La notion de personne en Afrique Noire 2738421652, 9782738421654

Une trentaine d'exposés sur la notion de personne dans les sociétés traditionnelles africaines à travers des phénom

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French Pages 608 [616] Year 2002

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La notion de personne en Afrique Noire
 2738421652, 9782738421654

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LA NOTION DE PERSONNE EN AFRIQUE NOIRE

Editions L'Hannattan 5-7 rue de l'Ecole-Polytechnique 75 ()()5Paris

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LISTE DES PARTICIPANTS

Participants

étrangers:

M. Wa,nde ABIMBOLA,Professeur à l'Université de Lagos (Nigéria). M. y oussouf CISSÉ, Institut des Sciences Humaines, Bamako (Mali). Mmp,Agnès DIARRA,Institut Fondamental d'Afrique Noire, Dakar (Sénégal). M. Deoscoredes M. Dos SANTOS,Salvador, Bahia (Brésil). Mme Juana Dos SANTOS-ELBEIN,Salvador, Bahia (Brésil). M. Meyer FORTES, Professeur à l'Université de Calnbridge (Grande-Bretagne) . Son Excellence M. Amadou HAMPATÉBA, Ancien Ambassadeur du Mali en Côte d'Ivoire, Abidjan (Côte d'Ivoire). M. Luc de HEUSCH,Professeur à l'Université Libre de Bruxelles (Belgique). D. Diouldé LAYA, Directeur du Centre Nigérien de Recherches en Sciences Hunlaines, Niarney (Niger). M. John MIDDLETON,Professeur à la «School of Oriental and African Studies », Londres (Grande-Bretagne). M. G.K. NUKUNYA,University of Ghana, Department of Sociology, Accra (Ghana).

Participants

français:

M. Marc AUGÉ, Sous-Directeur d'Etudes à l'Ecole Pratique des Hautes Etudes, 6e Section, Paris. M. Roger BASTIDE, Professeur honoraire à la Sorbonne, Directeur d'Etudes à l'Ecole Pratique des Hautes Etudes, 6(' Section" Paris. Milito Jeanne BISILLIAT, Paris.

M. J. BROUSTRA,neuropsychiatre, Bordeaux. M. Michel CARTRY,Chargé- de Recherche au C.N.R.S., Paris. Mnw Germaine DIETERLEN, Directeur de Recherche au C.N.R.S., Directeur d'Etudes à l'Ecole Pratique des Hautes Etudes" Se Section, Paris. M. Otto GOLLNHOFER,Attaché de Recherche au C.N.R.S., Paris. Mm.> Françoise

HÉRITIER-IzARD, Chargée

de Recherche

au C.N.R.S.,

Paris.

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8 MIHPAnnie M.D. LEBEUF~Maître de Recherche au C.N.R.S., Paris. M. Jean-Paul LEBEUF, Directeur de Recherche au C.N.R.S., Paris. M. Paul MARTINO, neuropsychiatre, Bordeaux. M. Guy LE MOAL, Chargé de Recherche au C.N.R.S., Paris. MIlleJacqueline MONFOUGA~ Attachée de Recherche au C.N.R.S., Bordeaux. M. Albert NÉRON DE SURGY,Chargé de Recherche au C.N.R.S., Paris. M. Jean-Pierre OLIVIER DE SARDAN,Attaché de Recherche au C.N.R.S., Paris. M. Edmond ORTIGUES, Professeur à la Faculté des Lettres de Rennes. MIIIPMontserrat PALAUMARTI, Chargée de Recherche au C.N.R.S., Paris. M. Marc PIAULT, Chargé de Recherche au C.N.R.S., Paris. M. Jean ROUCH, Directeur de Recherche au C.N.R.S., Paris. M. Lajos SAGHY,Paris. M. Roger SILLANS, Chargé de Recherche au C.N.R.S., Paris. M. M. SIMON, neuropsychiatre~ Bordeaux. M Pierre SMITH, Chargé de Recherche au C.N.R.S., Paris. M. L.V. THOMAS,Professeur à l'Université de Paris 5. M. Roger VERDIER, Chargé de Recherche au C.N.R.S., Paris. M. Pierre VERGER, Ancien Directeur de Recherche au C.N.R.S., Salvador, Bahia (Brésil).

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ALLOCUTION

D'OUVERTURE

Monsieur le Directeur Général, Mesdanlcs, Messieurs et chers coIlègues~ Je dois tout d'abord remercier le C.N.R.S. et sa direction qui ont bien voulu accueillir notre Colloque et l'ont inscrit dans leur programme, également les membres de la commission dont relèvent nos travaux qui ont tous approuvé le projet que nous avions formé de cette réunion; adresser nos remerciements aux coHègues qui ont travaillé sur ce thème au sein du GR 11 et au séminaire de l'Ecole Pratique des Hautes Etudes, enfin à tous nos collègues français et étrangers qui se sont intéressés au sujet et qui ont bien voulu nous apporter leur participation. Je les remercie de nous avoir envoyé des communications et d'être venus pour nous assister dans ce travai1. Je désire vous entretenir maintenant du sujet lui-même et des recherches qu'il a suscitées. Ce CoIJoque est le résultat de travaux anciens, dans une certaine

mesure~ il a bien entendu

pour but

-

c'est un truisme

-

de prom-ouvoir une recherche future. Un rapide historique nle paraît utile. Pour nombre d'entre nous et pour moi-même - je m'excuse d'en parler cette recherche a débuté il y a longtemps au cours des missions dirigées par Marcel GriauJe. Elle n'a pas été systématique dès le départ, mais eHe s'est développée assez rapidement pour deux raisons principales. Nous étions tous, à l'époque~ élèves de Marcel Mauss; je n'ai pas besoin de rappeler ici aux participants ce qu'a été son enseignement; l'un des premiers articles qui ait traité du sujet fut une contribution célèbre de notre maître intitulée: «Une catégorie de l'esprit humain~ la notion de personne~ celle de moi » f 1 ,. Marcel Mauss n'a cessé, pendant ses cours et quelle que soit la nlatière de ses conférences, aussi hien au Collège de France, à la Sorbonne et à l'Ecole Pratique des Hautes Etudes. de souligner à quel point ce sujet (1) M. MAUSS. Jourllul p. 263-81.

of lhe ROYal A nthropological

Institute,

LXVIII.

1938.

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10 était important. Bien qu'il n'ait pas fait de sa part l'objet d'un questionnaire systématique, il faisait partie de son enseignement, riche foisonnement de renseignements ethnographiques, de culture occidentale, en même temps que des produits de sa curiosité d'esprit. Ce problème a été, vous le savez, également abordé par son successeur, le professeur Maurice Leenhardt, qui a publié un ouvrage traitant de la

notion de personne chez les Canaques

{~).

Donc, nous étions déjà amenés à penser que les problèmes qui nous seraient posés sur le terrain - même en regard des questions plus classiques envisagées à l'époque - comporteraient certainement l'examen de divers aspects de la notion de personne, même si nous n'y étions qu'accessoirement préparés. Pendant les enquêtes la chose s'est présentée de façon parallèle. Elle s'est imposée progressivement à nous. Il faut ici rappeler que les missions dirigées par M. Griaule ont été confrontées, dès le début, avec les cérémonies spectaculaires des Dogon: il y a peu de populations où les sorties de masques, les funérailles et cérémonies qui entourent la mort soient aussi démonstratives. Il ne faut donc pas s'étonner que les premiers travaux aient consisté justement à analyser les cultes funéraires, les sociétés de masques et parallèlement le culte des ancêtres, en même temps qu'étaient étudiées l'implantation territoriale, l'organisation sociale, les techniques, la langue, etc. Dès le début se sont posées des questions relatives au sujet: il a été abordé dans tous les articles et les ouvrages consacrés aux Dogon, dans des chapitres plus ou moins longs, avec des développements plus ou moins grands. Naturellement l'étude s'est poursuivie au fur et à mesure du déroulement des enquêtes: toutes les premières publications qui ont suivi les missions d'avant-guerre et même d'après-guerre ont abordé la notion de personne: Marcel Griaule, Solange de Ganay, Denise Paulme, Deborah Lifchitz, Michel Leiris, J.P. Lebeuf, Dominique Zahan, Geneviève Calame, etc. D'autres articles ont ensuite paru sur des sujets spécifiques: l'impureté, le sacrifice, le matériel rituel ou profane, la cosmologie, etc. Plus tard, ceci s'est encore développé lorsque les missions Griaule ont abordé l'étude des Bambara, des Bozo, des Malinké, des Kouroumba, et ont mené leurs enquêtes jusqu'au Tchad. Bien entendu cela s'est enrichi, au fur et à mesure, de lectures d'articles et d'ouvrages réalisés par d'autres chercheurs travaillant en Afrique Noire qui avaient reconnu, eux aussL l'intérêt du sujet. Il s'est ainsi révélé de plus en plus important. Je vous ai apporté une note manuscrite que j'ai trouvée dans les documents inédits de Marcel Griaule, pour conclure la première partie de ce (2) M. LEENHARDT. Do Kan1o. La perSO/lne et le f11\'the dans le f1u)llde 111élaIlésien, Paris. Gallimard, 1947. 259 p.

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Il que j'avais à vous dire. Elle n'a pas encore été publiée: «La personne - ce sont des notes prises au courant de la plume - problème central: l'étude de toutes les populations de la Terre ramène finalement à une étude de la personne. Quelle que soit J'idée que l'on se fasse d'une société, quels que soient les rapports réels ou imaginés que soutiennent les individus ou les communautés, il n'en reste pas moins qu.e la notion de personne est centrale, qu'elle est présente dans toutes les institutions, représentations et rites et qu'elle en est même souvent l'objet principal. Il se peut que cette proposition aille à l'encontre des idées reçues concernant l'individu et son indépendance à l'intérieur des sociétés «primitives» e~). Le développement de cette indépendance paraît impossible dans le climat de solidarité constaté actuellement dans ces milieux. On suppose, peut-être gratuitement, qu'il faut des moments exceptionnels pour créer des conditions de fonnation d'individualités, par exemple comme celles des chefs. Et encore, ne voit-on là que la projection, dans un contenant rare, de tous les éléments formant la communauté. Le chef serait le vicaire ou le substitut du groupe ce qui revient à ne reconnaître sa personne que comme une somme indivisible, exactement comme on conçoit le groupe. Il faudrait attendre un élargissement des perspectives tribales pour observer les premières manifestations de l'individualité: migrations qui mettent le groupe de migrants dans l'obligation de se concevoir autre que le noyau dont il se sépare; formation des agglomérations; apparition de classes qui constituent des fractions de plus en plus différenciées obéissant à des règles remaniées. Le développement des techniques contribue aussi à précipiter ces phénomènes. Elevage, agriculture, artisanat. ~rout cela est possible et au demeurant je me suis défendu d'aborder le problème historique pour le moment. II nous suffira de constater que dans les sociétés de ce type, dont la structure ne semble pas avoir été sérieusement modifiée, la notion de personne est d'une importance capitale». Le problème que je viens d'évoquer dans le passé, nous l'avons vécu au sein du Groupe de recherche Il du C.N .R.S. qui s'intéresse aux religions d'Afrique Noire. Un très grand nombre de nos collègues ont été confrontés aux conceptions reJatÎves à la personne dans les ethnies où ils poursuivaient leurs enquêtes, exactement comn1e nous l'avions été autrefois. Nombre d'entre eux exposèrent le problème au cours des séminaires qui se tenaient à l'Ecole des Hautes Etudes. Je ne peux que souligner à que] point ces séminaires ont été utHes~ car le problèn1e de la personne a été évoqué très souvent et commenté par des- auditeurs dont les compétences, ne se IÏmitant pas à l'aire culturelle que je viens d'évoquer, débordaient largement r Afrique. Ils ont apporté leur optique, leurs renseignements~ leurs (3) Cf. J. MURPHY, The development /\1élallges F. CU11101ld,11.

of individuality

in the ancient

civilizations.

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]2

hypothèses, enrichissant constamment le débat. Ce développement qui ne s'est pas réalisé de façon systématique, mais empiriquement, peut-on dire, a finalement conduit l'un de nos collègues, Michel Cartry, à établir un questionnaire sur la notion de personne qui a été distribué à tous les chercheurs qui s'intéressaient au problème et qui devaient se rendre sur leur terrain de travail; également à ceux qui, venant d'Afrique, et assistaient aux conférences de l'E.P.H.E., désiraient traiter divers aspects du sujet en partant des connaissances acquises dans leurs ethnies respectives. Enfin, à la suite de ces travaux, ]a décision a été prise en commun, au sein du G.R. I I, de préparer un colloque. Nous avons pensé qu'en effet, après des débats qui restaient non coordonnés, dans lesquels les différents aspects de la notion de personne étaient abordés sous des angles divers, il serait très utile d'essayer de cerner davantage ce problème et par conséquent de le confronter avec les apports de tous ceux qui voudraient bien s'intéresser à ce sujet. L'exemple nous avait été donné par l'organisation, la préparation et la tenue du Colloque sur 1es phénomènes de possession organisé par notre coIJègue Jean Rouch, et au cours duquel, justement, les participants s'étaient tous heurtés à ce problème. On peut dire que J'un des résultats intéressants du Colloque sur la possession a eu plusieurs - a été de souligner la nécessité d'un examen

et il y en approfondi

de l'état de la recherche sur la notion de personne. De qui, de quoi parle-t-on quand on parle de crise de possession? Quels sont les éléments de la personne qui entrent en jeu? Quels sont les facteurs déterminants qui interviennent? Tous les aspects du problème avaient plus ou moins été évoqués par divers participants Jars du Colloque. La question a donc été reprise par ceux-là n1ên1es qui avaient contribué à cette manifestation. Pendant plus d'un an, depuis le printemps 1970 exactement, des réunions hebdomadaires ont eu lieu et nous avons tous travaillé ensemble à la préparation du Colloque qui se tient aujourd'hui. Vous avez pu lire les résultats de ces débats qui ont été envoyés à ceux d'entre vous qui ont bien voulu aujourd'hui nous honorer de leur présence f -t I. Nous avions même pensé examiner le sujet en débordant l'aire géographique qui nous occupe aujourd'hui, sur deux points principaux: 1) Qu'est-ce que la notion de personne au sein de notre propre culture? Nous avons réalisé qu'il serait bon de rechercher nos propres sources pour savoir si, en abordant le problème en Afrique, nous employons des termes adéquats - il Y a là une question de terminologie fort importante. En Occident, la notion de personne qui avait été exposée de façon si intéressante par Marcel Mauss dans rarticle déjà cité. est liée à deux traditions: la (4) Nalls reIllercions tout particulièrement MIlII' C. Cartry. M. K. Szendy et ]\;1111" M. L. Ramanoelina qui ont contribué avec efficacité et dévouement à la préparation et à la tenue de ce colloque.

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13 tradition gréco-latine d'une part. la tradition judéo-chrétienne d'autre part. L'une d'elles a été partieHement examinée au cours des séminaires de l'E.P.H.E. Le ten1ps nous a manqué pour poursuivre (et ce n'était pas là notre sujet stricto sensu), mais je tenais à dire que ce point particulier avait fait partie de nos préoccupations. 2) Le second point envisagé et traité également partieUement au cours des séminaires de l'E.P.H.E., concernait J'exan1en des théories ethnologiques publiées par des auteurs anciens. que vous connaissez tous, et qui avaient traité de la notion de personne: Frazer, Taylor, Durkhein1, Lévy-Bruhl, Mauss, etc. Ceci sera repris dans une certaine n1csure, le dernier jour de ce Colloque, par notre collègue M. L. Saghy, qui a bien voulu s'y intéresser et qui nous apportera ses observations. Je pense que les échanges que nous devons avoir, ici, pendant la semaine qui va s'écouler, nous permettront d'aborder pendant quelques instants - ce sera certainement trop court

-

certains

aspects

des problèmes

théoriques.

Je n'ai plus qu'à vous remercier encore, souhaiter que ces échanges soient fructueux et renouveler à tous nlCS meiJleurs voeux de travai]. Germaine

DIETERLEN.

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Colloques N

1\

544.

-

Internationaux

du C.N.R.S.

LA NOTION DE PERSONNE EN AFRIQUE

NOIRE

INTRODUCTION

Il Y a maintenant plus de trente ans, Marcel Mauss tentait de dresser un catalogue des formes que la notion de personne a prises en diverses

civilisations (1).

Sans autre ambition que d'esquisser sur ce sujet ce qu'il

appelait «une ébauche de glaise», il invitait historiens et ethnologues à en poursuivre l'étude approfondie en divers points du monde et du temps. Mais cette fois son appel ne fut pas entendu, du moins du côté des ethno-

logues. Alors que l'Essai sur le Don donnait une impulsion décisive aux recherches sur ~es formes archaïques de l'échange, la conférence de 1938 n'eut d'écho que chez de trop rares chercheurs. Il n'est pour s'en convaincre que de parcourir les bibliographies d'ethnologie des religions de ces dernières décennies et d'y constater le peu de place qu'y occupent les titres des travaux se rapportant à la notion de personne. Certes de nombreuses Illonographies donnent des renseignements sur le sujet, mais on en retire souvent l'impression que leurs auteurs n'abordent ce thème qu'« en passant» et comme pressés d'arriver à l'examen de problèmes jugés plus dignes de se prêter à un traitement scientifique plus rigoureqx ; rites funéraires, cultes des ancêtres, cérémonies d'initiation, etc... Quelques pages, parfois seulement quelques lignes, sur les noms donnés aux différentes « âmes», ou sur l'itinéraire de ces «âmes» après la mort, quelques considérations sur les rapports du nom et de la personne et l'on se tiendra quitte. Comment expliquer cet état d'abandon? Pourquoi l'Anthropologie sociale a-t-elle laissé en friche un champ de recherches auquel Lévy-Bruhl, Mauss et Leenhardt avaient porté une attention si passionnée? Le souci de se démarquer de l'ancienne anthropologie philosophique~ la peur de ne pouvoir conceptualiser les faits autrement qu'en forgeant une nouvel1e version de la théorie de la «mentalité primitive», comme aussi la crainte d'être infidèle à l'idéal de positivité que comme toute science naissante, elle revendique hautement pour elle-même, ne sont probablement pas les (]) «Une catégorie de l'esprit humain=- la notion de personne, celle de «moi ». un plan de travail ». Journal of the Royal A Ilthropological Institute (68). 1938: 263-281. Repris dans Sociologie et A llthropoLogie, Paris, P.U .F.. 1960: 331-362.

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16 JTIoindres des raisons à mettre en avant. Peut-être que la distance prise à l'égard de ce genre de recherches était pour un temps nécessaire et comme la condition d'un progrès. Peut-être lui doit-on l'avancement des études de ces dernières décennies portant sur certaines institutions religieuses. On peut néanmoins se demander si «l'état de stagnation générale» où, comme on le constatait récen1n1ent, se trouve à nouveau l'ethnologie des

religions I:! I, ne doit pas lui être attribué.

Même si, pour diverses raisons, on ne peut plus aujourd'hui accepter sans réserve les analyses sur la notion de personne menées par l'Ecole Française de Sociologie, on ne peut contester ni l'intérêt théorique de la problématique d'ensemble qui était soulevée, ni la pertinence des questions posées pour quiconque est confronté à l'expérience du terrain. Ces questions, aucun ethnologue ne peut les éluder, dusse-t-il les formuler dans un .

cadre conceptuel et un langage très différents. Dans les représentations collectives de la « pensée sauvage» ûne place importante est toujours laissée à ce que provisoirement on se contentera d'appeler « une image de l'homme ». Même si le Bororo peut dire « Je suis un ara», il se sait en même temps distinct de tout autre objet du monde échappant toujours, en un lieu ou en un temps de lui-même, à l'un ou l'autre de ses «doubles». Mais de plus. loin de rester dans l'impensé, cette différence qu'il saisit fait pour lui l'objet d'un questionnement passionné. Pour lui comme pour tout autre Amérindien, pour l'Australien, le Mélanésien, 1'Africain. Parfois ce questionnement va si loin qu'il donne lieu à de véritables spéculations théologiques et nlétaphysiques; parfois il s'exprime uniquement dans Je langage du mythe; toujours~ et là même où la réflexion n'est pas unifiée dans de pareilles constructions, il donne naissance à un foisonnement de représentations, de notions et de signes d'une étonnante complexité. De quelle source précieuse de renseignements se prive l'ethnologue des reli-

gions ou Je théoricien de la

«

marginal à ces manifestations

pensée primitive» en n'accordant qu'un intérêt de resprit.

Mais en se privant d'une telle source, J'ethnologue ne pêche pas seulement par omission, il fausse gravement l'optique même de la science dont il se réclame. Plus qu'une autre, pareille omission donne au chercheur, le plus souvent étranger à la société qu'il étudie, une vision étroitement ethnocentrique de son objet. En étudiant les institutions d'une population donnée sans en même temps dévoiler les catégories au moyen desquelles y sont spécifiqueInent appréhendés l'être de l'homme autant que les rapports de l'homme au monde et à J'institution, il subit les effets des méca(2) GEERTZ C., «Religion as a Cultural System », pp. 1-44 in Anthropological A pproaches to the study of Religion. London. Tavistock Pub1ications, 1966, Xl.I + 176 p. (A.S.A.~1onographs. 3).

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17 nismes bien connus de projection inconsciente de soi sur l'autre et, dans ses descriptions apparemment les plus objectives, introduit une conception du moi, du sujet, du corps et de l'âme héritée de sa propre culture. Sans le formuler explicitement, Lévi-Strauss a profondément mesuré ce risque en montrant que les démarches intellectuelles mises en œuvre dans le totémisme des sociétés «archaïques» auraient perdu en grande partie de leur mystère si les ethnologues qui s'en étonnaient s'étaient avisés que dans notre civilisation «chaque individu avait sa propre personnalité pour totem» (3). Quel que soit le groupe de faits sociaux étudiés, il n'est peut-être pas de meilleur moyen pour évjter le piège de l'ethnocentrisme que de prêter une attention scrupuleuse aux représentations indigènes concernant le sujet, le corps et tous les principes ou entités qu'on classe ordinairement sous la rubrique «âme». Pour peu que le chercheur sache l'entendre, le discours de la «pensée sauvage» sur l'être de l'homme aura pour effet en retour de lui permettre de prendre un véritable recul par rapport au credo métaphysique de base que lui a légué sa propre culture en pareil domaine. Un véritable travail d'auto-analyse commencera ainsi pour lui comme homo ethnographicus et il verra avec beaucoup plus de netteté que, loin d'être fondée sur des concepts ou de prétendues «données immédiates de la conscience», la conception occidentale de la personne repose sur un ensemble de croyances qui n'est ni plus rationnel, ni plus naturel que l'ensemble des représentations sous tendant l'image de l'homme que s'est construite la «pensée sauvage» ou sous-jacent à des institutions, comme le totémisme, le culte des ancêtres ou la sorcellerie. Ce n'est pas un ethnologue, mais un théoricien de la psychanalyse qui a su avec le plus de vigueur marquer la forme de naïveté ethnocentrique à laquelle est nécessairement conduit l'analyste de la pensée «primitive» lorsqu;n se transporte dans son champ d'étude avec la conviction que dans l'évolution de la pensée occidentale, le moi et la personne sont devenus des idées claires et distinctes: «seule la mentalité antidialectique d'une culture qui... tend à réduire à l'être du moi toute l'activité subjective peut justifier l'étonnement produit chez un Van den Steinen par le Bororo qui profère: «J e suis un ara» ». Et tous les sociologues de la «mentalité primitive» de s'affairer autour de cette profession d'identité qui pourtant n'a rien de plus surprenant pour la réflexion que d'affirmer: «Je suis médecin»... et présente sûrement moins de difficultés logiques que de promulguer: «Je suis un homme» ... (4). Si le moi est par essence le

(3) La pensée sauvage. Paris, Plon, 1962, p. 285. (4) LACANJ., «L'agressivité en psychanalyse ». Revue Française de psychanalyse, 3, juill.-sept. 1948: 367-388 [Repris dans Ecrits, Paris, Seuil, 1966, 117-118].

2

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18 lieu de la méconnaissance et du leurre (5), il en résulte en effet que la promotion de ce moi par notre culture masque plutôt qu'elle ne dévoile l'être de l'homme. Analyser cette promotion non comme un progrès dans la conscience que l'homme a de lui-même, mais comme le produit d'une aliénation propre à notre histoire sociale et culturelle, permet à l'ethnologue d'opérer un véritable changement de perspective dans l'approche des notions liées à la catégorie de la personne. Autrefois on voyait dans le fait des «appartenances» et des «participations» l'indice d'une capacité inférieure de synthèse propre à «l'homme primitif» face aux sensations qui le font réagir à la réalité externe et interne. Cette évolution autorisait tous les rapprochements avec le monde de l'enfant et le monde désorganisé de la «conscience morbide». Mais si l'on s'avise qu'il appartient à l'essence de ce moi, de négliger, de «scotomiser» et de méconnaître bien des aspects de la réalité, alors les «positions d'identité» qui se manifestent dans les jugements d'appartenance peuvent nous apparaître comme plus riches d'enseignement sur le fonctionnement des mécanismes primordiaux d'identification à autrui et au monde, que les expériences des psychologues sur les fonctions de synthèse du moi. Ainsi une distance critique sans cesse accrue de l'ethnologue par rapport à « l'idolâtrie» du moi, le rendra plus disponible pour écouter librement le dire des « sauvages» sur l'homme.

1. Les différents aspects de la notion de personne. Ces premiers éclaircissements donnés sur les raisons théoriques qui ont conduit certains membres du GR Il à proposer la tenue d'un Colloque sur le thème de la notion de personne, nous devons maintenant apporter quelques précisions sur le sens qu'il fut convenu de donner à ce terme et par là même indiquer les principales orientations du programme de cette réunion scientifique. ~

Dans les pages précédentes, nous avons posé sans discussion qu'une

recherche sur la notion de personne devait porter sur l'ensemble des représentations au moyen desquelles une société se forge une certaine image de l'homme, de son corps, de ses « âmes» et de ses différents principes «spirituels». En prenant le terme de personne dans une acception aussi large, et donc aussi vague, que celle «d'image de l'homme» et en proposant ce sujet comme thème de Colloque, n'avons-nous pas empêché la naissance d'un débat centré sur une problématique précise? Le terme de personne a suivi une évolution complexe et a pris des sens assez diffé(5) Voir notamment: «Le stade du miroir comme formateur de la fonction du Je ». Revue Française de Psychanalyse, oct.-déc. 1949: 449-455 [Repris dans Ecrits: 93-100].

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19 rents. N'aurait-il pas été plus intéressant de ne retenir qu'un des usages du terme, l'un des moins imprécis? Parce qu'il est trop marqué par l'histoire du Christianisme, l'on pouvait à priori exclure l'usage qu'il a pris en théologie avec le sens de «substance rationnelle, indivisible et individuelle». Mais le choix restait possible entre plusieurs autres usages différenciés. On pouvait opter pour l'usage juridique, le plus proche du sens du mot grec prosopon, dont dérive probablement le mot étrusque perso, puis le mot latin persona. Prise dans cet usage, celui-là même retenu par Mauss dans la plus grande partie .de son étude, la notion de personne impliquait une recherche sur les liens possibles entre l'idée de rang, de statut, de dignité ou d'état, d'une part, l'idée de masque (celui qu'on porte devant soi ou à travers lequel résonne la voix de l'acteur (6», de porteur de masque, ou encore de personnage jouant un rôle dans un drame social et sacré, d'autre part. On pouvait également retenir l'usage moral et psychologique du terme, la personne impliquant ici l'idée d'un être individuel, conscient de soi, raisonnable et responsable, capable, quels que soient son « état» ou sa condition, de se déterminer par des motifs dont il puisse justifier la valeur devant d'autres êtres raisonnables. Enfin le choix pouvait porter sur la catégorie voisine du «moi» à laquelle, depuis Fichte, la catégorie de la personne finit par s'identifier (7). Certains membres du GR Il estimaient qu'il était préférable de restreindre ainsi le sujet du Colloque et de limiter l'investigation à l'une ou l'autre des acceptions de la notion de personne. Mais, après de nombreuses discussions, une opinion majoritaire se dessina pour laisser toute liberté aux participants dans le traitement du thème proposé. Il apparut, en effet, qu'en prenant pour point de départ l'un des sens que la tradition occidentale a donné à la notion, l'on risquait de s'enfermer dans une problématique d'inspiration judéo-chrétienne qui était peut-être complètement étrangère aux modes de pensée des sociétés d'Afrique Noire. Dans une première étape, il était indispensable que les chercheurs puissent aborder l'étude de la notion sous tel ou tel de ses aspects, celui-là même sous lequel les matériaux recueillis se laisseraient le mieux analyser. Si une problématique spécifique existait, liée à cette notion, qui soit propre à l'Afrique, ou à telle ou telle de ses aires culturelles, ce serait précisément le but du Colloque de la dégager en termes précis afin de la proposer comme prochain thème pour une éventuelle réunion scientifique ultérieure. Mais une autre objection se présentait. Si le but du Colloque était de (6) On sait que cette explication étymologique de persona a probablement été inventée après coup. (7) Pour ces différents sens de la notion de personne, voir notamment: LALANDEA., Vocabulaire technique et critique de la Philosophie. Paris, P.U.F., 1973.

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20 solliciter des travaux prenant pour objet les systèmes de représentations concernant l'image de l'homme (son corps, ses « âmes», ses «principes»), pourquoi avoir retenu le terme de personne et non une expression moins marquée par l'histoire de la pensée occidentale. Si des débats du Colloque, il devait ressortir que la notion de personne, dans l'une ou l'autre de ses acceptions, était complètement étrangère à la pensée africaine, alors nous courrions le risque de proposer un débat scientifique autour d'un faux problème. A cette objection, on ne peut répondre de front. Provisoirement, on invoquera seulement la reprise d'une tradition terminologique qui s'est progressivement fixée dans l'ethnologie française. Notre programme de travail recouvrant à peu près l'ensemble des questions que s'étaient posées Mauss, Leenhardt et Griaule dans des travaux dé90rmais classiques, pourquoi ne pas reprendre la rubrique qu'ils avaient eux-même retenue pour traiter ces questions.

2. Composition de l'ouvrage. Cet ouvrage rassemble 32 études qu'on peut répartir eh différents genres selon la façon dont elles utilisent le matériel ethnographique. Deux études se présentent comme des essais d'évaluation critique de la notion de personne en général. Sans référence spéciale à l'Afrique, elles s'interrogent, l'une, sur les présupposées théoriques qui président à l'emploi de cette notion dans toute société humaine (E. Ortigues), l'autre, sur la valeur et les limites des analyses de l'Ecole Française de Sociologie (L. Saghy). Trois autres études prennent la forme d'essais de synthèse. Par des références multiples, mais seulement allusives, à un très grand nombre de sociétés africaines, elles tendent à formuler des propositions générales applicables à l'ensemble de l'Afrique Noire, et ceci, soit à propos d'un problème théorique particulier (étude de R. Bastide sur le principe d'individuation), soit au sujet des formes variées que prend, ici ou là, la notion de personne (A. Hampate Ba et L.-V. Thomas). Se situant dans une perspective ethna-psychiatrique, l'étude de Mme J. Monfouga prend également pour objet un problème théorique (l'organisation spatio-temporelle de la personne) mais, cette fois, à partir de l'analyse clinique d'un cas individuel. Reste un ensemble de 25 contributions qui, malgré la diversité des angles de vue, ont en commun de rester très proches du matériel ethnographique, d'un matériel géographiquement bien circonscrit, et, le plus souvent, recueilli de première main. Parmi ces dernières contributions, quatre d'entre elles adoptent un point de vue comparatif: soit en s'efforçant de

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21 dégager un modèle structurel commun dans l'organisation d'un groupe de croyances et d'institutions propres à un ensemble régional culturellement ho'mogène (M. Augé, L. de Heusch, P. Smith), soit en analysant les ressemblances et les différences entre les représentations de la personne du souverain que se sont données des sociétés appartenant à des régions de culture totalement différentes (Mme A. M.-D. Lebeuf). Les 21 autres contributions de cette dernière série peuvent être considérées comme des monographies, même si elles ne traitent de la notion de personne que dans un contexte institutionnel particulier (le système politique, ou les rites funéraires, ou la magie-sorcellerie).

3. Distribution

des ethnies.

Abstraction faite des matériaux de seconde main, puisés ici ou là dans la littérature ethnographique, la documentation qui est présentée et traitée dans cet ouvrage provient d'environ vingt trois groupes ethniques (1). La liste des ethnies a été établie progressivement durant les phases préparatoires du Colloque et sa composition finale est beaucoup plus le résultat du hasard que de la volonté de constituer un échantillon représentatif de l'ensemble des sociétés d'Afrique Noire, sur la base de tel ou tel critère déterminé. Il ne pouvait en être autrement, car aurions-nous su à priori quelles étaient les variables intéressantes à retenir (culturelle, socio-économique, degré de changement sous l'influence d'une grande religion, etc.), il est peu probable qu'on eût réussi à s'assurer la collaboration des spécialistes des populations entrant dans notre échantillon idéal. La carte hors-texte qui suit montre clairement que la distribution géographique des ethnies considérées est très inégale. Alors que l'Afrique de l'Ouest est représentée par 17 groupes ethniques, l'Afrique centrale et équatoriale, d"une part, l'Afrique orientale~ d'autre part, ne le sont seulement que par cinq groupes (Kotoko, Mitsogo, Batetela et Baluba pour l'Afrique centrale et équatoriale, Lugbara pour l'Afrique orientale). N'y figure par ailleurs aucune population d'Afrique australe. Du point de vue «du genre de vie », cette liste n'est pas non plus représentative de l'ensemble de l'Afrique sub-saharienne, puisqu'elle ne comprend presque exclusivement que des populations d'agriculteurs. Des matériaux précis sur les croyances et les institutions liées à la notion de personne dans des groupes de chasseurs-cueilleurs ou d'éleveurs nomades auraient peut-être soulevé des questions théoriques entièrement nouvelles. (8) Vingt-cinq si l'on traite comme des entités différentes les Yoruba de dia]ecte oyo et les Nago respectivement étudiés par M. W. Abimbola, d'une part, par Mme et M. Dos Santos, d'autre part.

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22 Une carte de la distribution des ethnies en fonction des grands types de civilisation ou «d'aires culturelles» diverses, ferait également apparaître de grandes zones vides. On ne relève notamment aucune monographie sur les sociétés de l'Afrique de l'Est appartenant au contexte pastoral nilotique. Beaucoup de participants au Colloque ont déploré l'extrême rareté des communications portant sur le monde bantou. Si du point de vue linguistique, la frontière séparant les Bantous, des Soudanais occjdentaux, est beaucoup moins nette qu'on ne le pensait autrefois, elle garde probablement une grande importance dans le domaine des représentations et des pratiques religieuses ou magiques. L'étude de L. de Heusch met vigoureusement l'accent sur cette distinction et parle même d'opposition à propos des systèmes de représentations liés à une notion aussi capitale que celle de gémellité. Pour étayer ou nuancer cette thèse, il aurait été souhaitable d'avoir sur les sociétés bantous, et notamment sur les Bantous méridionaux, une documentation aussi variée que celle dont nous djsposions sur les sociétés d'Afrique occidentale. Trop restreinte pour autoriser des généralisations applicables à l'ensemble de l'Afrique Noire, la liste des ethnies retenues nous offre, en revanche, une base sérieuse pour une étude comparative des formes prises par la notion de personne dans l'ensemble de l'Afrique de l'Ouest. Parmi les 18 populations de l'Afrique de l'Ouest ici considérées, 15 appartiennent à la vaste famille linguistique dite «nigéro-congolaise» et se distribuent de façon assez équilibrée dans 3 de ses sous-familles constituantes. Les 3 autres groupes d'Afrique de l'Ouest, Rausa, d'une part, Zerma-Songhay, d'autre part, appartiennent à des familles linguistiques qui sont surtout représentées dans d'autres parties du Continent (la famille afro-asiatique et la famille nilo-saharienne) mais des liens historiques très anciens les rattachent intimement aux sociétés mandé et voltaïques de la famille nigéro-congolaise. Ces 18 sociétés d'Afrique de l'Ouest présentant un certain degré d'homogénéité culturelIe, il eût été jntéressant de comparer leurs différentes conceptions de la personne en prenant comme variable les différences relatives aux modes d'organisation sociale et politique. Des discussions du Colloque, il ressortit que les différences tenant au degré de stratification sociale, à la présence. ou à l'absence de groupes ordonnés dans un système hiérarchique (présence ou absence de classes ou de castes) pouvaient fournir une variable particulièrement significative (cf. notamment la communication de J.P. Olivier de Sardan montrant qu'on ne pouvait traiter le système de représentations lié à la personne chez les Songhay-Zerma sans faire intervenir les différences de points de vue entre les maîtres et les captifs). Mais d'autres critères pouvaient être retenus pour la comparaison

et

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23 notamment celui des changements intervenus sous l'effet des modèles introduits par l'Islam ou le Christianisme. Certains participants firent des suggestions dans ce sens et, en particulier, pour proposer des études prenant pour objet les effets des modèles d'inspiration arabe sur ce que Mauss appelait les « techniques du corps» et l'image du corps qui leur est associée.

4. Les différents

modes d'approche.

Trois directions de recherche ont prévalu. Pour les uns, le but recherché était de restituer aussi fidèlement et aussi complètement que possible les systèmes de pensées ou de représentations indigènes et d'en dégager la cohérence interne. Le champ des problèmes abordés dans cette perspective est très vaste et recouvre presque totalement les différents aspects de la notion de personne que nous avons rappelés plus haut. Si l'accent fut surtout mis sur l'image du corps et les différentes composantes «psychiques» de l'individu, les notions de personnage, de personnalité ou de caractère furent également considérées et analysées. Ce qu'on pourrait appeler «l'eschatologie » de la personne (préexistence de l'âme au corps, choix pré-natal du destin, devenir des âmes après la Inort) est l'un des autres thèmes qui retint particulièrement l'attention. Dans l'ensemble de ces travaux centrés sur l'étude des représentations, les vastes et impressionantes synthèses qui nous furent données sur les Malinké, les Bambara et les Dogon occupent une place à part car la conception de la personne et en particulier l'image du corps y furent étudiées en liaison directe avec la cosmogonie. Pour une autre catégorie de la cohérence d'une doctrine que liée à la personne est comprise et ou en tel 'ou tel point du système

chercheurs, il s'agissait moins de dégager d'analyser comment telle ou telle notion utilisée dans un cadre institutionnel précis des relations sociales.

