La Pâque Du Seigneur: Passion et résurrection de Jésus dans les evangiles synoptiques (Rhetorica Biblica et Semitica) (French Edition) [3 ed.] 9042944579, 9789042944572

Les Evangiles representent le coeur du Nouveau Testament. Le recit de la Passion et de la Resurrection de Jesus par lequ

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French Pages 517 [523] Year 2021

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Table of contents :
INTRODUCTION
LEXIQUE DES TERMES TECHNIQUES
PREMIÈRE PARTIE
DEUXIÈME PARTIE
TROISIÈME PARTIE
QUATRIÈME PARTIE
CONCLUSION
SIGLES ET ABRÉVIATIONS
BIBLIOGRAPHIE
INDEX DES AUTEURS CITÉS
INDEX DES RÉFÉRENCES BIBLIQUES
TABLE DES MATIÈRES
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La Pâque Du Seigneur: Passion et résurrection de Jésus dans les evangiles synoptiques (Rhetorica Biblica et Semitica) (French Edition) [3 ed.]
 9042944579, 9789042944572

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pontificia universitas gregoriana rhetorica biblica et semitica

Roland Meynet

LA PÂQUE DU SEIGNEUR Passion et résurrection de Jésus dans les évangiles synoptiques Troisième édition revue

PEETERS

LA PÂQUE DU SEIGNEUR

Roland Meynet

LA PÂQUE DU SEIGNEUR Passion et résurrection de Jésus dans les évangiles synoptiques Troisième édition revue Rhetorica Biblica et Semitica XXVII

PEETERS LEUVEN – PARIS – BRISTOL, CT 2021

SOCIÉTÉ INTERNATIONALE POUR L’ÉTUDE DE LA RHÉTORIQUE BlBLIQUE ET SÉMITIQUE

Il existe de nombreuses sociétés savantes dont l’objet est l’étude de la rhétorique. La plus connue est la « Société internationale pour l’histoire de la rhétorique ». La RBS est la seule : • qui se consacre exclusivement à l’étude des littératures sémitiques, la Bible essentiellement, mais aussi d’autres, des textes musulmans par exemple ; • qui s’attache par conséquent à inventorier et à décrire les lois particulières d’une rhétorique qui a présidé à l’élaboration des textes dont l’importance ne le cède en rien à ceux du monde grec et latin dont la civilisation occidentale moderne est l’héritière. Il ne faudrait pas oublier que cette même civilisation occidentale est héritière aussi de la tradition judéo-chrétienne qui trouve son origine dans la Bible, c’est-à-dire dans le monde sémitique. Plus largement, les textes que nous étudions sont les textes fondateurs des trois grandes religions monothéistes, judaïsme, christianisme et islam. Une telle étude scientifique, condition première d’une meilleure connaissance mutuelle, ne saurait que contribuer au rapprochement entre ceux qui se réclament de ces diverses traditions. • • •

• •

La RBS promeut et soutient la formation, les recherches et les publications : surtout dans le domaine biblique, tant du Nouveau que de l’Ancien Testament ; mais aussi dans celui des autres textes sémitiques, en particulier ceux de l’islam ; et encore chez des auteurs nourris par les textes bibliques, comme saint Benoît et Pascal. Pour cela, la RBS organise les années paires un colloque international dont les actes sont publiés dans la présente collection ; chaque année des séminaires de formation à sa méthodologie, en différentes langues.

La RBS accueille et regroupe d’abord les chercheurs et professeurs universitaires qui, dans diverses institutions académiques, travaillent dans le domaine de la rhétorique biblique et sémitique. Elle encourage de toutes les manières les étudiants, surtout de doctorat, dans l’apprentissage de sa technique propre. Elle est ouverte aussi à tous ceux qui s’intéressent à ses activités et entendent les soutenir. SOCIÉTÉ INTERNATIONALE POUR L’ÉTUDE DE LA RHÉTORIQUE BIBLIQUE ET SÉMITIQUE Pontificia Università Gregoriana — Piazza della Pilotta, 4 — 00187 Roma (Italie) Pour plus de renseignements sur la RBS, voir : www.retoricabiblicaesemitica.org. ISBN 978-90-429-4457-2 eISBN 978-90-429-4458-9 D/2021/0602/4 A catalogue record for this book is available from the Library of Congress. © 2021, Peeters, Bondgenotenlaan 153, B-3000 Leuven, Belgium No part of this book may be reproduced in any form or by any electronic or mechanical means, including information storage or retrieval devices or systems, without prior written permission from the publisher, except the quotation of brief passages for review purposes.

Rhetorica Biblica et Semitica Beaucoup imaginent que la rhétorique classique, héritée des Grecs à travers les Romains, est universelle. C’est en effet celle qui semble régir la culture moderne, que l’Occident a répandue sur l’ensemble de la planète. Le temps est désormais venu d’abandonner un tel ethnocentrisme : la rhétorique classique n’est pas seule au monde. La Bible hébraïque, dont les textes ont été écrits surtout en hébreu mais aussi en araméen, obéit à une rhétorique bien différente de la rhétorique gréco-romaine. Il faut donc reconnaitre qu’il existe une autre rhétorique, la « rhétorique hébraïque ». Quant aux autres textes bibliques, de l’Ancien Testament et du Nouveau, qui ont été soit traduits soit rédigés directement en grec, ils obéissent largement aux mêmes lois. On est donc en droit de parler non seulement de rhétorique hébraïque, mais plus largement de « rhétorique biblique ». En outre, ces mêmes lois ont ensuite été reconnues à l’œuvre dans des textes akkadiens, ougaritiques et autres, en amont de la Bible hébraïque, puis dans les textes arabes de la Tradition musulmane et du Coran, en aval de la littérature biblique. Il faut donc admettre que cette rhétorique n’est pas seulement biblique, et l’on dira que tous ces textes, qui appartiennent à la même aire culturelle, relèvent d’une même rhétorique qu’on appellera « rhétorique sémitique ». Contrairement à l’impression que ressent inévitablement le lecteur occidental, les textes de la tradition sémitique sont fort bien composés, à condition toutefois de les analyser en fonction des lois de la rhétorique qui les gouverne. On sait que la forme du texte, sa disposition, est la porte principale qui ouvre l’accès au sens. Non pas que la composition fournisse, directement et automatiquement, la signification. Cependant, quand l’analyse formelle permet d’opérer une division raisonnée du texte, de définir de manière plus objective son contexte, de mettre en évidence l’organisation de l’œuvre aux différents niveaux de son architecture, se trouvent ainsi réunies les conditions qui permettent d’entreprendre, sur des bases moins subjectives et fragmentaires, le travail d’interprétation.

Je vous rappelle, frères, l’Évangile que je vous ai annoncé, que vous avez reçu et dans lequel vous demeurez fermes, par lequel aussi vous vous sauvez, si vous le gardez tel que je vous l’ai annoncé; sinon, vous auriez cru en vain. Je vous ai donc transmis en premier lieu ce que j’avais moi-même reçu, à savoir que le Christ est mort pour nos péchés selon les Écritures, qu’il a été mis au tombeau, qu’il est ressuscité le troisième jour selon les Écritures (1Co 15,1-4)

INTRODUCTION

La Résurrection de Jésus, point de départ de l’Évangile Les évangiles finissent par où la prédication des Apôtres avait commencé : la Pâque du Seigneur Jésus. Le mot « évangile », la « Bonne Nouvelle », désigne même, au tout début, la seule annonce de la Résurrection : « Et nous, nous vous annonçons la Bonne Nouvelle : la promesse faite à nos pères, Dieu l’a accomplie en notre faveur, nous leurs enfants : il a ressuscité Jésus » (Ac 13,32-33). C’est ce dont témoigne le texte le plus ancien du Nouveau Testament, la première Épitre aux Thessaloniciens, écrite vers 51. Dans un raccourci dont il a le secret, Paul rappelle comment ses correspondants sont venus au Christ ; or, de la vie de Jésus, il ne mentionne que la Résurrection : « On raconte là-bas comment nous sommes venus chez vous et comment vous vous êtes convertis à Dieu, abandonnant les idoles pour servir le Dieu vivant et véritable, dans l’attente de son Fils qui viendra des cieux, qu’il a ressuscité des morts, Jésus, qui nous délivre de la colère qui vient » (1Th 1,9-10)1. Ainsi les Apôtres se définissent-ils euxmêmes, par la bouche de Pierre, au début des Actes, comme les « témoins de la Résurrection » (Ac 1,22). Il est vrai que les tous premiers destinataires de l’Évangile n’avaient pas besoin qu’on leur annonce autre chose : habitants de terre sainte, résidants de Jérusalem, ils avaient été les témoins directs — et même, pour quelques-uns d’entre eux, les acteurs — du drame qui venait de se jouer. Ils connaissaient fort bien celui qui en avait été la victime. Ils avaient entendu longuement son enseignement, ils avaient vu les nombreuses guérisons qu’il avait accomplies parmi eux. Or, cet homme-là était mort. Ils l’avaient vu cloué à la croix, sous la garde de quelques soldats romains, et il avait été mis au tombeau. Avec son exécution, s’était éteinte l’espérance de ceux qui l’avaient suivi. Et voilà que — aussi incroyable que cela pouvait paraitre — nombre de ceux qui avaient cru en lui, affirmaient et proclamaient bien haut qu’ils l’avaient vu vivant. Eux qui avaient fui lamentablement quand leur maitre avait été arrêté, annonçaient maintenant avec la plus grande assurance et sans la moindre crainte, malgré les risques encourus, que Dieu l’avait ressuscité d’entre les morts. Cependant, si c’est la Résurrection de Jésus que les Apôtres ont commencé à annoncer, ce n’est pas seulement parce que c’était le seul événement concernant Jésus que leurs compatriotes ignoraient. C’est, d’abord et avant tout, parce qu’elle était le fondement ultime de leur foi. « Si le Christ n’est pas ressuscité, notre prédication est vide, vide aussi votre foi » (1Co 15,14). Le fondement aussi de leur espérance : « Si c’est pour cette vie que nous avons mis notre espoir dans le Christ, nous sommes les plus malheureux des hommes. Mais non, le Christ est 1

Voir A. VANHOYE, De Narrationibus Passionis Christi in Evangeliis synopticis, 5 sqq.

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La Pâque du Seigneur

ressuscité des morts, prémices de ceux qui se sont endormis » (1Co 15,19-20). Si Jésus n’était pas ressuscité, il ne serait pas le Christ : « établi Fils de Dieu avec puissance selon l’esprit de sainteté, par sa résurrection d’entre les morts, Jésus Christ, notre Seigneur » (Rm 1,4). Passion et Résurrection Bien vite, la proclamation de la Résurrection est couplée avec celle de la Passion. Le jour de la Pentecôte, le premier discours de Pierre s’achève par une formule qui le résume en ces quelques mots : « Que toute la multitude d’Israël le sache donc avec certitude : Dieu l’a fait Seigneur et Christ, ce Jésus que vous, vous avez crucifié » (Ac 2,36). Plus ramassée encore la parole de Paul : « Si nous croyons que le Christ est mort et ressuscité,... » (1Th 4,14). Quand Pierre et Jean guérissent un impotent à la Belle Porte du temple, le peuple se rassemble et Pierre leur dit : 13

Le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, le Dieu de nos pères a glorifié son serviteur Jésus que vous, vous avez livré et que vous avez renié devant Pilate, alors qu’il était décidé à le relâcher. 14 Mais vous, vous avez chargé le Saint et le juste ; vous avez réclamé la grâce d’un assassin, 15 tandis que vous faisiez mourir le prince de la vie. Dieu l’a ressuscité des morts : nous en sommes témoins (Ac 3,13-15).

Aux sanhédrites devant lesquels les deux apôtres doivent alors comparaitre, 8

Pierre, rempli de l’Esprit Saint, leur dit : « Chefs du peuple et anciens, 9 puisqu’aujourd’hui nous avons à répondre en justice du bien fait à un infirme et du moyen par lequel il a été guéri, 10 sachez-le bien, vous tous, ainsi que tout le peuple d’Israël : c’est par le nom de Jésus Christ le Nazôréen, celui que vous, vous avez crucifié, et que Dieu a ressuscité des morts, c’est par son nom et par nul autre que cet homme se présente guéri devant vous » (Ac 4,8-10).

Quelque temps après, comparaissant de nouveau devant le Sanhédrin, 29

Pierre répondit alors, avec les apôtres : « Il faut obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes. Le Dieu de nos pères a ressuscité ce Jésus que vous, vous aviez fait mourir en le suspendant au gibet. 31 C’est lui que Dieu a exalté par sa droite, le faisant Chef et Sauveur, afin d’accorder par lui à Israël la repentance et la rémission des péchés. 32 Nous sommes témoins de ces choses, nous et l’Esprit Saint que Dieu a donné à ceux qui lui obéissent » (Ac 5,29-32). 30

Tel est l’Évangile que proclament les Douze ; tel est celui que Paul prêche, comme il lui a été transmis : 1

Je vous rappelle, frères, l’Évangile que je vous ai annoncé, que vous avez reçu et dans lequel vous demeurez fermes, 2 par lequel aussi vous vous sauvez, si vous le gardez tel que je vous l’ai annoncé ; sinon, vous auriez cru en vain.

3

Je vous ai donc transmis en premier lieu ce que j’avais moi-même reçu, à savoir

Introduction

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+ que le Christ est mort pour nos péchés selon les Écritures, – 4 qu’il a été enseveli, + qu’il est ressuscité le troisième jour selon les Écritures, – 5 qu’il est apparu à Céphas, puis aux Douze... (1Co 15,3-5)2.

La Pâque de Jésus Les récits de la Passion et de la Résurrection de Jésus sont donc le rocher sur lequel est bâti tout l’Évangile. Si les deux temps de cet unique mystère peuvent être distingués, ils forment cependant un tout fortement unifié. Ce que veut signifier le titre donné au présent ouvrage : La Pâque de Jésus. C’est là, en quelque sorte, le titre donné par les évangélistes eux-mêmes à la section finale de leur œuvre. – Matthieu commence ainsi le récit de la Passion et de la Résurrection du Seigneur : Et il arriva, quand Jésus eut achevé tous ces discours, qu’il dit à ses disciples : « La Pâque, vous le savez, tombe dans deux jours, et le Fils de l’homme va être livré pour être crucifié » (Mt 26,1-2).

– Marc est plus abrupt : La Pâque et les Azymes allaient avoir lieu dans deux jours, et les grands prêtres et les scribes cherchaient le moyen d’arrêter Jésus par ruse pour le mettre à mort (Mc 14,1).

– Et de même Luc : Cependant la fête des Azymes, appelée la Pâque, approchait. Et les grands prêtres et les scribes cherchaient le moyen de le faire disparaitre, car ils craignaient le peuple (Lc 22,1-2).

Jean pour sa part utilisera le verbe « passer » au début de la seconde section de son évangile (Jn 13,1) : Avant la fête de la Pâque, Jésus, sachant que son heure était venue de passer de ce monde vers le Père, ayant aimé les siens qui étaient dans le monde, les aima jusqu’à la fin.

C’est là le sens que la Bible elle-même donne au mot « Pâque » (Ex 12,13). Le genre de ce commentaire Les récits de la Passion et de la Résurrection dans les évangiles synoptiques ont donné lieu à de nombreuses études, soit historiques3 soit exégétiques. La 2

Voir A. VANHOYE, De Narrationibus, 7. Parmi les plus importantes, J. BLINZLER, Le Procès de Jésus ; S. LÉGASSE, Le Procès de Jésus, 1. Histoire. 3

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La Pâque du Seigneur

présente recherche, qui appartient à la seconde catégorie, est d’un genre nouveau. Appliquant les procédures de l’analyse rhétorique biblico-sémitique4, elle s’attache à dégager l’architecture du récit de la Pâque, non seulement au niveau de chacun de ses épisodes, mais surtout à celui des ensembles qu’ils forment. C’est pourquoi le commentaire se développe en plusieurs vagues : l’étude des péricopes — ou « passages » — est suivie par celle de la séquence (et, le cas échéant, de la sous-séquence) à laquelle elles appartiennent. De même en effet qu’un mot ne prend son sens que dans la phrase où il est employé, ainsi un épisode de la Pâque ne se comprend vraiment que dans son contexte, contexte défini de manière rigoureuse, en fonction de l’architecture d’ensemble. Les limites du texte La délimitation précise des unités littéraires est sans doute un des apports les plus décisifs de l’analyse rhétorique biblique. Or cette opération est particulièrement importante pour les récits de la Pâque du Seigneur. Contrairement à ce que l’on pourrait imaginer de prime abord, les limites extrêmes, c’est-à-dire le début et la fin de l’ensemble du récit de la Pâque ne sont pas évidentes. Si la fin ne pose pas de problème en ce qui concerne le premier et le troisième évangile, on sait qu’il n’en est pas de même pour la finale de Marc5. Mais c’est surtout le début du récit de la Pâque qui est problématique. En effet, beaucoup ne le font commencer qu’avec l’arrestation de Jésus : ainsi Albert Vanhoye qui note que l’accord entre les quatre évangiles « se fait [...] plus substantiel à partir de l’arrestation de Jésus à Gethsémani. Il semble donc qu’un récit commençant à l’arrestation ait été formé très tôt dans la tradition de l’église primitive, ou du moins un schéma qui en fixait les lignes essentielles »6. Il est clair que cette option est déterminée par une considération de type diachronique, une hypothèse sur l’histoire du texte. Si l’on s’en tient à un point de vue synchronique (la composition littéraire des synoptiques dans leur état final), le récit de la Pâque selon les synoptiques ne commence pas avec l’arrestation (Mt 26,47 ; Mc 14,43 ; Lc 22,47), mais beaucoup plus tôt (de 43 à 47 versets plus tôt) avec la décision des autorités juives de faire disparaitre Jésus (Mt 26,1 ; Mc 14,1 ; Lc 22,1) : en effet, dans les trois synoptiques, la péricope qui rapporte l’arrestation de Jésus fait partie intégrante d’une longue séquence dont elle est le dernier passage, c’est-à-dire la conclusion, ou le point d’aboutissement.

4

Voir R. MEYNET, Traité de rhétorique biblique. Un lexique des termes techniques suit la présente introduction, p. 21-23. 5 Voir J. HUG, La Finale de l’évangile de Marc. 6 A. VANHOYE et al., La Passion, 15-16 ; de même J. BLINTZER, Le Procès de Jésus ; S. LÉGASSE, Le Procès de Jésus. II. La Passion dans les quatre évangiles. P. BENOIT, Passion et Résurrection du Seigneur, le faisait commencer une péricope plus tôt, à la prière à Gethsémani. Quant à R. BROWN, il commence avec l’annonce du reniement de Pierre et des autres disciples (The Death, I, 36-40).

Introduction

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Les étapes du commentaire Comme dans les autres travaux de la collection, le commentaire se développe en trois étapes : – d’abord, la « COMPOSITION », avec la planche où le texte est réécrit de façon à visualiser son organisation formelle, accompagnée des explications qui facilitent la lecture de la planche et justifient l’analyse7 ; – ensuite, le « CONTEXTE » qui met en lumière les rapports de tous ordres que le texte entretient avec d’autres textes, surtout de l’Ancien Testament ; cette étape est d’autant plus importante que, comme le dit Paul en 1Co 15,3-5 (voir p. 11), Passion et Résurrection ont été accomplies, « selon les Écritures » ; – enfin, l’« INTERPRÉTATION » qui veut mettre en évidence les rapports significatifs que la composition suggère, en relation avec les citations ou les allusions à l’Écriture. Une étude synoptique Une autre étape a été introduite ici, entre la « Composition » et le « Contexte » : la « COMPARAISON SYNOPTIQUE ». Il ne pouvait être question en effet de se limiter à l’analyse de chacun des récits de la Pâque — selon Mt, Mc et Lc — sans les comparer entre eux. Puisque l’analyse de chacun des trois récits évangéliques était nouvelle, il fallait que le genre de la comparaison synoptique le soit aussi. Celle-ci porte évidemment, pour commencer, sur chaque épisode ; mais, même à ce premier niveau de l’organisation textuelle, au lieu de se contenter de relever les différences matérielles entre les textes (vocabulaire, constructions syntaxiques, ordre des éléments), la comparaison voudrait s’attacher surtout à mettre en lumière la façon dont chaque évangéliste a organisé son matériel dans une composition qui lui est propre. Ce ne sont pas seulement les matériaux qui sont comparés, mais aussi leur architecture : c’est en effet cette dernière qui porte le sens du texte. Dès ce niveau cependant, la comparaison s’avère plus compliquée qu’on ne pourrait l’imaginer au premier abord : c’est que les limites des passages ne coïncident pas toujours. Ainsi, par exemple, au début de la seconde séquence (« Le jugement de Jésus »), les deux premiers versets de Mc forment un passage en eux-mêmes, « Jésus et Pierre chez le Grand Prêtre » (Mc 14,53-54 ; voir p. 222), tandis que chez Mt l’équivalent de cet épisode ne constitue que la première partie d’un passage qui comprend aussi celui des faux témoins (Mt 26,57-61 ; voir p. 194) et que chez Lc il n’est que la première partie du « Reniement et repentir de Pierre » (Lc 22,54-62 ; voir p. 257).

7 Dans P. BOVATI – R. MEYNET, Le Livre du Prophète Amos, étant donné les problèmes particuliers posés par l’établissement du texte et sa traduction, une étape préliminaire a été introduite, intitulée « Texte ». Dans le présent ouvrage, il n’a pas paru nécessaire de consacrer une étape spécifique à ces questions, dont les plus importantes sont traitées dans les notes.

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La Pâque du Seigneur

Mais la comparaison synoptique ne peut s’arrêter là. Elle est encore plus intéressante aux niveaux supérieurs, celui des sous-séquences et des séquences que forment les passages entre eux. Il est fort important, pour mieux comprendre la perspective propre à chacun des évangélistes, de délimiter avec précision les ensembles dans lesquels chaque passage est intégré. Les rapports qu’un passage entretient avec les autres à l’intérieur de la sous-séquence, puis de la séquence à laquelle il appartient, sont en effet hautement significatifs. Ainsi, par exemple, le passage qui rapporte le reniement et le repentir de Pierre fait partie, chez Mt, d’une première sous-séquence consacrée à la phase juive du procès de Jésus (Mt 26,57-75 ; voir p. 203). À l’intérieur de cet ensemble, Pierre (69-75) se trouve mis en parallèle avec les faux témoins (57-61) : alors que ces derniers témoignent contre Jésus, Pierre refuse de témoigner pour lui, tous étant coupables de faux témoignage. Chez Mc, au contraire, le passage parallèle du reniement et du repentir de Pierre ne fait partie ni de la sous-séquence consacrée à la phase juive du procès, ni de celle qui rapporte sa phase romaine. Il constitue à lui seul le centre — et donc le climax — de la séquence marcienne (voir p. 250). Alors que le procès se déroule en deux phases chez Mt, la phase juive et la phase païenne, chez Mc ce sont trois groupes distincts qui ont à prendre parti face à Jésus : les Romains, les Juifs, mais aussi les disciples représentés par le premier d’entre eux. On verra en son temps quelles conclusions pour l’interprétation peuvent découler du repérage de ces deux organisations littéraires si différentes (voir p. 252-253). Pour prendre un autre exemple, il n’est pas indifférent de voir que, si la première séquence de la Pâque est centrée, chez Mt et chez Mc, sur le récit de la Cène, chez Lc le centre de toute la construction est occupé par le discours sur le service (voir p. 182). L’ordre des évangiles L’ordre d’exposition est le suivant : Mt est d’abord analysé en lui-même, sans aucune comparaison synoptique ; puis c’est au tour de Mc, mis en parallèle avec le seul Mt ; enfin, Lc est étudié en comparaison avec les deux autres. Le lecteur s’étonnera sans doute qu’on ait commencé par Mt, alors que la majorité des exégètes contemporains s’accorde pour reconnaitre en Mc le plus ancien des évangiles, la source majeure et de Mt et de Lc8. Au point de départ, un tel choix obéissait à une sorte de désir de provocation. Je ne voulais pas tenir pour acquise d’avance une théorie plutôt qu’une autre, même si la priorité de Mc pouvait sembler assurée. Désirant aborder l’étude des textes de la manière la plus neutre qui soit en ce qui concerne le problème des sources, j’ai donc décidé, en partisan délibéré de l’analyse synchronique, de suivre les textes tout simplement dans l’ordre canonique, tels qu’ils se présentent dans toutes les éditions actuelles de la Bible, que ce soit en grec ou en traductions. Le fait que cet ordre se soit imposé

8 C’est ainsi que procède S. Légasse (Le Procès de Jésus. II : La passion dans les quatre évangiles) qui étudie d’abord Marc, puis Matthieu, Luc et Jean.

Introduction

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dans l’Église depuis si longtemps peut sans doute permettre de penser qu’il n’a pas été adopté sans de bonnes raisons. Après coup, je ne regrette pas ce choix initial. Au contraire ! En effet, quand bien même l’ordre chronologique de rédaction des évangiles serait différent de celui qui a été retenu par la tradition — ce que je n’ai aucunement l’intention de discuter —, l’ordre canonique qui fait se succéder Mt, Mc et Lc parait tout à fait logique. Il peut même être dit chronologique, non pas du point de vue des dates respectives de rédaction des évangiles, mais en ce qui concerne les étapes de la croissance de l’Église. L’étude des récits de la Pâque, et plus particulièrement du procès de Jésus, montre que Mt représente le tout premier état de la communauté des disciples du Christ : elle n’est encore composée essentiellement que de Juifs ayant adhéré à la foi au Ressuscité. Le second évangile se révèle être celui d’une communauté — chrétienne — distincte à la fois des deux groupes d’où elle est issue, les juifs et les païens. Quant à Lc, il est destiné à des églises formées essentiellement par des païens qui sont entrés dans la foi chrétienne. Il se trouve que ces résultats, qui n’étaient absolument pas prévus au départ, ni même recherchés, confirment ce que l’on sait depuis toujours par la tradition ecclésiastique la plus ancienne9. Le but du commentaire La visée première et ultime de ce travail n’est pas de type historique. Il n’a pas été entrepris pour discuter la vérité pour ainsi dire « matérielle » des faits rapportés dans les évangiles ; ni pour prendre position sur la formation des textes évangéliques. Cette étude est exégétique — privilégiant une opération, l’analyse de la composition —, et surtout théologique : elle entend faire ressortir le visage du Seigneur Jésus, tel que chacun des trois premiers évangélistes le présente, chacun à sa manière. C’est bien sûr le même Jésus qui est annoncé, mais chaque évangile le donne à voir sous un angle de vue particulier : pour Mt, c’est le Serviteur du Seigneur, tel que l’avait prophétisé Isaïe, surtout aux chapitres 52– 53 ; pour Mc, il est le Maitre de ses disciples ; quant à Lc, il le dépeint, pour ses lecteurs d’origine païenne, comme le Roi d’Israël10. L’utilisation du commentaire Ce livre se prête à deux types principaux d’utilisation. Le premier, plus léger, consisterait à ne lire que le texte biblique (c’est-à-dire les réécritures des textes évangéliques), puis le « Contexte » et l’« Interprétation ». Cette sorte de « lecture cursive », ne s’embarrasserait pas de toute la technique « rhétorique » et irait droit au but. Ce serait comme une lecture spirituelle, pour celui qui vou-

9 Voir J.-B. COLON, « Marc » ; L. VAGANAY, « Matthieu » ; voir aussi X. LÉON-DUFOUR – C. PERROT, Introduction critique au Nouveau Testament, III, 2 : L’Annonce de l’Évangile, 62-67 ; 98-101 ; 136-138. 10 Pour plus de détails, voir évidemment la conclusion, p. 487 sqq.

16

La Pâque du Seigneur

drait méditer — avec un guide — les récits évangéliques. L’ouvrage a été conçu pour que cette première sorte d’utilisation soit possible. Le deuxième type d’utilisation est évidemment plus onéreux, mais aussi bien plus profitable. Il consiste à se servir de ce livre comme d’un instrument de travail. Au lieu de se contenter de lire, même attentivement, les réécritures, on prendra le temps de les colorier. Ce conseil pourra paraitre enfantin, mais toute personne qui a un jour voulu travailler sérieusement des textes — de la Bible ou autres — sait bien que c’est là un des moyens les plus efficaces pour se les approprier. Faute de réécrire le texte lui-même11, un coloriage adéquat permettra d’atteindre un résultat analogue. Les plus grands saints n’ont pas hésité à recourir à ce genre d’exercice12. Ce livre contient deux sortes de planches. Les premières se trouvent sous la rubrique « composition » : il suffit de mettre des couleurs différentes pour les différents types de caractères (gras, italiques, petites capitales, majuscules, ainsi que toutes leurs combinaisons) et de même pour les différentes polices (Times qui est le caractère de base du livre, mais aussi, quand cela s’est révélé nécessaire, Arial, qui se distingue bien du Times, car c’est un caractère sans empattement, et quelques autres). À ces planches ont été ajoutés des tableaux synoptiques qui entendent aider le lecteur à comparer les textes parallèles. Pour faire ressortir les ressemblances et les différences, le code ci-dessous a été adopté (je me permets de conseiller un choix de couleurs)13.

11 « Chaque homme en Israël a le devoir d’acquérir un livre de la Tôrâ ; et s’il l’écrit lui-même, il est digne d’éloges. Nos Sages n’ont-ils pas dit : “S’il l’a écrit lui-même, c’est comme s’il l’avait reçu au Sinaï ? S’il n’en a pas la possibilité, qu’il acquière un rouleau de celui qui l’a écrit. C’est ainsi que nos Sages interprètent le verset “et maintenant, écrivez pour vous ce cantique, qu’on l’enseigne aux enfants d’Israël”. » (Dt 31,19 : 613e et dernier commandement de la Loi) : transcrivez la Tôrâ dans laquelle se trouve ce cantique » (Sefer Ha-Hinukh). 12 « Comme il goutait beaucoup ses livres, la pensée lui vint d’en tirer, en résumé, certaines choses plus essentielles de la vie du Christ et des saints. C’est ainsi qu’il se mit à écrire avec beaucoup de soin (car il commençait à se lever un peu dans la maison) : les paroles du Christ à l’encre rouge, celle de Notre-Dame à l’encre bleue, le papier était lisse et rayé, et cela était bien écrit, car il était très bon calligraphe. Il passait une partie du temps à écrire et une partie en oraison » [note marginale : « Ce livre eut environ 300 feuilles toutes écrites au format in-quarto »] (Ignace de LOYOLA, Récit, 65-66). 13 Voir le chapitre du Traité de rhétorique biblique consacré à « La comparaison synoptique » (Traité, 471-506). Pour plus de commodité, on pourra garder sous les yeux l’encart qui est inséré dans le volume : il sera d’un grand secours pour le lecteur qui voudra se livre au jeu du coloriage.

Introduction

17

• Mt – Mc : Éléments identiques · dans la même position · dans une autre position

Times PETITES CAPITALES PETITES CAPITALES

ITALIQUES

Éléments différents · dans la même position · dans une autre position

Times minuscules minuscules

italiques

Propre au premier évangile

Minuscules grasses

BLEU

Propre au second évangile

Minuscules grasses italiques

VERT

Commun à Mt, Mc, Lc · identique dans le même ordre · identique dans un autre ordre

Times PETITES CAPITALES PETITES CAPITALES

ROUGE ITALIQUES

Commun à Mc et Mt · identique · synonyme

Times minuscules grasses minuscules

italiques italiques

Commun à Mc et Lc · identique · synonyme

PTBarnum BT minuscules grasses

minuscules

italiques

Commun à Mt et Lc · identique · synonyme

Arial minuscules grasses minuscules

italiques italiques

Propre à chacun

Arial Narrow minuscules romaines

ROUGE

JAUNE

• Mt – Mc – Lc :

VERT

BLEU

JAUNE

Aucune couleur

Les traductions Il est évident qu’un travail de ce genre ne peut être mené que sur les textes originaux. Sinon, un certain nombre de symétries, plus ou moins importantes, que les traductions courantes négligent, risquent de passer inaperçues. On ne s’étonnera pas que la traduction soit littérale, quelquefois jusqu’à l’incorrection : par exemple, en Lc 22,10 (voir p. 131), on a choisi de traduire « rencontrera vous » en conservant l’ordre du grec (au lieu de « vous rencontrera », ou de « viendra à votre rencontre ») pour manifester le parallélisme avec « suivez le », deux lignes plus loin. Pour faire ressentir la parenté lexicale — et les jeux

18

La Pâque du Seigneur

de mots — entre didōmi (traduit par « donner ») et para-didōmi (habituellement traduit, et à juste titre, par « livrer »), ce dernier verbe a été rendu par « donner » (le tiret signifiant qu’il ne s’agit pas du verbe simple, mais de celui qui comporte le préfixe para-). Cette traduction n’est évidemment pas faite pour être utilisée dans la proclamation liturgique : c’est une traduction de travail. On ne s’étonnera pas non plus qu’il y ait des différences de traduction d’une planche à l’autre : il fallait être très littéral au niveau du passage, mais à celui de la séquence, on pouvait se permettre de l’être moins, tout en respectant les symétries qui jouent à ce niveau-là. Dans les traductions, les tirets qui relient deux mots français indiquent qu’il s’agit d’un seul mot en grec (par ex., en Mt 26,59 : « tout-entier », « fauxtémoignages » et « faire-mourir » ; voir p. 194) ; les parenthèses sont utilisées pour signaler les mots ajoutés pour une meilleure compréhension (par ex., en Mt 26,61 : « et en trois jours (le) bâtir » ; voir p. 194) ; en revanche, les crochets droits indiquent les additions de certains manuscrits adoptées dans l’analyse (par ex., en Lc 23,17 : « [Or il était obligé de leur relâcher pour la fête quelqu’un] » ; voir p. 277). Le quatrième chant du Serviteur et le Ps 22 Outre les planches des textes évangéliques de la Pâque du Seigneur, on trouvera aussi une mise en page globale du Ps 22 (p. 457) et surtout les réécritures des trois parties et de l’ensemble du quatrième chant du Serviteur (p. 147, 281, 155, 61)14 ; si les analyses de ce dernier texte ont été réparties sur l’ensemble de l’ouvrage, c’était tout simplement pour utiliser les pages laissées libres pour des raisons de mise en page. Ainsi, le poème du prophète accompagnera tout le parcours, comme il est présent tout au long de la lecture des événements proposée par les évangélistes.

14 Pour une analyse plus précise de ce texte, voir R. MEYNET, « Le quatrième chant du serviteur (Is 52,13–53,12) ».

Introduction

19

La deuxième édition La première édition du présent ouvrage, désormais épuisée, était intitulée Jésus passe ; elle portait comme sous-titre Testament, jugement, exécution et résurrection du Seigneur Jésus dans les évangiles synoptiques. Il a paru opportun de choisir pour cette nouvelle édition un titre plus court, plus simple et plus transparent. Les analyses ont été vérifiées et corrigées quand cela était nécessaire. Les réécritures du texte biblique ont toutes été reprises pour être mises aux normes édictées dans les deux chapitres qui sont consacrées à cette opération dans le Traité de rhétorique biblique : chap. 5, « La réécriture » et chap. 9, « La comparaison synoptique ». La description de la composition aussi a été revue et souvent allégée notablement. Il eut certainement été souhaitable d’intégrer à cette nouvelle édition les récits du quatrième évangile. En effet, les quatre derniers chapitres de Jean (18–21) ont été eux aussi étudiés selon les procédures de l’analyse rhétorique biblique par Jacek Oniszczuk15. Il est à souhaiter que la traduction française de ces travaux vienne compléter au plus tôt le présent volume. Enfin, il sera fait référence plus d’une fois à une autre étude, que j’ai été mené à conduire après la rédaction de la première édition du présent ouvrage16. Elle développe le « Contexte » des récits de la Pâque dans la perspective de d’une lecture typologique renouvelée, dont on trouvera ici les prémisses.

La troisième édition Cette nouvelle édition reprend la précédente, en corrigeant les quelques erreurs qui avaient échappé.

15 J. ONISZCZUK, La Passione del Signore secondo Giovanni (Gv 18–19) ; ID., Incontri con il Risorto in Giovanni (Gv 20–21). 16 La première édition, Mort et ressuscité selon les Écritures, étant épuisée, la seconde — « Selon les Écritures ». Lecture typologique des récits de la Pâque du Seigneur — l’a reprise et largement illustrée avec la Biblia pauperum (y compris les tapisseries de la Chaise-Dieu) et le Speculum humanae salvationis. Cet ouvrage existe en version papier, en livre électronique et en audiolivre.

LEXIQUE DES TERMES TECHNIQUES

1. TERMES QUI DÉSIGNENT LES UNITÉS RHÉTORIQUES Il arrive souvent, dans les ouvrages d’exégèse, que les termes « section », « passage », mais surtout « morceau », « partie »..., ne soient pas utilisés de façon univoque. Voici la liste des termes qui désignent les unités textuelles à leurs niveaux successifs. Les niveaux « inférieurs » (ou non autonomes) À part les deux premières (le terme et le membre), les unités de niveau inférieur sont formées de une, deux ou trois unités du niveau précédent. TERME

le terme correspond en général à un « lexème », ou mot qui appartient au lexique : substantif, adjectif, verbe, adverbe.

MEMBRE

le membre est un syntagme, ou groupe de « termes » liés entre eux par des rapports syntaxiques étroits. Le « membre » est l’unité rhétorique minimale ; il peut arriver que le membre comporte un seul terme (le terme d’origine grecque est « stique »).

SEGMENT

le segment comprend un, deux ou trois membres ; on parlera de segment « unimembre » (le terme d’origine grecque est « monostique »), de segment « bimembre » (ou « distique ») et de segment « trimembre » (ou « tristique »).

MORCEAU

le morceau comprend un, deux ou trois segments.

PARTIE

la partie comprend un, deux ou trois morceaux.

Les niveaux « supérieurs » (ou autonomes) Ils sont tous formés soit d’une, soit de plusieurs unités du niveau précédent. PASSAGE

le passage – l’équivalent de la « péricope » des exégètes – est formé d’une ou de plusieurs parties.

SÉQUENCE

la séquence est formée d’un ou de plusieurs passages.

SECTION

la section est formée d’une ou de plusieurs séquences.

LIVRE

enfin le livre est formé d’une ou de plusieurs sections.

22

La Pâque du Seigneur

Il est quelquefois nécessaire d’avoir recours aux niveaux intermédiaires de la « sous-partie », de la « sous-séquence » et de la « sous-section » ; ces unités intermédiaires ont la même définition que la partie, la séquence et la section. VERSANT

ensemble textuel qui précède ou qui suit le centre d’une construction ; si le centre est bipartite, le versant correspond à chacune des deux moitiés de la construction.

2. TERMES QUI DÉSIGNENT LES RAPPORTS ENTRE LES UNITÉS SYMÉTRIQUES Symétries totales CONSTRUCTION PARALLÈLE

figure de composition où les unités en rapport deux à deux sont disposées de manière parallèle : A B C D E | A’B’C’D’E’. Quand deux unités parallèles entre elles encadrent un élément unique, on parle de parallélisme pour désigner la symétrie entre ces deux unités, mais on considère l’ensemble (l’unité de niveau supérieur) comme une construction concentrique : A | x | A’. Pour « construction parallèle », on dit aussi « parallélisme » (qui s’oppose à « concentrisme »).

CONSTRUCTION SPÉCULAIRE

figure de composition où les unités en rapport deux à deux sont disposées de manière antiparallèle ou « en miroir » : A B C D E | E’D’C’B’A’. Comme la construction parallèle, la construction spéculaire n’a pas de centre ; comme la construction concentrique, les éléments en rapport se correspondent en miroir. Quand la construction ne comprend que quatre unités, on parle aussi de « chiasme » : A B | B’A’.

CONSTRUCTION CONCENTRIQUE

figure de composition où les unités symétriques sont disposées de manière concentrique : A B C D E | x | E’D’C’B’A’, autour d’un élément central (cet élément peut être une unité de l’un quelconque des niveaux de l’organisation textuelle). Pour « construction concentrique », on peut dire aussi « concentrisme » (qui s’oppose à « parallélisme »).

CONSTRUCTION ELLIPTIQUE

figure de composition où les deux foyers de l’ellipse articulent les autres unités textuelles : A | x | B | x | A’.

Lexique des termes techniques

23

Symétries partielles TERMES INITIAUX

termes ou syntagmes identiques ou semblables qui marquent le début d’unités textuelles symétriques ; l’« anaphore » de la rhétorique classique.

TERMES FINAUX

termes ou syntagmes identiques ou semblables qui marquent la fin d’unités textuelles symétriques ; l’« épiphore » de la rhétorique classique.

TERMES EXTRÊMES termes ou syntagmes identiques ou semblables qui marquent les extrémités d’une unité textuelle ; l’« inclusion » de l’exégèse traditionnelle. TERMES MÉDIANS

termes ou syntagmes identiques ou semblables qui marquent la fin d’une unité textuelle et le début de l’unité qui lui est symétrique ; le « mot-crochet » ou « mot-agrafe » de l’exégèse traditionnelle.

TERMES CENTRAUX termes ou syntagmes identiques ou semblables qui marquent les centres de deux unités textuelles symétriques. Pour plus de détails, voir R. MEYNET, Traité de rhétorique biblique, RhSem 4, Paris 2007 ; deuxième édition revue et corrigée, Pendé 2013.

Principales règles de réécriture – à l’intérieur du membre, les termes sont généralement séparés par des blancs ; – chaque membre est généralement réécrit sur une seule ligne ; – les segments sont séparés par une ligne blanche ; – les morceaux sont séparés par une ligne discontinue ; – la partie est délimitée par deux filets ; il en va de même pour les sous-parties. – à l’intérieur du passage, les parties sont encadrées (sauf si elles sont très courtes, comme une introduction ou une conclusion) ; les éventuelles sousparties sont disposées dans des cadres contigus ; – à l’intérieur de la séquence ou de la sous-séquence, les passages, réécrits en prose, sont disposés dans des cadres séparés par une ligne blanche ; – à l’intérieur de la séquence, les passages d’une sous-séquence sont disposés dans des cadres contigus. Sur les règles de réécriture, voir Traité, chap. 5, 283-344 (sur la réécriture des tableaux synoptiques, voir chap. 9, 471-506).

PREMIÈRE PARTIE

Le testament de Jésus Mt 26,1-56 Mc 14,1-52 Lc 22,1-53

CHAPITRE PREMIER

La Pâque du Serviteur pour la rémission des péchés (Mt 26,1-56)

Chez Mt, la première séquence du récit de la Pâque comprend dix passages, organisés en trois sous-séquences : + JÉSUS

ANNONCE

= Les autorités L’ONCTION POUR = Le disciple Judas + JÉSUS

ANNONCE

QUE SA PASSION

26,1-2

EST PROCHE

décident

de tuer

Jésus

3-5

LA

SÉPULTURE DE

JÉSUS

6-13

décide

de vendre

Jésus

14-16

QUE SA PASSION

Annonce de la trahison

EST PROCHE

de Judas

LA CÉLÉBRATION DE LA PÂQUE Annonce du reniement

de Pierre

17-19

20-25 26-29 30-35

+ LA TENTATION DE LA FUITE

36-46

+ LA TENTATION DE LA VIOLENCE

47-56

28

Le testament de Jésus A. LA PÂQUE DE JÉSUS SE PRÉPARE (Mt 26,1-19)

La première sous-séquence est formée de cinq passages qui sont organisés de manière concentrique. 1. JÉSUS ANNONCE À SES DISCIPLES QUE SA PASSION EST PROCHE (26,1-2) COMPOSITION DU PASSAGE : 1 Il ARRIVA, : (qu’) il dit

lorsque Jésus eut achevé toutes ces paroles, à ses disciples :

– 2 « Sachez que dans deux jours – et (que) le Fils de l’homme

la Pâque VA ÊTRE -DONNÉ

VA ARRIVER

pour être crucifié. »

Le premier segment, introduit les paroles du second1. Ce dernier met en parallèle la venue de « la Pâque » (2a)2 et la mort du « Fils de l’homme » (2b) qui auront lieu au même moment, « dans deux jours »3. CONTEXTE Les dernières actions de Jésus Ce passage est propre à Mt : les cinq grands discours du premier évangile sont tous suivis d’une formule analogue à celle de 26,1 « pour faire passer le lecteur des parties didactiques de son récit aux parties narratives (voir Mt 7,28 ; 11,1 ; 13,53 ; 19,1 ; 26,1) »4. La différence toutefois entre cette dernière formule et les précédentes est que « ces paroles » est précédé de « toutes » ; cet adjectif renvoie donc non seulement au discours précédent (Mt 24,1–25,46), mais aussi à tous les autres discours de Jésus.

1

« Paroles » et « dit » sont de même famille en grec (logos et legō). Les lettres minuscules qui suivent le numéro du verset renvoient aux lignes de la planche. 3 Le verbe principal, oidate, peut être interprété comme un indicatif parfait-présent aussi bien que comme un impératif présent. La plupart des commentateurs et des traductions optent pour la première solution (« vous savez ») car ils considèrent que ce verbe ne régit que l’unique proposition suivante, la dernière proposition (« le Fils de l’homme va être livré... ») étant tenue pour une phrase plus ou moins indépendante. Cependant, le fait que les verbes « arriver » et « être-donné » sont au même temps, présent de sens futur immédiat (Voir J. H. MOULTON, A Grammar of New Testament Greek, III, 63), et surtout le parallélisme des deux membres du segment 2ab, peuvent induire à penser que les deux propositions sont coordonnées et sont donc toutes deux des complétives, régies par le même verbe « savoir » ; cependant l’accent porte surtout sur la deuxième, la première étant en quelque sorte une circonstance. La présente traduction de oidate par un impératif accentue le caractère appellatif de l’annonce, qui se perd largement dans la traduction de la BJ (encore dans l’édition de 1998) où « savoir » est relégué en incise pratiquement insignifiante : « La Pâque, vous le savez, tombe dans deux jours, et le Fils de l’homme va être livré pour être crucifié. » 4 Bonnard, 369. 2

selon saint Matthieu (Mt 26,1-56)

29

La Pâque « La Pâque » indique évidemment la fête, puisque ce substantif est sujet d’un verbe de temps, « arriver » : « Observe le mois d’Abib et célèbre une Pâque pour le Seigneur ton Dieu, car c’est au mois d’Abib que le Seigneur ton Dieu, la nuit, t’a fait sortir d’Égypte » (Dt 16,1). Cependant, il peut désigner aussi la victime, l’agneau pascal qui était sacrifié dans le temple la veille de la fête pour être consommé ensuite en famille durant le repas pascal : « Le Seigneur dit à Moïse et à Aaron: “Voici le rituel de la pâque: aucun étranger n’en mangera” » (Ex 12,43); « Tu immoleras pour le Seigneur ton Dieu une pâque de gros et de petit bétail, au lieu choisi par le Seigneur ton Dieu pour y faire habiter son nom » (Dt 16,2). Le Fils de l’homme Ce titre, que Jésus s’applique trente fois dans Mt, désigne à la fois celui qui va souffrir, comme ici (voir aussi Mt 17,12), qui donne sa vie en rançon (20,28), qui est livré (26,24), mais aussi celui qui exerce un pouvoir divin (9,6 ; 12,8), qui sera mis à mort mais ressuscitera (17,22-23 ; 20,18-19), qui reviendra dans la gloire (16,27-28 ; 19,28 ; 24,27.30.37.39.44 ; 25,31). INTERPRÉTATION Le Prophète assassiné Dès le début de son récit de la Pâque, Mt présente Jésus pleinement conscient de ce qui l’attend. Il n’avertit pas ses disciples qu’il court un risque, il leur annonce ce qui va effectivement se passer. Il précise même à la fois le genre de mort qu’il aura à subir et la date de son exécution : il sera mis à mort par crucifixion (2b), et cela adviendra durant la fête de la Pâque (2a). Annonçant ce qui est sur le point d’advenir, Jésus est ainsi dépeint comme prophète ; et non seulement comme prophète mais aussi comme prophète persécuté et assassiné. Le Fils de l’homme glorifié Cependant, celui qui va être livré aux mains des hommes pour être crucifié se présente comme « le Fils de l’homme ». Ce titre dépasse de loin celui de prophète. Il indique certes celui qui donnera sa vie en rançon, qui passera par la mort, mais aussi celui qui en resurgira vivant ; plus encore, celui qui, après avoir été soumis au jugement des hommes, reviendra dans sa gloire, avec tous les anges, pour siéger sur le trône de gloire du juge suprême devant lequel tous les hommes auront à comparaitre (Mt 25,31). L’Agneau de la Pâque Mt établit sans doute un lien entre le sens de la Pâque et celui du sacrifice de Jésus, puisque les deux s’accompliront le même jour. Sacrifié au même moment

30

Le testament de Jésus

que la victime de la fête, Jésus est ainsi désigné comme le nouvel agneau pascal. En lui s’accomplira la libération définitive de l’esclavage, le nouvel Exode. La fin de la parole Jésus vient d’achever son dernier discours. Désormais, le temps des paroles est fini. Il laisse la place aux derniers actes qui vont accomplir et couronner sa mission sur la terre, qui vont donner leur sens plénier à son enseignement et à ses actions antérieurs ; parce que ce qu’il est sur le point de faire maintenant va révéler la vérité de ce qu’il a dit jusqu’ici. Ce qu’il a commandé à ses disciples, il s’apprête à le réaliser lui-même. 2. LES AUTORITÉS DÉCIDENT DE TUER JÉSUS (26,3-5) COMPOSITION DU PASSAGE + 3 Alors se réunirent + dans le palais

les grands prêtres du Grand Prêtre

et les anciens qui est dit

du PEUPLE Caïphe.

·············································································································

– 4 Et ils se mirent d’accord : afin que de Jésus : et (le) tuent. – 5 Mais ils disaient : : « Pas durant la fête : afin qu’il n’arrive pas

par ruse

ils s’emparent

un tumulte

dans le PEUPLE. »

Le premier membre du premier morceau présente les personnages, le second le lieu de leur réunion. Les deux segments du deuxième morceau donnent le double résultat de leur délibération : tuer Jésus (4), tout en évitant les réactions du peuple (5). « Par ruse » (4b) et « pas durant la fête » (5b) indiquent les précautions envisagées par les autorités5. Les deux occurrences de « peuple » (3a. 5c) font inclusion pour l’ensemble du passage ; dans le premier morceau « le peuple » est mis en relation avec « les grands prêtres et les anciens » (3a), tandis que dans le deuxième il l’est avec « Jésus » (4b.5c). CONTEXTE Les grands prêtres et les anciens Dans le Nouveau Testament et chez Flavius Josèphe, le mot arkhiereus est employé à la fois au singulier et au pluriel pour désigner respectivement la personne du Grand Prêtre et un ensemble de personnages appartenant aux degrés supérieurs du sacerdoce juif6.

5 6

Noter la reprise du même « afin que » en 4b et 5c. S. LÉGASSE, Le Procès, I, 47-48.

selon saint Matthieu (Mt 26,1-56)

31

Le Grand Prêtre, étant président du Sanhédrin, c’est-à-dire de la plus haute institution religieuse et judiciaire d’Israël, était considéré comme le chef suprême de tous les Juifs. Lui seul pouvait officier pour la liturgie annuelle de Kippour — le Jour du Pardon — mais il présidait aussi lors des autres grandes fêtes7. Caïphe fut nommé Grand Prêtre par le procurateur Valerius Gratus en 18 et conserva cet office jusqu’en 36 quand il fut déposé par le procurateur Vitellius ; il était le gendre de Anne, déposé en 15, dont les cinq fils et un petitfils occupèrent aussi la fonction de Grand Prêtre. « Les grands prêtres » sont non seulement les anciens grands prêtres (dont Anne, beau-père de Caïphe ; voir Jn 18,13), mais aussi les titulaires des plus hautes fonctions sacerdotales, commandant du temple, responsables des différentes classes de prêtres, trésoriers et, selon toute probabilité, certains membres influents des grandes familles sacerdotales dans lesquelles étaient choisis les Grands Prêtres8. Les anciens étaient des membres laïcs de l’aristocratie. Avec ceux des grands prêtres et des scribes, leur groupe était représenté parmi les soixante et onze membres du sanhédrin. Alors que les scribes étaient de tendance pharisienne, les anciens, comme les grands prêtres, appartenaient plutôt au parti des sadducéens. La ruse Utiliser la ruse pour tuer est considéré par la Loi comme un crime méritant la mort (Dt 27,24). Le droit d’asile ne s’applique pas dans ce cas : « Si un homme va jusqu’à en tuer un autre par ruse, tu l’arracheras même de mon autel pour qu’il soit mis à mort » (Ex 21,14). Dans ce dernier cas, la Septante traduit par le mot grec dolos l’hébreu ‘ormâ qui est de même racine que le qualificatif donné par Gn 3,1 au serpent : « Le serpent était le plus rusé (‘ārûm) de tous les animaux des champs »9. INTERPRÉTATION L’autorité Il y a d’une part les autorités officielles, les anciens et surtout les grands prêtres, spécialement celui qui était le Grand Prêtre en exercice cette année-là, Caïphe ; ce sont eux qui sont censés représenter l’ensemble du peuple. Mais d’autre part il y a Jésus qui exerce la véritable autorité sur le peuple. Les responsables en ont bien conscience qui veulent éviter à tout prix que l’arrestation de Jésus et sa mise à mort ne provoquent un soulèvement populaire ; pour cela, il faudra donc se saisir de Jésus « par ruse » et bien prendre soin de ne pas l’exé7

E. LOHSE, Le Milieu du Nouveau Testament, 192-193. Voir J. BAEHR, « Priest, High Priest », 35. 9 La variante qui lit, au lieu de Iskariōtēs (« homme de Keriyyôt », localité au sud d’Hébron), Skariōtēs a été interprétée, entre autres, comme signifiant le faux, le trompeur, ce qui s’harmoniserait bien avec la ruse des grands prêtres (voir Bonnard, 273 ; B.M. METZGER, A Textual Commentary, 64.26-27). 8

32

Le testament de Jésus

cuter « durant la fête », car tout le peuple réuni à Jérusalem pour célébrer la Pâque risquerait de se soulever pour le défendre. Le mensonge Craignant les réactions prévisibles du peuple, les autorités pensent qu’il est prudent de ne pas arrêter Jésus en public. Il va falloir éviter à tout prix que ce soit fait durant la fête qui approche (5) car il y a beaucoup trop de monde à Jérusalem en ces jours-là et l’on ne peut jamais prévoir les réactions des foules surchauffées par l’atmosphère d’une fête qui célèbre l’antique libération et risque de vouloir l’actualiser en suivant celui qu’ils peuvent croire envoyé comme Moïse pour délivrer à nouveau le peuple du joug de l’oppresseur. Comme Pharaon, les responsables vont devoir louvoyer et ruser (4). Ils jugent sans doute que la raison d’état les autorise à mentir. Mais quand des juges, dont la fonction est de faire advenir la vérité, en arrivent à avoir recours au mensonge, ils ne peuvent que se discréditer absolument. Comme celle de l’antique serpent, leur perversion conduit leur victime à la mort, mais les rend justiciables du sort qu’ils ont décidé de lui infliger. 3. L’ONCTION DE BÉTHANIE (26,6-13) COMPOSITION DU PASSAGE Le premier segment de la première partie (6) précise le lieu de l’action, le second (7) ce que fait la femme. Les deux derniers membres de la dernière partie mettent en parallèle « cette bonne nouvelle » (13b) et « ce qu’elle a fait » (13c). La première partie est le récit de ce que fit la femme « à Béthanie » (6a), la dernière annonce le récit que l’on en fera « dans le monde entier » (13b). Dans les deux sous-parties de la partie centrale les segments de récit (8ab. 10ab) introduisent des questions (8c.10c) suivies par deux morceaux (9.10c-12) qui les justifient : le « car » de 9a est repris trois fois en 10d.11a.12a. Ce dernier morceau est construit de façon concentrique : la « bonne œuvre » dont parle le premier segment (10d) est précisée dans le dernier segment avec « ma sépulture » (12b) ; le segment central (11) répond au verset 9. Il faut cependant remarquer que le dernier segment (« pour ma sépulture » en 12b) répond en quelque sorte à la question de 8c (« En vue de quoi »)10. « De grand prix » en 7b et « beaucoup » (c’est-à-dire « très cher ») en 9b marquent le rapport entre la première partie et la première sous-partie de la partie centrale ; le lien entre la seconde sous-partie de la partie centrale et la dernière partie est signalé par les couples « bonne œuvre » (10d) – « sépulture » (12b) et « bonne-nouvelle » – « ce qu’elle a fait » (13bc).

10

Mc renforce le rapport en utilisant la même préposition dans les deux cas, « en vue de ».

selon saint Matthieu (Mt 26,1-56) : 6 Comme Jésus : dans la maison

se trouvait de Simon

à Béthanie le Lépreux,

– 7 vint vers lui une femme – ayant UN FLACON DE PARFUM – et ELLE LE VERSA SUR SA TÊTE . 8 Les disciples . s’indignèrent

33

de grand prix comme il était à table.

voyant cela, en disant :

= « En vue de quoi cette perte ? ····················································································································

+ 9 CAR cela aurait pu + être vendu beaucoup + et être donné aux pauvres. » . 10 Jésus . dit

s’en apercevant, à eux :

= « Pourquoi causez-vous des ennuis à cette femme ? ···················································································································· :: CAR c’est UNE BONNE ŒUVRE

:: qu’elle

a accomplie

pour moi.

+ 11 CAR vous avez toujours les pauvres avec vous, + mais moi vous ne m’avez pas pour toujours. :: 12 CAR :: c’est pour

en répandant MA SÉPULTURE

ce parfum sur mon corps qu’elle l’a fait.

: 13 En vérité je vous dis : – partout où sera proclamée – on parlera aussi de

CETTE BONNE NOUVELLE, CE QU’ELLE A FAIT,

dans le monde entier, en souvenir d’elle. »

CONTEXTE Béthanie Le nom de ce village, situé à une distance de 3 km à l’est de Jérusalem, sur la route de Jéricho, signifie « maison de pauvreté ». Les pauvres La phrase « Car vous avez toujours les pauvres avec vous » (11a) rappelle Dt 15,11 : « Certes les pauvres ne disparaitront pas de ce pays ». Dt 15,1-18 énonce les lois concernant l’année sabbatique, pendant laquelle l’israélite doit libérer son frère de ses dettes. Le thème du don y est prédominant : l’homme doit donner de ce qui lui a été donné par Dieu (14), pour que Dieu le bénisse (5.10), c’est-à-dire lui donne en retour.

34

Le testament de Jésus

Les bonnes œuvres Assurer une sépulture digne aux morts, comme donner l’aumône aux pauvres fait partie des listes traditionnelles de « bonnes œuvres » : « j’avais fait souvent l’aumône à mes frères de race, je donnais mon pain aux affamés, et des habits à ceux qui étaient nus ; et j’enterrais, quand j’en voyais, les cadavres de mes compatriotes, jetés par-dessus les remparts de Ninive » (Tb 1,16-17 ; voir aussi Tb 1,3 ainsi que la liste de Mt 25,35-36). Le parfum Il était de coutume d’oindre d’huile parfumée la tête ou les pieds des hôtes d’honneur ; en Babylonie, ces onctions étaient réservées aux rabbins, durant les banquets de noces11. Le Cantique des Cantiques est un des livres bibliques où le thème du parfum est le plus présent ; ainsi, dès le début : « L’arôme de tes parfums est exquis, ton nom est une huile qui s’épanche12 » (Ct 1,3 ; voir aussi, par exemple, 4,10). INTERPRÉTATION L’annonce de la Passion... Les disciples jugent la conduite de la femme totalement déraisonnable (8-9). Jésus va leur expliquer la raison cachée et la véritable portée d’un tel geste (1012). Deux bonnes œuvres traditionnelles semblent ici en concurrence, donner l’aumône aux pauvres (9.11) et assurer une sépulture honorable à un mort (12). Tandis que les disciples ne pensent qu’à l’urgence de la première (9), Jésus, en leur parlant de sa sépulture (12b), leur rappelle de nouveau l’imminence de sa mort. ... et de la résurrection Cependant Jésus ne s’arrête pas à l’annonce de sa Passion (12). Quand il parle, non pas de « la bonne nouvelle » en général, mais de « cette bonne nouvelle » (13b), il fait référence à ce qu’il vient de prédire, à savoir sa sépulture (12b). Qualifier sa disparition de « bonne nouvelle » revient à ne pas la séparer de sa résurrection. Ainsi Jésus est-il conscient, non pas uniquement de sa mort prochaine, mais aussi de sa victoire sur la mort, et non seulement de cette issue heureuse de sa Passion, mais encore que tout ce qui est sur le point d’arriver sera une bonne nouvelle pour le monde entier (13a). Le parfum de la femme L’évangéliste ne dit pas comment s’appelle la femme qui s’approche de Jésus pour lui verser du parfum sur la tête. Pas plus que le Cantique des Cantiques ne 11 12

Gnilka, II, 564. La Septante emploie deux fois le même mot (myron) qui est utilisé par Matthieu (7b.12a).

selon saint Matthieu (Mt 26,1-56)

35

donne un nom à la bien-aimée. Cette indétermination ne peut pas ne pas être voulue, d’autant plus que l’hôte est nommé : Jésus est à table chez Simon le lépreux (6b) et que le nom du village où se déroule la scène est précisé (6a). Plutôt que d’y voir l’anonymat d’une inconnue qui serait survenue d’on ne sait où pour repartir sans laisser d’autre trace de son passage que l’odeur d’un parfum couteux, il faut sans doute entendre qu’il s’agit d’une figure, de la figure de la Femme. Elle demeure silencieuse et il n’est rien dit de ses intentions ; il n’est pas sûr non plus que Jésus les ait percées quand il interprète son geste comme onction mortuaire. La seule chose que l’on puisse lire dans son attitude, c’est qu’elle donne sans compter, manifestant un amour sans mesure pour Jésus. L’argent des pauvres Si la femme est anonyme, en revanche Mt identifie ceux qui trouvent à redire à ce qu’elle a fait : ce sont les disciples de Jésus. Leurs intentions sont hautement louables, puisque, outre le sens de la valeur des choses, ils ont le souci des pauvres. Mais « il est un moment pour tout et un temps pour toute chose sous le ciel » (Qo 3,1). Ce n’est certes pas leur maitre qui les détournerait d’accomplir les bonnes œuvres en faveur des pauvres : son ultime discours — qu’il vient à peine d’achever — culminait sur la scène où il montrait comment les hommes seront jugés sur ce qu’ils auront fait envers plus petits (Mt 25,31-46). Ce que les disciples ne voient pas, ce que sans doute ils ne veulent pas entendre, c’est qu’en cet instant, le pauvre par excellence est celui qui va être dépouillé de tout, même de sa vie. Dans un tel moment, quand un être cher disparait, on ne compte pas, on ne regarde pas à la dépense, car c’est la dernière fois que l’on peut encore faire quelque chose pour lui et lui manifester ainsi combien il compte à nos yeux. L’Évangile de Dieu Jésus sait, aussi bien que ses disciples, apprécier le don qui lui est fait. Il le sait infiniment mieux, puisqu’au-delà de la valeur marchande du parfum, il évalue à son juste prix le sacrifice de la femme et la valeur symbolique de son geste. La mesure qu’il en donne est d’abord spatiale : du petit village de Béthanie (6a) et de la maison de Simon le Lépreux (6b) où se confine une scène intime, il annonce que la voix en retentira par toute la terre (Ps 19,15), « dans le monde entier » (13b). Et c’est effectivement ce qui est arrivé, jusqu’aujourd’hui. La mesure qu’il en donne est davantage encore de joindre cette action de la femme, si minime qu’elle puisse paraitre, à l’Évangile lui-même (13bc), au point qu’ils semblent en fin de compte ne faire qu’un. Une déclaration d’une telle importance ne peut manquer de surprendre et doit sans aucun doute donner à réfléchir.

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Le testament de Jésus

4. LE DISCIPLE JUDAS DÉCIDE DE VENDRE JÉSUS (26,14-16) COMPOSITION DU PASSAGE + 14 Alors, étant venu un des Douze, + vers les grands prêtres, – « Que voulez-vous me – et moi je vous

donner -DONNERAI

celui qui est dit Judas Iscariote, 15 il dit : LUI ?

»

····························································································· pesèrent TRENTE PIÈCES D’ARGENT. ···················································································

Or ceux-ci lui + 16 Et à partir d’alors – afin de

il cherchait LE

le bon-moment -DONNER.

Les trois morceaux représentent les trois étapes de la transaction entre Judas et les grands prêtres. Les morceaux extrêmes commencent avec une notation de temps qui reprend le même « alors » (14a.16a) et finissent avec le même verbe « -donner » (15c.16b) ; ce verbe, para-didōmi, rendu habituellement soit par « livrer » soit par « trahir », est traduit ici comme le verbe de même famille, didōmi, « donner », car ces deux verbes se trouvent mis en parallèle en 15bc13. Au centre, un seul segment unimembre dont le sujet, « ceux-ci », c’est-à-dire les grands prêtres, est différent de celui des deux autres morceaux, à savoir Judas14. CONTEXTE Le texte se focalise sur une citation en blanc de Za 11,12 : Ils pesèrent mon salaire : trente sicles d’argent. 13 Le Seigneur me dit : « Jette-le au fondeur, ce prix splendide auquel ils m’ont apprécié ». Je pris donc les trente sicles d’argent et les jetai dans la maison du Seigneur, pour le fondeur.

Ce texte de Zacharie présente la somme de trente sicles comme un prix dérisoire ; il peut être mis en relation avec Ex 21,32 où cette même somme est donnée comme la valeur d’un esclave : « Si c’est un esclave ou une servante que le bœuf encorne, son propriétaire versera le prix — trente sicles — à leur maitre, et le bœuf sera lapidé ».

13

Cette traduction, sans doute trop familière, a pour but de mieux faire ressortir le rapport lexical très fort des deux verbes. 14 Gnilka, II, 569.

selon saint Matthieu (Mt 26,1-56)

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INTERPRÉTATION Le prix d’un esclave La trahison de Judas est rapportée comme une transaction commerciale des plus ordinaires, conclue entre gens pressés : — Combien ? — Tant. — D’accord ! (14-15c ; 15d ; 16). On se croirait au marché, mais c’est le marché aux esclaves. Sobriété et froideur font la force du récit : c’est l’un des Douze que Jésus lui-même avait choisi (10,4) qui se sépare de son maitre comme on se débarrasse d’un esclave dont on n’a plus besoin, ce sont les grands prêtres qui le payent ce prix-là, conformément à la prescription de la Loi. L’esclavage de l’argent Les grands prêtres achètent Jésus pour le prix d’un esclave et Judas encaisse la somme qu’on lui paie (15d). Selon le premier évangile, la motivation du disciple de Jésus est l’intérêt pour l’argent : c’est ainsi qu’il se présente aux adversaires de Jésus (15bc) et, si ces derniers acceptent le marché, c’est bien qu’ils pensent y trouver leur compte. Jésus est traité par l’un et par les autres comme un esclave, mais en réalité c’est Judas qui se révèle ainsi le véritable esclave : l’argent est son maitre et c’est à la cupidité qu’il obéit. Les grands prêtres ne valent pas beaucoup plus cher que le traitre, dans la mesure où eux aussi mettent leur confiance dans l’argent pour obtenir ce qu’ils désirent. Vendeur et payeurs étaient faits pour s’entendre. La volonté de Dieu Judas a pris l’initiative de monnayer sa trahison et les grands prêtres saisissent, sans marchander, une si belle occasion de mettre leur plan à exécution. Le disciple félon ainsi que les adversaires de Jésus semblent ainsi mener les événements à leur guise. Cependant, le fait que Mt ait inséré, en plein centre de sa péricope, une citation de l’Écriture (15d), laisse entendre que, malgré les desseins des hommes, et même à travers eux, de manière voilée c’est Dieu qui agit. En tout cas, c’est ainsi que l’évangéliste interprète l’histoire : le péché ne saurait empêcher que la volonté de Dieu, annoncée par les prophètes, ne se réalise comme il l’a prévue.

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Le testament de Jésus

5. LA PRÉPARATION DE LA PÂQUE (26,17-19) COMPOSITION DU PASSAGE + 17 Or le premier (jour) + les disciples :: « Où veux-tu :: (pour) manger

des Azymes, vinrent que pour toi ?»

vers JÉSUS

disant :

nous PRÉPARIONS

LA PÂQUE

····················································································································

= 18 Or il dit : : « Allez : et dites

-

= “LE MAITRE : MON TEMPS : Chez toi

dans la ville à lui :

chez un tel

dit : est proche. je fais

LA PÂQUE avec mes disciples”. » ····················································································································

+ 19 Et les disciples + comme avait ordonné :: et ils PRÉPARÈRENT

firent JÉSUS LA PÂQUE.

Après la question des disciples (17), suit la réponse de Jésus (18), et enfin l’exécution de l’ordre donné par Jésus (19). Les morceaux extrêmes sont parallèles : « disciples » et « Jésus » sont repris dans les premiers segments (17ab.19ab), « préparer » et « la Pâque » dans les seconds (17cd.19c). Les premiers membres des deux segments du morceau central (18a.18d) ont le même sujet. Les deux derniers membres établissent une relation entre « mon temps » et « la Pâque » (18ef). D’un trimembre à l’autre, « chez un tel » de 18b est repris par « chez toi » de 18f. Les deux derniers morceaux sont agrafés par la reprise de « disciples » et de « faire » (18f.19a) ; les trois occurrences de « la Pâque » jouent le rôle de termes finaux pour les trois morceaux (17d.18f.19c). CONTEXTE Le premier jour des Azymes La Pâque, c’est-à-dire l’agneau pascal, était immolée dans l’après-midi du 14 Nisan et consommée durant le repas pascal au début de la nuit suivante, c’est-àdire le 15 (suivant le système juif qui fait commencer le jour au soir, à l’apparition des trois première étoiles) ; les huit jours des Azymes, durant lesquels on mange des pains sans levain, commencent le 15, avec le repas pascal (Lv 23,56 ; Nb 28,16-17). La fête des Azymes étant à l’époque de Jésus assimilée à celle

selon saint Matthieu (Mt 26,1-56)

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de Pâque, « le premier jour des Azymes » désigne, dans le langage courant, le jour même de la Pâque qui a lieu le 14 Nisan. INTERPRÉTATION Jésus annonce sa Pâque C’est une fois de plus sa mort que Jésus annonce, à la fois à ce « un tel » (18b) dont l’identité n’est pas davantage précisée, mais par la même occasion à tous les disciples chargés de lui transmettre le message. Jésus met clairement en relation son « temps » (18e), dont on sait désormais que c’est celui de sa fin, avec la célébration de la Pâque (18f)15. Les disciples annoncent la Pâque du Maitre Ce n’est pas Jésus qui demande à ses disciples de préparer la Pâque ; ce sont eux qui en prennent l’initiative (17). En revanche, ce qu’il leur ordonne clairement est d’annoncer sa Pâque à l’ami anonyme chez qui ils la fêteront tous ensemble. Comme s’il les invitait ainsi discrètement, mais clairement, à s’impliquer dans ce qu’il s’apprête à accomplir lui-même. Les disciples semblent se tenir à distance quand ils demandent à Jésus « où » il veut qu’ils préparent pour lui (17c) ; le Maitre corrige pour ainsi dire leur expression en leur faisant dire à « un tel » que ce sera avec eux (18f). Bien plus, de consommateurs qui veulent « manger la Pâque » (17c), ils sont convoqués à la « faire » avec lui (18f). L’hôte de Jésus et de ses disciples Il peut sembler étonnant que l’identité de celui chez qui Jésus a célébré sa dernière Pâque avec ses disciples — et a institué l’Eucharistie — ne soit pas mentionnée. Et pourtant, on peut imaginer que ce personnage était connu du groupe des premiers disciples et qu’ils n’ont certes pas oublié son nom. Si Mt ne le nomme pas, il n’est pas interdit de penser que, comme il arrive souvent en pareil cas, c’est pour laisser la place au lecteur. Tous ceux qui reçoivent l’assemblée eucharistique dans leur maison peuvent ainsi se reconnaitre dans le « Untel » du récit évangélique.

15 Sur le concept de kairos (« temps ») chez Matthieu, voir D.P. SENIOR, The Passion Narrative according to Matthew, 57-62.

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Le testament de Jésus

6. LA PÂQUE DE JÉSUS SE PRÉPARE (26,1-19) COMPOSITION DE LA SOUS-SÉQUENCE – les deux premiers et les deux derniers passages sont courts (de deux à trois versets), alors que le passage central est nettement plus long (huit versets) ; – les personnages alternent d’un passage à l’autre : « Jésus » et « les disciples » ne sont présents que dans les passages extrêmes ainsi que dans le passage central ; en revanche, les deuxième et avant-dernier passages sont les seuls où apparaissent « les grands prêtres » (3.14). Malgré ces différences, les passages contigus sont liés entre eux. Les liens entre les deux premiers passages – Avant même que les sanhédrites aient décidé de « s’emparer » de Jésus pour « le tuer » (4), Jésus avait annoncé qu’il « serait -donné pour être crucifié » (2) ; « s’emparer » et « être -donné » sont complémentaires. – « La fête » (5) désigne « la Pâque » dont il vient d’être question (2) ; cependant, l’annonce de Jésus s’oppose à la décision des sanhédrites, puisque c’est bien pendant la fête qu’il sera mis à mort, malgré la décision des responsables. Les liens entre les deux derniers passages – Les questions posées au début des deux passages commencent par le même verbe : « Que voulez-vous... » (15) et « Où veux-tu... » (17). – Le « temps-favorable » (eu-kairia) de 16 annonce « mon temps (kairos) » de 18. Les liens entre les passages extrêmes – La « Pâque » n’est mentionnée que dans les passages extrêmes (2 ; 17.18.19). – Jésus annonce que son temps est venu, d’abord à ses disciples (2), ensuite, par leur entremise, à l’ami chez qui il va célébrer la Pâque (18). Les liens entre le deuxième et l’avant-dernier passage – Les deux passages sont les seuls qui commencent avec « Alors » (3a.14a). – Il y est question de deux groupes, « les grands prêtres et les anciens » (3) d’une part et « les Douze » (14) d’autre part, d’où se détachent deux personnages, Caïphe et Judas, dont le nom est chaque fois précédé de « celui qui est appelé ». Les rapports entre le passage central et les quatre autres passages – Par trois fois, Jésus annonce sa passion : dans le premier passage, il dit que « dans deux jours » il va « être -donné » (2) ; dans le dernier passage, il fait savoir que « son temps est proche » (18) ; le passage central se distingue nettement des passages extrêmes, car Jésus ne parle pas seulement de sa « sépulture » (12), mais annonce aussi ce qui se passera après sa mort, la proclamation de l’Évangile dans le monde entier (13).

selon saint Matthieu (Mt 26,1-56)

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26,1 Il arriva, lorsque JÉSUS eut achevé toutes ces paroles, qu’il dit à ses disciples : 2 « Sachez qu’après deux jours LA PÂQUE arrive et que le Fils de l’homme va ÊTRE -DONNÉ pour ÊTRE CRUCIFIÉ. » 3

ALORS les grands prêtres et les anciens du peuple se réunirent dans le palais du Grand Prêtre, celui qui est appelé Caïphe. 4 Ils se mirent d’accord pour 5 S’EMPARER de Jésus par ruse et le TUER. Mais ils disaient : « Pas durant LA FÊTE, afin qu’il n’arrive pas un tumulte dans le peuple. » Comme JÉSUS se trouvait à Béthanie dans la maison de Simon le Lépreux, une femme vint vers lui, ayant un flacon de parfum de grand prix et elle le versa sur sa tête, tandis qu’il était à table. 8 Les disciples voyant cela s’indignèrent en disant : « Pour quoi cette PERTE ? 9 Car cela aurait pu être vendu très cher et être DONNÉ aux pauvres. » 10 JÉSUS s’en apercevant leur dit : « Pourquoi causez-vous des ennuis à cette femme ? Car c’est une bonne œuvre qu’elle a accomplie pour moi. 11 Car vous avez toujours les pauvres avec vous, mais moi vous ne m’avez pas pour toujours. 12 Car en RÉPANDANT ce parfum sur mon corps, c’est pour me SÉPULTURER qu’elle l’aa fait. 13 En vérité je vous dis, partout où sera proclamée cette bonne nouvelle dans le monde entier on parlera aussi de ce qu’elle a fait, en souvenir d’elle. » 6 7

14

ALORS étant parti l’un des Douze, celui qui est appelé Judas Iscariote, vers les grands prêtres, 15 il leur dit : « Que VOULEZ-vous me DONNER, et moi je vous le -DONNERAI ? » Ceux-ci lui pesèrent trente pièces d’argent. 16 Et à partir d’alors il cherchait le temps-favorable pour le -donner. 17

Or le premier jour des Azymes, les disciples vinrent vers JÉSUS et dirent : « Où que nous te PRÉPARIONS pour MANGER LA PÂQUE ? » 18 Il leur dit : « Allez à la ville chez un tel, et dites-lui : “Le maitre dit : Mon temps est proche ; c’est chez toi que je ferai LA PÂQUE avec mes disciples”. » 19 Et les disciples firent comme JÉSUS leur avait ordonné et ils préparèrent LA PÂQUE. VEUX-tu

– Le lien le plus clair entre le passage central et le passage précédent est marqué par la relation entre « tuer » (4) et « sépulturer » (12). Dans le passage central et le passage suivant, il est également question d’argent (9.15) ; mais, alors qu’il s’agit d’abord de le « donner » aux pauvres, Judas demande qu’on le lui « donne ». – Les deux occurrences de « faire » à la fin du passage central (12b.13b) annoncent les deux occurrences du même verbe à la fin du dernier passage (18c.19a) ; de manière symétrique, le même verbe ginomai revient quatre fois au début de la sous-séquence (traduit par « arriver » en 1.2a.5b et par « se trouver » en 6a).

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Le testament de Jésus

26,1 Il arriva, lorsque JÉSUS eut achevé toutes ces paroles, qu’il dit à ses disciples : 2 « Sachez qu’après deux jours LA PÂQUE arrive et que le Fils de l’homme va ÊTRE -DONNÉ pour ÊTRE CRUCIFIÉ. » 3

ALORS les grands prêtres et les anciens du peuple se réunirent dans le palais du Grand Prêtre, celui qui est appelé Caïphe. 4 Ils se mirent d’accord pour 5 S’EMPARER de Jésus par ruse et le TUER. Mais ils disaient : « Pas durant LA FÊTE, afin qu’il n’arrive pas un tumulte dans le peuple. » Comme JÉSUS se trouvait à Béthanie dans la maison de Simon le Lépreux, une femme vint vers lui, ayant un flacon de parfum de grand prix et elle le versa sur sa tête, tandis qu’il était à table. 8 Les disciples voyant cela s’indignèrent en disant : « Pour quoi cette PERTE ? 9 Car cela aurait pu être vendu très cher et être DONNÉ aux pauvres. » 10 JÉSUS s’en apercevant leur dit : « Pourquoi causez-vous des ennuis à cette femme ? Car c’est une bonne œuvre qu’elle a accomplie pour moi. 11 Car vous avez toujours les pauvres avec vous, mais moi vous ne m’avez pas pour toujours. 12 Car en RÉPANDANT ce parfum sur mon corps, c’est pour me SÉPULTURER qu’elle l’aa fait. 13 En vérité je vous dis, partout où sera proclamée cette bonne nouvelle dans le monde entier on parlera aussi de ce qu’elle a fait, en souvenir d’elle. » 6 7

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ALORS étant parti l’un des Douze, celui qui est appelé Judas Iscariote, vers les grands prêtres, 15 il leur dit : « Que VOULEZ-vous me DONNER, et moi je vous le -DONNERAI ? » Ceux-ci lui pesèrent trente pièces d’argent. 16 Et à partir d’alors il cherchait le temps-favorable pour le -donner. 17

Or le premier jour des Azymes, les disciples vinrent vers JÉSUS et dirent : « Où que nous te PRÉPARIONS pour MANGER LA PÂQUE ? » 18 Il leur dit : « Allez à la ville chez un tel, et dites-lui : “Le maitre dit : Mon temps est proche ; c’est chez toi que je ferai LA PÂQUE avec mes disciples”. » 19 Et les disciples firent comme JÉSUS leur avait ordonné et ils préparèrent LA PÂQUE. VEUX-tu

– Il semble qu’on puisse relever une liste qui parcourt les cinq passages, formée de deux verbes dont le second désigne le but du premier : « être -donné pour être crucifié » (2) ; « s’emparer de Jésus » pour « le tuer » (4) ; « répandre le parfum » pour le « sépulturer » (12) ; « donner » de l’argent à Judas pour que celuici « -donne » son maitre (15) ; et enfin « préparer » pour que Jésus « mange la Pâque » (17). À noter que le lien de finalité entre les deux verbes est explicitement marqué par « pour » aux extrémités (2.17) et au centre (12), alors que les deux verbes sont seulement coordonnés dans le deuxième et l’avant-dernier passage (4.15). Les cinq items de cette liste répondent en quelque sorte à la question initiale des disciples dans le passage central : « Pour quoi cette perte »

selon saint Matthieu (Mt 26,1-56)

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(8) : en effet, d’une part le eis ti par quoi commence la question renvoie au eis to de « pour être crucifié » de 2, et d’autre part le mot « perte » (apōleia) entre dans la liste des mots qui indiquent la mort de Jésus (le verbe de même racine, apollymi, sera utilisé en 27,20 : « Or les grands prêtres et les anciens persuadèrent les foules afin qu’elles demandent Barabbas et qu’elles perdent Jésus »)16. CONTEXTE Gn 3 On a déjà relevé l’allusion au récit de la chute à propos de la « ruse » des grands prêtres qui conduit à la mort (26,4)17. En Gn 3, il faut attendre pratiquement la fin du récit (Gn 3,20) pour voir l’homme donner le nom d’« Ève » à son épouse ; jusque-là, elle n’est jamais nommée que comme « la femme » (2,22.23.24.25 ; 3,1.2. etc.). Il en est de même dans la scène de l’onction où « la femme » reste anonyme (Mt 26,7.10). Mais c’est surtout le thème du prendre et donner qui établit le rapport entre les deux femmes : alors que la première femme s’empare du fruit de l’arbre pour le manger (Gn 3,6), la deuxième est présentée comme celle qui donne. INTERPRÉTATION La question des disciples Si le geste de la femme n’était pas déchiffré par Jésus et mis en relation avec sa sépulture (12), le passage central de la sous-séquence pourrait paraitre hors sujet. Cet épisode semble interrompre un récit qui, sans cette parenthèse, serait d’une grande cohérence : par-delà la longue coupure de l’onction à Béthanie (613), la démarche de Judas (14-16) est en effet la suite logique de la décision des grands prêtres (3-5) et pourrait très bien lui être contiguë18. Il faut cependant se rappeler les grandes lois de la rhétorique biblique : d’abord que le centre d’une construction en est la clé et d’autre part que le centre est souvent occupé par — ou au moins comporte — une question19 : la réponse à cette question représente l’enjeu de tout l’ensemble. Ici, la question posée par les disciples : « Pour quoi cette perte ? » (8) exprime bien le problème posé dès le début du récit de la Pâque du Seigneur. Il ne s’agit pas seulement de savoir à quoi peut servir la perte du parfum, mais aussi quelle est la raison de toutes les autres pertes dont il est question dans le texte : celle de la consommation de l’agneau pascal (17), celle en définitive du sacrifice de Jésus (2.4) dont les deux autres sont la figure 16 Voir aussi Mt 2,13 (« Hérode va rechercher l’enfant pour le perdre ») ; 10,39 (« Qui aura trouvé sa vie la perdra et qui aura perdu sa vie à cause de moi la trouvera ») ; 26,52 (« Rengaine ton épée ; car tous ceux qui prennent l’épée périront par l’épée »). 17 Voir p. 31. 18 « La péricope interrompt, sur le plan narratif, les initiatives des chefs juifs » (Gnilka, II, 567). 19 Voir Traité, chap. 8 : « Le centre des compositions concentriques » ; en particulier la question au centre, 417-435.

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Le testament de Jésus

(2.12). Le sens du sacrifice de la Pâque est reconnu par tous les protagonistes du récit, selon la tradition. Celui du parfum fait problème pour les disciples. Celui de Jésus davantage encore : les grands prêtres et les anciens du peuple ont certainement leur idée sur la question et Judas veut en tirer un profit en espèces sonnantes et trébuchantes ; si les disciples n’ont pas l’air de réaliser vraiment ce qui va se passer — et si en tous cas ils ne réagissent pas à ce que leur maitre leur a pourtant prédit d’entrée de jeu —, le lecteur ne peut pas, lui, éluder la question de tant de gaspillage. La réponse du prophète Avant même que les autorités du peuple, grands prêtres et anciens, prennent la décision de s’emparer de lui pour le tuer (3-4), Jésus annonce à ses disciples et ce qui va arriver et quel jour cela se passera (2). Tandis que Judas attend le moment favorable pour remplir le contrat passé avec les grands prêtres (14-16), Jésus sait non seulement que son temps est proche mais il en connait le moment, celui de la Pâque (18). Alors que les grands prêtres et les anciens ont décidé que ce ne serait pas durant la fête (5), Jésus sait que son sacrifice aura lieu le jour même de la Pâque (2.18). Ainsi, les hommes semblent mener le jeu, mais en réalité ils ne sont en quelque sorte que les instruments d’un dessein qui les dépasse, le plan de Dieu qui s’accomplira sans même qu’ils s’en rendent compte. Quant à Jésus, il apparait comme celui qui va en pleine conscience vers son destin, non pas comme une victime résignée mais comme celui qui domine les événements. Il maitrise à tel point la situation qu’il peut prédire non seulement sa « sépulture » (12), mais aussi que « la bonne nouvelle » qu’il s’apprête à réaliser dans sa Passion sera proclamé dans le monde entier (13). Il est le prophète qui non seulement annonce ce qui va arriver, mais qui surtout dévoile le sens de ce qui est en train de se passer. La maison de pauvreté Si le centre d’une construction en est la clé, et particulièrement la question qu’il pose, il est aussi un autre chiffre qu’il ne faut surement pas négliger. Dans la Bible, les noms propres son rarement dénués de sens20. La scène centrale de la sous-séquence se passe à Béthanie, qui signifie « maison de pauvreté ». Or il se trouve que, devant le geste de la femme, les disciples semblent éprouver un grand souci des « pauvres » (9) ; en revanche, dans sa réaction à leur indignation, Jésus parait reléguer la question des « pauvres » à une place de second plan et en tous cas à un temps ultérieur (11). Ce qui ne laisse pas de poser problème 20

Il n’est que de relire le récit de la naissance des fils de Jacob pour voir comment leurs mères choisissent le nom de leurs enfants en relation avec ce qui leur est arrivé : « Léa conçut et elle enfanta un fils qu’elle appela Ruben (re’ûbēn), car, dit-elle, “Le Seigneur a vu ma pauvreté (rā’ā be-‘onyî) ; maintenant mon mari m’aimera”. Elle conçut encore et elle enfanta un fils ; elle dit : “Le Seigneur a entendu (šāma‘) que j’étais délaissée et il m’a donné aussi celui-ci” ; et elle l’appela Siméon (šim‘ôn)... » (Gn 29,32-33).

selon saint Matthieu (Mt 26,1-56)

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au disciple actuel, comme à ses devanciers. Cette question n’est pas seulement celle du passage central, puisque le passage suivant (14-16) est focalisé aussi sur une question d’argent, les trente pièces que, à la requête de Judas, les grands prêtres lui versent (15b). D’un côté donc celle qui donne et qui donne avec surabondance, de l’autre celui qui réclame et qui prend ; celle qui de riche qu’elle était s’appauvrit et celui qui pense s’enrichir. Tous deux par rapport au même personnage, honoré par le parfum couteux de l’une, déshonoré par le prix dérisoire pour lequel l’autre le vend. Mais le riche et le pauvre ne sont pas ceux qu’on pense : la suite des événements démontrera que les trente pièces d’argent ne serviront pas longtemps à Judas, tandis que le sacrifice financier de la femme lui vaudra un nom qui se répandra dans le monde entier et pour tous les siècles. Le vrai pauvre dans toute cette histoire, c’est Jésus : il ne saurait thésauriser le cadeau qui lui est fait, puisqu’il est destiné à s’évaporer ; vendu pour bien peu (15), il est destiné à être pris par ceux qui cherchent à s’emparer de lui (4), à être donné par le traitre (15), à être dépouillé de sa vie comme l’agneau pascal qu’on apprête pour le manger (17). La « perte » du parfum et celle de Jésus, comme la consommation de l’agneau pascal, s’opposent par leur gratuité à l’appât du gain manifesté par Judas (15) et à la volonté de possession des grands prêtres qui décident de s’emparer de Jésus. Le parfum de la bonne œuvre, aérien comme la parole de la bonne nouvelle, défie la matérialité et l’inertie de l’argent encaissé et du corps enseveli. D’un côté quelque chose de fluide et de vivant qui assure la relation entre les êtres, de l’autre quelque chose de froid et de métallique qui est la négation du rapport avec autrui. La mainmise et l’appropriation qui tuent contre le dessaisissement et la gratuité qui font vivre. La dépossession de la vie qui est la condition pour que la vie se transmette. Tel est bien le sens de la Pâque où le don de la Parole qui fait vivre ne peut être reçu sur la montagne du Sinaï qu’après l’abandon des fausses sécurités de l’Égypte et la traversée des flots de la mort. La nouvelle Ève Bien loin d’interrompre la suite logique des événements, de par sa position centrale l’onction de Béthanie articule toute la sous-séquence. La femme anonyme est le personnage clé de l’ensemble. D’ailleurs l’importance inouïe que Jésus accorde à « ce qu’elle a fait » ne saurait laisser aucun doute à ce sujet : en effet, la « bonne œuvre » (10) qu’elle a accomplie « à Béthanie » (6) et la « bonne nouvelle » sont indissolublement destinées à être proclamées « dans le monde entier » (13). Comme s’il s’agissait là d’un point de départ, plus, de quelque chose d’originel, au même titre que la sépulture et la résurrection du Seigneur qui sont annoncées dans la même foulée. C’est que la bonne nouvelle est celle d’un nouveau commencement où, au lieu de vouloir saisir le fruit de l’arbre pour s’approprier la vie, Jésus se laisse saisir pour donner sa vie ; à l’image du nouvel Adam, la femme est la nouvelle Ève qui, loin de vouloir retenir ce qu’elle a (7), n’hésite pas à verser entièrement, dans un geste typique-

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Le testament de Jésus

ment sponsal, tout ce qu’elle a, tout ce qu’elle est, sur la tête de celui qu’elle traite ainsi comme son époux21.

B. LA RÉMISSION DES PÉCHÉS (Mt 26,20-35) « L’institution de l’Eucharistie » (26-29) est encadrée par deux passages qui se correspondent, « L’annonce de la trahison de Judas » (20-25) et « L’annonce du reniement de Pierre » (30-35). Les passages extrêmes sont d’égale longueur (six versets), tandis que le passage central est plus court (quatre versets). 1. JÉSUS ANNONCE LA TRAHISON DE JUDAS (26,20-25) COMPOSITION DU PASSAGE La déclaration de Jésus (20-21) est suivie de la question des disciples (22), puis de la réponse de Jésus (23). Les deux occurrences de « -donnera » jouent le rôle de termes finaux pour les morceaux extrêmes ; « il se mit à table avec » (20) et « a plongé avec moi la main dans le plat » (23b) remplissent la fonction de termes extrêmes pour l’ensemble de la partie. Au centre (22), la question. La deuxième partie est de même composition : annonce, question, réponse. Dans l’annonce, « comme il est écrit » de 24b renvoie à « en vérité je vous dis » de 21c ; alors qu’en 21d Jésus annonce que c’est un homme qui le donnera, en 24b le départ du Fils de l’homme est voulu par Dieu, puisqu’il est fait référence aux Écritures. Comme la première partie, la deuxième comporte deux occurrences de « -donner ». Alors que les disciples appellent Jésus « Seigneur » (22c), Judas se contente en quelque sorte de « Rabbi » (25c). C’est seulement dans la deuxième partie que l’identité du traitre est dévoilée ; en effet la première réponse de Jésus à la fin de la première partie (23) est ambiguë et pourrait laisser entendre que tous sont capables de le trahir, puisque tous participent au repas et ont donc plongé la main avec lui dans le plat commun. CONTEXTE « Comme il est écrit de lui » au début de la deuxième partie fait très probablement référence à ce qui vient d’être dit à la fin de la première partie : en effet la réponse de Jésus au verset 23 fait sans doute référence au Ps 41,10 : « Même mon ami, celui en qui j’avais confiance, celui qui mange mon pain, a levé contre moi son talon. »

21

Voir Y. SIMOENS, « L’onction eucharistique et la cène nuptiale selon Mc 14,1-31 ».

selon saint Matthieu (Mt 26,1-56)

47

. 20 Or le soir étant venu, . il était à table AVEC les Douze ; . 21 et, comme ils mangeaient, . il dit : + « EN VÉRITÉ JE VOUS DIS + que l’un de vous me -DONNERA. » ·······················································································

= 22 Et fort attristés, = ils se mirent à lui dire un chacun : • « Serait-ce moi,

Seigneur ? »

·······················································································

– 23 Or lui, répondant,

il dit :

: « Celui-qui a plongé AVEC moi la main dans le plat : celui-là me -DONNERA. » + 24 Le Fils de l’homme s’en va + COMME IL EST ÉCRIT DE LUI. . Or malheur à cet homme-là . par qui le Fils de l’homme -EST DONNÉ ; . mieux eût été pour lui . qu’il ne naisse pas cet homme-là. » ·······················································································

= 25 Or répondant Judas, = celui qui le -DONNAIT, dit : • « Serait-ce moi,

Rabbi ? »

·······················································································

– Il lui dit : : « C’est toi qui l’as dit. »

INTERPRÉTATION Qui est le traitre ? À la fin de l’épisode (25e), Jésus identifie clairement celui qui s’apprête à le livrer. Mais jusqu’au bout il laisse planer le doute. Au début, il annonce que c’est l’un des Douze qui le donnera (21b) et, aussitôt chacun s’empresse de demander au Seigneur si ce ne serait pas lui (22). C’est probablement que tout un chacun pourrait être capable de trahir. Jésus du reste semble les confirmer dans ce sentiment : tous ne sont-ils pas attablés avec lui et n’ont-ils pas déjà plongé la main avec lui dans le plat (23) ? La suite des événements montrera que, si un seul d’entre eux a déjà fait les démarches pour livrer son maitre à ses ennemis, tous néanmoins ne sont pas loin de l’abandonner et même de le renier.

48

Le testament de Jésus

Jésus accomplit la volonté de Dieu Certes Jésus a été livré par un homme (21) et cet homme porte la responsabilité de son acte. Il n’empêche que ce qui est sur le point de se passer correspond au dessein de Dieu : c’est en effet « comme il est écrit de lui » que le Fils de l’homme s’en va (24b), c’est-à-dire selon la parole même de Dieu. En disant solennellement que les choses vont arriver comme les Écritures l’avaient annoncé, Jésus les assume et entre ainsi en pleine conscience dans le plan de son Père à la volonté duquel il conforme la sienne. Malheur à cet homme ! Selon Mt, Judas a déjà vendu son maitre quand il lui demande : « Serait-ce moi ? ». La traitrise se double du mensonge de celui qui fait comme si de rien n’était. En l’identifiant sans ambages (25e), Jésus montre qu’il n’est pas dupe et que la vérité doit être dite. Et la vérité c’est le malheur. Certes, le plan de Dieu se réalise même à travers le péché de l’homme ; il n’empêche que le péché demeure. Et aussi l’offre de pardon. Peut-on en effet imaginer que la malédiction portée par Jésus soit autre chose qu’un appel au repentir, une invitation à renaitre pour celui qui, en livrant son maitre à la mort, s’y est condamné lui-même ? La réponse de Judas (25c) laisse présager qu’il ne saisira pas l’occasion qui lui est offerte. Il s’obstine à ne voir en Jésus que le Rabbi et non par le « Seigneur » (22c) qui peut encore le sauver. 2. LA CÉLÉBRATION DE LA PÂQUE (26,26-29) COMPOSITION DU PASSAGE Le parallélisme entre les deux derniers morceaux de la première partie (26b-g et 27-28a) est très poussé malgré les abréviations. Les versets 27-28 s’achèvent sur un élargissement (28b) qui n’a pas d’équivalent à la fin du deuxième morceau ; ce segment unimembre est donc considéré comme le centre du passage 22. La troisième partie (29) annonce un temps postérieur à celui où le sang de Jésus sera versé : le deuxième membre s’achève sur un complément de temps (29c), le troisième sur un complément de lieu (29e). CONTEXTE Repas pascal Selon le quatrième évangile, Jésus fut exécuté au moment où était sacrifié l’agneau pascal, c’est-à-dire l’après-midi du 14 Nisan ; le dernier repas de Jésus avec ses disciples ne pouvait donc pas être pour lui un repas pascal. En revanche, la tradition synoptique présente ce repas comme une célébration de la Pâque 22

341

Sur ce phénomène, voir Traité, « La fin d’une unité au centre de l’unité supérieure », 335-

selon saint Matthieu (Mt 26,1-56)

49

(au début du 15 Nisan, après la tombée de la nuit), bien que n’en soient pas mentionnés certains des traits les plus caractéristiques, comme les herbes amères et l’agneau. Les spécialistes sont divisés sur ce problème d’ordre historique23. Même si le dernier repas de Jésus n’a pas coïncidé avec le seder pascal mais l’a précédé, il n’empêche qu’il est nettement marqué par la fête de la Pâque et par ses thèmes théologiques ; de toute façon, il est présenté comme tel par les synoptiques. 26

Or comme ils MANGEAIENT, ············································· + Jésus ayant pris + il (le) rompit – et (l’) ayant donné – il (leur) dit :

DU PAIN

et ayant béni,

aux disciples,

: « Prenez, MANGEZ, . CECI EST MON CORPS. » + 27 Et ayant

········································································ pris UNE COUPE et ayant rendu-grâces,

– il donna – en disant : :

à eux

« BUVEZ-en tous, . 28 car CECI EST MON SANG

de l’alliance

QUI POUR BEAUCOUP EST VERSÉ EN RÉMISSION DES PÉCHÉS. 29

Or je vous dis : : je ne BOIRAI plus désormais

de ce produit . jusqu’à ce jour -

de la vigne là

: où je le

avec vous . dans le royaume

nouveau de mon Père. »

BOIRAI

Le repas pascal ainsi que la fête des Azymes célèbrent, selon Ex 12–13, la libération de la servitude au pays d’Égypte ; le sang de l’agneau, appliqué sur les portes des fils d’Israël, devait les protéger de la mort que l’ange exterminateur infligerait à leurs ennemis. Selon Nb 28,16-25, le premier jour des Azymes donne lieu à divers sacrifices, dont un sacrifice pour le péché, pour faire le rite d’expiation (Nb 28,22). Le lien entre la Pâque et le sacrifice pour le péché est encore davantage marqué en Ez 45,18-24.

23

Pour une présentation synthétique des opinions, voir R. O’TOOLE, « Last Supper », 235-237.

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Le testament de Jésus

Le sang de l’alliance L’expression « ceci est mon sang de l’alliance » (Mt 26,28) ne renvoie pas directement au sang de l’agneau pascal, mais à celui du sacrifice de communion offert lors de la conclusion de l’alliance du Sinaï (Ex 24,8 : « Ceci est le sang de l’alliance que le Seigneur a conclue avec vous moyennant toutes ces clauses »). Le Serviteur qui porte le péché L’expression « en rémission des péchés » (Mt 26,28b) est propre au premier évangile. Mt est d’ailleurs le seul des synoptiques à ne pas dire que le baptême de Jean était « pour la rémission des péchés » (Mt 3,2 ; Mc 1,4 ; Lc 3,3), voulant ainsi, semble-t-il, réserver le pardon des péchés à Jésus seul24. L’allusion au quatrième chant du Serviteur (Is 52,13–53,12) est ainsi soulignée, en particulier à son dernier verset : « alors qu’il portait le péché des multitudes et intercédait pour les criminels » (voir p. 61). INTERPRÉTATION Jésus annonce sa mort... Lors de son dernier repas avec ses disciples, Jésus accomplit une fois de plus les gestes qu’il avait posés si souvent, selon les usages juifs, quand il mangeait avec eux. Cependant la bénédiction et la distribution du pain et du vin (26bc. 27a) revêtent une solennité particulière ce soir-là, non seulement parce qu’il ne s’agit pas d’un simple repas, fut-il de fête, mais de la célébration de la Pâque. Les autres célébrations pascales de Jésus n’ont pas été rapportées par les évangélistes ; si celle-ci l’a été, c’est qu’elle est d’une importance singulière. Non pas tellement parce que c’est le dernier repas pascal de Jésus, mais à cause du sens qu’il donne lui-même au rite qu’il accomplit, rite qui s’en trouvera donc modifié profondément dans la pratique ultérieure des disciples. Le pain et le vin que Jésus donne à manger et à boire aux Douze est son propre corps et son propre sang (26g.28a). Ce qui est une manière d’annoncer encore sa passion et sa mort prochaine. Mais ce qui est nouveau dans cette dernière annonce de la Passion, c’est que, en ordonnant à ses disciples de manger son corps et de boire son sang, Jésus les invite à accepter, à intérioriser, à faire leur son propre sacrifice. En dévoilant le sens de sa mort, il les appelle à entrer dans l’alliance qu’il conclut avec eux. et sa résurrection... Jésus annonce que son sang sera versé (28). Mais il ne dit pas qu’il ne boira plus jamais du fruit de la vigne (29). La mort n’aura pas le dernier mot. Viendra en effet un jour où il se retrouvera avec ses disciples pour boire un vin nouveau (29d), celui non pas de la tristesse et de la Passion mais celui de la joie et de la 24

Voir Gnilka, II, 585.

selon saint Matthieu (Mt 26,1-56)

51

fête. S’il ne précise pas quand cela arrivera, il en indique pour ainsi dire le lieu : ce sera « dans le royaume de son Père » (29e). Nul doute qu’il y ait là une annonce de la résurrection, quand Jésus rejoindra son Père, quand il sera pris avec lui. Mais Mt fait ajouter par Jésus qu’il boira le vin nouveau avec ses disciples (29d). De même que les Douze sont invités par Jésus à s’unir à sa Passion, de même il leur est promis qu’ils le retrouveront dans sa victoire sur la mort. pour la rémission des péchés Jésus ne fait pas qu’annoncer à ses disciples sa mort et sa résurrection. Il ne se limite pas non plus à expliciter le sens et la fonction de ce qui va lui arriver dans les heures qui viennent. Ses paroles posent en fait un acte : il scelle, à ce moment-là, une alliance avec eux (28a). Cette alliance rappelle et reprend, dans les termes mêmes de sa formulation, celle qui avait été conclue au pied de la montagne du Sinaï, entre Dieu et les fils d’Israël qu’il venait de libérer de l’esclavage du pays d’Égypte. C’est ainsi tout le chemin, depuis le passage de la Mer jusqu’à la montagne de l’alliance, qui est reparcouru ce soir par les disciples autour de leur maitre. Cependant, l’alliance conclue par Jésus dépasse celle du premier Exode ; elle se présente sous les traits de « la nouvelle alliance » annoncée par les prophètes durant l’Exil, au moment où Dieu s’apprête à réaliser un nouvel Exode. La nouvelle alliance n’est plus scellée dans le sang des taureaux comme la première, mais dans celui que le second Isaïe appelle « le Serviteur » du Seigneur qui, comme une brebis conduite à l’abattoir, accepte de donner sa vie pour les multitudes en portant et en remettant leurs péchés (Is 53,7.12).

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Le testament de Jésus

3. JÉSUS ANNONCE L’ABANDON DES APÔTRES (26,30-35) COMPOSITION DU PASSAGE Les premières sous-parties (30-32 ; 34) se correspondent, phrases de récit qui introduisent une annonce, générale au début, visant le seul Pierre à la fin. La première annonce est construite en concentrisme : aux extrémités (31bc.32) ce qui va se passer « cette nuit même », puis ce qui arrivera « après que » Jésus se soit « dressé » (ainsi ce n’est pas seulement la Passion qui est prédite mais aussi la résurrection) ; au centre (31def), la prophétie de l’Écriture. La seconde annonce (34bcd) est plus courte qui se limite à ce qui va se passer pour Pierre « cette nuit même » ; elle est introduite par la formule d’insistance, « En vérité je te dis que » qui renvoie ainsi à « il est écrit » de la première annonce (31d). Les secondes sous-parties (33 ; 35) rapportent les deux réactions de Pierre aux annonces faites par Jésus. La deuxième est plus forte, puisque Pierre se dit prêt à « mourir » avec son maitre ; en outre elle s’achève par un court segment qui inclut « tous les disciples » dans la même protestation. Les deux « tous » de 31b et 33c jouent le rôle de termes initiaux de l’annonce de Jésus et de la réaction de Pierre ; les deux occurrences du même mot en 31b et 35d jouent le rôle de termes extrêmes pour l’ensemble du passage. « Renier » (34d.35c) est plus précis et plus fort que « être scandalisé » (31b.33c.33d). CONTEXTE En 31 Jésus cite Za 13,7 ; dans le passage d’où est tirée cette citation, le pasteur est le chef du peuple et ceux qui seront frappés avec lui sont les membres du peuple. L’épreuve annoncée, c’est-à-dire la prise de Jérusalem (Za 14,1-2), est celle qui précédera le temps du salut. Ce jour-là le Seigneur lui-même se mettra en campagne et se tiendra « sur le mont des Oliviers » (Za 14,3s). Il est possible que la mention du « mont des Oliviers » en Mt 26,30 ait pour ainsi dire attiré cette citation particulière ; en tout cas la mention de la résurrection en Mt 26,32 fait très probablement référence à la suite du texte de Zacharie25. INTERPRÉTATION Tous les disciples abandonneront leur Maitre Les divers titres habituellement donnés à ce passage ne mentionnent que le reniement de Pierre26. Il est vrai que le premier des Apôtres joue ici un rôle de premier plan : il est d’abord le seul à réagir à la prédiction de Jésus (33) et le dialogue se poursuit uniquement entre lui et le maitre jusqu’à la fin (34-35). 25

Pour une étude plus détaillée de cette citation, voir Brown, I, 128-130. Ainsi, par exemple, les traductions françaises de la BJ (« Prédiction du reniement de Pierre ») et de la TOB (« Annonce du reniement de Pierre ») ; de même la traduction arabe de Dar elMachreq, Beyrouth 1989 (« Jésus prédit que Pierre le reniera »), la traduction hébraïque de la UBS, Jérusalem 1995 (« Pierre va renier Jésus »). 26

selon saint Matthieu (Mt 26,1-56)

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Cependant, Jésus commence par annoncer que « tous », et pas seulement Pierre, seront scandalisés à cause de lui (31b). Si par la suite Jésus s’adresse uniquement à Pierre (34), c’est que ce dernier a voulu se désolidariser des autres (33). Et, même si les paroles des autres apôtres ne sont pas citées explicitement, le passage s’achève néanmoins avec la mention que « tous » « en dirent autant » (35d). Une fois encore, Pierre n’est que primus inter pares. = 30 Et ayant chanté les psaumes, = ils sortirent vers le Mont des Oliviers. = 31 Alors Jésus leur dit : ·········································································································

: « Vous TOUS, vous serez scandalisés : EN CETTE NUIT MÊME ; * CAR IL EST ÉCRIT : - “Je frapperai - et seront dispersées 32

le berger les brebis

: Or après que : je vous précéderai

je me sois dressé, en Galilée. »

+ 33 Or répondant + dit

Pierre à lui :

– « Si ::

TOUS

moi

à cause de moi,

du troupeau.”

sont scandalisés à cause de toi, jamais je ne serai scandalisé. »

= 34 Jésus lui déclara : ········································································································· * « EN VÉRITÉ JE TE DIS que

: EN CETTE NUIT MÊME, : trois fois

avant que le coq ne crie, tu m’auras renié. »

+ 35 Lui dit

Pierre :

– « Et même :: non, + Et de même TOUS

s’il me fallait avec toi mourir, je ne te renierai pas. » les disciples dirent.

Les disciples retrouveront leur Maitre Jésus annonce sa mort (31e), et ses disciples, Pierre en tête, ne s’y trompent pas qui se disent prêts à mourir avec lui (35). Cependant, les mots que Jésus emprunte à Zacharie ne prennent toute leur force et leur précision que lorsqu’il annonce aussi sa résurrection (32). Si Jésus dit qu’il ressuscitera, c’est donc qu’il va d’abord être mis à mort. Annonçant sa résurrection en même temps que sa mort, Jésus prédit aussi les retrouvailles après la fuite, le pardon après le reniement. Un pardon qui en quelque sorte les devance, qui déjà précède leur repentir.

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Le testament de Jésus

4. LA RÉMISSION DES PÉCHÉS (26,20-35) COMPOSITION DE LA SOUS-SÉQUENCE Deux prophéties encadrent le récit de la consécration du pain et du vin. — Les deux occurrences de « tandis qu’ils mangeaient » (21a.26a) jouent le rôle de termes initiaux pour les deux premiers passages. — « Vous tous » (31a) et « tous » (35c) trouvent un écho dans le premier passage avec « chacun » (22a ; qui répond à « l’un de vous » de 21b) et dans le passage central avec « tous » (27c) et « beaucoup » (28b) ; il s’agit partout des « Douze » (20) « disciples » (26b.35c), sauf au centre du passage central où le groupe s’élargit à « beaucoup » (28b). — Aux quatre occurrences de « -donner » du premier passage (21b.23b.24b.25a) correspondent dans le dernier passage les trois occurrences de « être scandalisé » (31a.33ab) et les deux occurrences de « renier » (34b.35b). Ces mauvaises actions commises contre Jésus, ces « péchés », sont « remis » au centre de la sous-séquence (28b). — Aux quatre occurrences de « -donner » du premier passage répondent les deux occurrences de « donner » du passage central (26b.27b) ; le sujet de ces verbes est Judas dans le premier passage, mais Jésus dans le passage central. « Rémission » (28b) entre dans la même liste que « donner ». — Le même couple « En vérité, je vous / te dis » et « il est écrit » se retrouve dans les passages extrêmes, mais en ordre inverse (21b.24a ; 31b.34a) ; « Je vous dis » revient aussi dans le passage central (29a), mais sans la formule d’insistance, « En vérité ». INTERPRÉTATION Tous sont pécheurs L’un des Douze livrera Jésus à ses ennemis (20-25), un autre le reniera, par trois fois (30-35). Mais Judas et Pierre ne seront pas les seuls à tomber au sujet de leur maitre, « chacun » le livrera (22), « tous » le trahiront (35c). Judas et Pierre ne sont que la figure de tous les autres, des Douze, mais aussi de tous ceux qui suivront Jésus dans l’avenir, cette multitude pour qui le sang du Christ a été versé (28b). Pas un n’échappera à la tentation, ni au péché. Le pardon devance le péché Mt est le seul des synoptiques à préciser que le sang de Jésus sera versé « en rémission des péchés » (28b). Les premiers à être pardonnés sont bien sûr ceux qui sont présents ce soir-là, « les Douze » (20), « tous les disciples » (35c) auxquels Jésus prédit qu’ils pécheront contre lui. Ainsi, en même temps qu’il leur annonce un péché qu’ils n’ont pas encore commis, Jésus leur offre à l’avance son pardon. La rémission devance le péché, comme Jésus les précédera en Galilée (32), et le royaume du Père leur est déjà promis (29).

selon saint Matthieu (Mt 26,1-56)

55

C’est Jésus qui se donne Jésus sera donné par l’un des siens. Il le sait et, en l’annonçant, y compris au traitre, il l’accepte (20-25). Ce faisant, il se donne lui-même. Et c’est bien le sens du geste qu’il accomplit durant le repas, quand il donne le pain comme son corps (26), le vin comme son sang versé (27-28). Il le fait en disant la bénédiction (26b) et en rendant grâces à Dieu (27b), Lui qui fait sortir le pain de la terre et qui crée le fruit de la vigne pour le donner aux hommes. En s’identifiant au don vital du Père, il confesse devant ses disciples l’identité de Celui qui donne son fils pour le salut du monde (29b). 26,20 Le soir étant venu, il se mit à table avec LES DOUZE. 21 Tandis qu’ils mangeaient, il dit : « En vérité je vous dis que l’un de vous me -DONNERA. » 22 Ils furent vivement attristés et CHACUN se mit à lui dire : « Serait-ce moi, Seigneur ? » 23 Il répondit : « Celui qui a plongé avec moi la main dans le plat, c’est celui-là qui me -DONNERA. » 24 Le Fils de l’homme s’en va ainsi qu’ IL EST ÉCRIT à son sujet, mais malheur à cet homme-là par qui le Fils de l’homme sera -DONNÉ ; il eût mieux valu pour lui qu’il ne soit pas né cet homme-là. 25 Judas, celui qui allait le -DONNER, répondit : « Serait-ce moi, Rabbi ? » Il lui dit : « C’est toi qui l’as dit. » 26

Tandis qu’ils mangeaient, Jésus ayant pris du pain et ayant dit la bénédiction, le rompit et l’ayant DONNÉ à SES DISCIPLES, il leur dit : « Prenez, mangez, ceci est mon corps. » 27 Et ayant pris une coupe et ayant rendu grâces, il leur DONNA en disant : « Buvez-en TOUS : 28 car ceci est mon sang, le sang de l’alliance, qui sera versé pour

BEAUCOUP

en

RÉMISSION DES PÉCHÉS.

29

Je vous dis : je ne boirai plus désormais de ce produit de la vigne jusqu’au jour où je le boirai nouveau avec vous dans le royaume de mon Père. » 30

Après le chant des psaumes, ils sortirent vers le Mont des Oliviers. Alors Jésus leur dit : « VOUS TOUS, vous serez SCANDALISÉS à cause de moi, cette nuit même ; car IL EST ÉCRIT : “Je frapperai le berger et les brebis du troupeau seront dispersées.” 32 Mais après ma résurrection je vous précéderai en Galilée. » 33 Répondant, Pierre lui dit : « Si TOUS sont SCANDALISÉS à ton sujet, moi, jamais je ne serai SCANDALISÉ. » 34 Jésus lui déclara : « En vérité je te dis que cette nuit-même, avant 35 que le coq ne chante, par trois fois tu m’auras RENIÉ. » Pierre lui dit : « Même s’il fallait qu’avec toi je meure, non je ne te RENIERAI pas. » Et TOUS LES DISCIPLES dirent de même. 31

56

Le testament de Jésus

Jésus accomplit les Écritures En faisant par deux fois référence à ce qui est écrit (24.31), Jésus conforme sa volonté à celle de Celui dont l’Écriture est la parole. Il ne se contente pas d’interpréter les prophéties ; il les reprend à son compte en disant par trois fois ce qui va arriver (21.29.34). Il les accomplit ainsi dans sa propre vie, car il y a reconnu le dessein que son Père avait conçu pour renouveler l’alliance avec les hommes (28). Dans le psaume de David (23) et dans la prophétie de Zacharie (31), il lit non seulement le péché et la trahison, mais aussi qu’à travers ce mal surgira la libération des hommes par la rémission des péchés (28) et l’instauration du royaume de Dieu (29b).

C. LA TENTATION (Mt 26,36-56) La dernière sous-séquence ne comprend que deux passages : « L’abandon à Gethsémani » (36-46) et « L’arrestation de Jésus » (47-56). 1. L’ABANDON À GETHSÉMANI (26,36-46) COMPOSITION DU PASSAGE Dans les parties extrêmes, marquées par des termes initiaux identiques, « Alors il vient », Jésus s’adresse à tous les disciples, tandis que dans le reste du récit il s’adressera seulement à trois d’entre eux, « Pierre et les deux fils de Zébédée » (37), ou même au seul Pierre (40b). Entre le début et la fin, les ordres de Jésus s’opposent : « Asseyez-vous ici » (36c) et « Levez-vous, allons » (46a). Les trois parties centrales sont parallèles entre elles, bien que la troisième soit abrégée. Dans les premières sous-parties Jésus est en relation avec ses disciples (37-38 ; 40-41 ; 43), dans les secondes il s’adresse à son Père (39 ; 42 ; 44). L’importance de la partie centrale (40-42) est marquée par plusieurs traits : comme les parties extrêmes et contrairement aux deux autres, elle commence avec « il vient » (40a comme 36a.45a) ; la prière de Jésus (42cde) reprend la prière de la partie précédente (39c-f), mais elle est, en quelque sorte, plus parfaite car la volonté de Dieu n’est plus une sorte de concession, mais fait l’objet direct de la prière ; enfin les paroles de Jésus en 40c-41 sont plus développées que celles de la partie précédente (38bc) et elles sont adressées au seul Pierre, bien qu’elles visent aussi les autres disciples, ce qui est encore une manière d’en souligner l’importance. Au centre de ces paroles de Jésus à Pierre, le commandement de 41a. Ce commandement reprend celui qui avait déjà été donné en 38c, mais il est plus solennel car d’une part à « veillez » il ajoute « priez » et d’autre part il motive ces deux impératifs par une finale (noter que « leurs yeux étaient appesantis » de 43b s’oppose à « veiller » de 38c et 41a). Ainsi, « tentation » semble bien être le mot-clé de tout le passage : en effet, Jésus et ses disciples y sont également soumis, mais tandis que seul le premier y résiste, tous les autres y succombent.

selon saint Matthieu (Mt 26,1-56)

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+ 36 ALORS IL VIENT avec eux Jésus à un domaine dit Gethsémani : et il dit aux disciples : . « Asseyez-vous là, . tandis que, m’en étant allé,

là-bas je PRIERAI. »

+ 37 Et ayant pris Pierre et les deux fils de Zébédée, + il se mit à être triste et angoissé. : 38 Alors il leur dit : . « Mon âme est triste à en mourir ; . restez ici et VEILLEZ avec moi. » = 39 S’étant éloigné un peu, EN PRIANT et disant :

il tomba sur sa face,

– « Mon Père, s’il est possible, – qu’elle passe (loin) de moi cette coupe ! • Cependant non pas comme je VEUX, • mais comme (tu veux) toi. » + 40 Et IL VIENT vers les disciples : et il dit à Pierre : . « Ainsi vous n’avez pas pu 41 VEILLEZ et PRIEZ, . L’esprit est prompt,

et il les trouve

ENDORMIS,

une seule heure veiller avec moi ! afin que vous n’entriez pas en tentation. mais la chair est faible. »

= 42 De nouveau une deuxième fois s’en étant allé, IL PRIAIT disant : – « Mon Père, s’il n’est pas possible – que cela passe sans que je le boive, • qu’arrive ta VOLONTÉ. » + 43 Et étant venu de nouveau, il les trouva : car LEURS YEUX ÉTAIENT APPESANTIS. = 44 Et les ayant laissés, IL PRIAIT une troisième fois,

ENDORMIS

:

s’en étant allé de nouveau,

– disant les mêmes paroles

de nouveau.

+ 45 ALORS IL VIENT vers les disciples : et il leur dit : ·········································································································

. « VOUS DORMEZ = Voici que

encore L’HEURE

et VOUS REPOSEZ ? est proche

et que le Fils de l’homme est -donné aux mains des pécheurs. . 46 Levez-vous, = Voici qu’

allons ! est proche

CELUI QUI ME -DONNE.

»

58

Le testament de Jésus

Trois remarques sur la Prière à Gethsémani a) Les verbes katheudete et anapauesthe de 45c sont ambigus : ils peuvent être compris soit comme des impératifs présents (ainsi la TOB : « Continuez à dormir et reposez-vous » ; la BJ qui traduit de manière ingénieuse par des indicatifs de sens impératif : « Désormais vous pouvez dormir et vous reposer » interprète la phrase comme un « blâme revêtu d’une douce ironie »), soit comme des indicatifs présents ; selon cette deuxième possibilité, la phrase est comprise soit comme une exclamation (Osty : « Vous dormez encore et vous vous reposez ! ») soit comme une interrogation (traduction hébraïque UBS, Jérusalem 1995 ; NRSV), ce qui convient mieux au contexte, car l’heure ne semble guère à l’ironie (ainsi Gnilka, II, 598 ; Brown, I, 207-208). b) Certains « plans » de la péricope qui donnent la priorité à la prière de Jésus sur sa relation aux disciples manquent, semble-t-il, la véritable composition, et donc une dimension importante de la portée du texte. Ainsi Hagner, II, 781 : 1. Entrée de Jésus et de ses disciples dans le jardin (36) 2. Progression de Jésus et du cercle intime de ses disciples dans le jardin (37-38) 3. Première prière de Jésus (39-41) a. Prière (39) b. Il trouve les disciples endormis (40) c. Il exhorte les disciples (41) 4. Deuxième prière de Jésus (42-43) a. Prière (42) b. Il trouve les disciples endormis (43) 5. Troisième prière de Jésus (44) 6. Résignation (45a) 7. La trahison imminente (45b-46).

L’auteur commente : « Certains traits structuraux se voient facilement [...]. Toutefois Mt n’a pas poussé la symétrie autant qu’il l’aurait pu » (Ibid.). c) Suivant K.G. Kuhn, « Jesus in Gethsemanae », Bonnard (383) distingue dans ce récit deux sources « possédant chacune une pointe propre », l’une de tendance christologique, l’autre de tendance parénétique ; la première « ne comprend aucun ordre de veiller adressé aux disciples ; elle est dominée par l’idée de l’heure du Fils de l’homme, c’est-à-dire du moment où le jugement et le salut de Dieu vont s’accomplir dans la personne de Jésus » ; la deuxième « est dominée par les idées de vigilance et de tentation. » Quoi qu’il en soit de la préhistoire du texte et des hypothèses qui la concernent, la composition actuelle du texte montre à l’évidence que les deux thèmes sont étroitement imbriqués : devant l’heure qui arrive, aussi bien Jésus que ses disciples doivent veiller pour ne pas entrer en tentation. Pour un aperçu des diverses opinions concernant les sources du passage, voir Brown, I, 218-223 ; voir sa propre position, fort nuancée, Ibid., 223-227.

selon saint Matthieu (Mt 26,1-56)

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CONTEXTE Les premiers des Apôtres Avec André, frère de Simon Pierre, les deux frères Jacques et Jean, fils de Zébédée, furent les premiers disciples à être appelés par Jésus, avant même le début de son ministère (Mt 4,18-22). Ils sont aussi nommés en tête de la liste des Douze choisis parmi tous les disciples (10,1-4). Jacques et Jean s’étaient dit prêts à boire « la coupe » de Jésus pour être assis à sa droite et à sa gauche, c’est-à-dire avoir les premières places (20,20-28). La Transfiguration Pierre, Jacques et Jean seront ensuite choisis entre tous pour la transfiguration (Mt 17,1-9). Cette dernière scène est pour ainsi dire l’antithèse de celle de Gethsémani : en effet, Jésus y était apparu en gloire avec Moïse et Élie (17,2-3), alors qu’il est présenté ici livré à la solitude, soumis à la tristesse et à l’angoisse (26,37-38) ; il avait été confirmé par la voix son Père (17,5) qui maintenant reste muet et ne répond pas une seule fois à la prière de son Fils. Le Notre Père À Gethsémani, Jésus commence sa prière en l’adressant à son Père (39c.42c), comme il l’avait enseigné à ses disciples (Mt 6,9). Il se soumet à la volonté de Dieu (39ef. 42e) comme dans la troisième demande du Notre Père (6,10 : « Que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel »). Enfin il invite ses disciples à veiller et prier pour ne pas entrer en tentation (41a), comme à la fin de la prière qu’il leur avait apprise (6,13 : « et ne nous fais pas entrer en tentation »). INTERPRÉTATION Jésus et ses disciples Devant l’heure qui approche, Jésus éprouve tristesse et angoisse (37), à tel point qu’il ne peut pas ne pas le confier à ses disciples les plus proches (38b) ; d’autant plus que c’est la dernière fois qu’il se trouve avec eux27. Comme s’il lui était impossible de porter seul ce poids trop lourd, il leur demande de rester avec lui (38c). Et pourtant il lui faudra affronter la mort dans la solitude, sans l’appui de quiconque, même de ceux qui lui étaient jusqu’ici le plus proches. Il supplie les hommes de rester « avec lui » (38c), mais il lui faut bien vite constater qu’ils ont été incapables le faire (40c) ; quand il les trouve de nouveau endormis (43), il finit par renoncer à les réveiller et les laisse dormir (44a) pour retourner prier, seul. À la fin, quand il voit que « l’heure est proche » (45d), s’il les tire de leur sommeil et les réprouve, c’est encore une fois — mais ce sera la dernière — pour les inviter à l’accompagner : « Levez-vous, allons » (46a). 27

Hagner, II, 780.

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Le testament de Jésus

Jésus et son Père Par trois fois, Jésus s’était tourné vers ses disciples. Par trois fois aussi il implorera l’assistance de Dieu, pour éviter de boire la coupe d’amertume qui lui est tendue (39.42.44). La première fois, bien qu’il fasse précéder sa requête d’un « s’il est possible » (39c) qui manifeste sa disponibilité radicale et qu’il la fasse suivre d’une acceptation claire de la volonté divine (39ef), il demande néanmoins d’être libéré de l’épreuve qu’il sait devoir affronter (39d). Dès la deuxième fois, c’est la volonté de Dieu qui devient l’objet de la demande (42e), la « tentation » d’éviter la coupe étant reléguée à un rang subordonné (42cd). Il en sera de même « la troisième fois » (44). Jésus a véritablement éprouvé la tentation, mais en a triomphé, ne cessant jamais d’appeler Dieu du nom de « Père » (39c.42c.44c). Les disciples se retrouvent seuls Alors qu’au long de cette scène, Jésus prend la parole jusqu’à sept fois, quatre fois pour s’adresser à ses disciples (36.38.40-41.45-46) et trois fois pour prier son Père (39.42.44), les disciples ne disent pas un mot, ni à leur Maitre pour le réconforter ou même le questionner, ni à Dieu pour le supplier. N’ayant pas pu veiller, ne fût-ce qu’une seule heure avec Jésus (40c), ils se révèlent incapables de partager ni son angoisse, ni sa prière, encore moins son acceptation de la volonté divine. Ils se retrouvent seuls, séparés déjà de Jésus et loin de Dieu. Dans l’absence du sommeil (40a.43a), non seulement ils fuient et Jésus et Dieu, mais ils se fuient eux-mêmes. Ne veillant pas avec Jésus, ne priant pas Dieu, allant jusqu’à renoncer à la conscience, ils ont déjà succombé à la tentation. Il ne faudra pas longtemps pour qu’ils réalisent physiquement leur isolement.

LE QUATRIÈME CHANT DU SERVITEUR (Is 52,13–53,12) Il n’est pas question de donner ici l’analyse rhétorique détaillée du poème28. Il suffira pour l’étude en cours d’en fournir une réécriture qui fasse ressortir la composition de l’ensemble. On notera en particulier comment les cinq occurrences des noms de Dieu sont disposées en des lieux stratégiques : « Yhwh » au centre de la première partie (53,1) et au centre de la dernière partie (53,10 bis), « Élohim » et « Yhwh » au centre des deux morceaux extrêmes de la partie centrale (53,4c.6c) et nulle part ailleurs.

28

Pour plus de détails, voir R. MEYNET, « Le quatrième chant du serviteur (Is 52,13–53,12) ».

selon saint Matthieu (Mt 26,1-56) 52,13 Voici qu’il illuminera MON SERVITEUR,

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il montera et sera exalté, et il s’élèvera beaucoup.

14

Comme s’étonnèrent sur toi des nombreux, — ainsi défiguré d’un homme sa VISION 15 ainsi s’émerveilleront des nations nombreuses. car ce qui ne leur a pas été raconté ils le VERRONT,

et sa forme n’était pas des fils d’Adam — Sur lui des rois fermeront leur bouche et ce qu’ils n’ont pas entendu ils comprendront.

53,1 Qui a cru à ce que nous avons entendu

et le bras de YHWH à qui a-t-il été révélé ?

2

Et il montait comme un surgeon devant sa face Il n’avait apparence ni beauté que nous le VOYIONS

et comme une racine d’une terre desséchée. et pas de VISION que nous l’apprécions.

3

homme de douleurs et CONNU de la maladie ; il était méprisé et nous ne l’estimions pas.

Il était méprisé et rejeté par les hommes, et comme un devant qui on se cache la face Et pourtant c’étaient nos maladies qu’il portait • Et nous, nous l’estimions châtié, 5 Et lui il était transpercé par nos CRIMES 4

L’INSTRUCTION DE NOTRE SALUT EST SUR LUI 6

Nous tous comme petit bétail nous errions, • Et YHWH lui fit supporter 7 Il était maltraité et lui il s’humiliait Comme un agneau à l’abattoir est conduit 8

Par oppression et par jugement il a été saisi car il a été éliminé de la terre des vivants 9

On a donné avec les méchants son sépulcre alors qu’il n’a pas fait de violence 10 Et YHWH a voulu l’écraser de maladies ; il VERRA une semence, il prolongera ses jours ; 11

Par la peine de son être il VERRA il justifiera le juste MON SERVITEUR des nombreux 12

C’est pourquoi je lui partagerai les nombreux

Du fait qu’il a offert à la mort son être lui la faute des nombreux il a porté

— Pour la première partie, voir p. 147. — Pour la deuxième partie, voir p. 281. — Pour la troisième partie, voir p. 155.

et c’était de nos douleurs qu’il s’était chargé. frappé par ÉLOHIM et humilié. il était écrasé par nos PÉCHÉS. ET PAR SES PLAIES NOUS SOMMES GUÉRIS.

chacun vers son chemin nous nous tournions. le PÉCHÉ de nous tous. et il n’ouvrait pas la bouche. et comme une brebis en face de ses tondeurs muette et il n’ouvrait pas la bouche. et de sa génération qui se soucie par le CRIME de mon peuple il a été frappé ? et avec le riche son tombeau, et qu’il n’est pas de mensonge dans sa bouche. s’il a mis en sacrifice son être et la volonté de YHWH par sa main réussira. il se rassasiera de sa CONNAISSANCE ; et de leurs PÉCHÉS lui il se chargera. et avec les puissants il partagera le butin. et avec les CRIMINELS il a été compté, et pour les CRIMINELS il s’est interposé.

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Le testament de Jésus

2. L’ARRESTATION DE JÉSUS (26,47-56) COMPOSITION DU PASSAGE Dans la première partie, qui rapporte l’arrestation, les morceaux extrêmes présentent successivement Judas (47ab.49) puis les autres personnages qui viennent se saisir de Jésus (47cd.50cde). Le morceau central (48) rappelle le signe donné par Judas. Le second et le troisième morceau s’achèvent avec « s’emparer de lui ». Le dernier morceau est de construction concentrique : deux trimembres parallèles entre eux encadrent la parole de Jésus à Judas. Le premier morceau de la deuxième partie (51) rapporte l’intervention violente d’un des disciples. Les questions du troisième morceau (53-54) opposent deux éventuelles interventions de Dieu, la première qui aurait recours à la violence (53), l’autre qui renvoie à ce qu’annoncent « les Écritures » (54). Entre ces deux morceaux, le commandement de Jésus (52). Le premier morceau de la troisième partie concerne « les foules » (55), le dernier (56cd) « les disciples » ; au centre (56ab), la référence aux « Écritures ». « Prendre » et « s’emparer de » dans la dernière partie (55) répondent aux deux occurrences de « s’emparer de » dans la première partie (48c.50e). — Le syntagme « avec épées et bâtons » qui marque le début des parties extrêmes (47c.55b) est repris avec les trois occurrences de « épée » au centre de la deuxième partie (52 ; déjà en 51b). — La fin de la partie centrale (54) annonce le centre de la dernière partie (56ab) où sont repris « s’accomplir les Écritures » et « arriver »29. — De manière symétrique, le début de la partie centrale (51) correspond au centre de la première partie : « un de ceux avec Jésus » (51a) renvoie à « celui qui le donnait » (48a) : le baiser de Judas, comme une épée, donne la mort. — Noter aussi la reprise du chiffre « douze », désignant les apôtres de Jésus en 47b et les légions des anges de Dieu en 53c. — « Voici que Judas, l’un des Douze » (47b) et « voici un de ceux avec Jésus » (51) jouent le rôle de termes initiaux pour les deux premières parties. — Les deux occurrences de « alors » (50c.56c) remplissent la fonction de termes finaux pour les parties extrêmes, dans la mesure où ils marquent le début de leurs derniers segments. CONTEXTE Les tentations initiales Avant de commencer le récit du ministère de Jésus, Mt rapporte les tentations auxquelles il fut soumis au désert (Mt 4,1-11). La tentation centrale (5-7), où Jésus refuse de tenter le Seigneur en comptant sur le secours des anges, pour 29

Les commentateurs sont divisés sur le fait de savoir si la première phrase de 56 fait partie du discours de Jésus ou si au contraire il s’agit là d’un commentaire de l’évangéliste (voir une revue des opinions dans D. SENIOR, The Passion Narrative According to Matthew, 152). La symétrie entre la fin de la partie centrale (54) et le centre de la partie finale (56ab) est un exemple de la quatrième loi de Lund (voir Traité, 98). Cette symétrie peut être un argument en faveur de l’attribution de ces paroles à Jésus : ses deux discours s’achèveraient ainsi sur un renvoi à l’Écriture.

selon saint Matthieu (Mt 26,1-56)

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éviter le mal qu’il se serait fait en se jetant du pinacle du Temple, annonce la question de 26,53. + 47 Et comme il parlait encore, + VOICI que Judas, L’UN DES DOUZE, vint, = et avec lui une foule nombreuse avec ÉPÉES et bâtons = de (chez) les grands prêtres et les anciens du peuple. ···············································································

: 48 OR CELUI QUI LE DONNAIT leur donna un signe disant : - « Celui que j’embrasserai, c’est lui ; - emparez-vous de lui. » ···············································································

+ 49 Et aussitôt, + il dit : + et il

s’étant avancé vers « Salut, embrassa

Jésus, Rabbi ! » lui.

50

Or Jésus lui dit : « Ami, (fais) ce pour quoi tu es ici. » = Alors, = ils jetèrent = et ils

s’étant avancés, les mains sur s’emparèrent de

Jésus lui.

: 51 Et voici UN DE CEUX AVEC JÉSUS étendant la main, = tira son épée : et frappant le serviteur du Grand Prêtre, = lui enleva l’oreille. ···················································································· 52

Alors Jésus lui dit : . « Remets . car tous ceux qui prennent . par l’épée

ton épée à sa place, l’épée périront.

····················································································

: 53 Ou penses-tu = que je ne puisse pas faire appel à mon Père = et il me fournirait maintenant plus de douze légions d’anges ? : 54 Comment donc = qu’ainsi il doit

s’accompliraient ARRIVER ? »

LES ÉCRITURES

+ 55 À cette heure-là, Jésus dit aux foules : . « Comme contre un bandit vous êtes sortis - pour me prendre.

avec ÉPÉES et bâtons

. Chaque jour, dans le temple, j’étais assis enseignant - et vous ne vous êtes pas emparé de moi. ····································································································

: 56 Or tout cela : pour que

ARRIVA

s’accomplissent

LES ÉCRITURES des

prophètes. »

····································································································

+ Alors TOUS LES DISCIPLES l’abandonnant, + s’enfuirent.

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Le testament de Jésus

L’accomplissement des Écritures Deux fois Mt fait référence à l’accomplissement des Écritures (54.56), mais il ne dit pas explicitement à quels textes il entend renvoyer. La deuxième fois cependant il précise que ce sont celles des prophètes. La situation, ainsi que l’expression « comme contre un bandit » (55b), pourrait permettre d’y voir une allusion au quatrième chant du Serviteur : « il a été compté parmi les criminels, alors qu’il portait le péché des multitudes » (Is 53,12). Quant à la première référence aux Écritures (54), les commentateurs pensent qu’elle est générale30. Le contexte cependant pourrait être éclairant. Beaucoup notent que la fin du segment central, « car tous ceux qui prennent l’épée par l’épée périront », rappelle Gn 9,6 dont la composition spéculaire est encore plus marquée : « Qui verse le sang de l’homme, par l’homme son sang sera versé ». Il semble bien que, comme il est de règle dans la rhétorique biblique, le centre de la construction fournisse la clé de lecture de l’ensemble. L’allusion transparente à Gn 9,6 renvoie à la finale de l’histoire du déluge (Gn 6,5–9,17). Ayant vu les mauvais desseins que les hommes formaient dans leur cœur (Gn 6,5) et que désormais « la terre s’était remplie de violence » (6,12), Dieu se repentit d’avoir créé l’homme et décida de faire périr tous les coupables (6,6), à l’exception de Noé, le seul juste. Ce qu’il fit en envoyant le déluge. Après quoi, il se repentit et promit de ne plus jamais frapper tout vivant à cause des mauvais desseins de leur cœur (8,21). Raccrochant son arc meurtrier dans la nuée (9,14)31, il renonçait ainsi pour toujours à recourir à la violence pour faire disparaitre la violence des hommes. INTERPRÉTATION Tous ont recours à l’épée « Une foule nombreuse » vient vers Jésus « avec épées et bâtons » (47), mais ce sont ceux qui l’ont envoyée, grands prêtres et anciens du peuple (47), qui portent la responsabilité de cette violence. Judas, l’un des Douze (47), ne porte ni épée ni bâton (47), mais, par son salut et par son baiser, n’est pas moins violent que ceux qui, comme lui, « s’avancent » (49.50) pour « jeter les mains sur Jésus » (50). Jésus du reste ne manque pas de dévoiler l’intention que son baiser a la prétention de cacher (50). Quant au disciple anonyme qui représente tous les autres (51)32, il entre aussi dans le jeu de la violence en mettant la main à l’épée et en tranchant l’oreille du serviteur du Grand Prêtre : en s’opposant à la volonté de Jésus, il se range, bien qu’involontairement, du côté des ennemis de son maitre ; il se manifeste à la fois le frère de Judas, puisqu’il trahit son maitre, et compagnon du serviteur du Grand Prêtre, puisque comme lui il étend la main 30 Ainsi Gnilka, II, 614-615 : « Il ne faut pas penser à un passage biblique particulier, mais au témoignage global présent dans l’Écriture » ; il signale que Lohmeyer y voit une allusion à Is 53,8. 31 Voir P. BEAUCHAMP, L’Un et l’Autre Testament, I, 205. 32 Jean l’identifiera à Pierre, le premier des Douze et leur représentant (Jn 18,10).

selon saint Matthieu (Mt 26,1-56)

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(50.51) pour se servir de l’épée. Lorsque, avec tous les autres, il abandonnera Jésus et s’enfuira (56) pour échapper au bâton et à l’épée, ils céderont aussi à la violence. Car c’est également faire le jeu de la violence que de l’exercer de sa propre main (51), d’y livrer son prochain de sa seule bouche, sans avoir l’air d’y toucher pour ne pas se salir les mains (49), d’y condamner autrui en l’abandonnant et de s’y soustraire soi-même en s’enfuyant (56). Comme aux jours de Noé, « la terre s’est remplie de violence » (Gn 6,11). Dieu a raccroché son arc Devant tant de violence, Dieu n’intervient pas. Il n’enverra pas les légions de ses anges (53). Aux jours de Noé, voyant que le cœur de l’homme ne formait que mauvais desseins, il avait envoyé le déluge pour détruire, avec toute chair, la violence qui remplissait la terre, sauvant cependant le seul d’entre eux qui fut juste. Puis il s’était repenti d’avoir répondu à la violence par une autre violence et avait définitivement raccroché son arc dans la nuée (Gn 9,13), promettant de ne plus jamais frapper tous les vivants comme il l’avait fait (Gn 8,22 ; 9,11) ; l’arc, en ciel désormais, deviendrait même le signe de la nouvelle alliance qu’il concluait avec les hommes (Gn 9,12-17). Dieu aujourd’hui tient sa promesse et en Jésus la figure de Noé s’accomplit. Elle le fait cependant en se renversant complètement. Le seul juste avait été sauvé des flots de la mort, pendant que tous les violents y étaient engloutis. Maintenant, le seul juste est promis à la mort, tandis que tous les autres se sauvent, tandis qu’ils seront tous sauvés par la mort du seul Juste. Le salut par l’épée Le cercle infernal de la violence ne peut être brisé par la violence : « Tous ceux qui prennent l’épée, par l’épée périront » (52). Les disciples devront comprendre un jour, comme Jésus avait su avant eux le déchiffrer dans les Écritures, dans la figure de Noé et plus clairement encore dans celle du Serviteur, que la violence ne serait vaincue que par celui qui accepterait de la subir. Paradoxalement, le salut viendra par l’épée, mais ce sera par celui qui en sera frappé. Alors qu’on s’emparait de lui pour le conduire à l’abattoir, Jésus pouvait apparaitre abandonné par Dieu : « Et nous, nous l’estimions châtié, frappé par Dieu et humilié » (Is 53,4). C’est au contraire parce que, selon la volonté de son Père, il est le seul qui « n’a pas fait de violence » (Is 53,9), mais qui a accepté de prendre sur lui le péché des multitudes (Is 53,12) qu’il pourra les justifier (Is 53,11). « Le châtiment de notre salut est sur lui et par ses plaies nous sommes guéris » (Is 53,5).

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Le testament de Jésus

3. LA TENTATION (26,36-56) COMPOSITION DE LA SOUS-SÉQUENCE Les deux passages sont situés au « domaine appelé Gethsémani » (36a). Le lien temporel est marqué par la première proposition du second passage, « Tandis qu’il parlait encore » (47a) ; « celui qui me -donne » (46) et « celui qui le -donnait » (48) jouent le rôle de termes médians (ils ne trouvent pas ailleurs dans la sous-séquence). Les centres (41.52) se correspondent : ce sont des ordres de Jésus dont il donne chaque fois la raison, introduite par « pour » et par « car ». Ainsi les deux passages sont focalisés sur une mise en garde contre un danger, ou une « tentation » (41b). Les prières de Jésus qui encadrent le centre du premier passage (39cd.42bc) correspondent au morceau qui suit le centre du second passage (53-54) : Jésus y appelle Dieu « mon Père » (39c.42b ; 53a), il y envisage la possibilité d’échapper à la passion (39c.42b ; 53a) ; le même verbe « advenir » est utilisé en finale de 42 et de 54, ce qui met en relation la « volonté » de Dieu et « les Écritures ». Noter en outre la reprise de « laisser » (44a.56b), l’emploi de « comme » en 39d (hōs) et de « selon » en 54b (houtōs). Il est aussi possible de voir une relation entre la violence à laquelle succombe « un de ceux qui étaient avec Jésus » avant le centre du second passage (51) et le sommeil auquel succombent les disciples de chaque côté du centre du premier passage (40ab.41c). INTERPRÉTATION Jésus résiste à la tentation Il y aurait deux façons pour Jésus d’échapper à la mort : ou bien résister par la force à ses ennemis (51), ou bien les fuir (56b). Une troisième possibilité, la seule qu’il évoque, serait de recourir à l’aide de son Père (53). Au lieu de s’enfuir, il reste à Gethsémani pour attendre l’heure où, conduite par le traitre, la foule viendra s’emparer de lui. Bien loin de se servir de l’épée, il commande à son disciple de la remettre au fourreau (52). C’est seulement dans la prière qu’il demande à son Père d’être dispensé de boire la coupe mortelle (39c.42b), mais il s’abandonne d’avance à la volonté de Dieu (39d.42c) ; il la connait bien sûr par les Écritures (54), mais tout son être y résiste dans la tristesse et l’angoisse (38). La tentation est grande, mais à aucun moment il n’y donnera le moindre consentement. Les disciples succombent à la tentation Les disciples au contraire fuient dès le début : ils abandonnent la lutte en se réfugiant dans le sommeil (40a.43), au lieu de rester éveillés et de prier avec leur maitre. Quand il est clair que les prédictions et les craintes de Jésus se révèlent hélas justifiées, ils tombent aussitôt dans une autre tentation, celle, désespérée,

selon saint Matthieu (Mt 26,1-56)

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de recourir à la force (51). Voyant enfin qu’il est inutile de résister, parce que Jésus le refuse catégoriquement, il ne leur reste plus qu’à s’enfuir pour de bon en abandonnant leur maitre à son sort (56b). Ils ont succombé à toutes les formes de la tentation. 26,36 Alors Jésus part avec eux au domaine appelé Gethsémani et il dit à ses disciples : « Restez ici, tandis que je m’en irai là-bas pour prier. » 37 Prenant Pierre et les deux fils de Zébédée, il commença à ressentir tristesse et angoisse. 38 Alors il leur dit : « Mon âme est triste à en mourir ; demeurez ici et veillez avec moi. » 39 S’en étant allé un peu plus loin, il tomba sur la face, priant et disant : + « MON PÈRE, s’il est possible, qu’elle passe loin de moi cette coupe ! + Pourtant, non pas comme je veux, mais COMME tu (veux), toi. » 40 Puis il vient vers les disciples et il les trouve endormis, et il dit à Pierre : = « Ainsi vous n’avez pas pu veiller une seule heure avec moi. 41

VEILLEZ ET PRIEZ, POUR NE PAS ENTRER EN TENTATION. = L’esprit est prompt, mais la chair est faible. » 42 Étant parti encore une deuxième fois il priait disant : + « MON PÈRE, s’il n’est pas possible que cela passe sans que je le boive, + que ta volonté ADVIENNE. » 43

Il revint et les trouva endormis car leurs yeux étaient appesantis. 44 Les ayant laissés, il partit encore et il priait une troisième fois, disant encore les mêmes paroles. 45 Alors il vient vers les disciples et leur dit : « Vous dormez encore et vous reposez ? Voici que l’heure est proche. Le Fils de l’homme va être livré aux mains des pécheurs. 46 Levez-vous, allons ! Voici que celui qui me -donne est proche. » 47

Tandis qu’il parlait encore, voici que vint Judas, l’un des Douze, et avec lui une foule nombreuse envoyée avec épées et bâtons par les grands prêtres et les anciens du peuple. 48 Celui qui le -donnait leur avait donné un signe disant : « Celui que j’embrasserai c’est lui ; emparez-vous de lui. » 49 Et aussitôt, s’étant avancé vers Jésus, il dit : « Salut, Rabbi. » Et il l’embrassa. 50 Jésus lui dit : « Mon ami, fais ce pour quoi tu es ici. » Alors, s’étant avancés, ils mirent la main sur Jésus et s’emparèrent de lui. = 51 Et voici un de ceux qui étaient avec Jésus, portant la main à son épée, la tira = et, frappant le serviteur du Grand Prêtre, lui enleva l’oreille. 52 Alors Jésus lui dit : « REMETS TON ÉPÉE À SA PLACE, CAR TOUS CEUX QUI PRENNENT L’ÉPÉE PAR L’ÉPÉE PÉRIRONT. + 53 Penses-tu que je ne puisse pas faire appel à MON PÈRE qui me fournirait sur le champ plus de douze légions d’anges ? + 54 Comment donc s’accompliraient les Écritures SELON lesquelles il faut qu’ainsi il ADVIENNE ? » 55

À cette heure-là Jésus dit aux foules : « Comme contre un brigand vous êtes sortis avec épées et bâtons pour me prendre ; or chaque jour dans le temple j’étais assis à enseigner et vous ne vous êtes pas emparé de moi. 56 Or tout cela advint pour que s’accomplissent les Écritures des prophètes. » Alors tous les disciples, le laissant, s’enfuirent.

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Le testament de Jésus D. LA PÂQUE DU SERVITEUR POUR LA RÉMISSION DES PÉCHÉS

COMPOSITION DE LA SÉQUENCE Les trois sous-séquences analysées jusqu’ici forment la première séquence de « La Pâque du Seigneur » selon Mt33. Il faut remarquer tout d’abord l’unité d’action : en effet tout se passe entre le moment où Jésus annonce qu’il va être livré (1-2) et le moment où sa prophétie se réalise (47-56). Les rapports entre les deux premières sous-séquences (A et B) Les correspondances sont particulièrement sensibles entre les passages centraux (6-13 ; 26-29). — Les deux scènes se déroulent durant un repas : dans la première, Jésus « est à table » (7bc) chez Simon le Lépreux, dans la deuxième, ils « mangent » (26a) le repas pascal34. — Les deux passages ont une composition analogue : après une introduction situationnelle (6-7 ; 26a) qui s’achève avec des verbes appartenant au même champ sémantique (« être à table » et « manger »), ce sont deux unités parallèles (8-9.10-12 ; 26bc.27-28), et enfin deux annonces de la résurrection qui commencent avec une formule d’insistance semblable (13.29). — Les autres rapports lexicaux sont la reprise de « mon corps » (12b.26c ; pas ailleurs), de « donner » (9.26b.27a), de « verser »35 (7b. 28a et de son synonyme « répandre » en 12a36 ; pas ailleurs), de « beaucoup » (9.28a ; à mettre en relation avec « partout » et « entier » de 13a) et de « en vue de » (eis : 8.28). On peut ajouter que « flacon » (7b) peut être mis en relation avec « coupe » (27a) qui sont des récipients pour des liquides. « Manger » (17b.21a) et « avec » (18b.20) agrafent les deux sous-séquences37. « Fils de l’homme » se retrouve dans les premiers passages (2b.24a.24b). — Outre le « je vous dis » de 29a, noter la triple reprise de « En vérité, je vous/te dis » (13a.21a.34b). Les mots appartenant au champ sémantique de la mort traversent l’ensemble des deux sous-séquences : « crucifier » (2b), « tuer » (4), « perte » (8), « sépulturer » (12b), « s’en aller » (24a), « mourir » (35a).— À cette série est liée celle qui regroupe tous les verbes de possession : « avoir » (7b.11a.11b), « prendre » (26b.26c.27), « s’emparer de » (4), « donner » (didōmi : 9.15b.26b.27), « livrer »

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Pour Légasse au contraire, « après une série d’épisodes et de paroles préparatoires commence, avec l’arrestation de Jésus (26,47, par., Mc 14,43), le récit de l’entreprise politicojudiciaire qui conduit Jésus de Gethsémani au Calvaire et à la tombe » (Le Procès, II, 162). 34 La scène précédente est située elle aussi durant le repas : « il se mit à table » en 20 et « tandis qu’ils mangeaient » en 21. 35 Qui traduisent deux synonymes de racine très semblable : kata-cheō et ek-chynnō, forme tardive de ek-cheō. 36 Matthieu semble compenser le bris du vase (Mc 14,3) par l’insistance sur le fait que la femme a « versé » ou « répandu » le parfum ; c’est sans doute sa manière de souligner le rapport avec la Cène. 37 « Manger » se retrouve aussi en 26a et en 26c ; « avec » revient en 11b, 23, 29b et (avec un synonyme) en 35b.

selon saint Matthieu (Mt 26,1-56)

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(para-didōmi : 2b.15b.16.21b.23b.24b.25b), « vendre » (9), « fixer » (15b), et aussi « renier » (34c.35a), si l’on considère que ce verbe signifie « refuser ». 26,1 Il arriva, lorsque Jésus eut achevé toutes ces paroles, qu’il dit à ses disciples : 2 « Sachez qu’après deux jours la Pâque arrive et que LE FILS DE L’HOMME va être livré pour être crucifié. » 3

Alors les grands prêtres et les anciens du peuple se réunirent dans le palais du Grand Prêtre, celui qui est appelé Caïphe. 4 Ils se mirent d’accord pour s’emparer de Jésus par ruse et le tuer. 5 Mais ils disaient : « Pas durant la Fête, afin qu’il n’arrive pas un tumulte dans le peuple. » 6

Comme Jésus se trouvait à Béthanie dans la maison de Simon le Lépreux, 7 une femme s’avança vers lui ayant un flacon de parfum de grand prix et elle le VERSA sur sa tête tandis qu’il était à table. – 8 Les disciples voyant cela s’indignèrent en disant : « EN VUE DE quoi cette perte ? 9 Car cela aurait pu être vendu beaucoup et être DONNÉ aux pauvres. » 10 – Jésus s’en apercevant leur dit : « Pourquoi causez-vous des ennuis à cette femme ? Car c’est une bonne œuvre qu’elle a accomplie pour moi. 11 Car vous avez toujours les pauvres AVEC vous, mais moi vous ne m’avez pas pour toujours. 12 Car en RÉPANDANT ce parfum sur MON CORPS, c’est pour me sépulturer qu’elle l’a fait. * 13 En vérité je vous dis, partout où sera proclamée cette bonne nouvelle dans le monde entier, on parlera aussi de ce qu’elle a fait, en souvenir d’elle. » 14

Alors étant parti l’un des Douze, celui qui est appelé Judas Iscariote, vers les grands prêtres, 15 il leur dit : « Que voulez-vous me DONNER, et moi je vous le livrerai ? » Ceux-ci lui fixèrent trente pièces d’argent. 16 Et à partir d’alors il cherchait le temps favorable pour le livrer. 17

Or le premier jour des Azymes, les disciples vinrent vers Jésus et dirent : « Où veux-tu que nous te préparions pour manger la Pâque ? » 18 Il leur dit : « Allez à la ville chez un tel, et dites-lui : “Le maitre dit : ‘Mon temps est proche ; c’est chez toi que je ferai la Pâque AVEC mes disciples”. » 19 Et les disciples firent comme Jésus leur avait ordonné et ils préparèrent la Pâque.

20

Le soir venu, il se mit à table AVEC les Douze. 21 Tandis qu’ils mangeaient, il dit : « En vérité je vous dis que l’un de vous me livrera. » 22 Ils furent vivement attristés et chacun se mit à lui dire : « Serait-ce moi, Seigneur ? » 23 Il répondit : « Celui qui a plongé AVEC moi la main dans le plat, c’est celui-là qui me livrera. » 24 LE FILS DE L’HOMME s’en va ainsi qu’il est écrit à son sujet, mais malheur à cet homme-là par qui LE FILS DE L’HOMME sera livré ; il eût mieux valu pour lui qu’il ne soit pas né cet homme-là. 25 Judas, celui qui allait le livrer, répondit : « Serait-ce moi, Rabbi ? » Il lui dit : « C’est toi qui l’as dit. » 26

Tandis qu’ils mangeaient, – Jésus ayant pris du pain et ayant dit la bénédiction, le rompit et l’ayant DONNÉ à ses disciples, il leur dit : « Prenez, mangez, ceci est MON CORPS. » – 27 Et ayant pris une coupe et ayant rendu grâces, il leur DONNA en disant : « Buvez-en tous : 28 car ceci est mon sang, le sang de l’alliance, qui sera VERSÉ pour beaucoup EN VUE DE la rémission des péchés. 29 * Je vous le dis : je ne boirai plus désormais de ce produit de la vigne, jusqu’au jour où je le boirai nouveau AVEC vous dans le royaume de mon Père. » 30

Après le chant des psaumes, ils sortirent vers le Mont des Oliviers. 31 Alors Jésus leur dit : « Vous tous, vous serez scandalisés à cause de moi cette nuit même, car il est écrit : “Je frapperai le berger et les brebis du troupeau seront dispersées.” 32 Mais après ma résurrection, je vous précéderai en Galilée. » 33 Répondant, Pierre lui dit : « Si tous sont scandalisés à ton sujet, moi, jamais je ne serai scandalisé. ». 34 Jésus lui déclara : « En vérité je te dis que cette nuit-même, avant que le coq ne chante, par trois fois tu m’auras renié. » 35 Pierre lui dit : « Même s’il fallait qu’AVEC toi je meure, non je ne te renierai pas. » Et tous les disciples dirent de même.

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Le testament de Jésus

Les rapports entre les deux dernières sous-séquences (B et C) Termes initiaux : Jésus est sujet de l’action qu’il accomplit « avec » ses disciples (il « se met à table » et « part » : 20.36a) ; la « tristesse » « commence à » s’emparer des disciples (22a) et de Jésus (37.38). Termes finaux : « tous les disciples » protestent de leur fidélité à la fin de la deuxième sous-séquence, et « tous les disciples » l’abandonnent et s’enfuient à la fin de la troisième sous-séquence. Termes médians : le verbe « mourir » agrafe les deux sous-séquences, mais le sujet est Pierre en 35a et Jésus en 38. Rapports entre le passage central de la sous-séquence B et le premier passage de la sous-séquence C : « coupe » et « boire » employés dans le même verset la première fois (27) se trouvent répartis dans les deux prières de Jésus (39c.42b) ; « péchés » au centre de 26-29 (28c) trouve un écho avec « pécheurs » à la fin de 36-46 (45c) ; tous ces mots ne se retrouvent pas ailleurs dans la séquence. Rapports entre les passages extrêmes de la sous-séquence B et le second passage de la sous-séquence C : aux deux occurrences de « il est écrit » (24a.31b) correspondent les deux occurrences de « les Écritures » (54a. 56a) ; l’apostrophe « Rabbi » revient en 25 et 49b, « frapper » en 31b et en 51b. Autres rapports entre les deux sous-séquences B et C : – il est question de « Judas » à la fin du premier passage de la deuxième sousséquence (25) ainsi qu’au début du deuxième passage de la troisième sousséquence (47a), de « Pierre » dans le troisième passage de la seconde sousséquence (deux fois cité : 33.35a) ainsi que dans le premier passage de la troisième sous-séquence (deux fois cité : 37a.40b) ; – « tous les disciples » de 35b et 56b sont à placer dans la série qui comprend : « l’un de vous » (21b), « un chacun » (22a), « beaucoup » (28b), « vous tous » (31a), « tous » (33), « l’un des Douze » (47a), « un de ceux » (51a) ; – « Mon Père » à la fin de 26-29 revient deux fois au début des prières de Jésus en 36-46 (39b.42b) et se retrouve aussi en 53a (Marc a une seule fois « Père », à Gethsémani) ; – la préposition « avec » est particulièrement fréquente : 20a.23a.29b.35a.36a. 38.40c.47a.47b.51b ; – le champ sémantique de « donner » et « prendre » est fort dense : « donner » (didōmi : 26b.27b.48b), « livrer » (para-didōmi : 20b.23b.24b.25.45b.46.48a), « fournir » (53a), « prendre » (26a.26b.27b.37a.52b.55b), « s’emparer de » (48b. 50b.55c), « enlever » (51c), « renier » (ou « refuser » : 34b.35a), enfin « rémission » (28b) et « laisser » (44a. 56b) qui sont de même racine ; « main » de 23 qui revient trois fois dans la dernière sous-séquence (45b.50b.51b) est à considérer comme faisant partie du même champ sémantique, car c’est l’organe de la prise ; – enfin le champ sémantique de la violence et de la mort : « s’en va » (24a), « frapper » (31b.51b), « mourir » (35a.38), « périr » (52b), ainsi que « sang » (28b bis), « épées et bâtons » (47b.55b), « épée » (51b.52b ter).

selon saint Matthieu (Mt 26,1-56)

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26,20 Le soir venu, il se mit à table AVEC les Douze. 21 Tandis qu’ils mangeaient, il dit : « En vérité je vous dis que l’un de vous me livrera. » 22 Ils commencèrent à être vivement attristés et un chacun se mit à lui dire : « Serait-ce moi, Seigneur ? » 23 Il répondit : « Celui qui a plongé AVEC moi la main dans le plat, c’est celui-là qui me livrera. » 24 Le Fils de l’homme s’en va ainsi qu’IL EST ÉCRIT à son sujet, mais malheur à cet homme-là par qui le Fils de l’homme sera livré ; il eût mieux valu pour lui qu’il ne soit pas né cet homme-là. 25 JUDAS, celui qui allait le livrer, répondit : « Serait-ce moi, Rabbi ? » Il lui dit : « C’est toi qui l’as dit. » 26

Tandis qu’ils mangeaient, Jésus ayant pris du pain et ayant dit la bénédiction, le rompit et l’ayant donné à ses disciples, il leur dit : « Prenez, mangez, ceci est mon corps. » 27 Et ayant pris une COUPE et ayant rendu grâces, il leur donna en disant : « BUVEZ-en tous : 28 car ceci est mon sang, le sang de l’alliance, qui sera versé pour beaucoup en vue de la rémission des 29 PÉCHÉS. Je vous le dis : je ne boirai plus désormais de ce produit de la vigne, jusqu’au jour où je le boirai nouveau AVEC vous dans le royaume de mon Père. » 30

Après le chant des psaumes, ils sortirent vers le Mont des Oliviers. 31 Alors Jésus leur dit : « Vous tous, vous serez scandalisés à cause de moi cette nuit même, car IL EST ÉCRIT : “Je frapperai le berger et les brebis du troupeau seront dispersées.” 32 Mais après ma résurrection, je vous précéderai en Galilée. » 33 Répondant, PIERRE lui dit : « Si tous sont scandalisés à ton sujet, moi, jamais je ne serai scandalisé. ». 34 Jésus lui déclara : « En vérité je te dis que cette nuit-même, avant que le coq ne chante, par trois fois tu m’auras renié. » 35 PIERRE lui dit : « Même s’il fallait qu’AVEC toi je meure, non je ne te renierai pas. » Et tous les disciples dirent de même.

