La Crosse Brisée: Des Évéque Agressés Dans Une Eglise En Conflits 2503517986, 9782503517988

From the end of the 10th to the early 13th century, more than sixty bishops in France were the subject of violent attack

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La Crosse Brisée: Des Évéque Agressés Dans Une Eglise En Conflits
 2503517986, 9782503517988

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LA CROSSE BRISÉE Des évêques agressés dans une Église en conflits (royaume de France, fin xe_ début XIIIe siècle)

Culture et société médiévales Collection dirigée par Edina Bozoky

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La crosse brisée ~

Des évêques agressés dans une Eglise en conflits (royaume de France, fin xe_ début XIIIe siècle)

Myriam Soria Audebert

BREPOLS

© 2005, Brepols Publishers n.v., Turnhout, Belgium. Ali rights reserved. No part of this publication may be reproduced stored in a retrieval system, or transmitted, in any form or by any means, electronic, mechanical, photocopying, recording, or otherwise, without the prior permission of the publisher.

D/2005/0095/36 ISBN 2-503-51798-6 Printed in the E.U. on acid-free paper

Préface Le 29 décembre 1170, Thomas Becket est brutalement tué à la cathédrale de Cantorbéry. Peu de meurtres ont suscité autant d'émoi que celui-ci. Son retentissement est grand. Le culte de l'archevêque assassiné se diffuse rapidement, et Cantorbéry devient l'un des sanctuaires les plus courus des pèlerins, à la hauteur de Rome,Jérusalem ou Saint:Jacques. Deux ans à peine après le crime, Thomas est canonisé par le pape Alexandre III. Par leur plume et leur parole, les intellectuels de son entourage ont beaucoup œuvré à ce succès posthume, récompensant la fermeté de leur combat en faveur du Sacerdoce et au détriment de la Royauté, dans un avatar tardif et insulaire de la querelle des investitures. Le nouveau saint est reconnu martyr. La couleur rouge de son sang, répandu par ses quatre bourreaux, envahit la liturgie de son office, et même l'architecture de sa cathédrale dans les briques de la chapelle, destinée à conserver ses reliques, et de la tour axiale qui en prolongent le chevet. On appelle ce nouveau bâtiment la corona, qu'on peut traduire par «tonsure», symbole par excellence de l'exemption et des prérogatives des clercs, contre laquelle les meurtriers se sont acharnés à coups d'épée dans un geste à la lourde signification. À l'époque, quelques penseurs contestent toutefois la nature du martyre de Thomas, car il n'a pas donné sa vie pour témoigner de sa foi chrétienne, mais pour préserver les libertés de l'Église d'Angleterre. D'autres aspects du crime ont provoqué débats et polémiques. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, Henri II d'Angleterre, accusé pourtant d'avoir commandité l'assassinat, tente de récupérer ce nouveau culte: pour les siens, la victoire remportée par ses troupes à Alnwick (1174) contre le roi d'Écosse, au moment même où il accomplissait sa pénitence sur le tombeau du saint prouve, par une intervention directe de la Providence, le bien fondé de sa position. À l'opposé, les partisans de son ennemi Philippe Auguste, roi de France, mettent en avant que ce roi a été, enfant, miraculeusement guéri par Thomas, car le martyr voulait préserver cet ange exterminateur pour qu'il applique le châtiment divin destiné à la race diabolique et meurtrière des Plantagenêts, ces «fils de la colère», en les chassant du continent. En définitive, le meurtre de Thomas Becket résume toutes les implications des violences perpétrées contre les évêques au Moyen Âge. Il contient un débat théologique (martyre ou simple assassinat politique), une composante idéologique (la lutte des glaives spirituel et temporel), une querelle de juridiction (l'archevêché de York contre celui de Cantorbéry), un problème de seigneurie (l'occupation par des nobles laïcs des terres de la mense épiscopale pendant l'exil de Thomas), un culte promu par des intellectuels et largement reçu par les foules d'illiterati, voire un langage gestuel des meurtriers, conjurés à la suite d'un serment collectif et frappant de façon systématique certaines parties du corps de la victime ... Parangon de

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PRÉFACE

l'assassinat épiscopal, le crime de Cantorbéry montre, si besoin était, que nous avons ici affaire à un «fait social total», à un point nodal, situé au carrefour des tensions du monde médiéval. Un tel sujet de recherche ouvre des pistes tous azimuts. Son importance tient surtout à la place centrale de la figure de l'évêque au Moyen Âge. Par succession apostolique, l' episkopos (terme grec désignant le «Surveillant, garde, protecteur ou patron» dont dérive «évêque») se trouve la tête d'une Église locale, dont le territoire est le diocèse et le centre la cathédrale. Il a reçu, à la suite d'une ordination spécifique, la plénitude du sacerdoce, et il est ainsi placé au sommet de la hiérarchie ecclésiastique. Il assume, en conséquence, le rôle du Bon Pasteur, d'après la parabole évangélique. Responsable du salut des fidèles, dont il est le guide, il veille à la bonne administration des sacrements et au soin des âmes; l'imposition de l'ordre et de la confirmation, la bénédiction des autels, la confection des saintes huiles et l'absolution des cas réservés lui reviennent en propre. L'évêque est, de plus, le premier prédicateur de son diocèse, à l'image de saint Augustin d'Hippone ou de saint Grégoire le Grand, et sa parole doit pousser le peuple à la conversion. Le droit canonique lui accorde, enfin, un pouvoir de juridiction et de discipline. Son tribunal statue dans les affaires relatives aux tonsurés et dans les causes matrimoniales. Cette activité judiciaire est, avant tout, pénitentielle, et elle vise à réformer les mœurs du troupeau qui lui a été confié. Elle paraît, comme les précédentes, d'essence pastorale. Il ne faudrait cependant pas dissocier cette fonction spirituelle de sa dimension temporelle, à une époque où la religion imprègne toutes les manifestations de la vie collective. L'Europe et la Chrétienté se confondent alors. Bien des princes laïcs considèrent, y compris au lendemain de la réforme dite grégorienne, qu'ils doivent veiller, auprès de l'épiscopat, au salut du peuple qu'ils gouvernent en usant parfois d'un pouvoir de coercition pour le pousser au repentir. De même, pour administrer leur royaume, ils emploient des évêques, dont ils apprécient les racines et réseaux aristocratiques et, plus précieux encore, le savoir qu'ils ont acquis après de longues années d'études. Précisément, le refus de Thomas Becket, au lendemain de son ordination, de cumuler la charge de chancelier d'Angleterre et l'épiscopat de Cantorbéry sonne le glas de son amitié ancienne avec Henri Il. Du côté des évêques, cet investissement politique au service des rois et autres princes territoriaux s'accompagne du pouvoir temporel qu'ils exercent sur les chevaliers, citadins et paysans des vastes domaines épiscopaux constitués, des siècles durant, par la générosité des laïques. Cette seigneurie les immerge dans les mêmes luttes armées où se débattent leurs frères et cousins laïcs de la noblesse. Elle les expose à l'agressivité ambiante, au même titre ou peut-être davantage que les facteurs théologiques, idéologiques ou canoniques évoqués plus haut. La voie de faits règle trop souvent les conflits, omniprésents dans la société des XIe et XIIe siècles. Des formes - spontanées, mais non pas irrationnelles - de violence traversent ce monde que l'État moderne détenant le monopole de la contrainte, où il nous est donné aujourd'hui de vivre, nous rend si étranger. Dans un tel contexte, la portée du livre de Myriam Soria saute aux yeux. Il comble même une lacune béante de l'historiographie récente. Aucune étude systématique n'a, en effet, jamais été menée sur les violences physiques contre les évêques. Or, celles-ci sont nombreuses dans le royaume de France des XIe et XIIe siècles. L'auteur

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PRÉFACE

en dénombre jusqu'à soixante-neuf cas, parmi lesquels ressortent treize assassinats, quinze emprisonnements et trente exils, à une époque où le bannissement, rompant les liens de la famille et du voisinage, est synonyme d'exclusion et de marginalisation. Sur le plan spatial, les diocèses de Narbonne, épicentre de la crise albigeoise, et de Bourges, théâtre des luttes entre les Plantagenêts et les Capétiens, remportent la palme, sans mauvais jeu de mots, de ces martyres. Pour la chronologie, force est de constater l'importance, avec leur tiers des violences épiscopales, des années 1075 à 1125, où, dans le sillon de la réforme pontificale, le combat pour le mariage indissoluble et exogame et le célibat des prêtres et pour l'autonomie de l' auctoritas cléricale vis-à-vis de la potestas laïque bat son plein. Autre période charnière: les années 1180-1220 de l'autocratie Plantagenêt et de la croisade albigeoise. Ces quelques chiffres, extraits de ce solide ouvrage, où tableaux et statistiques classent et dissèquent les phénomènes, prouvent une fois de plus que les violences anti-épiscopales sont, par leur nature même, un bon révélateur des luttes de la société tout entière. Myriam Soria les perçoit, d'abord, sous le regard direct des médiévaux euxmêmes. Elle consacre, en effet, un long chapitre aux témoignages de première ou de seconde main rapportant ces conflits et à la part des «stratégies d'écriture dans la construction des récits». Cette méthode répond à deux tendances historiographiques actuelles, en apparence contradictoires: d'une part, la «nouvelle érudition», attentive à l'interprétation savante des sources à l'aide des sciences auxiliaires, et de l'autre, le post-structuralisme qui envisage le passé lui-même comme un texte, qu'il faut déconstruire puisque les écrits qui renseignent sur lui, rarement fidèles aux realia, nous apprennent davantage sur les mentalités de leurs auteurs que sur les faits qu'ils sont censés décrire. Il en résulte une attention soutenue aux genres littéraires, qui contraignent fortement les discours, et plus encore à la position des écrivains dans ces combats. Les annales d'un monastère proche de la dynastie princière, dont il est la nécropole et dont il profite des largesses, passent sous silence les attaques de ses protecteurs à l'évêque. En revanche, la correspondance des victimes, classée de façon habile dans une collection épistolaire, destinée à être largement diffusée, grossit de façon rhétorique les méfaits du persécuteur. Il en va de même avec l'épitaphe à la mémoire du prélat assassiné, qui défie de la même façon les pouvoirs laïcs établis. En raison de son «potentiel de mise en scène et de dramatisation», l'objet luimême de ces témoignages se prête à des exagérations.L'évêque violenté n'a-t-il pas reçu la plus sainte des onctions, alors que le psalmiste prohibe explicitement de toucher aux oints du Seigneur? S'attaquer à cet inermis («désarmé»), auquel il est interdit de fourbir le glaive temporel, est un sacrilège innommable. Ces plaintes des victimes renvoient paradoxalement aux menaces sans lendemain des agresseurs, dont la portée théâtrale est grande. Leurs vociférations cherchent peut-être à régler un conflit refoulé, en l'étalant au grand jour. Défis, insultes, blâmes et remontrances accélèrent, sans trop de dégâts, son règlement. Sur un registre ludique, railleries et moqueries exorcisent parfois les peurs et l'agressif complexe de Damoclès qu'elles suscitent. En revanche, l'excommunication lancée par l'évêque atteint directement l'honneur du laïque, qui veut aussitôt trancher la gorge qui l'a prononcée. L'explosion de la colère elle-même, péché capital ou synonyme d'une juste passion irascible au service de la vérité, relève davantage des constructions culturelles que des sentiments spontanés de l'individu. Beaucoup de bruit pour rien? Disons plu-

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tôt, dans une perspective anthropologique, que toutes ces prestations théâtrales, palabres et gesticulations rétablissent le lien social, une fois le psychodrame terminé. Elles servent d'exutoire à une violence latente. Après avoir déjoué les pièges des textes, l'historienne ressuscite un monde de bruit et de fureur où la composante humaine n'est jamais négligée. Elle dépeint même toute une galerie de portraits individuels qui, par le jeu de miroirs de la prosopographie (traitement sériel de maintes biographies) reflète le plus profond et caché de la société. Côté victimes: le tenace Yves de Chartres, épistolier infatigable depuis sa prison, transformant avec d'autant plus de lucidité à son avantage la violence que le roi lui fait subir qu'il interdit à ses propres partisans de verser du sang; l'inquiet Jean Bellesmains, proche et ami de Thomas Becket, menacé d'empoisonnement à l'intérieur même du palais épiscopal par les agents d'Henri II; le dispendieux Gaudry de Laon, réputé indigne, subissant la vindicte de la commune jurée de sa ville, dont les meneurs coupent le doigt annulaire; le belliqueux Odon de Conteville, frère utérin de Guillaume le Conquérant, célèbre par la massue qu'il use à la bataille de Hastings pour échapper, de façon fort casuistique, par les coups portés par cette arme non tranchante à l'interdiction canonique de faire couler du sang ... Toutefois, la soixantaine des évêques violentés constitue un groupe social assez banal au regard des études plus générales portant sur l'épiscopat de la période: ils appartiennent à la noblesse locale; ils reçoivent une éducation soignée et entreprennent de longues études; ils sont élus par le chapitre cathédral où ils étaient chanoines, mais ils proviennent parfois des monastères de l'arrière-pays. Les origines étrangères ou modestes constituent un facteur à risque déterminant, quand on songe aux grégoriens parachutés par les légats pontificaux dans un diocèse éloigné ou aux paysans que leurs brillantes études ont tiré du ruisseau, à l'image de Jean de Salisbury, autre partisan de Becket, devenu évêque de Chartres à la fin de ses jours. Henri II signe l'arrêt de mort de Thomas Becket en remarquant qu'il faudrait le débarrasser de ce «clerc de basse extraction». Éloignés de leurs réseaux lignagers ou incapables de se constituer une clientèle armée en raison de la pauvreté de leur famille, ces prélats atypiques deviennent, davantage encore, des cibles potentielles. À leur exception près, les évêques malmenés n'ont cependant pas un profil extraordinaire au regard de leurs collègues mieux préservés de la conflictuosité de leur temps. Tout au plus se distinguent-ils d'eux par leur volonté de résistance et leur refus de négocier. Honneur et fierté ne sont pas l'apanage des laïques, et aussi désarmés soient-ils, bien des évêques tiennent avec fermeté tête à leurs adversaires. Ils subissent la vindicte de grands ou petits pour avoir trop innové et avoir rompu l'ordre traditionnel. Ils deviennent admirables ou détestables selon les modèles de comportement et valeurs que les penseurs construisent et mettent par écrit de leur vivant même. En règle générale, les évêques violentés ne sont cependant pas des exclus. Leur place privilégiée dans la société globale est particulièrement patente quand leur parentèle les soutient dans leurs combats. Leur activité militaire est fort intense en Bretagne et en Gascogne, où, largement impliqués dans les luttes lignagères, ils vivent en parfaite symbiose guerrière avec leurs frères et cousins laïcs.L'ordination épiscopale du cadet d'une maison seigneuriale ne rompt nullement les solidarités familiales, féodales ou clientélaires dans ces régions rétives à la séparation du spi-

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PRÉFACE

rituel et du temporel prônée par la réforme «grégorienne». Ailleurs, ces combats entre châtellenies ennemies se poursuivent au sein même des chapitres où les chanoines doivent élire le nouvel évêque. Cette hybridation de l'épiscopat et du monde laïc semble toutefois s'estomper avec la séparation imposée par les papes réformés et leurs légats. Apparaissent alors des «frères ennemis», évêques brouillés avec leurs parents pour avoir préféré la politique épiscopale à la politique familiale. Pour se défendre et se prémunir, ils recrutent alors des armées de «paciaires», car ils ne peuvent plus compter avec l'appui de leur parentèle avec laquelle ils ont rompu. Ils savent, cependant, que «qui tue par le fer périt par le fer». C'est pourquoi certains d'entre eux se contentent des peu efficaces sanctions spirituelles. Excommunication et interdit retranchent, en effet, le fauteur de troubles de la communauté ecclésiale, qui coïncide à l'époque avec la société globale; la peur de la damnation éternelle pousse également quelques-uns à abandonner les armes. À l'époque, les exégètes remarquent que Jésus n'a voulu que deux glaives à Gethsémani, que Pierre, premier évêque, s'est limité à couper l'oreille de Malchus (terme traduit par «roi») pour qu'il n'écoute plus la parole de Dieu à l'instar de l'excommunié, que le pape et l'épiscopat délèguent donc l'épée de la répression et de la coercition au bras laïc, se réservant l'épée seirituelle qui retranche le membre gangrené du corps mystique du Christ qu'est l'Eglise. Ces réflexions d'intellectuels sont toutefois en décalage avec les pratiques des victimes elles-mêmes, conscientes que la sanction spirituelle ne saurait être appliquée qu'avec parcimonie parce qu'elle devient trop souvent le catalyseur de violences pour des guerriers aussi fiers que sensibles à cette atteinte à leur honneur. L'excommunication ne protège guère des assauts de l'ennemi ... Les agresseurs apparaissent dans cet ouvrage autant que leurs victimes. On retiendra, par exemple, le portrait de Guillaume IX d'Aquitaine, le premier troubadour connu, que les moines anglo-normands du xne siècle présentent sous les traits peu graves et blasphématoires du jongleur, bouffon ou mime, tournant en dérision le lien sacré du mariage et les plus saintes des réalités, mais aussi la calvitie du légat Gérard d'Angoulême. En réalité, les hagiographes s'en prennent davantage aux commanditaires du crime qu'aux exécutants. Les condamnations ecclésiastiques, la répression royale ou la vengeance aristocratique désignent, en effet, ces patrons comme les vrais assassins plutôt que leurs sicaires, relégués au rang d'hommes de main ou de seconds couteaux. Les textes font ressortir leur abus du pouvoir royal, qu'ils ont reçu à titre de vicaire de Dieu et dont ils devraient par conséquent user, non pas au service de leur ambition personnelle, mais du bien commun: Jean de Salisbury ressuscite alors la vieille notion du tyrannicide selon laquelle ces autocrates devraient être exterminés, tout comme la racine venimeuse de l'arbre doit être abattue. Les textes font également agir en coulisse des femmes dans le théâtre de ces querelles. Elles apparaissent discrètement auprès des agresseurs, telles Hérodiade réclamant du roi Hérode, son concubin incestueux, la tête de JeanBaptiste: la vicomtesse de Châtellerault, Bertrade de Montfort ou Agnès de Meran apparaissent comme de nouvelles Jézabel, excitant l'agressivité de leur compagnon contre des évêques qui refusent de régulariser leur situation par le sacrement du mariage. Cause de nombreuses violences anti-épiscopales, le conflit entre le modèle matrimonial des nobles et le modèle évangélique préconisé par les Grégoriens donne lieu, dans les textes, à l'intervention de bien des dames de l'aristocratie.

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PRÉFACE

Ajoutons enfin tous les intermédiaires qui, en tentant d'éteindre la flamme de la violence ou au contraire en l'attisant, s'interposent entre agresseurs et victimes ou épaulent les uns contre les autres. À ce double titre, Bernard de Clairvaux est omniprésent au début du xne siècle, agité par le schisme d'Anaclet: ce négociateur hors pair perpétue surtout une tradition monastique d'intercession et de pacification. Comme par le passé, le monastère reste encore le refuge par excellence de l'évêque chassé de son siège. Le rôle des papes est aussi actif à l'occasion des violences, analysées dans ce livre: le successeur de Pierre intervient dans un tiers d'entre elles. Son éloignement du théâtre des conflits, le rend intouchable et l'autorité romaine lui donne un prestige considérable auprès des belligérants. Son soutien aux victimes est cependant davantage moral que militaire; le Souverain Pontife comme n'importe quel autre clerc ne saurait jouer à armes égales avec l'agresseur laïque. Grégoire VII a fait ainsi preuve de fermeté pour faire triompher sa conception de l'Église en France. En revanche, au cours de la crise cathare, Innocent III mène une stratégie ambiguë, tantôt excitant les nobles et communes contre les évêques indignes, accusés de permettre en «chiens muets» l'épanouissement de l'hérésie, tantôt protégeant les prélats menacés, y compris par la croisade qu'il présente comme une «affaire de Paix» (negotium Pacis). La liste de ces acteurs et figurants sur la scène des violences épiscopales est bien plus longue, comme le lecteur le constatera bientôt. Elle montre combien cette étude approche la société ecclésiastique et politique de la période sous un angle d'attaque original, qui en fait ressortir particulièrement bien les luttes et les enjeux. Remarquons, pour finir, le plaisir avec lequel on lit cet ouvrage, rédigé avec aisance à l'aide d'un style alerte et animé, au diapason de son sujet. L'écriture est claire et efficace; des introductions et conclusions partielles acheminent le lecteur. Les titres de chapitres sont élégants. Le plan choisi est synchronique et thématique, pour mieux plier la démonstration aux exigences d'une analyse anthropologique de la violence. Les scansions chronologiques n'en ressortent pas moins fermement au cours de la lecture. En somme, le beau livre de Myriam Soria est un jalon important pour notre connaissance de l'Église des XIe et xne siècles dans ses relations, souvent conflictuelles, avec la société. Martin Aurell

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Introduction Le 29 décembre 1170, Thomas Becket est assassiné par quatre chevaliers du roi d'Angleterre dans la cathédrale de Cantorbéry. Cet événement tragique qui conclut une longue querelle ayant opposé l'archevêque à Henri II ne tarde pas à entrer dans l'histoire de l'Occident. Si la mort de Becket a aussi durablement marqué la mémoire collective, c'est parce que son souvenir a été soigneusement entretenu. Le culte rendu à l'archevêque, canonisé en février 1173, s'est rapidement répandu à travers toute l'Europe et le meurtre a immédiatement reçu un écho exceptionnel du fait de la présence, dans l'entourage direct de Thomas Becket et d'Henri Il, de nombreux clercs cultivés qui se sont saisis de l'affaire 1. Il en découle une production importante de récits historiographiques et hagiographiques 2, ainsi que de nombreuses lettres de propagande qui viennent s'ajouter à la correspondance entretenue par l'archevêque lui-même tout au long du conflit avec le souverain3 . Les médiévistes se sont, à leur tour, très largement intéressés à la controverse entre Thomas Becket et Henri Il, ainsi qu'au meurtre dans la cathédrale4. Les raisons qui ont focalisé l'attention des contemporains de l'archevêque puis des historiens se comprennent assez facilement. L'ampleur et le caractère atypique du conflit - de par sa conclusion et le rang des protagonistes, le roi, le pape et un puissant archevêque - à une époque où l'Église s'est posée en pacificatrice des mœurs, alors que la société a intégré la violence dans ses rouages, y sont sans doute pour beaucoup. La richesse du contexte dans lequel cette querelle s'inscrit justifie l'intérêt qu'elle suscite: elle se situe, en effet, à la croisée de différents conflits majeurs, entre les archevêques d'York et de Cantorbéry, le pape et l'empereur, mais aussi autour de la distinction des deux glaives. La violence joue également un rôle primordial dans cet engouement: elle est à l'origine de la profusion documentaire. L'hostilité manifestée envers Thomas Becket, et qui l'a conduit sur le chemin de

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Voir à ce sujet les liens supposés unir les différents biographes de Thomas Becket dans F. Barlow,

Thomas Becket, Londres, 1986, p. 5. 2

L'essentiel est présenté dans]. C. Robertson (éd.), Materials for History ofArchbishüp Becket, Londres, 18751885. Voir également M. Aureil, «Le Meurtre de Thomas Becket: les Gestes d'un Martyre», dans N. Fryde, D. Reitz (dir.), Bischofsmord im Mittelalter, actes du colloque tenu à Gôttingen en septembre 2000 et organisé par le British Center for Historical Research in Germany, Gôttingen, 2003, p. 187-210. 3 En particulier les lettres de Jean de Salisbury, The Letters ofJohn of Salisbury, t. 1, TheEarly Letters (11531161), W.]. Millor, H. E. Butler, C. N. L. Brooke (éd. et trad.), Londres, 1955 et t. II, The Later Letters (1163-1180), W.]. Millor, C. N. L. Brooke (éd. et trad.), Oxford, 1979. Pour les lettres de Thomas Becket, voir: A. Duggan, Thomas Becket: A Textual History of his Letters, Oxford, 1980 et A. Duggan (éd. et trad.), The Correspondence of Thomas Becket Archbishop of Canterbury 1162-1170, t. 1 et Il, Oxford, 2000. 4 Pour faire le point sur les différentes analyses, voir:]. W. Alexander, "The Becket Controversy in Recent Historiography»,journal of British Studies, 9 (1970), p. 1-26 et R. Foreville, Thomas Becket dans la tradition historique et hagfographique, Londres, 1981.

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INTRODUCTION

l'exil, a participé à «l'internationalisation» de la querelle. L'assassinat de l'archevêque a donné un écho sans précédent à l'affaire. Le meurtre a été décrit en détail par les contemporains de Becket et il a fait l'objet de mises en scène qui ont par la suite donné lieu à de nombreuses analyses symboliques. Il n'est sans doute pas non plus étranger à la rapide canonisation de l'archevêque dont la nature du martyre a également été débattue. Cependant, l'attention portée au meurtre de Thomas Becket a renvoyé au second plan les mésaventures de ses contemporains. De nombreux évêques ont, en effet, connu un sort comparable tout au long du Moyen Âge. Dans un article consacré aux évêques expulsés et assassinés au temps des Saliens, R. Kaiser montre que ce genre de violence «accompagne l'histoire de l'Église d'une façon plus ou moins continue» et il dresse une liste de victimes célèbres dont les agressions couvrent l'ensemble de l'Occident5 . Il est donc curieux de constater qu'aucune étude d'ensemble n'a encore été réalisée à propos de ce phénomène riche de sens et bien représenté à l'échelle de l'Occident médiéval. Les violences dirigées contre les évêques ont nourri quelques réflexions, mais elles sont rares et généralement limitées à la fin du Moyen Âge 6 • Paradoxalement, de nombreuses recherches ont été menées sur le thème «violence et religion», mais elles tournent souvent autour d'analyses symboliques et psychologiques dans la lignée des travaux de R. Girard 7, quand il ne s'agit pas des persécutions des minorités religieuses. La position ambiguë de l'Église pacificatrice et des ecclésiastiques par rapport aux violences guerrières a également fait l'objet de riches analyses8 . C'est plus dans les études portant sur l'impact des violences dans la société médiévale que l'on a des chances de voir apparaître un intérêt pour les évêques malmenés. Les allusions aux évêques expulsés et assassinés reviennent régulièrement dans les travaux sur les violences urbaines et sur la contestation au Moyen Âge 9 . Cependant, les prélats sont, dans ce contexte, abordés en tant que seigneurs et non

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R. Kaiser," Évêques expulsés, évêques assassinés aux x.re et XIIe siècles», dans M.-C. Florani, A.Joris, Le temps des Saliens en Lotharingie (1024-1125), Colloque de Malmedy (12-14 septembre 1991), 1993, p.

63-85, voir p. 63-64. 6 À côté du travail de R. Kaiser déjà cité, il faut retenir l'étude menée par]. Tyler, Lord of the Sac:red City: The Episcopus Exclusus in Late Medieval and Early Modern Germany, Leiden, 1999. 7 R. Girard, La violence et le sacré, Paris, 1972 et Le bouc-émissaire, Paris, 1994. Pour se faire une idée de la richesse des pistes suivies par les chercheurs de toutes disciplines autour de ce thème, nous préférons renvoyer à: Ch. Candland, The Spirit of Violence: an interdisciplinary bibliography ofreligion and violence, New York, 1992. 8 Voir en particulier les réflexions proposées par: K. G. Hare, "Clerics, War and Weapons in Anglo-Saxon England»; M. Frassetto, "Violence, Knightly Piety and the Peace of God Movement in Aquitaine» ;J. R. King, «The Friar Tuck Syndrome: Clerical Violence and the Barons' War», dans The Final Argument: the imprint of violence on society in medieval and early modernEuro-pe, D.]. Kagay et L.]. A. Villalon (éd.), Rochester, 1998, p. 3-12; 13-26; 27-52 et D. Barthélemy, L'An mil et la paix de Dieu, Paris, 1999. 9 N. Gonthier, Cris de haine et rites d'unité. La violence dans les villes, XIIJ'-XYI' siècles, Turnhout, 1992: voir la réflexion consacrée au rôle joué par les clercs, les conflits d'intérêts et les violences de la rérnlte p. 14-15, p. 54-60 et 137-145. A. Saint-Denis, «La violence dans les Yilles du Nord de la France, 1050-1150», dans B. Garnot (dir.), Histoire et criminalité de ['Antiquité au XX' siècle. Nouvelles approches, Dijon, 1992, p. 257-264.

