L’action politique du Parti démocratique de Guinée pour l’émancipation africaine


258 107 5MB

French Pages [212] Year 1958

Report DMCA / Copyright

DOWNLOAD PDF FILE

Table of contents :
Front Cover
RAPPORT MORAL ET POLITIQUE ...
RAPPORT MORAL ...
DISCOURS DE M. SÉKOU. TOURÉ ...
DISCOURS ...
DISCOURS DE M. ...
DISCOURS DE M. SÉKOU TOURÉ ...
DISCOURS DU GÉNÉRAL DE GAULLE ...
ALLOCUTION DE M. SÉKOU TOURÉ ...
- ...
ALLOCUTION DE M. AUGUSTE POUECH ...
DISCOURS DE M. SÉKOU TOURÉ ...
CONSCIENCE ET DIGNITÉ ...
L'AFRIQUE NOIRE ...
NOUVELLE ...
DISCOURS ...
RÉSOLUTION ...
Recommend Papers

L’action politique du Parti démocratique de Guinée pour l’émancipation africaine

  • 0 0 0
  • Like this paper and download? You can publish your own PDF file online for free in a few minutes! Sign Up
File loading please wait...
Citation preview

Stanford University Libraries

3 6105 120 296 590

TERRITOIRE

DE

LA

GUINÉE

L'ACTION POLITIQUE DU

PARTI DÉMOCRATIQUE DE GUINÉE POUR

L'ÉMANCIPATION AFRICAINE PAR M. SÉKOU TOURÉ

DT

543.8 T728 1.2

gefst Pubt 7-6-59 643 , 728

ria

STANFORD MBRARIES



LIBRARY

L'ACTION POLITIQUE DU

PARTIDÉMOCRATIQUE DE GUINÉE POUR

L'ÉMANCIPATION AFRICAINE

229582

Monsieur le Président Sékou Touré

1

LES

ASSISES

DU PARTI DÉMOCRATIQUE DE GUINÉE du 23 au 26 Janvier 1958

1

RAPPORT

MORAL

ET

POLITIQUE

HISTORIQUE

La Guinée, comme les autres Territoires de l'A . O. F. ,

excepté le Sénégal , n'a vu se constituer un véritable mou

vement politique qu'à partir de la dernière guerre

mondiale , guerre dont les conséquences avaient particuliè rement secoué , tant sur le plan économique que social , les populations des pays dépendants sur lesquels le poids de l'oppression et de l'exploitation coloniales avait lourde ment pesé, et compromettant de ce fait leurs intérêts dans tous les domaines .

Les discriminations raciales, la politique de bas salaires , les fournitures obligatoires et le travail forcé avaient été

les grandes caractéristiques de cette période tragique . Des difficultés de tous genres constituaient les préoccu pations majeures des populations d'Afrique . Aussi , ces difficultés n'ont-elles pas manqué d'accélérer leur prise de conscience politique marquée par ure ferme volonté de changement radical de leur « condition coloniale » .

Les

premières

manifestations collectives

dans

le

domaine politique furent enregistrées dans la volonté et

l'action des originaires d'un même cercle , qui , sous le couvert d'association d'entr'aide mutuelle , devaient, en même temps , intervenir en faveur de leurs compatriotes,

la patrie d'alors n'étant comprise que sous l'angle étroit du cercle . Mais à peine la guerre terminée , les différentes associations d'originaires de cercles se regroupaient en quatre groupements ( je veux parler des mouvements eth

niques ) , couvrant chacune des quatre grandes régions du Territoire : Comité de la Basse-Guinée , Amicale Gilbert

Vieillard pour le Foutah , Union du Manding et Union Forestière, à côté desquels des groupuscules fourmillèrent

8

avec plus ou moins de résonance sociale : Foyer Sénégalais , Foyer des Métis , Union des Toucouleurs, Union des Insu laires , etc ...

De 1944 jusqu'en 1947, ces diverses organisations se partageaient les populations du Territoire et considéraient chacune son programme comme le seul susceptible d'amé.

liorer les conditions de vie de sa clientèle , le plus souvent définie par l'ethnie , la race ou la langue . Les élections législatives de 1946 furent les premières

consultations électorales auxquelles participait effective ment une partie de la population du Territoire . Ces élec

tions ont été préparées et dirigées par les groupements ethniques sans qu'aucun des candidats ne pût prétendre à

un caractère de représentativité au terme territorial du mot. Mais si la division profonde opposait les races et les régions les unes aux autres dans le Territoire de la Guinée et dans

beaucoup d'autres, la conjoncture parlementaire d'alors favorisait étrangement l'union des élus d'Afrique Noire

qui , joinis aux élus progressistes des autres partis de l'Union Française, devaient mener une importante bataille parlementaire et politique, en vue de donner à la future

Constitution française un contenu démocratique et suffi samment libéral , conforme aux profondes aspirations des peuples d'Outre-Mer qui voyaient, dans l'issue de la guerre, une ère nouvelle de justice, de liberté et d'égalité . C'est cette conjoncture qui permit aux représentants africains au Parlement de prendre corscience de la néces sité d'un vaste mouvement anticolonialiste qui , en Afrique, pourrait créer les monditions matérielles et subjectives, favorables, susceptibles de servir d'appoint à leur action parlementaire, et capables d'imposer la volonté des démo crates à la fraction réactionnaire du Parlement .

Ainsi il est facile de comprendre la justesse de l'appel qui fut lancé par des parlementaires d'Afrique au peuple d'Afrique Noire , en vue d'une rencontre de toutes les élites à Bamako pour la définition d'une plate-forme commune à l'action politique de nos pays .

- 9 -

La Guinée fut représentée à ce grand congrès constitutif du Rassemblement Démocratique Africain par onze délé gués représentant chacun un groupe ethnique ou racial donné . Le seul parti politique dont le cadre et le pro gramme étaient conçus de manière à grouper tous les Africains et les Métropolitains de bonne volonté était le Parti Progressiste de la Guinée dont la section fut égale

ment représentée au Congrès de Bamako . De retour de ce congrès , il ne fut pas possible à la délégation guinéenne cut

de créer immédiatement la section unifiée du Rassemble

ment Démocratique Africain auquel les groupements eth niques avaient déjà donné leur adhésion de principe , mais

c'evaient, on raison de l'imminence des élections législa tives de novembre 1946 , maintenir leur ancienne force ,

leur méthode et leur propagande, axées sur la race ou la région au profit de leur candidat .

Ce n'est qu'au mois de mai 1947 ( sept mois après la constitution du R. D. A. ) qu'il fut possible de créer la

section guiréenne de ce mouvement interfédéral. Au sein de son Comité Directeur, chaque groupement

ethnique tint à sa représentation effective, ce qui fit du Comité Directeur du R. D. A. de Guinée , un Comité de

Coordination dont les bases organiques , restant celles des anciens groupements ethniques, n'étaient pas unifiés et dont l'action devait essentiellement tenir compte des posi tions particulières de chacun de ces groupements . Les contradictions qui existaient dans les méthodes et aussi dans la doctrine des groupements ethniques , persis taient ainsi au sein du mouvement R. D. A. de Guinée pour lui enlever presque sa signification qui était d'urir, dans des organismes démocratiques et unitaires géographique ment définis, des hommes et des femmes de toutes races , de toutes religions , autour d'un programme commun pour une action commune . Les bases fragiles ( et il faut le dire ) uniquement électorales de notre nouvelle section ne résis tèrent pas aux activités centrifuges de ses propres diri geants, et les consultations électorales qui suivirent : celles

1

10

du premier Conseil Général et des représentants de la Gui

née aux assemblées métropolitaines, finirent par mettre fin au mythe de l'unité politique que semblait signifier la présence d'une section R. D. A. En effet, un à un , les groupements ethniques reprirent leur forme et leur liberté anciennes, cela évidemment sous l'instigation des forces colonialistes qui prenaient cons cience du danger que représenteraient l'unité et l'action de tous les Africains contre leurs privilèges, lesquels repo

saient plus sur la couleur de la peau que sur le mérite de leur travail . C'est ainsi que la section guinéenne du R.D.A. éclata , laissant parler en son nom et sur la base de son

programme une petite minorité de démocrates qui , résolu ment, a placé sa confiance dans l'avenir et a défendu le

drapeau du Mouvement pour empêcher sa disparition définitive .

Une nouvelle phase commence : en plus de l'Adminis tration , les chefs de canton , tous les membres du Conseil

Général , tous les représentants de la Guinée au Grand Conseil et au Parlement, excepté « feu » Camara Kaman , Conseiller Territorial de Macenta , livrèrent une bataille

haineuse contre la minorité qui incarnait le programme du R. D. A. Des brimades de toutes sortes : mutation , révoca tion , emprisonnement, s'abattirent sur les hommes du

Mouvement ; les paysans, commerçants ou travailleurs du Secteur Privé n'ont pas échappé à ces mesures de coerci

tion et d'oppression qui tendaient à étouffer la jeune voix de la démocratie africaine .

Ces nombreuses fluctuations de la vie politique gui néenne partaient de trois raisons fondamentales :

1 ° Le mouvement politique n'était considéré que sous son facteur électoral comme moyen de réalisation d'une ambition arrêtée au niveau d'un homme ou d'une région . Ainsi , après l'échec ou la victoire électorale cessait toute activité politique , la masse qui constituait la clientèle ne devant éventuellement qu'entendre des discours d'où ne découlait nullement une indication quelconque d'action concrète en vue de la transformation de quoi que ce soit ;

- 11

2° Le mouvement politique n'avait pour assise sociale que des intellectuels, en majorité des fonctionnaires, plus préoccupés de parfaire leur situation personnelle que d'apporter une aide substantielle aux larges couches de la

population , notamment aux paysans. Les fluctuations étaient d'autant plus possibles que l'ambition de ces fonc

tionnaires, seuls dirigeants du mouvement politique, ne pouvait être satisfaite en dehors de la complicité ou de la

bienveillance des autorités administratives, autorités qui étaient le fondement même du pouvoir du colonialisme dans nos pays .

C'est cela qui limitait l'action politique à la défense des cas individuels dont la satisfaction n'était guère susceptible de changer fondamentalement le régime en vigueur ;

3° L'absence de démocratie et le manque d'esprit de sacrifice et de continuité dans l'action faisaient que les partis politiques n'étaient nullement liés aux masses dont les capacités de compréhension et de lutte , les préoccupa tions et les souffrances étaient sous-estimées, très souvent

ignorées, pour n'être exploitées que dans le domaine senti mental lors des rares conférences publiques . Ces confé rences je le précise bien — n'ayant pour but que la -

constatation des faits, sans indication de mesures à prendre au niveau des masses pour éviter leur répétition , en por tant contre leur cause l'action nécessaire .

Cette période a été semée de démissions de nombreux militants et dirigeants du Mouvement, chacun voulant don ner la preuve aux tenants du régime de sa fidélité à celui ci. La presse du Mouvement était constamment poursuivie, des réunions publiques interdites, les déplacements et les activités des dirigeants restés fidèles au Mouvement

contrôlés, les correspondances censurées . En un mot, une politique de terreur divisait les populations en deux camps : dans l'un ceux qui croyaient en la force imbattable

du régime colonial, dans l'autre une toute petite minorité, qui restait convaincue que l'action positive contre le colo

nialisme et ses valets emmènerait progressivement les masses à une conscience politique qui les rendrait capables

12

d'agir et de liquider le régime colonial et d'instaurer un régime de justice sociale et de libertés démocratiques favo risant le progrès général .

Depuis octobre 1946 à Bamako, les buts de notre Mou vement ont été clairement définis . Quelles que soient leur

force dynamique au sein de la population africaine et la peur qu'ils ont inspirée aux représentants du régime colo nial , ces buts étaient fondamentalement réformistes, étant donné qu'ils portaient sur des transformations de structures et non sur l'éclatement du cadre juridique appelé Union Française .

En effet , le congrès du R. D. A. , après avoir condamné

toute politique d'assimilation considérée comme utopique et hypocrite au sens historique du mot, avait pris position

pour l'établissement de bases d'égalité et de collaboration confiantes avec la France dans le cadre d'une association

librement consentie, fraternelle et progressiste .

La défense de la personnalité africaine et la sauvegarde de l'originalité de nos pays sont des conditions indispensa bles à toute politique d'association et d'égalité avec la France .

C'est d'ailleurs cette option politique qui justifie à elle seule le caractère autonome de notre Mouvement par rap port aux formations politiques métropolitaines , dont les

tendances à se prolonger organiquement dans les Territoi des d'Outre-Mer étaient connues de tous . La libération

politique de l'Afrique était donc considérée sous le seul aspect de réforme de structures économiques , sociales et administratives, sans toucher les structures juridiques qui liaient nos Territoires à la Métropole . Ces buts ainsi définis étaient totalement satisfaisants pour la majorité des popu

lations de nos pays et partiellement pour une minorité dont les exigences formulées clairement au Congrès de Bamako

d'octobre 1946 portaient sur l'indépendance de nos pays . Pour les uns comme pour les autres, ces buts étaient une plateforme favorisant au maximum une organisation uri que et une unité d'action en vue de leur aboutissement .

- 13

Le contexte politique et social comme la situation écono

mique de l'Afrique demeuraient les données partant des quelles les positions du R.D.A. se justifiaient pleinement . En effet, qui pouvait soutenir une politique d'assimilation

quand sur le plan des réalités sociologiques, économiques et humaines, la nature de nos pays était différenciée de celle de la Métropole . Mais, au moment où les Africains condamnaient l'assimi

lation , la France gardait le secret désir de pouvoir les con

duire vers cette assimilation progressivement et même malgré eux .

Toute la politique coloniale française avait pour fonde ment la supériorité des conceptions morales, humaines, sociales et politiques de la France , conceptions auxquelles les Français eux-mêmes accordent prétentieusement un caractère d'universalité . Tout ce qui , en Afrique, apparaît

comme propre à une civilisation autre que celle adoptée en général en Europe, et en particulier en France, était

considéré comme sauvage . A analyser de près la civilisa tion vers laquelle l'on nous poussait, celle-ci avait comme

fondement la supériorité technique et cette force dont dis posent les pays d'Europe qui les a conduits à s'imposer aux Territoires africains contrairement au libre arbitre de ceux

ci . Mais, malgré la lutte qui fut organisée tant contre les manifestations de notre Mouvement que contre son idéolo

gie, prétendue à l'époque révolutionnaire , il est aujour d'hui heureux de constater que l'Histoire africaine , d'une manière irréversible, s'est orientée résolument dans le sers

du progrès et de l'unité. Les forces colonialistes auraient eu raison si le R. D. A.

n'avait pour assises que la seule volonté d'une minorité intellectuelle dont les moyens d'action dépendaient plus d'elles que de l'Afrique . Aujourd'hui , sur le plan de notre orientation politique, c'est-à-dire la reconnaissance du principe de collaboration des peuples, un pas décisif est déjà franchi , du fait qu'au

cun tenant du régime, même des plus réactionnaires, n'ose plus vanter les prétendues vertus d'une assimilation dont

14

le caractère impossible apparaît nettement dans la situation des Antilles où nos frères, malgré la départementalisation, continuent à subir la même politique de discrimination raciale, d'injustice sociale et économique . Sur le plan interne, les buts proposés à l'action du R.D.A. devraient inciter les Africains à opérer au sein de leur

société des transformations profondes . En effet, l'existence de tribus ou de castes ( griots ) considérées comme infé

rieures à d'autres fractions sociales, de même que la situa tion d'infériorisation de la femme seraient en contradiction

avec toute politique d'égalité et c'est pourquoi l'action interne du R.D.A. dans la société devait autant que possible favoriser une harmonisation sociale, imposer une justice sociale et faire respecter en chacun la dignité humaine .

Comme vous le savez , la structure d'une organisation peut favoriser ou compromettre la réalisation concrète des buts assignés à son action , selon que cette structure est ou non en rapport avec ces buts .

En ce qui concerne le R. D. A. , sa structure horizontale 1

couvrant l'ensemble des Territoires Africains , permettait d'élever nos buts au niveau des réalités d'Afrique et du destin de cette partie du monde, en transcendant les contra

dictions internes qui ne sont perceptibles qu'à un niveau plus bas . L'union des Africains sans distinction de races , de lan

gues et de religions, était une projection parfaite de

l'Afrique sur un chemin nouveau dont le parcours lui per met de s'intégrer progressivement ses parties et ses valeurs que la colonisation tendait à lui enlever ou à dénaturer.

C'est une des ' raisons fondamentales qui expliquera l'échec de toutes les formations politiques opposées au

R. D. A. , sa force dynamique dominant les particularités et 1

appelant irrésistiblement tous les Africains à se reconnaître en prenant conscience de leur misère commune et de leur destin commun .

Contrairement aux groupements ethniques qui sous-esti maient l'action des masses et méconnaissaient celle des

femmes , le R. D. A. s'est refusé d'être le parti d'une mino

15

-

rité d'intellectuels, tout comme celui d'une couche sociale, pour apparaître en tous lieux et en tous temps comme le

Mouvement authentique africain , ayant pour vocation l'union de tous les Africains contre la réaction colonialiste , pour le progrès et la liberté des Territoires Africains . C'est

en raison de ces buts que les méthodes démocratiques de notre Mouvement se sont de plus en plus renforcées, pour que, de la base au sommet et du sommet à la base , une

communion d'idées et d'action de l'ensemble du corps

politique que le R. D. A. représente en Afrique Noire . En effet, nul ne peut penser pour un peuple tout le temps, avec justesse, et encore moins agir à sa place, car l'Histoire n'a jamais été autre chose que la résultante directe de l'action des masses sur la nature et la société .

La démocratie, au sein du Mouvement, met tous les mili

tants et toutes les militantes sur un pied d'égalité absolue, faisant ainsi fi d'anciennes structures hiérarchiques qui divisaient la Société Africaine en fractions supérieures et en fractions inférieures . L'intervention de chacun et de tous,

tant dans la définition des objectifs du Mouvement que dans l'action concrète , permet au Mouvement non seule ment de réaliser sa mission , mais d'élever constamment le

niveau de compréhension et de combativité des militants . Aussi la critique et l'auto-critique à tous les échelons de l'organisation du R. D. A. , lui permettent de corriger ses insuffisances à temps et de parfaire son action . Dars les

autres formations politiques opposées au R. D. A. , les prin cipes démocratiques, de critique et d'auto-critique, de même que la discipline étaient totalement méconnus.

Qui peut expliquer en dehors du caractère démocratique de notre parti , qui le liait fortement aux masses, le fait que l'ancienne Assemblée Territoriale de la Guinée avec qua rante -huit membres anti - R . D. A. , contre deux élus R. D. A. ,

ait pu être renouvelée sur la base de cinquante -huit élus R. D. A. sur soixante . Tout le monde sait que les anciens élus de la Guinée n'avaient aucune liaison directe avec les

masses , ne les représentaient pas et, partant , ne les influen çaient pas .

16

Certes , la direction politique, en raison de ses expérien ces, de sa maturité politique , peut être à même de solutionner les nombreux problèmes posés au Mouvement . Mais , malgré cette capacité de la direction d'une section

ou d'une sous-section, il est recommandé au sein du Mouvement l'élaboration collective des décisions impor tantes , c'est-à-dire qu'elles soient prises au cours de réunion ou d'assemblée régulière , où chacun dira libre ment ce qu'il sait et croit être vrai . C'est au cours de ces

réunions que les masses acquièrent de la formation , chaque

réunion leur apportant des idées nouvelles et des expérien ces nouvelles . Aussi la chance du R. D. A. a toujours été de fixer des objectifs concrets , perceptibles et sensibles à la conscience des masses , et d'adapter une tactique partant même des réalités de base .

D'aucuns, non habitués à l'unité dialectique que consti tue toujours la tactique par rapport au but à atteindre , se

permettaient, en face des différenciations de tactiques adoptées par différentes sections territoriales du Mouve

ment, de crier à la division profonde de celui -ci , oubliant sciemment ou inconsciemment l'objectif commun fixé à l'action différente des organismes de base du R. D. A. D'ailleurs, est- il utile de dire que nos adversaires , notam

ment en Guinée, qui ne connaissent la politique que sous sa forme électorale , n'ont eu par conséquent à adopter que

des tactiques électorales empreintes d'opportunisme et de contradictions . De 1947 à 1954 , en dehors de notre Mouve ment, aucun des neuf parlementaires du Territoire ni des

quarante -huit conseillers territoriaux n'a tenu une seule conférence de compte rendu de mandat, pas même de conférence d'éducation ou d'information sur des sujets préoccupant l'opinion publique . Cette attitude négative de

la politique est ce que nous appelons le crétinisme parle mentaire , qui considère l'élection des hommes comme une fin en soi et non comme un moyen d'évolution mis à la dis

position d'un pays qui doit faire entendre sa voix , indiquer sa volonté et préciser son option .

- 17 -

Pour le R. D. A., tout n'est que moyen mis à la disposi tion de ce qu'il appelle le capital le plus précieux : l'Homme d'Afrique et dont il veut accroître les droits grâce à une 1

promotion politique, économique, sociale et culturelle , en le libérant de toutes les entraves .

C'est, en effet, partant de l'intérêt de cet Homme et du Peuple dont il est issu , que les buts et les méthodes de

notre Mouvement ont été définis . C'est pourquoi les élus du Mouvement, loin d'être des chefs, doivent se comporter en serviteurs du peuple , comme esclaves d'une conscience aiguë , exigeant d'eux-mêmes une conduite exemplaire et, dans tous les cas , absolument favorable au progrès général et conforme à la dignité .

N'avons-nous pas, lorsque notre camarade Sékou Touré était notre seul porte-parole, vu le R. D. A. donner le bon exemple en l'envoyant faire le compte rendu de son man

dat dans chaque village , non pas de sa circonscription mais de tout le Territoire ? N'a-t- il pas , dans tous les débats au Conseil Général , ramené la discussion au niveau des inté rêts des collectivités de tous les centres ? Il est inutile de

présenter le bilan des trois années 1953-1956 . Notre Mou

vement, alors qu'il n'avait que deux élus, put s'opposer valablement à toute augmentation d'impôts et de patentes

alors que depuis 1947 chaque nouvelle année correspon dait à de nouvelles charges pour les populations africaines? En 1955 , notre élu obtenait la diminution des impôts et la

suppression de certaines taxes directes qui frappaient les petits commerçants , les petits artisans et ouvriers installés

à leur compte . Ce résultat n'est en tous cas pas le travail d'un homme, il a été celui d'un Mouvement, celui d'un

Peuple dont l'instrument légal était limité à un seul homme . Le comportement social du dirigeant a une grande importance en Afrique, car l'Afrique est un pays où

l'homme a ure signification sociale très étendue , ne serait ce que de par les frontières indéfinies de la famille .

L'Afrique est également un pays où le sentiment de socia bilité , le sens de la justice et de la pitié sont des forces

réelles dont il faut tenir compte . Enfin , comme dans tous

- 18

les pays où l'instruction n'est pas très développée, pour permettre aux hommes de se déterminer d'une manière

raisonnée, les éléments irrationnels jouent leur rôle et les dirigeants doivent en tenir compte pour ne pas heurter sur

le plan psychologique les populations qu'ils entendent organiser et diriger . Une des grandes chances du P. D. G. résidait dans la victoire qu'il a su très tôt remporter contre les instruments de la réaction colonialiste dans les milieux

religieux . En effet, le R. D. A. a été présenté comme anti

religieux, athée , communiste, et les forces de l'Islam qui exerçaient une profonde influence dans notre pays ont été mobilisées par l'Administration dans une lutte contre nous . Heureusement , la connaissance profonde des principes démocratiques de cette religion et les abus auxquels se livraient les prétendus chefs religieux nous ont permis de

modifier les rapports de forces de nos influences respec tives et même d'identifier le R. D. A. à toutes conceptions de progrès , de démocratie et de liberté même lorsqu'elles sont d'ordre religieux . NOTRE

ACTION

L'action du R. D. A. était axée sur la défense des intérêts

des masses dans tous les domaines . 7 ° La base fondamentale de notre Mouvement est cons

tituée de paysans auxquels nous avons apporté la liberté du travail , la liberté de circulation et de vente de leurs produits ;

2° Aux femmes qui prennent de plus en plus conscience de leur dignité et dont la maturité politique ne supporte

plus certaines formes de vie qui faisaient d'elles des objets mis à la disposition des hommes ; 3° Aux jeunes auxquels était systématiquement appliqué un droit africain , droit dit d'aînesse , mais qui, aujourd'hui , sur le même pied d'égalité que leur frère ou père, discu

tent de tous les problèmes communs ; 4 ° Aux travailleurs de tous les secteurs qui ont été dotés

d'organisations syndicales de plus en plus viables, les syn dicats de Guinée , qui , par leur parfaite organisation et leur

19

combativité, ont été depuis 1948 à la pointe du combat syndical africain , et ont ainsi permis, grâce à une unité d'action avec les autres Territoires , d'arracher un Code du

Travail , des prestations familiales, des conventions collec tives uniques et surtout de constituer une forte organisa

tion syndicale africaine, dont l'influence de plus en plus grande saura favoriser l'évolution harmonieuse de l'Afri que et défendre les intérêts de sa classe ouvrière . Il est

inutile de rappeler le nombre et l'importance des grèves positivement menées en Guinée au profit de toute la classe ouvrière africaine . Permettez -moi de saluer en passant la

grève de 73 jours courageusement menée par nos militants ouvriers autour d'une revendication de caractère général à tous les Territoires d'Outre -Mer.

Dans tous les domaines, la lutte soutenue par des orga nisations parallèles au Mouvement politique constituait un

apport appréciable à l'action politique du R.D.A.: les Syn dicats, les Mouvements de Jeunesse, de Femmes, d'An ciens Combattants ou des organisations économiques, tout cela a été méthodiquement organisé et mis en action par

notre Mouvement dont la philosophie est que rien de viable ne peut se faire en Afrique sans les Africains... Notre Devise est que « la confiance populaire vaut mieux que milliards et châteaux. » Mais comme nous le disons souvent, cette confiance ne doit pas exclure le contrôle, et les dirigeants conscients de la justesse de ce principe doi

vent non seulement créer les conditions démocratiques pour que le contrôle collectif s'exerce sur eux et sur leur

action , mais même l'exiger des masses . Les conditions de désignation des candidats d'un parti politique correspon dent toujours au degré de confiance que sa direction place dans les masses . Pour ce qui est de notre section territo

riale, nous pouvons avoir la fierté d'avoir toujours permis à la volonté des masses de s'exprimer librement pour le choix des candidats du Mouvement à tous les échelons et à l'occasion de tous les scrutins .

- 20

En 1951 , comme en 1954 , le porte- parole du R. D. A. aux élections législatives fut désigné par une conférence des dirigeants . En novembre 1956 , les trois candidats du P. D. G. ont été désignés dans des conditions on ne peut plus démocratique , car la Direction s'était volontairement

dessaisie de tous pouvoirs dans ce domaine pour inviter chaque formation de base dans l'ensemble du Territoire à choisir librement trois candidats de son choix et à adresser

les bulletins sous enveloppe cachetée à une commission territoriale d'investiture au sein de laquelle le Bureau politique était minoritaire. Aussi , lors des élections municipales , la s'est contentée de définir les désignations , laissant celles-ci à la seule organismes de base dans les villes érigées

toriale

Direction terri principes des initiative des en communes .

Pour la préparation des élections à l'Assemblée Terri toriale, les sous-sections ont également librement désigné leurs candidats sans pression ni intervention d'aucune

sorte de la part de la Direction politique . Enfin , la consti tution du Conseil de Gouvernement , de même que la

désignation des responsables de l'Assemblée Territoriale et celle des Directeurs de Cabinets ministériels ont été

faites sous la responsabilité collective du Comité Directeur élargi aux élus , sans imposition de qui que ce soit par le Bureau exécutif .

L'intervention du Comité Directeur dans la vie des SOUS

sections n'a eu un caractère restrictif que lorsque l'action

de celles-ci semblait déborder le cadre défini

par

le

Mouvement . Tel le cas de Mamou , dont les dirigeants

avaient une singulière et grotesque conception de la démocratie qu'ils confondaient avec la licence , c'est-à -dire l'absolue liberté de faire tout ce qui leur plaît , au risque

même de compromettre l'action de tout le parti . Le Comité Directeur de notre parti n'a eu dans le cadre de son orien

tation qu'à défendre la ligne politique du Mouvement . C'est après de vaines interventions auprès des dirigeants de Mamou que la Direction politique n'a plus hésité à prendre les décisions qui s'imposaient , à savoir l'exclusion

21

de la sous-section de Mamou . Cette exclusion , diversement commentée , n'avait ou ne pouvait avoir aucun caractère dictatorial . L'issue donnée aux activités subversives des

dirigeants de Mamou , par les militants de Mamou , rétablit

l'événement

dans

le

juste

cadre

dont

ne

s'est jamais départie notre ligne de conduite . En effet, à la suite d'un Congrès local , les dirigeants cou pables de la sous-section de Mamou ont été exclus par ceux-là même au nom desquels ils prétendaient parler. Cette décision locale nous a amené à réhabiliter la

SOUS-section, les coupables étant déjà châtiés . Sur ce point, vous me permettrez de saluer et de féliciter les directions

de toutes nos Sous-sections qui , malgré de nombreuses

informations mensongères et calomnieuses, ont gardé confiance dans la Direction territoriale en respectant sa

décision à l'égard de Mamou , qui s'est trouvée ainsi isolée de l'ensemble du Territoire . Ceux qui misaient sur la divi sion du Mouvement ont enregistré de nouvelles déceptions et comprendront peut-être mieux la force du R. D. A. en

Guinée et la volonté d'unité des masses. Toujours dans le sens de cette démocratie interne , le P. D. G. a été une des sections du R. D. A. à tenir une

conférence territoriale autour de l'ordre du jour qui devait être discuté par le III ° Congrès Interterritorial de Bamako . Nous pouvons aussi nous féliciter de la contribution active

et qualitative que notre section a apportée au succès de ce grand Congrès de Bamako, dont les échos ont retenti

aussi bien sur le plan africain que sur le plan international . LA LOI-CADRE ET L'AFRIQUE NOIRE

La Loi-Cadre constitue un événement important dans la

vie interne de l'Afrique et dans les rapports de celle-ci avec la France . Elle est le fruit de deux volontés contra

dictoires : l'une et l'autre ertendant s'en servir pour réaliser des desseins fondamentalement opposés .

Oui , l'après-guerre a connu le réveil de conscience poli tique exigeant une situation conforme aux sentiments les

1

- 22

plus nobles qui mobilisaient dans le camp des forces anti impérialistes les populations africaines au cours de la dernière guerre : justice, égalité, liberté pour tous . 1

Ce sont ces sentiments qui se traduisaient dans le

développement de l'action des Africains sur le plan écono mique, social , politique et culturel . Comme vous le savez , la structure africaine de notre organisation permet de rendre sensible l'Africain du Sénégal aux misères et aux

1

joies de l'Africain de toute autre région , elle permet d'élever la notion de patrie et aussi de fixer à l'action des

Africains un cadre, sinon de nationalité africaine, mais tout au moins de personnalité africaine, données qu'aucun colonialiste ne peut nier . Cette plate-forme , de plus en plus , effrayait les tenants du régime colonial qui , après les échecs d'Indochine et d'Afrique du Nord et en face d'im portants succès des pays dépendants contre leur ancienne Métropole dans la voie de leur émancipation , se rendaient alors compte de l'inévitable recul des forces de domination au profit de la montée du Mouvement nationaliste africain .

Pour cette fraction d'hommes, soucieux du maintien de la présence française dans les Territoires d'Outre -Mer, qu'ils ne cessent de confondre avec l'exercice d'un pouvoir établi sur la force et par la force, la Loi-Cadre devait avoir pour conséquence directe l'éclatement de la structure fédé

rale de nos pays et l'isolement progressif des Territoires qu'ils souhaitent voir s'embourber dans des contradictions internes et des oppositions brisant leur front uni .

Sur le plan économique, et surtout sur le plan de la Fonction publique, il n'était plus possible de soutenir une politique d'assimilation sans obliger la France à traiter sur un pied d'égalité ses ressortissants et les hommes des pays Sous-développés que nous sommes . Ainsi , lorsque nous parlons de réalités africaines pour avancer, les réaction naires se servent de ces mêmes réalités pour justifier notre

retard et, pour ces réactionnaires, la Loi-Cadre devait être un cadre enfermant définitivement nos espoirs et nos possibilités d'action évolutive . La deuxième volonté , la nôtre, considère la Loi-Cadre non comme une fin en soi , mais comme une étape vers

!

- 23

l'autonomie la plus complète, celle qui permettra au pays de s'associer librement à la France et de discuter sur un

pied d'égalité les problèmes qui leur sont communs . Cette volonté est celle qui ne veut pas que les Conseils de Gou vernement s'enferment dans ce régime, mais plutôt qu'ils

le transforment pour mieux servir la cause de leur peuple et de leur pays . C'est pourquoi, dès après la constitution de notre Conseil de Gouvernement, la première tâche a

été de définir notre ligne d'action , les objectifs populaires à atteindre . Cette ligne d'action , en plus de la sauvegarde de nos acquisitions, en plus de la défense des intérêts africains , porte essentiellement sur la décolonisation inté

grale de toutes les structures du pays. Il n'est pas possible de lutter contre le colonialisme en maintenant les structures

qui favorisaient son système d'exploitation et d'oppres sion ; il n'est pas possible de libérer l'action du peuple

en maintenant ou consolidant les chaînes qui retiennent

ses membres ; il n'est pas possible , enfin, de lutter contre la colonisation sans dénoncer et détruire les causes qui sont à la base des conflits internes dont nous avons long

temps souffert . Comme vous le savez, notre Mouvement, qui contrôle pratiquement toutes les organisations issues de la Loi-Cadre, dans le sens de la décolonisation, a

indiqué, par des réalisations concrètes, sa détermination absolue d'abattre le régime colonial . Il le considère comme

incompatible avec la dignité et l'intérêt africain et aussi avec la pérennité et le développement de l'influence française . 7 ° Un Gouvernement à deux têtes n'a jamais été un bon Gouvernement ;

2 ° la division des Services en deux catégories favorise

la dualité entre les organes d'un même corps dont l'har monie est condition de leur identité de vues et de leur unité fonctionnelle ;

3 ° l'éclatement de la Fédération est l'indication que la France veut diviser les Africains pour pouvoir les opposer les uns aux autres et arbitrer souverainement leurs conflits locaux ;

24

4° La Loi-Cadre, tout en étant un facteur positif dans le domaine de la décentralisation et de la déconcentration ,

n'a pas favorisé pour autant les rapports économiques des Territoires d'Outre-Mer avec la France ; or, la véritable

libération de l'homme et du peuple doit s'effectuer dans tous les domaines et notamment dans le domaine écono

mique . C'est, conscients de ces insuffisances, que les hommes d'Afrique se refusent de trahir le véritable intérêt de leurs pays pour je ne sais quel titre de Ministre ou de Vice

Président, continuent la lutte pour compléter l'étape de la Loi-Cadre par de nouvelles promotions juridiques permet tant :

a ) l'augmentation des pouvoirs des Assemblées Terri toriales ;

b ) L'octroi de l'autonomie interne , faisant du Conseil

de Gouvernement le responsable de toute l'administration du pays, la notion de Service d'Etat devant être abandon née . Seule la notion de fonctionnaire d'Etat pouvant éventuellement subsister sous la forme de cadres d'assis tance ;

c ) Les Grands Conseils devant être transformés en Parlements fédéraux élisant un Exécutif fédéral respon sable de tous les Services communs et de la gestion des Cadres d'Etat ou d'assistance ;

d ) Pour mettre fin à toute politique d'assimilation et pour éviter la contradiction dans nos positions , l'Assemblée de l'Union sera la seule Assemblée où les Territoires d'Outre-Mer seront représentés , seule souveraine pour

légiférer sur les questions d'intérêts communs à la Commu nauté Franco-Africaine , à laquelle d'autres Etats pourront adhérer . Ces objectifs majeurs sont les seuls qui , une fois atteints , permettront à la France et à l'Afrique de collaborer loyalement et de mettre fin à toute contradiction , à toute opposition . Nous sommes pour la Communauté Franco-Africaine, au profit de laquelle les Etats Africains abandonneront une partie de leur souveraineté , parce que nous sommes conscients qu'à l'heure des grands ensembles l'Afrique

I

25

n'a rien à gagner de son isolement, parce que nous sommes

aussi conscients que la France sera notre partenaire le plus valable .

Ceci dit, toute idée qui tendrait à la désintégration de

l'Afrique au profit d'Etats isolés ou de Républiques Terri toriales sera combattue par nous avec d'autant plus de force qu'à nos yeux elle serait l'héritière du colonialisme diviseur. Aussi , notre exigence pour l'institution d'un Exécutif fédéral doit signifier une volonté d'adhérer à la Communauté avec la France , comme bloc ayant les mêmes réalités, les mêmes espoirs , les mêmes problèmes . C'est

en ce sens que la Révision Constitutionnelle est conçue par nous, notre idée n'est nullement celle d'une séparation

d'avec la France, mais la signification de la confiance, de l'amour que nous portons à la France , confiance et amour qui passent à travers l'Afrique, que nous voulons autant que la France rendre bénéficiaire de leur association ... Le problème de l'Exécutif fédéral a fait l'objet de nombreux commentaires et surtout de commentaires ten

dancieux . Il n'est pas pour nous un but, mais simplement un moyen politique pour consacrer et renforcer l'Unité Africaine . La zone du franc C. F : A. constitue un seul marché

et l'Afrique Occidentale Française, l'Afrique Equatoriale Française de réelles entités . Etre pour ou contre l'Exécutif fédéral , c'est au préalable se prononcer pour ou contre l'Unité Africaine .

INDUSTRIALISATION

DE LA GUINEE

Les populations de Guinée se sont rendu compte que la vocation de notre Territoire est autant agricole , minière qu'industrielle . En effet, l'agriculture , l'élevage tiennent une place prépondérante dans les activités économiques des Guinéens . Leur production en riz , banane, café, pal ... etc ... miste, orange , ananas, ricin , fonio, patate, etc

se

développe de plus en plus, alors que le caoutchouc , la cire et le miel , dont les débouchés se sont restreints , ont

connu une progressive élimination . Au point de vue minier , l'exploitation de la bauxite, du fer, de l'or et du diamant

connaît une cadence de plus en plus élevée . Dans l'extrac

26

-

tion de l'or et du diamant, les mineurs africains tiennent

une place de plus en plus importante grâce à l'aide tech nique que l'Administration leur a apportée et qui permit notamment à près de 50.000 Africains de disposer de

larges superficies dans la zone diamantifère, superficies rachetées aux Sociétés minières pour une valeur de 90 millions .