36

Alors Jésus part AVEC eux au domaine appelé Gethsémani et il dit à ses disciples : « Restez ici, tandis que je m’en irai là-bas pour prier. » 37 Prenant PIERRE et les deux fils de Zébédée, il commença à être triste et angoissé. 38 Alors il leur dit : « Mon âme est triste à en mourir ; demeurez ici et veillez AVEC moi. » 39 S’en étant allé un peu plus loin, il tomba sur la face, priant et disant : « Mon Père, s’il est possible, qu’elle passe loin de moi cette COUPE ! Pourtant non pas comme je veux, mais comme tu veux, toi. » 40 Puis il vient vers les disciples et il les trouve endormis, et il dit à PIERRE : « Ainsi vous n’avez pas pu veiller une seule heure AVEC moi. 41 Veillez et priez, pour ne pas entrer en tentation. L’esprit est prompt, mais la chair est faible. » 42 Étant parti encore une deuxième fois il priait disant : « Mon Père, s’il n’est pas possible que cela passe sans que je le BOIVE, que ta volonté advienne. » 43 Il revint et les trouva endormis car leurs yeux étaient appesantis. 44 Les ayant laissés, il partit encore et il priait une troisième fois, disant encore les mêmes paroles. 45 Alors il vient vers les disciples et leur dit : « Vous dormez et vous reposez ? Voici que l’heure est proche. Le Fils de l’homme va être livré aux mains des PÉCHEURS. 46 Levez-vous, allons ! Voici que celui qui me livre est proche. » 47

Tandis qu’il parlait encore, voici que vint JUDAS, l’un des Douze, et AVEC lui une foule nombreuse envoyée AVEC épées et bâtons par les grands prêtres et les anciens du peuple. 48 Celui qui le livrait leur avait donné un signe disant : « Celui que j’embrasserai c’est lui ; emparez-vous de lui. » 49 Et aussitôt, s’étant avancés vers Jésus, il dit : « Salut, Rabbi. » Et il l’embrassa. 50 Jésus lui dit : « Mon ami, fais ce pour quoi tu es ici. » Alors, s’étant avancés, ils mirent la main sur Jésus et s’emparèrent de lui. 51 Et voici un de ceux qui étaient AVEC Jésus, portant la main à son épée, la tira et, frappant le serviteur du Grand Prêtre, lui enleva l’oreille. 52 Alors Jésus lui dit : « Remets ton épée à sa place, car tous ceux qui prennent l’épée par l’épée périront. 53 Penses-tu que je ne puisse pas faire appel à mon Père qui me fournirait sur le champ plus de douze légions d’anges ? 54 Comment donc s’accompliraient LES ÉCRITURES selon lesquelles il faut qu’ainsi il advienne ? » 55 À cette heure-là Jésus dit aux foules : « Comme contre un brigand vous êtes sortis AVEC épées et bâtons pour me prendre ; or chaque jour dans le temple j’étais assis à enseigner et vous ne vous êtes pas emparé de moi. 56 Or tout cela advint pour que s’accomplissent LES ÉCRITURES des prophètes. » Alors tous les disciples le laissant s’enfuirent.

72

Le testament de Jésus

Les rapports entre les sous-séquences extrêmes (A et C) Les deuxième et avant-dernier passages de la sous-séquence A et le second passage de la sous-séquence C : le complot ourdi contre Jésus de chaque côté du centre de la première sous-séquence (3-5 ; 14-16) est mis à exécution dans le dernier passage où se retrouvent « Judas », « l’un des Douze » (14.47a) ainsi que les « grands prêtres » et « les anciens du peuple » (3.14.47b). Les passages extrêmes de la sous-séquence A et le premier passage de la sousséquence C : la fin du premier passage de la sous-séquence C (45-46) correspond aux passages extrêmes de la sous-séquence A où revient « le Fils de l’homme va être livré » (2b.45b) et où l’annonce que « l’heure est proche » (45b) reprend « mon temps est proche » (18b). Le passage central de la sous-séquence A et le second passage de la sousséquence C : « s’avancer » revient 4 fois (7a.17a.49b.50b) ; la femme s’avance pour « verser » le parfum sur la tête de Jésus (7b), Judas pour « l’embrasser » (49b ; « verser » et « embrasser » ont le même préfixe kata-) ; la femme « répand » (ballō) le parfum sur son corps (12a), la foule envoyée par les grands prêtres et les anciens du peuple « jetèrent (epi-ballō) les mains sur Jésus » (50b) ; quant aux disciples, ils « s’avancent » aussi vers Jésus, dans une intention positive comme la femme, pour demander à leur Maitre où il désire manger la Pâque (17a). Autres rapports entre les deux sous-séquences A et C « Il advint, lorsque Jésus eut achevé toutes (pantas) ces paroles » (1) et « Or tout (holon) cela advint pour que s’accomplissent » (56) font inclusion pour l’ensemble de la séquence (ces deux phrases sont propres à Mt). Comme cela a déjà été noté (voir p. 68.70), — les mots appartenant au champ sémantique de « prendre » et « donner » se retrouvent aussi dans les sousséquences extrêmes : « donner » (9b.15a. 48b), « livrer » (2b.15a.16.45b.46.48b), « fournir » (53a), « fixer » (15b), « vendre » (9b), « s’emparer de » (4a.48b.50b. 55b), « avoir » (7b.11a bis), « prendre » (37a.52b.55b), « laisser » (44a.56b), « enlever » (51b) ; — il en est de même pour les mots appartenant au champ sémantique de la mort : « crucifier » (2b), « perte » (8) et « périr » (52b ; ces deux derniers mots sont de même racine), « sépulturer » (12b), « mourir » (38a) ; — enfin, la préposition « avec » revient neuf fois dans les deux sous-séquences (11a.18b.36a.38a.40c.47a.47b.51a.55a). Il y a alternance dans la première sous-séquence entre les passages où il est question des ennemis de Jésus et ceux où Jésus est avec ses disciples ; avec cependant l’exception du quatrième passage (14-16) où Judas, l’un des Douze, rejoint les ennemis de Jésus. Un phénomène analogue se retrouve dans la dernière sous-séquence, puisque à Gethsémani Jésus est de nouveau avec ses seuls disciples (36-46), mais que dans le dernier passage les ennemis surgissent avec Judas (4756). Ce dernier passage marque un sommet de la narration, dans la mesure où tous se retrouvent mêlés, un des disciples portant même la main à l’épée comme les ennemis de Jésus.

selon saint Matthieu (Mt 26,1-56)

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26,1 Il arriva, lorsque Jésus eut achevé toutes ces paroles, qu’il dit à ses disciples : 2 « Sachez qu’après deux jours la Pâque arrive et que LE FILS DE L’HOMME va être livré pour être crucifié. » 3

Alors LES GRANDS PRÊTRES et LES ANCIENS DU PEUPLE se réunirent dans le palais du GRAND PRÊTRE, celui qui est appelé Caïphe. 4 Ils se mirent d’accord pour s’emparer de Jésus par ruse et le tuer. 5 Mais ils disaient : « Pas durant la Fête, afin qu’il n’arrive pas un tumulte dans le peuple. » 6

Comme Jésus se trouvait à Béthanie dans la maison de Simon le Lépreux, 7 une femme s’avança vers lui ayant un flacon de parfum de grand prix et ELLE LE VERSA SUR SA TÊTE tandis qu’il était à table. 8 Les disciples voyant cela s’indignèrent en disant : « En vue de quoi cette perte ? 9 Car cela aurait pu être vendu beaucoup et être donné aux pauvres. » 10 Jésus s’en apercevant leur dit : « Pourquoi causez-vous des ennuis à cette femme ? Car c’est une bonne œuvre qu’elle a accomplie pour moi. 11 Car vous avez toujours les pauvres AVEC vous, mais moi vous ne m’avez pas pour toujours. 12 Car EN RÉPANDANT CE PARFUM SUR MON CORPS, c’est pour me sépulturer qu’elle l’a fait. 13 En vérité je vous dis, partout où sera proclamée cette bonne nouvelle dans le monde entier, on parlera aussi de ce qu’elle a fait, en souvenir d’elle. » 14

Alors étant parti l’un des Douze, celui qui est appelé JUDAS Iscariote, vers LES GRANDS PRÊTRES, 15 il leur dit : « Que voulez-vous me donner, et moi je vous le livrerai ? » Ceux-ci lui fixèrent trente pièces d’argent. 16 Et à partir d’alors il cherchait le temps favorable pour le livrer. 17

Or le premier jour des Azymes, les disciples s’avancèrent vers Jésus et dirent : « Où veux-tu que nous te préparions pour manger la Pâque ? » 18 Il leur dit : « Allez à la ville chez un tel, et dites-lui : “Le maitre dit : ‘Mon temps est proche ; c’est chez toi que je ferai la Pâque AVEC mes disciples”. » 19 Et les disciples firent comme Jésus leur avait ordonné et ils préparèrent la Pâque. [...] 36

Alors Jésus part AVEC eux au domaine appelé Gethsémani et il dit à ses disciples : « Restez ici, tandis que je m’en irai là-bas pour prier. » 37 Prenant Pierre et les deux fils de Zébédée, il commença à ressentir tristesse et angoisse. 38 Alors il leur dit : « Mon âme est triste à en mourir ; demeurez ici et veillez AVEC moi. » 39 S’en étant allé un peu plus loin, il tomba sur la face, priant et disant : « Mon Père, s’il est possible, qu’elle passe loin de moi cette coupe ! Pourtant non pas comme je veux, mais comme tu veux, toi. » 40 Puis il vient vers les disciples et il les trouve endormis, et il dit à Pierre : « Ainsi vous n’avez pas pu veiller une seule heure AVEC moi. 41 Veillez et priez, pour ne pas entrer en tentation. L’esprit est prompt, mais la chair est faible. » 42 Étant parti encore une deuxième fois il priait disant : « Mon Père, s’il n’est pas possible que cela passe sans que je le boive, que ta volonté advienne. » 43 Il revint et les trouva endormis car leurs yeux étaient appesantis. 44 Les ayant laissés, il partit encore et il priait une troisième fois, disant encore les mêmes paroles. 45 Alors il vient vers les disciples et leur dit : « Vous dormez et vous reposez ? Voici que l’heure est proche. LE FILS DE L’HOMME va être livré aux mains des pécheurs. 46 Levez-vous, allons ! Voici que celui qui me livre est proche. » 47

Tandis qu’il parlait encore, voici que vint JUDAS, l’un des Douze, et AVEC lui une foule nombreuse envoyée AVEC épées et bâtons par les GRANDS PRÊTRES et LES ANCIENS DU PEUPLE. 48 Celui qui le livrait leur avait donné un signe disant : « Celui que j’embrasserai c’est lui ; emparez-vous de lui. » 49 Et aussitôt, s’étant avancé vers Jésus, il dit : « Salut, Rabbi. » Et IL L’EMBRASSA. 50 Jésus lui dit : « Mon ami, fais ce pour quoi tu es ici. » Alors, s’étant avancés, ILS JETÈRENT LES MAINS SUR JÉSUS et s’emparèrent de lui. 51 Et voici un de ceux qui étaient AVEC Jésus, portant la main à son épée, la tira et, frappant le serviteur du GRAND PRÊTRE, lui enleva l’oreille. 52 Alors Jésus lui dit : « Remets ton épée à sa place, car tous ceux qui prennent l’épée par l’épée périront. 53 Penses-tu que je ne puisse pas faire appel à mon Père qui me fournirait sur le champ plus de douze légions d’anges ? 54 Comment donc s’accompliraient les Écritures selon lesquelles il faut qu’ainsi il arrive ? » 55 À cette heure-là Jésus dit aux foules : « Comme contre un brigand vous êtes sortis AVEC épées et bâtons pour me prendre ; or chaque jour dans le temple j’étais assis à enseigner et vous ne vous êtes pas emparé de moi. 56 Or tout cela arriva pour que s’accomplissent les Écritures des prophètes. » Alors tous les disciples le laissant s’enfuirent.

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Le testament de Jésus

Les tentations de la dernière sous-séquence, celle de la dérobade et surtout celle de la violence trouvent leur pendant dans la première sous-séquence, avec celle de l’argent : Judas y succombe en vendant son maitre pour trente pièces d’argent (14-16), les autres n’y sont pas insensibles en regrettant le gaspillage du parfum (8-9). Rapports entre les trois sous-séquences Le passage central de la séquence (26-29) articule l’ensemble : d’une part le « sang [...] versé » de Jésus (28) renvoie au parfum « versé » (7), « répandu » (12) par la femme dans le passage central de la première sous-séquence ; d’autre part, « coupe » et « boire » de 27 se retrouveront dans le premier passage de la sous-séquence finale (39.42)38. Dans la sous-séquence centrale (20-35) les adversaires sont absents et Jésus est avec ses seuls disciples ; cependant, il leur prédit leur trahison (20-25 et 3035), leur révélant par conséquent de quel côté ils finiront par se retrouver (troisième sous-séquence : 36-56), le même que celui que Judas avait déjà choisi (première sous-séquence : 14-16). La double liste qui, dans la première sous-séquence, oppose de manière complémentaire le don par lequel Dieu livre Jésus et l’action des hommes qui s’emparent de lui (voir p. 41) se retrouve dans la sous-séquence centrale où Jésus se « donne » (26-29) au moment où il annonce qu’un de ses disciples s’apprête à le « -donner » (20-25) et que Pierre le « reniera » (30-35). Dans la dernière sous-séquence, avant que ses ennemis ne « s’emparent » de lui et le « prennent » (quatre fois : 47-56), Jésus s’offre à la volonté de son Père à Gethsémani (36-46) ; quant aux disciples, ils l’abandonnent (56). CONTEXTE La tentation originelle Les rapports entre le deuxième et le troisième passage de la première sousséquence et Gn 3 ont déjà été notés plus haut : d’une part en effet, la « ruse » utilisée par les grands prêtres et les anciens du peuple rappelle celle du serpent « rusé » du récit de la Genèse39 ; d’autre part, le récit de l’onction s’oppose à celui de la chute, dans la mesure où « la femme » de Béthanie donne le parfum tandis que la première femme veut s’approprier le fruit défendu40. Contrairement à la majorité des personnages présents dans la séquence qui succombent à la tentation — tous les disciples de Jésus aussi bien que les responsables du peuple —, seuls un homme et une femme y résistent, Jésus et la 38

Voir E. HAULOTTE, Le Concept de Croix, 62, qui a bien identifié le « défilé iconique » du vase (7), de la cruche (en Mc 14,13 et Lc 22,10) et de la coupe (27.39) ; voir surtout son étude en parallèle de la Cène et de l’Onction de Béthanie comme prolepses liées à la structure des récits de la Passion (47-77). 39 Voir p. 31. 40 Voir p. 43.

selon saint Matthieu (Mt 26,1-56)

75

femme de Béthanie, placés à des endroits stratégiques de la séquence, en particulier au centre des deux premières sous-séquences41. Ces deux personnages, féminin puis masculin, ne sont surement pas sans rapport — d’opposition — avec la femme et l’homme du récit du premier péché42. + JÉSUS

ANNONCE

= Les autorités

QUE SA PASSION

décident

26,1-2

EST PROCHE

de tuer

Jésus

LA FEMME VERSE SON PARFUM SUR LE CORPS DE JÉSUS = Le disciple Judas + JÉSUS

ANNONCE

décide

de vendre

QUE SA PÂQUE

Jésus

EST PROCHE

3-5 6-13 14-16 17-19

de Judas

20-25

JÉSUS DONNE SON CORPS ET LA COUPE DE SON SANG VERSÉ

26-29

Annonce de la trahison

Annonce du reniement

de Pierre

30-35

+ JÉSUS ACCEPTE DE BOIRE LA COUPE = Les disciples fuient dans le sommeil

36-46

+ LA TENTATION DE LA VIOLENCE = TOUS SE RETROUVENT CONTRE JÉSUS

47-56

Les premières tentations de Jésus La tentation de Gethsémani a déjà été mise en rapport avec la tentation centrale que Jésus subit au désert, avant de commencer son ministère43. La première tentation du désert (Mt 4,3-4) entre aussi en résonance avec la présente séquence : en effet, elle concerne le pain : « Si tu es le Fils de Dieu, dis que ces pierres deviennent des pains ». Jésus refuse de recevoir sa nourriture d’un autre que son Père. « Le pain » se retrouve, en plein centre de la première séquence de 41

Les rapports entre ces deux passages ont été étudiés p. 68. Les mots traduits par « tristesse » (Mt 26,22.37-38) renvoient aux mots de même racine qui, dans la traduction grecque des Septante, sont rendus par « peine » (Gn 3,16.17). 43 Voir p. 62. 42

76

Le testament de Jésus

la Pâque, lors de la Cène pascale (26). En outre, si cette première tentation peut être interprétée comme la tentation de la richesse44, elle se retrouve dans la première sous-séquence où Judas y succombe (14-16) et les autres disciples n’y sont pas insensibles (6-13). Quant à la troisième tentation, c’est celle où le diable demande à Jésus de « se prosterner » devant lui pour lui rendre hommage (4,9) ; à Gethsémani, Jésus « tombe sur la face » (39), mais c’est pour se soumettre à la volonté de Dieu. Le Cantique des Cantiques Le « fruit de la vigne » (29) de la coupe pascale (27) et le « parfum » de Béthanie, tous deux répandus durant un repas (au centre des deux premières sous-séquences), renvoient au Cantique où « vin » et « parfums » se retrouvent si souvent comme signes de l’amour entre la bien-aimée et le bien-aimé. Ainsi, dès le début : « Tes amours sont plus délicieuses que le vin ; l’arôme de tes parfums est exquis ; ton nom est une huile qui s’épanche » (Ct 1,2-3) ; et encore : « Que ton amour a de charmes, ma sœur, ô fiancée. Que ton amour est délicieux, plus que le vin ! Et l’arôme de tes parfums, plus que tous les baumes ! (Ct 4,10 ; voir aussi 4,11-16 ; 7,9-10 ; jusqu’au « vin parfumé » de 8,2 et aux « montagnes embaumées » qui sont les derniers mots du chant : 8,14). Tout le poème se focalise sur un banquet où les amis de l’époux sont conviés à manger, à boire et à s’enivrer des senteurs du parfum de la bien-aimée : « J’entre dans mon jardin, ma sœur, ô fiancée, je récolte ma myrrhe et mon baume, je mange mon miel et mon rayon, je bois mon vin et mon lait. Mangez, amis, buvez, enivrez-vous, mes bien-aimés ! (Ct 5,1)45. Le poème s’achève (Ct 8,7-12) sur une triple opposition entre l’amour et l’argent : « Trois obstacles : l’argent, les murs en argent d’une ville, Salomon (et son argent), — l’amour se rit des trois »46. L’alliance ou testament La séquence de Mt commence par une phrase (Mt 26,1 : « Et il arriva, lorsque Jésus eut achevé toutes ces paroles ») qui rappelle Dt 32,44-46 (Septante) : « Moïse sortit et prononça toutes les paroles de cette loi aux oreilles du peuple, lui et Josué47 fils de Nûn. Et Moïse acheva de parler à tout Israël et il leur dit :... ». Ce sont alors les toutes dernières paroles de Moïse, son testament sous forme de bénédictions (Dt 33), avant qu’il ne meure sur le mont Nébo (Dt 34). D’autre part, la séquence de Mt est centrée sur « le sang de l’alliance48 » conclue par Jésus au bénéfice de « beaucoup », « pour la rémission des péchés » (27-28). Par rapport aux alliances passées qui envisageaient le péché comme un éventuel manquement à la loi promulguée à cette occasion, c’est une caracté44

Voir, par exemple, Gnilka,, I, 139. Voir P. BEAUCHAMP, L’Un et l’Autre Testament, II, 160. 46 P. BEAUCHAMP, L’Un et l’Autre Testament, II, 169. 47 Iēsous, comme « Jésus ». 48 Le mot grec diathēkē se traduit soit par « alliance » soit par « testament ». 45

selon saint Matthieu (Mt 26,1-56)

77

ristique fondamentale de la « nouvelle alliance » que le pardon est accordé dans le moment même de sa conclusion (Jr 31,31-34)49. La nouvelle alliance est aussi très fortement marquée par la métaphore des épousailles (Jr 30,1–31,22 ; Os 1– 3 ; Is 54,1-10 ; 62,1-9 ; Ez 16), ce qui ramène à la femme de Béthanie et au Cantique des Cantiques. Le Serviteur du Seigneur La déclaration, en fin de séquence : « Or tout cela arriva pour que s’accomplissent les Écritures des prophètes » (56), est propre à Mt. Étant donné qu’elle n’introduit aucune citation explicite, elle peut être entendue comme renvoyant à l’ensemble des écrits prophétiques. Il est cependant possible de comprendre qu’elle se réfère à ce qui précède immédiatement et percevoir dans le « Comme contre un bandit... » de 26,55 une allusion à la fin du quatrième chant du Serviteur (Is 52,13–53,12 ; voir p. 61) : « et avec les rebelles il a été compté » (Is 52,12)50. Toutefois, étant donné que la formule arrive en finale et que ce sont même les dernières paroles de Jésus dans la séquence51, il semble bien que l’on puisse interpréter « tout cela » comme renvoyant à tout ce qui vient d’arriver, depuis le début (1). Or, Mt fait commencer sa séquence par une prophétie où Jésus annonce que « le Fils de l’homme va être livré » (2). Dans la Septante, ce verbe (paradidōmi) se retrouve deux fois dans le quatrième chant du Serviteur, aux extrémités des deux derniers segments (Is 53,12) : A été livrée à la mort sa vie et lui les péchés de beaucoup il portait

et parmi les sans-loi il a été compté et à cause de leurs péchés il a été livré.

Le mot « péchés » (deux fois dans la citation précédente) se retrouve au cœur du passage central de la séquence de Mt : « qui sera versé pour beaucoup en vue de la rémission des péchés » (28). Nul doute qu’il y ait là un lien très fort avec le quatrième chant du serviteur où revient avec insistance que le Serviteur porte les péchés52. INTERPRÉTATION Tous sont pécheurs... La sous-séquence centrale (20-35) est organisée autour du passage (26-29) dans lequel c’est « pour la rémission des péchés » que Jésus fait don de son corps et de son « sang de l’alliance » (28). Nommé une seule fois, mais en plein centre, le péché envahit toute la séquence. Il n’est pas une scène qui en soit 49

Voir P. BEAUCHAMP, L’Un et l’Autre Testament, I, chap. VI : « La nouvelle alliance », spécialement p. 260-263. 50 C’est ainsi que la phrase a été interprétée dans l’analyse du passage, p. 62. 51 Voir p. 62, n. 29. 52 Voir p. 61: toute la partie centrale (Is 53,4-7) ainsi que la fin (53,11-12).

78

Le testament de Jésus

exempte. Dans les passages qui encadrent la péricope centrale (20-25 et 30-35), c’est le péché de Judas (25), celui de Pierre (33-35a) et finalement de tous les disciples (35b) qui est prédit par Jésus. De là, le péché s’étend jusque dans les sous-séquences extrêmes : celui des grands prêtres et des anciens du peuple qui décident d’abord de recourir à la ruse et au mensonge pour tuer Jésus (3-5) et qui paient Judas (14-16), qui enfin envoient une foule pour se saisir de Jésus (4756). Le péché de Judas qui va trouver les grands prêtres pour vendre son maitre (14-16), et qui le désigne à ses ennemis par un baiser mensonger (48-49). Le péché de tous les autres disciples aussi qui, comme Judas, se manifestent fort intéressés par l’argent qu’on aurait pu retirer de la vente du parfum, fût-ce pour la bonne cause (8-9), et qui ont d’abord recours à la force de l’épée (51) , comme les grands prêtres et les anciens du peuple, puis à la fuite (56). Ce sont ainsi les trois formes de base de la tentation et du péché qui se dévoilent : le mensonge, la cupidité et la violence. Tous, d’une façon ou de l’autre, y sont tombés. ...sauf le nouvel Adam et la nouvelle Ève Tous succombent à la tentation sauf deux personnages, une femme et un homme : Jésus qui, au centre de la sous-séquence centrale, donne son corps et son sang « versé » (26-29), la femme anonyme qui, au centre de la première sous-séquence, « verse » le parfum sur la tête et le corps de Jésus (6-13). Si le péché des uns envahit tout l’espace de la séquence et contamine pour ainsi dire chacun de ses dix passages, le parfum de la femme semble confiné à la maison de Simon le lépreux, si bien que, la plupart du temps, on ne lui accorde pas une grande attention et qu’il n’habite pas vraiment notre mémoire. Or, de même que les parfums des amants du Cantique emplissent tout le poème, celui de la femme de Béthanie — qui est devenu celui du Christ, l’Oint du Seigneur — est destiné à embaumer tout l’espace et le temps, « partout », « dans le monde entier » (13)53. Elle, qui est la seule de tous à ne pas prononcer un seul mot, on ne cessera de raconter ce qu’elle a fait. Curieusement, c’est elle, et non pas directement le corps donné et le sang versé, qui est destinée — par Jésus lui-même — à porter le mémorial de « cette bonne nouvelle » (13), celle de la Pâque du Seigneur. Il est vrai que le péché de Judas ainsi que celui de Pierre et de tous les autres sont annoncés par Jésus, également de manière solennelle (21 et 34) et que leur mémoire en sera effectivement transmise par le récit de la Passion. Mais, introduit par le même solennel « En vérité je vous dis » (13), de toutes les actions de la séquence, ce n’est pas le péché mais le geste amoureux de la Femme qui est dit devoir passer à la postérité pour illustrer, mieux, pour donner corps à l’évangile. C’est la grâce plus que le mal qui marquera désormais le récit de la régénération. Au souvenir du premier homme et de sa femme reste attaché 53 « Ce n’est pas peu que ce parfum : par lui le nom du Christ est répandu de toutes parts. De là encore cette parole prophétique : “C’est un baume répandu que ton nom” (Cant., I, 2) : répandu, pour que la foi exhale davantage ce parfum » (AMBROISE DE MILAN, Traité sur l’Évangile de Luc, I, 241).

selon saint Matthieu (Mt 26,1-56)

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celui de leur faute qui conduit à la mort, à la mémoire de l’Époux et de l’Épouse qui inaugure le récit de la nouvelle création demeurera lié celui du don de la vie qui rachète du péché et délivre de la mort. La nouvelle création Au lendemain de la création, le premier péché s’origina dans le mensonge du serpent dont la ruse consista à nier le don de Dieu54. La faute de la femme aussitôt suivie par son homme fut de « prendre » du fruit de l’arbre interdit, de vouloir s’approprier la nourriture de la vie au lieu d’accepter de la recevoir d’un autre : « Elle prit de son fruit et elle mangea et elle donna à son homme avec elle et il mangea » (Gn 3,6), ce qui les conduit à la mort. C’est exactement le même genre de péché auquel se livrent la plupart des acteurs du drame : les grands prêtres et les anciens du peuple veulent « s’emparer » de Jésus pour le tuer (4) ; Judas le « donne » pour prendre quelques pièces d’argent (15) ; les autres disciples, indignés de voir répandre le parfum de grand prix, auraient bien voulu s’en saisir pour le vendre (8-9) ; comme Judas, tous les autres disciples sont prêts à donner leur maitre (20-25) ou à le lâcher (30-35) ; l’un d’entre eux saisira son épée pour le garder (51) et tous finiront par abandonner Jésus à ceux qui « se sont emparés » de lui (56). Prenant ou se déprenant, ils se situent tous sur le même registre de l’avoir qui a sa source dans le mensonge et déchaine la violence. Mais, dans ce monde de péché, une femme et un homme ouvrent une autre voie, celle de la vérité, du don et du pardon. Ils ne prennent pas, ils reçoivent et ils offrent. Versant le vase de parfum qui la symbolise, la femme s’offre toute entière à celui qu’elle embaume pour le bonheur de tous ceux qui se trouvent dans la maison et qui s’en trouvent parfumés eux aussi. Bien plus, devant les critiques indignées elle ne se défend pas, laissant à un autre le soin d’interpréter son œuvre. Seul celui qui se déprend totalement de sa vie peut en saisir le sens, parce qu’il s’est laissé saisir par son dessaisissement. Livrant son corps à la femme (12) et à ses disciples (29), versant son sang pour eux, il remet ainsi les péchés de beaucoup (28). Il accepte la perspective d’être donné par Judas, l’un des Douze (20-25), et d’être repoussé par Pierre (30-35). Avant d’être « laissé » par tous (56), il ne refuse pas leur abandon et il accepte de les « laisser » et de « partir » (44), se déprenant de leur présence comme de leur péché. Il refuse de se défendre quand on vient mettre la main sur lui (51-54). Il accepte la volonté de son Père (39.42) qu’il a su accueillir dans les Écritures (24.31.54.56). Assumées par le nouvel Adam, la « malédiction » et les « peines » qu’avait entrainées la faute originelle pour tous les fils du premier Adam (Gn 3,14-19) peuvent maintenant être transformées en « bénédiction » et « action de grâce » (26-27) pour « beaucoup ».

54

Voir P. BEAUCHAMP, L’Un et l’Autre Testament, II, 118.140-147.

80

Le testament de Jésus

Si le refus du don de Dieu par nos premiers parents fut une véritable décréation, le don du nouvel Adam et de la nouvelle Ève qui symbolise l’Église, Épouse du Christ, inaugure en vérité une nouvelle création. La nouvelle alliance Le péché du premier homme et de la première femme avaient signé la rupture de l’alliance originelle qui marquait la relation filiale entre le Créateur et ceux qui avaient été conçus pour être à son image et à sa ressemblance (Gn 1,26). Conclue à nouveau avec Noé, à l’aurore de la nouvelle création qui fit suite au déluge (Gn 9,1-18), la nouvelle alliance scellée entre Dieu et les hommes ne devait pas empêcher la confusion de renaitre aussitôt, avec la perversion dans l’ordre de la filiation (Gn 9,18-27) puis avec l’orgueil de ceux qui voulurent pénétrer les cieux (Gn 11,1-9) qui n’est pas très différent dans son essence du péché de Cham voulant entrainer ses frères à regarder la nudité de leur père. Pardelà l’alliance avec Abraham, l’alliance du Sinaï entre Dieu et son peuple (Ex 24) inaugure une série ininterrompue de tentations et d’infidélités de la part du peuple, nécessitant châtiments et reconductions successives de l’alliance ; l’épisode du veau d’or et du renouvellement de l’alliance (Ex 32–34), pour n’être que le premier de la série, est emblématique de la logique du péché dont l’homme est incapable de sortir. Ce qui conduira inexorablement à la mort d’Israël par la déportation à Babel55. C’est alors qu’il fut donné aux prophètes de ce temps de voir qu’il ne pourrait être de salut véritable que dans une « nouvelle alliance » dont la bénédiction reposerait non plus sur l’observation conditionnelle de la loi, mais sur le pardon inconditionnel des péchés. Telle est l’alliance instituée par Jésus. Elle n’exige rien d’autre que ce qu’elle donne, « la rémission des péchés » (28). Elle n’attend en aucune façon la fidélité et la justice ; au contraire elle annonce, bien plus elle accepte l’infidélité et l’injustice, elle prend en compte le péché, sous toutes ses formes — jalousie, mensonge, avidité, violence, parjure, abandon — et d’où qu’il vienne, même et surtout des plus proches, l’un des Douze, tous les Douze. Mais pour être vraiment réelle, cette prise en compte du péché se devait d’être aussi corporelle que le péché lui-même. C’est pourquoi il fallait que ce soit un homme qui porte dans son corps et par son sang le péché de la multitude. « Mon juste Serviteur justifiera des multitudes » Même si Mt ne cite pas explicitement Isaïe dans sa première séquence, le fait qu’il l’ait construite — et lui seul — autour de la « rémission des péchés » pour « les multitudes » (28) laisse penser que les dernières paroles que Jésus prononce : « Or tout cela est arrivé pour que s’accomplissent les Écritures des prophètes » (56), renvoient tout spécialement à la figure de celui que dépeint le « quatrième chant du Serviteur » (Is 52,13–53,12). Comme lui, Jésus « le juste 55 Voir P. BOVATI – R. MEYNET, La Fin d’Israël, 158-162 ; ID., Le Livre du Prophète Amos, 393-405

selon saint Matthieu (Mt 26,1-56)

81

serviteur justifiera les multitudes en portant leurs péchés » (Is 53,11), « du fait qu’il a offert à la mort son âme et qu’il a été compté avec les criminels, qu’il a porté la faute des multitudes et supporté pour les criminels » (Is 53,12). C’est ainsi que s’achève le quatrième chant du Serviteur et c’est sur cette même image de Jésus, saisi « comme un brigand » (55), que la séquence de Mt laisse le lecteur méditer « les Écritures des prophètes » (56). Bien que maltraité comme ne le serait pas un esclave, arrêté pour être conduit à la mort, et à la mort de la croix, ce mode d’exécution réservé dans l’empire romain à ceux qui ne sont pas des hommes libres, le Serviteur n’est pourtant pas un esclave. Si, aux yeux des hommes, il a été livré par un des siens, si on s’est emparé de lui comme l’on fait des brigands, Mt le présente, au coeur de la séquence, comme celui qui donne sa vie, de lui-même, librement. Ne cessant jamais d’appeler Dieu du nom de « Père » (29.39.42.53), celui qui se nomme « le Fils de l’homme » (2.24.45) se révèle ainsi comme le véritable Fils de Dieu.

ENVOI « On voudrait être un baume versé sur tant de plaies » « La femme » de Béthanie n’a pas de nom dans le récit de Mt et acquiert de ce fait, à l’instar de « la femme » des récits d’origine, le statut de figure. Cette femme, épouse du Bien-aimé, Oint par Dieu, et Oint par elle, représente l’Église, Épouse du Christ. Comme beaucoup d’autres personnages anonymes des Évangiles, cette femme est destinée aussi à jouer le rôle de miroir où le lecteur est invité à reconnaitre sa propre image, de modèle auquel se conformer. Il devait donc arriver, au cours de l’histoire, que certaines personnes se soient identifiées — consciemment ou non — non seulement à la Femme au parfum mais aussi à Jésus lui-même, à la fois à l’Époux et à l’Épouse. Ainsi, le Journal de Etty Hillesum s’achève sur ces deux phrases qui encadrent un paragraphe sur Rilke : J’ai rompu mon corps comme le pain et l’ai partagé entre les hommes. Et pourquoi pas ? Car ils étaient affamés et sortaient de longues privations. [...] On voudrait être un baume versé sur tant de plaies 56.

Savait-elle, en écrivant ces phrases, qu’elles seraient les dernières de son Journal, comme son testament ? Le fait est que cette juive hollandaise se trouvait alors, elle aussi, sur le point d’être arrêtée, pour être finalement conduite à Auschwitz où elle devait périr le 30 novembre 1943, dans sa trentième année. 56

E. HILLESUM, Une Vie bouleversée. Journal 1941-1943, 229.

CHAPITRE II

L’Alliance du Maitre pour la multitude des disciples (Mc 14,1-52)

La première séquence de la Pâque chez Mc compte neuf passages organisés de façon concentrique : les première et dernière sous-séquences (1-11 et 43-52) se répondent. Ce sont ensuite deux passages symétriques (12-16 et 32-42) qui encadrent la sous-séquence centrale (17-31)1. Les autorités L’ONCTION JUDAS

cherchent à

tuer

Jésus

14,1-2 3-9

DE PARFUM

cherche

Les disciples invités

à

donner

À MANGER

Jésus annonce la trahison

Jésus

LA PÂQUE

10-11

avec Jésus

17-21

d’un disciple

LA CÉLÉBRATION DE LA PÂQUE Jésus annonce l’abandon

Les disciples invités

JUDAS LE COUP Les disciples

À BOIRE

trahit

Jésus

D’ÉPÉE

abandonnent

22-25 26-31

d’un disciple

LA COUPE

12-16

avec Jésus

32-42

43-46 47

Jésus

48-52

1 Voir C. WIÉNER, « Le mystère pascal dans le deuxième évangile. Recherches sur la construction de Marc 14–16 ».

84

Le testament de Jésus A. LA MORT DE JÉSUS SE PRÉPARE (Mc 14,1-11)

La sous-séquence comprend : « Les autorités cherchent à tuer Jésus » (1-2), « L’onction de Béthanie » (3-9), « Judas cherche à livrer Jésus » (10-11). 1. LES AUTORITÉS CHERCHENT À TUER JÉSUS (Mc 14,1-2) COMPOSITION DU PASSAGE + 1 Or c’était la Pâque et les Azymes après deux jours . et ils cherchaient LES GRANDS PRÊTRES ET LES SCRIBES comment, s’emparant de lui par ruse, ils le tueraient. + 2 Car ils disaient : « Pas durant la fête, . de peur qu’il y ait un tumulte du

PEUPLE.

Les premiers membres des segments extrêmes se correspondent, car « la fête » (2a) est celle de « la Pâque et les Azymes » (1a)2 ; dans les seconds membres, « le peuple » (2b) s’oppose aux « grands prêtres et scribes » (1b), car ces derniers craignent que le peuple ne réagisse à leur dessein par la force. Dans le segment central (1cd) sont énoncés le dessein des sanhédrites et le moyen qu’ils entendent utiliser pour y arriver. COMPARAISON SYNOPTIQUE (voir Mt 26,1-2 : p. 28 et Mt 26,3-5, p. 30) L’unique passage de Mc compile, pour ainsi dire, les deux premiers passages de Mt. L’annonce faite par Jésus chez Mt (1-2) devient chez Mc une simple phrase narrative d’introduction qui précise le temps de l’action des responsables : ainsi la conscience de Jésus et l’annonce qu’il fait à ses disciples que Mt met en exergue de son récit de la Pâque disparait totalement chez Mc. « La Pâque » de Mt 26,2c est appelée « la Pâque et les Azymes » par Mc 14,1a (les deux ne forment qu’une seule solennité : « la fête » en Mc 14,2b). Les « anciens du peuple » de Mt (3b) sont remplacés par « les scribes » chez Mc (1d)3 ; ces deux groupes représentent, avec « les grands prêtres », les trois composantes du grand sanhédrin. Mc ne parle pas d’une réunion officielle des sanhédrites chez le Grand Prêtre Caïphe comme Mt (3). Cependant la motivation de la « ruse » est la même dans les deux évangiles (Mt : 5 ; Mc : 2). 2 La Pâque se célèbre le 14 Nisan (soit à la pleine lune qui suit l’équinoxe de printemps) ; durant le repas festif de la nuit (donc le 15, puisque le jour commence à la tombée de la nuit), l’on mangeait dans les maisons l’agneau pascal immolé l’après-midi précédent dans le temple, selon les prescriptions de Ex 12,1-14 (depuis la destruction du temple, les Juifs, ne pouvant plus y sacrifier, ne mangent plus l’agneau durant le repas pascal). Les huit jours qui suivent la Pâque proprement dite sont la fête des Azymes, durant laquelle on mange des pains « sans levain », c’est-à-dire « azymes » (Ex 14,15-20). Voir p. 38. 3 Ainsi disparait l’inclusion formée par les deux occurrences du mot « peuple » qui, en Mt, marquait davantage l’opposition entre les responsables et le peuple (voir p. 30).

selon saint Marc (Mc 14,1-52) Mt 26,1-5

85 Mc 14,1-2

1

Et il advint, lorsque Jésus eut achevé toutes ces paroles, qu’il dit à ses disciples : 2 « Sachez que APRÈS DEUX JOURS LA PÂQUE va-arriver

1

Or c’était LA PÂQUE APRÈS DEUX JOURS :

et les Azymes

et que le Fils de l’homme va être -donné pour être crucifié. » 3

ET cherchaient LES GRANDS PRÊTRES ET les scribes

Alors se réunirent LES GRANDS PRÊTRES les anciens du peuple dans le palais du Grand Prêtre qui est dit Caïphe. ET

····························································· 4

ET se mirent d’accord afin que de Jésus PAR RUSE ILS S’EMPARENT et LE TUENT. 5

Or ILS DISAIENT : « PAS DURANT LA FÊTE, afin qu’UN TUMULTE n’arrive pas dans le PEUPLE. »

comment, de lui PAR RUSE S’EMPARANT, ILS LE TUERAIENT. 2

Car ILS DISAIENT : « PAS DURANT LA FÊTE, de peur qu’il y ait UN TUMULTE du PEUPLE.

CONTEXTE « Azymes » (« sans levain ») et « ruse » semblent s’opposer. Mc n’utilise « levain » qu’une seule fois (Mc 8,15), pour désigner l’attitude des pharisiens et d’Hérode envers Jésus ; ce qui renvoie à 8,11 où les même pharisiens veulent « le mettre à l’épreuve ». Mt 16,6 désigne « le levain des pharisiens » comme leur « enseignement » (Mt 16,12) ; Lc est plus explicite quand il dénonce « le levain, c’est-à-dire l’hypocrisie (ou la fausseté) des pharisiens » (Lc 12,1). 1Co 5,8 définit les azymes comme « pureté et vérité », c’est-à-dire le contraire de la fausseté ou de la « ruse ». Il n’est pas interdit de penser que l’adjonction de « Azymes » par Mc ait justement pour fonction — voulue ou non — de suggérer le paradoxe et le scandale de la situation4. « La Pâque » désignant aussi bien l’agneau pascal que la fête, le rapport entre le sacrifice de Jésus et celui de l’agneau est marqué par le fait que Jésus sera « tué » durant « la Pâque » (ce sont les lexèmes extrêmes du verset 1).

4

À signaler que D supprime à la fois « et les Azymes » et « par ruse » !

86

Le testament de Jésus

INTERPRÉTATION Le sens de la fête des Azymes Voulant utiliser « la ruse » pour s’emparer de Jésus (1c), les plus hautes autorités pervertissent le sens des Azymes (1a). Alors qu’ils auraient dû au contraire se débarrasser du levain de leur hypocrisie. Ce n’est pas l’incompatibilité de la célébration et de leur dessein qui les inquiète, mais uniquement la peur de la réaction du peuple qu’ils savent inévitable. Ce qu’ils veulent éviter se réalisera cependant, et, malgré eux, la Pâque de Jésus s’accomplira bien « durant la fête » (2a). Jésus deviendra ainsi le véritable agneau pascal, immolé pour la libération définitive de l’esclavage et du péché. Ainsi se révèle l’opposition entre Jésus qui accomplit la Pâque en vérité, et les chefs du peuple qui dénaturent la signification des Azymes. 2. L’ONCTION DE BÉTHANIE (Mc 14,3-9) COMPOSITION DU PASSAGE Dans la première partie le premier segment présente le lieu où se trouve Jésus ; les deux segments suivant décrivent ce que la femme qui survient fait pour Jésus. Les deux derniers membres de la dernière partie mettent en relation « ce qu’elle a fait » et « la bonne nouvelle ». La première partie est le récit de ce qu’a fait cette femme « à Béthanie », la dernière annonce le récit qu’on en fera « partout », « dans le monde entier ». La deuxième et l’avant-dernière partie (4-5c ; 6-8) rapportent les reproches de « certains » et la réponse de « Jésus ». Après la phrase de récit introductive, ces deux parties commencent par une question. Dans l’avant-dernière, le morceau central est encadré par deux phrases parallèles (6d.8a) : la « bonne œuvre » que la femme a accomplie, « ce qu’elle a pu » est interprété en 8b. Le morceau central de l’avant-dernière partie (7) correspond au deuxième morceau de la seconde (5abc). La partie centrale (5d) est une phrase de récit qui rappelle la première phrase de la deuxième partie (4a), mais cette fois-ci l’indignation se retourne contre la femme. Les deux premières parties sont reliées pas la mention du prix du parfum (3e.5b) ; les deux dernières parties par la reprise du même verbe « elle a fait » (8a.9c).

selon saint Marc (Mc 14,1-52) : 3 Comme il était à Béthanie : dans la maison de Simon le Lépreux, : comme il était-à-table, – vint une femme - AYANT UN FLACON DE PARFUM

d’un nard pur de grand prix.

- AYANT BRISÉ LE VASE, – elle (le) versa sur sa tête. . 4 Il y en avait certains

s’indignant

entre eux :

= « En vue de quoi cette perte du parfum est-elle advenue ? ··············································································

+ 5 Car il aurait pu + être vendu + et être donné ET ILS

ce parfum plus de trois cents deniers aux pauvres ! »

S’IRRITAIENT

CONTRE ELLE.

. 6 Mais Jésus dit : = « Laissez-la ; = pourquoi lui causez-vous des ennuis ? . UNE BONNE ŒUVRE

elle a accomplie pour moi.

·····················································································

+ 7 Car toujours

les pauvres vous avez

avec vous

- et quand vous voulez, - vous pouvez leur faire du bien, + mais moi

pas toujours

vous avez.

·····················································································

. 8 CE QU’ELLE A PU ELLE A FAIT : . d’avance elle a parfumé mon corps en vue de LA SÉPULTURE. : 9 En vérité je vous dis : – Partout où sera proclamée – aussi CE QU’ELLE A FAIT

LA BONNE NOUVELLE

on en parlera

dans le monde entier, en souvenir d’elle. »

87

88

Le testament de Jésus

COMPARAISON SYNOPTIQUE (voir Mt 26,6-13, p. 33) Pour la première partie, les différences sont presque uniquement d’ordre stylistique : l’unique phrase de Mt 26,6-7 coule de manière plus élégante que les deux phrases de Mc 14,3. Mc ajoute le bris du vase ainsi que « d’un nard pur » (3fg), mais Mt insiste sur le fait que la femme a « versé » le parfum (7d) en employant le synonyme « répandre » en 12a. Dans la dernière partie, le parallélisme des deux derniers membres est plus régulier en Mt 26,13 qu’en Mc 14,9 ; à noter en outre qu’en ajoutant le démonstratif « cette » à « la bonne nouvelle », Mt (13b) assure un lien plus marqué avec ce qui précède. Mt 26, 6-13

Mc 14,3-9

6

OR COMME Jésus se trouvait À BÉTHANIE, DANS LA MAISON DE SIMON LE LÉPREUX, 7

VINT-vers lui UNE FEMME AYANT UN FLACON DE PARFUM

très précieux

3

OR COMME il était À BÉTHANIE, DANS LA MAISON DE SIMON LE LÉPREUX, COMME IL ÉTAIT À TABLE, VINT UNE FEMME AYANT UN FLACON DE PARFUM d’un nard pur de grand prix. Ayant brisé le vase, ELLE LE VERSA SUR SA TÊTE.

et ELLE LE VERSA SUR SA TÊTE COMME IL ÉTAIT À TABLE. 8

OR voyant (cela) les disciples S’INDIGNÈRENT en disant : « EN VUE DE QUOI CETTE PERTE ?

4

·····························································

·····························································

OR il y en avait certains à S’INDIGNER entre eux : « EN VUE DE QUOI CETTE PERTE du parfum est-elle advenue ?

9 CAR cela très-cher

AURAIT PU ÊTRE VENDU

ET ÊTRE DONNÉ AUX PAUVRES.

»

5

CAR ce parfum AURAIT PU ÊTRE VENDU plus de trois cents deniers ET ÊTRE DONNÉ AUX PAUVRES ! » Et ils s’irritaient contre elle.

10

OR s’en apercevant, JÉSUS leur DIT : « POURQUOI CAUSEZ-VOUS DES ENNUIS à cette femme ?

6

OR JÉSUS DIT : « Laissez-la ; POURQUOI lui CAUSEZ-VOUS DES ENNUIS

?

····························································-

Car C’EST UNE BONNE ŒUVRE QU’ELLE A ACCOMPLIE POUR MOI. 11

CAR VOUS AVEZ TOUJOURS LES PAUVRES AVEC VOUS, MAIS MOI VOUS NE M’AVEZ PAS POUR TOUJOURS.

C’EST UNE BONNE ŒUVRE QU’ELLE A ACCOMPLIE POUR MOI. ····························································· 7

CAR VOUS AVEZ TOUJOURS LES PAUVRES AVEC VOUS et quand vous voulez, vous pouvez leur faire du bien, MAIS MOI VOUS NE M’AVEZ PAS TOUJOURS. ·····························································

12

Car en répandant ce PARFUM sur MON CORPS c’est pour ma SÉPULTURE QU’ELLE L’A FAIT. 13

EN VÉRITÉ JE VOUS DIS : PARTOUT OÙ SERA PROCLAMÉE cette BONNE NOUVELLE DANS LE MONDE ENTIER, ON PARLERA AUSSI DE CE QU’ELLE A FAIT, EN SOUVENIR D’ELLE. »

8 Ce qu’elle a pu, ELLE L’A FAIT : d’avance elle a PARFUMÉ

MON CORPS

en vue de la SÉPULTURE. 9

EN VÉRITÉ JE VOUS DIS : PARTOUT OÙ SERA PROCLAMÉE la BONNE NOUVELLE DANS LE MONDE ENTIER, AUSSI DE CE QU’ELLE A FAIT ON PARLERA EN SOUVENIR D’ELLE. »

selon saint Marc (Mc 14,1-52)

89

Dans la deuxième partie Mt précise que ce sont « les disciples » (8a) qui s’indignent, alors que chez Mc ce sont « certains » (4a) qui peuvent donc ne pas être des disciples, ou tout au moins pas seulement ; Mc précise le prix du parfum, « plus de trois cents deniers » (5b), au lieu du simple « très cher » de Mt (9b)5. L’avant-dernière partie est plus développée chez Mc que chez Mt ; Mc ajoute « Laissez-la » (6a), puis 7cd et enfin 8a, ce qui change quelque peu la structure de la partie. Enfin Mc ajoute 5d, « Et ils s’irritaient contre elle », qui forme la partie centrale de son passage. INTERPRÉTATION Le sens global du passage de Mc est le même que celui de Mt. Les variations d’ordre stylistique, c’est-à-dire les différences de vocabulaire, de découpage syntaxique, d’ordre des mots, les adjonctions que l’on peut dire explicatives (comme celles de 7b et de 8a par exemple), celles qui fournissent des détails supplémentaires (comme le bris du vase et les « trois cents deniers »), les abréviations (comme le simple « Mais Jésus dit » de 6a au lieu du « Jésus s’en apercevant, leur dit » de Mt 26,10a dont la fonction est de mieux marquer le rapport entre 10a et 8a), tout cela n’a guère de retentissement sur la signification de l’épisode. Tout au plus peut-on apprécier le style de chacun des deux évangélistes : Mc est plus circonstancié qui donne plus de détails concrets, Mt est plus clair, ou en tous cas plus régulier, qui marque davantage les parallélismes. Cependant, il est trois variations qui pourraient avoir une certaine incidence sur l’interprétation. La première est le lien que le démonstratif de Mt, dans l’expression « cette bonne nouvelle » (Mt 26,13b), semble marquer, de manière plus explicite, avec ce qui précède, à savoir la « sépulture » (12b). La deuxième est l’adjonction faite par Mc de la phrase « Et ils s’irritaient contre elle » (14,5d), qui se trouve ainsi former la partie centrale du passage. Cette précision semble ne pas être seulement un détail pittoresque de plus. Elle ajoute un élément significatif : les opposants de Mc sont non seulement coupables d’incompréhension, comme chez Mt, mais aussi de violence contre la femme. La troisième est que ceux qui s’indignent (4a) ne sont pas désignés comme faisant partie du groupe des disciples comme en Mt (26,8a).

5

Il est possible de se demander si ce chiffre de « trois cents » ne correspondrait pas en quelque sorte aux « trente pièces d’argent » dont parle Mt dans le passage qui suit l’onction à Béthanie ; Mc ne précise par la somme que les grands prêtres ont promis de donner à Judas.

90

Le testament de Jésus

3. JUDAS CHERCHE À LIVRER JÉSUS (Mc 14,10-11) COMPOSITION DU PASSAGE + 10 Et Judas + s’en alla

Iscariote, l’un des Douze, vers les grands prêtres – afin que le leur -DONNER.

: 11 Or ceux-ci : se réjouirent

ayant entendu, et promirent – de lui

de l’argent.

DONNER

+ Et il cherchait – comment

il le

-DONNERAIT

au bon-moment.

Le sujet du premier segment et du dernier est Judas, tandis que dans le deuxième ce sont les grands prêtres (« ceux-ci »). Les derniers membres de chaque segment comprennent chacun un verbe de la même famille : « -donner » (para-didōmi) aux extrémités, « donner » (didōmi) au centre. COMPARAISON SYNOPTIQUE (voir Mt 26,14-16, p. 36) Mt 26,14-16 14

Alors venant UN DES DOUZE, celui qui est dit JUDAS ISCARIOTE, VERS LES GRANDS PRÊTRES, 15 il dit : « Que voulez-vous me donner et moi je vous LE -DONNERAI ? » ························································· “OR CEUX-CI

lui pesèrent trente pièces d’ARGENT.”

Mc 14,10-11 10

Et JUDAS ISCARIOTE, UN DES DOUZE, alla VERS LES GRANDS PRÊTRES afin de LE leur -DONNER. 11

OR CEUX-CI ayant entendu, se réjouirent et promirent de lui donner de l’ARGENT.

························································· 16

ET à partir d’alors IL CHERCHAIT le BON-MOMENT afin de LE -DONNER.

ET IL CHERCHAIT comment lui au BON-MOMENT IL -DONNERAIT.

La version de Mc est assez différente de celle de Mt : chez Mc, Judas ne demande pas d’argent (Mt : 15a), les grands prêtres « se réjouissent » (Mc : 11b), la somme n’est pas versée (Mt : 15d) mais seulement promise (Mc : 11bc), le jeu entre « -donner » et « donner » est marqué d’une autre façon (Mt : 15a. 15b.16b ; Mc : 10d.11c.11e). Mt focalisait son passage sur une citation de l’Écriture qui précisait la somme versée à Judas (15cd), ce que n’a pas fait Mc.

selon saint Marc (Mc 14,1-52)

91

INTERPRÉTATION La joie et la prudence des grands prêtres Les grands prêtres ne savaient pas comment s’y prendre pour s’emparer de Jésus par ruse (Mc 14,1-2). Or voici que la solution se présente d’elle-même en la personne de Judas, un des disciples de Jésus, d’où leur joie (11b). Ils sont tellement contents que d’eux-mêmes ils proposent de payer le prix d’une telle aubaine (11bc). Mais pas immédiatement toutefois. À une promesse, ils répondent par une promesse : « Donnant, donnant ». Le mystère de Judas En ce qui concerne Judas, Mc ne dit pas s’il s’attendait à recevoir une récompense, il ne précise pas non plus s’il acceptera d’encaisser l’argent ou s’il le refusera. En tous cas il ne dit pas qu’il ait réclamé quoi que ce soit ; l’initiative en revient aux seuls grands prêtres. Si ce n’est pas l’appât du gain — comme l’affirme Mt — qui a motivé la démarche de Judas, pourquoi donc est-il allé proposer aux ennemis déclarés de Jésus de le leur livrer ? Mc laisse entièrement dans l’ombre la raison d’un tel geste. Il se contente de le rapporter, comme un fait brut qu’il ne tente même pas d’expliquer. Sans doute, le lecteur est-il invité à écouter ce que dit Mc, sans rien ajouter, et à respecter le mystère de Judas.

92

Le testament de Jésus

4. LA MORT DE JÉSUS SE PRÉPARE (Mc 14,1-11) COMPOSITION DE LA SOUS-SÉQUENCE 14,1 Or c’était la Pâque et les Azymes après deux jours : les grands prêtres et les scribes 2 CHERCHAIENT COMMENT, s’emparant de lui par ruse, ils le TUERAIENT. Car ils disaient : « PAS DURANT LA FÊTE, de peur qu’il y ait un tumulte du peuple. 3

Tandis qu’il était à Béthanie, dans la maison de Simon le Lépreux, tandis qu’il était à table, vint une femme ayant un flacon de parfum d’un nard pur de grand prix. Ayant brisé le vase, elle le versa sur sa tête. 4

Il y en avait certains à s’indigner entre eux : « En vue de quoi cette perte du parfum est-elle advenue ? 5 Car ce parfum aurait pu être vendu PLUS DE TROIS CENTS DENIERS et être donné aux pauvres ! » Et ils s’irritaient contre elle. 6

Mais Jésus dit : « Laissez-la ; pourquoi lui causez-vous des ennuis ? C’est une bonne œuvre qu’elle a accomplie pour moi. 7 Car vous avez toujours les pauvres avec vous et quand vous voulez, vous pouvez leur faire du bien, mais moi vous ne m’avez pas toujours. 8 Ce qu’elle a pu, elle l’a fait : d’avance elle a parfumé mon corps en vue de la SÉPULTURE. 9

En vérité je vous dis : partout où sera proclamée la bonne nouvelle dans le monde entier, aussi ce qu’elle a fait on en parlera en souvenir d’elle. » 10

Judas Iscariote, l’un des Douze, alla vers les grands prêtres afin de le leur -donner. 11 Ayant entendu, ils se réjouirent et lui promirent de lui donner DE L’ARGENT. Et il CHERCHAIT COMMENT il le -donnerait AU BON-MOMENT.

Les passages extrêmes se répondent : s’y retrouvent « les grands prêtres » (1a.10a), mais avec Judas à la fin (10a) ; les uns et l’autre « cherchent comment » tuer Jésus (1b) ou le donner (11c) ; les uns cherchent à « s’emparer » de Jésus, l’autre propose de le leur « donner » ; les moyens mis en œuvre par les grands prêtres sont « la ruse » au début (1b), « l’argent » à la fin (11b). Entre ces deux courts passages, un passage nettement plus long (3-9). Le lien entre les deux premiers passages est marqué par la correspondance entre « tuer » (1b) et « sépulture » (8b) qui annoncent tous deux la mort de Jésus. Le lien entre les deux derniers passages est marqué par la correspondance entre « plus de trois cents deniers » (5ab) et « de l’argent » (11b) ; en outre, lié à l’argent, le verbe « donner » (auquel correspond « être vendu » en 5a) est repris dans les deux cas (5b.11b). Ainsi la liste des verbes de possession traverse toute la sous-séquence : « s’emparer » (1b), « être vendu » et « donner » (5ab), ainsi que les trois occurrences de « donner » (ou « -donner » en 10a.11b.11c), liste à laquelle il faut ajouter « avoir » (7a ; aussi en 3b) et « ne pas avoir » (7bc), car ils concernent encore Jésus.

selon saint Marc (Mc 14,1-52)

93

COMPARAISON SYNOPTIQUE (voir Mt 26,1-19, p. 41) Mt 26,1-19 + Jésus annonce sa passion = Les autorités décident de tuer Jésus

Mc 14,1-11 1-2

3-5

L’ONCTION POUR LA SÉPULTURE 6-13 = Judas le disciple décide de vendre Jésus + Préparation de la Pâque

14-16

= Les autorités décident de tuer Jésus

1-2

L’ONCTION POUR LA SÉPULTURE

3-9

= Judas le disciple décide de livrer Jésus

10-11

17-19

La première sous-séquence de Mc est assez différente de celle de Mt. Elle compte seulement trois passages au lieu de cinq en Mt : en effet, d’une part il n’y a pas en Mc d’équivalent réel du premier passage de Mt (26,1-2), d’autre part le récit de la préparation de la Pâque n’entre pas dans la sous-séquence de Mc, tandis qu’elle en fait partie chez Mt. Cependant, l’onction de Béthanie est au centre des deux constructions. Ainsi, chez Mc, la sous-séquence commence avec le complot des ennemis de Jésus et non pas, comme chez Mt, par l’initiative de Jésus, et de Dieu6. INTERPRÉTATION La fin de Jésus Ceux qui s’indignent du geste de la femme et de son gaspillage ne sont peutêtre pas conscients de ce qui se trame contre Jésus, ils n’en sont pas moins impliqués eux aussi. Tous les autres sont au courant. Les grands prêtres et les scribes évidemment, eux qui ont décidé de le tuer (1), mais aussi Judas, qui n’aurait pas pris le risque de sa démarche auprès des grands prêtres (10-11) s’il n’avait pas su quel était leur dessein, Jésus enfin qui non seulement annonce sa sépulture (8b), mais, en acceptant l’hommage de la femme, prévoit sans doute qu’il périra dans de telles conditions qu’il ne pourra pas être oint de parfum selon la coutume. La fin de Jésus n’est pas seulement annoncée, par Jésus aussi bien que par l’évangéliste, elle est anticipée par le rite de l’onction qui, par la force des choses, sera omis au temps où il aurait dû être accompli.

6

Sur le rapport entre les passages extrêmes de la sous-séquence de Mt, voir p. 73.

94

Le testament de Jésus

Problème d’argent Marc ne précise pas si c’est Judas qui, d’un œil expert, a évalué le prix du parfum, ni s’il était l’un de ceux qui se sont indignés de ce qui leur paraissait du gaspillage, ni même tout simplement s’il était présent lors de l’onction de Béthanie. Il ne dit pas non plus, comme Matthieu, que le mobile de sa trahison fut l’appât du gain. Il n’est même pas sûr qu’il ait encaissé l’argent promis (11), car il n’en sera plus jamais question par la suite. Marc ne désigne pas qui a récriminé contre la femme (4a), et, si l’on peut penser que les disciples étaient là et ont réagi, il est tout aussi loisible d’imaginer qu’ils n’étaient pas les seuls et que certains des dirigeants, scribes ou autres, auraient très bien pu se trouver aussi parmi les témoins de la scène et y participer. Quoi qu’il en soit, l’indétermination de Marc est probablement significative : si les protagonistes de la controverse ne sont pas nommés, cela signifie que tous les acteurs du drame en étaient capables ; et que le lecteur ne fait pas exception. De même pour l’argent de la trahison, si Marc ne dit pas que Judas l’ait demandé, il ne dit pas non plus que ce soient les grands prêtres qui le lui aient proposé, mais qu’ils le lui ont « promis » (11b) ; nouvelle incertitude où est laissé le lecteur, qui devrait contribuer à l’impliquer lui aussi. Question de parfum Si l’argent (5 et 11) tient une telle place au moment où la mort de Jésus se joue, c’est qu’il doit entretenir avec elle un rapport étroit. La mort est une des occasions de la vie où l’on dépense le plus, et apparemment le plus en vain : les aromates sont couteux et sont aussitôt abandonnés au tombeau avec le corps. Un gaspillage insensé, alors qu’il y a tant de pauvres ! « Sans fleurs ni couronnes, adressez vos dons à la ligue contre le cancer. » L’argent comme ultime défense contre la mort, comme rempart posthume contre la peur de mourir. Une sorte d’idole à laquelle on est prêt à sacrifier la vie d’un homme, pourvu que ce soit un autre que soi-même bien sûr. L’argent peut avoir l’odeur de la mort. Jésus qui donne sa vie gratuitement, accepte le don gratuit et, en quelque sorte, insensé du parfum, comme le Seigneur agrée celui des sacrifices dans la mesure où ce gaspillage sacré signifie la reconnaissance du don gratuit de Dieu et l’abandon de sa vie entre les mains de Celui qui l’a accordée.

selon saint Marc (Mc 14,1-52)

95

B. LES DISCIPLES INVITÉS À MANGER LA PÂQUE AVEC JÉSUS (Mc 14,12-16) COMPOSITION DU PASSAGE + 12 Et le premier jour des Azymes, + quand ils immolaient la Pâque, + ses disciples lui disent : : « OÙ veux-tu que nous allions PRÉPARER : afin que tu manges LA PÂQUE ? » = « Allez dans la ville = et vous rencontrera un homme 13

Et il envoie deux de ses disciples

et il dit à eux :

:: accompagnez-le :: 14 et OÙ il entrera,

portant une cruche d’eau ; dites au maitre-de-maison que :

··················································································

“Le Maitre dit : . ‘OÙ est ma salle, . OÙ je mangerai LA PÂQUE avec mes disciples ?’ ··················································································

= 15 Et lui vous montrera = une salle-haute grande, garnie, préparée ; :: et LÀ PRÉPAREZ pour nous. » + 16 Et sortirent les disciples + et ils vinrent à la ville, : et ils trouvèrent : comme il leur avait dit : et ils PRÉPARÈRENT LA PÂQUE.

Les parties extrêmes sont brèves, tandis que la partie centrale (13-15) qui rapporte les paroles de Jésus est beaucoup plus développée. Dans la première partie les disciples demandent à Jésus où « préparer [...] la Pâque » (12de), dans la dernière ils exécutent les ordres de Jésus et « préparèrent la Pâque » (16cde). Dans la seconde partie, le discours de Jésus est de construction concentrique : les morceaux extrêmes s’achèvent sur des impératifs (13h-14a.15c). Au centre, les paroles que le maitre fait dire au propriétaire. « Disciples » revient aux extrémités (12c.16a) ainsi qu’au centre (13c.14d), mot qui se rapporte à « Maitre » (14b), dont l’importance est soulignée par sa position centrale. À remarquer surtout que, au centre, le syntagme « avec mes

96

Le testament de Jésus

disciples » (14d) — repris ensuite avec le « pour nous » de 15c — répond au « tu » de « afin que tu manges la Pâque » de la question initiale (12e). COMPARAISON SYNOPTIQUE (voir Mt 26,17-19, p. 38) Mt 26,17-29 17

Or LE PREMIER (jour) DES AZYMES,

les DISCIPLES vinrent vers Jésus DISANT : « OÙ VEUX-TU QUE NOUS te PRÉPARIONS (pour) MANGER LA PÂQUE ? »

Mc 14,12-16 12

ET LE PREMIER jour DES AZYMES, quand ils immolaient la Pâque, ses DISCIPLES lui DISENT : « OÙ VEUX-TU QUE NOUS allions PRÉPARER afin que tu MANGES LA PÂQUE ? »

························································· 18

Or IL DIT :

« ALLEZ DANS LA VILLE chez un tel,

13 Et il envoie deux de ses disciples et IL leur DIT :

« ALLEZ DANS LA VILLE et vous rencontrera un homme portant une cruche d’eau ; accompagnez-le 14 et là où il entrera, DITES au maitre de maison que

et DITES-lui : “LE MAITRE DIT : ‘Mon temps est proche ; c’est chez toi que JE fais LA PÂQUE AVEC MES DISCIPLES’. »

·························································

“LE MAITRE DIT : ‘Où est ma salle où LA PÂQUE AVEC MES DISCIPLES JE

mangerai ?’

························································· 15

Et lui, vous montrera une salle-haute grande, garnie, préparée et là préparez pour nous. » ························································· 19

ET LES DISCIPLES

firent COMME Jésus LEUR avait ordonné ET ILS PRÉPARÈRENT LA PÂQUE.

16 ET LES DISCIPLES sortirent et ils vinrent à la ville et ils trouvèrent COMME IL LEUR dit ET ILS PRÉPARÈRENT LA PÂQUE.

Les différences entre le récit de Mc et celui de Mt sont importantes. Le passage de Mt est beaucoup plus court : Mc précise le moment de l’action en 12b et que ce sont deux disciples qui sont envoyés (13a), il ajoute le signe de reconnaissance (13def), il décrit la salle (15), enfin ce sont trois verbes en 16bc qui développent le « firent » de Mt (19b ; ce verbe reprend celui de 18h ; Mc 14,14f utilise au contraire « manger » comme en 12f). Chez Mc, l’épisode ne joue pas le rôle d’annonce de la Passion, comme en Mt 26,18f : « mon temps est proche ». Il met plutôt l’accent d’une part sur la participation des disciples à la Pâque qu’ils célébreront tous ensemble et d’autre part sur le fait que Jésus se révèle un prophète, puisque les choses arrivent comme il avait « dit » (16d ; au contraire du « ordonné » de Mt : 19c).

selon saint Marc (Mc 14,1-52)

97

INTERPRÉTATION Manger la Pâque avec Jésus Quand ils demandent à Jésus où ils doivent faire les préparatifs pour la célébration de la fête, les disciples semblent se désolidariser de leur maitre, comme si lui seul devait manger la Pâque (12e). Dans sa réponse, Jésus précise par deux fois que c’est avec eux qu’il la mangera (fin 14 et fin 15). Eux aussi doivent participer au rite annuel par lequel chaque israélite doit se considérer lui-même comme étant sorti d’Égypte, du pays de la servitude, comme ayant reçu luimême la Loi sur le mont Sinaï. Ils trouvèrent comme il avait dit Vérifiant que les choses se sont passées exactement comme Jésus le leur avait annoncé (16cd), les disciples devront voir en lui un prophète, car le vrai prophète se reconnait au fait que sa parole se réalise. Comme les hébreux autrefois avaient pu constater que ce que leur avait prédit Moïse en Égypte s’était réellement accompli après la traversée de la Mer Rouge et la défaite de leurs ennemis : « et ils eurent foi en Dieu et en Moïse son serviteur » (Ex 14,31).

C. L’ALLIANCE POUR BEAUCOUP (Mc 14,17-31) La sous-séquence centrale comprend trois passages : « L’annonce de la trahison » (17-21), « La célébration de la Pâque » (22-25) et « L’annonce du reniement » (26-31).

98

Le testament de Jésus

1. JÉSUS ANNONCE LA TRAHISON D’UN DISCIPLE (Mc 14,17-21) COMPOSITION DU PASSAGE - 17 Et le soir étant venu, - il vient avec les Douze - 18 et comme ils étaient à table et mangeaient, : Jésus

dit :

– « EN VÉRITÉ JE VOUS DIS que – l’un de vous me -DONNERA, :: celui-qui mange avec moi. » 19

Ils se mirent à s’attrister et à lui dire l’un après l’autre : « Ce ne sera pas moi ? »

: 20 Mais lui leur dit : – « L’un des Douze, :: celui-qui plonge

avec moi

dans le plat,

·························································································

– 21 parce que le Fils de l’homme – COMME IL EST ÉCRIT de lui ; = or malheur à – par qui = mieux (eût été) = qu’il ne naisse pas

cet homme - là le Fils de l’homme

s’en va

est -DONNÉ :

pour lui cet homme - là. »

Deux déclarations de Jésus encadrent une question que les disciples lui posent « l’un après l’autre ». À la formule d’insistance « En vérité je vous dis » de 18c correspond « comme il est écrit » de 21b. Les deux derniers membres de 18 sont repris presque littéralement par les deux derniers membres de 20bc. Le dernier morceau de la dernière partie est construite de manière concentrique : aux extrémités le sort du « Fils de l’homme » (21ab) et celui qui eut été souhaitable pour « cet homme-là » qui le livrera. Le bimembre centra vérifie « la loi du croisement au centre » : 21c annonce le dernier segment, 21d rappelle le premier. COMPARAISON SYNOPTIQUE (voir Mt 26,20-25, p. 47) Le récit de Mc est plus court que celui de Mt et organisé de manière bien différente : la régularité de la composition de Mt est frappante, en comparaison de celle de Mc. Mc n’identifie pas le traitre comme le fait le dernier verset de Mt (26,25). Le rapport avec Ps 41,10 est plus marqué chez Mc, car « celui qui mange avec moi » de 18f est une citation directe ; l’insistance de Mc est renforcée par l’ajout de « l’un des Douze » en 20b. Alors que « -donner » n’est utilisé que deux fois chez Mc (18e.21d), il revient quatre fois chez Mt (21e.23d.24d. 25b).

selon saint Marc (Mc 14,1-52) Mt 26,20-25

99

Mc 14,17-21

20

Or LE SOIR ÉTANT VENU, il était à table AVEC LES DOUZE 21 ET, COMME ILS MANGEAIENT,

17

il DIT : « EN VÉRITÉ JE VOUS DIS QUE L’UN DE VOUS ME -DONNERA. »

Jésus DIT : « EN VÉRITÉ JE VOUS DIS QUE L’UN DE VOUS ME -DONNERA, celui-qui mange avec moi.

Et LE SOIR ÉTANT VENU, il vient AVEC LES DOUZE 18 ET, COMME ils étaient à table et QU’ILS MANGEAIENT,

··························································· 22

Et fort ATTRISTÉS, ILS SE MIRENT À LUI DIRE un chacun « Serait-ce MOI, Seigneur ? » 23

19

ILS SE MIRENT À S’ATTRISTER et à LUI DIRE l’un après l’autre : « Ce ne (sera) pas MOI ? »

:

OR lui répondant, DIT :

···························································

« CELUI-QUI A PLONGÉ AVEC MOI la main DANS LE PLAT

celui-là me -donnera. »

20 OR lui leur DIT : « L’un des Douze, CELUI-QUI PLONGE AVEC MOI DANS LE PLAT. »

··························································· 24

21

LE FILS DE L’HOMME

S’EN VA COMME IL EST ÉCRIT DE LUI ; OR MALHEUR À CET HOMME-LÀ PAR QUI LE FILS DE L’HOMME EST -DONNÉ MIEUX EÛT ÉTÉ POUR LUI QU’IL NE NAISSE PAS CET HOMME-LÀ. »

;

Parce que LE FILS DE L’HOMME S’EN VA COMME IL EST ÉCRIT DE LUI ; OR MALHEUR À CET HOMME-LÀ PAR QUI LE FILS DE L’HOMME EST -DONNÉ MIEUX [eût été] POUR LUI QU’IL NE NAISSE PAS CET HOMME-LÀ. »

;

··························································· 25

Or répondant, Judas, celui qui le -donnerait, dit : « Serait-ce moi, Rabbi ? » ···························································

Il lui dit : « C’est toi qui l’as dit. »

INTERPRÉTATION Jusqu’à la fin le nom du traitre ne sera pas prononcé et Jésus ne répondra pas à la question. Ou plutôt sa réponse, qui fait écho aux paroles du psaume, ne fera qu’insister sur le fait que ce sera l’un d’entre eux, l’un de ceux qui sont avec lui (18e.20c), qui non seulement sont à table avec lui mais mangent avec lui (17-18a). Le rappel de l’Écriture est fortement souligné : ce que Jésus « dit » (18c) est ce qui est « écrit » (21b) et qui est sur le point d’arriver. Ce qui est une manière de dire que les Écritures vont s’accomplir.

100

Le testament de Jésus

2. LA CÉLÉBRATION DE LA PÂQUE (Mc 14,22-25) COMPOSITION DU PASSAGE 22

Et comme ils mangeaient, +

ayant – il rompit : et il .

DU PAIN,

pris

ayant béni, donna ;

et leur dit : « Prenez,

CECI EST

MON CORPS.

»

·············································································································

+ 23 Et ayant – il leur

pris donna

: 24 et il leur dit : .

UNE COUPE, et ils en BURENT

« CECI EST MON SANG

QUI EST VERSÉ POUR 25

ayant rendu grâces, TOUS ; de l’alliance,

BEAUCOUP.

En vérité, je vous dis que : je ne BOIRAI plus : où je le BOIRAI

du produit de la vigne nouveau

jusqu’à ce jour-là dans le royaume de Dieu. »

Les deux morceaux de la première partie sont parallèles entre eux. Cependant, le second s’achève sur un élargissement qui précise pour qui le « sang » sera versé (24c) ; ce dernier membre, sur lequel pointe toute la première partie, peut être considéré comme le centre du passage. « Beaucoup » (24c) correspond à « tous » (23b). Dans la dernière partie le deuxième membre s’achève sur un complément de temps, « jusqu’à ce jour-là » (25b), le troisième sur un complément de lieu, « dans le royaume de Dieu » (25c). Les deux occurrences de « boire » en 25bc renvoient à celle de 23b.

selon saint Marc (Mc 14,1-52)

101

COMPARAISON SYNOPTIQUE (voir Mt 26,26-29, p. 49) Mt 26,26-29 26

Or COMME ILS MANGEAIENT,

Mc 14,22-25 22

Et COMME ILS MANGEAIENT,

···························································

Jésus AYANT PRIS DU PAIN et AYANT BÉNI, IL (le) ROMPIT ET (l’)AYANT DONNÉ aux disciples, IL DIT : « PRENEZ, mangez, CECI EST MON CORPS. »

AYANT PRIS DU PAIN, AYANT BÉNI, IL (le) ROMPIT ET IL leur DONNA et IL DIT : « PRENEZ, CECI EST MON CORPS.

···························································

···························································

27

ET AYANT PRIS UNE COUPE et AYANT RENDU GRÂCES, IL LEUR DONNA EN DISANT : « Buvez-en tous : 28 car CECI EST MON SANG DE L’ALLIANCE,

23

QUI POUR BEAUCOUP EST VERSÉ

QUI EST VERSÉ POUR BEAUCOUP.

»

ET AYANT PRIS UNE COUPE, AYANT RENDU GRÂCES, IL LEUR DONNA et ils en burent tous 24 ET IL leur DIT : « CECI EST MON SANG DE L’ALLIANCE,

pour la rémission des péchés. 29

Or JE VOUS DIS : JE NE BOIRAI PLUS désormais DE ce PRODUIT DE LA VIGNE JUSQU’À CE JOUR-LÀ, OÙ JE LE BOIRAI avec vous NOUVEAU DANS LE ROYAUME DE mon Père. »

25

En vérité, JE VOUS DIS que JE NE BOIRAI PLUS DU PRODUIT DE LA VIGNE JUSQU’À CE JOUR-LÀ, OÙ JE LE BOIRAI NOUVEAU DANS LE ROYAUME DE Dieu. »

Dans sa troisième partie (14,25), Mc n’a ni « désormais », ni « avec vous » qui, en Mt (29b.29e), occupent des positions symétriques. Dans la première partie, Mt est plus explicite que Mc qui ne donne ni le nom de « Jésus » (Mt : 26b), ni celui des « disciples » (Mt : 26d) mais se contente de pronoms. Mc n’a aucun des deux impératifs de Mt, « mangez » et « buvez » (26e.27d) ; ce dernier est « remplacé » par un indicatif : « ils en burent tous » (Mc : 23c) ; le récit de Mt en acquiert plus de régularité. Enfin et surtout, au cœur du passage Mc n’a pas « pour la rémission des péchés » de Mt (28c), mais seulement « qui est versé pour beaucoup » (Mc : 24c)7. Il ne faut pas non plus manquer de noter la différence du dernier mot : « Dieu » chez Mc (25f) au lieu de « mon Père » chez Mt (29f). INTERPRÉTATION Il ne semble pas que les différences mineures entre les récits de Mc et de Mt doivent changer grand-chose à l’interprétation du texte. Cependant, il n’est certainement pas indifférent que, contrairement à Mt, Mc ne mentionne pas « la rémission des péchés ». Ce fait pourra sans doute être interprété comme une explicitation matthéenne d’un contenu qui, évidemment, serait aussi celui de Mc. 7

La différence de préposition est aussi à noter, peri chez Mt, ce qui veut dire « pour », « au sujet de beaucoup », hypo chez Mc, qui n’est pas seulement un synonyme de peri, mais qui signifie aussi « à la place de ».

102

Le testament de Jésus

Toutefois, il faut reconnaitre que l’effet sur lecteur est bien différent, dans la mesure où ce sont les derniers mots d’une déclaration qui impressionnent le plus. L’accent porte, dans le second évangile, sur la multitude de ceux pour qui le sang du Seigneur sera versé, multitude qui dépasse infiniment le groupe de ceux qui partagent ce soir-là son repas. Et c’est sans doute pourquoi Mc a omis aussi le « avec vous », en quelque sorte limitatif, de l’annonce finale de Jésus (Mt 26,29e). Enfin, le fait que Mc fasse qualifier le royaume comme celui de « Dieu » (Mc 14,25f) au lieu de « mon Père » chez Mt (26,29f) renforce probablement aussi la tonalité, pour ainsi dire, universaliste de Mc. 3. JÉSUS ANNONCE L’ABANDON DES DISCIPLES (Mc 14,26-31) COMPOSITION DU PASSAGE = 26 Et ayant chanté les psaumes, = ils sortirent vers le Mont des Oliviers. = 27 Et Jésus leur dit que ·····················································································

: « TOUS,

vous serez

scandalisés ;

• PARCE QU’IL EST ÉCRIT : - “Je frapperai le berger - et les brebis seront dispersées.” : 28 Mais après m’être dressé, : je vous précéderai en Galilée. » + 29 Or Pierre lui

déclara :

– « Même si TOUS sont :: du moins pas moi ! »

scandalisés,

= 30 Jésus lui dit : ······················································································

• « EN VÉRITÉ JE TE DIS que : toi, aujourd’hui, cette nuit même, avant que deux fois le coq ne crie, : trois fois tu m’auras renié. » + 31 Mais – « Même :: non, + Or

lui

de plus belle parlait : s’il me fallait mourir avec toi, je ne te renierai pas. » TOUS en

disaient autant.

Comme on le verra en détail dans le paragraphe suivant, le texte de Mc diffère ge est es donc pratiquement la très peu de celui de Mt ; la composition de son passage ). même que celle du passage parallèle de Mt (voir p. 53).

selon saint Marc (Mc 14,1-52)

103

COMPARAISON SYNOPTIQUE (voir Mt 26,30-35, p. 53) Mt 26,30-35

Mc 14,26-31

30

ET AYANT CHANTÉ LES PSAUMES, ILS SORTIRENT VERS LE MONT DES OLIVIERS. 31 Alors JÉSUS LEUR DIT :

26

·····························································

·····························································

« Vous TOUS, VOUS SEREZ SCANDALISÉS à cause de moi, cette nuit même ; car IL EST ÉCRIT : “JE FRAPPERAI

« TOUS, VOUS SEREZ SCANDALISÉS ;

LE BERGER ET SERONT DISPERSÉES LES BREBIS du troupeau.” 32 Or APRÈS M’ÊTRE DRESSÉ, JE VOUS PRÉCÉDERAI EN GALILÉE.

LE BERGER ET LES BREBIS SERONT DISPERSÉES.” 28 Mais APRÈS M’ÊTRE DRESSÉ, JE VOUS PRÉCÉDERAI EN GALILÉE.

33

34

»

ET AYANT CHANTÉ LES PSAUMES, ILS SORTIRENT VERS LE MONT DES OLIVIERS. 27 Et JÉSUS LEUR DIT que

parce qu’IL EST ÉCRIT : “JE FRAPPERAI

OR répondant, PIERRE LUI dit : « SI TOUS SONT SCANDALISÉS à cause de toi, MOI jamais je ne serai scandalisé. » JÉSUS LUI déclara :

»

29

OR PIERRE LUI déclara : « Même SI TOUS SONT SCANDALISÉS, du moins pas MOI ! » 30

Et JÉSUS LUI dit :

·····························································

·····························································

« EN VÉRITÉ JE TE DIS QUE CETTE NUIT MÊME, AVANT QUE LE COQ NE CRIE, TROIS FOIS TU M’AURAS RENIÉ. »

« EN VÉRITÉ JE TE DIS QUE toi, aujourd’hui, CETTE NUIT MÊME, AVANT QUE deux fois LE COQ NE CRIE, TROIS FOIS TU M’AURAS RENIÉ. »

35

31

Pierre lui dit : « Et MÊME S’IL ME FALLAIT AVEC TOI MOURIR, NON, JE NE TE RENIERAI PAS. » Et TOUS les disciples DIRENT de même.

Mais lui de plus belle parlait : « MÊME S’IL ME FALLAIT MOURIR AVEC TOI, NON, JE NE TE RENIERAI PAS. » Or TOUS EN DISAIENT autant.

Les différences entre le récit de Mc et celui de Mt sont minimes : dans la première partie Mc est plus court qui ne reprend ni « à cause de moi », « cette nuit même » (Mt : 31c), ni « du troupeau » (Mt : 31h), ni « répondant » (Mt : 33a), ni « à cause de toi » (Mt : 33c), ni « je ne serai scandalisé » (Mt : 33d). En revanche, dans la deuxième partie, Mc a « toi aujourd’hui » (30b) et « deux fois » (30c) en plus de Mt ; le dernier verset (Mc : 31) comporte aussi quelques variations de détail. À souligner particulièrement les deux « à cause de moi / toi » de Mt 26,31c et 33c qui ne se retrouvent pas chez Mc. L’adjonction de « deux fois » pour le chant du coq en Mc 14,30c annonce la différence majeure qui caractérisera le récit du reniement de Pierre chez Mc par rapport à Mt (et aussi par rapport à Lc), comme on le verra dans la deuxième séquence. INTERPRÉTATION Ces légères variations, que l’on peut dire d’ordre purement stylistique, ne changent rien à la composition du texte et n’ont donc pas d’incidence majeure sur son interprétation.

104

Le testament de Jésus

4. L’ALLIANCE POUR BEAUCOUP (Mc 14,17-31) COMPOSITION DE LA SOUS-SÉQUENCE 14,17 Le soir venu, il vient avec LES DOUZE 18 et tandis qu’ils étaient à table et qu’ils mangeaient, Jésus dit : « En vérité je vous dis que L’UN DE VOUS me -DONNERA, celui-qui mange avec moi. 19 Ils commencèrent à s’attrister et lui dirent, l’un après l’autre : « Serait-ce MOI ? » 20 Mais lui leur dit : « L’UN DES DOUZE, celui-qui plonge avec moi la main dans le plat. » 21 Car le Fils de l’homme s’en va comme IL EST ÉCRIT de lui, mais malheur à cet homme-là par qui le Fils de l’homme est -DONNÉ ! Il eût mieux valu qu’il ne soit pas né cet homme-là. 22

Et tandis qu’ils mangeaient, ayant pris du pain, ayant dit la bénédiction, il le rompit et le leur DONNA et dit : « Prenez, ceci est mon corps. » 23 Et ayant pris une coupe et ayant rendu grâces, il leur DONNA et ils en burent TOUS 24 et il leur dit : « Ceci est mon sang de l’alliance, QUI EST RÉPANDU POUR BEAUCOUP. 25 En vérité, je vous dis que je ne boirai plus du produit de la vigne, jusqu’au jour où je le boirai nouveau dans le royaume de Dieu. » 26

Après le chant des psaumes, ils sortirent vers le Mont des Oliviers. Et Jésus leur dit : « Vous serez TOUS SCANDALISÉS ; car IL EST ÉCRIT : “Je frapperai le berger et les brebis seront dispersées.” 28 Mais après m’être dressé, je vous précéderai en Galilée. » 29 Pierre lui déclara : « Même si TOUS SONT SCANDALISÉS, du moins pas MOI ! » 30 Et Jésus lui dit : « En vérité, je te dis que toi, aujourd’hui, cette nuit même, avant que le coq ne crie deux fois, tu m’auras RENIÉ trois fois. » 31 Mais lui disait de plus belle : « Même s’il me fallait mourir avec toi, non je ne te RENIERAI pas. » Et TOUS en disaient autant. 27

Deux annonces, celle de la trahison d’un des disciples (17-21) et celle du scandale des autres (26-31), encadrent le don de Jésus (22-25). La construction de la sous-séquence de Mc est donc la même que celle de Mt (voir p. 55). S’y retrouvent en particulier le double « il est écrit », en position symétrique (21b. 27b) ainsi que le double « en vérité je vous dis » aux extrémités (18c.30b). « Tandis qu’ils [...] mangeaient » de 18 et de 22 jouent le rôle de termes initiaux. L’axe majeur du texte est indiqué par le terme sur lequel pointe le passage central, « beaucoup » (24b), qui est sur la même ligne que « les Douze », « l’un de vous », « l’un des Douze » du premier passage (17.18c.20a), le « tous » de 23c et les trois « tous » du dernier passage (27a.29.31b).

selon saint Marc (Mc 14,1-52)

105

COMPARAISON SYNOPTIQUE (voir Mt 26,20-35, p. 55) Les deux sous-séquences comprennent les trois mêmes passages : annonces de la trahison et du reniement autour de la célébration de la Pâque. La différence majeure est que le passage central de Mt (et donc toute sa sous-séquence) est centré sur « la rémission des péchés » (26,28e), tandis que la composition de Mc est focalisée sur le « sang de l’alliance versé pour beaucoup » (14,24d). Mt 26,20-35 20

Mc 14,17-31 17

Le soir venu, il se mit à table avec les ils m mangeaient, il dit : Douze. 21 Tandis qu’ils « En vérité je vous dis is qu que l’un de vous me -DONNERA. » 22 Ils furent vivement attristés et chacun se mit à lui dire : « Serait-ce moi, Seigneur ? » 23 Il répondit : « Celui qui a plongé avec moi la main dans le plat, c’est celui-là qui me -DONNERA. » 24 Le Fils de l’homme s’en va ainsi qu’il est écrit à son sujet, mais malheur à cet homme-là par qui le Fils de l’homme sera -DONNÉ ; il eût mieux valu pour lui qu’il ne soit pas né cet hommelà. 25 Judas, celui qui allait le -DONNER, répondit : « Serait-ce moi, Rabbi ? » Il lui dit : « C’est toi qui l’as dit. »

Le soir venu, il vient avec LES DOUZE et tandis qu’ils étaient à table et qu’ils mangeaient, Jésus dit : « En vérité je vous dis que L’UN DE VOUS me -donnera, un qui mange avec moi. 19 Ils commencèrent à s’attrister et lui dirent, l’un après l’autre : « Serait-ce MOI ? » 20 Mais lui leur dit : « L’UN DES DOUZE, un qui plonge avec moi la main dans le plat. » 21 Car le Fils de l’homme s’en va comme il est écrit de lui, mais malheur à CET HOMME-LÀ par qui le Fils de l’homme est -donné ! Il eût mieux valu qu’il ne soit pas né CET HOMME-LÀ.

26

Tandis qu’ils mangeaient, Jésus ayant pris du pain et ayant dit la bénédiction, le rompit et l’ayant DONNÉ à ses disciples, il leur dit : « Prenez, mangez, ceci est mon corps. » 27 Et ayant pris une coupe et ayant rendu grâces, il leur DONNA en disant : « Buvez-en tous : 28 car ceci est mon sang, le sang de l’alliance, qui est versé pour beaucoup EN RÉMISSION DES PÉCHÉS. 29 Je vous le dis : je ne boirai plus désormais de ce produit de la vigne jusqu’au jour où je le boirai nouveau avec vous dans le royaume de mon Père. »

22

Et tandis qu’ils mangeaient, ayant pris du pain, ayant dit la bénédiction, il le rompit et le leur donna et dit : « Prenez, ceci est mon corps. » 23 Et ayant pris une coupe et ayant rendu grâces, il leur donna et ils en burent TOUS 24 et il leur dit : « Ceci est mon sang, le sang de l’alliance, qui est versé pour BEAUCOUP. 25 En vérité, je vous dis que je ne boirai plus du produit de la vigne, jusqu’au jour où je le boirai nouveau dans le royaume de Dieu. »

30 Après le chant des psaumes, ils sortirent vers le Mont des Oliviers. 31 Alors Jésus leur dit : « Vous tous, vous serez SCANDALISÉS à cause de moi, cette nuit même ; car il est écrit : “Je frapperai le berger et les brebis du troupeau seront dispersées.” 32 Mais après ma résurrection, je vous précéderai en Galilée. » 33 Répondant, Pierre lui dit : « Si tous sont SCANDALISÉS à ton sujet, moi, jamais je ne serai SCANDALISÉ. » 34 Jésus lui déclara : « En vérité je te dis is qu que cette nuit même, avant que le coq ne chante, par trois fois tu m’auras RENIÉ. » 35 Pierre lui dit : « Même s’il fallait qu’avec toi je meure, non je ne te RENIERAI pas. » Et tous les disciples dirent de même.

26 Après le chant des psaumes, ils sortirent vers le Mont des Oliviers. 27 Et Jésus leur dit : « Vous serez TOUS scandalisés ; car il est écrit : “Je frapperai le berger et les brebis seront dispersées.”

18

28 Mais après m’être dressé, je vous précéderai en Galilée. » 29 Pierre lui déclara : « Même si TOUS sont scandalisés, du moins PAS MOI ! » 30 Et Jésus lui dit : « En vérité, je te dis que toi, aujourd’hui, cette nuit même, avant que le coq ne crie deux fois, tu m’auras renié trois fois. » 31 Mais lui disait de plus belle : « Même s’il me fallait mourir avec toi, non je ne te renierai pas. » Et TOUS en disaient autant.

106

Le testament de Jésus Mt 26,20-35

20

Mc 14,17-31 17

Le soir venu, il se mit à table avec les ils m mangeaient, il dit : Douze. 21 Tandis qu’ils is qu que l’un de vous me « En vérité je vous dis -DONNERA. » 22 Ils furent vivement attristés et chacun se mit à lui dire : « Serait-ce moi, Seigneur ? » 23 Il répondit : « Celui qui a plongé avec moi la main dans le plat, c’est celui-là qui me -DONNERA. » 24 Le Fils de l’homme s’en va ainsi qu’il est écrit à son sujet, mais malheur à cet homme-là par qui le Fils de l’homme sera -DONNÉ ; il eût mieux valu pour lui qu’il ne soit pas né cet hommelà. 25 Judas, celui qui allait le -DONNER, répondit : « Serait-ce moi, Rabbi ? » Il lui dit : « C’est toi qui l’as dit. »

Le soir venu, il vient avec LES DOUZE et tandis qu’ils étaient à table et qu’ils mangeaient, Jésus dit : « En vérité je vous dis que L’UN DE VOUS me -donnera, un qui mange avec moi. 19 Ils commencèrent à s’attrister et lui dirent, l’un après l’autre : « Serait-ce MOI ? » 20 Mais lui leur dit : « L’UN DES DOUZE, un qui plonge avec moi la main dans le plat. » 21 Car le Fils de l’homme s’en va comme il est écrit de lui, mais malheur à CET HOMME-LÀ par qui le Fils de l’homme est -donné ! Il eût mieux valu qu’il ne soit pas né CET HOMME-LÀ.

26 Tandis qu’ils mangeaient, Jésus ayant pris du pain et ayant dit la bénédiction, le rompit et l’ayant DONNÉ à ses disciples, il leur dit : « Prenez, mangez, ceci est mon corps. » 27 Et ayant pris une coupe et ayant rendu grâces, il leur DONNA en disant : « Buvez-en tous : 28 car ceci est mon sang, le sang de l’alliance, qui est versé pour beaucoup EN RÉMISSION DES PÉCHÉS. 29 Je vous le dis : je ne boirai plus désormais de ce produit de la vigne jusqu’au jour où je le boirai nouveau avec vous dans le royaume de mon Père. »

22 Et tandis qu’ils mangeaient, ayant pris du pain, ayant dit la bénédiction, il le rompit et le leur donna et dit : « Prenez, ceci est mon corps. » 23 Et ayant pris une coupe et ayant rendu grâces, il leur donna et ils en burent TOUS 24 et il leur dit : « Ceci est mon sang, le sang de l’alliance, qui est versé pour BEAUCOUP. 25 En vérité, je vous dis que je ne boirai plus du produit de la vigne, jusqu’au jour où je le boirai nouveau dans le royaume de Dieu. »

30 Après le chant des psaumes, ils sortirent vers le Mont des Oliviers. 31 Alors Jésus leur dit : « Vous tous, vous serez SCANDALISÉS à cause de moi, cette nuit même ; car il est écrit : “Je frapperai le berger et les brebis du troupeau seront dispersées.” 32 Mais après ma résurrection, je vous précéderai en Galilée. » 33 Répondant, Pierre lui dit : « Si tous sont SCANDALISÉS à ton sujet, moi, jamais je ne serai SCANDALISÉ. » 34 Jésus lui déclara : « En vérité je te dis is qu que cette nuit même, avant que le coq ne chante, par trois fois tu m’auras RENIÉ. » 35 Pierre lui dit : « Même s’il fallait qu’avec toi je meure, non je ne te RENIERAI pas. » Et tous les disciples dirent de même.

26 Après le chant des psaumes, ils sortirent vers le Mont des Oliviers. 27 Et Jésus leur dit : « Vous serez TOUS scandalisés ; car il est écrit : “Je frapperai le berger et les brebis seront dispersées.” 28 Mais après m’être dressé, je vous précéderai en Galilée. » 29 Pierre lui déclara : « Même si TOUS sont scandalisés, du moins PAS MOI ! » 30 Et Jésus lui dit : « En vérité, je te dis que toi, aujourd’hui, cette nuit même, avant que le coq ne crie deux fois, tu m’auras renié trois fois. » 31 Mais lui disait de plus belle : « Même s’il me fallait mourir avec toi, non je ne te renierai pas. » Et TOUS en disaient autant.

18

– Ce « beaucoup » de Mc entre dans la longue liste qui commence avec « les Douze » (17a) et finit avec « tous » (31c ; qui reprend les « tous » de 27b et 29b) en passant par chacun : « l’un de vous » (18c), « l’un des Douze » (20b), « moi » (19c.29b), sans oublier bien sûr « cet homme-là » (21c.21e).

selon saint Marc (Mc 14,1-52)

107

– Au centre de Mt, « péchés » peut être mis sur la même ligne que « -donner » (21c.23c.24d.25a), que « être scandalisé » (31b.33b.33c) et que « renier » (34d. 35c) ; de manière complémentaire, « rémission » est à mettre en relation avec « donner » de 26c et 27b. Ainsi, tandis que chez Mt l’insistance porte sur les actions (trahison des disciples, pardon de Jésus), chez Mc l’accent est mis sur les acteurs et spécialement sur les destinataires du don de Jésus. INTERPRÉTATION La signification générale de la première sous-séquence de Mc est très proche de celle de Mt. De sorte qu’il est possible de dire que c’est seulement l’accent qui change. Il semble porter davantage sur l’alliance que sur le péché, davantage sur l’universalité de cette alliance, puisque le don de Jésus ne s’achève pas sur la mention du péché, comme chez Mt, mais sur celle des nombreux destinataires du geste de Jésus (24c). Celui qui livrera le Maitre, et qui n’est pas nommé, n’est que « l’un des Douze » (20b) et chacun, chaque lecteur de tous les temps comme chacun des acteurs passés du drame, peut à juste titre se sentir concerné par la prophétie de Jésus ; de même Pierre qui, par son intervention, a pour ainsi dire obligé Jésus à le désigner comme celui qui le reniera, n’est que l’un de « tous » ceux qui seront scandalisés à son sujet (31c). Les Douze apôtres, présents à la dernière Cène, ne sont en quelque sorte que les représentants de tous ceux pour qui le sang du Christ sera versé, et ils sont « beaucoup » (24c). Le paradoxe ici — et ce paradoxe n’était pas absent chez Mt — est que l’alliance est proposée au moment même où le manquement à cette alliance est annoncé comme imminent. Une alliance est normalement conclue entre partenaires qui promettent de rester fidèles l’un à l’autre ; certes, outre la fidélité et les bénédictions qui l’accompagnent, la conclusion de l’alliance envisage aussi le péché et les sanctions qui ne sauraient manquer de s’ensuivre, mais comme une simple éventualité et non comme une nécessité. Ici, le scandale et le reniement, la trahison en somme, sont assumés dans l’alliance elle-même. C’est exactement ce que dit Paul dans la Lettre aux Romains : « Oui, quand nous étions encore sans force, Christ, au temps fixé, est mort pour des impies. C’est à peine si quelqu’un voudrait mourir pour un juste ; peut-être pour un homme de bien accepterait-on de mourir. Mais en ceci Dieu prouve son amour pour nous : Christ est mort pour nous alors que nous étions encore pécheurs » (Rm 5,6-8).

108

Le testament de Jésus D. LES DISCIPLES INVITÉS À VEILLER ET PRIER AVEC JÉSUS (Mc 14,32-42)

COMPOSITION DU PASSAGE – 32 ET ILS VIENNENT à un domaine : et il dit à ses disciples :

dont le nom (est) Gethsémani

• « Asseyez-vous ici

tandis que je

– 33 Et il prend Pierre, Jacques et Jean avec lui : 34 et il leur dit : « Mon âme est triste à en mourir ; • restez ici +

35

Et S’ÉTANT ÉLOIGNÉ un peu,

PRIERAI.

»

et se mit à être effrayé et angoissé

et

VEILLEZ.

il tombait à terre et

PRIAIT

»

- afin que, s’il était possible, * passe (loin) de lui L’HEURE. + 36 Et il disait : ·····································································································

- « ABBA, PÈRE,

tout est possible pour

toi ;

* emporte CETTE COUPE (loin) de moi. :: Mais non ce que je veux, 37

= ET IL VIENT : et il dit à Pierre :

mais ce que (tu veux)

toi ! »

et les trouve

ENDORMIS,

·····································································································

- « SIMON, tu DORS ? •

38

Tu n’as pas pu VEILLER une seule heure ?

VEILLEZ et PRIEZ

afin que vous ne veniez pas en tentation.

:: L’esprit est prompt,

mais la chair est faible. »

+ 39 ET S’EN ÉTANT ALLÉ de nouveau,

il

PRIAIT,

il les trouva

ENDORMIS,

- disant les mêmes paroles. =

40

ET de nouveau ÉTANT VENU, • car leurs yeux étaient alourdis, et ils ne savaient quoi lui répondre.

= 41 ET IL VIENT une troisième fois : et il leur dit : ······································································································

. « VOUS DORMEZ encore .. C’en est fait,

et VOUS REPOSEZ ? L’HEURE

est venue.

Voici que va être -donné le Fils de l’homme aux mains des pécheurs. .

42

Levez-vous, .. voici que

allons : CELUI QUI ME -DONNE

est proche. »

selon saint Marc (Mc 14,1-52)

109

Les parties extrêmes se répondent qui commencent avec le même verbe « venir » au présent : « Et ils viennent » (32a), « Et il vient » (41a). Les impératifs de 42a en finale de la dernière partie s’opposent à celui de 32c en finale de la première partie. À la prière mentionnée à la fin de la première partie, « tandis que je prierai » (32c) correspondent en quelque sorte les deux membres 41d et 42b, car, une fois achevée la prière, la volonté de Dieu peut enfin s’accomplir : « l’heure » dont Jésus avait demandé qu’elle « passe » (35c) « est venue » ; de même « est proche » « celui qui le -donne » (42b) alors que Jésus avait demandé à son Père qu’il « emporte cette coupe » (loin) de lui (36c). Les trois autres parties sont bipartites : la prière de Jésus et la veille des disciples s’y alternent. Elles sont organisées de manière concentrique. Au centre (36-38), le couple formé par la prière adressée par Jésus à son Père (36) et par les paroles qu’il dit à ses disciples (37-38) : les deux discours commencent par une apostrophe, « Abba, Père » (36b) et « Simon » (37c) ; « tu n’as pas pu » de 37c répond à « tout est possible pour toi » de 36b ; les segments centraux (36c.38a) sont des requêtes qui commencent par des impératifs ; alors que la prière débouche sur l’acceptation de la volonté de Dieu par Jésus (36d), le discours aux disciples s’achève sur la constatation de leur faiblesse (38b). À la première sous-partie centrale (36) correspondent les deux sous-parties qui encadrent la partie centrale (35 et 39) : en effet elles rapportent toutes deux la prière de Jésus (le même « priait » se retrouve à la fin de 35a et de 39a) ; les verbes traduits par « s’étant éloigné » au début de 35a et par « s’en étant allé » au début de 39a sont de même racine (pro-eltōn et ap-elthōn) et jouent le rôle de termes initiaux. À la deuxième sous-partie centrale (37-38) correspondent les deux autres sous-parties 33-34 et 40 où Jésus s’adresse aussi aux disciples. « Pierre » se retrouve en 33 et en 37b ; « veillez » revient à la fin de 34c et au début de 38a où il s’oppose à « il les trouve endormis » (37a) ; cette dernière expression sera reprise au passé en 40a tandis que « veiller » aura disparu. Le même verbe « venir » (qui était déjà utilisé au début en 32a) se retrouve en 37a.40a.41a, marquant les trois venues de Jésus vers ses disciples (soulignées par « une troisième fois » en 41a) ; ces trois déplacements de Jésus ont tous lieu dans le deuxième versant du passage. « Veillez » de 38a reprend celui de 34c, « tu dors » de 37c annonce « vous dormez » de 41c. À noter aussi que « l’heure » est couplée avec la « coupe » dans le premier versant (35c.36c), et qu’elle est couplée avec « celui qui me -donne » dans le second versant (41d.42b)8.

8 Voir B. VAN MEENEN, « Désir de Dieu et liberté messianique. Une lecture du récit de Gethsémani ».

110

Le testament de Jésus

COMPARAISON SYNOPTIQUE (voir Mt 26,36-46, p. 57) Mt 26,36-46

Mc 14,32-42

36

Alors il VIENT avec eux Jésus À UN DOMAINE DIT GETHSÉMANI ET IL DIT aux DISCIPLES : « ASSEYEZ-VOUS TANDIS QUE, m’en étant allé, là-bas JE PRIERAI. »

32

là,

37 ET AYANT PRIS PIERRE et les deux fils de Zébédée, IL SE MIT À ÊTRE triste ET ANGOISSÉ. 38 Alors IL LEUR DIT : « MON ÂME EST TRISTE À EN MOURIR ; RESTEZ ICI ET VEILLEZ AVEC MOI. »

Et ils VIENNENT À UN DOMAINE DONT LE NOM EST GETHSÉMANI ET IL DIT à ses DISCIPLES : « ASSEYEZ-VOUS ici TANDIS QUE JE PRIERAI. » 33 ET il PREND PIERRE, Jacques et Jean AVEC LUI ET SE MIT À ÊTRE effrayé ET ANGOISSÉ 34 et IL LEUR DIT : « MON ÂME EST TRISTE À EN MOURIR ; RESTEZ ICI ET VEILLEZ. »

39

35

ET S’ÉTANT ÉLOIGNÉ UN PEU, IL TOMBA SUR sa face, en PRIANT et disant : « Mon Père, S’IL EST POSSIBLE, QU’ELLE PASSE (loin) DE moi cette coupe ! Cependant NON PAS comme JE VEUX, MAIS comme (tu veux) TOI. »

ET S’ÉTANT ÉLOIGNÉ UN PEU, IL TOMBAIT SUR la terre et PRIAIT S’IL ÉTAIT POSSIBLE, PASSE (loin) DE lui l’heure.

40

36

ET IL VIENT vers les disciples ET LES TROUVE ENDORMIS, ET IL DIT À PIERRE : « Ainsi vous n’avez PAS PU VEILLER UNE SEULE HEURE avec moi ! 41 VEILLEZ ET PRIEZ, AFIN QUE VOUS N’entriez PAS EN TENTATION. L’ESPRIT EST PROMPT, MAIS LA CHAIR EST FAIBLE. »

Et il disait : ····················································· « Abba, PÈRE, tout est possible pour toi ; emporte cette coupe (loin) de moi. Mais NON PAS ce que JE VEUX, MAIS ce que (tu veux) TOI ! »

42

37

ET IL VIENT ET LES TROUVE ENDORMIS, ET IL DIT À PIERRE :

De nouveau une deuxième fois s’en étant allé, il priait DISANT : « Mon PÈRE, s’il n’est pas possible que cela passe sans que je le boive, qu’arrive ta volonté. »

····················································· « Simon, tu dors ? Tu n’as PAS PU VEILLER UNE 38 SEULE HEURE ? VEILLEZ ET PRIEZ, AFIN QUE VOUS NE veniez PAS EN TENTATION. L’ESPRIT EST PROMPT MAIS LA CHAIR EST FAIBLE. »

43

39

ET ÉTANT VENU DE NOUVEAU, IL LES TROUVA ENDORMIS : CAR LEURS YEUX ÉTAIENT

ET DE NOUVEAU S’EN ÉTANT ALLÉ, IL PRIAIT, DISANT LES MÊMES PAROLES.

appesantis. 44

Et les ayant laissés,

S’EN ÉTANT ALLÉ DE NOUVEAU, IL PRIAIT une troisième fois, DISANT de nouveau LES MÊMES PAROLES. 45

Alors IL VIENT vers ET IL LEUR DIT :

les disciples

····························································· « VOUS DORMEZ ENCORE ET VOUS REPOSEZ ? voici que L’HEURE EST proche ; et LE FILS DE L’HOMME EST -DONNÉ AUX MAINS DES PÉCHEURS. 46 LEVEZ-VOUS, ALLONS : VOICI QU’EST PROCHE CELUI QUI ME -DONNE. »

afin que,

40

ET DE NOUVEAU ÉTANT VENU, IL LES TROUVA ENDORMIS, CAR LEURS YEUX ÉTAIENT alourdis, et ils ne savaient quoi lui répondre.

41

Et IL VIENT une ET IL LEUR DIT :

troisième fois

« VOUS DORMEZ ENCORE ET VOUS REPOSEZ ? C’en est fait : L’HEURE EST venue. Voici qu’EST -DONNÉ LE FILS DE L’HOMME AUX MAINS DES PÉCHEURS. 42 LEVEZ-VOUS, ALLONS : VOICI QUE CELUI QUI ME -DONNE EST PROCHE. »

selon saint Marc (Mc 14,1-52)

111

Les parties d’introduction (Mt : 36 et Mc : 32) et de conclusion (Mt : 45-46 et Mc : 41-42) sont presque les mêmes. Mais pour les parties intermédiaires (Mt : 37-44 et Mc : 33-40), les différences sont nombreuses et importantes, si bien qu’il est fort difficile de les visualiser sur une planche synoptique. Alors que chez Mt la prière de Jésus est répétée (Mt : 39 et 42), chez Mc elle n’est citée qu’une seule fois (Mc : 36) ; cependant, juste avant de citer les paroles de Jésus au style direct (36), Mc les rapporte une première fois au style indirect (35cd) ; il ne fait que signaler la troisième prière de Jésus par la formule de résumé, « disant les mêmes paroles » (39cd). Alors qu’en 26,44de Mt signale (avec une formule de résumé semblable, « disant de nouveau les mêmes paroles ») que Jésus prie « une troisième fois » (44c), Mc utilise cette même expression, « une troisième fois », pour le dernier retour de Jésus vers les disciples (41a), ce qui a pour effet de mettre davantage l’accent sur la prière de Jésus chez Mt, davantage l’appel à veiller chez Mc. Le reproche adressé par Jésus à Pierre vise explicitement tous les disciples en Mt 26,40bc, et non pas le seul Pierre comme en Mc 14,37bcd ; dans les deux cas cependant, Pierre n’est que le représentant de tous les autres, puisque les impératifs de Mc 14,38a comme ceux de Mt 26,41a (« Veillez et priez ») sont également au pluriel. Les deux constructions sont, chacune à leur façon, tout à fait régulières : en parallèle pour les trois parties centrales chez Mt (AB / A’B’ / A”B”), en concentrisme chez Mc (A/B [B’A’] B”/A”). Comme il arrive souvent, la régularité de la composition de Mt est plus visible, plus massive pourrait-on dire, tandis que celle de Mc est plus cachée, plus élaborée. La logique du récit de Mt semblera plus rigoureuse, suivant toujours la même alternance entre prières à Dieu et invitations aux disciples. Celle de Mc paraitra, au premier regard, moins logique du point de vue du récit, puisque en 40 et 41-42 deux visites de Jésus à ses disciples se suivent de manière contiguë, sans que le narrateur dise rien de ce que fait Jésus entre temps. Ce qui peut passer pour une maladresse était nécessité par le dessein que l’on peut reconnaitre à Mc de mettre en valeur l’appel à veiller ainsi que le fait que les disciples n’y aient pas répondu. D’où, sans doute, la notation de 40d qui n’a pas son équivalent chez Mt. INTERPRÉTATION Bien qu’arrangés de manière assez différente, les mêmes éléments se retrouvent dans les récits de Mc et de Mt, à savoir essentiellement : la prière de Jésus à son Père et l’invitation faite aux disciples de veiller et prier comme lui-même le fait. Chez Mt cependant, la répétition de la prière de Jésus au style direct (39c-f ; 42bcd), ainsi que la mention de trois prières (39 ; 42 ; 44) semble lui donner plus d’importance que chez Mc. Dans Mc au contraire, Jésus ne prie que deux fois (35-36 ; 39) mais il fait trois visites à ses disciples (37-38 ; 40 ; 41), ce qui semble souligner davantage le commandement de veiller et prier adressé aux disciples qu’à la prière de Jésus.

112

Le testament de Jésus

Ainsi, la perspective de Mt qui met en valeur le rapport de Jésus à son Père est plus théologique et christologique, celle de Mc qui insiste sur le rapport de Jésus à ses disciples est plus parénétique et ecclésiologique. E. L’ARRESTATION À GETHSÉMANI (Mc 14,43-52) COMPOSITION DU PASSAGE Le premier morceau de la première partie (43) présente les personnages entrant en scène, Judas (43b), ses acolytes (43c) et leurs mandants (43d). Le troisième morceau, qui commence comme le premier avec « aussitôt », décrit ce que fait Judas (45) puis ce que font ceux qui l’accompagnent (46). Le morceau central (44) se distingue des deux autres parce qu’il rapporte un événement qui s’était passé antérieurement. Le parallélisme entre les deux derniers morceaux montre que les choses se passent maintenant exactement comme prévu. Le premier morceau de la dernière partie commence par un unimembre de récit (48a) qui introduit les paroles de Jésus mais assure aussi le lien, par-delà la partie centrale, avec la première partie : en effet, Jésus s’adresse non pas à celui qui a tiré l’épée mais à ceux qui ont mis la main sur lui. Le dernier morceau décrit la fuite des disciples : les segments extrêmes (50.52) rapportent la fuite de « tous » au début, à la fin celle du seul qui l’ait d’abord suivi ; le trimembre central présente l’action du jeune homme (51ab) puis la réaction de ceux qui s’étaient déjà emparé de Jésus. Le segment final du discours de Jésus (49d) se trouve ainsi occuper le centre de la partie9. La partie centrale (47) assure le lien entre les deux autres parties, en particulier avec le début de la première et la fin de la dernière10. Au début de la première partie en effet se retrouve « épées » (43c ; qui sera reprise, encore au pluriel, au début de la troisième partie, en 48b). La fin de la dernière partie (5152) rapporte la réaction d’un autre des disciples : les deux réactions sont opposées et complémentaires, recours à la violence pour le premier, à la fuite pour le second. Extrémités et centre mettent en scène trois disciples, Judas « l’un (heis) des Douze » au début (43b), « l’un (heis de [tis]) de ceux se tenant là » au centre (47a), « un (tis) jeune homme » à la fin (51a). Les parties extrêmes se correspondent : s’y retrouve plusieurs fois un syntagme analogue : « emparez-vous de lui » (44d), « et ils s’emparèrent de lui » (46b), « et vous ne vous êtes pas emparé de moi » (49c qui reprend « pour me prendre » de 48c), et enfin, mais cette fois-ci avec un objet différent, « et ils s’emparent de lui » (51c) ; les centres des deux parties (44 et 49d) se répondent : le « signal » de Judas et « les Écritures » de Dieu ont une fonction analogue, celle de désigner le même Jésus. 9 On verra plus loin (p. 115) que les références aux Écritures peuvent se lire non seulement dans le morceau qui précède (48-49b) mais aussi dans celui qui suit (50-52). 10 Ainsi se vérifie une fois de plus la loi n° 3 de N.W. Lund : centre et extrémités se répondent souvent (Chiasmus in the New Testament, 41 ; traduction dans Traité, 98).

selon saint Marc (Mc 14,1-52) + 43 Et aussitôt, comme il parlait encore, - arrive Judas, L’UN des Douze - et avec lui une foule AVEC ÉPÉES ET BÂTONS - de chez les grands prêtres, les scribes et les anciens. ································································································

: 44 Celui qui le -donnait leur avait donné un SIGNAL disant : - « Celui que j’embrasserai, - c’est lui ; . EMPAREZ-VOUS DE LUI . et emmenez-le sous bonne-garde. ································································································

+ 45 Et étant venu aussitôt, + s’étant avancés vers lui, - il dit : « Rabbi. » - et il l’embrassa. . 46 Or eux jetèrent les mains sur lui . ET S’EMPARÈRENT DE LUI. . 47 Or L’UN de ceux se tenant là, . ayant tiré L’ÉPÉE, : frappa : et lui enleva

le serviteur du Grand Prêtre son oreille.

+ 48 Et répondant, Jésus leur dit : - « Comme contre un bandit vous êtes sortis AVEC ÉPÉES ET BÂTONS . POUR ME PRENDRE. - 49 Chaque jour j’étais parmi vous - dans le temple enseignant, . ET VOUS NE VOUS ÊTES PAS EMPARÉS DE MOI. ·······················································································

Mais c’est afin que s’accomplissent les ÉCRITURES. » ·······················································································

+

50

Et abandonnant lui, :: ils s’enfuirent tous. – 51 Et UN jeune homme le suivait, – enveloppé d’un drap sur sa nudité, . ET ILS S’EMPARENT DE LUI.

+ 52 Mais lui, :: nu

lâchant

le drap, il s’enfuit.

113

114

Le testament de Jésus

COMPARAISON SYNOPTIQUE (voir Mt 26,47-56, p. 63) Mt 26,47-56 47

ET COMME IL PARLAIT ENCORE, voici que JUDAS, L’UN DES DOUZE, vint, ET AVEC LUI UNE FOULE nombreuse AVEC ÉPÉES ET BÂTONS de (chez) LES GRANDS PRÊTRES ET LES ANCIENS du peuple.

····················································· 48 OR CELUI QUI LE -DONNAIT LEUR DONNA UN signe DISANT : « CELUI QUE J’EMBRASSERAI, C’EST LUI ; EMPAREZ-VOUS DE LUI. » ····················································· AUSSITÔT, S’ÉTANT AVANCÉ VERS Jésus, IL DIT : « Salut, RABBI » ET IL L’EMBRASSA. 50 Or Jésus lui dit : « Ami, (fais) ce pour quoi tu es ici. » Alors, s’étant avancés, ILS JETÈRENT LES MAINS SUR Jésus ET S’EMPARÈRENT DE LUI. 49

ET

Mc 14,43-52 43

ET aussitôt COMME IL PARLAIT ENCORE, arrive JUDAS, L’UN DES DOUZE ET AVEC LUI UNE FOULE AVEC ÉPÉES ET BÂTONS de chez LES GRANDS PRÊTRES, les scribes ET LES ANCIENS.

····················································· 44 OR CELUI QUI LE -DONNAIT LEUR AVAIT DONNÉ UN signal DISANT : « CELUI QUE J’EMBRASSERAI, C’EST LUI ; EMPAREZ-VOUS DE LUI et emmenez-le sous bonne garde. ····················································· 45 ET étant venu AUSSITÔT, S’ÉTANT AVANCÉ VERS lui, IL DIT : « RABBI ! » ET IL L’EMBRASSA. 46

Or eux

JETÈRENT LES MAINS SUR lui ET S’EMPARÈRENT DE LUI.

51

Et voici UN DE CEUX avec Jésus, étendant la main, TIRA son ÉPÉE et FRAPPANT LE SERVITEUR DU GRAND PRÊTRE, LUI ENLEVA l’OREILLE. ························································· 52 Alors Jésus lui dit : « Remets ton épée à sa place, car tous ceux qui prennent l’épée par l’épée périront. ························································· 53 Ou penses-tu que je ne puisse pas faire appel à mon Père et il me fournirait maintenant plus de douze légions d’anges ? 54 Comment donc s’accompliraient les Écritures qu’ainsi il doit arriver ?

47

55 À cette heure-là, JÉSUS DIT aux foules : « COMME CONTRE UN BANDIT VOUS ÊTES SORTIS AVEC ÉPÉES ET BÂTONS POUR ME PRENDRE. CHAQUE JOUR, DANS LE TEMPLE, j’étais assis

48 Et répondant, JÉSUS leur DIT : « COMME CONTRE UN BANDIT VOUS ÊTES SORTIS AVEC ÉPÉES ET BÂTONS POUR ME PRENDRE. 49 CHAQUE JOUR j’étais parmi vous DANS LE

ENSEIGNANT ET VOUS NE VOUS ÊTES PAS EMPARÉ DE MOI.

TEMPLE ENSEIGNANT ET VOUS NE VOUS ÊTES PAS EMPARÉ DE MOI.

» ····················································· 56 Or tout cela arriva pour que S’ACCOMPLISSENT LES ÉCRITURES des prophètes. ····················································· Alors TOUS les disciples, L’ABANDONNANT, S’ENFUIRENT.

Or UN DE CEUX se tenant là, ayant TIRÉ l’ÉPÉE, FRAPPA LE SERVITEUR DU GRAND PRÊTRE et LUI ENLEVA L’OREILLE.

····················································· Mais c’est afin que S’ACCOMPLISSENT LES ÉCRITURES. ····················································· 50 Et L’ABANDONNANT, ILS S’ENFUIRENT TOUS. 51 Et un jeune homme le suivait, enveloppé d’un drap sur sa nudité, et ils s’emparent de lui. 52 Mais lui, lâchant le drap, nu il s’enfuit.

Les différences entre le récit de Mc et celui de Mt ne sont pas très importantes pour la première partie : Mt précise que la foule est « nombreuse » (47c), il ajoute « du peuple » à « anciens » (47f) et surtout la réaction de Jésus au baiser de Judas (50ab) ainsi que l’adverbe et le participe de 50c ; pour sa part, Mc

selon saint Marc (Mc 14,1-52)

115

ajoute « aussitôt » en 43a, « les scribes » en 43f et un membre aux paroles de Judas (Mc : 44e). — En revanche, pour la partie centrale, Mt développe largement et explicite le court rapport de Mc 14,47 en y ajoutant deux morceaux (Mt : 52-54). — Quant à la dernière partie, Mt l’abrège de l’épisode du jeune homme qui s’enfuit nu (Mc : 51-52) ; mais il précise « les Écritures » de Mc 14,49e en y ajoutant « des prophètes » (Mt : 56c). Cependant toutes ces différences ne changent pas la composition générale : bien que largement explicité par Mt, l’épisode du disciple qui tire l’épée occupe le centre de la construction aussi bien chez Mc que chez Mt. Les centres des parties extrêmes se correspondent : les Écritures qui, annonçant ce qui doit arriver (Mt : 56abc ; Mc : 49de), répondent au « signe » (Mt : 48b) ou « signal » (Mc : 44b) de Judas qui prévoit lui aussi comment les choses devront se passer. CONTEXTE La mention de l’accomplissement des Écritures, au centre de la dernière partie (49d), semble très générale, car elle n’est accompagnée d’aucune citation explicite. Les commentateurs cependant voient plusieurs allusions scripturaires dans la dernière partie, soit dans le premier morceau (48-49c) soit dans le troisième (50-52). Selon W. Lane11, par exemple, « comme contre un bandit » (48b) ferait référence à Is 53,12 : « il a été compté au rang des sans loi », et le verset 50, comme précédemment le verset 27, renverrait à Za 13,7 : « Je frapperai le pasteur et les brebis du troupeau seront dispersées ». W. Lane rappelle par ailleurs que l’on a vu un rapport entre le jeune homme de la fin du passage de Mc et l’histoire de Joseph qui s’enfuit en abandonnant son vêtement pour échapper aux avances de Putiphar (Gn 39,12) ; cependant, la relation lui parait — à raison — plus substantielle avec Am 2,16 : « et le plus brave d’entre les vaillants, s’enfuira nu, en ce jour-là ». La relation entre Mc 14,52 et Am 2,16 est d’autant plus assurée, et parlante, que l’image de la nudité est placée en finale : chez Mc à la fin du passage de l’arrestation (43-52) mais aussi de toute la séquence (14,1-52), chez Amos à la fin de l’oracle contre Israël (2,6-16) mais aussi de l’ensemble de sa première section (1,3–2,16)12. INTERPRÉTATION Le récit de Mc a donc la même signification générale que celui de Mt. Mc est moins explicite que Mt pour l’affaire du disciple qui tire l’épée13, mais il met

11

The Gospel according to Mark, 526. Voir P. BOVATI – R. MEYNET, Le Livre du prophète Amos, 84.92. 13 Certains (par ex., S. LÉGASSE, Le Procès, II, 33-35) pensent que ce personnage indéterminé n’est pas un disciple mais un des policiers envoyés par les sanhédrites ; dans la confusion générale, il aurait blessé le serviteur du Grand Prêtre, c’est-à-dire le responsable de la troupe dont il faisait lui-même partie. Certes, il faut se garder d’interpréter le texte d’un évangile par son parallèle dans un autre ; cependant, c’est la logique d’ensemble de Mc — qui entend impliquer le disciple 12

116

Le testament de Jésus

mieux en relief la correspondance entre les trois sortes de disciples, celui du début, « l’un des Douze » (43b), qui a recours à l’hypocrisie du baiser (44b.45d), celui du centre, « un de ceux qui se tenaient là » (47a), qui a recours à la violence, et celui de la fin, « un jeune homme le suivait » (51a), qui a recours à la fuite.

F. L’ALLIANCE DU MAITRE POUR LA MULTITUDE DES DISCIPLES (Mc 14,1-52) COMPOSITION DE LA SÉQUENCE Les autorités L’ONCTION JUDAS

cherchent à

tuer

Jésus

14,1-2 3-9

DE PARFUM

cherche

Les disciples invités

à

donner

À MANGER

Jésus annonce la trahison

Jésus

LA PÂQUE

10-11

avec Jésus

17-21

d’un disciple

LA CÉLÉBRATION DE LA PÂQUE Jésus annonce l’abandon

Les disciples invités

JUDAS LE COUP Les disciples

À BOIRE

trahit

Jésus

D’ÉPÉE

abandonnent

22-25 26-31

d’un disciple

LA COUPE

12-16

avec Jésus

32-42

43-46 47

Jésus

48-52

Les sous-séquences extrêmes (14,1-11 ; 43-52) – Judas, « l’un des Douze » (10.43), intervient dans le dernier passage de la première sous-séquence (10-11) au moment il cherche à « -donner » Jésus à ses lecteur, surtout par le moyen de l’indétermination — qui semble devoir guider l’interprétation de détail. Pour une discussion approfondie de la scène, voir R. BROWN, The Death, I, 266-274

selon saint Marc (Mc 14,1-52)

117

ennemis et dans la première partie de la dernière sous-séquence (43-46 ; donc en position symétrique) quand « celui qui le -donnait » peut enfin réaliser son dessein. – Au début de la dernière partie de la dernière sous-séquence (48-49), Jésus s’adresse aux envoyés des grands prêtres, des scribes et des anciens (43), personnages qui sont mis en scène également (sauf les anciens cependant) dans le premier passage de la première sous-séquence (1-2) : ainsi le premier passage de la première sous-séquence et la dernière partie de la dernière sous-séquence se répondent-ils. Il faut noter cependant qu’au début les adversaires de Jésus sont présentés seuls, tandis qu’à la fin ils sont en quelque sorte rejoints par les disciples qui se trouvent mis en parallèle avec les envoyés des autorités. – Enfin, on pourra voir une correspondance entre le passage central de la première sous-séquence et la partie centrale de la dernière sous-séquence : en effet, « L’onction de Béthanie » est centrée (chez Mc seulement) sur la réaction agressive contre la femme qui avait versé le parfum sur la tête de Jésus (fin du verset 5) et la dernière sous-séquence est focalisée sur la réaction violente de l’un de ceux qui se tenaient là (47) ; à remarquer que ni les uns ni l’autre ne sont identifiés par Mc : « il y en avait certains à s’indigner » (4) et « un de ceux qui se tenaient là » (47), indétermination qui peut être interprétée comme une invitation au lecteur à se reconnaitre dans ces personnages. Ainsi sont mises en relation la tentation de l’argent et celle de l’épée, de la richesse et de la violence. La préparation de la Pâque et la prière à Gethsémani Les première et dernière sous-séquences étant identifiées, ainsi que la sousséquence centrale (17-31), restent deux passages, en position symétrique dans la séquence, « La préparation de la Pâque » (12-16) entre la première sousséquence et la sous-séquence centrale, et « La prière à Gethsémani » (32-42) entre la sous-séquence centrale et la dernière sous-séquence. À première vue, ces deux passages semblent n’avoir guère de points communs évidents. — Cependant, ce sont les seuls où Jésus choisit parmi les Douze, un groupe plus restreint, « deux de ses disciples » qu’il envoie préparer la Pâque en 13, « Pierre, Jacques et Jean » qu’il prend avec lui en 33 pour veiller. — Dans chacun de ces deux passages, il est question pour les disciples d’être « avec » Jésus (14.33). Lors de la préparation de la Pâque, alors que dans leur question (12 : « Où veux-tu que nous allions préparer afin que tu manges la Pâque ? ») les disciples semblent s’exclure du repas, Jésus insiste par deux fois sur le fait qu’il mangera la Pâque « avec » ses disciples (« avec mes disciples » en 14, « pour nous » en 15). D’une manière analogue, dans « La prière à Gethsémani », les disciples se révèlent incapables de rester avec Jésus pour veiller et prier. — Un autre point de contact entre ces deux passages est le fait qu’il s’agisse pour Jésus de « manger » la Pâque dans l’un, de boire une « coupe » dans l’autre : or aussi bien la Pâque que la coupe sont des figures de la passion et de la mort, et c’est pourquoi les deux passages ont été intitulés « Les disciples invités à manger la Pâque avec Jésus » et « Les disciples invités à boire la coupe avec Jésus ».

118

Le testament de Jésus

La fonction de la sous-séquence centrale Ce sont exactement ces deux actions de manger et de boire, son corps et son sang, auxquelles Jésus invite ses disciples dans le passage central de la sousséquence centrale (22-25). Le troisième passage de la sous-séquence (26-31) annonce la troisième partie de la dernière sous-séquence (48-52) qui s’achève sur la fuite des disciples. Quant à la prophétie du premier passage de la sousséquence centrale (17-21), elle se réalisera dans la première partie de la dernière sous-séquence (43-46). Quant au rapport entre la sous-séquence centrale et la première sousséquence, il est marqué par le lien entre le dernier passage de la première sousséquence où Judas s’engage à livrer Jésus (10-11) et le premier passage de la sous-séquence centrale où Jésus annonce qu’il sera livré par l’un des Douze (1721) et surtout — comme chez Mt, bien qu’avec des moyens légèrement différents — par le rapport entre les passages centraux : l’onction de Béthanie (3-9) où la femme « brise » le vase et « verse » le parfum (3) et la célébration de la Pâque où Jésus « rompt » le pain (22) et « verse » son sang (24). COMPARAISON SYNOPTIQUE Le nombre des épisodes Il n’est pas exactement le même, puisque Mt en compte un de plus (26,1-2). L’ordre des épisodes communs Il est absolument identique d’une évangéliste à l’autre. Les limites entre les passages communs Elles sont tout à fait identiques. La composition des passages communs Elle est assez semblable, à part toutefois « La préparation de la Pâque » : Mt 26,17-19 ; (voir p. 38) et Mc 14,12-16 (voir p. 95). La fonction des passages communs Elle n’est pas la même d’un évangéliste à l’autre. « La préparation de la Pâque » de Mc (14,12-16) remplit chez lui une fonction bien différente de celle du passage parallèle de Mt. Dans le premier évangile, « La préparation de la Pâque » (26,17-19) est une nouvelle annonce de la Passion, symétrique de la première (Mt 26,1-2 ; voir p. 28). Dans le second évangile, ce passage (Mc 14,12-16) qui correspond à « La prière à Gethsémani » (14,32-42) prend donc une autre valeur : de même que Jésus invite ses disciples à manger la Pâque avec lui en 12-16, de même il les invite à s’unir à sa veille de prière, durant laquelle il accepte de boire la coupe en 32-42.

selon saint Marc (Mc 14,1-52)

119

La composition des deux séquences La composition de chaque séquence est bien différente. Seules les sousséquences centrales (Mc 14,17-31 ; Mt 26,20-35) sont de même composition. Mt commence par un court passage (26,1-2) qui n’a pas d’équivalent chez Mc, et sa première sous-séquence comprend aussi « La préparation de la Pâque » (26,1719) qui répond au premier passage de sa première sous-séquence. La première sous-séquence de Mc ne comprend que trois passages (14,1-11), ceux qui sont parallèles aux trois passages centraux de la première sousséquence de Mt (26,3-16). La dernière sous-séquence de Mc est aussi bien différente de celle de Mt : elle ne comprend pas « La prière à Gethsémani », mais seulement le dernier passage, « L’arrestation de Jésus » (14,43-52) dont les trois parties répondent aux trois passages de sa première sous-séquence (14,1-11). MATTHIEU 26,1-56 + Jésus annonce sa passion = Les autorités décident de tuer Jésus

MARC 14,1-52 1-2 3-5

L’onction pour la sépulture 6-13 = Judas le disciple décide de vendre Jésus

14-16

= Les autorités décident de tuer Jésus L’onction pour la sépulture = Judas le disciple décide de livrer Jésus

1-2 3-9 10-11

+ Préparation de la Pâque

17-19

+ Préparation de la Pâque

12-16

Annonce de la trahison de Judas

20-25

Annonce de la trahison

17-21

CÉLÉBRATION DE LA PÂQUE

26-29

CÉLÉBRATION DE LA PÂQUE

22-25

Annonce du reniement de Pierre

30-35

Annonce du reniement de Pierre

26-31

36-46

+ Gethsémani

32-42

= Trahison de Judas

43-46

+ Gethsémani

+ Arrestation

47-56

L’oreille coupée = Fuite des disciples

47 48-52

120

Le testament de Jésus

Le message de chaque séquence Le message propre de la séquence de Mc est assez différent de celui de Mt, ce que voudrait traduire la différence des titres donnés à leurs séquences : pour celle de Mt, « La Pâque du Serviteur pour la rémission des péchés », pour celle de Mc, « L’alliance du Maitre pour la multitude des disciples » : « pour la rémission des péchés » – « pour beaucoup » Comme on l’a déjà vu lors de la comparaison de leurs sous-séquences centrales (voir p. 105), le don que Jésus fait de lui-même a pour but « la rémission des péchés » en Mt, tandis qu’en Mc il est destiné à « beaucoup ». Le fait que, contrairement à Mt, Mc ne donne pas le nom de celui qui le livrera dans le premier passage de la sous-séquence centrale (14,17-21), accentue le sentiment, chez les disciples et chez le lecteur, que tous sont capables de trahison : cela semble contribuer à renforcer le « beaucoup » de Mc ; dans la même ligne, alors que Mt indique que ce sont les disciples qui s’indignent contre la femme (Mt 26,8), au centre de la première sous-séquence, Mc a un « certains » (14,4) qui est plus large, et qui par conséquent implique aussi les lecteurs, et... ils sont « beaucoup ». Enfin, au centre de la dernière sous-séquence, l’expression imprécise et ambiguë de Mc 14,47, « un de ceux qui étaient là », concourt à la même indétermination. De toute façon, si le « beaucoup » sur lequel pointe le passage central de Mc (14,24), renvoie à la multitude des personnes qui bénéficieront du don de Jésus — et d’abord à tous ceux qui sont avec Jésus ce soir-là —, le « pour la rémission des péchés » de Mt 26,28 attire davantage l’attention sur leur péché, qui leur sera pardonné. « La Pâque » – « L’Alliance » Mt présente la particularité de commencer sa séquence par un passage qui lui est propre dans lequel il établit un parallèle entre la Pâque qui est sur le point d’arriver et la mort de Jésus qui aura lieu le même jour (26,1-2) ; ce parallèle se retrouve aussi, très clairement, dans le passage symétrique, « La préparation de la Pâque » (17-19). C’est pourquoi le mot de « Pâque » a été retenu pour le titre donné à sa séquence. Mc n’a pas ce parallèle, même pas dans « La préparation de la Pâque » (14,12-16) ; ce dernier passage, en revanche, est marqué par la relation entre les « disciples » et leur « maitre » et par le fait que Jésus les invite à manger « avec » lui. Comme on l’a vu plus haut (voir p. 117), le passage symétrique, « La veillée de prière à Gethsémani » (Mc 14,32-42) insiste lui aussi sur la relation entre Jésus et ses disciples : alors que Mt met davantage en valeur la prière de Jésus (c’est-à-dire sa relation au Père), Mc souligne plutôt l’invitation insistante faite par Jésus à ses disciples. Enfin, le dernier épisode de Mc signale par deux fois la fuite des disciples, d’une manière globale d’abord (14,50), puis de nouveau avec l’histoire du jeune homme nu (14,52) ; sa séquence s’achève sur cette image du jeune disciple qui a bien failli partager le sort de son maitre. C’est pourquoi le terme « Alliance » a été retenu pour indiquer cet aspect de l’action de Jésus.

selon saint Marc (Mc 14,1-52)

121

« le Serviteur » – « le Maitre » Enfin, au lieu d’utiliser le même nom de « Jésus » dans chacun des titres des deux séquences, il a semblé pertinent de choisir un des qualificatifs — ou plutôt un des titres — attribués, explicitement ou implicitement, à Jésus, pour faire ressortir l’aspect du personnage qui se trouve plus particulièrement mis en relief par chacun des deux premiers synoptiques. Mt ne donne pas explicitement à Jésus le titre de « Serviteur ». Cependant, d’une part ses renvois insistants aux Écritures14, en particulier aux Écritures « des prophètes » (56), et d’autre part sa mise en valeur au centre de « la rémission des péchés » ne peuvent pas ne pas faire penser au quatrième chant du Serviteur (Is 52,13–53,12) où le thème de la rémission des « péchés » revient avec insistance (Is 53,5.8.11.12) ; en outre, l’image de l’agneau comme victime expiatoire qui se trouve en Is 53,7.10, semble en quelque sorte reprise par Mt quand il met en parallèle la mort de Jésus avec la Pâque (qui désigne aussi bien l’agneau pascal que la fête). Quant à Mc, on a vu que le titre de « Maitre » (c’est-à-dire « Enseigneur ») est particulièrement mis en valeur dans sa version de « La préparation de la Pâque » (voir p. 95). Il faut en outre rappeler encore une fois que, dans le passage symétrique, « La veillée de prière à Gethsémani » (Mc 14,32-42), l’accent porte surtout sur le rapport entre le maitre et ses disciples. Enfin, il est possible aussi de remarquer que, contrairement à Mt qui, des trois catégories des membres du sanhédrin, ne signale que les grands prêtres et les anciens, Mc y ajoute par deux fois « les scribes » (14,1.43) ; or on sait que les scribes exercent la fonction d’enseignement. S’il fallait caractériser, par une formule synthétique, la perspective propre à chacun des deux premiers synoptiques, il serait possible de dire que celle de Mt a une orientation plus christologique, celle de Mc plus ecclésiologique, celle de Mt plus sacrificielle (sacerdotale), celle de Mc plus communautaire (sapientielle). CONTEXTE Contrairement à Mt, Mc ne fait pas référence à l’alliance noachique (voir p. 65). Inversement, Mc est le seul à rapporter, en finale, l’épisode du jeune disciple qui s’enfuit nu. Par-delà l’allusion à la fin de la première section d’Amos (voir p. 115), il est sans doute possible de voir dans ce personnage qui s’enfuit du « domaine » de Gethsémani une autre référence biblique. Si la femme au parfum et l’homme au sang répandu sont l’image inversée du premier homme et de la première femme, tels que les met en scène le récit d’origine de Gn 2–3, il n’est pas étonnant que la séquence de Mc s’achève, comme l’histoire 14

Au cœur de son quatrième passage (26,15) pour le prix payé par les grands prêtres à Judas — citation que Mc ne reprend pas —, davantage encore dans le dernier passage où il y revient formellement deux fois, en 54 et 56, et où, en plein centre (52) il fait allusion à Gn 9,6.

122

Le testament de Jésus

de nos premiers parents, sur la nudité : comme Adam et Ève se retrouvent nus après le péché et sont chassés du jardin, séparés de Dieu, ainsi le disciple s’enfuit d’un autre jardin, dépouillé de son vêtement et séparé de son Maitre. INTERPRÉTATION Étant donné la très étroite parenté entre les séquences des deux premiers évangélistes, la plupart des observations faites soit dans le « contexte » soit dans l’« interprétation » de la séquence de Mt (voir p. 74-81) pourraient, et devraient, être reprises pour la séquence de Mc. Cela est vrai en particulier pour ce qui concerne la figure de la nouvelle Ève et du nouvel Adam15. Les brefs développements qui suivent n’entendent pas se substituer à ce qui a été écrit sur la séquence de Mt, mais seulement y ajouter quelques aspects qui concernent plus particulièrement celle de Mc. À la place de beaucoup Jésus sera mis à mort. En partageant à ses disciples le pain et le vin, il livre déjà son corps et offre son sang (22-25). Il se sacrifie à la place de tous ceux qui auraient mérité ce châtiment, et ils sont « beaucoup » (24). Non seulement les autorités qui sont déjà coupables de l’homicide volontaire qu’ils ont décidé et qu’ils s’apprêtent à exécuter en arrêtant Jésus (1-2), mais aussi Judas, l’un des Douze (10-11), mais encore tous ceux qui avaient cru en lui et lui avaient juré fidélité (26-31) et qui se laissent tenter, comme Judas, par l’argent (3-9), comme les grands prêtres par la violence (43-46), et qui s’enfuient dans la honte de la nudité (48-52). Pour le lecteur aussi qui peut difficilement ne pas se reconnaitre dans tel ou tel de ces adversaires de Jésus dont Mc a soigneusement laissé l’identité dans l’indétermination. En prenant sur lui le châtiment qu’elles auraient dû encourir, Jésus se révèle comme celui qui rachète les multitudes : « le Juste, mon Serviteur, justifiera des multitudes [...]. C’est pourquoi il aura sa part parmi les multitudes [...] parce qu’il s’est livré lui-même à la mort [...] alors qu’il portait le péché des multitudes » (Is 53,11-12)16. L’argent et le fer Il est deux moyens, opposés et complémentaires, de se débarrasser de quelqu’un, de nier l’autre, de le supprimer : le vendre ou le tuer17. Il est deux 15 Il faut rappeler que l’étude de Y. SIMOENS, « L’onction eucharistique et la cène nuptiale selon Mc 14,1-31 », à laquelle renvoie le chapitre précédent, concerne le second évangile ; sur les rapports entre l’onction de Béthanie et la Cène, voir aussi I. GARGANO, « Lectio divina » sui vangeli della Passione, 65-68. 16 Le mot « multitudes » (hébreu : rabbîm) qui est l’équivalent du « beaucoup » de Mc 14,24, revient non moins de cinq fois dans le quatrième chant du Serviteur (Is 52,14.15 ; 53,11.12a.12c) ; voir p. 61. 17 C’étaient déjà ces deux possibilités qu’avaient envisagées les fils de Jacob pour faire disparaitre leur jeune frère Joseph (Gn 37,18-27).

selon saint Marc (Mc 14,1-52)

123

tentations majeures, l’argent et la violence : « Tu ne tueras pas, tu ne voleras pas » (Ex 20,13.15). Jésus est l’enjeu de ces deux tentations. Les grands prêtres offrent de verser de l’argent à Judas (10-11), mais les autres disciples marquent plus d’intérêt pour les trois cents deniers du parfum que pour celui que la femme veut honorer (4-5). Les grands prêtres, les scribes et les anciens, bref tous les membres du grand Sanhédrin, n’hésitent pas à recourir à la violence en envoyant contre Jésus une foule armée d’épées et de bâtons (43). Les faits devaient leur donner raison d’avoir pris ces précautions, puisque, si Jésus ne résiste pas à la force par la force, il n’en est pas de même de certain de ses disciples (47). Joseph n’avait échappé au dessein meurtrier de ses frères que pour être vendu en Égypte. Jésus n’échappera ni à la mise à prix, ni à la mise à mort. Manger et boire avec Jésus Le jour est arrivé de manger la Pâque, et les disciples se proposent pour la préparer. Mais leur langue les trahit : « Où veux-tu que nous préparions afin que tu manges la Pâque ? » (12). Comme s’ils refusaient implicitement d’entrer dans la fête. Par deux fois Jésus insistera pour leur faire comprendre qu’ils sont invités eux aussi au repas (14.15), à ce que le rite rappelle de l’histoire passée et à ce qu’il annonce des événements futurs. Quand l’heure approche de boire la coupe de tristesse, Jésus demande à ses disciples de rester vigilants dans la prière (34.36). Mais, malgré ses appels répétés, ils ne résisteront pas à la tentation et au sommeil. Et c’est seul, quand tous l’auront abandonné (50-52), que Jésus devra boire la coupe de la violence et de la mort. Le sang versé En remplissant la coupe de bénédiction, Jésus verse déjà symboliquement son sang (23-24). Les disciples, par leur représentant anonyme armé d’une épée, n’hésitent pas à verser le sang, mais ce n’est pas le leur, c’est celui du serviteur du Grand Prêtre, atteint à la tête (47). Quant à la femme de Béthanie, qui n’est pas plus nommée que le porteur de glaive, elle n’hésite pas, en brisant le col du flacon d’albâtre, à verser son précieux parfum sur la tête de Jésus (3). Son sacrifice annonce symboliquement celui du Maitre qu’elle rejoint ainsi dans la mort prédite par l’onction (8). Au lecteur de choisir entre ces deux attitudes envers Jésus.

CHAPITRE III

Le Testament du Roi pour la communauté de ses fidèles (Lc 22,1-53)

La séquence comprend neuf passages organisés en trois sous-séquences : les sous-séquences extrêmes comprennent chacune deux passages ; quant à la séquence centrale, qui se passe tout entière durant le dernier repas, elle comprend cinq passages. Les autorités

et Judas

préparent

la mort de Jésus

Jésus

et ses disciples

préparent

la Pâque

LA PÂQUE

DE JÉSUS

L’annonce

LES ÉPÉES

7-13

14-20

de la trahison

21-24

LE DISCOURS SUR LE SERVICE L’annonce

1-6

du reniement

25-30

31-34

35-38

DES APÔTRES

Agonisant, Jésus

accepte

de verser

son propre sang

39-46

Arrêté,

refuse

de verser

le sang de ses ennemis

47-53

Jésus

126

Le testament de Jésus A. LA PÂQUE DE JÉSUS SE PRÉPARE (22,1-13)

La première sous-séquence comprend deux passages : « Le complot contre Jésus » (1-6) et « La préparation de la Pâque » (7-13). 1. LES AUTORITÉS ET JUDAS PRÉPARENT LA MORT DE JÉSUS (22,1-6) COMPOSITION DU PASSAGE : 1 Or approchait : + 2 Et CHERCHAIENT + car ils craignaient . 3 Or entra . appelé . étant

la fête dite les grands-prêtres = comment le peuple. Satan Iscariote du nombre

des Azymes la Pâque. et les scribes ils supprimeraient

lui

en Judas des Douze.

······························································································

-- 4 Et étant parti, -- il parla-avec = comment

les grands-prêtres -donner

et les gardes, lui.

······························································································ 5

. Et ils se réjouirent . et convinrent avec lui . de l’argent à (lui) donner. + 6 Et il acquiesça + à l’insu de

et CHERCHAIT = pour la foule

le bon-moment -donner à eux.

lui,

La première partie (1) situe le récit dans le temps. La seconde est de construction concentrique. Dans le premier morceau, « Judas » et « Satan » (3) viennent pour ainsi dire tirer d’embarras « les grands prêtres et les scribes » (2). Dans le dernier morceau, après l’accord conclu avec les responsables (5) Judas cherche à le mettre à exécution. Ces morceaux se correspondent de manière spéculaire. Les segments extrêmes (2.6) se répondent : « chercher » se retrouve dans les premiers membres (2a.6a), les seconds membres sont synonymiques (2b.6b), enfin les troisièmes membres s’achèvent avec « le peuple » et « la foule1 », également craints. Le rapport entre 3 et 5 ne saute pas aux yeux. Il est cependant possible de remarquer que Judas 1 Bien que chez Lc, « le peuple » désigne plutôt ceux qui croient en Jésus et « la foule » le toutvenant (voir, par exemple, Lc 18,36 et 43b), ici les deux termes semblent synonymes.

selon saint Luc (Lc 22,1-53)

127

reçoit d’une part « Satan » qui « entre » en lui (3a) et d’autre part « l’argent » que les grands prêtres promettent de lui « donner » (5c) ; en d’autres termes, tout se passe comme si Satan entrait en Judas en même temps que l’argent. En effet, « lui » (5b) se réfère à « Judas » (3a) ; les verbes « entrer en » (3a) et « donner à » (5c) se correspondent ; « argent », le complément d’objet direct de « donner » (en grec), renvoie au sujet de « entra », « Satan ». Les deux derniers membres de 3 juxtaposent deux participes et les deux premiers membres de 5 coordonnent deux verbes. Au centre, de nouveau un trimembre dont le troisième membre correspond au membre central des segments extrêmes (2b.6b). Le membre central (4) est le seul à n’utiliser que des mots existant dans les deux autres membres, ce qui le signale comme le plus marqué. À noter que dans la première phase (2) « les scribes » sont nommés avec « les grands prêtres », mais qu’au centre, ce sont « les gardes » (4) ; ces derniers (stratēgoi ; souvent traduits par « les chefs des gardes »), appelés « gardes du Temple » en 22,52, sont les officiers de la force de police chargée de l’ordre dans le Temple, et probablement aussi des finances.

128

Le testament de Jésus

COMPARAISON SYNOPTIQUE (voir Mt 26,3-5 ; 14-16, p. 30.36 et Mc 14,1-2 ; 10-11, p. 84.90) Mt 26,1-5 et 14-16

Mc 14,1-2 et 10-11

Lc 22,1-6

1

Il arriva, lorsque Jésus eut achevé toutes ces paroles, qu’il dit à ses disciples : 2 « Sachez que après deux jours LA PÂQUE va-arriver et que le Fils de l’homme va-être donné pour être crucifié. » 3

1

Or c’était

LA PÂQUE

et les Azymes après deux jours :

1

Or approchait la fête des Azymes qui (est) dite LA PÂQUE.

et cherchaient

2

LES GRANDS PRÊTRES

LES GRANDS PRÊTRES

LES GRANDS PRÊTRES

et les anciens du peuple dans le palais du Grand Prêtre qui est dit Caïphe. 4 Et ils se mirent d’accord afin que de Jésus par ruse ils s’emparent et ILS LE tuent. 5 Or ils disaient : « Pas durant la fête, afin qu’il n’arrive pas un tumulte dans LE PEUPLE. »

et les scribes

et les scribes

comment, s’emparant de lui par ruse, ILS LE tueraient. 2 Car ils disaient : « Pas durant la fête, de peur qu’il y ait un tumulte DU PEUPLE.

comment

[Onction de Béthanie : 6-13]

[Onction de Béthanie : 3-9]

Alors se réunirent

14

Alors, étant venu un des DOUZE, celui qui est dit JUDAS ISCARIOTE,

supprimeraient car ils craignaient LE PEUPLE. ILS LE

3 10

Et JUDAS ISCARIOTE, un des DOUZE,

vers

s’en alla vers

LES GRANDS PRÊTRES,

LES GRANDS PRÊTRES

15

il dit : « Que voulez-vous me donner et moi je vous le -DONNERAI ? » ···································

Et cherchaient

afin de le leur -DONNER.

Or entra Satan en JUDAS appelé ISCARIOTE étant du nombre des DOUZE. ··································· 4 Et s’en étant allé il parlaavec LES GRANDS PRÊTRES et les gardes comment le -DONNER. ···································

11

Or ceux-ci ayant entendu, se réjouirent et promirent de lui donner de l’ARGENT.

“Or ceux-ci lui pesèrent trente pièces d’ARGENT.” ··································· 16 ET à partir d’alors

ET

IL CHERCHAIT le BON-MOMENT afin de le -DONNER.

IL CHERCHAIT comment il le -DONNERAIT au BON-MOMENT.

5

Et ils se réjouirent et convinrent-avec lui de l’ARGENT à lui donner. 6

ET il acquiesça et IL CHERCHAIT LE BON-MOMENT pour le leur -DONNER, à l’insu de la foule.

Comme Mc, Lc n’a pas l’équivalent du premier passage de Mt 26,1-2 ; il commence donc sa séquence comme Mc, par une notation de temps (1), moins précise cependant que chez Mc (et qu’en Mt 26,2). Lc ne rapporte pas « L’onction à Béthanie » comme Mt 26,6-13 et Mc 14,3-9. L’équivalent de ce passage se trouve chez lui beaucoup plus tôt, en 7,36-50 ; le contexte historique et littéraire en est tout à fait différent, si bien qu’on peut se

selon saint Luc (Lc 22,1-53)

129

demander s’il s’agit bien du même épisode2. Lc a réuni en un seul passage les deux passages qui encadrent « L’onction de Béthanie » chez Mt (26,3-5 et 1416) et chez Mc (14,1-2 et 10-11). Le récit de Lc est plus proche de celui de Mc que de celui de Mt. Lc présente d’abord les ennemis de Jésus, « les grands prêtres et les scribes » comme chez Mc (Mt a « les grands prêtres et les anciens du peuple ») ; comme Mc 14,1, Lc ne parle pas d’une réunion « dans le palais du Grand Prêtre qui est dit Caïphe » (Mt 26,3de) ; il utilise une expression semblable à celle de Mc 14,1, « cherchaient les grands prêtres et scribes comment » faire disparaitre Jésus. En revanche Mt et Mc s’accordent sur le fait qu’ils veulent « s’emparer de lui par ruse » et « le tuer » (Mt 26,4c et Mc 14,1hi ; au lieu de « le supprimer » de Lc), tandis que Lc est moins précis avec son « car ils craignaient le peuple » de 22,2fgh ; de même, Lc ne reprend pas les paroles des chefs, « Pas durant la fête... » de Mt 26,5 et de Mc 14,2. En bref, Lc 22,1-2 suit Mc 14,1 avec quelques modifications. Le reste du passage de Lc (3-6) est l’équivalent du quatrième passage de Mt (26,14-16) et du troisième passage de Mc (14,10-11). De la simple désignation du traitre, « Judas Iscariote, l’un des Douze » (Mc 14,10ab ; à peu près équivalent en Mt 26,14bc), Lc a fait une phrase complète dont le sujet est « Satan » (3). Lc 22,4-5 suit de près Mc 14,10-11, alors que Mt 26,15abc ajoute les paroles que Judas adresse aux grands prêtres ainsi que le versement de trente pièces d’argent. Le dernier verset de Lc (6) n’est pas très différent de Mc 14,11e-h et de Mt 26,16 ; il ajoute cependant « à l’insu de la foule ». Le fait le plus remarquable est que, chez Lc, les éléments qui se trouvent séparés chez Mt et Mc, ne sont pas simplement juxtaposés, mais qu’ils sont repris et forment une composition nouvelle, tout à fait régulière. INTERPRÉTATION « Qui donc parmi eux allait faire cela ? » (22,23) Ce n’est pas « le peuple » qui donnera Jésus car il a cru en lui, pas même « la foule » dont on peut tout attendre, puisque les responsables craignent l’un (2c) et que Judas ne veut pas que cela se fasse en présence de l’autre (6c). Ainsi, tandis que la multitude est favorable à Jésus, ce sont les membres du Sanhédrin, grands prêtres et scribes (2a), ainsi que les gardes (4b), qui cherchent à perdre Jésus. Mais ils n’en trouvent pas le moyen. Alors se produit l’inouï : Jésus ne sera pas donné par la foule ou par le peuple, ni par les anciens, les scribes, les grands prêtres et leurs gardes ; il sera donné par Judas, « l’un des Douze » (3). Et Judas ne sera pas soudoyé par quiconque, il ira de lui-même, de sa propre initiative, trouver les chefs pour leur proposer Jésus (4). Ils ont de quoi se réjouir (5a) car la chance la plus improbable est avec eux. La trahison atteint son comble. Elle 2 Voir R. MEYNET, « “Celui à qui est remis peu, aime un peu” (Lc 7,36-50) » ; ID., Luc 2011, 330-336.

130

Le testament de Jésus

est tellement monstrueuse qu’elle ne peut pas venir d’un homme, elle ne peut être que l’œuvre de Satan (3a). « Nul ne peut servir deux maitres » (Lc 16,13) « Nul ne peut servir deux maitres ; ou bien il aimera l’un et haïra l’autre, ou bien il s’attachera à l’un et détestera l’autre ; nul ne peut servir Dieu et Mammon » (Lc 16,13). Entre Jésus et Satan, Judas a choisi son maitre ; il donnera l’un (4) et encaissera le salaire de l’autre (5c). En réalité, refusant de continuer à servir le maitre qu’il avait suivi avec tant d’autres et par qui il avait été choisi entre tous pour être du nombre des douze apôtres (Lc 6,16), se servant de lui pour obtenir de l’argent (5c), il s’asservit à Satan (3a) qui « entre » en lui pour le posséder. Tant il est vrai que l’homme est possédé par ce qu’il croit posséder. 2. JÉSUS ET SES DISCIPLES PRÉPARENT LA PÂQUE (22,7-13) COMPOSITION DU PASSAGE Alors que dans la première partie (7-9), le dialogue s’instaure entre Jésus et deux de ses disciples, dans la dernière (11-13) ces derniers s’accordent avec « le maitre de maison » auquel « le Maitre » les a adressés ; la partie centrale (10), les fera passer de l’un à l’autre, grâce à la rencontre d’« un homme » qui, « portant une cruche d’eau », leur servira de signe. Dans cette partie centrale (10) se trouve le signe de reconnaissance donné par le Maitre. Après une courte phrase de récit (10a), les paroles de Jésus forment un concentrisme parfait : aux extrémités, les verbes synonymes « entrer » et « pénétrer » ; « dans la maison » correspond à « dans la ville ». Le renversement s’opère, physiquement, quand Pierre et Jean font demi-tour pour « suivre » l’homme qui les « rencontre ». Au cœur de la construction, le personnage énigmatique de l’homme « portant une cruche d’eau ». . « Voici : quand vous ENTREREZ . dans la ville . rencontrera vous UN HOMME PORTANT UNE CRUCHE D’EAU ; . suivez le . dans la maison PÉNÉTRERA. . dans laquelle il

Les parties extrêmes (7-9 ; 11-13) se répondent de manière spéculaire. – Dans le premier morceau (7-8), le commandement particulier que Jésus donne aux deux disciples (8), concernant la même « Pâque » (7b.8b), succède à la loi générale (7). Le dernier morceau (12-13) fait succéder à l’annonce (12a) sa réalisation (13ab), et à l’ordre (12b) son exécution (13c).

selon saint Luc (Lc 22,1-53)

131

– Dans le second morceau de la première partie (9) et dans le premier de la troisième partie (11) sont posées deux questions analogues qui commencent par le même interrogatif, « Où ». – Dans chacune de ces parties, le substantif « la Pâque » revient deux fois (7b.8b ; 11d.13b) ; de même le verbe « préparer » est répété deux fois (8b.9c ; 12b.13c). : 7 Or vint le jour des Azymes – où il fallait que soit immolée

LA PÂQUE.

8

: Et il envoya Pierre et Jean disant : – « Étant partis, PRÉPAREZ pour nous – pour que nous la mangions. »

LA PÂQUE

···········································································································

. 9 Ils lui dirent : + « Où veux-tu + que nous PRÉPARIONS ? » . « Voici : ENTRANT vous - rencontrera vous 10

Or il leur dit :

portant - suivez . dans laquelle

. 11 Et . “Il

dans la ville un homme

une cruche

d’eau ;

lui

dans la maison il PÉNÉTRERA.

vous direz au maitre-de-maison : te dit le Maitre :

+ Où est la salle + où LA PÂQUE avec mes disciples je mangerai ?” ···········································································································

:

12

Et celui-là vous montrera une pièce-haute, grande et garnie ; – là-bas PRÉPAREZ. »

: 13 Or s’en étant allés, ils trouvèrent : comme il leur avait dit – et ils PRÉPARÈRENT

LA PÂQUE.

132

Le testament de Jésus

COMPARAISON SYNOPTIQUE (voir Mt 26,17-19, p. 38 et Mc 14,12-16, p. 95) Mt 26,17-19 17

Or LE premier DES AZYMES,

(jour)

Mc 14,12-16

Lc 22,7-13

12

Et LE premier jour DES AZYMES,

7

quand ils immolaient la Pâque,

où il fallait que soit immolée la Pâque. 8 Et il envoya Pierre et Jean disant : « Étant partis, préparez pour nous la Pâque pour que nous la mangions. » ······································· 9 Ils lui DIRENT :

les disciples vinrent vers Jésus en DISANT :

ses disciples lui DISENT :

« OÙ VEUX-TU QUE NOUS te PRÉPARIONS (pour) manger la Pâque ? »

« OÙ VEUX-TU QUE NOUS allions PRÉPARER afin que tu manges la Pâque ? »

Or vint LE jour DES AZYMES

« OÙ VEUX-TU QUE NOUS PRÉPARIONS



13 18

Or IL DIT :

Et il envoie deux de ses disciples et IL leur DIT :

« Allez

« Allez

DANS LA VILLE

DANS LA VILLE

chez un tel,

et vous rencontrera un homme portant une cruche d’eau ; suivez-le 14 et là où il entrera,

et DITES -lui : “LE MAITRE DIT : Mon temps est proche ; c’est chez toi que je fais LA PÂQUE AVEC MES DISCIPLES. »

DITES

au maitre-de-maison que ······································· “LE MAITRE DIT :

10

Or IL leur DIT :

« Voici : quand vous entrerez DANS LA VILLE, vous rencontrera un homme portant une cruche d’eau ; suivez-le dans la maison dans laquelle il pénétrera. 11

Et vous DIREZ au maitre-de-maison : “Il te DIT LE MAITRE :

Où est ma salle où je mangerai LA PÂQUE AVEC MES DISCIPLES ? ······································· 15 Et lui vous montrera une salle-haute, grande, garnie, préparée et là préparez pour nous. »

Où est la salle où LA PÂQUE AVEC MES DISCIPLES je mangerai ? » ······································· 12 Et celui-là vous montrera une salle-haute, grande et garnie. Là préparez. »

16 Et les disciples sortirent, et ils vinrent à la ville, et ils trouvèrent

13

COMME il LEUR dit ET ILS PRÉPARÈRENT LA PÂQUE.

COMME il LEUR avait dit ET ILS PRÉPARÈRENT LA PÂQUE.

········································ 19

Et les disciples firent

COMME Jésus LEUR avait ordonné ET ILS PRÉPARÈRENT LA PÂQUE.