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INTRODUCTION

comme un groupe particulier de victimes 10 , à l'exception de l'étude de C. Violante sur la Pataria milanaise 11 . Il n'est donc pas aisé de dresser un bilan historiographique autour des violences anti-épiscopales. Les pistes sont nombreuses, mais n'ont pas encore été véritablement suivies. Les mauvais traitements infligés aux évêques sont signalés dans les monographies régionales, dans les travaux portant sur des espaces où les prélats ont particulièrement été exposés, à l'image du Mans par exemple 12 . Il n'y a pourtant pas eu de regards croisés sur ces violences. Les évêques occupent une place importante dans les rapports entre les princes et la papauté: il en découle de nombreuses violences liées aux concurrences électorales, aux tentatives de contrôle des mœurs, principalement des mariages aristocratiques et royaux, mais elles n'ont pas non plus été isolées en tant que manifestations spécifiques. Les violences anti-épiscopales commencent cependant à être considérées comme un thème porteur pour la recherche historique. Le meurtre de l'évêque a fait l'objet d'un colloque international tenu à Gottingen en septembre 2000 et organisé par le British Center for Historical Research in Germany 13 • Le trente-huitième colloque de Fanjeaux, réuni en juillet 2002, autour de l'anticléricalisme dans la France méridionale du milieu du :xne au début du XNe siècle, a également offert une large place aux violences perpétrées contre les prélats languedociens et provençaux 14 . C'est donc sur ce terrain, à peine défriché, que nous ancrerons notre réflexion consacrée aux évêques malmenés dans le royaume de France entre la fin du :xe et les premières heures du XIIIe siècle. L'étude de ces violences s'inscrit dans un cadre volontairement limité sur le plan spatial et temporel. La question du cadre géographique a été difficile à trancher. Un élargissement aux frontières de la France actuelle aurait permis de bénéficier d'un plus grand nombre d'exemples, mais le risque de dispersion est grand. Cette option aurait nécessité la création d'un lien passablement artificiel entre les évêques du royaume et ceux dont les diocèses se trouvent en terre

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44

La provenance géographique de cinquante et un des cinquante-six évêques retenus ne laisse subsister aucun doute. Trente-sept d'entre eux sont originaires du diocèse dont ils ont obtenu la direction. Les évêques «étrangers», à différents degrés, constituent des exceptions: sur les quatorze recensés, quatre sont issus d'un diocèse voisin au leur, neuf d'une autre province ecclésiastique et un seul de l'extérieur du royaume. Une uniformité comparable se dégage de l'origine familiale de ces prélats: elle est connue pour quarante-quatre victimes. Parmi elles quarante sont issues des rangs de la noblesse, de familles d'importance locale jusqu'aux plus prestigieuses. Quatre sont, par contre, de modeste extraction. Un recrutement en évolution Deux caractéristiques principales se dégagent du recrutement des évêques étudiés: un fort ancrage à la fois local et aristocratique. L'origine nobiliaire des prélats doit être nuancée. À côté d'une poignée de victimes - six - issues de la plus haute aristocratie, lignages comtaux, ducaux et royal mêlés, une trentaine provient du milieu seigneurial. Cette proportion reste à peu près stable tout au long des XIe et xne siècles. Qu'en est-il de l'ensemble des évêques français durant la même période?

334 Les évêques d'Orléans, de Périgueux et de Béziers, Foulque, Raimond de Châteauneuf et Bernard qui se trouvent dans ces situations sont donc écartés pour l'instant, au même titre que Gui à Limoges pour citer quelques exemples.

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La multiplication des monographies régionales enrichies par quelques synthèses, dans lesquelles l'épiscopat est envisagé en tant que «corps social», permet de faire le point, au moins en partie. Il n'est cependant pas nécessaire de nous lancer dans une telle entreprise qui nous éloignerait de nos préoccupations. Les trois quarts des évêques malmenés, sur lesquels nous disposons d'informations suffisantes, sont issus des provinces ecclésiastiques qui couvrent une large moitié ouest du royaume, de la Normandie jusqu'au sud de l'Aquitaine. Comme le recrutement des prélats est bien étudié à l'intérieur de ce vaste espace, nous nous contenterons de la confrontation rapide de nos relevés avec les conclusions tirées des investigations concernant les provinces de Bourges, Bordeaux, Tours et Rouen. Dans leur ensemble, les évêques étudiés ne se distinguent pas socialement des autres prélats. Les victimes, déjà isolées, apparaissent comme des individus qui s'inscrivent d'emblée en rupture par rapport au corps épiscopal. Il faut cependant nuancer cette remarque puisque les origines des prélats, même quand elles ne se distinguent pas de celles de leurs semblables, ont parfois occupé une place non négligeable dans le développement des violences. Les premiers résultats publiés d'une étude portant sur l'épiscopat de la province de Bourges au XIe siècle confirment bien l'impression laissée par le recrutement des évêques malmenés 335 . Les prélats identifiés appartiennent tous à l'aristocratie et, parmi eux, les représentants des grandes familles ont tendance à s'effacer au profit du milieu seigneurial. Le recul de la haute aristocratie par rapport à des hommes de plus basse extraction se retrouve incontestablement chez les treize victimes de violences retenues pour cette province. Toutes sont issues de la noblesse locale, à l'exception d'un évêque de Limoges choisi en Poitou336 . Neuf appartiennent à des familles seigneuriales dont l'influence est restreinte, contre seulement trois aux naissances plus prestigieuses. Deux sont réputées être apparentées aux rois: l'archevêque de Bourges, Gauzlin, sur les origines duquel nous reviendrons, et Robert de Mehun, évêque de Mende, que Philippe Auguste qualifie de consanguineus337. Le troisième évêque, Étienne de Clermont, est le fils du comte de Gévaudan, Pons. Remarquons cependant que sur ces trois exceptions, deux s'inscrivent dans les premières heures du x1e siècle. Les trois évêques malmenés en Normandie reflètent, eux aussi, l'évolution du recrutement des prélats, bien connu dans la province de Rouen. Rien d'étonnant à trouver parmi eux un représentant du lignage ducal au milieu du XIe siècle et un Breton au début du x11e 33s_ Ils témoignent des changements intervenus dans l'épiscopat normand entre les deux siècles:jusqu'aux environs de 1060, les évêchés sont

335

M. Gasmand, «Les princes , Revue d'Auvergne, 1980, p. 116118. 403

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IDENTIFIER: QUELLES VIOLENCES POUR QUELS ÉVÊQUES?

pitres. Or, c'est bien plus cette «absence» de formation qui a été, dans chaque cas, considérée comme une tare et une invitation à la violence contre des évêques rendus suspects dès leur nomination. Nous reviendrons sur ce sujet lorsque nous examinerons les arguments utilisés contre les prélats taxés d'indignité. Que pouvons-nous donc retenir de cette rapide approche «sociologique» des évêques malmenés? Tout d'abord, ils ne se distinguent pas dans leur ensemble de l'épiscopat du royaume. Ils appartiennent aux sphères supérieures de la hiérarchie sociale de l'Occident médiéval. Ils sont très liés au monde aristocratique, dont ils sont le plus souvent issus et dont ils ont parfois conservé les mentalités. Leur formation et leur provenance des chapitres et des monastères ne les différencient pas non plus des autres évêques. Cette double appartenance à l'aristocratie et aux églises locales n'est pas contradictoire: si le recrutement des évêques évolue, à partir de la fin du x1e siècle, en faveur des chanoines, du fait de la libéralisation des élections dont la législation se précise, les chapitres se sont, dans le même temps, «aristocratisés». De manière générale, l'appartenance des évêques à la noblesse locale s'accompagne donc, de plus en plus, d'une formation intellectuelle et spirituelle solide. Enfin, il ne se dégage pas de cette approche un portrait type de l'évêque malmené: le groupe semble se définir pour l'instant à l'intérieur de l'ensemble du corps épiscopal par les violences subies et pas par des origines prédisposant, par essence, aux attaques. Cependant, lorsque la naissance, la provenance ou la formation d'un évêque constitue une rupture dans le recrutement épiscopal ou l'isole de ses prédécesseurs dans un contexte peu favorable, chacun de ces éléments peut être exploité par ses détracteurs et devenir une arme contre le prélat. S'il ne semble pas exister de facteur «inné» prédisposant aux violences anti-épiscopales, peut-on en dire autant des conduites adoptées par les évêques?

B - Caractères exceptionnels: prélats indignes et réformateurs

Alors que les évêques malmenés constituent un groupe sociologiquement représentatif de l'épiscopat dans son ensemble, ce sont surtout leurs conduites qui les distinguent de leurs semblables. Si les prélats, victimes malheureuses de leurs origines, sont assez peu nombreux et ne doivent leur sort qu'à des circonstances peu propices à leur recrutement, les évêques ayant provoqué des réactions hostiles par leurs attitudes ne manquent pas. Nous nous attacherons donc à mettre en évidence les comportements récurrents par lesquels les évêques étudiés se sont exposés à la violence. Avant d'opérer une distinction entre ces derniers, en fonction de leurs engagements ou encore de leurs mœurs, quelques remarques d'ordre général s'imposent. Tout d'abord, les évêques malmenés ont majoritairement agi avec une forte détermination: rien ne paraît assez important pour les pousser à corriger leurs conduites, à nuancer leurs positions. Parmi eux, un grand nombre aurait peut-être pu limiter la portée des violences, en acceptant de négocier avec leurs adversaires, ou en évitant de multiplier les mêmes provocations. Quelques exemples suffisent à le prouver. À Laon, Gaudry s'est lancé dans une multiplication d'exactions toujours plus difficiles à supporter pour ses victimes. À Thérouanne, Lambert et le comte de Flandre, son protecteur, ont été régulièrement invités à se défendre des graves accusations portées contre eux. Dans un registre différent, Jean de Veyrac aurait pu négocier son retour dans la cité limousine auprès de Jean Sans Terre.

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D'autres ont été confrontés à des violences à répétition: avant d'atteindre l'irréparable, leurs ennemis les ont menacés et avertis par le biais d'attaques relativement modérées. Ainsi, avant d'être assassiné, Pierre Frotier a été confronté à une révolte urbaine dont il aurait pu tirer plus de conséquences. Hamon a d'abord été expulsé de son siège par son frère l'invitant à renoncer à ses nouveaux alliés: le prélat n'a pas entendu la mise en garde. Enfin, les violences perpétrées contre l'archevêque de Rouen, Geoffroy le Breton, ne sont qu'une répétition de celles subies par son prédécesseur, Jean d'Ivry, pour les mêmes causes quelques années auparavant. Pour comprendre quelles conduites adoptées par les prélats étudiés ont, à plusieurs reprises, provoqué des réactions violentes, il faut isoler deux groupes d'évêques malmenés. Le premier rassemble des victimes dont les comportements ont été jugés «indignes» par certains de leurs contemporains. Le second regroupe des évêques «réformateurs» bien représentés dans le corpus étudié. Ces prélats zélés ont, eux aussi, provoqué des réactions hostiles, en imposant des ruptures souvent radicales.

D'indignes provocateurs Parmi les évêques malmenés, près d'un prélat sur cinq a été taxé d'indignité par ses contemporains. Plus exactement, ces individus se sont vus reprocher des conduites jugées inacceptables pour des hommes de leur rang, causes principales des violences qu'ils ont endurées. Le tableau suivant (tableau n ° 8) permet de faire rapidement le point sur les accusations portées contre ces évêques. Accusations Victimes

-... Q,)

1000/1050

c.i

Simonie Intrusion Violence

Thierry / Orléans

+

Gauzlin / Bourges

+

+ Ambition

Gervais / Le Mans

'Q,)

Divers

Intriguant

ri)

Gui / Beauvais

Q,)

~ 1050-1100 Lambert / Thérouanne

+ +

+

+

Hildebert / Le Mans

-... Q,)

1100/1150

c.i

Concubinage

Gaudry / Laon

+

+

Aymeri / Clermont

Laxisme

;Q,)

Hamon / St-Pol-de-L

ri)

....

Q,)

~

1150/1200

Intriguant

+

Robert d'A. /Arras

+

Guillaume / Béziers

Origines Laxisme

Les critiques formulées contre les évêques malmenés sont de trois types. On reproche à certains les méthodes mises en œuvre pour accéder à l'épiscopat: ce sont, le plus souvent, les évêques accusés de simonie et d'intrusion, parfois de violence. Pour les autres, ce sont les moyens utilisés dans la direction du diocèse qui sont montrés du doigt. Ils se divisent alors en deux ensembles supplémentaires: ceux que l'on juge violents par opposition aux évêques taxés de laxisme.

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IDENTIFIER: QUELLES \10LENCES POUR QUELS ÉVÊQUES?

Afin de savoir quelle peut être la part de responsabilité de ces évêques dans le déclenchement des violences, il est nécessaire de tenir compte de l'origine des accusations et des objectifs visés par ceux qui en ont brossé de sombres portraits. Ces deux aspects permettent de nuancer les jugements portés sur les prélats et de distinguer au moins trois niveaux de critiques dont l'impact varie considérablement. Calomnier pour déconsidérer

Malgré les différences qui séparent les torts reprochés à Robert d'Aire et à Aymeri, évêques d'Arras et de Clermont, ces derniers peuvent être regroupés dans un premier ensemble, du fait des intentions de leurs détracteurs. Robert a été taxé d'intrusion; sa modeste naissance et ses liens étroits avec le comte de Flandre taillés en pièces. Quant à Aymeri, c'est de laxisme et de faiblesse qu'il a été accusé. Dans un cas comme dans l'autre, rien ne fonde les critiques dont ils ont fait l'objet. Nous montrerons donc comment leurs adversaires ont tenté d'utiliser la calomnie afin de les isoler de leurs principaux soutiens et de leur faire perdre toute crédibilité. Le portrait de Robert d'Aire dressé par Henri de France, à la veille du transfert de l'évêque d'Arras sur le siège de Cambrai, n'est pas flatteur. L'archevêque de Reims lui reproche ses origines peu reluisantes, son attachement au comte de Flandre auquel il semble tout devoir et autant d'intrigues qui lui auraient permis d'accéder à l'épiscopat408 . Ce sombre tableau ne s'appuie pourtant sur aucun argument solide. Chose curieuse, il est destiné au pape Alexandre III qui a lui-même recommandé Robert d'Aire à Henri après son élection à Arras. En effet, deux ans plus tôt environ, Alexandre III a demandé à l'archevêque de réserver un bon accueil au candidat désigné par les électeurs d'Arras. Le pape lui a accordé, à la demande des chanoines, une dispense des ordres majeurs et un délai pour son ordination; il a aussi chargé Henri d'attendre l'année suivante pour le consacrer, afin de lui laisser le temps d'expédier encore quelques affaires en cours en tant que chancelier du comte de Flandre 409 • Un constat similaire peut être réalisé à propos d'Aymeri. Dans une longue lettre adressée au pape Eugène III aux environs de 1146, Pierre le Vénérable critique vigoureusement l'évêque de Clermont410 • L'abbé de Cluny l'accuse de ne pas s'acquitter de ses fonctions. Il décrit une Auvergne agitée par des guerres incessantes et reproche à l'évêque de ne pas défendre, dans ce contexte, ceux qui ne peuvent porter les armes, contrairement à ses prédécesseurs 411 • Pierre dresse un sombre

408 Designatus est imperatoriae demandationis apicibus, comitis Flandriae precibus et minis impactus, et redempti favoris adeptus est emendicata suffragia, et per machinationis clandestinae cuniculos cathedrae pontifïcalis eminentiam, non a Domino vocatus tanquam Aaron, sed favore principum et temerariae multitudinis arbitrio, fastuose et irreverenter irrupit. Novit celsitudinis vestrae sacer intuitus quanta debeatur appellationibus reverentia, quanta sit animadversione digna praesumptio, quam districta conveniat censura perfidiae, quid intorqueant canones eversori pacis et schismatis professori [ ... J . Nunc autem ad vos universitatis oculus intenta sedulitate dirigitur, et exspectat a sede justiciae justum sine remoratione judicium, in quo nec inveniat malignitas impunita progressum, nec in despectus caveam refundantur appellationum probata remedia [ ... ];lettre de l'archevêque de Reims à Alexandre III, PL, t. 200, col. 1367 D - 1368 C, n° 8 (1174). 409 PL, t. 200, col. 787 A- D, n° 877 (4 mars 1172). 410 G. Constable, The letters ofPeter the Venerable, t. 1, Cambridge, 1967, lettre n° 171, p. 404-407. 411 Episcopi enim qui ante istum terrae illi iure aecclesiastico principati sunt, et quod suum erat iuxta sibi datam gratiam impleuerunt, et quod regum uel principum fuerat in defendendo aecclesiam iuxta quod licuit suppleuerunt; Ibid., p. 405.

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tableau du diocèse de Clermont privé de toute justice épiscopale et fait endosser la responsabilité de cette situation à Aymeri: «depuis près de vingt ans, le peuple est privé de roi, de chef, de loi et de pontife», écrit-il412 • La lettre dont cette diatribe provient est, en fait, la réponse attendue par le pape à une mission qu'il a précédemment confiée à Pierre le Vénérable. Le pape l'a chargé, avec l'évêque de Limoges, d'arbitrer un conflit engagé entre Aymeri et la noblesse locale, à propos de la possession du château auvergnat d'Auzon. Dans cette lutte, le prélat a capturé et gardé prisonnier un chevalier. L'abbé devait donc convoquer Aymeri et juger le différend. Si l'on en croit Pierre, la missive dans laquelle le pape lui a demandé d'intervenir a été directement remise à l'évêque et il n'a pu accomplir sa mission. Il se contente donc de lui écrire ce qu'il pense de l'évêque de Clermont. Or, ce portrait critique d'Aymeri est contredit en bien des points par d'autres textes contemporains. L'évêque de Clermont s'est appliqué à faire valoir les droits de son Église dès le début de son épiscopat: en témoignent ses efforts pour obtenir la restitution de ses biens et de ses revenus usurpés par les seigneurs laïcs 413 • Lorsque Pierre le Vénérable l'accuse de laxisme envers la noblesse, il oublie les différents abus corrigés par l'intervention du prélat, ainsi que ses démêlées avec le comte d'Auvergne, Guillaume VI, qui lui ont valu d'être expulsé de Clermont à deux reprises. Face à la violence comtale, Aymeri n'est pas resté inactif: il a fait appel au roi de France, Louis VI, dont les interventions ont permis d'affermir sa position. Dans le récit qu'il propose des campagnes menées en Auvergne par le souverain, Suger, sans plus d'objectivité que l'abbé de Cluny, présente Aymeri comme un prélat trahi par certains représentants de son clergé et tyrannisé par le comte d'Auvergne 414 • Pourquoi vouloir alors briser l'image de ces évêques actifs, d'autant plus à des moments clés de leur carrière, comme dans le cas de Robert d'Aire, à la veille de son départ pour Cambrai où il a été désigné, sans doute à la fin de 1173? Plusieurs explications ont déjà été avancées pour expliquer le ton calomnieux de l'archevêque de Reims envers son suffragant415 . D'une part, Henri n'a pas été consulté lors de l'élection de Robert à Arras: c'est le pape qui semble l'avoir informé du choix des électeurs en l'invitant à consacrer le nouveau prélat. D'autre part, l'évêché d'Arras est, à cette époque, tiraillé entre l'influence royale et comtale: les trois évêques ayant précédé Robert étaient les candidats du roi de France4 16 . L'archevêque, frère du souverain, a peut-être donc ressenti l'avènement du chancelier du comte de Flandre comme une double défaite sur le terrain des élections épiscopales. L'annonce de son transfert à Cambrai n'a pu que renforcer son ressentiment: Henri a sans doute craint de voir son autorité affaiblie dans sa provin412

At nunc peruiginti fere annos populus iUe dei tantus, tam numerosus, iuxta scripturae sanctae uerbum de ludaeis olim dictum, mansit sine rege, sine principe, et quod solum ei supererat sine lege, quod peius est, et sacerdote; Ibid., p. 405-406. 413 R. Sève, «La seigneurie épiscopale de Clermont ... », p. 116-118. 414 Ea etiam tempestatis temperie, Alvernorum pontifex Claromontensis, vir honeste vite et defensor ecclesie illustris, et pulsatus et pulsus Alvernorum superbia nova et antiqua, que eis titulatur: «Alvernique ausi Lacios se fingere fratres '" ad dominum regem confugiens, querelam ecclesie lacrimabilem deponit, comitem Alvernensem civitatem occupasse, ecclesiam Beate Marie episcopalem decani sui fraude multa tirannide munivisse. Renitentis etiam pedibus provolutus, ancillatam ecclesiam exancillari, tirannum effrenatum compescere regie majestatis gladio suppliciter efjlagitat; Suger, Vie de Louis VI. .. , p. 232. 415 Voir B. Delmaire, Le diocèse d'Arras ... , p. 162-163 et L. Falkenstein, «Alexandre III et Henri de France», dans R. Grosse (dir.), l'Église de France et la papauté... , p. 158-168. 416 B. Delmaire, Le diocèse d'Arras ... , p. 162.

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IDENTIFIER: QUELLES VIOLENCES POUR QUELS ÉVÊQUES?

ce. La démarche de l'archevêque de Reims est donc claire: il s'agit de dissuader Alexandre III de déplacer l'évêque d'Arras pour l'installer à Cambrai. Pour cela, il faut insinuer le doute dans son esprit. La manœuvre a cependant échoué. Privé d'alternative, Henri semble avoir opté pour une méthode plus expéditive: l'assassinat. Dans le cas d'Aymeri, on peut supposer que l'abbé de Cluny est toujours animé par un certain ressentiment envers l'évêque de Clermont auquel il a été confronté quelques années plus tôt, à propos de la possession de différentes églises en Auvergne. En effet, à son arrivée à l'épiscopat, Aymeri a revendiqué des droits sur plusieurs églises cédées à Cluny. Ce conflit s'est prolongé pendant près de dix ans à partir des années 1120, émaillé de diverses tractations malgré les arbitrages rendus à la demande du pape Calixte Il. Le portrait adressé par Pierre à Eugène III, installé depuis peu sur le siège pontifical, est peut-être une tentative pour se venger des pertes subies par Cluny en Auvergne, du fait de la politique menée par l'évêque. Ces deux exemples invitent donc à se méfier des propos tenus contre les prélats étudiés. Au premier abord, Robert et Aymeri paraissent suspects. Le premier en particulier: décrié par son métropolitain, soutenu par un puissant laïc, couvert de bénéfices ecclésiastiques, pas même ordonné prêtre lors de son élection, il présente toutes les caractéristiques du prélat indigne. Le meurtre de ce type d'évêque, suppôt d'un prince territorial, ne surprend guère. Cette image calomnieuse n'est en réalité qu'un écran de fumée, dressé pour masquer les motivations de l'archevêque. En attaquant à découvert le prélat auprès du pape, Henri s'est pourtant dévoilé: il a annoncé, malgré lui, la suite des événements et ses intentions. Si les objectifs des calomniateurs de ces évêques n'ont pas été atteints, d'autres prélats ont véritablement été victimes de leurs réputations construites de toutes pièces.

Accuser pour écarter La dénonciation de Lambert comme un évêque indigne du siège de Thérouanne et les accusations de laxisme portées contre l'évêque de Béziers, Guillaume de Rocozels, occupent une place centrale dans le mécanisme des violences perpétrées contre ces prélats. Elles constituent dans les deux cas les éléments déclencheurs des attaques. Le poids des critiques et l'ampleur de leur impact sont directement liés à ceux qui ont désigné Lambert et Guillaume comme des indésirables: Grégoire VII et Innocent III. À travers la présentation des soupçons pesant sur ces deux évêques, nous montrerons comment leur réputation a pu leur être fatale. Les papes ne sont pas à l'origine des reproches faits à Lambert et à Guillaume, mais ce sont eux qui leur ont donné un important écho et les ont rendus publics. Ils leur ont aussi fourni un crédit suffisant en permettant d'une part l'excommunication de Lambert, d'autre part la suspension de Guillaume, au nom des plaintes parvenues jusqu'à eux. L'absence de démenti des évêques critiqués a encore amplifié les doutes pesant sur leurs personnes. Quels sont donc les torts dont Lambert et Guillaume ont été affublés et quel est le rôle joué par les papes dans leur diffusion? Grégoire VII a répercuté les accusations formulées contre Lambert dans la correspondance qu'il adresse au protecteur de ce dernier, le comte de Flandre, Robert

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le Frison. L'évêque y est taxé de simonie, d'intrusion et de vol 417 , mais aussi de s'être emparé par la force de son siège et d'avoir exilé ses opposants418 • Si, dans un premier temps, le pape s'est contenté de faire pression sur le comte, en lui demandant de chasser Lambert, il n'a pas tardé à prendre le clergé et le peuple de Thérouanne à parti419 • Il a chargé les évêques voisins d'inciter Robert le Frison à lutter contre Lambert et le ton s'est encore durci après l'excommunication du prélat par le légat, Hugues de Die, chargé de clarifier l'affaire 420 . Grégoire VII a donc continué de noircir le portrait de l'évêque et de réclamer son expulsion sans relâche. Ses missives constituent une véritable incitation à la violence et son message n'a pas tardé à faire des émules. Cependant, l'attaque lancée contre Lambert a sans doute dépassé ses espérances, puisqu'elle s'est soldée par la mort de l'évêque. Or, ce n'est qu'une fois les violences commises que le pape a modéré son jugement, à la lumière d'informations supplémentaires fournies, semble-t-il, par le comte de Flandre. Grégoire VII est alors revenu sur l'excommunication de Lambert et il a adressé des remontrances sévères aux agresseurs condamnés à accomplir une sévère pénitence 421 . Ce retournement tardif n'a pourtant pas permis d'éviter le pire. Lambert a donc bien été victime de sa réputation. Celle-ci a été d'autant plus lourde à porter qu'elle a fait de lui l'incarnation même du prélat opposé en tous points à l'idéal grégorien! Il n'y a pas de grande différence dans le cas de Guillaume de Rocozels. Les critiques formulées contre lui proviennent des représentants du pape présents en Languedoc pour prêcher contre le développement du catharisme fin XIIe - début XIIIe siècle. Ces derniers ont accumulé les griefs contre l'évêque de Béziers: ils lui ont surtout reproché de leur avoir refusé son soutien matériel dans leurs efforts pour convaincre le comte de Toulouse de chasser les hérétiques de ses États; mais aussi de s'être montré négligent dans la lutte contre ces derniers à l'intérieur même de son diocèse 422 • La suspension de Guillaume par Pierre de Castelnau et Raoul de Fontfroide, en réponse à son refus d'obtempérer, n'a pas eu de conséquence fâcheuse pour l'évêque. Par contre, une fois informé par ses légats, Innocent III a décidé de rendre publiques les sanctions prises contre lui 423 • Cette divulgation des soupçons pesant sur l'évêque a été suivie par le déclenchement de la violence; comme dans le cas précédent, la diffusion d'un portrait peu avantageux s'est soldée par un meurtre.

417

[ ... ] Audivimus nuper te cuidam clerico sacrilegfo Lamberto, qui publice Tarvanensem episcopatum mercatus est, contra voluntatem clericorum illi Ecclesiae imposito, imo ab eis omnino jampridem repudiato assensisse, eique adjutorium et potestatem Ecclesiam inuadendi praestitisse, de qualibus ipsa Veritas dicit: "Qui non intrat per ostium in ovile ovium sed ascendit aliunde, ille fur est et latro». Et beatus papa Leo: «Non habeatur inter episcopos qui nonfuerit a clero electus et a populo expetitus»; lettre adressée par Grégoire VII au comte de Flandre, voir: PL, t. 148, col. 639, n° I. 418 E. Caspar, Das Register GregorsVII..., IX, lettre n° 35, p. 622-627 et n° 36, p. 628-629. 419 PL, t. 148, lettre n° II, col. 639-640. 420 Grégoire VII s'adresse aux évêques de Cambrai, Amiens et Noyon: E. Caspar, Das Register Gregors VII. .. ,

IX, lettre n° 35, p. 622-627. 421 Ibid., IX, lettres n° 33 et 34, p. 619-622: lettres adressées à Hugues de Die et au comte de Flandre. Pour les remontrances aux assassins: lettre n° 31, p. 617-618, Intolerabilis audaciae ... 422 Les faits reprochés à Guillaume sont consignés dans une lettre adressée par Innocent III à l'évêque d'Agde et à l'abbé de Saint-Pons de Thomières: PL, t. 215, col. 272-273. 423 C'est l'objet de la lettre citée dans la note précédente.

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Il faut donc doublement se méfier des accusations portées contre les prélats malmenés. Il faut s'attendre à rencontrer des évêques victimes, non pas de leurs comportements, mais de réputations construites de toutes pièces. Ces élaborations semblent d'autant plus redoutables lorsqu'elles émanent des autorités ecclésiastiques elles-mêmes: les violences anti-épiscopales peuvent devenir une arme utile à l'épuration du clergé. Cependant, dans la plupart des cas, la dénonciation des évêques indignes ne précède pas les violences. Critiquer pour justifier Les critiques formulées contre les évêques malmenés l'ont, le plus souvent, été à la suite des violences commises contre ces derniers. En général, l'objectif des accusateurs est le même: il s'agit de justifier les attaques par les conduites, jugées indignes, des victimes. Il est cependant plus ou moins aisé de cautionner les atteintes: tout dépend des gestes commis contre les prélats. Pour mieux le comprendre, nous nous appuierons sur deux exemples: celui de Gauzlin, l'archevêque de Bourges expulsé, et celui de Caudry, l'évêque de Laon assassiné. Dans un cas comme dans l'autre, nous n'entrerons pas dans les détails: les violences perpétrées contre ces derniers faisant l'objet de développements ultérieurs.

Dans le cas des expulsions, il n'est pas vraiment risqué d'afficher un parti pris; au contraire. L'exemple de Gauzlin dont le comportement a été dénoncé par Fulbert de Chartres le montre bien. Les critiques dirigées contre lui sont assez isolées et n'ont pas eu de réel impact. Elles ont été formulées par Fulbert, après le refus de laisser Gauzlin s'installer à Bourges. Dans une lettre adressée à l'archevêque Liéry de Sens, Fulbert décrit Gauzlin comme un ambitieux. Il en fait un usurpateur utilisant la puissance royale pour se frayer un chemin jusqu'au siège dont on lui a barré l'accès424. L'évêque de Chartres justifie donc la mise à l'écart de Gauzlin: elle est, à ses yeux, méritée puisqu'on a tenté d'en faire le pasteur d'un troupeau qui ne l'a pas souhaité 425 . Cependant, Fulbert tempère bien vite ses propos: il excuse l'ambition du nouvel archevêque par sajeunesse 426 . Ce n'est pas lui qu'il vise, mais son correspondant, Liéry. Il reproche à l'archevêque de Sens d'avoir accepté de consacrer Gauzlin, malgré son imposition peu canonique à la tête de la province de Bourges. Il regrette de ne pas avoir été consulté auparavant et blâme le métropolitain d'avoir prêté main forte, pour la deuxième fois, à une intrusion orchestrée par le roi de France 427 .

