvre de Luc ou de prêter à confusion, nous disent au contraire – c’est ce que cet article voudrait montrer – comment, en fait, on est passé de Jésus aux évangiles et, d’une certaine manière, à tout le NT, révélant, autant que faire se peut, les origines de la tradition évangélique. 2. G. GENETTE, Palimpsestes, Paris, Seuil, 1982, p. 9 et précisé dans l’Introduction d’un autre ouvrage intitulé Seuils, Paris, Seuil, 1987, p. 7-20. 3. S.D. BUTTICAZ, « L’événement contesté. Les actes des apôtres, chronique d’une rupture annoncée », RSR 102 (2014) 79-94, p. 82. Flou rhétorique relevé aussi par J.-N. ALETTI, L’art de raconter Jésus-Christ. L’écriture narrative de l’évangile de Luc (Parole de Dieu), Paris, Seuil, 1989, p. 221 et L. ALEXANDER, The Preface of Luke’s Gospel, Cambridge, Cambridge University Press, 1993, qui souligne « the obscurity of the preface », p. 105. Ce que P. Létourneau a porté à l’extrême en affirmant que « l’effet qui domine à l’issue du préambule s’approche de la confusion et de la perplexité, plutôt que de la solidité promise à Théophile. Bref, au plan de la communication, la préface lucanienne ne paraît guère réussie… ». Voir P. LÉTOURNEAU, « Commencer un évangile : Luc », in D. MARGUERAT (ed.), La Bible en récits. L’exégèse du texte à l’heure du lecteur, Genève, Labor et Fides, 2003, p. 328. Pour une position tout à fait opposée, voir J. MOLES, « Luke’s Preface: The Greek Decree, Classical Historiography and Christian Redefinitions », NTS 57 (2011) 461-482, p. 482, qui n’hésite pas à dire que la préface de Luc est « one of the greatest of all Classical historiographical prefaces ». 4. A. GUEURET, L’engendrement d’un récit. L’Évangile de l’enfance selon saint Luc (LD, 113), Paris, Cerf, 1983, p. 245-259, spécialement 246 et 252.

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Revenons tout de même à quelques points hautement discutés, avant de passer à l’analyse proprement dite. Il est acquis, parmi les critiques, de ranger la préface de Luc parmi les textes grecs de haut niveau. Qu’il suffise de rappeler le commentaire de Blass-Debrunner : « The prologue to the Gospel of Luke is a beautiful period, [déployant] a beautiful relationship between the protasis with its three members and the corresponding structure of the apodosis5 ». Mais à quel genre littéraire faut-il la rattacher ? Un consensus quasi complet la rangeait dans la tradition historiographique. Henry J. Cadbury, en particulier dans The Making of Luke-Acts, où il avait démontré que l’évangile de Luc et les Actes n’étaient pas deux ouvrages indépendants, bien que de la plume d’un même auteur, mais « a single / continous work » auquel il donna le nom de « Luke-Acts », en avait donné l’expression définitive6. Loveday Alexander, dans The Preface of Luke’s Gospel (étude fouillée basée sur sa thèse de 1978) s’est opposée à cette vue générale, soutenant que la préface de Luc appartenait plutôt à une prose technique, qu’elle finira par qualifier de scientifique, au sens de l’allemand wissenschaftlich, qu’on retrouve dans différents traités (médecine, philosophie, mathématiques, ingénierie et beaucoup d’autres). Plusieurs auteurs ont critiqué cette thèse et maintenu l’approche historique7. Mais Alexander elle-même, dans un article remarquable, où elle avoue sa « (reluctant) conversion to authorial unity » de Lc-Ac, est amenée à conclure que Luc a conçu son travail dès le début (donc, dès la préface de l’évangile) comme un ensemble de deux volumes dans lequel l’histoire de l’évangile serait balancée et poursuivie par les histoires des apôtres8. Deux histoires, en somme… Tout en refusant toujours de rattacher Luc à l’historiographie grecque (principalement parce que Luc n’écrit pas le grec classique, cette « haute » écriture caractéristique des livres d’histoire), elle finira tout de même par concéder que Luc « may well be (in fact I believe he is) attempting to write a different kind of history9 ». Elle ne dit pas ce que serait cette histoire d’un nouveau genre ! 5. F. BLASS – A. DEBRUNNER, A Greek Grammar of the New Testament and Other Early Christian Literature, Chicago-London, The University of Chicago Press, 1961, p. 464. 6. H.J. CADBURY, The Making of Luke-Acts. With a new introduction by P.N. ANDERSON, Peabody, Hendrickson, 1999, p. 8-9 (1st ed. 1927 ; 2nd ed. 1958). 7. On peut voir une excellente réponse aux arguments d’Alexander dans N. SIFFERWIEDERHOLD, « Le projet littéraire de Luc d’après le prologue de l’évangile (Lc 1,1-4) », RevSR 79 (2005) 39-54, p. 40-42. 8. L. ALEXANDER, « Reading Luke–Acts from Back to Front », in Acts in its Ancient Literary Context, Londres – New York, T&T Clark, 2005, 207-229, ici p. 223-224 ; article paru d’abord dans J. VERHEYDEN (ed.), The Unity of Luke–Acts (BETL, 142), Leuven, Peeters, 1999, p. 419446. 9. L. ALEXANDER, Acts in its Ancient Literary Context (n. 8), p. 19.

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Il revient à Daniel Marguerat, dans le livre où il présente Luc comme « le premier historien du christianisme10 » d’avoir précisé en quelque sorte cette histoire nouveau genre et définit la « position d’historien » de Luc. S’inspirant du Comment écrire l’histoire de Lucien de Samosate11, il montre que « l’écrit lucanien [Lc–Ac] correspond aux standards historiographiques grécoromains » (28). Mais si Luc se coule dans le moule des procédures narratives gréco-romaines (36), il s’en sépare spécialement par le sujet qu’il traite et sa lecture de l’histoire est croyante, comme toute l’historiographie juive. Marguerat endosse ainsi tout à fait la position de Cadbury qui recherche la clef de la démarche lucanienne « au carrefour des historiographies grecque et juive12 ». Ce qui se vérifie dès le départ du texte de Luc quand, après la préface de style tout à fait grec, il passe en 1,5 au style sémitique où sa datation : « il arriva dans les jours du roi Hérode » reprend une formule courante dans la Septante (1 Ch 4,41 ; 5,10.17 ; 2 Ch 14,1 ; Is 7,1 ; Jr 1,2.3, etc.)13. On retiendra donc, avec F. Bovon que, dans la préface de son évangile, Luc « déclare ouvertement ses intentions littéraires, historiques et théologiques14 ». II. ANALYSE DE LC 1,1-4 Mais, à la recherche des origines de la tradition évangélique, il faut entrer dans la singularité de la préface de Luc. Le premier mouvement de la période est constitué par les deux premiers versets. Lc 1,1 : Puisque beaucoup ont entrepris de composer un récit des événements accomplis parmi nous… Les événements Ce qui est en jeu et dont va traiter tout le long récit que Luc annonce à Théophile, ce sont les πράγματα accomplis parmi nous, ce qu’on traduit 10. D. MARGUERAT, La première histoire du christianisme. Les Actes des apôtres, Genève – Paris, Labor et Fides – Cerf (LD, 180), 1999, p. 26-42, spécialement 9 et 11. Ce que D. MARGUERAT a magnifiquement repris et développé sous le titre « Luc, pionnier de l’historiographie chrétienne », in L’aube du christianisme, Genève – Paris, Labor et Fides – Bayard, 2008, p. 377-402. 11. LUCIEN DE SAMOSATE, Comment écrire l’histoire, Paris, Les Belles Lettres, 2010. 12. D. MARGUERAT, L’aube du christianisme (n. 10), p. 383 ; ID, La première histoire du christianisme (n. 10), p. 42. 13. S.D. BUTTICAZ souligne « l’orgie de grec sémitisant » de l’Évangile de l’enfance et rappelle les constructions exclusivement adoptées par Luc qui ont de nombreux parallèles dans la Septante, « Luc 1–2 : prélude d’un récit tragique », ETR 87 (2012) 487-508, p. 496-497. 14. F. BOVON, L’Évangile selon saint Luc (1,1–9,50) (CNT, IIIa), Genève, Labor et Fides, 1991, p. 44.

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par événements. Ce mot (choses, affaires, événements) est on ne peut plus vague. On comprend qu’on puisse l’utiliser pour confirmer le caractère purement conventionnel de cette préface. Mais heureusement, en commençant son deuxième livre, Luc a lui-même pris la peine de nous éclairer : « J’avais consacré mon premier livre, Théophile, à tout ce que Jésus avait fait et enseigné depuis le commencement jusqu’au jour […] où il fut enlevé » (Ac 1,1). Les événements en question concernent ce que Jésus a fait et dit, une biographie « condensée dans le binôme faire et enseigner (cf. Lc 24,19)15 ». Dans sa courte préface aux Actes, Luc fait donc lui-même la relation avec son premier livre et nous invite à comprendre que la préface que nous lisons au début de l’évangile vise également les événements qui seront racontés dans le deuxième livre, événements qui, dès lors, font aussi partie des « choses accomplies parmi nous16 ». On peut d’ailleurs penser, comme Cadbury l’a suggéré, que Luc n’a écrit Lc 1,1-4 qu’après avoir terminé l’ensemble de son œuvre, comme les préfaces sont souvent écrites, ou, plus précisément, entre les deux récits, après la fin de l’évangile et au moment d’attaquer le second livre17. Accomplis parmi nous Au point de départ de la tradition évangélique : le Jésus de l’histoire, des faits et des paroles. D’où, en passant, l’importance et la pertinence des recherches sur le Jésus de l’histoire. Mais Luc n’est pas qu’historien, il est aussi théologien. Et on ne comprend le sens de ces πράγματα qu’en lien avec les mots qui leur sont accolés : πεπληροφορημένων ἐν ήμῖν. Les événements mentionnés ne sont rattachés à aucune circonstance d’espace ou de temps. Leur lieu est un lieu humain, ces πράγματα ont trouvé leur plénitude en nous18. 15. D. MARGUERAT, Les Actes des apôtres (1–12) (CNT, Va), Genève, Labor et Fides, 2007, p. 37. 16. Voir H.J. CADBURY, The Making of Luke-Acts (n. 6), p. 9 ; J.A. FITZMYER, The Gospel According to Luke (I–IX), Garden City, NY, Doubleday, 1981, p. 289 ; N. SIFFER-WIEDERHOLD, « Le projet littéraire de Luc » (n. 7), RevSR 79 (2005) 43 ; S.D. BUTTICAZ, « L’événement contesté » (n. 3), RSR 102 (2014) 79. Dans son commentaire des Actes, Marguerat a bien montré comment Luc, en reformulant dans le prologue des Actes les derniers versets de l’évangile, construit « une unité sans failles entre Luc et Actes ». Voir D. MARGUERAT, Les Actes des apôtres (1–12) (n. 15), p. 37. 17. C.K. BARRETT, « The Third Gospel as a Preface to Acts? Some Reflections», in F. VAN SEGBROECK et al. (ed.), The Four Gospels 1992. FS Frans Neirynck, Leuven, University Press – Peeters, 1992, Vol. II, p. 1463 : « Prefaces are often the last part of a book to be written, and, if this be true in the case of Luke, the consequence will be that Luke 1,1-4 was written between the two parts and with reference to both… ». 18. Voir F. MARTIN, Actes des apôtres : Lecture sémiotique, Lyon, Profac – Cadir, 2002, p. 16-17 : « […] dans le prologue, ces pragmata ne sont définis ni par le temps ni par le lieu géographique où ils se sont passés ».

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Un « nous » qui inclut au moins, évidemment, le « je » du narrateur et son narrataire ou destinataire, Théophile. Si le mot événement nous renvoie à de l’historique, le verbe accomplir, en contexte biblique, fait résonner une connotation religieuse, les événements sont « ce que Dieu a voulu qu’ils soient19 ». Πεπληροφορημένων est un parfait passif qui décrit l’agir de Dieu. Ce parfait qui désigne, en tant que tel, des événements passés aux effets qui perdurent fonde ce qu’on a appelé récemment « l’effet Théophile ». L’effet que vise ici l’écriture lucanienne n’est pas seulement d’instruire ou d’informer Théophile ou les lecteurs à venir, mais un effet de reconnaissance de cette parole qui doit ainsi trouver un écho en eux. Quelque chose de cette parole (au singulier au v. 2), parole de Dieu prêchée par les apôtres (comme le rapportent les Actes : 4,31 ; 6,2.7 ; 8,14 ; 11,1, etc.), a déjà atteint Théophile à travers les paroles (au pluriel, v. 4) qu’il a reçues, lui et les lecteurs qu’il symbolise. Luc se propose d’écrire pour confirmer ce que Théophile a déjà en lui. Son récit, et la lecture qui en sera faite, constituent une « mise en œuvre de la résonance de la “parole” déjà entendue20 ». Alors qu’on a parlé à ce propos d’une « ambiguïté quasi totale21 », Marguerat a fort bien énoncé la portée de ces « nous » (celui du v. 1 et celui du v. 2), qui « renvoie[nt] à une communauté de lecture théologique, une communauté de foi, célébrant les événements narrés comme événements de salut. Dit autrement : Luc fait d’emblée référence à une réception croyante de l’histoire qu’il va raconter, réception garantie par l’appartenance à une tradition qui lie émetteur et récepteur du message22 ». C’est là l’établissement d’un « pacte de lecture » entre Luc et Théophile et, au-delà de ce dernier, les lecteurs potentiels. Ces lecteurs potentiels sont pour ainsi dire définis par le statut de Théophile, déjà chrétien ou catéchisé (1,4). L’évangile prend donc place « dans une relation faite d’une foi partagée à des événements salutaires (les “événements accomplis parmi nous”) et d’une adhésion partagée à une tradition (“ce que nous ont transmis les témoins”)23 ». Bien sûr, ce que Luc va raconter, aussi bien dans l’évangile que dans les Actes, relève de l’histoire profane, universelle24, « mais surtout d’une histoire singulière qui appartient 19. F. BOVON, L’évangile selon saint Luc (1,1–9,50) (n. 14), p. 38. 20. A. FORTIN, L’annonce de la bonne nouvelle aux pauvres. Une théologie de la grâce et du Verbe fait chair, Montréal, Médiaspaul, 2005, p. 32. C’est Anne Fortin qui semble avoir créé l’expression « effet Théophile », tout en s’inspirant des lectures sémiotiques de L. PANIER, La naissance du fils de Dieu. Sémiotique et théologie discursive. Lecture de Luc 1–2 (Cogitatio Fidei, 164), Paris, Cerf, 1991 et de F. MARTIN, Actes des apôtres (n. 18). 21. P. LÉTOURNEAU, « Commencer un évangile » (n. 3), p. 331. 22. D. MARGUERAT, L’aube du christianisme (n. 10), p. 391. 23. D. MARGUERAT, La première histoire… (n. 10), p. 40. 24. Voir Lc 2,1 et Ac 11,28 (πᾶσα/ὄλη ὴ οικουμένη).

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à Dieu […] Au travers d’une narration des faits advenus, c’est à une anamnèse croyante et édifiante des origines chrétiennes que Luc convie son lectorat25 ». Les « beaucoup » qui ont entrepris de composer un récit… Pour certains, la mention de ces πολλοὶ relèverait d’un « procédé rhétorique », dont il ne faudrait pas trop forcer le sens26. Il reste que Luc a connu des récits antérieurs de ces « événements accomplis parmi nous ». Faut-il y voir ses sources ? Il ne dit pas s’en être inspiré. Il ne dit pas non plus vouloir les corriger. Il n’est pas nécessaire de donner au verbe ἐπιχειρέω, entreprendre, un sens négatif (malgré la nuance péjorative en Ac 9,29 et 19,23)27. Ces devanciers ont écrit comme Luc s’apprête à le faire, d’après les « témoins oculaires et serviteurs de la parole ». Ils n’ont pas été mal informés. Le κἀμοὶ du v. 3 laisse entendre qu’à ce point de vue la situation de Luc est semblable à la leur. On admettra tout de même que si Luc pense devoir encore écrire, c’est qu’il possède un surplus d’informations, quelque chose en tout cas, que n’offraient pas les récits antérieurs pour raffermir la foi de Théophile. Quels étaient ces récits antérieurs ? Comme l’a noté Marguerat, « la perspective de pouvoir identifier un jour ces “beaucoup” qui ont précédé le travail de Luc est excitante28 ». D’une certaine manière, cette question est familière aux recherches sur la composition des évangiles, spécialement aux recherches infinies sur le problème synoptique. Selon la solution la plus courante, la théorie des Deux-Sources – que j’estime être toujours la meilleure –, Lc dépend de l’évangile de Marc et d’un autre texte, connu aussi de Mt mais non de Mc, texte hypothétique contenant surtout des paroles de Jésus qu’on appelle la source Q29. En Ac 1,1, Luc nous disait avoir consacré son premier livre à ce que Jésus avait fait et enseigné. Comme il est notable que Mc contient moins de discours que Mt et Lc et rapporte plutôt les faits de 25. S.D. BUTTICAZ, « L’événement contesté », (n. 3), p. 82. Voir encore pour cette « histoire marquée de l’intervention de Dieu », N. SIFFER-WIEDERHOLD, « Le projet littéraire, (n. 7), p. 47. 26. N. SIFFER-WIEDERHOLD, « Le projet littéraire, (n. 7), p. 45. 27. Et malgré ce qu’en pensait EUSÈBE DE CÉSARÉE, estimant que Luc aurait jugé nécessaire « de nous débarrasser des suppositions incertaines faites par les autres […] » (Hist. Eccl. III, 24, 15). 28. D. MARGUERAT, L’aube du christianisme (n. 10), p. 382. 29. Il n’est pas question d’entrer ici dans les débats sur l’existence d’un proto-Marc ou d’un proto-Luc. Même si M.-É. BOISMARD pensait avoir décelé « un document archaïque qui court tout au long de l’évangile de Luc, à commencer par l’évangile de l’enfance, et qui se poursuivra dans les Actes des apôtres », qui aurait été composé par « le même auteur qui accompagna Paul dans ses voyages par mer et tint un Journal précis des étapes de ses déplacements », in En quête du Proto-Luc (EBib NS, 37), Paris, Gabalda, 1997, p. 335 et 341.

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la vie de Jésus30, il est tentant de voir en Mc la source des faits racontés par Luc, et en Q la source des paroles qu’il attribue à Jésus. Mais ces écrits, comme ceux de l’ensemble des πολλοὶ évoqués par Luc, ne sont pas la source première de la tradition évangélique. Ils sont tous « d’après », leurs auteurs n’ayant écrit que καθὼς, selon ce qu’on leur a transmis, dépendants de témoins et serviteurs de la Parole qui les ont précédés. C’est ce qu’exprimait déjà d’ailleurs, en un sens, au v. 1, le verbe composé ἀνα-τάσσομαι, remettre en ordre, compiler, qui n’exprime pas l’idée d’une nouvelle création, mais la mise en ordre de matériaux préexistants31. Passons donc à ceux qui ont précédé ces écrits. D’où viennent ces matériaux ? Lc 1,2 : d’après (ou selon) ce que nous ont transmis ceux qui, dès le début, ont vu de leurs yeux et sont devenus serviteurs de la parole. La traduction de ce texte n’est pas aussi simple qu’il pourrait paraître à première vue32. On en rencontre deux qui sont quasi emblématiques et l’écho de nombreuses discussions : celle de la Bible de Jérusalem (BJ) qui se lit actuellement (édition de 1998) : « d’après ce que nous ont transmis ceux qui furent dès le début témoins oculaires et serviteurs de la Parole33 » ; et celle de la Traduction œcuménique de la Bible (TOB) qui dit : « …d’après ce que nous ont transmis ceux qui furent dès le début témoins oculaires et qui sont devenus [je souligne] serviteurs de la parole ». Le désaccord porte sur le rôle et le sens à donner au participe aoriste γενόμενοι. Se rattache-t-il aux 30. Voir S. BYRSKOG, Story as History – History as Story. The Gospel Tradition in the Context of Ancient Oral History (WUNT, 123), Tübingen, Mohr Siebeck 2000, p. 287: « Although the Markan narrative depicts Jesus as an authoritative teacher, the initial impression it conveys is that the actual teaching material plays only a minor role. Instead, in accordance with Acts 10:38-39a, his deeds are in focus ». 31. L. ALEXANDER, The Preface of Luke’s Gospel (n. 3), p. 110 : « […] the ordering of pre-existent material rather than creation de novo ». 32. Lc 1,2 : καθὼς παρέδοσαν ἡμῖν οἱ ἀπ᾽ ἀρχῆς αὐτόπται καὶ ὑπηρέται γενόμενοι τοῦ λόγου. Je reprends dans ce qui suit des éléments de l’étude plus développée que j’ai consacrée à cette question, dans « De la Source Q comme reflet des “témoins oculaires” de Lc 1,2 », in A. GAGNÉ et al. (ed.), Le Vivant qui fait vivre, Montréal, Médiaspaul, 2011, p. 151-172. 33. Mais la traduction de la première édition en fascicules, due au chanoine É. OSTY, portait, dans le texte : « tels que nous les ont transmis ceux qui, témoins oculaires du début, sont devenus ensuite serviteurs de la Parole », et en note seulement : « Ou : “ceux qui furent dès le début témoins oculaires et serviteurs de la Parole”, c’est-à-dire de l’Évangile » (É. OSTY, L’évangile selon saint Luc, Paris, Cerf, 1948, p. 25). Mais, à partir de la deuxième édition (1953), les choses sont inversées : ce qui était en note passe dans le texte principal et le texte principal se retrouve en note. C’est ce qu’on a désormais dans le texte de l’édition en un volume (mais sans note !). Voir aussi P. BENOÎT – M.-É. BOISMARD, Synopse des Quatre Évangiles, Paris, Cerf, 1972, p. 2 : « ceux qui furent dès le début témoins oculaire et serviteurs de la Parole ».

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deux noms αὐτόπται et ὑπηρέται, ce que comprend la traduction de la BJ ? Ou uniquement à ὐπηρέται […] τοῦ λόγου, comme l’entend le texte de la TOB ? La position de la BJ semble reprendre celle énoncée, en un premier moment, par le Père Lagrange dans son commentaire de l’évangile de Luc : « L’art[icle] οἰ dominant tout ce qui suit, il ne faut pas entendre qu’ayant été témoins d’abord ils se sont faits ensuite serviteurs de la parole34 ». Pourtant, à peine quelques lignes plus loin, il semble avoir oublié ce qu’il vient de dire et écrit : « Dans Lc, αὐτόπτης se rapporte aussi à πραγμάτων qui précède. On était témoin oculaire des faits avant de devenir [je souligne] ministre de la parole dont ils confirmaient la vérité » (p. 5). Dans cette dernière perspective, il y a bien un seul groupe, mais deux temps à distinguer : un avant, celui de la vision ou de l’expérience des faits, puis un après (il faut bien dire : ensuite), le temps du ministère de la parole. À ceux qui objecteraient que si Luc avait voulu rattacher γενόμενοι au seul mot ὑπηρέται, avec le sens de devenir, il aurait dû répéter l’article défini (le οἱ) après καὶ, R.J. Dillon a bien répondu que : « this would have implied that the αὐτόπται and ὑπηρέται were at least partially different groups, whereas Lk clearly intends to characterize one and the same group in two successive stages35 ». A. Feuillet aussi a contesté la lecture en deux temps, rattachant τοῦ λόγου aussi bien à αὐτόπται qu’à ὐπηρέται, mais principalement pour une raison théologique. Sans voir une « hypostase de la Parole » en Lc 1,2, il pressentait en Luc « un acheminement remarquable vers la christologie johannique », où les αὐτόπται de Lc 1,2 rejoindraient ceux qui ont entendu et « vu de leurs yeux » le « Verbe de vie » (τοῦ λόγου τῆς ζωῆς) en 1 Jn 1,136. É. Delebecque a repris le même parallèle entre Lc 1,2 et la tradition johannique, où le λόγος au singulier désigne le Verbe incarné37. Malgré son grand intérêt, cette lecture théologique ne peut être retenue. Ni le ton général du prologue de Luc, ni aucun autre emploi du mot λόγος, aussi bien dans l’évangile que dans les Actes, n’autorise cette vue des choses. 34. M.-J. LAGRANGE, Évangile selon saint Luc, Paris, Gabalda, 1921, p. 4. 35. R.J. DILLON, From Eye-Witnesses to Ministers of the Word (AnBib, 82), Rome, Biblical Institute Press, 1978, p. 271, n. 114. Même s’il estime qu’il ne faut pas insister autant que Dillon sur le fait que ceux qui ont été témoins oculaires depuis le commencement sont devenus par la suite ministres de la parole (ce que le titre du livre de Dillon met en évidence), R. BAUCKHAM, Jesus and the Eyewitnesses. The Gospels as Eyewitness Testimony, Grand Rapids MI – Cambridge UK, Eerdmans, 2006, p. 123 finit par reconnaître que « nevertheless it is clear that “from the beginning” qualifies only “eyewitnesses”, and it must be assumed that these eyewitnesses became also ministers of the word only at a later stage » (je souligne). 36. A. FEUILLET, « “Témoins oculaires et serviteurs de la Parole” (Lc 1,2b) », NovT 15 (1973) 246 et 253. 37. É. DELEBECQUE, Études grecques sur l’évangile de Luc (Collection d’études anciennes), Paris, Belles Lettres, 1976, p. 5-6.

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F. Bovon hésite aussi à rattacher γενόμενοι au seul ὑπηρέται : « Le passage parallèle d’Ac 26,16 (ὑπηρέτην καὶ μάρτυρα, “serviteur et témoin”), comme l’usage grec selon lequel on «devient» témoin, impliquent qu’il convient de choisir la seconde solution [qui relie γενόμενοι aux deux noms] : témoins et serviteurs ils le sont devenus38 ». En fait, cependant, le passage n’est pas exactement parallèle : en Lc 1,2 c’est αὐτόπτης qui est lié (en le précédant) à ὑπηρέτης et non μάρτυς comme en Ac 26,16. Dans un article remarquable, É. Samain a montré que μάρτυς et ὑπηρέτης sont quasi synonymes en Luc. Il précisait : « Nous croyons être autorisé à voir dans le ὑπηρέτης du prologue lucanien une expression de la μαρτυρία et à rapprocher plus valablement encore Lc 1,2 et Ac 1,21-2239 ». Mais il n’en va pas de même de αὐτόπτης et μάρτυς. Dans la perspective de Luc, ces deux mots ne sont pas synonymes, même si, en français, on les traduit malheureusement tous les deux par « témoin ». Il faut bien voir que les apôtres, qui ont été avec Jésus depuis le commencement, αὐτόπται donc, ne deviennent μάρτυρες, selon Luc, qu’après la réception de l’Esprit, comme le dit aussi clairement que possible Ac 1,8 : « vous allez recevoir une puissance, celle du Saint Esprit qui viendra sur vous ; vous serez alors mes témoins (μάρτυρες) à Jérusalem, dans toute la Judée et la Samarie, et jusqu’aux extrémités de la terre ». Il ne faut pas se laisser tromper par la traduction que nous donnons spontanément au mot αὐτόπται. Cet hapax, non seulement du NT mais de toute la Bible grecque, désigne ceux qui ont vu de leurs yeux, et, comme J. Dupont le faisait très bien remarquer : pour traduire αὐτοπται, il serait « maladroit d’employer déjà le mot “témoin” en parlant de “témoins oculaires” : les autoptai ne sont pas encore des martyres, ils remplissent seulement une condition indispensable pour le devenir ». Et en note, il rendait Lc 1,2 par : « ceux qui ont vu de leurs yeux et sont devenus “serviteurs de la Parole”40 ». Les apôtres ne parviennent au statut de témoins qu’après un devenir dû à l’Esprit. Il faut donc, à leur sujet, parler de deux étapes. Ils ont d’abord été avec Jésus depuis le commencement, l’ἀρχή de son « activité terrestre » (voir l’ἀρχή de Lc 1,2 et l’ἀρξάμενος d’Ac 1,22), à partir du baptême de Jean. Avant Pâques donc. C’est le temps de l’« autopsia », condition nécessaire pour devenir témoin de la Résurrection (voir Ac 1,22). Selon Luc, en effet, on ne peut être apôtre et témoigner à ce titre du Ressuscité si on n’a pas connu le Crucifié et la vie qui a mené à cette mort41. 38. F. BOVON, L’évangile selon saint Luc (1,1–9,50), p. 39. 39. É. SAMAIN, « La notion de ἀρχή dans l’œuvre lucanienne », in F. NEIRYNCK (ed.), L’Évangile de Luc – The Gospel of Luke (BETL, 32), Leuven, Leuven University Press – Peeters, 1989, p. 229. 40. J. DUPONT, Nouvelles études sur les Actes des Apôtres (LD, 118), Paris, Cerf, 1984, p. 122. 41. Sur le statut particulier de Paul comme témoin, cependant, voir J. DUPONT, Nouvelles études sur les Actes des Apôtres (n. 40), p. 126-127, mais aussi TOB en Ac 13,31 (note o) et les notes en Ac 22,15 et 22,21.

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Mais qui étaient ces αὐτόπται ? Est-il possible d’en rejoindre quelquesuns au tout début de la tradition évangélique ? À partir de Marc… D’abord, à partir de Marc, cela paraît possible. Nous savons, en effet, d’après Papias42 que l’évangéliste Marc aurait été l’interprète de Pierre (ἑρμενευτὴς Πέτρου), rapportant « sans ordre tout ce dont il [Pierre] se souvenait de ce qui avait été dit et fait par le Seigneur43 ». À la source de Mc, on a donc Pierre, un de ces αὐτοπται auxquels Luc rattache l’origine de la tradition évangélique44. Simon, qui deviendra Pierre (Mc 3,16), est le premier disciple mentionné en Mc (1,16) et aussi le dernier (16,7), comme en inclusion. Comme il le dira lui-même plus tard chez le centurion Corneille, au dire de Luc, alors que « l’événement » (ῥῆμα)45 commencé en Galilée avait gagné la Judée entière, Pierre fut témoin « de tout ce que Jésus avait fait sur le territoire des Juifs et à Jérusalem » (Ac 10,39), le témoin oculaire par excellence (voir toutes les mentions de son témoignage dans les Actes : 1,22 ; 2,32 ; 3,15 ; 4,20 ; 10,39…). C’est ce Pierre que Paul ira rencontrer à Jérusalem pour faire sa connaissance (ἰστορῆσαι : s’informer, connaître par information). À partir de Pierre, Paul va, pour ainsi dire, remonter lui aussi aux origines de la tradition évangélique. Paul, on le sait, n’a pas connu Jésus. Il parle peu, non plus, de Jésus de Nazareth (celui des évangiles), mais prêche surtout le Ressuscité rencontré 42. Selon EUSÈBE DE CÉSARÉE, Hist. Eccl. III,39,15, mais la référence à Marc comme interprète de Pierre est aussi confirmée par IRÉNÉE DE LYON, Contre les hérésies III,1,1. Sur le passage du « système de Papias » dépendant de la tradition orale à celui mis au point par Irénée, selon lequel c’est dans les écrits (voir l’évangile tétramorphe, Contre les hérésies III,11,8) que l’on doit chercher le message évangélique authentique, voir E. NORELLI, « Papias de Hiérapolis a-t-il utilisé un recueil “canonique” des quatre évangiles ? », in G. ARAGIONE et al. Le canon du Nouveau Testament. Regards nouveaux sur l’histoire de sa formation, Genève, Labor et Fides, 2005, p. 35-85. 43. Il est vrai qu’Eusèbe ne semble pas prêter une grande intelligence à Papias qu’il traite de « petit esprit » (σφόδρα γάρ τοι σμικρὸς ῶν τὸν νοῦν, Hist. Eccl. ΙΙΙ,39,13), en raison peut-être de son millénarisme. Mais Papias, le premier à nommer deux évangélistes, Marc et Matthieu, était en très bonne position, semble-t-il, pour connaître des faits intéressants sur l’origine des évangiles. E. NORELLI dit avec raison que « ce que nous connaissons de Papias est de première importance pour nous permettre d’étudier le chemin qui mènera à la fixation d’un canon d’écritures chrétiennes », « Papias de Hiérapolis » (n. 42), p. 35. Voir encore sur Papias les longs développements de R. BAUCKHAM dans Jesus and the Eyewitnesses (n. 35), p. 12-38 et 417437. 44. Sur les relations entre Marc et Pierre dans le NT (1P 5,13 le nomme son « fils ») et spécialement l’importance de Pierre dans le récit de Marc, voir l’excellente étude de S. BYRSKOG, Story as History (n. 30), p. 272-292. 45. « Événement – une intervention de Dieu dans l’histoire – éclairé par la Parole » (TOB, Ac 10,22z).

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sur son chemin… Ce n’est pas dire qu’il ignorait les traditions venues de Jésus. J.D.G. Dunn a fait un relevé des échos de la tradition synoptique dans les lettres de Paul, même si celui-ci ne les rattache pas directement à l’autorité de Jésus. Le fait que presque toutes les références à la tradition évangélique, dans les lettres du Nouveau Testament (celles de Paul, mais celle aussi de Jacques et la première de Pierre), soient sous forme d’allusions ou d’échos confirme seulement, comme le note Dunn, que ces lettres « were not regarded as the medium of initial instruction [je souligne] on Jesus tradition to new churches46 ». On peut assumer qu’au temps de leur établissement les églises recevaient, en tout premier lieu, une bonne connaissance de ce que Jésus avait fait et dit. Mais que connaissait Paul, en fait, du Jésus d’avant Pâques ? Les « quelques jours » (Ac 9,19) passés avec les disciples à Damas après sa « conversion » furent sans doute consacrés à s’entretenir de ce Jésus qu’il avait persécuté (Ac 9,4-5). Mais la rencontre avec Pierre, trois ans plus tard, fut plus décisive : « je suis monté à Jérusalem pour faire la connaissance de Céphas et je suis resté quinze jours auprès de lui, sans voir d’autre apôtre, sinon (εἰ μὴ) Jacques le frère du Seigneur » (Ga 1,18)47. Ce n’était pas pour une visite quelconque. Deux semaines de conversation avec Pierre, c’est, comme on a dit, beaucoup de conversation48. Qu’a-t-il appris durant ces jours ? On peut penser que Pierre lui aura raconté avant tout ce qu’il avait vécu avec Jésus, ce qu’il avait vu, lui le témoin, et entendu (voir Ac 4,20). Informé à son tour de toute l’œuvre de Jésus (paroles et gestes), Paul est, en un sens, ramené au tout début de la tradition évangélique. Entre lui et Jésus, il n’y a qu’un seul intermédiaire, le témoignage de ceux qui ont vu et entendu Jésus. Si l’on donne quelque importance aux dires de Papias, on pourrait croire que ce que Paul a appris des souvenirs de Pierre ressemblait, en quelque sorte, à ce qu’on trouve dans l’évangile de Marc ! Le kérygme pascal qu’il a transmis aux Corinthiens (1 Co 15,3-4) est ce que lui-même avait reçu après l’événement de Damas qu’on placera autour de 36-37. Si l’on estime, avec Dunn, que ce kérygme « was formulated as tradition within months of Jesus’ death » (l’A. souligne)49, on datera donc de l’an 30 l’origine de cette tradition. Sans être témoin oculaire, Paul est néanmoins devenu, à cette date, serviteur de la Parole. Luc le range parmi ces ὑπηρέται 46. J.D.G. DUNN, Christianity in the Making, Vol. I: Jesus Remembered, Grand Rapids MI – Cambridge UK, Eerdmans, 2003, p. 184. 47. À la différence de Luc, Paul ne réserve pas le titre d’apôtre aux Douze (voir 1 Co 15,7). 48. R. BAUCKHAM, Jesus and the Eyewitnesses (n. 35), p. 266. B. GERHARDSSON l’a relevé de façon piquante : « A Paul does not go up to Jerusalem to Peter, the “Rock”, merely to talk about the weather (Dodd). And a man with Peter’s commission does not waste a fortnight talking rubbish. It can be little doubt that during this time the word of Christ “was between them”… », in Memory and Manuscript. Oral Tradition and Written Transmission in Rabbinic Judaism and Early Christianity, Upsala, Ejnar Munksgaard, 1961, p. 298. 49. J.D.G. DUNN, Jesus Remembered (n. 46), p. 855.

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γενόμενοι τοῦ λόγου dont tout le livre des Actes, ce deuxième λόγος (Ac 1,1), fera l’histoire, racontant la suite des « événement accomplis parmi nous » (Lc 1,1). Q et le Jésus d’avant Pâques Mais, avec le livre des Actes, nous sommes après Pâques. Existe-t-il une autre voie par laquelle nous pourrions atteindre le Jésus d’avant Pâques ? À mon avis, la Source Q pourrait nous ramener au plus près du Jésus de l’histoire. Il n’est pas question d’entrer dans le dédale des études sur Q. Je soulignerai seulement que c’est bien le reflet d’avant Pâques qu’on retrouverait principalement dans cette source de paroles de Jésus. Principalement, car on n’accède à cette Source qu’à travers Matthieu et Luc, qui l’ont intégrée, et sans aucun doute adaptée, à leurs écrits d’après Pâques. Reflet d’avant Pâques qui ne donne pas un accès direct au Jésus de l’histoire, cependant – il faut le noter – car, là encore, il s’agit de paroles transmises et donc interprétées. Mais tout de même de paroles reçues, transmises et interprétées avant Pâques, au temps de l’« autopsia », de paroles non encore marquées par l’événement de la mort-résurrection qui, si j’ose dire, « spiritualisera » tous les souvenirs (voir Jn 14,26 et 16,13). Si, comme document finalement rédigé, la source des paroles de Jésus date très certainement d’après Pâques (on la situe d’ordinaire vers l’an 50), son contenu général et les paroles de Jésus qu’elle a conservées remonteraient globalement aux αὐτόπται, à « ceux qui ont vu de leurs yeux50 ». Durant leurs courtes itinérances de village en village avec Jésus, par la Judée entière en commençant par la Galilée (Ac 10,37), les disciples ont vu les gestes faits par Jésus, comment il était passé partout en faisant le bien (Ac 10,38). Ils ont entendu ses paroles et se les ont répétées les uns les autres, les fixant dans leur mémoire avec leur résonance galiléenne primitive, d’avant Pâques. Au passage, notons que cette origine pré-pascale rend compte de l’absence de référence à la mort salvifique de Jésus et à la résurrection dans ce document hypothétique qu’on tente de reconstruire et il n’y a pas lieu d’y supposer, comme on a dit, un kérygme différent51. 50. Bien qu’il estime que le document hypothétique Q soit une œuvre littéraire et un évangile de plein droit – ce qu’il est permis de contester –, et qu’en conséquence son Jésus est figure littéraire et théologique comme celui des autres évangélistes, et non le Jésus historique, H.T. FLEDDERMANN a raison d’écrire : « Most of the words we find in Q come from Jesus’ lips », in Q. A Reconstruction and Commentary (Biblical Tools and Studies, 1), Leuven, Peeters, 2005, p. 171. Je comprends : des lèvres du Jésus d’avant Pâques. 51. Ainsi que J.S. KLOPPENBORG l’a soutenu dans plusieurs de ses écrits. Dans un ouvrage plus récent, Q, the Earliest Gospel. An Introduction to the Original Stories and Sayings of Jesus,

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Donc, dès avant la mort de Jésus, une tradition sur Jésus s’élabore et prend forme. N’oublions pas que Jésus a choisi les Douze « pour être avec lui et les envoyer prêcher » (Mc 3,14). Et de fait, il enverra les Douze en mission proclamer que « le Règne de Dieu s’est approché » (Mt 10,7 ; cf. Lc 9,2.6) et, selon Luc, il envoya soixante-douze autres disciples annoncer « dans toute ville ou localité où il devait aller lui-même [que] le Règne de Dieu est arrivé jusqu’à vous » (Lc 10,1.9). Que pouvaient prêcher ces envoyés ? Il est clair que Jésus « would have taught them what to say52 » et qu’ils auraient donc transmis déjà quelque chose de l’enseignement de Jésus que présenteront plus tard les évangiles. Se joindre à Jésus dans son ministère « was to repeat to some extent what he proclaimed53 », en plein accord avec la parole de Jésus en Lc 10,16 : « Qui vous écoute m’écoute ». Dunn affirme avec raison que « We may be confident that a good deal at last of the retellings of Jesus tradition now in the Synoptic Gospels were already beginning to take shape in that early pre-Easter preaching of the first disciples54 ». C’est principalement Heinz Schürmann qui paraît à l’origine de cette prise de conscience. Comme l’a souligné Byrskog, « He had the ambition of bridging the gulf between the post-Easter community and the pre-Easter group of disciples55 ». Rappelant l’insistance de Schürmann à affimer « the pre-Easter beginning of the Synoptic tradition », Dunn traduit comme suit un passage de son Jesus : Gestalt und Geheimnis : « With the help of form-critical principles it can be shown… that the beginnings of the logia tradition [pensons à Q…] must lie in the pre-Easter circle of disciples, and therewith in Jesus himself […] for the “historical Jesus” is now himself a factor in the history of the tradition (as its initiator)56 ». Tout à fait récemment, Rainer Riesner a bien noté que ce que Luc appelle « l’enseignement des apôtres » (τῆ διδακῆ τῶν ἀποστόλων) (Ac 2,42), auquel les premiers chrétiens étaient assidus, comprenait certainement les traditions venant d’avant la mort de Jésus, Louisville – Londres, Westminster – John Knox, 2008, il est plus nuancé, mais maintient encore que « the Sayings Gospel Q represents a different gospel » (p. 97, italiques de l’auteur). La position de J.D.G. DUNN sur ce point est, à mon avis, la bonne : « The very features that Q specialists read as evidence of a post-Easter community that knew nothing of the passion narrative are much more naturally read as evidence of Jesus’ own pre-passion Galilean mission », in The Oral Gospel Tradition, Grand Rapids MI, Eerdmans, 2013, p. 75. 52. J.D.G. DUNN, Jesus Remembered (n. 46), p. 243. 53. D.C. ALLISON, Constructing Jesus. Memory, Imagination, and History, Grand Rapids MI, Baker Academic, 2010, p. 26. 54. J.D.G. DUNN, Jesus Remembered (n. 46), p. 243. 55. S. BYRSKOG, « The Transmission of the Jesus Tradition: Old and New Insights », Early Christianity 1 (2010) 441-468, p. 445. 56. H. SCHÜRMANN, Jesus: Gestalt und Geheimnis, Paderborn, Bonifatius, 1994, p. 103, cité par J.D.G. DUNN, Jesus Remembered (n. 46), p. 130, n. 108.

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créant ainsi, en l’an 30, un pont de traditions vivantes entre le temps d’avant et le temps d’après Pâques57. Carnets de notes… Ces traditions d’avant Pâques se sont élaborées sans doute oralement, principalement et avant tout, dans la période pré-synoptique58. Mais c’est une période obscure et il reste que le seul accès possible à cette tradition, ne peut se faire que par les sources écrites des évangiles. Luc connaît, bien sûr, la tradition orale et l’évoque (Lc 1,2), mais il n’en parle guère et s’attarde aux écrits (1,1) et à sa propre écriture (γράψαι : 1,3). Peut-on d’ailleurs éliminer complètement, à l’origine même, toute tentative d’écriture, notamment des diverses collections qu’on retrouve dans les évangiles synoptiques59, collections que les évangélistes n’ont pas inventées, qu’ils ont recueillies et qui existaient et circulaient probablement déjà sous forme de courts récits… ? Récits à inscrire parmi ceux mentionnés en Lc 1,1 ? C’est ici que se rattacherait toute la question des carnets de notes. Dans une étude précédente, j’ai discuté assez longuement de l’existence de ces « notebooks60 ». Malgré les réticences de quelques auteurs, l’utilisation de « notebooks » par les évangélistes est admise par beaucoup d’autres. Birger Gerhardsson, par exemple, la met en relation avec les notes privées que les disciples des rabbins prenaient de l’enseignement de leurs maîtres, malgré l’interdiction de la transmission par écrit de la Torah orale61. Plus récemment, Bauckham a lui aussi signalé que « Such notebooks were in quite widespread use in the ancient world (2 Tim 4:13 refers to parchment notebooks Paul carried on his travels). […] In such a context it does seem unlikely that no one would have even noted down Jesus tradition in notebooks 57. R. RIESNER, « The Orality and Memory Hypothesis », in S.E. PORTER – B.R. DYER (ed.), The Synoptic Problem. Four Views, Grand Rapids MI, Baker Academic, 2016, p. 104. 58. Je ne puis tenir compte ici des recherches foisonnantes qui portent actuellement sur cette tradition orale depuis, entre autres, l’ouvrage important – bien que souvent exagéré – de W.H. KELBER, Tradition orale et écriture (LD, 145), Paris, Cerf, 1991 (original 1983). 59. Voir la série des 5 controverses en Mc 2,1-3,6 ; la suite des paraboles en Mc 4 ; les dix miracles consécutifs en Mt 8,1-9,34. 60. J.-P. MICHAUD, « De la Source Q… », in A. GAGNÉ et al., Le Vivant qui fait vivre, Montréal, Médiaspaul, 2011, p. 164-171. 61. B. GERHARDSSON, Memory and Manuscript (n. 48), p. 202. Voir encore p. 196, 201, 335. Tout en minimisant ces prises de notes soulignées par Gerhardsson, W.H. KELBER n’en admet pas moins que « l’idée d’une phase principalement orale n’a pas pour but de nier totalement l’existence de notes et d’aide-mémoire écrits », ajoutant même que « d’autres collections de dits, des anthologies de courts récits, de paraboles, de miracles, etc. tout cela a pu exister sous forme écrite », Tradition orale et écriture (n. 58), p. 55-56.

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for the private use of Christian teachers. Such notebooks […] may account for some of the so-called Q passages where Matthew and Luke are in almost entirely verbatim agreement62 ». Dans son étude impressionnante de la Torah in the Mouth, M.S. Jaffee a maintenu que « despite the well-attested rabbinic perceptions of the basically oral character of the tradition […] written versions of rabbinic teaching did exist at the earliest origins of the tradition in the first century or earlier63 ». Ce qui suppose une prise de notes de l’enseignement des rabbins par leurs disciples. Mises par écrit des enseignements rabbiniques qui seront reprises dans la compilation finale que constitue la Mishnah. S’il en fut ainsi pour la tradition rabbinique profondément allergique à l’écrit, on ne voit pas pourquoi il en aurait été autrement, dans le premier milieu juif de la tradition évangélique. C’est ce que confirme S. Lieberman : « Now the Jewish disciples of Jesus, in accordance with the general rabbinic pratice, wrote the sayings which their master pronounced not in form of a book to be published, but as notes in their pinaces, codices, in their note-books (or in private small rolls)64 ». En quelle langue prenaient-ils ces notes ? En araméen, la langue que devait parler Jésus ? Mais les évangiles sont en grec et il y aura donc eu traduction à un moment donné. Ce problème de traduction devrait être pris en compte dans la genèse de la tradition. Mais Luc n’en parle pas. Sans pouvoir en discuter ici, il faut tout de même admettre un écart avec les paroles mêmes de Jésus (les ipsissima verba, si l’on veut), en se rappelant avec Umberto Eco que traduire, au mieux, c’est « dire presque la même chose65 ». Par contre, l’image du palimpseste employé par G. Genette reste valide : celle du parchemin « gratté », mais où on peut lire, en transparence, l’ancien (l’accent de Jésus ?) sous le nouveau66. Ce qui maintient le lien avec Jésus. De tout ceci, il faut retenir avant tout que les origines de la tradition évangélique se situent avant Pâques, au plus près du Jésus de l’histoire. Mais revenons à la préface de Luc et à son apodose aux versets 3 et 4.

62. R. BAUCKHAM, Jesus and the Eyewitnesses (n. 35), p. 288-289. Sur la prise de notes dans le monde grec (en se souvenant que le NT est une collection de documents grecs), l’article de l’humaniste G. KENNEDY, « Classical and Christian Source Criticism », in W.O. WALKER JR. (ed.), The Relationships Among the Gospels. An Interdisciplinary Dialogue, San Antonio TX, Trinity University Press, 1978, p. 125-155, est inestimable. 63. M.S. JAFFEE, Torah in the Mouth. Writing and Oral Tradition in Palestinian Judaism 200 BCE-400 CE, Oxford, Oxford University Press, 2001, p. 124. 64. S. LIEBERMAN, Hellenism in Jewish Palestine, New York, The Jewish Theological Seminary of America, 1950, p. 205. 65. U. ECO, Dire presque la même chose. Expériences de traduction, Paris, Grasset, 2003. 66. G. GENETTE, Palimpsestes, Paris, Seuil, 1982.

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Lc 1,3 : il m’a paru bon, à moi aussi, après m’être soigneusement informé de tout à partir des origines (ἄνωθεν), d’en écrire pour toi un récit ordonné, très honorable Théophile. L’auteur que nous appelons Luc définit là son projet. Son « moi aussi » (κὰμοὶ) indique qu’il se situe dans le sillage de ses devanciers : mêmes sources, les αὐτόπται des événements, ceux qui ont vu et entendu Jésus avant sa mort et qui, après l’illumination par la lumière de Pâques des gestes et paroles de Jésus, sont devenus serviteurs de la Parole. Lui aussi entend mettre de l’ordre dans ces traditions, c’est le sens de son ἀκριβῶς, avec rigueur, qui renchérit sur le ἀνα-τάσσομαι (v. 1) des premiers récits. Mais c’est une parole adressée : Luc l’adresse à Théophile, qui sera dit, au v. 4, avoir déjà reçu quelque chose, avoir été enseigné (κατηχέω) et, sans aucun doute, des πράγματα accomplis parmi nous. Une parole adressée qui attend donc une réponse de cette écriture (γράψαι) rigoureuse, produisant, Luc l’espère, une résonance en Théophile, un écho confirmant les paroles déjà entendues. C’est « l’effet Théophile » que l’on a évoqué. La préoccupation théologique de Luc semble ici évidente. Mais Luc entend le faire en historien. Il a fait son enquête : il s’est soigneusement informé de tout depuis les origines. Le participe parfait passif παρηκολουθηκότι a fait naître d’âpres discussions. Le verbe παρακολουθέω veut dire accompagner, suivre, être acolythe. Luc n’a pas été disciple de Jésus, il ne l’a pas accompagné. Il n’est pas à compter parmi les αὐτόπται. Mais il a suivi les serviteurs de la Parole, Paul peut-être en particulier. Et, au sens propre, le verbe pourrait s’entendre de sa participation à certains événements racontés au livre des Actes. Mais le mot a aussi un sens figuré : suivre par la pensée et donc s’enquérir, s’informer. Ce qui s’applique d’abord aux πράγματα du temps de Jésus. Luc travaille en historien : il s’est informé de tout (πᾶσιν) depuis les origines (et n’a rien oublié, la permanence de ses connaissances est évoquée par le parfait…). Ce πᾶσιν peut être au neutre et se rapporter aux événements ou au masculin et désigner les personnes en lien avec ces événements. En maintenant l’ambiguïté, on parlera d’une enquête exhaustive ! Récits de l’enfance ? Ceci nous amène au ἄνωθεν : par en haut, au sens de remonter par en haut, depuis les origines. Cet adverbe, pour beaucoup d’auteurs, a le même sens que le ἀπ᾽ἀρχῆς du v. 2 et renverrait au baptême de Jean, au commencement du ministère de Jésus67, excluant dès lors les récits de l’enfance de l’enquête de 67. Voir les ἄρχομαι de Lc 3,23 ; Ac 1,1 ; 1,22 ; et 10,37.

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Luc. On peut oser plus. On a remarqué depuis longtemps qu’il aurait été illogique que le prologue de Luc soit suivi immédiatement des récits de l’enfance, sans que ceux-ci ne relèvent aussi d’informations recueillies auprès de ceux qui avaient vu. Bien au courant de la recherche, K.A. Kuhn a pris courageusement position en ce sens, affirmant que les personnages des récits de l’enfance « like others throughout Luke-Acts, serve as eyewitnesses and ministers of the word68 ». C’est ici que s’accomplit, en fait, la jonction des historiographies grecque et juive. D’où Luc aurait-il reçu des informations sur l’enfance de Jésus ? Y aurait-il là d’ailleurs quelque chose d’historique ? Avec C. Perrot, on retiendra du moins que les récits de Matthieu et de Luc étant littérairement indépendants, « les rares éléments parallèles qui existent entre eux obligent l’historien du texte à remonter à la tradition des communautés antérieures pour expliquer la convergence69 ». Les mentions de temps et de lieu et, en particulier, les noms des différents personnages (Zacharie, Élisabeth, Marie, mais aussi Syméon et Anne, fille de Phanuel) ne semblent pas des inventions. Comme source on a pensé au milieu judéo-chrétien de Jérusalem, autour de Jacques, frère du Seigneur. Les « frères de Jésus » et Marie, sa mère, réapparaissent au tout début des Actes (1,14) et on sait que Jacques tiendra une place prépondérante dans l’Église de Jérusalem (Ac 12,17 ; 15,13 ; 21,18). Si l’on se fie aux Mémoires d’Hégésippe, que rapporte Eusèbe, ce Jacques aurait été le premier « évêque » (!) de Jérusalem (Hist. Eccl. II,1,2) et la famille de Jésus y aurait conservé longtemps une grande influence (Hist. Eccl. III,11 et IV,22,4). Sans pouvoir remonter plus « haut », on ne peut ignorer la mère de Jésus qui, selon le même Luc, « gardait tous ces événements dans son coeur » (Lc 2,19.51) et que Raymond Brown, présentant Marie comme disciple de Jésus, n’a pas craint de compter parmi les « serviteurs de la parole70 ».

68. K.A. KUHN, « Beginning the Witness: The αὐτόπται καὶ ὑπηρέται of Luke’s Infancy Narrative », NTS 49 (2003) 237-255, p. 253. On peut voir aussi S. BROWN, « The Role of the Prologues in Determining the Purpose of Luke–Acts », in C.H. TALBERT, Perspectives on LukeActs, Édimburg, T&T Clark, 1978, qui cite et traduit H. SCHÜRMANN, Das Lukasevangelium, Freiburg, Herder, 1982 : « Here Luke has us consider that his [...] careful investigation went beyond the traditions derived from the legitimated apostolic eyewitnesses (vss. 1-2) ap’ arches, i.e. that it brought to light the “prehistories” of Luke 1–2 ». 69. Ch. PERROT, Les récits de l’enfance de Jésus (CaE, 18), Paris, Cerf, 1976, p. 59. Je serais plus affirmatif que je ne l’ai été autrefois – dans Marie des évangiles (CaE, 77), Paris, Cerf, 1991, p. 32 –, pour faire remonter la recherche personnelle de Luc jusqu’aux sources (ἄνωθεν) de ses récits de l’enfance. 70. R.E. BROWN, The Birth of the Messiah, Garden City NY, Doubleday, 1977, p. 319 : « It is in this sense that Luke has learned from Mary as a “minister of the word” (1:2), the first Christian disciple ».

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Lc 1,4 : afin que tu puisses constater la solidité des enseignements que tu as reçus. L’ἀσφάλεια, en position emphatique comme dernier mot de la période, révèle le pourquoi de toute l’écriture de Luc : assurer la solidité, la fiabilité des enseignements reçus par Théophile. L’objectif de Luc est sans doute théologique avant tout. Sa préoccupation première n’est pas celle d’un historien, mais il reste que si son écriture s’éloignait de la vérité, de l’authenticité des événements (les πράγματα de 1,1, correspondant, comme le confirme Ac 1,1, à tout ce que Jésus a fait et dit), elle ne pourrait plus remplir son rôle de consolidation de la catéchèse reçue par Théophile. D’où la justification que Luc prend soin d’établir de ses sources, qui nous ramènent aux origines mêmes de la tradition évangélique. CONCLUSION Si tout n’est pas saisissable, il est néanmoins possible à partir de la préface de l’évangile de Luc d’approcher les tout débuts de ce qui allait devenir la tradition évangélique. Au point de départ de tout, il y a un personnage historique, Jésus de Nazareth, l’initiateur. La tradition n’a pas commencé par des textes. Elle est née de la rencontre de ce Jésus, elle a jailli de l’impact71 que cette rencontre a produit sur des gens qui se sont, en conséquence, mis à le suivre et sont devenus disciples. Des gens qui avaient vu et entendu ce qu’il avait fait et dit (αὐτόπται) et qui, après sa mort, en ayant perçu « la vérité tout entière » (Jn 16,13) à la lumière de sa Résurrection, en sont devenus témoins (μάρτυρες : Ac 1,8), proclamant cette vérité « à Jérusalem, dans toute la Judée et la Samarie, et jusqu’aux extrémités de la terre » (Ac 1,8). C’est cette proclamation qui a façonné la tradition évangélique, telle qu’elle nous est parvenue. Tradition qui est avant tout message de foi, assurément, mais ancré solidement dans l’histoire. C’est ce que, depuis les origines, raconte l’œuvre complète de Luc, à la fois histoire et théologie, comme l’annonçait la préface même de son évangile. Jean-Paul MICHAUD Université Saint-Paul, Ottawa [email protected] 71. C’est autour de ce mot que J.D.G. DUNN a pour ainsi dire bâti son Jesus Remembered. Ce qu’il rappelle dans un petit ouvrage qui ramasse ses conclusions : « […] we have access to none other than to Jesus as he was remembered. The historical Jesus at best can be none other than the Jesus-who-made-the-impact-which-is-the-beginning-of-the-Jesus-tradition », in A New Perspective on Jesus, Grand Rapids MI, Baker Academic, p. 30.

COMMENCER ET BOUCLER LE RÉCIT EN FONCTION DU LECTEUR PISTES DE LECTURE NARRATIVE DE LC 1,1-4; AC 11,4 ET AC 26,16

Dans son Décalogue du parfait raconteur, l’écrivain paraguayen Horacio Quiroga prescrit : « Ne commence pas à écrire sans savoir, dès la première parole, où tu t’en vas1 ». Dans l’œuvre à deux volumes attribuée à Luc (Lc– Ac), la préface de l’évangile (Lc 1,1-4) constitue la « première parole » que le lecteur rencontre en lisant le texte. Pourtant, l’exégèse lucanienne n’est toujours pas unanime sur le fait que l’écriture de la préface précède la composition de l’ensemble de l’ouvrage2. Ce qui semble plus établi, par contre, est l’unité de conception de l’œuvre elle-même, voire les multiples indices qui attestent l’existence d’un dessein prémédité articulant intrinsèquement le troisième évangile et les Actes des apôtres3. En ce sens, « Luc » – pour ainsi dire – savait bien dès le départ où il s’en allait4. La présente réflexion s’intéresse 1. H. QUIROGA, Decálogo del perfecto cuentista ; cité par E. ORTEGA, Redacción y composición II, deuxième édition, La Habana, Félix Varela, 2003, p. 237 : « No empieces a escribir sin saber desde la primera palabra a dónde vas ». Traduction libre. 2. N. SIFFER-WIEDERHOLD, Le projet littéraire de Luc d’après le prologue de l’évangile (Lc 1,1-4), RevSR 79 (2005) no. 1, 39-54, p. 43-44, n. 14. Cette problématique (les étapes de composition du texte) appartient au domaine de l’exégèse diachronique. Sans nier la pertinence de la question, nous adoptons ici une approche synchronique. 3. Sur ce point, la bibliographie est très vaste. Voir entre autres : J. VERHEYDEN (ed.), The Unity of Luke–Acts (BETL, 142), Leuven, Leuven University Press, 1999 ; R. MADDOX, The Purpose of Luke–Acts (Studies of the New Testament and Its World, 3), Edinburgh, T&T Clark, 1982 ; J.A. FITZMYER, The Gospel According to Luke I–IX: Introduction, Translation, and Notes (AB, 28), Garden City, Doubleday, 1981, p. 3-29. Cf. A.F. GREGORY – C.K. ROWE (ed.), Rethinking the Unity and Reception of Luke and Acts, Columbia SC, University of South Carolina Press, 2010 ; M.C. PARSONS – R.I. PERVO, Rethinking the Unity of Luke and Acts, Minneapolis MN, Fortress Press, 1993. 4. Tout au long de cet exposé, sauf indication du contraire, la mention de « Luc » ou de « l’auteur » renvoie à l’auteur impliqué, qui est l’instance narrative responsable du dessein d’ensemble de l’œuvre. Comme l’indique S. CHATMAN, Story and Discourse: Narrative Structure in Fiction and Film, Ithaca NY, Cornell University Press, 1978, p. 148, l’auteur impliqué n’existe pas indépendamment du texte : « He is «implied», that is, reconstructed by the reader from the narrative. He is not the narrator, but rather the principle that invented the narrator, along with

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à cette problématique, la « direction » ou le/s but/s de Lc–Ac, par le biais d’une étude narrative de la préface de l’évangile en lien avec deux reprises de ce texte en Ac 11,4 (cf. Lc 1,3) et Ac 26,16 (cf. Lc 1,2), dans le contexte du dernier discours de Pierre et du dernier discours de Paul dans le livre des Actes5. En ce qui a trait à la préface, notre étude offre des pistes de lecture, particulièrement sur la manière dont Lc 1,1-4 articule les rapports entre les différents agents narratifs du récit lucanien (personnages, narrateur/narrataire, auteur impliqué/lecteur impliqué). En plus d’introduire de manière extrêmement condensée la mention du contenu de Lc–Ac6, l’exorde de l’évangile contient une référence explicite à la visée de l’ouvrage, c’est-à-dire à ce que le texte est censé accomplir chez le lecteur. Or, la finalité du récit n’est pas tout simplement de renseigner Théophile, mais bien de le raffermir (Lc 1,4), voire de le transformer pendant l’acte de lecture en développant des compétences bien concrètes chez lui7. En fonction de ce but, l’auteur impliqué met à contribution une panoplie de stratégies qui visent à opérer de manière de plus en plus ciblée, au fil des pages, l’identification du lecteur aux modèles qui lui sont offerts, notamment les figures emblématiques de Pierre et de Paul. Dans cette étude, nous examinons deux moments qui se trouvent à la fin de ce processus. Nous soutenons que c’est précisément dans le contexte

everything else in the narrative ». Par définition, l’auteur impliqué sait toujours où il – ou plutôt « cela », au sens impersonnel (p. 148) – s’en va. Nous préférons parler d’auteur impliqué, plutôt qu’implicite. D’abord, le terme anglais « implied » est mieux rendu en français par le mot « impliqué ». Voir M. DUMAIS, « La critique narrative », in J. DUHAIME – O. MAINVILLE (ed.), Entendre la voix du Dieu vivant. Interprétations et pratiques actuelles de la Bible (Lectures bibliques, 41), Montréal, Médiaspaul, 1994, p. 189-199, ici p. 199, n. 6. Ensuite, ce choix exprime mieux, nous semble-t-il, la nature active autant du processus de production (mise en récit) que de celui de réception (acte de lecture). D’où l’emploi du même vocable (impliqué) pour identifier le lecteur. 5. Comme le constate J. DUPONT, Études sur les Actes des Apôtres (LD, 45) Paris, Cerf, 1967, p. 410, le baptême de Corneille constitue « le point d’aboutissement de la carrière apostolique de Pierre, son intervention décisive après laquelle il ne lui reste plus qu’à s’effacer en laissant Paul seul en scène ». Le même auteur considère Ac 26,16-23 comme « la finale du dernier grand discours attribué à Paul dans les Actes, immédiatement avant le départ pour Rome, où il n’y aura plus de discours proprement dit » [« La mission de Paul d’après Ac 26,16-23 et la mission des Apôtres d’après Lc 24,44-49 et Ac 1,8 », in M.D. HOOKER – S.G. WILSON (ed.), Paul and Paulinism. FS Charles K. Barrett, London, S.P.C.K., 1982, p. 290-299, ici p. 291]. 6. R.J. DILLON, Previewing Luke’s Project from His Prologue (Luke 1:1-4), CBQ 43 (1981) 205-227, p. 211-217; J.A. FITZMYER, Luke I–IX (n. 3), p. 289. 7. S. RIMMON-KENAN, Narrative Fiction: Contemporary Poetics, London – New York, Methuen, 1983, p. 118 : « […] in the course of reading, it [the text] developes [sic.] in the reader a specific competence needed to come to grips with it, often inducing him to change his previous conceptions and modify his outlook ».

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des stratégies d’identification du lecteur aux personnages qu’il faut situer les références à la préface de l’évangile en Ac 11,4 et en 26,16, au point culminant du parcours narratif de Pierre et de celui de Paul. En vue d’explorer ces liens, nous proposons une démarche en trois moments. D’abord, nous identifions les agents narratifs (personnages, narrateur/narrataire, auteur impliqué/lecteur impliqué) repérables en Lc 1,1-4 et nous discernons les rapports qui s’établissent entre eux. Ensuite, nous explorons les références à la préface de l’évangile dans le contexte des discours de Pierre à Jérusalem (Ac 11,4 ; cf. Lc 1,3) et de Paul à Césarée (Ac 26,16 ; cf. Lc 1,2). Enfin, nous résumons les résultats de notre démarche dans une brève conclusion. I. LES

AGENTS NARRATIFS ET LEURS RAPPORTS EN

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Une première remarque s’impose à propos de la préface du troisième évangile : Elle ne fait pas partie de la diégèse, de l’histoire racontée proprement dite, mais se situe à l’extérieur des coordonnées spatiotemporelles du monde des personnages. En ce sens, en tant qu’instance extradiégétique, Lc 1,1-4 constitue le seuil du monde du récit et fait partie de ce que Gérard Genette appelle « le paratexte », c’est-à-dire les dispositifs médiatisant les relations entre le texte et le lecteur8. En ce qui concerne notre étude, le mot clef ici est « médiation », car si la préface se situe en dehors des frontières de l’histoire racontée, elle constitue néanmoins une instance textuelle, une représentation qui n’appartient pas au monde réel. Pour explorer les rapports qu’elle construit, il convient donc de faire appel, ne serait-ce que sommairement, à la notion de niveaux narratifs, un concept tout à fait central de la narratologie. En principe, lire un récit suppose d’être attentif au réseau de médiations subtiles dont il est composé. Au risque de simplifier, disons qu’il faut distinguer trois niveaux ou registres parallèles : d’abord, l’univers spatiotemporel où habitent les personnages (niveau de l’histoire racontée), ensuite le registre de la communication entre le narrateur et le narrataire (niveau de la narration) et finalement, l’ensemble de choix stratégiques que l’auteur impliqué 8. Voir G. GENETTE, Seuils (Points), Paris, Seuil, 1987, p. 7-8. Dans le cas particulier de la préface, elle appartient à cette composante du paratexte que Genette nomme le « péritexte » : « Un élément de paratexte […] a nécessairement un emplacement, que l’on peut situer par rapport à celui du texte lui-même : autour du texte, dans l’espace du même volume, comme le titre ou la préface […] ; j’appellerai péritexte cette première catégorie spatiale, certainement la plus typique » (p. 10-11). Italiques de Genette.

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conçoit en fonction du lecteur (niveau du discours)9. Bien entendu, la manière dont l’auteur impliqué manipule l’écart inhérent à ces niveaux, en l’approfondissant ou en le faisant disparaître en fonction de la stratégie de persuasion qui est la sienne, constitue l’enjeu central de tout récit10. Dans le cas qui nous occupe, la voix qui se fait entendre en Lc 1,1-4 est celle du narrateur11. Or, dans les récits bibliques, il n’y a pas de véritable distance entre le point de vue de la narration et celui du discours12. Il s’ensuit que les propos articulés en 1,1-4 représentent l’expression de la perspective de l’auteur impliqué, qui se sert stratégiquement de la voix du narrateur pour offrir au lecteur impliqué des clefs herméneutiques qui lui permettront de décoder le texte. En ce sens, l’exorde du troisième évangile a un caractère programmatique. Il fonctionne comme un véritable « pacte de lecture » qui offre au lecteur un aperçu de ce qui est à venir13.

9. Il faut également distinguer entre le monde du texte où se déploient ces trois niveaux et le monde réel dans lequel le lecteur réel essaie de saisir le/s sens du récit. On trouvera différentes représentations schématiques des niveaux narratifs chez : S. CHATMAN, Story and Discourse (n. 4), p. 151 ; S. RIMMON-KENAN, Narrative Fiction (n. 7), p. 86 ; M.A. POWELL, What is Narrative Criticism? (Guides to Biblical Scholarship. New Testament Series), Minneapolis MN, Fortress Press, 1990, p. 27. 10. L’écart entre les niveaux narratifs est cognitif aussi bien que temporel. M. STERNBERG, « How Narrative Makes a Difference », Narrative 9 (2001) no. 2, 115-122, montre comment le maniement de ces aspects (temps et information) donne lieu à ce qu’il appelle « the three universal narrative effects/interests/dynamics of prospection, retrospection, and recognition – suspense, curiosity, and surprise, for short » (p. 117). Ce qui est propre au récit – autrement dit, la narrativité en tant que telle – implique le jeu de contrôle de l’information dans le temps qui, en engageant les agents narratifs aux trois niveaux (histoire racontée, narration et discours), produit les effets spécifiquement narratifs de suspense, curiosité et surprise : « The three accordingly cover among them the workings that distinguish narrative from everything else, because they exhaust the possibilities of communicating action » (ibid.). 11. Dans cette première section de l’analyse, la mention du « narrateur », sans d’autres qualificatifs, renvoie toujours au narrateur primaire, c’est-à-dire à l’interlocuteur du narrataire (Théophile). Dans la section suivante, nous distinguons le narrateur primaire des narrateurs secondaires (ou personnages narrateurs). Voir S. RIMMON-KENAN, Narrative Fiction (n. 7), p. 89-93. 12. Comme l’indique M.A. POWELL, What Is Narrative Criticism? (n. 9), p. 26 : « Most narrative critics […] regard the Gospels [and the Bible in general] as having reliable narrators whose points of view are in perfect accord with those of the implied authors ». Des propos similaires chez : M. DUMAIS, La critique narrative (n. 4), p. 191 ; R.C. TANNEHILL, The Narrative Unity of Luke–Acts: A Literary Interpretation, Minneapolis MN, Fortress Press, 1991, Vol. 1, p. 310 ; M. STERNBERG, The Poetics of Biblical Narrative: Ideological Literature and the Drama of Reading, Bloomington IN, Indiana University Press, 1985, p. 131. 13. R.J. DILLON, Previewing Luke’s Project from His Prologue (n. 6), p. 206 ; W.S. KURZ, Reading Luke–Acts: Dynamics of Biblical Narrative, Louisville KY, Westminster – John Knox Press, 1993, p. 40. L’expression « pacte de lecture » dans ce contexte vient de D. MARGUERAT, La première histoire du christianisme: Les Actes des Apôtres (LD, 180), Paris – Genève, Cerf – Labor et Fides, 1999, p. 40.