Enfin, pour un petit nombre de participants, le souci majeur fut de chercher à repérer derrière les modèles indigènes une structure inconsciente plus profonde. Les participants qui n'avaient pas eu l'occasion d'enquêter de manière systématique sur le thème de la personne furent naturellement enclins à adopter la seconde optique. Pour expliquer le choix des uns et des autres, on peut également invoquer des différences tenant à la nature même des sociétés étudiées quant au degré de raffinement ou de cohérence de leurs spéculations centrées sur la personne. A propos des Tallensi, SonghayDjerma et des Rausa, Meyer Fortes, Olivier de Sardan et Piault ont souligné ce point en faisant remarquer que face à la complexité des pratiques rituelles, les représentations concernant la personne paraissaient rela-

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24 tivement pauvres; d'autant plus pauvres qu'on les mesurait à l'échelle « des édifices majestueux» construits par les sociétés dogon, malinké et, dans une moindre mesure, yoruba. Mais la différence des optiques tient aussi, et pour une large part, à des options théoriques et méthodologiques divergentes où l'on retrouve parfois des divergences d'école (fonctionnaliste ou structuraliste). Des discussions eurent lieu sur ces problèmes d'orientation théorique et méthodologique. Si elles ont trop souvent tourné court, cela tient principalement au fait que les conférenciers ont pour la plupart négligé de rappeler leurs exigences de principe en matière d'explication ethnologique, puis, ce modèle idéal défini, d'indiquer clairement la portée et les limites de leurs contributions. Ces précisions préalables auraient évité' bien des malentendus: au lieu de prendre acte de divergences irréductibles, on serait peut-être parvenu à dégager des liens de complémentarité entre ces différentes approches. Des représentants de ce que nous appellerons la première tendance, on eut aimé savoir quelle est la place et la portée qu'il convenait, selon eux, de donner aux constructions spéculatives et aux mythes indigènes dans la connaissance ethnologique qu'on peut prendre d'une société. A cette question, je pense que deux types de réponses auraient été apportés. Certains chercheurs auraient volontiers reconnu qu'il n'y avait pas lieu d'accorder un privilège absolu au niveau stratégique qu'ils avaient choisi et au genre de matériaux qu'ils avaient collectés. Exprimée à la première personne, leur argumentation aurait probablement pris la forme suivante: nous avons relevé des traces nombreuses d'un système de pensée fortement structuré à propos de la notion de personne et nous nous sommes assignés comme but quasi-exclusif d'en restituer toutes les articulations et d'en rendre toute la richesse. Ce faisant, nous sommes prêts à admettre que ce système n'est pas connu de tous mais seulement d'un nombre restreint de «docteurs indigènes». Certes ce système présente à nos yeux d'autant plus de valeur qu'il fournit l'explication la plus économique et la plus élégante des pratiques rituelles nombreuses liées à la personne. Néanmoins, il ne permet pas d'expliquer toutes ces pratiques et il n'épuise pas le sens de toutes celles qu'il contribue à expliquer. Mais d'autres chercheurs de la même tendance auraient probablement donné une réponse plus ambitieuse. C'est du moins ce qu'on peut induire de leurs communications puisqu'on y fait clairement entendre qu'il n'est pas de geste ou de formule rituelle, qu'il n'est pas d'institution qui ne trouve son explication dans tel ou tel épisode du mythe d'origine. Face à cette dernière attitude, la critique d'inspiration fonctionnaliste reprend ses droits. En rassemblant des matériaux de provenance diverse et en les intégrant dans un discours unique, est-ce qu'on ne risque pas de

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25 créer une nouvelle structure mythique? En admettant qu'il y ait un mythe unique, est-il concevable d'admettre qu'il fasse vraiment partie du savoir public de la communauté et ceci en raison même de sa complexité? N'est-il pas plutôt transmis qu'à un petit nombre d'initiés? Si tel est le cas, est-ce qu'il n'existe pas à côté de ce savoir ésotérique, un savoir populaire qui pour expliquer rites et institutions met en œuvre un tout autre type de causalité? Ne peut-on notamment repérer un savoir de «classe» ou de caste, qui, sur bien des points, est en contradiction avec le discours des initiés? Est-ce que les catégories du mythe sont vraiment vécues et informent-elles réellement la vie des gens? Enfin et surtout, est-ce que le mythe ne fait pas lui-même partie de la réalité sociale à expliquer? Est-ce qu'il ne remplit pas une fonction qui échappe aux intéressés eux-mêmes? Certaines de ces questions surgirent au cours des débats du Colloque. Soucieux de déployer tous les raffinements du système de pensée souvent extraordinaire qu'ils présentaient, les chercheurs auxquels elles s'adressaient, n'y ont pas toujours répondu. Mais les chercheurs de la tendance fonctionnaliste ont eux-mêmes laissé bien des zones d'ombre dans l'exposé de leur méthodologie. En réduisant le mythe à sa fonction de charte sociale légitimant les rapports d'inégalité d'une société et en ne retenant du complexe notionnel et institutionnel lié à la personne que des «stéréotypes» ou des recettes opératoires utilisés comme réponses à des situations sociales conflictuelles, n'ont-ils pas forgé une grille sociologique qui ne retient que peu de choses des données à expliquer? En morcellant le discours indigène sur la personne en autant «d'idéologies» qu'il y a de groupes distincts du point de vue du rôle joué dans la reproduction sociale, dans la distribution des richesses ou dans la répartition du pouvoir (maîtres-captifs, nobles-roturiers, aînéscadets, hommes et femmes), l'optique fonctionnaliste ne se ferme-t-eIle pas l'accès à des catégories inconscientes plus originaires communes à l'ensemble du corps social et qui font partie de la substance même d'une

culture?

'

L'optique structuraliste n'a guère été représentée pendant le Colloque. Dans son inspiration générale, elle a néanmoins été illustrée par les brillants essais de synthèse de P. Smith et L. de Heusch. Une représentation plus large de cette école aurait peut-être permis une confrontation plus féconde entre les chercheurs des deux premières tendances. De la première tendance, elle se serait sans doute rapprochée dans le refus d'assigner une origine sociale aux catégories comme le fait une sociologie de la connaissance d'inspiration durkheimienne. En revanche elle aurait probablement récusé son mode de lecture des mythes et la façon dont elle utilise ce dernier pour expliquer les institutions sociales.

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5. Quelques directions de recherche.

.

Les études ici rassemblées abordent l'analyse de la notion de personne sous des angles de vue trop diversifiés pour qu'il soit possible d'en dégager une synthèse valable. Dans ce «polypier d'images ~, dans cette mosaique de notions, de connaissances et de comportements, on peut néanmoins opérer quelques regroupements. Des faisceaux. de croyances, des préoccupations métaphysiques identiques, des courants de pensée voisins se laissent repérer ici ou là, concernant tel ou tel aspect de la notion. Ce sont ces

quelques points de rencontre que nous voudrions signaler en espérant ainsi poser quelques jalons en vue d'un véritable travail comparatif. 5.1. La personne et le nombre. Les communications de Hampate Ba, Y. Cissé,G. Dieterlen et A. Néron de Surgy montrent que les spéculations centrées sur les rapports de l'homme et du monde ont parfois donné naissance en Afrique Noire à une arithmologie savante. «Le mystère de la création se trouve dans le nombre », dit une devise bambara rapportée et commentée par Y. Cissé. Deux figures tracées sur le sol, le banangolo et le sumangolo, donnent une représentation sensible -de ce mystère. Elles servent d'abord d'armature à un jeu auquel s'adonnent les enfants bambara et qui permet aux adultes de tester leur degré d'intelligence. Mais en étudiant progressivement la loi de composition formelle de ces figures complexes, l'adulte s'initie graduellement à la connaissance du mystère lui-même. En examinant attentiveement les figures et en dénombrant ses éléments constitutifs, il retrouve les nombres de base de la création et les rapports numériques communs à la structure de l'homme et à la structure du monde. Il apprend ainsi qu'aux 266 catégories entre lesquelles s'ordonnent les différents éléments de l'univers, répondent les 266 jours du cycle de la gestation humaine et les 266 éléments dont se compose le caractère de l'homme (son tere). Il comprend également qu'il y a d'intimes correspondances entre la structure anatomique du corps humain et certains cycles astronomiques: aux 33 segments du banangolo correspondent les 33 pièces osseuses de la

colonne vertébrale

«
run to mould Orle He is a senior àrl~à. He moulds Ori every day laying them on the ground. \hose who go from j kolé-Qrun to the world, it is compulsory to go to Ajàld, in order to have a head. 7. When he reaches there he would make his choice. If somebody wants, he can give À jàld something. If he do not want he may not give him anything. It may be money, or any other gift. If people do not give him something (Àjàld) would not require and would not debar anybody to carry his choice. But those who give Àjàlâ money or anything that is used at (Jrun, Àjàld will sympathise with him. 8., He will help him find the best Orle Those who give Àjàld some gifts, Ajàld himself choose Ori for and will become fortunate on Earth. They will become weaJthy or they will reach old age or they will be enthroned as kings. And will be able to get whatever they need on Earth. 9. Those who do not bother to ask Àjàld and to give him something~ the Ori which he will choose and will , carry it may be perhaps a good Ori or it may be a bad Orle Because Ajàld moulds all the Ori. 10. Those who are working together with Àjàld are: Èjlogbè, Orl~àdla and, Oyèku-méjl, /worl-méjl, Odi-méjl, , Irosùn-méjl, àW6nrin-méjl, Qbàrà, >.... ' méjl, ukànràn-méjl, Ogundd-méj/, (Jsd-méjl, lkd-méjl, Otùrupen-méjl, , , , >. ' Otùd-méjl, Jr~t~-méjl, 9~~-méjl, ufun-méjl. Eépà a! (due respect to all I). \

Il. All these Odù that are seventeen work together with Àjàld to mould Ori everyday. The part taken off with which any Orf is moulded is the Egun ) pQri (ancestral materia!). The person should worship his ancestral material to become wealthy in the world so as to be his saviour. 12. The kind of thing from where they mould individual Ori, will indicate what kind of work is suitable for each one that can please them, which will make him become wealthy. And all things prescribed as prohibitions - fWQ - to him that he is forbidden from eating because

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53 of the way they moulded Ori. The material which is used to create Ori has some distinguishing sign and is not mere material. 13. The reason why it is so, is that the person who is alive, that has not got solution to his condition, when he consults Itd, Itd would bring forth some example of the nature from which his head is moulded. 14. Ita would say, this kind of fbera you should follow or a certain forbidden thing you must not eat. So that you cann not eat out of the same kind of material from which your head is moulded. (lit. cannot eat from the same body from which his head was buill). So as not to turn such person to be mad or to kill him or let him live a misery life. That àdimu is why, it is called such kind of peculiar thing of a person as the original deified spirit (àkè lpèri). 15. The place where they take of a part of the original material to mould the heads of people is /pQri. And that is the /pèri of that person. 16. It means that the place where they take of things to mould one's head is what we call /pQri of a person. This is how Èjlogbè and ÇJs{tùa witness and reveal it vividly to us liek this". By extension, IpQri applies to a person's direct ancestors, to the immediate constitutive elements and particularly to the dead father or mother. The feet, being in contact with the earth, are the parts of the body through which ancestors' mount', the big toe representing, the right the male parent and the left the female. This is the reason why Lucas, with some ingenuity, maintains that} pQri is 'the path of the head' or (f)); and Abraham, 'the locus of the head when it moves on the feet' taking his cue from Lucas, even further simplifies this fundamental personal element when he says: 'Lucas states that j pgrÎ is a deified spirit living

in the toe'.

3. Some of the personality components of the ~run transmit their counterparts to be incorporated in an individual in the àiyé; each counterpart then assumes in turn a double existence: one part represents the collective aspect and the other the individual, exclusive aspect of the person, that which develops concurrently with the human person. If we put it differently, we can say that the corporeaJized or 'earthy' elements of the person in the N àg6 system simultaneously elicit an ancestral, collective or impersonal aspect and a new aspect, an individual interaction or result. Thus, for instance: the lyè represents memory. Each person has two kinds of lyè: (a) the lyè which accompanies the ~mi, the existential principle, (6) J. Olumide 1948), p. 250.

LUCAS, The Religion

of Ihe Yoruba

(C.M.S.

Bookshop.

Lagos,

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54 and is transmitted with it. It bears the ancestral memory and conducts the ~mi through the land of dreams, accompanies it when it partially forsakes the body, when we slumber or dream and also after death when the tnli returns to the Ikele-Qrun. That is why it is said: Orf ohùn kan naa ni Iyè ati èmi wà (lyè and tmi are at the same level) Cb) The other kind of lyè is that which enables experiences to be remembered, studied and accumulated. It accompanies persons when they are awake. Lucas calls it 'the mental body or mind' and says that it is 'the conscious part of man and depends on the soundness of the brain'. When the child is born, it does not possess its' diurnal' lyè in a devel~ped form: growing and learning develops it. It is compared to a pouch (A polyè) in which are gradually accumulated the knowledge and memory of an individual. After death, the Àpo-lyè disappears with the body. It enables thought and intelligence to be formed, and traditional medicine knows of many' works' through which it is fortified. It is supposed that many problems of mental unbalance are generated when the individual Iyè is impeded by, or is in conflict with, the ancestral Iyè. When a person is in doubt, it is customary to say: 6 n~e ni'yè méji (The two Iyè are not in agreement) È~ù, like all the elements of the person, comprises two aspects. In his collective aspect he represents the dynamic principle and the principle of individualized life. In his individual aspect, be represents the driving element in personal fate. His individual role is directly derived from his caracteristics as collective symbol. È~ù therefore has two well differentiated kinds of materia] representations in the Nàg6 culthouses: those which symbolize È~ù Àgbà, Èsù ÇJbasin or È~ù Yangi, the collective principle, the foot of the OkOfO (ï), to which the authors have refered in another place; and those which symbolize È~ù Bara, the personal È~ù which accompanies every individual. Whereas È~ù Àgbà and his representations are objects of public and collective cults, his ojubQ (places of worship) being localized in appropriate temples, at the entrance to townships and villages or in the middle of compounds, the individual Bara is worshipped privately by the person he 'accompanies' and the vessel which represents him is kept in the person's own place of worship. Le Hérissé wrote as far back as 1911 : 'There are two other vodun, Legba and Fa, which are personal to each individuaL are born and disappear with him. The public manifestations of worship do not require (7) The symbolical meaning of the OkotÔ, a variety of snaB which is used as a top. has been amply dealt by the authors in È~'Ù Bara Laroyè. Op. cit.. p. 8-9.

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55 grand sacerdotal rites. But devotion is none the less fervent, being intimate and directly concerned with the person. Legba is the occult companion of each individual' (H). The jar mentioned earlier and its contents represent the person's Bara-Qrun, its counterpart the Bara-àiyé resides in the body of each individual. The Bara-àiyé disappears at the same time as the body after death. In Bahia, the Bara-(Jrun is ritually destroyed and despatched together with the grù'ku, the dead one's load. In Kétu-Dahomey, the Bara is buried with the' human remains. All priestesses at their initiation receive two kinds of sacralized symbol-vessels: (a) those which represent their àri~à, the divine entities of the N àg6 pantheons, and (b) those which represent their personal È~ù. In reality, the accompanying È~ù is ready, and they will receive it, even before they receive their àri~'à. This priority is a result of È~ù's function and will be analyzed later. Only after the personality elements of the Qrun have been' seated' in the proper vessels do the priests proceed to prepare the novice or the elements of her person corporealized in the àiyé. In the traditional N àg6 cult-houses of Bahia, the Bara is represented by a small terracotta vessel with a wide aperture and a lid, called Kàlàbo and containing 21 cowries. These represent the constitutive elements of the individual's fate as determined by the Ori at the [Jrun. It is with these cowries that the person shall consult and obtain the oracular responses which £oncern his entire destiny. Of these 21 symbols, 16 represent the Irunmalè-Agbà, the principal ancestor-àrl~à, 4 represent the fundamental elements and their collective representations and 1 represents È~ù, the dynamic principle and principle of individualized life, the new entity which inherits and restructures all the former elements. The priestess, in consulting her Bara, divides the cowries into groups of 4, 16 and 1. She can cast either the four or the sixteen the latter called €rindilogun. The one remaining cowry alternately the 17th or 21st member of the set, is the offspring resulting from the interaction of all the prior ones contained in the vessel, which is a symbolical displacement or representation of the fertilized mythical womb. It is the guardian, charged with the function of mobilizing and interconnecting the entire personal Bara system. It therefore' moves' the cowryshells to make them assume particular configurations or signs by which the requisite answers and ways are given to direct and resolve the requests presented by the consultant. È~ù Bara is the one who' speaks' and guides and indicates the ways of the individual. The individual È$Ù Bara emphasizes the fundamental aspects of È~ù collective symbol, of whom

(8) LE HÉRISSÉ, L'A Ilcien Royaume (éd. Emile Larose, Paris. 1911).

du

Dahomev:

Mœurs,

Religion,

Histoire

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56 he is a part. The concept of divided and differentiated matter recreates inherited elements is implicit in all È~ù's symbology.

which

If we repeat once more the words of Ita, 'if someone did not have his È~ù in his body, he could not exist, he would not know that he is alive; therefore everybody must have his individual È~ù '. He would not know that he is alive: in other words, he would not recognize himself as a being with its own life, he would continue to belong to the mass of undifferentiated matter. È'~Ù is an inseparable part of any differentiated being or matter. He is the principle of individualized life. But at the same time, he is the dynamic principle of the N àg6 system, the active element of the universe and the one who impels the mechanisms and relations of the various elements of the individual, the community and the system. It is well-known in the cult-houses that each entity, each orl~à, each individual has his own È~ù. Matter, its severed and recreated parts, its collective and individual representatives, would remain motionless and deprived of dynamic existence without È~ù. In order to mobilize any ritual action, individual or collective, È~ù is the first to be invoked and the only one capable of 'starting' and developing the action of the orl~à. This aspect of È~ù as dynamic and vital principle of each individualized being' makes him the element which helps to form, develop, mobilize, grow, change, communicate' f!q. È~ù is not only the propelling agent of procreation, being as such closely associated with sexual activity; he also represents at the same time the result of this activity, the procreated part. Many oral myths and texts clearly refer to his role as the result of the interaction of the male and female elements, to his offspring symbology and to his sonship status. He is the first differentiated form of the unIverse. 'Before him, only air and water existed. At the very beginning, there was only air. ÇJlQrun was an infinite mass of air. When it began to move slowly, to breathe, a part of the air changed into a mass of water and thus originated Orl~ànld. The air and the waters moved and a part changed into watery mud. From this mud there rose an elevation, a small mound, the first matter endowed with form, rising like a reddish" muddy rock. ÇJlQrun admired the form. He breathed over the small mound, insufflated his breath into it, and it came to life. This form, the first form of existence, laterite stone, was È~ù '. In another myth, the childÈ~ù of the Qrun is transferred to the àiyé and is born of the copulation

of Ç)runnÛla and his wife Yéhliru (Y é + hi + iru (9) Juana ELBEIN DOS SANTOS & Deoscoredes op. cil., p. 7.

==

mother who gives

M. DOS SANTOS, È~Ù Bora Laroyè,

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57 birth to children of many kinds). He is the first child to be born in the world and he is to be the principle that will allow the severance of all future children . (1 ())

In another story, È~ù is begotten by the à~~, the supernatural power, of the sixteen main mythical ancestors, the sixteen lrunmal~ Odù-Àgbà and Q~un, the àrl~à which collectively represents the ancestral mothers. He is born of her \vomb fertilized by the à~g of the lrunmal~ (11). Varied are the characteristics of È~ù-offspring which the texts exhibit and clarify. In various myths, È~ù appears as a voracious scion who devours all the food of the world, including his own mother, and who later, having been infinitely divided by his father's sword, populates natural and supernatural space and agrees to making restitution to his parents of the incorporated matter which allows his fabulous expansion (12). È~ù is not only the procreated, the principle of individualized life, he is at the same time the principle of reparation. He is the Oji~~-~bQJ the unique entity of the N àg6 system, one of whose specific functions is to carry the sacrifices to the mythical parents, the devolution of the introjected, of the matter which shall restore the parts severed to form new beings. Every individual, by bearing within himself his own È~ù, bears the element which enabled him to be born and which will allow him to develop, reproduce and accomplish his life cycJe. In order that this process may be accomplished without accident, it is imperative that the individual make restitution through offerings of the' food' which, in a real or metaphorical sense, his life principle has consumed. It is as though a balanced life process, moved and controlled by È~ù, were founded on the constant introjection and restitution of matter. È~ù is profoundly associated with the secret of transforming original matter into differentiated individuals. In fact, he represents the secret and the occult, the' physiology' of that wich takes place in the inu, the inside, of all the cavities of the human body. This is precisely the role of the individual È~ù àiyè, whose (Jrun counterpart is 'seated' in the vessel of the Bara. It will be seen that the elements which constitute the Bara explain the symbology of È~ù, the individual element. 1. Being associated with, and a mover of, personal fate, he is related to the Ori-in~, the inside of the head. He is also the individual È~ù accompanying the Ori, charged with carrying offerings to their recipients during the Beri rites, the worship of the head. (10) I bid.. p. 29. (11) Ibid., p. 49-84. (12) I hid.. p. 29-48.

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58 2. Being concerned with the function of introjecting food, he is related to the mouth and the stomach. This aspect appears in many sayings and proverbs linking È~Ù's anger with the sensations of hunger and thirst, etc. Le Herissé states that Legba 'inhabits the navel' is called Rondon, 'navelshaker' and Homesingan, 'Lord of anger, because anger comes from the belly, Hke joy, pain, pity (Home: belly; homesin: anger; gan: lord)'. The mouth is also strongly emphasized in many carvings and basreliefs which represent È~ù introducing into his mouth a pipe, a flute, a human being, or sucking a finger. This aspect has been amply dealt with by the authors in another place (1 a J. At the same time, È~ù is related to the mouth in his a spect of Enu-gbaraj{? (coIJective mouth). This is a reference to the fact that all 400 lrunmal~ decided to give a piece of their own mouth to È~ù on the day when the latter was to have represented them at 9lQrun's feet. È~ù took those pieces and stuck them to his own mouth: since that time, È~'ù speaks for all of them and his

mouth represents them

(14).

In this sense, the mouth is the cavity which transmits the message. È~ù is the interpreter and linguist, the principle of communication. In his collective aspect, he causes the (Jrun to communicate with the àiyé, the orl~à among themselves and with human beings. In his individual aspect, he links all the personal elements of the [Jrun and the àiyé, and these elements with the outside entities and with the whole system. Teeth are sym boIized by cowries: Ejile lQgbèn owo fYQ ni mb~ l'gnu: J;rindilogun Ori ni mb~ l'èJkè ~nu, ~rindilogun àrl~à ni mb~ ni sàlg. (There are 32 cowries - owo ~YQ - in the mouth: 16 cowries of the upper plate belong to Ori, 16 cowries of the lower plate belong to Ori~àla). It would serve no useful purpose to dwell on this important revelation of the Odù lfa, beyond calling attention to the fact that the cowries of the Bara are the symbolical representatives which take shape and body in the mouth, so that it is through them that the Bara' speaks' with his sign messages linked to the fate of the Orle 3. Being, through his sonship function, a promoter of the procreation of new beings, È~ù is intimately connected with the womb, Inu, i.e. the cavity and its physiology. He is related to the secret of individualized (13) Ibid., p. 88-89. (J 4) I hid., p. 92.

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59 life transferred from the (Jrun and developed .in the womb. He is related to sexual activity and with the interaction of semen and ovula. And he is fundamental1y linked with the fertilized placenta. Whereas the semen and the womb represent original matter, the mythical male and female ancestors, the placenta transmits the principle of individualized life. It is the double of the person that develops together with the foetus and, separated from the mother's body, represents È~ù, the È~ù of the rrun, the counterpart of the new individual È~ù embodied in the newborn. The placenta, representing the individualized portion severed from the womb, represents the lprri, of which mention was made at the beginning of this essay that is to say it transmits the mythical original matter and its ancestral representatives. (1;)),

(Jrunmllà 16 nti ) kple (Jrun b[J wa si 1'aiye cf fg Okè Ipèri r~ tira jtt, t

A dila fun A boyun A bù fun pj!! lbi Njç Okè Ipgri mi 0 j bi ni I1l0 dei padà .vii 00 Èkejl È~ù. When Ç)runmllà was coming from the supernatural spaces to the world, He laid beside him gently his Okè I pQri (portion of his creative mound). This was the oracle cast for Aboyun (a pregnant woman), And repeated to rj~ lbi (the day of birth), Hence, my materia of origin This placenta is what I retourn which is my deputy È~ù. This Odù is illustrated by the story which reveals what is and how is prepared the material representation of the Ip{}ri. We shall give a shortened version, related to us by the Babalawo: 'When ÇJrunmllàwas conceived, his mother began to suffer and it appeared that she would lose her child; lia having been consulted, it came to light that Ç)runmllà had not brought his placenta with him and could not survive. An offering, with various sacrifices of pregnant animals, was performed. A boyun, 9runmllà's mother, ate portions from the important parts of the sacrifices. After that, her placenta became attached to the conceived child and. got big and heavy and powerful. On the day of delivery, the placenta issued first and it became difficult for the child to be born. After Qrunmllà was born, his placenta was lying beside him when it was cut off and put in a ceramic pot with a lid and buried on a mound bed (pepe le) where 9runmilà's mother used to sleep. From that mound, when 9rÛn(15) Ihid., p. 3-11.

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60 ml/à became adult he took a small quantity from the spot where his placenta was buried and performed the same sacrifices as his mother, with the blood from which he moulded a kind of head, small, not round, like the heart of a human being. It is called Okè ippri and it is put in a bag to be carried. It is as if the placenta is escorting him when he leaves the house. It is the symbol of his own È~ù' f1HI. The Okè IpQri and the Bara are two representations of the individual È~ù: the first represents his collective aspect, accompanying a portion of original matter, the placenta buried and reintegrated in the undifferentiated mass; the Bara directly represents the individualized element, the small mud vessel, the Kà/aba, symbolizing the cavities of the body and the 21 cowries, the original elements recreated and placed at the service of individual fate which he impels and directs. To conclude, È~Ù as dynamic principle and as principle of individualized life, symbolizes the procreated and promotes the conditions which are necessary for differentiated existence to come into being and accomplish its life cycle.

(16) Related

to the authors

by Mr D. Agboola

Adeniji,

Elder of Iwo, Nigeria.

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N/)

Colloques Jnternatiollaux du C.N.R .S. 544.

-

LA NOTION OF PERSONNF. EN AFRIQUE NOIRE

NOTION DE PERSONNE ET LIGNÉE FAMILIALE CHEZ LES YORUBA Pierre VERGER

La notion de personne chez les Yoruba, comme dans de nombreuses autres ethnies africaines, est profondément liée à l'organisation sociale du groupe dont elle fait partie. Les idées que nous passerons en revue, celle des âmes multiples, celle de la diversité des noms, celle de crise de possession par le dieu (Ori~a) soulignent toutes cette dépendance de l'individu à la lignée familiale, à la communauté qui englobe les vivants et les morts, les ancêtres proches et lointains qui se perpétuent dans leurs descendants auxquels ils ont transmis leurs gènes. « Pour l'Africain, écrit Hubert Deschamps 111, l'isolement est inconcevable. Sa force vitale est en relation constante avec celle des ancêtres et des membres du groupe. La plus grande calamité consiste à en être retranché et réduit ainsi à une existence déficiente, sans protection, vouée au néant».

¥mi, l'âme, le souffle vital et Oj1ji, l'ombre. Le corps des gens fut créé, disent les Yoruba, et pétri dans la glaise par 016dùmarèJ Dieu ou Force Suprème. La tête (ort) fut moulée par Qbàtald, qui reçut d'Ol6dùmarè le pouvoir de créer et de façonner les yeux, le nez, la bouche et les oreilles. Le souffle (~mi) fut alors insufflé par 016dùmarè. Dans d'autres légendes, ÇJbàldld joue un rôle plus important comme divinité de la création et il est appelé A ldhala~e (i] suggère, il a le pouvoir); ( 1) DESCHAMPS. p.

19.

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62 lorsqu'il parle, ce qu'il propose devient réalité. Il est aussi salué par l' orikt -(phrase de louange) ÇJbàtdld ald~(! (Qbàtdld propriétaire du pouvoir) (21. Les gens sont formés d'une partie matérielle, le corps (ara) et d'une partie immatérielle (~mi), le souffle, l'âme, le principe vital, l'esprit. On dit" tmi ol6jà ninu ara", le souffle est roi dans le corps. " La différence entre un corps vivant et un cadavre est la présence

ou l'absence d'~mi Ia,. ~mi est représenté par ojlji,

l'ombre des gens. C'est ce que les Fan

appellent y~. Ojiji est relativement vulnérable, on peut faire du mal aux gens en faisant des « travaux» sur leur ombre. « Il y a trois sortes d'ombres, dit-on; de bon lTIatin, les gens en ont deux, une à gauche et l'autre à droite; à midi, eHe devient unique; après six heures

du soir, il y en a trois»

{41.

.

L'ombre (ojlji) est enterrée avec le mort et devient du sable, au bout de trois jours, au fond de la tombe; le neuvième jour, l'âme (?mi) la quitte avec ce sable pour devenir l'ombre d'un nouveau-né. Chaque jour, il y a en principe deux cents enterrements et deux cents naissances (deux cents représentait autrefois un chiffre considérable dans la numération yoruba).

Ori, la tête. L'âme (~mi) peut aller dans n'importe quelle famille. La tête (orO, revient dans la même famille lorsqu'il y a un nouveau-né. art réside alternativement sur terre (aiyé) où la personne est araiyé (habitant de la terre) et au pays des morts (Qrun) où elle devient araiJrun (habitant de l'au-delà). Chez les Yoruba, de nombreux enfants sont appelés Babatundé (le père est r~venu) ou Iyâtundé (1a mère est revenue); ils sont acceptés à leur naissance comme la réincarnation du grand-père ou de la grand'mère récemment décédés. Cette notion d'allers et retours entre l'au delà et la terre se retrouve chez les Fan sous le nom de dj{Jt(J,l'enfant revenu avec l'âme d'un ancêtre. Cet enfant est indifféremment appelé dans son jeune âge par son nom ou par celui de l'ancêtre. C'est ainsi que dans la famille royale d'Abomey, on (2) VERGER, I, p. 416. (3) IDowu, p. 169. (4) VERGER. I. p. 508.

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63 sait que le yç (correspondant à çmi et non à orE) de Madokun est passé successivement après sa mort dans Ganhesu, Agadja (mort en 1740), Agonglo (mort en 1797), Béhanzin (détrôné en 1892), et que celui de Lande passa à T~gbt:su mort en 1774), puis à Adandozan (détrôné en 1818). De même MatinpQn fut le djQtQ successif d'Akaba (mort en 1708), Kpgngla (mort en 1789) et Aboliagbo (détrôné en 1900). Ori est le siège de l'intelligence (Qgbgn). Un culte lui est rendu. Tous les ans, dans une ville yoruba, le roi fait à une date donnée des offrandes à sa tête (ibp orf). Le jour suivant, tous les dignitaires et gens titrés du lieu font leur propre ib(!ri et leur exemple est suivi ensuite par les divers chefs de famille. « Or; est, suivant William Bascom le gardien de l'âme des ancêtres. D'après certains informateurs ce gardien de l'âme des ancêtres réside au sommet de la tête (àtari, awùjç). Un informateur d'1ft;' lui expliquait que l'on peut voir battre le paul en ce point chez les enfants nouveaux-nés et que de là également s'en allait la respiration (çmi) hors du corps lors de la mort. Suivant d'autres informateurs, il (le gardien de l'âme des ancêtres) réside dans le front (iwdju orl). Le front serait associé avec la chance individuelle qui est une partie de la destinée. Le gardien ancestral est aussi associé avec l'arrière de la tête, l'occiput (ipakQ erun) qui regarde vers l'arrière et le passé. Il protège contre le mal fait en des endroits où la personne est passée autrefois». Pour évoquer l'idée d'âme, d'esprit.. de conscience, on emploie quelquefois le mot Qkàn, cœur, ou le mot inu, ventre, estomac, matrice, entrailles, impliquant la notion d'intériorité (ninuninu). La joie s'exprime par l'expression «inu mi dùn », mon ventre est doux, dé1icieux, plaisant.. agréable; sentiments ressentis intérieurement. I:)),

Egûngun,

les âmes des morts.

Les âmes des Inorts sont censées revenir sur terre dans certaines familles sous forme d'Egungun I HI. Elles apparaissent à leurs descendants sous de beaux pagnes décorés d'étoffe découpée, brodée et ornementée de cauris et de paillettes. Des sociétés, strictement réservées aux hommes prennent soin de ces Egungun, les appellent au cours de cérémonies où les morts de la famille doivent être honorés. Les Egungun, sortant de l'igbal~, viennent saluer leurs descendants d'une voix rauque et profonde (segi), les assurer de leur protection et leur faire des bénédictions. Ils dansent volontiers au son des tambours hala et ogbon. Le contact des pagnes (5) BASCOM.. p. 408. (6) VfRGER. 1. p. 507.

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64 des Egungun passe pour être fatal aux vivants, aussi les mariwo et {Jj~, membres de la société, les accompagnent-ils toujours, munis de grandes baguettes (i~an) pour écarter les imprudents. Le vent soulevé par ses pagnes lorsqu'un Egungun danse en tourbillonnant est au contraire tenu pour bénéfique. Lors des funérailles d'un nzariwo, d'un Qj~ ou d'un ol6ri~a (personne dédiée à un ori~a), une cérémonie nocturne a lieu le neuvième jour, lorsque l'èmi abandonne son corps au fond de la tombe. Les Qj~ et membres de la société FgÛngun vont en un lieu désert aux confins de la ville briser une calebas_,e contenant certains éléments, soulignant ainsi la libération de l'âme de leur ancien compagnon. Parmi ces éléments figure de l'eau utilisée dans une forge pour refroidir les fers du forgeron et dont on a lavé le corps du défunt, effaçant ainsi symboliquement tous les tatouages, scarifications diverses, coupes de cheveux et blessures reçues à la guerre. Toutes ces marques sont dues à l'action d'Ogun, dieu des forgerons, des guerriers, des barbiers, des agriculteurs et de tous ceux dont les activités les amènent à employer du fer. , Ipiltf~,

l'origine.

ipil~~~ (ce que nous rencontrons, venant de nos ancêtres, à notre arrivée au monde) est lié avec la notion d'is~~~. Les Yoruba déclarent «lpil~~~ ènia ni a npè is~~~ », «l'origine de quelqu'un est ce que nous appelons is~~~ où se trouvent inclus à la fois orî, la tête, le père, la mère et lid. Lorsque meurt un personnage très vieux, père de beaucoup de petits enfants, ayant pleinen1ent accompli ce qu'il était venu faire sur terre (aiyé), on installe sur l'autel familial une statuette d'argile dans une assiette blanche. On incorpore à cet argile un peu du sable de la tombe (représentant son ~mi) et on le façonne en forme de cône sur lequel on ébauche de vagues traits humains, consistant en dépressions pour les yeux et la bouche et une saillie pour le nez. C'est l'isC~~ du vieillard défunt auquel on fait chaque année des offrandes de béliers. Js~*ç est, dit-on, un peu du pouvoir d'016dùmarè qui reste à la maison. Ceci peut être rapproché du s~ personnel concrétisé des Fon, qui de leur vivant ont chez eux un cône d'argile (semblable à celui d'i~e.}'ç) mélangé de kaolin, posé sur une assiette blanche.

Pour Bernard Maupoil (71 (7)

M AUPOJL, p. 401.

~

l'ensemble des petits ~e personnels imma-

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65 (8) traduit par tériels forment le grand S~, notion que le R.P. Segurola Dieu, partie puissante et essentielle d'un être, esprit, principe vital, destin, sort.

Ifâ, le sort, la destinée.

liâ chez les Yoruba (Fa chez les Fan)

(H)

est un système divinatoire

permettant au babald11'o, père du secret (bokonon chez les Fan) de résoudre pour les gens les divers problèmes qu'ils peuvent avoir. Les solutions lui sont dictées par les signes (odù) d'lia obtenus par la manipulation, suivant certaines règles, de noix de palmier à huile (elaeis guineensis, var. idolatrica). Ces odù sont au nombre de deux cent cinquante six. Chaque personne dépend de l'un d'eux. Au moment de la naissance d'un enfant, les parents font chercher par le babalawo quel est le signe (odù) régissant la destinée du nouveau-né. Il saura plus tard quels sont ses interdits et aura la révélation de son identité profonde. «iiâ ou Fa ouvre à chaque homme (JO, la possibilité d'entendre de quel destin a été marquée son âme avant de l'incarner sur cette terre et de rendre un culte à cette âme. Il ne s'agit pas pour lia ou Fa d'une divinité secourable; c'est la voix de Dieu, enfermant j'homme dans son déterminisme. La possession d'un signe d'lia ou de Fa est conçue comme une alliance avec une divinité personnellement attachée à l'allié mortel, et satisfait en l'homme le besoin de sécurité, de certitude. Il devient comme un ancêtre l'intime témoin de l'être qui le possède».

IpQnri, origine

et destinée.

IpQnri (KpQli chez les Fan) est lié à l'origine et à la destinée. Il est à la fois le signe d'lia (ou de Fa) obtenu par l'initié, arrivé à l'âge d'homme, après consultation dans la forêt sacrée et I]l' «le symbole de son âme extérieure et de son esprit tutélaire» . Matériellement IpQnri (ou KpQIi) est constitué par le sable ou la (8) SEGUROLA, p. 460. (9) VERGER, I, p. 568. ( 10) MAUPOIL, p. 17. (11)

MAUPOIL,

p.

16.

