138 42 2MB
French Pages 320 [323] Year 2017
Jeux verbaux et créations verbales
Richard Arcand
Richard Arcand
Jeux verbaux et créations verbales Fonctionnement et illustrations
Richard Arcand
Jeux verbaux et créations verbales Fonctionnement et illustrations
Iconographie de couverture : © fotolia
© Armand Colin, 2017 Armand Colin est une marque de Dunod Éditeur, 11 rue Paul Bert, 92240 Malakoff ISBN 978-2-200-61942-8
Sommaire
Avant-propos
7
Introduction
11
Première partie Pleins feux sur les formes Chapitre 1
Chapitre 2
Chapitre 3
Chapitre 4
Chapitre 5
Chapitre 6
Prononciations identiques ou semblables
23 25 37
Répétitions de sons
47 49 55 66
Orthographes identiques ou semblables
73 75 77
Mots de même prononciation Mots de prononciations semblables
Retours de sons dans des suites de mots Retours de groupes de sons dans des mots à distance Retours de groupes de sons dans des mots en contact Mots de même orthographe Mots d’orthographes semblables
Contraintes d’écriture et de lecture
85 87 95 99 101
Répétitions de mots à distance
109 110
Lettres obligatoirement présentes ou absentes Substitutions ou déplacement de lettres Addition ou effacements de lettres Lectures dans les deux directions Reprises à distance dans des positions plutôt libres Reprises à distance dans des positions ou des constructions bien définies
Répétitions de mots immédiates
Reprises immédiates dans la phrase même Reprises immédiates dans des propositions ou des phrases successives
115 123 124 127
▲ Jeux verbaux et créations verbales 4
Deuxième partie Pleins feux sur les sens et les référents Chapitre 7
Multiplications, oppositions et similitudes de sens
Actualisations d’au moins deux sens Oppositions de sens Similitudes et identités de sens
Chapitre 8
Chapitre 9
Intensifications, atténuations et mises en valeur
133 135 143 150
Intensifications et atténuations de sens Mises en valeur
159 161 172
Phrases à doubles ententes
183
Doubles ententes issues d’hésitations voulues quant aux liens entre les mots Doubles ententes issues d’additions de mots Doubles ententes issues d’effacements de mots Doubles ententes issues de substitutions de mots Doubles ententes issues de permutations de mots ou de sons Doubles ententes issues de lectures dans deux directions ou par moitiés
Chapitre 10 Entorses au sens et à la logique
Libertés prises avec le sens et la logique Libertés prises avec la logique du raisonnement
Chapitre 11 Ressemblances, dissemblances et liens habituels
Ressemblances et dissemblances Liens de proximité et caractéristiques essentielles
Chapitre 12 Réel bousculé, embrouillé ou éclairé Hésitations voulues entre les mots et le réel Réel éclairé ou précisé
185 189 193 196 200 205 209 210 214 221 223 232 239 241 250
Sommaire ▼ 5
Troisième partie Pleins feux sur les créations et sur des formes et des contenus absents du français général actuel Chapitre 13 Créations de mots
261 262 263
Chapitre 14 Créations de formes et de sens
277 278 284
Chapitre 15 Mots, formes et sens jugés fautifs
289
Notion préalable Créations de mots à partir d’autres mots Créations de mots sans partir d’éléments de formation préexistants274 Créations de formes Créations de sens et changements de fonctions « Fautes » voulues touchant la prononciation ou la graphie « Fautes » voulues concernant le vocabulaire « Fautes » voulues concernant la grammaire Sens ignorés de la plupart des francophones et définitions nouvelles Étymologies fausses ou tombées dans l’oubli
291 293 300 305 307
Conclusion
311
Bibliographie sélective
314
Index des notions
316
Avant-propos
Voici un ouvrage substantiel mais abordable, aussi amusant qu’instructif, sur le fonctionnement des jeux verbaux et des créations verbales. Son auteur n’est pas un faiseur de mots, mais un observateur attentif et passionné désirant partager le fruit de ses observations. Pour illustrer les jeux de langage, il laisse donc la parole aux créateurs.
Pourquoi ce livre ? Pour combler un vide entre les ouvrages spécialisés, difficiles d’accès, et les livres (ou les sites du réseau Internet) qui passent trop vite sur le sujet. Loin de présenter quelques procédés pêle-mêle ou dans un classement sommaire, ce livre offre une vue d’ensemble organisée, abondamment illustrée, où les procédés s’éclairent les uns les autres. Il vise la pleine compréhension des jeux de langage et, par conséquent, une connaissance accrue du fonctionnement de la langue française ; il favorise le recours à divers moyens d’expression dans des activités de production, à l’oral comme à l’écrit.
À qui s’adresse-t-il ? À la fois au milieu de l’enseignement et à la portion du grand public sensible au plaisir des mots : – aux étudiants en langue et littérature françaises, en création littéraire, en linguistique, en communication, en publicité. – à tous les instituteurs et professeurs de langue et de littérature française et à tous ceux qui aspirent à le devenir. – à tous les amoureux de la langue française, en particulier ceux qui ont un intérêt marqué pour ses manifestations ludiques et humoristiques. Bref, les uns verront cet ouvrage comme un manuel à consulter ou à étudier, les autres le liront pour le plaisir d’y faire des découvertes.
▲ Jeux verbaux et créations verbales 8
Quels chemins emprunte-t-il ? L’étude prend trois directions : les formes ; le sens et les réalités dont on il est question ; les créations et les emprunts : – Les formes parlées et écrites des mots (sans jamais oublier le sens, toujours touché). Sons et lettres sont donc à l’honneur, de même que les associations de mots de prononciations identiques ou apparentées. Sont également abordées les répétitions de mots. – Les sens, ceux des mots et des groupes de mots, bien sûr, mais aussi les doubles ententes que véhiculent certaines phrases. Sans omettre les liens entre les mots et ce à quoi ils renvoient, à savoir leurs référents, second volet permettant de considérer aussi les sens figurés ou imagés. – Les créations (de mots, de formes et de sens) et l’emploi intentionnel de formes et de contenus absents du français jugé « correct », du moins dans certains contextes ou certaines situations. En résumé, les deux premières parties traitent des jeux verbaux, des jeux de mots et des figures employées sur le mode ludique ; la troisième aborde les créations verbales et les « emprunts » divers, toujours dans le registre du jeu.
Comment facilite-t-il l’accès au contenu ? Par le regroupement de procédés ayant des airs de famille Précédé d’une page (ou deux) indiquant l’enchaînement des notions, chacun des quinze chapitres regroupe des procédés en raison de leurs affinités, ce qui fait ressortir leurs ressemblances et leurs différences. Est donc rejeté l’ordre alphabétique, qui a le double défaut de séparer des notions apparentées et de rapprocher des notions éloignées. Certains seront heureux de retrouver cet ordre dans l’index des notions à la fin de l’ouvrage.
Par la réduction du nombre de termes techniques Comme la terminologie des jeux verbaux présente des difficultés et que notre étude ne s’adresse pas à des spécialistes, chaque fois que cela nous a semblé possible, nous avons remplacé des termes techniques (exemple : signifiant et signifié) par des termes courants (forme et sens) et avons écarté certaines distinctions (notamment celles entre sens et signification ou entre son et phonème).
Avant-propos ▼ 9
Par l’adoption d’un schéma unique de présentation D’un article à l’autre, les divers types de renseignements sont présentés dans le même ordre, ce qui en facilite le repérage. L’étude d’un procédé se fait en deux temps : – la notion en bref : un exemple à observer suivi d’un bref commentaire prépare l’utilisateur à la pleine saisie de la définition accompagnée d’un ou deux exemples. Cette étape peut satisfaire les gens pressés. – la poursuite de la réflexion : des précisions et des réalisations diverses permettent d’affiner la connaissance du sujet. Généralement des renvois (et parfois des notes) complètent le tout.
Introduction Notions préalables
Débutons par une évidence. Les dénominations jeux verbaux et créations verbales indiquent que nous allons explorer le domaine des mots (et de leurs composantes) placés dans divers arrangements. Sans entrer dans les détails, considérons le mot, la phrase et les transformations qu’on leur fait subir.
1. Mot, forme, sens et réalité désignée Un aperçu Tout mot est l’association intime d’une forme et d’un sens, comme le côté pile et le côté face d’une pièce de monnaie : impossible d’avoir l’un sans l’autre. Imaginons qu’un ami vous pose la question suivante : Vois-tu le bel oiseau dans l’arbre d’en face ? En gros, le mot oiseau de cette phrase est l’union étroite d’une forme orale et d’un sens et renvoie à une réalité (le référent), c’est-à-dire l’animal précis dont parle votre interlocuteur.
à l’oral : une suite de quatre sons [wazo] sa forme : à l’écrit : une suite de six lettres (o-i-s-e-a-u) Le mot oiseau : son sens : l’idée évoquée par le mot (autrement dit : le contenu) : « animal au corps recouvert de plumes, dont les membres antérieurs sont des ailes, les membres postérieurs des pattes, dont la tête est munie d’un bec corné dépourvu de dents, et qui est adapté au vol. »
son référent : dans cette phrase, l’animal concret auquel réfère le mot oiseau.
12 ▲ Jeux verbaux et créations verbales
Par contre, dans la phrase : Mon nouveau voisin a l’air d’un drôle d’oiseau, le mot oiseau a le sens péjoratif d’« individu » et son référent correspond à la personne en chair et en os dont il est question.
Quelques précisions Il y a parfois concordance entre la prononciation et la graphie des mots. Ainsi, les trois lettres de l’adjectif pur correspondent à trois sons : [pyr]. Toutefois, la plupart du temps, il y a un écart entre la forme orale et la forme écrite. On l’a vu, c’est vrai pour le mot oiseau où six lettres correspondent à quatre sons ; c’est également vrai pour le mot peau qu’on écrit au moyen de quatre lettres, mais qu’on prononce [po], donc en articulant deux sons. La comparaison des réalisations orales et écrites de certains mots mène à quelques constatations : – Il arrive que des lettres ne correspondent à aucun son : entre autres, le « x » de faux [fo], le « t » de fort [fɔʀ], le « l » de fils [fis], le « h » initial et le « e » de hache [aʃ]. – Un groupe de lettres renvoie souvent à un son unique : ainsi, le « ch » de cheval et le « sch » de schisme se prononcent [ʃ], les « ph » de philosophie se prononcent [f], le « eu » de feu correspond à la voyelle [ø]. – Une lettre peut correspondre à deux sons, comme le « x » prononcé [ks] dans mixte et [gz] dans examen. – Une lettre, un groupe de lettres n’a pas toujours la même prononciation : par exemple, la lettre « g » se prononce [g] dans garçon et [ʒ] dans gêne ; la lettre « s » correspond au son [s] dans sirop et au son [z] dans lisière ; le groupe « ch » se prononce [ʃ] dans cheveu et [k] dans psychologie. – Des lettres différentes peuvent avoir une prononciation identique : le « s » de rose et le « z » de zéro se prononcent [z] ; le « g » de gens et le « j » de jambe se prononcent [ʒ]. – Note. Dans le cas des jeux verbaux portant sur des sons, nous avons eu recours à l’alphabet phonétique international (API). On trouvera le tableau des sons du français au début de tout bon dictionnaire d’usage. En langue, disons dans le dictionnaire, il arrive qu’un mot français n’ait qu’un sens ; on parle alors de monosémie (où monos signifie « un seul »). Le plus souvent, il en a au moins deux : on parle alors de polysémie (où polyveut dire « plusieurs »). Néanmoins, dans la réalisation d’une phrase donnée, ce même mot a une signification précise et particulière. La dénotation d’un mot correspond à sa définition objective et généralisée, celle qu’enregistrent les dictionnaires d’usage. Toutefois cette définition neutre est généralement complétée par des idées autour desquelles il n’y a pas consensus. Ces idées secondes qui s’ajoutent à la définition pure et simple, ce sont les connotations. Dans un contexte bien précis, pour bien cerner le sens d’un mot, il est nécessaire de tenir compte de ces valeurs qui s’ajoutent à la définition de base.
Introduction ▼ 13
À l’oral ou à l’écrit, le mot renvoie (presque) toujours à autre chose qu’à lui-même, à savoir le référent, lequel correspond à une personne, à un animal ou à tout autre réalité, concrète ou abstraite. Mais parfois le référent ne correspond à rien de réel : c’est le fruit de l’imagination, telles les créatures de légendes, notamment le dragon ou la licorne. Parfois aussi le mot renvoie à lui-même, dans la phrase « Oiseaux prend un « x » au pluriel », par exemple.
Trois conséquences On peut manipuler la forme d’un mot en mettant l’accent soit sur sa face sonore, soit sur sa face écrite. Toutefois, il est difficile de considérer la face sonore en faisant abstraction de la face écrite et vice-versa. Il est possible d’exploiter en priorité la forme d’une unité ou son sens. De façon générale, toute manipulation de la forme rejaillit sur le sens et toute modification du sens influe sur la forme. Il y a un lien entre le sens précis d’un mot dans une phrase et son référent, à savoir la réalité à laquelle ce mot réfère.
2. Jeux verbaux, jeux de mots et figures La dénomination jeux verbaux renvoie ici à tous les procédés qui exploitent les mots et les sens consignés dans les dictionnaires d’usage français. Autrement dit, à l’exception des sens figurés ou imagés que le contexte permet de faire surgir, les jeux verbaux s’appuient sur le matériau existant déjà. Parmi les jeux verbaux on rencontre des figures et des jeux de mots. En gros, la figure (d’un mot latin qui signifie « forme ») est un mode d’expression présentant une forme particulière reconnaissable, une forme qui attire l’attention et qui la distingue des autres. Voyons cet exemple : ● Deux manières d’allonger l’existence : donner des années à la vie, donner de la vie aux années. (J. Rivoire) Les mots années et vie reviennent, mais dans un ordre inverse. L’interversion de mots répétés, voilà une des nombreuses formes discernables et reproductibles, comme en témoigne cette autre phrase : ● Il suffit d’un gramme de merde pour gâcher un kilo de caviar. Un gramme de caviar n’améliore en rien un kilo de merde. (R. Topor) J. Rivoire et R. Topor ont beau traiter de sujets différents, ils utilisent le même procédé, ils recourent à la même figure. Certes, la fonction première d’une figure de style n’est pas d’amuser, mais rien n’empêche de l’utiliser dans ce but. Voilà pourquoi une figure est souvent à l’œuvre dans l’élaboration d’un jeu verbal.
14 ▲ Jeux verbaux et créations verbales
De son côté, comme le révèle son nom, le jeu de mots exploite les mots mêmes, à savoir leurs formes ou leurs sens, voire les deux, pour favoriser une équivoque (d’un mot latin qui veut dire « à double sens ») : ● Homme d’esprit au caractère instable : il a des sautes d’humour. (J.-P. Grousset) Il a suffi que l’auteur remplace un mot par un autre (ou une lettre par une autre) pour que deux interprétations fonctionnent ensemble : celle que nous attendions en vertu du contexte (saute d’humeur) et celle qui nous est donnée (saute d’humour). Par contre, ce sont les sens, propre et figuré, du verbe planter qui ont servi à produire ce jeu de mots de Boris Vian : ● Venez m’aider, dit-il. — Je ne peux pas, professeur, répondit Amadis. L’archéologue m’a planté là, et je ne peux plus me déplanter. Qu’en est-il du mot d’esprit ? Disons simplement qu’en principe il ne jongle ni avec la forme des mots ni avec leur sens ; son point de départ est le réel auquel renvoient les mots, le réel tel qu’il est ou tel qu’on l’imagine, comme dans l’exemple suivant : Et Dieu créa l’homme. Il considéra alors son œuvre et se dit : « Je dois vraiment pouvoir faire mieux ». (J. Brothers)
Étant donné que nous serons attentifs aux liens entre le réel et le langage servant à l’exprimer, chemin faisant il nous arrivera de rencontrer des mots d’esprit. En résumé, il n’y a pas de cloison étanche entre les jeux verbaux, les jeux de mots, les créations verbales, certaines figures et les mots d’esprit : dans la sphère des jeux de langage et de l’humour, les chevauchements sont nombreux, et il n’est pas rare qu’on glisse insensiblement d’un phénomène à un autre. L’important est de saisir ce qui se passe.
3. Créations verbales et emprunts La dénomination créations verbales réfère aux mots, aux formes et aux contenus nouveaux qui n’ont pas (encore) leur place dans les dictionnaires d’usage français. Qu’on songe au néologisme* (du grec neos « nouveau » et logos « parole, discours »), à savoir le mot, la forme ou le sens que crée la personne en train de parler ou d’écrire. Écoutons un adolescent enrhumé à la recherche d’un papier-mouchoir : Où sont les antipopulvérinasaltypocomputateurs ?
Introduction ▼ 15
Évidemment, à ce jour, aucun dictionnaire n’a enregistré cette invention ludique (et, à l’évidence, elle ne le sera jamais). Toutefois, au lieu de créer soi-même des mots, des formes ou des contenus, on peut aller les chercher ailleurs que dans le français général actuel : on fait des emprunts, tantôt à l’une des nombreuses variétés régionales du français, tantôt à une langue étrangère bien vivante (comme l’anglais) ou morte (comme le latin). En somme, trois possibilités s’offrent à nous : les emplois particuliers de mots et de sens déjà admis en français ; les créations de formes et de sens nouveaux ; les emprunts divers.
4. Procédés qui sautent aux yeux et procédés qui demandent à rétablir des termes absents Les combinaisons et les choix Dans l’étude des jeux verbaux (et des créations verbales), on sera attentif, entre autres choses, à deux axes complémentaires et à deux types de rapports. Qu’on parle ou qu’on écrive, on combine des mots pour former des phrases. Or, tout mot est en relation d’une part avec les mots qui l’accompagnent, d’autre part avec des mots absents de la phrase. Bref, on a à choisir chacun des termes qu’on combine. Schématisons ces deux activités au moyen de deux axes : l’un horizontal et l’autre vertical. Soit le verbe mordre dans la phrase suivante : ● Notre gouvernement n’a pas réussi à mordre les géants de l’industrie forestière. inquiéter effrayer
– Sur l’axe horizontal (celui de la combinaison des mots), ce verbe acquiert un sens figuré précis grâce aux mots qui effectivement le précèdent et le suivent, à savoir son contexte. Sur cet axe, les mots entretiennent des rapports explicites, qui sautent aux yeux. – Sur l’axe vertical (celui du choix des mots), ce verbe se comprend en le rapprochant mentalement d’autres verbes, absents de la phrase. Sur cet axe, les mots entretiennent des rapports implicites, puisqu’il est possible de rétablir ceux qui pourraient occuper sa place. Ajoutons que, par analogie, ces deux axes touchent également les sons et les lettres qui constituent les mots. Soit, par exemple, le son-consonne [t] dans le mot tirage, prononcé [tiʀaʒ]. Sur l’axe vertical, ce son est associé avec d’autres ; parmi eux, la consonne [m] qui pourrait le remplacer pour donner mirage [miraʒ], ou la consonne [s] pour former cirage [siraʒ].
16 ▲ Jeux verbaux et créations verbales
Le jeu verbal : explicite ou implicite La création et l’interprétation des jeux verbaux et des créations verbales reposent sur les deux axes dont nous venons de parler. Le jeu verbal explicite allie au moins deux éléments, lesquels sont présents dans la phrase, donc sur l’axe horizontal, celui des combinaisons : ● Si l’image vaut mille mots, l’entente écrite vous évite mille maux. (Publicité) On pourrait parler aussi de jeu verbal par alliance, par combinaison ou par rapprochement (en termes savants, de jeu verbal in praesentia ou syntagmatique). Le jeu verbal implicite, quant à lui, associe un élément présent dans la phrase avec un autre qui, absent de la phrase, existe dans la langue. Le phénomène se passe donc sur l’axe vertical, celui des possibilités et des choix : ● Demain, la faim du monde. (Titre) [la fin] La double lecture est exploitée implicitement, au moyen d’un mot qui en sous-entend ou en évoque un autre. Comme on remplace un élément par un autre, on pourrait parler également d’un jeu verbal par remplacement ou par substitution (en termes savants, d’un jeu verbal in absentia ou paradigmatique). Notre traitement des jeux verbaux tiendra compte de cette différence. Ainsi, nous distinguerons l’homophonie explicite, qui combine deux éléments de même prononciation, et l’homophonie implicite, qui repose sur une substitution de termes. Pour mousser la vente de son produit, un brasseur québécois a eu recours aux deux procédés : ● La Labatt, y a rien qui la batte. ● Sa bière, y a rien qui Labatt. Par ailleurs, bien des jeux verbaux jouent à la fois sur l’explicite et l’implicite, tel le titre suivant qui dénonçait l’inaction des grandes puissances face à une situation catastrophique : ● Grands mots, petits remèdes [maux]
5. Transformation d’un matériau existant Habituellement, pour produire des tournures nouvelles, les auteurs de créations verbales et de jeux verbaux partent du connu.
La modification d’une formulation connue Celle-ci consiste à choisir une expression de la langue, une formule répandue ou une parole d’autrui et à la transformer suffisamment pour créer un effet de surprise, tout en évitant que le public ne fasse plus le lien avec la formulation initiale :
Introduction ▼ 17
● Formulation courante : C’est un vieux de la vieille.
Formulation inattendue : Il est envieux de la vieille. L’allusion* est donc très souvent au cœur de ce procédé. En règle générale, le procédé est implicite, puisque seule apparaît la formulation nouvelle. Mais il peut arriver que les deux formulations, l’ancienne et la nouvelle, se côtoient : ● Qui donne aux pauvres prête à Dieu. Qui donne à l’État prête à rire. (T. Bernard)
Les procédés de transformation On transforme un constituant par addition, suppression, substitution, déplacement et interversion. Quant à la nature de ce constituant, ce peut être un mot, une unité inférieure au mot (son, lettre, syllabe) ou une unité supérieure au mot (locution, groupe de mots, proposition, phrase). Voyons quelques exemples concernant des mots : – L’addition (ou ajout) d’au moins un mot à l’intérieur d’une phrase ou à sa suite : ● Tous les hommes sont mortels Tous les hommes sont d’un ennui mortel. ● Les absents ont toujours tort. Les absents ont toujours tort de revenir. (J. Renard) Incluons ici le type d’ajout qu’est la répétition : ● Et toi, et toi, et toi Tu me dis : « Non » (C. Gauthier) – La suppression (ou effacement) d’au moins un mot à l’intérieur ou à la fin d’une phrase : ● Le café est un parfum. Mélita son créateur. (Publicité) ● Le malheur des uns… (Roman de P. Bouille) – La substitution (ou remplacement) d’au moins un mot : ● Le courrier du coeur Le courrier du corps (Titre) – Le déplacement d’au moins un mot : ● Achille Talon : Dites, Virgule amie, […] (Greg) Incluons ici l’interversion de termes, celle d’Alphonse Allais, par exemple, qui a repris une phrase d’Edmond Haraucourt pour la modifier : ● Partir, c’est mourir un peu… mais mourir, c’est partir beaucoup.
18 ▲ Jeux verbaux et créations verbales
Bien sûr, il n’est pas rare qu’on combine plusieurs de ces procédés de transformation. Citons Boris Vian qui a déformé l’expression entendre une mouche voler par l’addition de crier et le remplacement de voler : ● […] on aurait entendu crier une mouche violée.
La déconstruction et la reconstruction de mots et de groupes de mots Outre les procédés de transformation dont nous venons de parler, on peut former plusieurs mots à partir d’un seul ou, à l’inverse, former un seul mot à partir de plusieurs. Illustrons ces deux possibilités au moyen d’éléments homophones, c’est-à-dire de même prononciation. La déconstruction est le découpage d’un mot en plusieurs. Le procédé est tantôt explicite, tantôt implicite, auquel cas il faut alors rétablir le terme absent : ● Je suis le président Clemenceau mais je ne suis ni clément ni sot. ● Au soleil, on est exposé au plus grand des astres. [On a défait le mot désastre.] Le procédé donne des mots déconstruits, tels Clemenceau et désastre ci-dessus. À l’inverse, la reconstruction est la réunion de plusieurs mots en un seul. Ici encore le résultat est explicite ou implicite et il convient alors de deviner les termes absents : ● Des trous, du blanc, comme c’est troublant. ● Vous mendierez des nouvelles. (San Antonio) [L’auteur a soudé les trois mots m’en direz pour n’en former qu’un.] Le procédé fournit des mots reconstruits, tels troublant et mendierez ci-desssus. Évidemment, à l’oral ces deux phénomènes peuvent rendre difficile la reconnaissance des frontières entre les mots et amener à faire des coupures aux mauvais endroits. Imaginez que vous ayez à écrire cette phrase entendue pour la première fois : ● Quand tu auras fini de monter des cendres, tu pourras descendre pour monter mon thé. Le passage de des cendres à descendre correspond à une reconstruction ; celui de monter à mon thé, à une déconstruction.
6. Allusion et références culturelles Faire une allusion, c’est dire quelque chose avec l’intention d’évoquer autre chose que le public est censé connaître : ● Un malfaiteur : Rira bien qui finira par rire tout seul parce que l’autre ne sera plus là. (Greg)
Introduction ▼ 19
De toute évidence, l’auteur d’« Achille Talon » s’est inspiré de Rira bien qui rira le dernier et en a détourné le sens. ● Publicité d’une liqueur au goût de pêche : Laissez-vous tenter par le goût du pêcher. Succombez au goût frais et naturel. Une grande tentation. La présence de tenter, de tentation et de Succombez évoque le mot péché et la scène de la Genèse où Adam et Ève ont mangé du fruit de l’arbre de la connaissance, l’arbre, étant ici, pour les besoins de la cause, un pêcher (et non un pommier). De fait, l’allusion (du mot latin allusio qui signifie « jeu ») est au cœur d’une foule de jeux verbaux. À quoi fait-elle penser ? – À une caractéristique du réel : ● Publicité d’une bière : Faites mousser les bons moments. – À un mot ou à une locution du français : ● J’ai trouvé un crocodile avec qui pleurer. (J.-L. Fournier) [Évocation de larmes de crocodile.] – À une phrase connue (proverbe, slogan, mot d’auteur, etc.) : ● Au Club Med : « Chassez le naturiste, il revient au bungalow… » (J.-P. Grousset) [On pense à Chassez le naturel, il revient au galop.] – À une production culturelle (littéraire, cinématographique, musicale, théâtrale, etc.) : ● C’est l’heure où les bœufs vont boire. Nous n’avons pas de lions. (J. Renard) [Allusion littéraire à C’était l’heure tranquille où les lions vont boire, vers du poème Booz endormi de Victor Hugo.] – À un évènement historique, à une dimension politique, sociale (correspondant ou non à la réalité) : ● […] bien sûr dans ce temps-là les grecs […] / ils savaient compter seulement jusqu’à zeus / quand ils arrivaient à trois / c’était la guerre. (Sol) [Outre la référence à Zeus, Dieu suprême des Grecs, l’humoriste évoque la célèbre guerre de Troie.] En somme, grâce à l’allusion, une phrase fait penser à quelque chose d’extérieur à elle, ce qui permet d’instaurer une certaine connivence avec le public auquel on s’adresse. C’est que, pour percevoir l’allusion, il faut non seulement recourir à ses compétences en langue, mais aussi puiser dans le fond culturel commun.
7. Champ lexical et affinités de sens Globalement, un champ lexical est un ensemble de mots, concrets ou abstraits, qui se rapportent à un même secteur de la réalité, celui de la musique ou des animaux, par exemple. Dans le domaine des jeux verbaux, souvent ces mots se prêtent à deux lectures ou leur sens propre est évacué au profit d’un sens figuré :
20 ▲ Jeux verbaux et créations verbales
● Subtilité musicale : jouer du violon d’Ingres sans tambour ni trom-
pettes dans un concert d’éloges. (M. Beaudry)
● Cobaye solitaire cherche dinde pour faire le cochon. (S. Bailly)
L’existence de ces champs permet des associations diverses où des mots appellent la présence d’autres mots en affinités de sens avec eux : ● Ski : aux sauts, les Canadiens ont été à la hauteur. (Titre de presse) ● Le fait est que le menuisier avait la gueule de bois. (J.-L. Fournier) ● Poisson : Animal qu’on mange à la fourchette, après l’avoir préparé au couteau, et pêché à la cuiller. (M. Lauzière) ● Petite annonce fictive : Électricien très au courant cherche place pas prise dans le secteur. (P. Dac) Dans le domaine des jeux de langage, le recours aux champs lexicaux et aux associations par affinités qui en découlent est très fréquent.
8. Mélanges de procédés Même dans le contexte étroit d’une phrase, il est courant que divers procédés s’entremêlent ou s’amalgament, les uns étant plus évidents que les autres. Par exemple, que remarque-t-on dans le titre suivant ? ● Les cheveux longs n’ont pas les idées courtes – La présence de termes de sens opposés : longs vs courtes. – L’opposition entre avoir (les cheveux longs) et ne pas avoir (les idées courtes). – L’expression de la partie pour le tout : le recours à la tournure les cheveux longs pour désigner les personnes qui les portent. À cela s’ajoutent l’opposition concret-abstrait (cheveux vs idées) et les évocations possibles ; cheveux courts, mémoire courte, etc. Terminons par une publicité vantant la qualité et le bon goût de biscuits : ● Avec du vrai beurre, de vrais œufs… et vraiment beaucoup d’amour. Quels sont les procédés en action ? – La répétition de l’adjectif vrai. – Le renforcement de cette répétition au moyen d’un terme dérivé, l’adverbe vraiment. – La coordination inattendue, au moyen de et, de mots concrets (beurre, œufs) et du mot abstrait amour, considéré comme un ingrédient. – La mise en valeur de cette opposition (concret vs abstrait) par l’ajout des trois points. – L’omission de certains mots : Nous confectionnons nos biscuits (ou tout autre phrase de sens équivalent). En règle générale, dans la suite de cet ouvrage, nous attirerons l’attention sur un seul procédé à la fois.
Première partie
Pleins feux sur les formes On l’a dit, tout mot est l’association étroite d’une forme et d’un sens, comme le recto et le verso d’une feuille de papier. Impossible de les séparer. Centrons d’abord notre attention sur les formes parlées (les suites de sons) puis écrites (les suites de lettres) des mots. En somme, soyons attentifs aux mots tels qu’ils se présentent à nos oreilles et à nos yeux, en gardant à l’esprit que l’aspect sonore et l’aspect graphique sont intimement liés et sans oublier non plus que le sens est toujours concerné. Considérons enfin les mots qui reviennent tels quels, sans altération de forme ni de sens. Première section CHAPITRE 1 CHAPITRE 2
Attention portée aux formes sonores des mots Prononciations identiques ou semblables Répétitions de sons
Deuxième section Attention portée aux formes écrites des mots CHAPITRE 3 Orthographes identiques ou semblables CHAPITRE 4 Contraintes d’écriture et de lecture Troisième section Attention portée aux répétitions de mots et de groupes de mots CHAPITRE 5 Répétitions de mots à distance CHAPITRE 6 Répétitions de mots immédiates
Chapitre 1
Prononciations identiques ou semblables Mots de même prononciation On associe des éléments de prononciation identique mais d’orthographes différentes Une identité de prononciation touche au moins deux mots Des mots de même prononciation apparaissent dans la phrase : l’homophonie explicite Un mot prend la place d’un autre de même prononciation : l’homophonie implicite Au moins un mot est caché en vertu d’une identité de prononciation : le mot incrusté Une identité de prononciation s’étend sur des mots et des groupes qu’on fait rimer : la rime équivoquée Une identité de prononciation s’étend sur tout un vers : les vers holorimes Une identité de prononciation existe entre des lettres, des mots et des syllabes : l’alphabet parlant Une identité de prononciation existe entre des chiffres et des mots : les chiffres parlants Une identité de prononciation existe entre des notes de musique et des mots : les notes parlantes On associe des mots de même prononciation et de même orthographe On rapproche au moins deux homonymes : l’homonymie explicite Un homonyme en évoque un autre : l’homonymie implicite
Mots de prononciations semblables Les ressemblances de formes sont accidentelles On rapproche au moins deux mots ressemblants : la paronymie explicite Un mot en remplace un autre qui lui ressemble : la paronymie implicite Une quasi-identité de sonorités s’étend sur des mots ou des groupes qu’on fait rimer : la rime semi-équivoquée
24 ▲ Jeux verbaux et créations verbales
On remplace la plupart des mots d’une phrase par d’autres de prononciations identiques ou voisines : l’allographe On associe les lettres formant un mot avec d’autres mots de prononciations semblables : l’épelure Les ressemblances de formes sont dues à une base commune On rapproche au moins deux mots de même famille : la dérivation explicite Un mot en remplace un autre de même famille : la dérivation implicite Les ressemblances de formes sont dues à des substitutions de sons On rapproche au moins deux mots qui ne diffèrent que d’un son : le métaphone explicite On remplace par d’autres des mots qui ne diffèrent que d’un son : le métaphone implicite
Prononciations identiques ou semblables ▼ 25
MOTS DE MÊME PRONONCIATION
1. L’homophonie explicite – Chambly, dans sa tournée d’inspection […] visita les cent douze salles et chambres du palais vraiment pas laid. (R. Soulières) La présence de palais et de pas laid, tous les deux prononcés [palɛ], saute aux yeux. L’homophonie explicite est le rapprochement d’au moins deux éléments qui se prononcent de la même façon mais s’écrivent différemment, c’est-à-dire des homophones : – Publicité d’une banque : Transformez votre compte en conte de fées. – L’amour c’est pour les sens et la guerre pour l’essence. (R. Devos) Dans homophone et homophonie, l’élément homo- signifie « même » et phonie veut dire « son ».
Précisions 1. Quels sont les éléments qu’on rapproche pour créer une homophonie explicite ? Des mots français : ● Avoir un maître à penser ou se mettre à penser ; voilà la question. (C. Falardeau) ● Une paire de pères hors pairs. (Publicité) U n mot français et un autre d’origine étrangère : ● Les bons shows aux temps chauds. (Publicité) U n mot et un acronyme : ● Dans les actuelles négociations, la FAS ne veut pas perdre la face. (Presse) [FAS renvoie à la Fédération des affaires sociales.] U n mot et un nom propre (ou un nom de marque) : ● Lego développe l’égo. (Publicité) U n mot et un groupe de mots : ● Morphine : mort fine. (M. Leiris) ● Il n’y a que Maille qui m’aille (Publicité) ● Elle fait des gestes mous, ronds, sans se faire de mouron. (F. Dard) ● Naturiste : corps sage sans corsage. (A. Finkielkraut)
26 ▲ Jeux verbaux et créations verbales
D es groupes de mots : ● Les feux de l’amour. Le papa et la maman sont au lit, la bougie brûle, qu’est-ce qu’y font ? C’est la bougie qui fond. (Coluche)
2. L’homophonie explicite permet des réalisations moins courantes : U ne partie d’un énoncé est la reproduction sonore de l’autre partie : ● Cinq gars pour Singapour (Titre de film) [sɛ̃gɑpuʀsɛ̃gɑpuʀ] n mot rime avec une lettre : U ● Chronique sur le scrabble : Le K, un beau cas ! ● La télé qu’on aime / À CKTM n mot rime avec la syllabe initiale ou finale d’un autre mot : U ● Vive le vent… vive le vent… vive le vendredi ! (M. Beaudry) ● Qu’a découvert le ver ? Que peint ce copain ? (B. Coppens) n tire parti de la liaison entre deux mots : O ● On est ce qu’on naît. (H. Bazin) [ce qu’on est] U n pronom renvoie à un mot reconstruit, tel livide issu de la réunion de lit vide : ● Quand elle vit le lit vide, elle le devint. (A. Allais)
2. L’homophonie implicite – Tout le monde répond à la pelle du fossoyeur. (Y. Rivais) Le groupe la pelle évoque l’appel, qui se prononce également [lapɛl]. L’homophonie implicite se produit quand au moins un mot en remplace un autre de même sonorité, à savoir un homophone : – Décapité : Tué sur le cou. [coup] – Les vieux cons plissent. (Coluche) [complices]
Précisions 1. Quels sont les éléments qu’on remplace pour créer une homophonie implicite ? U n mot par un autre, celui-ci pouvant provenir d’une langue étrangère : ● Comme dirait Dracula, j’irais bien boire un cou.
Prononciations identiques ou semblables ▼ 27
● Vincent Poursan, à Talon père qui vient de lui asséner un magistral coup
de poing : — Il fallait le dire ! Votre petite mise au poing éclaire la chose d’une lumière nouvelle ! (Greg) ● Fais-moi une phrase avec poisson. — Ah ! fish-moi la paix ! [fiche] U n mot par un groupe de mots issu du découpage d’un mot en plusieurs : ● Qui suis-je ? Où vais-je ? Dans quel état j’erre ? [étagère] ● Carmen aurait dit à son homme : « Je t’aime car tu es beau et mien ! » (SUMOUPS) [bohémien] n groupe de mots par un mot issu de la réunion de plusieurs mots en un U seul : ● Il faut qu’une porte soit ouverte ou d’une autre couleur. (P. Dac) [ou verte] ● Tout ce qui est wag-né-rien. (J. Normand) [vague n’est rien] U n groupe de mots par un autre : ● Employé au Yemen Arena, Ilim Sallam remplit la fonction d’aiguiseur de patins. (Safarir) [y lime sa lame]
2. L’homophonie implicite présente des réalisations moins courantes : L ’homophonie résultant de la liaison permise entre certains mots : ● Le magasin est tout vert. [est ouvert] elle qui provient de l’insertion d’une suite de mots parasite : C ● Il ne faut pas être grand clerc (de lune) pour comprendre qu’il a mené Mathias en bateau. (San Antonio) [clair de lune] elle qui naît d’une allusion* : C ● Monsieur et Madame Cochet sont heureux de vous apprendre la naissance de leur fils Henri. (V. Labbé) [Évocation de en ricochet.] ● Non, ce n’était pas chose évidente que cette conversation en langue morte. Et pourtant je la tins. [Évocation du mot latin.] V. Calembour. Allographe. Rébus.
28 ▲ Jeux verbaux et créations verbales
3. Le mot incrusté – Je suis arrivé en retard au marché de Rungis car dès Stains la circulation était très dense. (M. Laclos) Comme l’indiquent les caractères gras, la lecture de cette phrase fait percevoir un message second (Giscard d’Estaing) incorporé à la faveur d’une identité sonore (ou homophonie). Le mot incrusté est celui que l’on a volontairement caché dans d’autres mots ayant la même prononciation que lui : – La bosse est un abus qu’au dos nos orthopédistes devraient bien lui enlever. [Nabuchodonosor] (P. Izambard)
Précisions La tâche est aisée quand les mots à retrouver appartiennent à un même domaine de la réalité, celui des mammifères aquatiques ou celui des écrivains célèbres, par exemple : ● C’est assez ! dit la baleine ; j’ai le dos fin, je me cache à l’eau ! [cétacé, dauphin, cachalot] ● Perchée sur la bruyère, une corneille boit l’eau de la fontaine. [La Bruyère, Corneille, Boileau, La Fontaine] Autrement, la tâche peut être ardue. Ainsi, sans l’aide des caractères gras, qui remarquerait la présence de Mitterand ci-après ? ● Une colonie de termites errant dans l’Élysée a dévoré le bois du fauteuil présidentiel. (V. Labbé) Patrick Le Fur a proposé une petite fable en alexandrins (vers de 12 syllabes), laquelle camoufle des noms d’animaux : ● Un jour de l’an, cadeau, quel bel achat on fit : [chaton] Un mignon minou mais l’élever ? quel défi ! [ver] [chat] [loup] Après quelques chatouilles, ça ne pouvait louper Une jatte de lait lui fut, d’un élan, apportée [élan] Mais sa langue rose et fraîche va laper bien trop vite [cheval] On épie son hoquet, pardi, il régurgite ! [pie] V. Homophonie implicite.
4. La rime équivoquée Syn. La rime calembour. La rime millionnaire – On voit à l’hôpital maint prodigue alité Qui pleure amèrement sa prodigalité. (V. Hugo) Ici l’auteur ne se contente pas de faire rimer la syllabe finale d’un mot avec la syllabe finale d’un autre, mais exploite l’identité sonore d’un mot et d’un groupe de mots.