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À ce qui précède, il faut ajouter que le cas du narrateur s’exprimant à la première personne du singulier est extrêmement rare dans le contexte biblique. Dans la littérature en général, une telle narration à la première personne est souvent associée à un personnage du récit14. En Lc–Ac, le narrateur entrera certainement dans le monde de l’histoire racontée en tant que personnage, mais seulement vers la fin de l’ouvrage et de manière épisodique (Ac 16,1017 ; 20,5-15 ; 21,1-8 ; 27,1–28,16)15. La voix qui parle dans la préface au nom de l’auteur possède donc une rare combinaison de fiabilité et d’auto-conscience16. C’est à partir de ces qualités qu’elle s’adresse à Théophile : Puisque beaucoup [πολλοί] ont entrepris de composer un récit des évènements accomplis parmi nous [ἐν ἡμῖν], 2d’après ce que nous [ἡμῖν] ont transmis ceux qui furent dès le début témoins oculaires et qui sont devenus [γενόμενοι] serviteurs de la Parole, 3il m’a paru bon, à moi aussi [κἀμοί], après m’être soigneusement informé de tout à partir des origines, d’en écrire pour toi [σοί] un récit ordonné, très honorable Théophile [Θεόφιλε], 4afin que tu puisses constater la solidité des enseignements que tu as reçus17. (Lc 1,1-4) 1

Cinq agents narratifs sont identifiables dans ces propos. Il y a d’abord les figures individuelles de l’auteur (κἀμοί, Lc 1,3) et du lecteur (σοί, Θεόφιλε, 1,3), qui opèrent au niveau du discours18. Puis s’ajoutent trois groupes de personnes : (1) ceux (πολλοί, 1,1) qui ont entrepris de mettre par écrit les évènements ; (2) la communauté au sein de laquelle (ἐν ἡμῖν, 1,1; ἡμῖν, 1,2) ces évènements se sont accomplis et (3) le groupe de témoins oculaires devenus (γενόμενοι, 1,2) serviteurs de la Parole, qui les ont transmis en premier lieu19. 14. G. PRINCE, A Dictionary of Narratology, Lincoln NE – London, University of Nebraska Press, 1987, p. 31. 15. L’intervention du narrateur en Ac 1,1-2, comme en Lc 1,1-4, se situe à l’extérieur de l’histoire racontée. 16. Le degré de fiabilité ou d’objectivité du narrateur diminue lorsqu’augmente son implication (« his personal involvement ») dans l’histoire qu’il raconte ; voir S. RIMMON-KENAN, Narrative Fiction (n. 7), p. 100. Ici, malgré que le narrateur s’implique et parle à la première personne du singulier, il est néanmoins investi de l’autorité de l’auteur impliqué, d’où sa totale crédibilité. 17. La traduction employée dans cette étude est celle de La Bible : Notes intégrales, traduction œcuménique, 12e édition, Paris, Cerf – Société biblique française, 2011. 18. Étant donné l’identification du narrateur et du narrataire à l’auteur et au lecteur impliqués (n. 12 ci-dessus), nous retenons le niveau du discours, non pas celui de la narration, pour l’analyse de Lc 1,1-4. Conséquemment, la mention de « Théophile » (le narrataire) identifie désormais le lecteur. L’appellation traditionnelle de « Luc » a été adoptée plus tôt (n. 4) pour faire référence à l’auteur impliqué. 19. En Lc 1,1-4, W.S. KURZ, Reading Luke–Acts (n. 13), p. 41, identifie quatre « dramatis personae ». Nous coïncidons en général avec le résultat de son analyse, bien que nous reconnaissons la présence d’un cinquième agent narratif : les témoins oculaires devenus ministres de la Parole (v. 2). La mention de ce groupe n’est pas un accident. Étant donné le caractère programmatique de la préface de l’évangile, les témoins devenus ministres sont tout à fait

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L’appartenance de ces groupes au niveau de l’histoire racontée est différemment perçue. Certes, les deux derniers font partie du monde des personnages lucaniens, ce qui n’est pas le cas de ceux qui ont produit des textes. En ce qui concerne ce groupe, « beaucoup [πολλοί] » (Lc 1,1) – ou plus exactement, plusieurs20 – ont précédé Luc dans le travail d’écriture sur un sujet qui requiert davantage la fidélité à la tradition reçue que le libre flux de l’imagination. À cet égard, s’il est vrai qu’il existe une pluralité de récits, il est aussi vrai qu’autant Luc que ses devanciers se rapportent aux « évènements [πραγμάτων] » (1,1) « tels que [les] ont transmis [kαθὼς παρέδοσαν] » (1,2) les témoins oculaires de la première heure. Autrement dit, ce que les témoins ont vu et qu’ils ont par la suite communiqué continue à être fidèlement transmis. Ainsi, l’auteur impliqué signale la correspondance entre les propos au sujet des évènements et les évènements eux-mêmes. Cette corrélation parolesévènements, garantie de fiabilité de ce qui est transmis, remonte à la génération des témoins oculaires des origines et se prolonge dans le récit (διήγησιν, 1,1) des πολλοί, ainsi que dans l’histoire que Luc (κἀμοί, 1,3) s’apprête à écrire (καθεξῆς σοί γράψαι, 1,4)21. Telle qu’articulé dans la préface, la nouveauté de l’approche lucanienne ne réside donc pas dans une créativité radicale du point de vue du contenu, mais bien dans la manière de l’exposer22. essentiels pour rendre compte du type de transformation et de la sorte de solidité que le récit travaillera à promouvoir chez le lecteur. Nous préférons parler d’agents narratifs plutôt que de « dramatis personae », un concept plus restreint généralement associé aux personnages ; voir G. PRINCE, Dictionary (n. 14), p. 23. 20. Le fait que le mot « πολλοί » fait partie du langage formel employé communément dans les préfaces n’autorise pas ici la lecture littérale du terme. Voir H.J. CADBURY, « Commentary on the Preface of Luke », in F.J. FOAKES-JOHNSON – K. LAKE (ed.), The Beginnings of Christianity: The Acts of the Apostles, London, MacMillan, 1922, Vol. 2, 489-510, p. 492 ; J.A. FITZMYER, Luke I–IX (n. 3), p. 291 ; R.J. DILLON, Previewing Luke’s Project from His Prologue (n. 6), p. 207. 21. Dans un échange privé fort enrichissant, Normand Bonneau nous a mis sur la piste de cette triple conformité paroles-évènements : « The concern of the prologue is to ascertain the conformity of the discourse (written or oral words) to the events, and this for the several narrative agents mentioned in the prologue: those “who have undertaken to compile a narrative” have tried to be faithful to the events (“the things that have been accomplished among us”); the eyewitnesses who saw the events – here, although not stated, it is assumed that their (oral) reports especially are faithful to what happened; the narrator’s research and orderly account aimed to assure that the words the narratee received in earlier catechesis and will read in the narrative that follows also conform to the events. All of this is toward the goal of the narratee being able in turn to recount the events with assurance, that is, with the confidence that his words will conform accurately to what happened ». Dans la deuxième section de notre analyse, nous verrons que l’assurance de Théophile se construit aussi à un autre niveau, de nature proprement théologique : celui de la correspondance des évènements à la Parole. La préface de l’évangile l’annonce déjà en indiquant que les disciples de la première heure n’ont pas été seulement témoins oculaires des évènements, mais bien « serviteurs de la Parole » (v. 2). 22. En citant l’œuvre de ses devanciers, Luc justifie (κἀμοί, v. 3) son propre projet (R.J. DILLON, Previewing Luke’s Project from His Prologue [n. 6], p. 207), qui se veut semblable

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Elle se situe sur le plan du discours plutôt que sur celui de l’histoire racontée, toujours en fidélité aux évènements qui se sont accomplis. Avant de revenir sur les modalités de cet accomplissement, concluons en quelque sorte la question de l’emplacement narratif des prédécesseurs de Luc, qu’il faudrait situer, nous semble-t-il, au niveau du discours. En tant que pairs de l’auteur impliqué (κἀμοί, 1,3), ils informent le récit lucanien sans pour autant le déterminer et sans jamais y être représentés. D’ailleurs, le fait que leur existence est mentionnée dans la préface (1,1) évoque la possibilité de ce que Théophile (au niveau du discours) devrait probablement être en mesure d’identifier des liens intertextuels entre l’œuvre de Luc et celles de ses devanciers. Dans cet ordre d’idées, il est intéressant de noter la double insistance de l’auteur sur son appartenance à un groupe (ἐν ἡμῖν, Lc 1,1 ; ἡμῖν, 1,2), le fait qu’il se présente au lecteur, non pas à titre strictement personnel, en spécialiste de l’histoire, mais en tant que membre d’un « nous ». Comme nous venons de le constater, cette communauté – dont Théophile ferait vraisemblablement partie –, s’attache fidèlement à ses origines mais elle n’est pas circonscrite au passé. À cet égard, si des évènements se sont accomplis (1,1) et des paroles ont été communiquées (1,2), les effets de cet accomplissement se manifestent toujours dans le présent (πεπληροφορημένων, 1,1) et la transmission de ces paroles se poursuit23. Voilà pourquoi, bien que l’auteur reconnaisse qu’il n’a pas appartenu à la génération des origines (1,2), il tient à s’adresser au lecteur en témoin d’évènements consommés « parmi nous [ἐν ἡμῖν] » (1,1), voire en témoin de faits dont il a constaté lui-même de première main la portée et la réalisation. En outre, s’il offre à Théophile une parole qui n’est pas strictement sienne, en examinant soigneusement tout depuis le début (ἄνωθεν πᾶσιν ἀκριβῶς, 1,3) et en narrant « de manière aux leurs et qui constitue néanmoins une contribution originale. Comme le soutient W.S. KURZ, Reading Luke-Acts (n. 13), p. 44, cette originalité n’est pas reliée à la « creation of new and consequently fictional stories but to the investigation and plotting of the traditional fund of accounts ». Luc laisse entendre que son travail se différencie des autres par son caractère exhaustif, rigoureux et ordonné (v. 3-4) ; voir J.A. FITZMYER, Luke I–IX (n. 3), p. 291. Ceci dit, contrairement à la plupart des préfaces gréco-romaines, l’exorde lucanienne s’abstient de formuler une critique ouverte des devanciers, ce qui suggère une perception positive de leur contribution ; voir C.H. TALBERT, Reading Luke: A Literary and Theological Commentary on the Third Gospel, New York NY, Crossroad, 1992, p. 7. 23. Notamment, grâce à la composition écrite de récits (Lc 1,1), ainsi que par le biais de l’instruction (κατηχήθης, Lc 1,4). En ce qui concerne la valeur du participe parfait πεπληροφορημένων, qui se veut aussi un passif théologique (L.T. JOHNSON, The Gospel of Luke [SP, 3], Collegeville MN, Liturgical Press, 1991, p. 27), R.J. DILLON, Previewing Luke’s Project from His Prologue (n. 6), p. 211, explique : « The perfect tense of the participle expresses that the events “brought to full measure” have a continuing effect upon the present, even if they themselves antedate the present generation. Indeed, the effect of the events on later generations is precisely what has to be brought out if Luke’s subject matter is to be made pertinent to people like himself who did not participate in that formative past personally ».

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ordonnée [καθεξῆς] » (1,3)24, systématique, ce qu’ont transmis les témoins oculaires devenus ministres de la Parole, Luc se met, lui aussi, en quelque sorte, au service de la Parole. D’ailleurs, il est révélateur qu’il emploie à plusieurs reprises le verbe « narrer » de manière équivalente à « annoncer25 », un indice de ce qu’il ne fait pas de distinction entre son travail de narrateur et la mission d’annoncer la Parole confiée aux témoins qui l’ont devancé. En ce qui a trait au lecteur, Théophile apparaît, lui aussi, comme un disciple de la deuxième heure, un initié à la foi chrétienne26 n’ayant pas connu le Seigneur « dans la chair27 ». De ce point de vue, Luc aussi bien que le lecteur personnifient le défi que doivent confronter ceux qui adhèrent à la foi sans avoir été témoins oculaires des évènements « dès le début [ἀπ᾽ἀρχῆς] » (Lc 1,2 ; cf. ἄνωθεν, 1,3). On saurait difficilement manquer la valeur typologique ainsi que la portée théologique de ce questionnement, qui sépare la première génération chrétienne de toutes les autres et se trouve au cœur même de l’être disciple : comment peut-on croire avec certitude sans avoir été là, sans avoir vu soi-même ce qui s’est vraiment passé ? Luc a abordé en quelque sorte cette question en racontant, dans les figures emblématiques de Pierre et de Paul, le passage de la première à la deuxième génération chrétienne. La difficulté de Théophile serait-elle reliée à cette problématique, d’autant plus que le temps s’était écoulé et qu’on disposait, non pas d’une narration unique, mais d’une pluralité de récits ? La préface ne le dit pas explicitement. Cependant, Luc laisse clairement entendre que le destinataire de son histoire a besoin d’être raffermi (ἵνα ἐπιγνῷς […] τὴν ἀσφάλειαν, 1,4), à l’instar des témoins oculaires de la première heure, dont Lc–Ac raconte la radicale transformation. En effet, les témoins oculaires « devenus [γενόμενοι] » (1,2) ministres28 ne constituent pas seulement une source crédible d’information à la disposition de l’historien, mais le modèle 24. Les expressions ἀνατάξασθαι διήγησιν (v. 1) et καθεξῆς […] γράψαι (v. 3) sont synonymes (κἀμοί, v. 3). La différence dans la formulation vise à éviter la répétition ; voir H.J. CADBURY, « Commentary on the Preface of Luke » (n. 20), p. 495. 25. Voir, parmi d’autres exemples, l’épisode du Gérasénien exorcisé par Jésus (διηγοῦ […] κηρύσσων, Lc 8,39) ; R.J. DILLON, Previewing Luke’s Project from His Prologue (n. 6), p. 208-209. 26. L.T. JOHNSON, The Gospel of Luke (n. 23), p. 28 ; L. ALEXANDER, The Preface to Luke’s Gospel. Literary Convention and Social Context in Luke 1.1-4 and Acts 1.1 (SNTS MS, 78), Cambridge, Cambridge University Press, 1993, p. 192. 27. L’expression « disciple de la deuxième heure » n’a pas pour nous une connotation historique, mais expérientielle. Elle identifie tous ceux et celles qui ont connu le Seigneur seulement après l’Ascension, comme c’est le cas de Luc, de Théophile et bien sûr, de Paul. 28. En ce qui concerne la pleine valeur sémantique du participe γενόμενοι, nous adoptons la lecture de la TOB (n. 17). Voir aussi : R.J. DILLON, Previewing Luke’s Project from His Prologue (n. 6), p. 214-216 ; L.T. JOHNSON, The Gospel of Luke (n. 23), p. 28. Cf. H.J. CADBURY, « Commentary on the Preface of Luke » (n. 20), p. 498.

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que Luc, en témoin lui-même des évènements accomplis et en serviteur de la Parole, offre systématiquement à la considération de Théophile. Ainsi, raffermir le lecteur suppose de favoriser chez lui (au niveau du discours) un processus de transformation similaire à celui que vivent les personnages des apôtres et des disciples (au niveau de l’histoire racontée). Comme nous l’avons avancé plus tôt, le but explicite de l’ouvrage de Luc (1,4) n’est pas simplement synonyme de renseigner le lecteur, au sens de contribuer à augmenter son savoir sur les origines chrétiennes, mais bien de promouvoir sa transformation, voire de catalyser son repositionnement en programmant stratégiquement son identification aux figures clefs du récit, notamment celles de Pierre et de Paul29. Dans l’espace accordé à cet exposé, nous explorons maintenant deux moments culminants de ce processus d’identification30: le discours de Pierre en Ac 11 et celui de Paul en Ac 26. Nous focalisons sur le fait que, lorsqu’il met en scène les paroles de deux témoins chevronnés et maintes fois éprouvés, modèles de choix offerts à Théophile pour l’aider à saisir la « solidité des paroles [λόγων τὴν ἀσφάλειαν] » (Lc 1,4) qu’il a reçues, l’auteur impliqué retourne curieusement au tout début de l’ouvrage pour mettre en relief deux aspects mentionnés dans la préface de l’évangile : l’ordre ou l’agencement du récit (Ac 11,4 ; cf. Lc 1,3) et la modalité spécifique du témoignage (Ac 26,16 ; cf. Lc 1,2). Il faut se douter que cette inclusio, qui intervient au moment où l’auteur impliqué est en train de boucler le processus d’identification anticipé de manière programmatique dans la préface, n’est pas une coïncidence, mais qu’elle signale des enjeux reliés au but ultime de l’œuvre de Luc. II. RÉFÉRENCES À LA

PRÉFACE DE L’ÉVANGILE EN

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ET EN AC

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En partant, il convient d’indiquer – ne serait-ce que brièvement – les contextes à plusieurs égards analogues dans lesquels s’insèrent les références qui nous occupent. Comme nous l’avons mentionné plus tôt, autant l’intervention 29. Les propos de R.C. TANNEHILL, The Narrative Unity of Luke–Acts (n. 12), Vol. 1, p. 8, sont particulièrement pertinents à cet égard : « Telling a story involves «narrative rhetoric». The narrator constructs a narrative world which readers are invited to inhabit imaginatively, a world constructed according to certain values and beliefs […] [We] should seek to understand Luke–Acts as a system of influence which may be analysed in literary terms. The message of Luke–Acts is not a set of theological propositions but the complex reshaping of human life, in its many dimensions, which it can cause ». 30. Nous avons exploré ailleurs, de manière plus détaillée, le processus d’identification du lecteur au personnage de Pierre : M.M. ACOSTA VALLE, « De témoin oculaire à serviteur de la Parole (Lc 1,2) : La transformation de l’identité du lecteur en Luc–Actes », Theoforum 44 (2013) 235-252.

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de Pierre (Ac 11,1-18) que celle de Paul (Ac 26,1-32) constituent le tout dernier discours de ces personnages, à proprement parler, dans l’intrigue du livre des Actes31. L’occasion est donc marquée par la maturité de ces deux figures emblématiques, non seulement du point de vue de leur carrière apostolique (niveau de l’histoire racontée), mais aussi de la place que l’auteur impliqué leur assigne en fonction de la stratégie de persuasion qui est la sienne (niveau du discours). Sur le plan de l’histoire racontée, l’un et l’autre personnages doivent faire face, devant des auditeurs juifs, à des accusations concernant leur présumée violation de la loi, notamment des imputations qui mettent en cause leur conduite vis-à-vis les Gentils32. Pierre offre son plaidoyer aux croyants circoncis réunis à Jérusalem (Ac 11,1 ; οἱ ἐκ περιτομῆς, Ac 11,2), tandis que Paul, lui, livre le sien devant la plus haute autorité juive, le roi Agrippa II33. Dans ces circonstances, chacun répond au grief présenté en faisant appel à une expérience visionnaire vécue après Pâques34. Confrontés au défi que pose la dynamique postpascale, le disciple de la première heure aussi bien que celui de la deuxième heure se trouvent sur un pied d’égalité. Aux analogies repérables sur le plan de l’histoire racontée s’ajoutent les ressemblances qui caractérisent la manière dont l’auteur impliqué construit ces passages au niveau du discours. Par un jeu subtil de contrôle de l’information, il crée un remarquable réseau de répétitions et d’ellipses qui placent l’histoire récurrente de l’extase de Pierre (Ac 10,9-16.28-29 ; 11,5-10 ; 15,711) et celle de la vision de Paul (9,1-9 ; 22,6-11.15 ; 26,12-18) parmi ce que certains considèrent l’une des cruces interpretum du livre des Actes35. Chose 31. Voir n. 5. 32. Pierre est tenu d’expliquer les raisons pour lesquelles il est « entré chez des incirconcis » et il a « mangé avec eux » (Ac 11,3). Quant à Paul, les charges « que les Juifs [ὑπὸ Ἰουδαίων] » font peser contre lui (Ac 26,2) et dont il doit répondre remontent au début du procès commencé à Jérusalem (Ac 26,21 ; cf. 21,27-30). L’imputation s’articulait alors dans ces termes : « Le voilà, l’homme qui combat notre peuple et la Loi et ce Lieu dans l’enseignement qu’il porte partout et à tous ! Il a même amené des Grecs dans le temple et il profane ainsi ce saint Lieu » (Ac 21,28 ; cf. 23,29 ; 24,5-6.9 ; 25,2.7). 33. Bien que l’auditoire soit composé d’autres individus (Ac 25,23), Paul s’adresse explicitement au roi à quatre reprises (26,2.13.19.26). C’est lui, Agrippa, qui autorise le prisonnier à plaider sa cause (26,1) et c’est lui qui sera interpelé par Paul à la fin de son discours (26,27). Le roi est caractérisé par sa connaissance des affaires juives (26,3.26) et sa foi dans les paroles des prophètes (26,27), sans que la question de sa pratique religieuse soit mentionnée. Paul s’adresse à lui en tant que Juif ; voir R.C. TANNEHILL, The Narrative Unity of Luke–Acts (n. 12), Vol. 2, p. 315-316. Nous partageons la lecture de Tannehill, qui considère le discours devant Agrippa comme « the climax of Paul’s effort to defend himself before a Jewish audience, an effort that began in Acts 22 » (p. 316). 34. Une extase dans le cas de Pierre (Ac 11,5-10 ; cf. 10,9-16) et une vision dans celui de Paul (26,12-18 ; cf. 9,1-9). 35. W.S. KURZ, « Effects of Variant Narrators en Acts 10–11 », NTS 43 (1997) 570-586, p. 57.

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certaine : L’investissement de la stratégie narrative atteint ici deux sommets ou carrément, les deux sommets de son travail de persuasion dans les Actes36, un indice de l’importance des problématiques abordées. Dans le cas spécifique de Pierre, il est révélateur que, lorsqu’il doit rendre compte de sa conduite en milieu païen, le narrateur (primaire) rapporte : « Alors Pierre reprit l’affaire depuis le début et la leur exposa point par point [καθεξῆς] » (Ac 11,4). La présence du même adverbe employé dans la préface de l’évangile pour décrire le travail de l’auteur impliqué dans l’ensemble de Lc–Ac (καθεξῆς, Lc 1,3) ne passe pas inaperçue. En effet, ce n’est pas un accident que le personnage utilise la même stratégie à l’endroit de son auditoire que Luc adopte à l’intention de Théophile37. Mais comment interpréter cet élément de la configuration narrative de l’épisode et surtout, quelle fonction accomplit-il dans l’économie générale de Lc–Ac ? Comme plusieurs auteurs l’ont signalé, Pierre devient le porte-parole de l’auteur impliqué38, ce qui fait disparaître à toute fin pratique l’écart entre le niveau du discours et celui de l’histoire racontée. Un tel procédé est employé at large dans les discours pétriniens et pauliniens des Actes pour assurer, grâce aux personnages, une relecture des évènements racontés qui s’accorde avec la perspective de l’auteur. En Ac 11,4, par contre, on met le focus, non pas sur l’énoncé du contenu – c’est-à-dire les évènements en tant que tels (au niveau de l’histoire racontée) –, mais sur la manière dont ils sont narrés, voire sur les modalités de l’énonciation (au niveau du discours). D’ailleurs, d’autres liens viennent renforcer le fait que c’est bien au plan du discours que l’analogie fonctionne. En effet, tout comme la voix (narrateur primaire) qui s’exprimait dans la préface au nom de l’auteur, l’apôtre (narrateur secondaire) remonte le temps, lui aussi, jusqu’au début de l’histoire (Ac 11,5 ; cf. Lc 1,2, ἀπ᾽ἀρχῆς ; Lc 1,3, 36. D. MARGUERAT, La première histoire du christianisme (n. 13), p. 226, considère qu’en Ac 10,1–11,18 « Luc a fait un sommet de son œuvre », tandis que R.J. DILLON y voit a « pivot of Luke’s argument in Acts » (« Acts of the Apostles », in R.E. BROWN – J.A. FITZMYER – R.E. MURPHY (ed.), The New Jerome Biblical Commentary, London, Geoffrey Chapman, 1993, p. 722-767, ici p. 745). En ce qui concerne Paul en Ac 26, R.C. TANNEHILL, The Narrative Unity of Luke–Acts (n. 12), Vol. 2, p. 316, estime que le discours devant le roi Agrippa constitue « a moment of climax and revelation […] also a climactic review and interpretation of his mission ». Pour sa part, B.R. GAVENTA, Acts (ANTC), Nashville TN, Abingdon Press, 2003, p. 54-56, voit en ces deux textes (Ac 10,1–11,18 et 26,1-26) les deux moments culminants (« climactic events ») du livre des Actes. 37. D.L. MATSON – W.S. BROWN, « Tuning the Faith: The Cornelius Story in Resonance Perspective », Perspectives in Religious Studies 33 (2006) 449-465, p. 460 ; J.A. FITZMYER, Luke I–IX (n. 3), p. 298-299 ; R.C. TANNEHILL, The Narrative Unity of Luke–Acts (n. 12), Vol. 1, p. 11-12. 38. E.L. MBILIZI, D’Israël aux nations. L’horizon de la rencontre avec le Sauveur dans l’œuvre de Luc (Publications universitaires européennes, Série XXIII/831, Théologie), Frankfurt am Main, Peter Lang, 2006, p. 220.

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ἄνωθεν)39 et évoque la présence de multiples témoins qui la rendent plus digne de foi (Ac 11,12 ; cf. Lc 1,1-2). Aussi, la situation de l’auditoire de Pierre à Jérusalem ressemble-t-elle curieusement à celle de Théophile. Tout comme le lecteur, les apôtres et les frères sont déjà au courant d’évènements dont ils n’ont pas été témoins oculaires (Ac 11,1 ; cf. Lc 1,4) et d’une histoire dont ils ne perçoivent point la solidité (Ac 11,2-3; cf. Lc 1,4). Ainsi, les personnages imitent ce qui se passe au niveau du discours, grâce à un jeu de miroirs qui reflète stratégiquement les portraits de Luc et de Théophile présentés dans la préface. Lucien Dälenbach reconnaîtrait ici un cas typique de ce qu’il appelle « mise en abyme de l’énonciation40 ». Il faut rappeler que le lecteur assiste à la scène, non pas associé au point de vue des apôtres et des frères, mais identifié à celui de Pierre, qui représente celui de l’auteur impliqué. L’exégèse lucanienne s’est attardée sur le fait que la narration des évènements diffère d’une version à l’autre. On a cru, par exemple, pouvoir discerner des incohérences opposant le récit initial du narrateur (primaire) en Ac 10 et celui du personnage de Pierre, devenu narrateur (secondaire) en Ac 11 des évènements qu’il a vécus41. Or, en focalisant explicitement sur la notion d’ordre (καθεξῆς, Ac 11,4 ; Lc 1,3), un ordre qui dépend du point de vue de celui qui raconte l’histoire sans pour autant encourir dans la falsification des faits, l’auteur impliqué modèle à l’intention de Théophile comment les mêmes évènements peuvent effectivement donner lieu à une pluralité de récits tout à fait légitimes, des récits qui, en reprenant les éléments fondamentaux de l’histoire, en illuminent des angles nouveaux. Si la pluralité des récits existants (Lc 1,1) secouait la certitude de Théophile (1,4), on comprend 39. Bien entendu, le début de son histoire coïncide avec l’expérience qu’il a eue en premier, c’est-à-dire son extase (Ac 11,5-10 ; cf. 10,9-10). Noter que le récit du narrateur primaire commence à Césarée (10,1), non à Joppé. 40. L. DÄLLENBACH, Le récit spéculaire. Essai sur la mise en abyme (Poétique), Paris, Seuil, 1977, p. 18, offre une définition générale de la mise en abyme – « tout miroir interne réfléchissant l’ensemble du récit par réduplication simple, répétée ou spécieuse » – et en distingue trois types : celle de l’énoncé, celle de l’énonciation et celle du code. Concrètement, la mise en abyme de l’énonciation met en scène de manière rétrospective « l’agent et le procès » de production de l’œuvre (p. 100). Dans le cas qui nous occupe, ceci se fait par le biais d’un personnage qui réalise « une activité identique ou analogue à celle de l’auteur » (p. 102), en l’occurrence, la composition d’un récit « ordonné » (Ac 11,4 ; cf. Lc 1,3). La mise en abyme de l’énoncé fait aussi partie de l’arsenal stratégique de l’auteur impliqué de Luc–Actes. Elle fonctionne par anticipation et se présente lorsqu’un passage (ou micro-récit) « condense ou cite la matière du [macro-]récit » (p. 76), comme c’est le cas de l’épisode de la visite de Jésus à Nazareth (Lc 4,16-30). Le procédé de mise en abyme marque ainsi le dessein du récit de Luc depuis la préface de l’évangile jusqu’au livre des Actes, en créant plusieurs jeux de miroirs qui renforcent « l’intelligibilité et la structure formelle de l’œuvre » (p. 16). 41. M. DIBELIUS, Studies in the Acts of the Apostles, London, SCM Press, 1956, p. 109110.

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comment son identification à l’apôtre en Ac 11,4 (cf. Lc 1,3) aurait pu contribuer à le raffermir, en attestant la légitimité de la notion de point de vue. D’ailleurs, c’est lorsque Pierre relate de manière ordonnée – c’est-à-dire de façon fidèle et, nécessairement, à partir de sa perspective –, les faits arrivés à Joppé et à Césarée, que la correspondance entre les évènements accomplis chez le centurion et « la Parole du Seigneur [τὸ ῥῆμα τοῦ κυρίου] » (Ac 11,16) devient manifeste, autant pour ses destinataires que pour le lecteur. Cela se passe au moment où la stratégie narrative renforce l’identification du lecteur au personnage, en l’associant à son vécu intérieur : « Je me suis souvenu alors de cette déclaration du Seigneur : «Jean, disait-il, a donné le baptême d’eau, mais vous, vous allez recevoir le baptême dans l’Esprit Saint» » (11,16 ; cf. 1,5). Avec Pierre, le lecteur se souvient de cette parole récurrente qui récapitule pour lui (Théophile), non seulement ce qui s’est passé en Ac 10, mais l’ensemble du récit depuis le tout début de l’évangile (Lc 3,16). Il importe de noter que la révélation de cette expérience intérieure de l’apôtre, arrivée à Césarée (Ac 10), a été intentionnellement retardée jusqu’au chapitre 11. En d’autres termes, c’est lorsque le personnage relate les faits de façon systématique (καθεξῆς, Ac 11,4), tel qu’il les a vécus, que des angles nouveaux de l’histoire en font émerger la solidité fondée sur la Parole. Théophile doit s’associer étroitement au souvenir de Pierre car il doit saisir de l’intérieur que ce n’est pas seulement légitime, mais nécessaire, que le témoin articule et communique sa perspective, parce que c’est dans l’intime de l’expérience postpascale que l’accomplissement de la Parole s’actualise dans les évènements de sa propre vie. Comme nous le verrons, plusieurs des choix stratégiques repérés jusqu’ici vont caractériser le passage qui nous occupera dorénavant, le discours de Paul devant le roi Agrippa en Ac 26. En ce qui concerne ce texte, il est opportun de faire appel à nouveau à l’image du jeu de miroirs ou – si l’on préfère la terminologie de Dällenbach –, au concept de mise en abyme de l’énonciation42. Ici, malgré que la notion d’ordre n’est pas explicitement mentionnée, il est clair que Paul, tout comme Pierre en Ac 11, adopte la manière de procéder de l’auteur impliqué, tel qu’articulé dans la préface. Il raconte son histoire de manière systématique, en remontant le temps jusqu’au début (ἀπ᾽ ἀρχῆς, Ac 26,4 ; cf. ἀπ᾽ ἀρχῆς, Lc 1,2 ; ἄνωθεν, Ac 26,5 ; cf. ἄνωθεν, Lc 1,3)43, conformément au point de vue qui est le sien. Dans la personne du roi, Paul s’adresse, lui aussi, à un destinataire informé (Ac 26,3.26-27 ; cf. 11,1 ; Lc 1,4), qui ne perçoit pas pourtant ni la portée ni la solidité de l’histoire qu’il connait déjà (Ac 26,29 ; 42. Voir n. 40. 43. H.J. CADBURY, « Commentary on the Preface of Luke » (n. 20), p. 502-503.

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cf. 11,2-3 ; Lc 1,4). À son intention, Paul va donc souligner les faits dont plusieurs témoins pourraient vérifier la fiabilité (Ac 26,4-5.20 ; cf. 11,12 ; Lc 1,1-2). Comme dans le cas d’Ac 10–11, l’exégèse lucanienne s’est longuement arrêtée sur les présumés conflits entre le récit initial du narrateur (primaire) en Ac 9 et les reprises du personnage de Paul, devenu narrateur (secondaire) de sa propre vision en Ac 22 et 2644. On a même cru discerner des contradictions entre les deux versions des évènements offertes par le personnage. Or, la crédibilité de la figure de Paul est garantie à ce point-ci du récit par l’auteur impliqué lui-même, qui s’exprime par le biais du personnage et en fait de lui – comme de Pierre auparavant – son porte-parole. En d’autres termes, les déclarations de Paul sont simultanément marquées par son point de vue et investies du plus haut degré de fiabilité45. Ceci confronte Théophile, encore une fois, à une pluralité de perspectives, voire à des récits multiples qui, sans compromettre l’authenticité des faits, en dévoilent des aspects inattendus46. À cet égard, c’est précisément en Ac 26, lors de la séance devant le roi, que la Parole du Seigneur (ὁ δὲ κύριος εἶπεν, 26,15) entendue par l’ancien pharisien sur le chemin de Damas est pleinement révélée (26,14-18 ; cf. 22,7-8.10 ; 9,4-6). Tel comme en 11,16, le dévoilement de cette pièce d’information a été intentionnellement différé, de sorte que le lecteur est amené à s’associer étroitement à l’intériorité du personnage au moment où sa crédibilité n’est plus à faire et surtout au moment où il récapitule l’ensemble de sa vie. La nouveauté se trouve en grande mesure, comme dans le cas de Pierre, dans le fait que c’est la Parole du Seigneur qui boucle rétrospectivement l’histoire de Paul et révèle à nouveaux frais sa solidité. Reprenons quelques-uns des propos que le lecteur entend pour la première fois en 26,16-18 : Voici pourquoi en effet je te suis apparu [ὤφθην σοι] : je t’ai destiné [προχειρίσασθαί σε] à être serviteur et témoin [ὑπηρέτην καὶ μάρτυρα] de la vision où tu viens de me voir [εἶδές [με]], ainsi que des visions où je t’apparaitrai

16

44. On trouvera des références bibliographiques des différentes positions adoptées par les exégètes dans l’article de D. MARGUERAT, « Saul’s Conversion (Acts 9, 22, 26) and the Multiplication of Narrative in Acts », in C.M. TUCKETT (ed.), Luke’s Literary Achievement: Collected Essays (JSNT SS, 116), Sheffield, Sheffield Academic Press, 1995, p. 127-155, spécialement p. 128-129, n. 3-7. 45. R.C. TANNEHILL, The Narrative Unity of Luke–Acts (n. 12), Vol. 2, p. 321-329. Tout comme la voix qui s’exprimait à la première personne du singulier, au nom de l’auteur impliqué, en Lc 1,1-4, les témoignages autobiographiques de Paul en Ac 26 et de Pierre en Ac 11 possèdent une rare combinaison de fiabilité et d’auto-conscience (voir n. 16). 46. Il convient de noter que Luc présente aussi la situation contraire, c’est-à-dire le point de vue de quelqu’un (Festus) qui, dans ses prises de parole, compromet l’authenticité des faits. Voir R.C. TANNEHILL, The Narrative Unity of Luke–Acts (n. 12), Vol. 2, p. 309-314.

LC 1,1-4 ; AC 11,4 ET AC 26,16

227

[ὀφθήσομαί σοι] encore. 17Je te délivre déjà du peuple et des nations païennes vers qui je t’envoie [ἐγὼ ἀποστέλλω σε] 18pour leur ouvrir les yeux […] afin qu’ils reçoivent le pardon des péchés et une part d’héritage avec les sanctifiés, par la foi en moi.

Annoncée intimement à Paul en amont, cette Parole reçue du Seigneur résume en aval la vie de l’homme de Tarse après la rencontre sur le chemin de Damas. L’auteur impliqué s’assure de placer cette donnée à la fin du parcours du personnage, car il est important que, comme Pierre au point culminant de sa carrière, Paul puisse raconter son histoire depuis le début. Au fond, l’auteur impliqué revient sur la même idée : il faut que le témoin exprime sa perspective, car c’est dans l’intime de son expérience avec le Ressuscité que les évènements de sa vie se révèlent comme autant d’occasions d’accomplissement de la Parole. Si Théophile doit s’associer à répétition au mouvement intérieur par lequel Pierre et Paul discernent dans la Parole le fondement de leur vécu, c’est parce qu’il est appelé à faire de même. Il faut croire que la solidité qu’il doit saisir, à l’instar de ces figures emblématiques, implique la relecture narrative des évènements de sa propre vie, habitée et dynamisée par la Parole qu’il a reçue et qu’il est, lui aussi, appelé à partager. Dans ce contexte, la référence explicite à la préface de l’évangile ne se peut plus significative. Par l’intermédiaire du personnage, grâce à un jeu de miroirs semblable à celui qu’il a déjà employé (καθεξῆς, Ac 11,4 ; cf. Lc 1,3), l’auteur impliqué représente les traits qui caractérisent le niveau du discours. Ainsi, s’il avait maintenu, à l’intention de Théophile, la totale fiabilité et la nécessité des récits ordonnés à partir de différents points de vue, il vise maintenant à établir pour le lecteur la légitimité du témoignage du disciple de la deuxième heure, qui n’a jamais connu le Seigneur pendant son ministère terrestre et qui est pourtant reconnu par lui comme authentique « serviteur et témoin [ὑπηρέτην καὶ μάρτυρα] » (Ac 26,16 ; cf. αὐτόπται καὶ ὑπηρέται, Lc 1,2 ; ὑμεῖς μάρτυρες, Lc 24,48), au même titre que les disciples de la première génération47. En ce sens, la déclaration du Ressuscité en Ac 26,16 concerne Paul aussi bien que Luc et Théophile, sans que ceci entraîne une négation de la spécificité de l’appel de chaque individu. Il convient de rappeler que l’auteur impliqué s’était implicitement présenté, en Lc 1,1-4, comme serviteur de la Parole reçue et comme témoin luimême des évènements accomplis « parmi nous ». S’il a laissé entendre au fil des pages que le binôme « serviteur et témoin [ὑπηρέτην καὶ μάρτυρα] » 47. Noter la présence significative du verbe προχειρίσασθαί en Ac 26,16 et du verbe ἀποστέλλω en Ac 26,17. Cf. προκεχειροτονημένοις, Ac 10,41 ; τοῖς ἀποστόλοις, Ac 1,2 ; ἀποστολῆς, Ac 1,25 ; ἀποστόλων, Ac 1,26.

228

M.M. ACOSTA VALLE

s’applique à Paul48, il le confirme explicitement en Ac 26,16, tout en attirant l’attention de Théophile sur un autre binôme qu’il avait placé dans une position stratégique au tout début de l’ouvrage: αὐτόπται καὶ ὑπηρέται (Lc 1,2). La similitude de la formulation accentue le contraste. En effet, le nom d’αὐτόπτης ne convient pas à l’homme de Tarse car, lui, contrairement à Pierre et aux autres disciples de la première heure, n’a pas été témoin oculaire des évènements depuis le début. Le fait que Paul n’a pas vu ce qui s’est vraiment passé pendant le ministère terrestre du Seigneur et qu’il a manqué aussi les rencontres postpascales avant l’Ascension n’affaiblit-il pas et anéantit à la limite la crédibilité de son témoignage ? Autrement dit, sur quel fondement la solidité du témoin s’établit-elle au-delà de la génération des origines ? En soulignant à trois reprises que Paul l’a vu et qu’il va continuer à le voir (ὤφθην σοι […] εἶδές [με] [...] ὀφθήσομαί σοι, Ac 26,16), le Ressuscité évoque une sorte de « vision » différente, mais non moins réelle, que la vision oculaire. Ce regard plus intérieur que les données empiriques des sens rend possible et légitime le témoignage qui lui est rendu et ce, non seulement par Paul, mais aussi par Luc et, éventuellement, par Théophile. D’ailleurs, Pierre, ainsi que les autres apôtres et disciples de sa génération, ont dû, eux-aussi, se convertir sur le plan du regard49. Certes, ce n’est pas une coïncidence qu’au point culminant des parcours de Pierre et de Paul, l’auteur impliqué choisit de mettre en scène deux expériences visionnaires, deux expériences de conversion du regard qui confrontent le disciple de la première heure, aussi bien que celui de la deuxième heure, au défi posé par la dynamique postpascale. CONCLUSION Dans la présente étude, nous avons offert des pistes de lecture narrative de la préface du troisième évangile, en nous concentrant sur les rapports qui s’établissent entre les agents narratifs mentionnés. Nous avons soutenu que la visée de l’ouvrage – raffermir Théophile (au niveau du discours) – consiste à promouvoir chez lui une transformation similaire à celle que vivent les 48. Voir J. DUPONT, « La mission de Paul » (n. 5) ; R.C. TANNEHILL, The Narrative Unity of Luke–Acts (n. 12), Vol. 1, p. 322-327 ; E. HAENCHEN, The Acts of the Apostles. A Commentary, Philadelphia PA, Westminster Press, 1971, p. 686. Cf. Ac 26,16 ; 22,14-15 ; 4,20 et Ac 26,17 ; 12,11. 49. En ce sens, R.J. DILLON, Previewing Luke’s Project from His Prologue (n. 6), p. 213, affirme : « The climactic crossover from human blindness to Easter revelation is skillfully recounted at [Lk] 24:25 and 24:44. Not only does this appearance-story pathos teach that Easter faith is no conclusion drawn from empirical happenings; it also puts the scriptural stipulation of the Messiah’s passion in focus as the crux of both the messianic secret and the revelation which only the Easter Christ in person could grant ».

LC 1,1-4 ; AC 11,4 ET AC 26,16

229

personnages, particulièrement les témoins oculaires devenus serviteurs de la Parole (au niveau de l’histoire racontée). Dans le contexte de ce processus d’identification, nous nous sommes tournés vers le point culminant du parcours de Pierre en Ac 11 et de celui de Paul en Ac 26. Nous avons constaté que, au moment où ces deux figures emblématiques récapitulent leur histoire en porte-paroles fiables de l’auteur impliqué, Luc, lui, travaille à renforcer l’association du lecteur aux personnages et, simultanément, à boucler son récit grâce à deux références significatives à la préface de l’évangile (Ac 11,4 ; cf. Lc 1,3 ; 26,16 ; Lc 1,2). Cette inclusio, qui instaure un jeu de miroirs, touche au but ultime de l’œuvre de Luc au moins de deux manières. D’abord, en mettant en évidence la nécessité et la légitimité des récits ordonnés à partir de différents points de vue, Luc rassure Théophile en ce qui concerne la pluralité d’histoires existantes et, du coup, le motive implicitement à articuler sa propre histoire dans des termes semblables. En outre, il raffermit le lecteur dans sa condition de « serviteur et témoin » à part entière, en soulignant que les compétences dont il a besoin – à savoir, la conversion du regard qui permet de voir le Seigneur et la reconnaissance de la présence active de la Parole dans sa vie – se trouvent au cœur même de l’être disciple et ce, bien au-delà de la génération des origines. Au fond, raffermir Théophile n’est pas synonyme de le renseigner, au sens d’accroître passivement son savoir. Raffermir le lecteur, c’est l’outiller pour qu’il prenne en main sa propre mission de témoin de la Bonne Nouvelle. Si « la pratique du récit consiste en une expérience […] par laquelle nous [les lecteurs réels] nous exerçons à habiter des mondes étrangers à nous-mêmes50 », la fréquentation assidue – par l’acte de lecture – du monde que Luc crée à l’intention de Théophile renferme certainement « une provocation à être et à agir autrement » et « comporte aussi un moment d’envoi 51 ». Martha M. ACOSTA VALLE Niagara University [email protected]

50. P. RICŒUR, Temps et récit. Le temps raconté (Points, 229), Paris, Seuil, 1985, Vol. 3, p. 447. Italiques ajoutées. 51. Ibid. Italiques de Ricœur.

AC 10–11 : LES SEPT ÉTAPES D’UN COMMENCEMENT

INTRODUCTION :

ACCUEILLIR D’ENTRER CHEZ L’AUTRE POUR

UN NOUVEAU COMMENCEMENT

Dans les Actes, le seul emploi du mot « commencement [ἀρχή] », sans complément, apparaît dans un discours de Pierre aux apôtres et aux frères de Judée, lorsqu’il témoigne de sa rencontre avec Corneille. Le substantif est accompagné du verbe correspondant, tous deux introduits par la préposition ἐν : « Quand je commençai [ἐν δὲ τῷ ἄρξασθαί] à parler, l’Esprit Saint tomba sur eux comme aussi sur nous au commencement [ἐν ἀρχῇ] » (Ac 11,15). Après la Pentecôte de Jérusalem, un nouveau commencement se manifeste à Césarée par des signes similaires : recevoir le don des langues et magnifier Dieu (10,46 et 11,15 // 2,4.11)1. L’éclosion du don de l’Esprit dans la maison de Corneille est un commencement et en même temps la fin d’un long processus, non seulement du côté des païens mais aussi du côté de Pierre. La progression est sensible à travers la concentration et l’emploi en Ac 10,1–11,18, de deux verbes formés d’une racine identique : « aller dans / entrer [εἰσέρχομαι]2 » et « aller avec / accompagner [συνέρχομαι]3 ». L’importance de ceux-ci est soulignée dans les propos critiques adressés à Pierre par les croyants circoncis de Jérusalem : « Tu es entré [εἰσῆλθες] chez des hommes incirconcis et tu as mangé avec [συνέφαγες] eux. » (11,3) 1. Lors de l’imposition des mains par Paul sur des disciples d’Éphèse qui venaient d’être baptisés au nom du Seigneur Jésus, « l’Esprit Saint vint sur eux, ils parlaient en langue et prophétisaient » (Ac 19,6). Pour le texte grec du NT, nous avons utilisé l’édition de Barbara ALAND – Kurt ALAND et al. (ed.), Novum Testamentum Graece [Nestle–Aland], édition revue, Stuttgart, Deutsche Bibelgesellschaft, 282012 (abréviation NTG28). Nous avons consulté les corrections apportées dans la quatrième impression de NTG28 publiée en 2015. Celles-ci n’affectent pas la présente étude. Voir INSTITUT FÜR NEUTESTAMENTLICHE TEXTFORSCHUNG, « Nestle–Aland, 28th edition. Corrections 4th printing 2015 », Westfälische Wilhems-Universität Münster [en ligne], http://intf.uni-muenster.de/NA28/files/NA28-4th_printing-corr.pdf, (page consultée le 9 janvier 2017). Les références à la Septante renvoient à Alfred RAHLFS (ed.), Septuaginta, Stuttgart, Deutsche Bibelgesellschaft, 2006. Les citations en grec sont traduites par nous. 2. 20 pour-cent (7 sur les 34 utilisations totales en Ac) : 10,3.24.25.27 ; 11,3.8.12. 3. 25 pour-cent (4 sur les 16 occurrences totales en Ac) : 10,23.27.45 ; 11,12.

232

M. DE LOVINFOSSE

Dans la présente contribution aux Mélanges offerts à Michel Gourgues, notre directeur de thèse, nous proposons une structure, en sept étapes, du récit de la rencontre de Pierre avec Corneille (Ac 10,1-48). La plupart des sections ont un parallèle dans le premier témoignage de Pierre à Jérusalem (11,5-17)4. Le discernement de chacune des étapes du récit est fondé sur deux grilles d’analyse, celle des personnages et surtout celle des actions, avec une attention particulière aux mentions d’« aller dans / entrer [εἰσέρχομαι] » et aux autres verbes composés de la même racine « aller [ἔρχομαι] » (soulignés en gras dans le tableau). Cette démarche nous a été enseignée par Michel Gourgues et nous sommes heureuse de lui rendre ainsi hommage. Étapes 1. Entrée de l’ange de Dieu chez Corneille 2. Refus de Pierre de laisser entrer de l’impur ou du profane dans sa bouche

Récit de la rencontre (Ac 10,1-48) Ac 10,1-8 *10,3 : εἰσελθόντα *10,7 : ἀπῆλθεν Ac 10,9-16

Témoignage de Pierre (Ac 11,5-17) Ac 11,13-14

Ac 11,5-10 *11,5 : ἦλθεν *11,8 : εἰσῆλθεν

3. Appel de l’Esprit à Pierre d’aller avec les hommes envoyés par Corneille

Ac 10,17-23 *10,23 : ἐξῆλθεν σύν *10,23 : συνῆλθον

4. Entrée de Pierre chez Corneille

Ac 10,24-33 Ac 11,12c *10,24 : εἰσῆλθεν *11,12c : εἰσήλθομεν *10,25 : εἰσελθεῖν *10,27 : εἰσῆλθεν *10,27 : συνεληλυθότας *10,28 : προσέρχεσθαι *10,29 : ἦλθον

5. Discours de Pierre centré sur le parcours de Jésus

Ac 10,34-43 *10,38 : διῆλθεν



6. Étonnement des frères qui accompagnaient Pierre

Ac 10,45-46 *10,45 : συνῆλθαν

Ac 11,15

7. Invitation adressée à Pierre à demeurer chez Corneille

Ac 10,47-48

Ac 11,11-12b *11,12a : συνελθεῖν *11,12b : ἦλθον δὲ σύν

Ac 11,16-17

4. Marguerat distingue également sept étapes, mais pour un ensemble plus vaste (Ac 10,1– 11,18). Il rassemble Ac 10,44-48 en une seule section intitulée « irruption de l’Esprit Saint » et pose comme dernière étape l’« apologie de Pierre » (11,1-18) à Jérusalem. Voir D. MARGUERAT, Les Actes des apôtres (1–12) (CNT, Va), Genève, Labor et Fides, 2007, p. 364. Une seconde fois, lors de l’assemblée de Jérusalem (Ac 15,7-11), Pierre rendra compte de son expérience chez Corneille sous forme de synthèse, sans mentionner celui-ci.

AC 10–11

233

Ce tableau permet de remarquer plusieurs éléments. Tout d’abord, une place significative est accordée à la vision de Pierre dans son témoignage (Ac 11,5-10). Elle occupe près de la moitié du discours et est placée avant la vision de Corneille, alors que chronologiquement celle-ci la précède. En outre, dans la section centrale, l’arrivée de Pierre chez Corneille, le verbe « aller dans / entrer [εἰσέρχομαι] » est attesté trois fois en dessinant une progression : Pierre entre dans la ville de Césarée (10,24), puis franchit le seuil de la porte (10,25) et ensuite, parvient à l’intérieur de la maison (10,27). Cette triple mention de l’entrée de Pierre a-t-elle un lien avec la triple exhortation adressée à Pierre à se lever, à égorger les animaux et à manger, de même qu’à ne pas considérer profane ce que Dieu a purifié (Ac 10,13.15-16 // 11,7.910) ? Enfin, lors de la dernière étape, le verbe « aller [ἔρχομαι] » et ses composés sont absents. La finalité du mouvement de l’aller-vers s’accomplit dans un consentement à demeurer, sans pour autant s’installer5. Une dynamique similaire telle qu’elle est reflétée dans la paire « aller [ἔρχομαι] » et « demeurer [μένω] » dans la maison des personnes rencontrées, est présente également ailleurs en Lc-Ac, dans des récits qui lui sont propres, sauf les orientations missionnaires de Jésus aux Douze (Lc 9,4 ; par. Mc 6,10 et Mt 10,11)6. I. ENTRÉE

DE L’ANGE DE

DIEU CHEZ CORNEILLE

En suivant la chronologie des événements, Dieu commence par envoyer son « ange [ἄγγελος] » dans la maison d’un païen, avant de révéler son projet à un chrétien d’origine juive (Pierre). Ce premier épisode constitue un événement-clé puisqu’il survient en premier et est présenté en quatre versions. Par un tel procédé narratif de redondance, le narrateur associe le lecteur à une herméneutique progressive des événements : « La construction narrative 5. Les références de la note suivante indiquent que l’action de demeurer chez d’autres est limité dans le temps. Quand une information chronologique est explicitée, il s’agit habituellement de quelques jours, exceptionnellement de plusieurs mois (Marie chez Élisabeth et Zacharie) ou de deux années (Paul à Rome). À Éphèse, Paul décline l’offre de Juifs à demeurer plus longtemps chez eux (Ac 18,19-20). 6. Voir Marie chez Élisabeth (Lc 1,40.56), Jésus chez Zachée (19,5.7.10) et auprès des deux disciples à Emmaüs (24,29) ; la recommandation missionnaire de Jésus adressée aux Douze (9,4), puis aux soixante-douze (10,5.7) ; les disciples dans la chambre haute où l’Esprit Saint viendra sur eux (Ac 1,13) ; Pierre chez le tanneur à Joppé (9,39.43) ; l’invitation de Lydie aux disciples de passage à Philippes (16,15) ; Paul chez Aquila à Corinthe (18,1-3.18) ; Paul et ses compagnons chez des disciples à Tyr (21,3-4), puis chez Philippes à Césarée (21,8) et ensuite, chez des disciples à Reggio (28,13-14). Arrivé à Rome, au terme de son parcours de missionnaire prisonnier, la dynamique est inversée : Paul est autorisé à demeurer dans un logement personnel avec un gardien, et y reçoit ceux qui viennent à lui (28,16.30).

234

M. DE LOVINFOSSE

atteint […] un degré de sophistication sans égal dans toute l’œuvre de Théophile7 ». Les quatre versions se répartissent de la façon suivante : le narrateur (N) décrit le fait (10,1-8) ; les envoyés de Corneille (E) auprès de Pierre expliquent à ce dernier la raison de leur venue (10,22) ; Corneille (C) raconte à Pierre ce qu’il a vécu (10,30-33) et finalement, Pierre (P) rend compte de son expérience aux apôtres et aux frères de Jérusalem (11,13-14)8. La mise en parallèle des quatre versions permet de distinguer dans ce premier épisode six moments. Structure \ Versions

#N

#E

#C

#P

1. Présentation de Corneille

10,1-2

10,22a





2. Manifestation de l’ange chez lui

10,3a

10,22b

10,30

11,13a



10,31



10,5-6

10,22c

10,32

11,13b



10,22d

10,33

11,14

10,7-8







3. Annonce que Dieu s’est souvenu des prières 10,3b-4 et des gestes de générosité de Corneille 4. Appel à envoyer des hommes à Joppé pour faire venir Simon appelé Pierre 5. Invitation à écouter les paroles de Pierre 6. Envoi des hommes par Corneille

Deux éléments sur six sont présents dans chacune des versions : la manifestation de l’ange et l’appel à envoyer des hommes chercher Simon appelé Pierre. Prenons les six éléments un à un en étant attentifs à la particularité du témoignage de Pierre. Primo, Corneille n’était pas n’importe quel païen. En Ac 10,1-2.22, il est présenté comme un centurion « pieux [εὐσεβής] » – antonyme d’ἀσεβής, l’impiété associée par les Juifs aux païens –, « craignant Dieu [φοβούμενος τὸν θεόν]9 », « priant Dieu en tout temps », « juste [δίκαιος] », soutenant par des aumônes le peuple juif et bénéficiant d’une large influence. Pour le dire autrement, Corneille est un païen qui croit en 7. D. MARGUERAT, Les Actes des apôtres (1–12) (n. 4), p. 365. Marguerat compare le procédé de redondance à celui du triple récit du retournement de Saul à Damas (chap. 9, 22 et 26). 8. Chacune de ces quatre versions est représentée par une abréviation : #N (Ac 10,1-6), #E (10,22), #C (10,30-33), #P (11,13-14). À notre connaissance, Lc-Ac ne contient pas d’autre événement qui soit rapporté quatre fois, si ce n’est la mort et la résurrection de Jésus. 9. Les données textuelles ne sont pas suffisantes pour affirmer avec certitude que φοβούμενος τὸν θεόν en Ac 10,2.22 est à entendre au sens technique, pour viser une « catégorie de croyants non israélites, différents des prosélytes, […] sympathisants du judaïsme, non convertis, qui fréquentent la synagogue et respectent une part des pratiques juives (sabbat, rituel alimentaire, impôt du Temple, pèlerinage à Jérusalem) ». Voir D. MARGUERAT, Les Actes des apôtres (1–12) (n. 4), p. 373.

AC 10–11

235

Dieu, sans être converti au judaïsme, et qui vit sa foi concrètement en se montrant assidu à la prière et à l’aumône en faveur des Juifs. Deux grands préjugés des Juifs à l’égard des païens, à savoir l’impiété et l’immoralité, sont ainsi démentis. Pierre connaissait les qualités de Corneille par le témoignage de ses envoyés (10,22a). Cependant, lors de son intervention auprès des frères de Jérusalem, il ne fait écho ni au profil de Corneille, ni même à son nom. Ce silence laisse deviner le point charnière sur lequel Pierre veut insister auprès de ses frères de Jérusalem : il s’est laissé interpeller par l’initiative de Dieu, à travers la voix venue du ciel (11,5-10) et à travers la venue de l’Esprit Saint (11,12). Nous comprenons d’autant mieux pourquoi la vision de Pierre (11,5-10) est placée en avant-plan dans son témoignage. Secundo, un messager divin se manifeste chez Corneille. Dans toutes les versions, cet envoyé est décrit comme un « messager / ange [ἄγγελος] », sauf dans celle de Corneille où il s’agit d’un « homme […] au vêtement brillant [ἀνήρ […] ἐν ἐσθῆτι λαμπρᾷ] » (10,30). Le narrateur et Corneille indiquent chacun que le fait se produit à la neuvième heure du jour. Corneille précise qu’il est en train de prier (10,30), comme Pierre avant sa vision (10,9 ; 11,5). Tertio, le narrateur et Corneille rapportent la parole du messager annonçant à Corneille que Dieu s’est souvenu de « ses prières et de ses aumônes [αἱ προσευχαί σου καὶ αἱ ἐλεημοσύναι σου] » (10,4 ; aussi 10,31). L’absence de cet élément dans la version de Pierre confirme notre hypothèse selon laquelle Pierre tient à justifier son attitude à l’égard de Corneille d’abord par l’initiative divine. Les qualités religieuses et morales de ce dernier ne sont pas pour autant à négliger. En effet, Dieu s’en « souvint » (10,31). L’acte divin de mémoire est typiquement lucanien10. Non seulement Marie affirme que « le Seigneur […] se souvint de la miséricorde [ἐλέους] » (Lc 1,54), mais aussi Zacharie proclame que « le Seigneur […] se souvint de son alliance sainte » (1,72). En Ac 10 (v. 4 et 31), l’originalité de l’action de Dieu consiste à se souvenir non pas d’une promesse liée à qui il est et à ce qu’il a conclu, mais de la pratique religieuse et morale d’un païen. En outre, cette mémoire devient pour Dieu un motif d’intervenir en faveur du païen et de sa maison, en leur donnant d’écouter sa parole et d’être sauvés. L’Esprit Saint n’est donc pas tombé sur n’importe quel païen, mais sur ceux qui avaient certaines prédispositions favorables, la prière et l’aumône. Dans la tradition juive, l’aumône a des effets purifiants : « L’aumône [ἐλεημοσύνη] sauve de la mort et

10. Parmi les évangélistes, seul Luc mentionne que « Dieu se souvint ». Ailleurs dans le NT, ce genre d’affirmation figure également en He 2,6 (s’inspirant du Ps 143,3 où le verbe est « que tu connaisses [ἐγνώσθης] ») et 8,12 (citant Jr 38,34 LXX), ainsi qu’Ap 16,19.

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purifie [ἀποκαθαριεῖ] de tout péché. Ceux qui pratiquent l’aumône et la justice recevront la vie abondante [πλησθήσονται ζωῆς]. » (Tb 12,9)11 Quarto, toutes les versions insistent sur l’appel divin adressé à Corneille pour qu’il fasse venir chez lui Simon appelé Pierre. L’initiative de la venue de Pierre chez Corneille et, à travers elle, du salut des païens rassemblés chez ce dernier vient bel et bien de Dieu. Quinto, l’objectif de la venue de Pierre est de permettre à ce centurion et à ceux de sa maison d’écouter Pierre. La version de Pierre rattache à cette écoute un enjeu de salut (Ac 11,14) ; celle de Corneille, sa conviction qu’il va parler au nom du Seigneur (10,33). II. REFUS DE PIERRE DE LAISSER

ENTRER DE L’IMPUR OU

DU PROFANE DANS SA BOUCHE

Dans le deuxième épisode qui se déroule « le lendemain [ἐπαύριον] » (Ac 10,9), Pierre à son tour reçoit une vision. Il voit « le ciel ouvert » d’où descend un grand linge contenant des animaux purs et d’autres impurs (10,1112 et 11,5-6). En 10,13 et 11,7, la voix appelle Pierre à « se lever, à égorger [les animaux] et à manger ». Pierre refuse de façon catégorique : « En aucun cas [μηδαμῶς]12, Seigneur, parce que je n’ai jamais mangé quelque chose de profane et d’impur [κοινὸν καὶ ἀκάθαρτον] ! » (10,14 et 11,8) Avec une fermeté qui traduit l’espérance d’un changement d’attitude de Pierre, la voix lui répond : « Ce que Dieu purifia, toi, ne le profane pas [ἃ ὁ θεὸς ἐκαθάρισεν, σὺ μὴ κοίνου] ! » (10,15 et 11,9) La scène se produit « trois fois [τρίς] » (10,16 et 11,10), ce qui souligne la détermination de Pierre13. Cet élément de confrontation de Pierre à la voix venue du ciel le distingue de Corneille. Ce dernier ne manifeste aucune opposition, ni aucun délai : « Quand l’ange qui lui parlait le quitta [ὡς δὲ ἀπῆλθεν ὁ ἄγγελος ὁ λαλῶν αὐτῷ]14 » (10,7), 11. Parmi les écrits de la LXX, cette conviction est particulièrement présente dans les livres sapientiaux où la mention de l’aumône est la plus élevée : 20 en Tb et 13 en Si sur un total de 53. Pour un exposé des textes juifs antiques non bibliques qui présentent l’aumône comme un antidote par excellence aux péchés, voir I.W. OLIVER, Torah Praxis after 70 CE: Reading Matthew and Luke-Acts as Jewish Texts (WUNT, II/355), Tübingen, Mohr Siebeck, 201, p. 368. 12. Survenant comme un hapax legomenon dans le NT, μηδαμῶς exprime une négation absolue en réponse à une affirmation ou une demande. 13. Dans les évangiles et les Ac, l’adverbe τρίς est toujours associé à Pierre : son triple reniement annoncé (Mc 14,30 ; par. Mt 26,34 ; Lc 22,34 et Jn 13,38) et réalisé (Mc 14,72 ; par. Mt 26,75 et Lc 22,61), ainsi que la triple narration de la scène à Joppé (Ac 10,16 ; 11,10). Jésus ressuscité interroge également Pierre « pour la troisième fois [τὸ τρίτον] : “m’aimes-tu ?” » (Jn 21,17) Mais le terme utilisé est différent et d’un usage plus diversifié dans les évangiles. 14. Les évangiles et les Ac contiennent uniquement en Lc–Ac trois autres utilisations de l’expression « l’ange / le messager quitta » (au singulier ou au pluriel) : à la fin de l’annonce de l’ange Gabriel à Marie à Nazareth (Lc 1,38) ; à la conclusion de la proclamation des anges

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il appelle trois de ses serviteurs et les envoie à Joppé. Les deux attitudes différentes et inattendues – le contraire aurait moins surpris – de Pierre et de Corneille rappellent la réaction de Zacharie et celle de Marie face à l’annonce de l’ange Gabriel (Lc 1,11-20 et 1,26-38). La vision demeure aux yeux de Pierre une énigme, qui ne s’éclairera qu’au moment de la rencontre avec Corneille. Pierre s’adresse à la voix du ciel en l’appelant « seigneur / Seigneur [κύριε] » (Ac 10,14 et 11,8). Corneille s’était adressé de la même manière à l’ange de Dieu (10,4). Bien que cette appellation soit introuvable dans les autres apparitions d’anges en Lc-Ac, elle correspond aux usages grecs et romains dans l’Antiquité en présence d’une réalité numineuse15. L’envoyé divin qui s’est manifesté à Corneille dévoile son identité à Pierre dans l’épisode suivant.

III. APPEL DE L’ESPRIT

À

PIERRE D’ALLER AVEC LES HOMMES ENVOYÉS PAR CORNEILLE

Dans le troisième épisode, les envoyés de Corneille arrivent auprès de Pierre pour repartir ensemble vers Césarée. Au moment où les hommes se tiennent devant la maison dans laquelle Pierre demeure, celui-ci reconnaît la voix de l’Esprit l’exhortant à « aller avec eux sans aucune hésitation [συνελθεῖν αὐτοῖς μηδὲν διακρίναντα] » (Ac 11,12 ; en écho à 10,20). Dans le récit de la venue de Pierre chez Corneille (10,1-48), l’Esprit donne le motif de cet appel : « car moi, je les ai envoyés [ὅτι ἐγὼ ἀπέσταλκα αὐτούς] » (10,20). Derrière l’ange qui s’est fait voir à Corneille en l’invitant à envoyer des hommes chercher Pierre, se trouve l’Esprit. Le passage des trois hommes survient alors que Pierre est dans l’embarras à propos du sens de la vision qui a eu lieu juste avant (10,17.19). Le lendemain, ils se mettent en route vers Césarée (10,23).

aux bergers à Bethléem (2,15) ; au terme de la rencontre des deux messages de Jean auprès de Jésus (7,24). Dans les deux premiers cas où il s’agit d’anges, les destinataires de leur message se mettent aussitôt en mouvement, habités par ce qu’ils ont entendu. Il en va de même pour Corneille. 15. Le procurateur Festus parle de l’empereur romain en le désignant « seigneur » (Ac 25,26). Selon Rowe, l’appellation « κύριε » (10,4) utilisée par Corneille ne vise ni Dieu, ni Jésus, mais un ange de Dieu (10,3). Voir C.K. ROWE, Early Narrative Christology: the Lord in the Gospel of Luke (BZNW, 139), Berlin, Walter de Gruyter, 2006, p. 238 et 239. Ceci est vrai du point de vue de l’acteur dans le récit, mais est-ce pour autant aussi celui de Luc ? Ailleurs en Ac, les douze autres emplois de κύριε (le vocatif de κύριος) se rapportent toujours à Jésus ou, sinon, à Dieu.

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IV. ENTRÉE

DE

PIERRE CHEZ CORNEILLE

Dans le quatrième épisode, les trois hommes, Pierre et les six frères arrivent chez Corneille (Ac 10,24-29). Fort de l’exhortation de l’Esprit, Pierre, accompagné des frères, avoue : « nous sommes entrés dans la maison de l’homme [εἰσήλθομεν εἰς τὸν οἶκον τοῦ ἀνδρός] » (11,12). Pierre répond ici aux croyants circoncis de Jérusalem qui « portaient un jugement critique [διεκρίνοντο] » (11,2) en disant : « Tu es entré chez des hommes incirconcis [εἰσῆλθες πρὸς ἄνδρας ἀκροβυστίαν ἔχοντας] […]. » (11,3) En les attendant, Corneille avait rassemblé dans sa maison parents et amis (10,24). La scène de la rencontre est chargée d’émotion et l’expression de celle-ci fait penser à d’autres passages bibliques. Quand Pierre eut franchi la porte de la maison, Corneille « le rencontra, tomba à ses pieds et se prosterna [πεσὼν ἐπὶ τοὺς πόδας προσεκύνησεν]16 » (10,25). Pierre le releva en lui affirmant « moimême aussi je suis un être humain [καὶ ἐγὼ αὐτὸς ἄνθρωπός εἰμι]17 » (10,26). « Conversant [συνομιλῶν] avec lui, il entra et trouva un grand nombre rassemblé. » (10,27) À l’instant même l’énigme de la vision est résolue aux yeux de Pierre. Les similitudes entre l’appel de la voix du ciel et l’une des premières paroles de Pierre chez Corneille le soulignent et font aboutir l’effort herméneutique suscité par le procédé narratif de redondance. « En aucun cas [μηδαμῶς], Seigneur, car jamais rien de profane ou d’impur [κοινὸν ἢ ἀκάθαρτον] n’est entré [εἰσῆλθεν] dans ma bouche. » Mais la voix [venue] du ciel répliqua une deuxième fois : « Ce que Dieu purifia, toi ne le profane pas [ἃ ὁ θεὸς ἐκαθάρισεν, σὺ μὴ κοίνου]. » (Ac 11,8-9 ; en écho à 10,1415) [Pierre] leur dit : « Vous savez que pour un homme juif, il est illicite de s’associer à une personne étrangère ou d’entrer [προσέρχεσθαι] [chez elle]. Mais à moi Dieu montra de ne déclarer aucun être humain profane ou impur [μηδένα κοινὸν ἢ ἀκάθαρτον λέγειν ἄνθρωπον]. » (Ac 10,28)

En Ac 10,28, Luc révèle le sens de la vision de Pierre (10,15 // 11,9), en particulier la portée des deux paires de concepts-clé dans la tradition juive : 16. Voir l’attitude de la shounamite en retrouvant son fils quand Élisée le ramène à la vie : « et la femme entra et tomba à ses pieds et se prosterna [ἔπεσεν ἐπὶ τοὺς πόδας αὐτοῦ καὶ προσεκύνησεν] à terre et prit son fils et sortit » (1 R 4,37). Abraham aussi « se prosterna [προσεκύνησεν] à terre » (Gn 18,2) devant les trois hommes. 17. Voir la parole du centurion de Capharnaüm à Jésus : « en effet, moi-même je suis un homme [καὶ γὰρ ἐγὼ ἄνθρωπός εἰμι] placé sous une autorité et ayant des soldats sous moi » (Lc 7,8 ; par. Mt 8,9). Voir aussi la parole de Paul et de Barnabas aux gens de Lystres les prenant pour des dieux après la guérison de l’homme infirme de naissance : « Hommes, pourquoi faites-vous cela ? Nous aussi nous sommes des êtres humains de même nature que vous [καὶ ἡμεῖς ὁμοιοπαθεῖς ἐσμεν ὑμῖν ἄνθρωποι] » (Ac 14,15).

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le « pur [καθαρός] » et l’« impur [ἀκάθαρτος] » ; le « saint [ἅγιος] » et le « profane [κοινός] ». La compréhension des notions de pureté et d’impureté telles qu’elles sont véhiculées dans le judaïsme ancien est fondamentale pour le lecteur des Ac, afin de le préserver de soutenir, même à son insu, une interprétation biaisée par la projection de sa propre culture. La mentalité du lecteur chrétien contemporain est surtout façonnée par la théologie paulinienne du pur et de l’impur18, qui se démarque nettement de la conception de ces notions dans le judaïsme ancien. Une difficulté supplémentaire s’ajoute par leur évolution à l’intérieur du judaïsme, selon trois grandes étapes dont on trouve des échos dans des écrits spécifiques : la période avant l’exil (Lv et Nb), celle après l’exil (Esd, Ne, manuscrits de la mer Morte, pseudépigraphe des Jubilés) et enfin, celle de l’essor du judaïsme rabbinique (Talmud). L’œuvre de Luc se situe dans la transition de la deuxième vers la troisième étape où les changements se cristallisent. Dans les limites du présent travail, il n’est pas possible d’entrer dans la complexité des notions de pur et d’impur, de profane et de sacré, et de leur évolution dans le judaïsme ancien. Toutefois, voici quelques repères permettant de garder en éveil la conscience du lecteur. La profanation, ou la désacralisation, est simplement la transformation de ce qui est saint en ce qui est commun. L’objet devenu commun n’est pas nécessairement impur, à moins que la désacralisation ait été suscitée par le contact avec une source d’impureté. La souillure est la transformation de ce qui est pur en ce qui est impur, et si l’objet était auparavant saint, il sera nécessairement commun ou profane par suite de la souillure. La profanation d’un sanctuaire, bien que sérieuse, n’est pas aussi grave qu’une véritable souillure d’un sanctuaire19.