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66 poudre iyçrosùn où le signe d'lia (ou de Fa) de l'initié a été tracé dans la forêt. Cet lyçrosùn, pétri avec du kaolin et des feuilles particulières au signe, est enfermé dans un sachet de toile blanche décoré à l'extérieur par des perles et des cauris. D'autres fois, la tête, les pieds et les mains de l'initié sont placés sur cette poudre. Tous les devins babaldwo présents saluent le signe (odù) obtenu, racontent ses histoires Otan), donnent des indications sur sa signification, sur les interdits qu'il comporte. Ils font des vœux de bonheur à l'initié en saisissant chaque fois une pincée de l'ly€rosùn et le placent peu à peu dans une petite calebasse qui sera la représentation matérielle de 1'lPQnri. Cette calebasse sera placée sur l'autel d' lid particulier de l'initié et recevra par la suite des offrandes et sacrifices lorsque les indications en seront données par le jeu de la divination. IpQnri est lié avec la notion d'origine des gens et représente les six générations précédentes; le propriétaire de l'IPQnri étant le septième. On donne ce même nom d'IPQnri aux ancêtres, censés résider dans les gros orteils des gens. Lors des offrandes à la tête (ib(Jrî), des sacrifices sont offerts aux parents ou grand-parents défunts, quelques gouttes de sang des animaux sacrifiés sont versées sur les gros orteils droit et gauche, représentant l'âme du père (ou grand-père) et de la mère (ou grandmère) s'ils sont morts. Les esprits des ancêres ainsi évoqués sont présents à la cérémonie et sont salués des orikl iprnri (121, les salutations élogieuses faites à la fois aux ancêtres et par droit de filiation à la personne faisant les offrandes à sa tête. Bolaji ldowu na 1 propose l'étymologie de [pin orf pour lponri, qui signifierait: le choix de la tête.

Ortrun,

origine

de la tête, ~wp, cordon ombilical,

placenta.

Il Y a relation entre lPQnri et celle de orlrun, origine de la tête; c'est le cordon ombilical de la personne (lwf5). lw(5 a été placé après la naissance dans un pot (isasùn) et installé dans l'arrière cour de la maison, au lieu où les gens vont faire leurs ablutions, afin qu' orlrun soit dans un endroit frais (14); le tout est couvert de jeunes feuilles de palmier appelées mariwo et de cauris. Ce lieu est salué de la phrase suivante: «nlé 0, 0 to balùw€, at'ldi j~gbin omo tuntun»: « hala, salle de bains, source origine de l'enfant (12) BASCOM, p. 408. ( 13) l DOWU, p. 17 1.

(14) VERGER. II. p. 1454.

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67 (elle) mange les saletés du derrière de l'enfant nouveau»; formule qui, par un curieux raccourci, associe des notions de très respectables spéculations sur l'origine des êtres humains et celle de fonctions organiques moins nobles. Le cordon ombilical est aussi quelquefois enterré non loin de la maison et un palmier à huile planté au-dessus. L'enfant une fois arrivé à l'âge d'homme en prendra toujours grand soin.

\

Aiyalé,

poitrine

de la maison.

Sur la place située devant la maison familiale en pays yoruba, se trouve un point appelé àiyalé (la poitrine de la maison) ou IjQriwol~ (rencontre avec les morts sur terre). C'est l'endroit où l'on plante les osun (asen chez les Fan) constitués par des tiges de fer ornementées, for.mant des autels portatifs pour faire le culte des morts. C'est en ce lieu que les vivants « rencontrent les morts de la famille pour les adorer». L'emplacement est en général abrité par des plantes d'akoko (dracaena fragrans) ou d' ologun~~~~ (erythrina senegalensis). Devant les temples des ori~a, cet endroit s'appelle idomosun. Les dieux incarnés dans les ol6ri~a viennent à diverses reprises saluer rituellement au cours des cérémonies les osun, plantés là pour représenter les âmes des Ol6ri~a défunts. Dans les maisons, chez les Yoruba, le culte des morts se fait dans l'ilésein où les morts sont représentés par des poteries posées sur une banquette de terre. Des filières de cauris sont suspendues au-dessus et un i~an, baguette d'atori (glyphe a laterifolia) est appuyé au mur; chez les Fan, ce culte est fait dans le dehoho où sont plantés les asen, là où sont faites les libations pour les morts.

Diversité

des noms.

L'identité des gens est définie par les noms. Ils prennent une valeur particulière dans les sociétés basées sur l'oralité où un grand pouvoir est attribué à la parole (la parole agissante). Les noms y sont considérés comme de véritables locutions incantatoires douées de pouvoir et capables d'influencer le futur. Nous verrons combien les noms d'un individu sont liés, en pays yoruba (pays autrefois sans écriture), à ceux de ses ancêtres.

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68 Les Yoruba reçoivent de trois à quatre noms (15, dont trois au moins sont indispensables; le premier de la liste ci-après est facultatif. I. Oruk(J an111ntprunwd est le nom apporté par l'enfant avec lui de l'au-delà, lorsque les circonstances particulières de la naissance peuvent être exprimées par un nom applicable .à tous les enfants nés dans les mêmes circonstances. Citons entre eux: Taiwo et Kghindé donnés aux jumeaux, ldowu à l'enfant né après eux. On nomme Igé les enfants nés les pieds en avant; Ojo pour les garçons, Aina pour les filles, ceux qui sont nés avec le cordon ombilical enroulé autour du cour; Dada ceux qui ont les cheveux bouclés, etc. II. OrukQ àbisQ est un nom basé sur des considérations relatives à l'enfant lui-même et en rapport avec la situation de la famille au moment de la naissance. Samuel Johnson classe les àbis() en (Hi I : a. noms se référant directement à l'enfant lui-même et indirectement à la famille: pour les garçons, AYQdélé (la joie entre dans la maison), Akîny~lé (un enfant énergique convient à la maison)~ pour une fille, Morénikf (j'ai quelqu'un à dorloter), etc. b. noms se référant davantage à la famille qu'à l'enfant: OgundalénÙ (notre maison a été dévastée par la guerre), DtfgbfY~ (l'es ennemis nous ont retiré l'honneur), ()ldbisl (l'honneur a augmenté), etc. c. les noms composés avec Adé (couronne), Olu (chef), Oyè (titre) dénotent l'appartenance de l'enfant à une famille princière ou titrée: A débiyli (la couronne a fait naître celui-ci), Oyéygmi (le titre me convient), etc. d. les noms où interviennent un nom d'ori~a indiquent l'appartenance de la famiIle à son culte : ~àng6bùnmi (~àng6 dieu du tonnerre me l'a donné), ÇJ~untQki (9~un vaut d'être honorée), Ogundip~ (Ogun dieu des forgerons me console avec celui-ci), etc. III. Oriki est un nom qualificatif indiquant les caractéristiques de l'enfant ou celles qui lui sont souhaitées dans l'avenir. Dans les oriki des garçons interviennent les notions de bravoure et de force: Àjàmu (celui qui saisit après la bataille), Àjàni (celui qui possède après la bataille), Alào (celui qui divise et écrase). Les oriki des fiJles évoquent la tendresse et la grâce: Aypkd (celle qui fait la joie autour d'elle), Àb~hi (celle qui est née après des supplications). (15) (16)

JOHNSON, p. 79. JOHNSON. p. 8 t.

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69 Les parents appellent souvent leurs enfants par leurs orikl mais il y aurait faute d'étiquette grave et impolitesse inconcevable si un enfant appelait ses parents par leur oriki. IV. OrU~. Ce n'est pas un nom à proprement parler, l'oril~ indique l'origine lointaine de la lignée familiale. Appellation d'une importance très grande pour retrouver le «pedigree» de quelqu'un. Lorsque l'oruk{J, l'orikl et l'oril~ d'une personne sont donnés, elle est identifiée et sa famille est connue. Ces orUg sont en général des noms d'animaux: Erin (éléphant), J;kùn (léopard), Qkin (aigrette), ou celui d'un objet: Gpo (poteau). Chacun de ces oril~ ont de longs orikl, salutations dont le sens reste quelquefois obscur Il ï I. Les mères les récitent à leurs enfants, les femmes de la maison en saluent un membre éloigné de la famille venu en visite, ou encore Egungân les prononce de sa voix rauque lorsqu'il complimente ses descendants au cours des cérémonies faites pour l'évoquer. \

Ori~a (et V odun ). En dehors des ancêtres directs de la famille, les Yoruba dépendent des Ori~a (V odun pour les Fon), leurs ancêtres lointains dont le souvenir s'est plus ou moins perdu dans la nuit des temps et dont le caractère divin est surtout retenu par ses descendants actuels. Reprenant les textes de certains auteurs, rappelons que, confirmant ce point de vue, A. Le Hérissé IIH 1 déclare: «tous les V odun sont les ancêtres merveilleux des tribus qui ont contribué à la formation du Dahomey». Léa Frobenius (1!)1 écrit: «Le système religieux des Yoruba est basé sur le concept que chaque personne est le représentant de Dieu (àri~a) ancêtre. La filiation est par la ligne masculine. Tous les membres d'une même famille sont la postérité d'un même Dieu»; Bernard Maupoil f201 confirme: «nombreuses paraissent être parmi ces divinités celles qui vécurent autrefois sur terre: L'élément terrestre et le céleste ne s'en reconnaissent que mieux l'un dans l'autre, et cette croyance exprime la secrète et réciproque nostalgie qui paraît incliner les Vodun à redevenir hommes, et les hommes à s'élever à la connaissance ou à l'exercice des chases divines»; WilHam Bascom de son côté pense (211 que «un ori~a est (17) (18) (19) (20) (21)

VERGER, III, p. 239. LE HÉRISSÉ, p. 97. FROBENIUS, t. 1. p. 154. MAUPOIL, p. 57. BASCOM.p. 21.

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70 une personne qui a vécu sur terre quand elle fut créée à l'origine, et de laquelle descendent les gens d'à présent. Quand ces ori~a ont disparu, leurs enfants commencèrent à leur faire des sacrifices et à continuer toutes les cérémonies qu'ils avaient eux-mêmes accomplies quand ils étaient sur terre. Ce culte a été passé de génération en génération et aujourd'hui un individu considère l'{)ri~a qu'il adore comme un ancêtre dont il est le descendant ». A la différence des morts de la famille directe, les ori~a (et vodun) se manifestent aux êtres humains par des transes de possession chez certains de leurs descendants élus par les dieux pour leur servir de médium. Ce sont les ()l6ri~a (ou vodunsi). Ici encore, Bernard Maupoil ajoute (22): «Le caractère essentiel de la divinité (ori~a ou vodun) semble être sa propriété de lui monter à la tête: « vodun wata tiwe me », «le vodun venir (à la) tête sienne». La possession par le Dieu au cours des cérémonies célébrées pour les àri~a et vodun met admirablement en évidence la liaison étroite existant entre la personne yoruba (ou fon) et ses ancêtres. L' ol6ri~a (ou le vodunsi) en état de transe exhibe dans son comportement les caractéristiques qu'avait cet ancêtre (ori~a ou vodun) dont héréditairement il porte en lui les gènes. Les circonstances de l'existence et les pressions de l'organisation sociale du milieu dont il fait partie ont « favorisé la prédominance de certains gènes accentués par telle ou telle paternité (28)>> au détriment de certains autres, avec les comportements qui en sont la conséquence. L'initiation permet à certains d'entre eux, ceux de la personne cachée (l'ancêtre ori~a) de se manifester et se révéler au grand jour. Il n'y a dans cet état second, rien qui soit étranger à la nature profonde de l'oI6ri~a. L'initiation a sur lui un effet comparable à celui de certaines drogues. Nous savons (21) «qu'aucune drogue n'introduit une fonction nouvelle dans l'organisme, mais simplement accentue, inhibe, ou modifie d'une certaine façon des fonctions existant déjà. On ne peut espérer que les drogues introduisent rien de nouveau dans le cerveau ou le comportement, mais à peine qu'il accentue ou supprime les fonctions de comportement déjà existantes ». On peut penser que lors de l'initiation, les bains et breuvages à base de plantes administrées aux novices contiennent des drogues. Drogues destinées non tellement à faire entrer les initiés en transe que de provoquer un état d'hébétude (~-tI pendant une longue période de temps (plusieurs

(22) (23) (24)

MAUPOIL, p. 53. AUCHER, p. 65. KETY,

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7]

mois), au cours de laquelle les novices sont entraînés à acquérir les réflexes conditionnés, comme celui d'entrer en transe à l'audition de certains rythmes de tambours et à se comporter alors comme l'ancêtre. Comportement qui ne serait au fond qu'un des aspects de sa propre personnalité « accentuée, inhibée ou modifiée d'une certaine façon» pour arriver à cel1e qu'ils avaient en eux à l'état latent. En d'autres mots, suivant que la personne est à l'état de veille ou en transe, elle représente alternativement sa personnalité actuelle ou celle de ~U)} l'ancêtre I .

Bibliographie. AUCHERM.L. - Les plans d'expression, Paris, 1968. BASCOMW. - y oruba concept of the soul, in Fifth International Congress of Anthropological Sciences, Sept. 1956. DESCHAMPSH. - Les religions d'Afrique Noire, Paris, 1954, cité par Pierre D. Coco, Notion de personne dans la philosophie yoruba~ in Développement et Culture, Porto Novo, 1965. FROBENIUSLéo. - The voice of Africa, Londres, 1913. IDowu E. Bolaji. - Ol6dÙmarè, God in Yoruba belief, Londres, 1962. JOHNSONSamuel. - The history of the Yoruhas, Londres, 1921. KETY Seymour S. - Limits of psychopharmacology, San Francisco, 1961. LE HÉRISSÉ A. - L'ancien royaume du Dahomey, Paris, 1911. MAUPOILBernard. - La géomancie à l'ancienne Côte des Esclaves, Paris, 1943. SEGUROLAR.P.B. - Dictionnaire Fan-Français, Cotonou, 1963. VERGER Pierre (I). - Notes sur le culte des Ori~a et Vodun... Mémoire de l'I.F.A.N., n° 51, Dakar, 1957. VERGER Pierre (II). - La société çgbt (Jrun des dbiku, in Bulletin de l'I.F.A.N., 1968. VERGERPierre (III). - Oriki et Mlenmlen, in Textes sacrés d'Afrique Noire. présentés par Germaine Dieterlen, Paris, 1965. VERGER Pierre (IV). - Rôle joué par l'état d'hébétude au cours de l'initiation des novices aux cultes des Orisha et Vodun, in Bulletin de l' I ~F.A .N .

,

I 954.

(25) VERGER. IV. p. 338.

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Colloques Internationaux N°

544.

-

du C.N.R.S.

LA NOTION OF. PERSONNE EN AFRIQUE

NOIRE

THE YORUBA CONCEPT OF HUMAN PERSONALITY Wande ABIMBOLA

Résumé Après une brève introduction à la cosmologie Yoruba, l'auteur analyse les représentations associées aux principales composantes de la personne humaine. A ra (le corps) désigne l'ensemble des éléments physiques. Les composantes «spirituelles» tes plus importantes sont: fmi (l'âm~), ori (la tête intérieure) et fSf (la jambe). ~mi, élément impérissabfe, est créé par OlôdÙmarè (l'Etre Suprême). C'est, en chaque individu, une parcelle du «souffle divin ». Or; (la tête intérieure) est associé au destin personnel. Chaque être humain le choisit librement avant de venir au monde. ~sf (la jambe) représente l'activité et )a puissance. C'est l'élément qui permet d'actualiser les potentialités reçues avec J'ori. L'analyse s'appuie sur des textes poétiques extraits de la littérature orale relative à lia (système divinatoire des Yoruba).

The Yoruba, numbering about 14 millions, are to be found in three West African countries namely, Nigeria, Dahomey and Togoland. The bulk of their population is concentrated in Nigeria where they are about thirteen millions strong. Within Nigeria, the Yoruba are scattered over Lagos, Western and Kwara states. The Western State, with a population of about nine millions is- almost completely inhabited by the Yoruba. In Dahomey, the Yoruba are an important ethnic group and they number about half a million of that country's population of two millions. In Togoland, the Yoruba are als-Oto be found in fairly large numbers. In addition to the West African countries already mentioned, Creole culture of Sierra Leone which has a very strong Yoruba influence, should also be mentioned. Of greater importance than Creole culture of Sierra Leone are the survivals of Yoruba culture in South America and the Caribbean Islands. The most notable of these survivals of Yoruba culture from the slave-trade era are

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74 to be found in Bahia (BraziJ) and Cuba where Yoruba language has been preserved as ritual dialects and where Yoruba religion is still being actively embraced. It is not surprising that a language which is so greatly scattered about in several parts of the world should have several dialects. In Nigeria alone~ Yoruba has at least ten major dialects of which the most dominant is the QYé dialect spoken by more than half of the population. This paper is based mainly on research among the Yoruba-speaking peoples of Nigeria especially in the ÇJYQdialect area. In order to have a thorough understanding of the Yoruba concept of human personality, it is necessary first to discuss the Yoruba worldview and the structure of the Yoruba cosmos. The Yoruba conceive of the world as comprising of physical, human and spiritual elements. The physical elements are broadly divided into two planes of existence - ayé (earth) and èrun (heaven). Ayé which is also sometimes known as lsalayé, is the domain of human beings, the witches, animals, birds, insects, rivers, hills, etc. {Jrun, which is otherwise known as Isal{5run, is the seat of Ol6dùmarè (the Almighty God) who is also known as Ql{jrun (meaning literally" the -owner of the heavens "). (Jrun is also the domain of the Orl$à (}.

Cependant. «dans

le caractère de Satan apparait comnle un élénlent contraire à la volonté de Dieu ». C'est dire que Satan, cet ange des origines. devint bien Je partenaire ennemi de Dieu dans la création du Inonde.

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110 article cité p. 145). Sa couleur était celle des sables du désert, de l'aridité. L'âne, à cause de son poi], était un animal typhonien (si bien que le Christ, chevauchant l'âne avant sa passion, est un symbole du dieu sauveur maîtrisant Satan). Les bœufs roux étaient immolés à Typhon, car la terre rouge du désert était Typhon (Isis et Osiris, op. cil., p. 107). E. Lefebure (Le sacrifice humain d'après les rites de Busiris et d'A bydos, Sphinx, vol. III, fasc. 3, pp. 129-164) nous apprend (142-144) que tous les animaux roux finirent par être considérés comme des animaux typhoniens, mais aussi toutes les bêtes du désert, et en particulier la gazelle du désert. Des hommes roux ou blonds étaient sacrifiés à Typhon: on les brûlait (comme on brûlait les sorcières et les hérétiques, suppôts de Satan, au Moyen-Age) et on dispersait leurs cendres à tous vents. Les Egyptiens figuraient Seth-Typhon par un hiéroglyphe qui était la stylisation d'un animal dénommé l'animal typhonien. Cet animal, qui n'a pu être formellement identifié, n'était peut-être qu'une créature symbolique de rêve.

Le hiéroglyphe «Seth ».

E. Lefebure (L'animal typhol1Îen - Sphinx - tome II, pp. 63-74) nous apprend que «sa couleur jaune est celle des fauves. On le chassait avec les bêtes du désert» et « qu'à la basse époque, on le remplaça habituellement par l'âne». Une des principales caractéristiques de l'animal typhonien est de posséder une queue fourchue dressée en l'air. «Sous sa forme typique. remarque-t-il, la queue du Set donne l'impression d'une fourche plantée dans les reins de la bête... ». «Le papyrus Harris assimile la queue à un bâton... Le papyrus parle, pour sa part, de frapper avec la queue ». Parmi les animaux typhoniens, nous pouvons encore ranger, à coup sûr, le scorpion: car il a la couleur des sables, car il pique avec sa queue dressée, et car il appartient à la brousse, au monde maudit de la désolation meurtrière.

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IIl Notre représentation des diables, rouges comme le feu, sentant le roussi, munis d'une queue et armés d'une fourche, rejetés pour toujours dans un monde privé d'eau ou régnant sur des régions stériles... a conservé les caractéristiques essentielJes de ces animaux typhoniens. Plutarque précise bien que la dévastation et la désolation brûlantes engendrées vitalisante

par Typhon n'ont nullement pour cause l'action - au contraire du soleil. Il écrit (Isis et Osiris, op. cit., p~ 161): «... Il

-

faut à bon droit rejeter l'opinion de ceux qui assignent à Typhon la sphère du soleiL.. une sécheresse brûlante ne doit pas être regardée comme l'image du soleil, eHe est au contraire produite par les vents et les eaux qui ne se mêlent pas à propos dans la terre et dans J'air, lorsque la domination de la puissance irréguHère et indéterminée provoque le désordre et étouffe les exhalaisons qui pourraient tempérer la chaleur du soleil». Il s'agit bien d'un défaut d'agglutination de la matière, dont les éléments complémentaires ont tendance à se dissocier les uns des autres, les vents et les eaux s'écartant de la terre et du feu pour nous présenter ce visage de désert, privé de limon et de souffle, en attente de l'esprit qui souffle sur la boue. La «seconde

création».

La seconde création, qui dût compter avec la première, et qui se fit avec la participation des forces sataniques initialement déclenchées, peut être schématisée comme suit, en utilisant les symboles manipulés par les géomanciens: au sein de la Monade, ou grande déesse-Mère Cosmique, se différencia tout d'abord une bipolarité primordiale (la circonférence et son centre, le + et le -, le mâle et la femelle, l'en-haut et J'en-bas...). Puis y apparurent bientôt les germes des 4 éléments ou substances de toute chose~ chacun d'eux pouvant être affecté de la même bipolarité primordiale, ce qui nous offre une ganlme de 8 possibi1ités pour constituer chaque chose. La Matrice Primordiale d'où

sortira toute la création_ est ainsi représentée par Je nombre 10 celui de la décade pythagoricienne dont elle présente s'en étonner? - toutes les caractéristiques.

La Monade_ hipolarisée

-

dès l'origine.

(==

2 + 8),

comment pourrait-on

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112

La Matrice Prin10n.tiale.

C'est ce mystère là qui est révélé aux géomanciens avancés lorsqu'on leur installe Gbadu qui est leur divinité suprême. G badu, ou G baadu, vient de Igbâ ùdù qui signifie «la calebasse d'Odù; Odù étant l'abréviation de la déesse-Mère yorouba Odùdua. Il est matérialisé par quatre petites. calebasses couvertes contenue à l'intérieur d'une

grande

calebasse

couverte

-

la bipolarité

se trouvant

ainsi

repré-

sentée par l'en-haut et J'en-bas. Chacune des quatre petites calebasses couvertes est associée à l'un des quatre éléments:

-

l'une contient notamment du kaolin (blancheur l'élément le plus subtil: l'air),

-

l'autre

-

contient

notamment

de la poudre

caractéristique

végétale

rouge

de

(élément

feu), la troisième contient notamment de la boue de la rivière (élément eau),

Représentation de Gbadu (4 petites ca]ebasses couvertes. chacune associée à l'un des 4 éléments, contenues dans une grande calebasse couverte).

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l J3

-

la quatrième terre) CH).

contient

notamment

du noir de fumée

(élément

Dans un premier stade, la Matrice Primordiale engendra un monde où toute chose, étant composée de 4 éléments affectés de l'une ou de l'autre polarité, pouvait être représentée par une demi-figure géomantique du genre:

Il I I I C'est ce mystère là, moins profond

dont le nombre

que le premier,

total était

16.

qui est révélé

au néophyte, sur le point de recevoir Afa dans le «bois sacré », lorsqu'on lui présente solennellement la planchette appelée dukpo sur laquelle se trouvent gravées les 16 principales figures géomantjques~

La M atrjce PrinlordiaJe accouche d'un n)onde figé. non viable. représenté par] 6 demi-figures géomantiques africaines.

C'est très certainement aussi à ce mystère là que se rattache l'observation de B. MaupoiJ eLa géomancie à l'ancienne Côte des Esclaves, p. 262) selon laquelle: «Gedegbe (un grand géomancien) demandait, iJ y a une quinzaine d'années à un Babalawo venu du Yorouba pour le défier: «Les 12 paroles de Fè.. les connais-tu? Les 4 paroles de Fè qui viennent les premières, Jes connais-tu? Les 16 personnes qui sont à Fè~ connais-tu (16) On peut consulter à ce propos MAUPOll B.o La f.!éOmlll1cie il l'ancien,,e de.fi EJclu\'e.\. p. 97 et VERGER P.. np. l'it.. p. 155.

CÔte

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114 leurs noms? ». Enfin, quatre fois par an il se rendait dans sa cour, par une nuit de pleine lune, pour y tracer la figure suivante» :

88

8

8 8

8 I

8

8

8

I

8

8 8

8

8

88

Mais le monde ainsi réalisé ne formait pas encore une création viable, car il y manquait le devenir, le passage du passé au futur, la transformation de chaque chose. Dans un monde vivant, en constante métamorphose, chaque chose devait être caractérisée par deux de ces demi-figures: l'une représentant l'état révolu, et l'autre l'état à venir, c'est-à-dire par des doublets du genre:

,II I I I

',I II I

dont le nombre total est 256 (c'est-à-dire 2H) et qui se distribuent sur une pyramide à 8 degrés.

Pour y parvenir, il fallut la médiation du désordre qui déchira tout, et maria, deux à deux, les 16 demi-figures en leur insufflant un violent instinct érotique ou génésique (17). Alors apparut enfin le monde viable qui est le nôtre, où toute chose, tout évènement, est caractérisé, en son état, de façon privilégiée, par l'une ou l'autre des 256 figures géomantiques africaines. Nous voyons ainsi que les puissance du désordre, c'est-à-dire l'action satanique dans notre monde s'illustre au premier chef dans les débordements érotiques. L'attrait entre deux éléments, l'attrait «sexuel» est nécessaire au mariage des éléments, à leur coagulation indispensable à la formation d'un univers viable. En ce sens Satan a bien coopéré à l'œuvre de Dieu. Dieu l'a fait intervenir pour l'accomplissement de sa (17) Legda

(Eshu)

parfois

considéré

comn1e

générateur

de désordre,

est

alors

représenté avec un énorme sexe mâle qui symbolise l'excitation érotique qu'il provoqua.

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115 création. Cependant Satan n'en a pas moins triomphé d'une certaine manière. Il s'est réservé dans cette création un vaste empire dont la puissance ne pourra être anéantie qu'à la fin des temps. En effet, si la quasi permanence de la forme a pu être acquise, elle n'a cependant pu l'être qu'au profit de l'espèce et non au profit des individus. Les individus sont restés mortels et ils ne peuvent assurer la pérennité de leur espèce qu'en cédant à leurs inclinations sataniques: en se livrant aux joies érotiques et en se multipliant dans leurs enfants. Par là il est aisé de comprendre pourquoi la morale cathare, inspirée de manichéisme, recommandait aux « parfaits» l'abstention de tout rapport sexue] et l'abstention corrélative de toute génération. Pourquoi la morale d'une religion (par exemple celle du CathoJicisme jusqu'à une époque récente) où la figure de Satan est mise en relief considère dans la même proportion que les manifestations de la sexualité sont directement inspirées par Satan, ce grand tentateur e~). Traits sataniques relevés dans les cérémonies évhé pour les jUfneaux. Si l'accouchement de jumeaux, chez les Evhé, engendre tant de tabous et de précautions rituelles, c'est, je le crois, parce qu'il répète, sur le plan humain, le tout premier mystère de la création du monde par la grandedéesse-Mère cosmique qui engendra tout d'abord les forces sataniques qui allaient par la suite collaborer, en s'y opposant, à la poursuite de son œuvre. A plus d'un titre, les interdits proclamés et les rituels mis en œuvre par les Evhé à l'occasion de la naissance de Jumeaux, nlontrent que ceux-ci sont étroitement associés au complexe primordial: Satan, Seth, le Renard dogon, Ana, Janus, Sainte Anne... et nous renvoient ainsi aux plus profonds mystères des origines (lH). ( J8) Paradoxalement, J'anéantissement de Satan ne pouvant être acquis que par le dépassement du dualisme qui Je fait apparaître, la dédramatisation et la réhabilitation de l'acte sexuel comptent aussi parmi les meilleurs moyens de vaincre Satan. (19) Les Evhé ne sont pas les seuls à attribuer aux jumeaux une super-puissance ayant l'ambiguïté de la puissance diabolique, Un mythe de l'antiquité, rapporté par Homère (l'Odyssée), VirgHe (l'Enéj'de), et exposé plus en détail par Apollodore, nous présente les deux jumeaux Otos et Ephialtès comme étant des géants, par conséquent des êtres qui appartenaient au monde d'avant (on trouve un résumé de ce nlythe dans l'ouvrage d'Edith HAMILTON: «La mythologie ». Marabout-Université, 1962,

p. ] 63-64). Virgile nous fait part de leur «anlbition insensée », Il les présente comme des «jumeaux gigantesques qui, de leurs mains, tentèrent de détruire la voûte céleste » et de renverser Jupiter de son trône surnaturel. Tout jeunes encore, Otos et Ophialtès «décidèrent de prouver leur supériorité sur les dieux... Ils menacèrent d'entasser Je mont Pelion sur le n10nt Ossa et d'escalader Je ciel. comme dans les temps anciens Jes géants avaient entassé J'Ossa sur le Péli-on »,

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116

- Ce sont toujours des chasseurs qui ont appris à faire les cérémonies pour les jumeaux en observant un jour, par hasard, ce qui se passait chez les animaux de la brousse (le chasseur est un individu qui s'aventure dans le monde d'avant, le monde non cultivé où règne le désordre. Il est donc évident que c'est lui qui devait percer le mystère et découvrir - en brousse - ce qu'il fallait faire). Les animaux de qui le chasseur apprend le rituel sont, en général, des animaux rouges ou roux, qu'il s'agisse de gazelles, de singes ou d'écureuils fouisseurs... c'est-àdire, probablement, à ce titre, d'animaux «typhoniens» (:W). Le chasseur leur dérobe un sifflet ou une corne dont il faudra jouer lors des cérémonies. pour les jumeaux et qui est probablement le symbole de la vibration fondamentale. - Après l'accouchement, les parents de jumeaux (vena) deviennent tabou: . Ils ne peuvent serrer la main de personne. . Ils ne peuvent participer à des cérémonies d'enterrements ou de funérailles. . Ils ne doivent pas aller travailler aux champs, ni aller à la chasse. Ils ne doivent pas se rendre au marché. . Bien souvent., ils ne peuvent, non plus, se raser. Les rituels en vigueur semblent indiquer, en outre, que, dans les temps anciens: . Ils ne pouvaient pas se nourrir eux-mêmes (lors des rituels décrits à Ative, au Ghana, l'officiant doit leur mettre lui-même les premiers morceaux dans la bouche) ou bien ne pouvaient manger, contrairement à l'ordinaire, que la n1ain gauche (ce qui semble impliqué par le rituel d'A lototro, signifiant « changement de main », à Anloga au cours duquel, ayant mangé de la main gauche, ils remangent ensuite, à nouveau, normalement, de la main droite). . Ils ne pouvaient parler à personne et devaient s'exprimer par gestes (car, avant la cérémonie, on leur met dans la bouche une herbe spéciale qui est le signe qu'ils ne peuvent adresser la parole à quelqu'un et ne peuvent même pas desserrer les lèvres pour rire) .

.

Plutôt que de voir là une réaction de «primitifs», face à une situation « numineuse », je préfère supposer que les intéressés distinguent dans le fait d'avoir eu des jumeaux l'irruption, dans leur vie, de la dangereuse (20) A ce propos, beaucoup de traditions locales portant mention d'hommes rouges, qu'il s'agisse de géants, de petits hommes ou d'hommes à queue, font probablement allusion au monde d'avant, non humanisé au sens du groupe qui parle, perçu donc comnle «typhonien ». plutôt qu'à d'authentiques pygmées, sortes de Rusmen. ou Berbères.

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117 puissance satanique qui fut à l'origine du monde. Cette puissance, explosive et stérilisante, ne saurait être abandonnée à elle-même sans précautions. Il faut donc que ceux qui ont déjà eu des jumeaux - ayant connu le même danger et déjà par conséquent prémunis contre lui - viennent le circonscrire et réintroduisent les parents dans la vie normale, les faisant passer de la gauche (principe du mal selon Pythagore) à la droite (principe du bien selon Pythagore), de la nuit de leur case à l'activité quotidienne qui était la leur. .

-

Lorsqu'un chasseur a tué, pour la première fois, un gros animal

sauvage (léopard, rhinocéros, buffle, etc... ou encore l'oiseau un oiseau noir dont le cri s'entend à plusieurs kilomètres de doit prendre à peu près exactement les mêmes précautions que de jumeaux, en particulier se metre dans la bouche la même vigbe (l'herbe des jumeaux) et ne parler à personne.

dzogbelosu, distance), il des parents herbe vena-

Pourquoi cette similitude de précautions? Probablement parce qu'en libérant l'âme de l'animal, il a libéré une force qui appartenait à l'empire de la Grande Mère, reine de la nature non cultivée, c'est-à-dire du monde d'avant la civilisation (rappelons-nous Diane «reine des animaux sauvages ») et parce que la force libérée avec les jumeaux tient aussi, comme nous l'avons vu, de cette grande Mère là. N'est-il pas écrit dans «Le renard pâle» (p. 215) que «tous les animaux sauvages sont sortis de la feuille du Séné» (cet arbre témoin de l'imparfaite création première)?

-

Les jumeaux

ont pour interdit

de ne jamais

faire de feu avec des

épineux (ces arbres qui rappellent la première création et sont associés à Seth ou au Renard dogon). Or on a généralement l'interdit de son totem ou de ce qui fut singulièrement Hé à l'histoire de ses ancêtres. - Lors des cérémonies pour les jumeaux, on leur installe, selon les cas, un ou deux pots contenant des plantes n1agico-médicinales. Or, tandis que les cultes des vodus font généralement intervenir des plantes de la catégorie dzodzo (excitantes), puis des plantes de la catégorie lala ,calmantes), il est remarquable qu'on ne fait intervenir aucune plante dzodzo lors des cérémonies effectuées pour les jumeaux. Comment concevoir qu'on puisse en utiliser puisque la puissance manifestée dans les jumeaux est le principe même du déssèchement et de la fièvre qui fut à l'œuvre dans le développement de la première création?

-

Au village

de Dzolo

(Togo),

les pots

des jumeaux,

lors de leur

installation, sont enduits d'un mélange de haricot cru et de rouge éta, écrasés ensemble et liés avec un peu d'~au. Les jun1eaux eux-nlên1es sont ensuite enduits du même n1élange. Lors des sacrifices effectués en l'hon-

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118 neur des pots, tandis que les invités consomment du poulet, on offre seulement aux pots un plat de haricot. Ainsi voyons-nous associés aux pots des jumeaux le rouge (couleur de l'élément feu) et le haricot (légumineuse intervenant dans l'installation du vodu Ana, et légumineuse associée au Renard Ogo (~1) car il est écrit dans «Le Renard pâle{'» (p. 179) que le « bonnet du renard» fut appelé, par dérision pour l'échec d'Ogo « bonnet des haricots»; et (p. 192) que «l'arche d~Ogo est également représentée par un panier servant à filtrer les haricots (nûkoko) ou «caisse des haricots »). - Au cours des rituels évhé, il est de coutume de compter un objet ou une offrande un certain nombre de fois avant de le poser quelque part ou de le confier à quelqu'un. Dans la plupart des cas, on compte sept fois. Pour les cérémonies des jumeaux, cependant, on compte quatre fois: . pour tendre les jumeaux à leur mère,

.

.

pour

leur attacher

leurs perles

au poignet

gauche

et au cou,

pour mettre les mains de leurs parents en contact avec la nourriture, . pour mettre leurs mains en contact avec leur pot sacré, etc...

.

Le bracelet des jumeaux se compose de séries de quatre perles brunes séparées les unes des autres par un cauri (et le collier ou la ceinture semble se composer de séries de 16 perles séparées de même par un cauri) . A Anloga, après avoir enduit de rouge (provenant, cette fois, de la pierre rouge friable ade) le pot des jumeaux, on y trace quatre paires de traits blancs. Pourquoi cette mise en vaieur du chiffre quatre? Vraisemblablement parce qu'à l'origine de toutes choses, il y eut, comme nous l'avons expliqué, quatre couples de jumeaux; peut-être encore parce que dans beaucoup de traditions, le chiffre quatre est le chiffre représentatif de la terre matérielle, ou du volume, c'est-à-dire de l'espace servant de cadre à une création.

(21) Nous touchons peut-être ne consommaient pas de haricot.

là le n10tif pour

lequel

les disciples

de Pythagore

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N° 544. -

Colloques Internationaux du C.N.R.S. LA NOTION DE PERSONNEEN AFRIQUE NOIRE

SOME UNDERLYING BELIEFS IN ANCESTOR WORSHIP AND MORTUARY RITES AMONG THE EWE G.K.

NUKUNYA

Abstract The concept of the human personality among the Ewe, here represented by the Anlo, is closely related to their beliefs on ancestor worship and mortuary rites, which in turn are dependent on the notion of the soul. The Anlo belief is that at birth a number of psychic elements come together to form one complex entity, the entire animating principle in a person's material body, referred to periphrasticaIly as anlea nu/o, the person himeslf. The three principal components of this complex entity are luvo, death soul; gbogbo, life soul; and vovoli, shadow. Other soul components believed to be joined in this complex entity are first, the father soul, which is part of the father's personality he passes on to each of his chi1dren at birth; the mother soul, the female counterpart of the former which is given by the mother. It is the presence of these soul elements which makes for resemblance between a child and his parents. Finally there is also present in the complex entity part of the personality of an ancestor who is reincarnated in the child. It is further believed that the father. mother and ancestral soul components are inextricably bound with the dealth soul so that only three major components, the death soul, the Hfe soul and shadow are discernible in a person's spiritual life. At death when the complex entity disintegrates the life soul goes to the Supreme Being, its original place. while the death soul goes to the land of spirist to join the ancestors and become the object of worship during the ancestral rites. The vovo/i, on the other hand disintegrates. All ancestral rites are directed to the death soul in the spirit world from where it is also summoned during auditions and necromancy. It is because of these post mortem activities that the lu}/o is referred to as the death souL

Résumé Chez les Ewe, et plus particulièrement chez les Anlo dont nous parlerons ici. la notion de personnalité humaine est en rapport étroit avec les représentations relatives au cuJte des ancêtres et aux rites funéraires. ces représentations étant ellesmêmes associées à la notion d'âme.