Or s’en étant allés, ils trouvèrent

Le récit de Lc est plus proche de celui de Mc que de celui de Mt, en particulier à cause de la présence de l’homme à la cruche (Mc : 13efg ; Lc : 10efg). Contrairement à Mt et Mc qui s’accordent pour faire poser, d’entrée de jeu, une question presque identique par les disciples (Mt : 17efg ; Mc : 12ghi), chez Lc c’est Jésus qui prend l’initiative d’envoyer deux de ses disciples préparer la

selon saint Luc (Lc 22,1-53)

133

Pâque (8) ; et c’est seulement après cela que les disciples lui posent la question (9bc) ; cette question est plus brève, car l’équivalent de la dernière proposition des disciples en Mt (17g) et en Mc (12i) trouve son équivalent à la fin de l’ordre de Jésus en Lc (8d). Alors que chez Mt ce sont les disciples en général qui sont envoyés préparer la Pâque (17c.19a), chez Mc il s’agit seulement de deux d’entre eux (13a) ; Lc précise qu’il s’agit de Pierre et Jean (8a). Le reste du récit est presque identique chez Mc et Lc. On remarquera cependant que leur découpage syntaxique est souvent différent : — dès le début, Lc fait une phrase complète (7) de ce qui n’est qu’une temporelle chez Mc (12a-d) ; — les paroles adressées aux deux disciples sont découpées autrement : la première phrase s’achève chez Lc avec une relative, « dans laquelle il pénétrera » (10i), tandis que chez Mc la relative équivalente, « Et où il entrera » (14b), se rattache à la proposition suivante. Si bien que toutes ces différences font que la composition des récits de Mc et de Lc finit par être très différente : chez Mc, le centre de la construction est constitué par tout le discours de Jésus aux deux disciples (13-15), tandis que chez Lc l’attention est focalisée sur le personnage énigmatique qui marque le retournement des disciples sur le chemin qui les mène à la salle de la Pâque (10efg). INTERPRÉTATION « Comme il leur avait dit » Quand, au moment de faire son entrée solennelle à Jérusalem, Jésus avait envoyé deux de ses disciples chercher un ânon dans le village d’en face (Lc 19,29-34), tout était arrivé « comme il leur avait dit » (32). De même aujourd’hui, les deux disciples envoyés préparer la Pâque trouvent « comme il leur avait dit » (13b). Ainsi, une fois de plus, le prophète est authentifié ; ce qu’il annonce se réalise à la lettre : « Lorsque cela arrivera — et voici que cela arrive — ils sauront qu’il y avait un prophète parmi eux » (Ez 33,33). Un signe énigmatique C’étaient les femmes et non les hommes qui allaient à la fontaine et en rapportaient l’eau dans des cruches. Le grand nombre de celles que l’on pouvait rencontrer dans les ruelles de Jérusalem n’aurait certainement pas pu servir de signe. Tandis qu’un homme se faisait remarquer à porter une cruche d’eau (10d). Mais serait-ce vraiment la seule raison pour laquelle Jésus a choisi un signe aussi étrange ? Marquant le point de retournement dans la marche des envoyés — voyant l’homme décrit par leur maitre venir à leur rencontre (10c), ils font demitour pour suivre leur guide (10e) —, il ne saurait être dénué de toute signification symbolique. En effet, cet homme mystérieux ne les emmène pas n’importe où, mais vers le lieu où ils mangeront la Pâque. La suite du texte permettra-t-elle de résoudre l’énigme ?

134

Le testament de Jésus

3. LA PÂQUE SE PRÉPARE (22,1-13) COMPOSITION DE LA SOUS-SÉQUENCE 1 * 22, Or approchait la fête des Azymes

qu’on appelle

la Pâque.

2

Les grands-prêtres et les scribes cherchaient comment ils le supprimeraient, car ils craignaient le peuple. 3 Or Satan entra en Judas appelé Iscariote, qui était du nombre des Douze. 4

IL ALLA S’ENTRETENIR AVEC LES GRANDS-PRÊTRES ET LES GARDES

comment le -donner. 5 Eux se réjouirent et convinrent de lui donner de l’argent. 6 Il accepta et se mit à chercher le bon-moment pour le leur -donner à l’insu de la foule. 7 * Or vint

le jour des Azymes

où il fallait immoler

la Pâque.

8

Il envoya Pierre et Jean disant : « Étant partis, préparez pour nous la Pâque pour que nous la mangions. » 9 Ils lui dirent : « Où veux-tu que nous préparions ? » 10 Il leur dit : « Voici : quand vous entrerez dans la ville, VIENDRA À VOTRE RENCONTRE UN HOMME PORTANT UNE CRUCHE D’EAU.

Suivez-le dans la maison dans laquelle il pénétrera. 11 Et vous direz au maitre de maison : “Le maitre te dit : Où est la salle où je mangerai la Pâque avec mes disciples ?” 12 Celui-là vous montrera une pièce haute, grande et garnie de coussins. C’est là que vous préparerez. » 13 S’en étant allés, ils trouvèrent comme il leur avait dit et ils préparèrent la Pâque.

Les phrases d’introduction (1 et 7) sont parallèles entre elles et jouent le rôle de termes initiaux. — Le centre du premier passage (4a) montre l’un des Douze, Judas Iscariote, entrant en contact avec les grands prêtres et les chefs des gardes ; le centre du second passage (10c) annonce aussi une rencontre : celle de l’homme à la cruche d’eau avec deux des Douze, Pierre et Jean (les deux verbes traduits par « s’entretenir avec » et « viendra à votre rencontre » ont le même préfixe syn- : syn-elalēsen et syn-antēsei). Alors que les premiers personnages sont les ennemis de Jésus, le « maitre de maison » vers qui l’homme rencontré dans la rue conduit Pierre et Jean est un ami de Jésus. — « Préparer » et « manger la Pâque » (8.9.11.12) renvoient à « comment le supprimer » ou «comment/ pour le donner » (2.4.6) ; ainsi les deux passages mettent en parallèle la Pâque, c’est-à-dire l’agneau pascal qui doit être « immolé » (7) pour la célébration de la fête, et Jésus que les autorités, aidées en cela par Judas, se préparent à « supprimer » (2).

selon saint Luc (Lc 22,1-53)

135

COMPARAISON SYNOPTIQUE (voir Mt 26,1-19, p. 41 et Mc 14,1-11, p. 92) Mt 26,1-19

Mc 14,1-11

Lc 22,1-13

+ Jésus annonce sa passion 1-2 = Les autorités décident de tuer Jésus

3-5

Onction de Béthanie

6-13

= Les autorités décident de tuer Jésus Onction de Béthanie

1-2

= Les autorités décident de tuer Jésus

3-9

et

= Judas le disciple décide de vendre Jésus 14-16

= Judas le disciple décide de livrer Jésus 10-11

+ Préparation de la Pâque 17-19

+ Préparation de la Pâque 12-16

Judas le disciple décide de le livrer

1-6

= Préparation de la Pâque 7-13

Chez Mc « La préparation de la Pâque » est couplée, à distance, avec « La veillée de prière à Gethsémani » ; chez Lc elle entre dans une même sousséquence avec ce qui précède, comme chez Mt. Cependant les premières sousséquences de Mt et de Lc sont extrêmement différentes : celle de Mt comprend cinq passages, tandis que celle de Lc n’en compte que deux. D’une part en effet, Lc n’a pas repris l’onction de Béthanie3, d’autre part il a combiné en un seul passage les premier, deuxième et quatrième passages de Mt. L’effet de sa construction est donc complètement différent qui met en parallèle, en particulier, les ennemis de Jésus avec ses amis. INTERPRÉTATION « Le Christ notre Pâque a été immolé » (1Co 5,7) La fête approche (1), l’agneau pascal va être immolé (7). Son sang répandu sera mis sur les montants et les linteaux des portes (Ex 12,7). C’est grâce à ce sang qu’ils seront épargnés par l’ange exterminateur et auront la vie sauve (Ex 12,13). Mais la victime de cette Pâque ne sera pas seulement l’agneau pascal. Vendu (5), Jésus payera de sa vie notre rançon, il sera le prix de notre rachat. Amis et ennemis de Jésus Jésus a des ennemis, les autorités, grands prêtres et chefs des gardes, ceux que Judas va trouver (4) et qui se réjouissent de sa démarche (5). Il a aussi des amis, parmi lesquels celui vers qui il envoie Pierre et Jean pour préparer la Pâque (1012). Les uns veulent le supprimer, l’autre l’accueille chez lui pour qu’il puisse célébrer la Pâque avec ses disciples. Il reste que, même si le montage de Lc le met en opposition avec les autorités officielles d’Israël, ce personnage reste bien mystérieux. 3 On pense généralement que c’est parce que son récit de l’onction dans la maison de Simon (Lc 7,36-50) se réfère au même événement ; voir F. BOVON, L’Évangile selon saint Luc, 1–9, 378-380.

136

Le testament de Jésus B. QUI DONC EST LE PLUS GRAND ? (22,15-38)

La deuxième sous-séquence comprend cinq passages : – « La célébration de la Pâque » (14-20), – « L’annonce de la trahison » (21-24), – « Le discours sur le service » (25-30), – « L’annonce du reniement de Pierre » (31-34), – « Les épées des apôtres » (35-38). 1. LA PÂQUE DE JÉSUS (22,14-20) COMPOSITION DU PASSAGE Ce passage pose un problème bien connu : du fait que, contrairement aux passages parallèles de Matthieu et de Marc, il y est question de deux coupes (17.20), s’agit-il d’un seul passage, d’un seul rite, ou de deux ? L’enjeu est de taille : la nouvelle alliance de Jésus est-elle séparée de l’ancienne ? Un simple regard sur quelques traductions françaises modernes permet de se rendre compte des hésitations des exégètes : alors que la TOB fait de ces sept versets une seule péricope et l’intitule « La nouvelle Pâque », la BJ en fait deux passages : 14-18 19-20

« Le repas pascal » « Institution de l’Eucharistie »

Osty coupe de la même manière, mais les sous-titres de ses deux péricopes indiquent son embarras de les séparer : 14-18 19-20

« Le repas – Sentiments de Jésus et dernière pâque juive » « Le repas – Institution de l’Eucharistie »

L’omission de la fin de 19 (depuis « Faites ceci ») et de 20 par plusieurs manuscrits anciens témoigne d’une gêne analogue4. La première manière de résoudre le problème, la plus radicale, est donc de supprimer la seconde coupe ! La deuxième manière est de disjoindre les deux, comme s’il y avait deux repas, en tout cas deux rites, celui, ancien, de la pâque juive (avec des minuscules chez Osty) et celui, nouveau, de l’Eucharistie (avec une majuscule cette fois-ci !). On dira que les deux rites sont « mis en parallèle5 », ce qui est une manière de les relier tout en les maintenant séparés.

4 5

Voir P. BENOIT, « Le récit de la Cène ». BJ 1977, 1514, note c (de même l’édition de 1998, 1799-1800, note i).

selon saint Luc (Lc 22,1-53)

137

La critique historique tente de résoudre ce problème, de manières fort diverses, en faisant appel à des sources et à des traditions différentes. Explication génétique ou archéologique qui ne rend pas compte de l’état actuel du texte et des raisons pour lesquelles, s’il existe à l’origine du texte actuel des sources différentes, Lc les a combinées. La voie suivie par Xavier Léon-Dufour qui veut retrouver derrière le récit de Lc la forme des testaments des patriarches manifeste une intuition que l’analyse de l’ensemble de la séquence confirmera largement ; sa démonstration en revanche ne semble pas s’imposer absolument6. L’analyse rhétorique permet d’offrir une autre alternative : quoi qu’il en soit de la préhistoire du texte, l’important n’est-il pas, à travers une étude attentive de sa composition, de saisir le message propre de Lc ? Pour le dire d’emblée, la manière, fort élaborée, dont il a imbriqué, de façon indissociable, les différents éléments de son récit du dernier repas de Jésus, révèle son intention de montrer que l’alliance conclue par Jésus, bien que nouvelle, ne fait qu’un avec l’ancienne. Il est très difficile de dégager la composition de ce texte, et en particulier d’opter pour un découpage du passage en ses différents éléments constitutifs. Certes, quatre paroles de Jésus sont rapportées (14-16 ; 17-18 ; 19 ; 20), mais comment les regrouper ? Première solution Une première solution serait de considérer que le passage est formé de deux parties (14-18 ; 19-20).

6

X. LÉON-DUFOUR, Le Partage du pain eucharistique, spécialement, 105 ssq.

138

Le testament de Jésus

= 14 Et quand arriva . il s’étendit . 15 et il dit

l’heure, et les apôtres à eux

= « J’ai désiré . manger . avant que

d’un (grand) désir CETTE PÂQUE avec vous JE SOUFFRE.

avec lui

: 16 CAR JE VOUS DIS : que je ne la mangerai jamais plus - jusqu’à ce qu’elle soit accomplie + 17 Et +

dans le règne de Dieu. »

··············································································································· ayant reçu une COUPE, rendu grâces,

il dit : * « PRENEZ

CECI

ET PARTAGEZ ENTRE VOUS.

18

: CAR JE VOUS DIS : que je ne boirai - jusqu’à ce que + 19 Et ayant pris + il (le) rompit

plus désormais du produit de la vigne le règne de Dieu soit venu. »

du PAIN, et leur donna,

. « CECI est mon corps - qui pour vous

rendu grâces, disant :

est donné.

EN MÉMOIRE DE MOI. » * FAITES CECI ··············································································································· la COUPE de même après le diner en disant :

= 20 Et . « CETTE coupe (est) - qui pour vous

L’ALLIANCE NOUVELLE est versé.

en MON SANG

Ces deux parties seraient en effet marquées par des symétries très fortes : dans la première, le verset 18 reprend presque mot pour mot le verset 16 ; dans la deuxième, « ceci est mon corps qui pour vous est donné » de 19 annoncerait « cette coupe est l’alliance nouvelle en mon sang qui pour vous est versé » de 20. Par ailleurs les versets 14-18 et 19-20 font se succéder, dans le même ordre, manger et boire : (15b) – MANGER (16a) pain (19a) – corps (19b)

MANGER

coupe (17a) – BOIRE (18a) coupe (20a) – sang (20b)

Deuxième solution Cependant d’autres symétries pourraient inviter à subdiviser le passage en trois parties (14-16 ; 17-19 ; 20).

selon saint Luc (Lc 22,1-53) = 14 Et quand arriva l’heure, . il s’étendit et les apôtres . 15 et il dit à eux = « J’ai désiré . manger . avant que

avec lui

d’un (grand) désir CETTE PÂQUE avec vous JE SOUFFRE.

: 16 CAR JE VOUS DIS : que je ne la mangerai jamais plus - jusqu’à ce qu’elle soit accomplie + 17 Et ayant reçu +

139

une COUPE,

rendu grâces, il dit :

* « PRENEZ CECI : 18 CAR JE VOUS DIS : que je ne boirai - jusqu’à ce que

dans le règne de Dieu. »

ET PARTAGEZ ENTRE VOUS.

plus désormais du produit de la vigne le règne de Dieu soit venu. »

············································································································ du PAIN, rendu grâces,

+ 19 Et ayant pris + il (le) rompit

et leur donna,

. « CECI est - qui pour vous

disant :

mon corps est donné. * FAITES CECI

EN MÉMOIRE DE MOI.

»

= 20 Et la COUPE de même après le diner en disant : . « CETTE coupe (est) L’ALLIANCE NOUVELLE en MON SANG - qui pour vous est versé.

La partie centrale comprendrait deux morceaux (17-18 ; 19) marqués par des termes initiaux parallèles (17ab.19ab) ; la première de ces deux paroles de Jésus commence et la deuxième finit (17c.19e) par les deux seules phrases impératives du texte, « prenez ceci et partagez entre vous » et « faites ceci en mémoire de moi ». La partie centrale (17-19), celle de l’action de grâces (« Eucharistie ») et des commandements concernant la coupe et le pain, serait encadrée par deux autres parties où se répondent le manger (14-16) et la coupe (20), où « cette coupe » qui est « l’alliance nouvelle » de 20b répond à « cette Pâque » de 15c, de même que « mon sang » de 20b rappelle « je souffre » de 15d. L’agrafage entre la première partie (14-16) et la partie centrale (17-19) serait assuré par les suites semblables : Je vous dis... je ne... plus Je vous dis je ne... plus...

jusqu’à ce que... le règne de Dieu jusqu’à ce que... le règne de Dieu

16ab 18ab

140

Le testament de Jésus

De même entre la partie centrale et la dernière partie : Ceci Cette...

est mon corps est... mon sang

qui pour vous est qui pour vous est

donné versé

19bc 20bc

Troisième solution Une troisième solution, sans doute la plus satisfaisante, est de considérer que le passage est formé de quatre parties (14-16 ; 17-18 ; 19 ; 20), chacune liée à la suivante par une reprise très forte : 16 et 18 agrafent les deux premières parties ; 17ab et 19ab sont les termes initiaux des deuxième et troisième parties ; en outre les deux commandements de 17c et 19e mettent en relation ces deux parties centrales ; enfin, 19cd et 20bc unissent les deux dernières parties. = 14 Et quand arriva l’heure, . il s’étendit et les apôtres . 15 et il dit à eux = « J’ai désiré . manger . avant que

d’un (grand) désir CETTE PÂQUE avec vous JE SOUFFRE.

: 16 CAR JE VOUS DIS : que je ne la mangerai - jusqu’à ce qu’elle + 17 Et ayant reçu +

avec lui

une COUPE,

jamais plus soit accomplie rendu grâces, il dit : * « PRENEZ CECI

: 18 CAR JE VOUS DIS : que je ne boirai - jusqu’à ce que + 19 Et ayant pris + il (le) rompit

du PAIN, et leur donna,

. « CECI est - qui pour vous

dans le règne de Dieu. »

plus désormais le règne de Dieu

ET PARTAGEZ ENTRE VOUS.

du produit de la vigne soit venu. »

rendu grâces, disant : mon corps est donné. * FAITES CECI

EN MÉMOIRE DE MOI.

»

= 20 Et la COUPE de même après le diner en disant : . « CETTE coupe (est) L’ALLIANCE NOUVELLE en MON SANG - qui pour vous est versé.

selon saint Luc (Lc 22,1-53)

141

De quelque côté qu’on prenne ce passage, il forme un tout indissociable dont les éléments sont soigneusement imbriqués les uns dans les autres. Le vocabulaire de l’alliance traverse, ou plutôt organise, tout le passage, du début avec « Pâque » et « je souffre », jusqu’à la fin avec « alliance » (ou « testament ») et « mon sang » (toute alliance se faisant dans le sang7) en passant par le milieu où s’opère « à partir de maintenant » (18b : traduit par « désormais ») la conclusion (la « rupture »8) de « l’alliance nouvelle ». Dans un long article qui fait autorité sur le sujet, après avoir mené une étude très serrée de critique textuelle où il défend l’authenticité du texte long, puis une recherche de critique littéraire (au sens de la détermination des sources), Pierre Benoit en arrive à la conclusion suivante : Il [Lc] mentionne d’abord et séparément la Pâque ancienne, la décrivant d’une manière schématique en deux gestes habilement choisis pour correspondre aux deux gestes de la Pâque eucharistique. Ou, si l’on veut, il dissocie en deux panneaux successifs et parallèles les deux plans qui, dans la réalité des faits, se recouvrirent. [...] Ainsi il juxtapose les deux rites et par le fait même les oppose9.

L’analyse de la composition du texte, telle qu’elle vient d’être menée ici, semble démontrer le contraire.

7 Voir P. BEAUCHAMP, L’Un et l’Autre Testament, chapitre VI : « La nouvelle alliance » ; spécialement 243 sqq. 8 Faut-il voir dans le verbe « rompre » (19b) encore un mot du vocabulaire de l’alliance ? C’est le verbe employé habituellement avec « alliance » : en français on « conclut », on « scelle » une alliance ; en hébreu au contraire, on la « rompt », on la coupe : le rite, lié au sang, veut en effet que les parties contractantes passent entre les moitiés des victimes coupées en deux pour signifier le sort réservé à celui qui ne respecterait pas le pacte (voir Jr 34,18). L’alliance en effet est « à la vie à la mort », ce que signifie le sang. 9 « Le récit de la Cène », Exégèse et Théologie I, 196-197.

142

Le testament de Jésus

COMPARAISON SYNOPTIQUE (voir Mt 26,26-29, p. 49 et Mc 14,22-25, p. 100) Mt 26,26-29

Mc 14,22-25

Lc 22,14-20

26

Or comme ils mangeaient, ·······································-

22

Jésus AYANT PRIS DU PAIN et ayant béni, IL (le) ROMPIT ET (l’)AYANT DONNÉ aux disciples, IL DIT : « Prenez, mangez, CECI EST MON CORPS. » ········································

AYANT PRIS DU PAIN, ayant béni, IL (le) ROMPIT ET IL leur DONNA et IL DIT : « Prenez, CECI EST MON CORPS. »

17

·······································

DU PRODUIT DE LA VIGNE JUSQU’À CE QUE soit venu LE RÈGNE de Dieu. »

27

23

19

ET ayant pris une COUPE et ayant rendu grâces, il leur donna

ET ayant pris une COUPE, ayant rendu grâces, il leur donna et ils en burent tous 24 et il leur dit : « Ceci est MON SANG de L’ALLIANCE,

en disant : « Buvez-en tous : 28 car ceci est MON SANG de L’ALLIANCE, pour beaucoup EST VERSÉ en rémission des péchés.

QUI

29

Or JE VOUS DIS JE NE BOIRAI PLUS désormais DE ce PRODUIT DE LA VIGNE JUSQU’À ce jour-là, où je le boirai avec vous NOUVEAU DANS LE RÈGNE de mon Père.

Et comme ils mangeaient,

»

QUI EST VERSÉ

:

14

Et quand arriva l’heure, il s’étendit, et les apôtres (étaient) avec lui. 15 Et il leur dit : « J’ai désiré ardemment manger cette Pâque avec vous avant de souffrir. 16 Car JE VOUS DIS QUE JE NE la mangerai jamais PLUS JUSQU’À CE QU’elle soit accomplie DANS LE RÈGNE de Dieu. » Et ayant reçu une coupe, rendu grâces, il dit : « Prenez ceci et partagez entre vous. 18 Car JE VOUS DIS : JE NE BOIRAI PLUS à partir de maintenant

ET AYANT PRIS DU PAIN, rendu grâces, IL (le) ROMPIT ET LEUR DONNA, DISANT : « CECI EST MON CORPS qui pour vous est donné. Faites ceci en mémoire de moi. »

pour beaucoup.

25

20

où je le boirai

NOUVELLE en MON SANG QUI pour vous EST VERSÉ.

En vérité, JE VOUS DIS QUE JE NE BOIRAI PLUS DU PRODUIT DE LA VIGNE JUSQU’À ce jour-là, NOUVEAU DANS LE RÈGNE de Dieu.

»

Et la coupe de même après le diner en disant : « Cette COUPE est L’ALLIANCE

»

Le récit de Lc est très différent de ceux de Mt et de Mc qui sont très proches l’un de l’autre. Certes, des éléments fort semblables s’y retrouvent, mais arrangés dans une composition toute autre. Autant la construction des récits de Mt et de Mc est perceptible facilement, à cause de parallélismes très marqués, soit entre les deux temps, clairement successifs, de la passion et de la résurrection, soit entre le don du pain et celui de la coupe, autant l’architecture de Lc est savante qui s’ingénie à tout articuler de sorte qu’il soit impossible de séparer les éléments de la première Pâque de ceux de la nouvelle Alliance.

selon saint Luc (Lc 22,1-53)

143

CONTEXTE Le rite de la Pâque et des azymes La Pâque que Jésus mange avec ses disciples est l’agneau pascal, selon le rite prévu en Ex 12,1-14.21-28. Le pain qu’il partage entre ses disciples est le pain azyme que l’on mange pendant les sept jours de la fête, selon le commandement (Ex 12,15-20). Le sang de l’alliance L’expression de Jésus « l’alliance nouvelle en mon sang » rappelle celle de la conclusion de l’alliance au Sinaï : « Moïse, ayant pris le sang, le répandit sur le peuple et dit : « Ceci est le sang de l’Alliance que le Seigneur a conclue avec vous moyennant toutes ces clauses » (Ex 24,8). L’« alliance nouvelle » L’expression utilisée en Lc 22,20 reprend celle de Jr 31,31 : « Voici venir des jours — oracle du Seigneur — où je conclurai avec la maison d’Israël et la maison de Juda une alliance nouvelle. » INTERPRÉTATION « L’alliance nouvelle... « Cette Pâque » (15b) est la dernière Pâque de Jésus. C’est même son dernier repas : il va mourir le lendemain. Il ne mangera plus la Pâque (16), il ne boira même plus du fruit de la vigne (18) ; c’en est fini pour lui. Avec lui, l’alliance est non seulement célébrée, remémorée, actualisée comme la liturgie du repas pascal juif l’entend ; elle est relayée par celle qu’il instaure et qui devient ainsi l’« alliance nouvelle » en son sang versé (20). Lc est le seul des synoptiques à qualifier ainsi l’alliance que Jésus conclut avec ses disciples. L’expression « à partir de maintenant » (« désormais » : 18) marque un changement substantiel, une transformation radicale, une sorte de point de non-retour, une ère nouvelle. Sa fonction étant de conduire à celle qui est destinée à devenir définitive, la première alliance devient ainsi l’ancienne alliance. Jésus est le nouvel agneau pascal et dorénavant, c’est son sang qui sauve de l’ange exterminateur. La Pâque nouvelle sera faite en mémoire de lui (19), la libération d’Égypte devenant la figure du rachat en Jésus Christ. ... et éternelle » Le Testament nouveau n’abolit cependant pas la Pâque ancienne ; en l’assumant il l’accomplit : c’est « cette Pâque » (15c) qui est « l’alliance nouvelle » (20b). Jésus ne célèbre pas deux rites différents et successifs. Qui pourrait distinguer entre les deux, le soir du Jeudi saint ? Tout se passe dans la même ville, dans la même maison, dans l’unique maintenant d’un seul repas. C’est en

144

Le testament de Jésus

accomplissant la Pâque que Jésus instaure l’alliance nouvelle : il ne fait pour ainsi dire que « donner » (19d) ce qu’il a « reçu » (17a). La même « action de grâces » accompagne le don accueilli comme le don offert : c’est dans la même Eucharistie qu’il reçoit et assume avec la coupe l’ancienne alliance (17), et dans la même Eucharistie qu’il prend l’initiative d’instaurer la nouvelle (19). De même qu’il n’y a qu’un seul héritage, reçu et transmis, transmis comme il a été reçu, de même il n’y a qu’une seule Alliance, à la fois nouvelle et éternelle, d’aujourd’hui et de toujours, parce que Dieu est depuis le commencement et pour les siècles. 2. L’ANNONCE DE LA TRAHISON (22,21-24) COMPOSITION DU PASSAGE . 21 Mais voici que la main de : (est) avec moi

celui me

-DONNANT

sur la table.

. 22 Parce que

le Fils de l’homme : selon ce qui est fixé part.

······································································································

MAIS MALHEUR

À CET HOMME

par qui IL EST -DONNÉ ! »

······································································································

.

23

.

24

Et eux se mirent à chercher : qui donc était Et il arriva une : qui

entre parmi

eux eux celui allant

FAIRE CELA.

contestation entre eux (parmi) eux semblait être LE PLUS GRAND.

Le discours de Jésus qui va suivre (25-30), introduit par « Il leur dit » au début de 25 (voir p. 148), apparait naturellement comme la réponse au verset 24, puisqu’il s’agit de savoir « qui est le plus grand » (24.26.27). Mais si le verset 24 est considéré comme faisant partie du passage suivant, il reste comme une « phrase flottante », non intégrée à la suite. Par ailleurs, le passage précédent (21-23) serait lui aussi déséquilibré. Or il se trouve que 23 et 24 sont tout à fait parallèles au plan syntaxique comme au plan lexical. Au morceau qu’ils forment, correspond le premier morceau (21-22b). Le second segment (22ab) reprend du côté de la victime ce qui venait d’être énoncé du côté du traitre (21). Jésus « part » à la mort parce qu’il a été « -donné » ; il avait été fixé qu’il serait trahi par l’un des siens, un de ceux qui étaient à table avec lui. Au centre du passage, la malédiction (22c).

selon saint Luc (Lc 22,1-53)

145

COMPARAISON SYNOPTIQUE (voir Mt 26,20-25, p. 47 et Mc 14,17-21, p. 98) Mt 26,20-25 20

Or le soir étant venu, il était à table avec les Douze 21 et, comme ils mangeaient, il dit : « En vérité je vous dis que l’un de vous me -donnera. » ··································· 22 Et fort attristés, ils se mirent à lui dire un chacun : « Serait-ce moi, Seigneur ? » ··································· 23 Or lui répondant, dit : « Celui-qui a plongé AVEC MOI la main dans le plat celui-là me -donnera. »

Mc 14,17-21

Lc 22,21-24

17

Et le soir étant venu, il vient avec les Douze 18 et, comme ils étaient à table et (qu’) ils mangeaient, Jésus dit : « En vérité je vous dis que l’un de vous me -donnera, celui-qui mange avec moi. 19

Ils se mirent à s’attrister et à lui dire l’un après l’autre : « (Serait-ce) moi ? »

20

Or lui leur dit : « L’un des Douze, celui-qui plonge AVEC MOI dans le plat. »

21

Mais voici que la main de celui qui me -donne (est) AVEC MOI sur la table.

······································· 21 24

Parce que

22

Parce que

LE FILS DE L’HOMME s’en va comme il est écrit de lui ;

LE FILS DE L’HOMME

LE FILS DE L’HOMME

s’en va comme il est écrit de lui ;

Or MALHEUR À CET HOMME-là PAR QUI le Fils de l’homme EST -DONNÉ ; mieux eût été pour lui qu’il ne naisse pas cet homme-là. » ··································· 25 Or répondant, Judas, celui-qui le -donnait, dit : « Serait-ce moi, Rabbi ? » ··································· Il lui dit : « C’est toi qui l’as dit. »

Or MALHEUR À CET HOMME-là PAR QUI le Fils de l’homme EST -DONNÉ : mieux (eût été) pour lui qu’il ne naisse pas cet homme-là. »

selon ce qui est fixé part. ······································· Mais MALHEUR À CET HOMME PAR QUI il EST -DONNÉ ! » ······································· 23

Et eux se mirent à chercher entre eux qui donc étaitt parmi par eux celui qui allait faire cela. a. 24 Or il arriva une contestation entre eux qui était (parmi) eux celui qui était le plus grand.

Les constructions de Mt et de Mc étaient déjà assez différentes, mais l’ordre des éléments était pratiquement le même : dans un premier temps, annonce de la trahison d’un disciple, question de chacun et réponse de Jésus (Mt : 20-23 ; Mc : 17-20), après quoi il ne s’agit plus que du traitre, identifié par Mt : 24-25, non identifié par Mc : 21. Des éléments semblables sont utilisés par Lc, mais dans un ordre complètement inversé : d’abord ce qui concerne le commensal qui le trahira, non identifié comme chez Mc (Lc : 21 = Mt : 23bcd ; Mc : 20bcd), selon ce qui avait été « fixé », « écrit » chez Mt et Mc (Lc : 22c = Mt : 24c ; Mc : 21d). La malédiction (Lc : 22efg) suit dans le même ordre (= Mt : 24def ; Mc : 21efg), mais elle se trouve occuper le centre de la construction chez Lc. Quant au deuxième

146

Le testament de Jésus

versant du passage de Lc, si la question indirecte de 23 peut être dite équivaloir aux questions de Mt : 22 et Mc : 19, elle est cependant bien différente : au lieu de se mettre en question personnellement, comme dans Mt et dans Mc, chacun des disciples semble plutôt mettre en question les autres. Enfin, le dernier verset de Lc (24) est propre au troisième évangile, tout au moins dans ce contexte (tandis que Mt n’a pas de vrai équivalent de cette question, chez Mc elle se trouve dans un tout autre contexte : Mc 9,34). INTERPRÉTATION Qui d’entre eux allait faire cela ? Selon Lc — contrairement à Mt, mais comme Mc —, Jésus ne donne pas le nom du traitre (21a.22c). C’est que cela pourrait être n’importe lequel d’« entre eux », comme le comprennent les disciples, puisqu’ils se mettent à chercher (23a), chacun soupçonnant tous les autres. Quant à l’auditeur de l’évangile, depuis le début du récit de la Pâque (22,3), il connait le nom de celui qui est allé trouver les grands prêtres et les gardes pour livrer son maitre ; il sait depuis bien plus longtemps — depuis que Jésus a choisi Judas avec les onze autres parmi tous ses disciples — que c’est lui qui méritera le nom de « traitre » (Lc 6,16). Mais ici, le silence sur le nom de « cet homme » a sans doute pour fonction d’impliquer le lecteur : il est invité à reconnaitre qu’il est lui aussi capable de trahir le Seigneur. Qui était le plus grand ? Le passage s’achève sur une question tellement surprenante (24) qu’on la repousse généralement au début du passage suivant où, effectivement, les paroles de Jésus lui répondent. Il peut en effet sembler tout à fait invraisemblable qu’une telle discussion ait pu surgir entre les apôtres en une telle circonstance. Comment ont-ils pu se quereller sur la question de savoir qui était le plus grand (24), au moment même où le problème était de savoir qui d’entre eux était le plus petit, le plus pécheur, de savoir qui allait livrer son maitre à la mort (23) ? L’ironie avec laquelle Lc juxtapose de la manière la plus inattendue les deux questions les plus opposées qui soient est évidemment destinée à provoquer un choc. La surprise du lecteur, le scandale qu’il éprouve devant le comportement ridiculement aveugle des disciples, devraient l’amener à réfléchir sur ce qui semble bien être l’enseignement de Lc : il y a équivalence stricte entre vouloir être le plus grand et trahir Jésus. L’effet de la pédagogie lucanienne est d’ordre parabolique : dans un premier temps, le lecteur est normalement tenté de juger la sottise des apôtres ; puis, s’il y réfléchit un tant soit peu, il finira par se rendre compte qu’il n’est pas totalement étranger à la scène.

selon saint Luc (Lc 22,1-53)

147

« Malheur à cet homme ! » La phrase centrale du passage (22c) sonne comme une condamnation. Et l’on peut difficilement s’empêcher de se poser des questions sur le destin final de Judas. Se peut-il qu’il soit d’ores et déjà promis à la damnation éternelle ? Un espace ultime sera-t-il ménagé entre corde et cou pour que la miséricorde divine le sauve in extremis d’un châtiment sans recours ? Mais la véritable question posée par le texte est-elle là ? Avec ce genre de problème, on ne se rend même pas compte qu’on a mis le nom de Judas où Lc — et Jésus — ne l’ont pas prononcé. Il n’est pas écrit : « Malheur à Judas ! », mais « Malheur à cet homme par qui [le Fils de l’homme] est donné ! » Le véritable malheur, c’est que, si l’on en croit le rédacteur de l’évangile, ces paroles de Jésus s’appliquent à tous, à chacun de ceux qui cherchent à être le plus grand (24) — lecteur compris, bien entendu — comme à tous ceux dont la main est avec Jésus sur la table (21). LE QUATRIÈME CHANT DU SERVITEUR Première partie : Is 52,13–53,3 + 13 Voici qu’il ILLUMINERA mon serviteur ; - il montera et sera exalté - et il s’élèvera beaucoup. ···································································································

= 14 Comme s’étonnèrent sur toi des nombreux, : — oui, défigurés par rapport à un homme son APPARENCE : et son aspect par rapport aux fils d’Adam — = 15 ainsi s’émerveilleront des nations nombreuses. ···································································································

+ Sur lui des rois fermeront la bouche ; - car ce qui NE leur a PAS été raconté ils VERRONT - et ce qu’ils N’ont PAS entendu ils comprendront. 53,1 Qui a cru à et le bras

de Yhwh

ce que nous avons entendu sur qui a-t-il été RÉVÉLÉ ?

+ 2 Il montait comme un surgeon devant Sa face + et comme une racine d’une terre desséchée ; – il n’avait pas d’aspect et PAS de beauté que nous le VOYONS – et pas d’APPARENCE que nous le désirions. ·······························································································

– 3 Il était méprisé et rejeté par les hommes, + homme de douleurs et connu de la maladie ; + et comme quelqu’un devant qui on se cache la face, – il était méprisé et nous NE l’estimions PAS.

148

Le testament de Jésus

3. LE DISCOURS SUR LE SERVICE (22,25-30) COMPOSITION DU PASSAGE 25

Or il leur dit :

+ « LES ROIS + et CEUX QUI ONT POUVOIR 26

Quant à vous,

– Mais LE PLUS GRAND – et CELUI QUI COMMANDE

des nations sur elles

DOMINENT sur elles BIENFAITEURS sont appelés.

ce n’est pas

parmi vous

ainsi ! devienne

comme comme

LE PLUS JEUNE CELUI QUI SERT.

·······················································································································

=

CELUI QUI EST À TABLE

: 27 Qui en effet est ou

LE PLUS GRAND ? CELUI QUI SERT

: N’est-ce pas = Or moi,

?

CELUI QUI EST À TABLE

au milieu de vous je suis

comme

?

CELUI QUI SERT.

······················································································································· 28

– Vous, vous êtes restés – 29 et moi je lègue comme a légué 30

dans [un

avec moi pour vous pour moi

+ pour que vous mangiez et buviez à ma table + et que vous vous asseyiez SUR DES TRÔNES = JUGEANT

le Père

MES ÉPREUVES, TESTAMENT], UN RÈGNE,

dans

MON RÈGNE

les douze tribus d’Israël. »

Le premier morceau oppose la conduite des païens (25bc) à celle des disciples (26bc) ; au centre, 26a explicite l’opposition entre les deux. — Dans le morceau symétrique (28-30) le premier segment met en relation ce qu’ont fait les apôtres par rapport à Jésus et ce que fait Jésus pour eux ; le dernier (30) décrit l’héritage annoncé en 29a : la convivialité des apôtres avec le roi Jésus en 30a et, qui plus est, l’exercice du pouvoir royal par les Douze en 30bc10. D’un segment à l’autre « dans mes épreuves » (28) s’oppose à « dans mon règne » (30a)11. — Le morceau central (27) commence par une question à laquelle sont données deux réponses : la première (27c) est la fausse réponse, celle qu’attend la sagesse humaine ; la seconde (27d) s’y oppose et décrit l’attitude, le choix fondamental fait par Jésus. Les phrases centrales des morceaux extrêmes (26a.29b) se répondent : « ainsi » (houtōs) correspond à « comme » (kathōs). Les apôtres ne doivent pas être comme les païens et Jésus fait comme son Père. Aux extrémités des premier et troisième morceaux, « le règne » de Jésus et des apôtres sur « Israël » (30) s’oppose au règne des « rois » des « nations » (25b). Dans les segments les plus proches du morceau central l’abaissement, du « plus jeune » et de « celui qui sert » (26bc), correspond 10 11

En grec, la préposition qui précède « ma table » et « des trônes » est identique. Peu attestée, l’addition « un testament » (29a), renforcerait le parallélisme.

selon saint Luc (Lc 22,1-53)

149

aux « épreuves » (28). Un basculement symétrique marque donc chacun des morceaux : de la royauté au service, de l’épreuve au règne. Les trois morceaux, et spécialement leurs points culminants (26a.27d.29b) marquent les rapports qu’entretiennent les personnages. Les apôtres ne doivent pas imiter la conduite des rois païens (premier morceau) ; à cette condition leur sera donné le règne de Dieu (troisième morceau) ; le passage se fait par Jésus serviteur (dans le morceau central) qui ne fait pas comme les rois de la terre mais comme le roi du ciel. COMPARAISON SYNOPTIQUE Ce passage n’a pas de parallèle, ni dans la première séquence de Mt ni dans celle de Mc. Cependant, un équivalent se trouve situé dans un contexte tout à fait différent : Mt et Mc ont un montage identique où le discours de Jésus sur le service articule la demande des fils de Zébédée (ou de leur mère) et la guérison de l’aveugle (ou des deux aveugles) de Jéricho (Mt 20,20-34 et Mc 10,35-52)12. CONTEXTE Les deux premiers verbes qui décrivent l’attitude des chefs des nations, « dominer » et « soumettre » (42c), sont ceux que la Septante utilise pour traduire Gn 1,28 : « Dieu les bénit et leur dit : “Soyez féconds, multipliez, emplissez la terre ; dominez-la et ayez-pouvoir sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel et sur tous les animaux qui rampent sur la terre”. » Le premier verbe avait déjà été utilisé quand Dieu avait décidé de créer l’homme : « Faisons l’homme à notre image, comme notre ressemblance, et qu’ils commandent aux poissons de la mer, aux oiseaux du ciel, aux bestiaux, à toutes les bêtes sauvages et toutes les bestioles qui rampent sur la terre » (1,26). Le même verbe « dominer » sera repris pour la nouvelle création après le déluge : « Soyez féconds, multipliez, emplissez la terre ; dominez-la » (Gn 9,1)13. Le Serviteur du Seigneur En plein centre de son discours, Jésus se présente comme « celui qui sert » (diakonōn). Bien que, dans la traduction des Septante, les chants du Serviteur utilisent d’autres termes (pais et doulos), le lien avec ces chants est indéniable, en particulier avec le quatrième14. C’est surtout le renversement entre l’humiliation du serviteur — qui ira jusqu’à la mort, annoncée dans la célébration de la

12 Voir l’analyse de ces textes dans R. MEYNET, Une nouvelle introduction aux évangiles synoptiques, 128-147. 13 Voir Une nouvelle introduction aux évangiles synoptiques, 132.142. 14 Voir R. MEYNET, « Le quatrième chant du Serviteur (Is 52,13–53,12) ».

150

Le testament de Jésus

Pâque (19-20) — et sa glorification finale qui est repris dans les paroles de Jésus15. INTERPRÉTATION Un pouvoir qui pervertit l’ordre de la création Selon le dessein du Créateur, ce sont les animaux, poissons, oiseaux et bêtes des champs, que l’homme doit soumettre auxquels il doit commander. En outre, ce n’est pas par la violence mais par la douceur qu’il est invité à exercer cette domination, puisqu’aucun être vivant, ni l’homme ni quelque animal que ce soit ne fera couler le sang, tous se nourrissant non de la chair des autres, mais d’une nourriture végétale (Gn 1,29-30). Or l’homme a complètement perverti cet ordre du Créateur et en est arrivé à traiter les autres hommes, non pas comme des frères, mais comme des animaux ; et ce n’est certes pas par la douceur qu’il leur commande, mais par la violence qu’il leur impose sa domination. Et la perversion atteint son comble quand la violence doit être acceptée par ceux qui se voient contraints d’appeler leurs bourreaux des « bienfaiteurs ». « Qui donc est le plus grand ? » Tout homme est roi, tout homme est le plus grand ; il n’est personne qui ne commande à un autre ou qui ne soit en quelque façon servi à table. Chacun commande, quelle que soit sa situation sociale, et l’on est toujours l’ainé d’un plus jeune. Dans toutes ces relations, celles que Lc énumère à titre d’exemple (25bc) comme toutes les autres, chacun exerce un pouvoir. Jésus ne demande pas à ses disciples de démissionner, ni aux rois d’abdiquer. Il leur indique une autre conception du pouvoir (26a), un autre exercice du commandement que la domination et l’écrasement, tentation si courante à quelque niveau que ce soit d’utiliser sa position pour se servir et se faire servir (25bc). Le pouvoir n’est pas mauvais en soi, il ne corrompt que celui qui se laisse corrompre. Tout est dans la manière de faire, tout dépend « comme » (26a.b.c) on l’exerce. « Vous m’appelez Maitre et Seigneur, et vous dites bien, car je le suis » (Jn 13,13). En se faisant « comme » le serviteur (27d), Jésus n’en demeure pas moins roi (29b-30a) ; au contraire, c’est à ce moment-là qu’il exerce le plus pleinement son pouvoir. La double révolution de Jésus Les révolutions politiques ne sont souvent qu’une inversion des rôles entre les personnages du drame : le serviteur trop longtemps écrasé finit par se révolter, prendre le dessus et devenir lui-même dominateur et exploiteur. L’important pour Jésus n’est pas que le pouvoir change de mains, mais qu’il change de cœur (26). Celui qui n’aurait pas compris qu’il n’est de pouvoir que de servir, n’aurait rien compris à la révolution de l’Évangile. Sur le point de le vivre jusqu’à l’ex15 D’un autre avis Fitzmyer, 1418 : « Comme en 12,37, l’image est tirée du service à table et non du motif du Serviteur du Second Isaïe ».

selon saint Luc (Lc 22,1-53)

151

trême, dans sa mort, Jésus livre solennellement à ses disciples — comme un testament — ce qui représente le cœur de son message et qu’il n’a cessé de répéter : « celui qui s’élève sera abaissé et celui qui s’abaisse sera élevé » (Lc 14,11 ; voir 18,14). Telles sont ses premières et ses dernières volontés : annoncer, avec l’énergie désespérée des moments ultimes, que pour régner, il faut servir. Seul celui qui se sera fait serviteur (26bc) entrera dans le règne de Dieu (29). Lui seul sera admis à la table du roi (30a) et associé à son pouvoir de juge (30bc). Double renversement de la Sagesse de Dieu : celui qui se sera humilié, en prenant le contre-pied de la Sagesse des hommes (25-26), sera exalté à la droite de la puissance de Dieu (28-30). 4. L’ANNONCE DU RENIEMENT (22,31-34) COMPOSITION DU PASSAGE + 31 « SIMON, SIMON, voici que – pour (vous) cribler

Satan comme le blé.

a réclamé

après vous

+ 32 Or

moi, TA FOI.

j’ai supplié

pour toi

– afin que ne disparaisse pas

·····················································

ET TOI QUAND TU SERAS REVENU, AFFERMIS TES FRÈRES ! » ·····················································

+

33

Or il lui dit : . « Seigneur, – à partir

avec toi et en prison

je suis prêt et à la mort ! »

+ 34 Or il dit : . « Je te dis, PIERRE, ne criera pas aujourd’hui – avant que trois fois tu n’aies nié

le coq ME CONNAITRE. »

Les deux segments du premier morceau (31-32) opposent ce que fait Satan pour les disciples et ce qu’a fait Jésus pour eux ; les seconds membres de chaque segment (31b.32b) sont des finales qui opposent la tentation et son heureuse issue. Le dernier morceau (33-34) est formé de deux trimembres parallèles ; à la promesse de Pierre correspond la prédiction, contraire, de Jésus. On peut dire que « me connaitre » (34c) et « ta foi » (32b) jouent le rôle de termes finaux pour les morceaux extrêmes. Au centre du passage (32c), l’annonce du retour de Pierre et de sa vocation future.

152

Le testament de Jésus

COMPARAISON SYNOPTIQUE (voir Mt 26,30-35, p. 53 et Mc 14,26-31, p. 102) Mt 26,30-35 30

Mc 14,26-31

Lc 22,31-34

Et ayant chanté les psaumes, ils sortirent vers le Mont des Oliviers. 31 Alors Jésus leur dit : ········································ « Vous tous, vous serez scandalisés à cause de moi, cette nuit même ; car il est écrit : “Je frapperai le berger et seront dispersées les brebis du troupeau.” 32 Or après m’être dressé, je vous précéderai en Galilée. »

26

33

OR répondant, Pierre LUI dit : « Si tous sont scandalisés à cause de toi, moi jamais je ne serai scandalisé. »

29

du moins pas moi ! »

OR il LUI dit : « Seigneur, avec toi je suis prêt à partir et en prison et à la mort ! »

34

30

34

Jésus lui déclara : ········································ « En vérité JE TE DIS que cette nuit même, avant que LE COQ NE CRIE,

Et ayant chanté les psaumes, ils sortirent vers le Mont des Oliviers. 27 Et Jésus leur dit que ······································· « Tous vous serez scandalisés ;

35

»

Pierre lui dit : « Et même s’il me fallait avec toi mourir, non, je ne te renierai pas. » Et tous les disciples dirent de même.

« Simon, Simon, voici que Satan a réclamé après vous pour vous cribler comme le blé. 32 Or moi, j’ai supplié pour toi afin que ne disparaisse pas ta foi. ··································· Et toi quand tu seras revenu, affermis tes frères ! » ···································

parce qu’il est écrit : “Je frapperai le berger et les brebis seront dispersées.” 28

Mais après m’être dressé, je vous précéderai en Galilée. » OR Pierre LUI déclara : « Même si tous sont scandalisés,

Et Jésus lui dit : ······································· « En vérité JE TE DIS que toi, aujourd’hui, cette nuit même, avant que deux fois LE COQ NE CRIE,

TROIS FOIS TU M’AURAS RENIÉ.

31

TROIS FOIS TU M’AURAS RENIÉ.

»

33

Or lui dit : « JE TE DIS, Pierre,

LE COQ NE CRIERA pas aujourd’hui que TROIS FOIS TU N’AIES RENIÉ

me connaitre. »

31

Or lui de plus belle parlait : « Même s’il me fallait mourir avec toi, non, je ne te renierai pas. » Et tous en disaient autant.

Alors que les passages parallèles de Mt et de Mc sont pratiquement identiques, celui de Lc est bien différent. L’annonce que Jésus fait à l’ensemble des disciples chez Mt (26,31) et Mc (14,27) est adressée à Simon chez Lc (22,31) ; en outre, alors que la prédiction concerne directement le scandale et la dispersion des disciples, appuyée sur une citation de Zacharie chez Mt et chez Mc, Lc attribue à Satan la tentation des disciples, avec l’image du blé criblé qui lui est propre, sans que la chute et l’abandon soient mentionnés directement. La prière de Lc 22,32 n’a pas d’équivalent dans les deux premiers évangiles, ni la mention du retour et du rôle de Pierre qui occupe le centre de la construction lucanienne (32cd). Le second versant du passage de Lc (33-34) reprend la fin des passages de Mt 26,34-35 et de Mc 14,30-31, mais en sens inverse, protestation de Pierre

selon saint Luc (Lc 22,1-53)

153

(Lc : 33, qui correspond à Mt : 35abcd et à Mc : 31abcd), prédiction de Jésus (Lc : 34, qui correspond à Mt : 34 et Mc 30). Lc omet la mention finale de Mt : 35ef et Mc : 31ef que tous les disciples en dirent autant. CONTEXTE Les disciples seront soumis à la tentation par « Satan », comme le fut Job le serviteur de Dieu (Jb 1–2). INTERPRÉTATION Pierre et les autres La prédiction est adressée au seul Pierre (34), mais elle concerne aussi les autres. Tous les apôtres seront criblés comme le blé (31b) et, après qu’ils auront cédé à la tentation et abandonné leur maitre, tous auront besoin d’être affermis dans leur foi (32c). Or c’est justement celui qui aura renié son maitre (34), étant ainsi le premier dans le péché, qui aura pour mission de redonner force à ses frères (32c). La chute et le relèvement Curieusement, le retour de Pierre (32c) est prédit avant son abandon (34). Jésus a bien parlé de l’épreuve à laquelle Satan soumettra ses disciples (31), mais, comme par la plus grande des délicatesses, il n’a pas précisé qu’ils y succomberont, ni que celui à qui il s’adresse directement tombera plus bas encore que les autres. Il faut la véhémente protestation de fidélité de Simon (33) pour que Jésus soit pour ainsi dire obligé de lui annoncer clairement son triple reniement (34).

154

Le testament de Jésus

5. LES ÉPÉES DES APÔTRES (22,35-38) COMPOSITION DU PASSAGE + 35 Et il leur

dit :

. « QUAND je vous ai envoyés, . avez-vous manqué

sans bourse, ni sac, de quelque chose ? »

ni souliers,

······························································

Or eux

dirent :

« De rien. »

······························································

:: 36 Il leur

dit :

. « MAINTENANT AU CONTRAIRE, qui en a, . et

qu’il emporte une bourse

et aussi un sac,

qu’il vende son manteau

et achète une ÉPÉE.

qui n’en a pas,

- en 37

Car je vous dis :

. Cette Écriture doit moi :

“Avec des sans-loi il a été compté.” - Car tout sur . a (son)

:: 38 Ils lui

ÊTRE ACHEVÉE

moi ACHÈVEMENT.

»

dirent : « Seigneur, voici deux ÉPÉES ici. »

··········································································································

+

Lui leur

dit : « C’est assez ! »

Deux parties de dialogue entre Jésus et ses disciples (35-36 ; 38) encadrent une déclaration de Jésus introduite par la formule d’insistance et de mise en valeur, « Je vous dis... ». La première partie (35-36) est concentrique : introduites par deux phrases de récit identiques (35a.36a), les deux paroles de Jésus (35bc.36b-d) opposent le temps passé (« Quand je vous ai envoyés ») et le temps nouveau, « Maintenant au contraire ») ; « bourse » et « sac » de 35b sont repris en 36c. Au centre (35d), la très courte réponse des disciples. La dernière partie (38), plus courte que la première, oppose, en parallèle, la proposition des disciples et la réponse de Jésus. D’une partie à l’autre, les deux occurrences de « épée(s) » jouent le rôle de termes médians à distance (36e.38b).

selon saint Luc (Lc 22,1-53)

155

Au centre du passage (37), une courte citation d’Isaïe est encadrée par deux membres où se répondent, en miroir, les pronoms « moi », puis « être achevée » et « avoir achèvement » (telesthēnai et telos echein). COMPARAISON SYNOPTIQUE Ce passage n’a pas de parallèle ni chez Mt ni chez Mc. CONTEXTE Le quatrième chant du Serviteur Le membre central de la partie centrale, « Avec des sans-loi il a été compté », est tiré du dernier verset du quatrième chant du Serviteur du Seigneur qui décrit sa Passion et sa glorification (Is 53,12)16. + 7c Comme un agneau à L’ABATTOIR est conduit +

et comme une brebis devant ses tondeurs muette il n’ouvre pas sa bouche.

······························································································································

: 8 Par oppression et par jugement il a été pris : puisqu’il a été éliminé de la terre des VIVANTS,

et de sa génération qui se soucie, par le CRIME de mon peuple il a été frappé ?

······························································································································

+ 9 On a donné avec les méchants SON SÉPULCRE + alors qu’il n’a pas fait de violence 10

et avec le riche SON TOMBEAU, et qu’il n’est pas de mensonge dans sa bouche.

Et YHWH a voulu l’écraser de douleurs ; s’il met en sacrifice son être, il verra une semence, il prolongera ses jours;

et la volonté de YHWH par lui réussira. + 11 Par le labeur de son être IL VERRA + il justifiera le juste mon serviteur de nombreux

il se rassasiera de sa connaissance ; et de leurs péchés lui il se chargera.

····························································································································

: 12 C’est pourquoi je lui partagerai les nombreux

et avec

les puissants il partagera le butin.

····························································································································

+ Du fait qu’il a offert à LA MORT son être + lui la faute des nombreux il a porté

et avec et pour

les CRIMINELS il a été compté, les CRIMINELS il supportera.

Lc est le seul des évangélistes à citer explicitement le chant du Serviteur (voir aussi Ac 8,32-33 ; en Ac 3,13.26 et en 4,27.30, il attribue à Jésus le titre de « Serviteur »).

16 Voir P. TREMOLADA, « E fu annoverato fra iniqui » ; pour l’analyse rhétorique du quatrième chant, voir R. MEYNET, « Le quatrième chant du Serviteur ».

156

Le testament de Jésus

« Quand je vous envoyais... » Cette expression fait référence à ce qui constitue le centre de tout l’évangile : en effet, elle renvoie au début de la dernière séquence de la deuxième section, quand Jésus envoie pour la première fois les Douze enseigner et guérir (Lc 9,23) ; elle rappelle aussi le début de la première séquence de la troisième section quand le maitre envoie les soixante-douze disciples en mission (Lc 10,1). Ne manquer de rien « Ne manquer de rien » rappelle le Ps 23,1 : « Le Seigneur est mon berger, je ne manque de rien » (voir Dt 29,4). La traversée du désert fut un temps où le peuple ne manquait de rien, ni de nourriture et de boisson ni de vêtements et de sandales (Dt 8,4 ; 29,4) ; la terre vers laquelle le Seigneur conduisait son peuple devait elle aussi être « un pays où le pain ne te sera pas mesuré et où tu ne manqueras de rien » (Dt 8,9). INTERPRÉTATION L’énigme S’il est un texte énigmatique dans l’Évangile de Luc, c’est bien celui-ci. Quand Jésus avait envoyé ses disciples en mission, il leur avait ordonné de ne rien prendre avec eux et de s’en remettre entièrement à la providence divine et à l’hospitalité de ceux à qui ils proclameraient le règne de Dieu (Lc 9,1-4). Pourquoi donc maintenant leur enjoint-il non seulement de prendre argent et bagages, mais encore de s’armer (36) ? Voilà qui parait bien peu évangélique, surtout sous la plume du « scribe de la mansuétude du Christ » ! Sa dernière réplique elle aussi est bien énigmatique (38d). Jésus veut-il dire que deux épées suffiront au groupe des disciples pour se défendre (38b) ? Veut-il au contraire, comme beaucoup le pensent, mettre fin ironiquement à une discussion à laquelle ses disciples n’ont rien compris ? Changerait-il soudain de politique devant les menaces de mort qui se précisent, pour se transformer soudain en zélote ? « À partir de maintenant » Ce qui est sûr, c’est que Jésus annonce un temps nouveau. « À partir de maintenant », ce ne sera plus comme jusqu’ici ; ce sera même « le contraire » (36b). Jésus part donc de ce que les apôtres connaissent, de ce qu’ils ont expérimenté de la situation antérieure (35bcd). Et il le leur fait dire : jusqu’à maintenant ils n’ont manqué de rien (35d). Comme les Hébreux au désert qui n’avaient manqué ni de boisson ni de nourriture, qui avaient marché sans que se soient usés leurs vêtements sur eux, ni leurs sandales à leurs pieds. Parce que le Seigneur était « avec eux » : « Voici quarante ans que le Seigneur ton Dieu est avec toi sans que tu manques de rien » (Dt 2,7). Le contraire, à partir de maintenant, cela veut dire qu’ils manqueront de tout, qu’ils auront besoin de bourse et de sac (36b), et que le vêtement ne servira de rien pour protéger leur corps des menaces de

selon saint Luc (Lc 22,1-53)

157

l’épée (36c). Le contraire, cela veut dire surtout qu’ils vont se retrouver seuls et que Jésus ne sera plus avec eux. Il finira par l’épée Le temps de l’épée et de la violence est venu ; mais, contrairement à ce que croient les apôtres, prompts à dégainer (38b), si Jésus parle d’épée, c’est de celle qui l’attend et le menace. Le Serviteur du Seigneur qu’il évoque (37d) n’est pas le boucher, mais la brebis menée à l’abattoir et qui n’ouvre pas la bouche. La fin de Jésus approche ; elle sera violente, comme celle de la victime conduite au sacrifice. Sa vie va s’achever dans le sang, mais l’épée n’en fera pas couler d’autre que le sien. Le temps de la persécution commence Le temps de Jésus va s’achever (37ef) et les Écritures vont trouver leur accomplissement (37bc). Il va être livré au pouvoir de la mort. Mais la violence ne va pas s’abattre seulement sur Jésus, les disciples y seront livrés eux aussi. C’en est fini du temps où ils pouvaient partir sans provisions ni argent, sans armes ni bagages (35), le temps où on leur offrait le gite et le couvert, où ils n’avaient pas besoin de bâton pour se défendre parce qu’il n’était personne qui leur voulût du mal. Alors qu’on leur donnait tout ce qu’il fallait pour vivre (35), ils seront dorénavant menacés de mort (36). Comme leur maitre, ils seront traités comme des hors-la-loi (37d). Qui va les défendre ? Mais peut-être est-il une autre explication aux paroles de Jésus. À quoi s’oppose la situation antérieure, le temps où Jésus envoyait ses disciples, et où ils ne manquaient de rien (35) ? La situation dans laquelle Jésus prononce ces paroles n’est pas indifférente : Jésus vient d’annoncer à ses disciples qu’ils vont le trahir (21-23 ; 31-34). « Quand je vous envoyais » s’oppose donc à « quand vous me lâchez ». Si les disciples abandonnent celui qui peut les protéger, ils ne pourront compter que sur eux-mêmes. Il leur faut donc, s’ils veulent survivre, se munir d’argent et de vêtements, ne pas hésiter à vendre leur manteau pour acheter une épée, s’ils veulent sauver leur vie (36). S’il y a ironie de la part de Lc, c’est peutêtre qu’ils n’ont pas attendu le conseil de Jésus pour s’armer : deux d’entre eux n’avaient déjà plus suffisamment confiance en leur maitre et avaient pris leurs précautions (38ab). La suite de l’histoire, une oreille coupée aussitôt guérie par Jésus (49-51), montrera que les deux épées n’auront pas servi à grand-chose, sinon à une leçon que les disciples ne sauraient oublier.

158

Le testament de Jésus

6. QUI DONC EST LE PLUS GRAND ? (22,14-38) COMPOSITION DE LA SOUS-SÉQUENCE Les limites de la sous-séquence sont d’abord marquées par l’unité de lieu et d’action : en effet les cinq passages se passent tous durant le dernier repas de Jésus. Les passages extrêmes (14-20 ; 35-38) Les deux passages annoncent un temps nouveau (« à partir de maintenant » en 18 et « maintenant au contraire » en 36) ainsi qu’un accomplissement ou achèvement (« soit accomplie » en 16 et « soit venu » en 18 ; « soit achevée » et « achèvement » en 37). Par ailleurs, les deux passages s’opposent dans la mesure où Jésus décide de donner son corps et son « sang » dans le premier passage et où, dans le dernier passage, les apôtres se montrent prêts à verser le sang des autres par « l’épée ». Les deuxième et avant-dernier passages (21-24 ; 31-34) « Voici que » se retrouve au début de chaque passage. « Partir » et « avec moi/toi » sont repris dans les morceaux extrêmes (21-22 ; 33). Dans le deuxième passage, Jésus ne donne pas le nom de Judas (c’est bien pour cela que tous se mettent à chercher de qui il s’agit), alors que, dans l’avant-dernier, il appelle par ses deux noms Simon-Pierre (31b.34b). À la troisième personne utilisée pour parler du traitre s’oppose la deuxième personne pour parler à Pierre. La composition est la même, deux morceaux autour d’une phrase centrale où est prédit le sort final des deux apôtres (22b.32b). Mais chacun des passages n’est pas consacré exclusivement à Judas puis à Pierre, comme auraient tendance à le laisser croire les sous-titres des traductions modernes de l’évangile. Dans le deuxième passage, tout le dernier morceau (2324) concerne l’ensemble des apôtres ; de même, le premier verset de l’avantdernier passage (31-32b) concerne aussi tous les apôtres (« vous ») et pas seulement Pierre ; par la suite, la phrase centrale concernera Pierre dans sa relation aux autres apôtres, ses frères. Il s’agit donc des Douze, dont font partie Judas et Pierre ; du reste, tout le passage central (25-30) s’adressera aux Douze destinés à « juger les douze tribus d’Israël » (30bc). Les liens du discours central avec les autres passages Est à remarquer spécialement la liste formée par les syntagmes suivants : « avec lui » (14), « avec vous » (15b), « avec moi » (21), « au milieu de vous » (27c), « avec moi » (28), « à ma table » (30b), « avec toi » (33), « avec des sansloi » (37b). Le parallélisme des versets 23 et 24 suggère, indique même, une équivalence entre « être le plus grand » et « faire cela », c’est-à-dire « -donner » Jésus (21. 22b). La tentation (ou l’épreuve ; c’est le même mot en grec) figurée par le crible en 31, dont le résultat, « nier me connaitre » (34b), est annoncé en position symétrique, est ainsi mise en relation avec le désir d’être le plus grand.

selon saint Luc (Lc 22,1-53)

159

22,14 Et quand arriva l’heure, il s’étendit et les apôtres étaient avec lui 15 et il leur dit : « J’ai désiré ardemment manger cette Pâque avec vous avant de souffrir. 16 Je vous dis que je ne la mangerai jamais plus jusqu’à ce qu’elle SOIT ACCOMPLIE dans le règne de Dieu. » 17 Ayant reçu une coupe, rendu grâces, il dit : « Prenez ceci et partagez entre vous. 18 Je vous dis : je ne boirai plus À PARTIR DE MAINTENANT du fruit de la vigne jusqu’à ce que SOIT VENU le règne de Dieu. » 19 Ayant pris du pain, rendu grâces, il le rompit et leur donna en disant : « Ceci est mon corps qui pour vous est donné. Faites ceci en mémoire de moi. » 20 Et de même la coupe après le diner en disant : « Cette coupe est la nouvelle ALLIANCE en mon sang qui pour vous est versé. »

21 22

« Mais voici que la main de CELUI QUI ME -DONNE est avec moi sur la table. Car le Fils de l’homme PART selon ce qui est fixé. Mais malheureux cet homme par qui il est -donné ! »

23 24

Ils commençaient à chercher entre eux qui donc était parmi eux CELUI QUI ALLAIT FAIRE CELA. Et il arriva une contestation entre eux qui était parmi eux CELUI QUI ÉTAIT LE PLUS GRAND.

25

Alors il leur dit : « Les rois des nations dominent sur elles et ceux qui ont pouvoir sur elles bienfaiteurs sont appelés. 26 Quant à vous, ce n’est pas comme cela ! Mais le plus grand parmi vous devienne comme le plus jeune et celui qui commande comme celui qui sert. 27 Qui donc est le plus grand ? Celui qui est à table ou celui qui sert ? N’est-ce pas celui qui est à table ? Or moi, je suis au milieu de vous comme celui qui sert. 28

Vous, vous êtes demeurés avec moi dans mes épreuves, 29 et moi je LÈGUE pour vous [un TESTAMENT], comme le Père a LÉGUÉ pour moi un règne, 30 afin que vous mangiez et buviez à ma table dans mon règne et que vous vous asseyiez sur des trônes jugeant les douze tribus d’Israël. »

31 32

« Simon, Simon, voici que Satan a réclamé après vous pour vous cribler comme le blé. Quant à moi, j’ai supplié pour toi afin que ne disparaisse pas ta foi. Et toi, quand tu seras revenu, affermis tes frères ! »

33

Il lui dit : « Seigneur, je suis prêt à PARTIR avec toi et en prison et à la mort ! » 34 Il dit : « Je te le dis, Pierre, le coq ne chantera pas aujourd’hui que par trois fois TU N’AIES NIÉ ME CONNAITRE. »

35

Il leur dit : « Quand je vous ai envoyés, sans bourse, ni sac ni souliers, avez-vous manqué de quelque chose ? » Ils dirent : « De rien. » 36 Il leur dit : « MAINTENANT AU CONTRAIRE, que celui qui a une bourse, qu’il l’emporte ; et de même celui qui a un sac ; et celui qui n’a pas d’épée, qu’il vende son manteau et en achète une. 37 Car je vous dis : Cette Écriture doit ÊTRE ACHEVÉE en moi : “Il a été compté avec des sans-loi.” Car ce qui me concerne trouve (son) 38 ACHÈVEMENT. » Ils dirent : « Seigneur, voici deux épées ici. » Il leur dit : « C’est assez ! »

160

Le testament de Jésus

COMPARAISON SYNOPTIQUE (voir Mt 26,20-35, p. 55 et Mc 14,17-31, p. 104) Mt 26,20-35

Mc 14,17-31

Lc 22,14-38

Célébration de la Pâque Annonce de la trahison de Judas

20-25

Annonce de la trahison

17-21

Annonce de la trahison

CÉLÉBRATION DE LA PÂQUE 26-29

CÉLÉBRATION DE LA PÂQUE 22-25

Discours sur le service

Annonce du reniement de Pierre

Annonce du reniement de Pierre

Annonce du reniement de Pierre

30-35

26-31

14-20 21-24

25-30

Les épées des apôtres

31-34 35-38

Les trois passages des sous-séquences centrales de Mt et de Mc se retrouvent dans la sous-séquence centrale de Lc, mais ce dernier y a adjoint deux passages qui lui sont propres, « Le discours sur le service » (25-30) au centre, « Les épées des apôtres » (35-38) à la fin. L’ordre des trois passages communs n’est pas le même : en effet, chez Lc « La célébration de la Pâque » (14-20) précède « L’annonce de la trahison » (21-24) au lieu de lui succéder comme dans Mt et Mc. La raison d’un tel changement est patente : de même que les constructions de Mt et de Mc sont très régulières (avec les deux annonces encadrant la célébration de la Pâque), de même « il fallait » que celle de Lc le soit aussi. Mais comme Lc y intégrait deux autres passages, il devait trouver un autre équilibre : le discours sur le service devenait central (25-30), encadré par les deux annonces (21-24 et 31-34)17, puis par la célébration de la Pâque et l’affaire des deux épées. L’on voit bien, par cet exemple, que les questions de chronologie sont subordonnées à celles de la logique d’exposition théologique. Les cinq passages de la sous-séquence de Lc sont tous placés dans le cadre du repas, alors que chez Mt et Mc l’annonce des reniements est située après la sortie de la salle du repas pour le Mont des Oliviers. Certes il est possible d’imaginer que ces paroles furent dites immédiatement après la sortie, avant même qu’ils se fussent mis en chemin, mais rien dans le texte ne le dit explicitement ; il faut cependant reconnaitre que cette dernière scène se passe malgré tout dans le contexte littéraire du repas chez Mt et Mc, mais que Lc a (mieux) systématisé le cadre local et temporel. CONTEXTE Par rapport à celles de Mt et de Mc, la composition de Lc est tout à fait particulière : en effet, le récit de la cène pascale (22,14-20) se trouve au début de la sous-séquence centrale, tandis que dans les deux premiers évangiles elle consti17

Ainsi, ces deux passages encadrent le passage central dans les trois synoptiques.

selon saint Luc (Lc 22,1-53)

161

tue le centre et donc le pivot de leur séquence. En Lc au contraire, la clé de voute de sa sous-séquence, et donc de toute sa séquence, est constituée par le discours sur le service (25-30)18. On sait que le quatrième évangile ne rapporte pas le repas pascal et que ce dernier est, pour ainsi dire, remplacé par le lavement des pieds, accompagné du commandement du service mutuel (Jn 13,1-17). Lc assure donc le passage entre les deux premiers synoptiques et l’Évangile de Jean. INTERPRÉTATION Judas et Pierre Pierre comme Judas abandonnera Jésus. Jésus le sait et le prophétise également (21-24 ; 31-34). Ils vont pécher tous deux, mais alors que tout lien est déjà rompu entre Jésus et Judas, Pierre et Jésus demeurent en contact. Jésus ne prononce même pas le nom de Judas, il ne s’adresse pas à lui (21-22). Au contraire, il interpelle le premier des Douze, par son nom, deux fois (31) ; le dialogue s’instaure (33-34). Jésus annonce, d’entrée de jeu, la trahison de l’un mais sans dire son nom (21-22), il interpelle le second mais sans parler directement de reniement : il est seulement question d’épreuve et de retour (31-32). Ce ne sera qu’après les protestations de Simon que, tout à la fin, Jésus sera comme obligé de lâcher le mot (34b). Ils pécheront tous deux mais au point de départ la prophétie est radicalement différente : si Jésus est obligé de voir en Judas celui qui le livre (22b), en Simon il ne voit en quelque sorte que celui qui revient (32b). Leurs destins finaux s’opposent : malédiction pour le premier (22b), vocation nouvelle du second et confirmation de sa mission parmi ses frères (32b). Judas et ses frères Jésus n’a pas prononcé le nom du traitre. Tous alors se mettent à chercher qui parmi eux pourrait accomplir un tel forfait (23) ; sauf Judas sans doute, qui se voit obligé de jouer le même jeu pour ne pas être démasqué. Chacun se met à soupçonner tous les autres, sans imaginer un seul instant qu’il pourrait être soimême en cause. C’est bien pourquoi la discussion tourne aussitôt : de la question de savoir qui est le traitre (23) — c’est-à-dire le dernier des derniers —, on en vient à se demander qui est le plus grand (24) ! S’il y a discussion, c’est qu’il doit y avoir plusieurs candidats au poste. N’y aurait-il pas équivalence pure et simple entre le désir de passer pour le plus grand et trahir Jésus ? Pierre et ses frères Curieusement, Jésus s’adresse à Simon pour prédire l’épreuve destinée aux Douze (31). C’est qu’il les représente. De tous, c’est lui le plus grand. Le plus grand dans le péché : en effet, s’il est vrai que tous l’abandonneront, seul Simon 18

Voir p. 183.

162

Le testament de Jésus

le reniera ouvertement (34b). Le plus grand aussi dans le repentir, et surtout le plus grand parce qu’institué dès cet instant pour affermir ses frères (32b). Il est investi du primat apostolique au moment même où lui est prédit son reniement, au moment surtout où, grâce à la prière de Jésus, sa foi lui est garantie solide comme le roc (32a). Simon peut donc d’ores et déjà recevoir le nom de « Pierre » (34b)19, cette pierre sur laquelle sera bâtie fermement l’Église. Le plus grand trahit son maitre Chercher à être le plus grand (24), vouloir dominer les autres, c’est entrer dans les vues de Satan et dans la tentation (31), c’est méconnaitre Jésus, c’est trahir sa pensée et sa personne ; croire en Jésus, c’est adhérer à sa sagesse, c’est imiter sa conduite, se faire comme le plus jeune (26), alors qu’on a reçu la plus grande charge, comme chacun des douze apôtres (30bc) et à leur tête SimonPierre (32b). Le sang versé Jésus sait où il va (22a) et d’avance il accepte la mort. En donnant à ses disciples son sang versé avec la coupe (20), il indique sans ambages de quel côté il se situe dans le conflit violent qui va se déchainer. Les disciples aussi ont choisi leur camp. C’est celui des rois qui défendent leur pouvoir par la force de l’épée (25.38). Il n’aura pas fallu longtemps pour que la prophétie faite à Simon se réalise. Était-ce seulement une prophétie, alors que les deux épées des disciples étaient déjà prêtes (38) ? La véritable prophétie n’était pas celle qui prévoyait le reniement, c’était celle qui annonçait le retour de Pierre (32b). Le premier des apôtres pourra affermir ses frères de péché, grâce au sang que son maitre aura accepté de verser (20b), pour eux et pour tous ceux qui leur ressemblent.

C. LA MORT DE JÉSUS SE PRÉPARE (22,39-53) La dernière sous-séquence comprend deux passages, « L’agonie de Jésus » (22,39-46) et « L’arrestation de Jésus » (22,47-53).

19 C’est la première fois — et c’est aussi la dernière — que, dans l’Évangile de Luc, Jésus prononce ce nom.

selon saint Luc (Lc 22,1-53)

163

1. AGONISANT, JÉSUS ACCEPTE DE VERSER SON SANG (22,39-46) COMPOSITION DU PASSAGE * 39 Et étant sorti,

il partit selon sa coutume vers le mont des Oliviers ; = or les disciples l’accompagnèrent.

* 40 Or arrivé à l’endroit, il leur dit : = « PRIEZ pour

ne pas entrer en tentation. »

·············································································

: 41 Et lui s’écarta d’eux comme d’un jet de pierre - et s’étant mis à genoux, . IL PRIAIT 42 disant : ···················································································································

+ « Père, emporte cette

si tu veux, COUPE loin de moi ;

– cependant non pas mais la tienne

ma volonté, ARRIVE ! »

43

OR LUI APPARUT UN ANGE DU CIEL

– 44 Et ARRIVÉ plus instamment

en agonie, IL PRIAIT ;

+ et il ARRIVA comme des gouttes

sa sueur de SANG

QUI LE FORTIFIAIT.

tombant à terre.

···················································································································

- 45 Et s’étant relevé de SA PRIÈRE : et étant venu vers ses disciples, . il les trouva assoupis de tristesse. ·············································································

* 46 Et il leur dit : :: « Pourquoi dormez-vous ? :: Vous étant levés, = PRIEZ afin que vous n’entriez pas

en tentation. »

Encadrant le verset 43, deux longues parties (39-42 ; 44-46) se répondent en miroir. À la fin des morceaux extrêmes, deux phrases à l’impératif presque identiques (40b.46c) forment inclusion pour l’ensemble du passage.

164

Le testament de Jésus

* 39 Et étant sorti,

il partit selon sa coutume vers le mont des Oliviers ; = or les disciples l’accompagnèrent.

* 40 Or arrivé à l’endroit, il leur dit : = « PRIEZ pour

ne pas entrer en tentation. »

·············································································

: 41 Et lui s’écarta d’eux comme d’un jet de pierre - et s’étant mis à genoux, . IL PRIAIT 42 disant : ···················································································································

+ « Père, emporte cette

si tu veux, COUPE loin de moi ;

– cependant non pas mais la tienne

ma volonté, ARRIVE ! »

43

OR LUI APPARUT UN ANGE DU CIEL

– 44 Et ARRIVÉ plus instamment

en agonie, IL PRIAIT ;

+ et il ARRIVA comme des gouttes

sa sueur de SANG

QUI LE FORTIFIAIT.

tombant à terre.

···················································································································

- 45 Et s’étant relevé de SA PRIÈRE : et étant venu vers ses disciples, . il les trouva assoupis de tristesse. ·············································································

*

46

Et il leur dit : :: « Pourquoi dormez-vous ? :: Vous étant levés, = PRIEZ afin que vous n’entriez pas

en tentation. »

selon saint Luc (Lc 22,1-53)

165

Puis ce sont deux morceaux (41-42a ; 45) où « il s’écarta d’eux » s’oppose à « étant venu vers ses disciples », où « s’étant mis à genoux » s’oppose à « s’étant relevé » et où à la prière de Jésus (41c) s’oppose l’assoupissement des disciples (45c) ; « prier » (41c) et « prière » (45a) jouent le rôle de termes médians à distance. Ce sont enfin deux morceaux consacrés à la prière de Jésus, le premier au style direct (42b-e), le second sous mode narratif (44). – Dans le premier, le « vouloir » de Jésus est mis en parallèle avec la « volonté » du Père (les mots « veux » et « volonté » ne sont pas de même famille en grec ; ils sont pourtant synonymes) ; « emporte » s’oppose à « arrive ». – Le morceau symétrique (44) est lui aussi composé de deux segments qui commencent avec le même verbe « arriver ». – Les deux occurrences du verbe « arriver » (fin 42 et début 44) jouent le rôle de termes médians. Les segments extrêmes (42bc.44cd) mettent en rapport la « coupe » et le « sang ». Les versets 43-44 sont absents de nombreux manuscrits, anciens et diversifiés20. Sans ces versets, la construction serait centrée sur la prière de Jésus (42b-e).

20

Voir la discussion dans B.M. METZGER, A Textual Commentary, 151.

166

Le testament de Jésus Mt 26,36-46

Mc 14,32-42

36

Alors il vient avec eux Jésus à un domaine dit Gethsémani et il dit aux DISCIPLES : « Asseyez-vous là, tandis que, m’en étant allé, là-bas je prierai. »

Et ils viennent à un domaine de nom Gethsémani et il dit à ses DISCIPLES : « Asseyez-vous ici tandis que je prierai. »

37

33

Et ayant pris Pierre et les deux fils de Zébédée, il se mit à être triste et angoissé. 38 Alors IL LEUR DIT : « Mon âme est triste à en mourir ; restez ici et veillez avec moi. »

32

Et il prend Pierre, Jacques et Jean avec lui et il se mit à être effrayé et angoissé 34 et IL LEUR DIT : « Mon âme est triste à en mourir ; restez ici et veillez. »

39

Et s’étant éloigné un peu, il tomba sur sa face, en PRIANT et disant :

35

« Mon PÈRE, s’il est possible, qu’elle passe (loin) DE MOI CETTE COUPE ! Cependant NON PAS comme je veux, MAIS comme (tu veux) toi. »

afin que, s’il était possible, passe (loin) de lui l’heure.

Et s’étant éloigné un peu, il tombait sur la terre et PRIAIT

Lc 22,39-46 39

Et étant sorti, il partit selon sa coutume vers le Mont des Oliviers ; or les DISCIPLES l’accompagnèrent. 40 Or arrivé à l’endroit,

IL LEUR DIT : « PRIEZ POUR NE PAS entrer EN TENTATION. »

······································· 41 Et lui s’écarta d’eux comme d’un jet de pierre et s’étant mis à genoux, il PRIAIT 42 en disant :

·······································

40

36

Et il vient vers les disciples et il les trouve endormis, et il dit à Pierre : « Ainsi vous n’avez pas pu veiller une seule heure avec moi ! 41 Veillez et PRIEZ, AFIN QUE VOUS N’entriez PAS EN TENTATION. L’esprit est prompt, mais la chair est faible. » 42 De nouveau une deuxième fois s’en étant allé, il priait disant : « Mon PÈRE, s’il n’est pas possible que cela passe sans que je le boive, qu’arrive ta volonté. »

43

Et étant venu de nouveau,

« Abba, PÈRE, tout est possible pour toi ; emporte CETTE COUPE (loin) DE MOI. Mais NON PAS ce que je veux, MAIS ce que (tu veux) toi ! »

43

Or lui apparut un ange du ciel qui le fortifiait.

37

Et il vient et les trouve endormis, et il dit à Pierre :

······································· « Simon, tu dors ? Tu n’as pas pu veiller une seule heure ? 38 Veillez et PRIEZ, AFIN QUE VOUS NE veniez PAS EN TENTATION. L’esprit est prompt mais la chair est faible. » 39

car leurs yeux étaient appesantis.

45

Et il disait :

···································

IL LES TROUVA endormis,

44

« PÈRE, si tu veux, emporte CETTE COUPE (loin) DE MOI ! Cependant NON PAS ma volonté, MAIS la tienne arrive ! »

Et les ayant laissés, s’en étant allé de nouveau, IL PRIAIT une troisième fois, disant de nouveau les mêmes paroles.

40

Alors IL VIENT vers les disciples

41

Et de nouveau s’en étant allé, IL PRIAIT, disant les mêmes paroles.

Et de nouveau étant venu, endormis, car leurs yeux étaient alourdis, et ils ne savaient quoi lui répondre.

44

Et arrivé en agonie, plus instamment nt IL PRIAIT ; et il arriva que sa sueur était comme des gouttes de sang tombant à terre.

IL LES TROUVA

······································· 45

Et IL VIENT une troisième fois

Et s’étant relevé de sa prière et

ÉTANT VENU vers ses disciples, es, IL LES TROUVA assoupis de tristesse. e.

······································· ET IL LEUR DIT

:

ET IL LEUR DIT

:

········································

·······································

« VOUS DORMEZ encore et vous reposez ? Voici que l’heure est proche ; et le Fils de l’homme est donné aux mains des pécheurs. 46 LEVEZ-VOUS, allons : voici qu’ est proche celui qui me -donne. »

« VOUS DORMEZ encore et vous reposez ? C’en est fait : l’heure est venue. Voici qu’est-donné le Fils de l’homme aux mains des pécheurs. 42 LEVEZ-VOUS, allons : voici que celui qui me -donne est proche. »

46

ET IL LEUR DIT :

« Pourquoi DORMEZ-VOUS ? VOUS ÉTANT LEVÉS, PRIEZ, AFIN QUE VOUS n’entriez PAS EN TENTATION. »

selon saint Luc (Lc 22,1-53)

167

COMPARAISON SYNOPTIQUE (voir Mt 26,36-46, p. 57 et Mc 14,32-42, p. 108) Contrairement à Mt et Mc, Lc ne précise pas le nom de « l’endroit » (40a) que les autres appellent « Gethsémani ». Il a remplacé les invitations à « s’asseoir » au début et à « dormir » à la fin (Mt: 36.45 et Mc: 32.41) par les deux commandements presque identiques (« priez... » : 40.46) qui ont leur équivalent au centre des constructions de Mt (26,41) et de Mc (14,38 ; omettant le verbe « veiller »). Manquent aussi le choix de Pierre, Jacques et Jean pour l’accompagner, ainsi que les visites répétées aux disciples ; le reproche adressé à Pierre qui se trouve au centre des passages de Mt et de Mc est rejeté à la fin chez Lc (46). Comme Mc, Lc mentionne par deux fois la prière de Jésus, mais il ajoute la sueur de sang, en parallèle à la coupe, et surtout la venue de l’ange qui le fortifie (43). Ainsi, l’insistance est mise sur l’isolement de Jésus, sur sa prière et sur l’invitation faite aux disciples à s’unir à sa prière. L’abandon des disciples n’est certes pas passé sous silence, mais il est atténué et pour ainsi dire excusé par le fait qu’il est attribué à la tristesse (45c). Enfin, bien que Lc soit le seul à parler d’agonie (44), la réponse du ciel adoucit en quelque sorte le caractère dramatique du récit ; elle montre surtout que Dieu n’a pas abandonné son fils. CONTEXTE L’agonie d’Élie (1R 19,3-8) L’ange central qui du ciel vient « fortifier » Jésus rappelle celui qui « fortifia » Élie quand, menacé de mort par Jézabel, il s’enfuit au désert (1R 19,1-2). Les points de ressemblance entre « l’agonie d’Élie » et celle de Jésus sont nombreux : comme Jésus s’éloigne de ses disciples pour prier le Père, ainsi Élie se sépare de son serviteur (3) pour aller seul à la rencontre de Dieu sur la montagne de l’Horeb ; comme Jésus, Élie prie le Seigneur avant d’être réconforté par lui ; Jésus est « fortifié » par « un ange du ciel », Élie peut de nouveau marcher grâce à la « force » que lui procure la nourriture donnée par « l’ange du Seigneur » ; tous deux s’abattent par terre, puis se lèvent (cependant ce n’est pas Jésus mais les disciples qui se couchent et dorment). Les tentations au désert Le récit des tentations au désert (Lc 4,1-13) s’achève sur l’annonce d’une future rencontre entre Jésus et le tentateur : « Ayant ainsi épuisé toute tentation, le diable s’éloigna de lui jusqu’au moment favorable » (4,13). Les « anges » sont nommés dans la troisième tentation : « Il est écrit : “Il donnera pour toi des ordres à ses anges, afin qu’ils te gardent”. » À noter que la dernière tentation est située sur le pinacle du Temple visible du jardin du mont des Oliviers, au-delà de la vallée du Cédron.

168

Le testament de Jésus

Le Notre Père Les contacts entre l’agonie de Jésus et le Notre Père (Lc 11,2-4) sont si étroits que l’une peut être vue comme la mise en œuvre de l’autre. Avant tout, les cinq occurrences de la racine de « prier » (proseuchomai : 40b. 41c.44b.45a.46d) renvoient aux trois de 11,1-4. Jésus invoque le Seigneur, en l’appelant « Père » (11,2). « Priez pour ne pas entrer en tentation » (22,40b), répété presque littéralement en 46d, rappelle la dernière demande du Notre Père selon la version brève de Lc (11,4). On sait que Lc a omis la troisième demande du Notre Père de Matthieu : « Advienne ta volonté, comme au ciel ainsi sur la terre » (Mt 6,10) ; la prière de Jésus au jardin y ressemble fort : « Cependant non pas ma volonté, mais la tienne arrive ! » (22,42de). Enfin, l’ange qui « fortifie » Jésus, au centre du récit de l’agonie (43) — surtout si on le considère en relation avec « l’agonie d’Élie », à qui fut donné le pain (voir ci-dessus) —, peut être mis en rapport avec le don du pain, qui constitue la demande centrale de la prière du Seigneur, même dans la version brève de Lc (11,3). INTERPRÉTATION « Les disciples l’accompagnèrent » Élie laisse son serviteur à Béer-Shéva avant d’affronter seul le désert, lieu traditionnel de la tentation. Les disciples accompagnent Jésus (39b) et celui-ci les invite à s’associer à sa prière (40). Il s’écarte d’eux certes, mais ce n’est pas « une journée de chemin » (1R 19,4) qui sépare Jésus et les apôtres, c’est la distance « d’un jet de pierre » (41a). Les disciples restent à portée de leur maitre dont, sans aller néanmoins jusqu’à l’angoisse mortelle (44), ils partagent la tristesse (45c). Ni eux ni lui ne restent debout ; ils sont tous abattus par l’épreuve. Cependant, ils ne le suivent pas jusqu’au bout. Comme Élie, ils se couchent dans la tristesse et se réfugient dans le sommeil, abandonnant le combat. Jésus à genoux reste éveillé et trouve dans la prière la force d’affronter « l’agonie ». Ils fuient dans l’absence du dormir, Jésus fait face à la tentation. À celui qui garde les yeux ouverts peut apparaitre l’ange de la force ; pas à celui qui dort. Les yeux clos ne voient pas la lumière. En fin de récit (46), le rôle de l’ange est tenu par Jésus qui réveille ses disciples et les invite à se lever : « Réveille-toi, ô toi qui dors, relève-toi d’entre les morts, et le Christ t’illuminera » (Ep 5,14).

selon saint Luc (Lc 22,1-53)

169

Jésus affronte la tentation La coupe qui se présente à Jésus (42c) est celle de l’agonie et de la mort. Jésus ne l’a pas cherchée et il y résiste de toute la vitalité de son être. Comme tout homme sain de corps et d’esprit, il veut en être délivré et il le demande (42bc) « instamment » (44b). Il avait pourtant annoncé à plusieurs reprises qu’il serait rejeté, mis à mort et qu’il se relèverait d’entre les morts le troisième jour ; il avait insisté en expliquant qu’il fallait qu’il en soit ainsi parce que c’était ce qu’annonçaient les Écritures. Et maintenant que l’heure est venue, sa volonté se cabre ; c’est le moment de la tentation. Le doute l’envahit : est-ce bien là la volonté de Dieu ? Il y résiste cependant en s’en remettant à la volonté de celui qu’il ne cesse d’appeler son « Père ». Et le voilà qui se met à verser une sueur mortelle « comme des gouttes de sang » (44cd). La réponse du ciel Élie avait été fortifié dans son épreuve par une nourriture de Dieu qui devait lui permettre de continuer son chemin jusqu’à la montagne de l’Horeb. Au cœur de la tentation, Jésus est conforté par « un ange du ciel » (43) qui lui donnera la force d’aller jusqu’à la montagne du Golgotha. Il avait refusé de tenter le Seigneur en se servant du secours des anges que le diable lui avait suggéré pour imposer par une action d’éclat sa qualité de « Fils de Dieu » (Lc 4,9-12). Maintenant qu’il accepte, dans la nuit et la solitude, la volonté de son Père, il peut recevoir le réconfort de l’ange du ciel. Comme le pain que, au centre de la prière qu’il nous a enseignée, Jésus nous fait demander au Père : là est la source de la force que Dieu nous donne pour que nous n’entrions pas dans la tentation et pour que sa volonté arrive en nous comme au ciel.

170

Le testament de Jésus

2. ARRÊTÉ, JÉSUS REFUSE DE VERSER LE SANG DE SES ENNEMIS (22,47-53) COMPOSITION DU PASSAGE + 47 Comme il parlait encore, . voici une foule, . et ledit Judas, l’un des Douze, les devançait. ·················································································

: Et il s’approcha de Jésus pour l’ :

48

EMBRASSER.

Jésus lui dit : « Judas, par UN BAISER tu -donnes le Fils de l’homme ! »

49

Or ceux autour de lui

voyant ce qui allait-arriver,

– « Seigneur, frapperons-nous de 50

. Et l’un d’eux . et lui

dirent :

L’ÉPÉE ? » FRAPPA enleva

le serviteur du Grand Prêtre son oreille droite.

··························································································· 51

Or Jésus

répondant,

dit :

– « Laissez (faire), même ceci. » . Et . il

ayant

TOUCHÉ guérit

son oreille, lui.

+ 52 Or Jésus dit à ceux qui étaient arrivés contre lui, + grands-prêtres, gardes et anciens : ·······················································································

: « Comme contre un bandit - vous êtes sortis avec :

ÉPÉES ET BÂTONS.

53

Chaque jour étant avec vous dans le Temple, - vous n’avez pas étendu LES MAINS contre moi.

·······················································································

+ Mais c’est l’heure de vous, + le pouvoir des ténèbres. »

La première partie (47-48) est formée de deux morceaux. Le premier (47abc) présente les personnages. Le second morceau rapporte l’action de Judas (47d) puis la réaction de Jésus (48) à son « baiser » (47d.48b). La deuxième partie (49-51) comprend deux morceaux parallèles (49-50 ; 51), formés chacun de trois segments. Les premiers sont des phrases de récit (49a. 51a). Les seconds sont des paroles (question d’abord : 49b ; réponse ensuite : 51b). Quant aux segments bimembres de 50ab et 51cd, ils ne rapportent plus des paroles mais des actes, les deux actions de l’un des disciples contre le serviteur du Grand Prêtre (50ab) et les deux actions, en opposition (croisée), de Jésus

selon saint Luc (Lc 22,1-53)

171

(51cd) : il « touche » (de la main) au lieu de « frapper » et « guérit » celui auquel son disciple avait « enlevé » l’oreille (par l’épée). La troisième partie (52-53) comporte aux extrémités deux bimembres : dans le premier (52ab), le deuxième membre énumère les sujets du verbe du premier membre ; dans le dernier segment (53cd), la même structure syntaxique (nom et complément de nom) met en parallèle d’un membre à l’autre « heure » et « pouvoir » ainsi que « vous » et « ténèbres ». Entre ces deux segments, un morceau dont les deux segments bimembres parallèles (52c-53b) opposent ce qui arrive maintenant à ce qui s’était passé les jours précédents. Les rapports entre les parties : le « coup » (50a) « d’épée » (49b) du premier morceau de la partie centrale peut être mis en relation avec le « baiser » de Judas de la première partie (47d.48b) ; « touchant » (avec la main21) de 51c dans le second morceau de la partie centrale s’oppose à la violence de la dernière partie (« épées et bâtons » de 52d et « étendu les mains contre moi » de 53b). COMPARAISON SYNOPTIQUE (voir Mt 26,47-56, p. 63 et Mc 14,43-52, p. 113) Le passage de Lc comprend les trois mêmes épisodes que chez Mt et Mc. Toutefois, dans la première partie (47-48) : – Lc ne dit pas par qui la foule a été envoyée ni qu’elle est armée ; – il ne mentionne pas la référence au signe que Judas leur avait donné22 ; – il ajoute, comme Mt, une réponse de Jésus à Judas (ce que ne fait pas Mc), mais cette réponse est moins sèche et plus dramatique que dans le premier évangile. Dans la deuxième partie (49-51), Lc est plus développé que le très elliptique Mc, mais son texte est bien différent de celui de Mt : – les disciples posent une question en 49 avant que l’un d’entre eux ne blesse le serviteur ; – au lieu de tout le discours de Mt 26,52-54, Jésus se borne chez Lc à un simple : « Laissez, même ceci ! » ; – enfin, il guérit le blessé23. La troisième partie de Lc (52-53) commence comme celles de Mt et de Mc, à ceci près que Lc remplace les « foules » de Mt par les grands prêtres, les gardes et les anciens (la chose est plutôt invraisemblable que ces responsables se soient déplacés eux-mêmes pour procéder à l’arrestation de Jésus) ;

21 En 51cd, certains manuscrits (D, it) ont : « et étendant la main [comme en 53], il le toucha et son oreille fut remise en état » ; si la lecture brève, « et touchant son oreille, il le guérit », correspond mieux à la brièveté du segment précédent (51b), la variante présente l’avantage de souligner l’opposition entre la conduite de Jésus et celle de ses ennemis. 22 Certains manuscrits cependant ajoutent à la fin de 47 : « Celui-là en effet leur avait donné un signe : “Celui que j’embrasserai, c’est lui” ». Bien que cette variante soit peu attestée, il serait tentant de la réintégrer pour rétablir au moins l’équilibre des masses entre les deux parties extrêmes. 23 Les anges évoqués par Mt 26,53 sont absents de Lc, mais font penser à l’ange qui a conforté Jésus au centre du passage précédent (Lc 22,43).

172

Le testament de Jésus Mt 26,47-56

47

Et

Mc 14,43-52 43

Et aussitôt,

Lc 22,47-53 47

COMME IL PARLAIT ENCORE, voici que JUDAS, L’UN DES DOUZE, vint, et avec lui UNE FOULE nombreuse

COMME IL PARLAIT ENCORE, arrive JUDAS, L’UN DES DOUZE et avec lui UNE FOULE

COMME IL PARLAIT ENCORE, voici UNE FOULE, et le dit JUDAS, L’UN DES DOUZE,

avec épées et bâtons de (chez) les GRANDS PRÊTRES ET LES ANCIENS du peuple.

avec épées et bâtons de chez les GRANDS PRÊTRES, les scribes ET LES ANCIENS.

les devançait.

········································ 48

·······································

Or celui qui le -donnait leur donna un signe disant : « Celui que j’embrasserai, c’est lui ; emparez-vous de lui. »

Or celui qui le -donnait leur avait donné un signal disant : « Celui que j’embrasserai, c’est lui ; emparez-vous de lui et emmenez-le sous bonne garde.

········································

·······································

ET aussitôt, s’étant avancé vers Jésus, il dit : « Salut, Maitre » et il l’embrassa. 50 Or Jésus lui dit : « Ami, (fais) ce pour quoi tu es ici. » Alors, s’étant avancés, ils jetèrent les mains sur Jésus et s’emparèrent de lui.

ET étant venu aussitôt, s’étant avancé vers lui, il dit : « Maitre » et il l’embrassa.

46 Or eux jetèrent les mains sur lui et s’emparèrent de lui.

51

Et voici UN DE CEUX avec Jésus, étendant la main, tira son ÉPÉE et

47

FRAPPANT LE SERVITEUR DU GRAND PRÊTRE, LUI ENLEVA L’OREILLE. ENLEV

FRAPPA LE SERVITEUR DU GRAND PRÊTRE ET LUI ENLEVA SON OREILLE.

49

44

45

Or L’UN DE CEUX se tenant là, ayant tiré L’ÉPÉE,

··································· ·· 52

ET il s’approcha de Jésus pour lui (donner) un baiser. 48 Or Jésus lui dit : « Judas, par un baiser tu -donnes le Fils de l’homme ! »

49

Or ceux autour de lui, voyant ce qui allait être, dirent : « Seigneur, frapperons-nous de 50 L’ÉPÉE ? » Et L’UN D’EUX FRAPPA LE SERVITEUR DU GRAND PRÊTRE RE ET LUI ENLEVA SON OREILLE droite te.

·······································

Alors Jésus lui dit : « Remets ton épée à sa place, car tous ceux qui prennent l’épée par l’épée périront. 53

·······································

51

Or Jésus répondant, dit : « Laissez (faire), même ceci. » Et ayant touché son oreille, il guérit lui.

···································

Ou penses-tu que je ne puisse pas faire appel à mon Père et il me fournirait maintenant plus de douze légions d’anges ? 54 Comment donc s’accompliraient les Écritures qu’ainsi il doit advenir ? 55

À cette heure-là, JÉSUS DIT aux foules :

48

« COMME CONTRE UN BANDIT

« COMME CONTRE UN BANDIT

« COMME CONTRE UN BANDIT

VOUS ÊTES SORTIS AVEC ÉPÉES ET BÂTONS pour me prendre. CHAQUE JOUR, DANS LE TEMPLE, J’ÉTAIS assis enseignant

VOUS ÊTES SORTIS AVEC ÉPÉES ET BÂTONS pour me prendre. 49 CHAQUE JOUR J’ÉTAIS parmi vous DANS LE TEMPLE enseignant, et

VOUS ÊTES SORTIS AVEC ÉPÉES ET 53 BÂTONS. Alors que CHAQUE JOUR J’ÉTAIS avec vous DANS LE TEMPLE,

et vous ne vous êtes pas emparé de moi. »

vous ne vous êtes pas emparé de moi. 50 Et l’abandonnant, ils s’enfuirent tous.

vous n’avez pas étendu les mains contre moi.

········································

·······································

Or tout cela arriva pour que s’accomplissent les Écritures des prophètes.

Mais c’est afin que s’accomplissent les Écritures.

········································

Et un jeune homme le suivait, enveloppé d’un drap sur sa nudité, et ils s’emparent de lui. 52 Mais lui, lâchant le drap, nu il s’enfuit.

Et répondant, JÉSUS leur DIT :

52

Or JÉSUS DIT à ceux qui étaient arrivés contre lui, GRANDS PRÊTRES, gardes ET ANCIENS :

·······································

56

Alors tous les disciples, l’abandonnant, s’enfuirent

················································ Mais c’est l’heure de vous, le pouvoir des ténèbres. »

······································· 51

– en outre, Lc ne fait pas référence aux Écritures, ni à la fuite des disciples,

selon saint Luc (Lc 22,1-53)

173

– mais il clôt les paroles qu’il adresse à ses adversaires par la parole de 53fg, qui semble faire une sorte d’inclusion de toute la séquence avec la mention de Satan au début du premier passage, en 22,3 (ce qui rappelle Jn 13,27.30). INTERPRÉTATION Tous prennent l’épée contre Jésus Les grands prêtres et les anciens, à qui prêtent main forte les chefs des gardes du Temple (52b), sont contre Jésus depuis longtemps ; ce sont des ennemis déclarés, même s’ils n’avaient pas osé jusqu’ici passer aux actes par crainte du peuple (53ab). Judas lui aussi a choisi son camp, contre Jésus, mais il fait semblant d’être avec lui (47d) ; il reste du nombre des Douze extérieurement, il se sert de sa familiarité avec Jésus pour mieux le donner aux grands prêtres. C’est la trahison. Pire encore, c’est la perversion de l’amour, puisqu’il va jusqu’à se servir du signe même de l’amour pour désigner son maitre à la haine de ses ennemis. Les grands prêtres sont contre Jésus, Judas fait encore semblant d’être avec lui. Quant à l’autre disciple, celui qui tire son épée pour défendre son maitre (50), il croit encore être avec lui, mais ce n’est déjà plus vrai. En effet, comme les grands prêtres, et comme Judas, comme tous les autres ennemis de Jésus, il a pris le parti de la violence. Jésus fait sortir les épées de leur fourreau Judas tente de dissimuler sa trahison par un baiser d’allégeance (47d) mais Jésus dévoile aussitôt sa véritable intention qui est de livrer le Fils de l’homme à ses ennemis (48). Les grands prêtres, les chefs des gardes du Temple et les anciens sont venus de nuit pour le prendre avec épées et bâtons (52) ; en opposant leur démarche présente à l’attitude qu’ils avaient adoptée quand il était avec eux dans le Temple (53ab), Jésus fait venir à la lumière les desseins meurtriers qu’ils nourrissaient jour après jour en les dissimulant par crainte du peuple. Les disciples eux-mêmes sont amenés, sous la menace de l’épée, à révéler les pensées de leur cœur : ils sont prêts à dégainer (49) et, avant tous les autres, l’un d’entre eux a déjà frappé (50). Devant Jésus, la violence qui est au cœur de chaque homme ne peut rester cachée ; le pouvoir des ténèbres est démasqué (53cd). Jésus guérit de l’épée Jésus ne veut pas que ses disciples se servent de l’épée. Victime innocente, il acceptera au contraire d’être traité comme un brigand et frappé à mort. Il laissera faire même cela (51b). Bien plus, par son intervention en faveur du serviteur du Grand-Prêtre (51cd), il proclame qu’il est du côté de la victime, pas du bourreau ; il guérit au lieu de frapper, il donne la vie, comme il l’a toujours fait, alors même qu’on l’arrête pour lui donner la mort. Cette guérison dépasse son premier bénéficiaire, le serviteur du Grand Prêtre, pour atteindre tous ceux qui seront délivrés de la violence par la Passion du Fils de l’homme qui a accepté de porter le péché du monde.

174

Le testament de Jésus

3. LA MORT DE JÉSUS SE PRÉPARE (22,39-53) COMPOSITION DE LA SOUS-SÉQUENCE Les deux passages commencent de manière opposée : Jésus accompagné de « ses disciples » d’abord (39) ; ensuite une foule précédée par Judas, « l’un des Douze » (47ab). Tandis que Jésus verse son « sang » au centre du premier passage (44), un des disciples prend « l’épée » et fait couler le sang d’autrui au centre du second (4950) ; mais Jésus le « guérit » (51), un peu comme l’ange qui le « fortifie » luimême (43). « Ceci » (51), que Jésus accepte, renvoie à « cette coupe » de 42b, à savoir la volonté de Dieu. 39 * 22, Étant sorti, il partit selon sa coutume vers le mont des Oliviers = et l’accompagnèrent SES DISCIPLES. 40

Arrivé à l’endroit, il leur dit : « Priez pour ne pas entrer en tentation. » 41 Il s’écarta d’eux comme d’un jet de pierre et s’étant mis à genoux, il priait 42 en disant : « Père, si tu veux, emporte cette coupe loin de moi ; cependant non pas ma volonté, mais la tienne arrive ! » 43 Et lui apparut un ange du ciel qui le fortifiait. 44 Et arrivé en agonie, il priait plus instamment ; et il arriva que sa sueur était comme des gouttes de sang tombant à terre. 45

S’étant levé de sa prière et étant venu vers ses disciples, il les trouva assoupis de tristesse. 46 Et il leur dit : « Pourquoi dormez-vous ? Vous étant levés, priez afin que vous n’entriez pas en tentation. »

47

*

Tandis qu’il parlait encore, voici une foule, = et LEDIT JUDAS, L’UN DES DOUZE, les devançait.

Il s’approcha de Jésus pour l’embrasser. que tu -donnes le Fils de l’homme ! »

48

Jésus lui dit : « Judas, c’est par un baiser

49

Ceux qui étaient autour de lui, voyant ce qui allait arriver, dirent : « Seigneur, frapperons-nous de l’épée ? » 50 L’un d’eux frappa le serviteur du Grand Prêtre et lui enleva l’oreille droite. 51 Répondant, Jésus dit : « Laissez faire, même ceci. » Et ayant touché l’oreille, il le guérit.

52

Jésus dit à ceux qui étaient arrivés contre lui, grands-prêtres, gardes et anciens : « Comme contre un bandit vous êtes sortis avec épées et bâtons. 53 Alors que chaque jour j’étais avec vous dans le Temple, vous n’avez pas étendu les mains contre moi. Mais c’est votre heure, c’est le pouvoir des ténèbres. »

selon saint Luc (Lc 22,1-53)

175

COMPARAISON SYNOPTIQUE (voir Mt 26,36-56, p. 67 et Mc 14,1-52, p. 83) Mt 26,36-56 Gethsémani

Mc 14,32-52 36-46

Gethsémani

Lc 22,39-53 32-42

L’agonie de Jésus

39-46

La trahison de Judas L’arrestation

L’oreille coupée 47-56

La fuite des disciples

L’arrestation 43-52

47-53

Le contexte immédiat24 du passage parallèle de Mc 14,43-52 n’est pas tant « La veillée de prière à Gethsémani », mais plutôt la sous-séquence qui lui fait pendant au début de la séquence (14,1-11 ; voir p. 92). En revanche la dernière sous-séquence de Mt (26,36-56) comprend les deux « mêmes » passages que ceux de Lc. Cependant, les différences sont telles, surtout entre les deux récits de la prière de Jésus (Mt 26,36-46 et Lc 22,39-46), que les relations entre les deux passages de leurs sous-séquences respectives en sont notoirement modifiées. Dans la sous-séquence de Lc, les liens entre les centres (42-44 et 49-51) ne mettent pas en parallèle les deux tentations des disciples comme chez Mt (26,41 et 52 ; voir p. 67), mais portent davantage sur la personne de Jésus : il verse son sang en 44 et au contraire guérit le serviteur blessé en 51. INTERPRÉTATION Deux groupes opposés D’un côté, Jésus en relation avec son Père dont il accepte la volonté (42), dûtil en suer du sang (44) ; de l’autre côté, Jésus en relation avec ses ennemis, les chefs de son peuple dont il accepte aussi la décision, y reconnaissant paradoxalement la volonté de son Père (51). Les disciples accompagnent Jésus au début (39) ; mais ils le laissent bien vite seul dans sa prière et dans son épreuve pour se réfugier dans l’absence du dormir (45). Quant à Judas, il est déjà passé de l’autre côté de la barrière et finit par livrer son maitre (47-48). Les autres disciples, représentés par celui qui tire l’épée (50), rejoignent le traitre en prenant le parti de la violence. Et, sans que Lc éprouve le besoin de le dire, Jésus se retrouve seul au pouvoir de ses ennemis. Ses disciples, Judas et les autres, s’évanouissent dans les ténèbres (53).

24 Au sens que lui donne l’analyse rhétorique : voir R. MEYNET, « Pour une définition scientifique de la notion de contexte » ; Traité, 349-352.

176

Le testament de Jésus

La tentation En quoi consiste la tentation contre laquelle Jésus met en garde ses disciples (40.46) ? C’est sans doute celle à laquelle ils succombent : la tristesse et la fuite dans le sommeil (45) devant la perspective de la Passion qu’ils repoussent. Mais c’est aussi la tentation de la violence (49), qui pousse l’un d’eux à dégainer (50). En guérissant celui que son disciple a blessé (51), Jésus montre qu’il n’accepte pas qu’un autre sang que le sien soit versé pour le salut de tous, de ses disciples et même de ses ennemis. D. LE TESTAMENT DU ROI POUR LA COMMUNAUTÉ DE SES FIDÈLES (Lc 22,1-53) COMPOSITION DE LA SÉQUENCE Les autorités

et Judas

préparent

la mort de Jésus

Jésus

et ses disciples

préparent

la Pâque

LA PÂQUE

DE JÉSUS

L’annonce

LES ÉPÉES

7-13

14-20

de la trahison

21-24

LE DISCOURS SUR LE SERVICE L’annonce

1-6

du reniement

25-30 31-34 35-38

DES APÔTRES

Agonisant, Jésus

accepte

de verser

son propre sang

39-46

Arrêté,

refuse

de verser

le sang de ses ennemis

47-53

Jésus

Le premier et le dernier récit (1-6 ; 47-53) se répercutent, sous forme de prophéties, de chaque côté du passage central (21-24 ; 31-34). À l’introduction, où l’on voit Judas conclure secrètement avec les grands-prêtres, correspond, avant le passage central (21-24), la révélation par Jésus de sa trahison. Après le passage central (31-34), Jésus annonce à Simon l’épreuve (ou « tentation » : peirasmos) à laquelle seront soumis les disciples et à laquelle ils succomberont dans le dernier passage de la séquence. La disposition tout à fait symétrique de ces quatre passages — qui est propre à Lc — invite à en étudier les rapports.

selon saint Luc (Lc 22,1-53)

177

1. RAPPORTS ENTRE LES SOUS-SÉQUENCES EXTRÊMES (22,1-13 ; 39-53) 22,1 Or approchait la fête des Azymes qu’on appelle la Pâque. 2 LES GRANDS-PRÊTRES et les scribes cherchaient comment ils le supprimeraient, car ils craignaient le peuple. 3 Or Satan entra en JUDAS appelé Iscariote, qui était du nombre des Douze. 4

Il partit parler-AVEC LES GRANDS-PRÊTRES ET LES GARDES comment le -donner.

5

Eux se réjouirent et convinrent de lui donner de l’argent. 6 Il accepta et se mit à chercher le bon moment pour le leur -donner à l’insu de la foule. 7

Or vint le jour des Azymes où il fallait immoler la Pâque. 8 Il envoya Pierre et Jean disant : « Étant allés, PRÉPAREZ pour nous la Pâque pour que nous la mangions. » 9 Ils lui dirent : « Où VEUXtu que nous préparions ? » 10 Il leur dit : « Voici : quand vous entrerez dans la ville, VIENDRA-AVEC VOUS

UN HOMME PORTANT UNE CRUCHE D’EAU.

Accompagnez-le dans la maison dans laquelle il pénétrera. 11 Et vous direz au maitre de maison : “Le maitre te dit : Où est la salle où je mangerai la Pâque AVEC MES DISCIPLES ?” 12 Celui-là vous montrera une pièce haute, grande et garnie de coussins. Là PRÉPAREZ. » 13 Étant partis, ils trouvèrent comme il leur avait dit et ils préparèrent la Pâque. [...] 39

Étant sorti, il s’en alla selon sa coutume vers le mont des Oliviers ET SES DISCIPLES L’ACCOMPAGNÈRENT. Arrivé à l’endroit, il leur dit : « PRIEZ pour ne pas entrer en tentation. » 41 Il s’éloigna d’eux comme d’un jet de pierre et s’étant mis à genoux, il priait 42 en disant : « Père, si tu VEUX, emporte cette coupe loin de moi ; cependant non pas ma VOLONTÉ, mais la tienne arrive ! » 40

43

ET LUI APPARUT

UN ANGE DU CIEL LE FORTIFIANT.

44

Et arrivé en agonie, il priait plus instamment ; et il arriva que sa sueur était comme des gouttes de sang tombant à terre. 45 S’étant levé de sa prière et étant revenu vers ses disciples, il les trouva assoupis de tristesse. 46 Et il leur dit : « Pourquoi dormez-vous ? Vous étant levés, PRIEZ afin que vous n’entriez pas en tentation. » 47 Tandis qu’il parlait encore, voici une foule, et ledit JUDAS, l’un des Douze, les devançait. Il s’approcha de Jésus pour l’embrasser. 48 Jésus lui dit : « JUDAS, c’est par un baiser que tu -donnes le Fils de l’homme ! » 49

Ceux qui étaient AUTOUR de lui, voyant ce qui allait arriver, dirent : « Seigneur, frapperons-nous de l’épée ? » 50 L’un d’eux frappa le serviteur du GRAND PRÊTRE et lui enleva l’oreille droite. 51 Répondant, Jésus dit : « Laissez faire, même ceci. » Et ayant touché l’oreille, il le guérit. 52

Jésus dit à ceux qui étaient sortis contre lui, GRANDS-PRÊTRES, GARDES et anciens : « Comme contre un bandit vous êtes sortis avec épées et bâtons. 53 Alors que chaque jour j’étais AVEC vous dans le Temple, vous n’avez pas étendu les mains contre moi. Mais c’est votre heure, c’est le pouvoir des ténèbres. »

Dans les passages extrêmes reviennent « grands-prêtres » et « gardes » (4 et 52 ; « grands-prêtres » apparaissait déjà en 2 et « Grand Prêtre » en 50). Le nom de « Judas » est cité en 3 et en 47, accompagné d’abord de « qui était du nombre des Douze », puis de « l’un des Douze ». C’est lui qui « -donne » Jésus (4.6 et 48). Les grands-prêtres et les gardes sont en relation étroite avec Judas au centre

178

Le testament de Jésus

de l’introduction (4), pour le contrat ; dans la conclusion, ils sont nommés séparément, Judas au début (47-48), ceux à qui il a livré Jésus à la fin (52-53)25. Dans le deuxième et l’avant-dernier passage les segments centraux sont tout à fait parallèles dans leur construction syntaxique : viendra avec vous apparut à lui

UN HOMME UN ANGE

une cruche du ciel

d’eau

PORTANT

FORTIFIANT

lui

10 43

« Vouloir » revient en 9 et en 42. Dans les deux cas il s’agit de la volonté de Jésus. Cet indice lexical attire l’attention sur le fait que Jésus s’en remet chaque fois à la volonté d’un autre, à son Père à l’agonie, au « maitre-de-maison », lors de la préparation de la Pâque, auquel sera posée la question que les disciples avaient posée à Jésus. Chez Lc, le « maitre-de-maison » (grec oiko-despotēs) désigne toujours, quoique de manière parabolique, Dieu lui-même (« le maitre » tout court, despotēs, désigne Dieu directement : Lc 2,29 et Ac 4,24). Ainsi pourrait s’éclairer l’énigme du deuxième passage. L’homme à la cruche d’eau et l’ange de l’agonie se trouvant en position symétrique, et étant présentés de façon analogue, devraient avoir une fonction analogue ou complémentaire. Tous deux sont des envoyés de Dieu, l’un pour guider les disciples, l’autre pour fortifier Jésus. Par ailleurs, si l’agonie d’Élie peut se lire en arrière-fond de celle de Jésus, (voir p. 167), la cruche d’eau pourrait, elle aussi, être en rapport avec l’histoire d’Élie, puisque l’ange dépose à son chevet du pain et une cruche d’eau. Chacun des deux passages est encadré par deux impératifs identiques : « préparez » (8.12) et « priez » (40.46). En termes médians à distance, « avec mes disciples » (11b) annonce « ses disciples l’accompagnèrent » (39). Dans la même ligne, proximité et séparation marquent les deux sousséquences. Judas « parti parler-avec » les ennemis de son maitre au début (4) « s’approche » de lui à la fin jusqu’à « l’embrasser » (47) ; à Judas qui « parleavec » les grands-prêtres s’oppose l’homme qui « vient-avec » Pierre et Jean (10b) ; Jésus qui s’est « éloigné » des disciples en 41 « retourne » vers eux en 45 ; ceux « avec » qui Jésus était chaque jour dans le Temple (53) sont désormais « sortis contre lui » (52).

25

Le dernier passage a dix lexèmes en commun avec le premier. – N’apparaissent pas ailleurs dans la séquence : « approcher » (1.47), « grand(s)-prêtre(s) » (2.4 ; 50.52), « foule » (6.47), « gardes » (4.52 ; ce sont les deux seuls emplois de ce mot dans Lc), « Judas » (3 ; 47.48 ; ce nom n’apparait qu’une seule fois ailleurs dans Lc, dans la liste des douze apôtres, en 6,16), « parleravec »/« parler » (4.47). – Apparaissent ailleurs, mais différemment : le verbe « dire », mais pas sous la forme du participe déterminant un nom propre : « dite la Pâque » (1) et « ledit Judas » (47) ; « douze » est employé à la fin du passage central (30) mais comme adjectif, alors qu’en 3 et 47, « les Douze », substantivé, désigne les apôtres. Les deux expressions, « du nombre des Douze » et « l’un des Douze », sont synonymes et qualifient toutes deux Judas. – Apparait ailleurs identiquement un seul mot : « -donner » (4.6 ; 48) qui reparaitra en 21 et 22. Il n’est pas étonnant de trouver plusieurs mots identiques dans des passages où se retrouvent les mêmes personnages pour une même action : en effet, la décision prise par les grands-prêtres et les gardes, et par Judas à l’encontre de Jésus au début est mise à exécution à la fin.

selon saint Luc (Lc 22,1-53)

179

2. RAPPORTS ENTRE LES TROIS SOUS-SÉQUENCES 22,1 Or approchait la fête des Azymes qu’on appelle la Pâque. 2 Les grands-prêtres et les scribes cherchaient comment ils le supprimeraient, car ils craignaient le peuple. 3 Or SATAN entra en Judas appelé Iscariote, qui était du nombre des Douze. 4 Il partit parler AVEC les grands-prêtres et les gardes comment le -donner. 5 Eux se réjouirent et convinrent de lui donner de l’argent. 6 Il accepta et se mit à chercher le bon moment pour le leur -donner à l’insu de la foule. 7

Or vint le jour des Azymes où il fallait immoler la Pâque. 8 Il envoya Pierre et Jean disant : « Étant partis, préparez pour nous la Pâque pour que nous la mangions. » 9 Ils lui dirent : « Où veux-tu que nous préparions ? » 10 Il leur dit : « Voici : quand vous entrerez dans la ville, viendra-AVEC vous un homme portant une cruche d’eau. Accompagnez-le dans la maison dans laquelle il pénétrera. 11 Et vous direz au maitre de maison : “Le maitre te dit : Où est la salle où je mangerai la Pâque AVEC mes disciples ?” 12 Celui-là vous montrera une pièce haute, grande et garnie de coussins. C’est là que vous préparerez. » 13 S’en étant allés, ils trouvèrent comme il leur avait dit et ils préparèrent la Pâque. 14

Et quand arriva l’heure, il s’étendit ET LES APÔTRES ÉTAIENT AVEC LUI 15 et il leur dit : « J’ai désiré ardemment manger cette Pâque AVEC vous avant de souffrir. 16 Je vous dis que je ne la mangerai jamais plus jusqu’à ce qu’elle soit accomplie dans le règne de Dieu. » 17 Ayant reçu une coupe, rendu grâces, il dit : « Prenez ceci et partagez entre vous. 18 Je vous dis : je ne boirai plus à partir de maintenant du fruit de la vigne jusqu’à ce que soit venu le règne de Dieu. » 19 Ayant pris du pain, rendu grâces, il le rompit et leur donna en disant : « Ceci est mon corps qui pour vous est donné. Faites ceci en mémoire de moi. » 20 Et de même la coupe après le diner en disant : « Cette coupe est la nouvelle alliance en mon sang qui pour vous est versé. » 21

« Mais voici que la main de celui qui me -donne est AVEC moi sur la table. 22 Car LE FILS DE L’HOMME part selon ce qui est fixé. Mais malheureux cet homme par qui il est -donné ! » 23 Ils commençaient à chercher entre eux qui donc était parmi eux celui qui allait faire cela. 24 Et il arriva une contestation entre eux qui était parmi eux celui qui était le plus grand. 25

Alors il leur dit : « Les rois des nations dominent sur elles et ceux qui ont pouvoir sur elles sont appelés bienfaiteurs. 26 Quant à vous, ce n’est pas comme cela ! Mais le plus grand parmi vous devienne comme le plus jeune et celui qui commande comme celui qui sert. 27

Qui donc est le plus grand ? Celui qui est à table ou celui qui sert ? N’est-ce pas celui qui est à table ? Or moi, je suis AU MILIEU DE VOUS comme celui qui sert. 28

Vous, vous êtes demeurés avec moi dans mes épreuves, 29 et moi je lègue pour vous [un testament], comme le Père a légué pour moi un règne, 30 afin que vous mangiez et buviez à ma table dans mon règne et que vous vous asseyiez sur des trônes jugeant les douze tribus d’Israël. » 31

« Simon, Simon, voici que SATAN a réclamé après vous pour vous cribler comme le blé. 32 Quant à moi, j’ai supplié pour toi afin que ne disparaisse pas ta foi. Et toi, quand tu seras revenu, affermis tes frères ! » 33 Il lui dit : « Seigneur, je suis prêt à partir AVEC toi et en prison et à la mort ! » 34 Il dit : « Je te le dis, Pierre, le coq ne chantera pas aujourd’hui que par trois fois tu n’aies nié me connaitre. » 35

Il leur dit : « Quand je vous ai envoyés, sans bourse, ni sac ni souliers, avez-vous manqué de quelque chose ? » Ils dirent : « De rien. » 36 Il leur dit : « Maintenant au contraire, que celui qui a une bourse, qu’il l’emporte ; et de même celui qui a un sac ; et celui qui n’a pas d’épée, qu’il vende son manteau et en achète une. 37 Car je vous dis : Cette Écriture doit être achevée en moi : “Il a été compté AVEC des sans loi.” Car ce qui me concerne a son achèvement. » 38 Ils dirent : « Seigneur, voici deux épées ici. » Il leur dit : « C’est assez ! » 39

Étant sorti, il partit selon sa coutume vers le mont des Oliviers ET SES DISCIPLES L’ACCOMPAGNÈRENT. 40 Arrivé à l’endroit, il leur dit : « Priez pour ne pas entrer en tentation. » 41 Il s’éloigna d’eux comme d’un jet de pierre et s’étant mis à genoux, il priait 42 en disant : « Père, si tu veux, emporte cette coupe loin de moi ; cependant non pas ma volonté, mais la tienne arrive ! » 43 Et lui apparut un ange du ciel qui le fortifiait. 44 Et arrivé en agonie, il priait plus instamment ; et il arriva que sa sueur était comme des gouttes de sang tombant à terre. 45 S’étant levé de sa prière et étant revenu vers ses disciples, il les trouva assoupis de tristesse. 46 Et il leur dit : « Pourquoi dormezvous ? Vous étant levés, priez afin que vous n’entriez pas en tentation. » 47

Tandis qu’il parlait encore, voici une foule, et ledit Judas, l’un des Douze, les devançait. Il s’approcha de Jésus pour l’embrasser. 48 Jésus lui dit : « Judas, c’est par un baiser que tu -donnes LE FILS DE L’HOMME ! » 49 Ceux qui étaient autour de lui, voyant ce qui allait arriver, dirent : « Seigneur, frapperons-nous de l’épée ? » 50 L’un d’eux frappa le serviteur du Grand Prêtre et lui enleva l’oreille droite. 51 Répondant, Jésus dit : « Laissez faire, même ceci. » Et ayant touché l’oreille, il le guérit. 52 Jésus dit à ceux qui étaient venu-contre lui, grands-prêtres, gardes et anciens : « Comme contre un bandit vous êtes sortis avec épées et bâtons. 53 Alors que chaque jour j’étais AVEC vous dans le Temple, vous n’avez pas étendu les mains contre moi. Mais c’est votre heure, c’est le pouvoir des ténèbres. »

180

Le testament de Jésus

Satan et le Fils de l’homme Le nom de « Satan » marque le début de chaque versant (3.31), celui du « Fils de l’homme » en marque la fin (22.48). « Avec » et synonymes « Je suis au milieu de vous », au centre du passage central (27) correspond aux termes initiaux de la deuxième sous-séquence et de la troisième : « les apôtres étaient avec lui » (14) et « les disciples l’accompagnèrent » (39). La position privilégiée de ces deux phrases en indique l’importance, confirmée par la longue série des « avec » à laquelle ces phrases appartiennent, comme cela a déjà été relevé aussi bien dans la sous-séquence centrale (voir p. 158) que dans les rapports entre les sous-séquences extrêmes (voir p. 178). À part les passages extrêmes, tout se passe entre Jésus et ses apôtres, sans intervention d’aucun autre homme26. « Partir » et synonymes En opposition à « avec », la séparation est soit annoncée, soit déjà réalisée. Dans la première sous-séquence, c’est d’abord Judas qui « part » (4), puis sur l’ordre de Jésus, ce seront Pierre et Jean (8.13). Dans les annonces des trahisons, Jésus déclare qu’il « part » (22) et Pierre qu’il est prêt à « partir » avec lui (33). Au début de la dernière sous-séquence, Jésus sort et « part » (39). « Accomplir » et synonymes On a déjà noté que, dans la sous-séquence centrale, le couple « soit accomplie » / « soit venu » du premier passage (16.18) a son correspondant dans le dernier passage avec le couple « être achevée » / « achèvement » (37) qui encadre la citation centrale. Dans le passage suivant, les deux occurrences de « arriver » encadrent aussi le verset central (42.44). Ce même verbe se retrouve aussi au début de la deuxième sous-séquence (14) et au début de la troisième (40). Dans la même ligne, les termes initiaux des deux premiers passages : « Or approchait la fête des Azymes » et « Or vint le jour des Azymes » (1.7). Dans le dernier passage se retrouvent ces deux mêmes verbes, en position symétrique : « s’approcher » (47) et « venir-contre » (52), sans oublier « arriver » au début de la partie centrale du même passage (49).

26 Ceci est renforcé par le fait que, dans le récit de la célébration de la Pâque, Lc a remplacé par « pour vous » en 19 et 20 le « pour beaucoup » de Mt et de Mc (voir p. 142).

selon saint Luc (Lc 22,1-53)

181

22,1 Or approchait la fête des Azymes qu’on appelle la Pâque. 2 Les grands-prêtres et les scribes cherchaient comment ils le supprimeraient, car ils craignaient le peuple. 3 Or SATAN entra en Judas appelé Iscariote, qui était du nombre des Douze. 4 Il partit parler AVEC les grands-prêtres et les gardes comment le -donner. 5 Eux se réjouirent et convinrent de lui donner de l’argent. 6 Il accepta et se mit à chercher le bon moment pour le leur -donner à l’insu de la foule. 7

Or vint le jour des Azymes où il fallait immoler la Pâque. 8 Il envoya Pierre et Jean disant : « Étant partis, préparez pour nous la Pâque pour que nous la mangions. » 9 Ils lui dirent : « Où veux-tu que nous préparions ? » 10 Il leur dit : « Voici : quand vous entrerez dans la ville, viendra-AVEC vous un homme portant une cruche d’eau. Accompagnez-le dans la maison dans laquelle il pénétrera. 11 Et vous direz au maitre de maison : “Le maitre te dit : Où est la salle où je mangerai la Pâque AVEC mes disciples ?” 12 Celui-là vous montrera une pièce haute, grande et garnie de coussins. C’est là que vous préparerez. » 13 S’en étant allés, ils trouvèrent comme il leur avait dit et ils préparèrent la Pâque.

14

Et quand arriva l’heure, il s’étendit ET LES APÔTRES ÉTAIENT AVEC LUI 15 et il leur dit : « J’ai désiré ardemment manger cette Pâque AVEC vous avant de souffrir. 16 Je vous dis que je ne la mangerai jamais plus jusqu’à ce qu’elle soit accomplie dans le règne de Dieu. » 17 Ayant reçu une coupe, rendu grâces, il dit : « Prenez ceci et partagez entre vous. 18 Je vous dis : je ne boirai plus à partir de maintenant du fruit de la vigne jusqu’à ce que soit venu le règne de Dieu. » 19 Ayant pris du pain, rendu grâces, il le rompit et leur donna en disant : « Ceci est mon corps qui pour vous est donné. Faites ceci en mémoire de moi. » 20 Et de même la coupe après le diner en disant : « Cette coupe est la nouvelle alliance en mon sang qui pour vous est versé. » 21

« Mais voici que la main de celui qui me -donne est AVEC moi sur la table. 22 Car LE FILS DE L’HOMME part selon ce qui est fixé. Mais malheureux cet homme par qui il est -donné ! » 23 Ils commençaient à chercher entre eux qui donc était parmi eux celui qui allait faire cela.24 Et il arriva une contestation entre eux qui était parmi eux celui qui était le plus grand. 25

Alors il leur dit : « Les rois des nations dominent sur elles et ceux qui ont pouvoir sur elles sont appelés bienfaiteurs. 26 Quant à vous, ce n’est pas comme cela ! Mais le plus grand parmi vous devienne comme le plus jeune et celui qui commande comme celui qui sert. 27 Qui donc est le plus grand ? Celui qui est à table ou celui qui sert ? N’est-ce pas celui qui est à table ? Or moi, je suis AU MILIEU DE VOUS comme celui qui sert. 28

Vous, vous êtes demeurés avec moi dans mes épreuves, 29 et moi je lègue pour vous [un testament], comme le Père a légué pour moi un règne, 30 afin que vous mangiez et buviez à ma table dans mon règne et que vous vous asseyiez sur des trônes jugeant les douze tribus d’Israël. » 31

« Simon, Simon, voici que SATAN a réclamé après vous pour vous cribler comme le blé. 32 Quant à moi, j’ai supplié pour toi afin que ne disparaisse pas ta foi. Et toi, quand tu seras revenu, affermis tes frères ! » 33 Il lui dit : « Seigneur, je suis prêt à partir AVEC toi et en prison et à la mort ! » 34 Il dit : « Je te le dis, Pierre, le coq ne chantera pas aujourd’hui que par trois fois tu n’aies nié me connaitre. » 35

Il leur dit : « Quand je vous ai envoyés, sans bourse, ni sac ni souliers, avez-vous manqué de quelque chose ? » Ils dirent : « De rien. » 36 Il leur dit : « Maintenant au contraire, que celui qui a une bourse, qu’il l’emporte ; et de même celui qui a un sac ; et celui qui n’a pas d’épée, qu’il vende son manteau et en achète une. 37 Car je vous dis : Cette Écriture doit être achevée en moi : “Il a été compté AVEC des sans loi.” Car ce qui me concerne a son achèvement. » 38 Ils dirent : « Seigneur, voici deux épées ici. » Il leur dit : « C’est assez ! »

39

Étant sorti, il partit selon sa coutume vers le mont des Oliviers ET SES DISCIPLES L’ACCOMPAGNÈRENT. 40 Arrivé à l’endroit, il leur dit : « Priez pour ne pas entrer en tentation. » 41 Il s’éloigna d’eux comme d’un jet de pierre et s’étant mis à genoux, il priait 42 en disant : « Père, si tu veux, emporte cette coupe loin de moi ; cependant non pas ma volonté, mais la tienne arrive ! » 43 Et lui apparut un ange du ciel qui le fortifiait. 44 Et arrivé en agonie, il priait plus instamment ; et il arriva que sa sueur était comme des gouttes de sang tombant à terre. 45 S’étant levé de sa prière et étant revenu vers ses disciples, il les trouva assoupis de tristesse. 46 Et il leur dit : « Pourquoi dormezvous ? Vous étant levés, priez afin que vous n’entriez pas en tentation. » 47

Tandis qu’il parlait encore, voici une foule, et ledit Judas, l’un des Douze, les devançait. Il s’approcha de Jésus pour l’embrasser. 48 Jésus lui dit : « Judas, c’est par un baiser que tu -donnes LE FILS DE L’HOMME ! » 49 Ceux qui étaient autour de lui, voyant ce qui allait arriver, dirent : « Seigneur, frapperons-nous de l’épée ? » 50 L’un d’eux frappa le serviteur du Grand Prêtre et lui enleva l’oreille droite. 51 Répondant, Jésus dit : « Laissez faire, même ceci. » Et ayant touché l’oreille, il le guérit. 52 Jésus dit à ceux qui étaient venu-contre lui, grands-prêtres, gardes et anciens : « Comme contre un bandit vous êtes sortis avec épées et bâtons. 53 Alors que chaque jour j’étais AVEC vous dans le Temple, vous n’avez pas étendu les mains contre moi. Mais c’est votre heure, c’est le pouvoir des ténèbres. »

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Le testament de Jésus

COMPARAISON SYNOPTIQUE MATTHIEU 26,1-56

MARC 14,1-52

LUC 22,1-53

+ Jésus annonce sa passion 1-2 = Les autorités décident de tuer Jésus

3-5

Onction de Béthanie 6-13

= Les autorités décident de tuer Jésus

1-2

Onction de Béthanie

= Les autorités décident de tuer Jésus et

3-9

= Judas le disciple décide de vendre Jésus 14-16

= Judas le disciple décide de livrer Jésus 10-11

Judas le disciple décide de le livrer

+ Préparation de la Pâque 17-19

+ Préparation de la Pâque 12-16

= Préparation de la Pâque

1-6

7-13

: Célébration de la Pâque 14-20 Annonce de la trahison de Judas

20-25

Annonce de la trahison

17-21

Annonce de la trahison

21-24

CÉLÉBRATION DE LA PÂQUE 26-29

CÉLÉBRATION DE LA PÂQUE 22-25

DISCOURS SUR LE SERVICE

Annonce du reniement de Pierre

Annonce du reniement de Pierre

Annonce du reniement de Pierre

31-34

: Les épées des apôtres

35-38

= L’agonie de Jésus

39-46

+ Gethsémani

30-35

36-46

+ Gethsémani

26-31

32-42

25-30

= Trahison de Judas + Arrestation

= Arrestation = Fuite des disciples 43-52 47-56

47-53

La longueur des séquences Elle est très semblable : 56 versets pour Mt, 52 pour Mc, 53 pour Lc. Le contenu des trois séquences Il est globalement le même. À part chez Mt qui ouvre sa séquence par un court passage de deux versets qui lui est propre où Jésus annonce à ses disciples

selon saint Luc (Lc 22,1-53)

183

l’imminence de sa passion (Mt 26,1-2), le récit commence avec la décision des autorités de supprimer Jésus et s’achève avec l’arrestation au Mont des Oliviers. Le nombre des passages Il est presque identique d’un évangile à l’autre : dix passages chez Mt et neuf chez Mc et chez Lc. Cette grande ressemblance doit être immédiatement corrigée, car Mt et Mc comportent un passage qui ne se trouve pas dans Lc, « L’onction de Béthanie »27 ; en outre le premier passage de Mt lui est propre, « Jésus annonce sa passion » ; enfin Lc a deux passages qui n’ont aucun équivalent en Mt et Mc, « Le discours sur le service » au centre, ainsi que « Les épées des apôtres », mais il combine en un seul passage (1-6) deux passages de Mt (3-5 et 14-16) et de Mc (1-2 et 10-11). Les limites des passages parallèles Elles sont, dans beaucoup de cas, pratiquement les mêmes : tel est le cas de « La préparation de la Pâque », de « La célébration de la Pâque », de « L’annonce de la trahison (de Judas) », de « L’annonce du reniement de Pierre » et de « La prière (à Gethsémani) ». Cependant, au début de sa séquence, Lc réunit en un seul passage (1-6) ce qui dans Mt et Mc forme deux passages encadrant « L’onction de Béthanie » ; alors que dans Mt et Lc, « L’arrestation » ne forme qu’un seul passage, il faut considérer que chez Mc le même passage a le statut d’une sous-séquence au niveau de l’ensemble. L’ordre des passages communs Il est le même chez les deux premiers synoptiques, mais chez Lc « La célébration de la Pâque » précède « L’annonce de la trahison ». Ainsi, alors que « La célébration de la Pâque » occupe le centre de la séquence aussi bien chez Mc que chez Mt, c’est « Le discours sur le service » (25-30) qui est central dans le troisième évangile. La composition de chaque passage Elle est toujours différente, même pour les passages qui se ressemblent le plus ; cependant, les différences sont en général beaucoup moindres entre Mc et Mt qu’entre Lc et les deux autres. La fonction de chaque passage Elle varie, de manière plus ou moins considérable, suivant chaque évangéliste. Ainsi, par exemple, de « La préparation de la Pâque » qui, chez Mt, est symétrique du premier passage de la séquence, « Jésus annonce sa passion » : au lieu de parler, comme Mc et Lc, de l’homme portant une cruche d’eau que les disciples 27 Les passages qui ne se trouvent pas dans les trois synoptiques sont en italiques dans le tableau.

184

Le testament de Jésus

rencontreront et qu’ils devront suivre, Mt se borne à parler de « un tel », mais la première chose que Jésus lui fait dire est que son temps est proche, comme si Mt avait orienté cet épisode de manière à en faire une nouvelle annonce de la passion, non seulement à « un tel » mais aussi aux disciples, ses messagers. Chez Mc au contraire le passage de « La préparation de la Pâque » a une autre fonction, de par le rapport que la composition établit avec le passage symétrique, « La veillée de prière à Gethsémani ». Alors que chez Mt et Mc « La célébration de la Pâque » occupe la place centrale, encadrée par les deux prophéties de la trahison et du reniement, chez Lc elle est mise en rapport avec « Les épées des apôtres », et c’est le discours sur le service qui occupe le poste central. Le message de chaque séquence Il se trouve affecté d’accents assez différents. La perspective propre aux deux premiers évangélistes a déjà été étudiée (voir p. 120-121). C’est ce que veulent marquer les titres particuliers donnés à leurs séquences. Pour Mt, « La Pâque Pour Mc, « L’Alliance Pour Lc, « Le Testament

du Serviteur du Maitre du Roi

pour la rémission des péchés ». pour la multitude des disciples ». pour la communauté de ses fidèles ».

« Le testament » Placé au centre de la construction de Lc, « Le discours sur le service », livré comme les dernières volontés de celui qui s’en va à la mort, donne à l’ensemble de sa séquence la forme d’un testament. Certes, le même mot grec de diathēkē (traduit soit par « alliance » soit par « testament ») est employé une fois par Mt et par Mc dans le récit central de « La célébration de la Pâque » où Jésus offre « son sang de l’alliance » ; chez Lc cependant, si le même mot « alliance » est utilisé dans la célébration de la Pâque (20) — avec le qualificatif de « nouvelle » —, il revient encore dans le discours central où il a clairement le sens de « testament » (29 ; voir p. 148). L’élaboration lucanienne prépare pour ainsi dire la transition entre les deux premiers synoptiques et le quatrième évangile où la célébration de la Pâque (et l’institution de l’Eucharistie) n’est pas rapportée par Jean au moment de la Passion, mais est en quelque sorte remplacée par le lavement des pieds et le commandement de l’amour, qualifié lui aussi de « nouveau » par Jésus (Jn 13). « du Roi » Le titre de « Roi » revient avec insistance dans le passage central (22,25-30) : en effet, le passage commence avec « Les rois des nations » dont les disciples sont invités à ne pas imiter la conduite ; dans la dernière partie (22,28-30), Jésus dit avoir reçu du Père « un règne » auquel seront associés les Douze : « afin que vous mangiez et buviez à ma table dans mon règne et que vous soyez assis sur des trônes pour juger les douze tribus d’Israël ».

selon saint Luc (Lc 22,1-53)

185

« pour la communauté de ses fidèles » Au centre de la séquence, Jésus édicte la loi du Royaume de Dieu, la loi du service. Ironie de Lc ou non, Jésus dit à ses disciples : « Vous, vous êtes demeurés avec moi dans mes épreuves » (22,28). Selon les termes du testament, l’héritage est promis à ceux qui garderont le grand commandement, qui seront fidèles à la conduite et à la parole du testateur. CONTEXTE L’alliance Le mot « alliance » (ou « testament » ; en grec diathēkē) se trouve une fois durant « La célébration de la Pâque » (20) avec « le sang », ce qui rappelle Ex 24,8 : « Ceci est le sang de l’alliance que le Seigneur a conclue avec vous. » Ce mot est repris dans le discours central (29), une fois sous forme nominale et deux fois sous forme verbale (traduit par « léguer » ; voir p. 148). « Et maintenant » marque dans les textes d’alliance, au terme du prologue historique, le moment de la décision fondamentale. Ce mot se trouve en 18, au moment où Jésus va conclure la nouvelle alliance ; on notera qu’il est repris dans le passage symétrique (36) mais dans un autre contexte, celui de l’abandon. Une loi est donnée aux disciples, celle du service (26), motivée par la conduite du législateur (27), comme dans l’alliance ancienne : « Soyez saints parce que moi je suis saint » (Lv 19,2 ; 20,7-8 ; 20,26). La « tentation », autre terme majeur des textes d’alliance, est corrélativement de ne pas respecter cette loi. Bénédictions et malédictions accompagnent le don de la Loi : malédiction pour Judas (22), bénédiction du royaume donné en testament (29-30). Le rite de la conclusion de l’alliance est doublement présent : par la Pâque ancienne que Jésus et ses disciples célèbrent en mémoire de la libération d’Égypte ; par l’instauration d’un nouveau rite sacrificiel, dans le sang de Jésus, rite qui est donné comme mémorial à accomplir : « Faites ceci en mémoire de moi » (19). Le sang versé, annoncé et figuré lors de « La célébration de la Pâque », reparait à « L’agonie de Jésus » avec la reprise de « coupe » et « sang » (42 et 44 comme en 20). Symétriquement, le « don » de son corps est fait par Jésus en 19, il est exécuté à la fin (48). Enfin, à cette lumière, il apparait que l’opposition « partir »/« être avec » (avec Jésus ou avec ses ennemis) relève de la problématique centrale de l’alliance. Si une alliance est conclue, c’est bien pour s’engager à rester ensemble malgré toutes les « tentations » ou « épreuves » de séparation. Il en est de même du testament. Tous les éléments des textes de conclusion ou plutôt de renouvellement de l’alliance sont présents dans cette séquence28, mais il faut noter une modification essentielle. Alors que ceux-là envisagent toujours les manquements à la Loi comme une éventualité future, ici, c’est au moment même où la trahison arrive que l’alliance est conclue. La séquence temporelle, et logique, le système 28

Voir P. BEAUCHAMP, L’Un et l’Autre Testament, I, 235.

186

Le testament de Jésus

« alliance, puis péché, puis pardon », sont complètement inversés. Le pardon est déjà donné dans les paroles adressées à Simon : « Quand tu seras revenu... » (32). Ce qui rappelle Rm 5,8 : « Le Christ, alors que nous étions encore pécheurs, est mort pour nous. » Et ce qui fait écho à l’alliance nouvelle de Jr 31,31-34 : « Voici l’alliance que je conclurai avec la maison d’Israël [...] Je mettrai une loi au fond de leur être et je l’écrirai sur leur cœur. Ils n’auront plus à s’instruire mutuellement [...] mais ils me connaitront tous [...] parce que je vais pardonner leurs crimes et ne plus me souvenir de leurs péchés. » L’alliance nouvelle reposera sur le pardon des péchés29. Le roi David Dans les passages parallèles à Lc 22,25-3030, les deux autres synoptiques utilisent l’adjectif « grand » en l’opposant à « serviteur » : « celui qui veut devenir grand parmi vous sera votre serviteur ». Lc au contraire utilise le superlatif « le plus grand » (opposé à « le plus jeune ») qui devrait donc être traduit par « l’ainé ». Ce qui semble faire allusion à David, le benjamin des fils de Jessé : c’est « le plus jeune » (1S 16,11) qui est choisi pour régner sur Israël, de préférence à ses « ainés »31. Mais Lc ne fait pas seulement allusion au choix de David comme roi ; l’épisode du combat contre Goliath est tout aussi présent, puisque c’est sans épée que le jeune David affronte le géant philistin. Ce qu’il lui dit à son approche ressemble à ce que Jésus déclare à ceux qui surviennent contre lui (52) : « Tu marches contre moi avec épée, lance et cimeterre, mais moi je marche contre toi au nom du Seigneur Sabaot32 ». Le Notre Père À part la première demande, « que soit sanctifié ton nom », tous les autres éléments du Notre Père se retrouvent ici : l’adresse, « Père » en 42 ; la venue du règne en 18, « que ta volonté arrive » en 42 ; le « ciel » et la « terre » en 43 et 44 ; le « pain donné » en 19 et aussi, de façon allusive, dans la force donnée par l’ange (43) ; Jésus pardonne quand il « guérit » celui qui venait pour le frapper en 51. Jésus affronte la « tentation » (« épreuves ») en 28 ; il a supplié pour que ses disciples n’y succombent pas (32) et il les invite à « prier » pour n’y « pas

29

Voir P. BEAUCHAMP, L’Un et l’Autre Testament, I, 260 (voir ci-dessus, p. 76). Mt 20,26 et Mc 10,43 ; pour l’analyse rhétorique de Mt 20,20-34 et de Mc 10,35-52, voir R. MEYNET, Une nouvelle introduction, chap. II, 128-137 ; 138-147. 31 1S 17,13 ; dans la traduction de la Septante, ce sont les mêmes mots qui sont utilisés. 32 1S 17,45 ; faut-il voir dans le « jet de pierre » (Lc 22,41) une réminiscence de l’arme de David ? L’accrochage avec un texte ancien peut se faire de façon formelle par la reprise d’un mot ou d’une expression identique qui fonctionne alors un peu à la manière d’une citation en blanc destinée, comme un signal, à produire chez le lecteur une sorte de déclic. Le fait que Lc soit le seul à utiliser cette expression, ainsi que l’opposition « l’ainé »/« le plus jeune », pourrait étayer l’hypothèse. 30

selon saint Luc (Lc 22,1-53)

187

entrer » (40 et 46). Jésus a supplié pour arracher ses disciples à l’emprise de Satan qui les a réclamés (31-32) : c’est la dernière demande du Notre Père. INTERPRÉTATION « L’un des Douze » Simon-Pierre n’est pas nommé dans l’épisode de la bataille finale (50), Jésus ne prononce pas le nom de Judas quand il annonce sa trahison (21-22). Pudeur lucanienne ? Délicatesse de Jésus ? Davantage encore que de fines notations psychologiques, ces silences pourraient bien avoir une valeur proprement théologique. Quand Jésus prophétise qu’il va être donné, il s’agit bien sûr de Judas, et la malédiction pèse sur lui seul. Mais Judas, dont par deux fois il est dit qu’il était l’un des Douze (3.47), ne représente-t-il pas tous les autres ? Chacun ne trahit-il pas son maitre à vouloir être le plus grand (23-24) ? Selon le quatrième évangile, c’est Pierre qui a frappé de l’épée (Jn 18,10), mais ce n’est surement pas par déférence envers le prince des apôtres que Lc ne le nomme pas : il s’apprête en effet à le dépeindre en parallèle avec Pilate sous un jour peu favorable. Si un seul d’entre eux a frappé (50), tous l’ont proposé (49). L’anonymat souligne que chacun des Douze a pris le parti de la violence. « Jusqu’à la mort » Jésus va partir (22). Simon jure qu’il est prêt à partir avec lui, jusqu’à la mort (33). Jusqu’à la mort des autres, quand vient l’heure d’éprouver la valeur de ses paroles (50). Il est prêt à exercer la violence, non point à la subir, à frapper de l’épée, pas à recevoir les coups. Ce faisant, il trahit son maitre en même temps que sa promesse (33). Jésus guérit jusqu’à la mort (51), jusqu’à sa mort à laquelle il est conduit sous la menace des épées et des bâtons (52). Non seulement il refuse de se servir de l’épée, non seulement il guérit la blessure causée par l’épée, mais encore il se soumet à son pouvoir. Satan et le Fils de l’homme Le combat dépasse les Douze. Plus que les protagonistes, ils en sont l’enjeu. Au moment de commencer son enseignement, en repoussant sa triple tentation, Jésus avait écarté le Diable (Lc 4,1-13) ; celui-ci revient maintenant. C’est de nouveau le temps de l’épreuve. Il attaque Jésus dans ce qu’il a de plus cher, dans son œuvre, ceux qu’il a choisis pour en faire ses envoyés, ses héritiers. Et Jésus accepte de voir tenter ceux que par la bouche de Jean il appellera ses « petits enfants ». Et ce ne sera pas un sur douze qui tombera, celui chez qui Satan a établi sa demeure (3), mais tous seront criblés comme le blé, et tous tomberont, même Simon-Pierre (31). Tous seront soumis à la tentation et, de nouveau, Jésus lui-même.

188

Le testament de Jésus

Les disciples abandonnent leur maitre Le jour de la séparation arrive. Dès le départ, Judas s’est désolidarisé du maitre qu’il sait voué à l’échec. Il quitte Jésus ; bien plus, il va pactiser avec ses ennemis (4), ceux qui n’attendent qu’une occasion pour se débarrasser de lui (2), parce que sa présence avec eux leur est devenue insupportable. Judas cependant reste avec Jésus pour mieux le donner, seul il mérite vraiment le nom de traitre, puisqu’il joue le double jeu de rester avec Jésus alors qu’il s’en est déjà séparé en le vendant ; il part s’entendre avec les grands-prêtres, mais il est là à temps pour être à la table pascale avec lui (14) ; il disparait, sans que personne s’en aperçoive, pour revenir au mont des Oliviers donner le baiser d’allégeance à Jésus, indiquant ainsi à ceux qui le suivent où se trouve celui qu’il faut frapper (47). Les onze autres qui ne se rendent pas compte de grand-chose, restent avec Jésus jusqu’au bout, ou presque. Dès qu’il est devenu clair que toute résistance est inutile parce que Jésus la refuse, ils s’évanouissent. À tel point que Lc n’éprouve même pas le besoin de le dire. Jésus se retrouve seul face à ses bourreaux. Même celui qui avait juré qu’il partirait avec lui jusqu’à la mort se sépare de lui. Jésus reste seul pour affronter le pouvoir des ténèbres (53) ; l’heure de partir à la mort est venue. Le Seigneur reste avec nous Dieu est avec Jésus ; à l’heure de l’angoisse, il ne le quitte pas, mais le fortifie par la présence de son ange (43). Un autre messager de Dieu accompagne les disciples et les guide chez le maitre de maison (10) ; Dieu est avec eux. C’est dans sa maison qu’avec Jésus ils se réunissent pour manger la Pâque. Plus que jamais, Jésus tient à être avec eux à ce moment-là, comme le mourant tient à être entouré des siens à l’heure suprême. C’est qu’il a un legs à leur transmettre avant de souffrir, un testament en leur faveur, ses dernières volontés à leur confier. Il veut rester avec eux et qu’ils demeurent avec lui : par le mémorial de son corps donné et de son sang versé ils resteront en communion avec lui (14-20) ; s’ils observent, comme lui et en mémoire de lui, le commandement du service, le maitre restera présent parmi eux (25-30). Présence de celui qui part, doublement assurée dans le rite et le comportement que le rite signifie : le règne s’accomplit dans le sang versé, le plus grand devient comme le serviteur. Dans la mémoire de Jésus (19), c’est Dieu lui-même qui reste avec nous, puisque ses dernières volontés ne sont autres que la volonté du Père (42). « Je conclurai avec eux une alliance nouvelle » Pour conjurer le danger de la séparation et la tentation de l’abandon, une alliance est conclue (20). Les serments ne s’échangent pas au moment des retrouvailles mais les veilles de départ. Les contrats ne sont signés qu’au moment de se quitter, pour garantir l’accord présent contre les tentations de désaccord futur. C’est au moment de mourir que les testaments sont scellés pour prévenir toute dispute entre héritiers. Ainsi l’alliance vise la fidélité, et par là

selon saint Luc (Lc 22,1-53)

189

même prévoit l’adultère, elle énonce une loi et annonce ses manquements. Jésus sait que dans l’heure il sera abandonné de tous, c’est pourquoi il conclut avec eux une alliance ; il sait qu’avant un jour il va mourir et qu’ils ne seront pas là pour recueillir avec son dernier souffle ses ultimes volontés ; c’est pourquoi dès maintenant il fait son testament. Avant même d’annoncer à Simon sa tentation et son reniement (34), il l’institue pour affermir ses frères (32), comme si c’était au plus profond du péché et de l’infidélité que l’on pouvait expérimenter la sainteté de Dieu et l’indéfectibilité de sa promesse. Le désir du testataire ne peut être exécuté qu’après sa mort ; c’est après son départ que le testament prend valeur irrévocable. Étrange puissance de celui qui a perdu tout pouvoir ! Étrange force qui rend présent dans les actes celui qui est irrémédiablement absent ! Si l’alliance est conclue à cause de la séparation, elle l’est surtout pour prévenir une dernière séparation, celle de l’oubli. « Garde-toi d’oublier » Garde-toi d’oublier, et la loi que tu dois pratiquer, et celui qui te l’a donnée, et ce qu’il a fait pour toi. Fais mémoire de lui, en observant son commandement et en rappelant quelle fut sa vie, en exécutant sa suprême volonté (26) et en te souvenant de sa mort (19). Le Fils premier-né a vécu comme le plus jeune (26), appelant ses apôtres à l’imiter dans le service de leurs frères ; il a fini dans le sang, montrant à ses disciples comment ne pas refuser de livrer leur corps aux coups. Le souvenir de Jésus n’est pas seulement une évocation de son passé, c’est l’engagement de notre avenir. Faire mémoire de Jésus, c’est faire aujourd’hui ses œuvres d’autrefois, la mémoire étant, plus qu’une pensée, une action, ce pouvoir admirable qui est donné à l’absent d’avoir en nous une présence réelle. Un poème qu’on ne redit pas s’oublie ; on ne peut savoir par cœur que ce qu’on garde en bouche. C’est pourquoi la nouvelle alliance comporte le rite de son renouvellement (19), nous remettant en bouche les dernières paroles de Jésus avec son corps donné et son sang versé. « Père, que ton règne vienne » Le règne échoit au plus jeune (26). De préférence à ses ainés, David est choisi pour juger les tribus d’Israël ; refusant comme lui la force illusoire de l’épée, Jésus affronte le pouvoir du prince des ténèbres (53), sachant que seul Dieu le fortifiera (43) ; la venue du règne de Dieu, l’accomplissement de sa volonté, c’est la coupe que Jésus doit boire (42), le sang qu’il va verser (20). Si les disciples restent avec Jésus dans ses épreuves (28), s’ils vainquent jour après jour la tentation d’étendre le règne de la domination et de céder au pouvoir d’écraser, s’ils s’arrachent à l’emprise du Mauvais et résistent au désir de rendre mal pour mal, coup pour coup (50), mais pardonnent comme Jésus guérit de l’épée (51), s’ils savent comme lui recevoir leur pain de la main de Dieu qui chaque jour les fortifie (19), c’est que la volonté de Dieu arrive sur terre comme au ciel, c’est que le règne de Dieu vient par eux, c’est qu’alors Son Nom est

190

Le testament de Jésus

sanctifié et qu’ils peuvent, à la suite de leur maitre, oser le prononcer. Ils seront en vérité les fils de celui qui fait se lever son soleil sur les méchants et sur les bons et tomber sa pluie sur les justes et les injustes. Admis à la table royale, ils partageront avec Jésus l’héritage du Père qui est aux cieux (30).

DEUXIÈME PARTIE

Le jugement de Jésus Mt 26,57–27,26 Mc 14,53–15,20 Lc 22,54–23,25

CHAPITRE IV

Les Juifs et les païens condamnent le Serviteur (Mt 26,57–27,26)

La deuxième séquence de Mt comprend sept passages. Les trois premiers forment une sous-séquence et de même les trois derniers ; la première est consacrée au procès devant le Sanhédrin et s’achève par le reniement de Pierre, la dernière qui commence avec la fin de Judas est consacrée au procès devant Pilate. Au centre, un très court passage fait charnière entre les deux sousséquences : Jésus est condamné à mort par le Sanhédrin et livré à Pilate.

DES FAUX TÉMOINS

accusent

Devant le Grand Prêtre, PIERRE

Jésus

JÉSUS

refuse de

SE DÉCLARE

témoigner pour

Le Sanhédrin

JUDAS

témoigne

Devant le gouverneur, PILATE

témoigne

livre

CHRIST

JÉSUS

ROI Jésus

62-68 69-75

Jésus à Pilate

Jésus

en faveur de

FILS DE DIEU

Jésus

en faveur de SE DÉCLARE

26,57-61

27,1-2

3-10 DES JUIFS

11-14 15-26

194

Le jugement de Jésus A. LE PROCÈS DEVANT LE SANHÉDRIN (Mt 26,57-75)

La première sous-séquence comprend trois passages : « Chez le Grand Prêtre, Jésus est accusé par de faux témoins » (57-61), « Devant le Sanhédrin Jésus se déclare Christ » (62-68), « Jésus est renié par Pierre » (69-75). 1. DE FAUX TÉMOINS ACCUSENT JÉSUS (Mt 26,57-61) COMPOSITION DU PASSAGE + 57 Or eux, - ils : où

s’étant emparés de l’emmenèrent

+ 58 Or Pierre - jusqu’à

accompagnait

Jésus, chez Caïphe

le GRAND PRÊTRE,

LES SCRIBES ET LES ANCIENS se rassemblèrent. ···························································································································

: et, : il + 59 Or –

étant ENTRÉ était assis

LES GRANDS

PRÊTRES

cherchaient

lui la cour

de loin du GRAND PRÊTRE

à l’intérieur, AVEC LES VALETS

pour voir la fin.

ET LE SANHÉDRIN

tout-entier contre Jésus

un faux-témoignage

en vue de le faire-mourir. +

– 60 Mais ils ne trouvèrent pas, beaucoup de faux-témoins

S’ÉTANT-AVANCÉS. ························································································································· Finalement, deux S’ÉTANT-AVANCÉS,

+ + 61 dirent :

- “Je peux - et en trois

« Celui-là

a déclaré :

détruire jours

le temple de Dieu (le) bâtir”. »

Ce passage comprend deux parties1. Les deux morceaux de la première partie (57-58) sont parallèles. Les premiers membres présentent d’abord les personnages qui sont en relation avec « Jésus » : d’abord (57a), ceux qui l’ont arrêté (« eux ») qui sont proches, puis « Pierre » qui suit « de loin » (58a). Les seconds membres indiquent le même lieu, la maison du « Grand Prêtre » (57b.58b). Les derniers membres (57c.58cd) mentionnent deux réunions, celle des responsables d’abord dans la maison de Caïphe avec Jésus, celle de Pierre avec les « valets »2.

1

Ces versets pourraient être considérés comme formant deux passages : l’arrivée de Jésus et de Pierre chez Caïphe (57-58), puis les faux témoignages contre Jésus (59-61). Cependant, comme on le verra au niveau supérieur, celui de la sous-séquence, il semble préférable de tenir les deux épisodes comme formant un seul passage. 2 Les « valets » sont les huissiers ou les sbires du Sanhédrin (voir J. BLINZLER, Le Procès de Jésus, Annexe 2 : « Les “serviteurs” du Sanhédrin », 113-117)

selon saint Matthieu (Mt 26,57–27,26)

195

Le premier morceau de la deuxième partie (59-60b) est de construction concentrique : aux extrémités deux groupes nombreux (« tout-entier », « beaucoup »), les accusateurs et les faux témoins ; ceux qui veulent le tuer « cherchent » un faux témoignage (59b) mais « ne le trouvent pas » (60a) ; au centre (59c), le but de la procédure. Les deux occurrences de « s’étant avancés » agrafent les deux morceaux. Il est question du Sanhédrin au début de chaque partie (deux des trois catégories qui le composent sont nommées en 57c après Grand Prêtre en 57b, la troisième catégorie, « les grands prêtres », est nommée en 59a avant « le Sanhédrin tout entier »). La première partie s’achève sur la proposition finale « pour voir la fin » (58d) ; le premier morceau de la deuxième partie est centrée sur la proposition finale « en vue de le faire mourir » (59c) ; à la fin du deuxième morceau de la seconde partie, « détruire le temple de Dieu » annonce aussi une fin, mais « en trois jours le (re)bâtir » est une façon de prophétiser la résurrection, qui est la fin définitive3. INTERPRÉTATION La fin de Pierre Une fois de plus, Pierre, se retrouve au premier rang. Il s’était enfui, comme tous les autres apôtres, mais il est bien vite revenu. Seul, il continue à suivre Jésus ; de loin cependant (58a). Il se risque même à entrer jusque dans la cour du Grand Prêtre (58b), tout près de son maitre. Mais il finit par s’en séparer. Tandis que Jésus se trouve à l’intérieur, avec les membres du Sanhédrin (57), Pierre reste en-dehors de la salle du conseil (58b) et il s’agrège au groupe des valets du Grand Prêtre (58d). Alors que Jésus est affronté à ses ennemis, Pierre, en s’asseyant avec leurs valets, pactise en quelque sorte avec eux. Paradoxalement, par son silence, il se retrouve aussi du côté de ces valets des grands prêtres que sont les faux témoins (60). La fin de Jésus Pierre est venu pour voir quelle tournure prendraient les événements et comment les choses finiraient (58d). En réalité, le sort de Jésus est déjà décidé et la partie est jouée avant même d’avoir commencé : le Sanhédrin veut la mort de Jésus (59c), le seul problème est pour eux d’en trouver la justification, ou la couverture légale. Il leur faut un témoignage en règle (59b), mais ils ne le trouvent pas d’emblée (60a). La déposition des deux derniers témoins est concordante (60c-61), mais il n’est pas dit qu’elle ait été retenue. De toutes façons leur témoignage est faux, tout du moins dans sa première assertion : Jésus

3 Les verbes traduits par « entrer » (58c) et « s’avancer » (60b et c) sont de même racine (eiserchomai et pros-erchomai).