Les notions de pur et d’impur, de saint et de profane apparaissent dans la Bible à partir du moment où Dieu fait alliance avec son peuple au Sinaï : « Tu es un peuple saint pour le Seigneur ton Dieu [λαὸς ἅγιος εἶ κυρίῳ τῷ θεῷ σου] et le Seigneur ton Dieu t’a choisi [ἐξελέξατο] afin que tu deviennes pour lui un peuple précieux [λαὸν περιούσιον], par rapport à toutes les nations qui sont sur la surface de la terre. » (Dt 7,6) Les prescriptions liées au pur et à l’impur sont codifiées principalement dans le Lévitique. Celles-ci peuvent être classées en deux grandes catégories types, bien que la Bible ne fasse pas cette distinction aussi explicitement : la pureté rituelle (Lv 12–15) et la pureté 18. Essentiellement morale, mise en relation avec la vie dans le Christ, sous la conduite de l’Esprit. Voir en particulier Ga 5,13-25 et Col 3,1-17. 19. C.E. HAYES, Gentile Impurities and Jewish Identities: Intermarriage and Conversion from the Bible to the Talmud, Oxford (UK), Oxford University Press, 2002, p. 230-231 (traduit par nous).

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morale qui est un thème majeur de la Loi de sainteté (Lv 17–26). Lors du retour d’exil à Jérusalem émerge une troisième catégorie : la pureté généalogique qui consiste à préserver la sainteté de la lignée en interdisant des mariages avec des non-Juifs20. Dans la Torah, les païens sont intrinsèquement profanes, mais non pour autant impurs, et peuvent devenir moralement impurs par leurs actes, en particulier en pratiquant l’idolâtrie, l’impudicité et l’homicide. Parce qu’ils sont facilement associés à l’idolâtrie et à l’impudicité, certains milieux juifs peuvent avoir tendance à les considérer a priori moralement impurs. Les païens ne sont pas assujettis aux prescriptions de pureté rituelle, sauf dans deux cas particuliers : le contact avec un cadavre (Nb 19,11-22) et la consommation d’une bête crevée ou d’une proie prise à la chasse (Lv 17,15-16). L’impureté morale n’est pas contagieuse, contrairement à l’impureté rituelle. La considération juive de l’impureté rituelle liée aux relations avec des païens n’émerge que progressivement et sera déclarée dans le judaïsme rabbinique, à partir de la fin du Ier siècle après Jésus Christ21. En Ac 10,28, la parole de Pierre témoigne de cette évolution en cours (10,28a) et en même temps, d’un nouveau regard qu’il a reçu sur un païen dont il parle désormais en le désignant comme un « être humain » (10,28b). Pierre comprend le sens de la vision qu’il a eue seulement au moment où il entre chez Corneille. Un indice lui est donné quand les trois hommes de Césarée (des païens) arrivent à sa porte alors qu’il est encore dans son questionnement sur la vision. L’Esprit lui dit de ne pas hésiter à aller avec eux car c’est lui qui les a envoyés (10,19). L’accent de cet appel concret de l’Esprit et de la prise de conscience de Pierre porte sur la qualité des païens avec qui Pierre est mis en relation, et non pas sur la nourriture. Le sens de celle-ci dans la vision s’est avéré symbolique22. En effet, à aucun moment, lors du passage de Pierre chez Corneille, il n’est question d’aliments interdits qui 20. Lv 21,13-15 concernant seulement le grand prêtre ; Esd et Ne concernant tout le peuple. Meier distingue une quatrième catégorie d’impureté, alimentaire en y assignant notamment la kashrout. Voir J.P. MEIER, A Marginal Jew: Rethinking the Historical Jesus. Volume IV: Law and love (ABRL), New Haven – London, Yale University Press, 2009, p. 344-348. Cependant, la kashrout constitue un système halakhique qui ne peut pas être confondu avec celui de la pureté, même si les deux présentent des affinités. Les prescriptions alimentaires du Lv autres que celles qui concernent la nourriture kasher relèvent du système halakhique de pureté rituelle. Ainsi, dans la kashrout, la viande de porc est un aliment interdit, mais non pas impur au sens strict du terme, ou, pour le dire autrement, impur de façon permanente. En effet, l’impureté alimentaire est dite rituelle et donc temporaire. Voir I.W. OLIVER, Torah Praxis after 70 CE (n. 11), p. 293-294. 21. J. KLAWANS, « Notion of Gentile Impurety in Ancient Judaism », Association for Jewish Studies 20 (1995), p. 285-312, p. 289-292 et 300-311. 22. Dans le même sens, voir I.W. OLIVER, Torah Praxis after 70 CE (n. 11), p. 396-397 ; D. MARGUERAT, Les Actes des apôtres (1–12) (n. 4), p. 385.

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auraient été mangés par l’un ou par l’autre. De plus, ailleurs en Ac, la seule autre attestation de l’adjectif « profane [κοινός] » ou du verbe dérivé κοινῶ, est liée, non pas à la nourriture, mais à la présence de Grecs – païens, donc profanes – que des Juifs d’Asie auraient vus à l’intérieur du Temple en le déclarant ainsi profané (21,28). Dans les autres évangiles, Jésus prononce un enseignement sur le pur et l’impur, en parlant de « profane [κοινός] » ou de « profaner [κοινῶ] », lors d’une confrontation avec les Pharisiens. Cependant, celle-ci ne porte pas sur des questions d’alimentation kasher, mais sur les mains des disciples jugées impures, car elles n’ont pas été lavées avant le repas (Mc 7,2.5 ; par. Mt 15,2) et rendent ainsi impures tout ce qu’elles touchent, en particulier les aliments23. Dans la Septante, les termes κοινός et κοινῶ n’apparaissent pas dans la Torah, y compris dans ses codes législatifs sur le pur et l’impur, qui recourent à leur synonyme, βέβηλος et βεβηλῶ : « distinguer entre les choses saintes et les choses profanes [τῶν ἁγίων καὶ τῶν βεβήλων], les choses impures et les choses pures [τῶν ἀκαθάρτων καὶ τῶν καθαρῶν] » (Lv 10,10)24. Dans la vision en plein midi, Pierre a reçu une interpellation forte qu’il comprend seulement après. Il s’est laissé préparer progressivement à rencontrer des païens de façon concrète et entière, jusqu’à partager leur table. Il a appris à reconnaître d’abord qu’un païen n’est ni intrinsèquement « profane [κοινός] », ni nécessairement moralement « impur [ἀκάθαρτος] » (Ac 10,28) et ensuite, que ce dernier peut bénéficier du même statut qu’un Juif en matière de pureté (15,9), sans pour autant être assimilé aux Juifs25. En effet, Pierre les a découverts comme des personnes de prière et d’aumônes agréables à Dieu, bien loin des trois grandes sources d’impureté morales (idolâtrie, impudicité et homicide). Le lecteur doit attendre les orientations de l’assemblée de Jérusalem (15,20) et leur mise en pratique dans les chapitres suivants, pour savoir quelles sont les directives alimentaires désormais en vigueur pour les chrétiens d’origine païenne et pour ceux d’origine juive. 23. Au terme de l’enseignement de Jésus sur le pur et l’impur, Marc ajoute une parenthèse : « [Jésus] déclarait purs [καθαρίζων] tous les aliments. » (Mc 7,19) ce verset n’est pas nécessairement à comprendre comme l’abrogation de toutes les prescriptions alimentaires de pureté rituelle et de kashrout, le vocabulaire utilisé est καθαρίζω et non pas κοινός ou κοινῶ. Voir aussi I.W. OLIVER, Torah Praxis after 70 CE (n. 11), p. 35 et 309, n. 705. 24. Par contre, en 1 M 1,47.62 et 4 M 7,6, κοινός et κοινῶ sont utilisés en référence à de la nourriture non kasher. Cette interprétation est donc bibliquement possible, mais ne trouve pas un appui assez solide dans les données textuelles de Ac 10–11. 25. Pour une argumentation détaillée de l’interprétation de la vision de Pierre (Ac 10,916 // 11,5-10), en tentant compte des positions adverses de la majorité des auteurs chrétiens qui y voient l’abolition de toute restriction alimentaire, voir I.W. OLIVER, Torah Praxis after 70 CE (n. 11), p. 415-421. La première étape d’Oliver (de confession juive) consiste à chercher à comprendre les termes κοινός et ἀκάθαρτος en Ac 10,14 (// 11,8) et 10,28, sans les traiter systématiquement comme des synonymes.

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V. DISCOURS DE PIERRE CENTRÉ

SUR LE PARCOURS DE JÉSUS

Dans le cinquième épisode, Pierre proclame son discours en quatre parties. Dans la première et la dernière qui se répondent, Pierre partage comment l’expérience en cours lui donne un regard renouvelé sur Dieu et sur l’être humain, incluant les païens : Je réalise en vérité que Dieu n’est pas partial [οὐκ ἔστιν προσωπολήμπτης], mais qu’en toute nation, celui qui le craint et accomplit la justice est reçu de lui [δεκτὸς αὐτῷ ἐστιν]. […] 43 À [Jésus Christ], tous les prophètes rendent témoignage : toute personne qui croit en lui reçoit en son nom le pardon des péchés [ἄφεσιν ἁμαρτιῶν λαβεῖν διὰ τοῦ ὀνόματος αὐτοῦ πάντα τὸν πιστεύοντα εἰς αὐτόν]. (Ac 10,34-35.43) 34 35

L’impartialité de Dieu avait déjà été proclamée dans l’Ancien Testament, en Dt 10,17, à la suite d’une exhortation à circoncire le cœur endurci26. Et vous circoncirez la dureté de votre coeur [περιτεμεῖσθε τὴν σκληροκαρδίαν ὑμῶν] et votre nuque, vous ne la durcirez plus. 17 Car le Seigneur votre Dieu, c’est le Dieu des dieux et le Seigneur des seigneurs, le Dieu grand, fort et redoutable, celui qui ne tient pas compte de la personne ni n’accepte de présent [ὅστις οὐ θαυμάζει πρόσωπον οὐδ᾿ οὐ μὴ λάβῃ δῶρον], 18 celui qui fait droit à l’immigrant [ποιῶν κρίσιν προσηλύτῳ], à l’orphelin et à la veuve et qui aime l’immigrant et lui donne pain et vêtement. (Dt 10,16-18)27 16

Cependant, dans la Septante, l’impartialité de Dieu concerne surtout sa relation avec le peuple juif. En effet, l’immigrant [προσήλυτος] en Dt 10,18 n’est pas nécessairement un païen. Il peut être un « Juif venu d’ailleurs, un “immigrant” faisant déjà partie du peuple28 ». Même s’il s’agissait d’un païen en Dt 10,18, il ne lui est pas donné le salut, mais le pain et le vêtement. L’originalité de Ac 10,34-35 consiste à appliquer explicitement l’impartialité de Dieu au don du salut à toute personne, incluant les païens29. Pierre demeure bien conscient qu’une disponibilité réelle est requise de l’être humain, qu’il soit Juif ou païen, pour accueillir le salut offert. Telle est l’exigence de la foi qui 26. Dans la LXX, l’impartialité divine exprimée à travers l’expression λαμβάνω πρόσωπον ou ses dérivés est mentionnée une seconde fois, en 2 Ch 19,7. 27. C. DOGNIEZ – M. HARL (ed.), Le Deutéronome. Vol. V (La Bible d’Alexandrie), Paris, Cerf, 2007, p. 183-185. 28. Voir l’article sur « «προσήλυτος» : «immigrant», et non pas «prosélyte» », in A. LE BOULLUEC – P. SANDEVOIR (ed.), L’Exode. Vol. II (La Bible d’Alexandrie), Paris, Cerf, 1986, p. 51-52, ici p. 52. 29. C’est aussi vrai en Rm 2,10-11. Le thème de l’impartialité de Dieu n’est pas développé dans les évangiles. Il est exprimé à propos de Jésus, mais dans un contexte de confrontation : « Maître, nous savons que, correctement, tu parles et enseignes, et que tu n’es pas partial, mais en vérité [οὐ λαμβάνεις πρόσωπον, ἀλλ᾿ ἐπ᾿ ἀληθείας] tu enseignes le chemin de Dieu. Nous est-il permis ou non de donner le tribut à César ? » (Lc 20,21-22 ; expression similaire dans les parallèles de Mc 12,14 et Mt 22,16 : οὐ γὰρ βλέπεις εἰς πρόσωπον ἀνθρώπων)

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se concrétise dans la crainte de Dieu et dans la pratique de la justice (10,35), tout comme le prescrivait aux Juifs Dt 10,12-13. Durant l’assemblée de Jérusalem, Pierre reviendra sur le jugement impartial de Dieu qui regarde le cœur de l’être humain (Ac 15,8-9), ainsi que sur la foi des païens (15,7.9) et la grâce du salut en Jésus Christ (15,11). Dans la deuxième (Ac 10,36-39) et la troisième parties (10,40-42) de son discours chez Corneille, Pierre fait mémoire du parcours de Jésus Christ. Il fut envoyé par Dieu pour annoncer la bonne nouvelle de la paix (10,36). Dans l’onction d’Esprit Saint et de puissance, il passait en faisant le bien et en guérissant les personnes possédées par le diable (10,38). Puis, en le ressuscitant, Dieu lui a donné de se manifester à ceux qu’il avait choisis d’avance pour être ses témoins (10,40). Pour Pierre, la mission de Jésus avant l’événement pascal comme la première mission de l’Église à sa suite ont été confinées au cercle des « fils d’Israël » (10,36), « au territoire des Juifs et à Jérusalem » (10,39), « au peuple » (10,42). En même temps, au début comme à la fin de son intervention, Pierre confesse l’universalité du rayonnement de Jésus en le déclarant « Seigneur de tous [πάντων κύριος] » (10,36), « Juge des morts et des vivants [κριτὴς ζώντων καὶ νεκρῶν] » (10,42). Cet universalisme déborde dans la première et la dernière parties : « en toute nation, [sur] celui qui craint [Dieu] et accomplit la justice » (10,35) ; sur « toute personne qui croit en [Jésus Christ] » (10,43). Le discours de Jacques y fait écho en évoquant « toutes les nations [πάντα τὰ ἔθνη] sur lesquelles le nom de [Dieu] a été invoqué » (15,17). VI. ÉTONNEMENT

DES FRÈRES QUI ACCOMPAGNAIENT

PIERRE

Le sixième épisode de la venue de Pierre chez Corneille montre les effets immédiats de la parole de Pierre. « L’Esprit Saint tomba sur tous ceux qui écoutaient la parole [πάντας τοὺς ἀκούοντας τὸν λόγον]. » (Ac 10,44) L’accueil de l’Esprit Saint résulte de l’écoute de la parole. Ce passage permet de comprendre le lien de causalité entre les deux premières phrases de Pierre à Jérusalem, qui traitent respectivement du choix de Dieu que les païens reçoivent de Pierre l’Évangile (15,7), et du don de l’Esprit Saint que Dieu leur a octroyé (15,8). Lors de son premier témoignage aux apôtres et aux frères de Jérusalem, Pierre précise que l’Esprit Saint a été répandu « comme aussi sur nous au commencement [ὥσπερ καὶ ἐφ᾿ ἡμᾶς ἐν ἀρχῇ] » (11,15). Lors de l’assemblée de Jérusalem, il le répétera : « Dieu a témoigné en leur donnant l’Esprit Saint comme à nous [καθὼς καὶ ἡμῖν]. » (15,8) L’insistance de Pierre reflète le degré de consternation : « Les croyants du groupe des

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circoncis qui étaient venus avec Pierre, s’étonnèrent que même sur les païens [καὶ ἐπὶ τὰ ἔθνη] le don de l’Esprit Saint est versé [ἡ δωρεὰ τοῦ ἁγίου πνεύματος ἐκκέχυται]. » (10,45) VII. INVITATION

ADRESSÉE À

PIERRE À DEMEURER CHEZ CORNEILLE

Dans le septième épisode de la venue de Pierre chez Corneille, Pierre relit son expérience en disciple de Jésus. En effet, une parole du Seigneur lui revient à l’esprit pour mieux comprendre l’action de Dieu en cours et la manière d’y participer sans réserve. Ainsi, « il se souvint de la parole du Seigneur quand il disait : Jean baptisa dans l’eau [Ἰωάννης μὲν ἐβάπτισεν ὕδατι], mais vous, vous serez baptisés dans l’Esprit Saint [ὑμεῖς δὲ βαπτισθήσεσθε ἐν πνεύματι ἁγίῳ]. » (Ac 11,16) Pierre renvoie à la parole que Jésus a prononcée juste avant son ascension (1,5) et qui faisait écho à l’une des dernières paroles de Jean en Lc (3,16). Moi, je vous baptise dans l’eau [ἐγὼ μὲν ὕδατι βαπτίζω ὑμᾶς] ; mais vient le plus fort que moi, dont je ne suis pas digne de délier la courroie de ses sandales ; lui vous baptisera dans l’Esprit Saint et le feu [αὐτὸς ὑμᾶς βαπτίσει ἐν πνεύματι ἁγίῳ καὶ πυρί]. (Lc 3,16)

La première exclamation de Pierre en réaction à la voix venue du ciel – « En aucun cas, Seigneur […] ! » (Ac 10,14 et 11,8) – donne lieu, au terme de la rencontre chez Corneille, à une remise en question personnelle : « Si donc Dieu leur donna le même don comme aussi à nous, ayant cru au Seigneur Jésus Christ, étais-je, moi, quelqu’un [qui soit] capable d’empêcher Dieu [ἐγὼ τίς ἤμην δυνατὸς κωλῦσαι τὸν θεόν] ? » (11,17) Dans le premier récit, le parallèle permet de saisir l’enjeu du baptême sous-jacent à cette question et le lien avec la parole du Seigneur (11,16 en écho à 1,5) : « Pierre répliqua : «Quelqu’un était-il capable d’empêcher l’eau de baptiser [μήτι τὸ ὕδωρ δύναται κωλῦσαί τις τοῦ μὴ βαπτισθῆναι] ceux qui reçurent l’Esprit Saint comme nous aussi ?» » (10,47) Et sur l’ordre de Pierre, ils furent « baptisés au nom de Jésus Christ [ἐν τῷ ὀνόματι] » et l’invitèrent à « demeurer [ἐπιμεῖναι] quelques jours » (10,48). Pierre est ainsi entré chez des frères païens, non pas furtivement, mais intégralement. CONCLUSION : ACCUEILLIR D’ENTRER CHEZ L’AUTRE POUR DEMEURER Récapitulons quelques traits de la nouveauté qui se dévoile d’une étape à l’autre du récit. Une concentration inhabituelle d’interventions divines est manifeste, en particulier dans les trois premières séquences et à la fin. Le

AC 10–11

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déroulement des événements avec sa part de réactions d’ouverture et de fermeture, est véritablement pris en charge par Dieu. Le premier à entrer chez Corneille est Dieu, par l’intermédiaire de son messager. Pour la première fois dans le Nouveau Testament, il est attesté que Dieu se souvient de la prière et des aumônes d’un païen. C’est ici, dans le souvenir de Dieu envers un non-Juif, que tout commence. Alors que Pierre adresse un refus catégorique à la voix venue du ciel, Dieu réitère son appel une deuxième, puis une troisième fois. L’insistance de Dieu signale l’importance de ce qui commence et sa volonté résolue d’impliquer son apôtre. L’Esprit apprend à ce dernier à s’engager sans hésitation sur une voie inédite : se joindre aux païens venus le chercher. Une fois entré dans la maison de Corneille, Pierre se laisse enseigner par Dieu en transformant son regard sur les non-Juifs. La prédication de Pierre est rendue féconde par son obéissance à la parole de Dieu, jusqu’à s’ouvrir à l’impensable dans la relation aux autres et à devenir témoin de l’impartialité divine. Un nouveau commencement finalement advient. Qui peut empêcher Dieu de donner l’Esprit et de rassembler au delà des divisions extérieures et intérieures ? Marie DE LOVINFOSSE, CND Congrégation de Notre-Dame, Montréal [email protected]

LA FINALE DES ACTES (AC 28,17-31) UNE DIALECTIQUE DE COMMENCEMENT ?

Depuis longtemps les exégètes s’interrogent sur le caractère abrupt et inesthétique de la finale du livre des Actes des Apôtres qui embarrasse l’interprétation1. Le suspense à rebondissement, caractéristique du récit détaillé du transfert de Paul à Rome, est relancé dans les derniers versets sans être résolu : rien n’est dit du procès attendu, ni des activités de Paul après « les deux années » (Ac 28,30) passées à Rome. S’il n’est pas question de procès, il est encore moins question de la mort de Paul que les destinataires chrétiens de l’œuvre ne peuvent ignorer ou tenir pour secondaire. Quoi qu’il en soit des nombreuses hypothèses qui ont été émises pour tenter de répondre à ces questions2, cette « rhétorique du silence3 » nous conduit à aborder la fonction de cette finale tant d’un point de vue littéraire qu’historique. Partant des travaux exégétiques récents qui mettent en lumière les caractéristiques d’une véritable finale, nous tenterons de dégager quelques axes qui posent, au-delà 1. Pour l’état de la question, voir : C.J. HEMER, The Book of Acts in the Setting of Hellenistic History (WUNT, 49), Tübingen, Mohr Siebeck, 1989, p. 383-387 ; C.K. BARRETT, « The End of Acts », in Geschichte-Tradition-Reflexion. FS Martin Hengel, Vol. III, Tübingen, Mohr, 1996, p. 546-555 ; H. OMERZU, « Das Schweigen des Lukas. Überlegungen zum offenen Ende der Apostelgeschichte », in F.W. HORN (ed.), Das Ende des Paulus (BZNW, 106), Berlin, Walter de Gruyter, 2001, p.127-156 ; T.M. TROFTGRUBEN, A Conclusion Unhindered (WUNT, II/280), Tübingen, Mohr Siebeck, 2010, p. 8-60 ; D. MARGUERAT, Les Actes des Apôtres (13–28) (CNT, Vb), Genève, Labor et Fides, 2015, p. 375-391. 2. Citons les principales hypothèses recensées par D. MARGUERAT, Les Actes (n. 1), p. 388389 : la finale est perdue. Luc ignore le martyre de Paul, hypothèse invraisemblable car cet événement fondateur de la communauté chrétienne est connu au moment de la rédaction des Actes dans les années 80-90. Luc entend écrire un troisième volume (T. ZAHN, « Das Dritte Buch des Lukas », Neue Kirchliche Zeitschrift 28 [1917] 373-395) ; il n’a pas de documentation sur la mort de Paul (H. OMERZU, « Das Schweigen » [n. 1]) ; il ne s’intéresse pas à la mort de ses personnages (A. WEISER, Die Apostelgeschichte [ÖTKNT 5,1-2], Gütersloh – Würzburg, Gütersloher, 1981, 1985) ; il ne veut pas donner une image négative de la communauté chrétienne (O. CULLMANN, Petrus. Jünger-Apostel-Märtyrer, Zürich, Zwingli, 21960, p. 101-123) ; il ne veut pas écrire de « morts édifiantes » alors que la communauté chrétienne de Rome est divisée, d’après le témoignage de Clément de Rome ; il fait le choix théologique de l’essor de la Parole (D. MARGUERAT, Les Actes [n. 1], p. 389). 3. D. MARGUERAT, « “Et quand nous sommes entrés dans Rome” : l’énigme de la fin du livre des Actes (28,16-31) », RHPR 73 (1993) 1-21.

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de la simple conclusion d’un livre, des lignes de force de l’expansion du christianisme et qui placent ses débuts comme son avenir dans une dialectique fondatrice. I. QUELLE FIN ? 1. Finale du cycle paulinien et des Actes des Apôtres Ac 28,17-31 concluent la section du voyage de Césarée à Rome (27,128,16) et même du cycle paulinien (13–28)4. La critique textuelle ne proposant pas d’alternative au texte reçu à quelques petites variantes près, Daniel Marguerat a démontré que ces versets étaient véritablement le terme des Actes des Apôtres à partir des principaux indices caractéristiques des finales repérés par les analyses littéraires de M. Torgovnick et de T.M. Trofgruben5 résumés ci-après et qui vont dans le sens des études sur les finales de différents types de récits littéraires grecs et latins publiées par D.H. Roberts, F. Dunn et D. Fowler6. La finale se caractérise par une circularité attestant que Ac 28,17-31 est l’aboutissement littéraire du récit. Premièrement, elle fait inclusion non seulement avec le début de la mission paulinienne à Antioche de Pisidie (double entrevue, lien entre le rejet juif et l’ouverture aux nations, extension universelle du salut appuyée sur la citation d’Is 49,6) mais aussi avec la thématique du Royaume (Ac 1,3.6 ; 28, 23.31). Deuxièmement, le parallélisme atteste une clôture : en Ac 13,46 ; 18,6 ; 28,28, un même scénario sous-tend la rencontre avec les Juifs et se conclut sur la nécessité de se tourner vers les nations, désignant respectivement l’Asie Mineure, la Grèce et l’Italie. La troisième mention d’aller vers les païens en souligne le caractère définitif  7. Troisièmement, la finale ouverte et abrupte est significative des clôtures que l’on trouve notamment dans l’Iliade, l’Odyssée, les Histoires d’Hérodote ou encore l’Énéide8. 4. Pour les inclusions partielles et générales, voir J. DUPONT, Nouvelles études sur les Actes (LD, 118), Paris, 1984, p. 455-511 ; S.D. BUTTICAZ, L’identité de l’Église dans les Actes des Apôtres. De la restauration d’Israël à la conquête universelle, Berlin, Walter de Gruyter, 2011, p. 388-389. 5. D. MARGUERAT, Actes (n. 1), p. 378-382 s’appuie sur les travaux de M. TORGOVNICK, Closure in the Novel, Princeton, University Press, 1981 et de T.M. TROFTGRUBEN, A conclusion Unhindered (n. 1), p. 45-60. 6. D.H. ROBERTS – F. DUNN – D. FOWLER (ed.), Classical Closure. Reading the End in Greek and Latin Literature, Princeton, Princeton University Press, 1997. 7. Ce parallélisme se brise à Rome pour D. MARGUERAT, Actes (n. 1), p. 379 tandis qu’il demeure pour R.C. TANNEHILL, The Narrative Unity of Luke-Acts. A Literary Interpretation, II, Minneapolis MN, Fortress, 1990, p. 344-357 (spéc. p. 349-355). 8. Voir auss R.I. PERVO, Acts: A Commentary, Minneapolis MN, Fortress, 2009, p. 695-696 ; A.D. BAUM, « “Rhetorik des Schweigens”? Der unvollständige Schluss der Apostelgeschichte

LA FINALE DES ACTES (AC 28,17-31)

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Enfin quatrièmement, l’auteur présente une image forte du héros, enseignant et prophète, qui annonce sans crainte la Bonne Nouvelle. Cet ensemble d’indices souligne la manière dont les derniers versets sont sertis, non seulement dans le cycle paulinien mais aussi dans le livre des Actes, de telle sorte qu’ils en sont la véritable conclusion. 2. Finale de l’œuvre lucanienne La finale des Actes fait écho aux thèmes et aux grands moments de l’Évangile de Luc dans une synthèse originale autant que surprenante9. Il convient d’en relever les plus significatifs. La finale des Actes fait clairement écho au commencement du troisième évangile (salut et drame du refus d’Israël annoncé par Syméon (Lc 2,31-34), et attesté par Paul. La fin du ministère de Paul est comparable au début du ministère de Jésus. Au terme du troisième évangile, Jésus « interprète », pour les disciples d’Emmaüs, « dans toutes les Écritures ce qui le concernait » (Lc 24,27). À la fin des Actes, Paul revêt le rôle de l’herméneute et invite les Juifs à reconnaître dans les Écritures la cohérence du dessein de Dieu tant à l’égard de Jésus qu’à l’égard de la vocation d’Israël dans l’histoire (Ac 28,23). Au terme de son ministère, Paul, en citant les paroles d’Isaïe (Is 6,9-10), confirme que Jésus et ses disciples sont immanquablement confrontés à la contradiction comme Jésus l’a été à la synagogue de Nazareth (Lc 4,1630), lorsque, après avoir donné lecture du prophète Isaïe (Is 61,1-2), il déclare que ces paroles « s’accomplissent » « aujourd’hui ». Paul quant à lui, révèle, avec les mots du prophète10, la situation d’enfermement où se mettent ceux qui refusent d’écouter, de voir, de comprendre, de se convertir et d’être guéris. Le prophète, l’Esprit – l’oracle d’Isaïe (LXX) y est référé – et Paul attestent une seule et unique vérité (Ac 28,25). L’Apôtre interprète le refus de certains Juifs d’entendre la parole comme le signe qu’il est envoyé aux païens qui ne l’attendaient pas (28,25 parallèle à 28, 28)11. Ainsi, le discours programme (Act 28,30-31) im Licht antiker Literaturtheorie und historiographischer Praxis », ETL 88 (2012) 95-128. 9. Voir J. DUPONT, Nouvelles études (n. 4) ; plus récemment J.-N. ALETTI, Quand Luc raconte (Lire la Bible, 115), Paris, Cerf, 1998, p. 69-112 et surtout S.D. BUTTICAZ, Identité de l’Église (n. 4), p. 399- 413. 10. Référence reprise par les premiers chrétiens (Mc 4,12 ; Mt 13,14-15 ; Lc 8,10 ; Jn 12,40 et Rm 11,8) pour signifier le refus d’Israël qui s’inscrit dans la trajectoire des endurcissements du peuple comme le note D. MARGUERAT, Les Actes des Apôtres (13–28) (n. 1), p. 385. 11. L’endurcissement est un acte posé librement ; il n’est pas imputable à Dieu qui, pour faire entrer les païens dans le salut, aurait aveuglé Israël (voir aussi Rm 9–11).

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de Jésus s’accomplit dans la mission de Paul, « l’apôtre des nations » qui proclame le Christ, « lumière des nations ». Comme l’a montré Aletti, […] la synkrisis lucanienne invite le lecteur à lire le récit de Lc et Ac comme l’exposition concrète du plan de salut divin en sa cohérence, sa logique. Les ressemblances entre acteurs […] répondent à une question essentielle, celle d’une Église qui n’a plus la présence visible du Jésus prépascal : oui, le Ressuscité reste présent à son Église, par son Esprit, qui fait foisonner les modèles christiques12.

Ajoutons que la double œuvre lucanienne a pour finalité de fortifier la foi de Théophile, et donc du lecteur qui a découvert au fil des textes la réponse à ses questions pour devenir disciple de Jésus ; au terme, transformé spirituellement, il est préparé à affronter existentiellement la contradiction qu’il rencontrera comme Paul lui-même l’a rencontré dans sa vocation de témoin privilégié13. II. LA FIN : LE

POINT DE VUE DE L’HISTOIRE ?

Si du point de vue littéraire, ces versets sont indubitablement une clôture de l’œuvre lucanienne, il reste que du point de vue de Paul et de son ministère, il est difficile de parler d’un terme alors que le récit s’arrête sur un moment particulier de sa vie. Paul est sous le régime de la « résidence surveillée », la custodia militaris14 (Ac 28,16), c’est-à-dire il est à disposition du tribunal et attend son procès. Un ou deux soldats – en général deux – sont chargés de garantir que le prisonnier comparaîtra devant le tribunal au moment voulu et ils seront punis de la peine capitale s’ils le laissent échapper. Sous ce régime, Paul peut exercer une activité mais ne doit pas quitter la ville. D’après ce statut particulier, il est autorisé à loger « en son particulier » (καθ’ ἑαυτον) avec le soldat qui le garde (28,16), et sans doute même à louer un appartement (28,30 μίσθωμα15, 12. J.-N. ALETTI, Quand Luc raconte (n. 9), p. 112. 13. J.M. MORGAN, Encountering Images of Spiritual Transformation: The Thoroughfare Motif within the Plot of Luke–Acts, Eugene OR, Wipf and Stock, 2013, p. 36-57 et aussi ID., « Luc–Actes : un tour de force théologique et littéraire », Hokhma 103 (2013) 9-29. 14. La custodia militaris, formule augustéenne, que Paul évoque lorsqu’il dit qu’il est « dans les chaînes » (Ep 6,20). Voir B. RAPSKE, The Book of Acts in Its First Century Setting. Vol. 3: The Book of Acts and Paul in Roman Custody, Grand Rapids MI – Carlisle, Eerdmans – Paternoster, 1994, p. 28-32, 167-171. 15. Terme civil pouvant concerner un prisonnier sur lequel pèse une charge criminelle d’après D.L. MEALAND, « The Close of Acts and its Hellenistic Greek Vocabulary », NTS 36 (1990) 583-597, p. 586.

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paiement d’une location). Son logement est aussi qualifié de « chambre d’hôte [ξενία] » (28,23). Le choix de ces différents termes signifie-t-il que Paul a plusieurs logements ou s’agit-il d’un seul et même logement présenté selon des points de vue différents16 ? Les historiens situent la captivité de Paul entre le printemps 58 et le printemps 5917. Ils relèvent aussi qu’en droit romain, il est d’usage d’accorder un laps de temps aux accusateurs pour présenter leur requête au tribunal18. D’après un édit dont la date est incertaine (Papyrus BGU 2, 628), le délai maximum accordé aux accusateurs qui portent le cas devant les tribunaux impériaux est d’un an et demi s’ils vivent hors d’Italie. Au cours de cette période de « deux années entières », aucune plainte contre Paul ne parvient de Jérusalem alors que, compte tenu de la rotation des bateaux et des réseaux juifs présents à Rome, le dossier aurait dû être instruit dans les délais impartis par la loi. Un procès ne peut se dérouler sans accusateur, comme Cicéron en a formulé le principe (Pour Sextus Roscius 20, 55 36), et un accusé ne peut être condamné sans accusation formelle. La mention des deux ans semble suggérer l’absence de procès et, par voie de conséquence la possible libération de Paul. La liberté de Paul apparaît déjà dans sa parole qualifiée d’ακωλυτως (« sans entraves »). Au sens juridique, ce terme signifie « sans interdiction », autrement dit les autorités romaines laissent à Paul sa liberté de parole. C’est une façon de dire que les Romains ne le considèrent pas comme un séditieux ou un semeur de troubles. Pour certains, Luc fait comprendre au lecteur que les autorités de l’Empire ne sont pas des ennemis19. Il y a davantage : la liberté de parole prend la triple forme de l’accueil (ἀποδέχομαι) de tous et principalement des nations, de l’annonce (κηρύσσω) du Royaume et de l’enseignement (διδάσκω) du Seigneur Jésus, manière de synthétiser le ministère paulinien.

16. Il est en revanche improbable que Paul ait séjourné dans le camp prétorien comme le suggère la version occidentale. Voir C. REYNIER, Vie et mort de Paul à Rome, Paris, Cerf, 2016, p. 152. 17. M.-F. BASLEZ, Saint Paul, artisan d’un monde chrétien, Paris, Fayard, 1991, nouvelle édition 2008, p. 274. Cette datation trouve un appui dans la correspondance apocryphe de Paul et de Sénèque (lettres datées par les consuls). 18. A.N. SHERVIN WHITE, Roman Society and Roman Law in the New Testament, Oxford, 1963 ; H.W. TAJRA, The Martyrdom of St Paul. Historical and Judicial Context, Traditions and Legends (WUNT, II/67), Tübingen, Mohr, 1994, p. 46-47. Voir aussi C. REYNIER, Vie et mort de Paul à Rome (n. 16), p. 166-168. 19. Ce qui a été interprété parfois comme une invitation de Luc au lecteur pour qu’il ne voie pas dans les autorités de l’Empire des ennemis. Voir E. HAENCHEN, Die Apostelgeschichte (KEK), Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 61968.

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Le point de vue historique ne permet pas d’affirmer qu’il s’agit d’un terme, d’autant qu’à ce sujet la lettre aux Philippiens ainsi que les lettres pastorales20 apportent des éléments qui ne peuvent être ni négligés, ni ignorés. D’après ces textes, il y aurait deux séjours romains de Paul ; après le premier, Paul, libre, repartirait en Orient, avant une seconde arrestation suivie de sa mort dans cette ville. La question de savoir pourquoi Luc achève ainsi son œuvre est alors relancée. Pourtant, les indices historiques dans cette finale des Actes suggèrent, conjointement et paradoxalement, au lecteur que Paul ne pourra pas être accusé puisque les délais sont dépassés et que, même prisonnier, il est libre de s’exprimer. Ce matériau historique est traité théologiquement par Luc de telle sorte que les questions autour du silence des Actes s’en trouvent relativisées. III. FIN ET

ACCOMPLISSEMENT DU MINISTÈRE DE

PAUL ?

Si l’on regarde de près le récit du parcours de Paul de Jérusalem à Rome, nombre d’exégètes ont constaté qu’il est tramé sur celui de la passion de Jésus21. Arrêté à Jérusalem (Ac 21,27-40), il parvient à s’adresser à la foule des Juifs présents pour leur rappeler sa vocation. Cependant, pour le soustraire à la vindicte de ses compatriotes, les Romains l’enferment dans la forteresse Antonia. Il est conduit, comme Jésus, devant le sanhédrin (Ac 22,30– 23,10). Puis il est transféré à Césarée pour échapper aux Juifs qui ont porté plainte contre lui auprès de Félix le gouverneur devant lequel il comparaît (Ac 24). Les Juifs, comme ils l’ont fait pour obtenir de Pilate la condamnation de Jésus, cherchent à s’allier au pouvoir romain. Non seulement ils s’opposent à sa libération, mais ils tentent de le faire condamner par Festus, le successeur de Félix. Celui-ci convoque Paul. L’Apôtre fait valoir sa citoyenneté 20. Voir la discussion dans C. REYNIER, Vie et mort de Paul à Rome (n. 16), p.158, 166-168, 172-180. Voir aussi C. FOCANT, Les lettres aux Philippiens et à Philémon (CbNT 11), Paris, Cerf, 2015, p. 34-37 ; M. GOURGUES, Les deux lettres à Timothée. La lettre à Tite (CbNT 14), Paris, Cerf, 2009. 21. Voir les indices relevés par M. GOURGUES, « L’Évangile aux païens (Actes des Apôtres 13–28) », CaE 67 (1989) 10-13, ainsi que le tableau de J.-N. ALETTI, Quand Luc raconte (n. 9), p. 84-86. Pour une étude détaillée on se reportera à A.J. MATTILL JR., « The Paul-Jesus Parallels and the Purpose of Luke–Acts, in H.H. Evans Reconsidered », NovT 17 (1975) 15-46 (spécialement 22-46) ; W. RADL, Paulus und Jesus im lukanischen Doppelwerk, Bern-Franckfurt, Lang, 1975, p. 222-251 ; M.D. GOULDER, Type and History in Acts, London, SPCK, 1964, p. 51, 61-63. Voir aussi C.H. TALBERT, Reading Luke–Acts in its Mediterranean Milieu, Leiden – Boston, Brill, 2003, p. 175-195 et P. SEUL, Rettung für Alle. Die Romreise des Paulus nach Apg 27,1–28,16 (BBB, 146), Wien, Philo Berlin, 2003, p. 518524.

LA FINALE DES ACTES (AC 28,17-31)

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romaine et en appelle à César (Ac 25,10-12), à la différence de Jésus qui ne fait appel à aucune autorité – peut-être est-ce une des raisons pour laquelle il déclare devant les Juifs de Rome qu’il a été « contraint » (ἀναγκάζω : « imposer par la force », en Ac 28,19) d’en appeler à César ? Paul a le souci de montrer que, s’il se tourne vers César, il ne lui demande rien qui soit contraire aux Juifs22. Il comparaît devant Agrippa (Ac 25,13–26,32) qui accepte son transfert à Rome. Que ce soit devant les autorités romaines ou juives, Paul, chaque fois, témoigne de sa mission. En mettant dans la bouche de l’Apôtre les mots inspirés de la prophétie d’Agabus (Ac 21,11 : « L’homme auquel appartient cette ceinture, les Juifs le lieront comme ceci à Jérusalem, et ils le livreront aux mains des païens ») : « j’ai été arrêté à Jérusalem et livré aux mains des Romains » (Ac 28,17), Luc reprend les termes de Jésus qui annonce sa passion : « il sera livré aux mains des païens » (Lc 18,32 ; voir Lc 9,44). Paul est conduit comme prisonnier à Rome à travers des péripéties sans nombre (tempête, naufrage, vindicte des barbares, morsure du serpent…)23. La difficulté d’atteindre Rome et l’entrée dans la ville, escorté par les frères sont considérés comme l’équivalent de la montée de Jésus vers Jérusalem. 1. Des silences Au cours de la première entrevue, Paul justifie sa présence à Rome comme s’il devait rendre des comptes aux Juifs, mais ne donne aucun détail sur les circonstances de son arrestation et ne dit rien de ses accusateurs24. Paul ne répond pas à leur demande d’information sur la « secte » qu’il représente. S’ils paraissent moins informés que Félix sur le sujet (Ac 24,22), les termes de leur question montrent qu’ils en ont une certaine connaissance : ils la considèrent au même plan que les autres sectes (pharisiens, sadducéens…), donc incluse dans le judaïsme ; ils savent qu’elle rencontre la contradiction de la part des Juifs. Au cours de la seconde entrevue, Paul parle de « Jésus » (Ac 28,23) comme si les Juifs n’avaient jamais entendu prononcer ce nom. À l’inverse des grands discours de Paul, ses propos ne sont pas rapportés. Paul se calque-t-il sur 22. Paul utilise son statut de prisonnier pour proclamer aux Juifs de Rome que c’est « à cause de l’espérance d’Israël qu’il porte les chaînes ». Il les rejoint au lieu même de leurs attentes et de leur ignorance : Jésus est le Sauveur attendu et ressuscité, l’« espérance d’Israël » (voir Col 1,27). 23. Voir C. REYNIER, Paul de Tarse en Méditerranée (LD, 206), Paris, Cerf, 2006. 24. Paul, dans son apologia, reprend les événements racontés en Ac 21,17–26,32 en les interprétant dans un rapport qui diffère de ce que le lecteur sait.

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l’attitude de Jésus devant Anne (Jn 18,21) ou devant Pilate (Jn 19,9-10) ? Sous-entend-il que désormais, l’heure n’est plus à la répétition du message ? L’expression temporelle « du matin jusqu’au soir » indique une totalité, un accomplissement attesté par les Écritures. Tout est dit pour que les auditeurs soient en mesure d’accueillir la Parole. Le retrait de Paul signe l’accomplissement de son ministère et préfigure sa mort. 2. L’innocence de Paul Non seulement Paul ne comparaît pas devant les autorités impériales mais c’est lui qui, au terme, convoque ses éventuels accusateurs. Il interprète l’attitude des Romains à son égard en des termes proches de ceux de Pilate envers Jésus (Jn 18,38-39) : « parce qu’il n’y avait rien en moi qui méritât la mort » (Ac 28,18). À Jérusalem, Festus était prêt à le relâcher. À Malte, même « les barbares » comprennent qu’ils ont à faire à un innocent lorsque Paul échappe à la morsure du serpent. Les Juifs de Rome semblent aussi pencher de ce côté-là. En ne racontant pas la comparution devant César accordée par Festus à la demande de Paul (Ac 25,12), et annoncée par l’ange comme relevant du dessein de Dieu (Ac 27,24), Luc suggère qu’elle est inutile puisque les Romains sont convaincus de l’innocence de Paul, laissant supposer que les derniers accusateurs potentiels de Paul sont les Juifs de Rome qu’il ne décrit pas comme foncièrement hostiles. Ainsi, au terme du récit, tous les acteurs (Romains, barbares et pour finir les Juifs), chacun atteste, à sa manière, l’innocence de Paul. Paradoxalement, Paul, dont la fin paraît proche du fait même de l’ombre de ce procès qui plane sur lui, est totalement libre. Non seulement il ne tombe pas sous les coups de la loi, mais il est lavé de tout soupçon, y compris de celui d’agir contre son peuple. La liberté de Paul s’exprime dans sa liberté de parole qui est à la fois caractérisée par l’audace de parler et la nécessité de se taire. C’est l’attitude même de Jésus dans sa Passion : serait-ce le signe que son ministère est achevé ? Quant à sa fin qui n’est pas racontée, Luc en a assez dit avec les paroles de l’ange : « il faut que tu comparaisses devant César » (Ac 27,24) ? C’est à Rome que Paul devra rendre témoignage, et pas seulement devant les Juifs – ce qu’il avait pressenti (Ac 19,21). IV. LA FINALE : UN

COMMENCEMENT PARADOXAL ?

Le suspense qui caractérise cette finale incontestable des Actes et de l’œuvre lucanienne met en lumière un certain nombre de paradoxes.

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1. Contrainte et liberté Alors que Paul assume son statut de prisonnier qu’il présente, dans ses lettres, comme le symbole de son attachement au Christ (voir Ac 28,20), il le fait voler en éclats. Objet enchaîné pour les Romains, Paul est sujet de la parole et des actes qu’il pose : le texte passe du passif (ἐπετράπη : « on permit de rester », Ac 28,16) à l’actif (ἐνέμεινεν : « il demeura », Ac 28,30). L’Apôtre bénéficie, malgré son statut, d’une étonnante liberté de parole (παρρησία ἀκωλύτως), privilège de la démocratie selon Platon, Euripide et encore Philon, sens que le mot a encore au temps de Paul. Cette liberté de parler prend les formes de la rencontre, du dialogue, de l’échange et de la défense ; elle implique des silences qui ouvrent plus qu’ils ne ferment le récit. Le statut de sujet-prisonnier invite le lecteur à n’avoir aucune crainte pour l’avenir. La finale insiste plus sur cette liberté que rien ne vient entraver que sur les « deux années » qui suggèreraient qu’une fois écoulées, Paul serait libéré et pourrait quitter la Ville. La situation la plus contraignante, celle de la résidence surveillée, s’avère paradoxalement celle qui favorise le plus l’essor de la parole. À ce moment, le récit atteint un sommet : Paul a accompli son ministère, la parole se fraye et continuera à se frayer un chemin dans les plis et replis de l’histoire et rien ne l’arrêtera. La notion de trajectoire sur laquelle sont construits les récits et les discours des Apôtres, depuis Jérusalem jusqu’à Rome, déploie la « symbolique missionnaire25 » caractéristique de l’œuvre de Luc. Elle est appelée à se poursuivre au-delà de son œuvre écrite. 2. Espace public et espace domestique Le fait que l’Apôtre soit parvenu dans la Ville est le point d’aboutissement de la section Ac 27,1–28,16, de sorte que ce fait paraît plus important que le procès lui-même. Dans ces derniers versets, la Ville, ardemment désirée par Paul (Ac 19,21 ; 23,11 ; 28,14.16), disparaît. Les dernières lignes des Actes se focalisent sur un point de l’espace, le lieu où se trouve Paul et d’où il parle : un espace gardé, nécessairement réduit quand on connaît le type d’habitat romain26, un point minime dans une ville d’un million d’habitants à l’imposante densité27. 25. M.-F. BASLEZ, « Écrire l’histoire à l’époque du Nouveau Testament », CaE Suppléments 142 (2007) 45. 26. C. REYNIER, Vie et mort de Paul à Rome (n. 16), p. 125-146. 27. Le texte ne précise pas dans quel quartier il se trouve, mais les données de l’historiographie permettent de déduire que c’est sans doute dans les insulae du bord du Tibre ou dans des horrea ou à proximité de quartiers juifs. À noter qu’il n’est pas facile de trouver quelqu’un dans la ville (voir 2 Tm 1, 17). Sur ce sujet voir C. REYNIER, Vie et mort de Paul à Rome (n. 16) p. 154-156.

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Rien à voir avec l’espace public de la synagogue, de l’agora athénienne (Ac 17,17), du forum romain28. Rien à voir avec les portes de la cité (Ac 14,1318) ou les bords d’une rivière (Ac 16,13) ou encore avec l’école de Tyrannos (Ac 19,9). Paul, s’il est dans une Ville au rayonnement incontestable, enseigne dans un lieu modeste, discret et surveillé. Ses entretiens se déroulent dans un cadre domestique auquel les Actes nous ont familiarisés (Ac 18,2-3.7 ; 21,16), sans que l’on puisse en déduire que les rassemblements chrétiens se font désormais, exclusivement dans des maisons29. 3. Solitude et communauté Selon la coutume à Rome, on interrogeait volontiers les nouveaux arrivants. Une grande foule se précipitait pour les entourer et s’enquérir de nouvelles30. Paradoxalement, c’est Paul qui convoque cette « foule » qui, s’empresse, selon la coutume de l’entendre sur ce qui s’est passé à Jérusalem et qui cherche des informations sur la « secte ». Autre paradoxe : au lieu de se rendre dans la communauté chrétienne qu’il a pourtant ardemment désiré visiter (Rm 1,10-13 ; 15,23.32)31, Paul convoque les notables juifs. Étrangement, dans cette dernière section, il n’est pas question de la communauté chrétienne – un silence de plus. L’absence autour de lui de collaborateurs ou de membres de la communauté est étonnante, quand on sait leur importance dans les Actes ou les lettres de Paul, ainsi que le nombre de personnes qu’il connaît dans cette ville et dont certains sont des compagnons fidèles (Rm 16), preuve en est ceux qui sont venus à sa rencontre au forum d’Appius (Ac 28,15)32.

28. Son statut de prisonnier l’empêche d’accéder au forum alors que comme citoyen romain il a le droit d’y parler. 29. E. ADAMS, The Earliest Christian Meeting Places: Almost Exclusively Houses? (Library of New Testament Studies, 450), London – New York, Bloomsbury, 2013, p. 51-67. 30. G. ACHARD, La communication à Rome (Realia), Paris, Belles Lettres, 2006, p. 113114. 31. Paul fait à Rome en creux ce qu’il a fait à Jérusalem où, à peine arrivé, il a été reçu par les frères, puis il se rend chez Jacques où se réunissent les anciens (Ac 21,17-18). Après son exposé sur ce qu’il a fait auprès des nations, ses interlocuteurs lui opposent que les chrétiens d’origine juive sont contraints par lui à quitter la Loi de Moïse. Arrêté, il réussit à s’adresser aux Juifs de Jérusalem pour leur présenter sa défense (Ac 22,1). À Rome, c’est lui qui convoque les Juifs sans que soit rapporté ce qu’il a dit aux frères venus l’accueillir aux portes de la Ville. 32. Ce qui est d’autant plus étrange que la communauté de Rome est une des premières communautés chrétiennes après celle de Jérusalem, et précède même les communautés pauliniennes. De plus, elle est destinataire d’une lettre de Paul, la lettre aux Romains, dont on trouve des échos dans cette finale sur le rapport Juifs/Nations. C. REYNIER, Vie et mort de Paul à Rome (n. 16), p. 82-92.

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Sur ce point, la finale contraste avec le début des Actes où la communauté, représentée par les Douze et Marie, est réunie, à Jérusalem, dans un espace intérieur, la chambre haute, terrasse sur laquelle on se réunissait pour l’étude ou la prière (voir Ac 1,13 ; 9,37.39 ; 20,8). Au terme, Paul se trouve seul – tout au plus avec le(s) soldat(s) païen(s) – dans un logement qui non seulement se confond avec l’habitat commun mais qui est comme enfoui si l’on se réfère à l’altitude des deux villes (13 m à Rome dans le quartier du Panthéon ; autour de 600 m à Jérusalem). La communauté, bien présente pour le lecteur, est en retrait, comme pour mieux laisser retentir la parole. 4. Du logement romain de Paul aux « extrémités de la terre » ? Alors que depuis Ac 13 Luc a choisi de décrire soigneusement les déplacements de Paul, celui-ci ne se déplace plus. Désormais, ce sont les autres qui viennent à lui (Ac 28,17 ; 28,23). Dans l’écriture historiographique, le narrateur et les destinataires de l’œuvre se situent au centre33. Dans cette finale émerge un nouveau centre qui pose question : le lieu de Rome où se trouve Paul. La situation de Paul serait-elle en contradiction avec l’envoi en mission de Jésus par lequel s’ouvre le livre des Actes : « Vous serez mes témoins à Jérusalem, dans toute la Judée et jusqu’aux extrémités de la terre » (Ac 1,8) ? Cette question en entraîne une autre, celle de la représentation que l’on se fait de Rome et de son rapport aux confins. Si l’Illyrie, Lystres et Malte peuvent représenter les confins de l’Empire34, il est impossible d’en qualifier Rome qui, dans les Actes, apparaît comme « un terme » parce qu’elle est « au terme du récit35 ». Alors pourquoi terminer sur Rome quand la mission confiée par le Christ vise les « confins de la terre » ? Au sens strict du terme, έσχατος signifie « une extrémité relative par rapport à un point central où se situe le locuteur36 ». Rome peut être considérée comme έσχατος mais à condition de la penser depuis Jérusalem – ce qui est le cas pour le début des Actes. En fait, pour les chrétiens, Rome ne peut se 33. M.-F. BASLEZ, « Écrire l’histoire à l’époque du Nouveau Testament » (n. 25), p. 37. 34. En Illyrie, on parle illyrien (Rm 15,19) ; Lystres est qualifiée de terre barbare, car on n’y parle pas grec (Ac 14,11) et Malte parce que c’est une île dont les habitants sont appelés « barbares » par l’auteur (Ac 28,2). Le projet espagnol (Rm 15,24.28) vise, sans doute, un des confins. 35. D. MARGUERAT [Les Actes des Apôtres (1–12) (CNT, Va), Genève, Labor et Fides, 2007, p. 41] fait remarquer que « seule une vision polémique peut traiter la capitale de l’empire de confins de la terre (Ps Sal 8,5) ». 36. G. ANDRIANNE, « Vocabulaire de la frontière dans l’Iliade et l’Odyssée d’Homère – Eléments lexicaux », in H. BERTHELOT et al. (ed.), Vivre et penser les frontières dans le monde méditerranéen antique (Scripta Antica, 89), Bordeaux, Ausonius, 2016, p. 22.

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penser sans Jérusalem (Ac 28,17). La différence de situation entre Paul à la fin des Actes et les apôtres au début met les deux villes en rapport dialectique : Rome – là où Paul est parvenu – et Jérusalem – là où Jésus est mort et ressuscité à Jérusalem, où il est apparu aux disciples et où ces derniers font la première annonce. Les deux villes ne peuvent s’exclure, même si les croyants ont été contraints à l’exil après la mort d’Etienne, exil fécond puisqu’il est la condition même de l’expansion de la Bonne Nouvelle. L’une ouvre le livre, l’autre le ferme. Les deux villes doivent se penser ensemble. L’autre dialectique est celle d’une Rome au cœur d’un mouvement centrifuge et centripète (politique, économique, culturel) par rapport aux autres zones de l’Empire37 et qui fait qu’on ne peut penser la « tête du monde », « la Ville-monde38 » sans penser l’Empire qui lui est soumis, et réciproquement. Rome n’est pas qu’un point d’aboutissement, elle est aussi un point de départ. La finale de Luc suggère ainsi que la Bonne Nouvelle se répandra par un mouvement de systole et d’extrasystole : elle sera portée sur un vecteur qui, de Rome, part vers les provinces et y revient sans cesse. La circularité est l’essence même de l’Antiquité39 : c’est une circularité irradiante qui, touchant les frontières, revient au centre. Comme l’a montré P. Trousset, s’il existe des frontières définies à l’intérieur de l’Empire – des bornes limitent les provinces et les cités notamment – à l’extérieur, il n’y a pas de frontière officielle de l’Empire, celui-ci englobant les peuples de sa périphérie. Une telle représentation du monde n’invite pas à traverser la frontière, dont la notion même est insaisissable mais à rayonner à partir d’un centre40. À la différence de l’Enéide, le terme de la trajectoire dont l’importance a été soulignée par les itinéraires – et quand bien même Paul serait représenté sur le modèle de l’oeciste41 – n’a pas pour fonction de sacraliser la ville. Dans 37. A. COLLAR, Religious Networks in the Roman Empire. The Spread of New Ideas, Cambridge, Cambridge University Press, 2013, p. 42-43 ; 50. A. BENDLIN, « Peripheral Centres–Central Peripheries: Religious Communication in the Roman Empire », in H. CANCIK – J. RÜPKE (ed.), Römische Reichsreligion und Provinzialreligion, Tübingen, Mohr Siebeck, 1997, p. 35-68. 38. Rome est considérée par les Anciens comme la Ville-monde, selon l’expression d’OVIDE (Fastes II, 688) : « Aux autres peuples a été donné un territoire limité, la ville de Rome et le monde ont la même étendue ». 39. Voir les différentes missions de Paul représentées en cercles concentriques dans les Actes. 40. P. TROUSSET, « La frontière romaine : concepts et représentations », in P. BRUN – S. VAN DER LEEUW – C.R. WHITTACKER (ed.), Frontières d’empire. Nature et signification des frontières romaines, Actes de la Table ronde internationale de Nemours 1992, Nemours, APRAIF, 1993, p. 115-120. ; C.R. WHITTACKER, Rome and its Frontiers: The Dynamics of Empire, Londres – NY, Routledge, 2004, p. 63-87. 41. D’après S.D. BUTTICAZ, Identité de l’Église dans les Actes des Apôtres (n. 4), p. 439-454, Paul est un fondateur de colonie. La finale a des points littéraires communs avec le déploiement et la finale de l’Énéide.

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l’Antiquité, penser la frontière, c’est nécessairement aborder la question des frontières religieuses, autrement dit le partage du monde entre les dieux et les hommes42. Le fait que l’Apôtre vive dans un appartement montre que l’annonce de l’Évangile n’est pas liée à un espace sacré. Cela était préfiguré dans la rupture avec le Temple lors de l’arrestation d’Etienne (Ac 6). Même si Paul réside dans cette enceinte sacrée de Rome, fondamentale pour la structuration de la société romaine, il annonce un message libre de toute attache à un lieu saint, et notamment au Temple. La délimitation sacré/profane est supprimée, sans pour autant que le christianisme se limite au cadre domestique43. Or, en plaçant Paul, serviteur de la Parole, au centre dans ces derniers versets, un centre surreprésenté puisqu’il s’agit de Rome, la capitale, dans laquelle se trouve le « héros », le narrateur signifie que la Bonne Nouvelle est en mesure de toucher la totalité de l’humanité, symbolisée par ceux qui accueillent le Messie, qu’ils soient juifs ou originaires des nations (Ac 28,28 ; « tous » 28,30). 5. Israël et les Nations, Israël et l’Église Les notables juifs que Paul convoque sont soucieux d’avoir des informations sur le courant que celui-ci représente (Ac 28,22). Paul répond par le nom de Jésus qu’aucun parmi ses auditeurs juifs n’a prononcé – encore un silence. Il s’en tient au minimum d’information. Il ne dit pas que ce sont les Juifs eux-mêmes qui sont les adversaires les plus virulents de cette « secte ». Il ne rejette pas ses frères juifs comme Dieu ne rejette pas son peuple. L’auteur ne fait pas valoir le point de vue des Juifs, si ce n’est au niveau d’une curiosité qui confine peut-être à l’ironie. En définitive, quelle que soit l’attitude des Juifs, le message rencontre et rencontrera toujours la contradiction ; il sera confronté aux oppositions et aux jugements, pas seulement de la part d’Israël. Au cours de la seconde entrevue de Paul, le cercle des auditeurs s’élargit. La prophétie d’Isaïe et l’Esprit Saint donnent sens à l’endurcissement d’Israël et privilégient l’accueil des non Juifs qui prend valeur définitive. Les Actes ayant pour but de construire l’identité chrétienne, le contexte culturel, la croissance en nombre des chrétiens, la rupture avec la synagogue, exigent un discours sans ambiguïté. Comme l’a montré Butticaz, la problématique n’est pas le 42. J. SCHEID, « Religion et espace dans l’Antiquité : réalité et représentation », in A. BERTHOZ – R. RECHT (ed.), Les Espaces de l’homme, Paris, Odile Jacob, 2005, p. 265-276. 43. Voir n. 29.

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rapport à Israël mais l’expansion de la parole de Dieu aux Juifs comme aux nations44. Les croyants issus des païens sont libres de toute subordination au judaïsme, sans pour autant ignorer l’histoire du Peuple, car ce serait faire fi du dessein de Dieu. Alors que, dans les Actes, les apôtres et Paul se sont toujours adressés en premier à Israël et se sont tournés seulement après vers les nations45, les tout derniers versets indiquent qu’Israël n’a désormais plus la priorité de l’annonce et que c’est aux nations qu’ira la Parole. En effet, les Juifs qui sont préparés pour l’accueillir ne l’entendent pas – pourtant nouveau paradoxe, certains parmi eux la reçoivent (Ac 28,24) ; les païens qui n’ont aucune préparation la recevront – mais pas tous. La nuance d’Ac 28,30 est importante : Paul « recevait tous ceux qui viennent à lui ». Le texte occidental, en glosant « Juifs et Grecs », met en lumière que, si les Nations sont aptes à recevoir le salut, les Juifs ne sont nullement exclus de l’annonce du Royaume et du Seigneur Jésus Christ. 6. Temps de Paul et histoire du salut Paradoxalement les quatre mois de voyage passés par Paul de Césarée à Rome ont été relatés avec force détails techniques en soixante versets. Le récit commence lentement et ne s’accélère qu’au moment où Paul est sur le point d’atteindre la capitale (six versets, Ac 28,11-16)46. À partir de 28,17, le « temps raconté » mentionne des durées brèves : « trois jours après » (28,17) ; le choix d’un jour pour la deuxième rencontre (28,23) qui dure « du matin au soir » ; les « deux années entières » du séjour à Rome (28,30). Le « temps racontant » confère à la finale un caractère abrupt. Le sommaire qui résume les faits depuis l’arrestation de Paul à Jérusalem jusqu’à l’entrevue avec les Juifs est aussi donné dans un raccourci saisissant. Une journée est racontée en quatre versets, une autre en huit ; quant aux « deux années entières » (28,30), elles font l’objet d’un seul verset. Il en va de même pour l’histoire du salut, présentée en un verset (28,23). Ces mentions temporelles donnent non seulement la mesure de l’intensité de l’activité de Paul, mais aussi inscrivent cette activité dans le dessein de Dieu. 44. Ce chapitre est au cœur du débat christianisme/judaïsme depuis les années 70-80 jusqu’à aujourd’hui. Voir l’état de la question chez S.D. BUTTICAZ, Identité de l’Église dans les Actes des Apôtres (n. 4), p. 47-52, 457-467. 45. C.H. TALBERT, Reading Luke–Acts in its Mediterranean Milieu, Leiden – Boston, Brill, 2003, p. 161-173. 46. C. REYNIER, « Le temps dans un récit maritime (Ac 27–28,16 : multiplicité des approches et des fonctions », RB, à paraître.

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CONCLUSION Ac 28,17-31 est une vraie fin : fin littéraire, fin du ministère de Paul et du temps apostolique. Pourtant, le séjour de Paul à Rome n’est pas un terme mais un commencement, un point de départ pour la Parole. Au-delà du refus d’Israël et de ses relations avec le christianisme, la finale met l’accent sur le commencement de l’expansion universelle de la Bonne Nouvelle dans un monde où le christianisme se lie à la culture grecque et à l’univers politique romain. Maintenant que Paul a atteint Rome, de ce point particulier, le message peut parcourir le monde. Paul ne se déplace plus mais la parole se diffuse. En présentant Paul prisonnier, la finale ouvre paradoxalement sur la diffusion irrépressible de la Parole parce que, par Paul, elle a retenti dans la Ville. Autrement dit, on pourra supprimer le témoin, on ne pourra pas empêcher la diffusion de la Parole. La voix de l’Apôtre des Nations parviendra à travers le temps à toutes les générations et à tous les confins grâce à la communauté chrétienne qui la portera. Cette finale met en relief les paradoxes du christianisme en faisant apparaître les relations dialectiques qui lui sont constitutives : contrainte et liberté ; liberté et contradiction ; Juifs et Nations ; accueil et non accueil de la Parole, de l’intime aux périphéries ; Jérusalem et Rome dont la fonction, vitale pour l’essor de la Bonne Nouvelle, consiste à la faire sortir définitivement de tout espace religieux réservé. Chantal REYNIER Université de Fribourg CH [email protected]

VARIATIONS JOHANNIQUES SUR LE « COMMENCEMENT »

Les premiers mots du quatrième évangile « Au commencement était le Logos et le Logos était auprès de Dieu, et le Logos était Dieu » ont traversé l’histoire de la théologie et des idées en Occident. Aujourd’hui encore, la recherche sur le « commencement » continue à intriguer les esprits. Il suffit de penser à la question du « big bang » dans le débat cosmologique actuel. Dans l’Antiquité – puisque c’est à ce monde qu’appartient le quatrième évangile – la question du « commencement » était âprement débattue. Ses tenants et aboutissants étaient multiples et complexes. Quelle est l’origine du monde ? Quelle est sa fin ? Quel est le fondement de la réalité ? Quelle est la place de l’être humain dans le cosmos ? Aussi faut-il, avant même d’aborder la lecture de l’évangile selon Jean redéployer la problématique qui était associée à ce motif. La notion de « commencement » (ἀρχή) dans l’Antiquité est toujours liée à une idée de primauté (principium). Primauté dans l’ordre du temps : il y va alors de l’instant qui marque le déclenchement d’une séquence temporelle. Primauté dans l’ordre spatial : il s’agit alors du point de départ d’un déplacement ou de l’extrémité d’une surface. Primauté, enfin, dans la problématique du rang : le terme de « commencement » (ἀρχή) connote alors la puissance, l’autorité, le règne, la fonction supérieure1. La problématique temporelle du « commencement » est particulièrement importante pour la littérature johannique. Dans ce registre, le « commencement » peut en effet être envisagé de deux façons. Soit le « commencement » est compris comme faisant partie intégrante de la séquence temporelle à laquelle il appartient. Il est alors le point de départ * Cette petite recherche est dédiée à Michel Gourgues qui a donné de multiples impulsions à la recherche johannique. 1. Voir G. DELLING, art. « ἀρχή », in G. KITTEL (ed.), Theologisches Wörterbuch zum Neuen Testament, Stuttgart, Kohlhammer, 1933 (réimpression 1957), Vol. I, p. 477-483, ici p. 477 ; K. WEISS, art. « ἀρχή », in H. BALZ – G. SCHNEIDER (ed.), Exegetisches Wörterbuch zum Neuen Testament, Stuttgart, Kohlhammer, 1980, Vol. I, col. 388-392, ici col. 388.

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d’une trame chronologique. Dans le Proche-Orient ancien2 et, en particulier, dans la tradition biblique3, la « création » est ainsi fréquemment présentée comme le point de départ de l’histoire du monde. Dans ce cas, la problématique du « commencement » est liée à celle de la cosmologie. Mais il peut également s’agir, dans le même ordre d’idée, du commencement d’une séquence historique définie, par exemple le ministère de Jésus4. Soit, le « commencement » n’est pas inclus dans une séquence temporelle, il en est l’origine (principium), mais en dehors d’elle. Il est le commencement avant le commencement. Il est dans un rapport d’antériorité absolue par rapport à l’histoire. En ce sens, il relève de l’éternité, du divin. Il a valeur de fondement. Cette notion de commencement au sens absolu est connue aussi bien de la philosophie grecque (par exemple, Platon5) que de la tradition vétérotestamentaire-juive, notamment de la Sagesse6. A titre d’hypothèse travail, nous nous proposons de montrer que la littérature johannique s’appuie sur cette double compréhension temporelle du « commencement », mais qu’elle procède à sa radicale christologisation. I. LE

COMMENCEMENT DANS LE QUATRIÈME ÉVANGILE

1. Le commencement avant le commencement (1,1) La célèbre formulation « au commencement [ἐν ἀρχῇ] était le Logos » qui ouvre l’hymne préfaçant le quatrième évangile, est, pour tout lecteur familier 2. Cf., par exemple, l’épopée de Gilagamesh pour la Mésopotamie ou le l’hymne à Ptah pour l’Égypte. 3. Voir Gn 1,1 LXX : « Au commencement [ἐν ἀρχῇ], Dieu créa les cieux et la terre » ; Ps 101, 26 (LXX) : « Autrefois [κατ᾽ἀρχάς] tu as fondé la terre, et les cieux sont l’œuvre de tes mains » ; Mt 19,4 : « N’avez-vous pas lu que le créateur, dès le commencement [ἀπ᾽ἀρχῆς], fit l’homme et la femme. » 4. Voir Lc 1,1-2 : « 1Plusieurs ayant entrepris de composer un récit des événements qui se sont accomplis parmi nous, 2suivant ce que nous ont transmis ceux qui ont été des témoins oculaires dès le commencement [ἀπ᾽ἀρχῆς] et sont devenus des ministres de la parole. » 5. Voir PLATON, Phèdre 245d : « Or un principe [ἀρχή] ne peut prendre naissance, car il faut admettre nécessairement que tout ce qui naît, naît d’un principe, mais que le principe ne peut naître absolument de rien ; car si le principe naissait de quelque chose, il ne serait plus un principe (124) ». Ainsi aussi ARISTOTE, Physique III, 4, 203b. 6. Voir Pr 8,22 où il est question de la Sagesse et de son antériorité à la création : « Le Seigneur m’a créée [ἔκτισέν], principe [ἀρχήν] de sa voie, antérieurement à ses œuvres, dès l’éternité [πρὸ τοῦ αἰῶνος], j’ai été formée, dès le début [ἐν ἀρχῇ], antérieurement à la terre, quand il n’y avait pas d’abîmes, j’ai été enfantée, quand il n’y avait pas de sources chargées d’eau » ; dans le même sens, Si 24,9 : « Avant le temps du monde, dès le commencement, il m’a créée, et pour l’éternité, je ne cesserai d’exister [πρὸ τοῦ αἰῶνος ἀπ᾽ἀρχῆς ἔκτισέν με καὶ ἕως αἰῶνος οὐ μὴ ἐκλίπω] ».

VARIATIONS JOHANNIQUES SUR LE « COMMENCEMENT »

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de la tradition vétérotestamentaire-juive, un signal intertextuel renvoyant au non moins célèbre « commencement » de Gn 1,1 : « Au commencement [ἐν ἀρχῇ], Dieu fit le ciel et la terre. » Cette référence n’est pas sans importance, car elle signale d’emblée que le commencement dont il est question ici – et, en particulier, associé avec lui, la figure du Logos – doit être mis en relation avec le Dieu de la foi juive. C’est donc en initiant un mouvement vers le « commencement » qu’est fixée l’identité du Logos, en d’autres termes celle de Jésus Christ (v. 17). Le lecteur est averti : le motif du commencement est mis au service de la christologie. Mais de quel commencement s’agit-il ? S’agit-il du « commencement » marquant la création du monde comme en Gn 1,1 ? Sommes-nous dans le registre des mythes de l’origine du cosmos ? À cette question, il faut répondre par la négative car l’évocation de la création du monde, thème familier à la Bible juive, n’intervient qu’au v. 3 (« Toutes choses sont advenues par lui [= le Logos] et rien de ce qui fut ne fut sans lui »). En fait, les deux premiers v. de l’hymne (« 1Au commencement [ἐν ἀρχῇ] était le Logos et le Logos était auprès de Dieu, et le Logos était Dieu. 2 Celui-ci était au commencement [ἐν ἀρχῇ] auprès de Dieu ») ne parlent pas de la relation de Dieu avec le monde, mais de sa relation avec le Logos dans un « commencement » précédant la création du monde. Nous retrouvons ici « le commencement avant le commencement », connu de la tradition aussi bien grecque que vétérotestamentaire-juive. Il s’agit d’un commencement qui est extérieur à l’histoire, d’un commencement qui n’est pas le point initial d’une séquence chronologique. Il s’agit du commencement absolu, du fondement de la réalité. Ce commencement absolu peut certes être évoqué dans l’ordre du langage, mais il saurait faire l’objet d’une description. Il demeure inaccessible et, en ce sens, il est le chiffre de la transcendance. Quel sens y a-t-il alors à mettre la personne de Jésus en rapport avec ce commencement absolu ? Quel sens y a-t-il à la présenter en affirmant sa « préexistence » ? Le motif du « commencement » vise à établir une relation d’intimité unique du Logos – et donc de Jésus – avec Dieu. Comme le souligne le v. 1, cette relation unique est faite à la fois d’identité et de différence. Le lecteur apprend ainsi que celui dont il va être question dans le récit qui suit l’hymne, est le visage de Dieu pour les êtres humains. Faisons un bref bilan. Dans l’hymne au Logos, le motif du « commencement » est lié à celui de la préexistence de Jésus. Il est certes christologisé, mais le commencement dont il est question n’est pas partie intégrante de l’histoire des êtres humains, il échappe à toute chronologie. Il est le commencement au sens de fondement absolu de la réalité, il est le chiffre du divin.