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120 Les Anlo pensent, qu'à la naissance, un certain nombre d'éléments psychiques s'assemblent et forment une entité complexe qui anime le corps et qu'on désigne, en périphrase, comn1e amea muto, la «personne elle-même ». Les trois principales composantes de cette entité complexe sont: luvo, «l'âme de mort »; gbogbo, «l'âme de vie»; vovoli, J'onlbre. Les autres composantes sont: «l'âme paternelle» qui est une partie de la personne du père, reçue à la naissance par chacun de ses enfants; «l'ânle maternelle », donnée par la mère, équivalent féminin de la précédente. C'est la présence de ces élén1ents spirituels qui explique la ressemblance entre un enfant et ses parents. Enfin, il faut aussi mentionner l'ancêtre ou plus exactement la composante de la personne d'un ancêtre qui s'est réincarnée dans l'enfant. Toutefois, ces trois derniers éléments (les âmes parternelle, maternelle et ancestrale) sont inextricablement liés à l'âme de mort, de sorte que seules les trois composantes principales sont distinguées dans la vie spirituel1e. Au moment de la mort. l'entité complexe se désagrège. L'âme de vie retourne à son lieu d'origine, auprès de l'Etre Suprême; l'âme de mort rejoint le pays des esprits ancestraux et devient l'objet de rituels liés au culte des ancêtres. Le vovo/i (l'ombre) se dissout. Tous les rites du culte des ancêtres s'adressent à l'âme de mort séjournant dans le pays des esprits ancestraux d'où elJe est rappelée pendant les séances d'évocation. C'est à cause de ces activités post-mortem que le /uvo est dit «âme de mort» .

The home of the Ewe-speaking people now lies in south-eastern Ghana and the southern half of Togo, but they have not been living here for more than five centuries. Oral tradition, identifiable locations and historical

records

e)

suggest

that

the Ewe

had

lived

in or around

Ketu

near the present Dahomey-Nigeria border in Yoruba country before migrating in separate groups to their present country. It is not known for certain for how long they had been living in Ketu or whether they had moved there from another country. The details of their migratory movements from Ketu and the socio-economic conditions of the period are also not clear apart from their settlement in the ancient wal1ed city of Notsie (Nuatja) in centra] Togo under the tyrranical rule of King Agokoli. How and why they came to live under Agokoli also remain a mystery. N or are we certain about the sequence or time of their settlement in Eweland. What is known is that by the middle of the 17th century the Anlo, the most numerous and perhaps the best known Ewe sub-group had established themselves in their present country surrounding the Keta Lagoon, east of the Volta estuary. Today the Ewe speak one language with slight local variations, and share the consciousness of being one people although they never lived under one political authority (2). But while forming a (1) For detailed history of Ewe migration refer to D.E.K. AMENUMEY, 1964, The Ewe people and the cOining of European Rule, 1850-/9/4, Unpublished M.A. Thesis, London, pp. ] -50. (2) J. SPIETH mentioned 120 independent political units in his Die Ewe Stamme, Berl in, 1906.

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121 broad cultural group, differences do exist in their social and political institutions, making generalizations very misleading. What follows refers specifically to the Anlo (~), one of the fe\\' sub-groups to have been subjected to anthropological study. Anlo country lies in the extreme south-eastern corner of Ghana immediately east of the Volta River and has an area of about 900 square miles and a population of nearly 250,000. Like the other Ewe-speaking groups, the Anlo are patrilineal, having fifteen exogamous dispersed totemic clans whose local segments form exogamous lineages. Two of the clans form royal dynasties whose lineages at the traditional capital of Anloga provide the King whose title is A woamefia, that is, "the King who lives in a sacred place made holy by the presence of the gods". As the various levels of Anlo religion are closely inter-related, we begin our discussion with a look at the general religious system. There is a belief in a Supreme Being called Mawu, who like many other such West African Gods had to leave this earthly world after creating the world because of the frequent demands on him by his people while he lived near them. There is no organised worship for him: no priesthood, shrine or congregation. Rather he is invoked by individuals in every day life and in times of crises. Consequently he is dubbed a "god of the thoughtful, not of the multitude". Next to him are the snlall gods or trowo (singular tro) which are his creations, deriving their powers from him and residing in nature objects like rivers, streams, lagoons, ponds and forests. Unlike the Supreme Being, they have organised worship with shrines, priesthoods and congregations. There are also a number of cults or vodu}1t'o (singular vodu) owned by certain individuals many of which are of foreign origin, mainly Togolese, and the individual desirous of establishing one travels to its place of origin where the necessary fees are paid and the rites perforn1ed. Menlbership of both tro and vodu cuts across lineage and clan lines, though children usually join the gods and cult groups served by their parents. There is

also the deity known as Afa (4) which is worshipped by diviners. Its

importance in the religious system stenlS from the fact that it is the principal means in Anlo by which the wishes of all the other gods and supernaturaJ beings are revealed. But by far the most important supernatural forces among the AnIo are the ancestral spirits, fogbenoliawo, worshipped in a body by lineages (3) For details of Anlo Social Organisation see G.K. NUKUNYA. 1969(a), Kinship and marriage afnong the An/o Ewe, London School of Economics, Monographs on Social Anthropology, No. 37. (4) See G.K. NUKUNYA, 1969(b), ,~ Afa Divination in AnJo " in Research Review, Institute of African Studies. Legon. Vo1. 5, No.2, 1969.

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J22 and clans at annual festivals and weekly meetings and also by individuals who normally show their reverence by offering them the first morsel of food or the first drop of water or alcohol before satisfying themselves. Individuals may also ask specific favours from their ancestors through their lineage heads. In the same way the ancestors can demand favuurs such as sacrifice from their Jiving descendants both as a group and as individuals. While the primary function of the supernatural forces just enumerated is to protect, and give prosperity to, their adherents, they are also capable of sending death, sickness and other misfortune on them if they are neglected or offended in any way. But on the other hand their own powers can be neutralized by witches and sorcerers who may harm anyone

regardless of his devotion to Mawu, fro, vodu,

the ancestors or Afa.

Perhaps it is also pertinent to mention here that life expectancy in Anlo is not high due probably to malnutrition and widespread alcoho1ism. On a rough estimate it averages about forty-five to fifty years for those who do not die in infancy or early childhood. Almost every mother before the completion of her reproductive activities experiences either a still birth or the death of an infant. Moreover in the fishing areas, drowning and other accidents associated with this occupation are quite common. The Anja themselves generally attribute death to these supernatural forces as well as to witchcraft and sorcery, but only rarely to natural causes. Consequently soon after the funeral ceremonies are conlpleted the relations of the deceased approach a diviner to find out which of these forces has caused death. Almost invariably one or more of them will be mentioned, which is just the answer the relatives themselves expect. It is only in the case of a very old man that it is said Mawu has called him the equivalence of a natural death.

The Ancestors. As has just been mentioned, ancestor worship occupies an important position in Anlo religion. The term" ancestor" here refers to any person who led a normal life and reached adulthood before departing this life in a manner acceptable to AnIo world view. Another definition is perhaps the roundabout one of saying h ancestors" are the dead who are capable of being reincarnated, that is those who die in the ordinary way, a category which excluded the following: (a) Those who died in infancy. (b) Those who died in accidents and (c) Those who died from certain diseases such as leprosy, insanity

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123 and diseases which result in swelling of the body. All these can only return into the world as deities not as human beings. Ancestor worship among the Anlo is based on their belief in the efficacy and power of the ancestral spirits in the lives of their living descendants. The doctrine of reincarnation, whereby some ancestors are re-born into their earthly kin groups, is also emphasized. The dead are believed to live somewhere in the world of spirits, Tsiefe, from where they watch their living descendants in the earthly world, Kodzogbe. They are believed to possess supernatural powers of one sort or another coupled with a kindly interest in their descendants as well as the ability to do them harm if they are neglected. What they cherish most is unity and peace among their living descendants. On the other hand they are believed to punish quarrelling among kinsmen, adultery by won1en married into the lineage and incest, the disruptive forces within the group. Such punishments take the form of serious sickness or even death, and the wrath of the ancestors is revealed through divination. Though the ancestors are believed to be living far away in the land of spirits, their presence is always felt in this material world among their living relatives and descendants. The practice of feeding the dead with food and drinks which has just been mentioned shows if anything at aH the ability of the dead to come and visit the material world to partake of the offerings. But this is by no means the only apparent manifestation of their presence in this material world. In fact the whole life of the Anlo is led with the presence and importance of the dead always fresh in their minds. A few more examples will suffice. Many Anlo especial1y the sick report of visions of and auditions with dead relatives, and dreams of the dead are very common. Some even claim to have seen thenl, though in all cases the dead person disappears before the relative tries to accost him. StiJl others are said to have received messages and injunction from the dead. In the evening and especially at night when the dead are said to be most active everything is done to give them their due respect. Sitting on the steps is forbidden and no sweeping is allowed. Water should not be thrown carelessly about, but if it is considered necessary for this to be done, the dead must be respecfully asked to give way. Cooking pots must remain unwashed and water must be left outside, with calabash ready for use. All these practices must have some significance for the living, and by looking closely at them it will be possible for us to ask certain questions. Looking at the problem from the spiritual angle, it may be asked, for instance, what is the nature of man? \Vhat is his relationship with the Supreme Being? What is the land of spirits and where is it located? And what is the nature of the Hereafter? In finding answers for these questions, one key concept that stands out clearly is the" soul ~'. It is an understanding

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124 of this that will lead us to the gateway of Anlo views on the human personality. This in turn is related to ancestral practices and mortuary institutions.

The Soul. The concept of the soul which is one of the key elements in Anlo religion is as complex as the religious system itself. However it is possible to isolate certain levels at which the Anlo themselves conceive it. The Anlo belief is that at birth a number of psychic elements come together to form one complex entity, that is, the entire animating principle in a person's material body. For this complex entity the Anlo have no name as such except the periphrastical term amea nuto, the person himself. But whenever the complex entity is named it derives these by metonymy, from names specially used for two major components the death (personality) sou] and the life soul. The third name Ewe for shadow. These words are luvo, soul, gbogbo, spirit, and shadow.

names, namely is the vovoli,

Other soul components are believed to be joined in this complex entity. The first, paternal soul, is part of the father's personality or death sou] which at birth the father passes on to each of his children, while the next, the materna~ soul, is the female counterpart of the former and is given by the mother. It is said that the presence of these soul elements is responsible for resemblance between a child and his parents. Finally, there is also present in the complex entity part of the personaHty soul of an ancestor or any dead relative when it is established by divination that either an ancestor or dead relative has re-incarnated in a person. It is further believed that, the paternal, maternal and ancestral souls are inextricably joined with a person's death soul, so that only two major con1ponents are discernible in a person's spiritual life, that is, the death/ personality soul and the life soul. These two and the third, shadow will bé described presently. Gbogbo, the life souL which also connotes breath, spirit, and even flatulence, has direct origin from the Supreme Being and is regarded as the little bit of the Supreme Being that dwells in every person. It also gives conscience, coming as it is from the Supreme Being. But although it comes from one and the same source and performs the same function in all, the life soul becomes individuaUzed in various people with different death souls, and this greatly affects the life soul. In essence however, it

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125 never loses its identity in the complex entity, the complex soul, but remains as much as possible its own, fighting against the lower spiritual elenlents in defence of the good and beneficial to man as conscience, dzitsinya, until its return to the Supreme Being soon after death completely takes place. The life soul is believed to be sent back into the materia] world but may not be attached again to the same personality soul of a previous earthly existence especially where the personality soul is condemned by the Supreme Being in his capacity as the final judge of all man's actions. Rather it is attached to a different personality soul for another earthly existence. But where the Supreme Being is satisfied with the personality soul, the same life soul may later, but not immediately, be joined with the same personality soul of a previous earthty existence to form a complex soul. This may happen after the life soul in question has had at least one other earthly existence with another personality soul. The life soul is immortal in the sense that it cannot be destroyed even in part by reason of its nature as part of the immortal Supreme Being. And finally as the real animating principle in the complex soul, it never leaves the physical body even temporarily as does the personality sou] in dreams. When it does, then death ensues. Luvo, the death/personality soul is also known as vovoli, shadow, because of the belief that the shadow has a special spiritual relationship with the personality soul and the complex soul itself. Anlo belief further holds that before birth, the personality soul ha~ had a previous existence in a spirit world, Amedzofe, where life is almost the same as what obtains in the material world. A successful earthly life results when a person has the same relations and employement as he had in his pre-earthly days in the spirit world. In short a person's earthly life must as far as possible conform to his pre-earthly existence in the spirit world. From the pre-earthly world, at birth, the personality soul is led by relatives, friends and companions to the exit of the spirit world where it is met by a dead relative who escorts it as far as the entrance to the material world. The guides, who are usually the ancestors reincarnated in the personality soul are of the same sex as the personality souls they escort. It is possible for one ancestor to escort more than one person, this being given as the reason for a dead relative reincarnating in more than one person. At death when the complex soul disintegrates, the personality soul goes to the land of the dead, Tsiefe, while the life soul returns to Mawu, the Supreme Being. The pre-earthly and post-earthly homes appear to be two quite different places, though some inconsistences and confusions appear here and there. In any case it is the personality soul that is capable of reincarnation and the same that receives attention in the cuit of the dead.

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126 In necromancy, again it is the personality soul that is summoned. It is because of these post-mortem activities that this soul element is referred

to as the death soul (il). Again in dreams, visions and auditions it is the personality soul that is at work. Thus unlike the life soul, the personality soul can leave the material body at any time in sleep especially at night to engage in spiritual activities which are later remembered as dreams. Finally Anlo belief about this soul component holds that a strong personality soul makes for a strong life soul and vice versa. VovoU, shadow, is another name for the complex soul, and is freely interchanged with luvo, meaning the personality/death soul, because in shadow, like the personality soul, the owner can be recognised. But it is never applied to the life soul. These then are some of the concepts subsumed under the general term of "soul". They show that in spiritual life the Anlo believe that every person is a complex soul basically composed of two principal elements. First, there is the immortal life soul, gbogbo, which comes directly at birth from the Supreme Being and is the real animating force in every human person. Then comes the personality or death soul, luvo, which has already been living a life in the pre-earthly spirit world, while vovoU, shadow, is the visible form of the personality soul in the material world.

The Hereafter. In Anlo thought the hereafter is referred to as Tsiefe (or Tsinyefe which literally means where I live forever or simply my real home). The personality soul does not have to cross a river when it is earth-bound, but after its life on earth it must of necessity be ferried across a river in order to get into the Hereafter. And as is the case in many belief systems death is the inevitable gateway to the Hereafter, hence the physical body is not necessary for entry. An important figure always mentioned in connection with this concept is the Ferryman known in Anlo as Kutsiami, the spokesman of death. Without him no one may be ferried across to the next world. As a rule he demands a fare, a fact held responsible for the inclusion of cowrie shells in the past and coins at present among the articles buried with the corpse. It is not clear whether the boat of the Ferryman has apartments on the basis of social status or performance on earth. What is known is that regardless of any distinction, aH are ferried across provided the prescribed fare is paid. (5) See J. SPIETH. Die Religion

der Eweer in Sud- Togo, Berlin.

1911. p. 229.

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127 It is also not known where the Hereafter is situated, but it is known to exist neither in the sky nor in the under world. One thing however is certain, it lies very far away from the present world. This long distance however does not affect the speed with which the dead themselves travel to this world. In popular thought and belief a number of. places are mentioned as possible locations of Tsiefe the most persistent of which is Yorubaland.

Indeed the Ewe name for Lagos is

U

Noli ", or Ghost, meaning the home

of ghosts. How or when this popular conception took shape is difficult to ascertain, but it is striking to note that the Ewe have a history of migration from around the present Yoruba country. Also until quite recently many Anlo visitors to Nigeria were said to have seen dead kinsmen in Nigerian markets, but the deceased disappeared when their identity became known. In this connection the meaning of Kutonu (Cotonou, the capital of Dahomey), the shore of the death river, both in Fan and Ewe, is very instructive because it lies on the estuary of the Oueme river which serves as the boundary between the Ewe and their eastern neighbours. Wherever it might be, the Anlo claim to know something about life in the Hereafter. For all practical purposes life there is modelled on the earthly one. The dead are met on the way by relatives hence the need to inform the ancestors of any new deaths before the newly dead is buried.

Mortuary

and ancestral

rites.

We are now in a position to mention the sequence and conduct of some of the key practices associated with death and the dead. Only those relevant to the theme of the paper will be described. On the day death occurs several activities take place none of which however concerns the person's spiritual nature. The only practice that comes to mind concerns the widows of the deceased. As soon as a wife learns of the husband's death, unless she is pregnant, she must start wearing her red-cloth more securely around her private parts as precaution against attempts by the husband's spirit to copulate with her. Should the spirit succeed, the widow will become permanently pregnant. She is expected to follow this observance until her ceremonial mourning period is over. She must also begin observing the practice of putting a piece of charcoal into her food to prevent the spirit from partaking of the food, and thereby harming her. This last practice is also observed by widowers. In the past burial took place in the ancestral home of the lineage. Even today when it takes place at a public or lineage cemetery outside the ancestral home, the person's" luvo ", comprising bits of finger nails and hair from the private parts are buried in the ancestral home. Two

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128 important addresses are made for the corpse on the day of burial. One is a prayer to the ancestors while the other is directed to the deceased himself. In the first, the dead man is commended to the care of the ancestors, while in the second he is advised as to his immediate course of action with regard to the circumstances leading to his death. A typical address runs: " Yesterday you suddenly left us for our grandfathers and grandmothers in the land of spirits. If your death was a natural one, then you must leave everything to Mawu, but if it was caused by a fellow human being then, the water and drink we offer you now should serve as your weapons for revenge». The next important rite takes place some few days after the burial of

the corpse, the actual date depending on the clan of the deceased

(6).

Two

rituals of sacrifice are performed, the first at the graveside and the second in the ancestral home of the deceased. Two old women, one a clanswoman and the other from the mother's clan, visit the grave-side to bring the spirit of the dead man to join the ancestral home where the luvo is buried. This ceremony is known as yofofo. The importance of this ritual is seen in the fact that even when burial takes place outside the home-town of the dead man as is common these days, the luvo is alwoys brought home for burial in the ancestral home. The only other ritual of importance is yodzogbonono, drinking the ceremonial pap, performed to determine the widow's innocence or otherwise of her husband's death. After the yololo and associated rituals and ceremonies which may all take a total of six weeks f 71 the relatives and spouses undergo a ceremonial mourning exercise which lasts for at least sixteen months. The spouses and immediate relatives wear nothing but black or dark clothing. The rules, prohibitions and taboos governing this period of mourning are more severe for spouses than for other relatives (8, but all show their grief by their dark appearances and reserved behaviour. After the conclusion of the ceremonial mourning, another ritual is performed after which all restrictions are removed. As far as the living are concerned this concludes their mourning for all practical purposes. It is however considered that these rituals are not sufficient to take the dead person completely into the fold of the dead. As such every lineage holds what for want of a better term may be called" a grand funeral" at which all the recently dead nlembers are finally initiated into the society of the dead. This ceremony known as yolewowo, ideally must take place once in a decade usually after the death of an important person in the lineage such as a chief or a lineage head, but most lineages have not performed th is now for more than two generations. (6) NUKUNYA, 1969(a), p. 200. (7) Ibid.. pp. 34-35. (R) Ihid.. pp. 205-208.

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129 As already mentioned during ancestral rites when sacrifices are offered to the ancestors, it is that part of the soul in Tsiefe, the death soul, which returns to feed. The spirit of a king or chief returns to inhabit the stool

during the sacrificial offerings, while the spirit of a wealthy stool founder

(9)

returns to the stool as its temporary shrine. F or most of the lineages, there are no specific periods for ancestral rites, and therefore it is circumstances that determine the timing of their rites. A run of misfortunes in the lineage may be interpreted by the diviner as a sign of the displeasure of the ancestors. Probably the ancestral spirits have been neglected for too long or the lineage could have been remiss in the performance of traditional customs. After ascertaining the specific desires of the spirits, the lineage head summons a meeting of the lineage and reveals the wishes of the dead. Funds are collected and a day is fixed for the offerings. There is need for the meticulous compliance with the wishes of the spirits, lest deviation should occasion further displeasures. Thus only the animals demanded are sacrificed. The animals are slaughtered and drinks offered with supplications to the ancestors to pardon offences against them, winding up with prayers for long life and prosperity of the lineage members. It is important that all the ancestors be mentioned by name, or at least references made to them in order to avoid the displeasure of a forgotten spirit. To play safe, the lineage head calls the well known ones and lumps the others together as " the known and the unknown ones" with the excuse that it is impossible for the human mind to remember everything. Ancestral rites may also be performed on the eve of an adventure, or when a member of the cult has met with a piece of good fortune. The rites may be as simple as libation of maize flour and water poured at the entrance to one's house or in a field; the aim is always the same, to acknowledge the patronage of the ancestral spirits. Offerings to the ancestors of chiefly lineages are held mostly between July and September when the stools are washed and fed. The ancestral rites are usually organised on lineage basis. There are also in addition to those described weekly consultations which take place on Thursdays and Saturdays when the stool house is opened by the keeper (9) There are three kinds of stools in Anlo namely Togbezl, avazi, and hozÎ. A founder of a town who was himself a leader of his people would establish a stool and become a chief. Such a stool is called togbezi, ancestral stool. Where a distinguished leader led his people in battle he would also be allowed to establish a stool known as avazi, or war stool. A wealthy man who played an important role in the social life of the community was also aIlowed to establish a hozl, or stool of wealth. All these stooJs have become the focus of attention during ancestral rites. Although it is the ancestors who are said to be the objects of worship, they are inextricably tied up with stools belonging to their lineages.

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130 to members. On making a small offering to the lineage head an individual may solicit special blessings from the ancestors. A stool thus performs the role of a shrine for an ancestor and also serves as the symbol of authority of a chief. As guardians for the living members of the lineage, the ancestors provide for the welfare of the living descendants good harvest, children and general prosperity. They punish intra-lineage crimes and offences against themselves. The lineage head as the celebrant of the rites is respected for his position in the line of descent from these ancestors as the nearest to them in age. Hence one of the important functions of ancestral worship is to support the existing social order in matters of lineage and kinship. When the ancestral and mortuary rites are considered alongside the concept of the soul and its various components they would be seen to perform specific functions. Both are based on the belief that death is not the end of man. 1'he ancestral rites show that certain parts of man, the spiritual parts, live on and must not be forgotten by the relations of the dead. Also through the ancestral rites a link is forged between the living and the dead. The mortuary rites on the other and seem to have two important functions. First, they are meant to finalise the earthly departure of the dead person. In other words they are aimed at ensuring a safe and peaceful preparation for the personality soul. Secondly, having dispatched them from the eathly world, steps are taken to ensure that the departed spirits safely reach the post-earthly land of spirits and are accepted into the society of the ancestors. This is exactly the function of both the yofofa and the grand funeral. Beliefs about the causes of death are also brought into the picture and are taken care of in the mortuary rites by the address to the dead man to take revenge. On the whole both the ancestral and mortuary rites emphasise the belief held in most societies and belief systems that the ancestral spirits are supernatural in character and are therefore capable of harming or rewarding their living descendants.

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Colloques Internationaux N

du C.N.R.S.

(I

544.

-

LA NOTION DE PERSONNE EN AFRIQUE

NOIRE

SIGNES GRAPHIQUES, REPRÉSENTATIONS, CONCEPTS ET T'ESTS RELA TIFS A LA PERSONNE CHEZ LES MALINKE ET LES BAMBARA DU MALI y oussouf CISSÉ

Trad. :

«

dyi dQ ka fisa ni so dQ ye nga yçrç dô ka fisa ni ni bç ye. yçrç dQ ye ko ba ye: mgkpya daminç do; bç tii yçr~ dQ wa bç ti mQkp ye (11. Savoir nager vaut mieux Que savoir monter à cheval, Mais se connaître soi-même vaut mieux Que tout cela. Se connaître soi-même est une grande chose (une chose primordiale) : C'est le commencement de la «personnalité»; (car) tout le monde ne se connaît pas soi-même; Et tout le monde n'est pas une personne (par conséquent) ».

(1) Textuellement: «Connaître l'eau vaut mieux que connaître le cheval, mais se connaître soi-même vaut mieux que tout cela. Connaître soi-même est une grande chose: c'est le commencement de la personnalité, tout le monde ne connaît pas soi-même et tout le monde n'est pas une personne ». On explique ceci par cela: «Tout le monde n'a pas la ressource de posséder une monture et il nous arrive au cours de notre vie d'avoir des rivières ou des fleuves à traverser pour poursuivre notre route. Mais vivant souvent en tête à tête avec elle-même, toute personne se doit de se connaitre afin de devenir une vraie personne, une personne consciente de ses devoirs et de ses actes».

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132 C'est par les vers ci-dessus que débute chez les Malinké et les Bambara l'étude de la personne humaine, m(!kQ. Dans le système d'initiation et d'enseignement de ces deux peuples qui ont la même origine historique, la même langue (à quelques variantes près) et les mêmes institutions sociales, politiques et religieuses, la conception de l'être humain, de la personne en soi, mQkQ y~r~ y~re, «la personne soi-même» considérée tant dans ses composantes corporelles globales que dans l'ensemble de ses principes spirituels, constitue une des pierres angulaires du savoir traditionnel en général, de la philosophie et de la psychologie en particulier. Elle est indissolublement liée à la cosmogonie et fonde ses grands principes sur les signes graphiques relevant de cette cosmogonie. «La personne est le terme (l'aboutissement, l'achèvement) et la luminescence de la création et le sosie du créateur ». Il ne pouvait en être autrement, vu l'importance sans précédent de la cosmogonie et de la cosmobiologie (cf. fig. 3 et 5) dans la pensée bambara et malinké. (~)

Le signe du néant,

fu ti, et l'origine

de la vie.

Evidemment ce qui préoccupe au premier chef les responsables des sociétés d'initiation et notamment ces spécialistes que sont les «généalogistes », burudyugosilaw ou burudyutilaw (3) et les «psychologues », terefolaw (4J, c'est « l'origine de la personne» m(}kQ dyudYQ (;)), la matière dont cette personne est faite, la nature de l'énergie, du principe de vie, ni qui l'anime et de l'esprit, de l'intelligence, dont elle est douée et qui la rend supérieure aux autres êtres. Une leçon dit: «Le signe premier de «l'édification ou fondement» [de l'origine] de la personne est le néant [le signe du néant] sur lequel repose le substrat de toutes les choses concrètes, (néant) dont « l'âme» ni et le «double de l'âme » dya sont nés (() I. Le signe tu «néant» et dont la pensée et la réflexion sont issues» (2) meke ye dali laba naa manaka ye, ani dâbaabisigi. Nous traduisons ici manaka (de mana, lumière, lueur, et de ka, ciel empyrée), «lumière du ciel» ou « lumière supérieure» par luminescence, et bisigi, «ressemblance» par sosie. (3) Composé de burudyu, contraction de be YQrQ dyu (b{>,sortir, yerQ, lieu, dyu, fondement) «fondement du lieu d'où sort. naît une chose» qui signifie généalogie au propre et au figuré; et gosilaw ou tilaw, «ceux qui frappent » ou «ceux qui font éclater»; les mots burudyugosilaw ou burudyutilaw s'appliquent en général aux généalogistes d'une même famille ou d'un clan. Mais au niveau des sociétés d'initiation, ils désignent des initiés capables de retracer l'origine des signes, des rites, des mots même, etc. C'est ainsi qu'un étymologiste est appelé kumaburudyufola ou kumaburudyutila «qui dit ou fait éclater l'origine de la parole», des mots. (4) De tere, caractère, et f~, dire. A propos de tere, voir infra, p. 34. (5) De mekQ, personne, dyu, fondement et dYQ, édifier. Nous traduisons ce mot par origine. (6) MQkt; dyudy~ siti .'le fu ye f~ b~ ba sigilë b~ mi kâ, nI ni dya biigela ml na, mUri ni taasi bera mi na.

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133 (cf. fig. 1) se compose de trois croix - deux croix de Saint-André soudées aux extrémités de la branche horizontale d'une croix droite - qui signifient, de gauche à droite: a) damÙ1€, « commencement»; s(Jrç fi, « signe de l'émergence»; buga ti, «signe de la multiplication, de la reproduction», etc.; b) ty€maty€, «milieu, juste milieu» ; ty~ kisC (7) «grain central, taille »; rü (7), «principe de vie ou âme»; balo, «existence, vie», etc.; c) laba, « terme»; taasi (7), « réflexion »; sçsij ti, « signe de la convergence »; tuna fi, « signe de la disparition», etc... A ces trois croix, on donne le nom de mrkQ ba saba (k), «les trois substrats de la personne: la pensée, l'âme et la réflexion sans lesquelles il n'y a ni vie ni personnalité ».

x FIG. 1. -

x c

Signe du néant,

lu fi.

Le signe du néant apparaît ainsi comme un véritable précipité du destin de la personne qui, après avoir émergé à l'un des pôles du néant, acquiert pensée et réflexion (esprit) et âme, avant de disparaître à l'autre pôle une fois accompJie sa vie, «sa traversée de l'univers» ln) selon l'expression bambara. La personne tiendrait donc son origine du néant primordial qui est devenu entre temps notre univers; ce néant dont on dit « qu'il était à l'origine des temps obscur, frais, lourd (dense), uni et calme (statique) avant de vibrer, se rompre, s'illuminer et s'animer dans toutes ses parties sous l'effet de l'étincelle initiale» t10) est, on s'en doute, la matière. Comme celle-ci, dit une tirade du Komo, «la personne n'est autre chose que eau et terre, feu et air», m(JkÇ?t~ fç wr-'€ ye dyi ni haga kQ, ta ni finy€ k(). Cet axiome une fois avancé, on en vient à l'origine même de la vie, du principe de vie, ni, qui anime la personne. Le ni provient, tout comme «l'énergie radiante » nyii-nyii 1111 qui anime l'univers dans l'étendue et (7) Voir plus loin les composantes spirituelles de la personne. (8) Voir plus loin la seconde signification de ce concept. (9) Celle-ci est matérialisée sur le dessin par la ligne horizontale qui « va du commencement au terme ». (10) Ceci est un fragment du mythe bambara de la création dont la traduction est en cours. (11) Cf. le ni, infra p. 149.

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134 la profondeur incommensurables de ses couches, de la «vibration», y~r~y~r~ (121, ce vocable signifiant par ailleurs « soi-même ». Ce qui permet aux Malinké et aux Bambara d'affirmer: «là où il n'y a pas de vibration~ il n'y a point de mouvement; là où il n'y a pas de mouvement, il n'y a point de chaleur (d'énergie); et là où il n'y a pas de chaleur, il n'y a ni âme (ni principe de vie), ni vie. ni mort» (IH). N'est-ce pas pour cette raison essentielle que pour matérialiser le «tournoiement (le mouvement) primordial », munu folo, et le premier signe de vie, d'existence, les Malinké et les Bambara choisirent le cercle parfait, kara, l'aboutissement final et logique - pour eux - de toute vibration et le symbole par excellence de la rotation!

Le cercle, kara, et l'origine

de l'esprit.

Dans la pensée des peuples qui retiennent ici notre attention le cercle kara, microcosme par son centre et macrocosme par sa circonférence, est rempli de notions (une vingtaine au moins) :

-

il est le signe sacré de l'esprit

de dye fa, «l'œuf du monde»

- il représente le cercle rouge» qui - par les deux et la réflexion divines

qui conçut

l'univers;

d'où son nom

symbolisé par la sphère universelle;

le soleil, kara ha ou kara blè, «le grand cercle ou matérialise la grandeur et l'ardeur de l'esprit divin; demi-cercles qui le composent, il connote la pensée et humaines, ma miiri ni ma taasi;

- son centre et sa circonférence portent respectivement les noms, très révélateurs, de: a) ko b€ dyu ni ka b~ kÜ « le fondement et la raison de toute chose»; b) ka b~ ba ni ka b€ fa, « le substrat et la plénitude de toute chose»; c) dali kQr~ ba ni dali kara ba «le grand dessous et le grand cercle de la création; d) nali kQre ba ni naZi kara ba «le grand dessous et le grand cercle de la venue (de la naissance) >.'>; e) ni ni dya, «l'âme et son double»; f) dakii ni nakii, «la voix de la création et de la venue (de la naissance) » - ces deux mots signifiant par ailleurs destin et avenir; g) taas; ni miir; ou taa.ç; maasi, «réflexion et pensée»; (12) Cette vibration serait elle-même issue d'un «éclat», mieux d'un «signe» fi. Autant dire que la vie est issue du signe (on trouvera dans le banongolo le signe symbolisant l'unicité de la création et de l'esprit créateur). C'est d'ailleurs ce qui est dit au niveau du Komo : « la création est issue des signes, des signes divins », dali bpra tiw la, ma ti. (13) y~rf-Yfrf t( Yf!rQ ml na, lamakali Ii yë; lamakali t~ YQrfJ ml na, jüteni ti yë; jü/eni te yer" mi na, ni ti yë.. balo ti yë, saya ti yë.

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135 h) dü ko ni siiko~ «choses des profondeurs et choses de l'en-haut» et par analogie dÜko ni sako « désir et volonté»; i) dit ba koro bo bali ni dii ba kara ba bali, «grande profondeur audessous «indégageable» et grande limite irréductible (dans ses dimensions)

» (14);

etc.. .

o

Fig. 2 - kara, le "cercle parfait".

De cette foule de notions, les Malinké et les Bambara tirent trois constatations fondamentales qu'ils expriment par les leçons ci-dessous: - «la personnalité (la notion de personne) est attachée (inhérente) à la pensée et à la réflexion» (15); (lH); - «toute personne a son destin et son avenir» - «la volonté et le désir de la personne résident dans sa pensée et sa réflexion» (17I ; et ils concluent par cette autre leçon: «L'âme, ni, est sortie du cercle kara: l'âme est un secret (un mystère), un secret inviolable » (1H). Ainsi donc le cercle, signe essentiel de dynamisme, apparaît comme le vrai symbole de vie; et les concepts de «pensée et réflexion», «destin et avenir», et «volonté et désir» qui s'y attachent et que les Soudanais considèrent comme les premières manifestations de l'existence de la personne (tH), sont, comme lui, incoercibles, irréductibles. C'est ce que l'on traduit par le proverbe «quitte ta place! Cela peut se concevoir; mais quitte ton destin! Toute personne a son destin» (20) qu'elle accomplit et assure à tous les instants de la vie.

(14) Nous ne donnons ici qu'une seule acception des expressions ci-dessus. (15) maaya sirUébt mUrini taasila (16) mek~ be naa naka naa daka do (17) meke sako naa dükr baa mUri naa taasi la (18) ni bera kara la: ni ye güdo ye, giido bgrQtg baU (19) Ces six notions sont à rapprocher des « six essences de la personne », cf. infra, p. 9. (20) he i .rigiyerg la, 0 ye tiny€! ye; be i naka ka, ty€ b€ naa naka do. Liu.: «Quitte le lieu où tu es assis, cela est vérité; quitte ton destin, tout homme a son destin ». (20 bis) Ce signe est encore appelé dya ou sumalikfltl, nom bambara et malinké de la balance.

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]36

Le signe tozo ni bara dyuru

et la vie embryonnaire.

Après le signe du néant et le cercle kara, la troisième représentation relative à la personne est ia graphie «placenta et cordon ombilical», taza ni bara dyuru (cf. fig. 3). Elle est composée de quatre parties: - un segment vertical appelé «attache», siri, ou «cordon ombilical », bara dyuru, ou « cou ou voix », ka; - un rond dit «devant de la poitrine» - c'est-à-dire l'ensemble sternum et plexus solaire -, ou « graine de la noix de karité », k{Jlp kis€ (probablement à cause de sa forme); - deux crochets dénommés l'un « œuf ou appel du père», fa kili, et l'autre «œuf ou appel de la mère, ba kili. siri, bara dyuru, ka

kç>kQ ny~, kQIQ kisfi

fa kili

FIG. 3. -

ba k ili

tozo ni bara dyuru (21).

La présente graphie pose en terme concis le fondement biologique de la personne, à savoir que tout être humain dès le stade embryonnaire: - jouit d'une attache génétique, siri, porteuse d'une «voix», d'un message, qui s'exprimera plus tard dans et par le corps tout entier (cf. le tere, infra, p. 36); - possède un « noyau» de vie qui porte ici le nom du plexus solaire" l'un des centres vitaux de l'homme; - est le fruit de la part de ses parents, d'un apport égal de vie qui se fait sentir, au niveau du placenta, par des pulsations continues localisées au cordon ombilical et quL dès les premiers mois de la conception, préfigurent ce que les Malinké et les Bambara nomment «l'appel dans l'âme ou l'appel de l'âme», nI na kili, c'est-à-dire la respiration. D'autre part, sur le plan purement fonctionnel, les quatre parties de la graphie schématisent respectivement la trachée artère, le cœur et les poumons. (21) i tozo nU bara dyuru bi yerfJ mi na, 0 de yU jaso ye.

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137 Réceptacle de vie et de destin, le placenta est l'objet, après la délivrance, d'un traitement spécial chez les Maliens: il est partout enterré dans la cour de la maison familiale; on le ~. rafraîchit », - en l'arrosant jusqu'à la dation du nom, soit sept ou huit jours après la naissance de l'enfant, ou jusqu'au quarantième jour, date à la quelle la nouvelle accouchée retrouve son rythme normal de fécondité. D'où le dicton «là où se (21) qui trouvent tes délivres et ton cordon ombilical, c'est là ta patrie» souligne entre autre la valeur sociale et juridique liée aux rites relatifs au placenta et expliquerait l'attachement presque maladif du Malinké et du Bambara à leur jaso, la «maison de leur père », leur patrie.

dyp ti et la vie fœtale. Le signe dYQ fi (22), «signe de l'arrêt, de la station debout ou de l'édification» est une croix grecque dont les quatre extrémités portent les noms suivants: kit, «tête, raison»; dyu, «fondement, sexe»; ty€ bolo. «bras de l'homme» (la droite)~ muso bolo, «bras de la femme» (la gauche). A ces quatre parties du signe sont respectivement associés les quatre éléments air, terre, feu et eau dont la conjugaison crée un centre vital ou de gravité appelé ty~kis~, «grain de la taille ou du milieu », ou ty€maty~, «taille, milieu, juste mliieu» (cf. fig. 4). Le signe symbolise le stade où l'embryon devient fœtus - c'est-à-dire une véritable petite personne qui réagit déjà et enregistre les influences auxquelles

-

sa mère est soumise

en même temps qu'il préfigure

la station

verticale qui est le propre de l'homme. Ce stade de la gestation est considéré comme le plus délicat. Ku (air) ty~ bolo (feu)

~

muso bolo (eau)

",

dyu (terre)

FIG. 4. -

",

ty~mihYe ou ty~kis~

dYQ fi.

(22) Ce signe est pareil à celui qui figure au milieu de la graphie du néant (cf. supra, p. 133).