196

Le jugement de Jésus

n’a jamais dit qu’il pouvait détruire le temple (61b)4, mais il est vrai qu’il a prédit que le troisième jour il se relèverait d’entre les morts (61c). Pierre a suivi Jésus pour voir la fin (58d) : condamné par le Sanhédrin avant d’avoir été jugé (59c), le destin de l’accusé ne s’arrêtera pas là : même déformée par des faux témoins à la dévotion des grands prêtres, la prophétie de Jésus se réalisera, quand, le temple de son corps ayant été détruit par ses ennemis (61b), il le bâtira trois jours après sa mort (61c). 2. JÉSUS SE DÉCLARE DEVANT LE SANHÉDRIN (MT 26,62-68) COMPOSITION DU PASSAGE La première partie est l’interrogatoire de Jésus par le Grand Prêtre. Alors que Jésus se tait d’abord (63a), il répond longuement à la deuxième demande (64) : « Fils de l’homme » (64d) correspond à « Fils de Dieu » (63e), « la Puissance » et « le Ciel » (64ef) sont deux manières de nommer le « Dieu vivant » (63c) sans prononcer le nom ineffable. Dans la seconde partie, le Grand Prêtre accuse Jésus de « blasphème » par deux fois (65b.d) et par deux fois il pose une question (65c.66a). La première accusation (65b) qualifie les paroles de Jésus dans la partie précédente (64), la deuxième prépare le verdict de la troisième partie (66c), puisque le Grand Prêtre interpelle les autres membres du Sanhédrin ; la première question (65c) renvoie au début de la première partie qui fait référence aux témoins, la deuxième question (66a) trouvera sa réponse au début de la dernière partie (66c). Les segments extrêmes de la dernière partie, qui commencent avec le même « Or eux », rapportent les paroles des membres du Sanhédrin5. Au centre (67ab), les violences physiques contre Jésus. 4

Mt ne rapporte aucune prophétie de ce genre, pas plus que Mc ou Lc ; la même accusation sera reprise dans la séquence suivante (27,40), comme elle le sera en Ac 6,14 contre Étienne ; en Jn 2,19 Jésus dit : « Détruisez ce temple et, en trois jours, je le relèverai ». Légasse en revanche (II, 194-195. 199) est de l’avis contraire : « Nul doute, cette déclaration rapportée par les deux témoins est véridique » (p. 195). 5 Le verbe de 67c est compris par les uns comme un synonyme du verbe précédent, « on le souffleta » (ainsi P. BENOIT – M.-É. BOISMARD, Synopse des quatre évangiles en français) ; voir aussi P. BENOIT, « Les outrages à Jésus Prophète », Exégèse et Théologie, III, Paris 1968, 251269), par d’autres comme signifiant « donner des coups » (BJ, TOB, Bonnard). Il est vrai qu’en Mt 5,39 il s’agit d’un soufflet, mais c’est parce que rhapizō y est suivi de « sur la joue droite » ; les traductions ont donc raison de donner à ce verbe son sens le plus large et de le traduire par « frapper ». Rhapisma signifie clairement « gifle » en Jn 18,22 et 19,3 mais il faut remarquer qu’en Mt 26,67 le verbe n’a pas de complément d’objet (sauf en D) ; le parallélisme de 66bc et 67c-68 semble bien suggérer qu’il s’agit dans les deux cas des mêmes personnages (hoi de), différents de ceux qui, au centre de la partie (67ab) crachent au visage de Jésus et le giflent ; le sens de rhapizō en 67c pourrait donc ne pas signifier des coups physiques, mais « seulement » une attaque verbale (d’où la traduction par « fustiger » ; on aurait pu choisir aussi « stigmatiser ») ; cependant l’emploi de rhapizō, verbe à double sens (« frapper » ou « souffleter ») juste après « on le gifla » pourrait avoir pour fonction de mettre sur le même plan les coups physiques et la violence verbale. La traduction des deux verbes de 67ab non pas par « ils lui crachèrent... » mais par « on lui cracha... »

selon saint Matthieu (Mt 26,57–27,26)

197

= 62 Et s’étant levé, LE GRAND PRÊTRE lui dit : * « Tu ne réponds rien ? * Qu’est-ce que ceux-là témoignent contre toi ? » + 63 Or Jésus

se taisait. LE GRAND

= Et

PRÊTRE

lui dit :

* « Je t’adjure par le Dieu VIVANT * afin que tu nous dises – si tu es le CHRIST, LE FILS DE DIEU. » ············································································

+ 64

Jésus

lui dit :

* « Tu (l’)as dit ! * D’ailleurs je vous dis, – désormais vous verrez “LE FILS DE L’HOMME – assis à la droite de la Puissance” – et “venant sur les nuées du Ciel”. » = 65 Alors LE GRAND PRÊTRE déchira ses vêtements disant : – « Il a blasphémé ! : Qu’avons-nous encore besoin de témoins ? – Voilà maintenant vous avez entendu le blasphème ! . 66 Que vous en semble ? » = Or eux répondant dirent : . « Il est passible de MORT. » 67

et

Alors on cracha on gifla

à son visage lui.

= Or eux (le) fustigèrent, 68 disant : * « Prophétise pour nous, CHRIST ! * Quel est celui qui t’a frappé ? »

La fin de la dernière partie renvoie à la deuxième sous-partie de la première partie avec la reprise de « Christ » accompagnée de deux demandes semblables : « afin que tu nous dises » et « prophétise pour nous » (63de.68b). « Mort » (66c) s’oppose à « vivant » (63c). voudrait rendre plus sensible l’interprétation retenue : les personnages qui se livrent à des voies de fait ne seraient pas les mêmes que ceux qui parlent ; ces derniers sont membres du Sanhédrin, les autres pourraient être des serviteurs (comme dans le parallèle de Lc). Ainsi seraient résolues les difficultés soulevées par le fait que, contrairement à Mc et à Lc, Mt ne rapporte pas que Jésus ait été voilé avant qu’on lui demande de faire le prophète : Jésus aurait pu ignorer plus facilement l’identité des serviteurs qui le frappaient que celle des sanhédrites qui l’interrogeaient.

198

Le jugement de Jésus

CONTEXTE Dans sa réponse au Grand Prêtre (26,64), Jésus combine une expression du Ps 110 : « Siège à ma droite » (Ps 110,1) et une citation de Dn 7,13 : « Voici, venant sur les nuées du ciel, comme un Fils d’homme » ; ce personnage recevra de Dieu une royauté universelle et éternelle. Le début du passage de Mt (62b63a) rappelle le quatrième chant du Serviteur (Is 53,7 : « Maltraité, il s’humiliait, il n’ouvrait pas la bouche »). INTERPRÉTATION Le Christ souffrant Les sanhédrites demandent à Jésus de prophétiser et de dire qui l’a frappé (68bc). Comme s’ils réclamaient une prophétie de dérision, pour ne pas entendre la prophétie que Jésus avait déjà prononcée en annonçant son intronisation et sa venue glorieuse (64). En tous cas, ils ont bien compris que l’image du Fils de l’homme qui doit recevoir la royauté (64def) décrit le Christ sous les traits royaux du Ps 110 : c’est ainsi en effet qu’ils l’appellent dans leurs moqueries (68b). Ils ont bien compris aussi que ce Christ doit être un prophète (68b). Cependant, il est une chose, essentielle, qu’ils n’ont pas réalisée, c’est que le Christ devait souffrir et être rejeté (67-68). Sans s’en rendre compte, ils réalisent eux-mêmes la prophétie du Serviteur souffrant d’Isaïe 52–53. Le blasphème Jésus est accusé de blasphème par le Grand Prêtre Caïphe (65b) pour avoir répondu sans ambages à sa question (64). Le blasphème dont il s’agit ne saurait être celui d’avoir prononcé le Nom ineffable, puisque Jésus utilise les termes habituellement employés pour éviter cette faute : « la Puissance » et « le Ciel » (64ef)6. Ce dont Jésus est accusé est d’avoir revendiqué une dignité et une fonction auxquelles il n’a pas droit : celle de Roi, Messie choisi par Dieu, Fils de Dieu, selon la prophétie de Daniel et le Psaume 110 dont il cite littéralement les paroles (64)7. Pour le lecteur qui croit que Jésus est le Messie, ce sont évidemment les paroles des sanhédrites (66c), Grand Prêtre en tête (65), qui sont blasphématoires, ainsi que les coups que lui infligent leurs serviteurs (67ab).

6

Voir Bonnard, 390. Dans « Les outrages à Jésus Prophète » (265), P. Benoit accepte la thèse de G. Friedrich qui voit dans ce Messie un personnage non pas royal mais sacerdotal ; selon cette interprétation, Jésus se présenterait comme le Grand Prêtre eschatologique. 7

selon saint Matthieu (Mt 26,57–27,26)

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3. PIERRE REFUSE DE TÉMOIGNER EN FAVEUR DE JÉSUS (MT 26,69-75) COMPOSITION DU PASSAGE Le triple reniement de Pierre (69-74b) est suivi de son repentir (74c-75). Dans la première partie c’est d’abord une servante qui s’adresse à lui (mais il nie « devant tous »), puis une autre servante s’adresse à « ceux qui étaient là », enfin ce sont « ceux qui se tenaient là » qui s’avancent pour questionner Pierre ; ainsi, malgré le mouvement que Pierre fait pour s’éloigner (71a), il est de plus en plus pressé par ses accusateurs. Son reniement est d’abord simple (70a), puis accompagné d’un « serment » (72a), enfin d’imprécations (74a). Accusations et dénégations sont croisées : les deux derniers reniements sont identiques, alors que le premier était plus vague ; inversement, dans les deux premières accusations Pierre est dit être « avec Jésus », tandis que dans la troisième il est dit « d’entre eux ». : 69 Or Pierre était assis dehors dans la cour : et s’avança-vers lui une servante en disant : = « TOI AUSSI TU ÉTAIS

AVEC JÉSUS LE GALILÉEN.

»

- 70 Or lui NIA devant tous en disant : + « JE NE CONNAIS PAS

CE QUE TU DIS. » ·························································································

: 71 Or lui étant sorti vers le porche, : une autre le vit : et dit à ceux qui (étaient) là : = « CELUI-CI ÉTAIT -

72

AVEC JÉSUS LE NAZORÉEN.

»

Et de nouveau il NIA avec serment que + « JE NE CONNAIS PAS L’HOMME. » ·························································································

: 73 Or un peu après, s’avançant ceux qui se tenaient (là) : dirent à Pierre : = « EN VÉRITÉ, TOI AUSSI TU ES D’ENTRE EUX et en effet ton parler te trahit. » - 74 Alors il se mit à maudire et à jurer que + « JE NE CONNAIS PAS L’HOMME. » : Et aussitôt un coq chanta : 75 et Pierre se souvint de la parole de Jésus ayant dit : – « Avant qu’ un coq chante, – trois fois tu m’auras NIÉ. » ·················································································

: Et étant sorti – il pleura

dehors, amèrement.

200

Le jugement de Jésus

Dans la deuxième partie c’est d’abord le souvenir, puis le repentir. La reprise inclusive de « dehors » (69a.75d) est d’autant plus remarquable qu’à la fin du passage cet adverbe (exō) est nettement tautologique, puisque le verbe qui le précède (ex-elthōn) comporte déjà le préfixe ex-. CONTEXTE Caïn et Abel La première séquence de Matthieu renvoyait de manière marquée aux récits d’origine. D’abord au récit du premier péché (Gn 2–3) : en effet, au centre de la sous-séquence centrale ainsi qu’au centre de la première sous-séquence, Jésus et la femme de Béthanie étaient présentés comme le nouvel Adam et la nouvelle Ève8. En outre, le centre du dernier passage, « L’arrestation à Gethsémani », renvoyait au récit du Déluge (Gn 9) en le renversant : au lieu de lutter contre la violence par la violence, Jésus l’arrête en la prenant sur lui, comme le Serviteur d’Isaïe 52–53. La seconde séquence semble renvoyer elle aussi au début de la Genèse, et plus précisément au second péché d’origine. C’est en effet par jalousie que Caïn en vient à tuer son frère (Gn 4,1-16)9. Or le mot de « jalousie » se retrouvera un peu plus loin : « Or [Pilate] savait que c’était par jalousie qu’ils l’avaient livré » (27,18). Ceux qui « avaient livré » Jésus sont à l’évidence « les grands prêtres et les anciens » (27,1-2)10. Par ailleurs, une des caractéristiques de la seconde séquence de Matthieu est qu’elle est, pour ainsi dire, pleine de sang (ni Marc ni Luc n’emploient le mot) : dans l’épisode de la fin de Judas (27,3-10) le mot « sang » revient trois fois (4.6.8), dans le dernier passage (27,15-26) il est repris deux fois (24.25). Or le récit de Caïn et Abel est lui aussi marqué fortement pas le sang : « Le Seigneur reprit : “Qu’as-tu fait! Écoute le sang de ton frère crier vers moi du sol ! Maintenant, sois maudit et chassé du sol fertile qui a ouvert la bouche pour recevoir de ta main le sang de ton frère” » (Gn 4,10-11). Il faudra revenir sur ces résonances le moment venu. Cependant, un autre rapport — tout à fait inattendu — rapproche le récit de Matthieu de celui de Gn 4. En effet, quand Dieu lui demande où est son frère, Caïn répond : « Je ne sais pas » (ou ginōskō, selon la version grecque des Septante). Or c’est avec des mots semblables que Pierre introduit chacun de ses trois reniements (ouk oida)11. 8

Voir p. 43.45 ; 74.78. Ce rapprochement m’a été suggéré par un de mes étudiants de Théologie biblique à l’Université Grégorienne, Rodolfo M. Jimenez Delgadillo, que je tiens à remercier vivement ; voir son mémoire pour la Licence en Théologie biblique : No teman : digan a mis hermanos que vayan a Galilea ; allí me verán. Ensayo de lectura de Mt 26–28 a la luz de Gen 4,1-16, Rome 1998. 10 Mc 15,10 dira que ce sont « les grands prêtres ». 11 Marc et Luc ne reprendront ces mots que pour le premier et le troisième reniement. Pour le premier reniement, la formulation de Mc 14,68 est moins proche de Gn 4,9 : au lieu du ouk oida de Mt, il a : oute oida oute epistamai (« Je ne sais ni ne comprends »). En Gn 2–4, le verbe hébreu yd‛ est traduit par la Septante soit par oida soit par ginōskō. 9

selon saint Matthieu (Mt 26,57–27,26)

201

INTERPRÉTATION Le péché de Pierre Dès qu’il se voit découvert, ne serait-ce que par une femme (69b), Pierre juge plus prudent de prendre le large et de se rapprocher de la sortie (71a). Il ne renie pas son maitre une seule fois, en passant et comme par inadvertance. C’est par trois fois qu’il refuse de le reconnaitre, et chaque fois de manière plus grave, d’abord en faisant semblant de ne pas comprendre (70b), puis, à mesure que la pression se fait plus forte, en appuyant ses paroles d’un serment (72a), enfin avec des imprécations et en jurant (74a). Il s’enfonce chaque fois davantage dans son péché, jusqu’à se désolidariser non seulement du Maitre (71d), mais encore du groupe de ses disciples (73c). Caïn et Abel Il est tout à fait surprenant que Pierre reprenne, et par trois fois, les mots mêmes de Caïn : « Je ne sais pas » (70b.72b.74b). Il est vrai que le verbe a chaque fois un complément chez Matthieu, alors qu’il n’en a pas dans le récit de la Genèse. Cependant, il est difficile de croire à une simple coïncidence. Surtout quand on se rappelle les rapports qu’entretient la première séquence avec le récit du premier péché d’origine. Il semble donc tout à fait cohérent que le parallèle continue dans la deuxième séquence, avec le second péché d’origine. Comme Caïn, Pierre fait semblant de ne pas savoir. En refusant de se reconnaitre « gardien de son frère », Caïn ne reniait pas seulement son frère, il se niait comme frère d’Abel. En disant qu’il ne connait pas Jésus, ce n’est pas tant son maitre que Pierre renie que luimême en tant que disciple. S’il pleure si amèrement après le chant du coq, c’est sans doute plus sur lui-même que sur Jésus. Comme c’est en réalité sa propre mort que l’on déplore, quand on pleure la mort d’un être cher. Le repentir de Pierre Matthieu ne dit pas quels purent être les sentiments et les pensées de Pierre après ses deux premiers reniements. Cependant, à peine a-t-il refusé pour la troisième fois de reconnaitre son maitre (74b), il suffit du chant d’un coq pour lui faire retrouver la mémoire (74c) et le remettre en face de celui qui lui avait annoncé ce qui ne manquerait pas de lui arriver malgré ses rodomontades (75b). Par le porche duquel il s’était rapproché (71a), il sort (75d), réalisant ainsi corporellement la séparation d’avec Jésus qu’il avait accomplie trois fois par la parole. Il était déjà resté dehors dans la cour (69a), tandis que Jésus était dedans avec les membres du Sanhédrin ; finalement il « sort dehors » pour de bon (75d), car il a compris qu’il s’était vraiment séparé de son maitre. Il quitte la scène, abandonnant la fausse compagnie du groupe auquel il s’était mêlé, pour se retrouver seul. Non pas seul, en vérité, puisque le chant du coq lui a fait entendre à nouveau les paroles prophétiques de Jésus (75bc). Dans les larmes (75e), il retrouve son Seigneur, qui lui avait implicitement promis son pardon en lui

202

Le jugement de Jésus

annonçant la rencontre en Galilée (26,32), avant même de lui annoncer son triple reniement (26,34). Le chant du coq ne révèle pas seulement le péché de Pierre, il annonce aussi, avec le jour qui va se lever, le relèvement du pécheur. 4. LE PROCÈS DEVANT LE SANHÉDRIN (MT 26,57-75) COMPOSITION DE LA SOUS-SÉQUENCE Les passages extrêmes se répondent en miroir. La fin de la première partie du premier passage (58b) et la fin de la dernière partie du troisième passage (75d) s’opposent directement : « étant entré à l’intérieur » – « étant sorti dehors » ; les premiers mots du troisième passage (69), « était assis » et « cour », se trouvaient déjà en 58. Les « valets » de 58 annoncent les servantes de 69 et 71 ; les reniements de Pierre sont mis en relation avec les faux témoignages du premier passage, par la position symétrique des deux parties qui les rapportent, mais aussi par la reprise de la double occurrence de « s’avancer » (deux fois en 60 ainsi qu’en 69 et 73)12 : les faux témoins « s’avancent » pour dire des choses fausses, tandis que ceux qui « s’avancent » pour accuser Pierre disent la vérité. « Trois » joue le rôle de termes finaux (61c.75c). Les deux derniers passages s’opposent : en effet, Jésus accepte de dire la vérité sur son identité en répondant à la question du Grand Prêtre (64) ; au contraire Pierre refuse de dire qu’il est disciple de Jésus (70.72.74). Ainsi, d’une part Pierre est opposé à Jésus, mais d’autre part il est mis en parallèle aux faux témoins, puisqu’il ment13. Quatre prophéties de Jésus ponctuent la sous-séquence, deux à la fin des passages extrêmes (61.75), deux à la fin des parties extrêmes du passage central (64.68). Ces quatre mentions de prophéties alternent du point de vue de leur vérité : la deuxième (64) et la quatrième (75) sont de véritables prophéties : l’une est faite devant le Sanhédrin, l’autre qui avait été adressée à Pierre est présentée comme réalisée. La première prophétie (61) est placée dans la bouche de faux témoins14. Quant à la troisième (68), ce n’est pas une prophétie de Jésus, mais une provocation des sanhédrites, à laquelle du reste Jésus ne répondra pas ; il est cependant possible de remarquer que c’est en quelque sorte une inversion de la prophétie, puisqu’on demande à Jésus de prophétiser au moment même où la 12

Le fait est d’autant plus remarquable que ces quatre occurrences de « s’avancer » (proserchomai) sont propres à Mt. Mc n’utilise pas ce verbe pour les faux témoins (en 14,57, il a « s’étant levés ») ; dans le reniement de Pierre, il utilise une fois « elle vient » (14,66 : erchetai). Quant à Lc, il ne rapporte pas l’épisode des faux témoins et n’utilise ni « s’avancer » (proserchomai) ni « venir » (erchomai) dans le reniement de Pierre. 13 On peut aussi interpréter, à juste titre, que Pierre lui aussi dit la vérité, sans s’en rendre compte : « Pierre [...] ne ment pas, comme on pourrait le croire à première vue. Comme Jésus auparavant, lui aussi confesse sa propre vérité : il n’est pas “avec lui”, il n’est pas “de ceux” qui sont ses disciples, “il ne connait pas cet homme” » (S. FAUSTI, Ricorda e racconta il vangelo, 492). 14 Ce témoignage est à moitié faux (voir ci-dessus, p. 195).

selon saint Matthieu (Mt 26,57–27,26)

203

prophétie du serviteur souffrant se réalise en lui. Les deux premières annoncent un succès de Jésus, la construction d’un nouveau temple et le triomphe du Fils de l’homme, les deux dernières concernent le mal que lui font des hommes, ceux qui le frappent puis celui qui le reniera15. 26,57 S’étant emparés de Jésus, ils l’emmenèrent chez le Grand Prêtre Caïphe, où les scribes et les anciens se rassemblèrent. 58 Pierre le suivait de loin jusqu’à la COUR du Grand Prêtre ET, ÉTANT ENTRÉ À L’INTÉRIEUR, il ÉTAIT ASSIS avec les valets pour voir la fin. 59

Or les grands prêtres et tout le Sanhédrin cherchaient un faux témoignage contre Jésus en vue de le faire mourir, 60 mais ils n’en trouvèrent pas, bien que beaucoup de faux témoins se soient avancés. Finalement, deux s’étant avancés 61 dirent : * « CELUI-LÀ A DÉCLARÉ : + “Je peux détruire le temple de Dieu et en jours le rebâtir”. » 62

S’étant levé, le Grand Prêtre lui dit : « Tu ne réponds rien ? Qu’est-ce que ces gens-là témoignent contre toi ? » 63 Mais Jésus se taisait. Le Grand Prêtre lui dit : « Je t’adjure par le Dieu vivant de nous dire si tu es le Christ, le Fils de Dieu. » 64 Jésus lui dit : « Tu l’as dit ! * D’AILLEURS JE VOUS LE DIS : + Désormais vous verrez “le Fils de l’homme assis à la droite de la Puissance” + et “venant sur les nuées du Ciel”. » 65

Alors le Grand Prêtre déchira ses vêtements et dit : « Il a blasphémé ! Qu’avons-nous encore besoin de témoins ? Voilà maintenant vous avez entendu le blasphème ! 66 Que vous en semble ? »

Ils répondirent : « Il est passible de mort. » 67 Alors on lui cracha au visage et on le gifla. Et eux le fustigèrent 68 en disant : * « FAIS-NOUS LE PROPHÈTE, Christ ! – Quel est celui qui t’a frappé ? » 69

Or Pierre ÉTAIT ASSIS dehors dans la COUR ; une servante s’avança vers lui en disant : « Toi aussi tu étais avec Jésus le Galiléen. » 70 Mais lui nia devant tous et dit : « Je ne comprends pas ce que tu dis. » 71 Alors qu’il était sorti vers le porche, une autre le vit et dit à ceux qui étaient là : « Celui-ci était avec Jésus le Nazoréen. » 72 Et de nouveau il nia avec serment : « Je ne connais pas cet homme. » 73 Un peu après, s’étant avancés, ceux qui se tenaient là dirent à Pierre : « En vérité, toi aussi tu es d’entre eux car ton parler te trahit. » 74 Alors il se mit à maudire et à jurer : « Je ne connais pas cet homme. » Et aussitôt un coq chanta. 75 Et Pierre se souvint de * LA PAROLE QUE JÉSUS AVAIT DITE : – « Avant qu’un coq ne chante, tu m’auras renié ET, ÉTANT SORTI DEHORS, il pleura amèrement.

fois. »

15 La question par laquelle s’achève le passage central : « Qui t’a frappé ? » trouve en quelque sorte sa réponse dans le passage qui la suit immédiatement.

204

Le jugement de Jésus

INTERPRÉTATION Pierre et les faux témoins Le Sanhédrin cherche désespérément des faux témoins pour trouver un chef d’accusation qui lui permette de condamner Jésus à mort de manière légale (59), mais il n’en trouve pas (60). Il ne semble même pas que le témoignage concordant des deux qui s’avancent en dernier soit suffisant pour accabler Jésus (60b61). Comme s’il avait fallu que Jésus confirme leur dénonciation par un aveu, ce qu’il ne fera pas. Les sanhédrites ne se doutent pas qu’à deux pas d’ici, dans la cour (69), se trouve un témoin de tout premier rang, prêt à confirmer par ses reniements la faillite d’un prétendu Messie, abandonné par tous ses disciples, même par celui qu’il avait institué comme la pierre sur laquelle il bâtissait son Église (16,18). Si Pierre a si facilement renoncé devant une servante et face à des valets, qu’en eût-il été devant les membres du Sanhédrin ! Pierre n’en demeure pas moins un faux témoin, au même titre que ceux qui cherchent à accabler Jésus, puisque, pas plus qu’eux, il ne dit la vérité ; son péché est cependant plus grave que le leur, car Jésus était son maitre. Le témoignage de Jésus Jésus est le seul de tous qui dise la vérité. Certes, il ne répond d’abord pas au Grand Prêtre et ne veut pas réfuter les faux témoignages portés contre lui (63a), comme il ne dira rien quand on lui crachera au visage et qu’on le giflera (67), surtout quand on lui demandera pour se moquer de faire le prophète (68). Mais lorsque le Grand Prêtre le somme, au nom du Dieu vivant, de se déclarer (63), il le fait sans hésiter (64). Et à la fin, le chant du coq montrera, ne fût-ce que pour Pierre, que la parole de Jésus est véridique, que ce qu’il annonce se réalise à la lettre (75). Si la prophétie faite à Pierre s’est accomplie, cela laisse entendre aussi que celle qu’il a prononcée devant le Sanhédrin tout entier, à la demande du Grand Prêtre (64), ne manquera pas non plus de se réaliser à la lettre. B. LE PROCÈS DEVANT LE GOUVERNEUR (MT 27,3-26) La dernière sous-séquence comprend trois passages, « La fin de Judas » (310), « Jésus se déclare devant le gouverneur » (11-14), « Jésus et Barabbas » (15-26). 1. LA FIN DE JUDAS (Mt 27,3-10) COMPOSITION DU PASSAGE La première partie rapporte le sort de Judas, la seconde celui de l’argent de son crime. Dans la première partie deux morceaux de récit encadrent les paroles des personnages, la confession de Judas et la réponse des membres du Sanhédrin (4ab). Les segments 3cd et 5ab se correspondent avec « les (trente) pièces

selon saint Matthieu (Mt 26,57–27,26)

205

d’argent », « rapportées » d’abord aux « grands prêtres et aux anciens », puis « jetées » « dans le sanctuaire » ; les segments extrêmes mettent en relation la condamnation (à mort) de Jésus et le suicide de Judas. + 3 Alors Judas celui qui l’avait donné, : ayant vu qu’ IL AVAIT ÉTÉ CONDAMNÉ, – pris-de-remords, : rapporta les TRENTE pièces-d’argent

aux grands prêtres et aux anciens,

············································································································· 4 en disant : « J’ai péché en -DONNANT un SANG innocent. »

Or eux

dirent :

« Que nous importe ?

À toi de voir ! »

·············································································································

– 5 Et, ayant jeté

les pièces-d’argent : il se retira.

dans le sanctuaire,

+ Et, étant parti, : IL SE PENDIT. + 6 Or les grands prêtres ayant pris : « Il n’est pas permis de les mettre - puisque c’est un prix

les pièces d’argent, dirent : dans le trésor, de SANG. »

= 7 Or, ayant pris : ils achetèrent avec elles - pour la SÉPULTURE

une décision, le champ du potier des étrangers.

························································································································ 8 C’est pourquoi ce champ a été appelé “Champ du SANG” jusqu’à ce jour. 9

+

Alors fut accompli ce qui avait été dit par le prophète Jérémie, en disant :

························································································································ « Et ils prirent les TRENTE pièces d’argent,

: le prix - qu’ont apprécié + 10 et ils DONNÈRENT : pour - comme m’avait ordonné

du précieux les fils d’Israël, elles le champ du potier, le Seigneur. »

Le premier morceau de la deuxième partie raconte ce que les grands prêtres ont fait, le troisième est la citation du prophète qui annonçait ce qui s’est passé. Au centre (8-9a), deux segments qui mettent en relation « ce qui avait été dit » dans le passé et comment « a été appelé » le champ, « jusqu’à ce jour »16. Le centre de la première partie (4) mettait lui aussi en relation ce que Judas avait fait auparavant (4a) et ce que les sanhédrites l’invitent à faire dans le futur : « À toi de voir ! »

16 Le champ est appelé « champ du sang » au centre (8), « champ du potier » de chaque côté (7b.10b).

206

Le jugement de Jésus

CONTEXTE La mort de Judas On en a rapproché la mort d’Achitophel, qui lui aussi se pendit (2S 17,23). [...] le parallèle littéraire est soutenu par un parallèle de pensée : Achitophel, le compagnon intime de David, qui avait trahi son maitre pour devenir l’âme damnée du jeune Absalom, et qui plus tard s’était pendu parce qu’il ne recueillait pas les fruits attendus de sa trahison, n’était-il pas un précédent expressif de l’apôtre apostat, puis désespéré ?17

S’il est vrai que la trahison et la mort de Judas font allusion à celles d’Achitophel, cela a aussi pour effet de présenter Jésus sous les traits de David, le Messie du Seigneur. La citation de Jérémie Dans la longue citation de la fin du passage (9b-10), Mt utilise Za 11,13, retouché et interprété à l’aide de passages de Jérémie (18,2s ; 19,1s ; 32,6-15) ; il avait déjà utilisé Za 11,12 dans 26,15 ; en réalité, Mt joue sur les deux leçons qu’il connait de Za 11,12 où le texte hébreu fait allusion à un trésor (cf korbanas18), aussi bien qu’à un potier (v 7-10 agros tou kerameōs19) ; on trouve des exemples de tels procédés rabbiniques dans les textes de Qumrân. Ce qui rendait possible ces rapprochements dans l’esprit de Mt, ou de la tradition jérusalémitaine qu’il utilise, c’est l’existence d’un quartier des potiers où l’on situait ce champ du sang... 20.

Il n’est pas impossible d’imaginer que Mt a dit que la citation était de Jérémie pour que l’on interprète le mot discuté, « trésor » ou « potier », à la lumière de Jérémie pour qui le « potier » est Dieu lui-même : 1

Parole qui fut adressée à Jérémie par le Seigneur en ces termes : 2 « Debout! Descend chez le potier et là, je te ferai entendre mes paroles. » 3 Je descendis chez le potier et voici qu’il travaillait au tour. 4 Mais le vase qu’il fabriquait fut manqué, comme cela arrive à l’argile dans la main du potier. Il recommença et fit un autre vase, ainsi qu’il paraissait bon au potier. 5 Alors la parole du Seigneur me fut adressée en ces termes : 6 Ne suis-je pas capable d’agir envers vous comme ce potier, maison d’Israël ? — oracle du Seigneur. Oui, comme l’argile dans la main du potier, ainsi êtes-vous dans ma main, maison d’Israël! (Jr 18,1-6).

(Voir aussi Jr 19,1ss ; Is 29,16 ; 45,7-13 ; 64,7 ; Rm 9,21).

17

P. BENOIT, « La mort de Judas », 346. Hébreu : ’ôṣār. 19 Hébreu : yôṣēr. 20 P. BONNARD, L’Évangile selon saint Matthieu, 394, qui utilise et cite P. Benoit, « La mort de Judas ». 18

selon saint Matthieu (Mt 26,57–27,26)

207

INTERPRÉTATION La faute de Judas Au lieu de se retourner vers Jésus qu’il avait trahi, ou vers les autres disciples, vers Pierre par exemple, c’est-à-dire vers ceux qui auraient pu lui pardonner, Judas revient vers les sanhédrites avec qui il avait conclu son marché (3d). Il reconnait sa faute (4a), mais il se trompe d’adresse pour sa confession : ceux-ci se dégagent, le renvoient à lui-même et l’abandonnent seul avec son péché (4b). Il croit effacer sa faute passée en abandonnant l’argent du péché dans le sanctuaire (5a) et se libérer de son remords en renonçant au futur (5cd). Il pense que le sang innocent qu’il a contribué à verser (3b) le condamne lui aussi à mort (5d). Il ne peut imaginer que le sang de Jésus puisse, comme celui-ci l’avait pourtant clairement annoncé (26,28), être versé pour la rémission de son péché. Le drame de Judas n’est pas tant d’avoir vendu son maitre que d’avoir désespéré de sa miséricorde. La faute des grands prêtres Les grands prêtres et les anciens refusant de reprendre les trente pièces d’argent, Judas les avait jetées dans le sanctuaire (5a). Si dérisoire qu’il puisse être, le prix d’un objet, et encore plus d’un homme, en atteste la valeur, le représente en quelque sorte. D’une certaine façon, Judas semble avoir pressenti que ces trente pièces d’argent représentaient le sang qu’il venait de déclarer innocent, et que la place qui leur convenait le mieux était le sanctuaire de Dieu. Se retranchant derrière la loi et les coutumes, les grands prêtres n’en jugent pas ainsi (6) : Jésus sera expulsé du temple, jusqu’au dernier sou. « Le précieux » avait été apprécié au prix d’un esclave par les fils d’Israël21. Le peu d’argent qu’il a couté ne peut être versé au trésor, mais doit être jeté, comme un tesson, dans le champ du potier. Ce salaire de rien doit être rejeté non seulement en dehors du sanctuaire, mais encore en dehors de la ville ; il ne saurait plus rien avoir affaire avec les fils d’Israël, mais être consacré à la sépulture des étrangers (7c), ces tombes tellement impures qu’elles en deviennent incapables de souiller. Le péché des grands prêtres n’empêchera cependant pas que la prophétie se réalise, au contraire. C’est là, au champ qui porte à la fois le nom du sang de Jésus (8), et celui du Potier véritable (7b.10b), que les étrangers trouveront une sépulture de salut.

21

Voir p. 36.

208

Le jugement de Jésus

2. JÉSUS SE DÉCLARE DEVANT LE GOUVERNEUR (Mt 27,11-14) COMPOSITION DU PASSAGE 11

+ Or Jésus fut placé devant le GOUVERNEUR + et le GOUVERNEUR l’interrogea en disant : . « C’est toi qui es le Roi des Juifs ? » ·································································

– Or Jésus déclara : : « C’est toi qui (le) dis. » 12

Et tandis qu’il était accusé par les grands prêtres et les anciens, il ne répondit rien. + 13 Alors PILATE lui dit : . « Tu n’entends pas . tout ce dont ils témoignent contre toi ? » ································································· 14

– Et il ne lui répondit sur rien une seule parole, – de sorte que le GOUVERNEUR était très étonné.

La première partie rapporte l’interrogatoire de Jésus par le gouverneur : question (11abc), puis réponse (11de) ; La troisième partie est un second interrogatoire de Jésus par Pilate : à la deuxième question du gouverneur (13), Jésus ne répond pas (14). La partie centrale, plus courte que les deux autres, mentionne les accusations des sanhédrites, auxquelles Jésus ne répond pas. Les trois occurrences de « gouverneur » (11ab.14b) font inclusion. Le silence de Jésus est mentionné deux fois : au centre (12b) et au début du dernier segment (14a).

selon saint Matthieu (Mt 26,57–27,26)

209

CONTEXTE Le silence de Jésus sur lequel le passage revient par deux fois rappelle le quatrième chant du Serviteur d’Isaïe22 où le silence du Serviteur est lui aussi mentionné deux fois, en termes médians de la partie centrale et de la dernière partie (Is 53,7 ; voir p. 61) : Il est maltraité et lui il s’humilie Et il n’ouvre pas la bouche. Comme un mouton à l’abattoir est conduit Et comme une brebis devant ses tondeurs muette Et il n’ouvre pas la bouche.

De manière complémentaire, l’étonnement de Pilate (14b) renvoie à celui des rois au début du chant du Serviteur (52,14-15 ; avec le même verbe thaumazō dans la traduction de la Septante) : Comme s’étonnèrent sur toi des nombreux [...] Ainsi s’émerveilleront des nations nombreuses. Sur lui des rois fermeront leur bouche.

INTERPRÉTATION Le Serviteur du Seigneur Matthieu ne précise pas quelles sont les accusations portées par les grands prêtres et les anciens (12) ; la seule chose qui semble l’intéresser est de souligner le silence de Jésus qui refuse d’argumenter et de se défendre (12b.14a). Jésus accepte de dire la vérité sur ce qu’il est (11e), mais il renonce à réfuter le mensonge de ceux qui l’accusent (14a). Le gouverneur a sans doute de quoi être étonné, car il ne devait pas souvent être témoin d’une telle conduite. Il n’ajoute rien, comme si le silence de Jésus le laissait sans voix. Même si Jésus n’est pas encore exalté (Is 52,13), Pilate est ainsi présenté comme le premier des rois qui resteront bouche bée devant le Serviteur (Is 52,14-15). Le Roi des Juifs Si le gouverneur demande à Jésus, de but en blanc, s’il est « le roi des Juifs » (11c), c’est sans doute qu’il avait été prévenu de la charge qui pesait contre lui. Quoi qu’il en soit, Jésus ne se soustrait pas à la question et n’hésite pas à se déclarer devant Pilate (11de). Malgré les apparences qui disent tout le contraire au moment même où il est « méprisé et rejeté par les hommes » (Is 53,3), Jésus se révèle comme celui à qui la royauté a été donnée.

22

Voir p. 61.

210

Le jugement de Jésus

3. JÉSUS BARABBAS OU JÉSUS DIT CHRIST ? (Mt 27,15-26) COMPOSITION DU PASSAGE 15 Or à chaque fête le gouverneur avait coutume de RELÂCHER à la foule un prisonnier, = 16 Or ils avaient alors un prisonnier fameux,

: 17 Comme ils étaient rassemblés,

celui qu’ils voulaient. dit [Jésus] Barabbas. Pilate leur dit :

– « LEQUEL VOULEZ-VOUS que JE VOUS RELÂCHE, = [Jésus] Barabbas + ou Jésus qui est dit CHRIST ? » : 18 Il savait en effet - que (c’était) par JALOUSIE (qu’)ils l’avaient -donné. 19

Comme il était assis au tribunal, sa femme lui envoya dire : . « (Qu’il n’y ait) rien entre toi et ce JUSTE ! . car j’ai beaucoup souffert aujourd’hui en songe à cause de lui. » 20

Or les grands prêtres et les anciens persuadèrent les foules = afin qu’elles demandent Barabbas + et qu’elles perdent Jésus.

: 21 Or répondant le gouverneur leur dit : – « LEQUEL VOULEZ-VOUS des deux que JE VOUS RELÂCHE ? » = Or eux dirent : « Barabbas ». ·········································································································

+

22

Pilate leur dit : « Que

ferai-je donc de Jésus qui est dit CHRIST ? »

– Tous disent : « Qu’il soit crucifié. » ·········································································································

+

23

Or lui déclara : « Quoi

de MAL a-t-il donc fait ? »

– Or eux criaient plus fort disant : « Qu’il soit crucifié. » 24

Pilate voyant que rien ne servait, mais que plutôt du tumulte arrivait, ayant pris de l’eau, il se lava les mains devant la foule en disant : . « Je suis INNOCENT de ce sang ! À vous de voir ! » ···················································································· 25

Et répondant, tout le peuple dit : . « Son sang (soit) sur nous et sur nos enfants ! »

= 26 Alors il leur RELÂCHA Barabbas. + Or Jésus, l’ayant fait flageller,

il leur -donna

pour qu’il soit crucifié.

selon saint Matthieu (Mt 26,57–27,26)

211

Les parties extrêmes (15-16 ; 26) se répondent et sont en relation avec la partie centrale (20) : en effet, dans la première partie « la foule » « veut » qu’on lui « relâche » un prisonnier et c’est le nom du seul « Barabbas » qui est cité ; dans la partie centrale, les responsables interviennent auprès des « foules » pour guider son choix, entre Jésus et Barabbas ; dans la dernière partie enfin, Pilate « relâche » « celui qu’ils voulaient » (15b), celui qu’ils avaient « demandé » (20b) et livre « pour qu’il soit crucifié » celui que les grands prêtres et anciens avaient voulu « perdre » (20c). La deuxième et l’avant-dernière partie (17-19 ; 21-25) sont parallèles entre elles. Les secondes sous-parties (19 ; 24-25) sont propres à Mt : « innocent » de 24c renvoie à « juste » de 19c. Les premières sous-parties (17-18 ; 21-23) commencent par une question presque identique (17b.21b), mais, alors que la première fois Pilate présente les deux termes de l’alternative (17cd)23, la deuxième fois la foule a choisi Barabbas (21d) et il ne reste qu’à régler le sort de Jésus, ce qui se fait en deux étapes (22 puis 23) ; on pourra remarquer que « mal » de 23b correspond à « jalousie » de 18b. INTERPRÉTATION La responsabilité de Pilate Par tous les moyens, Pilate essaie de déjouer le projet des sanhédrites. Il en connaissait en effet la véritable motivation (18). Mais, au lieu de prendre directement ses responsabilités, et d’exercer son pouvoir de gouverneur qui lui avait été conféré par l’autorité de l’empereur pour faire respecter la justice, il pense trouver une solution qui lui évitera de dire en face aux accusateurs de Jésus ce qu’il pense de leur comportement et de dénoncer publiquement leur jalousie. Il recule devant la vérité en voulant utiliser l’amnistie pascale (15) comme d’un stratagème (17). Il veut ensuite défendre l’accusé en demandant ce qu’il a fait de mal (23), au lieu de dire clairement qu’il le juge innocent. Enfin, au moment d’énoncer la sentence, il s’en lave les mains (24). Il prend la responsabilité de condamner Jésus à mort (26b), puisque lui seul détient ce pouvoir, et dans le même temps s’en déclare innocent (24c). Il donne satisfaction à ceux qu’il juge intérieurement coupables de jalousie (18) et envoie au supplice (26b) celui que même sa femme avait qualifié de juste (19c). Non seulement il condamne un innocent, mais il relâche à sa place un coupable (26a). C’est la perversion de la justice civile. La responsabilité des Juifs Devant Pilate qui le lave les mains, c’est tout le peuple qui prend sur lui et sur sa descendance la responsabilité du crime qui va se commettre (25). Mais la foule avait été manipulée par ses chefs (20). Les foules se laissent facilement 23 La variante, bien attestée, qui attribue, aussi bien en 16 qu’en 17, le nom de « Jésus » à Barabbas accentue le parallélisme entre les deux personnages.

212

Le jugement de Jésus

convaincre par les raisons savamment présentées de ceux qui détiennent l’autorité comme les grands prêtres, la science comme les scribes et l’argent comme les anciens du peuple. La vraie responsabilité n’incombe pas tellement au peuple (25) qu’à ses chefs (20). Le peuple n’avait pas de raison spéciale d’être jaloux de Jésus, mais bien les autorités religieuses suprêmes qui sentaient le pouvoir leur échapper au profit de celui que les foules avaient plaisir à écouter et à suivre. C’est la perversion du pouvoir religieux. 4. LE PROCÈS DEVANT LE GOUVERNEUR (Mt 27,3-26) COMPOSITION DE LA SOUS-SÉQUENCE Deux longs passages (3-10 ; 15-26) encadrent un passage plus court (11-14). Les passages extrêmes se répondent : Judas est présenté au début comme celui qui « avait -donné » Jésus (3) et Pilate à la fin le « -donne » (26) ; au début, il est dit que Jésus « avait été condamné » (3), à la fin, qu’il va « être crucifié » (26). Ce sont surtout les parties extrêmes (3-5 ; 21-26) qui se correspondent : aussi bien Pilate que Judas déclarent Jésus innocent (4.23 ; ce qu’avait aussi fait la femme de Pilate qui le dit « juste » en 19) ; la déclaration de Pilate, « Je suis innocent de ce sang » (24), rappelle celle de Judas, « J’ai péché en donnant un sang innocent » (le même mot « sang » se retrouve en 6.8 et 24-25), et le « À vous de voir » de Pilate (24) correspond au « À toi de voir » des sanhédrites (4) ; à noter cependant la différence entre Judas et Pilate : alors que le premier déclare Jésus innocent, l’autre se prétend innocent de la mort de Jésus. « Les grands prêtres et les anciens » se retrouvent dans les trois passages de la sous-séquence, en des endroits stratégiques : au début (3), au centre du passage central (12), au centre du dernier passage (20) : dans le passage central, ils accusent Jésus devant le gouverneur ; dans le dernier passage, ils accusent Jésus devant les foules afin de les pousser à réclamer la libération de Barabbas et à requérir la mort de Jésus ; dans le premier passage, ils repoussent la démarche de Judas et refusent que le prix payé pour la trahison de Jésus soit versé au trésor. CONTEXTE Comme on l’a dit plus haut (voir p. 200), la quintuple mention du sang (4.6.8. 24.25) et spécialement du « sang innocent » (4) est propre à Mt. Cela renvoie à la conclusion des sept malédictions contre les scribes et les pharisiens en Mt 23,33-36 : « pour que retombe sur vous tout le sang innocent répandu sur la terre, depuis le sang d’Abel le juste... ». Par ailleurs, la « jalousie » (18)24 dont Jésus est victime renvoie elle aussi à celle de Caïn25 ; elle rappelle encore celle des frères de Joseph (Gn 37,11). 24

À ne pas confondre avec le « zèle » ; voir S. LÉGASSE, Le Procès, II, 85. R. Pesch (Il vangelo di Marco, II, 681) signale que « La situation originaire de la jalousie est décrite par Gn 4 » ; voir les textes auxquels renvoie S. Légasse (Le Procès, II, 85), en particulier 25

selon saint Matthieu (Mt 26,57–27,26)

213

27,3 Alors Judas, celui qui l’avait -DONNÉ, voyant qu’il avait été condamné, pris de remords,

rapporta les trente pièces d’argent aux grands prêtres et aux anciens, 4 en disant : « J’ai péché en -donnant un SANG INNOCENT. » Mais eux dirent : « Que nous importe ? À toi de voir ! » 5 Et, ayant jeté les pièces d’argent dans le sanctuaire, il se retira. Et, étant parti, il se pendit. 6

Les grands prêtres ayant pris les pièces d’argent, dirent : « Il n’est pas permis de les mettre dans le trésor, puisque c’est le prix du SANG. » 7 Et, ayant tenu conseil, ils achetèrent avec le champ du potier pour la sépulture des étrangers. 8 C’est pourquoi ce champ-là a été appelé « Champ du SANG » jusqu’aujourd’hui. 9 Alors fut accompli ce qui avait été dit par le prophète Jérémie : « Ils prirent les trente pièces d’argent, le prix du PRÉCIEUX qu’ont apprécié les fils d’Israël, 10 et ils les donnèrent pour le champ du potier, selon que m’avait ordonné le Seigneur. » 11

Jésus fut placé devant le gouverneur et le gouverneur l’interrogea en disant : « C’est toi qui es LE ROI DES JUIFS ? » Jésus déclara : « C’est toi qui le dis. » 12

Et tandis qu’il était accusé par les grands prêtres et les anciens, il ne répondit rien.

13

Alors Pilate lui dit : « Tu entends tout ce dont ils témoignent contre toi ? » 14 Et il ne lui répondit pas un mot sur rien, si bien que le gouverneur était très étonné. 15

Or à chaque fête le gouverneur avait coutume de relâcher à la foule un prisonnier, celui qu’ils voulaient. 16 Or ils avaient alors un prisonnier fameux, appelé [Jésus] Barabbas. 17

Comme ils étaient rassemblés, Pilate leur dit : « Lequel voulez-vous que je vous relâche, [Jésus] Barabbas ou Jésus qui est appelé CHRIST ? » 18 Il savait en effet que c’était par jalousie qu’ils l’avaient -donné. 19 Comme il était assis au tribunal, sa femme lui envoya dire : « Qu’il n’y ait rien entre toi et ce JUSTE ! car j’ai beaucoup souffert aujourd’hui en songe à cause de lui. » 20

Les grands prêtres et les anciens persuadèrent les foules afin qu’elles demandent Barabbas et qu’elles perdent Jésus.

21

Répondant, le gouverneur leur dit : « Lequel des deux voulez-vous que je vous relâche ? » Ils dirent : « Barabbas ». 22 Pilate leur dit : « Que ferai-je donc de Jésus qui est appelé CHRIST ? » Tous disent : « Qu’il soit crucifié ! » 23 Mais lui déclara : « Quoi de mal a-t-il donc fait ? » Mais eux criaient plus fort et disaient : « Qu’il soit crucifié ! » 24 Pilate voyant que rien ne servait, mais qu’il en résultait plutôt du tumulte, prit de l’eau et se lava les mains devant la foule en disant : « Je suis INNOCENT de ce 25 SANG ! À vous de voir ! » Et répondant, tout le peuple dit : « Son SANG soit sur nous et sur nos enfants ! » 26

Alors il leur relâcha Barabbas. Quant à Jésus, après l’avoir fait flageller, il le -DONNA pour qu’il soit crucifié.

Sg 2,24 : « C’est par la jalousie du diable que la mort est entrée dans le monde », et « 1Clem 5, 2.4.5 (au terme d’une série d’exemples qui commence avec Caïn) » (n. 50).

214

Le jugement de Jésus

INTERPRÉTATION Pilate et Judas Pilate comme Judas proclament l’innocence de Jésus : Judas confesse avoir livré un sang innocent (4), Pilate demande ce qu’il a fait de mal (23), reprenant à son compte ce que lui a fait dire sa femme, à savoir que Jésus est un juste (19). Le gouverneur en effet se rend bien compte que les accusations des sanhédrites sont motivées non par la culpabilité de Jésus, mais par leur propre jalousie (18). Cependant, Pilate est un personnage beaucoup plus noir encore que Judas : alors que ce dernier se reconnait coupable de la condamnation de Jésus (4), Pilate s’en déclare innocent (24). Judas accepte la responsabilité de son acte, Pilate s’en décharge sur les Juifs. Pour se débarrasser de sa culpabilité et fuir son péché, Judas ne voit d’autre issue que sa propre mort (5) ; Pilate croit s’innocenter en se déchargeant sur d’autres (24) de la responsabilité qu’il exerce en fait de condamner à mort un autre (26). En ce sens, le péché de Pilate est plus lourd que celui de Judas. Le désespoir de Judas semble plus excusable que la veulerie de Pilate. Pilate et les sanhédrites Comme Pilate, les grands prêtres et les anciens rejettent la responsabilité de la mort de Jésus sur d’autres. À Judas qui vient leur dire qu’il a péché et que Jésus est innocent (4), grands prêtres et anciens répondent que cela le regarde seul (4) : s’il estime avoir péché, c’est son problème et, s’il pense que Jésus est innocent, c’est son affaire ; quant à eux, ils en ont décidé autrement et, s’ils viennent de condamner Jésus à mort (27,1), c’est que c’est lui le coupable et non eux. Quand Pilate, à bout d’arguments, se déclare innocent du sang de Jésus (24), il fait aux grands prêtres et anciens, ainsi qu’à la foule qu’ils téléguident, la même réponse que ceux-là avaient donnée à Judas : « À vous de voir » (24c, comme 4b). Il rejette le péché sur eux et les laisse seuls responsables de juger que Jésus est coupable ; ce qu’ils acceptent sans hésitation (25). La veulerie de Pilate est plus excusable que l’acharnement homicide des sanhédrites et du peuple qu’ils manipulent. Les sanhédrites et le peuple Les grands prêtres et les anciens veulent la mort de Jésus (27,1), mais ce ne sont pas eux qui demandent qu’il soit crucifié, ils le font réclamer par les foules (22-23). Comme s’ils voulaient se décharger de la responsabilité de la mort de Jésus sur elles. Et finalement ce ne sont pas les sanhédrites qui prendront sur eux la responsabilité de répandre le sang de Jésus, mais tout le peuple (25). Jésus et Judas Dans cette affaire, à un titre ou à un autre, tous portent une part de responsabilité, les Juifs et le païen, le Sanhédrin et le peuple, sans oublier Judas bien sûr. Tous sont coupables, et il n’est qu’un innocent. Et c’est cet innocent qui payera de son sang pour le péché de tous (26). Cependant, cette affaire n’a pas

selon saint Matthieu (Mt 26,57–27,26)

215

fait qu’une seule victime, mais deux. Judas lui aussi paie de sa vie (5). L’un meurt pensant expier son propre forfait, l’autre est sacrifié par tous les autres, aussi bien païens que Juifs, ou plutôt il se sacrifie pour tous les autres. L’argent qui a servi pour qu’il soit donné, aux Juifs d’abord, au païen ensuite, n’est pas déposé dans le trésor du temple, il va aux étrangers (7). Le sang de Jésus retombera sur tous les fils d’Israël (25), non pour la vengeance, mais pour le salut ; il atteindra aussi les nations, car le Champ du Sang sera consacré à la sépulture des étrangers (7) qui trouveront ainsi le repos aux portes de Jérusalem. Si l’on entend « le potier » (7.10) comme celui qui a façonné la création, son champ est aussi sacré que la Maison qui porte aussi son Nom (5). Caïn Comme Jésus l’avait annoncé, « tout le sang innocent répandu sur la terre, depuis le sang d’Abel jusqu’au sang de Zacharie [...] assassiné entre le sanctuaire et l’autel [...] va retomber sur cette génération » (Mt 23,35). Le meurtre de Jésus réitère celui des origines. Il a la même racine, « la jalousie » (18). Mais ce ne sont pas seulement les grands prêtres et les anciens qui sont coupables, même si le rédacteur les désigne clairement en les accusant du péché de Caïn. Tous les protagonistes du récit tiennent, chacun à sa manière, le rôle de Caïn, cette sorte de second Adam dont tous les hommes sont issus, du fait qu’il a éliminé son unique frère. Judas, l’un des Douze, celui qui l’avait livré, est aussi fils de Caïn ; il se reconnait en quelque sorte comme tel, puisqu’il confesse avoir péché en donnant un sang innocent (4). Pilate lui aussi partage la même responsabilité : il a beau se déclarer « innocent de ce sang » et s’en laver les mains (24), c’est tout de même lui qui envoie le juste à la mort (26). En reprenant les paroles mêmes des grands prêtres et des anciens, « À vous de voir » (24, comme en 4), il prétend comme eux rejeter la faute sur d’autres. C’était déjà de cette façon que les fils de Jacob avaient trempé la tunique de Joseph dans le sang d’un bouc, pour faire accuser de leur faute une bête féroce (Gn 37,31-33), la même que Caïn n’avait pas su dominer (Gn 4,7). Le nouvel Abel Tout au long du récit du meurtre originel, Abel la victime ne prononce pas un seul mot26. Jésus non plus ne dit rien durant tout le procès devant le gouverneur ; le passage central est centré sur la mention du silence de Jésus, opposé aux accusations des grands prêtres et des anciens : « Et tandis qu’il était accusé par les grands prêtres et les anciens, il ne répondit rien » (12). Il est le Serviteur du Seigneur, tel que le présentera le quatrième chant d’Isaïe : « Comme un mouton est conduit à l’abattoir et comme une brebis devant ses tondeurs muette, il

26

Dans le texte hébreu, Caïn n’adresse pas une seule fois la parole à son frère. C’est la Septante qui ajoute : « Allons à la campagne » à la phrase laissée en suspens par le texte massorétique : « Caïn dit à Abel son frère » (Gn 4,8).

216

Le jugement de Jésus

n’ouvre pas la bouche » (Is 53,7)27. Comme celui d’Abel, son sang crie de la terre, non pas pour la vengeance mais pour le salut de tous. D. LES JUIFS ET LES PAÏENS CONDAMNENT LE SERVITEUR (Mt 26,57–27,26) COMPOSITION DE LA SÉQUENCE Les deux sous-séquences analysées jusqu’ici (26,57-75 et 27,3-26) sont reliées par un très court passage (27,1-2) : + 27,1 Or le matin étant venu, : tinrent un conseil

tous les grands prêtres et les anciens du peuple

CONTRE JÉSUS AFIN DE LE FAIRE-MOURIR.

+ 2 Et l’ayant enchainé, : ils l’emmenèrent et le -donnèrent à

Pilate le gouverneur.

Les verbes de 27,2b renvoient aux extrémités de la séquence : « emmener » était déjà utilisé dans le premier verset (26,57), et « -donner » se retrouvera dans le dernier verset (27,26). Le Sanhédrin, vers qui est emmené Jésus au début, le condamne à mort et le livre au gouverneur au centre, et effectivement à la fin il est livré par Pilate à la mort. La fin de la première phrase, au centre du passage central, « afin de le faire mourir » (27,1) retentit aux extrémités, dans le premier passage avec « en vue de le faire mourir » (26,59), ainsi qu’au centre du dernier passage avec « afin [...] qu’elles perdent Jésus » (27,20) et à la fin avec « pour qu’il soit crucifié » (27,26). Tous, Juifs et païens, condamnent Jésus à mort. Mais alors qu’il n’est aucun païen dans la première sous-séquence, ce sont les chefs juifs qui demandent et finissent par obtenir du gouverneur romain qu’il condamne Jésus à mort dans la dernière sous-séquence. Jésus reconnait devant le gouverneur Pilate comme devant le Grand Prêtre Caïphe qu’il est « Christ » (26,63b-64), « Roi des Juifs » (27,11) ; mais il ne répond ni aux faux témoignages portés contre lui devant le Sanhédrin (au début du second passage : 26,62-63a), ni aux accusations lancées contre lui par les sanhédrites devant le gouverneur (en position symétrique, à la fin de l’avantdernier passage : 27,13-14). Aussi bien le Grand Prêtre que le gouverneur s’en étonnent, avec une question (26,62 ; 27,13) ; Jésus ne répond ni à l’un (26,63), ni à l’autre (27,14). Pierre et Judas, se trouvent en position symétrique, à la fin de la première sous-séquence et au début de la dernière28. Alors que l’un se repent et pleure son péché (26,74b-75), l’autre s’abandonne au désespoir et se suicide (27,3-5).

27

Voir p. 61.

selon saint Matthieu (Mt 26,57–27,26)

217

26,57 S’étant emparés de Jésus, ils L’EMMENÈRENT chez le Grand Prêtre Caïphe où scribes et anciens se rassemblèrent. 58 Pierre le suivit de loin jusqu’à la cour du Grand Prêtre et étant entré à l’intérieur il s’assit avec les valets pour voir la fin. 59 Les grands prêtres et le Sanhédrin tout entier cherchaient un faux témoignage contre Jésus EN VUE DE LE FAIRE MOURIR, 60 mais ils n’en trouvèrent pas, bien que beaucoup de faux témoins se soient avancés. Finalement, deux s’avancèrent 61 et dirent : « Celui-là a déclaré : “Je peux détruire le temple de Dieu et en trois jours le rebâtir”. » 62

S’étant levé, le Grand Prêtre lui dit : « Tu ne réponds rien ? Qu’est-ce que ces gens-là témoignent contre toi ? » 63 Mais Jésus se taisait. Le Grand Prêtre lui dit : « Je t’adjure par le Dieu vivant de nous dire si TU ES LE CHRIST, le Fils de Dieu. » 64 Jésus lui dit : « C’est toi qui l’as dit ! D’ailleurs je vous le dis : désormais vous verrez “le Fils de l’homme assis à la droite de la Puissance” et “venant sur les nuées du Ciel”. » 65 Alors le Grand Prêtre déchira ses vêtements et dit : « Il a blasphémé ! Qu’avons-nous encore besoin de témoins ? Voilà maintenant vous avez entendu le blasphème ! 66 Que vous en semble ? » Ils répondirent : « Il est passible de mort. » 67 Alors on lui cracha au visage et on le gifla. Et eux le fustigèrent 68 en disant : « Fais-nous le prophète, Christ ! Quel est celui qui t’a frappé ? » 69

Or PIERRE était assis dehors dans la cour ; une servante s’avança vers lui en disant : « Toi aussi tu étais avec Jésus le Galiléen. » 70 Mais lui nia devant tous en disant : « Je ne connais pas ce que tu dis. » 71 Alors qu’il était sorti vers le porche une autre le vit et dit à ceux qui étaient là : « Celui-ci était avec Jésus le Nazoréen. » 72 Et de nouveau il nia avec serment que « Je ne connais pas l’homme. » 73 Un peu après, s’avançant ceux qui se tenaient là dirent à Pierre : « En vérité, toi aussi tu es d’entre eux et en effet c’est évident par ton parler. » 74 Alors il se mit à maudire et à jurer que « Je ne connais pas l’homme. » Et aussitôt un coq chanta. 75 Et Pierre se souvint du mot de Jésus qui avait dit que « Avant qu’un coq ne chante, trois fois tu m’auras renié. » Et, étant sorti dehors, il pleura amèrement. 27,1 Or le matin étant venu, tinrent un conseil 2

Et l’ayant enchainé,

tous les grands prêtres et les anciens du peuple

CONTRE JÉSUS AFIN DE LE FAIRE MOURIR. ils L’EMMENÈRENT et le DONNÈRENT à Pilate le

gouverneur.

3 Alors JUDAS, celui qui l’avait donné, voyant qu’il avait été condamné, pris de remords, rapporta les trente pièces d’argent aux grands prêtres et aux anciens, 4 en disant : « J’ai péché en -donnant un sang innocent. » Mais eux dirent : « Que nous importe ? À toi de voir ! » 5 Et, ayant jeté les pièces d’argent dans le sanctuaire, il se retira. Et, étant parti, il se pendit. 6 Les grands prêtres ayant pris les pièces d’argent, dirent : « Il n’est pas permis de les mettre dans le trésor, puisque c’est un prix de sang. » 7 Et, ayant pris conseil, ils achetèrent avec elles le champ du potier pour la sépulture des étrangers. 8 C’est pourquoi ce champ-là a été appelé « Champ du Sang » jusqu’aujourd’hui. 9 Alors fut accompli ce qui fut dit par le prophète Jérémie, disant : « Et ils prirent les trente pièces d’argent, le prix du précieux qu’ont apprécié les fils d’Israël, 10 et ils les donnèrent pour le champ du potier, selon que m’avait ordonné le Seigneur. » 11

Jésus fut placé devant le gouverneur et le gouverneur l’interrogea disant : « TU ES LE ROI DES JUIFS ? » Jésus déclara : « C’est toi qui le dis. » 12 Et tandis qu’il était accusé par les grands prêtres et les anciens, il ne répondit rien. 13 Alors Pilate lui dit : « Tu n’entends pas tout ce dont ils témoignent contre toi ? » 14 Et il ne lui répondit sur rien une seule parole, de sorte que le gouverneur était très étonné. 15

Or à chaque fête le gouverneur avait coutume de relâcher à la foule un prisonnier, celui qu’ils voulaient. Or ils avaient alors un prisonnier fameux, dit [Jésus] Barabbas. 17 Comme ils s’étaient rassemblés, Pilate leur dit : « Lequel voulez-vous que je vous relâche, [Jésus] Barabbas ou Jésus dit le Christ ? » 18 Il savait en effet que c’était par jalousie qu’ils l’avaient -donné. 19 Comme il était assis au tribunal, sa femme lui envoya dire : « Qu’il n’y ait rien entre toi et ce juste ! Car j’ai beaucoup souffert aujourd’hui en songe à cause de lui. » 20 Les grands prêtres et les anciens persuadèrent les foules AFIN QU’ELLES DEMANDENT BARABBAS ET 21 QU’ELLES PERDENT JÉSUS. Répondant le gouverneur leur dit : « Lequel des deux voulez-vous que je vous relâche ? » Eux dirent : « Barabbas ». 22 Pilate leur dit : « Que ferai-je donc de Jésus qui est dit Christ ? » Tous disent : « Qu’il soit crucifié ! » 23 Mais lui déclara : « Quel mal a-t-il donc fait ? » Mais eux criaient plus fort en disant : « Qu’il soit crucifié ! » 24 Pilate voyant que rien ne servait, mais que plutôt du tumulte arrivait, ayant pris de l’eau il se lava les mains devant la foule en disant : « Je suis innocent de ce sang ; à vous de voir ! » 25 Et répondant, tout le peuple dit : « Son sang soit sur nous et sur nos enfants ! » 26 Alors il leur relâcha Barabbas. Quant à Jésus, l’ayant fait flageller, il le -DONNA POUR QU’IL SOIT CRUCIFIÉ. 16

28

L’apôtre Judas porte le nom de la tribu de Juda, d’où vient l’appellation de « Juifs » ; selon Jn 1,42, le nom de « Pierre » est la traduction de « Képhas », ce qui rappelle le nom du Grand Prêtre « Caïphe ».

218

Le jugement de Jésus

INTERPRÉTATION Pierre et Judas Les deux apôtres ont trahi leur Maitre ; le premier l’a renié par peur devant des femmes et des valets (26,69-74), l’autre l’a livré aux grands prêtres pour trente pièces d’argent (27,3). Lorsqu’il entend le chant du coq, Pierre se souvient et s’en va pleurer son péché (26,75). Mais Pierre n’avait pas été le seul des Douze à rôder autour de la maison du Grand Prêtre pour voir quelle serait la fin de l’affaire (26,58) ; Judas lui aussi n’était pas loin, puisqu’il revient et confesse son péché quand il voit que Jésus est condamné à mort (27,3). Malheureusement, il ne se retourne pas vers celui qui aurait pu lui pardonner, ou tout au moins vers celui de ses frères de péché qui eût été bien mal placé pour le condamner après ce qu’il venait de faire. Tous deux s’en vont, mais vers un destin opposé. Au chant du coq, Pierre retrouve la parole du Seigneur qui lui avait annoncé son reniement mais aussi son retour ; dans les larmes il sort de lui-même et peut déjà retrouver son Seigneur (26,75). Judas, n’écoutant que les paroles terribles des grands prêtres qui le renvoient à lui-même et l’enferment dans son péché, ne peut trouver d’autre issue que la mort (27,5). Les deux apôtres représentent, pour le lecteur, deux types de pécheurs ; se reconnaissant dans l’une ou l’autre de ces figures, il est invité à choisir entre les deux chemins de retour qui s’ouvrent devant lui, celui de la mort ou celui de la vie. Parole et silence Aussi bien devant le gouverneur que devant le Grand Prêtre, Jésus ne refuse pas de dire qui il est. Il est vraiment le Christ, le Fils de Dieu (26,63.64), le Roi des Juifs (27,11). Le Grand Prêtre et tout le Sanhédrin lui demandent de se déclarer : il le fait sans hésiter, bien qu’il sache parfaitement qu’ils ne cherchent pas la vérité mais qu’ils veulent le faire mourir (26,59). Il recommencera devant Pilate, le représentant de César, malgré les risques qu’il encourt. Mais quand il s’agit de répondre aux accusations portées contre lui, Jésus s’obstine dans le silence. Que ce soient les témoins ameutés contre lui (26,62), que ce soient les grands prêtres eux-mêmes et les anciens (27,13), il refuse de contredire leur témoignage. Ce qui ne manque pas d’étonner et le Grand Prêtre et le gouverneur. C’est probablement qu’il sait bien que cela ne servirait de rien, puisqu’ils ne cherchent pas à faire la lumière et que leur décision de le conduire à la mort est prise de façon irréversible (26,59 ; 27,1). Rien ne sert d’argumenter avec les méchants (Pr 9,7s). C’est surtout que Jésus accomplit ainsi la prophétie du Serviteur souffrant : « Affreusement traité, il s’humiliait, il n’ouvrait pas la bouche. Comme un agneau conduit à la boucherie, comme devant les tondeurs une brebis muette et n’ouvrant pas la bouche » (Is 53,7).

selon saint Matthieu (Mt 26,57–27,26)

219

Tous sont responsables de la mort de Jésus Pilate a beau proclamer devant toute la foule juive qu’il est innocent du sang de Jésus (27,24), c’est tout de même lui, lui qui détient le pouvoir suprême dans le pays, lui à qui seul est réservé le droit de condamner à mort, c’est lui qui en définitive donne l’ordre de flageller Jésus et de le crucifier (27,26). Il est trop facile de se laver les mains en reportant la faute sur autrui quand on a le devoir et la possibilité de l’éviter. Pilate n’est certainement pas innocent de la mort de Jésus. Sa faute est d’ordre politique : s’il condamne Jésus, c’est pour éviter une émeute ; non pas seulement un mouvement spontané de révolte populaire qu’il eût été facile de réprimer mais une rébellion fomentée et organisée par les plus hautes instances du peuple occupé (27,20). Qu’un innocent paie, pourvu que l’ordre romain soit préservé. Cependant, il faut bien reconnaitre que, selon Mt, ce n’est pas lui qui porte la plus grande faute : la jalousie et à la haine sont pire encore que la lâcheté. Pilate en effet s’était bien rendu compte que c’était par jalousie que les sanhédrites lui avaient livré Jésus (27,18). Les autorités juives défendent leur pouvoir sur le peuple, davantage encore ils défendent leurs conceptions religieuses et ses institutions. Certes ils attendent tous le Messie, mais c’est le Messie qu’ils se sont imaginé et non pas celui que le Dieu vivant avait prédit. Ils ne veulent pas du roi humble et monté sur un âne, sur le petit d’une ânesse, comme l’avait annoncé le prophète Zacharie (Za 9,9-10). Ils attendent celui qui mettra sa confiance, non pas en Dieu seul, mais dans les chars et les chevaux, celui qui boutera dehors les occupants impurs. Leur faute n’est pas tant politique que proprement religieuse : leur Dieu est une idole qu’ils se sont fabriquée de leurs propres mains. Ils sont bien les fils de ceux qu’avaient vilipendé les prophètes tout au long de leur histoire. Les Juifs portent un plus grand péché que les païens. Mais il est parmi les Juifs une catégorie dont la faute dépasse celle du peuple auquel ils appartiennent et même celle des autorités qui ont soulevé le peuple contre Jésus. Ce sont les disciples, représentés à la fois par Pierre (26,69-75) et par Judas (27,3-10). Si Pierre est aussi lâche que Pilate, il est bien probable que, plus que pour une simple question d’argent, Judas ait livré son maitre par jalousie, comme les grands prêtres. Comment la faute de ceux que Jésus avait choisis entre tous n’apparaitrait-elle pas plus odieuse que celle du païen, plus aussi que celle des adversaires juifs de Jésus ? La trahison est certainement le plus lourd et le plus odieux des péchés, surtout celle de celui qui avait été institué par Jésus comme le premier de ses apôtres, le rocher sur lequel il avait décidé de construire son Église. Le pardon est offert à tous Pierre a péché, mais il est revenu dans les larmes (26,75). Si le pardon fut possible pour le plus coupable de tous, à plus forte raison est-il accessible à tous les autres ! Judas l’apostat, celui que Jésus avait choisi comme Pierre, Jacques et Jean et tous les autres apôtres, aurait pu lui aussi recevoir la rémission de son

220

Le jugement de Jésus

péché. À tout péché miséricorde, même pour ceux qui avaient un temps abandonné l’Église et son Seigneur. On sait que la question s’est posée aux premiers chrétiens, surtout en temps de persécutions. Le seul péché qui ne puisse pas être pardonné, c’est de désespérer, non pas tellement de soi-même mais de la miséricorde de Dieu : c’est le manque de foi, le péché contre l’Esprit. Les autres Juifs, ceux qui n’ont jamais voulu reconnaitre en Jésus le Christ, le Fils de Dieu, sont bien évidemment les premiers sur la liste d’attente, après les disciples égarés : s’ils ont été jaloux (27,18), leur aveuglement n’est pas irrémédiable car Dieu, lui, n’est pas jaloux et reste fidèle au peuple qu’il avait choisi parmi tous les peuples. À condition toutefois qu’ils renoncent à leur jalousie. La jalousie des Juifs contre Jésus, c’est la jalousie contre un Messie qui est venu pour offrir la miséricorde de Dieu à tous les peuples, aux païens comme aux Juifs. Et c’est justement cela que les autorités et la partie du peuple qu’ils ont séduit refusent de tout leur être. Le Dieu de toute la terre est leur Dieu à eux seuls et ne saurait être le Dieu de toutes les nations, leurs frères. Le sang de Jésus qu’ils ont appelé sur leur tête et sur celle de leurs enfants (27,25) n’est pas celui de la vengeance mais du pardon. Un pardon qui est accordé aux fils d’Israël comme il est proposé aussi à Pilate et à tous ceux qu’il représente.

CHAPITRE V

Les Juifs, les païens et le disciple abandonnent le Maitre (Mc 14,53–15,20) Cette séquence comprend sept passages. Les trois premiers forment une sousséquence qui rapporte le procès juif, les trois derniers forment aussi une sousséquence qui rapporte le procès romain. Au centre, le reniement de Pierre.

Jésus est conduit

chez le Grand Prêtre

14,53-54

LES GRANDS PRÊTRES pour tuer

cherchent un témoignage Jésus

Les serviteurs du Grand Prêtre

SE MOQUENT DE JÉSUS

RENIEMENTS ET REPENTIR DE PIERRE

Jésus est conduit

chez le gouverneur

55-64 65

66-72

15,1

LES GRANDS PRÊTRES cherchent le moyen de faire crucifier Jésus Les soldats du gouverneur

2-15 SE MOQUENT DE JÉSUS

16-20

222

Le jugement de Jésus A. LE PROCÈS DEVANT LE SANHÉDRIN (Mc 14,53-65)

La première sous-séquence comprend trois passages, « Jésus est conduit chez le Grand Prêtre » (53-54), « L’interrogatoire de Jésus par le Sanhédrin » (55-64) et « Les valets se moquent de Jésus » (65). 1. JÉSUS ET PIERRE CHEZ LE GRAND PRÊTRE (Mc 14,53-54) COMPOSITION DU PASSAGE + 53 Et ils emmenèrent JÉSUS + chez le GRAND PRÊTRE ; = et se réunissent = et

tous les grands prêtres, les anciens et les scribes.

·······························································································

– 54 Et PIERRE de loin le suivit – jusqu’à l’intérieur dans la cour du GRAND PRÊTRE ; - et il était assis - et se chauffait

avec les valets auprès du feu.

Le premier morceau (53) concerne Jésus, le second Pierre (54). Les premiers segments (53ab.54ab) sont parallèles entre eux. Leurs premiers membres présentent les personnages : « Jésus » et « Pierre » ; leurs seconds membres sont des compléments de lieu : le maitre et son disciple se dirigent vers le même endroit, mais, tandis que Jésus est emmené « auprès du Grand Prêtre » lui-même, Pierre reste « dans la cour du Grand Prêtre ». Les seconds segments (53cd.54cd) décrivent tous deux une réunion : celle des sanhédrites autour de Jésus d’abord, puis celle de Pierre qui se joint aux valets. COMPARAISON SYNOPTIQUE (voir Mt 26,57-58, p. 194) Les différences entre les deux récits sont notables : — Mc ne reprend pas les premiers mots de Mt, « Eux, s’étant emparés de » (26,57a) ; — au contraire de Mt 26,57c, Mc ne précise pas le nom du Grand Prêtre ; — Mc 14,53de énumère les trois composantes du Sanhédrin (« grands prêtres, anciens et scribes ») alors que Mt omet les grands prêtres ; Mc précise en outre que « tous » sont là, ce que ne fait pas Mt ; — ce sont surtout les finales qui sont différentes : si pour les deux évangélistes, Pierre était « assis avec les valets » (Mt 26,58e et Mc 14,54d), Mc ajoute qu’il « se chauffait auprès du feu » (14,54e), tandis que Mt précise que c’était « pour voir la fin » (26,58f). L’effet global de toutes ces variations de détail est que les deux constructions finissent par être tout à fait différentes : alors que chez Mt c’est une succession de trois segments trimembres qui montre comment Pierre passe progressivement d’un côté à l’autre, chez Mc l’organisation en deux morceaux parallèles bien distincts souligne plus directement l’opposition : chacun des deux morceaux

selon saint Marc (Mc 14,53–15,20)

223

s’achève sur la description des deux groupes : Jésus et les responsables du peuple d’un côté, Pierre et leurs valets de l’autre. Chez Mt, l’impression de tension est beaucoup plus perceptible : en effet, chacun des segments s’achève sur une idée de finalité : on va chez Caïphe pour une réunion du Sanhédrin (57), Pierre veut suivre Jésus mais s’arrête dans la cour (58abc), il entre pour voir la fin (58def). Et tout culmine sur le dernier mot, « la fin » (telos). La différence est aussi marquée par les constructions syntaxiques : tandis que Mc se contente de coordonner ses phrases, Mt les subordonne. Enfin, alors que Mc pose cette scène en commençant, comme un passage en lui-même, Mt le combine avec l’épisode suivant, celui des faux témoins, ce qui a pour effet de rapprocher les faux témoins de Pierre. Mt 26,57-58 57

Mc14,53-54

Or eux, s’étant emparés de JÉSUS, l’EMMENÈRENT CHEZ Caïphe LE GRAND PRÊTRE, où LES SCRIBES ET LES ANCIENS se rassemblèrent.

53

·····························································

·····························································

58

54

Or PIERRE LE SUIVAIT DE LOIN JUSQU’À LA COUR DU GRAND PRÊTRE. Et étant entré À L’INTÉRIEUR, IL S’ASSIT AVEC LES VALETS, pour voir la fin.

Et

ILS EMMENÈRENT JÉSUS CHEZ LE GRAND PRÊTRE

; et se réunissent tous les grands prêtres, et LES ANCIENS ET LES SCRIBES.

Et PIERRE DE LOIN LE SUIVIT JUSQU’À L’INTÉRIEUR dans LA COUR DU GRAND PRÊTRE

;

et IL ÉTAIT ASSIS AVEC LES VALETS et il se chauffait auprès du feu.

59 Les grands prêtres et le Sanhédrin toutentier cherchaient un faux-témoignage contre Jésus en vue de le faire-mourir. 60 Mais ils n’en trouvèrent pas, beaucoup de fauxtémoins s’étant (néanmoins) avancés.

·····························································

Finalement deux s’étant avancés, 61 dirent : « Celui-là a déclaré : “Je peux détruire le temple de Dieu et en trois jours (le) bâtir”. »

INTERPRÉTATION Tous ses disciples s’étant enfuis — même le jeune homme qui pour cela avait dû abandonner le drap dont il avait enveloppé sa nudité (14,50-52) —, seul Jésus est emmené pour comparaitre devant ses ennemis, les plus hautes autorités d’Israël, le Sanhédrin au grand complet (53cd), présidé par le Grand Prêtre en exercice lui-même (53b). Seul à s’être ravisé, Pierre, le premier des disciples, suit son maitre, « de loin » cependant (54a) ; mais il ne l’accompagne pas jusqu’au bout, il s’arrête dans la cour (54b) et se joint aux valets du Grand Prêtre (54c). Seul des Douze, il a eu le courage d’accompagner son maitre, se distinguant en quelque sorte des

224

Le jugement de Jésus

autres apôtres, mais c’est en définitive pour s’agréger à un nouveau groupe avec lequel, dans la nuit, il partage la chaleur du feu (54d). Aussi bien le disciple que le maitre sont seuls, malgré la présence de ceux avec qui ils ont été contraints de se trouver. Seuls, chacun de leur côté, parce que séparés dorénavant. L’étroite proximité des lieux, le palais du Grand Prêtre et la cour qui y conduit, ne fait que souligner davantage la séparation. Plus encore que la fraicheur des nuits de printemps à Jérusalem, c’est sans doute le froid du drame qui se noue qui pousse Pierre parmi les valets pour se chauffer à la flamme du feu. 2. JÉSUS COMPARAIT DEVANT LE SANHÉDRIN (Mc 14,55-64) COMPOSITION DU PASSAGE La première partie (55-59) rapporte les faux témoignages, la seconde (60-62) l’interrogatoire par le Grand Prêtre, la troisième (63-64) le verdict. Le premier morceau de la première partie est général, le second rapporte un faux témoignage particulier. Au centre du premier (55c), le but poursuivi. Les deux morceaux s’achèvent par un segment analogue (56b.59). On pourra voir une opposition complémentaire entre le centre du premier morceau (55c) qui annonce la mort de Jésus et la fin de la prophétie attribuée à Jésus (58c) qui annonce sa résurrection. Les deux sous-parties de la deuxième partie commencent par des questions du Grand Prêtre, introduites par des phrases de récit parallèles ; suivent les réactions de Jésus, silence en 61ab, paroles en 62. De même que le Grand Prêtre utilise « le Béni » pour éviter de prononcer le nom ineffable de Dieu, ainsi Jésus emploie deux autres noms de Dieu : « la Puissance » et « le Ciel ». La troisième partie (63-64) comprend la question du Grand Prêtre (63-64b) suivie de la réponse (64cd). Les parties extrêmes se répondent : il y est question de « tout le Sanhédrin » au début (55a) et de « tous » à la fin (64c) ; dans la partie centrale au contraire tout se passe entre Jésus et le seul Grand Prêtre. Les témoignages recherchés dans la première partie ne servent plus à rien dans la dernière partie (63b). La « mort » de Jésus décrétée à la fin (64d) avait en réalité déjà été décidée au début (« le faire-mourir » en 55c) ; il manquait seulement au Sanhédrin une raison juridique pour prononcer la peine. Les deux sous-parties de la partie centrale renvoient aux parties qui l’encadrent : la première se rapporte aux faux témoignages de la première partie (reprise de « témoigner » en 60d), la seconde prépare la condamnation de dernière partie : les déclarations de Jésus en 62 sont qualifiées par le Grand Prêtre de « blasphème » en 64a.

selon saint Marc (Mc 14,53–15,20)

225

+ 55 Or les grands prêtres et TOUT le Sanhédrin : cherchaient contre Jésus un témoignage pour le faire-MOURIR, : mais ils n’en trouvaient pas ; + 56 car BEAUCOUP témoignaient-faussement contre lui, • mais

leurs témoignages

n’étaient pas

identiques.

················································································································

+ 57 Et certains s’étant levés, + témoignaient-faussement contre lui disant que : + 58 « Nous, nous l’avons entendu dire que : “Moi, je détruirai ce temple-ci fait-de-mains(-d’hommes) : et en trois jours un autre non- fait-de-mains(-d’hommes) je rebâtirai”. » • 59 Mais même ainsi = 60 Et s’étant levé = interrogea Jésus

leur témoignage

n’était pas

identique.

le Grand Prêtre au milieu, disant :

: « Tu ne réponds rien ? : Qu’est-ce que ceux-ci témoignent contre toi ? ·····································································

- 61 Mais lui se taisait - et ne répondait rien. = De nouveau = et lui : « Toi, es-tu : le Fils du Béni ? »

le Grand Prêtre l’interrogeait dit : le Christ ?

·····································································

- 62 Or Jésus dit : . « Je (le) suis, . et vous verrez “le Fils de l’homme . assis à la droite de la Puissance” . et “venant avec les nuées du Ciel ” ! » + 63 Or le Grand Prêtre ayant déchiré ses tuniques, dit : • « Qu’avons-nous encore besoin de témoins ? 64 Vous avez entendu le blasphème. • Que vous (en) parait-il ? » ················································································································

+

Or eux TOUS décrétèrent . qu’il était passible de MORT.

226

Le jugement de Jésus Mt 26,57-61 et 62-68

Mc 14,55-64

57

Or eux, s’étant emparés de Jésus, l’emmenèrent chez Caïphe le Grand Prêtre où les scribes et les anciens se rassemblèrent. 58 Or Pierre le suivait de loin jusqu’à la cour du Grand Prêtre et, étant entré à l’intérieur, il s’assit avec les valets, pour voir la fin.

53 Et ils emmenèrent Jésus chez le Grand Prêtre ; et se réunissent tous les grands prêtres, et les anciens et les scribes. 54 Et Pierre de loin le suivit jusqu’à l’intérieur dans la cour du Grand Prêtre ; et il était assis avec les valets et il se chauffait auprès du feu.

59

OR LES GRANDS PRÊTRES ET LE SANHÉDRIN TOUT-ENTIER CHERCHAIENT UN faux-TÉMOIGNAGE CONTRE JÉSUS en vue de LE FAIRE-MOURIR. 60 MAIS ILS N’EN TROUVÈRENT PAS, BEAUCOUP DE FAUX-TÉMOINS s’étant (néanmoins) avancés.

55

····························································· Finalement deux S’ÉTANT avancés,

mais leurs témoignages n’étaient pas identiques. ····························································· 57 Et certains, S’ÉTANT levés, témoignaient-faussement contre lui, 58 DISANT que : « Nous, nous l’avons entendu dire que “Moi, JE DÉTRUIRAI CE TEMPLE-ci fait-de-mains(-d’hommes) ET EN TROIS JOURS un autre non-fait-de-mains(-d’hommes) je REBÂTIRAI”. » 59 Mais même ainsi leur témoignage n’était pas identique.

61

DIRENT : « Celui-là a déclaré : “Je peux DÉTRUIRE LE TEMPLE de Dieu ET EN TROIS JOURS

(le) REBÂTIR”. »

62

ET S’ÉTANT LEVÉ, LE GRAND PRÊTRE lui DIT : « TU NE RÉPONDS RIEN ? QU’EST-CE QUE CEUX-LÀ TÉMOIGNENT CONTRE TOI ? » +

63

OR Jésus SE TAISAIT.

+ Et LE GRAND PRÊTRE

OR LES GRANDS PRÊTRES ET LE SANHÉDRIN TOUT-ENTIER CHERCHAIENT CONTRE JÉSUS UN TÉMOIGNAGE pour LE FAIRE-MOURIR, 56 MAIS ILS N’EN TROUVAIENT PAS ; car BEAUCOUP TÉMOIGNAIENT-FAUSSEMENT contre lui,

+ 60 ET S’ÉTANT LEVÉ LE GRAND PRÊTRE au milieu, interrogea Jésus DISANT : « TU NE RÉPONDS RIEN ? QU’EST-CE QUE CEUX-CI TÉMOIGNENT CONTRE TOI ? ····························································· 61 OR lui SE TAISAIT et ne répondait rien. + De nouveau LE GRAND PRÊTRE l’interrogeait et LUI DIT :

: « Je t’adjure par le Dieu vivant de nous dire si TU ES LE CHRIST, LE FILS de Dieu. » ····························································· 64 JÉSUS lui DIT : « Tu (l’)as dit ! D’ailleurs je vous dis, désormais VOUS VERREZ “LE FILS DE L’HOMME ASSIS À LA DROITE DE LA PUISSANCE” ET “VENANT sur LES NUÉES DU CIEL”. »

« Toi, ES-TU LE CHRIST, LE FILS du Béni ? » ····························································· 62 Or JÉSUS DIT : « Je (le) suis, et VOUS VERREZ “LE FILS DE L’HOMME ASSIS À LA DROITE DE LA PUISSANCE” ET “VENANT avec LES NUÉES DU CIEL” ! »

65

63

LUI DIT

Alors LE GRAND PRÊTRE DÉCHIRA SES vêtements DISANT : « Il a blasphémé ! QU’AVONS-NOUS ENCORE BESOIN DE TÉMOINS ?

Or LE GRAND PRÊTRE ayant DÉCHIRÉ SES tuniques, DIT : « QU’AVONS-NOUS ENCORE BESOIN DE TÉMOINS

?

Voilà maintenant VOUS AVEZ ENTENDU LE BLASPHÈME 66 QUE VOUS EN semble ? »

!

64

VOUS AVEZ ENTENDU LE BLASPHÈME. QUE VOUS EN parait-il ? » ·····························································

OR EUX répondant dirent : « IL EST PASSIBLE DE MORT. »

OR EUX tous décrétèrent que IL EST PASSIBLE DE MORT.

67

65 Et certains se mirent à cracher sur lui et à lui voiler le visage et à le gifler et à lui dire : « Prophétise ! » Et les valets avec des coups le prirent.

Alors on lui cracha au visage et on le gifla. Or eux (le) fustigèrent, 68 disant : « Prophétise pour nous, Christ ! Quel est celui qui t’a frappé ? »

selon saint Marc (Mc 14,53–15,20)

227

COMPARAISON SYNOPTIQUE (voir Mt 26,57-61, p. 194.197 et Mt 26,62-68, p. 197) Le passage de Mc correspond à la deuxième partie du premier passage de Mt (26,59-61) et à la presque totalité du second passage de Mt (26,62-66). La première partie de Mc (14,55-59) est nettement plus développée que son parallèle chez Mt. Les différences majeures sont les suivantes : — Mc insiste sur le fait que les témoignages n’ont aucune valeur juridique, puisqu’ils ne concordent pas : la double occurrence de « mais [...] leurs témoignages n’étaient pas identiques » de Mc 14,56c et de 59ab n’a aucun équivalent chez Mt ; — Mt ne dit pas que le dernier témoignage (26,60c-61) est faux ; au contraire, ses « deux » témoins1 (26,60c ; Mc est moins précis qui parle de « certains » en 14,57a), disent exactement la même chose : leur témoignage est donc concordant ; — Mc oppose deux temples : celui qui est « fait de mains d’hommes » et « un autre non fait de mains d’hommes » en 14,58 ; chez Mt, il s’agit du même temple « de Dieu » que Jésus aurait dit pouvoir détruire puis rebâtir ; — enfin, tandis que Mt évoque la destruction du temple comme une éventualité, ou plutôt comme un pouvoir, que Jésus aurait revendiqué (26,61b), Mc la présente comme un fait qui se réalisera (« Je détruirai », au lieu de « Je peux détruire »). La partie centrale du passage de Mc (14,60-62) correspond à la première partie du second passage de Mt (26,62-64) ; les différences sont minimes : — en Mc 14,60ab et 61bc, le parallélisme est très marqué dans les phrases de récit qui introduisent les deux questions du Grand Prêtre ; en Mt 26,62ab et 63bc, le parallélisme est aussi nettement marqué, bien que d’une façon différente : Mt n’a pas « au milieu » dans sa première phrase, il n’a pas « de nouveau » dans sa deuxième phrase, enfin et surtout il n’a pas les deux occurrences de « interroger », ce qui semble souligner davantage le caractère officiel des questions ; — cela est pour ainsi dire compensé par le fait que, en Mt 26,63de, la deuxième question du Grand Prêtre commence par une adjuration solennelle, absente de Mc 14,61 ; — Mc redouble le simple « Jésus se taisait » de Mt 26,63a, par « et ne répondit rien » (Mc 14,61a) ; — enfin, la réponse de Jésus est plus directe en Mc 14,62b (« Je le suis ») qu’en Mt 26,64a (« Tu l’as dit »). La troisième partie du passage de Mc (14,63-64) est parallèle à la partie centrale du second passage de Mt (26,65-66a) et au premier segment de sa dernière partie (Mt 26,66bc) ; le récit des moqueries qui fait partie du second passage de Mt (26,67-68) constituera un passage en lui-même chez Mc (voir, p. 229) : — en 14,63, Mc ne reprend pas la première phrase de Mt 26,65b, « Il a blasphémé » ; — contrairement à Mt 26,66b, Mc 14,64c précise que cette réponse est donnée par « tous », ce qui fait inclusion avec « le Sanhédrin tout-entier » de 55ab ; — en outre, au lieu du simple « ils dirent » de Mt 26,66b, Mc 14,64c utilise le verbe « décréter » qui est plus fort et confère à la réponse une valeur juridique qui ne se trouve pas chez Mt.

1

C’est le minimum requis par la Loi pour qu’un témoignage soit valable : voir Dt 19,15.

228

Le jugement de Jésus

Toutes ces différences ont certes leur importance, mais ce qui est encore plus significatif est l’organisation et d’abord le découpage du matériel. En effet, ce qui est organisé en deux passages chez Mt, l’est en trois chez Mc. Mc 14,53-65

Mt 26,57-68 Jésus conduit chez Caïphe et Pierre assis avec les valets

57-58

Jésus conduit chez le Grand Prêtre et Pierre assis avec les valets 53-54

Faux témoins

59-61

Faux témoins

55-59

Interrogatoire par le Grand Prêtre et condamnation de Jésus 62-66a

Interrogatoire par le Grand Prêtre et condamnation de Jésus 60-64

Les valets se moquent de Jésus

Les sanhédrites et les valets juifs se jouent de Jésus

66b-68

65

L’équivalent de la première partie du second passage de Mc sur les faux témoins (à savoir 14,55-59) est intégré au premier passage de la séquence de Mt (26,57-61), ce qui a pour effet de mettre en parallèle Pierre et les faux témoins. Quant au second passage de Mt (26,62-68), il comprend les deux dernières parties du second passage de la séquence de Mc (14,60-64), mais aussi l’équivalent du troisième passage de Mc (14,65), à savoir la scène des outrages. Les découpages étant différents, il s’ensuit évidemment que les rapports significatifs entre les éléments symétriques seront eux aussi différents. INTERPRÉTATION Un simulacre d’instruction Les sanhédrites intentent un procès contre Jésus, mais leur décision est déjà prise, avant même le début de l’instruction, de condamner à mort l’inculpé (55c). Ils entendent néanmoins que le procès ait toutes les apparences de la légalité. Ils font donc appel à des témoins qui pourraient fournir des preuves de la culpabilité de Jésus (55b). Cette procédure ne donnant rien, puisque les témoignages ne concordent pas (56b.59), il leur faudra trouver un autre moyen pour arriver à leurs fins. Le Grand Prêtre en personne prend donc l’affaire en mains et passe à l’interrogatoire de Jésus lui-même (60). Il essaie d’abord de le faire réagir sur les témoignages qui ont été portés contre lui, en particulier contre le dernier (60cd) : en effet, celui qui aurait prononcé les paroles attribuées à Jésus au sujet de la Maison de Dieu (58) serait passible de la plus lourde peine, puisqu’il se serait montré l’adversaire de tout l’ordre établi et prônerait l’établissement d’un autre système religieux. Pour les garants de cet ordre, s’attaquer au temple ce serait

selon saint Marc (Mc 14,53–15,20)

229

s’en prendre directement au Dieu dont il est la résidence. Jésus refusant d’entrer dans le jeu menteur de ses adversaires (61ab), il faut bien en venir à la vraie question : « Es-tu le Christ, le fils du Béni ? » (61ef). La réponse de Jésus est aussi claire (62) que la demande était directe (61ef). C’est alors aussitôt l’accusation de blasphème (64a), sans discussion, sans requête de preuves, et la sentence de mort (64cd). Le témoignage Pour atteindre leur but, les membres du Sanhédrin cherchent des gens qui pourraient témoigner contre Jésus (55). Mais, en fin de compte, il n’y aura qu’un seul témoin de la vérité et ce sera Jésus. Il n’hésite pas une seconde à le faire (62), alors que jusqu’ici il avait été si discret sur ce point. Maintenant que l’issue ne fait aucun doute, il n’y a plus aucun risque que quiconque se méprenne sur la véritable nature de sa royauté. Annonçant sa glorification comme Fils de l’homme (62c), il est clair, de par la situation désespérée où il se trouve, que le Messie devra d’abord passer par la souffrance et par la mort (64d) pour parvenir à la gloire. 3. LES JUIFS SE MOQUENT DE JÉSUS (Mc 14,65) COMPOSITION DU PASSAGE + 65 Et certains

se mirent à cracher sur lui :: et à VOILER - et à gifler :: et à DIRE

+ Et les valets

DE LUI

LE VISAGE

lui À LUI :

« PROPHÉTISE ! »

avec des coups le prirent.

Les segments extrêmes (65a.65e) mettent en parallèle deux sortes de personnages, « certains » et « les valets » ; ce qui laisse entendre que les premiers personnages, qui ne sont donc pas des valets, sont des membres du Sanhédrin dont il était question jusqu’ici. Au centre (65bcd), un segment trimembre où l’appel à la prophétie en troisième position correspond à l’imposition du voile en première position.

230

Le jugement de Jésus

COMPARAISON SYNOPTIQUE (voir Mt 26,66b-68, p. 197) Mt 26,66b-68 66b

Mc 14,65

Or eux répondant dirent : « Il est passible de mort. » 67

Alors on lui CRACHA au VISAGE ET on LE GIFLA. Or eux (le) FUSTIGÈRENT, 68 DISANT : « PROPHÉTISE pour nous, Christ ! Quel est celui qui t’a frappé ? »

65

Et certains se mirent à CRACHER sur lui

et à lui voiler le VISAGE à LE GIFLER et à lui DIRE : « PROPHÉTISE ! » Et les valets avec DES COUPS le prirent. ET

Mc distingue deux catégories de personnages qui molestent Jésus : « certains » (14,65a) et « les valets » (65e). Mt distingue aussi deux catégories de personnages ; cependant, selon l’analyse et l’interprétation adoptées, les sanhédrites n’auraient pas porté la main sur Jésus, mais seulement leurs valets. — Mc introduit le voile (65b) qui doit empêcher Jésus de reconnaitre par la vue ceux qui le giflent ; Mt n’aurait pas eu besoin du voile, dans la mesure où ce sont des valets, inconnus de Jésus, qui le giflent. — Au contraire de Mt qui explicite : « Quel est celui qui t’a frappé ? » (26,68c), Mc ne précise pas quelle est la prophétie qu’ils demandent (14,65d). En outre, selon Mc, les adversaires de Jésus ne reprennent pas l’appellation « Christ » de Mt 26,68b. « Fustigèrent » de Mt 26,67c et « coups » de Mc 14,65e sont de même racine. INTERPRÉTATION Il est certainement odieux de maltraiter physiquement un condamné sans défense (65e) et de l’humilier en lui crachant dessus (65a), mais il est franchement pervers de demander à quelqu’un de voir et de prophétiser en prenant soimême les moyens de l’en empêcher (65bcd). Si bien que l’on peut se demander qui, de Jésus ou de ses adversaires, est réellement aveuglé. 4. LE PROCÈS DEVANT LE SANHÉDRIN (Mc 14,53-65) COMPOSITION DE LA SOUS-SÉQUENCE Les passages extrêmes sont très courts, alors que le passage central est beaucoup plus long. Le premier et le dernier passage sont parallèles entre eux : le même mot de « valets » apparait dans leurs seconds morceaux (54b.65c), valets auxquels Pierre s’est joint au début ; le premier morceau du premier passage (53) énumère les trois catégories de membres du Sanhédrin (« grands prêtres, anciens et

selon saint Marc (Mc 14,53–15,20)

231

scribes ») et, comme on l’a vu plus haut (voir p. 229), « certains » de 65a sont probablement des sanhédrites et non pas leurs valets. : 14,53 Et ils emmenèrent Jésus auprès du Grand Prêtre, : et tous les grands prêtres, les anciens et les scribes se réunissent. – 54 Pierre le suivit de loin, jusqu’à l’intérieur, dans la cour du Grand Prêtre, – et il était ASSIS AVEC les valets et se chauffait auprès du feu. 55

Les grands prêtres et le Sanhédrin entier cherchaient contre Jésus un témoignage pour le faire mourir, mais ils n’en trouvaient pas. 56 Beaucoup en effet témoignaient faussement contre lui mais leurs témoignages n’étaient pas concordants. 57

Certains s’étant levés, témoignaient faussement contre lui en disant : 58 « Nous l’avons entendu DIRE : “Je détruirai ce sanctuaire-ci fait de mains d’hommes et en trois jours j’en rebâtirai un autre non fait de mains d’hommes”. » 59 Mais même ainsi, leur témoignage n’était pas concordant. 60

Le Grand Prêtre, s’étant levé au milieu, interrogea Jésus disant : « Tu ne réponds rien ? Qu’est-ce que ceux-ci témoignent contre toi ? 61 Mais lui se taisait et ne répondait rien. De nouveau le Grand Prêtre l’interrogeait et lui dit : « Es-tu le Christ, le Fils du Béni ? » 62 JÉSUS DIT : « Je le suis, et “vous verrez le Fils de l’homme ASSIS à la droite de la Puissance” et “venant AVEC les nuées du Ciel” ! » 63

Ayant déchiré ses tuniques, le Grand Prêtre dit : « Qu’avons-nous encore besoin de témoins ? 64 Vous avez entendu le blasphème. Que vous en parait-il ? » Tous décrétèrent qu’il était passible de mort. : 65 Et certains se mirent à cracher sur lui : et à lui voiler le visage et à le gifler et à lui dire : « PROPHÉTISE ! » – Et les valets s’en prirent à lui avec des coups.

Le lien formel qui relie le premier passage au passage central est la reprise de « assis » et de « avec » en 54 et en 62 (au lieu de « avec les nuées du ciel », Mt a « sur les nuées du ciel »). Le lien entre le dernier passage et le passage central n’est pas marqué par des reprises lexicales ; cependant, le « Prophétise » de 65b renvoie aux deux prophéties de Jésus, celle qui lui est attribuée faussement en 58 et celle qu’il prononce lui-même en 62.

232

Le jugement de Jésus

COMPARAISON SYNOPTIQUE (voir Mt 26,57-75, p. 203) Mt 26,57-75

Mc 14,53-65

Jésus conduit chez Caïphe et Pierre assis avec les valets

57-58

= Faux témoins

59-61

Interrogatoire par le Grand Prêtre Condamnation de Jésus

Moqueries des valets

= Reniements de Pierre

Jésus conduit chez le Grand Prêtre et Pierre assis avec les valets 53-54 Faux témoins Interrogatoire par le Grand Prêtre Condamnation de Jésus 55-64

62-68

Les sanhédrites et les valets juifs se jouent de Jésus

69-75

Reniements de Pierre

65

66-72

Cette sous-séquence de Mc comprend l’arrivée de Jésus chez le Grand Prêtre (14,53-54), sa comparution devant le Sanhédrin (55-64) ainsi que la scène des outrages (65). La première sous-séquence de Mt intègre en outre le reniement de Pierre (Mt 26,69-75) qui est ainsi mis en parallèle avec les faux témoins de 59-61. INTERPRÉTATION Pierre et les valets Jésus qui a été condamné par les membres du Sanhédrin est moqué, insulté et souffleté par certains d’entre eux (65). Pierre qui s’était joint au groupe des valets (54) se range ainsi, même s’il ne s’en rend pas compte, du côté de ceux qui bourrent de coups son maitre. Il n’est plus disciple de Jésus ; il est devenu en quelque sorte un des valets du Grand Prêtre. Pierre et Jésus À la requête du Grand Prêtre, Jésus se présente comme le Messie et annonce sa future glorification, quand il sera assis à la droite de Dieu et qu’il viendra avec les nuées du ciel (62). Il sait que, ce disant, il signe son arrêt de mort. Pendant ce temps, celui que Jésus avait choisi entre tous pour le seconder, pour partager ses souffrances et sa gloire, Pierre est assis avec les valets des ennemis de son maitre et se chauffe auprès du feu (54). Parce qu’il a peur d’affronter la solitude et le froid de la nuit avec Jésus.

selon saint Marc (Mc 14,53–15,20)

233

Le prophète voilé Jésus vient de prophétiser son intronisation auprès de Dieu, comme Messie d’Israël (62). Mais les sanhédrites ne veulent pas écouter une telle prophétie. Ou plutôt ils sont heureux de l’entendre pour la retourner contre son auteur en l’accusant de blasphème (64). Les faux témoins rapportent des propos qu’ils attribuent à Jésus, une prophétie qu’il aurait prononcée (58), mais c’est aussi pour le confondre. Quand ensuite on le conspue et qu’on le soufflette, on lui demande de prophétiser (65). Mc ne dit pas qu’ils lui demandent de deviner qui l’a frappé et il ne faut peut-être pas interpréter Mc à la lumière de Mt et de Lc. Leur demande renvoie à la prophétie que Jésus vient de faire à la requête du Grand Prêtre (62). Jésus, qui a prédit sa glorification et son intronisation, est maintenant bafoué et maltraité, il est promis à une mort certaine : qu’il réitère donc sa prophétie ! Ils ne se rendent pas compte que, ce faisant, ils accomplissent la prophétie du serviteur souffrant d’Isaïe.

234

Le jugement de Jésus B. LE RENIEMENT DE PIERRE (Mc 14,66-72)

COMPOSITION DU PASSAGE : 66 Et comme Pierre était en bas dans la cour, : vient une des servantes du Grand Prêtre ; - 67 et voyant Pierre se chauffant, - l’ayant regardé, elle dit : AVEC LE NAZARÉEN tu étais, Jésus ! » ······························································································ – 68 Or il NIA en disant :

+ « Toi aussi,

:: « JE NE CONNAIS

ni ne comprends CE QUE TU DIS. » ··························································································

= Et il sortit dehors vers le vestibule = ET UN COQ CHANTA. : 69 Et la servante l’ayant vu, : se mit de nouveau à dire à ceux qui se tenaient-auprès que : D’ENTRE EUX ! » ················································································· – 70 Or lui de nouveau NIAIT.

+ « Celui-ci est

: Et un peu après, de nouveau, : ceux qui se tenaient-auprès disaient à Pierre : + « Vraiment tu es + et en effet tu es

D’ENTRE EUX,

Galiléen ! »

······························································································

– 71 Or lui se mit à maudire et à jurer : :: « JE NE CONNAIS pas cet homme

QUE VOUS DITES. » ··························································································

= 72 Et aussitôt pour = UN COQ CHANTA.

,

: Et Pierre se souvint de la parole : comme lui avait dit Jésus que : . « Avant qu’UN COQ CHANTE . trois fois

, tu m’auras renié. »

: et, s’enfuyant, : il pleurait.

La première partie (66-72b) rapporte les trois reniements de Pierre, la seconde, beaucoup plus courte (72c-h) son repentir. La première partie comprend trois sous-parties, les sous-parties extrêmes plus longues (66-68 ; 70b-72b), la sous-partie centrale plus brève (69-70a). Les sous-

selon saint Marc (Mc 14,53–15,20)

235

parties extrêmes sont parallèles entre elles : accusation, reniement et chant du coq. La sous-partie centrale est très abrégée. COMPARAISON SYNOPTIQUE (voir Mt 26,69-75, p. 199) Mt 26,69-75 69

Or PIERRE était-assis dehors DANS LA et s’avança-vers lui UNE SERVANTE

COUR

EN DISANT : « TOI AUSSI, TU ÉTAIS AVEC JÉSUS le Galiléen. »

Mc 14,66-72 66

Et comme PIERRE était en bas DANS LA vient UNE des SERVANTES du Grand Prêtre ; 67 et voyant Pierre se chauffant, l’ayant regardé, ELLE DIT : « TOI AUSSI, AVEC le Nazaréen TU ÉTAIS, JÉSUS ! » COUR,

····························································· 70

OR IL NIA devant tous EN DISANT : « JE NE CONNAIS PAS CE QUE TU DIS. »

68

·····························································

·····························································

71

Et IL SORTIT dehors VERS LE vestibule et un coq chanta.

Or, LUI-ÉTANT-SORTI VERS LE porche

une autre LE VIT et DIT À CEUX QUI (étaient) là : « CELUI-CI ÉTAIT avec Jésus le Nazoréen. » 72 Et DE NOUVEAU IL NIA avec serment que « Je ne connais pas l’homme. »

OR IL NIA EN DISANT : « JE NE CONNAIS, ni ne comprends CE QUE TU DIS. »

69

Et la servante L’AYANT VU, se mit de nouveau à DIRE À CEUX QUI se tenaient-auprès : que : « CELUI-CI EST d’entre eux ! » 70 Or lui DE NOUVEAU NIAIT.

····························································· 73

Or UN PEU APRÈS, s’avançant CEUX QUI SE TENAIENT (là) DIRENT À PIERRE : « EN VÉRITÉ, toi aussi TU ES D’ENTRE EUX ET EN EFFET ton parler te trahit. » 74 Alors IL SE MIT À MAUDIRE ET À JURER QUE « JE NE CONNAIS PAS L’HOMME. »

Et UN PEU APRÈS, de nouveau, CEUX QUI SE TENAIENT-auprès DISAIENT À PIERRE : « EN VÉRITÉ, TU ES D’ENTRE EUX, ET EN EFFET tu es Galiléen ! » ····························································· 71

Or lui SE MIT À MAUDIRE ET À JURER QUE « JE NE CONNAIS PAS cet HOMME que vous dites. » ·····························································

ET AUSSITÔT UN COQ CHANTA. 75

ET PIERRE SE SOUVINT DE LA PAROLE de JÉSUS AYANT DIT QUE : « AVANT QU’UN COQ CHANTE, TROIS FOIS TU M’AURAS NIÉ. » ET étant sorti dehors, IL PLEURA amèrement.

72

ET AUSSITÔT pour UN COQ CHANTA.

la deuxième fois,

ET PIERRE SE SOUVINT DE LA PAROLE comme LUI AVAIT DIT JÉSUS QUE : « AVANT QU’UN COQ CHANTE deux fois, TROIS FOIS TU M’AURAS RENIÉ. » ET, s’enfuyant, IL PLEURAIT.

Le récit de Mt est beaucoup plus régulier, les trois morceaux du reniement étant tout à fait parallèles entre eux. Mc est plus circonstancié que Mt au début de son récit (14,66-67b). Tandis que chez Mt Pierre est accusé deux fois d’être « avec Jésus » (26,69d.71d) et une seule d’être « d’entre eux » (26,73d), chez

236

Le jugement de Jésus

Mc c’est l’inverse : une accusation d’être « avec le Nazaréen, Jésus » (14,67c) et deux d’être « d’entre eux » (14,69c.70ef). Comme chez Mt, ce sont des femmes qui par deux fois accusent Pierre, puis « ceux qui se tenaient là » ; cependant, chez Mc il s’agit de la même servante lors du deuxième reniement (14,69a), alors que c’est « une autre » chez Mt (26,71b). Il est cependant une différence autrement plus importante et plus significative : chez Mt le coq ne chante qu’une seule fois, après que Pierre ait renié le Seigneur par trois fois (26,74cd) ; chez Mc le coq chante deux fois, la première fois après le premier reniement (68e), la deuxième fois après le troisième (72ab). Il s’ensuit évidemment que la formulation de la prophétie de Jésus dans la seconde partie changera (72ef). Le fait que, chez Mc, ce soit la même femme qui les deux premières fois accuse Pierre va sans doute dans le même sens : la récidive contribue à souligner davantage la culpabilité de l’Apôtre. INTERPRÉTATION Les premières différences signalées entre Mt et Mc ne semblent être que d’ordre stylistique et ne paraissent pas avoir de portée au niveau de l’interprétation. Il en va autrement en ce qui concerne le chant du coq. Le fait que le coq chante deux fois chez Mc (68e.72ab) souligne la culpabilité de Pierre et son endurcissement : bien que la prophétie de Jésus se soit déjà en partie réalisée au premier chant du coq après le premier reniement (68), Pierre persévère dans son péché en reniant encore son maitre par deux fois (70.71). Il faudra qu’il entende le second chant du coq (72) pour réaliser enfin à la fois que le Seigneur avait dit vrai et que lui-même s’était enfoncé dans son péché, malgré la prédiction de Jésus et le premier avertissement du coq.

selon saint Marc (Mc 14,53–15,20)

237

C. LE PROCÈS DEVANT LE GOUVERNEUR (Mc 15,1-20) La sous-séquence comprend trois passages : « Jésus est conduit chez le gouverneur » (15,1) ; « Jésus comparait devant le gouverneur » (2-15) ; « Les soldats romains se moquent de Jésus » (16-20). 1. JÉSUS EST CONDUIT CHEZ LE GOUVERNEUR (Mc 15,1) COMPOSITION DU PASSAGE 1

Et aussitôt, le matin, + ayant fait un conseil = avec les anciens

et les scribes

LES GRANDS PRÊTRES ET TOUT LE SANHÉDRIN,

+ ayant enchainé = ils l’emportèrent

et le -donnèrent

JÉSUS, À PILATE.

Après un unimembre qui indique le moment où se passe l’action (1a), ce court passage comprend deux segments bimembres qui rapportent les deux actions : le Sanhédrin tient conseil (1bc), Jésus est livré à Pilate (1de). À noter que ce sont « les grands prêtres » qui, étant sujets de toutes les propositions, s’opposent à « Jésus » ; ce sont eux qui d’abord réunissent l’autorité suprême d’Israël, « le Sanhédrin », et qui ensuite s’adressent à l’autorité romaine, « Pilate ». COMPARAISON SYNOPTIQUE (voir Mt 27,1-2, p. 216) Mt 27,1-2 1

Or LE MATIN étant venu, tinrent UN CONSEIL tous LES GRANDS PRÊTRES et LES ANCIENS du peuple

Mc 15,1 1

Et aussitôt, LE MATIN, ayant fait UN CONSEIL

LES GRANDS PRÊTRES avec LES ANCIENS

et les scribes et le Sanhédrin tout-entier,

contre Jésus afin de le faire-mourir. 2

Et l’AYANT ENCHAINÉ, ils l’emmenèrent ET LE -DONNÈRENT À PILATE le gouverneur.

Jésus, ils l’emportèrent ET LE -DONNÈRENT À PILATE. AYANT ENCHAINÉ

Mt 27,1 ne mentionne que « les grands prêtres et les anciens » mais il dit qu’ils sont « tous » là ; Mc énumère les trois composantes du Sanhédrin en ajoutant « les scribes » et il précise que « le Sanhédrin tout entier » est réuni. En revanche, Mc n’a pas « contre Jésus afin de le faire mourir » de Mt (qui constitue le centre de la construction de Mt).

238

Le jugement de Jésus

INTERPRÉTATION Bien qu’à la réunion de la nuit dans la maison du Grand Prêtre l’ensemble du Sanhédrin se soit rassemblé dans toutes ses composantes, « tous les grands prêtres, les anciens et les scribes » (14,53 ; voir p. 222), et que Jésus ait comparu devant « les grands prêtres et tout le Sanhédrin » (14,55), il fallait une autre assemblée, après le lever du jour, puisque le Sanhédrin ne pouvait siéger pour juger d’une affaire criminelle durant la nuit. Cependant, l’affaire étant entendue et en fait déjà jugée (14,64), cette deuxième réunion, qui n’a surement pas été longue, n’a besoin que d’être mentionnée en peu mots. L’essentiel est que les règles soient respectées à la lettre, même si la délibération n’est expédiée que pour la forme. Si tous les membres du conseil ont pris leur décision en commun, ce sont les grands prêtres qui mènent l’affaire ; et ils le font sans perdre de temps. 2. JÉSUS COMPARAIT DEVANT LE GOUVERNEUR (Mc 15,2-15) COMPOSITION DU PASSAGE Les quatre parties de ce passage sont organisées de manière parallèle. Dans la première partie (2-5) Jésus répond à la première question de Pilate (2), mais pas à la deuxième (4-5). Au centre (3), les grands prêtres accusent Jésus. Alors que dans la première partie Pilate interrogeait Jésus, dans la troisième (9-14) il interroge la foule. Les sous-parties extrêmes commencent par une question de Pilate (qualifiée de « réponse » : 9a.12a) concernant également le sort du « roi des Juifs » (9b.12b). Les deux morceaux de la dernière sous-partie (12-13 et 14) sont très clairement parallèles. En finale des parties extrêmes, 10 et 14ab s’opposent : tandis que Jésus n’a rien fait de « mal », les grands prêtres sont mus par la « jalousie ». Comme la première partie est focalisée sur les grands prêtres qui accusent Jésus devant Pilate (3), ainsi la troisième est elle aussi centrée sur les grands prêtres qui maintenant ameutent la foule (11). Ces deux sous-parties jouent donc le rôle de termes centraux. La seconde partie (6-8) est de construction concentrique : au début (6), l’énoncé de la coutume ; à la fin (8), la demande de la foule, où sont repris deux verbes de même racine, « réclamer » ; au centre (7), la présentation de Barabbas. Dans la dernière partie (15) Pilate accorde à la foule ce qu’elle était montée lui demander dans la deuxième partie : il « relâche » « Barabbas » (15b comme 6.7a).

selon saint Marc (Mc 14,53–15,20) + 2 Et l’interrogea :: « Toi

Pilate: tu es

– Or lui, lui répondant, dit : . « Toi 3

LE ROI DES JUIFS ?

239

»

tu (le) dis. »

Et l’accusaient LES GRANDS PRÊTRES beaucoup.

4

+ Or Pilate de nouveau :: « Tu ne réponds rien ?

l’interrogeait en disant : Vois tout ce dont ils t’accusent ! »

– 5 Or Jésus ne répondit plus rien, . de sorte que Pilate était étonné. - 6 Or à chaque fête, - celui qu’ils -réclamaient.

il leur relâchait un prisonnier,

7

Or il y avait le dit BARABBAS avec les émeutiers enchainé, ceux qui dans l’émeute avaient fait un meurtre.

- 8 Et, étant montée LA FOULE, - comme il faisait pour eux. + 9 Or Pilate leur :: « Voulez-vous

elle se mit à réclamer

répondit que je vous relâche

en disant : LE ROI DES JUIFS ? »

= 10 Il connaissait en effet que . par JALOUSIE les grands prêtres l’avaient -donné. 11

Or LES GRANDS PRÊTRES ameutèrent LA FOULE afin que ce soit plutôt BARABBAS qu’il leur relâche. + 12 Or Pilate de nouveau, :: « Que ferai-je donc (de celui)

répondant, que vous dites

leur disait : LE ROI DES JUIFS ? »

- 13 Or eux, de nouveau, crièrent : .. « Crucifie-le ! » ··············································································································

= 14 Or Pilate leur :: « Qu’a-t-il donc fait de MAL ? » -

Or eux, plus fort, .. « Crucifie-le ! »

crièrent :

- 15 Or Pilate voulant pour LA FOULE faire - leur relâcha BARABBAS, - et -donna JÉSUS, - l’ayant fait flageller,

disait :

ce qui (leur) convenait,

afin qu’il soit crucifié

240

Le jugement de Jésus Mt 27,11-26

Mc 15,2-15

11

Or Jésus fut placé devant le gouverneur le gouverneur L’INTERROGEA en disant : « C’EST TOI QUI ES LE ROI DES JUIFS ? » Or Jésus déclara : « C’EST TOI QUI (LE) DIS. » ET

2

ET Pilate L’INTERROGEA : « C’EST TOI QUI ES LE ROI DES JUIFS ? » Or lui, lui répondant, dit : « C’EST TOI QUI (LE) DIS. » 3

13

ET L’ACCUSAIENT LES GRANDS PRÊTRES beaucoup.

Alors PILATE LUI DIT : « TU n’entends pas TOUT CE DONT ILS témoignent contre toi ? » 14 Et il NE lui RÉPONDIT plus un mot sur RIEN, DE SORTE QUE le gouverneur ÉTAIT très ÉTONNÉ.

4 Or PILATE de nouveau L’interrogeait DISANT : « TU ne réponds rien ? Vois TOUT CE DONT ILS t’accusent ! » 5 Or Jésus NE RÉPONDIT plus RIEN, DE SORTE QUE Pilate ÉTAIT ÉTONNÉ.

15

6

OR À CHAQUE FÊTE le gouverneur avait coutume de RELÂCHER à la foule UN PRISONNIER, CELUI QU’ILS voulaient. 16 OR ils avaient alors un prisonnier fameux, dit [Jésus] BARABBAS.

OR À CHAQUE FÊTE, il leur RELÂCHAIT UN PRISONNIER, CELUI QU’ILS -réclamaient. 7 OR le dit BARABBAS était avec les émeutiers enchainé, ceux qui dans l’émeute avaient fait un meurtre. 8 Et, étant montée, la foule se mit à réclamer comme il faisait pour eux.

17

Comme ils étaient rassemblés, PILATE LEUR DIT : « Lequel VOULEZ-VOUS QUE JE VOUS RELÂCHE, [Jésus] Barabbas ou Jésus qui est dit Christ ? » 18 IL savait EN EFFET QUE C’ÉTAIT PAR JALOUSIE QU’ILS LE -DONNÈRENT.

9

Or PILATE LEUR répondit EN DISANT : « VOULEZ-VOUS QUE JE VOUS RELÂCHE le Roi des Juifs ? » 10 IL connaissait EN EFFET QUE C’ÉTAIT PAR JALOUSIE QUE les grands prêtres L’AVAIENT -DONNÉ.

19

Or comme il était assis au tribunal, sa femme lui envoya dire : « Qu’il n’y ait rien entre toi et ce juste ! car j’ai beaucoup souffert aujourd’hui en songe à cause de lui. » 20

OR LES GRANDS PRÊTRES et les anciens persuadèrent les FOULES AFIN QU’ elles demandent BARABBAS et qu’elles perdent Jésus.

11

OR LES GRANDS PRÊTRES ameutèrent la FOULE AFIN QUE ce soit plutôt BARABBAS qu’il leur relâche.

21

Or RÉPONDANT, le gouverneur leur dit : « Lequel des deux voulez-vous que je vous relâche ? » Or eux dirent : « Barabbas ».

······························································ 22

12

DIT

DISAIT

PILATE LEUR : « QUE FERAI-JE DONC DE Jésus qui est DIT Christ ? » Tous disent : « Qu’il soit CRUCIFIÉ ! »

Or PILATE, de nouveau, RÉPONDANT, LEUR : « QUE FERAI-JE DONC DE (celui) que vous DITES le Roi des Juifs ? » 13 Or eux, de nouveau, crièrent : « CRUCIFIE-le ! »

······························································

23

OR lui déclara : « QUEL MAL A-T-IL DONC FAIT ? » OR EUX PLUS FORT CRIAIENT disant : « Qu’il soit CRUCIFIÉ ! »

14

OR Pilate leur disait : « QU’A-T-IL DONC FAIT DE MAL ? » OR EUX PLUS FORT CRIÈRENT « CRUCIFIE-le ! »

24

OR PILATE voyant que rien ne servait, mais qu’il en résultait plutôt du tumulte, prit de l’eau et se lava les mains devant la foule en disant : « Je suis innocent de ce sang ! À vous de voir ! » 25 Et répondant, tout le peuple dit : « Son sang soit sur nous et sur nos enfants ! » 26

Alors

IL LEUR RELÂCHA BARABBAS. Or JÉSUS, L’AYANT FAIT FLAGELLER, IL LE -DONNA AFIN QU’IL SOIT CRUCIFIÉ.

15

OR PILATE voulant pour la foule faire ce qui (leur) convenait, LEUR RELÂCHA BARABBAS, et -DONNA JÉSUS, L’AYANT FAIT FLAGELLER, AFIN QU’IL SOIT CRUCIFIÉ.

:

selon saint Marc (Mc 14,53–15,20)

241

COMPARAISON SYNOPTIQUE (voir Mt 27,11-14, p. 208.210 ; Mt 27,15-26, p. 210) Ce qui chez Mc constitue un seul passage (15,2-15) est réparti en deux passages chez Mt : « Jésus se déclare devant le gouverneur » (27,11-14) et « Jésus Barabbas ou Jésus dit Christ » (27,15-26). La première partie du passage de Mc (15,2-5) est parallèle à Mt 27,11-14. Chacune des deux unités est de construction concentrique ; mais, alors que, chez Mc, l’épisode est centré sur la seule accusation des grands prêtres (15,3 ; voir p. 239), chez Mt, l’accent est mis sur le silence de Jésus (27,12 ; l’accusation est reléguée dans la temporelle, tandis que le silence fait l’objet de la principale ; Jésus est accusé non seulement par les grands prêtres, mais aussi par les anciens). À noter que Mc ne parle que de « Pilate », mais que Mt l’appelle trois fois « le gouverneur » (11a.11b.14b). Les trois autres parties du passage de Mc (15,6-15) sont parallèles au passage de Mt 27,15-26. Cependant, Mc ne rapporte ni l’intervention de la femme de Pilate (Mt 27,19) ni le lavement des mains (Mt 27,24-25). En outre, Mc est plus simple que Mt : la première question de Pilate est plus brève en Mc 15,9bc : Pilate propose de relâcher Jésus et n’offre pas l’alternative, comme le fait Mt (27,17d) ; de manière corrélative, les autorités n’envisagent que la libération de Barabbas en Mc 15,11b, tandis que chez Mt de nouveau les deux termes de l’alternative sont présentés à la foule (Mt 27,20cd) ; en 15,12-14, Mc est encore plus court qui ne reprend pas le premier échange entre Pilate et la foule de Mt (27,21). En revanche, Mc développe davantage sa deuxième partie (15,6-8), en détaillant la présentation de Barabbas et en précisant que la foule est montée pour réclamer une amnistie2, et il explique que la décision finale de Pilate est motivée par le désir de satisfaire la même foule (15,15ab). Tant et si bien que les deux constructions finissent par être bien différentes ; on notera que ce sont les grands prêtres et les anciens qui sont à l’œuvre chez Mt (27,12.20), tandis que ce sont les seuls grands prêtres chez Mc (15,3.11), mais que ces personnages sont également mis en valeur, aux centres de leurs constructions : Mt 27,12 (voir p. 208) et Mc 15,3 (voir p. 239) ; et de même Mc 15,11 (voir p. 239) comme Mt 27,20 (voir p. 210). INTERPRÉTATION En disant que Barabbas avait commis un meurtre (7c ; ce que ne fait pas Mt), Mc établit un rapport entre ce meurtre et celui de Jésus qui est finalement livré pour être crucifié (15d) ; ainsi les grands prêtres et la foule sont-ils présentés en parallèle avec le meurtrier Barabbas. En parlant d’une part de « l’émeute » à laquelle Barabbas avait participé avec d’autres « émeutiers » (7), et d’autre part 2 Certains historiens voient dans l’utilisation par Mc du verbe « monter » une raison de localiser la résidence de Pilate dans le palais d’Hérode, en ville haute (près de l’actuelle porte de Jaffa), et non pas à la forteresse de l’Antonia, à l’angle de l’esplanade du temple, près du lieu où se situe aujourd’hui l’arc et le couvent de l’Ecce Homo.

242

Le jugement de Jésus

en disant que des grands prêtres « ameutèrent » la foule (11a ; Mt utilise « persuader » qui est plus neutre)3, Mc suggère que les grands prêtres se comportent comme des émeutiers. 3. LES SOLDATS ROMAINS SE MOQUENT DE JÉSUS (Mc 15,16-20) COMPOSITION DU PASSAGE Dans les segments extrêmes (16.20cd), s’opposent les verbes « emmener-àl’intérieur » et « conduire-dehors » ; dans les segments 17 et 20ab, on le revêt puis le dévêt de « la pourpre ». Le morceau central (18-19) est focalisé sur les gestes de mépris de 19a, encadrés par les deux gestes d’allégeance au roi (18a. 19b). + 16 Les soldats L’EMMENÈRENT-À-L’INTÉRIEUR de la cour, – et ils convoquent toute la cohorte. : 17 ILS LE REVÊTENT DE POURPRE

ce qui est le prétoire,

et ils lui mettent, l’ayant tressée, une couronne épineuse.

··············································································································

= 18 Et ils se mettent à le saluer : 19

Et ils lui frappaient la tête avec un roseau = Et, fléchissant les genoux,

« Salut, Roi des Juifs ! » et ils crachaient sur lui. ils se prosternaient devant lui.

··············································································································· 20

:

ILS LE DÉVÊTIRENT DE LA POURPRE

Et quand ils se furent moqués de lui, et le revêtirent de ses vêtements.

+ Et ils LE CONDUISENT-DEHORS – afin qu’ils le crucifient.

COMPARAISON SYNOPTIQUE (voir Mt 27,27-31, p. 296) Le récit parallèle de Mt 27,27-31 reprend pratiquement les mêmes éléments. Cependant, à son habitude, Mt est plus précis et plus conséquent que Mc : puisqu’au verset 31 il dira que les soldats « le revêtirent de ses vêtements », il note que, avant de travestir Jésus en roi, les soldats l’avaient d’abord « dévêtu » (28a), ce que Mc n’a pas jugé nécessaire de préciser ; il appelle le vêtement rouge dont on affuble Jésus une « chlamyde » (28b.31b), c’est-à-dire le manteau rouge des soldats, tandis que Mc l’appelle « pourpre » (17b) : les commentateurs font remarquer qu’il est fort improbable que Jésus ait été revêtu de pourpre car c’était un tissu très cher que des soldats n’avaient surement pas à leur disposition ; dans la chlamyde écarlate, Mc voit la pourpre du vêtement royal que l’on simule. Mc se contente de dire que les soldats frappent Jésus avec un roseau 3 La traduction a voulu conserver le rapport de paronomase entre « émeutiers » (stasiastōn) et « émeute » (stasei) d’une part, et « ameutèrent » (aneseisan) d’autre part.

selon saint Marc (Mc 14,53–15,20)

243

(19ab) ; Mt en fait d’abord un simulacre de sceptre (29d). Au-delà de ces questions de détail qui ne touchent pas au fond, Mt a adopté une disposition qui lui permet de centrer son texte, non pas sur les coups et les crachats (comme Mc : voir p. 242), mais sur le geste d’allégeance adressé au Roi des Juifs (voir p. 296). Mt 27,27-31 27 Alors LES SOLDATS du gouverneur, prenant-avec (eux) Jésus dans LE PRÉTOIRE, amenèrent contre lui LA COHORTE TOUTE-ENTIÈRE. 28 Et l’ayant dévêtu, d’une chlamyde écarlate ils l’enveloppèrent.

Mc 15,16-20 16

Or LES SOLDATS l’emmenèrent à l’intérieur de la cour, ce qui est LE PRÉTOIRE, et ils convoquent LA COHORTE TOUTE-ENTIÈRE. 17

Ils le revêtent de pourpre

····························································· 29

ET AYANT TRESSÉ UNE COURONNE d’épines, ILS (la) MIRENT-sur sa tête et UN ROSEAU dans sa droite. ET, s’agenouillant DEVANT LUI,

ET ILS lui METTENT, L’AYANT TRESSÉE, UNE COURONNE épineuse.

····························································· 18

ils se jouèrent de lui en disant : « SALUT, ROI DES JUIFS ! » 30 ET CRACHANT SUR LUI, ils prirent le ROSEAU ET FRAPPAIENT sur sa TÊTE.

Et ils se mettent à le saluer : « SALUT, ROI DES JUIFS ! » 19 ET ILS lui FRAPPAIENT la TÊTE avec UN ROSEAU ET ILS CRACHAIENT SUR LUI. ET, fléchissant les genoux, ils se prosternaient DEVANT LUI.

·····························································

·····························································

31

20

ET QUAND ILS SE FURENT JOUÉS DE LUI, ILS LE DÉVÊTIRENT DE LA chlamyde ET LE REVÊTIRENT DE SES VÊTEMENTS ET ILS L’emmenèrent pour (le) CRUCIFIER.

ET QUAND ILS SE FURENT JOUÉS DE LUI, ILS LE DÉVÊTIRENT DE LA pourpre ET LE REVÊTIRENT DE SES VÊTEMENTS. ET ILS LE conduisent-dehors afin qu’ils le CRUCIFIENT.

INTERPRÉTATION Les Juifs sont moqués avec leur Roi Comme il arrive si souvent quand le chef de la nation vaincue tombe entre les mains de ses vainqueurs, il est contraint d’endosser toute la haine et tout le mépris que vaut à son peuple sa défaite. En se jouant de Jésus, les soldats d’occupation méprisent aussi par le fait même le peuple dont il est le roi dérisoire : « Salut, Roi des Juifs ! » (18). La pourpre royale dont est affublé le condamné (17) n’est en réalité que le manteau écarlate des soldats ennemis, trahissant la domination étrangère qu’ils font peser sur tous ses compatriotes. Ils n’ont pas besoin d’une arme plus lourde qu’un roseau pour frapper à la tête le peuple et son roi sur lesquels ils crachent tout ensemble (19).

244

Le jugement de Jésus

Les païens se prosternent devant le Roi des Juifs Jésus vient d’être condamné par Pilate à la crucifixion (15,15). Les soldats du gouverneur ont très bien compris quel avait été le motif de sa condamnation : il s’était prétendu Roi des Juifs (15,2) et c’était ainsi que le gouverneur l’avait désigné par deux fois (9.12). Et, comme il est de coutume, en attendant que tout soit prêt pour s’en aller exécuter celui qui vient de leur être livré, ils prennent du bon temps, de façon cruelle, en moquant les prétentions du candidat à la royauté, comme ils font sans doute avec les autres condamnés en les punissant par où ils ont péché. La dérision n’arrive cependant pas à masquer la vérité qu’au contraire elle révèle. Dans les moqueries mêmes des soldats, l’auditeur chrétien entend en effet leur signification véritable : sans le vouloir, les soldats romains préfigurent l’entrée des païens dans le royaume de Dieu qui s’est révélé au sein du peuple qu’ils avaient méprisé et en la personne de ce Jésus qu’ils avaient maltraité. 4. LE PROCÈS DEVANT LE GOUVERNEUR (Mc 15,1-20) COMPOSITION DE LA SOUS-SÉQUENCE – Dans les passages extrêmes, c’est « le Sanhédrin tout-entier » qui se réunit en conseil contre Jésus (1) et c’est « la cohorte toute-entière » qui est convoquée pour se moquer de lui (16)4. – Les deux premiers passages sont liés entre eux par la présence des « grands prêtres » qui prennent l’initiative de réunir le Sanhédrin en conseil (1), qui accusent Jésus devant Pilate (3) et qui ameutent la foule (11) ; la reprise de « enchainé » pour Jésus (1) et pour Barabbas (7) marque aussi un lien entre les deux premiers passages. – Les deuxième et troisième passages s’achèvent par une proposition finale presque identique (fin 15 et fin 20) ; Jésus est appelé « Roi des Juifs », par Pilate (2.9.12) dans le deuxième passage, puis par les soldats romains dans le troisième (18). – Ce sont les grands prêtres qui « -donnent » Jésus à Pilate dans le premier passage (1) et dans le deuxième (10), puis le gouverneur qui le « -donne » pour être crucifié (15 ; avec écho dans le dernier passage : 20) ;

4 Le Codex de Bèze et quelques autres manuscrits ajoutent le même « tout » (holos) à « la foule » à la fin du premier versant du second passage (8) ; cette variante, qui renforce le parallélisme entre les trois passages, souligne la participation de l’ensemble des trois catégories de personnages aux événements rapportés.

selon saint Marc (Mc 14,53–15,20)

245

15,1 Et aussitôt, le matin, les grands prêtres ayant fait un conseil avec les anciens et les scribes et le Sanhédrin TOUT-ENTIER, ayant enchainé Jésus, ils l’emportèrent et le -DONNÈRENT à Pilate. 2

Et Pilate l’interrogea : « C’est toi qui es LE ROI DES JUIFS ? » Répondant, il lui dit : « C’est toi qui le dis ! » 3

Et les grands prêtres l’accusaient beaucoup. Pilate de nouveau l’interrogeait en disant : « Tu ne réponds rien ? Vois tout ce dont ils t’accusent ! » 5 Mais Jésus ne répondit plus rien, de sorte que Pilate s’étonnait. 4

6

À chaque fête, il leur relâchait un prisonnier, celui qu’ils réclamaient. 7 Or le dit Barabbas était enchainé avec les émeutiers qui dans l’émeute avaient commis un meurtre. 8 Et, étant montée, la foule [TOUTE-ENTIÈRE] se mit à demander comme il faisait pour eux. 9

Pilate leur répondit en disant : « Voulez-vous que je vous relâche LE ROI DES JUIFS ? » 10 Car il savait que c’était par jalousie que les grands prêtres l’avaient -DONNÉ. 11 Les grands prêtres ameutèrent la foule afin qu’il leur relâche plutôt Barabbas. 12 Pilate, de nouveau, répondant, leur dit : « Que ferai-je donc de celui que vous dites LE ROI DES JUIFS ? » 13 Eux, de nouveau, crièrent : « CRUCIFIE-LE ! » 14 Pilate leur dit : « Qu’a-t-il donc fait de mal ? » Mais eux crièrent plus fort : « CRUCIFIE-LE ! » 15

Voulant satisfaire la foule, Pilate leur relâcha Barabbas, et il -DONNA Jésus, après l’avoir fait flageller, AFIN QU’IL SOIT CRUCIFIÉ. 16

Les soldats l’emmenèrent à l’intérieur de la cour, qui est le prétoire, et ils convoquent la cohorte TOUT-ENTIÈRE. 17 Ils le revêtirent de pourpre et ils lui mettent, après l’avoir tressée, une couronne d’épines. 18 Et ils se mettent à le saluer : « Salut, LE ROI DES JUIFS ! » 19 Et ils lui frappaient la tête avec un roseau et ils crachaient sur lui. Et, fléchissant les genoux, ils se prosternaient devant lui. 20 Et quand ils se furent moqués de lui, ils lui ôtèrent la pourpre et le revêtirent de ses vêtements. Et ils l’emmènent dehors, AFIN DE LE CRUCIFIER.

246

Le jugement de Jésus

COMPARAISON SYNOPTIQUE (voir Mt 27,3-26, p. 213) Mc 15,1-20

Mt 27,3-26

2e réunion du Sanhédrin Jésus livré à Pilate Judas témoigne pour Jésus le prix du sang Interrogatoire par Pilate Jésus ou Barabbas la femme de Pilate le poids du sang

1

3-10 11-14

Interrogatoire par Pilate

2-5

Jésus ou Barabbas 6-15 15-26

Les soldats romains se jouent de Jésus

16-20

La dernière sous-séquence de Mc est très différente de celle de Mt : en effet, elle ne comprend ni l’épisode de Judas (Mt 27,3-10), ni l’intervention de la femme de Pilate (Mt 27,19), ni le lavement des mains de Pilate (Mt 27,24-25). Cependant, au contraire de celle de Mt, elle y intègre au début la deuxième réunion du Sanhédrin et le transfert de Jésus à Pilate (15,1) et à la fin le couronnement d’épines (Mc 15,16-20). CONTEXTE Ps 2 Le fait que la sous-séquence unisse le gouverneur romain et les chefs juifs dans la condamnation de Jésus peut faire penser au début du Ps 2 : 1

Pourquoi frémissent les nations, Se dressent les rois de la terre contre le Seigneur

2

et les peuples murmurent-ils à vide? les princes se liguent ensemble et contre son Messie.

Ces deux versets sont appliqués à Jésus en Ac 4,24-28 : Maitre, c’est toi qui as fait le ciel, la terre, la mer et tout ce qui s’y trouve; 25 c’est toi qui as dit par l’Esprit Saint et par la bouche de notre père David, ton serviteur: « Pourquoi cette arrogance chez les nations, ces vains projets chez les peuples? 26 Les rois de la terre se sont mis en campagne et les magistrats se sont rassemblés de concert contre le Seigneur et contre son Oint. » 27 Oui vraiment, ils se sont rassemblés dans cette ville contre ton saint serviteur Jésus, que tu as oint, Hérode et Ponce Pilate avec les nations païennes et les peuples d’Israël, 28 pour accomplir tout ce que, dans ta puissance et ta sagesse, tu avais déterminé par avance.

selon saint Marc (Mc 14,53–15,20)

247

INTERPRÉTATION Tous se liguent contre Jésus Pour Mc, c’est le Sanhédrin tout entier, c’est-à-dire l’ensemble de ses soixante-dix membres, qui s’est réuni pour condamner Jésus et le livrer à Pilate (1)5. De même, ce sont les six cents membres de la cohorte qui sont convoqués pour se moquer de Jésus (16)6. Plusieurs manuscrits ajoutent — de manière tout à fait cohérente — que c’est « la foule entière » qui réclame la libération de Barabbas et la mort de Jésus (8). Plus que d’exagération du langage familier, il est probable que de telles hyperboles, invraisemblables historiquement, aient une valeur proprement théologique. Ce ne sont pas seulement quelques individus qui sont impliqués dans la condamnation et la mort de Jésus, mais l’ensemble des hommes, Juifs (1) et païens (16), chefs (1) et peuple (8), officiers et subalternes. Tous sont coupables de ce crime, même si, de par leur fonction, les grands prêtres portent évidemment une plus grande responsabilité que le peuple qu’ils ameutent et le procurateur que les simples soldats de la cohorte. Le roi et le bandit Les grands prêtres juifs enchainent Jésus comme un bandit dangereux (1), de même que Barabbas avait été enchainé avec les émeutiers coupables de meurtre (7). Pourtant ils savent très bien qu’il n’a pas opposé la moindre résistance quand on est venu l’arrêter et qu’il a toujours refusé de se défendre par la violence. Ils jouent la comédie tragique de le présenter à Pilate comme un malfaiteur du même type que Barabbas. Mais Pilate n’est pas dupe et a très bien compris leur jeu (10). Les soldats romains ne chargent pas Jésus de chaines ; au contraire ils le traitent comme un roi, le revêtant d’un manteau de pourpre, le couronnant et lui faisant allégeance (17-19). Mais cela aussi n’est qu’un jeu cruel. Les deux groupes se trompent eux-mêmes : les grands prêtres traitent consciemment Jésus comme le bandit qu’il n’est pas (1), les soldats se jouent inconsciemment de celui qui est véritablement roi (16-20). Ainsi se réalise la prophétie d’Isaïe : c’est à celui qui a été mis au rang des malfaiteurs que seront attribuées les multitudes (Is 53,12 ; voir p. 61).

5 Voir J. BLINTZLER, Le Procès de Jésus, 132s. À propos de Mc 14,53, il écrit : « Il ne faut pas prendre à la lettre ce que dit Marc, qui tombe volontiers dans l’hyperbole, quand il affirme que tous les sanhédrites étaient réunis ; il est probable que plusieurs étaient absents, étant donné l’heure inaccoutumée. Mais une chose est sure, il y avait assez de membres présents pour que l’assemblée ait droit de statuer ; d’après la Michna, le nombre requis était de vingt-trois membres. » 6 Voir P. BONNARD, L’Évangile selon St Matthieu, 400 ; pour J. Blintzler, « l’expression “toute la cohorte” est naturellement une des exagérations du langage familier » (Le Procès de Jésus, 369, n. 24).

248

Le jugement de Jésus D. LES JUIFS, LE PAÏEN ET LE DISCIPLE ABANDONNENT LE MAITRE (14,53–15,20)

COMPOSITION DE LA SÉQUENCE Alors que la première sous-séquence est consacrée au procès juif devant le Sanhédrin (14,53-65), la dernière rapporte le procès romain devant le procurateur (15,1-20). – Dans les premiers passages des sous-séquences extrêmes (14,53-54 et 15,1), Jésus est « emmené » chez le Grand Prêtre (14,53a), puis « emporté » chez Pilate (15,1b) ; à la fin le verbe « emmener » est repris, faisant inclusion pour toute la séquence (14,53a et 15,20b). – Ces deux sous-séquences s’achèvent sur un passage qui décrit les moqueries que Jésus subit, de la part des sanhédrites et de leurs sbires la première fois (14,65), de la part des soldats romains la seconde fois (15,16-20) ; dans les deux cas, on lui « crache » dessus (14,65a et 15,19b ; c’est le seul mot commun à ces deux passages). – Les passages centraux des sous-séquences extrêmes (14,55-64 et 15,2-15) sont beaucoup plus longs que les passages qui les encadrent : dans le premier, les grands prêtres cherchent un témoignage contre Jésus qui leur permettra de le condamner à mort ; dans le second de ces passages, les grands prêtres cherchent le moyen de faire condamner à mort Jésus par Pilate. On a déjà remarqué que, dans la dernière sous-séquence de Mc (15,1-20), la double (et même triple) occurrence de « tout-entier » (holos : 1.8.16) avait un rôle structurant. Il faut aussi noter qu’il en est de même dans la première sousséquence, où « tout-entier » est repris en 55a, et « tous » (pas) en 53a et 64b. Le récit du reniement de Pierre et de son repentir (14,66-72) occupe le centre de la construction. CONTEXTE La séquence de Mc renvoie elle aussi, comme celle de Mt, au récit du meurtre originel (Gn 4). Toutefois, le rapport est moins fortement souligné que chez Mt : en effet, Mc ne rapporte pas la fin de Judas (voir Mt 27,3-10 ; voir p. 205) et ne dit rien du lavement des mains de Pilate et de la réaction de tout le peuple qui prend sur lui la responsabilité de la mort de Jésus (voir Mt 27,24-25 ; voir p. 210), ce qui a pour effet de supprimer toute mention du « sang » qui marquait si fortement la séquence de Mt. Dans la même ligne, la relation entre les reniements de Pierre et la réponse de Caïn : « Je ne sais pas » est quelque peu émoussée chez Mc, car ces mots ne sont pas repris systématiquement au début de chaque reniement comme c’était le cas chez Mt (voir p. 199). Cependant, Mc a conservé la mention de la « jalousie » (avec le même mot) en 15,10 (Mt 27,18 ; voir p. 210).

selon saint Marc (Mc 14,53–15,20)

249

14,53 Et ils emmenèrent Jésus auprès du Grand Prêtre, et TOUS les grands prêtres, les anciens et les scribes se réunissent. 54 Pierre le suivit de loin, jusqu’à l’intérieur, dans la cour du Grand Prêtre, et il était assis avec les valets et se chauffait auprès du feu. 55

Les grands prêtres et le Sanhédrin TOUT-ENTIER cherchaient contre Jésus un témoignage en vue de le faire mourir, mais ils n’en trouvaient pas. 56 Beaucoup en effet témoignaient faussement contre lui mais leurs témoignages n’étaient pas concordants. 57 Certains s’étant levés, témoignaient faussement contre lui en disant : 58 « Nous l’avons entendu dire : “Je détruirai ce sanctuaire-ci fait de mains d’hommes et en trois jours j’en rebâtirai un autre non fait de mains d’hommes”. » 59 Mais même ainsi, leur témoignage n’était pas concordant. 60 Le Grand Prêtre, s’étant levé au milieu, interrogea Jésus en disant : « Tu ne réponds rien ? Qu’est-ce que ceux-ci témoignent contre toi ? » 61 Mais lui se taisait et ne répondait rien. De nouveau le Grand Prêtre l’interrogeait et lui dit : « Es-tu le Christ, le Fils du Béni ? » 62 Jésus dit : « Je le suis, et “vous verrez le Fils de l’homme assis à la droite de la Puissance” et “venant avec les nuées du Ciel” ! » 63 Ayant déchiré ses tuniques, le Grand Prêtre dit : « Qu’avons-nous encore besoin de témoins ? 64 Vous avez entendu le blasphème. Que vous en parait-il ? » TOUS décrétèrent qu’il était passible de mort. 65

Et certains se mirent à cracher sur lui et à lui voiler le visage et à le souffleter et à lui dire : « Prophétise ! » Et les valets s’en prirent à lui avec des coups. 66

Pierre étant en bas dans la cour, vient une des servantes du Grand Prêtre 67 et, voyant Pierre se chauffant, l’ayant regardé, elle lui dit : « Toi aussi, tu étais avec le Nazaréen, Jésus ! » 68 Mais il nia en disant : « Je ne connais, ni ne comprends ce que tu dis. » Et il sortit dehors vers le vestibule et un coq chanta. 69 Et la servante l’ayant vu, se mit à dire de nouveau à ceux qui se tenaient là : « Celui-ci est d’entre eux ! » 70 Lui de nouveau niait. Et un peu après, de nouveau, ceux qui se tenaient là disaient à Pierre : « Vraiment tu es d’entre eux, et en effet tu es Galiléen ! » 71 Lui se mit à maudire et à jurer : « Je ne connais pas cet homme que vous dites. » 72 Et aussitôt pour la deuxième fois, un coq chanta. Et Pierre se souvint de la parole comme lui avait dit Jésus : « Avant qu’un coq chante deux fois, trois fois tu m’auras renié ». Et, s’enfuyant, il pleurait. 15,1 Aussitôt le matin, les grands prêtres ayant fait un conseil avec les anciens, les scribes et le Sanhédrin TOUT-ENTIER, ayant enchainé Jésus, ils l’emportèrent et le -donnèrent à Pilate. 2

Et Pilate l’interrogea : « C’est toi qui es le Roi des Juifs ? » Répondant, il lui dit : « C’est toi qui le dis ! » 3 Et les grands prêtres l’accusaient beaucoup. 4 Pilate de nouveau l’interrogeait en disant : « Tu ne réponds rien ? Vois tout ce dont ils t’accusent ! » 5 Mais Jésus ne répondit plus rien, de sorte que Pilate s’étonnait. 6 À chaque fête, il leur relâchait un prisonnier, celui qu’ils réclamaient. 7 Or le dit Barabbas était enchainé avec les émeutiers qui dans l’émeute avaient commis un meurtre. 8 Et, étant montée, la foule [TOUTE-ENTIÈRE] se mit à demander comme il faisait pour eux. 9 Pilate leur répondit en disant : « Voulez-vous que je vous relâche le Roi des Juifs ? » 10 Car il savait que c’était par jalousie que les grands prêtres l’avaient -donné. 11 Les grands prêtres ameutèrent la foule afin qu’il leur relâche plutôt Barabbas. 12 Pilate, de nouveau, répondant, leur dit : « Que ferai-je donc de celui que vous dites le Roi des Juifs ? » 13 Eux, de nouveau, crièrent : « Crucifie-le ! » 14 Pilate leur dit : « Qu’a-t-il donc fait de mal ? » Mais eux crièrent plus fort : « Crucifie-le ! » 15 Voulant satisfaire la foule, Pilate leur relâcha Barabbas, et il -donna Jésus, après l’avoir fait flageller, afin qu’il soit crucifié. 16

Les soldats l’emmenèrent à l’intérieur de la cour, qui est le prétoire, et ils convoquent la cohorte TOUTE-ENTIÈRE. 17 Ils le revêtirent de pourpre et ils lui mettent, après l’avoir tressée, une couronne d’épines. 18 Et ils se mettent à le saluer : « Salut, Roi des Juifs ! » 19 Et ils lui frappaient la tête avec un roseau et ils crachaient sur lui. Et, fléchissant les genoux, ils se prosternaient devant lui. 20 Et quand ils se furent moqués de lui, ils lui ôtèrent la pourpre et le revêtirent de ses vêtements. Et ils l’emmènent dehors, afin de le crucifier.

250

Le jugement de Jésus

COMPARAISON SYNOPTIQUE MATTHIEU 26,57–27,26

MARC 14,53–15,20

Jésus conduit chez Caïphe et Pierre assis avec les valets

Jésus conduit chez le Grand Prêtre et Pierre assis avec les valets 53-54

= Faux témoins

57-61

Interrogatoire par le Grand Prêtre Condamnation de Jésus Moqueries des valets

= Reniements de Pierre

Interrogatoire par le Grand Prêtre Condamnation de Jésus 55-64

62-68

69-75

Deuxième réunion du Sanhédrin Jésus condamné et livré à Pilate

1-2

+ Judas témoigne pour Jésus le prix du sang

3-10

Interrogatoire par Pilate

11-14

+ Jésus ou Barabbas la femme de Pilate le poids du sang

Faux témoins

Les sanhédrites et les valets juifs se jouent de Jésus

Reniements de Pierre

65

66-72

Deuxième réunion du Sanhédrin Jésus livré à Pilate 15,1

Interrogatoire par Pilate Jésus ou Barabbas

15,2-5 6-15

15-26 Les soldats romains se jouent de Jésus

16-20

Le nombre des épisodes Il est identique jusqu’au moment où Jésus est livré à Pilate, c’est-à-dire jusqu’au centre de la séquence chez Mt (Mt 27,1-2) et jusqu’au début du second versant de la séquence chez Mc (Mc 15,1). Mais, à partir de là, Mt ajoute le passage concernant le retour de Judas et ce qui fut fait de son argent (27,3-10) ; quant au passage du choix entre Jésus et Barabbas (Mt 27,15-26 ; Mc 15,6-15), Mt y insère deux courts épisodes, celui de l’intervention de la femme de Pilate (Mt 27,19) et celui du lavement des mains de Pilate (Mt 27,24-25 ; voir p. 210). En revanche, le passage qui rapporte le couronnement d’épines fait partie de la séquence de Mc (Mc 15,16-20), tandis que le passage parallèle de Mt (Mt 27,2731) fera partie de la séquence suivante. Ainsi, Mc achève ses sous-séquences extrêmes avec deux scènes de moquerie complémentaires, de la part des Juifs (Mc 14,65) puis de la part des romains (Mc 15,16-20).

selon saint Marc (Mc 14,53–15,20)

251

L’ordre des épisodes communs Il est le même chez Mt et chez Mc : l’arrivée de Jésus suivi par Pierre chez le Grand Prêtre, la comparution des faux témoins, l’interrogatoire par le Grand Prêtre, la condamnation de Jésus par le Sanhédrin, les moqueries des Juifs, les reniements de Pierre, la deuxième réunion du Sanhédrin et la remise de Jésus à Pilate, l’interrogatoire par Pilate, le choix entre Jésus et Barabbas et enfin la condamnation de Jésus par le gouverneur. Les limites entre les passages communs Elles sont loin de se correspondre toujours. Le premier passage de Mt (26,5761) comprend l’épisode de l’arrivée de Pierre et de Jésus chez le Grand Prêtre (57-58) et celui des faux témoignages contre Jésus (59-61), tandis que chez Mc le premier passage (14,53-54) est limité au premier de ces deux épisodes. Le second passage de Mt (26,62-68) comprend l’interrogatoire par le Grand Prêtre (62-64), la déclaration du Grand Prêtre aux membres du Sanhédrin (65-66a) et la réponse de ces derniers, condamnation et moqueries (66b-68) ; chez Mc au contraire, le second passage comprend les faux témoignages, l’interrogatoire par le Grand Prêtre, la déclaration du Grand Prêtre aux sanhédrites et la réponse de ces derniers (14,55-64), mais pas les moqueries (14,65) qui constituent chez lui le troisième passage de sa première sous-séquence. La fonction des passages communs Les limites du passage qui rapporte les reniements de Pierre sont identiques chez Mt (26,69-75) et chez Mc (14,66-72) ; cependant, alors que ce passage constitue le centre de la séquence de Mc, chez Mt il fait partie intégrante de la première sous-séquence où les reniements de Pierre sont mis en relation avec les faux témoignages du début de la sous-séquence. Inversement, le passage central de la séquence de Mt (27,1-2) n’est, chez Mc, que l’introduction du premier passage de sa dernière sous-séquence (15,1). La composition des deux séquences Sur l’ensemble de la séquence enfin, Mc semble avoir systématisé l’usage de « tous » (pas) et « tout-entier » (holos). Mt utilisait lui aussi « tout-entier » pour qualifier le Sanhédrin en 26,59 (Mc 14,55 ; voir p. 225), mais il n’a aucun équivalent de « tous » dans les passages parallèles à Mc 14,53 et 64 (Mt 26,57 et 66 ; voir p. 203) ; en ce qui concerne la dernière sous-séquence, Mt a « tous », et non pas « tout-entier » en 27,1 et 22 ; voir p. 217). Ces différences, entre le nombre des épisodes d’une part et entre leur organisation en passages dont les limites ne se recoupent guère d’autre part, font que les deux séquences de Mt et de Mc sont architecturées de manière bien différente. Certes, les procès, ou plutôt les différentes phases du même procès (puisqu’elles sont réunies dans une même séquence) sont bien distinguées. Mais, alors que chez Mt, le procès s’organise en deux phases, il en comprend trois chez Mc.

252

Le jugement de Jésus

INTERPRÉTATION : LE MESSAGE DES DEUX SÉQUENCES Le procès de Jésus selon Mt Les deux sous-séquences de Mt — la première consacrée à la phase juive du procès (26,57-75), la seconde à sa phase romaine (27,3-26) — recouvrent la presque totalité de la surface du texte. Le passage qui rapporte les reniements de Pierre (26,69-75) est intégré à la phase juive du procès, puisqu’il fait partie de la première sous-séquence et que Pierre y est mis en parallèle avec les faux témoins ; de manière analogue, l’épisode concernant Judas et son argent (27,3-10) fait partie de la dernière sous-séquence où il est mis en rapport avec Pilate. Le court passage central (27,1-2) n’a pour fonction, si l’on peut dire, que de relier les deux phases du procès. Ce qui a pour effet de mettre en valeur le rôle primordial et la responsabilité majeure des autorités juives dans la mort de Jésus, d’autant plus que le passage est centré sur la proposition finale « afin de le faire mourir » qui est propre à Mt et qui exprime clairement la visée des responsables (voir p. 216). Cet effet sera corroboré par la suite : les adjonctions de Mt dans la dernière sous-séquence — l’épisode concernant Judas (27,3-10), l’intervention de la femme du gouverneur (27, 19) et le lavement des mains de Pilate (27,24-25) — concourent tous trois, non seulement à souligner l’innocence de Jésus, mais plus encore la plus grande responsabilité des Juifs : à partir du moment où Judas avoue avoir péché en livrant un sang innocent — se rangeant en quelque sorte du côté de Pilate qui veut disculper le prévenu —, il devient clair que seuls les chefs veulent la mort de Jésus ; et même si la dérobade de Pilate (27,24-25) est bien loin d’être louable, la fonction de l’épisode est en quelque sorte de montrer que les Juifs, cette fois-ci chefs et peuple réunis, sont encore plus coupables que le gouverneur romain. Ainsi le monde de Mt qui s’organise en deux groupes, celui des Juifs et celui des païens, est fidèle à la conception juive. Ce qui corroborerait que le premier évangile s’est bien formé dans les communautés palestiniennes7. Pour elles, les disciples de Jésus font toujours partie du peuple juif. Si ce dernier semble plus maltraité que les païens, si sa responsabilité dans la mort de Jésus est si fortement soulignée, il n’y a rien là que de tout à fait normal. Sous la plume de Mt, les églises judéo-chrétiennes ne chargent pas le peuple juif, elles confessent qu’avec leurs chefs — les sanhédrites, mais aussi Pierre et Judas — solidaires de tous les autres membres de leur peuple, ils sont moins excusables que personne — même que le gouverneur Pilate qui détenait le pouvoir de vie et de mort en Palestine — de n’avoir pas su reconnaitre et accueillir leur Roi, de l’avoir fait condamner et crucifier.

7 Voir X. LÉON-DUFOUR – C. PERROT, Introduction à la Bible. Introduction critique au Nouveau Testament, III : L’annonce de l’Évangile, 98-101.104.

selon saint Marc (Mc 14,53–15,20)

253

Le procès de Jésus selon Mc Chez Mc au contraire, si les deux phases du procès sont bien distinguées — la phase juive (14,53-65) et la phase romaine (15,1-20) —, le triple reniement de Pierre qui les sépare (14,66-72) ne fait partie intégrante ni de l’une ni de l’autre. Il est vrai que Pierre pactise pour ainsi dire avec les valets du Grand Prêtre au début de la séquence, puisqu’il s’agrège à leur groupe (14,54) ; mais il n’est mis en parallèle ni avec les faux témoins ni avec Judas. Isolé au centre de la séquence, c’est-à-dire non pas séparé mais distingué des autres personnages, il représente un troisième groupe, différent de celui des Juifs et de celui des Romains qui l’encadrent : seul des apôtres à être présent au procès, il représente l’ensemble des disciples de Jésus. Ainsi, pour Mc ce n’est pas seulement le peuple juif et ses chefs qui prend parti contre Jésus, et pas seulement non plus le gouverneur Pilate et les soldats païens, mais aussi, en la personne de Pierre, l’ensemble de ceux que Jésus avait choisis et qui avaient cru en lui. C’est pourquoi, les séquences de Mt et de Mc ont été intitulées de la manière suivante : Mt : Mc :

« Les juifs et les païens « Les juifs, les païens

condamnent le Serviteur », et le disciple abandonnent le Maitre ».

Selon la tradition la plus vénérable, l’auteur du second évangile aurait été le collaborateur et traducteur de Pierre8. Est-ce la raison déterminante pour laquelle la figure du premier des Apôtres occupe la place centrale dans sa présentation du procès de Jésus ? Il semble plutôt que Simon Pierre représente, entre les Juifs et les païens, un troisième groupe, celui des disciples du Christ. Ainsi, le procès de Jésus selon Mc se déroulerait en trois phases, la phase juive (14,53-65), la phase romaine (27,1-20) et, entre deux, la phase chrétienne (14,66-72). Si les Juifs paraissent moins chargés que chez Mt, c’est peut-être tout simplement qu’il ne fallait pas accabler un groupe dont le rédacteur et sa communauté ne se sentaient plus faire partie intégrante. En revanche, le climax est atteint, au centre, avec le reniement de Pierre, reniement aggravé du fait que, malgré un premier avertissement du coq (14,68), Pierre persévère dans son péché et qu’il faudra un deuxième chant du coq pour qu’il se rappelle enfin les paroles de Jésus et accède au repentir (14,72). Si les païens sont évidemment coupables et s’il est clair que les Juifs le sont davantage, les chrétiens seraient bien les derniers à pouvoir adresser des reproches ni aux uns ni aux autres9.

8 Voir X. LÉON-DUFOUR – C. PERROT, Introduction à la Bible. Introduction critique au Nouveau Testament, III : L’annonce de l’Évangile, 62-70. 9 « Quels furent les responsables de la passion du Christ ? Les autorités juives et romaines, représentant les deux catégories d’hommes présentes dans le monde, dit-on habituellement ; il ne faudrait cependant pas oublier que la “troisième race”, la troisième catégorie, celle des chrétiens est ici représentée par l’un des Douze. Le reniement de Pierre souligne encore ce motif. Face aux païens et aux Juifs l’Église ne peut faire la fière » (P. LAMARCHE, Évangile de Marc, 315).

CHAPITRE VI

Tous les hommes se jugent devant le Roi (Lc 22,54–23,25)

Cette séquence est formée de sept passages : autour de la question centrale (71), les deux versants comprennent chacun trois passages, qui se correspondent en miroir.