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2. Le commencement des signes (2,11) Le lecteur découvre une seconde occurrence du terme « commencement » en conclusion du signe de Cana7 (ταύτην ἐποίησεν ἀρχὴν τῶν σημείων ὁ Ἰησοῦς ἐν Κανὰ τῆς Γαλιλαίας καὶ ἐφανέρωσεν τὴν δόξαν αὐτοῦ, καὶ ἐπίστευσαν εἰς αὐτὸν οἱ μαθηταὶ αὐτοῦ). Le contexte est d’importance car les « noces de Cana » constituent l’acte inaugural du ministère du Jésus johannique. À ce titre, ce récit a une portée programmatique. Les métaphores du vin abondant et des noces laissent entendre que le projet porté par le Jésus johannique est une offre de vie caractérisé par la joie et l’abondance. Dans ce récit de miracle, le v. 11 est particulièrement important car il constitue un commentaire métalinguistique dans lequel l’évangéliste formule son interprétation du geste qu’il vient de raconter. Il affirme que le miracle du vin abondant est le « commencement des signes [ἀρχὴν τῶν σημείων] que fit Jésus ». Comment faut-il comprendre cette expression ? Dans le quatrième évangile, le terme « signe » désigne les nombreux miracles accomplis par Jésus dont seul sept sont relatés8. Ce concept a une fonction herméneutique. Il signifie que le miracle raconté ne se suffit pas à lui-même, mais renvoie au-delà de lui-même à la gloire qu’il révèle, c’est-à-dire à la présence de Dieu dans la personne de Jésus. Le miracle a donc une portée révélatrice. Ce qui nous intéresse particulièrement ici, c’est que cet acte de révélation est présenté comme le « commencement [ἀρχή] » des signes accomplis par Jésus. L’utilisation de ce terme appelle trois remarques. Premièrement – et à la différence du prologue – nous ne sommes plus dans le temps immémorial, mais dans le temps historique. Le « commencement » dont il est fait état désigne le début d’une série comme le démontre 4,54 qui évoque un « deuxième signe [δεύτερον σημεῖον] ». Le moment ainsi signalé est le début de l’activité publique de Jésus. Mais cette ligne chronologique ne sera pas poursuivie de façon conséquente par l’évangéliste car, dès après 4,54, nous ne trouvons plus trace d’une numérotation des signes9.

7. Pour une interprétation exhaustive de ce récit de miracle, voir mon commentaire : J. ZUMSTEIN, L’Évangile selon Saint Jean (1–12) (CNT, IVa), Genève, Labor et Fides, 2014, p. 93-100. 8. Les sept miracles racontés dans le quatrième évangile sont les noces de Cana (Jn 2,1-11), la guérison du fils du fonctionnaire royal (4,46-54), la guérison du paralytique à la piscine de Bethesda (5,1-9), le pain abondant (6,1-15), la marche sur la mer (6,16-21) la guérison de l’aveugle de naissance (9,1-7), le retour de Lazare à la vie (11,1-44). 9. Selon R. BULTMANN, Das Evangelium des Johannes (KEK, II), Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 101964, p. 78, la numérotation présente en Jn 2,11 et 4,54 serait un reliquat de la source des signes.

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Deuxièmement, comme nous l’avons mentionné, « les noces de Cana » ont une signification programmatique : elles rapportent le geste inaugural du ministère public de Jésus. En ce sens, le terme « commencement » n’a pas seulement une signification chronologique, mais il comporte aussi la nuance de fondement. Le signe du vin abondant est un commencement fondateur. Le signe posé révèle le projet révélateur du Jésus johannique comme tel. Mais – et c’est le ressort dramatique de ce récit – ce commencement est en attente de son accomplissement. Comme le signale la fameuse déclaration de Jésus au v. 4, « mon heure n’est pas encore venue ». En d’autres termes, le commencement posé est orienté vers l’heure de l’accomplissement – et cette heure, dans le quatrième évangile est l’heure de la croix. En conclusion, en 2,11, nous assistons à une première variation de la notion johannique de commencement. Trois éléments de sens s’entrecroisent. La nuance obvie qui convoque la temporalité – le temps historique – s’enrichit de celle qui associe au commencement l’idée de fondement. Mais ce commencement (ἀρχή) ne saurait faire l’économie de sa fin (τέλος), à savoir la croix. 3. Le commencement de l’activité (6,64) La fin du chap. 6 raconte l’effet produit sur les disciples par le long entretien sur le pain de vie. Foi et incrédulité sont les deux possibilités qui s’offrent à eux. Le v. 64 prend acte de l’incrédulité d’une part d’entre eux. Il le fait en ces termes : « Jésus savait en effet depuis le commencement [ἐξ ἀρχῆς] quels étaient ceux qui ne croyaient pas et qui était celui qui allait le livrer. » Le sens du terme « le commencement » (ἀρχή) est obvie. Il émarge au code temporel et désigne le début de l’activité publique du Jésus johannique et en particulier le moment voué à la constitution du groupe des disciples (1,35-51). Pourtant, la problématique abordée dans ce v. – l’incrédulité de certains disciples – oblige à l’attention. Le commentaire de l’évangéliste souligne en effet qu’en appelant à sa suite certains qui allaient ensuite l’abandonner, voir le trahir (Judas), le Jésus johannique ne s’est pas laissé duper. Il n’a pas été dépassé par des événements dont la maîtrise lui aurait échappé. « Jésus savait en effet depuis le commencement ». En d’autres termes, le commencement n’est pas conçu comme un point de départ qui allait être suivi d’événements totalement imprévisibles. Il est conçu comme l’instant où Jésus est déjà en possession d’un savoir (ᾔδει) plénier. Le début de la révélation n’est donc pas péjoré par un déficit cognitif – d’emblée le Jésus johannique est omniscient.

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Semblablement, le commencement n’est pas conçu comme le début d’un processus qui va progressivement enrichir la révélation et la mener à sa plénitude. Dès son entrée en scène, le Révélateur maîtrise parfaitement les conditions de sa mission. En ce sens le commencement est nanti d’une perfection qualitative. Il est au service de la christologie. 4. Le commencement primordial (8,44) Dans le chap. 8, une autre potentialité de sens du terme « commencement » apparaît. Le v. 44 met en scène la figure du diable en en soulignant le caractère maléfique dans les termes suivants : « Celui-là [=le diable] était homicide dès le commencement [ἀπ᾽ἀρχῆς] et il ne se tenait pas dans la vérité parce que la vérité n’est pas en lui ». Pour le lecteur, rompu à la lecture de la Bible juive, le signal intertextuel est clair. Le commencement dont il est question ici n’est pas identifiable à un événement historique défini. Il s’agit du commencement dont parle le mythe – probablement le mythe du paradis et de la chute dont Genèse 3 se fait l’écho10. « Dans ce mythe des origines, le serpent est l’auteur de la tentation qui provoque la chute de l’être humain et l’entrée de la mort dans le monde. Le judaïsme du premier siècle, dans sa lecture de ce texte, associe explicitement la chute et la perte de l’immortalité à la figure du diable11. » Pour bien saisir la richesse de la réflexion johannique sur le commencement, il est donc important de constater que l’école johannique est rompue à la tradition vétérotestamentaire-juive et qu’elle est au fait des mythes de l’origine qui sont le patrimoine commun du Proche-Orient ancien. Elle sait notamment que les mythes de l’origine élucident la condition humaine dans ses différentes dimensions. On sera donc particulièrement attentif à ne pas identifier le commencement dont parle le prologue avec celui dont il est question dans ce passage polémique. Le « commencement » dont parle le prologue (ἐν ἀρχῇ) est le commencement absolu, précédant la création et le temps tandis que le « commencement » dont parle le mythe prend place dans la création, dans la temporalité – même s’il s’agit d’une temporalité mythique. 10. Cette hypothèse est appuyée par Sg 2,23-24 : « Dieu a créé l’homme pour qu’il soit incorruptible et il l’a fait image de ce qu’il possède en propre. Mais par la jalousie du diable la mort est entrée dans le monde : ils la subissent ceux qui se rangent dans son parti ». Voir aussi la Vie grecque d’Adam et d’Eve (par exemple XV-XXI.XXVIII). Certains pensent plutôt à l’histoire de Caïn, le premier meurtrier (Gn 4,8-16) : R.E. BROWN, The Gospel according to John (I–XII) (AB, 29), New York, Doubleday, 1966, p. 358. 11. J. ZUMSTEIN, L’Évangile selon Saint Jean (1–12) (n. 7), p. 302.

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5. Les temps de la révélation Le motif du « commencement » apparaît également dans le deuxième discours d’adieu (15,1-16,33)12. L’expression « depuis le commencement » (15,27 : ἀπ᾽ἀρχῆς ; 16,4 : ἐξ ἀρχῆς) a, dans ce contexte, un sens clairement temporel13. Elle se réfère au début de l’activité publique de Jésus ou, en d’autres termes, elle a en vue la révélation historique du Jésus johannique dans toute son étendue. Pour bien comprendre ces deux passages, il est essentiel de se souvenir de la problématique centrale des discours d’adieu. Il y va de l’avenir de la révélation christologique : comment celui qui s’en est allé vers le Père, vient-il auprès des siens durant l’époque postpascale ? Comment l’Absent est-il présent parmi les siens ? C’est en ayant une claire conscience de ce questionnement qu’il est possible de comprendre ce dont il est question en 15,27 et 16,4. 15,27 fait partie de la troisième parole sur le Paraclet : « 26Lorsque viendra le Paraclet que je vous enverrai d’auprès du Père, celui-là me rendra témoignage. 27Et vous aussi vous rendrez témoignage parce que vous êtes avec moi depuis le commencement. » La venue du Paraclet marque une nouvelle époque dans l’économie de la révélation : dans le témoignage rendu face au monde, le Paraclet prend le relais de la personne historique de Jésus. Sa mission est de rendre témoignage à celui qui s’en est allé. Mais – et c’est la surprise que réserve cette troisième sentence sur le Paraclet – à côté du Paraclet surgit un second acteur rendant témoignage à la révélation christologique au sein du monde : le groupe des disciples. Si le Paraclet est envoyé par le Christ lui-même désormais auprès du Père, quelle est alors la qualification des disciples pour s’engager dans la même tâche ? La réponse ne manque pas d’étonner : « parce que vous êtes avec moi depuis le commencement ». C’est donc le compagnonnage des disciples avec le Jésus incarné depuis le début de son activité qui les habilite à leur fonction de témoins. Plus exactement, les disciples sont mis en demeure d’accomplir leur tâche d’anamnèse car, malgré le départ de leur maître, la relation qui les lie à lui est toujours vivantes (ἀπ᾽ἀρχῆς μετ᾽ἐμοῦ ἐστε ; remarquer le présent du verbe être). Nous assistons donc à un double phénomène. D’une part, au temps de la révélation historique a succédé un nouveau temps – l’époque du témoignage postpascal. Mais, d’autre part, ce changement d’époques n’altère pas la qualité de la relation entre Jésus et les siens, nouée dès le « commencement ». 12. Sur la conception du temps dans les discours d’adieu, voir J. ZUMSTEIN, La mémoire revisitée. Études johanniques (MoB, 71), Genève, Labor et Fides, 2017, p. 485-498. 13. Sur l’exégèse de Jn 15,27 et 16,4, voir J. ZUMSTEIN, L’Évangile selon Saint Jean [13– 21] (CNT, IVb), Genève, Labor et Fides, 2007, p. 120-122, 128-129.

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16,4, pour sa part, travaille de façon approfondie la problématique de la séparation : « Cela je vous l’ai pas dit dès le commencement [ἐξ ἀρχῆς] parce que j’étais avec vous. Mais maintenant je m’en vais vers celui qui m’a envoyé. » Le texte découpe nettement deux temps. Le premier est le temps de la révélation par le Jésus johannique. Ce temps relève de l’histoire, mais d’une histoire désormais achevée. Dans l’expression « j’étais avec vous », la forme à l’imparfait ἤμην (« j’étais ») désigne une période longue, mais qui a pris fin. Durant cette période, le Jésus n’a pas abordé l’avenir périlleux de ses disciples (cf. le passage sur la haine du monde en 15,18–16,4a), car il était avec eux et veillait sur eux. En revanche l’aller vers le Père crée une nouvelle situation qui appelle un nouvel enseignement (cf. 16,4b-33). Dans ces deux passages des discours d’adieu, nous constatons que le terme « commencement » a été radicalement christologisé. L’expression « dès le commencement » désigne de façon claire le début de l’activité publique et historique du Jésus johannique. Mais dans ces deux textes, ce début est mis en relation avec une fin – le départ de l’Envoyé vers le Père. La question qui se pose et qui est travaillée dans le deuxième discours d’adieu consiste à savoir si ce départ ôte toute pertinence à ce commencement ou, si tout au contraire, l’époque postpascale continue à vivre de ce commencement et, dans cette hypothèse, il convient de montrer comment s’effectue l’anamnèse de ce « commencement fondateur ». II. LE

COMMENCEMENT DANS LA PREMIÈRE ÉPÎTRE DE JEAN

Le motif du « commencement » apparaît également dans la première épître de Jean. Pour saisir correctement le sens de ce terme dans cet écrit, il convient tout d’abord de déterminer le rapport existant entre le quatrième évangile et cette lettre14. La critique, dans sa majorité, suppose que la première épître de Jean a été rédigée après l’évangile, soit au début du deuxième siècle. Elle appartient à la production littéraire de l’école johannique si bien qu’il est fondé de penser que son auteur connaissait le quatrième évangile encore qu’il ne le cite jamais explicitement. Quel est le rapport littéraire entre le quatrième évangile et la première épître de Jean ? Comme nous avons tenté de le montrer, il s’agit d’un rapport 14. J. ZUMSTEIN, « Les Épitres johanniques », in D. MARGUERAT (ed.), Introduction au Nouveau Testament. Son histoire, son écriture, sa théologie (MoB, 41), Genève, Labor et Fides, 42008, p. 399-401. Thèse inverse qui soutient la priorité de 1 Jn par rapport à Jn chez U. SCHNELLE, Einleitung in das Neue Testament (UTB für Wissenschaft, 1380), Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 31999, p. 451-452.

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de relecture15. À la suite de R.E. Brown16, il est légitime d’affirmer que cette lettre est une sorte de guide de lecture de l’évangile. Elle veut préciser dans quel cadre herméneutique l’évangile doit être lu. Ce rapport de relecture devient particulièrement perceptible dès l’instant où l’on constate l’analogie de structure entre l’évangile et l’épître. À l’instar de l’évangile, l’auteur commence sa lettre par un prologue (comparer Jn 1,118 avec 1 Jn 1,1-4) ; semblablement, la conclusion de l’épître rappelle celle de l’évangile (comparer Jn 20,30-31 et 1 Jn 5,13). En procédant de cette façon, l’auteur de la lettre entend indiquer qu’il a adopté l’évangile comme écrit de référence et qu’il s’inscrit dans sa trajectoire. 1. Le « commencement » dans le prologue de la lettre Ce bref rappel nous permet d’aborder le prologue de la lettre qui doit donc être lu en relation avec le prologue de l’évangile. Il s’ouvre de la façon suivante : « Ce qui était dès le commencement [ὅ ἦν ἀπ᾽ἀρχῆς], ce que nous avons entendu, ce que nous avons vu de nos yeux, ce que nous avons contemplé et que nos mains ont touché, concernant la parole de vie [περὶ τοῦ λόγου τῆς ζωῆς] ». Plus précisément quelle est la relation entre le « commencement » dont fait état le prologue de l’évangile et celui qui est évoqué dans le prologue de la lettre ? Le jeu intertextuel avec le prologue de l’évangile est subtil. Certes, c’est bien à nouveau d’un « commencement », du « Logos » et de la « vie » dont il est question, mais un recadrage tout en nuances s’opère. Tout d’abord dans l’expression même : ce n’est plus du « commencement » (ἐν ἀρχῇ) comme tel qu’il s’agit, mais une autre formulation apparaît : « depuis le commencement [ἀπ᾽ἀρχῆς] ». Ce n’est plus le « commencement avant le commencement » qui est au centre du propos – quoique le v. 3 (ἀπαγγέλλομεν ὑμῖν τὴν ζωὴν τὴν αἰώνιον ἥτις ἦν πρὸς τὸν πατέρα) fait discrètement écho à la préexistence – mais un début dans l’ordre du temps et de l’histoire. Le lecteur a quitté la réalité précédant la création, il est désormais inscrit dans le temps de la création. Le temps des verbes utilisés au v. 1 est particulièrement significatif. Le verbe « être » (ἦν : « ce qui était ») désigne un passé qui se signale par sa durée, mais un passé maintenant achevé. Les verbes « entendre » et « voir » sont au parfait : il s’agit donc de gestes qui ont eu lieu dans le passé, mais 15. Sur ce point, voir J. ZUMSTEIN, La mémoire revisitée (n. 12), p. 48-51. 16. R.E. BROWN, The Epistles of John (I–XII) (AB, 30), New York, Doubleday, 1982, p. 8692, en particulier p. 90-92.

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qui déterminent le présent. Les verbes « contempler » et « toucher » sont à l’aoriste – ce qui dénote un événement historique unique survenu dans le passé. Ce même jeu verbal se poursuit au v. 2 : le verbe « manifester » est à l’aoriste, le verbe « voir » au parfait, les verbes « témoigner » et « annoncer » au présent. Philologiquement le constat est clair : le prologue de la lettre évoque un événement historique unique advenu devant des témoins et qui conditionne un message prêché dans l’aujourd’hui des lecteurs. Cet événement – l’utilisation du terme « Logos », puis l’évocation du nom de Jésus Christ (v. 3) ne laissent planer aucun doute – est la révélation divine manifesté dans l’homme Jésus17. Plus précisément, le début de cette révélation (ἀπ᾽ἀρχῆς) fait écho au « début des signes » de Jn 2,11 à Cana. Une autre particularité dans la formulation du v. 1 attire notre attention. En écho au prologue de l’évangile, le lecteur attendrait une formulation au masculin : « celui qui était dès le commencement » ; il renouerait ainsi avec la problématique de l’identité christologique qui place la personne de Jésus au premier plan. Or à la place d’un masculin, c’est un pronom relatif neutre qui est utilisé : « ce qui [ὅ] était dès le commencement ». Comme le remarque opportunément Bultmann18, c’est l’affirmation du contenu qui a pris le dessus. Un contenu dont l’élément essentiel est certes la révélation divine dans la personne historique de Jésus, mais un contenu qui se donne à travers un message à proclamer. La personne de Jésus qui mobilise l’attention est désormais l’objet d’un témoignage appelé à être annoncé. Le début évoqué – celui de la révélation historique de Jésus dans le monde – enjambe le tournant pascal et continue à vivre à travers la prédication des premiers chrétiens. Dès lors, il n’échappera pas au lecteur que, dans la première lettre de Jean, le « commencement » n’est plus celui qualifié par la préexistence du Logos, mais celui marquant le début du ministère public de Jésus dans un 17. État de la discussion chez R.E. BROWN, The Epistles of John (n. 16), p. 155-158. Dans son récent commentaire, U. SCHNELLE, Die Johannesbriefe (THKNT, 17), Leipzig, Evangelische Verlagsanstalt, 2010, p. 61, écrit: « Die Wendung ἀπ᾽ἀρχῆς ist ein Stilmerkmal des 1Joh (und 2Joh) und nicht des Evangeliums. Sie benennt in 1Joh 1,1 die johanneische Tradition als Grund und kritische Norm der Verkündigung [= La tournure ἀπ᾽ἀρχῆς est une caractéristique stylistique de 1 Jn (et 2 Jn) et non pas de l’évangile. Elle désigne en 1 Jn 1,1 la tradition johannique comme fondement et norme critique de la prédication] » ; ainsi déjà P. BONNARD, Les Épitres johannique (CNT, XIIIc), Genève, Labor et Fides, 1983, p. 18-19, et M. MORGEN, Les épîtres de Jean (CbNT, 19), Paris, Cerf, 2005, p. 53. F. VOUGA, Die Johannesbriefe (HNT, 15/III), Tübingen, Mohr Siebeck, 1990, p. 25, pense plutôt à un « Uranfang, und zwar der der Offenbarung [= au commencement fondateur, à savoir celui de la révélation] ». 18. R. BULTMANN, Die Johannesbriefe (KEK, XIV), Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 1967, p. 13-15.

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espace précis et dans un temps daté19. Ce recadrage est dû à l’histoire même du mouvement johannique. Comme l’atteste la première épître de Jean, une partie des chrétiens johanniques ont procédé à une lecture « spiritualiste » du quatrième évangile20. Pour ces « ultra-johannites », l’incarnation du Christ, son agir historique, son message et plus encore sa mort en croix ont perdu de leur pertinence. Au centre de leur foi se tient désormais le Christ céleste, une figure purement spirituelle qui est directement accessible par l’Esprit dans l’aujourd’hui de la foi. Face à cette dérive, l’école johannique n’a de cesse de souligner la signification décisive de l’incarnation, par ailleurs déjà célébrée dans le prologue de l’évangile. Et c’est la raison pour laquelle, le « commencement fondateur » est désormais le commencement de l’activité publique de Jésus parmi les siens, au sein de son peuple, mais un commencement qui mène à la croix. 2. Le « commencement » de la vie dans la foi Dans le célèbre passage sur le commandement d’amour, le lecteur découvre cette affirmation (1 Jn 2,7) : « Bien-aimés, ce n’est pas un commandement nouveau que je vous écris, mais un commandement ancien [ἐντολὴν παλαιάν] que vous avez eu dès le commencement [ἀπ᾽ἀρχῆς] ; ce commandement ancien, c’est la parole que vous avez entendue [ὁ λόγος ὃν ἠκούσατε]. » De quel « commencement » s’agit-il ici ? Le parallélisme existant entre le v. 7a et le v. 7b fournit la réponse. Le « commandement ancien » que les croyants possèdent depuis le « commencement » est celui qui a été transmis par la prédication (ὁ λόγος) entendue et reçue (le verbe ἀκουώ est à l’aoriste et désigne donc un événement survenu dans un passé clos). Par « commencement », il faut donc entendre ici le début de la vie chrétienne, plus spécifiquement peut-être la période de la catéchèse baptismale dans le cadre de laquelle le commandement d’amour était enseigné. Un glissement de sens s’est donc produit par rapport au prologue de la lettre (1 Jn 1,1). Il n’est plus d’abord question du début fondateur de la révélation chrétienne, mais du début de l’existence croyante. Même s’il ne convient pas de durcir l’opposition, car c’est bien dans la révélation 19. H.J. KLAUCK, Der erste Johannesbrief (EKKNT, XXXIII/1), Zürich-Neukirchen Vluyn, Benziger Verlag – Neukirchener Verlag, 1991, p. 134, définit à juste titre ce « dès le commencement [ἀπ᾽ἀρχῆς] » comme « Beginn der Selbsbtoffenbarung Jesu vor seinen Jüngern als Anfang der Glaubensgeschichte [= début de l’autorévélation de Jésus devant ses disciples en tant que commencement de l’histoire de la foi] ». 20. Voir J. ZUMSTEIN, Les Épitres johanniques (n. 14), p. 401-404.

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christologique dont les disciples ont été les témoins que s’origine le commandement d’amour enseigné aux chrétiens21. L’exhortation qui apparaît en 1 Jn 2,24 (« Que ce que vous avez entendu [ἠκούσατε] dès le commencement [ἀπ᾽ἀρχῆς] demeure en vous ») va dans le même sens. L’auteur s’adresse en effet à ses destinataires, des chrétiens vivant en Asie Mineure, au début du deuxième siècle. Le « commencement » évoqué ne peut donc désigner que leurs débuts dans la foi et cette entrée dans la condition chrétienne a été opérée par l’écoute de la prédication22. De plus, le verbe « demeurer » (μένω) dans son acception johannique décrit la fidélité dans le devenir de l’existence croyante. Enfin, le « dès le commencement [ἀπ᾽ἀρχῆς] » au sens de l’enseignement fondateur – notamment celui du commandement d’amour – reçu par le croyant au début de sa vie de foi se retrouve incontestablement en 3,11 : « Car tel est le message que vous avez entendu dès le commencement [ἡ ἀγγελία ἣν ἠκούσατε ἀπ᾽ἀρχῆς] : que nous nous aimions les uns les autres ». 3. Une périphrase christologique À deux reprises dans le chap. 2, aux v. 13 et 14, apparaît une périphrase : τὸν ἀπ᾽ἀρχῆς (« celui qui [est]23 depuis le commencement »). Qui désigne-telle ? Dieu ou Jésus Christ ? Et s’il s’agit de Jésus Christ, de quel commencement est-il fait état ? Dans l’esprit du lecteur résonne encore le début du prologue : Ὃ ἦν ἀπ᾽ἀρχῆς (« ce qui était dès le commencement »). La piste christologique s’impose. Mais, si dans le prologue, le pronom relatif avait une forme neutre, c’est ici un article au masculin (τόν) qui apparaît. L’accent est donc mis sur la personne de Jésus Christ. Mais quel est le « commencement » qui caractérise la personne de Jésus ? La préposition « depuis/dès » (ἀπό) indique le point de départ d’une séquence chronologique. Il faut donc penser – comme en 1,1 – au début de l’activité publique de Jésus parmi les siens, à son mandat historique de Révélateur. Par le biais de l’évangile, le lecteur connaît certes la représentation de la préexistence. Elle est donc implicitement présupposée, mais c’est bien sur le Jésus terrestre qu’est mis l’accent. 21. Ainsi R. BULTMANN, Die Johannesbriefe (n. 18), p. 33, et H.J. KLAUCK, Der erste Johannesbrief (n. 19), p. 121. En revanche R.E. BROWN, The Epistles of John (n. 16), p. 65, préfère conserver le sens de 1 Jn 1,1, tout en admettant comme sens second celui de la fréquentation de la catéchèse par le croyant. 22. Ainsi H.J. KLAUCK, Der erste Johannesbrief (n. 19), p. 165 23. Le verbe « être » n’apparaît pas dans le texte grec. Il est suppléé dans la traduction soit par un imparfait (« était »), soit par une présent (« est »). Le choix du temps du verbe dans la traduction est un acte d’interprétation lourd de conséquences.

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Face au danger représenté par les ultra-johannites, c’est donc une fois encore, grâce à cette locution inventée pat l’école johannique, le Christ dans son incarnation qui est mis au premier plan. 4. Le commencement dont parle le mythe Une nouvelle nuance de l’expression ἀπ᾽ἀρχῆς (« dès le commencement24/ dès l’origine25 ») apparaît en 3,8, passage dans lequel il y va du surgissement du péché dans le monde, surgissement qui est imputé au « diable26 » (« Celui qui pèche est du diable, car le diable pèche dès le commencement [ὁ ποιῶν τὴν ἁμαρτίαν ἐκ τοῦ διαβόλου ἐστίν, ὅτι ἀπ᾽ἀρχῆς ὁ διάβολος ἁμαρτάνει] »). Pour le lecteur familier du quatrième évangile, le rapport intertextuel avec Jn 8,44 vient immédiatement à l’esprit (« Vous êtes du diable, votre père [ἐκ τοῦ πατρὸς τοῦ διαβόλου], et ce sont les désirs de votre père que vous voulez accomplir. Il était homicide dès le commencement [ἀπ᾽ἀρχῆς] »). Nous butons donc en 1 Jn 3,8 sur une tradition bien connue du milieu johannique. Comme dans le quatrième évangile, nous n’avons plus affaire ici à une conception christologisée du motif du « commencement », mais à un usage qui s’inspire du mythe de l’origine, tel qu’il apparaît en Gn 3–427. On peut alors penser soit au récit de la chute (Gn 3) dans lequel le serpent séduit Ève et apporte ainsi péché, mort et mensonge dans la création. Cette identification entre le diable et le serpent est d’ailleurs connue de la Sagesse (cf. Sg 2,23-24). Mais le contexte immédiat, en évoquant l’histoire de Caïn et d’Abel (cf. 1 Jn 3,12) invite plutôt le lecteur à relier l’activité pécheresse du diable à cet épisode, partie intégrante du mythe de l’origine. Quoi qu’il en soit, le commencement dont il question ici est le commencement dont parle le mythe grâce auquel est expliqué le surgissement du péché dans le monde. À cet égard, on sera attentif au fait que le verbe « pécher » qui qualifie le « diable » est au présent (ἁμαρτάνει). En d’autres termes, ce qui est advenu « dès le commencement » détermine encore l’existence humaine aujourd’hui. Finalement, comme le suggère finement Klauck28, deux précisions s’imposent. Premièrement, « le diable n’existe pas ἐν ἀρχῇ (= au commencement), mais ἀπ᾽ἀρχῆς (= dès le commencement29 »). En d’autres termes et à la 24. Traduction de la Bible de Jérusalem et de la Traduction œcuménique de la Bible. 25. Traduction de la Nouvelle Bible Segond. 26. Dans 1 Jn, la figure du « diable » apparaît pour la première fois en 3,8 (triple usage), puis en 3,10. 27. H.J. KLAUCK, Der erste Johannesbrief (n. 19), p. 191-192. Etat de la discussion chez R.E. BROWN, The Epistles of John (n. 16), p. 405-406. 28. H.J. KLAUCK, Der erste Johannesbrief (n. 19), ibid. 29. H.J. KLAUCK, Der erste Johannesbrief (n. 19), p. 191.

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différence de Dieu et du Logos, le diable n’existe pas avant la création, mais il est partie intégrante de la création. Il n’y a pas de préexistence du diable et donc pas d’égalité avec Dieu et le Logos. Deuxièmement, si le lecteur met en regard, le ἀπ᾽ἀρχῆς (=dès le commencement) du diable et de Jésus, il pourrait en tirer la conclusion que le diable est plus ancien que Jésus, qu’il existe dès l’origine et non Jésus. D’un point de vue johannique, cette déduction est pourtant erronée, car Jésus dans cette littérature est au bénéfice d’un double commencement. Certes, il est – selon le prologue de la première épître de Jean – ἀπ᾽ἀρχῆς (« dès le commencement »). En d’autres termes, c’est son entrée dans l’histoire, le début de son activité parmi les êtres humains qui marque un commencement véritablement fondateur. En ce sens, c’est sa destinée terrestre, inscrite dans le temps, qui est décisive pour le croyant. Mais simultanément, pour les communautés johanniques rompues à la lecture du quatrième évangile, ce Christ incarné n’est personne d’autre que le Logos qui était ἐν ἀρχῇ (= au commencement), au commencement avant le commencement, ce qui dit son unique proximité avec Dieu. Et c’est précisément parce qu’il en est ainsi, que le commencement de l’activité historique du Christ a une signification décisive qui efface celle du diable. CONCLUSION Dans la littérature johannique, le thème du « commencement » est heuristiquement fécond car il est élevé au rang de catégorie herméneutique permettant de saisir différents aspects de la réalité. Par son entremise, le lecteur découvre une profonde réflexion sur la transcendance, l’histoire, la christologie et la vie dans la foi. Pour ce faire, l’instance auctoriale joue à la fois sur le sens philosophique – il y va alors du commencement avant le commencement au sens de fondement absolu de la réalité –, sur le sens mythique – il s’agit alors de la référence au mythe des origines –, sur le sens proprement historique – c’est alors la révélation historique incarnée en Jésus qui est au premier plan, mais aussi l’avenir de cette révélation telle qu’elle se manifeste dans l’existence croyante. Si l’on compare la réflexion johannique sur le commencement avec celle développée par la philosophie gréco-hellénistique et celle attestée par la tradition vétérotestamentaire-juive (notamment la tradition sapientiale), on constate que la spécificité johannique consiste dans la référence quasi exclusive à la personne de Jésus Christ pour penser cette question débattue dans tout le Proche-Orient ancien. Ce processus de christologisation d’un thème traversant les religions et les cultures de l’Antiquité gréco-romaine est la marque de l’école johannique.

VARIATIONS JOHANNIQUES SUR LE « COMMENCEMENT »

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Ensuite, cette réflexion sur le « commencement » est une réflexion en mouvement. La première épître de Jean est en décalage par rapport à l’évangile. Si ce dernier insistait d’emblée sur la préexistence du Fils (cf. le prologue), la lettre, elle, pour faire face au conflit d’interprétation qui sépare l’école johannique des ultra-johannites, se focalise sur la révélation historique du Christ. Si l’évangile appelait les croyants à croire (20,30-31), la lettre invite les croyants à considérer le commencement de leur existence dans la foi. Enfin, cette réflexion si riche sur le « commencement » est constitutivement un mouvement vers le passé, vers le fondement. Elle est, à ce titre, inséparable de l’activité de la mémoire ou plutôt des mémoires. Mémoire de l’indicible qui ne peut être décrit, mais qui est fondateur : le « commencement avant le commencement ». Mémoire du mythe des origines qui permet de découvrir la réalité du mal dans le monde. Mémoire de la destinée historique du Christ dans tout son déploiement chronologique. Mais cette mémoire du Christ est une mémoire qui ouvre sur le futur et c’est pourquoi le croyant est appelé à se ressouvenir du message fondateur de son existence. Le « commencement » s’avère ainsi être une référence privilégiée qui permet de comprendre Dieu, Jésus et sa révélation, le monde et l’existence dans la foi. Jean ZUMSTEIN Université de Zurich [email protected]

QUAND LA FIN S’ANNONCE COMME UNE ÉNIGME JN 1,51 ET LA FINALE DU QUATRIÈME ÉVANGILE

La difficulté à interpréter la finale du premier chapitre de l’Évangile selon Jean est notoire. Plusieurs questions n’ont encore trouvé que des réponses partielles ou insatisfaisantes. Quel est le sens de cette mention plutôt énigmatique du Fils de l’homme (Jn 1,51) en réponse à la confession de Nathanaël ? Quelle est la rhétorique narrative qui sous-tend l’allusion voilée au songe de Jacob (Gn 28,10-22) ? La promesse de Jésus trouve-t-elle un accomplissement à l’intérieur du récit johannique ? Sans prétendre résoudre de manière définitive l’énigme posée par cette parole de Jésus, je chercherai à éclairer la portée narrative de ce premier énoncé sur le Fils de l’homme, d’abord en rapprochant la confession de Nathanaël et celle de Pierre à Césarée de Philippe, qui provoqua un revirement christologique majeur dans la trame synoptique, pour ensuite évaluer la fonction rhétorique de son caractère énigmatique. Pour la déclarer brièvement, l’intention générale de la présente contribution est de montrer que l’énigme posée par cette parole de Jésus s’éclaire significativement en considérant qu’elle contient le codage de tout le schème christologique du Fils de l’homme grâce à une relecture typologique1 du songe de Jacob en Gn 28,10-22. À défaut d’être décodée dans sa facture typologique, l’énigme du v. 51 reste incompréhensible et ne peut remplir adéquatement sa fonction narrative.

I. LA FONCTION NARRATIVE

DE JN

1,51

L’importance du logion de Jn 1,51 pour la christologie johannique tient en grande partie à son contexte d’insertion. Une fois le prologue achevé (1,1-18), le reste du premier chapitre dessine une esquisse théologique de la constitution 1. Le procédé de la typologie, ou relecture typologique, va plus loin que la simple citation d’accomplissement d’une prophétie. La typologie considère un événement de l’histoire du salut, pris dans sa totalité, comme la préfiguration (ou type) d’un événement de la période messianique qui en sera la réalisation parfaite et définitive (antitype).

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du groupe des disciples, qui culmine dans la venue de Nathanaël. Ayant été conduit à Jésus, qui fait montre de son savoir surnaturel, Nathanaël adresse à Jésus une confession messianique exemplaire qui couronne les déclarations précédentes : « Rabbi, tu es le Fils de Dieu, tu es le Roi d’Israël » (1,49). Au plan narratif, la déclaration messianique de Nathanaël joue le même rôle que la confession de Pierre à Césarée de Philippe dans les synoptiques (Mc 8,29 par.) : tout comme en Marc l’affirmation de Pierre couronnait l’expression des opinions sur Jésus après sa manifestation publique en Galilée, celle de Nathanaël marque en quelque sorte le point culminant d’une compréhension traditionnelle juive du Messie après la première manifestation de Jésus2. Ce qui est vraiment significatif dans la comparaison des deux passages tient surtout à l’impact produit dans leur trame narrative respective. Dans le récit de Marc, l’événement de Césarée marque non seulement un premier sommet dans l’intrigue de la reconnaissance messianique de Jésus, mais constitue également un retournement majeur dans le cheminement de foi des disciples. On imagine l’étonnement et l’incompréhension du lecteur devant la réprimande et l’ordre de silence qu’adresse Jésus aux disciples en réaction à la confession de Pierre (Mc 8,30). Mais le procédé rhétorique réussit à rendre le lecteur attentif au retournement qui va se produire à cet instant précis : Jésus commença à leur enseigner qu’il fallait que le Fils de l’homme souffre beaucoup, soit rejeté et mis à mort, puis ressuscite le troisième jour (8,31). Pour atténuer le choc de cet enseignement nouveau, Jésus conduit ses plus proches disciples sur une haute montagne, où ils sont témoins d’une manifestation de sa gloire future de ressuscité (9,2-4), et reçoivent du Père une parole de confirmation : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé, écoutez-le » (9,7). Un lecteur familier de la séquence marcienne ne sera pas étonné de constater qu’en Jn 1,50-51 Jésus se sert également d’un logion sur le Fils de l’homme pour corriger la confession messianique typiquement juive du disciple. De fait, l’auteur a simplement repris à son compte ce motif traditionnel, connu de Marc, selon lequel Jésus aurait redéfini sa messianité à l’aide du titre Fils de l’homme. Mais ce motif a été reconfiguré en accord avec l’usage spécifiquement johannique du titre Fils de l’homme. Ici, pas de réprimande, mais promesse d’un dépassement, annonce de choses plus grandes à 2. F.J. MOLONEY, The Johannine Son of Man (Biblioteca di Scienze Religiose, 14), Rome, LAS, 1978, p. 185 ; aussi J.H. BERNARD, A Critical and Exegetical Commentary on the Gospel According to St. John (ICC), New York, Charles Scribner’s Sons, 1929, Vol. I, p. 68. À première vue, il serait légitime de penser que le passage où Pierre, au nom des Douze, confesse Jésus comme le saint de Dieu (Jn 6,66-69), représente un meilleur parallèle à la scène synoptique. Mais ce serait au mépris de la fonction narrative de l’épisode. Dans le récit johannique, la parole de Pierre ne produit pas un revirement significatif dans le cheminement de foi des Douze. Or c’est précisément ce que provoquent, au plan narratif, les confessions messianiques de Pierre à Césarée et de Nathanaël.

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voir ; aucune allusion explicite à la souffrance, à la mort et à la résurrection du Fils de l’homme, mais prédiction d’une vision de sa gloire, le ciel ouvert laissant voir les anges monter et descendre au-dessus de lui – vision qui dispense la trame narrative d’afficher une scène de confirmation divine de l’enseignement nouveau, assumée dans les synoptiques par la péricope de la Transfiguration. Certes, il reste encore à définir la portée exacte de cette parole pour mesurer l’ampleur de la rectification christologique, mais déjà il semble clair que la désignation messianique de Jésus comme Christ, Fils de Dieu et Roi d’Israël a quelque chose d’inadéquat que Jésus lui-même s’empresse de signaler dès le début du récit. Cela dit, la simple mention du Fils de l’homme suffit-elle à susciter une réorientation de la conception messianique des disciples ? Au premier regard, en effet, l’énoncé johannique ne semble pas aussi efficace que l’enseignement sur la nécessité des souffrances, de la mort et de la résurrection du Fils de l’homme que Jésus dispense à ses disciples du côté synoptique (ἤρξατο διδάσκειν, Mc 8,31). Or cette impression se dissipe rapidement lorsque le lecteur3 découvre que le logion de Jn 1,51 contient l’ADN de tout le schème christologique du Fils de l’homme qui sera déployé dans le récit johannique4. Il devra toutefois s’investir dans la recherche de sens en décodant le logion : pour saisir toute la portée du v. 51, le lecteur devra opérer par lui-même la relecture typologique de Gn 28,10-22 suggérée par l’évangéliste.

II. UNE ÉNIGME COMME ANNONCE TYPOLOGIQUE DE L’ÉLÉVATION DU FILS DE L’HOMME (JN 1,50-51) 1. Observations préliminaires C’est une chose de reconnaître à la réplique de Jésus une double fonction rhétorique, soit d’alerter les disciples (et les lecteurs) sur l’insuffisance des représentations messianiques traditionnelles, et de les préparer à recevoir 3. Les références au « lecteur » ressortissent à la notion de lecteur implicite, sorte de lecteur idéal configuré par l’œuvre elle-même et répondant adéquatement à toutes les stratégies rhétoriques programmées dans le récit. Voir, entre autres, D. MARGUERAT – Y. BOURQUIN, Pour lire les récits bibliques. Initiation à l’analyse narrative, Paris – Genève – Montréal, Cerf – Labor et Fides – Novalis, 1998, p. 21-23 ; U. ECO, Lector in fabula. Le rôle du lecteur ou la coopération interprétative dans les textes narratifs, Paris, Grasset et Fasquelle, 1985. 4. Pour une présentation des deux schèmes christologiques principaux du quatrième évangile, à savoir la christologie du Fils de Dieu, l’Envoyé plénipotentiaire du Père, et la christologie du Fils de l’homme, voir P. LÉTOURNEAU, Jésus, Fils de l’homme et Fils de Dieu (Recherches, NS 27) ; Montréal – Paris, Bellarmin – Cerf, 1992 ; aussi ID. « Les écrits johanniques I : L’Évangile de Jean », in O. MAINVILLE (ed.), Écrits et milieu du Nouveau Testament. Une introduction (Sciences bibliques, Instruments 7), Montréal, Médiaspaul, 1999, p. 175-227.

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l’ultime révélation qui leur est adressée dans l’enseignement de Jésus ; c’en est une autre, plus ardue, que de percer le sens et la fonction de l’allusion énigmatique au songe de Jacob (Gn 28,12) insérée dans le logion sur le Fils de l’homme (Jn 1,51). Au niveau de la stratégie narrative, l’ensemble du premier chapitre sert d’introduction au vaste programme christologique de l’évangile, et s’organise en crescendo atteignant un sommet conclusif dans la réplique de Jésus à la confession typiquement messianique de Nathanaël (1,50-51). La parole s’articule en deux segments rapprochés par le thème commun de la vision : C’est parce que je t’ai dit que je t’avais vu [εἶδόν σε] sous le figuier que tu crois ? Des choses plus grandes que celles-ci, tu verras [ὄψῃ]. Et il lui dit : Amen amen je vous le dis, vous verrez [ὄψεσθε] le ciel ouvert et les anges de Dieu montant et descendant au-dessus du Fils de l’homme (Jn 1,50-51).

Au plan de la logique argumentative, Jn 1,50 établit un lien formel de causalité entre la démonstration de la connaissance (vision)5 prophétique de Jésus et la confession de Nathanaël ; l’annonce des plus grandes choses à voir devrait donc alerter Nathanaël sur l’insuffisance de sa perception de Jésus : il y a plus que le Roi-Messie libérateur d’Israël en la personne de Jésus. Jn 1,51 précise le contenu de cette vision future à l’aide d’un motif récurrent dans l’apocalyptique juive, le ciel ouvert6, et d’une figure importante dans le scénario eschatologique judéo-chrétien, le Fils de l’homme. Or, malgré l’importance qu’elle semble revêtir dans le processus de foi, cette prolepse ne renvoie explicitement à aucun événement spécifique du récit johannique7 ; au plan de la rhétorique narrative cependant, l’annonce de Jésus crée forcément une attente chez le lecteur, qui va dès lors en chercher la réalisation, que ce soit de manière directe, oblique, ou même symbolique. 5. Les verbes grecs εἶδον et οἶδα remontent au même radical ancien Fιδ qui exprime la connaissance acquise par la perception, en particulier la perception visuelle. Voir Exegetical Dictionary of the New Testament, s.v. οἶδα ; aussi I. DE LA POTTERIE, « οἶδα et γινώσκω : les deux modes de la connaissance dans le quatrième évangile », Bib 40 (1959) 709-725. 6. Ez 1,1 ; 2Bar 22,1 ; T. Lev. 2,8 ; Ap 4,1 ; 19,11. Voir W.H. CADMAN, The Open Heaven: The Revelation of God in the Johannine Sayings of Jesus, Oxford, Blackwell, 1969 ; F. LENTZENDEIS, « Das Motif der “Himmelöffnung” in verschiedenen Gattungen der Umweltliteratur des Neuen Testament », Bib 50 (1969) 301-327 ; C. ROWLAND, « John 1.51, Jewish Apocalyptic and Targumic Tradition », NTS 30 (1984) 499 ; M. MORGEN, « La promesse de Jésus à Nathanaël (Jn 1,51) éclairée par la Hagaddah de Jacob-Israël », RevSR 67 (1993) 8-9. 7. Plusieurs auteurs, dont J. ZUMSTEIN, L’Évangile selon saint Jean (1–12) (CNT, IVa), Genève, Labor et Fides, 2014, p. 91, soutiennent que la vision ne concerne pas un événement particulier, mais qualifie toute la narration qui suit, de Cana à la croix ; toute l’activité publique de Jésus serait cette période pendant laquelle les cieux sont ouverts. Mais ce genre d’affirmation sans appuis dans le texte ne s’impose aucunement. À l’inverse, on remarque que la plupart des autres énoncés sur le Fils de l’homme pointent vers son élévation/glorification qui se réalise par la crucifixion.

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Cette attente programmée est d’autant plus marquée qu’elle est soutenue par un autre puissant procédé rhétorique, qu’à défaut d’un meilleur terme je nommerai l’« énigme voilée ». De fait, la parole de Jésus ne fait pas qu’annoncer une vision future, elle propose du même coup une véritable énigme par ce mystérieux renvoi au songe de Jacob, qui demande à être interprété. 2. Survol de la recherche Un bref survol de la recherche témoigne tout d’abord d’un large consensus sur la présence de ce renvoi intertextuel à l’épisode du songe de Jacob (Gn 28,10-22), plus particulièrement à 28,12, par la reprise de l’image des anges « montant et descendant » (dans cet ordre) au-dessus du Fils de l’homme8. Ce consensus s’effrite toutefois lorsqu’il s’agit d’interpréter la signification de l’allusion dans le texte johannique. Zumstein se limite à voir dans le mouvement des anges une illustration de la relation constante entre Dieu et le Fils de l’homme9. Cette interprétation circule depuis longtemps. On la trouve déjà chez Bultmann, pour qui le mouvement des anges n’est qu’une image mythologique dépeignant la communion ininterrompue entre Jésus et le Père, de sorte que la vision promise ferait simplement référence au regard de foi qui perçoit la gloire de Jésus, à savoir la présence du Père en lui10. Barrett interprète semblablement l’image, voyant en Jésus, le Fils de l’homme descendu du ciel, un point de rencontre éternel entre ciel et terre, entre Dieu et l’homme11. Selon Bernard, les tentatives pour trouver une correspondance détaillée entre la vision de Jacob et celle promise à Nathanaël sont peine perdue. Il estime, du reste, qu’il ne faut pas trop insister sur l’idée du contact direct ou permanent entre Dieu et le Fils de l’homme, comme si c’était le Christ, 8. W. MICHAELIS, « Joh. 1,51, Gen. 28,12 und das Menschensohn-Problem », Theologische Literaturzeitung 85 (1960) 561-578, est à peu près le seul à refuser le renvoi à Gn 28, prétextant que l’ordre inhabituel du mouvement des anges, le seul élément apparent reliant les deux textes, relèverait en Jn d’une inversion purement stylistique (élégance grammaticale) des verbes (p. 568-569). L’argument n’est guère convaincant, d’autant plus qu’il devient alors quasi impossible d’interpréter le sens et la fonction de l’image. Les commentateurs reconnaissent majoritairement que la succession inattendue « anabase-katabase » est dictée par Gn 28,12. Voir R. BULTMANN, The Gospel of John. A Commentary, trad. G.R. BEASLEY-MURRAY et al., Philadelphia PA, Westminster Press, 1971, p. 105, n. 3 ; J. ZUMSTEIN, L’Évangile selon saint Jean (1–12) (n. 7), p. 91, n. 120. 9. J. ZUMSTEIN, L’Évangile selon saint Jean (1–12) (n. 7), p. 91. 10. R. BULTMANN, Gospel of John (n. 8), p. 105-106. 11. C.K. BARRETT, The Gospel according to John, Londres, SPCK, 21978, p. 187. Voir aussi E. HAENCHEN, John 1. A Commentary on the Gospel of John Chapters 1–6 (Hermeneia), Philadelphia PA, Fortress Press, 1984, p. 166.

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et non Nathanaël, qui avait pour type Jacob/Israël12. Il faut lui donner raison sur ce point, puisque le thème de l’unité indéfectible entre Jésus et Dieu est essentiellement porté par la christologie du Fils, l’Envoyé plénipotentiaire du Père. D’autres pistes ont été explorées, notamment par Schnackenburg, qui amalgame diverses interprétations, non sans une certaine confusion. Le mouvement des anges renvoie indéniablement à l’échelle de Jacob en Gn 28,12 et cette allusion veut exprimer la proximité céleste du Fils de l’homme sur terre, son union continue avec Dieu. Plus précisément, le Fils de l’homme serait le « lieu » de la pleine révélation de Dieu (« Bethel »), là où Dieu manifeste sa gloire à la vision de foi ; il est la « porte du ciel » (Gn 28,17), la tente de Dieu parmi les hommes13. Outre qu’elles ne trouvent aucun appui dans les autres énoncés sur le Fils de l’homme, ces notions ressortissent davantage au schème de l’Envoyé. Brown, ayant passé en revue ces différentes interprétations, résume bien ce sur quoi elles s’accordent : « whether it is as the ladder, the shekinah, the merkabah, Bethel, or the rock, the vision means that Jesus as Son of Man has become the locus of divine glory, the point of contact between heaven and earth14 ». Ce dénominateur commun relève de l’évidence. Il serait en effet difficile de contester que le thème de la gloire/glorification est un trait majeur associé à la figure du Fils de l’homme15. D’autres enfin, accentuent davantage le motif du ciel ouvert et considèrent que le logion annonce la vision, par le regard de la foi, de l’intronisation du Fils de l’homme dans la gloire céleste au moment de l’élévation de Jésus en croix. C’est la position de Painter16, et surtout celle de Loader, qui lui donne un traitement détaillé. Loader reproche aux interprétations traditionnelles 12. J.H. BERNARD, A Critical and Exegetical Commentary on the Gospel According to St. John, (ICC), New York, Charles Scribner’s Sons, 1929, Vol. I, p. 69. Selon une interprétation répandue, Jean aurait été influencé par une interprétation juive jouant sur l’ambiguïté référentielle de l’hébreu bô, et substituant Jacob à l’échelle. Voir H. ODEBERG, The Fourth Gospel: Interpreted in its Relation to Contemporaneous Religious Currents in Palestine and the HellenisticOriental World, Uppsala, Almqvist, 1929, p. 33-42. 13. R. SCHNACKENBURG, The Gospel According to St. John. Vol. 1: Introduction and Commentary on Chapters 1–4 (Herder’s Theological Commentary on the New Testament), Freiburg – Montréal, Herder – Palm Publishers, 1968, p. 320-321. 14. R.E. BROWN, The Gospel According to John (I–XII) (AB, 29), Garden City NY, Doubleday, 1966, p. 91. 15. Voir P. LÉTOURNEAU, « La gloire de Jésus : gloire et glorification dans le IVe évangile », Laval théologique et philosophique 51 (1995) 551-572. 16. J. PAINTER, « The Enigmatic Johannine Son of Man », in F. VAN SEGBROECK et al. (ed.), The Four Gospels 1992. FS Frans Neirynck (BETL, 100), Leuven, Peeters – Leuven University Press, 1992, Vol. 3, p. 1873-1876.

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d’isoler le logion des autres énoncés johanniques sur le Fils de l’homme, qui entretiennent presque tous un lien étroit avec l’événement de la mort de Jésus et son exaltation17. En Jn 1,51, l’image tirée du songe de Jacob ne viserait qu’à exprimer vaguement l’état d’exaltation céleste du Fils de l’homme : le ciel s’ouvre, non pas pour qu’un lien s’établisse avec la terre, mais pour laisser voir le Fils de l’homme exalté et glorifié, servi par les anges18. Bref, pour Loader, si Jn 1,50-51 constitue bel et bien le climax du premier chapitre, ce n’est pas comme annonce de ce qui va suivre dans le ministère de Jésus, à commencer par le signe de Cana, mais comme promesse d’un événement sur la base duquel tout le ministère sera ressaisi et mieux compris par la communauté postpascale19. Loader a bien raison de déplorer que les travaux antérieurs ont contribué à isoler le logion des autres énoncés sur le Fils de l’homme. Pour juste qu’elle soit, en pointant vers l’événement de l’élévation dans la gloire du Fils de l’homme, son interprétation ne résout cependant pas la difficulté principale du verset : pourquoi cet énigmatique renvoi au songe de Jacob plutôt qu’une mention explicite de la glorification du Fils de l’homme au ciel (p. ex. Jn 6,62 ; 12,23 ; cf. Ac 7,56) ? De fait, et c’est là mon propos principal, la prolepse de Jn 1,51 sert d’annonce à l’ensemble du schème christologique du Fils de l’homme, dont l’élément central est constitué par l’élévation (sur la croix) du Fils de l’homme, observée dans la foi comme remontée au ciel et exaltation dans la gloire divine. Or, cette annonce ne peut réaliser pleinement sa fonction narrative qu’à condition que le lecteur active la relecture typologique de Gn 28,10-22 impliquée dans la parole de Jésus. 3. Relecture typologique du songe de Jacob Le procédé johannique de la typologie ne procède pas par comparaison formelle des divers éléments qui structurent le rapport type-antitype entre les deux textes. Il suffit à l’auteur d’évoquer un trait de l’événement source pour initier le processus de relecture20. Le songe de Jacob s’ouvre par la vision 17. W. LOADER, « John 1:50-51 and the “Greater Things” of Johannine Christology », in C. BREYTENBACH – H. PAULSEN (ed.), Anfänge der Christologie, Göttingen, Vandenkoeck & Ruprecht, 1991, p. 262. 18. Ibid., p. 270-271. Voir aussi J.H. NEYREY, « The Jacob Allusions in John 1:51 », CBQ 44 (1982) 590. 19. Ibid., p. 272. 20. Le plus bel exemple se trouve sans aucun doute en Jn 3,14-15 où la mention de l’élévation du serpent par Moïse dans le désert convoque tous les aspects du récit de Nb 21,8-9 : Moïse façonna un serpent en bronze et le plaça sur un étendard (σημεῖον), afin que quiconque ayant été mordu, mais regardant le serpent (ὁράω/ἐπιβλέπω), conserve la vie (ζάω). Déjà en

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d’une échelle reposant sur le sol et rejoignant le ciel, et sur laquelle les anges de Dieu montent et descendent (dans cet ordre). C’est le trait évocateur de l’épisode retenu en Jn 1,51. Puis Dieu lui-même se tient là, et fait à Jacob la promesse d’une terre, d’une très grande descendance qui s’étendra aux quatre coins du monde, et de son rassemblement final sur la terre donnée en héritage. Ce sont ces éléments qui sont visés par la relecture typologique et qui préparent les autres énoncés johanniques sur le Fils de l’homme. 10 Jacob sortit de Béer-Shéva et partit pour Harrân. 11Il fut surpris par le coucher du soleil en un lieu où il passa la nuit […] 12Il eut un songe : voici qu’était dressée sur terre une échelle dont le sommet touchait le ciel ; des anges de Dieu y montaient et y descendaient (MT : ‫ ; בּוֹ‬LXX : ἐπ᾿ αὐτῆς)21. 13Voici que le Seigneur se tenait près de lui (MT : ‫ ; עליו‬LXX : ἐπ᾿ αὐτῆς)22 et dit : « Je suis le Seigneur, Dieu d’Abraham ton père et Dieu d’Isaac. La terre sur laquelle tu couches, je la donnerai à toi et à ta descendance. 14Ta descendance sera pareille à la poussière de la terre. Tu te répandras à l’ouest, à l’est, au nord et au sud ; en toi et en ta descendance seront bénies toutes les familles de la terre. 15Vois ! Je suis avec toi et je te garderai partout où tu iras et je te ferai revenir vers cette terre car je ne t’abandonnerai pas jusqu’à ce que j’aie accompli tout ce que je t’ai dit. » 16Jacob se réveilla de son sommeil et s’écria : « Vraiment, c’est le Seigneur qui est ici et je ne le savais pas ! » 17Il eut peur et s’écria : « Que ce lieu est redoutable ! Il n’est autre que la maison de Dieu, c’est la porte du ciel. » (Gn 28,10-17 TOB)

Il ne fait aucun doute qu’en reprenant l’image des anges montant et descendant entre le ciel et la terre, l’auteur du logion johannique voulait évoquer le songe de Jacob, mais non sans y apporter une modification importante : Sg 16,5-7, l’événement avait été interprété comme un symbole du salut (σύμβολον σωτηρίας), car celui qui se retournait (ἐπιστρέφω), se rappelait les commandements de la Loi et il était sauvé (σῴζω), non par ce qu’il voyait, mais par Dieu, le sauveur de tous (σωτήρ). L’auteur de Jn 3,14-15 reprend et exploite le passage et son ancienne interprétation. Le Fils de l’homme élevé devient le nouveau symbole du salut, le sēmeion johannique par excellence (Jn 2,18-22) : quiconque se laisse attirer par lui au pied de la croix (12,32-33) et croit en lui, obtient la vie éternelle. L’interprétation de Sg 16 soulignait déjà que ce n’était pas la simple vue du serpent qui sauvait, mais un regard de conversion qui ramenait le cœur à Dieu et à sa Loi. Pareillement, en Jn 3,14-15, c’est la foi, ou plutôt le regard de la foi vers le Fils de l’homme élevé, qui procure la vie éternelle. 21. Le texte massorétique affiche bô, litt. « sur lui », qui peut aussi bien faire référence à l’échelle (masc. en hébreu) qu’à Jacob lui-même. Mais il y a unanimité des commentateurs à se ranger derrière la version grecque, qui situe explicitement le mouvement des anges sur l’échelle. Notons au passage l’existence d’une discussion rabbinique favorisant le mouvement des anges de Dieu au-dessus de Jacob (Gen. R. 68,12.18 et 69,3), ce qui se rapproche davantage de Jn 1,51. Voir C.K. BARRETT, Gospel (n. 11), p. 187 ; R. BULTMANN, The Gospel according to John (n. 11), p. 105. 22. Nouvelle ambiguïté du texte hébraïque, dont le pronom masculin (‫ )עליו‬peut renvoyer à l’échelle aussi bien qu’à Jacob. Dans la version grecque, Dieu se tient clairement au-dessus de l’échelle (ἐπ᾿ αὐτῆς v.13).

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ce n’est plus sur l’échelle de Bethel mais au-dessus du Fils de l’homme que les anges montent et descendent. Selon l’interprétation la plus fréquente, c’est le Fils de l’homme glorifié (sur la croix) qui serait la véritable Bethel, c’est-à-dire la maison de Dieu, la porte du ciel. Toutefois, ce simple constat, aussi juste soit-il, ne suffit pas à déployer toute la portée de la relecture qui sous-tend la fonction narrative du logion. La révélation Dans le songe de Jacob, l’imagerie visuelle de l’échelle tendue entre ciel et terre et des anges qui montent et descendent sert uniquement de cadre symbolique à l’idée de la manifestation divine. Une fois ce cadre mis en place, la révélation peut advenir : Dieu se manifeste à Jacob et lui fait la promesse d’une terre, d’une vaste descendance et d’un rassemblement de cette descendance sur la terre promise (Gn 28,13-15)23. Il s’agit d’une scène de révélation24, et la relecture johannique anticipe ainsi un thème majeur associé à la figure du Fils de l’homme dans l’évangile. Tout d’abord, s’il est évident que l’emploi des verbes ἀναβαίνω et καταβαίνω pour décrire le mouvement des anges au-dessus du Fils de l’homme en Jn 1,51 établit un lien formel avec l’épisode de Gn 28, il est tout aussi clair qu’il pointe vers l’occurrence des deux mêmes verbes dans le récit johannique pour décrire le mouvement du Fils de l’homme lui-même entre le ciel et la terre. De manière plus immédiate, l’image prépare l’énoncé de Jn 3,13, par lequel Jésus commence à dévoiler les éléments essentiels de la conception johannique du Fils de l’homme : « personne n’est monté au ciel [ἀναβέβηκεν, parfait d’effet continu] sinon celui qui est descendu du ciel [καταβάς aoriste d’action achevée], le Fils de l’homme ». Ce sont les deux seuls passages de l’évangile où les deux verbes sont utilisés corrélativement, et dans le même ordre, plutôt inhabituel lorsque le ciel est le point de départ.

23. Gn 28,14 assure l’assimilation de Jacob et de sa descendance : « Tu te répandras […] toi et ta descendance […] », de sorte que les pronoms de la 2e personne au v. 15 n’ont pas pour référent exclusif la personne de Jacob. Son retour sur la terre promise préfigure le retour d’exil du peuple de Dieu. 24. Y. PELEG, Going Up and Going Down. A Key to Interpreting Jacob’s Dream (Genesis 28:1022) (LHBOTS, 609), trad. B. ROZEN, London – New York, Bloomsbury, 2015. Peleg consacre une partie importante de sa thèse à démontrer qu’au plan du genre littéraire, le songe de Jacob amalgame deux types de rêves, soit le « rêve théophanique », qui présente habituellement un message et une manifestation explicite de Dieu, et le « rêve symbolique », dont la signification est médiatisée par une imagerie symbolique demandant à être correctement interprétée.

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L’énoncé de Jn 3,13 fait partie d’une argumentation voulant démontrer que Jésus est le seul témoin autorisé des choses célestes, parce qu’il est le Fils de l’homme descendu du ciel, et que personne d’autre, pas même Moïse, n’est monté au ciel pour en obtenir la connaissance (3,11-13). Le thème de la révélation, implicite en 1,51, se déploie en 3,11-13 : c’est par l’entremise du Fils de l’homme que les secrets célestes, notamment ceux qui concernent le salut final et la fin des temps, sont désormais accessibles ici-bas. C’est pourquoi, suivant la mention de la descente du Fils de l’homme, Jésus se met à dévoiler ces choses célestes que lui seul a autorité pour révéler25 : 1) il faut que le Fils de l’homme soit élevé (3,14-15), et 2) Dieu a envoyé son Fils unique dans le monde (3,16-18). Or, bien que le motif de la descente du ciel soit au cœur de l’argumentation sur l’autorité du révélateur, c’est la montée au ciel du Fils de l’homme qui y est mise en évidence au plan de la syntaxe : personne n’est monté sauf le Fils de l’homme. En fait, chaque composante du mouvement vertical associé au Fils de l’homme assume une fonction dans le schème de révélation des choses célestes : parce qu’il est descendu du ciel, le Fils de l’homme est le seul témoin oculaire qui puisse parler avec autorité des choses célestes ; mais c’est parce qu’il est aussi (re)monté au ciel26 que les croyants de la communauté post-pascale peuvent être associés au révélateur par la foi : « nous parlons de ce que nous savons, et nous témoignons de ce que nous avons vu » (Jn 3,11). La vision Tout le premier chapitre de l’évangile est traversé par le thème de la vision, qui fournit un point d’ancrage pour l’évocation intertextuelle de Gn 2827. Plusieurs commentateurs considèrent que les choses plus grandes en Jn 1,50 25. Le récit évangélique affiche une distinction entre les deux principales figures de la christologie quant à leur fonction révélatrice : le Fils (de Dieu) est l’Envoyé qui représente et manifeste pleinement le Père dans le monde (Jn 1,14.18 ; 14,7.9, etc.) ; le Fils de l’homme, quant à lui, révèle les choses célestes (3,11-13), qui concernent surtout l’identité de Jésus comme Sauveur et son rôle dans le salut du monde. 26. ἀναβέβηκεν est un parfait d’effet continu : le Fils de l’homme est (re)monté-et-continue-à-être au ciel. Les spécialistes continuent de débattre de la valeur de ce parfait et du sens de l’affirmation. En plus des commentaires, voir la contribution récente de M.N. PIERCE – B.E. REYNOLDS, « The Perfect Tense-Form and the Son of Man in John 3.13: Developments in Greek Grammar as a Viable Solution to the Timing of the Ascent and Descent », NTS 60 (2014) 149-155. 27. Ce dont témoignent les nombreuses occurrences de verbes associés au « voir » : v. 14.18.29.32.33.34.36. 38.39.42.46.47.48.50bis.51. Dans l’Ancien Testament, lorsqu’il est question de la révélation ou de la connaissance des secrets célestes, la vision (de Dieu, du ciel ou des choses célestes) se déroule souvent sous la forme d’un songe, comme c’est le cas en Gn 28. Sur le rêve théophanique, voir en particulier R. FIDLER, Do Dreams Speak Falsely?

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font référence à la série de signes accomplis par Jésus, à commencer par celui de Cana, qui manifeste la gloire du Fils unique de Dieu (2,11). Jn 1,51 est alors considéré comme un ajout rédactionnel qui crée une redondance maladroite quant à la vision annoncée, ainsi qu’une rupture dans la séquence narrative entre 1,50 et 2,1-1228, désormais rompue par l’anti-climax du v. 51. Pourtant, l’ajout rédactionnel maladroit n’est pas la seule façon de considérer la juxtaposition des deux énoncés. Les signes opérés par Jésus occupent une place importante dans l’intrigue du récit johannique (par ex. 2,18.23 ; 4,48 ; 6,2.14.26.30). Ces actes miraculeux sont des expressions symboliques du salut et manifestent la gloire de Jésus comme Fils plénipotentiaire du Père envoyé pour sauver le monde. Pourtant, ils font aussi l’objet d’une certaine critique de la part de Jésus et du narrateur lorsque le regard des témoins n’est attiré que par le merveilleux et ne parvient pas à percevoir la gloire du Fils de Dieu derrière le signe (par ex. 2,24-3,2 ; 4,48 ; 6,14-15.26.36 ; 12,37). Mais correctement perçus, les signes de l’Envoyé peuvent susciter la foi (2,11 ; 20,30-31) ; ils constituent effectivement des choses plus grandes que la simple connaissance prophétique de Jésus manifestée à Nathanaël. Pour que les miracles de Jésus deviennent véritablement signes, ils doivent être appréhendés à l’aune du signe parfait et définitif qu’est le Fils de l’homme élevé29. D’une certaine manière, pour l’évangéliste, c’est la vision dans la foi du Fils de l’homme élevé qui permet, non seulement d’interpréter sa mort comme un départ30, mais aussi de comprendre le sens véritable des signes ordonnés à la légitimation juridique de l’Envoyé de Dieu. Dream Theophanies in the Bible: Their Place in Ancient Israelite Faith and Traditions, Jerusalem, Magnes, 2005 ; aussi Y. PELEG, Going Up and Going Down (n. 24), p. 1-22. 28. Bien qu’une telle position ne soit pas sans appuis littéraires, il reste qu’au plan strictement narratif, le logion est tout à fait pertinent à cet endroit et élargit avantageusement la portée du v. 50. Voir M. MORGEN, « La promesse de Jésus à Nathanaël (Jn 1,51) éclairée par la Haggadah de Jacob-Israël », RevSR 67 (1993) 5-6 ; état de la question dans R.E. BROWN, The Gospel According to John (I–XII) (n. 14), p. 88–89. 29. Voir la discussion avec les Juifs en 2,18-22. Les auteurs ne s’entendent pas sur l’identification ou sur le nombre de signes dans le récit johannique. M. GIRARD, « La composition structurelle des sept “signes” dans le quatrième évangile », Studies in Religion 9 (1980) 315-324, a démontré de façon convaincante que sept événements sont explicitement désignés comme signe dans l’évangile, et qu’ils sont disposés selon une structure concentrique porteuse d’un immense potentiel herméneutique, dans laquelle le premier signe, l’eau devenue vin messianique à Cana (Jn 2,1-11), annonce le septième signe, parfait et définitif, à savoir l’élévation sur la croix/au ciel du Fils de l’homme dont le côté transpercé laisse s’écouler du sang et de l’eau (19,16-37). Voir aussi D.A. CARSON, The Gospel According to John, Leicester – Grand Rapids MI, Intervarsity – Eerdmans, 1991, p. 661 ; D. SENIOR, « The Death of Jesus as Sign: A Fundamental Johannine Ethic », in G. VAN BELLE (ed.), The Death of Jesus in the Fourth Gospel (BETL, 200), Leuven, Peeters – University Press, 2007, p.272. 30. Voir G.C. NICHOLSON, Death as Departure. The Johannine Descent-Ascent Schema, (SBL Diss. Ser.), 63, Chico CA, Scholars Press, 1983.

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Cette clé d’interprétation est explicitement communiquée en Jn 8,28-29 : Lorsque vous aurez élevé le Fils de l’homme, alors vous connaîtrez   que Je Suis,   et que je ne fais rien par moi-même,     mais que je dis les choses comme le Père me (les) a enseignées;   et que Celui qui m’a envoyé est avec moi :     Il ne m’a pas laissé seul car moi, je fais toujours ce qui lui plaît.

D’une manière que le lecteur doit lui-même décrypter, l’élévation du Fils de l’homme fera reconnaître trois choses : 1) que Jésus est le représentant plénipotentiaire du Père (usage absolu du Je Suis divin) ; 2) qu’il est un envoyé obéissant et fidèle, qui n’agit et ne parle qu’en conformité au mandat reçu du Père-Envoyeur ; 3) que malgré les apparences (élevé en croix), le Père n’a pas abandonné son Envoyé fidèle, il est toujours présent derrière son représentant. Cette attestation du statut de l’Envoyé ne peut reposer entièrement sur la vue des signes : la vision du Fils de l’homme élevé est aussi nécessaire. Le thème de la vision ou du regard associé au Fils de l’homme revient en Jn 6,62. Jésus vient à peine d’achever son discours sur le pain de vie, qu’il perçoit le murmure de certains disciples à l’effet de ne pouvoir continuer à écouter de telles paroles difficiles à accepter (σκληρός, 6,60). La réplique plutôt obscure qu’il leur adresse suscite encore aujourd’hui bien des interrogations : Ceci vous scandalise-t-il ? Si donc vous voyiez le Fils de l’homme montant [ἐὰν οὖν θεωρῆτε τὸν υἱὸν τοῦ ἀνθρώπου ἀναβαίνοντα] là où il était auparavant ? L’Esprit est ce qui vivifie, la chair n’y sert de rien ; les paroles que moi, je vous ai dites, sont Esprit et sont Vie. (Jn 6,61-63)

L’aposiopèse, par l’usage stylistique de l’interruption abrupte, force le lecteur à combler le vide laissé par l’apodose manquante31. Dans le cas présent, le récit programme deux options. La première, négative, s’applique à ceux qui ne peuvent voir au-delà de la croix : l’élévation du Fils de l’homme sera pour eux une plus grande cause de scandale que sa descente du ciel comme pain de vie pour le salut du monde ; mais pour les autres, dont le regard de foi perce les apparences, la (re)montée permettra de lever le scandale en démontrant une fois pour toutes l’origine céleste du Fils de l’homme. Pour le dire clairement, tout le schème christologique du Fils de l’homme est sous-tendu par le thème de la vision, du regard aiguisé par la foi capable de contempler le Fils de l’homme glorifié, remontant au ciel, alors qu’il est 31. Voir J. ZUMSTEIN, L’Évangile selon saint Jean (1–12) (n. 7), p. 240, n. 181.