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138

mpkp dyp wPVTQ ou

«

l'essence

de la personne

».

Alors que le cercle kara pose le principe de la gémelléité fondamentale au niveau des composantes spirituelles de la personne, la graphie mÇJk{J dy{J wCJ{>rQ «les six essences de la personne» met, quant à elle, l'accent sur les correspondances physiologiques, c'est-à-dire sur cette gémelléité biologique manifeste chez un fœtus de six mois, donc chez un être capable de survivre s'il venait à quitter prématurément le sein maternel. Elle se décompose comme suit: V bolo fia, «les deux bras »; A sé fIa, «les deux pieds» (les deux jambes); T ka, «la tête~) (le cerveau, la raison);

!

dyu,

«le

fondement»

(le sexe)

ou tyçya,

«la

masculinité»

(le

membre viril). Ce sont véritablement

là les «six essences de la personne

»

à qui il

faut:

-

un cerveau pour créer, un sexe pour procréer, deux bras pour travailler, deux jambes pour se déplacer.

~ a) m(!k~ (l'homme).

Nota: I'homme.

I I I I

>K b)

kf!m>

(40);

pas la pensée et la réflexion de la personne,

Pour comprendre Je mécanisme de la pensée et de la réflexion chez les Malinké et les Bambara, il faut nécessairement connaître le rôle que joue au niveau de la personne, le cerveau dont on dit qu'il est le siège de la pensée et de la réflexion et de bien d'autres principes encore. En effet, pour l'homme «complet», conscient, le cerveau est le carrefour de deux activités importantes appelées « choses de l'en-haut - ou de la volonté - et choses de l'en-bas - ou du désir - de l'âme» ni sa ko ou ni sako et ni dü ko ou nT düko, autrement dit les influences ou les activités extérieures à l'âme ou de l'âme et les influences ou les activités intimes à l'âme ou de l'âme. « Par les sept ouvertures de la tête - les deux yeux, les deux oreilles, les deux narines et la bouche -- arrivent au cerveau, par le seul intermédiaire du bulbe rachidien ou «menteur de la nuque» to kule, quatre perceptions extérieures: la lumière~ yeelë, le son, miikii, l'odeur, suma et (39) If dyumf ka dyii ni f~ bf ye dYf na? mi iri fç dyurnç ka ted ni f~ b~ ye dy~ na? mi iri fç dyumç ka bô ni fç b~ ye dy~ na? taasi f~ dyum~ ka dü ni f~ bç ye dyç na? taasi. (40) mi iri bi taa YQrQb~; fë be bi kü taasi kQnQ; foyi ti se kuu kù dQ; foyi ti se kuu lafa; u güdo tQkQ ye ko taasi maasi. taasi-maasi (de ta, feu, ou taa (taka) partir, mettre en mouvement, si semence, et maa ou maka, maître, maître du ciel) est un attribut de J'esprit créateur, et Ja manière de Je prononcer traduirait l'idée de mouvement ou plus exactement de va-et-vient. 10

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146 le goût, timiya, qui s'y installent en l'impressionnant avant d'être instantanément transmises à toutes les cellules du corps par le relai du bulbe rachidien à nouveau, de la moelle épinière ou «corde du dos», k(J dyuru, et des nerfs, Jasa ». «Quant aux autres sensations qui parviennent de l'extérieur ou de toute autre partie du corps, elles parcourent le chemin inverse: de la surface de la peau, ou d'un organe quelconque, elles passent successivement dans les nerfs, la moelle épinière et le bulbe rachidien pour aboutir enfin au cerveau ~>. «Celui-ci, dont la constitution est comparée à celle de la farine du fruit de baobab, est de nature à conserver dans les minuscules et innombrables «grains» qu'il emporte, toutes les informations qui lui parviennent du dehors comme du dedans». « C'est par ces « deux courants de l'âme» (ces deux courants de vie), ni dyuru fia (lit1. les deux cordes de l'âme, de la vie) que marchent (cheminent) la pensée et la réflexion. Car le cerveau n'est pas qu'un simple réceptacle de perceptions qu'il enregistre, il est aussi et surtout un centre de vibrations permanentes, y~r~-y~r~li, tout comme le tube digestif est un

lieu de pulsations continues

(41).

Il émet deux courants dits «corde de la

pensée et corde de la réflexion », mUri dyuru ni taasi dyuru qui doublent ou suivent les «deux courants de l'âme ». Le premier courant (pensée) part du cerveau proprement dit, passe à travers le front (42), suit le courant de vie extérieur, accède aux objets perçus ou sentis par les sept ouvertures de la tête et revient par le chemin inverse au cerveau où il dépose les informations recueillies. Cette opération est le propre de la pensée» . «Le second courant qui naît lui aussi au cerveau proprement dit, descend jusqu'au « niveau des poils et à la limite (au plus profond) de la personne» par l'intermédiaire du bulbe rachidien, de la moelle épinière et des nerfs

-

doublant

ainsi le courant

de vie intérieure

-

et revient

par le chemin inverse apporter au cerveau les données collectées qui sont alors visualisées. C'est le processus de la réflexion». « La pensée et la réflexion sont aidées dans leurs actions par le cervelet, tv dé, « l'enfant de la nuque» qui a une grande influence sur les yeux, la langue et les membres 14:11 ». (41) On notera la comparaison entre cerveau et intestin qui est très courante chez les Bambara et qu'un même mot, k(JnfJ, désigne à la fois la mémoire, la vie intime et le ventre. (42) Dans les sociétés d'initiation malinké et bambara, un rôle de premier plan est accordé au front. C'est ainsi que le front du masque du NDomo est très saillant et que ceux du Komo et du Koré, plus bombés encore, sont presque toujours surmontés d'une houppe qui est signe d'intelligence (cf. D. ZAHAN, op. cit., pl. XIV, les masques de l'hyène du Korè). (43) On croit savoir qu'un choc violent à l'occiput traumatise le cervelet et peut provoquer par la suite, surtout chez Jes jeunes sujets, des troubles graves: paralysie, cécité, défaut d'élocution, surdité, asthénie intellectuelle.

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147 «La pensée (penser) et la réflexion (réfléchir), disent les Malinké et les Bambara, sont deux phénomènes non concomitants (nous dirons qu'elles sont comme les périodes d'un courant alternatif): il faut que (44). l'une soit arrêtée pour que l'autre marche» Mais c'est de la capacité du cerveau à garder longtemps les messages reçus, et surtout de l'intensité et du dynamisme de ses pulsations qui permettent à la pensée et à la réflexion de percevoir la nature intime des choses et d'appréhender les liens qui les unissent que découle le degré d'intelligence d'un individu: «C'est la «santé», le dynamisme de la moelle de la tête (du cerveau) qui fait que la pensée et la réflexion connaissent la semence (l'essence, la nature) et le dessous de toute (46) chose» (45). Cette «santé» est favorisée par «l'huile du corps» dont la rareté, due à la maladie ou à la vieillesse, diminue la faculté d'action du cerveau en même temps qu'elle provoque d'ailleurs l'affaiblissement des os, le dessèchement de la peau et le blanchiment des cheveux. » Ces quelques lignes sur la conception bambara et malinké « pensée et de la réflexion» appellent trois observations:

de la

- «Pensée et réflexion» ~ont deux phénomènes de courants opposés qui naissent de la perception sans laquelle il n'y a pas intelligence des faits, ni vie par conséquent; leurs activités aboutissent à la formation « de la chose connue de la personne» mpkg dg ko. - Il n'y a pas dans ce système d'opposition tranchée entre corps, âme et esprit (comme nous Je verrons plus loin, la plupart des principes spirituels, tout comme la pensée et la réflexion, ont pour support ou lieu de manifestation, des parties bien précises du corps); -

L'importance

accordée

aux

cellules

du corps

par

les. Bambara

et les Malinké dans le processus de la pensée est très grande: à entendre les vieux prêtres deviser sur l'esprit, l'intelligence, on a souvent l'impression que la pensée et la réflexion se trouvent partout dans la personne où la vie existe. 3.4. kuma ni mara: «parole

et autorité»

(F

- M).

Abstraction faite de son origine divine, les Malinké et les Bambara lient la naissance de la parole au développement et surtout à l'activité

(44) mUri ni taasi ti se kuu ka baara k~ nYÇJk~f, : ni kelê ma de, kelê ti se ka taama; Hu. «La pensée et la réflexion ne peuvent pas faire leur travail ensemble: si l'un ne s'arrête pas, l'autre ne peut pas marcher». (45) kü srmr k,n€ya de baa to mUri ni taasi bi f€ br siya de ani' f€ b€ dyukQrQla. (46) Véhiculée par le sang, cette «huile», fa ri kolola tulu «huile dans l'ossature du corps» ne doit pas être confondue avec la graisse, kë, dont l'abondance provoquerait au contraire une apathie physique et intellectuelle.

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148 débordante du cerveau - c'est-à-dire de la pensée et de la réflexion qui, à un certain stade, ne peut plus être rendue par les «manières», les gestes, tyogo ou tyoko (47). « La parole apparaît à «l'intérieur de la personne », sous forme de « boule» (de tension) kuru qui, une fois dans la «maison de vie» (la cage thoracique) et notamment dans les poumons, grossit et acquiert force. Elle est alors expulsée par la trachée artère grâce à l'expiration. L'air qui la véhicule et qui s'échappe par la bouche et les narines, subit de la part des cordes vocales, de la Jangue, du palais et des lèvres, une série de traitements: vibrations, tournoiements. modulations. Les multiples gestes qui président à son achèvement font que l'on dit que la parole est elle aussi un geste (d'ailleurs n'est-elle pas la traduction d'un geste. Car la pensée et la réflexion en tant que mouvements, ne sontelles pas elles-mêmes des gestes ?) (4R). Mieux qu'un geste, la parole est un « acte», wale, appelé à agir, à produire de l'effet, ou à se transformer en «actes concrets», k~ wale, si elle ne veut pas demeurer une «parole vide et sans grain » (4H). Toute parole néanmoins, disent les Malinké, est chargée de nyama (;.(», de «force vitale», véhiculée de l' « intérieur». De l'influence de la parole sur la personne dont elle émane et sur l'entourage de cette personne, naît une série de comportements et de relations. C'est ainsi que, véhicule de sentiments humains, la parole est à la fois le meilleur instrument social et un outil irremplaçable de domination: « sans la parole, il n'y a pas de pouvoir, se, ni d'autorité, mara». La relation entre la pensée, la «parole», l'autorité et le pouvoir est indéniable aux yeux des Bambara: «Que serait devenue la personne si elle parvenait à rendre ses pensées par la parole et transformer ses dires (inI. en actes concrets? Un dieu, peut-être! » 5.6. sako ni dükÇJ: «volonté

et désir»

(M

- F).

La volonté et le désir relèvent de la pensée et de la réflexion, c'est-àdire en fait de « la vie extérieure et de la vie intérieure» (cf. supra, p. 18). Alors que la première naît d'un «besoin intellectuel» extérieur, mako, (47) Cf. infra, p. 154. (48) «La pensée est geste, la réflexion est geste, la parole aussi est geste» disent les K(Jr€duga ,. mUri ye dyogo ye, taasi ye dyogo ye, kuma fana ye dyogo ye. (49) Les propos incohérents, inconsistants et sans portée, sont appelés «paroles vides, sans grain, sans axe ou sans tête», kuma lakolo, kuma kis~ nta, kuma kala nta ou kuma ha nta. On prête donc à la parole «contenu, noyau, axe et raison». (50) Cf. kQng nyama, infra, p. 160. (51) Les leçons relatives à la parole sont aussi nombreuses que variées. Celle que nous résumons ici souligne l'écart irréductible existant entre la pensée, la parole, et l'acte accompli qui est la matérialisation finale de la pensée.

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149 la seconde trouve sa source dans les pulsions organiques, nege, et notamment sexuelles. D'où ces étymologies que l'on prête aux termes siiko «chose du ciel», «chose de l'en-haut» ou «chose pour laquelle on est prêt à mourir» et dük(> « chose des profondeurs» (;-)2). 7.8. ni ni di: «âme et vie physique»

(M - F).

Le ni, dit quelquefois nyi, est le principe de vie immatérielle, la source de vie impalpable, par opposition au di « la vie physique, ce qu'il y a de palpable, d'agréable au toucher» chez la personne. Le premier tient au feu et à l'air, et le second à l'eau et à la terre. En simplifiant les choses, on peut dire que ces deux notions indiquent respectivement le corps et l'énergie qui anime ce corps. «Le ni est partout dans le corps, et notamment dans le bulbe rachidien, le cerveau, le cœur, et le sang qui le véhicule au niveau de la moindre cenule». Deux organes, de par leurs noms et leurs fonctions, sont considérés comme étant des sièges importants du ni. Il s'agit de la rate, ni naana, « l'âme est venue », et des poumons qui assurent la respiration, nI na kili, « l'appel de l'âme ou l'appel dans l'âme». Les concepts et expressions se rapportant au ni et au di et qui traduisent tous les états d'âme possibles de la personne sont légion dans les langues bambara et malinké. Parmi eux, le nyii et le dya (prononcé dyii dans certaines expressions) (r)X I occupent une position exceptionnelle. 9.10. nyii ni dya: «flux vital et flux corporel»

(M - F).

Le nyii (de ni, principe de vie immatérielle, et de yii, au-delà, en deçà) est la radiation qui, à partir de l'âme, cette source de vie, crée dans le for intérieur et autour de la personne, un «flux intermittent», nyii-nyà, extrêmement rapide, une sorte de champ vital délimité par les « cordes intérieures et extérieures de vie », ni dyuru (cf. supra, p. 146). «Plus intense dans la tête (le cerveau), il se propage à travers et dans le corps en suivant la moelle épinière et les nerfs. Son témoin est le regard, nya ou nYf/, dans lequel se lit son intensité ». «Ses manifestations deviennent très vives avec la joie, nyakari ou nyii-nyaari et les frissons, yrrr-yerr, «vibrations, tremblements».

(52) sako, de sii, ciel, en-haut, ka, chose abstraite; ou de sa, mourir, et ko, chose abstraite; düko, de dü, profondeur, vie intérieure, ka, chose abstraite. (53) dyâto, veiller à, faire attention; dyÜkalima, «qui a un 'double' chaud », synonyme d'effronté, de bâtard.

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150 «Le nyii, que l'on pourrait dans une certaine mesure assimiler à l'énergie vitale, disparaît à la mort pour faire place, lorsque le corps se refroidit, au nyama (54) » (cf. infra, p. 160). En ce qui concerne le dya (de di, principe de vie matérielle et yii, au-delà, en deçà), communément appelé «double de la personne», il est selon sa nature, la projection extérieure du corps et la représentation intérieure et extérieure de l'être intime. Il existe en effet quatre sortes de dya. Le premier dit dya «bête, inintelligent», dya nalomii, est Pombre que projette le corps lorsqu'il intercepte la lumière; il est toujours noir, sombre,

et quelle que soit sa taille

-

plus grande,

corps dont il relève - il est inversé par rapport « bêtement» les gestes.

plus petite,

ou égale au

au corps dont il imite

Le deuxième dya ou «dya vrai, réel», dya y~r~-yçrç (55), représente l'image réelle d'un corps qui se mire dans l'eau ou dans une glace par exemple. Comme le précédent, il est inversé par rapport au corps dont il reproduit également les gestes. Le troisième est appelé «le petit dya intelligent», dya ni kekü. Minuscule reproduction de la personne, il se tapirait quelque part dans le corps: dans le cerveau selon certains, dans le pancréas, fyé-fyé (;>6), selon d'autres. Quoiqu'il en soit, c'est le dya intelligent qui dicte ses gestes à la personne qui les reproduit fidèlement et non pas à la manière dont s'y prennent les dya précédents à l'égard du corps: «Toutes les affaires

(tous les actes) de la personne relèvent du dya intelligent »

(57)

qui apparaît

de ce fait comme étant le véritable être intérieur, et qui, dit-on, «a des rapports intimes avec la pensée et la réflexion» (58) qui ne peuvent normalement exercer leurs actions que lorsqu'il est «assis», stable (59).

(54) Les Bambara rendent la nuance entre le ni, le nyll et le nyama par cette image: le ni est comparable à la boule de feu d'un foyer dont les flammes et la chaleur radiante représenteraient le nyll. Les bouffées de chaleur emportées par le vent - donc coupées de leur source et la chaleur qui subsiste après que le foyer se soit éteint sont semblables au nyama. (55) On assimile à cette catégorie de dya les photographies et les projections cinématographiques qui portent du reste le nom de dya. (56) Pour les Bambara, il existe une relation étroite entre le cerveau et le pancréas. Une personne qui a le «pancréas trouble» (une personne essouflée) n'a pas, dit-on, son dya « tranquille », d'où son incapacité de penser et d'agir. (57) m()kp ka ko b, yU dya ye. (58) m(>kfJdya ni mUri ni taasi bi nYÇ!ke na, liu. «Le dya de la personne et la pensée et la réflexion sont les uns dans les autres». (59) De multiples expressions rendent compte de l'état du dya : dya sig;, «dya assis»; dyapâ, «envol du dya»; dyabÇ!, «sortie du dya », dyatikc, «coupure du dya », dyana, retour du dya », dyasirâ, «peur du dya », etc., sont autant de manifestations du dya qui correspondent à des états psychologiques bien précis de la personne.

-

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151 Le dya «intelligent» dont l'absence prolongée entraîne l'agonie, puis la mort de la personne, peut momentanément quitter le corps. C'est par exemple le cas au cours du sommeil où, prenant l'allure d'un souffle de vent très rapide, il parcourt des distances extraordinaires; c'est aussi le cas lors des rêves: il est alors identique à tout point de vue à la personne elle-même. Il est à noter que c'est le dya ni kekü qui est «mangé» par les sorciers, qui doivent pour cela quitter leur corps; autant dire qu'ils agissent eux aussi par leur dya intelligent. Le quatrième et dernier dya, du nom de «dya du défunt », su dya, est la métamorphose du dya intelligent qui, dès la mort~ rejoint la mare sacrée du village. Fréquentant seulement la maison familiale du disparu et uniquement le soir, il acquiert à partir du septième jour suivant le décès, sa forme définitive visible qui est très grande et toute blanche. Ombre des revenants ou «esprit des ancêtres» sur la terre, le sudya serait doué de forces surhumaines. (()C)), sont porChacun des dya ci-dessus (à l'exception du quatrième) teurs d'une partie du flux de la personne; les posséder par la magie ou la sorcellerie, c'est atteindre par voie de conséquence la personne ellemême. Il.12.

ba ni fa:

«substrat

et plénitude»

(F

- M).

Toute personne évolue à partir d'un substrat, ba (61), biologique, culturel et spirituel et dans un contexte social donné et tend vers sa réalisation, son épanouissement, bref vers sa propre plénitude~ fa (61). C'est ce que signifie cette leçon: «La personne a trois ba: un ba qui l'enfante; un ba qui l'élève, l'éduque, et un ba qui «l'entretient»; mais toute l'attitude (tout le comportement moral, social et intellectuel) de la personne dépend de deux choses: le lieu où elle (cette personne) a été élevée et la façon dont elle a été élevée» (H2). Pour peu qu'une tare ou un déséquilibre notable affectent l'un ou l'autre de ces points d'appui qui constituent somme toute la vie de l'in(60) Celui-ci, restant en liaison directe et suivie avec le ni, monté au ciel après la mort (cf. infra, p. 54) ne peut être atteint par aucun moyen magique. (61 ) Voir plus haut les premières acceptions de ces concepts. (62) ba saba bi mf!kf! la: i woloba, i lamQba ani i ladoba,. nga m(Jk(J ka konyç bf bi ko fia bolo: i lam(J Y(Jre ani i lamQ tyoko. On a recours ici à un jeu de mots, entre ba, mère, ba substrat et ba suffixe d'agent; waloba, « la mère qui enfante» et aussi les géniteurs; 1ameba, «la mère qui élève» et aussi les éducateurs; ladoba, «la mère qui entretient» et aussi toute personne qui apporte une assistance matérielle, morale ou spirituelle à un individu donné.

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152 dividu, celui-ci devient «incomplet» fou, fat{J.

ou «instable»,

basigibali, ou même

La constatation que ron fait de cette leçon est que «nulle personne n'est en réalité complète », maa si dafaié tç ty? na. 13 à 18. m(JkÇJdYQ }1J(J(Jr(J:«les six essences de la personne». 13.14, ki{ ni dyu:

«raison

et fondement»

15.16, k(l ni ny~: «arrière et avant», (M - F).

(M

- F).

ou «envers et endroit».

17.18, ty€ bolo ni musa bolo (6a) : «droite

et gauche»

(M

- F).

Nous avons vu plus haut la signification et la représentation relatives à ces notions (cf. supra, p. 9). On notera ici cependant la leçon qui accompagne ces dernières et qui sert généralement d'introduction à la cosmogonie bambara et malinké: « Une chose ne se fait pas en dehors d'une chose (première). « Une chose ne se fait pas sans raison, « Si une chose ne se fait pas, une (autre) chose ne se fait pas (64) ». Leçon que l'on pourra traduire par « il n'y a pas de cause sans effet, et il n'y a pas de raison sans une raison première». 19.20. kolo ni kis~: «noyau et grain» Ces deux notions sont très importantes Elles représentent:

-

-

(F

- M).

à cause de leur symbolisme.

d'une part, l'ovule et le spermatozoïde qui sont à l'origine de la formation de la personne (nous retrouvons ici encore un concept lié au cercle dont la circonférence et le centre connotent l'ovule et le spermatozoïde, d'où l'expression m(Jk(> b(J kolo, «le noyau d'où est sorti la personne» servant à désigner les ascendants); et d'autre part l'ossature du corps et la moelle contenue dans les os: «la force, tiika, et l'ardeur~ kis~ya, de la personne, se trou-

(63) Liu.: bras masculin (64) ka ti kfi ka ke k~ ti kf ni kü taa ni ko ma kfi ko ti Dieu et la personne étant et de la procréation.

et bras féminin. la k,. cette chose et cette raison premières, au regard de la création

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153 vent dans les os et la moelle, et son «grain» (son centre vital) (1;.} (notons ici que l'os porte aussi le dans le bulbe rachidien» nom de kolo). Et une tirade ajoute: «la personne est un «grain», un grain incon(()6), ce qui signifie que la nature de la vie échappera toujours naissable » à l'homme. 21.22. dyigi ni kala: «support

et axe» (F

- M).

Pour les Bambara et les Malinké, la colonne vertébrale à laquelle se fixent et autour de laquelle gravitent les autres composantes du corps, est le «support et l'axe») à la fois biologiques et ontologiques de la 'personne: «Lorsque la colonne vertébrale est affectée, c'est tout l'être qui est touché au plus profond de lui-n1ême, et à toute déviation de la colonne vertébrale correspond une déviation psychologique et sexuelle» (H7}. D'autre part, les difficultés d'ordre sexuel et les chocs psychologiques se traduisent souvent par des douleurs à la colonne vertébrale. D'où l'expression dyigi-tik~ «coupure du support» et aussi de «l'axe» pour traduire les déceptions de toute nature. On comprend mieux la portée de ces deux notions lorsqu'on sait que maa kala ntii «personne sans axe», qualifie l'état d'un vagabond, d'un être vil et que dyigi désigne par ailleurs l'espoir, l'espérance. Deux leçons connotent cette acception:

-

«N'est pas saine! N'est pas saine! N'est pas saine! « la personne en qui il n'y a pas d'espoir « celle-ci (cette personne) n'est pas saine (6~ I .

-

«Dieu «Qu'il « Dieu « Qu'il « Dieu « Qu'il « Dieu

n'a rien créé aima autant que l'espérance n'a rien créé honora autant que l'espérance n'a rien créé fortifia autant que l'espérance n'a rien créé

(65) m~kÇJ fâka naa ka kis~ya bi kolo ni sCm~ na, a kisg bi tëku1e la. (66) mf!kf! ye kis~ ye, kisg debali. (67) C'est notamment le cas de ceux qui souffrent de gibbosité, dat(Jw, de ceux qui ont le dos voûté, k~ kuruniw, et des paralysés des jambes qui ont tous la colonne vertébrale plus ou moins déformée. (68) mii kgng! mâ krnf mil k,ng~! dyigi t~ mQkQ mi na o mâ k€n€f! (Chant diffusé très souvent sur les antennes de Radio-Mali.)

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J54 « Qu'il etc.

éleva

autant

23.24. galabu ni tarabasu:

que l'espérance

«dynamisme

((i9)

et vivacité»

(F - M).

Le galabu (de kala, chaud et de bp « sortir », se manifester) ou « manifestation de la chaleur» désigne l'énergie tant physique qu'intellectuelle qui anime la personne; il a pour synonyme kgngya, «santé, dynamisme»; c'est la raison pour laquelle on le rencontre presque toujours dans l'expression karisa galabu ka k~ng «l'énergie d'un tel est dynamique». Le tarabasu (de tara, chaleur ardente, bal grande, so, maison) ou « maison de la grande chaleur », est la vivacité, la promptitude avec laquelle l'homme pense et agit surtout. Ces deux principes siègent respectivement dans le foie et la vésicule biliaire dont l'affection - par exemple en cas d'accès de paludisme que les Soudanais connaissent bien - provoque une faiblesse générale du corps, une très grande fatigue du cerveau et un ralentissement de l'activité sexuelle. Pour ces considérations, les profanes les situent volontiers dans les muscles et les os. 25.26.

k(Jr(J ni dyogo (70): (M - F).

«dessous

et

habitudes»

(intrinsèques)

Ces deux notions groupent l'ensemble des facultés inhérentes à la personne, facultés qui sont révélées par la «manière» , tyogo ou dyogo, dont l'individu se comporte, ce comportement étant du reste déterminé par les gestes et les actes relevant de la nature même de la personne. Les expressions mQkQ kQr{Jb(} «dégager le dessous d'une personne» (mettre quelqu'un à l'épreuve, éprouver ses dons et ses capacités), mQkp kprpfQ, «dire le dessous de la personne », la sermonner, critiquer, et mQkÇ} (69) {aama ma fi da ka f~ mi kanu ka t~m~ dyigi ka faama ma f~ da ka f~ mi bonya ka t~m~ dyigi ka faama ma f~ dâ ka f~ mi barkaya ka t~m~ dyigi ka faama ma f~ dâ ka f~ mi kQrQta ka t~m~ dyigi ka. Cette litanie qui nous a été communiquée par Wa Kamissoko fait partie de l'enseignement du Kama relatif à la descente, dyigl, des signes de la création (cf. G. DIETERLEN et Y. CISSÉ, « Les Fondements de la société d'initiation du Komo », op. cft.). (70) dyogo ou dyoko (de dyo, ce qui est caché, intime, et de ko, choses abstraites) peut fidèlement être traduit par «essence intime de la personne», car c'est le même mot nasalisé que l'on retrouve dans meke dyV weere (cf. supra,p. 138).

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155 dyogo lakali, « raconter, révéler les qualités et les défauts de la personne », confirment le sens que l'on prête à kÇJr{Jet dyogo. 27.28. kaana et 1Janiya: «inflexibilité

et foi» (M

- F).

Le kaana ou tout simplement kaa (de ka, force, et de na, venir) «qui fait venir ou produit la force», est la «force», le tonus qui assure au corps son maintien dans telle ou telle position. Il est au niveau de tous les muscles et plus particulièrement au niveau des muscles dorsaux, son principal siège étant le cou, kil, et plus précisément «les gros nerfs de la nuque », tp fasa kaba. «Lorsque le kali tombe - ce qui correspond au renversement

de la tête au terme

de l'agonie

-

il provoque

automatique-

ment la mort ». Mais le kaana n'est pas seulement le tonus musculaire; il est aussi et surtout cette force qui caractérise chez l'homme son inflexibilité intellectuelle, sa détermination, son intransigeance et sa combativité. Le 1Janiya qui lui est associé est la foi, cette croyance intérieure ferme en ce que l'on fait et en ce que l'on pense. «Quelle différence y a-t-il entre «confiance» (la croyance en quelqu'un) danaya, foi, 1Janiya et «foi en la création (en Dieu) dâ1Janiya?» (i1). Telle est la question que, à propos du terme 1}aniya, les maîtres du Komo soumettent à la réflexion de leurs disciples.

29.30. taka ni siri 1;21 : «force et attache»

(M - F).

Selon les avis les plus autorisés, le mot taka serait formé de fa (73) «contenant, contenu, plein, plénitude..., et de ka, force, et signifierait « force contenue» dans un être, un objet. C'est cette force là qui assure aux différents composants de la personne leur cohésion: elle constitue leur « attache», siri, commune. « La force est partout dans l'homme; dans les os et les nerfs notamment, dans les muscles, la poitrine, la langue, le cœur, le cerveau, le sexe, l'âme... et même dans la parole; sa diminution entraîne l'affaiblissement et le vieil1issement et son absence la mort de la personne». Les trente principes ci-dessus sont en eux-mêmes suffisants pour caractériser la personne. Néanmoins, on leur adjoint trente autres principes qui ne sont pas à négliger dans la mesure où ils complètent le sens des premiers. (71) (72) (73) bambara

mi{ bi danaya ni vaniya ni davaniya bQ nyuwa na. Voir supra, p. 136, la première acception de siri. Il est à noter que le mot fa signifie «plénitude» et connaissance anciens.

en malinké et

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156 31.32. sokçnQla ni k€n~mala: et dehors) (F - M).

«intérieur

et extérieur»

ou «dedans

SokQnQla (de so, maison (74), k()nQ Iï;), intérieur, et la, dans, «dans l'intérieur de la maison», et k€n~mala (de k{!nc, espace dynamique, ou k~n~ma, dehors et la, dans) «dans l'espace extérieur» désignent respectivement la vie intérieure, intime, et la vie extérieure, le dedans et le dehors de la personne»: «ils sont liés à la pensée et à la réflexion, et ont, comme celles-ci, leur siège dans le cerveau» . Leçon: «Ce qui importe pour une personne, c'est de n'être en contradiction ni avec son dedans~ ni avec son dehors; c'est d'être d'accord intérieurement avec elle-même, et extérieurement avec ses semblables ». Trois expressions courantes, kpnQla jili, «égarement intérieur, embarras », kQnQla nyakami, «brassage intérieur, confusion intérieure ou mentale», et kQnQla su koole « nuit intérieure accomplie, étourderie» rendent mieux le sens de la notion de kQn(Jla et partant celui de ktgntgmala qui Jui est opposé. 33.34. ty~ya ni musoya:

«masculinité

et féminité»

(M

- F).

«La masculinité est un mystère tout comme la féminité; c'est le mystère de la création (ï6) et de la procréation», dit une tirade du Kama. Elément unique de différenciation physique et constitutive chez les sujets d'une même espèce, la sexualité, et en tout cas sa nature, se retrouve, disent les Bambara, à tous les niveaux de la personne. Tel ou tel organe, selon sa nature, ses fonctions ou son emplacement dans le corps, est masculin ou féminin; il en est de même des 60 « principes spirituels» qui, accouplés deux à deux, sont des jumeaux de sexes opposés. 35.36. s{5 ni dusu: « caractère et passion»

(F

- M).

SQ désigne le cœur; il signifie aussi «soumission, consentement» et est considéré comme étant le siège du caractère féminin, c'est-à-dire de la passion amoureuse, cette impulsion caractéristique qui est plus forte chez la femme que chez l'homme et qui fait que, dans l'amour comme dans la haine, la première se montre toujours supérieure au second. Dusu désigne quant à lui le « courage», cette foJie de l'homme, la passion, sans laquelle (74) «Aucune tout peut (75) définition (76) (77)

Pour les Bambara et les Malinké, il n'y a pas plus bel édifice que cet édifice humain. maison n'égale l'intérieur de la maison de la personne, la maison dans laquelle tenir », so si t€ mQkQ sokQnela bQ, f~ bf bi kü so ml kpne. M. Delafosse, dans son dictionnaire des langues mandingues, donne, p. 395, cette de kenQ: «Ventre, intérieur, for intérieur, pensée intime, fond du caractère ». ty~ya ye gado ye, musoya ye güdo ye, dali gado do. Une passion excessive est dite «folie du petit homme », tYfnifa.

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157 il n'y a pas de courage véritable. Il siège immédiatement au-dessous du sternum, dans le plexus solaire, «le lieu où se rencontrent le foie et le cœur» selon l'expression ma1inké. 37.38. tpkp ni dyamu:

«prénom

et nom»

(F - M).

Le prénom et le nom sont deux éléments très importants de la personne auxquels s'attachent de nombreux rites et croyances qu'il serait long d'évoquer ici. Le premier est la contraction de t(} n'kQ « (ce que) je laisse après moi» en mourant, c'est-à-dire la renommée; et le second signifie « caresser, flatter le dya» (il s'agit ici du dya intelligent: cf. supra, p. 24). Le prénom est lié à la « personnalité», maaya et .le nom au « double intelligent» de la personne. Leçon: « La mort épuise la chair, le corps~ les os; elle épuise même l'âme; la seule chose qu'elle ne peut pas détruire est le prénom (la renommée) » (7HI. «Sans renommée, la vie d'un homme ne serait que « sortir pour rien et mourir pour rien» (naître pour rien et mourir pour rien)

» (79).

Le nom patronymique tient surtout son importance du fait que lui est étroitement liée une devise (HO), madyamuli, dont les éléments constituent un raccourci saisissant de l'histoire du clan (Hl) : - «Koné, de Sankaran! Une armée qui ne comporte pas en son

sein un Koné est une armée vide »

(H21,

une armée sans grandeur (les Koné,

alliés seniikü des empereurs du Mali - la mère des Soundiata Kéita, fondateur de cet empire, était une Koné - se sont il1ustrés sur tous les champs de bataille du Soudan depuis le 12e siècle jusqu'à la conquête française); - «Cissé, de la race des (rois) magnanimes du Wagadou (fondé par les descendants) de Nyamè (la grande reine) ! Dieu, dans sa grandeur, vous fit don de la pluie d'argent, de la pluie d'or et de la pluie de diamant avant

de vous gratifier de la pluie de la foi »

(Ha)

(Les Cissé, après avoir longtemps

régné sur l'empire de Wagadou ou Ghana, leur fondation, grâce à un contrôle strict de l'exploitation et de la commercialisation de l'or, devinrent par la suite de fervents propagandistes de l'Islam qu'ils répandirent dans (78) saya bf buu ba, ka sok(! ba, ka kolo ba; a bi ni fana ba; a ti se f~ mi k~r~, 0 ye tflk(! ye. (79) ni tQkQ sQrQ t~, mQkQ ka dyçlatik~ bi k~ bQ fu sa fu. (80) Voir notamment S. de GANAY, «Les Devises des Dogons », Travaux et Mémoires de l'Institut d'Ethnologie, 1. XXLI, 1942, et G. DIETERLEN, op. cit., p. 76 et suivantes. (81) Les familles bambara et malinké sont patrilinéaires et patrilocales, et les individus portent le nom de leur père; ceci est vrai pour les femmes qui, même mariées, ne se départissent en aucun cas de leur nom patronymique. (82) kQn~ sâkarâ ka ! KQnç k~ t~ k~l~ mi na, k~l~ bolo lâkolô. (83) sise kaaresi, wagadu nyaam~ ! ala yaa to a ka masaya la ka wad sâdyi dyigi aw ye. ka sanu sâdyi dyigi aw ye, ka lulu sâdyi dyigi aw ye, ka segi ka dananiya sâdyi dyigi aw ye.

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158 l'Ouest africain. Ils sont en Guinée, au Sénégal et dans le sud du Mali, honorés du titre de « Marabouts du Manding, miidëmori). Que de folies ne commet pas le Malien pour «avoir un nom », se faire une renommée, ou lorsqu'il entend Je griot clamer sa devise! «Un tel a eu un nom», karisa ye toko sora, «le nom d'un tel est sorti», karisa taka boora, telles sont les expressions traduisant toute réussite, tout exploit. Enfin, s'attachent également au nom un ou plusieurs «interdits» ou totems, fana ou tn~, généralement liés à l'origine mythique ou légendaire du clan (cet élément du nom est suffisamment connu pour que l'on s'y attarde). 39.40. nakii ni dakii:

«avenir

et destin»

(F

- M).

Nous avons déjà vu comment le « destin et l'avenir» étaient préfigurés à l'origine même de la vie et comment, dès les premiers instants de la fécondation, ils s'inscrivaient dans l'embryon de la personne (cf. supra, p. 7). A ce destin et à cet avenir ontologiques et «biologiques» dont l'origine reste aussi mystérieuse que celle de la vie elle-même, s'ajoutent un destin et un avenir « vécus» au fur et à mesure que s'écoule l'existence de la personne: «ce que nous avons nous-mêmes acquis et ce qui nous

a acquis (ce qui nous est arrivé) constituent notre destin et notre avenir »

(R4).

Cette boutade des K or~duga, les « bouffons sacrés» des sociétés d'initiations bambara et malinké, vient en porte-à-faux sur les croyances établies selon lesquelles le destin et l'avenir aussi bien des hommes que des choses et des nations ont été une fois pour toutes fixées par Dieu dès l'origine de

la création 41.42.

(85).

tere ni nyama (R61: «caractère

et force vitale»

(F. - M).

Le terme tere «< ce qui adhère fortement, qui est en contact permanent ») désigne à la fois l'ensemble des caractères inhérents à la personne,

(84) aâ y~r~ ye mi sQrQ ani mi yaâ y~rç sQrQ, 0 de yaâ dakâ naâ nakâ ye. (85) Le refrain d'un chant de chasseurs insiste sur le caractère immuable du destin et de l'avenir: nakii! boU t€ nakana! «Destin! Les «fétiches» ne peuvent rien contre le destin ». En somme, même les fétiches, c'est-à-dire les autels qui sont la matérialisation des 266 signes sacrés de la création et l'incarnation vivante des 266 attributs de Dieu (cf. G. DIETERLEN et Y. CISSÉ, Les fondements de la société d'initiation du Koma) ne sauraient infléchir le cours du destin! (86) G. DIETERLEN(cf. Essai sur la religion bambara, op. cit., p. 61 et suivantes) rapporte l'origine mythique du tere: «le tere fut infligé par Pemba à Mousso Koroni, tandis qu'il la poursuivait pour diminuer son pouvoir». En effet, pour les Bambara et les Malinké, muso koroni kildYf, « la petite vieille femme à la tête blanche », la mégère chenue, fut la première personnaJité mythique à porter le mauvais tere à cause de ses multiples excentricités.