424

F. Behrends, ThelettersandpoemsofFulbertofChartres .. ., n° 26, 1012-1014, p. 48-51. &probatus itaque et a finibus episwpatus extorris, cum palam intrare per hostium non potest ut legitimus pastor; nec aliunde furtiuus ascendere, per uiolenciam regis irrumpere nititur ut tyrannus; Ibid., p. 48. 426 Nec miror adeo si iuuenis ille tali patuit ambicione temptari, cui uel aetas ipsa uel quae eius aetatis pedisequa solet esse imprudencia locum Jorsitan obtineat excusandi; Ibid. 427 Quod me, pater; amicum appellas gratanter annuerem, si te quoque exhiberes amicum. Sed cum sine meo consilio episcopos ordinando dignitatem suam ecclesiae Carnotensi derogas, cumque in eodem negocio legem canonicam multimode soluis, non solum me ledis, sed omnes pariter qui iustitiam colunt. Ego quidem meam adhuc multe pacior; sed lex ipsa diuina suam iniuriam bene ex parte uindicat, quae dum a te soluitur; tua opera cassai. Hoc pridem in T(heoderico) factum in G(auzlino) nuper iterasti, qui sic a te pastor est constitutus, ut nec gregem sibi commissum nouerit, nec grex ipsum recipere uelit , Ibid. 425

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En effet, Liéry a déjà consacré l'évêque d'Orléans, Thierry, un moine de SaintPierre-le-Vif, nommé par le roi Robert, alors que les électeurs hésitaient entre deux candidats 428 . Fulbert de Chartres s'est opposé à cette consécration 429 . Thierry a, lui aussi, été attaqué à deux reprises suite à cette nomination: son ancien compétiteur est intervenu pour troubler la cérémonie de son intronisation et, plus tard, il a organisé une attaque contre le prélat, au cours de laquelle il a été jeté de son cheval et copieusement insulté 430 . Dans la lettre qu'il adresse à l'évêque d'Orléans pour exposer les raisons qui l'ont conduit à s'opposer à sa consécration, Fulbert ne l'épargne pas. S'il s'applique à démontrer point par point les conditions de l'élection de Thierry en s'appuyant avec précision sur le droit canonique, il accuse également le prélat de fautes graves qui font de lui un usurpateur. Tout d'abord, il mentionne une lettre du pape interdisant l'élection de Thierry soupçonné d'homicide4 31 ! Il lui reproche ensuite d'avoir usé de la force pour obtenir le siège d'Orléans et plus particulièrement d'avoir utilisé la puissance royale pour parvenir à ses fins 432 • Dans ce cas, il n'y a pas d'ambiguïté: c'est bien sur l'évêque qu'il fait peser tous les torts. Enfin, Fulbert signale qu'il a été menacé par les partisans de Thierry pour avoir refusé de le consacrer433 . Cette condamnation sans appel de l'évêque s'explique en partie par le soutien apporté par Fulbert à son concurrent pour la conquête du siège d'Orléans 434 . Si les propos tenus par Fulbert de Chartres visent à ternir l'image de Thierry, sa démarche est différente par rapport à Gauzlin qui a d'ailleurs laissé le souvenir d'un abbé puis d'un archevêque actif. Dans les deux cas, ils manifestent son opposition aux investitures laïques. Il récupère en ce sens les violences subies par les deux évêques imposés: il ne les cautionne pas, il les présente comme des jugements de Dieu utiles pour dénoncer les erreurs commises par les puissants et les représentants du clergé qui leur ont obéi. Le regard porté sur Gaudry de Laon par l'abbé Guibert de Nogent est d'une tout autre portée. Guibert de Nogent s'attarde longuement dans sa biographie sur le sort de Gaudry, l'évêque de Laon, assassiné au début du XIIe siècle 435 • Cependant, il a aussi pris soin de dénoncer, au préalable, les abus commis par l'évêque. N'entrons pas dans les détails, nous reviendrons plus longuement sur le récit construit par Guibert et sur l'assassinat de Gaudry. Sous sa plume, Gaudry est un évêque simoniaque, imposé sur le siège de Laon par un seigneur laïc, que rien ne prédispose à l'épiscopat: ni ses mœurs aristocratiques et guerrières, ni son goût immodéré pour le luxe, ni sa formation puisqu'il est tout juste sous-diacre lorsqu'il est élu et passablement

428 Vie

de saint Thierry, AA SS, Jan. III, p. 405. F. Behrends, The letters and poems ofFulbert of Chartres ... , n° 22, p. 38-45. 430 Vie de saint Thierry, AA SS, Jan. III, p. 405. 431 Altera fuit quod sub ipso deliberatae ordinationis articulo, propter crimen homicidii quod audierat, missum a domno papa uidimus interdictum; F. Behrends, The letters and poems ofFulbert of Chartres ... , n° 22, p. 40. 432 Quartam uero mouit proscriptio refragantium clericorum et extorta timore electio. Verum non electio. Nam cum sit electio unius de pluribus maxime complaciti secundum liberam arbitrii uoluntatem acceptio, quomodo electio recte dici possit, ubi sic a principe unus obtruditur; ut nec clero nec populo nec ipsis summis sacerdotibus ad alium dejlectere concedatur ?; Ibid, p. 42. 433 Ibid., p. 42. 434 Ibid., p. LXXVIII. 435 Guibert de Nogent, De vita sua .. ., p. 269-397. 429

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ignorant436 • Une fois en place, les travers de Caudry se révèlent un peu plus: violences et intrigues érigées en pratiques de gouvernement, moindre intérêt pour les choses saintes, multiplication des abus envers ses ouailles, absentéisme à répétition. Dans le récit construit par Guibert de Nogent, l'assassinat de l'évêque est un jugement de Dieu, un juste retour des choses. Ne simplifions pas l'utilisation que l'abbé fait de cet épisode agité de l'histoire de Laon et de sa connaissance de l'évêque. Il en retire bien des leçons, mais toutes n'ont pas la même valeur: l'évêque indigne est puni pour sa conduite peu recommandable. Mais quelque part, ceux qui lui ont permis d'accéder au siège de Laon portent leur part de responsabilité: Guibert a pris sa défense devant le pape et a œuvré à son avantage4 37 . La leçon devient donc confession et il en est le premier bénéficiaire. Quant aux assassins, ils ne sont pas présentés comme des justiciers par l'abbé: Guibert n'omet pas de présenter plusieurs des protagonistes comme des personnages violents 438 ; quant à leurs menées pour établir une commune, elles sont également condamnées par Guibert, au même titre que leur haine enYers l'évêque. L'abbé souligne donc par la même occasion le danger de bouleverser l'ordre établi. Enfin, face à l'évêque, il construit des figures exemplaires au rang desquelles maître Anselme occupe la première place: il s'oppose à l'élection irrégulière de Gaudry439 ; il met en garde l'évêque contre les menaces qui pèsent sur lui et l'invite à la prudence 440 ; il prend en charge l'organisation de la sépulture du corps de l'évêque abandonné 441 . Comme le montre l'utilisation, hors norme, qu'en fait Guibert de Nogent, l'image de l'évêque indigne et malmené est donc susceptible de devenir un outil pédagogique de poids et pratique. La mise en valeur des torts de la victime offre une possibilité intéressante: elle permet de souligner la responsabilité de cette dernière dans ses propres mésaventures, sans pour autant approuver le geste. Il semble que ce soit le parti choisi par Guibert de Nogent dans le récit des violences administrées à l'évêque de Laon. De ces différentes situations au centre desquelles se trouvent des évêques critiqués dès leur accession à l'épiscopat, nous pouvons déjà retenir trois éléments pour la définition d'un portrait type des victimes de violences anti-épiscopales. Tout d'abord, la tentation est grande d'assimiler aux prélats malmenés des évêques indignes. Cependant, il faut se méfier des accusations portées contre ces derniers: elles visent le plus souvent à les déconsidérer, parfois pour justifier les attaques dont ils ont fait les frais, ou pour les provoquer. Il faut donc s'attendre à rencontrer des évêques victimes, non pas uniquement de leurs comportements, mais aussi de réputations plus ou moins justifiées.

436

Ibid., p. 282-290. Guibert explique comment il a accompagné l'évêque venu se justifier des conditions de son élection devant le pape Pascal II de passage à Dijon; il présente les mensonges auxquels il a fallu recourir; Ibid., p. 284-293. 438 Il dresse, par exemple, un sombre portrait du principal assassin, Theudegaud; Imd., p. 338-342.

437

439

Cum igitur omnes assensum in ejus susceptione dedissent, solus magister A nsellus [ ... ] ab ejus electione dissensit; Imd., p. 284. 440 Ibid., p. 334. 441 Ibid., p. 356.

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Il ne faudrait pourtant pas imaginer que les évêques malmenés ont tous véhiculé une image dégradée de l'épiscopat. Au contraire, à côté de ces victimes aux conduites douteuses, les évêques réformateurs ne sont pas en reste.

De zélés réformateurs Les évêques que l'on peut qualifier de réformateurs représentent, en effet, environ un quart des victimes. Les critères retenus pour définir ce caractère sont liés aux actions menées par les prélats à l'intérieur de leurs diocèses, mais aussi aux rapports qu'ils ont entretenu avec Rome et ses représentants. Notre objectif n'est pas ici de recenser systématiquement des conduites réformatrices chez les évêques malmenés, mais de mesurer le poids de ces attitudes dans le déclenchement des violences qui leur ont été infligées. Pour cela, nous procèderons en deux temps. Nous dresserons un bilan des attaques provoquées par les comportements des évêques, en distinguant les entreprises propres à la direction interne des diocèses, des engagements pris par les prélats en adéquation avec les grandes orientations lancées par la papauté réformatrice.

Réorganiser les diocèses En tant que seigneurs et administrateurs du temporel de l'Église, les évêques ont eu d'importants intérêts matériels à défendre. Cette tâche a été rendue d'autant plus difficile que la fortune foncière de l'Église a attiré de nombreuses convoitises, aussi bien vers les domaines que vers les droits qui y sont attachés. Ces richesses ont particulièrement tenté les seigneurs laïcs qui s'en sont emparés, mais la répartition et l'utilisation des revenus des églises épiscopales a aussi provoqué des tensions, en particulier entre les évêques et leurs chapitres. La remise en ordre des diocèses est aussi passée par la correction des conduites adoptées à l'intérieur du clergé, source de conflit supplémentaire pour les évêques réformateurs. Dans l'ensemble, la récupération des biens usurpés ou aliénés au temps de leurs prédécesseurs médiocres, peu scrupuleux ou tombés sous la coupe de puissants laïcs, représente une lourde responsabilité pour les évêques étudiés. La reconquête de ces biens a cependant joué un rôle fondamental dans la restauration des pouvoirs épiscopaux. Les efforts réalisés n'ont pas toujours été de tout repos, comme le montrent plusieurs situations rencontrées par les évêques malmenés. Parmi eux, Lambert, installé en 1093 sur le siège d'Arras tout juste restauré par Urbain II, a dû s'escrimer, sans grand succès, pour récupérer les maigres ressources de son minuscule diocèse 442 • Il a fait face aux attaques menées par des laïques, tel le comte de Boulogne, ou l'avoué de Tournai, et aux détournements réalisés par les évêques de Cambrai précédemment en charge de son église 443 . À Poitiers, l'évêque Pierre II s'est, lui aussi, appliqué à mettre fin aux usurpations nombreuses réalisées par les vassaux du duc d'Aquitaine, Guillaume IX. Il s'est amplement consacré à cette tâche immense, récupérant les églises pour les restituer aux monastères bénédictins de son diocèse. Ainsi, il a pris soin de confirmer par ses propres actes les dons réalisés, de leur plein gré ou à sa demande, par les

442 443

B. Delmaire, Le diocèse d'Arras .. ., op. cit., p. 39-41 Ibid., p. 52-59.

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anciens patrons laïcs. Dans une douzaine de cas, l'évêque apparaît comme simple témoin du transfert, mais le plus souvent c'est lui qui y a directement procédé 444 • Ce mouvement de restitution a connu un réel succès sous la direction de Pierre, mais son action menée avec vigueur ne lui a sans doute pas attiré beaucoup de sympathie de la part du duc qui a laissé les seigneurs agir à leur guise. Enfin, si elles ont souvent donné lieu à des conflits sans trop de gravité, ces opérations de récupération du temporel ecclésiastique ont parfois eu des conséquences tragiques pour les évêques. À Limoges, l'assassinat de Guillaume d'Huriel semble, en effet, directement découler des efforts de ce prélat réformateur pour obtenir la restitution des biens usurpés par les laïques à l'Eglise limousine. L'utilisation des ressources des églises épiscopales et leur répartition ont aussi provoqué une certaine animosité envers les évêques décidés à corriger les abus. L'opposition manifestée par le chapitre de la cathédrale de Paris face à Étienne de Senlis, au début de son épiscopat, illustre bien ce type de situation. La volonté du prélat de céder une prébende de la cathédrale à l'abbaye de Saint-Victor, à laquelle il était très lié, s'est heurtée à un refus catégorique de la part des chanoines445 • Ces derniers se sont plaints de la tentative de l'évêque auprès du roi de France: Étienne de Senlis et Louis Vl, pourtant liés de longue date446 , sont à leur tour entrés en conflit à cette occasion. Leur lutte ajeté l'évêque sur le chemin de l'exil pendant plusieurs mois. Enfin, les tensions les plus vives entre les évêques et les représentants de leur clergé diocésain sont apparues lors des tentatives menées pour corriger les mœurs déviantes de certains d'entre eux. Trois des prélats étudiés ont été malmenés dans le cadre d'entreprises lancées par leurs soins pour réformer les conduites de leur clergé respectif. Il s'agit de deux archevêques de Rouen, Jean d'Ivry et Geoffroy le Breton: leur lutte menée contre les prêtres mariés et concubinaires a donné lieu à de véritables émeutes au cours desquelles leurs vies ont véritablement été mises en danger447 • La troisième victime n'est autre que l'archevêque de Bordeaux, Geoffroy du Loroux. Peu après son accession à l'épiscopat, Geoffroy a tenté de réformer le chapitre de sa cathédrale et de le régulariser: il s'est heurté à une opposition si violente de la part des chanoines qu'il a dû quitter la ville pendant quelque temps 448 • Les actions entreprises pour réformer les diocèses de l'intérieur, remettre de l'ordre dans leur gestion et leur encadrement, ont donc exposé les évêques à de nombreuses difficultés. Cependant, elles n'ont pas systématiquement débouché sur des violences. Il semble que la façon d'opérer des prélats a joué un rôle déterminant sur la réception de leurs décisions. Parmi les exemples cités, Lambert, à Arras, a su ménager le soutien de puissants, en particulier du comte de Flandre, ce qui lui a sans doute permis de limiter les menaces. Par contre, les explosions violentes dirigées contre les archevêques de Rouen, ou encore Étienne de Senlis, répondent à la vigueur avec laquelle les prélats ont engagé le combat. Orderic Vital qui décrit les mésaventures de Geoffroy le Breton dans le détail, jette un regard critique sur 444

G. T. Beech, «Biography ... », p. 115. Gallia ch., t. VII, col. 60. 446 Avant d'accéder à l'épiscopat, Étienne était chancelier de Louis VI. 447 Orderic Vital, Historia ecclesiastica ... , 1. IV, p. 200-201et284-293; 1. XII, p. 254-258 et 290-294. 448 L'affaire et son déroulement sont principalement connus grâce à une charte de 1145 qui a mis fin à ce conflit, voir: Gallia ch., t. II, col. 814-815. 445

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l'archevêque qu'il juge austère, trop sévère et colérique 449 . Aux yeux du moine anglo-normand, les intentions du métropolitain sont louables, mais la mise en œuvre pèche par sa brutalité 450 . Quant à l'évêque de Paris, Étienne de Senlis, il a répondu aux chanoines soutenus par le roi de France par la mise en interdit de son diocèse451. La réponse de Louis VI - suppression de la régale de l'évêque et destruction de ses biens452 - est à la hauteur de l'intransigeance affichée par le prélat. Au premier abord, les évêques réformateurs paraissent donc particulièrement exposés aux attaques violentes, du fait des mesures qu'ils ont tenté d'appliquer, rompant avec les habitudes installées au fil du temps, mais aussi de par un certain manque de souplesse. Ce dernier aspect se retrouve de façon encore plus nette dans les rapports d'un nouveau type qu'ils ont engagés avec les représentants du pouvoir laïc, dictés par la papauté. Instaurer un nouvel ordre Agir en réformateur, c'est aussi manifester sa proximité avec Rome, sa dépendance prioritaire envers le pape, en se pliant à ses décisions et en œuvrant coûte que coûte pour les faire appliquer. Cependant, un certain nombre de principes adoptés par les pontifes place les évêques face à de nouveaux obstacles d'autant plus difficiles à surmonter que leur mise en pratique lèse les détenteurs du pouvoir laïc. La défense des libertés et des droits de l'Église, ainsi que l'affirmation de son indépendance ont considérablement compliqué la tâche d'un épiscopat passablement attaché aux princes territoriaux, en particulier au roi de France. Avec la réforme, les évêques sont donc devenus les objets d'une concurrence accrue entre la papauté et les autorités temporelles. Il en découle un surcroît de péril pour les prélats soucieux de faire triompher l'idéal «grégorien». À travers une rapide présentation des circonstances dans lesquelles les évêques étudiés, considérés comme réformateurs, ont été malmenés, nous montrerons, en effet, que c'est en tant qu'hommes du pape qu'ils ont été visés.

Un premier groupe d'évêques n'a pas eu besoin d'entrer en action pour être désigné comme le prolongement du bras romain à l'intérieur du royaume. Les conditions de leurs installations respectives à l'épiscopat ont suffi à les faire apparaître comme des écueils éventuels pour les princes territoriaux. Arrivent en tête les candidats soutenus par le pape lors des élections. L'archevêque de Bourges, Pierre Effenouard, en est le meilleur exemple. Le souverain, Louis VII s'est immédiatement dressé contre sa désignation appuyée par Innocent II contrariant ses projets. Viennent ensuite les prélats attaqués après avoir rapporté de Rome la confirmation de leur élection, parfois même leur consécration. En général, cette manœuvre vise à donner plus de force à leur désignation; elle n'empêche pas l'inverse de se produire. S'il n'est plus possible de contester leur désignation, autant les faire disparaître: Adémar de Peyrat, élu à Poitiers et dont la consécration a été interdite par le duc d'Aquitaine, n'a ainsi pas survécu bien longtemps à sa victoire ramenée de Rome.

449

Orderic Vital, Historia ecclesiastica ... , t. VI, 1. XII, p. 293. Voir le récit complet de l'épisode, Ibid., p. 290-294. 451 J. Leclercq et H. Rochais, Sancti Bernardi opera .. ., t. VIII,, Ep. 46, p. 135. 452 Ibid., Ep. 47, p. 136-137. 450

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D'autres évêques ont manifesté leur désir d'indépendance dès les premières heures de leur épiscopat. Les violences ont immanquablement suivi: contre Étienne de Senlis, désireux de marquer clairement les limites séparant ses attributions et compétences de celles du roi de France, pourtant son allié; mais aussi contre les champions des libertés ecclésiastiques, à l'image de Jean Bellesmains opposé, à Poitiers, aux menées d'Henri II Plantagenêt son protecteur. Enfin, les évêques réformateurs se sont le plus exposés aux représailles des puissants laïcs lorsqu'ils ont osé s'immiscer dans leurs stratégies ou leurs mœurs matrimoniales. Les scandales autour des mariages royaux de Philippe 1er et de Philippe Auguste ont donné aux prélats les plus zélés l'occasion de manifester leurs positions avec une détermination presque provocatrice. Vaincre ou réduire au moins au silence ces redoutables gardiens des règles du mariage chrétien est apparu pour les princes comme le meilleur moyen de maintenir le reste de l'épiscopat dans leur giron. YVes de Chartres, Lambert d'Arras et Eudes de Sully, auxquels il est possible d'ajouter Pierre II de Poitiers ont donc été confrontés à des violences à double tranchant. D'une part, elles doivent convaincre les prélats tentés de les imiter de renoncer à leur emboîter le pas; d'autre part elles peuvent faire d'eux les martyrs de puissants peu scrupuleux et entraîner une résistance accrue de l'épiscopat. Créer des modèles rédhibitoires ou incitatifs, tout le pari de la violence est là.

À l'issue de ce rapide tour d'horizon, les évêques réformateurs semblent plus exposés que les autres prélats aux violences anti-épiscopales. Les efforts réalisés pour remettre de l'ordre à l'intérieur de leurs diocèses et pour appliquer les principes adoptés par la hiérarchie ecclésiastique ont induit une mutation dans leurs rapports avec les représentants de l'aristocratie au contact desquels ils vivent. Les méthodes parfois expéditives utilisées par ces prélats pour afficher clairement leurs positions et prendre du recul par rapport aux autres puissants constituent encore des facteurs aggravants. Faut-il en conclure que les évêques malmenés sont en majorité des «martyrs grégoriens»? Non. Les violences dirigées contre ces derniers ont éclaté principalement lorsque ces évêques ont induit une rupture à l'intérieur de l'épiscopat. L'exemple type est celui de Pierre II à Poitiers. Son avènement, vers 1087, constitue un tournant majeur dans le recrutement des évêques poitevins et dans les relations unissant l'Église à la noblesse locale. L'élection de Pierre marque la fin d'une dynastie épiscopale; sa conduite de l'Église poitevine met fin aux exactions perpétrées par les vassaux du duc d'Aquitaine. La résistance opposée à ce dernier, p~êt à rompre son mariage, et l'attitude du prélat face aux violences qui en ont découlé révèlent le caractère absolu de son engagement envers l'Église 453 . Le zèle qu'il a manifesté pour défendre sa cause, sans se soucier de sa propre vie, a fait de lui un martyr. Sa détermination et son opiniâtreté pour poursuivre la lutte en ont fait un évêque à part, en avance sur son temps: là où ses semblables auraient renoncé par crainte des représailles, il a œuvré avec un courage qui l'a propulsé au rang des hommes admirables. Son intransigeance toute grégorienne l'a rendu insupportable au duc, mais elle a fait de lui un modèle épiscopal: défenseur émérite de son temporel, soucieux du salut de ses ouailles, insensible aux pressions exercées sur

453

Pour en savoir plus sur l'action menée par Pierre II, voir l'étude biographique réalisée par G. T. Beech, "Biography ... "·

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lui par l'autorité laïque. Pasteur idéal pour ses pairs, il l'est aussi devenu pour le peuple de son diocèse qui lui a rendu un culte 454 . Si l'épiscopat de Pierre a autant marqué les esprits et provoqué une telle violence de la part du duc d'Aquitaine, c'est parce qu'il manifeste un changement majeur. Les incidents concernant les prélats réformateurs sont d'ailleurs sensiblement regroupés dans le temps: les deux tiers de ces évêques malmenés l'ont été entre 1075 et 1125, lors de crises aiguës correspondant à une radicalisation des positions romaines. Une fois ces bases posées, les évêques réformateurs n'ont pas été plus visés que les autres. Nous arrivons au terme de nos investigations sur un éventuel «portrait type» de l'évêque malmené. Cette première approche des violences par le biais des victimes permet de retenir déjà quelques idées importantes. Tout d'abord, deux caractères concernant les évêques étudiés qui auraient pu sembler contradictoires au départ: ils sont à la fois représentatifs de l'épiscopat de leur temps, sociologiquement, et exceptionnels de par leurs conduites. Il n'existe pas vraiment de violence prédéterminée par des facteurs «innés», liés à la naissance, la provenance géographique ou la formation reçue, même si certains peuvent être considérés comme aggravants dans des circonstances précises. On ne peut pas non plus affirmer que les évêques malmenés sont systématiquement des prélats indignes ou réformateurs, ni l'inverse. Une seule règle semble prévaloir, aussi bien pour les éléments échappant au contrôle des prélats que pour leurs engagements conscients: les évêques malmenés sont le plus souvent des évêques en rupture. Les bouleversements des habitudes de recrutement, de soumission ou de collaboration avec les autres puissants constituent des facteurs propices au développement des violences. La détermination manifestée dans la résistance envers leurs adversaires semble aussi caractériser la majeure partie des victimes: existe-t-il alors un rapport proportionnel entre le degré de résistance manifesté par les évêques et les mauvais traitements qui leur ont été infligés? Une analyse plus approfondie des conflits permettra peut-être de répondre à cette question. L'identification des sources permet donc de faire le point sur les acteurs des XIe et XIIe siècles préoccupés par les violences anti-épiscopales. La présentation des textes et leur classement, en fonction de l'utilisation et des attaques portées contre les prélats au service des projets d'écriture des différents auteurs, fournissent une idée de l'importance du phénomène étudié. Pour être enregistrées avec autant de soin et manipulées par des protagonistes aussi variés - moines et évêques, historiens et hagiographes, législateurs et propagandistes, observateurs extérieurs et acteurs des conflits, coupables et victimes - à des fins diverses, pour attirer l'attention des personnages de premier ordre jusqu'aux rois et papes confondus, ces violences représentent un véritable intérêt. Leur spécificité est attestée jusque dans les sources où l'on perçoit également l'enjeu dont elles sont chargées. Contrairement à ce que l'on pourrait imaginer, le degré de violence joue peu : il n'existe pas vraiment de rapport proportionnel entre la gravité de l'acte et l'attention que l'on y porte. Ce sont plus les éléments retenus qui varient en fonction du type de violence: les gestes perpétrés priment dans le cadre des assassinats, alors que les causes et les moyens

454

Ibid., p. 119-120.

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mis en œuvre pour rendre justice passent au premier plan pour les expulsions et les détentions. Enfin, les dernières variations dépendent directement du contexte dans lequel les violences s'inscrivent et des acteurs des conflits. Il suffit que les évêques soient malmenés dans le cadre de querelles majeures pour l'Église - investitures, schismes, hérésies, réforme - ou que les protagonistes soient des personnages d'importance - souverains et princes territoriaux, papes et prélats charismatiques - pour que les violences reçoivent un écho supérieur à la moyenne. Ces quelques éléments jouent un rôle important dans la diversification des sources permettant d'étudier les tenants et les aboutissants des mauvais traitements infligés aux prélats. Quant à l'approche des victimes, elle montre clairement que les évêques malmenés ne sont plus considérés comme des pasteurs ordinaires. Alors qu'ils sont, sur le plan sociologique, tout à fait représentatifs de l'épiscopat de leur temps, ils deviennent, dans les textes, des évêques en rupture, les uns admirables, les autres condamnables, caractères révélés par les violences. Enfin, si les auteurs de ces récits mettent en valeur les attitudes des évêques, ils ne manifestent aucune surprise face aux manifestations violentes en elles-mêmes, quelle que soit leur nature. Faut-il en conclure que la carrière épiscopale comporte par essence des risques par avance calculés et dont les évêques doivent être conscients? Peut-être. Cette vulnérabilité est-elle le reflet d'une désacralisation accrue de l'épiscopat dans la période qui nous intéresse? C'est ce que nous allons essayer de vérifier à partir de l'analyse du mécanisme des violences anti-épiscopales.

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Chapitre 2 COMPRENDRE: LA CONCLUSION DE CONFLITS SPÉCIFIQUES? Les origines des violences anti-épiscopales permettent de mesurer l'investissement et la position occupée par les évêques dans la vie sociale, politique et religieuse de la fin du xe aux premières heures du XIIIe siècle. Les attaques dirigées contre les prélats reflètent les temps forts qui ont rythmé l'histoire de l'Église du royaume de France, mais aussi les ruptures qui ont affecté ses liens avec les puissances laïques et sa place au sein de la société. De ce fait, à partir de la typologie basée sur la nature des crimes, précédemment esquissée, il est possible de faire apparaître une logique chronologique et spatiale dans la répartition des violences qui ont ébranlé l'épiscopat au cours de la période qui nous intéresse. Ces dernières connaissent, en effet, une distribution très inégale dans le temps. Le XIe siècle regroupe moins du tiers des violences étudiées. Cette sous-représentation se retrouve pour chaque type d'agression défini, avec un tiers des assassinats et à peine un quart des expulsions. Cette maigre proportion résulte peut-être d'une connaissance imparfaite des prélats en place avant 1100. Cependant, la relative clémence envers les évêques peut aussi découler de la nature des rapports alors entretenus par les seigneurs laïcs avec l'épiscopat. Le rythme des violences s'accélère brusquement au tournant du siècle suivant: un tiers des évêques malmenés le sont entre 1075 et 1125. Or, cette concentration à la charnière des deux siècles coïncide avec un durcissement du mouvement réformateur dans le royaume. Quant au xue siècle, il regroupe dans son ensemble plus des deux tiers des violences anti-épiscopales, en particulier sous les formes les plus graves. Au cours de ce siècle, les liens entre les pouvoirs laïcs et ecclésiastiques connaissent des mutations importantes; il en est de même pour l'épiscopat, mais avec des variations notoires en fonction des provinces et l'Église est confrontée, dans son ensemble, à de graves crises internes. Quels sens peut-on alors donner aux vagues de violences successives qui s'abattent sur l'Aquitaine dans les années 1110, puis sur l'ensemble de l'ouest du royaume dans la deuxième moitié du XIIe siècle, avant de se concentrer sur sa partie méridionale à l'aube du XIIIe siècle? La présentation des origines des violences et des objectifs poursuivis par les bourreaux des évêques permet de montrer que ces derniers n'ontjamais été frappés accidentellement. Les actions entreprises ont toujours été calculées, le choix du supplice adapté aux circonstances et réalisé dans le cadre d'un projet précis.