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élevé sur la croix. C’est le ciment assurant la cohésion de ses diverses composantes. À cet égard, la promesse de Jésus en Jn 1,51 ne serait qu’un artifice trompeur si elle restait inaccomplie ou se limitait à n’être qu’une simple possibilité rhétorique. En l’absence d’un récit d’ascension comme celui de la tradition synoptique, il ne reste que l’événement de l’élévation du Fils de l’homme (sur la croix) où puisse s’accomplir l’annonce du v. 51. Et c’est par une nouvelle référence à l’Écriture que, d’une manière efficace bien qu’oblique, l’auteur s’acquitte de cette obligation narrative. Jésus ayant été élevé sur la croix et ayant expiré, le narrateur relate deux faits qui vont respectivement faire l’objet d’une interprétation scripturaire : l’exonération du crucifragium (Jn 19,22-33) et le coup de lance qui transperce le côté de Jésus, d’où s’écoulent du sang et de l’eau (19,34). Voulant interpréter ce second événement, le narrateur cite en 19,37 un extrait corrigé de Za 12,10 : « ils verront celui qu’ils ont transpercé » (ὄψονται εἰς ὃν ἐξεκέντησαν)32, tiré d’un passage du Deutéro-Zacharie (Za 9–14) où le prophète entrevoit l’intervention finale du Seigneur en faveur de Jérusalem. D’une certaine façon, la destruction des ennemis montés contre Jérusalem dépend du repentir et de la contrition du peuple, sur lequel se répand un « esprit de bonne volonté et de supplication33 ». D’où le deuil profond et amère qui affectera les habitants qui regarderont celui qu’ils ont transpercé. Malheureusement, le lecteur moderne manque de ressources lorsqu’il entend préciser l’identité et la fonction de cette victime, de même que les circonstances de sa fin tragique. À première vue, la référence scripturaire rencontre un problème de pertinence dans son contexte johannique. S’agissant de la scène du crucifragium, il y a correspondance parfaite entre l’événement et l’Écriture (soit Ex 12,10.46 ; Nb 9,12 ou encore Ps 34,21). Mais pour l’autre fait, le simple lien entre le coup de lance et la désignation « celui qu’ils ont transpercé » ne constitue pas un accomplissement de l’Écriture. Dans le texte de Zacharie, c’est l’action de 32. La citation johannique omet le pronom de la 1re personne, sur qui porte originellement le regard. Dans le texte massorétique en effet, c’est le Seigneur lui-même, d’abord identifié par un pronom à la 1re personne, mais ensuite relayé par un pronom à la 3e personne, qui fait l’objet du regard et du transpercement. Voyant la difficulté grammaticale et référentielle, et la possible corruption du texte, plusieurs scribes et commentateurs ont substitué le pronom de la 3e personne (un waw pour un yod), rétablissant du même coup la cohérence avec la suite du verset. L’identité de ce transpercé demeure toutefois mystérieuse, ouvrant la voie à la lecture messianique chrétienne. Voir R. MASON, The Books of Haggai, Zechariah and Malachi, Cambridge, Cambridge University Press, 1977, p. 118-119 ; R.L. SMITH, Micah–Malachi (WBC, 32), Waco TX, Word, 1984, p. 276 ; R.E. BROWN, The Gospel according to John (XIII–XXI) (AB, 29A), New York, Doubleday, 1970, p. 938. 33. Selon l’interprétation d’A.E. HILL, Haggai, Zechariah and Malachi. An Introduction and Commentary (Tyndale Old Testament Commentaries, 28), Nottingham, Inter-Varsity Press, 2012, p. 245.

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regarder le transpercé dans un esprit de supplication et de deuil qui constitue le cœur de la scène. Pour trouver un appui convenable dans le récit johannique, la citation a donc besoin de Jn 19,35, attestant de la fiabilité du témoignage de celui qui a vu (de façon durable, parfait grec ἑωρακώς), sans doute le disciple que Jésus aimait, présent au pied de la croix. C’est Jn 19,35 qui rend tout à fait légitime la citation de Za 12,10 pour qualifier le regard de la communauté croyante médiatisé par celui du disciple que Jésus aimait34, bouclant ainsi la promesse de Jn 1,51. Par la citation de Za 12,10, l’évangéliste ne fait pas qu’évoquer l’Écriture, il convoque aussi en arrière-plan de la scène d’élévation du Fils de l’homme tout le contexte eschatologique du dernier oracle de Zacharie (Za 12–14) : la vision du Fils de l’homme élevé actualise au présent le regard de foi du nouveau peuple de Dieu que le prophète annonçait pour le grand jour eschatologique du salut. Le grand rassemblement des engendrés de Dieu L’hypothèse voulant que Jn 1,51 annonce l’ensemble du schème christologique johannique du Fils de l’homme grâce à une relecture typologique du songe de Jacob à Béthel (Gn 28,10-22) serait incomplètement vérifiée si elle ne prenait pas en compte un dernier élément majeur rattaché au schème du Fils de l’homme, à savoir l’engendrement d’un nouveau peuple de Dieu et son rassemblement dans l’unité. Ces éléments faisaient l’objet d’un engagement formel de Dieu envers Jacob lors de la révélation reçue en songe : don de la terre, nombreuse descendance se répandant aux quatre coins du monde, retour (rassemblement) sur la terre promise (Gn 28,13-15). Dans la relecture johannique, ces promesses se réalisent lorsque le nouveau peuple de Dieu engendré par l’Esprit est rassemblé par le Fils de l’homme élevé. Ce thème de l’engendrement, parfois négligé dans les études sur le Fils de l’homme, apparaît dès le prologue, où le narrateur affirme que ceux qui ont accueilli le Logos venu dans la chair et qui croient en son nom, ont obtenu la capacité de devenir enfants de Dieu, n’étant plus conditionnés par la chair et le sang, mais étant engendrés de Dieu (ἐκ θεοῦ ἐγεννήθησαν, Jn 1,12-13). Cet énoncé de principe commence à se déployer en 3,3-8 alors que Jésus explique à Nicodème qu’il faut naître d’en haut, c’est-à-dire être engendré par l’eau et l’Esprit, pour entrer dans le Royaume de Dieu. 34. I. DE LA POTTERIE, « “Volgeranno lo sguardo a colui che hanno trafitto” : Sangue di Cristo e oblatività (Gv 19,37) », in A.M. TRIACCA (ed.), Il mistero del Sangue di Cristo e l’esperienza cristiana (Sangue e Vita), Rome, Ed. Pia Unione Preziosissimo Sangue, 1987, Vol. I, p. 2930.

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Il fallait cependant que Jésus soit glorifié pour que l’Esprit se déverse sur les croyants, comme des fleuves d’eaux vives coulant de son ventre (Jn 7,3739). On reconnaît assez généralement dans ce passage une prolepse annonçant et interprétant la scène du transpercement du Fils de l’homme élevé, dont la plaie au ventre laisse écouler du sang et de l’eau (19,34)35. Considérant ce dernier fait à la lumière de l’annonce du ch. 7, le lecteur ne peut rester imperméable au style évocateur du narrateur, qui vient tout juste de décrire la mort de Jésus d’une manière surprenante, par une expression au double sens reconnu : il rendit le (dernier) souffle / il transmit l’Esprit (παρέδωκεν τὸ πνεῦμα, 19,30). Sans doute que le lecteur perspicace visualisera aussi la suggestion portée par un détail graphique, en apparence superflu, qui accompagne le dernier souffle : « ayant incliné la tête [κλίνας τὴν κεφαλήν] », sous-entendu vers sa mère et son disciple qui le regardent. De manière fort habile, comme à son habitude, l’auteur ne suggère-t-il pas que Jésus, le Fils de l’homme élevé, transmet l’Esprit (d’engendrement) à sa mère et au disciple qu’il aimait36 ? De fait, les commentateurs n’ont pas toujours remarqué le lien étroit qui unit le récit de la mort de Jésus et la scène précédente où celui-ci, voyant sa mère et son disciple au pied de la croix, déclare : « Femme, voici ton fils », et à celui-là : « Voici ta mère » (Jn 19,26-27). La petite scène repose sur une formule de révélation, c’est-à-dire une parole performative qui réalise ce qu’elle énonce37. Il serait réducteur de n’y voir qu’un acte de piété filiale de la part d’un mourant qui veut assurer le bien-être de sa mère. L’instant est fortement souligné par la mention de l’heure, et c’est précisément à ce moment que Jésus sait que sa mission est accomplie : « Après ceci, Jésus, sachant que déjà tout était achevé [ἤδη πάντα τετέλεσται] […]» (19,28). Une lecture rapprochée de cette scène surchargée de sens y découvre le point d’arrivée de plusieurs annonces théologiques de l’évangile38. Tout d’abord, 35. J. ZUMSTEIN, L’Évangile selon saint Jean (1–12) (n. 7), p. 269-270 ; R.E. BROWN, The Gospel According to John (XIII–XXI) (n. 32), p. 949-950. 36. Interprétation déjà soutenue par E.C. HOSKYNS, The Fourth Gospel, Londres, Faber and Faber, 21947, p. 532 ; et par M. THURIAN, Marie, Mère du Seigneur, figure de l’Église (Foi vivante, 61), Taizé, Presses de Taizé, 1968, p. 249. R.E. BROWN, The Gospel According to John (XIII–XXI) (n. 32), p. 931, présente l’idée mais demeure hésitant, soulignant que le véritable don de l’Esprit ne sera raconté qu’en Jn 20,22. Nonobstant cette réserve de Brown, j’ai soutenu ailleurs que l’évangéliste avait dupliqué au plan narratif la scène de la transmission de l’Esprit pour mettre en relief différentes fonctions de l’Esprit selon qu’il est considéré dans le schème christologique du Fils de l’homme ou dans celui de l’Envoyé. Voir P. LÉTOURNEAU, « Le double don de l’Esprit et la christologie du quatrième évangile », Science et Esprit 44 (1992) 281-306. 37. M. DE GOEDT, « Un schème de révélation dans le quatrième évangile », NTS 8 (196162) 142-150. 38. Les éléments qui suivent sont traités en détail dans P. LÉTOURNEAU, « Le double don » (n. 36), auquel je me dois de renvoyer pour une démonstration mieux étayée. Les principales

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aucun autre passage du récit johannique ne permet de vérifier que les disciples ont effectivement été engendrés d’en haut par l’Esprit (cf. 1,12-13 ; 3,3-6 ; 3,14-15 ; 17,14-16). Or, par la déclaration de Jésus élevé en croix, les croyants, représentés par le disciple que Jésus aimait, deviennent fils de la mère de Jésus. C’est pourquoi, au matin de Pâques, Jésus pourra dire à Marie : « Va vers mes frères et dis-leur, “Je monte vers mon Père et votre Père […]” » (Jn 20,17)39. On reconnaît assez facilement le thème de la filiation des disciples et celui de la maternité spirituelle de la mère de Jésus en filigrane de la petite scène. Celle-ci acquiert un nouveau fils, et même une multitude de fils, si on tient compte du caractère représentatif de la figure du disciple bien-aimé. Ce thème avait déjà été évoqué dans le discours d’adieu, alors que Jésus comparait la joie eschatologique des disciples à celle de la femme qui oublie aussitôt les douleurs de l’accouchement, parce qu’« un homme a été engendré dans le monde [ἐγεννήθη ἄνθρωπος εἰς τὸν κόσμον] » (Jn 16,22). Formule plutôt étrange qui pourrait évoquer, semble-t-il, l’exclamation d’Ève lors de l’enfantement de Caïn : « J’ai acquis un homme grâce au Seigneur [Ἐκτησάμην ἄνθρωπον] » (Gn 4,1 LXX)40. En raison de ce lien oblique, la mère de Jésus serait en quelque sorte considérée à partir des traits de la femme en Jn 16,21, et pardelà celle-ci, à la première mère en Gn 4,1 : ne devient-elle pas la mère d’une nouvelle humanité en acquérant de nombreux fils, engendrés de l’Esprit, en la personne du disciple bien-aimé et de tous les croyants qu’il représente (Jn 1,12-13) ? Sans vouloir minimiser la richesse herméneutique de ce lien thématique, un autre filon scripturaire mérite d’être exploité. Revenons d’abord à la prophétie notoire du grand prêtre devant le Sanhédrin, alors qu’il cherche à étouffer le mouvement populaire en faveur de Jésus suscité par la résurrection de Lazare. Selon l’interprétation explicite du narrateur, Caïphe aurait prophétisé que Jésus « devait mourir pour la nation, […] et non seulement idées sont également soutenues dans la contribution récente de M.L. COLOE, « Temple Imagery in John », Interpretation 63 (2009) 380. 39. La scène de Jn 19,28-30 décrit en quelque sorte l’acte fondateur de la communauté des croyants. Voir M.-A. CHEVALLIER, Souffle de Dieu. Le Saint-Esprit dans le Nouveau Testament (Le Point théologique, 54), Paris, Beauchesne, 1990, Vol. 2, p. 436 ; ID, « La fondation de l’“Église” dans le quatrième évangile (Jn 19,25-30) », ETR 58 (1983) 352. 40. Idée proposée il y a plus d’un demi-siècle par A. FEUILLET, « Les adieux du Christ à sa mère (Jn 19,25-27) et la maternité spirituelle de Marie », NRT 86 (1964) 469-89 ; ID, « L’heure de la femme (Jn 16,21) et l’heure de la Mère de Jésus (19,25-27) », Bib 47 (1966) 169-84] ; puis reprise par la suite, par ex. M. THURIAN, Marie (n. 36), p. 21-30 et 255-267 ; F.-M. BRAUN, Jean le théologien, Vol. III/2 : Sa théologie. Le Christ, notre Seigneur, hier, aujourd’hui, toujours (EBib), Paris, Gabalda, 1972, p. 104-106 ; R.E. BROWN, The Gospel According to John (XIII–XXI) (n. 32), p. 925-926.

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pour la nation, mais aussi pour rassembler dans l’unité tous les enfants de Dieu dispersés » (Jn 11,50.52). Or cette prédiction inspirée trouve un premier écho dans la troisième annonce de l’élévation du Fils de l’homme faite par Jésus : 23

« Elle est arrivée l’heure où le Fils de l’homme est glorifié […] ; 32 et moi, lorsque je serai élevé de la terre, j’attirerai tous [les hommes] à moi. » 33Or il disait ceci pour signifier de quelle mort il allait mourir. (Jn 12,23.32-33)

À vrai dire, il n’y a qu’au pied de la croix, quand l’Esprit se déverse du Fils de l’homme élevé sur sa mère et sur son disciple, qu’est engendrée la communauté des fils de la mère de Jésus et que se réalise symboliquement le grand rassemblement du nouveau peuple de Dieu. Considérant de nouveau le rapprochement entre cet épisode et l’analogie de la femme qui donne naissance en Jn 16,20-22, un autre passage scripturaire vient spontanément à l’esprit pour éclairer le sens de la scène, soit la prophétie d’Isaïe 66 à propos de la Femme-Mère Sion. Le texte parle du grand rassemblement eschatologique des nations à Jérusalem (Sion), qu’il évoque avec l’image d’une mère qui mettrait au monde tous ses enfants simultanément sans connaître les douleurs de l’accouchement. N’est-ce pas ce qui arrive à la mère de Jésus, qui acquiert une multitude de fils à Jérusalem, en une seule fois, et sans douleurs ? Quant au signe placé au milieu des nations rassemblées à Jérusalem pour contempler la gloire du Seigneur, ne s’agit-il pas du Fils de l’homme élevé et glorifié, au pied duquel est rassemblé le nouveau peuple des engendrés de l’Esprit ? Avec cette petite scène qui clôt le parcours christologique du Fils de l’homme dans l’Évangile selon Jean, c’est non seulement la prophétie isaïenne du grand rassemblement eschatologique qui trouve symboliquement un achèvement plénier, mais aussi la promesse de Dieu à Jacob, alors que son innombrable descendance est de nouveau rassemblée devant le Fils de l’homme élevé. CONCLUSION La réplique de Jésus à la confession messianique de Nathanaël a quelque chose d’obscur et d’énigmatique. S’il est évident d’une part que la vision des plus grandes choses sous-tend ou annonce une figure salvatrice plus imposante que le messie royal estimé sur la base de la connaissance surnaturelle manifestée par Jésus, il faut reconnaître d’autre part que le lecteur est davantage sollicité lorsqu’il s’agit de déchiffrer le sens de l’image esquissée par Jésus : le ciel ouvert laissant voir les anges en mouvement au-dessus du Fils de l’homme.

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La version synoptique de l’incident affiche une correction messianique plus explicite : à Pierre qui reconnaît en Jésus le Christ, Jésus impose le silence et commence à enseigner que le Fils de l’homme allait beaucoup souffrir, être rejeté et mis à mort avant de ressusciter dans la gloire le troisième jour (Mc 8,29-31 par.). L’énoncé johannique laisse davantage transparaître la stature glorieuse du personnage grâce aux motifs du ciel ouvert et des anges. À première vue, rien n’indique que la figure du Fils de l’homme est étroitement associée à l’événement de la crucifixion de Jésus. Et pourtant, c’est bien la totalité des énoncés sur le Fils de l’homme que convoque et anticipe le logion de Jn 1,51. Et en fin de parcours, les disciples, suivis de près par le lecteur, auront pareillement corrigé leur conception messianique et pourront confesser Jésus, le Fils de l’homme glorifié, comme leur Seigneur et Dieu (20,28). La finesse du procédé johannique se laisse déjà percevoir en 1,51 par l’ajout d’un détail énigmatique : le mouvement des anges qui montent et descendent au-dessus du Fils de l’homme. Comme les pages précédentes ont voulu le démontrer, ce petit détail renvoie le lecteur au songe de Jacob (Gn 28,10-22) et lui permet d’amorcer une relecture typologique qui se déploie au fil des énoncés johanniques sur le Fils de l’homme. Il comprendra que le Fils de l’homme élevé est la véritable « porte du ciel », le lieu où Dieu convoque tous les engendrés de l’Esprit au grand rassemblement eschatologique. Pierre LÉTOURNEAU Université de Montréal [email protected]

« L’HEURE EST VENUE », OU LA FIN AU PRÉSENT JN 17 ET L’ENJEU INTER-ECCLÉSIAL DU QUATRIÈME ÉVANGILE

Le quatrième évangile contient deux grandes pièces unifiées, chacune de plus de vingt-cinq versets de long, à savoir le discours du chapitre 5 et la prière de Jésus au terme des entretiens après le lavement des pieds, au chapitre 17. Il y a bien des correspondances formelles, tant stylistiques que dans l’art de composer, entre ces deux pièces majeures. Nous avons analysé récemment Jn 5,19 à 47, comme contribution au Festschrift pour don Roberto Vignolo1. Nous sommes heureux d’offrir cette analyse de Jn 17 pour fêter aujourd’hui fr. Michel Gourgues, o.p. Le but de cette recherche-ci n’est pas seulement d’arriver à repérer un modèle satisfaisant qui retrace jusque dans les moindres détails la composition soignée à l’extrême de cette longue pièce unifiée. Notre intérêt concerne aussi, comme dans l’étude parallèle menée sur Jn 5,19-47, l’enjeu éditorial de cette page, dans le dialogue formel du milieu johannique avec la tradition synoptique et les Églises qui se rattachent à Pierre et aux Douze. On sait, à partir du chapitre 21, que l’éditeur du quatrième évangile a le souci de se situer, avec sa communauté, à l’intérieur de la grande Église, tout en gardant sa spécificité propre2. Ce souci trouve son corollaire apologétique explicite dans ce grand chapitre où le Christ prie formellement pour l’unité non seulement des disciples recrutés de son vivant mais de « tous ceux qui par leur parole auront cru en lui » (17,20). On peut dire que dans ce chapitre 17 l’enjeu inter-ecclésial est au centre même de la stratégie rhétorique. « Que tous soient un » vise justement à la lettre le dialogue inter-ecclésial. Commençons 1. B. STANDAERT, « Le discours du chapitre 5 de saint Jean. Analyse de la composition et recherche sur l’enjeu », in M. CRIMELLA – G.C. PAGAZZI - S. ROMANELLO (ed.), Extra ironiam nulla salus. FS Roberto Vignolo, Milan, Glossa, 2016, p. 747-770. 2. Voir notre examen de la question : « Jean 21 et les Synoptiques. L’enjeu inter-ecclésial de la dernière rédaction de l’évangile », in A. DENAUX (ed.), John and the Synoptics (BETL, 101), Peeters, Leuven, 1992, p. 632-643.

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B. STANDAERT

par étudier de près la composition interne de ces 27 versets, puis, en un deuxième temps, voyons l’originalité du positionnement de l’auteur-éditeur de cette page dans le dialogue inter-ecclésial. I. LA COMPOSITION Jn 17 est une grande page, qui fascine quiconque cherche à trouver une disposition quelque peu harmonieuse pour ce long discours-prière. Une manière commode d’articuler l’ensemble est de partir du contenu. Jésus prie d’abord pour lui-même : que Dieu veuille bien le glorifier. Il prie ensuite pour ceux que Dieu lui a donnés et qui ont accueilli sa parole. Il prie enfin pour ceux qui croiront en lui grâce à leur parole. Cela donne trois parties et esquisse un mouvement dans le temps comme dans l’espace : on assiste à un auditoire toujours plus large et toujours plus proche de la situation actuelle de la lecture-proclamation du texte. Mais autant il est facile de distinguer quand il prie pour lui-même (Jn 17,1b5), et quand il commence à prier pour « ceux qui croiront en lui » par la suite (v. 20), autant il est bien moins clair de signaler quand commence la prière pour ses disciples (le v. 9 n’est pas un point de départ mais un moment où l’orant se résume). Retenons toutefois le mouvement en trois moments3. Mais voyons de plus près ce qui structure cette longue page. C’est tout le jeu des inclusions, des répétitions, des amorces nouvelles, avec des vocatifs ou des impératifs sans conjonctions qui doit permettre de découvrir une structure harmonieuse pour tout cet ensemble. Certains ont pensé à cinq unités, avec au centre un segment plus large (v. 11b-19) : v. 1-5 v. 6-11a     v. 11b-19 v. 20-23 v. 24-264 3. C’est la disposition retenue par J. ZUMSTEIN dans son récent commentaire : L’Évangile selon saint Jean (13–21) (CNT, IVb), Genève, Labor et Fides, 2007, p. 160-161. R.E. BROWN, The Gospel according to John XIII–XXI (AB, 29A), New York, Doubleday, 1970, p 48-751, résume bien ses prédécesseurs et se résout, lui aussi, à trois unités : v. 1-8 ; v. 9-19 et v. 20-26. Il voit comment, dans chacune des trois unités, on trouve au moins cinq correspondances thématiques frappantes (750). Le commentaire de X. LÉON-DUFOUR, Lecture de l’Évangile selon saint Jean. Vol. III : Les adieux du Seigneur (chapitres 13–17), Paris, Seuil, 1988, retient également trois unités pour l’ensemble de la prière (17,1-11a : mise en présence du Père ; 17,11b-23 : « Garde-les […] pour qu’ils soient un » ; 17,24-26 : la communion dans la gloire). 4. C’est le schéma proposé par E. MALATESTA, « The Literary Structure of John 17 », Bib 52 (1971) 190-214, qui offre sans doute l’analyse la plus fouillée de tous, la plus proche aussi de

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Rappelons encore l’article de R. Schnackenburg5 qui tient compte de trois études antérieures. Il y a celle de E. Malatesta6 dont il se débarrasse assez vite7 ; celle de J. Becker8 qui offre un bon dossier des études antérieures9, mais que Schnackenburg ne suit pas vraiment, au point de vue méthodologique (la question des genres littéraires dans cette page et celle d’une analyse diachronique font que les avis divergent dans la disposition de structure de l’ensemble) ; et enfin celle de A. Laurentin10. On y trouve des remarques pertinentes sur le « et maintenant », comme coup de barre donné à un exposé continu, mais l’application faite à Jn 17, ne convainc pas Schnackenburg. Voici le schéma retenu par Laurentin : v. 1-4 (introduction) ;    v. 5-6 (transition), (καὶ νῦν) ;       v. 7-12 (avec νῦν en tête) ;       v. 13-23 (avec νῦν en tête) ;    v. 24 (transition) ; v. 25-26 (conclusion).

Becker, de son côté, compte une ouverture-introduction aux versets 1-2, puis quatre unités : v. 4-5, 6-13, 14-19, 22-26 (il écarte le v. 3 comme une insertion secondaire). Il voit dans chaque unité trois à quatre genres réunis (ce que Jésus a fait, une remarque préliminaire de la demande ; la demande même, le fondement de la demande). Enfin Schnackenburg propose lui aussi une disposition originale11, avec des paragraphes entiers qui seraient comme notre manière de travailler. Il marche explicitement sur les traces de A. Vanhoye, quand celui-ci analyse et commente la composition de Jn 5,19-30. Voir A. VANHOYE, « La composition de Jn 5,19-30 », in A. DESCAMPS – A. DE HALLEUX (ed.), Mélanges bibliques en hommage au R. P. Béda Rigaux, Duculot, Gembloux, 1970, p. 259-274. Nous avons également suivi Vanhoye dans notre analyse de Jn 5. Voir B. STANDAERT, « Le discours du chapitre 5 de saint Jean » (n. 1), p. 748. Ce qui reste curieux dans le schéma final retenu par Malatesta, c’est que le centre du centre n’est pas un énoncé particulier mais tout un paragraphe subdivisé en deux unités (v. 11b à 16, formé par v. 11b-12 [ab] et v. 13-16 [b’a’]). La richesse de son analyse est d’avoir relevé non seulement les strophes (28), les lignes (113) ou les mots (exactement 500, avec les 12 de l’introduction narrative), mais même les syllabes (917, + 26 pour l’introduction). 5. R. SCHNACKENBURG, « Strukturanalyse von Joh 17 », BZ 17 (1973) 67-78 et 196-202. 6. Voir n. 4. 7. Ibid., p. 68 : « Das kunstvolle Schema von E. Malatesta erweist sich bei genauer Prüfung als gepresst und künstlich ». 8. J. BECKER, « Aufbau, Schichtung und theologiegeschichtliche Stellung des Gebetes in Joh 17 », ZNW 60 (1969) 56-83. 9. Ibid., p. 56-61. 10. A. LAURENTIN, « We ‘attah – Kai nun. Formule caractéristique des textes juridiques et liturgiques (à propos de Jean 17,5) », Bib 45 (1964) 168-197 et 413-432 (pour Jn 17, p. 423432). 11. R. SCHNACKENBURG, « Strukturanalyse von Joh 17 » (n. 5), p. 70-72.

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B. STANDAERT

insérés dans une deuxième mouture (v. 3, 7-8, 10b, 12b, 16, 20-21). Il retient pour l’ensemble quatre grandes unités : v. 1-5, 6-11a, 11b-23, 24-26. Devant toutes ces tentatives on pourrait désespérer de trouver encore une disposition pleinement satisfaisante ! Essayons tout de même, en restant aussi près que possible du texte grec avec le jeu qu’il instaure par les formes. Une structure qui nous paraît intégrer deux des modèles précédents et offrir le plus de satisfaction est de voir dans l’ensemble trois grandes sections (I, II, III), chacune subdivisée tantôt en deux et une fois, au centre, en trois petites unités ou paragraphes (AB ABC AB). En tout, cela donne sept unités12, toutes bien structurées en elles-mêmes, le plus souvent avec une forte inclusion entre les extrémités. On trouve également, au cœur de quatre unités, en tout six courtes parenthèses explicatives. Ce dernier trait forme une des originalités de ce grand discours-prière. I

II III

A B

v. 1-5 v. 6-10

[v. 3, parenthèse] [v. 6b et 9c, parenthèses]

A v. 11-13 B v. 14-16 C v. 17-19

[v. 12, parenthèse] [v. 15 : le centre du centre!]

A B

[v. 21b et 23a, parenthèses]

v. 20-23 v. 24-26.

Parcourons l’ensemble et voyons comment chaque subdivision forme une unité et s’équilibre par rapport au reste, s’intégrant dans une grande disposition concentrique, étonnamment bien charpentée. IA 171b πάτερ, ἐλήλυθεν ἡ ὥρα· δόξασόν σου τὸν υἱόν, ἵνα ὁ υἱὸς δοξάσῃ σέ, 2

καθὼς ἔδωκας αὐτῷ ἐξουσίαν πάσης σαρκός, ἵνα πᾶν ὃ δέδωκας αὐτῷ δώσῃ αὐτοῖς ζωὴν αἰώνιον.

[cf. Jn 12,23 ; Mc 14,41] [cf. Jn 12,28] [cf. Mt 11,27 ; 9,6 ; 28,18] [cf. Jn 5,23]

12. A. LOISY, Le quatrième évangile, Paris, Alphonse Picard et fils, 1903, p. 441, cité par R.E. BROWN, dans son commentaire (The Gospel according to John XIII–XXI [n. 3], p. 748), en retient également sept : v. 1-2, 4-5/ 6-8/ 9-11c/ 11d-12c, 13-14/ 15-19/ 20-23/ 24-26 (les v. 3 et 12b sont considérés comme des ajouts secondaires). On peut s’interroger : le nombre de sept correspond-il ici à celui qui articule la prière de Jésus, enseignée à ses disciples, dans l’évangile de Matthieu, le célèbre « Notre Père », connu également tel quel dans l’Église qui a édité la Didachè des Apôtres, à la fin du premier siècle ? On verra par la suite que l’idée d’offrir par cette longue prière une variante amplifiée du « Notre Père » traditionnel est bien présente chez le rédacteur de cette page johannique.

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[3 αὕτη δέ ἐστιν ἡ αἰώνιος ζωὴ ἵνα γινώσκωσιν σὲ τὸν μόνον ἀληθινὸν θεὸν καὶ ὃν ἀπέστειλας Ἰησοῦν Χριστόν.]

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[parenthèse] [cf. Jn 17,8.20.23.25]

ἐγώ σε ἐδόξασα ἐπὶ τῆς γῆς ἐγώ σε ἐδόξασα ἐπὶ τῆς γῆς

4

καὶ νῦν δόξασόν με σύ, πάτερ, παρὰ σεαυτῷ τῇ δόξῃ ᾗ εἶχον πρὸ τοῦ τὸν κόσμον εἶναι παρὰ σοί.

5

[cf. Jn 17,1b.25]

Jn 17,3, au beau milieu, forme une espèce de digression ou parenthèse, s’appuyant sur le dernier mot du v. 2 : « la vie éternelle », en vue de l’expliciter (noter l’inversion des termes : « vie éternelle », « éternelle vie », en grec). Nous retrouverons encore cinq fois ce procédé de petites parenthèses à l’intérieur d’un paragraphe dans cette longue prière. On ne peut manquer de voir la forte inclusion entre l’ouverture (Jn 17,1ac) et la finale (17,5a) : deux fois « Père » au vocatif ; deux fois l’impératif : « glorifie » (12,28). Subtile variante : « ton fils » et « moi » comme objet direct du verbe à l’impératif, alors qu’en 12,28 il était dit : « Glorifie ton nom ». En glorifiant son nom de « Père », il glorifie la relation à son Fils. Le début du chapitre 17 tient donc à développer et expliciter le sens de la très courte prière en 12,28, qui, elle, n’est pas sans lien avec la prière du Jésus synoptique à Gethsémani. « L’heure est venue ». Ce thème de l’heure, si fréquent en Jean, contient toutefois un écho précis en provenance des Synoptiques, là où Jésus laisse tomber ce mot quand, dans le jardin de Gethsémani, le traître surgit (Mc 14,41 ; par. Mt 26,45). Que ce mot revienne ici, n’est donc pas sans lien avec l’épisode de Gethsémani, comme ce fut déjà le cas en Jn 12,23, parlant aux Grecs, et en 13,32, au moment où Judas quitte le lieu du dernier repas ! On assiste à une anticipation mais aussi à une transposition : au lieu de pointer vers ce qui va ruiner la vie du fils de l’homme, comme on lit chez Marc ou Matthieu, il y est chaque fois question, dans Jean, de « la gloire », à savoir la glorification du fils de l’homme ou du Fils (12,23.28 ; 13,32 ; 17,1). Le chapitre 17 vient donc se substituer à la prière connue chez les Synoptiques. Dans le quatrième évangile, arrivé au jardin du domaine de Gethsémani, Jésus ne priera plus seul, et il n’y connaît ni angoisse ni « agonie » à proprement parler, comme chez Marc, Matthieu ou Luc. L’agonie en Jean est déplacée au chapitre 12 et là, elle est aussitôt rattachée à la glorification (12,27-28). Jn 17,4 commence par une très forte juxtaposition du moi et du toi : ἐγώ σε et le verset 5 laisse voir l’inversion, pas moins emphatique : με σύ13. Le 13. On peut se rappeler que dans la prière de Gethsémani, chez Marc (14,36), le dernier mot est également un emphatique « toi [σύ] » : ἀλλ᾿ οὐ τί ἐγὼ θέλω ἀλλὰ τί σύ.

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B. STANDAERT

verset 4 situe la gloire « sur terre », le verset 5 parle de la gloire « avant que fût le monde ». Au verset 1a il était question des « yeux levés au ciel », ce qui sollicite l’expression du « Père » « au ciel », comme dans le « Notre Père » matthéen. Le temps et l’espace sont évoqués par des expressions antithétiques : « ciel » et « sur terre » ; « l’Heure » et « avant que le monde soit ». Le mouvement qui traverse ces cinq versets ouvre la prière toute concise du chapitre 12 : « Père, glorifie ton Nom » (Jn 12,28). On voit maintenant et comprend pleinement que, quand il est demandé au Père de glorifier son nom de « père », il est appelé à glorifier sa relation au Fils, et donc il « glorifie le Fils ». Le Père le fait en le reprenant dans la gloire, celle d’avant la création du monde, à savoir en le ressuscitant par-delà la mort. Le Fils glorifie le Père en mourant, en « sanctifiant le Nom », expression codée pour dire à l’époque en milieu juif – et encore aujourd’hui – d’accepter la mort du martyre. La vision johannique voit la glorification comme un seul acte où mort et résurrection coïncident. Sur ce point elle corrige la vision des Synoptiques où Jésus annonce coup sur coup d’abord sa souffrance et sa mort et ensuite, « après trois jours » ou « le troisième jour », la résurrection. On peut noter encore l’effet stylistique de placer le possessif « à toi » ou « ton » entre le verbe et l’objet direct : πάτερ, δόξασόν σου τὸ ὄνομα et δόξασόν σου τὸν υἱόν (Jn 12,28 ; 17,1), ce qui dans la troisième version deviendra simplement : δόξασόν με (17,5). Le « tien » devient « moi ». Le Notre Père matthéen commençait par le Nom qui demande à être sanctifié. Les cinq premiers versets de Jn 17 méditent en profondeur sur cette thématique traditionnelle, y associant la Pâque christique, où le Fils glorifie le Père dans la mort en « sanctifiant le Nom », et où le Père « glorifie son nom » en glorifiant le Fils, le ressuscitant d’entre les morts. Cette première unité est extrêmement dense, bien équilibrée grâce à l’inclusion solide entre Jn 17,1b et 17,5, avec en son centre (v. 3) le cœur même de tout le message du livre : « Te connaître, toi, le seul Dieu véritable et celui que tu as envoyé, Jésus Christ ». Sur ce point, l’auteur par-delà toutes ses libertés, reste inattaquable car il dit ce que tous les autres qui se réclament de Jésus, tiennent à dire également. La finale en 20,31 redira en force ce même credo commun retenu par toutes les traditions : « […] pour que vous croyiez que Jésus est le Christ, le Fils de Dieu, et pour qu’en croyant vous ayez la vie en son nom ». L’auteur réussit ainsi à contrebalancer lucidement les choses très traditionnelles avec des accents à lui, tout à fait autres que ceux de la tradition synoptique notamment. Cette première unité est comme la matrice qui commandera tout le reste du chapitre. Le verbe à l’impératif δόξασον sera répercuté par τήρησον (« garde », Jn 17,11) et ἁγίασον (« sanctifie » ou « consacre », 17,17). Encore cinq fois

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il sera question de « celui (ou moi) que tu as envoyé » (17,8.18.20.23.25 ; le même verbe se rencontre en tout sept fois, dont deux fois au 17,18). On verra aussi comment la dernière unité reviendra vers le centre de cette première, en insistant sur le verbe « connaître » et « faire connaître » et qu’à son tour elle remontera au moment « avant que le monde fut créé » (17,5.24). IB 176 Ἐφανέρωσά σου τὸ ὄνομα τοῖς ἀνθρώποις οὓς ἔδωκάς μοι ἐκ τοῦ κόσμου. [cf. Jn 17,4] [σοὶ ἦσαν κἀμοὶ αὐτοὺς ἔδωκας] καὶ τὸν λόγον σου τετήρηκαν. [cf. Jn 17,11.12.15 (même verbe, autre sens)] 7 8

9

νῦν ἔγνωκαν ὅτι πάντα ὅσα δέδωκάς μοι παρὰ σοῦ εἰσιν· ὅτι τὰ ῥήματα ἃ ἔδωκάς μοι δέδωκα αὐτοῖς, καὶ αὐτοὶ ἔλαβον καὶ ἔγνωσαν ἀληθῶς ὅτι παρὰ σοῦ ἐξῆλθον, καὶ ἐπίστευσαν ὅτι σύ με ἀπέστειλας. Ἐγὼ περὶ αὐτῶν ἐρωτῶ, οὐ περὶ τοῦ κόσμου ἐρωτῶ ἀλλὰ περὶ ὧν δέδωκάς μοι, ὅτι σοί εἰσιν,

[καὶ τὰ ἐμὰ πάντα σά ἐστιν καὶ τὰ σὰ ἐμά,] καὶ δεδόξασμαι ἐν αὐτοῖς.

[cf. Jn 17,7] [cf. Jn 17,3.20.21.23.25] [cf. Jn 17,4.20 (2× περί)]

10

[cf. Jn 17,4.5.7.20.23.25]

La deuxième unité de cette première section (I B) commence de façon narrative : « J’ai fait connaître ton nom », au passé, renouant ainsi avec Jn 17,4 : « Je t’ai glorifié sur terre, accomplissant l’œuvre […] ». Il a glorifié le Père en manifestant le Nom. Le récit se poursuit en rappelant comment le message est passé, a été accueilli, reçu, compris et cru. Les verbes s’enchaînent, décrivant les étapes de la révélation qui passe jusqu’au moment de pleine reconnaissance et foi « que je suis sorti de chez toi et que tu m’as envoyé ». Ce point d’aboutissement renoue avec la proposition centrale du premier paragraphe (Jn 17,3). Connaître, reconnaître et croire sont autant de synonymes ici. Par deux fois on assiste à une petite parenthèse, une reprise, une mise en valeur de ce qui vient d’être dit, comme un redoublement, comparable au v. 3 mais plus discret : « ils étaient à toi et tu me les as donnés » (Jn 17,6c) ; « parce que […] tout ce qui est à moi est tien et le tien est mien » (17,10a). En Jn 17,9, on trouve en tête un Ἐγώ, emphatique, comme en 17,4, et la narration aboutit maintenant au présent : « moi, je prie ». Il dit ce qu’il fait, à l’instant. Si dans la première unité « gloire » (1×) et « glorifier » (4×)

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revenaient sans cesse, en équilibre avec le verbe « donner » (3×), dans la deuxième unité c’est « donner » qui domine de loin (5×), et le verbe « glorifier » ne revient qu’une fois, dans le dernier membre : « et je suis glorifié en eux ». Les deux strophes, prises ensemble, rééquilibrent les deux verbes et le substantif « gloire » : glorifier/gloire : 6× ; donner : 8×. En grec les deux verbes s’attirent car le parfait de « donner » (δέδωκα) semble un homonyme du verbe « glorifier » (δοξάζειν et le substantif δόξα). Une idée profonde et originale qui surgit dans ce deuxième paragraphe, est que nous – les humains (ἀνθρώποις, 17,6) – sommes entre le Père et le Fils le don de l’un à l’autre, et le partage est parfait : ils sont « à toi » comme ils sont « à moi » car « tout ce qui est tien est mien » (17,10). « Et je suis glorifié en eux » (Jn 17,10). Ce dernier trait de la seconde unité est remarquablement elliptique. Rien ne nous a préparés à ce raccourci merveilleux. La gloire qui est en premier lieu en Dieu, en son Nom, est passé au Fils qui a manifesté le Nom, la « Parole [λόγος] » et « les paroles [τὰ ῥήματα] » du Père, et comme les hommes ont fait bon accueil à cette communication, voici que « je suis glorifié en eux », et eux sont donc le lieu de sa gloire à lui, qui est la gloire du Père. Il y a donc déjà, à l’heure même où il prie, une première « gloire » du Fils dans l’accueil que les disciples ont fait à son message. La grande Heure unit tout, en un « déjà » surprenant. Il nous paraît indiqué de prendre ces deux unités (A et B) comme un tout, avec un point de départ (« Père ») et un point d’aboutissement (« moi glorifié en eux ») qui curieusement vont se reproduire tels quels dans la troisième et dernière unité (III, Jn 17,20-26). Passons à la deuxième section qui contient trois unités (II A, B et C). II A 1711 καὶ οὐκέτι εἰμὶ ἐν τῷ κόσμῳ, [cf. Jn 17,13] καὶ αὐτοὶ ἐν τῷ κόσμῳ εἰσίν, κἀγὼ πρὸς σὲ ἔρχομαι. [cf. Jn 17,13] πάτερ ἅγιε, τήρησον αὐτοὺς ἐν τῷ ὀνόματί σου ᾧ δέδωκάς μοι, [cf. Jn 17, 12] ἵνα ὦσιν ἓν καθὼς ἡμεῖς. [12 ὅτε ἤμην μετ᾿ αὐτῶν ἐγὼ ἐτήρουν αὐτοὺς ἐν τῷ ὀνόματί σου ᾧ δέδωκάς μοι, [cf. Jn 17,11] καὶ ἐφύλαξα, καὶ οὐδεὶς ἐξ αὐτῶν ἀπώλετο εἰ μὴ ὁ υἱὸς τῆς ἀπωλείας, ἵνα ἡ γραφὴ πληρωθῇ.] 13 νῦν δὲ πρὸς σὲ ἔρχομαι καὶ ταῦτα λαλῶ ἐν τῷ κόσμῳ [cf. Jn 17,11] ἵνα ἔχωσιν τὴν χαρὰν τὴν ἐμὴν πεπληρωμένην ἐν ἑαυτοῖς. [cf. Jn 15,11 ; 16,24 ; 1 Jn 1,4]

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Les trois paragraphes (A, B, C) sont un rien plus courts en cette section centrale que les deux paragraphes de la première section. Chacun est charpenté par une forte inclusion. Jn 17,11 forme par ailleurs une charnière où l’on renoue avec le récit précédent et où l’on annonce tout ce qui suit. La section commence par du narratif, comme on a trouvé au v. 6 et au v. 9. Ce même narratif se poursuivra en 17,13a, avec en outre la même tournure – « Et maintenant je viens vers toi » – et une petite contradiction – « je dis cela dans le monde » –, alors qu’en 17,11a il précisait que déjà « il n’était plus [οὐκέτι] dans le monde ». Les deux sont sans doute vrais, et se complètent au niveau de la pensée : il y a présence à eux et il y a absence par rapport à « ce monde » qu’il est en train de quitter pour rejoindre le Père. Il reste que l’inclusion entre les versets 11 et 13 est particulièrement appuyée. Vient alors la deuxième demande forte de la prière : « Père saint, garde-les [τήρησον αὐτούς] dans ton nom, ceux que tu m’as donnés » (Jn 17,11). En tête de cette partie centrale, on revient sur l’apostrophe initiale (« Père »), enrichie cette fois par « saint », ce qui introduit la thématique de la sanctification qui sera développée en II C (17,17-19). Ce verset renoue également avec le premier impératif, en demandant ici de « les garder en ton Nom » (τήρησον αὐτοὺς ἐν τῷ ὀνόματί σου). Notons qu’à aucun moment Jésus ne parle d’agir ou d’entreprendre quoi que ce soit en son nom à lui (seul en 15,21 on trouve un διὰ τὸ ὄνομά μου). Ici, tout se fait pour et par le Nom du Père. « […] afin qu’ils soient un comme nous » (Jn 17,11d). Cette dernière clausule vient renforcer la fonction de charnière du v. 11. On ouvre ici la perspective sur cette grande finalité qui va retentir encore trois fois dans la prière, dans la troisième section (17,21.22.23). Ce qui est jusqu’à trois fois présent dans la dernière section, se trouve en tête de la section centrale. Ainsi se tissent les liens. Inversement, la gloire, en finale du deuxième paragraphe (10), était présent jusqu’à cinq fois dans le premier paragraphe. On assiste à une même technique, celle que nous avions déjà pu repérer en étudiant de près le grand discours du chapitre 514. Jn 17,12 peut à nouveau être considéré comme une parenthèse, un moment où ce qui vient d’être dit (« garder en ton nom ») est davantage explicité, en reprenant un bout du film passé : « Quand j’étais avec eux, je gardais en ton nom ceux que tu m’as donnés. J’ai veillé sur eux ». « Garder » (ἐτήρουν) et « veiller » (ἐφύλαξα), sont ici synonymes et se renforcent mutuellement. L’idée resurgira au chapitre suivant, dans le jardin de Gethsémani (18,9-10 : « “… laissez ceux-là partir !”. Ainsi devait s’accomplir la parole qu’il avait 14. Voir notre article dans B. STANDAERT, « Le discours du chapitre 5 de saint Jean » (n. 1).

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B. STANDAERT

dite : “Ceux que tu m’as donnés, je n’en ai pas perdu un seul.” ») Ici tombe encore le cas de Judas, « le fils de perdition », « pour que l’Écriture s’accomplisse ». Pour cette Écriture, on songe à des versets de Psaumes, comme Ps 41(40),10 ou 109(108),6. D’une part, la liberté de qui se refuse à donner son adhésion, est respectée, mais même ce refus est assumé dans un plan plus large, selon une prédiction scripturaire. Jn 17,13 ne fait pas qu’inclusion avec 17,11 mais introduit une nouvelle perspective finale, avec un troisième ἵνα dans ce paragraphe : « afin qu’ils aient en eux-mêmes ma joie en plénitude ». On entend ici une des finalités de toute la communication johannique, dans l’évangile comme dans la première épître : écrire ou parler « pour la joie », voire « en vue de la joie parfaite » (15,11 ; 16,24 ; 1 Jn 1,4). Ainsi ce paragraphe révèle une prière qui vise l’unité des chrétiens et la joie parfaite, mais entre cette double finalité, il est question de celui qui par son choix s’est perdu. L’auteur n’éprouve manifestement pas de difficulté particulière à encadrer cet échec par ces thèmes de l’unité et de la joie, comme il n’éprouve pas de résistance à dire un peu plus haut que Jésus « ne prie pas pour le monde » (Jn 17,9a). On bute ici sur une limite, assez typique de la vision johannique. Dans le jardin à Gethsémani, en 18,9-10, qui se rattache à notre passage, il est même dit « que pas un seul ne s’est perdu », à savoir « de ceux que tu m’as donnés », comme si Judas, présent à la scène, ne faisait pas partie de ces « donnés » du Père… « Laissez ceux-là partir », est-il dit pour les autres, tandis que Judas, dans tout le passage au jardin, ne reçoit pas même une parole de son maître… Comment notre joie serait-elle « parfaite », « à son comble », s’il manque ce dernier, et comment vivre l’unité si l’un d’entre nous est présenté comme exclu pour de bon ? « Que tous soient un » est certes une belle prière mais jusqu’où va cette « unité » quand il s’agit d’intégrer les différences, voire les oppositions et profondes divergences de vue, toujours possibles, comme on le voit également au sein même des communautés johanniques (voir 1 Jn 3–4) ? Ici, il n’est pas sûr que cette haute théologie johannique dépasse ce qu’on peut lire chez les Synoptiques, où l’amour des ennemis est un axe fondamental de la vie relationnelle comme du regard sur Dieu lui-même (Mt 5,44-48 par.). Il est remarquable qu’aucun écho de cet enseignement central de Jésus, transmis par-delà les évangiles en tête de la Didachè par exemple, ne se retrouve dans tout le corpus johannique. II B 1714 ἐγὼ δέδωκα αὐτοῖς τὸν λόγον σου καὶ ὁ κόσμος ἐμίσησεν αὐτούς, ὅτι οὐκ εἰσὶν ἐκ τοῦ κόσμου καθὼς ἐγὼ οὐκ εἰμὶ ἐκ τοῦ κόσμου.

[cf. Jn 17,4.6.8.9.12b] [cf. Jn 15,18] [cf. Jn 17,16a] [cf. Jn 17,16b]

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οὐκ ἐρωτῶ ἵνα ἄρῃς αὐτοὺς ἐκ τοῦ κόσμου, ἀλλ᾿ ἵνα τηρήσῃς αὐτοὺς ἐκ τοῦ πονηροῦ. 16 ἐκ τοῦ κόσμου οὐκ εἰσὶν καθὼς ἐγὼ οὐκ εἰμὶ ἐκ τοῦ κόσμου.

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[cf. Jn 17,11b.12 ; Mt 6,13] [cf. Jn 17,14c] [cf. Jn 17,14d]

Ces trois versets, au centre du centre, se présentent comme une forte inclusion (Jn 17,14cd et 17,16), la plus forte de toutes, car la même idée est dite deux fois avec les mêmes mots et presque dans le même ordre : οὐκ εἰσὶν ἐκ τοῦ κόσμου καθὼς ἐγὼ οὐκ εἰμὶ ἐκ τοῦ κόσμου [cf. Jn 17,14cd] et ἐκ τοῦ κόσμου οὐκ εἰσὶν καθὼς ἐγὼ οὐκ εἰμὶ ἐκ τοῦ κόσμου [cf. Jn 17,16ab]

En tête vient un ἐγώ, emphatique, comme en Jn 17,4.9.12b. « Je leur ai donné ta Parole » (17,14). On retrouve le rappel de ce qu’il a fait, comme en 17,4.6 : il donne, il manifeste, il confie le Nom, la Parole, les paroles. Il se donne ultimement lui-même, lui la Parole ou le Verbe de Dieu (1,1s.). Il est ce don même. Au milieu du paragraphe on trouve la parole qui rappelle la septième demande du Notre Père matthéen : « Délivre-nous du Mal [ῥῦσαι ἡμᾶς ἀπὸ τοῦ πονηροῦ] » (Mt 6,13). Ici, la tournure est légèrement autre : τηρήσῃς αὐτοὺς ἐκ τοῦ πονηροῦ. Signalons encore qu’en 1 Jn 5,18, il est question également d’« être gardé » par l’Engendré de Dieu, et du « Mal » ou du « Mauvais » qui n’a aucune prise sur quiconque est né de Dieu (τηρεῖ, πονηρός). La joie de Jn 17,13 se trouve comme saisie entre la perte du « fils de perdition » d’une part et la « haine du monde » d’autre part. On peut noter quelque chose d’analogue en Jn 15, avec la joie au v. 11 et peu après celle-ci, « la haine du monde » (Jn 15,18s.). En plaçant au centre de ce paragraphe, qui est lui-même le juste milieu de toute la composition, cette demande de les « garder du Malin » (Jn 17,15), l’auteur fait de cette prière de Jésus une autre version du Notre Père matthéen, affirmant la continuité par rapport à la tradition connue des autres mais illustrant en même temps toute la grandeur et largeur de ses vues à lui. Il met ce qui est à la fin chez Matthieu en plein centre de sa composition. Il se prépare à finir encore autrement que ne fait la tradition des autres. II C ἁγίασον αὐτοὺς ἐν τῇ ἀληθείᾳ· [cf. Jn 6,63 ; 15,2.3 ; 10,36] ὁ λόγος ὁ σὸς ἀλήθειά ἐστιν. 18 καθὼς ἐμὲ ἀπέστειλας εἰς τὸν κόσμον, [cf. Jn 20,21] κἀγὼ ἀπέστειλα αὐτοὺς εἰς τὸν κόσμον· 19 καὶ ὑπὲρ αὐτῶν ἐγὼ ἁγιάζω ἐμαυτόν, ἵνα ὦσιν καὶ αὐτοὶ ἡγιασμένοι ἐν ἀληθείᾳ. 17

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Cette troisième unité dans la section centrale en est aussi le sommet. Sa structure interne repose également sur une forte inclusion, comme on peut le remarquer avec le verbe ἁγιάζω qui revient encore deux fois en Jn 17,19, et la reprise de l’expression « en vérité » (17a et 19b). Après le « je ne prie pas… mais pour que… » du v. 15a (noter le parallèle avec 17,9ab, « je prie non pas… mais pour… »), voici que vient un troisième impératif puissant, comparable au δόξασόν initial, mais cette fois le verbe concerne les autres, « eux », à savoir « ceux que tu m’as donnés ». Au « Père saint » (17,11b) il est demandé maintenant de « sanctifier » ou « consacrer » (ἁγιάζω). « Dans la vérité », ce qui implique, du point de vue johannique : selon la pleine révélation. Cette ἀλήθεια / vérité est un terme fort et beau, présent dès le Prologue de l’évangile, et ici immédiatement associé à « ta Parole », ton Verbe. En grec ὁ λόγος ὁ σός constitue un possessif quelque peu curieux, à la fois fort et intime. La sanctification, c’est ce que le monde est totalement incapable de réaliser par lui-même. Cet acte sanctificateur tombe ici en pur contraste avec ce qui précède. En Jn 10,36 on retrouve le même verbe « sanctifier », avec l’idée d’« envoi dans le monde », exactement comme ici, dans la succession du v. 17 à 18 : « Celui que le Père a sanctifié et envoyé dans le monde [ὃν ὁ πατὴρ ἡγίασεν καὶ ἀπέστειλεν εἰς τὸν κόσμον] ». On retrouve cette association le soir de la résurrection, en Jn 20,21-22 : εἰρήνη ὑμῖν· καθὼς ἀπέσταλκέν με ὁ πατήρ, κἀγὼ πέμπω ὑμᾶς. καὶ τοῦτο εἰπὼν ἐνεφύσησεν καὶ λέγει αὐτοῖς· λάβετε πνεῦμα ἅγιον. On ne peut manquer de noter le contraste entre d’une part la consécration du Fils à Dieu, en se donnant pour autrui (« pour eux ») et d’autre part l’envoi des disciples dans le monde (Jn 17,18), au beau milieu de tout le paragraphe. Il y a le mouvement vers Dieu, le très saint, et ce tout autre mouvement d’envoi vers le monde – la réalité opposée qu’il s’agit de faire pénétrer de la sainteté divine. Les deux mouvements s’arcboutent ici l’un contre l’autre. La mission est encadrée et comme portée par la prière et l’action sanctificatrice du Père (17,17) et du Fils (17,18), « afin qu’ils soient eux aussi sanctifiés » au passif. Le ἐν ἀληθείᾳ sans article (contraste avec 17,17), est à la fois qualitatif, locatif et instrumental, à savoir : en vérité, authentiquement ; dans l’espace du Véritable ; et par l’intermédiaire de la Vérité révélée. Il s’agit donc d’être vrai ; il s’agit en outre de demeurer dans le rayonnement du Véritable manifesté, et enfin, il faut se laisser sanctifier par cette Vérité manifestée dans le Fils : « la grâce et la vérité nous sont venues par Jésus Christ » (1,17)15. 15. Outre la correspondance avec le Prologue johannique, on peut encore souligner la présence réunie des mêmes thèmes et du même vocabulaire tout en finale de la première épître johannique : « Nous savons que quiconque est né de Dieu ne pèche pas ; l’Engendré de Dieu

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« afin qu’ils soient eux aussi sanctifiés dans la vérité [ἵνα ὦσιν καὶ αὐτοὶ ἡγιασμένοι ἐν ἀληθείᾳ] » (Jn 17,19). Voici une nouvelle finalité de toute la prière, de tout le chapitre, et l’on peut dire de toute la communication de cet écrit évangélique. Il s’agit donc d’être sanctifié durablement – au parfait, en grec – dans la vérité et en vérité, à savoir vraiment, tant objectivement que subjectivement. Tout ce paragraphe approfondit ce qui dans la version synoptique du Notre Père concerne la première demande : celle de la sanctification du Nom. On peut percevoir une certaine correspondance entre le dernier trait de la première section – « et je suis glorifié en eux » (17,10) – et le dernier trait de cette deuxième section : « qu’ils soient sanctifiés eux aussi en vérité ». Lui en eux et eux en lui, avec de part et d’autre un état de plénitude ou de perfection. Au terme de la troisième section, on pourra remarquer un état final analogue : « et moi en eux » (17,26). Ceci vient appuyer la pertinence de la structure proposée pour toute cette grande unité : les trois mouvements (I, II et III) débouchent, avec quelques variantes significatives dans les formules choisies, chaque fois sur un état final comparable, avec le verbe « être » ou la forme passive : « je suis glorifié en eux » ; « qu’ils soient sanctifiés en vérité » ; (que je sois) « moi en eux ». III A 1720 Οὐ περὶ τούτων δὲ ἐρωτῶ μόνον, [cf. Jn 17,9(3× peri).15] ἀλλὰ καὶ περὶ τῶν πιστευόντων διὰ τοῦ λόγου αὐτῶν εἰς ἐμέ, [cf. Jn 17,8] 21 ἵνα πάντες ἓν ὦσιν, [cf. Jn 17,11.22.23] καθὼς σύ, πάτερ, ἐν ἐμοὶ κἀγὼ ἐν σοί, ἵνα καὶ αὐτοὶ ἐν ἡμῖν ὦσιν, ἵνα ὁ κόσμος πιστεύῃ ὅτι σύ με ἀπέστειλας. [cf. Jn 17,8b] 22 κἀγὼ τὴν δόξαν ἣν δέδωκάς μοι δέδωκα αὐτοῖς, [cf. Jn 17,6.8] ἵνα ὦσιν ἓν καθὼς ἡμεῖς ἕν· 23 ἐγὼ ἐν αὐτοῖς καὶ σὺ ἐν ἐμοί, ἵνα ὦσιν τετελειωμένοι εἰς ἕν, ἵνα γινώσκῃ ὁ κόσμος [cf. Jn 17,3] ὅτι σύ με ἀπέστειλας [cf. Jn 17,8.21.25] καὶ ἠγάπησας αὐτοὺς καθὼς ἐμὲ ἠγάπησας. [cf. Jn 17,26] le garde et le Mauvais n’a pas prise sur lui. Nous savons que nous sommes de Dieu et que le monde entier gît au pouvoir du Mauvais. Nous savons que le Fils de Dieu est venu et qu’il nous a donné l’intelligence afin que nous connaissions le Véritable. Nous sommes dans le Véritable, dans son Fils Jésus Christ. Celui-ci est le Dieu véritable et la Vie éternelle ». (1 Jn 5,18-20). Les expressions en italique se retrouvent chacune dans la prière de Jn 17. Le « Nous savons » répété qui scande cette finale, introduit des propositions de foi, affirmées avec une évidence analogue à celle qu’on perçoit dans les formules de ce discours-prière de Jn 17.

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Jn 17,20 ouvre la prière d’intercession à « tous ceux qui croiront en moi par leur parole ». C’est toute la section (III A et B) jusqu’à la fin de la prière (17,26) qui reçoit ainsi un en-tête nouveau. La formulation avec le verbe « prier » et la négation puis le reprise (« non pas seulement… mais aussi… »), rappelle les formules en 17,9 et en partie aussi en 17,15. Ainsi se tissent des liens entre les trois parties : au début de la troisième ; au milieu de la seconde (IIB) et à la fin de la première (I,B). Il s’agit d’une technique qu’on a pu observer également dans la composition du grand discours au chapitre 5, où ce qui se trouve aux extrémités d’une partie se retrouve réuni au centre d’une autre16. L’auditoire s’élargit et on en vient à intégrer tout lecteur/auditeur de cette prière. On rejoint donc l’actualité et du coup on apprend, on ne peut plus clairement, la position ecclésiale du livre. C’est au-delà des membres de la communauté johannique, tout lecteur ou lectrice de toute autre communauté chrétienne qui entre dans le cercle des destinataires. Aussi la prière se fera plus intense encore : « que tous soient un » (Jn 17,21 ; cf. v. 11 : « qu’ils soient un »), et ce thème retentira bien trois fois de suite (17,21.22.23). De Jn 17,20 au 17,21, on voit resurgir le verbe « croire » (17,8) qui concerne d’abord tous ceux de la nouvelle génération, « grâce à leur parole », et qui finira par atteindre même « le monde » : « pour que le monde croie » (17,21d). Le mouvement va de la foi à la foi. « Leur parole » prend le relais de « ta parole » (17,6.8). Deux petites parenthèses explicatives, comparables à celles découvertes en I B (Jn 17,6.10), s’inscrivent dans ce paragraphe : d’abord en 17,21b et ensuite en 17,23a. Ils soulignent à leur tour la réciprocité mystérieuse en Dieu et dans les disciples eux-mêmes : « toi en moi et moi en toi » ; « moi en eux et toi en moi ». Jn 17,22 et 17,23 offrent bien des similitudes, avec toutefois une gradation dans les reprises des mêmes thèmes. Notons la double inclusion forte « qu’ils soient un » et « qu’ils soient parfaitement un » ; puis « pour que le monde croie que tu m’as envoyé » et « pour que le monde sache que tu m’as envoyé » (v. 21 fin et v. 23). Ce thème de l’envoi, nous l’avons vu, était là une première fois au v. 3 et a été repris au v. 8 ; il reviendra encore au v. 25. En tout il est là cinq fois, sans oublier le double envoi parallèle au verset 18 (« Comme tu m’as envoyé, je les envoie… »). Il domine toute la dernière section, mais est présent deux fois dans la première et une fois, avec ce redoublement caractéristique, au centre de tout.

16. B. STANDAERT, « Le discours du chapitre 5 de saint Jean » (n. 1).

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Le dernier trait de Jn 17,23, parlant de l’unité, est gonflé par une nouvelle pensée : la prière vise l’unité parfaite « afin que le monde sache » non seulement « que tu m’as envoyé » mais aussi « que tu les as aimés comme tu m’as aimé ». Ici entre le thème de l’amour. Dans le paragraphe il est contrebalancé par et mis en parallèle avec celui de la gloire, en 17,22 : « Et moi, la gloire que tu m’as donnée, je la leur ai donnée ». On apprend ainsi ce qui n’avait pas été dit jusqu’ici, à savoir que la gloire du Père par le Fils a été communiquée aux disciples. On peut donc d’autant mieux comprendre le trait final de la première section qui nous avait surpris pour une part : « Je suis glorifié en eux ». Or cette gloire unifie, car « je leur ai donné la gloire pour qu’ils soient un comme nous sommes un ». « Gloire », « unité » et « amour » se retrouvent dans ce paragraphe comme se corroborant mutuellement. C’est une des intuitions fortes de l’auteur : aimer, c’est glorifier, et vice versa17. Le Fils a transmis la gloire qui vient du Père (17,22) et le monde, en sachant que le Père a envoyé le Fils, réalisera que le Père aime les disciples comme il a aimé le Fils (17,23) ! Gloire et amour passent et le monde en prend connaissance à travers le témoignage unifié des disciples. Par-delà le soin stylistique de ce paragraphe, on est témoin d’une pensée rigoureusement cohérente. III B 1724 Πάτερ, ὃ δέδωκάς μοι, θέλω ἵνα ὅπου εἰμὶ ἐγὼ κἀκεῖνοι ὦσιν μετ᾿ ἐμοῦ, ἵνα θεωρῶσιν τὴν δόξαν τὴν ἐμήν, ἣν δέδωκάς μοι ὅτι ἠγάπησάς με πρὸ καταβολῆς κόσμου. 25 πάτερ δίκαιε, καὶ ὁ κόσμος σε οὐκ ἔγνω, ἐγὼ δέ σε ἔγνων, καὶ οὗτοι ἔγνωσαν ὅτι σύ με ἀπέστειλας· 26 καὶ ἐγνώρισα αὐτοῖς τὸ ὄνομά σου καὶ γνωρίσω, ἵνα ἡ ἀγάπη ἣν ἠγάπησάς με ἐν αὐτοῖς ᾖ κἀγὼ ἐν αὐτοῖς.

[cf. Jn 12,26] [cf. Jn 17,5] [cf. Mt 11,27] [cf. Jn 17,8.21.23] [cf. Jn 17,3.6 ; 15,15] [cf. Jn 17,23]

On arrive ainsi au dernier paragraphe, le septième de la composition, le deuxième de la section III. À deux reprises le « Père » est invoqué directement, comme en Jn 17,1.5 (ici 17,24.25, « Père juste » ; voir encore en 17,11 : « Père saint »). La distribution de ces vocatifs est harmonieuse : deux fois dans la première section, dans l’ouverture (I A) et deux fois dans la troisième section, dans la finale (III B) ; une fois au centre, en tête de celle-ci (II A). 17. C’est un des fruits précieux des analyses conduites par Y. SIMOENS, dans son étude de Jean 13 à 17, La gloire d’aimer. Structures stylistiques et interprétation dans le Discours de la Cène (AnBib, 90), Rome, Biblical Institute Press, 1981.

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On retrouve un même souci, comparable à ce qu’on a trouvé au discours du chapitre 5 : unir l’ensemble en reprenant des thèmes tantôt aux extrémités, tantôt placés au centre d’une unité. Schématiquement cela donne : – I A : deux fois (« Père », « Père ») – IB – II A : une fois (« Père saint ») – II B – II C – III A – III B : deux fois (« Père », « Père juste »). Cette toute dernière strophe devrait nous ouvrir sur l’eschaton, la fin ultime des choses. Comment notre auteur va-t-il donner forme à cette perspective ? Jn 17,24 parle de « gloire » et « d’amour », en un seul mouvement, récapitulant ce qui avait été dit au paragraphe précédent, et renouant avec l’énoncé de 17,5 où le Fils parlait de « la gloire d’avant que le monde fut ». Gloire et amour se voient thématisés ensemble, et projetés au tout début, comme un acte unique, antérieur à tout l’univers créé. Au lieu de conduire le regard vers une fin qui serait la fin absolue, l’auteur nous pousse à considérer l’avant toute chose, le début absolu, comme dans son Prologue (1,1-3). En Jn 17,24, le Fils exprime son désir, sa volonté : « je veux [θέλω] ». En Marc, à Gethsémani (Mc 14,36), Jésus disait formellement : « Mais non pas ce que je veux, mais ce que Toi [ἀλλ᾿ οὐ τί ἐγὼ θέλω ἀλλὰ τί σύ] ». Contraste surprenant, probablement non voulu par notre auteur, mais significatif, ultimement18. « Qu’ils soient avec moi là où je suis ». La quête du lieu était présente dès la première rencontre avec Jésus, à la toute première page de l’évangile : « Où demeures-tu ? » (Jn 1,38). Jésus avait promis, au chapitre 12, quand pour la première fois tombe « L’Heure est venue », dans une scène qui contient bien des traits communs avec celle de Gethsémani en Marc : « Si quelqu’un me sert, qu’il me suive et là où je suis, là aussi sera mon serviteur » (12,26). Et 18. À Gethsémani, chez les synoptiques, Jésus demande : « Éloigne de moi cette coupe », avant d’acquiescer en disant : « Non pas ce que je veux mais ce que toi [tu veux] » (Mc 14,36). Chez Jean, Jésus demande à Pierre, au même endroit : « La coupe que m’a donnée le Père, ne la boirai-je pas ? » (Jn 18,11). Le Jésus johannique n’en vient pas à formuler cette demande d’éloigner la coupe de lui. La question à Pierre a quelque chose d’ironique, en contredisant à la lettre ce qui est dit dans l’autre tradition, celle de Pierre justement. Une même correction se lit en 12,27-28, où le trouble d’un instant est aussitôt vaincu et, au lieu de demander d’être « sauvé de cette heure », il prie : « Père, glorifie ton nom ! » En 10,18 Jésus affirme avec une force inconnue des Synoptiques : « Personne ne me enlève [la vie] mais je m’en dessaisis de moi-même ; j’ai le pouvoir de m’en dessaisir et j’ai le pouvoir de la reprendre ». Le « je veux » de 17,24 s’inscrit dans cette même perspective.

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au début des derniers entretiens après le repas, en Jn 14, il était également question du lieu : « Je m’en vais vous préparer une place. Et quand je serai allé vous préparer une place, je viendrai vous prendre avec moi, afin que là où je suis, vous soyez vous aussi » (14,2b-3). Proximité (« avec moi ») et promesse de « voir ma gloire », celle qui remonte au temps « avant la fondation du monde » : on est renvoyé au temps premier, « au commencement », et aux premiers accents du Prologue (1,1-3). En même temps, le lieu renvoie à l’inhabitation intériorisée plutôt qu’à un espace à chercher au dehors. On rejoint ici le cœur de la vision johannique, peut-être bien le noyau secret le plus ancien de toute la tradition qui se réclame de ce disciple bien-aimé. Avec cette finale on bute sur une surprise typique : au lieu d’être orienté vers une Fin cosmique, une apocalyptique des derniers temps, on est projeté vers une mystérieuse proximité qui rejoint l’amour du Père et le don de la gloire avant toute autre création. On peut encore se demander si cet « avec moi » ne tient pas à faire écho au dernier mot du Christ ressuscité en Matthieu : « Je suis avec vous [ἐγὼ μεθ᾿ ὑμῶν εἰμι], tous les jours, jusqu’à la fin du monde » (Mt 28,20). Si c’est le cas, on peut savourer ici une modification typique des perspectives chronologiques, selon un procédé que l’éditeur johannique l’affectionne19. Le verset 25 invoque le Père en y ajoutant l’épithète de justice : « Père juste ». Cette justice s’appliquera d’une part au monde et d’autre part à ceux qui avec Jésus ont reconnu le Père. « Il jugera le monde avec justice », dit la fin d’un psaume (Ps 98,9). Cette justice fera la différence, même si toute l’attention portera presque exclusivement sur le deuxième pôle. Le thème de la connaissance revient avec insistance (5 fois le verbe, dont 2 fois : « faire connaître »), comme il était au centre du premier paragraphe (17,3 : « Te connaître, toi et celui que tu as envoyé ») et l’objet de la connaissance est le même : « que tu m’as envoyé » (septième et dernière fois cette tournure dans ce chapitre). Les deux derniers versets sont, curieusement, des rappels selon le genre narratif, sous le regard du Père juste. De prière de demande au Père comme telle il n’y en a plus. Avec le rappel vient également une promesse, au dernier 19. En finale du premier chapitre de l’évangile johannique, la parole de Jésus à Nathanaël et aux autres disciples présents ouvre la perspective sur « les cieux ouverts », avec « les anges qui montent et qui descendent autour du Fils de l’homme » (Jn 1,51). Or cette vision évoque de façon anticipative la vision que Matthieu a placée tout à la fin de son évangile, quand apparaît le ressuscité, qui déclare : « Tout pouvoir m’a été donné au ciel et sur la terre » (Mt 28,18). On note ainsi une inversion analogue des perspectives, par rapport aux Synoptiques. Au baptême, c’était Jésus qui « voyait les cieux ouverts et l’Esprit Saint descendre sur lui » (Mc 1,10 par.). Chez Jean, dès le premier chapitre Nathanaël et les autres pourront « voir le ciel ouvert » et tout ce que Matthieu ne nous décrit que tout à la fin de son récit évangélique.