Prononciations identiques ou semblables ▼ 29
La rime équivoquée est celle qui débouche sur une équivoque, parce qu’elle fait rimer un mot avec un groupe de mots ou bien un groupe de mots avec un autre : – Mon père est marinier Dans une péniche Ma mère dit la paix niche Dans un mari niais (B. Lapointe) – premier festin d’amoureux sur la lune Quand les gemini Stanislas-Andrée, Leur fanion flottant sur la cendrée, Dans un cratère, et dans de l’or, dinèrent, Ce fut un soir sortant de l’ordinaire ! (L. Desnoues) Ce type de rime peut se réaliser au sein même d’un vers : – Tristement dort une mandore (S. Mallarmé) Note. La rime équivoquée est le prolongement de la rime léonine*, qui englobe les deux dernières syllabes d’un mot.
V. Rime semi-équivoquée. Vers holorimes. Rime fratrisée.
5. Les vers holorimes Syn. Les vers pantorimes. Les vers homophones – pr otestation de mélomane Ah, ce qu’on sert de faux « ré » À ce concert de Fauré ! (L. Desnoues) Dans ce distique où les vers sont formés de mots différents, le second vers est la reproduction sonore du premier. Les vers holorimes sont ceux qui, sans avoir ni la même orthographe, ni le même sens, riment entièrement, depuis la première syllabe jusqu’à la dernière : – Lâchant son silence La chanson s’y lance. (L. de Vilmorin) – Laurent Pichat virant (coup hardi) bat Empis ; Lors Empis chavirant, couard dit : Bah ! Tant pis ! (M. Monnier)
Dans holorime, holo signifie « entier » ; dans pantorime, pantos veut dire « tout ».
Précisions À l’écoute des holorimes parfaits, on a l’impression qu’un seul vers se répète, impression démentie à la lecture, laquelle révèle un nouveau découpage de la suite de sons :
30 ▲ Jeux verbaux et créations verbales
● Proposition folichonne d'un peintre un peu loufoque qui voulait entraî-
ner une jeune femme dans les cryptes, à seule fin de lui peindre le dos avec de la couleur verte : Je dis, mettons, vers mes passages souterrains Jeudi, mes tons verts, mais pas sages, sous tes reins. (A. Allais) Claude Gagnière nous propose cet amusant distique holorime, imparfait puisque doute ne sonne pas tout à fait comme toute : ● L’homophone, semeur de doutes, lit et rature L’homme, ô faune, se meurt de toute littérature. Ajoutons trois types d’holorimes : C eux qui tiennent compte de la disposition des rimes finales. – Dans un quatrain à rimes croisées*, le premier vers rime avec le troisième et le deuxième avec le dernier : ● J’aimais des mots d’aimant a b Mon monde était mondé J’ai mes démons déments a Mon onde est émondée. b (F. Valorbe) – Dans un quatrain à rimes embrassées*, le premier vers rime avec le dernier et le deuxième avec le troisième : ● à un page bleu de la reine ysabeau a Dans ces meubles laqués, rideaux et dais moroses, Où, dure, Ève d’efforts sa langue irrite (erreur !) b Ou du rêve des forts alanguis rit, (terreur !) b Danse, aime, bleu laquais, ris d’oser des mots roses. a (C. Cros) L es mini-holorimes Ce sont des distiques monosyllabiques (deux vers d’une syllabe) dont l’inter prétation demande des titres explicatifs : ● L’ATHLÈTE EN RETOMBANT S’EST FOULÉ LA CHEVILLE Saut Sot. (S. Leroux) L a traduction homophonique En dehors du domaine de la poésie, des homophones servent à traduire des groupes de mots ou des phrases : ● Le chant des sirènes/ Le champ des six rennes ● Cet homme est ténor mais m’embête/ Cet homme est énormément bête. V. Rime équivoquée. Allographe.
Prononciations identiques ou semblables ▼ 31
6. L’alphabet parlant Syn. Les lettres parlantes – ODS FMR (A. Allais) À la lecture, lettre après lettre, de ce titre de roman, on constate que cette suite de lettres, apparemment non significative, sonne comme des mots : Ô déesse éphémère. L’alphabet parlant remplace par des lettres en capitale des syllabes, des mots et des suites de mots de même sonorité : – Sur un tableau : Ne pas F. A. C. [= effacer] – Ah non ! Il ne reste plus de papier Q ! [= cul] – FMRFIJ (R. Desnos) [= Éphémère effigie]
Précisions 1. Quelles sont les principales substitutions ? U n mot est remplacé par une seule lettre : ● Dans sa fureur alcoolique, le misérable fabricant de lettres d’enseignes frappa sa femme avec N, lui fendit le crâne à coup de H et la précipita dans l’O. (P.-H. Cami) [= haine, hache, eau] n mot est remplacé par une suite de lettres, chaque lettre correspondant U à une syllabe : ● Il n’est pas inutile de rappeler ici que ce qui a été LEV, ou OC, ou IC, ne peut plus être que BC ou ABC ! (R. Droin) [= élévé… haussé… hissé… baissé… abaissé] U ne lettre répétée correspond à des mots différents : ● Un R de jazz à l’R de Louis XIV aurait été un R pollué. (C. Falardeau) [= air… ère… air] U ne lettre remplace une syllabe d’un mot : ● Dangereux : une maison en T. (C. Falardeau) [= hantée] ● […] et donc, quand elles ne veulent pas être déran-G… elles enregistrent un message. (B. Coppens) Le procédé a servi à créer des fins de vers. Voyez ces octosyllabes de Sacha Guitry qui produisent une assonance en [e] : ● Monsieur, je suis très OQP [occupé] Et maintenant j’en ÈAC [ai assez] Vous m’ennuyez, vous m’NRV [énervez] Vous m’assommez, vous m’emBT ! [m’embêtez]
32 ▲ Jeux verbaux et créations verbales
D’aucuns ont composé de cette façon des phrases, et même des textes entiers. Voici un aperçu : ● AID KN NE OPI D IN ELIA ET LV. L S MIT AT (A. Allais) [= Haïdé Cahen est née au pays des hyènes, et elle y a été élevée. Elle est sémite et athée.] D’autres sont allés plus loin et ont remplacé les mots par des lettres et par des chiffres (qu’on peut aussi qualifier de « parlants »). En effet, comme il est possible de combiner lettres et chiffres pour former des mots (par exemple 100TT se lit comme s’entêter, 1C100 sonne comme incessant), certains composent ainsi des récits alphabétiques. Voici, suivi de sa traduction, le début d’un roman de Pierre Beaudry : ● « MA ! MA ! NSSIT » AC AJT, MA CVIE 2 7 SRÈV É MÉ ¼ A1000IA 10ZMO 100C FEZS11 LEV. L10ZU9OHOD MU : Emma ! Emma ! est nécessitée » Assez agitée, Emma s’éveillait de cet essai rêvé et aimé car Amilia disait des mots sensés et faisait des sons élevés. Elle disait d’une voix chaude et émue… Notes. Ne pas confondre l’alphabet parlant avec le langage alphabétique (ou siglaison*). Alphabet et chiffres parlants sont largement utilisés dans les textos (ou SMS). V. Épelure. Rébus de lettres.
7. Les chiffres parlants – 0 20 100 0 À condition de voir des mots derrière ces chiffres et, conséquemment, de prononcer les zéros comme des « o », ce message devient clair : Au vin sans eau. Appelons chiffres parlants les chiffres (et les nombres) qui se lisent comme des mots ou des syllabes formant des mots : – 20 100 1001 [= Vincent mit l’un.] (S. Bailly)
Précisions L e plus souvent, on mélange des chiffres et des lettres pour former des mots, des groupes de mots et même des phrases : ● FRV100 [= effervescent] ● c 6 o [= ces ciseaux] ● L. A. K. C. 1. 9. [= Elle a cassé un œuf.] L ’insertion de chiffres parlants dans une phrase est également possible : ● 202. Chiffre qui a subi l’opprobre public : jamais 203, dit-on. (C. Falardeau) [Cf. Jamais deux sans trois.]
Prononciations identiques ou semblables ▼ 33
P ar ailleurs, les chiffres peuvent suggérer un mot, sur le mode de l’onomatopée*. Ainsi, dans le numéro de téléphone suivant, le 44 évoque le caquètement et le 19 est la transcription de un œuf : ● Resto Ti-Coq : 374 - 4419 V. Alphabet parlant. Notes parlantes.
8. Les notes parlantes – SI FA SI LA SI RÉ Ces notes de musique, ne les chantez pas, mais lisez-les. Apparaît alors une suite de syllabes formant un groupe de mots : si facile à cirer. Les notes parlantes sont les notes de musique (do, ré, mi, fa, sol, la, si) qui, lues à haute voix, sonnent comme des mots ou des syllabes composant des mots : – Demeure. Do, mi, si, la, do, ré. (T. Baudoin) [Domicile adoré]
Précisions 1. En règle générale, on passe des notes de musique aux mots : S oit qu’on se serve des notes seulement : ● Épitaphe d’un musicien nommé Rémi, mort d’une indigestion de soles : À La Mi Ré Mi La Sol La Mi La [= À l’ami Rémi ; la sole l’a mis là.] ● Reproduisons les deux premières strophes (sur six) du poème « Fado Fa
do » de Louise de Vilmorin :
L’ami docile a mis là La mi do si la mi la Fade au sol ciré la sol Fa do sol si ré la sol Ah ! si facile à dorer La si fa si la do ré Récit d’eau Ré si do Récit las Ré si la Fado Fa do L’âme, île amie La mi la mi S’y mire effarée Si mi ré fa ré […]
34 ▲ Jeux verbaux et créations verbales
S oit que des mots se mélangent aux notes : ● Do ré mi Do-do rémi Sol da rémi J’ai dit dodo. Demain la-mi Do-ré la vie, le sol-o-si. Si-non ré-mi, Do-si joli ré-si, fini. Compris ! (Z. Karim) À l’inverse, les mots peuvent renvoyer à des notes. À preuve ce début d’histoire : en tenant compte des liaisons, toutes les syllabes correspondent à des notes de musique lues : ● Miss Solarey L’art est facile à Rémi. Sis, mille amis soldent au domicile adoré : Mini, Lassie, Larrey Lamy, Miss Solarey, l’ado (majeur), l’Afar émir et l’adoré lad O’Farrell assis. La femme Isolde Olah, l’amie d’Olaf Hassi, soldent aussi là. La femme hilare émit : « Récit adoré ! Rémi s’y mire effaré ? (P. Beaudry) V. Alphabet parlant. Chiffres parlants.
9. L’homonymie explicite – Elle avait un port de reine évidemment et dans son vrai port de reine, une centaine de navires flottaient, n’attendant que son signal pour lever l’ancre. (R. Soulières) L’auteur allie deux mots ayant la même orthographe et la même prononciation : port « allure, maintien » et port « abri pour recevoir des navires ». L’homonymie explicite est le rapprochement d’au moins deux mots de graphie et de prononciation identiques mais de sens nettement différents, à savoir des homonymes : – Le courant ne passait plus. EDF arrive en courant, me met au courant du problème, me remet le courant. Et tout ça avec le sourire, c’est pas courant. (Publicité) Le mot courant est tantôt un nom (le courant, met au courant), tantôt une forme verbale (en courant), tantôt un adjectif (c’est pas courant). Dans homonyme et homonymie, homo signifie « le même » et onoma, « nom ».
Prononciations identiques ou semblables ▼ 35
Précisions 1. Quels sont les éléments qu’on rapproche pour créer une homonymie explicite ? A u moins deux mots – Ces mots peuvent appartenir à la même classe grammaticale, notamment des noms : ● Sénat : endroit où on sont payées de grosses sommes pour faire des petits sommes. (M. Lauzière) ● Monsieur le duc tient à être tout à fait à la page, dit le page. (R. Queneau) – Ces mots peuvent faire partie de classes grammaticales différentes. L’exemple suivant illustre la combinaison de la forme verbale rue et du nom rue ; ● Je me rue dans la rue. (F. Dard) – Un mot et un pronom qui renvoie à un autre homonyme : ● Si cette voiture fut louée (Dieu le soit aussi). [= Dieu soit loué aussi.] [Présence de louée « donnée en location » et, indirectement, de loué « glorifié ».] – Un nom commun et un nom propre : ● achille talon, au fleuriste :… Non, non. Je le livre moi-même [ce bouquet]. Vous comprenez, je fête une circonstance… Le fleuriste : Madame Circonstance a bien de la chance : monsieur sait vivre ! (Greg) U n mot et la composante finale d’un nombre : ● Du neuf au 609. Votre programmation locale maintenant disponible à la chaîne 609. (Publicité) Note. L’homonymie explicite s’apparente à l’antanaclase* avec laquelle le profane la confond parfois. En poésie, un homonyme peut rimer avec un autre. V. La rime pour l’œil et pour l’oreille.
10. L’homonymie implicite – Il n’y a que les crayons que l’on puisse juger sur la mine sans trop risquer de se tromper. (L. Bourliaguet) Le jeu verbal repose ici sur l’association de deux homonymes : mine dans le sens d’« apparence » et mine dans celui de « partie centrale d’un crayon ». L’homonymie implicite est l’association d’un mot avec un autre de prononciation et d’orthographe identiques, absent de la phrase :
36 ▲ Jeux verbaux et créations verbales
– On dit d’un accusé qu’il est cuit quand son avocat n’est pas cru. (P. Dac) Dans ce contraste, cru associe deux mots : le participe passé du verbe croire et l’adjectif cru dans le sens de « qui n’est pas cuit ». L’homonymie suivante, elle, repose sur l’identité de forme des verbes voir et visser au subjonctif imparfait : – Docteur, ma femme est clouée au lit, je voudrais que vous la vissiez !
Précisions 1. Quels sont les éléments qu’on remplace pour créer une homophonie implicite ? L ’équivoque peut reposer sur des homonymes de genres différents (le mousse et la mousse, par exemple) : ● Pendant la guerre, on a pillé sa bibliothèque : il a maigri de plusieurs livres. [La présence de bibliothèque nous oriente vers le mot masculin livres dans le sens d’« ouvrages », celle de a maigri fait penser au mot féminin livres référant au poids.] ● Simbad, ayant levé les voiles, désespéra les jeunes filles de Bagdad. […] Le conservateur du musée de Soissons, curant les fossés de sa ville, disparut sous les vases. […] (J.-L. Doutrelant) [Le contexte fait hésiter entre le voile et la voile, entre le vase et la vase.] L es mots associés peuvent faire partie de classes grammaticales différentes, tels le nom cloche et l’une des formes du verbe clocher (« aller de travers ») ; tels le nom enceinte (acoustique) et l’adjectif enceinte (« en état de grossesse) : ● Dans chaque église, il y a toujours quelque chose qui cloche. (J. Prévert) ● Publicité de haut-parleurs : J’aime savoir ce que mes enceintes ont dans le ventre. Q ue la majuscule soit présente ou absente, le procédé permet la rencontre d’un nom commun et d’un nom propre ou d’un titre d’ouvrage : ● Le lundi, je suis comme Robinson Crusoé : j’attends Vendredi. ● La charcutière adore la peinture du dix-neuvième siècle, avec une faiblesse pour le peintre Eugène Boudin. (J.-L. Fournier) [C’est la présence de charcutière qui nous oriente vers le nom commun boudin désignant un aliment.] ● Madame Marx, vous êtes sans doute venue ici avec l’intention de vous faire un petit capital. [Karl Marx a écrit « Le Capital ».]
Prononciations identiques ou semblables ▼ 37
O n peut même associer un adjectif et nom propre : ● Un inconnu : Messieurs, sauvez-moi ! Je suis hagard ! Achille Talon, soulevant son chapeau : Heu… Excellente famille, qui vous honore. (Greg) ● J’ai rencontré Isocèle : il a une idée pour un nouveau triangle. (W. Allen) Note. L’homonymie implicite s’apparente au double-sens* avec lequel on la confond parfois. V. Calembour. Homographie implicite. Double sens.
MOTS DE PRONONCIATIONS SEMBLABLES
1. La paronymie explicite Syn. La paronomase – Slogan publicitaire : Le Mexique, ça m’excite. Seule la sonorité finale distingue Mexique, prononcé [mɛksik] de m’excite, prononcé [mɛksit]. Appelons paronymie explicite le rapprochement de mots de formes voisines mais de sens différents, à savoir des paronymes : – Le décor vous séduit. Nos pâtes vous épatent ! (Publicité) – Avant l’âge mûr, on voit double. Après, on voit trouble. (J. Rivoire) Il arrive que, par méconnaissance de la langue ou par astuce, une réplique contienne un mot qui ressemble à un autre : – Bélise : Veux-tu toute ta vie offenser la grammaire ? Martine : Qui parle d’offenser grand’mère ni grand-père ? (Molière) Paronymie, paronyme et paronomase viennent de mots grecs formés de para « à côté » et de onoma « nom ».
Précisions 1. Quels sont les éléments qu’on rapproche pour créer une paronomase explicite ? D es mots français : ● Dès que les sourcils poussent, les soucis viennent. (J. Renard) U n mot français avec un autre d’origine étrangère : ● Grant’s. La tentation est grande. (Publicité)
38 ▲ Jeux verbaux et créations verbales
U n nom commun avec un nom propre (ou un nom de marque) : ● Voyager sans Gravol, c’est grave ! (Publicité) U n mot et un groupe de mots : – En réunissant plusieurs mots en un seul : ● Être ange, c’est étrange ! (J. Prévert) ● Un duc de Guise qui se déguise en bec de gaz. (J. Prévert) – En découpant un mot en plusieurs : ● J’étais fidèle car j’étais fou d’elle. (D. Blondin) ● Il n’a rien du conquistador mais tout du con qui s’adore. (J.-P. Coallier) D eux groupes de mots : ● Tu me dis, la baignoire fait des vagues et des nuages d’écume. Je te réponds, l’abbé noir arrive à pas de loup dans la brume. (A-M. Derèse) L ’accumulation de paronymes : ● « Sade » Des outrages/ D’un autre âge Des chéries/ Déchirées… Allergie/ À l’orgie ? Vous n’aimez pas Sade / N’en dégoûtez pas / Les hôtes ! (R. Bacri)
2. Sur quoi reposent les différences de prononciations entre les mots de formes voisines ? S ur une voyelle ou une consonne, souvent dans la même position : ● Il ne faut pas céder face au cancer, il faut s’aider. (Publicité) [sede] vs [sɛde] ● Je ne lis rien de peur de trouver des choses bien. (J. Renard) [ʀjɛ̃] vs [bjɛ̃] Dans ce cas, à l’oral, le procédé se confond avec le métaphone explicite*. S ur un son en plus ou en moins : ● La science au service des sens (Publicité) [sjɑ̃s] vs [sɑ̃s] ● Chiclets. L’effet que tu me fais. (Publicité) [efɛ] vs [fɛ]. S ur une syllabe : ● Qui s’excuse s’accuse. S ur une syllabe en plus ou en moins : ● Gréements et agréments du corps féminin selon Bernard Buffet. (Titre)
Prononciations identiques ou semblables ▼ 39
S ur plusieurs syllabes, les mots rapprochés comptant très souvent le même nombre de syllabes : ● Quand un centre d’équitation devient un centre d’éducation. (Titre) V. Contre-assonance. Métagramme. Métaphone. Lettre en plus ou en moins. Rime semi-équivoquée.
2. La paronymie implicite Syn. L’à-peu-près – Slogan vantant une bière mexicaine : La Corona Extra. Ça Mexique. Le public visé par cette publicité a tout de suite rétabli les termes évoqués, à savoir m’excite, dont la prononciation est très proche du nom Mexique. La différence repose uniquement sur les sonorités finales : le son-consonne [t] dans m’excite et le son-consonne [k] dans Mexique. Le procédé s’appuie donc sur des mots de formes voisines mais de sens nettement différents, à savoir des paronymes. Appelons paronymie implicite le remplacement d’un élément par un autre de forme semblable pour aboutir à une signification double : – L’ennui porte conseil. (G. Cesbron) [La nuit] – La parole est d’argent, mais le silence endort. (Y. Mirande) [est d’or] – Y en a qui disent waff le fier monde ça compte pas… (Sol) [Tiers-Monde] La paronymie découle parfois d’une addition de mots (ou insertion lexicale*) : – Son manteau royal au collet d’hermine blanche tacheté (en spécial) de noir avait des reflets bleus. (R. Soulières) [tacheté de noir vs acheté en spécial]
Précisions 1. Quels sont les éléments qu’on remplace pour créer une paronomase explicite ? U n mot français par un mot français : ● Surpris en flagrant délices (Publicité) [délit] U n mot français par un mot d’origine étrangère ● Shell que j’aime. Aide-toi, Shell t’aidera. (Publicité) [celle… le ciel…] U n mot d’origine étrangère par un mot français : ● Un vieux rat rencontre une petite taupe. Curieux, il lui demande : — Que veux-tu faire plus tard, ma petite ? — Taupe-modèle ! [Top] U n mot français par un nombre ou une fraction : ● Slogan visant à faire voir l’importance des quatre groupes d’aliments : Mettez les 4 sur table. [cartes]
40 ▲ Jeux verbaux et créations verbales
● Mathématiques : ce qui est problématique, c’est de retrouver 1/3 sur
le 1/4 de sa 1/2. [un tiers sur le corps de sa moitié]
U n nom commun par un nom propre : ● Ayez de la Suisse dans les idées. (Publicité) [suite] U n mot par un groupe de mots, français ou étranger : ● Je parlerais avec les mains comme ça, comme un prestige agitateur. (Sol) [prestidigitateur] ● En Angleterre : « Je suis en congé de ma lady… » (J.-P. Grousset) [maladie] n groupe de mots par un mot : U ● En cas de naufrage : « Chaloupe à tous les coups ! » (J.-P. Grousset) [Ça loupe] U n groupe de mots par un autre : ● Qui trop embrasse manque le train (Titre) [mal étreint] ● Errer comme un âne en plaine. (V. Hugo) [âme en peine] U n groupe de mots par un nom propre, qu’il corresponde à un personnage réel ou fictif : ● Par peur du Gandhi Raton, tout le monde s’était converti au bouddhisme. (B. Vian) [qu’en dira-t-on] Note. Les résultats du métagramme* et du métaphone implicites*, de la lettre en plus ou en moins* et des lettres interverties* s’apparentent souvent à ceux de la paronymie implicite. V. Calembour. Allographe. Création paronymique. Barbarisme de forme.
3. La rime semi-équivoquée – Fatigués de devoir encaisser tes tas de salades [salad] Plein de gars veulent te serrer et t’emmener en balade [balad] (Après la fête de Rap Genius sur « Arts Martiens ») Seule la consonne initiale distingue les deux mots qui riment, de sorte qu’on peut les considérer comme des paronymes. La rime semi-équivoquée associe deux mots (ou un mot et un groupe de mots) qui ont presque la même prononciation : – Viens donc près de moi ma compagne [kɔ̃paŋ] Nous nous perdrons dans la campagne. [kɑ̃paŋ] (P. Altreyf) – Contre un public ignare, on pousse des cris vains [dekrivɛ̃] Il faut de sots lecteurs à des sots écrivains. [zekrivɛ̃] (T. de Banville)
Note. Ce type de rime est une forme de paronymie explicite*. V. Métagramme explicite. Métaphone explicite. Rime équivoquée.
Prononciations identiques ou semblables ▼ 41
4. L’allographe Syn. Le langage cuit. La traduction paronymique – À la farce du poids niais. Greg a créé ce titre d’album d’Achille Talon en modifiant l’expression à la force du poignet au moyen de mots qui en conservent, en partie, la matière sonore. L’allographe (n. m.) est la phrase (ou le texte) où l’on a remplacé la plupart des mots par d’autres, de sonorités généralement apparentées, parfois identiques. De là, des significations nouvelles, souvent bizarres : – Orage, eau des espoirs […] (G. Hugnet) Sans doute avez-vous reconnu le célèbre « Ô rage, ô désespoir » de Corneille. Ici encore l’allusion* est au rendez-vous. Voici le début du « Pater Noster » de Robert Desnos, l’inventeur du procédé : – Notre paire quiète, ô yeux ! [Notre père qui êtes aux cieux] Que votre « non » soit sang (t’y fier ?) [Que votre nom soit sanctifié] Que votre araignée rie […] [Que votre règne arrive] Allographe vient de allos « autre » et graphein « écrire ».
Précisions 1. Quels sont les éléments qu’on remplace pour produire un allographe ? D es mots de même prononciation (des homophones) : ● La rue meurt de la mer. Île, faite en corps noirs. (J. Cocteau) [La rumeur de la mer. Il fait encore noir.] ● Sceaux d’hommes égaux morts/ Seaux d’eau, mégots morts. (J. Prévert) [Transcriptions de Sodome et Gomorrhe.] D es mots de prononciations plus ou moins rapprochées (des paronymes) : ● Tant va le cachalot que le dauphin se lasse. (Nik-Nouk) [Tant va la cruche à l’eau qu’à la fin elle se casse.] ● Le moujik adoucit les morses. [La musique adoucit les mœurs.] ● O ris cocher des flots ! Auric, hochet des flots au ricochet des flots. (R. Desnos) [Il est question de Georges Auric.] À la fois des mots de même prononciation et de prononciations rapprochées : ● Les mûres ont des abeilles. (A. Frédérique) [Les murs ont des oreilles.] L’allographe d’un vers ou d’un texte en langue étrangère est également possible. Ainsi, Marcel Benanou a fait une traduction sonore approximative du titre (et premier vers) d’un poème de John Keats :
42 ▲ Jeux verbaux et créations verbales
● A thing of beauty is a joy for ever / Ah ! Singe débotté, hisse un jouet
fort et vert. Et le livre de Luis d’Antin van Rooten, Mots d’heures : gousses, rames est la traduction paronymique de Mother Goose Rhymes. V. Paronymie implicite. Traduction fantaisiste. Proverbe retouché.
5. L’épelure Syn. L’épellation – ROCHE : Héros, c’est haché. (R. Droin) L’auteur a produit une courte phrase à partir d’un seul mot. Pour y arriver, il a reproduit la prononciation des lettres constituant le mot en question. L’épelure (n. f.) consiste à épeler successivement chacune des lettres formant un mot, pour former d’autres mots constituant une phrase dont le sens peut parfois paraître étrange : – ÉCOT : Et c’est ôté. (R. Droin) – MARI : Aima et rit. (J-P. Colignon) – CRIC : S’est hérissé. (J-P. Colignon) – CHAÎNE : C’est hache haie et nœud. (M. Leiris) – CHEVAL : C’est achevé à ailes. [au sujet de Pégase]
V. Alphabet parlant.
6. La dérivation explicite – Il ne faut jamais remettre au lendemain ce qu’on peut faire le surlendemain ; sinon on serait un jour en avance. (L. Campion) L’auteur appuie son trait d’esprit sur un mot et son dérivé. La dérivation explicite est le rapprochement d’au moins deux mots faisant partie de la même famille et dont généralement l’un dérive de l’autre : – Le chevalier était estomaqué et avait l’estomac vide. (R. Soulières) – Ne prenez jamais la vie trop au sérieux : de toute façon, vous n’en sortirez pas vivant. (E. Hubbard) – Rien ne prédispose davantage à l’aspect pensif que l’absence totale de pensée. (P. Dac) La dérivation peut naître d’une réplique : — Votre visage doit faire tourner quelques têtes ? — Et le vôtre doit retourner quelques estomacs !
Prononciations identiques ou semblables ▼ 43
Précisions 1. Quels sont les éléments qu’on rapproche pour produire une dérivation explicite ? D es mots ayant une base commune (un même radical) facilement identifiable : ● La principale règle du face-à-face politique, c’est de traiter de menteur celui à qui l’on ment. (Coluche) ● Quand on porta aux Invalides Les cendres de Napoléon Premier On s’aperçut – c’est trop stupide Qu’il n’y avait pas de cendrier ! (T. Bernard) ● Sur une épitaphe : Ma mère m’a porté La vie m’a supporté La mort m’a emporté. (Jicka) D es mots dont la base commune est identifiable à la condition de connaître leur origine commune, le latin, par exemple : ● La différence entre le journalisme et la littérature, c’est que le journalisme est illisible et que la littérature n’est pas lue. (O. Wilde) ● Juriste. Personnage apte à trouver dans la loi ce que le législateur n’y avait pas mis. (J. Rivoire) La dérivation explicite est à la source de réalisations moins courantes : O n s’arrange pour qu’une phrase contienne les dérivations de deux mots : ● Bêtise humaine. « Humaine » est de trop : il n’y a que les hommes qui soient bêtes. (J. Renard) A u moyen de la parenthèse, on isole une partie d’un mot, ce qui permet la lecture simultanée d’un mot et de son dérivé : ● Cela devient pour certains un mode de (sur) vie, comme si leur devise était : « Je dépense, donc je suis ». (R. Bernier) O n rapproche des mots de même radical, et l’un de ces mots transmet deux contenus, ce qui correspond à un double-sens* : ● Dis-moi, papa, si la terre est ronde, pourquoi, curieusement, ne tournet-elle pas rondement ? ● Je vois, je vois, dit le concessionnaire, nullement porté sur les concessions. (R. Soulières) O n fait rimer des mots de même famille. C’est la rime dérivative : les mots à la racine identique sont placés en finale de vers ou, dans le cas de la rime renforcée*, en finale de vers et à mi-parcours :
44 ▲ Jeux verbaux et créations verbales
● Éloigne-toi, cœur infâme
Qui sans cesse me diffame. (P. Altreyf)
● Chacun doit regarder selon droit de nature
Son bien propre garder ou trop se dénature (G. Dubois, dit Crétin) Note. À ne pas confondre avec le polyptote* où se côtoient deux formes du même mot.
7. La dérivation implicite – Les bons comptables font les bons amis. À la place de comptes, le terme attendu, on trouve comptable, qui partage, avec le premier, une base commune. La dérivation implicite est le remplacement d’un mot par un autre ayant la même base ou tout au moins une origine (latine) commune : – J’ai des ongles réincarnés (dixit un mystique). (Croc) [incarnés] – Il n’y a pas de fumeur sans feu. (José Artur) [fumée] – Qu’est-ce que la mort ? Un mauvais moment à trépasser. (C. Aveline) [passer] – Parking – Endroit où, plus souvent qu’autrement, on égare sa voiture. (D. Lessard) [gare] Note. À ne pas confondre avec la dérivation*, procédé de création de mot.
V. Substitution lexicale.
8. Le métaphone explicite – Par grand vent, il va par monts et par vaux, ni vu ni connu ; or moi, je vous vis buvant du vin au grand jour. En français, il n’y a que cinq voyelles graphiques (a, e, i, o, u), mais seize voyelles prononcées. C’est ainsi qu’à partir du mot vent (transcrit [vɑ̃]) des substitutions de voyelles ont permis la suite va [va], vaux [vo], vu [vy], vous [vu], vis [vi] et vin [vɛ̃], ces mots entrant dans la composition d’une phrase. Nommons métaphone explicite le changement d’un des sons formant un mot de base pour former un ou plusieurs autres mots, pour ensuite les rapprocher : – Faux marbre fou d’ambre et d’ombre (J. Cocteau) [fo] [fu] [ɑ̃bʀ] [ɔ̃bʀ] Métaphone est formé de méta- « transformation » et de -phonê « son » (sur le modèle de métagramme, où gramma signifie « lettre »).
Prononciations identiques ou semblables ▼ 45
Précisions Pour passer d’un mot à un autre, on ne remplace qu’un son qui occupe toujours le même rang : ● Pour combler les foules folles de Fous de Dali… [ful] [fɔl] ● Il a toujours ajouté une touche d’humour à ses lettres d’amour. [ymuʀ] [amuʀ] On peut aussi considérer le métaphone comme exercice proposant un problème à résoudre. Par exemple : relier le mot coche au mot route en remplaçant un seul son à la fois, consonne ou voyelle. Solution possible : coche, moche, mouche, moule, roule, route. D’où la possibilité de composer avec ces mots une phrase, plutôt curieuse sans être insensée : ● Dans un coche plutôt moche prend place Monsieur Laroche, une fine mouche qui se délecte d’une moule alors qu’il roule sur une route panoramique. Note. S’il y a une correspondance parfaite entre les sons et les lettres, le métaphone et le métagramme explicite* se confondent. Toutefois, le métaphone se réalise à l’oral, le métagramme, à l’écrit. V. Contre-assonance. Paronymie explicite.
9. Le métaphone implicite Syn. Un son pour un autre – Parce que mon père a fait toutes les guerres en tant que clairon. D’ailleurs, pour mon père, la guerre, c’était une belle sonnerie… (R. Devos) Dans son monologue intitulé « Le Clairon », il a suffi à l’humoriste de changer le son-consonne [k] par le son-consonne [s] pour passer de connerie [kɔnʀi] à sonnerie [sɔnʀi]. Appelons métaphone implicite le changement d’un son entrant dans la composition d’un mot pour former un autre mot qui se substitue au premier : – Douze belles dans la peau. (S. Gainsbourg) (balles) [bɛl] [bal] Pour qu’un mot en évoque un autre identique à un son près, on remplace soit un son-voyelle, soit un son-consonne, quelle que soit sa position dans le mot : – Il n’a pas inventé le bouchon à quatre trous ! (bouton) [buʃɔ̃] [butɔ̃] – Les hommes de l’âge de bière vivaient dans des tavernes. (pierre… cavernes) [bjɛʀ] [tavɛʀn] [pjɛʀ]… [kavɛʀn] – Si tu venais à tomber salade, qui donc te repasserait ton singe ? (Pef) (malade… linge) [salad] [sɛ̃ʒ] [malad] [lɛ̃ʒ] Note. En cas de concordance entre la prononciation et la graphie des mots, métaphone et métagramme implicite* paraissent se confondre. En fait, on entend un métaphone, on lit un métagramme.
V. Paronymie implicite.
Chapitre 2
Répétitions de sons
Retours de sons dans des suites de mots On répète volontairement au moins une consonne : l’allitération On répète volontairement au moins une voyelle : l’assonance On favorise des retours sonores en relation étroite avec le sens : l’harmonie imitative ou suggestive On favorise des retours sonores désagréables à l’oreille : la cacophonie voulue On favorise des retours sonores présentant des difficultés de prononciation : le virelangue Les retours de sons se font dans le même ordre : la symétrie sonore Des sons reviennent mais en se croisant : le croisement sonore
Retours de groupes de sons dans des mots à distance On favorise des retours de voyelles et de consonnes, généralement en fin de vers : la rime On favorise des retours de voyelles sans les consonnes : l’assonance de fin de vers On favorise des retours de consonnes sans les voyelles : la contre-assonance Des sonorités identiques reviennent vers après vers : la rime unique On exploite diverses formes d’enrichissement de rimes à l’intérieur d’un vers – La fin d’un vers rime avec l’hémistiche du même vers : le vers léonin – La fin d’un vers rime avec l’hémistiche du vers suivant : la rime batelée – Les hémistiches de vers successifs riment ensemble : la rime renforcée
48 ▲ Jeux verbaux et créations verbales
Retours de groupes de sons dans des mots en contact En poésie, on favorise l’enrichissement de rimes au moyen d’enchaînements Ces enchaînements de rimes se produisent à la fin de vers – La rime se répète une fois : la rime double – La rime se répète deux fois : la rime triple Ces enchaînements de rimes se produisent à la fin d’un vers et au début du vers suivant – La rime forme un mot constituant à lui seul le vers suivant : le vers en écho – La rime forme la première syllabe ou le premier mot du vers suivant : la rime annexée – Un mot en fin de vers rime avec un groupe de mots placé au début du vers suivant : la rime fratrisée – La rime est formée de la syllabe d’un mot complété au début du vers suivant : la rime enjambée En prose, on favorise des retours de syllabes dans des mots en contact ou rapprochés Des retours de syllabes finales – La même sonorité revient une fois : l’écho – La même sonorité revient à plusieurs reprises : l’homéotéleute – Le retour de sonorités se fait au moyen d’enchaînements : la kyrielle syllabique Des retours de syllabes initiales : l’homéotéleute inverse
Répétitions de sons ▼ 49
RETOURS DE SONS DANS DES SUITES DE MOTS
1. L’allitération Syn. La répétition de consonne – Publicité d’un dentifrice : Crest… conçu exprès pour combattre la carie. On remarque sans peine le retour des sons-consonnes [k] et [r]. Elles entrent dans la formation de la marque ainsi que des mots combattre et carie. L’allitération (n.f.) est la répétition recherchée d’au moins un son-consonne, souvent à l’initiale, dans une suite de mots rapprochés : – Le filou fou, fêlé, fouine, fouille, trouve la faille. (MC Solaar) – […] il tripotait en tremblant la troubeille de porto. (R. Queneau) L’allitération est un phénomène sonore et non graphique. Voyons un titre de presse où il était question de skieuses cumulant les victoires : – Les Suissesses sont insatiables. Le son [s] se présente sous la forme de « s » de « ss » et de « t ». Par contre, le « s » est muet en tant que marque du pluriel. Ici, par exception, le retour de la lettre « s » (donc la dimension visuelle) peut évoquer les courses sinueuses que sont les slaloms. Allitération est formé du préfixe latin ad- « vers », et de littera « lettre »
Précisions L’allitération s’accompagne souvent du retour d’une ou deux voyelles (une assonance*) : ● Au lieu d’être coquets de vos cocoricos, Vous rêviez d’être, ô Coqs ! de drôles de cocos ! […] (E. Rostand) ● Allez, ne faites pas de chichi, ni de cha cha cha, ni de chihuahua et acceptez. (R. Soulières) Les consonnes répétées sont tantôt identiques, tantôt apparentées. Ainsi, dans la publicité suivante, les consonnes [b] et [m] ont quelque chose en commun : elles s’articulent en pressant les lèvres l’une contre l’autre (ce sont des bilabiales) : ● Je me sens belle. Camy met en beauté. Ce qui les distingue, c’est l’absence ou la présence de la nasalité : [b] est une consonne orale, [m] est une consonne nasale. On rencontre des cas de monoconsonantisme (mono- signifie « unique »), à savoir l’emploi d’une seule consonne : ● Didon, dindon dodu (Titre)
50 ▲ Jeux verbaux et créations verbales
D’autres réalisations n’en sont pas loin : ● Kiki la coquette cocotte voulait un caraco kaki à col de caracul […] Souvent, le retour de consonnes (et de voyelles) s’amalgame avec divers phénomènes étudiés ailleurs. Parmi eux, le rapprochement de mots de formes voisines (paronymie explicite*) ou de même famille (dérivation explicite*) : ● Dingue (endigue donc son dig ding dong !) (M. Leiris) ● Je r’commence à m’aimer, mon amour. (M. Drouin) V. Virelangue. Cacophonie. Harmonie imitative ou suggestive. Tauto gramme. Lettre imposée.
2. L’assonance Syn. La répétition de voyelle – Banco. Plus de numéros qu’il n’en faut ! (Publicité) Le retour du son-voyelle [o] (orthographié « o » et « au ») est évident. L’assonance (n.f.) est la répétition recherchée d’au moins un son-voyelle, peu importe sa position, dans une suite de mots rapprochés : – Si, si, si ! Un petit achat rigolo et vous pourriez gagner l’Italie subito presto ! (Publicité) L’assonance concerne les sonorités et non les lettres qui les représentent. Ainsi, dans l’exemple suivant, le son-voyelle [a] revêt la forme « a » dans Ma Corsa et « oi » dans moi : – Publicité d’une voiture : Ma Corsa c’est tout moi ! Assonance tire son origine du mot latin assonare qui signifie « répondre en écho ».
Précisions Les séquences qui affichent en même temps une assonance et une répétition évidente de consonne (allitération*) ne manquent pas : ● Urbain le malin lutin (Conte) (Voyelle [ɛ̃] et consonne [l)) ● Sale casse à Caracas (Titre) (Voyelle [a] et consonne [s] et [k]) On rencontre des cas de monovocalisme (mono- veut dire « unique »), à savoir la présence d’un seul son-voyelle, parfois à une voyelle près : ● Son son est bon. (Publicité) (Retour de [ɔ̃]) ● La boule rouge bouge et roule. (R. Desnos) (Retour de [u] orthographié « ou ») ● Contre-culture. Goulot, coco, hosto. (P. Coppens) [Allusion à Métro, boulot, dodo.] Des répétitions de mots accompagent souvent l’assonance : ● Du pain, du vin, du Boursin. (Publicité) ● Si Pacini ! Si italien à si bon prix. (Publicité)
Répétitions de sons ▼ 51
Soyez attentif au nombre des syllabes, souvent identique des séquences (isosyllabisme*) : ● Une auto sans bobos, / c’est bien plus écolo. (Publicité) [6 syll. /6 syll.] Enfin, prêtez attention aussi aux parallélismes* : des positions comparables soulignent les identités sonores : ● Un seul vœu, c’est trop peu ; deux, c’est bien mieux. (Carte d’anniversaire) V. Assonance de fin de vers. Lettre imposée.