1 - DES VIOLENCES STRATÉGIQUES Il n'existe aucune forme de gratuité, ni de hasard dans l'organisation des violences anti-épiscopales. Les dossiers les mieux documentés permettent de décou125

CHAPITRE

2

vrir des actions pensées et construites de toutes pièces. De manière générale, alors que de nombreux aspects des attaques sont souvent passés sous silence ou rapidement éludés dans les sources, les auteurs des forfaits y sont souvent bien présentés. Ils donnent l'impression d'agir avec méthode et suivant un schéma découlant d'une réflexion préalable. Tous les agresseurs ne sont cependant pas abordés de la même façon, en fonction de leur degré de responsabilité. Enfin, les raisons qui les ont poussés au crime sont globalement plus difficiles à saisir: elles nécessitent une lecture croisée et critique des sources, ainsi que la formulation d'hypothèses plus audacieuses étroitement liées aux mises en scène des attaques.

A - Préméditation

Les textes étudiés laissent des impressions mitigées quant aux intentions des agresseurs. L'image véhiculée de certains considérés comme maladroits par quelques auteurs et la description d'autres comme des hommes violents et impulsifs donnent le sentiment que bon nombre de violences résultent d'actions spontanées. Pourtant, l'entêtement des coupables refusant de corriger leur conduite et l'ampleur des conflits liés aux attaques aboutissent parfois à un constat inverse.

Une spontanéité simulée Quelques princes laïcs se sont mobilisés contre les évêques pour se débarrasser d'eux ou pour les soumettre avec une vitesse et une virulence telles qu'il est difficile de croire qu'ils aient eu le temps de s'organiser. Leurs mobiles vont également dans le sens de réactions immédiates de leur part: un besoin urgent de se défendre. Leurs contemporains trouvent parfois des circonstances atténuantes ou aggravantes pour expliquer ces violences spontanées. Au risque de faire passer ces agresseurs pour des irresponsables, certains auteurs les affublent même de traits presque caricaturaux au premier rang desquels viennent les crises de colère. Le jeu de la colère

Le thème de la colère engendrant des réactions brutales contre les évêques est récurrent dans les dossiers étudiés. Cependant, les observateurs des violences utilisent cet argument de façon variée, en fonction de l'image qu'ils veulent renvoyer des agresseurs. Deux exemples sont particulièrement riches et représentatifs à ce sujet: il s'agit des attitudes prêtées à Louis VII et au duc d'Aquitaine, Guillaume IX, dans les conflits qui les opposent respectivement à l'archevêque de Bourges et à l'évêque de Poitiers. Le comportement puéril prêté par Bernard de Clairvaux à Louis VII au cours de l'affaire qui oppose le souverain à l'archevêque Pierre Effenouard, repris par plusieurs auteurs, fait partie des caricatures évoquées. Il se peut que le rejet du candidat soutenu par le roi au cours de l'élection au siège de Bourges ait piqué sa fierté au point d'interdire au nouveau prélat l'accès à son siège. Il est également tentant de comprendre cette approche comme une habileté d'écriture de la part de Bernard pour alléger les fautes reprochées à Louis VII. Dès ses premières interventions dans le conflit autour du siège de Bourges, Bernard fait du refus opposé par Louis VII à Pierre Effenouard une réaction spon-

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COMPRENDRE: LA CONCLUSION DE CONFLITS SPÉCIFIQUES

tanée de la part d'un jeune roi incapable de maitriser ses ardeurs. La lettre qu'il adresse en 1143 aux représentants de la cour pontificale et au chancelier d'innocent II, pour les faire revenir sur l'interdit prononcé contre le souverain, exprime bien cette idée 455 • Il y affirme que lui accorder le pardon résoudrait la querelle et que le souverain n'agirait plus de la sorte. La décision prise par Louis VII d'interdire l'accès de Bourges à Pierre Effenouard devient ainsi la conséquence d'un coup de colère. L'allusion au roi furieux perdant tout contrôle est également utilisée par Raoul de Diceto. Il le dit fou de rage lorsqu'il écarte le nouvel élu de son siège 456 • La même colère fait trembler et gronder Louis VII dans la Chronique de Morigny457 • Or, les premières conclusions tirées par G. Althoff de son étude sur la colère royale au Moyen Âge, nous invitent à considérer les émotions prêtées au souverain dans les textes cités avec un œil critique 458 . Trois remarques méritent une attention particulière. Tout d'abord, G. Althoff signale que les descriptions des souverains en colère sont relativement rares dans les sources historiographiques: la colère ne fait pas partie des comportements attendus chez un roi chrétien investi par le sacre; celui qui ne peut se gouverner lui-même ne peut pas prétendre à gouverner les autres 459 • Deuxièmement, au XIIe siècle, apparaît une notion de "colère juste": jusqu'à cette date, les vertus premières des souverains sont la patience et la clémence; dès lors, la colère réapparaît comme une qualité royale, mais à condition d'être mise au service du triomphe de lajustice 460 • Il ne peut donc s'agir que d'une simulation. Enfin, s'ajoute à cela le fait que dans la vie publique, la communication passe par des conduites démonstratives codifiées: l'expression des émotions est donc empreinte d'une sorte de «maniérisme». La référence à des explosions de colère incontrôlées de la part de gouvernants dans les sources ne peut résulter que d'une mise en scène, d'une théâtralisation de la part des auteurs. La fureur de Louis VII apparaît donc comme un choix habile de la part de Bernard de Clairvaux car il peut l'utiliser au bénéfice comme au détriment du roi. Tout est une question de contexte. Dans un premier temps, agissant en négociateur, en homme de paix, il prête à Louis VII une colère qui n'est que la preuve de son inexpérience. Elle est d'autant plus pardonnable et l'incident pourrait être clos sans conséquence aucune 461 . Mais, à partir du moment où sa médiation ne permet pas de faire évoluer la confrontation, Bernard retourne l'argument: la colère n'est plus un simple faux-pas de souverain en herbe; elle dévoile un prince injuste qui mérite une sanction. L'abbé conserve donc la même base d'argumentation pour affirmer ses regrets d'avoir tenté d'adoucir le sort du roi dans la première phase du

455

Leclercq, H. Rochais, Sancti Bernardi opera ... , t. VIII, Ep. 219 p. 80-82. Q}tod Rex in injuriam regi,ae dignitatis factum vehementer indignans, iracundiae calore succensus est [ ... ] ; Raoul de Diceto, Aûreviationes chronicarum .. . , p. 256. 457 [ .•• ] non modico fremitu irae concussus est; Chronique de Morigny ... , p. 81. 458 G. Althoff, «IraRegi,s: Prolegomna to a History of Royal Anger>>, dans B. H. Rosenwein (éd.), Anger's Past. The social uses of an emotion in the Middle Ages, lthaca, 1998, p. 59-74. 459 Ibid., p. 62-67. 460 Ibid., p. 70-73. 461 N'oublions pas non plus que dans les sanctions canoniques infligées aux pécheurs, l'état d'esprit occupe une place importante: les peines sont moins lourdes lorsque les fautes ont été commises sans véritable intention de nuire, sous le coup de la colère et sans préméditation. Cette nuance est sensible dans plusieurs pénitentiels en usage au XIIe siècle, en particulier dans le «Médecin» de Burchard de Worms: voir par exemple les distinctions à propos des homicides, dans C. Vogel, Le pécheur et la pénitence ... , p. 82-83. ].

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conflit462 • Pierre Effenouard n'est pas le seul prélat victime d'une prétendue explosion de colère. L'évêque de Poitiers, Pierre II, se serait lui aussi heurté à l'emportement du duc d'Aquitaine, Guillaume IX, si l'on en croit le récit le plus détaillé de leur confrontation produit par Guillaume de Malmesbury. D'après lui, le duc est sorti de ses gonds à la nouvelle de son excommunication. Sa fureur s'est manifestée par son irruption brutale dans la cathédrale et par des menaces proférées contre Pierre, alors que ce dernier prononçait la sentence. Contrairement au cas précédent, dans lequel on veut faire de la violence une maladresse, elle paraît ici faire partie intégrante du bourreau. Les quelques témoignages laissés sur Guillaume IX, permettent de déceler chez lui une habitude à malmener l'Église et ses représentants. Quelles sont donc les raisons qui peuvent justifier cette sévère condamnation de la part des observateurs du XIIe siècle? Pour répondre à cette question, il est utile de revenir rapidement sur les causes de l'expulsion de Pierre. Nous pourrons ensuite nous interroger sur le regard porté sur le duc d'Aquitaine par ses contemporains et montrer comment Guillaume de Malmesbury met en scène Guillaume IX pour renforcer sa culpabilité. L'explosion de colère du duc et l'expulsion immédiate de l'évêque ne sont pas très originales. Guillaume IX doit en partie cette sanction à son comportement adultère public. Il veut, en effet, rompre son union légitime avec sa seconde femme, Philippie, pour épouser sa maîtresse, la vicomtesse de Châtellerault463 • D'autres ont réagi de façon comparable. En 1200, Philippe Auguste n'hésite pas à chasser à son tour l'évêque de Paris, Eudes de Sully. Contrairement à la plupart des évêques de France, celui-ci tient à respecter, dans son diocèse, l'interdit jeté sur le royaume suite à la séparation du roi et d'Ingeburge de Danemark pour se marier avec Agnès de Meran. Laissons pour l'instant de côté les affaires matrimoniales. C'est le traitement de la colère du duc qui nous préoccupe ici. Une étude intéressante a été réalisée par G. Beech sur la perception du duc par les hommes de son temps464 • Il s'en dégage des éléments éclairants sur le conflit qui l'a opposé à Pierre Il. Tout d'abord, comme nous l'avons vu précédemment, ceux qui ont écrit du vivant du duc ont préféré s'exprimer avec discrétion quant à sa conduite. Les auteurs monastiques qui le mentionnent souvent pour dater les chartes et plus rarement dans leurs récits ne révèlent leurs points de vue qu'avec prudence et ne le critiquent jamais ouvertement. Les auteurs plus éloignés de Poitiers et plus tardifs proposent, quant à eux, l'image d'un prince habitué à se moquer cruellement et à menacer les ecclésiastiques. Le silence des observateurs locaux s'explique certainement par un mélange de crainte et de dégoût qu'éveille en eux Guillaume IX. Ceux qui s'expriment avec un recul plus important dans l'espace et le temps aboutissent à un constat similaire: Hildebert de Lavardin méprise ce persécuteur de l'Église; Hugues de Flavigny

462

Leclercq, H. Rochais, Sancti Bernardi opera ... , t. VIII, Ep. 224 p. 91-93. G. Beech ajoute à cela que sa réputation de jongleur et de poète aux écrits parfois salaces qui en fait un marginal rejeté par l'Église a encouragé ses représentants à le sanctionner. G. T. Beech, " Contemporary Views of William the Troubadour. .. ,,;]. Martindale s'est également interrogée sur les raisons du regard déprécié porté par les historiens sur Guillaume le Troubadour:]. Martindale, "Cavalaria et Orgueil!. Duke William IX of Aquitaine and the Historian» dans Status, Authority and Regfonal Power, AquitaineandFrance, JX'"toXII'" Centuries, Variorum, 1997, X, p. 87-116. 464 G. T. Beech, «Contemporary Views of William the Troubadour. .. "· ].

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COMPRENDRE: LA CONCLUSION DE CONFLITS SPÉCIFIQUES

et Geoffroy le Gros sont choqués par son irrévérence et son dédain envers les choses saintes. Cette condamnation unanime de Guillaume IX par les observateurs ecclésiastiques trouve ses racines dans le comportement adopté par le duc envers l'Église dans les faits, mais aussi à travers sa poésie. L'attitude de Guillaume rompt avec la conduite adoptée par les précédents ducs à l'égard de l'Église d'Aquitaine. Il multiplie les concessions envers ses vassaux agités aux dépens des corps ecclésiastiques; il s'illustre à plusieurs reprises par des manifestations brutales envers le clergé. Contrairement aux anciens ducs, il n'agit ni comme un fondateur, ni comme un protecteur d'abbayes 465 . Il n'est donc pas étonnant que ses contemporains ne cherchent pas à lui trouver de circonstance atténuante dans l'affaire qui l'oppose à Pierre de Poitiers. La réserve du duc, supposé être le premier troubadour, envers l'Église se dégage également de sa poésie 466 . Certains de ses vers manifestent une véritable hostilité envers ses représentants467 . Les chroniqueurs témoignent d'ailleurs de l'activité poétique de Guillaume après son retour de croisade: ils se montrent critiques, en particulier Orderic Vital et Guillaume de Malmesbury qui lui attribuent un goût pour la facétie 468 . C'est ce trait de caractère que Guillaume de Malmesbury met en scène avec brio à travers l'explosion de colère qu'il prête au duc. Guillaume de Malmesbury ne présente pas un prince qui perd son sang-froid, mais un comédien mimant la fureur dans l'espoir de faire trembler l'évêque qui lui fait face. On voit, en effet, Guillaume IX, animé par le moine historien, se jeter sur Pierre de Poitiers lorsque celui-ci prononce publiquement son excommunication en 1114: épée au poing, le duc menace de tuer le prélat s'il ne lui donne pas l'absolution469. Pourtant, quelques instants plus tard, alors que Pierre a achevé de prononcer la sentence, qu'il invite Guillaume à honorer sa parole et à lui porter le coup fatal, le duc lui répond avec une cruelle ironie, retrouvant immédiatement son ton irrévérencieux:« je te hais,[ ... ]; mais ce n'est pas ma main qui t'enverra au ciel» 470 . Si Guillaume de Malmesbury avait voulu présenter cet incident comme la conséquence de la rage privant le prince de clairvoyance, il ne lui aurait pas prêté une telle répartie. C'est un duc conscient de ses faits et gestes qu'il met en scène, sans doute pour mieux souligner l'étendue des sentiments qu'il lui attribue envers l'Église et ses représentants. L'attitude manifestée par l'évêque de Poitiers dans le récit va également dans ce sens: Guillaume de Malmesbury écrit que l'évêque feint 465 D'après R. Bezzola, Guillaume n'a été associé qu'à une seule fondation d'abbaye, la Maison Dieu de Saint-Morillon, qu'il prend uniquement sous sa protection. R. Bezzola, Les origines et la formation de la littérature courtoise en Occident (500-1200), t. II, La société féodale et la transformation de la littérature de cour, Paris, 1960, p. 274. 466 Sur le caractère novateur de l'écriture de Guillaume IX, Ibid., p. 253-299. 467 Un des poèmes est particulièrement surprenant: Guillaume y tourne en dérision l'attachement des femmes à l'Église et en dénonce l'hypocrisie. «Elle fait un grand péché, [ ... )la dame qui n'aime pas un loyal chevalier; si celui qu'elle aime est un moine ou un clerc, elle a tort: on devrait la brûler sur des tisons ardents». Voir: A. Jeanroy (éd.), Les chansons de Guillaume IX duc d'Aquitaine (1071-1127), Paris, 1927 (2e édition), V, «Farai un vers pos mi sonelh», p. 8-11, p. 9 pour la strophe citée. 468 R. Bezzola, Les origines et la formation de la littérature courtoise.. ., t. II, p. 268-269. 469 [ ••• J cum Petrus preclarae sanctitatis Pictauorum episcopus eum liberius argueret et detrectantem palam excommunicare incipiret, ille precipiti furore percitus crinem entistitis inuolat, strictumque mucronem uibrans " Jam, inquit, morieris nisi me absolueris»; Guillaume de Malmesbury, Gesta regum anglorum ... , p. 784. 470 !ta officia sua, ut sibi uidebatur; peracto, martiriique tropheum sitiens, collum protendit, «Feri ! inquiens, feri ! " At Willelmus, refractior, consuetum leporem in tu lit ut diceret: "tantum certe te odio, ut nec meo te digner odio, nec caelum umquam intrabis meae manus ministerio» ; Ibid, p. 784.

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d'avoir peur pour se dégager de l'emprise du duc et reprendre son souffle pour terminer de prononcer l'excommunication471 . Il montre donc que face à la mascarade orchestrée par Guillaume IX, Pierre n'est pas dupe: l'évêque répond sur le même registre en se jouant du prince pris à son propre piège! De plus, la sentence prononcée par Pierre dans la cathédrale de Poitiers n'est pas une découverte pour le duc. Il a déjà été condamné par le légat Gérard d'Angoulême. Les paroles prêtées au prince par Guillaume de Malmesbury à l'annonce de cette première excommunication coïncident complètement avec sa réaction dans la confrontation avec l'évêque de Poitiers. Loin d'être abattu, il en rit et la tourne en dérision. Le moine anglo-normand raconte qu'il a répondu avec un humour corrosif aux remontrances du légat pontifical. Celui-ci l'excommunie après l'avoir blâmé: la sanction ne devant être levée que lorsque Guillaume aurait corrigé son inconduite matrimoniale. Peu impressionné, le duc aurait rétorqué à Gérard que le peigne friserait ses cheveux avant qu'il renonçât à la vicomtesse ... Or, le légat est chauve 472 ! Les mots placés dans la bouche du duc d'Aquitaine visent donc à insister, sans le dire ouvertement, sur l'anticléricalisme qui l'anime. Si ces propos ironiques sont sans doute nés du talent de conteur qui caractérise Guillaume de Malmesbury, ils deviennent presque crédibles du fait de l'accumulation des comportements violents de Guillaume IX envers l'Église: emprisonnement des évêques de Limoges et de Saintes, Eustorge et Pierre, autour de 1108; menaces proférées à l'égard des légats et de l'assemblée tenue dans la cathédrale lors du concile réuni à Poitiers en novembre 1099473 ; exactions impunies de ses proches contre les possessions de l'Église poitevine. De plus, l'exclure de la communauté des chrétiens est pour lui une provocation; refuser de se plier à ses exigences, une impertinence intolérable qui mérite une sévère punition. Que la victime soit un évêque importe peu ... sauf si l'objectif du duc est justement d'afficher une résistance sans limite aux réformateurs qui prétendent alors exercer un contrôle sur les mœurs aristocratiques. Le cas de Guillaume IX, duc d'Aquitaine réputé anticlérical à l'humour d'autant plus décapant qu'il est souligné par Guillaume de Malmesbury, reste cependant une exception. Il n'en est pas moins difficile de croire que certaines violences ont été déclenchées spontanément. Les réactions instantanées ne sont que des artifices. Les causes des exclusions présentées invitent à penser qu'elles ont été réfléchies. Les décisions prises par les évêques ou leur volonté de faire appliquer celles qui ont des conséquences contrariantes immédiates pour ceux qui vont devenir leurs bourreaux, justifient parfois cette rapidité à contre-attaquer. Logiquement, si ces agressions étaient réellement privées de préméditation, elles devraient se solder par un rapide retour à l'ordre. Or, curieusement, un bon nombre d'entre elles se prolongent. Leurs auteurs y trouvent des intérêts. En dépit des apparences, on ne tarde donc pas à s'apercevoir qu'elles sont consciemment exploitées, parfois même déclenchées. 471

Tum uero presul timore simulato indutias petens loquendi, quod reliquum fuerat excommunicationis fidenterperorauit [... ];Ibid, p. 784. 472 Unde increpitus et excommunicatus a GirardoEngolismorum episcopo, iussusque illicitam venerem abicere, «Antea, inquit, crispabis pectine refugum a fronte capillum quam ego uicecomitissae indicam repudium» , cauillatus in uirum, cuius pertenuis cesaries pectinem non desideraret; Guillaume de Malmesbury, Gesta &gum Anglorum ... ,

p. 784. A. Richard, Histoire des comtes de Poitou ... , t. I, p. 428-430; R. Hiestand, «Les légats pontificaux en France ... "• p. 70-71; Chronique de Saint-Maixent ... , p. 172. 473

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COMPRENDRE: LA CONCLUSION DE CONFLITS SPÉCIFIQUES

La violence consciente Divers éléments confirment que bon nombre d'assassinats, d'expulsions et d'arrestations d'évêques résultent de décisions réfléchies. Ces indices sont dévoilés par le choix des victimes elles-mêmes, par celui de l'instant retenu pour passer à l'acte, ainsi que par la détermination manifestée par certains bourreaux, en particulier leur refus de négocier en dehors de leurs propres conditions. Les agresseurs n'attaquent, en effet, que dans des conditions propices à leur réussite et ils savent également tirer parti des crises qui touchent leur environnement pour régler leurs comptes avec l'épiscopat. Dans l'ensemble, les attaques ne sont pas portées au hasard contre les prélats. Certains profitent de moments de faiblesse pour les mettre à l'écart; d'autres les frappent au contraire lorsqu'ils essayent de s'affirmer. Les évêques sont ainsi souvent visés dès les premières heures de leur épiscopat. Pour trois d'entre eux, Gauzlin et Pierre Effenouard à Bourges, Sébrand à Limoges, les violences débutent immédiatement après leur élection, avant même leur installation sur leurs sièges respectifs. Ces prélats sont saisis dans une phase difficile pour eux, les rendant particulièrement vulnérables474. Deux autres, Robert de Mehun et Étienne de Senlis, sont chassés alors qu'ils ont entamé leur épiscopat depuis peu. Les habitants du Puy-en-Velay sont bien décidés à profiter de l'entrée en charge de Robert de Mehun pour lui arracher des libertés nouvelles avant même de lui laisser le temps de s'organiser. Ils ont bien choisi leur moment pour attaquer comme le montre l'incapacité de l'évêque à réagir seul; sans l'intervention de Philippe Auguste, Robert n'aurait sans doute pas réussi à retrouver la paix dans les mêmes conditions. Étienne de Senlis est, quant à lui, contraint de quitter son siège en 1128: il est devenu évêque de Paris en 1124. Il est visé dans des conditions différentes, alors qu'il tente d'affermir son autorité. Les violences perpétrées contre Étienne retentissent, en effet, comme une sorte de mise en garde de la part de Louis VI. Un conflit opposant l'évêque de Paris à son chapitre est à l'origine des mesures prises par le roi à l'encontre du prélat. Celui-ci décide, en 1128, d'attribuer une prébende de sa cathédrale à l'abbaye de Saint-Victor. Les chanoines s'y opposent farouchement et contestent la décision de l'évêque auprès du souverain. Louis VI leur accorde son appui et annonce qu'il ne tolèrera aucun changement. Face à cette prise de position qu'il considère sans doute comme une ingérence dans ses affaires, Étienne contre-attaque. Pour faire fléchir le roi, il jette l'interdit sur sa personne et sur ses terres. Il est soutenu dans sa démarche par l'archevêque de Sens, Henri, ainsi que par l'évêque de Chartres, Geoffroy, qui menacent le souverain de prendre les mêmes mesures475 . Loin de céder, Louis VI répond par la force. Il supprime la régale de l'évêque et fait ravager ses biens. Face à ces violences, Étienne s'enfuit. Il trouve refuge dans un premier temps à Cîteaux avant de rejoindre les terres du comte de Champagne, ennemi du roi476 .

474

Voir Je paragraphe consacré aux violences électorales. Bernard de Clairvaux s'adresse au pape Honorius II au nom de l'évêque de Chartres, Geoffroy, dans une lettre datée de 1129, dans laquelle il expose la situation et l'intervention de ce prélat conjointe à celle de l'archevêque de Sens, auprès d'Étienne de Senlis: [ ... ] Accepta siquidem tam modesta pra,edicti episcüpi (Étienne de Senlis) querimonia, Senonensis diocesis universi episcüpi una cum venerabili Metrüpolitano nostro, ascitis etiam nobiscum quibusdam aliis religionis personis, Regem super gravi iniuria per nosipsos humiliter; ut debuimus, convenimus, ut episcüpo, nil quidem tale merito, sua quae tulerat, restitueret, rogavimus, nec impetravimus;J. Leclercq, H. Rochais, Sancti Bernardi opera ... , t. VII, Ep. 47, p. 136-137; voir également Ep. 46, p. 135. 476 Ibid., Ep. 45, p. 133-134.

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Le tour pris par cette querelle et la fermeté de Louis VI sont instructifs sur les raisons qui ont poussé les deux protagonistes à radicaliser leurs positions. Les attitudes réciproques du roi et de l'évêque peuvent paraître curieuses car Louis VI et Étienne ne sont pas étrangers l'un à l'autre. Étienne a été chancelier du souverain: il a renoncé à cette charge en accédant à l'épiscopat. Il est très probable que Louis VI soit intervenu en sa faveur dans l'élection au siège parisien, espérant s'attacher un peu plus cet homme qui aurait pu se sentir redevable envers lui. Or, il a peut-être été surpris par le départ d'Étienne de la chancellerie pour se consacrer entièrement à son Église et sans doute encore plus de le voir s'opposer à lui. C'est certainement pour cette raison que le roi s'est rangé du côté des chanoines contre l'évêque: il lui a ainsi exprimé son mécontentement. L'occasion est bonne pour lui signifier que dans son domaine lui seul est le maître. Il ne s'est pas non plus laissé impressionner par les soutiens apportés à Étienne, si bien que le pape Honorius II a levé l'interdit prononcé contre lui, soucieux de ne pas rompre avec Louis VI 477 . Le souverain n'a donc pas agi à l'aveuglette. Sa prise de position contre Étienne vise à limiter son ascendant, ses ambitions réformatrices et sa marge de manœuvre. Il se manifeste pour le brider, mais aussi pour l'avertir: l'évêque doit tenir compte de sa présence et de sa volonté pour décider. La mise en garde a été efficace puisqu'une fois cette querelle réglée, leurs rapports s'apaisent rapidement. Cette utilisation de la violence pour donner un avertissement ne se limite pas à l'évêque de Paris. Elle se retrouve, par exemple, dans le cas de l'évêque de SaintPol-de-Léon, Hamon: lorsqu'il est chassé par son frère, le vicomte, celui-ci lui fait preuve de sa détermination dans la lutte qu'il livre aux Plantagenêts. Il démontre à l'évêque que s'il ne renonce pas à soutenir Henri II, lui-même n'hésitera pas à le considérer comme un ennemi et à le combattre à mort. Saisissant les instants de faiblesse des prélats, freinant leurs élans réformateurs et leur prise d'initiative, leurs ennemis peuvent aussi guetter les crises qui s'abattent parfois sur eux et profiter des occasions qu'elles constituent pour se défaire de ces gêneurs. Il est, par exemple, tentant de penser que le duc d'Aquitaine, Guillaume X, a su profiter de la querelle provoquée dans l'ouest du royaume par le schisme d'Anaclet pour attaquer les évêques de Poitiers et de Limoges au début des années 1130. Ces derniers, Guillaume II et Eustorge, ont pris parti pour le pape Innocent II dans ce conflit478 . Or, tous deux ont été chassés de leurs sièges par le duc presque simultanément, vers 1132 et 1133. Cependant, les sources ne sont pas unanimes quant aux mobiles de ces expulsions: les analyses varient d'un auteur à l'autre. Certains font endosser toute la responsabilité à Gérard d'Angoulême, partisan acharné d'Anaclet, comme nous l'avons vu précédemment. Deux textes insistent au contraire sur la part importante revenant au duc. Geoffroy de Vigeois qui écrit une quarantaine d'années après les faits, en donne sans doute une vision plus juste que celle des observateurs engagés dans la querelle dont les écrits manquent totalement d'objectivité. Selon lui, Guillaume X a chassé Eustorge de son plein gré, choisi l'usurpateur qui occupe son siège et l'a fait consacrer par Gérard d'Angoulême 479 . Ici, les rôles sont inversés: c'est le duc qui 477

Ibid.

478

Geoffroy de Vigeois, Chronique, RHF, t. XII, p. 433-434; R. Gandilhon, Catalogue des actes des archevêques de Bourges antérieursà l'an 1200, Bourges - Paris, 1927, n° 123 et 124; RHF, t. XIV, p. 261 n. 479 Interim Geraldus Engolismensis, concilia ducis, Dauratensem abbatem Ramnulfum consecravit episcopum [ ... ], Geoffroy de Vigeois, Chronique, RHF, t. XII, p. 433.