Grâce à toutes les mesures favorables prises en faveur de la Coopérative Békima , la commercialisation du diamant

connaît une reconversion au détriment du Libéria qui ,

jusqu'en 1956 , était le centre d'attraction et de transaction des pierres précieuses produites cependant en grande partie en dehors du Territoire libérien .

Le facteur décisif de l'économie guinéenne sera bientôt « l'industrialisation » . Il est, en effet , envisagé l'installation du barrage du Konkouré pour la production de l'énergie

électrique, en même temps que l'exploitation des riches gisements de bauxite découverts dans la zone de Boké et de Fria .

La mise en place des nouvelles installations industrielles nécessitera des sommes colossales en capitaux d'investis sements dont l'origine VOUS le savez est française

et étrangère . Nombreuses hypothèses concernant l'indus trialisation de la Guinée ont été émises , toutes pleines d'optimisme et de confiance dans l'avenir de notre pays . Nous n'avons jamais nié l'importance des investisse

ments prévus et la grande portée économique des projets concernant la Guinée . Cependant, dès le début, nous avons

tenu à ce que l'industrialisation ne soit pas considérée comme un problème étranger au peuple de Guinée et isolé de sa vie économique et de sa vie sociale . Notre conception de l'industrialisation a été définie dans les termes les plus clairs, c'est-à-dire : comme la transformation la plus élabo rée possible , celle qui laisse au Territoire le maximum de

substance , ce qui veut dire que le ramassage des matières brutes transformables dans d'autres pays que la Guinée

ne constitue pas à nos yeux l'industrialisation à laquelle notre conscience est acquise . Nous voulons que la bauxite

soit transformée en alumine et en aluminium localement ,

)

- 27

que le fer soit transformé en acier et que toutes les autres

possibilités naturelles du pays puissent, soit être transfor mées en produits finis consommables, soit au moins

connaître un stade plus élevé de cette transformation Nous savons également que les installations industrielles principales seront entourées d'installations secondaires

dont les activités économiques contribueront à la prospérité du Territoire . Le 28 juin , le Grand Conseil de l'A . O. F. a confirmé notre position et n'a pas hésité à affirmer que la fabrication en Guinée d'un tonnage d'aluminium dou

blant à lui seul la production française, constituerait l'une des meilleures chances économiques de la Communauté Franco-Africaine .

Le 17 septembre dernier, le Gouvernement Français a donné un accord définitif au projet industriel du Konkouré . Il a consenti , à des conditions particulièrement avanta geuses ,

d'immenses

ressources

financières

pour

la

réalisation du barrage de Souapiti , qui est la clé de notre industrialisation .

Les négociations guinéennes avec les Sociétés privées ont été entamées . Au niveau du Conseil de Gouvernement,

à part quelques points de détail , l'accord semble intervenu

sur les différents projets de convention d'établissement et sur le régime de la concession des chutes, Par ailleurs, le Fonds d'Aménagement Régional de la Guinée a connu de profondes modifications dans son fonctionnement qui , initialement, s'opérait sous la respon sabilité de l'autorité privée et qui , maintenant, sera un

compte hors budget dont les programmes de réalisation seront délibérés par l'Assemblée Territoriale et exécutés Sous l'autorité du Conseil de Gouvernement .

Nous avons indiqué qu'il ne s'agit pas d'investir des centaines de milliards pour obtenir un climat de prospérité car l'isolement du facteur industriel , de l'écoromie géné rale du pays, faisant de lui un pôle d'attraction , pourrait

provoquer un déséquilibre économique, social , psycholo gique et, partant, politique nuisible au pays . Ainsi , dans le domaine économique, grâce à notre programme de planification , comme dans le domaine social , les disposi

28

tions nécessaires vont être prises pour la bonne réussite de l'industrialisation et l'insertion de celle-ci dans la vie

réelle du pays, permettant une redistribution entre les

différents secteurs économiques et sociaux de tout l'apport des capitaux . Au cours de ce Congrès, un exposé particulier et complet

sera fait, avec plan à l'appui , pour permettre à chaque congressiste de mieux apprécier l'ampleur des réalisations industrielles projetées et également de connaître intime ment, en plus des avantages incontestables que le pays tirera de son industrialisation , les inconvénients économi ques et sociaux dont la correction doit être menée dans tous les domaines et en tous cas avec la contribution de chacun . L'UNITE

POLITIQUE

Avant le dernier Congrès de Bamako , un courant d'unité

politique s'est puissamment affirmé dans tous les Terri toires . Ce courant doit être compris et conduit à son terme . Sur le plan africain , sans l'unité politique, le colonialisme sera difficilement abattu , car il s'infiltrera à travers les

divisions des Africains en exploitant les contradictions internes de notre société , compromettant et retardant de plus en plus l'échéance de sa disparition . Il faut donc user de tous les moyens pour unir les partis africains en un seul Front anticolonialiste et pour le progrès africain . Sur le plan de la Guinée , ce courant nous a permis, du

quartier et du village jusqu'au Territoire, en passant par les cantons, les cercles et les régions, à regrouper toutes les bonnes volontés , toutes les énergies saines, enfin les hommes et les femmes dont la prise de conscience et l'action courageuse sont à la base du rayonnement de notre parti .

Les dernières élections ont été l'occasion d'une puissante

affirmation de cette unité politique du pays et l'échec qu'ont connu les différentes tentatives de sabotage orga nisées par nos adversaires attestent également la volonté inébranlable des masses d'aller toujours de l'avant, dans l'unité , pour la réalisation du programme du R. D. A.

29

Nous faisons appel à nos frères B. A. G. et Socialistes . Nous les invitons à tirer les leçons des événements et à prendre résolument la décision de rejoindre les rangs

constitués par le peuple de Guinée. Nous ne luttons contre aucun individu ; hier, comme aujourd'hui, nous n'avons dénoncé et ne dénonçons que les idées et les actes que nous considérons comme contraires à l'intérêt supérieur

de l'Afrique et de la Guinée. C'est pourquoi nous deman dons à nos adversaires de s'élever au-dessus de l'amour

propre, au -dessus des complexes , de la rancoeur, de

l'égoïsme et de la jalousie . Nous ne cesserons de les inviter à additionner leurs capacités aux nôtres pour doter l'Afrique et la Guinée d'un mouvement des masses encore plus décisif que le P. D. G. LES RAPPORTS FRANCO-AFRICAINS

Nous n'avons jamais pratiqué une politique raciste , car le racisme dégrade l'homme . Depuis la constitution de la

Section guinéenne du R. D. A. , des Métropolitains , malgré des difficultés de toutes sortes , ont compris qu'ils n'au raient aucune signification positive en Guinée s'ils n'apportaient leur contribution à l'évolution guinéenne . Ces Métropolitains ont milité dans le rang du P. D. G. , ont soutenu politiquement, moralement et financièrement notre Mouvement jusqu'ici . Au moment où des avocats africains, dont les bourses d'enseignement ont été finan cées par le Territoire , se refusaient de défendre les militants du R. D. A. pour éviter la compromission avec les

pestiférés que nous étions , des avocats métropolitains nous ont apporté leur collaboration honnête et parfois désin téressée .

La preuve que nous avons inspiré confiance aux Métro

politains est que depuis 1951 nos candidats ont recueilli à toutes les consultations électorales la majorité des voix exprimées dans l'ancien premier collège . Nous sommes aujourd'hui heureux de constater que les

Métropolitains qui ont été choisis par le suffrage universel ont mérité la confiance du peuple de Guinée , car, chaque

-

30

.

jour, ils apportent le meilleur d'eux-mêmes pour activer

notre émancipation, qu'ils considèrent comme un objectif majeur et commun aux bonnes volontés d'Afrique et de France . STRUCTURE ET ORGANISATION

Les Anciens Combattants ont toujours apporté une excellente contribution au développement du R. D. A. dans les campagnes . L'action des Anciens Combattants contre

la chefferie et contre les abus dont les paysans étaient victimes a facilité notre travail d'organisation et notre lutte dans les cantons .

Les femmes de Guinée ont contribué, sinon plus, mais

au moins à égalité avec les hommes , au développement de notre Section , surtout à partir de 1954. Leur organisa tion , leur courage, leur passion , leurs manifestations

démontraient chaque jour qu'elles plaçaient toute leur espérance dans le programme du Mouvement et qu'elles n'avaient, par contre , rien à perdre , que leur état d'infé riorité sociale et les misères dont elles sont les victimes . Pensons à celles d'entre elles qui sont mortes à Kindia ,

à Macenta , à Conakry et surtout à notre chère Camara M'Balya , qui symbolise la résistance guinéenne à l'oppres sion colonialiste .

Nous nous félicitons du rôle de plus en plus efficace que jouent les femmes dans la vie politique du pays et dans les Assemblées municipales . La jeunesse du R. D. A. est organisée au niveau de

chaque Comité de quartier et de village . Son dynamisme et son enthousiasme n'ont cessé de se développer et d'appor ter chaque jour à notre Mouvement un peu plus de sève nouvelle . Dans la plupart des Comités, jusque dans la direction des sous-sections, la jeunesse tient une place importante

Ce Congrès aura à se prononcer sur l'organisation de la Jeunesse , pour permettre à cette couche de militants d'oeuvrer dans un cadre de plus en plus efficace dans le domaine politique et sans se couper du reste de l'organi sation du R. D. A.

31

La structure du R. D. A. est verticale et son étendue

géographiquement définie : le quartier, le village, la circonscription administrative, le Territoire et l'Afrique

Noire . Mais, au départ, ont été créés, parallèlement à la structure verticale, des Comités horizontaux groupant dans les grandes villes l'ensemble des ressortissants d'une

même région . Ainsi , à Conakry ou à Kankan , par exemple, les Malinkés, Foulahs , Forestiers, Sénégalais et Soudanais

avaient leurs organisations particulières au sein desquelles les mots d'ordre du R. D. A. étaient vulgarisés . Le Parti R. D. A. ayant obtenu une force prépondérante dans le pays et voulant enrayer définitivement les frontières raciales et ethniques, les Comités dits raciaux ont été sup

primés, leurs militants et dirigeants devant désormais, dans le quartier ou le village qu'ils habitent, se retrouver dans

le Comité de ce quartier ou de ce village avec tous les militants et toutes les militantes, sans distinction de race et d'origine . En raison de leur âge et du caractère particulier de la vie militante que peuvent mener les Notables , il a été constitué dans chaque grande ville un Conseil de Notables

dont la mobilisation se fait chaque fois qu'il s'avère nécessaire d'informer cette catégorie de la population sur les problèmes les plus importants et sur lesquels ses sug gestions pourraient servir le Mouvement ,

On peut se féliciter qu'en Guinée l'organisation syndi cale se soit confondue au R. D. A. , dont les militants et les

dirigeants se sont révélés les meilleurs syndicalistes . Sans aborder le fond de ce problème qu'un rapporteur aura à

traiter particulièrement , il est cependant utile d'analyser certaines nouvelles tendances qui pourront fausser l'orien

tation du Mouvement syndical guinéen si le Parti affectait une certaine indifférence à l'égard des manifestations de celui-ci .

Des syndicalistes tentent de faire croire que le Mouve

ment syndical constitue une entité indépendante du politique dans son orientation et dans son action , ce qui

est faux. Le Mouvement syndical est une fraction de la

- 32

Guinée et il trahirait sa mission historique si son action et l'orientation de celle-ci ne sont pas déterminées en fonction de l'évolution de la Guinée .

Des syndicalistes essayent de convaincre les travailleurs

que l'Assemblée Territoriale, les Municipalités et les Conseils de Gouvernement doivent être combattus , sans quoi ces travailleurs ne bénéficieraient d'aucune satisfac

tion . Cela est possible si le contenu de l'Assemblée , du Conseil de Gouvernement et des Municipalités se trouvait être des valets du colonialisme .

Or, en Guinée , ces institutions ont été constituées sur

la base du suffrage universel et ce sont les démocrates qui les dirigent . Avoir une attitude d'opposition à celles-ci ne

peut entraîner qu'une division des forces progressistes, fatale à la vie syndicale et nuisible à l'intérêt général . Aussi

faut-il dire que tous les adversaires du P. D. G. qui , au temps de l'Administration colonialiste , luttaient contre

l'unité syndicale et cherchaient à temporiser toutes les actions progressistes, veulent aujourd'hui , sous le couvert du syndicalisme , mener une action de diversion , d'oppo sition et une campagne de dénigrement et de division , rien que pour atteindre le P. D. G. et servir donc la cause de la réaction .

Le syndicalisme pour le syndicalisme n'existe pas, tout comme la jeunesse pour la jeunesse, l'art pour l'art. Le syndicalisme, comme instrument d'évolution de l'Afrique, est celui que nous devons encourager, épauler et aider à se développer . Le syndicalisme pour la diversion et la division des Africains doit être combattu ouvertement par nous, en

gardant la conviction que, ce faisant, nous restons fidèles

à notre programme et aussi dans la ligne du progrès général . Ce Congrès doit mettre une fois pour toutes fin à l'hési tation et à la confusion dans le domaine des rapports du

P. D. G. avec les syndicats et nos sous-sections se devront de dénoncer, de combattre ouvertement toutes les activités

syndicales susceptibles de compromettre l'aboutissement de notre programme d'évolution .

33

Depuis les élections municipales, les hommes du P. D. G.

sont entrés dans une nouvelle phase, la plus difficile, la plus délicate, celle de l'Administration des Deniers Publics et de l'Administration de la population .

Pour faciliter l'apprentissage de la gestion municipale , nous avons sur le plan du Conseil de Gouvernement et

dans la plupart des communes de troisième degré, désigné des Maires à la place des Administrateurs-Maires , qui pren

nent la totalité des responsabilités à la tête de leurs communes . Dans l'ensemble des quatorze communes du Territoire, en plus de l'ordre public qui a été impeccable

ment tenu grâce à la confiance totale que les populations portent à leurs responsables municipaux , des réalisations à caractère social , administratif et économique ont couronné positivement l'expérience de la vie commune en Guinée . A Conakry , par exemple , trois Maternités, quatre Ecoles , deux Marchés, des logements et l'amélioration de la Voierie

ont été favorablement appréciés par les populations . La salle de ce Congrès est une de ces réalisations inscrites au bilan de la commune de Conakry, dont l'équilibre budgé taire est désormais assuré grâce à la saine gestion qui a

été instaurée depuis l'élection des conseillers et Maire R. D. A.

Par les derniers textes délibérés par l'Assemblée Terri toriale, le statut des communes rurales a été précisé et bientôt les grandes collectivités de base vont, grâce à cer taines autonomies administratives et financières , faire leur

apprentissage du système d'autogestion et contribuer , nous en sommes certains , à l'amélioration de leurs conditions d'existence .

Cinquante-six sur soixante des Conseillers territoriaux de la Guinée ont été élus sur les listes du P. D. G .; deux Conseillers, en accord avec leurs électeurs et nos SOUS secticris , viennent de rejoindre le groupe R. D. A. de

l'Assemblée, qui comprend désormais cinquante- huit élus contre deux Socialistes .

Les Conseillers territoriaux , après chaque session , sont envoyés dans les différentes circonscriptions du Territoire pour y faire le compte rendu , non de leur mandat person nel , mais de l'action du P. D. G. dans tous les domaines . I

34

.

En effet, les responsabilités de notre Mouvement, sur le plan législatif et exécutif comme sur le plan organique, sont une et indivisible, et les membres de l'Assemblée Territoriale, tout comme les Ministres ou les Maires, ont le même droit et le même devoir ; aussi bien dans le Parti

que dans le cadre des différentes institutions où ne doit prévaloir que le seul intérêt des masses . BILAN

ET

CONCLUSIONS

Le chemin parcouru est riche d'enseignements et justifie pleinement les dévouements que nous avons accordés à la cause du peuple . Ce chemin est jalonné de difficultés de toutes sortes mais aussi , grâce à notre ténacité et à notre courage, couronné de succès importants . En effet , la Guinée est aujourd'hui unie , solidement unie dans le P. D. G. et autour d'un programme et poursuit la

réalisation méthodique de l'idéal d'émancipation des popu lations de toute l'Afrique . Oui ! Le bastion de la féodalité indigène est tombé . La

chefferie est supprimée à compter du 1er janvier 1958 et, avec elle , ont disparu' tous les abus dont elle se rendait coupable vis-à -vis des populations rurales .

— Les S. I. P. sont également transformées en coopéra tives dirigées désormais pour et par les paysans . Une cinquantaine de postes administratifs fonction neront d'ici la fin de l'année 1958 , mettant l'Administration à la portée des administrés . L'extension à tous des cartes de famille et l'état civil

permettront l'identification des citoyens et des citoyennes du Territoire .

Tous les prisonniers politiques ont été libérés et certains amnistiés.

La justice coutumière, la discrimination dans les écoles et dans les prisons sont supprimées définitivement. Une Ecole Normale est créée .

-35

-

Un Lycée de plus de 800 étudiants, sept Cours Com plémentaires, une Ecole de Formation Féminine, un Centre de Motoristes et une Ecole d'Administration Générale ont

vu le jour.

200 nouvelles bourses métropolitaines sont accor dées à la jeunesse qui dispose, sur le plan local , de 120 nouvelles classes . - Un Service de l'Information , un Service de la Jeu

nesse et du Sport, un Service pénitentiaire et un Service du Logement ont été créés .

- La Garde Territoriale a été réorganisée . La pension des gardes est triplée . Un Fonds de la banane, un Fonds mutualiste ont été -

créés .

Aussi ont été fixés les statuts de la Fonction publi que, les statuts des Conseils de circonscription dont l'élection se fera au suffrage universel , des Conseils de

village également élus, des communes rurales, des S. M. P. R. et des coopératives . La civilisation du Service de Santé , ainsi que la

gestion des hôpitaux par un Conseil d'administration sont assurés .

Le S. M. I. G. 1, en sept mois de gouvernement, passe de 21 francs de l'heure à 31 francs .

Le montant global de l'impôt personnel , qui variait selon les régions de 825 à 1.080 francs C. F. A. , est ramené au taux uniforme de 700 francs ( dont 200 francs revenant

à la circonscription pour le financement de son programme local ) .

L'exemption des chômeurs du minimum fiscal .

La possibilité donnée aux Africains pour l'exploita tion du diamant .

La liberté de vente et de circulation du riz dans le pays .

Dans le domaine d'organisation de notre parti , nous

devons nous féliciter de ce que n'existe plus dans le Territoire un seul quartier, un seul village sans comité R. D. A. et sans vie politique collective .

i 36

Le courage, l'enthousiasme, l'action positive des masses laborieuses de Guinée constituent le gage certain de l'utilité du P. D. G. et de sa force devenue imbattable .

Certes, cette force repose également sur la solidarité politique et matérielle des autres sections territoriales du

R. D. A. qui ont largement facilité nos premiers pas . C'est en nous souvenant du passé du P. D. G. et en

restant conscients du caractère historique de sa mission

que nous mesurerons à leur juste valeur nos responsabilités vis-à-vis de l'Afrique toute entière .

Ce passé est une importante étape, d'autres étapes plus décisives nous attendent sur le chemin de notre émanci pation .

C'est parce que la roue de l'Histoire ne s'arrête jamais, c'est parce que le bonheur est une route sans fin que, quelles que soient nos qualités et nos chances historiques , nous ne parcourrors qu'une partie de cette route. Cepen. dant, nous agirons vis-à-vis de nos devoirs comme si nous devions mourir une heure plus tard pour les accomplir pleinement, gardant ainsi la certitude de pouvoir léguer

aux générations montantes un patrimoine enrichi

au

maximum , un patrimoine digne de nos sacrifices et de notre fidélité au pays . Un patrimoine dont l'Afrique sera

fière et qui sera son apport au grand capital de progrès, de liberté et de paix mis au service de l'Humanité . VIVE LE R. D. A. !

VIVE L'ASSOCIATION FRANCO-AFRICAINE !

CONGRÈS

LE IV

DU PARTI DÉMOCRATIQUE DE GUINÉE TENU DU

5

A AU

CONAKRY 8

JUIN

1958

RAPPORT

MORAL

ET POLITIQUE

PRÉSENTÉ PAR

LE CAMARADE SEKOU TOURE , SECRETAIRE GENERAL

Chers Camarades,

A la suite des délibérations du Bureau Politique du Parti Démocratique de Guinée, en date des 10 et 18 avril dernier, la tenue du présent Congrès a été décidée pour des raisons

d'efficacité qui ont été amplement traitées dans d'impor tants documents diffusés à toutes les SOUS-sections du Territoire .

Nous avons maintes fois précisé que la révolution

politique ne doit jamais être considérée comme une fin en soi . Elle est, pour le Parti Démocratique de Guinée , un

moyen de réalisation concrète de l'idéal d'émancipation partagé par l'immense majorité du peuple de Guinée , et cela dans tous les domaines conditionnant la liberté, la

démocratie et la justice sociale, autrement dit elle doit permettre d'améliorer la situation matérielle et morale de l'homme .

Depuis l'entrée en vigueur des nouvelles institutions, la préoccupation principale de notre parti , de ses repré sentants à tous les échelons , a consisté dans la recherche

de tous les facteurs d'une évolution rapide et harmonieuse , en vue de promouvoir et de développer une action créa trice dans tous les secteurs économiques de tous les milieux sociaux .

Comme vous le savez, nos grands principes déjà

popularisés affirment : Par le Peuple et pour le peuple ; L'égalité de l'Homme et de la Femme ; La décolonisation immédiate et intégrale ;

L'Unité du Peuple de Guinée et l'Unité Africaine ;

40

Démocratisation de tous les Organismes publics ; Reconversion et adaptation des moyens et des méthodes, en prenant comme centre d'intérêt le respect

et le développement de la Personnalité africaine ; Enfin , volonté de lutte pour le progrès général au service de la Guinée Nouvelle et de l'Afrique Nouvelle dans un Ensemble Franco-Africain rénové .

Tous ces mots d'ordre ont pour signification profonde la prise de conscience d'une élite de plus en plus nom breuse et fermement décidée à marquer par son action

intelligente, sa clairvoyance et son esprit de sacrifice inconditionné , l'évolution de l'Afrique dont elle veut accélérer l'histoire et rendre l'avenir beau et prospère . S'étant développé dans les conditions les plus difficiles , ayant trouvé sur son chemin toutes sortes d'obstacles de la part des tenants du régime , le Parti Démocratique de Guinée est parvenu au stade où nul autre parti que lui ne saurait désormais influencer, organiser et diriger les popu

lations de ce pays . La claire conscience qu'il a de ses

responsabilités historiques lui a permis de mener à la fois la lutte contre l'arbitraire , l'exploitation , l'oppression , en un mot contre le régime de domination coloniale et la

lutte positive pour la libération politique , le développe ment des facultés intellectuelles et morales des populations guinéennes . En disant NON au bas salaire et au travail forcé, à la discrimination raciale et au régime économique de traite,

NON à la corruption et au truquage électoral , à l'oppression culturelle et administrative , il mesurait en même temps

son devoir d'organisation de nouvelles structures écono que , sociale , politique et culturelle , grâce auxquelles l'arbitraire et l'injustice laisseraient la place à la liberté et

à la justice, le système d'autogestion se substituant à l'administration directe de la France . Nous avons tous compris que la Loi-Cadre était à la fois progrès et danger, selon qu'elle consistait à placer, à la

tête du pays, des instruments dociles, prêts à cautionner l'ancienne politique et à s'identifier au régime colonial , ou , selon que les bénéficiaires du suffrage universel allaient

-

- 41

avec vigueur accentuer la lutte pour la libération des popu lations et ainsi, faire des nouvelles institutions, des

moyens efficaces d'une évolution pacifique, pour ne pas dire d'une véritable révolution .

Dans le domaine politique, le Parti Démocratique de Guinée a remporté un succès total dans les élections muni cipales et cantonales . Les mesures de décentralisation . administrative qui ont donné naissance à l'élection au suf

frage universel de 4.123 Conseils de Village, comprenant plus de 40.000 Conseillers et de 25 Conseils de Circons

cription comprenant 526 Conseillers , vont donner à la Guinée une situation privilégiée parce que en avance sur celle de tous les autres Territoires Loi-Cadre .

bénéficiaires

de

la

Notons que de nombreuses femmes sont élues à

l'échelon village, commune et circonscription comme conseillères et certaines d'entre elles comme chefs de

village . Aussi , dans une région de tradition comme le Fouta , l'élection des femmes , des griots et d'anciens esclaves est le signe d'une véritable prise de conscience politique,

d'une révolution politique et d'une révolution des esprits . C'est ainsi que notre Territoire est devenu le champ

d'expériences multiples où des transformations profondes d'ordre économique, social et politique ont été réalisées dans un minimum de temps et avec le maximum de réus site et pour le pays, et pour notre parti . Les mesures hardies qui ont été édictées par les Respon sables du Pays et qui ont renforcé la confiance et

l'enthousiasme des populations, sont la preuve que la révolution politique est indispensable et reste l'instrument essentiel à toute autre révolution .

Issus directement des masses populaires, les élus du Parti Démocratique de Guinée ont préféré , au transfert

illusoire des pouvoirs entre les mains d'un Conseil qui confisquerait la révolution à son seul profit, une orientation

42

-

directement subordonnée aux impératifs politiques, écono miques et sociaux des masses laborieuses

et rien que

des masses laborieuses .

Les populations, dont la maturité politique ne fait plus l'ombre d'un doute, ont parfaitement réalisé l'ampleur de la tâche entreprise, grâce à sa portée décisive et combien favorable à l'amélioration de leurs conditions d'existence .

De la réaction contre les anciennes données de sa situation , le peuple Guinéen a franchi le cap , en se considérant

désormais davantage responsable de la mise sur pied des nouveaux jalons de son évolution et de la propre organi sation économique et sociale . *

Mieux que tout autre Territoire, la Guinée perçoit déjà les insuffisances contenues dans la Loi-Cadre, dont toutes

les possibilités ont été exploitées et épuisées . C'est pour quoi elle se trouve placée à l'avant-garde de la lutte pour le renforcement de l'Unité Africaine, de la solidarité inter territoriale dont l'institution de l'Exécutif fédéral demeure

à ses yeux l'un des moyens les plus efficaces et une garantie de sécurité collective .

Sur le plan économique comme social , sur le plan humain comme culturel, sur le plan financier comme poli tique, toutes les données exigent et exigeront de plus en

plus la constitution d'un Grand Etat Africain qui constituera avec la France et les autres Etats une Grande Communauté

de Peuples libres et égaux .

Agir en contre -courant de ces perspectives évolutives de l'Afrique , c'est vouloir s'opposer à l'Histoire . En effet, aucun Territoire ne représente à lui seul suffisamment de

puissance , suffisamment de garanties pour résoudre ses propres problèmes et encore moins faciliter son industria.

lisation , grâce à des capitaux extérieurs et dans des conditions compatibles avec sa souveraineté et avec sa dignité politique .

C'est bien grâce à la solidarité et au système de com pensation économique que certains Territoires Africains arrivent à placer, sur le marché international , leur produc

43

tion de café, de cacao , d'arachides, dont les prix sont

rendus compétitifs par le fait que , sur chaque marchandise d'importation , le contribuable de chacun des autres Terri

toires paie 30 à 40 % plus cher les marchandises dont il a besoin .

La France ne peut reconnaître le droit pour un Territoire de sortir du Bloc Africain , sans lui reconnaître en même

temps son état d'indépendance totale et sans que par voie de conséquence, les autres , avec la même liberté, n'aient pas le droit de s'orienter comme ils le désireraient .

D'aucuns, bien volontairement, faussent les notions du problème de l'Unité Africaine en les transposant sous l'angle étroit de Partis politiques ou de personnes . Ce que le P. D. G. se propose de populariser comme solution aux

divergences d'orientation politique apparues dans les dif férentes prises de position , c'est l'organisation , au niveau des Territoires Africains , d'un référendum qui permettra au peuple , moteur de l'Histoire, de se déterminer libre ment pour ou contre l'Exécutif fédéral . Nous sommes plus

que persuadés que l'immense majorité des populations intéressées se prononcerait résolument pour cet organe au

double rôle politique et administratif . En conclusion , on peut se prononcer en faveur d'une large Décentralisation et d'une profonde Déconcentration

permettant aux Territoires, dans un cadre de large autono mie financière et de liberté d'action , de gérer directement

leurs affaires propres , mais on ne doit pas nier la réalité africaine la plus dominante qui est « l'unité dans la diversité ».

Il est clair que si on transformait chaque Circonscription administrative d'un Territoire en entité définitive, on porterait atteinte à l'unité de ce Territoire et on ferait de son Assemblée un Comité de Coordination ou un Conseil

d'Administration de biens particuliers dont le rôle serait amoindri et souvent compromis par des contradictions d'intérêts entre ces Circonscriptions .

Sur le plan général , l'opinion métropolitaine semble acquise à la nécessité d'octroyer l'autonomie interne aux Territoires Africains , mais sa conception demeure encore

44

celle de libéralités octroyées à ces Territoires , ou de gestes de bienveillance et de sollicitude . A notre avis, cette

conception est en retard sur la maturité politique des Africains et n'a aucun rapport avec les exigences de leurs aspirations et de leur dignité . Les derniers résultats des élections législatives du Togo, comme un coup de tonnerre, ont déconcerté certains esprits bien pensant de la Métro pole . Le statut actuel du Togo, s'inscrivant dans les perspectives institutionnelles des autres Territoires Afri

cains, la grande victoire du nationalisme africain au Togo laissait dire à ces esprits non éclairés sur les phénomènes politiques africains, que l'avenir des relations franco

africaines devient de plus en plus incertain ; que l'autonomie interne accordée aux autres Territoires signi fiera la sortie de ces Territoires de l'Union Française . Ceux

qui tiennent ce raisonnement et avancent ces propos n'ont pas compris que les revendications des partis politiques africains portent moins sur le degré de libéralités que sur la nature de leurs rapports avec la Métropole .

En effet, pour nous , il s'agit de liberté, d'indépendance, d'action reconnue à nos peuples pour que tout contact avec la France soit compatible avec notre dignité et avec nos intérêts présents et à venir, et non de dosage de ces libertés fondamentales qui ne nous sont pas données , mais

qui doivent nous être reconnues collectivement comme un droit tout naturel .

Nous ne renonçons pas à notre Indépendance, nous ne renonçons pas à notre Liberté . Nous voulons, grâce à notre indépendance, abandonner l'exercice de certains attributs de cette indépendance à un ensemble plus vaste pour que notre état d'interdépendance librement consentie confère

à nos actes une valeur et une portée conformes à nos intérêts .

Nous avons déjà affirmé que la France reste la Nation avec laquelle nous entendons lier notre destin , à condition qu'elle réalise qu'une telle option politique n'est le fruit

ni de la peur, ni de l'opportunisme, mais l'exacte expres sion d'une volonté délibérée et éclairée .

45

Les prochaines révisions constitutionnelles doivent donc être dominées par cet esprit dynamique : Reconnaissance de l'Autonomie interne ; Constitution d'un Exécutif fédéral Transformation du Grand Conseil en Assemblée

Législative , avec pleins pouvoirs dans les domaines retenus à ce niveau commun à un ensemble de Territoires groupés . Les pouvoirs de cet Exécutif fédéral seront ceux actuelle ment dévolus au Haut-Commissariat et au Ministère de la

France d'Outre-Mer, ce dernier organisme devant être purement et simplement supprimé ;

Création d'une communauté Franco-Africaine qui groupera la France métropolitaine ( à l'Assemblée Nationale de laquelle nous ne siégerons plus ) et les Etats d'Afrique Occidentale Française, d'Afrique Equatoriale Française et de Madagascar . Cette Communauté sera dotée d'un Parle ment

Fédéral

et

d'un

Gouvernement

Fédéral .

Nous

entendons par ce Parlement la transformation de l'actuelle

Assemblée de l'Union Française qui aura pour mission de se prononcer sur toutes les matières dévolues aux instances

exécutives et législatives de la Communauté fédérative .

La reconnaissance du droit à l'indépendance au peuple algérien facilitera , nous en sommes certains, l'adhésion des Etats associés du Maghreb et des Etats du Cameroun et du

Togo à cette grande Communauté qui aura un statut inter national et qui sera un élément d'équilibre et de paix dans le Monde .

RESOUDRE LES CONTRADICTIONS POUR ASSURER LA VIE DU P. D. G.

Après avoir mis en lumière les phases successives de transformation pacifique des réalités guinéennes et précisé l'orientation progressiste et dynamique de notre action politique , vous nous demanderez sans doute si tout en Guinée devient aussi parfait que le désire le peuple ?

Nous répondrons non . Le propre d'un Parti , comme celui d'un homme qui agit, est d'activer la lutte des contraires

46

que renferme toute chose , sans quoi les contradictions internes de ces choses ne sauraient donner lieu à

leur

mouvement et à leur développement progressif . C'est parce que le truquage électoral existait que s'est

développé l'amour de la démocratie vraie , c'est parce que la chefferie oppressait que les nouvelles structures admi nistrative se sont imposées, c'est parce que le P. D. G. se

développe prodigieusement que les partis réactionnaires sont de plus en plus éliminés .

Mais c'est aussi parce que la femme n'est pas entière ment libérée de son état d'infériorité sociale , qu'elle est mariée parfois contre. son gré et parfois à moins de dix-sept ans, que nous devons , à partir de ce Congrès, proclamer avec force l'égalité de l'Homme et de la Femme devant le Pays , que nous devons , par des mesures législatives, fixer

l'âge minimum du mariage à dix-sept ans pour les filles et leur garantir le principe du libre choix individuel . La contradiction entre les masses rurales et le régime féodal étant supprimée , cette contradiction s'inscrit aujour

d'hui dans les rapports du P. D. G. avec les anciens féodaux et leurs supporters .

Pour les élections , toutes les élections, nous avons adopté des méthodes saines et démocratiques . Tout par le Peuple. Aucun n'a le droit de se présenter à une quelconque élection sans avoir été désigné démocratiquement en

congrès du village , de la circonscription ou du Territoire . Ainsi , les anciennes hiérarchies de valeurs politiques sont détruites . Ni le diplôme, ni la fortune, ni la race ne

peut faire de quelqu'un un Conseiller, un Député ou un Ministre .

Seule l'appréciation favorable par les masses populaires des qualités d'un militant considéré toujours comme un

instrument de progrès général peut l'amener à jouer un rôle de dirigeant ou de gérant des affaires publiques dans le pays .

Ce procédé, qui fait du mandat politique un outil de travail que le peuple mettra entre les mains de ceux qui ont donné la preuve de leur loyalisme, de leur dévouement

47

.

et de leur attachement à sa cause, est mal vu par ceux-là qui se croient des esprits supérieurs et qui , dans leur complexe de suffisance, méprisent souverainement et les masses et leur porte-parole .

Entre la démocratie populaire et la démocratie bour geoise, il y a une différence de nature, de qualité. Entre la liberté d'action positive et celle de détruire ce que fait le peuple travailleur, nous ne respectons et ne favorisons que la première .

Mais, au fur et à mesure que nous liquidons des contra dictions dans les différentes structures au profit du peuple , au fur et à mesure de nouvelles contradictions se substi

tuent aux premières et dont les méthodes de liquidation

seront obligatoirement différentes des premières . C'est pour cela que nous conseillons à nos militants l'analyse concrète de tous les problèmes qui préoccupent les masses et de les résoudre par les moyens originaux appropriés aux données politiques , économiques et

sociales , enfin au caractère spécifique de la situation . Dans nos circulaires , discours et articles , nous ne cessons de vous inviter à cette action d'adaptation des multiples formes de l'action des masses aux particularités et aux .

réalités du moment et du lieu , au contexte politique , matériel et moral qui la conditionne forcément . C'est en comprenant la justesse de nos méthodes d'ac tion que chacun se considérera non comme un savant à la tête pleine , mais comme un ouvrier qui sait que la pratique

est supérieure à la théorie, comme un humble militant qui , chaque jour, cherche à apprendre quelque chose d'utile pour pouvoir améliorer son travail et en accroître l'effica cité dans l'action générale du peuple qui seul peut modifier , transformer fondamentalement la situation guinéenne .

Les dogmatiques, les prétendus « esprits supérieurs » se refusent de travailler avec les masses , méprisent et sous

estiment les capacités de compréhension ou de réalisation des masses ouvrières et paysannes .

48

Ils se complaisent dans les critiques systématiques de tout ce qui se fait autour d'eux et affectent un état d'indif

férence et parfois de répugnance à l'égard de ce que les autres réalisent .

Ces gens commettent l'erreur de croire que leurs critiques

suffiraient pour arrêter la vie, le processus de développe ment des phénomènes et empêcher l'action du peuple à avoir ses suites logiques sur l'histoire du pays, donc sur leur propre situation . Parce que nous avons mis fin à la vie de certaines insti tutions dépassées par l'état d'évolution des masses : chefferie, S. I. P. , etc ...., nos adversaires agissent à notre

endroit, à l'égard des nouvelles institutions, tout comme si rien n'était changé dans le pays .

La qualité des choses leur importe peu puisque, pour eux , il s'agit moins de considérer leur portée sur les masses que de les condamner parce que non voulues par eux et pour eux exclusivement .

Camarades, continuons notre route , améliorons nos méthodes de travail , accroissons nos moyens de lutte , déve

loppons nos connaissances par l'étude individuelle et col lective, restons surtout en contact permanent avec les masses pour nous instruire de leurs aspirations, de leurs

joies et de leurs peines, de leur bon sens et de leur.culture . Pour le P. D. G. , il s'agit de porter les gros efforts sur la solution rapide des contradictions entre l'intérêt africain et le régime colonial et , en même temps , de résoudre les contradictions internes du pays, pour réaliser son unité,

faciliter son développement économique, social , culturel et assurer à chacun le bien-être et la paix , grâce à une répar tition équitable des biens produits . Nous nous refusons de nous battre sur le terrain de

l'adversaire . Nous ne le suivrons pas dans ses provoca tions , dans son travail de démolition de nos valeurs

positives . L'action illégale , antifiscale, de haine raciale, les men songes et la diversion auxquels l'adversaire , instrument du colonialisme , se livre, viendront se briser au mur infran

49

chissable de notre unité et de notre détermination à

poursuivre notre politique, celle d'un peuple confiant et fier dans la construction de son pays .