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verset : « J’ai fait connaître ton Nom » (Jn 17,6) et « le ferai connaître », voilà la promesse, par-delà le futur du départ et de la mort donc, « afin que », une finalité de plus, qu’on peut lire comme un souhait, inclus dans la promesse : « l’amour dont tu m’as aimé » (même tournure en finale du v. 23 et du v. 24) « soit en eux, et moi en eux ». C’est la seule fois que tombe le substantif « amour » (ἀγάπη) dans ce chapitre. Avec l’amour qui est d’abord l’amour du Père pour le Fils, le Fils en vient à « être en eux ». En finale de la première section (17,10) tout s’achevait par le Fils qui « était glorifié en eux ». Ici tout s’achève dans « l’amour » et dans « le Fils » « qui est en eux ». Gloire et amour ne font qu’un et l’inhabitation réciproque actuelle en Dieu par l’amour comme par la glorification est la finalité de tout. Ces paroles, sur les lèvres de quelqu’un qui part, oui s’apprête à mourir et à passer sur l’autre rive, impressionnent : par l’amour il demeure, il habite, habité qu’il est lui-même d’un amour et d’une gloire depuis toujours. Non pas « Je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin » (cf. le dernier mot en Mt 28,20), mais « Je suis en vous, et vous êtes avec moi là où je suis, en Dieu, en gloire et en amour », ou encore « sanctifiés en vérité » (Jn 17,19). La mort comme telle est déjouée, elle ne reçoit plus aucune mention. La gloire première, d’avant la création, comme l’amour premier l’ont comme « absorbée », oui « engloutie », selon une expression du prophète Osée, citée par Paul en 1 Co 15,54 (voir 2 Co 5,4 : le mortel est « absorbé » par la Vie). II. BUT ET

FONCTION DE CETTE GRANDE PRIÈRE

Si l’on regarde l’ouverture, avec le lien manifeste avec Jn 12,23.27, il s’agit d’offrir une variante de la prière synoptique de Jésus dans l’heure de son agonie à Gethsémani. On anticipe celle-ci et on y substitue une toute nouvelle composition. Il n’y aura plus de moment de prière en 18,111. On assiste à une reprise et à une correction, car ici Jésus ne connaît aucune angoisse ni la moindre résistance intérieure, comme en Marc 14 par exemple. Si l’on regarde le centre, avec Jn 17,15 au beau milieu, qui reprend la finale du Notre Père matthéen (« délivre-nous du Mal »), il s’agit d’offrir une variante johannique du Notre Père, connu des autres Églises. Outre cette formule unique placée au centre, on peut encore signaler des transpositions d’autres demandes du Notre Père : notamment « que ton Nom soit sanctifié », « sur la terre comme au ciel », et les cinq invocations de Dieu comme « Père », dont une fois : « Père saint ». Il y aurait, selon certains, également un lien à signaler entre « que vienne ton Règne » et « l’Heure »

JN 17 ET L’ENJEU INTER-ECCLÉSIAL DU QUATRIÈME ÉVANGILE

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qui « est venue ». La similarité contiendrait aussi une correction de perspective. L’eschatologie se fait à l’instant, dans l’Heure qui récapitule tout. Si l’on considère la finale, avec la prière « pour ceux qui croiront en moi grâce à leur parole » (Jn 17,20s.), cette page vise tout lecteur, et est à lire notamment dans le contexte large d’un dialogue inter-ecclésial. On voit alors apparaître ici, plus clairement que nulle part ailleurs dans l’évangile, le but de l’écriture : « qu’ils soient un » (répété quatre fois, avec des modalités diverses, dont une fois : « qu’ils soient tous un », 17,21). Si l’on considère les trois impératifs : « Glorifie [δόξασον] », « Garde [τήρησον] en ton Nom » et « Sanctifie [ἁγίασον] », on apprend la plus haute volonté que l’orant exprime et qui correspond à celle que Dieu lui-même désire. Si l’on fixe les deux finales similaires au terme de la première section et de la dernière (Jn 17,10 : « moi glorifié en eux » ; 17,26 : « l’amour en eux et moi en eux »), on voit la gloire et l’amour se rejoindre, avec l’idée de l’inhabitation mutuelle, ce qui constitue l’attente ultime non seulement de la prière ici, mais de tout le texte. On peut y ajouter la finale du deuxième mouvement, en 17,19 : « qu’ils soient sanctifiés en vérité ». Les trois finales des trois séquences (I, II, III) offrent ainsi une belle convergence d’un état final unique où « lui en eux » et « eux en lui » se retrouvent réciproquement en une même gloire, qui est aussi sanctification et amour réciproque. Le thème hautement johannique de l’inhabitation divine revient ainsi, avec des formules certes variées mais complémentaires. La parenthèse, au milieu du premier paragraphe unifié (Jn 17,1-5), à savoir : « La vie éternelle c’est qu’ils te connaissent, toi, le seul Dieu véritable, et celui que tu as envoyé, Jésus Christ », contient également une explicitation de tout le projet d’écriture. On retrouve une formulation analogue tout à la fin de l’évangile en 20,31, comme en finale de la Première épître johannique (1 Jn 5,13). Et sur ce point l’auteur-éditeur entend se faire accepter pleinement par les autres car il ne dit rien d’autre et rien de moins que ce que la grande tradition commune affirme comme contenu de la foi. La haute fréquence du mot « monde [κόσμος] » – étrangement, la parole la plus récurrente dans tout ce chapitre, 18 fois, dont six fois dans le paragraphe central (Jn 17,14-16) – peut être relue comme une autre intention dominante de cette page : atteindre « le monde » jusqu’à le transformer dans un grand mouvement de sanctification-consécration (17,17-19). Le thème de la joie, en Jn 17,13 (cf. 15,11) et celui de la sanctification (17,17s.) encadrent le paragraphe le plus central (17,14-16), et révèlent également une des finalités de cette écriture : communiquer la joie (1 Jn 1,5) et révéler la volonté de sanctification.

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III. FIDÉLITÉ HISTORIQUE ET LIBRE CRÉATIVITÉ DE CETTE

PAGE

À la lettre, on peut être formel : ceci est d’un bout à l’autre le fruit d’une haute créativité de l’auteur. Jésus ne parle pas ainsi, n’a prononcé de longues prières comme celle-ci nulle part ailleurs, et a même enseigné qu’il ne fallait pas le faire de cette manière-là20. Il y a toutefois ici quelque volonté de se rattacher directement à deux moments de prière, connus dans la tradition synoptique. Il y a l’enseignement du Notre Père en Mt 6 (juste après cette recommandation de ne pas prier avec beaucoup de paroles), avec un parallèle plus succinct encore en Lc 11,2s., et il y a la prière exemplaire de Jésus à Gethsémani, prière qui contient elle aussi plusieurs éléments du Notre Père à sept demandes de Matthieu. L’éditeur de Jean fait ici au moins quatre choses. D’abord, il élimine la prière à Gethsémani. Ensuite, il anticipe ce moment de prière en la laissant se dérouler au sein du groupe des disciples, à la fin du dernier repas. En outre, il développe amplement cette prière, la rendant autrement plus solennelle, avec un regard des plus larges, tout en y intégrant bien des éléments du Notre Père, connu dans la tradition des autres. Enfin, il corrige ce que les Synoptiques ont transmis : Jésus n’est aucunement angoissé ni tenté de refuser la coupe que Dieu lui présente ; il envisage au contraire tout clairement et sereinement. Au chapitre 12, en face des Grecs, il laisse un moment Jésus connaître le trouble, analogue à celui rapporté par les Synoptiques à Gethsémani, mais surmonté aussitôt pour prier : « Père, glorifie ton Nom », ce qui prépare directement le grand développement de Jn 17. La prière reçoit en outre une fonction testamentaire, insistant dans l’adieu à ce que « tous soient un ». On relève aussi des liens avec d’autres péricopes. Ils sont multiples : avec le début du récit de la passion (Jn 18,1-11, à Gethsémani), avec les chapitres précédents (Jn 14–16), avec le chapitre 12 (où le même éditeur retravaille l’épisode de l’agonie de Mc 14 à Gethsémani). Avec le prologue de tout le récit évangélique. Avec le chapitre 21, cette finale où la problématique inter-ecclésiale est formulée tout à fait explicitement. Avec le chapitre 5, où une même stylistique est à l’œuvre et où une même volonté de faire valoir une supériorité théologique par rapport aux récits et discours des Synoptiques se laisse voir. Ces divers rapprochements signalent un niveau rédactionnel commun : une même main – au plan stylistique et au niveau de la réflexion – est ici à l’œuvre21. 20. Voir Mt 6,7 : « ne pas rabâcher [μὴ βατταλογήσητε] », « ne pas se servir de beaucoup de paroles [πολυλογία] ». 21. Nous préparons un commentaire plus vaste de tout l’évangile johannique qui intègrera les résultats de cette étude-ci comme de celle consacrée au chapitre 5 (n. 1). Voir en outre notre étude consacrée à Jean 21 : « Jean 21 et les Synoptiques. L’enjeu inter-ecclésial de la

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En conclusion, ce chapitre 17 est une composition osée, rédigée par un théologien puissant qui a en outre de grandes capacités littéraires. Le littéraire pourrait même éblouir. Car l’éditeur final élimine bien des choses, comme la prière angoissée du Christ à Gethsémani dont même l’épître aux Hébreux semble avoir gardé le souvenir poignant22. Il accentue la quête de l’unité entre les disciples, sans ressentir de grande gêne à opérer l’exclusion du « fils de la perdition », Judas, qui n’est même plus nommé comme tel. L’unité visée est belle mais n’envisage à aucun moment la grâce de la diversité. Son apologie pro vita sua, à savoir la vie de sa communauté, a été accueillie par les autres communautés : son texte est entré dans le canon et la communauté johannique fut reçue dans le concert des églises variées où il y avait de la place pour l’amour des ennemis et de la patience à l’égard de frères divergents pour lesquels également le Christ est mort. Admirons la grandeur de cette page, comme on a pu le faire pour le grand discours en Jn 5, mais gardons l’œil ouvert sur certaines étranges limites. L’univers johannique prend bien des distances par rapport aux autres écrits évangéliques mais a lui-même besoin d’être relu de façon critique pour que le climat d’ouverture et de dialogue, bien attesté chez les autres, soit préservé dans la grande vision chrétienne, aujourd’hui plus que jamais, alors que nous sommes entrés irrémédiablement dans une ère nouvelle pour tous, ère du dialogue23. Benoît STANDAERT, osb Sint-Andriesabdij, Zevenkerken 4, B-8200 Brugge, Belgique. [email protected]

dernière rédaction de l’évangile », in A. DENAUX (ed.), John and the Synoptics (BETL, 101), Leuven, Peeters, 1992, p. 632-643 ; celle qui concerne Jean 12, « “Là où je suis, là aussi sera mon serviteur” (Jn 12,26). Servir le Christ dans Jean. Perspectives œcuméniques dans le quatrième évangile », in I. GALANIS (ed.), Diakonia – Leitourgia – Charisma: Patristic and Contemporary Exegesis of the New Testament. FS Georg A. Galitis, Athènes, En Plo, 2006, p. 543-563 ; et l’ébauche plus large qui permet d’avoir un regard sur l’ensemble de cette recherche : « L’édition du quatrième évangile et son enjeu inter-ecclésial », RCatT 40 (2015) 75-100. 22. He 5,7-8 : « C’est lui qui, aux jours de sa chair, ayant présenté, avec une violente clameur et des larmes, des implorations et des supplications à Celui qui pouvait le sauver de la mort, et ayant été exaucé en raison de sa piété, tout Fils qu’il était, apprit, de ce qu’il souffrit, l’obéissance ». 23. La première encyclique de PAUL VI, Ecclesiam suam (1964) et le texte conciliaire Nostra Aetate (1965) ont valeur de bornes dans le cours de l’histoire récente sur ce point.

« DU TEMPS, IL N’Y EN AURA PLUS ! » OBSERVATIONS SUR LA SIGNIFICATION DE χρόνος EN AP 10,6

Dans la nouvelle traduction officielle catholique pour la liturgie en français, les trois derniers mots d’Ap 10,6 (χρόνος οὐκέτι ἔσται) sont rendus de la manière suivante : « Du temps, il n’y en aura plus1 ! » La précédente Bible de la Liturgie offrait une autre formulation : « Il n’y aura plus de délai2 ». Si l’on consulte les traductions de l’Apocalypse de Jean, les commentaires ou les études exégétiques consacrées au chapitre 10 de cet écrit, on peut constater que l’interprétation de l’expression d’Ap 10,6 a fait l’objet, depuis des siècles, de débats qui se prolongent encore aujourd’hui, faisant appel à des considérations d’ordres divers. La présente contribution aura pour visée de préciser la portée de l’énoncé d’Ap 10,6d en fonction de son cadre littéraire. Je procéderai en trois étapes : après une série de remarques sur la place de cette formule dans son contexte immédiat au sein de l’Apocalypse de Jean, j’élargirai le propos en prenant en considération la notion de temps dans la littérature apocalyptique, et je conclurai par des réflexions sur la signification que l’on peut reconnaître au terme χρόνος en Ap 10,6d. I. PLACE D’AP 10,6D DANS SON

CONTEXTE IMMÉDIAT

Le chapitre 10 du livre de l’Apocalypse de Jean constitue une unité littéraire, reconnue par la grande majorité des commentateurs. Cet ensemble peut se découper en plusieurs sections, à partir de critères multiples. Pour faciliter les renvois au texte, j’utiliserai une traduction littérale des sept premiers versets, dont le seul objectif sera de permettre de faire apparaître des échos de terminologie figurant dans la formulation originale en grec3. 1. La Bible, Traduction officielle liturgique, Texte intégral publié par les évêques francophones, Paris, Mame, 2013, p. 2071. 2. La Bible de la Liturgie, Traduction officielle pour les célébrations, Paris, AELF – Brepols, 1993, p. 1066. 3. Les mots entre crochets correspondent à des ajouts par rapport au grec, dont la présence est nécessaire pour la compréhension du texte en français. Signalons que ces sept versets ne posent guère de problème significatif relevant de la critique textuelle.

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101 Et je vis un autre ange puissant, descendant depuis le ciel, vêtu d’une nuée, et l’arc-en-ciel sur sa tête, et son visage comme le soleil, et ses pieds comme des colonnes de feu 2 et ayant dans sa main un livret ouvert. Et il posa son pied droit sur la mer et le gauche sur la terre 3 et il cria d’une voix forte comme un lion rugit. Et quand il eut crié, les sept tonnerres firent parler leurs voix. 4 Et quand les sept tonnerres eurent parlé, j’allais écrire et j’entendis une voix depuis le ciel disant : « Scelle les choses qu’ont dites les sept tonnerres et ne les écris pas ». 5 Et l’ange que j’avais vu se tenant sur la mer et sur la terre leva sa main droite vers le ciel 6 et il jura, par le vivant pour les âges des âges, qui créa le ciel et les choses [qui sont] en lui, et la terre et les choses [qui sont] en elle, que du temps ne sera plus, 7 mais dans les jours de la voix du septième ange, quand il va sonner de la trompette, alors sera accompli le mystère de Dieu, comme il [en] a annoncé la bonne nouvelle à ses serviteurs les prophètes.

Ainsi que l’indique, en Ap 10,1, l’emploi du verbe « voir » à la première personne du singulier (εἶδον), ce chapitre décrit, au passé, l’expérience d’une vision rapportée par le visionnaire en personne, dont le nom est Jean d’après Ap 1,1. Différents indices invitent clairement le lecteur à repérer des liens avec ce qui précède et ce qui suit dans le livre. Ainsi, l’expression « un autre ange » en 10,1 renvoie à la présence d’anges dans les visions relatées auparavant (et cela, depuis le premier verset de l’écrit). La précision numérique concernant le « septième » ange en 10,7 se comprend en fonction de la liste des sept anges tenant sept trompettes, évoquée en 8,2.6. Les interventions des six premiers ont fait l’objet de mentions successives en 8,7.8.10.12 ; 9,1.13. L’action du septième ange muni de sa trompette est annoncée pour le futur en 10,7 (ὅταν μέλλῃ σαλπίζειν). Elle sera dépeinte dans le chapitre suivant, en 11,15 en recourant à un verbe au passé (indicatif aoriste) : « Et le septième ange sonna de la trompette [Καὶ ὁ ἕβδομος ἄγγελος ἐσάλπισεν] ». Nous avons là une des multiples illustrations qu’offre le livre de l’Apocalypse du phénomène qui consiste à « raconter l’avenir au passé », selon la formule d’A. Rakotoharintsifa4. 4. A. RAKOTOHARINTSIFA, « Raconter l’avenir au passé. L’impact de l’espérance en Ap 21,1– 22,5 », in E. STEFFEK – Y. BOURQUIN (ed.), Raconter, interpréter, annoncer. FS Daniel Marguerat, Genève, Labor et Fides, p. 363-371. Cette analyse s’inspire des catégories du linguiste Gustave Guillaume sur la temporalité.

LA SIGNIFICATION DE

χρόνος EN AP 10,6

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Dans le cadre de la vision d’Ap 10,1-7, les trois mots χρόνος οὐκέτι ἔσται (10,6) font partie d’un message délivré sous la forme d’un serment solennel prononcé par un ange dont le narrateur visionnaire livre une description détaillée en 10,1-2. Cette présentation insiste sur l’origine céleste du messager (ἐκ τοῦ οὐρανοῦ) et sur son positionnement qui met en relief son envergure cosmique (un pied sur la mer et un pied sur la terre, 10,2.5)5. La mise en scène du geste du serment est manifestement inspirée de Dn 12,7 : « J’entendis l’homme vêtu de lin qui était au-dessus des eaux du fleuve ; il leva vers le ciel la main droite et la main gauche, et il fit ce serment par Celui qui vit à jamais ». Parmi les modifications apportées par l’auteur de l’Apocalypse, on peut repérer les titres attribués au créateur, attirant l’attention sur les trois dimensions de son œuvre : ciel, terre, mer – avec, pour chacune d’entre elles, la mention de leur contenu. L’énoncé du serment est introduit par la conjonction ὅτι. Même si, d’un point de vue grammatical et en prenant en compte les effets produits sur le lecteur, un tel procédé n’est pas très éloigné de l’usage du style direct, on peut observer que le recours à cette formulation crée une certaine différence par rapport au traitement de l’intervention de la voix céleste en Ap 10,4c (qui ordonne de garder scellé et de ne pas mettre par écrit le message des sept tonnerres)6. Une autre différence apparaît dans la présentation de ces deux instances d’énonciation : lorsqu’il s’agit de la voix céleste, le narrateur s’implique personnellement en utilisant le verbe « entendre » (v. 4b avec reprise au v. 8a), tandis que les v. 6-7 ne font appel qu’à l’ange objet de la vision. Le premier mot d’Ap 10,7 (ἀλλά) comporte une certaine nuance adversative par rapport à ce qui vient d’être proclamé7. Nous reviendrons, plus loin, sur le sens de l’annonce de l’ange. Notons, dès à présent, que l’ensemble du v. 7 est intégré à l’énoncé du serment mentionné au v. 5 et livre des informations complémentaires par rapport à ce qui est exprimé dans les trois premiers mots prononcés au v. 6d. Il est intéressant d’observer que ce v. 7 5. P. DE MARTIN DE VIVIÉS, Apocalypses et cosmologie du salut (LD, 191), Paris, Cerf, 2002, p. 249-253 (« L’ange puissant de l’Apocalypse »). Cet auteur fait remarquer : « La posture indique par elle-même une idée d’autorité et permet de supposer que la mission de cet ange, quelle qu’elle soit, aura une portée universelle dans le monde d’en bas. » (p. 251) 6. Les bibles destinées à un large lectorat doivent tenir compte de multiples contraintes (compréhension immédiate, oralité, longueur des phrases) qui ne permettent guère de prendre en considération toutes ces subtilités. Ainsi, le style direct avec ou sans guillemets est adopté dans la Bible de Jérusalem 1998, la TOB 2010, La Bible traduction officielle liturgique 2013, La nouvelle Bible Segond 2002, la Bible en français courant 1997. 7. Les implications de cette relation contrastée sont étudiées minutieusement dans la thèse d’E. ALEGRIA RIVERA, El angel del rollito y la profecia contra las naciones (Ap 10,1–11,2), Extractum ex dissertatione ad Doctoratum in Facultate Theologiae, Rome, Pontificia Universitas Urbaniana, 2009, particulièrement p. 33-36.

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recourt, lui aussi, à une terminologie temporelle : « dans les jours » (ἐν ταῖς ἡμέραις), « sera accompli » (ἐτελέσθη, verbe formé sur la racine τέλος dont l’une des significations fondamentales renvoie à la notion de « fin »). D’autre part, il situe explicitement le mystère de Dieu en référence au message déjà transmis par les prophètes, et dont l’aspect positif est souligné par le recours au verbe εὐηγγέλισεν. Les versets 8 à 11 d’Ap 10 relatent en plusieurs étapes une scène construite autour de l’écoute et de l’exécution par le visionnaire de différentes prescriptions que lui communique la voix céleste au sujet du livret que l’ange tenait dans sa main (v. 2a). Le déroulement de cette séquence reprend, dans les v. 8-10, des éléments de la vision décrite en Ez 2,8–3,3. Ce texte mentionne une expérience consistant à manger un rouleau, ce qui a pour effet de procurer dans la bouche du prophète une douceur de miel. En Ap 10, la manducation produit une sensation contrastée : amertume et douceur (v. 9 et 10). La parole adressée à Ézéchiel contient un ordre de mission : « Ensuite, tu iras parler à la maison d’Israël » (Ez 3,1b, prescription réitérée en Ez 3,4). En Ap 10 le tableau se conclut par un ordre de mission plus étendu, dont les termes s’inspirent de ce qui est demandé à Jérémie d’après Jr 1,10 : « Il te faut à nouveau prophétiser sur des peuples, des nations, des langues et des rois en grand nombre » (Ap 10,11)8. II. NOTION

DE TEMPS ET APOCALYPSES

« L’apocalyptique peut se définir comme un type de récit où une révélation est communiquée à un destinataire humain par l’intermédiaire d’un être surnaturel. Cette révélation a pour objet une réalité qui transcende à la fois le temps (il y est question du salut eschatologique) et l’espace (la scène se passe dans un autre monde). » Telle est la définition globale que suggère John J. Collins9. Il ajoute qu’on peut estimer qu’il existe deux grands types d’écrits apocalyptiques dans les traditions juives et chrétiennes : le premier type, qu’il qualifie d’« historique », et dont le livre de Daniel est un exemple, se fonde sur une série de visions dont l’interprétation correspond à un parcours des événements de l’histoire humaine ; le second type, représenté notamment par les traditions littéraires qui se sont développées autour de la figure 8. L’organisation rhétorique de ce chapitre et sa comparaison avec la mission de Jérémie font l’objet d’une analyse originale par C. COMBET-GALLAND – F. SMYTH-FLORENTIN, « Apocalypse 10 – L’urgence de la mémoire », in D. MARGUERAT – J. ZUMSTEIN (ed.), La mémoire et le temps. FS Pierre Bonnard, Genève, Labor et Fides, 1991, p. 171-177. 9. J.J. COLLINS, art. « Apocalyptique », in J.-Y. LACOSTE (ed.), Dictionnaire critique de théologie, Paris, PUF, 2002, p. 68-70, ici 68.

LA SIGNIFICATION DE

χρόνος EN AP 10,6

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d’Hénoch, a pour caractéristique principale une montée aux cieux mettant l’accent sur la géographie des régions célestes et sur le jugement individuel après destruction du monde terrestre. Même si c’est le livre biblique de l’Apocalypse de Jean (en référence au premier mot d’Ap 1,1 Apokalupsis) qui a servi de point de départ aux exégètes et aux critiques littéraires pour engager une réflexion sur les caractéristiques de l’ensemble de la littérature apocalyptique, il faut prendre en considération le fait que cet écrit comporte des traits originaux10. Ainsi, on doit se garder de négliger le fait que l’introduction fait appel à l’expression « les paroles de la prophétie [τοὺς λόγους τῆς προφητείας] » (1,3). Cette qualification prophétique est rappelée dans la finale, en 22,18-19 (voir aussi 19,10). De plus, il est manifeste que plusieurs aspects relèvent de la littérature épistolaire : notamment les adresses aux sept Églises (1,4 ; chapitres 2 et 3). On peut repérer encore que de nombreux passages sont à classer dans le répertoire des textes liturgiques, y compris la formule de salutation conclusive : « La grâce du Seigneur Jésus soit avec tous ! » (21,21)11. Un bon nombre de thèmes et de termes récurrents dans les écrits apocalyptiques en rapport avec la notion de temps trouvent place dans l’Apocalypse de Jean : le vocabulaire de la fin et de l’accomplissement (τέλος, τελεῖν : Ap 2,26 ; 20,3.5 ; 21,6 ; 22,13) ; l’usage de l’adjectif « dernier [ἔσχατος] » (1,17 ; 15,1 ; 22,13) ; l’insistance sur le caractère d’imminence et d’urgence (1,1.3 ; 22,6.7.10.12.20) ; le questionnement sur les délais (6,10) ; les affirmations sur le présent (14,13.15) ; la mention de l’heure du jugement (14,7) ; le grand jour de Dieu (16,14) ; l’évocation de l’éternité (εἰς τοὺς αἰῶνας τῶν αἰώνων : 11,15 ; 20,10). Nous reviendrons plus loin sur les emplois de χρόνος et καιρός. Le déroulement des événements est, parfois, explicitement mis en relation avec l’accomplissement d’un dessein divin (17,17). Une question décisive au sujet de la visée principale du message de l’Apocalypse de Jean concerne l’interprétation de la relation entre le Christ et le temps. Ce qui est présenté comme futur dans les textes apocalyptiques de l’Ancien Testament et les traditions juives est ici réévalué en fonction des affirmations christologiques12. L’apocalypse de Jean est traversée par la conviction que le 10. Pour l’état de la recherche sur le genre littéraire de l’Apocalypse de Jean, voir D.E. AUNE, Revelation 1–5 (WBC, 52A), Dallas TX, Word Books, 1997, p. LXX-XC. 11. Cette dimension liturgique a été soulignée par P. Prigent dans plusieurs études. Il lui accorde une attention particulière, en lien avec des courants de la mystique du judaïsme ancien, tout au long de son commentaire : P. PRIGENT, L’Apocalypse de saint Jean (CNT, XIV), Genève, Labor et Fides, 22000. 12. Dans un ouvrage remarqué dès sa publication et qui reste une référence utile, O. Cullmann a fortement insisté sur l’originalité du Nouveau Testament dans la présentation de la relation entre mystère du salut et histoire : O. CULLMANN, Christ et le temps, Temps et Histoire

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mystère pascal vécu par Jésus en tant que victoire sur la mort confère à la totalité de l’histoire une signification positive, qu’il convient de prendre en compte dans une démarche de foi et de témoignage13. Ce passage de la mort à la vie, qui est déjà effectif pour l’Agneau immolé debout sur le trône céleste, fonde une espérance qui procure une orientation positive à l’existence de ceux qui sont en communion avec lui dans le temps présent et qui attendent sa venue, qu’ils appellent de leurs vœux en lui adressant cette prière fervente : « Amen, viens Seigneur Jésus [Ἀμήν, ἔρχου κύριε Ἰησοῦ] » (Ap 22,20). Parmi les éléments qui font l’objet de débats parfois assez vifs entre commentateurs de l’Apocalypse de Jean à propos de la relation entre ce livre et l’histoire, on peut signaler deux interrogations, dont la formulation est souvent exprimée en termes strictement alternatifs. La première interrogation a trait à la chronologie : le lecteur d’Ap doit-il prendre la succession des diverses visions relatées dans le livre comme correspondant au déroulement d’événements précis marquant le cours de l’histoire ? Ou bien est-il possible de considérer qu’il s’agit d’un panorama qui vise à attirer l’attention, de manière synthétique, sur le sens de l’aventure humaine, en recourant à des tableaux qui se répètent ou se complètent mutuellement ? Quant à la seconde interrogation, elle porte sur le caractère factuel ou virtuel des épreuves mentionnées dans le livre, notamment les persécutions organisées par le pouvoir impérial et les attitudes de défection de certains croyants cédant à des pressions destinées à provoquer l’apostasie. Doit-on interpréter ces épreuves comme relatant des crises réellement traversées par les communautés destinataires de l’Ap ? Ou bien est-ce là essentiellement un procédé rhétorique de dénonciation et de mise en garde dont le but serait d’alerter les lecteurs sur la gravité des menaces qui peuvent peser sur eux s’ils n’en sont pas conscients et ne réagissent pas en authentiques témoins du Christ ? Pour prendre position dans ces débats, il importe de reconnaître la complexité du texte de l’Apocalypse tel qu’il nous est parvenu. Même une lecture synchronique de l’ensemble du livre ne saurait faire l’impasse sur les insistances contrastées et les fortes tensions qui font partie intégrante des caractéristiques de ce texte. dans le christianisme primitif, Neuchâtel, Delachaux et Niestlé, 1947. Sa thèse principale est résumée en ces termes : « Au point de vue chronologique, l’élément nouveau apporté par le Christ à la foi du christianisme primitif est que, depuis Pâques le centre n’est plus situé, pour le croyant, dans l’avenir. […] Le centre du temps n’est plus l’apparition future du Messie mais un fait historique, déjà accompli dans le passé : la vie et l’œuvre du Christ. » (p. 57) 13. Une lecture de l’Apocalypse dans cette perspective, en réaction contre des exploitations défaitistes et anxiogènes qui ont cours en différents milieux, est exposée avec conviction et pédagogie par Y. SAOÛT, Je n’ai pas écrit l’Apocalypse pour vous faire peur !, par Jean de Patmos, Paris, Bayard, 2000.

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χρόνος EN AP 10,6

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En ce qui concerne la première interrogation, portant sur le cours de l’histoire, Jacques Descreux14 s’inscrit ouvertement dans une lecture de l’Apocalypse qui se situe dans la ligne du commentaire de Victorin de Poetovio, qui considère que la succession des visions est à prendre de manière globale, faisant saisir dans une vaste récapitulation le sens de l’histoire perçu selon le dessein de Dieu15. Mais, en examinant de près la disposition des septénaires des sceaux, des trompettes et des coupes, Descreux apporte un correctif : il fait observer qu’on ne doit pas, à ce propos, parler d’une simple répétition. En recourant, notamment, aux outils de la narratologie contemporaine, il remarque judicieusement que cette disposition reflète une certaine conception chronologique et pédagogique en recherchant un certain effet dramatique. Il conclut son enquête en ces termes : « La répétitivité des septénaires, bien loin d’être monotonie, fait éprouver au lecteur l’imminence et le retard du jugement, les deux forces qui déterminent le temps selon l’Apocalypse16. » Quant à la distinction entre factuel et virtuel, on peut estimer qu’elle n’est pas, elle non plus, aussi tranchée que certaines présentations le laisseraient croire. De nombreux travaux (comme ceux de Paul Ricœur) sur le récit ont mis en question une coupure trop nette entre fiction et histoire. À propos de l’Apocalypse de Jean, on peut renvoyer aux réflexions d’Adela Yarbro Collins17. Pour elle, ce livre n’est pas une réplique directe et immédiate à des événements dramatiques récents qui se seraient produits à l’extérieur des communautés liées à Jean. Il fut en fait écrit en réponse à une crise, mais une crise qui résulta du choc entre les attentes de Jean et de ses auditeurs de même sensibilité et les circonstances sociales dans lesquelles ils avaient à vivre. Le pouvoir de l’œuvre se trouve dans sa capacité à articuler cette perception de la crise et à la prendre en charge 14. J. DESCREUX, « L’Apocalypse prédit-elle le cours du temps ? Étude sur la temporalité des septénaires », Foi et Vie Cahier Biblique 51 (2012) 21-36. 15. Tout au long de son commentaire de l’Apocalypse, Victorin présente à plusieurs reprises ce principe d’interprétation. Voir, par exemple, Sur l’Apocalypse VIII,2 (à propos d’Ap 8,6-9,21 et 16,1-21) « Ce qui a donc été dit plus brièvement à propos des “trompettes” a été développé plus abondamment à propos des “coupes”. Il ne faut pas non plus s’attacher à l’ordre dans lequel les choses sont dites : l’Esprit-Saint septiforme, après avoir passé en revue les événements jusqu’aux derniers temps, jusqu’à la fin, revient à nouveau sur les temps dont il avait parlé et complète ce qu’il avait dit plus brièvement. Il ne faut pas chercher un déroulement chronologique dans l’Apocalypse, mais chercher ce qu’elle veut dire ; car il y a risque de verser dans les fausses prophéties ». VICTORIN DE POETOVIO, Sur l’Apocalypse et autres écrits (Sources Chrétiennes, 423), trad. M. DULAEY, Paris, Cerf, 1997, p. 87-89. 16. J. DESCREUX, « L’Apocalypse prédit-elle le cours du temps ? » (n. 14), p. 36. 17. A. YARBRO COLLINS, Crisis and Catharsis: The Power of the Apocalypse, Philadelphie PA, Westminster Press, 1984 ; ID., « Rhétorique apocalyptique, identité et catharsis virtuelle », Théophilyon 14 (2009) 11-38.

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d’une manière efficace. Son moyen pour la prendre en charge est la création d’un nouveau « monde » symbolique18.

Pour en revenir à Ap 10, ces différentes remarques invitent à analyser dans toute leur complexité les indications temporelles que contient ce chapitre. Nous avons déjà attiré l’attention sur le jeu des multiples instances d’énonciation. De ce point de vue, Ap 10,1-7 propose une série d’imbrications assez subtiles. Pour situer le v. 6, il faut d’abord prendre en compte le récit de la vision par Jean de Patmos, au passé (v. 1). Au sein de ce récit est rapporté, au passé, la prise de parole d’un ange qui prononce, encore au passé (dans le cadre de cette même vision), un serment solennel (v. 5). Et les paroles de ce serment décrivent, en termes négatifs, une situation présentée au futur (οὐκέτι ἔσται, v. 6), tout en revenant sur le passé pour évoquer dans une affirmation l’annonce faite par les prophètes (εὐηγγέλισεν, v. 7). Attachons-nous maintenant à l’interprétation du terme χρόνος dans le cadre du serment prononcé par l’ange. III. À QUOI

RENVOIE LE MOT

χρόνος

EN

AP 10,6D ?

Le grec de la Koinè, le grec classique et les langues sémitiques, disposent de plusieurs termes pour exprimer la notion de temps19. Le livre de l’Apocalypse, suivant en cela la pratique de la Bible de la Septante, recourt, en particulier aux deux mots χρόνος et καιρός20. Même si l’on peut observer que la différence entre ces deux termes joue le plus souvent sur l’opposition entre, d’une part, le temps en général ou le temps dans son déroulement objectif – pour χρόνος – et, d’autre part, un moment particulier, notamment avec la nuance de perception d’un « temps favorable » – pour καιρός 21 –, 18. A. YARBRO COLLINS, « Rhétorique apocalyptique, identité et catharsis virtuelle » (n. 17), p. 38. 19. J. BARR, Biblical Words for Time (Studies in Biblical Theology, 33), Londres, SCM Press, 1962. 20. G. DELLING, TDNT, Grand Rapids MI, Eerdmans, 1965 et 1974, Vol. III, p. 455464 (καιρός) et Vol. IX, p. 581-593 (χρόνος). W.F. ARNDT – F.W. GRINGRICH (ed.), A GreekEnglish Lexicon of the New Testament and Other Early Christian Literature (d’après W. Bauer, Griechisch-deutsches Wörterbuch zu den Schriften des Neuen Testaments und der übrigen urchristlichen Literatur, Berlin, Töpelmann, 1952), p. 395-396 (καιρός) et p. 896 (χρόνος). 21. Le commentaire de J. DELORME – I. DONEGANI, L’Apocalypse de Jean, Révélation pour le temps de la violence et du désir (LD, 135), Paris, Cerf, 2010, Vol. 1, traitant de l’emploi de καιρός en Ap 1,3 [ὁ γὰρ καιρὸς ἐγγύς, « car le moment [est] proche »] livre la réflexion suivante (p. 35) qui s’appuie sur des distinctions d’ordre cosmologique et anthropologique : « Le “temps” qui passe hors et indépendamment de nous au rythme du mouvement des astres et qu’on mesure et divise commodément avec nos chronomètres, calendriers et chronologies,

LA SIGNIFICATION DE

χρόνος EN AP 10,6

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cette remarque ne suffit pas pour rendre compte de manière précise des nuances que comportent toutes les occurrences répertoriées. Il est nécessaire d’aborder chaque emploi en fonction du cadre dans lequel il intervient22. En Ap 10,6d, comme nous l’avons déjà signalé, c’est le terme χρόνος qui est employé, sans article. Si l’on cherche à déterminer sa signification particulière dans ce contexte (en prenant en considération à la fois la visée globale de l’Apocalypse de Jean, les sources anciennes qui ont pu lui servir d’arrière-plan, ainsi que la fonction du chapitre 10 dans la composition du livre), on se trouve schématiquement face à deux possibilités, qui sont envisagées l’une et l’autre par des commentateurs de différentes époques. Pour les uns (hypothèse A), le terme χρόνος serait à prendre au sens absolu : la proposition négative d’Ap 10,6d évoquerait la suppression de toute temporalité. Pour les autres (hypothèse B), il s’agirait plus simplement d’un intervalle chronologique : Ap 10,6d serait à comprendre en lien avec la thématique de l’imminence et de l’urgence. Examinons successivement ces deux options en évaluant les motivations alléguées par ceux qui les préconisent et la signification qu’elles impliquent pour l’interprétation du verset considéré. 1. Une annonce de la fin de toute notion de temporalité ? Certains interprètes de l’Apocalypse considèrent que le serment prononcé par l’ange en Ap 10,6d a pour but de proclamer solennellement la fin du temps tel qu’il est expérimenté dans le cours de l’histoire. Cette disparition constituerait une des caractéristiques du passage à l’éternité. Une telle suggestion repose sur l’idée que le substantif χρόνος dans ce verset désignerait le temps en tant que tel, comme notion générale. La négation οὐκέτι aurait pour visée de faire saisir que, désormais, l’état des choses serait en rupture totale et définitive avec ce qui précède. Le verbe ἔσται, au futur, s’appliquerait à la situation nouvelle : « il ne sera plus », « il n’y aura plus ». c’est le χρόνος. Le καιρός, lui, découpe la trame du temps par des événements ou des actions qui touchent les hommes sans se plier au calendrier : une naissance, une réussite, un mariage, ou une épreuve, un deuil. On les attend ou ils surprennent, on s’en souvient et on les rappelle par des anniversaires, on les projette et il faut attendre le moment opportun de passer à l’action. C’est le temps vécu, humanisé. Il fait sens, il parle à sa manière et fait parler. Le “moment” qui s’est fait proche est de cette qualité. » 22. Michel Gourgues invite à la même prudence dans une étude qui explore la temporalité dans le quatrième évangile : M. GOURGUES, « Superposition du temps symbolique et du temps réel dans l’évangile de Jean », in E. STEFFEK – Y. BOURQUIN (ed.), Raconter, interpréter, annoncer. FS Daniel Marguerat, Genève, Labor et Fides, p. 171-182, notamment p. 172. Cette référence me donne l’occasion d’exprimer amicalement à l’auteur de cet article ma gratitude pour tout ce qu’il a apporté et apporte encore à l’exégèse contemporaine par la qualité de ses nombreux travaux.

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Une telle représentation est fondée sur un schéma binaire : à la différence de ce monde-ci qui se trouve affecté par un certain rapport au temps, l’éternité (les « âges des âges ») ne comporterait aucune notion de ce type. Toute référence temporelle serait supprimée. Parmi les commentateurs de l’Apocalypse qui prennent en considération une telle interprétation, on peut nommer : André de Césarée, Bède le Vénérable, F. Spitta, J. Weiss23. Cette hypothèse de lecture fait appel essentiellement à deux arguments. Le premier consiste dans la prise en considération d’une opposition formelle entre ce monde-ci et le monde futur annoncé, entre le temps vécu dans le déroulement de l’histoire et l’éternité, décrite comme intemporelle. L’intervention de l’ange aurait pour but de faire connaître au visionnaire que le monde créé va désormais passer, de manière définitive, à cette nouvelle situation. Une autre considération vient appuyer cette interprétation : l’insistance du livre de l’Apocalypse de Jean pour évoquer, à l’aide de formulations proches de l’énoncé négatif d’Ap 10,6d, la disparition de diverses réalités constituant le cadre de la vie passée et présente. L’un des rapprochements les plus éclairants, dans cette perspective, concerne les visions relatées en Ap 21–22. En Ap 21,1 le visionnaire dépeint le passage à un ciel nouveau et à une terre nouvelle, en soulignant quelques traits : « Alors je vis un ciel nouveau et une terre nouvelle, car le premier ciel et la première terre s’en sont allés [ἀπῆλθαν] et la mer n’est plus [ἡ θάλασσα οὐκ ἔστιν ἔτι] ». Ici, c’est le visionnaire luimême qui s’exprime au passé (« je vis [εἶδον] ») et la formule négative concernant la mer est au présent (ἔστιν). Quelques versets plus loin (21,4), il mentionne une voix forte provenant d’un trône (élément de symbolique céleste qui apparaît de manière récurrente dans le dispositif de l’Apocalypse depuis 4,2). Cette voix s’exprime en style direct au futur, au sujet de Dieu dans sa relation aux êtres humains : « Il effacera toute larme de leurs yeux, et la mort ne sera plus [καὶ ὁ θάνατος οὐκ ἔσται ἔτι], ni deuil, ni cri, ni douleur ne seront plus [οὐκ ἔσται ἔτι], parce que les premières choses s’en sont allées [τὰ πρῶτα ἀπῆλθαν] ». Dans ce verset, la situation d’énonciation fait incontestablement penser à celle de 10,4-6 par la présence d’une voix céleste et par l’usage du verbe ἔσται au futur. Même si les tournures employées sont différentes, on peut noter aussi d’autres formules négatives signalant l’absence de plusieurs éléments qui caractérisent, d’après la vision dépeinte en 21,9– 22,5, la cité sainte descendant du ciel : pas de sanctuaire car c’est le Seigneur et l’Agneau qui sont, eux-mêmes, son sanctuaire (21,22) ; elle n’a pas besoin 23. Voir les options répertoriées par E.-B. ALLO, Saint Jean. L’Apocalypse (EBib), Paris, Gabalda, 41933, p. 140-141.

LA SIGNIFICATION DE

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de soleil ni de lune car elle bénéficie de la lumière de la gloire de Dieu et de la lampe de l’agneau (21,23). Faisant écho à cette dernière remarque, 22,5 précise : « Et de nuit il ne sera plus [καὶ νὺξ οὐκ ἔσται ἔτι] et ils n’ont pas besoin de lumière de lampe ni de lumière de soleil parce que le Seigneur Dieu répandra sur eux sa lumière et ils règneront pour les âges des âges [εἰς τοὺς αἰῶνας τῶν αἰώνων] ». Observons que ce verset s’ouvre par un énoncé au futur assez proche de celui de l’ange en 10,6d. De plus, la notion d’éternité est présente par le syntagme classique « pour les âges des âges », qui s’oppose au jeu de l’alternance entre nuit et lumière. Cette lecture du texte a inspiré une œuvre originale qui est entrée dans le répertoire de la musique occidentale du 20e siècle : le Quatuor pour la fin du Temps, pour violon, clarinette en si bémol, violoncelle et piano d’Olivier Messiaen (1908-1992). Le cadre de la création de cette composition est la rencontre entre Messiaen et trois autres instrumentistes dans un stalag de Silésie en 194024. Comme pour plusieurs de ses œuvres, le musicien a livré, dans différentes prises de parole ou publications, de précieuses indications explicitant son projet. La dédicace est énoncée en ces termes « En hommage à l’Ange de l’Apocalypse, qui lève la main vers le ciel en disant : “Il n’y aura plus de Temps” ». Sur la partition25 figure une traduction d’Ap 10,1-7. Dans la préface, Messiaen avertit : « Je n’ai voulu en aucune façon faire un commentaire de l’Apocalypse, mais seulement motiver mon désir de la cessation du temps. » Il offre quelques informations sur sa rhétorique musicale : Le langage musical de l’œuvre est essentiellement immatériel, spirituel, catholique. Des modes, réalisant mélodiquement et harmoniquement une sorte d’ubiquité tonale, y rapprochent l’auditeur de l’éternité dans l’espace ou infini. Des rythmes spéciaux, hors de toute mesure, y contribuent puissamment à éloigner le temporel (tout ceci restant essai et balbutiement, si l’on songe à la grandeur écrasante du projet)26.

L’ensemble du Quatuor compte huit pièces. La septième a pour titre : « Fouillis d’arcs-en-ciel, pour l’Ange qui annonce la fin du Temps ». Messiaen en parle de la manière suivante : « Pièce dédiée à l’Ange, et surtout à 24. Les circonstances de cette expérience et des premières auditions sont décrites, à partir d’une recherche documentaire rigoureuse, par P. HILL – N. SIMEONE, Olivier Messiaen, traduction de l’anglais par L. KAYAS, Paris, Fayard, 2008, p. 127-136 et 147-148. 25. Publiée chez Durand, Paris, en mai 1942. On peut noter que dans la traduction reproduite par Messiaen, le mot « Temps » est affecté d’une majuscule. 26. Pour la présentation des grandes lignes du langage musical utilisé par Messiaen dans cette œuvre, voir H. HALBREICH, L’œuvre d’Olivier Messiaen, Paris, Fayard, 2008, p. 319-325 ; J. HÄUSLER, dans une notice du livret accompagnant le coffret de CD réalisé à l’occasion du centenaire de la naissance du musicien, Olivier Messiaen 1908-1992. Complete Edition, Salzbourg, Deutsche Grammophon, 2008, p. 179-183.

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l’arc-en-ciel qui le couvre (l’arc-en-ciel, symbole de paix, de sagesse et de toute vibration lumineuse et sonore). Dans mes rêves colorés, je subis un tournoiement, une compénétration giratoire de sons et de couleurs. » Examinons maintenant l’autre hypothèse, selon laquelle l’interprétation du terme χρόνος donne à l’intervention de l’ange la portée d’un appel à prendre en compte la thématique de l’urgence. 2. Un avertissement concernant le temps qui presse ? L’opinion qui prévaut aujourd’hui largement parmi les exégètes est en faveur d’une lecture de l’énoncé d’Ap 10,6d dans la ligne d’une insistance solennelle sur l’arrivée immédiate de l’étape ultime du déroulement du projet divin. L’accent porterait, non pas sur l’absence de toute notion de temporalité, mais sur le fait que l’on atteint effectivement le dernier moment. Dans les traductions françaises, cette option se concrétise habituellement par le recours au terme de « délai27 ». Les notes ou les commentaires qui explicitent cette prise de position n’attribuent pas la même portée à la nuance de retard que semble suggérer un tel vocabulaire. Certains auteurs, dans une perspective historico-critique, opèrent un rapprochement avec le motif littéraire et théologique du « retard de la Parousie » attesté dans d’autres textes du Nouveau Testament, notamment 2 P 3,3-13. D’autres, comme D.E. Aune et P. Prigent s’opposent formellement à une telle présentation. Prigent fait appel au terme « délai » dans sa traduction, mais il tient à éviter toute confusion générée par ce vocable et prend la peine d’indiquer : « Le mot χρόνος ne doit pas être pris dans le sens précis de délai (si la traduction retient ce mot, c’est bien faute de mieux !), car, comme le remarque justement D.E. Aune, il n’est nullement question d’un retard. Le serment proclame solennellement que le peu de temps accordé à Satan (Ap 20,3) avant son anéantissement est bien le temps dernier, l’eschaton28. » Aune, dans sa traduction anglaise emploie une formulation légèrement développée : « There will be no more interval of time ». Il commente son choix en déclarant que le terme « Delay » ne conviendrait pas, car l’Apocalypse de Jean ne connaît pas le thème du retard des événements eschatologiques29. 27. Ce mot figure dans la Bible de Jérusalem 1998 ; la TOB 2010 ; La Nouvelle Bible Segond 2002 (avec, en note, la précision « litt. plus de temps »). 28. P. PRIGENT, L’Apocalypse de saint Jean (n. 11), p. 256. 29. D.E. AUNE, Revelation 6–16 (WBC, 52B), Nashville TN, Thomas Nelson, 1998, p. 568 : « “Delay” is an inappropriate translation of χρόνος in v. 6, for it assumes that eschatological events have been postponed ; there is no hint that this is the case in Revelation. In Rev 6:11 the phrase ἔτι χρόνον μικρόν means “for a little while longer”, just as mikron chronon

LA SIGNIFICATION DE

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L’argument principal concernant cette signification attribuée à χρόνος dans le contexte d’Ap 10,6d est la cohérence du propos développé dans l’ensemble du livre. La thématique de l’imminence et de l’urgence est présente sous des formes diverses, en écho à l’enseignement des prophètes et des visionnaires de l’Ancien Testament ainsi que de la tradition juive. En Ap 10, comme nous l’avons signalé, c’est surtout la vision de Dn 12 que l’on peut déceler comme arrière-plan, dans une relecture originale marquée par la prise en considération de l’effectivité du mystère pascal du Christ. Les étapes chronologiques exposées dans ce qui est révélé sous forme de visions successives à Jean de Patmos trouvent ici une conclusion qui s’exprime dans un serment à double face : la formulation négative des trois derniers mots d’Ap 10,6 souligne le fait qu’on arrivera au terme d’un processus ; quant à l’ensemble du v. 7 il annonce en termes positifs l’accomplissement (la consommation) du mystère divin promis par les prophètes. Si l’on prend en compte la présentation des éléments fournis au lecteur dans la symbolique des visions qui s’enchaînent, on remarque que la dimension chronologique n’est pas abolie après 10,6-7. Ainsi, les indications de temps trouvent encore place lors de l’intervention de la septième trompette, selon 11,15-1930. A. Feuillet signale un point de grammaire qu’il considère comme un appui de cette option à propos du sens du mot χρόνος en Ap 10,6d : l’absence d’article devant le substantif  31. D’après lui, si la notion de temporalité était visée en tant que telle, on aurait plutôt ὁ χρόνος. Cet argument, cependant, serait à nuancer. Un procédé de généralisation à la manière d’une personnification plus ou moins formelle pourrait expliquer l’absence de l’article en pareil cas. in Rev 20:3 means “a little while” or “a short time”. » En exprimant son accord avec la critique émise par Aune concernant la traduction « Delay », Stephen S. Smalley propose, lui aussi, une version comportant un ajout par rapport au grec : « There will be no more time of waiting ». Il explicite cette option en ces termes : « The angel is saying that time is up, and that the events of the end are about to be set in motion » ; S.S. SMALLEY, The Revelation to John, Londres, SPCK, 2005, p. 246, 264-266. 30. Dans sa lecture de l’Apocalypse, R. BAUCKHAM met en relief la tension vers l’eschatologie ; voir La théologie de l’Apocalypse, Paris, Cerf, 2006, p. 180-181 : « L’effet réellement important de l’attente imminente dans l’Apocalypse est de permettre à Jean de faire porter sa vision prophétique de l’issue finale de l’histoire sur son intelligence de la situation contemporaine. C’est quand il voit le dessein de Dieu d’établir finalement son royaume universel se heurter avec le présent que Jean est en mesure de percevoir le dessein de Dieu dans la situation présente et le rôle que les chrétiens sont appelés à jouer dans ce dessein en vue de la venue du royaume. » 31. A. FEUILLET, « Le chapitre X de l’Apocalypse : son apport dans la solution du problème eschatologique », in A. FEUILLET, Études johanniques (Museum Lessianum Section Biblique, 4), Paris, Desclée de Brouwer, 1962, p. 228-245, ici p. 234. Article repris de Sacra Pagina, BETL, 1959, Vol. XII-XIII.

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Bilan Ce regard porté sur trois simples mots du livre de l’Apocalypse de Jean nous a conduit à évoquer un bon nombre de problèmes exégétiques et théologiques, dont chacun mériterait un examen approfondi : enquête philologique, sens de la temporalité dans la littérature biblique, genre littéraire et visée particulière de l’Apocalypse johannique, articulation entre Ancien Testament et relecture christologique, lien entre traditions juives et écrits chrétiens des premières générations, perspectives nouvelles ouvertes par le mystère pascal du Christ sur l’eschatologie… Le choix méthodologique consistant à lire Ap 10,6d dans son contexte précis d’énonciation (un serment solennel exprimé au futur par un ange au cœur d’une vision rapportée au passé) invite à saisir la portée de ce message comme une des expressions du thème de l’imminence et de l’urgence, susceptibles d’orienter la vie humaine vers la venue définitive de celui qui accomplit les promesses divines. La formulation proposée dans la récente traduction pour la liturgie a l’avantage, en se situant dans cette ligne, de ne pas recourir au terme « délai » (qui peut prêter à confusion comme le note P. Prigent). De plus, elle respecte la dynamique provoquée par l’ordre des mots du grec. Cette lecture d’Ap 10 ne rend pas nulles et non avenues les considérations sur la temporalité en général, que développe, entre autres, Olivier Messiaen. Mais elle invite à situer de telles réflexions dans un cadre plus large. On peut les prendre comme des essais personnels d’expression d’une perception et d’une réflexion qui intègrent des dimensions philosophiques et théologiques qui prolongent la postérité des textes bibliques pour rejoindre les interrogations et le vécu de multiples lecteurs dans des contextes historiques et culturels divers. Perception qui fait place à l’esthétique et pas seulement à une démarche spéculative. C’est, d’ailleurs, ce que réalise le compositeur dans d’autres œuvres, comme les Vingt Regards sur l’Enfant-Jésus (1944), œuvre monumentale pour piano dont la pièce n°9 a pour titre : « Regard du Temps ». Michel BERDER Institut catholique de Paris [email protected]

IV. POSTÉRITÉS LITTÉRAIRE ET THÉOLOGIQUE

LA FIGURE ÉTYMOLOGIQUE αὔξειν τὴν αὔξησιν τοῦ θεοῦ (COL 2,19)

Entre le commencement et la fin, entre la première annonce du Messie ressuscité et la proclamation d’un salut à la mesure de l’oikoumene et du kosmos, se situe l’interprétation, souvent conflictuelle, des paroles que l’Apôtre avait laissées comme clés de sa pensée. S’accusant mutuellement d’hétérodoxie déjà de son vivant, les disciples ont donné lieu à ce phénomène si typique des écoles dans l’antiquité : utiliser certains des mots d’ordre de la communauté naissante pour imposer les différentes perspectives. Nous n’avons, dans la majorité des cas, que des témoignages de la théologie qui finit par s’imposer, mais ce résultat aurait été impossible sans les débats qui suivirent l’action de Paul. Nous voudrions décrire une étape précise du développement de l’idée d’Église-σῶμα. Cette vieille image, employée par l’Apôtre dans le sillon de la tradition sémitique (et aristotélicienne) de l’Esprit du Christ comme « âme » et personnalité du corps, fut transformée par son école en sens vertical (et presque stoïcien) : le σῶμα prit les dimensions du cosmos et le Messie en devient la tête. Cette opération se produisit à l’aide d’un langage quelque peu baroque et prétendument sublime, mais parfois obscur. L’embarras des commentateurs à l’égard de la paronomase αὔξειν τὴν αὔξησιν τοῦ θεοῦ, « croitre la croissance du dieu », de Col 2,19 est un fait connu. Le lecteur cherchera inutilement les entrées αὐξάνειν, αὔξειν et αὔξησις dans le pourtant monumental Theologisches Wörterbuch zum Neuen Testament. Pour sa part, la Grammatik des neutestamentlichen Griechish de F. Blass et A. Debrunner, au § 101, considère αὔξειν « nur intr. » en Col 2,19 et Ep 2,211, mais, au § 153 note 2, elle compte Col 2,19 parmi les cas dans lesquelles l’objet interne n’existe qu’en fonction de l’attribut, comme par exemple en 1 P 3,14 : τὸν δὲ φόβον αὐτῶν μὴ φοβηθῆτε, « n’ayez d’eux aucune crainte2 ».

1. ἐν ᾧ πᾶσα οἰκοδομὴ συναρμολογουμένη αὔξει εἰς ναὸν ἅγιον ἐν κυρίω, « en lui toute construction s’ajuste et grandit en un temple saint, dans le Seigneur ». 2. « Ist der Akk. des Inhaltes ein mit dem Vb. wurzel – oder sinnerverwandtes Verbalabstraktum, so hat er nur dann einen Zweck, wenn dazu eine nähere Bestimmung in Form eines Attributs (Adj. oder Gen.) tritt » (éd. 1954).

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P. GARUTI

I. UN PARALLÈLE ET

UNE HISTOIRE RÉDACTIONNELLE COMPLEXE

Il est notoire que l’expression apparaît dans une métaphore à base physiologique, dont on lit le « double » en Ep 4,15-16. Ep 4,15-16 ἀληθεύοντες δὲ ἐν ἀγάπῃ αὐξήσωμεν εἰς αὐτὸν τὰ πάντα, ὅς ἐστιν ἡ κεφαλή, Χριστός, ἐξ οὗ πᾶν τὸ σῶμα

Col 2,19

καὶ οὐ κρατῶν τὴν κεφαλήν, (D add. Χριστόν) ἐξ οὗ πᾶν τὸ σῶμα

συναρμολογούμενον καὶ συμβιβαζόμενον διὰ τῶν ἁφῶν καὶ συνδέσμων ἐπιχορηγούμενον διὰ πάσης ἁφῆς τῆς ἐπιχορηγίας καὶ συμβιβαζόμενον κατ᾽ ἐνέργειαν ἐν μέτρῳ ἑνὸς ἑκάστου μέρους τὴν αὔξησιν τοῦ σώματος ποιεῖται εἰς οἰκοδομὴν ἑαυτοῦ ἐν ἀγάπῃ. faisant la vérité dans l’amour, nous ferons croitre toutes les choses vers celui qui est la tête, le Christ, duquel le corps tout entier

αὔξει τὴν αὔξησιν τοῦ θεοῦ.

et il ne s’attache pas à la tête (D add. le Christ) de laquelle le corps tout entier

coordonné et cohérent à travers chaque jointure de la subsistance selon une énergie à mesure de chaque partie,

par les jointures et ligaments recevant subsistance et cohésion,

fait la croissance du corps, pour sa propre construction dans l’amour.

réalise la croissance du dieu.

Dans son commentaire d’Éphésiens, M.-É. Boismard voit en Ep 4,1516 deux marques qui en font une réélaboration de Col 2,19, opérée par le rédacteur et insérée dans la lettre paulinienne primitive : « L’addition qui s’inspire des Colossiens est délimitée par la reprise rédactionnelle que constitue «dans l’amour», au verset 15a et à la fin du verset 16. Grâce à Dieu, le parallèle des Colossiens permet de ne pas attribuer à Paul ce passage, truffé de mots rares et qui frise le charabia !3 » En effet, le caractère secondaire du texte d’Ep est évident : a) il mélange l’image physiologique de la croissance du corps à celle de la construction d’une maison (οἰκοδομή, Ep 4,16) ; b) il interprète la croissance comme une action par laquelle les fidèles font grandir 3. M.-É. BOISMARD, L’énigme de la Lettre aux Éphésiens, Paris, Gabalda, 1999, p. 119 (pour les « reprises » comme « procédé rédactionnel classique », voir p. 15).

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LA FIGURE DE COL 2,19

l’univers vers le Christ tête (αὐξήσωμεν εἰς αὐτὸν τὰ πάντα, Ep 4,15) ; c) il développe, peut-être pour la rendre plus claire, l’image de la subsistance et de la cohésion du corps à travers les ligaments et jointures, mais finit par créer une sorte d’hypallage : διὰ πάσης ἁφῆς τῆς ἐπιχορηγίας, « à travers chaque jointure de la subsistance » (Ep 4,16). Pourtant, nous le verrons, le rédacteur d’Éphésiens n’est pas si mauvais interprète de Col 2,19. Dans son ouvrage sur Colossiens, paru la même année, Boismard escamote Col 2,19, ne l’attribuant explicitement ni à la lettre de Paul aux Laodicéens, qui constituerait le canevas sur lequel un rédacteur aurait brodé celle aux Colossiens, ni à la main de ce dernier. Mais, puisqu’il considère Col 2,20-23 comme étant la suite logique de 2,8-12 dans la lettre aux Laodicéens4, nous en déduisons qu’il pensait que 2,19 est l’œuvre du rédacteur final. Donc, tant Ep 4,15-16 que Col 2,19 seraient à attribuer à cette phase tardive où les secrétariats se seraient chargés de la réécriture et de l’éditions de ces deux lettres jumelles. Cela est fort probable, mais nous pouvons trouver dans les analyses de Boismard une piste pour atteindre la source paulinienne de l’imagerie de la « croissance du dieu ». Pour cet auteur, nous lisons en Col 2,9-10 le commentaire de l’Apôtre à un verset de l’hymne archaïque qu’on lit, remaniée, en Col 1,1520. Col 1,(18-)19

Col 2,9-10

ὅτι ἐν αὐτῷ εὐδόκησεν πᾶν τὸ πλήρωμα κατοικῆσαι

ὅτι ἐν αὐτῷ κατοικεῖ πᾶν τὸ πλήρωμα τῆς θεότητος σωματικῶς, καὶ ἐστὲ ἐν αὐτῷ πεπληρωμένοι, (18 καὶ αὐτός ἐστιν ἡ κεφαλὴ τοῦ σώματος) ὅς ἐστιν ἡ κεφαλὴ πάσης ἀρχῆς καὶ ἐξουσίας

puisqu’en lui plut habiter toute la plénitude

(18 et lui-même est la tête du corps)

puisqu’en lui habite toute la plénitude de la divinité comme dans un corps, et vous êtes en lui remplis lui qu’il est la tête de toute autorité et pouvoir

Il y a quelques années, nous avons eu l’occasion de mettre en doute l’attribution de Col 2,9-10 à la plume de Paul5, précisément en raison du 4. M.-É. BOISMARD, La lettre de Saint Paul aux Laodicéens retrouvée et commentée, Paris, Gabalda, 1999, p. 64-65. 5. P. GARUTI, Apostolica Romana Quaedam, Paris, Gabalda, 2004, p. 143-144, 150-151.

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fait que le Messie est déclaré être « tête » et non l’esprit qui anime le corps (1 Co 12). Mais nous devons peut-être nous rétracter, puisque Col 2,10, s’il s’agit encore du commentaire au morceau liturgique primitif, en limite la portée : dans le domaine lexical de l’autorité et du pouvoir, κεφαλή signifie davantage « chef » que « tête ». La « plénitude » de la divinité6, qui habite tout entière dans le Christ, remplit les fidèles et organise la communauté comme un corps. En ce sens, l’idée de « plénitude » est plus proche de celle d’esprit du Ressuscité chez Paul et d’âme chez Aristote. Col 2,19 développe cette même idée, mais le Christ est déjà devenu la « tête du corps », selon la vision typique de l’école qui assure la rédaction de Colossiens et Éphésiens. C’est donc « à partir de » cette tête que le corps, déjà coordonné « à travers » les jointures et les ligaments, reçoit de quoi grandir.

II. UNE MÉTAPHORE MULTIPLE Cela dit, restent intactes les difficultés causées par cette métaphore multiple formée de cinq éléments, trois mots, le double article déterminatif et la paronomase sur la racine du verbe. Les deux articles identifient apparemment cette « croissance du dieu » comme quelque chose de bien connu par les lecteurs : un trait de leur « encyclopédie ». Ce trait pouvant dériver de leur quête religieuse avant la rencontre avec les prêcheurs chrétiens, nous avons gardé le plus générique « du dieu ». Les trois mots, par leur valeur lexicale ou par la fonction grammaticale, peuvent donner origine à différentes traductions. αὔξειν

αὔξησις

θεός

transitif

objet interne

sujet

il s’assure la croissance que le dieu cause / veut

objet

il fait que le dieu s’accroisse

qualificatif il réalise une croissance divine intransitif

il grandit sous l’action du dieu

relatif (cause)

sujet

relatif (fin)

qualificatif il grandit jusqu’à la divinisation

Il ne sera pas inutile de parcourir les traductions des Pères latins, avant que la Vulgate n’impose son interprétation :

6. Nous ne pouvons que laisser au texte toute son ambiguïté : τὸ πλήρωμα de Col 1,19 peut être sujet ou objet de εὐδόκησεν […] κατοικῆσαι.

LA FIGURE DE COL 2,19

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IRÉNÉE DE LYON, Aduersus Haereses I,5,14 IIe siècle et tenens caput, ex quo uniuersum corpus Ecclesiae compaginatum augescit IIIe siècle NOVATIEN, De cibis judaicis 5 caput Christum non tenentes, ex quo omne corpus per nexum concatenatum et fibula charitatis membris mutuis innexum atque concretum crescit in Deum III-IVe siècle MARIUS VICTORINUS, Aduersus Arium I,25 et non tenens caput Christi ex quo omne corpus per actus et coniunctiones subministratum et productum, crescit in incrementum Dei III-IVe siècle LUCIFER DE CAGLIARI, De non conueniendo cum haereticis et non tenens caput, ex quo totum corpus per nexus, et coniunctiones productum crescit in augmentum fidei IVe siècle AMBROSIASTER, In Epistolas b. Pauli VII,1 et non tenens caput illud, ex quo omne corpus per compagines et coniunctiones subministratum et compaginatum crescit in augmentum Dei IVe siècle AMBROISE DE MILAN, In Ps. 118 quia non tenent, inquit, caput, ex quo omne corpus per compaginationes et colligationes subministratum et copulatum crescit in incrementum Dei IVe siècle TYCHON, Liber Regularum I non tenens caput, ex quo omne corpus per tactus, et coniunctiones constructum, et subministratum crescit in incrementum Dei IV-Ve siècle JÉRÔME, Epistolae 121 Quastio X (Algasia)7 et non tenens caput, ex quo totum corpus per nexus et coniunctiones subministratum et conuinctum crescit in augmentum Dei VULGATE et non tenens caput, ex quo totum corpus per nexus, et coniunctiones subministratum, et constructum crescit in augmentum Dei IV-Ve siècle AUGUSTIN D’HIPPONE, Epistolae 149,2,28 et non tenens, inquit, caput, quod vult Christum intellegi, ex quo omne corpus compactum et connexum, subministratum et copulatum crescit in incrementum Dei IV-Ve siècle AUGUSTIN D’HIPPONE, Liber de diuinis scripturis 514 et non tenens caput, ex quo omne corpus per nexus et coniunctiones productum et porrectum crescit in augmentum Dei IV-Ve siècle AUGUSTIN D’HIPPONE (?), Quaestiones aliae Veteris et Noui Testamenti ex quo omne corpus subministratum et productum crescit in incrementum Domini V-VIe siècle CASSIODORE, Expositio in Psalmum LI et non tenens caput, ex quo omne corpus per coniunctiones perductum et porrectum crescit in crementum Dei 7. Il s’agirait du texte cité par Algasia dans sa dixième question : absent des éditions modernes des Lettres de Jérôme, mais connu de P. SABATIER, Bibliorum sacrorum latinae uersiones antiquae seu Vetus Italica, tome III, Reims, Florentain, 1743, ad loc.

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Lucifer de Cagliari présente une évidente correction : fidei, inspirée probablement de Rm 1,17. La paraphrase d’Irénée ignore la « croissance du dieu » et parle du corps de l’Église ; celle de Novatien paraît être un pastiche de Col et Ep. Augmentum et incrementum Dei constituent les traductions plus fréquentées de la fin du verset8, tandis qu’on peut observer la plus grande variété quant aux termes physiques employés pour traduire la description du corps. Le terme dont la traduction paraît la plus problématique est ἐπιχορηγούμενον : aucune dans Irénée, Novatien et Lucifer, subministratum chez les autres jusqu’à la Vulgate, productum et perductum chez Augustin et Cassiodore. Augustin dans la lettre 149 développe les deux participes : compactum et connexum, subministratum et copulatum. Si le verbe συμβιβάζω donne l’idée de « faire marcher ensemble », ἐπιχορηγέω dérive de χορός, « danse, groupe de danseurs, chœur ». Il serait donc presque synonyme du précèdent, mais le verbe χορηγέω et le substantif χορηγός (coryphée) ont été employés déjà à l’époque classique pour définir les notables qui fournissaient les subsides nécessaires non seulement à l’entretien des chœurs (chorèges), mais à toute autre œuvre publique, la guerre comprise9. De là et de l’αὔξησιν à la fin du verset, dérive dans les traductions modernes de Col 2,19 l’idée de « nourriture ». Mais de là vient aussi la curieuse physiologie selon laquelle la nourriture cause la croissance à travers les ἁφαί « points de contact10 ». La version de ἁφαί chez Marius Victorinus, per actus, semble s’expliquer comme une correction du per tactus témoigné par Tychon. L’autre terme, συνδέσμοι, « ligaments », redouble l’idée de connexion, qui est condition nécessaire mais non suffisante, en vue de l’accroissement du corps dans son intégrité. Pour que le corps grandisse il faut que les membres soient unis entre elles par (διά) les jointures, et que tout le corps le soit à la tête, de (ἐξ) laquelle il reçoit la capacité de croitre. III. QUELLE CROISSANCE ? Mais, même si nous avons ainsi mis entre parenthèses la cohésion du corps, comme condition nécessaire mais non suffisante, nous ne sommes pas à la fin de nos maux. Il nous reste à établir, si possible, si le verbe αὔξειν est transitif ou intransitif et quelle est la valeur du génitif τοῦ θεοῦ. 8. La version in crementum Dei de Cassiodore, si elle ne dérive pas d’une haplographie, accentue le rôle actif des croyants. 9. Voir. P. CHANTREINE, Dictionnaire étymologique de la langue grecque, Paris, Klincksieck, 1999, p. 156. 10. Voir ARISTOTE, De generatione et corruptione, 316b 15, où les ἁφαί sont précisément les points où on peut diviser les corps.

LA FIGURE DE COL 2,19

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La première question est en partie résolue par la présence même de l’objet interne : s’agissant de « croître une croissance », même dans le cas où le verbe serait transitif, l’action se replie sur elle-même. Reste donc la deuxième question : le dieu est la cause de la croissance ? en est l’objet ? est-il à identifier avec la croissance même ? Partons du sens plus loin de notre sensibilité : augmenter, faire croître le dieu. On pourrait considérer cette expression comme une métaphore : la croissance du corps (social) augmente le nombre de ceux qui proclament la grandeur d’une divinité11. Dans la Bible hébraïque le hiphil ‫( הגדיל‬Ps 126,23 ; Jl 2,21) indique l’action par laquelle Yahvé « s’est fait grand » en libérant son peuple. Le même verbe définit la croissance humaine (e.g. Gn 21,8 ; 2 S 5,10). Les traducteurs grecs rendent ce verbe avec μεγαλύνω, les latins avec magnificare, qui signifie précisément « faire grand ». Hors de métaphore, la langue latine connaît une signification plus spécifique du langage sacrificiel. Mactus, macte et mactare, bien qu’on ne leur connaisse aucune étymologie précise, étaient expliqués comme formés par magis auctus, magmentum, magis augmentatum. Servius suit cette « étymologie populaire12 » en commentant Virgile (Eneide IX,641-642 : Macte noua uirtute, puer : sic itur ad astra, dis genite et geniture deos)13. macte : magis aucte, adfecte gloria. et est sermo tractus a sacris : quotiens enim aut tus aut uinum super uictimam fundebatur, dicebant « mactus est taurus uino uel ture », hoc est cumulata est hostia et magis aucta. « macte » ergo pro « mactus esto », uocatiuum pro nominatiuo posuit (…) nam integrum est « macte esto noua uirtute puer ». « mactus » autem apud ueteres etiam « mactatus » dicebatur, ut Ennius « Liuius inde redit magno mactatus triumpho ». et Lucilius lib. V. « macte, inquam, uirtute simulque his uersibus esto », et in pontificalibus sacrificantes dicebant deo « macte hoc uino inferio esto ».