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COMPRENDRE: lA CONCLUSION DE CONFLITS SPÉCIFIQUES

tire les ficelles. Pour le chroniqueur, l'animosité que Guillaume X nourrit à l'égard d'Eustorge n'a rien à voir avec le schisme. «En fait, le comte de Poitiers haïssait le pontife parce qu'Eustorge soutenait Adémar et c'est pourquoi le duc pourchassa maintes fois l'évêque», écrit-il 480 . Si l'on en croit le prieur de Vigeois, le duc d'Aquitaine reproche donc à Eustorge les liens qui l'unissent au vicomte de Limoges, Adémar, avec lequel il a eu quelques démêlées 481 • Il est donc possible que Guillaume X ait saisi l'occasion offerte par la crise religieuse pour régler ses comptes et tenter de remplacer l'évêque par un prélat plus docile et fidèle. L'abbé du Dorat, Renoul, installé sur le siège limousin est, en effet, un de ses familiers: il fréquente assidûment la cour de Guillaume X à Poitiers et il est cité à plusieurs reprises comme témoin dans les chartes ducales. Dans ce cas, le schisme d'Anaclet et les choix qui opposent Eustorge à Gérard d'Angoulême ne constituent qu'un écran de fumée derrière lequel se cachent les véritables motifs du duc. Plusieurs éléments vont dans le sens de cette hypothèse. Une fois expulsé, c'est bien auprès du vicomte Adémar que l'évêque de Limoges se réfugie 482 , protection grâce à laquelle il peut continuer à exercer son rôle dans certains points du diocèse4 83 . Les informations fournies par Geoffroy de Vigeois méritent d'être rapprochées de celles issues de la Vie de saint Bernard par Arnaud de Bonneval. D'après lui, Gérard d'Angoulême et le duc ont chassé les évêques de Limoges et de Poitiers d'un commun accord. Pourtant, il ajoute que le duc a des motifs« personnels» pour vouloir s'en défaire. Il le dit particulièrement hostile à Guillaume II et n'hésite pas à affirmer qu'il a profité de l'occasion pour le persécuter et l'écarter 484 • Nous n'avons aucune idée des motifs qui ont pu nourrir une éventuelle animosité du duc envers l'évêque: Guillaume X et le prélat ont toujours semblé être en bons termes, d'autant plus que le duc n'a jamais agi auparavant en adversaire de l'Église 485 • Cependant, celui qui usurpe le siège poitevin, Pierre de Châtellerault, n'est autre que le grandoncle de Guillaume X, un chanoine de la cathédrale. Une fois de plus, les violences n'apparaissent donc pas au hasard. L'instant est bien choisi pour dissimuler les causes réelles des attaques; il permet d'agir aisément et éventuellement de faire porter une partie des torts sur une tierce personne. Si le moment retenu pour passer à l'action permet de connaître quelques aspects des mobiles des assaillants et témoigne de leurs stratégies, la fixation de conditions pour mettre fin à ces violences n'est pas non plus anodine. Le refus de négocier afin d'exploiter les situations jusqu'au bout montre bien que ceux qui les ont provoquées opèrent consciemment. Par exemple, plusieurs conflits déclenchés ou relancés par l'expulsion d'un évêque perdurent jusqu'à un enlisement tel, que l'un des partis engagés doit céder pour permettre le rétablissement de la victime sans négociation possible. Lorsque personne ne daigne jeter du lest, les prélats peuvent finir leurs jours loin de leurs sièges. Les cas de Pierre II de Poitiers et de Jean de Veyrac à Limoges confirment bien cette éventualité. Le premier meurt en exil; le second en Terre sainte vers laquelle il s'est embarqué après avoir renoncé à lutter pour 480 481

Ibid., p. 434. A. Richard, Histoire des comtes de Poitou ... , t. II, p. 24-25.

482

Episcopus enim ultra Vigennam in terra Ademari demorabatur; Ibid., p. 434. Durant son exil, l'évêque procède à des ordinations à Uzerche; Ibid., p. 434. 484 Erant et aliae f amiliares causae, pro qui bus ei a multo tempore Co mes infensus, data occasione, libentissime eum persequitur et abjurat; Arnaud de Bonneval, Vita prima, liv. II, PL, t. 185, col. 286-287. 485 A. Richard, Histoire des comtes de Poitou ... , t. II, p. 1-20. 483

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reprendre sa place. Jean de Veyrac est, en effet, violemment chassé de Limoges et persécuté jusqu'à la dernière minute par le duc d'Aquitaine,Jean sans Terre. Ce dernier a accumulé les griefs contre l'évêque. Il lui reproche surtout d'avoir pactisé avec le roi de France, Philippe Auguste. Le prélat a organisé une expédition pour chasser des routiers à la solde du roi d'Angleterre installés dans la ville épiscopale de Saint-Léonard de Noblat486 . Les troupes de l'évêque les ont mis en fuite et poursuivis pour leur infliger une sévère défaite. À l'issue de cet effort victorieux, Jean de Veyrac a juré fidélité à Philippe Auguste. Le souverain a reçu son hommage et, en retour, lui a promis de le protéger et de toujours conserver l'évêché de Limoges dans sa vassalité directe 487 • En retour, Jean Sans Terre fait saisir et placer sous séquestre les domaines de l'évêque 488 • Il le force à quitter son siège:Jean est donc jeté sur le chemin de l'exil en 1214. Il ne désarme pas pour autant. Informé, le pape Innocent III menace le Plantagenêt de jeter l'interdit sur ses terres s'il ne rétablit pas le prélat limousin dans ses droits489 • Peut-être inquiété, le duc finit par exposer, dès 1215, ses conditions pour permettre à l'évêque de regagner son siège. Celui-ci doit lui jurer fidélité, s'engager à lui rendre les services et à accomplir les devoirs auxquels ses prédécesseurs se sont soumis. L'acceptation de ces clauses doit lui être attestée par les communes des domaines du prélat490 . Comme Jean de Veyrac refuse de se soumettre à ces exigences, il est définitivement exilé et meurt à Saint:Jean d'Acre trois ans plus tard. Ce sont donc plus souvent les défenseurs des évêques qui doivent céder et accepter les conditions imposées par les agresseurs. Ainsi, les interventions répétées de Bernard de Clairvaux, les pressions exercées par le clergé de la province de Sens et l'interdit prononcé contre lui ne suffisent pas à assouplir Louis VI, ni à obtenir aucune réparation à l'égard d'Étienne de Senlis. Contraint de s'éloigner de son siège en 1128, celui-ci ne peut réintégrer Paris qu'à la fin de 1131. Pour cela, le pape a dû lever l'interdit et l'évêque obéir au souverain qui lui ordonne de se présenter devant lui. Conseillé par l'évêque de Chartres qui le soutient depuis le début du conflit, Étienne se soumet et, moyennant un sauf-conduit, il rentre à Paris. Ce n'est qu'à partir de là que les relations entre le roi et l'évêque reprennent leur cours normal. Louis VI a remporté la bataille et mené à bien le projet qu'il s'est donné en attaquant le prélat. Dans le cas de Pierre Effenouard auquel Louis VII a interdit l'accès au siège de Bourges, la situation reste bloquée de 1141 à 1144. Le roi campe sur ses positions et fait la sourde oreille aux conseils que lui prodiguent Suger, Pierre le 486

Chronique de Pierre Coral, dans Chroniques de Saint-Martial de Limoges, H. Duples-Augier (éd.), Paris, 1874, p. 193 (1203); Chronique de Maleu, chanoine de Saint-Junien mort en 1322, Abbé Arbellot (éd.), SaintJunien et Paris, 1847, p. 63. 487 Cet accord est scellé au mois de novembre 1204 à Dixmont: Notum [ ... ] Q:µodjoannes Lemovicensis episcopus nabis fecit hominagjum, et nos ipsum et ressuas ad episcopatum suum pertinentes sub protectione nostra recepimus, tali modo quod non permittemus ipsum vel successores ejus reœdere de manu nostra vel sucœssorum nostrorum, aliquo casu contingente; H.-F. Delaborde,J. Monicat, Ch. Petit-Du taillis, Recueil des actes de Philippe Auguste, t. II, p. 439-440, n° 856. 488 Th. D. Hardy (éd.), Rotuli Litterarum clausuram in turre Londinensi asservati, Londres, 1833, t. I, p. 196; L. Guibert, Histoire de Saint-Léonard-de-Noblat au XIII' siècle, Paris, 1992 (rééd.), p. 57, n. 3. 489 Innocent III menace le Plantagenêt dans une lettre qui lui est directement adressée, voir: PL, t. 214,

col. 1036, n° LXVIII. Ces conditions sont consignées dans une lettre adressée par Jean sans Terre à l'archevêque de Bordeaux, au prieur de Grandmont, au comte de la Marche et aux habitants de la Cité de Limoges; L. Guibert, Documents, analyses de pièces, extraits et notes relatifs à l'histoire municipale des deux villes de Limoges, t. I, Limoges, 1897, p. 12, n° 10 (19 a\Til 1215).

49

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COMPRENDRE: LA CONCLUSION DE CONFLITS SPÉCIFIQUES

Vénérable et saint Bernard. Le pape Innocent II refuse de faire un pas en avant et maintient fermement l'interdit qui pèse sur le roi. Si la mort n'avait pas emporté le souverain pontife, la situation ne se serait sans doute pas dénouée aussi facilement. Une nouvelle fois, c'est Célestin II qui permet le retour de la paix en annulant l'interdit. En échange, Pierre peut s'installer à Bourges, entré en grâce auprès du roi. Les faux airs de spontanéité des agresseurs résistent donc mal à l'examen de leurs intentions. Les colères simulées ne parviennent pas à masquer les éléments de stratégie retenus par les bourreaux des évêques: la violence semble calculée, les attaques réglées, leur cadre et leur temps choisis avec soin. Certains dossiers dévoilent même de véritables associations de malfaiteurs, en particulier lorsqu'il s'agit d'assassiner. Des violences fédératrices

Comme nous l'avons montré au cours de la première partie de cette étude, l'identification des agresseurs des évêques ne pose guère de problème. Qu'il s'agisse de meurtre, d'expulsion ou d'emprisonnement, les sources présentent dans l'ensemble assez bien les auteurs des forfaits et les indications fournies permettent également de dégager quelques traits caractéristiques dans l'organisation des violences. Tout d'abord, les attaques perpétrées contre les évêques sont rarement le fait d'individus isolés. En effet, la moitié des assassinats étudiés, six en totalité, peut être attribuée à un groupe de coupables. Il en est de même pour un peu plus du tiers des expulsions: onze évêques sur trente ont été contraints de quitter leurs sièges par des ennemis associés. Dans ce cas, la responsabilité collective est amoindrie par l'omniprésence des violences aristocratiques dans la province d'Auch où les relations entre les prélats et les familles puissantes de la noblesse locale se dégradent. Si l'on écarte cette province du calcul, la proportion des exils provoqués par une action collective concerne la moitié des victimes. Enfin, seuls trois évêques retenus en captivité semblent avoir souffert d'agresseurs associés. Cependant, si celui qui passe à l'acte est plus souvent isolé dans le cadre des emprisonnements, les causes de ces violences révèlent que dans la majorité des affaires, les agresseurs œuvrent pour le compte d'un allié plus puissant auquel ils sont inféodés. Cette dernière remarque nous invite à réfléchir au degré de responsabilité des coupables. En effet, il varie considérablement en fonction de la position occupée par ces derniers dans le schéma des violences. Il est donc utile de s'interroger avant tout sur le fonctionnement de ces organisations collectives pour comprendre les enjeux qui unissent les simples exécutants aux commanditaires des crimes. Responsabilités partagées: des exécutants aux commanditaires Lorsque les violences peuvent être attribuées à un groupe de coupables, il est souvent difficile d'en dresser une liste précise. Les sources ne citent souvent que quelques agresseurs avec précision et préservent ainsi une certaine part d'anonymat. Ce caractère s'accentue avec le nombre des agresseurs comme le laisse entendre le tableau ci-dessous (tableau n ° 9).

Même s'il n'existe pas de véritable règle, les observateurs restent plus discrets lorsque les agresseurs des évêques n'appartiennent pas au monde des puissants: l'anonymat est presque proportionnel à l'humilité des coupables. L'exemple des assassinats est tout à fait représentatif de ce point de vue. Les deux meurtriers de

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Guillaume de Rocozels sont, semble-t-il, identifiés par les contemporains de l'évêque de Béziers; cependant, ils ne sont jamais nommés dans les sources. Au mieux, ils sont situés parmi les serviteurs du prélat. Il en est de même pour les seize Lodévois qui se sont débarrassés de Pierre Frotier: aucune information n'est donnée sur ces derniers en dehors de leur origine géographique. Agresseurs

Victimes

Commanditaires

Nombre

Désignation

Lambert de B. / Thérouanne

2

Eustache, avoué de Th. Un chevalier

Hamon / St-Pol-de-Léon

2

Guiomarch et son fils (vicomtes de Léon)

Guillaume de R. / Béziers

2

Serviteurs de l'évêque

Pierre Frotier / Lodève

16

Lodévois conjurés

..... QJ ..... ..... QJ

Gaudry / Laon

40?

Bourgeois de Laon

.8"'

Jean Bellesmains / Poitiers

?

Familier(s) de l'évêque

Richard d 'Ilchester

Robert d'Aire / Arras

?

Hommes de Jacques d'Avesnes

Henri de France

Adémar / Poitiers

?

Chanoines opposés à son élection ?

Otton de Brunswick

Guillaume II / Poitiers

2

Guillaume X; Gérard d'Angoulême

Eustorge / Limoges

2

Guillaume X; Gérard d 'Angoulême

Aymeri / Clermont

2

Comte d'Auvergne; doyen du chapitre

Geoffroy L / Bordeaux

?

Chanoines of!posés à la réforme?

Gauzlin / Bourges

?

Vicomte de Bourges et les habitants

Supposés /Reconnus

"' QJ

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"'~

-, p. 272-273. 606

166

COMPRENDRE: LA CONCLUSION DE CONFLITS SPÉCIFIQUES

Normandie où, jusqu'au début du xne siècle, la situation n'évolue pratiquement pas. La réforme du clergé séculier est particulièrement laborieuse et sa réalisation fait partie des difficultés les plus importantes pour les évêques de la fin du XIe et du début du XIIe siècle. La lenteur à extirper le mariage des prêtres est déplorée par Yves de Chartres612 . À la fin du XIe siècle, le duc de Normandie a déjà lui-même critiqué l'incapacité des évêques à imposer le célibat et à épurer le clergé de la province613. Cet échec général explique en grande partie ou, du moins, coïncide avec les violences étudiées. Ses causes semblent venir principalement du recrutement du clergé normand, évêques en tête, mais aussi de l'emprise des seigneurs laïcs sur celui-ci. En effet, Jean d'Ivry et Geoffroy le Breton dérangent par leurs méthodes, mais aussi parce que les mœurs qu'ils défendent et appliquent sont peu répandues en Normandie. Combien d'évêques et d'abbés sont-ils mariés au cours de la période qui nous intéresse? Plus d'une douzaine! Combien de prélats sont-ils issus de dynasties puissantes en plus de la dizaine d'évêques et archevêques apparentés aux ducs eux-mêmes? Combien se sont-ils comportés en seigneurs terriens plus qu'en hommes , Position des thèses de l'école des chartes, 1910, p. 166.

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l'évêque. En le chassant, le souverain donne un avertissement à ceux qui décideraient de suivre le même chemin, de prendre le parti du pape contre le sien. L'attitude du roi envers Eudes de Sully au bout de plusieurs mois d'exil confirme en quelque sorte le caractère artificiel de la réaction de Philippe: en effet, dès le mois d'Août 1200, il renoue avec l'évêque de Paris et pour lui témoigner son attachement, il le dispense du service d'ost et de chevauchée677 . Au final, les prélats du royaume n'ont pas respecté la sanction prise contre le roi. La mesure a été efficace et la violence dissuasive. Les violences anti-épiscopales liées aux pratiques matrimoniales aristocratiques en disent long sur la distance séparant les évêques des princes territoriaux, laquelle s'accroît tout au long des xre et xne siècles. Alors que certains prélats, à l'image de Gervais de Château-du-Loir, manipulent le mariage avec dextérité au service de leurs propres intérêts678 , l'épuration de l'épiscopat et sa libération de la tutelle laïque ont contribué à amoindrir ce genre de pratiques. Les prélats émancipés et les princes ne poursuivant plus les mêmes objectifs, le regard des représentants du clergé sur les usages aristocratiques du mariage change: la nature des conflits entre évêques et seigneurs aussi. Le mariage est toujours présent, mais il devient un objet de débat et de divisions supplémentaire, exploité par la papauté pour arracher l'épiscopat aux souverains. Les liens entre violences anti-épiscopales et mariage deviennent donc plus clairs. Tout d'abord, ce n'est pas le mariage lui-même qui pose problème, mais les interdits qui lui font obstacle, d'autant plus lorsqu'ils surgissent brutalement dans la vie d'hommes qui les ont presque oubliés. On retrouve ici une logique déjà rencontrée à plusieurs reprises: la violence répond régulièrement aux innovations, à la rupture d'usages traditionnels ou devenus au moins habituels. Les évêques en ont souvent été les vecteurs et par conséquent les victimes, ce qui est d'autant plus vrai avec la diffusion des idées et des principes grégoriens. C'est le cas pour la volonté des réformateurs d'appliquer rigoureusement les interdits matrimoniaux définis avec une plus grande précision, tout comme les mesures prises à l'encontre de ceux qui les contournent, laïques et ecclésiastiques confondus. Pour les uns et les autres, les objectifs sont quasiment identiques ou complémentaires. Il s'agit de contrôler d'une part les représentants du clergé, en les détachant des laïques pour en faire un monde à part, pur et exemplaire, à la frontière moins perméable; d'autre part les princes territoriaux, en limitant leur usage stratégique du mariage qu'ils utilisent pour conforter leur pouvoir. Amoindrir la liberté et censurer les mœurs équivaut à contrôler les alliances et limiter la puissance aristocratique au profit de l'Église romaine, mais aussi à ériger les princes en exemples. Ces luttes n'ont véritablement pénétré dans le royaume de France que fin XIe début XIIe siècle; la réponse a été immédiate: on comprend mieux la concentration des violences anti-épiscopales autour de 1100.

677

PL, t. 212, col. 74. Personnellement investi dans les luttes opposant les comtes du Maine au comte d'Anjou, cet évêque du Mans a su intriguer en seigneur averti contre le comte d'Anjou en concluant un mariage stratégique ouvrant la porte du Maine à son ennemi comme nous l'avons déjà vu; Actus pontificum Cenomannis.. . , p. 365.

678

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COMPRENDRE: LA CONCLUSION DE CONFLITS SPÉCIFIQUES

III - DE LA SOUMISSION À L'INDÉPENDANCE: LA PUISSANCE ÉPISCOPALE, OBJET DE CONVOITISES Nous sommes partis du postulat selon lequel les mutations internes à l'Église, entre la fin du xe et le début du x111e siècle, ont provoqué une rupture de l'équilibre traditionnel des pouvoirs, en grande partie responsable des violences dirigées contre les évêques. L'impact de la réforme grégorienne sur le royaume de France confirme tout à fait cette hypothèse, puisqu'il nécessite une redéfinition des rapports entretenus par l'épiscopat avec les représentants de la noblesse. De façon plus générale, le cycle des violences anti-épiscopales, au cours de la période qui nous intéresse, offre l'occasion de s'interroger sur les liens complexes qui unissent les princes laïcs aux évêques. Comme nous l'avons vu précédemment, les prélats sont sociologiquement très unis à l'aristocratie dont ils sont, dans leur très grande majorité, issus. Le recrutement épiscopal au sein d'une aire géographique généralement restreinte fait del' évêque un proche des familles dominantes ou, du moins, d'une partie d'entre elles. Cependant, les relations entre ces deux groupes sont, paradoxalement, des plus agitées, la noblesse regroupant plus de la moitié des agresseurs identifiés. Quelles sont donc les raisons capables d'ériger en ennemis les membres d'un même réseau de fidélité, parfois d'un même lignage? Dans le même temps, les évêques, seigneurs urbains, se heurtent régulièrement à une agitation au sein des cités dans le cadre d'un large mouvement« communal» animé par des candidats au partage de la puissance seigneuriale détenue par les prélats. À travers l'analyse des violences d'origine aristocratique et urbaines, nous essayerons donc de comprendre en quoi le développement de la puissance et de l'autonomie épiscopale peut accentuer la vulnérabilité de l'épiscopat.

A - Des soumissions héritées Pour introduire la quatrième partie de sa thèse consacrée aux codes qui régissent, à la fin du Moyen Age, les rapports entre les individus et les différents groupes, Cl. Gauvard propose une réflexion qui se prête bien aux évêques, même coupée de son contexte. «Enserré dans un réseau de relations, l'individu attend davantage de ses proches une protection qu'il ne porte sa dague contre eux. Mais le jeu des solidarités est tel qu'il peut alimenter la violence »679 . Les évêques ont fait face à des attaques provenant de ceux dont ils attendaient le secours, du fait de violations, plus ou moins volontaires, de règles informelles auxquelles ils devaient se plier pour permettre la survie de ces unions. Inversement, l'engagement des prélats dans des conflits en partie extérieurs à leurs préoccupations les plus directes, le plus souvent via des associations contractées antérieurement, constitue un danger non négligeable pour ces derniers. Ils risquent, en effet, d'être utilisés comme monnaies d'échange pour exercer une pression sur un tiers. Le choix de certains alliés peut donc rendre les évêques indésirables.

679

CL Gauvard, De grace especial. .. , p. 703.

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La tutelle aristocratique Plusieurs évêques malmenés semblent, en effet, prisonniers de leurs appartenances familiales et des réseaux de fidélité construits autour de leurs parents. Écrasant lignage La nature des liens entretenus par un évêque avec les siens dépend en grande partie de la position occupée par sa famille vis-à-vis du siège épiscopal. Trois configurations peuvent se présenter au cours de la période étudiée: dans certains espaces, l'accès à la fonction est contrôlé par une famille dominante; l'épiscopat peut faire l'objet de luttes entre plusieurs lignages concurrents; enfin, après le renforcement des influences grégoriennes, les évêques sont, logiquement, amenés à rompre avec les leurs. Alors que l'on pourrait s'attendre à voir les prélats jalousement protégés dans les deux premières situations, les violences perpétrées dans la province d'Auch et en Bretagne, où les évêques sont à plusieurs reprises victimes de luttes intra familiales, débouchent sur un constat très différent. Enfin, le passage d'un cas de figure à l'autre entraîne également des conséquences difficiles à surmonter.

L'évêque de Saint-Pol-de-Léon n'a ainsi pas longtemps survécu à l'hostilité manifestée contre lui par le vicomte, son propre frère. Le changement radical de l'attitude d'Hamon dans la lutte engagée par sa famille contre la «conquête» menée par le roi d'Angleterre, Henri II, a déchaîné la colère du vicomte Guiomarch 680 . Alors qu'Henri II a commencé à étendre son autorité sur la Bretagne dans les années 1160, il s'est d'emblée heurté à la résistance farouche des vicomtes de Léon refusant de se soumettre à sa domination. Le Plantagenêt a pourtant réussi à se concilier une part non négligeable de la noblesse et des évêques bretons, en intervenant notamment dans leur nomination 681 • Malgré tout, l'évêché de Léon est resté en dehors de son contrôle, la famille vicomtale monopolisant ici le choix de l'évêque et réservant le siège épiscopal pour ses représentants 682 . Hamon correspond bien à ce profil: il ne paraît pas avoir perdu son habileté à manier l'épée, ni son goût pour le combat en accédant à l'épiscopat. Guillaume le Breton le présente, par exemple, volant au secours de son père, le vicomte Hervé, et de son frère, Guiomarch, à la tête d'une armée en 1163. Ces derniers ont alors été capturés et sont détenus dans Châteaulin par un seigneur voisin, le vicomte du Faou, jaloux de la puissance accrue d'Hervé 683 • Hamon accourt pour les délivrer. Il reçoit, pour ce faire, l'aide du duc de Bretagne, Conan IV. Ensemble, ils mènent le siège de la place forte et libèrent le vicomte et son fils. Hamon participe sans doute à cette occasion

680 L'idée de «conquête» de la Bretagne par Henri II et Geoffroy est largement remise en cause par J. A. Everard: elle insiste sur le fait que les campagnes militaires menées n'ont rien de guerres de conquête débouchant sur un partage de terres entre guerriers; il s'agit plus de campagnes menées contre certains barons rebellés, à titre individuel, contre les Plantagenêt à des moments précis et pour des raisons particulières. J. A. Everard, Brittany and the Angevins .. ., p. 34-75 et 34-37 en particulier. 681 Concernant le support ou l'absence d'hostilité des évêques envers Henri II en Bretagne, Ibid., p. 6775. 682 B. A. Pocquet du Haut-:Jussé, «Les Plantagenêts et la Bretagne», Annales de Bretagne, 53 (1946), p. 127 ;J. Le Patourel, «Henri II Plantagenêt et la Bretagne», Mémoires de la société d'histoire et d'archéologie de Bretagne, 58 (1981), p. 99-116; H. Guillotel, «Les vicomtes de Léon aux XIe et XIIe siècles», Mémoires de la société d'histoire et d'archéologie de Bretagne, ( 1971), p. 29-46.

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COMPRENDRE: LA CONCLUSION DE CONFLITS SPÉCIFIQUES

à la capture du vicomte du Faou, enfermé à son tour par Hervé à Daoulas, où il périt de faim et de soif en compagnie de son frère et de son fils 684 • Ce premier aspect du comportement de l'évêque laisse penser que le lignage est prioritaire sur l'appartenance au clergé dont tous les interdits sont balayés. Cette hypothèse est confirmée par l'investissement de prélats gascons dans des violences du même ordre. Il faut dire que, dans la province d'Auch, l'histoire de l'épiscopat et de la violence vont de paire, ce qui s'explique en grande partie par la domination exercée par les ducs de Gascogne sur l'ensemble des sièges épiscopaux réunis, jusqu'au milieu du x1e siècle, sous la direction d'un seul homme 685 .Jusqu'à la pénétration tardive de la réforme dans cet espace, les évêques sont frères et cousins des ducs et comte, ils s'accommodent très bien des violences aristocratiques dont leurs églises retirent des profits. En Bretagne, comme en Gascogne, on reste donc longtemps dans le cadre d'une Église «féodale» ou du moins, comtale, avec une collaboration complète de l'épiscopat aux intérêts du lignage. Cette situation se transforme cependant, dans les deux cas, au cours du xne siècle et les relations entre les familles dominantes et les évêques s'en trouvent totalement modifiées. En effet, lorsque Guiomarch succède à son père à la tête de la vicomté de Léon, sa domination sur l'évêque devient plus difficile: Hamon décide de se dégager définitivement de la cause familiale pour se rallier au camp d'Henri II, suivant peut-être Conan IV forcé de se soumettre au roi d'Angleterre 686 • Ce revirement vaut à l'évêque d'être chassé de son siège par le vicomte, en 1169. Une nouvelle intervention du duc de Bretagne lui permet de se rétablir687 • Hamon va alors payer très cher cette tentative de résistance. Guiomarch et son fils organisent son assassinat pour le punir de sa défection et tentent de le remplacer par un prélat plus docile, soumis à leur volonté 688 • En Gascogne, les relations des évêques avec l'aristocratie se dégradent aussi brusquement à partir du moment où le recrutement épiscopal échappe au lignage ducal. À partir des années 1080, les attaques perpétrées contre les prélats se multiplient, comme on peut le constater à partir du recensement des violences 689 • Sans entrer dans le détail, les évêques malmenés sont visés en tant que représen-

683

H. Guillotel, «Les vicomtes de Léon ... », p. 30-31. Anno ab incarnatione Domini MCLXIII, Herveus cames Leonie, miles strenuissimus, qui in Anglia et in aliis lacis multa bella preclara gesserat, undeque monoculus fa etus erat, dola captus fuit una cum Guidomaro filio sua, et retrusi sunt in carcerem apud Castellum-Lini. Haimo vero episcopus Leonensis, una cum militibus et populo, arma arreptis, obsederunt castrum; quibus Conan us Parvus, dux Britannie, prestitit auxilium et personaliter interfuit. Castro itaque oppugnato et per vim capta, liberati sunt inde cames Herveus et filius ejus. Vicecomes vero Fagi cum fratre et filio sua qui dolum illum fecerant, incarcerati sunt apud Douglasium et fame et siti interire coacti; Guillelmi Armorici Liber, dans Oeuvres de Rigord et de Guillaume le Breton ... , F. Delaborde (éd.), t. 1, p. 178. 685 R.-A. Sénac, «L'évêché de Gascogne et ses évêques (977 - 1059) '"Actes du 104' Congrès National des Sociétés Savantes tenu à Bordeaux en 1979, Paris, 1981, p. 131-144. 686 J. A. Everard, Brittany and the Angevins... , p. 69. 687 Anno ab incarnatione Domini MCLXIX, expulsus est Haimo episcopus de episcopatu sua a Guidomaro fratre sua vicecomite, propter quod Conanus Parvus cum eodem episcopo, congregato exercitu, intravit terram Leonie et pugnavit cum dicta Guidomaro et filius ejus, et eos hello confecit juxta Comanna in loco qui dicitur Mechuoet quod interpretatur pudorfuit; Guillelmi Armorici Liber, dans Oeuvres de Rigord et de Guillaume le Breton ... , F. Delaborde (éd.), t. I, p. 179. 688 Paucis postea elapsis diebus, interfectus fuit Haimo episcopus Leonensisi ... , Ibid., p. 179; Hama, episcopus Leonensis, crudeliter, per concilium, ut dicunt, Guihomari fratris sui, vicecomitis Leonensis, et junioris Guihomari, nepotis sui occisus est; Chronique de Robert de Torigny ... , t. Il, p. 25; Cartulaire de l'abbaye Sainte-Croix de Quimperlé, L. Maitre et P. de Berthou (éd.), Rennes -Paris, 1902, p. 108. 689 Voir tableau n' 1 dans l'introduction générale. 684

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tants de lignages concurrents ou indociles, c'est le cas pour les évêques originaires du Toulousain, à l'image de l'archevêque Gérard de la Barthe expulsé d'Auch par le comte d'Armagnac Bernard IV, puis d'Auger, l'évêque de Couserans, chassé par Bernard V690 . Cinq fois sur sept, les violences ont pour origine un conflit portant sur des droits attachés aux évêchés et usurpés par les seigneurs laïcs, parfois même par un parent de l'évêque. Le caractère monolithique du lignage exerce donc une influence importante sur l'épiscopat. La solidarité de parenté est, en effet, doublement oppressante pour les prélats. Dans les espaces où une famille monopolise le siège épiscopal, comme lorsque plusieurs groupes aristocratiques le briguent, les évêques sont considérés avant tout comme les représentants d'un lignage. À ce titre, ils doivent participer activement à la politique de leur groupe de parenté dont ils doivent défendre les intérêts, souvent au mépris de leur statut. De la même manière, ils sont la cible d'attaques et de représailles dirigées non pas contre l'Église, mais contre le réseau auquel ils appartiennent, même si rien dans leur comportement ne prédispose à la violence. Cette vulnérabilité apparaît également dans le cadre d'alliances librement consenties par les prélats hors du cadre familial. Couvertures dangereuses Différents prélats ont ainsi pu être victimes des liens tissés avec de puissants laïques devenus leurs protecteurs. Trois situations distinctes apparaissent cependant parmi les évêques étudiés: soit ils ont conscience des risques que représentent pour eux les agressions dirigées contre leurs alliés, soit ils concluent des alliances explosives qui ne peuvent que leur être reprochées et suivies de déchaînements violents. Ou encore, ils utilisent volontairement des conflits préexistant pour faire jouer les solidarités à leur avantage. Les mésaventures des évêques du Mans et de Limoges, Arnaud et Jean de Veyrac, s'inscrivent dans ces différents schémas.