Les derniers incidents, les derniers complots se sont soldés, grâce à l'état de vigilance de notre mouvement, par la honte des racistes et des factieux comme par

l'échec complet de leurs maîtres qui les ont encouragés . La Guinée se construit . Désormais elle est debout, agit et s'impose aux forces de division et aux profiteurs de pri vilèges immérités .

Ici , permettez-moi de saluer solennellement tous ceux et

toutes celles qui , abandonnant définitivement la voie du sabotage , de la division et du crime, viennent d'adhérer à notre oeuvre exaltante de construction d'une Guinée nou velle , et aussi les dirigeants et les militants de la C. G. T. ( F. O. ) qui viennent de réaliser, en adhérant à la grande U. G. T. A. N. , l'unité de la classe ouvrière du pays . DES PRINCIPES A LA PRATIQUE

QUI EST LE CRITÈRE DE LA VÉRITÉ

Le rôle du Bureau Politique se résume dans les trois mots : Prévoir , Organiser, Contrôler .

L'évolution générale que notre parti a pour mission de favoriser

s'entend

dans

tous

les

domaines

touchant

l'homme de ce pays .

Nous avons déjà mis l'accent sur les objectifs majeurs que nous assignons à notre action politique . Nous considé

rons à juste titre que la signification politique et la valeur historique des nouvelles structures en train de se substituer à l'ancien système résident dans leur caractère essentielle ment démocratique et en harmonie avec les réalités et les

aspirations de notre pays . Nous avons également affirmé que nous sommes p :º:

à faire notre propre échec, mais jamais celui du peuple, enfin que lorsqu'il apparaît une contradiction sérieuse

entre un organisme et le peuple pour lequel il a été conçu , c'est cet organisme qui doit être détruit ou modifié et

repensé en fonction des impératifs d'évolution du peuple .

50

Les nouvelles structures économiques et administratives

( coopératives, conseils de village, conseils de circonscrip tion , etc ... ) rétablissant la souveraineté du peuple et créant les conditions d'une gestion commune des biens

publics, respectant la dignité de chacun , ne doivent pas être détournées de leur fonction évolutive et de leur but .

Nous regrettons que dans certains cercles le Congrès d'investiture des candidats n'ait pas tenu bien compte des instructions du Parti ..

Les Directions locales de certaines sous-sections n'ont pas permis une large confrontation et une élection démocra tique des candidats , ces directions ayant arrêté, avant le Congrès local , la liste des candidats qui ont été parfois inscrits pour des considérations de race, de canton ou de récompense, toutes choses condamnées par le parti . Dans certains villages, heureusement peu nombreux, des listes étaient annoncées sans que les villageois , en Assemblée générale, aient eu le privilège de désigner libre ment les Conseillers villageois .

Ces entorses au principe sacré de la démocratie sont plus que condamnables.

Les masses ont partout voté plus pour le P. D. G. en général que pour approuver le contenu des listes soumises à leur suffrage .

Aucune imposition de candidature ne sera tolérée dans

le Parti , car il s'agit moins pour le P. D. G. d'avoir des gens portant le titre de conseiller villageois, de conseiller muni

cipal ou de conseiller de circonscription , que de créer des rapports de confiance totale et de collaboration active et constante entre les populations et leurs représentants à tous les échelons .

Que de nouveaux Chefs de Village élus se comportent comme les anciens féodaux ! Nous disons non ! Camarades, les Chefs de Village élus doivent servir la cause de la col lectivité et non profiter de leur mandat. Vous savez combien nous réprouvons certaines attitudes sociales où l'honnêteté et la justice sont absentes .

51

Tout élu du Parti qui dessert les masses, les utilise à ses fins personnelles, sera exclu. du Parti , sans appel . Vos principaux dirigeants ont parcouru ce pays durant plus de dix ans en se refusant partout d'accepter le moin dre don des paysans ( argent, poulet , mouton , boeuf ), tout don de quelque nature que ce soit a été interdit dans les rapports des dirigeants ou élus avec les populations . Qu'on ne vienne pas nous dire qu'il s'agit d'une cou tume du pays pour justifier l'acceptation d'un don !

Avec la chefferie, ancienne formule, ont été supprimées toutes pratiques qui étaient une charge pour les paysans . Le peuple juge nos principes dans leur portée sur ses conditions d'existence, et le parti jugera ses élus par leur comportement politique et social , l'efficacité de leur action

par rapport à l'intérêt des masses populaires . Ainsi , le triple rôle du P. D. G .: prévoir pour créer, organiser pour mieux agir dans l'harmonie et contrôler pour corriger les lacunes, les faiblesses et les erreurs, doit s'exercer à tous les niveaux de sa structure . PROBLÈME DE LA JEUNESSE R. D. A.

Le problème de la jeunesse a fait l'objet d'un débat lors de la réunion du Comité de Coordination du R. D. A. en

mars 1958. D'abord , sur le plan « organisation », il a été reconnu la nécessité de regrouper la jeunesse en tenant

compte des particularités de son action politique, sans lui donner toutefois, comme nous l'avons également décidé au Troisième Congrès du P. D. G. , une autonomie com

plète. L'action des jeunes n'est comprise que sous la forme de l'exécution des décisions prises par l'ensemble du mou vement . Ainsi , la Jeunesse R. D. A. bénéficiera d'une autonomie relative, tout comme l'organisation des femmes et des notables du P. D. G. dont l'activité et les décisions

s'intègrent dans le cadre politique défini par l'ensemble du P. D. G.

C'est sous cet angle que le Mouvement de Jeunesse doit donc être réorganisé au niveau de chaque Territoire . Cette organisation sera parachevée par la tenue à Cotonou , du

52

2 au 9 juillet prochain , d'une conférence importante de la Jeunesse, conférence qui permettra aux jeunes de recevoir des cours de formation politique , d'économie politique , de

syndicalisme, des cours de toute nature ayant pour objet la formation effective de cadres valables dans le milieu

des jeunes, lesquels seront rapidement appelés à diriger avec compétence notre mouvement . La préparation par les SOUS-sections de cette Conférence de Cotonou a-t-elle été

faite conformément aux instructions de votre Bureau poli tique ?

Aussi , pour assurer la gestion démocratique de la Mai son de Jeunesse de Conakry, des Centres culturels et des

Foyers de Jeunes de l'Intérieur, le Bureau Politique vous propose l'élection par scrutin de liste majoritaire des

jeunes de chaque centre urbain sous l'autorité directe des Conseils municipaux et cela avant le 1er juillet 1958 . INVESTISSEMENTS

Nous sommes un groupe d'hommes qui savent que les problèmes politiques dominent en Afrique tous les autres

problèmes : l'économique, le social , le culturel, le syndica lisme, etc ... , etc ... En effet , les timides réformes de la Loi -Cadre n'ont-elles

pas permis à la Guinée de peser d'un certain poids sur les solutions du problème industriel qui est engagé désormais sur une voie favorable aux populations et en harmonie avec les solutions envisagées aux problèmes sociaux et admi nistratifs ?

Le fait économique ne peut être isolé du fait politique qui , par sa prééminence sur tous les autres faits , édicte les lois générales, décide des structures et règle les différents problèmes d'organisation de la société , de la production , de la circulation et de la répartition des biens et richesses du pays .

L'essence du fait colonial explique à elle seule les carac

téristiques de l'Afrique et justifie l'état de sous-développe ment de la Guinée, de sous-alimentation de sa population .

.

- 53

Les activités d'un commerce de traite prédominent et assurent aux capitalistes un taux élevé de profit, tant sur

la vente des marchandises d'importation que sur l'ach : des produits locaux . La rentabilité n'étant considérée que dans un minimum de temps et sous l'angle exclusivement financier, est le

moteur des activités du monde des affaires dans les pays d'Afrique. Ainsi , l'industrialisation a été retardée , les capitaux s'in

vestissant en grande partie dans le commerce , les assurances , banques et dans le secteur minier sous la forme de ramassage des matières premières à transformer en Europe ou en Amérique . Notre pays a un gros retard à rattraper avant la réalisa tion complète des projets industriels de Fria , de Souapiti et de Boké .

L'adaptation à ces moyens modernes de son agriculture exigera encore beaucoup d'efforts du Territoire . S'agissant des investissements publics , nous avons réaf

firmé les grands principes arrêtés à Bamako, en y ajoutant

toutefois un principe complémentaire qui est que dans la conjoncture économique actuelle des Territoires sous-déve

loppés et plus particulièrement des Territoires Africains, il n'est pas pensable d'espérer résoudre nos problèmes

économiques et d'atteindre les objectifs d'évolution qui en découlent par le seul recours au capital financier . Dépour vus de monnaie propre, trop insuffisamment développés et sans épargne pour pouvoir prétendre assurer une indé pendance financière, nos Territoires sont assujettis à une dépendance financière continuelle qui règle nos possibi

lités d'expansion économique et limite nos échanges . Il nous faut donc envisager une forme d'investissement qui , se superposant à l'investissement en capitaux , nous

permette de sur-développer économiquement nos Terri toires . Cet investissement complémentaire se comprend sous forme d'investissement « travail » en marge du

système financier classique . C'est l'investissement humain , lequel implique une étude concrète de nos possibilités et de nos moyens, la limitation de ces possibilités et l'utilisa

54

tion de ces moyens au niveau exclusif des besoins des

collectivités établies : Coopératives , Conseil de Village, Conseil de Circonscription , etc ...

Une modification de nos conceptions et une réorganisa tion dans le sens du travail collectif qui , sans capitaux , peut, aussi bien et certainement mieux même , permettre le développement le plus accéléré possible des collectivités . Sous une forme concrète , nous pouvons dire que ce prin

cipe général arrêté par le Comité de Coordination rejoint beaucoup de décisions prises par nos Comités de Village, lesquels en Côte d'Ivoire ont construit , au cours de la dernière année , des centaines de classes et des dizaines de dispensaires , sans un sou du budget territorial ; ce qui

permet aujourd'hui à ce Territoire de ne prévoir que les moyens de fonctionnement de ces écoles et de ces dispen

saires , et d'utiliser, dans un programme de planification plus hardie, des centaines de millions de francs économisés

grâce à l'apport de l'investissement humain . De même qu'à

une échelle plus réduite, nous pouvons nous féliciter en Guinée que de nombreux Comités de Village aient pris l'initiative de relier leurs centres aux routes commerciales

et, aussi , de se doter de places publiques , de marchés et de mosquées . Evidemment, tout cela constituait jusqu'ici une initiative spontanée des populations , mais n'était pas suivi et orga nisé sur le plan plus vaste du Territoire . Les conclusions du rapport économique arrêtées par le Comité de Coordination nous invitent donc à étudier, d'une manière plus concrète, ces formes d'investissement et ainsi

d'accélérer le développement économique et social de notre Territoire . Ce principe nouveau est d'autant plus valable que dans des pays comme la Chine il est un facteur

décisif du développement de l'économie , de même que dans le petit Etat d'Israël ce principe est à l'honneur.

Evidemment, il ne peut être efficacement mené dans un pays que dans la mesure où ce pays est uni politiquement au sein d'un parti à base réellement populaire . C'est donc un des points sur lesquels le Congrès devra prendre une décision .

- 55

Camarades , voulons-nous réussir ou échouer ? Réussir, réussir à tout prix , répond le Pays sans hésitation . Alors , armons-nous de courage . Consacrons tous les ins tants de notre vie à un travail utile .

Parlons deux fois et agissons huit fois . Le Parti Démo cratique de Guinée est constitué d'hommes et de femmes qui ont pleine conscience de la finalité proposée à leur

action générale et qui ont le courage nécessaire à la réali sation de notre programme d'émancipation . La Direction Territoriale du Parti Démocratique de Guinée est convaincue que , de tous les rapports qui seront discutés au cours du présent Congrès, les leçons pratiques seront retenues , des tâches nouvelles se dégageront et seront réa

lisées grâce à l'union de toutes les énergies du pays . Nous voulons vivre dans la dignité, dans la paix et dans l'union .

Nous voulons enrichir notre pays et léguer un patrimoine

digne de nos efforts et de notre haute conscience politique

et morale aux Générations montantes .. Camarades,

Le souvenir vivant , l'exemple de probité et de dévoue

ment de nos vaillants martyrs, nos camarades qui ont pour noms : Konaté Mamadou , Biaka Boda , Kaboré Zinda , M'Balia Camara , Dramé Oumar et tant d'autres , guident

nos pas sur le chemin de l'émancipation africaine . Avec courage et désintéressement, avec amour et con fiance , travaillons , travaillons encore pour que vivent la

Guinée et l'Afrique et que se crée l'Association France Afrique .

DISCOURS PRONONCÉ

PAR

MONSIEUR SÉKOU TOURÉ PRÉSIDENT

DU

CONSEIL

DE

GOUVERNEMENT

A L'OUVERTURE DE LA SESSION EXTRAORDINAIRE

DE L'ASSEMBLÉE TERRITORIALE, LE 28 JUILLET 1958

DISCOURS DE M. SÉKOU . TOURÉ Monsieur le Président,

Messieurs les Conseillers, Vous voudrez bien excuser l'absence du Chef du

Territoire, M. Jean Mauberna , qui est actuellement en mission à Paris , mais qui aujourd'hui est légalement représenté par M. l'Inspecteur des Affaires Administratives Riam dont vous connaissez les qualités administratives et auquel vous ne cessez de rendre hommage tant pour l'esprit de bonne compréhension qui l'a toujours animé

dans ses rapports avec les populations guinéennes, que pour le dévouement consenti par lui à l'évolution du pays . Le Conseil de Gouvernement , comme d'habitude , à chacune de vos sessions , se fait un agréable devoir de

vous informer suffisamment tant sur les tâches accomplies par lui que sur les grands problèmes dont les solutions sollicitent des études ou des décisions de sa part .

Depuis le début de l'année , et conformément aux délibérations de votre Assemblée, des textes réglemen taires ont été pris qui ont modifié profondément certaines structures de l'Administration Territoriale .

Ont été supprimés tour à tour : Les cantons et leur chefferie, les S. I. P. 1, les Tribunaux coutumiers du premier degré , le Foyer des Métis, les

pratiques de discrimination raciale dans les prisons et dans les écoles, le caractère militaire du Service de la Santé Publique , etc ... Ont été créés :

Une Ecole d'Administration Générale qui fonctionne

avec quarante stagiaires auxquels s'ajouteront des fonc tionnaires que les Territoires du Niger et de Haute-Volta

ont décidé d'envoyer à Conakry pour recevoir ici une formation administrative complète ;

60

.

Des S. M. D. R. et des coopératives dans presque toutes les circonscriptions du Territoire ;

Plus d'une trentaine de postes administratifs sur les 106 dont vous avez fixé les lieux d'implantation .

Les 4.123 villages ont été transformés en communes rurales, gérées par plus de 40.000 conseillers villageois directement issus du suffrage universel et parmi lesquels figurent de nombreuses femmes dont certaines assument,

du fait du progrès démocratique, le rôle important de Chef de Village . 25 Conseils de circonscription sont constitués et les

526 membres qui les composent ont été élus par près de 90 % des 800.000 voix exprimées lors du scrutin popu laire du 18 mai dernier .

Aussi dans chacun de ces Conseils , des femmes ont

été élues . Les élus paysans représentent à eux seuls sur les 526. Autre signe de progrès social et de maturité politique certaine . Des cartes de famille sont distribuées gratuitement aux 310 conseillers

chefs de famille en vue d'assurer le recensement exact

des populations et de leur faciliter aussi la délivrance des pièces d'identité et d'état civil .

En plus de la suppression de la quatrième zone du Territoire , le S. M. I. G. est passé de 21 à 31 francs de l'heure, ce qui a relevé l'indice du salaire du manoeuvre de 100 à 148 % , alors que du 1 " juin 1950 au 31 jan vier 1956 ( soit 5 ans et demi ) cet indice n'a connu que 40 % d'augmentation . er

1

Les prestations familiales ont été majorées de plus de 50 % .

Les auxiliaires des Services publics ont obtenu un relèvement de 20 à 40 % portant leur plafond à 40.000 francs avec réduction du nombre des zones de

quatre à deux, la première zone étant Conakry et la deuxième le reste du Territoire .

61

Plus de 400 travailleurs qui étaient des journaliers ont bénéficié

de

leur

reclassement

dans

le

Statut

des

Auxiliaires des Services publics . Les gardes territoriaux ont bénéficié d'une revalorisation de leurs traitements, du doublement des taux de leurs

pensions de retraite et de l'amélioration des dispositions statutaires de leur cadre .

Les infirmiers de la Trypano et ceux de l’A . M. A. ont ?

également obtenu une majoration des taux de leurs indemnités de déplacement .

Les élèves infirmiers , qui ne touchaient qu'une indem nité de 6.000 francs, toucheront désormais une indemnité mensuelle de 10.000 francs à compter du 19 juillet 1958 . Les agents contractuels assimilés aux conventions collectives ont été alignés sur les nouveaux avantages

accordés à leurs homologues du secteur privé , soit une majoration de traitement allant de 10 à 20 % .

Enfin, est mandaté le rappel de la tranche 1957 de la revalorisation des agents des cadres locaux et supérieurs .

Dans le domaine scolaire , en plus du lycée, de 7 cours complémentaires, 150 classes nouvelles ont été créées . L'effectif scolaire au cours de l'année a été augmenté

de 5.000 nouvelles recrues . Quant aux dépenses pour les seules bourses à l'extérieur du Territoire , elles sont de 75 millions contre 33 millions pour l'année 1957 . De gros efforts ont été consentis de même au secteur

de la Santé publique pour la création de nouvelles maternités et de nouveaux dispensaires dans le pays . Les 24 communes du Territoire sont effectivement gérées non par des Administrateurs-Maires mais par des Maires africains .

Dans le domaine du commandement, le même progrès est constaté dans l'africanisation des cadres dirigeants de notre Administration territoriale, dans les fonctions de Chefs de Circonscription; Chefs de Postes, Chefs de Sections , Chefs de Services, Directeurs de Cabinets minis tériels , etc ...

62

.

Les centres culturels ont été transformés en Maisons de

Jeunesse démocratiques et par les jeunes eux-mêmes . Là aussi , permettez-moi de saluer la participation désormais

active et massive de la jeunesse féminine du pays au fonctionnement de ces maisons de jeunes . Dans le domaine plus important de l'économie guinéenne, notons l'améliora tion de l'action de la Coopérative Békima, qui est arrivée à commercialiser avant la mauvaise période d'hivernage plus

de 100 millions de valeur de diamants par mois . L'ordre et la discipline ont succédé à l'anarchie qui caractérisait durant 1957 la zone diamantifère de Kérouané . L'action

défensive contre le vol du bétail dans le Fouta, la lutte contre la cercosporiose et la péripneumonie qui rava geaient, l'une nos plantations de bananes, et l'autre notre cheptel , se développent avec une chance d'arrêter bientôt ces fléaux économiques .

La production agricole est en augmentation certaine grâce à l'enthousiasme créé par les mesures de libération

politique et sociale des masses laborieuses de la campagne . Les négociations avec les Sociétés minières et indus trielles intéressées à l'exploitation et à la transformation

locale des matières premières du pays sont maintenant terminees et les différentes conventions d'établissement

sont conclues , signées et publiées au « Journal Officiel » de l'A . O. F. La deuxième conférence du Comité Directeur

de F.A.R. , qui s'est récemment tenue à Conakry, a déjà délibéré, dans une atmosphère de confiance et de collabo ration , sur le programme d'utilisation de la part de fiscalité revenant à ce fonds .

Le montant de ce programme, en raison d'une réévalua tion des données fiscales, est porté de 162 millions à 2 milliards de francs C. F. A.

Conformément à nos engagements tant vis-à-vis des Sociétés industrielles pour faciliter l'édification des cités

industrielles, que vis-à-vis des populations guinéennes pour assurer avec une partie de la fiscalité provenant du

facteur industriel le développement harmonieux des différents secteurs de production , ces 2 milliards ont été répartis de la façon suivante ( en francs C. F. A. ) :

63

Edilité et urbanisme dans les deux zones industrielles de Fria , Boké et Port-Kakandé 100.000.000

Edilité dans les centres secondaires du Territoire Action rurale

100.000.000

500.000.000

Contribution à la protection des cultu res bananières et caféières

70.000.000

Action sociale et infrastructure admi

nistrative, Centre d'apprentissage ( école primaire ) , Maternité, Dispen saire , Inspection du Travail , Office de la Main -d'oeuvre, Epargne, Crédits pour les travailleurs

330.000.000

Le crédit de 500 millions , entièrement

engagé dans l'action rurale, sera utilisé dans les conditions suivantes :

Pour l'amélioration des moyens de production , achat de charrues, de boeufs de labour, de tracteurs,etc .

200.000.000

Pour l'équipement des coopératives agricoles en camions, machines diverses

Création d'une école de coopérative

110.000.000 50.000.000

Création d'une école complète d'agri culture

Pour les actions agricoles diverses ( viande, miel , cire, essence d'orange , koura , etc. )

50.000.000

50.000.000

Pour le développement de la pêche maritime

20.000.000

Pour la création d'un grand centre d'artisanat ...

20.000.000

Messieurs les Conseillers, par ce trop bref compte rendu du mandat dont VOUS vous avez investi votre Conseil de

Gouvernement en vue de servir l'intérêt du pays et de

64

l'engager sur la voie rapide de son émancipation politique,

économique , sociale et culturelle, il vous est possible de mesurer le chemin parcouru et l'immensité des tâches qu'a à résoudre ce Gouvernement avec de faibles moyens financiers, le minimum fiscal qui atteignait, en 1957, 1.080 francs , ayant été réduit au taux uniforme de 700 francs dont 200 francs ristournés aux circonscriptions

pour leur équipement social et économique . Au cours de la présente session , vous aurez à délibérer sur un projet d'arrêté que nous considérons comme un des facteurs de l'émancipation de la femme africaine . N'est-ce pas que nous voulons évoluer ? Evoluer ! C'est s'adapter au progrès possible et adapter toutes les

structures matérielles et morales à ce même progrès . L'Afrique souffre actuellement dans ses femmes qui

subissent , comme les autres couches sociales, les consé quences d'un état chronique de sous-développement et aussi , avouons- le, de la contrainte de la part des hommes . La survivance de certaines coutumes ancestrales maintient nos soeurs et nos filles dans un état honteux d'infériorité

et d'assujettissement. Au cours du dernier congrès populaire organisé par le

P. D. G. , les représentants authentiques du pays réel et du pays légal ont mandaté le Conseil de Gouvernement à promouvoir sans tarder des réformes dans les conditions

de mariage de la jeune fille . Notre projet de réforme dans ce domaine fixe l'âge minimum du mariage à 17 ans et subordonne la conclusion

du mariage au libre consentement individuel de la jeune fille .

Nul doute que vous adopterez unanimement ce projet

et veillerez à ce que , dans les communes de plein et moyen exercice , comme dans les villages , il soit scrupuleusement respecté . Aussi votre Gouvernement , qui étudie un autre impor tant problème , celui de la dot des filles, se propose de vous saisir à l'occasion d'une autre session de propositions

législatives pour mettre fin dans ce domaine aux nom

65

breux abus que vous réprouvez, j'en suis sûr . Il ne sert à

rien d'attaquer verbalement l'institution de la polygamie et de la considérer comme un fléau social ! La polyga mie, comme organisation ou institution sociale, a eu des

racines historiques, des raisons économiques, sociales et

mêmes morales . Pour nous il s'agira plutôt d'éduquer les jeunes filles et de faciliter le rôle des femmes dans le

domaine économique , leur donner des débouchés dans le secteur du travail privé et public, des possibilités dans

tous les domaines et de les protéger contre l'exploitation , l'oppression et la dépersonnalisation . « Les terres vacantes et sans maîtres » étaient consi

dérées comme propriété de l'Etat Français . Aujourd'hui , depuis le vote de la Loi-Cadre, vous êtes, Messieurs les

Conseillers, les gérants du domaine public territorial . Le mode d'exploitation actuel de la terre est directement lié au caractère de la propriété du sol . En attendant que nous soyons à même de vous saisir

d'un projet de réforme du régime domanial en Guinée ,

nous vous exposons la ligne maîtresse de la politique qui nous semble la meilleure dans ce domaine . La coopérative devant être une organisation fortement décentralisée pour que sa structure fonctionnelle touche le village, première cellule sociale du pays , il nous semble que c'est à ce niveau , celui du village, que la propriété du sol doit être reconnue avec le caractère collectif .

Cette mesure, lorsqu'elle sera acceptée et appliquée, donnera aux mots d'ordre d'investissement humain lancés

et soutenus par vous, une signification plus profonde . Nous sommes heureux de constater que depuis l'instal lation des Conseils de village et des Conseils de circons

cription , les populations guinéennes, prenant de plus en plus conscience de leur devoir fiscal , payent l'impôt des exercices antérieurs et de celui en cours . Elles sont en train

d'édifier des marchés, des routes cantonales , des dispen saires, des écoles et des maisons communales dans de nombreux villages .

66

-

Les paysans ont repris confiance dans leur administration et dans les institutions conçues et fonctionnant pour eux, et maintenant par eux .

Au congrès constitutif de l'U . S. T. G., les travailleurs de tous les secteurs professionnels ont voté , le 25 mai

dernier, une résolution qui déclare :

:

« Après un large tour d'horizon sur l'évolution politique, économique et culturelle du Territoire depuis l'avènement des nouvelles institutions, le Congrès enregistre avec satisfaction :

« La suppression de la chefferie ;

« L'institution démocratique des Conseils de village et de circonscription ; « La création des coopératives de paysans et de

planteurs susceptibles d'apporter une transformation cer taine dans la vie rurale ;

« Les réformes profondes intervenues dans le secteur public en général et dans l'Enseignement en particulier ; « La représentation effective de l'U . G. T. A. N. dans

les différentes Commissions consultatives et mixtes pari taires .

« Le Congrès fait confiance au Conseil de Gouverne. ment pour la poursuite d'une politique de progrès conforme aux aspirations des populations . »

La portée politique de cette résolution syndicale n'échappe à personne . Elle démontre que désormais l'action particulière des syndicats s'est insérée intimement dans

l'action générale du peuple de Guinée pour activer son émancipation totale . Nous avons salué la prise de l'ordonnance signée le 25 juillet par le Chef du Gouvernement central attribuant aux Vice-Présidents des Conseils de Gouvernement, la qualité de Président du Conseil .

Nous avons indiqué , voir dans cette mesure qui marque l'entrée en vigueur de l'autonomie administrative des

67

-

Territoires africains, le signe d'une volonté progressiste tendant à une définition plus précise des compétences de la République Française et de celles de nos Territoires . En effet, comme je le déclarais la semaine dernière, les Territoires d'outre-Mer posent avec de plus en plus de force et d'insistance des revendications politiques et

économiques toutes tendant à l'accélération du processus de leur émancipation .

La Loi-Cadre a été une phase importante de ce processus . Cette loi dont les insuffisances ont apparu au cours de son

application a néanmoins servi dans certains Territoires , comme la Guinée , à corriger les structures administratives ,

économiques et sociales par l'adaptation de l'acquit colonial aux impératifs d'une évolution rapide et d'une reconversion de toutes ses données matérielles et morales vers et pour les masses africaines .

Aujourd'hui , le cadre de cette loi est dépassé parce que les Territoires d'Outre-Mer demandent non plus des franchises ou des libéralités au sein d'un régime colonial

« humanisé » , mais la liberté de leur mouvement qui implique la jouissance par eux de leur droit à disposer d'eux-mêmes , le droit naturel de tout peuple à l'indépen dance et à l'autogestion . Toute forme d'assujettissement, toute manifestation paternaliste à notre égard ou toute forme de charité blesse dangereusement notre dignité collective et répugne à notre conscience africaine .

La décolonisation intégrale, l'accession des Territoires

d'Outre-Mer à l'égalité politique avec leur ancienne Métropole seront le fondement de leur adhésion enthou

siaste à une association avec la République Française . La Fédération France-Territoires d'Outre-Mer sera donc

une communauté intercontinentale de peuples libres et solidaires, malgré la différenciation de couleur, de race et de religion . Le Gouvernement du Général de Gaulle veut unir la

Nation Française , ce qui est une noble ambition au service de la France et des peuples associés à elle .

68

-

Pourquoi ne comprendrait-on pas et ne faciliterait-on pas le rôle des mouvements politiques qui , en Afrique comme à Madagascar, veulent aussi créer la Nation Malgache et la Nation Africaine ?

La solidarité franco-africaine passe par la solidarité interdépartementale française et la solidarité interterrito riale africaine .

En effet, cette solidarité ne peut se concevoir sans l'unité et la totale autonomie interne de la France comme

de l'Afrique Occidentale Française, de l'Afrique Equato riale Française , de Madagascar et certains Départements d'Outre-Mer .

Aujourd'hui , la phase de l'autonomie interne complète est abordée .

La future constitution se doit d'apporter des solutions fondamentales aux insuffisances et aux contradictions du

régime actuel en modifiant la nature des liens juridiques entre la France et les Territoires d'outre-Mer .

Nous avons déjà alerté l'opinion métropolitaine sur le fait que tout projet de constitution qui ne mettra pas fin

délibérément à la vieille et impossible politique d'assimi lation et d'intégration , ne reconnaîtra pas aux peuples des Territoires et de certains Départements d'Outre-Mer le

droit à l'indépendance et qui n'affirmera pas le principe de l'égalité des peuples fera , de notre part , l'objet d'un rejet unanime et ferme .

Les Territoires d'Outre-Mer en général et les peuples africains en particulier, ayant condamné le colonialisme et pour la France et les institutions républicaines , entendent désormais se déterminer librement, s'administrer directe

ment et gérer leurs propres affaires . Ils ne désirent plus siéger au sein du Parlement français, ayant leur propre Parlement . En plaçant beaucoup d'espoirs dans les futures décisions du Gouvernement du Général de Gaulle et du Comité Consultatif Constitutionnel ,

nous leur rappelons le proverbe qui dit « Donner vite, c'est donner deux fois » , et leur demandons instamment

69

de ne pas confondre l'exercice de notre droit à l'autodéter

mination avec une quelconque volonté de nous séparer de la France .

Bien au contraire, les peuples africains, leurs organisa tions politiques et syndicales, tous conscients du rôle que peut jouer la France dans le domaine économique et culturel , ont opté sincèrement et unanimement pour la constitution rapide avec la République Française d'une grande Fédération d'Etats autonomes fraternels et solidaires

pour le meilleur et pour le pire et qui , sur le plan inter national , sera un élément d'équilibre, de paix et de progrès .

En ce qui concerne notre position sur le plan constitu

tionnel , il n'y a ni équivoque, ni confusion possible . Nous avons, dans un communiqué remis au Gouvernement

Français, le 18 juillet, fixé ce que nous voulons pour l'Afrique. Nous savons donc ce que nous avons à défendre, tant sur le plan de l'ensemble de nos Territoires que sur le plan de nos rapports avec la France . Que cela soit appelé fédéral ou confédéral , que cela prenne nom de commu

nauté ou d'association , peu importe, ce qui importe, c'est la nature de la souveraineté attribuée à chaque Etat devant constituer cet ensemble multinational qu'aucune formule

clé ne parviendra à établir sans l'approbation consciente et claire de chaque partie intéressée . Il n'est ni communauté réelle, ni association vraie qui soit imposée , quelle que soit sa dénomination ou son appellation .

Or, il est encore trop tôt pour savoir sur quoi exactement les populations africaines auront à se prononcer . Le projet de réforme constitutionnelle établi par le Gouvernement est appelé à subir des modifications , soit de la part du Conseil d'Etat , soit sur avis du Comité Consultatif . Si l'on s'en tient au calendrier constitutionnel , ce n'est pas avant

les premiers jours de septembre que le texte définitif de la réforme sera connu de tous les citoyens de France et d'Afrique .

70 -

Par voie de presse, par des résolutions, par de conti nuelles manifestations, le peuple d'Afrique s'est prononcé de façon unanime . Le Gouvernement du Général de Gaulle ne peut pas

ne pas en tenir compte, car il y va autant de l'avenir de la

France que de l'avenir de l'Afrique . Il s'agit là , en effet, de beaucoup plus qu'un programme d'action , il s'agit, en fait, de la prise de conscience de tout un peuple, moins impatient que déterminé à en finir avec toute forme de dépendance, toute espèce d'assujettis

sement qui menacent notre évolution , détruisent notre dignité , mettent incessamment en cause notre droit naturel

à la liberté . La volonté que nous manifestons de nous associer au peuple de France pour un profit commun n'est autre chose qu'un choix libre et conscient, une opinion prise en toute indépendance d'esprit, en toute liberté de jugement et d'appréciation . Le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes n'exclut pas ce droit d'association , c'est une liberté qui découle de ce droit .

Avant de me rendre à Paris , j'ai précisé l'esprit dans lequel le P. D. G. conçoit dans les faits cette association franco- africaine, à savoir :: « La future construction franco-africaine devra , pour être viable , être fondée sur une adhésion unanime et

sincère des peuples d'Outre-Mer, être libre, égalitaire et historiquement juste . » Cette construction devra s'inspirer des principes sui vants :

7 ° Reconnaissance du droit à l'indépendance de tous les peuples , qui n'est que le corollaire du droit de chaque homme à la liberté ;

2° Autonomie interne des Etats fédérés ; 3° Création d'une Communauté Fédérale Multinationale, dotée d'une Assemblée et d'un Gouvernement Fédéraux,

dont le rôle serait limité aux attributs de la Monnaie, de la Défense des Relations extérieures, de l'Enseignement supérieur ;

- 71

4° Chaque Etat autonome étant doté d'une Assemblée et d'un Gouvernement propres, établira sa propre consti tution et définira ses institutions internes, en harmonie avec

les principes supérieurs définis dans la Constitution fédérale .

Ces grandes lignes permettront aux anciennes Fédéra tions de l'Afrique Occidentale Française, de l'Afrique

Equatoriale Française et de Madagascar et aux Etats du Togo et du Cameroun , de résoudre les problèmes que soulèvera la nécessité de renforcer leur unité et de réaliser

une large décentralisation et une profonde déconcentration .

Elles permettront aussi d'élever les peuples d'Outre-Mer au rang des peuples souverains , dont la véritable nationalité sera ainsi réhabilitée et associée librement aux autres nationalités constituant la Communauté entre la France

et les Territoires d'Outre-Mer, sans exclure les Etats anciennement liés à la France et ayant déjà accédé à

l'indépendance . Monsieur le Président , Messieurs les Conseillers , je suis

convaincu que pour l'aboutissement rapide de ce pro gramme de construction politique, vous n'épargnerez aucun effort .

Et quelle meilleure conclusion pourrais- je donner à ce chapitre traitant de notre avenir et de nos intérêts supérieurs, sinon de rappeler celle que notre ami François

Mitterand a donnée au texte d'une proposition de réso lution déposée par lui , le 4 février 1958 , au bureau de l'Assemblée Nationale et déclarant :

« Si la France sait comprendre combien l'heure est décisive et la mission qui s'offre à elle à la mesure de son passé et de son destin, elle fera de l'Afrique l'objet

de ce qu'au Grand Siècle elle appelait sa gloire, en même temps que, fidèle aux leçons de la Révolution , elle

apportera aux peuples qui l'habitent les moyens de leur épanouissement.

-

72 -

« Egale à son génie, elle prouvera au monde au moment où , de Bandoeng au Caire , surgissent des appels à la sécession , qu'au-delà de la diversité des climats et des races, une conception commune de la dignité des hommes assortie à une sage organisation de leurs intérêts peut édifier une Communauté fraternelle et pacifique plus

enviable en définitive que l'isolement et la révolte . » VIVE LA GUINÉE NOUVELLE ! VIVE L'AFRIQUE UNIE ! VIVE LA FRANCE !

DISCOURS PRONONCÉS

A

DU

L'OCCASION

GÉNÉRAL

DE

DE

L'ARRIVÉE

GAULLE

PAR

MONSIEUR DIALLO SAIFOULAYE PRÉSIDENT

DE LA

DE

L'ASSEMBLÉE TERRITORIALE

GUINÉE

MONSIEUR

FRANÇAISE

SÉKOU . TOURÉ

PRÉSIDENT DU CONSEIL DE GOUVERNEMENT

DE

LA

GUINÉE

FRANÇAISE

ET

LE

GÉNÉRAL PRÉSIDENT

DE

LA

DU

DE

GAULLE

GOUVERNEMENT

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

A CONAKRY , LE 25 AOUT 1958

DISCOURS

M. DIALLO DE M.

SAIFOULAYE

Monsieur le Président du Gouvernement de

la République Française, Au nom de l'Assemblée Territoriale, du Conseil de Gouvernement et du Peuple de Guinée , il nous échoit le devoir de souhaiter au Président du Gouvernement de la

République Française et aux Hautes Personnalités qui l'accompagnent dans son voyage la bienvenue en Guinée et un bon séjour parmi nous . Nous vous souhaitons la bienvenue avec un plaisir

contenu mais réel , réjoui et heureux à la fois de ce que les atermoiements et les confusions vont enfin faire place aux décisions hardies et sans équivoque . Nous vous accueillons aussi avec émotion parce que

nous réalisons parfaitement que nous franchissons une étape capitale de notre histoire , un tournant décisif dans nos relations avec la France .

Le long périple que vous avez bien voulu entreprendre à travers l’Afrique à un moment où tant de préoccupations et tant de problèmes devraient vous retenir à Paris prouve à nos yeux et à la face du monde votre détermination d'en

finir avec la politique d'hésitation , de réticence et de tâtonnement . Ce voyage indique aussi votre volonté d'apporter une solution claire et définitive aux rapports nouveaux entre la France et ses anciennes colonies .

Nous voudrions vous affirmer ici avec force que l'Assemblée Territoriale et le Conseil de Gouvernement de

la Guinée, forts de l'appui sans réserve des masses populaires et de la confiance totale de l'écrasante majorité des populations guinéennes et en parfaite identité de vues , mesurent toute la gravité de cette heure où se joue

le destin de l'Afrique . Ils ont aussi conscience de l'importance de l'option à faire . C'est donc en toute

- 76 -

connaissance de cause qu'ils vont , comme toujours , prendre toutes leurs responsabilités devant l'histoire appelée à les juger . Monsieur le Président du Conseil , vous avez devant vous des patriotes résolus à travailler pour le bien - être matériel et moral de leur Patrie Africaine .