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159 chacun de ces caractères caractères.

pris isolément et le principe qui détermine ces

Matérialisé par 266 particularités physiques classées réparties dans les différentes parties du corps, il se manifeste tant dans les traits morphologiques que dans les gestes, les attitudes psychologiques, le timbre de la voix, l'éclat des yeux, la couleur et l'abondance des cheveux, la disposition des dents, etc. Mais c'est la tête qui comporte le plus grand nombre de signes permettant de déterminer le caractère dominant d'un individu donné; d'où l'expression kü tere, «tere de la tête», souvent employée pour désigner l'ensemble des caractères d'une personne. Un front large annonce un homme intelligent et réfléchi; un front bombé une intelligence vive; un front haut un homme d'action; ]es mâchoires ramassées un discuteur et un esprit querelleur; le strabisme est signe de ténacité et très souvent d'intrigue. Le port de la tête est aussi significatif que les traits du visage: une tête haute portée par un cou raide signale un homme intransigeant; un homme qui tique de la tête est généralement très intelligent mais enclin à l'autoritarisme; il sera impitoyable envers ses rivaux s'il devient chef. C'est surtout chez la femme que le tere fait l'objet d'études poussées. En effet, toute démarche en vue d'une demande en mariage s'accompagne chez les Malinké et les Bambara d'un examen du tere de la jeune fille. « La femme (idéale) est (caractérisée par) quatre fois trois choses:

- trois rondeurs (la tête suffisamment grosse, les seins bien galbés et les fesses bien arrondies), - trois attaches (le cou bien dégagé, la taille bien dessinée et les attaches fines), - trois noirceurs (les cheveux noirs et abondants, les yeux grands et noirs et les gencives et les lèvres noires), - et trois blancheurs (87) (le blanc de l'œil pur, les dents blanches et une vie intérieure sans tache)>>. .

Notons que la microcéphalie, l'effacement des seins et des fesses, l'aspect terne de la couleur des yeux et des dents et surtout l'absence de douceur dans les sentiments sont considérés comme des signes patents de mauvais tere chez la femme, de même que le rétrécissement du bassin qui dénote, sinon une stérilité caractérisée, du moins un obstacle, au terme de la gestation, à la descente de l'enfant. Véhiculé par le sang, le tere

-

ou plutôt son principe

(87) muso ye f~ saba sigiYQfQma naani ye: kuru saba siri saba fi saba ani dy~ saba.

-

qui est bon

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160 (tere

nyumêi)

ou mauvais (tere dyugu)

n'agit que par le contact physique

et la cohabitation. « Le sang d'une victime sacrificielle doué d'un mauvais tere fait perdre aux autels leur nyama et leur force: il les «gâte» dit-on. «Vivre avec une personne porteuse de mauvais tere (une personne qui a la guigne) expose à bien des malheurs». Tout le long de la vie, le tere se développe et s'affirme en même temps que se raffermissent les traits caractéristiques de l'homme (H81. Selon l'opinion populaire, il se transformerait en nyama après la mort; mais d'aucuns croient qu'il disparaitrait avec le corps (HU). Quoi qu'il en soit, le mauvais tere s'accompagne toujours d'un nyama destructeur. Le concept nyan1a (de ni, principe de vie, de yà, au delà ou en deçà (du corps) a déjà fait couler beaucoup d'encre; cependant il demanderait à être mieux analysé. Au niveau de la personne, il représente plusieurs choses. Selon les Bambara et les Malinké, toute source d'énergie émet des radiations qui à leur tour produisent des effluves. Celles-ci portent, en ce qui concerne le ni ou principe de vie, Je nom de nyama. Situé au dehors et au dedans de l'être, et jamais en tout cas dans le corps qui reste le domaine privilégié du nyii durant la vie, le nyama reste toujours doué d'un esprit agissant. A l' extérieur, il répare durant la vie comme après la mort, les torts subis par la personne dont l'âme, à la moindre offense, émet en direction de l'offenseur un flux vital qui devient précisément le nyama. Au dedans de l'être, il constitue la somme des faits qui se sont en un moment donné, imposés à l'intelligence et à la conscience de la personne et y demeurent jusqu'à la mort même s'ils s'estompaient pour une raison ou une autre de la mémoire au cours de la vie: d'où son nom de nyama intérieur, kQnQ nyama. Ce dépôt intérieur peut, à l'occasion d'une agitation fièvreuse, d'une anesthésie générale, d'un rêve, de l'agonie, ou en cas de folie, faire surface. Son siège est le cerveau. (On notera que le complexe de culpabilité se dit « morsure du nyama », nyama-kl; d'autre part, si les grands chasseurs sont obsédés par le nyama de leurs victimes au point de présenter des troubles psychiques et même physiologiques qui rejaillissent parfois sur leurs enfants, c'est bien parce que leur crime s'impose à leur conscience) (90). La notion de nyama est donc complexe:

«force vengeresse»,

esprit

(88) Les malformations congénitales et accidentelles sont considérées comme des « manifestations du tere », tere mayira. (89) L'expression «casser (détruire) le tere de quelqu'un dans sa bouche» en le tuant, karisa tere fi a da la laisse supposer que le tere cesse d'agir avec la mort. (90) Dans un article sur la « société des chasseurs malinké » op. cit., j'ai fait une première analyse du concept nyama qui reste valable dans ses grandes lignes.

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161 des morts et des vivants, le nyama évoque aussi par certains de ses aspects la vie intime, la conscience, l'inconscient et le subconscient. 43.44.

waazo (UII ni kaiizo (U2).

Le waiizo (de waka ou waa, ouvrir largement, écarteler, et de zo (93), vie intérieure), également appelé kpn{J nyama «force vitale intérieure» est cette force obscure et désordonnée qui agite les enfants et les adolescents et leur procure cependant une vitalité exceptionnelle. Il réside à la fois dans le cerveau et le sexe «et plus particulièrement dans le prépuce chez l'homme, le clitoris chez la femme, et représente dans l'individu le désordre: «il fait que l'homme ne peut vivre avec personne, ne peut supporter personne et ne peut se supporter lui-même». De plus, il s'oppose à la fécondité. Pour devenir un être stable, pour se marier, procréer, sacrifier, l'enfant doit être débarrassé de son wanzo. Cet effet est obtenu au cours de la circoncision ou de l'excision et des rites qui terminent la retraite des opérés» (94). C'est au sortir de l'adolescence, lorsque son « substrat se serait assis», stabilisé, basigi, que l'individu perdra définitivement son wallZo qui fait alors place à une nouvelle force dite kallZo (de kaii force et zo vie intérierue) «force de la vie intérieure». Force de maturité physique et intellectuelle, l'acquisition du kaâzo confère à l'homme qui est alors à même d'assumer toutes ses obligations, son véritable statut social et juridique. 45.46. faiizo ni maâzo Lorsque la personne atteint, à tous égards, son plein épanouissement, ce qui, selon les Malinké, se produit à 7 X 7, 49 ans, son kaiizo disparaît au profit de la « force de plénitude », faiizo (de fa, plénitude, ou tiika, force contenue dans l'être, et de lO, vie intérieure) qui est aussi une force de pondération: «le sens, l'attitude qu'implique l'âge est la pondération», kçr{J ka ye nyamadp ye, dit un proverbe bambara. A cet âge, l'attitude et le maintien de l'homme, sans changer fondamentalement, s'imprègnent alors d'une certaine réserve pour ne pas dire d'une certaine dignité. Les tempes grisonnent en même temps que s'accusent les traits du visage. (91) A propos de waÜzo, on lira avec beaucoup d'intérêt 1es lignes que G. DIETERLEN. op. cit., p. 64, consacre à l'origine de ce principe spirituel. (92) waiizo et maâzo sont des «forces» spéciales androgynes dans lesquelles wac1, kali fail et mail représente J'élément masculin et zo J'éJément féminin. (93) zo ou so, «maison », désigne ici le «dedans de la personne », la vie intime (cf. sokQngla, supra, p. 31). (94) Cf. G. DIETERLEN, op. cil., p. 64. 11

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162 A 60 ans apparaît la «force de spiritualité», mailzo ou maaniizo (de maana (95), luminescence, et de zv, vie intérieure) qui incite à la réflexion. L'homme est alors admis dans la compagnie des «grandes personnes du village», dugu maa baw, celles-là qui dirigent la vie sociale~ politique et religieuse des communautés bambara et malinké. Jusqu'au XIVe siècle - et de nos jours encore dans quelques grands centres religieux comme Tiko, près de Kangaba - on célébrait partout dans le Manding, le «soixantième anniversaire des hommes» par une cérémonie spéciale appelée sigi (asseoir, introniser, consacrer). Les récipiendaires, proprement rasés, revêtaient une tunique spéciale bardée de gris-gris dite «tunique du sigi », sigi dloki et coiffaient le bonnet à deux , que portent encore les vieux pans, hamada, «gueule du caïman» fHH) Malinké et Bambara. Notons enfin que le terme ultime de l'enchaînement de ces forces spéciales que sont le waâzo, le kailzo, le failzo et le mailzo est le stade de nyiikarii, «vie ou âme ardente», titre conféré aux hommes de plus de 76 années solaires révolues et qui accèdent pour ainsi dire de leur vivant au rang d'ancêtres: ils ne sont soumis à aucune loi et peuvent même rompre sans risque aucun, les interdits, tana, majeurs de leur clan. * ** Il est à remarquer que la naissance et la disparition successives des quatre principes ci-dessus correspondent à des stades d'évolution biologique bien précis et à un changement du statut social, juridique et religieux de la personne. Est-ce à dire que ces « forces» ont une influence déterminante sur les autres composantes de l'homme, ou bien qu'elles sont la résultante de celles-ci? Cette question que nous n'avons pas posée à nos informateurs mériterait une réponse. 47.48. kara ni n~ri: «intrépidité

et guigne»

(M

- F).

Nous avons déjà vu que le terme kara désignait l'esprit créateur, la force divine. Les individus qui sont dits « possédés ou poursuivis par cette force », les karat{J, se caractérisent sinon par leur vivacité d'esprit, du moins par leurs activités débordantes et périlleuses. Curieux et sceptiques de nature, «ils veulent toujours tout entreprendre, tout vérifier». Comme le

(95) Cf. p. 164 et SSe (96) Le caïman tient une place importante dans la mythologie bambara. Il aurait amarré de sa gueule l'arche de la création à bord de laquelle Faaro, la déesse de l'eau veillait sur les signes divins. Son symbole est ici précis: il emprisonne dans la tête des sages, leur science.

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163 veut le proverbe «N'a pas longue vie qui veut tout mettre à l'épreuve» (tout mettre en cause) 197), le karat(J, l'intrépide, est exposé à maints périls. A l'opposé du kara se trouve le n~ri (98), la fatalité qui poursuit et frappe certains individus, les n~ritp: « rien ne réussit à ces derniers: leurs mains, le bon devient mauvais» (H9).

entre

Contrairement à l'intrépide que l'on reconnaît facilement à ses actes, à son «instabilité », basigibaliya, à son état de perpétuelle agitation, rien par contre ne permet à priori d'identifier le « malchanceux». 49-50. kunadiya ni kunagoya: « la « la « le «le

«chance

et malchance»

(M

- F).

chance siège dans la tête malchance siège dans la tête plaisir siège dans l'âme déplaisir siège dans l'âme» (H7).

Cette leçon rendue populaire par le chant Nina

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~. Quant aux âmes de corps qui résidaient dans le cœur, s'il s'agit d'un garçon, le say mâle reste à sa place; le say femelle se rend dans la mare de la famille paternel1e où il est pris en charge par le Nammo, moniteur du monde; le h(lll1onr male va rejoindre j'anin1al interdit totémique de la famille, tandis que la femelle prend place dans le sanctuaire totémique (et inversement pour une fille). Les âmes de l'enfant sont donc déjà situées comme elles le seront après la naissance et durant sa vie. Mais 60 jours avant la naissance, le kikinu say de corps qui siège dans la mare de famille, apporte à l'enfant le }1ànlCl des graines des clavicules - car un enfant peut vivre même

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222 s'il naît prématurément... culaire de l'intéressé.

Cet octroi prépare la fixation du contenu clavi-

Pendant les derniers mois de la grossesse, on dit que: «l'enfant dans le ventre de sa mère nage»; car l'(être) humain qui est (existe) dans le sein de sa mère est comme un poisson». Lorsqu'il naîtra il sera «comme un poisson frais». Mais, quel que soit le sexe de l'enfant qui vient de naître, ce « poisson» est encore androgyne. Le prépuce chez le garçon témoigne de sa féminité, le clitoris chez la fille de sa masculinité. Ce statut se poursuivra jusqu'au moment de la circoncision et de l'excision; l'ablation de ces organes supprimera la présence des symboles corporels, faisant alors de ces «poissons», jusque là ambivalents et bi-sexués, une fille ou un garçon. Accouchement. Lorsqu'elle est près d'accoucher, la femme se pend par les mains à une poutre «pour qu'Amma la tienne»; une vieille femme lui masse le ventre depuis les seins jusqu'en bas tandis qu'une autre matrone aide à l'expulsion. Cette dernière prend alors de l'eau dans sa bouche et crache sur le nouveau-né pour qu'il reçoive, ultérieurement, les «paroles» du Nommo. Elle fait ensuite toucher le sol à l'enfant, avant de le laver, en le posant sur ses pieds, trois fois pour un garçon, quatre fois pour une fille. Ce geste, comparé à celui qui consiste, pour un adulte, à poser ses coudes sur le sol, est un remerciement au kikinu say ya, qui est venu de la mare pour la naissance de J'enfant. Au moment de l'accouchement, la jeune femme, qui perd du sang, et le nouveau-né sont impurs pùru. Les graines des clavicules de l'enfant quittent leur support et sont prises en charge par le binu du mari auquel celui-ci avait offert le sacrifice (dit papagu) qui devait l'intégrer à son clan. Dès les premières dou]eurs le mari s'est rendu au sanctuaire: le prêtre lui a remis de l'écorce de caïlcédrat, que l'on placera dans l'eau qui servira à laver le corps de l'enfant. Le contenu claviculaire est transporté par le binu dans la mare de famille: il sera rendu à l'enfant le jour où lui sera conféré son premier nom. Le nani intervient à nouveau et «touche» le nouveau-né au poignet. On mettra à ce poignet une attache faite d'une tige de yu/j. (Parkia biglobosa). Cette attache est le signe de Poctroi du Jlàma de l'ascendant: elle est dite yunugu. Mettre le yunugu constitue une purification de l'enfant, comparable à celle qui sera réalisée ultérieurement dans la demeure de l'accouchée.

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223 Tant qu'une femme n'a pas expulsé le placenta on ne dit pas qu'elle a accouché, on ne prévient pas le père. On dit: «on a eu l'enfant, on n'a pas eu son petit frère». Car le placenta (mi) est comme le jumeau de l'enfant. Lorsqu'il a été expulsé, le cordon ombilical est coupé au rasoir ou au couteau par l'une des matrones. Le placenta et le cordon ombilical adhérent sont déposés dans une poterie que l'on place dans la cour, sous le fumier constitué de tiges de mil qui restent là à pourrir. Une pierre plate la recouvre: la poterie est assimilée à une mare; la pierre plate qui la recouvre dite «pierre du Nomma» au Nommo qui y séjourne. L'accouchée procède à ses ablutions matinales sur cette pierre, et y lave également le nouveau-né, ceci durant 7 semaines. La poterie, qui reçoit théoriquement l'eau, est abandonnée en ce lieu et finit par se casser. Laisser pendant 7 semaines - 7 étant le nombre affecté à la multiplication de «la parole» - le placenta «dans l'eau de la mare», l'abandonner sous le fumier qui contient la force vitale, Jlàma des céréales, revient à le maintenir indéfiniment vivant. On dit: « la femme qui a enfanté, le placenta reste pendant 7 (semaines) à la place où ils se laveront; il est (là) comme vivant dans l'eau; il est comme vivant dans l'eau avec le Nomma ». «Le placenta -

que nous

avons

est toujours vivant, toujours pur». déjà

relatée

-

souligne

Cette affirmation

la sacralisation

du placenta

et justifie les actes rituels exposés ci-dessus. Elle ne peut se comprendre que si le problème est posé en fonction des représentations dont il est l'objet. Tout placenta est, sur la Terre, le doublet du placenta du «sein d'Amma» où furent inscrits les «signes» préfigurant toute sa création. Sa fonction au cours du développement du foetus est associée à son essence, celle qui fait de lui le porteur des signes sacrés. De très nombreux exemples de ces rapprochements pourraient être donnés. Le «signe» de l'enfant qui vient de naître est préalablement inscrit dans son placenta. A ce titre l'organe est la garantie de sa vie intra-utérine; son action directe cesse, mais le symbole demeure même après son expulsion. D'où le traitement du délivre conservé à l'abri pendant une période de temps (7 semaines) impliquant symboliquement la pérennité. En relation avec l'intégrité de tout placenta, un être, un objet qui n'est jamais susceptible d'impureté est dit kidé mint, «chose (dans) le placenta ». Le nouveau-né est vivant~ son placenta est, et reste, son jumeau vivant. Pendant

les 7 semaines

de réclusion,

l'accouchée

est impure

-

pùru

-

car elle perd du sang comparable à celui des règles. Elle ne peut sortir et doit manger seule: l'entrée de la pièce où elle vit est interdite aux

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224 hommes. Elle consomme des bouillies de graine de yù et d'Emt ya : lorsque l'enfant tête son lait il assimile le J1àma de ces graines qui seront ultérieurement symboliquement placées en tête de liste dans ses propres clavicules. Quand il cessera de têter - environ vers l'âge de 2 ans - sa première nourriture sera constituée d'une bouillie d'Emi ya. C'est après la période de réclusion de la femme que les noms seront octroyés à l'enfant.

Im,position

des noms.

l 0) Lorsque les 7 semaines de réclusion sont écoulées, la mère de l'enfant jette les cendres du foyer où elle cuisinait seule et purifie la pièce où elle a vécu (en brûlant des feuilles de yu/d, des graines de coton et des gousses de pedifie). Elle vide toutes les poteries de l'eau qu'elle contenait, les rince avec une eau dans laquelle elle a mis de l'écorce de caïlcédrat et les fait sécher au soleil. S'il s'agit d'un garçon, on a préparé un petit pagne de trois bandes de coton blanc (quatre pour une fille). La mère lave le nouveau-né, procède à des ablutions et met un pagne neuf. Elle peut alors porter elle-même l'enfant au sanctuaire du Binou de son mari en même temps qu'une gourde qu'elle a remplie de mil (une proche parente peut aussi la remplacer). Le prêtre, qui a été prévenu, a puisé de l'eau à la mare et l'a versée dans la meule dormante placée dans le cour du sanctuaire. Il prend la gourde apportée par la mère et jette une partie des graines à l'intérieur du sanctuaire dont la porte est ouverte. Il prend l'enfant sur ses genoux, récite la devise du Binou, puis dit: «Ton enfant est venu, voici son eau. Je te demande (pour lui) les graines.) Il fait goûter l'eau de la meule à l'enfant, récite la devise de la tribu dont relève son père et donne un nom au nouveau-né. Le kikinu sdy ya du nouveau-né est venu avec J'eau puisée à la mare; il est là pour recevoir le nom qui appartient au Nommo. C'est pourquoi ce nom dit binu bÔy «nom du binu », dit aussi boy dama «nom interdit» restera rigoureusement secret. Il ne sera jamais proféré par personne, sauf par le prêtre qui l'a impartL Le kikinu sdy J'a a apporté avec lui les «graines» octroyées à l'enfant qui, au moment où il goÙte l'eau de la meule dormante prélevée dans la mare, pénètrent dans ses clavicules. Lorsque l'enfant a bu cette eau et reçu son premier nom, il cesse d'être impur, pùru, et devient « vivant », :Jm:J. Il est dans le même temps intégré au clan de son père, et devient « parent par le placenta (mÈnE) » de tous les membres de ce clan.

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225 Le prétre donne quelques cauris à la femme pour acheter de J'huile de sâ (Lannea acida) dont elle oindra l'enfant. Les cauris sont symboliquement donnés par le Nomma; l'onction ll1ettra l'enfant sous sa protection. Le prêtre se rendra ensuite à la mare où l'eau a été puisée, et alignera en rang sur le bord les 8 graines des plantes alimentaires que contiennent symboliquen1ent les clavicules. Il priera pour demander au Nomma d'accorder au nouveau-né biens et santé. 2°) Le lendemain du jour où l'enfant a reçu son premier nom, une cérémonie parallèle a lieu dans la «maison de famille» ginà du lignage de son père. Le patriarche a fait puiser de l'eau à la mare de famille, et l'a versée dans la meule dorlnante placée dans la cour du ginà. Le patriarche a reçu de la mère du petit mil, du coton et des graines de sâ; il s'assied à côté de la mare, prend le nouveau-né sur ses genoux et dit: «Amma, salut du matin, ancêtres, salut du matin; votre enfant est venu. Faites (le marcher) en glissant sur la fiente de poulet. » Il verse de l'eau sur la tête de l'enfant et lui donne le non1 dit vagéu boy, «nom des ancêtres», ou hÔy toy «nom semence ». C'est le kikinu sây ana, présent dans le nouveau-né, boy toy; l'enfant est ainsi intégré au lignage paternel.

qui reçoit le

Après cette cérémonie, la mère procède à une onction d'huile de sâ. ElJe n'est plus impure et peut à nouveau faire la cuisine pour son mari lequel peut aussi pénétrer dans la pièce où elle a vécu avec le nouveau-né. 3°) Quelques jours après, la mère se rend dans sa famille. Dans le ginna paternel, le père ou la mère donne au nouveau-né le na b6y, «nom de la mère». C'est Je kikinu bûmonE ya, venu du sanctuaire totémique, qui « reçoit» ce nom, lequel consacre les liens de l'enfant avec son lignage maternel. 4 0) Plus tard, les camarades de classe d'âge de l'enfant lui donneront un nom, le tonna hÔy, «nom de camaraderie». Ce nom est associé au kikinu bÛ111011f.ana de l'enfant, qui siège avec ranin1al interdit de son clan (babinu dânut) et à sa vie dans la brousse qu'il a inaugurée en travaillant, chassant et jouant avec ses frères et ses amis aux alentours du village paternel. Les quatre noms consacrent donc l'octroi des principes spirituels fondamentaux, les kikinu de corps qui sont, nous le rappelons, la pensée, la conscience et la volonté de l'individu. Ces quatre noms, d'autre part, intègrent l'enfant à tous les niveaux de sa vie familiale et 15

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226 sociale: la parenté consanguine la plus large, celle de son clan; son lignage paternel, son lignage maternel, sa classe d'âge. « Pour l'homme, pour toutes les choses, pour chaque chose, disent les Dogon, on a choisi quatre noms ensemble» : sur le plan de la cosmogonie dogon, les quatre noms correspondent à l'un des quatre éléments de base. Les Dogon associent également ces octrois successifs au développement de l'être, comme à son intégration dans la vie sociale: ils les assimilent à la réalisation progressive des êtres et des choses lors de la genèse, réalisation qui est traduite par les «signes» d'Amma et les graphies successives connotant cette réalisation. On peut établir un tableau de ces relations: Nom binu boyau boy dama vageu boy ou boy toy na boy tonno boy

Graphie bumo (signe abstrait)

Arne kikinu say ya

Elément air

kikinu say ana

feu

yàla (tracé en pointillé)

kikinu bumonE ya kikinu burnont: ana

eau terre

t8flu (schéma) t6y (dessin réaliste)

Doublets des kikinu de corps~ en rapport comme eux avec les 4 éléments de base, octroyés à l'enfant dans la vie intra-utérine, les kikinu de sexe sont associés à la fonction reproductrice de l'homme; ils n'interviennent pas lors de l'octroi des noms. Nous avons déjà souligné que l'enfant, quel que soit son sexe, reste ambivalent jusqu'à la circoncision ou l'excision. Le prépuce et le clitoris sont symboliquement les supports respectifs de la féminité du garçon et de la masculinité de la fi]]e et les témoins de l'androgynie originelle du foetus poisson. L'opération a pour but de supprimer ces symboles corporels: moment l'enfant devient réellement garçon ou fille. Les kikinu

de sexe -

qui n'avaient

jusqu'ici

pas

de rôle

dès ce actif

-

interviendront seulement après ces rites de passage effectués à la puberté. Des autels individuels, consacrés aux kikinu say de sexe, seront édifiés par les parents au moment du mariage et en vue de la procréation de leur descendance.

L'image

du corps.

L'enfant dont nous avons suivi le développement dans le sein maternel a passé progressivement du stade de poisson androgyne au stade d'être

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227 humain sexué, muni de membres lui permettant de se mouvoir sur la Terre. L'image du poisson et les représentations qui lui sont associées vont-elles disparaître au cours de la vie, avec le temps, l'âge, la vie familiale, les fonctions sociales ou religieuses, etc.? Il n'en est rien; elle se poursuivra et nous en donnons ci-dessous quelques exemples.

10) La coiffure des jeunes filles et des femmes, leurs parures, soulignent l'assimilation du fœtus au poisson. Jusqu'à ses premières règles la fillette portait ses cheveux relevés et tressés en forme de crête au sommet de la tête, celle-ci représentant un silure: les tresses partant de la nuque formaient la tête du poisson, puis son corps, la dernière, très longue, descendait sur son front formant une queue, celle du poisson. Après ses premières règles, la coiffure était réalisée dans l'autre sens, la tête du «poisson» au sommet du front et ]a queue derrière: la tresse enroulée formait une sorte de chignon sur la nuque, dans lequel la jeune fille piquait l'arête d'un silure. En effet, la jeune fine décortiquait avec soin et mangeait la chair qui entoure l'attache hélicoïdale de la nageoire pectorale (dite, chez le silure, ta i «serrure» et qui correspond à la clavicule de l'espèce humaine) du

« poisson des règles » qu'elle avait consommé avec un plat de riz. Aujourd'hui, elle n'utilise plus l'organe ainsi dégarni, mais autrefois, elle l'employait comme ornement, piqué dans les cheveux, derrière le chignon, après l'avoir fait décaper par le forgeron, qui en formait une sorte de petit peigne étroit à trois dents inégales. Cet objet qui servait également de démêloir, était planté sur le devant de la coiffure pour la nuit. Plus tard, elle mettra autour de sa coiffure un «mouchoir de tête» noir, cette couleur symbolisant l'eau. Ainsi la jeune femme porte sur sa tête le poisson-f(~tus qu'elle souhaite engendrer, préfiguré dans les eaux matricielles. Le symbolisme du poisson se traduit aussi dans les parures. Les oreilles ornées des femmes représentent l'intérieur des branchies. Les perles rouges de nez sont les barbillons latéraux et le labret, les barbillons du dessous. Autrefois, l'ornementation était compJétée à l'aide de végétaux ayant joué un rôle au début de la création. Si la grossesse se faisait attendre, la jeune femme faisait exécuter sur son abdomen des scarifications représentant schématiquement les arêtes dorsales du silure, pour favoriser la procréation. On réalisait généralement quatre schémas placés en étoi1e autour du nombril, soit deux paires des jumeaux souhaités. 2°) Les jeunes gens et les jeunes filles, ayant atteint la maturité et qui avaient reçu l'enseignement traditionnel se faisaient autrefois Hiller les

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228 incisives, ceci pour que leurs dents ressemblent aux dents pointues du poisson, et particulièrement à celles du Nommo qui révéla dans l'eau de la mare la « parole orale», le langage, aux ancêtres primordiaux. Témoignage de l'acquisition du savoir - assimilé aux «articulations de la parole», c'est-à-dire à sa richesse et à son pouvoir - cette coutume avait aussi pour but de favoriser l'émission du langage et la formulation du discours. 3°) En même temps qu'elles consacrent la promotion de toute une génération (celle des hommes de 60 ans révolus et de tous ceux qui ont moins de 60 ans) les cérémonies soixantenaires du Sigui ont pour but principal la commémoration de la révélation de la « parole orale» aux hommes qui leur fut octroyée à l'aube de la vie sur la Terre. Dans la nuit qui précède la cérémonie, tous les participants mâles se rendent en brousse - dans une caverne ou un lieu isolé - et ne consomment plus ni boisson ni nourriture. Ce jeûne a un sens positif: ils sont comme dans le «placenta primordial» ou le sein de leur mère (où l'on n'a besoin ni de boire, ni de manger). Le matin de l'ouverture des cérémonies on leur rase la tête, acte qui les assimile à des nouveauxnés. Ils endossent ensuite le costume traditionnel du Sigui et sont vêtus de façon à ressembler à des poissons: un bonnet blanc représentant la tête du silure; un large pantalon noir resserré aux chevilles, sa queue bifide, le noir rappelant l'eau; sur la poitrine une sorte de baudrier orné de cauris qui sont les œufs du poisson. Ils seront parés de tous les bijoux de leurs sœurs: colliers, bracelets, labrets, pendants d'oreilles, etc... et parfois de leur « mouchoir de tête» enveloppant le bonnet. Par le port du vêtement et des parures, les participants mâles du Sigui sont en Inên1e temps des hommes et « comme des femmes enceintes», c'est-à-dire androgynes et féconds. Ils porteront dans la main gauche une crosse-siège, symbole du sexe du Nomma géniteur mythique de l'humanité, et une demi calebasse qui servira à boire la bière du Sigui: cette dernière est l'image du «sein d'Amma» où s'est poursuivie la gestation de l'univers, comme dans une matrice. Ainsi vêtus, ils s'asseyeront sur leur crosse-siège - sexe de leur géniteur - et boiront la bière de mil communielle dans la calebasse image du placenta d'Amma - pour commémorer l'octroi aux ancêtres primordiaux de la «parole» qui leur donna la vie et sa révélation sous sa forme «orale», qui leur accorda le langage. La cérémonie s'accompagne de danses, de chants, de prières, d'invocations, etc... en langue dogon et en langue du Sigui, qui font du Sigui une remarquable et émouvante démonstration de la puissance de la «

parQle », sous toutes ses formes.

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229 4°) Présente dans les rites de procréation, pendant la vie, pendant certaines cérémonies, l'image du poisson l'est également dans les rites de funérailles durant lesquels le défunt poursuit sa destinée. La bouche du mort est recouverte d'un baillon qui symbolise les barbillons du silure; sa tête d'une bande blanche entourant la calotte cranienne formant le haut de la tête du poisson. Le cadavre est enveloppé d'une couverture blanche qui l'enserre conlplètement, à l'exception des deux pieds qui émergent: ils figurent la queue bifide du silure. «Lorsqu'on attache un mort, disent les Dogon, c'est comme si les kikinu du mort, ensemble, se transformaient en poisson ». Toutes les danses rituelles des fenlmes et des jeunes filles, exécutées pendant les funérailles, rappellent, par les mouvements très souples des bras et des mains placés en avant, la nage du poisson. L'assimilation se poursuit, car .on dit que le défunt, qui conserve toujours ses kikinu (c'est-à-dire ses éléments de base) jusque dans l'au-delà,

est comme un « poisson du ciel».

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Colloques Internationaux NI/ 544.

-

du C.N.R.S.

LA NOTION DE PERSONNE EN AFRIQUE

NOIRE

LE SORCIER, LE PÈRE TEMPELS ET' LES JUMEAUX MAL VENUS Luc de HEUSCH

Les affinités linguistiques entre les nations bantoues portent la marque d'une évidence historique: issus d'un même berceau, la plupart des peuples de l'Afrique centrale et australe ont pris possession de l'immense espace de forêts, de savanes et de hauts-plateaux qu'ils occupent actuellement au terme d'une expansion relativement rapide. Il semblerait donc que l'histoire des religions se trouve ici sur un terrain favorable. Malheureusement les recherches sur les systèmes magico-re1igieux bantous ont été entreprises selon des méthodes et des idéologies divergentes qui rendent malaisées les tentatives de comparaison. En tout état de cause, l'extrême diversité des informations exclut la possibilité d'esquisser actuellement une anthropo-cosmogonie ou une «philosophie» bantoue. Tout porte à croire qu'un système symbolique commun ordonne les mythes de fondation de l'Etat et les rituels initiatiques en Afrique centrale (1); si les rapports de l'homme au monde en constituent de manière voilée le centre de gravité, l'on perçoit mal encore comment les aspects multiples de la personne humaine s'articulent sur cette symbolique. L'homme s'y laisse appréhender comme une totalité engagée dans l'histoire, affrontant la mort et la fécondité d'une part, une nouvelle forme de civilisation d'autre part: l'organisation étatique. Les interrogations métaphysiques semblent d'un tout autre ordre que celles qui animent le mouvement de la pensée dans les civilisations traditionnelles de l'Afrique occidentale (Mandé ou Yoruba). A certains égards elles paraissent plus proches des préoccupations des Songhay. La préservation de la vie par les voies diverses de la magie, l'emporte, en effet, sur la synthèse religieuse. Les récentes recherches ne confirment guère la thèse séduisante que le père Tempels proposait il y a une vingtaine d'années sur l'ontologie ( 1) L. DE HEUSCH.

1972.

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232 bantoue. J'ai tenté ailleurs de montrer qu'elle ne résistait pas à un examen sérieux des faits luba sur lesquels l'auteur s'appuie presqu'exclusivement, en dépit du titre falJacieux de l'ouvrage (La philosophie bantoue) (2). La conception d'un univers peuplé d'êtres-forces rigoureusement hiérarchisés est une pure vision de l'esprit que les travaux récents de Theuws en particulier ne confirment guère, quand bien même la perspective théorique adoptée par cet auteur prolonge-t-elle parfois celle de Tempels. Cette thèse repose sur une interprétation erronée des processus symboliques en œuvre dans la magie bantoue et sur un coup de force philosophique concernant le concept de « force vitale». La démonstration de Tempels gravite autour des charmes magiques Inanga que les Luba confectionnent à partir de fragments du monde animal, végétal et minéral. Or ces charmes se réduisent en fin de compte à des objets-discours auxquels un esprit est invité à prêter sa puissance transcendante. Les composantes matérielles du bwanga ne sont qu'une façon de parler, de parler avec véhémence en utilisant les signes de l'univers pour se donner l'illusion d'être fort. D'un charme magique sans esprit les Luba eux-mêmes ne disent-ils pas qu'il est « un grand charme d'huile», c'est-à-dire inefficace? t;~). Bref, les choses en tant que telles, n'ont pas d'âlne. Quand bien même les animaux possèderaient-ils l'une all l'autre composante spirituelle de J'homme, rien n'autorise à croire que les magiciens luba l'emprisonne purement et simplement dans le bwanga lorsqu'ils y incluent poils ou becs. Cette observation peut être étendue à d'autres sociétés bantoues d'Afrique centrale. Décrivant les charmes magiques nnY€Eng utilisés par les Kuba, Vansina constate que ceux-ci ne se sont jamais posés la question de savoir s'ils manipulent des forces aveugles ou des forces «appartenant à des êtres doués de libre volonté» (4). D'un examen attentif, il conclut que le choix des ingrédients obéit à des critères purement symboliques, fondés sur le principe d'analogie. Plus radicale encore est la prise de position de Doutreloux, observateur attentif des y ombe: « Rien ne permet de penser que, de manière générale, les êtres animés ou inanimés de la nature, en dehors de l'homme, possèdent une sorte de principe spirituel» f ;'1. Les objets appelés nkisi sont pour les y ombe fexact équivalent fonctionnel des charmes manga chez les Luba. Or, ce qui confère sa puissance magique au nkisi, ce n'est pas l'ensemble des «forces vitales» de ses composantes, mais le sacrifice humain qui fixe dans l'objet rune des « âmes» de la victime, le kinyumba, de manière à «l'armer» selon la formule utilisée par Doutreloux (fi). Le mot mwanda qui désigne la force autonome spécifique du charme est extrêmement inté(2) L. DE HEUSCH, (3) (4) (5) (6)

THEUWS,

1954,

] 97 L pp. 270 et sq. p. 49.

V ANSINA, 1958, p. 752. DOUTRELOUX, 1967, p. 238. [denl, p. 240.

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233 ressant à étudier car il permet de dégager le concept de force vitale du brouillard métaphysique dont Tempels l'a entouré. Mwanda désigne aussi bien la puissance de Dieu que la vitalité surprenante d'un vieillard encore capable d'engendrer « ou la force étrange qui fait sauter le bouchon d'une bouteille» (7I. Le concept relève évidemment de la même catégorie linguistique que le mana mélanésien et, à ce titre, il relève de l'interprétation nominaliste que suggère Lévi-Strauss (H}. Ceci ne signifie pas que cette philosophie implicite ne soit susceptible de se convertir au substantialisme dans d'autres sociétés bantoues, les signes devenant effectiven1ent des êtres vivants. Il suffit à notre propos que les Yombe et les Kuba refusent cette démarche intellectuelle pour que la théorie des forces vitales cesse d'apparaître comme le fondement métaphysique obligé de la magie bantoue. Doutreloux rejoint la conclusion précédente de Vansina: «Sans doute le choix des ingrédients, Longo, ou de la matière dont est faite le fétiche n'estil pas absolument indifférent. Tel bois est préféré à d'autres, ou telle plante ou telle partie de tel animal, ou tel minéral. Rien pourtant n'indique qu'en choisissant ses matériaux, le féticheur capte un N kisi [esprit] de l'animal, de la plante ou du minéral utilisé. C'est un langage symbolique soumis à des associations d'idées, ancien mais toujours capable d'invention, (nI. de modification, d'emprunts» Chez les Luba le mot qui désigne la force en tant qu'attribut

personne humaine est bulàbo

(ln I.

de la

Il signifie emportement, violence, audace,

ardeur, passion, courage, force physique, animosité (111; mais ce sens premier connaît une extension métaphorique puisque l'expression malwà a bulàbo désigne une bière capiteuse. Or Tempels construit apparemment toute sa théorie sur ce jeu de mots qui n'engage nuJ1ement la pensée luba. Mais, par un curieux lapsus, le concept de «force» qu'il utilise ~i généreusement, n'est jamais mis en rapport avec le terme luba correspondant (bulôbo), sauf une fois, dans un contexte péjoratif: d'un homme aveuglé par l'emportement, les Luba disent: «Bulàbo bwamu-

kwata» (l'excitation s'est emparée de lui)

f 1:!i.

En utilisant une vague éti-

quette mécaniste, qui renvoie à une substance fictive (l'être-force), Tempels simplifie de manière inacceptable une réalité spirituelle complexe dont

Theuws entreprend l'analyse

(1 i{ I.