3. L’harmonie imitative ou suggestive – Le croquant d’un craquelin. Le goût du pain croustillant. Toute la famille raffolera de Croustipain. (Publicité) Les sonorités de certains mots rappellent le bruit caractéristique entendu quand on croque un craquelin, ce « biscuit dur qui craque sous la dent ». Il y a harmonie imitative ou, à tout le moins, suggestive quand on s’efforce d’imiter ou d’évoquer la réalité dont il est question au moyen d’une répétition de sons : – Et sous ses pieds, de petites plaques de glace craquelée s’écrasaient en crépitant. (B. Vian)
Précisions C’est le retour d’une ou de plusieurs consonnes (allitération*) qui semble le plus apte à remplir ce rôle : ● De puissants transistors tonitruent, triturant les trottoirs. (R. Queneau) Toutefois il n’est pas rare que les consonnes répétées soient accompagnées d’un retour de voyelles (assonance*). Ci-après, le retour des consonnes [m] et [r] et celui des voyelles [ɔ̃] et [y] (qui s’écrivent respectivement « on » et « u » ou « û ») font penser au bourdonnement des guêpes : ● Murmurons sur les mûres ; Entourons les mûrons de nos ronds de murmures. (E. Rostand) Deux mises en garde concernant la dénomination harmonie imitative. D’abord, loin de servir à imiter un bruit naturel (comme le font certaines onomatopées*), les sonorités ont plutôt une fonction d’évocation ou de suggestion : ● À écouter leurs pas lourds, sur le pavé gras, à les voir passer pesamment entre leurs boutiques… (A. Camus) Ensuite, en pareil contexte, le mot harmonie est trompeur. Il n’implique pas nécessairement la recherche de sonorités agréables à l’oreille, à savoir l’euphonie (de eu- « bien » et phônê « son »). En effet, l’évocation du réel peut
52 ▲ Jeux verbaux et créations verbales
venir d’une rencontre désagréable de sons, une sorte de cacophonie*. Si, malgré tout, on parle ici d’harmonie, c’est en raison d’une adéquation de la matière sonore avec le sens.
4. La cacophonie voulue – Vacant jusqu’à quand ? De façon délibérée, le créateur de ce titre de presse a favorisé une rencontre désagréable de sons. La cacophonie voulue, c’est la rencontre intentionnelle de plusieurs mots dont les sons produisent un effet déplaisant : – Titre d’un album d’Achille Talon : Le niais nie que yéti y est (Greg) Cacophonie vient d’un mot grec qui signifie « son désagréable » (de kakos « mauvais » et phônê « son »).
Précisions C’est le retour d’une ou deux consonnes (allitération*), parfois accompagnées du retour d’une voyelle (assonance*), qui permet de produire pareil résultat : ● Cet étang était pourtant tentant. (consonne [t] et voyelle [ɑ̃]) Parfois une seule consonne est présente (monoconsonantisme*), tel le [s] dans la suggestion suivante : ● Cacophonie : Cessons ces sons insensés. L’effet déplaisant est souvent dû au retour d’une syllabe au début du mot suivant ou à l’initiale de plusieurs mots successifs, ce qu’en terme savant on nomme paréchème : ● Vous pouvez vous vouvoyer. ● Il fallait qu’entre nous nous nous nourissions. Note. Cacophonie s’oppose à euphonie, qui désigne un agencement agréable de sons. V. Virelangue. Tautogramme. Harmonie imitative ou suggestive.
5. Le virelangue Syn. Le fourchelangue. Le trompe-oreilles – La duchesse mit ses chaussettes à sécher sur une souche sèche. Il est très difficile de prononcer cette phrase le moindrement vite, surtout à plusieurs reprises. C’est que, pour l’essentiel, elle est construite à partir des consonnes [s] et [ʃ] (cette dernière correspondant à « ch ») dont les réalisations diffèrent peu, leurs points d’articulation étant très rapprochés.
Répétitions de sons ▼ 53
Le virelangue est une suite de sons présentant des difficultés de prononciation qui risquent de faire virer ou fourcher la langue quand on les prononce rapidement : – Si six scies scient six cigares, six cent six scies scient six cent six cigares. – Si mon tonton tond ton tonton, ton tonton tondu sera. On l’a compris : le virelange est une performance extrême de l’allitération*.
Précisions Certains virelangues sont produits par le retour d’une seule consonne (monoconsonantisme) : ● Didon dîna, dit-on, du dos dodu d’un dodu dindon. ● Ces six sangsues-ci sont sur son sein sans sucer son sang ; ces six sangsues-ci sont sans succès. ● Tata, ton thé t’a-t-il ôté ta toux ? D’autres sont issus d’interversions de syllabes ou de mots : ● Monsieur de Coutufon disait à Madame de Foncoutu qu’il n’y a pas plus loin de Foncoutu à Coutufon que Coutufon à Foncoutu. ● Un plein banc de blancs pains, un banc plein de pains blancs. Prononcés rapidement et plusieurs fois de suite, quelques virelangues risquent d’aboutir à un énoncé indécent. Essayez d’échapper au piège : ● Si fûts, six caisses, la main entre les caisses, le doigt dans le trou du fût. Histoire d’amuser son public, rien n’empêche un conteur ou un romancier d’insérer ce type de difficulté au sein d’une phrase : ● – Hé bien ! Ma petit dame, s’exclame Giuseppe dans une forme splendide, si chez les Sansouci, le saucisson est soixante-six sous de moins, c’est sûr qu’ils n’en ont plus… (R. Soulières) De leur côté, les publicitaires s’inspirent de virelangues pour créer des slogans : ● Saucisse sèche, sans savoir sécher. ● André, le chausseur sachant chausser. ● Mercury Cougar : Sachez chasser ce chat. Outre les répétitions de sons et de mots qui reviennent tels quels, on exploite aussi diverses formes d’un verbe (polyptote*) ou plusieurs mots de la même famille (dérivation explicite*) : ● Ton tas de riz tenta le rat. Le rat tenté, le riz tâta ! Tas de riz, tas de rats. Tas de riz tentant, tas de rats tentés. Tas de rats tentés tâta tas de riz tentant ! ● Quand un cordier veut sa corde accorder Pour sa corde accorder, trois cordons il accorde
54 ▲ Jeux verbaux et créations verbales
Mais si l’un des cordons de sa corde décorde Le cordon décordant fait décorder la corde. V. Tautogramme. Cacophonie.
6. La symétrie sonore Syn. Le parallélisme sonore – Le ticket du toqué. (R. le Cordier) Dans ce titre d’un poème, les sons-consonnes [t] et [k] apparaissent dans un ordre identique. Il y a symétrie sonore quand des sons répétés, voyelles ou consonnes, apparaissent dans le même ordre : – Livre de Coluche : Ça roule, ma poule. (Voyelles [a] [u] / [a] [u]) [2 syll. / 2 syll.] – Publicité pour des glaces : Gervais j’en veux ! (Consonnes [ʒ] [v] / [ʒ] [v]) [2 syll. / 2 syll.] Généralement, les segments où apparaissent les sons concernés comptent le même nombre de syllabes (= isosyllabisme).
Précisions Une phrase peut afficher simultanément un parallélisme de consonnes et de voyelles : ● Ta Kathy t’a quitté après l’hécatombe des Catons. (B. Lapointe) – Les consonnes répétées dans Ta Kathy t’a quitté adoptent le même ordre : [t] [k] [t]. – Les consonnes répétées dans l’hécatombe des Catons adoptent le même ordre : [k] [t]. – Les voyelles répétées dans Ta Kathy t’a quitté adoptent le même ordre : [a] [i]. – Les voyelles répétées dans l’hécatombe des Catons adoptent le même ordre : [a] [ɔ̃]. Par ailleurs une phrase peut présenter à la fois une symétrie sonore et un croisement sonore* : ● Petite annonce fictive : Vend canapé clic-clac, montre Flic-Flac, horloge tic-tac et cristal Lalique. – Clic-clac, Flic-Flac et tic-tac affichent la symétrie vocalique [i] [a]. – Dans cristal Lalique, les mêmes voyelles se croisent : [i] [a] vs [a] [i]. V. Allitération. Assonance. Croisement sonore.
Répétitions de sons ▼ 55
7. Le croisement sonore Syn. Le chiasme sonore – […] la cloque/ et la clique/ le mastic/ et le mastoc, […] (R. Le Cordier) L’auteur a interverti les voyelles qui reviennent : d’abord [o] [i] ; ensuite [i] [o]. Il y a croisement sonore quand deux sons répétés, voyelles ou consonnes, apparaissent dans l’ordre inverse : – Un comte toqué qui comptait en tiquant tout un tas de tickets de quai. (B. Lapointe) Le segment Un compte toqué adopte l’ordre croisé [k] [t] vs [t] [k]. Le segment comptait en tiquant adopte le même ordre. Chiasme (prononcez [kjasm]) vient d’un mot grec qui signifie « croisement ».
Précisions On peut croiser à la fois des voyelles et des consonnes ● Publicité concernant un stylo : Côté face il écrit, côté pile il efface. – Le segment Côté face il écrit présente l’ordre [as] [i]. – Le segment côté pile il efface présente l’ordre inverse : [i] [as]. Le croisement sonore s’oppose à la symétrie sonore*. Voyez ce quatrain de Verlaine qui exploite les deux procédés : ● Tournez, tournez, bons chevaux de bois, Tournez cent tours, tournez mille tours, Tournez souvent et tournez toujours, Tournez, tournez au son des hautbois. Dans les vers 1 et 4, les voyelles [ɔ̃] (graphie « on ») et [o] (graphie « au ») se présentent dans le même ordre ; par conséquent, dans bons chevaux et son des hautbois, il y a symétrie sonore. Par contre, dans les vers 2 et 3, les voyelles [ɑ̃] (graphie « en ») et [u] (graphie « ou ») se croisent dans cent tours et souvent. V. Contre-assonance. Lettres interverties.
RETOURS DE GROUPES DE SONS DANS DES MOTS À DISTANCE
1. La rime – Pour Cuba au ciel d’azur [azyʀ] [7 syll.] Réservez tôt, c’est plus sûr. [syʀ] [7 syll.] Ce slogan publicitaire associe deux termes qui se terminent par des sonorités identiques ; ces deux termes sont situés à la fin de deux séquences s’apparentant à des vers.
56 ▲ Jeux verbaux et créations verbales
Dans sa réalisation courante, la rime est le retour d’un certain nombre de sons à la fin de mots placés à intervalles réguliers, habituellement en fin de vers, occasionnellement à mi-chemin : – Les morts [mɔʀ] [2 syll.] C’est discret [diskʀɛ] [3 syll.] Ça dort [dɔʀ] [2 syll.] Bien au frais. [fʀɛ] [3 syll.] (J. Laforgue)
Précisions 1. La rime et le compte des syllabes Dans un poème, une chanson, un message publicitaire versifié, le plus souvent les vers comptent le même nombre de syllabes prononcées, et la rime frappe la dernière d’entre-elles. On peut parler alors d’isosyllabisme (où le préfixe grec iso- signifie « égal »), comme dans ces deux vers de 7 syllabes : ● Grimpez donc jusqu’au balcon [balkɔ̃] Il me manque une rime en con. [kɔ̃] (B. Vian) On rencontre des vers d’une syllabe (monosyllabe), de deux syllabes (dissyllabe), de trois syllabes (trisyllabe), de quatre syllabes (tétrasyllabe), de cinq syllabes (pentasyllabe), de six syllabes (hexasyllabe), de sept syllabes (heptasyllabe), de huit syllabes (octosyllabe), de neuf syllabes (ennéasyllabe), de dix syllabes (décasyllabe), de onze syllabes (hendécasyllabe), de douze syllabes (dodécasyllabe ou alexandrin). L’isosyllabisme s’applique non seulement à des vers mais aussi à des portions de vers. Ainsi, d’ordinaire on ne décompose pas un vers de huit syllabes (octosyllabe), mais si le contexte l’autorise, rien n’empêche d’y déceler deux parties de quatre syllabes, comme dans le distique publicitaire (chanté) suivant : ● Adieu dents ternes // à tout jamais Ça Pepsodent // vous le promet. [4 syll. // 4 syll.] L’isosyllabisme s’applique également à des portions de phrases dans lesquelles le mot à mi-parcours rime avec le dernier. Voyez ces slogans publicitaires : ● Tout pour plaire // pour par cher. [3 syll. / 3 syll.] ● Un sprint vital // pour la finale. [4 syll. / 4 syll.] ● Chez nos chefs experts, // Crisco on s’en sert. [5 syll. / 5 syll.] ● La farine tout usage, // tout à votre avantage. [6 syll. / 6 syll.] Dans le cas où le nombre de syllabes prononcées varie, on peut parler d’hétérosyllabisme (où le préfixe grec hétéro- signifie « autre »). Le phénomène se produit :
D ans des vers : ● Deux Coqs vivaient en paix ; une Poule survint, Et voilà la guerre allumée. Amour, tu perdis Troie ; et c’est de toi que vint Cette querelle envenimée, […]
Répétitions de sons ▼ 57
[12 syll.] [8 syll.] [12 syll.] [8 syll.] (La Fontaine)
D ans des phrases : ● Un mal de tête vous chagrine ? Prenez Anacine ! [7 syll. // 5 syll.] D ans des portions de phrases : ● Face au stress de la ville, l’Ile ça tombe pile !
[6 syll. // 4 syll.]
2. L’aspect sonore et l’aspect visuel des rimes La rime pour l’oreille Généralement, on fait rimer pour l’oreille de sorte que les différences de graphies importent peu ; c’est l’identité sonore (ou homophonie) qui compte, comme dans les mots penses, Balances et Clémence de cette suite de vers : ● adresses au facteur Facteur si tu y penses, [pɑ̃s] va-t’en rue des Balances [balɑ̃s] poster sans la peser cette lettre à Clémence. [klemɑ̃s] (C. Norac)
La rime pour l’œil Voici deux vers (sur dix-huit) d’un poème d’Alphonse Allais intitulé Rimes riches à l’œil. Un même ensemble de lettres correspond à deux prononciations : ● Je les rejoins d’où qu’ils émanent, [eman] Car mon courroux est permanent. [pɛʀmanɑ̃] [Pour plus de détails, voir l’article Rime pour l’œil*.]
La rime pour l’œil et pour l’oreille Il y a identité sonore à la fin de mots ayant une graphie quasi-identique (des paronymes), quand maître rime avec traître, par exemple. Toutefois, la correspondance entre la graphie et la prononciation peut être totale : Q uand un mot rime avec la syllabe finale d’un autre mot : ● En parlant d’un professeur ennuyeux : Toute formule chimique en bonne et due forme N’eut pu réussir quelque meilleur chloroforme. (C. Falardeau) Q uand un mot rime avec un autre ayant la même forme. Cela se produit dans les rencontres d’homonymes, c’est-à-dire de mots de graphie et
58 ▲ Jeux verbaux et créations verbales
de prononciation identiques. Ci-après, bredouille (verbe) rime avec bredouille (adjectif) et pas (adverbe) rime avec pas (substantif) : ● Menace d’orage Le ciel se rembrunit, bredouille, Grogne, ne se décide pas. Et le chasseur rentre à grand pas, Prudent, désappointé, bredouille. (L. Desnoues) Q uand un mot rime avec lui-même : ● Ils étaient quatre qui n’avaient plus de tête, Quatre à qui l’on avait coupé le cou, On les appelait les quatre sans cou. (R. Desnos)
3. La place des rimes Les rimes finales apparaissent en fin de vers : ● À quoi sert ce progrès dont nos siècles se parent [par] À qui sert d’avoir tant vécu ? [veky] Il n’y a plus de chefs de gare [gar] Mais il y a toujours des cocus ! (F. Blanche) [kɔky] Les rimes intérieures (ou internes) se produisent entre des mots rapprochés au sein même d’un vers ou d’une phrase [V. Vers léonins]. La rime se fait alors entre : D eux mots français : ● Puisque la rime est un délit et même un crime […] (D. Ancelet) U n mot français et un autre d’origine étrangère : ● Noël au scanner, Pâques au cimetière. (P. Desproges) ● Old Nick emmène moi en Martinique. (Publicité) U n mot français et une lettre : ● Évitez le stress de la TPS. [Taxe sur les produits et services] Les rimes initiales apparaissent au début de vers : ● Question de temps En âge de t’aimer [ɑ̃nɑʒ] En nage [ɑ̃nɑʒ] L’étang à traverser [letɑ̃] Les temps [letɑ̃] Petite langue de brume… (D. Grundler)
4. La qualité de la rime Dans le cas de la rime, la sonorité qui se répète est une voyelle, seule ou accompagnée d’au moins une consonne identique. C’est le nombre de sons communs qui détermine la qualité (ou la richesse) de la rime.
Répétitions de sons ▼ 59
L a rime pauvre : les mots associés n’ont qu’un seul son en commun, à savoir la voyelle accentuée. Voyez les mots feu et suiveux dans le quatrain suivant : ● Nos députés, c’est des lumières [lymjɛʀ] Qui me font penser aux mouches à feu ; [fø] I’ont tout leur éclat dans le derrière [dɛʀjɛʀ] Ça n’éclaire que les suiveux. [syivø] (Jean Narrache) [Quant à lumières et derrière, ils sont associés au moyen d’une rime riche.] V. Assonance de fin de vers. a rime suffisante : les mots associés ont deux sons en commun, dont la L dernière voyelle : – Ou bien la voyelle accentuée est suivie de la même consonne. (V. profonde et monde ci-dessous). – Ou bien la voyelle accentuée est précédée de la même consonne (V. éclatants et temps ci-après) : ● Pour nous frapper d’une façon profonde, [prɔfɔ̃d] Son audace n’admet que des coups éclatants. [eklatɑ̃] C’est en sept jours qu’il a créé le monde, [mɔ̃d] Alors que pour cette œuvre il avait tout son temps. [tɑ̃] (T. Bernard) a rime riche : les mots associés ont au moins les trois derniers sons en L commun. Autrement dit, en plus de la voyelle, deux consonnes ou plus sont répétées : ● Dans les 3 jours, voilà le tac-tac-tac [taktaktak] Des mitraillettes qui reviennent à l’attaque. [atak] (S. Gainsbourg) L a rime très riche englobe deux voyelles puisque les mots rapprochés partagent deux syllabes (exemples : ci-té rimant avec fé-li-ci-té ; somp-tueuse rimant avec ver-tu-euse). Voici une autre illustration de ce qu’on nomme également rime léonine ou rime dissyllabique (où l’élément diveut dire « deux fois ») : ● Je pressai son exil et mes cris éternels [etɛʀnɛl] L'arrachèrent du sein et des bras paternels [patɛʀnɛl] (Racine) [À ne pas confondre avec la rime double*] Note. La rime équivoquée* va plus loin encore : elle s’étend sur un mot entier ou un groupe de mots.
5. L’alternance des rimes C elle entre les rimes masculines et les rimes féminines À l'image de la plupart des adjectifs (ex. grand/grande) et des noms désignant des animaux (ex. chat/chatte) ou des humains (ex. avocat/avocate), il
60 ▲ Jeux verbaux et créations verbales
existe des rimes masculines qui se terminent par autre chose qu’un « e » et des rimes féminines qui se terminent par un « e » prononcé à une certaine époque avant de devenir muet. Beaucoup de poètes et de paroliers ont cherché à faire alterner rimes féminines et masculines, alternance respectée jusqu’au milieu du xixe siècle : ● Pour un médecin poète : Heureux qui reçoit la mort M Des mains du docteur Valère ! F Car avant qu’il vous enterre F Par ses vers il vous endort. M (Marant) L ’alternance entre les rimes vocaliques et les rimes consonantiques L’oreille étant notre guide, maintenant que le « e » en fin de mot n’est plus articulé, de nos jours on préfère opposer rimes vocaliques et rimes consonantiques. Les rimes vocaliques sont celles dont le son final, à l’oral, est une voyelle. Par exemple, si on fait rimer laid avec plaît, étant donné que les consonnes finales de ces deux mots ne s’entendent pas, ceux-ci se terminent par le sonvoyelle [ε]. Les rimes consonantiques sont celles dont le son final, à l’oral, est une consonne. Imaginons qu’on fait rimer guerre avec nucléaire : comme le « e » final est muet, ces deux mots se terminent par le son-consonne [ʀ]. L’épitaphe suivante en illustre l’alternance : les vers 1 et 3 se terminent par le son-consonne [ʀ] ; les deux autres, par le son-voyelle [e] : ● Ci-gît un vieil atrabilaire : C V Après l’avoir fait enterrer, Sa veuve, n’ayant rien à faire, C Prit le parti de le pleurer. V (Saint-Lambert)
6. La disposition des rimes L es rimes suivies (ou plates) se succèdent deux à deux, dans l’ordre aa, bb, cc, dd, etc. ● L’autre jour, au fond d’un vallon, [a] Un serpent piqua Jean Fréron. [a] Que pensez-vous qu’il arriva ? [b] Ce fut le serpent qui creva. (Voltaire) [b] L es rimes croisées (ou alternées) se succèdent dans l’ordre abab, cdcd, etc. : ● Combien je regrette [a] Mon bras si dodu [b] Ma jambe bien faite [a] Et le temps perdu ! (Béranger) [b]
Répétitions de sons ▼ 61
L es rimes embrassées se succèdent dans l’ordre abba, cddc, etc. Autrement dit, deux vers à rimes identiques sont entourés par deux vers rimant entre eux : ● Le bonheur est bizarre [a] [b] On voudrait le tenir Il vient sans prévenir [b] Et part sans crier gare. (Jean Rivoire) [a] L es rimes mêlées (ou libres) réunissent au moins deux des combinaisons ci-dessus ou, sans adopter de combinaisons particulières, elles respectent l’alternance des rimes vocaliques et consonantiques. Dans le cas de la rime continue, des ensembles de vers (notamment des strophes ou des couplets) présentent les dispositions aaaaa, bbbbb, ccccc, etc.
2. L’assonance de fin de vers Syn. La rime assonantique – Donne à manger à un cochon [kɔʃɔ̃] Il reviendra chier sur ton perron. [pɛʀɔ̃] Au sens strict, cochon ne rime pas avec perron, puisque la voyelle nasale [ɔ̃], correspondant à la graphie « on », n’est ni précédée ni suivie de consonnes identiques. L’assonance de fin de vers est le retour de la dernière voyelle accentuée du vers, éventuellement précédée et/ou suivie d’une consonne différente : – Dans la plaine blanche [blɑ̃ʃ] marche un troufion [tʀufjɔ̃] il défend la France [fʀɑ̃s] sur le front [fʀɔ̃] (R. Queneau) Il arrive que ce type d’assonance (comme la rime d’ailleurs) s’accompagne d’une répétition de mot* : – Un jour, sur ses longs pieds, allait je ne sais où Le Héron au long bec emmanché d’un long cou. (La Fontaine) Ajoutons cette personnification* d’animal où l’assonance en [i] se double d’une anaphore*, à savoir le retour du même mot au début des deux séquences : – Chat qui sourit [suʀi] Chat sans soucis [susi]
V. Assonance. Rime pauvre.
62 ▲ Jeux verbaux et créations verbales
3. La contre-assonance Syn. L’alternance vocalique. La rime allitérative – L’humidité des isthmes [ism] – Ne vaut rien pour les asthmes. [asm] (G. Courteline) À l’inverse de l’assonance*, qui est le retour périodique de la même voyelle, ici l’auteur a fait se répéter les dernières consonnes des vers, alors que varient les voyelles. La contre-assonance associe des mots qui ne diffèrent que par la sonorité de leurs voyelles : – Son nouveau chic fait choc. (Publicité)
Précisions Ce phénomène de retour de consonnes sans identité de voyelle se produit tantôt dans des phrases, tantôt à la fin de vers successifs : ● Deux qui s’adoptent, il faut encore qu’ils s’adaptent. (H. Bazin) ● Qu’il faille des hôtels de haute gamme et de haute gomme, on sait ça. (La Presse) ● Après avoir tout mis à sac et à sec et labouré comme des socs pour récupérer le suc. (F. Dard) ● […] marchent l’amble [ɑ̃bl] d’un air humble [œ̃bl] c’est un comble [ɔ̃bl] (R. Queneau) Les différences de graphies sont sans importance ; seule compte la face sonore des mots : ● Le commissaire de police dans le film Le Paltoquet : Je suis un flic, je marche dans une flaque et ça fait floc ! ● Ni le soir calme, ni ces palmes immobiles Ni les astres montant comme de lentes bulles. (T. Derème) Suivant le principe de la contre-assonance, les babebines sont des poèmes d’une ou plusieurs strophes comptant chacune cinq vers. Ceux-ci se servent des cinq voyelles graphiques dans l’ordre habituel (ba, be, bi, bo, bu) entourées des mêmes consonnes pour former des rimes dites babebines : ● au pêcheur de rimes Petit marin, tiens bon ta rame ! [ʀam] Déguisées comme à mi-carême, [kaʀɛm] Au fond de l’eau nagent les rimes [ʀim] Tous les chemins s’en vont à Rome, [ʀɔm] Mais les pieds mouillés sont au rhume. [ʀym] (N. Prévost) Ne soyons pas trop stricts : chacune de ces voyelles admet diverses graphies et prononciations, tel le « e » qui peut revêtir les formes « é », « è », « ê », « eu ». V. Métaphone explicite. Métagramme explicite. Paronymie explicite.
Répétitions de sons ▼ 63
4. La rime unique – Attendez-vous cependant de l’entendre chanter en chœur avec ses collègues, jusqu’à notre écoeurement : C’est pas moi, c’est ma sœur Qu’a cassé la machine à vapeur C’est pas moi, c’est ma sœur C’est pas moi, j’étais pas dans le secteur. (J. Samson) Outre les répétitions de mots, chacun des vers de ce petit quatrain présente la même rime en [œʀ]. La rime unique est celle qui revient, vers après vers, d’un bout à l’autre d’un poème ou d’une chanson. Le procédé donne un poème monorime (où monosignifie « unique »). Malgré des différences graphiques, tous les vers suivants se terminent en [ɛ̃t] : – ode à une pucelle Damoiselle, écoutez ma complainte : Pour pénétrer en votre enceinte Il me faudra ourdir maintes feintes. Je traverserai le labyrinthe Et quand la bougie sera éteinte Passionnément, sans nulle contrainte Nous vivrons de très douces étreintes. Mais n'ayez surtout aucune crainte, Bien avant que la cloche ne tinte Je saurai effacer toute empreinte. (Dainvelle)
V. Rime continue.
5. Le vers léonin – Ô temps perdu, // ô peines dépendues ! [4 syll. // 6 syll.] (L. Labbé) Dans ce vers de dix syllabes, la quatrième syllabe, qui est accentuée et coïncide avec une pause, rime avec la dernière. Bref, les deux parties du vers riment ensemble. Le vers léonin est celui où le mot en finale de vers rime avec celui placé au premier hémistiche, c’est-à-dire « la première partie d'un vers marquée par un repos » : – Tout clairement // dis-moi comment Tant et pourquoi // tu te tiens coi. (L. Jamet) Ajoutons deux vers tirés des « Bizarreries » d’Éveline Wilwerth : – J’ai un cancrelat // dans mon estomac Et un perroquet // dans mon cervelet. Léonin viendrait soit d’un poète nommé Léon, soit du mot latin leo, leonis, qui désigne le lion, « par allusion au caractère noble » de cet animal (Le Robert). Même si le terme hémistiche, lui, est issu d’un mot grec formé de hêmi « à moitié et stikhos « vers », les hémistiches ne comptent pas toujours le même nombre de syllabes.
64 ▲ Jeux verbaux et créations verbales
Précisions On rencontre ce procédé en prose : ● Comblez vos proches de téléphones-à-poche. (Publicité) [4 syll. // 6 syll.] [téléphones-à-poche est un néologisme* désignant des téléphones cellulaires.] Une variante consiste à faire rimer le premier mot d’une séquence avec le dernier : ● Prévoir pour éviter les déboires. (Titre) Note. À ne pas confondre avec la rime léonine*, celle qui englobe deux syllabes. V. Rime interne. Rime renforcée.
6. La rime batelée – Nobles mignons, // courtisans plains d’honneur, Salut, bonheur, // santé et bonne vie ! (J. Marot) [4 syll. // 6 syll.] La fin du premier vers rime avec le mot qui est à la césure du second vers. Rappelons que la césure, qui « coupe le vers en hémistiches », correspond au « repos à l’intérieur d’un vers après une syllabe accentuée » (Le Robert). La rime batelée, c’est la rime de fin de vers qui se répète à la césure du vers suivant : – J’avais un jour // un valet de Gascogne, Gourmand, ivrogne // et assuré menteur. (J. Marot) [4 syll. // 6 syll.] Batelée vient du verbe de l’ancien français batteler, qui signifiait « sonner les cloches ».
Précision Comme en témoignent les distiques ci-dessus, dans les décasyllabes, le premier hémistiche compte généralement quatre syllabes. Dans les alexandrins, le premier hémistiche correspond à la première moitié du vers. Quant à la rime batelée, elle se produit aux troisième et quatrième alexandrins du quatrain suivant : ● Comme on voit sur la branche // au mois de mai la rose En sa belle jeunesse, // en sa première fleur, Rendre le ciel jaloux //de sa vive couleur Quand l’aube de ses pleurs // au point du jour l’arrose (P. de Ronsard) [6 syll. // 6 syll.]
Répétitions de sons ▼ 65
7. La rime renforcée Syn. La rime brisée – Don Juan : Il avait de belles tournures // qui vous donnaient le tournis. Son doigt suivait la couture // et se retrouvait au lit. (P. Coppens) Ces deux vers présentent deux rimes plutôt qu’une : aux rimes de fin de vers s’ajoutent des rimes à mi-parcours (ici, à la septième syllabe). On parle de rime renforcée quand, en plus des rimes finales, des mots riment à la moitié du vers (au premier hémistiche) : – Comment au départir, // adieu pourrais-je dire Duquel le souvenir // tant seulement me pâme, Adieu ma chère vie, // adieu ma seconde âme, Adieu mon cher souci, // par qui seul je soupire : […] (P. de Ronsard)
Précisions Au sens strict, le premier hémistiche a la même longueur que le second. Ce n’est pas toujours le cas, ce qui est en contradiction avec l’étymologie du mot hémistiche dans lequel hémi signifie « à moitié ». Voyez ces vers de dix syllabes (décasyllabes) dans lesquels les premiers hémistiches comptent quatre syllabes : ● De tout mon cœur // humblement te salue, Pour la grandeur // de ta haute value, […] (G. Dubois, dit Crétin) ● Après ma mort, // je te ferai la guerre, Et quand mon corps // sera remis en terre Je soufflerai // la cendre sur tes yeux. (G.-C. Bucher) Ce renforcement sonore, on le rencontre aussi dans l’assonance* (de fin de vers ou à l’hémistiche) où, rappelons-le, la voyelle qui revient n’est ni précédée ni suivie de la même consonne : ● Les amoureux… sont tous heureux. Faisons comme eux… mangeons des œufs. (Publicité) [4 syll. // 4 syll.] Une variante consiste à faire rimer (ou assoner) entre eux les premiers et les derniers mots de deux séquences successives : ● Premiers au fil d’arrivée Derniers à s’en vanter. (Publicité) V. Vers léonin. Vers brisés.
66 ▲ Jeux verbaux et créations verbales
RETOURS DE GROUPES DE SONS DANS DES MOTS EN CONTACT
1. La rime double Syn. La rime redoublée. La rime couronnée – Sois ma présente sente, Mon mieux, ma régente gente Ma plus apparente rente (J. Molinet) Le poète s’est employé à redoubler la rime finale de chacun des vers. La rime double répète la syllabe de rime ; elle s’étend donc sur deux mots, le second répétant la fin du premier : – La blanche colombelle belle Souvent je vais priant criant Mais dessous la cordelle d’elle Me guette un œil friant riant […] (C. Marot) Avec la double couronne, on redouble la syllabe de rime à la fois à l’hémistiche et en fin de vers : – Molinet, net ne rend son canon, non. Trop de vent vend, et met nos ébats bas ; Bon crédit dit, qui donne au renom nom. [...] (G. Dubois, dit Crétin)
V. Écho. Vers en écho.
2. La rime triple Syn. La rime emperière – Bénins lecteurs très diligens gens gens Prenez en gré mes imparfaits faits faits. (Anonyme) On a triplé la rime finale de chacun de ces deux vers. La rime triple reprend la rime de fin de vers à deux reprises de sorte que la rime est triplée : – Que ce remord, Mort, mord ! Ah ! oui ris-t’en, Temps, tant ! Et si j’ahanne, âne ! Anne, C’est que mon bât bat bas Et qu’il me blesse. Laisse ! Laisse ! (Cité par H. Morier)
V. Kyrielle syllabique.
Répétitions de sons ▼ 67
3. Le vers en écho – Mettez-vous bien cela Là, Jeunes fillettes Songez que tout amant Ment Dans ses fleurettes […] (J.-F. Panard) Dans les deux premiers vers de ce quatrain, la dernière syllabe de cela rime avec l’adverbe Là qui constitue à lui seul le second vers. De même, dans les vers 4 et 5, la dernière syllabe de amant rime avec le verbe Ment, terme constituant le cinquième vers. Le vers en écho est la reprise de la sonorité de la dernière syllabe d’un vers, sonorité qui forme à elle seule le vers qui suit : – C’est surtout lorsque dame abesse Baisse Les yeux que son regard charmant Ment (V. Hugo) Au lieu de s’en tenir à la reprise sonore de la dernière syllabe, on peut englober les deux dernières syllabes d’un vers (ci-après : souvenirs › Venir) : – Quelle joie pour celui qui, lisant un poème L’aime Car il le laissera parmi ses souvenirs Venir ! (C. Gagnière) La reprise de la sonorité du dernier mot (ci-après : cygne › Signe) est également possible : – Elle inclina son cou de cygne, Signe Qu’elle trouvait le vieux corbeau Beau. (V. Hugo) Note. À ne pas confondre avec la rime double* .
V. Rime annexée. Écho.
4. La rime annexée Syn. La rime enchaînée – C’était la pluie. Le vent Vengeur usait les gens. […] (J.-M. Desfossés) La sonorité du nom vent revient dès le début du vers suivant et correspond à la syllabe initiale de vengeur. – Dieu garde ma maîtresse et régente Gente de corps et de façon Son cœur tient le mien en sa tente… (C. Marot)
68 ▲ Jeux verbaux et créations verbales
La rime du vers initial fournit le premier mot du vers suivant. La rime annexée est la reprise d’une rime au début du vers suivant pour y former soit un mot, soit la syllabe initiale d’un mot : – Son cœur est trop agile Il va deci, delà Oublie d’être fidèle. (P. Altreyf) – Si tu vas à la mer Merci de lui chuchoter […] (P. Huré)
V. Vers en écho. Rime fratrisée. Anadiplose. Kyrielle syllabique [lexicale].
5. La rime fratrisée – Ce poème est un peu trop sévère, Ses vers sont trop arides et durs. (P. Altreyf) L’adjectif sévère rime avec le groupe du nom ses vers. On parle de rime fratrisée quand la sonorité d’un mot à la finale d’un vers est reprise au début du vers suivant sous la forme d’un groupe de mots : – Cour est un périlleux passage : Pas sage n’est qui va en Cour. (É. Tabourot) C’est dire que la rime fratrisée est une combinaison de rime annexée* et de rime équivoquée*. Une variante consiste à faire rimer un groupe de mots apparaissant à la fin d’un vers avec un autre groupe formant à lui seul le vers suivant : – Mon frère est masseur à Passy Et masseuse à Bercy ma tante Félicie Et comme à leurs travaux, je m’associe Je masse aussi. (T. Bernard)
6. La rime enjambée Syn. : La rime coupée – La vie est duRe à la détente J’ai mes fourruRes chez ma tante. (S. Gainsbourg) Détente rime avec tante, rime normale. Par contre, pour terminer certains mots amorcés en fin de vers (dure et fourrures), l’auteur a enjambé sur le vers suivant. La rime enjambée est celle qui correspond généralement à la syllabe initiale d’un mot qui se termine au début du vers suivant : – Quand les poètes s’ennuient alors il leur arRive de prendre une plume et d’écrire un po-
Répétitions de sons ▼ 69
Eme on comprend dans ces conditions que ça barBe un peu quelquefois la poésie, la poÉsie. (R. Queneau)
Précisions On le voit, dans une suite donnée, tantôt toutes les rimes sont enjambées (exemple de Queneau ci-dessus), tantôt seulement certaines d’entre elles le sont (exemple de Gainsbourg ci-dessus). Il arrive même qu’il s’en présente une seule, comme l’illustre l’exemple suivant : ● J’suis issu de gens Qui étaient pas du genre sobre On compte que j’eus La tétée au jus D’octobre. (G. Brassens) Une variante consiste à couper un mot au sein d’une syllabe avant de le compléter au vers suivant : ● À quelques pas des gazomètres, j’appris le grec et le latin, le français et la géométrie et l’algèbre et le dessin. (R. Queneau)
7. L’écho Syn. La répétition en écho – Trop tard, Balthazar. Comme par un effet d’écho, la sonorité finale [aʀ] du nom Balthazar reprend la sonorité finale du mot tard. Dans l’écho, les derniers sons d’un mot reviennent à la fin d’un autre mot qui le suit immédiatement ou de très près : – Au sujet de San Antonio : Polar ? T’as tort, Hector. Argot ? À peine, Madeleine. (J. Dion) – […] et quand vient le temps de faire un violent effort physique inhabituel, crac, on claque. (R. Soulières)
70 ▲ Jeux verbaux et créations verbales
Précisions Souvent, l’écho vient de l’ajout d’un mot en apostrophe, le nom de l’interlocuteur ou un prénom employé pour les besoins de la cause : ● Halte-là, Nicolas ! (E. Rolland) ● Fais pas le zouave, Gustave. (R. Duguay) ● Alphonse, je crois que c’est ton wagon. Allez, fonce, Alphonse ! (Dans L’amour en fuite de Truffaut) Mais le phénomène se réalise aussi dans d’autres environnements : ● Comptines pour que les consonnes sonnent (Livre de P. Coran) ● Moi, ce que je préfère, c’est le pain blanc super-sandwich. Avec de la confiture, bien sûr ! (Publicité) Rien n’empêche l’accumulation de répétitions en écho : ● Un Hun fit fi d’un daim au haut d’une dune. Le retour des sons initiaux peut aussi produire un écho [V. Homéotéleute inverse] : ● Bon, allons-y, Alonzo ! (Dans Pierrot le fou de Godard) Note. D’autres procédés, notamment la réduplication* ou le paréchème*, produisent des effets d’écho. V. Homéotéleute. Rime double. Rime annexée. Vers en écho.
8. L’homéotéleute Syn. La prose rimée – Si tu viens sur mes genoux, mon chou, dit le hibou au pou, je ne te lancerai plus de cailloux mais tu auras des joujoux, mon bijou. (J.-L. Fournier) Dans cette allusion* plaisante à une règle de grammaire fort connue, l’auteur a rapproché des mots se terminant par un même son. L’homéotéleute (n. f.) est la reprise de sons identiques à la fin de plusieurs mots rapprochés, voire en contact : – […] être homme qui erre sur terre et qui serre dans des verres des mystères […] (R. Queneau) – Palsambleu, morbleu, ventrebleu, jarnibleu ! Dieu aussi a eu son époque bleue. (J. Prévert) – Dans la cité, tout le monde fume. Sur le bitume, c’est le poids plume qu’on déplume… (MC Solaar) Homéotéleute est issu d’un mot grec formé de homoios « semblable » et teleutê « la fin ».