Pierre

renie

Jésus

par trois fois

Les gardes du Grand Prêtre

Le Sanhédrin

interroge

se jouent de Jésus

22,63-65

Jésus

22,66-70

LE JUGEMENT DE JÉSUS

Le gouverneur

interroge

Hérode et ses soldats

Pilate

défend Jésus

22,54-62

Jésus

se jouent de Jésus

par trois fois

22,71

23,1-5

23,6-12

23,13-25

256

Le jugement de Jésus A. LA PHASE JUIVE DU PROCÈS (Lc 22,54-70)

Cette première sous-séquence comprend trois passages : – « Pierre renie Jésus par trois fois » (54-62), – « Les gardes du Grand Prêtre se jouent de Jésus » (63-65), – « Le Sanhédrin interroge Jésus » (66-70). 1. PIERRE RENIE JÉSUS PAR TROIS FOIS (22,54-62) COMPOSITION DU PASSAGE La première partie (54-55) comprend deux trimembres ; alors que les deux premiers membres de chaque segment rapportent les actions des gardes, les troisièmes membres décrivent l’attitude de « Pierre », suivant le cortège d’abord (54c)1, puis s’agrégeant au groupe de ceux qui avaient arrêté Jésus (55c). Les trois reniements de Pierre sont organisés de façon concentrique. En effet le premier et le dernier (56-57 ; 59-60) sont symétriques, avec le même « avec lui » (56c.59c) et le même « je ne connais pas » (57b.60b). Dans la sous-partie centrale en revanche, « d’entre eux » (58b) remplace « avec lui » : Pierre ne renie donc pas seulement son maitre mais aussi le groupe des disciples. C’est d’abord une femme qui interpelle Pierre, puis ce seront deux hommes. La troisième partie (60c-62) comprend trois morceaux organisés de manière concentrique. Les morceaux extrêmes commencent par un segment (60cd ; 61ef) où est repris « un coq » qui « chante » et où « renié » renvoie à « parlait » ; les seconds segments (61ab ; 62ab) mettent en relation le regard du Seigneur et les pleurs de Pierre. Au centre (61cd), articulant les deux temps, le souvenir. Le fil conducteur entre les trois parties de ce passage semble bien être la série des termes qui indiquent l’appartenance ou le contact, « au milieu de » (55c)2, « avec » (56c.59c), « entre » (58b), auxquels il faut ajouter les deux adverbes d’éloignement aux extrémités, « de loin » (54c) et « dehors » (62a).

1 2

Quelques manuscrits, dont le Codex de Bèze (D), précisent : « le suivit ». Plusieurs manuscrits ont « avec ».

selon saint Luc (Lc 22,54–23,25)

257

+ 54 Or l’ayant pris, ils l’emmenèrent : et l’introduisirent dans la maison du Grand Prêtre ; . or Pierre suivait DE LOIN. + 55 Or ayant arrangé du feu au milieu de la cour : et s’étant assis-ensemble, . s’assit Pierre

AU MILIEU D’EUX.

: 56 Or l’ayant vu une servante assis à la lumière : et, l’ayant dévisagé, elle dit : = « CELUI-CI AUSSI ÉTAIT AVEC LUI ··············································································



:: 57 Or il nia en disant : + « JE NE CONNAIS PAS lui, :

58

femme. »

Or peu après, un autre, l’ayant vu, dit : = « TOI AUSSI, TU ES D’ENTRE EUX. » ······················································································ :: Or Pierre déclara : + « Homme, je n’(en) suis pas. »

59

: Et environ une heure plus tard, : un autre insistait disant : = « En vérité, CELUI-CI AUSSI ÉTAIT = et en effet il est galiléen ! »

AVEC LUI,

·····················································································

:: 60 Or Pierre dit : + « Homme, JE NE CONNAIS PAS ce que tu dis. » + Et à l’instant, alors qu’il parlait encore, + chanta un coq. – 61 Et s’étant retourné – IL REGARDA

le Seigneur, Pierre.

······································································

Et Pierre se souvint de la parole du Seigneur, comme il lui avait dit que : ······································································

+ « Avant qu’un coq ne chante aujourd’hui, + tu m’auras renié trois fois. » – 62 Et étant sorti – IL PLEURA

DEHORS,

amèrement.

258

Le jugement de Jésus Mt 26,69-75

Mc 14,66-72

57

Lc 22,54-62

Or eux, s’étant emparés de Jésus, l’emmenèrent chez Caïphe le GRAND PRÊTRE, où les scribes et les anciens se rassemblèrent. 58 Or PIERRE le SUIVAIT DE LOIN jusqu’à LA COUR du Grand Prêtre. ET étant entré à l’intérieur, IL S’ASSIT PARMI les valets, pour voir la fin.

Et ils emmenèrent Jésus chez le GRAND PRÊTRE ; et se réunissent tous les grands prêtres et les anciens et les scribes. 54 Et PIERRE DE LOIN le SUIVIT jusqu’à l’intérieur dans LA COUR du Grand Prêtre ;

54

ET IL ÉTAIT ASSIS avec

ET

[...]

[...]

69

66

Or Pierre était assis dehors dans la cour et s’avança-vers lui

53

en DISANT : « Toi AUSSI, TU ÉTAIS AVEC Jésus le Galiléen. »

or PIERRE SUIVAIT DE LOIN. 55 Or ayant arrangé du feu au milieu de LA COUR s’étant assis-ensemble, S’ASSIT Pierre au milieu d’eux.

les valets et il se chauffait auprès du feu.

Et comme Pierre était en bas dans la cour, vient UNE des SERVANTES du Grand Prêtre ; 67 et voyant Pierre se chauffant, l’ayant regardé, elle DIT : « Toi AUSSI, AVEC le Nazaréen TU ÉTAIS, Jésus ! »

UNE SERVANTE

Or l’ayant pris, ils le conduisirent et l’introduisirent dans la maison du GRAND PRÊTRE ;

56

Or l’ayant vu UNE SERVANTE assis à la lumière et l’ayant dévisagé, elle DIT : « Celui-ci AUSSI ÉTAIT AVEC lui ! »

·······································

·······································

70

OR IL NIA devant tous EN DISANT : « JE NE CONNAIS PAS ce que tu dis. »

68

57

·······································

·······································

Or lui étant sorti vers le porche

Et il sortit dehors vers le vestibule et un coq chanta.

une autre le vit et dit à ceux qui (étaient) là : « Celui-ci ÉTAIT avec Jésus le Nazoréen. »

69

71

72

Et de nouveau il nia avec serment que « Je ne connais pas l’homme. »

OR IL NIA EN DISANT : « JE NE CONNAIS ni ne comprends ce que tu dis. »

OR IL NIA EN DISANT : « JE NE CONNAIS PAS lui, femme. »

Et la servante l’ayant vu, se mit de nouveau à dire à ceux qui se tenaient-auprès que : « Celui-ci EST d’entre eux ! »

58

·······································

·······································

70

Or lui de nouveau niait.

Or peu après, un autre, l’ayant vu, déclara : « Toi aussi, tu ES d’entre eux. » Or Pierre déclara : « Homme, je n’(en) suis pas. »

······································· 73

Or un peu après, s’avançant ceux qui se tenaient (là) DIRENT à Pierre que « EN VÉRITÉ, toi aussi tu ES d’entre eux : ET EN EFFET ton parler te trahit. » 74

Alors il se mit à maudire et à jurer que « JE NE CONNAIS PAS l’homme. »

Et un peu après, de nouveau, ceux qui se tenaient-auprès DISAIENT à Pierre : « EN VÉRITÉ, tu ES d’entre eux : ET EN EFFET tu es Galiléen ! »

59

·······································

·······································

71

Or lui se mit à maudire et à jurer que : « JE NE CONNAIS PAS cet homme que vous dites. »

Et environ une heure plus tard, un autre insistait en DISANT : « EN VÉRITÉ, celui-ci aussi ÉTAIT avec lui : ET EN EFFET il est Galiléen ! » 60

Or Pierre dit :

« Homme, JE NE CONNAIS PAS ce que tu dis. »

······································· ··· ET aussitôt

72

UN COQ CHANTA.

UN COQ CHANTA

75

ET PIERRE SE SOUVINT

ET à l’instant comme il parlait encore, CHANTA UN COQ. 61 Et s’étant retourné, le Seigneur regarda Pierre.

ET aussitôt pour la deuxième fois,

······································· ET PIERRE SE SOUVINT

DE LA PAROLE de Jésus AYANT DIT QUE

DE LA PAROLE comme lui AVAIT DIT Jésus QUE

:

:

ET PIERRE SE SOUVINT DE LA PAROLE du Seigneur comme il lui AVAIT DIT QUE :

······································· « AVANT QU’UN COQ CHANTE, TROIS FOIS TU M’AURAS RENIÉ.

»

« AVANT QU’UN COQ CHANTE deux fois, TROIS FOIS TU M’AURAS RENIÉ. »

« AVANT QU’UN COQ CHANTE aujourd’hui, TU M’AURAS RENIÉ TROIS FOIS. »

ET, s’enfuyant, IL PLEURAIT.

62

······································· ET étant sorti dehors, IL PLEURA amèrement.

ET étant sorti dehors, IL PLEURA amèrement.

selon saint Luc (Lc 22,54–23,25)

259

COMPARAISON SYNOPTIQUE (voir Mt 26,69-75, p. 199 et Mc 14,66-72, p. 234) Étant donné que Lc, au contraire de Mt et de Mc, commence sa séquence par le récit du reniement de Pierre, il intègre au début de son premier passage l’équivalent de la première partie du premier passage de Mt (26,57-58 ; voir p. 194) et du premier passage de Mc (14,53-54 ; voir p. 222). Ces deux premiers versets de Lc 22,54-55 forment une première partie qui fait pendant à la dernière partie (60d-62). Parmi les différences entre les trois recensions du reniement de Pierre on notera surtout que : – contrairement à Mt et Mc, Lc 22,55de ne précise pas que Pierre est assis « avec les valets » ; – chez Mt et Mc, la première et la dernière accusation sont à la deuxième personne (Mt 26,69e et 73d ; Mc 14,67cd et 70ef) tandis que l’accusation centrale est à la troisième personne (Mt 26,71f ; Mc 14,69d) ; chez Lc c’est l’inverse : les accusations extrêmes sont à la troisième personne (22,56e.59de) et seule l’accusation centrale est à la deuxième personne (22,58c) ; – chez Lc le deuxième reniement se distingue des deux autres, du fait que l’unique « d’entre eux » central (58d) s’oppose aux deux « avec lui » qui l’encadrent (56ef.59d) ; – chez Mt et Mc, les deux premières accusations sont portées par une femme (Mt 26,69c.71c ; Mc 14,66c.69a), la troisième par l’ensemble des assistants (Mt 26,73b ; Mc 14,70c) ; chez Lc il n’est question que d’une seule femme (22,56a), aussitôt relayée par deux hommes (22,58a.59b) ; – comme chez Mt (26,74de), le coq ne chante qu’une seule fois chez Lc, après le troisième reniement (22,60f) ; – la dernière partie de Lc (60c-62) ajoute au chant du coq le regard du Seigneur (61ab), ce qui a pour effet non seulement de montrer que Pierre était à portée de regard de Jésus, mais suggère aussi qu’il était à portée de voix et que, si le Seigneur s’est retourné juste après le troisième reniement et le chant du coq, c’est sans doute qu’il avait entendu Pierre le renier. INTERPRÉTATION Proches mais séparés Pierre suit Jésus, il est son disciple ; mais il le suit de loin (54c) ; il est à portée de vue de son maitre (61ab), sans doute même à portée de voix, mais il est séparé de lui. De tous les disciples, il est le plus proche de Jésus au moment de l’épreuve, mais il n’est pas vraiment avec lui. Il est dans la cour (55a) de la maison du Grand Prêtre où Jésus a été conduit (54b), ils sont proches mais ne sont pas ensemble. Et c’est au moment même où il vient de nier tout lien avec Jésus, que ce lien est rétabli par le regard du Seigneur (61b). Prenant alors conscience de la réalité de sa situation, il s’éloigne. Abandonnant une fausse

260

Le jugement de Jésus

proximité , il réalise physiquement sa séparation (62a). Il pourra alors retrouver son Seigneur dans le repentir et les larmes. La primauté de Pierre Simon avait été le premier des apôtres à être appelé par Jésus alors qu’avec ses compagnons ils nettoyaient leurs filets (Lc 5,3). C’est lui qui a été choisi pour être le chef du groupe des Douze (Lc 6,14). C’est lui qui devra les conduire quand Jésus aura disparu (22,32). Et le voilà qui, en reniant Jésus, renie aussi le groupe auquel il appartenait : « Je n’en suis pas ! » (58d). Il s’est agrégé à un autre groupe ; assis au milieu d’eux, il pactise avec ceux qui ont arrêté Jésus (55c). Le groupe des disciples s’étant désagrégé, il cherche à s’intégrer à un autre groupe, dût-il renier ses anciens compagnons. Avec la lumière du feu (55a), il recherche la chaleur d’un contact. Par deux fois, Pierre nie avoir été avec Jésus (56-57.59-60) ; au cœur de l’épreuve (58), il nie aussi faire partie de ceux qui l’ont suivi. Et pourtant Jésus lui avait annoncé : « Par trois fois tu m’auras renié » (22,34). C’est que renier les disciples, c’est renier le maitre. Parmi tous ceux qui abandonneront la communauté des disciples et quitteront l’Église du Christ, Pierre aura été le premier. Vérité et mensonge Pierre dit la vérité en même temps que le mensonge. Il est reconnu par trois témoins qui tous trois disent vrai : il était avec lui (56.59), il était du groupe des Galiléens (58). Cette vérité, Pierre la nie franchement. En guère plus d’une heure, par trois mensonges, il renie trois ans de fidélité. Mais son mensonge dit vrai. Il est vrai qu’il n’est pas, qu’il n’est plus « d’entre eux » (58) ; il est séparé de Jésus et les autres disciples sont loin. Il ne fait plus partie de leur groupe ; au contraire, il s’est rattaché à un autre groupe, il s’est assis avec ceux qui ont arrêté Jésus (55). Pierre dit vrai aussi quand il affirme ne pas connaitre Jésus (57.60). C’était pourtant lui qui, le premier, avait reconnu en lui le Christ (Lc 9,20). Sans le vouloir, il reconnait cependant qu’il est étranger à ce Jésus qui va être mis à mort. Parce que, en dépit de ses serments quelques heures auparavant (22,33), il n’est pas encore prêt à le suivre jusque-là. Au chant du coq (60d) et grâce au regard de Jésus (61b), il se rend compte que le maitre a dit vrai et il pleure (62b). 2. LES GARDES DU GRAND PRÊTRE SE JOUENT DE JÉSUS (22,63-65) COMPOSITION DU PASSAGE Ce court passage est organisé de manière concentrique. Les segments extrêmes (63.65), qui sont narratifs, ont le même sujet, les gardes ; les syntagmes « se jouaient de lui » et « en insultant » sont synonymes. Le centre du passage est occupé par un morceau qui rapporte les paroles que les gardes adressent à Jésus. Leurs deux segments peuvent être dits construits en parallèle : en effet, « prophétiser » semble renvoyer à « voiler », dans la mesure

selon saint Luc (Lc 22,54–23,25)

261

où le premier verbe signifie « dévoiler ». Quant à la question proprement dite, « Qui t’a frappé ? », elle est introduite par « ils lui demandaient ». « Frapper » (64d) est un synonyme de « battre » (63b). + 63 Et les hommes + SE JOUAIENT

qui le gardaient en le battant.

de lui

···········································································

– 64 Et ayant voilé – ils interrogeaient

lui, lui :

:: « Prophétise : :: Qui est

celui qui t’a frappé ? »

··········································································· beaucoup d’autres EN INSULTANT

+ 65 Et + ils disaient

contre lui.

COMPARAISON SYNOPTIQUE (voir Mt 26,66b-68, p. 197 et Mc 14,65, p. 229) Mt 26,66b-68 66b

Or eux répondant dirent : « Il est passible de mort. » 67

Alors on lui cracha au visage

Mc 14,65

Lc 22,63-65

64b Or eux tous décrétèrent que il était passible de mort.

65

Et certains se mirent à cracher sur lui

63

Et les hommes qui le gardaient se jouaient de lui en le battant. ···································

et on le gifla. Or eux (le) FUSTIGÈRENT, 68 disant : « PROPHÉTISE pour nous, Christ ! Quel est celui qui t’a frappé ? »

et à lui voiler le visage et à le gifler

64

et à lui dire : « PROPHÉTISE ! »

ils l’interrogeaient : « PROPHÉTISE !

Et l’ayant voilé,

Quel est celui qui t’a frappé ? » ···································

Et les valets avec des COUPS le prirent.

65

Et ils disaient en l’insultant beaucoup d’autres (choses) contre lui.

Alors que chez Mt et chez Mc, chacun à leur manière, ce sont les sanhédrites aussi bien que leurs valets qui se moquent de Jésus et le frappent, chez Lc ce ne sont que les gardes. Les membres du Sanhédrin n’interviennent pas durant la nuit chez Lc ; ils ne se réuniront pour interroger Jésus qu’au petit matin. Ainsi la scène des outrages suit l’interrogatoire et le jugement de Jésus chez Mt et chez Mc, tandis que chez Lc elle la précède et en est dissociée aussi bien en ce qui concerne le temps qu’en ce qui concerne ses acteurs.

262

Le jugement de Jésus

Quant au contenu de la scène, il combine des éléments de Mt et de Mc : le voile de Mc 14,65c, et la question « Qui est celui qui t’a frappé ? » comme chez Mt 26,68de. Lc cependant ne reprend ni les crachats ni les gifles de Mt 26,67bc et de Mc 14,65b.d. INTERPRÉTATION Les gardes interrogent Jésus (64) mais lui ne dit rien. Attendent-ils une réponse ? Ils n’en obtiennent pas plus à leurs moqueries (65) qu’à leurs coups (63). Ils ont beau s’acharner, leurs multiples insultes ne peuvent entamer le silence de Jésus. Le prophète dont la mission est de voir ce que les autres ne perçoivent pas, de dire ce que les autres ne savent pas, a les yeux bandés et reste bouche close. Il ne leur donnera pas le signe qu’ils réclament car ils n’en veulent pas vraiment. Jésus ne peut entrer dans le jeu pervers de ceux qui lui demandent de voir en faisant tout ce qu’il faut pour l’en empêcher (64). 3. LE SANHÉDRIN INTERROGE JÉSUS (22,66-70) COMPOSITION DU PASSAGE + 66 Et comme le jour arrivait, + se réunit LE CONSEIL DES ANCIENS DU PEUPLE, GRANDS-PRÊTRES ET SCRIBES 67 + et ils le conduisirent à LEUR SANHÉDRIN, disant : - « Si toi tu es

LE CHRIST,

dis-le nous. »

···········································································································

dit :

= Or il leur : « Si je vous le : 68 Or si je vous 69

dis, interroge,

vous ne croirez pas. vous ne répondrez pas.

OR À PARTIR DE MAINTENANT, LE FILS DE L’HOMME SERA ASSIS

À LA DROITE DE LA PUISSANCE DE DIEU.

+ 70 Or TOUS

»

dirent : - « Toi donc tu es LE FILS DE DIEU ? »

···········································································································

= Or il leur

déclara : : « C’est vous qui dites

que je (le) suis. »

Deux parties (66-68 ; 70) encadrent la déclaration solennelle de 69.

selon saint Luc (Lc 22,54–23,25)

263

Les premiers morceaux de chaque partie (66-67b ; 70ab) rapportent les paroles des membres du Sanhédrin ; « le conseil des anciens du peuple, grandsprêtres et scribes » de 66b est repris synthétiquement par « tous » en 70a. Ces paroles concernent son identité (« tu es ») de « Christ » (67b) et de « Fils de Dieu » (70b) mais dans les deux cas il s’agit aussi pour Jésus de le dire (« dis-le nous » en 67b ; « toi donc » de 70b semble bien remplir la même fonction). Les seconds morceaux (67c-68 ; 70cd) sont les réponses de Jésus. La première fois le segment est redoublé : Jésus fait référence aux deux rôles du Sanhédrin, celui d’écouter le témoignage et celui de répondre aux questions qui lui sont posées. La seconde fois (70d) se retrouve le même balancement que dans les autres segments entre le « dire » et l’identité. Au centre (69), Jésus se déclare ouvertement. CONTEXTE La déclaration de Jésus au centre du passage renvoie au personnage du « Fils de l’homme » de Dn 7,13 et reprend surtout l’image et les termes mêmes du premier verset du Ps 110 (voir p. 198) : De David, psaume. Oracle du Seigneur à mon Seigneur : « Siège à ma droite, tant que je fasse de tes ennemis l’escabeau de tes pieds. »

Cette référence au Ps 110 est plus nette encore en Ac 2,34-35 où, dans son discours de la Pentecôte, Pierre cite explicitement le psaume : 34

Car David, lui, n’est pas monté aux cieux ; or il dit lui-même : « Le Seigneur a dit à mon Seigneur : Siège à ma droite, 35 jusqu’à ce que j’aie fait de tes ennemis un escabeau pour tes pieds. »

264

Le jugement de Jésus

COMPARAISON SYNOPTIQUE (voir Mt 26,62-68, p. 197 et Mc 14,55-64, p. 225) Comme en Mt 26,57 et en Mc 14,53 (voir p. 232), Jésus comparait devant le Sanhédrin dont Lc énumère les trois catégories de membres (66bc). Mais alors que chez Mt et Mc la scène se passe durant la nuit, dès que Jésus a été conduit dans la maison du Grand Prêtre, elle a lieu le jour venu chez Lc, non pas dans la maison du Grand Prêtre où Jésus a passé le reste de la nuit, renié par Pierre et maltraité par ses gardes, mais au lieu habituel de réunion du Sanhédrin où il est conduit (66de). Chez Lc le Sanhédrin n’a pas recours à des faux témoins comme chez Mt et chez Mc. La séance commence directement par la question sur la messianité de Jésus, mais ce n’est pas le Grand Prêtre qui la pose ; elle est attribuée à l’ensemble des sanhédrites. Du reste, aucun rôle particulier n’est attribué au Grand Prêtre qui chez Mt et Mc mène la procédure du début à la fin. La question, double chez Mt et Mc (« Christ » et « Fils de Dieu/du Béni »), est dédoublée par Lc (« Christ » en 67b, « Fils de Dieu » en 70b). La réponse de Jésus (69) est substantiellement la même que chez Mt et Mc, bien qu’elle soit amputée de sa finale « et venant sur les nuées du Ciel » ; à elle seule elle occupe le centre de la construction. En outre, Lc la fait précéder d’une sorte d’avertissement qui dévoile les mauvaises intentions de ses juges (67d-68). Enfin, comme chez Lc la conclusion du procès (71) ne fait pas partie du passage, mais qu’elle constitue le centre général de sa séquence, c’est ensuite un rebondissement de la question des sanhédrites en 70ab, suivie de la réponse de Jésus (70cd). Par rapport aux deux premiers synoptiques, Lc présente la phase juive du procès d’une manière beaucoup plus dépouillée et hiératique. Jésus y apparait, non pas tellement, à la manière de Mt et Mc, comme l’accusé passif qui ne prend brièvement la parole qu’une seule fois, mais plutôt comme celui qui parle plus que ceux qui l’interrogent, et même comme celui qui, en les renvoyant par deux fois à eux-mêmes, les juge.

selon saint Luc (Lc 22,54–23,25) Mt 26,62-68

265

Mc 14,55-64

Lc 22,66-70

55-59 : les faux témoins. 62

S’étant levé, le Grand Prêtre

lui dit : « Tu ne réponds rien ? Qu’est-ce que ceux-ci témoignent contre toi ? » 63 Mais Jésus se taisait.

Et le Grand Prêtre lui DIT : « Je t’adjure par le Dieu vivant de nous dire si TU ES LE CHRIST, LE FILS de Dieu. » ······································ 64 Jésus lui DIT : « Tu (l’)as dit !

60

S’étant levé le Grand Prêtre au milieu, interrogea Jésus disant : « Tu ne réponds rien ? Qu’est-ce que ceux-ci témoignent contre toi ? » ······································ 61 Mais lui se taisait et ne répondit rien.

66

De nouveau le Grand Prêtre l’interrogeait et lui DIT :

67

Comme le jour arrivait, se réunirent les anciens du peuple, les grands prêtres et les scribes et ils le conduisirent à leur Sanhédrin rin,

en DISANT :

« Toi, ES-TU LE CHRIST, LE FILS du Béni ? » ······································ 62 Jésus DIT : « Je (le) suis,

« Si toi TU ES LE CHRIST, dis-le nous. » ······································ Il leur DIT : « Si je vous le dis, vous ne croirez pas. 68 Si je vous interroge, vous ne répondrez pas.

D’ailleurs je vous dis, désormais vous verrez LE FILS DE L’HOMME

et vous verrez LE FILS DE L’HOMME

69

ASSIS À LA DROITE DE LA PUISSANCE”

ASSIS À LA DROITE DE LA PUISSANCE

LE FILS DE L’HOMME SERA ASSIS À LA DROITE DE LA PUISSANCE

et venant sur les nuées du Ciel. »

et venant avec les nuées du Ciel. »

de Dieu. »

Mais à partir de maintenant, nt,

70

Tous dirent : « Toi donc tu es Dieu ? » ······································ Il leur déclara : « C’est vous qui dites que je (le) suis. » LE FILS de

65

Alors le Grand Prêtre déchira ses vêtements DISANT : « Il a blasphémé ! QU’AVONS-NOUS ENCORE BESOIN DE TÉMOINS ? Voilà maintenant vous avez ENTENDU le blasphème ! 66 Que vous en semble ? » Et eux répondant dirent : « Il est passible de mort. » 67 Alors on lui cracha au visage et on le gifla. Et eux (le) fustigèrent, 68 disant : « Prophétise pour nous, Christ ! Quel est celui qui t’a frappé ? »

63 Or le Grand Prêtre ayant déchiré ses tuniques, DIT :

« QU’AVONS-NOUS ENCORE BESOIN DE TÉMOINS ? 64 Vous avez ENTENDU le blasphème. Que vous (en) parait-il ? » ······································ Or eux tous décrétèrent qu’il était passible de mort.

71

Ils DIRENT :

« QU’AVONS-NOUS ENCORE BESOIN DE TÉMOIGNAGE, car nous-mêmes l’avons ENTENDU de sa bouche ? »

266

Le jugement de Jésus

INTERPRÉTATION Il faut que les choses soient dites La vérité doit être faite ; c’est pour cela que se réunit le Sanhédrin. Jésus ne prend pas l’initiative de se présenter comme le Christ, il ne revendique pas le titre de Fils de Dieu. Ce sont les autres qui questionnent (67b), qui le somment de se déclarer (70b). Ce sont eux qui avancent les noms glorieux de « Christ » et de « Fils de Dieu ». Jésus ne se dérobe pourtant pas à la vérité. Mais avant de reconnaitre sans ambages la royauté qui lui a été donnée (69), il met ses interlocuteurs en face de leur propre vérité (67d-68). Jésus dit qui il est (69), mais il dit d’abord qui ils sont : ils ne sont pas mus par le désir de la vérité, puisqu’ils ne sont prêts ni à l’entendre (67d) ni à la proférer (68), mais par celui de le perdre. Plus de méprise possible Malgré ses mauvais desseins, le Sanhédrin demeure l’autorité suprême d’Israël et Jésus se soumet à son pouvoir. Le Sanhédrin a le droit de demander à chaque membre du peuple raison de ses paroles et de ses actes, il a le droit d’enquêter et de questionner. Maintenant qu’il est leur prisonnier, que l’issue est certaine et qu’il n’existe plus aucun risque de méprise sur son destin et sur son titre de « Christ » (67b), Jésus peut se déclarer ouvertement (69). Il ne pouvait le faire avant, de peur d’être pris pour le roi qu’il n’est pas. Maintenant qu’il est promis à la souffrance et à la mort, il peut dévoiler qu’il est « le Fils de l’homme » (69b), le serviteur souffrant destiné à la gloire (69c), qu’il est « le Fils de Dieu » (70b). 4. LA PHASE JUIVE DU PROCÈS (22,54-70) COMPOSITION DE LA SOUS-SÉQUENCE « Ils le conduisirent » revient au début des passages extrêmes (54a.66b), jouant le rôle de termes initiaux. Luc situe la première scène dans « la maison du Grand Prêtre » (54a), la dernière « à leur Sanhédrin » (66b). Cette dernière scène étant située au lever du jour (66a), les scènes précédentes se passent donc durant la nuit. Contrairement à ce que rapportent Mt 26,57-66 et Mc 14,53-64, pour Luc il n’y a pas d’interrogatoire des sanhédrites durant la nuit. Les deux confessions de Jésus au lever du jour (69.70c) s’opposent aux trois reniements de Pierre (57.58c.60a) ; reniements de Pierre et confessions de Jésus répondent à des interventions qui sonnent comme des accusations ou des questions (56c.58b.59b ; 67b.70b). Le verbe « dire » revient dans la dernière réponse de Pierre (60a) et dans la dernière réponse de Jésus (70c) : alors que Pierre repousse l’affirmation de son troisième interlocuteur, Jésus accepte de reconnaitre le titre que contient la question qui lui est posée. Alors que Pierre se sépare de son maitre (il refuse les deux « avec lui » de 56c et de 59b), Jésus affirme son union à Dieu (« le Fils de l’homme sera assis à la droite de la

selon saint Luc (Lc 22,54–23,25)

267

puissance de Dieu » : 69bc) ; autrement dit, tandis que Jésus reconnait sa filiation par rapport à Dieu, Pierre renie la sienne par rapport à son maitre. Le passage central (63-65) rapporte les moqueries subies par Jésus. L’invitation à « prophétiser » (64) rappelle la prophétie qui vient de se réaliser à la fin du passage précédent (61c) et annonce celle que Jésus fera devant le Sanhédrin dans le passage suivant (69). En outre, il n’est pas interdit de penser que la question « Qui t’a frappé ? » (64) puisse renvoyer non seulement aux coups que les gardes donnent à Jésus (63) mais aussi à ceux que Pierre lui a infligés par son triple reniement3. 22,54 L’ayant pris, ILS LE CONDUISIRENT et le firent entrer dans la maison du Grand Prêtre. Pierre le suivait de loin. 55 Comme ils avaient arrangé du feu au milieu de la cour et qu’ils s’étaient assis ensemble, Pierre s’assit avec eux. 56 Une servante l’ayant vu assis à la lumière, l’ayant dévisagé, dit : « CELUI-CI AUSSI ÉTAIT AVEC LUI ! » 57 Mais il nia en disant : • « Je ne connais pas celui-là, femme. » 58 Peu après, l’ayant vu un autre lui dit : « TOI AUSSI, TU ES D’ENTRE EUX. » Pierre déclara : • « Homme, je n’en suis pas. » 59 Environ une heure plus tard, un autre insistait disant : « EN VÉRITÉ, CELUI-CI ÉTAIT AVEC LUI, CAR IL EST GALILÉEN ! » 60 Pierre dit : • « Homme, je ne comprends pas ce que TU DIS. » Et aussitôt, alors qu’il parlait encore, un coq chanta. 61 Le Seigneur s’étant retourné, regarda Pierre et Pierre se souvint de la parole du Seigneur comme il lui avait dit : « Avant que le coq chante, tu m’auras renié trois fois. » 62 Et étant sorti dehors, il pleura amèrement. 63

Les hommes qui le gardaient se jouaient de lui en le battant. L’ayant voilé, ils l’interrogeaient : « Prophétise ! Qui t’a frappé ? » 65 Et ils disaient en l’insultant beaucoup d’autres choses contre lui. 64

66

Comme le jour arrivait, se réunit le conseil des anciens du peuple, grands-prêtres et scribes et ILS LE CONDUISIRENT à leur Sanhédrin, 67 disant : « SI TU ES LE CHRIST, DIS-LE NOUS. » Il leur dit : « Si je vous le dis, vous ne croirez pas. 68 Si je vous interroge, vous ne répondrez pas. • 69 Mais à partir de maintenant, le Fils de l’homme sera assis à la droite de la puissance de Dieu. » 70 Tous dirent : « TOI DONC, TU ES LE FILS DE DIEU ? » Il leur déclara : • « C’est vous-mêmes qui DITES que je le suis. » 3

Luc joue sur les mots paiō, « frapper », et em-paizō, « se jouer (comme un enfant) » (qui est de même racine que « servante ») ; il est le seul à utiliser ici ce dernier verbe qu’on pourra interpréter comme une manière de souligner l’idée de filiation.

268

Le jugement de Jésus

COMPARAISON SYNOPTIQUE (voir Mt 26,57-75, p. 203 et Mc 14,53-65, p. 231) Mt 26,57-75

Mc 14,53-72

Jésus conduit à Caïphe et Pierre s’assied avec les valets 57-58

Lc 22,54-70

Jésus conduit au Grand Prêtre et Pierre s’assied avec les valets

53-54 Faux témoins

59-61

Faux témoins

Interrogatoire par le Grand Prêtre Condamnation de Jésus 62-66a

Interrogatoire par le Grand Prêtre Condamnation de Jésus 55-64

Les sanhédrites se jouent de lui et leurs valets le frappent 66b-68

Les sanhédrites et leurs valets se jouent de Jésus

RENIEMENTS DE PIERRE 69-75

Jésus conduit au Grand Prêtre et Pierre s’assied avec les valets 54-55 RENIEMENTS DE PIERRE 56-62

65

RENIEMENTS DE PIERRE 66-72

Les gardes se jouent de Jésus 63-65

Interrogatoire par le Sanhédrin 66-70

La première sous-séquence de Lc (22,54-70) comprend quatre épisodes qui se trouvaient déjà chez Mt : arrivée de Jésus et de Pierre chez le Grand Prêtre (Lc 22,54-55, comme Mt 26,57-58), reniements et repentir de Pierre (Lc 22,56-62, comme Mt 26,69-75), moqueries des gardes (Lc 22,63-65, comme Mt 26,66b68) et interrogatoire de Jésus par le Sanhédrin (Lc 22,66-70, comme Mt 26,6266a). Lc cependant ne reprend pas l’appel aux faux témoins de Mt 26,59-61, ni la condamnation de Jésus (Lc 22,71, parallèle à Mt 26,65) dont le troisième évangéliste fera le centre de toute sa séquence (voir p. 287) et surtout il n’organise pas le matériel de la même façon. Alors que chez Mt Pierre (26,69-75) est mis en parallèle avec les valets (26,57-58 ; voir p. 203), chez Lc ses trois reniements (Lc 22,54-62) sont opposés aux deux confessions de Jésus (22,66-70). Enfin, alors que chez Mt les moqueries ne sont qu’une partie du long passage central (26,66b-68), chez Lc elles acquièrent le statut de court passage central (22,63-65) sur lequel est focalisée toute la sous-séquence. Chez Mc en revanche, la construction est bien différente, surtout parce qu’elle n’intègre par les reniements de Pierre (14,66-72).

selon saint Luc (Lc 22,54–23,25)

269

INTERPRÉTATION Pierre renie, Jésus confesse Aux trois questions qui lui sont posées sur son identité de disciple (56c.58b. 59b), Pierre donne une réponse négative (57.58c.60a) ; Jésus au contraire ne refuse pas de répondre aux deux questions qui lui sont posées sur son identité (69.70c). Dans le premier passage, Pierre est interrogé non seulement sur sa relation à Jésus (56c.59b), mais aussi sur ses liens avec les autres disciples (58b) ; dans le dernier passage, Jésus est interrogé sur sa relation à Dieu dont il est le « Fils » (70b), mais aussi sur sa relation à son peuple : il est le « Christ » (67b), ce qui signifie « Messie », c’est-à-dire « Oint » par Dieu comme « roi » pour régner sur Israël. Alors que les trois reniements du disciple se passent durant la nuit (55-56), comme les insultes et les coups des gardes dont Jésus est accablé, les deux confessions du Christ, Fils de Dieu, ont lieu le jour (66), en pleine lumière. Moqueries et prophéties Le fait que cette scène de moqueries (63-65) se trouve au centre de la construction souligne le caractère de comédie, ou de farce tragique, qui marque toute la sous-séquence : en refusant de reconnaitre Jésus pour son maitre, Pierre se moque de lui de façon encore plus cruelle que les gardes ; d’autant plus que Jésus qui se trouve à portée de regard semble bien l’avoir entendu, puisqu’il se retourne au moment exact où sa prophétie vient de se réaliser complètement (61) ; les sanhédrites aussi jouent la comédie du procès et la première réponse de Jésus (67c-68) – qui est propre à Luc – marque bien qu’il n’est pas dupe de leur jeu. Par ailleurs, en plein centre (64), Jésus est appelé à « prophétiser » : la prophétie qu’il avait faite à Pierre la veille (61) vient de se réaliser ; la prophétie qu’il fera bientôt devant le Sanhédrin (69) ne manquera donc pas de se réaliser elle aussi. B. LA PHASE ROMAINE DU PROCÈS (Lc 23,1-25) La dernière sous-séquence comprend trois passages : – « Le gouverneur interroge Jésus » (23,1-5), – « Hérode et ses soldats se jouent de Jésus » (23,6-12), – « Pilate défend Jésus par trois fois » (23,13-25).

270

Le jugement de Jésus

1. LE GOUVERNEUR INTERROGE JÉSUS (23,1-5) COMPOSITION DU PASSAGE 1

Et toute leur multitude s’étant levée, ils le conduisirent devant Pilate. + 2 Ils commencèrent à l’accuser en disant : = « Nous avons trouvé celui-ci . empêchant de donner les impôts à . et disant être lui-même

subvertissant CÉSAR CHRIST ROI. »

notre nation,

····················································································

– 3 PILATE l’interrogea en disant : « TU ES

LE ROI DES JUIFS ? »

Or lui, répondant, déclara :

« C’EST TOI QUI (le) DIS ! »

– 4 PILATE dit aux grands-prêtres et aux foules : « JE NE TROUVE RIEN DE COUPABLE EN CET HOMME. » ···················································································· 5

+ Or eux forçaient en disant que : « Il . enseignant dans toute . et ayant commencé par

soulève la Judée la Galilée jusqu’ici. »

le peuple,

Après un segment bimembre d’introduction (1), ce passage est construit de façon concentrique. Aux extrémités (2.5), l’accusation de subversion (« subvertissant » en 2b et « soulève » en 5b) portée par les membres du Sanhédrin contre Jésus est répétée : – la première (2) qui porte sur le contenu de l’enseignement, situe Jésus « Christ roi » en rival et ennemi de « César » ; – la seconde (5) « force » sur l’ampleur spatiale du phénomène et montre comment l’influence de Jésus s’est imposée dans tout le pays. Puis ce sont les deux paroles de Pilate : la première (3ab) est l’instruction, la seconde (4) le jugement qui relaxe Jésus. Au centre enfin (3c), la déclaration de Jésus qui ne refuse pas le titre de « Christ » (2d), « roi des juifs » (3b). À noter que la « multitude » du début (1a) désigne les membres du Sanhédrin, mais déjà peut-être grossie des « foules » qui apparaissent explicitement en 4a. Les deux occurrences de « trouver » (2b.4b) jouent le rôle de termes initiaux.

selon saint Luc (Lc 22,54–23,25)

271

CONTEXTE Payer le tribut à César Dès leur première intervention auprès du gouverneur (2), les membres du Sanhédrin accusent Jésus d’empêcher de payer le tribut à César. Cela renvoie à la troisième des controverses entre les « grands-prêtres, scribes et anciens » (Lc 20,1) et Jésus, quelques jours auparavant, dans le Temple (Lc 20,20-26). Or, selon le récit de Luc, à la question traquenard : « Nous est-il permis, oui ou non, de payer le tribut à César ? », Jésus n’avait pas dit qu’il ne fallait pas payer l’impôt à l’empereur ; il avait pour ainsi dire déplacé la question et renvoyé ses interlocuteurs à leurs propres responsabilités : « Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu » (Lc 20,25). Et Luc de conclure ainsi son récit : « Et ils ne purent le prendre en défaut devant le peuple dans ses propos et, étonnés de sa réponse, ils gardèrent le silence » (Lc 20,26). La réponse en effet a de quoi « étonner » : son caractère énigmatique surprend et invite ainsi à la réflexion. Les auditeurs sont renvoyés à eux-mêmes et requis d’opérer un discernement personnel : qu’est-ce donc qui est à César ? Et qu’est-ce qui est à Dieu ? Jésus ne le dit pas. Cependant, il est permis de penser que, pour ce qui est de César, la réponse est assez simple : il s’agit de l’impôt qui était le sujet de la question. Mais que faut-il rapporter à Dieu qui lui appartienne ? Ce second problème est plus délicat. L’image et les paroles inscrites sur la monnaie que Jésus avait demandé à voir sont facilement identifiables et personne ne saurait avoir la moindre hésitation. En revanche, la seconde partie de la réponse de Jésus pose sans doute la question la plus urgente, celle qui représente le véritable enjeu de la controverse : qui est Jésus ? Que représente-t-il ? Ou mieux encore : Qui représente-t-il ? De qui est-il « l’effigie et l’inscription4 » ? La question posée aujourd’hui par le gouverneur n’est pas d’une autre nature.

4

Voir Luc 2005, 766 ; Luc 2011, 775 (séquence C8).

272

Le jugement de Jésus

COMPARAISON SYNOPTIQUE (voir Mt 27,11-14, p. 208 et Mc 15,2-15, p. 239) Mt 27,11-26 1

Or le matin étant venu, tinrent un conseil TOUS les grands prêtres et les anciens du peuple contre Jésus afin de le faire-mourir. 2 Et l’ayant enchainé, ils l’emmenèrent et le -donnèrent à PILATE le gouverneur.

Mc 15,2-15 1

Et aussitôt, le matin, ayant fait un conseil les grands prêtres avec les anciens et les scribes et TOUT le sanhédrin,

ayant enchainé Jésus, ils l’emportèrent et le -donnèrent à PILATE.

Lc 23,1-5 1

Et s’étant levée

TOUTE leur multitude,

ils le conduisirent devant PILATE.

2

Or ils commencèrent à l’accuser en disant : « Nous avons trouvé celui-ci subvertissant notre nation et empêchant de donner les impôts à César et disant être luimême Christ Roi. »

[mort de Judas]

11

Or Jésus fut placé devant le gouverneur et le gouverneur L’INTERROGEA en disant : « C’EST TOI QUI ES LE ROI DES JUIFS ? »

····································· 2

3

Et Pilate L’INTERROGEA :

L’INTERROGEA

Or Pilate

« C’EST TOI QUI ES LE ROI DES JUIFS ? »

en disant : « C’EST TOI QUI ES LE ROI DES JUIFS ? »

·····································

OR Jésus déclara : « C’EST TOI QUI (le) DIS. »

OR lui, lui répondant, dit : « C’EST TOI QUI (le) DIS. »

12

Et tandis qu’il était accusé par les grands prêtres et les anciens, il ne répondit rien.

3

Et l’accusaient les grands prêtres beaucoup.

OR lui répondant, déclara : « C’EST TOI QUI (le) DIS ! »

13

4

4

Alors Pilate lui dit : « Tu n’entends pas tout ce dont ils témoignent contre toi ? » 14

Et il ne lui répondit plus un mot sur rien, de sorte que le gouverneur était très étonné.

Or Pilate de nouveau l’interrogeait disant : « Tu ne réponds rien ? Vois tout ce dont ils t’accusent ! » ······································· 5

Jésus ne répondit plus rien, de sorte que Pilate était étonné.

Or Pilate dit aux grands prêtres et aux foules : « Je ne trouve rien de coupable en cet homme. » ······································· 5

Or eux forçaient en disant que « Il soulève le peuple, enseignant dans toute la Judée et ayant commencé par la Galilée jusqu’ici. »

Alors que chez Mt et Mc les accusations des sanhédrites ne sont que mentionnées (au centre du passage : Mt 27,12 ; Mc 15,3), elles sont citées longuement et par deux fois chez Lc (23,2.5). Inversement, Lc ne mentionne pas le silence de Jésus, que Mt signale deux fois (27,12c.14ab) et Mc une fois (15,5ab), ce qui étonne Pilate. Enfin, tandis que chez Lc Pilate énonce un jugement, non seulement à l’adresse des grands prêtres mais aussi des foules (4), chez Mt et chez Mc il ne répond rien aux accusateurs mais pose une question à Jésus (Mt 27,13 ; Mc 15,4).

selon saint Luc (Lc 22,54–23,25)

273

Si cet épisode constitue un passage, aussi bien en Lc qu’en Mt, chez Mc au contraire, il est intégré comme première partie d’un passage beaucoup plus long qui comprend toute la suite des événements jusqu’au verdict énoncé par Pilate (Mc 15,2-15 ; voir p. 239). INTERPRÉTATION Le mensonge mêlé à la vérité Toutes les accusations portées contre Jésus sont vraies sauf une. Il est vrai que Jésus a enseigné dans toute la Judée après avoir commencé en Galilée (5cd), il est vrai aussi qu’il vient de se dire lui-même « Christ roi » (2d.3c). En un certain sens, il n’est pas faux qu’il subvertisse et soulève le peuple (2b.5b) : les jours précédents dans le Temple, tout le peuple venait à lui pour l’écouter (21,38), délaissant ses guides traditionnels, grands-prêtres, scribes et anciens. Un seul point est faux : Jésus n’a jamais empêché de donner le tribut à César. Quelques jours auparavant, à ceux qui l’interrogeaient explicitement à ce sujet, il répondait qu’il fallait « donner à César ce qui est à César » (Lc 20,25). Parmi tous les griefs du Sanhédrin, c’est le seul qui ait des chances de porter : ce Jésus qui conteste le pouvoir de César ne doit-il pas être neutralisé par Pilate, représentant à Jérusalem du pouvoir de l’empereur ? Le mensonge déjoué Pilate ne s’en laisse pas conter et sait discerner entre la vérité et le mensonge. Sans doute a-t-il ses propres sources de renseignement. Quoi qu’il en soit, il refuse de croire aux accusations de subversion (2b). Il ramène le problème à des dimensions strictement locales et intérieures au monde juif (3b). Le Sanhédrin a voulu montrer Jésus comme un contestataire dangereux du pouvoir de Rome (2b), se posant en rival de César (2c), réclamant le titre absolu de roi (2d). Pilate en parlant de « roi des juifs » (3b) minimise la prétention. Bien plus, quand Jésus répond ne pas récuser un tel titre (3c), Pilate ne s’en offusque pas et par son jugement (4b) semble même l’accepter. Dans la confrontation entre les autorités juives et le gouverneur, c’est le païen qui déjoue le mensonge des juifs. La vérité reconnue Jésus ne prend pas l’initiative de se proclamer roi des juifs, mais il ne refuse pas de reconnaitre devant Pilate ce qu’il est en vérité (3c). S’il ne l’avait pas fait jusqu’à ce moment où, enchainé, il se sait promis à une mort prochaine, s’il s’y résout maintenant devant le gouverneur, comme il l’avait fait peu auparavant devant le Sanhédrin (22,69), c’est qu’il n’y a plus grand risque que ses interlocuteurs se méprennent sur le véritable sens de sa royauté. Elle n’est décidément pas de ce monde.

274

Le jugement de Jésus

2. HÉRODE ET SES SOLDATS SE JOUENT DE JÉSUS (23,6-12) COMPOSITION DU PASSAGE La première et la dernière partie se correspondent en miroir. Les morceaux extrêmes (6-7b ; 12) mettent en scène « Pilate » et « Hérode », représentants de deux pouvoirs antagonistes. Leurs noms sont séparés au début, placés qu’ils sont aux extrémités du morceau (6a.7b) ; ils sont rapprochés et coordonnés à la fin (12a), devenus « amis » alors qu’ils étaient « en inimitié » jusque-là. Le dernier morceau de la première partie (8-9) et le premier de la troisième partie (11ab) montrent Hérode en relation avec Jésus : la curiosité du tétrarque, déçue par le silence de Jésus (9b) laisse la place au mépris (11a) et à la dérision (11b). On aura remarqué les trois occurrences de « voir » (8a.8c.8e) qui s’opposent à « entendre » (8d) ; on notera aussi, en termes médians, la parenté de « rien » (9b ; grec ouden) avec le premier mot de 11, « l’ayant-traité-comme-rien » (grec ex-outhen-ēsas). Dans le premier de ces deux morceaux, Hérode traite Jésus en prophète, puisqu’il lui demande un signe ; dans le second, bien que sous le mode de la dérision, il le traite en roi, puisqu’il le revêt d’un vêtement splendide. Au centre du passage enfin (10) se tiennent grands-prêtres et scribes dont il n’est pas question ailleurs dans ce passage. COMPARAISON SYNOPTIQUE Ce passage de Lc n’a pas d’équivalent ni chez Mt ni chez Mc. INTERPRÉTATION Un silence éloquent Aux nombreuses questions d’Hérode (9a), Jésus ne répond pas un mot (9b). C’est que le tétrarque ne cherche pas une parole mais un « signe » (8e). Il veut « voir » (8c.e) celui dont il a entendu dire qu’il faisait des miracles, il n’attend pas de lui autre chose, il ne désire surtout pas entendre de lui une véritable parole. Il a déjà l’expérience de la voix prophétique de Jean (Lc 3,19), cette voix qui dénonce le péché et requiert la conversion, celle qui dit la vérité, la vérité de son interlocuteur. La parole d’Hérode, ses nombreuses paroles n’obtiennent donc que ce qu’elles réclament réellement, c’est-à-dire « rien » (9b). Le silence de Jésus manifeste la vanité du discours du tétrarque et la fausseté de son désir. Ce silence n’est pas mutisme méprisant, il est révélation du cœur de l’autre. La joie et le mépris Le silence de Jésus dévoile la vérité d’Hérode. La joie et l’attente du roi se transforment alors en mépris et moqueries (11). Plus exactement, elles l’étaient déjà, et l’attitude de Jésus ne fait que le manifester. Réclamer un signe pour luimême, chercher à voir en curieux, sans entendre, c’est tenter Dieu, c’est se moquer de lui et le mépriser (11b), c’est le tenir pour rien (11a). La dérision

selon saint Luc (Lc 22,54–23,25)

275

dissimule sous l’éclat de la méprise une vérité refusée, un rejet de la rencontre vraie. La joie et le rire du mépris révèlent – par l’effort même qui est fait pour la cacher – l’atteinte subie bien que niée. On ne se rit jamais de ce qui ne touche pas. Malgré eux, le manteau dont il revêt Jésus par jeu (11b) trahit cela même qu’il veut refouler, la royauté dont ils se jouent ; il révèle surtout la vanité du vêtement royal que porte Hérode : il ne saurait voiler l’inanité de son pouvoir. + 6 PILATE . si l’homme

ayant entendu était

demanda galiléen ;

+ 7 et ayant appris . qu’il était

du pouvoir d’ HÉRODE, ········································································ IL RENVOYA LUI À HÉRODE

étant lui aussi

à Jérusalem

en ces jours-là.

········································································ – 8 HÉRODE voyant Jésus,

– se réjouit

beaucoup

: car depuis un temps considérable - pour ce qu’il entendait : et espérait voir 9

-- il demanda -- mais lui 10

à lui RIEN

Se tenaient là violemment

il cherchait à sur lui. un signe

le voir,

avec des paroles ne répondit

considérables, à lui.

les grands-prêtres et les scribes, accusant lui.

– 11 Ayant-traité-comme-RIEN lui – et s’étant joué (de lui) en l’enveloppant ···································································· IL RENVOYA LUI À PILATE. ···································································· 12 Ils devinrent amis HÉRODE et PILATE en ce même jour

+ + car avant il y avait inimitié

venu de lui :

HÉRODE avec ses troupes d’un manteau splendide,

l’un avec l’autre entre eux.

Un simulacre de réconciliation L’occasion est bonne pour le gouverneur romain de se réconcilier avec le roi local par un geste qui reconnait son autorité sur la Galilée (6-7b) et flatte sa vanité. Sans doute pense-t-il faire d’une pierre deux coups, en se dégageant d’un cas embarrassant, tout en faisant plaisir à un potentat rival. Hérode, ayant satisfait sa vanité sinon sa curiosité, lui rend alors la politesse en se dessaisissant de l’affaire (11c) et en reconnaissant ainsi la prééminence juridique du gouverneur. Cette réconciliation (12) fondée sur la flatterie réciproque n’est certes pas celle que Jésus opérera entre juifs et païens. Elle en est au contraire l’image dérisoire. Aucune réconciliation profonde et durable ne peut se construire sans rencontre,

276

Le jugement de Jésus

sans l’échange d’une parole qui fasse la vérité. Un échange de politesses à distance, non dénuées de ruse et d’arrière-pensées, dont les frais sont en outre assurés par un innocent, ne saurait être qu’un simulacre de réconciliation. Surtout quand on sait d’ailleurs que seul le pouvoir du véritable roi sera capable de réconcilier véritablement ceux qui le reconnaitront. L’accusation des hommes de Dieu Le double jeu politique du gouverneur et du roi, ainsi que la façon particulièrement perverse dont Hérode traite Jésus, pourrait faire oublier ceux qui ont accompagné leur proie chez Hérode. Or ils se tiennent là, en plein milieu (10), l’accusant avec véhémence. Leur statut de grands prêtres et de scribes rappelle, s’il en était besoin, l’enjeu final du procès, qui n’est pas politique, malgré la comparution devant les autorités politiques, romaine et locale, mais religieux, puisque l’accusation est portée par les autorités religieuses supérieures du peuple d’Israël. Ils continuent ainsi à jouer sur le politique pour parvenir à des fins qui visent tout autre chose. À leurs accusations, Jésus ne répond pas plus qu’aux demandes d’Hérode. Leur désir en effet est encore plus pervers que le sien. 3. PILATE DÉFEND JÉSUS PAR TROIS FOIS (23,13-25) COMPOSITION DU PASSAGE Deux parties (13-16 ; 18-25) encadrent le verset 17. Introduit par une courte sous-partie de récit (13-14a), le discours de Pilate est organisé en trois morceaux. Le verdict final (15c-16) répond à la démarche accusatrice du début (14bc) ; « relâcher » s’oppose à « amener ». Au centre, le résultat de la double instruction (14e), de Pilate puis d’Hérode. Dans la seconde partie (18-25), la double décision de la fin (25) répond, en miroir, à la requête du début (18b-19) : elles concernent « Jésus » et « Barabbas », chaque fois décrit de façon presque identique5. Ce sont ensuite deux morceaux symétriques (20-21 ; 23-24). Dans le premier (20-21) les « cris » de la multitude répondent à ceux de Pilate ; « Crucifie-le » s’oppose à « relâcher Jésus ». Dans l’autre morceau (23-24) la demande de la multitude (23a) est « satisfaite » par Pilate (24). Ce morceau s’oppose, en chiasme, à celui de 20-21 : le conflit du début est maintenant résolu (20 et 24 commencent avec le même sujet, « Pilate » ; 21 et 23 commencent aussi par le même sujet, « eux »). Au centre (22), introduit par une phrase de récit, le jugement de Pilate, en trois temps : interrogation sur le chef d’accusation, jugement, verdict. Au centre de chaque partie (14e.22c), l’innocence de Jésus est proclamée. La fin du centre de la dernière partie (22d) reprend la fin de la première partie (16) ; « subvertissant le peuple » (14c), ce qui « mérite la mort » (15c), est exactement ce qu’a fait Barabbas qui a suscité « une émeute dans la ville » et qui mérite la mort pour avoir commis « un meurtre » (19.25a). 5

Le nom de « Barabbas », forme grécisée de l’araméen Bar ’Abbā’, signifie « fils du père ».

selon saint Luc (Lc 22,54–23,25) 13 14

277

PILATE, ayant appelé les grands-prêtres et les chefs et le peuple, il dit à eux : + « Vous m’avez amené cet homme + comme subvertissant le peuple. ···················································································

. Et voici que moi .. JE N’AI TROUVÉ .. dont vous accusez

ayant instruit

devant vous,

EN CET HOMME

AUCUN MOTIF

- 15 Mais non plus - car il a renvoyé

Hérode lui

lui. devant nous.

···········································································

– Et voici rien de digne de mort n’a été commis par lui. – 16 L’ayant donc châtié, je (le) relâcherai. » [17 OR IL AVAIT OBLIGATION DE LEUR RELÂCHER À CHAQUE FÊTE QUELQU’UN.] 18

Toute leur multitude hurla disant :

+ « Prends :: et RELÂCHE-nous 19

CELUI-CI

Barabbas. »

Celui-là pour une émeute survenue dans la ville et pour meurtre avait été jeté en prison.

·······················································································································

- 20 De nouveau - voulant . 21 Or eux . « CRUCIFIE, 22

PILATE relâcher CRIAIENT,

CRUCIFIE-

CRIA

à eux,

Jésus. disant : le ! »

Lui, pour la troisième fois, il leur dit : – « Qu’a-t-il donc fait de mal celui-ci ? .. AUCUN MOTIF DE MORT JE N’AI TROUVÉ EN LUI. – L’ayant donc châtié, je le relâcherai. » . 23 Or eux . demandant que . et se renforçaient - 24 Et PILATE - que soit satisfaite

insistaient lui leurs

à grands CRIS, SOIT CRUCIFIÉ ; CRIS.

prononça leur demande.

·······················································································································

:: 25 Il RELÂCHA :: celui qu’ + Quant à

celui qui pour émeute et pour meurtre avait été jeté en prison, ils demandaient. JÉSUS, il le -donna à leur volonté.

Au centre du passage, le verset 17 : rapportant la coutume de l’amnistie pascale, il assure la transition entre les deux versants du texte. Ce verset manque chez bon nombre de témoins anciens et beaucoup d’éditions modernes le rejettent comme une addition harmonisante qui reprendrait Mt 27,15 ou Mc 15,6. Cependant, il faut d’abord remarquer que la forme de ce verset chez Luc est assez différente de celles de Matthieu et de Marc.

278

Le jugement de Jésus

Lc : Or il avait obligation de leur relâcher à chaque fête quelqu’un. Mc : À chaque fête il leur relâchait un prisonnier, celui qu’ils demandaient. Mt : À chaque fête le gouverneur avait coutume de relâcher à la foule un prisonnier, celui qu’elle voulait.

Mais c’est surtout l’argument rhétorique qui peut pousser à le réintégrer. En effet, dans la construction de la séquence, 23,13-25 ne forme qu’un seul passage, symétrique du reniement de Pierre (22,54b-62) comme on le verra. Le fait que le verset controversé se trouve justement entre deux parties elles-mêmes concentriques achève la construction et renforce l’unité de 13-25 (il est vrai que le manuscrit D, qui reprend ce verset, le place après 19). COMPARAISON SYNOPTIQUE (voir Mt 27,15-26, p. 210 et Mc 15,2-15, p. 239) Lc commence par une partie où Pilate déclare Jésus innocent devant les Juifs, grands prêtres, chefs et peuple réunis (13-16) ; cet épisode est propre à Lc. — Suit la mention de l’amnistie pascale et la présentation de Barabbas (Mt 27,15-16 ; Mc 15,6-7 ; Lc 23,17-19). Lc ajoute, dès ce moment-là, que la multitude a fait son choix entre Jésus et Barabbas (23,18). — Il est possible de noter une certaine progression, de Mt à Lc en passant par Mc : chez Mt, Pilate leur propose les deux termes de l’alternative (Mt 27,17) ; selon Mc, il n’envisage dans sa question que de relâcher Jésus (Mc 15,9) ; chez Lc enfin, Pilate est présenté comme voulant relâcher Jésus. — Au contraire de Mt et Mc, Lc ne mentionne ni la jalousie des chefs (Mt 27,18 ; Mc 15,10), ni le fait qu’ils aient excité la foule (Mt 27,20 ; Mc 15,11). — Tandis que, selon Mt et Mc, Pilate leur demande quel mal Jésus a fait (Mt 27,23 ; Mc 15,14), Lc lui fait ajouter une deuxième déclaration d’innocence : « Aucun motif de mort je n’ai trouvé en lui » (22d) et la proposition de faire flageller Jésus (22e). — Pas plus que Mc, Lc ne mentionne ni l’épisode de la femme de Pilate (Mt 27,19) ni le lavement des mains du gouverneur (Mt 27,24-25). — Alors que Mt ne dit en rien pour quelle raison Barabbas avait été mis en prison (Mt 27,16), et que Mc le dit une seule fois (15,7), Lc le répète (22,19.25) et le met en parallèle avec la conduite de la multitude (dont les cris sont soulignés par trois fois : 23,18.21.23) ; il est à noter cependant qu’en Mt et Mc les chefs excitent la foule (Mt 27,20 ; Mc 15,11), tandis que chez Lc c’est Jésus qui est accusé de le faire (22,14). Les constructions des trois synoptiques sont donc bien différentes : celles de Mt et de Mc mettent en valeur le rôle déterminant, et donc la culpabilité, des grands prêtres et des anciens chez Mt, des seuls grands prêtres chez Mc ; si Lc commence en présentant non seulement les grands prêtres, mais aussi les chefs et le peuple (13 ; repris avec « toute leur multitude » en 18), il met davantage en relief le rôle de Pilate qui, par deux fois, proclame l’innocence de Jésus (aux centres, en 14e et en 22d).

Mt 27,11-26

Mc 15,2-15

11

Or Jésus fut placé devant le gouverneur et le gouverneur l’interrogea en disant : « C’est toi qui es le Roi des Juifs ? » Or Jésus déclara : « C’est toi qui le dis. » 12

2

Et Pilate l’interrogea : « C’est toi qui es le Roi des Juifs ? » Or lui, lui répondant, dit : « C’est toi qui le dis. »

Et tandis qu’il était accusé par les grands prêtres et les anciens, il ne répondit rien.

3

13

4

Alors Pilate lui dit :

Lc 23,13-25 13

Et l’accusaient les grands prêtres beaucoup.

Or Pilate, ayant appelé les grands prêtres et les chefs et le peuple, 14 leur dit : « Vous m’avez amené cet homme comme subvertissant le peuple et voici que moi, ayant instruit devant vous, je n’ai trouvé en cet homme aucun motif dont vous l’accusez. 15 Mais Hérode non plus car il l’a renvoyé devant nous. Et voici : rien de digne de mort n’a été commis par lui. 16 L’ayant donc châtié, je le relâcherai. »

« Tu n’entends pas tout ce dont ils témoignent contre toi ? » 14 Et il ne lui répondit plus un mot sur rien, de sorte que le gouverneur était très étonné.

Or Pilate de nouveau l’interrogeait disant : « Tu ne réponds rien ? Vois tout ce dont ils t’accusent ! » 5 Jésus ne répondit plus rien, de sorte que Pilate était étonné.

15

OR À CHAQUE FÊTE le gouverneur avait coutume de RELÂCHER à la foule un prisonnier, celui qu’ils voulaient. 16 Or ils avaient alors un prisonnier fameux, dit [Jésus] BARABBAS.

6

OR À CHAQUE FÊTE, il leur RELÂCHAIT un prisonnier, celui qu’ils -réclamaient. 7 Or le dit BARABBAS était avec les émeutiers enchainé, ceux qui dans l’émeute avaient fait un meurtre. 8 Et étant montée la foule se mit à réclamer comme il faisait pour eux.

[17 OR il avait obligation de leur RELÂCHER À CHAQUE FÊTE quelqu’un.]

17

9

20

Comme ils étaient rassemblés, PILATE LEUR dit : « Lequel VOULEZ-vous que je vous RELÂCHE, [Jésus] Barabbas ou Jésus qui est appelé Christ ? » 18 Il savait en effet que c’était par jalousie qu’ils le -donnèrent. 19 [La femme de Pilate] 20

Or les grands prêtres et les anciens persuadèrent les foules afin qu’elles demandent Barabbas et qu’elles perdent Jésus.

Or PILATE répondit disant : « VOULEZ-vous que je vous RELÂCHE le Roi des Juifs ? » 10 Il connaissait en effet que c’était par jalousie que les grands prêtres l’avaient -donné. LEUR

18

Or ils s’écrièrent toute leur multitude disant : « Prends celui-ci et relâche-nous BARABBAS. » 19 Celui-là avait été jeté en prison pour une émeute survenue dans la ville et pour meurtre. Or de nouveau PILATE LEUR cria VOULANT RELÂCHER Jésus.

11

Or les grands prêtres ameutèrent la foule afin que ce soit plutôt Barabbas qu’il leur relâche.

21

Or répondant, le gouverneur leur dit : « Lequel des deux voulez-vous que je vous relâche ? » Or eux dirent : « Barabbas ». 22 Pilate leur dit : « Que ferai-je donc de Jésus qui est dit Christ ? » Tous disent : « QU’IL SOIT CRUCIFIÉ ! »

12

Or Pilate, de nouveau, répondant, leur disait : « Que ferai-je donc de celui que vous dites le Roi des Juifs ? » 13 Or eux, de nouveau, crièrent : « CRUCIFIE-LE ! »

21

Or eux criaient, disant : « CRUCIFIE-LE, crucifie-le ! » 22

OR lui pour la troisième fois, ss, leur dit : « QU’A-T-IL DONC FAIT DE MAL celui-ci ? Aucun motif de mort je n’ai trouvé en lui. L’ayant donc châtié, je le relâcherai. »

23

OR lui déclara : « QUEL MAL A-T-IL DONC FAIT ? »

14

OR EUX plus fort CRIAIENT disant : « QU’IL SOIT CRUCIFIÉ ! »

OR EUX plus fort CRIÈRENT : « CRUCIFIE-LE ! »

23 OR EUX insistaient à grands CRIS, demandant QU’IL SOIT CRUCIFIÉ ; et se renforçaient leurs cris.

15 Or Pilate voulant pour la foule faire ce qui leur convenait, leur RELÂCHA Barabbas, et -DONNA JÉSUS, l’ayant fait flageller, afin qu’il soit crucifié.

24

24-25

26

OR Pilate leur disait : « QU’A-T-IL DONC FAIT DE MAL ? »

[Pilate se lave les mains]

Alors il

leur RELÂCHA Barabbas. Or JÉSUS, l’ayant fait flageller, il le -DONNA afin qu’il soit crucifié.

Et Pilate prononça que leur demande soit satisfaite. 25 Or il RELÂCHA celui qui avait été jeté en prison pour émeute et pour meurtre, celui qu’ils demandaient. Or JÉSUS, il le -DONNA à leur volonté.

280

Le jugement de Jésus

INTERPRÉTATION La parodie de la Pâque Le gouverneur devait relâcher un prisonnier à l’occasion de la Pâque (17). Cette libération coïncidait avec la célébration qui fait revivre à Israël sa libération de la servitude au pays d’Égypte. Mais une telle amnistie, chaque année recommencée, n’était qu’une parodie de la Pâque : il ne s’agissait pas en effet d’arracher l’innocent des mains de l’oppresseur, comme cela s’était passé au temps de l’Exode, mais au contraire, en tout cas pour Barabbas, de libérer un coupable, et un coupable qui devait répondre d’un crime de sang (19). Cette amnistie, qui n’est pas fondée sur le repentir, sur la conversion et le retour à Dieu, n’est qu’un faux pardon qui ne rend meilleur ni celui qui est libéré (25ab) ni ceux qui réclament sa libération (18), qui ne résout en aucune manière le problème de la violence, puisqu’il ne fait que remettre en circulation un terroriste qui n’attend probablement que l’occasion de pouvoir récidiver. La réitération annuelle de l’amnistie ne peut briser le cycle répétitif qui voit le pardon succéder à la faute, et la faute au pardon. En réclamant la libération du coupable, grands prêtres, chefs et peuple ne font qu’expliciter la fausseté et l’inanité de l’amnistie pascale ; en réclamant la mort de l’innocent en lieu et place du coupable, ils pervertissent radicalement le sens de la Pâque. La subversion Tout est renversé. Jésus est accusé, à tort, de subvertir le peuple (14c) : on lui fait porter le crime de celui qui avait fomenté une émeute dans la ville et avait commis un meurtre (19). Barabbas, l’émeutier meurtrier, porte un nom qui est celui de Jésus, Bar-Abba, « Fils du Père ». Pilate, le païen, s’acharne à défendre le juste (14e.22c), alors que le peuple choisi par Dieu pour être le témoin de sa justice réclame la libération de l’injuste (18c-19) et la mort de l’innocent (2123). Et c’est finalement Jésus l’innocent qui est condamné à la mort que mérite Barabbas (25). Et non seulement Barabbas, mais aussi chefs et grands-prêtres car ils font très exactement ce qu’ils reprochent à Jésus : ils subvertissent le peuple ; par leurs cris redoublés (21.23), ils sont en train de fomenter une émeute et finissent par arriver à leurs fins en obtenant le meurtre de Jésus. Jésus est condamné non seulement pour le péché de Barabbas, mais aussi pour celui des grands prêtres et des chefs, et de toute la multitude du peuple. La perversion de la justice Le peuple et ses responsables parodient le pardon et pervertissent le sens de la Pâque. À cette perversion du religieux répond, de la part de Pilate, la perversion du politique. Si Jésus n’est pas coupable de ce dont il est accusé, pourquoi le châtier avant de le relâcher (16.22d) ? Pilate cherche par ce compromis à calmer les esprits en donnant satisfaction partielle à la haine des ennemis de Jésus. Sa complaisance l’entraine à parodier la justice : châtier l’accusé tout en reconnais-

selon saint Luc (Lc 22,54–23,25)

281

sant son innocence, vouloir marier une demi-vérité avec un demi-mensonge, lui parait sans doute habileté politique. Ce n’est en réalité que l’aveu de sa faiblesse et de sa veulerie. Et la multitude ne s’y trompe pas : si le gouverneur est prêt à abandonner la moitié de la justice, il suffira de crier plus fort (23) pour qu’il finisse par la lâcher tout entière (24). Il le fera bien vite, sans toutefois revenir sur ses déclarations qui proclamaient l’innocence de Jésus (14e.22c). Juifs et païens se rejoignent ainsi dans la perversion.

QUATRIÈME CHANT DU SERVITEUR Partie centrale : Is 53,4-7b + 4 Vraiment, + et

c’étaient nos maladies c’était de nos douleurs

• Et nous, nous l’estimions 5

+ Et lui +

châtié,

il était transpercé il était écrasé

que lui il portait qu’il s’était chargé. frappé par ÉLOHÎM

et HUMILIÉ.

par nos crimes par nos PÉCHÉS.

·······················································································

L’instruction et par ses plaies

de notre salut il y a guérison

sur lui pour nous.

······················································································· 6

+ Nous tous + chacun

comme ovins vers son chemin

• Et YHWH fit supporter 7

+ Il était maltraité + et

à lui,

et lui il n’ouvrait pas

nous errions nous nous tournions. le PÉCHÉ il S’HUMILIAIT sa bouche.

de nous tous.

282

Le jugement de Jésus

4. LA PHASE ROMAINE DU PROCÈS (23,1-25) COMPOSITION DE LA SOUS-SÉQUENCE 23,1 TOUTE LEUR MULTITUDE s’étant levée, ILS LE CONDUISIRENT À PILATE. 2 Ils commencèrent à L’ACCUSER disant : « Nous avons trouvé celui-ci SUBVERTISSANT notre nation, empêchant de donner le tribut à César et se disant lui-même Christ roi. » 3 Pilate l’interrogea : « Tu es le roi des juifs ? » Lui, répondant, il déclara : « C’est toi-même qui l’as dit ! » 4 Pilate dit aux grandsprêtres et aux foules : « JE NE TROUVE AUCUN MOTIF (de condamnation) EN CET HOMME. » 5

Mais eux forçaient disant : « IL SOULÈVE le peuple, enseignant dans toute la Judée et ayant commencé par la Galilée jusqu’ici. » 6

Pilate ayant entendu, demanda si l’homme était galiléen. 7 Ayant appris qu’il relevait du pouvoir d’Hérode, il le renvoya à Hérode qui était lui aussi à Jérusalem en ces jours-là. 8 Hérode en voyant Jésus se réjouit beaucoup car depuis longtemps il cherchait à le voir à cause de ce qu’il entendait sur lui et il espérait voir un signe venu de lui. 9 Il l’interrogea longuement mais lui ne répondit rien. 10

Se tenaient là GRANDS-PRÊTRES ET SCRIBES L’ACCUSANT violemment.

11

L’ayant méprisé Hérode lui aussi avec ses soldats et s’étant joué de lui en l’ayant enveloppé d’un manteau splendide, il le renvoya à Pilate. 12 Pilate et Hérode devinrent amis l’un avec l’autre en ce même jour, car auparavant ils étaient en inimitié l’un envers l’autre. 13

14

LES GRANDS-PRÊTRES, LES CHEFS ET LE PEUPLE, M’AVEZ AMENÉ CET HOMME comme SUBVERTISSANT le peuple et voici que moi

Pilate, ayant appelé

leur dit : « VOUS j’ai instruit devant

vous : JE N’AI TROUVÉ EN CET HOMME AUCUN MOTIF (de condamnation) dont vous L’ACCUSEZ. 15 Hérode non plus car il l’a renvoyé devant nous. Il n’a rien commis qui mérite la mort. 16 Donc, après l’avoir châtié, je le relâcherai. » [17 Or il devait leur relâcher quelqu’un à chaque fête.] 18 Leur multitude hurla : « Prends celui-ci et relâche-nous Barabbas. » 19 Celui-là avait été jeté en prison pour une ÉMEUTE survenue dans la ville et pour meurtre. 20 De nouveau Pilate leur cria qu’il voulait relâcher Jésus. 21 Mais eux criaient disant : « Crucifie-le, crucifie-le. » 22 Pour la troisième fois, il leur dit : « Qu’a-t-il donc fait de mal celui-ci ? JE N’AI TROUVÉ EN LUI AUCUN MOTIF DE MORT. Après l’avoir châtié, je le relâcherai. » 23 Mais eux insistaient à grands cris, demandant qu’il soit crucifié ; et leurs cris se renforçaient. 24 Et Pilate prononça que leur demande soit satisfaite. 25 Il relâcha celui qui avait été jeté en prison pour ÉMEUTE et pour meurtre, celui qu’ils demandaient. Quant à Jésus, il le -donna à leur volonté.

selon saint Luc (Lc 22,54–23,25)

283

Les passages extrêmes (1-5 ; 13-25) sont consacrés à la confrontation entre Pilate et les juifs au sujet de Jésus, alors que dans le passage central Jésus comparait devant Hérode, tétrarque de Galilée, toujours en présence de ses accusateurs (10). Au début du dernier passage, « subvertissant le peuple » de 14b répond à « subvertissant notre nation » du début du premier passage (2b) ; ces deux expressions jouent donc le rôle de termes initiaux. Il en est de même pour les syntagmes « les grands-prêtres, les chefs et le peuple » et « vous m’avez amené cet homme » au début du dernier passage (13-14b) qui rappellent « toute leur multitude » et « ils le conduisirent à Pilate » du début du premier passage (1). Le premier jugement de Pilate (4c) est repris en 14d et une troisième fois en 22b. Au centre du passage central (10), « les grands-prêtres et les scribes » rappellent « toute leur multitude » du début du premier passage (1) et « les grands-prêtres, les chefs et le peuple » du début du dernier passage (13)1 ; ils « accusent » Jésus, comme déjà au verset 2 et comme Pilate le dit à la fin de 14. Les réponses de Pilate marquent une progression depuis le simple « aucun motif » jusqu’à « motif de mort », en passant par le neutre « motif dont vous l’accusez » (qui cependant est aussitôt qualifié comme méritant la mort en 15). Littéralement : JE NE TROUVE

aucun motif

en cet homme

4

JE N’AI TROUVÉ

en cet homme

aucun motif dont vous l’accusez

14

Aucun motif de mort

JE N’AI TROUVÉ

en lui

22

1

Ce passage illustre la loi n° 4 de Lund : « Il existe aussi de nombreux cas où les idées apparaissent au centre d’un système et aux extrémités d’un système correspondant, le deuxième système ayant été construit évidemment pour aller avec le premier. Nous appellerons ce trait la loi du déplacement du centre vers les extrémités » (N.W. LUND, Chiasmus in the New Testament, 41 ; trad. française dans Traité, 98).

284

Le jugement de Jésus

COMPARAISON SYNOPTIQUE (voir Mt 27,3-26, p. 213 et Mc 15,1-20, p. 245) Mt 27,3-26

Mc 15,1-20

Lc 23,1-25

2e réunion du Sanhédrin : Jésus est livré à Pilate 1 Judas témoigne pour Jésus le prix du sang 3-10 Interrogatoire par Pilate 11-14

Interrogatoire par Pilate

Interrogatoire par Pilate 1-5 Hérode se joue de Jésus 6-12

Jésus ou Barabbas la femme de Pilate le poids du sang

Jésus ou Barabbas 15-26

Jésus ou Barabbas 2-15

13-25

Les soldats se jouent de Jésus : le couronnement d’épines 16-20

Les trois sous-séquences finales sont bien différentes. – Celle de Mt commence par l’affaire de Judas et de son argent qui n’a pas d’équivalent chez Mc et Lc. – Celle de Mc comprend l’interrogatoire par Pilate et le choix entre Jésus et Barabbas comme chez Mt, mais au lieu d’avoir le passage concernant Judas, il y intègre le couronnement d’épines par lequel Mt commencera sa séquence suivante. – Quant à la sous-séquence de Lc, elle ne comporte ni l’épisode de Judas propre à Mt 27,3-10, ni le couronnement d’épines qui n’existe pas chez lui (voir Mc 15,16-20 ; le passage parallèle de Mt 27,27-31 sera intégré au début de sa troisième séquence ; voir p. 296), mais entre l’interrogatoire par Pilate (23,1-5) et le choix entre Jésus et Barabbas (23,13-25), il insère l’épisode de la comparution devant Hérode qui lui est propre (23,6-12) ; sa sous-séquence se distingue essentiellement, entre autres traits, par la triple prise de position de Pilate en faveur de Jésus (23,4.14.22). INTERPRÉTATION Autorités et pouvoir Arrêté à Jérusalem par les chefs religieux de son peuple, Jésus est déféré par elles à l’autorité politique romaine de la Judée, le gouverneur Pilate (1), représentant du César qui préside aux destinées de tout l’empire. Mais, comme il est

selon saint Luc (Lc 22,54–23,25)

285

galiléen (6), Jésus est amené à comparaitre aussi devant le tétrarque de Galilée, Hérode Antipas (6-12). Toutes ces autorités, romaines et juives, se trouvent réunies dans la ville sainte pour la fête de la Pâque. Tous les pouvoirs sont amenés à se prononcer sur l’autorité de celui qui dérange tous les pouvoirs, Jésus le Christ (2c), le roi des juifs (3). Accusé faussement de subversion (2b.5a.14b), Jésus est finalement condamné à mort, en lieu et place de Barabbas, le véritable émeutier qui n’avait pas hésité devant le meurtre (19.25) pour faire prévaloir le pouvoir de la violence contre les autorités en place. L’autorité et le pouvoir de Jésus ne sont pas de cet ordre-là : il en est totalement dépouillé, conduit et renvoyé selon la volonté d’autres (1.7b.11b.14ab.25b). Et pourtant, au centre du premier passage (3), il n’hésite pas à admettre devant le gouverneur romain qu’il est bien « le roi des juifs ». Juifs et païens Alors que toutes les autorités juives se liguent contre Jésus (10.13), Pilate le païen se retrouve seul pour défendre l’accusé. Certes, Hérode semble ne pas avoir prêté grande attention aux accusations des grands prêtres et des scribes (10) et Pilate interprétera le fait qu’il lui ait renvoyé Jésus comme une déclaration d’innocence (15). Cependant, il faut bien reconnaitre que le tétrarque non seulement s’est bien gardé de s’engager, mais encore a fait le jeu de ses accusateurs : en demandant à Jésus un signe (8) et en l’enveloppant d’un manteau splendide (11), il se moque du Messie, roi des juifs. Pilate au contraire n’accepte pas l’accusation de subversion portée contre Jésus, et il y reviendra par « trois fois » (4c.14d.22b) ; pourtant, par crainte d’une émeute, il finira par lâcher prise (25). Luc souligne le contraste entre l’attitude de Pilate et celle des Juifs en achevant son récit par cette petite phrase, lourde de signification : « il le livra à leur volonté » (25b). « Il n’ouvre pas la bouche » Tous les protagonistes du procès ne cessent de parler, d’« accuser », de « crier » : les Juifs qui, dès le début (2), accusent Jésus devant Pilate et recommencent « en forçant » (5), après la déclaration du gouverneur (4) ; Hérode, dans le passage central, qui « l’interroge longuement » (9) ; les grands-prêtres et les scribes qui « l’accusent violemment » (10) ; de nouveau Hérode et ses soldats qui « se moquent » de Jésus (11) ; Pilate, dans le dernier passage, qui, longuement (14-16), s’adresse aux grands prêtres, aux chefs et au peuple (13) ; la multitude hurle (18a), qui crie (21), qui « insiste à grands cris », et « leurs cris se renforçaient » (23) ; Pilate qui « crie » lui aussi (20), qui reprend la parole « pour la troisième fois » (22a) et enfin « prononce que leur demande soit satisfaite » (24). Pendant ce temps, Jésus ne parle pas, il ne répond rien (9b) ; même au début, quand il répond à la question de Pilate (3), il ne fait en quelque sorte que renvoyer au gouverneur ses propres paroles : « C’est toi qui l’as dit. » Ce faisant, il accepte le titre qui lui est attribué, mais par le silence auquel il se tient ensuite, « en n’ouvrant pas la bouche » (Is 53,7.8), il proclame que sa royauté n’est pas de ce

286

Le jugement de Jésus

monde, mais qu’il attend de la recevoir de son Père, comme le Serviteur du Seigneur. C. TOUS LES HOMMES SE JUGENT DEVANT LE ROI (Lc 22,54–23,25) COMPOSITION DE LA SÉQUENCE Symétries des passages deux à deux Les premier et dernier passages (22,54-62 ; 23,13-25) opposent les reniements de Pierre aux confessions de Pilate : dans les deux cas, le texte souligne leur nombre (« trois fois » en 61c, « pour la troisième fois » en 22a). On remarquera les synonymes traduits par le même « insister » (59a.23b) et même la récurrence de « crier » (60b.61b ; 20.21a.23 bis, et pas ailleurs dans la séquence). Les deuxième et avant-dernier passages rapportent les insultes subies par Jésus (« se jouer de » en 63a et 11a ; « insulter » de 65 et « mépriser » de 11a) de la part de ses gardiens (63) et des soldats d’Hérode (11) ; on « interroge » Jésus (64b.9a) en lui demandant un signe, il est « voilé » (64a) ou « enveloppé » (11b ; même préfixe peri- pour les deux verbes), dans les deux cas Jésus ne répond pas. Les troisième et cinquième passages rapportent tous deux une confession de Jésus, devant le Sanhédrin juif d’abord, puis devant le gouverneur romain. On lui demande chaque fois s’il est « Christ roi » (67a ; 2c.3b) et il répond avec une formule semblable (70b.3bc), introduite par le même « il déclara ». À noter aussi la reprise du même « interroger » (68.3a). Au centre La question de 71 se trouve au centre de la séquence : le Sanhédrin a maintenant la preuve, « le témoignage », qu’il cherchait, puisque Jésus vient d’avouer clairement ses prétentions. Le cadre À part le court passage central (71) et les deuxième et avant-dernier passages, les quatre autres passages sont introduits par une phrase de récit (54.66.1.13). Le verbe « conduire » s’y retrouve, sauf la dernière fois où il est cependant rappelé avec « vous m’avez amené » de 14a dans la bouche de Pilate qui cette fois-ci convoque la multitude. Ainsi sont clairement marquées les différentes étapes du procès : chez le Grand Prêtre durant la nuit (54), puis au Sanhédrin le matin (66), chez Pilate ensuite (1.13) avec les intermèdes des gardiens (63-65) et d’Hérode (6-12). Dans le premier versant, seules interviennent les autorités, « Grand Prêtre » (54), « les hommes qui le gardaient » (63) et les membres du Sanhédrin (66), tandis que dans le deuxième versant ceux-là sont rejoints par « les foules » (4), « le peuple » (13), pour former une « multitude » (1.18a). « Peuple » (5a.14b) ou « nation » (2b) sont impliqués dans l’affaire par les membres du Sanhédrin.

selon saint Luc (Lc 22,54–23,25)

287

22,54 L’ayant pris, ILS LE CONDUISIRENT et le firent entrer dans la maison du Grand Prêtre. Pierre le suivait de loin. 55 Comme ils avaient arrangé du feu au milieu de la cour et qu’ils s’étaient assis ensemble, Pierre s’assit avec eux. 56 Une servante l’ayant vu assis à la lumière, l’ayant dévisagé, dit : « Celui-ci aussi était avec lui ! » 57 Mais il le nia disant : « Je ne connais pas celui-là, femme. » 58 Peu après, un autre, l’ayant vu, dit : « Toi aussi, tu es d’entre eux. » Pierre déclara : « Homme, je n’en suis pas. » 59 Environ une heure plus tard, un autre INSISTAIT disant : « En vérité, celui-ci était avec lui, car il est galiléen ! » 60 Pierre dit : « Homme, je ne connais pas ce que tu dis. » Et aussitôt, alors qu’il parlait encore, un coq cria. 61 Le Seigneur s’étant retourné, regarda Pierre et Pierre se souvint de la parole du Seigneur comme il lui avait dit : « Avant que ne crie un coq, tu m’auras renié TROIS FOIS. » 62 Et étant sorti dehors, il pleura amèrement. 63

Les hommes qui le gardaient SE JOUAIENT de lui en le battant. 64 L’ayant voilé, ils l’interrogeaient : « Prophétise ! Qui t’a frappé ? » 65 Et ils disaient en L’INSULTANT beaucoup d’autres choses contre lui. 66

Comme le jour arrivait, se réunit le conseil des anciens du peuple, grands-prêtres et scribes et ILS LE CONDUISIRENT à leur Sanhédrin, 67 disant : « Si tu es LE CHRIST, dis-le nous. » Il leur dit : « Si je vous le dis, vous ne croirez pas. 68 Si je vous interroge, vous ne répondrez pas. 69 Mais à partir de maintenant, le Fils de l’homme sera assis à la droite de la puissance de Dieu. » 70 Tous dirent : « Toi donc, tu es LE FILS DE DIEU ? » Il leur déclara : « C’est vous-mêmes qui dites que je le suis. » 71

Or eux dirent :

« Qu’avons-nous encore besoin de témoignage, car nous-mêmes l’avons entendu de sa bouche ? »

23,1 Toute leur multitude s’étant levée, ILS LE CONDUISIRENT à Pilate. 2 Ils commencèrent à l’accuser disant : « Nous avons trouvé celui-ci subvertissant notre nation, empêchant de donner le tribut à César et se disant lui-même CHRIST ROI. » 3 Pilate l’interrogea en disant : « Tu es LE ROI DES JUIFS ? » Lui, répondant, il déclara : « C’est toi-même qui l’as dit ! » 4 Pilate dit aux grands-prêtres et aux foules : « Je ne trouve rien de coupable en cet homme. » 5 Mais eux forçaient disant : « Il soulève le peuple, enseignant dans toute la Judée et ayant commencé par la Galilée jusqu’ici. » 6

Pilate ayant entendu, demanda si l’homme était galiléen. 7 Ayant appris qu’il relevait du pouvoir d’Hérode, il le renvoya à Hérode qui était lui aussi à Jérusalem en ces jours-là. 8 Hérode en voyant Jésus se réjouit beaucoup car depuis longtemps il cherchait à le voir à cause de ce qu’il entendait sur lui et il espérait voir un signe venu de lui. 9 Il l’interrogea longuement mais lui ne répondit rien. 10 Se tenaient là grands-prêtres et scribes l’accusant violemment. 11 L’ayant MÉPRISÉ Hérode lui aussi avec ses soldats et S’ÉTANT JOUÉ de lui en l’ayant enveloppé d’un manteau splendide, il le renvoya à Pilate. 12 Pilate et Hérode devinrent amis l’un avec l’autre en ce même jour, car avant ils étaient en inimitié l’un envers l’autre. 13

Pilate, ayant appelé les grands-prêtres, les chefs et le peuple, 14 leur dit : « VOUS M’AVEZ AMENÉ cet homme comme subvertissant le peuple et voici que moi j’ai instruit devant vous : Je n’ai pas trouvé cet homme coupable de ce dont vous l’accusez. 15 Hérode non plus car il l’a renvoyé devant nous. Il n’a rien commis qui mérite la mort. 16 Donc, après l’avoir châtié, je le relâcherai. » [17 Or il devait leur relâcher quelqu’un à chaque fête.] 18 Leur multitude hurla : « Prends celui-ci et relâchenous Barabbas. » 19 Celui-là avait été jeté en prison pour une émeute survenue dans la ville et pour meurtre. 20 De nouveau Pilate leur cria qu’il voulait relâcher Jésus. 21 Mais eux criaient disant : « Crucifie-le, crucifie-le. » 22 POUR LA TROISIÈME FOIS, il leur dit : « Qu’a-t-il donc fait de mal celui-ci ? Je ne l’ai pas trouvé coupable de mort. Après l’avoir châtié, je le relâcherai. » 23 Mais eux à grands cris INSISTAIENT, demandant qu’il soit crucifié ; et se renforçaient leurs cris. 24 Et Pilate prononça que leur demande soit satisfaite. 25 Il relâcha celui qui avait été jeté en prison pour meurtre, celui qu’ils demandaient. Quant à Jésus, il le -donna à leur volonté.

288

Le jugement de Jésus

COMPARAISON SYNOPTIQUE MATTHIEU 26,57–27,26

MARC 14,53–15,20

LUC 22,54–23,25

Jésus conduit à Caïphe et Pierre s’assied avec les valets

Jésus conduit au Grand Prêtre et Pierre s’assied avec les valets

Jésus conduit au Grand Prêtre et Pierre s’assied avec les valets

14,53-54 = Faux témoins

26,57-61

Faux témoins

Interrogatoire par le Grand Prêtre Jugement de Jésus

Interrogatoire par le Grand Prêtre Jugement de Jésus 55-64

Les sanhédrites se jouent de lui et les valets le frappent 62-68

Les sanhédrites se jouent de lui et les valets le frappent

= RENIEMENTS DE PIERRE

= RENIEMENTS DE PIERRE 22,54-62

65

+ Les gardes se jouent de Jésus 63-65

66-72

- Interrogatoire par le Sanhédrin 66-70

RENIEMENTS DE PIERRE 69-75

Jugement de Jésus 71

2e réunion du Sanhédrin : Jésus condamné et livré à Pilate 27,1-2

2e réunion du Sanhédrin : Jésus livré à Pilate

Jésus

livré à Pilate...

15,1

+ Judas témoigne pour Jésus

le prix du sang 3-10 Interrogatoire par Pilate

Interrogatoire par Pilate

- Interrogatoire par Pilate

11-14

23,1-5 + Hérode se joue de Jésus 6-12

+ Jésus ou Barabbas

la femme de Pilate le poids du sang

Jésus ou Barabbas 15-26

= Jésus ou Barabbas 2-15

Les soldats se jouent de Jésus : le couronnement d’épines 16-20

13-25

selon saint Luc (Lc 22,54–23,25)

289

La longueur des séquences Elle est analogue : celle de Mt est un peu plus longue avec 45 versets, plus courte chez Mc avec 40 versets, à mi-chemin des deux autres chez Lc avec 43 versets. Le nombre des passages Il est exactement le même, sept pour chacune des séquences de Mt, Mc et Lc. Mais ces sept passages sont bien loin de se correspondre, ni par leur contenu, ni par l’ordre des événements, ni par leurs limites, ni par leur organisation interne, ni par leur fonctions. Le contenu de chaque séquence Il est globalement le même : il s’agit toujours du procès de Jésus. Mais chacun des trois premiers évangélistes y a rassemblé des éléments qui varient de l’un à l’autre. Ainsi Mt et Mc rapportent l’épisode des faux témoins que Lc n’a pas repris ; Lc raconte la comparution de Jésus devant Hérode qui ne se trouve ni chez Mt ni chez Mc ; Mt est le seul à parler du sort de Judas et de son argent, de l’intervention de la femme de Pilate ainsi que du lavement de mains du gouverneur et de la prise de responsabilité des Juifs ; enfin Mc intègre à sa deuxième séquence le couronnement d’épines par lequel Mt commencera sa troisième séquence et qui n’a pas d’équivalent chez Lc. L’ordre des événements L’ordre des épisodes communs à Mt et à Mc est identique, comme on peut le voir clairement sur le tableau ci-contre. Lc a complètement interverti l’ordre des épisodes dans le premier versant de sa séquence : non seulement les moqueries des gardes précèdent la comparution devant le Sanhédrin, mais même les reniements de Pierre se situent au tout début de sa séquence. La raison d’une telle organisation a été expliquée plus haut (p. 264). Les limites entre les passages Les limites entre les passages communs sont très différentes d’un évangéliste à l’autre. Ainsi le premier épisode, « Jésus est conduit chez le Grand Prêtre et Pierre s’assied avec les valets », forme un passage à lui seul chez Mc ; il est intégré avec celui des faux témoins pour former un passage plus long chez Mt ; chez Lc il ne constitue que la première partie du passage consacré aux reniements de Pierre. Les moqueries constituent un passage aussi bien chez Lc que chez Mc, mais sont intégrées à l’interrogatoire de Jésus par le Grand Prêtre chez Mt. L’interrogatoire de Jésus par le Sanhédrin est à lui seul un passage chez Lc, mais comprend l’épisode des faux témoins chez Mc, tandis que Mt y intègre l’épisode des moqueries. Lc a fait du jugement de Jésus un très bref passage sur lequel est focalisée sa séquence, alors que son équivalent n’est qu’un élément de l’interro-

290

Le jugement de Jésus

gatoire par le Sanhédrin chez Mt et chez Mc. La mention de la deuxième réunion du Sanhédrin et de la remise de Jésus à Pilate forme le passage central de la séquence de Mt, tandis qu’elle n’est que l’introduction de la dernière sousséquence de Mc ; quant à Lc, il n’a qu’une seule réunion du Sanhédrin et ne mentionne la remise de Jésus au gouverneur qu’au début du deuxième versant de sa séquence. L’interrogatoire par Pilate a les mêmes limites chez Mc et chez Lc, tandis que Mt en sépare la deuxième réunion du Sanhédrin et la remise de Jésus au gouverneur pour en faire le centre de sa séquence. En revanche, pour le choix entre Jésus et Barabbas, leurs limites sont identiques. La composition de chaque passage Elle est donc extrêmement différente d’un passage à l’autre, puisque chacun ne comprend généralement pas les mêmes éléments que les autres, comme on a pu le constater lors de la comparaison synoptique au niveau des passages. La fonction de chaque épisode et de chaque passage Elle est par conséquent très différente d’un évangéliste à l’autre. La fonction d’un épisode dépend en effet de la manière dont il est intégré à d’autres dans le même passage, ou du fait qu’il forme à lui seul un unique passage. Au niveau supérieur, la valeur de chaque passage est fonction des relations qu’il entretient avec d’autres passages à l’intérieur de la sous-séquence (comme dans le cas de Mt et de Mc) ou directement à l’intérieur de la séquence (comme dans le cas de Lc). Le message de chaque évangéliste Le message de chacun des trois synoptiques porte un accent particulier. Les différences entre les séquences de Mt et de Mc ont déjà été décrites à la fin du chapitre précédent (voir p. 252-253). Si Mt montre Jésus jugé par les Juifs puis par les païens, si Mc le dépeint soumis au jugement des Juifs et des païens aux extrémités, et du disciple au centre, Lc le présente non pas tant comme celui qui est jugé que comme le roi devant lequel tous se jugent eux-mêmes. Ce que veulent rendre les titres donnés à chacune des trois séquences : Mt : Mc : Lc :

« Les juifs et les païens « Les juifs, les païens et le disciple « Tous les hommes

condamnent abandonnent se jugent devant

le Serviteur ». le Maitre ». le Roi ».

INTERPRÉTATION Pierre et Pilate Le premier des apôtres, celui à qui Jésus avait donné le nom de « Pierre » (6,14) pour la solidité à laquelle il était appelé, lâche prise à la première épreuve sérieuse. Sommé de se déclarer, il s’effondre devant la première servante venue (22,56). Il manquera de même la deuxième occasion qui lui sera offerte peu après (22,58) et environ une heure plus tard, devant l’« insistance » d’un

selon saint Luc (Lc 22,54–23,25)

291

troisième accusateur (22,59), il s’enfoncera pour la troisième fois (22,61) dans son reniement. Pilate le païen, au contraire, n’hésite pas à clamer, par trois fois lui aussi (23,22), l’innocence de Jésus. Malgré les accusations (23,2) et les cris (23,21) de la multitude, malgré les risques qu’il encourt d’être accusé de faiblesse dans la défense de l’ordre dont il est chargé, il s’acharne à rejeter les fausses accusations dont Jésus est l’objet (23,4.14.22). On pourra penser que Pierre risquait de subir le même sort que son maitre s’il reconnaissait être son disciple, et qu’en revanche la position de Pilate lui permettait plus facilement de résister à la pression des grands prêtres et du peuple. Il n’en reste pas moins que l’attitude de Pilate peut être une leçon pour le disciple. Cependant, le gouverneur lui aussi finalement ne résistera pas à la peur et, devant l’« insistance » de la multitude (23,23), il abandonnera Jésus (23,24-25), tandis que Pierre reviendra de son reniement dans les larmes du repentir (22,62). Jésus se tait Durant l’interrogatoire de Pierre (22,54-62) comme pendant toute la scène finale qui oppose Pilate à la multitude (23,13-25), aucune parole de Jésus n’est rapportée. Son silence est patent lorsqu’il se trouve aux prises avec les hommes qui le gardent (22,63-65) ; il est fortement souligné quand il est confronté à Hérode et ses soldats (23,9). Lui qui jusqu’ici avait passé son temps à enseigner ne dit plus un mot. Parce que tout ce qu’il pourrait dire ne serait pas reçu par ses interlocuteurs. Avec Pierre, il n’est plus temps de parler, mais de laisser la prophétie s’accomplir jusqu’au bout ; alors un simple regard suffira pour faire remonter en mémoire les paroles de la veille (22,61). Les gardes n’attendent pas plus de réponse à leur question (22,64) qu’à leurs insultes (22,65) et à leurs coups (22,63). Quant à Hérode, il réclame un signe (23,8), surtout pas une parole. Renvoyé devant Pilate, Jésus passe complètement à l’arrière-plan et la parole est accaparée par le gouverneur auquel répondent les cris de la multitude (23,13-25). Aucune parole ne peut être adressée à celui qui ne l’attend pas. C’est aussi que le temps du silence est venu, ce silence du Verbe qui dans la Passion parle à la foi plus que toute parole. À voir Jésus muet comme la brebis conduite à l’abattoir supporter les insultes et la risée de ses adversaires, le disciple reconnaitra en lui le Serviteur destiné à sauver les multitudes (Is 52–53). Le témoignage ultime Pierre aurait pu témoigner de ce qu’il avait vu et entendu, et répéter ce qu’il avait confessé depuis déjà longtemps : « Tu es le Christ de Dieu » (9,20). Les membres du Sanhédrin eux aussi avaient tous les éléments nécessaires pour condamner Jésus : ne s’était-il pas lui-même présenté comme le fils bien-aimé du maitre de la vigne et son héritier (20,13-14) ? Et pourtant il faut qu’en ce moment ultime, Jésus lui-même porte témoignage. Il le fera sans ambiguïté et devant les suprêmes autorités juives (22,69) et devant le plus haut représentant du pouvoir romain (23,3), devant Dieu et César. Il faut que tous l’entendent de

292

Le jugement de Jésus

sa bouche et reçoivent son témoignage (22,71). Seul il est habilité à confesser la vérité de sa relation unique avec le Père. C’est cette seule voix que tous doivent entendre. Aucun autre ne peut répondre pour lui. Le jugement de Jésus Durant son procès, Jésus dit fort peu de chose, rien durant toute la nuit quand Pierre le renie (22,54-62) et que les gardes le maltraitent (22,63-65), rien chez Hérode qui le méprise (23,6-12) ni devant la foule qui réclame sa condamnation (23,13-25). Et pourtant, au centre de la séquence retentit la question des sanhédrites : « Qu’avons-nous encore besoin de témoignage, car nous-mêmes l’avons entendu de sa bouche ? » (22,71). Il est vrai qu’il vient de répondre sans ambages au Sanhédrin, qu’il a reconnu être le Christ (22,67), le Fils de Dieu (22,70) et qu’il sera assis à la droite de la Puissance (22,69) ; il est vrai aussi qu’il acceptera de nouveau devant Pilate le titre royal de Christ (23,3). Mais, ce faisant, il renvoie chaque fois ceux qui l’interrogent à eux-mêmes : ce sont eux qui ont dit qu’il était le Fils de Dieu (22,70), le Christ roi (22,67 ; 23,3) ; avant même de se déclarer devant le Sanhédrin, il n’hésite pas à juger clairement de leurs intentions (22,67-68). Il est vrai qu’il est l’accusé qui doit répondre devant ses juges. Mais il est vrai aussi que, dans la construction de Lc, il apparait comme le seul témoin (22,71), et même comme celui devant lequel sont jugés — ou se jugent eux-mêmes — tous les autres participants du drame. Pierre refuse de témoigner pour Jésus, il est le premier de tous à se juger, en ne reconnaissant pas celui qui fut son maitre ; et pourtant, c’est le prisonnier qui, par son seul regard (22,61), juge celui qui échappera à l’arrestation, non pas certes pour le condamner, mais pour le faire « revenir » (22,32). Le silence de Jésus devant le tétrarque (23,6-12) comme devant ses gardes (22,63-65) n’est pas refus méprisant, il dévoile l’inanité de leurs moqueries et la vanité de leurs demandes. Enfin devant la multitude en furie (23,13-25), Jésus n’a pas besoin de parler pour qu’ils se jugent eux-mêmes par leurs propres paroles : sans s’en rendre compte, ils se déclarent coupables devant Jésus de la subversion dont ils l’accusent. Jugé par tous, Jésus fait advenir la vérité de chacun, qu’il ouvre la bouche ou qu’il se taise ; il se révèle ainsi comme leur juge, leur véritable roi.

TROISIÈME PARTIE

L’exécution de Jésus Mt 27,27-61 Mc 15,21-47 Lc 23,26-56

CHAPITRE VII

La justification du Serviteur de Dieu (Mt 27,27-61)

Cette séquence comprend sept passages. Les deux premiers (27-31 ; 32-37) forment une première sous-séquence. Les deux derniers passages (51c-56 ; 5761) forment la dernière sous-séquence. Quant à la sous-séquence centrale, elle comprend deux passages (38-44 ; 46-51b) qui encadrent le verset 45.

Les soldats ROMAINS

se jouent de

Jésus

27-31

Les soldats ROMAINS

crucifient

Jésus

32-37

est moqué par

SES COMPATRIOTES

38-44

Jésus

crucifié

LA TÉNÈBRE COUVRE LA TERRE EN PLEIN MIDI Jésus

mourant

45

est moqué par

SES COMPATRIOTES

46-51b

Soldats ROMAINS

et femmes JUIVES

témoins des événements

51c-56

D’accord avec PILATE,

JOSEPH

ensevelit dignement Jésus

57-61

296

L’exécution de Jésus A. LES PAÏENS INTRONISENT LE ROI DES JUIFS (Mt 27,27-37)

La première sous-séquence comprend deux passages, « Les soldats romains se jouent de Jésus » (27-31) et « Les soldats romains crucifient Jésus » (32-37). 1. LES SOLDATS ROMAINS SE JOUENT DE JÉSUS (Mt 27,27-31) COMPOSITION DU PASSAGE + 27 Alors les soldats du gouverneur, + prenant-avec (eux) Jésus dans le prétoire, + AMENÈRENT contre lui la cohorte toute-entière. . 28 Et l’ayant dévêtu, . d’une chlamyde écarlate ils l’enveloppèrent. ·······························································································

: 29 Et ayant tressé : ils (la) mirent : et un roseau - Et, s’agenouillant - ils se jouèrent : 30 Et crachant : ils prirent : et ils frappaient

une couronne sur la tête dans la droite devant de lui

d’épines, de lui de lui.

lui, disant :

sur lui, le roseau sur la tête

« Salut, ROI DES JUIFS ! »

de lui.

·······························································································

+ 31 Et quand ils se furent joués de lui, . ils le dévêtirent de la chlamyde . et le revêtirent de ses vêtements + et ils l’EMMENÈRENT pour (le) crucifier.

Les morceaux extrêmes se répondent et s’opposent : Jésus est d’abord « dévêtu » (28a) et « enveloppé d’une chlamyde » (28b), puis « dévêtu de la chlamyde » (31b) et « revêtu de ses vêtements » (31c) ; on « amène » contre lui la cohorte (27c), puis on l’« emmène » au supplice (31d ; ces deux verbes sont de même racine). Dans le morceau central (29-30) chacun des trois segments commence par un participe (29a.29d.30a). Les segments extrêmes (29abc ; 30) se répondent avec la reprise de « tête » et de « roseau » ; au centre (29cde), les seules paroles du passage.

selon saint Matthieu (Mt 27,27-61)

297

COMPARAISON SYNOPTIQUE La comparaison entre le récit de Mt et celui de Mc 15,16-20 a été faite précédemment (voir p. 243). INTERPRÉTATION Un jeu qui dit la vérité Les différences entre les récits de Mt et de Mc ne sont pas telles qu’elles induisent une interprétation véritablement autre. Le fait cependant que Mt centre sa construction sur le salut adressé par des païens au Roi des Juifs (fin 29), et non pas sur les coups et les crachats comme chez Mc, pourrait déplacer l’accent des mauvais traitements, c’est-à-dire de l’intention des soldats, sur le contenu effectif de la parole qu’ils prononcent. Autrement dit, on pourrait avoir le sentiment que, si Mc décrit la scène telle qu’elle se passe, selon son sens historique, Mt en fait ressortir la signification profonde, selon son sens spirituel : au-delà du jeu auquel se livrent les soldats, Jésus est véritablement intronisé « Roi des Juifs » par les païens. La dérision peut dire la vérité que les acteurs du drame veulent travestir. Une exagération qui dit la vérité Mt dit que c’est « la cohorte toute entière » qui se trouve convoquée par les soldats du gouverneur auprès de Jésus (27c). Six-cents hommes, cela fait vraiment beaucoup de monde, et c’est même historiquement tout à fait invraisemblable. C’est donc que le sens est autre. On le qualifiera de prophétique. Cette cohorte romaine au grand complet représente sans doute la totalité des païens qui viendront un jour rendre hommage à celui qu’ils vénèrent déjà — même si c’est « en se moquant » — comme « le Roi des Juifs ».

298

L’exécution de Jésus

2. LES SOLDATS ROMAINS CRUCIFIENT JÉSUS (Mt 27,32-37) COMPOSITION DU PASSAGE + 32 Or en sortant, – ils trouvèrent un homme de Cyrène du nom de Simon. + Celui-là – afin qu’il prenne

ILS REQUIRENT

sa croix.

– 33 Et étant venus à – c’est-à-dire . 34 ils donnèrent . du vin

l’endroit endroit

dit Golgotha, dit du Crâne,

à lui avec du fiel

à boire mêlé.

········································

ET (EN) AYANT GOUTÉ, IL NE VOULUT PAS BOIRE. ········································

– 35 Or . ils –

36

et, . ils

ayant crucifié partagèrent

lui, ses vêtements

tirant au sort,

s’étant assis, gardaient

lui

là.

+ 37 Et ils avaient mis au-dessus de sa tête – le motif (de sa condamnation ainsi) écrit : + « Celui-ci – LE ROI

est Jésus, des Juifs. »

Les parties extrêmes (32 ; 37) n’ont en commun que les démonstratifs par lesquels commencent leurs seconds segments. Dans les morceaux extrêmes de la partie centrale les participiales (33.35a. 36a) sont suivies par les principales. « Là » (36b) renvoie à « endroit » (33ab). Au centre (34c), le seul segment dont le sujet soit Jésus 1. Alors que les deux premières parties suivent l’ordre chronologique, la dernière (37) opère un retour en arrière : dans le temps, l’action se situe avant le partage des vêtements ; ce qui a pour effet de mettre en parallèle, aux extrémités du passage, les deux personnages du « roi des Juifs » et de Simon qui est qualifié comme disciple par l’expression consacrée de « porter la croix »2. Par ailleurs, le 1

Le dernier membre du passage (37c) a lui aussi le même sujet, mais il ne rapporte pas une action de Jésus. 2 Le pronom personnel autou (litt. : « la croix de lui ») renvoie bien sûr à Jésus, mais il est possible de considérer qu’il est ambigu : en effet il pourrait tout aussi bien renvoyer à « celui-là », c’est-à-dire à Simon.

selon saint Matthieu (Mt 27,27-61)

299

verbe utilisé par Mt, agarreuō (traduit ici par « requérir »), n’apparait qu’une seule autre fois dans le Nouveau Testament (Mt 5,41) outre le parallèle de Mc 15,21 ; ce verbe est formé sur le substantif aggaros qui signifie « courrier perse, requis par corvée de relais en relais pour le service du roi »3. CONTEXTE Le fiel Le verset 34, et particulièrement la mention du « fiel », renvoie au Ps 69,22 : « pour nourriture ils m’ont donné du poison (Septante : « fiel »), dans ma soif ils m’abreuvaient de vinaigre. » Pour adoucir les souffrances et diminuer la conscience des condamnés, il était de coutume de leur offrir du vin mêlé d’encens (Traité Sanhédrin, 43a). Le partage des vêtements Les versets 35-36 rappellent le Ps 22,18b-19 : « Eux me regardent, ils m’observent, ils se partagent entre eux mes habits et sur mon vêtement ils jettent le sort. » (Voir le texte du psaume entier, p. 457). Les dépouilles des condamnés à mort revenaient à leurs bourreaux. Le refus de la consolation Tandis que ses amis essaient de le consoler, Job refuse leurs faux encouragements : « Que de fois ai-je entendu de tels propos et quels pénibles consolateurs vous faites ! » (Jb 16,1). Comme Job, Jésus refuse toute consolation qui le détournerait d’affronter sa Passion en toute lucidité. INTERPRÉTATION Le nouveau disciple de Jésus Alors que Simon Pierre, le premier et le représentant des Douze, a disparu de la scène après son triple reniement (26,75), lui qui pourtant avait juré qu’il suivrait son maitre jusqu’à la mort (26,35), voici un autre Simon qui se trouve engagé au service du Roi des Juifs (32.37). En portant la croix de Jésus, il est l’image du disciple : « Qui ne se charge pas de sa croix et ne me suit pas n’est pas digne de moi » (Mt 10,38 ; 16,24).

3

A. BAILLY, Dictionnaire Grec-Français.

300

L’exécution de Jésus

La Passion sans tranquillisant Jésus ne fait rien, il s’abandonne totalement aux mains de ses bourreaux. Il ne peut plus que subir, jusqu’au bout, jusqu’au moment où, pieds et mains liés à la croix, il sera définitivement privé de toute possibilité d’initiative. Ce sont eux qui font tout, qui trouvent un passant pour se charger de la croix qu’il est incapable de porter lui-même (32), qui le conduisent au lieu du supplice (33), qui lui offrent à boire (34), qui, après l’avoir crucifié, se partagent ses vêtements (35), qui le gardent (36), qui avaient suspendu l’écriteau au-dessus de sa tête (37). La seule chose que fasse Jésus est de refuser de prendre de cette boisson qui l’aurait rendu largement insensible à la douleur et qui lui aurait évité les angoisses de l’agonie (34d). Il veut affronter sa Passion et sa mort en toute connaissance, sans aucun tranquillisant, dans la foi pure. Jésus accomplit les Écritures Jésus ne fait plus rien, apparemment. Et pourtant, les allusions aux psaumes le dépeignent accomplissant les Écritures. Tandis que se déroulent les actes habituels de l’exécution, le regard de foi du disciple y reconnait ce que Dieu avait annoncé depuis longtemps : il est le juste persécuté sans raison, abandonné de tous, celui qui, comme Job, refuse les moyens faciles des apaisements artificiels (34d), de la fuite et de l’évasion hors des affrontements radicaux avec la souffrance, la tentation du désespoir ou de la révolte, avec la mort. 3. LES PAÏENS INTRONISENT LE ROI DES JUIFS (Mt 27,27-37) COMPOSITION DE LA SOUS-SÉQUENCE Les deux passages sont liés d’abord par les mots de la même racine : « crucifier » (31c.35a) et « croix » (32b). Dans le premier passage, Mt décrit les sévices que les soldats avaient coutume de faire subir au condamné en attendant l’exécution ; cette dernière est rapportée dans le second passage. Il est question des « vêtements » de Jésus dans les deux passages : dans le premier, après l’avoir « dévêtu » (28a), les soldats lui remirent « ses vêtements » (31b), dans le second « ils partagèrent ses vêtements » (35a). Tandis que dans le premier passage les soldats lui « mirent sur la tête » une couronne dérisoire (29a), dans le second « ils avaient mis au-dessus de sa tête » le motif de sa condamnation (37a), libellé lui aussi de manière dérisoire. Le premier passage est centré sur l’apostrophe, orale, « Roi des Juifs » (29d) ; le second s’achève avec la déclaration, écrite cette fois-ci, « Celui-ci est Jésus, le Roi des Juifs » (37c).

selon saint Matthieu (Mt 27,27-61)

301

27,27 Alors les soldats du gouverneur, prenant avec eux JÉSUS dans le prétoire, rassemblèrent contre lui la cohorte toute entière. 28 L’ayant dévêtu, ils lui mirent autour une chlamyde écarlate. 29 Ayant tressé une couronne d’épines, ils la lui mirent sur la tête ainsi qu’un roseau dans sa main droite. Et, s’agenouillant devant lui, ils se jouèrent de lui en disant : « Salut, ROI DES JUIFS ! » 30 Crachant sur lui, ils prirent le roseau et ils le frappaient sur la tête. 31 Quand ils se furent joués de lui, ils lui ôtèrent la chlamyde et lui remirent ses vêtements et ils l’emmenèrent pour le CRUCIFIER. 32

En sortant, ils trouvèrent un homme de Cyrène, du nom de Simon : ils le requirent afin qu’il prenne sa CROIX. 33 Étant venus à l’endroit dit Golgotha, c’est-à-dire endroit dit du Crâne, 34 ils lui donnèrent à boire du vin mêlé de fiel, mais, en ayant gouté, il ne voulut pas boire. 35 L’ayant CRUCIFIÉ, ils partagèrent ses vêtements en tirant au sort. 36 Et, s’étant assis, ils le gardaient là. 37 Et ils avaient mis au-dessus de sa tête le motif de sa condamnation ainsi écrit : « Celui-ci est JÉSUS, LE ROI DES JUIFS. »

INTERPRÉTATION Dérision et vérité Il est bien évident que les soldats ne croient pas un mot des seules paroles qu’ils adressent à Jésus (29d) et que toute leur mascarade royale n’est que dérision. Ils se moquent de Jésus et, à travers le condamné qui vient de subir l’atroce supplice de la flagellation préparatoire à la crucifixion, c’est tout autant du peuple que de son roi dérisoire qu’ils se moquent. Il en est de même pour le diadème d’épines dont ils l’avaient affublé (29a), comme pour l’écriteau accroché au-dessus de la tête du crucifié (37c) : l’intention malveillante et injurieuse de sa rédaction positive — « Celui-ci est Jésus, le Roi des Juifs » —, aussi bien à l’égard des Juifs que de Jésus lui-même, ne saurait tromper personne. Cependant, pour celui qui entend et qui lit ces paroles à la lumière de Pâques, et à l’éclairage des prophéties, elles n’en prennent que plus de force et de signification. La vérité éclate à travers la plus sombre dérision.

302

L’exécution de Jésus B. LA TÉNÈBRE S’ÉTEND SUR TOUTE LA TERRE (Mt 27,38-51b)

La deuxième sous-séquence est formée de trois passages, « Jésus crucifié est moqué par ses compatriotes » (38-44), « La ténèbre couvre la terre en plein midi » (45), « Jésus mourant est moqué par ses compatriotes » (46-51b). 1. JÉSUS CRUCIFIÉ EST MOQUÉ PAR SES COMPATRIOTES (Mt 27,38-44) COMPOSITION DU PASSAGE Les courtes parties extrêmes (38 ; 44) mettent en scène « les brigands » « crucifiés avec lui ». Dans les deux autres parties (39-40 ; 41-43) ce sont d’abord « ceux qui passaient » qui « l’injuriaient » (39a) puis les sanhédrites qui « se jouaient » de lui (41). Leurs moqueries respectives sont bipartites. Avec « sauver » et « se sauver », 42ab fait écho à 40bcd. Ces deux morceaux sont complémentaires : la négation de 42b est pratiquement équivalente de l’impératif de 40d, mais ces membres sont mis en relation avec deux choses différentes, la destruction et la restauration du temple dans le premier cas (40bc), les guérisons opérées par Jésus dans le deuxième cas (42a)4. Le court morceau final des moqueries des passants (40ef) est largement développé par les sanhédrites en un morceau de construction spéculaire (42c-43). D’une partie à l’autre, les deux occurrences de « maintenant » (42d.43b) s’opposent à « en trois jours » (40c). Finalement (44), entrainés par tous les autres, « même les brigands crucifiés avec lui l’injuriaient ». CONTEXTE Ps 22,9 Le verset 43 cite (selon la Septante) le verset 9 du Ps 22 : « Il s’est confié dans le Seigneur, qu’il le délivre puisqu’il est son ami ! » L’expression « hochant la tête » de 39b rappelle le verset précédent du même psaume : « Tous ceux qui me voient me bafouent, leur bouche ricane, ils hochent la tête » (voir le texte du psaume, p. 457). Sg 2,18-20 Le même thème est repris par la Sagesse de Salomon qui y ajoute le thème du juste appelé « fils de Dieu » : « Si le juste est fils de Dieu, Dieu l’assistera... » 4 Il est surprenant que ce soient les passants (c’est-à-dire le peuple) qui fassent référence au faux témoignage prononcé devant les sanhédrites et inversement que ce soient les sanhédrites qui rappellent les guérisons opérées par Jésus en faveur du peuple. On s’attendrait en effet au contraire. Cette sorte d’inversion des rôles a sans doute pour effet de montrer que, si les responsables sont au courant des actions de Jésus parmi le peuple, le peuple n’ignore ni les circonstances du procès ni surtout les raisons de la vindicte des chefs, raisons qu’ils reprennent à leur compte. Ce qui a pour effet de souligner l’unité entre le peuple et ses dirigeants, et leur accord, contre Jésus.

selon saint Matthieu (Mt 27,27-61)

303

Contrairement à Mc, Mt applique deux fois ce titre de « Fils de Dieu » à Jésus (40e.43e). : 38 Alors . l’un . et l’autre

sont crucifiés avec lui à droite à gauche.

+ 39 Ceux qui passaient + hochant leurs têtes

DEUX BRIGANDS,

L’INJURIAIENT, 40

et disant :

··························································································

– « Celui qui détruis le sanctuaire – et en trois jours (le) rebâtis, : ! ·············································································

= SI TU ES LE FILS DE DIEU, : descends de la croix ! » + 41 Pareillement aussi les grands prêtres + avec les scribes et les anciens,

SE JOUANT

disaient :

··························································································

– 42 «

d’autres, : il ne peut pas

!

·············································································

= IL EST LE ROI D’ISRAËL, : qu’il descende maintenant . et nous croirons en . 43 Il s’est confié en : qu’il le délivre maintenant : s’il s’intéresse à lui ;

de la croix lui. Dieu,

= il a dit en effet que = « JE SUIS LE FILS DE DIEU. » : 44 Or, de la même manière, aussi LES BRIGANDS . ceux qui étaient crucifiés avec lui L’INSULTAIENT. :

Le troisième jour Le Midrash des Psaumes applique le Ps 22 à Esther ; à propos du jeûne de trois jours et de trois nuits observé par les Juifs et par la reine elle-même (Est 4,16 ; 5,1), il explique : « Pourquoi trois jours ? Parce que le Saint Béni soit-il ne laisse jamais Israël dans l’angoisse plus de trois jours ». Et il donne comme exemples : Gn 22,4 ; 42,17 ; Ex 15,22 ; 2R 20,5.8 ; Jos 2,16 ; Jon 2,1 ; Os 6,2 :

304

L’exécution de Jésus

« Après deux jours il nous rendra la vie, le troisième jour il nous relèvera, et nous vivrons en sa présence »5. INTERPRÉTATION Jésus est insulté par tous ses compatriotes Les chefs qui l’ont condamné sont venus, en corps constitué, grands prêtres, scribes et anciens, bref le Sanhédrin tout entier (41), pour assister à l’exécution de celui qu’ils avaient condamné à mort. Non contents d’être arrivés à leurs fins, au mépris de toute justice, ils s’abaissent encore jusqu’à se jouer de celui qu’ils jalousaient au point de prendre tous les moyens pour le supprimer (42-43). Le peuple lui aussi, dévoyé par ses chefs, les précède même dans leurs insultes (3940). Il n’est pas enfin jusqu’aux condamnés crucifiés avec lui qui ne crient eux aussi avec les loups (44). Jésus a vraiment fait l’unité de tous ses compatriotes contre lui. Jésus est reconnu comme sauveur Si le peuple reprend à son compte les faux témoignages portés contre Jésus durant le procès (40bc), et moquent la déclaration de l’inculpé devant le Grand Prêtre (40ef), et si les brigands crucifiés avec Jésus font chorus avec eux (44), les sanhédrites reconnaissent au moins, bien qu’ils le retournent contre Jésus, qu’il en a sauvé d’autres (42a). Ils ne peuvent nier que celui qu’ils se sont acharnés à mener jusque sur la croix, fut sauveur. « Maintenant » et « dans trois jours » Tous, aussi bien les passants que les sanhédrites, et « de la même manière » aussi les brigands, entendent que Jésus descende de la croix « maintenant » (40f.42d). Ils sont pressés et veulent imposer à Jésus, et à Dieu lui-même, leur propre calendrier. Ils ne peuvent attendre trois jours (40c). Ils devraient savoir pourtant, instruits par leur longue histoire d’oppressions et de délivrances, que c’est toujours « le troisième jour » que Dieu libère ses amis, ceux qui se confient en lui. 2. JÉSUS MOURANT EST MOQUÉ PAR SES COMPATRIOTES (Mt 27,46-51b) COMPOSITION DU PASSAGE Au début (46) et à la fin (50-51b), deux cris de Jésus, poussés « à grande voix », le premier où il prie son Dieu, le second où il rend l’esprit et où Dieu répond en déchirant le voile du sanctuaire (« fut fendu » est un passif théologique).

5

Midrash Tehillîm, 183.

selon saint Matthieu (Mt 27,27-61)

305

Les morceaux extrêmes de la partie centrale (47 ; 49) rapportent deux paroles de « certains » et d’« autres » qui jouent sur le nom de Dieu (« Éli » en 46c) en l’interprétant comme le nom du prophète « Élie » ; au centre (48), le geste de « l’un d’entre eux », longuement détaillé. + 46 Or vers la neuvième heure, + Jésus CLAMA à grande voix disant : : « ÉLI, ÉLI, c’est-à-dire : : « MON DIEU, MON DIEU,

lema

pourquoi m’as-tu ABANDONNÉ ? »

= 47 Or certains de ceux se tenant là ayant entendu, . « Il appelle

sabachtani ? »

disaient :

ÉLIE celui-ci ! »

············································································· 48

Et aussitôt

ayant couru l’un d’entre eux

et ayant pris l’ayant imbibée et l’ayant fixée

une éponge, de vinaigre à un roseau,

il abreuvait

lui.

·············································································

= 49 Or les autres . « Laisse ! . si ÉLIE vient

dirent : Voyons le SAUVER ! »

+ 50 Or Jésus de nouveau AYANT CRIÉ à grande voix + remit l’esprit. : 51 Et voici que LE RIDEAU DU SANCTUAIRE fut fendu : du haut jusqu’en bas en deux.

CONTEXTE Le Ps 22 Jésus en croix crie, en araméen (que Mt traduit ensuite en grec), le début du Ps 22. Citer un verset d’un psaume, c’est non seulement se référer au contenu du verset lui-même mais aussi faire allusion à l’ensemble du texte ; cela est encore plus vrai quand le verset cité est le premier, et qu’il lui sert quelque sorte de titre (voir p. 457). Le Ps 69 Le vinaigre renvoie au verset 22 du Ps 69, déjà cité en 27,34 : « dans ma soif ils m’abreuvaient de vinaigre ».

306

L’exécution de Jésus

Le Ps 31 Les derniers mots du verset 50, « il remit l’esprit », rappellent le verset 6 du Ps 31 : « En tes mains, Seigneur, je remets mon esprit ». L’allusion semble d’autant plus claire que le passage parallèle de Mc n’utilise pas cette expression mais a un simple « il expira » (Mc 15,37 : ce verbe, ex-epneusen, est cependant de la même racine que pneuma, « esprit »). Lc 23,46 sera plus explicite que Mt qui fait prononcer par Jésus les paroles du Psaume : « Père, je remets mon esprit entre tes mains ». Élie Dans la foi populaire, le prophète Élie était réputé devoir aider les miséreux, et particulièrement à l’heure de leur mort. INTERPRÉTATION L’épreuve de la foi Le psaume entonné par Jésus sur la croix s’achève sur le salut et la louange, mais si Mt met dans la bouche de Jésus le seul verset initial du psaume (46b), c’est sans doute pour montrer que Jésus a véritablement connu la déréliction de celui qui, touchant le fond du gouffre, a le sentiment, la tentation de croire que Dieu l’a vraiment abandonné. Cependant, si dans sa détresse il s’adresse encore à Dieu et lui pose la question, c’est qu’il croit, malgré tout, que Dieu l’écoute et peut encore le sauver. Le désespoir total est muet. La tentation n’étouffe pas le cri (46b.50a). Jésus ne comprend pas, mais au moment suprême, il ne meurt pas comme une bête ou comme un révolté, « il remet l’esprit » (50b), il le rend à Celui qui le lui avait donné. La réponse de Dieu Que ceux qui ont entendu le cri de Jésus fassent un mauvais jeu de mots ou qu’ils aient fait un lapsus audiendi en entendant le nom du prophète Élie (47b. 49c), alors que Jésus invoquait son Dieu (46), ils n’en reconnaissent pas moins que Jésus en appelle à un autre comme à celui qui peut le sauver (49c). Que ce soit Dieu lui-même ou son prophète, c’est toujours un secours qui vient d’en haut que Jésus invoque dans sa prière. La boisson acidulée en usage chez les soldats romains qui est tendue à Jésus au bout d’un roseau (48), peut-être par un de ses gardes païens, était sans doute destinée à apaiser sa soif et à le soulager. Mais ceux qui avaient déjà tourné en dérision sa prière (47) se moquent bien de ce geste de pitié (49). Craignant apparemment que cela n’accélère sa mort, ils n’ont d’autre souci que de démontrer que personne ne peut plus rien pour le supplicié et qu’il ne sera pas sauvé. Les apparences leur donneront raison, puisque Jésus expire aussitôt (50) et que personne ne s’est manifesté pour le tirer de leurs mains. Cependant, le récit ne s’achève pas sur la mort, mais sur une

selon saint Matthieu (Mt 27,27-61)

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manifestation divine : aux cris déchirants de Jésus (46.50), Dieu répond en déchirant le voile de son sanctuaire (51). 3. LA TÉNÈBRE S’ÉTEND SUR TOUTE LA TERRE (Mt 27,38-51b) COMPOSITION DE LA SOUS-SÉQUENCE • 27,38 Alors sont crucifiés avec lui deux brigands, un à droite et un à gauche. + 39 Ceux qui passaient l’injuriaient en hochant la tête 40 et en disant : « Toi qui détruis le SANCTUAIRE et en trois jours le rebâtis, SAUVE-toi toi-même ! Si tu es le Fils de Dieu, descends de la croix ! » + 41 Pareillement aussi les grands prêtres avec les scribes et anciens se jouaient et disaient : 42 « Il en a SAUVÉ d’autres, et il ne peut pas SE SAUVER lui-même ! Il est le Roi d’Israël, qu’il descende maintenant de la croix et nous croirons en lui. 43 IL S’EST CONFIÉ EN DIEU, qu’il le DÉLIVRE maintenant s’il s’intéresse à lui ; il a dit en effet que « Je suis le Fils de Dieu. » •

44

De la même manière, aussi les brigands crucifiés avec lui l’insultaient. - 45 À partir de - jusqu’à



la sixième heure, UNE TÉNÈBRE ADVINT SUR TOUTE LA TERRE la neuvième heure.

46

Vers la neuvième heure, Jésus clama à grande voix disant : « Éli, Éli, lema sabachtani ? » c’est-à-dire : « Mon DIEU, mon DIEU, pourquoi m’as-tu ABANDONNÉ ? »

+ 47 Certains de ceux qui se tenaient là ayant entendu disaient : « IL APPELLE ÉLIE CELUI-CI ! » + 48 Et aussitôt l’un d’entre eux courant et prenant une éponge, l’ayant imbibée de vinaigre et fixée à un roseau, il lui donnait à boire. + 49 Mais les autres disaient : « Laisse ! Voyons si Élie vient le SAUVER ! » •

50 51

Mais Jésus de nouveau criant à grande voix rendit l’esprit. Et voici que le rideau du SANCTUAIRE fut fendu du haut en bas en deux.

Dans les passages extrêmes deux courtes parties symétriques (38.44 ; 46.5051b) encadrent des parties plus longues. Dans les parties centrales, on se moque de Jésus : « il s’est confié en Dieu » (43) annonce « il appelle Élie » (47) et « Qu’il le délivre maintenant » (43) correspond à « Voyons si Élie vient le sauver » (49). « Abandonner » (46c) s’oppose à « sauver » (49b) qui reprend 40b. 42a). Les parties extrêmes (38.44 et 46.50-51b) montrent Jésus en relation avec les brigands d’abord, avec Dieu ensuite ; aux insultes que les uns lancent à Jésus s’opposent la prière adressée par Jésus et la réponse de son Dieu. Le voile du sanctuaire qui se déchire à la fin (51) renvoie aux moqueries du début, « Toi qui détruis le sanctuaire... » (40ab).

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L’exécution de Jésus

Dans le passage central (45), la ténèbre qui, durant trois heures, s’étend sur toute la terre. CONTEXTE Le passage central, avec la ténèbre, peut faire référence à la neuvième plaie d’Égypte (Ex 10,21ss), d’autant plus qu’elle est suivie de la mort des premiersnés (Ex 11) comme la ténèbre de Mt est suivie de la mort de Jésus. La ténèbre rappelle aussi Am 8,9-10 : « Il arrivera en ce jour-là, oracle du Seigneur Dieu, où je ferai coucher le soleil en plein midi et enténébrerai la terre en plein jour » ; ces ténèbres sont liées au deuil : « Je changerai vos fêtes en deuil [...]. Je ferai de ce deuil un deuil de fils unique » (voir aussi Am 5,16-20). Enfin il est possible que cette ténèbre renvoie à la ténèbre originelle, qui précédait la première création, celle de la lumière (Gn 1,2) ; la mort de Jésus qui coïncide avec la confusion de la ténèbre et du jour serait ainsi présentée comme une décréation. INTERPRÉTATION Tous croient Jésus abandonné Aucun des compatriotes de Jésus qui se trouvent là n’imagine qu’il pourrait maintenant être sauvé. Ni les sanhédrites au grand complet qui ont tout fait pour le perdre (41-42), ni le peuple qui s’est rangé du côté de ses chefs (39-40), ni ceux qui sont fixés comme lui à leur croix (44). C’en est fini de toutes les prétentions et de tous les espoirs de celui qui en avait sauvé d’autres (42a) et qui avait prétendu être capable de construire un nouveau temple en trois jours (40b). Même quand la ténèbre s’est étendue sur toute la terre (45), ils sont incapables d’y voir un signe du ciel et ils persévèrent jusqu’au bout dans leurs sarcasmes (47.49). Il n’est pas jusqu’à Jésus qui semble gagné par le doute : et si son Dieu l’avait vraiment abandonné (46) ? « Il s’est confié en Dieu » Dans leurs moqueries, les sanhédrites reconnaissent que Jésus « s’est confié en Dieu » (43ab). Ils ne mettent pas en doute sa foi passée. De même, quand Jésus criera, même s’ils se gaussent de sa prière, en faisant semblant de la comprendre de travers, ils sont pour ainsi dire contraints de confesser que Jésus prie maintenant en appelant Élie (47b). Leurs insultes ne peuvent masquer que Jésus s’en est toujours remis avec confiance au Ciel. Dieu répond Seul Dieu, qui au commencement sépara la lumière des ténèbres, peut replonger le monde dans l’obscurité en plein jour. En intervenant ainsi (45b), il marque sa présence au cœur du drame. Et non seulement sa présence, mais aussi son jugement : la ténèbre divine répond à l’aveuglement des hommes qui n’ont pas

selon saint Matthieu (Mt 27,27-61)

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voulu reconnaitre en Jésus le Fils de Dieu, le Roi d’Israël. En déchirant le voile de son sanctuaire (51), il intervient à nouveau : son jugement s’abat sur le temple et le peuple qui le lui avait construit. C. JUIFS ET ROMAINS DEVANT LA MORT DE JÉSUS (Mt 27,51c-61) La dernière sous-séquence comprend deux passages, « Soldats romains et femmes juives sont témoins » (51c-56) et « D’accord avec Pilate, Joseph ensevelit dignement Jésus » (57-61). 1. SOLDATS ROMAINS ET FEMMES JUIVES SONT TÉMOINS (Mt 27,51c-56) COMPOSITION DU PASSAGE . 51c Et la terre . et les rochers . 52 et les tombeaux

FUT SECOUÉE

furent fendus furent ouverts.

····························································································

furent ressuscités ;

+ Et de NOMBREUX corps de saints endormis - 53 et, sortis des tombeaux - ils entrèrent dans la ville + et furent manifestés + 54 Or le centurion – voyant + craignirent

après sa résurrection, sainte à de NOMBREUSES (personnes).

et ceux avec lui LE SÉISME

énormément

gardant Jésus, et les événements, disant:

« EN VÉRITÉ, IL ÉTAIT FILS DE DIEU CELUI-LÀ ! » + 55 Or il y avait – de loin

là observant,

+ lesquelles pour servir

avaient accompagné Jésus lui,

. 56 . .

parmi elles étaient et et

des femmes NOMBREUSES,

Marie Marie la mère

depuis la Galilée Madeleine mère de Jacques et de Joseph des fils de Zébédée.

Le premier morceau de la première partie décrit le séisme, le second les résurrections qui s’en suivent. Dans le second morceau la résurrection des morts (52b) est mise en parallèle avec celle de Jésus (53b)6 ; « nombreux » et « nombreuses » (52b.53c) font inclusion. 6

Le rapport est d’autant plus clair avec le verbe egeirō que c’est le seul emploi du substantif egersis pour désigner la « résurrection » dans tout le Nouveau Testament ; le substantif habituel (42 fois) est anastasis.

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L’exécution de Jésus

. 51c Et la terre . et les rochers . 52 et les tombeaux

FUT SECOUÉE

furent fendus furent ouverts.

···························································································

furent ressuscités ;

+ Et de NOMBREUX corps de saints endormis 53

- et, sortis des tombeaux - ils entrèrent dans la ville + et furent manifestés + 54 Or le centurion – voyant + craignirent

après sa résurrection, sainte à de NOMBREUSES (personnes).

et ceux avec lui LE SÉISME

énormément

gardant Jésus, et les événements, disant:

« EN VÉRITÉ, IL ÉTAIT FILS DE DIEU CELUI-LÀ ! » + 55 Or il y avait – de loin

là observant,

+ lesquelles pour servir

avaient accompagné Jésus lui,

. 56 . .

parmi elles étaient et et

des femmes NOMBREUSES,

Marie Marie la mère

depuis la Galilée Madeleine mère de Jacques et de Joseph des fils de Zébédée.

La deuxième partie (54) contient les seules paroles du passage, la confession de foi du centurion et de ses hommes. Le « séisme » (54b) renvoie à « fut secouée » (51c ; les deux mots sont de la même racine). « Les événements » (54b) semblent désigner les résurrections de 52b-53. La troisième partie (55-56), consacrée aux femmes, est liée à la précédente grâce à « observant » (55b) qui rappelle « voyant » de 54b. « Nombreuses » (55a) rappelle les deux occurrences du mot dans la première partie (52b.53c). CONTEXTE Le séisme est traditionnellement une des manifestations de l’intervention et du jugement de Dieu : Le Seigneur est le Seigneur des armées ! Il touche la terre et elle bouge Et tous ses habitants sont en deuil Et elle monte comme le fleuve toute entière Et elle s’affaisse comme le fleuve d’Égypte (Am 9,5).

selon saint Matthieu (Mt 27,27-61)

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Voir aussi Am 8,87 ; Jl 2,2.10. INTERPRÉTATION La manifestation de Dieu Un tremblement de terre est toujours interprété comme l’œuvre de Dieu : les nombreux passifs divins le signalent (51c.51d.52a.52b.53c). Seul celui qui a établi fermement la terre sur ses bases peut la faire trembler. Personne en dehors de lui surtout ne peut rappeler à la vie ceux qui se sont endormis dans la mort (52-53). C’est bien ainsi du reste que le centurion et les soldats romains interprètent ce dont ils sont les témoins effrayés (54). Les prémisses de la résurrection Curieusement — et le phénomène est d’autant plus remarquable qu’il est rare dans son évangile —, Mt fait précéder les récits de Pâque par celui de la résurrection de nombreuses personnes (52-53). Il fallait sans doute que l’intervention de Dieu en faveur de son fils, et par là au bénéfice de beaucoup, ne fût pas retardée et même qu’elle suive immédiatement la mort de Jésus. Ainsi, le sens de la mort du Christ est-il dévoilé : son sacrifice vaut aux hommes d’être arrachés à la mort et d’entrer avec lui dans la résurrection. Les païens précèdent les Juifs Les premiers à confesser que Jésus est le Fils de Dieu sont des païens, le centurion romain et ses subalternes (54). Ils précèdent les femmes disciples qui observent de loin (55ab). Et pourtant, c’était elles qui avaient accompagné Jésus depuis la Galilée en le servant (55cd). Alors que les païens parlent, elles demeurent encore muettes.

7

Voir, par exemple, P. BOVATI – R. MEYNET, Le Livre du prophète Amos, 33.327.345.

312

L’exécution de Jésus

2. D’ACCORD AVEC PILATE, JOSEPH ENSEVELIT DIGNEMENT JÉSUS (Mt 27,57-61) COMPOSITION DU PASSAGE + 57 Or le soir + vint :: qui lui aussi – 58 Celui-là .. réclama

étant arrivé, un homme riche s’était-fait-disciple ÉTANT VENU

le corps

d’Arimathie,

du nom de Joseph, de Jésus.

chez Pilate, de Jésus ;

– alors Pilate commanda .. qu’il (lui) fut -donné. ·····························································································

: 59 Et ayant pris : il enveloppa

le corps lui

Joseph, d’un linceul

pur.

····························································································· 60

:: Et il posa :: qu’il avait taillé

lui dans son propre dans le rocher ;

tombeau

:: et ayant roulé :: il PARTIT.

une grande

à la porte du tombeau,

+ 61 Or il y avait là ::

Marie assises en face

pierre

de Magdala

neuf

et l’autre Marie du sépulcre.

Aux extrémités, un homme, « Joseph d’Arimathie » (57b), et deux femmes, « Marie de Magdala et l’autre Marie » (61a) ; à la fin de la première partie Joseph est présenté comme « disciple » « de Jésus » (57c), à la fin de la dernière les femmes sont « assises », dans l’attitude typique du disciple, « en face du sépulcre » (61b). Dans la partie centrale, trois moments se succèdent : Joseph obtient le corps de Jésus de la part de Pilate, il l’enveloppe d’un linceul et enfin le dépose au tombeau. Le linceul est « pur », le tombeau « neuf ». « Venir » et « partir » (58a. 60d), qui sont de même racine (pros-elthōn et ap-ēlthen), jouent le rôle de termes extrêmes.

selon saint Matthieu (Mt 27,27-61)

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CONTEXTE La sépulture avec les riches (Is 53,9) Les suppliciés ne pouvaient être ensevelis dans un tombeau où reposaient déjà d’autres corps, car ils auraient souillé leur sépulture. S’ils n’étaient pas jetés dans une fosse commune, ils devaient, jusqu’à décomposition complète, rester isolés, après quoi leurs os pouvaient être réunis à ceux de leur parenté. Il n’en a pas été ainsi pour Jésus, puisque son corps est déposé dans le tombeau de Joseph d’Arimathie qui est présenté comme « un homme riche ». Il est possible de voir là une allusion à Is 53,9 : « On lui a dévolu sa sépulture au milieu des impies et son tombeau avec les riches. » Cependant, alors qu’en Is 53,9 la sépulture avec les riches est dépréciative, puisque « les riches » sont mis en parallèle avec « les impies », chez Mt au contraire « l’homme riche », Joseph d’Arimathie, est présenté comme un disciple de Jésus8. Un tombeau neuf Il est possible de voir dans ce tombeau neuf une allusion à la royauté de Jésus, car le roi ne saurait utiliser quoi que ce soit qui ait servi à d’autres avant lui. Cela sera nettement souligné par Lc 23,53 (voir p. 366), mais semble déjà présent, au moins en germe chez Mt. Le nombre des témoins Selon Dt 19,15, « deux ou trois témoins » sont nécessaires pour qu’un témoignage soit valable. C’est sans doute pourquoi, en plus de Joseph, le texte présente les deux Marie : ces trois personnes pourront donc attester non seulement que Jésus a été enseveli dignement, mais aussi identifier le lieu de sa sépulture. INTERPRÉTATION Il fut mis au tombeau Jésus partage avec tous les hommes le sort commun : si Mt utilise par deux fois le mot « corps » (58b.59a), au lieu de « cadavre », sans doute par respect pour le Maitre, c’est bien le corps sans vie de Jésus qui est mis au tombeau. Autant le procès de Jésus aura été injuste et son supplice le plus déshonorant qui fut, autant sa sépulture aura été digne. Certes son corps est privé de la toilette mortuaire et de l’onction de parfum habituelle, mais c’est, encore plus pour des raisons conjoncturelles, le soir étant venu, que pour un motif proprement théologique, l’onction ayant été anticipée dès le commencement du récit de la Passion (26,12). Cependant, le corps de Jésus n’est pas jeté, comme il était de règle pour les suppliciés, dans l’anonymat d’une fosse commune. Dès que ses souffrances sont achevées et que jusqu’au bout il a accompli la volonté de son Père, il fallait que sa résurrection fût précédée des honneurs qui lui étaient dus : il sera ainsi enveloppé 8

Arimathie est souvent identifiée à Ramatayim qui se trouve à l’Est de Jaffa.

314

L’exécution de Jésus

d’un linceul pur (59b) et déposé dans un tombeau neuf taillé dans le rocher et fermé d’une grosse pierre ronde (60c), comme celles qui protègent les tombes des plus grands. Au-delà de ces égards, il fallait surtout que sa mort fut scellée sans conteste : on n’est vraiment mort que lorsqu’on a été enseveli. Les témoins Il n’y a pas de mort légale sans le cadavre du défunt, sans que la mort ait été dûment constatée et sans que la dépouille soit identifiée par ses proches ou ses connaissances. Et quelque privé que puisse être un enterrement, il se déroule toujours en présence de témoins, ne serait-ce que celui qui y procède. L’ensevelissement de Jésus est attesté à la fois par Joseph d’Arimathie (57) et par les deux femmes qui, y ayant pris part ou y ayant seulement assisté, restent ensuite assises dans le deuil en face du sépulcre (61). Pilate lui-même pourrait témoigner qu’il a donné le corps de Jésus à ce notable qui était venu le lui réclamer (58). La mort et la sépulture du supplicié sont ainsi tout à fait légalement constatées. De même le lieu où il a été déposé ne pourra pas être mis en doute par personne, puisque trois personnes l’ont vu de leurs yeux. Leur témoignage à tous est d’autant plus important que la réalité de la résurrection repose d’abord sur la réalité de la mort et de la sépulture. Les disciples de Jésus Au début du passage, Joseph d’Arimathie est présenté explicitement par Mt comme un disciple de Jésus (57c). À la fin, lui font pendant deux femmes, Marie de Magdala et l’autre Marie (61a), dont le passage précédent avait dit qu’elles faisaient partie des nombreuses femmes qui avaient suivi Jésus depuis la Galilée pour le servir (55-56). Le Seigneur est ainsi accompagné à sa dernière demeure par trois de ses disciples, un homme et deux femmes. Après la dispersion de la Passion, ils sont les prémisses du groupe qui commence à se réunir autour de leur Maitre. Joseph et Marie l’avaient accueilli à sa naissance dans leur foyer ; c’est un autre Joseph et deux autres Marie qui le déposent au tombeau. « Qui est ma mère et qui sont mes frères ? » Montrant de la main ses disciples, il dit : « Voici ma mère et mes frères » (Mt 12,46-50).

selon saint Matthieu (Mt 27,27-61)

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3. JUIFS ET ROMAINS DEVANT LA MORT DE JÉSUS (Mt 27,51c-61) COMPOSITION DE LA SOUS-SÉQUENCE 27,51c La terre trembla, les ROCHERS se fendirent 52 et les TOMBEAUX s’ouvrirent. De nombreux CORPS de saints endormis ressuscitèrent 53 et, sortis des TOMBEAUX après sa résurrection, ils entrèrent dans la ville sainte et se manifestèrent à de nombreuses personnes. 54

Le centurion et ceux qui avec lui gardaient Jésus, voyant le séisme et les événements, eurent très peur et dirent : « En vérité, celui-ci était Fils de Dieu ! » 55

IL Y AVAIT LÀ de nombreuses femmes qui observaient de loin, celles qui avaient accompagné Jésus depuis la Galilée pour le servir, 56 entre autres Marie Madeleine et Marie mère de Jacques et de Joseph et la mère des fils de Zébédée. 57

Le soir étant arrivé, vint un homme riche d’Arimathie, du nom de Joseph, qui lui aussi s’était fait disciple de Jésus. 58

Étant venu chez Pilate, celui-ci réclama le CORPS de Jésus ; alors Pilate commanda qu’il lui fut -donné. 59 Joseph, ayant pris le CORPS, l’enveloppa d’un linceul pur. 60 Il le déposa dans son TOMBEAU neuf qu’il avait taillé dans le ROCHER et, ayant roulé une grande pierre à la porte du TOMBEAU, il s’en alla. 61

IL Y AVAIT LÀ Marie Madeleine et l’autre Marie qui étaient assises en face du sépulcre.

Les substantifs « rocher/s » (51c.60b), « tombeau/x » (52a.53a ; 60b.60c) et « corps » (52b ; 58a.59) sont repris d’un passage à l’autre, au pluriel dans le premier, au singulier dans le second. Chacun des deux passages s’achève avec la mention des femmes, spécialement Marie Madeleine et Marie mère de Jacques et de Joseph ; cette mention est introduite par la même formule, « Il y avait là » (55a.61a). Le centurion romain et ses compagnons semblent bien mis en parallèle avec Joseph, puisque, si le deuxième est qualifié de « disciple de Jésus » (57b), la confession de foi typique des disciples est mise dans la bouche des premiers (54b). « Pilate » (58a bis) est un païen comme « le centurion et ceux avec lui » (54a). INTERPRÉTATION La résurrection Avant même que le corps de Jésus soit déposé dans le tombeau creusé dans le rocher (60), Mt annonce que les rochers se sont fendus (51c), que les tombeaux se sont ouverts (52a) et que le Christ est ressuscité (53), entrainant derrière lui

316

L’exécution de Jésus

beaucoup de ceux qui l’avaient précédé dans la tombe (52). Il est vrai que tous ces ressuscités ne sortiront de leurs tombeaux qu’après la résurrection de Jésus, n’entreront dans la ville sainte qu’après que Jésus lui-même y ait fait son entrée et ne se manifesteront à de nombreuses personnes qu’après que le Christ se soit manifesté aux siens. Cependant, c’est dès la mort de Jésus que la terre tremble, que les rochers se fendent et que les tombeaux s’ouvrent (51c-52). La mort a fait son œuvre dans le corps de Jésus qui est mis au tombeau à la porte duquel une grande pierre est roulée (60) ; elle a d’abord et avant tout fait son œuvre de vie pour tous ceux dont les tombeaux se sont déjà ouverts (52). L’entrée des païens dans la foi Tandis que les saints israélites du passé accèdent à la résurrection avec le Christ (52-53), les païens, représentés par le centurion et ses hommes, accèdent à la foi au Fils de Dieu (54), préfigurant ainsi tous ceux qui, demain, les rejoindront. Ainsi, autour du Crucifié ressuscité, sont réunis les hommes et les femmes du passé et ceux de l’avenir, les membres du peuple élu et ceux des nations païennes. Le disciple Joseph d’Arimathie (57), Marie Madeleine, l’autre Marie (61) et toutes les nombreuses femmes qui avaient accompagné et servi Jésus (5556) voient dès aujourd’hui leur groupe se grossir de ceux-là mêmes qui avaient exécuté la sentence de mort portée par leurs compatriotes (54).

D. LA JUSTIFICATION DU SERVITEUR DE DIEU (Mt 27,27-61) COMPOSITION DE LA SÉQUENCE Les sous-séquences extrêmes (27-37 ; 51c-61) sont marquées par la présence des « soldats » (27a), du « centurion » et de ses compagnons (54a), ainsi que du « gouverneur » (27a) « Pilate » (58a bis) ; une des fonctions des soldats est de « garder » Jésus (36.54b). Les soldats sont évidemment présents durant la sousséquence centrale, mais ils n’y sont pas nommés (même si celui qui « donnait à boire » à Jésus en 48c est un des soldats romains, cela n’est pas dit explicitement par Mt). Les seconds passages des sous-séquences extrêmes commencent avec la présentation de « un homme », « de Cyrène » d’abord, « d’Arimathie » ensuite, tous deux juifs (32a.57a) ; de Joseph il est dit qu’il « s’était fait disciple de Jésus » (57), de Simon qu’il fut requis par les soldats romains « afin qu’il prenne sa croix » (32), ce qui est une expression classique pour désigner le disciple. Il est aussi possible de noter les deux vêtements dont Jésus est revêtu : « la chlamyde » au début (28), « le linceul » à la fin (59).

selon saint Matthieu (Mt 27,27-61)

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27,27 Alors LES SOLDATS du GOUVERNEUR, prenant avec eux Jésus dans le prétoire, rassemblèrent contre lui la cohorte toute entière. 28 L’ayant dévêtu, ils lui mirent une chlamyde écarlate. 29 Ayant tressé une couronne d’épines, ils la lui mirent sur la tête ainsi qu’un roseau dans la main droite. Et, s’agenouillant devant lui, ils se jouèrent de lui en disant : « Salut, ROI DES JUIFS ! » 30 Crachant sur lui, ils prirent le roseau et ils le frappaient sur la tête. 31 Et quand ils se furent joués de lui, ils lui ôtèrent la chlamyde et lui remirent ses vêtements et ils l’emmenèrent pour le crucifier. + 32 En sortant, ils trouvèrent un homme DE CYRÈNE, du nom de SIMON : = ils le requirent afin qu’il prenne sa croix. 33 Arrivés à un endroit dit Golgotha, c’est-à-dire endroit dit du Crâne, 34 ils lui donnèrent à boire du vin mêlé de fiel, mais, en ayant gouté, il ne voulut pas en boire. 35 L’ayant crucifié, ils partagèrent ses vêtements en tirant au sort, 36 et, s’étant assis, ils le gardaient là. 37 Ils avaient mis au-dessus de sa tête le motif de sa condamnation ainsi écrit : « Celui-ci est Jésus, le ROI DES JUIFS. » 38

Alors sont crucifiés avec lui deux brigands, l’un à droite et l’autre à gauche. 39 Les passants l’injuriaient en hochant la tête 40 et en disant : « Toi qui détruis le SANCTUAIRE et en trois jours le rebâtis, sauve-toi toi-même ! Si tu es le FILS DE DIEU, descends de la croix ! » 41 Pareillement aussi les grands prêtres avec les scribes et les anciens se jouaient et disaient : 42 « Il en a sauvé d’autres et il ne peut pas se sauver lui-même ! Il est le ROI D’ISRAËL, qu’il descende maintenant de la croix et nous croirons en lui. 43 Il s’est confié en Dieu, qu’il le délivre maintenant s’il s’intéresse à lui ; il a dit en effet : « Je suis le FILS DE DIEU. » 44 De la même manière, les brigands crucifiés avec lui eux aussi l’insultaient. 45

À PARTIR DE LA SIXIÈME HEURE, UNE TÉNÈBRE ADVINT SUR TOUTE la terre JUSQU’À LA NEUVIÈME HEURE.

46

Vers la neuvième heure, Jésus clama à grande voix et dit : « Éli, Éli, lema sabachtani ? » c’est-à-dire : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » 47 Ayant entendu, certains de ceux qui se tenaient là disaient : « Il appelle Élie, celui-ci ! » 48 Et aussitôt l’un d’entre eux courut prendre une éponge et, l’ayant imbibée de vinaigre et fixée à un roseau, il lui donnait à boire. 49 Mais les autres disaient : « Laisse ! Voyons si Élie vient le sauver ! » 50 Mais Jésus de nouveau criant à grande voix rendit l’esprit. 51 Et voici que le rideau du SANCTUAIRE se déchira en deux du haut en bas. La terre trembla, les rochers se fendirent 52 et les tombeaux s’ouvrirent. Et de nombreux corps de saints endormis ressuscitèrent. 53 Sortis des tombeaux après sa résurrection, ils entrèrent dans la ville sainte et se manifestèrent à de nombreuses personnes. 54 LE CENTURION et ceux qui avec lui gardaient Jésus, voyant le séisme et les événements, eurent très peur et dirent : « En vérité, il était FILS DE DIEU celui-ci ! » 55 Il y avait là de nombreuses femmes qui observaient cela de loin, celles qui avaient suivi Jésus depuis la Galilée pour le servir, 56 entre autres Marie Madeleine et Marie mère de Jacques et de Joseph et la mère des fils de Zébédée. + 57 Le soir étant arrivé, vint un homme riche, D’ARIMATHIE, du nom de JOSEPH, = qui lui aussi s’était fait disciple de Jésus. 58 Celui-ci étant venu chez PILATE, réclama le corps de Jésus ; alors PILATE commanda qu’il lui fut -donné. 59 Joseph, ayant pris le corps, l’enveloppa d’un linceul pur. 60 Il le déposa dans son tombeau neuf qu’il avait taillé dans le rocher et, ayant roulé une grande pierre à la porte du tombeau, il s’en alla. 61 Il y avait là Marie Madeleine et l’autre Marie qui étaient assises en face du sépulcre.

318

L’exécution de Jésus

27,27 Alors LES SOLDATS du GOUVERNEUR, prenant avec eux Jésus dans le prétoire, rassemblèrent contre lui la cohorte toute entière. 28 L’ayant dévêtu, ils lui mirent une chlamyde écarlate. 29 Ayant tressé une couronne d’épines, ils la lui mirent sur la tête ainsi qu’un roseau dans la main droite. Et, s’agenouillant devant lui, ils se jouèrent de lui en disant : « Salut, ROI DES JUIFS ! » 30 Crachant sur lui, ils prirent le roseau et ils le frappaient sur la tête. 31 Et quand ils se furent joués de lui, ils lui ôtèrent la chlamyde et lui remirent ses vêtements et ils l’emmenèrent pour le crucifier. + 32 En sortant, ils trouvèrent un homme DE CYRÈNE, du nom de SIMON : = ils le requirent afin qu’il prenne sa croix. 33 Arrivés à un endroit dit Golgotha, c’est-à-dire endroit dit du Crâne, 34 ils lui donnèrent à boire du vin mêlé de fiel, mais, en ayant gouté, il ne voulut pas en boire. 35 L’ayant crucifié, ils partagèrent ses vêtements en tirant au sort, 36 et, s’étant assis, ils le gardaient là. 37 Ils avaient mis au-dessus de sa tête le motif de sa condamnation ainsi écrit : « Celui-ci est Jésus, le ROI DES JUIFS. » 38

Alors sont crucifiés avec lui deux brigands, l’un à droite et l’autre à gauche. 39 Les passants l’injuriaient en hochant la tête 40 et en disant : « Toi qui détruis le SANCTUAIRE et en trois jours le rebâtis, sauve-toi toi-même ! Si tu es le FILS DE DIEU, descends de la croix ! » 41 Pareillement aussi les grands prêtres avec les scribes et les anciens se jouaient et disaient : 42 « Il en a sauvé d’autres et il ne peut pas se sauver lui-même ! Il est le ROI D’ISRAËL, qu’il descende maintenant de la croix et nous croirons en lui. 43 Il s’est confié en Dieu, qu’il le délivre maintenant s’il s’intéresse à lui ; il a dit en effet : « Je suis le FILS DE DIEU. » 44 De la même manière, les brigands crucifiés avec lui eux aussi l’insultaient. 45

À PARTIR DE LA SIXIÈME HEURE, UNE TÉNÈBRE ADVINT SUR TOUTE la terre JUSQU’À LA NEUVIÈME HEURE.

46

Vers la neuvième heure, Jésus clama à grande voix et dit : « Éli, Éli, lema sabachtani ? » c’est-à-dire : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » 47 Ayant entendu, certains de ceux qui se tenaient là disaient : « Il appelle Élie, celui-ci ! » 48 Et aussitôt l’un d’entre eux courut prendre une éponge et, l’ayant imbibée de vinaigre et fixée à un roseau, il lui donnait à boire. 49 Mais les autres disaient : « Laisse ! Voyons si Élie vient le sauver ! » 50 Mais Jésus de nouveau criant à grande voix rendit l’esprit. 51 Et voici que le rideau du SANCTUAIRE se déchira en deux du haut en bas. La terre trembla, les rochers se fendirent 52 et les tombeaux s’ouvrirent. Et de nombreux corps de saints endormis ressuscitèrent. 53 Sortis des tombeaux après sa résurrection, ils entrèrent dans la ville sainte et se manifestèrent à de nombreuses personnes. 54 LE CENTURION et ceux qui avec lui gardaient Jésus, voyant le séisme et les événements, eurent très peur et dirent : « En vérité, il était FILS DE DIEU celui-ci ! » 55 Il y avait là de nombreuses femmes qui observaient cela de loin, celles qui avaient suivi Jésus depuis la Galilée pour le servir, 56 entre autres Marie Madeleine et Marie mère de Jacques et de Joseph et la mère des fils de Zébédée. + 57 Le soir étant arrivé, vint un homme riche, D’ARIMATHIE, du nom de JOSEPH, = qui lui aussi s’était fait disciple de Jésus. 58 Celui-ci étant venu chez PILATE, réclama le corps de Jésus ; alors PILATE commanda qu’il lui fut -donné. 59 Joseph, ayant pris le corps, l’enveloppa d’un linceul pur. 60 Il le déposa dans son tombeau neuf qu’il avait taillé dans le rocher et, ayant roulé une grande pierre à la porte du tombeau, il s’en alla. 61 Il y avait là Marie Madeleine et l’autre Marie qui étaient assises en face du sépulcre.

selon saint Matthieu (Mt 27,27-61)

319

Le premier versant de la séquence (27-44) est marqué par la double occurrence de « Roi des Juifs » (29bc.37bc) et par la double occurrence de « Fils de Dieu » (40b.43c ; ce dernier titre sera cependant repris en 54c). Les synonymes « se jouer de » (29b.31b.41), « injurier » (39b) et « insulter » (44b) ne se trouvent que dans le premier versant, et pas du tout dans le second, bien que les deux réflexions, « Il appelle Élie, celui-ci » et « Laisse ! Voyons si Élie vient le sauver ! » (47b.49), au début du second versant soient aussi des moqueries. À partir du centre, le second versant est marqué par la manifestation de Dieu. La ténèbre qu’il étend sur la terre (45) n’est que le premier signe de son intervention ; elle continue à la fin de la sous-séquence centrale avec le voile du temple déchiré (51), puis, au début de la dernière sous-séquence, avec le séisme et la résurrection des morts (51c-53 ; le mot « terre » est repris en 45 et en 51c). Les liens entre la sous-séquence centrale et les deux autres : on « donne à boire » à Jésus deux fois (34.48c ; que ce soit avec le « fiel » ou avec le « vinaigre », l’allusion au Ps 69,22 est manifeste). Bien que cela ne soit pas signalé par des reprises lexicales, la mention de la résurrection de Jésus (53a) répond aux moqueries de ses compatriotes : « sauve-toi toi-même » (40b) et « il ne peut se sauver lui-même » (42a), « descends de la croix » (40b) et « qu’il descende maintenant de la croix » (42b), « voyons si Élie vient le sauver » (49) ; quant aux nombreux saints qui sortent de leurs tombeaux (52-53), ils sont de ceux qui sont « sauvés » par la résurrection de Jésus, comme ceux dont il était question en 42a. CONTEXTE Le quatrième chant du Serviteur (Is 52,13–53,12) Mt est le seul des synoptiques à qualifier Joseph d’Arimathie comme un « homme riche » (pour Mc 15,43, c’est un « notable conseiller », pour Lc 23,50, « un homme juste et bon »). Ce détail renvoie à Is 53,9 : « On a mis chez les méchants son sépulcre, chez les riches son tombeau ». Par ailleurs, le fait que Mt ait intégré le couronnement d’épines à sa séquence a pour effet d’accumuler les moqueries contre Jésus : on « se joue » de lui (29.31.41), on « l’injurie » (39), on « l’insulte » (44), comme le serviteur est méprisé (Is 53,3). Ps 22 Les références au Ps 22 sont nombreuses9 : avec Mc, Mt a le tirage au sort des vêtements (Mt 27,35 ; Mc 15,24 ; Ps 22,19), les hochements de tête (Mt 27,39 ; Mc 15,29 ; Ps 22,8b), les « insultes » (Mt 27,44 ; Mc 15,32 ; Ps 22,7b) et bien sûr la citation directe du premier verset du psaume (Mt 27,46 ; Mc 15,34). Cependant Mt y ajoute la citation de 27,43 (Ps 22,9).