La personne est pour les Luba la réunion

et la synthèse d'au moins trois « ombres» (umvwe). La première, l'ombre solaire, a évidemment servi de modèle aux deux autres, plus intimes: (7) Idem, p. 240. (8) LÉVI-STRAUSS. 1950. (9) DOUTRELOUX, 1967, p. 241. ( 10) THE UWS, 1961, p. 17. (1]) VAN AVERMAET. 1954, pp. (12) TEMPELS. 1949, p. 85. (13) THEUWS. 196 J et J 962.

357-358.

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234 l'ombre attachée au corps appelle un prolongement métaphysique; elle fournit immédiatement l'image fascinante du double, elle est la source inépuisable d'une rêverie philosophique universelle car elle est le lieu de rencontre du visible et de l'invisible~ du matériel et de l'immatériel; elle apparaît et disparaît, elle est comme l'image abstraite du corps, privé de ses couleurs et de sa troisième dimension. Elle est ouverture mobile sur l'univers des fantasmes. Aux yeux des Luba cette image évanescente du corps est susceptible d'accueillir temporairement les autres principes vitaux: une opération magique permet à la personne tout entière de s'y réfugier, de telle sorte que le corps déserté devient momentanément invulnérable. L'on ne saurait dire plus clairement que la vie est une réalité d'ordre spiritueL La seconde « ombre », umvwe wa kimano, l'ombre de la taille, est en quelque sorte une Idée platonicienne, le n10dèle intérieur auquel se conforme l'être en devenir, lui donnant son apparence physique particulière, son individualité. Mais l'on verra que cette ombre d'une Idée, étroitement associée à la forme du corps, est elle-même périssable. 1'heuws dit excellemment: « Ainsi, on dirait que la deuxième ombre est une sorte de principe déterminant la forme du corps dans ses phases successives jusqu'à sa disparition complète » (14). C'est dans ce sens qu'on attribue une ombre complète à l'homme adulte. Mais le corps peut ne pas réaliser le modèle auquel il est voué: d'un être jeune mort prématurément, les Luba affirment qu'on lui a coupé l'ombre. Les auteurs ne nous disent pas si les Luba considèrent que la diversité des corps ainsi façonnés par la deuxième ombre renvoie à des archétypes qui permettraient d'esquisser une morpho-physiologie ou une caractérologie humaine. La troisième ombre, umvwe wa bumi, «l'ombre de vie », est le noyau indestructible de la personne. Douée de mobilité, indépendante du corps, (1;)). Après sujet et objet de la sorcellerie, elle «déborde dans la parole» la mort elle erre quelque temps autour de la tombe avant de se fixer dans l'au-delà, le mystérieux Kalunga. Mais que devient l'ombre de la taille? Les Luba sont partagés sur son sort. Qualifiée aussi «d'ombre de mort» (umvwe wa lulu), elle s'anéantirait, selon certains informateurs, avec la totale décomposition du cadavre; c'est pourquoi l'on peut la voir errer pendant quelque temps autour de la tombe sous une forme fantomatique, livide. Van Avermaet se réfère apparemment à cette âme périssable lorsqu'il rapporte la croyance selon laquelle l'ombre est présente près du cadavre «jusqu'à la dislocation des os » (10). C'est pourquoi, selon le témoignage concordant de cet auteur et de Theuws, les membres d'une secte magico-religieuse se chargeaient jadis de déterrer le cadavre des (14) THEUWS, 1961, p. 14. (15) ldenl, p. 17. ( 16) VAN A VERMAET, 1954, p. 793.

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235

mauvais morts et d'en brûler les ossements (17).

Van Avermaet s'étonne

d'une apparente difficulté logique: la pensée luba admet que le défunt (mufu), l'homme privé du souffle (mÛya) réside simultanément près de son cadavre et au Kalunga. Or la contradiction s'évanouit dès que l'on considère la théorie de la pluralité des âmes, dont l'éminent linguiste ne semble pas soupçonner l'existence. Theuws, plus attentif à la complexité des représentations luba, en esquisse un tableau cohérent où subsiste néanmoins quelques ambiguïtés. Lorsqu'il indique que l'haleine de vie, le mûya « continu à vivre sous forme d'ombre» il faut probablement comprendre que le souffle est indissolublement lié au principe vital indestructible, la troisième ombre, dont il serait en quelque sorte la manifestation sensible (18). La douleur physique se définit comme une perte de souffle: si l'on souffre à l'épaule, c'est que l'haleine de vie abandonne cette partie du corps. L'on voit ainsi que la maladie est métaphysique ment l'inauguration de la mort, une perte d'âme. Le souffle particulièrement puissant de certains hommes prestigieux se transforule purement et simplement en génie de la nature (vidye) : un lac, par exemple se forme à l'endroit où le mort fut enterré {lB); son ombre «habite» une chute d'eau, une montagne, une source d'eau chaude (~O). Mais il s'agit là d'un phénomène exceptionnel. Seuls les grands ancêtres d'un lointain passé historico-mythique, les guerriers ou les devins fameux, connaissent cette métamorphose qui les rapproche d'une certaine façon de l'Etre suprême auquel le terme Vidye s'applique par excellence. Les esprits vidye communiquent avec les devins par la voie de la possession médiumnique. Les vidye comme les morts ordinaires séjournant au Kalunga

sont susceptibles de « suivre les vivants, hommes et femmes » (Vidye ulonda bana, ba/ume ne bakazi) (:~11. Nous nous séparerons de Van Avermaet et de Theuws lorsqu'ils déchiffrent dans cette formule la croyance à la réincarnation. Les Luba disent exactement qu'un esprit ou un défunt «suit» un enfant et rien d'autre. Ce rapport de contiguïté se manifeste par l'homonymie et la protection: le même mot ngudi désigne cette double relation

privilégiée qui relève clairement du parrainage

(221.

Lorsque les Luba

affirment que le défunt renait «selon Je nom), ils indiquent clairement que cette «réincarnation» est une façon de parler, éliminant toute idée de métempsychose. Sans que l'on soit autorisé à généraliser cette conception à l'ensemble du n10nde bantou, l'on pourrait relever maintes conceptions voisines. C'est ainsi que les parents Thonga se plaisent à évoquer la mémoire de leurs ancêtres en choisissant le nom de leurs enfants; lorsque (17) (18) (19) (20) (21) (22)

THEUWS, 1961, p. 14; VAN A VERMAET. 1954, p. 793. THEUWS, 1961, p. 7. Iden1. VAN A VERMAET, 1954, pp. 783-784. Idel11, p. 784~ THEUWS, 1960, pp. 119-121. VAN AVERMAET. 1954. p. 436.

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236

le parrain est un ami qui s'est « nommé lui-même dans l'enfant

»"

il offrira

des cadeaux une fois par an à son filleul, c'est-à-dire «à son nom» (231. Hadelin Roland a parfaitement saisi le mécanisme de la dation du nom dans une tribu lubaïsée, les Sanga: quand bien même le père et la mère s'adressent-ils à l'enfant en utilisant le terme de parenté dont ils usaient à l'égard du défunt, « celui-ci ne réside pas pers.onnellement dans son ngudi, il n'y est présent qu'en esprit, par la pensée, par l'intention» (241. Sur ce point au moins, l'on donnera raison à rTempels, contre Theuws (2:) I. Les Sanga vont jusqu'à prendre de singulières libertés avec l'esprit protecteur: s'ils ne sont pas satisfaits de l'influence qu'il exerce sur l'enfant, ils n'hésiteront pas à briser la relation et à faire appel à un autre défunt. Mais chez les Luba le lien semble plus impérieux: un pi'oche parent défunt apparaît en rêve et révèle à la future mère ses intentions beinveillantes à l'égard de l'enfant qui portera dès lors son nom. Le devin peut aussi être le médiateur (~() I. Le nom de l'ancêtre, «reçu entre le parrain de l'au-delà et son filleul à l'intérieur, dans le sein de la mère», est véritablement sacré, frappé d'interdit. C'est pourquoi les Luba utilisent dans la vie quotidienne un sobriquet, «un nom pour l'appeler» (:.!ïI. L'on ne peut s'elnpêcher de mettre en rapport cette double dénomination avec la dualité de la personne. En effet, l'ombre solaire et l'ombre de la taille sont étroitement associées au corps et à ce titre sont immédiatement perceptibles, alors que l'ombre de vie constitue réellement l'âme invisible. Or le nom caché dénote l'être immatériel, tandis que le sobriquet désigne le paraître. Au plan sociologique le premier relie la personne aux morts, le second aux vivants. En vérité la fonction du nom chez les Luba semble être de transformer la personne en personnage; il n'est nullement le véhicule d'un principe spirituel autonome. Le sobriquet est d'une certaine façon un masque, engageant la personne dans le présent, dérobant aux atteintes de la sorcellerie le personnage secret, inséré dans la trame des ancêtres. L'on notera cependant que le mécanisme aléatoire de la dation du nom secret, par le truchement du rêve ou de la divination, ne renforce pas nécessairement la solidarité du lignage patrilinéaire; l'interprétation fonctionnaliste n'a guère prise sur le phénomène puisque les parents de la mère comme ceux du père sont susceptibles de sortir dans cette loterie qui mériterait une analyse statistique (:.!H,.En tout état de cause, loin que les morts se réincarnent, l'on pourrait plutôt dire que les vivants se projettent sur les morts proches et (23) JUNOD, 1936, p. 43. (24) ROLAND, 1952, p. 24. (25) TEMPELS, 1949, p. 75: «L'ancêtre prédécédé ou l'esprit, n'est pas l'agent de la conception. et ce n'est pas non plus sa personne qui renaît au sens propre du fi 0 t. » (26) THEUWS, 1960, p. 120; 1961, p. Il ; VAN A VERMAET,1954. p. 784. (27) THEUWS, 1961, p. 1. (28) VAN A VERMAET. 1954, p. 785; THEU\\'S, 1954, p. 43.

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237 familiers pour se garantir des incertitudes de l'avenir. Mais la conjoncture sociale nouvelle, l'intervention des colonisateurs dans le déroulement des affaires humaines, appelait un nouveau masque, en liaison avec des rôles sociaux inédits; c'est pourquoi un troisième nom, d'inspiration technologique, est venu s'ajouter aux autres: nlashini (machine), petrol, motocar, etc. (2!H.

Le rêve, le crime et l'éternité La scène du rêve est le lieu de la survie des ombres, le royaume où les vivants décident souverainement du destin des ancêtres. Les femmes et les devins luba détiennent le singulier privilège de condamner à mort les morts. L'oubli entr'ouvre en effet les sinistres oubliettes du Kalunga. Les Luba ne conservent le souvenir que des morts bienveillants: ceux-là seuls habitent l'étage supérieur de l'au-delà, le Kalunga Nyembo où leur existence terrestre se poursuit sous une autre forme. En revanche, le vent glacial de l'oubli souffle sur les mauvais morts dont nulle femme ne rêve, que nul devin ne signale à l'attention de leurs descendants. Ceux-ci ont été précipités dans l'étage inférieur des enfers, le Kalunga ka musono

(le Kalunga du panaris) où règne un froid intense

I:W I.

Dans cet au-delà

de l'au-delà, personne et personnage, ombre de vie et nom s'anéantissent véritablement. Le culte des morts, chez les Luba, n'est en aucune façon un culte des ancêtres. En fin de compte~ l'homme tient dans ses mains le destin des ombres de vie. Le rêve et la divination sont les deux ports d'attache des morts bienveillants. En rêvant le dormeur abolit le temp& et invente l'éternité pour ceux qu'il élit. Si les grands ancêtres du début, les génies vidye sont immortels, c'est parce qu'ils poursuivent inlassablement les

femmes enceintes

(:i 1 )

.

Centrale de l'oubli et de l'éternité, le rêve est aussi le lieu du crime: c'est là que se joue le drame de la sorcellerie. Obsession majeure des sociétés bantoues, la sorcellerie f :~:! I obéit à un schème constant: Je sommeil livre sans défense une victime endormie à la terrifiante agression d'un autre dormeur. Elle est, pour l'essentÎel, vanlpirisation de l'âme. Dans la nuit luba~ l'ombre de vie du sorcier, se détachant du corps, se rue sur sa victime pour

la dévorer

(a:-II.

Cette anthropophagie ne doit pas être entendue au sens

(29) TEMPELS, 1949, p. 73. (30) THEUWS. 1954. p. 40; PEERAER. 1936. pp. 199-200. (31) THEUWS. 1954, p. 44. (32) NOllS entendons par ce ternle la nlise en œuvre. volontaire ou involontaire, des forces destructrices (sorcerv ou witcltcraft selon la tradition de l'anthropologie bri tann ique). C~3) THEUWS. 1961. p. 19.

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238 propre; il s'agit d'une opération métaphysique à vrai dire indescriptible, que le langage tente de circonscrire métaphoriquement. Le sorcier s'empare de l'ombre vitale de sa victime, qui se trouve ainsi dépossédée de sa substance spirituelle. La sorcellerie se manifeste encore chez les Luba selon une seconde modalité, responsable de la folie. En utilisant des fragments du corps (cheveux, rognures d'ongles, etc.), le sorcier «lie»

l'ombre vitale de sa victime en brousse

(:14).

A la suite de cet envoûte-

ment (kuyola), le corps vidé de sa substance dépérit lentement et la raison se brouille. De même que l'agression précédente, celle-ci se laisse décrire comme dépossession. Mais le champ de la folie se dédouble à son tour: si la capture de l'âme provoque l'hébétude, la possession de l'âme par une âme animale, la projection magique de l'ombre vitale d'un animal dans le corps d'un ennemi, rend la victime agressive et méchante, trouble son comportement et la conduit bientôt à la déchéance totale (R:i). Hébétude: dépossession de l'ombre vitale, Folie agressive: possession par l'ombre vitale d'un animal. Mais par une démarche inverse de la précédente, le magicien peut « cacher» l'ombre vitale de son client dans le corps d'un fauve pour la mettre à l'abri temporairement (Hn I. Cependant la faculté de s'introduire dans le corps d'un animal est par excellence le propre des sorciers. Quittant leur enveloppe corporelle pour leurs sinistres expéditions nocturnes, les sorcières luba prennent l'apparence d'un oiseau, d'un insecte; dans cet état de dédoublement actif, la personne ne perd nullement son unité car toute blessure qui surviendrait au support animal transitoire de l'ombre errante se communiquerait au corps abandonné (Wi). Cette familiarité quasi chamanistique des sorciers et des animaux est aux yeux des Bantous un intolérable scandale car l'homme se distingue radicalement de l'animal. C'est sans doute chez les Lele du Kasaï que cette dichotomie ontologique a été étudiée avec le plus de soin: MUll' Douglas a excellemment montré que la spécificité de l'espèce humaine est, aux yeux des Lele, la pudeur, la sensibilité à la honte (buhonyi) dont les animaux sont dépourvus car ils ne se cachent pas pour uriner, ils ne sont pas dégoÎ1tés par l'ordure, ils s'accouplent incestueusement, etc. (;181.Le buhonyi s'acquiert par l'éducation, il est ie fondement du code éthique. Bien que cette importante question ne semble pas avoir été exantinée chez les Luba, l'on vient de voir que la présence d'une ânle animale dans le corps de l'homme provoque la folje. Aussi bien, la métamorphose volontaire de l'homme en bête~ qui est l'une des caractéristiques les plus remarquables de la sorcellerie, roérite-t-elIe d'être considérée ( 3 4)

Id

(!

171.

(35) T'HEUWS. 1961, p. 28. (3 6) Ide 111, P . 21. (37) Ide111, p. 19. (38) DOUGLAS. 1955.

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239 comme une véritable transgression, une violation de la frontière établie entre le monde humain et le monde animal; ce scandale intellectuel est analogue, nous le verrons, à la naissance des jumeaux.

Les jumeaux

mal venus

Si maintes cultures d'Afrique occidentale présentent la gémellité comme l'idéal de la perfection ontologique rappelant au moins partiellement les temps mythiques heureux, celui des naissances doubles d'êtres eux-mêmes bisexués, la pensée luba, et peut-être d'une manière générale la pensée bantoue, développe une idéologie à maints égards opposée. Examinons à cet égard le mythe luba. Le héros Kalala Ilunga, fondateur de la royauté sacrée, marque les débuts véritables de l'histoire, l'instauration d'une civilisation plus raffinée qui tranche sur l'ordre culturel antérieur. Kalala est l'unique enfant de sa mère, mais la sœur et co-épouse de celle-ci met au monde des jumeaux, un fils, Kisula, et une fille, Shimbi. Kalala le héros solitaire et son demi-frère Kisula, qui est doté d'une jumelle, s'opposent à un autre titre: Je premier est agile et intelligent, le second est un géant à l'esprit lent. Ils s'affrontent en un combat singulier dont la royauté est l'enjeu. Kisula est sur le point de triompher quand, poussant un cri, Shimbi, qui aime secrètement Kalala, se jette sur son frère jumeau, l'obligeant à lâcher prise. Profitant de cette diversion, Kalala n'a aucune peine

à tuer son adversaire (~n). Cet épilogue d'un mythe complexe que nous analysons ailleurs (-W), consacre la fin des temps primordiaux, la fin du règne insipide des jumeaux voués à l'inceste. Le véritable héritier du héros Mbidi Kiluwe, qui a apporté aux Luba le principe même de la royauté sacrée (bulopwe) en contractant chez eux un mariage hyperexogamique, ne pouvait être qu'un fils solitaire, privé de jumelle. La relation incestueuse qui unissait jadis sans heurt les jumeaux s'altère profondément: elle devient la passion tragique d'une sœur qui préfère son demi-frère, fils unique, à son propre frère jumeau. Ce déplacement sans issue annonce la fin de l'endogamie qui n'avait cessé de caractériser la société humaine depuis les origines. Il se pourrait que le nom de Kisula dérive du verbe -sula qui signifie notamment «être à J'origine du malheur~) (sula bya malwa), c'est-à-dire avoir des rapports incestueux (41). Or les Luba appellent précisément «enfants du malheur» (bana ba malwa) les jumeaux qu'ils considèrent avec aversion (4:!). Toute naissance (39) (40) (41) (42)

BURTON, 1961. pp. 11-12. L. DE HEUSCH, 1972. VAN A VERMAET, 1954, p. 644. THEUWS, 1962, p. 27.

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240 gémellaire plonge le village dans une situation dangereuse. C'est pourquoi le père doit s'acquitter d'une amende et subir des injures obscènes. Les jumeaux sont les enfants de la lune, considérée comme la source d'une

fécondité excessive (-1;:,. Cette idéologie est singulièrement proche de celle des Ndembu que Turner a très finement analysée dans une étude consacrée aux paradoxes de la gémellité (-1-t '. Si la naissance gémellaire est « un mystère, une absurdité» aux yeux des Ndembu, c'est notamment parce qu'elle appartient en propre au monde animal. Cette explication semble obéir à une certaine constance en Afrique centrale car on la retrouve chez les Lele

du Kasaï

(-LiI.

Les Lele tirent le meilleur parti de cette anomalie en assi-

gnant un rôle rituel aux parents de jumeaux qui sont les médiateurs privilégiés entre les hommes et les animaux, entre le viJlage et la forêt, lieu de la chasse. Néanmoins, comme chez les Ndembu, les parents de jumeaux doivent se conformer à des rites purificateurs extrêmement stricts dont

l'inobservance mettrait le village tout entier en posiiton critique

(.}t)).

Plus

radicaux, les Thonga du Mozambique considèrent toute naissance gémellaire comme une souillure, source de grands malheurs. L'impureté de la mère

est pire que celle d'une veuve (.}'j,.

Elle doit se soumettre à un rituel

complexe et ne pourra pas reprendre sa vie sexuelle avec son mari avant d'avoir eu un enfant d'un amant. L'anomalie n'est pas imputée ici à l'irruption de l'ordre animal dans la fécondité humaine; les Thonga y lisent l'inquiétante abolition de la distance qui sépare le ciel de la terre; les jumeaux sont appelés « fils du ciel >.)ou encore leur mère est censée avoir mis le ciel au monde ou y être lTIontée. On déchiffrera dans ces figures symboliques une transformation de la croyance luba qui fait des jumeaux les fils de la lune. rréatures célestes, nées par erreur sur la terre, pourrait-on dire, les jumeaux ont une relation privilégiée avec la pluie: les femmes s'efforcent de la faire tomber en versant de l'eau sur une mère de jumeaux dans un bois sacré. On notera dans le même ordre d'idées que la lune est directement associée à la pluie chez les Luba où la mère des jumeaux est appelée Mère-Lune, au même titre qu'elle est identifiée au Ciel chez les

Thonga

('}H'.

Si l'on y réfléchit, le système de pensée des Thonga et des

Luba est le même que celui des Lele. Les parents de jumeaux sont les médiateurs entre deux pôles antinomiques et complémentaires: le ciel et la terre dans le premier cas, village et forêt dans le second. Mais en passant de l'axe cosmogonique horizontal à l'axe vertical, l'horreur et la crainte que suscitent les jumeaux grandit: jadis les Thonga étranglaient celui des deux (43) (44) (45) (46) (47) (48)

Iden1, p. 302. TURNER, 1969. DOUGLAS, 195ï, p. 50; voir L. DE HEUSCH, 1971, p. 70 . DOUGLAS, 1963, p. 212. JUNOD, 1936, II, pp. 387-392. THEUWS, 1962, p. 302~ JUNOD, 1936, II, p. 387.

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241 qui paraissait le plus faible. Si cette règle a été abolie, on prête toujours mauvais caractère aux jumeaux; chez les Luba, ils ne sont pas complète-

ment responsables de leurs actes

(4H).

La personne ne se réfère donc en aucune façon à l'idéal gémellaire dans le monde bantou. Bien au contraire, et quel que soit le jeu dialectique auquel ils se prêtent, les jumeaux menacent d'abord l'ordre culturel ou cosmogonique, soit qu'on interprète le mystère de leur origine comme une projection monstrueuse de l'animalité dans la fécondité féminine, soit qu'on y déchiffre un rapprochement du ciel et de la terre. Si les Bantous admettent sans difficulté la multipJicité spirituelle de l'être, la duplication du corps est à leurs yeux une véritable monstruosité. Mais l'ombre intérieure, noyau d(; la personne luba, est elle-même source d'angoisse puisqu'elle est tantôt l'objet tantôt le sujet de la sorcellerie. Le rêve, lieu de dissociation de l'âme et du corps est la scène de tous les crimes: non seulement les sorciers affamés de chair humaine s'y ruent sur les ombres de vie, mais encore, c'est là que se décide véritablement la survie ou l'anéantissement des morts. Dévoreuse d'âmes, la mémoire est aussi à sa façon, sorcière. Mais lorsque sa tiède lumière, semblable à celle d'une lanterne magique, 'anime de manière illusoire le peuple des ombres sur l'écran du sommeil, les maléficiers s'écartent des petits enfants luba que bercent les invisibles parrains de l'au-delà. Ouvrages

cités

BURTONW.F.P., 1961. - Luba Religion and Magic in Custom and Belief, Musée Royal de l'Afrique centrale, Tervuren, 1961. DOUGLASMary, 1955. "Social and religious Symbo1ism of the Lele of the Kasaï". Zaz're, IX, 4, 385-402. DOUGLASMary, 1957. - " Animals in Lele religious Symbolism", Africa, XXVII, I, 46-58. DOUGLASMary, 1963. - The Lele of the Kasai', Oxford University Press. DOUTRELOUXAlbert, 1967. - L'ombre des fétiches, Société et culture y ombe, Louvain - Paris, HEUSCH L. de, 1971. - Pourquoi l'épouser? et autres essais, Paris. HEUSCH L. de, 1972. - Le roi ivre ou l'origine de l'Etat. Paris. JUNODHenri A., 1936. -- M(1~urs et coutumes des Bantous. La vie d'une tribu sud-africaine, Paris. LÉVI-STRAUSSClaude, 1950. - Introduction à l'œuvre de Marcel Mauss, in MAUSSM. : Sociologie et Anthropologie, Paris. (49) JUNOD,1936, II ,p. 390; THEUWS,1962, p. 29. 16

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242 PEERAER Servaas, 1936. - " Dood en Onderwereld bij de Baluba Shankadi ". Kongo Overzee, II, 4, 193-225. «La croyance fondamentale des Basanga». ROLAND Hadelin, 1952. Lovania, 22, 7-17; 23, 12-34. TEMPELS R.P. Placide, 1949. - La philosophie bantoue, trade du néerlandais par A. Rubbens, Paris. THEUWS Th., 1954. - Textes luba, Bulletin du C.E.P.S.I. THEuws Th., 1960. - «Naître et mourir dans le rituel luba». Zaïre, XIV, 2 et 3, 115-173. THEUWS Th., 1961. - «Le réel dans la conception luba ». Zaz're, XV, I, 3-43. THEUWS Th., 1962. - De Luba-Mens, Musée Royal de l'Afrique centrale, Tervuren. TURNERV.W., 1969. - The Ritual Process. Structure and Anti-Structure, Chicago. VAN AVERMAETE. et MBUYA B., 1954. - Dictionnaire Kiluba-français, Musée Royal du Congo Belge, Tervuren. «Les croyances religieuses des Kuba ». Zaz're, VANSINAJan, 1958. XII, 7, 725-758.

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NI' 544. -

UNIVERS

C ol/oques 1nternatÎonuux du C.N.R .S. LA NOTION DE PERSONNEEN AFRIQUE NOIRE

FÉMININ ET DESTIN INDIVIDUEL CHEZ LES SAMO Françoise HERITIER-IZARD

Des différentes composantes de la personne chez les Sarno (population du nord-ouest de la Haute- VoIta), je ne retiens comme objet de cet exposé que celle traduite inlparfaitement par le terme « destin individuel », en sarno lt;pt;rt;. Mon propos est de montrer, à partir de l'analyse de cette notion et de rituels associés, qu'elle manifeste le point sensible du contact entre deux mondes radicalement distincts, le monde socialisé sur bases agnatiques de la masculinité, le monde anomique en apparence, par référence au précédent, de la féminité. Néanmoins, je serai amenée à faire appel à d'autres éléments, composantes ou attributs de la personne, aussi convient-il tout d'abord de les présenter. Dans tout être humain (mit yi, au sens de horrlo), les Sarno reconnaissent la présence de neuf composantes, nécessaires à des degrés divers, certaines pouvant n'être que des signes de l'existence des autres, mais dont l'association fait l'unité de la personne. A ces neuf composantes s'adjoignent ce que j'appelle des attributs, qui soit précisent son identité sociale, soit étabHssent un lien entre !'honlme lui-même et le monde extrahumain. Tout être humain est fait de '.a conjonction d'un corps (mt;), de sang (rni:ya), de l'ombre portée (nyisi/t;), de chaleur et de sueur (tàtare) (1), du souffle (sisi), de la vie (nyzni), de la pensée (yi:ri), du double (mErE) et enfin du destin individuel (lfPt;rt;) (:!). A ces neuf composantes s'ajoutent des attributs: le nom (t), la puissance extra-humaine dont dérive tout enfant, identifiée par des devins et désignée sous le nom d'holTIonyme (torna) (c'est également le terme par ( I) Les accents sont réservés à la notation des tons. (2) Ces traductions françaises, pOUf approximatives qu'elles soient, sont avancées ici dans la mesure où enes offrent l'avantage d'être pour l'auditeur ou le lecteur plus évocatrices que les termes vernaculaires employés seuls.

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244 lequel se désignent et s'interpellent deux personnes portant le même nom), la partie d'un ancêtre qui peut s'incarner dans un nouveau-né (b:JrE;)et dans un seul (mais toute personne n'est pas nécessairement le b:Jr[b:>d'un ancêtre: certains enfants n'ont pas de b:JrE;et certains ancêtres choisissent délibérélnent de ne pas « revenir»), enfin la présence de génies de brousse ou domestiques (patara) venant par couples et choisissant un individu comme support particulier. ME, le corps, et particulièren1ent la chair, est donné à l'enfant par la mère, le sang (mi:ya) lui est fourni par le père. Sisi, le souffle, pénètre dans l'enfant en suivant Je rythme de la respiration maternelle, au troisième stade reconnu de la grossesse5 c'est-à-dire au moment où l'embryon prend la forme humaine (abandonnant les formes premières de margouillat ou 'de crapaud) définitivement et où les cheveux commencent à pousser. Il est véhiculé dans l'être humain par le sang du cœur, qui ne se mélange pas au sang du corps, lequel véhicule nYlni, la vie. NYlni est donné par Dieu (lé l:Jr:J, la bunkunu; l:Jr:J ou lara signifie à la fois toute puissance surnaturelle et l'autel qui la représente; lé l:Jr:J signifie le dieu du ciel; la bunkunu dieu «recouvreur», dieu «par-dessus») à la naissance, au moment du premier éternuement. NYlni baigne le monde, et tout être vivant, de quelque ordre que ce soit, en détient une parcelle. Il est absolument individuel, non transmis par les parents. Rien de particulier ne manifeste sa présence, mais sans cette présence on ne peut vivre. Il ne quitte jamais le corps, sauf deux ou trois jours avant ]a mort pour pleurer dans la nuit sa fin prochaine. Il meurt avec le corps, noircit dans le sang, pourrit avec la chair dans la tom be et persiste de façon atténuée dans les ossements. Si on les brûle, nYlni disparaît alors totalement. Tàtare, la chaleur du corps et la sueur, sont les signes évidents de sa présence dans le corps et sont acquis de façon naturelle à la naissance. Yi:ri, la pensée.. n'est pas nécessaire à l'accomplissement de la vie; cet élément a lui-même deux aspects: yéyéra, l'entendement, la faculté de concevoir et de comprendre, et ta:se, la conscience de soi et la faculté imaginative se traduisant essentiellement dans les actes de se remérorer et de prévoir. Nyisilc est l'ombre portée du corps. Elle existe de façon nécessaire, bien que n'ayant pas de rôle particulier, mais l'existence d'une ombre double et parfois triple, sous certaines conditions (deux ombres pâles, légèrement décalées, encadrant une ombre centrale, sombre) est la preuve évidente d'une caractéristique du mErE (double), dont nous parlerons ciaprès. M ErE est ce qui est immortel dans rholnme. Il lui est remis par Dieu dans le sein de la mère, en même temps que sisi, c'est-à-dire au moment de la pousse des cheveux. Comme nYlni, ce n'est pas une composante propre à J'homme et à lui seul. Les plantes, particulièrement les grands arbres et les céréales, les animaux, certains éléments inertes, comme l'argile et le fer,

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245 ont aussi un mErE. La Terre également. Le mErE quitte le corps de l'homme endormi chaque nuit pour des pérégrinations qui lui font connaître des aventures dont il communique la substance à l'homme par l'intermédiaire du rêve; il se réinsère naturellement dans le corps, à condition que l'on n'ait pas modifié la position du dormeur ou qu'il n'ait pas été réveillé en sursaut. Pendant ces sorties, il contracte les maladies qu'il transmet ensuite au corps et il est aussi l'objet des attaques des sorciers, sortis également sous leur forme de mErE. L'attaque de sorcellerie est l'emprise d'un ,nErt fort sur un mErE faible. Il quitte définitivement l'homme, trois ou quatre ans avant la mort réelle, selon le sexe, dans tous les cas qui ne relèvent pas de la mort brutale (accidents, guerre, foudroiement, etc.). Il peut alors être vu de jour, pendant qu'il chemine pour rejoindre la route du village des morts, par ceux que l'on appelle ,~clairvoyants» (ye diEndie uleno). Il a la même apparence que l'homme vivant, apparence vêtue d'apparences de vêtements, mais sa chair est consistante si on le touche et son sang coule si on le frappe (les meurtrissures qu'il pourrait subir sont transposées ipso facto au corps). Mais il n'a pas la parole et ses poings sont fermés. Ce sont ces signes distinctifs qui permettent aux clairvoyants de connaître sa nature de mErE. S'ils s'approchent et lui ouvrent la main, ils y trouveront soit des excréments, ce qui veut dire que le voyage en début d'accomplissement est sans retour possible, soit des objets qui indiquent la nature du sacrifice que l'homme, averti par le clairvoyant, doit faire pour que son mErE le réintègre. Tout homme ayant obtenu de la sorte un sursis porte un bracelet spécial, le dwà:zane, litt. le « bracelet qui attache», dit « bracelet de retour d'âme». Les clairvoyants sont fréquemment des enfants. Certains animaux, les chevaux, les bœufs et surtout les chats, ont aussi ce pouvoir de sentir

et reconnaître la présence de mErE sur leur route, ou, pour le chat, de reconnaître l'absence du mErE des gens de la maison. Après la mort où disparaissent définitivement les huit autres composantes qui l'ont accompagné pendant la vie, le mErE entame la première vie des morts au premier village des morts. Il actualise alors huit nouvelles composantes qu'il possédait virtuellement pendant la vie de vivant et recrée de la sorte une personne. Dans cette «vie de mort», l'homme renouvelle les liens qu'il avait dans sa vie précédente avec son entourage familial, si celui-ci l'a précédé dans la tombe, ou se crée de nouveaux liens matrimoniaux ou de résidence. De la sorte naissent au village des morts des êtres nouveaux qui n'ont pas connu la vie de vivant. L'homme meurt ensuite d'une deuxième mort qui est la première mort de mort (diE f:J diE), où disparaît la deuxième série de huit composantes qui accompagnaient son mErE, et ce dernier passe au deuxième village des morts, où il actualise à nouveau huit composantes également en puissance dans ses deux vies précédentes. Il mourra, après avoir mené une vie analogue à la vie de vivant, de la deuxième mort de mort, où périront ses huit dernières composantes.

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246 Après cette succession d'ascèses, le mErE éternel de l'homme passe soit dans un arbre et changera de support tout en restant dans la même variété à chaque fois que son support meurt, soit, et moins fréquemment, se transforme en génie d'une espèce particulière, les dyirin' patara, ou génies des morts, qui sont purement domestiques. Dans l'arbre, le mErE de l'homme cohabite avec le mEre de l'arbre, également immortel. Il ne s'agit pas de n'importe quels arbres, mais de grands arbres où la sève (da yému, litt. l'eau de l'œil de l'arbre) ne coule pas de façon apparente lorsqu'ils sont blessés: tamarinier, raisinnier, caïlcédrat, baobab, néré, poupartia birrea, gardenia esculantus, et non porteurs d'épines (les mErE des hommes ne vont pas de la sorte dans les balanzans, au tronc épineux). Bien qu'il n'y ait pas de correspondance temporelle exacte avec le monde des vivants, les deux vies de mort correspondent au temps où les hommes sacrifient nommément sur les auteuls ya l:Jr:J (autel du père) et yilo l:Jr:J(autel du père du père). Lorsque d'une série de frères qui sacrifiaient à l'autel de leur père et du père de leur père, le dernier meurt à son tour, les autels se trouvent si l'on peut dire, décalés d'un cran. La génération suivante sacrifiera au yi/o l:Jr:Jpour l'ancêtre q~i résidait au ya l:Jr:J de la génération précédente. L'arrière-grand-père, pour qui on cesse alors de sacrifier nommément, rejoint tous les ancêtres lignagers au grand autel des morts (dirimba l:Jdolo), l'un des trois principaux autels de la maison des morts. On admet de la sorte qu'il a épuisé, peut-être dans une temporalité différente, ses deux vies de mort et qu'il a entamé sa vie éternelle d'arbre. C'est seulement pendant le temps où il réside au premier village des morts qu'un ancêtre peut revenir, s'il le désire, dans un support neuf, sous l'aspect du b:JrE. Ce retour se fait, en général, dans un délai de six ans maximum après la mort. Ce qui revient dans l'enfant est le yi:ri du défunt, sa pensée, dont on reconnaît la marque dans les actions de l'enfant. Il ne lui dicte pas ses actes, mais leur donne une forme et une orientation particulières, aisément discernables par ceux qui ont connu le défunt de son vivant. Le yi:ri n'a pas d'autres connaissances que celles que l'homme a eues de son vivant. Un homme revient dans les fils ou les petits-fils de ses fils ou de ses frères, une femme revient dans les filles de ses fils ou les filles de ses filles. Au moment où il vient au monde~. à l'instant où la vie le pénètre, l'homme déclare ce que sera sa mort. LEpErE signifie textuellement « la bouche parle». C'est le sceau irrémédiable de sa vie et de sa mort que le nouveau-né détermine en naissant. Dieu fait prononcer son destin à l'enfant. Dans le ventre de la mère, on considère que le fœtus est en communication directe avec Dieu, seul stade où cela soit possible. Une fois qu'il l'a pris en charge, quand sa bouche a parlé, l'homme devient responsable de son destin, qui est un destin de mort, car tous les hommes doivent mourir et ce sont eux-mêmes qui l'ont voulu. Lorsque les hommes vivaient au ciel,

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247 ils ne mouraient pas. Comme ils se multipliaient par trop, sur l'initiative divine un certain nombre d'entre eux est descendu sur terre avec l'aide du forgeron. Des mythes détaillés racontent cette descente sur la terre et l'organisation sociale qui en est résultée. Sur terre, les hommes ne mouraient pas non plus. Se rendant compte que l'immortalité, de pair avec la vieillesse et l'impuissance totale qui l'accompagne, était insupportable, ils ont désiré et cherché la mort. Dans certains zumbri de fossoyeurs (noms d'éloge lignagers), on raconte comment les fossoyeurs ont reçu mission d'aller acheter la mort contre un chat noir et ont ensuite inventé les techniques qui l'accompagnent. Si donc Dieu a bien voulu la mort, c'est à la demande des hommes. Chaque être hun1ain la reprend à chaque fois en charge, inscrite dans son destin individuel. A chacune des actualisations de composantes que suscite le mErE aux différents seuils mortuaires qu'il franchit (mort de vivant, première mort de mort), un nouveau lEpErE est décrété, qui ne doit rien au précédent. Un enfant mort en bas-âge dans sa vie de vivant peut avoir de la sorte de longues et fructueuses vies dans ses vies successives de mort. Au tut:Jmbo, interrogatoire du cadavre pour connaître la cause de la mort, la première question qu'on pose au corps concerne son IEpErE: «Regarde tous ces gens rassemblés pour toi, ils t'ont mis sur ce brancard, si tu as quelque chose à dire, viens d'abord prendre l'eau et boire. « Tu es venu et tu as bu l'eau. Cette chose (i.e. la mort) qui t'a trouvé, si c'est ton L5r3 (autel personnel représentant le IEPErE), approche; si c'est ton lEpErE qui t'a tué, avance. »

Si la réponse est négative, si ce n'est pas la volonté pure du est en cause, mais un accident particulier, lEpErE, on poursuivra l'interrogatoire: « Si c'est une « Si c'est une « Si c'est une d'un interdit, prise ches, etc.) «Si quelqu'un

également

LEpErE

déterminé

par

qui le

affaire avec ton père, approche affaire avec ta mère, approche affaire qui te concerne toi seul, approche (transgression d'un autel justicier sans avoir demandé l'avis des prot'a tué, approche

« Si tu connais l'homme_ va sur lui.