Répétitions de sons ▼ 71
Précisions C’est l’identité sonore qui compte ici et non la graphie qui, elle, peut varier. Ainsi, Maroc, baroque et rock se terminent par la même suite de sons [ʀɔk] : ● Ce soir à l’émission, le Maroc, le baroque et le rock se confondent. (Publicité) Voilà pourquoi on peut rapprocher des mots français et des mots d’origine étrangère, à la condition de prononcer ces derniers à la française : ● Chrysler. L’inventeur, le leader. (Publicité) Par ailleurs, rien n’empêche de placer deux homéotéleutes dans la même phrase : ● En face, il y avait le banc d’œuvre, et deux rangs d’hommes quadragénaires, quinquagénaires et sexagénaires, cossus, pansus et cuissus […] (J. Romains) L’effet du procédé s’amplifie dans l’accumulation* de termes : ● Tiens, Polognard, soulard, bâtard, hussard, tartare, calard, cafard, mouchard, savoyard, communard ! Tiens, capon, cochon, félon, histrion, fripon, souillon, polochon. (A. Jarry) Englobons ici la ressemblance produite par le retour de terminaisons verbales (celles dues aux conjugaisons), ce que d’aucuns appellent homéoptote (de homoios « semblable » et ptôtos « qui tombe ») : ● Très jeune, l’amour tripote, gigote et barbote. Très vieux, il chevrote, marmotte et chipote. (C. Stréletski) C’est donc l’inverse du polyptote*, lequel combine différentes réalisations d’un même verbe : ● Économiser, c’est se passer de ce que l’on désire pour le cas où l’on désirerait un jour quelque chose que l’on ne désirera sans doute pas. (A. Hope) V. Homéotéleute inverse. Écho.
9. La kyrielle syllabique Syn. La concaténation de syllabes – Marabout – Bouddha – Dalaï-Lama – Mastaba – Barbe à Papa – Paranoïa… (V. Labbé) La dernière syllabe sonore de Marabout correspond à la première syllabe de Bouddha, la dernière syllabe de Bouddha, à la première de Dalaï-Lama, et ainsi de suite. La kyrielle syllabique est la reprise de l’unique ou dernière syllabe sonore d’un mot pour commencer le mot suivant, de façon répétée, sans se soucier du sens : – Trois petits chats / Chapeau de paille / Paillasson / Somnambule / bulletin / Tintamarre / Marronnier, etc.
72 ▲ Jeux verbaux et créations verbales
De fait, on a souvent affaire aux reprises des sonorités de syllabes (totales ou partielles) et de mots : – J’en ai marre / Marabout / Bout de ficelle / Selle de cheval / Cheval de course / Course à pied / Pied-à-terre / Terre de feu / Feu follet / Lait de vache / Vache de ferme / Ferme ta gueule… – Jeu d’esprit – Prix de gros – Gros plein d’soupe – Soupe au lait – Lait de poule – Poule au pot – Peau d’zébie – Biscottos – Os à moelle – Moelle de bœuf… (J. Bens) Kyrielle, qui rend l’idée d’une longue suite, vient de kyrie eleison qui signifie « litanie ».
V. Kyrielle lexicale [graphique]. Rime annexée.
10. L’homéotéleute inverse Syn. Le contre-homéotéleute – Allégé ! Alléchant ! Allégro ! Les fromages Allégro. (Publicité) Les mêmes sons apparaissent à l’initiale de plusieurs mots en contact ou à peu de distance. L’homéotéleute inverse est le retour de sons identiques au début d’une suite de mots rapprochés ou voisins : – Presque tout ce que nous faisons tient dans nos mains, puisque nous manions et manoeuvrons et manipulons et manigançons de toutes les manières. (F. Hadjadj) Ce retour sonore peut avoir un effet d’écho* : – Fou de football (Titre) – Vendetta en Vendée (Titre) Le procédé fait bon ménage avec la présence de mots de même famille ou avec la répétition d’un préfixe : – Nicolas le Vilain, pas fort en calcul mental, était déconfit, déconfituré et défait. Il ramassa ses dés avec une mine de dépit. (R. Soulières) [Il y a retour de préfixe dans déconfit, déconfituré et défait, mais non dans dépit ; quant au dérivé déconfituré, c’est un néologisme* qui signifie « ruiné ».]
V. Rime initiale. Tautogramme. Répétition de préfixe [de syllabe].
Chapitre 3
Orthographes identiques ou semblables
Mots de même orthographe On associe des mots ayant une orthographe identique mais des prononciations différentes On rapproche au moins deux termes homographes : l’homographie explicite Un terme homographe en remplace un autre : l’homographie implicite On associe des rimes homographes : la rime pour l’œil
Mots d’orthographes semblables Les ressemblances d’orthographes reposent sur des substitutions de lettres On rapproche des mots qui diffèrent d’une seule lettre : le métagramme explicite On remplace un mot par un autre identique à une lettre près : le métagramme implicite On feint une faute causée par le remplacement d’une lettre : la fausse coquille Les ressemblances d’orthographes reposent sur des additions ou des effacements de lettres On ajoute au moins une lettre à un mot : l’addition graphique On supprime des lettres dans un ou plusieurs mots : – La suppression de lettres laisse le sens du message inchangé : la suppression graphique – La suppression de lettres modifie le sens du message : la biffure graphique Les ressemblances d’orthographes reposent sur la présence ou l’absence d’une seule lettre
74 ▲ Jeux verbaux et créations verbales
On rapproche au moins deux mots identiques à une lettre près : la lettre en plus ou en moins explicite On remplace un mot par un autre identique à une lettre près : la lettre en plus ou en moins implicite Les ressemblances d’orthographes reposent sur des déplacements de lettres : les lettres interverties
Orthographes identiques ou semblables ▼ 75
MOTS DE MÊME ORTHOGRAPHE
1. L’homographie explicite – Est-ce que tu l’as l’as de pique ? Qu’ont en commun la forme verbale as et le nom as ? Une même forme écrite. Qu’est-ce qui les différencie ? Leurs prononciations et leurs sens. L’homographie explicite est le rapprochement de mots de sens éloignés, qui ont une orthographe identique sans avoir la même prononciation, à savoir des homographes : – L’arrogance n’inspire pas la confiance. C’est la raison pour laquelle il ne faut pas se fier au fier. (R. Droin) S’il n’y a pas d’équivoque à l’oral (où [fje] se distingue de [fjɛʀ]), à l’écrit l’équivoque est levée par le contexte, en particulier par la différence de classes grammaticales. Aussi est-il difficile de confondre l’adjectif fier et le second élément du verbe se fier. Voici un texte anonyme qui exploite abondamment ce type de rapprochements : – Sortant de l’abbaye où les poules du couvent couvent, je vis ces vis. Nous portions nos portions, lorsque mes fils ont cassé les fils. Je suis content qu’ils vous content cette histoire. Mon premier fils est de l’Est, il est fier et l’on peut s’y fier, ils n’ont pas un caractère violent et ne violent pas leurs promesses, leurs femmes se parent de fleurs pour leur parent. Elles ne se négligent pas, je suis plus négligent. Elles excellent à composer un excellent repas avec des poissons qui affluent de l’affluent. Il convient qu’elles convient leurs amis, elles expédient une lettre pour les inviter, c’est un bon expédient. Il serait bien que nous éditions cette histoire pour en réaliser de belles éditions. Homographie vient de homo- « la même » et -graphie « écriture ».
V. Rime pour l’œil.
2. L’homographie implicite – Je préfère le porter. Le mot porter désigne-t-il l’« action de tenir quelqu’un ou quelque chose » ou « une bière brune d’origine anglaise » ? Il y a équivoque à l’écrit mais non à l’oral, puisque le verbe porter [pɔʀte] ne se prononce pas comme le nom porter [pɔʀtɛʀ] (dans lequel s’entend le « r » final). L’homographie implicite repose sur la présence d’un mot qui a avec un autre mot, absent de la phrase, une orthographe identique sans avoir la même prononciation : – Sans mes fils, je ne peux pas refaire l’électricité de votre maison.
76 ▲ Jeux verbaux et créations verbales
Le nom fils désigne ici soit « des fils électriques », soit des « personnes de sexe masculin ». Dans la langue parlée, on prononcerait [fil] dans le premier cas, [fis] dans le second.
Précisions On peut exploiter l’homographie entre un mot bien français et un autre d’origine étrangère (ce que certains nomment mots bilingues) : ● C’était un jet de soixante-dix mètres. S’agit-il du mot jet (prononcé [ʒɛ]) désignant la « distance parcourue par une chose jetée » ou de l’emprunt à l’anglais jet (prononcé [dʒɛt]) désignant un « avion à réaction » ? On peut même passer d’une phrase française à une phrase d’une autre langue. Par exemple, comment interpréter la suite suivante ? ● Jean put dire comment on tape. (R. Droin) Le sens français saute aux yeux. En anglais, la même séquence signifierait plutôt : « Jean a mis un commentaire menaçant sur cassette ».
3. La rime pour l’œil Syn. La rime riche à l’œil. La fausse rime – Les intérêts publics résident [ʀezid] Dans les pouvoirs du président. [pʀezidɑ̃] (G. Courteline) Les vers de ce distique ne riment pas à l’oreille puisque les mêmes lettres donnent deux résultats sonores. La rime pour l’œil est constituée d’un groupe de lettres identiques mais de sonorités différentes : – Tout vrai poète tient [tjɛ̃] À friser le quotient [kɔsjɑ̃] [balbysi] De ceux qui balbutient Qu’on lise à haute voix ce bref poème d’Alphonse Allais : la suite de lettres « tient » correspond à trois prononciations. Le même auteur a ajouté un commentaire au distique suivant : – Les gens de la Maison Dubois, à Bone, scient, [si] Dans la froide saison, du bois à bon escient. [esjɑ̃] (C’est vraiment triste, pour deux vers, d’avoir les vingt-deux dernières lettres pareilles, et de ne pas arriver à rimer.) C’est que, outre la rime pour l’œil, les suites Maison Dubois et saison, du bois ont, à l’exception de leurs consonnes initiales, les mêmes sonorités. On rencontre cette fausse rime même à l’intérieur d’une phrase : – Ils s’installèrent à Las Vegas loin du verglas. (Presse) ([vegas] vs [vɛʀglɑ])
V. Homographie explicite. Rime.
Orthographes identiques ou semblables ▼ 77
MOTS D’ORTHOGRAPHES SEMBLABLES
1. Le métagramme explicite – Son budget étant assez grevé et lui-même assez crevé, le chevalier s’arrêta dans un terrain de camping pour y passer la nuit […] (R. Soulières) L’auteur a casé deux mots comptant le même nombre de lettres et dont seule la lettre initiale diffère. Adoptons métagramme explicite pour désigner le changement de la lettre initiale ou de toute autre lettre d’un mot de base pour en former un ou plusieurs autres, ces mots étant ensuite employés dans une phrase : – Les cieux sont des lieux pour pieux, pour vieux et pour aïeux, et, mieux encore, pour dieux. (R. Droin) Ces mots, on peut aussi les retrouver à la finale de vers : – J’ai vu, il a caché un objet sous la souche, Puis il a disparu, c’est sûr cet homme est louche. (S. Mignot) D’un mot à l’autre, il n’y a ni addition, ni suppression, ni déplacement de lettre ; seule une lettre s’est substituée à une autre. Métagramme vient du grec méta- « transformation » et gramma « lettre ».
Précisions Le plus souvent, c’est la première lettre qui est changée : ● Banderole pour une manifestation d’infirmières : Ni nonnes, ni bonnes, ni connes. Mais pas toujours : ● En attendant, […] je vais aller me redoucher, non, me remoucher… me recoucher, bon. (R. Soulières) Insistons aussi sur le fait que c’est la graphie qui compte ici et non la prononciation. Par exemple, le fait que le « e » du mot farce, prononcé [faʀs], est muet n’empêche pas la substitution : ● Quelle farce que ce texte farci ! (P. Le Fur) La lettre qui diffère est généralement une consonne, plus rarement une voyelle : ● L’amour : quatre étapes en sont la touche, la bouche, la couche, la douche. (R. Droin) ● J’aime mieux tes lèvres que mes livres. (J. Prévert) Rien n’empêche de faire une substitution de consonne et de voyelle dans la même phrase : ● Il est là, large, barge, près de la berge nage… (MC Solaar)
78 ▲ Jeux verbaux et créations verbales
Comme divertissement verbal, le métagramme permet de résoudre des énigmes au moyen de mots « qui dérivent les uns des autres par simple changement d’une lettre, lettre qui occupe toujours le même rang. » (R. Droin) : ● Comment changer un homme en femme ? Réponse : Homme, gomme, gemme, femme. V. Paronymie explicite. Métaphone explicite. Contre-assonance.
2. Le métagramme implicite Syn. Une lettre pour une autre – Prisonnier. Personne qui a de la fuite dans les idées. (M. Lauzière) Cette définition part de avoir de la suite dans les idées. Le passage du mot suite au mot fuite repose sur le remplacement d’une lettre par une autre. Adoptons métagramme implicite pour désigner le procédé consistant à changer la lettre initiale ou toute autre lettre d’un mot de base pour former un autre mot, ce dernier se substituant au premier : – Je pense, donc je nuis. [Déformation du « Je pense donc je suis » de R. Descartes.]
Précisions Pour évoquer le terme absent, la lettre qui diffère est le plus souvent une consonne, parfois une voyelle, laquelle occupe toujours le même rang : – Je suis pour l’augmentation du goût de la vie. (J. Dutronc) [coût] – Venez chez moi. Je vous offrirai un scotch and sofa. (S. Raimi) [soda] L’allusion* est souvent au rendez-vous : – Pensée de vampire : À chaque nuit suffit sa veine. (N. de Roissy) [Évocation de À chaque jour suffit sa peine.] – Mémoires d’une jeune fille rongée (Titre de presse) [Allusion à Mémoires d’une jeune fille rangée de S. de Beauvoir.] V. Paronymie implicite. Métaphone implicite. Fausse coquille.
3. La fausse coquille Syn. Le paragramme délibéré – Comme toujours, le dépité du comté a paru désarmé face aux attaques de l’opposition. On devine la surprise des lecteurs à la vue du terme dépité en pareil contexte. Or l’apparition voulue de dépité permet de porter un jugement sur le député en question.
Orthographes identiques ou semblables ▼ 79
La fausse coquille est la faute d’impression intentionnelle dans le but de servir un propos. Cette faute, le plus souvent due à la substitution d’une lettre par une autre, nous offre soit des formes connues, soit des formes nouvelles : – En ces temps d’austérité, les Britanniques se passeraient bien de sa Majesté la ruine d’Angleterre. [reine]
Précisions La fausse coquille est la faute d’impression intentionnelle dans le but de servir un propos. Le plus souvent, elle est due à la substitution d’une lettre par une autre : ● Le sinistre des Finances a présenté hier un budget qui est loin de faire l’unanimité. ● Les cols-bleus exigent les mêmes avantages que pour les ponctionnaires du ministère du Revenu. [fonctionnaires] [Ponctionnaire pourrait passer pour un néologisme* dépréciatif dérivé de ponction.] Le procédé applique le principe du métagramme implicite*, lequel ne fournit pas de mot nouveau. Paragramme vient d’un mot grec : para- signifie « à côté » et – gramme, « lettre ». V. Paronymie implicite. Création paronymique.
4. L’addition graphique – Au sujet d’un film : « Basket spatial », un voyage co(s)mique dans la démesure. (Titre) On a inséré la lettre « s » dans le mot comique pour qu’y apparaisse également le mot cosmique. L’addition graphique est l’ajout inattendu d’au moins une lettre à un mot pour faire percevoir deux mots au lieu d’un seul : – L’Oulipo se borne à donner, agrémentant une structure, un exemple (ou deux) afin de prouver la v (f) iabilité de cette structure. (N. Arnaud)
Précisions L’addition d’une lettre (ou d’une syllabe) se produit au début, à l’intérieur ou à la fin d’un mot. Quand l’addition se fait au début ou au sein d’un mot, la ou les lettres ajoutées apparaissent dans des parenthèses : ● Accusé d’avoir assassiné sa propriétaire… à fin de v (i) ol. (G. Rimanelli) ● Faut-il en (sou) rire ou en pleurer ? (Titre)
80 ▲ Jeux verbaux et créations verbales
À la fin d’un mot, nul besoin de parenthèses, comme l’illustre l’exemple suivant. Les adversaires d’une campagne en faveur d’une centrale nucléaire avaient détourné à leur avantage le groupe du nom l’uranium enrichi en y ajoutant une seule lettre : ● L’uranium enrichit. Dans le cas où l’addition se fait au sein d’un mot, d’aucuns parlent d’insertion graphique. ● Il a consacré sa vie à une entreprise de dé (con) struction. V. Lettre en plus ou en moins. Mot dans le mot.
5. La suppression graphique – Publicité d’un quotidien : Si vous n’êtes pas abonnés, savez-vous ce que vous manq… ? En conformité avec le sens véhiculé, on a omis les trois dernières lettres de la forme verbale manquez, laquelle demeure tout de même perceptible. La suppression graphique est l’effacement d’une ou de plusieurs lettres, dans un ou plusieurs mots, lettre(s) que le public peut facilement rétablir : – Ch p tr IV (Raval et Leguay)
Précisions Le résultat est généralement en accord avec le contexte ; il a donc une fonction de renforcement : ● AU V LEUR ! (P. Étaix) Voici le début d’un message invitant les gens à fournir leur nouvelle adresse avant de déménager ; l’absence de plusieurs lettres est motivée par la présence (partielle) du verbe oublier : ● Enf n démén gés ! J’es ère qu’on n’a rien ou lié. Une variante consiste à supprimer une voyelle, toujours la même, dans tous les mots d’un texte où elle devrait normalement apparaître. Voici le début de COMM L S D SSINS D LA PLUI SUR UN VITR qu’a écrit Philippe Lemaire : ● C’st surtout l soir qu j m livr l plus volonti rs à c tt sort d’x rcic. Malh ur us m nt, m s tabl aux n dur nt g n ral m nt pas plus d qu lqu s minut s, qu lqu fois m^m qu lqu s s cond s. […] (Philipp L mair, 11 nov mbr 2012) Note. La biffure graphique* permet de passer d’un mot à un autre. V. Lipogramme. Lettre en plus ou en moins. Typographie intensive.
Orthographes identiques ou semblables ▼ 81
6. La biffure graphique — Quelle est la différence entre lui et une grenouille ? — La première syllabe. C’est la suppression des trois premières lettres de grenouille qui fournit la réponse à cette devinette. La biffure graphique est l’effacement d’une ou de plusieurs lettres formant un mot, dans le but de passer de celui-ci à un autre : – Retirez le Q de coquille : vous avez la couille, et ceci constitue précisément une coquille. (B. Vian) – Quand on ôte quelques lettres à ÉgaLITÉ, que trouve-t-on ? Élite… Surprenant ! (R. Droin) Alphonse Allais a raconté comment les dissensions politiques d’un petit village alsacien se sont répercutées sur l’enseigne de l’auberge locale, successivement appelée : – Aux vignobles français Aux ignobles français Aux nobles français De son côté, Laure Hesbois reproduit des caricatures du Canard enchaîné où, à la suite de biffures, Conseil Constitutionnel a été transformé en Cons Cons et Solidarité s’est métamorphosé en Solidité.
Précision Une contrainte oulipienne, le lipossible consiste à enlever à des mots une lettre donnée pour en former d’autres. Cela permet la formation de phrases de sens nettement différents. En témoignent ces brefs lipossibles (du grec leipein qui signifie « enlever »), le premier en « r », le second en « n » : ● Une carpe se montre avec des mirettes. > Une cape se monte avec des miettes. ● Le chant anime les nombres. > Le chat aime les ombres. Note. La suppression graphique* ne modifie pas le sens du message. V. Lettre en plus ou en moins. Mot dans le mot.
7. La lettre en plus ou en moins explicite – Du mépris à la méprise il y a peu de distance. Pour passer de mépris à méprise, l’ajout d’une seule lettre suffit. – Bien souvent, les romanciers confondent dénouement et dénuement. (F. Dard) À l’inverse, le passage de dénouement à dénuement repose sur la suppression d’une lettre.
82 ▲ Jeux verbaux et créations verbales
Appelons lettre en plus ou en moins explicite le rapprochement dans une phrase d’au moins deux mots qui se distinguent par la présence ou l’absence d’une seule lettre : — Lui : Veux-tu me financer ? — Elle : Tu veux dire « fiancer » ? (Publicité d’une banque)
Précisions Dans la majorité des cas, les mots rapprochés ont des prononciations semblables (comme dans les paronymies explicites*), mais il arrive qu’elles soient identiques (comme dans les homophonies explicites*) : ● À Montréal, faites une visite guidée de l’Est et une visite guindée de l’Ouest. (D. Lemire) ● Un milliardaire change de Porsche tous les jours. Un SDF change de porche tous les soirs. Ce procédé rappelle le logogriphe, divertissement verbal proposant des énigmes à déchiffrer, dans lesquelles les solutions sont fournies par des mots ayant une lettre en plus ou en moins. Voici une charade où le mot tête signifie « première lettre » : ● J’instruis tous les humains ; si tu coupes ma tête, Je n’ai plus de raison et suis pis que la bête. Solution : Livre, ivre. V. Biffure graphique. Mot dans le mot.
8. La lettre en plus ou en moins implicite – Sa main avide devient une main pleine. (F. Dard) La différence entre le mot prévu (vide) et celui que l’auteur a choisi repose sur l’addition d’une seule lettre. [De là aussi l’opposition implicite vide vs pleine.] – Dans la vitrine d’un restaurant : « Spécial du jour : poison et pommes frites ». Commentaire d’un client potentiel : « C’est probablement une coquille… mais on ne va pas prendre de chance. » Inversement, la différence entre le mot attendu (poisson) et celui qui étonne tient à l’absence d’une lettre. Appelons lettre en plus ou en moins implicite le remplacement d’un mot par un autre, ces deux mots différant d’une seule lettre, tantôt une lettre ajoutée, tantôt une lettre retranchée : – Souvenez-vous qu’il est parfois très enrichissant de joindre le futile à l’agréable. – Une personne livrée à elle-même sous les toits de Paris, c’est ce qu’on appelle les sévices sociaux. (É. Ajar)
Orthographes identiques ou semblables ▼ 83
Comme on modifie souvent des formulations connues, les allusions* sont nombreuses et généralement limpides, telles les évocations de homme à femmes, de Partir, c’est mourir un peu ou de Qui trop embrasse mal étreint : – Harem : home à femmes. (S. Mirjean) – Partir, c’est crever un pneu. (Coluche) – Qui trop embrase mal éteint. (J. Steinberg) Note. Certains verraient ici des paronymies implicites*.
V. Addition graphique. Biffure graphique. Fausse coquille.
9. Les lettres interverties Au sujet d’un moyen de transport : – Notre système est faible. Oups ! est fiable. (Le chat botté) Dans le passage de faible à fiable, deux lettres se mettent l’une à la place de l’autre. Les lettres interverties permettent d’associer des mots de formes très proches, lesquels se distinguent par l’ordre de succession de deux lettres en contact : – Je persifle et je singe. (Titre d’un spectacle de Sol) [signe] – Balzac et Musset ont rebaptisé Sainte-Beuve en Sainte-Bévue.
Précisions Insistons sur le fait qu’on a affaire ici à une transposition de lettres et non de sons. Par exemple, le groupe de lettres « ia » dans fiat, prononcé [fjat]), correspond à deux sons ; dans fait, prononcé [fɛ], le groupe de lettres « ai » correspond à un son unique : ● Le fiat et le fait (P. Claudel) Le procédé est explicite quand les deux termes ressemblants se côtoient dans une phrase ; il est implicite quand seul apparaît le résultat de la transformation : ● S’il se pouvait un chœur de violes voilées. (L. Aragon) ● Mais c’est un « singe de croix » que vous faites là, Brasse-Bouillon ! (H. Bazin) [signe] Une réalisation extrême consiste à intervertir des lettres dans la plupart des mots : ● un juor vres miid, sru la palte-frome… (R. Queneau) Note. L’anagramme* repose sur un bouleversement total de l’ordre des lettres. V. Paronymie explicite et implicite. Contrepèterie. Croisement sonore.
Chapitre 4
Contraintes d’écriture et de lecture
Lettres obligatoirement présentes ou absentes On favorise des retours de lettres On s’oblige à utiliser une lettre en particulier, quelle que soit sa place dans les mots : la lettre imposée Tous les mots principaux d’une séquence débutent par la même lettre : le tautogramme Chaque mot d’une phrase commence par la dernière lettre du mot précédent : la kyrielle graphique On s’efforce d’utiliser toutes les lettres de l’alphabet français De la lettre initiale d’un mot à l’autre, on utilise, dans l’ordre, chacune des lettres de l’alphabet : l’abécédaire On crée une phrase dans laquelle chacune des lettres de l’alphabet n’apparaît qu’une fois : le pangramme On s’interdit l’emploi d’une ou de plusieurs lettres : le lipogramme
Substitutions ou déplacement de lettres On remplace par des chiffres des lettres formant les mots : les lettres chiffrées On modifie l’ordre des lettres constituant des mots pour en former d’autres : l’anagramme On modifie l’ordre des lettres constituant des mots, sans aboutir à d’autres mots : la fausse anagramme On écrit les mots de droite à gauche : la graphie réversible
86 ▲ Jeux verbaux et créations verbales
Addition ou effacements de lettres On exploite le nombre de lettres, croissant ou décroissant, formant les mots : la boule de neige graphique On exploite le nombre de syllabes, croissant ou décroissant, formant les vers : la boule de neige syllabique
Lectures dans les deux directions On incite à lire un message dans un sens comme dans l’autre sans qu’il y ait changement de signification La lecture se fait lettre après lettre : le palindrome graphique La lecture se fait son après son : le palindrome sonore La lecture se fait syllabe après syllabe : le palindrome syllabique La lecture se fait chiffre après chiffre : le palindrome numérique La lecture se fait mot après mot : le palindrome lexical On incite à lire un message dans un sens comme dans l’autre avec changement de signification La lecture se fait lettre après lettre : l’anacyclique graphique La lecture se fait mot après mot : l’anacyclique lexical
Contraintes d’écriture et de lecture ▼ 87
LETTRES OBLIGATOIREMENT PRÉSENTES OU ABSENTES
1. La lettre imposée – Je ne cesse de te le dire, Elvire. [Site Mots de tête] Sans être la seule voyelle écrite utilisée dans cette phrase, le « e » apparaît dans chacun des mots qui la composent. Appelons lettre imposée celle qu’on s’est astreint à employer dans tous les mots d’une phrase ou d’un texte ou, à tout le moins, dans la plupart d’entre eux : – Le poids des mots, le choc des photos. (Devise d’un magazine) – Coquet bistrot. Néon fluorescent, ton auréole clignote : smog londonien, doré, vaporeux. Forçant notre œil, morcelant notre ciboulot. Nous nous cherchons pour nous connaître. Œillades éloquentes, cœurs troublés. […] (F. Guichard)
Précisions Poussé à l’extrême, le procédé donne des textes où une seule consonne ou une seule voyelle est utilisée. On parle alors de monoconsonantisme ou de monovocalisme (termes où l’élément grec monos signifie « seul, unique »). I l y a monoconsonantisme graphique quand on s’est astreint à utiliser une seule lettre-consonne, peu importe sa position dans les mots. Reproduisons les trois dernières phrases de L’élu et la loi de Nicolas Graner : ● Élie a lu la loi au lot, on l’a louée et on l’a élue. Ulla, Lee, Louis, Lili, Leah, Léon, Lola, Léa, Eulalie, Lio, Lou, Ali, Léo et Alain l’ont lue en long (et Lulu ? oui, Lulu l’a lue au lit) et l’ont louée. Et le loup ? Oh, le loup, il est loin, allez. I l y a monovocalisme graphique quand on favorise la présence d’une seule lettre-voyelle au détriment de toutes les autres. Dans une reformulation du vers de Lamartine Un seul être vous manque, et tout est dépeuplé ! Claude Gagnière s’en est tenu à la voyelle « e » : ● Cette belle enlevée, le désert est réel ! Par ailleurs, on ne rencontre que la voyelle « a » dans un texte de Georges Perec intitulé What a man ! Voici un extrait qu’ont reproduit Laurent Raval et Thierry Leguay :
88 ▲ Jeux verbaux et créations verbales
● Match pas banal : Andras Mac Adam, campagnard pas bavard, bravant
Max Van Zapatta, malabar pas marrant. Ça barda. Ça castagna dans la cagna cracra. Ça balafra. Ça alla mal. Ah, la la ! Splatch ! Paf ! Scratch ! Bang ! Crac ! Ramdam astral ! Max planta sa navaja dans l’avant-bras d’Andras. Ça rata pas. – ça va pas, fada ! brama Andras, s’affalant à grand fracas. Le même Perec a écrit le roman Les Revenentes dans lequel seule est présente la lettre-voyelle « e », ce qui, toutefois, a amené l’auteur à modifier l’ortho graphe de plusieurs mots, comme en témoigne déjà le titre. Note. Pour réaliser un tautogramme*, on s’impose aussi le choix d’une lettre. V. Allitération. Assonance.
2. Le tautogramme Syn. Le pantogramme – Le mat mal mis l’a mis à mal. (Titre d’album d’Achille Talon) Tous les mots de ce titre, ou presque, débutent par la même lettre-consonne. Le tautogramme est une suite de mots qui commencent par la même lettre : – Baygon : bye bye les bestioles. (Publicité) On s’en doute, l’audition de certains tautogrammes donnerait une impression de cacophonie*. Tautogramme est formé des mots grecs tautos « le même » et gramma « lettre ». L’élément panto- de pantogramme signifie « tout ».
Précisions Au sens strict, le tautogramme s’applique à tous les mots sans exception : ● Publicité fictive : Pilules Pink pour personnes pâles. Dans la pratique, il exclut les déterminants (articles, possessifs, démonstratifs, etc.) et les prépositions, comme l’illustre cette petite annonce fantaisiste que nous proposent Laurent Raval et Thierry Leguay : ● Vend ventouse de ventilateur verdie par le vent violent venu de Vancouver. Il y a quasi-tautogramme quand un ou deux mots pleins (noms, adjectifs, verbes, adverbes) échappent à la règle : ● Sextine aux six lézards et six souris. (C. Robillard) Le procédé s’applique en général aux consonnes, mais on rencontre parfois des voyelles : ● Audace, adorable, amitié, amusant, amour, ange, astuce. La vie commence avec un a ! (Publicité)
Contraintes d’écriture et de lecture ▼ 89
Par ailleurs, c’est la lettre qui compte ici avant tout et non le son. Cela explique que, dans le tautogramme en « a » ci-dessus, ce n’est pas le son [a] qu’on entend dans le « au » du mot audace [odas] et le « an » du mot ange [ɑ̃ʒ]. Et dans la première phrase de Cahiers captifs d’Annie Hupé, le « c » correspond aux sons [k] et [s] et le « ch » au son [ʃ] : ● Considère, cher correspondant, ces cahiers cachés comme concrets. Certains tautogrammes répètent la même lettre-consonne au début et à l’intérieur des mots, parfois jusqu’à atteindre le monoconsonantisme* : ● Bons bonbons pour beaux bambins. (Publicité) ● Le pape a fait des papouilles aux petits papous. (J.-L. Fournier) ● La pipe au papa du pape pie pue ! (J. Prévert) La présence d’un tautogramme n’exclut pas le retour d’autres consonnes ailleurs dans le mot et peut produire des harmonies imitatives ou suggestives* : ● Les croqueurs craquent pour les craquelins. (Publicité) Le tautogramme s’associe souvent à la paronymie explicite*, à savoir la présence de mots semblables dont les sens sont éloignés : ● Paroi parée de paresse de paroisse (M. Duchamp) Le tautogramme va du groupe de mots jusqu’au texte ou au poème en passant par la phrase ou le vers : L a portion de phrase tautogramme : ● Mais il a aussi exhibé toute une machinerie de francs fantasmes et de fantastiques fantômes. (S. Baillargeon) L a phrase tautogramme : ● Don Quichotte dormira au dortoir délavé dominant son dramatique double ; délaissons ce destructeur démodé au destrier desséché de dèche. (P. Demarne) L es vers tautogrammes (appelés aussi vers lettrisés) sont ceux où tous les mots commencent par la lettre initiale du mot à la rime : ● Ma mer, m’amie, me murmure : Nos nils noient nos nuits nées neiges. (R. Desnos) ● Voici Venir Vingt Vampires Verts ! Six Sales Sorcières Sifflantes Suivent ! ● Deux Dragons Déchaînés Dégobillent des Déchets Dégoûtants ! […] (Y. Rivais) Des auteurs, tel Michel Laclos, se sont amusés à transformer en tautogrammes des vers célèbres : ● Un seul être vous manque et tout est dépeuplé ! (Lamartine) Ma mie me manque, mon monde meurt. (Mamartine) ● Ô temps, suspends ton vol (Lamartine) Té ! Temps, termine ta translation. (Tatartine)
90 ▲ Jeux verbaux et créations verbales
L e poème tautogramme : ● Songeuse solitaire Suzanne, si séduisante, Se sent songeuse soudain, Sans son sage séraphin Sans sa sœur, sans sa servante, Sans savoir si ses secrets Ses songeries, son silence, Seront subtiles souffrances… Sinon surprises sacrées ! (N. Prévost) L e texte tautogramme : ● le soir où le système sombra sous les sondages Nous sommes des sadomasos de la statistique. Semaine après semaine, les sondages succèdent aux sondages. Les statisticiens vus sondent pour un si ou pour un sûrement pas. « Ne seriez-vous pas satisfaits si le stationnement sur un seul sens était supprimé ? » « Si » signalent 66 % des sondés à qui la solution sied. [À noter que ce tautogramme se poursuit sur cinq pages.] (L. Guillaumin, « Traité des tautogrammes ») Le tautogramme inverse en « e » est la séquence dans laquelle tous les mots se terminent par un « e » celui-ci étant presque toujours muet. Autre contrainte : le voyelle « e » n’apparaît qu’à la finale des mots : ● Une limite que je passe Une limite que je passe, le trouble me chavire : souffle stable, humanité analogue. Le barrage que marque toute image de borne, de plante, change chaque chose, voire le paysage : unique, votre route se distingue comme le balisage. Que le gindre marchande une longue pâte cuite, l’affaire se transforme comme flûte de boulange. (P. Besnard et D. Fabre) V. Lettre imposée. Virelangue.
3. La kyrielle graphique Syn. L’enchaînement graphique – […] joyeux xylophone épars, sourd, d’un nigaud désuet très sage et tapageur, répétant tic, chanta annuellement... (F. Almaleh) Dans cet extrait d’un texte en prose, la première lettre de xylophone correspond à la dernière de joyeux, la première lettre de épars reprend la dernière de xylophone, et ainsi de suite. Dans la kyrielle graphique chaque nouveau mot (d’une phrase ou d’un texte) débute par la lettre qui termine le mot qui le précède :
Contraintes d’écriture et de lecture ▼ 91
– Jane Eyre est toujours si inépuisable, éternel leitmotiv… Vent terrible et tonnerre. Elle entend, dehors, souffler rageusement. […] (J. Perry-Salkow) [Pour connaître la suite, consultez le site Zazipo.] Soyez également attentif au premier quatrain du poème intitulé « Neige en novembre » dont on peut lire la version intégrale sur le site Fatrazie : – Elle est tombée, étrange, élégante et ténue, Et toi, immaculée, évite, et touche enfin Nos suaves sportifs, skiant, toujours sanguins. Soleil léchant, transi, igloo, océan nu. (Alain)
V. Kyrielle syllabique [lexicale].
4. L’abécédaire Syn. L’écriture abécédaire – Alors, Béatrice crut devoir emporter fiévreusement Guy. Heureusement, il jouait : képi, légos, machines n’occupaient plus que raisonnablement sa tanière (un vieux wallon xénophobe y zézayait). (H. Landroit) Le premier mot de ce texte débute par la lettre « a » le deuxième, par la lettre « b » et ainsi de suite jusqu’à la lettre « z ». L’abécédaire (n. m.) est un court texte, en prose ou en vers, dans lequel chaque mot débute par une lettre différente, en suivant l’ordre alphabétique : – A.B.C. de la paix Aux bannis, coupables d’exister, Faites grâce. Honorez indistinctement Juif, Kirghiz lettré, manœuvre nigérian. Oubliez peines, querelles, Réconciliez serpents, tourterelles. Unissez-vous Walda, Xavier, Yamaguchi, Zoé. (R. Kempeners) Dans l’énumération des principales caractéristiques d’une de ses voitures, GM a déjà exploité la succession des vingt-six lettres de l’alphabet pour mieux illustrer le slogan : « Voiture complète » : – A Agrément de la radio… B Bonne taille… […] Z Zinc recouvrant les métaux… Abécédaire vient du mot latin abecedarius, formé à partir des lettres A B C D.
92 ▲ Jeux verbaux et créations verbales
Précisions L’abécédaire emprunte diverses avenues : I nverser la contrainte en partant de la lettre de Z pour arriver à la lettre A : ● Zoophobe ysopet : Zigouillons yacks, xérus, wapitis, varans, urubus ! Tuons sapajous, requins, quadrumanes, panthères, ornithorynques, nasiques ! Massacrons lémuriens, kangourous, juments, ichtyosaures, hérissons, gnous, fouines, éléphants ! Détruisons ces bêtes abominables ! (Dainvelle) A ller de A à Z puis de Z à A : ● Au bal costumé des enfants facétieux gambadaient, hilares, infatigables. Joyaux kaléidoscopiques, lampions multicolores, nous offraient partout quelque resplendissant spectacle. Titubant, un vénérable wagonnier xanthoderme y zigzaguait. Yogis xénophiles, wattmen vaniteux, unis temporairement, sirotaient, rêveurs. Quand, promeneurs obscurs, nous musardions, la kermesse joyeuse immortalisait héros grecs, farfadets et danseurs chinois bizarrement accoutrés. (J. Pépin, site Bric-a-brac) T rouver deux mots commençant par « a », qui seront suivis de deux mots commençant par « b », et ainsi de suite : ● Arthur Amadou, bêtement bohème, compulsait couramment des dictionnaires en empruntant fort fiévreusement… (H. androit) ● Alphonse Allais, bouche bée, cherchait consciencieusement de délicates et élégantes fantaisies. Folle gageure ! – « Grande honte ! » hurla-t-il irascible, justifiant justement… (M. Laclos) C omposer un poème abécédaire, qui compte vingt-six vers commençant par les vingt-six lettres de l’alphabet, Les L du temps de Zohra Karim, par exemple, dont nous reproduisons les premiers et derniers vers : Allumer un feu Brûler les souvenirs crasseux Calculer le temps écoulé depuis Dire que c’est fini […] Wagon de nuit qui s’en va, un autre reviendra. Xylophone jouant Y’a la vie, note après note, légère comme le vent, c’est la vie Zéphir parle-nous encore, ne t’arrête pas.
Contraintes d’écriture et de lecture ▼ 93
5. Le pangramme – Peux-tu m’envoyer du whisky que j’ai bu chez le forgeron ? Dans cette courte phrase, sont présentes les vingt-six lettres de l’alphabet. Le pangramme est une phrase, aussi brève que possible, qui renferme au moins une fois chacune des lettres de l’alphabet, incluant celles plus rarement rencontrées, le « k », le « w » ou le « z », par exemple : – Voyez le brick géant que j’examine près du wharf. (C. Gagnière) – Dix clochards fous, ivres de jeune whisky, ont piqué le maigre bananier du zoo. (Site Mots de tête) – Voix ambigüe d’un cœur qui au zéphyr préfère les jattes de kiwis. (S. Bailly) Il va de soi que les méthodes de dactylographie proposent quelques pangrammes dont celui-ci comptant 37 lettres : – Portez ce vieux whisky au juge blond qui fume. Terminons par un tour de force : une alliance de l’alphabet parlant* et d’un pangramme qui n’est formé que par les vingt-six lettres de l’alphabet, pas une de plus : – MUOBZLNDSATEGPYWQFIJKCRXHV – [Traduction : Ému au baiser d’Hélène (déesse athée), Égée, pays grec doux, bleu, vécut effigie cassée et rixe achevée.] Pangramme contient l’élément pan- « tout » et gramme « lettre ». Note. L’abécédaire* utilise aussi, mais à sa manière, toutes les lettres de l’alphabet.
6. Le lipogramme Syn. Lettre(s) manquante(s) – Ondoyons un poupon, dit Orgon, fils d’Ubu. Bouffons choux, bijoux, poux, puis du mou, du confit, buvons non point un grog : un punch. Il but du vin itou, du rhum, du whisky, du coco, puis il dormit sur un roc. (R. Queneau) Vous chercheriez en vain la présence des lettres-voyelles « a » et « e » dans ce drôle d’extrait, délibérément omises. Le lipogramme est une phrase ou un texte dans lequel on s’est refusé l’utilisation d’au moins une lettre de l’alphabet, généralement une voyelle. Sur un ton badin, Claude Gagnière a reformulé un vers très connu de Lamartine, comptant neuf « e » (accentués ou non) en évitant l’emploi de cette lettre-voyelle : – Un seul être vous manque, et tout est dépeuplé ! Ton amour disparu, il n’y a plus un chat ! Lipogramme vient d’un mot grec qui signifie « auquel il manque une lettre ».