On déduit facilement, de cette « étymologie populaire », que dans le langage des sacrifices on pouvait « augmenter » la puissance d’un dieu comme on pouvait honorer un être humain14. Augere, auctus nous ramènent dans le domaine de αὔξειν et αὔξησις. 11. L’origine de cette idée est ancienne en pays grec où l’idéal de l’αὔξησις parcourt l’historiographie du Ve siècle. Voir à ce propos M. WĘCOWSKI, L’auxêsis d’Athènes : Hérodote, Thucydide et un aspect de l’idéologie athénienne, Diss. EHESS, Paris, 2000 disponible sur la toile au site www.academia.edu. 12. Entre guillemets in A. ERNOUT – A. MEILLET, Dictionnaire étymologique de la langue latine, Paris, Klincksieck, 2001, p. 376. 13. Trad. A.-M. BOXUS – J. POUCET, accessible en ligne sur le site Bibliotheca Classica Selecta (http://bcs.fltr.ucl.ac.be), de la Faculté de Philosophie et de Lettres de l’Université Catholique de Louvain : « [Apollon s’adressant à Iules :] “Honneur à ton jeune courage, enfant ; c’est ainsi qu’on atteint les astres ; tu es né de dieux et tu engendreras des dieux” ». 14. P. GARUTI, « Sacrificio », in R. PENNA – G. PEREGO – G. RAVASI (ed.), Temi teologici della Bibbia, Cinisello Balsamo, San Paolo, 2010, p. 1197-1214.

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Ce détour, apparemment inutile, est dû au contexte immédiat de Col 2,19 : Col 2,16-18 : μὴ οὖν τις ὑμᾶς κρινέτω ἐν βρώσει καὶ ἐν πόσει ἢ ἐν μέρει ἑορτῆς ἢ νεομηνίας ἢ σαββάτων· ἅ ἐστιν σκιὰ τῶν μελλόντων, τὸ δὲ σῶμα τοῦ Χριστοῦ. μηδεὶς ὑμᾶς καταβραβευέτω θέλων ἐν ταπεινοφροσύνῃ καὶ θρησκείᾳ τῶν ἀγγέλων, ἃ ἑόρακεν ἐμβατεύων, εἰκῇ φυσιούμενος ὑπὸ τοῦ νοὸς τῆς σαρκὸς αὐτοῦ… Dès lors, que nul ne s’avise de vous critiquer sur des questions de nourriture et de boisson, ou en matière de fêtes annuelles, de nouvelles lunes ou de sabbats. Tout cela n’est que l’ombre des choses à venir, mais la réalité, c’est le corps du Christ. Que personne n’aille vous en frustrer, en se complaisant dans d’humbles pratiques, dans un culte des anges : celui-là donne toute son attention aux choses qu’il a vues, bouffi qu’il est d’un vain orgueil par sa pensée charnelle…

La sagesse charnelle (σοφία) à laquelle s’oppose le rédacteur a affaire à un culte des anges que les sectaires décrivent comme ἐθελοθρησκία, « vénération volontaire », ταπεινοφροσύνη, « sentiment d’humilité », ἀφειδία σώματος, « non ménagement du corps » (Col 2,23). Par le jeu de l’antanaclase15, ce disciple de Paul rétorque contre ses adversaires leurs mots d’ordre, en affirmant qu’il s’agit de pratiques qui n’apportent aucun avantage (καταβραβεύω), d’une vénération et d’humbles soucis, dépendants de la volonté humaine (θέλων ἐν ταπεινοφροσύνῃ καὶ θρησκείᾳ). Par rapport au corps du Christ, ils sont comme l’ombre face à la réalité.

IV. UN ARRIÈRE-PLAN LITURGIQUE ? Puisqu’il s’agit en bonne partie de questions liturgiques et que rien nous oblige à exclure qu’aux mets et aux boissons qu’il cite, le rédacteur ne veuille opposer la célébration du « corps du Christ » pratiquée par la communauté et constitutive de son identité comme « corps16 », l’expression « croissance du dieu » de Col 2,19 pourrait avoir un arrière-plan sacrificiel. L’expression αὔξησις τοῦ θεοῦ aurait donc une double signification : s’attachant solidement à sa tête, en refusant de suivre la « vénération des anges17 », le corps constitué par les fidèles fait que la divinité soit « augmentée » en puissance, en vue de l’« augmentation » de la communauté. 15. P. GARUTI, Apostolica Romana Quaedam (n. 5), p. 163-164. 16. 1 Co 10–11 serait le point de départ naturel de cette théologie. Voir P. GARUTI, Studi sulla Lettera agli Ebrei, Pendé, Gabalda, 2012, p. 23-41. 17. Autre génitif ambigu, mais le la démonstration garde la même valeur que les anges soient l’objet ou les premiers acteurs de ce culte lié au calendrier et aux « éléments du cosmos » (les astres).

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Un autre épigone de Paul, l’auteur de la lettre aux Hébreux, s’exprime d’une façon analogue : He 13,9-10 : διδαχαῖς ποικίλαις καὶ ξέναις μὴ παραφέρεσθε· καλὸν γὰρ χάριτι βεβαιοῦσθαι τὴν καρδίαν, οὐ βρώμασιν ἐν οἷς οὐκ ὠφελήθησαν οἱ περιπατοῦντες. ἔχομεν θυσιαστήριον ἐξ οὗ φαγεῖν οὐκ ἔχουσιν ἐξουσίαν οἱ τῇ σκηνῇ λατρεύοντες. Ne vous laissez pas égarer par des doctrines diverses et étrangères : car il est bon que le cœur soit affermi par la grâce, non par des aliments qui n’ont été d’aucun profit à ceux qui en usèrent. Nous avons un autel dont les desservants de la Tente n’ont pas le droit de se nourrir.

Nous arrivons ainsi au cinquième élément qui rend si caractéristique la fin de Col 2,19 : la paronomase sur la racine aug-18. Elle était plutôt à la mode, au début de notre ère. D’abord le poète épicurien Lucrèce : De rerum natura I, 433-436 : nam quod cumque erit, esse aliquid debebit id ipsum / augmine uel grandi uel paruo denique, dum sit ; / cui si tactus erit quamuis leuis exiguusque, / corporis augebit numerum summamque sequetur. Car tout ce qui existe devra par là même être en soi quelque chose. S’il a une masse tangible, si légère et menue soit-elle, elle ira grossir d’une unité grande ou petite, peu importe, pourvu qu’elle existe, le nombre des corps, et s’ajoutera à leur total19.

Lucrèce voulait démontrer que tout est matière ou vide : la matière s’ajoute à la matière ; le jeu de mots augmine – augebit se comprend dans la perspective quantitative de la démonstration. Tite-Live témoigne d’un usage religieux de la paronomase, beaucoup plus intéressant pour notre propos. Il s’agit de la prière de Scipion, une prière en plein style juridique romain : Ab urbe condita XXIX,27,2-3 : Diui diuaeque – inquit – qui maria terras que colitis, uos precor quaeso que uti quae in meo imperio gesta sunt geruntur postque gerentur, ea mihi populo plebique Romanae, sociis nominique Latino qui populi Romani quique meam sectam imperium auspiciumque terra mari amnibusque sequuntur, bene uerruncent, eaque uos omnia bene iuuetis, bonis auctibus auxitis… Dieux et déesses qui habitez les mers et les terres, voici ma demande, ma prière : que ce qui a été, est ou sera à l’avenir accompli durant mon commandement, pour moi-même, pour le peuple et la plèbe de Rome, pour nos alliés et les nations de nom latin, pour ceux qui suivent le parti du peuple romain 18. Idg. *aueg-, *uōg-, *aug-, *ug-, *h2eug-, *h2aug-, *h2ug-. 19. Trad. A. ERNOUT, Lucrèce, De la nature, Paris, Les Belles Lettres, 2002, ad loc. Ce type de problèmes était classique en philosophe. Voir ARISTOTE, Physica 321b et, pour les êtres animés, De generatione et corruptione, entre autres.

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et le mien, mon commandement et mes auspices, sur la terre, sur la mer et sur les fleuves, que tout cela ait une issue heureuse ; veuillez les favoriser, le faire se développer en d’heureux développements20…

Il s’agit d’une formule solennelle, qui lie aux auspices pris par le général la réussite de la guerre contre Carthage. Bonis auctibus auxitis ajoute à l’invocation le charme de la formule augurale. Fronton, au IIe siècle, quand déjà la propagande impériale se fonde sur le nom et le sang d’Augustus, montre la persistance de la paronomase, dans le domaine de la réussite politique. De feriis alsiensibus III,5 (à Antonin Auguste) : quid majores uestri, qui rem publicam et imperium romanum magnis auctibus auxerunt ? proauus uester summus bellator, tamen histrionibus interdum sese delectauit et praeterea potauit satis strenue : tamen eius opera populous Romanus in triumphis mulsum saepius bibit. Et que dire de vos ancêtres qui accrurent l’État et l’Empire romains de larges additions ? Votre arrière-grand-père, très grand homme de guerre, se laissait pourtant charmer parfois par les comédiens et de plus, il buvait assez volontiers ; par ses soins, pourtant, le peuple romain, lors des triomphes, but très souvent du vin doux21.

On peut penser, comme cette traduction l’impose, à des additions territoriales, bien sûr ; mais le contraste entre les plaisirs auxquels aimait s’adonner Trajan, l’arrière-grand-père de Marc Aurèle par adoption, et la formule magnis auctibus auxerunt fait ressortir toute la solennité de cette dernière. Le rapport entre le corps de l’Empire et l’empereur, l’un se montrant auguste et divin par ses exploits, l’autre favorisé des bonis auctibus de la part des dieux, montre bien quelle imagerie est évoquée par la paronomase de Col 2,19. Sans vouloir par-là créer une démonstration circulaire, il est aussi évident que, dans son « charabia » un peu baroque, Ep 4,15-16 constitue une paraphrase assez fidèle de notre verset. Paolo GARUTI, o.p. Université Pontificale Saint Thomas d’Aquin, Rome [email protected]

20. Trad. P. FRANÇOIS, Tite-Live, Histoire de Rome, tome XIX, Paris, Les Belles Lettres, 1994, ad loc. 21. Trad. P. FLEURY, Fronton, Correspondance, Paris, Les Belles Lettres, 2003, ad loc.

THE DIDACHE AND PETER THE EARLY TEACHING OF THE APOSTLES

INTRODUCTION The rediscovery of a Greek manuscript of the Didache (hereafter Did) in 1873 and its publication ten years later elicited an immense interest, since it offered an unexpected glimpse upon early Christianity. Many studies popped up immediately1, but no consensus emerged, for it was not easy to insert this work within the standard views of the first steps of Christianity. A recent collection of essays displays a broad view of modern research2: identity of the Did community, Jewish traditions, Gentile converts, hierarchy, liturgy, relationship with Mt. However, starting from a problem of textual criticism, a general reassessment is possible, and this paper aims at showing: first, that the Did in its inception had nothing to do with the admission of Gentiles into the Church, though it was later reworked and used as an instruction summary for Gentile catechumens; and second, that within the various trends that can be detected among Jesus’ heirs, the best position of the Did is to attach it to Peter and the disciples around him. Such a conclusion involves some steps. 1. – A review of some pending problems raised by the Did, with a discussion of several textual and literary peculiarities. 2. – An examination of the book of Acts, which is not a plain history, but a careful construction to digest various trends among Jesus’ heirs, in order to fill up the gap between Paul and the apostles around Peter. 3. – Among these trends, Peter, who never left the Land of Israel (in Acts), is the best hook to which we can hang the early form of the Did. 1. For a good survey of the first discussions, see J.-P. AUDET, La Didachè. Instructions des Apôtres, Paris, Lecoffre-Gabalda (Peeters), 1958; for a thorough update, see N. PARDEE, The Genre and Development of the Didache: A Text-Linguistic Analysis (WUNT, II/339), Tübingen, Mohr Siebeck, 2012. 2. J.A. DRAPER – C.N. JEFFORD (ed.), The Didache: A Missing Piece of the Puzzle in Early Christianity, Atlanta GA, SBL, 2015.

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I. ON THE DIDACHE Before considering specific points, it is convenient to give first an outline of the text as it stands in the only complete Greek manuscript discovered so far. 1. The Didache: An Outline A division of the text into chapters and verses has been introduced by Harnack according to his interpretation, but it is still generally accepted for convenience. Anyhow, the work can easily be divided into four parts, after a twofold title3. 0. – Two titles are given in the ms.: first, a shorter one above the text “Teaching [διδαχή] of the Twelve Apostles”; second, a longer one “Teaching of the Lord to the Nations through the Twelve Apostles”, which happens to be the beginning of the first paragraph. 1. – (Did 16) The Two Ways, a theme known from Jewish literature and Greek philosophy4. The “Way of life” is expounded in details (Did 1–4), using the Decalogue as a general frame, with additional warnings against other numerous failings (arrogance, magic, etc.). The opposite is the “Way of death”, and a list of specific sins leading to death is added (Did 5). The conclusion is a general warning against those who teach otherwise, followed by notes on “bearing the yoke of the Lord” and the prohibition of any “food offered to idols”, which may belong to the next part. 2. – (Did 7–10) Some rites are expounded: the way of performing baptism, after an assertion of “all these things” to the neophyte, and a preparation fast (Did 7); the suitable days for fasting and the Lord’s prayer “as the Lord instructed (ἐκέλευσεν) in his gospel” (8); a Eucharist rite, for the baptized only, with thanksgiving prayers on the cup and the broken bead (9)5; a thanksgiving prayer to be said after eating, and a further prayer for the community with an eschatological hope (maranatha) (10).

3. A. VON HARNACK, Lehre der zwölf Apostel: Nebst Untersuchungen zur ältesten Geschichte der Kirchenverfassung und des Kirchenrechts (TU, 2), Helsingfors, Hinrichs, 1892. 4. On this topic, see the review of N. PARDEE, The Genre and Development of the Didache (n. 1), p. 76-78. 5. See M. THEOBALD, “Zulassungsbedingungen zur Eucharistie: Erwägungen zu Did 10,6”, in T. KHIDESHELI – N. KAVVADAS (ed.), Bau und Schrift, Münster, Aschendorff, 2015, p. 111139.

THE DIDACHE AND PETER

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3. – (Did 11–15) A row of directives: acceptance of a newcomer (apostle or prophet) who teaches all that, but after some checking “according to the decree [δόγμα] of the Gospel” (11–12); the true teachers are to be given the first fruits of any produce of the land (13); on the Lord’s day, reconciliation is mandatory before breaking the bread (14); local authorities are installed to replace prophets and teachers, and more is said about reconciliation “as you have in the gospel” (15). 4. – (Did 16) “Watch over your life”. A period of tribulations will occur prior to the appearance of the “son of God”; the end of time has already been hinted at in the conclusion of Did 10. The ms. stops abruptly, and the copyist uncharacteristically left some blank lines; some parallels, albeit remote, suggest that the final judgment was mentioned6. Some general comments may be offered here. First, the double title has challenged the commentators. The ancient writers who refer to this text have a shorter form “Instruction of the Apostles” (sometimes a plural “Instructions”), and it is well known there has always been a tendency to amplify texts and titles; so, the shorter one should be original, though it does not mention the Lord as a source of authority. Conversely, it was not less usual to refer to a well-known work by a shortened title7. For instance: Rev 1,1 gives the full title of the book (“Revelation of Jesus Christ, which God gave him to show to his bond-servants, the things which must soon take place”), but the mss and the ancient writers simply refer to “The Revelation of John [Ἀποκάλυψις Ἰωάννου]”. Thus, both arguments seem to have the same weight. However, we may wonder, if the Lord is Jesus, whether he actually gave instructions for the Gentiles. An answer will depend on the content of the text. Second, we can refine the general outline. Did 11,1 has a kind of conclusion that wraps up all the teachings: “Thus [οὖν], if someone who comes should teach you all that has been said here, accept him”. In the sequel, various additional details are given, on the true teachers, on reconciliation, on the organization of the community after the time of the apostles and teachers. Such a disposition may indicate a secondary development. It has been noted, too, that the Did speaks to “you-plural”, but several times switches to “yousingular” (1,1-3a ; 1,4-6 ; 2,1–4,10 ; 4,12–5,2a ; 6,1-3 ; 7,2-4 ; 13,3.5-7). One case is striking, about baptism: in 7:1 “you-plural” must baptize “in running water” (or “living”, ἐν ὕδατι ζῶντι); then are given further instructions to “you-singular” about this water and about a preparatory fast. Again, this may indicate literary stages. But despite many studies no agreement has 6. See J.-P. AUDET, La Didachè (n. 1), p. 73-74. 7. So N. PARDEE, The Genre and Development of the Didache (n. 1), p. 101-122.

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been arrived at on a literary evolution, for this may be the way of one author combining together various sources or traditions. Third, there are some allusions to a higher authority. The phrase κατὰ τὴν ἐντολήν (“according to the precept”) occurs three times: in Did 1,5 about giving alms; in 13,5.7 about a similar topic8. This may be connected to a saying of Jesus’ that was not recorded in the Gospels (Acts 20,35): “It is more blessed to give than to receive”. But such a stance or “precept” about giving alms may simply belong to the common wisdom of the nations. More specifically, there are references to a “gospel [εὐαγγέλιον]”, which have been mentioned above: in Did 8,2 about the Lord’s prayer, clearly alluding to Matt 6,9-13; in Did 11,3 about checking the apostles and prophets who come to teach, while in Matt 24,24 Jesus warns against false prophets and false messiahs (see Matt 7,15-20, too); in Did 15,3.4 about correcting one another, a topic that appears sometimes in Matt (5,23-24; 18,15-17). In Did 9,5 we read, about the prohibition for the non-baptized to attend a Eucharist service: “For the Lord has also spoken about this, ‘Do not give what is holy [τὸ ἅγιον] to the dogs’”. Though there is no mention of any Gospel, this recalls Matt 7,6 – “Do not give what is holy [τὸ ἅγιον] to the dogs” –, but there “holy” lacks any definition. Fourth, the previous remarks indicate a certain relationship between Mt and Did, which has been observed since the discovery of the manuscript. The only case of a quasi-identity is the Lord’s prayer, but we may suspect an adjustment to the well-known formula, for it includes a doxology. Other instances show that the parallelism may not be very close: Didache

Matthew

8,1 And do not let your fasts [νηστεῖαι 6,16 Whenever you fast, do not put on ὑμῶν] be with the hypocrites [μετὰ τῶν a gloomy face as the hypocrites do [ὡς ὑποκριτῶν], for they fast on the second οἱ ὑποκριταί], and fifth days of the Sabbath9. As for yourselves, fast on the fourth and on the Preparation [= sixth]. for they neglect their appearance so that they will be noticed by men when they are fasting. Truly, I say to you, they have their reward in full. 8. A. GIAMBRONE, “’According to the commandment’ (Did. 1,5): Lexical Reflections on Almsgiving as ‘The Commandment’”, NTS 60 (2014) 448-465. 9. These are devotional or extraordinary fast-days, see m.Taanit 2:9; EPIPHANIUS, Pan. 16.1.

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Didache

Matthew

8,2 And do not pray like the hypocrites 6,5 When you pray, you are not to be [μηδὲ προσεύχεσθε ὡς οἱ ὑποκριταί], like the hypocrites [οὐκ ἔσεσθε ὡς οἱ ὑποκριταί], for they love to stand and pray in the synagogues and on the street corners… but, as the Lord instructed in his gospel, 6,6 When you pray, go into your inner room. 6,7 Do not use meaningless repetition as the Gentiles do… pray like this: “Our Father…”

6,9 Pray, then, like this: “Our Father…”

Table 1. – Comparing the Didache and Matthew. A Sample.

These precepts are clearly different, in spite of a reference to the Lord’s gospel. The key word “hypocrite” does not have the same meaning. For Did here, it refers to a common use – the way taught by the teachers of the people –, with no moral overtone. However, we read at 2,5 “You [sing.] must not be a coveter nor greedy nor a hypocrite nor hateful [οὐκ ἔσῃ πλεονέκτης οὐδὲ ἅρπαξ οὐδὲ ὑποκριτὴς οὐδὲ κακοήθης]”, with the very ethical meaning of Matt, which has always “you-plural” (see below). In the Did, the former case displays “you-plural” and the latter “you-singular”. However, the goal of this paper is not to launch a full-scale discussion of the literary layers; we will be content to pinpoint some features towards what must be called various Christianizations of an early form of Did. 2. Textual and literary problems With only one Greek manuscript of the whole text dated 1056, there cannot be proper textual criticism beyond spelling mistakes. Many attempts to literary criticism have been proposed so far, by detecting inconsistencies and formal markers, and by comparing similar pieces of literature, especially about the Two-Ways section. As for the text itself, a partial Latin translation titled Doctrina apostolorum; a complete Georgian translation has been discovered, reviewed – and lost. A loose Greek paraphrase is given in Book VII of the Apostolic Constitutions. A fragment of a Coptic papyrus has Did 10,3b–12,1a, with variant readings and additions. A portion of the Ethiopic Statutes of the Apostles includes Did 11,3–13,7 (on the prophets) and then 8,1-2 (fast and prayers according to the Lord’s instruction in his Gospel), but the order is different and the wording not very close10. 10. The relevant details are given by C.N. JEFFORD, Didache. The Teaching of the Twelve Apostles (Early Christian Apocrypha, 5), Salem OR, Polebridge, 2013, p. 6-14.

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However, a significant emendation of the text is necessary. In Did 7,1-2 it is said twice that baptism has to be performed “in the name of the Father and of the Son and of the Holy Spirit” (the second time without articles). The commentators accept this wording, since it matches Matt 28,19, when the risen Jesus sends his disciples to evangelize and baptize with this very formula11. But this cannot be maintained, because the Matthean verse was edited. In his writings, Eusebius quotes it a dozen times, but in two different ways. Before the Council of Nicaea (325), he has: “Make disciples of all the nations in my name [μαθητεύσατε πάντα τὰ ἔθνη ἐν τῷ ὀνόματί μου]”. This tolerably fits Justin’s wording (Dial. 39.2): “Every day, some who are made disciples in the name of his Christ [μαθητευομένους εἰς τὸ ὄνομα τοῦ Χριστοῦ αὐτοῦ] leave the way of falsehood”, etc. But after the Council he quotes the usual form: “Baptizing them in the name of the Father and the Son and the Holy Spirit”. Now, one of the main topics discussed there was the problem of Trinity, because of a controversy about the divine identity of Jesus (Arianism). Moreover, shortly after the Council (331), Constantine, for the sake of unity, ordered the same Eusebius to prepare 50 copies of the whole Greek Bible (Life of Constantine 4.37). Thus, since there is no extant witness of that verse (ms. or quotation) before the great uncial manuscripts of the 4th and 5th century the obvious conclusion is that its longer form was introduced under Eusebius’ authority after the Nicaean definition12. (Unfortunately, the reference to Eusebius’ shorter variant has disappeared from NestleAland 28). As for the passage of the Did, whose Greek text is only known by a mediaeval manuscript dated 1056, we must conclude that the definition of baptism it contains was doctored (Christianized) according to Matt 28,19 by a Christian copyist. A similar example is given by the only extant Greek manuscript of Justin’s Dialogue, for we read in 81.4: “There was a certain man [ἀνήρ τις] with us, whose name was John – one of the apostles of Christ – who prophesied, by a revelation [ἐν ἀποκαλύψει] that was made to him, that the believers in Christ will live 1000 years in Jerusalem”, etc. It is certain that the phrase “one of the apostles” is a gloss, for two reasons: first, the wording of the sentence is awkward (“a certain man”); second, at least until

11. IGNATIUS OF ANTIOCH seems to have it twice (Philad. 9.4; Philip. 2.3), but the first mention is a gloss (only one Greek ms. is extant), and the second letter is spurious, see M.W. HOLMES, The Apostolic Fathers: Greek Texts and English Translations, Grand Rapids MI, Baker Academic, 3 2007 (following J.B. LIGHTFOOT’s edition, 1889), p. 17-26. 12. F.C. CONYBEARE, “The Eusebian Form of the Text Matth. 28,19”, ZNTW 2 (1901) 275288; J. SCHABERG, The Father, The Son and the Holy Spirit: The Triadic Phrase in Matthew 28:19b (SBL Diss. Ser., 61), Chico, Scholars, 1982, p. 36-43.

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Eusebius, the authority of Revelation was discussed, for it was not clear whether its author, John, was the apostle13. Thus, the removal of the Trinity formulae from the Did is to provide us with an opportunity to reassess its significance in the early Church. We can go one step further. The closest parallel to Did is a text known as Doctrina apostolorum (hereafter Doc), which is currently held to be an approximate Latin translation of Did 1–6.14 However, there are interesting discrepancies, beyond translation incertitude: Didache

Doctrina apostolorum

1,1 There are two ways, one of life and There are two ways in the world, life and one of death. death, light and darkness. Two angels are placed over them, one over what is right, anoher over what is flawed. 1,3a And the teaching [διδαχή] of these And the explanation [interpretation] of words is this: these words is this: 3b Bless those who curse you and pray for your enemies; and fast for your persecutors. For how is it helpful if you love the ones who love you? Do not even the nations do the same? But you, love the ones who hate you and you will have no enemy. 4 Reject the appeals of the flesh and body. If someone strikes you on the right cheek, turn also the other, and you shall be satisfied. If someone pressures you to go one mile, go two. If someone takes your robe, give also your tunic. If someone takes from you what is yours, do not reclaim, for you cannot. 5 Give to each one who asks of you and do not reclaim. For the father wants each one to be given from his own gifts. Blessed is the one who gives according to the instruction, for he is without gilt. Woe to the one who takes! For if someone having a need takes, he is not gilty, but if he has no need he will have to explain why and for what cause. And put in jail he will be probed about 13. See M. MARCOVICH, Iustini Martyris dialogus cum Tryphone (Patristische Texte und Studien, 47), Berlin, Walter de Gruyter, 1997, ad loc.; the ms. is dated 1363. 14. See J. SCHLECHT, Διδαχὴ τῶν δώδεκα Ἀποστόλων – Doctrina XII Apostolorum, una cum antiqua versione latina prioris partis de Duabus Viis, Freiburg, Herder, 1900.

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Didache

Doctrina apostolorum

what was done and will not go out from there until the last penny has been paid. 6 But it has also be said about this: “Let your gift sweat in your hand until you know to whom you give”. 2:1a And a second instruction of the teaching: 1b Do not murder, do not commit adul- Do not commit adultery, do not murder, tery, etc. etc. 2,5 Your word must be neither false or Your word must be neither false or empty. empty. But you must act accordingly. 6 You must not be a coveter nor greedy You must not be lustful nor greedy nor nor a hypocrite nor hateful nor arrogant. rapacious nor idolatrous nor argumentative nor irritable. You must not conceive an evil plan against Do not entertain evil counsel against your your neighbor. 7 Do not hate anyone, neighbor. Do not hate anyone. but reprimand some, pray for some, and some you shall love more than your- Some you shall love more than your soul. self. 3,7 Be gentle [πραύς], for the gentle shall Be gentle [mansuetus], for the gentle shall inherit the land [γῆν]. possess the Holy Land [sanctam terram]. 4:8b Do not claim anything for yourself. Do not claim anything for yourself. For For if you are sharers in what is immortal, if we are sharers in the immortal, how how much more in mortal things? much more ought we be driven by this? For the Lord wants for all to be given from his gifts. Do not withhold your hand from your Do not withhold your hand from your son. son. 6,1 See that no one diverts you from this See that no one diverts you from this way of teaching… teaching… 2 For if you can bear the whole yoke of If you are mindful of this daily, you will the Lord, you will be perfect. be near the living God. And if you cannot, do what you can. If you do not do this, you will be far from truth [longe eris a veritate]. 3 And regarding food, accept what you can, but certainly avoid what is offered to idols, for it is in service of dead gods. But by these holy struggles you will obtain a crown by the lord Jesus Christ, who reigns and rules with the Father and Holy Spirit for eternity. Amen. Table 2. – Comparing the Didache and Doctrina Apostolorum.

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Here are some comments: 1. – The portion Did 1,3b–2,1a, which is missing in most parallels, has been recognized is a later insertion, which loosely depends on Mt and other sources15. The “delayed gifts” (1,6) recalls Sir 12,1 “If you do good, know to whom you do it”. We may add that the mention of the “hypocrites” in 2,6 with its typical Matthean moral value was introduced together with the addition, since it does not appear in Doc, while hypocritae was well known from the Old Latin and Vulgate of Matt 6. 2. – The final sentence of Doc ends with a very Christian doxology, with no parallel in Did. The “crown” recalls Pauline wording in 1 Cor 9,25; 2 Tim 4,8, as well as Jas 1,12, with the same meaning. The best assumption is that the translator-adaptator skipped over the food regulations and had no use of the following chapters in his time (Did 7–11): details not very Christian on Baptism and Eucharist, without the triadic formulae; reception of prophets and apostles, who do not exist anymore; first fruits of the land, when most Christians were citizens; eschatology, since Christ already reigns. All this reflects the time of Christendom, after Constantine. 3. – The beginning of Doc is longer, and has a striking similarity with a portion of the Qumran Community Rule (1QS 3,18-21), despite a somewhat different wording: 18 [God] appointed for [humankind] two spirits in which to walk until the time ordained for his visitation [‫]פקודתו‬. These are the spirits of 19 truth and falsehood. In the fountain of light, generations of truth; from the spring of darkness, generations of evil. 20 The authority of the prince of lights lies to the governance of all the sons of justice; they walk in the paths of light. The authority of the angel 21 of darkness embraces the whole governance of the sons of evil; they walk in the paths of darkness.

The main difference is the eschatological allusion (“his visitation”, line 18). Its absence in Doc may relate to its Christianization (see § 2). The shortened form of Did is not easily explained; it may have been connected to the “evangelical” insertion of 1,3b-2,1a and to other small additions: “you must act accordingly” (2,5); “reprimand some, pray for some” (2,7); “do what you can” (6,2). 4. – The blessing of the gentle in Did 3,7 is the same as in Matt 5,5, where it somewhat doubles the first Beatitude “Blessed are the poor in spirit, for theirs is the kingdom of heaven”. But the former (with “land”) may have 15. See E.B. BROOKS, “Before and after Matthew”, in J.A. DRAPER - C.N. JEFFORD, The Didache (n. 2), p. 247-286.

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a narrower scope than the latter (with “kingdom of heaven”), since the obvious background is Ps 37,11 “and the gentle will inherit land [οἱ δὲ πραεῖς κληρονομήσουσιν γῆν]”, with an allusion to Deut 4,1, that is, to the Promised Land16. Moreover, Jesus claims later that he came to “the lost sheep of the house of Israel” (Matt 10,6; 15,25). Of course, in the general context of the NT, “land” is currently understood as “earth” in a broad meaning. But the mention of the Holy Land in Doc 3,7 is interesting, and quite natural indeed; it should be held as original. It may have some connection with the Qumran literature, since the Essenes were mainly farmers in the Land of Israel. In 1 QS 8,3…6 we read: “They are to preserve faith in the Land with self-control and a broken spirit [‫]רוח נשברה‬, atoning for sin by working justice and suffering affliction… chosen by God’s will to atone for the land” (see too 1QSa 1,3). It makes sense that they strove to renew the Land of Israel’s purity17. As a conclusion, it can be said that here both Did and Doc depend on a common Greek source, which reflected a specific form of the very common theme of the Two Ways. It has been Christianized in two very different ways: in Did, by adding some verses (and perhaps “do what you can”) and removing details such as “light and darkness, angels”, “Holy Land”, “the Lord wants for all to be given from his gifts” (a doublet of 1,5); in Doc, by cutting short the second part of the document and replacing it by a Christian doxology, and transforming the “whole yoke of the Lord” into a plain daily observance, since it hardly matches Peter’s speech in Acts 15,10 (“a yoke which neither our fathers nor we have been able to bear”), or Jesus’ saying in Matt 11,29: “Take my yoke upon you, for I am gentle [πραύς] and humble in heart, and you will find rest for your souls”. As for more details about the editing of both Did and Doc, there is no need here to go further, all the more that most probably several hands were at work over centuries. The reference to the Holy Land prompts us to join it with the passage about giving the first fruits of any produce of the land (Did 13). So, the original background of the whole text is rural, that is, not larger than the Land of Israel. So, we may ask whether it has anything to do with the conversion of the Gentiles. For if we follow Paul, the first development of Christianity abroad took place in cities. This brings us to the book of Acts, in which Peter, and apparently the other apostles as well, stays in Herodian Judea, that is, in the Land of Israel, but westward from the Jordan river, which was deemed to be its symbolic border. 16. See the discussion of R.T. FRANCE, The Gospel of Matthew, Grand Rapids MI, Eerdmans, 2007, p. 186-189. 17. See D. FLUSSER, “Blessed Are the Poor in Spirit”, Israel Exploration Journal 10 (1960) 1-13.

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II. ABOUT ACTS The obvious reason to consider this book is the notice of Acts 2,42, which is given immediately after Peter’s speech and the baptism of many people: “They were continually devoting themselves to the apostles’ teaching [τῇ διδαχῇ τῶν ἀποστόλων]”. The latter phrase recalls the titles of the Did and especially the Doc, and its position close to Peter may be significant, for all these newcomers were Jews. Before considering this point, however, it is convenient to give an outline of the formation of the book, in order to justify some comparisons with other ancient works. 1. On the emergence of Acts It has been suspected that Luke and Acts were once one book, which was later divided into two parts, with two prologs to one Theophilus; but there are disagreements on this view. Moreover, it has been admitted that the Synoptics were written towards the end of the 1st century, and Acts as it stands somewhat later, so that the short form of Marcion’s Luke, around the middle of the 2nd century, must be the result of a deliberate shortening. All this, however, is worth a reassessment. The first to mention Acts and to use it was Irenaeus of Lyons in Gaul, around 185. Since it definitely connects Paul with the apostles and Jesus, it was very useful against the Jewish-Christians who refused Paul and the Marcionites who wanted Paul only, as well as the various Gnostics who claimed to rely upon a hidden oral tradition of Jesus’ teachings (Adv. haer. 3.15.1). Some 30 years before him Justin Martyr had the same problems in Rome; he says that Marcion, contemporaneous to him, had a big influence everywhere, but he did not have Acts to refute him and does not reproach him to have edited any Christian text, a significant fact18. In fact, Marcion took advantage of Paul’s account in Gal 1–2, where he explains that after a first revelation at Damascus he began to preach, and later, a second revelation brought him to Jerusalem to present his Gospel to James, Cephas and John “for fear that I might be running, or had run, in vain” (2,2). In other words, he states that he used to be a kind of free-lancer and owes nothing to the disciples, beyond a later recognition; this was Marcion’s starting point, for he stated that only Paul had understood Jesus. On the contrary, 18. Before Justin, no serious hint at Acts has been detected so far, see A.F. GREGORY, The Reception of Luke and Acts in the Period before Irenaeus (WUNT, II/169), Tübingen, Mohr Siebeck, 2003, p. 310-321.

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it is striking to see that Acts always shows Saul-Paul, after some early missteps, in good relationship with Jerusalem: first by the mediation of Barnabas, an apostle, then in collaboration with him; later, after the consensus arrived at in Jerusalem, Paul delivers to all cities “the decrees which had been decided upon by the apostles and elders who were in Jerusalem” (16,4); eventually, he arrives at Rome with “us” (28,17), that is, the eyewitnesses alluded to in the first prolog to Theophilus (Luke 1,2)19. To put it otherwise, Acts is not plain history, but the result of a project to tightly connect Paul to the tradition of the apostles. It can be compared to a funnel that brings together various trends in order to culminate on Paul at Rome without Peter, and contrarily to some previous passages in the Gospels, there is no more eschatological overtone. An instance of this arrangement is given by the lengthy speech of Stephen; it is strange, for it mentions neither Jesus nor resurrection; then, after his stoning, he is buried by pious men, though the apostles are still in Jerusalem in spite of serious persecutions (Acts 8,1-2). Thus, we may wonder whether Stephen really had anything to do with them. As for a possible dating of Acts as it stands, we must examine the formation of the Synoptics, which must have been essentially completed before it, besides some later editing, as we have seen above about Matt 28,19. The first writer to mention our four Gospels is the same Irenaeus (Haer. 3.10.1), who apparently brought from Minor Asia the Gospel of John, since he was born at Smyrna. Before him Justin Martyr did have a Gospel or Memoirs of the Apostles with no author’s name; his quotations are short, and mostly close to the wording of Mt20. But this Memoirs was not among Irenaeus’ four, for it includes non-canonical details: Jesus was born in a cave (Dial. 78.5; see too the Protogospel of James 18.1); a fire appeared above the Jordan river when Jesus was baptized (Dial. 88.3; see too Sibylline Oracles 7.81-84); before his public life, Jesus was a carpenter and a blacksmith for agricultural tools (Dial. 88.5; see too the Gospel of Thomas § 15). Before Justin, some authors quote several sayings of Jesus, generally close to Mt, which suggests liturgical habits (and texts). Now, the first hint at a written account of Jesus’ life and teachings is provided by Apollos, an educated Jew of Alexandria who in the early forties could teach accurately everything about Jesus, knowing only the baptism of John (Acts 18,24-25). From this we can extract two conclusions: first, he was not a Christian, but belonged to the very big Jewish Jesus movement, which 19. See É. NODET, « Théophile (Lc 1,1-4 ; Ac 1,1) », RB 119 (2012) 585-595. 20. See D.W. JORGENSEN, Treasure Hidden in a Field: Early Christian Reception of the Gospel of Matthew, Berlin – Boston MA, Walter de Gruyter, 2016.

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already spread out by Jesus’ time; Ananias of Damascus, who received Saul, was a disciple of the same kind. Second, his accuracy indicates that Apollos must have had some written material, received or jotted down by himself. Now, Eusebius reports traditions that can help build up a scenario: he says that the disciple Matthew was obliged to write down his Gospel when he left Judea to evangelize elsewhere (HE 3.24.6). Later on, in the same book, he quotes Papias, bishop of Hierapolis (ca. 120), who lamented that many had interpreted as they could Jesus’ logia, collected in Hebrew (or Aramaic) by the apostle Matthew (HE 3.39.16). In other words, something written must replace the evangelizer when he leaves, and Apollos had something in Greek. Incidentally, modern views on oral transmission are not very helpful, and cannot be compared with the oral tradition of the Mishna, which was the work of learned scholars who explicitly refused to write it down21. So, between Apollos and Irenaeus the texts were copied and reworked many times, with both a respect of the Master and no professionalism or authoritative control. The result was the curious fact of the emergence of three Synoptics (besides Justin’s version and others), which display a very short public life of Jesus, from his baptism in the Jordan river through the last Supper, and it is well known that they cannot be reduced to one original. So, the generally accepted Two-Source theory is of a misleading simplicity. We may add some clues towards a dating of the texts as they stand. First, Matt 24,15 and Mark 13,14 mention the “abomination of desolation which was spoken of through Daniel the prophet, standing in the holy place”. This cannot refer to the 70 war, since the temple was partially restored after it, but to Hadrian’s project to Romanize Jerusalem: he called it Ælia Capitolina and decided to replace the temple by a pagan shrine, hence an uprising quite similar to Judas Maccabee’s rebellion against the profanation by Antiochus IV (167-164 BCE). The result was the Bar Kokhba war (132-135). A second clue is Marcion’s Gospel, which is a shorter form of Luke. Since the ancient writers who were fighting against Marcionism (Irenaeus, Tertullian), it has been thought that he censored his copy, removing even the evangelist’s name, but they already wondered why he did not add anything of his own, and why he removed verses fitting his views, while leaving others that contradicted them, especially quotations of Scripture22. The simplest 21. See S. LIEBERMAN, “The Publication of the Mishnah”, in ID., Hellenism in Jewish Palestine, New York, The Jewish Theological Seminary, 1950, p. 83-94. 22. Such is the conclusion of the classical study of A. VON HARNACK, Marcion: Das Evangelium vom fremden Gott (TU, 45), Leipzig, Hinrichs, 21923; an opposite view has been voiced by M. KLINGHARDT, “Markion vs. Lukas: Plädoyer für die Wiederaufnahme eines alten Falles”,

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explanation is that he never edited his text, which is the earliest form of Luke known to us. A third piece comes from a collection of ancient traditions, entitled Chronicon paschale, which includes a fragment by bishop Apollinarius of Hierapolis, a successor of Papias, who around 165 fumed against the ignoramuses who caused quarrels by saying (PG 90.80): “On the 14th the Lord ate the lamb with his disciples and then suffered on the great day of Unleavened Bread. They argue that Matthew supports what they say, but their view runs against the law and introduces a contradiction within the Gospels”. He adds: “The true Passover of the Lord is when the son of God replaced the lamb”. So, the “ignoramuses” obviously knew our Mt, but Apollinarius had a different version, and followed the chronology of John. Incidentally, it is pointless to refine how Did depends on Mt, for different forms of this Gospel may have been used at different times23. The very word “Gospel” was used by Justin to designate an account of Jesus’ life, but for him this was not Scripture. As far as we know, the fourth Gospel did not enjoy such a “synoptic effect”, but Acts did, to some extent. This is the problem of the “Western Text” (WT) of Acts, which is attested by a Greek uncial of the 5th century (D, or Codex Bezæ), and much more importantly by ancient translations of the 2nd century (Old Latin, Old Syriac) and most quotations of Irenaeus. Its restoration is certainly difficult, for one cannot be sure that there was one such edition, properly speaking24. But it has to be taken seriously, for two reasons: first, its (restored) variants are older than the witnesses of the usual text; second, they better resisted the “funnel effect”. For instance, at the beginning of Peter’s Pentecost speech, we read (Acts 2,14): “But Peter, taking his stand with the eleven”. Here, the WT has “with the ten”, as if Judas were not replaced; this is a little remnant of an early form of the text in which the Twelve were not restored. This has a consequence, for the only action recorded of the Twelve as such is the institution of the Seven for some table service, who include Stephen and others. We can infer, thus, that the early form did not speak of Stephen (and the six others). NTS 52 (2006), 484-513; J.B. TYSON, Marcion and Luke–Acts: A Defining Struggle, Columbia SC, University of South Carolina, 2006. 23. S.E. YOUNG, Jesus Tradition in the Apostolic Fathers: Their Explicit Appeals to the Words of Jesus in Light of Orality Studies (WUNT, II/331), Tübingen, Mohr Siebeck, 2011, p. 201225, mentions the liturgical prayer as a case of oral tradition. 24. M.-É. BOISMARD – A. LAMOUILLE, Le texte occidental des Actes des Apôtres. Reconstitution et réhabilitation (Synthèse, 17), Paris, Éd. Recherche sur les Civilisations, 1984. Some corrections and further observations are given by M.-É. BOISMARD, Le texte occidental des Actes des Apôtres (EBib, 40), Paris, Gabalda, 2000.

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The traditions combined in Acts include fragments of travel diaries, where the narrator speaks as an eye-witness, using the first person. Indeed, we can see “us-passages” at three different periods of Paul’s journeys: from Troas in Asia to Philippi in Macedonia (16,9-18); from Philippi to Caesarea and Jerusalem (20,5–21,18); and from Caesarea to Rome (Acts 27–28), after many events in Jerusalem and Paul’s jail at Caesarea without the presence of “us”. Now, we may observe that these partial journeys have the same style, with many stopovers where nothing is recorded, and that, brought together, these scattered pieces build up a continuous travel25, so that various developments or traditions could have been put into this frame. It is noteworthy to add that between Acts 11,27 (“Now at this time some prophets came down from Jerusalem to Antioch”) and v. 28 (“One of them, named Agabus”), the WT inserts: “When we were gathered”. This means that the starting point of the journey diary was Antioch. To sum up, the purpose of this section was twofold: first, a dating of the actual form of Synoptics and Acts has to be set some time before Irenaeus in the 2nd century, a conclusion which gives some dignity to the WT and prevents a clear definition of the form of Mt used by Did at various stages; second, it shows that Acts is a combination of different pieces purposely put together, so that the mention of the faithfulness to the “apostles’ teaching” in Acts 2,42 does not necessarily mean that Peter and the others went on teaching the many newcomers who were just baptized26. 2. Around Peter The geography of Acts is easily divided into two parts: while the story of Paul includes many journeys abroad with some visits at Jerusalem, Peter is content with some trips within the country. Now we can move to Jesus’ statement to the disciples when they asked about restoring the kingdom of Israel (Acts 1,8): “You shall be my witnesses both in Jerusalem, and in all Judea and Samaria, and even to the end of the land [ἕως ἐσχάτου τῆς γῆς]”. It is generally admitted that the passage of Jesus’ ascension develops the final saying of Jesus (Luke 24,47): “Repentance for forgiveness of sins would be proclaimed in his name to all the nations [πάντα τὰ ἔθνη], beginning from Jerusalem”. So, the natural conclusion is 25. For a survey of the various interpretations, see D. MARGUERAT, Les Actes des Apôtres, Genève, Labor et Fides, 2 Vol., 2007 & 2015, Vol. I, p. 128-130; R.I. PERVO, Acts: A Commentary (Hermeneia), Minneapolis MN, Fortress, 2009, p. 392-393. 26. Contrarily to most commentaries, e.g. D. MARGUERAT, Les Actes (n. 25), Vol. I, p. 101104; R.I. PERVO, Acts (n. 25), p. 92-93.

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that the “end of the land” means “the whole world27”. However, Acts culminates with the arrival of Paul at Rome, which hardly matches the “end of the world”. Moreover, the usual word to designate the whole inhabited world is οἰκουμένη (Luke 21,26; Acts 11,28, etc.). Thus, it is safer to view Jesus’ reply in the line of the apostles’ query, and to understand “the end of the Land of Israel28”. Indeed, Peter and John went later to Samaria and evangelized “many villages of the Samaritans” (Acts 8,25), replacing Philip. This has the symbolic significance of bridging the rift between Jews and Samaritans, for earlier the disciples were prepared to “command fire to come down from heaven and consume them” (Luke 9,54). Now, let us follow Peter to Caesarea. During his visit at Cornelius’ home, his first words are (Acts 10,38): “You yourselves know how unlawful it is for a man who is a Jew to associate with a foreigner or to visit him; and yet God has shown me that I should not call any man unholy [κοινόν] or unclean”. Then he gives a speech and “the Holy Spirit fell upon all those who were listening to the word”, and concludes that they must be baptized. This indicates first, that before the vision he had at Joppa, he had no idea of any mission to the Gentiles, and second, that he was not interested to have them circumcised. So, the newcomers he prompted to get baptized after the Pentecost event were Jews. In both cases, Peter invites to baptism after an effusion of the Holy Spirit in a charismatic way. When Peter came back from Caesarea to Jerusalem, the circumcised disciples took issue with him (Acts 11,3): “You went to uncircumcised men and ate with them”. No specific rite is mentioned, but the problem is table fellowship. There was no objection to preaching to them as God-fearers, but they should have behaved as Jews. According to Gal 2,12 Peter did the same at Antioch, and the same objection came from “certain men from James”. We must now consider the Pseudo-Clementine texts, which are rooted in the 2nd century29. This tradition did not know the actual Acts30, for Recognitiones 1.60.5 mentions “Barnabas, also called Matthias, who as an apostle 27. C. VAN UNNIK, “Der Ausdruck ‘εως’ εσχατoυ της γης (Apostelgeschichte I.8) und sein alttestamentlicher Hintergrund”, in ID., Sparsa collecta, Leiden, Brill, 1973, p. 386-401, followed by others. 28. D.R. SCHWARTZ, “The End of the Ge (Acts 1:8): Beginning or End of the Christian Vision”, JBL 105 (1986) 669-676. 29. See F.S. JONES, An Ancient Jewish Christian Source on the History of Christianity: Pseudo-Clementine Recognitions 1.27-71 (SBL Texts and Translations, 37), Atlanta GA, Scholars, 1995, p. 157-168. 30. In spite of striking similarities, e. g. Acts 3,22-23, about the future prophet like Moses, which combines Deut 18,15 with Lev 23,29 (replacing Deut 18,19) in the same way as Rec. 1.36.2 (in Latin translation).

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had received the place of Judas”, a statement which cannot be reconciled with Acts 1,23, where Barsabbas (WT variant “Barnabas”) and Matthias are different persons. These texts are two different forms of a lengthy story of Clement, a pagan who eventually became bishop of Rome. According to Rec. 1.7.21-12.9, Barnabas was preaching in Rome; when he was threatened by Gentiles, Clement, a nobleman who was seeking truth, took him in his home, listened to him and decide to follow him to Judea. Barnabas introduced him at Caesarea to Peter, who was preparing a dispute with Simon Magus, a prominent Samaritan. After being baptized, Clement will be allowed to eat with Peter and the others. Again, there is a connection between baptism and table fellowship, but here without a charismatic manifestation. There is a specific doctrine about the conversion of Gentiles after a rewritten story of the Bible (Rec. 1.27-63)31. The first sin was fornication (cf. Gen 6,1-4); after the flood, Noah’s firstborn Shem received a portion in the middle of the of earth, including Judea, while the second, the wicked Ham, begot a posterity which ate blood, made sacrifices to idols and developed magic32. Later, Abraham, born from the exiles of Judea, had two sons, Ishmael and Eliezer, who spread circumcision, but he received a revelation of truth and begot Isaac, his legitimate son. Later, Moses set free the people out of Egypt, with no mention of Passover, a sacrifice. But the Israelites had borrowed from Egypt the habit of worshipping idols, and this was made plain with the Golden Calf, wrought in the image of Apis at the very time when Moses received the Law, that is, the Decalogue, which mentions no sacrifices. Then Moses devised a project in two steps: first, in order to have control over this kind of worship, he established a shrine in the wilderness, and indicated a place (Jerusalem), where the sacrifices would be performed later, and this culminated with Solomon’s work, who acted just like a pagan king; second, he foretold that a prophet like him would abolish all sacrifices (Deut 18,15). Before his appearance, a baptism through water was instituted for the forgiveness of sins. When he came, the Prophet made signs like Moses, but the wicked brought upon him the punishment of the cross. Then the nation was disturbed, but the leaders did not believe and a big confusion grew up, so that Gentiles were called into Judea – and Clement among them – for the completion of the number announced to Abraham (Gen 15,5). Incidentally, in Acts 3–5, it is stressed that only the leaders do 31. For the text, see F.S. JONES, The Syriac Pseudo-Clementines: An Early Version of the First Christian Novel, Turnhout, Brepols, 2014, comparing it with the Greek and Latin traditions. 32. The first three sins (fornication, blood, sacrifices) surface in James’ prohibitions in Acts 15,20; magic is not mentioned, probably because the apostles were healers, too.

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not believe, but a side note significantly indicates that “a great crowd of the priests became obedient to the faith” (Acts 6,7b). This short sketch shows characteristic features: circumcision is a sin; the Temple worship was a temporary institution only, according to Moses’ prophecy, and was replaced by baptism; the resurrection is not clearly mentioned, but Christ is eternal; the mission to the Gentiles is just a concession due to a lack of Jews believers; no specific rite beyond baptism is indicated. All this matches very well the profile of Peter, who was even able to find Gentiles within the Land of Israel, albeit at Caesarea, a suspicious capital.

III. PETER

AND THE

DIDACHE

There are obvious differences between Peter and the Did: baptism has nothing to do with any effusion of the Spirit, while for Peter they are strongly connected, with a kind of charismatic manifestation; bishops (overseers) and deacons replace the previous apostles, prophets and teachers who spoke in the Spirit, and ought to be respected the same way (Did 15,1-2); rites and prayers are mentioned in Did, while Peter says nothing of this kind, beyond a problem of table-fellowship. The first two items can be explained by a gap in time, but the third is worth some consideration. 1. Rites The reader of Did is urged not to act like the hypocrites. Since the horizon of the whole Did is the Land of Israel, these “hypocrites” are simply the Jews and their teachers who lived in Judea and did not accept Jesus. This warning bears on the fasting days and on the prayers, but not on the “Eucharist”, which is described in the immediate sequel. The fasting days prescribed in Did 8,1 refer to a tradition known from the Didascalia apostolorum (around 200), too: Jesus was arrested on a Wednesday and crucified on a Friday (21.14.5-18). Epiphanius of Salamis (ca. 315-403), who knew the Didascalia, concurs (Panarion 51,26), but without noticing that this contradicts the Gospel narrative.33 Here, there is no reference to the Gospel, but one can unearth a loose allusion: Luke 5,35 reads “But the days will come and when the bridegroom is taken away from them, then they will fast in those days”, while the parallel Mark 2,20 has a singular “in 33. On this calendar ptoblem, see A. JAUBERT, The Date of the Last Supper, Staten Island, Alba House, 1965 (French orig. 1957).

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that day”. These fasts are votive, without connection with either Easter or Passover. Incidentally, Eusebius shows that Easter, a specific Sunday that was called πάσχα like Passover, was not introduced before the second half of the 2nd century (HE 5.23-24)34. As for the prayers, the main piece is the Lord’s prayer, to be said three times a day (Did 8,2-3); the wording is almost identical to Matt 6,9-13, but a doxology is added: “For yours are the power and the glory forever”, as in several mss of Matt. It has been noticed that this prayer has no specific Christian meaning; even the doxologies do not mention Jesus.35 A clue to its origins is given in Luke 11,1, when, as an introduction to the prayer, a disciple asks Jesus: “Lord, teach us to pray just as John also taught his disciples”. It is generally thought that the prayer taught by Jesus has nothing to do with John’s. This is not certain at all, for at least two of the requests fit perfectly into John’s views and position. The first is “Your kingdom come”, since John was proclaiming the urgency of conversion, because he felt that the Lord was about to come, and he did not see any eschatology in Jesus’ activity (see Luke 7,20). The second is a strange request: “Give us each day our bread of tomorrow [τὸν ἄρτον ἡμῶν τὸν ἐπιούσιον]”. This “bread of tomorrow” was translated by Jerome panem quotidianum here, and panem supersubstantialem in the parallel of Matt 6,11. In Luke 7,33 we read that John the Baptist “has come eating no bread and drinking no wine”; these are the typical rural produce since Melchizedek (Gen 14,18), but the reason of this permanent fast is not apparent. However, a notice of Josephus on John sheds some light upon John’s attitude (Jewish War 2,167 Slavonic)36: His character was strange and his way of life not that of a human being, for he existed just like a fleshless spirit. His mouth knew not bread nor did he even taste the unleavened bread at Passover […] Wine and fermented liquor he would not allow to come near himself […] And for his needs there were tree shoots and locusts and wild honey.

If we add to this picture that John was living just beyond the Jordan river, that is, very close to the Land of Israel, a figure of the Kingdom, we 34. See K. HOLL, “Ein Bruchstück aus einem bisher unbekannten Brief des Epiphanius”, in ID., Gesammelte Aufsätze für Kirchengeschichte, Tübingen, Mohr-Siebeck, 1928, Vol. II, p. 204224; W.L. PETERSEN, “Eusebius and the Paschal Controversy”, in H.W. ATTRIDGE – G. HATA, Eusebius, Christianity and Judaism (Studia Post-Biblica, 42), Leiden, Brill, 1992. 35. A. PONOMARIOV, “The Lord’s Prayer in a Wider Setting: A New Hebrew Reconstruction”, Journal of Northwest Semitic 41 (2015) 71-100. 36. For a justification of the authenticity of the Greek original of the Salvonic version of the War as a first edition by the author, see É. NODET, “Pharisees, Sadducees, Essenes, Herodians”, in T. HOLMÉN – S.E. PORTER (ed.), Handbook for the Study of the Historical Jesus, Leiden, Brill, 2011, p. 1495-1544.

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obtain a kind of synthetic icon which must have a purpose37. Indeed, it becomes obvious if we consider the story of Joshua: after crossing the Jordan river with the sons of Israel, he celebrated Passover at Gilgal, in accordance with the precept given in Egypt (Exod 12,25); then the manna of the wilderness ceased, and on the next day they ate the produce of the Land. So, the picture of John drawn by these strokes is clear: the Kingdom of God, represented by the Land of Israel, is at hand, and John shows it by his way of life, hoping that a specific “tomorrow” comes soon. The contrast with Jesus in the Synoptics is striking: he came after John, completing his path from the Jordan river to the ultimate Passover in Jerusalem, at the entrance of the Kingdom; there he gave its heavenly produce, since “tomorrow” had come. Jerome’s panem supersubstantialem somehow hints at this, and a saying of Jesus underlines the contrast (Matt 11,11): “Among those born of women there has not arisen anyone greater than John the Baptist! Yet the one who is least in the Kingdom of Heaven is greater than he”. So, the border of the kingdom is represented by baptism. This leads us to the two passages of Did on the “Eucharist”. The first thing to notice is the warning of Did 9,5: “And no one shall eat or drink from your Eucharist except those who are baptized in the name of the Lord”. Baptism is the gate38. Acts 1,22 implies that the disciples were baptized, and according to John 3,22 Jesus himself was a baptist. As for the meaning of εὐχαριστεῖν, it is not very different from εὐλογεῖν39, and it can be rendered by either “give thanks” or “bless”, recognizing that some gifts have come here and now from God. The second passage is easier to understand (Did 14,1): “When you come together on the Lord’s day40, break bread and give thanks, after having acknowledged your offenses so that your sacrifice may be pure”. This refers 37. Another profile is displayed in John 3,23-35: he “was baptizing in Aenon near Salim”, close to Shechem-Neapolis in Samaria; then “a discussion on the part of John’s disciples with a Jew arose”; thus, these disciples were Samaritans. Indeed, the most prominent heir of John’s was Simon Magus, who was baptizing in his own name and launched a big movement; see the review of S. HAAR, Simon Magus: The First Gnostic? (BZNW, 119), Berlin, Walter de Gruyter, 2003. 38. A further condition is purity, see M. THEOBALD, “Zulassungsbedingungen zur Eucharistie: Erwägungen zu Did 10,6”, in T. KHIDESHELI – N. KAVVADAS (ed.), Bau und Schrift: Studien zur Archäologie und Literatur des antiken Christentums für Hans Reinhard Seeliger, Münster, Aschendorff, 2015, p. 111-139. 39. The LXX renders ‫ הודות‬by εὐλογεῖν, but in the books written in Greek, we see εὐχαριστεῖν (2 Mac 1,11; Wis 18,2 etc.), with the same meaning. 40. The ms. has καθ᾽ κυριακὴν δὲ κυρίου, which is impossible, albeit unambiguous, for it results from a correction poorly inserted; it should read καθ᾽ ἡμέραν. The phrase of IGNATIUS, Ad Magn. 9,11, κατὰ κυριακὴν ζῶντες indicates that κυριακή had become a standard word for “the Lord’s day” or Sunday.

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to a regular Sunday congregation, maybe by night as in Acts 20,7, with bread but no wine; such a disposition implies some organization, and in this context bishops and deacons are mentioned (Did 15,1). The “pure sacrifice”, which is the worshipper’s, may allude to Ps 51,21, where the public confession of sins leads to God’s “delighting in sacrifices of righteousness”. The first passage on the Eucharist is somewhat more complicated. Wine

Bread

9,1 And, regarding the Eucharist [εὐχαριστίας], give thanks [εὐχαριστήσατε] like this: 2 First, regarding the cup: 3 And, regarding the broken bread: We thank you [εὐχαριστοῦμεν], our Father, We thank you, our Father, for the Holy vine your child David, for life and knowledge, whom you made known to us which you made known to us through your child Jesus. through your child Jesus. Yours is the glory forever [εἰς τοὺς αἰῶνας]. Yours is the glory forever 4 Just as this broken bread was scattered over the hills, and coming together, became one, may your congregation [ἐκκλησία] likewise come together from the end of the Land [γῆς] into your Kingdom. For yours are the power and the glory through Jesus Christ forever. 10,1 And after being filled, give thanks [εὐχαριστήσατε] like this: We thank you… Table 3. – Blessings on Wine and Bread.

If we start from the end (Did 10,1), it appears that the thanksgiving is to be said after a full-scale meal, “when you are filled”. However, its formula (not quoted here) displays several parts, each one being concluded by a doxology addressed only to the Father: the first recalls the blessings upon vine and bread; the second thanks for spiritual food and drink; the third is a prayer for the community [ἐκκλησία], asking “to bring it together from the four winds into your Kingdom, which you made ready for it” (10,5); the last one is an invocation to the house of David41, ending with maranatha. We can discern, thus, a move from home meals, maybe communal, to a congregation rite. The same complex feature can be seen in the first passage, quoted above (table 3): parallel blessings upon wine and bread, with concluding doxologies addressed to the Father, and then an additional section 41. This is the reading of the Coptic fragment discovered in 1923, which is better than τῷ θεῷ Δαυίδ of the ms.

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with a prayer for the extension of the community “from the end of the Land”, a phrase that recalls Jesus’ saying in Acts 1,8 quoted above (§ II.2). Of course, the meaning of “land” can be enlarged to the whole earth42. The final doxology, with “through Jesus Christ”, can hardly be reconciled with “your child Jesus” of the blessings upon wine and bread. They belong to two different stages of the composition of the Did. To sum up, the Did combines two different pictures of the “Eucharist”: the first is a specific blessing for an ordinary home meal that includes bread and wine, with no allusion to any significance of Jesus’ death43. The second is a congregation rite, and the details mentioned in the second passage indicate that it takes place on the Lord’s day, with the bishops and deacons mentioned in Did 15,1. Writing to the Smyrnaeans, Ignatius (ca. 115) warned them: “Without the bishop, let no one do any of the things that pertain to the ecclesia… It is not allowed without the bishop either to baptize or to hold an agape”. This warning indicates that these ecclesia regulations were not obvious to all44. Of course, by Ignatius’ time, Christianity had developed in many cities, but the Did reflects an earlier period, and there is no compelling reason to extend its scope beyond the borders of the Land of Israel, with its rural environment. 2. Table fellowship and Peter The Did provides us with a missing piece in the stories about Peter. The major problem of table fellowship has appeared about Clement in the PseudoClementine narratives, and about Peter’s meeting at Cornelius’ home, but nothing was said of any rite, beyond eating together. Now we have a hint at specific blessings of wine and bread. To bring together Peter and this kind of little rite is not arbitrary if we consider the background of John the Baptist. According to Acts 1,22, Jesus’ disciples did receive the baptism of John (see too John 1,37 and 3,22), and John did not eat bread nor drink wine. But Jesus completed John’s expectations in his own way: he was eating bread and drinking wine. In other words, Jesus first got into John’s movement, but contrarily to him, he symbolically 42. See H. VAN DE SANDT, “Why Does the Didache Conceive of the Eucharist as a Holy Meal?”, Vigiliae Christianae 65 (2011) 1-20. 43. The witness of 1 Cor 11 and the accounts of the Last Supper in the Synoptics attest the earlier state: symbolic meal and ordinary meal together. About the separation of the agape from the Eucharist rite, see J. SCHLOSSER, “Les agapes et l’identité chrétienne”, RHPR 93 (2013) 157-170; R. JEWETT, “The Agape Meal: A Sacramental Model for Ministry Dawn from Romans 13:8”, Annual of the Japanese Biblical Institute 33 (2007) 73-92. 44. See G. DIX, The Shape of the Liturgy, London, Dacre, 21945, p. 82-84, 96-98.

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went into the Land of Israel until the ultimate Passover, with his entry into the Kingdom45. Seen in this way, the blessings over wine and bread are easily understood as a memorial of what Jesus, son of David, did: he has brought along a new knowledge within Israel (see table 3), without specific Christology46. This has nothing to do with the Passover rite itself, but it gives substance to the “tomorrow” of Joshua, with the consuming of the produce of the Land, as explained above47. But the memorial is performed with symbolic quantities that cannot be a full-scale meal: one cup for all, and just a portion of loaf. Two interpretations are possible: first in a factual way, that the movement of Jesus’ heirs has not yet reached the whole Land of Israel, because of the many opponents, who stay stuck to circumcision; second in a symbolic way, that these small quantities are a sign of separating the first fruit of a crop. The believers enjoy the memorial of Jesus’ deeds, but not yet his eschatological presence: this is suggested by the final Aramaic invocation maranatha (Did 10,6), which can mean both a statement “Our Lord has come” or the present invocation “Our Lord, come!” The implication is that Jesus has died, but nothing more. Now, we must distinguish between the rite itself, with bread and wine, and the words pronounced, that is, between the sign and its meaning. The latter is obviously attached to Jesus, but the former did have another background, as we can see in an appendix to the Qumran Community Rule: the Messianic meal described in 1QSa 2,11-22, with the two Messiahs (son of Aaron and son of David) and the rest of the people in tribes, shows the priest (Messiah son of Aaron) opening the meal with a blessing of the first fruits of bread and wine48. More interesting still, this rite is already to be observed even now in a minor form at every meal where there are at least ten present, as 45. The well-known Two-Source theory of the formation of the Synoptics somehow blurs away this connection, since according to Mark 1,14 Jesus feels free to preach the Gospel of God in the Galilee after the arrestation of John. 46. See C.N. JEFFORD, “The Didache and Eucharist: Signs of Community?”, in M. GRUNDEKEN – J. VERHEYDEN (ed.), Early Christian Communities between Ideal and Reality, Tübingen, Mohr Siebeck, 2015, p. 29-49. 47. That the Last Supper of the Synoptics at Passover is a literary construct is proven by the fact that from the very beginning, eucharist was done with normal bread, as it still is in Oriental Churches; unleavened bread was introduced in Occident in the 6th or 7th century for practical reasons, see J.A. JUNGMANN, Missarum Solemnia. The Mass of the Roman Rite: Its Origins and Development, Westminster, Christian Classics, 1986 (German orig., 1948), Vol. II, p. 305-306. 48. ‫ראשית הלחם והתירוש‬, where the term ‫ ראשית‬is characteristic of the first fruits, see Exod 23,19 etc., and above all Num 18,12, which mentions the first fruits (best part) of bread, must and oil.

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in 1QS 6,4-549. However, a direct dependence on the Essenes is doubtful, or at least must be viewed through a John the Baptist lens, for he stayed outside the Land, and above all was uninterested in purity matters after a one-time baptism. And a conclusion unrolls: in Acts 2,42 the “teaching of the apostles” followed in the same verse by “fellowship” and “the breaking of the bread” is located immediately after Peter’s speech and the first wholesale baptism. It does not mean that the newcomers attended lectures given by the apostles, but it we identify it with an early form of the Did, it matches perfectly Peter’s first position in the Land of Israel, before reaching any Gentile, a step for which he was not quite prepared. So, the location of the “teaching of the apostles” in Acts is well taken and meaningful, albeit in a somewhat anachronistic way50. No details of table-fellowship are given in Acts, but an incident may pertain to this custom. As the disciples were more numerous, we learn from Acts 6,1 of a complaint by the Hellenists against the Hebrews, for their widows were overlooked in the daily table service. There was a dispute within the Jerusalem community of the disciples, when the organization was still loose. We do not know what happened, nor is it clear how the seven “deacons” solved the problem, but two details are significant: the table service was daily, which may have involved some blessing, and the presence of Greek speaking disciples around Jerusalem was noticeable51. Incidentally, the last observation provides a reply to a possible objection to joining the Did with Peter, since Peter was certainly Aramaic-speaking, maybe with some working knowledge of Greek52, while Did displays no obvious Semitism and no LXX-like phrases. Indeed, there is no reason to surmise that Peter ever wrote anything like the Did, even in Aramaic, for his presence was sufficient (according to the pattern given by Papias), but one can reasonably imagine a need to have something in Greek for the numerous pilgrims and other Jews who were present in Jerusalem, and there were Greek-speaking 49. There are similitude with the Rabbinic customs, see H.K. HARRINGTON, “Did the Pharisees Eat Ordinary Food in a State of Ritual Purity?”, JSJ 26 (1995) 42-54; J. NEUSNER, From Politics to Piety: The Emergence of Pharisaic Judaism, Hoboken, Ktav, 1979, p. 47-55, concludes that the 1st century Pharisees ate as if they were priests (“pure food club”). 50. This is not the place to deal with the complicated relationship between the summaries of the community life (Acts 2,42-47; 4,32-35; 5,12-16); see D. MARGUERAT, Les Actes des Apôtres (1–12) (n. 25), p. 99-110. 51. M. HENGEL, “Zwischen Jesus und Paulus: Die ‘Hellenisten’, die ‘Sieben’ und Stephanus (Apg 6,1-15; 7,54-8,3)”, ZTK 72 (1975) 151-206, has shown that these Hellenists were neither proselytes nor foreigners, but Greek-speaking Jewish disciples. 52. So most scholars, see R. BAUCKHAM, Jesus and the Eyewitnesses: The Gospels as Eyewitness Testimony, Grand Rapids MI, Eerdmans, 2008, p. 58-67.

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disciples around Peter. So, the best hypothesis is that the original form of the Did was already written before Peter left Judea, after Herod Agrippa’s death in 44 (see Acts 12,17).

CONCLUSION For our purpose, there is no need to go any further in the analysis of the Did. It underwent significant reworkings toward a progressive Christianization, the most dramatic being the shortening of the Latin version (Doc) or its Greek source. However, a core has been detected: after a sketch of some pedagogical training referred to an early Gospel, most probably without a Passion narrative, baptism was performed, let us say “in the name of Jesus”; then blessings over wine and bread were said during communal meals. That early Gospel should be connected with Apollos’ teaching. Now, having assessed the purpose of the original Did, we can come back to its titles in the ms. The longer one is more interesting: “Teaching of the Lord to the Nations through the Twelve Apostles”. But besides some obvious later Christianization, the first concern of the Did was the expansion of a kind of Jewish reform movement, led by Jesus’ heirs and centered on the Land of Israel, so that the mention of the nations in that title cannot have been primitive. As for “the Lord” as the authority behind the teaching, it can be admitted to some extent for the precepts that are attached to a Gospel, but not for the meaning of the rites: Jesus hardly spoke of baptism, and the words of the Eucharistic rite do not match what he said at the Last Supper. However, the feeling of a continuous teaching from Jesus through Paul and later proves that the purpose of Acts has been successful53. Clement of Alexandria states (around 200) that Jesus taught under Tiberius, then the apostles, “embracing the ministry of Paul”, taught until Nero, and the heresies did not arise before Hadrian (Strom. 7.17). But, in fact, “heresies” arose immediately after Jesus’ death. Finally, the mention of the Twelve is a by-product of Acts in its final shape, since among them the book only presents the ministry of Peter and John, while the only action of the Twelve as such is the institution of the Seven.

53. The same way Josephus, in his famous testimonium de Iesu, credits Jesus of having “won over many Jews and many of the Greeks” (Ant. 18,63).

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The shorter title reads “Teaching of the Twelve Apostles”, which is much better than the other, but we must conclude that the original one was a plain “Teaching of the Apostles”, as it has been preserved in Acts 2,42, Doc and the patristic allusions54. Étienne NODET, o.p. École biblique et archéologique française de Jérusalem [email protected]

54. The first Fathers who quoted Acts 2,42 are Basil of Caesarea in Cappadocia and John Chrysostom, both of the 4th century, see http://www.biblindex.mom.fr.