9

Voir le texte complet du psaume, p. 457.

320

L’exécution de Jésus

INTERPRÉTATION « Il était méprisé et rejeté par les hommes » (Is 53,3) La troisième séquence de Mt apparait comme une sorte de mise en récit du quatrième poème du Serviteur d’Isaïe10. Jésus y est moqué et bafoué par tous, Juifs et païens, comme le Serviteur « méprisé et rejeté par les hommes » (Is 53,3) : par les soldats du gouverneur romain d’abord qui se jouent de sa royauté en le couronnant d’épines, en se prosternant devant lui et en le couvrant de crachats (27-31) ; par les Juifs ensuite, passants, responsables du peuple et jusqu’aux deux autres condamnés (38-44) ; par tous ceux enfin, Juifs ou païens, qui iront jusqu’à plaisanter cruellement sur sa prière de détresse (46-51b). Comme s’ils « l’estimaient châtié, frappé par Dieu et humilié » (Is 53,4). C’est certainement là que culmine l’aveuglement de ceux qui en viennent à projeter sur Dieu lui-même leur propre méchanceté. « Par ses plaies nous sommes guéris » (Is 53,5) Ses compatriotes, peuple et chefs réunis, provoquent Jésus et, de toutes sortes de manières, ils le somment de manifester sa puissance de salut. Durant les longues heures où il est fixé à la croix, ils se moquent de celui qui, à leurs yeux, est incapable d’en descendre et de se sauver lui-même (38-44). Pour croire, il leur faudrait voir Jésus délivré par Dieu de la mort (42). Comme s’ils pouvaient, de bonne foi, réclamer du Ciel le salut de celui qu’ils sont en train de tuer euxmêmes ! Cependant, par la ténèbre qu’il étend sur toute la terre (45), Dieu répond déjà en quelque sorte à leurs demandes, mais leurs cœurs sont encore plus enténébrés que le ciel et ils continuent de se moquer de Celui dont ils ne veulent même pas reconnaitre le nom dans la bouche de Jésus (46-49). Mais Dieu n’interviendra qu’après la mort de son Fils (51-53). Il le délivrera de la mort, mais pas avant que Jésus y ait d’abord été soumis. Jésus sera sauvé de la mort, non pas en y échappant avant l’heure, mais en ressuscitant d’entre les morts (53a). Comme s’il était impossible de sauver les autres de la mort sans l’avoir connue soi-même. C’est qu’il fallait que nous sachions de quoi nous sommes guéris et par quoi, ou par qui nous le sommes. « Le juste, mon serviteur, justifiera les multitudes » (Is 53,11) Tous ensemble, Juifs et païens se moquent de Jésus. Dans le prétoire, les soldats du gouverneur romain se jouent de lui en l’affublant d’un faux manteau royal, en le couronnant d’épines et en lui mettant un roseau dans la main en guise de sceptre (27-31). Les passants juifs ainsi que leurs chefs, et jusqu’à ceux qui sont crucifiés avec lui, l’insultent à l’envi (38-44). Ils se gaussent de celui qui a prétendu être le Roi des Juifs (29cd.37bc.42b), de cet homme qui s’est dit le Fils de Dieu (40b.43c). 10 Voir la mise en page du poème en entier, p. 61 (voir aussi pour la première partie, p. 147 ; pour la deuxième partie, p. 281 ; pour la troisième partie, p. 155).

selon saint Matthieu (Mt 27,27-61)

321

Après que Jésus ait rendu l’esprit, des païens et des Juifs se retrouvent ensemble, retournés cette fois-ci en faveur de Jésus. À la vue de ce qui se passe, le centurion romain et ses hommes sont amenés à confesser que cet homme était vraiment le Fils de Dieu (51c-54) ; ils rejoignent ainsi par leur confession de foi les femmes qui avaient suivi et servi Jésus depuis la Galilée (55-56). Simon de Cyrène, Juif de la diaspora, est, sans doute malgré lui, enrôlé par des païens, certainement malgré eux, pour devenir disciple de Jésus (32) ; Joseph d’Arimathie, Juif de la terre d’Israël, qui s’était fait disciple de Jésus (57), amène en quelque sorte Pilate le païen à honorer comme il se doit le corps de Jésus (58-60). Le voile du sanctuaire qui séparait les païens des Juifs est déchiré par le Ciel luimême (51ab). Dans trois jours, c’est un nouveau sanctuaire que Jésus bâtira par sa résurrection (40). Dès maintenant les païens repentis aussi bien que les saints juifs s’y retrouvent ensemble.

CHAPITRE VIII

L’avènement du Maitre de la terre (Mc 15,21-47)

La troisième séquence de Mc comprend, à ses extrémités, deux sousséquences formées chacune de deux passages ; entre deux, le passage qui rapporte la prière de Jésus (33-36).

Les

ROMAINS crucifient

LE ROI

DES JUIFS

21-28

Les

JUIFS

DU ROI

D’ISRAËL

29-32

JÉSUS APPELLE DIEU ET NON ÉLIE

33-36

se moquent

Le centurion

ROMAIN

reconnait

LE FILS

DE DIEU

37-41

Le conseiller

JUIF

accueille

LE RÈGNE DE DIEU

42-47

324

L’exécution de Jésus A. L’EXÉCUTION DU ROI DES JUIFS (Mc 15,21-32)

La première sous-séquence comprend deux passages, « Les Romains crucifient le Roi des Juifs » (15,21-28) et « Les Juifs se moquent du Roi d’Israël » (15,29-32). 1. LES ROMAINS CRUCIFIENT LE ROI DES JUIFS (Mc 15,21-28) COMPOSITION DU PASSAGE Deux parties longues (21-24a ; 25-28) encadrent une partie très brève (24bcd). Les deux morceaux de la première partie sont de même construction et mettent en parallèle Simon et Jésus. La troisième partie (25-28) est elle aussi de construction parallèle : crucifixion dans les premiers segments (de Jésus en 25, puis des brigands en 27) ; deux écritures dans les seconds membres (l’« inscription » en 26 et l’« Écriture » en 28)1. Les termes initiaux des deux morceaux de la dernière partie (« crucifièrent » en 25b et « crucifient » en 27a) correspondent aux termes finaux de la première partie (« croix » en 21c et « crucifient » en 24a). Au centre enfin (24bcd), une partie de la taille d’un segment trimembre. La position centrale de ce verset est confirmée par le fait que, contrairement à Mt 27,35, il s’achève par une question (au style indirect : « qui prendrait quoi »), ce qui arrive souvent au centre d’une construction2. Ce dernier verbe est le même que celui de 21e.

1

« Le verset 28 manque dans les plus anciens et les meilleurs témoins du texte alexandrin et du texte occidental. Il est compréhensible que des copistes aient pu ajouter la phrase en marge d’après Lc 22,37, d’où elle entra dans le texte lui-même ; si la phrase avait existé à l’origine, il n’y a pas de raison qu’elle ait été supprimée. Il est aussi significatif que Mc cite très rarement l’Ancien Testament de manière explicite » (B.M. METZGER, A Textual Commentary, 99). Ce verset n’est admis ni par Nestle-Aland 27e éd., ni par UBS 1989, ni dans les traductions de la BJ, d’Osty ou de la TOB. En ce qui concerne l’argument de la note marginale passée ensuite dans le texte, il aurait plus de poids si la contamination venait d’une péricope parallèle de Lc ; or Is 53,12 est cité par Lc dans un contexte totalement différent. Il est vrai que, contrairement à Mt, Mc se réfère très rarement de manière explicite à des textes de l’Ancien Testament, mais ce genre d’argument n’est pas décisif. La symétrie de ce verset avec le verset 26, le parallélisme des deux morceaux 25-26 et 2728, la régularité de la construction du passage dans son entier enfin, pourraient être autant de raisons d’intégrer le verset controversé : d’autre part, la correspondance entre le centre du passage (24bcd) qui est occupé par une allusion claire au Ps 69 d’une part et la fin du passage (28) où est cité Is 53,12 d’autre part serait bien dans la manière des constructions concentriques des textes bibliques où, selon la loi n° 3 mise en évidence par N.W. Lund, il arrive souvent que le centre corresponde aux extrémités (Chiasmus in the New Testament, 40 ; traduit dans Traité, 97-98). 2 Voir Traité, 417-436.

selon saint Marc (Mc 15,21-47) + 21 Et ils requièrent : Simon

un qui passait, de Cyrène,

+ qui revenait : le père

des champs, d’Alexandre

et de Rufus,

PRENNE

SA CROIX.

= afin qu’il

325

···········································································································

+

22

Et ils le portent : ce qui est traduit

+ 23 et ils lui donnaient : mais lui = 24 Et ILS CRUCIFIENT Et ils partagent en tirant au sort qui PRENDRAIT = 25 C’était = et ILS CRUCIFIÈRENT . 26 Et était + « LE ROI

au lieu le lieu

Golgotha, du Crâne,

du vin n’(en) prit pas.

de myrrhe,

lui. ses vêtements, sur eux quoi. la troisième lui.

heure

L’INSCRIPTION DES JUIFS. »

de son motif

écrite :

··········································································································· 27

= Et avec lui = l’un = et l’autre 28

. [ Et fut accomplie + « ET AVEC

ILS CRUCIFIENT

deux

à droite à la gauche

brigands,

de lui.

L’ÉCRITURE DES SANS-LOI

IL A ÉTÉ COMPTÉ.

qui dit : »]

326

L’exécution de Jésus

COMPARAISON SYNOPTIQUE (voir Mt 27,32-37, p. 298) Mt 27,32-37 32

Or en sortant, ils trouvèrent un homme

DE CYRÈNE, du nom de SIMON. Celui-là ILS REQUIRENT AFIN QU’IL PRENNE SA CROIX.

Mc 15,21-28 21

Et ILS REQUIÈRENT un qui passait, SIMON DE CYRÈNE, qui revenait des champs, le père d’Alexandre et de Rufus, AFIN QU’IL PRENNE SA CROIX. ·····························································

33

Et étant venus À L’ENDROIT dit GOLGOTHA, CE QUI EST dit L’ENDROIT DU CRÂNE, 34 ILS LUI DONNÈRENT à boire DU VIN avec du fiel mêlé.

22

Et ils le portent

À l’ENDROIT GOLGOTHA CE QUI EST traduit L’ENDROIT DU CRÂNE, 23 et ILS LUI DONNAIENT DU VIN

de myrrhe,

······················································

Et ayant gouté, il ne voulut pas boire. ······················································

mais il n’en prit pas. 24 ET ILS LE CRUCIFIENT.

35

Or L’AYANT CRUCIFIÉ, ILS PARTAGÈRENT SES VÊTEMENTS EN TIRANT AU SORT, 36

Et ILS PARTAGENT SES VÊTEMENTS, EN TIRANT AU SORT sur eux qui prendrait quoi.

et, s’étant assis, ils le gardaient là. 25

C’était la troisième heure et ils le crucifièrent. 37

ET ils mirent au-dessus de sa tête SON MOTIF (de condamnation ainsi) ÉCRIT : « Celui-ci est Jésus, LE ROI DES JUIFS. »

26

ET était l’inscription de SON MOTIF (de condamnation) ÉCRITE « LE ROI DES JUIFS. »

:

····························································· 38

Alors SONT CRUCIFIÉS AVEC LUI DEUX BRIGANDS, L’UN À DROITE ET L’AUTRE À GAUCHE.

27

Et AVEC LUI ILS CRUCIFIENT DEUX BRIGANDS, L’UN À DROITE ET L’AUTRE À sa GAUCHE. [28 Et fut accomplie l’Écriture qui dit : « Et avec des sans-loi il a été compté. »]

La construction de Mc 15,21 est très différente de celle de Mt 27,32 ; c’est surtout par la mention des noms d’Alexandre et de Rufus, les fils de Simon de Cyrène, que Mc se distingue de Mt ; ce détail laisse supposer que ces deux hommes étaient connus de la communauté de Mc ; — pour les versets suivants (Mc 15,22-24 ; Mt 27,33-36), alors que Mt subordonne, Mc juxtapose ; — pour la boisson, alors que Mc a un très court « mais il n’(en) prit pas » (23c), Mt développe en deux propositions dont il fait le centre de son passage (34c) ; c’est le contraire pour le verset concernant le partage des vêtements, plus développé chez Mc (24bcd) que chez Mt (35), et qui devient le centre de la construction de Mc ; — Mc ajoute la mention de l’heure (25a) mais ne reprend pas Mt 27,36 ; — l’inscription de Mc 15,26 est plus courte que celle de Mt 27,37 ; — enfin, le passage de Mc s’achève avec la mention des deux brigands, qui se trouvera au début du passage suivant chez Mt (Mt 27,38 ; voir p. 303).

selon saint Marc (Mc 15,21-47)

327

CONTEXTE Pr 31,6-7 et Ps 69,22 Au verset 23, Mc a remplacé le « fiel » de Mt 27,34 par de la « myrrhe », ce qui est certainement plus près de la vérité historique, la coutume étant de mettre de l’encens dans le vin pour en faire une boisson assoupissante, suivant en cela le conseil de Pr 31,6-7 : « Procure des boissons fortes à qui va périr, du vin au cœur rempli d’amertume : qu’il boive ! Qu’il oublie sa misère ! Qu’il ne se souvienne plus de sa peine ! » L’allusion au Ps 69, pour être moins prégnante que chez Mt, n’en est pas moins fort probable (voir p. 299). Ps 22,19 La citation du psaume, augmentée de la question finale, est mise en valeur par sa position au centre du passage (voir p. 298 ; voir le texte du psaume, p. 457). Is 53,12 Le passage s’achève (si on adopte la variante de 15,28) par une citation du quatrième chant du Serviteur d’Isaïe (voir p. 155). INTERPRÉTATION Le maitre et le disciple Jésus est emmené vers le Golgotha pour être crucifié (22-24a). En chemin, Simon est requis par les soldats pour porter la croix de Jésus (21). Qu’il l’ait voulu ou non, le père d’Alexandre et de Rufus devient ainsi le modèle du disciple : il accompagne Jésus en portant sa croix. C’est ensemble que le maitre et son disciple marchent au supplice. Alors que leur père porte un nom typiquement hébraïque, ses deux fils ont reçu, le premier un nom grec, le second un nom latin. Symbole sans doute de tous ceux, Juifs d’abord, païens ensuite, qui se mettront ensemble à la suite de Jésus : « Toutes les familles des nations se prosterneront devant lui » (Ps 22,28). Le sans-loi intronisé Bien que controversée du point de vue de la critique textuelle, la citation par laquelle s’achève le passage est tout à fait cohérente avec son contexte, aussi bien chez Marc que chez Isaïe. En effet, de même que le verset cité par Mc (28) est précédé par la mention de l’écriteau, « Le roi des Juifs » (26b), ainsi, à la fin du quatrième chant du Serviteur, il est précédé par l’annonce du triomphe de celui qui « avait été compté parmi les pécheurs » : « C’est pourquoi je lui attribuerai des foules et avec les puissants il partagera les trophées, parce qu’il s’est livré lui-même à la mort et a été compté parmi les pécheurs » (Is 53,12). Ainsi est manifesté de manière indirecte le lien nécessaire entre les souffrances du Christ et son exaltation.

328

L’exécution de Jésus

L’héritage Dans le Ps 22, la description des tourments du juste s’achève sur le partage des vêtements (v. 19 ; voir p. 457) : avant même que celui qu’ils torturent soit mort, ses ennemis se partagent ses dépouilles, comme ces héritiers avides qui ne peuvent attendre que le moribond ait rendu l’âme pour se disputer ce qu’il laisse. Le passage de Mc culmine sur cette image du condamné, élevé nu sur la croix, et des soldats romains héritant de ses vêtements (24bcd). Un peu comme Élisée recevant le manteau de son maitre Élie, élevé au ciel (2R 2,11-13). De même que le père d’Alexandre et de Rufus avait partagé les souffrances du Juste, ainsi les soldats païens héritent des vêtements du Roi des Juifs. 2. LES JUIFS SE MOQUENT DU ROI D’ISRAËL (Mc 15,29-32) COMPOSITION DU PASSAGE = 29 Et ceux qui passaient L’INJURIAIENT, . hochant leurs têtes et disant : ·······························································································

+ « Hé ! Celui qui détruis - et le rebâtis

le sanctuaire en trois jours,

: 30 SAUVE-TOI . descendant

toi-même, de la croix ! »

= 31 Pareillement aussi les grands prêtres SE JOUANT entre eux avec les scribes, . disaient : ······························································································· : « Il en A SAUVÉ d’autres, . il ne peut SE SAUVER LUI-MÊME !

+ 32 Le Christ, . qu’il descende - afin que nous voyions

le Roi d’Israël, maintenant de la croix, et que nous croyions ! »

= Même ceux qui avaient été crucifiés avec lui L’INSULTAIENT.

Trois sortes de personnages se moquent de Jésus : les passants, membres du peuple (29-30), puis les chefs (31-32c), enfin les brigands (32d). — Seules les paroles des deux premiers groupes sont rapportées (29c-30 ; 31c-32c) ; les segments extrêmes (29ab.32d) font inclusion. — Les paroles des deux premiers groupes se répondent avec « sauver » et « se sauver » (30a.31cd) ; « qu’il descende maintenant de la croix » et « descendant de la croix » (30b.32b) ; enfin, il est possible de noter que l’adverbe de temps « maintenant » (32b) renvoie au complément de temps « en trois jours » (29d).

selon saint Marc (Mc 15,21-47)

329

COMPARAISON SYNOPTIQUE (voir Mt 27,38-44, p. 303) Mt 27,38-44

Mc 15,29-32

38 Alors sont crucifiés avec lui deux brigands, l’un à droite et l’autre à gauche. 39

Or CEUX QUI PASSAIENT L’INJURIAIENT, 40 HOCHANT LEURS TÊTES ET DISANT :

29

·····························································

·····························································

Et CEUX QUI PASSAIENT L’INJURIAIENT, HOCHANT LEURS TÊTES ET DISANT :

« CELUI QUI DÉTRUIS LE SANCTUAIRE ET EN TROIS JOURS (le) REBÂTIS, SAUVE-TOI TOI-MÊME !

« Hé ! CELUI QUI DÉTRUIS LE SANCTUAIRE ET (le) REBÂTIS EN TROIS JOURS, 30 SAUVE-TOI TOI-MÊME,

·························································

Si tu es le Fils de Dieu, DESCENDS DE LA CROIX ! » 41

DESCENDANT DE LA CROIX



PAREILLEMENT AUSSI LES GRANDS PRÊTRES, SE JOUANT AVEC LES SCRIBES et les anciens, DISAIENT :

31

·····························································

·····························································

42

« IL EN A SAUVÉ D’AUTRES, IL NE PEUT SE SAUVER LUI-MÊME ! ·························································

Il est LE ROI D’ISRAËL, QU’IL DESCENDE MAINTENANT DE LA CROIX

PAREILLEMENT AUSSI LES GRANDS PRÊTRES, SE JOUANT entre eux AVEC LES SCRIBES, DISAIENT : « IL EN A SAUVÉ D’AUTRES, IL NE PEUT SE SAUVER LUI-MÊME ! 32 Le Christ, LE ROI D’ISRAËL, QU’IL DESCENDE MAINTENANT DE LA CROIX, afin que nous voyions ET que NOUS CROYIONS ! »

en lui. Il s’est confié en Dieu, qu’il le délivre maintenant s’il s’intéresse à lui ; il a dit en effet que « Je suis le Fils de Dieu. » ET NOUS CROIRONS 43

44

Or de la même manière,

MÊME les brigands CEUX QUI ÉTAIENT CRUCIFIÉS AVEC LUI L’INSULTAIENT.

MÊME CEUX QUI AVAIENT ÉTÉ CRUCIFIÉS AVEC LUI L’INSULTAIENT.

Le verset parallèle à Mt 27,38 ne fait pas partie du présent passage de Mc, mais du précédent (voir p. 325). — Dans les paroles des passants, Mc ajoute l’interjection initiale « Hé ! » (29c), et Mt ajoute « Si tu es le Fils de Dieu » (40e). — Parmi les chefs qui se moquent de Jésus, Mt ajoute « les anciens » (41c), ce qui donne la liste complète des trois catégories de sanhédrites. — Des relations analogues se retrouvent dans les deux premiers évangiles entre les paroles des passants et celles des chefs, bien que le texte de Mc soit nettement plus court ; tandis que « le Roi d’Israël » de Mt (42c) est doublé en Mc (32a) par « le Christ », la double mention du « Fils de Dieu » de Mt (40e.43d) est absente de Mc. — De la même manière, alors que le « et nous croirons en lui » de Mt (42f) est doublé chez Mc avec « afin que nous voyions et que nous croyions » (32de), Mc ne reprend pas la citation de Ps 22,9 de Mt (43).

330

L’exécution de Jésus

INTERPRÉTATION Le sens du passage de Mc ne diffère guère de celui du passage parallèle de Mt. Deux différences majeures auront cependant une incidence sur l’interprétation : le titre de « Fils de Dieu » que Mt donne par deux fois à Jésus (40e.43d) et qui fait référence à Sg 2 d’une part et d’autre part la citation du Ps 22,9 (en 43). Jésus est ainsi présenté clairement par Mt comme accomplissant les Écritures, non seulement en tant que juste persécuté, mais plus précisément encore comme Fils de Dieu. Ce que Mc ne fait pas. 3. L’EXÉCUTION DU ROI DES JUIFS (Mc 15,21-32) COMPOSITION DE LA SOUS-SÉQUENCE 15,21 Et ils requièrent un passant, Simon de Cyrène, qui venait des champs, le père d’Alexandre et de Rufus, afin qu’il prît sa CROIX. 22 Et ils le portent au lieu Golgotha ce qui se traduit le lieu du Crâne, 23 et ils lui donnaient du vin de myrrhe, mais il n’en prit pas, 24 et ils le crucifient. Alors ils partagent ses vêtements, en les tirant au sort pour savoir qui prendrait quoi. 25

C’était la troisième heure quand ils le crucifièrent. 26 L’inscription de sa condamnation était ainsi écrite : « LE ROI DES JUIFS. » 27 Et avec lui ils crucifient deux brigands, l’un à droite et l’autre à sa gauche. [28 Et fut accomplie l’Écriture qui dit : « Et avec des sans-loi il a été compté. »] 29

Les passants l’injuriaient, hochant la tête et disant : « Hé ! Toi qui détruis le sanctuaire et le rebâtis en trois jours, 30 sauve-toi toi-même, descendant de la CROIX ! » 31

Pareillement aussi les grands prêtres, se jouant entre eux avec les scribes, disaient : « Il en a sauvé d’autres, il ne peut se sauver lui-même ! 32 Le Christ, LE ROI D’ISRAËL, qu’il descende maintenant de la croix, afin que nous voyions et que nous croyions ! » Aussi ceux qui avaient été crucifiés avec lui l’insultaient.

Les deux passages commencent avec la mention de « passants » (synonymes en grec : par-agō en 21a, para-poreuomai en 29a) ; les premières phrases s’achèvent avec « croix ». Les titres de l’inscription (26b) et des moqueries (32b) : « roi des Juifs », « roi d’Israël » sont synonymes. Les deux passages s’achèvent sur la mention des deux brigands « crucifiés avec lui » (27.32d) ; si l’on considérait ces termes comme finaux au sens strict, la sous-séquence serait alors centrée sur la citation de 28.

selon saint Marc (Mc 15,21-47)

331

COMPARAISON SYNOPTIQUE Mt 27,27-51b

Mc 15,21-32

+ Les soldats romains se jouent de Jésus : - couronnement du Roi des Juifs 27-31 + Les soldats romains crucifient Jésus : - Simon, boisson, vêtements partagés - Inscription : le Roi des Juifs 32-37 deux brigands crucifiés avec lui

+ Les soldats romains crucifient Jésus : - Simon, boisson, vêtements partagés - Inscription : le Roi des Juifs - deux brigands crucifiés avec lui

= Les Juifs se moquent de Jésus : passants, sanhédrites, brigands 38-44

+ Les Juifs se moquent de Jésus : passants, chefs, brigands

21-28

29-32

TÉNÈBRE 45 Prière de Jésus = Les Juifs se moquent de Jésus (Élie) Mort de Jésus, voile du temple

46-51b

Chez Mt, les passages parallèles aux deux passages de Mc (à savoir Mt 27,3237 et 38-44) appartiennent à deux sous-séquences différentes : le premier en effet est couplé avec le couronnement d’épines (27,27-37 ; voir p. 301) et le second entre dans la sous-séquence centrale (27,38-51b ; voir p. 307). INTERPRÉTATION Le Roi des Juifs L’écriteau apposé par les Romains au-dessus de Jésus le désigne comme « le Roi des Juifs » (26), ce qui est une manière de signifier la prétention du condamné, mais aussi de « se jouer de lui » (31), et du peuple auquel il appartient. Les grands prêtres et les scribes font chorus avec les païens quand ils lui attribuent par dérision les titres de « Christ » et de « Roi d’Israël » (32). Les passants aussi l’injurient en reprenant les faux témoignages qui avaient été portés contre Jésus durant son procès (29). Et, pour faire mesure comble, même ceux qui partagent le même supplice l’insultent eux aussi (32). Un disciple Cependant, il est un homme, un seul, qui ne se moque pas du supplicié, mais qui au contraire aide Jésus en portant sa croix. Le tableau brossé par Mc met cette figure de disciple, pour ainsi dire, en tête du cortège (21), comme pour montrer au lecteur le chemin. En fait, Simon de Cyrène n’est pas vraiment seul,

332

L’exécution de Jésus

puisque ses deux fils sont mentionnés eux aussi : Alexandre et Rufus représentent symboliquement tous les disciples qui dans l’avenir, parmi les païens dont ils portent les noms, accepteront de porter, comme leur père, la croix du Seigneur Jésus. B. JÉSUS N’APPELLE PAS ÉLIE MAIS PRIE DIEU (Mc 15,33-36) COMPOSITION DU PASSAGE + 33 Et quand arriva :: la ténèbre :: jusqu’à

la sixième arriva la neuvième

heure, sur la terre heure.

entière

····························································································

+ 34 Et à : Jésus

la neuvième CLAMA

: « ÉLÔÏ, : ce qui est traduit : : « Mon Dieu,

= 35 Et certains :

heure, à voix ÉLÔÏ, lama mon Dieu,

grande : sabachtani ? »

pourquoi

m’as-tu ABANDONNÉ ? »

de ceux se tenant-auprès ayant entendu, disaient : . « Voici qu’il APPELLE ÉLIE ! »

····························································································

= 36 Or certain = ayant rempli

ayant couru, une éponge de vinaigre,

: l’ayant fixée à un roseau, : l’abreuvait disant : . « Laissez ! Voyons si

ÉLIE

vient

le

DESCENDRE



La première partie comprend deux morceaux marqués par les termes initiaux de 33a et 34a et liés entre eux par les termes médians de 33c et 34a ; la prière de Jésus (34) semble ainsi répondre en quelque sorte à la manifestation de Dieu dans la ténèbre (33). — La deuxième partie décrit la réaction de certains assistants à ce que vient de crier Jésus. Elle est elle aussi formée de deux morceaux marqués par les termes initiaux, « certains » et « certain ». Le premier morceau rapporte les paroles de plusieurs, le second de l’un d’entre eux. Leurs paroles sont complémentaires : Élie répondra-t-il (36e) à l’appel que lui adresse Jésus (35c) ? — D’une partie à l’autre, « appelle » de 35c correspond à « clama » de 34b ; les verbes finaux, « abandonner » (34e) et « descendre » (36e) s’opposent ; il est enfin possible de remarquer une relation entre « la ténèbre » du début (33b) et le désir que les ennemis de Jésus ont de « voir » à la fin (36e).

selon saint Marc (Mc 15,21-47)

333

COMPARAISON SYNOPTIQUE (voir Mt 27,46-51b, p. 305) Mt 27,46-51b

Mc 15,33-36 33

Et quand arriva la sixième heure, la ténèbre arriva sur la terre entière jusqu’à la neuvième heure. ····························································· 46

Or vers LA NEUVIÈME HEURE, JÉSUS CLAMA À GRANDE VOIX disant : « Éli, Éli, lema SABACHTANI ? » ce qui EST : « MON DIEU, MON DIEU, pourquoi M’AS-TU ABANDONNÉ ? »

34

47

35

Or CERTAINS

Et à LA NEUVIÈME HEURE, JÉSUS CLAMA À GRANDE VOIX : « Élôï, Élôï, lama SABACHTANI ? » ce qui EST traduit : « MON DIEU, MON DIEU, pour quoi M’AS-TU ABANDONNÉ ? »

DE CEUX QUI SE TENAIENT là AYANT ENTENDU, DISAIENT que « IL APPELLE ÉLIE celui-ci ! »

Et CERTAINS DE CEUX QUI SE TENAIENT-auprès AYANT ENTENDU, DISAIENT : « Voici qu’IL APPELLE ÉLIE ! »

·····························································

·····························································

48

36

Et aussitôt l’un d’eux AYANT COURU et ayant pris UNE ÉPONGE, l’ayant imbibée DE VINAIGRE et L’AYANT FIXÉE À UN ROSEAU, IL L’ABREUVAIT.

Or certain AYANT COURU, ayant rempli UNE ÉPONGE DE VINAIGRE, L’AYANT FIXÉE À UN ROSEAU, IL L’ABREUVAIT

····························································· 49

Or les autres DIRENT : « Laisse ! VOYONS SI ÉLIE VIENT LE sauver ! »

DISANT : « Laissez ! VOYONS SI ÉLIE VIENT LE descendre ! »

50

37 OR JÉSUS ayant REMIS une GRANDE VOIX

OR JÉSUS de nouveau ayant crié à GRANDE VOIX REMIT l’ESPRIT. 51 ET voici que LE RIDEAU DU SANCTUAIRE SE FENDIT DU HAUT EN BAS EN DEUX.

EXPIRA ET LE RIDEAU DU SANCTUAIRE SE FENDIT EN DEUX DU HAUT EN BAS. 38

Les limites des deux passages ne se correspondent ni au début3, ni à la fin4 ; — les paroles de Jésus ne sont pas identiques, ni en araméen (« Élôï » chez Mc, « Éli » chez Mt), ni en grec5 ; — plus importante encore, semble-t-il, est la différence entre Mc 15,35-36 et Mt 27,47-49. Alors que chez Mt cette partie est de construction concentrique, chez Mc elle est parallèle : les deuxièmes paroles en effet sont mises par Mc (36gh) dans la bouche de celui qui abreuve Jésus, alors que Mt 27,49 les fait dire par « les autres », c’est-à-dire ceux (« certains » de 47a) qui avaient dit les premières paroles ; ce qui a pour effet d’identifier celui qui abreuve Jésus chez Mc comme faisant partie du groupe des Juifs qui se 3 La ténèbre en fait partie chez Mc (15,33) mais pas chez Mt (27,45) où elle constitue le centre de la sous-séquence centrale ; voir p. 307. 4 La mort de Jésus et la déchirure du voile ne font pas partie du passage de Mc mais du passage suivant : 37-41 (voir p. 335) mais elles achèvent le passage de Mt (27,50-51b). 5 La double apostrophe est au nominatif chez Mc au lieu du vocatif chez Mt ; le hinati (« pourquoi ») de Mt devient eis ti chez Mc ; enfin le pronom objet est postposé chez Mc et préposé chez Mt.

334

L’exécution de Jésus

moquent de lui, alors que chez Mt il est possible que ce soit un soldat romain. Le même geste semble donc interprété différemment par les deux évangélistes : geste de pitié d’un soldat qui veut apaiser la soif de Jésus chez Mt, geste des ennemis juifs de Jésus, uniquement destiné à retarder la mort du supplicié afin qu’ils puissent voir si Élie le sauvera chez Mc. Enfin, ces dernières paroles s’achèvent avec le verbe « descendre » chez Mc, et non pas avec « sauver » comme chez Mt ; il semble que Mt ait voulu ainsi accentuer la symétrie de son passage avec le passage correspondant (voir Mt 27,38-51b, p. 307, où le « sauver » du verset 49 répond à ceux de 40 et 42, ainsi qu’au « délivrer » de 43). CONTEXTE Ps 22 et 69 Comme chez Mt, Jésus commence la récitation du Ps 22 (voir p. 305; texte du psaume, p. 457). Le vinaigre renvoie au Ps 69, davantage peut-être que chez Mt, dans la mesure où il n’est pas interprété ici comme un geste de pitié (voir p. 305). La nuée lumineuse Dans la mesure où la prière de Jésus est liée à la ténèbre, il est possible de voir dans la première partie du passage une réminiscence du Ps 130 : certes, il n’est pas dit dans ce psaume que l’orant prie dans les ténèbres mais « des profondeurs » ; cependant, par deux fois, il dit attendre avec foi « l’aurore » (6.7). INTERPRÉTATION « Plus qu’un veilleur n’attend l’aurore » Comme la nuée au désert (Ex 13,21-22), la ténèbre a une double face, obscure mais aussi lumineuse. Si elle marque la profondeur de l’abandon où Jésus est plongé, elle n’en signifie pas moins, de manière paradoxale, l’intervention et la présence de Dieu. Dans la nuit de la déréliction (33), Jésus ne se tait pas, « il clame à grande voix » (34) vers celui qui peut le sauver : « En toi nos pères ont espéré, espéré et tu les as délivrés, vers toi ils criaient, ils échappaient, en toi ils espéraient, jamais en vain » (Ps 22,5-6). Voir dans la ténèbre La terre entière est plongée dans les ténèbres (33), aussi bien Jésus que ceux qui s’acharnent contre lui. Les dernières heures de Jésus sont obscurcies en son âme comme en ses yeux. La nuit de la foi finit par lui arracher un grand cri (34), mais ce cri est la prière de celui qui ne comprend plus et qui demande pourquoi à Dieu, le cri de celui qui attend de Dieu une réponse qu’il se reconnait incapable même d’entrevoir. Ses ennemis au contraire (35) ne demandent rien, ils n’ont pas de question à poser, ni au ciel ni à personne. Tout est clair pour eux, malgré

selon saint Marc (Mc 15,21-47)

335

les ténèbres : ils ont réduit Jésus à l’impuissance la plus radicale puisqu’il va mourir, et personne ne pourra l’arracher de leurs mains, ni Dieu dont ils ne veulent même pas entendre le nom (34c), ni même Élie (35c), le consolateur attitré des mourants. Loin de prier, comme le fait leur victime (34), les paroles qu’ils prononcent ont un gout de blasphème (35). Comme s’ils mettaient Élie, et Dieu à travers son prophète, au défi de faire descendre Jésus de la croix (36e). Ils disent qu’ils veulent voir si Élie viendra le secourir ; en réalité ils ne veulent rien voir ni personne, murés qu’ils sont dans les ténèbres de leur cœur. C. L’INSTAURATION DU RÈGNE DE DIEU (Mc 15,37-47) La sous-séquence comprend deux passages : « Les témoins de la mort de Jésus » (37-41) et « Les témoins de l’ensevelissement de Jésus » (42-47). 1. LES TÉMOINS DE LA MORT DE JÉSUS (Mc 15,37-41) COMPOSITION DU PASSAGE = 37 Or Jésus =

ayant jeté expira ; :: 38 et le rideau :: en deux

un grand

cri

DU SANCTUAIRE

fut fendu jusqu’en bas.

depuis le haut

················································································································

= 39 Or ayant vu = qu’ainsi

le centurion il avait expiré,

qui se tenait dit :

en face de lui

:: « En vérité, :: Fils

cet

homme-là il était ! »

+ 40 Or il y avait aussi des femmes

DE DIEU

qui de loin observaient,

···································································································

. parmi lesquelles Marie Madeleine, . et Marie, mère de Jacques le petit et de Joset, . et Salomé . 41 lesquelles, . accompagnaient . et servaient

lorsque il était lui lui,

en Galilée,

···································································································

+ et beaucoup d’autres

qui étaient montées avec lui

à Jérusalem.

Dans la première partie les seconds segments de chaque morceau (38.39cd) apparaissent comme la conséquence de la mort de Jésus. — La seconde partie présente le groupe des femmes, parmi lesquelles, au centre, les trois qui étaient disciples de Jésus depuis ses débuts « en Galilée » (41a). Les verbes de vision, « observaient » (40a) et « ayant vu » (39a), jouent le rôle de termes médians.

336

L’exécution de Jésus

COMPARAISON SYNOPTIQUE (voir Mt 27,51c-56, p. 309) Mt 27,51c-56 50

Mc 15,37-41

OR JÉSUS de nouveau ayant crié à GRANDE VOIX REMIT l’ESPRIT. 51 ET voici que LE RIDEAU DU SANCTUAIRE SE FENDIT DU HAUT EN BAS EN DEUX.

37

51c

·····························································

Et la terre fut secouée et les rochers se fendirent 52 et les tombeaux s’ouvrirent.

OR JÉSUS ayant REMIS une GRANDE VOIX

EXPIRA ET LE RIDEAU DU SANCTUAIRE SE FENDIT EN DEUX DU HAUT EN BAS. 38

·····························································

Et beaucoup de corps de saints endormis ressuscitèrent 53 et, étant sortis des tombeaux après sa résurrection, ils entrèrent dans la ville sainte et se manifestèrent à beaucoup. 54

OR LE CHEF-DE-CENT et ceux avec lui gardant Jésus, ayant vu le séisme et les événements, eurent très peur DISANT : « EN VÉRITÉ, IL ÉTAIT FILS DE DIEU CELUI-LÀ ! »

39

55

40

OR IL Y AVAIT là BEAUCOUP de FEMMES DE LOIN OBSERVANT, LESQUELLES AVAIENT ACCOMPAGNÉ Jésus depuis la GALILÉE pour LE SERVIR ; 56

PARMI ELLES étaient MARIE MADELEINE, MARIE MÈRE DE JACQUES ET DE Joseph, et la mère des fils de Zébédée.

OR ayant vu LE CENTURION qui se tenait en face de lui, qu’il avait expiré ainsi, DIT : « EN VÉRITÉ, CET homme-LÀ ÉTAIT FILS DE DIEU ! » OR IL Y AVAIT aussi DES FEMMES DE LOIN OBSERVANT, ····························································· PARMI LESQUELLES MARIE MADELEINE, MARIE, MÈRE DE JACQUES le ET DE Joset, et Salomé, 41

LESQUELLES, lorsqu’il L’ACCOMPAGNAIENT et LE SERVAIENT,

petit

était en GALILÉE,

·····························································

et BEAUCOUP d’autres qui étaient montées avec lui à Jérusalem.

Le passage de Mc commence par la mention de la mort de Jésus (37) et la déchirure du voile du temple (38), tandis que chez Mt ces deux faits achèvent le passage précédent (voir p. 305) ; — le séisme et les résurrections de Mt 27,51c53 étant absents du récit de Mc, la réaction du centurion (seul chez Mc ; accompagné de ses hommes chez Mt) est motivée de manière tout à fait différente : chez Mt par la vue du séisme et des autres événements ayant accompagné la mort de Jésus (54c), par la manière dont Jésus est mort pour Mc (39c) ; en outre, la peur (Mt 27,54d ; qui est la réaction habituelle à une manifestation de Dieu) est absente de Mc 15,39d ; — les deux premières des trois femmes nommées dans la deuxième partie portent le même nom (cependant Jacques est appelé « le petit » par Mc 15,40e et le « Joseph » de Mt 27,56d devient « Joset » chez Mc 15,40f) ; la troisième est « la mère des fils de Zébédée » chez Mt (56d), qui est appelée « Salomé » par Mc (40f) ; — pour Mc, ce sont seulement ces trois-là qui

selon saint Marc (Mc 15,21-47)

337

sont présentées comme véritables disciples de Jésus, alors que pour Mt ce sont toutes celles qui sont présentes au Golgotha. Ainsi Mt élargit par deux fois le groupe des disciples, en unissant au centurion les autres soldats, en présentant comme disciples de la première heure tout le groupe des femmes. CONTEXTE Le rideau du temple Chez Mt, la déchirure du rideau du temple (27,51ab) est la réponse de Dieu à la prière de Jésus (27,46 ; voir p. 305) ; elle entrera, avec le séisme et les résurrections des saints (27,51c-53 ; voir p. 309), dans la longue liste des manifestations divines, dont fera partie la résurrection de Jésus elle-même (28,2s). Chez Mc, seule mentionnée après la mort du crucifié, la déchirure du voile (38) apparait comme la conséquence directe du trépas de Jésus (37), et, en quelque sorte, comme son œuvre propre. Liée qu’elle est à la confession du centurion (39), elle semble permettre le dévoilement de l’identité de Jésus. Si la symbolique du rideau qui séparait les païens des Juifs n’est certes pas absente du récit de Mc, la thématique de Kippour y parait présente aussi, avec ses sacrifices pour les péchés et l’entrée — la seule de l’année — de l’unique Grand Prêtre dans le Saint des Saints par-delà le rideau pour offrir l’encens et le sang des victimes (Lv 16). Ce que développera à loisir l’Épitre aux Hébreux, spécialement au chapitre sixième. INTERPRÉTATION Par sa mort Jésus ouvre l’accès à Dieu... La mort de Jésus ouvre le Saint des Saints (15,37-38). L’encens de la prière et le sang du sacrifice écartent le rideau du sanctuaire pour celui qui est à la fois le Grand Prêtre qui offre le sacrifice et la victime qui se livre pour les péchés du peuple. Mais le rideau n’est pas écarté pour se refermer aussitôt, il est déchiré en deux, depuis le haut jusqu’en bas. Il est détruit, aboli, et tout le monde pourra voir le symbole de la présence de Dieu. Ce ne seront plus les chérubins ni l’arche de l’alliance qui manifesteront que Dieu est là mais celui que le centurion romain reconnait comme le Fils de Dieu (15,39). pour les païens comme pour les Juifs Il y avait longtemps déjà que les deux Marie et Salomé avaient accompagné Jésus et le servaient, en fidèles disciples (15,40-41c) ; « beaucoup d’autres » femmes juives les avaient rejointes et étaient montées à Jérusalem avec lui (41de). Et voilà que le centurion romain à son tour le reconnait comme le Fils de Dieu (39) ; il ouvre ainsi la cohorte de ceux qui, de toutes les nations entreront — à la suite de Jésus — dans la foi au Dieu qui efface les péchés et qui ressuscitera les morts.

338

L’exécution de Jésus

2. LES TÉMOINS DE L’ENSEVELISSEMENT DE JÉSUS (Mc 15,42-47) COMPOSITION DU PASSAGE . 42 Et déjà . comme . ce

le soir c’était qui est

étant arrivé, la Préparation, la veille-du-sabbat,

+ 43 étant venu JOSEPH : notable conseiller, - qui lui aussi

attendait

le Règne de Dieu,

+ s’étant enhardi, : entra chez Pilate - et lui

réclama

le corps de Jésus.

d’Arimathie,

·····················································································································

– 44 Or Pilate .. que déjà

s’étonna il fut mort

– et ayant convoqué - il demanda .. si depuis-longtemps

le centurion, à lui il était mort

– 45 et ayant su .. il octroya

par le centurion, le cadavre à JOSEPH.

+ 46 Et ayant acheté : ayant descendu - il (l’)enveloppa

un linceul, lui, dans le linceul ;

+ et il DÉPOSA : qui avait été taillé - et il roula

lui une pierre

dans un tombeau du rocher contre la porte du tombeau.

·····················································································································

. 47 Or Marie Madeleine et Marie (mère) de Joset observaient . où il avait été POSÉ.

Après la partie introductive, les deux morceaux des parties suivantes se correspondent en parallèle. Les premiers (43.46) rapportent ce que fait Joseph : les derniers membres des trimembres mettent en rapport l’attente du « Règne de Dieu » (43c) et la demande du « corps de Jésus » (43f) ; dans le morceau symétrique, les premier et troisième membres de chaque segment s’achèvent avec les mêmes mots, « linceul » (46a.c) et « tombeau » (46d.f). Les seconds morceaux (44-45 ; 47) présentent les témoins de la mort et de la sépulture : Pilate et le centurion d’abord, les deux femmes ensuite. Les morceaux de la première partie s’achèvent sur les synonymes « corps » (43f) et « cadavre » (45b) ; les morceaux de la deuxième partie sont reliés par les verbes « déposa » (46d) et « avait été posé » (47b).

selon saint Marc (Mc 15,21-47)

339

COMPARAISON SYNOPTIQUE (voir Mt 27,57-61, p. 312) Mt 27,57-61 57

Mc 15,42-47 42

Or LE SOIR ÉTANT ARRIVÉ,

VINT un homme riche, D’ARIMATHIE, du nom de JOSEPH, QUI LUI AUSSI s’était fait disciple de

Et LE SOIR ÉTANT déjà ARRIVÉ, comme c’était la Préparation, c’est-à-dire la veille du sabbat, 43

Jésus.

58

Celui-ci étant venu CHEZ PILATE, RÉCLAMA LE CORPS DE JÉSUS ;

VENANT JOSEPH D’ARIMATHIE, notable conseiller, QUI LUI AUSSI attendait le Règne de Dieu,

s’étant enhardi, il entra CHEZ PILATE et RÉCLAMA LE CORPS DE JÉSUS. ····························································· 44

alors Pilate ordonna qu’il (lui) fut -donné.

Or Pilate s’étonna qu’il fut déjà mort et ayant convoqué le centurion, il lui demanda s’il était déjà mort 45 et ayant su par le centurion, il octroya le cadavre à Joseph.

····························································· 59

Et Joseph ayant pris le corps,

le roula DANS un LINCEUL pur.

46

Et ayant acheté un linceul, l’ayant descendu, il (l’)enveloppa DANS le LINCEUL

····························································· 60

ET IL LE POSA DANS son tombeau neuf QU’il avait TAILLÉ dans le ROCHER ET, ayant ROULÉ UNE grande PIERRE à LA PORTE DU TOMBEAU, il partit.

ET IL LE DÉPOSA DANS une tombe QUI avait été TAILLÉE du ROCHER ET il ROULA UNE PIERRE contre LA PORTE DU TOMBEAU.

····························································· 61

OR il y avait là MARIE MADELEINE ET l’autre MARIE assises en face du sépulcre.

47

OR ET MARIE

MARIE MADELEINE (mère) de Joset observaient où il avait été posé.

Mc précise d’abord le jour de la semaine (42bc), ce que Mt a omis. — Joseph qui était simplement présenté comme « un homme riche » par Mt (27,57b), devient chez Mc « un notable conseiller » (15,43b), c’est-à-dire probablement, comme le précisera Lc, un membre du Sanhédrin. — Il n’est pas dit que Joseph « s’était fait disciple de Jésus » comme dans Mt 27,57d, mais qu’il « attendait le Règne de Dieu » (Mc 15,43c). — Alors que chez Mt, Pilate accède immédiatement à la requête de Joseph (27,58c), chez Mc il vérifie que Jésus est bien mort (44-45a) avant de lui donner « le cadavre » (15,45b). — Mc fait « acheter » le linceul (15,46a), ce que ne faisait pas Mt (27,59), et il ne dit pas que le tombeau appartenait à Joseph (Mc : 46d ; Mt : 60a). — Enfin, tandis que Mt ne fait que mentionner la présence des deux femmes assises en face du tombeau (61c), Mc précise qu’elles sont là en tant que témoins (« observant »), non pas tellement de la réalité de l’ensevelissement de Jésus que du lieu de sa sépulture (47c).

340

L’exécution de Jésus

INTERPRÉTATION Jésus est vraiment mort et enseveli Si Joseph réclame le corps de Jésus à Pilate (15,43), c’est bien qu’il le sait mort. Avant d’accéder à sa demande, Pilate veut s’assurer qu’il a vraiment expiré (44). Le supplice de la croix était en effet conçu pour que le châtiment ne soit pas instantané, mais qu’il dure le plus longtemps possible : il devait être un exemple vraiment dissuasif pour ceux qui ainsi avaient tout le loisir de le voir et d’y réfléchir. La flagellation cependant, qui précédait presque toujours le supplice de la croix, affaiblissait beaucoup le condamné et accélérait sa mort ; en effet, la flagellation à la romaine n’était pas limitée à quarante coups moins un comme chez les Juifs et elle était pratiquée avec des lanières garnies de morceaux d’os et de pointes de fer qui lacéraient le corps des suppliciés et leur faisait perdre tant de sang que beaucoup en mouraient. C’est sans doute pour cette raison que, Jésus ne pouvant pas porter lui-même sa croix, il avait fallu recourir à Simon de Cyrène (15,21) ; c’est sans doute aussi pourquoi il était mort si vite. Pilate se renseigne auprès du centurion chargé de l’exécution (44), car il ne veut pas prendre le risque de donner un homme encore vivant à celui qui lui réclame le corps de Jésus. Et c’est bien un cadavre que Joseph descend de la croix, qu’il enveloppe d’un linceul et qu’il met au tombeau (46). Marie Madeleine et Marie mère de Joset pourront attester, elles qui ont vu où on l’avait déposé (47). Juifs et païens pourront attester que Jésus est bien mort et qu’il a été enseveli. Le Règne de Dieu est arrivé en Jésus Le soir venu, le sabbat s’approche et, dans l’attente du jour béni entre tous, tous les Juifs s’y préparent (15,42). Joseph lui aussi qui attendait le Règne de Dieu (43ab). Son attente va être comblée, bien que de manière paradoxale, puisque ce qu’il va recevoir c’est le corps qu’il réclame (43f). C’est que Jésus entre lui aussi dans le repos du sabbat, après avoir fait tout son ouvrage (Ex 20,9). Comme Dieu qui, après les six jours de la création, s’était reposé le septième jour (Ex 20,11). Le sabbat est aussi le jour où le peuple d’Israël se souvient de la libération opérée par Dieu en sa faveur, quand il l’avait fait sortir du pays d’Égypte (Dt 6,15)6. La mort de Jésus signe ainsi une nouvelle création et une nouvelle libération. Le septième jour étant arrivé, les deux femmes, Marie Madeleine et Marie mère de Joset (47) vont alors pouvoir aller allumer les lampes de sabbat (42), celles qui éclairent le peuple qui entre dans la nuit.

6

Voir R. MEYNET, « Les dix commandements ».

selon saint Marc (Mc 15,21-47)

341

3. L’INSTAURATION DU RÈGNE DE DIEU (Mc 15,37-47) COMPOSITION DE LA SOUS-SÉQUENCE 15,37 Jésus ayant jeté un grand cri expira, 38 et le voile du sanctuaire se fendit en deux du haut en bas. 39 Le centurion qui se tenait-là en face de lui VOYANT qu’il avait expiré ainsi, dit : « En vérité, cet homme-là était FILS DE DIEU ! » 40

Il y avait aussi des femmes qui de loin OBSERVAIENT, parmi lesquelles Marie Madeleine, Marie mère de Jacques le petit et de Joset et Salomé 41 lesquelles, lorsque il était en Galilée, l’accompagnaient et le servaient, et beaucoup d’autres qui étaient montées avec lui à Jérusalem. 42

Le soir étant déjà arrivé, comme c’était la Préparation, c’est-à-dire la veille du sabbat, 43 étant venu Joseph d’Arimathie, notable conseiller qui lui aussi attendait le RÈGNE DE DIEU, s’étant enhardi, il entra chez Pilate et lui réclama le corps de Jésus. 44 Pilate s’étonna qu’il fut déjà mort et ayant convoqué le centurion, il lui demanda s’il était déjà mort 45 et l’ayant su par le centurion, il octroya le cadavre à Joseph. 46 Ayant acheté un linceul, l’ayant descendu, il l’enveloppa dans le linceul et le posa dans un tombeau qui avait été taillé du roc et roula une pierre contre la porte du tombeau. 47

Et Marie Madeleine et Marie mère de Joset OBSERVAIENT où il avait été posé.

Les deux passages s’achèvent avec la mention des femmes (40-41 ; 47) qui « observent » (40a.47a): la liste des femmes est abrégée la deuxième fois. Alors que le centurion dit de Jésus qu’il était « le Fils de Dieu » (39b), Mc dit de Joseph d’Arimathie qu’il attendait « le Règne de Dieu » (43b). Le centurion du premier passage (39a) reparait dans le second passage pour témoigner auprès de Pilate que Jésus est bien mort (44-45). Enfin, on pourra noter que « voyant » de 39a est un verbe de vision comme les deux « observer » de 40a et 47a.

342

L’exécution de Jésus

COMPARAISON SYNOPTIQUE (voir Mt 27,51c-61, p. 315) Mt 27,51c-61

Mc 15,37-47 37

Or Jésus ayant jeté un grand cri expira, et le rideau du sanctuaire se fendit en deux du haut en bas. 38

51c

Et la terre trembla, les rochers se fendirent et les tombeaux s’ouvrirent. Et beaucoup de corps de saints endormis ressuscitèrent 53 et, étant sortis des tombeaux après sa résurrection, ils entrèrent dans la ville sainte et se manifestèrent à beaucoup. 54 Or le chef-de-cent et ceux avec lui gardant Jésus, ayant vu le séisme et ce-qui-étaitadvenu, eurent très peur disant : « EN VÉRITÉ, IL ÉTAIT FILS DE DIEU CELUI-CI ! » 52

39

Or ayant vu le centurion qui se tenait-là en face de lui qu’il avait expiré ainsi, dit : « EN VÉRITÉ, CET HOMME-LÀ ÉTAIT FILS DE DIEU ! »

55

40

Or il y avait là beaucoup de femmes qui de loin observaient, lesquelles avaient accompagné Jésus depuis la Galilée en le servant, 56 parmi lesquelles Marie Madeleine et Marie mère de Jacques et de Joseph et la mère des fils de Zébédée.

57

Or le soir étant arrivé,

vint un homme riche, d’Arimathie, du nom de Joseph, 58

QUI LUI AUSSI S’ÉTAIT FAIT DISCIPLE DE JÉSUS.

Celui-là, étant venu chez Pilate, réclama le corps de Jésus ; alors Pilate

commanda qu’il (lui) fut -donné. 59 Et Joseph, ayant pris le corps, le roula dans un linceul pur. 60 Et il le posa dans son tombeau neuf qu’il avait taillé dans le rocher et, ayant roulé une grande pierre à la porte du tombeau, il partit. 61

Or il y avait là Marie Madeleine et l’autre Marie qui étaient assises en face du sépulcre.

Or il y avait aussi des femmes qui de loin observaient, parmi lesquelles Marie Madeleine, Marie mère de Jacques le petit et de Joset, et Salomé 41 lesquelles, lorsqu’il était en Galilée, l’accompagnaient et le servaient, et beaucoup d’autres qui étaient montées avec lui à Jérusalem. 42

Et le soir étant déjà arrivé, comme c’était la Préparation, c’est-à-dire la veille du sabbat, 43 étant venu Joseph d’Arimathie, notable conseiller QUI LUI AUSSI ATTENDAIT LE RÈGNE DE DIEU,

s’étant enhardi, il entra chez Pilate et lui réclama le corps de Jésus. 44 Or Pilate s’étonna qu’il fut déjà mort et, ayant convoqué le centurion, il lui demanda s’il était déjà mort 45 et l’ayant su par le centurion, il octroya le cadavre à Joseph. 46 Et ayant acheté un linceul, l’ayant descendu, il (l’) enveloppa dans le linceul et il le déposa dans un tombeau qui avait été taillé du rocher et il roula une pierre contre la porte du tombeau. 47

Or Marie Madeleine et Marie (mère) de Joset observaient où il avait été posé.

Globalement, Mt et Mc ont uni dans une même sous-séquence deux passages parallèles (Mt 27,51c-56 et 57-61 ; Mc 15,37-41 et 42-47) ; — chaque passage

selon saint Marc (Mc 15,21-47)

343

s’achève avec la mention des femmes (Mt 27,55-56.61 ; Mc 15,40-41.47) : ce sont les mêmes, à la différence près que « la mère des fils de Zébédée » de Mt (56) est appelée « Salomé » par Mc (40) ; — la sous-séquence de Mc commence avec la mort de Jésus et la déchirure du voile (37-38), tandis que chez Mt ces événements achèvent la sous-séquence précédente (voir p. 307) ; en revanche Mc ne reprend pas le tremblement de terre et les résurrections de Mt 27,51c-53 mais il signale le sabbat (42bc) ; — enfin, le parallélisme entre le centurion et Joseph est moins accentué chez Mt qui ne dit pas que Joseph « attendait le Règne de Dieu » (comme Mc 15,43cd qui renvoie à 39de), mais que « lui aussi s’était fait disciple de Jésus » (Mt 27,57de) ; en outre, le centurion ne reparait pas dans le second passage de Mt, alors qu’on le retrouve en Mc 15,44-45. INTERPRÉTATION Le centurion et le conseiller Joseph d’Arimathie attendait le Règne de Dieu et, dès que Jésus est mort, il n’a d’autre souci que de réclamer le corps de Jésus pour lui donner une sépulture royale (43). Il a reconnu dans le supplicié celui en qui, de manière tout à fait inattendue, Dieu a fait advenir son règne. Le notable juif, membre de ce Sanhédrin qui a condamné Jésus, justement parce qu’il prétendait être roi, est cependant précédé par le centurion romain qui, voyant comment Jésus a expiré, proclame qu’il était le Fils de Dieu (39). Juif et païen se trouvent unis dans la même foi (39b.43b). Par son témoignage, l’officier romain aidera ensuite le notable juif à obtenir du gouverneur la permission de prendre le corps de Jésus (44-45) pour lui donner une sépulture digne de son rang. Le centurion et les femmes Bien qu’elles ne disent rien, les femmes sont les témoins des événements : elles assistent à la mort du condamné (40-41), elles l’accompagnent jusqu’à la fin (47). Le centurion romain a vu et a confessé que Jésus est le Fils de Dieu (39), elles n’ont pas besoin de rien dire, elles qui l’avaient accompagné et servi depuis ses débuts en Galilée (41). Il leur suffit d’« observer » (40a.47a) en silence et d’être présentes, discrètement, comme elles l’ont toujours été (41). Le Règne du Fils de Dieu Paradoxalement, c’est au moment où Jésus vient de mourir qu’il est reconnu pour ce qu’il est en vérité, et, qui plus est, par celui-là même qui avait été chargé de commander son exécution, et sans que rien n’ait laissé prévoir une telle réaction (39). La raison qu’en donne Mc, est plutôt surprenante : en effet, c’est « en voyant qu’il avait expiré ainsi » (39) que le centurion confesse la filiation divine de Jésus. Comme si Jésus se manifestait davantage encore par sa mort qu’il n’avait pu le faire par sa vie. Il en est de même pour Joseph (43). Mc ne dit rien de ses antécédents, il arrive à l’improviste sans avoir jamais été annoncé ; on ne

344

L’exécution de Jésus

sait même pas s’il avait était présent à la réunion de la nuit chez le Grand Prêtre (14,53-65), ni s’il avait participé à la délibération du matin (15,1). Quoi qu’il en soit, ce n’est pas durant la vie de Jésus qu’il apparait, mais dès qu’il est mort. Pour lui aussi, c’est seulement la mort de Jésus qui lui fait prendre conscience que « le Règne de Dieu » s’est manifesté en lui (15,43).

D. L’AVÈNEMENT DU MAITRE DE LA TERRE (Mc 15,21-47) COMPOSITION DE LA SÉQUENCE Dans les deux premiers passages (21-28 ; 29-32) la mention des brigands crucifiés avec Jésus jouent le rôle de termes finaux (27.32c) ; de manière tout à fait symétrique, la mention des femmes joue la même fonction de termes finaux pour les deux derniers passages (40-41 ; 47). Dans les deux derniers passages, « Règne de Dieu » (43b) correspond à « Fils de Dieu » (39b) ; de même les deux premiers passages donnent à Jésus les titres équivalents de « Roi des Juifs » (26b) et de « Christ, Roi d’Israël » (32a ; ainsi, dans la première sous-séquence, c’est le lien de Jésus à son peuple qui est exprimé, tandis que ce sera son rapport à Dieu qui sera souligné dans la dernière sous-séquence. Les noms des deux hommes qui aident Jésus, « Simon de Cyrène » au début (21a) et « Joseph d’Arimathie » à la fin (43b), remplissent la fonction de termes initiaux pour les passages extrêmes. Les deux mentions du « sanctuaire » (29a. 38a) remplissent la même fonction de termes initiaux pour les passages qui encadrent le passage central (29-32 ; 37-41). Le cadre temporel est marqué dans le premier passage, avec « C’était la troisième heure » (25), au début du passage central, avec « Quand arriva la sixième heure... » (33), puis avec « Et à la neuvième heure » (34a), enfin au début du dernier passage, avec « Le soir étant déjà arrivé... » (42). La disposition symétrique de ces notations de temps confirme le découpage et renforce la construction concentrique de la séquence. À noter la régularité du découpage horaire, en tranches de trois heures. Les liens formels entre le passage central (33-36) et le reste de la séquence sont nombreux : — il y a croisement entre les deux parties du passage central et les deux versants de la séquence. En effet, la seconde partie (35-36) fait écho à la première sous-séquence, en particulier aux moqueries du passage précédent : « descendre » de 36b reprend ceux du passage précédent (30.32b), « voyons » de 36b renvoie « voyions » de 32b ; en outre, le « vinaigre » offert à Jésus en 36a rappelle « le vin de myrrhe » du premier passage (23). Inversement, la première partie du passage central (33-34) prépare le second versant de la séquence : le « grand cri » de 34a annonce celui du passage suivant (37), les deux occurrences du nom de « Dieu » en 34b seront reprises dans chacun des deux derniers passages (39b.43b) ; — il semble bien que le jeu de mots entre « Élôï » et « Élie » du passage central soit structurant pour toute la séquence : en effet, si les

selon saint Marc (Mc 15,21-47)

345

deux occurrences de « Élôï » / « Dieu » (34) se répercutent dans la dernière sous-séquence (comme on l’a déjà signalé) dans les expressions « Fils de Dieu » (39b) et « Règne de Dieu » (43b), les deux occurrences de « Élie » (35-36) peuvent être rapportées à « le Roi des Juifs » (26b) et « le Roi d’Israël » (32a) dans la première sous-séquence ; — les verbes de vision assurent le lien entre le centre et les deux versants de la séquence : « voir » de 36b reviendra non seulement dans le passage suivant (39a ; repris avec « observer » en 40a, puis en 47 dans le dernier passage) mais déjà en 32b dans le passage précédent. 15,21 Et ils requièrent un passant, SIMON DE CYRÈNE, qui venait des champs, le père d’Alexandre et de Rufus, afin qu’il prit sa croix. 22 Et ils le portent au lieu Golgotha ce qui se traduit le lieu du Crâne, 23 et ils lui donnaient du vin de myrrhe, mais il n’en prit pas, 24 et ils le crucifient. Alors ils partagent ses vêtements, en les tirant au sort pour savoir qui prendrait quoi. 25 C’était la troisième heure quand ils le crucifièrent. 26 L’inscription de sa condamnation était ainsi écrite : « LE ROI DES JUIFS. » • 27 Et avec lui ils crucifient deux brigands, l’un à droite et l’autre à sa gauche. [28 Et fut accomplie l’Écriture qui dit : « Et avec des sans-loi il a été compté. »] 29

Les passants l’injuriaient, hochant la tête et disant : « Hé ! Celui qui détruis le SANCTUAIRE et le rebâtis en trois jours, 30 sauve-toi toi-même, DESCENDANT de la croix ! » 31 Pareillement aussi les grands prêtres, se jouant entre eux avec les scribes, disaient : « Il en a sauvé d’autres, il 32 ne peut se sauver lui-même ! Le Christ, LE ROI D’ISRAËL, qu’il DESCENDE maintenant de la croix, afin que nous voyions et que nous croyions ! » • Aussi ceux qui avaient été crucifiés avec lui l’insultaient. 33

Quand arriva la sixième heure, une ténèbre arriva sur la terre toute-entière jusqu’à la neuvième heure. 34 Et à la neuvième heure, Jésus clama à GRAND CRI : « Élôï, Élôï, lema sabachtani ? » ce qui se traduit : « Mon DIEU, mon DIEU, pourquoi m’as-tu abandonné ? » 35 Certains de ceux qui se tenaient-là ayant entendu dirent : « Voici qu’il appelle ÉLIE ! » 36 Certain ayant couru, ayant rempli une éponge de vinaigre, l’ayant fixée à un roseau, l’abreuvait en disant : « Laissez ! Voyons si ÉLIE vient le DESCENDRE ! » 37

Jésus ayant jeté un GRAND CRI expira, 38 et le voile du SANCTUAIRE se fendit en deux du haut en bas. 39 Le centurion qui se tenait-là en face de lui, voyant qu’il avait expiré ainsi, dit : « Vraiment, cet homme-là était FILS DE DIEU ! » • 40 Il y avait aussi des femmes qui de loin observaient, parmi lesquelles Marie Madeleine, Marie mère de Jacques le petit et de Joset et Salomé 41 lesquelles, lorsqu’il était en Galilée, l’accompagnaient et le servaient, et beaucoup d’autres qui étaient montées avec lui à Jérusalem. 42

Le soir étant déjà arrivé, comme c’était la Préparation, c’est-à-dire la veille du sabbat, 43 étant venu JOSEPH D’ARIMATHIE, notable conseiller qui lui aussi attendait le RÈGNE DE DIEU, s’étant enhardi, il entra chez Pilate et lui réclama le corps de Jésus. 44 Pilate s’étonna qu’il fut déjà mort et ayant convoqué le centurion, il lui demanda s’il était déjà mort 45 et l’ayant su par le centurion, il octroya le cadavre à Joseph. 46 Ayant acheté un linceul, l’ayant descendu, il l’enveloppa dans le linceul et le posa dans un tombeau qui avait été taillé du roc et roula une pierre contre la porte du tombeau. • 47 Et Marie Madeleine et Marie mère de Joset observaient où il avait été posé.

346

L’exécution de Jésus

COMPARAISON SYNOPTIQUE MATTHIEU 27,27-61

MARC 15,21-47

+ Les soldats romains se jouent de Jésus : couronnement du Roi des Juifs 27-31 + Les soldats romains crucifient Jésus : - Simon, boisson, vêtements partagés - Inscription : le Roi des Juifs 32-37

deux brigands crucifiés avec lui = Les Juifs se moquent de Jésus : passants, sanhédrites, brigands

+ Les soldats romains crucifient Jésus : - Simon, boisson, vêtements partagés - Inscription : le Roi des Juifs

- deux brigands crucifiés avec lui

38-44

+ Les Juifs se moquent de Jésus : passants, chefs, brigands

TÉNÈBRE

21-28

29-32

TÉNÈBRE et

45 Prière de Jésus

PRIÈRE DE JÉSUS (À DIEU)

= Les Juifs se moquent de Jésus (Élie)

MOQUERIES DES Juifs (ÉLIE) 33-36

Mort de Jésus, voile du temple

Séisme et résurrections

46-51b

Mort de Jésus, voile du temple

(51c-53)

+ Soldats romains et femmes juives témoins 51b-56

+ Centurion romain et femmes juives témoins 37-41

+ Joseph, d’accord avec Pilate, donne la sépulture à Jésus ; des femmes juives regardent

+ Joseph, d’accord avec Pilate, donne la sépulture à Jésus ; des femmes juives regardent

57-61

42-47

Le nombre des épisodes Mt compte deux épisodes de plus que Mc : il commence en effet sa séquence par le couronnement d’épines (27-31), alors que Mc l’avait intégré à la fin de la séquence précédente ; Mt a considéré ce passage comme faisant partie de l’exécution de Jésus, tandis que Mc parait avoir pris en considération la différence des lieux, le couronnement d’épines s’étant passé au même endroit que la phase romaine du procès. Mt a aussi en propre le séisme et la résurrection des saints (51c-53). L’ordre des épisodes communs Il est exactement le même chez Mt et chez Mc.

selon saint Marc (Mc 15,21-47)

347

Les limites entre les passages communs Les limites entre les passages cependant sont souvent bien différentes : – la mention des brigands crucifiés avec Jésus est intégrée au début du troisième passage de Mt (38-44 ; où elle fait inclusion avec les insultes des brigands en 44 ; voir p. 303), alors qu’elle fait partie du premier passage de Mc (21-28 ; les deux mentions des brigands jouent en Mc le rôle de termes finaux pour les deux passages de la première séquence ; voir p. 330). – ténèbre, prière de Jésus et secondes moqueries des Juifs constituent un seul passage chez Mc (33-36), tandis que Mt en a fait deux passages (45 et 46-51b) ; cependant, la mention de la mort de Jésus et du voile déchiré fait partie de ce dernier passage de Mt (46-51b), alors qu’elles sont intégrées au passage suivant de Mc (37-41). La composition des passages communs Elle est toujours très différente (voir p. 326, 329, 333, 336, 339). La fonction des passages communs Elle est souvent différente : Le couronnement d’épines appartient à la troisième séquence chez Mt et à la deuxième chez Mc ; cependant sa fonction dans chacune des séquences présente une similitude certaine : – en effet, chez Mt le couronnement d’épines est couplé avec la crucifixion pour former la première sous-séquence (27,27-37 ; voir p. 301) qui rapporte ce que font les Romains à Jésus et qui est complémentaire de la seconde sous-séquence (27,38-51b ; voir p. 307) consacrée aux moqueries des Juifs contre Jésus ; – dans la deuxième séquence de Mc (voir p. 249), ce passage où Jésus est moqué par les soldats romains (Mc 15,16-20) est symétrique du passage où ce sont les Juifs qui se moquent de Jésus durant la première phase du procès (14,65). La fonction des premières moqueries des Juifs (Mt 27,38-44 et Mc 15,29-32) est bien différente : chez Mt, ce passage est symétrique des secondes moqueries des Juifs (46-51b) avec lequel il forme la sous-séquence centrale autour de la ténèbre ; chez Mc, le passage parallèle (15,29-32) entre dans la première sousséquence où il est couplé avec la crucifixion (21-28). Chez Mt, les deux mentions du « sanctuaire » (27,40.51b ; voir p. 307) jouent le rôle de termes extrêmes pour la sous-séquence centrale ; chez Mc elles se trouvent en termes initiaux du deuxième et de l’avant-dernier passage (15,29.38 ; voir p. 345). Bien que marquée de manière différente, leur mise en rapport est équivalente dans les deux évangiles. La composition des deux séquences La composition des séquences est donc très différente. Celle de Mt est centrée sur la ténèbre qui s’étend sur toute la terre (27,45) : l’intervention de Dieu sera

348

L’exécution de Jésus

reprise à la fin de la sous-séquence (51b), et au début de la dernière sousséquence, avec le séisme et les résurrections (51c-53). Mt qui présente d’abord les mauvais traitements des Romains dans sa première sous-séquence (27-37), puis des Juifs dans la deuxième sous-séquence (38-51b), les unit dans la dernière sous-séquence (51c-61). Le même balancement entre païens et Juifs se retrouve dans la séquence de Mc, mais organisé autrement : – dans la première sous-séquence, ce sont d’abord les Romains qui crucifient Jésus (21-28), puis les Juifs qui se moquent du crucifié (29-32) ; – dans la dernière sous-séquence (37-41 et 42-47 ; très proche de la dernière sous-séquence de Mt 27,51c-61), Juifs et païens sont réunis. Le passage central de Mc donne une autre valeur à la ténèbre : elle permet d’opposer la foi de Jésus à l’aveuglement de ses ennemis (voir p. 332 sqq). En outre, Mc a systématiquement augmenté la liste des verbes de vision : en effet, si les deux occurrences de « voir » de Mc 15,36b.39a (voir p. 345) se retrouvent en Mt 27,49.54b (voir p. 318), et si « observer » de Mc 15,40a est repris en Mt 27,55a, au contraire le « voir » de Mc 15,32b n’a pas d’équivalent en Mt 27,42b, et le « observer » de Mc 15,47 ne se trouve pas en Mt 27,61. Enfin, le cadre horaire est systématisé par Mc : en effet, contrairement à Mt, dans son premier passage Mc précise l’heure de la crucifixion, « C’était la sixième heure » (15,25) et, au début du dernier passage, il note que « c’était la Préparation, c’est-à-dire la veille du sabbat » (15,42). Le message de chaque séquence Le message propre de chaque séquence est assez différent, ce que voudrait signifier la diversité des titres. Pour la séquence de Mt, « La justification du Serviteur de Dieu ». « La justification » Ce terme fait référence aux interventions de Dieu — ténèbre, déchirure du voile du sanctuaire, séisme et résurrections — par lesquelles il manifeste la justice de celui qui a été mis à mort injustement. Ce mot peut aussi être compris comme ayant Jésus comme sujet : par sa mort, il justifie les multitudes, Juifs et païens réunis. « du Serviteur de Dieu » Ce titre renvoie (ainsi que « justifier ») au quatrième chant du Serviteur : « le juste, mon serviteur, justifiera les multitudes » (Is 53,11). On a vu plus haut comment les références à Is 52,13–53,12 étaient accentuées par Mt, en particulier par l’insistance sur les mépris et par l’adjectif « riche » attribué à Joseph d’Arimathie.

selon saint Marc (Mc 15,21-47)

349

Pour la séquence de Mc : « L’avènement du Maitre de la terre ». « L’avènement » Le passage central en effet marque une sorte de retournement, signalé par le jeu de mots entre « Élôï » et « Élie », ce dernier nom renvoyant à la première sous-séquence où Jésus est dit « Roi des Juifs » et « Roi d’Israël », le premier, « Élôï » (c’est-à-dire « mon Dieu ») annonçant la dernière sous-séquence où Jésus est dit « Fils de Dieu » et où Joseph est dit attendre « le Règne de Dieu ». « du Maitre de la terre » Le mouvement du texte semble bien faire passer le règne de Jésus d’un règne limité à Israël, à un règne qui s’étend, comme la ténèbre, « sur la terre entière ». Ce que symbolise, et réalise déjà, la confession du centurion païen, mis en parallèle avec le conseiller juif. INTERPRÉTATION Le blasphème des hommes Juifs et païens se trouvent rassemblés pour torturer Jésus et se moquer de lui. Ce sont les soldats romains qui sont chargés de l’exécution (15,21-28). Dans sa brièveté laconique, le libellé de l’inscription qu’ils ont accrochée au-dessus de la tête du condamné est ironique (26), mais les injures, les moqueries et les insultes des Juifs, peuple, responsables et jusqu’à ceux qui partagent son supplice (2932), sont sans pitié et plus cinglantes que des coups de fouet. De même que leur dernière plaisanterie, à la neuvième heure (35-36), elles ne s’en prennent pas seulement à Jésus et à son peuple comme celle des païens, elles atteignent Dieu lui-même (34). Les œuvres divines de salut que Jésus a opérées durant sa vie et qu’ils sont bien obligés de confesser, comme malgré eux (31), ne leur suffisent pas. Ils veulent voir un autre signe pour croire : que Jésus descende donc de la croix ! (32). Leurs moqueries ne sont rien moins qu’une longue série de blasphèmes, puisqu’ils somment Dieu de sauver le juste quand ils ont tout fait pour le perdre. La foi du Fils de Dieu Mais Jésus, par sa prière et la foi indéfectible en la puissance et la bonté de son Dieu qu’elle manifeste (34), retourne la situation. Le grand cri qu’il pousse au moment de mourir (37) amène le centurion qui commandait le peloton d’exécution à confesser que cet homme-là était vraiment le Fils de Dieu (39). C’est paradoxalement un païen qui reconnait d’un seul mouvement la présence de Dieu et la vérité de la foi qu’ont exprimée les dernières paroles de son Fils. Le païen sera bientôt rejoint dans sa foi par le notable conseiller juif : convaincu désormais que le Règne de Dieu qu’il attendait est arrivé en Jésus, il s’enhardit à réclamer son corps au gouverneur (43). Aussi Pilate ne condamnera pas Jésus à

350

L’exécution de Jésus

être jeté dans une fosse commune, mais rejoindra Joseph dans son désir de donner une sépulture digne à celui en qui il a reconnu l’arrivée du Règne de Dieu. Quant aux femmes disciples, si elles ne disent rien, leur présence n’en marque pas moins la fidélité de leur foi en celui qu’elles avaient servi depuis le début (40-41) et qu’elles accompagnent jusqu’à la fin (47). Même Alexandre et Rufus, les deux fils grécisé et romanisé du Juif Simon de Cyrène, témoignent euxmêmes, par leur présence anticipée dès le début (21), que la lumière de la foi au Fils de Dieu, comme la nuée divine s’est étendue sur toute la surface de la terre.

CHAPITRE IX

L’intronisation du Roi des Juifs (Lc 23,26-56)

Cette séquence est formée de sept passages organisés de façon concentrique.

JÉSUS EST EMMENÉ

Crucifié,

26-32

AU LIEU DU SUPPLICE

Jésus prie son Père

Les juifs et les Romains

en face

33-34

de Jésus

Ce qui est écrit : « CELUI-CI EST LE ROI DES JUIFS »

Les deux brigands

Mourant,

JÉSUS EST DÉPOSÉ

de chaque côté

Jésus prie son Père

DANS LE TOMBEAU

de Jésus

35-37

38

39-43

44-46

47-56

352

L’exécution de Jésus

1. JÉSUS EST EMMENÉ POUR ÊTRE CRUCIFIÉ (Lc 23,26-32) COMPOSITION DU PASSAGE + 26 Et tandis qu’ils le conduisaient, . ayant pris un certain Simon de Cyrène revenant des champs, + ils mirent sur lui la croix . à porter derrière Jésus. - 27 Or l’accompagnait une plénitude nombreuse du peuple - et de femmes lesquelles se frappaient et se lamentaient sur lui. .. 28 Or s’étant tourné vers elles, .. Jésus dit : + « Filles de Jérusalem, ne pleurez pas sur MOI, – mais sur VOUS-MÊMES pleurez et sur VOS ENFANTS, : 29 parce que voici viennent des jours : dans lesquels on dira : . Heureuses . et les ventres . et les seins

les stériles qui n’ont pas enfanté qui n’ont pas allaité

·················································································

: 30 Alors on se mettra à “dire . aux montagnes : Tombez sur nous ! . et aux collines : Couvrez-nous !” + 31 parce que si à L’ARBRE VERT on fait cela, – au SEC qu’adviendra-t-il ? » + 32 Or ils conduisaient aussi deux autres malfaiteurs, . pour être exécutés avec lui.

Aux extrémités (26.32), deux courtes parties qui commencent avec des verbes de même famille (ap-agō et agō), traduits par le même « conduire » et présentant deux hommes : Jésus et Simon de Cyrène, puis les deux malfaiteurs. La partie centrale est un long discours de Jésus introduit par une sous-partie de récit (27-28b). Le discours est de construction spéculaire. Au bimembre initial (28cd) répond le bimembre final (31ab) : « l’arbre vert » se rapporte à « moi » et le « sec » à « vous-mêmes et vos enfants ». Les deux autres segments sont parallèles. Les premiers sont des phrases de récit qui s’achèvent avec « dire » et qui introduisent un trimembre en 29cde (« stériles » est explicité dans les deux membres suivants) puis un bimembre en 30bc qui présente le couple des « montagnes » et des « collines ». Alors que c’est la non-naissance qui est d’abord souhaitée, c’est ensuite la mort et l’ensevelissement qui sont appelés.

selon saint Luc (Lc 23,26-56)

353

CONTEXTE Os 9–10 Le verset 30 reprend Os 10,8 et le verset 29 pourrait rappeler Os 9,14. Osée dénonce les infidélités d’Israël et annonce sa dévastation et la dispersion de l’exil. Is 53,12 Comme il l’avait annoncé en 22,37 (« Cette Écriture doit s’achever en moi : “Avec des sans-loi il a été compté” » ; voir p. 155), Jésus est mis au nombre des criminels (les « malfaiteurs » de 23,32). INTERPRÉTATION « Il a été compté au nombre des criminels » Jésus n’est pas conduit seul au lieu du supplice. Il n’est que l’un des trois condamnés qui vont être crucifiés (32). Ainsi se réalise la prophétie du Serviteur souffrant : « Il a été compté parmi les criminels » (Is 53,12). Lui, le juste par excellence, va jusqu’à être assimilé à un malfaiteur. Mais dans le cortège qui l’emmène à la mort, Jésus n’est pas le seul juste : il est accompagné par Simon de Cyrène qui porte la croix derrière lui (26cd). Simon est ainsi la figure du disciple dont Jésus avait dit : « Celui qui ne porte pas sa croix et ne vient pas derrière moi, il ne peut être mon disciple » (14,27). Ainsi le disciple (26) est-il appelé lui aussi comme son maitre à être traité comme un malfaiteur (32). C’est bien ainsi que les martyrs seront considérés dans la suite des âges. Jésus figure de Jérusalem Les disciples ne seront pas les seuls à subir le même traitement que Jésus. Ce que Jésus prophétise aux femmes qui le suivent en se lamentant, ce qu’il annonce à tout le peuple (27-31), c’est une Passion analogue à la sienne. Des jours viendront où à Jérusalem chacun souhaitera mourir et être enseveli par les montagnes et les collines (30), où les mères envieront les femmes stériles, elles qui n’auront pas d’enfants à pleurer, où comme Job chacun voudrait n’avoir pas vu le jour (29). Ce que la ville subira sera encore pire que ce que souffre Jésus. Le feu de la colère consumera l’arbre sec (31) de ceux qui ont été infidèles à la voix de leur Seigneur. La fin imminente de Jésus préfigure l’écrasement prochain du peuple.

354

L’exécution de Jésus

COMPARAISON SYNOPTIQUE (voir Mt 27,32-37 ; 38, p. 298.303 et Mc 15,21-28, p. 325) Mt 27,32-37 32

Mc 15,21-28

Lc 23,26-32

21

Et ils requièrent un qui passait, SIMON DE CYRÈNE, qui revenait des champs, le père d’Alexandre et de Rufus, afin qu’il prenne sa CROIX. ·······································

26

33

22

27

34

ce qui est traduit l’endroit du CRÂNE, 23 et ils lui donnaient du vin de myrrhe,

Or en sortant, ils trouvèrent un homme DE CYRÈNE, du nom de SIMON. Celui-là ils requirent afin qu’il prenne sa CROIX. ET étant venus À L’ENDROIT dit Golgotha, ce qui est dit l’endroit du CRÂNE, ils lui donnèrent à boire du vin avec du fiel mêlé. ······································· Et (en) ayant gouté, il ne voulut pas boire.

······································· 35 Or L’AYANT CRUCIFIÉ, ILS

ET ils le portent À L’ENDROIT Golgotha

mais il n’en prit pas. 24 Et ILS LE CRUCIFIENT.

Et

PARTAGÈRENT SES VÊTEMENTS 36 EN TIRANT AU SORT, et, s’étant

ILS PARTAGENT SES VÊTEMENTS, EN TIRANT AU SORT sur eux qui

assis, ils le gardaient là.

prendrait quoi. 25

37

ET ils mirent au-dessus de sa tête son motif (de condamnation ainsi) écrit : « Celui-ci est Jésus, LE ROI DES JUIFS. »

38

Alors sont crucifiés AVEC LUI DEUX brigands, L’UN À DROITE ET L’AUTRE À GAUCHE.

Et tandis qu’ils le conduisaient, ayant pris un certain SIMON DE CYRÈNE qui revennait des champs, ils lui imposèrent la CROIX à porter derrière Jésus. Or le suivait une multitude du peuple et de femmes qui se frappaient et se lamentaient sur lui. 28 Or s’étant retourné vers elles, Jésus dit : « Filles de Jérusalem, ne pleurez pas sur moi, mais pleurez sur vousmêmes et sur vos enfants. 29 Car voici venir des jours où l’on dira : “ Heureuses les stériles, les ventres qui n’ont pas enfanté et les seins qui n’ont pas allaité”. 30 Alors on se mettra à dire aux montagnes : “ Tombez sur nous !” et aux collines : “ Recouvrez-nous !” 31 Car si l’on fait ainsi à l’arbre vert, qu’adviendra-t-il du sec ? » 32

Or ils conduisaient aussi DEUX autres malfaiteurs AVEC LUI pour être exécutés.

C’était la troisième heure et ils le crucifièrent. 26 ET était l’inscription de son motif (de condamnation) écrite :

33

« LE ROI DES JUIFS. »

······································· 34 Or Jésus disait : « Père, remetsleur car ils ne savent pas ce qu’ils font. » ······································· Or EN SE PARTAGEANT SES VÊTEMENTS, ILS TIRÈRENT LES SORTS.

······································· 27 Et AVEC LUI ils crucifient DEUX brigands, L’UN À DROITE ET L’AUTRE À SA GAUCHE. [28 Et fut accomplie l’Écriture qui dit : « Et avec des sans-loi il a été compté. »]

Et quand ils arrivèrent

À L’ENDROIT appelé CRÂNE, là ILS LE CRUCIFIÈRENT et les malfaiteurs, L’UN À DROITE, L’AUTRE À GAUCHE.

[...] 38

Or il y avait aussi une inscription au-dessus de lui : « (Il est) LE ROI DES JUIFS celui-ci. »

selon saint Luc (Lc 23,26-56)

355

La partie centrale du passage de Lc (27-31) lui est propre. La première partie (26) correspond à l’introduction du deuxième passage de la séquence de Mt (32 ; voir p. 298) et au début du premier passage de Mc (21 ; voir p. 325). La dernière partie (23,32) correspond à la fin du premier passage de Mc (27 ; voir p. 325) et au premier morceau du troisième passage de Mt (38 ; voir p. 303). Inversement, les deux dernières parties du deuxième passage de Mt (33-37) et le reste du premier passage de Mc (15,22-28) sont parallèles au deuxième passage et au passage central de la séquence lucanienne (33-34 ; 38). Noter en outre que, si les passages de Mt et de Mc sont plus proches entre eux que de celui de Lc, leur découpage ne se correspond pas complètement : le dernier morceau du premier passage de Mc (27) constitue le début du passage suivant de Mt (38, voir p. 303). C’est là un exemple particulièrement clair du fait que des matériaux analogues sont réemployés dans des architectures fort différentes. 2. CRUCIFIÉ, JÉSUS PRIE SON PÈRE (23,33-34) COMPOSITION DU PASSAGE : 33 Et quand ils arrivèrent : là ils crucifièrent : l’un à droite,

au lieu appelé Crâne, lui et les malfaiteurs l’autre à gauche.

············································································· 34

Or Jésus disait :

« PÈRE, PARDONNE-LEUR ; EN EFFET ILS NE SAVENT PAS CE QU’ILS FONT. » ·············································································

: Or en se partageant : ils tirèrent

ses vêtements, les sorts.

– Le premier morceau (33) est un trimembre : le premier membre est une subordonnée temporelle qui énonce à la fois le temps et le lieu, le second est la principale, le troisième est un complément de lieu qui précise la place des deux malfaiteurs par rapport à Jésus. – Le dernier morceau (34de) est un bimembre, formé d’une participiale et de la principale. – Dans le morceau central (34abc), la prière de Jésus en faveur de ceux qui l’ont amené au supplice est introduite par un unimembre de récit. CONTEXTE – La fin du verset 34 cite Ps 22,19 : « Ils partagent entre eux mes habits, ils tirent au sort mon vêtement. » – La crucifixion (33b) rappelle le verset 17 du même psaume : « Ils me lient les mains et les pieds. »

356

L’exécution de Jésus

COMPARAISON SYNOPTIQUE (voir Mt 27,32-37.38, p. 298.303 et Mc 15,21-28, p. 325) Mt 27,32-37.38 32

Or en sortant, ils trouvèrent un homme de Cyrène, du nom de Simon. Celui-là ils requirent afin qu’il prenne sa croix.

Mc 15,21-28

Lc 23,33-34

21

Et ils requièrent un qui passait, Simon de Cyrène, qui revenait des champs, le père d’Alexandre et de Rufus, afin qu’il prenne sa croix. ·······································

33

ET étant venus À L’ENDROIT dit Golgotha, ce qui est dit l’endroit du CRÂNE, 34 ils lui donnèrent à boire du vin avec du fiel mêlé.

22

33

ce qui est traduit l’endroit du CRÂNE, 23 et ils lui donnaient du vin de myrrhe,

ainsi que les malfaiteurs, L’UN À DROITE, L’AUTRE À GAUCHE.

ET ils le portent À L’ENDROIT Golgotha

ET quand ils arrivèrent À L’ENDROIT appelé CRÂNE, là ILS LE CRUCIFIÈRENT,

······································· 34

Or Jésus disait : « Père, pardonne-leur car ils ne savent pas ce qu’ils font. »

·······································

Et (en) ayant gouté, il ne voulut pas boire.

mais il n’en prit pas. 24 Et ILS LE CRUCIFIENT.

······································· 35

Or L’AYANT CRUCIFIÉ,

·······································

Et

Or

ILS PARTAGÈRENT SES VÊTEMENTS EN TIRANT AU SORT,

ILS PARTAGENT SES VÊTEMENTS, EN TIRANT AU SORT

EN SE PARTAGEANT SES VÊTEMENTS, ILS TIRÈRENT LES SORTS.

et, s’étant assis, ils le gardaient là.

sur eux qui prendrait quoi.

36

25 37

Et ils mirent au-dessus de sa tête son motif (de condamnation ainsi) écrit : « Celui-ci est Jésus, le Roi des Juifs. »

C’était la troisième heure et ils le crucifièrent. 26 Et était l’inscription de son motif (de condamnation) écrite : « Le Roi des Juifs. » ·······································

38

Alors sont crucifiés avec lui deux brigands, L’UN À DROITE ET L’AUTRE À GAUCHE.

27

Et avec lui ils crucifient deux brigands, L’UN À DROITE ET L’AUTRE À SA GAUCHE. [28 Et fut accomplie l’Écriture qui dit : « Et avec des sans-loi il a été compté. »]

selon saint Luc (Lc 23,26-56)

357

Le passage de Lc ne retient que trois éléments des récits de Mt et de Mc : – la crucifixion de Jésus (33abc ; mais il ne donne pas le nom hébreu du lieu) comme en Mt 27,33ab.35a et comme en Mc 15,22ab.24a ; – la crucifixion des deux brigands, comme en Mt 27,38 et comme en Mc 15,27 ; – enfin le partage des vêtements comme en Mt 27,35bcd et en Mc 14,24bcd. Il ne reprend pas l’épisode de la boisson offerte à Jésus (Mt 27,34 ; Mc 14,23) et il fera de celui de l’écriteau (Mt 27,37 ; Mc 15,26) le centre de toute sa séquence (voir p. 373). En revanche, il ajoute la prière de Jésus qui demande à son Père de pardonner à ses bourreaux (34abc) dont il fait le centre de sa construction. INTERPRÉTATION Le pardon du Fils et du Père Nu comme un ver (34d), Jésus est crucifié (33b), pieds et poings liés au bois de la croix. Entouré par deux malfaiteurs sans nom (33c), tandis que les soldats jouent au sort ses vêtements (34e). Au moment où le supplice affreux commence, qui doit le conduire à la mort dans d’atroces souffrances et la plus basse humiliation, il ne pense qu’à une seule chose, le salut des hommes. Non pas de ses amis car il n’en a pratiquement plus, mais de ceux-là mêmes qui l’ont conduit jusque-là, les autorités d’Israël et tout le peuple qui a réclamé sa crucifixion à grands cris, les Romains qui l’ont condamné et qui viennent d’exécuter la sentence. Certainement aussi de ceux qui l’ont abandonné la veille à Gethsémani, de celui qui l’a renié lâchement par trois fois durant la nuit. Dans la prière qu’il adresse à son « Père » (34), il se reconnait comme le Fils de celui dont la volonté n’est pas de perdre les pécheurs mais de les sauver (Ez 18,23) et qui pour cela n’a pas hésité à livrer son propre Fils (Rm 8,32).

358

L’exécution de Jésus

3. LES JUIFS ET LES ROMAINS EN FACE DE JÉSUS (23,35-37) COMPOSITION DU PASSAGE + 35 Et se tenait-là + et se moquaient

LE PEUPLE

aussi LES CHEFS

– « Il en a sauvé d’autres, : s’il est

à regarder, en disant : QU’IL SE SAUVE LUI-MÊME, LE CHRIST DE DIEU,

L’ÉLU ! » ······································································································· 36 Se jouaient de lui aussi LES SOLDATS, s’approchant,

+ + lui offrant

du vinaigre : « Si tu es



37

et disant :

LE ROI DES JUIFS, SAUVE-TOI TOI-MÊME ! »

Ce passage est formé de deux morceaux. Chacun est introduit par un segment de récit : le premier (35ab) oppose « le peuple » qui ne dit rien et « les chefs » qui se moquent de Jésus ; le second (36ab) met en scène non plus les Juifs mais les soldats romains. Les paroles des Juifs et des païens se répondent en miroir. Noter en 37c l’économie de « Il en a sauvé d’autres » de 35c. La conditionnelle de 35d comporte une expansion, ce qui n’est pas le cas de son correspondant de 37b ; ainsi le passage pointe-t-il sur cette expansion, « l’Élu ». Les deux titres, « Christ de Dieu » et « roi des juifs », sont complémentaires : Dieu a élu Jésus pour être roi des juifs. COMPARAISON SYNOPTIQUE (voir Mt 27,38-44, p. 303 et Mc 15,29-32, p. 328) Alors que Mt et Mc présentent, chacun à sa façon, trois catégories de personnes, toutes juives, qui se moquent de Jésus (Mt 27,39.41.44 ; Mc 15,29.31. 32fgh), Lc met en parallèle les chefs juifs (35cd) et les soldats romains (36), mais il oppose en outre « le peuple » juif (35a) qui ne fait que regarder à ses chefs qui se moquent (35cd). — Les deux brigands ne sont pas mentionnés ici, puisque au contraire de Mt et de Mc ils adopteront une attitude complètement opposée devant Jésus (voir p. 361). — Contrairement à Mt 27,40bcd et à Mc 15,29def, Lc ne fait pas référence à la destruction du temple et à sa restauration après trois jours (sans doute parce qu’il n’a pas repris l’épisode des faux témoins) ; — Lc ne reprend pas davantage l’invitation faite à Jésus de descendre de la croix (Mt 27,40g.42ef ; Mc 15,30b.32bc). — Comme chez Mc, Jésus reçoit chez Lc les titres de « Christ de Dieu » (35i) et de « Roi des Juifs » (37b) qui sont juxtaposés en Mc 14,32a, alors que Mt y ajoute par deux fois celui de « Fils de Dieu » (40f.43e) ; en revanche, Lc y adjoint le titre de « l’Élu » (35j).

selon saint Luc (Lc 23,26-56) Mt 27,38-44

359

Mc 15,29-32

Lc 23,35-37

38

Alors sont crucifiés avec lui deux brigands, l’un à droite et l’autre à gauche. 39

Ceux qui passaient l’injuriaient, hochant leurs têtes 40 et disant :

29

·······································

·······································

« Celui qui détruis le sanctuaire et en trois jours (le) rebâtis, SAUVE-TOI TOI-MÊME !

« Hé ! Celui qui détruis le sanctuaire et le rebâtis en trois jours, 30 SAUVE-TOI TOI-MÊME,

Ceux qui passaient l’injuriaient, hochant leurs têtes et disant :

35

Et se tenait-là le peuple

à regarder,

·······································

Si tu es le Fils de Dieu, descends de la croix ! »

descendant de la croix ! »

41

Pareillement aussi les grands prêtres, se jouant avec les scribes et anciens, DISAIENT :

31

·······································

·······································

« IL EN A SAUVÉ D’AUTRES, il ne peut SE SAUVER LUI-MÊME !

« IL EN A SAUVÉ D’AUTRES, il ne peut SE SAUVER LUI-MÊME ! 32 Le Christ, LE ROI d’Israël, qu’il descende maintenant de la croix, afin que nous voyions et que nous croyions ! »

42

·······································

Il est LE ROI d’Israël, qu’il descende maintenant de la croix,

Pareillement aussi les grands prêtres, se jouant entre eux avec les scribes, DISAIENT :

et les chefs se moquaient DISANT : « IL EN A SAUVÉ D’AUTRES, qu’il SE SAUVE LUI-MÊME,

s’il est le Christ de Dieu, l’élu. »

et nous croirons en lui. 43 Il s’est confié en Dieu, qu’il le délivre maintenant s’il s’intéresse à lui ; il a dit en effet que « Je suis le Fils de Dieu. » ······································· 44

De la même manière, même les brigands qui étaient crucifiés avec lui l’insultaient.

Même ceux qui avaient été crucifiés avec lui l’insultaient.

36

Les soldats se jouaient de lui aussi, s’approchant, lui offrant du vinaigre 37 et disant : « Si tu es LE ROI des Juifs, SAUVE-TOI TOI-MÊME ! »

INTERPRÉTATION Railleries et silence Le supplice de Jésus est redoublé par la risée de ceux qui l’ont fait condamner (35) et de ceux qui ont été chargés d’exécuter la sentence (36-37). D’un côté les chefs du peuple se moquent de lui, de l’autre, ce sont les soldats romains qui se jouent de lui et à travers lui du peuple dont Jésus est le roi dérisoire. Le peuple en

360

L’exécution de Jésus

revanche ne joint pas sa voix à celle de ses chefs (35a). Le fait que celui qui en a sauvé tant parmi eux (35c) ne se sauve pas lui-même ne les fait pas rire. Il semble bien qu’ils ne comprennent pas davantage que les autres ce qui se passe. Et pourtant, c’était bien ce même peuple qui hier encore venait en masse au Temple pour l’écouter et restait suspendu à ses lèvres (19,48 ; 21,38). Aujourd’hui ils sont encore là mais ne peuvent plus que « regarder » sans rien dire (35a), non sans penser toutefois à tout ce dont ils avaient été les témoins. Il fallait qu’ils soient aussi les témoins de ce qui se passe maintenant sous leurs yeux. Le sauveur Les railleries des chefs juifs (35), auxquelles font écho celles des soldats païens (37), touchent à l’essentiel : elles visent le cœur de ce que Jésus a fait et de ce qu’il est. Même dans leurs moqueries les chefs reconnaissent que le crucifié fut sauveur (35c). Comme si toute l’activité de Jésus pour eux se résumait en cet instant par ce seul mot. Celui dont ils ont obtenu à grand-peine la condamnation à mort, c’est celui qui était passé parmi eux en faisant le bien, celui qui en a sauvé tant de la maladie, du démon et de la mort (Ac 10,38). Ils rient de voir Jésus privé du salut qu’il a apporté aux autres, ne se rendant même pas compte que, s’il en est ainsi, c’est qu’eux-mêmes ont refusé d’être sauvés. L’élu À travers les moqueries des chefs juifs et des soldats romains, la véritable raison de la condamnation et du supplice de Jésus est manifestée. C’est parce qu’il a reconnu avoir été « élu » par Dieu (35e), oint par lui (35d) pour être roi des juifs (37b), qu’il est maintenant élevé sur le trône de la croix. Ce qui est scandale pour les juifs et folie pour les païens est sagesse aux yeux de Dieu (1Co 1,23). 4. LES DEUX BRIGANDS DE CHAQUE CÔTÉ DE JÉSUS (23,39-43) COMPOSITION DU PASSAGE Ce passage est de composition concentrique autour du verset 41. Chacune des deux parties qui encadrent la partie centrale (41) fait alterner phrases de récit (39a.40a ; 42a.43a) et de discours. La première partie (39-40) rapporte les paroles du premier malfaiteur, auxquelles répondent celles du second : les deuxièmes membres (39b.40b) s’achèvent avec « Christ » puis « Dieu », les derniers membres (39c.40c) opposent le salut demandé pour les trois à la peine qu’ils subissent. La troisième partie (42-43) rapporte la demande du second malfaiteur et la réponse de Jésus : les deuxièmes membres (42b.43b) s’achèvent avec « moi », les derniers (42c.43c) avec deux syntagmes synonymes. Jésus ne répond pas à la demande du premier malfaiteur (39), mais à celle du second (42).

selon saint Luc (Lc 23,26-56)

361

D’une partie à l’autre, « règne » (42c) renvoie à « Christ » (39b) ; « sauvetoi » (39c) à « Jésus » (nom qui signifie « sauveur » : 42b) ; « souviens-toi de moi » (42b) à « sauve-toi toi-même et nous aussi » (39c) ; « paradis » (43c) à « Dieu » (40b). + 39 Un des malfaiteurs suspendus : « N’est-ce pas toi

l’insultait en disant : LE CHRIST ? . SAUVE-TOI toi-même et nous aussi ! »

+ 40 Répondant, l’autre : « Ne crains-tu pas

le réprimandait Dieu, toi, . qui es

en disant : dans la même peine ?

- 41 Pour nous . car nous recevons

c’est justice le prix de ce que nous avons fait ;

- quant à lui, . il n’a fait

rien

de déplacé. »

+ 42 Et il dit : : « JÉSUS,

SOUVIENS-TOI . quand tu viendras

de moi, dans ton RÈGNE. »

+ 43 Il lui dit : : « En vérité je te dis : aujourd’hui . tu seras

avec

moi, dans le paradis. »

COMPARAISON SYNOPTIQUE (voir Mt 27,38-44, p. 303 et Mc 15,29-32, p. 328) Ce passage n’a pas d’équivalent chez Mt ni chez Mc. Les deux premiers évangélistes signalent seulement que les deux brigands insultaient Jésus comme les autres Juifs (Mt 27,44 ; Mc 15,32de). Lc en a fait un long passage où la division passe, non pas entre Juifs et païens mais à l’intérieur de chaque groupe. INTERPRÉTATION L’ultime division Jusqu’au bout, Jésus reste le signe de contradiction prophétisé par Syméon (Lc 2,34). Les deux malfaiteurs crucifiés l’un à sa droite, l’autre à sa gauche, rappellent tous ceux qui ont dû prendre parti pour ou contre Jésus durant sa vie, les uns se moquant de lui et le rejetant, les autres implorant dans la foi le salut, que personne d’autre que lui ne pouvait leur apporter. Ils représentent aussi, symboliquement, ceux qui à l’avenir regarderont vers le crucifié : eux aussi devront choisir entre la prière (42) et les insultes (39), surtout quand, comme Jésus, ils seront crucifiés, versés dans le creuset de la souffrance et soumis à l’épreuve de la mort.

362

L’exécution de Jésus

La confession Les deux malfaiteurs demandent également le salut (39c.42b), ils n’ont pas d’autre désir dans la situation où ils sont que d’être libérés de leurs tourments. Mais le premier sait bien qu’il est condamné et qu’il n’y a rien à faire, et il ironise sur son compagnon d’infortune (39) ; comme si ses insultes pouvaient le soulager. L’autre préfère la vérité, la sienne et celle des autres (41) : la foi l’amène à confesser son péché et la justice du châtiment (41ab), et dans le même mouvement l’innocence et la justice de Jésus (41cd). Malgré les apparences, il reconnait dans le juste persécuté celui que les prophètes avaient annoncé, le serviteur souffrant à qui seront attribuées les multitudes, le Christ roi (42c). Sa prière est aussitôt exaucée, ses péchés pardonnés (43). Et le premier à entrer avec Jésus dans le règne de Dieu sera un criminel qui de son propre aveu avait bien mérité sa condamnation (41ab), modèle pour tous ceux qui seraient tentés de penser que leur situation est irrémédiablement désespérée. L’amour de Dieu est plus fort que la mort. « Jésus ! » Le bon larron est le seul personnage de tout l’Évangile de Luc – et même des quatre évangiles – qui s’adresse au Seigneur en utilisant seulement son nom, « Jésus » (42b), sans y ajouter rien d’autre. Il ne l’appelle pas « Jésus Nazarénien » comme les démons de Capharnaüm (4,34), ni « Jésus, Fils de Dieu » comme le démoniaque de Gérasa (8,28), ni « Jésus, maitre » (epistata) comme les dix lépreux (17,13), ni « Jésus, fils de David » comme l’aveugle de Jéricho (18,38). Il dit simplement : « Jésus ! » Comment interpréter ce fait ? Il n’est certainement pas interdit d’y voir la manifestation d’une foi totale, et même de très grande intimité. Le « bon larron » est certes un criminel et il aura été condamné pour des raisons sérieuses ; et du reste il se reconnait lui-même coupable (41ab). Mais en cet instant, confessant l’innocence de Jésus (41cd), il est celui qui est le plus proche de lui dans l’acceptation de la souffrance et de la mort. Lui seul est vraiment « avec lui ». Il pourra donc entrer « aujourd’hui même avec lui dans le paradis » (43). Le nom de « Jésus » signifie « sauveur », c’est son plus beau titre ; le bon larron n’a pas besoin d’en invoquer un autre. En implorant son sauveur il est sûr d’obtenir son salut. 5. MOURANT, JÉSUS PRIE SON PÈRE (23,44-46) COMPOSITION DU PASSAGE Les deux segments du premier morceau sont parallèles, et de même ceux du dernier morceau : à la mort de Jésus correspond ainsi à celle de la lumière.

selon saint Luc (Lc 23,26-56) : 44 C’était déjà environ la sixième heure - et la : jusqu’à

ténèbre

la neuvième heure, - le soleil

363

advint sur la terre entière s’étant éclipsé.

···················································································· 45

Le rideau du sanctuaire fut déchiré par le milieu.

····················································································

: 46 Et appelant d’un grand appel, : Or cela

Jésus dit : - « Père, en tes mains je dépose mon ayant - il

souffle. »

dit, rendit-le-

souffle.

CONTEXTE Gn 1–2 Le verset 44 est l’envers de Gn 1,2-5 : la première création de Dieu fut la lumière, pour dissiper les ténèbres qui couvraient l’abime et établir le principe organisateur du temps. Par ailleurs, le « souffle » remis entre les mains du Père (46) rappelle que c’est Dieu qui à l’origine avait mis son souffle dans les narines du premier homme (Gn 2,7). Am 8,9-10 Le jour du jugement se manifestera par l’obscurité en plein jour, car les fêtes se changeront en lamentations, « comme pour le deuil d’un fils unique »1. Ps 31,6 La prière de Jésus (46b) cite le verset 6 du Psaume 31. INTERPRÉTATION La fin de la création Avec Jésus qui s’en va, c’est la lumière du monde qui disparait (44b) et la ténèbre qui de nouveau étend son règne sur la terre (44b). En séparant les ténèbres de la lumière au commencement, Dieu avait établi le principe du temps par la succession des jours et des nuits. Leur confusion, la disparition de la lumière et le retour à la ténèbre originelle signifient la négation de la création en son début même et marquent la fin de l’histoire ainsi que le jugement eschatologique. Alors le souffle mis par Dieu dans les narines du premier homme pour en faire un vivant retourne à Dieu d’où il est venu (46). Ce qui est vrai de la mort de tout homme prend, avec la mort de Jésus, une dimension

1

Voir Amos, 330.332.

364

L’exécution de Jésus

dramatique hors du commun, parce qu’avec lui, c’est le Fils unique qui retourne dans le sein du « Père » (46b). La fin du Temple Le voile du Temple est déchiré par le milieu (45) au moment où Jésus va rendre l’esprit (46). Le passif laisse entendre que c’est Dieu lui-même qui agit. Il abolit ainsi une séparation, celle qui distingue le sanctuaire de l’extérieur ou celle qui isole le Saint des Saints du reste du sanctuaire. Prémices sans doute de la destruction du Temple, la mort de Jésus met fin à une économie et inaugure un nouvel ordre des relations de l’homme avec Dieu. La position centrale de cette notation attire l’attention, mais ne résout pas ce qui demeure quand même quelque peu énigmatique. Il faudra donc y revenir en fin de parcours. LA LIMITE ENTRE LA TROISIÈME ET LA QUATRIÈME SÉQUENCE Certains (par ex., K. ALAND et al., The Greek New Testament ; J. FITZMYER, Luke, II, 1543) interprètent la particule de par laquelle commence le chapitre suivant (24,1) comme corrélative du men qui se trouve au début de 56b : 23,56b 24,1

kai to men sabbaton, tēi de miai tōn sabbatōn orthrou batheōs,

hēsychasan kata tēn entolēn, epi to mnēma ēlthon

Ils rattachent par conséquent 56b à la suite. Cette question grammaticale n’est en fait qu’un des aspects du problème plus général, et difficile, de la limite entre les troisième et quatrième séquences de la dernière section de Lc : faut-il couper après 54, après 55, après 56a ou après 56b ? La cohérence interne de 5456, les nombreuses symétries de cette partie avec la première partie (47-49) et les liens très forts entre la dernière partie (54-56) et la partie centrale (50-53) paraissent devoir faire pencher la balance en faveur d’une coupe à la fin de 56. Par ailleurs, du point de vue du déroulement temporel du récit, 56b fait une bonne conclusion de la troisième séquence et le chapitre 24 constitue une unité temporelle : tous les événements rapportés se passent le même jour, ce qui explique sans doute le découpage traditionnel des chapitres, de même que l’adoption de ce découpage par la plupart des éditions de la Bible, et même de plusieurs commentaires, tels ceux de Lagrange, Plummer, Marshall. Reste la question des particules men... de qui semble bien pourtant, à première vue, unir 23,56b et 24,1. Cependant, il se pourrait que le de de 24,1 ne soit pas corrélatif du men de 23,56b, mais seulement une particule semblable à celles par lesquelles commencent, par exemple, les deux premières séquences de la troisième section (en 22,1 et 22,54). Le men de 23,56b pourrait être une particule assertive isolée. Cet usage n’est pas rare en grec classique : « Quand à un men tout d’abord exprimé ne correspond aucun de, c’est ou bien que men a soit le sens affirmatif de certes, sans doute, assurément, soit le sens concessif de sans doute, à la vérité,... » (É. RAGON, – É., RENAUD, Grammaire complète de la langue grecque, § 435) ; cet usage est plus fréquent encore en grec biblique (voir F. BLASS, – A. DEBRUNNER, – RW. FUNK, A Greek Grammar of the New Testament, § 447, 4).

COMPARAISON SYNOPTIQUE (voir Mt 27,46-51b, p. 305 et Mc 15,33-36, p. 332) Lc n’a pas l’épisode de la prière en araméen qui est tournée en dérision par ceux qui l’entendent de Mt 27,46-49 et de Mc 15,34-36 ; — l’épisode de la ténèbre par lequel il commence son passage (qu’il explique par une éclipse de soleil : 23,44f) est celui dont Mt a fait le centre de sa séquence en 27,45 (voir p. 318) et que Mc situe au début de son passage central en 15,33 (voir p. 332) ; — la prière de Jésus chez Lc 23,46 ne correspond pas à la citation en araméen du

selon saint Luc (Lc 23,26-56)

365

Ps 22 en Mt 27,46 et en Mc 15,34, mais au « grand cri » précédant immédiatement la mort en Mt 27,50 et en Mc 15,37 (voir p. 335) ; — enfin Lc place la déchirure du voile au centre de son passage (45), avant la mort de Jésus, alors que Mt et Mc la situeront après que Jésus ait rendu le dernier soupir, en Mt 27,51 et en Mc 15,38 (voir p. 335). C’est donc à certains éléments de deux passages de Mc, et de deux de Mt, que correspondent ceux du passage de Lc. Mt 27,46-51b

Mc 15,33-36 33

Et quand arriva la sixième heure, la ténèbre arriva sur la terre entière jusqu’à la neuvième heure.

Lc 23,44-46 44

Et c’était déjà environ la sixième heure et la ténèbre arriva sur la terre entière jusqu’à la neuvième heure, le soleil s’étant éclipsé sé.

······································· 46

Or vers la neuvième heure, Jésus clama à grande voix disant : « Éli, Éli, lema sabachtani ? » c’est-à-dire : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » 47

34

Et à la neuvième heure, Jésus clama à grande voix : « Élôï, Élôï, lama sabachtani ? » ce qui est traduit : « Mon Dieu, mon Dieu, pour quoi m’as-tu abandonné ? »

Or certains de ceux (qui se tenaient) là ayant entendu ,disaient : « Il appelle Élie celui-ci ! »

35

·······································

·······································

48

36

Et aussitôt l’un d’entre eux ayant couru et pris une éponge, l’ayant imbibée de vinaigre et fixée à un roseau, il l’abreuvait.

Et certains de ceux qui se tenaient-auprès ayant entendu, disaient : « Voici qu’il appelle Élie ! » Or certain ayant couru, ayant rempli une éponge de vinaigre, l’ayant fixée à un roseau, l’abreuvait disant :

······································· 49

Or les autres dirent : « Laisse ! Voyons si Élie vient le sauver ! »

« Laissez ! Voyons si Élie vient le descendre ! »

50

OR Jésus de nouveau ayant crié d’UNE GRANDE VOIX remit l’esprit.

37

51

38

·······································

ET voici que LE RIDEAU DU

45

OR Jésus ayant remis

OR LE RIDEAU DU SANCTUAIRE R FUT RE FU FENDU

UNE GRANDE VOIX

expira

SANCTUAIRE FUT FENDU

ET LE RIDEAU DU SANCTUAIRE FUT FENDU

du haut en bas en deux.

en deux du haut en bas.

par le milieu eu. u. ······································· 46

ET poussant UNE GRANDE VOIX,

Jésus dit : « Père, en tes mains je dépose mon esprit. » Or cela ayant dit, il expira.

366

L’exécution de Jésus

6. JÉSUS EST DÉPOSÉ DANS LE TOMBEAU (Lc 23,47-56) COMPOSITION DU PASSAGE + 47 Le centurion + louait = « Vraiment,

AYANT VU Dieu cet

ce-qui-était-advenu, en disant :

:: 48 Et toutes :: = se frappant

les foules AYANT REGARDÉ la poitrine

venues pour ce ce-qui-était-advenu, S’EN RETOURNÈRENT.

HOMME était JUSTE ! » ···························································································································

REGARD,

···························································································································

:: 49 Or se tenaient-là :: et DES FEMMES :: . 50 Et voici . étant . [et] HOMME —

51

celui-là

.. d’Arimathie, .. qui ATTENDAIT

toutes

les connaissances

de lui,

AYANT ACCOMPAGNÉ

LUI

DEPUIS LA GALILÉE,

VOYANT

cela.

un homme conseiller, bon

du nom

de Joseph,

et JUSTE,

ne s’était associé ni à leur dessein ville

de loin

ni à leur action —

des Juifs,

LE RÈGNE DE DIEU. ···································································································

.. 52 Celui-là .. RÉCLAMA

étant venu

chez Pilate,

LE CORPS

DE JÉSUS.

. 53 Et (l’)ayant descendu, . il enveloppa lui

d’un linceul

. et posa . où personne

dans une tombe jamais

- 54 Et c’était - et le sabbat

lui n’avait le jour brillait.

de pierre été couché.

de la Préparation

··················································································································

:: 55 Or LES FEMMES :: CELLES QUI : REGARDÈRENT : et comment 56

:: Or :: elles préparèrent

AYANT ACCOMPAGNÉ, ÉTAIENT

VENUES-AVEC

LUI

le tombeau était déposé

le CORPS

de lui.

DEPUIS LA GALILÉE,

S’EN ÉTANT RETOURNÉES,

aromates

et parfums.

··················································································································

- Et le sabbat

se reposèrent

selon le commandement.

Dans la première partie le début second morceau (48ab) correspond au début du premier (47ab) ; la fin du premier morceau (47c) proclame la justice de Jésus,

selon saint Luc (Lc 23,26-56)

367

tandis qu’à la fin du second (48c) le peuple confesse sa culpabilité. Contrairement au centurion païen (47a) et aux foules juives (48a), le troisième groupe de personnages (49) ne réagit pas. Le personnage est unique dans le premier morceau ; dans les deux autres, il s’agit de « tous »/« toutes ». Les deux occurrences de « voir » font inclusion pour toute cette partie (47a.49c) ; au centre (48ab), le substantif traduit par « regard » et le verbe« regarder » leur font écho. Dans la troisième partie (54-56) le premier et le dernier segment se correspondent (54.56b) : l’un annonce « le sabbat », l’autre dit ce que font les femmes ce même jour de « sabbat ». Dans le morceau central, les segments extrêmes commencent avec des participes opposés dont le sujet est le même ; les seconds membres disent, l’un ce qu’elles ont fait durant la vie de Jésus (55b), l’autre ce qu’elles font pour lui après sa mort (56b). Pratiquement toute la dernière partie est consacrée à ce que font les femmes dont il n’était question que dans le dernier morceau de la première partie (49bc). Le premier morceau de la partie centrale (50-51) présente Joseph, le deuxième (52-53) les trois étapes de ce qu’il fait pour le corps de Jésus. Les seconds membres des segments médians (51c.52b) sont de structure syntaxique analogue (verbe suivi de nom et complément de nom) ; les deux verbes « attendre » et « réclamer » appartiennent au même champ sémantique et leurs compléments se correspondent : alors que Joseph attendait « le règne de Dieu », c’est « le corps de Jésus » qu’il demande. Le premier morceau (50-51) se rattache à la première partie : « homme » et « juste » apparaissent au début de chaque partie, pour qualifier Jésus d’abord (47c), Joseph ensuite (50c). Le second morceau (52-53) annonce la troisième partie avec la reprise de « corps » (52b.55d), de « tombe » ou « tombeau » (53c.55c) et de « poser » et « déposer » (53c.55d).

368

L’exécution de Jésus

COMPARAISON SYNOPTIQUE (voir Mt 27,51c-61, p. 315 et Mc 15,37-47, p. 341) Lc réunit en un seul passage des éléments qui, bien que contigus, se trouvent répartis dans deux passages de Mt : la deuxième partie de 27,51c-56 (soit 54-56 ; voir p. 309) et l’ensemble de 27,57-61 (voir p. 312) ; et de manière analogue dans deux passages de Mc : presque tout le passage 15,37-41 (voir p. 335) et l’ensemble de 15,42-47 (voir p. 338). – Comme chez Mc 15,39, c’est le centurion seul qui réagit à ce qui est advenu (23,47), sans les autres gardes de Jésus comme en Mt 27,54ab ; mais, alors que Mt et Mc s’accordent pour lui faire reconnaitre en Jésus le « Fils de Dieu », Lc lui fait dire que c’était « un juste » (en parallèle à Joseph au verset 50). – Le verset 48 est propre à Lc (il fait pendant, comme on le verra plus tard (p. 373), à un autre épisode, lui aussi propre à Lc, au début de sa séquence, au verset 27). – Le verset 49 de Lc correspond à Mt 27,55 (mais Lc ajoute aux femmes « toutes ses connaissances » et omet les noms des trois femmes de Mt 27,56) et à Mc 15,40-41 (qui lui aussi ajoute une liste de trois femmes). – Le morceau 50-51 de Lc renvoie à Mt 27,57 (mais Mt qui est plus bref dit de Joseph que c’était un homme riche et un disciple de Jésus, alors que Lc en fait un membre du conseil ; 51ab est propre à Lc) et à Mc 15,43 (qui est plus bref mais plus proche de Lc que Mt). – Lc ne reprend ni l’enquête faite par Pilate de Mc 15,44-45, ni la mention de la pierre roulée devant le tombeau de Mt 27,60cd et de Mc 46fg, mais il ajoute que personne n’avait été couché dans le tombeau (Mt signale cependant que le tombeau était « neuf » : 60b). – La fin du récit est très brève en Mt 27,61 et en Mc 15,47 ; Lc signale d’abord l’arrivée du sabbat, comme Mc au début de son dernier passage (15,42), tandis que Mt 27,57 mentionne seulement que c’est le soir, au début de son dernier passage (27,57a). Lc ne reprend pas les noms des femmes, mais il redit que c’était celles qui avaient accompagné Jésus depuis la Galilée (55abc en relation avec la même mention en 49). Comme Mc 15,47 Lc dit que les femmes observent le lieu de la sépulture. Enfin, Lc est le seul à rapporter la préparation des aromates et le repos sabbatique (56).

selon saint Luc (Lc 23,26-56) Mt 27,51c-61

369

Mc 15,37-47

51c

Et la terre trembla, les rochers se fendirent 52 et les tombeaux s’ouvrirent. Et beaucoup de corps de saints endormis ressuscitèrent 53 et, sortis des tombeaux après sa résurrection, ils entrèrent dans la ville sainte et se manifestèrent à beaucoup.

37

54

OR le chef-de-cent et ceux avec lui gardant Jésus AYANT VU le séisme et ce qui était advenu, eurent très peur DISANT : « En vérité, il ÉTAIT Fils de Dieu celui-là ! »

39

55

40

Lc 23,47-56

Or Jésus ayant jeté un grand cri expira, 38 et le rideau du sanctuaire se fendit en deux du haut en bas.

OR AYANT VU le centurion qui se tenait-là en face de lui qu’il avait expiré ainsi, DIT : « En vérité, cet homme-là ÉTAIT Fils de Dieu ! »

47

OR AYANT VU le chef-de-cent ce-qui-était-advenu, louait Dieu en DISANT : « Vraiment, cet homme-là ÉTAIT juste ! »

·······································

parmi lesquelles étaient Marie Madeleine et Marie mère de Jacques et de Joseph et la mère des fils de Zébédée.

Or il y avait aussi des FEMMES DE LOIN observant, parmi lesquelles Marie Madeleine, Marie, mère de Jacques le petit et de Joset, et Salomé 41 qui, lorsqu’il était en GALILÉE, L’ACCOMPAGNAIENT et le servaient, et beaucoup d’autres qui étaient montées avec lui à Jérusalem.

57

42

Or il y avait là beaucoup de FEMMES DE LOIN observant, CELLES QUI AVAIENT ACCOMPAGNÉ Jésus DEPUIS LA GALILÉE le servant, 56

Or le soir étant arrivé,

vint un homme riche, D’ARIMATHIE, du nom de JOSEPH,

Et le soir étant déjà arrivé, comme c’était la Préparation, c’est-à-dire la veille du sabbat, 43 étant venu JOSEPH D’ARIMATHIE, notable conseiller

lui aussi s’était fait disciple de Jésus.

QUI

58

commanda qu’il (lui) fut -donné.

s’étant enhardi, il entra CHEZ PILATE et RÉCLAMA LE CORPS DE JÉSUS. 44 Or Pilate s’étonna qu’il fut déjà mort et ayant convoqué le centurion, il lui demanda s’il était déjà mort 45 et l’ayant su par le centurion, il octroya le cadavre à Joseph.

59

46

QUI

lui aussi attendait le Règne de Dieu,

48

Et toutes les foules venues-ensemble regarder cela, ayant regardé ce-qui-étaitadvenu, se frappant la poitrine s’en retournèrent. 49 Or se tenaient-là toutes ses connaissances, DE LOIN et des FEMMES, CELLES L’ACCOMPAGNANT DEPUIS LA GALILÉE, voyant cela.

50

Et voici un homme du nom de JOSEPH, étant conseiller, homme bon et juste, — 51 celui-là ne s’était associé ni à leur dessein ni à leur action — D’ARIMATHIE, ville des Juifs, QUI

attendait le Règne de Dieu.

······································· Celui-là étant venu CHEZ PILATE,

RÉCLAMA LE CORPS DE JÉSUS ;

alors Pilate

ET ayant pris le corps, Joseph le roula DANS un LINCEUL pur. 60 ET IL LE POSA DANS son TOMBEAU neuf qu’il avait taillé dans le rocher et, ayant roulé une grande pierre à la porte du tombeau, il partit.

ET ayant acheté un linceul, l’aayant descendu, il l’enveloppa DANS le LINCEUL et IL LE DÉPOSA DANS une TOMBE qui avait été taillée du rocher et il roula une pierre contre la porte du tombeau.

52

Celui-là étant venu CHEZ PILATE,

RÉCLAMA LE CORPS DE JÉSUS.

53

ET (l’) ayant descendu, il le roula DANS un LINCEUL et LE POSA DANS une TOMBE de pierre où personne n’avait jamais été couché.

54

61

OR il y avait là Marie Madeleine et l’autre Marie qui étaient assises en face du sépulcre.

47

OR Marie Madeleine (et Marie mère) de Joset observaient où il avait été posé.

Et c’était le jour de la Préparration et le sabbat déjà brillait. 55 OR LES FEMMES AYANT ACCOMPAGNÉ, celles étant venues avec DEPUIS LA GALILÉE, regardèrent le tombeau et comment avait été déposé son corps. 56

Or s’en étant retournées, elles préparèrent aromates et parfums. Et le sabbat elles se reposèrent selon le commandement.

370

L’exécution de Jésus

CONTEXTE L’attente d’Israël Joseph d’Arimathie est décrit comme un « homme juste et bon [...] qui attendait le règne de Dieu » (51) ; ces expressions rappellent celles de la présentation de Jésus au Temple : Syméon « homme juste et pieux [...] il attendait la consolation d’Israël » et Anne parlait de l’enfant Jésus à tous ceux qui « attendaient la délivrance de Jérusalem » (Lc 2,25.38). Jésus roi L’expression « où personne n’avait jamais été couché » (53d) rappelle celle de Lc 19,30 : Jésus monte un ânon « sur lequel personne n’était jamais monté ». Comme pour la monture royale, le tombeau du roi ne doit pas avoir servi à quelqu’un d’autre. Le second morceau de la partie centrale s’achève donc (53d) sur une allusion à la royauté de Jésus comme le premier morceau s’achevait sur la mention du royaume de Dieu (51c). Regarder Tous les verbes de vision de la première partie (Lc 23,47-49) font écho à Za 12,10 (« Ils regarderont vers celui qu’ils ont transpercé ») et de même à Is 52–53 (52,15 ; 53,2.10.11). L’achèvement de la création Le passage, et donc toute la séquence, s’achève sur le repos du sabbat, comme le récit de la création (Gn 2,1). Le fait que dans le passage précédent référence soit faite au même récit de la Genèse renforce la probabilité d’une telle allusion (voir p. 370). INTERPRÉTATION La nouvelle création est achevée L’œuvre de Jésus est achevée. Tout est consommé. Le jour du sabbat arrive (54) où il se reposera de tout ce qu’il a fait. Comme le Seigneur Dieu s’était reposé le septième jour quand il eut achevé toute son œuvre. Ce qui est advenu en ce sixième jour est l’accomplissement d’une nouvelle genèse. Comme à l’origine, la mort est présente, mais tandis qu’elle avait été promise à Adam comme châtiment de sa désobéissance, elle a été infligée aujourd’hui à celui dont tous reconnaissent la justice (47-48). La mort du Juste révèle aux hommes leur péché et paradoxalement suscite la louange de Dieu (47b) : ce qui est advenu est à sa gloire et le corps mort de Jésus manifeste que le règne de Dieu est arrivé (51c-52).

selon saint Luc (Lc 23,26-56)

371

La réalisation de l’attente d’Israël Joseph d’Arimathie, comme Syméon et Anne (Lc 2,25.38), comme tous les justes d’Israël, attendait le règne de Dieu (51c). Ce qu’il va demander à Pilate et ce qu’il reçoit entre ses bras, c’est le corps de Jésus (52). Mais ce corps est celui d’un roi, puisqu’il est couché dans un tombeau où personne n’a jamais été couché (53d) ; le roi en effet doit être le premier en toutes choses, même dans la mort. Il fallait aussi que ce soit un membre du Conseil (50b), un représentant de l’autorité suprême du peuple, qui procède à l’ensevelissement royal. C’est un roi mort qui est donné à Israël, un roi qu’il faut se hâter de mettre au tombeau avant la nuit. C’est là qu’aboutissent les espérances du peuple de la promesse. Tous l’ont vu Jésus vient de rendre l’esprit (46). Voilà ce qui est advenu (47a). Voilà ce que tous ont vu. Le centurion romain, le païen, qui est le premier à rendre louange à Dieu (47b), toutes les foules juives qui représentent Israël (48a), ses connaissances (49a) et les femmes disciples enfin (49b). Il fallait que l’humanité entière, ceux qui parmi le peuple ont cru et ceux qui ont refusé le Messie, tous les peuples enfin avec l’officier romain, il fallait que tous soient présents et soient témoins oculaires de l’événement majeur qui vient de se produire. Mais alors que le centurion reconnait la justice du supplicié (47c), les foules juives vont plus loin qui confessent leur péché en se frappant la poitrine (48c).

372

L’exécution de Jésus

7. L’INTRONISATION DU ROI DES JUIFS (Lc 23,26-56) COMPOSITION DE LA SÉQUENCE Autour du court passage central, les six autres passages de la séquence se répondent deux à deux en miroir. Aux extrémités, deux longs passages (26-32 ; 47-56) présentent les personnages qui accompagnent Jésus. Au centre du premier passage et dans les parties extrêmes du dernier, ce sont des personnages anonymes : « une multitude du peuple » (27a), « toutes les foules » (48a), et spécialement des « femmes » (27a.49b.55a) qui « se frappent (la poitrine) » (27a.48b). Au début du premier passage et au centre du dernier, ce sont aussi deux hommes qui sont identifiés par leur nom et par le nom de leur ville, « Simon de Cyrène » et « Joseph » « d’Arimathie » ; le premier porte la croix de Jésus (26) ; l’autre porte son corps au tombeau (53 ; plus exactement on « im-pose » à l’un la croix, et l’autre « dé-pose » son corps au tombeau). « Accompagner » est repris en 27a, 49b et 55b ; « juste » (47b) renvoie à « arbre vert » (31a). À l’ensevelissement de Jésus à la fin (53) correspond l’ensevelissement sous les montagnes et les collines souhaité au début (30). Le deuxième et l’avant-dernier passage (33-34 ; 44-46) sont nettement plus courts. Le deuxième passage précise le lieu, l’avant-dernier le temps. Ils ont en commun une prière de Jésus également adressée au « Père » (34b.46b). « Partager » et « déchirer » (34c.45) sont synonymes (la traduction masque la synonymie de l’original) ; « vêtements » et « voile » sont des pièces de tissu. Les troisième et cinquième passages (35-37 ; 39-43) sont symétriques. Les « insultes » du premier malfaiteur (39) reprennent les moqueries des chefs (35) et des soldats (36-37), auxquelles s’oppose la prière du second malfaiteur (42) ; ce dernier est peut-être à mettre en relation avec le « peuple » qui ne se joint pas aux moqueries de ses chefs (35). « Christ » est repris en 35b et en 39a (mais sans l’expansion « de Dieu » la deuxième fois) ; « roi » (37b) est repris par « règne » (42 ; là aussi sans l’expansion « des juifs »). « Qu’il se sauve lui-même » (35b) et « sauve-toi toi-même » (37b) sont repris en écho par « sauve-toi toi-même et nous aussi » (39b) et par « souviens-toi de moi » (42). Au centre, un très court passage (38) qui définit, par écrit, l’identité de Jésus, déjà exprimée par oral dans les passages qui l’encadrent. À noter que « règne » se retrouve aussi au centre du dernier passage de la séquence (51b).

selon saint Luc (Lc 23,26-56)

373

23,26 Comme ils le conduisaient, ayant pris un certain Simon de Cyrène qui revenait des champs, ils lui imposèrent la croix à porter derrière Jésus. 27

L’ACCOMPAGNAIT UNE MULTITUDE DU PEUPLE et de FEMMES qui SE FRAPPAIENT (la poitrine) et se lamentaient sur lui. 28 S’étant retourné vers elles, Jésus dit : « Filles de Jérusalem, ne pleurez pas sur moi, mais pleurez sur vous-mêmes et sur vos enfants. 29 Car voici venir des jours où l’on dira : “Heureuses les stériles, les ventres qui n’ont pas enfanté et les seins qui n’ont pas allaité.” 30 Alors on se mettra à dire aux montagnes : “Tombez sur nous !” et aux collines : “Recouvrez-nous !” 31 Car si l’on fait ainsi à L’ARBRE VERT, qu’adviendra-t-il du sec ? » 32

Étaient conduits aussi deux autres malfaiteurs avec lui pour être exécutés. 33

Quand ils arrivèrent au lieu appelé Crâne, c’est là qu’ils le crucifièrent, ainsi que les malfaiteurs, l’un à droite, l’autre à gauche. 34 Jésus dit : « PÈRE, remets-leur car ils ne savent pas ce qu’ils font. » En se partageant ses vêtements, ils jetèrent les sorts. 35

Le peuple se tenait là à regarder, mais les chefs SE MOQUAIENT disant : « Il en a sauvé d’autres, qu’il se sauve lui-même, si celui-ci est LE CHRIST DE DIEU, l’Élu ! » 36 Les soldats aussi SE JOUAIENT DE LUI, s’approchant, lui offrant du vinaigre 37 et disant : « Si tu es LE ROI DES JUIFS, sauve-toi toi-même ! » 38

Il y avait aussi un écriteau au-dessus de lui :

« CELUI-CI EST LE ROI DES JUIFS. »

39

Un des malfaiteurs suspendus L’INSULTAIT disant : « N’es-tu pas LE CHRIST ? Sauve-toi toi-même et nous aussi ! » 40 Répondant, l’autre le menaçant lui dit : « Ne crains-tu pas Dieu, toi qui subis la même peine ? 41 Pour nous c’est JUSTICE car c’est le prix de ce que nous avons fait que nous recevons ; celui-là au contraire n’a rien fait de mal. » 42 Et il dit : « Jésus, souviens-toi de moi quand tu viendras dans TON RÈGNE. » 43 Il lui dit : « En vérité je te le dis, aujourd’hui tu seras avec moi dans le paradis. » 44

C’était déjà environ douze heures et la ténèbre advint sur toute la terre jusqu’à quinze heures, le soleil s’étant éclipsé. 45 Alors le voile du Temple se déchira par le milieu. 46 Poussant un grand cri, Jésus dit : « PÈRE, en tes mains je dépose mon esprit. » Ayant dit cela, il rendit l’esprit. 47

Le centurion ayant vu ce qui était advenu, loua Dieu en disant : « Vraiment, cet homme-là était JUSTE ! » 48 TOUTES LES FOULES qui étaient venues pour regarder cela, ayant regardé ce qui était advenu, SE FRAPPANT LA POITRINE s’en retournèrent. 49 Tous ceux qui le connaissaient se tenaient là de loin et les FEMMES qui l’avaient ACCOMPAGNÉ depuis la Galilée voyaient cela. 50

Et voici un homme du nom de Joseph, membre du Conseil, homme bon et juste, – celui-là ne s’était associé ni à leur dessein ni à leur acte – d’Arimathie, ville des juifs, qui attendait LE RÈGNE DE DIEU. 52 Celui-là étant allé chez Pilate, demanda le corps de Jésus. 53 L’ayant descendu, il le roula dans un linceul et le déposa dans un tombeau de pierre où personne n’avait jamais été couché. 51

54

C’était le jour de la Préparation et le sabbat déjà brillait. 55 Les FEMMES qui l’avaient ACCOMPAGNÉ depuis la Galilée qui étaient venues avec, regardèrent le tombeau et comment avait été déposé son corps. 56 S’en étant retournées, elles préparèrent aromates et parfums. Et le sabbat elles se reposèrent selon le commandement.

374

L’exécution de Jésus

COMPARAISON SYNOPTIQUE MATTHIEU 27,27-61

MARC 15,21-47

LUC 23,26-56

+ Les soldats romains 27-31 se jouent de Jésus : couronnement du Roi des Juifs + Les soldats romains 32-37 crucifient Jésus : - Simon de Cyrène - boisson - vêtements partagés - Inscription : le Roi des Juifs

+ Les soldats romains 21-28 crucifient Jésus : - Simon de Cyrène - boisson - vêtements partagés - Inscription : le Roi des Juifs - deux brigands crucifiés

+ Jésus est emmené pour être exécuté : - Simon de Cyrène

26-32

- Filles de Jérusalem - deux brigands emmenés Crucifié, 33-34 = Jésus prie son Père vêtements partagés

deux brigands crucifiés 38-44 = Les Juifs se moquent de Jésus : passants, sanhédrites, brigands

29-32 + Les Juifs se moquent de Jésus : passants, chefs, brigands

35-37 : Juifs et romains se moquent de Jésus : chefs, soldats

Inscription : le Roi des Juifs

38

39-43 : Les deux brigands l’un se moque l’autre non 45 Ténèbre

33-36 Ténèbre

44-46 Ténèbre voile du temple

46-51b = Cris vers Dieu, Élie, mort voile du temple

Cris vers Dieu, Élie

= Jésus prie son Père ; mort

51c-56 + Soldats romains et femmes juives témoins du séisme et des résurrections

mort, voile du temple 37-41 + Centurion et femmes juives témoins de la mort de Jésus

+ Centurion et femmes juives témoins de la mort de Jésus

47-56

+ Joseph, d’accord avec Pilate, donne la sépulture à Jésus Femmes regardent 57-61

+ Joseph, d’accord avec Pilate, donne la sépulture à Jésus Femmes regardent 42-47

Joseph, d’accord avec Pilate, donne la sépulture à Jésus + Femmes regardent, préparent aromates, se reposent le sabbat

selon saint Luc (Lc 23,26-56)

375

La longueur des séquences Elle est quelque peu différente d’un évangéliste à l’autre. Mc est le plus court avec 26 versets, Lc un peu plus long avec 30 versets, enfin Mt atteint 35 versets. La différence entre Mt et Mc s’explique d’abord du fait que le couronnement d’épines fait partie de la troisième séquence de Mt, alors qu’il appartient à la deuxième séquence de Mc. Le nombre des passages Il est toujours impair, sept chez Mt et chez Lc, cinq seulement chez Mc. Le contenu de chaque séquence Il est presque le même. Cependant le couronnement d’épines ne se trouve que chez Mt dans cette troisième séquence ; Mc l’a intégré à la fin de sa deuxième séquence et Lc n’a pas de scène équivalente (à moins de considérer que les moqueries chez Hérode lui correspondent). Mt et Mc sont beaucoup plus proches entre eux qu’ils ne le sont de Lc : Mt n’a en plus de Mc que le séisme et les résurrections (51c-53). Si Lc a beaucoup d’éléments en commun avec Mt et Mc, il en possède un assez grand nombre en propre : l’apostrophe aux filles de Jérusalem dans le premier passage (27-31), la prière dans le deuxième passage (34), l’histoire contrastée des deux larrons (39-43) ; en outre la deuxième prière de Jésus dans l’avant-dernier passage (46) est bien différente du cri de Mt 27,46 et Mc 15,34 qui reprend en araméen le début du Ps 22 ; enfin la mention finale des femmes (55-56) ajoute plusieurs détails propres. En revanche, il omet un certain nombre d’éléments qui se trouvent chez Mt et/ou chez Mc, en particulier les boissons offertes à Jésus (Mt 27,34 ; Mc 15,23). L’ordre des événements communs Il est le même chez Mt et Mc. En revanche il est souvent différent chez Lc : l’inscription mise au-dessus de la tête de Jésus se trouve à la fin de la première sous-séquence de Mt (27,37) et presque à la fin du premier passage de Mc (15,26), tandis que Luc l’a placée en plein centre de sa séquence (23,38). Chez Mt aussi bien que Mc l’épisode des brigands qui se moquent de Jésus est mentionné à la fin des passages qui précèdent le passage central (Mt 27,44 ; Mc 15,32) ; Lc en a fait un passage entier, en le développant et en le modifiant largement, après son passage central (39-43). Le voile du temple se déchire après la mort de Jésus chez Mt 27,51a et Mc 15,38, avant chez Lc 23,45. Les limites entre les passages Elles sont assez différentes entre les deux premiers évangélistes, comme on l’a vu plus haut (p. 347). En ce qui concerne Lc, il n’est souvent même plus possible de parler de passages mais seulement de versets parallèles, comme on a pu le constater lors de la comparaison synoptique de chaque passage de sa séquence.

376

L’exécution de Jésus

La composition de chaque passage Elle est bien différente entre Mt et Mc mais les constructions peuvent être comparées. Pour Lc au contraire, il ne saurait être question de comparer des passages qui sont formés d’éléments qui se retrouvent dans plusieurs passages de Mt ou de Mc, dont l’ordre est si rarement le même et dont plusieurs sont propres au troisième évangile. La fonction de chaque passage ou de chaque épisode Elle varie selon le contexte, c’est-à-dire selon le passage ou l’épisode avec lequel il est mis en relation par la construction spécifique de chaque séquence. Si les analyses précédentes sont exactes, la ténèbre jour un rôle de premier plan chez Mt où elle occupe la position centrale (27,45), alors que sa fonction — ou sa valeur — est de bien moindre importance chez Mc et chez Lc. L’inverse doit être dit de la fonction de l’inscription au-dessus de la tête de Jésus qui occupe le centre de la composition lucanienne (23,38). Le message de chaque évangéliste Étant donné toutes ces différences, le message de chacun des synoptiques n’est pas exactement le même. Certes ils racontent tous trois le même événement global : l’exécution de Jésus et sa mise au tombeau, mais par les éléments qui leur sont propres, par ceux qu’ils ont choisi de ne pas rapporter, enfin par l’organisation qu’ils ont donnée à leur matériel, ils traduisent, ou trahissent une vision et une compréhension de l’événement tout à fait particulières. Ce que les titres des séquences tentent de mettre en relief : Mt : Mc : Lc :

« La justification « L’avènement « L’intronisation

du Serviteur de Dieu ». du Maitre de la terre ». du Roi des Juifs ».

Le titre de la séquence de Lc insiste sur la royauté de Jésus, avec pratiquement tous les personnages : — la multitude du peuple qui lui fait cortège sur le chemin de la croix (27a), qui regarde le crucifié sans se moquer comme leurs chefs (35a), qui, après la mort de Jésus s’en retourneront en se frappant la poitrine (48) ; — ceux qui le crucifient à la place d’honneur, au centre, entre les deux brigands (33) ; — les chefs et les soldats qui se moquent de lui, mais l’appellent néanmoins « Christ de Dieu, l’Élu » (35b) et « roi des Juifs » (37b) ; — les malfaiteurs, celui qui l’appelle « Christ » en se moquant (39a) et celui qui reconnait son « règne » (42b) ; — le Père qui fait venir la ténèbre (44) et déchire le voile du temple (45) ; — Joseph d’Arimathie qui « attendait le Règne de Dieu » (51bc) et le dépose dans une tombe « où personne n’avait été couché » (53b) comme il sied à un roi. Il faut ajouter que l’inscription qui porte le chef d’accusation : « Celui-ci est le roi des Juifs » est accrochée au centre de la séquence (38).

selon saint Luc (Lc 23,26-56)

377

CONTEXTE Les références à l’Ancien Testament sont très nombreuses, soit par citations directes, soit par allusions plus ou moins prégnantes. Psaumes de supplication – Ps 22, où se retrouvent les mêmes moqueries et insultes (Ps 22,8.9) et le partage des vêtements (Ps 22,19) comme en Lc 23,34 ; où s’entendent aussi des paroles qui ressemblent aux moqueries adressées à Jésus par les chefs, les soldats et le premier malfaiteur : « Qu’il s’en remette au Seigneur ! Qu’il le libère ! Qu’il le délivre, puisqu’il est son ami ! » (Ps 22,9) ; les contacts ne s’arrêtent pas là, puisque le psaume aboutit à la conversion des païens : « La terre entière se souviendra et reviendra vers le Seigneur, toutes les familles des nations se prosterneront devant lui » (Ps 22,28) ; la confession de foi du centurion au début du dernier passage de la séquence annonce la même conversion des païens. Le verset suivant du psaume, « Au Seigneur la royauté, au maitre des nations ! » (Ps 22,29) préfigure le titre de roi qui est donné à Jésus. – Ps 69,22 avec le vinaigre comme celui qui est présenté à Jésus (Lc 23,36). La suite du psaume (Ps 69,23-29) appelle la malédiction sur les ennemis ; Jésus au contraire demande à son Père de pardonner à ses ennemis (Lc 23,34). – Ps 38,12 avec les amis qui regardent de loin comme en Lc 23,49. – Ps 31,6 où se retrouvent les derniers mots de Jésus comme en Lc 23,46. Les prophètes – Ez 21,3-8, où l’arbre vert et l’arbre sec (3) désignent le juste et le pécheur (8) comme en Lc 23,31. – Os 10,8 est cité en Lc 23,30. – Is 53,12 : le choix du terme « malfaiteurs » en Lc 23,32 renvoie au quatrième chant du Serviteur. – Am 8,9-10 est repris en Lc 23,44 avec la même obscurité en plein midi, suivie de la mort du fils unique2. La Loi Les références aux deux premiers chapitres de la Genèse ont déjà été soulignées plus haut (p. 363 ; p. 370) ; il faut y rajouter « le paradis » (Lc 23,43) où le malfaiteur est admis alors qu’Adam en avait été chassé. Les ténèbres précédant la mort du fils rappellent les deux dernières des dix plaies d’Égypte (Ex 10,21-29 pour les ténèbres ; Ex 11,1-10 pour la mort des premiers-nés).

2

Voir Amos, 330-334.

378

L’exécution de Jésus

INTERPRÉTATION Le roi des juifs meurt « Celui-ci est le roi des juifs. » Telles sont les paroles que tous peuvent lire au-dessus du crucifié qui meurt (23,38). Tous lui attribuent le titre de roi, que ce soit par dérision comme les chefs juifs (35), les soldats romains (37) et le malfaiteur crucifié à sa gauche (39), que ce soit par conviction comme le malfaiteur crucifié à sa droite (42) et comme Joseph d’Arimathie qui donne une sépulture royale à celui qu’il attendait (53). C’est comme roi qu’il est reconnu par les uns, rejeté par les autres. Comme tout roi, Jésus représente son peuple. Le destin du corps est celui de sa tête. La mort du roi, c’est la mort du royaume. Jésus qui marche à son supplice annonce celui de sa ville (28-31), quand ses habitants en arriveront à souhaiter n’avoir pas vu le jour (29), quand ils voudront être ensevelis par les collines et les montagnes (30). Quand Jérusalem sera attaquée et cernée, son roi ne sera plus avec elle pour la défendre, ni Jésus ni le roi du ciel qu’il représente. Alors le peuple élu suivra son roi dans la Passion (31) et ce sera le règne des païens (Lc 21,24). Le fils unique meurt Par deux fois, Jésus appelle Dieu son Père. Pour remettre entre ses mains le souffle qu’il tient de lui comme son fils (46). Pour remettre entre ses mains le pardon de ceux qui se sont ligués pour le conduire à la mort (34). C’est Dieu qui doit pardonner ce que les hommes font à Jésus car c’est lui qui est atteint par l’offense ; comme tout père est offensé par le mal qui est fait à son fils. Quand l’homme demande pardon à Dieu des péchés qu’il a commis envers son prochain, c’est qu’à travers son frère, il a péché contre leur Père commun. En véritable fils, Jésus a tout remis entre les mains de son Père ; en retour, le Père lui a donné tout pouvoir comme à son fils premier-né. Quand le malfaiteur crucifié à sa droite demande à Jésus de se souvenir de lui (42), c’est qu’il le considère comme possédant le pouvoir de pardonner ses péchés. Jésus, qui lui promet de le recevoir avec lui dans le paradis (43), fait les œuvres de son Père qui seul a le pouvoir de pardonner. Jésus est le Fils de Dieu, mais il meurt. Avec lui, Israël, l’unique peuple élu par Dieu entre tous, va lui aussi être affronté à la mort (29) et, grâce à la mort de celui que Dieu avait élu au sein du peuple élu (38), toutes les nations entreront dans l’adoption du Seigneur (47). « ...afin que soient dévoilées les pensées de beaucoup de cœurs » (Lc 2,35) Juifs et païens se sont unis pour condamner Jésus et pour le conduire à la mort. Tous sont présents, le peuple élu avec ses chefs (35), les soldats étrangers (36) avec leur centurion (47). Les uns et les autres se moquent de lui et de sa royauté (35-37). Tous voient le soleil disparaitre et le condamné expirer (44-46). Le centurion alors rend gloire à Dieu pour la justice de Jésus (47) et les foules juives battent leur coulpe (48). Tous reconnaissent leur injustice devant l’inno-

selon saint Luc (Lc 23,26-56)

379

cence de Jésus. Avec sa mort le mur de séparation qui les divisait tombe. La division ne passe plus désormais entre les juifs et les païens, mais entre ceux qui prennent parti pour Jésus et ceux qui le rejettent. La séparation traverse chaque groupe, malfaiteurs, militaires, Romains, Juifs, disciples. Le premier malfaiteur se range du côté des moqueurs (39) et l’autre du côté de ceux qui le prient (4043). Les soldats romains se jouent de lui (36-37) mais le centurion rend gloire à Dieu (47). Les chefs juifs aussi se moquent (35) mais pas Joseph d’Arimathie, le membre du Conseil qui ne s’était associé ni à leur dessein ni à leur acte (50-51). Les disciples se divisent eux aussi, les femmes qui l’avaient suivi depuis la Galilée et qui l’accompagnent jusqu’au bout (55-56) et les hommes qui l’ont abandonné et qui n’apparaissent pas, même de loin. Nu comme Adam avant la faute, Jésus retrouve sa domination sur l’univers, celle que le créateur avait donnée au père de tous les hommes. Le dévoilement Jésus est dépouillé de ses vêtements, le voile du temple est déchiré. Jésus est nu sur la croix, comme Adam avant la faute ; avec son corps, son humanité est offerte à la vue de tous, dans toute son innocence, mais aussi dans l’extrême de sa souffrance, de son humiliation, de la dérision, de la mort enfin. Ses vêtements, laissés comme en héritage aux soldats romains qui représentent les païens, serviront à cacher leur nudité honteuse, ils couvriront leur péché. Et le bon larron, nu lui aussi, dépouille Jésus de tous les titres dont on l’avait jusqu’ici revêtu, le révélant ainsi à tous comme « sauveur ». Quant au voile du temple déchiré, il laisse voir désormais le vrai visage de Dieu ; il dévoile, il met à nu la divinité de celui que Jésus invoque comme son « Père ». Tous, et non plus les seuls prêtres ni les seuls fils d’Israël, reçoivent la révélation de la miséricorde de ce Dieu qui, en livrant son Fils, pardonne leurs péchés. Les Écritures sont accomplies Il était écrit que le Christ souffrirait et qu’il serait mis à mort. Ainsi parlaient la Loi de Moïse, les Prophètes et les Psaumes. Jésus réalise à la lettre les Écritures. En lui, ce qui est écrit s’accomplit, jusque dans le détail : on lui offre du vinaigre comme au psalmiste persécuté (36), ses vêtements sont tirés au sort (34), il est moqué, bafoué, mis au rang des malfaiteurs comme l’avait annoncé Isaïe le prophète. Jésus accomplit les Écritures jusqu’à l’origine. Ce qui arrive par lui est une nouvelle genèse : comme le Seigneur, il se repose le septième jour de tout ce qu’il a fait durant sa vie (54-56) ; l’homme qui reconnait son péché, grâce à lui retrouve le chemin du paradis (41-43). Le salut est restauré Même dans leurs moqueries les chefs reconnaissent que Jésus en a sauvé d’autres (35). Les soldats reprennent en écho le même appel à se sauver (3637). Dans ses insultes, le premier malfaiteur lui demande de le sauver avec lui

380

L’exécution de Jésus

(39). Jamais Jésus n’aura mieux mérité son nom de Sauveur que lorsqu’il répond à la prière du second malfaiteur : au moment de donner sa vie (46), il sauve celle du pécheur (43). À lui comme à tous ceux qui suivront son exemple, il ouvre à nouveau la porte du paradis d’où le premier homme avait été chassé. Par Adam le péché était entré dans le monde et avec le péché la mort ; avec Jésus, qui prend sur lui la mort avec le péché des hommes, le salut nous est de nouveau offert (Rm 5).

QUATRIÈME PARTIE

La résurrection de Jésus Mt 27,62–28,20 Mc 16,1-20 Lc 24,1-53

CHAPITRE X

Le Serviteur se révèle le Fils ainé d’une multitude de frères (Mt 27,62–28,20)

Chez Mt, la dernière séquence du récit de la Pâque comprend cinq passages. Les deux premiers (27,62-66 et 28,1-8) forment une sous-séquence ainsi que les deux derniers (28,11-15 et 16-20) ; ces quatre passages se correspondent en parallèle. Quant au troisième passage (28, 9-10), il constitue le centre de la séquence.

LES AUTORITÉS JUIVES TENTENT

D’EMPÊCHER

LA RÉSURRECTION

27,62-66

d’annoncer la résurrection aux disciples

28,1-8

Jésus demande aux femmes DE DIRE À SES FRÈRES D’ALLER EN GALILÉE

9-10

L’ange demande aux femmes

LES AUTORITÉS JUIVES TENTENT

Jésus demande aux onze

DE NIER

LA RÉSURRECTION

de faire des disciples de toutes les nations

11-15

16-20

384

La résurrection de Jésus A. L’ANGE DU SEIGNEUR DÉJOUE LES PRÉCAUTIONS DES AUTORITÉS JUIVES (Mt 27,62–28,8)

Cette sous-séquence comprend deux passages : « Les précautions des autorités juives » (27,62-66) et « Le message de l’ange aux femmes » (28,1-8). 1. LES PRÉCAUTIONS DES AUTORITÉS JUIVES (Mt 27,62-66) COMPOSITION DU PASSAGE 62

Or le lendemain, qui est après la Préparation, se rassemblèrent les grands prêtres et les pharisiens chez Pilate, ···························································································

+ 63 en disant : . « Seigneur, nous nous sommes souvenus – que cet IMPOSTEUR a dit, – étant encore vivant : = “Après trois jours

JE ME RELÈVE.”

+ 64 Ordonne donc :: que soit assuré le sépulcre jusqu’au troisième jour – afin que, étant venus, ses disciples ne le volent – et ne disent au peuple : = “IL S’EST DRESSÉ d’entre les morts.” Et cette dernière IMPOSTURE serait pire que la première. »

+ 65 Pilate leur déclara : . « Vous avez une GARDE : – allez, assurez-vous – comme vous pensez ! » ··························································································· 66

Or eux, étant partis, en scellant la pierre

s’assurèrent du sépulcre, avec la GARDE.

Les morceaux extrêmes (62.66), les seuls qui sont de récit, se correspondent. Le premier membre du premier segment (62a) précise le temps de l’action1, le 1 La « Préparation » (souvent traduit aussi, en suivant le mot grec, par « Parascève ») est le vendredi, jour où l’on préparait le sabbat. Le lendemain de la Préparation est donc le sabbat. Le

selon saint Matthieu (Mt 27,62–28,20)

385

second présente les personnages et le lieu de leur rencontre. Dans le dernier segment, le second membre précise la manière dont se réalise ce que dit le premier membre. Les deux morceaux ont le même sujet, « les grands prêtres et les pharisiens » (62b)2 ; les prépositions traduites par « après » en 62a et par « avec » en 66b sont identiques en grec : meta3. Dans le second morceau de la première partie (63) les responsables juifs rappellent ce que Jésus avait dit dans le passé ; dans le premier morceau de la dernière partie (65) le gouverneur romain annonce ce qu’ils feront dans le futur4. La partie centrale (64) est la requête des grands prêtres et pharisiens qui se situe donc au présent, entre passé et futur. Le début annonce la dernière partie : « que soit assuré le sépulcre » (64b) sera repris pas « assurez-vous » (65c) et par « s’assurèrent du sépulcre » (66a). La fin de la partie renvoie en revanche à la première partie : ce que diraient les disciples (64e) est semblable à ce qu’a dit Jésus (63e)5 ; « imposture » de 64f correspond à « imposteur » de 63c. Les deux syntagmes « troisième jour » de 64b et « trois jours » de 63e jouent le rôle de termes médians.

parallélisme avec le début du passage suivant (28,1 : « Après le sabbat [litt. : « Tard » ou « Le soir après le sabbat, quand le premier jour de la semaine commençait à luire », c’est-à-dire après l’apparition des premières étoiles) confirme que les deux scènes se passent au tout début du jour, à la nuit tombante. 2 « Grands prêtres » et « pharisiens » représentent deux des trois composantes du sanhédrin (les pharisiens sont l’équivalent des « scribes » qui se recrutaient surtout dans le parti des pharisiens) ; la troisième composante, « les anciens », sera nommée dans le passage parallèle (28,11-12). Voir U.C. VON WAHLDE, « The Relationship between Pharisees and Chief Priests ». 3 Suivant la plupart des commentaires, les traductions de 66b interprètent, en ajoutant un verbe : « en scellant la pierre et en postant une garde » (BJ) ; « en scellant la pierre et en y postant une garde » (TOB) ; « en scellant la pierre et en plaçant la garde » (Osty). Le dictionnaire de Bauer propose de comprendre la préposition meta comme instrumentale, ce qui pourrait se rendre par : « ils firent sceller la pierre par la garde » ; mais ce serait le seul cas dans Mt où cette préposition aurait un tel sens. Il semble donc qu’il faille entendre que les sanhédrites firent le travail avec les soldats romains. Le fait que la même préposition meta soit utilisée aux extrémités du passage (pour introduire les syntagmes par lesquels s’achèvent les membres extrêmes : « après la Préparation » en 62a et « avec la garde » en 66b) fait inclusion et signale un rapport entre le sabbat et le travail accompli ce jour-là par les chefs juifs, alors que toute besogne est interdite. 4 « Vous avez une garde » signifie : « Je vous accorde une garde ». W.L. Craig (« The Guard at the Tomb ») pense qu’il s’agit d’une garde juive. Si tel était le cas, on peut se demander pourquoi les sanhédrites seraient allés la demander à Pilate (voir Gnilka, II, 712). 5 Les verbes traduits par « se relever » (anistēmi) et par « se dresser » (egeirō) sont deux synonymes qui indiquent la résurrection ; ils sont souvent utilisés en couple ou en alternance.

386

La résurrection de Jésus

CONTEXTE « Après trois jours » Le troisième jour est le jour du salut (voir p. 303). « Imposteur » – « imposture » Ces deux substantifs ne se retrouvent pas ailleurs dans Mt. Cependant le verbe de même racine, traduit généralement par « égarer », est utilisé plusieurs fois, entre autres dans la parabole de « la brebis égarée » (Mt 18,12.13) ; mais c’est surtout son emploi dans le grand discours apocalyptique qui est éclairant : « Prenez garde qu’on ne vous égare, car beaucoup viendront sous mon nom et ils diront : « C’est moi le Christ », et ils égareront bien des gens (Mt 24,4.5 ; voir aussi 24,11.24). L’« imposteur » n’est donc pas simplement un menteur ; c’est celui qui, propageant une fausse doctrine, égare les fidèles. INTERPRÉTATION Le témoignage des autorités juives Bien involontairement sans doute, grands prêtres et pharisiens rendent témoignage à Jésus et à ses disciples. En effet, même s’ils commencent par qualifier Jésus d’imposteur (63c), ils n’en rapportent pas moins à Pilate les paroles par lesquelles il avait prédit son retour à la vie (63), étant ainsi, en quelque sorte, — ironie de Matthieu ! — les premiers de tous à parler de résurrection après la mort de Jésus. Mais leur témoignage sur les disciples (64) est encore plus éloquent : en effet, leur inquiétude démontre à l’évidence qu’ils ne sont pas sûrs du tout que la mort du maitre ait réduit à néant le mouvement qu’il avait lancé. Autre trait d’humour de l’évangéliste : bien que le lecteur sache que les apôtres se sont enfuis dès le début et qu’ils se sont bien gardés de reparaitre depuis lors, les chefs envisagent sérieusement qu’ils aient l’audace et le courage de prendre le risque redoutable de voler le corps de leur maitre (64c). Alors que Mt évitera de rapporter une quelconque visite des disciples au tombeau, même après que les deux femmes leur auront annoncé la résurrection ! Indirectement, le témoignage rendu aux disciples rejaillit sur Jésus lui-même : leur attachement au maitre devait être bien grand et reconnu de tous, pour que les autorités prennent tant de précautions. Le péché des autorités juives Il fallait en effet les sanhédrites soient bien inquiets pour en arriver jusqu’à enfreindre la loi sacrée du sabbat, alors qu’ils l’avaient pourtant défendue avec tant de zèle contre les agissements de Jésus. Ils vont en toute hâte chez Pilate, alors que le sabbat venait à peine de commencer (62), demander une garde pour le tombeau. Premier manquement au sabbat, car il n’est pas permis ce jour-là de traiter d’affaires (Is 58,13). Puis, leur requête ayant abouti, ils sortent de la ville

selon saint Matthieu (Mt 27,62–28,20)

387

pour se rendre au tombeau, et ils scellent la pierre, ce qui, comme toute besogne, est interdit le sabbat (66). Ce comportement des chefs juifs est en contraste frappant avec celui des autres personnages dont parlent les grands prêtres et les pharisiens : comme Dieu lui-même après avoir achevé la création, Jésus observera le repos du septième jour, après avoir accompli son œuvre. Ainsi feront aussi les deux Marie, qui attendront que le sabbat soit passé pour se rendre aussitôt au tombeau. L’égarement des autorités juives Grands prêtres et pharisiens accusent Jésus d’avoir dévoyé le peuple (63c), et ils craignent que ses disciples ne fassent encore pire que lui en annonçant qu’il est ressuscité d’entre les morts (64de). Tout leur discours au gouverneur pointe sur ce qui pour eux serait vraiment un comble : « Cette dernière imposture serait encore pire que la première » (64f). Le récit est ainsi centré sur l’annonce, en creux, de ce qui va effectivement se passer, malgré leurs précautions : la résurrection de Jésus et sa proclamation au peuple. C’est effectivement le pire — pour eux — qui est sur le point d’arriver. L’égarement dont Jésus avait été l’agent tellement efficace qu’ils n’avaient pas cru pouvoir trouver de meilleur moyen pour le faire cesser que de le mettre à mort, est sur le point de réussir ; et ce sont eux qui, refusant la vérité, vont se transformer en imposteurs, quand ils tenteront de détourner le peuple de la foi en la résurrection. Ils commencent déjà à se dévoyer eux-mêmes en faisant ce qu’il n’est pas permis de faire le sabbat (62.66). Ils n’y pourront rien : ni leur zèle, ni même leur désobéissance à la Loi ne pourront empêcher que, au troisième jour (63e.64b), comme Il l’a toujours fait, Dieu apporte le salut en ressuscitant son Fils.