94 ▲ Jeux verbaux et créations verbales
Précisions On exclut une lettre même dans les cas où elle ne s’entend pas à l’oral. Par exemple, le mot reine, prononcé [ʀɛn], ne pourrait pas figurer dans un texte lipogrammatique en « i ». Le plus souvent on se prive d’une voyelle. Il est question ici des cinq voyelles (« a », « e », « i », « o », « u ») utilisées à l’écrit et non des seize voyelles articulées et perçues à l’oral. Si la contrainte touche généralement l’une ou l’autre de ces cinq lettres-voyelles, c’est qu’il est difficile de s’en passer en raison de leur très haute fréquence d’utilisation. Sous le titre Le petit lipogramme du loup, Robert Kempeners a écrit un court poème en utilisant les cinq voyelles graphiques, un autre sans employer le « e » et le dernier, que nous vous proposons, en se passant du « i » : ● Lorsque sort du fourré, Sous un châle caché, Un loup charmant, causant, Réponds, juge sévère : « Montre tes dents, grand-mère ! » Lipogrammatiste à ses heures, Georges Perec a écrit tout un roman intitulé La Disparition, dans lequel, justement, a disparu la voyelle « e », la plus utilisée en français. Il s’est privé de la même voyelle pour réécrire Brise Marine de Stéphane Mallarmé et le sonnet Recueillement de Charles Baudelaire, dont voici le début : L e distique original : ● Sois sage, ô ma douleur, et tiens-toi plus tranquille Tu réclamais le Soir, il descend, le voici. L e distique modifié : ● Sois soumis, mon chagrin, puis dans ton coin sois sourd Tu la voulais, la Nuit, la voilà, la voici. Évidemment, pour conserver sensiblement le même sens, le recours à des synonymes s’impose. Pour éviter la voyelle « e », Robert Soulières, quant à lui, s’est amusé à tronquer des mots, à recourir à des mots étrangers, à franciser le mot New au moyen d’une graphie fantaisiste : ● Un jour, on offrait du chocolat aux maisons du coin. Pour not’prof. Pour un trip à NouilYork, on nous avait dit. […] Alors, adios donc NouilYork. […] On peut aussi se priver d’une consonne, mais dans ce cas la contrainte ne présente pas toujours une grande difficulté. Jacques Bens nous rappelle qu’il ne serait guère malaisé de rédiger un texte sans « k », sans « x », sans « z », ou même sans « h », sans « b » ou sans « v ». V. Suppression graphique. Biffure graphique.
Contraintes d’écriture et de lecture ▼ 95
SUBSTITUTIONS OU DÉPLACEMENTS DE LETTRES
1. Les lettres chiffrées – UN B34U JOUR d’373 Pour former les mots de ce titre (Un beau jour d’été), on a mélangé des lettres et des chiffres. Appelons lettres chiffrées, le procédé consistant à remplacer par des chiffres certaines lettres constituant des mots : – J’37415 5UR L4 PLAG3 37 J3 R3G4RD415 D3UX J3UN35 FILL35 JOU4N7 D4N5 L3 54Bl3. 3LL35 CON57RU15413N7 UN CHÂ734U D3 54BL3… [Traduction : J’étais sur la plage et je regardais deux jeunes filles jouant dans le sable. Elles construisaient un château de sable…] On a affaire ici à une forme atténuée de cryptage : il faut donc trouver la clé permettant de remonter aux formes habituelles. Ci-dessus, la tâche est aisée : on devine assez vite que le chiffre 1 correspond à la voyelle « i », le 3 aux voyelles « e » ou « é », le 4 à la voyelle « a », le 5 à la consonne « s » et le 7 à la consonne « t ». De plus, pour favoriser l’intelligibilité, les lettres initiales des mots ont été conservées.
2. L’anagramme Syn. La redistribution des lettres – Le diable ne peut pas coexister avec l’exorciste. On pourrait imaginer que le nom exorciste a été obtenu en bouleversant l’ordre des lettres du verbe coexister. Ou l’inverse. Quoi qu’il en soit, les mêmes lettres dans deux arrangements différents se prêtent à deux lectures. Dans notre optique, l’anagramme (n.f.) est le rapprochement dans une phrase de mots formés des mêmes lettres, celles-ci étant disposées autrement : – Sa vie a été immortalisée par un célèbre mémorialiste. – Il y a une écriture de sources, et une écriture de secours. (G. Perros) Pour nommer ce type de jeu, certains parlent d’anaphrases. Anagramme vient du grec anagrammatizein qui signifie « bouleverser l’ordre des lettres d’un mot ».
Précisions Du mot de départ à son résultat, il n’y a ni addition, ni suppression, ni substitution de lettres, mais seulement réarrangement. Dans le cas où un des mots
96 ▲ Jeux verbaux et créations verbales
rapprochés a une lettre de plus, on parle de quasi-anagramme. Ainsi, le passage de vigneron à ivrogne nous laisse avec un « n » en trop : ● Il est possible d’être un vigneron sans devenir un ivrogne. Dans la fabrication d’anagrammes, on ne tient pas compte des accents (graves, aigus, circonflexes) et des lettres minuscules ou majuscules : ● En rêvant à des vers, il sentait doucement Que dansait dans son cœur sa vipère privée. (T. Derème) ● Les Parisiens prennent beaucoup d’aspirines. L’anaphrase surprend davantage lorsque les mots rapprochés ont une parenté de sens : ● Qu’un chien sorte d’une niche, quoi de plus normal ? (R. Droin) ● Un vrai petit miracle, cette guérison que vous apporte le soigneur ! (R. Droin) Le brassage des lettres d’un mot donné peut produire plusieurs résultats : ● La Bible : un récit écrit à citer. (R. Droin) ● Adam chassé du Paradis terrestre : le premier réprimé dans l’empire périmé… (R. Droin) Par ailleurs, rien n’empêche de faire surgir les anagrammes de deux mots dans la même phrase : ● Ô mon crâne, étoile de nacre qui s’étiole. (R. Desnos) ● La peur, c’est une hanche pure sous un granit ingrat. (R. Desnos) L’anagramme peut s’appliquer à des unités supérieures aux mots. Dans Anagrammes renversantes, Étienne Klein et Jacques Perry-Slakow se sont amusés à transformer des groupes de mots et des phrases : ● La gravitation universelle. Loi vitale régnant sur la vie. ● Jeanne Antoinette Poisson, marquise de Pompadour. Ainsi attendais-je qu’on poudre et pomponne ma rose. Le point de départ de l’anagramme a souvent été un nom propre, soit pour déprécier ou valoriser la personne qui le portait, soit pour créer un pseudonyme, comme si l’équivalence au niveau formel supposait un rapport de sens : ● André Breton a rebaptisé Salvador Dali en Avide Dollars. ● Quelqu’un s’est permis d’écrire que Proust était un Pur sot. ● Boris Vian a camouflé sa présence sous les pseudonymes Bison ravi ou Brisavion. ● Rauque Anonyme correspond à nul autre que Raymond Queneau. Note. Avec les lettres interverties*, la distinction entre les mots repose sur l’ordre de succession de deux lettres seulement. V. Fausse anagramme. Paronymie explicite. Mot dans le mot.
Contraintes d’écriture et de lecture ▼ 97
3. La fausse anagramme Syn. Le brouillage – Il vuat mueix êrte rhcie et en bnnoe sntaé que pvruae et mdlaae. (Raval et Leguay) Malgré le mélange des lettres formant la plupart des mots, on reconnaît la phrase Il vaut mieux être riche et en bonne santé que pauvre et malade. C’est que, pour favoriser le décodage, on a conservé la lettre initiale et la lettre finale de chaque mot, ce qui a permis de laisser intacts les mots outils comme la préposition en et la conjonction et. Appelons fausse anagramme la phrase ou le texte obtenu par la redistribution des lettres de la majorité des mots, sans que ces derniers ne deviennent incompréhensibles : – LES VRES À SIOE [= Les vers à soie] [Titre d’un poème d’É. Roba qu’on peut lire sur le site Zazipo.] – L’oacén Anqtaulite frmoe une srtoe de gnard S étrié ernte les duex Arméqieus et le bolc Epuroe-Aqriufe. (Raval et Leguay) [Traduction : L’océan Atlantique forme une sorte de grand S étiré entre les deux Amériques et le bloc Europe Afrique.] Dans l’anagramme*, la redistribution des lettres fournit d’autres mots du lexique ; la fausse anagramme, elle, ne fait que modifier les formes des mots existants : – PUVEOZ-VUOS LRIE CECI ? Si vuos pvueoz lrie ccei, vuos aevz asusi nu dôrle de cvreeau. Seleuemnt 56 porsnenes sur cent en snot cpalabes. Je n’en cyoaris pas mes yuex que je sios cabaple de cdrpormendre ce que je liasis. Le povuoir phoémanénl du crveeau huamin. Soeln une rcheerche fiat à l’unievristé de Cmabridge, il n’y a pas d’iromtpance sur l’odrre dans luqueel les lerttes snot, la suele cohse imotprante est que la priremère et la derènire letrte du mot siot à la bnone palce. La raoisn est que le ceverau hmauin ne lit pas les mtos par letrte mias ptuôlt cmome un tuot. Étonannt n’est-ce pas ? Et moi qui ai tujoours psneé que svaoir élpeer éatit ipomratnt !
V. Anagramme. Graphie réversible. Lettres chiffrées.
4. La graphie réversible Syn. Le boustrophédon – itrap tse Il Au premier abord, cette séquence paraît illisible. Elle devient claire si on la lit, lettre après lettre, en partant de la fin, ce qui donne : Il est parti. La graphie réversible, c’est la transcription graphique d’un mot ou d’une suite de mots, à lire non pas de gauche à droite selon notre habitude, mais de droite à gauche. De là l’apparition de « formes » inexistantes à l’aspect cocasse qu’il faut décoder :
98 ▲ Jeux verbaux et créations verbales
– Respire à donf ! [= fond] – On n’allait pas encore comptant siort xeud nu orez. (R. Queneau) [= trois deux un zéro]
Précisions Le procédé s’applique généralement à des mots, des groupes de mots ou à des phrases : ● KcirtaP (= Patrick) ● EllieriM (= Mireille) ● Qui est DRAMIS ENER ? (= René Simard) ● EVUORT EJ, SAP EHCREHC EN EJ (P. Picasso) [= Je ne cherche pas, je trouve] ● Ixatnu siofnnut i avay (R. Queneau) [= Y avait une fois un taxi] ● elbaré’d elliuef al ed enneivuos em ej euq li tuaf (R. Duguay) [= Faut-il que je me souvienne de la feuille d’érable ?] En poésie, le procédé nous amène à effectuer des allers et retours. Aussi parle-t-on de boustrophédon, puisque le premier vers se lit dans l’ordre habituel (de gauche à droite), le deuxième vers se lit dans l’ordre inverse, et ainsi de suite. Dans le quatrain suivant, outre le recours aux majuscules, l’auteure a omis la ponctuation et les espaces entre les mots : ● Labourage JADISLESBOEUFSPIQUÉSDEL’AIGUILLON RUETNELEMLACNEEURRAHCALTNEIARIT MAINTENANTONFONCEAVECLETRACTEUR NOLLISUDTUOBUEAROCNEENRUOTNOSIAM (C. Villia-Chantrie) Autrement dit : Jadis les bœufs piqués de l’aiguillon Tiraient la charrue en calme lenteur Maintenant on fonce avec le tracteur Mais on tourne encor au bout du sillon Voilà une belle façon de décrire le procédé tout en le mettant en pratique, puisque le mot d’origine grecque boustrophédon signifie « en tournant comme les bœufs (d’un sillon à un autre) » (Le Robert). Note. Avec l’anacyclique graphique*, la lecture en sens inverse donne des mots de sens différents (par exemple, roc se lit comme cor) tandis qu’avec le palindrome*, la lecture à rebours aboutit au même mot, sans modification de forme (par exemple : ici demeure ici).
Contraintes d’écriture et de lecture ▼ 99
ADDITIONS OU EFFACEMENTS DE LETTRES
1. La boule de neige graphique Syn. L’escalettres – J’ai cru voir parmi toutes beautés insignes Rosemonde resplendir, flamboyante, pantelante, écartelée, évoquant quelque charme tordu scié sur un X. (G. Perec) Le premier mot de cette phrase compte une lettre, le deuxième en compte deux, et ainsi de suite jusqu’au mot flamboyante, formé de 11 lettres. À partir de ce point, le nombre de lettres se met à décroître : le mot pantelante en compte 10, écartelée en compte 9 et ainsi de suite jusqu’à atteindre une seule lettre. La boule de neige graphique joue avec le nombre de lettres formant les mots d’une phrase, tantôt par addition, tantôt par suppression : – À la mer, nous avons admiré souvent quelques nouvelles amourettes. (H. Landroit) – Quelles belles lunes font des as ? (S. Bailly)
Précisions La boule de neige graphique peut croître, fondre ou croître avant de fondre : C roissante, les mots augmentent progressivement d’une lettre : ● À la mer nous avons trempé crûment quelques gentilles Allemandes stupidement bouleversées. (Jacques Bens) F ondante, les mots diminuent graduellement d’une lettre : ● Inévitablement, découragement, avilissement proviennent absolument, carrément, finement, gaiment, trente-trois fois par km2. (H. Landroit) C roissante, puis fondante, elle correspond à deux ensembles où les mots du premier ensemble augmentent progressivement alors que les mots du second ensemble diminuent graduellement : ● À un but près, notre équipe gagnait dimanche bravement. Supporters enregistrez ! Triomphale opération. Revanche passera samedi aprèsmidi sur la 2. (C. Nohel) Le procédé s’applique aussi à des poèmes (non rimés) dont chaque vers augmente ou diminue d’une lettre par rapport au vers précédent. V. Boule de neige syllabique [lexicale].
100 ▲ Jeux verbaux et créations verbales
2. La boule de neige syllabique – Poème élastique Je t’écris un poème qui va grandir s’allonger d’un pied à chaque vers tracé sans plus jamais s’arrêter jusqu’à remplir tout l’Univers… (veux-tu m’aider à le rétrécir ?) ******** ******* ****** ***** **** ** * (C. Norac) Dans la partie croissante de ce poème, le premier vers est formé d’une syllabe, le deuxième de deux, et ainsi de suite. Lecteurs et lectrices sont invités à produire eux-mêmes la partie décroissante. La boule de neige syllabique joue avec le nombre croissant ou décroissant des syllabes constituant les vers d’un poème : – JE VEUX ÉCRIRE UN LIVRE… Je veux écrire un livre mais en vain Car si chaque mot est disponible Les rassembler, est surhumain… Cela me rend irascible De retrouver ma main Même dans la bible ! Copies visibles Que je crible. Combien ? Plein ! (F. Guichard) À la contrainte du nombre des syllabes s’ajoute généralement celle des rimes.
Contraintes d’écriture et de lecture ▼ 101
Précisions La boule de neige syllabique peut croître, fondre ou croître avant de fondre : C roissante, elle correspond à un poème dont chaque vers augmente d’une syllabe par rapport au précédent, ce qu’illustre la première strophe du poème de Carl Norac ci-dessus. F ondante, elle correspond à un poème dont chaque vers diminue d’une syllabe par rapport au précédent. Le poème de Françoise Guichard, ci-dessus, en est une illustration. C roissante, puis fondante, elle correspond à deux ensembles où le premier augmente progressivement d’une syllabe alors que le second diminue graduellement d’une syllabe : Tous Jaloux Sont des fous Que je blâme : Fi d'une flamme Qui nous ronge l’âme ! Fais, mon cher, comme moi Pour braver la loi D’une amante Changeante, Chante, Bois. (C.-F. Panard)
C’est quand le principe est appliqué à des poèmes qu’on parle de vers rhopaliques (du grec rhopalon, qui signifie « massue »). En fait, quand ils sont doubles (à la fois croissants et décroissants), ces poèmes ont plutôt la forme d’un losange. V. Boule de neige graphique [lexicale]. Rime.
LECTURES DANS LES DEUX DIRECTIONS
1. Le palindrome graphique – Rions noir. (J. Bens) Cette phrase s’interprète de la même façon qu’on la lise, lettre après lettre, de gauche à droite ou de droite à gauche. Le palindrome graphique inverse l’ordre des lettres d’un mot ou d’une suite de mots, sans que la signification en soit changée : – Tournez-le comme vous voudrez, non, c’est non ! (R. Droin)
102 ▲ Jeux verbaux et créations verbales
Lisez les exemples ci-dessous, lettre par lettre, d’abord de gauche à droite, puis en commençant par la fin. Pour réussir cet aller et retour, il vous faudra modifier les frontières entre les mots et faire fi de la ponctuation, de l’apostrophe, des accents et des majuscules : – C’est sec. (R. Cornaille) – En route, je tourne. (R. Cornaille) Palindrome vient d’un mot grec qui signifie « qui revient sur ses pas » (de palin « de nouveau » et dromos « course »).
Précisions 1. Quels sont les éléments qui peuvent se prêter à pareille lecture ? D es mots (parfois appelés mots-janus). Il peut s’agir de noms communs (radar, sexes, gag, été), de noms de personnes (Laval, Anna, Ève, Ava, Ubu), de noms de villes (Noyon, Selles, Senones), de verbes (rêver, ressasser, snobons), d’adverbes (ici, non, tôt) et du pronom elle. ● Attention ! le kayak peut se retourner ! (R. Droin) ● Dans des mots-croisés : Histoires de famille : SAGAS D es groupes de mots : ● Élu par cette crapule. ● Un drôle de lord nu. ● Le bon Nobel. D es phrases : ● Engage le jeu, que je le gagne. (C. Gagnière) ● À révéler mon nom, mon nom relèvera. (C. de Bergerac) ● Élu, ce Laval a épaté la Léona ; elle m’a gâté, David, à la carte ; René retraça la Diva de ta gamelle à Noël ; à l’étape à Laval, éculé. (David P. Massot) D es vers. Dans ce cas, d’aucuns parlent de rimes rétrogrades. Voici trois vers attribués à Louise de Vilmorin : ● Ta bête te bat. ● Suce ses écus. ● Lune de ma dame d’été, été de ma dame de nul. D es textes. Par exemple, « Le grand palindrome » de Georges Perec compte plus de cinq mille lettres. Son titre 9691, EDNA’D NILUOM UA révèle l’année et l’endroit où il a été conçu : 1969, Au Moulin d’Andé.
Contraintes d’écriture et de lecture ▼ 103
Il existe des cas complexes où un palindrome et un anacyclique* s’entremêlent. Par exemple, si la lecture à rebours (lettre par lettre) du vers L’âme sûre ruse mal laisse le sens inchangé, c’est la lecture inverse de L’âme sûre qui a fourni ruse mal. Dans ce cas, comme il y a changement de signification, c’est le principe de l’anacyclique graphique qui s’applique. Note. Avec la graphie réversible*, l’écriture en sens inverse fait jaillir une forme inconnue mais de même sens. Par exemple, un taxi a beau se transformer en ixatnu, il est question du même mode de transport.
2. Le palindrome sonore – Une Slave valse nue. Si on prononce cette phrase en commençant par la fin et en ne tenant compte que des sons (et non des lettres), son contenu reste inchangé. Rappelezvous que le « e » qui termine chacun de ces mots est muet ; le mot valse, par exemple, se prononce [vals]. Dans une direction comme dans l’autre, la transcription phonétique (celle de la langue parlée) donne cette suite de sons : [ynslavvalsny]. Le palindrome sonore (ou phonétique) inverse l’ordre des sons d’une phrase sans qu’il se produise un changement de signification : – Angèle et Laurent enrôlaient les gens. (L. Étienne) Bref, qu’on prononce la phrase ci-dessus de gauche à droite ou de droite à gauche, on perçoit une même suite sonore : [ɑ̃ʒɛlelɔʀɑ̃ɑ̃ʀolɛleʒɑ̃].
Précisions Comme on tient compte de l’aspect sonore au détriment de la graphie, on fait abstraction de certaines lettres qui ne se prononcent pas et on se rappelle qu’une même sonorité peut se rendre par des graphies différentes. À titre d’exemple, ci-dessous, le « e » de bide de même que le « s » de dis et de t’as sont muets ; le son [o] est rendu par « eau » et « au » : ● Dis beau lama t’as mal au bide ? [dibolamatamalobid] Enfin, pour réussir cet aller et retour, on n’a pas à respecter les frontières entre les mots, la ponctuation, l’apostrophe, les accents et les majuscules : ● Rossellini y nie l’essor. [ʀɔsɛliniinilɛsɔʀ] ● El Capitan n’a-t-y pas clé ? (P. Debry) [elkapitannatipakle] On rencontre des cas complexes, combinant en quelque sorte un palindrome (qui laisse la signification inchangée) et un anacyclique* (qui modifie la signification). Examinons cet exemple : ● Jeanne en luge, Jules en nage. [ʒanɑ̃lyʒʒylɑ̃naʒ] La lecture à rebours (son après son) de Jeanne en luge, Jules en nage laisse le message inchangé. On a donc affaire à un palindrome. Toutefois, c’est la
104 ▲ Jeux verbaux et créations verbales
lecture inverse de Jeanne en luge qui a donné Jules en nage. Or ce changement de signification est le propre de l’anacyclique. Terminons par un exemple du même type : ● Mal à l’aise. Zèle à l’âme. [malalɛzzɛlalɑm]
3. Le palindrome syllabique – Laconique Nicolas. La lecture, syllabe après syllabe, de Laconique Nicolas (la-co-ni-que-Ni-co-las] en partant de la fin (las-co-Ni-que-ni-co-La) laisse le message intact. Le palindrome syllabique inverse l’ordre des syllabes d’une phrase ou d’un vers sans que la signification en soit changée : – Si Didon rêvait là-haut, Théo la verrait donc d’ici. – Holà ! Perds-tu, vicieux, les sens ? Les cieux vitupèrent là-haut ! (L. Étienne)
4. Le palindrome numérique – Les nombres 1991 et 3223 ont quelque chose en commun. Qu’on les lise, chiffre après chiffre, dans un sens ou dans l’autre ces deux nombres demeurent les mêmes. Le palindrome numérique est la suite de chiffres qui conserve la même valeur, que leur lecture se fasse de gauche à droite ou de droite à gauche : – Tant d’enfants nés le 20-02-2002 à 20h 02, voilà qui est étonnant ! (P. Le Fur)
5. Le palindrome lexical – La foule, foule-la ! Cette suite de mots s’interprète de la même façon quelle que soit la direction de la lecture. Le palindrome lexical résulte de la lecture inverse, mot par mot, d’une séquence sans que la signification en soit changée : – Nous avions les avions, nous. À noter que la forme verbale avions et le substantif avions sont des homonymes tout comme le nom foule et l’impératif foule de notre exemple de départ. Toutefois l’homonymie* n’est pas une condition essentielle à la réalisation du palindrome de mots.
Contraintes d’écriture et de lecture ▼ 105
Précisions Pour qu’il y ait conservation du sens, la lecture à rebours ne tient pas compte de la ponctuation et de la présence de certains signes comme les accents et le trait d’union. T antôt, on inverse les mots formant une phrase, dite phrase rétrograde : ● Place là, de loin, les fous ; [petit à petit] fous-les loin de la place. (N. Graner) T antôt, on inverse les mots composant des vers, dits vers palindromiques (ou vers rétrogrades) : Lisez ces deux vers de Christine de Pisan (vers dont nous avons actualisé l’orthographe) : ● Douceur, bonté et gentillesse, Noblesse, et beauté, grand honneur […] La lecture à rebours conserve le sens, le nombre de syllabes et même les rimes : ● Gentillesse et bonté, douceur, Honneur, grande beauté et noblesse […] Notes. L’anacyclique lexical* propose deux significations d’une seule séquence. La dénomination vers rétrogrades s’applique autant aux vers anacycliques* qu’aux vers palindromiques, pourtant différents. V. Rimes rétrogrades. Écriture à rebours.
6. L’anacyclique graphique – Épater, rien de tel pour faire de la retape. (R. Droin) C’est la lecture à rebours des lettres formant le verbe épater qui a fourni le nom retape. L’anacyclique graphique inverse l’ordre des lettres d’un mot ou d’une séquence pour aboutir à un résultat de sens différent : – Lorsqu’ils arrivèrent en vue des moulins à vent, Don Quichotte et Sancho Pança n’eurent qu’un geste à faire pour que le rosse et l’âne prissent leur essor. (Cervantès) Anacyclique vient d’un mot grec signifiant « retourner en sens inverse ».
Précisions 1. Quels sont les éléments qui se prêtent à pareille lecture ? D es mots (qu’on appelle parfois mots-reflet) : ● Tout lad sait qu’il vaut mieux éviter la jument rétive. (R. Droin) ● En Australie, plutôt que de fêter Noël, on fête Lëon. (Croc)
106 ▲ Jeux verbaux et créations verbales
Parfois la lecture inverse d’un mot en révèle deux autres : ● Circuler = relu et cric. ● Remanier = rein et amer. (V. Labbé) U ne phrase : ● La bière dont le slogan est « Tu l’as » veut faire entendre « salut ». D es vers. Par exemple, la seconde partie de ces vers de Louise de Vilmorin est issue de la lecture inverse, lettre après lettre, de leur première partie : ● L’ami naturel ? Le rut animal. ● À l’étape, épate-la ! Par contre, la lecture à rebours des mêmes vers, cette fois en entier, donne exactement la même signification, ce qui est l’attribut du palindrome graphique*. Incluons ici le cas où l’anacyclique, qu’on pourrait qualifier de syllabique, repose sur la lecture de syllabes entières. Ci-après, c’est la lecture à rebours, sylllabe par syllabe, du premier vers qui est à l’origine du second : ● Quand de deux maux la patrie délivre la Française, cher passé, c’est pas cher seize francs la livre des tripes à la mode de Caen. (L. Étienne). V. Graphie réversible.
7. L’anacyclique lexical – Pourquoi un vers vais-je quand même analyser ? Analyser même quand je vais vers un « pourquoi ». (David P. Massot) Lisez le premier vers ci-dessus, en commençant par la fin : cette lecture inverse donne le second vers, qui a un tout autre sens. L’anacyclique lexical est une phrase ou un vers qui se lit indifféremment, mot après mot, de gauche à droite ou de droite à gauche, mais en acquérant un sens différent : – Souffrir sans amour, l’oublies-tu parfois ? Parfois, tu oublies l’amour sans souffrir ? – Vraiment ! Vous aimez l’arrangement sans écrire ! Écrire sans arrangement, l’aimez-vous vraiment ? (David P. Massot)
Précisions Pour réussir l’exercice, il convient d’ignorer la présence de majuscules et certaines différences liées à la ponctuation, aux accents, etc. Quand l’exercice s’applique à tout un poème, on parle alors de vers anacycliques (ou vers rétrogrades). Voyez ces deux strophes du poète Jean Molinet :
Contraintes d’écriture et de lecture ▼ 107
la première présente la femme sous un beau jour ; la seconde, qui reprend les mêmes mots dans l’ordre inverse, en donne une image loin d’être flatteuse : ● Femmes sont douces, non rebelles, Gemmes luisants, non brunes perles, Amiables, non étrangères, Véritables, non mensongères. ● Rebelles, non douces, sont femmes Perles brunes, non luisants gemmes, Étrangères, non amiables, Mensongères, non véritables Notes. Le palindrome lexical* (et les vers palindromiques) n’entraînent pas de modification de sens. La dénomination vers rétrogrades s’applique tantôt au palindrome, tantôt à l’anacyclique. V. Anacyclique graphique. Écriture à rebours.
Chapitre 5
Répétitions de mots à distance
Reprises à distance dans des positions plutôt libres Les éléments susceptibles d’être repris vont du mot à la phrase en passant par leurs composantes Un mot qui revient tel quel : la répétition de mot Un mot qui change de forme : le polyptote Un chiffre ou un nombre : la répétition de nombre La composante d’un mot : la répétition de préfixe Une unité supérieure au mot – la répétition de groupe de mots – la répétition de proposition, de phrase ou de vers
Reprises à distance dans des positions ou des constructions bien définies On reprend des éléments dans des constructions diverses Au début de séquences successives : l’anaphore À la fin de séquences successives : l’épiphore Au début et à la fin d’une phrase ou d’un ensemble plus grand : l’antépiphore Au début et à la fin de propositions ou de phrases successives : la symploque Dans une suite de compléments de même type : la cascade de compléments Dans des structures en croix – Deux mots reviennent dans un ordre inversé : l’antimétabole – Un mot revient dans un ordre inversé par rapport à un autre : l’antimétabole partielle
110 ▲ Jeux verbaux et créations verbales
REPRISES À DISTANCE DANS DES POSITIONS PLUTÔT LIBRES
1. La répétition de mot – J’aime qu’on m’aime comme j’aime quand j’aime. (P. Bourgault) L’auteur s’est employé à répéter un verbe, sans en modifier le sens. La répétition de mot est le retour, à une ou plusieurs reprises, d’un mot qui conserve la même signification : – Elle avait de gros os, un gros nez, un gros front, de gros yeux et offrait, au premier aspect, une vague ressemblance avec ces fruits cotonneux... (H. de Balzac).
Précisions Un nom ou un adjectif peut revenir avec une différence de genre (masculin vs féminin), une différence de nombre (singulier vs pluriel), ou les deux. Certains parlent alors de polyptote* : ● « Ah que c’est bon être une vedette », se disent les vedettes en se levant, le matin. D’abord, tu as ta grosse face de vedette dans les journaux de vedettes. Et partout où tu vas, tu as droit à un traitement de vedette. (R. Martineau) Élargissons la perspective et considérons diverses réalisations : À sa deuxième apparition, le mot est enrichi ou privé d’un complément : ● On dit que l’argent ne fait pas le bonheur, sans doute veut-on parler de l’argent des autres. (S. Guitry) e mot répété peut faire partie de diverses locutions familières : L ● À vous de choisir : le rabais tape-à-l’œil ou la qualité à vue d’œil. (Publicité) ● Prêtez l’oreille et dormez sur vos deux oreilles… (Publicité) U n mot simple côtoie un mot composé qu’il a servi à former : ● Un perce-oreille à l’oreille (Titre de roman) Note. Dans l’antanaclase*, de même que dans certaines antimétaboles*, le mot répété change de signification ; dans le polyptote*, il change de forme.
Répétitions de mots à distance ▼ 111
2. Le polyptote – Rancunier : qui a oublié comment oublier. (M. Lauzière) La forme verbale a oublié (un passé composé) ne revient pas telle quelle : à sa seconde occurrence, elle revêt une forme différente (celle d’un infinitif). Considérons que le polyptote est l’emploi, dans une phrase, d’au moins deux formes d’un même verbe : – Moi, je ne te comprends pas de ne pas comprendre. Tu comprends ? (A. Roussin) – Au sujet d’un rince-bouche : Il a à goûter ce qu’il goûte pour faire ce qu’il fait. (Publicité) Par contre, étant donné que les formes verbales ne changent pas d’une occurrence à l’autre, il n’y a pas de polyptote dans la phrase suivante : – Si les Anglais peuvent survivre à leur cuisine, ils peuvent survivre à n’importe quoi. (G.B. Shaw) Polyptote vient du grec poluptôtos, lui-même formé de polus (poly-) « plusieurs » et d’un mot signifiant « cas ». À l’origine, le terme polyptote signifiait « plusieurs cas », ce qui s’appliquait à des langues comme le latin ou le grec, par exemple.
Précisions Certains considèrent comme des polyptotes les différences formelles du nom ou de l’adjectif liées à un changement de nombre ou de genre : ● Fins propos, fine musique (Titre) ● Les chats voient clair dans la nuit, mais ça ne leur sert à rien. Les chattes voient clair aussi. (F. Cavanna) Illustrons l’emploi de diverses formes d’un même verbe : U ne différence de mode (indicatif, subjonctif, impératif, conditionnel, infinitif, participe) : ● Ah ! Je vois, dit la reine pour dire quelque chose. (R. Soulières) U ne différence de temps (présent, passé, futur, imparfait, etc.) : ● Quand on perd nos clés, il y a toujours un couillon pour nous demander : « Tu les as perdues où ? » (Wad et Gilles) U ne différence de « voix » (actif, passif, pronominal) : ● Tel est pris qui croyait prendre. U ne différence de personnes (première, deuxième, troisième) : ● Comment trouves-tu que je te trouve ? (A. Allais) U n mélange de ces possibilités, une différence de personnes et de temps, par exemple : ● Un ivrogne est par hasard le témoin d’un accident :
112 ▲ Jeux verbaux et créations verbales
Un agent : Avez-vous bien vu la collision ? L’ivrogne : J’ai vu l’accident aussi bien que je vous vois, monsieur le Curé. Par ailleurs, le polyptote est l’inverse de l’homéoptote*, présence de verbes différents ayant une terminaison identique : ● L’homme respire, aspire et expire. (V. Hugo) ● Ménagez-vous si vous déménagez ! (Publicité) Rappelons enfin que dans l’antimétabole* les verbes qui reviennent dans un ordre inversé changent forcément de formes : ● À une jeune fille : Faites ce que je vous dis et ne dites pas ce que je vous fais. (F. Valorbe)
3. La répétition de nombre – Le nouveau 2000 de Lever. Le premier savon désodorisant pour les 2000 parties de l’anatomie. C’est par la reprise d’un nombre qu’un publicitaire attire l’attention sur un produit. La répétition de nombre est le retour, tel quel, d’un nombre ou bien son retour comme composante d’un nombre plus grand : – Le 13, à 13 heures, sortira « Treize », 13 nouvelles chansons de Trenet, né en 1913. (Presse) – 99 poèmes, 9 contes, 9 comptines choisis par Pomme d’Api. (Publicité)
4. La répétition de préfixe – La génération qui a découvert la minijupe aura-t-elle une mini-retraite ? (Titre) Ce qui frappe ici, ce n’est pas le retour d’un mot, mais celui d’un élément ayant servi à former des mots. Il y a répétition de préfixe quand, dans une phrase, plusieurs mots affichent un préfixe identique : – Gaspiller l’énergie… ça coûte cher. Surchauffer, suréclairer, surrouler, surconsommer. (Publicité) Ici, il y a amalgame de procédés : la reprise des mêmes sonorités au début de termes successifs forme une homéotéleute inverse*. Parfois, le préfixe revient avec une légère modification de sens (ce qui rappelle l’antanaclase*) : – Il a épousé une femme extraordinaire : une extraterrestre ! [extra- signifie d’abord « plus que », puis « au-delà de ».]
V. Répétition de syllabe.
Répétitions de mots à distance ▼ 113
5. La répétition de groupe de mots – Peux-tu organiser une réunion pour savoir quand on va organiser une réunion sur ce sujet ? (R. Martineau) Au lieu de varier l’expression, le chroniqueur a délibérément repris un groupe de mots. La répétition de groupe de mots est le retour à une ou deux reprises d’un groupe de mots qui peut subir une légère modification : – Mon psychiatre pour quinze mille francs, il m’a débarrassé de ce que j’avais : quinze mille francs. (Coluche) – On s’aperçoit que l’on vieillit lorsqu’il nous faut toute une nuit pour faire ce que l’on faisait, avant, toute la nuit. (C. Blanchard)
Précisions Pour faire ressortir une différence, à sa seconde apparition, le groupe de mots peut subir un léger changement : P ar l’addition d’un terme : ● Publicité d’un stylo : À défaut de signer une œuvre d’art, signez avec une œuvre d’art. ● Parler en public. Il n’est pas nécessaire de penser ce qu’on dit, mais il faut penser à ce qu’on dit : c’est plus difficile. (J. Renard) P ar la suppression d’un terme : ● Elle a presque l’air d’une femme comme il en faut en n’étant qu’une femme comme il faut. (H. de Balzac) ● Un lifting raté, c’est pas de la chirurgie esthétique, c’est juste de la chirurgie. (M. Bernier) ar la substitution d’au moins un terme : P ● Les pommes de terre cuites sont plus faciles à digérer que les pommes en terre cuite. (A. Allais) ● Le tourisme est l’industrie qui consiste à transporter des gens qui seraient mieux chez eux, dans des endroits qui étaient mieux sans eux. (J. Mistler)
6. La répétition de proposition, de phrase ou de vers – Voici le constat d’un demeuré qui vérifie les clignotants de la voiture d’un ami : Ils marchent, ils ne marchent pas. Ils marchent, ils ne marchent pas. Ils marchent, ils ne marchent pas…
114 ▲ Jeux verbaux et créations verbales
Cette blague repose sur la répétition d’une seule et même phrase. La répétition de proposition, de phrase ou de vers, c’est le retour de l’une ou l’autre de ces séquences à une ou deux reprises, parfois davantage : – Tout a été dit cent fois Et beaucoup mieux que par moi, Aussi quand j’écris des vers C’est que ça m’amuse C’est que ça m’amuse C’est que ça m’amuse, et je vous chie au nez. (B. Vian)
Précisions Il arrive que la phrase répétée apparaisse à la fin de deux séquences successives. On applique alors le principe de l’épiphore* : ● Ma belle-mère a eu un accident qui l’a défigurée : c’est bien dommage. On lui a refait le même visage qu’avant : c’est bien dommage. ● Lui : Je suis photographe et je cherchais un visage comme le vôtre. Elle : Je suis chirurgienne esthétique et, moi aussi, je cherchais un visage comme le vôtre. Dans le cas où la suite répétée est légèrement modifiée, la modification se fait par déplacement ou par substitution : P ar déplacement de mots : ● Hagarde, Lamélie le regarde. Il tire des francs de sa poche et tape avec sur la table. Il dit d'une voix assez haute : – Garçon. Lamélie, hagarde, le regarde. (R. Queneau) P ar substitution de mots, dans le but d’attirer l’attention sur une différence : ● Je vous demanderai d’être souriant parce que le chirurgien se fait du souci pour vous. – Oui, mais c’est la première fois qu’on m’opère. – Oui, mais c’est la première fois qu’il opère. (Coluche) L’historiette suivante exploite diverses formes d’un même verbe (de là la présence d’un polyptote*) : ● Dialogue de sourds : « Vous allez à la pêche ? — Non, je vais à la pêche. — Ah ! je croyais que vous alliez à la pêche. »
Répétitions de mots à distance ▼ 115
REPRISES À DISTANCE DANS DES POSITIONS OU DES CONSTRUCTIONS BIEN DÉFINIES
1. L’anaphore – Un groupe de loups, c’est une horde. Un groupe de vaches, c’est un troupeau. Un groupe d’hommes, c’est souvent une bande de cons. (P. Geluck) Trois phrases successives débutent par les mêmes mots. L’anaphore (n. f.) est le procédé qui consiste à répéter au moins un mot au début de groupes, de propositions ou de phrases successives : – Petite gorge enrouée. Petit nez bouché. Petits rêves dorés. (Publicité) – Minuit. La belle-mère attend son gendre ivre, un rouleau à pâte à la main : Elle : Belle heure pour arriver ! Lui : Belle heure pour faire des tartes ! Anaphore vient d’un mot grec signifiant « retour » (lui-même issu de ana- « de nouveau » et de pherein « porter »).
Précisions Les anaphores à distance attirent aussi l’attention : ● On vient de me voler… — Que je plains ton malheur ! — Tous mes vers manuscrits. — Que je plains ton voleur ! (Écouchard-Labrun) En poésie, l’anaphore s’apparente à une rime initiale ; elle accompagne alors la rime de fin de vers : ● On le voit qui déjà sent pousser ses mamelles on le voit qui déjà se sent pousser des ailes on le voit qui déjà sent croître sa cervelle on le voit qui déjà se sent croître la moelle. On c’est l’homme on c’est moi on c’est mon grand-papa (R. Queneau) De là une variante consistant à faire rimer (ou assoner) les mots en anaphore avec ceux en fin de vers : ● Humeurs Ça gèle sur les crêtes Ça gèle dans ma tête Ça danse dans les branches Ça danse dans mes hanches Ça aboie dans les bois
116 ▲ Jeux verbaux et créations verbales
Ça aboie dans ma voix Ça pépie chez les pies Ça pépie dans ma vie (É. Wilwerth) Le verbe qui revient au début de séquences successives peut revêtir des formes différentes. L’anaphore s’amalgame alors au polyptote* : ● On dit au revoir à tous les modèles 2015. Dites bonjour aux économies. (Publicité) [S’ajoute ici le contraste au revoir vs bonjour.] V. Symploque. Positions privilégiées.