« NE FALLAIT-IL PAS… ? » (LC 24,26) LA RELECTURE À PARTIR DE LA FIN, ENTRE NÉCESSITÉ ET CONTINGENCES

Par cette contribution à deux voix, nous désirons honorer un collègue exégète, Michel Gourgues, o.p., en témoignant de notre quête commune d’une théologie systématique en prise directe avec le témoignage biblique. Par l’accumulation des théologies et le cloisonnement des sérails, notre discipline se présente parfois comme un catalogue de prolégomènes à une théologie future, qui ne vient pas. Cette théologie aurait la mission de parler aux croyants, mais les explications préalables entre théologiens sont si nombreuses et complexes, que la visée du projet n’est que rarement atteinte. Or nous pensons qu’une théologie systématique demeure en définitive insignifiante, si elle ne s’adresse pas directement au croyant, à l’indifférent et à l’incroyant, en parlant de l’essentiel. Et cela exige de s’adosser aux témoignages bibliques de la foi, comme le vaisseau qui porte la théologie vers son propre témoignage articulé, raisonné, communicable. Dans cet esprit, nous prenons à bras le corps une parole du ressuscité aux disciples d’Emmaüs, deux nouveaux croyants tout juste déchus de leur espérance. I. NE FALLAIT-IL PAS ? CES QUESTIONS QUI TARAUDENT NOS EXISTENCES « Qui a écrit le scénario de la grande comédie humaine ? A-t-elle seulement un sens ? Qui a décidé de m’y introduire et de m’attribuer ce rôle-ci plutôt qu’un autre ? Comment tout cela va-t-il finir ? » Sans prévenir, il arrive que des questions de ce genre s’invitent à la conscience. Tenaillés par l’ennui ou bien encore sonnés par l’épreuve, confrontés d’une manière ou d’une autre à l’absurdité d’une existence vécue à l’ombre de la mort, le besoin de comprendre se fait soudain insistant. Ce ne serait qu’une parenthèse dans la grisaille des jours, une fois ouverte, il est difficile de la refermer sans reste. Ce ne serait qu’un éclair dans la nuit, impossible d’oublier l’espace qui s’est un bref instant découvert à nos yeux. Sans doute la vie trépidante de nos contemporains ne leur laisse guère le loisir d’entendre de telles questions qui, faute de

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repères, sont abandonnées au scepticisme ambiant. Le lecteur de la Bible est, quant à lui, régulièrement confronté à ce type d’interpellation au détour d’un verset comme celui-ci : « Ne fallait-il pas que le Christ endurât ces souffrances pour entrer dans sa gloire ? » Et, commençant par Moïse et parcourant tous les Prophètes, il leur interpréta dans toutes les Écritures ce qui le concernait. (Lc 24,26-27 BJ)

Que cache donc ce « ne fallait-il pas » ? Un destin impersonnel et toutpuissant auquel le Christ lui-même serait soumis ? Une fatalité aveugle qui exigerait une certaine quantité de souffrance pour que soit reçue en retour une gloire proportionnée ? Sommes-nous familiers d’un tel langage ? Une telle nécessité peut-elle de prime abord avoir un sens ? L’imposition d’une nécessité souple sur des événements dérangeants, chaotiques ou bouleversants, est l’une des façons dont les êtres humains cherchent à entrevoir un sens à travers leurs malheurs, par-delà le non-sens. Bien qu’elle fût laminée par la souffrance, l’épouse d’un prisonnier déchu de toute sa respectabilité familiale et professionnelle, s’exprimait récemment ainsi au sujet de son mari : « il fallait » qu’il passe par là pour s’en sortir, pour ne pas sombrer dans la culpabilité ou s’enfermer dans le mensonge. Un tel « il fallait » ne signifie pas une nécessité a priori. L’enchaînement contingent du méfait, de la culpabilité, de l’accusation et de la détention, n’a rien de rigoureux ni de contraignant. Mais entrevoir que tout cela n’est pas totalement dénué de sens, par delà les contingences, le non-sens et la souffrance, conduit à une parole humaine sous le sceau d’un « il fallait ». Un tel usage courant d’une nécessité souple ou relative n’est pas naïf. Il n’occulte pas la part de liberté dans le méfait, ni les contingences incontrôlables qui le précèdent ou s’ensuivent. Mais la proposition « il fallait » signe la possibilité de porter un autre regard, sous forme d’anticipation et de relecture, à une autre profondeur. Dans le « ne fallait-il pas ? » prononcé par le Christ, il se pourrait que soit intégré le sens humain de l’expression. Poursuivons la réflexion en l’inscrivant dans le récit des disciples d’Emmaüs et l’ensemble formé par l’évangile de Luc qui, lui-même, fait écho à la Bible comme à un tout. Deux pèlerins cheminent de Jérusalem à d’Emmaüs. Ils sont en plein brouillard intérieur. Jésus, qu’ils n’identifient pas, les rejoint sur leur chemin et leur donne l’occasion d’exprimer leur désarroi : le prophète Jésus, de qui ils attendaient la délivrance d’Israël, a été mis à mort par les autorités de Jérusalem, et c’est déjà le troisième jour ; le témoignage de femmes ayant eu, au tombeau, une vision d’anges qui le disent vivant n’a fait que rajouter à leur trouble. C’est alors que Jésus leur reproche leur manque d’intelligence de cœur et leur lenteur à croire

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aux annonces des prophètes. Jésus feint de s’esquiver mais les disciples le pressent de demeurer avec eux. Attablés pour le repas du soir, ils le reconnaissent soudain au moment où Jésus prend le pain, dit la bénédiction, puis rompt le pain et le leur donne, avant de disparaître tout aussi soudainement. « Ils se dirent l’un à l’autre : «Notre cœur n’était-il pas tout brûlant audedans de nous, quand il nous parlait en chemin, quand il nous expliquait les Écritures ?» » (Lc 26,32) Retournant aussitôt à Jérusalem, ils trouvent les Onze avec les autres disciples qui confirment de leur côté la résurrection du Seigneur. La tournure interrogative du « ne fallait-il pas ? » est une forme de délicatesse et d’interpellation. Elle constitue une invitation adressée aux deux disciples d’Emmaüs. S’ils se laissent interpeller par les évènements et par leur interlocuteur encore inconnu, un autre regard est possible que celui de la désespérance qui les affecte. En effet, leur description préalable de la situation contient un certain nombre d’éléments matériels de la foi, mais sans plus de foi ni d’espérance. Ils ne conservent que les reliques mortes de leur foi naissante. Se réapproprier les événements tout autrement est indispensable pour que leur aventure de disciples ne soit pas vaine. Cela commence par un « ne fallait-il pas ? » adressé de l’extérieur, hors de l’espace clos de leur savoir factuel et de leur désespérance. Mais le Ressuscité ne relit pas seulement le passé. Par sa relecture, il oriente ses auditeurs vers la gloire. Cela va bien au-delà de l’expérience humaine tout juste évoquée. De quelle gloire s’agit-il ? Tout serait-il donc écrit d’avance dans des Écritures qu’il suffirait d’interpréter ? Des questions, et autant de soupçons qu’il importe de tirer au clair. Cette série d’interrogations conditionne bel et bien une vision de l’histoire, une idée de Dieu, une conception du rôle de l’être humain : elle engage une théologie. Le mystérieux « ne fallait-il pas ? » invoqué par Jésus ressuscité, tandis que ce dernier n’est pas encore reconnu des disciples, concerne son propre destin. Quelle est donc cette nécessité, qui fait passer le Christ par des souffrances avant qu’il entre dans sa gloire ? Tout au long de l’évangile Jésus en fait mention en employant le même verbe, selon des nuances variées. Cela mérite un examen attentif. II. LES « IL FAUT »

DE L’ÉVANGILE DE

LUC,

SOUS TROIS MODALITÉS

Ce « il faut » correspond dans une première série d’emplois à un impératif intérieur, lié au motif de sa venue et de l’envoi dont Jésus fait l’objet. À douze ans, il répond à ses parents qui le trouvent dans le Temple de

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Jérusalem, au troisième jour d’une recherche inquiète, occupé à écouter et à interroger les docteurs de la Loi : Ne saviez-vous pas qu’il me faut être dans la maison de mon Père ? (Lc 2,49)

Au début de son ministère à Capharnaüm, il s’adresse cette fois aux disciples et relie cette nécessité à la prédication de l’Évangile qui est la raison d’être de son « envoi » : Aux autres villes aussi il me faut annoncer la Bonne Nouvelle du Royaume de Dieu, car c’est pour cela que j’ai été envoyé. (Lc 4,43)

À Jéricho, accueilli par la foule, Jésus interpelle à la surprise générale un collecteur d’impôts, qui s’est enrichi à force d’extorsions, et s’invite chez lui : Zachée, descends vite, car il me faut aujourd’hui demeurer chez toi. (Lc 19,5)

Zachée, bouleversé par ce choix, prend publiquement la résolution de réparer ses torts et de mener une nouvelle vie. Dans la foulée, Jésus déclare alors le salut arrivé dans la maison de ce pécheur, ce qui lui donne l’occasion de préciser le motif de sa venue : « le Fils de l’homme est venu chercher et sauver ce qui était perdu » (Lc 19,10). La même formule qui se retrouve dans la parabole du fils prodigue précise qu’il s’agit là d’une question de vie ou de mort, ou mieux d’un passage de la mort à la vie (Lc 15,32). Notons qu’en deux passages de l’évangile de Luc, l’impulsion intérieure qui pousse Jésus à accomplir sa mission est exprimée sous la forme d’un désir ardent et d’une volonté puissante : Je suis venu jeter un feu sur la terre, et comme je voudrais que déjà il fût allumé ! Je dois être baptisé d’un baptême, et quelle n’est pas mon angoisse jusqu’à ce qu’il soit accompli ! (Lc 12,49-50)  J’ai ardemment désiré manger cette pâque avec vous avant de souffrir. (Lc 22,15a)

Le « il me faut » n’est donc pas un « je dois » qui lui serait extérieur mais relève plutôt d’une motion librement assumée et à laquelle Jésus se livre corps et âme. Une deuxième facette de ce « il faut » renvoie à ce que commande la Loi, correctement interprétée, pour renouer avec l’intention profonde du Législateur. Le contexte est polémique : Jésus s’oppose aux pharisiens autour de la pratique des commandements. Il leur reproche de consacrer tous leurs soins à l’accessoire, « la dîme […] de toute plante potagère », et de négliger l’essentiel, « la justice et l’amour de Dieu » : Il fallait pratiquer ceci, sans omettre cela. (Lc 11,42b)

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On surprend aussi Jésus dans une synagogue, un jour de sabbat, dénoncer l’hypocrisie de ceux qui lui reprochent de guérir une infirme précisément ce jour-là, alors qu’eux-mêmes ne se gênent pas pour soigner leurs animaux : Et cette fille d’Abraham, que Satan a liée voici dix-huit ans, il ne fallait pas la délier de ce lien le jour du sabbat ? (Lc 13,16)

Une troisième série d’emplois, qui rejoint plus directement le propos de Jésus aux disciples d’Emmaüs, désigne la nécessité de la passion et de la résurrection. Ces « il faut » apparaissent dans les annonces que Jésus fait de sa destinée et qui jalonnent l’évangile, à partir du tournant de la profession de foi de Pierre où celui-ci reconnait solennellement Jésus comme le Christ (Lc 9,18-21). Jésus s’adresse en exclusivité à ses disciples, comme pour leur livrer le secret de son existence : Il faut que le Fils de l’homme, dit-il, souffre beaucoup, soit rejeté par les anciens, les grands prêtres et les scribes, soit tué et, le troisième jour, ressuscite. (Lc 9,22)

Les vérités essentielles sollicitent la liberté du cœur et de l’esprit car elles sont destinées à faire corps avec l’existence tout entière ; elles sont d’un tout autre ordre que l’évidence d’un 2+2=4 qui, pour être indubitablement vraie, ne change pas d’un pouce le cours de notre existence. Jésus prépare donc l’annonce déconcertante de sa passion et de sa résurrection futures en sollicitant de ses disciples une reconnaissance de sa messianité, qui vient par la bouche de Pierre. Sans cette confiance préalable, peu de chance que la figure du Messie ainsi esquissée recueille leur assentiment, tellement elle est à rebours des espérances de libération politique, qui seront encore exprimées par les pèlerins d’Emmaüs. Après la troisième annonce, l’évangile témoigne d’ailleurs que « cette parole leur demeurait cachée, et qu’ils ne comprenaient pas ce qu’il disait » (Lc 18,34). Mais il y a une autre raison pour laquelle Jésus veut s’assurer de leur adhésion à sa personne : son sort personnel détermine le leur. Après cette annonce de sa passion et de sa résurrection, Jésus leur indique que c’est en se reniant euxmêmes qu’ils seront en mesure de le suivre. À qui perd gagne : le disciple paie de sa vie le salut reçu dans la suite de Jésus (Lc 9,23-26). Dans cette troisième série d’emplois, comme pour la première, Jésus parle de la nécessité au cœur de son propre destin, même si, au lieu du « il me faut » des précédentes occurrences, Jésus semble mettre à distance sa destinée personnelle en l’identifiant à celle du Fils de l’homme, le mystérieux personnage céleste mentionné par le prophète Daniel. Du coup, le sens de ce « il faut » s’enrichit de la nuance de la deuxième série relevant de l’interprétation des Écritures. Jésus indique que sa propre trajectoire emprunte un modèle présent dans la Bible juive. Cela est confirmé par ses propos avant son arrestation :

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Il faut que s’accomplisse en moi ceci qui est écrit : « Il a été compté parmi les scélérats » [Is 53,12]. Aussi bien, ce qui me concerne touche à sa fin (Lc 22,37).

Jésus s’identifie au modèle du Serviteur souffrant dessiné au livre du prophète Isaïe. Le portrait est celui d’un Juste broyé par un injuste châtiment, mais dont les souffrances sont cause de salut et de paix pour les multitudes. Cruellement maltraité, rejeté et méprisé des hommes, il s’offre lui-même librement en accomplissant la volonté de Dieu ; après avoir porté le péché des multitudes, il est comblé de lumière et gratifié d’une postérité. Or ce mystérieux événement fait l’objet d’une reconnaissance a posteriori de témoins auxquels l’écrivain sacré prête sa voix. Ceux-ci réalisent après coup avoir été trompés par les apparences. Ils ont ignoré le dessein de Dieu qui s’accomplissait sous leurs yeux : […] nous, nous le considérions comme puni, frappé par Dieu et humilié. Mais lui, il été transpercé à cause de nos crimes, écrasé à cause de nos fautes. Le châtiment qui nous rend la paix est sur lui, et dans ses blessures nous trouvons la guérison (Is 53,4b-5).

Le parallèle s’impose avec l’incompréhension des disciples de Jésus, en dépit des annonces répétées de ses souffrances, de sa mort et de sa résurrection. Comme le Serviteur souffrant, Jésus n’est reconnu sauveur qu’au terme de son chemin de souffrance. Comme la communauté qui s’exprime dans le « nous » du poème d’Isaïe, les disciples rassemblés à la fin du récit des pèlerins, faute d’avoir cru aux prophètes et aux annonces de Jésus, comprennent seulement après coup l’œuvre de Dieu qui s’est accomplie dans la mort de son Messie. III. « NE

FALLAIT-IL PAS ? » NE RELÈVE PAS D’UNE NÉCESSITÉ IMPERSONNELLE

Nous pouvons à présent revenir au verset étudié : « Ne fallait-il pas que le Christ endurât ces souffrances pour entrer dans sa gloire ? » Que nous a appris ce survol de l’évangile de Luc sur la nécessité dont parle Jésus ? Constatons qu’il ne s’agit pas d’une nécessité impersonnelle qui lierait le destin des humains en application d’un oracle obscur, reçu à la verticale de l’histoire. Comme l’indique la première annonce de la passion et de la résurrection qui vient après la confession de Pierre, Jésus communique le dessein qui le concerne en particulier aux disciples, dans le cadre d’un lien de confiance tissé au long d’une vie commune. Non pas du haut d’un ciel inaccessible ou sous la forme d’un message impénétrable. Avant de lever le voile sur son destin de

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souffrance et de gloire, Jésus s’adresse à eux personnellement : « pour vous […] qui suis-je ? » (Mc 8,29 par.) La révélation de son identité profonde suppose l’amitié patiemment tissée au cours d’une histoire partagée. Dans le raccourci d’évangile que constitue le récit des disciples d’Emmaüs, Jésus chemine sur la route avec les deux disciples et, au cours d’une discussion entre semblables, leur ouvre l’esprit et le cœur à l’intelligence du dessein de Dieu. C’est Jésus, la « Parole faite chair », le « Dieu-parmi-nous » (Emmanuel), qui converse avec ses disciples comme avec des amis. C’est dans le cadre d’un dialogue, qu’il prend l’initiative d’une explication pour les amener à l’intelligence du dessein de Dieu, condition indispensable à une adhésion véritablement libre. Rien à voir donc avec l’arbitraire d’un décret divin ou l’anonymat d’une fatalité impersonnelle. Ce modèle de Messie assumé par Jésus relève de la volonté de Dieu. Il est contemplé dans l’ensemble de la Bible juive : Loi, Prophètes et Écrits (les Psaumes en particulier). Or les Écritures juives ne sont pas une parole de Dieu tombée du ciel : elles sont l’œuvre de croyants témoignant de l’action de Dieu dans leur vie et celle du peuple ; elles relatent les péripéties de l’alliance entre Dieu et Israël tout au long d’une histoire commune, un peuple qu’il tire de l’esclavage, auquel il donne sa Loi et envoie ses prophètes. La révélation n’est reçue et transmise que par l’action de ceux qui l’accueillent. Dieu et Israël en sont donc les co-auteurs. Ce dessein concerne d’abord la trajectoire de Jésus comme Messie ou Christ. Jésus n’est pas l’exécutant aveugle d’un destin impénétrable. On l’a vu, il y entre lui-même en pleine liberté, de tout son cœur et de toute son âme, au point qu’un feu brûle en lui – ce feu qui prendra au cœur les disciples d’Emmaüs tandis qu’il leur fait part de ce dessein. IV. LES CONTRAINTES INSCRITES PAR LE PÉCHÉ DANS L’HISTOIRE SONT ASSUMÉES PAR DIEU Pour entrer plus avant dans le mystérieux « il fallait » dont parle Jésus, deux pas sont à franchir. Le premier est de comprendre la logique biblique selon laquelle l’histoire personnelle du Messie retentit dans l’histoire collective de l’humanité. Le second consiste à saisir comment chacun peut faire sien le chemin de libération ainsi ouvert. Nous reviendrons sur ce second point en conclusion. Un passage de la Genèse introduira le traitement du premier point. Le mal que vous aviez dessein de me faire, le dessein de Dieu l’a tourné en bien, afin d’accomplir ce qui se réalise aujourd’hui : sauver la vie à un peuple nombreux (Gn 50,20).

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Joseph s’adresse à ses frères, ceux-là mêmes qui l’ont hier vendu par jalousie et qui aujourd’hui trouvent en lui le salut du peuple. L’œuvre des frères est une œuvre de mort. L’œuvre de Dieu, quant à elle, aboutit à la vie de la multitude. Dieu veille à l’accomplissement du salut mais sans retirer à l’homme sa liberté ; il « lui faut » prendre acte des conséquences des actions humaines dans l’histoire. Le salut de Dieu ne peut que se frayer un chemin au milieu d’une histoire de mensonge, de violence et de mort. Dieu « fait avec » le mal, mais sans jamais pactiser avec lui, voilà ce que montre l’histoire de Joseph, à la stupéfaction de ses frères – stupeur qui rappelle la surprise des pèlerins d’Emmaüs au moment de reconnaître Jésus. L’histoire de l’alliance met ainsi en scène une longue série de refus du peuple, auquel Dieu répond par un don plus grand encore, comme par une surenchère incessamment relancée, et cela jusqu’au don final : l’envoi du Fils, rejeté et crucifié, sommet d’injustice et comble de miséricorde. La mort de Jésus sur la croix achève cette succession de don et de refus. Comme dans l’histoire de Joseph, Dieu a le dernier mot. Cette fois, il fait définitivement triompher la vie sur la mort, mais il le fait sans tricher avec le mal : le mal est dévoilé dans sa laideur par les traits du Juste cruellement torturé. « Ils regarderont celui qu’ils ont transpercé » (Jn 19,37 ; Za 12,10). Ce qu’il importe de voir, c’est la nécessité (au sens d’une contrainte à intégrer) qui s’impose au Dieu libre. Faire que le péché n’ait aucune conséquence reviendrait à priver l’homme de la responsabilité de ses actes. Dieu ne peut que laisser le péché produire ses fruits de mort. Impossible pour Dieu de renvoyer au néant la puissance d’un mal multiforme, semé au fil des générations humaines. Il existe donc bien une nécessité inscrite par le péché dans l’histoire. Mais sur la croix, Jésus remplit de toute de sa liberté de Fils, obéissant au Père, le lieu de cette nécessité. Par cet échange entre nécessité du péché dans l’histoire et libre offrande du Fils sur la croix, nous approchons le mystère de la puissance de Dieu à l’œuvre dans le salut. On voit comment le destin personnel de Jésus affecte le cours de l’humanité : le péché que Jésus rencontre à la croix et que l’absolu du don de sa propre vie engloutit dans le pardon est à la mesure de l’histoire. Seul le Fils est à même de porter le poids de cette faute, trop lourde pour l’homme. Son salut peut alors être offert à chacun sur le chemin de sa propre histoire. Comme le proclame Isaïe, « dans ses blessures nous trouvons la guérison ». En quel sens ces blessures étaient-elles requises ? V. LA CONTINGENCE DES SOUFFRANCES DE LA PASSION D’un point de vue rationnel, à la fois éthique et métaphysique, il est impératif de reconnaître que les souffrances de la passion sont contingentes, et non pas nécessaires. Elles résultent de la rencontre incertaine entre plusieurs

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acteurs plus ou moins libres (Judas, Hérode, le grand prêtre, les chefs du peuple, le gouverneur romain, les soldats, les foules, etc.). Jésus est livré de l’un à l’autre, par des trahisons ou des abandons en cascade. Outre les acteurs humains, plus ou moins fiables, les circonstances et les contingences sont fortuites. Elles s’imposent sur le moment, sans avoir été prévues ni choisies. Elles relèvent du calendrier, des temps et des lieux, et du rythme incontrôlable d’une action où s’entrecroisent des intérêts divers. La manière dont Jésus est mis à mort est hautement contingente. La flagellation et la crucifixion résultent de la remise de Jésus au gouverneur romain. Mis à mort par les Juifs, Jésus aurait été lapidé et non crucifié. Au premier regard, les souffrances de la passion ne se présentent pas du tout comme nécessaires. Cela ne signifie pas que l’homme Jésus aurait pu ne pas mourir du tout, car il était humain de notre humanité. La factualité de sa mort humaine fait partie intégrante de sa mission et de son incarnation. Mais si la mission de conversion et de rassemblement assumée par Jésus avait été mieux reçue par son peuple, aussi exigeante fût-elle, celui-ci serait mort tout autrement. Sa mort aurait bien été une pâque, un ultime passage vers Dieu, mais non une exécution. Il est capital de reconnaître que les souffrances de la passion sont contingentes, pour commencer par désapprendre et dé-théologiser un moment notre assimilation séculaire de la Croix. C’est à cette condition que le « ne fallait-il pas ? » redevient une énigme féconde. Lorsque le Ressuscité suggère a posteriori que les souffrances de la passion étaient nécessaires, sous une formule interro-négative, quel est donc l’enjeu d’une appréciation théologique aussi contre-intuitive ? Nous pouvons formuler deux hypothèses d’interprétation, non exclusives l’une de l’autre. D’une part la nécessité envisagée porte, non pas sur les souffrances de la passion comme événement, mais sur les souffrances du Messie comme sujet. D’autre part, la nécessité supposée dévoile l’implication d’un acteur caché, maître de la situation aussi contingente fut-elle : Dieu. Considérons d’abord le second aspect. VI. LA NÉCESSITÉ COMME SCEAU DIVIN De plusieurs manières, Dieu est rendu présent dans les récits évangéliques, non pas comme un acteur humain parmi les autres, mais comme celui qui agit à une autre profondeur que les êtres humains. Cela est sensible dans les évangiles synoptiques par les citations ou mentions d’accomplissement des Écritures. Dans les récits de la passion, les citations d’accomplissement remplissent une fonction théologique de première importance : elles forcent

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le lecteur à inclure le contingent et l’accidentel, spécialement ce qui est le plus déconcertant ou le plus choquant, dans le déploiement mystérieux du dessein de Dieu. Elles garantissent la souveraineté du projet divin qui surplombe et englobe toutes les circonstances et les péripéties de ce qui advient au Fils de Dieu. Le sceau des Écritures révèle ainsi que les actions ou les événements racontés possèdent une portée supérieure à l’ordre du visible. Si les Écritures sont remplies par telle ou telle facette de l’événement, Dieu y est impliqué ou Dieu s’en porte garant. Les Écritures signent la présence de Dieu ou l’actualité de sa parole, alors même que l’évidence immédiate est plutôt celle des manœuvres humaines ou des enchaînements mondains, dont Dieu paraît distant ou absent. L’affirmation d’une nécessité relative des souffrances de la passion relève d’une logique comparable. De soi, les souffrances du juste sont un scandale. Elles n’ont rien pour plaire à Dieu ni être agréées par lui. En soi, elles sont contraires au dessein de Dieu qui ne veut la défiguration d’aucune de ses créatures. Infligées par les hommes, elles sont odieuses à Dieu, car elles procèdent de la bêtise et de la haine. C’est seulement telles qu’elles sont assumées et portées par le Christ que les souffrances de la passion deviennent « assumables » dans le dessein de Dieu. Incluses dans l’amour pacifique du Christ pour les pécheurs, elles acquièrent une nouvelle dimension : celle du salut en train de s’accomplir sur la scène paradigmatique de la violence humaine. Dès lors, le « ne fallait-il pas ? » exerce une fonction théologique précise : il signe l’inclusion des souffrances du Messie dans le dessein de Dieu, orienté vers la gloire. VII. UNE NÉCESSITÉ RELATIVE À UNE MISSION Le paradoxe s’accroît si l’on prend en compte le sujet humain tout à fait singulier des souffrances de la passion. Elles affectent le Christ, le Messie de Dieu. L’étrangeté des souffrances en question s’en trouve alors augmentée. Certes, dans les représentations juives du salut, multiformes, les tribulations avaient leur place. L’eschatologie de la restauration et du rassemblement d’Israël comportait le passage par une grande épreuve, mais celle-ci n’était probablement pas conçue comme étant individuelle. Les souffrances du Messie demeuraient tout à fait déconcertantes pour les disciples. Cela est évident lorsque Pierre confesse Jésus comme Christ aux alentours de Césarée, avant d’être scandalisé par l’annonce d’un destin de mort. Et pourtant, le Ressuscité suggère a posteriori que les souffrances du Messie étaient nécessaires. Pourquoi ?

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Si l’on se rapporte à la confession de foi de Pierre vers Césarée, le décalage entre son approximation du Christ et le chemin de Jésus apparaît vivement (Mc 8,27-33 par.). Lorsque Jésus superpose avec un chemin de souffrances le titre que Pierre vient de lui conférer, ce dernier retire aussitôt la foi naissante qu’il mettait en Jésus pour se mettre en travers d’un tel chemin. L’homologation par le Ressuscité des souffrances du Christ intervient alors comme une reprise du débat laissé en suspens. Les souffrances dont parle le Ressuscité sont qualifiées. Ce ne furent pas n’importe quelles souffrances qui étaient nécessaires. Ce furent spécifiquement les souffrances relatives à la mission de salut assumée par Jésus. De fait, les souffrances de la passion résultèrent essentiellement d’un rejet de sa mission. Celles qu’il endura furent salvifiques uniquement parce qu’elles procédaient de sa fidélité à la mission reçue. Son obéissance jusqu’à la mort fut l’expression ultime d’une telle persévérance dans la charité. D’autres souffrances, comme par exemple la disparition supposée de son père humain, n’étaient affectées d’aucune nécessité relative pour le salut. Elles résultèrent simplement du partage de la condition humaine. Bien qu’à un autre niveau d’interprétation théologique, le choix d’assumer la condition humaine, avec tout son lot de vulnérabilité, doive être compris comme résultant d’une intention de salut. Nous avons renoué avec la série des « il faut » relevés plus haut. Le « ne fallait-il pas ? » du Ressuscité n’a rien d’extrinsèque par rapport aux dialogues des étapes antérieures. La question ainsi posée signe l’accomplissement d’une mission assumée sans relâche. La forme interrogative laisse aux disciples la liberté d’y répondre pleinement. Cet enjeu demeure pour tous les auditeurs du témoignage néotestamentaire. VIII. LA DISPARITION DU COMPAGNON : L’OFFRE D’UNE NOUVELLE EXISTENCE ? « Je : une fiction dont nous pouvons tout au plus être les co-auteurs1. » L’auteur de cet aphorisme a consacré sa vie à la recherche de sa propre identité, exposée à la violence de deux totalitarismes. Tout en reflétant l’opinion moderne, partagée par nos contemporains, d’être à soi-même son propre destin, il signale avec sagesse que la liberté personnelle n’est pas sans limite : chacun est déterminé autant qu’il se détermine. L’accès à notre singularité 1. I. KERTÉSZ, Un autre. Chronique d’une métamorphose, trad. N. ZAREMBA-HUZSVAI – C. ZAREMBA, Paris, Actes Sud, 1999, p. 15.

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B. BOURGINE – E. DURAND

ne passe-t-il pas par la reconnaissance d’autrui et le souci de l’universel ? Lorsque les disciples d’Emmaüs ont été gratifiés d’une explication des Écritures qui a allumé un feu en leur cœur, ils ont été introduits dans l’intelligence du dessein de Dieu accompli dans la mort et la résurrection du Messie. En quoi leur destin personnel en est-il changé ? Ils demeurent les co-auteurs de leur propre existence, tout comme Imre Kertész. Mais une possibilité nouvelle a surgi : accéder par la foi à la vérité de soi, entrer par l’amour dans le don de soi, entrevoir par l’espérance un au-delà de soi. Par la reconnaissance de Jésus comme Christ, ils se découvrent eux-mêmes précédés par la bienveillance de Dieu, envoyés pour l’annoncer aux autres, tournés vers un avenir éternel. Libre à eux désormais de voir dans le récit du Messie souffrant et glorieux la vérité de leur propre existence et de trouver un principe d’orientation dans la foi à l’absolu qui est venu jusqu’à eux. Libre à eux de recueillir dans l’expérience de ce dialogue sur le chemin d’Emmaüs un nouveau principe d’action : le compagnonnage avec autrui sur le mode du don de soi, au rythme d’un amour reçu et partagé. Sur leur propre chemin de souffrance, libre à eux d’espérer voir s’étendre à toute l’humanité et tout le cosmos l’abondance de vie qui les a rejoints : « J’estime en effet que les souffrances du temps présent ne sont pas à comparer à la gloire qui doit se révéler en nous. Car la création en attente aspire à la révélation des fils de Dieu » (Rm 8,18-19). Que conclure concernant la théologie qui se dégage du propos de Jésus aux disciples d’Emmaüs ? Dieu n’écrit pas tout seul, à l’avance et sans nous, le récit de nos vies. Il nous rejoint sur notre propre chemin pour qu’on soit en mesure de l’écrire avec lui. Dieu a visité une fois pour toutes ce monde où prolifère le mal et il a ouvert par son Messie, crucifié et ressuscité, un chemin de liberté au cœur de la nécessité à l’œuvre dans l’histoire. Son dessein, à partager sur le mode du dialogue, chemin faisant, est un feu qui prend au cœur et engage toute la vie. Si le Christ s’absente avec discrétion après avoir été reconnu à la fraction du pain ne serait-ce pour faire en sorte que les filles et les fils pour lesquels il a donné sa vie soient véritablement les co-auteurs de leur existence ? Dans ces existences qui s’écrivent avec lui, sur le chemin de l’histoire, Dieu trouve sa gloire. Relire une vie ou une histoire à partir de son dénouement engage une aventure existentielle pour le lecteur. Non seulement un accompli insoupçonné se révèle et se déploie sous un jour inédit, mais le lecteur se comprend de surcroît lui-même, à frais nouveaux, dans son propre monde. Par ses vertus, la relecture ménage un accès à une maturité du passé et à une plénitude du présent, sans clôture. Ce phénomène d’enrichissement et de

« NE FALLAIT-IL PAS… ? » (LC 24,26)

383

compréhension par la relecture s’avère encore plus vrai lorsque l’histoire racontée est réellement notre Pâque, vécue par le Christ Jésus dans notre chair et diffractée par ses premiers témoins. Benoît BOURGINE Université catholique de Louvain, Louvain-La-Neuve [email protected] Emmanuel DURAND, o.p. Collège universitaire dominicain, Ottawa [email protected]

ABRÉVIATIONS

AB ABRL AnBib ANTC BBB BETL BEvT BHQ BHS Bib BN BTS BZ BZAW BZNW CaE CbNT CBQ CBQMS CNT EBib EKKNT ETL ETR FRLANT HNT HTKAT HTKNT HTR IBC ICC JSNT JSNT SS JSOT KEK LD LHBOTS MdB

The Anchor Bible Anchor Bible Reference Library Analecta biblica Abingdon New Testament Commentaries Bonner biblische Beiträge Bibliotheca Ephemeridum Theologicarum Lovaniensium Beiträge zur evangelischen Theologie Biblia Hebraica Quinta Biblia Hebraica Stuttgartensia Biblica Biblische Notizen Biblisch-theologische Studien Biblische Zeitschrift Beihefte zur Zeitschrift für die alttestamentliche Wissenschaft Beihefte zur Zeitschrift für die neutestamentliche Wissenschaft Cahiers Évangile Commentaire biblique : Nouveau Testament Catholic Biblical Quarterly Catholic Biblical Quarterly Monograph Series Commentaire du Nouveau Testament Études bibliques Evangelische-katholischer Kommentar zum Neuen Testament Ephemerides Theologicae Lovanienses Études théologiques et religieuses Forschungen zur Religion und Literatur des Alten und Neuen Testaments Handbuch zum Neuen Testament Herders theologischer Kommentar zum Alten Testament Herders theologischer Kommentar zum Neuen Testament Harvard Theological Review Interpretation: A Bible Commentary for Teaching and Preaching International Critical Commentary Journal for the Study of the New Testament Journal for the Study of the New Testament. Supplement Series Journal for the Study of the Old Testament Kritisch-exegetischer Kommentar über das Neue Testament Lectio Divina Library of Hebrew Bible Old Testament Studies Le Monde de la Bible

386 MST NIBC NovT NRT NTL NTS ÖTKNT RB RevSR RHPR RSR SBLSymS SJOT SNTS MS THKNT UTB VT WBC WUNT ZAW ZNW ZTK

ABRÉVIATIONS

Maryhill School of Theology New International Biblical Commentary Novum Testamentum Nouvelle revue théologique New Testament Library New Testament Studies Ökumenischer Taschenbuchkommentar zum Neuen Testament Revue biblique Revue des sciences religieuses Revue d’histoire et de philosophie religieuses Recherches de science religieuse Society of Biblical Literature Symposium Series Scandinavian Journal of the Old Testament Society for the New Testament Studies Monograph Series Theologischer Handkommentar zum Neuen Testament Uni-Taschenbücher Vetus Testamentum Word Biblical Commentary Wissenschaftliche Untersuchungen zum Neuen Testament Zeitschrift für die alttestamentliche Wissenschaft Zeitschrift für die neutestamentliche Wissenschaft und die Kunde der älteren Kirche Zeitschrift für Theologie und Kirche

INDEX DES NOMS PROPRES

ABADIE, P. 180 ABRAHAMS, I. 45 ACHARD, G. 256 ACOSTA VALLE, M.M. 221 ADAMS, E. 256 ADORNO, T. XII, XIII AGAZZI, E. 28 AGUILAR CHIU, J.E. 26 ALAND, B. 231 ALAND, K. 231 ALEGRIA RIVERA, E. 321 ALETTI, J.-N. 85, 142, 143, 144, 145, 146, 148, 153,155, 156, 157, 194, 249, 250, 252 ALEXANDER, L. 194, 195, 200, 220 ALEXANDRE, J. 47 ALLEN, B. 109 ALLEN, R. 109 ALLISON, D.C. 184, 206 ALLO, E.-B. 328 ALTER, R. 41, 48 AMBROISE DE MILAN 339 AMBROSIASTER 339 AMPHOUX, C.-B. 166 AMSLER, S. 44 ANDERSON, P.N. 195 ANDRÉ DE CÉSARÉE 328 ANDREW, M.E. 77 ANDRIANNE, G. 257 ANSALDI, J. 170 ARAGIONE, G. 203 ARISTOTE 160, 177, 264, 338, 340, 343 ARNDT, W.F. 326 ARNOLD, B.T. 50 ASURMENDI, J. 60, 62 ATTRIDGE, H.W. 363 AUDET, J.-P. 345, 347 AUGUSTIN D’HIPPONE 104, 339 AUNE, D.E. 323, 330

AYENI, A. 83 AYNARD, L. 119 BALZ, H. 263 BARCLAY, J.M.G. 145, 147, 148, 149, 152, 153 BARR, J. 326 BARRETT, C.K. 197, 214, 247, 283, 286 BARTON, S.C. 172 BASILE DE CÉSARÉE 370 BASLEZ, M.-F. 251, 255, 257 BAUCKHAM, R. 201, 203, 204, 208, 331, 368 BAUM, A.D. 248 BAUTCH, R.J. 80, 90 BEASLEY-MURRAY, G.R. 283 BECKER, J. 142, 143, 145, 147, 153, 154, 299 BÈDE LE VÉNÉRABLE 328 BEENTJES, P. 162 BENDLIN, A. 258 BENOÎT, P. 200 BERNARD, J.H. 280, 284 BERTHELOT, H. 257 BERTHOZ, A. 259 BETZ, H.D. 142 BIANCHINI, F. 142 BIERINGER, R. 29, 30 BILLERBECK, P. 180, 181 BLACK, M. 85 BLASS, F. 195, 335 BLENKINSOPP, J. 37, 40 BLOCK, D.I. 69 BLOUNT, B.K. 172 BOBICHON, P. 104 BOGAERT, P. 166 BOILEAU, N. XI BOISMARD, M.-É. 128, 199, 200, 336, 337, 358

388

INDEX DES NOMS PROPRES

BOOTH, W.M. 49 BORING, M.E. 162 BOURQUIN, Y. 24, 177, 281, 320, 327 BOVON, F. 196, 198, 202 BOXUS, A.-M. 341 BRAUN, F.-M. 294 BRENNER, A. 40 BREYTENBACH, C. 139, 285 BROOKS, E.B. 353 BROWN, R.E. 180, 183, 210, 223, 268, 271, 272, 274, 275, 284, 289, 291, 293, 294, 298, 300 BROWN, S. 210 BROWN, W.S. 223 BRUEGGEMANN, W. 42 BRUN, P. 258 BULTMANN, R. 168, 266, 272, 274, 283, 286 BUNDVAD, M. 59, 60 BURKES, S. 66 BUSCEMI, A.M. 97, 100 BUTTICAZ, S.D. 153, 194, 196, 197, 199, 248, 249, 258, 260 BYRSKOG, S. 200, 203, 206 CADBURY, H.J. 195, 197, 218, 220, 225 CADMAN, W.H. 282 CALDWELL, A. 113, 114 CAMBIER, J. 145 CANCIK, H. 258 CANDLISH, R.S. 46 CANNUYER, M. 28 CAQUOT, A. 173 CARR, D. 39, 46 CARSON, D.A. 289 CASSIODORE 339, 340 CASSUTO, U. 45 CAZELAIS, S. 44 CHANGO, P.-M. F. 61, 62 CHANTREINE, P. 340 CHARPENTIER, É. 16, 17 CHARRON, A. 20 CHATMAN, S. 213, 216 CHEVALLIER, M.-A. 294 CHILDS, B.S. 41 CHILTON, B. 186, 187, 188 CLIFFORD, R.J. 37 CLINES, D.J.A. 51

CLIVAZ, C. 169 COHN, R.L. 41 COLLAR, A. 258 COLLINS, J. 47, 322 COLLIOT-THÉLÈNE, C. XII COLOE, M.L. 293 COLSON, F.H. 90 COMBET-GALLAND, C. 322 CONYBEARE, F.C. 350 CORSANI, B. 101 COSTAZ, L. 63 COULOT, C. 24 CRANFIELD, C.E.B. 132 CRENSHAW, J.L. 55, 63 CRIMELLA, M. 297 CROSS, F.M. 77, 78, 81 CROSSAN, J.D. 167 CROUCH, C.L. 76 CULLMANN, O. 247, 323 CUVILLIER, É. 170 DÄLLENBACH, L. 224 DANOVE, P. 162 DAVIDSON, M. 33 DAVIES, W.D. 184 DEBRUNNER, A. 195, 335 DE GOEDT, M. 293 DE HALLEUX, A. 299 DEL AGUA, A. 169 DE LA POTTERIE, I. 282, 292 DE LA TORRE, M.A. 48 DELEBECQUE, É. 201 DELLING, G. 263, 326 DE LORENZI, L. 141 DELORME, J. 159, 162, 164, 173, 326 DE MARTIN DE VIVIÉS, P. 321 DENAUX, A. 297, 317 DE PURY, A. 39 DESCAMPS, A. 298 DESCREUX, J. 325 DIAS, D. 27 DIBELIUS, M. 224 DILLON, R.J. 201, 214, 216, 218, 219, 220, 223, 228 DIX, G. 366 DODD, C.H. 147 DOGNIEZ, C. 242 DONEGANI, I. 326

INDEX DES NOMS PROPRES

DORSEY, D.A. 45 DOUGLAS, J.N. 66 DOZEMAN, T.B. 39, 40 DRAPER, J.A. 345, 353 DUFOUR, M. 160 DUHAIME, J. 214 DULAEY, M. 325 DUMAIS, M. 214, 216 DUNN, F. 248 DUNN, J.D.G. 92, 93, 204, 205, 206, 211 DUPONT, J. 202, 214, 228, 248, 249 DU TOIT, A.B. 130 DYER, B.R. 207 ECO, U. 208, 281 ELLIGER, K. 53 ELLIOTT, N. 128 ENGLARD, Y. 51 ENNS, P. 64 ÉPIPHANE 348, 362 EPP, E.J. 138 ERNOUT, A. 341, 343 ESPOSITO, T. 56, 62 EUSÈBE DE CÉSARÉE 166, 199, 203 EVANS, G.R. 21 EXUM, J.C. 51 FAESSLER, M. 58, 59, 60, 62, 64 FEE, G.D. 138 FEREDAY, T. 33 FERRER, J. 54 FEUILLET, A. 201, 294, 331 FIDLER, R. 288 FIELD, F. 63 FISCHER, A.A. 55 FISCHER, D. 24 FITZMYER, J.A. 197, 213, 214, 218, 219, 223 FLAVIUS JOSÈPHE 180, 181 FLEDDERMANN, H.T. 205 FLEURY, P. 344 FLUSSER, D. 354 FOAKES-JOHNSON, F.J. 218 FOCANT, C. 160, 166, 252 FOHRER, G. 85 FORTIN, A. 25, 198 FOWLER, D. 248 FOX, M.V. 55, 66

389

FRANCE, R.T. 354 FRANÇOIS, P. 344 FREED, E.D. 184, 186 FRICKER, D. 108, 110 FRIEDLANDER, G. 85 FRIEDMAN, R.E. 39, 46 FRONTON, 344 FRYDRYCH, T. 58, 63 GADENZ, P.T. 142, 145, 146 GAGNÉ, A. 28, 29, 200, 207 GALANIS, I. 317 GARUTI, P. 337, 341, 342 GAULT, B.P. 55, 61 GAVENTA, B.R. 144, 151, 223 GEDDERT, T. 170 GEERING, L. 64 GENETTE, G. 194, 208, 215 GEORGI, D. 128 GERBER, D. 26 GERHARDSSON, B. 204, 207 GIAMBRONE, A. 348 GIBERT, P. 193 GIGNAC, A. 25, 28, 29, 125, 126, 127, 130, 131, 139 GILLET-DIDIER, V. 179 GIRARD, M. 289 GLOBE, A. 160 GNILKA, J. 168, 171 GOLDMAN, Y.A.P. 53 GOULDER, M.D. 252 GOURGUES, M. 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 15, 18, 21, 22, 23, 24, 26, 27, 28, 33, 48, 53, 69, 86, 95, 105, 106, 107, 108, 109, 110, 111, 113, 114, 117, 118, 164, 165, 252, 263, 297, 327, 371 GREGORY, A.F. 213, 355 GRINGRICH, F.W. 326 GRUDEM, W. 109 GRUNDEKEN, M. 367 GRUSON, P. 12 GUEURET, A. 194 GUNDRY, R.H. 161 GUTBERGEN, T. 45 HAACKER, K. 144, 148 HAAR, S. 364 HABEL, N.C. 43

390

INDEX DES NOMS PROPRES

HAENCHEN, E. 228, 251, 283 HÄUSLER, J. 329 HALBREICH, H. 329 HANHART, R. 53 HARL, M. 242 HARRINGTON, H.K. 368 HARTLEY, J.E. 49 HATA, G. 363 HAYES, C.E. 239 HAYS, R.B. 132 HEAD, P.M. 160 HEIL, J.P. 183 HEMER, C.J. 247 HENGEL, M. 128, 166, 247, 368 HESTER, J.D. 167, 168 HILBRANDS, W. 49 HILL, A.E. 291 HILL, P. 329 HOLL, K. 363 HOLMÉN, T. 363 HOLMES, M.W. 350 HOOKER, M.D. 214 HORN, F.W. 247 HORRELL, D.G. 152, 153, 154 HORSLEY, R.A. 128 HORST, F. 53 HOSKYNS, E.C. 293 HOVE, R.W. 112 HÜBNER, H. 143, 144, 146 HURTADO, L.W. 138 HURVITZ, A. 37 IGNACE D’ANTIOCHE 350, 364, 366 IRÉNÉE DE LYON 28, 29, 165, 203, 339 JACOB, B. 42 JACOB, E.I. 42 JACQUES, F. 18 JAFFEE, M.S. 208 JANUS, M.D. 30 JASTROW, M. 60 JAUBERT, A. 362 JEAN CHRYSOSTOME 182, 370 JEFFORD, C.N. 345, 349, 353, 367 JENNINGS, T.W. 139 JEREMIAS, J. 179 JÉRÔME 55, 58, 59, 63, 104, 182, 339 JEWETT, P.K. 109

JEWETT, R. 366 JIPP, J.W. 125 JOHNSON JR., S.L. 109, 111 JOHNSON, L.T. 219, 220 JOHNSON, M.D. 178 JONES, F.S. 360, 361 JORGENSEN, D.W. 356 JUNGMANN, J.A. 367 JUSTIN 104, 165, 350, 355, 356, 357, 358 KAHN, Z. 64 KAISER, O. 55 KAMANO, N. 63 KAVVADAS, N. 346, 364 KAYAS, L. 329 KEENER, C.S. 182 KEITH, P. 27 KELBER, W.H. 167, 207 KELHOFFER, J. 165, 166 KENNEDY, G. 208 KERMODE, F. 166, 168 KERTÉSZ, I. 381 KHIDESHELI, T. 346, 364 KIDNER, D. 50 KITTEL, G. 263 KLAUCK, H.J. 161, 273, 274, 275 KLAWANS, J. 240 KLINGHARDT, M. 357 KLOPPENBORG, J.S. 205 KNOPPERS, G.N. 80, 90 KÖHLMOOS, M. 60, 62, 66 KRAUS, W. 142 KRAUSS, V. 165 KÜMMEL, W.G. 141, 143, 145, 148 KUHN, K.A. 210 KURZ, W.S. 216, 217, 218, 222 LABAHN, M. 29 LABERGE, L. 21, 72 LACELLE, E.-J. 26 LACOSTE, J.-Y. 322 LAGRANGE, M.-J. 100, 101, 128, 132, 164, 201 LAKE, K. 218 LANE, D.J. 54 LANGE, A. 54, 61 LAURENTIN, A. 299

INDEX DES NOMS PROPRES

LAUSBERG, H. 144 LAVOIE, J.-J. 67 LE BOULLUEC, A. 242 LE DÉAUT, R. 85, 180 LÉGASSE, S. 107, 125, 165 LEMONON, J.-P. 101 LENTZEN-DEIS, F. 282 LÉON-DUFOUR, X. 179, 298 LEROY, M. 30 LÉTOURNEAU, P. 194, 198, 281, 284, 293 LEUENBERGER, M. 60 L’HOUR, J. 37, 40, 44, 47 LIEBERMAN, S. 208, 357 LIGHTFOOT, J.B. 350 LOADER, J.A. 66 LOADER, W. 285 LOISY, A. 300 LONGENECKER, B.W. 151, 152, 155, 156, 157 LUCIANI, D. 28, 45, 46 LUCIEN DE SAMOSATE 196 LUCIFER DE CAGLIARI 339, 340 LUCRÈCE 343 LUTHER, M. 182 LUTTIKHUIZEN, G.P. 51 LUZ, U. 143, 144, 145, 146, 155, 157, 182, 183, 184 LYONNET, S. 148 MADDOX, R. 213 MAGNESS, J.L. 167 MAILHIOT, G.-D. 18 MAILLOT, A. 64 MAINVILLE, O. 23, 214, 281 MALATESTA, E. 298, 299 MALBON, E.S. 159, 173 MANZI, F. 26 MARCHADOUR, A. 37, 38 MARCION 355 MARCUS, J. 161, 163 MARGUERAT, D. 23, 147, 155, 157, 160, 173, 177, 194, 196, 197, 198, 199, 216, 223, 226, 232, 234, 240, 247, 248, 249, 257, 270, 281, 320, 322, 327, 359, 368 MARITZ, P. 25 MARIUS VICTORINUS 339, 340 MARTIN, F. 169, 197, 198 MASON, R. 291

391

MATERA, F.J. 143 MATHEWS, K.A. 45 MATSON, D.L. 223 MATTILL JR., A.J. 252 MAYORDOMO MARIN, M. 179, 181, 183 MBILIZI, E.L. 223 MCCABE, R.V. 49 MCCARTHY, C. 96 MCCARTHY, D.J. 71, 78, 81, 88 MCDONALD, N. 69, 72 MEALAND, D.L. 250 MEIER, J.P. 240 MEILLET, A. 341 MÉNARD, C. 21 MESSIAEN, O. 329, 332 MICHAELIS, W. 283 MICHAUD, J.-P. 207 MILGROM, J. 37 MILLER, D.B. 66 MINAZZI, F. 28 MOLES, J. 194 MOLONEY, F.J. 280 MORGAN, J.M. 250 MORGEN, M. 272, 282, 289 MORGENTHALER, R. 164 MOYISE, S. 131 MÜLLER, H.-P. 61 MUNK, E. 45 MURCIA, TH. 186 MURPHY, R.E. 223 MURPHY-O’CONNOR, J. 91, 105, 114 MYERS, P. 170 MYRE, A. 20 NEIRYNCK, F. 202 NEUSNER, J. 368 NEYREY, J.H. 285 NICHOLSON, G.C. 289 NIEMAND, C. 23 NODET, É. 44, 356, 363 NOLLAND, J. 183 NORELLI, E. 29, 203 NOTH, M. 93 NOVATIEN, 339, 340 NYVLT, M. 27 ODEBERG, H. 284 OEGEMA, G. 29

392 OH, M. 58, 60, 62, 65 OLIVER, I.W. 236, 240, 241 OMERZU, H. 247 ORIGÈNE 182, 185 OROPEZA, B.J. 131 ORTEGA, E. 213 OSTY, É. 200 OTTO, E. 96 OURO, R. 42 OVIDE 258 PAGAZZI, G.C. 297 PAINTER, J. 284 PANIER, L. 198 PAQUETTE LESSARD, S. 28 PARDEE, N. 345, 346, 347 PARSONS, M.C. 213 PAUL VI 317 PAULSEN, H. 285 PELEG, Y. 287, 289 PENNA, R. 27, 341 PEREGO, G. 27, 341 PERROT, C. 210 PERVO, R.I. 213, 248, 359 PESCH, R. 165 PETERSEN, W.L. 363 PETIT, J.-C. 20 PETIT, M. 181 PHILON D’ALEXANDRIE 178 PIERCE, M.N. 288 PINKER, A. 55, 56, 59, 61 PIPER, J. 109 PISANI, E. 28 PLACELLA, V. 25 PLATON 51, 255, 264 PLAUT, W.G. 46 PONOMARIOV, A. 363 PORTER, S.E. 207, 363 POUCET, J. 341 POUDERON, B. 28, 29, 106 POWELL, M.A. 216 PREUSS, H.D. 72 PRÉVOST, J.-P. 20, 105 PRIGENT, P. 323, 330, 332 PRINCE, G. 217, 218 QUESNEL, M. 142 QUIROGA, H. 213

INDEX DES NOMS PROPRES

RADL, W. 252 RAHLFS, A. 53, 231 RAIMBAULT, C. 30 RAKOTOHARINTSIFA, A. 320 RANDALL GARR, W. 46 RAPSKE, B. 250 RAVASI, G. 27, 341 RECHT, R. 259 REMIGIUS D’AUXERRE 49 REYNIER, C. 251, 252, 253, 255, 256, 260 REYNOLDS, B.E. 288 RICŒUR, P. XII, 229 RIESNER, R. 207 RIMMON-KENAN, S. 214, 216, 217 ROBERT, J. 85 ROBERTS, D.H. 248 RÖMER, T. 39, 70, 72, 76 ROMANELLO, S. 142, 297 ROSS WAGNER, J. 141, 142, 143, 144, 145, 147 ROWE, C.K. 213, 237 ROWLAND, C. 282 ROZEN, B. 287 RUDOLPH, W. 53 RÜPKE, J. 258 SABATIER, P. 339 SAMAIN, É. 202 SANDEVOIR, P. 242 SANKEY, P.J. 163 SAOÛT, Y. 324 SARNA, N.M. 42 SCHABERG, J. 185, 350 SCHÄFER, P. 185, 186 SCHALLER, B. 141 SCHEID, J. 259 SCHELLENBERG, A. 60, 65 SCHENKER, A. 100 SCHLIER, H. 100 SCHLOSSER, J. 366 SCHLUMBERGER, S. 170 SCHMID, K. 39, 40 SCHMIDT, W.H. 40 SCHNACKENBURG, R. 284, 299 SCHNEIDER, G. 263 SCHNELLE, U. 144, 145, 146, 147, 148, 270, 272 SCHNIDER, F. 178

INDEX DES NOMS PROPRES

SCHROEDER, J.A. 49 SCHÜLE, A. 80 SCHÜNGEL-STRAUMANN, H. 40 SCHÜRMANN, H. 206, 210 SCHÜSSLER-FIORENZA, E. 110 SCHWARTZ, B.J. 39 SCHWARTZ, D.R. 360 SCHWEIZER, E. 87 SCHWIENHORST-SCHÖNBERGER, L. 57, 64, 65 SENFT, C. 143, 146, 150, 153, 154, 155, 156, 157 SENIOR, D. 289 SEOW, C.-L. 64 SEUL, P. 252 SEVIN, M. 5, 6 SHERVIN WHITE, A.N. 251 SHIELDS, M.A. 64 SIFFER-WIEDERHOLD, N. 195, 197, 199, 213 SIMEONE, N. 329 SIMOENS, Y. 311 SKA, J.-L. 39 SMALLEY, S.S. 331 SMITH, M.S. 39, 69 SMITH, R.L. 291 SMITH, S.H. 161 SMYTH-FLORENTIN, F. 322 SNEED, M.R. 59, 66 SOULETIE, J.-L. 27 SPIECKERMANN, H. 62 SPITTA, F. 328 STAMM, J.J. 77 STANDAERT, B. 297, 299, 305, 310 STASZAK, M. 30 STEFFEK, E. 24, 320, 327 STEGEMANN, H. 182 STENGER, W. 178 STERNBERG, M. 216 STORDALEN, T. 45 STRACK, H.L. 180, 181 TAJRA, H.W. 251 TALBERT, C.H. 210, 219, 252, 260 TALBOT, M. 13, 23, 24 TANNEHILL, R.C. 216, 221, 222, 223, 226, 228, 248 TARADACH, M. 54

393

THEOBALD, M. 141, 346, 364 THÉRIAULT, J.-Y. 159 THOMAS D’AQUIN 53, 104, 107 THOMAS, M.A. 39 THOMPSON, R.J. 71, 78 THURIAN, M. 293, 294 TILLARD, J.-M. R. 9 TITE-LIVE 343, 344 TORGOVNICK, M. 248 TRIACCA, A.M. 292 TRIBLE, P. 48 TROFTGRUBEN, T.M. 247, 248 TROUSSET, P. 258 TUCKETT, C.M. 19, 226 TYCHON 339, 340 TYSON, J.B. 357 URSO, F. 26 VALLARSI, D. 104 VAN BELLE, G. 19, 25, 26, 289 VAN DE SANDT, H. 366 VAN DER LEEUW, S. 258 VAN DER WATT, J.G. 25 VANHOYE, A. 298 VAN OYEN, G. 28, 29 VAN SEGBROECK, F. 19, 197 VAN SETERS, J. 40 VAN UNNIK, C. 360 VAN VOORST, R.E. 185 VAN WOLDE, E. 46, 48 VATTIONI, F. 60, 65 VERHEYDEN, J. 19, 29, 195, 213, 367 VERMES, G. 85, 93 VERMEYLEN, J. 40 VERREAULT, J. 18 VERVENNE, M. 41 VIA, D.O. 161 VICTORIN DE POETOVIO 325 VIGNOLO, R. 167 VILLENEUVE, F. 21 VOGELS, W. 33, 34, 35, 37, 38, 41, 42, 43, 46, 48, 50, 51 VOLTAIRE, 185 VONACH, A. 57 VON HARNACK, A. 346, 357 VON RAD, G. 35, 36 VOUGA, F. 147, 272

394

INDEX DES NOMS PROPRES

WAHL, J.-J. 59, 64 WALKER JR., W.O. 208 WARDLAW JR., T.E. 46 WARTELLE, A. 160 WATTS, R.E. 161, 163 WĘCOWSKI, M. 341 WEISER, A. 247 WEISS, J. 328 WEISS, K. 263 WELLHAUSEN, J. 168 WENHAM, G.J. 36, 45, 49, 50 WÉNIN, A. 28, 41 WESTERMANN, C. 37, 46 WHITEHAKER, G.H. 90 WHITTACKER, C.R. 258 WILCKENS, U. 132, 143, 149, 154, 155 WILK, F. 141, 142, 143, 144, 145, 146, 147 WILLMES, B. 58 WILSON, R.R. 178 WILSON, S.G. 214

WINDSOR, L. 112 WISCHMEYER, O. 154 WÖHRLE, J. 90 WOLTER, M. 144, 145, 146, 148, 149, 154, 157 WRIGHT, N.T. 91, 93, 102 WRÓBEL, M.S. 25 WURST, S. 43 YARBRO COLLINS, A. 161, 325, 326 YOUNG, S.E. 358 ZAHN, T. 100, 101, 102, 247 ZAMORA, P. 58, 64 ZAREMBA, C. 381 ZAREMBA-HUZSVAI, N. 381 ZESATI ESTRADA, C. 26 ZIMMER, T. 61 ZUMSTEIN, J. 173, 186, 266, 268, 269, 270, 271, 273, 282, 283, 290, 293, 298, 322

INDEX DES RÉFÉRENCES BIBLIQUES

Genèse 1,1–2,4a 1,1 1,13-14 1,26-31 1,26 1,27 2,4-24 2,4 2,24 2,25 4,1 4,17-22 5,1-32 5,1 6,1-4 6,5 9,18-19 11,10-26 12,11 14,18 15,5 15,6 18,2 18,25 21,8 28,10-22 28,10-17 28,12 28,13-15 28,14 28,17 38 50,20

33, 34, 39, 42, 80 37, 38, 161, 264, 265 35 43 62 43, 44, 115, 121 39 39, 47 121 45 294 178 178 178 361 60 38 178 60 363 361 88 238 100 341 280, 281, 283, 285, 292, 296 286 282, 283, 284 287, 292 287 284 180 377

Exode 3,11-12 3,13-15 6,2-3

34 34 34

12,10 12,25 14,11 14,13-31 18,1 20,2 23,19 23,20 32,32-33 35,34

291 364 63 37 181 35 367 162, 163 100 61

Deutéronome 1,7 1,8 3,23-29 4,1 5 5,1-5 5,1 5,6-15 5,6-10 5,9-10 5,22-33 5,30 6 6,1-2 6,1 6,3-9 6,3 6,4-21 6,4-5 6,4 6,6-9 6,10 6,13-15 6,16-17 6,18-19 6,20-25 6,21-23

76 71 74 72, 77, 79, 354 77 82 71, 72 74 70 71 71 74 77 73, 74 72 80 73, 74, 75 77 73, 74 72-83, 92, 93 73, 75 74, 82 73, 74, 80 73, 75 73 73, 74, 82 36

396

INDEX DES RÉFÉRENCES BIBLIQUES

7,6 9,1-3 9,28 10,12-13 10,16-18 10,17 11,1 11,13-15 12,1 12,5 18,15 18,19 21,22-23 22,23-27 23,3 24,1 26,2 26,5-10 28,55 32,43

239 79 63 243 242 242 72 79 72 72 360, 361 360 95-100, 102, 104 187 186 187 72 36 63 129, 131

Josué 1,5 24,2-13

34 36

Juges 2 6

180 180

Ruth 1,16

181

1 Samuel 1,22 31,10-13

62 97

2 Samuel 5,10 7,13 11–12 11,3 21,1-14

341 34 181 183 97, 98

1 Chroniques 2 16,34

179 60

2 Maccabées 1,11

364

Qohélet 1,13 3,10-11 3,10 5,1 5,2 5,19 7,18 8,6 9,2 9,10 9,11-12

55 53-67 55 66 58 55 60 53 60 66 67

Psaumes 17,50 18,49 24,7 25,6 34,21 37,11 41,10 41,14 51,21 89,2 90,2 98,9 100,5 101,26 106,1 109,6 115,16 117,1 126,2 136,1 143,3

131 129 62 62 291 354 306 62 365 62 62 313 60 264 60 306 46 129 341 60 62, 235

Sagesse 2,23-24 16,5-6 18,2

268, 275 286 364

Isaïe 6,9-10 7,1 11,10 27,9 40,3 40,9

249 196 129, 131 154 163 163

INDEX DES RÉFÉRENCES BIBLIQUES

44,24 45,5 45,7 45,17 46,10 49,6 53 53,4-5 53,12 53,13 59,20 61,1-2

60 83 60 62 66 248 104 376 376 63 154 250

Jérémie 1,10 2,15 5,15 9,9-11 38,34 48,47

322 64 62 64 235 66

Ézéchiel 1,1 2,8–3,3 3,1 3,4 14,15 34,5 38,16

282 322 322 322 64 63 66

Daniel 6,27 7,26 12,7

65, 66 66 321

Osée 4,6

63

Amos 2,1 4,13-17 5,8-9

97, 98 35 35

Sophonie 3,6

63

Zacharie 12,10 14,9

291, 292, 378 83

Malachie 3,1

162, 163

Matthieu 1,1 1,2-17 1,3 1,5 1,6 1,16 1,18-25 1,18 1,19 2,1-12 5,5 5,44-48 6,7 6,9-13 6,9 6,11 6,13 7,6 7,15-20 10,6 10,7 11,11 11,29 12,46-50 13,55 15,25 19,4 19,30 20,16 22,16 24,15 24,24 28,16-20 28,18 28,19 28,20 28,39

177, 178, 190 177, 190 179 179 181 184 177, 184, 191 183 187 182 353 306 316 348, 363 349 363 307 348 348 354 206 354 354 189 184, 190 354 264 33 33 242 357 348 182 313 348, 356 34, 313, 314 38

Marc 1,1 1,2-13 1,2-3 1,9-13 1,10

161 161 162 171 313

397

398

INDEX DES RÉFÉRENCES BIBLIQUES

1,14-15 1,14 1,16 1,40 2,20 3,14 3,16 3,20-21 3,29 3,31-35 4,12 4,26-29 6,1-6 6,3 7,15 7,19 8,27-33 8,29-31 8,29 8,30 8,31 9,1 9,2-8 9,8 9,13 12,14 13,9-13 13,10 13,14 14,2-9 14,3 14,21 14,28 14,30 14,36 14,41 14,72 16,7 16,8 16,20

174 367 203 189 362 206 203 188 171 189 249 10 187 184, 189 241 381 296 280, 280 281 168, 169 169 162 242 170 161, 357 172 189 162 174 236 312 300, 236 203 166, 165

Luc 1,1-4 1,1-2 1,1 1,2 1,3 1,4

193-211, 213-229 264 196 200, 356 209 211

186, 187, 190

377

169

174

301

167

1,34 1,54 2,1 2,19 2,31-34 2,49 2,51 3,16 3,23 4,16-30 4,22 4,43 5,35 7,8 7,20 7,33 8,10 8,39 9,2 9,4 9,18-21 9,22 9,23-26 9,44 9,54 10,1 10,16 11,1 11,2 11,42 12,49-50 13,16 15,32 17,12 18,32 18,34 19,5 19,10 20,21-22 21,26 22,15 22,37 24,19 24,26 24,27 24,47 24,48 26,32

87 235 198 210 249 374 210 225 209 224, 249 185 374 362 238 363 363 249 220 206 233 375 375 375 253 360 206 206 363 316 374 374 375 374 189 253 375 374 374 242 360 374 376 197 371-383 249 359 227 373

INDEX DES RÉFÉRENCES BIBLIQUES

Jean 1,1-18 1,1 1,12-13 1,37 1,38 1,49 1,51 2,1-11 2,11 2,18-22 3,3-8 3,11-13 3,11 3,13 3,14-15 3,16-18 3,22 3,23-35 5,19-47 5,19-30 6,61-63 6,62 6,64 6,66-69 7,37-39 8,19 8,28-29 8,41 8,44 10,36 11,50 12,23 12,26 12,28 12,32-33 12,40 13,32 14,26 15,18 15,27 16,4 16,13 16,20-22 16,21 16,22 17,1-26 17,1-5

279 161 294 366 312 280 279-296, 313 266, 289 266, 272 286 292 288 288 287, 288 285, 286 288 364, 366 364 297 299 290 285, 290 267 280 293 186 290 186 275 308 295 285, 301, 314 317 302 295 249 301 205 307 269 269, 270 205, 211 295 294 294 297-317 300-303

399

17,6-10 17,6 17,11-13 17,14-16 17,17-19 17,19 17,20-23 17,24-26 18,1-11 18,11 18,21 18,38-39 19,9-10 19,22-33 19,26-27 19,28-30 19,30 19,34 19,35 19,37 20,17 20,22 20,28 20,30-31 21,17

303-304 314 304-306 306-307 307-309 314 309-311 311-314 316 312 254 254 254 291 293 294 293 291, 293 292 378 294 293 296 271 236

Actes 1,1-4 1,1 1,3 1,8 1,13 1,14 1,22 1,25 1,26 2,42 4,20 7,56 9,4-6 9,4-5 9,19 9,29 9,37 10–11 10,1-48 10,14 10,22

213-229 197, 199, 205, 209, 211 248 202, 211, 257 257 210 202, 209 227 227 206 204 285 226 204 204 199 257 231-245 232 236, 237, 241, 244 203

400 10,37 10,38 10,39 10,41 10,44-48 11,1-18 11,1 11,2 11,3 11,4 11,5 11,5-17 11,8 11,12 11,14 11,15 11,16 11,28 12,17 13,31 13,46 14,11 14,13-18 15,7-11 15,13 16,10-17 16,13 17,17 18,2-3 18,6 18,7 19,6 19,9 19,21 19,23 20,5-15 20,8 21,1-8 21,11 21,16 21,17-18 21,18 21,27-30 21,28 22,1 22,7-8 22,10 22,14-15 22,15

INDEX DES RÉFÉRENCES BIBLIQUES

205, 209 205 203 227 232 222 222 222 222 213-229 223 232 244, 236, 237, 241 224 214, 236 231 225 198 210 202 248 257 256 232 210 217 256 256 256 248 256 231 256 254, 255 199 217 257 217 253 256 256 210 222 222 256 226 226 228 202

22,21 23,11 23,29 24,5-6 24,22 25,2 25,10-12 25,12 25,23 25,26 26,1-32 26,2 26,3 26,4 26,5 26,14-18 26,16 26,17 26,21 26,26-27 26,26 26,29 27,24 28,2 28,11-16 28,14 28,15 28,16 28,17-30 28,17 28,18 28,19 28,20 28,22 28,23 28,24 28,25 28,28 28,30 28,31

202 255 222 222 253 222 253 254 222 237 222 222 222 225 225 226 202, 227, 222 225 222 225 254 257 260 255 256 250, 248, 253, 254 253 255 259 248, 260 249 248, 247, 248

Romains 1,1-7 1,10-13 1,16 1,17 2,10-11 8,18-19 9–11

125, 126-129 256 155 340 242 382 141-157, 249

213-229 228

255 261 257, 258

249, 253, 257

255, 259 255, 260

INDEX DES RÉFÉRENCES BIBLIQUES

9,1-5 9,2 9,3 9,4-5 9,6-29 9,30–10,21 9,30 9,31 11,1-32 11,1-10 11,8 11,11-32 11,17-24 11,25-27 11,25-26 15,7-13 15,19 15,23 15,24 15,32 15,33 16,17-20 16,25-27

144 144 144 156 150 150 146 143 150 153 249 156 154 149, 155 157 129-133 257 256 257 256 133-134 134-136 136-138

1 Corinthiens 2,1-10 7,17-21 8,4 8,6 11,2-16 11,3-9 11,3 11,5 11,7-9 11,10 11,11 11,12 12,13 14,31 14,34-35 14,34 15,3-4 15,7 15,54 16,19-24

99 110 85 85, 118 111, 113, 114, 117, 121 112-116 114 116 115 116 117, 121 117, 121 107, 108,110 113 112-116 111 204 204 314 136

2 Corinthiens 5,4 314 6,2 49 8,9 102

Galates 1,18 2,12 2,15–4,7 2,15–3,29 2,15-21 2,15-16 2,15 2,16 2,19-21 2,19-20 2,20 2,21 3,1-18 3,1-6 3,1-5 3,1 3,6-9 3,7 3,8 3,10-18 3,11 3,13 3,15-29 3,16 3,17 3,19-25 3,19 3,20 3,23 3,25 3,26–4,7 3,26-29 3,26 3,28

3,29 4,1-7 4,4 4,5 4,6 4,7 5,1-5 5,2 5,3 5,4 5,13-25 6,11-17

401

204 360 86-91 86 87, 88 87 85, 108 87 87 102 87, 88, 102 88 98 87 88, 89 102 86, 89, 90 90 89, 90 91, 98 91, 99 95-104 108 98 91 89 89, 91, 97 70, 84, 85-91, 92, 93 89 90 87 98 87, 109 48, 87, 89, 106-112, 113, 114, 115, 116, 117, 118, 120, 121, 122 86, 89 86, 87 87, 90 87 89 86, 87 89 90 89 89 239 136

402

INDEX DES RÉFÉRENCES BIBLIQUES

Éphésiens 2,21 4,6 4,15-16 4,15 4,16 6,20

335 85 336, 337, 344 337 337 250

Colossiens 1,15-20 1,18-19 1,19 1,27 2,9-10 2,16-18 2,19 2,23 3,1-17 3,11 4,18

337 337 338 253 337 342 335-344 342 239 107, 108, 110 136

Hébreux 2,6 5,7-8 11,31 13,9-10

235 317 181 343

PRINTED ON PERMANENT PAPER

• IMPRIME

Jacques 1,12 2,25

353 181

1 Jean 1,1-4 1,1 1,4 1,5 2,7 2,24 3,8 3,12 5,13 5,18-20 5,18

271 201, 272, 273, 274 304, 306 315 273 274 275 275 271, 315 309 307

Apocalypse 1,1 1,3 10,1-7 10,1 10,4 10,6 10,7 10,11 16,19

320, 323, 347 326 321, 326, 329 320 321 319-332 321 322 235

SUR PAPIER PERMANENT

N.V. PEETERS S.A., WAROTSTRAAT

• GEDRUKT

OP DUURZAAM PAPIER

50, B-3020 HERENT

- ISO 9706