Le premier d'entre eux, Arnaud, quitte le Mans en 1069 pour aller se réfugier en Angleterre auprès de son protecteur, Guillaume le Bâtard691 . À cette date, les Manceaux se révoltent: ils profitent d'une absence du comte du Maine, Robert Courteheuse, pour manifester leur opposition à la domination normande 692 . Celleci est sensible depuis 1062, lorsque Guillaume devient comte du Maine 693 • Cette situation mécontente les habitants qui se soulèvent une première fois en 1062-1063: Guillaume doit les soumettre par la force et installer au Mans une petite garnison. Pour asseoir son autorité, il place son fils Robert Courteheuse à la tête du comté du Maine et lui fait prêter hommage au comte d'Anjou, Geoffroy le Barbu, qui a soutenu la précédente sédition 694 • Si le soulèvement de 1069 est de nouveau dirigé contre les Normands, comment comprendre le départ de l'évêque?

690

J.J. Monlezun, Histoire de la Gascogne... , t. II, p.

206-208 et t. IV (sources), p. 404-410. Quod cum vidisset episcopus, ne perfidie civium prebuisse videretur assensum, confestim ab urbe discessit, atque in Angliam, prospero transvectus navigio, a rege honorifice receptus est; Actus pontijïcum Cenomannis .. . , p. 377. 692 Ibid., p. 376-377; voir également R. Latouche, Histoire du comté du Maine ... , p. 35-36. 693 Le comte du Maine, Herbert II, a conclu un traité avec Guillaume le Bâtard vers 1055-1060: il fiance sa sœur Marguerite au fils du duc de Normandie, Robert et il promet d'épouser sa fille. Si Herbert décède sans enfant, le comté du Maine doit revenir au duc: en 1062, Herbert II meurt sans descendance et Guillaume hérite du comté du Maine. R. Latouche, Histoire du comté du Maine .. ., p. 32-33. 694 Ibid. p. 35. 691

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COMPRENDRE: LA CONCLUSION DE CONFLITS SPÉCIFIQUES

Rien ne permet de repérer la trace d'attaques contre ses biens, ni de menaces proférées contre lui. Par contre, Arnaud apparaît dans les sources comme le protégé du duc de Normandie: lorsqu'il succède à Vulgrin sur le siège du Mans en 1065, il reçoit le soutien de Guillaume le Bâtard sans lequel il n'aurait pu être élu 695 • Le comte d'Anjou revendique alors le droit de patronage sur l'élection et s'oppose au choix d'Arnaud. Il tente même en vain d'empêcher sa consécration. Ses adversaires lui reprochent, en effet, d'être né d'une «union sacrilège»: ils signalent l'indignité de sa naissance au pape Alexandre II qui tranche en sa faveur. Il est donc consacré 696 . Ayant bénéficié de l'appui du duc de Normandie pour accéder à l'épiscopat, Arnaud lui reste fidèle et redoute sans doute de voir les insurgés se retourner contre lui pour tenter d'exercer une pression sur Guillaume. La révolte déjà lancée ayant touché les représentants du duc dans le Maine en priorité, Arnaud craint sans doute pour sa propre sécurité 697 . Son départ doit être compris comme un exil préventif face à une situation qui risque de dégénérer à ses dépens. L'évêque est donc conscient des menaces que peut représenter la protection que lui offre le duc dans le milieu hostile où son autorité et sa puissance sont bien maigres. L'accueil qu'il reçoit à son retour au Mans témoigne d'une certaine animosité dirigée contre lui: les habitants lui refusent l'accès à la ville. L'évêque se réfugie alors au monastère de Saint-Vincent et ne retrouve son siège qu'après des négociations menées par son clergé auprès de ses ennemis698 . Attitude prudente, ou volonté de marquer son désaccord avec la révolte dirigée contre son défenseur auquel il semble particulièrement inféodé, l'exil d'Arnaud reflète bien le risque incarné par le choix d'un allié puissant mais contesté. Alors qu'il mesure les dangers encourus, il doit être bien vulnérable et son pouvoir cruellement réduit au point de lier sa survie à l'autorité du duc de Normandie. Plusieurs actions entreprises après son rétablissement semblent d'ailleurs découler directement de l'influence de ce prince 699 . Arnaud apparaît donc comme un prélat faible, contraint de s'exposer et de soumettre, en toute lucidité, les intérêts de son Église à ceux de son protecteur. Contrairement à l'évêque du Mans, Jean de Veyrac se conduit à Limoges de façon beaucoup plus audacieuse, au point de se créer des ennemis en contractant, au grand jour, une alliance provocatrice pour le duc d'Aquitaine. Ce prélat dont la

695

Ibid. p. 79 et Actus pontificum Cenomannis .. . , p. CXXXVI. Gum itaque prefatus Vulgrinus ab hac luce migrasset, clerus et populus Cenomannis ipsum in episcopum elegerunt. Cujus tamen electioni contradixere nonnulli, nullam omnino causam aliam pretendentes, nisi quia filius fuerat sacerdotis. Unde Cenomannenses clerici ad papam Alexandrum legationem miserunt, super prefati viri electione et adversariorum objectione illius sententiam expetentes. [ ... ] Hac igdur Cenomannenses auctoritate suffulti, prefatum Arnaldum sibi episcopum consecrari fecerunt. Ibid., p. 375. 697 Ibid. p. 376. 698 Quapropter ipse, apud regem non mulla tempore commoratus, cum ipsius licentia ad sedem suam redire disposuit, multis ab eo muneribus honoratus. Sed cum cives sui, odio regi,s Anglici nequaquam eum in civitatem paterentur intrare, extra urbem in sancti Vincentii monasterio, cum sua familia morabatur. Sed clerici, ejus absentiam nonferentes,facta cum adversariis concordia, illum sue sedi restituunt; Ibid., p. 377. 699 R. Latouche insiste beaucoup sur cette soumission des évêques du Mans de la deuxième moitié du XIe siècle aux intérêts laïcs: ils n'ont ni les moyens ni la puissance suffisante pour tenir tête aux comtes 696

du Maine et sont contraints de s'inscrire dans leur clientèle. Arnaud et son successeur Hoël se montrent ainsi particulièrement liés et actifs en faveur du duc Guillaume et de son fils Robert; ils récoltent la violence en retour. R. Latouche, Histoire du comté du Maine ... , p. 84-86.

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carrière est bien connue laisse le souvenir d'un homme mesuré et attaché au maintien de la paix à l'intérieur de son diocèse, mais déterminé à se battre contre les fauteurs de trouble. Lorsqu'il accède au siège de Limoges, en 1197, la situation est particulièrement confuse. À cette date, le Limousin est sous la domination des Plantagenêts, devenus ducs d'Aquitaine depuis le milieu du XIIe siècle. Or, leurs ambitions, leurs querelles familiales et la lutte qui les oppose au roi de France sont à l'origine de l'agitation qui règne sur place. Malgré les difficultés qui déchirent le diocèse de Limoges, Jean est élu librement, sans incident et entame son épiscopat en jouissant d'une indépendance suffisante. Cependant, il ne tarde pas à se poser lui-même en adversaire des intérêts et de la politique menée par les Plantagenêts qui entretiennent une forte instabilité nuisible à l'installation durable de la paix. Jean s'investit donc d'une part contre le mouvement communal initié par Henri II et ses fils 700 , d'autre part contre les routiers, à leur solde, qui pillent les campagnes alentour. Au cours de la guerre qui oppose Henri II et ses fils, des bandes de mercenaires sont, en effet, introduites dans la région. Ces derniers se livrent à toute sorte d'abus et deviennent de véritables pillards une fois démobilisés. Leur présence constitue un obstacle important pour les seigneurs limousins, en particulier pour les évêques qui se chargent d'organiser la lutte contre eux. Ils lancent régulièrement des appels à la mobilisation pour les chasser, lèvent des troupes et les affrontent avec le secours de la noblesse locale. Le premier à agir de la sorte est Gérard du Cher701 : selon Geoffroy de Vigeois, il répond en 1177 à la demande de l'abbé de Saint-Martial, Isembert, et conduit avec lui les troupes emmenées par les vicomtes de Limoges, de Comborn et de Lastours pour expulser les «Brabançons» qui se sont emparés du château de Malemort d'où ils écument les campagnes702 • Ils parviennent, semble-t-il, à les chasser. Gérard ouvre ainsi la voie à ses successeurs qui reprennent le même engagement contre les mercenaires levés au gré des luttes familiales et qui continuent à ruiner le pays. Sébrand Chabot engage donc à son tour une lutte acharnée. Il accompagne, en 1192, le vicomte de Limoges dans une expédition qui les oppose, d'après le chroniqueur Bernard Itier, à «six mille Brabaçons [ ... ] qui ruinaient la province tout entière» et ils mettent les brigands en déroute près d'Ahun. Après la mort de Richard Cœur de Lion, ceux-ci se répandent dans tout le Limousin 703 .Jean de Veyrac reprend donc le combat initié par ses prédécesseurs, en lançant plusieurs appels à la noblesse.

700

Le mouvement communal n'a pas toujours été source de violence, mais encouragé ici par les Plantagenêts, il constitue une arme supplémentaire pour déstabiliser les puissants en place défavorables à leur domination. 701 Il occupe le siège épiscopal de Limoges de 1139à1177;]. Becquet, «Les évêques de Limoges aux Xe, XIe et XIIe siècles», BSAHL, 107 (1980), p. 127-139. 702 Brabantiones tune graviter Exandonensem terram devastavere: novissime Malamortense castrum, tutelae causa, petiere. Dominicain Palmis, D. Isembertus abbas publice populos incitavit ad arma: qui prompta voluntate parati venere. Episccrpum Geraldum Grandimonte tune morantem adeunt, qui libenter comitatus est properantes [ ... ] . Igitur praesente abbate et praesule, Dominica Coena, Ademarus 'Vicecomes Lemovicensis in prima acie; Archambaldus Combornii vicecomes in secunda; Oliverius de Turribus in tertia; Eschivard de Chabanes in quarta, cum paucis duo millia utriusque sexus ab hora T7I usque ad XI inter Malamortem atque Brivam trucidavere; Geoffroy de Vigeois, Chronique, RHF, t. XII, p. 446. 703 L. Guibert, Histoire de Saint-Léonard-de-Noblat. La commune de Saint-Léonard-de-Noblat au XIII' siècle, Paris, 1910, (rééd. 1992), p. 46.

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COMPRENDRE: LA CONCLUSION DE CONFLITS SPÉCIFIQUES

L'évêque adopte cependant une position beaucoup plus radicale. Il ne tarde pas à se poser en véritable champion du camp français dans le cadre de la lutte engagée par le roi, Philippe Auguste, contre Jean sans Terre. Jean de Veyrac organise ainsi une action de poids en 1204 pour reprendre la ville et le château de Noblat occupés par une bande de routiers à la solde du roi d'Angleterre. L'abbé de Saint-Martin de Limoges, Pierre Coral, présente, avec plus d'un demi siècle de recul, cet événement comme une immense victoire du camp français liée aux initiatives de l'évêque 704 • Il le décrit assiégeant les mercenaires dans leur repaire avant de les écraser; il voit en lui le libérateur de la contrée du joug Plantagenêt7°5 . Or, Jean de Veyrac ne se contente pas de cette victoire. Il jure, à l'issue de ce combat, fidélité à Philippe Auguste, lequel s'engage en retour à le protéger et à conserver l'évêché de Limoges dans sa vassalité directe 706 . La dispersion des mercenaires permet un certain retour au calme à l'intérieur du diocèse et l'ordre se trouve encore renforcé par la trêve conclue peu après entre Jean sans Terre et Philippe Auguste. Malgré ce calme apparent, l'alliance ouvertement conclue entre l'évêque de Limoges et le roi de France, doublée de son engagement féroce à l'encontre des routiers, auquel il faut encore ajouter la résistance opposée par Jean de Veyrac aux communes soutenues par Jean sans Terre, inscrivent le prélat sur la liste des ennemis à abattre du Plantagenêt707 . Lorsque le roi d'Angleterre réapparaît en Limousin, en mars 1214, pour obtenir la soumission des seigneurs de la province, il prend des mesures sévères à l'encontre de l'évêque. Il fait saisir et placer sous séquestre une bonne partie de ses biens et le contraint à l'exil 708 • Il organise également l'administration des possessions du prélat, comme en témoigne une lettre qu'il fait parvenir en mai 1214 aux prud'hommes de Saint-Léonard:Jean sans Terre les informe des opérations réalisées et précise qu'il a chargé le sénéchal d'Angoulême de garder et d'administrer les biens confisqués. Il leur demande de soutenir les baillis mis en place à cette occasion, puisque Saint-Léonard fait partie des éléments saisis709 • Le pape ne tarde pas à être informé des difficultés rencontrées par Jean de Veyrac. Averti par ses proches, il intervient rapidement pour rappeler à l'ordre le roi d'Angleterre qu'il vient à peine de délivrer de l'excommunication. La lettre que lui adresse Innocent III permet de mesurer l'ampleur de sa haine et de son désir de vengeance à l'égard du prélat limousin 710 . Le souverain pontife y dresse la liste des torts reprochés au bourreau de l'évêque: la saisie de ses biens, leur occupation et la mise à l'écart de Jean de Veyrac. Il exige le rétablissement de la victime dans ses

704

Chronique de Pierre Coral, dans Chroniques de Saint-Martial de Limoges ... , Duples-Augier H. (éd.), p. 193. Johannes, episcopus Lemovicensis, cum baronibus et prelatis et populo terre obsedit Nobiliacum, in quo se incluserant quam plures Basculi et Ruptarii qui populum et terram vatabant. Deo autem auxiliante, capti et interempti sunt, et sic brachium regis Anglie in Aquitania primo confractum est, et per manum episcopi terra ad Francorum dominium est reducta. Ibid., p. 193. 706 H.-F. Delaborde,J. Monicat, Ch. Petit-Dutaillis, Recueil des actes de Philippe Auguste, t. II, n° 856, p. 439705

440. Jean de Veyrac avait excommunié en 1202 les consuls du Château de Limoges qui s'étaient révoltés contre l'abbé de Saint-Martial, voir Chronique de Pierre Coral, dans Chroniques de Saint-Martial de Limoges .. ., Duples-Augier H. (éd.), p. 192-193; il était également intervenu en 1210 pour régler un différend qui opposait les habitants de la Cité de Limoges aux chanoines de Saint-Étienne, voir: L. Guibert, Histoire de Saint-Léonard-de-Noblat ... , p. 8. 708 Chronique de Bernard ltier, dans Chroniques de Saint-Martial de Limoges ... , Du pies-Augier H. (éd.), p. 91. 709 Th. D. Hardy (éd.), Rotuli Litterarum clausuram in turre Londinensi asservati ... , t. 1, p. 196. 710 PL, t. 214, col. 1036, n° LXVIII.

707

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droits et menace Jean sans Terre de jeter l'interdit sur ses possessions en cas de désobéissance. Suite à ces avertissements, le Plantagenêt tente de ramener l'évêque vers lui, mais sans capituler pour autant. Il espère sans doute avoir suffisamment impressionné le prélat lorsqu'il fixe, au printemps de 1215, les conditions auxquelles il doit se plier pour retrouver son siège. Celles-ci sont exposées dans une lettre destinée à l'archevêque de Bordeaux, au prieur de Grandmont et aux consuls de la Cité à Limoges 711 • Le roi d'Angleterre y exige que Jean de Veyrac lui jure fidélité, qu'il s'engage à lui rendre les services et à accomplir les devoirs auxquels ses prédécesseurs se sont soumis 712 . Il précise que l'acceptation de ces conditions doit lui être attestée par les communes des domaines du prélat713 . Le triomphe facile envisagé par Jean sans Terre est vite déçu: il n'a pas pris en compte la détermination de l'évêque limousin, prêt à assumer jusqu'au bout les conséquences de ses engagements envers Philippe Auguste. Les exigences énoncées sont calculées pour le mettre en échec dans tous les aspects de la politique qu'il a menée: renoncer au parti français fait de lui un parjure. Se plier au bon vouloir du prince marque la victoire de celui-ci sur son indépendance et soumet l'Église à sa domination. Enfin, utiliser les communes pour avouer sa renonciation équivaut à reconnaître leurs droits et à anéantir les efforts fournis pour maintenir l'ordre et la paix dans le diocèse. Quant à l'autorité de l'évêque, elle se trouve largement amputée. Fidèle à sa parole et à ses idéaux, Jean de Veyrac refuse donc de se plier aux conditions requises par Jean sans Terre: il préfère l'exil à la soumission et part pour la Terre sainte où il meurt en 1218, à Saint:Jean d'Acre 714 . La résistance du prélat et la manière dont il affronte le Plantagenêt nuancent l'impression première d'imprudence. Au contraire, l'évêque semble avoir fait preuve d'une certaine clairvoyance, capable d'anticiper les avancées du camp français. De plus, en s'engageant dans la lutte, ce n'est pas une victoire personnelle qu'il a cherché à acquérir. C'est plus son attachement à la paix qui l'a poussé à se mettre en danger: il s'est montré prêt à la défendre à tout prix, même au péril de son propre devenir. La conclusion d'alliances peut donc représenter des dangers importants pour les évêques, au même titre que leur rejet ou leur volonté de prendre du recul par rapport à leurs protecteurs. Ce constat se vérifie dans toutes les situations rencontrées, qu'il s'agisse d'unions contractées par défaut et par faiblesse, comme dans le cas d'Arnaud au Mans, de paris à haut risque pour sauvegarder la paix comme à Limoges, ou encore de la volonté de se démarquer de la tutelle du pouvoir laïc pour affirmer son indépendance, trait commun àJean de Veyrac et à Étienne de Senlis. Les expulsions visant à exercer des pressions sur leurs protecteurs ou à punir leur audace, constituent la monnaie de la pièce de ces choix aussi difficiles à éviter qu'à assumer.

711

L. Guibert, Documents, analyses de pièces, extraits et notes relatifs à l'histoire municipale des deux villes de Limoges ... , t. I, n° 10 (19 avril 1215), p. 12. 712 Sciatis quod volumus hanc formam observari de pace facienda inter nos et Episcopum Lemovicensem, scilicet quod ipse juret nabis fidelitatem et quod faciat nabis consuetudines et servicia que antecessores sui antecessoribus nostris facere consueverunt; et quod non redecet a servicio nostro. Ibid. 713 Et de hoc nos securos faciet per cives Limovicarum et per homines aliarum villarum suarum. Ibid. 714 Chronique de Bernard Itier, dans Chroniques de Saint-Martial de Limoges ... , Duples-Augier H. (éd.), p. 101

et 103.

190

COMPRENDRE: LA CONCLUSION DE CONFLITS SPÉCIFIQUES

Confiances trahies L'agresseur et sa victime forment parfois un couple déchiré par la haine née d'un sentiment de trahison. Avant de se transformer en ennemis, les protagonistes ont parfois été unis par des liens solides et étroits, brutalement distendus par des changements de position de la part des évêques. Les décisions polémiques adoptées par ces derniers sont mal ressenties par leurs alliés, surtout lorsqu'elles les lèsent, alors qu'ils les croient dignes de confiance et pensent pouvoir s'appuyer sur eux. Hamon et Guiomarch constituent un de ces tandems désunis. Frères, ils ont lutté ensemble pour la défense des intérêts familiaux jusqu'à ce que le prélat prenne le contre-pied de la politique vicomtale face à Henri II Plantagenêt. L'enchaînement des violences qui a suivi, expulsion puis meurtre, témoigne bien de la déception de Guiomarch qui punit Hamon comme un traître. Cependant, il suffit parfois aux évêques de manifester une plus grande indépendance dans la gestion de leurs diocèses ou de défendre, même face à leurs protecteurs, les droits de l'Église pour subir des représailles. Le choix de l'indépendance L'expulsion d'Étienne de Senlis par Louis VI peut faire l'objet d'une lecture de ce type. Les liens étroits unissant le roi et l'évêque n'ont pas empêché la naissance d'un conflit violent arbitré par Bernard de Clairvaux. L'analyse des lettres de ce dernier laisse entendre que les conceptions incompatibles du souverain et d'Étienne sur l'épiscopat sont à l'origine de la crise qui les a séparés.

Avant d'entrer en conflit, les deux hommes sont, en effet, familiers: Étienne se trouve au service du roi comme chancelier lorsqu'il devient évêque. Louis VI n'est certainement pas étranger à son élection: il souhaite sans doute utiliser les sièges épiscopaux pour récompenser ses fidèles. Cependant, une fois installé, Étienne de Senlis ne manifeste pas l'attitude escomptée par le souverain. Il abandonne son office de chancelier et ne se conduit pas en homme redevable envers lui. Au contraire, il agit en réformateur, manifeste la volonté de se consacrer totalement à sa nouvelle mission au sein de l'Église et sans tolérer d'interférence laïque, surtout de la part du roi. Louis VI saisit donc la première occasion pour manifester son ressentiment: le conflit qui dresse les chanoines parisiens contre leur évêque. La tournure prise par les événements - expulsion d'Étienne, menace et saisie des biens de ses défenseurs - témoigne du sentiment d'humiliation ressenti par le souverain. Sa confiance a été trahie et son appui a servi de tremplin vers la carrière épiscopale: son projet d'installer ses propres représentants à la tête de l'Église dans son domaine se trouve contrarié. C'est un cuisant échec. Dans trois lettres rédigées à cette occasion pour dénoncer la violence du roi de France envers les évêques de la province ecclésiastique de Sens, Bernard de Clairvaux propose une analyse intéressante de la réaction de Louis VI. La première est adressée au pape Honorius Il, en mai 1129: elle attire son attention sur la situation de l'archevêque de Sens, Henri, qui est à son tour inquiété par le roi pour avoir osé réclamer le rétablissement du prélat parisien dans ses droits 715 . Selon Bernard, c'est le changement d'attitude des évêques envers lui que le roi vise, plus que les

715

J. Leclercq, H. Rochais, Sancti Bernardi opera.. ., t. VII, Ep. 49, p. 191

140-141.

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prélats eux-mêmes. À ses yeux, Louis VI veut les faire renoncer au zèle qui les anime, à la piété qu'ils manifestent et à leur entière soumission au service de l'Église. Il insiste ainsi sur l'amitié ancienne qui unissait le souverain à ses victimes lorsqu'elles peuplaient sa cour716 . Il développe surtout deux exemples: celui d'Étienne de Senlis et celui d'Henri à Sens. Pour chacun d'eux, Louis VI n'a pas supporté la nouvelle adéquation de leur conduite avec les charges épiscopales qui leur ont été confiées. Pour Bernard de Clairvaux, le roi n'a rien contre les évêques eux-mêmes, il veut simplement détruire l'indépendance qu'ils manifestent envers le pouvoir temporel qu'il incarne. S'il s'acharne sur le métropolitain de la province de Sens pour le faire céder, c'est dans l'espoir de retrouver son influence sur l'ensemble de ses suffragants717 . L'abbé n'hésite pas à faire du souverain un nouvel Hérode jaloux du triomphe du Christ dans l'Église 718 . Ce qu'il désire, c'est donc rester le maître de l'Église et de ses représentants à l'intérieur de ses terres. Saint Bernard analyse quant à lui ce conflit à travers le filtre de sa conception des rapports entre les pouvoirs temporel et spirituel, en insistant en particulier sur leur nécessaire distinction 719 . Cette lecture apparaît de nouveau et de manière encore plus claire dans deux lettres postérieures destinées, l'une à Honorius II, l'autre à son chancelier, Haimeric. Bernard réaffirme avec force, dans la première, que Louis VI s'acharne contre la nouvelle ferveur religieuse de l'archevêque de Sens, alors qu'il a été installé sur son siège au temps où il menait une vie dissolue et guidée par l'intérêt720 . La même idée émane de la seconde lettre, formulée en des termes très proches 721 . Les puissants qui ont soutenu les évêques jusqu'à leur élection, qui ont appuyé leurs candidatures, quand ils ne les ont pas directement imposés, attendent donc en retour une attitude reconnaissante et soumise de la part des prélats. Dès lors que les promus tentent de manifester leur indépendance à l'égard de leurs anciens protecteurs, le lien de confiance se brise et la voie est toute tracée vers la violence. Le candidat ambitieux est donc poussé, tout comme le fidèle récompensé par la remise d'un siège épiscopal. Par contre, une fois en place, le réformateur, au même titre que le défenseur des droits et des libertés ecclésiastiques, passe pour un traître: il est chassé, parfois même menacé de mort, à l'image de l'évêque de Poitiers, Jean Bellesmains.

La défense des libertés ecclésiastiques Jean Bellesmains, évêque de Poitiers de 1162 à 1182 avant de devenir archevêque de Lyon de 1182 à 1193, a fait l'objet de travaux qui ont mis en valeur l'im-

716

Quod vestrae quoque prudentia sanctitatis vel ex eo facile advertere potest, quod qui ante in habitu actuque saeculari honorati sunt sublimes, iudicati fideles, habiti jamiliares, modo inimici facti sunt, digne sua sacerdotio conversantes et per omnia honorificantes ministerium suum. Hinc gravibus contumeliis et injuriis episcopi Pariensis innocentia pulsata est [ ... ] ; Ibid. 717 Hinc et nunc domini huius Senonensis constantiam concutere et labefactare conatur; ut metropolitano, quod absit, eiecto, f acüe, prout voluerit, grassetur in suffraganeos. Ibid. 718 Et alter Herodes Christum non iam in cunabulis habet suspectum, sed in ecclesiis invidet exaltatum; Ibid. 719 Voir à ce sujet B. Jacqueline, Épiscopat et papauté chez saint Bernard de Clairvaux, Saint-Lô, 1975, p. 103-

120. 720 72 1

].

Leclercq, H. Rochais, Sancti Bernardi opera ... , t. VII, Ep. 50, p. 142.

Ibid., Ep. 51, p. 143.

192

COMPRENDRE: LA CONCLUSION DE CONFLITS SPÉCIFIQUES

portante documentation dont il bénéficie 722 . Son épiscopat, à Poitiers, a été marqué par un empoisonnement qui a failli mettre brusquement fin à sa carrière vers 1166. Curieusement, cette tentative d'assassinat a assez peu retenu l'intérêt des historiens qui se sont penchés sur ce personnage. Les médiévistes attirent plutôt l'attention sur le rôle joué par Jean Bellesmains dans la controverse opposant le roi d'Angleterre à l'archevêque de Cantorbéry, Thomas Becket. Or, l'empoisonnement del' évêque de Poitiers s'inscrit directement dans ce contexte troublé ayant rythmé le plus clair de l'épiscopat de Jean. Voyons donc comment l'investissement deJean Bellesmains, proche d'Henri II et de Thomas Becket, dans cette querelle a failli lui coûter la vie, puisque c'est la défense des libertés ecclésiastiques qui, cette fois, est venue à bout de l'attachement du prince à l'évêque. Jean est attaché à Thomas Becket par une amitié sincère et ancienne, au nom de laquelle il a soutenu l'archevêque depuis les premières heures du conflit qui l'oppose au roi.Jean et Thomas sont devenus proches à la cour de Thibaud, archevêque de Cantorbéry723 , qui a réuni autour de lui un groupe de jeunes clercs instruits et promis à de brillantes carrières724 . Thomas Becket l'a intégré vers 1143-1144 et a rapidement noué amitié avec Jean, déjà présent7 25 .Jean et Thomas se sont également liés avec d'autres hommes qui sont restés présents tout au long de leurs mésaventures respectives: Roger de Pont-l'Évêque devenu par la suite un des principaux adversaires de Thomas en tant qu'archevêque d'York726 ; ou encore Jean de Salisbury qui reste fidèle àJean Bellesmains devenu évêque de Poitiers et avec lequel il entretient une riche correspondance 727 . En dehors de cette affection, la prise de position de l'évêque en faveur de Thomas Becket contre Henri II s'explique également parce qu'ils partagent tous deux un immense attachement à l'indépendance de l'Église et du clergé. Devenu trésorier d'York vers 1153-1154,Jean Bellesmains a déjà acquis une solide réputation de champion des libertés ecclésiastiques, en particulier des prérogatives de Cantorbéry728 . Apprécié pour sa culture et son élo-

722 Ses origines familiales restant obscures, il apparaît dans les sources sous différentes appellations faisant référence à ses origines géographiques, Jean de Cantorbéry, ou à son surnom, Jean de ou aux Bellesmains,Jean Belmeins. Voir à son sujet Ph. Pouzet, L'Anglais Jean dit Bellesmains ... 723 Ibid., p. 9-14. 724 D'après le biographe de Thibaud de Cantorbéry, le groupe ne compte pas moins de quatre futur archevêques et six évêques parmi lesquels plusieurs ont joué un rôle important dans l'administration ecclésiastique et temporelle; A. Saltman, Theobald archbishop of Canterbury, Londres, 1956, p. 165. Le même constat est réalisé par Ch. Duggan, «Bishop John and archdeacon Richard of Poitiers, their roles in the Becket dispute and its aftermath», dans R. Foreville (dir.), Thomas Becket, Actes du colloque international de Sédières (19-24 Août 1973), Paris, 1975, p. 71-83, voir p. 73. 725 D. Knowles insiste sur l'amitié qui unit les deux hommes scellée par la conclusion d'un «pacte d'assistance mutuelle»: voir D. Knowles, The episcopal colleagues of archbishop Thomas Becket, Cambridge, 1951, p. 12; Guillaume de Cantorbéry, Vie de Thomru Becket, PL, t. 190, col. 233 C-D. 72 6 Ch. Duggan, «Bishop John and archdeacon Richard ... "• p. 73. 727 Dans la lettre inquiète qu'il adresse àJean en juin 1166 suite à la nouvelle de son empoisonnement, Jean de Salisbury fait référence à leur passé commun, présentant l'incident comme la pire nouvelle qui lui soit parvenue depuis la mort de leur maître, l'archevêque Thibaud: [ ... ] scribendi tamen necessitatem

rumor tristis inuexit et quo, post decessum boni et utinam semper beati domini nostri, nichil omnino [ ... ] tritius audiui uel uidi, quamuis sors mea periculis exposita sit et jacta procellis indesinentibus ab ea die quam patrem nobis et dominum dispositio diuina subtraxit. W.]. Mill or, C. N. L. Brooke, The letters ofJohn of Salisbury ... , t. II, p.