2. L’épiphore Syn. L’épistrophe (n. f.) – Chaque fois qu’on croit enfin être arrivé à joindre les deux bouts, un mauvais plaisant déplace l’un des bouts. (Y. Mirande) Deux propositions successives finissent par le même mot. L’épiphore (n. f.) est le procédé qui consiste à terminer des groupes de mots, des propositions ou des phrases qui se suivent par le même mot (ou groupe de mots) : – Pas besoin de connaître le gérant pour avoir le prix du gérant. (Publicité) – Pourquoi, en vacances, s’obstine-t-on à choisir douze cartes postales différentes alors qu’elles sont destinées à douze personnes différentes ? (S. Guitry) – Mon arrière grand-père est mort, mon grand-père est mort, mon père est mort, j’ai peur que ce ne soit héréditaire. (J.-L. Fournier) – Il y a quatre époques dans la vie d’un homme : celle où l’on croit au Père Noël, celle où l’on ne croit plus au Père Noël, celle où l’on est le Père Noël et enfin celle où l’on ressemble de plus en plus au Père Noël.
Précisions L’épiphore, c’est aussi le retour du même vers à la fin de chaque strophe d’un poème (ou chaque couplet d’une chanson). Par exemple, les trois quatrains de « J’aime la vérité » de Jacques Charpentreau se terminent par : – Moi, je mets les pieds dans le plat. Par ailleurs, étant une répétition de mots à la fin de séquences successives, l’épiphore s’apparente à la rime* : ● À l’intérieur, on a vu à tout ! À l’extérieur, on a vue sur tout ! (Publicité) ● L’Orient, c’est exotique. Sans escale, c’est fantastique. (Publicité)
Répétitions de mots à distance ▼ 117
Épiphore vient du mot grec epiphorê signifiant « porté à la suite de » (lui-même issu de epi- « à la fin » et de pherein « porter »). V. Symploque. Positions privilégiées.
3. L’antépiphore Syn. L’épanalepse (n. f.) – Faut du Baudelaire, c’est entendu, mais pas trop n’en faut. (A. Allais) Cette phrase commence et finit par le même mot. Appelons antépiphore (n. f.) l’apparition d’un mot ou d’un groupe de mots au début et à la fin d’une phrase ou d’un vers, quel que soit le nombre de propositions qui les composent : – Rien ne vous va mieux que rien. (M. Donnay) – Homme. Seul animal sur la planète qui agit comme s’il était le seul animal sur la planète. (M. Lauzière) Antépiphore est formé par épiphore, qui désigne une répétition à la fin, et par ante qui signifie « au début ». Épanalepse (n.f.) vient d’un mot grec qui signifie « reprise ».
Précisions À son retour en fin de phrase, le mot peut revêtir une autre forme (de là l’amalgame avec le polyptote*) : ● Servez vos invités comme vous aimez vous faire servir. (Publicité) ● Un diplomate est un homme qui est payé pour tenter de résoudre les difficultés qui ne se seraient jamais présentées s’il n’y avait pas eu de diplomates. À sa réapparition, le mot peut changer de signification (d’où l’amalgame avec l’antanaclase*) : ● Ce monde n’est, je vous l’assure, qu’une immense entreprise à se foutre du monde. (L.– F. Céline) ● Conservatisme. Mouvement qui cherche à éviter le mouvement. (M. Lauzière) L’antépiphore, c’est aussi le retour du même vers (ou des mêmes vers) au début et à la fin d’une strophe ou d’un poème. Note. C’est par analogie formelle avec les mots anaphore* (répétition au début) et épiphore* (répétition à la fin) que nous préférons l’appellation antépiphore à celle d’épanalepse. V. Symploque. Positions privilégiées.
118 ▲ Jeux verbaux et créations verbales
4. La symploque – Quand tu auras compris qu’il ne faut pas chercher à comprendre, tu auras compris tout ce qu’il importe de comprendre. (L. Campion) Deux propositions formant cette phrase débutent par les mêmes mots ; les deux autres propositions se terminent par le même mot. Dans une symploque, des mots identiques apparaissent au début de propositions ou de phrases successives alors que d’autres mots répétés apparaissent à la fin de chacune d’elles : – Il ne faut pas dire toute la vérité, mais il ne faut dire que la vérité. (J. Renard) – Javel La Croix, ça sert à tout… Et ça ne coûte pas cher du tout. (Publicité) – Si tu veux être vu, lève-toi. Si tu veux être entendu, exprime-toi. Si tu veux être apprécié, ferme-toi. Bref, dans la symploque, l’anaphore* (reprise de mots au début de séquences successives) se double de l’épiphore* (reprise de mots à la fin). Symploque vient d’un mot grec qui signifie « lier ensemble ».
Précisions Le procédé peut s’amalgamer à d’autres procédés. Voyez ces trois exemples. La première symploque renferme une gradation descendante* ; la deuxième, une contradiction* ; la troisième, un croisement de termes répétés (une antimétabole*) : ● Il y a le peureux qui regarde sous son lit, et le peureux qui n’ose même pas regarder sous son lit. (J. Renard) ● Je joue l’âge de ma femme. Je perds. Je joue l’âge de mes enfants. Je perds. Je joue les chiffres de la plaque d’immatriculation de ma voiture. Je perds. J’en ai assez. Dorénavant je vais jouer au hasard. (F. Raynaud) ● L’homme qui parle n’agit pas, il n’a pas le temps. L’homme qui agit ne parle pas, il n’a pas le temps. (M. Donnay) [parle/agit vs agit/parle] V. Antépiphore.
5. La cascade de compléments Syn. La répétition en escalier – Et c’est d’elle-même qu’elle me remit à mon père qui me remit à ma mère qui me remit alors à ma place. (L. Jacob) Trois propositions successives ont une structure analogue et renferment des répétitions de mots. La cascade de compléments est un enchaînement voulu de plusieurs compléments de même type : – Il n’y a pas un Québécois qui a une belle-sœur dont la cousine a un voisin qui s’intéresse à cette question. (R. Martineau)
Répétitions de mots à distance ▼ 119
Précisions Le retour d’une construction analogue s’accompagne du retour des mêmes mots, avant tout, ceux (prépositions, conjonctions, pronoms relatifs) qui introduisent les compléments de même type : ● […] les hommes qui reviennent avec des jouets qu’ils donneront aux enfants qu’ils auront de cette femme qu’ils n’ont pas encore rencontrée. (Publicité) Mais il s’ajoute souvent des répétitions de noms, d’adjectifs, de verbes, etc. : ● Pour les grands et les petits qui aiment les grands qui aiment les petits. (Publicité) ● […] un bon nuage de bonne farine de bon blé de bon moulin… (« Achille Talon ») ● La décontraction est comprise dans le prix des leçons de ski qui sont comprises dans le prix des remontées mécaniques qui sont comprises dans le prix du club. […] (Publicité) Lorsqu’elle est petite, la cascade ne brouille pas le message. Voyez la réponse de Talon père à son fils, faite d’une répétition de propositions causales : ● Achille Talon : Qu’en dis-tu, mon papa ? Talon père : J’en dis que ça m’est diamétralement indifférent parce que j’ai des ennuis autrement vexants parce que voilà tout un casier de canettes en l’air parce que ma bière s’est effroyablement fermentée parce que je l’avais bêtement laissée au soleil […] (Greg) Quand la cascade est longue, la phrase devient difficilement intelligible et peut même aboutir au charabia*. Tentez de saisir les propos du pompier de la Cantatrice chauve, lesquels sont formés de nombreux emboîtements de propositions relatives : ● Mon beau-frère avait, du côté paternel, un cousin germain dont un oncle maternel avait un beau-frère dont le grand-père paternel avait épousé en secondes noces une jeune fille indigène dont le frère avait rencontré, dans un de ses voyages, une fille dont il s’était épris et avec laquelle il eut un fils qui se maria avec une pharmacienne intrépide qui n’était autre que la nièce d’un quartier maître de la Marine britannique et dont le père adoptif avait une tante parlant couramment l’espagnol et qui était, peut-être, une des petites filles d’un ingénieur… (E. Ionesco) V. Parallélisme.
120 ▲ Jeux verbaux et créations verbales
6. L’antimétabole Syn. La réversion – Au passage d’un convoi funèbre : — Encore un de plus en moins. — Hé oui ! encore un de moins en plus. (L. Desnoues) Les mots repris n’apparaissent pas dans le même ordre : on les a inversés. L’antimétabole (n.f.) consiste à répéter des mots en intervertissant leur place et en modifiant ainsi leur fonction de sorte qu’on en vient à dire autre chose en employant les mêmes mots : – Il s’agit de l’autre nul… de nul autre que Xavier Lachaise. – Des chercheurs qui cherchent, on en trouve. Des chercheurs qui trouvent, on en cherche. (Titre) – Aide au tiers monde : Aide payée par les pauvres des pays riches pour aider les riches des pays pauvres. (R. Buron) À l’image du chiasme*, la représentation visuelle de l’antimétabole peut se faire au moyen d’un X : – Le médecin soigne sans guérir, le guérisseur guérit sans soigner. (A. Brie) soigne sans guérir guérit sans soigner Antimétabole est un mot d’origine grecque qui signifie « changer (méta) en jetant (ballein) en sens inverse (anti) ». Réversion vient d’un mot latin qui veut dire « retour en arrière » ou « réapparition ».
Précisions Quand on considère les formes des mots entrecroisés, on remarque que les mots reviennent tels quels ou reviennent avec une modification de forme : ● Autrefois, les parents avaient beaucoup d’enfants. Aujourd’hui les enfants ont beaucoup de parents. ● Il a peut-être de la difficulté à dire ce qu’il pense, mais il a encore plus de difficulté à penser ce qu’il dit. Quand on considère la signification des mots entrecroisés, on constate que la signfication demeure constante ou qu’un des mots change de signification à sa seconde apparition (ce qui rappelle l’antanaclase*) : ● Mot d’ordre aux nouveaux policiers : « Lorsque ça court, tirez, mais lorsque ça tire, courez. » ● Il est plus facile de trouver un portefeuille sans ministre qu’un ministre sans portefeuille. (P. Dac) Quant aux termes pivots, ceux autour desquels les autres sont intervertis, ou bien ce sont les mêmes, ou bien ils diffèrent :
Répétitions de mots à distance ▼ 121
● Boire du café empêche de dormir. Par contre, dormir empêche de
boire du café. (P. Geluk)
● Tu es malade, va-t’en à l’hôpital ; tu es à l’hôpital, va-t’en, tu vas être
malade.
● Le père : Moi, je suis parti de rien.
Son fils : Moi, je n’ai rien pour partir. Le croisement des termes peut entraîner des changements de classes grammaticales : ● Délicieusement simple. Simplement délicieux. (Publicité) Parfois, au lieu de revenir tel quel, un mot est représenté par un pronom : ● L’ennui est qu’il faut boire pour supporter les gens, et qu’à ce moment-là ils ne vous supportent plus. (R. Lardner) Certaines tournures (ci-dessous : c’est le contraire) invitent le public à rétablir les termes implicites : ● Dans la littérature, on parle principalement de sexe, et pas tellement des enfants. Dans la vie, c’est le contraire. (D. Lodge) [Explicitation : Dans la vie, on parle principalement d’enfants, et pas tellement de sexe.] V. Antimétabole partielle. Chiasme. Chassé-croisé.
7. L’antimétabole partielle – Il vaut mieux être beau que bon. Mais il vaut encore mieux être bon que laid. (O. Wilde) L’auteur a répété un seul des termes qu’il a intervertis. Il y a antimétabole partielle lorsque, parmi les mots qui s’entrecroisent, un seul se répète, parfois avec une modification de forme liée au changement de fonction : – Il n’y a pas d’enfants sots : il n’y a que de sots parents. (T. Bernard) – Si vous voulez passer pour un grand esprit, présentez clairement les choses confuses et confusément les choses simples. (J. Rivoire)
Précisions Le procédé affiche souvent une opposition de termes : ● J’ai eu la faiblesse de montrer des signes extérieurs de richesse alors que ma richesse est toute intérieure ! (R. Devos) L’antimétabole « déceptive » est celle qui remplace le terme prévu par un ou plusieurs autres : ● L’hermine, c’est tout blanc avec le bout de la queue noir alors que le ramoneur, c’est tout noir avec une grande échelle sur le dos. (L. Campion)
122 ▲ Jeux verbaux et créations verbales
L’antimétabole partielle avec homophonie* est celle où, à côté du mot qui revient tel quel, surgit un mot de même prononciation : ● Mieux vaut avoir une extinction de voix qu’être en voie d’extinction. (A. Guéguen) ● La raison d’État, c’est des tas de raisons. (Coluche)
Chapitre 6
Répétitions de mots immédiates
Reprises immédiates dans la phrase même Un mot ou un groupe de mots est répété Cet élément apparaît deux fois : la réduplication Cet élément apparaît trois fois : la triplication La composante d’un mot est répétée : la répétition de syllabe
Reprises immédiates dans des propositions ou des phrases successives Un mot apparaît à la fin d’une phrase et au début de la phrase suivante Ce type de répétition se produit une seule fois : l’anadiplose Ce type de répétition se produit plusieurs fois : la concaténation À plusieurs reprises, le dernier mot d’un groupe devient le premier mot du groupe suivant : la kyrielle lexicale Un mot ou un groupe de mots revient, chaque fois enrichi ou privé d’un terme : la boule de neige lexicale
124 ▲ Jeux verbaux et créations verbales
REPRISES IMMÉDIATES DANS LA PHRASE MÊME
1. La réduplication – De ma vie, de ma vie, je n’ai rien entendu de pareil. (M. Pagnol) Deux groupes de mots identiques sont en contact. La réduplication est la répétition immédiate d’un mot ou d’un groupe de mots : – Les mots répétés répétés. (Titre) – Des pâtes, des pâtes oui mais des Panzani. (Publicité) – Ils furent très heureux, et ils eurent tant d’enfants, tant d’enfants, qu’ils renoncèrent bientôt à les compter. (A. Allais) Réduplication vient d’un mot latin qui veut dire « redoublement ».
Précisions Réduplication et mots de même sens (synonymes) peuvent aller de pair : ● Parle, parle, jase, jase (Titre) ● On n’entend plus guère (…) ou bien encore le faible aye aye ouye ouye que pousse un piéton écrasé (R. Queneau) On peut faire suivre l’ensemble répété d’un élément redondant (tel à moi ci-après) ou d’un complément d’information : ● C’est ma chatte… Ma chatte à moi. (Colette) ● C’est le temps, c’est le temps d’écouter la rivière, la mariée, un oiseau. (G. Vigneault) Note. À ne pas confondre avec le redoublement*, une répétition de syllabes. V. Triplication. Anadiplose. Boule de neige lexicale.
2. La triplication – Il ne s’arrêtait jamais, jamais, jamais. (J.-J. Gautier) Trois occurrences du même mot sont en contact. Il y a triplication quand les trois apparitions du même mot ou du même groupe de mots sont immédiates : – Ajoutez une petite option par-ci, un petit supplément par-là, et la facture gonfle, gonfle, gonfle… (Publicité) – J’ai composé cette histoire – simple, simple, simple,
Répétitions de mots immédiates ▼ 125
Pour mettre en fureur les gens – graves, graves, graves, Et amuser les enfants – petits, petits, petits. (Ch. Cros) – Les élus qui dilapident les fonds publics Fonds publics/Fonds publics En s’foutant pas mal du regard critique Des citoyens honnêtes […] (G. Brassens)
Précisions De fait, pour créer l’effet voulu, plusieurs auteurs se permettent de dépasser trois occurrences identiques en contact : ● Peut-être, parce que plus on va, plus on s’enfonce. C’est à cause de la terre qui tourne, tourne, tourne, tourne… (E. Ionesco) ● Ah ! là ! là ! là ! là ! là ! là ! Prolonge la pensée de l’interlocuteur et montre que ses soucis sont les vôtres. Applicable à tous les domaines. (P. Daninos) On est parfois très proche du ressassement : ● Mais alors, mais alors, mais alors, mais alors, mais alors, nous nous sommes peut-être vus dans cette maison, chère Madame ? (E. Ionesco) ● L’écho, l’écho qui joue à répéter plus fort plus fort plus fort plus fort plus fort PLUS FORT (H. Michaux) Parmi les variantes possibles, mentionnons : L a répétition d’un mot dont la forme correspond à la syllabe initiale d’un autre : ● Si ! Si ! Si ! Sicile ! (Publicité) ● Beau, beau, beau Beauvilliers. (Publicité) L ’apparition d’une homophonie*, explicite ou implicite : ● Et moi, et moi, émois… (R. Martineau) ● Mes yeux sont mou sont mou sont mou sont mouillés d’larmes Car je suis sous j’suis sous j’suis sous j’suis sous son charme… (Alibert) [Sont présents en filigrane Mes yeux sont mous et Je suis soûl.]
3. La répétition de syllabe – Et comme toujours, l’intimidation continue. So-so-sauvages, camarades… (R. Martineau) Par allusion* au slogan So-so-solidarité, le chroniqueur répète la syllabe initiale du mot sauvage, syllabe qu’il modifie pour servir son propos.
126 ▲ Jeux verbaux et créations verbales
Il y a répétition de syllabe quand on ré-exprime une syllabe d’un mot, le plus souvent la première : – Achille Talon : À lalala réflexion, il est popossible que je sois un tantitinet énervé… mais je vais me dodominer… C’est papapassager ! (Greg) – Jusqu’ici, seul le « Dominique, nique, nique » de Sœur Sourire a martelé les oreilles […] La syllabe répétée une ou plusieurs fois est détachée ou soudée : – Le patron à son employé : Au sujet de cette augmentation que vous avez re-re-re- redemandée… – Et la porte se referma comme elle s’est refermée et qu’elle se rererererefermera souventes fois devant lui aujourd’hui. (R. Soulières)
Précisions Les reprises de syllabes rendent possibles des jeux fondés sur des identités de prononciation, à savoir l’homophonie*. Ainsi, dans son poème intitulé « Gamme poétique », le retour de syllabes initiales permet à Stéphanie Tesson d’exploiter les noms des notes de musique. Voyons la première strophe où se détachent le do et le ré : ● « Do-do-do dodo ! » disait le piano Qui ne pensait qu’à dormir « Ré-ré réveillez-moi Du bout des doigts Quand viendra l’heure du concert… » Terminons par ces lignes d’Alfred Jarry, où le mot décochons et les syllabes répétées font ressortir des mots péjoratifs : des cochons… des truies… pourceaux : ● Décochons, décochons, décochons Des traits Et détrui, et détrui Détruisons l’ennemi C’est pour sau, c’est pour sau… C’est pour sau-ver la pa-tri-eu ! V. Répétition de préfixe.
Répétitions de mots immédiates ▼ 127
REPRISES IMMÉDIATES DANS DES PROPOSITIONS OU DES PHRASES SUCCESSIVES
1. L’anadiplose – La politique est un chapitre de la météorologie. La météorologie est la science des courants d’air. (E. Herriot) Les mots qui terminent la première phrase sont repris au début de la phrase suivante. L’anadiplose (n.f.) est le procédé qui consiste à commencer une phrase par les mots qui terminent celle qui précède : – Déficit zéro ? Zéro de conduite, oui. Pour nous. (C. Vallières) – Hélas ! je le savais déjà le comble… Le comble, c’était que ma princesse, ma fée, avait tout bêtement la colique. (M. Pagnol) Anadiplose vient d’un mot grec qui signifie « redoublement », lui-même issu de ana « en remontant » et displosis « action de doubler ».
Précisions La reprise immédiate d’un verbe peut s’accompagner d’un changement de forme (comme dans le polyptote*) : ● Le cholestérol, tout le monde en parle. Parlons-en mieux. (Publicité) En poésie, on peut reprendre un groupe de mots en fin de vers au début du vers suivant (ce qui s’apparente à la rime fratrisée*) : ● Et tout mon sang va s’en aller S’en aller à ta recherche (J. Prévert) V. Concaténation.
2. La concaténation Syn. La répétition en chaîne – La croissance n’est pas le progrès. Le progrès n’est pas le bien-être. Le bienêtre n’est pas le bonheur. Et le bonheur ne rend pas les hommes heureux. (T. Maulnier) Pour exprimer un paradoxe*, l’auteur s’est arrangé pour que les derniers mots de la première phrase deviennent les premiers mots de la phrase suivante, et ainsi de suite.
128 ▲ Jeux verbaux et créations verbales
La concaténation fait commencer une séquence par les mots qui terminent la séquence précédente et ce, de façon répétée : – De son chapeau à sa barbe, de sa barbe à son ventre, de son ventre à ses pieds, la majesté ruisselait en petites cascades. (J. Romains) Comme la reprise immédiate se produit dans plusieurs séquences successives, la concaténation implique au moins deux anadiploses*. Concaténation vient du mot latin concatenatio dans lequel catena signifie « chaîne ».
Précisions Des répétitions de mots peuvent s’ajouter à la concaténation proprement dite : ● Au palais, tout le monde attend : le client attend l’avocat, l’avocat attend le juge, et le juge attend de l’avancement. (G. Delattre) Le parallélisme* de construction est au cœur du procédé. En témoigne encore ce raisonnement fantaisiste* : ● Si j’avais du talent, on m’imiterait ; si on m’imitait, je deviendrais à la mode ; si je devenais à la mode, je passerais bientôt de mode ; donc il vaut mieux que je n’aie pas de talent. (J. Renard) V. Kyrielle lexicale. Rime annexée. Rime fratrisée.
3. La kyrielle lexicale Syn. L’enchaînement lexical – Pêche à la ligne, ligne de fond, fond de culotte, culotte de zouave, zouave d’Afrique… Le dernier mot du premier groupe devient le premier mot du groupe suivant, et ainsi de suite. Dans la kyrielle lexicale, chaque mot débutant une séquence est la reprise du mot qui le précède : – […] le chien de fusil, le fusil de chasse, la chasse aux lièvres, le lièvre de la peur, la peur du loup… (P. Perrault) On a affaire ici à un jeu davantage qu’à un procédé d’expression à saveur ludique.
V. Kyrielle graphique [syllabique]. Concaténation.
Répétitions de mots immédiates ▼ 129
4. La boule de neige lexicale – Une cavalcade au petit trot passait sur le quai Pembroke, les piqueurs pilant, pilant du, pilant du poivre. (J. Joyce) L’auteur ajoute un mot à un participe, puis un autre. Le procédé mime ici l’envie d’éternuer. – […] aux étapes de ces longs voyages que nous faisions séparément, je le sais maintenant, nous étions vraiment ensemble, nous étions vraiment, nous étions, nous. (P. Éluard) Progressivement, une proposition est privée d’un mot, d’un deuxième et d’un troisième. La boule de neige lexicale est l’ajout ou la suppression progressive d’un mot, en passant d’une suite à une autre : – Philomène : Idiot de compte rendu ! Idiot, idiot de compte rendu ! Idiot, idiot, idiot de compte rendu ! Je déteste ce travail ! […] (Bande dessinée) – Le bateau La voile du bateau Le vent soufflant dans la voile du bateau Les vagues poussées par le vent soufflant dans la voile du bateau L’écume des vagues poussées par le vent soufflant dans la voile du bateau (Elsa D.)
Précisions La boule de neige lexicale est donc croissante ou fondante : ● J’aurais été un énormateur un très énormateur un très énormateur trillionnaire un très énormateur trilionnaire mécréancier […]. (Sol) [À noter que énormateur et mécréancier sont des mots-valises*.] ● Oh, Georges, je ne veux pas qu’on stationne ici.
Oh Georges, je ne veux pas qu’on stationne Oh Georges, je ne veux pas Oh Georges, je ne veux Oh Georges, je Oh, Georges Oh ! Une variante se contente d’ajouter à chaque fois le même mot ou le même signe. Ci-après, le nombre de points d’exclamations croît avec l’étonnement et le nombre d’onomatopées, avec le doute : ● Et ça ! là-bas !! regarde !!! le Panthéon !!!! (R. Queneau)
130 ▲ Jeux verbaux et créations verbales
● M. Smith : Hm. (silence)
Mme Smith : Hm, hm. (silence) Mme Martin : Hm, hm, hm. (silence) M. Martin : Hm, hm, hm, hm. (silence) (E. Ionesco) V. Boule de neige graphique [syllabique]. Réduplication. Triplication.
Deuxième partie
Pleins feux sur les sens et les référents En règle générale, nos propos sont porteurs de sens, et les mots que nous employons renvoient à ce dont il est question, à savoir les référents, que ceux-ci soient concrets, abstraits ou même imaginaires. Focalisons notre attention sur les bénéfices que tirent les jeux verbaux de deux dimensions que sont les sens et les référents. Quatrième section Attention portée aux sens des mots et des groupes de mots CHAPITRE 7 Multiplications, oppositions et similitudes de sens CHAPITRE 8 Intensifications, atténuations et mises en valeur Cinquième section Attention portée à des doubles ententes et à des « anomalies » touchant le sens global des phrases CHAPITRE 9 Phrases à doubles ententes CHAPITRE 10 Entorses au sens et à la logique Sixième section CHAPITRE 11 CHAPITRE 12
Attention portée à divers liens entre les mots et le réel Ressemblances, dissemblances et liens habituels Réel bousculé, embrouillé ou éclairé
Chapitre 7
Multiplications, oppositions et similitudes de sens
Actualisations d’au moins deux sens L’élément qui porte deux sens n’apparaît qu’une fois Un mot véhicule deux sens au lieu d’un seul : le double-sens Une locution de sens figuré s’entend au sens propre : la prise au pied de la lettre Au moins deux sens d’un mot naissent de sa non-répétition : la liaison fantaisiste Un mot ressort visuellement d’un mot : le mot dans le mot Un mot est répété, chaque fois dans un sens différent : l’antanaclase
Oppositions de sens L’opposition de sens ne renferme pas de contradiction On rapproche au moins deux mots de sens opposés : le contraste explicite On remplace un mot par un autre de sens opposé : le contraste implicite L’opposition de sens paraît insolite ou n’est qu’apparente Des mots de sens opposés réfèrent à une seule et même réalité : les contraires réconciliés Des mots paraissent des contraires sans l’être vraiment : les faux contraires L’opposition de sens présente une contradiction apparente Les mots de sens opposés sont en contact : l’oxymore Les mots de sens opposés ne sont pas accolés : le paradoxe
Similitudes et identités de sens On exploite une similitude de sens entre des mots
134 ▲ Jeux verbaux et créations verbales
On rapproche des mots ayant des sens très proches : la synonymie explicite On remplace un mot par un autre de sens rapproché : la synonymie implicite Un mot et son complément veulent dire sensiblement la même chose : le pléonasme voulu Les mots ou l’idée répétée véhiculent un surcroît de sens : la tautologie Une similitude de sens existe entre une onomatopée et une phrase : l’onomatopée-phrase Des mots de même sens n’appartiennent pas aux mêmes registres de langue Des registres différents se voisinent : le mélange de registres Le registre adopté ne convient pas au contexte ou à la situation : le registre inadéquat Une identité de sens existe entre deux portions de phrases Loin d’éclairer le lecteur ou l’auditeur, on le fait tourner en rond : le cercle vicieux On exprime une vérité déjà reconnue par tous ou on feint de dire des choses différentes : l’évidence
Multiplications, oppositions et similitudes de sens ▼ 135
ACTUALISATIONS D’AU MOINS DEUX SENS
1. Le double-sens Syn. La syllepse (de sens) – La rentrée des classes, ça coûte toujours un peu. (Titre de presse) Dans un contexte précis, un mot ne véhicule habituellement qu’un sens. Or, ici, le verbe coûter signifie à la fois « entraîner des dépenses » (pour les parents) et « être difficile » (pour les enfants). Le double-sens fait entendre simultanément deux significations du même mot ou de la même expression : – Mes parents, malgré le bruit de la rue, s’entendaient bien. (P. Dac) – On a ouvert un resto sur la lune. Les gens n’ont pas aimé : ça manquait d’atmosphère. – Même si vous ne savez pas où se trouve le cimetière, un jour vous vous y rendrez les yeux fermés. (C. Lemprun)
Précisions 1. Sur quoi repose le double-sens ? S ur une addition de mot(s) qui fait dévier le sens : – Une insertion lexicale* (addition d’un mot à l’intérieur d’une phrase) : ● Il a une dent gâtée contre moi. (J. Renard) – Une rallonge* (addition de mots à la fin d’une phrase ou ajout d’une phrase) : ● Ses baisers laissaient à désirer… son corps tout entier. (W. Allen) ● Un homme vient d’être arrêté pour port d’arme. Il avait un couteau planté dans le dos. – Une proposition incise indiquant qu’on rapporte les paroles de quelqu’un : ● Décidément, on aura tout vu, s’exclamèrent les aveugles en colère. (J.-L. Fournier) ● Si je m’écoutais, je ne ferais jamais rien, déclarait volontiers un sourd. S ur la présence de mots en opposition de sens : ● Nos hommes d’État ont tout pour eux. (C’est pourquoi, d’ailleurs, il ne reste rien pour les autres). (H. Rochefort) [Le double sens porte sur ont tout pour eux, qui laisse entendre qu’ils ont à la fois beaucoup de talent et beaucoup de richesses. V. Contraste explicite*
136 ▲ Jeux verbaux et créations verbales
S ur le rapprochement de faux synonymes : ● On ne dit pas « Se faire frapper par un vieillard, mais prendre un coup de vieux ». ● Mes parents ils étaient pas riches les pauvres. (Sol) S ur un mot appelant la présence d’un autre mot en affinité de sens avec lui, ce qui permet une association plaisante : ● Le doyen de la faculté dentaire montre les dents. (Presse) ● À défaut d’anchois sur canapé, on peut toujours se satisfaire de sardines sur fauteuils ! (F. Bernard) S ur la déconstruction mentale d’un mot pour faire ressortir les deux sens possibles d’une de ses parties : ● Pourquoi celui qu’on appelle contremaître est-il toujours avec le maître ? (J.-L. Fournier) [L’élément latin contra- (à l’origine de contre-) peut exprimer l’opposition ou la proximité.] S ur une réplique imprévue dans un dialogue : ● — Poussière, tout n’est que poussière. — Tais-toi, dit le veilleur, tu parles comme un aspirateur. (J. Prévert) S ur la réponse inattendue à une question : ● — Vous avez lu l’Ancien Testament ? — Non ! Qui a hérité ? (J. Yanne) S ur une allusion* à quelque chose d’extérieur à la phrase : ● Jeanne d’Arc s’est éteinte le 30 mai 1431, environ deux heures après sa mort. [La jeune femme avait été condamnée à être brûlée vive.] ur la présence d’une image (dessin ou photographie) accompagnant S le texte. C’est que, pour percevoir le double-sens, le contexte verbal ne suffirait pas. Ainsi, dans le slogan publicitaire suivant, le choix de l’adverbe carrément (ou lieu de franchement, par exemple) est appelé par le produit vanté (donc le référent), représenté par une image, celle de petites bouchées de forme carrée : ● Shreddies. Carrément bons ! Une variante, l’adverbe équivoque, consiste à « insérer dans une même phrase un mot (ou une expression) suivi de près par un adverbe qui […] s’en vient le contrarier ou le compléter de façon inattendue » (Michel Laclos). Dans le premier cas, l’adverbe entre dans une opposition de sens : ● « Prenez donc encore un peu de glace », proposa-t-elle chaleureusement. ● « Et alors, vous n’avez pas vu le feu rouge ? », me lança l’agent vertement.
Multiplications, oppositions et similitudes de sens ▼ 137
Dans son rôle de complément inattendu, l’adverbe rappelle un terme spécifique ou se prête à une allusion : ● « Faites-moi un café… », ajouta-t-il expressément. (Cf. (café) expresso) ● Médecine : « Filez à l’Institut Pasteur », s’écria-t-il rageusement. [Louis Pasteur a mis au point un vaccin contre la rage.] ● «J’étudie Descartes », déclara Yvonne méthodiquement. [René Descartes est l’auteur du « Discours de la méthode. »] Note. L’antanaclase* répète un mot chaque fois en un sens différent. V. Prise au pied de la lettre. Liaison fantaisiste. Dissociation. Expressionvalise. Homonymie implicite.
2. La prise au pied de la lettre – Vous n’utilisez pas de soie dentaire ? Un jour, vous vous en mordrez les doigts… s’il vous reste encore des dents. De façon inattendue, le publicitaire a bloqué le sens figuré de s’en mordre les doigts (à savoir : « regretter amèrement ») en faveur du sens propre, plutôt drôle. La prise au pied de la lettre est la mise en sourdine du sens figuré, normalement attendu, d’un mot ou d’une expression au profit du sens propre, généralement cocasse : – La nuit tombe, et personne pour la ramasser ! (A. Allais) – Quand deux nuages se rencontrent, c’est le coup de foudre ! – Si tu es au bout du rouleau, alors, qui est à l’autre bout ? (F. Beigbeder) – Il s’était mis de l’insecticide sur les jambes parce qu’on lui avait dit qu’il avait des fourmis dans les jambes.
Précisions Dans ce type de double-sens*, le sens propre a beau prendre le pas sur le sens figuré, ce dernier est encore perçu : ● Lefuneste, s’adressant à Achille Talon : Mais vous n’y connaissez rien ! Vous n’avez jamais mis le nez dans la politique ! Avec les dimensions qu’il a, ça se serait su ! (Greg) ● Je veux bien changer d’opinion. Mais avec qui ? (T. Bernard) ● J’ai connu autrefois un pauvre homme qui, par scrupule, n’a jamais voulu coucher chez lui, disant que son nom était un nom à coucher dehors. (E. Satie) Parfois, la prise au pied de la lettre vient de la méprise, réelle ou simulée, de l’interlocuteur : ● — Je vous donnerais vingt-huit ans, dit Athanagore.
138 ▲ Jeux verbaux et créations verbales
Je vous remercie, dit Amadis. Je ne saurais qu’en faire. Vous trouve— rez sûrement quelqu’un à qui ça fera plaisir. (B. Vian) ● Martine : J’ai quatre pauvres petits enfants sur les bras. Sganarelle : Mets-les à terre. (Molière)
3. La liaison fantaisiste Syn. L’attelage. Le zeugme (de sens) – Elle prit peur, le bus 29 et la poudre d’escampette vers la gare de Lyon. (M. Courberand) L’auteure a choisi de ne pas répéter la forme verbale prit laquelle acquiert alors plusieurs sens en raison d’une association de mots impertinente. Il n’y aurait pas d’anomalie dans Elle prit peur, prit le bus 29 et prit la poudre d’escampette. La liaison fantaisiste rattache à un mot des compléments en principe inconciliables entre eux en raison de leur sens ou de leur fonction. C’est dire que soit on emploie un verbe dans deux sens différents : – Vous pouvez compter sur moi, et jusqu’à cent si vous voulez. (R. Soulières) Soit qu’un verbe est accompagné de deux compléments discordants (l’un au sens figuré, l’autre au sens propre, par exemple) : – Le père de famille s’apprête à partir en voyage : Son fils Rénald : Est-ce que vous partez avec des appréhensions ? – Avec des chèques de voyage. (C. Meunier) Zeugme (ou zeugma) vient d’un mot grec dont le sens propre est « joug », c’est-à-dire ce qui sert à atteler deux animaux. On en a tiré le sens figuré de « jonction, lien ».
Précisions 1. La liaison fantaisiste repose sur deux types d’incompatibilité C elle qui repose sur la non-répétition d’un terme : ● Commentaire au sujet d’un golfeur malchanceux : Oh misère ! Il a loupé ce coup roulé et perdu la partie… et son sangfroid… et son bâton. Les groupes nominaux la partie, son sang-froid, son bâton exercent la même fonction, puisqu’ils complètent le verbe a perdu. La répétition de ce verbe aurait donné une phrase tout à fait normale : a perdu la partie… et perdu son sang-froid… et perdu son bâton. Toutefois, comme on l’a mis en facteur commun au lieu de le répéter, a perdu change de signification en cours de route. De là l’incompatibilité de sens entre les trois compléments
Multiplications, oppositions et similitudes de sens ▼ 139
du verbe, entre autres raisons parce que son sang-froid renvoie à une réalité abstraite alors que son bâton réfère à une réalité bien concrète. I l y a aussi l’incompatibilité qui vient de la coordination de compléments de natures différentes : ● Vous désirez ? me demande-t-elle en souriant et en espagnol. (San Antonio) La conjonction « et » unit deux compléments introduit par « en », mais le premier « en » est suivi d’un participe présent pour former un gérondif exprimant la manière et le second « en » est suivi d’un nom qui exprime le moyen. Quelle est la nature des mots auxquels se rattachent les éléments incompatibles ? U n verbe, le plus souvent suivi de deux compléments inconciliables : ● Chaque matin, il dévorait le journal et un croissant. ● Qu’on le veuille ou non et à toutes choses égales, il vaut mieux s’enfoncer dans la nuit qu’un clou dans la fesse droite. (P. Dac) n verbe parfois précédé de deux sujets incompatibles : U ● Au rallye des landaus, beaucoup de pneus et de bébés ont crevé. (J.-L. Fournier) ● Les dents des vieillards et les portes claquent de peur. (J. Prévert) n nom complété par des adjectifs ou par des groupes prépositionnels U (des groupes nominaux précédés d’une préposition) : ● Achille Talon organise une marche contre la pollution : Qui m’aime me suive ! Allons répandre visuellement la bonne parole dans les voies publiques et respiratoires. (Greg) ● C’était un homme d’esprit et du Canada. n adjectif : U ● J’ai reçu un livre plein de charme et de dessins. V. Double sens. Non-répétition.
4. Le mot dans le mot – Solidarité La présence des caractères gras révèle la présence du nom solidité au sein du nom solidarité, ce qui laisse supposer que ces deux notions sont intimement liées. Le mot dans le mot fait apparaître un mot à l’intérieur d’un autre et, par le fait même, propose deux lectures simultanées : – Condamnons toute forme d’imPÉRIaLisme ! – Le RAV4 de Toyota : bRAVez l’automne ! (Publicité) – Vos impôts vont encore augmenter, chers « con » tribuables.
140 ▲ Jeux verbaux et créations verbales
Précisions Le procédé repose essentiellement sur trois moyens : O n fait ressortir un mot d’un autre à l’aide d’un artifice typographique (capitales, caractères gras ou italiques, couleurs, soulignement, espacement, etc.). Le mot visuellement incorporé est redondant ou non : ● PUBerté [Absence de redondance puisque que pub et puberté ont des sens nettement différents.] ● Au SecOurS ! [Redondance puisque S.O.S. et Au secours ont le même sens.] La redondance va jusqu’à faire réapparaître un mot du contexte : ● Cognac. L’art de Martell. (Publicité) ● L’art et l’ARgenT (Titre) Il est possible de faire ressortir un sigle ou le nom d’une marque : ● Sur un panneau faisant la promotion de l’Université Laval (de Québec) : PROPULSÉ AU SOMMET PAR LA RECHERCHE ● Excel. Fraîcheur Excellente. (Publicité) n signale verbalement la présence d’un mot dans un autre : O ● Dans le mot « vieillir », il y a le mot « vie ». (H. de Ravinel) ● La vie en rose débute à partir de la cinquantaine : ostéoporose, arthrose, artériosclérose, fibrose… Ne soyons pas moroses pour autant. Allez, les vieux, ça s’arrose ! O n suggère cette présence : – Par le contexte : ● L’Assurance, c’est notre atout. (Publicité) [Inclus dans Assurance, le mot as est évoqué par le mot atout.] – Par une allusion* : ● Entreprises françaises : la ruée vers l’Orient (Titre de presse) [Ceux qui connaissent le film « La Ruée vers l’or » perçoivent sans peine la présence formelle du mot or dans Orient.] ● N’attendez pas que les ampoules aient des dents… C’est brillant d’agir maintenant ! (Publicité) [Cette invitation à se défaire au plus vite des ampoules énergivores retrouve une certaine logique quand on pense à l’expression Quand les poules auront des dents au sens de « jamais ».] – Par des identités sonores à la fin ou au début de mots : ● Le tintamarre, on en a marre. (Slogan) ● Profession : prof (Titre)
Multiplications, oppositions et similitudes de sens ▼ 141
Notes. Dans le mot-sandwich*, l’insertion d’un mot dans un autre produit un néologisme*. Tous les cas de déconstructions* et de reconstructions* rappellent le mot dans le mot. V. Rébus de lettres. Addition graphique. Biffure graphique. Anagramme. Étymologie réveillée. Mot-valise.