388

La résurrection de Jésus

2. LE MESSAGE DE L’ANGE AUX FEMMES (Mt 28,1-8) COMPOSITION DU PASSAGE + 1 Or après le sabbat, alors que commençait-à-luire le premier (jour) de la semaine, + vinrent Marie Madeleine et l’autre Marie = pour REGARDER le sépulcre. + 2 Et voici qu’advint un grand séisme, – car L’ANGE du Seigneur descendant du ciel et s’approchant, – roula la pierre – et s’assit dessus ; : 3 or son aspect était : et son vêtement blanc

comme l’éclair comme la neige.

·························································································

– 4 Or à cause de la crainte (qu’ils eurent) de lui, + les gardes furent secoués ; : et ils devinrent comme MORTS. – 5 Or répondant, L’ANGE

DIT

aux femmes :

·········································································

:: « Ne craignez pas, vous ! :: car je sais que Jésus le crucifié vous cherchez. = 6 Il n’est pas ici ; car IL S’EST DRESSÉ

comme il AVAIT DIT.

. Venez ! VOYEZ l’endroit . où il était couché. ·················································································

:: 7 Et vite, étant parties, :: DITES à ses disciples = qu’IL S’EST DRESSÉ

d’entre les MORTS.

. Et voici qu’il vous précède en Galilée ; . c’est là que vous le VERREZ. – Voilà :

je vous l’ai

DIT.

»

+ 8 Et s’en étant allées vite du tombeau, + avec crainte et grande joie elles coururent = pour L’ANNONCER à ses disciples.

selon saint Matthieu (Mt 27,62–28,20)

389

Une introduction (1) et une conclusion (8) courtes encadrent deux parties plus développées (2-4 ; 5-7). Au début les deux femmes « vinrent » au « sépulcre » (1c), à la fin elles « s’en allèrent » du « tombeau » (8a). Ces parties s’achèvent par deux finales opposées : « pour regarder le sépulcre » (1d) et « pour l’annoncer à ses disciples » (8c)6. La deuxième partie rapporte l’action de l’ange (2-3) puis la réaction des gardes (4). Avec la reprise de « comme », le dernier membre de 4 est parallèle aux deux membres de 3 ; « furent secoués » de 4b renvoie au « séisme » de 2a (les deux mots sont de même racine en grec) ; enfin, « la crainte de lui » de 4a se rapporte à l’ange dont les actions sont décrites en 2bcd. Les deux occurrences du même verbe grec, traduit par « advint » en 2a et par « devinrent » en 4c, remplissent la fonction de termes extrêmes. Dans la troisième partie (5-7), qui rapporte les paroles de l’ange aux deux femmes, les membres extrêmes se correspondent comme une introduction et une conclusion, avec la reprise du verbe « dire ». Le second morceau et les deux premiers segments du troisième sont construits en parallèle : aux débuts (5bc. 7ab), à celui qu’elles cherchent, « Jésus le crucifié », sont opposés « ses disciples » vers lesquels elles sont envoyées ; en 6ab et 7c, la même annonce (avec « il s’est dressé ») est d’abord faite par l’ange, puis ordonnée aux femmes ; enfin, 6cd et 7de qui reprennent le même verbe « voir » opposent deux lieux, « l’endroit » de l’ensevelissement et la « Galilée ». L’opposition déjà relevée entre « regarder » (1d) et « annoncer » (8c) se retrouve aussi dans les paroles de l’ange : « voyez » (6c) et « dites » (7b) ; ces deux impératifs jouent le rôle de termes médians. Le substantif « crainte » de la fin de la deuxième partie (4a) est repris sous forme verbale au début de la partie suivante (5b) mais avec la négation, ainsi qu’à la fin (8b) mais cette fois-ci accompagné de « grande joie » ; « morts » de 4c revient dans la partie suivante (7c). Enfin, le dernier verbe « annoncer » (8c : ap-angellō) est de la même racine que « ange » (2b.5a : angelos).

6

La visite des femmes au tombeau se passe, non pas à l’aube du premier jour de la semaine, comme en Mc 16,2 et Lc 24,1, mais dès le début du jour qui suit le sabbat, c’est-à-dire à la tombée de la nuit qui sépare le sabbat et le premier jour de la semaine, notre dimanche ; le jour en effet commence à l’apparition des trois premières étoiles ; d’où l’expression « alors que commençait à luire le premier jour de la semaine » (voir p. 385, n. 1).

390

La résurrection de Jésus

CONTEXTE Le séisme Il avait déjà été question de « séisme » au début de la dernière sous-séquence de la séquence précédente : « La terre fut secouée, les rochers se fendirent [...] Le centurion et ceux qui avec lui gardaient Jésus, voyant le séisme et les évènements, eurent très peur... » (Mt 27,51c-54 ; voir p. 309). La transfiguration La description de l’ange (28,3) : Son aspect était et son vêtement

BLANC

comme l’éclair comme la neige.

rappelle celle de Jésus à la Transfiguration (Mt 17,2) : Son visage resplendit et ses vêtements devinrent BLANCS

comme le soleil comme la lumière7.

« Ne crains pas » C’est l’expression utilisée souvent dans les récits d’annonciation (Gn 15,1 ; 21,17 ; 26,23 ; Lc 1,13.30 ; 2,10), c’est-à-dire les récits où un personnage reçoit un message du Seigneur qui lui annonce le salut. INTERPRÉTATION Une crainte mortelle La crainte causée chez les gardes par le séisme et la vue de l’ange de lumière les terrasse, au point qu’ils semblent morts (4c). Et cela, juste au moment où Jésus se lève lui-même d’entre les morts (7c) ! Voilà qui ne laisse pas de surprendre : on pourrait s’imaginer en effet que la résurrection de Jésus porte la vie à tous les hommes, jusqu’aux païens, et même à ces soldats romains qui avaient été réquisitionnés pour garder son tombeau et qui n’en pouvaient mais. Comment donc la résurrection du Seigneur peut-elle provoquer chez ces hommes un ébranlement intérieur semblable au séisme qu’ils ont ressenti (2a.4b), une sidération telle qu’elle ressemble à la mort (4c) ? Comme si c’était eux qui prenaient symboliquement la place de celui qui avait été placé dans le tombeau (7c) ! C’est sans doute que l’intervention divine que manifestent à la fois le séisme et l’éclair de l’apparition ne sont accompagnés pour eux d’aucune parole qui les interprète, parce que d’abord ils ne répondaient à aucune attente de leur part.

7

Le Codex de Bèze a : « comme la neige », ce qui renforce la relation entre les deux passages.

selon saint Matthieu (Mt 27,62–28,20)

391

Une crainte joyeuse Les femmes elles aussi sont d’abord saisies d’une crainte qui ressemble à celle des gardes. Pas exactement la même cependant, puisqu’elles restent conscientes, mais suffisamment forte tout de même pour que l’ange soit obligé de les inviter à ne pas y succomber : « Ne craignez pas, vous ! » (5b). Comme les gardes, les femmes ont ressenti le séisme et elles ont vu l’ange ; mais, tandis que, privés de sens, les soldats n’entendent et ne voient plus rien, elles peuvent recevoir les paroles qui leur sont adressées et qui vont leur dévoiler le sens de tout ce dont elles viennent d’être témoins, depuis le tremblement de terre jusqu’à l’écroulement des gardes. Si elles sont restées debout et éveillées, c’est qu’elles étaient mues par un désir, celui que l’ange reconnait chez elles, avant même de leur annoncer la résurrection : « Je sais que vous cherchez Jésus le crucifié » (5c). C’est probablement pourquoi les paroles de l’ange sont présentées comme une réponse (5a), réponse à leur crainte, mais surtout à leur attente. Après le discours de l’ange, leur crainte n’est pas abolie, mais elle est transfigurée : elle s’accompagne d’une grande joie (8b). Alors que les gardes en restent paralysés, crainte et joie leur donnent des ailes et les transforment en annonciatrices de la bonne nouvelle, à l’image de l’ange de la résurrection dont elles prennent le relais. La victoire de la Parole Silencieuses, Marie Madeleine et l’autre Marie sont venues au sépulcre pour le « regarder » (1d). Or il n’y a rien à voir, sinon l’endroit déserté où on l’avait mis (6cd) : celui qu’elles cherchent n’est pas ici (6a). Il ne s’agit pas tant de voir que d’écouter. En leur annonçant la résurrection de Jésus, l’ange du Seigneur renvoie les femmes aux paroles que Jésus lui-même avait dites, quand il avait prédit qu’il se relèverait d’entre les morts (6b). Au-delà de la parole de l’ange, c’est donc la voix du maitre qu’elles doivent retrouver, et, avec elle, la foi. Le « sépulcre » qu’elles étaient venues regarder (1d) peut se transformer en « tombeau », ce mot qui, en grec, signifie « mémorial », lieu de la mémoire retrouvée d’une parole vivante. Cependant, elles ne sont pas seulement invitées à écouter, mais aussi, selon la logique de la parole, à parler : à peine ont-elles reçu l’annonce de la résurrection (6b), qu’elles sont chargées de transmettre aux disciples cette bonne parole (7abc), ainsi que la convocation qui leur est adressée de se rendre en Galilée (7de). C’est là en effet qu’ils le verront ; mais ils ne le retrouveront que si eux aussi accordent foi à la parole des femmes, qui rapportent celles de l’ange, qui leur aura rappelé celle de Jésus.

392

La résurrection de Jésus

3. L’ANGE DU SEIGNEUR DÉJOUE LES PRÉCAUTIONS DES AUTORITÉS JUIVES

(Mt 27,62–28,8)

COMPOSITION DE LA SOUS-SÉQUENCE :: 27,62 Le lendemain, – se rassemblèrent

c’est-à-dire après la Préparation, les grands prêtres et les pharisiens

chez

63

Pilate.

Et ils lui dirent : « SEIGNEUR, nous nous sommes souvenus que cet imposteur étant encore vivant : “Après trois jours JE ME DRESSE !”

AVAIT DIT

Ordonne donc que l’on s’assure du SÉPULCRE jusqu’au troisième jour, de peur que ses disciples ne viennent le voler et disent au peuple : “IL S’EST DRESSÉ d’entre les MORTS !” Et cette dernière imposture serait pire que la première. » 64

65

Pilate leur déclara : « Vous avez une garde. + Allez, assurez-vous en comme vous l’entendez ! » = 66 ILS PARTIRENT s’assurer du SÉPULCRE, en scellant la pierre avec la garde. :: 28,1 Après le sabbat, – vinrent

le premier jour de la semaine commençant à luire, Marie Madeleine et l’autre Marie pour regarder le SÉPULCRE.

2

Et voici que se produisit un grand séisme ; car l’ange du SEIGNEUR descendu du ciel et s’étant approché, roula la pierre et s’assit dessus. 3 Son aspect était comme l’éclair et son vêtement blanc comme la neige. 4 Dans la crainte de lui, les gardes furent secoués et ils devinrent comme morts. 5

Répondant, l’ange dit aux femmes : « Ne craignez pas, vous ! car je sais que c’est Jésus le crucifié que vous cherchez. 6 Il n’est pas ici ; car IL S’EST DRESSÉ comme il l’AVAIT DIT. Venez ! Voyez l’endroit où il était couché. + 7 Vite PARTEZ dire à ses disciples qu’IL S’EST DRESSÉ d’entre les MORTS. Voici qu’il vous précède en Galilée ; c’est là que vous le verrez. Voilà : je vous l’ai dit. » = 8 S’en étant allées vite du TOMBEAU, elles coururent avec crainte et grande joie l’annoncer à ses disciples.

En termes initiaux, les notations de temps (27,62a ; 28,1a) : les deux scènes se passent à la même heure, à un jour d’intervalle, au début du sabbat pour la première, au début du premier jour de la semaine pour la deuxième. Aussitôt après ces compléments de temps, sont présentés des couples de personnages : « grands prêtres et pharisiens » (27,62b), « Marie Madeleine et l’autre Marie » (28,1b) qui se rendent, les uns « chez Pilate », les autres au « sépulcre ». En termes finaux, les ordres donnés par Pilate (« Allez... » : 27,65b), puis par l’ange (« Vite partez » : 28,7a), suivis de leur réalisation par les sanhédrites (« Ils partirent » : 27,66a) et par les femmes (« S’en étant allées... » : 28,8a) ; ces quatre verbes sont des verbes de mouvement. « Seigneur » est employé, en position analogue, par les sanhédrites pour s’adresser au gouverneur (27,63a), pour désigner Dieu dans le second passage (28,2a).

selon saint Matthieu (Mt 27,62–28,20)

393

Le second versant du premier passage (27,65-66) s’oppose au premier versant du second passage (28,1-4) : le signale la récurrence de « sépulcre » (27, 66a ; 28,1b) et surtout de « garde/s » (27,65a.66b ; 28,4a) et de « pierre » (27,66b ; 28,2b) qui ne sont pas utilisés ailleurs. Le sépulcre scellé par les sanhédrites la veille et dont s’assurent les gardes est ouvert par l’ange du Seigneur dont l’apparition les terrasse. Le deuxième versant du second passage (28,5-8) répond au premier versant du premier passage (27,62-64) : le verbe « se dresser » est repris deux fois dans chaque passage (27,63b.64b ; 28,6a.7a), la deuxième fois accompagné du complément « d’entre les morts » (64b.7a) ; il est fait référence à ce que Jésus avait dit (« avait dit » : 27,63a et 28,6). Ce sont aussi les seuls endroits où il est question des « disciples » (27,64ab ; 28,7a). Dieu a fait ce que les sanhédrites avaient voulu empêcher. CONTEXTE L’opposition entre le dessein des chefs et la réponse de Dieu est celle qui structure le Ps 2 : le premier verbe de la sous-séquence, traduit par « se rassemblèrent », est celui que la Septante a utilisé pour traduire le deuxième verbe de Ps 2,2 : « Se dressent les rois de la terre, les chefs se liguent ensemble, contre le Seigneur et contre son Christ ». Les rois dont la rébellion est décrite au début du psaume (Ps 2,1-3) sont appelés à la fin (Ps 2,10-12) à se soumettre : « Servez le Seigneur avec crainte, avec tremblement embrassez le Fils » (Ps 2,11)8 ; la « crainte » marque tout le second passage de la sous-séquence de Mt (28,4a. 5a.8b). INTERPRÉTATION Le jour du Seigneur Tandis qu’au début du sabbat grands prêtres et pharisiens s’affairent dans le palais de Pilate, puis autour du sépulcre de Jésus avec la garde qu’ils ont obtenue, les autres personnages ont disparu de la scène. Dès que Jésus a été déposé dans le tombeau que Joseph d’Arimathie s’était préparé, les femmes s’en étaient allées ; après avoir assisté à la sépulture de leur maitre, elles attendent la fin du sabbat pour revenir auprès de lui. Quant à Jésus, il se repose le septième jour de tout l’ouvrage qu’il avait fait. Comme le Seigneur Dieu lui-même, qui ne fera rien ce jour-là. Ils patienteront jusqu’au début du jour suivant pour se manifester. Quand s’allument les trois premières étoiles au firmament du premier jour de la semaine, la lumière divine éclate comme l’éclair aux yeux des deux femmes venues regarder le sépulcre. Au silence de Dieu succède maintenant la révélation de son ange. Celui que l’on avait voulu enfermer dans le tombeau, sort vivant du ventre de la terre, comme Adam avait été tiré du sol par le Seigneur. Dans un 8 La traduction de ce verset suit le texte massorétique ; le couple « Seigneur » et « Fils » semble reprendre celui du verset 2 : « Seigneur » et « Christ ».

394

La résurrection de Jésus

raccourci saisissant, une nouvelle création s’opère, réunissant en un seul éclair le surgissement de la lumière et la naissance de l’homme nouveau. « Voici le jour que fit le Seigneur, pour nous allégresse et joie » (Ps 118,24). La victoire du Seigneur Malgré tous leurs efforts, les hommes ne pourront rien contre le dessein de Dieu. Les chefs auront beau se liguer entre eux, Juifs et païen réunis, ils n’empêcheront pas la victoire du Seigneur. Sceller la pierre du tombeau, poster une garde armée, aller jusqu’à enfreindre la loi du sabbat, tant l’affaire leur paraissait importante, comme s’il s’était agi — à l’image des Maccabées (1M 2,39-41) — de ne pas se laisser anéantir par un ennemi qui aurait profité du jour sacré de leur repos pour les massacrer, tout cela se révèle finalement dérisoire : en un éclair, tous leurs projets sont jetés à bas comme leurs gardes sont terrassés. « Celui qui siège dans les cieux se rit, le Seigneur se moque d’eux. Alors il leur parle dans sa colère, en sa fureur il les épouvante : “C’est moi qui ai oint mon Roi, sur Sion, ma sainte montagne ! » (Ps 2,4-6). B. LE MESSAGE DE JÉSUS AUX FEMMES (Mt 28,9-10) COMPOSITION DU PASSAGE + 9 Et voici que Jésus vint-à-leur-rencontre :: « RÉJOUISSEZ-VOUS ! » = Or elles, = s’emparèrent = et se prosternèrent

en disant : s’étant approchées, des pieds de lui devant lui.

·····································································································

+ 10 Alors Jésus :: « NE CRAIGNEZ PAS ! = Partez = qu’ils s’en aillent = et là

leur dit : annoncer en Galilée ils me verront. »

à mes frères

Ce court passage9 est formé de deux morceaux parallèles. Ce sont d’abord deux segments où le premier membre de récit a « Jésus » comme sujet de « dire » et où le second membre est réduit à un impératif (positif en 9b10, négatif en 10b). Quant aux derniers segments, bien que le premier soit de récit (9cde) et l’autre de paroles (10cde), ils sont en relation : en effet, les verbes traduits par « s’étant approchées » (9c) et par « s’en aillent » (10d) sont de même racine en 9

La césure entre ce passage et le précédent est encore mieux marquée dans plusieurs manuscrits qui ajoutent, au début du verset 9 : « Comme elles s’en allaient (l’)annoncer à ses disciples ». 10 Chairete (litt. : « Réjouissez-vous ») est la formule courante de salutation en grec (voir celle de Gabriel à Marie en Lc 1,28).

selon saint Matthieu (Mt 27,62–28,20)

395

grec (l’opposition est marquée par les préfixes : pros- et apo- ; cette opposition est renforcée par « Partez » de 10c qui est synonyme de « s’en aller ») ; par ailleurs, 9e et 10c s’achèvent par deux datifs, rendus par « devant lui » et « à mes frères ». INTERPRÉTATION De Jésus à l’Église Devant Jésus et à son salut, les deux femmes restent sans voix ; seul leur corps parle, s’attachant au corps de leur Seigneur (9cde). Jésus ne les empêche pas de le toucher, mais il ne se les attache pas, il les envoie aussitôt vers ses disciples pour qu’elles leur transmettent le même message que l’ange venait de leur confier (10cde). Il est étonnant que Jésus n’y ajoute pas un mot de plus ; il en dit plutôt moins, puisqu’il ne leur dit pas d’annoncer la résurrection (comme en 28,7c ; voir p. 388). C’est sans doute que le vrai message, pour le lecteur comme pour les deux Marie, consiste dans le déplacement qui leur est demandé. Les femmes ne devront pas s’attarder avec Jésus, mais reprendre leur course vers les disciples (10c), les disciples devront quitter Jérusalem pour rejoindre la Galilée (10d), et repartir d’où ils avaient commencé avec leur maitre. Cependant, il est possible aussi de voir dans le fait que Jésus n’utilise pas le mot « disciples » comme avait fait l’ange (7b ; voir p. 388), mais celui de « frères »11, un autre déplacement auquel aussi bien les femmes que les disciples sont conviés. Si ceux qui ont suivi Jésus sont ses frères, alors ce n’est pas vraiment quitter le Seigneur que de rejoindre l’assemblée de ses disciples.

11

Dans la scène où sa mère et ses frères sont dehors et veulent lui parler, Jésus dit que ses frères sont ses disciples (Mt 12,46-50) ; au jugement dernier, le Fils de l’homme identifie les petits secourus par les disciples comme ses frères (Mt 25,40) ; à part ces deux cas, qui sont un peu particuliers, c’est la première fois que, hors d’un contexte qu’on pourrait appeler de controverse, Jésus parle de ses disciples en utilisant le terme de frères.

396

La résurrection de Jésus C. LES DISCIPLES DU SEIGNEUR DÉJOUENT LE MENSONGE DES AUTORITÉS JUIVES (Mt 28,11-20)

Elle comprend les deux derniers passages : « Le mensonge des autorités juives » (28,11-15) et « Le message de Jésus aux disciples » (16-20). 1. LE MENSONGE DES AUTORITÉS JUIVES (Mt 28,11-15) COMPOSITION DU PASSAGE + 11 Or comme elles + voici que certains + ANNONCÈRENT

partaient, de la garde aux grands prêtres

– 12 Et ayant réuni – et AYANT PRIS – ils la donnèrent

avec les anciens

étant allés tout ce qui

UN ARGENT 13

aux soldats

à la ville, était arrivé.

un conseil considérable, EN DISANT :

··························································································

= « Dites : .. “Ses disciples .. ont volé .. tandis que

de nuit étant venus lui nous dormions.”

14

Et si cela était entendu nous, NOUS PERSUADERONS et vous pas inquiétés – 15 Or eux, – firent

du gouverneur, lui nous ferons. »

L’ARGENT, ILS AVAIENT ÉTÉ ENSEIGNÉS. ·························································································· AYANT PRIS

comme

: Et s’est divulgué : jusqu’

ce récit au jour

parmi les Juifs d’aujourd’hui.

Deux parties parallèles entre elles encadrent le verset 14. Les deux premiers segments de la première partie rapportent ce que firent les gardes (11), puis comment réagirent les sanhédrites12 (12-13a) ; c’est ensuite l’ordre donné par les sanhédrites aux gardes (13b-e). La dernière partie est plus courte : le premier segment (15ab) rapporte comment les gardes romains ont fait ce que les chefs juifs leur avaient ordonné en 12 ; le second segment (15cd) montre jusqu’où s’est étendu le mensonge mis dans la bouche des gardes (13cde). La partie centrale (14) envisage les rapports du gouverneur avec tous les autres personnages. « Ce récit » (logos) de 15c rappelle ce que les sanhédrites « dirent » (legontes) aux gardes de « dire » en 13 ; avec « nous le persuaderons » du centre (14b), 12 Outre les grands prêtres, ne sont mentionnés ici que les anciens ; les pharisiens avaient été nommés dans le passage parallèle (voir p. 385, n. 2)

selon saint Matthieu (Mt 27,62–28,20)

397

toutes ces paroles mensongères s’opposent à la vérité de « tout ce qui était arrivé » (11c). CONTEXTE Le châtiment des gardes défaillants Les gardes qui laissaient s’échapper un prisonnier étaient normalement destinés à subir la peine à laquelle ce dernier avait été condamné (voir Ac 12,19 ; 16,27). Le châtiment des faux témoins Selon Dt 19,16-21, le faux témoin doit « être traité comme il méditait de traiter son frère », c’est-à-dire subir la peine qu’il voulait lui voir infliger (voir l’histoire de Suzanne et des deux vieillards : Dn 13,62). INTERPRÉTATION Les soldats romains se sauvent Bien que les gardes soient romains et ne dépendent en aucune façon des autorités juives, certains d’entre eux préfèrent néanmoins en référer aux grands prêtres (11). C’est qu’ils savent bien quelle est la loi qui doit s’appliquer dans leur cas et qu’ils ne pourront pas échapper à la mort, puisqu’ils ont laissé leur prisonnier s’enfuir. Ils sont passibles de la même peine que Jésus et sont destinés à finir comme lui. Leur seule chance est donc de s’adresser à ceux qui les ont fait requérir et qui, de toute manière, n’ont aucun pouvoir direct de leur faire du mal. Bien leur en prend, car non seulement ils s’assurent ainsi l’impunité, mais encore ils empochent une forte somme d’argent (12.15), ce à quoi ils ne devaient surement pas s’attendre. Était-il besoin de tant d’argent pour acheter la complicité des gardes ? Ne suffisait-il pas d’un chantage facile ? « Ou bien vous vous tenez à la version que nous vous indiquons, ou nous ne pourrons pas vous aider à vous disculper devant le gouverneur ! » Les soldats n’auraient certainement pas demandé autre chose que l’immense faveur qui leur était déjà faite de pouvoir échapper à une mort certaine (14). Qu’en plus on leur propose de l’argent, à eux les coupables, est en effet surprenant : ne serait-il pas plus naturel que ce soient eux qui tentent d’acheter la bienveillance des grands prêtres ? Nouvelle ironie de Matthieu, pour montrer le prix que les responsables juifs attachaient à cette affaire. Les gardes romains gagnent ainsi sur tous les tableaux et en sont quittes pour la peur. Ils sont désormais protégés de tout ennui, et même à l’abri du besoin pour longtemps. Le comble est cependant que pour se sauver ils doivent endosser une faute dont en réalité ils n’étaient pas coupables : en effet ils ne dormaient pas quand l’ange est venu rouler la pierre du sépulcre !

398

La résurrection de Jésus

Les chefs juifs se perdent Le stratagème des sanhédrites semble bien avoir réussi, dans la mesure où la légende qu’ils ont inventée s’est maintenue chez les Juifs jusqu’à l’époque où Matthieu rédige son évangile (15cd) et qu’elle ne sera jamais vraiment éradiquée, jusqu’à nos jours. Le mensonge a la vie dure. Celui dont nos premiers parents ont été les victimes avant d’en devenir les complices n’a pas encore cessé lui non plus de maintenir ses effets. Le mensonge est l’arme des faibles ; les sanhédrites n’en trouvent pas d’autre pour tenter d’empêcher ce contre quoi ils ne peuvent rien faire d’autre (13cde). Comme il arrive souvent, pour être vraisemblable, le mensonge est contraint de se redoubler : comment en effet les disciples auraient-ils pu voler le corps de leur maitre, si les gardes étaient restés éveillés. Leur péché cependant ne s’arrête pas à un double mensonge, pour pieux sans doute qu’il puisse leur paraitre. Plus grave encore que le mensonge, la subornation de témoins dont ils se rendent coupables (12). Ce délit est pire que le faux témoignage, puisqu’il en est l’instigateur. Leur culpabilité se redouble encore et atteint son comble quand ils prévoient de persuader celui qui devrait condamner les gardes défaillants (14). Quels que puissent être les moyens qu’ils envisagent de mettre en œuvre — en le convaincant de mentir comme eux pour des raisons politiques ou même en lui donnant de l’argent comme aux gardes —, ils entendent bien en effet corrompre le juge comme ils l’ont fait avec les témoins. Ainsi, en sauvant ceux qui, au regard du droit en vigueur, méritent la mort, ils se chargent eux-mêmes de leur peine. Et tout cela après que des témoins oculaires leur aient rapporté tout ce qui était arrivé (11c), en quoi ils auraient dû reconnaitre le doigt de Dieu. 2. LE MESSAGE DE JÉSUS AUX DISCIPLES (Mt 28,16-20) COMPOSITION DU PASSAGE La première partie rapporte ce que font les disciples (16-17), puis ce que Jésus leur dit (18-20). Dans la première, après le segment d’introduction (16) est présentée la double réaction des disciples (17)13. Dans la seconde, après la sous-partie introductive 13

L’interprétation de la dernière proposition du verset 17 (hoi de edistasan) et donc sa traduction font problème. Il s’agit en effet d’identifier le sujet du verbe : les onze, une partie d’entre eux, d’autres ; si l’on tient que ce sont les disciples dont il vient d’être question, s’agit-il de l’ensemble des onze, ou seulement d’une partie d’entre eux (voir BJ : « d’aucuns cependant doutèrent » ; Osty : « mais quelques-uns doutèrent » ; TOB : « mais quelques-uns eurent des doutes », à la suite de la Vulgate : quidem autem dubitaverunt) ? Gnilka, II, 738, exclut que ce soient les onze, parce que hoi de présuppose un changement de personne. Il est vrai que c’est le seul cas de tout le NT où cette construction n’indiquerait pas un changement de personne ; cependant, la tournure sans changement de personne est attestée, bien que rarement, en grec classique (voir B.L. GILDERSLEEVE, Syntax of Classical Greek from Homer to Demostenes, II, 518-519) et il n’est pas impensable que ce puisse être un hapax. La solution proposée par Lagrange, « eux qui avaient douté », renvoie le doute à un temps antérieur. Plusieurs commentateurs modernes — comme Bonnard, Radermakers, Fabris — optent pour « mais ils doutèrent » ou « mais ils

selon saint Matthieu (Mt 27,62–28,20)

399

(18ab), c’est le discours de Jésus (18c-20). Aux extrémités de cette dernière sous-partie, deux segments parallèles (18cd.20cde) : dans les premiers membres se retrouvent le même pronom de première personne du singulier (« moi ») et le même adjectif « tout » / « tous » ; les derniers membres indiquent tous deux une totalité, de l’espace en 18d et du temps en 20e. Entre deux (19-20b), trois segments : les deux derniers (19cd.20ab) détaillent la manière dont se réalisera ce qu’exprime le premier segment (19ab). À noter la quadruple occurrence de « tout » / « tou(te)s » (18c.19b.20b.20d). D’une partie à l’autre, outre la reprise de « Jésus » en 16b et en 18a, « disciples » du début (16a) trouve un écho avec le verbe « faire-des-disciples » de 19b ; le même verbe, « partir » est repris en 16a et en 19a. + 16 Or les onze DISCIPLES, + vers la montagne

vers la Galilée, que leur avait désignée JÉSUS.

PARTIRENT

·······················································································

– 17 Et le voyant, – or eux + 18 Et JÉSUS + leur parla

ils se prosternèrent ; doutèrent.

s’étant approché, en disant :

– « A été donné – DANS LE CIEL

à moi

tout

pouvoir

ET SUR LA TERRE.

················································································································

: 19 ÉTANT PARTIS donc, FAITES- DISCIPLES -- les --

20

leur

toutes

les nations,

baptisant . au nom

du Père et du Fils et du Saint Esprit

enseignant . à observer

tout ce que

je vous ai commandé.

················································································································

– Et voici que moi – tous les jours – JUSQU’À LA FIN DU MONDE. »

je suis

avec vous

doutaient ». C’est cette interprétation qui est retenue ici, mais la traduction adoptée tente de respecter l’ambiguïté de l’original.

400

La résurrection de Jésus

CONTEXTE La montagne de la Transfiguration La montagne sur laquelle se passe la scène rappelle celle de la Transfiguration (Mt 17,1-8) ; en redescendant de cette haute montagne, Jésus leur avait interdit de parler de ce qu’ils avaient vu avant sa résurrection (Mt 17,9-13). La montagne de la Tentation De même la dernière tentation s’était passée sur une haute montagne : « Le diable l’emmène encore sur une très haute montagne, lui montre tous les royaumes du monde avec leur gloire et lui dit : “Tout cela, je te le donnerai, si tu tombes à mes pieds et m’adores” » (Mt 4,8-9). Jésus recevra effectivement tout pouvoir ; cependant ce n’est pas le diable qui le lui donnera, mais son Père (28,18cd). INTERPRÉTATION Le doute persiste encore Les traductions témoignent de la difficulté que l’on éprouve généralement à admettre que l’ensemble des apôtres aient douté jusqu’au bout (28,17b). On voudra tout au plus accepter — comme Lagrange — qu’il s’agisse ici du rappel d’un doute antérieur ; cependant, durant toute la Passion ce n’était pas de doute qu’il s’agissait, mais de reniement et d’abandon. On est prêt à reconnaitre que certains doutèrent, comme Thomas dans le quatrième évangile, mais pas tous ! Tous s’étaient pourtant enfuis à Gethsémani et pas un seul ne s’était montré au Golgotha. Il semble bien que ce soit dans la logique de l’évangile que le doute ait assailli l’ensemble des onze disciples et ne les ait pas quittés. Comme aucun des lecteurs, s’il veut bien reconnaitre sa faiblesse, n’en est vraiment exempt. Ce qui, au lieu de l’abattre comme Judas, peut lui être un encouragement, s’il ne s’arrête pas à son péché mais s’en remet à la force de Dieu. Jésus est toujours avec nous La promesse de Jésus sur laquelle s’achève l’évangile de Mt (20cde) semble répondre au doute initial des disciples (17b). Dans sa grande délicatesse et son infinie patience, le Ressuscité ne reproche pas aux Onze leur manque de foi. Pas même à Simon Pierre à qui il avait tendu la main en disant : « Homme de peu de foi, pourquoi as-tu douté ? » quand, vers la fin de la nuit, il commençait à sombrer dans les eaux du lac14. Après cette terrible période de séparation, Jésus les assure de sa présence quotidienne, jusqu’à la fin des temps (20cde). La phrase n’est pas au futur, mais au présent, comme s’il leur était révélé que, si eux l’avaient abandonné, lui ne les avait jamais quittés. 14

Mt 14,31 ; ce sont les deux seules occurrences du verbe dans tout le Nouveau Testament.

selon saint Matthieu (Mt 27,62–28,20)

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Il faut s’en aller Jésus avait fait dire à ses disciples de quitter Jérusalem, pour rejoindre la Galilée (28,7.10). Il leur avait donné rendez-vous sur une montagne qui ressemble à s’y méprendre à celle de la Transfiguration. Alors, ils avaient reçu l’ordre de ne rien dire de ce qu’ils avaient vu « jusqu’à ce que le Fils de l’homme soit ressuscité d’entre les morts » (Mt 17,9). Maintenant, le moment est arrivé d’annoncer la bonne nouvelle de celui qui se fait voir à leurs yeux après sa résurrection (28,19). Alors, Pierre avait voulu dresser trois tentes : il était si bon d’être là. Mais il avait fallu bien vite redescendre de la montagne. De même aujourd’hui, Jésus ne leur apparaitra que le temps de trois phrases. Les instructions qu’ils reçoivent commencent avec l’ordre de s’en aller (19a). Comme leur père Abraham, au tout début de l’histoire de leur peuple : « Quitte ton pays, ta parenté et la maison de ton père, pour le pays que je te montrerai » (Gn 12,1). Vers la plénitude La montagne de Galilée ne rappelle pas seulement celle de la Transfiguration ; elle s’oppose à celle de la tentation culminante des débuts de Jésus, quand le tentateur lui avait promis de lui donner tous les royaumes de l’univers et leur gloire (Mt 4,8-9). Aujourd’hui, Jésus peut dire que tout pouvoir lui a été donné (28,18cd), mais c’est de son Père qu’il l’a reçu. Sa domination s’étend sur tout l’espace, sur le ciel comme sur la terre (18d), sur tout le temps jusqu’à la consommation des siècles (20de). Mais ce règne est en quelque sorte confié aux soins des Onze qui devront le faire connaitre à toutes les nations, jusqu’aux extrémités du monde (19b). Ils sont chargés de les faire pénétrer dans la révélation de Dieu accomplie en Jésus, le Fils qui leur a fait voir le Père et leur donne l’Esprit Saint (19d) ; ils reçoivent la mission d’enseigner tout ce que leur maitre leur a ordonné (20ab). Tout est remis entre leurs mains. Alors qu’ils s’étaient prosternés en silence (17) et que le doute les avait rendus muets, voilà que la parole leur est rendue (20a) qui remplira l’univers (19b).

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La résurrection de Jésus

3. LES DISCIPLES DU SEIGNEUR DÉJOUENT LE MENSONGE DES AUTORITÉS JUIVES (Mt 28,11-20) COMPOSITION DE LA SOUS-SÉQUENCE 28,11 Tandis qu’elles PARTAIENT, voici que quelques hommes de la garde vinrent à la ville annoncer aux grands prêtres tout ce qui était arrivé. 12 Ceux-ci rassemblèrent avec les anciens un conseil et ayant PRIS une somme d’argent considérable, ils la 13 DONNÈRENT aux soldats en disant : « Dites : “Ses disciples sont venus de nuit le VOLER tandis que nous dormions.” 14

Et si le gouverneur l’entend, nous, nous le persuaderons et ferons que vous ne soyez pas inquiétés. » 15

Ceux-ci PRIRENT l’argent et firent comme ils avaient été * Et cette parole s’est divulguée CHEZ LES JUIFS

ENSEIGNÉS.

jusqu’à aujourd’hui. 16

Or les onze disciples PARTIRENT en Galilée sur la montagne que Jésus leur avait indiquée. 17 Et en le voyant, ils se prosternèrent ; mais eux doutèrent. 18

S’étant approché, Jésus leur dit : « Tout pouvoir m’a été DONNÉ au ciel et sur terre. Étant donc PARTIS, de TOUTES LES NATIONS faites des disciples, les baptisant au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit 20 et leur ENSEIGNANT à observer tout ce que je vous ai ordonné. * Et voici que moi je suis AVEC VOUS tous les jours, jusqu’à la fin du monde. » 19

Les débuts des passages mettent en scène d’abord « quelques hommes de la garde » qui vont « à la ville » trouver « les grands prêtres » (11), puis « les onze disciples » qui vont « sur la montagne » retrouver « Jésus » (16). Les deux occurrences du verbe « partir » de 11 et 16 peuvent être considérées comme jouant le rôle de termes initiaux. En termes finaux, 15bc et 20cd opposent « avec vous » à « chez les Juifs » et « jusqu’à la fin du monde » à « jusqu’à aujourd’hui ». Ces expressions sont précédées par « enseigner » (15a.20a). « Tout ce qui était arrivé » (11b) et « tout ce que je vous ai ordonné » (20b) font inclusion. En outre, « toutes les nations » (19a) s’oppose à « chez les Juifs » (15b). Enfin, « donner » (12b.18a) s’oppose à « voler » (13a) et à « prendre » (12b.15a). CONTEXTE Il avait déjà été question d’argent au début de la première séquence de la Pâque, quand les grands prêtres « pesèrent trente pièces d’argent » à Judas venu pour leur « -donner » Jésus (26,15 ; voir p. 36). Les disciples venaient de se

selon saint Matthieu (Mt 27,62–28,20)

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scandaliser de l’énorme perte financière causée par le geste fou de la femme au parfum de Béthanie (26,8-9). La proclamation de l’évangile « dans le monde entier » avec le récit de ce qu’a fait la femme (26,13) annonce les dernières paroles de Jésus (28,18-20). Les deux sous-séquences extrêmes (26,1-19 et 28,11-20) forment donc inclusion pour l’ensemble du récit de la Pâque. INTERPRÉTATION Deux missions opposées Il y a d’une part une mission confiée par les chefs juifs à des païens pour persuader les Juifs ; il y a d’autre part la mission confiée par Jésus à ses disciples pour toutes les nations. Des païens sont chargés de répandre un mensonge parmi le peuple d’Israël, des Juifs sont envoyés porter la bonne nouvelle véritable dans le monde entier. Deux enseignements s’opposent : l’un qui est contraire à « tout ce qui est arrivé » (11b), l’autre qui vise l’obéissance à tout ce que Jésus a ordonné (20). Si le récit mensonger que les sanhédrites ont confié aux soldats romains avec l’argent qu’ils leur ont donné s’est maintenu « jusqu’aujourd’hui » (15c) chez les Juifs, le pouvoir donné par son Père à Jésus s’étendra à tout l’espace, « au ciel et sur la terre » (18) et à tout le temps « jusqu’à la fin du monde » (20d). Le vol et le don Ce qui s’est divulgué jusqu’aujourd’hui chez les Juifs est la légende d’un vol, ce qui se maintiendra parmi toutes les nations jusqu’à la fin du monde est le récit d’un don. Les sanhédrites aussi bien que les gardes fonctionnent sur le mode de la prise : les chefs juifs commencent par « prendre » de l’argent (12b) ; s’ils le « donnent » ensuite, c’est en réalité pour acheter les soldats. Ceux-ci à leur tour « prennent » le salaire de leur mensonge (15a). Les uns et les autres projetteront sur les disciples la noirceur de leur propre conduite, en les accusant d’avoir « volé de nuit » le corps de leur maitre (13a). Le Ressuscité au contraire se présente d’entrée de jeu comme celui à qui tout a été « donné » (18). Telle est avant tout la bonne nouvelle que ses disciples sont envoyés partager au monde entier. Au moment de les quitter, Jésus leur remet entre les mains tout ce qu’il a reçu, il leur laisse ses commandements pour qu’ils les transmettent à toutes les nations, comme il leur avait donné les pains pour qu’ils les distribuent à la foule (Mt 14,19 ; 15,36). En les baptisant « au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit » (19), ils en feront des disciples comme eux, des gens qui comme leur Seigneur auront tout reçu du Père des cieux. Le don du Père est si total que son Fils peut promettre de rester avec ses disciples jusqu’à la fin du monde (20cd). La faute du premier Adam, la prise insinuée par le serpent, s’était maintenue tout au long des générations de ses descendants, la grâce du don offert par le nouvel Adam les accompagne désormais comme le souffle de l’Esprit, la colombe du baptême, qui permet aux disciples de reconnaitre leur Père en son Fils.

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La résurrection de Jésus D. LE SERVITEUR SE RÉVÈLE L’AINÉ D’UNE MULTITUDE DE FRÈRES (Mt 27,62–28,20)

COMPOSITION DE LA SÉQUENCE Les deux premiers passages et les deux derniers qui sont parallèles entre eux encadrent le court passage central (28,9-10). Le premier (27,62-66) raconte la démarche des sanhédrites auprès de Pilate pour obtenir que le sépulcre soit gardé, le quatrième (28,11-15) rapporte la démarche des gardes auprès des sanhédrites après la faillite de leur mission. Plus important encore que le vocabulaire commun, les centres des deux passages se répondent (27,64d ; 28,14) : en effet la « persuasion » que grands prêtres et anciens envisagent d’exercer sur le gouverneur en cas de nécessité serait une « imposture ». Le deuxième passage (28,1-8) rapporte l’apparition de l’ange aux femmes et le message qui leur est confié pour les disciples de se rendre « en Galilée » (28,7) ; le cinquième passage (28,16-20) l’apparition de Jésus aux disciples « en Galilée » (28,16) et la mission qui leur est assignée. La réaction des disciples (28,17) qui précède le discours de Jésus rappelle celle des gardes (28,4) qui précède les paroles de l’ange (5-8). Dans les deux premiers passages, les notations de temps (27,62a ; 28,1a) jouent le rôle de termes initiaux15, « sépulcre » de termes médians (27,66 ; 28,1b). Dans les deux derniers passages, les deux occurrences de « partir » (28,11a.16) jouent le rôle de termes initiaux, les deux notations de temps par lesquelles s’achèvent les passages (fin 28,15 ; fin 28,20) remplissent la fonction de termes finaux (il est possible de reconnaitre la même fonction au verbe « enseigner » de 28,15a et 20a). Le passage central est lié avec le reste de la séquence : — Le premier mot adressé aux femmes par l’ange et par Jésus dans le passage précédent est le même, « Ne craignez pas » (28,5a.10b) ; l’ordre donné aux femmes par Jésus (28,10bc) est le même que celui que l’ange (28,7ab). — Les deux occurrences d’« annoncer » (28,10b.11b) jouent le rôle de termes médians entre le passage central et le passage suivant. — Les femmes « se prosternent » (28,9d) comme le feront les Onze dans le dernier passage (28,17)16. — Le verbe « aller » (hypagō) de 28,10b était déjà utilisé, aux mêmes modalités en 27,65 ; son synonyme « partir » (poreuomai) revient en 28,7a.[9a].11a.16a.19a ; « s’approcher » de 28,9c était déjà utilisé dans le second passage (28,2b) et sera repris dans le passage parallèle (28,18). — Alors que, partout ailleurs, il s’agit des « disciples » de Jésus, dans la bouche des sanhédrites (27,64b ; 28,13b), de l’ange (28,7a), sous la plume du narrateur (28,8b.[9a].16a), dans le passage central

15 Elles indiquent probablement la même heure (le début de la journée juive), mais à un jour de distance. 16 La variante du début du passage en 28,9 utilise le même verbe que celui par lequel commencent les deux derniers passages (28,11 et 16).

selon saint Matthieu (Mt 27,62–28,20)

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Jésus les appelle ses « frères » (28,10b) ; ce mot entre dans le même champ sémantique que « Père » et « Fils » (28,19b). 27,62 Le lendemain, c’est-à-dire après la Préparation, se rassemblèrent les grands prêtres et les pharisiens chez PILATE 63 et ils lui dirent : « Seigneur, nous nous sommes souvenus que cet imposteur a dit, étant encore vivant : “Après trois jours je me dresse !” 64 Ordonne donc que l’on s’assure du sépulcre jusqu’au troisième jour, de peur que NE VIENNENT LE VOLER et ne disent au peuple : “Il s’est dressé d’entre les morts !” Et cette dernière imposture serait pire que la première. 65 Pilate leur déclara : « Vous avez une garde. Allez, assurez-vous en comme vous l’entendez ! » 66 Ils partirent s’assurer du sépulcre, en scellant la pierre avec la garde. 28,1 Après le sabbat, le premier jour de la semaine commençant à luire, vinrent Marie Madeleine et l’autre Marie pour regarder le sépulcre. 2 Et voici que se produisit un grand séisme ; car l’ange du Seigneur descendu du ciel et s’étant approché, roula la pierre et s’assit dessus. 3 Son aspect était comme l’éclair et son vêtement blanc comme la neige. 4 Dans la crainte de lui, les gardes furent secoués et ils devinrent comme morts. 5

Répondant, l’ange dit aux femmes : « Ne craignez pas, vous ! car je sais que c’est Jésus le crucifié que vous cherchez. 6 Il n’est pas ici ; car il s’est dressé comme il l’avait dit. Venez ! Voyez l’endroit où il était couché. 7 Vite, étant parties, dites à qu’il s’est dressé d’entre les morts. Voici qu’il vous précède en Galilée ; c’est là que vous le verrez. Voilà : je vous l’ai dit. » 8 S’en étant allées vite du tombeau, elles coururent avec crainte et grande joie l’annoncer à . 9

[Comme elles partaient l’annoncer à ], voici que Jésus vint au-devant d’elles, leur disant : « Réjouissez-vous ! » S’étant approchées, elles lui saisirent les pieds et se prosternèrent devant lui. 10

Alors Jésus leur dit : « Ne craignez pas ! Allez, annoncez à c’est là qu’ils me verront. »

de s’en aller en Galilée :

11

Tandis qu’elles partaient, voici que quelques hommes de la garde vinrent à la ville annoncer aux grands prêtres tout ce qui était arrivé. 12 Ceux-ci rassemblèrent avec les anciens un conseil et ayant pris une somme d’argent g considérable, ils la donnèrent aux soldats 13 en disant : « Dites que ce sont qui SONT VENUS de nuit LE VOLER tandis que nous dormions. » 14 Et si le GOUVERNEUR l’entend, nous le persuaderons et vous ne serez pas inquiétés. » 15 Ceux-ci prirent l’argent et firent comme ils avaient été enseignés. Et ce récit s’est divulgué chez les Juifs jusque aujourd’hui. 16 17

Or les onze partirent en Galilée sur la montagne que Jésus leur avait indiquée. En le voyant, ils se prosternèrent ; mais eux doutèrent.

S’étant approché, Jésus leur dit : « Tout pouvoir p m’a été donné au ciel et sur terre. Étant donc partis, de toutes les nations , les baptisant au nom du et du et du Saint Esprit 20 et leur enseignant à observer tout ce que je vous ai ordonné. Et voici que moi je suis avec vous tous les jours, jusqu’à la fin du monde. » 18 19

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La résurrection de Jésus

CONTEXTE La multitude des nations dans le quatrième chant du Serviteur Le mot « multitudes » (litt., « nombreux ») revient cinq fois en Is 52,13–53,12 (voir p. 61) : « De même que des multitudes avaient été saisies d’épouvante à sa vue..., de même des multitudes de nations seront dans la stupéfaction » (52,1415) ; « Par sa connaissance, le juste, mon serviteur, justifiera des multitudes en s’accablant lui-même de leurs fautes. C’est pourquoi il aura sa part parmi les multitudes, et avec les puissants il partagera le butin, parce qu’il s’est livré luimême à la mort et qu’il a été compté parmi les criminels, alors qu’il portait le péché des multitudes et qu’il intercédait pour les criminels » (Is 53,11-12) ; à quoi il faut ajouter les deux « tous » qui font inclusion en Is 53,6 : « Tous, comme des moutons, nous étions errants, chacun suivant son propre chemin, et le Seigneur a fait retomber sur lui nos fautes à tous ». Serviteur et fils dans le second Isaïe Le Serviteur n’est pas appelé « fils » dans le quatrième chant du Serviteur (Is 52,13–53,12). Il l’est cependant ailleurs dans le second Isaïe. Très souvent, Dieu rappelle à Israël que c’est Lui qui l’a « créé » ou « façonné » : « Et maintenant, ainsi parle le Seigneur, ton créateur, Jacob, celui qui t’as façonné, Israël » (Is 43,1 ; voir aussi 43,7.21) ; c’est Lui qui l’a « façonné dès le sein » (Is 44,2 ; 49,1.5). En 45,9-11, la métaphore du potier est liée à celle du père : 9

Malheur à celle qui discute avec Celui qui l’a façonnée, la jarre prise entre les jarres de la terre ! L’argile dit-elle à celui qui la façonne : « Que fais-tu ? », son œuvre lui dit-elle : « Tu es manchot » ? 10 Malheur à qui ose dire à un père : « Qu’as-tu engendré ? » et à une femme : « De quoi as-tu accouché ? » 11 Ainsi parle le Seigneur, le Saint, celui qui façonne Israël : « Est-ce à vous de m’interroger sur mes enfants, et de me donner des ordres sur le travail de mes mains ?

Voir aussi Is 46,3-4 et surtout 49,14-15. Ps 22 Le psaume17 entonné par Jésus en croix (27,46) et que Mt cite encore à propos du partage des vêtements (27,35) et des moqueries (27,43) trouve aussi un écho dans cette dernière séquence : le verset 23 du psaume, « J’annoncerai ton nom à mes frères, en pleine assemblée je te louerai » résonne au centre de la construction (28,10), et toute la fin du psaume (Ps 22,28-32) annonce la fin de l’évangile

17

Voir la traduction du psaume entier, p. 457.

selon saint Matthieu (Mt 27,62–28,20)

407

de Mt (28,19-20) : « La terre entière se souviendra et reviendra vers le Seigneur, toutes les familles des nations se prosterneront devant Lui... » INTERPRÉTATION Le Serviteur Jésus est mort. Mais son procès n’est pas terminé. Et il n’est pas près de l’être ! « Jusqu’à aujourd’hui » (28,15). Même après sa mort, Jésus est accusé d’avoir été durant sa vie un imposteur (27,63), d’avoir égaré le peuple. L’annonce de sa résurrection sera considérée par ceux qui l’ont mis à mort et qui, malgré toutes leurs précautions, n’auront pas pu l’empêcher, comme la suprême imposture (27,64d). Quand la garde postée par leurs soins devant le tombeau qu’ils avaient eux-mêmes scellé (27,66) sera terrassée par l’ange du Seigneur (28,4) et que leur prisonnier se sera levé d’entre les morts, ce sont eux qui se rendront coupables de ce dont ils accusaient Jésus : corrompant les gardes, ils leur feront dire un mensonge (28,12-13) et ils envisageront de faire de même avec le gouverneur si celui-ci venait à l’apprendre (14). Leur imposture est redoublée comme est redoublée l’annonce de la résurrection dans la bouche de Jésus et de ses disciples (27,63.64). Jusqu’au bout, Jésus sera chargé du péché de ceux qui l’accusent. « Il a été transpercé à cause de nos péchés, écrasé à cause de nos crimes » (Is 53,4). Même après sa mort et sa résurrection, il demeure le Serviteur souffrant décrit par le prophète. Le Fils Dès le début, le quatrième chant du Serviteur proclame, avec quatre verbes, l’exaltation de celui qui avait été abaissé : « Voici que mon Serviteur illuminera, il s’élèvera, montera et grandira beaucoup ! » (Is 52,13). Dès le début de la séquence de Mt, ce sont les ennemis mêmes de Jésus qui prononcent par deux fois le verbe de la résurrection : ils rappellent ce que Jésus avait annoncé avant d’être humilié jusqu’à la mort : « Après trois jours je me relève » (27,63), ils annoncent ce que ses disciples proclameront : « Il s’est relevé d’entre les morts » (27,64). À la fin de la séquence (28,19), celui qui avait accompli dans sa chair la prophétie d’Isaïe se présente lui-même comme le « Fils » du « Père » céleste au nom desquels devront être baptisés les nouveaux disciples que susciteront les apôtres. Eux aussi seront plongés dans les eaux de la mort pour ressusciter avec le Christ. « Nous avons donc été ensevelis avec lui par le baptême dans la mort, afin que, comme le Christ est ressuscité des morts par la gloire du Père, nous vivions nous aussi dans une vie nouvelle » (Rm 6,4). Frères Au centre de la séquence (28,9-10), l’apparition de Jésus aux deux femmes qui s’en reviennent de son tombeau peut sembler, à première vue, n’être qu’un doublet du passage précédent. En effet, Jésus ne leur dit rien d’autre que ce que

408

La résurrection de Jésus

l’ange leur avait annoncé (10 comme 7) : tous les mots qu’il prononce sont pratiquement les mêmes. Sauf un cependant. Ceux que l’ange avait désignés comme les « disciples » de Jésus, voilà que le Maitre les appelle « frères ». Et c’est la première fois dans tout l’évangile que cela arrive de manière aussi claire18. La variante est éminemment significative. Avant même de se présenter comme le « Fils » (28,19), Jésus tient à les qualifier comme ses « frères » (10). De même que le Serviteur du Seigneur se manifeste comme le Fils, ainsi les disciples reçoivent la révélation de leur véritable rapport avec leur Seigneur et Maitre : comme celui qu’ils retrouvent après sa Passion et leur défection, avec le pardon leur est offerte l’adoption filiale. Comme lui, ils feront des disciples qui ne seront pas destinés à être des serviteurs mais, par le baptême au nom du Père, du Fils et de l’Esprit, seront appelés à devenir des fils. Serviteurs Les frères de Jésus (28,10) sont chargés par lui de porter la bonne nouvelle de la résurrection (27,64) à toutes les nations (28,19-20). La séquence s’arc-boute sur les trois termes de cette mission qui relient ses extrémités par son centre. En contrepoint, les responsables du peuple juif se rassemblent deux fois : ils se retrouvent d’abord chez le gouverneur romain (27,62), puis ils tiennent un conseil entre eux (28,12). Eux aussi confient une mission ; cependant ce n’est pas à leurs frères, mais à des païens, auxquels ils donnent de l’argent comme on paie des serviteurs (12). Ainsi ceux qui deviennent en quelque sorte les disciples des sanhédrites sont des serviteurs païens qu’ils soudoient pour que leur mensonge se répande chez les Juifs (15). Cruelle ironie de l’histoire : la vérité est annoncée par des Juifs à toutes les nations païennes, tandis que l’imposture des chefs juifs sera divulguée par le moyen des païens dans le peuple juif. Toutes les nations Tous sont appelés à se prosterner devant le Seigneur. Les disciples le font les premiers : les femmes d’abord (28,9), puis les hommes (17), ce qui est déjà une manière d’indiquer la totalité. Quand toutes les nations auront écouté l’enseignement des frères de Jésus et qu’elles auront été baptisées (28,19-20), elles se prosterneront elles aussi devant le Père et le Fils et le Saint Esprit. Le mot de « nations » (19) désigne les nations païennes certes, mais Israël n’est évidemment pas exclu de la grande famille humaine19. Jusqu’à la fin, l’évangile de Mt témoigne bien sûr du conflit très dur qui oppose, à l’intérieur même du peuple juif, ceux qui ont cru au Christ Jésus et ceux qui l’ont rejeté. Le mensonge des sanhédrites, rapporté d’abord par les gardes romains, ne cesse d’être colporté 18

Voir Mt 12,48 : « Qui est ma mère et qui sont mes frères ? » et Mt 25,40 : « Ce que vous aurez fait à l’un de ces petits qui sont mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait. » 19 Contrairement à ce que pense U. LUZ, « L’antigiudaismo nel vangelo di Matteo come problema storico e teologico : uno schizzo » ; pour une bibliographie sur l’antijudaïsme de Matthieu, voir D. MARGUERAT, « Quand Jésus fait le procès des Juifs », 104, n. 2.

selon saint Matthieu (Mt 27,62–28,20)

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chez les Juifs et par eux jusqu’à ce jour (28,15), jusqu’aux jours où l’évangile a été composé, et jusqu’à aujourd’hui encore. Cependant, s’il en est qui sont appelés à devenir, dans l’Esprit, les disciples et les frères de Jésus, c’est bien ceux qui sont ses frères selon la chair. « Et toi Bethléem, terre de Juda, tu n’es nullement le moindre des clans de Juda ; car de toi sortira un chef qui sera pasteur de mon peuple Israël » (Mi 5,1). Malgré le péché des chefs du peuple, la prophétie de Michée, citée par Matthieu (2,6), ne pourra pas ne pas se réaliser.

CHAPITRE XI

Le Seigneur confirme et accompagne la communauté de ses disciples (Mc 16,1-20)

Chez Mc, la dernière séquence du récit de la Pâque comprend trois passages 1 : le premier et le dernier sont tous deux formés de trois parties. Le second passage est bipartite ; il constitue le centre de la séquence et articule les deux autres passages.

Un jeune homme ANNONCER

Les disciples à l’ANNONCE

Le Seigneur Jésus PROCLAMER

1

envoie

les trois femmes

LA RÉSURRECTION

AUX DISCIPLES

16,1-8

ne croient pas DES TÉMOINS

DU RESSUSCITÉ

envoie

les onze disciples

L’ÉVANGILE

À TOUT L’UNIVERS

9-13

14-20

Sur le problème de la finale de Mc, voir J. HUG, La Finale de l’évangile de Marc. La présente analyse ne se limite pas à la finale brève (16,1-8), mais étudie le texte dans sa version canonique (16,1-20).

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La résurrection de Jésus

1. LES FEMMES AU TOMBEAU (Mc 16,1-8) + 1 Et étant passé le sabbat, . Marie Madeleine et Marie (mère) de Jacques et Salomé . achetèrent des aromates afin d’aller l’oindre. 2

+ Et de grand matin, . le premier jour de la semaine, . elles viennent au tombeau – 3 Et ELLES SE DISAIENT : «Qui nous ROULERA la pierre . de la porte

au lever du soleil.

entre elles : du tombeau ? »

4

– Et levant-les-yeux, – elles aperçoivent : que la pierre A ÉTÉ ROULÉE ; . CAR elle était

très grande.

+ 5 Et, étant entrées dans le tombeau, + elles virent un jeune homme assis à droite, + enveloppé d’une robe blanche. . Et elles furent 6

EFFRAYÉES.

Or lui leur dit :

···················································· – « Ne soyez pas EFFRAYÉES !

- Vous cherchez : Il s’est dressé.

JÉSUS LE NAZARÉNIEN, LE CRUCIFIÉ.

. Il n’est pas ici ! . Voici l’endroit . où ils l’avaient posé. ··········································································································

– 7 Mais

allez !

- DITES : qu’il vous précède . C’est là-bas que . comme il vous

à ses disciples et à Pierre en Galilée. vous le verrez, AVAIT DIT. »

+ 8 Et, étant sorties, elles s’enfuirent du tombeau ; . CAR les avaient saisies TREMBLEMENT et BOULEVERSEMENT. – Et ELLES NE DIRENT RIEN à personne ; . CAR elles étaient REMPLIES-DE-CRAINTE.

selon saint Marc (Mc 16,1-20)

413

COMPOSITION DU PASSAGE Les trois parties sont parallèles entre elles : récit d’abord (1-2 ; 5 ; 8ab), paroles ensuite (3-4 ; 6-7 ; 8cd). Dans la première sous-partie les premiers membres (1a.2a) précisent le temps, les derniers (1c.2b) ce que font les femmes : elles achètent les aromates, dès que le sabbat s’achève, c’est-à-dire le soir ; elles se rendent au tombeau le matin. Au centre, le but de toutes leurs actions. La deuxième sous-partie (3-4) rapporte d’abord leur préoccupation à propos de « la pierre » (3), puis la résolution effective du problème (4). Dans la partie suivante la première sous-partie (5) décrit ce qu’elles voient et rapporte leur réaction (5d). Dans la deuxième sous-partie (6-7) les deux morceaux de discours annoncent d’abord ce qui est arrivé à Jésus puis ce que devront faire les disciples. Ces deux morceaux sont parallèles. Ils commencent par un court unimembre, impératif négatif en 6b, positif en 7a. Les segments suivants mettent en rapport « Jésus le Nazarénien » et « ses disciples et Pierre », les derniers (6efg.7de) opposent le lieu où Jésus n’est plus et celui où ses disciples le retrouveront. Les deux occurrences de « être effrayées » (5d.6b) jouent le rôle de termes médians entre les deux sous-parties. La dernière partie (8) rapporte brièvement ce que les femmes font (8a.8c), puis la raison de leurs actions, « tremblement et bouleversement » (8b) et crainte (8d). Entre les deux premières parties, les deux occurrences de « tombeau » (3c.5a) ainsi que les synonymes « elles aperçoivent » (4b) et « elles virent » (5b) jouent le rôle de termes médians. À noter les deux passifs (divins) : « a été roulée » (4c) et « il s’est dressé » (6d ; litt., « il a été ressuscité »). Entre la deuxième et la troisième partie, les termes initiaux s’opposent : « étant entrées dans le tombeau » (5a) et « étant sorties [...] du tombeau » (8a). En revanche les termes finaux sont synonymes : « elles furent effrayées » (5d) et « elles étaient remplies-de-crainte » (8d). Les verbes « allez » (7a) et « elles s’enfuirent » (8a) ne sont pas à proprement parler opposés ; cependant, la fuite des femmes n’est pas exactement ce que leur avait demandé le jeune homme. Les trois scènes se passent autour du même endroit, « le tombeau » (2c.3c. 5a.8a). Le lien le plus fort entre les trois parties est l’opposition entre le centre : « dites à ses disciples et à Pierre » (7b) et les extrémités : « elles se disaient entre elles » (3a) et « elles ne dirent rien à personne » (8c), à quoi il faut ajouter « comme il vous l’avait dit » de 7e.

414

La résurrection de Jésus

COMPARAISON SYNOPTIQUE (voir Mt 28,1-8, p. 388) Mt 28,1-8 1

Or après LE SABBAT,

alors que commençait-à-luire LE PREMIER (jour) DE LA SEMAINE, VINRENT MARIE LA MAGDALÉENNE ET l’autre MARIE pour regarder le sépulcre. 2

Et voici qu’arriva un grand séisme ; car l’ange du Seigneur descendu du ciel et s’étant approché, ROULA LA PIERRE et S’ASSIT dessus ;

Mc 16,1-8 1

Et étant passé LE SABBAT, MARIE MADELEINE ET MARIE (mère) de Jacques et Salomé achetèrent des aromates afin d’aller l’oindre. 2 Et de grand matin, LE PREMIER (jour) DE LA SEMAINE, ELLES VIENNENT

à la tombe au lever du soleil. 3

Et elles se disaient entre elles : « Qui nous roulera la pierre de la porte du tombeau ? » 4 Et levant-les-yeux, elles aperçoivent que LA PIERRE a été ROULÉE ; car elle était très grande. 5

3

or son aspect était comme l’éclair et son vêtement BLANC comme la neige. ······························································

Et, étant entrées dans le tombeau, elles virent un jeune homme ASSIS à droite, enveloppé d’une robe BLANCHE. Et elles furent effrayées.

4

Or dans la crainte qu’ils en eurent, les gardes furent secoués et ils devinrent comme morts. 5

OR répondant l’ange DIT aux femmes :

6

OR lui leur DIT :

······························································

······························································

« Ne craignez pas, vous ! car je sais que (c’est) JÉSUS LE CRUCIFIÉ (que) VOUS CHERCHEZ. 6 IL N’EST PAS ICI ; car IL S’EST DRESSÉ COMME IL AVAIT DIT. Venez ! Voyez L’ENDROIT OÙ il était couché.

« Ne soyez pas effrayées ! VOUS CHERCHEZ JÉSUS le Nazarénien, LE CRUCIFIÉ. IL EST DRESSÉ ; IL N’EST PAS ICI !

······························································

······························································

7

Et vite, étant parties,

Voici L’ENDROIT OÙ ils l’avaient posé. 7

DITES À SES DISCIPLES

Mais allez ! DITES À SES DISCIPLES et à Pierre

qu’il s’est dressé d’entre les morts. Et voici QU’IL VOUS PRÉCÈDE EN GALILÉE. C’EST LÀ QUE VOUS LE VERREZ. Voilà : je vous l’ai dit. »

QU’IL VOUS PRÉCÈDE EN GALILÉE. C’EST LÀ QUE VOUS LE VERREZ, COMME IL vous AVAIT DIT. »

8

8

avec CRAINTE ET grande joie

car les avaient saisies tremblement ET bouleversement.

elles coururent pour l’annoncer à ses disciples.

Et elles ne dirent rien à personne ; car ELLES CRAIGNAIENT.

ET, s’en étant allées vite DU TOMBEAU,

ET, étant sorties, DU TOMBEAU ;

elles s’enfuirent

selon saint Marc (Mc 16,1-20)

415

– Les femmes sont trois chez Mc : Marie Madeleine, Marie (mère) de Jacques et Salomé » (Mc 16,1bc)2. Chez Mt (1de), elles ne sont que deux, « Marie Madeleine et l’autre Marie », comme en 27,61 ; en 27,56, « l’autre Marie » est appelée « mère de Jacques et de Joseph » (voir p. 309). La troisième femme de Mc 16,1c (« Salomé ») est peut-être « la mère des fils de Zébédée » de Mt 27,56 (voir p. 309). – Chez Mt, les femmes ne viennent que « pour regarder le sépulcre » au début du premier jour de la semaine (28,1f), tandis que chez Mc, elles achètent d’abord les aromates (1d) à la sortie du sabbat (1a), et le matin du premier jour de la semaine (2b), elles viennent « afin de l’oindre » (1e). Mc précise que c’est « au lever du soleil » (16,2d), détail absent de Mt. – Le séisme et l’épisode des gardes terrassés de Mt 28,2ab et 4 sont absents de Mc. – Alors que chez Mt c’est un « ange » qui « descend du ciel » et « roule la pierre » (Mt 28,2cde), chez Mc il s’agit d’un « jeune homme » (5b) et la pierre « est roulée », sans qu’on sache exactement qui l’a fait (4b) ; la description de l’ange est plus solennelle chez Mt 28,3 et beaucoup plus simple en Mc 16,5bc ; alors que les femmes ne se disent rien chez Mt, puisqu’elles n’entendent pas entrer dans le sépulcre, chez Mc 16,3 elles se préoccupent de l’ouverture du tombeau. – Les paroles adressées aux femmes sont très proches (Mt : 5-7 ; Mc : 6-7). Cependant, Mc ajoute le nom de « Pierre » parmi les destinataires du message confié aux femmes (7b) ; chez Mc 16,7, les femmes ne sont pas chargées d’annoncer la résurrection, comme chez Mt 28,7c ; alors que l’ange achève son discours par « Voilà : je vous l’ai dit » (Mt 28,7f), Mc 16,7e précise : « comme il vous l’avait dit ». – En Mt 28,8a, les femmes « s’en vont vite » du tombeau, alors que chez Mc 16,8 elles « s’enfuient » ; alors que Mt signale « la crainte » mais aussi la « grande joie » (8c), Mc ne retient que « tremblement », « bouleversement » (8d) et « crainte » (8f) ; alors que chez Mt les femmes « coururent annoncer » la nouvelle aux disciples (8de), chez Mc « elles ne dirent rien à personne » (8e). INTERPRÉTATION Du tombeau à la Galilée Marie Madeleine, Marie mère de Jacques et Salomé ne perdent pas un instant : dès la sortie du sabbat, avant qu’il fasse totalement nuit, elles achètent les aromates (1), et dès le lever du soleil, à peine la nuit terminée, elles vont au 2 Comme en Mc 15,40, où la deuxième est dite « mère de Jacques le Petit et de Joset » et seulement « mère de Joset » en Mc 15,47 (voir p. 338).

416

La résurrection de Jésus

tombeau (2). Elles entendent en effet rendre les derniers devoirs à leur maitre, en oignant son cadavre (1d). Mais elles ne trouveront pas le crucifié qu’elles cherchent (6c), et le jeune homme bien vivant qu’elles voient dans le tombeau (5b) les envoie vers d’autres vivants, les disciples à qui elles devront dire d’aller en Galilée (7abc). C’est là que, tous ensemble, ils verront Jésus, vivant (7d). Du tombeau où elles entrent (5a) à la place, en quelque sorte, de celui qui en est sorti (6e), elles sont rappelées à la vie et à la parole de celui qui leur avait annoncé ce qui devait arriver (7e). L’enfermement dans le silence Cependant, si les femmes sortent du tombeau (8a), elles n’en restent pas moins prisonnières de la mort : alors que le jeune homme en blanc leur avait dit de ne pas s’effrayer (6b), elles demeurent toutes tremblantes, bouleversées et remplies de crainte (8b.8d), même après la bonne nouvelle qu’il leur annonce (6). En route vers le tombeau, elles parlaient entre elles de l’obstacle qu’elles pensaient rencontrer (3). Quand, à la fin, elles quittent le tombeau, ce n’est pas la joie qui les fait courir, c’est la peur qui les fait s’enfuir (8). Et non seulement il n’est pas dit qu’elles parlent entre elles, mais encore il est souligné qu’elles s’enferment dans le silence le plus absolu (8c), renonçant à transmettre aux disciples et à Pierre le message qui leur a été confié (7). La pierre a été roulée de côté par la puissance de Dieu et le tombeau ouvert sur la vie redonnée à Jésus (4) ; les femmes sont ébranlées et bouleversées par les paroles du jeune homme en blanc (8b), mais ces sentiments les fige dans un mutisme (8c) qui ressemble au silence de la mort. Ce qu’il faut voir Les femmes voient le soleil se lever (2c) qui leur permettra de voir le tombeau. Levant les yeux, elles aperçoivent la pierre roulée de la porte du tombeau (4). Entrées, elles voient le jeune homme vêtu de blanc (5). Ce dernier leur fait voir l’endroit où on l’avait mis (6f). Cependant, elles n’y voient pas ce qu’elles cherchent (6c), le cadavre qu’elles sont venues oindre de leurs aromates (1d). Le jeune homme de bon augure assis à droite (5bc) veut leur faire comprendre qu’il n’y a rien à voir ici, rien qu’un endroit désormais vide (6efg). Et il leur dit aussitôt de partir (7a), car c’est en Galilée qu’elles le verront (7d), avec les autres disciples et avec Pierre (7b). Ce déplacement auquel ils sont tous conviés est d’importance. Il fait passer du tombeau creusé dans le roc (15,46), avec cette pierre qui en défendait l’entrée (3), d’abord vers l’assemblée des disciples et vers ce Pierre qui en est le fondement (7b), pour rejoindre en définitive celui qui a été délivré du tombeau et de la mort. Mais la crainte qui les saisit les empêche de voir qu’elles sont appelées, elles aussi, avec tous les autres, à passer, comme Jésus, de la mort à la vie.

selon saint Marc (Mc 16,1-20)

417

2. LES DISCIPLES NE CROIENT PAS LES TÉMOINS (Mc 16,9-13) COMPOSITION DU PASSAGE + 9 Or s’étant relevé le matin, + le premier (jour) de la semaine, : IL APPARUT : dont il avait chassé

en premier sept démons.

····························································································································

– 10 , – L’ANNONÇA –

étant partie, à ceux avec lui .

·····································································

. 11 Et ceux-là entendant = . ne la crurent pas.

,

+ 12 Or après cela, : : alors qu’ils partaient

IL SE MANIFESTA

sous une autre forme

à la campagne.

····························································································································

– 13 Et , – L’ANNONCÈRENT

s’en étant allés, aux autres.

·····································································

. Or non plus

à ceux-là

ils crurent.

Les deux parties sont clairement parallèles entre elles, même si, comme il arrive souvent, la deuxième économise un certain nombre d’éléments présents dans la première.

418

La résurrection de Jésus

COMPARAISON SYNOPTIQUE (voir Mt 28,9-10, p. 394; Lc 24,13-33a, p. 458) Mt 28,9-10 9

Et voici que Jésus vint-à-leur-rencontre, en disant : « Réjouissez-vous ! » Or elles, s’étant approchées, s’emparèrent de ses pieds et se prosternèrent devant lui.

Mc 16,9-13 9

Or s’étant relevé le matin, le premier (jour) de la semaine, il apparut en premier à Marie Madeleine dont il avait chassé sept démons. ······························································ 10

······························································ 10 Alors Jésus leur dit : « Ne craignez pas ! Allez ! annoncez à mes frères qu’ils s’en aillent en Galilée et (c’est) là (qu’)ils me verront. »

Celle-ci, étant partie, l’annonça à ceux avec lui qui étaient dans le deuil et pleuraient. ······························································ 11

Et ceux-là, entendant qu’il vivait et qu’il avait été vu par elle, ne la crurent pas.

12

Or après cela, à deux d’entre eux qui marchaient il se manifesta, sous une autre forme, alors qu’ils partaient à la campagne. ······························································ 13

Et ceux-là, s’en étant allés, l’annoncèrent aux autres. ······························································

Or ceux-là non plus, ils ne les crurent pas.

Des deux apparitions rapportées par Mc, Mt ne retient que la première. Mais celle-ci est bien différente dans les deux premiers évangiles. Chez Mt, Jésus n’apparait pas seulement à Marie Madeleine, mais aussi à l’autre Marie. Chez Mt, l’apparition a lieu tandis qu’elles sont en chemin vers les disciples (ce qu’explicite l’addition du début de Mt 28,9 ; voir p. 394) ; chez Mc, bien que la notation de temps de 9ab ait pour fonction de relier les deux premiers passages, et bien que, logiquement, la première partie (9-11) se situe après les évènements racontés dans le premier passage (1-8), cette notation de temps semble avoir aussi pour fonction de bien séparer les deux passages ; cela se comprend, du moment que les femmes ne disent rien à personne, et sans doute ne vont même pas retrouver les disciples. Alors que Mc utilise des verbes de vision, « il apparut » (9c) et « il se manifesta » (12b), Mt a un simple « il vint-à-leurrencontre » (9a). Seul, Mt dit que les femmes « saisissent les pieds » de Jésus et « se prosternent devant lui » (9de). Alors que chez Mt Jésus prend la parole deux fois (9b.10a), chez Mc il ne dit rien. Chez Mt, Jésus confie un message aux femmes pour « ses frères » (10b), mais il n’est pas précisé qu’elles le transmettent, et on ne sait donc pas quelle fut la réaction des disciples ; au contraire, chez Mc, Marie Madeleine rapporte aux disciples que Jésus « est vivant » et « qu’il a été vu par elle » et le narrateur ajoute qu’ils « ne la crurent pas » (11). Quant à la deuxième scène de Mc 16,12-13, si elle n’a aucun parallèle chez Mt, elle semble être un très court résumé du long récit lucanien des disciples d’Emmaüs (voir Lc 24,13-33a, p. 458).

selon saint Marc (Mc 16,1-20)

419

INTERPRÉTATION Le passage par la mort Les disciples sont plongés dans la mort (10c). Ils le sont tellement qu’ils en sont incapables de recevoir ce que Marie Madeleine leur dit. Certes, ils entendent de leurs oreilles que Jésus est vivant (11b), mais leur cœur ne peut le comprendre ; ils l’entendent annoncer qu’elle l’a vu de ses propres yeux, mais leurs yeux sont si pleins de larmes (10c) qu’ils en sont comme aveuglés. Il semble que, si leur attitude témoigne évidemment de leur manque de foi, elle est d’abord la preuve de leur immense attachement à leur maitre. D’autant plus que la même scène se répétera une seconde fois avec le même résultat (12-13). Si la mort de Jésus ne les avait pas atteints aussi radicalement, ils auraient sans doute été moins insensibles et incrédules. À entendre ce double récit, le lecteur se rend bien compte qu’ils ont été plongés dans la mort avec le Christ. La conversion On peut se demander pour quelle raison Mc éprouve le besoin de rappeler, justement à ce moment-là3, que Marie Madeleine avait été libérée par Jésus de ses sept démons (9d). Ce n’est certainement pas pour identifier le personnage, puisque l’évangéliste vient d’en parler plusieurs fois (15,40.47 ; 16,1). Le rappel de la conversion passée de la femme a sans doute pour fonction d’attirer l’attention sur celle des deux hommes : s’ils sont en route vers la campagne, ce n’est certainement pas qu’ils avaient besoin de sortir de la ville pour prendre l’air, mais qu’ils retournaient vers les champs qu’ils avaient quittés pour suivre Jésus (Mc 10,29-30) ; comme Pierre et ses compagnons qui vont à la pêche (Jn 21,3). Jésus les rejoint et, bien qu’il leur apparaisse « sous une autre forme » (12b), ils n’ont aucun doute sur son identité4. Et les voilà qui, retournés, vont annoncer la bonne nouvelle aux autres (13ab). La naissance de la parole Jésus pourtant ne leur avait rien dit ; du moins, le narrateur ne rapporte aucune de ses paroles. Comme il n’avait rien dit à la Madeleine. Cependant, le seul fait d’avoir vu Jésus (9c.12b), la force de l’expérience qu’ils ont faite, les pousse également à partir et annoncer aux autres cette bonne nouvelle qu’il serait impensable de ne pas partager avec tous (10b.13b). La joie d’avoir trouvé dans le salut de Jésus leur propre renaissance sèche leurs larmes et délie leur langue : une véritable bonne nouvelle ne peut pas ne pas se communiquer, sans quoi elle ne serait pas vraiment une bonne nouvelle. 3

Il ne l’avait pas fait dans la séquence précédente, ni au moment de la mort de Jésus en 15,40, ni à l’ensevelissement en 15,47 ; il ne l’avait pas fait non plus dans le premier passage de la présente séquence en 16,1. 4 Un peu comme en Jn 21,12 : « Aucun des disciples n’osait lui poser la question : “Qui estu ?”, mais ils savaient bien que c’était le Seigneur. »

420

La résurrection de Jésus

L’incrédulité Et pourtant, les autres disciples ne croient pas ce que les témoins de la résurrection leur disent (11c.13c). On peut facilement imaginer combien ces derniers ont dû insister, que ce soit Marie Madeleine, ou davantage encore les deux hommes. Qu’on ne se fie pas à un seul témoignage — et encore moins si c’est une femme ! —, cela peut se comprendre, mais quand ensuite deux hommes se présentent pour témoigner de ce qu’ils ont vu ensemble, ce témoignage, tout à fait valide selon les prescriptions de la Loi, ne réussit pas non plus à déclencher l’adhésion de ceux qui pourtant avaient été avec lui. Une incrédulité aussi inentamable est peut-être difficile à comprendre ; elle est du moins une bonne raison pour le lecteur de ne pas s’imaginer que les disciples ont inventé la résurrection, ni qu’ils ont été les jouets d’une hallucination collective provoquée par le désir incompressible qu’ils auraient eu de voir se réaliser ce qu’ils espéraient, après tout ce que leur avait prédit leur maitre. Une telle résistance de la part des plus proches de Jésus est non seulement un encouragement contre nos doutes, mais surtout une garantie de la véracité de leur témoignage ultérieur. 3. L’ENVOI EN MISSION (Mc 16,14-20) COMPOSITION DU PASSAGE La première partie et la dernière sont de récit, tandis que la partie centrale, qui est plus longue, est de discours. Les parties extrêmes sont parallèles entre elles. Le premier morceau de la première partie mentionne l’apparition de Jésus aux Onze ; le premier morceau de la dernière partie décrit sa disparition. Le deuxième morceau de la première partie rapporte, au style indirect, ce que Jésus leur dit ; le deuxième morceau de la dernière partie raconte ce que disent, ce que « proclament » les Onze avec le soutien du Seigneur. Après une courte sous-partie introductive, le discours de Jésus dans la partie centrale s’organise en deux temps : l’envoi en mission (15bc) suivi de ce qui en résultera (16), puis la longue énumération des « signes » qui accompagneront la prédication (17-18). Certains comprennent que « ceux qui auront cru » (17b) sont ceux dont il vient d’être question dans le verset précédent (16a) ; toutefois, le parallélisme des deux dernières sous-parties de la partie centrale avec le dernier morceau de la troisième partie montre que « ceux qui auront cru » de 17b sont les missionnaires. En effet, 20ab correspond à 15bc et 20cde renvoie à 17-18. La partie centrale articule les deux autres : le thème de l’incrédulité lie les deux premières parties (14cd ; 16-17b) ; celui de la proclamation universelle (15bc ; 20ab), de « la Parole » (20d) c’est-à-dire de « l’Évangile » (15c), et celui des signes (17-18 ; 20cde) lient les deux dernières parties (noter que « le Seigneur » de 20c correspond à « en mon nom » de 17c).

selon saint Marc (Mc 16,1-20)

421

+ 14 Enfin, pendant qu’ils étaient à table, + aux Onze il se manifesta. ·························································································································

– Et il blâma – parce que ceux qui l’avaient vu 15

leur incrédulité ressuscité

et leur dureté-de-cœur, ils n’avaient pas cru.

Et il leur dit : – « Étant partis = PROCLAMEZ l’Évangile .. 16 celui qui croira .. mais celui qui ne croira pas :: 17 Or voici :: qui accompagneront

dans tout l’univers, à toute la création : et sera baptisé

sera sauvé, sera condamné.

LES SIGNES

ceux qui auront cru :

····························································································

- EN MON NOM - ils parleront - 18 [Et dans leurs mains]

des démons des langues des serpents

. Et s’ils boivent .. cela ne leur nuira pas ;

un poison-mortel,

. ils poseront les mains .. et ceux-ci iront bien. »

sur les infirmes,

ils chasseront, nouvelles. ils prendront.

+ 19 Or donc, le Seigneur Jésus après leur avoir parlé, -- fut enlevé au ciel -- et s’assit à la droite de Dieu. ·························································································

– 20 Or ceux-ci, = PROCLAMÈRENT

s’en étant allés, partout,

. LE SEIGNEUR . et la Parole :: par LES SIGNES

travaillant-avec (eux) confirmant, qui accompagnaient.

422

La résurrection de Jésus

COMPARAISON SYNOPTIQUE (Mt 28,16-20 ; voir p. 399) Mt 28,16-20 16

Mc 16,14-20

Or les ONZE disciples partirent vers la Galilée, vers la montagne que leur avait désignée Jésus.

14

······························································

Et le voyant, ils se prosternèrent ; or eux doutèrent.

Et il blâma leur incrédulité et leur dureté-decœur, parce que ceux qui l’avaient vu ressuscité ils n’avaient pas cru.

18

15

17

ET Jésus s’étant approché, LEUR parla EN DISANT :

Enfin, pendant qu’ils étaient à table, aux ONZE il se manifesta. ······························································

ET IL LEUR DIT

:

« Il m’a été donné tout pouvoir dans le ciel et sur la terre. ······························································ 19

Donc, ÉTANT PARTIS, faites-des-disciples de TOUTES les nations, les BAPTISANT au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit 20 leur enseignant à observer tout ce que je vous ai commandé. ·····························································

« ÉTANT PARTIS dans tout l’univers, proclamez l’Évangile à TOUTE la création. 16 Celui qui croira et sera BAPTISÉ sera sauvé, mais celui qui ne croira pas sera condamné. 17 Or voici les signes qui accompagneront ceux qui auront cru :

······························································

en mon nom des démons ils chasseront, ils parleront des langues nouvelles. 18 [Et dans leurs mains] des serpents ils prendront. Et s’ils boivent un poison-mortel, cela ne leur nuira pas ; ils poseront les mains sur les infirmes, et ceux-ci iront bien. » 19

Or donc, le Seigneur Jésus après leur avoir parlé, fut enlevé au ciel et s’assit à la droite de Dieu. ······························································

Et voici que moi je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde. »

20

Or ceux-ci, s’en étant allés, proclamèrent partout, le Seigneur travaillant-avec (eux) et la Parole confirmant, par les signes qui (l’) accompagnaient.

La première partie du passage de Mc (16,14) n’a pas d’équivalent chez Mt ; inversement, la première partie du passage de Mt (28,16-17) n’a pas de parallèle en Mc : tandis que Mt précise que Jésus retrouve ses disciples en Galilée, « sur la montagne qu’il leur avait indiquée » (16), Mc n’en fait rien mais dit qu’il se manifesta à eux « pendant qu’ils étaient à table » (14a). D’autre part, en Mt Jésus ne reproche pas aux disciples leur incrédulité comme chez Mc (14b-e). Chez Mc, Jésus ne parle pas du pouvoir qu’il a reçu (Mt : 18cd), mais il commence directement par l’envoi en mission (15c) ; en outre, Mc ne dit pas que le Baptême sera fait « au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit (Mt : 19cd) et

selon saint Marc (Mc 16,1-20)

423

il ne parle pas d’enseignement comme Mt 28,20ab. Le verset 16 de Mc lui est propre, ainsi que les signes (17-18). La troisième partie du passage de Mc (19-20) ne se retrouve pas chez Mt : Mt ne rapporte pas l’ascension ; cependant, la dernière phrase de Mt (20cd) sur la présence de Jésus avec ses disciples peut faire penser à Mc 16,20bcd sur la présence active du Seigneur aux côtés des disciples, par les signes qui accompagnent leur prédication. CONTEXTE Démons et maladies Jésus guérit des uns comme des autres (17c.18de : aux extrémités de la liste). Ce couple se retrouve plusieurs fois dans Mc (1,32-34 ; 3,10-11 ; 6,13). Prendre des serpents Cette expression (18a) peut rappeler l’épisode des Actes où Paul, mordu à la main par « une vipère », n’en est pas affecté (Ac 28,3-6), ce qui devient un signe en sa faveur pour ses compagnons. Étant donné que Mc est le seul à utiliser l’expression « toute la création » en 15c, et que d’autre part il est question d’un danger de mort en 18b (« poison-mortel »), il n’est pas impossible de voir dans ce signe une allusion à la défaite du serpent de Gn 3 (voir aussi Ap 20,2). INTERPRÉTATION La victoire sur la mort Par la faute d’Adam, la mort était entrée dans le monde, grâce à Jésus le salut et la vie sont désormais offerts à « toute la création » (15c). Tel est « l’Évangile » (15c), telle est « la Parole » (20d) qui doit être « proclamée » « partout » (20b), « dans tout l’univers » (15b). La bonne nouvelle est d’abord celle de la résurrection de Jésus (14cd), c’est aussi la bonne nouvelle que reçoivent dans leur chair ceux qui croient en lui et sont ainsi « sauvés » (16a). Les démons sont chassés et les malades guéris (17c.18de) ; les poisons mortels qu’on leur fait boire ne leur font aucun mal (18bc) mais de leur bouche jaillissent des paroles nouvelles (17d) ; les serpents sont maitrisés (18a) par les fils de ceux qui s’étaient laissés prendre à la parole du menteur (Gn 3). Ressuscité, le Seigneur Jésus confirme par tous ces signes la véracité de la Parole proclamée par ceux qu’il a sauvés de la mort (20de).

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La résurrection de Jésus

Le don de la foi Notre foi repose sur le témoignage des apôtres5. Avant même l’exemple de leur foi, l’incrédulité des Onze, eux qui n’ont pas ajouté foi aux dires de Marie Madeleine à qui il était apparu (9-11), ni au témoignage des deux disciples qui l’avaient vu sur la route (12-13), et qui n’ont accédé à la foi que lorsque le Seigneur leur est apparu en personne (14), est pour le croyant d’aujourd’hui riche d’enseignement. À voir la longue résistance que les disciples les plus proches ont opposée à l’annonce de la résurrection de leur maitre, il est clair que cette bonne nouvelle ne peut pas être une invention des apôtres, un produit de leur foi6. S’ils ont fini par croire, ce n’est que lorsqu’ils l’ont vu de leur propres yeux, quand ils ont fait l’expérience personnelle de la rencontre avec Celui qui les avait appelés, qui les sauve et qui maintenant les envoie. Ceux qui, après eux, bien qu’ils n’aient pas vu le Ressuscité, n’en ont pas moins expérimenté dans leur chair les signes du salut (17-18), pourront témoigner à leur tour de la foi qui leur a été donnée comme à eux. La présence du Sauveur Jésus « fut enlevé au ciel et il s’assit à la droite de Dieu » (19). Selon le récit de l’évangile de Mc, les Onze ne l’auront vu qu’une seule fois et ne le reverront plus. Et ce n’est pourtant qu’après la séparation définitive que, paradoxalement, les disciples commencent à expérimenter sa présence agissante parmi eux (20cde), et celle-ci ne les abandonnera jamais plus. Par les signes qui accompagnent leur parole (20e), ils savent que leur Seigneur travaille avec eux (20c). Les œuvres que Jésus continue d’accomplir par leurs mains leur révèlent et manifestent à ceux qui en sont les bénéficiaires la présence agissante de Dieu parmi eux. 4. LE SEIGNEUR CONFIRME ET ACCOMPAGNE LA COMMUNAUTÉ DE SES DISCIPLES (Mc 16,1-20) COMPOSITION DE LA SÉQUENCE Le rôle du passage central Il joue le rôle de pivot de toute la séquence. C’est surtout la première partie (9-11) qui assure le lien avec le premier passage (1-8), tandis que c’est surtout la seconde partie (12-13) qui prépare le troisième passage (14-20). Les liens entre le premier passage et le passage central Des notations de temps similaires marquent le début du premier passage (2a) et le début de la première partie du passage central (9a), jouant ainsi le rôle de 5 « C’est sur la base du témoignage et de la foi des apôtres que nous croyons à la résurrection de Jésus. Dire cela, c’est dire qu’à la naissance de la foi de l’Église les apôtres occupent une place particulière » (Catéchisme pour adultes des Évêques de France, § 207). 6 Voir le Catéchisme de l’Église catholique, § 642-644.

selon saint Marc (Mc 16,1-20)

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termes initiaux. — Jésus apparait d’abord à Marie Madeleine (9b), la première des trois femmes qui étaient allées au tombeau (1). 16,1 Le sabbat étant passé, Marie Madeleine, Marie mère de Jacques et Salomé achetèrent des aromates afin d’aller l’oindre. 2 Et de grand matin, le premier jour de la semaine, elles viennent au tombeau, le soleil S’ÉTANT LEVÉ. 3 Elles se disaient entre elles : « Qui nous roulera la pierre de la porte du tombeau ? » 4 Mais levant les yeux, elles aperçoivent que la pierre a été roulée; or elle était très grande. 5

Étant entrées dans le tombeau, elles virent un jeune homme assis à droite, enveloppé d’une robe blanche. Et elles furent effrayées. 6 Mais il leur dit : « Ne soyez pas effrayées ! Vous cherchez Jésus le Nazarénien, le crucifié. IL EST RESSUSCITÉ ! Il n’est pas ici ; voyez l’endroit où on l’avait mis. 7 Mais allez ! DITES à ses disciples et à Pierre qu’il vous précède en Galilée. C’est là-bas que vous le verrez, comme il vous l’avait dit. »

8

Étant sorties, elles s’enfuirent du tombeau, car elles étaient toutes tremblantes et hors d’elles-mêmes. Et elles NE DIRENT RIEN à personne, car elles étaient remplies de crainte. 9

S’ÉTANT RELEVÉ le matin, le premier jour de la semaine, il apparut en premier à Marie Madeleine dont il avait chassé sept démons. 10 Celle-ci, étant partie, L’ANNONÇA à ceux avec lui qui étaient dans le deuil et pleuraient. 11 Eux, en entendant dire qu’IL EST VIVANT et qu’elle l’avait vu, ILS NE LA CRURENT PAS. 12

Après cela, à deux d’entre eux qui marchaient il se manifesta, sous une autre forme, alors qu’ils partaient à la campagne. 13 Ceux-là, s’en étant allés, L’ANNONCÈRENT aux autres. Mais eux non plus, ILS NE LES CRURENT PAS. 14

Enfin, pendant qu’ils étaient à table, il se manifesta aux Onze et il blâma leur

INCRÉDULITÉ et leur dureté-de-cœur, parce qu’à ceux qui l’avaient vu RESSUSCITÉ ILS N’AVAIENT PAS CRU. 15

Il leur dit : « Partez dans le monde entier PROCLAMER l’Évangile à toute la création. 16 Celui qui CROIRA et sera baptisé sera sauvé, mais celui qui NE CROIRA PAS sera condamné. 17 Et voici les signes qui accompagneront ceux qui AURONT CRU : en mon nom ils chasseront des démons, ils parleront des langues nouvelles 18 et ils prendront [dans leurs mains] des serpents. Et s’ils boivent un poison mortel, cela ne leur nuira pas ; sur les infirmes ils poseront les mains, et ceux-ci iront bien. » 19 Or donc, après leur avoir parlé, le Seigneur Jésus FUT ENLEVÉ au ciel et s’assit à la droite de Dieu. 20 Ceux-ci, étant sortis, PROCLAMÈRENT partout, le Seigneur travaillant avec eux et confirmant la Parole par les signes qui l’accompagnaient.

Les liens entre le passage central et le dernier passage La deuxième partie du passage central et le début du dernier passage sont marqués par la reprise du même verbe « il se manifesta » (12a.14a), jouant ainsi la fonction de termes initiaux. — La première partie du dernier passage s’achève par « ils n’avaient pas cru » (14c), comme chacune des deux parties du passage

426

La résurrection de Jésus

central (11b.13b), remplissant ainsi la fonction de termes finaux (« croire » est encore repris trois fois en 16-17). — Jésus apparait à deux hommes (12-13), comme il se manifestera aux Onze (hommes) dans le troisième passage (14). — « Chasser les démons » se retrouve en 9b et en 17b. 16,1 Le sabbat étant passé, Marie Madeleine, Marie mère de Jacques et Salomé achetèrent des aromates afin d’aller l’oindre. 2 Et de grand matin, le premier jour de la semaine, elles viennent au tombeau, le soleil S’ÉTANT LEVÉ. 3 Elles se disaient entre elles : « Qui nous roulera la pierre de la porte du tombeau ? » 4 Mais levant les yeux, elles aperçoivent que la pierre a été roulée; or elle était très grande. 5

Étant entrées dans le tombeau, elles virent un jeune homme assis à droite, enveloppé d’une robe blanche. Et elles furent effrayées. 6 Mais il leur dit : « Ne soyez pas effrayées ! Vous cherchez Jésus le Nazarénien, le crucifié. IL EST RESSUSCITÉ ! Il n’est pas ici ; voyez l’endroit où on l’avait mis. 7 Mais allez ! DITES à ses disciples et à Pierre qu’il vous précède en Galilée. C’est là-bas que vous le verrez, comme il vous l’avait dit. »

8

Étant sorties, elles s’enfuirent du tombeau, car elles étaient toutes tremblantes et hors d’elles-mêmes. Et elles NE DIRENT RIEN à personne, car elles étaient remplies de crainte. 9

S’ÉTANT RELEVÉ le matin, le premier jour de la semaine, il apparut en premier à Marie Madeleine dont il avait chassé sept démons. 10 Celle-ci, étant partie, L’ANNONÇA à ceux avec lui qui étaient dans le deuil et pleuraient. 11 Eux, en entendant dire qu’IL EST VIVANT et qu’elle l’avait vu, ILS NE LA CRURENT PAS. 12

Après cela, à deux d’entre eux qui marchaient il se manifesta, sous une autre forme, alors qu’ils partaient à la campagne. 13 Ceux-là, s’en étant allés, L’ANNONCÈRENT aux autres. Mais eux non plus, ILS NE LES CRURENT PAS. 14

Enfin, pendant qu’ils étaient à table, il se manifesta aux Onze et il blâma leur

INCRÉDULITÉ et leur dureté-de-cœur, parce qu’à ceux qui l’avaient vu RESSUSCITÉ ILS N’AVAIENT PAS CRU. 15

Il leur dit : « Partez dans le monde entier PROCLAMER L’ÉVANGILE à toute la création. 16 Celui qui CROIRA et sera baptisé sera sauvé, mais celui qui NE 17 CROIRA PAS sera condamné. Et voici les signes qui accompagneront ceux qui AURONT CRU : en mon nom ils chasseront des démons, ils parleront des langues nouvelles 18 et ils prendront [dans leurs mains] des serpents. Et s’ils boivent un poison mortel, cela ne leur nuira pas ; sur les infirmes ils poseront les mains, et ceux-ci iront bien. » 19 Or donc, après leur avoir parlé, le Seigneur Jésus FUT ENLEVÉ au ciel et s’assit à la droite de Dieu. 20 Ceux-ci, étant sortis, PROCLAMÈRENT partout, le Seigneur travaillant avec eux et confirmant LA PAROLE par les signes qui l’accompagnaient.

selon saint Marc (Mc 16,1-20)

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Les liens entre le premier et le troisième passage De même que le jeune homme du premier passage est « assis à droite » (5a), ainsi le Seigneur Jésus « s’assit à la droite de Dieu » (19). Les rapports entre les trois passages – Les verbes de vision marquent les trois passages : « apercevoir » (4b), « voir » (horaō : 5a.6c.7c ; et theaomai : 11b.14b), « apparaitre » (9a), « se manifester » (12a.14a). – De même les verbes de mouvement : « aller » (1b.2b), « entrer » (5a), « sortir » (8a.20a), « s’en aller » (13a), tous verbes de la même famille (erchomai) ; « aller » (hyp-agō en 7a ; poreuomai en 10a.12b.15a) ; « marcher » (peri-pateō : 12). – De même encore les verbes qui indiquent la résurrection de Jésus : « il est ressuscité » (egeirō : 6bc.14b), « s’étant relevé » (an-istēmi : 9a), « il est vivant » (zaō : 11a) ; auxquels on peut ajouter « s’étant levé » (ana-tellō, pour le soleil : 2b) et même « il fut enlevé » (ana-lambanō : 19). – À ce thème s’oppose celui de la mort qui se retrouve aussi dans les trois passages : avec « tombeau » (2b), « aromates » et « oindre » (1b) dans le premier passage (1-2), avec « deuil » dans le deuxième (10), avec « poison-mortel » dans le troisième (18). – Les verbes de parole : « dire » (deux fois dans le premier passage : 7b.8b), « annoncer » (deux fois dans le passage central : 10a.13a), « proclamer » (deux fois dans le dernier passage : 15a.20a) ; sauf au verset 8, tous ces verbes de parole sont précédés de verbes de mouvement (7.10.13.15.20). Alors que les destinataires de l’annonce sont les disciples dans les deux premiers passages (7b. 10a.13a ; et « personne » en 8b), c’est « le monde entier », « toute la création » en 15ab, « partout » en 20a. COMPARAISON SYNOPTIQUE Le nombre des épisodes La séquence de Mt compte cinq épisodes, celle de Mc quatre. Matthieu a en propre le premier (27,62-66) et le quatrième (28,11-15) qui concernent la garde du tombeau et la corruption des gardes par les autorités juives. En revanche, Mc rapporte l’apparition de Jésus à deux des disciples (16,12-13), laquelle ne se retrouve pas chez Mt. En outre, à la fin de son dernier passage, Mc mentionne l’ascension de Jésus (16,19) et l’activité missionnaire des Onze (16,20) que Mt passe sous silence. Il faut rappeler aussi qu’au début de son premier passage (16,1), Mc rapporte que les femmes achètent les aromates à la sortie du sabbat ; Mt n’en dit rien, car chez lui les femmes ne viennent pas au tombeau pour oindre Jésus, mais seulement « pour regarder le sépulcre » (28,1). Les deux premiers évangélistes avaient raconté l’onction de Béthanie faite en vue de la sépulture de Jésus (Mt 26,12, voir p. 33; Mc 14,8, voir p. 87) ; il n’y aura donc pas

428

La résurrection de Jésus

d’onction du corps de Jésus, mais, alors que chez Mt il n’en est même pas question, chez Mc les femmes l’avaient préparée. MATTHIEU 27,62–28,20 Les autorités juives veulent empêcher la résurrection de Jésus

MARC 16,1-20

27,62-66

Le soir du sabbat, les femmes vont voir le sépulcre L’ange roule la pierre Les gardes comme morts L’ange annonce la résurrection aux femmes et les envoie dire aux hommes d’aller en Galilée Les femmes annoncent la résurrection aux disciples 28,1-8

Le soir du sabbat, les femmes achètent les aromates Le matin, les femmes trouvent la pierre roulée Un jeune homme annonce la résurrection aux femmes et les envoie dire aux hommes d’aller en Galilée Les femmes ne disent rien à personne 16,1-8

Jésus demande aux femmes de dire à ses frères d’aller en Galilée 9-10

Jésus apparait à Marie Madeleine ; elle l’annonce aux disciples qui ne la croient pas

9-11

Jésus apparait à deux disciples ; ils l’annoncent aux disciples qui ne les croient pas

12-13

Jésus apparait aux Onze et leur reproche leur incrédulité Jésus envoie les Onze en mission Jésus est enlevé au ciel Les Onze partent en mission

14-20

Les autorités juives veulent nier la résurrection de Jésus Jésus apparait aux Onze en Galilée mais ils doutèrent Jésus envoie les Onze en mission

11-15

16-20

L’ordre des épisodes communs Il est le même dans les deux premiers évangiles : visite des femmes au tombeau et message donné par un envoyé divin, apparition de Jésus aux femmes / à une des femmes, apparition de Jésus aux Onze et envoi en mission. Les limites entre les passages communs Les passages communs ont globalement les mêmes limites, à part ce qui a été dit plus haut sur les « adjonctions » de Mc 16,1 et 16,20.

selon saint Marc (Mc 16,1-20)

429

La composition des passages communs Le premier passage commun, la visite des femmes au tombeau comprend quatre parties chez Mt (voir p. 388) et trois chez Mc (voir p. 412). Le passage central de Mt est de composition bien différente de la première partie du passage central de Mc qui lui correspond : le premier comprend deux morceaux, tandis que l’autre en comprend trois (voir p. 418). De même, les derniers passages sont bien différents, bipartite chez Mt, tripartite chez Mc (voir p. 422). La fonction des passages communs Outre leur forme, la fonction des passages communs à Mt et Mc est bien différente, à cause des différences internes entre les passages d’une part, et à cause des relations que les passages entretiennent entre eux d’autre part. – Ainsi la visite des femmes au tombeau s’achève de manière opposée : alors que chez Mt les femmes courent annoncer la résurrection aux disciples (28,8), chez Mc elles s’enfuient et ne disent rien à personne (16,8). Certes, Mt dit, comme en passant, que les Onze « doutèrent » (28,17), mais tous les disciples, aussi bien les femmes que les hommes, font, sans hésiter, ce qui leur est ordonné : les femmes annoncent la résurrection et les hommes se rendent en Galilée. Ceux qui ne croient pas sont les autorités juives (premier et quatrième passages), avec l’accord des païens, gouverneur et gardes, au terme d’un long réquisitoire pour le premier, par la corruption pour les autres. Chez Mc au contraire, il n’est pas du tout question des Romains, et si l’incrédulité y est fortement soulignée, c’est seulement celle des disciples, des femmes qui ne disent rien (16,8), puis des autres (16,11.13.14). – Chez Mt l’apparition de Jésus aux femmes (28,9-10) est très différente de l’apparition à la seule Marie Madeleine chez Mc (16,9-11). Mt fait parler Jésus, par deux fois, et il n’est pas dit explicitement que les femmes aient transmis le message (cela est seulement impliqué par la première proposition du passage suivant : « Tandis qu’elles y allaient... » : 28,11) ; la fonction principale du passage central de Mt est de faire donner par Jésus le nom de « frères » aux disciples (voir p. 405). Mc au contraire ne rapporte aucune parole de Jésus à Marie Madeleine ; celle-ci pourtant « l’annonça à ceux avec lui », mais eux ne la crurent pas. De nouveau, c’est l’incrédulité des disciples qui est soulignée, comme elle l’est dans toute la séquence, ainsi qu’il a déjà été dit dans l’alinéa précédent. – Le dernier passage de Mc (16,14-20) est bien différent de celui de Mt (28,1620) : seul Mc insiste, une fois de plus, sur l’incrédulité des disciples que Jésus leur reproche (16,14), mais il est le seul à rapporter que, finalement, ils « proclamèrent partout », ce qui fait ressortir d’autant plus le contraste entre leur activité croyante et leur incrédulité antérieure. Par ailleurs, Mc est le seul à mentionner, par deux fois (16,17-18 et 20) les signes qui accompagnent la prédication des apôtres, ce qui est une manière de décrire la présence agissante de Jésus parmi les siens, malgré son enlèvement au ciel. Mt achève son dernier

430

La résurrection de Jésus

passage — et donc toute sa séquence, et, qui plus est, tout son évangile — sur cette même idée de la présence de Jésus, cependant sans mentionner les signes. La composition des deux séquences Ce sont surtout les deux passages propres à Mt (27,62-66 et 28,11-15) qui font la particularité principale de sa séquence. Cependant, de même que, chez Mt, l’apparition de l’ange aux femmes (28,1-8) est symétrique de l’apparition de Jésus aux disciples (28,16-20), ainsi, chez Mc les passages parallèles (16,1-8 et 14-20) le sont aussi. L’apparition de Jésus aux femmes (28,9-10) occupe le centre de la séquence de Mt ; chez Mc, le passage parallèle (16,9-11) est lui aussi au centre de la séquence, mais il est couplé avec l’apparition de Jésus aux deux disciples hommes (16,12-13). Le message de chaque séquence Le message des séquences de Mt et de Mc est donc assez différent, ce que voudrait signaler les titres qui leur ont été donnés : Mt : « Jésus se révèle comme le Fils ainé d’une multitude de frères » : – Au centre de la séquence, les disciples sont appelés « frères » par Jésus ; quand il envoie ses disciples dans toutes les nations, Jésus se présente, dans la formule trinitaire de 28,19, comme le Fils. – De toutes les nations, les Onze devront « faire des disciples » : ce sont ainsi tous les hommes qui sont appelés à entrer, par Le Fils, dans la filiation divine. Mc : « Le Seigneur confirme et accompagne la communauté de ses disciples » : – Au centre de la séquence, l’incrédulité des disciples est doublement soulignée ; elle l’était déjà à la fin du premier passage par la mention de la fuite et du silence des femmes ; elle le sera encore au début du dernier passage où Jésus le leur reproche. – Par trois apparitions, Jésus confirme la foi de ses disciples. – Enfin, Mc insiste par deux fois sur les signes qui accompagneront la prédication des apôtres, et il achève sa séquence sur la présence active du « Seigneur » au milieu de ses disciples. INTERPRÉTATION L’incrédulité des disciples Du début à la fin, Mc met systématiquement en relief l’incrédulité des disciples. C’est d’abord le manque de foi des femmes : dès la sortie du sabbat, avant la tombée de la nuit, ayant totalement oublié ce que Jésus avait annoncé, elles s’empressent d’acheter les aromates qui doivent servir à embaumer son corps (16,1) ; elles ne se souviennent même plus que l’onction a déjà été faite la veille de sa Pâque et qu’il avait dit lui-même que le geste de la femme avait été fait en vue de sa sépulture (14,8). Quand, au petit matin, malgré leurs appréhensions,

selon saint Marc (Mc 16,1-20)

431

elles trouvent la pierre roulée, elles ne comprennent toujours pas ce qui s’est passé (16,5). Même après qu’elles aient vu le tombeau vide, après qu’elles aient entendu le jeune homme vêtu de blanc leur rappeler les paroles de Jésus, elles sont bouleversées par la crainte et s’enferment dans le silence (8). Les hommes, les onze disciples choisis parmi tous sont encore plus enfermés dans l’incrédulité. Il est vrai qu’ils n’ont pas vu la pierre roulée, ni le tombeau vide, qu’ils n’ont pas entendu le jeune porteur de bonne nouvelle ; cependant ils ne croient ni Marie Madeleine (11), ni les deux disciples qui l’avaient rencontré sur la route (13). Il ne semble pas qu’ils soient allés au tombeau, ni qu’ils aient rejoint la Galilée où le messager divin leur avait dit d’aller (7) ; en tous cas, le texte n’en dit rien. La manifestation du ressuscité Il aura fallu que ce soit Jésus en personne qui se manifeste à eux pour qu’ils en viennent finalement à croire à sa résurrection (14). Tous les témoignages n’auront servi de rien, ni celui du jeune homme en blanc pour les femmes (8), ni celui de Marie Madeleine (11) qui n’empêchera pas deux d’entre les hommes de s’en aller (12), comme si tout désormais était fini, et pas davantage celui de ces deux mêmes disciples revenus de la campagne pour les Onze (13). L’auditeur de ce récit mouvementé ne peut pas ne pas rester fortement impressionné par tant de résistance de la part des premiers disciples et par tant de sollicitude patiente de la part de leur maitre. Ce qui ne devrait pas peu l’encourager dans ses doutes et le soutenir dans sa foi. La défaite des démons Pourquoi Jésus a-t-il choisi de se manifester d’abord à Marie Madeleine (9), et pourquoi seulement à elle et non pas aux deux autres femmes, Marie mère de Jacques et Salomé (1) ? Le fait que l’auteur précise que Marie Madeleine était celle dont Jésus avait chassé sept démons (9) n’est sans doute pas sans signification. D’autant plus que le premier des signes qui accompagneront ceux qui auront cru est justement que, au nom de Jésus et comme lui, ils chasseront les démons (17). Si le nombre des démons de Marie Madeleine est précisé, c’est que le chiffre sept symbolise la totalité, la complétude de sa possession. Le démon régnait en maitre absolu sur elle. En la libérant de ses sept démons, Jésus avait restauré complètement en elle le Règne de Dieu. Par les mains des disciples, et par le nom de Jésus, la même œuvre se poursuit dans toute la création : le serpent peut dorénavant être maitrisé, la mort vaincue, aussi bien pour ceux qui auront cru que par celui en qui ils croient. La présence du Seigneur C’est que, bien qu’il ait été enlevé au ciel et qu’il se soit assis à la droite de Dieu (19), le Seigneur Jésus ne les a pas quittés. Maintenant qu’ils ont fini par croire à ce qui leur avait été dit, maintenant qu’ils ont accordé leur foi à celui

432

La résurrection de Jésus

qu’ils ont vu de leurs propres yeux, à celui dont ils ont expérimenté la force quand il les a libérés du démon de l’incrédulité, ils ne peuvent pas croire qu’il ne soit plus à l’œuvre avec eux ; certes, c’est « sous une autre forme », comme pour les deux disciples partis à la campagne (12a), mais ce qu’il leur est donné de faire au nom de Jésus, leur fait pour ainsi dire toucher du doigt que Jésus continue à travailler avec eux et confirme leur parole par les signes qu’ils accomplissent (20). Ils ont enfin retrouvé leur Maitre, et c’est sans doute pour cela que, par deux fois, en finale, Jésus est appelé « le Seigneur » (19.20a).

CHAPITRE XII

Le Christ accomplit et ouvre les Écritures de son peuple (Lc 24,1-53)

Les treize passages de cette séquence sont organisés en trois sous-séquences : les sous-séquences extrêmes sont formées de cinq passages ; la sous-séquence centrale est le récit des pèlerins d’Emmaüs, dans lequel il est possible de reconnaitre trois passages. Tous les épisodes de cette séquence sont tellement bien liés entre eux qu’il est souvent difficile d’identifier les différentes unités qui la composent1. Au tombeau Deux hommes

les femmes

ne trouvent pas

le corps

annoncent

la résurrection

aux femmes

de Jésus

4-6a 6b-8

LES PROPHÈTES RAPPELLENT LES PAROLES DE JÉSUS Les femmes Au tombeau

annoncent

la résurrection

aux hommes

Pierre

ne trouve

le corps

Les deux disciples ne reconnaissent pas

pas

9-10 de Jésus

celui qui marche

avec eux

Les disciples Jésus

celui qui mange

s’annoncent

la résurrection

de Jésus

apparait

aux yeux

des apôtres

JÉSUS RAPPELLE SES PAROLES ET LES ÉCRITURES Jésus Jésus 1

11-12

13-19a 19b-27

JÉSUS LEUR RAPPELLE LES ÉCRITURES Les deux disciples reconnaissent

1-3

avec eux

28-33a

33b-35 36-43 44-47b

annonce

la mission

des disciples

47c-49

disparait

aux yeux

des disciples

50-53

Dans le tableau suivant et dans les titres des paragraphes correspondants, le repérage des lignes (a, b, c...) renvoie à la présentation des sous-séquences (voir p. 444.458.472) et non à celle des passages.

434

La résurrection de Jésus A. OÙ CHERCHER JÉSUS ? (Lc 24,1-12)

Cette première sous-séquence comprend cinq passages (voir l’ensemble, p. 444) : « Les femmes ne trouvent pas le corps de Jésus » (24,1-3), « Deux hommes annoncent la résurrection aux femmes » (4-6a), « Les prophètes rappellent les paroles de Jésus » (6b-8), « Les femmes annoncent la résurrection aux hommes » (9-10) et enfin « Pierre ne trouve pas le corps de Jésus » (11-12). 1. AU TOMBEAU LES FEMMES NE TROUVENT PAS LE CORPS DE JÉSUS (24,1-3)2 COMPOSITION DU PASSAGE . 1 Or le premier (jour) de la semaine, . de très bonne heure, – à la tombe + portant (ce) qu’elles avaient préparé d’

elles vinrent, AROMATES.

······················································································

– 2 Elles trouvèrent . roulée de (devant)

la pierre le tombeau ;

. 3 or étant entrées, + elles ne trouvèrent pas

LE CORPS DU SEIGNEUR JÉSUS.

Dans le premier morceau, le premier segment (1ab) précise le temps (jour et heure), le second (1cd) ce que font les personnages3. Le second morceau (2-3) les montre à leur arrivée : ce qu’elles « trouvèrent », puis ce qu’elles « ne trouvèrent pas ». Les termes finaux des membres extrêmes du second morceau (« pierre » et « corps » en 2a et 3b) répondent aux termes extrêmes du second segment du premier morceau (« tombe » et « aromates » de 1c et d). COMPARAISON SYNOPTIQUE (voir Mt 28,1-8, p. 388; Mc 16,1-8, p. 412) Ce premier passage de la séquence de Lc correspond aux premiers versets du second passage de la séquence de Mt et au début du premier passage de la séquence de Mc. Lc est nettement plus court que les deux premiers synoptiques. — Alors que chez Mt les femmes vont au tombeau dès la sortie du sabbat (1a-d), chez Lc elles s’y rendent au lever du premier jour de la semaine (1bcd) ; chez Mt, elles viennent seulement « pour regarder le sépulcre » (28,1h), tandis que chez Lc elles apportent les aromates (1fg). Le récit de Lc est plus proche de celui de Mc : selon ce dernier en effet, les femmes achètent les aromates le soir, dès la sortie du sabbat (1) puis, la nuit passée, elles se rendent au tombeau le matin du 2

Sur la justification du début du passage, et donc des limites de la séquence, voir p. 364. Le pronom « elles » renvoie aux « femmes qui l’avaient accompagné depuis la Galilée » de la fin du chapitre précédent. Alors que Matthieu et Marc donnent leurs noms (Marie Madeleine, Marie...) au moment de la mort de Jésus et de sa sépulture, Luc ne les identifie pas. Il le fera seulement en 24,10. 3

selon saint Luc (Lc 24,1-53)

435

premier jour de la semaine (2). — Pour ce qui est de la pierre roulée, Lc est très laconique (2). Chez Mt au contraire (2), les femmes, comme les gardes du reste, sont témoins du séisme, de la venue de l’ange qui roule la pierre et s’assied dessus. Chez Mc (4), les femmes ne sont pas témoins de l’événement, mais, comme chez Lc (2) elles constatent seulement le résultat ; cependant Mc ajoute que la pierre était très grande (4d) et surtout rapporte la question que se posent les femmes en route vers le tombeau (3). — Enfin, seul Lc dit qu’elles « ne trouvèrent pas le corps du Seigneur Jésus » (3bc), ce qui est impliqué dans les deux premiers évangiles, mais n’est pourtant pas précisé. Mt 28,1-8 1

Or après le sabbat,

alors que commençait-à-luire LE PREMIER (jour) DE LA SEMAINE, VINRENT Marie la Magdaléenne et l’autre Marie pour regarder le sépulcre. 2

Et voici qu’arriva un grand séisme ; car l’ange du Seigneur descendu du ciel et s’étant approché, ROULA LA PIERRE et s’assit dessus ;

3

or son aspect était comme l’éclair et son vêtement blanc comme la neige. ······································· 4

Or dans la crainte qu’ils en eurent, les gardes furent secoués et ils devinrent comme morts.

Mc 16,1-8

Lc 24,1-3

1

Et étant passé le sabbat, Marie Madeleine et Marie (mère) de Jacques et Salomé achetèrent des aromates afin d’aller l’oindre. 2 Et de grand matin, LE PREMIER (jour) DE LA SEMAINE, ELLES VIENNENT

à la tombe au lever du soleil.

1

Or

LE PREMIER JOUR DE LA SEMAINE, de très bonne heure, à la tombe ELLES VINRENT,

portant ce qu’elles avaient préparé d’aromates.

3

Et elles se disaient entre elles : « Qui nous roulera la pierre de la porte du tombeau ? » 4 Et levant-les-yeux, elles aperçoivent que LA PIERRE A ÉTÉ ROULÉE ; car elle était très grande. 5

Et, étant entrées dans le tombeau, elles virent un jeune homme assis à droite, enveloppé d’une robe blanche. Et elles furent effrayées.

······································· 2

Or elles trouvèrent nt

LA PIERRE ROULÉE

de (devant)

le tombeau ; 3

or étant entrées, elles ne trouvèrent pas le corps du Seigneur Jésus.

436

La résurrection de Jésus

INTERPRÉTATION La fidélité Les femmes, qui avaient suivi Jésus depuis le début et l’avaient accompagné jusqu’au bout (23,49-56), retournent, dès qu’elles le peuvent, de très bonne heure le dimanche matin, au tombeau de leur maitre. Alors que les hommes, qui ne se déplacent pas, semblent penser que tout est fini et qu’il n’y a plus rien à faire. C’est que pour elles il n’en est pas ainsi : Jésus doit être enseveli selon les rites et elles doivent s’acquitter de ce service ultime (1d). Plus fidèles que les apôtres, elles demeurent attachées à leur Seigneur au-delà même de la fin. Ce qu’elles cherchent n’est pas pour elles un cadavre à jamais abandonné derrière la pierre scellée d’un tombeau (2), mais « le corps du Seigneur Jésus » (3b) qui doit encore être oint d’aromates, de ces parfums réservés à celui qu’elles ne sauraient jamais cesser d’aimer. 2. DEUX HOMMES ANNONCENT LA RÉSURRECTION AUX FEMMES (24,4-6a) COMPOSITION – 4 Et il arriva, tandis qu’elles étaient : voici deux hommes se tinrent près d’elles en vêtements

PERPLEXES sur cela, FULGURANTS.

– 5 Et comme elles étaient devenues (toutes) – et qu’elles inclinaient leur visage vers : ils leur dirent :

CRAINTIVES,

la terre,

···················································································································

+ « Pourquoi cherchez-vous – parmi – + mais il

6

Il n’est pas

LE VIVANT les morts ? ici, S’EST DRESSÉ ! »

Dans le premier morceau 4a et 5ab décrivent les sentiments des femmes ; « perplexes » d’abord, elles deviennent « craintives » ensuite4 ; les derniers membres rapportent les actions des hommes (4b.5c). « Fulgurants » renvoie à l’éclair qui brille dans le ciel, tandis qu’elles regardent « vers la terre », lieu du séjour des morts. Dans le second morceau (5d-6b) « ici » reprend « parmi les morts », tandis que « il s’est dressé » correspond à « le vivant ». COMPARAISON SYNOPTIQUE (voir Mt 28,2-6, p. 388; Mc 16,5-6, p. 412) Ce passage de Lc correspond au centre du deuxième passage de Mt et à la deuxième partie du premier passage de la séquence de Mc. — La différence la 4

« Arriva » et « étaient devenues » traduisent le même verbe grec.

selon saint Luc (Lc 24,1-53)

437

plus grande entre Lc et les deux autres synoptiques est que ce sont « deux hommes » qui apparaissent aux femmes (4c), au lieu d’un ange chez Mt (2c) et d’un jeune homme chez Mc (5c). Les « vêtements fulgurants » de ces deux hommes (Lc : 4e) rappellent Mt 28,3c : « son aspect était comme l’éclair » (ce dernier mot est de la même famille que l’adjectif utilisé par Lc). La première phrase prononcée par les deux hommes (5fg) est propre à Lc ; quant à la deuxième (6), ses deux éléments se retrouvent en Mt (6ab) et Mc (6ef). Mt 28,1-8 2

Et voici qu’advint un grand séisme car l’ange du Seigneur descendu du ciel et s’étant approché, roula la pierre et s’assit dessus ; 3 or son aspect était comme l’éclair et son vêtement blanc comme la neige. ······································· 4

Or dans la crainte qu’ils

Mc 16,1-8 5

Et, étant entrées dans le tombeau, elles virent un jeune homme assis à droite,

Lc 24,4-8 4

Et il arriva, tandis qu’elles étaient perplexes sur cela, et voici deux hommes se tinrent près d’elles

en vêtements fulgurants. enveloppé d’une robe blanche.

5

Et comme elles étaient devenues (toutes) craintives,

Et elles furent effrayées. en eurent, les gardes furent secoués et ils devinrent comme morts. 5

Or répondant l’ange DIT aux femmes :

et qu’elles inclinaient leur visage vers la terre,

6

Or lui leur DIT :

ils leur DIRENT :

·······································

·······································

« Ne soyez pas effrayées ! VOUS CHERCHEZ Jésus le Nazarénien, le crucifié. IL S’EST DRESSÉ ; IL N’EST PAS ICI !...

« Pourquoi CHERCHEZ-VOUS le vivant parmi les morts ? 6 IL N’EST PAS ICI, mais IL S’EST DRESSÉ !

·······································

« Ne craignez pas, vous ! car je sais que c’est Jésus le crucifié que VOUS CHERCHEZ. 6 IL N’EST PAS ICI ; car IL S’EST DRESSÉ comme il avait dit...

CONTEXTE La Transfiguration de Jésus (Lc 9,28-36) Les « vêtements fulgurants » (24,4) rappellent le « manteau fulgurant » de Jésus à la Transfiguration (Lc 9,29). Les « deux hommes » (24,4) font penser aux « deux hommes » de Lc 9,30, Moïse et Élie5. Ce qu’ils diront aux femmes dans le passage

5

Nulle trace d’une telle identification ni chez les Pères ni dans les commentaires « scientifiques » modernes. Je l’ai cependant découverte récemment dans A.R.C. LEANEY, The Gospel According to St. Luke, 71.167.291-292.

438

La résurrection de Jésus

suivant (24,7) reprend ce qui avait été annoncé quand ils s’entretenaient avec Jésus « de son exode qu’il allait accomplir à Jérusalem » (Lc 9,31). INTERPRÉTATION Deux mondes opposés Le contraste est saisissant entre les femmes et les deux hommes. Les unes sont « perplexes » (4a) ; les autres sont revêtus de lumière fulgurante (4b). Elles étaient venues au tombeau chercher un mort (5e) ; ils leur parlent d’un vivant (5d). Elles sont courbées vers la terre (5b), prisonnières du tombeau et du monde des morts, enfermées dans la crainte (5a) et le silence ; ils apparaissent debout, revêtus de la lumière et de l’éclat du ciel (4b), portant l’annonce de la résurrection d’entre les morts (6). C’est que Jésus a quitté les ténèbres de la mort, il s’est levé et a gagné le monde de la lumière et de la vie. Moïse et Élie Les deux messagers qui se tiennent près des femmes « en vêtements fulgurants » sont des personnages que Luc ne nomme pas6. Toutefois, il les présente dans des termes qui les font ressembler à s’y méprendre aux deux hommes qui, sur la montagne de la Transfiguration, étaient apparus en gloire aux côtés de Jésus revêtu d’un « vêtement blanc fulgurant » : Moïse et Élie. Avec eux, c’est la Loi et les Prophètes qui témoignent de la résurrection de Jésus après « l’exode qu’il devait accomplir à Jérusalem ». Et voici qu’ils sont maintenant revêtus de la lumière fulgurante qui transfigurait Jésus sur la montagne, comme s’ils l’avaient reçue de lui. Avec eux, avec la Loi et les Prophètes qu’ils représentent, c’est tout l’Ancien Testament qui est illuminé, qui est transfiguré par la résurrection du Sauveur. 3. LA REMÉMORATION (Lc 24,6b-8) COMPOSITION DU PASSAGE + 6b SOUVENEZ-VOUS + étant encore

comme il vous a PARLÉ, en Galilée,

·················································································································· 7

disant du Fils de l’homme :: qu’il fallait qu’il soit livré :: et qu’il soit crucifié = et que le troisième jour

+ 8 Et

aux mains des hommes pécheurs, IL SE LÈVERAIT. »

·················································································································· ELLES SE SOUVINRENT de ses PAROLES.

6 Les disciples d’Emmaüs diront à Jésus que les femmes leur avaient rapporté avoir « vu une vision d’anges » (24,23).

selon saint Luc (Lc 24,1-53)

439

Ce passage est encadré par deux segments symétriques : ordre au début (6bc), exécution à la fin (8) ; « paroles » de 8 correspond à « parler » de 6b. Entre deux (7), le rappel des paroles de Jésus, qui annonçaient les trois étapes de ce qui vient de se passer, Passion (7bc) puis résurrection (7d). Seule la proposition centrale n’a pas de complément. COMPARAISON SYNOPTIQUE (voir Mt 28,5-7, p. 388; Mc 16,6-7, p. 412) Mt 28,1-8 5

Mc 16,1-8

Lc 24,6-8

Or répondant l’ange dit aux femmes :

6

·······································

·······································

étant encore en Galilée,

« Ne craignez pas, vous ! car je sais que (c’est) Jésus le CRUCIFIÉ (que) vous cherchez. 6 Il n’est pas ici ; car IL S’EST DRESSÉ COMME IL AVAIT DIT. Venez ! Voyez l’endroit où il était couché.

« Ne soyez pas effrayées !

·······································

·······································

·······································

7

7

qu’il s’est dressé d’entre les morts. Et voici qu’il vous précède en Galilée. C’est là que vous le verrez. Voilà : je vous l’ai dit. »

qu’il vous précède en Galilée. C’est là que vous le verrez, COMME IL VOUS AVAIT DIT. »

Et vite, étant parties, dites à ses disciples

Or lui leur dit :

6

Souvenez-vous

COMME IL VOUS A PARLÉ

Vous cherchez Jésus le Nazarénien, le CRUCIFIÉ. IL S’EST DRESSÉ ; il n’est pas ici ! Voici l’endroit où ils l’avaient déposé.

7

disant du Fils de l’homme qu’il fallait qu’il soit livré aux mains des hommes pécheurs, et qu’il soit CRUCIFIÉ et le troisième jour IL SE DRESSERAIT. ······································· 8

Et elles se souvinrent de ces paroles.

Mais allez ! Dites à ses disciples et à Pierre

Ce passage est propre à Lc. « Comme il vous a parlé » de Lc 24,6b rappelle le simple « comme il l’avait dit » de Mt (6c) et le « comme il vous l’avait dit » de Mc (7g). Toutefois l’expression de Mt ne se réfère qu’à l’annonce de la résurrection (« car il s’est dressé comme il l’avait dit ») et celle de Mc à l’annonce des retrouvailles (« c’est là-bas — c’est-à-dire en Galilée — que vous le verrez, comme il vous l’avait dit »). Chez Lc le rappel de ce que Jésus avait dit est beaucoup plus développé ; l’insistance sur la remémoration (24,6a.8a) n’existe pratiquement pas dans Mt et Mc.

440

La résurrection de Jésus

INTERPRÉTATION La parole de vie Ce que les femmes ont vu trois jours plus tôt (23,49) leur a ravi la mémoire de ce qu’elles avaient entendu depuis les débuts en Galilée (6bc). Les scènes atroces dont elles ont été les témoins oculaires obsèdent leur pensée. Elles n’ont plus qu’un désir, celui de revoir le corps de leur maitre dans son tombeau (24,1-3). Les deux hommes fulgurants, qu’elles n’osent regarder (5), ne sont pas venus pour leur faire voir le Seigneur, ils sont là pour leur permettre de retrouver la parole (6b.8) ; non pas une parole nouvelle, mais une parole ancienne qui s’est réalisée. Une parole qui, en prophétisant la mort, annonçait aussi la résurrection (7). En entendant ces deux hommes de lumière, elles retrouvent les paroles et la présence de Jésus (8). Un témoignage vivant Avec les deux hommes qui apparaissent aux femmes, c’est le témoignage des Écritures qui est apporté à Jésus : « Il fallait que le Fils de l’homme... » (7). Mais il n’est pas donné sous la forme d’une lettre morte ; il apparait dans des hommes de chair et d’os qui s’adressent à elles de vive voix. La nouvelle que le Fils de l’homme est vivant devait être annoncée par des hommes vivants. 4. LES FEMMES ANNONCENT LA RÉSURRECTION AUX HOMMES (Lc 24,9-10) COMPOSITION DU PASSAGE : 9 Et étant revenues : elles ANNONCÈRENT = 10

la Magdalénienne JEANNE MARIE (mère)

Or c’étaient

et et = : DISAIENT

du tombeau, tout cela et à tous

Aussi les autres aux apôtres

aux Onze les autres. MARIE de Jacques. avec elles cela.

Les phrases extrêmes se répondent en miroir : « disaient aux apôtres cela » (10e) correspond à « elles annoncèrent tout cela aux Onze » (9a)7 ; « les autres » de 9b désignent les hommes qui sont avec les Onze, « les autres » de 10d celles qui accompagnent les femmes qui viennent d’être nommées. Le second segment est une liste de noms organisée de manière concentrique : au centre, « Jeanne », puis le nom des deux « Marie », enfin les déterminants qui les distinguent.

7

On remarquera que « tout » de 9a annonce le « tous » de 9b.

selon saint Luc (Lc 24,1-53)

441

COMPARAISON SYNOPTIQUE (voir Mt 28,8, p. 388 ; Mc 16,8, p. 412) De retour du « tombeau » (Mt 28,8ab ; Mc 16,8ab ; Lc 24,9ab), chez Lc les femmes annoncent la résurrection aux « Onze » (9d) « Apôtres » (10e). Chez Mt, elles l’annoncent aux « disciples » (8f). Lc a attendu ce moment pour donner la liste des femmes, alors que Mt l’avait fournie au début de son passage (28,1) et de même aussi Mc 16,1 (voir p. 412) ; à noter toutefois qu’aux deux femmes nommées par Mt, Lc ajoute Jeanne (comme en 8,2-3). Quant à Mc, il insiste sur les sentiments de crainte des femmes (8cd.gh) que Lc ne mentionne pas du tout ; cependant la différence fondamentale est que les femmes ne disent rien à personne dans le deuxième évangile (16,8ef). Mt 28,1-8

Mc 16,1-8

Lc 24,9-10

8

ET s’en étant allées vite DU TOMBEAU, avec crainte et grande joie elles coururent

8

ET, étant sorties, elles s’enfuirent DU TOMBEAU ; car les avaient saisies tremblement et bouleversement.

9

pour l’annoncer à ses disciples.

Et elles ne dirent rien à personne ; car elles étaient remplies-de-crainte.

elles annoncèrent tout cela aux Onze et à tous les autres. 10 Or c’étaient la Magdalénienne Marie et Jeanne et Marie (mère) de Jacques. Et les autres avec elles disaient aux Apôtres cela.

ET étant revenues DU TOMBEAU,

CONTEXTE Lc 8,2-3 Les deux premières femmes nommées ici sont celles par lesquelles commence la liste des femmes disciples du début de la séquence B78, où il est précisé que de Marie Madeleine sept démons étaient sortis et que Jeanne était la femme de l’intendant d’Hérode. Quant à « Marie de Jacques », ce nom pourrait signifier « fille de Jacques », ou bien « épouse de Jacques », ou encore « mère de Jacques ». Luc ne parle pas ailleurs de cette femme ; mais il semble qu’elle puisse être identifiée avec la « Marie de Jacques » de Mc 16,1, appelée en Mc 15,40 « mère de Jacques et de Joset ». INTERPRÉTATION Apôtres des apôtres Les hommes ne savent encore rien de ce qui s’est passé. Les femmes, qui avaient été les dernières à rester avec Jésus, sont les premières à connaitre la nouvelle de sa résurrection. Et ce sont elles qui apprennent aux Onze ce qui s’est 8

Voir p. 346.

442

La résurrection de Jésus

passé (9), devenant ainsi les apôtres des apôtres. Ce sont celles qui avaient été guéries de nombreux esprits mauvais et de maladies (8,2) qui sont choisies pour témoigner auprès des disciples choisis entre tous (6,13-16). Ce sont elles qui vont leur apprendre à être libérés du démon de la peur et de la trahison. Eux qui avaient fui depuis l’arrestation de leur maitre, seront ramenés par celles qui étaient restées fidèles jusqu’à la mise au tombeau. Et les autres... Des douze apôtres il en reste « onze » (9a) : leurs noms ne sont pas rappelés ici, mais ils sont bien connus depuis que Jésus les a choisis et personne n’ignore celui du traitre. Cependant, bien qu’ils soient les premiers mentionnés, ils ne sont pas les seuls à recevoir la bonne nouvelle de la résurrection. Il y a « tous les autres » (9c). De même, trois femmes sont appelées par leur nom (10abc), mais elles ne sont pas les seules à être allées au tombeau et à proclamer que Jésus est vivant. Il y en a d’autres (10d). Les deux listes sont ouvertes. Elles ne le sont probablement pas seulement sur les autres personnages du récit qui ne sont pas nommés, mais aussi sur tous ceux qui annonceront la bonne nouvelle et l’entendront. 5. PIERRE TROUVE LE TOMBEAU VIDE (Lc 24,11-12) COMPOSITION DU PASSAGE : 11 Et parurent : comme du radotage : et ils ne croyaient pas

eux

devant CES PAROLES

elles.

····························································································

+ 12 Or Pierre – courut · Et s’étant penché – et il s’en alla + étonné de

s’étant levé, au tombeau. IL VIT

les bandelettes

seules ;

chez lui, ce qui était arrivé.

Ce bref passage comprend deux morceaux. Le premier est consacré à l’attitude de tous les hommes qui ont reçu la nouvelle de la résurrection de la part des femmes (9-10). Le second morceau (12) rapporte l’action du seul Pierre : « il s’en alla chez lui » (12d) s’oppose à « courut au tombeau » (12b) ; « il vit », au centre du second morceau (12c), correspond à « ces paroles » au centre du premier morceau (11b) ; « étonné », dans le dernier membre du second morceau (12e), correspond à « ne croyaient pas » à la fin du premier morceau (11c).

selon saint Luc (Lc 24,1-53)

443

COMPARAISON SYNOPTIQUE (voir Mt 27,62–28,20, p. 405 ; Mc 16,9-13, p. 417) Ce passage n’a pas de parallèle direct dans les deux premiers synoptiques. Contrairement à Mt et Mc, Lc ne rapporte pas d’apparition de Jésus, ni à Marie Madeleine, comme dans la première partie du passage central de Mc (16,9-11 ; voir p. 417), ni aux deux Marie, comme dans le passage central de Mt (28,9-10 ; voir p. 394). — Mt ne dit nulle part que les disciples n’ont pas ajouté foi aux paroles des femmes ; il ne dit rien non plus d’une visite de Pierre au tombeau. — Quant à Mc, il ne rapporte pas que Pierre soit allé au tombeau ; en revanche il insiste sur le fait que les disciples n’ont pas cru, ni ce que leur avait annoncé Marie Madeleine, ni ce que leur avaient rapporté les deux disciples (16,11.13 ; voir p. 430-431). INTERPRÉTATION Heureux qui aura cru sans avoir vu ! Malgré le récit des femmes, les Onze et tous les autres qui étaient avec eux demeurent incrédules ; ils considèrent leurs paroles comme du « radotage » (11b). Ils ont besoin de « voir » (12c). Et Pierre le premier, rempli de ce secret espoir qui fait courir ceux qui aiment (12b). Il verra effectivement, mais seulement les bandelettes. S’il n’a pas été convaincu par les paroles que les femmes leur ont rapportées, comment la vue du tombeau vide pourrait-elle l’amener à la foi ? Après la mort de Jésus, il n’y a plus rien à « voir » (12c), seule demeure la parole (11b) qu’il faut écouter. « Heureux ceux qui auront cru sans avoir vu ! » (Jn 20,29). L’étonnement Comme toujours, Pierre se détache du reste des disciples : lui seul se rend au tombeau, en courant. Il constate que les femmes ont dit vrai : le corps de Jésus n’est plus là ; il ne reste que les bandelettes. Lui qui « n’avait pas cru » (11c) est maintenant « étonné » (12e). Cet étonnement n’est pas encore la foi, mais y prépare sans doute.

444

La résurrection de Jésus

6. OÙ CHERCHER JÉSUS ? (24,1-12) COMPOSITION DE LA SOUS-SÉQUENCE 24,1 Le premier jour de la semaine, de très bonne heure, elles vinrent À LA TOMBE, portant les aromates qu’elles avaient préparés. 2 Elles trouvèrent la pierre 3 roulée de devant LE TOMBEAU. Étant entrées, elles ne trouvèrent pas LE CORPS du Seigneur Jésus. 4

Il arriva, tandis qu’elles étaient perplexes sur cela, que deux hommes se tinrent près d’elles en vêtements fulgurants. 5 Comme elles étaient devenues craintives et inclinaient leur visage vers la terre, ils leur DIRENT : « Pourquoi cherchez-vous le vivant parmi les morts ? 6 Il n’est pas ici, mais IL S’EST DRESSÉ ! SOUVENEZ-VOUS

comme il vous A PARLÉ

7

étant encore en Galilée, disant du Fils de l’homme qu’il devait être livré aux mains des hommes pécheurs, être crucifié et que le troisième jour IL SE LÈVERAIT. » 8

9

Et elles

SE SOUVINRENT

de ses

Étant revenues DU TOMBEAU, elles tout cela aux Onze et à tous les autres. 10 C’étaient Marie Madeleine, Jeanne et Marie mère de Jacques. Et les autres avec elles cela aux apôtres. 11

PAROLES. ANNONCÈRENT

DISAIENT

Elles leur parurent du radotage ces PAROLES et ils ne les crurent pas. 12 Mais Pierre S’ÉTANT LEVÉ, il courut AU TOMBEAU et s’étant penché, il vit LES BANDELETTES seules et il s’en alla chez lui, étonné de ce qui était arrivé.

selon saint Luc (Lc 24,1-53)

445

Dans le premier passage les femmes « vinrent au tombeau » (1b), dans le dernier, c’est Pierre qui « courut au tombeau » (12b) ; elles n’avaient « pas trouvé le corps de Jésus » (3b), de même Pierre qui « vit les bandelettes seules » (12c). Dans le deuxième passage, deux hommes (4b) « disent » (5b) aux femmes que Jésus est ressuscité (6a), dans l’avant-dernier, ce sont les femmes (10a) qui « annoncent » (9a) et « disent » (10b) cela aux apôtres. Alors que les passages extrêmes ne comportent aucune parole, les trois passages centraux (4-10) retentissent des paroles des deux hommes (5c-7) qui rapportent celles de Jésus (7), reprises ensuite par les femmes qui les transmettent aux apôtres (9-10). D’un versant à l’autre, les femmes ont changé : au lieu d’aller vers la « tombe » porter des « aromates » (1b) pour le « corps » mort de Jésus (3b), elles vont porter la parole (« annoncèrent » en 9a, « disaient » en 10b, « paroles » en 11a) vers « les Onze » « apôtres » et leurs compagnons (9b.10c). « Tombe » (1b) et « tombeau » (2b.9a.12b) (mnēma et mnēmeion qui pourraient être traduits par « mémorial ») sont de la même famille que « se souvenir » (mimnēskomai : 6b.8, qui pourrait être traduit par « se remémorer »). « Se lever » a Jésus pour sujet au centre (7c) et Pierre dans le dernier passage (12a) ; le synonyme « se dresser » se trouve à la fin du second passage (6a) ; « se pencher » (12b) et « incliner » (5b) sont synonymes.

446

La résurrection de Jésus

COMPARAISON SYNOPTIQUE (voir Mt 28,1-8, p. 388 ; Mc 16,1-8, p. 412) Mt 28,1-8 1

Mc 16,1-8

Lc 24,1-12

Or après le sabbat, alors que commençait-à-luire LE PREMIER (jour) DE LA SEMAINE, VINRENT MARIE MADELEINE ET l’autre MARIE pour regarder le sépulcre.

1

Et étant passé le sabbat, MARIE MADELEINE, MARIE mère de Jacques, et Salomé achetèrent des aromates afin d’aller l’oindre. 2 Et de grand matin, LE PREMIER (jour) DE LA SEMAINE, ELLES VIENNENT à la tombe au lever du soleil.

1

2

Et voici qu’arriva un grand séisme ; car l’ange du Seigneur descendu du ciel et s’étant approché, ROULA LA PIERRE et s’assit dessus ; 3 or son aspect était comme l’éclair et son vêtement blanc comme la neige.

3

Et elles se disaient entre elles : « Qui nous roulera la pierre de la porte du tombeau ? » 4 Et levant les yeux, elles aperçoivent que LA PIERRE A ÉTÉ ROULÉE ; car elle était très grande.

2

4

Or dans la crainte qu’ils en eurent, les gardes furent secoués et ils devinrent comme morts.

5

Et, étant entrées dans le tombeau, elles virent un jeune homme assis à droite, enveloppé d’une robe blanche. Et elles furent effrayées.

4

5

Or répondant l’ange aux femmes : « Ne craignez pas, vous ! car je sais que c’est Jésus le crucifié que VOUS CHERCHEZ. 6 IL N’EST PAS ICI ; CAR IL S’EST DRESSÉ COMME IL AVAIT DIT. Venez ! Voyez l’endroit où il était couché. 7 Et vite, étant parties, dites à ses disciples qu’il s’est dressé d’entre les morts. Et voici qu’il vous précède en Galilée ; c’est là que vous le verrez. Voilà : je vous l’ai dit. »

6

ils leur DIRENT :

8

8

Or lui leur DIT :

Or LE PREMIER (jour) DE LA SEMAINE, de très bonne heure, ELLES VINRENT à la tombe, portant ce qu’elles avaient préparé d’aromates.

Elles trouvèrent

LA PIERRE ROULÉE

de (devant) le tombeau. 3 Or étant entrées, elles ne trouvèrent pas le corps du Seigneur Jésus.

Et il arriva, tandis qu’elles étaient perplexes sur cela, et voici deux hommes se tinrent près d’elles en vêtements fulgurants. 5 Et comme elles étaient devenues craintives et inclinaient leur visage vers la terre,

DIT

ET s’en étant allées DU TOMBEAU,

vite

avec crainte et grande joie elles coururent pour l’annoncer à ses disciples.

« Ne soyez pas effrayées ! VOUS CHERCHEZ Jésus le Nazarénien, le crucifié. IL S’EST DRESSÉ ; IL N’EST PAS ICI ! Voici l’endroit où ils l’avaient déposé. 7 Mais allez ! Dites à ses disciples et à Pierre qu’il vous précède en Galilée. C’est là que vous le verrez, COMME IL VOUS AVAIT DIT. » ET, étant sorties, DU TOMBEAU ;

elles s’enfuirent

car les avaient saisies tremblement et bouleversement. Et elles ne dirent rien à personne ; car elles étaient remplies-de-crainte.

« Pourquoi CHERCHEZ-VOUS le vivant parmi les morts ? IL N’EST PAS ICI, MAIS IL S’EST DRESSÉ ! 6

Souvenez-vous nez vous COMME IL VOUS A PARLÉ LÉ étant encore en Galilée, 7 disant du Fils de l’homme qu’il devait être livré aux mains des hommes pécheurs, être crucifié et que le troisième jour il se lèverait. » 8 Et elles se souvinrent de ces paroles.

9

ET étant revenues DU TOMBEAU, elles annoncèrent tout cela aux Onze et à tous les autres. 10 Or c’étaient MARIE MADELEINE, Jeanne ET MARIE mère de Jacques. Et les autres avec elles disaient cela aux Apôtres. 11

Et elles leur parurent du radotage cess paroles et ils ne les croyaient pas. 12 Or Pierre s’é s’étant levé, courut au tombeau et s’étant penché, il vit les bandelettes seules et il s’en alla chez lui, étonné de ce qui était arrivé.

selon saint Luc (Lc 24,1-53)

447

Les quatre premiers passages de la première sous-séquence de Lc (1-10) correspondent au deuxième passage de la séquence de Mt (28,1-8). Parmi les différences déjà soulignées précédemment, il faut rappeler que Lc ne dit rien ni du séisme (Mt : 2), ni de l’action de l’ange (Mt : 2cde), ni des gardes (Mt : 4). Quant au dernier passage de Lc (11-12), il a déjà été noté plus haut qu’il n’a aucun équivalent chez Mt (voir p. 439). Le récit de Lc est plus proche de celui de Mc, comme on l’a déjà vu lors de l’analyse de chacun des cinq passages de Lc. Cependant, la différence la plus grande est certainement le fait que Lc a centré sa sous-séquence sur le rappel des paroles antérieures de Jésus (6c-8), réduites à une courte subordonnée chez Mc (16,7e) qui ne fait référence qu’à l’annonce des retrouvailles en Galilée (7cd). À noter en outre que, si Mc ne rapporte pas la visite de Pierre au tombeau, le nom du premier des apôtres est cependant mentionné avec celui des autres disciples (16,7b ; ce que ne fait pas Mt 28,7). INTERPRÉTATION Une quête vaine Les femmes, qui avaient suivi Jésus depuis ses débuts en Galilée (23,49) et ne l’avaient pas quitté jusqu’à la fin (23,55), retournent au tombeau, dès qu’elles le peuvent (24,1). Elles ont hâte d’aller rendre les derniers soins au corps de Jésus. Les aromates et les parfums qu’elles ont préparés l’avant-veille (23,56a) ne serviront de rien, puisque le tombeau est vide et qu’elles ne trouvent pas ce qu’elles cherchent (24,3). Pierre non plus, qui a beau courir et qui ne verra que les bandelettes (12). Ce n’est pas ici, au tombeau, qu’il faut chercher ; ce n’est pas du corps mort de Jésus qu’il faut se préoccuper (3). Le véritable mémorial de Jésus Que reste-t-il de Jésus sinon sa tombe (1b) et son corps (3b) ? Les femmes s’y accrochent désespérément, autant que la Loi leur permet (23,56b). C’est désormais le seul lien qui les rattache à leur maitre et Seigneur. Elles, qui l’avaient servi de leurs biens durant sa vie (8,3), vont continuer le peu de temps pendant lequel cela sera nécessaire à lui consacrer leurs soins. Et puis il ne leur restera qu’à venir à son tombeau pour se souvenir de lui. Mais les deux hommes de lumière vont leur indiquer un autre lieu de la mémoire, un lieu où elles le trouveront, puisque le mémorial du tombeau est vide. Ce n’est pas ici qu’il faut le chercher (5c) mais dans ses paroles (6b). Certes elles n’oublieront pas la mort de Jésus et qu’il a été mis au tombeau, mais elles se souviendront que depuis le début en Galilée il avait annoncé qu’il se lèverait d’entre les morts le troisième jour (7). Le véritable mémorial n’est pas le lieu où avait reposé le corps mort de Jésus, il est dans leur mémoire vivante des paroles qui annonçaient le triomphe de la vie par-delà sa mort et sa sépulture.

448

La résurrection de Jésus

La transmission de la Parole Au silence de la mort et du tombeau ne peut répondre que le mutisme du désespoir (1-5b). Le souvenir des paroles de vie au contraire engendre les paroles de l’annonce joyeuse de la résurrection (9-10). Les paroles des femmes aux apôtres sont le fruit d’une longue tradition. Elles ne sont autres que ce que Jésus avait déjà dit – à plusieurs reprises –, quand il était encore avec ses disciples (6bc). Ces paroles du maitre ne faisaient du reste que reprendre ce que les prophètes avaient déjà annoncé depuis longtemps et que ceux-ci viennent redire en personne dans leur vêtement brillant comme l’éclair (4b). Ce sont des paroles anciennes mais qui deviennent nouvelles d’être prononcées aujourd’hui, qui sont nouvelles d’abord parce qu’elles s’accomplissent maintenant, nouvelles enfin, car elles doivent être au point de départ d’une nouvelle proclamation (9-10). Le corps vivant du Seigneur Jésus Le premier jour de la semaine, les femmes portent les aromates et les parfums au tombeau (1). Quelques instants plus tard les voilà qui portent la parole de vie aux Onze et à tous les autres (9-10). Elles abandonnent le corps mort de Jésus (3) pour le corps vivant de l’assemblée de ses disciples (9). Pour elles l’Église est devenue le corps du Christ, le visage de sa présence visible. À condition toutefois que ses paroles soient vivantes en elle comme elles ont été accomplies en lui. À condition aussi que les disciples croient et ne prennent pas l’annonce de la résurrection pour du « radotage » (11). B. LE CHEMIN DES DISCIPLES D’EMMAÜS (Lc 24,13-33a) La deuxième sous-séquence comprend trois passages organisés de manière concentrique (13-19a ; 19b-27 ; 28-33a). 1. ILS NE RECONNAISSENT PAS CELUI QUI MARCHE AVEC EUX (24,13-19A) COMPOSITION DU PASSAGE La première partie présente les personnages et ce qu’ils font, déplacement d’abord (13), paroles ensuite (14) : « Emmaüs » (à la fin de 13) est le lieu de leur avenir, « tout ce qui était survenu » (à la fin de 14) indique le passé dont ils s’éloignent mais qu’ils emmènent avec eux dans leurs paroles. La troisième partie (17-19b) est de construction concentrique : les deux questions de Jésus aux extrémités et la réponse de Cléophas au centre (18). Dans la partie centrale (15-16), après la circonstancielle d’introduction (15a-e), les deux autres segments (15f.16b) s’opposent. Les deux occurrences de « s’entretenaient entre eux » agrafent les deux premières parties (14a.15a) ; elles sont reprises par « vous échangez entre vous » au début de la troisième partie (17c) ; « connaitre » au centre de la dernière partie (18d) est de la même famille que le dernier verbe de la partie centrale (16b). « Allait-avec eux » au centre (15c) s’oppose aux trois « entre eux/vous » (14a.15a.17c).

selon saint Luc (Lc 24,1-53)

449

+ 13 Et voici que deux d’entre eux en ce même jour partaient . vers un village distant de soixante stades de Jérusalem, . du nom d’Emmaüs. + 14 Et eux . de 15

s’entretenaient ENTRE EUX tout ce qui était survenu. Et il arriva comme – que Jésus allait-avec

ils s’entretenaient ENTRE EUX et discutaient, lui-même

s’étant approché,

EUX ;

– 16 mais leurs yeux de RECONNAITRE lui.

étaient empêchés

+ 17 Or il leur dit : . « QUELLES sont ces paroles . que vous échangez ENTRE VOUS en marchant . et que vous soyez sombres ? » ·································································································

: 18 Or répondant l’un (d’eux) du nom de Cléophas, : dit à lui : = « Toi seul = et NE CONNAIS PAS = en ces jours

séjournes à Jérusalem les (choses) advenues là -ci ! »

·································································································

+ 19 Et il leur dit : . « QUOI ? »

COMPARAISON SYNOPTIQUE (voir Mc 16,12, p. 417) Le récit de Lc sur les disciples d’Emmaüs semble traiter du même événement que celui que Mc rapporte dans la deuxième partie de son passage central (16,12-13), bien que de manière beaucoup plus brève. Ce n’est que la première moitié du récit de Mc (16,12) qui correspond au premier passage de Lc (13-19a) : 12

Or après cela, : à deux d’entre eux : il se manifesta, sous une autre forme,

qui marchaient alors qu’ils partaient vers la campagne.

Le texte de Mc a en commun avec celui de Lc « deux d’entre eux » et « ils partaient vers ». En outre, l’expression « sous une autre forme » semble résumer la longue méprise des disciples d’Emmaüs qui ne reconnaissent pas celui qui marche avec eux.

450

La résurrection de Jésus

INTERPRÉTATION L’enfermement du face à face Les deux disciples s’entretiennent entre eux et discutent (14a.15a). Le narrateur ne précise pas quelles sont ces paroles qu’ils échangent entre eux (17). La seule chose que l’on sait au début de ce récit, c’est qu’ils parlent de tout ce qui s’est passé durant ces derniers jours à Jérusalem (14b18d). Et surtout qu’ils parlent « entre eux » (14a.15a.17c). Ils marchent ensemble vers Emmaüs (13), mais ils sont enfermés dans un face à face, prisonniers d’un passé (14) qui ne laisse aucune possibilité à l’irruption d’un à venir. Et quand celui-ci se présente (15bc), ils sont incapables de le percevoir (16). La pédagogie de l’erreur Jésus marche avec eux (15bc). Ils le voient et l’entendent comme ils se voient et s’entendent l’un l’autre. Et pourtant ils ne le reconnaissent pas (16). Ils ont vécu avec lui pendant si longtemps, n’ayant d’yeux et d’oreilles que pour lui, et voilà qu’ils ne sont capables d’identifier ni son visage ni sa voix. Ce qui pourrait sembler invraisemblable au premier abord est en réalité tout à fait normal, tant il est vrai qu’on ne reconnait que ce qu’on connaissait déjà. Ils ne reconnaissent pas celui qui marche avec eux parce qu’ils ne connaissaient pas celui avec qui ils avaient cheminé. Ils pensaient savoir qui était Jésus ; leur maitre va leur faire prendre conscience de leur ignorance. Leur aveuglement présent est signe de leur cécité d’hier. S’ils se sont mépris auparavant sur ce que Jésus leur avait dit, comment pourraient-ils ne pas se méprendre maintenant sur ce qu’ils voient ? La feinte pédagogique Jésus fait semblant de ne rien savoir de ce qui s’est passé (19). Et pourtant, qui mieux que lui peut connaitre les faits qui viennent de se produire comme leurs causes et leurs conséquences ? Il peut paraitre choquant de voir Jésus simuler l’ignorance et jouer le double jeu de celui qui sait et de celui qui ne sait pas (17.19). Mais qui se scandaliserait des questions du maitre qui veut amener son élève à découvrir la vérité ? La feinte pédagogique ne trompe personne, ni l’enseignant ni l’enseigné qui sait bien qu’il a tout à gagner à se prêter au jeu. La feinte ici est totale, puisque les disciples n’identifient pas leur maitre. Le but de cette démarche est justement de leur faire découvrir qu’ils ne le connaissaient pas. Ils sont si bien pris au jeu qu’ils projettent leur propre ignorance sur Jésus (18).

selon saint Luc (Lc 24,1-53)

451

2. CE QUI CONCERNE JÉSUS (Lc 24,19b-27) COMPOSITION DU PASSAGE 19b

Ils lui dirent : . « LES CHOSES SUR JÉSUS le Nazarénien qui FUT un homme prophète, . puissant en œuvre et devant Dieu et tout le peuple, ··························································································································

: 20 comment l’ont donné nos grands-prêtres et nos chefs : et ils l’ont crucifié.

pour être condamné à mort

·························································································································· = 21 Or nous, nous ESPÉRIONS que ce serait lui qui délivrerait Israël. = Mais avec tout cela, voici trois jours que cela FUT.

: 22 Mais

certaines femmes parmi nous

nous ont stupéfiés :

- étant allées de bonne heure - 23 et n’ayant PAS TROUVÉ

AU TOMBEAU, SON CORPS,

– elles sont venues – qu’une vision d’anges ELLES AVAIENT VU ··························································

QU’IL EST VIVANT. ··························································

:

24

Sont allés

– mais LUI, 25

certains de ceux avec nous

AU TOMBEAU

- et ils ont TROUVÉ ainsi - comme les femmes

,

ILS NE L’ONT PAS VU ! »

Et lui leur dit : = « Ô inintelligents et lents de cœur = à CROIRE à tout ce dont

les prophètes !

26

: Ne fallait-il pasque le Christ souffre : et qu’il entre dans sa gloire ? » . 27 Et commençant par Moïse et par tous . il leur interpréta dans toutes

les prophètes, LES CHOSES SUR LUI.

452 19b

La résurrection de Jésus

Ils lui dirent : . « LES CHOSES SUR JÉSUS le Nazarénien qui FUT un homme prophète, . puissant en œuvre et devant Dieu et tout le peuple, ··························································································································

: 20 comment l’ont donné nos grands-prêtres et nos chefs : et ils l’ont crucifié.

pour être condamné à mort

·························································································································· = 21 Or nous, nous ESPÉRIONS que ce serait lui qui délivrerait Israël. = Mais avec tout cela, voici trois jours que cela FUT.

: 22 Mais

certaines femmes parmi nous

nous ont stupéfiés :

- étant allées de bonne heure - 23 et n’ayant PAS TROUVÉ

AU TOMBEAU, SON CORPS,

– elles sont venues – qu’une vision d’anges ELLES AVAIENT VU ··························································

QU’IL EST VIVANT. ··························································

:

24

Sont allés

– mais LUI, 25

certains de ceux avec nous

AU TOMBEAU

- et ils ont TROUVÉ ainsi - comme les femmes

,

ILS NE L’ONT PAS VU ! »

Et lui leur dit : = « Ô inintelligents et lents de cœur = à CROIRE à tout ce dont

les prophètes !

: 26 Ne fallait-il pasque le Christ souffre : et qu’il entre dans sa gloire ? » . 27 Et commençant par Moïse et par tous . il leur interpréta dans toutes

les prophètes, LES CHOSES SUR LUI.