88-91, n° 165. 728

Chronique de Robert de Torigny ... , p. 340; voir également Ch. Duggan, «Bishop John and archdeacon

Richard ... », p. 73.

193

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quence, il a reçu, lui aussi, une formation marquée par l'intérêt pour les affaires et la politique 729 • Enfin, dès cette époque, Jean est déjà étroitement lié à la papauté, caractère rare dans le clergé anglais 730 • Ainsi, c'est le pape Alexandre III qui le consacre à Déols, le 23 septembre 1162, avant sa profession de foi à l'archevêque de Bordeaux à Tours, en mai 1163 731 • Cet attachement à Rome de la part deJean est encore souligné par Arnoul de Lisieux, dans une lettre adressée à Alexandre III pour attirer son attention sur l'insécurité dans laquelle l'évêque se trouve plongé 732 . Jean Bellesmains et Thomas Becket se ressemblent enfin du fait de leurs rapports, à la fois étroits et ambigus, avec Henri II. En ce qui concerne Jean, il est possible de lire dans ses combats menés, dans les tourments qui l'accablent et dans l'extrême violence dont il est victime, une sorte de reflet de la lutte menée entre le roi et l'archevêque de Cantorbéry, peut-être même une ébauche prémonitoire, comme si la pression exercée sur l'évêque de Poitiers servait de brouillon à la préparation du sombre avenir de Thomas Becket.Jean a en effet bénéficié de rapports privilégiés avec Henri II, comme le montre sa présence à ses côtés en diverses occasions, avant même son accession à l'épiscopat. Il a ainsi participé à plusieurs reprises aux conseils tenus par le roi et il est cité comme témoin à la fin de plusieurs chartes royales 733 • Il a également siégé au moins deux fois comme juge dans des affaires remises au tribunal royal. Or, à cette occasion, il n'a pas hésité à défendre l'indépendance du clergé et les immunités ecclésiastiques face à cette justice 734 • Il s'est en particulier opposé à York, en 1158, au jugement par l'autorité laïque du doyen de Scarborough accusé de vol:Jean a alors tenu tête à Richard de Luci, arguant que cette cause ne dépend que de l'archevêque et non du roi 735 • L'estime que lui porte Henri II n'en a pas été affectée pour autant, puisqu'il l'a installé certainement peu après sur le siège épiscopal de Poitiers, en 1162, année qui a aussi vu l'élévation de Thomas Becket à Cantorbéry. Henri II dispose alors véritablement en maître des évêchés à l'intérieur de son royaume et dans ses dominions736 • Poitiers apparaissant

729 Cette réputation d'homme lettré et de grande culture lui a attiré autant d'admiration et ce trait de sa personnalité est régulièrement signalé dans les sources: Gautier Map le dit vir eloquentie, De nugis curialium, MGH SS, t. XXVII, p. 67; Robert de Torigny, vir jocundus, !argus et opprime litteratus, voir note précédente ou encore vir magnae litteraturae et eloquentiae, p. 114. 73 Ch. Duggan insiste sur cet attachement à Rome, soulignant qu'il lui a attiré quelques inimitiés; Ch. Duggan, «Bishop John and archdeacon Richard ... "• p. 73. 731 Johannes thesaurius Eboracensis, electus in episcopum Pictavensem, ab Alexandra Papa III consecratus est episcopus in abbatia Dolensi, quae fundamentum habet in diocesi Bituricensi, die scilicet Sanctae Theclae virginis, Raoul de Diceto, Opera Historica ... , t. Il, p. 311. Et Alexander Papa consilium congregavit Turonis in Ecclesia sancti Mauricii [ ... J . Johannes thesaurarius Eboracensis, consecratus a domino Papa Pictavensis Episcopus in concilia Turonensi, professionem fecit archiepiscopo Burdigalensi [ ... ] . 732 "[ ... ] Il (Jean Bellesmains) est devenu bien connu [ ... ],non seulement pour son honnêteté et son savoir, mais aussi pour sa foi et sa dévotion envers la Sainte Eglise Romaine [ ... ] •>, C. P. Schriber, The letter collections of Arnulf of Lisieux .. ., n ° 3.11, p. 208-209 (1169-1170). 733 Ph. Pouzet, L'Anglais Jean dit Bellesmains .. ., p. 18. 734 En 1157 à Colchester et en 1158 à York;]. C. Robertson (éd.), Materials .. ., t. III, p. 43-45 et t. IV, p. 249; Ph. Pouzet, L'AnglaisJean dit Bellesmains .. ., p. 18-19; Ch. Duggan, «Bishop John and archdeacon Richard ... "• p. 77. 735 L'épisode est relaté par Guillaume Fitzstephen présentant l'échange de parole entre les deux hommes: à la question posée par Richard de Luci: Quid ergo domino regi judicabitis, in cujus iste incidit constitutionem? Jean répond: Nihil, quia clericus est. Materials .. ., t. III, p. 44-45 et Ch. Duggan, «Bishop John and archdeacon Richard ... "• p. 77. 736 R. Foreville. L'Église et la royauté en Angleterre sous Henri II Plantagenêt, Paris, 1943, p. 97-99 et 118-119.

°

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COMPRENDRE: LA CONCLUSION DE CONFLITS SPÉCIFIQUES

comme un siège important dans ses possessions continentales, l'élection de l'évêque n'a sans doute pas été laissée librement au chapitre 737 . Même si les sources manquent,Jean a sans doute été nommé par le roi, choix qu'il doit vouloir stratégique et gratifiant7 38 • Si l'ascension des deux prélats se fait avec une remarquable simultanéité, toutes proportions gardées, leurs rapports avec le roi et ses représentants se dégradent également au même rythme, malgré la plus grande souplesse adoptée par Jean à côté de l'intransigeance affichée par Thomas Becket. La prudence de Jean et son caractère conciliant n'ont pourtant pas empêché ses ennemis d'essayer d'attenter à sa vie, au début de 1166. Peu de documents permettent d'appréhender la tentative d'empoisonnement dont il a été victime. Elle n'est évoquée sans détour que dans deux lettres deJean de Salisbury que nous avons déjà citées au sujet du choix des armes. Il s'adresse àJean Bellesmains, au mois de juin 1166, sur un ton noyé d'inquiétude 739 ; dans cette lettre, Jean de Salisbury explique comment il a eu connaissance du malheur de l'évêque par des amis communs séjournant à Paris. Ces derniers ont été informés par une rumeur circulant sur le compte de Jean, selon laquelle il est cloué au lit suite à l'absorption d'un poison. D'après les bruits qui courent, la même «potion» a également été administrée à un religieux proche de l'évêque qui n'y a apparemment pas survécu 740 • Le même souci est à l'origine d'une seconde lettre, peut-être composée en juillet 1166, et dont Jean de Salisbury a informé Jean Bellesmains. Cette missive est destinée à maître Raimond, l'écolâtre de la cathédrale, fidèle de l'évêque de Poitiers741 .Jean de Salisbury y mentionne de nouveau la rumeur parisienne. Il précise que le poison a sûrement été ajouté à une boisson: l'évêque et le religieux auraient partagé le même «calice empoisonné» 742 . Faut-il y lire une simple interprétation symbolique de l'empoisonnement tendant à aggraver le geste 743 ? Ce détail permet-il de croire que l'attentat coïncide avec la

737 Ph. Pouzet, L'Anglais]ean dit Bellesmains .. ., p. 20-22; Ch. Duggan, «Bishop John and archdeacon Richard ... », p. 74. 738 Guillaume Fitzstephen donne une version différente de la nomination de Jean sur le siège de Poitiers: il considère qu'il y a été envoyé par Henri II, dans le but d'affaiblir Thomas Becket en l'isolant et éloignant ses plus solides et fidèles soutiens;]. C. Robertson, Materials .. ., t. III, p. 46. Ch. Duggan souligne le manque de crédibilité de cette affirmation ne trouvant aucune forme de confirmation parmi les autres sources: Ch. Duggan, «Bishop John and archdeacon Richard ... "• p. 73-74. 739 W.J. Millor, C. N. L. Brooke, The letters ofJohn of Salisbury .. ., t. II, p. 88-91, n° 165;Jean de Salisbury débute sa lettre en affirmant qu'il n'a pas appris de nouvelles pires que l'empoisonnement de l'évêque de Poitiers depuis la disparition de leur maître commun, Thibaud: Licet apud nos fortuna nouorum parens

et f ama nutrix et propagatrix euentuum uerorum et fictorum nichil innouauerint relatu dignum et quod uobis oportuerit intimari, scribendi tamen necessitatem rumor tristis inuexit et quo, post decessum boni et utinam semper beati domini nostri, nichil omnino [ ... ] tristius audiui uel uidi, quamuis sors mea periculis cunctis exposita sit et iactata procellis indesinentibus ab ea die qua patrem nabis et dominum dispositio diuina subtraxit. 740 Siquidem socii nostri, qui Parisius moram Jaciunt, michi nuper scripserunt se a quibusdam rumigerulis accepisse quod uos lecto decumbere compulerat aegritudo, quam non natura uel solitus, ut fit humanitus, casus intulerat sed malitia ueneficorum, qui nesciocuius instinctu uobis et cuidam uiro religioso toxicum miscuerunt; dictum est etiam quod uir ille religiosus ex ea causa iam obiit. Ibid. 741 W.J. Millor, C. N. L. Brooke, The letters ofJohn of Salisbury .. ., t. Il, p. 90-93, n° 166. 742 Scripserunt enim michi socii Parisienses quod illi qui quaerunt animam domini Pictauensis, nescio quorum utentes ministerio et arte inerti et omnino execranda, ei uenenum propinauerunt, ex quo iam quidam religiosus prior obiit qui calicis toxicati jùerat partiœps, et episwpus, ut aiunt, incidit in languorem. Timui ergo et timeo supra modum, eo quod audiui quorundam inuidia et aliquem de episcopis Pictauensibus nuper ueneno peremptum. Ibid. 743 Tout dépend du sens que l'on accorde à calix: calice ou simple coupe sans connotation liturgique,

l'ambiguïté reste entière.

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CHAPITRE

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célébration d'un office dans le but de déjouer la vigilance et la prudence du prélat744? Après avoir rappelé la mort du religieux, Jean de Salisbury se demande si un précédent évêque n'a pas déjà péri empoisonné à Poitiers, ce qui accentue encore son anxiété. Il semble être choqué par le traitement infligé à l'évêque et manifeste un réel souci envers le rétablissement de son ami 745 . Ses craintes sont telles qu'il demande à l'évêque, ainsi qu'à l'écolâtre, de le tenir au courant de l'évolution de la situation, comme s'il redoutait une nouvelle attaque 746 . Il prie en particulier maître Raimond de veiller sur l'évêque et de le presser à consigner par écrit les différents types de menaces qui peuvent peser sur sa personne. Il envisage même le décès de l'évêque 747 . Cette attention ne se relâche pas facilement, puisque Jean de Salisbury continue de s'informer sur la santé de Jean Bellesmains dans deux lettres postérieures, adressées aux deux mêmes interlocuteurs, jusqu'à ce que la convalescence de l'évêque soit achevée 748 . Tout au long de cette correspondance, Jean de Salisbury s'interroge en vain sur l'identité du ou des individus suffisamment malveillants pour tenter de supprimer l'évêque de Poitiers. S'il ne parvient pas à formuler l'hypothèse d'un nom, il laisse entendre qu'il soupçonne certains proches de Jean Bellesmains et ajoute que le forfait doit être l'œuvre d'ambitieux749 . Jean de Salisbury n'est pas le seul à signaler l'existence d'un danger parmi les familiers de l'évêque de Poitiers.Jean Bellesmains exprime lui-même le sentiment de vivre entouré d'espions et d'ennemis, dans la correspondance qu'il échange avec Thomas Becket jusqu'en 1166. Ph. Pouzet a déjà proposé une analyse de ces lettres

744 Si l'allusion au calice contenant peut-être du vin empoisonné ne permet pas vraiment de tirer de conclusion quant à la stratégie employée par les ennemis de Jean Bellesmains, elle peut être rapprochée d'autres exemples. Vers 1150, un empoisonnement de ce type aurait eu lieu pendant une messe célébrée à York. Cet attentat rappelle un autre empoisonnement ultêrieur: celui d'un évêque de Magnelonne, Raynier, en 1247. La nomination de ce dominicain italien, placé sur le siège épiscopal par le pape Innocent IV est largement contestée au point qu'à sa mort, dix-huit mois après le début d'un épiscopat critiqué, se développe la légende de son empoisonnement avec une hostie consacrée! Voir HGL, t. IV, note 63, p. 316. 745

Fueram rogaturus ut ipse et uos scriberetis de his quae gesta sunt in colloquio Chinonensi et postea pro nobis et contra nos, et quid uideatur uobis de hoc quod me taliter absentaui nec pacem recepi cum aliis sub iuramento et conditionibus oblatis, quia ex tune non uidi litteras uestras, sed causa maior; quae me nunc compulit ad scribendum, omnes huiusmodi curas absorbuit; W. J. Millor, C. N. L. Brooke, The letters ofJohn of Salisbury .. ., t. II, p. 90-93, n°

166. 746

Placeat itaque dignationi uestrae quae circa uos sunt sub omni celeritate michi interim certitudinis desiderio languenti significare; et si uos ipsi, quod utinam absit, huic petitioni meae uacare non potestis, precor attentius ut magister scolarum eam cum omni diligentia etfestinatione exequatur; Ibid., p. 88-91, n° 165. 747 Precor itaque ut sub omni festitatione quae circa uos sunt diligentissime perscribatis, et domino episcopo, si aegritudine (quod absit) non praepeditur; persuadeatis ut et ipse scribat quae fuerint scribenda pro tempore; et plus loin: Certerum (quia haec sollicitudo ab animo meo non recedit) si, quod Deus auertat, dominum episcopum sic aegrotare contigerit, omnem, sicut uir sapiens et prudens, operam date ut in huiusmodi periculo se exhibeat Christianum et mortem, si necesse fuerit, tanquam Christi sacerdos expectet et, domo disposita, naturae munus quod euitari non potest patienter excipiat. Confido autem in domino Iesu Christo quod, qui ei dedit prudentiam transeundi per bona temporalia, ei in consumatione cursus praestabit gratiam ut, cuius uita apud conuiuentes effulsit, mors etiam eius morituris omnibus proficiat ad exemplum; Ibid., p. 90-93, n° 166. 748 Ibid., n° 167: lettre adressée à maître Raimond, p. 94; n° 177: lettre adressée àJean de Bellesmains,

p. 178. 749

Quia ergo inuidiam quorundam uobis cohabitantium a multis diebus audieram et aliorum noueram crudelitatem (nonnullorum etiam audax ambitio uenit in mentem), timui et timeo et donec ueritas ipsa sit certus explorata, timebo supra modum ne diabolo et angelus eius, qui modo f ere pro libitu in ecclesiam debachantur; eatenus in bonos saeuire concessum sit; Ibid., n° 166, p. 88. Cette remarque n'est pas sans rappeler le regard critique de

Jean de Salisbury sur la cour Plantagenêt peuplée de parvenus et d'ambitieux.

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COMPRENDRE: LA CONCLUSION DE CONFLITS SPÉCIFIQUES

de Jean Bellesmains à l'archevêque de Cantorbéry, dans laquelle il insiste sur l'anxiété croissante manifestée par l'évêque craignant les retombées de l'affaire Becket dans son diocèse 750 .Jean Bellesmains apparaît à travers cette correspondance comme un homme habile et prudent. Il veut éviter les ruptures brutales entre Henri II et Thomas Becket pour favoriser l'avancée vers des négociations. Tout au long de ses lettres, l'évêque de Poitiers ne cesse d'affirmer à son ami toute sa fidélité, sa solidarité et l'encourage, malgré tout, à continuer de résister au roi. Cependant, il se sent rapidement menacé.Jean Bellesmains ne semble pas être libre de ses mouvements. Il se dit surveillé de près par certains de ses «gens de Poitiers» qui le dénoncent à Henri II comme un individu nuisible à ses actions.Jean s'excuse, par exemple, dans une lettre datée de juin 1164, d'espacer ses visites auprès du pape Alexandre III installé à Sens, de peur d'être calomnié de la sorte 751 . Cette appréhension revient dans un écrit postérieur d'environ un mois: Jean informe Thomas Becket de son départ pour Sens, en réponse à son attente, et le prévient qu'il a inventé un faux prétexte pour s'éloigner de Poitiers, en prévision de commentaires malveillants 752 . Un environnement comparable est encore évoqué par Arnoul de Lisieux, dans une lettre plus tardive destinée à Alexandre III. Arnoul demande au pape de venir en aide àJean Bellesmains et de le sauver d'un groupe «d'hommes ingrats qui se sont dressés contre lui et ont pris les armes pour le tuer». D'après Arnoul de Lisieux, ils sont prêts à «exterminer l'évêque» et à priver l'Église de Poitiers de sa liberté 753 . L'empoisonnement d'un évêque vivant au milieu d'une hostilité si souvent évoquée n'en devient que moins surprenant. Même si rien n'en apporte la preuve tangible, tout invite à penser que cette tentative d'assassinat est directement liée aux conflits qui opposent Thomas Becket à Henri II, mais aussi Jean Bellesmains lui-même au souverain. Jusqu'à la veille de l'attentat, l'évêque de Poitiers semble être dans une véritable impasse, dont il ne voit pas l'issue. Le ton des lettres échangées avec l'archevêque de Cantorbéry révèle, en effet, une nouvelle angoisse. Avant même que Thomas Becket ait pris le chemin de l'exil, après avoir ressenti une trop forte hostilité de la part du roi à Northampton fin 1164,Jean imagine déjà de devoir prendre la fuite avec l'archevêque 754 . Dans le même temps, l'évêque de Poitiers est, lui aussi, entré dans une querelle directe avec Henri II, à propos de sa propre juridiction diocésaine. Dans la deuxième moitié de

750 Ph. Pouzet, L'Anglaisjean dit Bellesmains ... , p. 28-32; les lettres commentées se trouvent dans la correspondance de Thomas Becket: A. Duggan, The correspondence of Thomas Becket... , n° 18, p. 42-47; n° 31, p. 98-109; n° 34, p. 126-133. 751 Nec moleste ferat dominus meus, quod a domini Pape et curie frequentiori uisitatione abstineo. De industria etenim declino quoad possem, Pictauensium nostrorum detractiones, qui, quotiens illuc accedebam, regi scribere non cessabant quod ipsius suggillationem et institutionum suarum lesionem pleraque in curia machinabar; Ibid ., n ° 31, p. 102. 752 Malo tamen, ut salvia pace domini mei loquar, vos juxta nominis vestri proprietatem parum credulum, quam me minus de votum inveniri. Et quamvis, sicut praecepistis, in hujus itineris arreptione Pictaviensium meorum contempserim loquacitatem; volui tamen, salva gerendi negotii fide, ipsorum declinare nugacitatem; Ibid., n ° 34, p. 126-128. 753 C. P. Schriber, The letter collections of Arnulf of Lisieux... , n ° 3.11, p. 208-209 ( 1169-1170). 754 Ego, sicut a multis mihi proponitur, non modo similem, sed duriorem calculum expecto, utinam exilii vestri particeps futurus aut preuius; nec utique nabis inglorium erit, ut qui pro uanitatibus et seculi delectationibus multis sepe mundi prosperis cousi su mus, nunc, si necesse fuerit, pro retributione celesti aduersa simul sustinere non formidemus. A. Duggan, The correspondence of Thomas Becket.. ., n° 18, p. 46.

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l'année 1163 et au début de 1164,Jean est confronté, à Poitiers, à des commissaires royaux dépêchés par Henri II. Ces derniers viennent lui signifier une importante limitation des compétences des cours ecclésiastiques755 . L'évêque est donc privé de causes transmises à la justice royale. Il ne doit plus recevoir les plaintes des veuves, des orphelins et des clercs contre aucun de ses diocésains pour des questions de propriété, sauf si les requêtes déposées ont été négligées par les autorités laïques. Il ne peut plus juger les profits illicites, ni prononcer l'anathème contre un baron, sans avoir consulté au préalable les officiers royaux. En cas de désobéissance de l'évêque, des sanctions sont prévues756 . Attaché à la défense des libertés de l'Église, Jean Bellesmains ne peut pas accepter de telles entraves: il proteste donc par lettre et rencontre deux représentants du roi, en juin 1164, à Loches, alors qu'il est sur la route de Sens où il se rend pour le compte de l'archevêque de Cantorbéry757 . En dépit de ces tensions accumulées, le départ de Thomas Becket d'Angleterre pour se réfugier à Pontigny, avant de se fixer à Sens sous la protection du roi de France Louis VII, semble rendre espoir et confiance à Jean. Il se montre rassuré à travers sa correspondance, d'autant plus que le roi d'Angleterre est occupé sur d'autres fronts. Or, c'est lorsque l'attention de Jean se relâche que le pire se produit. Sa résistance face aux exigences royales et le soutien apporté à Thomas Becket dans la tourmente, ont sans doute attisé la haine des ennemis peuplant son entourage direct. Parmi les proches de l'évêque, un homme paraît particulièrement redoutable dans un tel contexte. Il s'agit de Richard d'Ilchester, devenu archidiacre de Poitiers en 1163 758 . Celui-ci se présente comme le pendant de l'évêque de Poitiers dans la querelle opposant l'archevêque de Cantorbéry et le roi. Autant Jean Bellesmains incarne la fidélité et le soutien enversThomas Becket, autant Richard s'inscrit parmi les plus actifs partisans et appuis d'Henri 11 759 . Les choix réalisés par l'évêque de Poitiers tout au long du conflit ne peuvent donc avoir suscité que de l'animosité de la part de l'archidiacre. Ch. Duggan donne une vision intéressante de cette rivalité poitevine; elle se résume en une phrase: «bath at Canterbury and Poitiers, which was among the most powerful sees in Henry II' s continental empire, the prelate and his archdeacon were on opposite sides in the dispute» 760 . Il compare la rivalité des deux ecclésiastiques de Poitiers à celle qui existe entre Thomas Becket et l'archidiacre de Cantorbéry, Geoffroy Ridel 761 . Il ajoute que la situation poitevine peut être appré-

755

Il y a \Taisemblablement eu deux visites en 1163-1164 mais les historiens ne sont pas vraiment certains des dates auxquelles elles ont eu lieu; voir Ch. Duggan, «Bishop John and archdeacon Richard ... '" p.75. 756 Ph. Pouzet, L'AnglaisJean dit BeUesmains ... , p. 31-32; les faits sont relatés par Jean Bellesmains lui-même dans la lettre informant Thomas Becket de son départ pour Sens au début de l'été 1164: A. Duggan, The correspondence of Thomas Becket .. ., n° 34, p. 129-131. 757 Ibid.; c'est cette affaire qui a servi de prétexte au départ de l'évêque de Poitiers hors de son diocèse: il prétend partir à la rencontre des officiers d'Henri II présents alors à Tours. 758 Ch. Duggan, "Richard of Ilchester, royal servant and bishop ", Transactions of the Royal Historical Society, 16 (1966), p. 1-21; V. Darrow Oggins et R. S. Oggins, «Richard ofllchester's inheritance: an extended family in twelfth-century England», Medieval prosopography, vol. XII, 1 (1991), p. 57-122. 759 Voir ce qu'en dit D. Knowles, The episcopal colleagues .. ., p. 134 et 156. 76 Ch. Duggan, «Bishop John and archdeacon Richard ... "• p. 72.

°

761

Ibid.: Archdeacon Geoffrey of Canterbury, later bishüp of Ely, was a faithful instrument of Henry II's policies, alike in their secular and ecclesiastical aspects, and such came into repeated conjlict with the archbishop: he is ref ferred to as " archidiabolus noster" in the Becket correspondance.

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COMPRENDRE: lA CONCLUSION DE CONFLITS SPÉCIFIQUES

hendée comme le reflet continental des tensions créées en Angleterre par le conflit et propose une hypothèse particulièrement constructive du point de vue des violences subies par Jean Bellesmains. D'après lui, il est possible que Richard d'Ilchester soit l'un des principaux porte-parole du roi dans l'épisode évoqué plus haut, au cours duquel il est question de limiter les compétences des cours ecclésiastiques, en 1163-1164762 . Si tel est le cas, l'antagonisme entre les deux dignitaires de l'Église de Poitiers ne peut être qu'accru. Ce fossé s'est certainement encore creusé, en 1166, du fait de l'excommunication prononcée par Thomas Becket à l'encontre de Richard d'Ilchester 763 . Cette tentative de meurtre, enfouie au cœur d'un conflit dépassant largement la sphère de l'Église poitevine, résulte donc surtout d'une incompatibilité d'ambition entre les pouvoirs laïc et épiscopal, de luttes dans lesquelles l'évêque s'est dressé comme un obstacle face aux exigences d'un prince pourtant protecteur. De plus, alors qu'il s'agit d'une violence inscrite au cœur d'un conflit à l'ampleur exceptionnelle, elle reflète totalement les dangers qu'entraînent, de manière générale, les rupture d'alliance et les prises de distance des évêques vis-à-vis de leurs alliés laïcs. La conclusion d'alliances peut donc représenter des dangers importants pour les évêques, au même titre que leur rejet ou leur volonté de prendre du recul par rapport à leurs protecteurs et à leurs parents. Ce constat se vérifie dans toutes les situations rencontrées, qu'il s'agisse d'unions contractées par défaut et par faiblesse, comme dans le cas d'Arnaud au Mans, de paris à haut risque pour sauvegarder la paix comme à Limoges, ou encore de la volonté de se démarquer de la tutelle du pouvoir laïc pour affirmer leur indépendance et sauvegarder les droits de l'Église, trait commun à Jean Bellesmains et à Etienne de Senlis. Les violences visant à exercer des pressions sur leurs proches ou à punir leur audace, constituent la monnaie de la pièce de ces choix aussi difficiles à éviter qu'à assumer. Cependant, les victimes ont surtout pâti de situations qui leur échappent presque totalement. Attaquées au nom des unions contractées ou héritées, les prélats ne sont que des points d'appui de violences dont les objectifs réels et définitifs les dépassent le plus généralement. Comble de l'ironie, c'est au cours de conflits dans lesquels les évêques sont peu actifs qu'ils sont le plus souvent atteints et manipulés. En effet, ils constituent tout au long des deux siècles étudiés des enjeux importants pour les puissants qui se sont disputé les patronages des élections épiscopales.

B - Les violences électorales Les élections occupent une place de choix dans les violences anti-épiscopales. Temps forts dans la carrière des prélats, elles se déroulent dans des conditions qui pèsent parfois lourd sur les décisions prises par ces derniers une fois en place, mais 762 Ibid.; dans les deux lettres adressées par Jean Bellesmains à Thomas Becket et faisant référence à cette affaire, le prélat désigne le principal commissaire royal par l'expression Luscus (borgne) noster. Pour Ph. Pouzet, il s'agit d'une moquerie sur Richard de Luci atteint de cette infirmité; Ch. Duggan propose une identification plus logique avec l'archidiacre de Poitiers comprenant plus l'expression comme un proche de l'évêque, un dépendant de son autorité à l'esprit aveuglé. 763 Ch. Duggan, «Richard ofllchester. .. »,p. 11; Ch. Duggan, «Bishop John and archdeacon Richard ... »,

p. 75.