5. L’antanaclase – S’exposer au soleil sans s’exposer au pire. (Titre de presse) Le verbe s’exposer apparaît d’abord dans le sens de « se soumettre à l’action de », ensuite dans celui de « risquer ». L’antanaclase est la reprise d’un mot auquel on donne à chaque fois un sens différent : – L’homme descend du singe, mais le singe descend de l’arbre. – Qui prête aux riches, prête à rire. (Coluche) L’antanaclase englobe aussi le cas où, dans un dialogue, quelqu’un reprend un mot de son interlocuteur en détournant son sens : – Le professeur : De quel temps s’agit-il si je dis : « Il pleuvait ? L’élève : C’était du mauvais temps. – Popa, montrant un carton à sa femme : Selon toi, est-ce que c’est mince ou épais ? — C’est mince, épais ! (C. Meunier) Antanaclase vient d’un mot grec qui signifie « répercussion », c’est-à-dire « le fait d’être renvoyé dans une direction nouvelle ».
Précisions Il arrive qu’on exploite les différents sens d’un groupe de mots : ● Météo Média : tout le temps, tout le temps. (Publicité) [La première occurrence de tout le temps signifie « bulletins météorologiques complets » ; la seconde occurrence, « sans interruption ».] On peut insister sur les différents sens d’un mot prenant place dans diverses locutions. À preuve cette antanaclase continuée : ● Le gendarme Ducafard : Je crois que j’ai mis la main sur leur adresse, chef. Le chef : […] voilà une affaire réglée en un tournemain ! A.T., 13 avenue Dumessie… un débutant qui se fait la main, je parie. Bravo, Ducafard ! Ducafard : Oh ! J’ai eu la main heureuse… Lefuneste : Voilà qu’on nous traite comme de dangereux hommes de main ! Le commissaire Laberrant : J’ai la situation en main ! Tenez les vôtres hautes et vides […] (« Achille Talon » de Greg)
142 ▲ Jeux verbaux et créations verbales
Outre le changement de sens, à son retour, le mot peut subir une légère modification de forme : un changement de nombre (singulier vs pluriel) ou un changement de mode, de temps ou de personne quand il s’agit d’un verbe (principe du polyptote*) : ● Par pure formalité, il prend son pouls […] Rien. Le silence total dans les veines du chef. Pas de veine. (R. Soulières) ● Si vous ne vous sentez pas bien… faites-vous sentir par quelqu’un d’autre. (F. Blanche) Au lieu de revenir tel quel, le mot est parfois repris par un pronom, ce qui n’empêche pas le changement de signification : ● Achille Talon, à un vendeur d’assurances timide : Comment espérez-vous jamais placer la moindre assurance si vous en êtes vous-même à ce point dépourvu ? (Greg) [Le nom assurance renvoie à un contrat liant un assureur et un assuré ; remplacé par le pronom en, il réfère plutôt à la confiance en soi.] Au lieu d’être répété, un mot est sous-entendu plus loin dans la phrase (cas de non-répétition*) : ● Un diplomate : Combien de personnes travaillent au Vatican ? Jean XXIII : Pas plus de la moitié ! [(ne) travaillent] [Travailler passe du sens d’« être à l’emploi de » à celui de « s’occuper activement ».] On peut reprendre une partie d’un mot composé ou, à l’inverse, aller d’un mot simple à un mot composé qui l’incorpore : ● Mon beau-frère, qui soit dit en passant n’est pas beau, joue au séducteur. ● Publicité de protège-slips : Découvrez les dessous des protège-dessous. [Passage du sens figuré de « secret » au sens concret de « sous- vêtements ».] Une autre possibilité consiste à rapprocher un mot français et un mot de langue étrangère, lequel est la traduction approximative de l’autre : ● Au sujet d’une compagnie de téléphone : Qu’est-ce qui cloche chez Bell ? (Titre) ● À propos d’un joueur de base-ball : Darling lance comme un amour. (Titre) Notes. La tautologie* reprend un élément de même sens, en lui ajoutant une signification seconde. Dans le cas du double-sens*, nul besoin que le mot soit répété pour qu’on perçoive les deux significations. V. Homonymie explicite. Antimétabole.
Multiplications, oppositions et similitudes de sens ▼ 143
OPPOSITIONS DE SENS
1. Le contraste explicite Syn. L’antithèse (n. f.). – Achille Talon : J’y perds mon latin. En revanche, je conserve un admirable sang-froid. Ça rétablit l’équilibre. (Greg) L’auteur oppose deux phrases renfermant des termes de même nature (des verbes), mais de sens contraires. Appelons contraste explicite le procédé qui rapproche des mots, des groupes de mots ou des propositions de sens opposés : – L’avocat à son client : Cher ami, expliquez-moi votre problème clairement. Je me charge de l’embrouiller par la suite. – Anglicisation : quand on emprunte des mots à l’anglais et qu’on oublie de les remettre. (M. Lauzière) – Un éditeur : Je viens pour le Sommet du livre. – La réceptionniste : Troisième sous-sol ! (B. D.) Antithèse vient du grec anti « opposé » et thèsis « action de poser ».
Précisions Le contraste peut reposer sur trois mots ou trois expressions (et non sur un couple) ● Je lui ai dit, aujourd’hui, que c’était hier qu’elle aurait dû prendre la pilule du lendemain. (G. Taschereau) ● Un moment nous avons vécu côte à côte. Puis, nous fûmes dos à dos. À présent, nous sommes face à face. (S. Guitry) Le contraste continué s’étale sur plusieurs termes faisant partie du même domaine de réalité : ● Achille Talon : Bref, garçons, je suis en mesure de braquer sur les tréfonds obscurs d’une histoire encore ténébreuse, le rayon flamboyant d’éclaircissements lumineux qui jettent, j’ose le dire, une clarté nouvelle dans la balance opaque des connaissances humaines. (Greg) Sur le mode ludique, l’un des mots de sens opposés peut être un nom propre, voire un mot de langue étrangère : ● Dorine : Ce monsieur Loyal porte un air bien déloyal. (Molière) ● Gin Old Lady’s. Pour nous les jeunes. (Publicité) Les mots en opposition de sens peuvent appartenir à des classes grammaticales différentes. C’est ainsi que, ci-dessus, l’adjectif Old contraste avec le nom jeunes et que, ci-dessous, le groupe nominal vos proches contraste avec l’adverbe loin :
144 ▲ Jeux verbaux et créations verbales
● Concernant les appels interurbains : Quand vos proches sont loin de
vous. (Publicité) Le contraste est simple, double ou triple, selon qu’il touche un seul couple, deux couples ou trois couples de mots : ● Publicité d’une bière importée : Un bon goût d’ailleurs à prix d’ici. ● Publicité d’une lotion hydratante : Vos vieux ennemis. Votre nouvel allié. ● Rengaine : un air qui commence par vous entrer par une oreille et qui finit par sortir par les yeux. (R. Devos) Le contraste affectionne les constructions identiques ou semblables (les parallélismes*) : ● Une banque vous prête un parapluie quand il fait beau et vous le retire dès qu’il se met à pleuvoir. (Jerome K. Jerome) Il se sert abondamment des constructions en croix (des chiasmes*), celles où on intervertit les termes de sens opposés : ● Les directeurs de théâtre croient qu’ils sont intelligents quand ils ont un succès. Et quand ils ont un four, ils croient que le public est idiot. (S. Guitry) Le contraste joue avec les sens propres et figurés de même qu’avec les sens concrets et abstraits : P arfois, l’un des éléments de sens opposés est pris dans un sens propre et l’autre dans un sens figuré : ● Achille Talon constate que la pluie a cessé : Tiens, ça tombe bien, voilà que ça ne tombe plus… (Greg) P arfois, les deux éléments de sens opposés ont des sens figurés : ● Achille Talon : Mon cœur se glace à l’idée d’un échec aussi cuisant. (Greg) P arfois, l’un des termes de sens opposés est pris dans un sens concret et l’autre dans un sens abstrait : ● Définition de la calvitie : des cheveux fins qui en ont assez d’une tête folle. P arfois, les mots de sens opposés font partie d’expressions figurées : ● Quand tu es pris la main dans le sac, tu ne devrais pas, en plus, te mettre les pieds dans le plat. (P. Foglia) Le contraste peut jouer sur les différents sens d’un mot ou d’un groupe et éviter ainsi des contradictions* : ● Si vous faites le mal, faites le bien. [L’opposition mal vs bien s’accompagne du double-sens de faites le bien : « accomplissez de bonnes actions » et « faites le mal, mais bien ».] ● Intéressante, cette offre sans intérêt ! (Publicité)
Multiplications, oppositions et similitudes de sens ▼ 145
[Le groupe sans intérêt véhicule deux sens : celui d’« inintéressant » et celui de « somme qui rémunère un créancier ».] Contraste, métaphore* et personnification* peuvent faire bon ménage : ● Sur le tableau noir du malheur Il dessine le visage du bonheur. (J. Prévert) Il arrive que le contraste et l’exagération (ou hyperbole*) s’amalgament : ● Une larme de Courvoisier pour un flot de souvenirs. (Publicité) V. Contradiction. Image incohérente.
2. Le contraste implicite Syn. Un mot par un contraire – En cette période de crise, les journalistes ont été reçus par le ministre de l’insécurité publique. On a remplacé le nom sécurité par un autre de sens contraire, à savoir un antonyme. Parlons de contraste implicite quand, de façon inattendue, on a substitué un mot (ou un groupe de mots) à un autre de sens opposé : – Sortez votre portefeuille et signez ici en bas de la feuille, les yeux grands fermés de préférence. (R. Soulières) La procédé peut même s’appliquer à des propositions : – Ils se marièrent, eurent beaucoup d’enfants et se firent horriblement chier. (San-Antonio) [Cf. ils furent heureux à jamais]
Précisions Le contexte ou la situation de communication suffit pour que soit perçu le remplacement d’un élément par un contraire ou un quasi-contraire : ● Moman à ses invités : Aimeriez-vous régurgiter le dessert au salon ? (C. Meunier) ● Un diplomate est un homme qui réfléchit à deux fois avant de ne rien dire. (F. Sawyer) Souvent les mots remplacés et les mots remplaçants font partie de la même famille : ● Quand on fait le mort, c’est naturellement un rôle de décomposition. (S. Prunier) [composition] ● À force de boire, je me suis altéré. (M. Roche) [désaltéré] Généralement, l’allusion* est au centre de ce procédé qui modifie des formulations connues* :
146 ▲ Jeux verbaux et créations verbales
D es locutions courantes : ● Comme dit Martin, qui n’aime pas lire, « des histoires à dormir assis ». (G. Ottino) ● Pour traduire l’énergie d’un coup de pied : Vous n’y allez pas de pied mort. (R. Queneau) ● Je suis assez méfiant, j’ai toujours une longueur de recul. (G. Elmaleh) D es titres d’ouvrages connus, comme « À la recherche du temps perdu » de Marcel Proust : ● Publicité du Club Med : À la recherche du temps bien rempli. D es proverbes, des dictons, des maximes : ● On a souvent besoin d’un plus puissant que soi. (A. Chavée) [petit] ● Sauve qui veut, / À chaque jour suffit sa joie. (R. Desnos) [peut… peine] ● Les voyages déforment la vieillesse. [forment la jeunesse] D es phrases et des vers très connus : ● Entre deux mots, il faut choisir le moindre. (P. Valéry) Entre deux mots, il faut choisir le pire, toujours. (San Antonio) ● Pour qui sont ces serpents qui sifflent sur vos têtes ? (J. Racine) Pour qui sont ces serpents qui sifflent à mes pieds ? (R. Ducharme) – On peut remplacer par des mots de sens opposés tous les mots importants d’une phrase de départ, à la condition que celle-ci soit assez connue pour que le public puisse la reconnaître sans peine : ● Phrase de départ : Le silence éternel de ces espaces infinis m’effraie. (B. Pascal) Phrase transformée : Le vacarme intermittent de ces petits coins me rassure ! (P. Valéry) – Georges Perec s’est prêté à ce jeu de traduction antonymique en transformant la première phrase de « À la recherche du temps perdu » : ● Longtemps je me suis couché de bonne heure. (M. Proust) Une fois, l’autre fit la grasse matinée. V. Négation inattendue. Création par antonymie. Antiphrase.
3. Les contraires réconciliés – Dieu ! Que ma belle-fille est laide, pensait l’aïeule. (M. Laclos) Étant donné qu’une jeune femme ne peut être à la fois belle et laide, on peut considérer que, dans pareil contexte, les contraires belle et laide se sont réconciliés
Multiplications, oppositions et similitudes de sens ▼ 147
La dénomination contraires réconciliés désigne le rapprochement insolite de mots de sens opposés, lesquels s’appliquent à un même être ou à un même objet : – Qu’il est grand, ce petit ! (R. Droin) – Il est arrivé à partir. – C’est alors que la méchante bonne laisse tomber le chaud-froid de volaille qu’elle portait dans un plat creux… (M. Laclos) D’ordinaire, un mot et son contraire s’appliquent à des réalités différentes. Voilà pourquoi on peut opposer, entre autres, des petits enfants et des hommes. Dans ce cas, pas de caractère insolite, nul besoin de réconciliation : – Comment se fait-il que les petits enfants étant si intelligents, la plupart des hommes soient si bêtes ? Ça doit tenir à l’éducation. (Dumas fils) Note. Ne pas confondre avec l’oxymore* (ou alliance des contraires).
V. Contraste explicite. Faux contraires.
4. Les faux contraires – Je ne raffole pas des infusions. Sers-moi plutôt une fusion. Par jeu, on a fait comme si le mot fusion était le contraire de infusion. Le préfixe in- et son absence ont beau avoir parfois une valeur d’opposition (par exemple, insoluble « qui ne peut se dissoudre » vs soluble « qui peut se dissoudre »), cette valeur disparaît ici. En fait, dans infusion, le préfixe in- marque le lieu et signifie « dans ». L’appellation faux contraires désigne ici le rapprochement de mots qui paraissent avoir des sens opposés, ce qui n’est pas le cas, même si l’un d’eux est construit sur le modèle d’un contraire. Par exemple, si défaire indique l’action contraire de faire, démarrer n’est pas le contraire de marrer : – On s’est bien marré à la fête de Jean ; tout seul chez toi, tu as dû te démarrer. Et, à l’évidence, démanger n’est pas le contraire de manger. C’est pourquoi la suggestion suivante étonne : – On ne dit pas « démanger », mais « vomir ». Parfois des couples de mots de sens opposés ont une origine commune (latine) mais les locuteurs d’aujourd’hui ne la perçoivent plus : Maryz Courberand a exploité cette veine : – Roger. – Sacré Dédé… Allez, viens donc te désaltérer. Dédé. – Mais je ne suis pas altéré ! Roger. – Un peu, si… Dans ta tête. Tu n’as pas le gosier desséché ? Dédé. – Il serait plutôt séché, pas desséché ! Mais je préfère aller me « défoncer ». Roger. – Quoi ? Toi ? Dédé ? Te défoncer ? !
148 ▲ Jeux verbaux et créations verbales
Dédé. – Oui, tu vois bien que je suis tout foncé, tout noir de cambouis ! Ajoutons cet extrait dans lequel les faux contraires sont en contact : – À mesure que je pense, Je dépense, je dépense. À mesure que je vis, Je dévie, je dévie. Mais à mesure que je meurs, Je demeure, je demeure. (Jean Tardieu)
V. Contraires réconciliés. Étymologie réveillée.
5. L’oxymore Syn. L’alliance des contraires – Art : Superflu indispensable. (M. Lauzière) Le nom superflu et l’adjectif indispensable, qui le complète, ont des sens opposés. Et pourtant cette alliance de mots est acceptable : superflu pour certains, l’art est indispensable aux autres. L’oxymore (n.m.) unit intimement deux mots (ou deux groupes de mots) de significations opposées, lesquels paraissent incompatibles ou contradictoires : – Publicité d’un parfum : Tendre poison – Météorologie : somme d’inexactitudes calculées scientifiquement. (J. Mailhot) La contradiction n’est qu’apparente. L’effet de surprise pousse le public à réinterpréter la phrase pour rendre recevable ce qui paraît ne pas l’être : – Popa rédige une annonce pour une agence de rencontre : Jeune quinquagénaire […] (C. Meunier) De fait, dans la cinquantaine, certains peuvent se sentir (et même paraître) relativement jeunes. Oxymore vient d’un mot grec signifiant « ingénieuse alliance de mots contradictoires ».
Précisions 1. Quels sont les éléments de sens opposés qui se se rapportent au même « objet » ? U n nom suivi d’un seul complément : – Un adjectif : ● Ils [les Grecs] savaient constructionner de belles ruines toutes neuves. (Sol) – Un groupe de mots introduit par une préposition (groupe prépositionnel) :
Multiplications, oppositions et similitudes de sens ▼ 149
● Achille Talon : Édénique endroit ! Mes nerfs […] savourent fougueuse-
ment la douce musique du silence absolu ! (Greg) – Une proposition relative : ● Achille Talon : Me voilà tout hagard comme un vieillard qui vient de naître. (Greg) U n nom suivi de deux compléments : – Deux adjectifs coordonnés : ● L’assuré déclare qu’il occupe une bonne à tout faire d’une façon permanente et occasionnelle. – Un adjectif et un groupe prépositionnel : ● Collectionneur d’autographes achète cher lettres anonymes d’hommes célèbres. (P. Dac) – Un adjectif et une proposition relative : ● L’homme est un animal sociable qui déteste ses semblables. (E. Delacroix) – Un adjectif (ou un participe) suivi de son complément : ● Usine cherche ouvrier spécialisé pour travaux divers. U n verbe (ou un groupe verbal) suivi de son complément : – Un adverbe : ● Achille Talon : L’aiguillon pétaradant d’une palpitante ambition vous a, je parie, violemment effleuré. (Greg) – Un groupe prépositionnel : ● Comment identifier un doute avec certitude ? (R. Devos) ● Cet été, je bronze à l’ombre. (Titre) n verbe et son sujet : U ● Dans ce cas, allons nous coucher ma mie, il se fait tard. La noirceur luit. (R. Soulières) Note. L’hypallage* et la synesthésie* proposent également des alliances de mots inhabituelles. V. Contraires réconciliés. Paradoxe. Contradiction.
6. Le paradoxe – Innover. Être le premier à copier une idée. (M. Lauzière) La définition d’innover à l’aide du verbe copier a de quoi surprendre. La plupart des gens ont tendance à croire qu’innover, c’est introduire quelque chose de nouveau. Or l’auteur considère qu’il s’agit somme toute d’une imitation. Le paradoxe est une opinion étonnante du fait qu’elle est contraire à l’opinion commune :
150 ▲ Jeux verbaux et créations verbales
– Les gens qui ne rient jamais ne sont pas des gens sérieux. (A. Allais) Paradoxe vient d’un mot grec qui signifie « contre ce qui est admis » (de para « contre » et doxa « opinion commune »).
Précisions À la voix de la majorité s’oppose celle du locuteur, qui révèle une vérité qui échappe au plus grand nombre. Pas étonnant, dès lors, que le paradoxe affiche des mots ou des groupes de sens opposés : ● La nouveauté, c’est vieux comme le monde. (J.G. Debureau) ● La vie est courte, mais comme c’est long de la naissance à la mort. (J. Renard) ● Allons doucement, nous sommes pressés ! (F. Foch) ● Il n’y a d’indispensable que les choses inutiles. (F Picabia) ● Perfection. Seul défaut de Dieu. (M. Lauzière) ● La culture : c’est ce qui reste quand on a tout oublié. (É. Herriot) ● L’humour est une façon de se tirer d’embarras sans se tirer d’affaire. (L. Scutenaire) Étant donné que le paradoxe renferme une violation apparente de la logique, le récepteur sent le besoin de réinterpréter la phrase, de dépasser le sens qui saute aux yeux pour en retrouver un autre plus acceptable : ● Conversation : l’art de ne rien dire en parlant beaucoup. (A. Chester) [L’examen du groupe ne rien dire permet de rétablir la logique en gommant le sens de « s’abstenir de parler » au profit de « tenir un discours vide de contenu ».] ● Mon rêve : mourir jeune à un âge très avancé. (H. Jeanson) [Ici, le sens que l’auteur a donné manifestement au mot jeune (« qui a les caractères physiques, moraux d’une personne peu avancée en âge »), rend cette phrase recevable.] V. Oxymore. Contradiction.
SIMILITUDES ET IDENTITÉS DE SENS
1. La synonymie explicite – Vincent Poursan : Vous voulez dire un couronnement ! Une apothéose ! Du plein-la-vue ! Le personnage de Greg a juxtaposé des mots qui, dans ce contexte, ont de sens très voisins, à savoir des synonymes.
Multiplications, oppositions et similitudes de sens ▼ 151
La synonymie explicite, c’est l’emploi d’au moins deux mots (ou séquences) de même sens ou de sens très proches, de sorte qu’on en vient à dire la même chose en employant d’autres mots : – Bonjour, je suis un petit canard ! Je cancane. Coin-coin ! (F. Ferri) – Autrefois je vous disais tout, maintenant je ne vous cache rien. (Beaumarchais) C’est parfois une réplique qui est à la source de la synonymie : — À vendredi prochain, vers trois heures et demie. Le roi qui adorait avoir le dernier mot suggéra plutôt : — Quinze heures trente nous conviendrait mieux. (R. Soulières)
Précisions Les synonymes sont en contact ou à distance : Q uand ils sont en contact, ils peuvent être nombreux, jusqu’à former une accumulation* : ● Muet de surprise, interdit, interloqué, Chambly regarda, reluqua, mira, fixa, contempla, examina, observa, dévora des yeux la grise chevelure argentée de Cunégonde durant plusieurs secondes. (R. Soulières) Q uand ils sont à distance, dans des constructions particulières, ils permettent de créer des effets très divers : ● Je me suis mise au régime. En quatorze jours j’ai perdu deux semaines. ● Les avis sont partagés : les uns disent que c’est très mauvais et les autres que ce n’est pas bon du tout. (A. Capus) ● Moi, j’aime les gens riches, d’abord parce qu’ils sont riches, ensuite parce qu’ils ont de l’argent. (E. Labiche) Les synonymes peuvent aussi se présenter dans des constructions douteuses faites de cascades de compléments* : ● Un chien réfléchit sur les intentions de son maître : – Il se peut qu’il y ait une petite chance qu’il envisage la possibilité de peut-être m’emmener faire une promenade. (Bande illustrée) ● Talon père : Achille, je crois saisir tes intentions, et je m’interroge. L’ombre du début d’une esquisse de soupçon se profile à l’horizon de mes doutes ! (Greg) Des fausses synonymies sont à l’origine de doubles-sens* : ● Caricature montrant des joueurs de soccer en ligne. Un spectateur chuchote à l’oreille d’un copain : – Le gars du centre… il est du milieu ! (Almanach Vermot)
152 ▲ Jeux verbaux et créations verbales
Certes, dans certains contextes, les mots centre et milieu sont interchangeables, mais pas ici où milieu désigne un groupe d’individus louches. V. Tautologie. Pléonasme voulu. Évidence. Autocorrection.
2. La synonymie implicite – Publicité fictive : Voici enfin un dentifrice qui protège les gencives et avertit les caries. Dans certains contextes, avertir peut avoir sensiblement le même sens que prévenir. Mais comme ces deux verbes ne sont pas des synonymes parfaits, la substitution de l’un par l’autre donne ici un résultat plutôt curieux. La synonymie implicite, c’est le remplacement inattendu d’un mot (ou d’un groupe de mots) par un autre de sens proche : – Popa : Tu permets que je siège sur mon banc ? (C. Meunier) [= que je m’assoie dans mon fauteuil] – Talon père : On s’est donc, mille millions de cannettes, offert la figure du descendant de mes ancêtres à moi. (Greg) [= s’est payé la tête de] Le procédé devient souvent calembour* : – Comme dessert, je prendrais bien une savate aux pommes. [un chausson] – Soupçonné du vol, il a décidé de se faire la valise. [la malle] – Pour assassiner le temps, j’ai fait une longue promenade. [tuer] – Je ne m’allongerai pas plus longtemps sur le sujet. [m’étendrai]
V. Substitution lexicale.
3. Le pléonasme voulu – Indigné, l’aîné a aperçu du rouge sur la chemise de son jeune frère : – C’est du rouge à lèvres ! Pis du rouge à lèvres de femme à part ça ! (R. Lemelin) Étant donné que les hommes n’ont pas l’habitude d’appliquer du rouge à lèvres, le groupe complément de femme est superflu. Le pléonasme voulu est la répétition délibérée d’une idée au moyen d’un mot (ou d’un groupe de mots) qui en complète un autre : – Ça n’a pas été une sinécure de tout repos de gagner ce trophée. (C. Meunier) Il n’y aurait pas de pléonasme dans Ça n’a pas été une sinécure ou dans Ça n’a pas été de tout repos. Pléonasme vient d’un mot grec qui signifie « être surabondant, exister en trop grande quantité ».
Multiplications, oppositions et similitudes de sens ▼ 153
Précisions Généralement, il y a répétition d’idée entre un nom et son complément ou un verbe et son complément : ● Le temps des vieux vieillards est fini. (J. Prévert) ● Thérèse écrit une petite annonce : […] Fleurs florales à vendre. (C. Meunier) ● Comme dirait l’autre : « C’est le but de l’objectif ! » ● Dépêchez donc vite. (Molière) ● Mon rôle, ça va être de réfléchir à voix basse dans ma tête. (E. Angeli) À d’autres moments, la répétition d’idée se fait au moyen de deux compléments d’un même nom ou d’un même verbe : ● Parlant de réincarnation et de vie après la vie : Tu as un mal de dos rétroactif dans une vie future à venir. (C. Meunier) ● Et le chevalier de Chambly partit enfin et finalement, et ce n’est pas trop tôt […] (R. Soulières) Le pléonasme diffère de la synonymie explicite* : ● Lise de Courval : Moi, je dis qu’il n’y aura jamais rien pour remplacer la vraie fourrure véritable. (M. Tremblay) [Ici, l’auteur simule une faute (un pléonasme) pour déprécier un personnage. S’il avait écrit : pour remplacer la vraie, la véritable fourrure, on aurait affaire à une synonymie qui rendrait l’idée avec plus de force.] Certains pléonasmes sont doubles : ● […] avant de se laisser décapiter la tête entre le menton et le cou […] (San Antonio) [Comme décapiter signifie « trancher la tête de quelqu’un », décapiter la tête est un premier pléonasme auquel s’ajoute un second : entre le menton et le cou.] Il existe une variété de pléonasme où un nom complément reprend l’idée exprimé par le verbe, ces termes appartenant à la même famille. On l’appelle figure étymologique : ● Crisco. Ça aide à vivre sainement sa vie. (Publicité) ● Je souhaite une nouvelle monture pour la monter. Un cheval robuste et élégant […] (R. Soulières) V. Synonymie explicite. Tautologie. Évidence.
4. La tautologie – Demain est un autre jour. Voilà une phrase dans laquelle le groupe verbal dit la même chose que le sujet. En apparence toutefois, puisqu’on laisse entendre que cet « autre jour » présentera quelque chose de différent, voire d’inattendu.
154 ▲ Jeux verbaux et créations verbales
La tautologie consiste à reprendre un mot, un groupe de mots, une idée en l’enrichissant d’évocations ou de significations secondes, à savoir des connotations : – Pour une surprise, c’est une surprise. (San Antonio) Le mot grec à l’origine de tautologie est formé de tauto- « le même » et de -logie « discours ».
Précisions Fondamentalement, la tautologie revêt deux formes : C elle d’une pseudo-définition qui répète l’élément à définir : ● Dieu est Dieu, nom de Dieu. (M. Clavel) ● Les faits sont les faits, reprit l’avocate en agitant la lettre. (G. Cesbron) C elle d’une phrase dans laquelle la seconde partie paraît dire la même chose que la première : ● Les hommes sont comme ils sont, raisonna la baronne. (M. Tournier) ● Il est le seul parce qu’il est unique. (Publicité) Insistons sur le fait que ces répétitions d’idées ou de mots ajoutent un supplément de sens. La frontière entre la tautologie et l’évidence* n’est pas toujours nette. Qu’on en juge : ● Publicité de petits gâteaux : Demi-lune : Plus c’est simple, moins c’est compliqué. ● Toute chose finie n’est jamais entièrement achevée tant qu’elle n’est pas complètement terminée. (P. Dac) Note. L’antanaclase* est la reprise du même mot avec des sens nettement différents. V. Pléonasme voulu. Synonymie explicite. Cercle vicieux. Évidence.
5. L’onomatopée-phrase – Le commerçant braque nerveusement son arme : pan ! pan ! Le malfaiteur titube avant de s’effondrer. L’onomatopée pan ! pan ! joue le rôle d’une phrase : Il tire deux fois ou On entend deux coups de feu, par exemple. Appelons onomatopée-phrase la forme imitant un bruit naturel qui, insérée dans le fil du discours, remplace une proposition ou une phrase : – La Renault 5 GTL : Vroom, vroom, pas glouglou ! (Publicité)
Multiplications, oppositions et similitudes de sens ▼ 155
Ce qui pourrait se traduire par Voilà une voiture qui roule vite avec peu de carburant ou Accélérations vives, économie d’essence. – Ah ! Te voilà, Saha ! Je te cherche. Pourquoi n’es-tu pas venue à table ce soir ? – Me-rrouin, répondit la chatte, me-rrouin… (Colette) Onomatopée vient d’un mot grec qui signifie « création de mots » (de poiein « faire » et onoma « mots »).
V. Onomatopée intensive. Onomatopée individuelle.
6. Le mélange de registres Syn. La non-harmonisation des registres – Rentier, attention ! Tout d’abord et avant tout, la chambre susdite est-elle calme ? (Greg) Dans la question qu’il pose, Achille Talon introduit tout à coup le terme juridique susdite (= «déjà mentionnée »), lequel appartient à un registre qui diffère de l’ensemble. Entendons par mélange de registres l’apparition d’un mot qui détonne dans un discours pour le reste adapté ou encore l’utilisation dans un même discours de mots de registres différents : – Ça arrête pu d’bien aller ! (Titre de spectacle) [L’harmonisation des registres aurait donné Ça arrête pu d’ben aller ! (registre très familier) ou Ça (ou Cela) n’arrête plus de bien aller ! (registre jugé correct).]
Précisions Explorons ces deux types de mélange : U n mot n’est pas en harmonie avec le reste : ● Hachamoth ne pensait pas plus que l’argent fît le bonheur qu’il n’estimait que les hépatoses rendissent sa vie intolérable. Plus que le pognon, les honneurs occupaient une place éminente dans la hiérarchie de ses félicités. (R. Queneau) [Le terme familier pognon se détache du style soutenu de l’ensemble. En pareil contexte, le mot fortune n’aurait pas détonné.] I l y a dissonance entre les divers registres employés dans un contexte donné : ● Talon père : Chichille ! Tu n’as pas honte […] d’abuser inconsidérément de ta force brutale et superfétatoire ? (Greg) [Dans cette phrase où domine le registre courant, l’appellation familière Chichille tranche avec l’adjectif littéraire superfétatoire.]
156 ▲ Jeux verbaux et créations verbales
● Ses merveilleux cheveux blonds lui tombaient en cascades dorées
jusqu’au ras du cul. […] C’est l’étang aux reflets mordorés que la blonde jeune fille a choisi pour pisser. (J.-L. Fournier) [À l’évidence, les termes familiers cul et pisser contrastent avec le reste.]
7. Le registre inadéquat – Je ne fus pas peu surpris ce matin-là d’entendre le facteur me convier à la réception d’une lettre. (R. Queneau) Le choix d’un registre de langue très soigné pour rendre compte d’une situation banale a de quoi étonner. L’auteur aurait pu dire simplement : Ce matin-là, j’ai été très étonné que le facteur m’apporte une lettre. Entendons par registre inadéquat, l’emploi d’un registre qui ne convient pas à la situation de communication et en conséquence attire sur lui l’attention : – Un élève se présente un dimanche chez un voisin dans l’espoir de lui vendre des tablettes de chocolat : — Alors, mon jeune, pour quel curieux motif venez-vous troubler ainsi notre quietude dominicale ? (R. Soulières) Un discours teinté de préciosité ou la langue littéraire se font remarquer quand les circonstances commanderaient un langage plus simple : – Virgule des Guillemets : Je suis délicieusement affolée, cher monsieur ! Précieux monsieur Lefuneste, je suis fiévreusement inquiète […] (Greg) – Achille Talon : Ah ! J’entends sous la ramure des échos tintinnabulants et métalliques […] (Greg)
8. Le cercle vicieux – Tout est dans tout et vice versa. (A. Allais) En principe le segment de phrase coordonné devrait nous faire avancer ; or ici il ne fournit aucune information nouvelle. Le cercle vicieux est une suite de mots qui, au lieu d’ajouter de l’information, nous ramène au point de départ : – Cercle : Voir vicieux. Vicieux : Voir cercle. (M. Lauzière) – Je ne suis ni pour, ni contre, bien au contraire. (Coluche) – La phrase suivante est vraie. La phrase précédente est fausse. (P. Geluk) – Ni oui, ni non, ni le contraire ! (Y. Métras) – Carte d’affaire. Sur une face : Voir verso. Sur l’autre face : Voir verso. – Synonyme. Antonyme de antonyme. (M. Lauzière) – Le capitalisme, c’est l’exploitation de l’homme par l’homme. Et le marxisme, c’est le contraire. (H. Jeanson)
Multiplications, oppositions et similitudes de sens ▼ 157
Le cercle vicieux peut être à la base d’un argument ou d’un raisonnement fantaisiste* : – La fonction crée l’organe, dit-on ; moi, je veux bien ; mais je ne vois pas comment certains organes pourraient être créés par des fonctions qui, pour être accomplies, nécessitent le concours d’organes… enfin, bref ! (P. Dac)
V. Tautologie. Évidence. Reformulation.
9. L’évidence – Il est plus facile de faire sortir le dentifrice du tube que de l’y faire entrer. (P. Dac) Nul besoin d’une démonstration pour faire accepter le contenu de cette phrase, lequel va de soi. – Sitôt qu’il deviendra son mari, elle deviendra son épouse. Sur le mode naïf et humoristique, on fait dire à une partie de la phrase la même chose que l’autre partie. Toutefois, contrairement à ce qui se passe avec la tautologie*, ici il n’y pas de surcroît de sens. L’évidence peut être définie de deux façons : – comme l’expression d’une vérité qui n’a pas à être prouvée : ● Pour la marche, le plus beau chapeau du monde ne vaut pas une bonne paire de chaussures. (P. Dac) – comme le fait de faire passer pour des idées différentes une seule et même idée : ● C’est le premier jour de l’année et, Grand Dieu Seigneur ! ce n’est sûrement pas le dernier. (J. Renard)
Précisions D ans le premier cas, on parle aussi de truisme (de l’anglais true « vrai ») : ● Vieillir n’est pas agréable, mais c’est encore le meilleur moyen de vivre longtemps. (Sainte-Beuve) ● La stérilité n’est pas héréditaire. (A. Allais) ● Les mains servent à tant d’usages divers, comme remuer la cuillère dans une tasse de café, sans compter qu’elles sont indispensables pour se laver les mains ! (J. Languirand) ● Dieu a sagement agi en plaçant la naissance avant la mort. Sans cela, que saurait-on de la vie ? (A. Allais) ● Il n’est rien de plus contraire à la santé que la maladie. (Molière) ● La statistique a démontré que la mortalité dans l’armée augmente sensiblement en temps de guerre. (A. Allais)
158 ▲ Jeux verbaux et créations verbales
D ans le second cas, on emploie souvent la dénomination lapalissade : ● Les plaisanteries les plus courtes sont toujours les moins longues. ● L’opium fait dormir parce qu’il a une vertu dormitive. Lapalissade est formé à partir de La Palice (ou La Palisse), nom d’un capitaine français connu sur lequel on fit une chanson naïve remplie d’évidences. En voici quelques-unes : ● Jamais il n’ôtait son chapeau sans découvrir sa tête. ● Pour bien goûter le vin, jugeait qu’il fallait en boire. ● Quand il écrivait en vers, il n’écrivait pas en prose. ● Il mourut le vendredi / Le dernier jour de son âge ; S’il fût mort le samedi, / Il eût vécu davantage. Amusantes, les lapalissades visent certains effets ; celui d’illustrer les conversations vides de sens, par exemple : ● M. Martin : Le plafond est en haut, le plancher est en bas. […] Mme Smith : L’automobile va très vite, mais la cuisinière prépare mieux les plats. […] M. Martin : On ne fait pas briller ses lunettes avec du cirage noir. […] (E. Ionesco) V. Tautologie. Cercle vicieux. Fausse précision.
Chapitre 8
Intensifications, atténuations et mises en valeur
Intensifications et atténuations de sens L’intensification se fait au moyen de mots On emploie des mots plus forts que l’exigerait normalement le réel : l’hyperbole On emploie des mots plus faibles que l’exigerait normalement le réel : la litote On exploite les différences d’intensité entre certains mots – On dispose les mots dans un ordre croissant d’intensité : la gradation ascendante – On dispose les mots dans un ordre décroissant d’intensité : la gradation descendante On ajoute une imitation sonore redondante du réel : l’onomatopée intensive L’intensification se fait au moyen de la typographie ou de procédés visuels On recourt à une astuce typographique : la typograghie intensive On remplace par une « image » un mot ou une lettre : le mot-image et la lettreimage La disposition graphique forme un dessin concordant avec le sens d’un texte : le calligramme L’atténuation se fait au moyen de mots plus faibles que le réel : l’euphémisme
Mises en valeur La mise en valeur découle de la place accordée aux mots On recourt à des constructions identiques ou similaires : le parallélisme
160 ▲ Jeux verbaux et créations verbales
On recourt à des constructions en croix : le chiasme On choisit de réserver à certains mots des places bien définies : les positions privilégiées On favorise les symétries de sonorités et de sens : le couplage On déplace un constituant de la phrase : l’inversion La mise en valeur se fait à l’aide d’un ajout Un pronom annonce ou reprend un constituant de la phrase : la dislocation On fait semblant de ne pas dire ce qu’on dit : la fausse omission La mise en valeur est la conséquence d’une d’omissions de mot(s) On omet un ou plusieurs termes qu’il est facile de suppléer : l’ellipse On évite de reprendre un élément déjà exprimé : la non-répétition
Intensifications, atténuations et mises en valeur ▼ 161
INTENSIFICATIONS ET ATTÉNUATIONS DE SENS
1. L’hyperbole Syn. L’exagération – Vous lui tartinez à la chaîne des toasts qu’il croque avec un bruit de crocodile broyant un fémur. (N. de Buron) Dans sa description d’un petit-déjeuner, l’auteure emploie des mots qui amplifient le bruit que fait son mari en mangeant. L’hyperbole (n. f.), c’est l’emploi de mots qui ne correspondent pas à la réalité, parce qu’ils sont nettement exagérés : – Même en voiture, il a l’air d’aller à pied. – Quand il éternuait, la montagne entière tonnait. (C. Lemonnier) – Lefuneste à Achille Talon : Vous ne voyez pas plus loin que le bout de votre nez qui d’ailleurs obstruerait un tunnel de moyenne importance ! (Greg) – Le chirurgien s’adresse à l’interne : Je sais que c’est votre première opération, mon vieux, ça ne peut pas être parfait, mais tout de même, quand vous ouvrez un malade, appuyez moins fort sur le bistouri, ça abîme la table. (Coluche) L’origine lointaine d’hyperbole est un mot grec formé de ballein « lancer » et huper- « au-delà », d’où l’idée d’exagération.
Précisions Sur le mode ludique, l’hyperbole s’exprime souvent au moyen des adverbes d’intensité si ou tellement, suivis d’un que introduisant une proposition de conséquence : ● Et le grand-père rougissait si fort que ça se voyait à travers sa barbe. (M. Pagnol) ● Elle était si menue que, si elle avait voulu se pendre, elle n’aurait pas fait le poids. (J. Renard) Il arrive que métaphore* et hyperbole se mélangent : ● Dans ces yeux, y a tant d’soleil, Que quand elle me r’garde, je bronze. Dans son sourire, y a la mer, Quand elle me parle, je plonge. (Renaud) Certains cas sont à la limite de l’hyperbole et de l’adynaton* (ou exagération excessive). Par exemple, que penser le la comparaison suivante ? ● Présentation de la nouvelle génération d’une voiture :
162 ▲ Jeux verbaux et créations verbales
n fait, s’il fallait voir dans cette « refonte » une pointe d’audace, c’est E du côté du style avec sa calandre haute comme un immeuble de 40 étages… (É. Lefrançois) V. Adynaton. Galéjade. Gradation. Litote.