Nous sommes très à l'aise dans cette position , persuadés d'avance d'être bien compris par notre Hôte, le Général

de Gaulle, le fervent patriote, l'homme qui incarna et anima la Résistance Française contre l'Allemagne victorieuse , enfin l'homme des mieux indiqués pour

réaliser et admettre que d'autres puissent éprouver pour leur pays , leur Patrie , les mêmes sentiments que M. le Président du Gouvernement de la République éprouve lui -même vis-à -vis de la France .

Loin d'être un élément de discorde, nos patriotismes respectifs constituent plutôt le sûr garant d'un rapproche ment et d'un attachement durables , le facteur encourageant d'une alliance sincère et réelle, le motif rassurant d'une Association libre et fraternelle à bases égalitaires . Tout comme vous, nous avons foi en notre destin et confiance en l'avenir. Tout à l'heure, Monsieur le Président du Conseil de

Gouvernement de la Guinée vous exposera , dans ses

grandes lignes, notre point de vue sur les problèmes de l'heure .

Avant de lui passer la parole , je termine en disant : VIVE

L'AFRIQUE

VIVE

LA

NOIRE !

FRANCE !

DISCOURS DE M. SÉKOU TOURÉ Monsieur le Président du Gouvernement de

la République Française, Dans la vie des Nations et des Peuples, il y a des instants qui semblent déterminer une part décisive de leur Destin ou qui , en tout cas , s'inscrivent au registre de

l'Histoire en lettres capitales autour desquelles les légendes s'édifient , marquant de manière particulière au graphique de la difficile évolution humaine, les points culminants , les sommets qui expriment autant de victoires de l'Homme

sur lui -même, autant de conquêtes de la Société sur le milieu naturel qui l'entoure .

Monsieur le Président, vous venez en Afrique précédé du double privilège d'appartenir à une légende glorieuse qui magnifie la Victoire de la Liberté sur l'asservissement

et d'être le premier Chef du Gouvernement de la République Française à fouler le sol de Guinée . Votre présence parmi nous symbolise non seulement la « Résis tance » qui a vu le triomphe de la Raison sur la force , la Victoire du Bien sur le mal , mais elle représente aussi et je puis même dire surtout un nouveau stade, une autre période décisive, une nouvelle phase d'évolution .

Comment le peuple africain ne serait-il pas sensible à ces augures, lui qui vit quotidiennement dans l'espoir de voir sa dignité reconnue et renforce de plus en plus la volonté d'être égal aux meilleurs ?

La valeur de ce peuple, Monsieur le Président, vous la connaissez sans doute mieux que nul autre, pour en avoir été juge et témoin aux heures les plus difficiles que la

France ait jamais connues . Cette période exceptionnelle à l'issue de laquelle la Liberté devait resurgir avec un éclat

nouveau , une force décuplée, est marquée par l'homme d'Afrique d'une manière toute particulière, puisqu'il a ,

78 -

au cours de la dernière guerre mondiale, rallié, sans

justification apparente, la cause de la Liberté des peuples et de la Dignité Humaine .

A travers les vicissitudes de l'histoire chaque peuple s'achemine vers ses propres lumières, agit selon ses caractéristiques particulières et en fonction de ses princi pales aspirations sans qu'apparaissent, nécessairement, les mobiles réels qui le font agir.

Notre esprit, pourtant rompu à la logique . implacable des moyens et des fins, ainsi qu'aux dures disciplines des réalités quotidiennes , est constamment attiré par les grandes nécessités de l'Elévation et de l'Emancipation Humaines . L'épanouissement des valeurs de l'Afrique est freinée, moins à cause de ceux qui les ont façonnées, qu'à cause des structures économiques et politiques, héritées du régime colonial en déséquilibre avec ses propres réalités et ses aspirations d'avenir .

C'est pourquoi nous voulons corriger, non pas des réformes timides et partielles , mais fondamentalement ces structures afin que le mouvement de nos sociétés suive la

ligne ascendante d'une constante évolution , d'un perpétuel perfectionnement Le Progrès est en effet une création continue, un

développement ininterrompu vers le Mieux, pour le Meilleur . Etape après étape, les sociétés et les peuples élargissent et consolident leur droit au bonheur, leurs titres de dignité, et développent leur contribution au

Patrimoine économique et culturel du monde entier . L'Afrique Noire n'est pas différente en cela de toute autre société ou de tout autre peuple . Selon nos voies propres , nous entendons nous acheminer vers notre bonheur et cela avec d'autant plus de volonté et de détermination que nous connaissons la longueur du chemin que nous avons à parcourir. La Guinée n'est pas seulement cette entité géogra

phique que les hasards de l'histoire ont délimitée suivant les données de sa colonisation par la France, c'est aussi

une part vive de l'Afrique, un morceau de ce continent qui palpite , sent, agit et pense à la mesure de son

79

destin singulier . Mais aussi vaste que soit notre ère

d'investigation , aussi étendu que soit notre champ d'action , cela est insuffisant en regard de nos propres exigences d'évolution .

Pour y répondre , nous devrons engager non seulement l'ensemble de nos potentialités propres , mais encore tout ce qui constitue les biens et les connaissances universels ,

lesquels chaque jour se développent et s'accroissent de manière inappréciable . A travers le désordre moral dû au fait colonial et à

travers les contradictions profondes qui divisent le monde ,

nous devons taire les pensées idéales afin de serrer au

plus près les possibilités réelles, les moyens efficaces et immédiatement utilisables ; nous devons nous préoccuper des conditions exactes de nos populations afin de leur apporter les éléments d'une indispensable évolution , sans

laquelle le mieux-être qu'elles prétendent légitimement obtenir ne pourrait être créé . Si nous ne nous employions pas à cette tâche, nous n'aurions aucune raison de vouloir remplir les fonctions dont nous avons la charge , aucun droit à la confiance de nos populations . C'est parce que nous interdisons de confisquer à notre profit la souveraineté des populations guinéennes , que nous devons vous dire sans détour , Monsieur le Président du Conseil ,

les exigences de ces populations pour qu'avec elles , soient recherchées les voies les meilleures de leur Emancipation totale .

Le privilège d'un peuple pauvre est que le risque que courent ses entreprises est mince , et les dangers qu'il

encourt sont moindres . Le pauvre ne peut prétendre qu'à s'enrichir et rien n'est plus naturel que de vouloir effacer toutes les inégalités et toutes les injustices . Ce besoin

d'égalité et de justice nous le portons d'autant plus profondément en nous , que nous avons été plus durement soumis à l'injustice et à l'inégalité . L'analyse logique et une connaissance de plus en plus grande de nos valeurs

particulières, de nos moyens potentiels, de nos possibilités réelles nous laissent cependant exempts de tout complexe et de toute crainte ; nous sommes uniquement préoccupés

80

de notre avenir et soucieux du bonheur de notre peuple :

Ce bonheur peut revêtir des aspects multiples et des caractéristiques diverses selon la nature de nos aspirations,

de nos désirs, selon notre état propre ; il peut être aussi bien une chose unique qu'un faisceau de mille choses, toutes également indispensables à sa réalisation . Nous

avons, quant à nous , un premier et indispensable besoin, celui de notre Dignité . Or, il n'y a pas de Dignité sans Liberté , car tout assujettissement , toute contrainte imposée

et subie dégrade celui sur qui elle pèse , lui retire une part de sa qualité d'Homme et en fait arbitrairement un être inférieur . Nous préférons la Pauvreté dans la liberté

à la Richesse dans l'esclavage. Ce qui est vrai pour l'Homme l'est autant pour les sociétés et les peuples . C'est ce souci de Dignité , cet impérieux besoin de Liberté qui devait susciter aux heures sombres de la France les actes

les plus nobles, les sacrifices les plus grands et les plus

beaux traits de courage . La Liberté, c'est le privilège de tout homme, le droit naturel de toute société ou de tout

peuple , la base sur laquelle les Etats Africains s'associeront à la République Française et à d'autres Etats pour l'e développement de leurs valeurs et de leurs richesses communes .

Monsieur le Président, vous me permettrez de rappeler un passage du discours que j'ai prononcé à l'occasion de la visite récente d'un Représentant du Gouvernement Français , M. Gérard Jaquet, ancien Ministre de la France d'Outre- Mer .

« Notre option fondamentale qui , à elle seule , condi

tionne les différents choix que nous allons effectuer, réside dans la décolonisation intégrale de l'Afrique : ses hommes, son économie , son organisation administrative , etc ... en vue de bâtir une Communauté Franco-Africaine solide et

dont la pérennité sera d'autant plus garantie qu'elle n'aura plus dans son sein des phénomènes d'injustice , de

discrimination ou toute cause de dépersonnalisation et d'indignité . « En effet, le monde évolue rapidement et les impératifs

de la vie moderne posent avec brutalité le problème du choix entre la stagnation et le progrès , entre la division

81

des peuples et leur union fraternelle, entre l'esclavage et la liberté, enfin entre la guerre et la paix . Pour l'Afrique Noire d'influence française, ces

problèmes doivent être abordés avant tout avec un esprit réaliste, compréhensif . Notre cæeur, notre raison , en plus

de nos intérêts les plus évidents, nous font choisir, sans hésitation , l'interdépendance et la liberté dans cette union , plutôt que de nous définir sans la France et contre la

France . Et c'est en raison de cette orientation politique que nos exigences doivent être toutes connues pour que leur discussion soit facilitée au maximum . >>

D'aucuns en parlant des rapports franco-africains situent leur raisonnement dans le domaine économique et social exclusivement, et concluent fatalement, compte tenu du grand retard des pays sous-développés d'Afrique , pour l'apologie de l'action coloniale de la France . Ces hommes oublient qu'au-dessus de l'économique et du social il y a une valeur autrement plus importante, qui oriente et

détermine le plus souvent l'action des hommes d'Afrique ; cette valeur supérieure réside essentiellement dans la Conscience qu'apportent les hommes d'Afrique à la lutte politique, tendant à sauvegarder leur Dignité et leur

Originalité et libérer totalement leur Personnalité . Qui ne sait aujourd'hui que les drames douloureux enregistrés dans l'histoire coloniale française en Indochine et en Afrique du Nord sont interprétés aussi différemment selon que l'économique devait avoir la suprématie ou que le

Droit à l'indépendance , le respect de la Dignité des peuples devaient être considérés comme les bases les plus solides de toute association de peuples différents ! Aujourd'hui , en raison de l'évolution de la situation

internationale et surtout du gigantesque progrès du mouvement de décolonisation dans les pays dépendants, nous pouvons affirmer que la Force Militaire dirigée contre la Liberté d'un pays ne peut plus garantir ni le prestige , ni les intérêts d'une Métropole . Le rayonnement de la

France , la garantie et le développement de ses intérêts en Afrique ne sauraient désormais résulter que de l'association

libre

des

pays

d'Outre - Mer .

l'action

82

économique et culturelle de la France demeure encore indispensable à l'évolution harmonieuse et rapide des Territoires d'outre-Mer .

C'est en fonction de ces leçons du passé et des impératifs

de cette évolution nécessaire, de ce progrès général irréversible déjà accompli , de la ferme Volonté des peuples d'Outre-Mer à accéder à la totale Dignité Nationale excluant définitivement toutes les séquelles de l'ancien régime colonial, que nous ne cessons, dans le cadre d'une

Communauté Franco-Africaine égalitaire et juste de procla mer la reconnaissance mutuelle et l'exercice effectif du

Droit à l'indépendance des peuples d'Outre-Mer. Certains attributs de Souveraineté qui seront exercés au niveau de cette Communauté devront se résumer en quatre domaines :

Défense ;

Relations diplomatiques ; Monnaie ;

Enseignement supérieur .

Un pays qui exclut toute interdépendance dispose de quatre Pouvoirs essentiels : 1 ° La Défense ; 2 ° La Monnaie ;

3° Les Relations extérieures et la Diplomatie ; 4 ° La Justice et la Législation . Nous acceptons volontairement certains abandons de

Souveraineté au profit d'un ensemble plus vaste parce que nous espérons que la confiance placée dans le Peuple Français et notre participation effective au double échelon législatif et exécutif de cet Ensemble sont autant de garantie et de sécurité pour nos intérêts moraux et matériels .

Nous ne renonçons pas et ne renoncerors jamais à notre droit légitime et naturel à l'indépendance car, à l'échelon africain comme à l'échelon franco-africain nous entendons

exercer souverainement ce droit . Nous ne confondons pas non plus la jouissance de ce droit à l'indépendance avec

- 83

la sécession d'avec la France , à laquelle nous entendons

rester liés et collaborer à l'épanouissement de nos richesses communes . Le projet de Constitution ne doit pas s'enfermer dans la logique du régime colonial qui a fait juridiquement de nous, des citoyens français et de nos Territoires, « partie intégrante de la République Française Une et Indivisible » . Nous sommes Africains et nos Territoires ne

sauraient être une partie de la France . Nous serons citoyens de nos Etats africains, membres de la Communauté

Franco-Africaine . En effet, la République Française, dans l'Association Franco-Africaine , sera un élément tout comme les Etats Africains seront également des éléments constitutifs de cette grande Communauté Multinationale

composée d'Etats Libres et Egaux . Dans cette Association avec la France , nous viendrons en peuples libres et fiers de leur Personnalité et de leur Originalité, en peuples

conscients de leur apport au patrimoine commun, enfin,

en Peuples Souverains participant par conséquent à la discussion et à la détermination de tout ce qui , directement ou indirectement, doit conditionner leur existence .

La qualité ou plutôt la nouvelle nature des rapports entre

la

France et ses anciennes colonies devra être

déterminée sans paternalisme et sans duperie . En disant NON de manière catégorique à tout aménagement du régime colonial et à tout esprit paternaliste , nous entendons ainsi sauver dans le temps et dans l'espace les engage

ments qui seront conclus par la nouvelle Communauté Franco-Africaine . En dehors de tout sentiment de révolte ,

nous sommes des participants résolus et conscients à une évolution politique en Afrique Noire , condition essentielle à la reconversion de tout l'acquit colonial vers et pour les populations africaines .

Le nom de notre Association nous importe peu , ce qui

importe sera le contenu de notre Association , la somme des possibilités nouvelles d'évolution qu'elle offrira aux Territoires Africains actuellement engagés dans le grand mouvement d'émancipation qui exige la disparition totale du phénomène colonial et l'établissement d'une ère de liberté vraie, d'égalité et de fraternité agissante .

84

Monsieur le Président, nous savons que vous vous êtes donné pour mission de sauver l'Unité de la Nation

Française . Cette noble ambition , l'effort qu'elle suppose seront à la mesure de votre pouvoir si elle comprend et sait respecter également les points de sensibilisation de l'action des peuples associés à la Nation Française . En effet , les Territoires actuels d'A . O. F. et d'A . E. F. ne doivent pas être des entités définitives .

L'immense majorité des populations intéressées veut substituer aux actuelles entités A. O. F.-Togo et A. E. F. deux Etats puissants fraternellement unis à la France . Des considérations humaines et sociales autant qu'éco nomiques et politiques plaident en faveur de la constitution

de ces Etats qui seront dotés de Parlement et de Gouvernement démocratiques .

Ces grandes perspectives qui vont pouvoir accélérer l'histoire de nos pays, en leur permettant de transcender les particularismes et les égoïsmes ou plutôt leurs contra

dictions internes, demeurent pour notre génération la voie la plus sûre, la plus directe qui aboutit à la Paix et au Bonheur .

Ces mêmes perspectives , positives pour les Territoires d'Outre-Mer et pour la Grandeur de la France dans le

monde, exigeront de nous , Africains , Malgaches et Français , des efforts plus grands, à la fois plus nobles et plus exaltants que ne l'aurait exigé la solution destructive d'une séparation . Je rappelle souvent que la vie de l'homme va de zéro

à cent alors que celle de nos peuples est éternelle . Nous sommes quant à nous Africains de Guinée, sûrs

que notre courage et notre loyauté, notre communion d'action créatrice de biens et notre amour de la Justice et

du Progrès sauront conduire , à travers le temps , notre

future Communauté avec toujours plus de Puissance et dans la prospérité et la Liberté.

85

Pour résumer la position guinéenne vis - à -vis du projet de Constitution qui fera l'objet du Référendum du 28 septembre, nous affirmons qu'elle ne sera favorable

qu'à condition que la Constitution proclame : 1 ° Le Droit à l'indépendance et à l'égalité juridique des peuples associés, droit qui équivaut à la liberté pour ces peuples de se doter d'institutions de leur choix et d'exercer dans l'étendue de leurs Etats et au niveau de leur ensemble

leur pouvoir d'autodétermination et d'autogestion ; 2° Le Droit de divorce sans lequel le mariage franco- africain pourra être considéré , dans le temps ,

comme une construction arbitraire imposée aux générations montantes ;

3º La Solidité agissante des peuples et des Etats associés afin d'accélérer et d'harmoniser leur évolution .

Dans l'intérêt bien compris des peuples d'Outre-Mer et de la France , nous osons penser, Monsieur le Président,

que votre Gouvernement saura proposer au Référendum un projet de Constitution tenant compte, non pas des

conceptions juridiques basées sur un régime impopulaire , mais seulement des exigences exprimées par des peuples mûrs , tous solidairement et fermement décidés à se

construire un Destin de Liberté , de Dignité et de Solidarité fraternelle .

Pour

Communauté

la

Multinationale

que

sera

l'Association de nos Etats , pour l'Unité et l'Emancipation

de l'Afrique : VIVE LA GUINÉE ! VIVE LA FRANCE !

VE

DISCOURS DU GÉNÉRAL DE GAULLE Je veux d'abord , d'un mot, dire à quel point j'ai été touché, car il faut que je le dise en public, des sentiments dont la population de Conakry m'a offert tout à l'heure le magnifique témoignage .

Je dois dire que, dans l'expression de ces sentiments, j'apercevais , je distinguais beaucoup d'attachement à la France et aucun reproche à son égard . Il n'y a pas de raison , en effet - et je ne serais pas là si je n'en étais

pas convaincu – il n'y a pas de raison , en effet , pour que la France rougisse , en rien , de l'oeuvre qu'elle a accomplie ici avec les Africains . Nous voyons à chaque pas , quand nous prenons pied sur cette terre de Guinée ,

quelles sont les réalisations que l'oeuvre commune a déjà accomplies, et quand nous entendons les Présidents de l'Assemblée et du Conseil de Gouvernement de la Guinée ,

nous croyons bien apercevoir aussi ce que la culture, l'influence , les doctrines , la passion française ont pu faire pour contribuer à révéler la qualité d'hommes qui en avaient naturellement . Ceci dit , j'ai écouté bien entendu

avec la plus grande attention les paroles qui ont été prononcées ici et qui me paraissent demander que le Général de Gaulle , le Chef de la France , fasse ici , dise ici ce qu'il faut, pour bien préciser les choses qui doivent

être précisées . Nous croyons , je crois depuis des années et je l'ai prouvé quand il fallait, que les peuples africains étaient appelés à leur libre détermination ; je crois aujourd'hui que ce

n'était qu'une étape , qu'ils continueront leur évolution et ce n'est pas moi , ce n'est pas la France qui le contestera jamais.

Je crois aussi que nous sommes sur une terre et dans un monde où les réalisations sont nécessaires si l'on veut que les plus humbles sentiments aient un avenir

88

quelconque . Nous sommes sur une terre et dans un monde où les réalités dominent comme elles l'ont toujours fait.

Il n'y a pas de politique qui ne prenne pour base à la fois les sentiments et les réalités . La France le sait : l'Afrique est nouvelle . Eh bien ! la France aussi , la France est

toujours nouvelle ; elle vient de le prouver hier et moi je suis là pour le dire .

La question entre nous , Africains et Métropolitains, elle est uniquement de savoir si nous voulons , les uns et les autres, pratiquer ensemble pour une durée que je ne détermine pas une Communauté qui permettra de développer ce qui doit l'être au point de vue économique, social , moral , culturel et, s'il le fallait , de défendre nos

libertés communes contre ceux qui voudraient les attaquer . Cette Communauté , la France la propose ; personne

n'est tenu d'y adhérer . On a parlé d'indépendance , je dis ici plus haut encore qu'ailleurs que l'indépendance est à la disposition de la Guinée . Elle peut la prendre, elle peut la prendre le 28 septembre en disant « NON » à la proposition qui lui est faite et dans ce cas je garantis que

la Métropole n'y fera pas obstacle . Elle en tirera , bien sûr, des conséquences , mais d'obstacles elle n'en fera pas et votre Territoire pourra comme il le voudra et dans les

conditions qu'il voudra , suivre la route qu'il voudra . Si la Guinée répond « OUI » , c'est que , librement,

d'elle-même , spontanément , elle accepte la Communauté qui lui est proposée et si . la France, de son côté, dit « OUI » , car il faut aussi qu'elle le dise , alors , les Territoires d'Afrique et la Métropole pourront faire ensemble cette ceuvre nouvelle qui sera faite par l'effort des uns et des autres pour le profit des hommes qui les habitent .

A cette oeuvre -là, la France ne se refusera pas, j'en suis sûr d'avance , à la condition , bien entendu , qu'elle trouve

ailleurs cette sympathie , cet appel qui sont nécessaires à un peuple quand il a à fournir des efforts, je dirai même

des sacrifices, en particulier quand ce peuple est la France , c'est-à -dire un pays qui répond volontiers à

l'amitié et aux sentiments et qui répond , dans un sens opposé, à la malveillance qui pourrait lui être opposée .

89

Cette France- là , j'en suis sûr, participera à la Communauté avec les moyens qu'elle a et malgré les

charges qu'elle porte , et ces charges sont lourdes, tout

le

monde

le

sait .

Elles

sont

lourdes

dans

la

Métropole même à cause des grandes destructions qu'en deux guerres mondiales elle a subies pour le salut

de la liberté et du monde et en particulier pour le salut de la liberté des Africains ; et puis, elle a des charges en Europe, car l'Europe, elle veut la faire , elle veut la faire dans l'intérêt de ceux qui y vivent et aussi ,

je crois, dans l'intérêt du continent sur lequel je me trouve aujourd'hui . La France a des charges au point de vue mondial , elle en a en Afrique du Nord . Il lui faut mettre en valeur un territoire difficile , malheureux, qui doit être

établi dans l'égalité des droits et dans la prospérité, lui aussi, à son tour ; elle doit mettre en valeur, pour le bien commun , les richesses que contient le Sahara .

Toutes ces charges sont considérables, et néanmoins je crois que, de son côté, la Métropole dira « QUI » à la Communauté Franco-Africaine aux conditions que j'ai indiquées tout à l'heure . Si nous le faisons ensemble , les

Africains et les Métropolitains, ce sera un acte de foi dans une destinée commune et humaine et ce sera aussi , je le

crois bien , la manière, la seule manière d'établir une collaboration pratique pour le bien des hommes dont nous

avons la responsabilité . Je crois que la réponse sera « QUI » . et , alors , pourrons il y aura

Je crois que la Guinée dira « OUI » à la France je crois que la route nous sera ouverte , où nous marcher en commun . La route ne sera pas facile ; beaucoup d'obstacles sur le chemin des hommes

d'aujourd'huiet les paroles n'y changent rien . Ces obstacles , il faut les franchir , il faut franchir

l'obstacle de la misère . Vous avez parlé de l'obstacle de l'indignité, oui , il est franchi déjà en grande partie , il faut finir de le franchir :: dignité à tous les points de vue , notamment au point de vue interne, national . Il y a d'autres obstacles encore qui tiennent à notre propre nature humaine, à nos passions , à nos préjugés, à nos exagérations . Ces obstacles- là , je crois que nous saurons les surmonter .

-

90 -

C'est dans cet esprit-là que je suis venu vous parler à cette Assemblée et je l'ai fait en confiance , je l'ai fait en confiance parce qu'en définitive, je crois à l'avenir que

des ensembles d'hommes libres se forment, qui soient capables de tirer du sol et de la nature humaine ce qu'il faut pour que les hommes soient meilleurs et plus

heureux . Et puis je crois qu'il faut le faire pour donner l'exemple au monde, car si nous venions à nous disperser, tout ce qu'il y a dans le monde d'impérialisme marcherait sur nous . Bien sûr, il aurait des idéologies comme paravent, comme étendard pour le précéder, ce ne serait pas la du monde que les première fois dans l'histoire du intérêts ethniques et nationaux marcheraient derrière des pancartes . Il faut donc que nous nous tenions ensemble pour cela aussi , c'est notre devoir humain . J'ai dit . Vous réfléchirez .

J'emporte de ma visite à Conakry l'impression d'un sentiment populaire qui est tout entier tourné du côté

que je souhaite . Je forme le voeu que les élites de ce pays prennent la direction que j'indique et dont je crois qu'elle répond à l'intention profonde de nos masses et, ceci dit,

je m'interromps en attendant peut-être, si le fait se produit jamais , l'occasion suprême de venir vous voir,

dans quelques mois , quand les choses seront établies que nous manifesterons ensemble publiquement

et

l'établissement, la fondation de notre communauté . Et si je ne devais pas vous revoir, sachez que le souvenir que je garde de mon séjour dans cette grande, belle, noble ville, ville laborieuse , ville d'avenir, ce souvenir je ne le

perdrai pas. VIVE LA GUINÉE ! VIVE LA RÉPUBLIQUE ! VIVE LA FRANCE !

ALLOCUTION

RADIODIFFUSÉE DE MONSIEUR SÉKOU TOURÉ PRONONCÉE, A DAKAR, LE 28 AOUT 1958

1

ALLOCUTION DE M. SÉKOU TOURÉ Les Responsables R.D.A., réunis à Dakar le 27 août, le Comité Directeur de l'U.G.T.A.N . et la Section du P.R.A.

du Niger viennent de définir les conditions à l'acceptation

desquelles ils subordonnent leur accord au projet constitu tionnel .

Ces propositions sont sont celles de toute l'Afrique dans ses diverses organisations militante consciente et pour son émancipation et le renforcement de son unité .

Faut-il rappeler qu'à trois reprises le Grand Conseil de l'A.O.F . a voté des résolutions contre la « balkanisation »

de l'Afrique . Le R.D.A. , à son congrès de Bamako et par les nombreuses résolutions votées par son groupe parlemen taire, a signifié une même volonté de maintenir les fédérations africaines .

Le projet constitutionnel n'a pas tenu compte de cette option essentielle des Africains . Au contraire , il conduit à une division arbitraire et freine les possibilités de dévelop

pement économique, social , culturel et politique de l'Afrique .

Je me réjouis de constater l'identité absolue du programme des divers mouvements réunis le 27 août à

Dakar avec celui déjà signifié par la Guinée au Gouverne ment Français .

J'affirme donc que si le Gouvernement Français dit

NON aux aspirations légitimes de l'Afrique , c'est-à -dire que si son projet constitutionnel ne tient pas compte de ces propositions, le peuple guinéen prendra le 28 septembre prochain son Indépendance et demandera par des accords contractuels à traiter avec la France .

-

94

En cas de refus de celle-ci , la Guinée décidera , sans perte

de temps, d'une autre orientation de son destin, laquelle,

dans tous les cas, doit lui permettre de continuer avec plus d'efficacité sa même lutte pour l'émancipation de l'Unité de l'Afrique . Nous avons déjà signifié au Général de Gaulle que nous préférons « la pauvreté dans la liberté à la richesse dans

l'esclavage » . Voter « QUI » à une Constitution qui porte atteinte à la

Dignité, à la Liberté et à l'Unité de l'Afrique ou accepter, comme le dit le Général de Gaulle, l'Indépendance immédiate , la Guinée choisira cette Indépendance sans hésiter .

Nous n'avons pas à faire des chantages à la France ; nous ņe saurons accepter à l'égard de nos pays des menaces ou des pressions pour choisir contre le coeur et la raison des conditions d'un mariage qui nous maintien draient dans le complexe du régime colonial . A une Association multinationale d'Etats libres et égaux avec la France,

A l'Unité Africaine , Nous disons OUI .

Et pour les mêmes raisons, nous affirmerons un NON unanime et catégorique à tout projet qui s'écarte de ces options.

DISCOURS PRONONCÉ PAR

MONSIEUR SÉKOU TOURÉ PRÉSIDENT

DU

AU LE

CONSEIL

DE

GOUVERNEMENT

CINÉMA VOX 29

AOUT

19 5 8

-

DISCOURS DE M. SÉKOU TOURÉ Chers Camarades,

Cette conférence publique n'est pas une réunion ordi naire . Elle est à la mesure des événements décisifs qui suivront le référendum du 28 septembre prochain .

Sans évoquer les faux problèmes que l'on a vainement tenté de soulever depuis que s'est ouvert le débat sur les

réformes constitutionnelles, sans même tenir compte des équivoques volontaires que l'on a créées, des confusions engendrées autour de ces réformes , nous allons aborder ici , en toute clarté , l'examen des faits concrets, des

éléments réels auxquels sont liées les conditions d'une réforme institutionnelle durable et fructueuse .

Depuis longtemps déjà l'Afrique , dans sa partie influen cée par la culture française , a fait connaître ses options politiques ; à travers toutes les grandes manifestations du R. D. A. , de l'ancienne Convention Africaine , du P. R. A. , de l'ancien M. S. A. , du Conseil fédéral de la Jeunesse

d'Afrique ou de l'U . G. T. A. N. à travers également les grands rassemblements tels que ceux des Anciens Combat

tants, l'Afrique a déjà clairement défini le chemin par lequel elle entend aller à son Destin . Elle a précisé , tant sur le plan africain que sur le plan extérieur , la nature des

liens politiques, économiques, sociaux qu'elle entend substituer aux liens actuels qui lui ont fait perdre sa per sonnalité et qui , s'ils devaient demeurer , la maintiendrait dans l'esclavage moral .

Que veut l'Afrique ? Elle veut se construire . Comment ? En utilisant toutes ses potentialités , tous ses moyens, toutes ses forces, en affirmant de plus en plus son originalité et

en développant sa personnalité . Elle entend par ailleurs , sur la base de nouveaux rapports avec la France, construire une grande communauté dans le respect de la dignité , de

98

la liberté, des valeurs réciproques de chacun des membres. Cela, à toute occasion , a été l'option fondamentale de l'Afrique . En affirmant cette option nous avions pleinement confiance parce que la devise de la République Française affirme partout « Liberté », « Egalité » , « Fraternité » . 1

Parce que, aussi , la signification de principe qu'on a voulu donner à la colonisation c'était de conduire l'Afrique à son émancipation pleine et entière et qu'on entendait donc, en un certain stade d'Evolution , permettre à cette Afrique de se déterminer librement . Mais si nous étudions un peu

l'Histoire , nous nous rendons bien vite compte que tous les pays qui sont aujourd'hui des nations libres et indépen dantes , ont acquis leur droit de nationalité, leur état

d'indépendance à des niveaux d'évolution inférieurs au niveau actuellement atteint par les peuples africains . En effet, par rapport à la Russie, à la Chine, aux Etats

Unis d'Amérique, à la France, quand on nous dit que nous sommes des peuples attardés, c'est vrai par rapport à ces nations . Mais nous dirons

c'est non moins certain

qu'au moment où ces nations se constituaient, au moment où elles commençaient à jouir de leur indépendance , leur

état économique, politique , social , spirituel , culturel , n'était pas , à ce moment- là , supérieur à l'état actuel des populations africaines . Par ailleurs, même si nous devions aller nus , même si nous devions rester sans savoir lire ni écrire, notre peuple, qui prend conscience de sa personna lité , saura imposer le respect de cette personnalité . Si un

peuple, un autre peuple veut, sur le plan de l'amitié, lier son destin au nôtre, il se doit d'abord de reconnaître notre personnalité et , partant de cette reconnaissance, poser les

jalons d'une collaboration fructueuse . Que l'on ne vienne donc pas nous dire : « Vous voulez aller trop vite , vous n'êtes pas aptes à vous gouverner VOUS-mêmes » , car si cela était vrai , ni la France de Char

lemagne , ni la Russie des Romanov, ni l'Inde actuelle n'auraient existé .

Si l'on croit que nous voulons aller trop vite, si l'on

nous taxe d'incapacité , c'est bien parce qu'en dépit des réalités historiques on nous considère encore comme étant

99

la propriété d'une métropole, sans quoi il n'y aurait aucune raison que , dans le même temps, on reconnaisse au Ghana , au Libéria et au Togo , la capacité nationale .

C'est cet esprit que nous dénonçons parce que c'est encore, c'est toujours l'esprit colonial . Ce n'est pas l'esprit du peuple de France, c'est celui des intérêts et des privi lèges particuliers aussi dangereux pour le destin de la France que pour le destin de l'Afrique . Nous avons toujours dit « OUI » à la France et nous

continuerons à le dire , parce que nous séparons la France d'une Constitution et de certains hommes qui veulent faire de nous leur propriété , leurs instruments .

Il faut qu'on sache que lorsque à plusieurs reprises les Africains, sur les fronts de combats extérieurs , ont accepté aux côtés des Français les privations et même la mort , ils le faisaient pour la Liberté de la France , parce que la Liberté de la France , à leurs yeux , se confondait avec la Liberté de l'Afrique .

Ils pensaient qu'en sauvant l'indépendance de la France, ils sauvaient du même coup l'indépendance des

peuples d'Afrique . C'est la seule signification que les Anciens Combattants

et

les

combattants

actuels

ont

accordée et continuent à accorder aux sacrifices qu'ils ont

consentis et qu'ils continuent à consentir pour le rayonne ment de notre Communauté.

Mais aujourd'hui se pose le problème essentiel: le problème des réformes constitutionnelles , le problème

de la définition d'un mariage entre l'Afrique et la France . En Guinée nous avons toujours dit : « Si nous voulons détruire la France en Guinée , nous ne discuterons

pas , car il est plus facile de détruire que de construire . » Si nous voulions mener une lutte contre la France en soi , nous ne dirions rien , nous nous serions enfermés dans le

silence pour comploter et préparer la révolte, et personne n'aurait pu arrêter une telle révolte menée dans l'intérêt

même de l'Afrique . Nous n'avons pas voulu d'une révolte et nous n'en

voulons toujours pas . Nous avons voulu et nous voulons une révolution , une révolution que les peuples d'Afrique

100

-

et les peuples de France se doivent de mener dans le respect de leur destin commun , de leurs intérêts liés . Et

pour cela , peuple de France et peuples d'Afrique doivent se dire la vérité, toute la vérité, non pas pour plaire aux uns ou aux autres, mais pour voir au-delà de la présente

génération les grandes valeurs sur lesquelles les peuples ainsi associés se développeront forcément . En effet, si nous avons dit de la colonisation que nous n'en voulons plus, cela ne signifie pas pour autant que la colonisation , à côté

de ses méfaits , à côté de l'injustice et de la discrimination qu'elle porte en soi n'a eu que des aspects négatifs . Car on ne peut compter pour rien la prise de conscience

accélérée des peuples africains, ce sentiment d'unité qui nous anime , ces structures dont nous avons hérité et que

nous n'avons tout simplement qu'à reconvertir pour qu'elles servent pleinement les aspirations des popula tions . Nous voulons donc que l'acquis colonial connaisse cette reconversion fondamentale pour que la nature des liens entre l'Afrique et la France soit modifiée . Au lieu

des rapports de dépendance qui ont conduit l'Afrique à la dépersonnalisation , à la soumission et aux complexes, nous voulons des rapports de liberté, des rapports de dignité, des rapports de fraternelle collaboration qui ,

partant du coeur, de la raison et de nos intérêts les plus évidents nous permettraient de donner à notre mariage des bases plus solides , des bases qui soient respectées par les uns et par les autres et qui , sur le plan international , s'imposeraient comme le fondement d'une communauté solidement constituée .

Voilà ce que nous disons et ce que nous dirons toujours .

Nous ne cherchons pas à plaire à qui que ce soit, nous ne tendons qu'à affirmer ce que toute l'Afrique consciente pense , et le langage qui a été tenu au Général de Gaulle

est le langage de l'Afrique réelle . Reprenez nos discours devant l'Assemblée , reprenez toutes les affirmations faites au nom de la Guinée : nous

n'avons jamais caché ce fond de notre pensée . Et si l'on ne veut pas tenir compte de nos préoccupations nous saurons choisir un autre langage qui exprimera alors aussi notre pensée . Nous nous souvenons que la Constitu

a

101

tion du 19 avril 1946 , faisait des Territoires d'Outre-Mer,

anciennes colonies, des Territoires associés . Cette preinière Constitution devait transformer la nature de nos liens avec

la France et nous élever à la dignité nationale , au stade d'Etat librement associé à la France . Mais nous devons

nous rappeler aussi que c'est le R. P. F. qui a mené la lutte contre cette Constitution , en disant qu'on allait trop loin pour les Territoires d'outre-Mer . On aime faire référence à la conférence de Brazzaville

de 1944 comme ayant jeté les bases d'une collaboration

franco-africaine, mais l'Afrique consciente sait qu'à Brazza ville la collaboration n'était admise que sur le plan administratif, alors que sur le plan politique on y a dit et affirmé que, même dans le futur , il n'était pas envisagé la transformation des Territoires d'Outre-Mer en pays de self-gouvernement . En aucun cas , cela ne serait envisagé : voilà quel était le mot d'ordre de Brazzaville . Ce mot d'ordre , eh bien , nous l'avons retenu . Mais nous faisons confiance au Général de Gaulle .

Pourquoi ?

Parce qu'il a symbolisé la résistance, cette résistance que nous menons . Il a dit « non » à l'esclavage, nous disons aussi « non » à l'esclavage .

Voilà pourquoi , dans l'Histoire, il restera pour nous un symbole, mais nous lui dirons que les mots n'ont pas seulement une valeur lorsqu'ils sont prononcés en France .

Pour nous , il y a des principes universels qui , s'ils ont mobilisé la conscience nationale française , sauront mobi liser la conscience nationale africaine .

Nous nous rappelons qu'à Brazzaville , en matière

politique, on n'a même pas envisagé , même au bout du chemin , quel qu'en puisse être la durée , la possibilité pour nous de devenir pays indépendant, librement associé à la France . La Constitution d'avril 1946 a été rejetée par les

mêmes partis, par les mêmes groupes d'hommes qui nous contestent encore aujourd'hui notre droit à l'indépendance . l'Histoire a continué . La deuxième Constitution , qui nous

était moins favorable, a été adoptée par référendum du 13 octobre 1946 .