À l’exposé des disciples (19b-21) répond celui de Jésus (25-27) ; au centre (22-24), le récit de deux visites au tombeau encadre l’annonce de la résurrection. Dans la seconde sous-partie de la première partie (19c-21) le premier morceau (19cd) résume le ministère de Jésus ; le dernier (21) oppose le temps de l’espérance des disciples et celui qui s’est écoulé depuis la fin de Jésus. Le morceau central (20) rapporte la mort de Jésus.

selon saint Luc (Lc 24,1-53)

453

Dans la seconde sous-partie de la dernière partie (25-27) le premier segment (25bc) s’oppose au dernier (27) : il s’agit dans les deux cas de la parole (25c : « ont parlé ») des « Écritures » (27b) et spécialement des « prophètes » (25c.27a) que Jésus « interprète » (27b) à ceux qui sont « inintelligents » (25b). . Au centre (26), un trimembre qui donne le contenu central des Écritures. Les parties extrêmes se répondent en miroir : 21 et 25bc sont consacrés aux disciples, à leur foi (25c : « croire ») et à leur espérance (21a : « espérions ») ; en 20 et 26, il est également question du destin final de Jésus, mais, alors que dans le premier les actions des hommes (« ont livré » et « crucifié ») aboutissent à la mort, dans le second les souffrances de Jésus débouchent sur la « gloire » ; quant aux extrémités (19cd.27), leur rapport est bien marqué par l’inclusion de « les choses sur Jésus » et « les choses sur lui ». « Prophète » appliqué à Jésus au début (19c) est repris au pluriel à la fin (27a) ; celui que les disciples appellent ainsi se nomme « Christ » à la fin (26a). La partie centrale (22-24) comprend deux morceaux qui encadrent 23d. Les deux morceaux s’achèvent avec le verbe « voir » (23c.24d) ; les termes initiaux opposent « certaines femmes d’entre nous » à « certains de ceux avec nous » (22a.24a). Les membres centraux du premier morceau (22b-23b) sont deux participiales coordonnées et parallèles. Il en est de même pour le dernier morceau où le concentrisme est plus poussé. D’un morceau à l’autre, les couples « tombeau »/« corps » (22b.23a) et « tombeau »/« lui » (24a.24d) se répondent. Ainsi le dernier morceau de la partie centrale (24) renvoie à la première partie qui ne parle que de mort, tandis que le premier morceau (22-23c) prépare la dernière partie qui annonce elle aussi la résurrection. COMPARAISON SYNOPTIQUE Ce passage de Lc n’a aucun équivalent ni chez Mt, ni même chez Mc. INTERPRÉTATION La mort et la gloire Le destin de Jésus est interprété de façon tout à fait opposée : d’un côté par les grands-prêtres et les chefs (20) ainsi que par les disciples (21), et de l’autre côté par les femmes (22-23c), les anges (23d), les Écritures (25-26) et enfin Jésus (27). Les uns y voient la fin honteuse d’un prophète (19-20), les autres la glorification du Christ (26). Les uns y voient la mort d’une espérance de libération (21), les autres l’avènement et l’intronisation du Messie annoncé (26). Israël n’a pas reconnu son roi Les Écritures d’Israël annonçaient depuis longtemps que le Seigneur délivrerait son peuple (21) ; tous les prophètes depuis Moïse, toutes les Écritures depuis l’origine prédisaient la venue du Sauveur (25-26). Israël pouvait se définir comme le peuple de l’espérance. Et lorsque le temps est enfin arrivé, ils ne l’ont pas cru (25). Ils ne l’ont pas reconnu parce qu’ils ne le connaissaient pas. Malgré tout ce

454

La résurrection de Jésus

qu’avaient dit les prophètes, ils s’étaient imaginé un Messie différent de celui qui était annoncé. Ils avaient interprété les Écritures d’après leur vision humaine, alors qu’ils auraient dû écouter la voix du Dieu dont les chemins ne sont pas les chemins des hommes. Les grands-prêtres et les chefs du peuple n’ont pas supporté l’image du Christ que Jésus incarnait : comme elle ne correspondait pas à la leur, ils l’ont supprimé (20). Les disciples se rangent eux-mêmes (21) du côté des grands-prêtres et des chefs (20), dans la mesure où ils ne comprennent pas mieux qu’eux ce qui s’est passé ; comme eux, leur regard s’arrête à la croix (20b). Ils disent qu’il est vivant Les femmes ne disent rien d’autre que ce qui leur a été dit (23). Jésus ne dit rien d’autre que ce qui a été écrit (25-27). Ils n’inventent rien, ils disent ce qu’ils ont vu et entendu. Jésus comme les Écritures, les femmes comme les anges, ou du moins ceux que les disciples identifient comme tels, n’annoncent qu’une seule chose, la glorification du Christ dans l’épreuve, son triomphe par la mort (26). Tout se résume en cette courte affirmation : « ils disent qu’il est vivant » (23d). C’est quand il a accompli les Écritures (19) que Jésus peut les interpréter (27) ; c’est à la lumière de la résurrection (23d) que tout s’éclaire. La vie, celle des individus comme celle des peuples, l’histoire ne prend son sens que par sa fin. C’est pourquoi toutes les œuvres et toutes les paroles, toute la puissance de Jésus (19) n’auraient aucun sens sans la résurrection. Comment nous donnerait-il la vie s’il n’était pas lui-même vivant ? 3. ILS RECONNAISSENT CELUI QUI LEUR DONNE À MANGER (Lc 24,28-33a) COMPOSITION DU PASSAGE La première et la dernière partie (28-29 ; 31c-33b) se répondent en miroir. – Ce sont d’abord aux extrémités (28.33) deux segments bimembres : les deux membres du premier s’achèvent avec le même verbe de mouvement, « aller » ; les deux membres du dernier segment (33) commencent avec un verbe de mouvement, « se lever » et « retourner ». Alors qu’ils vont « vers » Emmaüs au début, ils retournent « vers » Jérusalem à la fin. – Viennent ensuite (29.32) deux paroles des disciples de structure syntaxique semblable (principale suivie de deux subordonnées). – Enfin ce sont deux segments unimembres (29e.31c) dont le sujet et les destinataires sont les mêmes. Ces segments ne s’opposent pas directement comme on pourrait s’y attendre : il n’est pas dit que Jésus sortit pour s’éloigner d’eux mais seulement qu’il n’est plus visible pour eux. Dans la partie centrale (30-31b) la circonstancielle d’introduction est suivie de deux segments bimembres dont les membres sont coordonnés par « et ». « Avec nous–eux » est repris en 29b, 29e et 30c ; en 32b au contraire ils sont « entre eux ». « Furent ouverts » en 31a est repris par « ouvrait » en 32d.

selon saint Luc (Lc 24,1-53)

455

+ 28 Et ils approchèrent du village vers lequel ils allaient, + et lui fit semblant de plus loin aller. ····································································· 29

Et ils le pressèrent en disant : – « Reste AVEC NOUS, . parce que c’est le soir . et déjà le jour a baissé. »

·····································································

= Et il entra pour rester

30

Et il arriva, tandis qu’il était à table AVEC EUX,

AVEC EUX.

que prenant le pain, il bénit et le rompant, il leur donna ; 31

or leurs yeux et ils le

= Et lui devint invisible

FURENT OUVERTS

reconnurent. POUR EUX.

················································································ 32

Et ils dirent ENTRE EUX : – « Notre cœur n’était-il pas brulant EN NOUS, . comme il nous parlait sur la route, . comme il nous OUVRAIT les Écritures ? »

················································································ 33

+ Et se levant à cette heure même, + ils retournèrent vers Jérusalem.

INTERPRÉTATION La feinte du désir Jésus fait semblant d’aller plus loin (28b) et les disciples le pressent de rester avec eux (29b). Le jeu de la politesse qui veut que l’on se fasse prier pour ne pas avoir l’air de s’imposer n’a-t-il pas pour fonction de contraindre l’autre à manifester son véritable désir ? La feinte n’est pas seulement le fait de Jésus, les disciples aussi font semblant : les raisons qu’ils avancent pour retenir Jésus (29cd) sont-elles les véritables raisons de leur insistance ? Jésus en tout cas fait semblant de les croire et accède à leur demande (29e). Le jeu de la rencontre et de l’amitié entre les hommes n’est pas sans rapport avec celui de la rencontre avec le Seigneur.

456

La résurrection de Jésus

Comme une colonne de feu dans la nuit À peine Jésus s’est-il fait reconnaitre qu’il disparait (31c). Au lieu de se lamenter et de s’attrister, les disciples se rappellent aussitôt avec joie ce qui leur est arrivé (32) : tout s’éclaire pour eux et ils comprennent, émerveillés, pourquoi ses paroles les avaient touchés aussi profondément. Comme si Jésus ne les avait pas quittés en réalité. Plus de nuit qui tienne ! L’obscurité qu’ils craignaient, parce qu’elle les habitait, ne leur fait plus peur. Ils reprennent la route aussitôt (33), cette route où Jésus a marché avec eux en éclairant leur intelligence et leur cœur. Ils ne le voient plus mais ils savent qu’il les accompagne et qu’il guide leurs pas. Comme la colonne de feu qui guidait leurs pères au désert (Ex 13,21). Le signe de la présence Pour l’enfant comme pour l’amant, tout tient à la présence. « Reste avec nous ! » (29b). La requête des disciples est la supplication de tout homme, du berceau à la tombe. C’est la demande angoissée du fils d’Israël depuis le début, ce sera la prière du chrétien jusqu’à la fin. L’enfant reconnait la présence dans la chaleur du sein et de sa nourriture (30de), dans la chaleur de la parole qui l’appelle, qui ouvre son cœur et son intelligence tout au long de sa route (32cd). Nourriture et parole ont été données ensemble au peuple dans son enfance du désert pour qu’il sache que Dieu était avec lui. Les dernières paroles de Jésus dans son testament ont été livrées avec la nourriture de son corps (22,14-20). C’est à ce signe que les disciples le reconnaissent (31ab) et qu’ils ont l’assurance qu’il reste avec eux (29b).

selon saint Luc (Lc 24,1-53)

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Psaume 22 1

Du maitre de chant. Sur « la biche de l’aurore ». Psaume. De David.

Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? Mon Dieu, le jour j’appelle et tu ne réponds pas, 4 Et toi, le Saint, 5 En toi nos pères avaient confiance, 6 vers toi ils criaient et ils échappaient,

Loin de me sauver, les paroles que je rugis. la nuit point de silence pour moi. tu habites les louanges d’Israël ! confiance et tu les délivrais ; en toi leur confiance et ils n’avaient pas honte.

7 Et

risée des gens, mépris du peuple, leur bouche ricanent, ils hochent la tête : qu’il le libère, puisqu’il l’aime ! » qui m’as fait reposer sur sa poitrine ; dès le ventre de ma mère, mon Dieu c’est toi.

2 3

moi, ver et non pas homme, tous ceux qui me voient me bafouent, 9 « Qu’il s’en remette au Seigneur, qu’il le délivre ! 10 C’est toi qui m’as tiré du ventre de ma mère, 11 sur toi je fus jeté au sortir des entrailles ; 8

12

Ne sois pas loin : proche est l’angoisse, 13 14

Des taureaux nombreux me cernent, contre moi bâille leur gueule, 15 Comme l’eau je m’écoule mon cœur est pareil à la cire, 16 mon palais est sec comme un tesson,

point de secours ! de fortes bêtes de Bashân m’encerclent ; lion lacérant et rugissant. et tous mes os se disloquent ; il fond au milieu de mes viscères ; et ma langue collée à ma mâchoire.

TU ME COUCHES DANS LA POUSSIÈRE DE LA MORT. 17

Des chiens nombreux me cernent, Ils ont percé mes mains et mes pieds, Ils me voient, ils me regardent ;

Mais toi, Seigneur, ne sois pas loin, délivre de l’épée mon âme, 22 sauve-moi de la gueule du lion, 20 21

J’annoncerai ton nom à mes frères, « Vous qui craignez le Seigneur, louez-le, redoutez-le, toute la race d’Israël. » 25 Car il n’a point méprisé, il n’a point caché de lui sa face, 26 De toi vient ma louange dans la grande assemblée, 27 Les pauvres mangeront et seront rassasiés. Ils loueront le Seigneur, ceux qui le cherchent : 23 24

Tous les lointains de la terre se souviendront toutes les familles des nations 29 Au Seigneur la royauté, 30 Mangeront et devant lui seul se prosterneront devant lui se courberont Son âme ne vit plus On annoncera le Seigneur aux âges à venir, Car il a agi ! 28

une bande de vauriens m’entourent ; 18 je peux compter tous mes os. 19 ils partagent entre eux mes habits et tirent au sort mon vêtement. ô ma force, vite à mon aide ; de la patte du chien, ma personne ; de la corne du taureau, ma pauvre vie. en pleine assemblée je te louerai : toute la race de Jacob, glorifiez-le, ni dédaigné la pauvreté du pauvre, mais invoqué par lui il écouta. j’accomplirai mes vœux devant ceux qui le craignent. « Que vive votre cœur à jamais ! » et reviendront vers le Seigneur ; se prosterneront devant lui. au maitre des nations ! tous les puissants de la terre, tous ceux qui descendent à la poussière. 31 sa lignée le servira. 32 on racontera au peuple à naitre sa justice.

Pour l’analyse rhétorique du psaume, voir R. MEYNET, Le Psautier. Premier livre, 271288.

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La résurrection de Jésus

4. LE CHEMIN DES DISCIPLES D’EMMAÜS (Lc 24,13-33a) COMPOSITION DE LA SOUS-SÉQUENCE 24,13 Et voici que deux d’entre eux EN CE MÊME JOUR S’EN ALLAIENT VERS UN VILLAGE, distant de soixante stades de JÉRUSALEM, du nom d’Emmaüs. 14 Et ils s’entretenaient entre eux de tout ce qui était survenu. 15

ET IL ARRIVA TANDIS QU’ils s’entretenaient entre eux et discutaient, que Jésus lui-même, s’étant approché, allait avec eux, 16 MAIS LEURS YEUX ÉTAIENT EMPÊCHÉS DE LE RECONNAITRE. 17

Il leur dit : « Quelles sont ces paroles que vous échangez entre vous en marchant et vous êtes sombres ? » 18 Répondant, l’un d’eux, du nom de Cléophas, lui dit : « Toi seul séjournes à Jérusalem et ne connais pas ce qui y est ARRIVÉ ces jours-ci ! » 19 Il leur dit : « Quoi ? » Ils lui dirent : « Ce qui concerne Jésus le Nazarénien qui fut un homme prophète, puissant en œuvre et parole devant Dieu et tout le peuple, 20 comment nos grandsprêtres et nos chefs l’ont donné pour être condamné à mort et ils l’ont crucifié. 21 Et nous, nous espérions que ce serait lui qui allait délivrer Israël. Mais avec tout cela, voici le troisième jour que cela est ARRIVÉ. 22

Mais certaines femmes parmi nous nous ont stupéfiés : étant allées de bonne heure au tombeau 23 et n’ayant pas trouvé son corps, elles sont venues disant qu’une vision d’anges aussi ELLES AVAIENT VU QUI DISENT QU’IL EST VIVANT. 24

Et certains parmi nous sont allés au tombeau et ils ont trouvé ainsi que les femmes avaient dit, mais lui, ILS NE L’ONT PAS VU ! » 25

Et lui leur dit : « Ô inintelligents et lents de cœur à croire à tout ce dont ont parlé les prophètes ! 26 Ne fallait-il pas que le Christ souffre et qu’il entre dans sa gloire ? » 27 Et commençant par Moïse et par tous les prophètes, il leur interpréta dans toutes LES ÉCRITURES ce qui le concernait. 28

Ils approchèrent du VILLAGE vers lequel ils ALLAIENT, mais lui fit semblant d’aller plus loin. 29 Ils le pressèrent en disant : « Reste avec nous, car c’est le soir et déjà le jour a baissé. » Et il entra pour rester avec eux. 30

ET IL ARRIVA TANDIS QU’il se mettait à table avec eux que, prenant le pain, il bénit et, le rompant, il leur donna ; 31

ALORS LEURS YEUX FURENT OUVERTS ET ILS LE RECONNURENT.

Et lui devint invisible pour eux. 32 Et ils se dirent entre eux : « Notre cœur n’était-il pas brulant en nous, comme il parlait avec nous sur la route, comme il nous ouvrait 33 LES ÉCRITURES ? » Et se levant À CETTE HEURE MÊME, ILS RETOURNÈRENT VERS JÉRUSALEM.

selon saint Luc (Lc 24,1-53)

459

Les phrases extrêmes (13.33) s’opposent : « s’en allèrent vers un village distant... de Jérusalem »/« retournèrent vers Jérusalem », avec des notations de temps semblables, « en ce même jour »/« à cette même heure ». Les morceaux centraux des passages extrêmes (15-16 ; 30-31a) se répondent : ils commencent avec la même expression, « il arriva tandis que », qui ne se retrouve pas ailleurs ; les segments centraux (15b.30b) s’achèvent avec un verbe dont Jésus est le sujet, suivi (en grec) du pronom objet « eux » (« il allait avec eux » et « il donna à eux ») ; « entre eux » (15a) s’oppose à « avec eux » (15b. 30a) ; mais c’est surtout entre les derniers segments (16.31a) que l’opposition est frappante. Dans les passages extrêmes l’opposition « entre eux »/« avec eux » : au début trois « entre eux(vous) » (14b.15a.17a) et un seul « avec eux » (15b), à la fin quatre « avec eux(nous) » (29a.29b.30a.32b) et un seul « entre eux » (32a). Le lien entre le dernier passage et le passage central est assuré surtout par les deux occurrences de « les Écritures » (27b.32c), dont on peut dire qu’elles jouent le rôle de termes finaux ou quasi finaux. Le lien entre le premier passage et le passage central se fait par les deux occurrences de « arrivé » qui jouent aussi le rôle de termes finaux, de la première partie (18b) et du premier versant de la partie centrale (21b) ; il faut y ajouter le synonyme « survenu » à la fin du premier morceau de la première partie en 14b. Alors que les disciples parlent de « ce qui est arrivé », Jésus parle des « Écritures » et fait le lien entre ce qu’elles disent et ce qui lui est arrivé. Aussi bien « ce qui est survenu » que « les Écritures » sont déterminés par « tout » (14b.21b.27b). « Ce qui est arrivé » (18b.21b) se réfère uniquement à la Passion et à la mort de Jésus, car c’est ce qui s’est passé « ces jours-ci » (18b) et plus précisément il y a trois jours (21b). Les termes finaux des parties extrêmes du deuxième passage, « avaient vu »/ « n’ont pas vu » (23b.24b), appartiennent au même champ sémantique que « leurs yeux » (16.31a). L’écriture étant une parole pour les yeux, il n’est pas étonnant que le même verbe « ouvrir » soit utilisé pour indiquer la reconnaissance de Jésus (31a) et l’intelligence des Écritures (32bc). On notera le croisement entre propositions négatives (16.24b) et positives (23b.31a). COMPARAISON SYNOPTIQUE (voir Mc 16,13, p. 417) Le dernier verset de la sous-séquence n’est repris chez Mc que par le participe, « s’en étant allés » de 16,13a : 12

Après cela, à deux d’entre eux qui marchaient il se manifesta, sous une autre forme, alors qu’ils partaient à la campagne. 13 Ceux-là, s’en étant allés, l’annoncèrent aux autres. Mais eux non plus, ils ne les crurent pas.

460

La résurrection de Jésus

CONTEXTE Ex 16 C’est quand le pain leur a été donné par Jésus que les yeux des disciples s’ouvrent et qu’ils le reconnaissent. De même pour la manne au désert : « Ce soir vous reconnaitrez que c’est le Seigneur qui vous a fait sortir du pays d’Égypte et au matin vous verrez la gloire du Seigneur » (Ex 16,6 ; voir aussi les versets 12 et 15). Comme les disciples, les Hébreux croient que tout ce qui est survenu ne conduit qu’à la mort : « Vous nous avez amenés dans ce désert pour faire mourir de faim toute cette multitude » (Ex 16,3). Gn 3,7 La conséquence du don du pain par Jésus (« Alors leurs yeux s’ouvrirent et ils le reconnurent » : Lc 24,31) s’oppose directement à celle de la mainmise sur le fruit défendu : « Alors leurs yeux à tous deux s’ouvrirent et ils connurent qu’ils étaient nus. » INTERPRÉTATION Une pédagogie active Jésus va interpréter les événements par les Écritures (27) ; mais il veut d’abord que les disciples disent ce qu’ils ont compris de tout ce qui est survenu (19-21). Jésus va les retourner complètement, il va les faire revenir (33) vers le lieu d’où ils viennent (13) ; mais d’abord il s’approche et il va avec eux (15b), il marche dans la même direction qu’eux, il va dans leur sens, il fera même semblant d’aller plus loin (28) ! Il les rejoint là où ils en sont de leur cheminement et de leur intelligence. Il leur fait exprimer la déception qui les rend sombres (17) et leur peur de la nuit et de l’obscurité (29) ; leur tristesse de l’avoir perdu (21) et leur angoisse qu’il les quitte (29). Il faut qu’ils découvrent eux-mêmes et leur ignorance (25) et le véritable sens de ce dont ils ont été les témoins (26). Il faut qu’ils découvrent par eux-mêmes qui il est et qui ils sont. Retrouver la mémoire La douleur et le désespoir les aveuglent tant qu’ils sont incapables de reconnaitre le visage ni la voix de leur maitre (16). Comme s’ils avaient perdu la mémoire. Et c’est bien ce qui leur est arrivé effectivement, puisqu’ils ne pensent plus qu’à ce qui s’est passé ces derniers jours (14 ; 17-18) et en oublient tout le reste. S’ils ne reconnaissent pas sa voix, ne serait-ce pas parce qu’ils ont oublié ses paroles ? Ils ont au moins oublié ce qu’avaient prédit les prophètes (25). Ces derniers avaient annoncé l’exil mais aussi le retour, les souffrances du Serviteur du Seigneur mais aussi son exaltation dans la gloire (26). Leur cœur se réchauffe à cette remémoration (32), mais il leur en faudra plus pour réaliser vraiment,

selon saint Luc (Lc 24,1-53)

461

pour faire le lien entre ce qui leur est dit et celui qui le dit, pour reconnaitre en celui qui leur parle le Christ Jésus. Le mémorial Voir Jésus à côté d’eux ne suffit pas aux disciples pour comprendre (15-16). L’entendre interpréter dans les Écritures, dans toutes les Écritures, ce qui le concerne n’est pas décisif pour eux (25-27). Comment se fait-il qu’il faille attendre la fraction du pain pour qu’ils le reconnaissent enfin (30) ? Pourquoi le déclic ne se produit-il qu’à ce moment-là ? C’est que la fonction de ce geste est justement d’être un mémorial : « Faites cela en mémoire de moi » (22,19). Un mémorial par lequel Jésus se rend présent dans le don de son corps et de son sang, un mémorial qui rend présent ce qui avait été annoncé et qui s’est effectivement accompli. « Un prophète puissant en action et parole » (19), telle est l’image qu’ils gardent de leur maitre, telle est l’image qu’ils identifient tout à coup quand ils l’entendent dire la bénédiction et le voient donner le pain (30-31). Les paroles n’avaient pas suffi pour qu’ils le reconnaissent, il fallait un acte. Pouvait-il y avoir un acte plus éloquent, qui résume et concentre toute l’activité et la mission de Jésus, que ce geste par lequel il avait consacré dans le pain et le vin son corps et son sang pour le sacrifice de sa vie (22,14-20) ? Le vivant Pour Cléophas et son compagnon, Jésus est mort (20). Et ils portent la mort avec eux, dans leurs paroles et sur leurs visages sombres (17). Avec leur maitre leur espérance aussi est morte (21). Depuis trois jours ils ne vivent plus. Même les Écritures sont mortes pour eux : aucune référence dans leur discours aux paroles de la Loi ni aux annonces des prophètes, aucune prière des psaumes. Avec Jésus, les Écritures reprennent vie en redevenant paroles articulées à l’événement. Une vie qui leur apporte lumière et chaleur (32). Avec Jésus, leurs yeux morts s’ouvrent à nouveau (31a) et sur celui qui leur donne le pain de vie (30b) et sur celui qui leur ouvrait les Écritures (32bc). Comme lui ils se lèvent aussitôt et retournent annoncer la bonne nouvelle que Jésus est vivant (33). La conversion Désespérés, les deux disciples se séparent des autres et quittent le groupe des apôtres. Ils demeurent enfermés dans un dialogue sans issue où ils ne peuvent que se répéter sans cesse les mêmes choses entre eux (13-17). L’irruption d’une autre parole est nécessaire pour les faire sortir de leur face à face stérile. Quand à la fin ils se retrouvent de nouveau entre eux (32), tout aura changé, ils sont littéralement retournés (33) et il leur faut sur l’heure rejoindre les autres. Ils ne peuvent plus garder pour eux seuls ce qu’ils ont vu et ils doivent partager avec tous l’espérance (21) qu’ils ont retrouvée.

462

La résurrection de Jésus C. LES TÉMOINS DE LA RÉSURRECTION (Lc 24,33b-53)

La dernière sous-séquence comprend cinq passages (voir l’ensemble, p. 472) : « Les disciples s’annoncent mutuellement la résurrection » (33b-35), « Jésus apparait aux yeux des disciples » (36-43), « Jésus rappelle ses propres paroles et les Écritures » (44-47b), « Jésus annonce la mission des disciples » (47c-49) et enfin « Jésus disparait aux yeux des disciples » (50-53). 1. LES DISCIPLES S’ANNONCENT LA RÉSURRECTION DE JÉSUS (24,33B-35) COMPOSITION DU PASSAGE + 33b Et ils trouvèrent réunis les Onze et ceux avec eux, . que réellement s’est dressé . et qu’ IL EST APPARU

34

DISANT

le Seigneur

À SIMON. ··························································································································

+ 35 Et . ce . et comment

eux (qui était arrivé) IL S’ÉTAIT FAIT RECONNAITRE

EXPLIQUÈRENT

À EUX

sur la route par la fraction du pain.

Beaucoup considèrent que ce passage fait partie du récit précédent car les deux disciples d’Emmaüs, Cléophas et son compagnon, sont les sujets des deux phrases de ce passage. Cependant la cohérence interne des deux dernières sous-séquences et celle de chacun des passages qui les composent obligent à reconnaitre ici un passage bien individualisé. Certes, les deux disciples d’Emmaüs y sont présents comme dans la sous-séquence précédente ; ils rencontrent néanmoins de nouveaux personnages, « les Onze et ceux (qui étaient) avec eux » (33b) ; par ailleurs, le lieu est différent, puisque les disciples d’Emmaüs sont désormais rentrés à Jérusalem qu’ils avaient quittée au début de leur voyage (13). Ce passage est formé de deux parties parallèles : introduites par un membre de récit (33b-34a ; 35a), ce sont deux déclarations comprenant deux membres coordonnés par « et » (34bc.35bc). Les sujets de « disant » (34a) et de « expliquèrent » (35a) sont d’abord « les Onze et ceux qui étaient avec eux » (33b), les disciples d’Emmaüs (« eux ») ensuite (35a). Les deux membres de la première déclaration s’achèvent avec un nom de personne, les deux membres de la seconde déclaration s’achèvent avec une expansion introduite, en grec, par la même préposition (traduite ici par « sur » et « par ») ; d’une déclaration à l’autre, les derniers verbes, « est apparu » et « s’était-fait-reconnaitre », appartiennent au même champ sémantique. D’un point de vue purement formel, la régularité de la composition, dont un rythme analogue scande chacune des deux parties, n’est pas un argument de peu de poids pour en assurer le découpage.

selon saint Luc (Lc 24,1-53)

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COMPARAISON SYNOPTIQUE (voir Mc 16,13ab, p. 417) Ce passage n’a pas de parallèle chez Mt. Chez Mc, c’est seulement 16,13a qui rappelle la deuxième partie du passage de Lc (35) : 12

Après cela, à deux d’entre eux qui marchaient il se manifesta, sous une autre forme, alors qu’ils partaient à la campagne. 13 Ceux-là, s’en étant allés, l’annoncèrent aux autres. Mais eux non plus, ils ne les crurent pas.

INTERPRÉTATION Un témoignage réciproque De retour à Jérusalem, les disciples d’Emmaüs ne peuvent tout d’abord placer un mot. Eux, qui n’ont pu attendre le lendemain matin et ont marché de nuit en toute hâte pour communiquer ce qui leur était arrivé, n’ont pas le temps d’ouvrir la bouche. Les Onze et tous les autres leur coupent la parole : ils doivent leur annoncer la bonne nouvelle de la résurrection dont Simon a été le témoin (33b34). Alors seulement ils peuvent raconter à leur tour leur propre rencontre avec le Seigneur ressuscité (35). Les deux groupes se prennent d’assaut pour se mettre au courant des événements de la journée. Leurs témoignages se confortent mutuellement. Le primat de Pierre Alors que la rencontre de Cléophas et de son compagnon anonyme avec le Seigneur avait été rapportée en grand détail (13-33a), Luc ne raconte pas l’apparition de Jésus à Simon. Cependant l’ensemble des apôtres et des autres disciples en recevra la nouvelle (34c) avant celle des disciples d’Emmaüs (35), et ces derniers devront céder le pas à Pierre. C’est sans doute qu’il fallait que Pierre ait la primeur de la résurrection comme il avait eu la primauté de sa confession de foi (9,20), parce que Jésus l’avait choisi en premier pour ce rôle et cette fonction (6,14). Peut-être aussi parce qu’il avait été le seul à le renier et le premier à se repentir (22,56-62). « Les Onze » apparaissent de toute façon comme l’institution à laquelle les autres disciples doivent naturellement se référer ; le fait qu’ils ne soient pas seuls, mais qu’ils soient en compagnie de « ceux avec eux » (33b) semble bien marquer leur solidarité avec l’ensemble des disciples du Seigneur. « Les Onze et les autres avec eux » « Les Onze » sont « les notables » de la communauté ; Jacques, Pierre et Jean en seront « les colonnes » (Ga 2,6-9). Cependant, dès le premier jour de la résurrection ils ne sont pas les seuls : il y a aussi « ceux (qui étaient) avec eux », qui représentent l’ensemble de l’Église, le groupe de ceux qui ont cru au Christ (33b). Il est vital que tous aient fait l’expérience de la résurrection : non pas seulement celle de Jésus, dont ils entendent la proclamation, mais aussi leur propre retour à la vie. Avec le Seigneur en effet, ils renaissent à une vie nouvelle.

464

La résurrection de Jésus

2. L’APPARITION DE JÉSUS AUX DISCIPLES (Lc 24,36-43) COMPOSITION DU PASSAGE + 36 Or comme ils parlaient de cela, + lui se tint

AU MILIEU D’EUX

· et il leur dit : « Paix à vous ! » = 37 Mais étant devenus TERRIFIÉS : ils pensaient VOIR

39 38

Et il leur dit : « Pourquoi êtes-vous TROUBLÉS

REGARDEZ c’est bien

et CRAIGNANT, un esprit.

mes mains et mes pieds : moi.

TOUCHEZ - MOI ! et pourquoi ces raisonnements montent-ils dans vos cœurs ?

REGARDEZ : comme

un esprit n’a ni chair ni os moi vous VOYEZ que j’en ai. »

: 40 Et disant cela, il leur MONTRA ses mains et ses pieds ; = mais eux NE CROYANT PAS encore à cause de la joie et S’ÉTONNANT, 41

· il leur dit :

« Avez-vous de la nourriture ici ? »

+ 42 Or eux lui donnèrent un morceau de poisson grillé + 43 et, l’ayant pris, il le mangea DEVANT EUX.

Le passage est formé de trois parties organisées de manière concentrique. Les parties extrêmes, toutes deux formées de trois segments bimembres (36-37 ; 4043), se répondent en miroir. Les segments extrêmes (36ab ; 42-43) s’achèvent par un syntagme semblable, « au milieu d’eux » et « devant eux ». Au centre (36c. 41b), les deux seules paroles de Jésus dans ces parties, introduites par une phrase de récit semblable. Enfin le dernier segment de la première partie (37) et le premier de la dernière partie (40-41a) se correspondent en chiasme : les deux participes de 37a, « terrifiés » et « craignant », avec les deux de 41a, « ne croyant pas » et « s’étonnant », sont semblables ; les deux autres membres (37b.40) se répondent avec les verbes de vision « voir » et « montra », dont les compléments s’opposent, « un esprit » et « ses mains et ses pieds ». La partie centrale (38-39) est un long discours de Jésus qui comprend d’abord deux questions commençant par « pourquoi ». Ce sont ensuite trois phrases

selon saint Luc (Lc 24,1-53)

465

impératives : le premier et le troisième impératif sont identiques (« Regardez ») et les phrases sont développées, tandis que la phrase centrale (39c) est très brève. Chacune des deux questions par lesquelles commence la partie centrale (38) renvoie aux deux membres du verset précédent : « troublés » de la première question (38b) est synonyme de « terrifiés et craignant » de 37a ; « raisonnements » de la seconde question (38c) rappelle « ils pensaient » de 37b. Par ailleurs, la première phrase impérative (39a) annonce le début de la dernière partie (avec la reprise de « mains et pieds » en 40), tandis que la troisième phrase impérative (39d) renvoie à la fin de la première partie (avec la reprise de « esprit » comme en 37b). INTERPRÉTATION Un corps visible et palpable Celui qui apparait aux disciples n’est pas un revenant ou un fantôme évanescent (39de). C’est Jésus, ce Jésus avec lequel ils avaient mangé (43), que leurs mains avaient touché avant sa Passion (39c). C’est vraiment lui (39ab), en chair et en os (39de). Ce n’est pas une image (37b), c’est un corps semblable au leur (40). Un esprit mange-t-il du poisson grillé (42-43) ? Ils peuvent de nouveau, dans la joie des retrouvailles, le voir et le toucher. C’est bien lui (39b). Un corps marqué Le corps de Jésus est bien le même qu’avant la Passion, et pourtant il est aussi différent. Si le Seigneur insiste pour leur montrer « ses mains et ses pieds » (40), c’est sans aucun doute parce qu’ils portent la marque des clous. C’est ce signe qu’il leur donne pour qu’ils puissent l’identifier avec certitude. La Passion n’est pas effacée par la résurrection. Le Christ est à jamais un Messie crucifié. L’incrédulité des apôtres On pourrait s’attendre à ce que les apôtres se rendent immédiatement à l’évidence et qu’ils se prosternent aussitôt aux pieds de leur maitre. Ils n’en font rien et restent muets jusqu’au bout. C’est d’abord la « crainte » et la « terreur » qui les paralysent (37a) ; et même quand la « crainte » laisse la place à la « joie », ils n’en croient toujours pas leurs yeux (41a), et il faudra que Jésus aille jusqu’à manger devant eux (43) pour tenter de les convaincre vraiment. À la fin du récit toutefois le lecteur ne sait toujours pas si les disciples ont fini par croire à ce qu’ils ont vu.

466

La résurrection de Jésus

3. JÉSUS OUVRE LES ÉCRITURES (Lc 24,44-47a) COMPOSITION DU PASSAGE Si tous sont d’accord sur le début de la péricope, aucune traduction ni aucun des commentaires consultés ne l’arrête en 47b ; tous la font aller jusqu’au verset 49 compris. C’est sans doute parce que le discours de Jésus aux disciples commencé en 46 ne s’achève pas avant la fin de 49. L’argument n’est pas déterminant : personne ne prétendra que le discours de 12,22-53 ou que celui de 21,10-36 ne forment qu’une seule péricope9. + 44 Or il leur

DIT

:

= « Telles sont les PAROLES = que je DISAIS à vous = étant encore avec vous, ·········································································································· : qu’il fallait que s’accomplisse tout CE QUI EST ÉCRIT : dans la LOI DE MOÏSE, LES PROPHÈTES ET LES PSAUMES sur moi. » 45

Alors il leur OUVRIT l’intelligence pour comprendre LES ÉCRITURES. + 46 Et il leur

DIT

:

= « Ainsi il est

ÉCRIT ··········································································································

. et

le Christ se lèverait

souffrirait d’entre les MORTS

le troisième jour

et qu’en . et

son nom la remise

SERAIENT PROCLAMÉES des PÉCHÉS

la conversion à toutes les nations.

: que :

47

Deux parties de discours encadrent une courte partie de récit. La première et la dernière sont tout à fait symétriques. Leurs premiers morceaux commencent par une courte phrase de récit (44a.46a) suivie par deux segments où sont rappelées les « paroles » que Jésus « disait » (44bcd) et celles de l’Écriture (46b ; « telles » et « ainsi » sont de même racine en grec) ; les seconds morceaux rapportent le contenu des paroles (44ef ; 46c-47b). Dans le second morceau de la première partie (44ef) « tout ce qui est écrit » est ensuite détaillé : « la Loi de Moïse, les Prophètes et les Psaumes ». Quant aux deux segments qui composent le second morceau de la dernière partie (46cd ; 47ab), ils sont parallèles entre eux : « en son nom » (47a) renvoie au nom du « Christ » (46c) ; « morts » (46d) et « péchés » (47b) sont 9 Pour une étude plus argumentée sur cette dernière sous-séquence, voir R. MEYNET, « “Commençant à partir de Jérusalem, vous êtes les témoins de cela !” ».

selon saint Luc (Lc 24,1-53)

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également des réalités négatives, tandis que « se lèverait » et « la remise » en délivrent10. Noter que, si le premier segment (46cd) annonce les actions de Jésus, le second (47ab) annonce l’activité future des disciples. On peut dire que « tout » de 44e et « toutes » de 47b jouent le rôle de termes finaux. Au centre (45), Jésus, par sa parole (comme dans la première partie), explique les paroles de l’Écriture (que rapporte la dernière partie) ; ce segment assure donc le lien entre les deux autres parties du passage. COMPARAISON SYNOPTIQUE (voir Mt 28,19a, p. 399 ; Mc 16,15, p. 421) Ce passage n’a pas de parallèle chez Mt ni chez Mc. C’est seulement le dernier verset (47 : « et qu’en son nom seraient proclamées la conversion et la remise des péchés à toutes les nations ») où est annoncée la « proclamation » « à toutes les nations » qui rappelle l’envoi en mission en Mt 28,19 (« Donc, étant partis, de toutes les nations faites des disciples ») et en Mc 16,15 (« Étant partis dans tout l’univers, proclamez l’Évangile à toute la création »). CONTEXTE La libération de la mort (46d) et du péché (47b) est exactement l’inverse de ce qui s’est passé lors de la chute, au lendemain de la création (Gn 3), quand l’homme fut soumis à la « mort » pour avoir succombé à la tentation et commis le « péché ». INTERPRÉTATION Une grande nouveauté L’annonce de la Passion et de la résurrection (46cd) n’est pas nouvelle. Jésus l’avait déjà faite en 9,22 ; il l’avait reprise en 9,44 mais pour la seule Passion : « le Fils de l’homme sera livré aux mains des hommes. » Les mots qui l’introduisent, « Ainsi il est écrit » (46b), ne sont pas nouveaux non plus ; lors de la troisième annonce de la Passion et de la résurrection (18,31-33), il l’avait aussi fait précéder par : « Voici que nous montons à Jérusalem et que s’accomplira tout ce qui a été écrit par les prophètes au sujet du Fils de l’homme. » La grande nouveauté, par rapport aux trois annonces de la Passion et de la résurrection, c’est que « ce qui est écrit » comprend aussi la proclamation en son nom de la conversion et de la remise des péchés à toutes les nations (47ab)11. Toutes les Écritures Mais ce n’est pas tout ! À ne tenir compte que de la dernière partie (46-47b), on pourrait être tenté de penser que la Passion et la résurrection du Christ, aussi bien que l’annonce à toutes les nations, se trouvent prédites dans quelques textes 10

Le parallélisme de ces deux segments a fait adopter la variante, bien attestée, qui préfère le coordonnant « et » à la préposition « pour » avant « la remise des péchés ». 11 Voir J. DUPONT, « La portée christologique de l’évangélisation des nations ».

468

La résurrection de Jésus

de l’Écriture. Et il faudrait s’ingénier à identifier dans la masse des Écritures les lieux qui les prophétiseraient, spécialement dans les Prophètes, puisque Jésus l’avait dit en 18,31. Or, la première partie du passage précise le « Ainsi il est écrit » de la troisième partie : il s’agit de « tout ce qui est écrit » (traduit souvent, à juste titre, par « toutes les Écritures »), et pour que la chose soit encore plus claire, Jésus détaille les trois corpus traditionnels de la Loi, des Prophètes et des Écrits, représentés par les Psaumes. C’est donc toute l’Écriture qui annonce le Christ, dans toutes ses parties, et non pas dans quelques morceaux choisis. Jésus interprète toutes les Écritures Et cela, c’est Jésus qui l’avait dit « étant encore avec » ses disciples (44b). Maintenant il ne se contente pas de le réaffirmer encore une fois, même si c’est avec plus de solennité, même s’il ajoute que ce sont toutes les Écritures qui parlent de lui. Il est présenté par Luc comme celui qui interprète les Écritures ; plus, comme celui qui est capable d’« ouvrir l’intelligence pour comprendre les Écritures » (45), comme il avait ouvert les yeux des aveugles et les oreilles des sourds (7,22), selon la prophétie d’Isaïe. Exactement ce qui était déjà arrivé avec les disciples d’Emmaüs (24,31). « L’accomplissement » (44c) des Écritures en Christ se réalise donc non seulement dans sa Passion et sa résurrection d’entre les morts, non seulement dans la proclamation du salut à toutes les nations (46-47b) ; il comprend aussi le don de l’intelligence de toutes les Écritures. C’est tout cela qui, avec « la conversion et la remise des péchés », sera offert « à toutes les nations » (47ab). L’accomplissement des Écritures Les Écritures (46b), toutes les Écritures (44de) parlent de Jésus. Elles annoncent ce qu’il fera (46cd) et ce que « en son nom » ses disciples feront (47ab). Jésus ne dit rien d’autre que ce que disent les Écritures, mais il ne se contente pas de les répéter et de les commenter comme les scribes, il les fait, il les réalise, il les « accomplit » (46cd). Et c’est parce qu’il les accomplit qu’il peut les faire comprendre (45). Les disciples à leur tour devront proclamer que Jésus accomplit les Écritures ; en les accomplissant eux-mêmes et en les faisant accomplir par ceux à qui ils seront envoyés, jusqu’aux extrémités de la terre. « Toutes » les Écritures (44d) doivent être accomplies par « toutes » les nations (47b). Le nouvel Adam La libération de la mort (46d) et du péché (47b) est exactement l’inverse de ce qui s’est passé lors de la chute, au lendemain de la création (Gn 3), quand l’homme fut soumis à la « mort » pour avoir succombé à la tentation et commis le « péché ». Les Écritures ne parlent de rien d’autre que du salut que Dieu offre à l’homme (47b) s’il obéit à sa voix (47a). Elles édictent la Loi (44e) qui permet d’échapper à la malédiction de la mort (46d), elles rapportent les appels des prophètes (44e) à se convertir et à se détourner du péché (47ab), elles racontent les infidélités répétées du peuple et le pardon de Dieu toujours offert, elles

selon saint Luc (Lc 24,1-53)

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recueillent les prières de l’homme (44e) qui supplie pour obtenir la libération de la mort et qui rend grâces pour l’avoir obtenue. Jésus est le premier homme depuis Adam qui se soit levé d’entre les morts (46d). Parce qu’il a résisté à la tentation, parce qu’il n’a pas péché mais a obéi à la parole de Dieu et accompli toutes les Écritures (44). C’est grâce à lui, par la force de son nom, que la conversion pour la remise des péchés devient possible (47). Conversion qui ne se limitera pas à Israël mais s’étendra naturellement à toutes les nations (47b), puisque Adam n’est pas le père des seuls juifs mais celui de tous les hommes. 4. JÉSUS ANNONCE LA MISSION DES DISCIPLES (24,47c-49) COMPOSITION DU PASSAGE + 47c Commençant par + 48 vous, [vous êtes]

JÉRUSALEM, témoins de ces (choses),

: 49 et moi, j’envoie

LA PROMESSE DE MON PÈRE sur vous.

·······························································································································

+ Or vous, + dans

restez-assis LA VILLE,

: tant que vous ne serez pas revêtus de

LA PUISSANCE D’EN HAUT. »

Ce court passage est formé de deux parties parallèles. Les premiers segments (47c-48 ; 49bc) se répondent de façon croisée : « la ville » (49c) c’est « Jérusalem » (47c) ; « restez assis » (49b) s’oppose à « être témoins » (48) car c’est debout que l’on témoigne (le pronom emphatique « vous » revient également dans ces deux membres). Les seconds segments (49a.49d) parlent tous deux non plus de ce que feront les disciples mais de ce que fera Jésus pour eux (« moi » de 49a s’oppose à « vous » de 48). Le verbe de 49d est de sens passif dont l’agent est Dieu : Jésus et son Père sont donc unis dans l’envoi de ce que recevront les disciples. « La puissance d’en haut » (49d) est synonyme de « la promesse de mon Père » (49a). La première partie est au présent12, même si l’on peut comprendre le verbe de 49a comme un futur proche. La seconde partie (49bcd) concerne le futur : elle commence en effet par un impératif qui concerne le temps qui séparera le moment présent d’un événement futur dont la date n’est pas précisée13.

12

La copule « être » (este) qu’ajoutent certains manuscrits peut être interprétée comme un indicatif présent ou comme un impératif présent ; cette dernière option renforce le parallélisme avec l’impératif de 49b. 13 Le parallélisme des deux parties est clair, la cohérence de l’ensemble frappante. Si la première proposition (47c) était rattachée à ce qui précède, l’équilibre du passage serait compromis, comme le serait celui du passage précédent. Par ailleurs, le contenu des deux passages est différent, comme l’indiquent les titres qui leur sont attribués : « Jésus rappelle ses propres paroles et les Écritures » (4447b), « Jésus annonce la mission des disciples » (47c-49).

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La résurrection de Jésus

COMPARAISON SYNOPTIQUE (voir Mt 28,19a, p. 399 ; Mc 16,15, p. 421) C’est seulement Lc 47b-48a (« En commençant par Jérusalem, vous, vous allez être témoins de cela. ») qui rappelle de loin l’envoi en mission de Mt 28,19a (« Donc, étant partis, de toutes les nations faites des disciples ») et Mc 16,15 (« Étant partis dans tout l’univers, proclamez l’Évangile à toute la création »). INTERPRÉTATION La puissance d’en haut La mission des disciples est immense, elle les dépasse infiniment, puisque audelà de Jérusalem (47c) elle doit s’étendre jusqu’au bout du monde. Elle excède leurs seules forces (49d). Ne viennent-ils pas, il y a trois jours, de se soustraire au témoignage qui leur était demandé alors qu’il ne s’agissait de le porter que devant si peu de monde ? Seuls, ils ne pourront rien faire. Aussi Jésus leur annonce-t-il qu’ils seront revêtus de « la puissance d’en haut » que son Père a promise (49a. 49d), « l’Esprit Saint » (Ac 1,8) qui descendra sur eux à la Pentecôte. En commençant par Jérusalem La mission des apôtres les mènera dans toutes les nations, mais ils devront commencer par Jérusalem (47c). Israël détient le droit d’ainesse. L’élection divine lui demeure acquise malgré son péché, bien qu’elle ait rejeté son maitre et Seigneur. C’est que la Parole avait d’abord été adressée à Abraham et qu’Israël fut le dépositaire de la Loi et de toutes les Écritures. La maison de Jacob n’estelle pas le peuple de la promesse ? La promesse sera tenue (49a) car Dieu est fidèle. Mais elle sera étendue à toutes les autres nations. Car le but de l’élection c’était que le peuple choisi devienne la lumière du monde. 5. JÉSUS DISPARAIT AUX YEUX DES DISCIPLES (24,50-53) COMPOSITION DU PASSAGE La première partie (50) est formée de deux bimembres, le premier qui concerne le lieu, le second l’action de Jésus ; la construction syntaxique est concentrique, avec les principales aux extrémités et les expansions au centre. – En opposition, la dernière partie (52-53) rapporte le retour de Béthanie à Jérusalem : aux extrémités, deux participiales dont les verbes appartiennent en quelque sorte au même champ sémantique dans la mesure où ils expriment un acte de respect et dont les compléments, « lui » (c’est-à-dire Jésus) et « Dieu », sont ainsi mis en relation ; entre deux (52b.53a), les deux principales coordonnées où les verbes sont suivis de compléments de lieu et de compléments de manière. – La partie centrale (51) est formée d’un seul segment trimembre ; le premier membre (51abc) reprend la fin de la partie précédente (50d), les deux autres coordonnent deux aspects complémentaires de la même action : quittant

selon saint Luc (Lc 24,1-53)

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ses disciples, Jésus rejoint le ciel. – « Bénir » se retrouve dans les trois parties, à la fin des parties extrêmes (50d. 53b)14 et au début de la partie centrale (51c) ; à la bénédiction donnée par Jésus répond donc celle que les disciples adressent à Dieu. Le pronom « eux » de 51d dans la partie centrale reprend ceux de la fin des membres extrêmes de la première partie (50a.50d), tandis que « ciel » de la fin de la partie centrale (51f) annonce « Dieu » de la fin de la dernière partie (53b). + 50 Or il

emmena dehors - jusque vers Béthanie

+

BÉNIT

EUX,

- et ayant levé les mains, il 51

Et il advint, tandis qu’il les BÉNISSAIT,

– 52 Et eux,

– en

EUX.

qu’il fut séparé d’ EUX et qu’il fut enlevé au CIEL.

s’étant prosternés devant + ils retournèrent

LUI, à Jérusalem en grande joie.

+ 53 Et ils étaient BÉNISSANT

sans cesse dans le Temple DIEU.

COMPARAISON SYNOPTIQUE (voir Mc 16,19, voir p. 421) Mt ne rapporte pas l’ascension de Jésus. Mc 16,19 la signale, mais très rapidement, sans en préciser ni le lieu ni les modalités : « Or donc, le Seigneur Jésus après leur avoir parlé, fut enlevé au ciel et s’assit à la droite de Dieu ». CONTEXTE Du moment que Jésus « lève les mains » (Lv 9,22 ; Si 50,20-21), certains pensent que sa bénédiction est de type sacerdotal (Nb 6,23-27). Cependant, Luc ne présente jamais Jésus comme prêtre. Le rapport avec la bénédiction que les patriarches accordent à leurs fils avant de les quitter définitivement semble au contraire beaucoup plus probable : Jacob bénit ses douze fils (Gn 49), Moïse bénit les douze tribus d’Israël avant de mourir (Dt 33).

14 En 53b, au lieu de « bénir », le Codex de Bèze a « louer » ; un certain nombre de manuscrits coordonnent les deux verbes : « louant et bénissant Dieu ».

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La résurrection de Jésus

INTERPRÉTATION Une séparation joyeuse Les disciples voient Jésus pour la dernière fois, la séparation est définitive (51). Et pourtant ils ne sont pas tristes ; au contraire, ils s’en retournent « en grande joie » (52b). C’est que leur maitre ne s’en va pas chez les morts où ils l’avaient vu descendre trois jours auparavant ; il est élevé au ciel (51e), auprès de « Dieu » (53b). Ils se prosternent devant Jésus (52a) et ne cessent de bénir Dieu (53b). Si le Temple est le lieu et le signe de la présence de Dieu au milieu de son peuple, ils savent qu’en se tenant sans cesse devant le Très-Haut ils ne seront pas séparés de celui qui l’a rejoint. Seraient-ils si joyeux s’ils n’étaient persuadés que Jésus reste présent avec eux malgré son absence ? La séparation devient paradoxalement pour eux le signe que Jésus les accompagne. La bénédiction suprême Comme les patriarches au moment de disparaitre bénissaient leurs fils, comme Jacob (Gn 49) et comme Moïse (Dt 33), ainsi Jésus bénit ses apôtres avant d’être séparé d’eux (50d). Mais contrairement aux bénédictions des patriarches, celle de Jésus n’a aucun contenu. Chacun des douze fils d’Israël avait reçu une bénédiction particulière et personnelle. Rien de tel pour les Onze. Jésus les bénit sans rien dire, en tout cas sans que Luc rapporte ses paroles. Mais a-t-il besoin de paroles ? Le seul fait de les bénir avant de disparaitre est un signe d’adoption. Il leur marque ainsi qu’il les accepte pour ses héritiers. Eux qui l’avaient abandonné se savent pardonnés. De toutes ces merveilles ils béniront Dieu sans cesse (53)15. 6. LES TÉMOINS DE LA RÉSURRECTION (24,33b-53) COMPOSITION DE LA SOUS-SÉQUENCE Les deux derniers passages répondent de façon parallèle aux deux premiers. — Le premier (33b-35) est le seul où les disciples disent quelque chose ; ils ne retrouveront la parole pour ainsi dire qu’à la fin de la sous-séquence pour « bénir Dieu » (53). Cependant l’avant-dernier passage (47c-49) doit être considéré comme symétrique du premier car il y est question des paroles que les disciples seront amenés à dire pour témoigner (48). Ainsi le premier passage les montre racontant leur rencontre avec le ressuscité, mais seulement entre eux, tandis que l’avant-dernier passage prédit leur témoignage devant tous, « commençant par Jérusalem » (47c). — Le deuxième et le cinquième passage (36-43 ; 50-53) s’opposent, puisque Jésus apparait aux yeux de ses disciples dans le premier (« il se tint au milieu d’eux » en 36) et disparait à la fin (« il fut séparé d’eux » en 51 ; l’opposition est encore plus sensible en grec car les deux verbes sont de même 15 Sur les rapports entre ce dernier passage de Luc et le premier, l’annonciation à Zacharie, voir Luc 2011, 998-1004.

selon saint Luc (Lc 24,1-53)

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racine : estē pour « il se tint » et di-estē pour « il se sépara »). — Les deux premiers passages sont reliés par la temporelle du début de 36 ; par ailleurs, les deux passages parlent de vision (« est apparu » en 34b, « s’était fait reconnaitre » en 35b, « voir » en 37, « regardez » en 39a bis, « montra » en 40a), alors que le passage central et les suivants sont consacrés à l’écoute. Les deux derniers passages sont reliés par le fait que les disciples exécutent à la fin ce qui leur a été enjoint dans le passage précédent : ils restent à « Jérusalem » (47c.52b). Un autre lien, moins immédiatement apparent, entre ces deux passages est la filiation : dans le premier, Jésus annonce qu’il enverra la promesse de son « Père », dans le dernier, il se conduit envers ses disciples comme un père qui bénit ses enfants avant de partir, qui les institue donc comme ses héritiers. — Au centre, le passage où Jésus explique les Écritures (44-47b). L’annonce de la résurrection de 46 rappelle celle du début de la sous-séquence en 34b. — Traversant toute la sous-séquence, sauf le deuxième passage, la liste des termes qui appartiennent au champ sémantique de l’annonce : « disaient » (34a), « racontèrent » (35b), « paroles » (44a), « il est écrit » (46a), « seraient proclamées » (47a), « être témoins » (48) et enfin, quoique de façon indirecte, « bénir » (53). 24,33b Ils trouvèrent réunis les Onze et ceux qui étaient avec eux, 34 lesquels DISAIENT que réellement le Seigneur s’est dressé et qu’il est apparu à Simon. 35 Quant à eux, ils RACONTÈRENT ce qui était arrivé sur la route et comment il s’était fait reconnaitre par eux à la fraction du pain. 36

Alors qu’ils parlaient de cela, il se tint au milieu d’eux et il leur dit : « Paix à vous ! » Terrifiés et remplis de crainte, ils pensaient voir un esprit. 38 Il leur dit : « Pourquoi êtesvous troublés et pourquoi ces raisonnements montent-ils dans vos cœurs ? 39 Regardez mes MAINS et mes pieds : c’est bien moi. Touchez-moi. Regardez : un esprit n’a ni chair ni os comme vous voyez que j’en ai. » 40 Et disant cela, il leur montra ses mains et ses pieds. 41 Comme ils ne croyaient pas encore à cause de la joie et qu’ils s’étonnaient, il leur dit : « Avez-vous de la nourriture ici ? » 42 Ils lui donnèrent un morceau de poisson grillé ; 43 et l’ayant pris, il le mangea devant eux. 37

44

Il leur dit : « Telles sont les PAROLES que je vous disais quand j’étais encore avec vous, qu’il fallait que s’accomplissent toutes les ÉCRITURES, dans la Loi de Moïse, dans les Prophètes et les Psaumes, à mon sujet. » 45

ALORS

IL LEUR OUVRIT L’INTELLIGENCE POUR COMPRENDRE LES

ÉCRITURES.

46

Il leur dit : « Ainsi il est ÉCRIT que le Christ souffrirait et se lèverait d’entre les morts le troisième jour 47 et qu’en son nom seraient PROCLAMÉES la conversion et la remise des péchés à toutes les nations. Commençant par Jérusalem, 48 vous, vous êtes TÉMOINS de cela, 49 et moi, je vais envoyer sur vous la promesse de mon Père. Vous cependant, restez assis dans la ville, tant que vous ne serez pas revêtus de la puissance d’en haut. » 50

Il les emmena dehors jusque vers Béthanie et ayant levé les MAINS, il les bénit. 51 Et il advint, tandis qu’il les bénissait, qu’il fut séparé d’eux et qu’il fut enlevé au ciel. 52 Et eux, s’étant prosternés devant lui, ils retournèrent à Jérusalem en grande joie. 53 Et ils étaient sans cesse dans le Temple à BÉNIR Dieu.

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La résurrection de Jésus

COMPARAISON SYNOPTIQUE (voir Mt 28,16-20, p. 399 ; Mc 16,14-20, p. 421) Comme cela a déjà été dit à l’occasion de l’analyse de chacun des cinq passages de la sous-séquence, le récit de Lc est très différent de celui des deux premiers évangiles. Il est donc pratiquement impossible — et en tous cas inutile — de faire un tableau synoptique des trois synoptiques. La différence majeure est certainement le passage central de Lc (44-47b) où Jésus interprète les Écritures qui n’a pas de parallèle ni en Mt ni en Mc. Par ailleurs, Lc ne rapporte aucun envoi en mission comme c’est le cas en Mt et en Mc ; en outre, il ne parle pas de la réalisation de la mission comme en Mc 16,20, puisque ce sera le sujet de son second livre, les Actes des apôtres. Enfin, Lc est le seul à annoncer la venue de « la promesse du Père » ou « la puissance d’en haut » (49bc), qui sera racontée au début des Actes. INTERPRÉTATION Voir et entendre Jésus est apparu à Simon (34), il s’était fait reconnaitre à Cléophas et à son compagnon (35). Mais il n’était pas resté avec eux, il avait disparu aussitôt reconnu (31). Il se montrera à tous les autres disciples, les Onze et ceux qui étaient avec eux (33b), mais pour bien peu de temps. La rencontre est rapide, la présence corporelle de très courte durée. Certes il est important que les disciples aient vu de leurs propres yeux le Seigneur Jésus ressuscité et qu’ils aient pu le toucher (39), car c’est là que leur témoignage prendra sa source. Mais là n’est pas l’essentiel. Tant d’autres depuis n’ont jamais vu Jésus dans son corps ! Le témoignage le plus important est celui que lui rendent les Écritures (44), qui ne prennent leur sens que par sa Passion et sa résurrection (46) et le salut qu’il apporte ainsi à toutes les nations de tous les temps (47ab). Jésus disparait à tout jamais dans son corps de chair (51), mais il demeure présent dans le corps des Écritures offert à nos oreilles et à notre intelligence (45). Quand la parole et la proclamation de ceux qui l’ont vu ressuscité sera devenue Écriture à son tour, le seul moyen pour nous de rejoindre leur expérience sera de passer par ce qui est écrit. Parole écrite qui redevient parole vive quand elle redit ce que le Seigneur fait pour nous dans la fraction du pain (35). Témoins pour tous Le Seigneur est apparu à Simon et il s’est fait reconnaitre aux deux disciples d’Emmaüs. Aussitôt ils se mettent à raconter ce qui leur est arrivé et tous de le répéter à l’envi (33b-35). Mais la bonne nouvelle ne sort pas du cercle étroit des disciples. Elle n’est pourtant pas destinée à y rester enclose ; ce sont « toutes les nations » qui devront en recevoir l’annonce (47c-48). Les Écritures ne prophétisent pas seulement la résurrection de Jésus (46) mais aussi la proclamation qui en sera faite pour la conversion et la rémission des péchés (47ab). Si la résurrection n’était pas connue et si elle n’entrainait pas le changement de vie

selon saint Luc (Lc 24,1-53)

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qu’elle signifie, elle ne servirait de rien. Et comment serait-elle connue si ceux qui en ont été les témoins ne l’annonçaient pas ? Tous sont témoins Ceux que viennent trouver les disciples d’Emmaüs ne sont pas seulement les Onze. Ce sont aussi ceux qui étaient avec eux (33b), dont le nombre et les noms ne sont pas précisés. C’est à eux tous que Jésus apparait (36-43), c’est à eux tous qu’il explique les Écritures (44-47b) et c’est à eux tous qu’il annonce qu’ils seront les témoins de sa résurrection (47c-48). C’est à eux tous qu’il enverra la promesse du Père et la puissance d’en haut (49). Comment le lecteur ne serait-il pas impliqué dans cette vocation ? S’il n’a pas vu le Christ ressuscité, n’a-t-il pas fait l’expérience de la conversion grâce à la proclamation des premiers disciples et n’est-il pas mort et ressuscité avec le Christ quand ses péchés lui ont été remis (47) ? C’est à lui aussi que Jésus ouvre l’intelligence pour comprendre les Écritures (45) et c’est pour lui aussi que le pain est rompu en mémoire du Seigneur (35).

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La résurrection de Jésus

D. LE ROI ACCOMPLIT ET OUVRE LES ÉCRITURES DE SON PEUPLE (Lc 24,1-53) COMPOSITION DE LA SÉQUENCE Rapports entre les sous-séquences extrêmes Correspondances en parallèle : — Les premiers passages (1-3 ; 33b-35) reprennent « trouver » (2.3.33b) et « Seigneur » (3.34b) qui ne reparaissent pas ailleurs dans ces deux sous-séquences. — Les deuxièmes passages (4-6a ; 36-43) relatent une apparition : d’abord deux hommes « se tinrent près d’elles » (4) puis Jésus lui-même « se tint au milieu d’eux » (36) ; les Onze ainsi que les femmes en deviennent « craintifs » (5a.37) ; aux uns et aux autres il est « dit » une question qui commence par « pourquoi » (5b.38a) ; suit une annonce de la résurrection. — Les passages centraux (6b-8 ; 44-47b) sont très semblables : dans l’un, les deux hommes rappellent les paroles de Jésus qui annonçaient sa Passion et sa résurrection ; dans l’autre, Jésus rappelle ce qu’il avait dit lui-même en précisant que c’était ce que disaient les Écritures : « il vous a parlé quand il était encore en Galilée » (6b) est repris par « je vous parlais quand j’étais encore avec vous » (44ab) ; « il fallait » revient en 7b et 44b ; Jésus est d’abord appelé « le Fils de l’homme » (7ab) puis « le Christ » (46a), « le troisième jour il se lèverait » de 7c est repris par « se lèverait [...] le troisième jour » de 46b, enfin « pécheurs » de 7b trouve son correspondant avec « péchés » en 47b. — Dans les quatrièmes passages (9-10 ; 47c-49), « de cela vous serez témoins » (48) correspond à « annoncèrent tout cela » (9) et « dirent cela » (10). — Dans les derniers passages (11-12 ; 50-53) : alors que Pierre « s’en alla chez lui étonné » (12b), les Onze « retournèrent à Jérusalem en grande joie » (52b). Termes médians : la fin de la première sous-séquence et le début de la dernière sont les seuls endroits où il soit question des « Onze » (9.33b) et de « Simon » (34b) « Pierre » (12a) ; alors que ce dernier « vit » d’abord les bandelettes seules (12b), à la fin il est dit que Jésus « s’était fait-voir » à lui (34b). D’autre part, les femmes « annoncent » (9) et « disent » (10b) la résurrection au début, les disciples hommes « disent » (34a) et « expliquent » (35b) la même nouvelle à la fin ; mais ni les femmes nommées ni les Onze ne sont seuls : il en est d’autres « avec » eux (10a.33b). Termes extrêmes : les passages extrêmes (1-3 ; 50-53) rapportent tous deux une disparition de Jésus, dans la « tombe » au début (1a), dans le « ciel » à la fin (51b ; l’opposition est encore plus directe entre « le ciel » de 51b et « la terre » de 5b). Noter le rapport lexical entre « porter » (1a) et « emporter » (51b). Alors que les aromates et les parfums se veulent le dernier moyen du rapport entre les femmes et le corps de Jésus, c’est la bénédiction qui unit les disciples et le Seigneur à la fin ; rapport de réciprocité cette fois-ci et non plus à sens unique comme au début.

selon saint Luc (Lc 24,1-53)

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24,1 Le premier jour de la semaine de très bonne heure, elles vinrent à la , portant les aromates qu’elles avaient préparés. 2 Elles trouvèrent la pierre roulée de devant le tombeau. 3 Étant entrées, elles ne trouvèrent pas le corps du Seigneur Jésus. 4

Tandis qu’elles étaient perplexes sur cela, deux hommes SE TINRENT près d’elles en vêtements fulgurants. 5 Comme elles étaient CRAINTIVES et inclinaient leur visage vers la , ils leur DIRENT : « POURQUOI cherchez-vous le vivant parmi les morts ? 6 Il n’est pas ici, IL S’EST DRESSÉ ! Souvenez-vous comme il vous a PARLÉ quand il était encore en Galilée, 7 DISANT du FILS DE L’HOMME q qu’il fallait qqu’il soit livré aux mains des pécheurs, être crucifié et que . » 8 Et elles se souvinrent de ses paroles.

9

Revenues du tombeau, elles ANNONCÈRENT tout CELA aux Onze et à tous les autres. C’étaient Marie Madeleine, Jeanne et Marie mère de Jacques. Et les autres avec elles DIRENT CELA aux apôtres. 10

11

Ces paroles leur parurent du radotage et ils ne les crurent pas. courut au tombeau et s’étant penché il vit les bandelettes seules ; étonné de ce qui était arrivé.

12

Mais Pierre s’étant levé, étant

IL S’EN ALLA CHEZ LUI,

[...] 33b

Ils trouvèrent réunis les Onze et ceux qui étaient avec eux, 34 lesquels DISAIENT que réellement le Seigneur S’EST DRESSÉ et qu’il s’est fait-voir à Simon. 35 Et eux EXPLIQUÈRENT ce qui était arrivé sur la route et comment il s’était fait connaitre à eux par la fraction du pain. 36

Alors qu’ils parlaient de cela, IL SE TINT au milieu d’eux et leur dit : « Paix à vous ! » Terrifiés et CRAINTIFS, ils pensaient voir un esprit. 38 Il leur DIT : « POURQUOI êtesvous troublés et pourquoi ces raisonnements montent-ils dans vos cœurs ? 39 Regardez mes mains et mes pieds : c’est bien moi. Touchez-moi. Regardez : un esprit n’a ni chair ni os comme vous voyez que j’en ai. » 40 Disant cela, il leur montra ses mains et ses pieds. 41 Eux ne croyant pas encore à cause de la joie et s’étonnant, il leur dit : « Avez-vous de la nourriture ici ? » 42 Ils lui donnèrent un morceau de poisson grillé ; 43 l’ayant pris, il le mangea devant eux. 37

44

Il leur dit : « Telles sont les PAROLES que je vous PARLAIS quand j’étais encore avec vous, qu’il fallait que s’accomplissent toutes les Écritures, dans la Loi de Moïse, les Prophètes et les Psaumes à mon sujet. » 45 Alors il leur ouvrit l’intelligence pour comprendre p les Écritures. 46 Il leur dit : « Ainsi il est ÉCRIT que LE CHRIST souffrirait 47 et d’entre les morts et qu’en son nom seraient proclamées la conversion et la remise des péchés à toutes les nations.

En commençant par Jérusalem, 48 de CELA vous serez TÉMOINS ; 49 et moi, je vous enverrai la promesse de mon Père. Cependant restez dans la ville tant que vous ne serez pas revêtus de la puissance d’en haut. » 50

Il les emmena dehors jusque vers Béthanie et ayant levé les mains, il les bénit. 51 Et il advint, tandis qu’il les bénissait qu’il fut séparé d’eux et qu’il fut emporté au . 52 Et eux, s’étant prosternés devant lui, ILS RETOURNÈRENT À JÉRUSALEM en grande joie. 53 Et ils étaient sans cesse dans le Temple en bénissant Dieu.

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La résurrection de Jésus

À travers toute la séquence – Les proclamations de la résurrection : les premières paroles (5-6a) sont une double annonce de la résurrection : Jésus est « vivant » et « il s’est dressé ». Les deux éléments de cette proclamation seront repris séparément, le premier au centre de la sous-séquence centrale (23c), le deuxième, comme première parole aussi, au tout début de la troisième sous-séquence (34b). Alors que la première proclamation est faite par les deux hommes fulgurants, la dernière l’est par les Onze et ceux qui sont avec eux ; au centre de la séquence en revanche, elle est rapportée par les deux disciples d’Emmaüs au terme d’une longue cascade : ils disent que les femmes leur ont dit que des anges leur ont dit « qu’il est vivant ». – Les annonces de la résurrection : la résurrection n’est pas seulement proclamée, elle est constamment référée aux annonces qui en avaient été faites. Alors que les proclamations ne parlent que de la résurrection, les annonces ne séparent jamais la Passion de la résurrection (noter la triple occurrence de « il fallait » : 7a.26.44a). Les annonces s’accumulent petit à petit pour être reprises toutes ensemble à la fin. En effet les deux hommes du début ne renvoient qu’aux paroles de Jésus (6-7) ; dans la sous-séquence centrale, Jésus ne rappelle que les paroles des Écritures (25-27)16 ; à la fin (44-49), il lie les paroles qu’il avait dites (44a) à celles des Écritures (44b-46) ; s’y ajoutera la proclamation à venir des disciples (47). Ces annonces se trouvent au centre de chaque sous-séquence. – Termes finaux : tous les personnages sont ramenés sans cesse de l’extérieur vers Jérusalem : les femmes d’abord qui reviennent du tombeau pour retrouver les Onze (9) ; de même Pierre (12) ; surtout les disciples d’Emmaüs (33a), enfin tous les disciples que Jésus avait emmenés à Béthanie (52b). Ces notations jouent le rôle de termes finaux. –Termes médians : les deux dernières sous-séquences sont agrafées par la reprise, dans l’ordre inverse, de « pain », « rompre » et « reconnaitre » (30-31 ; 35b). – Autres rapports : aux deux occurrences de « livré » et de « crucifié » (7b.20) dans le premier versant répondent les deux occurrences de « souffrir » (26.46b) dans le deuxième ; le premier terme est précédé soit de « Fils de l’homme » (7ab), soit de « Jésus le Nazarénien » (19b), tandis que le second est précédé de « Christ » (26.46b) : les premiers mots sont employés par Jésus (6-7) et par les disciples (19-20), alors que les autres sont utilisés par les Écritures (25-26 ; 46). Alors qu’au début Jésus est donné aux « pécheurs » (7b), à la fin c’est pour la remise des « péchés » que sera proclamée la conversion (47b). « Morts » ne se retrouve qu’aux extrémités des discours (5b.46b), s’opposant à « vivant » au centre (23c). 16 On se rappelle qu’aux explications de Jésus aux disciples d’Emmaüs (25-27) correspond le rapport qu’ils lui font de ce qui s’est passé (19-21) et où il n’est question que de la mort de Jésus.

selon saint Luc (Lc 24,1-53)

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24,1 Le premier jour de la semaine de très bonne heure, elles vinrent à la tombe, portant les aromates qu’elles avaient préparés. 2 Elles trouvèrent la pierre roulée de devant le tombeau. 3 Étant entrées, elles ne trouvèrent pas le corps du Seigneur Jésus. 4 Tandis qu’elles étaient perplexes sur cela, deux hommes se tinrent près d’elles en vêtements fulgurants. 5 Comme elles étaient craintives et inclinaient leur visage vers la terre, ils leur dirent : « Pourquoi cherchez-vous LE VIVANT parmi les MORTS ? 6 Il n’est pas ici, IL S’EST DRESSÉ ! Souvenez-vous comme il vous a parlé étant encore en Galilée, 7 disant qu’il fallait que le FILS DE L’HOMME soit livré aux mains des pécheurs, qu’il soit crucifié et que le troisième jour il se lèverait. » 8 Et elles se souvinrent de ses paroles. 9 REVENUES DU TOMBEAU, elles annoncèrent tout cela aux Onze et à tous les autres. 10 C’étaient Marie Madeleine, Jeanne et Marie mère de Jacques. Et les autres avec elles dirent cela aux apôtres. 11 Ces paroles leur parurent du radotage et ils ne les crurent pas. 12 Mais Pierre s’étant levé, courut au tombeau et s’étant penché il vit les bandelettes seules ; IL S’EN ALLA CHEZ LUI, étant étonné de ce qui était arrivé. 13

Et voici que deux d’entre eux en ce même jour s’en allaient vers un village, distant de soixante stades de Jérusalem, du nom d’Emmaüs. 14 Et ils s’entretenaient entre eux de tout ce qui était survenu. 15 Et il arriva, tandis qu’ils s’entretenaient entre eux et discutaient, que Jésus lui-même, s’étant approché, allait avec eux, 16 mais leurs yeux étaient empêchés de le reconnaitre. 17 Il leur dit : « Quelles sont ces paroles que vous échangez entre vous en marchant que vous soyez sombres ? » 18 Répondant, l’un d’eux, du nom de Cléophas, lui dit : « Toi seul séjournes à Jérusalem et ne connais pas ce qui y est arrivé ces jours-ci ! » 19 Il leur dit : « Quoi ? » Ils lui dirent : « Ce qui concerne JÉSUS LE NAZARÉNIEN qui fut un homme prophète, puissant en œuvre et parole devant Dieu et tout le peuple, 20 comment l’ont livré nos grands-prêtres et nos chefs pour être condamné à mort et ils l’ont crucifié. 21 Et nous, nous espérions que ce serait lui qui allait délivrer Israël. Mais avec tout cela, voici le troisième jour que cela est arrivé. 22 Mais certaines femmes parmi nous nous ont stupéfiés : étant allées de bonne heure au tombeau, 23 et n’ayant pas trouvé son corps, elles sont venues disant qu’elles avaient vu une vision d’anges qui disent qu’IL EST VIVANT. 24 Et certains parmi nous sont allés au tombeau et ils ont trouvé ainsi que les femmes avaient dit, mais lui, ils ne l’ont pas vu ! » 25 Et lui leur dit : « Ô inintelligents et lents de cœur à croire à tout ce dont ont parlé les prophètes ! 26 Ne fallait-il pas que LE CHRIST souffre et qu’il entre dans sa gloire ? » 27 Et commençant par Moïse et par tous les prophètes, il leur interpréta dans toutes les Écritures ce qui le concernait. 28 Ils approchèrent du village vers lequel ils allaient, mais lui fit semblant d’aller plus loin. 29 Ils le pressèrent en disant : « Reste avec nous, car c’est le soir et déjà le jour a baissé. » Et il entra pour rester avec eux. 30 Et il arriva tandis qu’il était à table avec eux que, prenant le pain, il le bénit et, le rompant, il donna à eux. 31 Alors leurs yeux s’ouvrirent et ils le reconnurent. Et lui devint invisible pour eux. 32 Et ils se dirent entre eux : « Notre cœur n’était-il pas brulant en nous, comme il parlait avec nous sur la route, comme il nous ouvrait les Écritures ? » 33 Et se levant à cette heure même, ILS RETOURNÈRENT À JÉRUSALEM. 33b

Ils trouvèrent réunis les Onze et ceux qui étaient avec eux, 34 lesquels disaient que réellement le Seigneur S’EST DRESSÉ et qu’il s’est fait voir à Simon. 35 Quant à eux, ils expliquèrent ce qui était arrivé sur la route et comment il s’était fait connaitre à eux par la fraction du pain. 36 Alors qu’ils parlaient de cela, il se tint au milieu d’eux et leur dit : « Paix à vous ! » 37 Terrifiés et craintifs, ils pensaient voir un esprit. 38 Il leur dit : « Pourquoi êtes-vous troublés et pourquoi ces raisonnements montent-ils dans vos cœurs ? 39 Regardez mes mains et mes pieds : c’est bien moi. Touchez-moi. Regardez : un esprit n’a ni chair ni os comme vous voyez que j’en ai. » 40 Disant cela, il leur montra ses mains et ses pieds. 41 Eux ne croyant pas encore à cause de la joie et s’étonnant, il leur dit : « Avez-vous de la nourriture ici ? » 42 Ils lui donnèrent un morceau de poisson grillé ; 43 l’ayant pris, il le mangea devant eux. 44 Il leur dit : « Telles sont les paroles que je vous disais étant encore avec vous, qu’il fallait que s’accomplissent toutes les Écritures, dans la Loi de Moïse, les Prophètes et les Psaumes à mon sujet. » 45 Alors il leur ouvrit l’intelligence pour comprendre les Écritures. 46 Il leur dit : « Ainsi il est écrit que 47 LE CHRIST souffrirait et se lèverait d’entre les MORTS le troisième jour et qu’en son nom seraient proclamées la conversion et la remise des péchés à toutes les nations. En commençant par Jérusalem, 48 vous en serez témoins ; 49 et moi, je vous enverrai la promesse de mon Père. Cependant restez dans la ville tant que vous ne serez pas revêtus de la puissance d’en haut. » 50 Il les emmena dehors jusque vers Béthanie et ayant levé les mains, il les bénit. 51 Et il advint, tandis qu’il les bénissait qu’il fut séparé d’eux et qu’il fut enlevé au ciel. 52 Et eux, s’étant prosternés devant lui, ILS 53 RETOURNÈRENT À JÉRUSALEM en grande joie. Et ils étaient sans cesse dans le Temple en bénissant Dieu.

480

La résurrection de Jésus

COMPARAISON SYNOPTIQUE La longueur de chaque séquence La dernière séquence de Mt compte 25 versets ; celle de Mc est légèrement plus courte avec 20 versets ; celle de Lc est beaucoup plus développée qui en compte 53 (pour être plus précis, en nombre de lignes du texte grec de la 27e édition de Nestle-Aland, la séquence de Mt compte 52 lignes, celle de Mc n’en a que 42, tandis que celle de Lc atteint 101 lignes). Le nombre des passages Tandis que la dernière séquence de Mt est formée de cinq passages et celle de Mc de trois seulement, la séquence de Lc en comprend treize. Cependant, ce compte est quelque peu trompeur, car la première sous-séquence de Lc (24,1-12) ne forme qu’un seul récit ; il en est de même pour la deuxième, l’histoire des disciples d’Emmaüs (13-33a) ; ce n’est toutefois pas le cas pour la dernière sousséquence (33b-53) dont les divers épisodes sont davantage séparables. Le contenu de chaque séquence Contrairement aux trois séquences précédentes (la Passion), le contenu de la dernière séquence (la Résurrection) est très différent d’un évangile à l’autre. Mt a en propre deux passages, « les précautions des autorités juives » (27,6266) et « le mensonge des autorités juives » (28,11-15) ; ces deux passages sont corrélés entre eux. Seul Mt ne parle pas de la préparation des aromates ; seul il dit que les femmes vont au tombeau dès la fin du sabbat, c’est-à-dire au début de la nuit du samedi au dimanche (28,1) ; seul il parle de séisme et fait assister les femmes à la résurrection, avec l’ange qui descend pour rouler la pierre du tombeau (28,2), seul il décrit les gardes comme morts (28,4). Seul Mt place la dernière rencontre entre Jésus et les Onze en Galilée (28,16-20). Mc n’a aucun épisode qui n’ait un équivalent dans les deux autres : — la mention que les femmes achètent les aromates (16,1) a son correspondant à la fin de la troisième séquence de Lc (23,56) ; — les femmes vont au tombeau le matin du premier jour de la semaine (16,2), comme en Lc 24,1 ; — la suite du récit de Mc correspond à celui de Mt, jusqu’au verset 8 ; cependant, contrairement à Mt (et à Lc), les femmes ne disent rien à personne ; — Jésus apparait ensuite à Marie Madeleine (9-11), ce qui correspond à l’apparition aux femmes en Mt 28,9-10 ; toutefois, Mc note l’incrédulité des disciples ; — la seconde apparition de Jésus (16,12-13) résume à très grands traits l’histoire des disciples d’Emmaüs (Lc 24,13-33a) ; — le dernier passage de Mc (16,14-20) combine des éléments matthéens et lucaniens : Jésus apparait aux Onze (14), mais il n’est pas dit que c’est en Galilée comme chez Mt 28,16-17 ; il les envoie en mission comme en Mt 28,18-20 ; enfin il est enlevé au ciel comme en Lc 24,50-53, mais tandis que chez Lc les apôtres restent à Jérusalem en attendant la venue de l’Esprit, chez Mc ils partent en mission (16,20).

selon saint Luc (Lc 24,1-53) MATTHIEU 27,62–28,20

MARC 16,1-20

481 LUC 24,1-53

Les autorités juives veulent empêcher la résurrection de Jésus 27,62-66 Le soir du sabbat, les femmes vont voir le sépulcre

Séisme Un ange roule la pierre Les gardes comme morts

28,1

2-3

5-7

Les femmes quittent le tombeau Elles annoncent la résurrection aux disciples

Le matin, elles vont au tombeau

1-2

Le matin, les femmes apportent les aromates

Elles trouvent la pierre roulée

3-4

Elles trouvent la pierre roulée

UN JEUNE HOMME annonce la résurrection aux femmes

5

Il les envoie dire aux hommes d’aller en Galilée

6-7

4-6a Les deux hommes rapportent les paroles de Jésus 6b-8 Les femmes reviennent du tombeau

Les femmes s’enfuient

8

DEUX HOMMES annoncent la résurrection aux femmes

Elles ne disent rien à personne

8

Elles annoncent la résurrection aux disciples Pierre ne trouve pas le corps de Jésus

Jésus apparait aux femmes Il les envoie dire aux disciples d’aller en Galilée

1-3

4

L’ANGE annonce la résurrection aux femmes Il les envoie dire aux hommes d’aller en Galilée

Le soir du sabbat, les femmes achètent les aromates

9-10

9-10 11-12

Jésus apparait à Marie Madeleine Elle l’annonce aux disciples qui ne la croient pas 9-11 Jésus apparait à deux disciples

Les deux disciples ne reconnaissent pas celui qui marche avec eux Jésus leur rappelle les Écritures Les deux disciples reconnaissent celui qui mange avec eux

13-19a 19b-27

28-33a

Les autorités juives veulent nier la résurrection de Jésus 11-15 Ils l’annoncent aux autres qui ne les croient pas

12-13

En Galilée, Jésus apparait aux Onze mais ils doutèrent 16-17

Jésus apparaissant aux Onze leur reproche leur incrédulité

Jésus envoie les Onze en mission

Jésus envoie les Onze en mission

15-18

Jésus est enlevé au ciel ; les Onze partent en mission

19-20

18-20

14

Les disciples s’annoncent la résurrection

33b-35

Jésus apparaissant aux Onze les encourage à croire 36-43 Jésus rappelle ses propres paroles et les Écritures 44-47a Jésus annonce aux Onze leur mission 47b-49 Jésus est enlevé au ciel ; les Onze restent à Jérusalem

50-53

Comme dans les séquences précédentes, Lc est assez différent des deux premiers évangiles :

482

La résurrection de Jésus

– au tombeau de Jésus, les femmes ne voient ni un ange comme chez Mt (28,2), ni un jeune homme comme chez Mc (16,5), mais deux hommes (24,4) ; – seul Lc rappelle les paroles de Jésus (24,6b-8) ; inversement, il est le seul qui ne fasse pas dire aux disciples de le rejoindre en Galilée (Mt 28,5-7 ; Mc 16,67) ; – seul Lc rapporte la visite de Pierre au tombeau (24,11-12) ; – Lc a en propre la longue histoire des disciples d’Emmaüs (24,13-33a) que Mc semble résumer très brièvement (16,12-13) ; – seul Lc mentionne une apparition de Jésus à Simon (24,34) ; – seul Lc 24,36-43 développe le récit de l’apparition de Jésus aux Onze, en rapportant que le Seigneur leur montre ses mains et ses pieds et qu’il mange avec eux ; – chez le seul Lc Jésus ouvre longuement les Écritures (44-47a) ; – seul Lc annonce la venue de la promesse du Père (24,47b-49) et montre les disciples demeurant à Jérusalem dans le Temple (52-53). L’ordre des événements communs Bien que relativement peu nombreux, les événements communs se passent exactement dans le même ordre. Les limites entre les passages Les limites entre les passages communs à Mt et Mc sont pratiquement identiques ; la seule différence se trouve à la fin du dernier passage, puisque Mt ne rapporte pas l’ascension. Quant aux trois sous-séquences de Lc, elles correspondent à peu de choses près aux passages parallèles des deux premiers évangélistes : la première sous-séquence lucanienne est quelque peu décalée par rapport au second passage de Mt et au premier passage de Mc, car le récit commence au matin du dimanche et non pas au soir du samedi et il s’achève par la visite de Pierre au tombeau qui n’a pas d’équivalent en Mt et Mc ; la dernière sous-séquence (33b-53) commence avec la rencontre entre les disciples d’Emmaüs et les autres (33b-35), tandis que l’épisode correspondant achève le passage précédent chez Mc (16,13). La composition de chaque passage Comme on l’a vu en son temps, la composition de chaque passage de Mt et de Mc, ainsi que des trois sous-séquences de Lc, sont très différentes. La fonction de chaque passage ou de chaque épisode Étant donné les différences importantes qui existent entre les trois séquences, il est difficile de comparer les fonctions que remplissent les passages parallèles dans la séquence à laquelle ils appartiennent. Même quand des épisodes parallèles se retrouvent en des positions identiques ou analogues, cela ne veut pas dire automatiquement qu’elles jouent le même rôle.

selon saint Luc (Lc 24,1-53)

483

Il est vrai qu’au centre des séquences de Mt et de Mc Jésus apparait, aux femmes chez Mt (28,9-19), à une femme chez Mc (16,9-11). Cependant, cette apparition est couplée avec une autre chez Mc (16,12-13) et la fonction de cette double apparition est clairement marquée par les termes finaux qui insistent sur l’incrédulité des disciples (« ils ne la crurent pas », « ils ne les crurent pas »). Chez Mt au contraire, le point pertinent de son passage central est que c’est le seul endroit où Jésus appelle les disciples ses « frères ». Ainsi la position centrale du même épisode est affectée d’une valeur complètement différente d’une séquence à l’autre. La sous-séquence centrale de Lc, l’histoire des disciples d’Emmaüs (13-33a), a son équivalent — bien qu’extrêmement abrégé — chez Mc, au centre aussi de sa séquence ; mais il est bien évident que l’ampleur que lui accorde le troisième évangile ainsi que son contenu lui donne un sens tout différent que celui qu’il a chez Mc. Chez ce dernier, comme on l’a déjà noté dans le paragraphe précédent, c’est l’incrédulité des disciples qui est soulignée. Chez Lc, les relations entre la sous-séquence centrale et les deux sous-séquences qui l’encadrent, mettent en relief, d’une part les trois annonces de la résurrection, d’autre part la relation entre la parole de Jésus et celles des Écritures (voir p. 478). Le message de chaque évangéliste Les séquences finales de Mt, de Mc et de Lc témoignent toutes trois d’une même réalité, les retrouvailles des disciples avec Jésus ressuscité. Cependant, plus encore que dans les trois séquences précédentes, le récit des disciples s’exprime de manière très différente. Comme si, avec la résurrection, on avait affaire non plus tellement à un récit de type historique, mais plutôt à l’expression d’une expérience beaucoup plus intérieure, et donc encore plus marquée par la personnalité de chaque auteur. Nul doute aussi que la situation et les problèmes de chacune des communautés où les trois premiers évangiles ont vu le jour n’aient largement influencé la manière dont l’événement a été rapporté. Ainsi ces séquences nous livrent à la fois un certain visage de Jésus et une image particulière du corps de ses disciples, incarné dans des lieux et des temps tout à fait spécifiques. Le message particulier des séquences de Mt et de Mc a été comparé à la fin du chapitre précédent (p. 430). Les titres choisis pour les trois séquences entendent marquer leurs ressemblances mais aussi leurs différences : Mt : « Le Serviteur se révèle le Fils ainé Mc : « Le Seigneur confirme et accompagne Lc : « Le Christ accomplit et ouvre les Écritures

d’une multitude de frères ». la communauté de ses disciples ». de son peuple ».

« Le Christ » Dans la séquence de Lc, Jésus s’attribue deux fois le nom de « Christ » (26.46) ; ce fait est d’autant plus remarquable que ni Mt ni Mc n’emploient ce titre dans leur séquence. Ce nom de « Christ » entre dans un système régulier :

484

La résurrection de Jésus

au début des sous-séquences extrêmes, le narrateur désigne Jésus comme « le Seigneur » (3.34) ; dans la première sous-séquence, Jésus se présente ensuite comme « le Fils de l’homme » (7) et dans la dernière comme « le Christ » (46) ; dans la sous-séquence centrale, celui que Cléophas et son compagnon appellent au début du passage central « Jésus le Nazarénien » (19) se dit « le Christ » à la fin de ce même passage (26) : Le Seigneur Jésus Le Fils de l’homme Jésus le Nazarénien LE CHRIST Le Seigneur LE CHRIST

3 7 19 26 34 46

Ainsi « le Seigneur » joue le rôle de termes initiaux pour les sous-séquences extrêmes, et « le Christ » celui de termes finaux pour les deux dernières sousséquences. « Jésus accomplit les Écritures » Mt 27,63 rappelle ce que Jésus avait dit : en effet, les chefs juifs disent à Pilate : « Seigneur, nous nous sommes souvenus que cet imposteur a dit, étant encore vivant : “Après trois jours je me relève”. » De même, l’ange dit aux femmes : « il s’est relevé comme il l’avait dit » (28,6) ; enfin, Jésus lui-même se réfère à l’enseignement qu’il avait donné : « leur enseignant à observer tout ce que je vous ai ordonné » (28,20). Quant à Mc, s’il se réfère aux paroles antérieures de Jésus, c’est seulement pour annoncer le rendez-vous en Galilée : « c’est là-bas que vous le verrez, comme il vous l’avait dit » (16,7). Lc est le seul des synoptiques à établir un lien très fort entre ce que Jésus avait dit luimême (24,6-7) et ce que les Écritures avaient annoncé (24,25-27 ; 44-47 ; voir p. 479) ; il montre ainsi que Jésus a accompli ce que les Écritures avaient prédit. « Jésus ouvre les Écritures » Lc est aussi le seul des synoptiques à montrer Jésus expliquant les Écritures, et ceci par deux fois : dans la sous-séquence centrale : 25

Et lui leur dit : “O inintelligents et lents de cœur à croire à tout ce dont ont parlé les prophètes ! 26 Ne fallait-il pas que le Christ souffre et qu’il entre dans sa gloire ?” 27 Et commençant par Moïse et par tous les prophètes, il leur interpréta dans toutes les Écritures ce qui le concernait.

Après quoi, les disciples d’Emmaüs réagissent en disant : « Notre cœur n’était-il pas brulant en nous, comme il parlait avec nous sur la route, comme il nous ouvrait les Écritures ? » (24,32)

selon saint Luc (Lc 24,1-53)

485

et de même dans la dernière sous-séquence : 44

Il leur dit : « Telles sont les paroles que je vous disais étant encore avec vous, qu’il fallait que s’accomplissent toutes les Écritures, dans la Loi de Moïse, les Prophètes et les Psaumes à mon sujet. » 45 Alors il leur ouvrit l’intelligence pour comprendre les Écritures. 46 Il leur dit : « Ainsi il est écrit que le Christ souffrirait et se lèverait d’entre les morts le troisième jour 47 et qu’en son nom seraient proclamées la conversion et la remise des péchés à toutes les nations.

« de son peuple » Les compagnons d’Emmaüs, en quelque sorte porte-parole de tous les autres disciples, disent à Jésus quelle avait été leur espérance : « Et nous, nous espérions que c’était lui qui allait délivrer Israël » (24,21). Ils avaient déjà décrit Jésus comme « un prophète puissant en œuvre et en parole devant Dieu et tout le peuple » (19). Jésus enfin dit aux Onze et à tous les autres que « seraient proclamées la conversion et la remise des péchés à toutes les nations » (47), mais que c’est « en commençant par Jérusalem » qu’ils en seront les témoins (47b-48). Pour les communautés auxquelles Lc s’adresse, formées essentiellement de païens venus à la foi, il était sans doute indispensable de bien marquer où se trouvaient leurs racines : dans la longue histoire et dans le peuple qui avait porté Jésus jusqu’à eux. INTERPRÉTATION La mémoire vide L’homme n’entend que ce qu’il veut bien entendre et il oublie très facilement ce dont il ne tient pas à se souvenir. Il était tellement insupportable pour les disciples de penser que le Christ serait livré aux mains des pécheurs pour être crucifié (7) qu’ils n’en avaient pas véritablement entendu l’annonce et qu’ils s’étaient hâtés de l’oublier. Quand la prophétie se réalise, ils sont tellement surpris et choqués, tellement « sombres » (17), qu’il leur est impossible de se rappeler quoi que ce soit de ce qui leur avait pourtant été dit et redit plusieurs fois. De même qu’ils n’avaient jamais cru à la Passion et à la mort de leur maitre, au point de l’écarter de leur pensée, ainsi maintenant n’ont-ils même plus le souvenir que dans sa bouche l’abaissement de la crucifixion était toujours lié à la glorification de la résurrection (7). Comment alors, en celui qui s’approche pour marcher avec eux (15), en celui qui se tient au milieu d’eux et mange devant eux (36-43), pourraient-ils reconnaitre celui qui est ressuscité des morts, puisqu’ils n’ont ni compris ni admis qu’il souffre et soit crucifié ? Il est impossible de penser que la résurrection de Jésus puisse être le fruit de l’imagination des disciples : s’ils avaient été tellement sûrs de le retrouver après sa mort, auraient-ils tant tardé à le reconnaitre et à admettre sa présence ? Ils ne sont pas plus capables d’imaginer la résurrection qu’ils n’ont jamais été en mesure d’envisager la Passion et la crucifixion. S’ils avaient pu en comprendre

486

La résurrection de Jésus

et en accepter les annonces, ils s’en seraient souvenus. Le choc des événements butant sur leur incrédulité les a frappés d’amnésie. La remémoration Il n’est pas d’intelligence du présent sans mémoire du passé. C’est pourquoi du vide du tombeau (3), les femmes sont rappelées aux paroles de Jésus (6b-7) ; du fond de leur désespoir (21), les disciples sont rappelés aux paroles des Écritures (25-27) ; de leur manque de foi (41), les Onze et ceux qui sont avec eux sont invités à entrer dans le mouvement d’anamnèse qui, des paroles de Jésus, remonte à celles des Écritures (44-47). Il faut qu’ils redécouvrent leur histoire et la genèse de l’appel qui les a façonnés. Qu’ils retrouvent d’abord leur histoire personnelle et le chemin parcouru depuis que Jésus les a invités à le suivre ; qu’ils retrouvent aussi l’histoire collective du peuple dont ils font partie, dans sa longue route depuis son élection jusqu’à son accomplissement dans le Christ. Autrement dit, qu’ils comprennent le mouvement et le sens du dessein de Dieu sur le monde et sur eux-mêmes. Voilà pourquoi ils doivent retourner aux Écritures et dans la ville de Jérusalem, les lieux de la révélation et de la remémoration. Le mémorial Mais pour retrouver la mémoire les paroles ne suffisent pas. Il faut un acte symbolique qui réunisse en lui-même, dans le présent de sa réalisation, l’annonce de ce qui devait arriver – « Le Fils de l’homme souffrira et se lèvera d’entre les morts » – et le mémorial de ce qui s’est produit – « Faites ceci en mémoire de moi. » Pour la première commémoration de son sacrifice (30), Jésus lui-même devait montrer à ses disciples les effets du mémorial qu’il leur avait laissé. Il ne faut pas s’étonner que ce ne soit qu’à la fraction du pain que Cléophas et son compagnon retrouvent tout à coup la mémoire et reconnaissent le Christ (31). C’est précisément la définition et la fonction de ce geste que d’être une anamnèse. Le témoignage À quoi servirait un témoin qui aurait tout oublié de ce qu’il a vu et entendu ? Ce serait comme s’il était sourd, aveugle et muet. Les disciples ne pouvaient pas être constitués témoins avant d’avoir retrouvé la mémoire des prophéties, d’avoir compris que, dans la Passion et la résurrection de Jésus, toutes les Écritures se résumaient, s’accomplissaient et s’éclairaient, d’avoir saisi que leur vie ellemême prenait là son sens. Ayant fait avec le Christ l’expérience de la Passion et de la résurrection d’entre les morts, étant morts et ayant retrouvé la vie avec lui, ils pourront proclamer à tous les hommes qu’eux aussi sont appelés à mourir au péché pour entrer dans la gloire de la vie (46-47).

CONCLUSION

Chacun des évangélistes présente un portrait particulier de Jésus. C’est bien sûr toujours le même Seigneur qu’ils dépeignent, les mêmes événements qu’ils rapportent, le même évangile qu’ils proclament, mais la perspective étant différente, chaque fois l’image change. Matthieu, Marc et Luc représentent en effet des communautés diverses, s’adressent à des auditoires dont les caractéristiques, les attentes et les besoins sont spécifiques. Rien d’étonnant par conséquent que leur récit et leur représentation des faits et surtout du personnage central de l’histoire ne soient pas purement et simplement superposables. Il est heureux qu’il en soit ainsi, car au lieu du portrait d’un personnage du passé figé dans une seule attitude, il est donné au lecteur des évangiles de contempler une personne vivante, un homme qui se meut dans une histoire avec d’autres. Il est ainsi entrainé non pas seulement à le regarder mais à le suivre, car, surtout dans sa Pâque, il ne fait que passer.

Le Serviteur du Seigneur selon saint Matthieu Première séquence : La Pâque du Serviteur pour la rémission des péchés Le centre du passage central fournit la clé de lecture de toute la séquence : Jésus donne son sang versé « pour la rémission des péchés » (26,28). Propre à Matthieu, cette expression renvoie sans aucun doute à la figure du Serviteur du Seigneur, telle qu’elle est dépeinte en Is 52–53 (voir p. 61), dans ce chant qui insiste tant sur le péché dont s’est chargé le Serviteur pour nous rendre le salut. Déjà au tout début de la séquence, dans un passage propre à Matthieu, le sacrifice de Jésus était mis en parallèle avec celui de la Pâque : « Sachez que dans deux jours la Pâque va arriver et que le Fils de l’homme va être donné pour être crucifié » (26,2). L’image de l’agneau pascal qui va être immolé est reprise dans le quatrième chant du Serviteur : « Comme un agneau est conduit à l’abattoir, et comme une brebis devant ses tondeurs muette et il n’ouvre pas la bouche » (Is 53,7). En outre, seul Matthieu précise le prix payé à Judas, en utilisant une citation de Za 11,12 : trente pièces d’argent, c’est-à-dire, selon Ex 21,32, le prix d’un esclave, d’un « serviteur ». Dans le dernier passage de la séquence, juste avant l’arrestation à Gethsémani, Matthieu comme Marc fait référence à l’accomplissement des Écritures, mais il est le seul à préciser que ce sont les Écritures « des prophètes » :

488

La Pâque du Seigneur

« Or tout cela arriva pour que s’accomplissent les Écritures des prophètes » (26,56). Les paroles précédentes : « Comme contre un bandit vous êtes sortis avec épées et bâtons pour me prendre » (26,55) renvoient elles aussi au quatrième chant du Serviteur : « avec les criminels il a été compté » (Is 53,12). La figure du Serviteur se reconnait donc, comme en filigrane, tout au long de la séquence. Pourtant, il est une autre figure qui s’impose peut-être avec plus de force, surtout dans la relation entre les centres des deux premières sousséquences : celle du nouvel Adam, accompagné et même précédé par la nouvelle Ève, la femme de Béthanie. Se pose alors le problème de la relation entre les deux figures : celle d’Adam que dépeint le livre de la Genèse et celle du Serviteur du Seigneur tel qu’il est prophétisé par le second Isaïe. L’humilité du second s’oppose nettement à l’orgueil du premier : tandis que l’un « prend » du fruit de l’arbre de la « connaissance » et récolte la « mort », pour lui-même et pour sa descendance, l’autre au contraire accepte d’être « pris » et conduit à la mort, recevant ainsi du Seigneur la vie et la « connaissance », non seulement pour lui-même mais aussi pour « sa postérité », « les multitudes » : 10

Le Seigneur a voulu l’écraser par la souffrance il verra une postérité, il prolongera ses jours 11 Par l’épreuve de son âme il verra [la lumière] le juste mon serviteur justifiera des multitudes 12 C’est pourquoi je lui partagerai les multitudes du fait qu’il s’est livré lui-même à la mort alors qu’il portait la faute des multitudes

quand il offre en sacrifice son âme et par lui la volonté du Seigneur s’accomplira. il se rassasiera de sa connaissance ; en s’accablant lui-même de leurs fautes. et avec les puissants il partagera le butin, et qu’il a été compté parmi les criminels et qu’il intercédait pour les criminels.

Une ligne interprétative est ainsi tracée par Matthieu qui lui permet de situer ce qui arrive en Jésus dans l’histoire de l’humanité et dans le dessein de Dieu. Cette ligne remonte aux récits d’origine, celui de la première faute d’abord avec les personnages types d’Adam et Ève, mais aussi celui du déluge par lequel Dieu voulut éradiquer la violence en détruisant ce qu’il avait créé, comme le suggère l’épisode de l’épée au jardin de Gethsémani. Le relais avec Jésus est assuré par deux voies complémentaires : celle du Cantique où, après bien des tribulations, l’Époux et l’Épouse célèbrent leurs noces, avec le vin du banquet de fête et dans le bonheur du parfum échangé et du corps donné ; cette voie croise celle du Serviteur qui, au lieu de s’opposer à la violence par la violence, en arrête la prolifération en la prenant sur lui-même, en offrant son corps à ses coups, et accède ainsi à la glorification. Deuxième séquence : Les Juifs et les païens condamnent le Serviteur Au centre de la séquence (27,1-2), Matthieu a placé un très bref passage qui peut sembler, à première vue, une simple transition entre les deux phases du procès, la phase juive et la phase romaine. Il faut toutefois noter un élément propre à Matthieu. Comme Marc, Matthieu dit que, le matin, tous les grands prêtres et les anciens du peuple tinrent conseil, mais seul Matthieu précise que

Conclusion

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c’était « contre Jésus, pour le faire mourir » ; en outre, ce court segment se trouvant au centre du passage central, joue donc le rôle de pivot sur lequel tourne toute la construction de sa séquence. L’importance de ce syntagme central est corroborée par le fait qu’il renvoie au début de la séquence où Matthieu dit — comme Marc du reste — que « les grands prêtres et le Sanhédrin tout entier cherchaient un faux témoignage contre Jésus pour le faire mourir » (26,59) ; il retentit aussi et surtout au centre du dernier passage où Matthieu ne dit pas seulement, comme Mc 15,11, que « les grands prêtres ameutèrent la foule afin que ce soit plutôt Barabbas qu’il leur relâche », mais : « Les grands prêtres et les anciens persuadèrent les foules afin qu’elles demandent Barabbas et qu’elles perdent Jésus » (27,21). Cette insistance particulière de Matthieu semble renvoyer à la figure du Serviteur du quatrième chant (Is 53,8) : 8

Par contrainte et jugement il a été saisi. Parmi ses contemporains, qui s’est inquiété Qu’il ait été retranché de la terre des vivants, Qu’il ait été frappé pour le crime de son peuple ?

Matthieu a organisé la séquence du jugement en deux phases, la phase juive et la phase romaine, pour insister sur la plus grande responsabilité des Juifs, c’est-àdire « le crime de son peuple » qui « a frappé » — « à mort », ajoute la Septante —, le Serviteur du Seigneur. Il est encore d’autres éléments propres à Matthieu qui peuvent être lus à cette lumière : – l’insistance sur le verbe « conduire », non seulement au début de la séquence comme en Marc, mais aussi au centre : « ils le conduisirent et le livrèrent à Pilate le gouverneur » (27,2) ; ce verbe se trouve aussi dans la traduction de la Septante : « pour le crime de mon peuple il fut conduit à la mort » (Is 53,8b). Quant au verbe « livrer » (paradidōmi), il se trouve en Is 53,12 (Septante) : « Il a été donné à la mort [...] et à cause de nos péchés il a été donné » ; – l’épisode de Judas qui rend « les trente pièces d’argent » ; déjà dans la première séquence, seul Matthieu avait introduit la citation de Zacharie : « Et ils lui pesèrent trente pièces d’argent » (tandis que Marc dit seulement : « ils lui promirent de lui donner de l’argent »), le prix d’un esclave, d’un « serviteur » ; – propre à Matthieu aussi l’épisode de la femme de Pilate qui qualifie Jésus de « juste », ce qui fait penser à Is 53,11 : Le juste mon serviteur justifiera des multitudes En s’accablant lui-même de leurs fautes.

– toujours propre à Matthieu, la déclaration finale de « tout le peuple » qui crie : « Son sang soit sur nous et sur nos enfants » (27,25) que l’on peut comprendre à la lumière du verset central du quatrième chant d’Isaïe (Is 53,5b) : Le châtiment qui nous rend la paix est sur lui Et dans ses blessures nous trouvons la guérison.

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– il faudrait ajouter d’autres éléments qui ne sont toutefois pas propres à Matthieu. Qu’il suffise de signaler la question de Pilate : « Quel mal a-t-il donc fait ? » qui renvoie à Is 53,9 : « bien qu’il n’ait pas fait de violence » (Septante : hoti anomian ouk epoiēsen). Pris de manière isolée, tous ces faits pourraient être considérés comme des détails peu pertinents. Toutefois, la convergence de tant d’indices, même ténus, semblent acquérir de par leur accumulation, non pas certes valeur de preuve, mais de confirmation de l’argument le plus fort, présenté au début, à savoir la référence à Isaïe : « pour la faute de mon peuple il fut frappé à mort », mise en valeur de manière très évidente par la composition même de la séquence. Troisième séquence : La justification du Serviteur de Dieu Le fait le plus saillant, sans doute, est que seul Matthieu dise que Joseph d’Arimathie « était un homme riche » (27,57) ; ce détail est une allusion claire au quatrième chant du Serviteur (Is 53,9) : On lui a donné un sépulcre avec les impies Et sa tombe est avec le riche.

En outre, le fait que Matthieu ait intégré l’épisode des moqueries des soldats romains au début de sa troisième séquence a pour fonction et comme effet d’insister encore davantage sur la dérision à laquelle est soumis le Serviteur du Seigneur À noter aussi que la séquence est centrée sur l’intervention de Dieu, avec les ténèbres, et que Matthieu fait de nouveau intervenir le Seigneur, non seulement avec le voile du Temple déchiré à partir d’en haut, mais aussi avec le tremblement de terre et la résurrection des morts. Tout cela montre comment Dieu intervient déjà en faveur de son Serviteur. Et c’est pour cela que cette troisième séquence a été intitulée : « La justification du Serviteur de Dieu ». Quatrième séquence : Le Serviteur se révèle le Fils ainé d’une multitude de frères Sont propres à Matthieu les épisodes intitulés : « Les autorités juives veulent empêcher la résurrection » (27,62-66) et « Les autorités juives veulent nier la résurrection » (28,11-15). Or il se trouve que les mots « imposture » (planē) et « imposteur » (planos) en 27,63 et 64 — le verbe signifie « faire errer » — se trouve dans le quatrième chant du Serviteur (Is 53,6a) : Tous, comme des moutons, nous étions errants, Chacun suivant son propre chemin.

La Septante répète le même verbe : Tous, comme des moutons, nous étions errants, Chacun sur son chemin était errant.

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L’imposture dont Jésus est accusé dans le premier passage de la séquence est en réalité le péché de ses accusateurs, comme on le voit dans le passage symétrique, quand ils achètent les gardes et prévoient de « persuader » le gouverneur. Mais c’est surtout le dernier discours de Jésus qui fait penser à la victoire du Serviteur : « Tout pouvoir m’a été donné au ciel et sur la terre » (Mt 28,18). Cette déclaration par laquelle commence le discours est propre à Matthieu. Or la fin du quatrième chant dit (Is 53,12) : C’est pourquoi il aura sa part parmi les multitudes Et avec les puissants il partagera le butin.

Le mot grec pas (« tout », « tous ») revient quatre fois dans le discours final de Jésus ; or le mot hébreu rabbīm (en grec polloi) est un des mots clés du quatrième chant du Serviteur. Dès le début où est annoncée sa victoire : « De même que des multitudes avaient été saisies d’épouvante [...], de même des multitudes de nations seront dans la stupéfaction » (Is 52,14-15) ; et de même à la fin : « Le juste mon serviteur justifiera des multitudes » (Is 53,11), « c’est pourquoi il aura sa part parmi les multitudes [...] alors qu’il portait le péché des multitudes » (Is 53,12). Déjà appelé « Fils de Dieu » par le centurion romain à la fin de la troisième séquence (et aussi par ceux qui avant sa mort se moquent de lui en l’appelant « Roi des Juifs » et « Fils de Dieu »), à la fin de l’évangile Jésus se présente luimême comme le Fils. Or, en grec le serviteur se dit pais, mais avec la connotation de « fils ». Ce Fils de Dieu est le Roi de l’univers, mais il se révèle au centre de la séquence comme celui dans lequel les disciples aussi sont fils, puisqu’il les appelle « frères ». D’où le titre de la quatrième séquence de Matthieu : « Le Serviteur se révèle le Fils ainé d’une multitude de frères ».

Le Maitre de ses disciples selon saint Marc Première séquence : L’alliance du Maitre pour la multitude de ses disciples Contrairement à celle de Matthieu, la première séquence de Marc n’est pas centrée sur la rémission des péchés, mais sur « beaucoup » pour lesquels Jésus donne son sang versé. L’accent porte donc sur les bénéficiaires du don de Jésus. Effectivement, les deux passages qui encadrent la sous-séquence centrale — intitulés : « Les disciples invités à manger la Pâque avec Jésus (Mc 14,12-16) et « Les disciples invités à boire la coupe avec Jésus » (14,32-42) — insistent sur le lien entre les disciples et leur maitre. La rédaction marcienne du premier de ces deux passages, où Jésus envoie deux de ses disciples préparer la Pâque, est très différente de celle de Matthieu : Marc insiste non pas tellement sur l’annonce de

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la Passion comme Matthieu, mais sur l’invitation faite par le Maitre à ses disciples ; de la même manière, la particularité du récit de la prière à Gethsémani selon Marc est de mettre en valeur l’aspect ecclésiologique plus que l’aspect christologique, d’insister davantage sur la relation entre les disciples et leur maitre que sur le rapport entre Jésus et son Père. Dans la même ligne, il faut noter un détail sans doute significatif : tandis que Matthieu parle des « grands prêtres et anciens du peuple » (26,3.47), Marc remplace les anciens par « les scribes » au début (14,1) et les ajoute aux deux autres catégories des membres du Sanhédrin dans le dernier passage (14,43). Or les scribes sont les enseignants du peuple, ce que ne sont pas les anciens ; c’est à cette fonction que seront appelés les disciples. Il faut enfin considérer un dernier élément : le lecteur, c’est-à-dire le disciple actuel, est impliqué — plus encore qu’avec Matthieu — par le fait qu’un certain nombre de personnages ne sont pas identifiés par Marc : ceux qui critiquent la femme de Béthanie au centre de la première sous-séquence, celui qui le livrera dans le premier passage de la sous-section centrale et, à la fin, le jeune homme qui s’enfuit nu. Comme le dit Marc au centre du passage central de la sousséquence centrale, ils sont « beaucoup » ceux pour lesquels Jésus verse son sang, car ils comprennent tous les lecteurs depuis lors jusqu’aujourd’hui. Deuxième séquence : Les Juifs, les païens et le disciple abandonnent le Maitre Au cœur de la séquence de Marc trône Pierre qui renie son Maitre. Tandis que Matthieu souligne la culpabilité du peuple d’Israël, Marc met en relief celle du disciple qui représente tous les autres, sans oublier évidemment le lecteur chrétien. Sa responsabilité est redoublée du fait, propre à Marc, que le coq chante deux fois : une fois après le premier reniement, ce qui n’empêche pas Pierre de renier encore deux fois son Maitre. De Judas, Marc ne dit rien, comme si Pierre était le seul coupable parmi les disciples. C’est encore, semble-t-il, une façon d’insister non pas tant sur ce qui est arrivé par le passé, mais sur la situation présente. Pierre est la figure emblématique du chrétien pécheur, et aussi le modèle de son repentir. Troisième séquence : L’avènement du Maitre de la terre Tandis que la séquence de Matthieu est centrée sur l’intervention de Dieu avec les ténèbres, la composition de la séquence de Marc semble présenter Jésus comme le Maitre, ou le Seigneur, de toute la terre. Il suffira de relever deux faits aisément repérables. Dans la dernière sous-séquence, Marc met en parallèle le centurion romain et le juif Joseph d’Arimathie, le premier confessant que Jésus est le Fils de Dieu, le second présenté comme attendant le Règne de Dieu et le reconnaissant dans le crucifié. Au début de la séquence, une particularité de Marc qui pourrait paraitre un détail anodin, mais qui peut être interprété au

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contraire comme un élément fort significatif : Simon de Cyrène est dit « père d’Alexandre et de Rufus ». On dit généralement que c’étaient là des personnes connues de l’évangéliste et de sa communauté et qui faisaient partie du groupe des disciples. C’est là une explication d’ordre historique ; elle n’est pas à exclure a priori, mais elle est totalement impossible à prouver. En revanche, la symbolique des noms est commune dans le monde sémitique : or, si le nom du père, Simon, est typiquement juif, celui de ses deux fils est grec pour le premier, latin pour le deuxième. Il se pourrait donc que cela suggère le développement et l’extension de la foi qui part des Juifs mais atteint bien vite les païens. Ce détail est à rapprocher de l’inscription trilingue de la croix qui, selon le quatrième évangile, était rédigée « en hébreu, en latin et en grec » (Jn 19,20). Quatrième séquence : Le Seigneur confirme et accompagne la communauté de ses disciples La dernière séquence de Marc — dans sa rédaction brève, mais aussi selon le texte canonique — est marquée très fortement par l’incrédulité des disciples. Toutefois, elle débouche sur la présence active de celui qui est appelé par deux fois, « le Seigneur » (d’abord « le Seigneur Jésus » en 16,19, puis simplement « le Seigneur » en 20). Celui que l’on pouvait jusque-là reconnaitre comme Maitre, c’est-à-dire l’enseignant, est à la fin proclamé Seigneur, titre divin. À leur tour les disciples deviennent maitres, accomplissant au nom du Seigneur tout ce qu’il avait fait.

Le Roi d’Israël selon saint Luc Première séquence : Le testament du Roi pour la communauté de ses fidèles La première séquence de Luc est focalisée, non pas sur la Cène comme chez Matthieu et chez Marc, mais sur le dernier discours de Jésus. Ce testament décrit quelle est la véritable royauté, celle du service. Si les disciples acceptent cette loi, ils recevront en héritage le royaume et siégeront sur douze trônes pour juger les douze tribus d’Israël. Au centre du discours, Jésus se présente lui-même comme celui qui sert. Et c’est pour cela qu’il recevra de son Père la royauté suprême. Deuxième séquence : Tous les hommes se jugent devant le Roi Cette séquence est centrée sur le jugement des membres du Sanhédrin : « Qu’avons-nous encore besoin de témoignage ? Nous-mêmes l’avons entendu

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de sa bouche » (22,71). La perspective de Luc est de présenter Jésus comme le Roi devant lequel tous les autres personnages se jugent eux-mêmes, sont pour ainsi dire conduits à dire la vérité de leur cœur. Comme les deux femmes devant le Roi Salomon. Troisième séquence : L’intronisation du Roi des Juifs Au centre de la séquence, l’écriteau suspendu à la croix : « Celui-ci est le Roi des Juifs » (23,38). Devant ce roi, chaque groupe se divise, les uns en faveur de Jésus, les autres contre lui. De nouveau, ce roi est le juge qui fait advenir la vérité de chacun. Cela est vrai de tous les personnages, mais apparait encore plus clairement pour les deux brigands crucifiés avec lui : l’un insulte Jésus, l’autre au contraire entrera avec lui « dans son royaume ». Quatrième séquence : Le Christ accomplit et ouvre les Écritures de son peuple Seul Luc donne le titre de « Christ » à Jésus dans la séquence de la résurrection. Se simple fait est déjà un indice de son intention. Seul Luc fait autant de références à ce qu’avait annoncé Jésus et qui n’était autre que ce que disaient les Écritures. C’est pourquoi la séquence a été intitulée : « Le Christ accomplit et ouvre les Écritures de son peuple ». « Le Christ » et non plus « le Roi » comme dans les séquences précédentes, pour marquer une sorte de progression, mieux, de mutation entre les séquences de la Passion et celle de la Résurrection : le Roi d’Israël en effet devient, par sa résurrection, le Christ de toutes les nations. Un saut analogue se vérifie en réalité dans les trois synoptiques : Mt :

celui qui est présenté comme le Serviteur durant la Passion se révèle comme le Fils dans la dernière séquence.

Mc :

celui qui est présenté comme le Maitre durant la Passion se révèle comme le Seigneur dans la dernière séquence.

Lc :

celui qui est présenté comme le Roi d’Israël durant la Passion se révèle comme le Christ, roi de l’univers dans la dernière séquence.

Le lecteur aura sans doute été surpris que l’étude ait suivi l’ordre canonique des évangiles. Il se pourrait que cet ordre — Matthieu, Marc, Luc — soit pertinent. Pendant de longs siècles l’Église a donné plus d’importance à Matthieu, appelé l’évangile ecclésiastique, et moins à Marc, retenu un abrégé de Matthieu. L’époque moderne, critique et historique, donne plus de poids à Marc, que l’on pense primitif et même source majeure des deux autres synoptiques. Toutefois, à la lumière de cette étude de la composition de la Pâque du Seigneur, il apparait assez clairement, encore plus clairement que ce que l’on savait déjà depuis toujours, que les synoptiques sont en même temps nés dans des

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milieux différents et destinés à des situations ecclésiales diverses. Ces situations semblent correspondre, en quelque sorte, à l’histoire et au développement de l’Église. Matthieu — un nom juif ! — représente l’église judéo-chrétienne, c’est-à-dire formée en très grande partie de Juifs devenus disciples de Jésus. C’est pourquoi il est aussi sévère pour le peuple hébreu, coupable de n’avoir pas reconnu celui que les prophètes avaient pourtant annoncé, le Serviteur du Seigneur auquel avaient été prédites les plus grandes souffrances mais aussi la glorification. La dureté de Matthieu est celle des anciens prophètes d’Israël, pour lesquels le péché de leur peuple est plus grave que celui des autres nations, parce qu’il est le peuple de l’alliance. C’est aussi pour cela qu’il reconnait dans la figure de Jésus celle du Serviteur du Seigneur, si familière à son peuple et qui correspond si bien à ce qui est arrivé à Jésus. Marc — un nom romain ! —, le second des synoptiques selon l’ordre devenu canonique, reflète une autre église, ou un autre milieu dans lequel, probablement à Rome, les chrétiens, surtout d’origine païenne, même si des Juifs en font partie, ne se sentent plus faire partie intégrante du peuple juif, mais forment un groupe distinct à la fois des païens et des Juifs. Pour tous, la figure de Jésus est celle du Maitre qui a donné sa vie pour tous, Juifs et non Juifs, tous pécheurs. La figure du disciple est celle de Pierre, dont Marc est le collaborateur et le traducteur. En lui, ils se reconnaissent eux aussi pécheurs, prêts à renier le Maitre, rebelles à la foi, comme tous les premiers disciples, y compris les femmes du tombeau. Dans ce Maitre, ils ont appris à voir le Seigneur auquel tout a été donné sur la terre comme au ciel. Luc — un nom grec ! — qui adresse son évangile aux chrétiens grecs comme lui, pratiquement tous d’origine païenne, insiste sur la racine. Jésus est présenté avant tout comme le Roi d’Israël, pour que les ethnico-chrétiens n’oublient jamais que le salut leur vient du peuple qui fut avant tous les autres et demeure pour toujours le peuple élu. La grâce qu’ils ont reçue a « commencé par Jérusalem »1. Si Luc est le seul qui organise sa dernière séquence autour de l’accomplissement de ce qui avait été écrit, c’est pour que ses chrétiens reviennent sans cesse aux Écritures d’Israël et les fassent leur, pour qu’ils se greffent toujours davantage sur l’olivier originaire. Il ne fait aucun doute que pour la majorité des lecteurs actuels, Luc est l’évangile qui correspond le plus à notre situation. Si l’Église a conservé quatre évangiles et a toujours refusé de n’en retenir qu’un seul, si elle a résolument écarté toutes les tentatives de fabriquer un autre évangile qui soit la synthèse des quatre autres, cela signifie que nous devons les tenir tous les quatre comme l’unique façon d’approcher la vérité de l’Évangile, c’est-à-dire la personne de Jésus, Serviteur et Fils, Maitre et Seigneur, Roi d’Israël et Christ universel. En d’autres termes, le disciple de Jésus est ainsi invité, avec l’évangile quadriforme, à résister à la tentation toujours présente de 1

Voir F. ROSSI DE GASPERIS, Cominciando da Gerusalemme.

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vouloir mettre la main sur Jésus, mais au contraire à se laisser attirer par lui. Telle est l’unique voie pour le connaitre en vérité, pour entrer dans sa vérité qui est aussi la nôtre.

SIGLES ET ABRÉVIATIONS Amos AncBD BEThL BJ Bonnard Brown

CBQ CNT(N) CTNT DBS EtB EtB(N) EvTh Fs. Gnilka

Gr. Hagner HThK Ibid. Id. JBL LeDiv Légasse

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498 NRSV NTS RB ReBib ReBibSem RhBib RhSem RSR SC TOB Traité UBS

La Pâque du Seigneur New Revised Standard Version New Testament Studies Revue biblique Retorica biblica Retorica biblica e semitica Rhétorique biblique Rhétorique sémitique Recherches de science religieuse Sources chrétiennes Traduction œcuménique de la Bible R. Meynet, Traité de rhétorique, RhSem 4, Paris 2007 ; deuxième édition revue et corrigée, RhSem 11, Pendé 2013 United Bible Society

Les abréviations des livres bibliques sont celles de la Bible de Jérusalem.

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La Pâque du Seigneur

MEYNET, R., L’Évangile de Luc, RhSem 1, Paris 2005 ; deuxième éd. RhSem 8, Pendé 2011. ——, « Selon les Écritures ». Lecture typologique des récits de la Pâque du Seigneur, Theologia 7, Rome 2012 (version papier et e-book) ; audiolivre : Saint-Léger éd., Le Coudray-Macouard (Maine-et-Loire) 2013. ——, Traité de rhétorique biblique, RhSem 4, Paris 2007 ; deuxième édition revue et corrigée, Pendé 2013. ——, voir P. Bovati. Midrash Tehillîm, Vilna 1891 (Jérusalem 19772). MOULTON, J. H., A Grammar of New Testament Greek, Edimbourg 1963. ONISZCZUK, J., La Passione del Signore secondo Giovanni (Gv 18–19), ReBib 15, Bologna 2011. ——, Incontri con il Risorto in Giovanni (Gv 20–21), ReBibSem 1, Roma 2013. O’TOOLE, R., « Last Supper », AncBD IV, 234-241. PERROT, C., voir X. Léon-Dufour. PESCH, R., Das Makusevangelium, Freiburg im Breisgau 19772.19802; trad. italienne : Il vangelo di Marco, I-II, CTNT II,1-2, Brescia 1980.1982. RADERMAKERS, J., Au fil de l’Évangile selon saint Matthieu, Heverlee – Louvain 1972. RAGON, É, – RENAUD, É., Grammaire complète de la langue grecque, Paris 1925. RENAUD, É., voir É. Ragon. ROSSI DE GASPERIS, F., Cominciando da Gerusalemme. La sorgente della fede e dell’esistenza cristiana, Casale Monferrato 1997. Sefer Ha-Hinukh, trad. Robert Samuel, Paris 1974. SENIOR, D.P., The Passion Narrative according to Matthew: a Redactional Study, BEThL 39, Louvain 1975. SIMOENS, Y., « L’onction eucharistique et la cène nuptiale selon Mc 14,1-31 », Ouvrir les Écritures, Fs. P. Beauchamp, LeDiv 162, Paris 1995, 245-266. TREMOLADA, P., « E fu annoverato fra iniqui ». Prospettive di lettura della Passione secondo Luca alla luce di Lc 22,37 (Is 53,12d), AnBib 137, Roma 1997. VAGANAY, L., « Matthieu », DBS V, 940-956. VANHOYE, A., De Narrationibus Passionis Christi in Evangeliis synopticis, cours polycopié, Rome 1969-70.

Bibliographie

503

VANHOYE, A. et al., La Passion selon les quatre Évangiles, LiBi 55, Paris 1981. VAN MEENEN, B., « Désir de Dieu et liberté messianique. Une lecture du récit de Gethsémani », dans P. BOGAERT – J. REMY – M. MAESSCHALCK – PH. BACQ – B. VAN MEENEN, Volonté de Dieu. Liberté de l’homme, Bruxelles 1997, 119-135. VON WAHLDE, U.C., « The Relationship between Pharisees and Chief Priests : Some Observations on the Texts in Matthew, John and Josephus », NTS 42 (1996) 506-522. WIÉNER, C., « Le mystère pascal dans le deuxième évangile. Recherches sur la construction de Marc 14–16 », La Pâque du Christ, Mystère de salut, Fs. X. Durrwell, Paris 1982, 131-145.

INDEX DES AUTEURS CITÉS

Aland : 364 Ambroise de Milan : 78 Baehr : 31 Bailly : 299 Beauchamp : 64, 76, 77, 79, 141, 185, 186 Benoit : 12, 136, 141, 196, 198, 206 Blass : 364 Blintzer : 12 Blintzler : 247 Blinzler : 11 Bonnard : 28, 31, 196, 198, 206, 247, 399 Bovati : 7, 13, 80, 115, 311 Bovon : 135 Brown : 12, 52, 115 Catéchisme : 424 Colon : 15 Craig : 385 Debrunner : 364 Dupont : 467 Fabris : 399 Fausti : 202 Fitzmyer : 150, 364 Flavius Josèphe : 30 Friedrich : 198 Funk : 364 Gargano : 122 Gildersleeve : 398 Gnilka : 34, 36, 43, 50, 64, 76, 385, 398 Hagner : 58, 59 Haulotte : 74 Hillesum : 81 Hug : 12, 411 Jimenez : 200 Kuhn : 58 Lagrange : 364, 398 Lamarche : 253

Lane : 115 Leaney : 437, 500 Légasse : 11, 12, 14, 30, 68, 115, 196, 212 Léon-Dufour : 15, 137, 252, 253 Lohmeyer : 64 Lohse : 31 Loyola : 16 Lund : 62, 112, 283, 324 Luz : 408 Marguerat : 408 Marshall : 364 Metzger : 31, 165, 324 Meynet : 12, 13, 18, 23, 60, 80, 115, 129, 149, 155, 175, 186, 311, 340, 466 Midrash Tehillîm : 304 Moulton : 28 O’Toole : 49 Oniszczuk : 19, 502 Perrot : 15, 252, 253 Pesch : 212 Plummer : 364 Radermakers : 399 Ragon : 364 Renaud : 364 Rilke : 81 Rossi de Gasperis : 495 Sefer Ha-Hinukh : 16 Senior : 39, 62 Simoens : 46, 122 Tremolada : 155 Vaganay : 15 Van Meenen : 109 Vanhoye : 9, 11, 12 Von Wahlde : 385 Wiéner : 83

INDEX DES RÉFÉRENCES BIBLIQUES

Gn 1–2 : 363 Gn 1,2-5 : 363 Gn 1,2 : 308 Gn 1,26 : 80 Gn 2–3 : 121, 200 Gn 2,1 : 370 Gn 2,7 : 363 Gn 2,22.23.24.25 : 43 Gn 3 : 43, 74, 423, 467, 468 Gn 3,1 : 31 Gn 3,1.2 : 43 Gn 3,6 : 43, 79 Gn 3,7 : 460 Gn 3,14-19 : 79 Gn 3,16.17 : 75 Gn 3,20 : 43 Gn 4 : 200, 212, 248 Gn 4,1-16 : 200 Gn 4,7 : 215 Gn 4,8 : 215 Gn 4,9 : 200 Gn 4,10-11 : 200 Gn 6,5–9,17 : 64 Gn 6,5 : 64 Gn 6,6 : 64 Gn 6,9 : 64 Gn 6,11 : 65 Gn 6,12 : 64 Gn 8,21 : 64 Gn 8,22 : 65 Gn 9 : 200 Gn 9,1-18 : 80 Gn 9,6 : 121 Gn 9,11 : 65 Gn 9,12-17 : 65 Gn 9,13 : 65 Gn 9,14 : 64 Gn 9,18-27 : 80 Gn 11,1-9 : 80 Gn 12,1 : 401 Gn 15,1 : 390

Gn 21,17 : 390 Gn 22,4 : 303 Gn 26,23 : 390 Gn 29,32-33 : 44 Gn 37,11 : 212 Gn 37,18-27 : 122 Gn 37,31-33 : 215 Gn 39,12 : 115 Gn 42,17 : 303 Gn 49 : 471, 472 Ex 10,21-29 : 377 Ex 10,21ss : 308 Ex 11 : 308 Ex 11,1-10 : 377 Ex 12–13 : 49 Ex 12,1-14 : 84 Ex 12,7 : 135 Ex 12,13 : 11, 135 Ex 12,43s : 29 Ex 13,21-22 : 334 Ex 14,15-20 : 84 Ex 14,31 : 97 Ex 15,22 : 303 Ex 16 : 460 Ex 16,3 : 460 Ex 16,6 : 460 Ex 20,11 : 340 Ex 16,12.15 : 460 Ex 20,9 : 340 Ex 20,13.15 : 122 Ex 21,14 : 31 Ex 21,32 : 36, 487 Ex 24 : 80 Ex 24,8 : 50, 185 Ex 32–34 : 80 Lv 9,22 : 471 Lv 16 : 337 Lv 19,2 : 185 Lv 20,7-8 : 185 Lv 20,26 : 185

Lv 23,5-6 : 38 Nb 6,23-27 : 471 Nb 28,16-25 : 49 Nb 28,16-17 : 38 Nb 28,22 : 49 Dt 2,7 : 156 Dt 6,15 : 340 Dt 8,4 : 156 Dt 8,9 : 156 Dt 15,1-18 : 33 Dt 15,11 : 33 Dt 16,1 : 29 Dt 16,2 : 29 Dt 19,15 : 227, 313 Dt 19,16-21 : 397 Dt 27,24 : 31 Dt 29,4 : 156 Dt 31,19 : 16 Dt 32,44-46 : 76 Dt 33 : 76, 471, 472 Dt 34 : 76 Jos 2,16 : 303 1S 16,11 : 186 1S 17,13 : 186 1S 17,45 : 186 2S 17,23 : 206 1R 19,1-2 : 167 1R 19,3-8 : 167 1R 19,4 : 168 2R 2,11-13 : 328 2R 20,5.8 : 303 Tb 1,3 : 34 Tb 1,16-17 : 34

508

La Pâque du Seigneur

Est 4,16 : 303 Est 5,1 : 303

Qo 3,1 : 35

1M 2,39-41 : 394 Jb 1–2 : 153 Jb 16,1 : 299 Ps 2 : 393 Ps 2,1-3 : 393 Ps 2,1-2 : 246 Ps 2,2 : 393 Ps 2,4-6 : 394 Ps 2,10-12 : 393 Ps 2,11 : 393 Ps 19,15 : 35 Ps 22 : 303, 305, 319, 328, 334, 365, 375, 377, 406 Ps 22,5-6 : 334 Ps 22,7b : 319 Ps 22,8.9 : 377 Ps 22,8b : 319 Ps 22,9 : 302, 319, 329, 330, 377 Ps 22,17 : 355 Ps 22,18b-19 : 299 Ps 22,19 : 319, 327, 355, 377 Ps 22,23 : 406 Ps 22,28-32 : 406 Ps 22,28 : 327, 377 Ps 22,29 : 377 Ps 23,1 : 156 Ps 31,6 : 306, 363 Ps 32 : 377 Ps 40,10 : 46 Ps 41,10 : 98 Ps 69 : 324, 334, 377 Ps 69,22 : 299, 305, 327 Ps 69,23-29 : 377 Ps 110 : 198, 263 Ps 110,1 : 198 Ps 118,24 : 394 Ps 130 : 334 Pr 31,6-7 : 327

Ct 1,2-3 : 76 Ct 1,2 : 78 Ct 1,3 : 34 Ct 4,10 : 34, 76 Ct 4,11-16 : 76 Ct 5,1 : 76 Ct 7,9-10 : 76 Ct 8,2 : 76 Ct 8,7-12 : 76 Ct 8,14 : 76 Sg 2 : 330 Sg 2,18-20 : 302 Sg 2,24 : 213 Si 50,20-21 : 471 Is 29,16 : 206 Is 43,1 : 406 Is 43,7.21 : 406 Is 44,2 : 406 Is 45,7-13 : 206 Is 45,9-11 : 406 Is 46,3-4 : 406 Is 49,1.5 : 406 Is 49,14-15 : 406 Is 52–53 : 15, 198, 200, 291, 370, 487 Is 52,12 : 77 Is 52,13–53,12 : 50, 60, 77, 80, 121, 319, 348, 406 Is 52,13–53,3 : 147 Is 52,13 : 209, 407 Is 52,14-15 : 209, 406, 491 Is 52,14.15 : 122 Is 52,15 : 370 Is 53,2.10.11 : 370 Is 53,3 : 209, 319, 320 Is 53,4-7 : 77 Is 53,4-7b : 281 Is 53,4 : 65, 407 Is 53,5 : 65, 320 Is 53,5.8.11.12 : 121 Is 53,5b : 489

Is 53,6 : 406 Is 53,6a : 490 Is 53,7 : 198, 209, 216, 487 Is 53,7.8 : 286 Is 53,7.10 : 121 Is 53,7.12 : 51 Is 53,8 : 64, 489 Is 53,8b : 489 Is 53,9 : 65, 313, 319, 490 Is 53,11-12 : 77, 122, 406 Is 53,11 : 65, 81, 320, 348, 489, 491 Is 53,11.12a.12c : 122 Is 53,12 : 64, 65, 77, 81, 115, 155, 247, 324, 327, 353, 377, 488, 489, 491 Is 54,1-10 : 77 Is 58,13 : 386 Is 62,1-9 : 77 Is 64,7 : 206 Jr 19,1ss : 206 Jr 30,1–31,22 : 77 Jr 31,31-34 : 77, 186 Jr 31,31 : 143 Jr 34,18 : 141 Ez 16 : 77 Ez 18,23 : 357 Ez 21,3-8 : 377 Ez 33,33 : 133 Ez 45,18-24 : 49 Dn 7,13 : 198, 263 Dn 13,62 : 397 Os 1–3 : 77 Os 6,2 : 303 Os 9,14 : 353 Os 9–10 : 353 Os 10,8 : 353, 377 Jl 2,2.10 : 311

Index des références bibliques Am 1,3–2,16 : 115 Am 2,6-16 : 115 Am 2,16 : 115 Am 5,16-20 : 308 Am 8,8 : 311 Am 8,9-10 : 308, 377 Am 9,5 : 311 Jon 2,1 : 303 Mi 5,1 : 409 Za 11,12 : 36, 206, 487 Za 11,13 : 206 Za 12,10 : 370 Za 13,7 : 52, 115 Za 14,1-2 : 52 Za 14,3s : 52 Mt 2,13 : 43 Mt 3,2 : 50 Mt 4,1-11 : 62 Mt 4,3-4 : 75 Mt 4,8-9 : 400, 401 Mt 4,9 : 76 Mt 4,18-22 : 59 Mt 5,39 : 196 Mt 5,41 : 299 Mt 6,9 : 59 Mt 6,10 : 59, 168 Mt 6,13 : 59 Mt 7,28 : 28 Mt 8,15 : 85 Mt 9,6 : 29 Mt 10,1-4 : 59 Mt 10,38 : 299 Mt 10,39 : 43 Mt 11,1 : 28 Mt 12,1 : 85 Mt 12,8 : 29 Mt 12,46-50 : 314, 395 Mt 12,48 : 408 Mt 13,53 : 28 Mt 14,31 : 400 Mt 16,6 : 85 Mt 16,12 : 85 Mt 16,24 : 299 Mt 16,27-28 : 29

509

Mt 17,1-8 : 400 Mt 17,1-9 : 59 Mt 17,2-3 : 59 Mt 17,2 : 390 Mt 17,5 : 59 Mt 17,9-13 : 400 Mt 17,9 : 401 Mt 17,12 : 29 Mt 17,22-23 : 29 Mt 18,12.13 : 386 Mt 19,1 : 28 Mt 19,28 : 29 Mt 20,18-19 : 29 Mt 20,20-34 : 149, 186 Mt 20,20-28 : 59 Mt 20,26 : 186 Mt 20,28 : 29 Mt 23,33-36 : 212 Mt 23,35 : 215 Mt 24,1–25,46 : 28 Mt 24,4.5 : 386 Mt 24,11.24 : 386 Mt 24,27.30.37.39.44 : 29 Mt 25,31-46 : 35 Mt 25,31 : 29 Mt 25,35-36 : 34 Mt 25,40 : 395, 408 Mt 26,52 : 43 Mt 26,57-66 : 266 Mt 27,15 : 278

Lc 2,10 : 390 Lc 2,25 et 38 : 370, 371 Lc 2,29 : 178 Lc 2,34 : 361 Lc 3,3 : 50 Lc 3,19 : 274 Lc 4,1-13 : 187 Lc 4,9-12 : 169 Lc 5,3 : 260 Lc 6,14 : 260 Lc 6,16 : 130, 146 Lc 7,36-50 : 135 Lc 8,2-3 : 441 Lc 9,1-2 : 156 Lc 9,2-3 : 156 Lc 9,29 : 437 Lc 9,30 : 437 Lc 9,31 : 438 Lc 10,4 : 156 Lc 11,2-4 : 168 Lc 14,11 : 151 Lc 16,13 : 130 Lc 18,14 : 151 Lc 18,36 et 43b : 127 Lc 19,29-33 : 133 Lc 20,1 : 271 Lc 20,20-26 : 271 Lc 20,25 : 271, 273 Lc 20,26 : 271 Lc 21,24 : 378

Mc 1,4 : 50 Mc 1,32-34 : 423 Mc 3,10-11 : 423 Mc 6,13 : 423 Mc 9,34 : 146 Mc 10,29-30 : 419 Mc 10,35-52 : 149, 186 Mc 10,43 : 186 Mc 14,1-31 : 46 Mc 14,53-64 : 266 Mc 15,6 : 278 Mc 15,40 : 441 Mc 16,1 : 441

Jn 1,42 : 216 Jn 2,19 : 196 Jn 13,1-17 : 161 Jn 13,1 : 11 Jn 13,13 : 150 Jn 18,10 : 64, 187 Jn 18,13 : 31 Jn 18,22 : 196 Jn 19,3 : 196 Jn 19,20 : 493 Jn 20,29 : 443 Jn 21,3 : 419 Jn 21,12 : 419

Lc 1,13.30 : 390 Lc 1,28 : 394

Ac 1,22 : 9 Ac 1,8 : 470

510

La Pâque du Seigneur

Ac 2,34 : 263 Ac 2,36 : 10 Ac 3,13-15 : 10 Ac 3,13.26 : 155 Ac 4,8-10 : 10 Ac 4,24-28 : 246 Ac 4,24 : 178 Ac 4,27.30 : 155 Ac 5,29-32 : 10 Ac 6,14 : 196 Ac 8,32-33 : 155 Ac 10,38 : 360 Ac 12,19 : 397 Ac 13,32-33 : 9 Ac 16,27 : 397 Ac 28,3-6 : 423

Rm 1,4 : 10 Rm 5 : 380 Rm 5,6-8 : 107 Rm 5,8 : 186 Rm 6,4 : 407 Rm 8,32 : 357 Rm 9,21 : 206 1Co 1,23 : 360 1Co 5,7 : 135 1Co 5,8 : 85 1Co 15,3-5 : 11, 13 1Co 15,14 : 9 1Co 15,19-20 : 10 Ep 5,14 : 168

1Th 1,9-10 : 9 1Th 4,14 : 10 Ap 20,2 : 423

TABLE DES MATIÈRES

Introduction ................................................................................................. Lexique des termes techniques ...................................................................

9 21

La première séquence LE TESTAMENT DE JÉSUS ..................................................................

25

CHAPITRE PREMIER La Pâque du Serviteur pour la rémission des péchés (Mt 26,1-56) .............

27

A. La Pâque de Jésus se prépare (Mt 26,1-19) ............................................ Jésus annonce à ses disciples que sa passion est proche (Mt 26,1-2) ...... Les autorités décident de tuer Jésus (Mt 26,3-5) ..................................... L’onction de Béthanie (Mt 26,6-13) ........................................................ Le disciple Judas décide de vendre Jésus (Mt 26,14-16) ......................... La préparation de la Pâque (Mt 16,17-19) ............................................... LA PÂQUE DE JÉSUS SE PRÉPARE (Mt 26,1-19) ........................................

28 28 30 32 36 38 40

B. La rémission des péchés (Mt 26,20-35) ................................................. Jésus annonce la trahison de Judas (Mt 26,20-25) ................................... La célébration de la Pâque (Mt 26,26-29) ............................................... Jésus annonce l’abandon des Apôtres (Mt 26,30-35) .............................. LA RÉMISSION DES PÉCHÉS (Mt 26,20-35) ...............................................

46 46 48 52 54

C. La tentation (Mt 26,36-56) ..................................................................... L’abandon à Gethsémani (Mt 26,36-46) .................................................. Le quatrième chant du Serviteur (Is 52,13–53,12) ................................... L’arrestation de Jésus (Mt 26,47-56) ....................................................... LA TENTATION (Mt 26,36-56) ...................................................................

56 56 61 62 66

D. La Pâque du serviteur pour la rémission des péchés ..............................

60

CHAPITRE II L’Alliance du Maitre pour la multitude des disciples (Mc 14,1-52) ...........

83

A. La mort de Jésus se prépare (Mc 14,1-11) ............................................. Les autorités cherchent à tuer Jésus (Mc 14,1-2) .................................... L’onction de Béthanie (Mc 14,3-9) ......................................................... Judas cherche à livrer Jésus (Mc 14,10-11) ............................................. LA MORT DE JÉSUS SE PRÉPARE (Mc 14,1-11) ..........................................

84 84 86 90 92

512

La Pâque du Seigneur

B. Les disciples invités à manger la Pâque avec Jésus (Mc 14,12-16) .......

84

C. L’alliance pour beaucoup (Mc 14,17-31) ............................................... Jésus annonce la trahison d’un disciple (Mc 14,17-21) ........................... La célébration de la Pâque (Mc 14,22-25) .............................................. Jésus annonce l’abandon des disciples (Mc 14,26-31) ............................ L’ALLIANCE POUR BEAUCOUP (Mc 14,17-21) ..........................................

97 98 100 102 104

D. Les disciples invités à veiller et prier avec Jésus (Mc 14,32-42) ...........

108

E. L’arrestation de Jésus (Mc 14,43-52) .....................................................

112

F. L’Alliance du Maitre pour la multitude des disciples .............................

116

CHAPITRE III Le Testament du Roi pour la communauté de ses fidèles (Lc 22,1-53) ......

125

A. La Pâque de Jésus se prépare (Lc 22,1-13)............................................... Le complot contre Jésus (Lc 22,1-6) ........................................................ Jésus et ses disciples préparent la Pâque (Lc 22,8-13) ............................. LA PÂQUE SE PRÉPARE (Lc 22,1-13) .........................................................

126 126 130 134

B. Qui donc est le plus grand ? (Lc 22,15-38) ............................................. La Pâque de Jésus (Lc 22,15-20) .............................................................. L’annonce de la trahison (Lc 22,21-24) ................................................... Quatrième chant du Serviteur, première partie (Is 53,7c-12) .................. Le discours sur le service (Lc 22,25-30) .................................................. L’annonce du reniement (Lc 22,31-34) ................................................... Les épées des Apôtres (Lc 22,35-38) ....................................................... Quatrième chant du Serviteur, dernière partie (Is 52,13–53,3) ............... QUI DONC EST LE PLUS GRAND ? (Lc 22,15-38) ........................................

136 136 144 147 148 151 154 155 158

C. La mort de Jésus se prépare (Lc 22,39-53) ............................................. Agonisant, Jésus accepte de verser son sang (Lc 22,39-46) ..................... Le Notre Père de Luc (Lc 11,1-4) ............................................................ Arrêté, Jésus refuse de verser le sang de ses ennemis (Lc 22,47-53) ....... LA MORT DE JÉSUS SE PRÉPARE (Lc 22,39-53) .........................................

162 163 168 170 174

D. Le testament du Roi pour la communauté de ses fidèles ........................

159

Table des matières

513

La deuxième séquence LE JUGEMENT DE JÉSUS .....................................................................

191

CHAPITRE IV Les juifs et les païens condamnent le Serviteur (Mt 26,57–27,26) ..............

193

A. Le procès devant le Sanhédrin (Mt 26,57-75) ........................................ De faux témoins accusent Jésus (Mt 26,57-61) ....................................... Jésus se déclare devant le sanhédrin (Mt 26,62-68) ................................ Pierre refuse de témoigner en faveur de Jésus (Mt 26,69-75) ................. LE PROCÈS DEVANT LE SANHÉDRIN (Mt 26,57-75) ..................................

194 194 196 198 202

B. Le procès devant le Gouverneur (Mt 27,3-26) ....................................... La fin de Judas (Mt 27,3-10) .................................................................... Jésus se déclare devant le gouverneur (Mt 27,11-14) .............................. Jésus Barabbas ou Jésus dit Christ ? (Mt 27,15-26) ................................. LE PROCÈS DEVANT LE GOUVERNEUR (Mt 27,3-26) ................................

204 204 208 210 212

C. Les juifs et les païens condamnent le Serviteur ......................................

216

CHAPITRE V Les juifs, les païens et le disciple abandonnent le Maitre (Mc 14,53-15,20) .........................................................................................

220

A. Le procès devant le Sanhédrin (Mc 14,53-65) ........................................ Jésus et Pierre chez le Grand Prêtre (Mc 14,53-54) ................................ Jésus comparait devant le Sanhédrin (Mc 14,55-64) ............................... Les Juifs se moquent de Jésus (Mc 14,65) ............................................... LE PROCÈS DEVANT LE SANHÉDRIN (Mc 14,53-65) ..................................

222 222 224 229 230

B. Le reniement de Pierre (Mc 14,66-72) ...................................................

234

C. Le procès devant le Gouverneur (Mc 15,1-20) ....................................... Jésus est conduit chez le gouverneur (Mc 15,1) ...................................... Jésus comparait devant le gouverneur (Mc 15,2-15) ............................... Les soldats romains se moquent de Jésus (Mc 15,16-20) ........................ LE PROCÈS DEVANT LE GOUVERNEUR (Mc 15,1-20) ................................

237 237 238 242 244

D. Les juifs, les païens et le disciple abandonnent le Maitre ......................

248

514

La Pâque du Seigneur

CHAPITRE VI Tous les hommes se jugent devant le Roi (Lc 22,54-23,25) .......................

255

A. La phase juive du procès (Lc 22,54-62) ................................................. Pierre renie Jésus par trois fois (Lc 22,54-62) ......................................... Les gardes du Grand Prêtre se jouent de Jésus (Lc 22,63-65) ................. Le sanhédrin interroge Jésus (Lc 22,66-70) ............................................. LA PHASE JUIVE DU PROCÈS (Lc 22,54-62) ..............................................

256 256 260 262 266

B. La phase romaine du procès (Lc 23,1-25) .............................................. Le gouverneur interroge Jésus (Lc 23,1-5) .............................................. Hérode et ses soldats se jouent de Jésus (Lc 23,6-12) ............................. Pilate défend Jésus par trois fois (Lc 23,13-25) ....................................... Quatrième chant du Serviteur, partie centrale (Is 53,4-7b) ..................... LA PHASE ROMAINE DU PROCÈS (Lc 23,1-25) ..........................................

269 270 274 276 281 282

C. Tous les hommes se jugent devant le Roi ..............................................

286

La troisième séquence L’EXÉCUTION DE JÉSUS .....................................................................

293

CHAPITRE VII La justification du Serviteur de Dieu (Mt 27,27-61) ...................................

295

A. Les païens intronisent le roi des juifs (Mt 27,27-37) .............................. Les soldats romains se jouent de Jésus (Mt 27,27-31) ............................. Les soldats romains crucifient Jésus (Mt 27,32-37) ................................ LES PAÏENS INTRONISENT LE ROI DES JUIFS (Mt 27,27-37) ......................

296 296 298 300

B. La ténèbre s’étend sur toute la terre (Mt 27,38-51b) .............................. Jésus crucifié est moqué par ses compatriotes (Mt 27,38-44) ................. Jésus mourant est moqué par ses compatriotes (Mt 27,46-51a) .............. LA TÉNÈBRE S’ÉTEND SUR TOUTE LA TERRE (Mt 27,38-51b) ...................

302 302 304 307

C. Juifs et Romains devant la mort de Jésus (Mt 27,51c-61) ...................... Soldats romains et femmes juives sont témoins (Mt 27,51b-56) ............. D’accord avec Pilate, Joseph ensevelit Jésus (Mt 27,57-61) ................... JUIFS ET ROMAINS DEVANT LA MORT DE JÉSUS (Mt 27,51c-61) ..............

309 309 312 315

D. La justification du Serviteur de Dieu .....................................................

316

Table des matières

515

CHAPITRE VIII L’avènement du Maitre de la terre (Mc 15,21-47) ......................................

323

A. L’exécution du roi des juifs (Mc 15,21-32) ............................................ Les Romains crucifient le Roi des Juifs (Mc 15,21-28) .......................... Les Juifs se moquent du Roi d’Israël (Mc 15,29-32) ............................... L’EXÉCUTION DU ROI DES JUIFS (Mc 15,21-32) .......................................

324 324 328 330

B. Jésus n’appelle pas Élie mais prie Dieu (Mc 15,33-36) ........................

332

C. L’instauration du Règne de Dieu (Mc 15,37-47) .................................. Les témoins de la mort de Jésus (Mc 15,37-41) ...................................... Les témoins de l’ensevelissement de Jésus (Mc 15,42-47) ..................... L’INSTAURATION DU RÈGNE DE DIEU (Mc 15,37-47) ..............................

335 335 338 341

D. L’avènement du Maitre de la terre .........................................................

344

CHAPITRE IX L’intronisation du Roi des Juifs (Lc 23,26-56) ...........................................

351

Jésus est emmené pour être crucifié (Lc 23,26-32) ................................. Crucifié, Jésus prie son Père (Lc 23,33-34) ............................................. Les Juifs et les Romains en face de Jésus (Lc 23,35-37) ......................... Les deux brigands de chaque côté de Jésus (Lc 23,39-43) ...................... Mourant, Jésus prie son Père (Lc 23,44-46) ............................................ Jésus est déposé dans le tombeau (Lc 23,47-56) ......................................

352 355 358 360 362 366

L’intronisation du Roi des Juifs .................................................................

372

La quatrième séquence LA RÉSURRECTION DE JÉSUS ...........................................................

381

CHAPITRE X Le serviteur se révèle le Fils ainé d’une multitude de frères (Mt 27,62–28,20) .........................................................................................

383

A. L’ange du Seigneur déjoue le mensonge des autorités juives (Mt 27,62–28,8) ...................................................................................... Les précautions des autorités juives (Mt 27,62-66) ................................. Le message de l’ange aux femmes (Mt 28,1-8) ....................................... L’ANGE DU SEIGNEUR DÉJOUE LE MENSONGE DES AUTORITÉS JUIVES (Mt 27,62–28,20) ......................................................................................

392

B. Le message de Jésus aux femmes (Mt 28,9-10) .....................................

394

384 384 388

516

La Pâque du Seigneur

C. Les disciples du Seigneur déjouent le mensonge des autorités juives (Mt 28,11-20) .................................... Le mensonge des autorités juives (Mt 28,11-15) ..................................... Le message de Jésus aux disciples (Mt 28,16-20) ................................... LES DISCIPLES DU SEIGNEUR DÉJOUENT LE MENSONGE DES AUTORITÉS JUIVES (Mt 28,11-20) ..............................

396 396 398 402

D. Le serviteur se révèle le Fils ainé d’une multitude de frères ..................

404

CHAPITRE XI Le Seigneur confirme et accompagne la communauté de ses disciples (Mc 16,1-20) ............................................................................................... Les femmes au tombeau (Mc 16,1-8) ....................................................... Les disciples ne croient pas les témoins (Mc 16,9-13) ............................ L’envoi en mission (Mc 16,14-20) ........................................................... Le Seigneur confirme et accompagne la communauté de ses disciples ....

411 412 417 420 402

CHAPITRE XII Le Roi accomplit et ouvre les Écritures de son peuple (Lc 24,1-53) ..........

433

A. OÙ CHERCHER JÉSUS ? (Lc 24,1-12) ....................................................... Au tombeau les femmes ne trouvent pas le corps de Jésus (Lc 24,1-3) ... Deux hommes annoncent la résurrection aux femmes (Lc 24,4-6a) ........ La remémoration (Lc 24,6b-8) ................................................................. Les femmes annoncent la résurrection aux hommes (Lc 24,9-10) .......... Pierre trouve le tombeau vide (Lc 24,11-12) ........................................... OÙ CHERCHER JÉSUS ? (Lc 24,1-12) .........................................................

434 434 436 438 440 442 444

B. Le chemin des disciples d’Emmaüs (Lc 24,13-33a) .............................. Ils ne reconnaissent pas celui qui marche avec eux (Lc 24,13-19a) ......... Ce qui concerne Jésus (Lc 24,19b-27) ..................................................... Ils reconnaissent celui qui leur donne à manger (Lc 24,28-33a) ............. Psaume 22 ................................................................................................ LE CHEMIN DES DISCIPLES D’EMMAÜS (Lc 24,13-33a) ............................

448 448 451 454 457 458

C. Les témoins de la résurrection (Lc 24,33b-53) ....................................... Les disciples s’annoncent la résurrection de Jésus (Lc 24,33b-35) .......... L’apparition de Jésus aux disciples (Lc 24,36-43) ................................... Jésus ouvre les Écritures (Lc 24,44-47a) .................................................. Jésus annonce la mission des disciples (Lc 24,47b-49) ........................... Jésus disparait aux yeux des disciples (Lc 24,50-53) ............................... LES TÉMOINS DE LA RÉSURRECTION (Lc 24,33b-53) ...............................

462 462 464 466 469 470 472

D. Le roi accomplit et ouvre les Écritures de son peuple ............................

476

Table des matières Conclusion .................................................................................................. Sigles et abréviations ................................................................................... Bibliographie des auteurs cités .................................................................... Index des auteurs cités ................................................................................. Index des références bibliques ....................................................................

517 487 497 499 505 507

RHÉTORIQUE BIBLIQUE Collection dirigée par Roland Meynet et Pietro Bovati 1.

ROLAND MEYNET, L’Évangile selon saint Luc. Analyse rhétorique, Éd. du Cerf, Paris 1988.

2.

PIETRO BOVATI – ROLAND MEYNET, Le Livre du prophète Amos, Éd. du Cerf, Paris 1994.

3.

ROLAND MEYNET, Jésus passe. Testament, jugement, exécution et résurrection du Seigneur Jésus dans les évangiles synoptiques, PUG Editrice – Éd. du Cerf, Rome – Paris 1999.

RHÉTORIQUE SÉMITIQUE Collection dirigée par Roland Meynet avec Jacek Oniszczuk 1.

ROLAND MEYNET, L’Évangile de Luc, Lethielleux, Paris 2005.

2.

TOMASZ KOT, La Lettre de Jacques. La foi, chemin de la vie, Lethielleux, Paris 2006.

3.

MICHEL CUYPERS, Le Festin. Une lecture de la sourate al-Mâ’ida, Lethielleux, Paris 2007.

4.

ROLAND MEYNET, Traité de rhétorique biblique, Lethielleux, Paris 2007.

5.

ROLAND MEYNET, Appelés à la liberté, Lethielleux, Paris 2008.

6.

ROLAND MEYNET, Une nouvelle introduction aux évangiles synoptiques, Lethielleux, Paris 2009.

7.

ALBERT VANHOYE, L’Épître aux Hébreux. « Un prêtre différent », Gabalda, Pendé 2010.

8.

ROLAND MEYNET, L’Évangile de Luc, Gabalda, Pendé 20113.

9.

MICHEL CUYPERS, La Composition du Coran, Gabalda, Pendé 2012.

10. ROLAND MEYNET, La Lettre aux Galates, Gabalda, Pendé 2012. 11. ROLAND MEYNET, Traité de rhétorique biblique, Gabalda, Pendé 20132. 12. ROLAND MEYNET – J. ONISZCZUK, Exercices d’analyse rhétorique, Gabalda, Pendé 2013. 13. JACEK ONISZCZUK, La première lettre de Jean, Gabalda, Pendé 2013. 14. ROLAND MEYNET, La Pâque du Seigneur. Passion et résurrection de Jésus dans les évangiles synoptiques, Gabalda, Pendé 2013. 15. MICHEL CUYPERS, Apocalypse coranique. Lecture des trente-trois sourates du Coran, Gabalda, Pendé 2014. 16. ROLAND MEYNET, L’Évangile de Marc, Gabalda, Pendé 2014.

RETORICA BIBLICA collana diretta da Roland Meynet, Pietro Bovati e Jacek Oniszczuk

EDIZIONI DEHONIANE ROMA 1.

ROLAND MEYNET, Il vangelo secondo Luca. Analisi retorica, ED, Roma 1994.

2.

PIETRO BOVATI – ROLAND MEYNET, Il libro del profeta Amos, ED, Roma 1995.

3.

ROLAND MEYNET, «E ora, scrivete per voi questo cantico». Introduzione pratica all’analisi retorica. 1. Detti e proverbi, ED, Roma 1996.

EDIZIONI DEHONIANE BOLOGNA 4.

ROLAND MEYNET, Una nuova introduzione ai vangeli sinottici, EDB, Bologna 2001.

5.

ROLAND MEYNET, La Pasqua del Signore. Testamento, processo, esecuzione e risurrezione di Gesù nei vangeli sinottici, EDB, Bologna 2002.

6.

TOMASZ KOT, La fede, via della vita. Composizione e interpretazione della Lettera di Giacomo, EDB, Bologna 2003.

7.

ROLAND MEYNET, Il vangelo secondo Luca. Analisi retorica, seconda edizione, EDB, Bologna 2003.

8.

GIORGIO PAXIMADI, E io dimorerò in mezzo a loro. Composizione e interpretazione di Es 25–31, EDB, Bologna 2004.

9.

ROLAND MEYNET, Una nuova introduzione ai Vangeli Sinottici, seconda edizione rivista e ampliata, EDB, Bologna 2006.

10. ROLAND MEYNET, Trattato di retorica biblica, EDB, Bologna 2008. 11. JACEK ONISZCZUK, La Prima Lettera di Giovanni, EDB, Bologna 2008. 12. ROLAND MEYNET – JACEK ONISZCZUK, ed., Retorica biblica e Semitica 1. Atti del primo convegno RBS, EDB, Bologna 2009. 13. ROLAND MEYNET, Chiamati alla libertà, EDB, Bologna 2010. 14. ALBERT VANHOYE, L’epistola agli Ebrei. «Un sacerdote differente», EDB, Bologna 2010. 15. JACEK ONISZCZUK, La passione del Signore secondo Giovanni (Gv 18–19), EDB, Bologna 2011. 16. ROLAND MEYNET – JACEK ONISZCZUK, ed., Retorica biblica e Semitica 2. Atti del secondo convegno RBS, EDB, Bologna 2011. 17. ROLAND MEYNET, La lettera ai Galati, EDB, Bologna 2012. 18. GERMANO LORI, Il Discorso della Montagna, dono del Padre (Mt 5,1–8,1), EDB, Bologna 2013.

RETORICA BIBLICA E SEMITICA Collection dirigée par Roland Meynet et Jacek Oniszczuk 1.

JACEK ONISZCZUK, Incontri con il Risorto in Giovanni (Gv 20–21), G&B Press, Roma 2013.

2.

ROLAND MEYNET – JACEK ONISZCZUK, Esercizi di analisi retorica, G&B Press, Roma 2013.

3.

ROLAND MEYNET – JACEK ONISZCZUK, ed., Studi del terzo convegno RBS. International Studies on Biblical and Semitic Rhetoric, G&B Press, Roma 2013.

4.

ROLAND MEYNET, Luke: the Gospel of the Children of Israel, G&B Press, Roma 2015.

5.

ROLAND MEYNET – JACEK ONISZCZUK, ed., Studi del quarto convegno RBS. International Studies on Biblical and Semitic Rhetoric, G&B Press, Roma 2015.

6.

ROLAND MEYNET, Les huit psaumes acrostiches alphabétiques, G&B Press, Roma 2015.

7.

ROLAND MEYNET, Le fait synoptique reconsidéré, G&B Press, Roma 2015.

8.

ROLAND MEYNET, Il vangelo di Marco, G&B Press, Roma 2016.

RHETORICA BIBLICA ET SEMITICA Collection dirigée par Roland Meynet, † Jacek Oniszczuk, puis Francesco Graziano 9.

ROLAND MEYNET, Les psaumes des montées, Peeters, Leuven 2017.

10. MICHEL CUYPERS, Le Festin. Une lecture de la sourate al-Mâ’ida, deuxième édition, Peeters, Leuven 2017. 11. ROLAND MEYNET – JACEK ONISZCZUK, ed., Studi del quinto convegno RBS. International Studies on Biblical and Semitic Rhetoric, Peeters, Leuven 2017. 12. ROLAND MEYNET, Le Psautier. Cinquième livre (Ps 107–150), Peeters, Leuven 2017. 13. JACEK ONISZCZUK, Incontri con il Risorto in Giovanni (Gv 20–21), 2° edizione, Peeters, Leuven 2018. 14. ROLAND MEYNET, Il vangelo di Marco, Peeters, Leuven 2018. 15. JACEK ONISZCZUK (†), «Se il chicco di grano caduto in terra non muore...» (Gv 11–12), Peeters, Leuven 2018. 16. ROLAND MEYNET, Le Psautier. Premier livre (Ps 1–41), Peeters, Leuven 2018. 17. MASSIMO GRILLI – † JACEK ONISZCZUK – ANDRÉ WÉNIN, ed., Filiation, entre Bible et cultures. Hommage à Roland Meynet, Peeters, Leuven 2019. 18. FRANCESCO GRAZIANO – ROLAND MEYNET, ed., Studi del sesto convegno RBS. International Studies on Biblical and Semitic Rhetoric, Peeters, Leuven 2019. 19. ROLAND MEYNET, Le Psautier. Troisième livre (Ps 73–89), Peeters, Leuven 2019. 20. ROLAND MEYNET, Le Psautier. Deuxième livre (Ps 42/43–72), Peeters, Leuven 2019.

21. PIETRO BOVATI – ROLAND MEYNET, Il libro del profeta Amos. Seconda edizione rivista, Peeters, Leuven 2019. 22. FRANCESCO GRAZIANO, La composizione letteraria del Vangelo di Matteo, Peeters, Leuven 2020. 23. ROLAND MEYNET, Le Psautier. Quatrième livre (Ps 90–106), Peeters, Leuven 2020. 24. ROLAND MEYNET, Le Psautier. L’ensemble du Livre des Louanges, Peeters, Leuven 2020. 25. ROLAND MEYNET, Le Cantique des cantiques, Peeters, Leuven 2020. 26. ROLAND MEYNET, La Lettre aux Galates. Deuxième édition revue, Peeters, Leuven 2021. 27. ROLAND MEYNET, La Pâque du Seigneur. Passion et résurrection de Jésus dans les évangiles synoptiques. Troisième édition revue, Peeters, Leuven 2021.