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aussi sur leur devenir. En fonction des appuis reçus, des oppositions manifestées, ou des stratégies adoptées pour les faire aboutir, elles sont inévitablement révélatrices des intentions des candidats et de leurs protecteurs, ainsi que des traits qui les caractérisent. Souvent agitées du fait des enjeux politiques et religieux qui les sous-tendent, elles dévoilent les concurrences entre les électeurs et les puissants soucieux de conserver leur influence et leurs prérogatives dans la désignation de l'évêque ou d'asseoir leur autorité en imposant leurs fidèles. Elles divisent les représentants du clergé local, en particulier les chapitres attachés aux cathédrales dont les membres peuvent adopter des conduites liées aux influences de leurs familles, à la défense de leurs intérêts ou de ceux de l'Église. Les querelles ne manquent donc pas: pressions, menaces, bagarres, marchandages émaillent les élections764 . Le problème se complique lorsqu'il s'agit de cerner, au cœur de ces nombreuses tensions et manifestations brutales, les éléments qui entrent véritablement dans le cadre des violences analysées. Afin d'éviter toute forme de dispersion et de rester dans les limites fixées, seules les violences dirigées contre les évêques élus et consacrés sont retenues ici. Cette restriction ne minimise pas pour autant le poids des élections dans le mécanisme des violences anti-épiscopales. Parmi les évêques expulsés et contraints à l'exil, quatre l'ont été dans le cadre d'élections tumultueuses: les archevêques de Bourges, Gauzlin en 1012 et Pierre Effenouard en 1141, l'évêque de Poitiers Grimoard, à la même date, et celui de Limoges, Sébrand Chabot, en 1178. Il convient de leur associer deux victimes: Gui, évêque de Beauvais, dont la mise à l'écart, en 1073, peut être liée à son élection et, en 1174, l'archevêque d'Auch, Gérard de la Barthe, expulsé suite à son transfert depuis le siège toulousain. Une proportion comparable se retrouve à l'échelle de l'ensemble des évêques étudiés: les violences subies par dix d'entre eux découlent plus ou moins directement d'élections controversées. Ce sont, en plus des cinq prélats expulsés, Robert d'Aire, Lambert de Thérouanne etAdémar de Peyrat, tous trois assassinés, ainsi que l'évêque de Rennes, Marbode, emprisonné, et Gérard de Sées atrocement mutilé. Ces victimes constituent des cibles souvent faciles à atteindre dans le cadre de conflits qui dépassent largement leurs élections: les évêques visés à cette occasion font plutôt figure de boucs émissaires, même s'il arrive, quelques fois, que l'animosité manifestée dégénère en véritable haine personnelle. Dans tous les cas, ce sont les mêmes protagonistes qui entrent en scène, parmi lesquels se retrouvent les différents auteurs des élections épiscopales. Le clergé local occupe le centre des débats et, plus particulièrement, le chapitre cathédral ainsi que les évêques et abbés de la province ecclésiastique. Le roi et les princes laïcs interviennent en tant que bénéficiaires de prérogatives dont la teneur varie en fonction de l'espace et du temps, mais aussi comme agresseurs et responsables des expulsions des prélats. Or, sans entrer dans le détail du fonctionnement des élections, ces violences ont deux origines principales: d'une part les tentatives des souverains pour outrepasser leurs attributions dans l'installation des évêques du royaume, d'autre part les heurts entre les électeurs et les ambitions des seigneurs laïcs.

764 P. Imbart de la Tour donne une idée des multiples conflits liés aux élections épiscopales, même si l'analyse de ces derniers est réduite et n'offre qu'une place limitée aux cas concrets. P. Imbart de La Tour,

Les élections épiscopales dans l'Église de France du IX' au XII' siècle. Étude sur la décadence du principe électif (8141150), Genève, rééd. 1974. La même constatation est possible pour le règne de Louis VII à partir de la lecture des travaux de M. Pacaut, Louis 1'1I et les élections épiscopales dans le royaume de France, Paris, 1957.

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COMPRENDRE: LA CONCLUSION DE CONFLITS SPÉCIFIQUES

Le roi, maître des élections Le roi de France n'est responsable que de deux violences directement liées aux élections épiscopales. Il s'agit d'interdictions faites aux élus de pénétrer dans leur ville et de prendre possession de leur siège. Les souverains ne sont pourtant pas absents du rang des agresseurs, surtout dans le cadre des expulsions dont ils sont six fois à l'origine 765 . De plus, l'analyse précédente des conflits les mettant aux prises avec les prélats révèle toujours leur volonté d'installer leurs fidèles sur les sièges épiscopaux. La direction des diocèses constitue, en effet, un enjeu important pour les autorités laïques, d'autant plus dans le mouvement de reconquête du pouvoir royal dans les contrées où cette autorité a passablement régressé. Cette limitation des violences électorales, qui peut surprendre au premier abord, se justifie assez facilerrient. Tout au long des XIe et XIIe siècles, les conflits électoraux auxquels les rois ont pris part sont nombreux, mais ils se sont le plus souvent soldés par d'autres voies que la violence. Cette modération montre qu'il existe de meilleurs moyens pour imposer ses représentants à la tête des diocèses du royaume. Dans les provinces où les souverains successifs ont joui pleinement des prérogatives que l'Eglise leur reconnaît - autorisation de l'élection, confirmation en accordant les régales à l'élu et en assurant leur gestion durant les périodes de vacance épiscopale - il leur a sans doute suffi de les utiliser habilement et de jouer sur l'influence qu'ils ont pu exercer sur les électeurs pour parvenir à leurs fins 766 . Dans les provinces où, au contraire, l'exercice de ces prérogatives leur a échappé, accaparé par d'autres puissants, il n'est pas non plus nécessaire d'accomplir de coup de force. Il est plus efficace de se contenter de répondre aux appels au secours lancés par les représentants du clergé local, désireux d'être libérés des abus des seigneurs laïcs, si ces derniers excèdent leurs droits en matière électorale ou lorsque les évêques malmenés réclament leur protection 767 . En s'attachant ainsi la confiance des électeurs et des prélats dont ils se sont faits les défenseurs, les rois ont trouvé un moyen idéal pour se donner des appuis sous des latitudes où leur autorité est effacée. C'est principalement en concédant des droits aux évêques et en les renouvelant régulièrement aux nouveaux élus, qu'ils ont réussi à s'attacher une partie de l'épiscopat du royaume 768 . Cependant, au XIe siècle, le souverain est encore tenté d'installer arbitrairement ses candidats sur certains sièges ou de détourner l'usage de ses propres prérogatives pour les favoriser. Ce premier type de situation débouche sur des violences contre les évêques visés, non par haine personnelle, mais comme transfuges du pouvoir royal. Des mésaventures comparables s'abattent également sur les prélats dont l'élection a minimisé le rôle accordé au souverain, soit en l'éludant, soit en choisissant un candidat soutenu auprès des électeurs par un parti contraire. 765

Il s'agit chronologiquement de Hardouin de Noyon chassé par Robert le Pieux, de Gui de Beauvais par Philippe 1er, d'Étienne de Senlis expulsé sur ordre de Louis VI, de Pierre Effenouard et Grimoard écartés de leurs sièges par Louis VII, d'Eudes de Sully par Philippe Auguste. 766 M. Pacaut a dressé la liste des évêchés dans lesquels les rois de France ont exercé l'ensemble de ces prérogatives en soulignant les variations tout au long des Xl° et XIIe siècles. Il fait également le point sur les textes qui ont permis de définir le rôle reconnu et joué par le roi dans le cadre des élections épiscopales. M. Pacaut, Louis VII et les élections épiscopales ... , p. 33-45 et 59-82. 767 Des exemples concrets le confirment, comme la venue de l'évêque de Clermont Aymeri auprès de Louis \'I pour demander au roi de le délivrer de la tyrannie du comte d'Auvergne. 768 L'action des souverains auprès des évêques de Lodève leur concédant par exemple des droits de justice importants en témoignent, au même titre que l'attachement des prélats limousins du XII' siècle.

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Des candidats imposés Être soutenu par le roi ne représente pas forcément un gage de sécurité. Cet appui ne porte ses fruits que s'il se manifeste prudemment et, si possible, à l'égard de candidats bien considérés par le clergé local. La faveur royale ne permet pas d'effacer une réputation déjà entachée, ni de faire oublier les conditions nécessaires pour accéder à l'épiscopat. De manière générale, cette protection n'a pas toujours dissuadé les ennemis des prélats. Au contraire, il s'agit d'un argument parfois utilisé pour ternir leur image et les présenter comme des intrus imposés par l'autorité laïque 769 . Ainsi, les candidats du roi se sont régulièrement heurtés à une opposition farouche lors des élections.

L'exemple le plus marquant de ces évêques auxquels le soutien du souverain a apporté d'importants déboires est sans doute celui de Gauzlin au début du XIe siècle. Les textes qui permettent de retracer son expulsion de Bourges se rejoignent tous pour présenter l'intervention de Robert le Pieux comme le principal handicap pour l'ancien abbé de Fleury dans l'élection au siège archiépiscopal. Les propos calomnieux d'Adémar de Chabannes mis à part, les autres observateurs insistent tous sur sa proximité avec le roi. Le biographe de Gauzlin, André de Fleury, indique sans détailler, son installation à Bourges par le roi 770 . Helgaud de Fleury insiste, quant à lui, sur l'amitié unissant les deux hommes et sur le rôle joué par Robert pour permettre à Gauzlin d'accéder à l'épiscopat7 71 . Enfin, Fulbert de Chartres jette un regard plus particulier sur la situation: pour lui, Gauzlin n'a pu entrer à Bourges que par la force et grâce au roi, même s'il ne juge pas Robert totalement responsable et préfère attribuer la manœuvre à Gauzlin lui-même et à son ambition 772 . Cette affaire bien connue et maintes fois présentée sous la plume d'historiens guidés par des optiques bien différentes, soulève tout de même quelques difficultés. Seule certitude absolue, l'élection de Gauzlin et l'intervention du souverain en sa faveur ont entraîné son expulsion. Cependant, il reste encore à savoir qui a eu l'initiative de cette collaboration et quels sont les objectifs poursuivis. Si l'on s'en tient à la lettre adressée par Fulbert de Chartres à l'archevêque de Sens pour lui reprocher d'avoir consacré Gauzlin, l'élection n'est pas valable. Ce dernier ne semble pas avoir été choisi par le clergé local, mais imposé par la force 773 . Fulbert accuse donc Liéry de Sens d'avoir fait de Gauzlin un pasteur chargé d'un troupeau qui ne veut pas de lui et, en ce sens, d'avoir reproduit la même erreur qu'avec l'évêque d'Orléans, Thierry774 . Ce dernier accède à l'épiscopat à la mort de Foulques 1er, vers 1012. Le clergé d'Orléans semble favorable à ce candidat, mais il n'est pas le seul sur les rangs: il est donc directement nommé par Robert le Pieux 775 . Du fait de cette imposition par le souverain, Fulbert de Chartres refuse de consacrer le nouvel évêque 776 . C'est donc l'archevêque de Sens, Liéry qui s'en charge, ce 769

Voir le développement consacré aux caractères prédisposant aux violences anti-épiscopales. André de Fleury, Vie de Gauzlin ... , p. 58. 771 Helgaud de Fleury, Vie de Robert le Pieux .. ., p. 122. 772 Voir ci-dessus le développement consacré aux sources dont les auteurs justifient les expulsions. 773 F. Behrends, The letters and poems ofFulbert of Chartres ... , n ° 26, p. 48-51. 770

774

Hoc pridem in Theoderico factum Gauzlino nuper iterasti, qui sic a te pastor est constitutus, ut nec gregem sibi commisum nouerit, nec grex ipsum recipere uelit; Ibid. 775 ]. Boussard, «Les évêques de Neustrie avant la réforme grégorienne, 950-1050 environ»,journal des savants, 1970, p. 161-196, p.178-179. 776 PL, t. 141, lettre 28, col. 214.

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qui lui vaut les remontrances de Fulbert. Or, la cérémonie est troublée par l'irruption de l'adversaire de Thierry pour le siège d'Orléans 777 . Le ressentiment de ce compétiteur déçu est si vif qu'il s'en prend directement à l'évêque: il organise une attaque contre Thierry au cours de laquelle celui-ci est jeté au bas de son cheval et copieusement insulté 778 . Thierry et Gauzlin ont donc, dans un intervalle de temps très court, subi des violences découlant des moyens mis en œuvre pour les faire parvenir à l'épiscopat et principalement des interventions du roi de France dans leur nomination. Dans les deux cas, c'est bien cette ingérence réduisant à néant le rôle des électeurs que l'évêque de Chartres condamne. En agissant ainsi, le souverain souhaite certainement prolonger son influence et installer ses fidèles à des positions stratégiques. La province de Bourges représente un enjeu de taille: en imposant un de ses protégés à sa direction, Robert espère sans doute étendre son autorité jusque dans des espaces alors dominés par de puissants seigneurs. Pourtant, quels que soient ses objectifs et les réactions manifestées contre les prélats installés par le roi, l'un et l'autre se montrent actifs et possèdent toutes les qualités attendues chez les évêques. Gauzlin laisse le souvenir d'un homme lettré et de grande culture. Une fois en place, il est apparu déterminé et manifestant une ardeur exemplaire à défendre ses prérogatives, aussi bien sur le plan spirituel que temporel. Quant à l'évêque d'Orléans devenu saint, on lui prête des vertus tout à fait comparables779 . Il faut donc comprendre l'animosité dirigée contre ces prélats comme le refus systématique de l'intervention des princes laïcs dans les investitures épiscopales, avant même que les réformateurs permettent de limiter leurs abus. De ce fait, Gauzlin apparaît bien comme un bouc émissaire. C'est pour se dresser contre l'autorité royale qu'on le chasse, d'autant plus qu'à Bourges la décision de Robert le Pieux a pu porter ombrage au rôle joué par le vicomte dans l'élection. Dans la lettre que lui adresse Benoît VIII, le pape reproche au vicomte de retenir l'évêché. C'est donc lui qui semble disposer du droit de régale. Aussi bien sur le plan physique que sur le plan des idées, Gauzlin est donc contesté non pas au nom de griefs personnels, mais dans l'espoir de faire obstacle au souverain. Ces désignations plus ou moins arbitraires et contestées restent tout de même relativement rares. Cette limitation s'explique en partie par la possibilité pour le roi d'exercer son influence sur les électeurs sans dépasser le cadre des prérogatives que l'Église lui reconnaît et qu'il défend avec âpreté.

Des volontés contrariées Le souverain dispose de suffisamment d'occasions pour manifester un éventuel parti pris au cours des élections épiscopales et pour tirer profit de ses droits. Il peut utiliser la délivrance de la licencia elegendi pour se déclarer favorable ou hostile à un candidat sans pour autant chercher à l'imposer, ni bloquer le processus électoral. Inversement, il peut refuser de délivrer l'évêché au candidat retenu. Les rois ont ainsi été appelés à plusieurs reprises pour trancher entre les électeurs divisés en offrant leur reconnaissance à l'un des compétiteurs. Les problèmes apparaissent lorsque le souverain ne se contente plus de formuler des souhaits ou des conseils 777 778 779

Vie de Saint Thierry, (deuxième vie), AA SS, t. III Uanvier), p. 404-405. Gallia ch., t. VIII, col. 1434 Vie de Saint Thierry, (deuxième vie), AA SS, t. III Uanvier), p. 404-405.

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en autorisant l'élection et qu'il en profite, au contraire, pour la soumettre à ses propres conditions, ou encore qu'il refuse de reconnaître l'élu en faveur duquel il ne s'est pas précédemment prononcé. L'exercice des prérogatives royales et leur utilisation détournée peuvent donc peser lourd sur les élections et entraîner des conflits dont les évêques subissent les conséquences, comme dans le cas de l'archevêque de Bourges Pierre Effenouard contraint à l'exil par Louis VII. La querelle éclate à Bourges dès 1141 lors du règlement de la succession de l'archevêque décédé, Aubry. Les chanoines partagés hésitent entre deux candidats, Cadurc, le chancelier de Louis VII déjà couvert de bénéfices ecclésiastiques et Pierre Effenouard, le neveu du chancelier du pape Innocent II. Pour le souverain, le choix de Cadurc présente de sérieux avantages: non seulement sa promotion à Bourges servirait ses intérêts en Berry, mais conforterait aussi son autorité dans toute la province. Il n'aurait donc pas été étonnant de le voir autoriser l'élection en affirmant sa préférence ou en encourageant les électeurs à se prononcer en faveur de son chancelier. La position adoptée par le roi manifeste une forte contrariété: l'interdiction faite aux électeurs de désigner Pierre a, en effet, de quoi surprendre. Tout d'abord, Louis VII limite la liberté électorale par la négative, comme si le rejet de Pierre importait plus que le choix de son candidat. En agissant ainsi, il a abusé de son autorité, mais pas forcément en sa faveur. Cette décision ne donne pas l'impression que Louis VII se soit lancé dans une offensive pour imposer son candidat, mais bien au contraire qu'il ait tenté de protéger le siège d'une influence extérieure à la sienne. C'est en tout cas ce que semble prouver son attitude une fois l'élection achevée: il aurait pu chasser Pierre Effenouard et imposer son adversaire par la force. Or, Louis VII s'est contenté de rejeter le choix des chanoines en interdisant à l'élu de pénétrer dans la vicomté de Bourges et de jurer que, de son vivant, jamais Pierre ne deviendrait archevêque de Bourges. L'analyse de la position royale proposée par M. Pacaut est donc critiquable: «il entend défendre la liberté de l'Église contre la centralisation pontificale et se montrer l'auxiliaire et le protecteur d'un clergé fidèle aux traditions régionales et locales», écrit-il à propos de Louis VII780 . Comment le souverain peut-il défendre la liberté de l'Église en entravant justement celle des électeurs? De plus, si l'intervention du pape est très certainement à l'origine de la conduite de Louis VII, on peut aussi lui donner une tout autre interprétation. Le roi s'est bien dressé contre un danger potentiel; cependant, ce ne sont pas les initiatives du clergé qu'il a voulu protéger, mais ses propres prérogatives. L'élection de Pierre Effenouard incarne une menace pour le roi: il ne s'attaque pas à l'homme, mais au parti qu'il représente. Pierre apparaît, en effet, comme le candidat d'innocent II: cette impression se dégage de différents textes, en particulier de la Chronique de Morigny où l'attachement et le soutien du pontife sont soulignés avec insistance à plusieurs reprises781 . Elle est confirmée par l'attitude de Pierre, parti chercher sa consécration à Rome, avant que le conflit ne s'enlise vraiment782 . Au 780

M. Pacaut, Louis VII et les élections ... , p. 96.

781

[ ... ] Petra, Haimerici Romani cancellarii consobrino, praerogativam illius honoris affectabant. Papa vero cancellarium diligens, contribulem quoque suum pro ipso diligebat; Chronique de Morigny .. ., p. 81. La même idée

de candidature soutenue par le pape est présente chez Guillaume de Nangis, Chronique des rois de France .. ., p. 34. 782 Ibid.

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lieu de faire céder le roi, cette confirmation des liens entre l'élu et le pape a contribué à renforcer l'opposition de Louis VII. Ce dernier a donc pu craindre de voir son influence à Bourges succomber devant celle d'innocent II. C'est la preuve que le rôle joué par le roi en amont, comme en aval de l'élection, suffit pour se concilier le clergé et faire parvenir ses proches ou des fidèles à l'épiscopat, puisqu'il a les moyens de paralyser les sièges. Ici, l'usage de la violence manifeste donc la peur d'être dépassé, écarté par un souverain pontife déterminé et intransigeant. L'issue du conflit va dans le même sens. Malgré les nombreuses tentatives de négociation, les pressions exercées par les conseillers du roi et saint Bernard, seule la mort d'innocent II a permis la réconciliation entre son successeur et Louis VII. Une fois l'interdit frappant le souverain levé par Célestin Il, l'archevêque a pu s'installer à Bourges et entrer rapidement en grâce auprès de Louis VII dont il s'est rapproché. Le roi n'a donc accepté de renoncer à ses engagements qu'après s'être assuré de conserver tout son crédit auprès du clergé berrichon et sa participation aux élections intacte. Or, Louis VII n'en est pas à sa première intervention brutale visant à défendre ses prérogatives. Le roi a déjà réagi avec violence à l'élection, ou plutôt à la consécration de l'évêque de Poitiers, Grimoard, en 1141. Celui dernier a été désigné pour succéder à Guillaume II Adelelme sur le siège poitevin à la fin de 1140, puis consacré par l'archevêque de Bordeaux, Geoffroy du Loroux, le 26 janvier 1141 783 . Or, cette décision a provoqué des protestations de la part du souverain pour deux raisons: l'élection a eu lieu avant qu'il en ait donné l'autorisation et la consécration avant qu'il ait confirmé le choix de l'élu en lui remettant la régale. Louis VII a donc réagi donc brutalement, interdisant à Grimoard d'entrer dans Poitiers et convoquant Geoffroy du Loroux devant sa cour 784 . Dans cette affaire, Louis VII s'est manifesté non pas en tant que roi, mais comme duc d'Aquitaine. La situation peut surprendre car depuis son mariage avec Aliénor, il s'est comporté avec beaucoup de modération envers le clergé aquitain, comparativement à la violence et aux excès de ses prédécesseurs. Il a, en particulier, contribué à affranchir les élections épiscopales du contrôle des laïques: en 1137, il a accordé à toutes les églises de la province le droit d'élire les évêques en toute liberté et il a lui-même renoncé au droit de dépouille 785 • Ces mesures visent sans doute à s'assurer le soutien du clergé. Il a cependant continué à exercer ses autres prérogatives, c'est-à-dire à autoriser l'élection et à la confirmer en concédant la régale à l'élu. Louis VII a donc réagi lors de l'élection de Grimoard contre l'irrespect de ses propres prérogatives et avec le souci de marquer les limites alors qu'il a, auparavant, toujours apporté son soutien à l'archevêque de Bordeaux exilé depuis 1140. Comme dans le cas précédent, le souverain n'a pas facilement cédé: il a résisté à l'intervention d'innocent II demandant au clergé et aux fidèles d'obéir à leur évêque dans une lettre de mai 1141 786 • Il a aussi fait face aux remontrances de saint Bernard qui a, lui aussi, pris la défense de Grimoard et de Geoffroy du Loroux:

783 784 785 786

Chronique de Saint-Maixent... , p. 196-197. Jbid. M. Pacaut, Louis VII et les élections épiscopales ... , p. 65.

PL, t. 179, col. 547.

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l'abbé a exhorté l'évêque de Soissons, conseiller du roi, de le raisonner 787 . Ces pressions ne l'ont pourtant pas empêché de retenir le prélat en dehors de son siège jusqu'à la pentecôte de 1141 788 . Grimoard a alors de nouveau été consacré à Angoulême, après avoir été cette fois reconnu par le roi 789 . Si les souverains ont rapidement compris que l'imposition arbitraire de leurs fidèles sur les sièges épiscopaux n'était pas la solution la plus efficace pour se concilier l'épiscopat et étendre leur influence, ils ont jalousement protégé leurs prérogatives quant au choix des prélats. Ce changement de stratégie a eu des conséquences pour les évêques: dans un premier temps, apparaître comme le candidat royal ne leur a pas facilité l'accès aux sièges convoités et a parfois déclenché des violences à leur égard. Cependant, dans le cadre d'élections menées en toute liberté, la volonté de défendre la position du souverain à tout prix et contre toute influence extérieure a conduit à autant de violence contre les prélats victimes, malgré eux, de ces concurrences. Le roi n'est pas le seul à avoir manifesté une telle vigilance envers le recrutement épiscopal, les princes territoriaux s'y sont également intéressés de très près. Ils ont cependant fait preuve de beaucoup moins de retenue pour exercer leur influence ou installer leurs fidèles à la tête des diocèses de leurs domaines. Leur désir de conserver leur mainmise ou, au contraire, d'accaparer les élections a créé de nombreux conflits. Pourtant, les représentants des clergés locaux, habitués à leurs ingérences coutumières, sont en général parvenus à éviter le pire. C'est plus à la suite de ruptures brutales, en particulier de la liberté électorale, que l'atmosphère est devenue propice aux violences. Parmi les princes territoriaux habitués à briser les usages, les Plantagenêts, soucieux de contrôler l'épiscopat dans leurs États, apparaissent comme de véritables champions des brutalités électorales.

Le poids des Plantagenêts Contrairement aux Capétiens, les Plantagenêts ne se sont jamais contentés d'exercer leur influence sur les élections épiscopales en les autorisant et en confirmant les décisions prises par le clergé local. Aussi bien en tant que comtes d'Anjou, ducs d'Aquitaine et encore plus comme ducs de Normandie et rois d'Angleterre, les différents représentants de la dynastie angevine ont toujours revendiqué le droit d'in-

787

Quid est quod dominus meus Rex archiepiscopum Burdegalensem attrahere nititur in causam sine causa? [ ... ] Quid tandem mali Jecit homo ille? Quod electam pari Pictaviensium pace, et vota, et voce, personam canonica libertate consecravit? Quod pecuniam Pictaviensium episcopi, quam moriens dispersit, dedit pauperibus et ecclesiis, de faucibus esurientium, de sinu Ecclesiae non extraxit? En sanguis iste de manu eius exquiritur. Si culpa est quod ovibus errantibus assignavit pastorem, quod pupillum et viduam non spoliavit, quod privilegia Apostolicae Sedis illibata conservavit, non potest excusari. [ ... J Dico vobis: homo ille imperterritus est, homo potens in opere et sermone; vix poterit avelli a sua iure. Magnum enim locum obtinet in terra illa. Sires turbata fuerit, miltu permanebunt cum eo in tentationibus eius. Videte igitur ne quis oleum jlammae adiciat; J. Leclercq, H. Rochaid, Sancti Bernardi opera ... , t. VIII, Ep. 342, p. 284-285. 788 Hic itaque a rege supradicto post consecrationem suam non concessus, a die autem consecrationis sue qui fuit vigesimus sextus dies mensis januarii, usque Pentecosten propriam sedem non tenuit [ ... ], Chronique de SaintMaixent ... , p. 196-197. 789 [ ... ] neque sessum habuit donec rex preciperet et apud Sanctum Maxentium clementiam sue concessionis in litteris ostenderet, ac precipiendo proprie sedi reditum daret. Eodem itaque die meruit sacrari apudEngolismam [ ... ], Ibid.

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tervenir directement dans le choix des prélats790 . Face aux réactions plus ou moins consentantes des ecclésiastiques de leurs États, aux concurrences rencontrées et aux différentes habitudes électorales, ils ont tenté d'imposer leurs propres règles, en particulier en matière de nominations épiscopales. Au fur et à mesure que leur «empire» s'est étendu, ils ont donc régulièrement usé de la force pour faire obstacle aux tentatives d'émancipation des électeurs ou à leur refus de renoncer aux libertés précédemment acquises auprès d'autres puissants. En engageant ces rapeorts conflictuels, les Plantagenêts se sont attaqués aux évêques à plusieurs reprises. A partir de l'exemple aquitain, il est ainsi possible de montrer que les violences anti-épiscopales constituent un aspect de la politique de domination des Plantagenêts, pratique inscrite dans une plus large tradition familiale. Une explosion des violences en Aquitaine L'interdiction faite à Sébrand Chabot de pénétrer dans la cité limousine en 1178 et les troubles qui ont suivi son élection témoignent de la politique autoritaire menée en Aquitaine par Henri II et ses fils, dès le milieu du XIIe siècle. En effet, à partir de 1152, suite au remariage d'Aliénor avec Henri II, les sièges de la province de Bordeaux et celui de Limoges tombent sous la juridiction de ce dernier, puis sous celle de Richard dès 1172. Rapidement, les Plantagenêts se jettent à l'assaut des libertés accordées aux électeurs depuis 1137 par les Capétiens pour revenir aux intrusions pratiquées par les précédents ducs en place depuis le début du x1e siècle jusqu'au premier tiers du xne et contrôler l'épiscopat aquitain comme celui de Normandie ou d'Angleterre. La rupture et le retour en arrière provoqués par leurs ingérences font réagir les représentants du clergé qui refusent de céder à leurs pressions et d'installer leurs fidèles à la direction des diocèses. Les ecclésiastiques résistent aux interventions des princes, au risque d'entraîner la dérive de plusieurs conflits électoraux vers la violence. L'élection de Sébrand Chabot, premier évêque désigné à Limoges sous la domination des Plantagenêts, reflète cette évolution.

Le précédent évêque, Gérard du Cher, est déjà en place lorsque la direction du duché change de mains. N'ayant pu étendre leur influence de manière sensible sur l'Église limousine jusqu'au dernier quart du xne siècle, ils tentent de se rattraper lors de l'élection de son successeur. La disparition de Gérard est suivie d'une longue période de vacance du siège épiscopal791 . Henri II qui ne semble pas décidé à autoriser l'élection ne se manifeste pas jusqu'à ce que les chanoines de Limoges décident de se passer de son accord: ils se prononcent, dans le plus grand secret, en faveur de Sébrand le 10 février 1178 792 . La nouvelle n'est divulguée que le 1er septembre suivant et fait entrer Henri II dans une terrible colère. Sébrand est rapidement installé sur le siège épiscopal le 1cr décembre, avant de prendre la fuite 793 . Geoffroy de Vigeois et Raoul de Diceto qui relatent les événements insistent sur l'effet produit par l'élection sur le Plantagenêt. Ils soulignent la violence de sa réaction qui se traduit par l'expulsion des chanoines, la destruction de leurs maisons

790

Voir R. Foreville, L'J