102

Et depuis 1946 , on voit très bien que pour autant les rapports humains entre Blancs et Noirs ne se sont pas

améliorés . Il faut dire la vérité, même quand le Noir fait confiance à tel Blanc parce qu'il sait qu'il est honnête,

parce qu'il sait qu'il est humain , parce qu'il sait qu'il est son frère, parce qu'il sait que, tous deux, ils ont des intérêts liés , il n'en pense pas moins aux bases de leur association

qui font de lui , le Noir, l'inférieur et qui font juridique ment du Blanc le supérieur . C'est ainsi également que le Blanc , même lorsqu'il sait

que tel Noir a des valeurs positives , qu'il est honnête, qu'il dit ce qu'il pense, ou qu'il a telle ou telle capacité, qu'il est humain et juste , il n'en pensera pas moins : « L'aider à se développer ? C'est mettre nos privilèges en cause .

>>

Il faut donc se rendre compte qu'aujourd'hui le Blanc ne peut pas savoir si vraiment il est aimé par le Noir comme le Noir ne peut pas savoir s'il est vraiment admis par le Blanc, parce que l'un et l'autre sont influencés par des positions juridiques qui font du pays de l'un une Métropole, qui décide , et du pays de l'autre une colonie qui doit exécuter . Voilà le fond de nos réalités actuelles . Nous voulons sauver nos rapports , nous voulons que ces

rapports partent d'une appréciation objective de notre identité, de notre communion d'idées et d'action , nous

voulons que ces rapports tiennent essentiellement compte de la dignité de l'un et de l'autre . Nous avons, quant à nous , R. D. A. , toujours affirmé

que nous préférons un Blanc progressiste à un Noir réac tionnaire .

Donc , le problème n'est pas une question de couleur. Le tout est de savoir, des Noirs et des Blancs, quels sont

ceux qui optent pour le respect de la liberté et de la

dignité des peuples .

Nous n'avons pas , comme certains ont pu l'espérer, à plébisciter la personne du Général de Gaulle . Nous avons à nous prononcer sur les conditions d'une association qui engage le destin du Peuple de France et le destin du Peuple d'Afrique .

103

Or , la Constitution qui nous est présentée comporte

beaucoup d'inconvénients, à côté de certains avantages que nous allons exposer objectivement . A partir du moment où nous ne sommes plus représentés au Parle

ment Français , à partir du moment où , seule la France , seul le Peuple Français aura à élire ses Députés, pourquoi

demander aux Territoires d'Outre-Mer d'imposer au Peuple Français une Constitution dont il ne voudrait pas ?

Je pose la question. C'est comme si on disait au Peuple

Français : les Africains n'aiment pas le travail forcé . Faites un référendum pour imposer le travail forcé aux Africains. :

Est-ce que nous serions reconnaissants à une telle position du Peuple Français ? Non .

Si nous imposons à la France, par notre vote, une Constitution dont la majorité du Peuple Français ne veut pas , alors que nous comptons collaborer réellement avec lui , est-ce que nous aurions créé les bases d'une véritable collaboration avec le Peuple Français ? Non . Voilà le premier inconvénient . Ensuite, on nous dit : il y aura une

Communauté Franco-Africaine, sans aller jusqu'au bout de l'idée . Nous disons d'accord pour la Communauté , nous

rappelons seulement que ce n'est pas la France qui a lancé le mot Communauté Franco-Africaine , mais nous Africains . Tous les peuples d'Afrique sont prêts à dire « oui » si c'est la Communauté Franco-Africaine telle que nous la voulons . Mais on nous dit : cette Communauté Franco

Africaine comporte des dispositions d'association . Vous allez rentrer dans la Communauté , voilà les matières

communes : la monnaie , la défense, la diplomatie, l'exploi tation des matières premières et stratégiques, la magistra

ture, l'enseignement supérieur, les transports fédéraux et les télécommunications . Ainsi , à l'exclusion de ces matières réservées, vous êtes libres de faire ce que vous voulez . Mais nous disons : l'Afrique est en retard ? Mais en quoi elle est en retard ? Ce n'est pas dans ses hommes , puisque

l'homme d'Afrique est l'égal de l'homme de Chine , de l'homme de France , de l'homme d'Amérique . Nous sommes nés naturellement de la même manière , donc la

différence n'est pas là . La différence est-elle dans la valeur morale des peuples ? Je dis : non . Tous les peuples ont

104

la même valeur morale dans la mesure où ils prennent conscience de leur être et tendent à s'affirmer . En quoi consiste alors la différence ? Uniquement dans les moyens,

c'est là le fond du problème . Si , aujourd'hui , l'Afrique avait un budget de mille milliards de dollars , supposons, elle aurait des écoles dans les quartiers de chaque

village, des hôpitaux partout, des universités partout, des ponts définitifs partout , des métros , des bateaux, des avions et même des centres de recherches atomiques parce

que, l'Afrique aurait les moyens de se doter de toutes ces structures . Aujourd'hui , elle n'a pas ces moyens, il faut donc reconnaître que la différence entre les Peuples n'est

ni morale ni physiologique, elle ne réside essentiellement que dans la différence de moyens matériels . On nous dit ensuite : mettons les conditions d'exploitation de vos

matières premières au niveau commun . Or, ce n'est pas nous qui allons nous prononcer sur les conditions d'exploi tation de la bauxite produite en France ; mais on continuera

sur le plan de l'Afrique Noire à guider notre destin économique et alors, comme on le sait très bien , nos programmes ne partiraient plus de nos exigences, de nos impératifs , ils pourraient partir d'autres exigences, d'autres impératifs . Et , pour autant , la dépendance économique continuerait . Nous disons quant à nous que cela , nous ne

pouvons pas l'accepter . Nous disons : le propre d'une com munauté , c'est la solidarité . Si nous sommes dans une Communauté Franco -Africaine nous entendons traiter avec

les capitalistes français , avec le peuple Français, avec le Gouvernement Français . Mais supposons qu'en Guinée,

nous voulions exploiter le ciment ; au lieu d'acheter le ciment à 6.000 francs la tonne , nous pouvons exploiter notre propre ciment, peut-être à 1.000 francs ou à 500

francs la tonne . Nous disons alors aux capitalistes français : investissez vos capitaux pour que le ciment de la Guinée , le ciment du Soudan , soit exploité et que nous ayons le ciment à 500 francs au lieu de l'acheter à 6.000 francs .

S'ils refusent , alors notre dignité , notre intérêt nous com manderaient de dire à n'importe quel autre capita ! : venez,

participez à l'exploitation de telles ou telles possibilités sur la base des intérêts des populations africaines . Voilà

- 105

notre position . On nous parle des télécommunications et des transports, mais nous, nous disons : « La loi -cadre, que

nous condamnons, nous a déjà accordé la souveraineté sur les télécommunications et les transports , on le sait bien ; celui qui vous parle est le Vice-Président du Conseil d'Administration de l'Office des Postes et Télécommunica

tions d'A . O. F.- Togo. Par conséquent, nous avons déjà la gestion des télécommunications et des postes , nous avons la gestion de la Régie des Chemins de Fer, propriété . de

l'A . O. F. et voilà qu'on nous dit qu'il faut désormais mettre cela à l'échelon commun , tout comme si nous , Assemblée de Guinée, Assemblée du Sénégal , nous devions nous prononcer sur la politique des Chemins de Fer Français . Nous disons catégoriquement « non » à l'inclusion

dans les compétences communes de ces matières parce que cela est en retrait sur la loi -cadre elle- même dont on

connaît cependant l'esprit assez timide . Ensuite, on nous laisse dans l'équivoque, on nous dit : vous êtes des peuples libres, mais il n'y a que deux Associations que la France autorise dans sa Constitution : la première , c'est la grande Communauté des Peuples Libres , la deu xième c'est l'Association des Pays Libres . Vraiment , il faut

être savant pour distinguer la différence qui existe entre une Communauté de Peuples Libres et une Association de

Pays Libres . Toutefois, selon la Constitution , je vais vous dire objectivement ce que cela représente : la Commu nauté n'est autre chose que l'Union Française actuelle, :

c'est-à-dire la France, ses départements d'Outre-Mer, ses Colonies . L'Association des Etats Libres, c'est la France avec le Maroc, avec la Tunisie, avec l'Indochine , à supposer que ces pays désirent une Association avec

la France . Ainsi , le problème de la nationalité est contourné. Or, lorsque nous prenons l'avion ou le bateau , il nous faut déclarer chaque fois : M. Sékou Touré natio nalité :: française ! La France a tout à gagner à se

persuader que l'Afrique est une entité humaine géogra phique, sociale, morale , économique , spirituelle qui a ses propres valeurs, son originalité . Pourquoi ne pas reconnaî tre que ce pays a une personnalité, pourquoi ne pas

106

consacrer l'attribut national de cette personnalité, lui restituer sa dignité et collaborer loyalement avec lui ?

Pourquoi ne pas le faire ? L'Angleterre serait -elle plus

réaliste que la France ? L'Angleterre avait plus de colonisés que n'en avait la France . L'Angleterre a accordé à l'Inde son indépendance, elle a reconnu la nation indienne . Or,

plus que jamais les intérêts anglais restent sauvegardés et

même se développent dans ce pays . L'Angleterre a reconnu ! ' indépendance du Ghana , une nation qui s'appelle le Ghana et cependant les intérêts anglais au Ghana n'y ont jamais été compromis . Bien au contraire,

ils prospèrent dans une sécurité accrue parce que, tant qu'il y avait la lutte politique contre le joug colonial , tant que la dignité du peuple n'était pas restituée, il ne pouvait y avoir pour les capitaux de sécurité véritable . La Guinée dit à tous les capitaux français et étrangers : venez faire le konkouré, 100 milliards, 120 milliards s'in vestissent dans le pays et le pays prend , à travers ses élus, des engagements . Mais en prenant ces engagements, on

s'aperçoit que ce qui se passe dans le pays n'est plus contrôlé par le pays . On voit chaque jour d'autres Services fonctionner à contre - courant des Services du Gouverne

ment élu , on s'aperçoit que se superposent à l'Autorité Gouvernementale du Territoire des Services qui , eux , n'ont pris aucun engagement mais qui , par contre, contrôlent et décident au nom d'un pouvoir totalement étranger au Territoire . Les capitaux qui étaient investis en Indochine connaissent bien ce phénomène de la double autorité du

double pouvoir . Ils connaissent parfaitement le degré d'in sécurité qui en résulte et les obstacles qui en découlent.

Je prends l'exemple d'un incident récent qui a eu lieu à Beyla et qui illustre tous les périls que comporte le système du double pouvoir qu'on voudrait nous imposer. A Beyla , où un juge d'instruction lançait un mandat d'amener contre le Maire de la Ville, comme si le premier magistrat de la ville ne pouvait pas se rendre à une convo

cation du juge et se soumettre à un interrogatoire . Mais il fallait d'abord le mettre sous mandat de dépôt, l'enfermer durant trois mois , six mois , un an , pour humilier en sa

-

personne , en la dignité de actuellement bâtie . Aussi ,

107

sa qualité de premier responsable de Beyla , l'Afrique . Voilà comment, peut-être, on veut que la Communauté Franco-Africaine soit nos interlocuteurs qui viennent en Guinée

parler de Fria , du Konkouré ou de Kamsar, me disent : Monsieur le Président, nous avons confiance en votre

Gouvernement, mais nous avons peur, nous avons peur parce qu'en Afrique et surtout en Guinée tout est politisé, tout . Nous avons peur parce que chez les

travailleurs tous leurs réflexes partent du fait politique , donc nous ne nous sentons pas vraiment en sécurité . Ne pourrait-on pas démobiliser politiquement les masses pour

qu'on ne fasse que le travail économique et social ? Voilà ce

que tous ces hommes me disent journellement, mais je leur explique bien froidement la réalité . Comment voulez-vous

que le Maire de Beyla , mis sous mandat de dépôt par le petit juge de la place et qui ne l'interrogera que des mois après, puisse dire aux masses : exécutez tout ce que ceux qui sont en face de vous pourraient vous demander de faire ? Comment voulez-vous obtenir un tel résultat dans

un pays où certaines structures sont dirigées par des per sonnes qui ne regardent pas l'intérêt général, l'intérêt

réel de la France mais qui , par des mesquineries , par des petites vexations , veulent chaque jour prouver qu'au -dessus de toutes les lois ils sont là , maîtres de la Guinée, dont les

populations ne sont, à leurs yeux , que des esclaves . Tant qu'il en sera ainsi , l'Afrique ne sera jamais démobilisée , ni dans sa classe ouvrière qui fera les grèves poli

tiques, ni dans ses paysans , ni dans ses ministres, ni dans ses élus ::

il faut que les colonisateurs

le sachent .

Ceux qui leur font des grands discours de fraternité veulent camoufler la réalité , mais le jour où la révolte

grondera , ce jour- là , ce sont eux qui seront surpris . Il est mieux qu'en Guinée ils sachent qu'on a intérêt à faire un travail constructif sur des bases honnêtes où le courage

s'affirme, où la réalité se montre nue et où les options se font en toute connaissance de cause . Ainsi , ce que nous

reprochons au projet actuel , c'est qu'il ne garantit pas l'autonomia interne totale , il permettra encore qu'à Beyla

108

il y ait plusieurs autorités dépendant telles de tel pouvoir, telles de tel autre pouvoir, telles d'un troisième pouvoir.

Voilà pourquoi le fait politique restera le fait dominant . Une association ne s'impose pas, et pas plus il n'est de notre intention d'imposer une Constitution à la France,

pas plus la France n'a le droit de nous imposer des condi tions d'association que nous ne saurions accepter . Sur le plan européen , la France veut aussi s'associer à

d'autres pays , mais est-ce pour cela qu'elle est prête à accepter n'importe quelles conditions que lui proposeraient l'Allemagne, la Belgique ou la Hollande ? Et est-ce parce qu'elle rejette certaines conditions qui lui sont proposées qu'elle renonce à l'Association européenne ? Nous savons bien que non . Alors pourquoi la France aurait-elle une attitude différente avec l'Afrique si , comme on nous l'affirme, il n'y a de sa part aucun calcul , aucune

arrière-pensée, aucune restriction au principe de l'Associa tion Franco-Africaine .

Nous voulons passer à la phase de construction active

de l'Afrique, nous voulons avoir les pouvoirs en Afrique

pour que l'économique et le social se développent avec l'adhésion libre de toutes les populations . Voilà l'option de la Guinée , l'option de toutes les forces vives de l'Afrique . Or, le projet nous laisse dans l'équivoque : s'il est prévu

un Sénat Fédéral , il n'y a pas d'Assemblée . Sur le plan international , c'est la République Française qui est connue, sur le plan international n'ont de valeur que

les lois organiques votées par le Parlement français, Parlement qui ne représente que le Peuple Français . Le Président de la République devient le Président de la Communauté , comme il était d'ailleurs le Président de

l'Union Française . Quand un Territoire voudra modifier

au sein de la Communauté son statut juridique , il faudrait un Référendum ; après la délibération de son Assemblée , il faut aussi que le Parlement français se prononce : par loi organique, le nouveau statut de ce Territoire sera accordé .

Mais il n'y a pas de lois organiques en dehors de celles qui seront votées par le Parlement Français . Voilà

109

la réalité . Il est mieux que dans le combat, dans le combat loyal , parce que nous n'avons pas de mitraillettes, d'avions à réaction , de canons, parce que nous n'avons pas les moyens matériels, nous n'avons que notre valeur morale

et humaine, il est mieux qu'on nous impose la force, mais qu'on sache que dans cet état d'esclavage, nous continue rons la lutte pour détruire ce que l'on construit sur notre

dos . Il est mieux que cela se fasse ainsi , que d'avoir de « OUI » à une Constitution qui , sur le plan international , consacre notre état de dépendance per

nous

un

pétuelle, notre état d'indignité, notre état de subordination .

Devons-nous confisquer continuellement notre propre originalité, notre nationalité ? Voilà la chose qu'il faut que VOUS connaissiez . Le Gouvernement actuel dit à

nous autres, Africains : si vous dites « NON » à la Consti tution , c'est la sécession avec la France, mais on sait que, de l'extrême gauche jusqu'à la gauche socialiste , à la

gauche du M. R. P. , à la gauche radicale , tous les Partis /

ont exprimé leur point de vue . Certains sont pour, d'autres sont contre , mais on ne dit pas à la France : si vous votez « NON » , VOUS, vous allez à la sécession .

En tant que Parlementaire, j'ai dans mes archives des résolutions qui me sont adressées par des Départements

du Nord qui demandent leur autonomie . Je souhaite que le Parlement Français n'accorde jamais l'autonomie à ces

Départements , parce que ce serait contraire à l'intérêt national français. Mais s'agissant de nous autres Africains , on nous dit : la France n'est pas la France , c'est la Constitu tion qui VOUS est présentée qui s'identifie avec la

France : Ou vous êtes pour le texte de la Constitution et vous êtes avec la France , ou vous êtes contre le texte

de la Constitution et vous n'êtes plus avec le Peuple Fran çais . Cela est une erreur, c'est un faux problème qui est posé , car vouloir une association réelle d'Etats indépen

dants , ce n'est pas vouloir la sécession . Si la Sierra-Léone demande aujourd'hui à venir dans le bloc français, la France l'accueillera , car cela élargit son rayonnement .

-

110

Pourquoi nous dire alors , à nous Africains de culture française, que nous devons , nécessairement, nous séparer

de la France parce que nous disons « NON » à un projet qui ne nous donne pas satisfaction . Mais nous

prendrons le Gouvernement au mot, parce que, jamais, nous traiterons dans l'équivoque . Advienne que pourra ! Le Gouvernement Français nous a donné sa parole que jamais la France ne fera opposition à notre indé

pendance . A notre tour, nous répondons que si on ne met pas dans la Constitution les bases que nous avons définies qui permettront aux intérêts français de rester en sécurité

en Afrique et qui nous permettront, dans notre mariage avec la France , d'avoir notre dignité respectée , si ces

conditions que nous posons ne sont pas acceptées par le Gouvernement Français, l'Indépendance avec les consé quences que nous propose le Général de Gaulle, nous la prendrons le 28 septembre . Et nous sommes heureux aujourd'hui de dire que ces propositions que nous défendons sont adoptées par le Comité Directeur de l'U . G. T. A. N.

L'U . G. T. A. N. vient de se réunir à Dakar avec tous

les cadres syndicalistes sénégalais et les positions de la Guinée ont été adoptées à l'unanimité . On dit que Bakary

Djibo , Secrétaire Général du P. R. A. , qui , en même temps, dirige le Gouvernement du Niger, au nom de son Terri

toire , a donné sa signature au même communiqué définis sant les bases que vous avez adoptées en Guinée .

Mieux , les délégations du R. D. A. , de la Haute-Volta , du Soudan , de la Guinée, du Sénégal , qui étaient réunies à Dakar , ont également adopté le même programme ; ils ont télégraphié ce matin au Gouvernement Français et ils ont signé la même résolution pour dire que , si ces bases ne sont pas prises en considération , ils diront « NON » à la Constitution .

Voilà donc que la plateforme est devenue commune . Mais nous disons , pour qu'il n'y ait pas d'équivoque, que même si les autres Territoires doivent trahir, nous , de la

- 111

Guinée, nous ne trahirons pas notre engagement, nous ne trahirons pas l'engagement que nous avons pris car nous

faisons confiance à la Jeunesse d'Afrique, nous faisons confiance à la classe ouvrière .

Je ne souhaite pas qu'on rejette nos conditions , sinon

il est probable que les travailleurs, dans toute l'Afrique, commencent la grève illimitée, la grève politique, qui ne

durera même pas deux mois ; on comprendra ou devra

reconnaître que l'Afrique est devenue mûre et qu'il faut compter avec la nouvelle Afrique . Les engagements que nous avons pris demeurent, vis

à-vis de ceux qui veulent collaborer avec l'Afrique, de ceux qui veulent travailler partant de la reconnaissance, de la dignité et de la liberté de l'Afrique . Au Congrès de Bamako, chacun sait que l'Afrique s'est prononcée en faveur des Fédérations pour maintenir l'A. O. F. , l’A. E. F. , les transformer en Etats, lesquels doivent adhérer à la Communauté Franco-Africaine . Des

résolutions dans ce sens ont été envoyées au Gouverne

ment Français : le Grand Conseil , en 1957 ( à Brazzaville comme à Dakar ) , à l'unanimité, vote deux résolutions iden

tiques demandant de mettre fin à toute politique de « bal kanisation » et de maintenir les Fédérations .

Le R. D. A. dépose deux projets de loi , il y a à peine six mois, invitant le Gouvernement à créer une Délégation

Exécutive à Dakar à la place du Haut-Commissariat et à maintenir les Fédérations .

Tous les partis politiques ont signifié la même volonté d'unité . Or, le Gouvernement, dans son projet de Consti

tution , ne tient pas compte de cela . || veut diviser l'Afrique, il dit : « La Guinée deviendra un Etat , la Côte d'Ivoire sera un Etat , chaque Territoire aura sa per

sonnalité, fera sa Loi . » Alors que le Marché de l'Afrique Occidentale est assez restreint , qu'il aurait fallu même

l'étendre à l'A . E. F. pour avoir un grand ensemble écono mique et monétaire , on veut que la Guinée soit considérée comme un Pays séparé du Sénégal pour que la Douane soit installée tout autour des frontières avec le Sénégal , des

112

frontières avec le Soudan , des frontières avec la Côte

d'Ivoire, voilà ce que nos frères Français , nos frères Euro péens habitant Conakry ne doivent pas ignorer . On veut , sous le couvert d'une réforme constitutionnelle

et à la faveur de la crise politique française, briser l'unité africaine, réduire le potentiel de lutte politique

de l'Afrique , faire échouer les Gouvernements Africains . Nous considérons cela comme une tentative de recon

quête coloniale . On essaie de créer un climat d'agitation dans les milieux européens . On leur dit : « Le 28 , c'est le grand jour, vous

n'avez qu'à faire vos valises , vous serez jetés à la mer . » Certaines hautes personnalités du Territoire, prises de panique , développent à leur tour ces fausses nouvelles dans les milieux européens .

On mène une campagne de mystification auprès des Anciens Combattants et des Anciens Militaires Africains

avec l'espoir de gagner quelques voix . Il faut que l'on sache que les Anciens Combattants et les Anciens Militaires

ont un sens trop aigu du devoir pour se désolidariser de l'Afrique . Ce sont- là des batailles vaines qui ne tiennent aucun compte des enseignements de l'Histoire . Nous affirmons , et cela sans équivoque, notre option .

Elle est pour la France, elle ne sera jamais contre la France, mais si le Gouvernement actuel de la France ne veut pas

également respecter la dignité de l'Afrique , nous dirons « OUI » à la France, mais nous dirons « NON » au Gouver nement , « NON » à la Constitution . Il appartient au Gouvernement Français de répondre OU « NON » aux aspirations de l'Unité de

« OUI »

l'Afrique, de l'unité économique, sociale, administrative de l'Afrique, de dire « QUI » ou « NON » aux revendications de dignité de l'Afrique, « QUI » ou « NON » pour qu'une Communauté Franco-Africaine soit construite sur des bases solides . Si le Gouvernement actuel de la France dit « NON »

à nos revendications, nous, tout en restant de coeur avec

le Peuple Français qui nous comprendra , nous répondrons « NON » au Gouvernement Français, le 28 septembre .

ALLOCUTION DE MONSIEUR AUGUSTE POUECH PRÉSIDENT

DE

LA

CHAMBRE

DE

COMMERCE

ET

DISCOURS DE MONSIEUR SÉKOU TOURÉ PRÉSIDENT

DU

CONSEIL

DE

GOUVERNEMENT

PRONONCÉS A LA CHAMBRE DE COMMERCE LE jer SEPTEMBRE 1958

ALLOCUTION DE M. AUGUSTE POUECH

M. Pouech , Président de la Chambre de Commerce ,

s'adresse à M. Sékou Touré : Monsieur le Président,

Je suis particulièrement aujourd'hui et vous remercie spontanément à mon appel Secteur Economique toutes

heureux de d'avoir bien en venant explications

vous accueillir voulu répondre ici apporter au nécessaires , et

aussi , je l'espère, tous apaisements indispensables . Vous n'êtes pas sans ignorer, en effet, l'émotion profonde qui a suivi les discours qui ont été prononcés à

l'occasion du passage du Général de Gaulle , discours , qui, je le reconnais , ne comportaient que la confirmation d'un programme connu , mais dont , permettez-moi et excusez moi de vous le dire , l'expression , la forme vigoureuse et , parfois même , l'extrême rigueur, ont surpris . Je sais votre intention de répondre tout à l'heure aux

questions qui vous seront posées et je souhaite ardemment que les uns et les autres puissions sortir d'ici apaisés et confiants dans l'avenir du Territoire .

UN

DISCOURS DE M. SÉKOU TOURÉ Monsieur le Président ,

Mesdames , Messieurs ,

Je suis particulièrement à l'aise pour donner les préci sions qui sont réclamées par vous tous, à travers les quel ques mots prononcés par votre Président . Je suis très heureux de ce contact . Les Membres du Conseil de

Gouvernement, en un mot, les responsables politiques du Territoire, se doivent , en effet, à tout instant et dans les

divers secteurs, d'expliquer ce qu'ils pensent ou de préciser ce qu'ils ont déjà affirmé et cela , dans la mesure où ,

comme ils le disent, ils prennent pour centre d'intérêt de leur politique , non pas des considérations de personne, mais ce qu'il est convenu d'appeler l'intérêt général , lequel ne peut être atteint qu'en faisant la somme de toutes les valeurs , de tous les intérêts harmonieusement mêlés .

A l'heure actuelle , de quoi s'agit-il ? Il s'agit des futures réformes institutionnelles , et celui qui vous parle est d'autant plus qualifié pour vous en entretenir qu'il est membre de l'Assemblée Nationale Française . C'est dire que, même en dehors de ce Conseil de Gouvernement, il avait le devoir impérieux de vous expliquer, étant l'un des représentants du Territoire au Parlement, comment il conçoit cette réforme constitutionnelle . Le sujet qui nous occupe est un sujet qui dépasse la

Guinée, qui dépasse l'Afrique Noire de culture française, qui embrasse à la fois tous les Territoires groupés aujour d'hui dans le cadre juridique de l'Union Française .

Celui qui vous parle se doit , en dehors de ses fonctions parlementaires , de vous expliquer quels sont les choix

différents qui sont déjà faits dans les différents milieux , qu'il s'agisse de la position des Conseils de Gouvernement, de celle des organisations syndicales, de celle des organi

118

sations politiques, choix dont doivent tenir compte Blancs et Noirs, dans la mesure où le mariage que nous devons faire sous-entend l'addition des valeurs réciproques, des valeurs de la France en tant qu'entité, et aussi celles des Territoires, dont le destin entend être lié au sien .

Comme vous le savez, après la guerre, il y a eu en avril 1946 un premier projet de Constitution qui faisait des anciennes Colonies françaises des pays placés sur un pied

d'égalité juridique avec leur Métropole, et qui donnait la possibilité à ces pays de se transformer en Etats Associés à la France sur la base de la Liberté et de l'Egalité, avec comme principes : Démocratie, Fraternité et surtout Soli darité .

Il s'est trouvé en Métropole , à l'occasion de cette première consultation , de nombreux électeurs qui pen

saient que les grandes ouvertures politiques ainsi faites par ce projet constitutionnel aux T. O.-M., ne correspon daient pas effectivement à la maturité politique des hommes des Territoires d'Outre-Mer . Ces électeurs , par

conséquent, concluaient que de telles possibilités , loin de

consolider les rapports franco-africains pourraient être mal utilisées par des peuples dont l'éducation politique était peu avancée , et aboutir au résultat contraire, c'est-à -dire à la dislocation de l'ensemble .

Vous savez, et certains d'entre vous ont participé ou suivi de près cette première campagne électorale , que ces

mots d'ordre ont pris , rapidement, dans la conscience du corps électoral , de la force , et c'est ainsi que la première consultation a rejeté purement et simplement le projet du 19 avril 1946 .

Il y eut donc une nouvelle Constituante et un deuxième

projet, celui de l'Union française actuelle, qui a été adopté par le corps électoral français le 13 octobre 1946 ..

Je tiens à souligner que n'ont pas participé aux deux consultations les ressortissants des Territoires d'Outre-Mer,

excepté ceux qui appartenaient aux quatre communes du Sénégal , seuls considérés alors comme citoyens français . Des dizaines de millions de gens, dont le sort est intime

119

ment lié à celui de la France sur la base d'un amour et

d'une adhésion qui ont été suffisamment démontrés par leur participation active dans le mouvement de la Résistance contre les forces d'occupation ; ... ces millions de gens pensaient , légitimement , sortant très fraîchement de cette grande bataille qui tendait à mettre en jeu la dignité et la liberté de notre ensemble , pouvoir donc parti

ciper au référendum par leur vote .

Malheureusement, l'évolution n'était pas parallèle . Si , sur le plan africain, de nouvelles réalités apparaissaient, nombreux sont ceux qui , de très bonne foi , très loin d'eux, ne mesuraient pas toute l'importance de leur maturité, et

pensaient légitimement pouvoir se prononcer en leur nom . Il n'y a pas eu , pour autant, de très grosses déceptions dans les Territoires, parce que, il faut le reconnaître, bien que n'ayant pas participé à son vote, le projet de constitu tion affirmait les principes qui avaient mobilisé les Africains dans la Guerre, puisqu'il y est affirmé que la France entend , sur la base de l'Egalité et de la Fraternité ,

conduire les peuples d'Outre-Mer à leur émancipation totale . La finalité donc, de l'action , l'émancipation des

peuples d'Outre-Mer et les possibilités de changement de l'Etat juridique des Territoires, était , en effet, contenue dans les dispositions de la Constitution . Mais vous conviendrez avec moi que, entre les disposi

tions et la réalité que nous avons connues, il y a eu un grand fossé . Car, sur le plan de l'harmonie, et cela au grand détriment de nos intérêts communs , aucune possi

bilité de transformation juridique n'a encore été accordée par le Parlement Français. Ceux qui ont cru devoir imposer certaines transformations ont été obligés de prendre des positions que tous ont regrettées, lesquelles, en tous

cas, n'ont jamais été affirmées ou déterminées , en fonction d'une évolution harmonieuse continue ; les changements

opérés jusqu'ici ont été le fait d'une rupture . Nous pensons donc que si on avait tenu compte des possibilités offertes dans la Constitution , l'ensemble aurait eu toutes les chances, non seulement de se maintenir, mais de se renforcer .

120

Ainsi , l'option nous était offerte de devenir département . Certaines anciennes Colonies n'ont pas hésité devant cette option , leurs populations avaient l'idée de devenir des

Français à part entière et la conviction que la départemen talisation de leur pays mettrait fin à toutes formes de

discrimination . Malheureusement, dès après le vote, nous avons été amenés à constater que l'on qualifiait certains départements de « métropolitains » et d'autres de « dépar tements d'Outre-Mer » , avec des structures juridiques différentes . Vous savez vous-mêmes, qu'il s'agisse des

données économiques de ce problème, des données sociales ou des données administratives, on a toujours marqué la singularité de ces départements d'Outre-Mer qui , sur le plan juridique cependant, devaient se considérer comme une partie de la France .

Depuis , il s'est constitué sur le plan de l'Afrique Noire

des grands mouvements d'émancipation . Mais qu'il s'agisse du R. D. A. , ou qu'il s'agisse aujourd'hui du P. R. A. , ces mouvements n'ont fait que prendre la place d'autres formations qui avaient les mêmes programmes

politique, économique, social et culturel. La Loi-Cadre devait être abordée après un tel éveil

de conscience des populations, et après un tel progrès de leurs organisations politiques , dans le sens de leur unifi cation ou , du moins, de l'unification de leurs programmes.

Comme nous l'avons toujours dit quant à nous, la Loi-Cadre était un signe de progrès, mais elle com

portait aussi bien une possibilité de progrès qu'une possibilité de régression , et cela , indépendamment de la

volonté de la France ; ce recul ou cette avance serait le fait des Africains eux-mêmes, selon qu'ils veulent confis

quer, au profit d'un petit groupe , la révolution que consacre la Loi-Cadre, ou selon qu'ils veulent s'en servir pour corri ger et rendre plus dynamique le mouvement d'évolution des Territoires, dans le sens de leur développement écono mique, social et culturel . Cela , nous l'avons défini sans équivoque, vous le savez vous-mêmes . Nous avons tou jours dit par ailleurs que, seule, une construction valable demande des efforts et du travail .

121

Lorsqu'on fait une option dans le sens d'une construction on a , évidemment, à déployer beaucoup d'efforts. La solution paresseuse qui consiste à tourner le dos à l'avenir,

à ne voir que le passé, puis à repousser ce passé ou chercher à le détruire, est un travail facile . Là , on n'a pas besoin de faire des déclarations solennelles puisqu'on

n'a personne à convaincre . On n'a tout simplement qu'à partir des manifestations sentimentales des uns et des

autres dans leur insuffisance, pour faire l'addition des forces négatives dans le sens d'une destruction . Notre option n'a pas été là . Elle est tout le contraire ::

c'est celle qui conduit à rechercher objectivement les situations adéquates

sans se laisser dominer par le

facteur électoral . Qu'il s'agisse de nos responsabilités vis-à-vis des chefs de canton , dont certains étaient, malgré

tout, puissants, qu'il s'agisse des responsabilités à prendre dans le domaine social , pour l'émancipation de la femme, alors qu'on sait avec quelle · force atavique on tient à conserver certaines moeurs, ou qu'il s'agisse d'imposer une nouvelle conscience au mouvement syndical pour

l'adaptation de sa lutte , afin que l'aspect négatif de cette lutte soit immédiatement abandonné , bref, dans tous les

domaines , l'équipe que j'ai l'honneur de représenter ne s'est pas enfermée dans des considérations électorales . Elle a entendu définir avec clarté ses options, les indiquer

avec la force, avec la nette conscience qu'elle n'échouerait pas si elle sait dire ce que chacun pense, et si elle sait

réaliser ce qui peut consolider l'avenir . Donc,, dans un champ restreint , vous connaissez nos

méthodes ! ... A un niveau plus élevé , comme je le disais tout à l'heure , puisque les réformes constitutionnelles

n'intéressent pas que la Guinée , les Africains ont le devoir , l'impérieux devoir , d'affirmer sans détours ce que les masses sentent, pensent et veulent . Et je dis que c'est la seule manière, non seulement de pouvoir guider les événements dans le sens des constructions voulues sans

compromettre l'action des dirigeants locaux , mais la seule manière d'attirer l'attention des responsables français dans le cadre de leur action Outre-Mer, afin que cette action ,

•_ 122

adaptée aux différentes phases évolutives, puisse chaque jour servir la cause commune et ne pas connaître aussi une phase de violence , une phase de rupture .

Il est facile d'applaudir les grands du jour et de ne dire que ce qui plaît. Mais, même lorsque le dirigeant ne vous dit que ce qui peut vous plaire, je le répète, la nature a voulu que nous puissions mutuellement nous influencer ; mais elle laisse à chaque homme, à chaque femme, la possibilité de penser à quelque chose sans que le voisin n'en sache rien , c'est l'intimité de chacun , la pensée de

chacun , le domaine où chacun est libre .

Par conséquent, dans la mesure où nous voulons guider un ensemble comme le nôtre , il faut traduire ce qu'il pense

et non être en contradiction avec ses pensées . Sur le plan syndical vous avez suivi cette évolution . Nous avons cons titué un grand mouvement en Afrique Noire, nous avons désaffilié ou fait désaffilier toutes nos organisations syn dicales des organisations métropolitaines ; sur le plan

politique, nous avons, depuis la création du R. D. A. , opté pour une autonomie d'action . Pourquoi ? C'est là le signe

d'un processus évolutif qui veut que l'on reconnaisse que sur le plan sociologique, sur le plan humain , comme sur le plan économique et sur le plan politique , les réalités de la Métropole sont différentes de celles de l'Afrique et qu'il n'est donc pas possible aux Africains de soutenir une politique d'assimilation , car elle est sans issue .

Il faut avoir le courage de l'affirmer ! D'autre part, constatant que, sur le plan métropolitain , on voit en nous, non pas des forces nouvelles qui , dans le domaine moral , dans le domaine culturel , dans le domaine économique, dans le domaine humain , additionnées à celles que repré sente la Métropole, pourraient donner à notre ensemble

un rayonnement plus grand , les partis politiques, les orga nisations syndicales de France voient en nous des alliés dans

le sillage particulier à chacun d'eux pour nous entraîner dans les contradictions qui les divisent . Nous avons pris

conscience du danger qui consiste à dire : « Nous, socia listes , nous ne sommes qu'avec les socialistes français ... »

« Nous communistes, nous ne sommes qu'avec les com munistes français . » OU « Nous M. R. P. , nous n'entendons 1

123

nous enfermer que dans l'optique du M. R. P. français ... » Ou « Nous radicaux... » , etc ... , tout comme « Nous C. G. T. ,

nous C.F.T. C. , nous F. O. » , etc ... 1

Vous savez qu'il y a longtemps que nous avons dénoncé ce danger qui fait que le peuple français ne peut pas nous comprendre , si nous nous immiscons dans les luttes contra dictoires entre les partis ou les syndicats , pour la solution

des problèmes qui ne sont pas spécifiquement africains . Nous avons donc dit, avec courage , qu'il nous faut nos propres organisations syndicales et nos propres organisa tions politiques fondées sur la base de notre originalité et ayant pour mission le développement de nos valeurs , avec

un caractère d'autonomie complète partant duquel elles collaboreront avec toutes les forces métropolitaines sur la base , non pas de ce qui est particulier à ces syndicats et à ces partis politiques , mais de ce qui est commun au

peuple d'Afrique et au peuple de France . Nous savions, au moment où on le disait, que la réalité était que même nous Africains, avions une conception

particulière et cela par le fait de notre éducation scolaire, qui ne nous permeitait plus d'avoir une conscience claire de ce que nous appelons aujourd'hui notre valeur originale .