»

Dans tous les cas, même si la mort est le fait d'un crime de sorcellerie, reconnu au tut3mbo, l'auteur n'en est jamais que l'instrument de la volonté exprimée par le LEPErEde la victime. Ceci explique qu'aucune sanction n'est prise à l'encontre du sorcier reconnu lors de cette cérémonie. Il n'est pas chassé du village et il n'y aura pas d'exercice de la vengeance. Le sorcier apparaît ainsi comme J'instrument nécessaire du destin.

Comme le mErE, le LEpErE appartient à l'individu en propre. Cependant une lourde contrainte pèse sur la décision oraculaire du nouveau-né.

Le LEpErEde l'enfant est fonction du

lEpfrE

de la mère; il ne peut jamais

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248 être contradictoire avec lui. Si le LEpErEde la mère a décidé que l'enfant qu'elle porte doit mourir en bas-âge, celui de l'enfant n'a pas le libre choix: il décrétera sa propre mort. La femme kuna, stérile, est stérile du fait de son LEpErE.Le LEpErEd'une femme décrète à la fois le nombre d'enfants qu'elle mettra au monde et leur destin de mort, alors que le LEpErEmasculin ne décrète rien de tel (certains informateurs disent que le LEpErE de l'homme peut être porteur du nombre des enfants qu'il concevra dans ses ma~iages successifs, mais cela ne va pas plus loin). Aussi bien, autrefois, avant de prendre une épouse légitime, consultait-on soigneusement les devins

pour essayer de savoir si le

LEpErE

de la femme était bon, si elle devait

mettre au monde de nombreux

enfants susceptibles de vivre et si ellemême avait de par 30n LEpErE la grâce de vivre longtemps. Jusqu'à la puberté, avant l'âge d'homme et la possibilité de procréer à son tour, le LEPErEde l'enfant est totalement soumis à celui de la mère. L'enfant est en état permanent de danger de mort, ce qui est dit explicitement par l'adjonction de l'épithète furu, chaud, dangereux ou en danger, à l'état d'enfance et de pré-puberté. S'il arrive normalement à la puberté, on sait de la sorte que le LEpErEde la mère a voulu qu'il vive. A ce moment, le LEpErEde l'enfant cesse d'être soumis à celui de la mère. Garçons et filles pubères prennent alors leur propre destin en charge après le sacrifice de puberté, [EpErE kâ (ka, sacrifice), ou lÉpErE bJ «< faire sortir le [EperE). Ce sacrifice porte aussi, et plus spécialement pour les filles, le nom de mé:>ra (litt. «caresse du corps») ou W.JS.Jmé.Jra (méJra du soleil ou du mariage; W.Js.? a les deux sens). Le sacrifice de puberté est accompli par le père. Cependant, la jeune fille doit avoir deux sacrifices de puberté, le premier accompli par le père, le deuxième accompli deux ou trois ans après par le mari légitime avant de prendre possession de sa femme et de l'enfant (le tu kos:Jd:J, la «part de la Terre») qu'elle aura eu dans l'intervalle d'un géniteur autre que lui-même (sandana, amant institutionnel). Ce sacrifice, au rituel complexe, présente de nombreuses variantes en pays sarno. Selon les villages, le mot mé .Jra désigne expressément la caresse faite par le sacrificateur sur le corps de l'enfant au moyen de trois ou quatre épis de mil rouge, ou la caresse manuelle faite par le sacrificateur sur le corps d'un animal sauvage déterlniné par le devin (biche, pigeon, lapin, mais plus généralement python royal, qui porte le nom de l:Jda mimini, la «jeune femme sucrée, douce»), animal qui n?est pas sacrifié mais relâché ensuite en brousse. Les animaux de sacrifice (poulets et chiens rouges) sont consommés par les assistants sur place, la mère veillant soigneusement à ce qu'aucun déchet ne soit détourné aux fins de sorcellerie. Le sacrifice accompli, le jeune homme ou la jeune fille part sans se retourner chez ses maternels, où il passera quelques jours. Les relations sexuelles sont totalement interdites avant l'accomplissement du LEpErE kii.

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249 On notera que la responsabilité personnelle de la femme en tant que personne humaine n'est pas engagée lorsque s'accomplit pour elle un lEpErE contraire à la procréation. Nul ne lui en fera jamais grief. La femme subit ce destin oraculaire comme totalement distinct de sa volonté qui est d'avoir des enfants, et accomplira toutes les démarches (consultation de devins, port de bandes rituelles, action de se vouer aux grands autels villageois, etc.) susceptibles d'influer sur son destin, s'il n'est pas celui, définitif, de stérilité. Cette correction faite, les femmes apparaissent comme maîtresses abso-

lues de la vie. Le LEPErE féminin non seulement peut interdire toute naissance (cas des femmes stériles) mais décide souverainement du cours de la vie des enfants mis au monde. Corollairement, les ancêtres agnatiques sont totalement impuissants à la fois à faire naître (ce n'est pas leur volonté

qui fait l'enchaînement des générations), et à briser le sceau du LEpErE maternel inscrit sur leur descendance. Parallèlement, on considère, notamment dans les cas de malchance familiale (séries d'enfants morts en basâge) ou villageoise (épidémies meurtrières d'enfants) que c'est de, la brousse, le monde sauvage, qui manifeste de la sorte son hostilité au village, au monde des hommes. La femme, par l'expression de son destin que nul ne peut transformer, en accord avec la volonté de la brousse, relève ainsi du monde des forces brutes et indomestiquées sur lesquelles l'homme n'a que peu de prise. Cependant, jamais la brousse n'a voulu la disparition totale d'un village. et tous les LEpErE féminins ne sont pas radicalement hostiles à la transmission de la vie. Il existe quelques possibilités d'action. Tout d'abord, s'il ne peut rien pour changer son dictat de mort (la nature de la mort), l'homme a la possibilité d'en retarder la date, mais seulement à partir du moment où il a pris son destin en charge après le sacrifice de la puberté. Nous avons vu que le double (rfl£rE) se laissait voir à des clairvoyants et que des sacrifices appropriés pouvaient l'amener à réintégrer son corps. De la même façon, tout individu mâle pubère construit un autel (l:Jr:J) qui représente son lEpErE et auquel il sacrifie à chaque fois que le LEPErEréclame un sacrifice, ce que l'on sait par le devin. Ces sacrifices ont pour but de retarder l'échéance de la mort. Un homme peut être tué par son [fpfrE parce qu'il n'a pu fournir l'animal sacrificiel demandé. Il y a là un enchaînement circulaire tel qu'il fut écrit à la fois, après que ]a mort ait fait son œuvre) que le [EpErf ferait cette demande que l'homme chercherait en vain à satisfaire. Mais il aurait pu être écrit que l'homme parviendrait à ]a satisfaire. Les femmes quant à elles, n'ont pas de l:Jr:J personnel. Au moment du mariage, le mari construit de chaque côté de la porte de la case conjugale, à l'intérieur, deux [:Jr:J, un pour sa femme, un pour lui-même, qui représentent l'accomplissement de leur bonheur conjugal. Un homme a donc, en plus de son l:Jr:J per-

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250 sonnel, autant de l:Jr:Jconjugaux qu'iJ a d'épouses. Les sacrifices conjoints qui y sont faits ont pour fonction de se rendre propice le destin féminin inconnu de l'épouse, selon le même mode d'enchaînement circulaire décrit ci-dessus. (On notera également là l'existence d'une certaine conception d'un temps immanent, non soumis aux règles du découpage chronologique). Plus particulièrement, deux institutions permettent d'influer sur la création de la vie: ce sont respectivement toma et nyiséd:Jr:J. Ce qui fait l'homme n'est pas le seul rapport sexuel; il y faut nécessairement la rencontre des deux «eaux de sexe», mais tous les rapports sexuels ne sont pas féconds. Il y faut surtout l'absence de la barrière qui peut être placée par le l£p£rr féminin et l'absence de celle qui peut être placée par les forces m~lveil1antes de la brousse. Eu égard à ce deuxième point, toute naissance est fonction de l'intervention d'une puissance extérieure, le toma, soit qu'elle ait été sollicitée par la femme, soit qu'elle soit intervenue de son propre ch,~f; l'identité du torna est alors connue par la divination. Les toma sont des lieux ou objets sacrés: l'autel de la Terre, le même sous sa forme de feu (Tiétra), les autels de la pluie, les grands arbres sacrés, la forge, la mine de fer (en tant qu'objets sacrés, objets de cuIte), etc., ainsi qu'une grande variété d'autels mineurs, dont la fonction est de contrecarrer l'action néfaste d'une partie de la brousse. Ainsi le dundud:Jnlo (1iu. canari du ver de terre), qui se trouve en un seul village du pays sarno, est '_e lÔma d'où proviennent, après que la divination ait fait connaître la cause de la stérilité temporaire de leur mère et les sacrifices appropriés, les enfants nés de femlnes ayant écrasé par mégarde en brousse une certaine variété de ver de terre (dundu) particulièrement dangereuse. Le lama est donc un objet culturel, médiateur entre le monde de la brousse et le monde des humains, chenal ouvert capable de neutraliser, par la force des sacrifices qui lui sont rendus, la puissance naturelle mauvaise qui empêche la conception de se faire. Toute sa vie, l'être humain rendra un sacrifice annuel à son lama, sans la bienveillance duquel il ne serait pas et qui continue de le protéger. Le sacrificateur dit: «on ne peut rentrer dans l'eau et en ressortir sale», on ne peut se confier à son toma et en être repoussé. Toute naissance est de ce point de vue le fait d'une tolérance particulière de la brousse ou d'une victoire sur la brousse. Le nyiséd:Jr:J (litt. plat à médicament) est une écuelle, enfoncée dans le sol, où sont placés des paquets de racines d'arbres indiqués par le devin, racines prélevées selon un certain rituel, et mises à macérer dans de l'eau. L'eau y est constamment renouvelée. On prélève plus particulièrement des racines de ,nitragyna inermis (qui pousse au bord des marigots, sorte d'osier) lannea microcarpa (raisinnier), detarium senegalensis, diospyros mespiliformis. Au propre, les nyiséd:Jr:J sont des relais féminins de fécondité, véh~culés par des plantes. Lorsqu'une fille est marip.e et a rejoint sa famille

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251 d'alliance, le mari part sacrifier au nyiséd:Jr:J de la mère de sa femme, et cette dernière, pendant quatre jours, boit de cette eau et se lave le corps avec; parallèlement, il sacrifie au nyiséd:Jr:J de sa propre mère, en « témoignage» de sa propre naissance, mais sa femme ne boit pas de cette eau et ne se lave pas le corps avec. Si le sacrifice au nyiséd:Jr:J de la mère de la femme a été efficace, c'est-à-dire si la jeune femme a conçu rapidement, elle renouvellera désormais tous les ans, comme sacriliante, le sacrifice au nyiséd:Jr:J de sa lnère, et se lavera avec cette eau, sans plus jamais la boire; parallèlement, le mari continuera de faire un sacrifice annuel au nyiséd:Jr:J de sa propre mère, mais toujours en témoignage de sa naissance et non pour sa femme, laquelle en voie de conséquence ne boira pas de cette eau et ne se lavera pas avec. Si le sacrifice au nyiséd:Jr:J de la mère de la femme a été inefficace, le mari renouvelle un sacrifice au nyiséd:Jr:J de sa propre mère, mais cette fois-ci pour sa femme qui, en conséquence, boit de cette eau et se lave le corps. Si ce sacrifice se révèle efficace et que la jeune femme conçoive rapidement, tous les ans son mari renouve)Jera comme sacrifiant le sacrifice au nyiséd:Jr:J de sa mère pour sa femme qui se lavera avec cette eau sans plus jamais la boire. S'il s'est révélé inefficace, après consultation du devin le mari constitue à sa femme son propre nyiséd:Jr:J où il sacrifie, sa femme buvant l'eau et se lavant le corps. Tous les ans, ce même sacrifice sera renouvelé (s'il s'est montré efficace), la femme se lavant, mais ne buvant pas. Les conjoints abandonnent alors définitivement le nyiséd:Jr:J de la mère de la femme, inefficace pour elle. Le mari continue de sacrifier au nyiséd:Jr:J de sa mère, mais en témoignage de sa naissance et non pour sa femme. On sollicite donc, pour chaque nouvelle épouse, et dans la mesure où son lrprrr ne lui interdit pas totalement de concevoir, des forces génésiques, provenant ou appuyées sur des plantes de brousse, et transmises par les femmes selon des chaînes plus ou moins continues. On sollicite tout d'abord la force génésique résidant dans la chaîne maternelle ascendante de l'épouse, puis, à défaut, dans la chaîne maternelle ascendante de l'époux. Le relais de fécondité ne passe donc pas par les hommes, puisqu'elle peut être transmise directement, par la consommation d'une même eau, d'une mère à sa fille, d'une belle-mère à sa bru. De proche en proche, et à supposer (cas extrême) qu'à chaque génération ce soit le nyiséd:Jr:J de la mère de l'époux (ou de la mère de l'épouse) qui soit efficace, se constituent des chaînes de fécondité, radicalement coupées de la filiation agnatique, passant obliquement de lignage en lignage. L'enfant tient sa naissance de la mère de son père ou de la mère de sa mère, qui tenaient elles-mêmes la leur de leurs propres mère de père ou mère de mère. On voit se dessiner ainsi un univers proprement féminin, avec ses lois propres de transmission, distinctes de celles impliquées par la patrilinéarité et la solidarité lignagère. Bien d'autres signes de cette autonomie

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252 peuvent être énumérés, tous à mettre en relation avec l'existence rituellement reconnue des chaînes de fécondité. Ainsi le fait que le b:Jr£ d'une femme ne s'incarne jamais dans son lignage d'origine (dans la fille d'un frère par exemple), mais uniquement dans les filles de ses fils ou les filles de ses filles, c'est-à-dire dans des lignages étrangers à son sang, tel qu'il est défini patrilinéairement (alors qu'un homme ne revient jamais, par définition lignagère, dans les fils des filles, mais peut revenir dans les petit-fils de ses frères, alors qu'il n'y a pas de rapport direct d'engendrement entre lui et eux). Cette transmission du b:Jr£ féminin suit très exactement les lignes possibles de transmission du relais de fécondité. De la même manière, un homme ne fait pas de sacrifices aux mânes de sa mère ou de ses grand'mères. Il n'existe d'ailleurs pas d'autels d'ancêtres féminins, puisqu'ils ne sauraient trouver place logiquement ni dans le lignage d'origine,' ni dans le lignage d'accueil. Si une défunte «réclame» un sacrifice (à base d'épinards de brousse cuisinés), elle le réclame à une de ses filles ou de ses petites-filles par le fiJs ou la fille. Ainsi également le fait, aisément noté lors d'enquêtes généalogiques, de la mémorisation des chaînes utérines, de mère en mère, sans la mémorisation adventice des individus mâles de leurs lignages d'appartenance. Ainsi et surtout l'existence, que je cherche dans un autre travaiJ à montrer statistiquement, d'une reduplication des destins matrimoniaux féminins, reduplication que les hommes perçoivent de façon extrêmement nette, en se reconnaissant impuissants à l'enrayer. Quand une fille est donnée en mariage primaire légitime, elle est donnée par son père, en fonction d'un choix qu'il exerce dans le cadre des règles prohibitives d'alliance. La tendance étant à l'endogamie villageoise, les sœurs, réeHes ou classificatoires, sont de la sorte, la plupart du temps, mariées dans. le même village, qui est celui de leur naissance. Lorsque l'une d'entre elles, plus fréquemment l'aînée, quitte son mari pour contracter une alliance secondaire à l'extérieur, généralement au loin, on note que dans les années suivantes, ses sœurs ont tendance à aller contracter elles aussi une alliance secondaire dans le même village où l'aînée est remariée. La même chose se passe si la mère est retournée dans son village d'origine ou est allée contracter une union secondaire ailleurs; ses filles mariées auront tendance à l'y rejoindre. Le phénomène outrepasse la simple filiation utérine, puisque des demi-sœurs. ou même simplement des cousines parallèles patrilatérales ont également tendance à dupliquer leurs destins matrimoniaux, et manifeste l'existence d'une solidarité féminine aux effets plus forts que le sentiment de l'appartenance lignagère. On notera également que le système de parenté sarno, de type omaha, permet par l'appellation la reconnaissance de cette solidarité. De la même manière que des fils de frères sont toujours des «frères», à quelque génération que ce soit, le même principe d'identité des siblings de même sexe fait que des filles de sœurs, et des filles de filles de sœurs, sont toujours entre elles des « sœurs»,

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253 bien qu'appartenant, par la coexistence de la règle de filiation patrilinéaire et de celle du choix du conjoint hors des quatre lignages fondamentaux d'Ego (E, M, FM et MM), à des lignages étrangers les uns aux autres. Croyances et histoires mythiques ou mythico-historiques dévoilent la crainte masculine du monde féminin. Nous avons parlé plus haut de l'assimilation qui peut être faite des femmes à la brousse, à travers leurs desseins (inconscients; le dessein du lfpfrf) contraires à la transmission de la vie. Dans le même ordre d'idée, les femmes sont conçues comme particulièrement réceptrices aux génies de brousse. Certaines sont même socialement déterminées à être réceptrices: toutes les filles des lignages fossoyeurs de certains villages possèdent ainsi, statutairement pourrait-on dire, des génies. On considère très généralement que ]es sorciers sont dans la famille de la femme. Mais de plus, des deux sortes de sorciers (kwëkwe, qui attaque les mtrt la nuit, pour les emprisonner et les dominer; mW:Jlt, qui vole dans la nuit sous forme de feu, au ras du sol, éventre et retire les entrailles, le foie et le cœur des mtrt qu'il a maîtrisés, tient son pouvoir d'une substance ingérée volontairement, est capable de donner son premier-né en sacrifice à la confrérie des sorciers)~ le plus néfaste, le mW:Jlt, ne peut être qu'une femme. Il n'y a pas d'homme mW:Jlt. C'est la mère-sorcière. Inversement, les détecteurs de sorciers et les clairvoyants sont des hommes (les clairvoyants qui ne tirent pas leur pouvoir d'une hérédité lignagère peuvent être des enfants des deux sexes). Ils ne transmettent leurs pouvoirs qu'à leurs fils, en tenant soigneusement à l'écart les épouses (qui viennent d'ailleurs) et les filles (qui se marieront ailleurs). Une histoire de caractère mythique, très brève, raconte comment autrefois les hommes et les femmes vivaient séparés. Quand l'homme voulait rejoindre la femme la nuit, il devait ruser et aller vers elle en silence, rampant sur le sol et mouillant la terre devant lui pour ouvrir sa route. Dans de nombreuses traditions d'origine lignagères, il apparaît que la conduite du groupe familial migrant était laissée à l'initiative des ditdifrf, filles de la famiBe, eu égard à leur maîtrise parfaite des secrets magiques, à leurs capacités de patience et de réflexion. Les femmes transmettent une force génésique où les hommes n'ont rien à voir. Cependant, ils en dépendent dans l'arrêt qui les fait naître, comme dans celui, dicté par le IÉPfrf de la mère qui leur permet de vivre. Cette force génésique non lignagère entraîne une solidarité d'une autre espèce, d'ordre quasi-mystique, que celle qui est déterminée par les rapports de parenté qui traduisent l'organisation d'un monde socialisé masculin. Bien qu'elles soient incluses terminologiquement dans la parenté agnatique de par l'idéologie patrilinéaire de la filiation, les ]ignes de force dont elles participent et qui relèvent de la nature, perturbent l'ordre social établi, le remettent perpétuellement en cause et l'alliance exogame~ telle qu'elle est

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254 culturellement établie, achève de cimenter la cohésion féminine en dehors du champ de la solidarité lignagère. Etre entre soi dans les canons de l'idéologie patrilinéaire, c'est être entre hommes. La solidarité lignagère, l'application du mariage légitime, le culte des ancêtres, les sacrifices mainteneurs villageois, sont marqués du sceau masculin; la transmission de la fécondité par ligne utérine, la rupture du lien légitime exprimant l'accord des lignages pour recréer des communautés affectives non fondées à coup sûr ni sur la filiation, ni sur l'accord des familles, la communication directe avec les puissances de brousse, sont marquées du sceau féminin. La crainte que l'on éprouve à l'égard des femmes tient à ce que, de façon inéluctable, il n'est pas possible de les intégrer totalement au monde organisé, car, de par la régulation matrimoniale exogame, elles ne peuvent être et agir qu'à l'envers des hommes. On retrouve là, dans la société sarno, sous une forme voilée, l'éternel regret dogon: que le monde eut été plus facile à penser et à réaliser si la femme n'avait pas été distincte, si l'homme avait gardé sa condition primitive d'androgyne, à tout Je moins si la sœur avait été l'unique épouse possible conservant par devers le lignage les forces naturelles dont elle est pourvue. La prohibition de l'inceste fonde ainsi aussi bien la structure de la personne que celle de la société.

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Colloques Internationaux N°

544.

-

du C.N.R.S.

LA NOTION DE PERSONNE EN AFRIQUE

NOIRE

LE LIEN A LA MÈRE ET LA NOTION DE DESTIN INDIVIDUEL

CHEZ LES GOURMANTCHÉ

(1)

M. CARTRY

Les Gourmantché pensent que le destin de l'individu est pour une large part déterminé avant sa naissance sous les effets conjugués des désirs exprimés par son «âme» et «l'âme» de ses parents au cours de leur vie pré-terrestre. C'est cette croyance que je vais décrire, ainsi que les rites qui y sont associés. Je proposerai ensuite une hypothèse pour tenter d'expliquer pourquoi « l'âme» de la mère est la seule instance auprès de laquelle il soit possible d'intervenir pour modifier le cours de ce destin. L'examen de cette hypothèse nous ramènera, je l'espère, au centre des débats théoriques de ce Colloque.

1. La nature

du choix prénatal.

Quelques précisions existe à l'homme et qui Gourmantché l'appellent mativement traduire par

d'abord sur la nature de cette «âme» qui préchoisit le futur destin terrestre de ce dernier. Les kd-kikilga, notion complexe qu'on peut approxil'expression de « petit être commençant» (2). Créé

(1) Au nombre d'environ 250 000, les Gourmantché occupent principalement la partie orientale de la Haute-V o]ta. Ils sont restés en grande partie réfractaires à l'Islam et au Christianisme. Ils formaient autrefois un royaume dont la capitale était Nungu-Fada N'Gourma. La société est patrilinéaire et l'unité résidentieHe (u-diegu) y est formée par la descendance agnatique du fondateur, les épouses des agnats et les filles non mariées. Les matériaux utilisés dans cette étude ont été recueillis dans la région du Gobnangou (cercle de Diapaga). (2) Kikilga vient de ki/i, «commencer ». Le suffixe ga ~st un indice de l'appartenance de ce terme aux noms de la 7" classe dans laquelle sont groupés les petits êtres, les petites choses.

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256 dans l'eau par Dieu (o-tiEnu) au moment même de la conception, le kikilga, c'est «l'homme dès son premier commencement ». Il n'est pas le produit de la conception comme l'embryon ou le foetus (li-tugubili) mais la cause, du moins l'une des causes. De ce premier commencement de l'homme, les informateurs disent qu'il «est déjà le tout de l'homme». A la recherche d'un point de repère, on pense d'abord au terme de germe tel qu'il était compris dans la préhistoire de l'embryologie. Entre la doctrine du «préformisme» et la conception gourmantché de la procréation, il y a bien, en effet, un point commun, à savoir une même répugnance à admettre qu'une formation puisse contenir à la fin de son processus d'achèvement, des propriétés qui n'auraient pas été présentes dès le départ. Mais là s'arrêtent les ressemblances car au lieu d'un germe contenant le tout de l'homme sous la forme d'un « homoncule» dont le déploiement produirait l'homme, nous avons une entité fixe et distincte qui après la naissance de l'homme continue à mener une existence indépendante. Durant la vie terrestre, le kikilga, est, en effet, pour l'homme, comme une sorte de « génie» tutélaire tour à tOUf protecteur et persécuteur. Habituellement fixé sur l'épaule de son « pupille », il peut brusquement changer de lieu tantôt en s'introduisant dans le corps, tantôt en rejoignant l'eau de la rivière dont il est issu I ~). Pour tenter de se le concilier, son «pupille» lui dessert un culte, l'associant dans sa prière à d'autres puissances que nous décrirons plus loin. Dans certains cas le devin peut prescrire l'édification d'un autel lié à ce principe et il en est notamment ainsi lorsqu'une femme n'a pu avoir d'enfants depuis longtemps. La fonction de l'autel est alors de précipiter la formation d'un nouvel être humain, soit en incitant Dieu à créer un nouveau kikilga, soit en invitant le kikiLga lui-même à quitter prématurément son séjour aquatique. L'autel, soulignons-le, est fait d'une boule d'argile pur prélevée dans la rivière de la Pendjari (4). La mort est interprétée comme la disjonction de ce couple formé par l'homme et son kikilga, ce dernier ayant désormais définitivement réintégré l'eau de la rivière. Mais un nouveau couple se forme associant cette fois au kikilga, le défunt, maintenant devenu ancêtre. Dans les sacrifices aux ancêtres, on s'adresse aux deux termes du couple comme à deux puissances séparées. Dans le milieu aquatique

où il surgit d'abord,

le nouveau

kikilga

(3) Certains informateurs disent qu'il ne se rend dans la rivière que pendant la saison sèche. Dès le retour de l'hivernage, il suivrait le courant des eaux et ainsi reprendrait contact avec l'homme. (4) Située à quelques dizaines de kilomètres du Gobnangou, la Pendjari (lit. . Kpenjoari, «fleuve mâle») est un affluent de ] a Volta qui marque sur 180 km la frontière Haute-Volta --Dahomey. C'est dans cette rivière que les habitants du Gobnangou vont pêcher et c'est sur ses berges que les chasseurs se mettent à l'affût pour surprendre le gros gibier.

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257 reste en communication directe avec son créateur. Etalant devant lui la totalité des biens et des maux possibles, Dieu lui demande de choisir ce qu'il désire avoir sur terre: de nombreuses épouses, une nombreuse progéniture, la richesse,' le pouvoir, ou simplement une longue vie. Le kikilga peut choisir un destin funeste et par une sorte d'étrange aberration, désirer «la folie», «la maladie», «la pauvreté », «la stérilité», «la mort tragique ». C'est à cette conclusion que parvient le devin quand malgré les sacrifices prescrits, la personne qu'il traite ne cesse d'être poursuivie par l'adversité. Parfois aucune demande n'est formulée, comme si l'instance priée de choisir' n'avait aucun désir ou aucun désir déterminé. Le choix se fait en présence du tif,ndo ou kikilga, une puissance déléguée, une sorte d'émissaire devant servir de relais dans les rapports entre Dieu et le kikilga

(fi).

A cette option pré-natale, les Gourmantché donnent le nom de liycmiali, «la demande à Dieu» (6). Mais à cette notion de yf,miali, deux autres sont étroitement associées qui se rapportent à deux autres genres d'options que le kikilga est amené à prendre simultanément: u-Yf,nu et li-cyabli. y f,nu c'est «le soleil» car, en présence du soleil, Dieu demande également au kikilga s'il veut qu'un jour déterminé le soleil brille exclusivement pour l'homme à venir dont il est le commencement. Ce jour, l'homme commandera au soleil. La plupart des hommes ne verront jamais ce jour. D'autres ne verront le soleil sortir pour eux qu'après leur mort, le jour des secondes funérailles, à la cérémonie publique de levée de deuil. Aux yeux des Gourmantché, ils auront eu leur part de chance car s'ils ont droit aux secondes funérailles c'est qu'ils ont atteint un âge avancé et L'homme qui accède à la chefferie qu'ils ont laissé des enfants vivants commandera au soleil le jour de sa nomination. Quant à la jeune fille, son jour de chance sera celui où se tiendra, le cas échéant, la grande cérémonie de mariage dite li-pwoparli (8). Il n'y a que le nunbaro, le roi de NunguFada N'Gourma qui commandera au soleil chaque vendredi, le jour du sacrifice offert à ses prédécesseurs. Sur la troisième grande option, il y a peu à dire sinon qu'elle concerne J'échéance de la mort, le kikilga devant fixer la date de son retour (9). (Î).

(5) Chaque puissance du panthéon gourmantché a son tifl1do, «son émissaire ». la divinité et l'homme, les Gourmantché se sont ingéniés à multiplier les relais. (6) y fmiali vient du verbe gi-n1ia, «demander » et du n10t ytnu qui, selon le contexte, désigne Dieu ou le soleil. Li est le suffixe. (7) Les défunts (hommes ou femn1es) n'ayant laissé aucun enfant, ne sont pas enterrés devant la maison et les rites accomplis s'effectuent dans ce cas dans la plus grande discrétion. (8) Cette forme de mariage n'est pas pratiquée par tous les clans. Dans certains clans, elle n'est accomplie que pour la fille aînée. (9) La signification littérale de ce terme de cyabli est incertaine. Pour certains informateurs, ce terme est associé à n'cyaba, la formule d'« au revoir» qu'on prononce en un lieu où l'on est destiné à revenir. Entre

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258 Le YEmiali, le YEnu et le cyabli sont des engagements solennels pris par le kikilga. Adoptant le langage de la génétique, on pourrait dire qu'ils fixent le « programme» prénatal où est inscrit tout le devenir de l'individu. Mais tout se passe comme si ces paroles originelles émanant du kikilga se détachaient rapidement de leur source et étaient appréhendées comme des puissances indépendantes (sauf de Dieu). C'est comme à des puissances en tout cas que l'homme s'adressera lorsqu'il tentera par des rites de changer le « programme» fixé par ces paroles. Lors de ces rites de propitiation, les trois puissances seront fréquemment associées, comme le montrent nettement les textes des paroles prononcées.

2. Le y£miali des géniteurs. Dans le champ du désir qui s'offre au choix prénatal, la fécondité et la procréation occupent une place essentielle, Dans une société où la position statutaire et symbolique de l'homme comme de la femme, la considération dont ils jouissent, sont largement fonction du nombre d'enfants mis au monde et maintenus en vie, on ne peut s'étonner qu'une réussite en ce domaine soit l'un des critères essentiels de l'accomplissement d'un bon destin. Mais comme l'accomplissement d'un bon destin est ici principalement interprétée comme l'effet d'un choix prénatal judicieux (d'un bon y[miali)., il en résulte qu'un individu est censé devoir sa vie non seulement au choix prénatal d'une longue vie qu'il a fait pour lui-même, mais encore au choix prénatal fait par ses géniteurs d'avoir un enfant (lui-même), et un enfant qui reste en vie le plus longtemps possible. Au moins en droit, le fait même d'être en vie et de conserver sa vie est autant imputable à son propre y[miali qu'à celui de ses géniteurs, père et mère. En ce point, plusieurs questions se posent. Le y[mali d'Ego peut-il se trouver en contradiction avec celui de ses parents? Se peut-il que dans son propre programme prénatal soit inscrite une vie brève, alors que le programme de ses géniteurs (ou de l'un seulement d'entre eux) comporte pour lui-même une inscription contraire? Et si une telle contradiction est possible, quel est des trois programmes concernés celui qui sera exécuté? A ces questions particulières, comme au problème général des rapports entr~ le y[miali d'Ego et celui de ses géniteurs, les Gourmantché n'ont fourni qu'une réponse globale centrée autour des trois points suivants: 1) le Y[lniali d'Ego ne lui apporte presque rien en propre sauf parfois le mal; 2) si Ego a un bon y[miali, ce sont ses enfants qui en ressentiront les effets bénéfiques; 3) si Ego, et particulièrement un Ego masculin, connaît une destinée exceptionnelle, c'est presque toujours au y£miali de sa mère qu'il le doit.

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259 Selon le schéma général de la doctrine que nous avons retracée. plus haut sur le choix prénatal, tout semblait également possible pour l'homme comme pour la femn1e. Mais dès qu'on porte son attention sur les formes concrètes que prend cette doctrine, des différences importantes apparaissent, liées aux dimensions du sexe et de la génération. Ainsi tout se passe comme si dans sa vie prénatale, l'homme aussi bien que la femme étaient aveugles à leurs intérêts propres et ne se montraient capables de discernement que pour autant que leur choix concernait la transmission et la perpétuation de la vie. Mais sous ce dernier rapport, il faut noter les différences essentielles entre le choix de l'homme et celui de la femme, tant en ce qui concerne les objets sur lesquels ils portent que les catégories de descendants amenés à en recevoir les effets. Le y£miali d'un homme ne semble avoir d'effets bénéfiques que sur ses seuls enfants et seulement du point de vue de leur santé. Le Yfmiali d'une femme pose sa marque sur tous les objets fondamentaux où peuvent s'investir les désirs de ses enfants, y compris et peut-être même principalement, le désir de se perpétuer (santé, richesse, réussite matrimoniale, le cas échéant, chefferie (1tJ), fécondité, engendrement de nombreux enfants et conservation de la vie de ces derniers). Pour l'essentiel, on peut donc dire que le destin d'un homme considéré dans ses intérêts propres et dans son désir de se survivre dans ses enfants, est déterminé par son nay€miali (le y€/niali de sa mère). Le cas de la femme est plus complexe car, comme nous le verrons, l'accomplissement de son destin de procréatrice dépend moins du y€miali de sa mère que des effets indirects du y€miali de la mère de son mari. En outre, d'autres déterminations s'ajoutent, la concernant, dont nous parlerons dans un instant. Peu éloquents sur leur propre y€miali ou sur celui de leur père, les Gourmantché sont intarissables sur le nay€miali. Cela ressort notamment avec un vif relief des chants de louanges des griots adressés au chef, l'homme le plus chanceux d'entre tous. Le leitmotiv de ces chants est une formule célébrant le naY€J1'ziali«< c'est ta mère qui t'a fait chef, remercie ta mère et son y€miali... ta mère voulait un enfant qui devienne chef, elle ne voulait rien d'autre... remercie. ton nay€miali»). Il existe un rituel complexe pour agir sur le y€miali de sa mère, soit pour tenter de le modifier dans un sens favorable, soit pour qu'il «déclenche» dans un temps voulu les effets bénéfiques qu'il contient en puissance. Aucun rituel de ce genre n'existe pour le yt:miali du père; on se contente (10) Dans les villages du Gobnangou, la succession à la chefferie est de frère aîné en frère cadet, jusqu'à épuisement d'une génération. On ne peut postuler la charge que si son père a régné; si ce dernier est nlort avant d'avoir été chef, on est définitivenlent éliminé. Il y a toujours plusieurs candidats légitimes (ou plus ou moins légitimes), d'où la nécessité d'une sélection opérée par un collège de roturiers. On comprend donc pourquoi l'obtention de la charge est toujours interprétée dans le registre de la chance et notamnlent du Y£111iali.

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260 de l'invoquer de façon assez vague lors du sacrifice qu'on offre à son père défunt. En ce qui concerne le propre YEmiali d'Ego, il est invoqué en même temps que le kikilga et que le 1Jali"l'ancêtre qui, entre autres agents, a rendu la conception possible en imprimant une forme à la matrice- de la

gestatrice et qui joue également le rôle de puissance tutélaire

(111.

Le rite

dit tampugu qui a lieu au pied du lit de l'intéressé est une sorte de sacrifice d'expiation, où le sacrificiant, après avoir demandé pardon à toutes ces puissances pour les fautes commises à leur égard, fait appel à leur aide et à leur protection: «Je demande pardon à mon VaU, à mon kikilga, à mon YEnu, à mon cyabU, à mon YEmiaU... Donnez-moi le bon sommeil, le corps dispos, terrassez pour moi l'ennemi, homme ou femme ... ». Mais ce rite tampugu n'a d'efficacité sur le YEmiaU que si ce dernier a une orientation virtuellement favorable. Il ne peut «redresser» un mauvais YEmiali en en changeant en quelque sorte le signe. Pour opérer un tel renversement, l'unique solution qui s'offre à l'individu est d'en faire la demande au y€miali de sa mère. Ce nay€miali est bien la clef de voûte du système et nous devons maintenant tenter d'en approfondir la signification. Mais avant de prolonger notre analyse, nous résumerons les résultats acquis à l'aide d'un schéma (fig. 1). Effets "naturels"

sur Ego

Possibilités d'intervention rituelle

y€miali d'Ego

nu Is ou défavorables

rite dit tampugu non spécifique et à efficacité incertaine (pour Ego masculin)

y€miali du père

maintien de la vie (santé)

invocation vague (pour Ego masculin)

y€miali de la mère

maintien de la vie (santé) réussite matrimoniale (pour Ego masculin) chefferie (pour Ego masculint fécondité (principaiement pour Ego masculin), mise au monde de nombreux enfants (principalement pour Ego masculin), maintien de la vie des enfants (principalement pour Ego masculin)

rite spécifique permettant une modification véritable, y comprise une modification entraînant des effets sur le propre y€miali d'Ego.

FIG. 1 (11) L'analyse de cette notion de VaU justifierait à elle seule une longue étude. Il nous suffit ici d'indiquer que J'ancêtre donne une forme mais ne se réincarne pas à proprement parler.

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3. Le yrmiali de la mère. L'analyse détaillée des rites va nous permettre d'approfondir la notion de nayrmiali. Décrivons d'abord les deux catégories «d'autels» utilisés dans ces rites. L'un des autels est fait de quatre pierres délimitant une petite enceinte recouverte de sable, d'un sable fin provenant du lit d'une rivière. Sous chacune des pierres est enterré un échantillon de toutes les graines consommées par les Gourmantché. Dans chaque maison (diegu), il y a plusieurs autels de ce genre placés auprès des portes des cases de certaines catégories de femmes (121. Il s'agit seulement des femmes qui sont dans la maison en position d'épouses et qui ont un fils vivant f la I. L'autel porte un double nom: nayrmiajienguili (le «lienguili du y€miali de la mère») et napomarjienguili (le «fienguili de la mère, femme qui a engendré») (14). Pour simplifier, nous l'appelerons