Nous avons rencontré , je ne vous le cache pas, de la part de nos propres collaborateurs , les plus grandes difficultés , mais, nous savions qu'avec cette foi , cette conviction que seule la sincérité de notre attitude d'homme et le courage qu'une libre option confèrent, que l'avenir nous donnerait raison tôt ou tard . Cet avenir ne s'est pas

fait attendre ! Vous avez vu que malgré nos dissensions nous nous sommes tous retrouvés sur la même base

politique, sur la même base syndicale . Au moment d'aboutir, on disait que l'unité syndicale signifierait le départ des Blancs ! Ceux qui ne veulent pas

comprendre les phénomènes les expliquent d'une manière subjective . Pourtant la réalité commande cette unité afin que les

uns n'aient plus le souci de s'abandonner à une action

de propagande électorale en se refusant de dire aux populations ce qui est vrai , quitte à leur déplaire si

124

cette vérité les heurte . Vous n'ignorez pas que, dans d'autres Territoires, la même volonté existe de lutter contre

la polygamie . Je citerai des hommes comme Senghor, qui ont des positions fondamentales sur la question , mais qui ne peuvent pas , face aux populations, les affirmer, tout simplement parce que les populations sont divisées , alors

que la phase de la construction suppose d'abord chez nous une unité sur la base d'un programme ; les leaders conscients de cela peuvent à tout moment s'affirmer aux

populations dans le sens même de leur propre éducation civique et politique .

Je continue donc ! Ces grands mouvements , sur le plan africain , ont demandé les premiers, bien avant les dirigeants français, la construction d'un grand ensemble rénové . Je vais même plus loin ; en 1953 , les Indépendants d'Outre-Mer, le parti de M. Senghor , au Congrès de Bobo Dioulasso, vous vous en souvenez peut-être , avaient les premiers voté une motion politique demandant la création

d'une République Fédérale Française . On a crié immédia tement en Métropole à la sécession , à l'ingratitude , à tout

ce que , sur le plan de la rancoeur ou de la subjectivité, des hommes peuvent se permettre . de dire sur le compte de

leurs semblables . Cela a passé . Notre mouvement, le R. D. A. , pose àà son tour le problème de la Fédération à son Congrès à Conakry, au mois de juin 1955. Les délégués des Territoires , réunis

ici ( si je ne me trompe à l'Hôtel de Camayenne- Plage ) , votent une résolution pour la constitution d'une Fédération et la transmettent au Gouvernement Français . Deuxième acte, début 1956 , toutes les organisations syndicales africaines : C.G.T. C.F.T.C. F.O. Indépen dants ou Autonomes , se réunissent à Cotonou et arrêtent,

en dehors de leur programme revendicatif normal , un programme politique de construction d'un grand ensemble de structure fédérale . Encore une fois , on a crié au même mot d'ordre de sécession .

Le Congrès du Conseil de la Jeunesse d'A . O. F.-A. E. F. se prononce dans le même sens, transmet les mêmes

résolutions et provoque également les mêmes réactions.

125

-

On ne se soucie pas d'étudier les raisons pour lesquelles nous voulons une nouvelle construction juridique . Non ! on essaie de commenter ce que nous affirmons , et toujours 1

dans le sens destructif.

Le R. D. A. a réuni en septembre 1957 son deuxième

Congrès à Bamako . Vous savez que ce Congrès a fait

beaucoup de bruit . Vous avez donc été mis, directement ou indirectement , au courant de ses conclusions . Qu'est-ce qui a failli être fatal , je le dirai aujourd'hui , au Président

du R. D. A. ? C'est d'avoir présenté, non pas la Commu nauté Franco-Africaine , qui a été admise et applaudie par tous, qui était le mot d'ordre de toutes les sections bien avant le Congrès de Bamako, mais une modalité d'adhésion

qui apparaissait à tous les Africains comme un pas en arrière . En effet, il s'agissait de transformer chaque Terri

toire en République, liée directement à la République Française . C'est là le divorce ! Si nous avons abouti à une motion de compromis , c'est parce que des hommes ont refusé que soit dénoncée à la face du monde l'erreur de tel ou tel de leurs dirigeants .

C'est ainsi que notre unité a été sauvée . On le sait très bien .

Du reste, dans la motion de compromis, il est affirmé que nous allions construire la Communauté Franco -Afri

caine sur la base de l'unité de nos Groupes de Territoires, dans le respect de la solidarité de nos Territoires Africains . C'est écrit ! Cette résolution , nous l'avons également trans mise à Paris . Par la suite, ont eu lieu successivement trois importantes réunions à Paris . Le R. D. A. , à l'issue de

chacune, dépose des projets de résolution ou vote une motion politique diffusée . Par tous ces actes, il démontre qu'il

subordonne

l'adhésion

de nos Territoires à

la

Communauté , au maintien de nos Fédérations A. O .. F.

A. E. F. ; qu'en aucun cas, il ne saurait souscrire à ce qui a été appelé par Senghor et repris par tout le monde : :

« la Balkanisation » de l'A . O. F. et de l'A . E. F. C'est clair ! Mieux , nous avons voté deux résolutions invitant le

Gouvernement Français à créer, à la place du Haut-Com missariat, une Commission Exécutive chargée de la gestion

126

-

de nos affaires communes , à l'échelon de chaque Groupe de Territoires, en attendant la réforme constitutionnelle qui pourrait alors prévoir les institutions propres à nos Groupes

de Territoires et, ainsi , donner satisfaction à la revendica tion qui est la plus sensible à l'heure actuelle . Je suis sûr que, même si l'unanimité des dirigeants africains disait

aujourd'hui non aux Groupes de Territoires, les populations africaines , elles, l'imposeraient . Retenez bien cela et suivez le cours des événements !

Ainsi , il était connu qu'ici , en Afrique, tous veulent d'une Communauté Franco-Africaine , mais tous veulent voir maintenus tous les Groupes de Territoires. Pourquoi ? Parce que , vous le savez vous-mêmes, il ne peut en être autrement pour nous Parlementaires Africains , qui sommes aujourd'hui à côté des Métropolitains , à parler d'un grand

ensemble économique, tandis que sur le propre plan de la France , on parle d'un marché plus vaste , le Marché Commun , le marché français étant considéré comme très

restreint . Et l'on veut que nous , Africains , parce qu'on nous présente quelques petites réformes par changement

de nos titres et en nous donnant un peu plus de pouvoirs ; parce qu'on veut que M. Sékou Touré, par exemple, puisse penser : « Je préfère être le Premier Citoyen en Guinée

que d'avoir à répondre ou à exécuter les consignes ou les décisions d'un Gouvernement qui serait au-dessus de moi à Dakar » ; on veut que nous nous enfermions dans cet orgueil , et que nous ne voyions pas de très près la trans

formation de chaque Territoire en entité économique fer mée , avec frontière douanière entre la Guinée et le Soudan ,

entre la Guinée et la Côte d'Ivoire, entre la Guinée et le

Sénégal , pour que ni transporteur, ni marchandises ne puissent désormais entrer ou sortir sans subir les mêmes taxes douanières que lorsqu'ils ont à franchir les frontières de la Guinée avec la Sierra-Léone .

Sincèrement , nous ne pouvons pas accepter ! Parce que

c'est restreindre le marché africain lui-même, c'est enlever les possibilités d'une évolution harmonieuse aussi . En effet,

la Côte d'Ivoire peut dire : « Je suis un pays très riche. :

Si le Grand Conseil éclate, si le Groupe de Territoires éclate , rien que sur la base de mes recettes fiscales, je

127

dispose de dix milliards de plus en moyenne . » Mais en raisonnant ainsi , le Soudan qui n'a pas de frontière douanière, qui n'a pas de mer, qui est obligé de faire passer ses marchandises par Conakry ou par Dakar, doit-il être pénalisé ? La Haute-Volta mérite-t-elle d'être péna lisée ? Le Niger doit-il être pénalisé ? Nous vous posons la question !

La Guinée, vous le savez, j'en suis très conscient, et je l'ai dit à mes collègues , si l'on en fait un Territoire auto

nome, son Gouvernement peut avoir de belles possibilités . Mais nous, Les populations ? Possibilités restreintes . Mais Gouvernement , nous aurions les possibilités belles parce que les recettes douanières faites ces huit derniers mois , si elles devaient revenir à la Guinée seule , nous aurions au point de vue budgétaire , une situation aisée . Je vous

parle en connaissance de cause et toutes les perspectives d'évolution économique de ce Territoire , si elles ne doivent servir qu'à la seule Guinée , mettraient notre Gouverne

ment à l'aise pour réaliser ce qu'il ne peut pas réaliser si

le Groupe de Territoires , doit se maintenir , si les recettes douanières de la Guinée doivent aider la Mauritanie , aider le Soudan , aider la Haute -Volta , aider le Niger à se déve

lopper dans l'harmonie . Donc, nous n'abordons pas le problème avec une concep tion égoïste ou administrative, mais avec la dynamique de ce que cet ensemble A. O. F.-A. E. F. doit se maintenir

et se développer . Sur le plan de la monnaie même , vous le savez, quand on parle de franc C. F. A. , il s'agit de l'A.O.F . 1

et de l’A.E.F. Si nous n'avons pas nos Groupes de Territoires

maintenus, est-ce que chaque Territoire ira discuter de la monnaie, de l'infrastructure économique ? Est-ce chaque Territoire qui fera sa douane non seulement sur le plan maritime, mais avec les autres Territoires ?

Chaque Territoire doit-il avoir sa Fonction Publique, laissant le médecin qui y est, à la merci d'un seul Gouver nement ? Parce que encore, avec la conception égoïste je peux dire : « Très bien , qu'est-ce que cela permet-il au

Gouvernement de la Guinée ? Toutes les possibilités sur la Fonction publique ! » Mais , supposons que les membres de ce Gouvernement soient des malhonnêtes , supposons

128

-

que ce soient des hommes qui ne veulent faire que ce qui leur plait et faire faire ce qui leur plait . Ainsi

le cadre est trouvé pour qu'il

n'y ait plus

possibilité d'appel . Le docteur qui n'exécute pas ce qu'on veut, on le révoque parce qu'il appartient au cadre de la Guinée . L'instituteur, on le révoque avec la même facilité . Tout fonctionnaire peut être révoqué comme on veut . Tout commerçant peut être inquiété : ou il exécute

ce qu'on veut ou on lui dit : « Vous quittez l'Etat . » || est expulsé . On enlève tout simplement le droit d'appel , car on aura supprimé la Chambre de Dakar, le Grand .

Conseil , qui peut casser nos délibérations . On aura enlevé la possibilité de se pourvoir en appel auprès de ce Gou vernement de Dakar qui peut dire à tel Gouvernement : « Non » parce que je suis là pour garantir les libertés . »

Voyez donc que ce n'est pas avec la conception égoïste ou personnelle du profit que nous voulons que ces

possibilités au -dessus des Territoires ne soient pas mises en cause, inais bien plutôt par souci de l'intérêt commun . Je donne un autre exemple . Avec la Loi -Cadre, l'Assem

blée Territcriale de la Côte d'Ivoire a voté une résolution. Je ne sais pas si votre Chambre de Commerce a eu à protester , mais celle de Dakar a eu à étudier cette délibé

ration , frappant de 8 % de taxe toute marchandise venant des autres Territoires : la Guinée , le Soudan , la Haute

Volta . Le commerçant qui passerait avec un fût d'huile, d'essence , avec une balle de tissus, devrait payer 8 % de

la valeur au profit du Gouvernement de la Côte d'Ivoire . Autre fait, vous avez vu qu'à Kaolack ( cela , vous vous y

êtes intéressés, je l'ai vu dans vos protestations ), tous les transporteurs de Guinée et du Soudan étaient arrêtés par une douane ordonnée par le Gouvernement du Sénégal . Pour lever ces mesures , le Gouvernement de la Guinée

saisit le Grand Conseil , c'est la Chambre d'Appel , et démontre que les délibérations votées par la Côte d'Ivoire et le Sénégal portent atteinte à l'intérêt de la Guinée, et conformément au principe de solidarité interterritoriale, invite le Grand Conseil

à annuler ces délibérations .

Résultat : elles ont été annulées .

129

Demain on nous enlève ces possibilités . Chacun aura donc à faire ce qu'il veut et comme il veut . Je vous dis , l'évolution ce n'est pas ce qui est aujourd'hui , c'est une projection dans l'avenir, c'est-à-dire quelque chose qui nous dépasse, qui vous dépasse . Si , ceux qui peuvent parler aujourd'hui se refusent de dire la vérité, demain la vérité éclatera parce que les conséquences seront vues de

tout le monde . Dès qu'on ne pourra plus passer d'un Terri toire à un autre sans présenter un passeport ou sans subir

telle ou telle entrave, on comprendra alors ! C'est pourquoi en 1957 , dès qu'ont été connues les premières dispositions de la Loi-Cadre , les Grands Conseils de l'A . O. F. et de

l'A. E. F. ont, par une délibération , protesté auprès du Gouvernement Français contre l'éclatement possible des deux Fédérations .

Ensuite , le nouveau Grand Conseil , à trois reprises, a voté les mêmes résolutions , adressées également au

Gouvernement Français . L'A . E. F. a agi de la même manière ; la Chambre de Commerce de Dakar a agi dans le

même sens . Ses rapports font une étude économique de la situation et aboutissent à une nette prise de position pour le maintien des Groupes de Territoires . Vous avez lu également dans la revue qui peut être

considérée comme l'expression de la volonté des hommes du commerce et de l'industrie , c'est-à-dire les « Marchés

Tropicaux » , les études objectives qui , dans le domaine

économique, y ont été faites . Toutes concluent au maintien de ces ensembles et invitent le Gouvernement à tenir non

seulement compte de la réalité économique, mais aussi de

la volonté exprimée par les partis et les syndicats africains . Eh bien ! mes chers amis, je vous dirai , à votre étonne ment peut-être, que, bien que pendant trois ans nos Syndi cats, nos Partis politiques , nos Assemblées Territoriales , nos Grands Conseils , nos Groupes Parlementaires aient 1

milité pour le maintien de ces ensembles , on nous répond : « Mais la Côte d'Ivoire menace . Elle menace de faire

sécession si les Fédérations doivent subsister . » Tout se passe comme si on a le droit de fermer les yeux devant une réalité qui , cependant , commande notre évolution dans

130

l'harmonie et dans l'unité, comme s'il n'y avait pas unani mité des Territoires contre la position d'un ou deux d'entre eux .

Cela est bien pénible ! Nous disons , quant à nous , que sur ce problème de la division nous ne sommes pas

d'accord , nous ne pouvons pas l'accepter . Nous pensons qu'il est encore temps que cela soit connu , afin que

demain , lorsque se manifesteront d'autres formes de mécontentement, non pas celui de l'homme qui vous parle, mais celui des populations des différents Territoires, dont nous connaissons les options , on ne soit pas étonné ce

jour- là de la réaction contre l'erreur qu'on a voulu sciem ment commettre .

Je vais maintenant aborder l'examen du nouveau projet sur le plan général . Certains d'entre vous ont écouté les paroles que j'ai eu à prononcer vendredi soir au cours du meeting au « Vox » . Toutefois, je les résume brièvement

pour que rien ne reste dans l'équivoque : le projet concerne à la fois la Métropole et les Territoires d'Outre-Mer . Or, c'est le Parlement Français qui a désigné les hommes ayant siégé au Comité Constitutionnel . J'ai eu l'honneur d'être le premier à demander au Gouvernement de bien vouloir réunir les Vice- Présidents des Conseils de Gouvernement,

les responsables des Assemblées Territoriales, les respon sables des différents mouvements politiques autour du Président du Conseil Français , afin qu'à une telle réunion

chacun dise ce qu'il pense . Une réunion qui n'aurait aucun caractère de publicité, mais où chacun a le devoir d'ouvrir son coeur pour que sorte une synthèse qui , sur le plan public, ne souffrira d'aucune contradiction , puisque les contradictions auront été vues entre quatre murs par ceux

qui parlent au nom des différents peuples . Si l'on n'avait pas une volonté de construction , on n'aurait pas fait de telles propositions dont les résultats

nous auraient liés . On ne tient pas compte de cela . Le Gouvernement invite l'Assemblée Nationale à se faire

représenter au sein du Comité, mais les Assemblées des Territoires n'y sont pas . Et d'un !

- 131

-

Nous avons lancé encore une autre idée, à la suite de notre Congrès, reprise dans tous les Territoires , à savoir :

qu'il y ait deux référendums pour que le peuple français avec lequel nous voulons collaborer ne soit pas condamné

par notre vote et que le peuple africain avec lequel le peuple

français

collaborera

ne

soit

pas

également

condamné par lui ! En effet, admettons que la Constitution soit votée négativement par la majorité du peuple français, et affir mativement par les peuples des Territoires d'outre-Mer , elle est démocratiquement adoptée, mais , ce faisant, nous aurons imposé au peuple français des institutions contre

lesquelles, à l'occasion du même référendum , il aura manifesté son opposition . Il en est de même pour la partie qui nous intéresse . Si , par exemple, elle ne donnait pas satisfaction à l'ensemble de nos Territoires , elle leur serait

imposée néanmoins par le peuple français qui , satisfait de la partie qui le concerne , l'aurait approuvée . Soit majorité du peuple français « pour » , soit majorité des peuples d'outre-mer « contre » , et on impose une Constitution à l'une ou l'autre partie . Eh bien , si la Communauté Franco Africaine n'a pour fondement que la force , on peut dire

que le problème est résolu . On aura trouvé sur le plan de la légalité, sur le plan juridique, les bases de justification d'une force qui , seule , est le fondement de notre Commu nauté .

Mais , si on tient compte de l'évolution pour savoir que tous, nous sommes des hommes , Blancs ou Noirs, que tous , dans cette Communauté nous devons venir avec non

seulement le coeur et la raison , mais avec la force dans la conviction de soutenir notre Communauté sur le plan externe comme sur le plan interne , sur la base de notre

solidarité, pour qu'elle se maintienne et se développe , si c'est le but à atteindre, la procédure de vote , telle qu'elle est définie , nous paraît contraire au but recherché . Voilà les premières observations que, très tôt, nous avons faites.

132

Là encore, on n'a pas tenu compte de nos observations. On nous dit : « Vous voterez de la même manière que les

électeurs français . » Si nous ne pouvons pas faire autre ment, nous voterons contre !

Au mois de février, à Paris, se réunit le groupe R. D. A. Nous votons une résolution après confrontation avec les

autres partis en conférence baptisée « Conférence de Regroupement des partis Africains » . Vous avez également suivi cette conférence, puisque la radio en a fait état pen

dant longtemps . Je vous dirai que j'ai eu l'honneur et la charge d'être le rapporteur de cette grande conférence qui a réuni les représentants de toutes les organisations politiques et syndicales de l'Afrique et de Madagascar ; que, par conséquent, je puis vous parler en toute connais sance de cause des dispositions de la motion que nous

avons déposée . Qu'affirme-t-elle ? Notre volonté commune de créer une Communauté sur la base de l'exercice du

droit de l'autodétermination, avec abandon volontaire de souveraineté par chaque Etat autonome, au profit de notre ensemble qui aura , par conséquent, sur toutes les questions considérées comme vitales , comme fondement de notre

unité , à exercer ces pouvoirs de souveraineté . Vous avez vu comment, en France , la presse a réagi :

« Les Africains, proclamait-elle , les Territoires d'outre-Mer en conférence , demandent l'indépendance, la sécession ! » Pour eux , l'indépendance c'est la sécession ! Comme si ,

dans une famille, à partir du moment où il faut constater la maturité de la jeune fille et lui permettre de se pro

noncer quant à son destin , c'est la séparation effective, simplement parce que la jeune fille exige qu'elle se détermine elle-même sur les problèmes qui la concernent . Nous nous réunissons à nouveau le 18 juillet dernier .

Là , également, j'ai eu l'honneur et la charge d'être le rapporteur de cette deuxième conférence commune . La

résolution relative aux dispositions considérées par nous comme devant figurer dans le projet constitutionnel, part donc , non seulement de la volonté de tous , mais aussi et surtout de celui qui a eu l'honneur de la rédiger et de la proposer .



133

Qu'est-ce que nous demandions ? Nous demandions la

constitution d'une République Fédérale . Il était prévu que le Territoire qui le désirait pouvait rester isolé . Tous les autres resteraient groupés en Fédération d'A.O.F . Fédéra tion d'A . E. F. , adhérant ainsi , en tant que bloc, à la

République Fédérale . Nous laissions à la République Fédé rale le soin de légiférer dans les matières dites communes qui comprennent : la défense, la monnaie, l'économie

générale ( sur la base de la solidarité économique et finan cière ) , l'enseignement supérieur et la magistrature en ce qui concerne le contrôle puisqu'il faut une Cour Suprême, devant laquelle on puisse faire appel ; si une condamnation par l'Etat de Guinée ou l'Etat d'A . O. F.

contre une Société ou un homme paraît abusive, il faut que cet homme ou cette Société ait la possibilité de faire

appel devant cette Cour Suprême ) . Voilà ce que nous mêmes , avions proposé.

Telle quelle, elle donnait des garanties à tous ceux qui faisaient confiance à nos Territoires , puisque la transforma tion politique à laquelle nous avions souscrit respectait

en même temps les bases juridiques assurant la garantie de leurs intérêts . Cela est proposé par nous , librement, et la résolution est déposée par des personnalités telles qu'on ne puisse nous dire « la Côte d'Ivoire est opposée » . Nous désignons donc à cet effet M. Yacé « le Président de l'Assemblée de la Côte d'Ivoire » , M. Senghor et M. Lenor

mand , de la Nouvelle-Calédonie . Ces personnalités ont été chargées par tous les parlementaires et dirigeants du Parti de Regroupement Africain et du R. D. A. de déposer cette résolution auprès du Gouvernement, le 18 juillet, ce qui a été fait le soir même . Nous avons agi ainsi pour qu'on sache que nous sommes d'accord ! Malgré cela , aujour

d'hui, si vous reprenez les textes constitutionnels publiés par tous les journaux, Vous ne trouverez pas dans les dispositions le mot « Grand Conseil » , vous ne verrez pas le mot « Fédération » , c'est-à -dire la Fédération Africaine .

Mais quand nous demandions une République Fédérale ( faisons-en la critique sur le plan juridique ) , nous avions sciemment ou non opté pour une politique d'intégration .

134

En effet, dans une Fédération d'Etats, il n'y a de personna lité que pour l'ensemble fédéral , et les Etats autonomes qui le composent ne bénéficient que des pouvoirs à partir

d'une décentralisation opérée sur les plans économique, administratif, et n'ont pas de personnalité internationale . Par conséquent, suivant notre volonté exprimée dans

cette motion , nous tendions purement et simplement, sur

le plan juridique, vers une politique d'intégration, en esti mant cependant que , sur le plan administratif, sur le plan

des valeurs qui nous sont propres, nous pourrions , grâce à une large autonomie , avoir la main libre pour l'adapta tion de notre politique aux réalités de nos pays . Cela peut paraître contradictoire . Il n'en est rien si l'on fait confiance à la fois à notre ensemble et à chacun de nous .

Qu'est-ce qu'on nous dit ? On nous répond : « Nous n'acceptons pas, au -dessus de l'Assemblée Nationale Fran

çaise, au -dessus du Gouvernement Français, des pouvoirs supra- nationaux . » Pas d'Assemblée supra -nationale , tout comme lorsqu'il s'est agi de la C. E. D. ou de la Commu nauté Charbon-Acier . Pas d'Assemblée au -dessus de

l'Assemblée Nationale Française ! Telle est la réponse qui nous a été faite ! C'est comme si , nous aussi , sur le plan de la dignité , nous ne pouvions pas être à même de dire : « Nous n'acceptons aucune Assemblée au-dessus de nos Assemblées locales . >>

Si l'on préfère, c'est comme si l'on refusait qu'à côté de chacune de nos Assemblées puisse exister une Assemblée commune à l'image de l'Assemblée de l'Union Française . Ainsi donc , cette dernière démarche de la conférence de

tous les partis africains est également rejetée . Aujourd'hui,

on nous dit encore : « A côté de la Fédération il y a une Communauté de peuples libres et à côté de la Communauté des peuples libres ily a une Association d'Etats libres . » Bref , il y a quatre options . Suivez bien :

1 ° La départementalisation pour les Territoires d'Outre Mer qui veulent devenir départements français ; 2° Le « statu quo » , c'est-à --dire pas de modification, donc maintien du stade évolutif actuel de la Loi-Cadre ;

135

3º Entrer dans la Fédération en qualité de membre, tandis qu'à côté de cette Fédération il est créé une Com munauté de pays libres ;

4 ° L'évolution continuant, la porte n'étant pas fermée, Vous pouvez encore quitter la Communauté de pays libres pour l'Association d'Etats libres .

Personnellement, je n'ai pas fait suffisamment d'études

pour saisir la nuance exacte entre Communauté de pays libres , Fédération de pays libres , Association de pays libres ; et l'électeur africain , encore moins , ne saurait com

prendre ces différences juridiques dans les options qui nous sont proposées .

Nous avons cependant fait nos critiques en restant dans la même logique juridique . A ce propos, il est significatif que « le Monde » ait reconnu dans un de ses articles que « la Fédération ainsi définie dans l'équivoque conduit à

l'indépendance , alors qu'au départ, l'indépendance aurait conduit les mêmes Territoires à la Fédération . » Il s'agit d'une étude objective ! Si , malgré tout , on nous mainte nait de force dans une telle Fédération , en nous disant que

l'indépendance est au bout , ce serait commettre une . erreur, la même erreur que commettent certains peuples

dépendants qui ont tendance à considérer que l'indépen dance est une fin en soi . Pour nous , l'indépendance est un

moyen , ce n'est pas une fin en soi , qu'on ne nous la présente donc pas comme une fin en soi . On vous dit : « Venez dans une telle maison , mais ce n'est que provisoire , vous aurez l'indépendance . » Et vous voulez

que ceux que vous appelez dans cette maison puis

sent employer la totalité de leur potentialité pour rendre plus solide cette maison ?

Jamais vous ne créerez ainsi des bases solides pour cette maison . Soyez sincères ! Evidemment, je vous parle avec la logique de ceux qui croient qu'une telle construction doit se faire en toute amitié, en toute fraternité , en toute confiance , dans la

solidarité . Quant à ceux dont la préoccupation est la recherche exclusive de prétextes sur le plan national et

international pour justifier l'argument de la force et non

136

la force de nos arguments, leur logique est différente . Ils peuvent opter pour n'importe quelle proposition pourvu que l'on vote et qu'ils puissent alors nous présenter l'argu ment de la force . Mais les événements ont toujours

démontré qu'avec de tels procédés on n'assure pas la grandeur de la France .

Il y a eu trop d'équivoques . Tout comme vous , j'ai entendu les déclarations faites le

8 août par le Gouvernement devant le Comité Constitu tionnel . Il a été répondu à un amendement déposé, je crois, par M. Senghor et M. Teitgen , sur la Confédération , « qu'il n'est pas question de Confédération » . Cela a été affirmé. C'est après qu'on a substitué aux mots fédération et confé. dération , le mot communauté, en se disant « c'est plus

équivoque » . La Confédération , sur le plan institutionnel, correspond à une certaine hiérarchie et à une certaine

structure . Sur le plan international , elle correspond égale

ment à une certaine définition . C'est donc pour éviter la précision

des

termes

qu'on

lui

a

substitué

le mot

« communauté » , alors que nous aurions tout à gagner, quels que soient les abandons , à faire les choses dans la clarté pour que personne ne puisse les remettre en cause.

On indique aussi , le 8 août, que « tous les Territoires qui votent « oui » sont pour la Communauté et y accèdent d'emblée ; nous leur donnons la possibilité de prendre à tout moment leur indépendance s'ils le veulent, ou de passer dans l'Association des Pays Libres, s'ils le veulent.

Mais pour ceux qui votent « non » , c'est la sécession avec toutes ses conséquences , économiques et autres . » Cela aussi a été dit le 8 août .

Vous vous souvenez que j'ai été le premier des hommes politiques d'A . O. F. à faire une réponse . Après avoir fait

le compte rendu de l'entretien que nous avons eu avec le Général de Gaulle , entretien qui a duré près d'une heure

et demie et, je vous le dis publiquement, au cours duquel en tant que porte- parole de la délégation du R. D. A., j'ai mis plus d'une heure à lui exposer ce que je suis en train de vous dire , avec même d'autres aspects du problème . J'ai donc été tout étonné d'entendre à la radio , à mon

137

passage à Dakar, deux jours à peine après notre entretien : « Voter NON , c'est la sécession et la France est d'accord ! » J'ai répondu que cela pouvait être considéré par les élec teurs africains comme une pression , et que l'on n'a pas à nous dire qu'une sécession de nos pays d'avec la France ne comporte que des conséquences pour nous . Cela 1

comporte aussi des conséquences pour la France, et on a le devoir de défendre les intérêts français , tout comme nous avons le devoir de défendre les intérêts africains .

C'est la réponse que j'avais donnée . Par conséquent, nous voulions que les choses fussent

faites dans la clarté . Il n'y a pas eu pour autant suffisam ment d'évolution , car, à présent, il y a la Communauté ; on ne parle plus de République Fédérale , on ne parle plus de Fédération , mais de Communauté , puis d'Association de Pays Libres , ensuite l'Association d'Etats Libres ( là on sous entend une adhésion éventuelle des Etats d'Indochine, des Etats du Maroc et de la Tunisie ) . Avec la même logique ,

nous nous enfermons dans cette logique de déduction d'une valeur à une autre , jusqu'à l'atome . On nous dit : « En entrant dans la Communauté , à tout moment, même

dès le lendemain , vous pouvez demander à la quitter , prendre votre indépendance ; vous pouvez même aller

à la sécession , comme vous pouvez, si vous le désirez, rester encore avec la France , en entrant dans l'Association de Pays Libres et , par des accords particuliers, laisser au niveau commun ce que vous voulez y laisser . » Admettons donc que le premier stade ne soit pas

conforme à votre point de vue . Renversons les données et considérons que c'est la Guinée qui est la Métropole et la France le Territoire dépendant . Nos valeurs restent les

mêmes puisque nous sommes des hommes ! Moi , je viens vous dire, au nom de l'Afrique : « Si vous votez OUI , l'Afrique collaborera avec vous, si vous votez NON , c'est la séparation définitive , mais en votant OUI , le lendemain même, vous pouvez prendre votre indépendance , si vous le voulez, comme vous pouvez rentrer dans l'Association des Pays Libres , si vous le voulez . » Si les bases de la :

Communauté ne vous paraissent pas très claires , VOUS pouvez dire : « Nous , nous préférons tout de suite rentrer :

e

'_

138

dans l'Association des Pays Libres, puisque vous êtes

décidée , vous ( France ) , à laisser au niveau de la Métro pole ( Afrique ) la monnaie, la défense, la diplomatie et les relations extérieures . » Or, on sait, en nous tenant ce

langage à nous , représentants de votre Métropole ( j'ai renversé la réalité ) , vous savez vous-mêmes que les attri buts d'un pays qui veut vivre indépendant sont : d'abord la force pour défendre son intégrité , donc la Défense ; ensuite , la base économique que représente la monnaie,

donc sa Monnaie, qu'il garantit et qu'il défend ; ensuite l'exercice de son droit d'indépendance, c'est-à-dire la Diplomatie et les Relations extérieures ; enfin , c'est sa

Législation et sa Justice . Voilà les quatre pouvoirs essentiels de tout pays qui veut vivre dans l'indépendance . Mais vous ne voulez pas vivre dans l'isolement . Vous dites : « Nous réclamons seulement le pouvoir de législa tion pour que nos lois soient votées par nous, compte tenu

de nos moeurs . Aujourd'hui même, sur le plan social , nous n'avons pas le droit de voter certaines dispositions qui n'entrent pas dans nos . attributions . » A ces propositions qui vous seraient faites, vous répondez que vous gardez,

vous prenez votre justice et votre législation , mais que vous laissez , au niveau de votre Métropole , la Défense, la Monnaie et les Relations extérieures .

Votre Métropole vous dit : « Non , pas de telles préci sions . Ou vous entrez dans la Communauté telle que je :

vous la propose , ou bien c'est la séparation définitive . » Si nous nous mettions les uns à la place des autres, que nous réfléchissions tant soit peu aux conditions des uns et des autres , nous verrions que les choses se passent dans certaines conditions qui ne permettent pas de faire un

mariage durable . Surtout , évitons de juger les populations à travers chaque homme politique . C'est affaire de méthode . Le tout est de savoir s'il y a démocratie dans un

mouvement ou s'il n'y en a pas , si l'homme veut se sauver

en tant qu'individu en se faisant bien voir par les forts, ou s'il veut se sacrifier pour les pauvres qui lui font confiance . Suivant le cas , la méthode est différente , les choix sont

différents. Celui qui vous parle n'a jamais accepté une fonction sur le plan du Gouvernement Français, jamais !

.

139

Et cela ne veut pas dire qu'il n'ait pas reçu de propositions ! D'autres, parmi nous, ne demanderaient pas mieux , c'est

leur affaire. Pour notre part , nous estimons que c'est là où nous avons du travail à faire que nous devons rester . Un

conseil donné à un paysan a infiniment plus de répercus sion heureuse et me paraît plus valable qu'une prétention que j'aurais à vouloir administrer la France .

Beaucoup d'hommes politiques d'Afrique sont dans les deux sillages . Nous , nous restons dans le sillage local , nous ne l'avons jamais caché . Et aujourd'hui , en nous confor mant à notre position , il aurait été facile de dire : « Nous ,

nous sommes contre la Constitution . » Qui m'empêche de le dire ? Personne . Et vous- mêmes , personne ne vous

empêche de le dire . En France, j'ai participé à des réunions avec des universitaires, des hommes de tous les horizons .

Chacun est venu dire ce qu'il pense, faire la critique sur le plan juridique, économique, social , des textes , et les grands hommes de la Sorbonne ont parlé devant nous , librement .

Quant aux grandes Fédérations politiques ou syndicales , à travers les meetings qu'elles tiennent , par les journaux

qu'elles m'envoient, je sais les critiques qu'elles font, et aussi ce qu'elles trouvent de positif dans le projet . Tous les partis sont divisés , selon qu'ils analysent globalement les rapports franco-africains ou qu'ils s'enferment dans

l'analyse partielle de la Constitution . Mais nous trouvons cela normal . Il y a des départements qui diront à l'unani mité « non » ; mais on ne leur a pas posé le faux problème qui consiste à dire qu'en répondant « non » ils auront pris

leur autonomie . Il y a des départements qui nous ont saisis en tant que parlementaires dans le but d'avoir leur auto nomie . Il y a deux ans , nous recevions plusieurs motions de ces départements dont on connaît l'esprit séparatiste .

Comme je l'ai dit devant les Africains , je souhaite qu'aucun Français ne donne satisfaction à la volonté de ces départe ments, car, ce faisant , on tendrait purement et simplement à diminuer la France .

Donc, il n'est pas question , et il ne peut pas être question , dans l'intérêt français , de dire à ces départe ments , en votant « non » , VOUS vous vous séparerez de la

140

France . Pourquoi nous le dit-on ? J'ai le droit de vous parler des choses telles que je les vois, telles que je les sens, en tant que parlementaire et en tant qu'homme. On

nous tient ce langage parce que nous jouissons de certains avantages, et cela est vrai ! Quels sont ces avantages ? C'est le FIDES ! Le FIDES, qui nous permet en cinq ans de

recevoir une aide financière de quatre ou cinq milliards

pour construire des hôpitaux, des écoles, des ponts ... Mais avec le FIDES ce n'est pas mon Gouvernement qui pourra dire à vous , Monsieur Martin , vous me ferez, dans telles et telles conditions, tel ou tel travail . C'est eux là-haut , à Paris , qui se prononcent sur les programmes, c'est eux qui accordent les marchés à M. Martin , à M. Touré ou à M. Jean , les grands marchés . Et nous ne voulons pas , parce

qu'effectivement le FIDES permet de réaliser un progrès économique, nous ne voulons pas nous enfermer pour cela dans ces caractéristiques négatives . C'est ainsi qu'on fausse la solution des problèmes , parce

que les données ont été mal posées . En Guinée, pour le voyage du Général de Gaulle , nous nous sommes comportés dignement, nous avons dit : « Le Chef du Gouvernement Français sera bien reçu et sera reçu par tous les hommes qui nous font confiance avons précisé dans la langue du pays , que quiconque essaiera, par une attitude discourtoise, par une pancarte injurieuse, par n'importe quelle autre forme de manifes tation de contrecarrer l'expression de la volonté du Terri toire , sera sommé , grâce à la vigilance de la population , de cesser sur place ces manifestations hostiles . » Ce faisant,

nous avions une nette conscience de la gravité de la situation et de la dignité dans laquelle les choses doivent se passer .

Vous le savez vous-mêmes que celui qui vous parle, dans tous ses écrits, dans toutes ses conférences, n'a jamais parlé en son propre nom . Je n'ai pas le privilège d'être ce que sont certains hommes politiques africains . Notre

privilège , c'est d'avoir grandi dans un processus démocra tique. Je vous l'ai dit, aucun de ceux qui m'entourent n'a été choisi par moi . Ici , le premier principe du parti est :

141

« Quiconque est candidat à une élection est exclu . » Pour définir notre position , nous avons tenu un Congrès . A ce

Congrès étaient présents tous les élus territoriaux , les représentants des Conseils de circonscription , des munici

palités, tous les responsables des différentes sous-sections ( femmes, hommes et jeunes ) , la direction des syndicats , tous ceux qui , dans quelque secteur que ce soit, jouissent

de la confiance des populations . Tous étaient invités à se réunir pour discuter avec l'idée de construire et arrêter

les propositions que le Territoire pouvait faire. C'est le dimanche, vers midi , que les décisions ont été prises, à l'unanimité, avant l'arrivée du Général de Gaulle à Conakry . En voyant tout ce monde ( chaque Comité de quartier avait tenu une réunion invitant les femmes, les hommes , même les vieux à s'y rendre et quand on ne connaît pas

la réalité, on pouvait penser : la masse a une position ; elle n'est pas politique cette position , elle est une manifesta tion de confiance absolue non pas dans le destin de notre Communauté , comme elle l'avait fait , à travers ses diffé

rents Congrès, ' mais de confiance à l'égard de la seule personne du Général de Gaulle ! Voilà comment l'accueil

par notre peuple était interprété ! Cela n'est rien . Nous souhaitons seulement que les esprits soient plus ouverts,

fait

que les choses aillent mieux . Et ainsi , des mots qui ont toujours été dits apparaissaient

comme piquants parce qu'ils étaient vos sous la respon sabilité d'un individu . Or, à l'Assemblée Nationale , j'ai

dit la même chose, à cette époque, c'est le coeur qui parlait

puisqu'il

s'agissait d'une improvisation . C'était

en

mars 1956 ; quelques extraits de cette intervention ont

été publiés dans « Marchés Tropicaux » . C'est ainsi que le

problème était posé à tous les échelons . A Bamako, quel était le mot d'ordre ? Nous avons dit OUI à la « Commu

nauté Franco-Africaine » , nous avons dit NON à la « Balkanisation de l'Afrique », en ajoutant : « Cette Communauté sera égalitaire , libre , ou ne sera pas . Nous

n'adhérons à cette communauté qu'avec notre entière

142

personnalité . La Guinée n'est pas à elle seule une entité ; elle ne peut donc pas être séparée par des frontières doua nières des autres Territoires . Cela , tout le monde le sait . » Donc, par la lecture attentive de notre programme , vous

verrez que nous n'avons fait qu'affirmer ce que nous avons toujours dit, à savoir que notre coeur, notre raison , en plus

de nos intérêts les plus évidents, nous font choisir, sans hésiter, la liberté, dans un ensemble avec la France ; que nous ne voulons pas nous déterminer sans la France, ou contre la France . ( Applaudissements... ) Le « Times » , un journal dont le rayonnement sur le

plan international est incontestable, a envoyé ici un cor respondant prendre contact avec nous . Je l'ai reçu tout seul , dans mon bureau . Cet envoyé sait parfaitement ce

qui lui a été dit . Cette phrase, c'est bien d'Amérique qu'on l'a lancée comme une option de la Guinée, et tous ceux qui sont passés ici , et ils sont nombreux, de tous les pays, je ne vous le cache pas, savent que nos positions sont

claires . Mais, à un niveau politique plus élevé , nous ne sommes pas d'accord avec les milieux dirigeants de France ; je ne dis pas avec les milieux économiques, car

ceux- là ont pris position . Les milieux politiques, pour la plupart , veulent que les Territoires soient considérés comme des entités définitives .

Quand on a voulu tuer, sur le plan économique, le Togo,

voilà la réponse qu'on lui a faite : « Le Togo parle d'indé pendance, le droit à l'indépendance lui est reconnu , mais le FIDES sera arrêté . » Parmi les hommes politiques africains , j'ai été le seul à télégraphier au nouveau Gouver :

nement du Togo : « Nous sommes d'accord avec vous . »

Les autres responsables politiques africains le pensent, mais n'ont pas osé le dire publiquement . Je suis allé au Togo prendre contact avec les dirigeants . Quand je suis

allé à Paris, j'ai dit : « L'option du Togo est conforme à notre option ; le Togo ne veut pas fusionner avec le Ghana, le Togo veut rester dans le bloc A. O. F. >>

L'Etat Togolais est baptisé « République du Togo » ; mais mon ami Olympio Sylvanus n'a pas le droit de muter un simple agent spécial . C'est là une réalité que vous ne

143

connaissez pas . Il n'a pas le pouvoir de muter l'agent de police . Il y a quelques jours, lors de son passage, j'ai dit à M. Cornut-Gentille , Ministre de la France d'Outre-Mer, en présence de M. Mesmer : « Vous avez intérêt, au nom de la France, à choisir le peuple du Togo contre un homme ; si vous ne le faites pas, vous le regretterez, je sais ce qui se passe au Togo . »

Ici , on vous dit : « Dans le domaine économique vous ne traitez qu'avec nous et non plus avec le Gouverneur, puisque c'est nous qui sommes à l'Assemblée . Si nous ne votons pas une délibération , vos patentes ne peuvent être

ni diminuées ni augmentées . Si nous ne

sommes

pas

d'accord avec une convention d'établissement, ce n'est pas

un Gouverneur qui peut l'imposer . » Cela découle de la

Loi-Cadre qui nous a donné ces pouvoirs . Chaque jour, les Responsables du Konkouré viennent nous voir : « Bonjour, Monsieur le Président » , « Bonjour, Messieurs » . On discute de tous les problèmes, mais ils ajoutent : « Voyez, vous nous donnez des apaisements, on a confiance ; mais il est

regrettable que tout soit politisé en Afrique, et surtout en Guinée . En particulier les rapports avec les travailleurs sont VUS sous l'angle politique . Ne serait-il pas possible de démobiliser les masses ? Elles ont tout à gagner en se

consacrant à la culture, en travaillant pour se développer socialement et économiquement , au lieu d'être constam

ment sous tension politique . » Voilà ce que tous les hommes d'affaires nous donnent comme conseil , et je les com prends . Seulement, eux ne me comprennent pas et ne

peuvent pas me comprendre . Vous-mêmes , dans vos bou tiques , dans vos entreprises , combien de fois n'avez-vous pas été scandalisés ou étonnés devant certaines réactions

des travailleurs africains pour des choses qui vous paraissent anodines, sans portés , des choses qui vous

semblent exagérément grossies ? Vous vous en plaignez tous les jours . En s'adressant à moi , certains pensent : « || :

suffit de lui expliquer cette réalité , il pourra dénoncer l'attitude de ces paysans ou de ces travailleurs ! » Je ne le peux pas, je vous l'avoue, bien que ce soit contre votre

intérêt . J'aurais pu vous répondre favorablement, m'enga ger à arrêter immédiatement toutes formes de réaction , et

144

vous seriez satisfaits . Mais si je veux guider les événe ments, je ne le dois pas, car si je le faisais, la sécurité que je représenterai , que mon groupe représenterait pour vous , serait une sécurité limitée dans le temps et vite mise en cause . Si je suis ici , c'est pour que nous puissions nous

expliquer loyalement afin de nous mieux comprendre . Ce que vous recherchez, c'est d'abord la vérité ; or, si je tenais des propos , si je prenais des engagements ou si je

faisais des promesses que mon parti , et, avec lui , les popu lations de Guinée réprouvent, je vous tromperais . Pour revenir à l'exemple que j'ai cité vendredi , le responsable du Conseil de Circonscription dans un Cercle n'est-il pas l'égal sur le plan territorial , du Président de l'Assemblée Territoriale et sur le plan National du Prési dent de l'Assemblée Nationale ? Oui , en tant que premier

responsable ; or, voilà les faits : un paysan se plaint auprès du juge en écrivant : « On est venu m'insulter, on m'a

maltraité, et on dit que le Maire n'était pas étranger à l'affaire . » Cette lettre arrive à la justice de paix . Le juge aurait pu envoyer une lettre au Maire, lui -même Officier de Police judiciaire ; on aurait pu encore lui adresser une

convocation . Au lieu de cela , le juge de Beyla délivre un mandat d'arrêt contre le Maire et dit à un garde : « Allez m'arrêter le Maire , Président de votre Conseil de Circons

cription , et amenez- le en prison ! » Vous pensez bien qu'en s'enfermant dans les dispositions juridiques du Code l'on peut dire : « Le Juge d'instruction peut arrêter

M. Mauberna , il peut arrêter n'importe quel citoyen , c'est son droit . » Cela est théoriquement vrai ! Mais qu'il arrête aujourd'hui M. Mauberna pour des questions futiles, quelle autorité donnerez-vous à M. Mauberna ?

Or, qu'il s'agisse de n'importe quelle personnalité afri caine , chaque jour, on commet des actes semblables . Allez voir un peu au Parquet . Qu'on en veuille à M. Sékou

Touré, qu'on ne soit pas d'accord avec lui , qu'on l'insulte, c'est normal ! J'ai toujours dit que les défauts et les insuf

fisances de l'homme ne peuvent influencer ce qu'il représente , ni la valeur que les Africains accordent aux institutions actuelles. Ces institutions ont une valeur histo

145

rique, nous devons tous ( et vous Métropolitains en

particulier) les respecter, si nous voulons qu'elles se développent dans l'harmonie . Mais cela n'est pas perçu par ceux qui ne se reconnais sent comme libres, comme indépendants dans un pays que

lorsqu'ils peuvent chaque jour humilier à travers ses repré sentants l'ensemble des populations . Et vous voulez demain , que moi , Gaston , entrepreneur, faisant confiance

aux populations de Beyla , consentant de gros investisse ments dans cette zone dans l'industrie , dans l'agriculture , je vienne encore trouver ce Président de Conseil de Cir

conscription , ou ce Maire de la ville, pour lui confier : « Monsieur le Maire, j'ai telles difficultés , pouvez-vous intervenir pour me faciliter les rapports avec les popula tions . » Le Maire sait que lui - même vient d'être humilié,

même s'il me comprend , pourra -t- il s'adresser valablement à ceux qui l'ont élu et leur dire avec toute l'autorité nécessaire : « Ce que vous faites n'est pas juste , monsieur

Gaston à raison . » Ces populations réalisent bien que c'est le juge, sans doute pour des considérations raciales , qui possède les pouvoirs véritables lui permettant de tout faire, voire d'incarcérer le Maire , leur représentant légal .

Voilà la réalité de nos rapports actuels . Ces rapports ne se sont donc pas améliorés , bien au contraire, même avec la Loi -Cadre , car il ne s'agit pas de faire des lois nouvelles, faudrait-il encore que les esprits s'adaptent aux exigences de ces lois .

En juillet 1957, nous avons tenu avec tous les adminis trateurs une grande conférence . Nous avons discuté . Un

administrateur me dit : « Voilà , il y a trop d'erreurs à Kankan , voilà comment le conseiller se comporte , voilà

comment les populations se comportent . Est-ce que vous ne pouvez pas intervenir pour redresser ces erreurs ?

Quand je lui réponds oui , je le ſerai, il en prend acte , mais il n'est pas sûr que ce soit lui qui sera désigné pour

faire appliquer mes engagements . Il s'en va donc en ayant pris acte de ma déclaration, mais sans avoir la ferme conviction que je ferai immédiatement le nécessaire.

146

La réciproque est également vraie . Quand nous, du Conseil de Gouvernement , nous lui disons : « Les choses

doivent se passer de telle ou telle manière . » Quand le Président du Conseil dit : « J'entends, au nom du Gouver nement, que ces choses soient réglées de telle manière »,

le Chef de Circonscription répond toujours : « Entendu , Monsieur le Président ! » On se serre la main , on plaisante un peu , on se sépare ... mais le Président n'est absolument

pas sûr que les choses se passeront comme il le souhaite . Les rapports humains, les rapports moraux sont viciés . Vous, hommes d'affaires , lorsque vous venez nous trouver,

vous retournez avec les mêmes impressions, en pensant : « Nous prenons acte . Nous allons voir si vraiment il va faire ce qu'il a dit . » Ensuite , dans vos rapports avec les syndicats , c'est la même chose , parce que les structures qui existent permet

tent aux uns et aux autres de se définir les uns par rapport aux autres . Ce sont ces structures qui ont amené la dualité à tel point que dans la même Administration un Service est appelé « Service d'Etat » , un autre « Service Territo rial » . Cette dualité apparaît , à tout moment . Nous croyons

que le Gouverneur aurait été plus à l'aise si , en qualité de 1

Commissaire du Gouvernement Français , il ne devait se prononcer non pas sur la moralité de nos actes, à nous, élus des populations , actes dont nous avons l'entière

responsabilité , mais sur leur conformité aux textes et aux principes communs à l'ensemble auquel nous appartenons . Si telle était la position du Gouverneur , il aurait été très à l'aise pour dire à M. Sékou Touré : « Mais , Bon Dieu

( même en frappant sur la table ) , vous ne pensez pas qu'il est contraire à l'intérêt de la Guinée de prendre telles ou telles mesures ? » Puisqu'il est en dehors des compétences d'Administration interne , il aurait pu parler avec plus de liberté , et moi, par contre , je ne serais pas influencé ou

complexé , parce que nos rapports ne se situeraient plus de supérieur à inférieur , mais seraient des rapports de colla boration . En ce cas , je l'écouterais et le suivrais . Actuellement, il ne peut pas , quand bien même il sait

que la conception , économique ou administrative qu'on lui

impose n'est pas conforme aux intérêts du Territoire qu'il

_

147

a su apprécier en raison de son expérience, de ses connais

sances, il ne peut qu'exécuter ce qui lui est décidé car il sait que le Ministre ne le suivrait pas, son souci dominant en tant que fonctionnaire c'est d'assurer le déroule ment normal de sa carrière , ce qui l'incite à penser : « Après nous le déluge ... crions à la grande frater nité ,

à

la

grande

solidarité . »

Nous ,

élus

des

populations , nous ne pouvons pas adopter semblable attitude !

Même

si

nous

avions

la certitude

que

demain marquerait notre fin , la conscience que nous avons de notre rôle , un rôle historique , nous impose de dire avec

exactitude , je ne dis pas avec perfection puisque nous faisons notre apprentissage , la manière dont nous conce

vons la solution des problèmes qui nous sont posés . Comme vous le savez, la Guinée a opté pour une Com munauté Franco-Africaine, avec abandon de souveraineté

des trois pouvoirs : Relations Extérieures, Défense et Monnaie qu'elle entend réserver aux organes communs .

Tout le reste , nous voulons l'organiser nous m- êmes afin que, par exemple, le juge ne puisse plus dire : « Peu importe si mon verdict doit créer du désordre dans le pays , peu importe si mon geste provoque la réprobation géné

rale des populations, ce qui compte pour moi , ce sont les dispositions du Code ! » Or, à notre sens : « Le Code est créé pour nous, société

humaine, et non pas nous qui existons pour le Code . » Tout existe pour l'homme comme moyen et l'homme n'est pas

le

moyen pour ce qui n'est que dispositions juri

diques . Donc , nos positions sont très nettes . Dans le domaine de la justice, il ne peut donc pas y avoir, si cela

ne dépend que de nous , de délégation de pouvoirs . Par contre, nous sommes d'accord pour l'institution de juridic tions supérieures . Nous demandons donc, si on veut traiter avec nous ,

comme membres de la Communauté , qu'on nous donne satisfaction et nous votons « OUI » pour appartenir à la Communauté en consentant les abandons de souveraineté que nous venons de préciser . Par contre , si on ne veut pas

traiter avec nous en qualité de membre de la Communauté

148

-

le 28 septembre, nous votons « NON » et cela parce qu'on

n'a pas tenu compte de nos propositions . A ce moment, nous disons à la France : « Nous, nous avons choisi la

France, bien qu'ayant rejeté une Constitution qui n'est

qu'un moment historique des institutions françaises , cette Constitution n'est pas la France , car la France c'est son peuple . » Nous disons « OUI » à la France et nous entendons, par

ailleurs, collaborer avec cette communauté à laquelle appartiendront les autres Territoires . De deux choses l'une,

ou vraiment on tient compte des intérêts français et afri cains en nous disant : « Nous acceptons l'association avec la Guinée . Nous exercerons les droits de la Défense , de la Monnaie , de nos Relations Extérieures et de la Diplomatie . »

Ou alors on nous dit : « Non , nous n'avons pas besoin de la Guinée . » Cette seconde éventualité n'est possible que si l'on n'a aucune conscience des intérêts français ici . Ainsi ,

on aura voulu pénaliser la Guinée en pensant : « Il faut présenter à ce Territoire entêté et qui exagère , les consé quences . » Nous les acceptons ! Pourquoi ? Je m'explique : Sincèrement, si nous devons faire une Communauté avec

la France , sur la base de la « Balkanisation » de l'Afrique, notre coeur et notre raison s'y refusent et il est certain que d'ici un an ou deux les Africains démontreront qu'une telle Communauté n'est pas viable . Il est inutile, dans le respect de soi , de dire « QUI » avec

l'arrière-pensée d'agir contre . Il est préférable, pour la dignité et l'honneur de chacun , de dire, dès le départ : « Dans ces conditions , à moins qu'on nous l'impose par la force, nous n'adhérerons pas à une communauté qui

entraîne la division de l'A . O. F. » Nous ne voulons pas,

par exemple , territorialiser notre Fonction publique, car il faut que le médecin qui ne sert plus en Guinée puisse aller servir au Sénégal , en Côte d'Ivoire ou au Soudan , sans qu'on ait à le révoquer .

Si la Guinée, la Côte d'Ivoire et le Sénégal ont des ports , d'autres possibilités , ils ne doivent pas tuer l'écono mie des autres Territoires qui n'ont pas les mêmes avantages .

149

Comment voulez-vous , par ailleurs , que nous puissions représenter suffisamment de garanties pour les capitaux si

chaque Territoire doit prendre des engagements particu liers . Que demain un capitaliste veuille exploiter le ciment, au Soudan , et qu'il veuille vendre ce ciment à l’A . E. F. , au Cameroun ou ailleurs, le Territoire de sortie lui dira : « Non , ce produit ne sortira pas, à moins que vous ne

nous payiez une taxe de 2.000 francs par tonne . » Qu'à tout moment pour un Territoire dont l'économie doit tou

cher tant soit peu la géographie ou les réalités d'un autre Territoire, il faille engager chaque fois des négociations ... n'est-ce pas diminuer nos possibilités de développement économique ?

Pensez-vous que les hommes qui vont investir plus de 100 milliards de capitaux en Guinée ne font confiance qu'à nous seuls , leurs interlocuteurs locaux ? Pas du tout ! Je

suis très conscient qu'ils savent que, même si M. Sékou Touré et ses amis sont des hommes déloyaux , pouvant signer aujourd'hui un engagement pour le mettre en cause demain , ils ont d'autres garanties, parce que notre Assem blée Fédérale de Dakar a voté les mêmes dispositions, au nom de toute l'A. O. F. C'est une garantie consentie par l'ensemble des Territoires .

Par conséquent, même si Sékou Touré, par un coup de tête, dit : « Je remets tout en cause » , toute l'Afrique lui

imposera de respecter les engagements pris, qui doivent

assurer de nouvelles possibilités économiques qui sont pour nous la clef de notre évolution . Quand on parle d'in dépendance, ce n'est que pour accroître les moyens et les possibilités de développement économique et social des populations . Par conséquent, dire « OUI » à des conditions qui freinent notre développement, c'est faire option contre le coeur, l'Histoire et la raison . Cela est clair !

Ceux qui exigeaient l'indépendance immédiate ont pris

bien des responsabilités ! Mais personne, même ceux-là qui paraissaient les plus exigeants , n'ont pas posé le pro blème de la sécession . Les conclusions du Congrès de

Cotonou , qui ont fait sursauter pas mal d'esprits bien pen sants, indiquaient « Indépendance immédiate pour consti

•_ 150

tuer notre Assemblée à l'échelon de Brazzaville et Dakar, et faire adhérer ces Etats à une Confédération avec la

France . » Ainsi , l'indépendance, même à Cotonou , n'était vue sous cet angle que comme condition d'une création

nouvelle, d'Etats multinationaux avec la France, et non comme une sécession .

Nous, nous n'avons pas posé ce problème . Nous l'au rions pensé que nous l'aurions dit ! Nous avons plutôt

pensé qu'on pouvait à la fois résoudre les deux problèmes ; ce qui nous importe, c'est la reconnaissance du droit à l'indépendance . L'indépendance n'est pas un fait concret,

c'est son exercice, c'est la souveraineté qu'elle confère, c'est le système d'autodétermination qu'elle permet . Nous disons donc : la Communauté doit comporter la reconnais

sance du droit à l'indépendance, et définir les conditions de divorce . Ceci dit, dès le départ, nous mettons en com mun nos efforts et nos moyens dans les trois domaines principaux , après cela , au niveau des réalités , l'autonomie interne est totale et l'évolution se fait harmonieusement .

Ainsi , si nous rencontrons le Président de la Sierra Léone , le Président du Ghana , nous ne sommes plus complexés .

Ils pourront dire : « Je suis un Etat indépendant dans le Commonwealth » et nous pourrons répondre : « Je suis aussi un Etat indépendant dans un autre Ensemble . »

Plus de propagande ou de surenchère entre nous, plus besoin de se définir les uns par rapport aux autres, car sur

le plan de la dignité nous sommes égaux . Et quand je discute alors avec le Gouverneur, avec n'importe quel camarade , Blanc ou Noir , ce sont deux êtres qui parlent ; aucun complexe ne subsiste désormais . Que ce Blanc

m'insulte ? Je sais qu'il ne le fait pas en me considérant comme un être inférieur, mais parce que, certainement, je l'ai mérité, ou alors parce qu'il m'insulte injustement. En tout cas l'explication que je pourrais donner à son attitude ne peut partir de rapport de dépendance, de soumission, fondé sur le plan juridique comme auparavant . C'est pour quoi nous avons toujours dit que le problème posé est d'abord un problème de dignité, d'honneur ; j'ai dit

151

-

notamment à l'occasion du transfert des fonctions de Prési

dent de Conseil au Vice-Président : tout n'est qu'une question de rapports moraux et humains, qu'il faut reconvertir pour les améliorer . parce En effet, prenons un pays comme l'Angleterre que j'avais fait allusion ce jour-là aux caractéristiques des deux politiques coloniales, la politique coloniale de l'An gleterre et celle de la France . L'Angleterre ne s'est souciée que des réalités économiques conférant l'autonomie à chaque colonie, dès le départ . La politique anglaise n'a

donc pas été une politique d'assimilation prenant ses propres principes , ses propres valeurs comme les centres

d'intérêt autour desquels la valeur de ses coloniaux devait se développer .

Aussi , si ce réalisme économique a ses répercussions sur l'état économique du Ghana , de la Nigéria , de la Sierra Léone ou de l'Inde, sur le plan humain , par contre , cette

politique n'a pas permis le développement des valeurs humaines sur la base du même humanisme . C'est ainsi que l'homme de Ghana se sent étranger lorsqu'il est au

Nigéria , que les phénomènes politiques du Nigéria sont interprétés en Sierra -Léone comme des nouvelles étran gères, tout comme si elles venaient de la Chine, de la

Russie ou de l'Amérique . Cependant, l'Angleterre admi nistre le même continent africain , les mêmes hommes ! !

Je comparais avec la méthode française qui , elle , est

rizontale, et non verticale ; sa politique a été une politique d'assimilation . La France, par conséquent, pense , se donne pour mission universelle de développer les mêmes valeurs humaines, à travers les différents conti nents . Cependant, ce ne sont pas les principes qu'il faut adapter à l'originalité , aux valeurs propres de ces pays , mais c'est l'originalité et les valeurs propres de ces pays

qu'il faut adapter aux principes universels , que prône la colonisation française . Faites l'analyse objective de ce que je viens de dire , et

Vous me donnerez raison ! C'est partant de ces principes que les mêmes lois doivent être votées et être applicables

aussi bien à Dakar qu'à Brazzaville, les mêmes lois sociales,

152

politiques pour l'ensemble ... sans tenir compte des diffé

rences qui pourraient exister tant sur le plan économique que sur le plan social et sur le plan évolutif . Si cette poli tique ne permet aucune adaptation , elle est fatalement en retrait sur certaines réalités et en avance sur d'autres . Cette

politique en perpétuel dépassement remet chaque jour en question les bases du mariage . Voilà le côté négatif de la politique d'assimilation , mais quel est son avantage ? C'est de nous rendre sensibles à la souffrance des uns et aux

malheurs des autres, de créer une identité d'intérêt . Cette politique est telle que même autour de l'amélioration du tableau du minimum vital , on peut décréter une grève africaine . Vous voyez bien ! Autour d'un problème, si

petit soit- il , l'ensemble des Africains peut et doit se mobiliser . Donc à identité de source, de solution aux problèmes , correspond une identité d'affirmation , une identité de revendication .

La structure de la pensée de ces hommes , de leurs mou vements politiques et syndicaux , s'étend donc horizontale ment , et les mots d'ordre de sensibilisation ont la même

valeur, quel que soit le Territoire . C'est ainsi que, lorsqu'il se passe un événement au Soudan , il se répercute ici ; un événement syndical ou politique en Côte d'Ivoire se réper cute en Haute-Volta , au Niger, et est sensible à Dakar ;

ce qui se passe à Dakar, on y est sensible à Conakry . Cette caractéristique élève la conscience humaine puis qu'elle transcende les manifestations spontanées, isolées , pour leur donner une valeur de synthèse au niveau même de notre Fédération .

Aujourd'hui, nous voulons que sur le plan monétaire ( que nous laissons à l'échelon général ) ce soit nous, notre Etat , qui défende la valeur du Franc C. F. A. Qu'on veuille demain le dévaluer ? Ce n'est pas nous que l'on ira consulter , vous le savez vous-mêmes. Avant , tout cela était

des problèmes auxquels on était peu sensible . Aujourd'hui , dès que nous avons à sauvegarder les intérêts économiques d'un Territoire , on devient un peu plus sensible à la

solution des problèmes monétaires que ces intérêts com portent .

153

Et nous entendons bien qu'on ne nous enlève pas la

possibilité de défendre notre Economie, de défendre notre Monnaie, tout comme sur le plan de l'Angleterre, puisque je parlais de l'Angleterre , cette dernière n'a pas hésité à reconnaître la nationalité du Ghana , dont les ressortissants

sont citoyens du Ghana . C'est une question de fierté, qu'on reconnaisse donc tout simplement notre droit légitime à la dignité, puisque lui seul est en cause . Quand nous sommes à des conférences internationales ,

- et Dieu seul sait que les hommes qui sont en face de vous ont participé à pas mal de conférences internationales - prenons, par exemple , ma visite dernière à la ville de Bruxelles , lors de la Foire Internationale ; quand je rem plissais ma fiche , je mentionnais « Citoyen Français » . Je

n'en ai pas peur, je n'en ai pas honte ; mais j'estime que si je m'appelle « Citoyen d'A.O.F . » cela ne met nullement les intérêts de mon camarade français en cause . Un autre exemple : un Français , un Anglais et un Africain sont à

table, trois camarades de promotion à l'école , trois amis . Ils se rencontrent dans une conférence internationale . Johnson , nationalité anglaise , très bien ; Jean Debray,

nationalité française , très bien ; Mamadou Coulibaly, natio nalité française , cela sonne mal ! A côté , l'autre, Mamadou Coulibaly, nationalité : ghanéenne, bon ! Lorsque tout le monde sait que celui - là est du Soudan , pourquoi ne pas dire qu'il est de nationalité soudanaise . Cela ne met rien en cause dans leurs rapports . Surtout qu'au départ tout cela est reconnu dans le même texte constitutionnel qui a prévu les structures de leur unité au niveau des intérêts

supérieurs , de la Défense , de la Monnaie, donc de leur Economie , et aussi de leurs relations avec les pays exté . rieurs .

Voyez au Ghana, ils sont dans le Commonwealth , et je précise que les pouvoirs qu'ils ont ne sont pas supérieurs, dans le domaine administratif, à nos pouvoirs actuels .

Mais pour ce qui est considéré comme pouvant être l'expression de leur réalité , de la reconnaissance ou de la sauvegarde de leur dignité, on n'en a pas discuté . L'Angle

terre n'a discuté que de ce qui est viable , c'est- à -dire des

-

154

garanties et des conditions économiques de leur ensemble . C'est cela qui compte, et vous savez vous-mêmes que ce n'est pas le changement juridique des anciennes colonies

anglaises qui a diminué en quoi que ce soit les possibilités de développement des intérêts économiques anglais dans ces pays .

Nous croyons qu'avec le même réalisme, on peut, on doit discuter et négocier avec nous . Pour me résumer : , nous ne savons pas encore si nous dirons « QUI » ou si

nous dirons « NON » ; sur les quatre pouvoirs attribués à la Communauté , nous en avons arrêté trois au niveau

commun . Alors que le Général de Gaulle dit : « Je vous donne votre Indépendance » , nous, nous disons : « Nous

demandé l'Indépendance , nous avons demandé seulement que le droit à l'indépendance soit inscrit . Pourquoi nous obliger à sortir, quand nous ne n'avons

pas

demandons que l'affirmation du principe . » Donc, principe de l'Indépendance , conditions de divorce, ensuite , à part, les trois domaines qui restent communs , l'autonomie interne au niveau de chaque Etat , afin que notre Associa tion devienne une Association multinationale d'Etats .

Mais notre adhésion est encore subordonnée à quoi ? Au respect de notre unité . Car si l'Afrique n'a pas le droit de s'isoler de la France , sans porter atteinte à ses véritables intérêts et sans compromettre les intérêts français, moins encore la Guinée n'aura le droit de se couper du reste de l'Afrique , du reste des Territoires d'Outre-Mer , d'A . O. F. On veut me convaincre que notre Communauté représente

plus de pouvoirs , je dis : « Oui ! mon cher pouech , mon cher Célestine,

VOUS

avez parfaitement raison . Notre

Communauté représente pour nous plus de garantie ou plus d'intérêt, pour moi surtout, qui suis en retard . Mais qu'on n'essaie pas de me convaincre que c'est en coupant avec le Sénégal , que c'est en coupant avec le Soudan , que c'est en coupant mon économie avec celle de la Côte

d'Ivoire , qu'on m'aura rendu également service. » Voilà le fond !

Je suis sûr que tous les Européens qui sont en A. O. F.,

ceux notamment qui ont fait confiance en ces Territoires, sur le plan de la Fonction publique , pour s'intégrer dans

155

les cadres en service Outre-Mer, n'ont pas choisi de servir exclusivement en Guinée . De même sur le plan des activités industrielles et commerciales , si ceux qui ont investi des

capitaux, croyant les développer avec la garantie de l'en semble , et les possibilités d'échanges avec l'ensemble , avaient connaissance , non pas de ce qu'on affirme, mais de ce que représentent réellement les dispositions actuelles du projet, je suis sûr que tous ceux- là feraient connaître leur

point de vue . Je le sais pour avoir suivi les prises de posi tion des Assemblées Consulaires de Dakar parfaitement

renseignées et qui partent de l'appréciation objective du domaine économique et des répercussions des dispositions constitutionnelles dans le domaine économique et financier .

Si vraiment on nous prouve qu'on veut, coûte que coûte, disloquer notre Groupe de Territoires pour que la Guinée soit l'Etat définitif, si on nous donne cette conviction en ne mettant pas d'amendement dans les dispositions constitu

tionnelles , pour que notre Assemblée Fédérale subsiste jusqu'à ce que nous ayons mis nos Institutions de Fédéra tion primaire en place , eh bien nous en déduirons logiquement que l'on veut sacrifier les possibilités de notre

développement , en détruisant toute possibilité d'harmonie, en interdisant tout recours aux solutions d'ensemble .

Veut-on élargir les compétences communes pour restreindre les pouvoirs que la Loi -Cadre a accordés aux populations ? Mais comment alors interprêter les affirma

tions qui nous ont été faites sur nos possibilités de prendre Notre Indépendance avec tous ses pouvoirs ? Cela ne correspond pas à la réalité, puisque on veut nous retirer

une partie des pouvoirs que nous exerçons déjà . Dans ce cas, il vaut mieux que par la force, la force brutale, on nous impose quelque chose que notre conscience consi dérera toujours comme un fardeau , fardeau dont les hommes de ces pays se déchargeront fatalement un jour . Par contre , si on veut que le mariage se fasse en partant et des sentiments et de nos intérêts

nos intérêts sont

trop évidents, je viens de l'expliquer il faut établir ce mariage par des dispositions constitutionnelles qui , tout en faisant le choix des grands Ensembles Franco-Africains,

156

-

feraient aussi le choix du maintien de notre ensemble

Aoéfien . Cela nous permettrait, sur la voie de la double

solidarité, grands ensembles et Fédération Africaine, de mêler dans l'harmonie notre évolution respective . Je vous le dis sincèrement, si on ne tient pas compte

de ces dispositions, le 28 septembre , la Guinée votera négativement . Je suis certain qu'elle ne sera pas seule . En effet, nous avons eu une réunion à Dakar : le Niger deman

dait l'Indépendance immédiate, parce que convaincu qu'on veut diviser les Territoires, disant : « Mais si c'est la

division , moi , je ne peux pas vivre Niger ! Je préfère donc prendre mon Nigéria . »

Indépendance et faire l'unité avec la

Voilà l'option du Niger ! Territoire isolé des uns et des autres, vous croyez que le Togo va demeurer dans l'ensemble ? Le Ghana aura immédiatement raison du

Togo ! Et le Togo n'aura , dans ces conditions, rien à perdre à s'intégrer dans l'Etat du Ghana plutôt que de rester isolé . Si telle est la situation , moi , étant à la tête du Togo, je dirais : « Notre isolement ne sert à rien , si l'on ne veut pas

de nous sur le plan d'un grand ensemble , intégrons le Ghana ! » Le Dahomey peut-il demeurer isolé lorsque l'on connaît l'influence qui s'exerce aujourd'hui sur le Dahomey ? Vous croyez en votre âme et conscience qu'en disant à la Mauritanie seule : « Transformez-vous en Etat,

vous n'êtes plus dans le grand ensemble A. O. F. qui représente sur le plan moral , économique, politique, social , militaire , suffisamment de garanties ; mais vous, VOUS restez un Etat et vous entrez en compétition avec le Maroc » ; croyez-vous que la Mauritanie tiendrait ? Nous sommes convaincus qu'examinés objectivement,

les calculs que l'on fait pour justifier la division apparaî tront demain comme faux . La division permet au contraire

non seulement l'éclatement juridique mais l'éclatement définitif , parce que les uns et les autres, en raison des influences , des attirances qui s'exercent sur eux , et en contradiction avec leur propre force seront obligés de faire

bloc, de choisir d'autres orientations politiques . Voilà la réalité, et demain on constatera sans doute avec amertume

157

que des hommes avaient raison . Le Niger a adopté la

position de la Guinée, convaincu qu'en menant la lutte pour le maintien de notre Groupe de Territoires , il ne sera

pas contraint d'opter pour la Nigéria . Les délégations des Gouvernements R. D. A. de la Haute Volta , du Soudan , les représentants de certaines popula

tions du Sénégal, qui se trouvaient également à Dakar, à l'occasion du passage du Général de Gaulle, ont eu les mêmes contacts avec nous et ont adopté à l'unanimité les positions que nous avons définies ici . Ils ont envoyé

une délégation à Paris et ont signé une commune motion , adressée au Président du Conseil Français . Par ailleurs, la direction de l'U . G. T. A. N. a adopté les mêmes positions que la Guinée . Ne parlons pas de la

jeunesse, elle est même plus impatiente ! Elle va se réunir à Bamako dans deux jours . Près de 2.000 à 3.000 délégués se retrouveront là . Vous verrez bien ce qui sortira de ce festival

!

La jeunesse intellectuelle, par le fait même du privilège dont elle jouit momentanément dans les domaines tech nique, culturel , intellectuel , et administratif, la classe ouvrière , avec laquelle vous travaillez, ont déjà fait des options nettes et précises . Si on n'en tient pas compte , eh

bien ! on aura laissé la possibilité aux contradictions de se développer, c'est tout ! Ainsi , nous avons dit

:

« Si

le Gouvernement veut

répondre favorablement à notre volonté de construction d'une communauté franco-africaine , sur la base du maintien de nos Fédérations , sur la base des conditions que nous considérons comme seules susceptibles de sauvegarder notre dignité en sauvegardant les intérêts français , nous disons « oui » à la France, nous dirons « oui » aussi à la

Constitution . Si le Gouvernement Français refuse de pren dre en considération notre position , nous dirons toujours « oui » à la France , mais , le 28 septembre 1958 , nous

dirons « non » au projet de constitution qui nous sera présenté . » Voilà exactement notre position .

Et ici , j'aimerais que les hommes traitent politiquement les problèmes , car si on s'enferme dans certaines considé

158

-

rations, jamais nous ne trouverons de solution juste à nos grands problèmes . Qu'est-ce à dire ? On ne voit que les côtés économiques . On dit : « Voilà un pauvre malheureux qui n'a même pas de quoi manger, et qui veut faire ceci , faire cela . » Si on le voit sous cet angle, on fausse le pro

blème politique . L'homme n'a pas été mobilisé que par le « ventre » seul . S'il en était autrement, celui que nous avons honoré ici , le Général de Gaulle, n'aurait pas pu

justifier sa révolte contre l'état de fait, l'état de force qui s'était créé en France . S'il s'inscrit dans l'Histoire française,

c'est parce qu'il a démontré que la dignité nationale était

compromise et qu'il fallait par conséquent la reconquérir. Il faut tirer les leçons des événements si on veut guider les événements à venir et éviter que se répètent les drames de l'Histoire .

Il faut qu'on sache que tout doit se passer dans le calme, et c'est là où votre appui sera également nécessaire . On a

voulu faire croire qu'à Conakry c'est un homme seul qui a parlé , un ambitieux dont l'ambition l'a conduit à faire

de grandes guinéennes bre ; vous , croire qu'il

déclarations . On veut croire que les masses vont désapprouver cet homme le 28 septem vous savez que ce n'est pas vrai. On veut n'y a pas de gros risques, on pense même

être débarrassé très vite de ces quelques ambitieux . Vous , vous savez exactement ce qu'il en est .

Si c'est ça l'optique, attendons tous très tranquillement ... Mais moi , je vous dis que notre attitude n'est pas celle de

la seule Guinée, je connais l’A . O. F. très intimement, ainsi que les qualités et les défauts de chacun de nous, et je connais les points de sensibilisation qui ont divisé tous les partis africains . On verra aussi , le 28 septembre, que toutes les déclarations qui ont été faites partout avec des manifes

tations grandioses ne sont pas l'expression fidèle du vote que finalement les populations vont faire . Que ceux qui créent une certaine panique soient par votre vigilance, par notre vigilance commune , invi tés à cesser leurs méfaits inutiles . Je vous rappellerai

d'ailleurs , si vous vous donniez la peine de relire tous les 1

rapports confidentiels de la police du mois de décem

159

bre 1955 , le mois de la campagne électorale, qu'on disait déjà journellement : « Les hommes qui sont présentés par

le R. D. A. ne se sont développés dans le pays qu'en promettant aux populations de mettre à la mer tous les

Blancs et, le 2 janvier 1956, ils jetteront tous les Blancs à la mer . » Cela a même été écrit, dans certains journaux ; dans tous les renseignements cela a été mentionné . Mais je me félicite au nom du R. D. A. de Guinée d'une chose ! ...

Malgré cette campagne malhonnête, la majorité du corps électoral métropolitain était d'accord avec nous ; jusque- là , les Métropolitains avaient voté à part, et nous, nous avons fait l'option qui a été la leur ; et je puis dire qu'il y a eu dans le Territoire plus de 1.200 Européens qui , depuis , nous ont rejoints . Par des arguments indéfendables , on se livre à nouveau à une certaine campagne de panique . On écrit, on envoie des circulaires aux Anciens Combattants : « Vous savez ,

si vous votez « oui » , on continuera à vous payer les pensions ; si vous votez « non » , la France arrête les

pensions . » Croyez-vous que parmi les Anciens Combat tants, parce qu'ils disent : « Moi , y a dit bon » , « Moi , y a dit « oui », il n'y a pas dans l'armée quelques élites afri 1

caines , aujourd'hui ? Il y en a , nombreux , des instituteurs ,

des médecins, des officiers qui vont voir ces circulaires ; alors, quelle signification entend-on donner à leur présence dans l'armée ? Voilà comment on est en train de détruire

la confiance et la signification que , eux , accordent à la I

France .

Qu'on dise à ces hommes de faire leur propagande en

expliquant le projet de Constitution et en démontrant comment, eux, ils entendent justifier le bonheur ou le malheur du projet . Mais, sur le plan subjectif, s'ils essaient de faire de la diversion , cela aboutira uniquement à créer

une haine que nous aurons de la peine à effacer quand bien même nous aurions voté de la même manière . Qu'on ait tous le sang-froid ! D'ici le 28 , nous saurons si le projet donne satisfaction , nous le saurons le 4 septembre . Dans

160

-

ces conditions , même si nous disions : votez « oui » ! il y a

quelques hommes d'Afrique , il y a quelques Métropoli tains, comme en France , qui voteront « non » pour d'autres raisons .

Les justifications que j'ai données, en matière économi que , en matière sociale , sur le plan africain, comme sur le plan de la dynamique de l'évolution des Territoires, doivent éviter de remettre constamment en cause ce qu'on vient à peine de voter . Si telles sont nos justifications, d'autres néanmoins voteront toujours autrement que nous ,

parce qu'eux se déterminent selon d'autres raisons, selon d'autres valeurs et d'autres considérations . Donc , que les uns et les autres gardent leur sang- froid , examinent sous

l'optique de ce qu'ils considèrent comme l'intérêt général , le projet, et qu'ils disent , nous, nous votons « oui » , nous , nous votons « non » . Le vote est secret, chacun ira exprimer

la valeur qu'il accorde au projet de Constitution . Mais nous, en tant que responsables du pays et par loyauté ce n'est pas par courage , le courage c'est d'aller voter comme nous

le voudrons — mais par loyauté , à l'avance , nous disons : « Eviiez de nous pousser dans un vote négatif . Car si telle -

et telle considérations ne sont pas comprises assez tôt, on

nous amènerait à voter négativement et là , plus rien ne pourra nous en empêcher . »

J'ai quelqu'un avec moi , je lui dis : « Nous allons faire une Société . Je ne parle plus pour vous, je ne pense

plus pour vous , je n'agis plus pour vous , nous allons parler ensemble , agir ensemble, faire notre communauté et la

défendre . » Mais je n'ai pas àà m'offusquer s'il me dit exac tement ce qu'il pense, car autrement ce n'était point la peine de lui dire , de l'inviter par référendum à exprimer sa volonté ! Donc , dans la mesure où vous êtes sensibles à ce qui vous est dit, c'est à vous comme à nous de faire le

même appel pour que les bases définies soient respectées et qu'à partir du 28 , tous , vers les mêmes objectifs, nous continuons nos affaires , nous continuons à nous déve lopper .

Mais , si ce qui vous est dit n'est pas du tout conforme à l'optique de vos intérêts, c'est-à -dire qu'à la base même il il y a une contradiction qui n'est plus passagère, mais une

1

161

contradiction fondamentale d'intérêt , dans ces conditions ,

le référendum étant une question de rapport de force ,

sur le plan pacifique, chacun de nous, avec la tête froide , participera à la compétition pour que sur le plan général nous puissions connaître le résultat de ces rapports de forces pacifiques .

Je ne vois pas pourquoi on s'alarme et comment on peut s'alarmer ! On nous a dit ici : « La Guinée prendra son

indépendance le 28, je garantis , au nom de la France, qu'il n'y aura aucune entrave, la Guinée fera ce qu'elle veut . » Voilà ce qui a été dit ! Nous, nous ne nous prononcerons pas pour la sécession d'avec la France ; on nous l'accorde , nous ne la voulons pas . Nous voterons contre le projet et nous dirons à la

France : « Nous voulons rester avec vous, sur telles et telles bases . » Nous savons que ce n'est pas seulement l'intérêt

de la Guinée qui est pris en considération , mais aussi l'intérêt de la France . La sécession sera évitée , parce qu'on aura , sur le plan du Territoire , trouvé les bases d'une association respectant les intérêts réciproques . Voilà donc expliqué, dans la clarté , ce que nous pensons . ( Applaudissements . )

Monsieur le Président, je suis encore très ému , mais je tiens tout de même à vous remercier de M. POUECH .

ces explications que vous venez de nous fournir aux uns et aux autres .

« Il semble en ressortir que vous n'êtes divisé avec le

Gouvernement Français que par une certaine sentimen talité qui disparaîtra et, en tout cas je l'espère et le souhaite, à la lumière des explications convaincantes , peut être largement fondées et que cette conviction trouvera audience auprès de notre Gouvernement pour que , dans

un avenir très rapproché, puisque le 28 septembre n'est plus éloigné , nous arrivions à ce « OUI » que les uns et les autres souhaitons d'une façon unanime, à seule fin de

consolider cette Communauté à laquelle vous venez de dire, en termes parfois très émouvants , que vous-même aviez déjà souscrit .

- 162

« Je vous remercie, Monsieur le Président, de ces expli cations .

« Y a-t-il parmi vous , Mesdames, Messieurs, quelqu'un qui désirerait être éclairé sur un point particulier ? Monsieur

le Président Sékou Touré se ferait un plaisir d'y répondre . ( Silence complet dans la salle . )

« C'est donc, Monsieur le Président, que vos explica tions ont été largement suffisantes et je vous remercie encore d'avoir bien voulu nous les fournir . »

CONSCIENCE ET DIGNITÉ Conakry, le 12 septembre 1958 .

La campagne électorale se rapportant au référendum est officiellement ouverte .

En fait, elle a commencé le jour même de la venue en Guinée du Président du Conseil Français . Au cours de cette visite il m'a été donné, au nom du Parti Démocratique de Guinée et au nom de l'ensemble

des Populations du Territoire , d'exposer au Chef du Gou vernement Français les conditions dans lesquelles nous envisagions que soit édifiée la Communauté Franco - Afri

caine, laquelle représentait un des points essentiels de la

réforme engagée par le Gouvernement du Général de Gaulle .

Les conceptions des Populations Guinéennes ont été depuis lors diversement commentées . Pourtant, ces positions n'auraient dû susciter aucune surprise puisqu'elles reprenaient la décision et les principes de l'Association Franco-Africaine arrêtés par le Congrès du

R. D. A. à Bamako que la majorité de la presse française et étrangère avait favorablement accueillis . L'attitude même du Chef du Gouvernement Français

devait marquer d'une manière toute particulière le degré de désaccord qui existait entre les positions des Populations Guinéennes et le contenu des textes élaborés par le Gou vernement du Général de Gaulle se rapportant aux structures

France-T.O.-M .

qui

rapports nouveaux entre la Colonies .

doivent

consacrer

des

France et ses anciennes

164

Répondant à mon exposé, le Représentant du Gouver nement Français devait proposer à la Guinée un choix

entre la Communauté , telle qu'elle était conçue et définie par le texte de la réforme en cours d'élaboration , soit

l'Indépendance . Les autres dispositions de la réforme concernant l'inté gration et l'assimilation des Territoires à la Métropole ne pouvaient pas, bien entendu , être prises en considération par des Territoires exerçant déjà partiellement les pouvoirs de l'autonomie administrative et de la gestion interne. Le texte définitif de la nouvelle Constitution qui vient

d'être publié pose, sur le plan juridique et institutionnel , les conditions d'adhésion à la nouvelle « Communauté

Française » .

Depuis le 25 août chacun sait, tant en Afrique qu'en France et à l'Etranger, que les Populations guinéennes et le P. D. G. estiment ces conditions inacceptables . Au cours de diverses manifestations, nous avons eu à

exposer en toute clarté les raisons pour lesquelles nous refusons de donner notre adhésion aux dispositions de la

Communauté telles qu'elles figurent dans le texte de la réforme .

Il est donc clair , désormais , que la Guinée se prononcera

contre le projet . Le fait que les Territoires et Départements d'Outre-Mer

soient appelés à statuer sur la nouvelle Constitution Fran çaise , tout en se prononçant par leur vote sur leur destin propre, constitue sans doute le point le plus discutable du

projet . En effet, nous pouvons imaginer aisément quelles seraient les répercussions d'un vote négatif massif des

Territoires d'Outre-Mer et Départements d'Outre-Mer sur le destin politique et économique de la France .

Ce fait justifie , peut-être, le caractère d'intimidation avec lequel nous avons été appelés à nous prononcer .

Entre les deux options : approbation du texte ou Indépendance immédiate , il n'est pas douteux qu'il existe

un risque grave que l'on n'a sans doute pas apprécié suffisamment .

165

C'est pourquoi nous avons toujours affirmé que nous faisions une distinction fondamentale entre l'indépendance et l'isolement .

Nous tenons à préciser que la sécession ne sera pas le fait de notre volonté .

Pourtant , depuis que nous avons manifesté notre désac

cord sur le projet constitutionnel , c'est sous l'aspect de la sécession qu'est interprétée notre position .

Indépendamment d'une campagne de panique et d'inti

midation que l'on essaie d'ouvrir dans le pays depuis le 25 août, il y a parmi certains groupes de la population une psychose de crainte qui ne se justifie absolument pas . Les pêcheurs en eau trouble s'agitent . Nous connaissons

leurs desseins et leurs intentions . Ils créent la panique et se livrent à toutes les machinations malveillantes en vue

d'opposer Européens et Africains . Ils disent aux premiers : Vous serez impitoyablement chassés de Guinée .

Ils disent aux seconds : Vous serez plus malheureux , plus indigents , etc ... Créer le trouble , engendrer le désordre , tels sont leurs buts.

Au nom du P. D. G. , au nom de la Guinée , j'invite toute

la population au calme le plus complet . Aux militants R. D. A. je demande de ne répondre à aucune provocation quelle qu'elle soit , d'où qu'elle vienne . La campagne électorale doit se dérouler sans incident , sans désordre . Nous voterons dans le calme pour affirmer

notre maturité politique et notre totale détermination . « C'est un problème de Dignité » avons-nous dit . Nous le prouverons au cours de la campagne et après le scrutin

du 28 septembre en demeurant parfaitement dignes . Les Responsables, tous les Responsables , hommes et

femmes, jeunes syndicalistes, Anciens Combattants doivent inviter tous les électeurs, toutes les électrices à participer effectivement au vote .

166

Les Guinéens et les Guinéennes n'écouteront pas les

propos exaltés ou calomnieux d'une poignée d'excités qui n'ont conscience ni des intérêts français et étrangers, ni des intérêts africains . Le peuple restera insensible aux manoeuvres de ceux qui veulent délibérément créer le

désordre, engendrer le trouble . Notre seule consigne demeure :

« Ordre et Discipline ». Le Gouvernement de Guinée est déterminé à s'opposer par tous les moyens qu'il détient aux manoeuvres d'intimi dation et aux tentatives de désordre qui pourraient être faites

sciemment

ou

non

au

cours de la campagne

électorale . Cette campagne sera menée dans le calme , la

dignité et la loyauté. Elle respectera les privilèges de la démocratie et le libre jeu de son expression .

Nous le répétons , quelle que soit l'issue du scrutin , il n'est pas question ni pour la majorité des populations de Guinée, ni pour les responsables politiques du Territoire, d'aller à l'isolement . Dans la phase actuelle de nos rapports avec le peuple de France, cet isolement ne peut que nous être imposé par ceux qui se sentiront humiliés ou déçus de l'exercice de notre droit d'autodétermination , c'est - à dire du libre choix de notre destin .

Les divers engagements préalablement agréés par l'Assemblée Territoriale de Guinée ont , non seulement la

caution du Gouvernement, mais aussi celle de la Section Guinéenne du R. D. A. et celle de nos populations .

Ces engagements ne peuvent donc pas être mis en cause . Je pense d'ailleurs que la validité de ces garanties se situe au -delà de toute incertitude, de toute espèce de crainte .

Des bruits les plus malveillants ont été répandus sur les intentions du Gouvernement . Il m'appartient de dénoncer publiquement ces faits qui révèlent une intention délibérée de créer un climat d'insécurité .

167

Il n'est que d'analyser les actes du Gouvernement de la

Guinée pour se convaincre que les responsabilités qu'il assume, il entend les utiliser conformément au mandat

qu'il a reçu des populations, lesquelles attendent de lui l'amélioration de leurs conditions de vie , l'évolution écono mique rapide du Territoire , une meilleure organisation sociale, et le respect qui leur est légitimement dû . Le Gouvernement, qui s'enorgueillit d'avoir l'unanime confiance des populations, entend poursuivre les tâches

qu'il s'est assignées en dépit des difficultés qu'il pourrait rencontrer, et, pour ce faire , il est décidé à remplir son

rôle , à assumer toutes ses responsabilités .

« OU » A L'INDÉPENDANCE A propos du Référendum du 28 septembre 1958 , un

homme politique Africain a déclaré récemment que « les

leaders politiques Africains ne sont pas fous pour voter NON » .

Ce frère de combat a raison , s'il entend par là que ce

« NON » signifie en fait : NON à l'indépendance , non à la Nation Française, NON aux programmes politiques défen

dus par les différents mouvements pour l'émancipation africaine .

En mes qualités de Dirigeant du R.D.A. , de Responsable de l'U.G.T.A.N . et de Chef de Gouvernement, je me per

mettrai de lui répondre qu'une analyse objective du texte constitutionnel proposé à notre suffrage aboutit à y

déceler la persistance de cet esprit colonialiste que nos peuples ont déjà condamné . Une telle analyse démontre que le Gouvernement Fran çais n'a pris en considération aucun des principes essentiels dont l'affirmation a été , avec plus ou moins de force ,

demandée par les diverses organisations politiques et syn dicales de l'Afrique Noire . En effet, que réclament ces organisations de masses ?

168 A.

LE

R. D. A.

Après avoir rappelé que « dès sa constitution , en 1946,

il avait opté pour le principe d'une association librement consentie avec le Peuple de France »,

Le R. D. A. a , dans sa résolution politique du Troisième Congrés Interterritorial de Bamako , en septembre 1957, réaffirmé : w

« Le Congrès considère que l'Irdépendance des Peuples

est un droit inaliénable leur permettant de disposer des attributs de leur souveraineté selon les intérêts des masses

populaires . « lopte pour une

Communauté

Franco -Africaine ,

égalitaire , fraternelle et libre . « En vue de préserver les intérêts de la Communauté Africaine, le Congrès demande la démocratisation des organes exécutifs fédéraux, c'est-à -dire l'élection d'un

Conseil de Gouvernement au niveau de nos Groupes de Territoires d'A . O. F. et d'A . E. F.

« Enfin le Congrès lance un pressant appel au Gouver nement Français pour traiter avec les représentants authen

tiques du peuple Algérien en vue d'arrêter la guerre . » D'autre part , à l'issue de la dernière réunion de sa

Direction à Paris, du 21 au 23 juillet 1958 , le communiqué I

suivant a été diffusé aux termes duquel :

« 1 ° Le R. D. A. approuve le programme arrêté en commun avec le P. R. A. , le 18 juillet, programme qui constitue une base Minimum pour la construction d'une

Fédération Contractuelle, Egalitaire dans l'intérêt de la France et de l'Afrique ;

« 2° 11 convoque à Ouagadougou , les 1er et 2 septem bre 1958 , le Comité de Coordination pour examiner : « a ) L'ensemble des problèmes d'évolution qui se posent ;

« b ) Les modalités d'installation , au niveau de nos

Territoires, d'institutions conformes aux aspirations d'évo lution des populations africaines . »

169

B. — LA CONVENTION AFRICAINE . -

A son Congrès de Dakar, la Convention Africaine a voté , le 12 janvier 1957, une résolution demandant :

« L'institution d'une République Fédérale et d'une Union Confédérale de peuples libres et égaux en droit ;

« La Constitution de deux . Etats Africains correspondant aux deux Fédérations d'A . O. F. et d'A . E. F. , Etats au sein 1

desquels les Territoires accéderont au Statut d'autonomie interne ;

« L'Indépendance des Etats du Togo et du Cameroun ; « Et, enfin , la fin de la guerre d'Algérie . » LE

C.

M. S. A.

A son Congrès de janvier 1957 de Conakry demande également la reconnaissance du droit à l'indépendance des

peuples d'Afrique, la consolidation de l'Unité de l'Afrique et la fin de la guerre d'Algérie . D. - L'U.G.T.A.N . ET LE CONSEIL FEDERAL DE LA JEUNESSE , LA FEDERATION DES ETUDIANTS AFRICAINS EN FRANCE ET LE PARTI AFRICAIN DE L'INDEPENDANCE .

Réclament par diverses manifestations l'Indépendance des Pays d'Afrique et celle de l'Algérie . E. —- LE P. R. A. -

Le 27 juillet 1958, à son Congrès constitutif, le P. R. A. opte pour :

1 ° L'Indépendance immédiate des pays d'Afrique ; 2° Une confédération d'Etats libres avec la France ;

3° Les Etats Unis d'Afrique .

Les transformations qualitatives ainsi souhaitées par le grand courant d'émancipation qui souffle sur l'Afrique postulent en premier lieu l'adoption et l'application effec

tive des principes fondamentaux ci -dessous :

1 ° Reconnaissance de l'Indépendance des Peuples Africains ;

170

2° Association librement consentie des Peuples Africains avec le Peuple Français ; 3° L'égalité et la liberté des membres de cette Associa tion d'Etats qui ne peut être que multinationale ; 4° Unité Africaine concrétisée par de nouvelles struc cures administratives , politiques, culturelles et économi ques .

Ces principes fondamentaux sont-ils respectés dans la constitution bre

soumise au

référendum

du

28

septem

1958 ?

NON !

Aucun de ces principes ne figure dans le texte proposé en dépit des affirmations contraires de nos Gouvernants de Paris pour qui nous apparaissons comme des démago

gues, de grands enfants auxquels ils croient pouvoir faire avaler n'importe quoi de leur cru . D'ailleurs , si l'Association Franco-Africaine devait être

égalitaire et fondée sur le droit à l'Indépendance , personne ne nous aurait imposé l'option de la sécession à défaut de notre adhésion à la Communauté , une Communauté qui , en fait , sera celle du cavalier et du cheval . Dans un article publié le 7 août dans « le Courrier de la Nation » , M. Michel Debré, Garde des Sceaux et confident

du Général de Gaulle, ne déclare-t- il pas lui -même :

« L'effet psychologique , et donc l'acceptation des formules proposées , est plus important que leur valeur proprement juridique , politique ou logique ? » Cette phrase ne suffit elle pas à démontrer le caractère purement formel des principes ? L'auteur ajoute plus loin : « Juridiquement, pour l'Outre-Mer, l'acceptation du Référendum signifiera le refus de l'Indépendance . »

L'option qui nous est proposée est donc claire : il faut d'abord renoncer à toute idée d'indépendance pour devenir membre de la Communauté, Communauté dont l'essentie ! de la Souveraineté est exercé par le seul Parlement Fran

çais . En effet, les lois organiques qui fixeront le contenu

171

de la Communauté ne seront délibérées que par les

organes législatifs de la France après consultation, le cas échéant, du Sénat de la Communauté. La nouvelle Constitution veut purement et simplement légitimer le régime colonial en nous invitant à nous intégrer soit à la République Française, soit à l'Etat Unitaire Fran çais appelé Communauté, ce qui est une seule et même chose . C'est , partant de cette orientation , que les Africains sont conviés à :

1 ° Participer à l'élection du Président de la République ; 2° Laisser le pouvoir au Parlement Français de fixer les conditions de fonctionnement et les compétences de leurs Communes , de leurs Assemblées Législatives et de leurs Conseils de Gouvernement ;

3° Faire du Président de la République le seul qui puisse

engager la Communauté à défaut de Gouvernement élu , par les membres de cette communauté ; 4° Laisser au Parlement Français le soin de fixer la

composition du Sénat de la Communauté sans consultation des Assemblées Législatives des autres Etats Associés ,

étant entendu , par ailleurs , que cette composition sera fonc tion des responsabilités qu'assument les différents Etats . ( L'O . N. U. doit envier un tel système ) ;

5° Permettre au Gouverneur, devenu le représentant du seul Président de la République , de gérer directement les

intérêts de la République et d'exercer le contrôle admi nistratif des collectivités publiques des Etats Africains dont les actes lui sont soumis ; 6° Se dessaisir de

leur Souveraineté dans tous

les

domaines-clefs conditionnant leur Emancipation :

Politique étrangère, Défense, Monnaie , Politique écono mique et financière, commune politique des matières premières stratégiques, Contrôle de la Justice , Enseigne ment Supérieur, Organisation générale des transports extérieurs et communs et des Télécommunications . Quelle serait alors le contenu de l'autonomie interne ?

7° Renoncer à leur véritable nationalité et à la citoyen neté de leur Etat au profit de la Nationalité Française ;

172

8° Autoriser un Conseil Constitutionnel dont tous les membres sont nommés sans avis des autres Etats Associés

à rejeter, sans possibilité d'appel , des projets de loi pou vant intéresser la Communauté ;

9° Autoriser le seul Parlement Français à fixer la compo sition de la Haute Cour, les règles de son fonctionnement

ainsi que celles de sa procédure . De quelle garantie d'équité bénéficierait la classe

ouvrière s'il appartenait par exemple au Syndicat patronal de fixer les compétences et les règles de fonctionnement du Tribunal du Travail ?

Il est inutile de continuer la démonstration , les neuf

points évoqués indiquent avec suffisamment d'éloquence que répondre « OUI » à la nouvelle Constitution , c'est s'engager dans une voie de régression et d'aventure .

Qu'une telle voie puisse les conduire avec les autres Etats membres , à l'Egalité, à la grande Fraternité et la Paix dans la Communauté , aucun Africain conscient et honnête ne

peut le penser . DEVONS-NOUS CHOISIR :

La Balkanisation de l'Afrique , et son intégration dans la République , la suprématie accordée aux intérêts de la

République sur ceux de l'Afrique , l'irresponsabilité des Etats Africains dans la conduite des Affaires de la Com

munauté, CONTRE :

Notre Indépendance Nationale ? Aucun Africain digne de ce nom ne peut faire un si malheureux choix. Frères Africains ,

Pour sauvegarder nos immenses possibilités d'évolution ,

pour sauver l'unité de nos pays et libérer notre Personna lité qui ne pourra s'épanouir que dans le cadre national africain , pour prouver notre volonté de collaborer frater nellement avec le Peuple de France dans la Dignité et

173

l'Egalité, nous devons voter « NON » afin de jouir de notre indépendance, une indépendance qui ne sera pa : synonyme d'isolement ,

Frères Français,

Vous êtes issus d'un peuple républicain et libéral par tradition et dont la vocation pour le triomphe des grands

et nobles principes de Liberté, d'Egalité et de Fraternité est connue et appréciée du monde entier comme une garantie de paix sociale . Comprenez-nous et soutenez notre action pacifique pour que , dans l'amitié et la confiance, la collaboration loyale

et le respect de nos intérêts réciproques, se crée une nation nouvelle qui garantira , mieux que ne le peut le régime actuel , vos capitaux , vos valeurs humaines , culturelles et techniques . Le Référendum du 28 septembre nous apportera en votant

« NON » l'indépendance et l'économie d'une

guerre .

En effet, le Général de Gaulle, à la face du monde , a déclaré solennellement :

« Cette Communauté , la France la propose ; personne

n'est tenu d'y adhérer. On a parlé d'indépendance , je dis ici , plus haut encore qu'ailleurs, que l'indépendance est à la disposition de la Guinée . Elle peut la prendre, elle peut

la prendre le 28 septembre en disant « NON » à la propo

sition qui lui est faite et, dans ce cas, je garantis que la Métropole n'y fera pas obstacle . Elle en tirera , bien sûr, des conséquences , mais d'obstacles elle n'en fera pas et votre Territoire pourra comme il le voudra , et dans les

conditions qu'il voudra , suivre la route qu'il voudra . »

VOTER « NON » C'EST FAIRE L'ÉCONOMIE D'UNE GUERRE Pour la première fois dans l'Histoire coloniale de la France, est accordée, avec la plus grande générosité et la

plus grande publicité , I'INDEPENDANCE aux Peuples

-

174

colonisés d'Afrique et de Madagascar . A ces Peuples , il n'est demandé que d'exercer leur droit d'autodétermination à l'occasion du Référendum du 28 septembre 1958 . La date du 28 septembre entrera désormais dans cette Histoire comme le « point décisif » de transformation

qualificative du statut politique des Pays qui vont placer au -dessus de tout autre chose leur Liberté et leur Dignité . Cette date deviendra , au fil des temps, la fête de Libé

ration Nationale pour les Peuples d'Afrique qui vont obtenir l'Indépendance avec l'économie d'une guerre . Il faut penser aux conséquences désastreuses des guerres d'Indochine et d'Afrique du Nord pour apprécier la valeur hautement morale du geste du Gouvernement Français à l'égard des actuels Territoires d'Outre-Mer .

Si la finalité de la lutte des Africains qui s'intègrent à la Communauté doit demeurer l'accession à l'indépendance

de leur pays , pourquoi rejetteraient-ils la voie pacifique qui leur est aujourd'hui proposée ? Le Peuple de Guinée , pour sa part, opte pour cette voie pacifique . ll considère à juste titre , que , grâce à son indé

pendance politique , il pourra mieux faire respecter les engagements qui le lient à ceux qui , par confiance dans le pays, y ont investi de gros capitaux dans l'industrie, le commerce ou l'agriculture .

Il pense également pouvoir plus aisément favoriser l'exploitation de ses prodigieuses richesses pour se cons truire des bases économiques plus viables et développer ses facultés intellectuelles , culturelles et morales .

Cet avenir de Liberté et de Prospérité générale sera le fait de notre courage dans le travail , de notre dévouement à la cause du pays, de notre foi ardente et de notre

confiance totale dans la réussite qui sera le couronnement de l'expérience si passionnante et si noble qui s'offre à nous à partir du 29 septembre 1958 .

Il y aura un an , jour pour jour, qu'à Bamako, toutes les Elites Africaines manifestaient pour une communauté Franco-Africaine d'Etats Libres et Egaux exerçant chacun les attributs de sa Souveraineté .

175

Maintenant cet objectif est à la portée de nos moyens .

L'Indépendance sera pour nous un moyen moral et politique, une condition de développement national , une base de coopération loyale avec la France, un puissant facteur de renforcement de l'Unité Africaine actuellement

compromise . Les forces de progrès que recèle l'Afrique Noire , tous les Electeurs conscients de l'enjeu que représente pour

leur avenir le prochain Référendum et qui font confiance aux valeurs positives de leur pays choisiront le Titre de Noblesse qui leur est proposé . Ce choix , qui aura une

valeur historique, mérite d'être fait pour qu'on en finisse avec le fait colonial .

Le chantage, l'intimidation, les promesses et l'argent de la corruption échoueront auprès de la prise de cons cience politique du corps électoral appelé à se prononcer . Quel est le prisonnier qui refusera sa liberté sous prétexte d'être bien nourri dans l'enceinte de la geole ? Africains et Français, nous tournerons ensemble une

page et dans la vraie Liberté, dans la vraie Egalité et dans une chaude FRATERNITE nous aborderons une ère nou

velle , une phase positive de travail dans l'harmonie de nos intérêts , dans la compréhension et le respect de nos valeurs respectives .

Nous donnerons l'Exemple, le plus grand Exemple : courage civique et de grandeur morale , pour nous libérer de nos préjugés et de nos complexes . Blancs et Noirs , nous irons voter « NON » afin de profiter ensemble du fruit de notre euvre commune , chacun restant fier de lui - même et de sa contribution à

l'intérêt Pour Pour Pour

général . la Dignité contre l'aliénation , l'Association contre l'intégration et l'assimilation , l'Honneur contre l'argent de la corruption ,

Pour l'indépendance immédiate contre une guerre éventuelle , NOUS VOTERONS TOUS « NON >>

1

F

‫܀‬

9: .

:

L'AFRIQUE DEVANT

DE

LES

NOIRE

LOIS

HISTORIQUES

L'ÉVOLUTION

Lorsque le géographe arabe Ibn Batouta , chargé de

mission par le Sultan de Fez en 1352 , visita l'Empire du Mali sous le règne de Mansa Souleymane , il fit un rapport

dans lequel il désigna par les mots « Bled-es-Soudan » qui signifient en arabe « Pays des Noirs » , toute la partie du continent correspondant sensiblement à l'actuelle Afrique Occidentale Française et Britannique . Le Soudan géogra phique actuel ne doit sa délimitation arbitraire qu'aux nécessités de la colonisation .

Ibn Batouta nous laisse la description d'un pays riche et heureux , vivant sous l'autorité d'un Empereur aimé et respecté . Mais les manuels scolaires, pour les besoins de la cause coloniale, ne nous ont pas enseigné ces faits parce que l'Europe, aux yeux du monde, devait tenter de justi fier ses conquêtes lointaines pour soulager sa conscience chrétienne . Comment expliquer qu'un pays civilisé prenne les armes pour asservir un autre pays ayant sa civilisation propre et une organisation solide ?

On enseigna aux écoliers indigènes que leurs ancêtres étaient des sauvages sanguinaires, que Samory était un

brigand des grands chemins et El Hadi Omar un marchand d'amulettes . Les petits Européens, eux , n'ont connu de

l'Afrique que l'image de l'explorateur blanc cuisant au court-bouillon sous un palmier, tandis qu'une bande de Nègres hideux dansent la sarabande autour de la marmite ;

de l'Asie on leur apprit que l'homme jaune était perfide et voleur .

178

Ainsi on créa systématiquement chez les colonisés, un affreux complexe d'infériorité et chez les colonisateurs le complexe de supériorité qui devait les amener à mépriser sinon à haïr les hommes que leurs aïeux étaient censés avoir tirés de la barbarie et dont la moindre prétention

à une dignité quelconque devait être considérée comme une ingratitude impardonnable. Si nous croyons devoir rappeler ces faits , généralement connus , c'est parce que les deux complexes persistent et

tendent à fausser les données réelles du problème colonial qu'on ne saurait soustraire aux inéluctables lois de l'évo lution historique des peuples .

En effet, nous entendons toujours que l'Histoire est un perpétuel recommencement ; que la colonisation , somme toute , nous a permis d'accéder au stade d'évolution que

nous connaissons aujourd'hui ; que sans Rome et la Gaule il n'y aurait pas eu de France . Or, ces affirmations senten cieuses sont dépourvues de tout fondement, et, du reste , on se garde bien de les expliciter .

La vérité est que l'Histoire est un perpétuel dépasse ment et que celui qui évolue détruit et construit dans le sens du progrès . La dialectique de l'évolution renferme ,

tout à la fois , la vie et la mort à la manière de nos ongles qui poussent . Si l'apport culturel de Rome a contribué à accélérer l'évolution de la Gaule , il n'est pas exact que

sans Rome il n'y aurait pas eu de civilisation dans ce pays . Certes , cette civilisation n'aurait pas été romains, mais elle aurait existé avec son cachet propre et n'aurait, peut être , rien eu à envier à la civilisation française telle que nous la connaissons .

En ce qui concerne l'Afrique , par exemple , nous pensons qu'avant d'affirmer que la colonisation européenne a été d'un grand bienfait pour ses populations, il convient de la connaître dans son organisation politique , sociale et cultu

relle avant les conquêtes coloniales , pour l'étudier ensuite dans la contexture actuelle , eu égard aux lois générales de l'évolution . Autrement dit , il ne s'agit pas de déclarer que la colonisation a amené dans nos pays des routes , des chemins de fer et des écoles , mais de savoir si un fermier

179

qui appelle le vétérinaire pour soigner sa vache malade, le fait pour des raisons humanitaires ou simplement pour préserver une source de revenus . Or, nous savons grâce à l'écrivain arabe El Bekri , dont

la Description géographique de l'Espagne et de l'Afrique est à la Bibliothèque Nationale à Paris , qu'au XI ° siècle florissait au Soudan une civilisation harmonieuse . Nous

savons que le prospère Empire de Ghana vivait en paix , Sous un monarque très sage et très riche, qui encourageait

les Lettres et distribuait 2.000 repas aux indigents, alors que brillait, dans le soir, un immense brasier où flambaient à la fois mille fagots . L'emplacement de Ghana a été retrouvé en 1914 par l'Administrateur des Colonies Bon nel de Mézières, à 80 kilomètres au nord-ouest de Néma . A cette même époque, en France, les Capétiens, décou ragés dans leurs luttes contre les seigneurs féodaux ,

recouraient à l'alchimie dont les adeptes foisonnaient en Europe . Dans le décor naïvement impressionnant des labo ratoires, les praticiens cuisaient dans leurs vases des subs

tances diverses et parfois inattendues dont les sels de nitre et de vitriol auxquels on ajoutait du lait, des entrailles de crapauds, du sang périodique de femme !

Au XIV° siècle , l'Empereur du Mali , Kankan Moussa , avait ses envoyés plénipotentiaires dans les principaux pays arabes, notamment en Afrique du Nord et en Egypte . A la suite de son célèbre pèlerinage à La Mecque, en 1324 , il ramena un originaire de Grenade, Ibrahimo-es-Sahéli , créateur de l'architecture Soudanaise .

Kankan Moussa

encouragea , par ses largesses , l'étude des Lettres et des Arts, et son armée , fortement hiérarchisée, était d'une puis sance légendaire . Du XIV° au XVI ° siècles l'Empire Songhoï de Gao connut

un éclat particulier . L'Askia Mohamed , qui appliquait déjà le système des municipalités , possédait une véritable flot tille de guerre sur le Niger . L'Université de Tombouctou attirait les lettres du monde arabe , et Mahmoud Koti ,

auteur du Tarikh el Fettah , raconte que lorsque Ahmed Baba , docteur de l'Université de Tombouctou , a été

conduit au supplice, il se désespérait de quitter la vie

180

avant d'avoir pu collectionner autant de livres que certains de ses amis, et sa bibliothèque comptait ... 1.200 volumes !

Et M. Alpenfels d'écrire : « Pendant que ces activités intel lectuelles se déroulaient dans les ténèbres de l'Afrique Noire , certains de nos ancêtres nordiques étaient en adoration devant les autels de pierre . » Il est, en tous cas , remarquable qu'à cette époque un Roi de France mourant faisait interroger sur son sort la tête fraîchement coupée d'un nouveau- né .

Il est clair qu'une bonne partie de l'Afrique Noire avait atteint, à un moment donné, un degré d'évolution et de

culture, au moins égal à celui des pays européens de la même période . Il est également démontré que l'Afrique a eu , en des temps reculés, des échanges suivis avec l'Inde dravidienne . Mlle Homburger, directrice d'études à la Sorbonne et chargée de cours à l'Ecole Nationale des Langues Orientales , a fait, en 1950 , une communication à

la Société de Géographie, annonçant que de multiples recherches océancgraphiques avaient établi que les cauries ne se trouvaient que dans l'Océan Indien . La présence de

ces coquillages en grande quantité dans tout le Soudan central était donc un indice certain des trafics qui ont existé

entre l'Afrique et les pays de l'Océan Indien , en passant

vraisemblablement par Mozambique . La colonisation a été imposée par la perfidie ou par la force à des populations qui avaient leur civilisation et ne demandaient rien à personne . Ecoutons, plutôt, le Moro Naba de Ouagadougou , faisant dire, en 1895 , au Capitaine

Destenaves , dépêché auprès de lui pour conclure un traité : « Depuis longtemps j'ai fait consulter les grigris qui ont répondu que si je voyais un Blanc j'étais un homme mort . Je sais que les Blancs veulent me faire mourir pour me prendre mon pays et, d'ailleurs, tu prétends qu'ils vont m'aider à organiser mon pays . Mais je trouve mon pays

très bien tel qu'il est . Je n'ai nul besoin d'eux ; je sais ce qu'il me faut et ce que je veux ; j'ai mes marchands ; aussi estime-toi heureux que je ne te fasse pas couper la tête . Va -t-en donc et surtout ne reviens plus . »

181

-

Voilà qui est précis . Mais pourquoi , alors, la coloni sation ?

Nul ne saurait le dire avec une voix aussi autorisée que l'ancien Gouverneur des Colonies Georges Hardy , qui écrit dans Histoire sociale de la colonisation française : « Pour les hommes d'Etat des XVII et XVIII ° siècles , en

France comme ailleurs , la colonisation n'est qu'une « affaire », une entreprise toute mercantile , un élément du grand commerce maritime . » Et Georges Hardy poursuit : « Rien ne relève mieux les tendances profondes de cette

colonisation que le régime économique qui fut imposé aux colonies et qui porte le nom de système colonial ou , plus nettement encore, d'Exclusif .

Chaque compagnie, en compensation de ses charges , bénéficiait de certains privilèges : droits régaliens sur les Territoires occupés, exemptions , subventions, etc ... Mais son principal avantage, c'était le monopole du trafic dans les régions qui : formaient son domaine : les habitants

étaient tenus de lui réserver la vente de leurs produits et l'achat des objets dont ils avaient besoin ; tout autre com merce était « exclu » de cette chasse gardée .

« C'était, bien entendu , les étrangers que visait un tel système, mais il était, en même temps , destiné à prévenir la concurrence possible des colonies à la métropole . Dessiné dès la fondation des premières colonies, il prend . avec Colbert, particulièrement inquiet de la pénurie moné taire, tournure de doctrine et malgré quelques atténuations se prolonge jusqu'à la Révolution . Les différentes régle mentations qu'il inspire se résument en ces quelques formules : la métropole entretient les colonies, les colo nies enrichissent la métropole ; les produits coloniaux sont faits pour alimenter la consommation française , les produits français ont, seuls , accès sur le marché colonial . Des industries ne peuvent se créer dans les colonies qu'à

la condition de ne point faire double emploi avec les indus tries françaises ; les transports maritimes entre la France et ses colonies ne sont autorisés que sous pavillon français . »

182

-

Voilà , décrit par M. Georges Hardy, que nul ne songerait à suspecter d'avoir des idées subversives , le système

économique, abusivement appelé « pacte colonial », qui est le fondement et l'essence de la colonisation .

Mais la réalisation est parfois hideuse, et les colonisa teurs ont eu des spécialistes en matière de faux et de cynisme pour écrire, à l'eau de rose, les récits des grandes épopées coloniales qu'on nous présente , volontiers, comme une entreprise philanthropique, une oeuvre désin téressée de pacification et de civilisation . Aimé Césaire répond dans le fameux Discours sur le Colonialisme :