2. La litote Syn. La fausse atténuation. La réserve – Croyez-moi, son vieux père n’était pas un as du volant. Cette phrase laisse entendre que, de fait, le vieux monsieur était un très mauvais conducteur. En substituant certains mots à d’autres, on a donc atténué l’expression pour faire entendre davantage. La litote est une formulation de sens faible qui en suggère une autre de sens fort : – Hitler a parfois été un peu dur avec autrui. (J.-L. Fournier) Litote vient d’un mot grec qui signifie « simplicité ».
Précisions Très souvent, au lieu d’affirmer une chose (par exemple : C’est un fiasco), la litote nie son contraire au moyen d’un adverbe de négation (ce qui donne : Ce n’est pas une réussite) : ● Ce n’était pas un sot, non, non, et croyez m’en, Que le chien de Jean de Nivelle… (La Fontaine) [C’est dire à quel point cette bête était futée !] Une variante est la double négation, qui met en présence un adverbe négatif (comme ne… pas) et un autre élément à sens négatif, la préposition sans ou un préfixe comme anti- : ● Nous n’avons pas réglé ce problème sans peine. (= Nous avons réglé ce problème avec beaucoup de peine.) ● Elle ne lui était pas antipathique du tout. (= Elle lui était très sympathique.) La litote s’exprime également au moyen d’un verbe à sens négatif : ● […] et les regards qu’il envoyait à l’oiseau manquaient de tendresse. (G. Flaubert) [On saisit que les regards étaient pleins de dureté.] On la rend aussi par un adverbe qui affaiblit l’expression : un peu, plutôt, passablement, etc. : ● Et puis, tenez, monsieur Marius, je crois que j’étais un peu amoureuse de vous. (V. Hugo) [Voilà une manière atténuée de dire : j’étais follement amoureuse.]
Intensifications, atténuations et mises en valeur ▼ 163
Il arrive que la litote (qui dit moins) soit préparée par une hyperbole* (qui dit plus). Ci-dessous, la formulation imagée exagérée (Ma femme est un jardin de vertus) nous aide à saisir la portée de la formulation adoucissante (sa charité naturelle n’aime pas à être surprise) : ● Un pasteur décrit l’accueil fâcheux fait par sa femme à l’orphelin qu’il se propose d’adopter : Ma femme est un jardin de vertus… ; mais sa charité naturelle n’aime pas à être surprise. Lorsqu’elle est explicite, la litote est suivie d’une reformulation* intensive : ● Josiane ne m’est pas indifférente. Pour ne rien cacher, je l’aime à la folie. ● Un athlète à la suite d’une compétition : Je ne suis pas mécontent de ma performance ; à vrai dire, compte-tenu des circonstances, j’en suis très très satisfait. À l’aide de la litote ironique, on feint de considérer comme sans importance un défaut ou un fait grave : ● Ce n’est rien : c’est une femme qui se noie. (La Fontaine) Note. Si l’euphémisme* atténue l’expression, c’est pour adoucir le propos. C’est par un renforcement de l’expression que l’hyperbole* renforce l’idée.
3. La gradation ascendante – Mark Twain, en tête de son roman « Les Aventures de Huckleberry Finn » : Par ordre de l’auteur : quiconque essaiera de découvrir un mobile à ce récit sera poursuivi devant les tribunaux ; quiconque voudra y découvrir une morale sera condamné à l’exil ; et quiconque cherchera à y découvrir une intrigue sera fusillé. Le groupe sera poursuivi devant les tribunaux indique un degré d’intensité plus faible que le groupe sera condammé à l’exil. Et celui-ci a un sens plus faible que le verbe sera fusillé. De l’un à l’autre, il y a escalade de sens. La gradation ascendante (ou montante) dispose des mots ou des groupes de mots, à partir de celui dont le sens est le plus faible jusqu’à celui dont le sens est le plus fort : – Les hommes peuvent vivre quelques minutes sans respirer, quelques jours sans boire, quelques semaines sans manger et sans penser pendant des années. (K. Ruth) – Imbécile que j’étais ! Double imbécile ! triple imbécile ! centuple idiot ! milluple crétin ! J’avais passé toute la nuit à pousser la porte… (A. Allais) [milluple est un néologisme*.] Gradation vient du latin gradatio, dérivé de gradus, qui signifie « degré » ou « marche ».
164 ▲ Jeux verbaux et créations verbales
Précisions Illustrons quelques réalisations particulières : L a gradation ascendante issue de la réplique de l’interlocuteur : ● Yvette Guilbert, la célèbre chanteuse : Vous voyez en moi, monsieur Wilde, la femme la plus laide de Paris. Oscar Wilde : Du monde, madame, du monde !
L a gradation ascendante rompue, celle qui se termine brusquement par un terme beaucoup plus fort que prévu : ● Ah ! Oh ! Je suis blessé, je suis troué, je suis perforé, je suis administré, je suis enterré. (A. Jarry)
L a gradation montante avec des nombres : ● 1 offre exceptionnelle, 2 modes de vie, 3 avantages. (Publicité) a gradation à valeur d’hyperbole*. Ci-après, en plus du mot tonnerre, c’est L le troisième terme de la gradation (le monde) qui est nettement exagéré : ● Un enfant désire se faire entendre de sa mère à tout prix : En tendant désespérément la jambe, Martin atteignait la pédale forte : un tonnerre emplissait le piano, le salon, le monde : n’allait-elle pas entendre à la fin ? (G. Cesbron)
4. La gradation descendante – Henry Somm avait coutume de dire aux jeunes gens : « Défiez-vous de l’assassinat, il conduit au vol et, de là, à la dissimulation. » (A. Allais) Le nom assassinat a un degré d’intensité plus fort que le nom vol, et ce dernier a un degré d’intensité plus fort que dissimulation. Il y a donc désescalade de sens. La gradation descendante dispose des mots ou des groupes de mots, à partir de celui dont le sens est le plus fort jusqu’à celui dont le sens est le plus faible : – Longtemps, on claironne son âge, après on le balbutie, puis on ne le dit plus. Mais ce n’est pas quelque chose que l’on tait. (N. Garcia) [Le rapprochement de on ne le dit plus et de ce n’est pas quelque chose que l’on tait paraît contradictoire.] De l’un à l’autre, certains mots ont beau perdre en intensité, l’effet global en est un d’intensification ou de renforcement du message.
Précisions Illustrons quelques réalisations particulières : L a gradation descendante produite par la réplique de l’interlocuteur : ● – Vous buvez pour noyer votre ennui ?
Intensifications, atténuations et mises en valeur ▼ 165
— Pour l’irriguer seulement. (J. Dutronc)
L a gradation descendante rompue, celle qui finit par un terme beaucoup plus faible que prévu : ● Je suis perdu, je suis assassiné, on m’a coupé la gorge, on m’a dérobé mon argent. (Molière) ● Achille Talon : Vous alliez passer sous cette échelle ! Malheureux inconscient, vouliez-vous donc attirer sur votre tête les cataclysmes, les épidémies et les vexations ? (Greg) a gradation descendante avec des nombres : L ● Notre équipe menait par quatre, trois, deux, un… (Presse) Il arrive qu’une phrase renferme les deux ordres d’intensité, en escalade ou en désescalade. Ci-après, le passage de des années à un quart d’heure est une gradation descendante ; le passage d’en avoir le soupçon à en être sûre est une gradation ascendante : ● L’infidélité de son mari, il faut des années pour en avoir le soupçon ; il suffit d’un quart d’heure pour en être sûre. (A. Capus)
5. L’onomatopée intensive – Tic-tac, tic-tac. Plus de temps pour vos clients. (Publicité) Une onomatopée imitant le bruit d’une horloge s’insère dans ce slogan publicitaire pour mettre en relief la notion de temps. Appelons onomatopée intensive celle, connue ou créée pour la circonstance, qu’on ajoute à une phrase pour renforcer l’idée exprimée : – Pan, pan, pan, pan, pan, pan ! Six coups de revolver. Qui a tiré ces coups de feu de revolver ? On ne sait pas encore. (R. Queneau) – Cheu cheu pheu pheu cheu cheu pheu pheu Le train arrive Et puis repart (G. Apollinaire)
V. Onomatopée-phrase. Onomatopée individuelle.
166 ▲ Jeux verbaux et créations verbales
6. La typographie intensive – Le petit prix La taille diminuée des caractères formant l’adjectif petit concorde avec son sens. – A-c-c-a-b-l-a-n-t ! Battus 7 à 1, ils présentent une fiche de trois victoires et douze défaites. (Presse) Pour mettre en valeur l’adjectif accablant, un rédacteur sportif a détaché chacune des lettres qui le composent. Appelons typographie intensive, le recours à des astuces et à des signes typographiques ou de ponctuation pour appuyer la signification d’un message, pour attirer l’attention sur certains mots ou groupes de mots : – L’expansion – Le radiateur de votre auto est allergique… à l’eau. (Presse)
Précisions La fonction de renforcement repose sur la redondance visuelle, en particulier la taille ou la position des caractères : ● Un préjugé de taille (Publicité) ● Si petite mais… si efficace contre la constipation (Publicité) ● Winnipeg en classe Affaires : plus d’espace pour vous allonger les jambes. (Publicité) Le procédé peut s’accompagner d’une répétition de mot ou de lettre : ● Le caniche grossit, grossit, GROSSIT… ● Mince mince mince. Perdez jusqu’à 10 livres en 7 jours. (Publicité) ● La fortune vient en dormant. […] Parce qu’en pays de connaissance, vous savez que vos besoins sont comblés de A à Zzzzzzzzzzzzzz. (Publicité d’un hôtel) La fonction de mise en évidence recourt à divers moyens : L e mot écrit en lettres majuscules ou en petites capitales : ● Eh bien ! Oui, c’était là, ou plutôt… ICI ! (A. Allais) ● Et si tu ne me le disais pas, je penserais que tu as eu une faiblesse, et je ne t’en parlerais jamais. (M. Pagnol) L a lettre majuscule en début de mot : ● L’Idéal, c’est la Famille, c’est la Patrie, c’est l’Art. (R. Queneau) L e mot écrit en caractères italiques ou gras : ● Le macchabée que j’avais sous les yeux, c’était bien moi, et ses vêtements, c’étaient bien les miens. (A. Allais)
Intensifications, atténuations et mises en valeur ▼ 167
● Vous déménagez cette année ? N’oubliez pas de nous en aviser le plus
tôt possible.
L e mot entre guillemets : ● Découverte d’un onguent qui élimine « vraiment » les petites rides de la peau. L e soulignement du mot : ● Une sauce au goût véritablement italien composée de légumes frais du jardin. (Publicité) L es tirets qui détachent de l’ensemble un mot ou un groupe de mots : ● Je regrettai d’avoir voulu le faire passer pour le fils d’un faux-monnayeur, et je lui fis – mentalement – des excuses. (M. Pagnol) L a mise entre parenthèses d’un mot ou d’un groupe de mots : ● Si ce jeu ne vous convainc pas, amusez-vous à compter à rebours à partir de 100. Chaque erreur (ou fou rire) pourra servir d’ivressomètre. (Publicité) L e trait d’union, qui sert à joindre des mots normalement séparés comme si cet ensemble formait une seule unité : ● J’ai profité d’un message de Martine Je-ne-sais-pas-quoi-dire pour aller préparer une collation. (Presse) e trait de « désunion », lequel sépare les lettres ou les syllabes composant L un mot ou détache un préfixe de sa base : ● Ce n’est plus jeune non plus, mais c’est in-dé-mo-da-ble. (Presse) ● Peut-on espérer en arriver un jour à une dé-pollution du domaine de la publicité ? L es trois points entre un mot et le suivant : ● Les policiers l’ont poursuivi, ont tiré sur lui, l’ont menotté, puis se sont… excusés. (Presse) ● L’inventeur du réfrigérateur vient de disparaître à quatre-vingt-un ans. Il a été retrouvé mort… de froid. (J.-L. Fournier) L e point qui, au lieu de signaler la fin d’une phrase, attire l’attention sur un ou plusieurs de ses constituants : ● Mais attention : certaines chaussures portent un nom qui ressemble à Babybotte. Ouvrez l’œil. Et l’oreille. (Publicité) Rien n’empêche d’amalgamer deux de ces procédés : les majuscules et les traits de « désunion » par exemple : ● Il y a les rêves, le placotage, les lubies mais à la fin, il y a toujours cette brutale et réconfortante RÉ-A-LI-TÉ. (D. Maurais) Note. Le mot dans le mot* et le rébus de lettres* recourent souvent à des astuces typographiques.
168 ▲ Jeux verbaux et créations verbales
7. La lettre-image et le mot-image – À l’ombre du s☼leil. Par souci de renforcement, on a remplacé la lettre « o » du mot soleil par une lettre-image. – Méfiez-vous des longues expositions au ☼. Pour la même raison, on a substitué un mot-image au mot soleil. Dans les deux cas, il y a mélange du visuel et du graphique. La lettre-image, qui revêt l’aspect d’un dessin, d’un symbole ou d’un pictogramme, remplace une des lettres formant un mot : – Faites l’amour avec Am♥ur (Titre) – Pas ✝rop ca✝holique. Ca✝hy Gau✝hier (Présentation d’un spectacle) – Ri$tourne$ du manufacturier. C’est enrichi$$ant d’acheter chez nous. (Publicité) Le mot-image se substitue à un mot entier : – J’♥ le français. – Le français au ♥ de la communication. À l’occasion, on rencontre aussi la syllabe-image : – L’$prit des fêtes s’est totalement dilué. Note. Nous n’avons qu’effleuré ici un procédé dont les réalisations, fort nombreuses, font souvent preuve d’une grande ingéniosité.
8. Le calligramme Syn. Poésie figurative. Poème-dessin CET ARBRISSEAU QUI SE PRÉPARE À FRUCTIFIER TE RES SEM BLE Dans cet extrait du poème « Paysage » de Guillaume Apollinaire, que reproduit Bernard Dupriez, les mots sont disposés de façon à représenter l’arbrisseau dont il est question. Bref, le dessin répète un sens déjà livré par le texte. Le calligramme est un texte dont la disposition graphique se présente sous la forme d’un dessin en relation avec le contenu du texte :
Intensifications, atténuations et mises en valeur ▼ 169
Créé par Apollinaire, le mot calligramme est un amalgame de calligraphie (dans lequel calli- signifie « beauté ») et de idéogramme (dans lequel gramma signifie « lettre, écriture »). À la manière de Sébastien Bailly, on distingue le calligramme textuel où la masse du texte prend la forme de l’objet représenté (comme dans l’extrait d’Apollinaire ci-dessus) et le calligramme linéaire où le texte forme le contour de l’objet (comme dans le poème d’Isabelle Larpent). Les deux domaines de prédilection du calligramme sont la poésie et la publicité. – Le calligramme en poésie Apollinaire, le plus connu des auteurs de ces poèmes-dessins, en a créé de nombreux. Mentionnons « La Colombe poignardée et le jet d’eau », « L’oiseau et le bouquet », « La cravate et la montre », « Éventail de saveurs », ce dernier poème représentant un oiseau avec sa huppe, son bec, sa queue, son poitrail et son ventre.
170 ▲ Jeux verbaux et créations verbales
– Le calligramme en publicité Duchesne et Leguay ont reproduit un message publicitaire de Parker dans lequel le texte revêtait la forme d’un stylo. Laure Hesbois a repris un message de Weight Watchers dont le texte dessinait la silhouette d’une femme (la tête et les mains, elles, correspondaient à des photographies). Pour vanter son café Sierra, un texte de Maxwell House, intitulé « Sermon sur la montagne » était disposé en forme de triangle évoquant une montagne.
9. L’euphémisme Syn. La formulation adoucie – On n’insistera jamais assez sur les inconvénients que présente l’abus du cyanure de potassium dans l’alimentation des nouveaux-nés. (A. Allais) Le cyanure étant un poison violent, inconvénients est manifestement un mot qui adoucit la réalité. L’euphémisme est une formulation atténuée permettant d’éviter des mots qui risquent de déplaire ou de choquer. Sur le mode ludique, le procédé vise à amuser : – Homme suicidaire recherche femme déprimée. But : partir ensemble. Euphémisme vient d’un mot grec signifiant « bonne parole » ou « emploi d’un mot favorable » (de eu « bien » et de phêmê « parole »).
Précisions Voici les moyens auxquels recourt l’euphémisme pour éviter les termes directs : U n mot de sens précis : ● Les policiers ont invité les manifestants à sortir. Ces derniers ayant refusé, les policiers les ont accompagnés. (Presse) U n mot de sens vague : ● Je ne pense qu’à ça, mais le problème, c’est que je n’ai pas que ça à faire. (G. Wolinski) ● Quand tu prends l’avion, c’est tout juste si on ne te déshabille pas devant tout le monde et qu’on ne te rentre pas une caméra dans le tsoin-tsoin pour savoir si tu ne transportes pas un couple-ongles. (R. Martineau) U ne périphrase* : ● J’ai bien de quoi m’asseoir, mais je ne sais pas où le mettre. (F. Blanche) ● Le geste embarrassé du monsieur qui a, entre le pouce et l’index, quelque chose venant du nez. (J. Renard)
Intensifications, atténuations et mises en valeur ▼ 171
● Anna se promenait avec son cousin Jules
Qui lui pinça le bas du dos […] (A. Allais)
U ne métaphore* : ● Il faut dans ma petite cheminée pratiquer de temps en temps un soigneux ramonage. (J. de Pespinasse) D es signes typographiques : ● J’ai un message pour vous si vous êtes vraiment dépassé, épuisé, écoeuré par les $ %# ? % ?*$ ?*&$ de petits lutins. (S. Durocher) L ’évocation d’un mot ou sa suppression : ● Ça fait 30 ans qu’on a un pied dans une barque et l’autre pied dans une autre barque. On finira par tomber à l’eau et se fendre vous savez quoi. (J. Paré) ● Je suis désespéré : je ne dors plus, je ne mange plus, je ne… non plus ne abréviation : U ● Un chroniqueur : Des disques, j’en reçois des tonnes. Parfois la récolte est bonne. Mais trop souvent, c’est de la m… même chez les grandes vedettes. ● Se jeter en bas du pont Jacques-Cartier, à l’heure de pointe pour faire ch… le plus de monde possible. (R. Soulières) L’euphémisme est explicite quand l’expression directe accompagne l’expression atténuante : ● Il avait la tête à l’envers Et le feu où vous pensez Mais non quoi il avait le feu au derrière […] (R. Desnos) Il arrive même que l’euphémisme soit identifié comme tel : ● En ces temps de SIDA, la fidélité c’est l’euphémisme de la trouille. (G. Bedos) À l’inverse, intensifiant la pensée, le contre-euphémisme a une valeur d’hyperbole* : ● Vous pouvez être un intellectuel brillant, un artiste sensible et le pire des trous du cul. (R. Martineau) Note. Si la litote* atténue aussi l’expression, c’est pour laisser entendre davantage.
172 ▲ Jeux verbaux et créations verbales
MISES EN VALEUR
1. Le parallélisme Syn. La construction symétrique – Achetez chaque jour ce qu’il vous faut ; payez chaque mois comme il vous plaît. (Publicité) Ces deux propositions juxtaposées sont construites sur le même modèle. Le parallélisme est la succession de membres de phrases (ou de phrases) ayant des constructions identiques ou très proches : – Dites à une femme : je t’aime ; elle comprend. Dites-lui : je t’aime bien ; elle a compris. (C. Falardeau) Cette construction parallèle, on peut la représenter par des traits verticaux : Dites à une femme : je t’aime ; elle comprend. Dites-lui :
je t’aime bien ;
elle a compris.
Précisions Le nombre de syllabes des séquences de même structure est souvent identique (= isosyllabisme) : ● Des trains sifflaient de temps à autre [8 syll.] [et] des chiens hurlaient de temps en temps. [8 syll.] (R. Queneau) Le parallélisme s’accompagne fréquemment de répétitions de toutes sortes : ● Quand on voit ce qu’on voit et qu’on entend ce qu’on entend, on a raison de penser ce qu’on pense. (Coluche) ● Je n’ai jamais volé que mes instants de chance, Je n’ai jamais tué que le temps qui passait. (F. Blanche) À l’inverse, le parallélisme affectionne aussi la non-répétition* de certains termes : ● Un homme est charmé par ce qu’il voit et une femme par ce qu’elle entend. [Un homme est charmé par ce qu’il voit et une femme par ce qu’elle entend.] À côté des parallélismes en contact, on rencontre des parallélismes à distance : ● Maître corbeau, sur un arbre perché […] Maître renard, par l’odeur alléché […] (La Fontaine) De toute évidence, le parallélisme favorise des rapprochements (ou des oppositions) de formes et/ou de sens entre des mots. On parle alors de couplage* : ● L’orage est dans ma voix, l’éclair est dans ma bouche. (A. de Vigny) [Placés dans des positions comparables, les couples orage et éclair d’une part ainsi que voix et bouche de l’autre ont des affinités de sens.] V. Couplage. Symétrie sonore. Cascade de compléments.
Intensifications, atténuations et mises en valeur ▼ 173
2. Le chiasme Syn. La construction en croix – Présentation de couches pour incontinents : Voici une discrète solution à un problème humiliant. (Publicité) En plus des oppositions de sens (solution vs problème et discret vs humiliant), ce qui frappe ici, c’est le croisement de mots : le groupe discrète solution se présente dans l’ordre inverse de problème humiliant. En effet, dans le premier cas, l’adjectif précède le nom qu’il complète ; dans le second, il le suit. Le chiasme (prononcez [kjasm]) dispose en croix les constituants de deux groupes de mots qui se suivent dans une phrase : – L’autre main soutient le cartable, kilo de plume ce matin, ce soir kilo de plomb. (G. Cesbron) La représentation visuelle du chiasme peut donc se faire au moyen d’un X : kilo de plume ce matin ce soir kilo de plomb La construction sans effet de retournement correspondrait à un parallélisme* : kilo de plume ce matin kilo de plomb ce soir. ◊ Chiasme vient d’un mot grec qui signifie « disposition en forme de croix ».
Précisions Chiasme et parallélisme peuvent se côtoyer. Ci-après, les propositions conditionnelles présentent un chiasme (vous…. Dieu vs il (= Dieu)… vous) et les propositions principales, un parallélisme : ● Si vous parlez à Dieu, vous êtes croyant. S’il vous répond, vous êtes schizophrène. (P. Desproges) Le chiasme présente trois types de croisements : C elui de mots de même nature et de même fonction. C’était le cas dans le slogan publicitaire et la phrase de Cesbron ci-dessus. C’est encore vrai dans l’exemple suivant : ● […] de l’eau presque transparente dans laquelle se promenaient tranquillement des langoustes heureuses et de paresseuses méduses. (L. Jacob) L e croisement de mots qui ont sensiblement le même sens : ● Les femmes veulent trouver un homme pour satisfaire leurs nombreux besoins tandis que les hommes veulent beaucoup de femmes pour satisfaire leur désir unique. (A. Radakorich) L e croisement de mots en opposition de sens (de là la formation d’un contraste*), ce qu’illustrent nos deux exemples de départ de même que cette observation de L.J. Peter :
174 ▲ Jeux verbaux et créations verbales
● Quand ils sont petits, les enfants se nourrissent de leur mère. De leur
père quand ils sont grands. C’est dire que, à l’image du parallélisme*, le chiasme favorise des couplages*. Par exemple, ci-après, les adjectifs verte et noirs font partie du champ lexical des couleurs et véhiculent des sens figurés : ● Langue verte et noirs desseins (Titre d’un livre de A. Le Breton) Nous traitons à part le croisement de mots répétés, ce qu’on appelle une antimétabole* dont voici tout de même une illustration : ● Cela va beaucoup mieux. Dans mes débuts je me serrais la ceinture. Maintenant c’est la ceinture qui me serre. (Smaïn) La phrase suivante renferme les deux procédés, chiasme et antimétabole : ● Les gouttes de pluie coulaient lentement sur la vitre ; sur ma figure, lentement, coulaient les larmes. (M. Pagnol) [Le chiasme (Les gouttes de pluie […] sur la vitre vs sur ma figure […] les larmes) ; l’antimétabole (coulaient lentement vs lentement, coulaient).] V. Croisement sonore. Antimétabole.
3. Les positions privilégiées – L’au-delà ? Je n’ai pas d’opinion là-dessus m’étant plutôt spécialisé dans l’en-deçà. (T. Bernard) Au moins deux choses attirent l’attention : la présence de mots en opposition de sens et leur place respective, l’un au tout début de la phrase et l’autre à la toute fin. Appelons positions privilégiées le choix de places particulières pour mettre en relief des mots dont les formes ou les sens ont des traits communs ou opposés : – Courge ne rime avec aucun autre mot… mais avec deux : Où cours-je ? (R. Droin) – En parlant d’une automobile : Dévore les kilomètres, sirote l’essence (Publicité) Aux chapitres 5 et 6 on a nommé diversement les répétitions de mots en tenant compte de leurs places. Or, dans d’autres contextes, ces mêmes places peuvent être occupées par des homophones, des homonymes, des mots de sens opposés, de même sens, etc. Ces places bien définies les mettent en évidence.
Intensifications, atténuations et mises en valeur ▼ 175
Précisions Les mots sur lesquels on veut attirer l’attention sont : S oit en contact (application du principe de la réduplication*) : ● L’amour sacré, ça crée. (R. Bernier) ● Délire de lire (Thème d’un salon du livre) S oit placés à distance l’un de l’autre – au début de séquences successives (principe de l’anaphore*) : ● Parti de rien. Arrivé nulle part. (J.-L. Fournier) – à la fin de séquences successives (principe de l’épiphore*) : ● Avec son air de rien, il est bon à tout. (J. Renard) ● Faire le mal, c’est en vouloir à mon bien. (T. Bernard) – au début et à la fin de groupes, de propositions ou de phrases (principe de l’antépiphore*) : ● La mort, c’est un manque de savoir-vivre. (P. Dac) ● En simple ou en double, le badminton, c’est tout simple ! (Publicité) L’exemple suivant illustre la présence à la fois de mots à distance (le contraste* Adieu […] Bonjour) et de mots en contact (l’homonymie* plats plats). Sans compter le second contraste à distance : plats plats vs changement : ● Adieu les plats plats… Bonjour changement. (Publicité) Par ailleurs, souvent les mots placés dans des positions définies ont des traits communs, en totalité ou en partie : Q uant à leurs formes : ● Chirurgie esthétique : Sa beauté sabotée. [Il y a ici paronymie, puisque Sa beauté [sabote] et sabotée [sabɔte] ont des prononciations très proches.] Q uant à leurs sens : ● Idylle : ça commence comme idiot et ça finit comme imbécile. (A. Capus) [Les mots idiot et imbécile ont sensiblement le même sens ; ce sont des synonymes.] Q uant à leurs formes et à leurs sens : ● À chaque instant, une nouvelle « nouvelle » (Publicité) ● Gardez la face face à l’hiver (Publicité) Mais il arrive que ni leur forme ni leur sens n’ont de caractères communs : s’installent alors des contrastes et des oppositions de toutes sortes : ● Les bonnes affaires : offrir des problèmes, vendre des solutions. (J. Rivoire) [Voir ci-dessus l’opposition ça commence vs ça finit dans la réflexion d’A. Capus.] V. Parallélisme. Chiasme. Inversion. Dislocation.
176 ▲ Jeux verbaux et créations verbales
4. Le couplage – Vie de condo Vie de château. (Publicité) Les noms condo et château (ne nous en tenons qu’à ceux-là) sont placés dans une position comparable. Sur le plan de la forme, ce sont des mots de deux syllabes qui assonent en [o] ; sur le plan de sens, ce sont des mots qui s’appliquent au même domaine, celui des habitations. Cette correspondance permet d’associer les évocations valorisantes de la vie de château à celle du simple condo. En somme, les équivalences au niveau de la position et celui de la sonorité suggèrent une équivalence au niveau de la signification, voire à celui de la réalité. En gros, le couplage est l’emploi, dans des positions comparables, d’équivalences de l’ordre des sonorités et du vocabulaire : – La poésie : Les mots pour la lire L’émoi pour la dire (Site La compagnie des vers) Ces deux formules ont une construction identique (parallélisme*) et comptent cinq syllabes (isosyllabisme*). De là les associations de formes rapprochées : entre Les mots et L’émoi d’une part, entre lire et dire de l’autre. De là aussi des sens en opposition (lire vs dire). Dans les deux vers suivants, des mots appartenant aux mêmes domaines se répondent : roses et lierres (celui des plantes) ; rouges et noirs (celui des couleurs) : – Les roses étaient toutes rouges Et les lierres étaient tout noirs (P. Verlaine)
V. Parallélisme. Symétrie sonore. Isosyllabisme.
5. L’inversion – Le coup de foudre… vous connaissez ? (Publicité) Le publicitaire a placé le groupe complément Le coup de foudre avant le groupe verbal plutôt qu’après. L’inversion est le changement de l’ordre habituel d’un mot (ou d’un groupe de mots), sans que sa fonction grammaticale soit modifiée : – Et Richie Goulding buvait son Power et Leopold Bloom son cidre buvait. (J. Joyce)
Précisions Illustrons les cas d’inversions les plus fréquents : C elle du sujet : ● Et n’est pas venu le temps où ça changera. (Presse)
Intensifications, atténuations et mises en valeur ▼ 177
C elle de l’attribut : ● La mère est enfin prête ; très élégante, la mère. (R. Queneau) C elle du complément devant le verbe : ● De vous faire lire Prévert, on ne pourra pas me reprocher de n’avoir pas essayé. (Presse) ● De la nature la bière tire son arôme et son amertume. (Presse) C elle du complément devant l’adjectif : ● De stupéfaction, Delphine demeura muette un moment. (M. Aymé) elle de l’adjectif devant le nom : C ● Ces riches professionnels ne reconnaîtraient pas leur bourgeoise avenue. (Presse) elle du complément déterminatif devant le nom : C ● Restons-y. Nous avons du monde atteint les bornes. (V. Hugo) elle d’une proposition : C ● « Restons pas dehors ! Qu’il me dit. Rentrons ! » (L.-F. Céline) Rien n’empêche qu’il y ait plusieurs déplacements dans la même phrase : ● Maître Corbeau, sur son budget penché, mesurait des REÉR les avantages. (Publicité) [cf. Penché sur son budget, maître Corbeau mesurait les avantages des REÉR.] ● À l’étage second parvenue sonne à la porte neuve la fiancée. (R. Queneau) [cf. Parvenue à l’étage second, la fiancée sonne à la porte neuve.] Souvent pour les besoins de la rime, le langage poétique accumule les inversions ; voyez ces deux vers de Leconte de Lisle : ● Du sentier des bois aux daims familier Sur un noir cheval sort un chevalier. [Voici, une fois disparues les inversions (et la rime), une plate reformulation : Un chevalier sort du sentier des bois familiers aux daims sur un cheval noir.] Tout en inversant certains mots, on peut en omettre d’autres (= ellipses*) : ● Pas si nocif, le café. (Presse) [= Le café n’est pas si nocif.] ● Moi, son côté raffiné, je craque. (Publicité) [= Moi, je craque pour son côté raffiné.] ● Les temps nous changent, faut croire. (R. Soulières) [= Il faut croire que…] Sur le mode ludique, des auteurs s’autorisent des hardiesses de toutes sortes. Un exemple : le déplacement d’un mot en apostrophe qui vient séparer des mots intimement liés : ● Tu es tellement mon chou bien ! (E. Ionesco) [= Tu es tellement bien, mon chou !] V. Dislocation. Hypallage.
178 ▲ Jeux verbaux et créations verbales
6. La dislocation – Au sujet de Tina Turner : Après tout, ça fait bien trente ans qu’elle ondule de la croupe, la Tina. (Presse) Le pronom elle annonce le sujet de la proposition complétive : la Tina. – Mais plus encore, la Tina, elle a une voix. Inversement, le sujet de la phrase est repris par le pronom elle. La dislocation est le procédé qui consiste à annoncer ou à reprendre au moyen d’un pronom un constituant de la phrase (parfois toute une phrase) : – Mais elle en fut si fière, cette vache laitière, qu’elle a bu […] (J.-L. Moreau)
Précisions Autrement dit, la dislocation permet l’anticipation ou la reprise d’un constituant. L ’anticipation se fait à l’aide d’un pronom d’annonce : ● Les jeunes vont y revenir à l’église avant les adultes. (Presse) ● Lis-la La lettre, Louise. (V. Bordon) ● On le sait, les oiseaux Aiment les oiselles. (J. Poitevin) L a reprise se fait au moyen d’un pronom de rappel : ● Un petit nouveau, c’est vite jugé. (R. Soulières) ● Les États-Unis. Un coup de fil et vous y êtes. (Publicité) ● La cour, Clémentine la faisait aussi avec un balai […] (M. Pagnol) Deux dislocations peuvent apparaître dans la même phrase. C’est une caractéristique du français parlé qu’affectionne Raymond Queneau : ● Il l’a pourtant bien reçu sur la gueule le monsieur le pot de fleurs. ● Il ne se doutait pas que chaque fois qu’il passait devant sa boutique, elle le regardait, la commerçante, le soldat Brû. V. Inversion.
7. La fausse omission Syn. La prétérition – Un élève à son professeur : Si j’osais, je vous demanderais d’être exempté du prochain examen. L’élève fait une demande en feignant de ne pas avoir l’audace de la faire.
Intensifications, atténuations et mises en valeur ▼ 179
La fausse omission est l’affirmation qu’on ne va pas parler d’une chose alors qu’on finit par en parler : – Et si l’on avait le moindrement de culture à étaler, on pourrait paraphraser Pierre Corneille (1606-1684) dans Le Cid de Corneille justement : « Et le combat cessa faute de combattants » […] (R. Soulières) Cette atténuation dans l’expression permet de souligner le propos que l’on a feint de taire. Prétérition vient du mot latin praeteritio qui veut dire « passer sous silence ». (Lui-même est issu de praeterire, où praeter signifie « au-delà » et ire « aller »).
Précisions Essentiellement, il y a trois manières de faire une fausse omission : À l’aide d’une tournure conditionnelle : ● Si j’étais méchant, je te dirais que tu n’y connais absolument rien. ● Si vous comptez sur moi pour vous révéler qu’il s’agit de trafic d’avions, vous vous trompez lourdement. (Hergé, Les Aventures de Tintin) À l’aide d’une tournure à sens négatif (Je ne dirai rien de, Il est inutile d’ajouter que, N’insistons pas sur le fait que, etc.) : ● Je pense qu’on n’a pas le droit de mentionner ici que ce film merveilleux passe cette semaine au Cinéma de Paris. Alors, je ne le dirai pas. (Presse) ● Faisons d’abord abstraction de la photo qui décore la pochette. Le déshabillé rose bonbon pourrait être celui d’une danseuse de club […] (C. Gingras) À l’aide d’une phrase interrogative : ● Quand on a 4 millions de lecteurs a-t-on encore besoin de faire de la pub ? ● Est-il besoin de dire que cet album promet ? (Presse)
8. L’ellipse – Faut toujours que ça bouge, que ça change. Sinon l’ennui. Et c’est terrible l’ennui. Alors hop un petit gadget ! Pour s’occuper. (Presse) Les lecteurs du quotidien rétablissent sans peine les termes manquants : Il faut toujours que ça bouge […] Sinon c’est l’ennui […] Alors hop on achète un petit gadget !…
180 ▲ Jeux verbaux et créations verbales
L’ellipse est l’omission délibérée d’un ou de plusieurs mots, faciles à rétablir : – On déjeunera en ville et dans un de luxe. (R. Queneau) – Publicité d’un édulcorant : C’est mieux avec que sans. Généralement, le procédé met en valeur un ou plusieurs des termes non omis. Ellipse vient d’un mot grec qui signifie « manque ».
Précisions L’ellipse, c’est aussi l’absence voulue d’au moins une phrase dont on saisit quand même le sens global grâce au contexte : ● Quand, durant tout un jour, il est tombé de la pluie, de la neige, de la grêle et du verglas, on est tranquille. Parce que, à part ça, qu’est-ce que vous voulez qu’il tombe ?... Oui, je sais, mais enfin, c’est rare… (P. Dac) ● M. X au volant de sa Grand Sport rencontra hier, devant notre historique Hôtel de Ville, M. Y, qui essayait une superbe Bugatti. Les obsèques auront lieu cet après midi. [À noter que rencontra est un terme de sens plus faible (euphémisme*) que ne l’exigerait la situation.] Dans l’exemple suivant, il est difficile de savoir ce qui s’est passé très exactement entre le moment où le penny tombe et la suite tragique. Sachant qu’un trait de caractère peut entraîner un certain comportement, le lecteur saisit tout de même l’essentiel : ● Un jour, dans une rue d’Edimbourg, un Écossais laissa tomber un penny. La bagarre causa deux morts. (A. Maurois) Ici la mise en relief porte autant sur les phrases omises que sur la finale inattendue. Par ailleurs, il arrive que le procédé donne au public la liberté de compléter une phrase comme bon lui semble : ● — Les femmes, qu’est-ce qu’elles trouvent aux hommes ? — Ne t’inquiète pas, elles leur trouvent ! V. Non-répétition. Suppression lexicale.
9. La non-répétition – Dieu a créé l’aliment. Le diable, l’assaisonnement. (J. Joyce) Dans la seconde phrase, l’auteur a omis la forme verbale a créé, exprimée antérieurement. Appelons non-répétition le procédé qui consiste à ne pas reprendre plus loin dans la phrase (ou dans la phrase suivante) un ou plusieurs mots qui y apparaissent déjà : – Boucheron a choisi la précision. Seiko le prestige. (Publicité)
Intensifications, atténuations et mises en valeur ▼ 181
Précisions Souvent, si on les reprenait, les mots qu’on a décidé de taire ne seraient pas tout à fait conformes aux mots déjà employés. En général, la différence réside dans le genre grammatical (masculin vs féminin), dans le nombre (singulier vs pluriel) ou dans la différence de personne (première vs deuxième vs troisième) : ● La rue était déserte, les volets [étaient] clos, les cafés [étaient] silencieux. ● Mes mots feront fortune, moi [je ne ferai] pas [fortune]. (J. Renard) Encore qu’on rencontre d’autres différences : ● De quoi s’agit-il ? [S’agit-il d’] Un roman d’espionnage à couper le souffle ? Non : [il s’agit d’] Un dictionnaire. (Presse) ● Maman que j’aime tout plein aime le pain blanc. Moi, [ce que j’aime] c’est la confiture. (Publicité) Les non-répétitions et les parallélismes* de constructions vont souvent de pair : ● Les architectes dissimulent leurs erreurs sous du lierre, les médecins sous la terre et les cuisinières sous la mayonnaise. (G.B. Shaw) Les architectes dissimulent leurs erreurs sous du lierre, […] sous la terre les médecins et les cuisinières […] sous la mayonnaise. V. Liaison fantaisiste. Ellipse.
Chapitre 9
Phrases à doubles ententes
Doubles ententes issues d’hésitations voulues quant aux liens entre les mots On favorise les liaisons inattendues entre certains mots ou groupes de mots : le propos ambigu On fait un découpage d’une phrase de départ : la dissociation On permet un changement brusque et inattendu de sujet : le changement de thème
Doubles ententes issues d’additions de mots On ajoute un adverbe de négation imprévu : la négation inattendue On ajoute un ou plusieurs mots inattendus au sein même d’une phrase : l’insertion lexicale On ajoute un ou plusieurs mots à la fin d’une phrase ou à sa suite : la rallonge
Doubles ententes issues d’effacements de mots On efface un ou plusieurs mots que le contexte laissait prévoir : la suppression lexicale On efface des mots formant des expressions avant de télescoper ce qui reste : l’expression-valise On efface des mots formant des proverbes et on amalgame les éléments restants : le proverbe-valise
184 ▲ Jeux verbaux et créations verbales
Doubles ententes issues de substitutions de mots On remplace un mot ou un groupe de mots par un autre : la substitution lexicale On remplace par d’autres certains ou tous les mots d’une formulation connue : le proverbe retouché On exprime le contraire de sa propre perception du réel : l’antiphrase
Doubles ententes issues de permutations de mots ou de sons On permute des mots : le chassé-croisé On permute des sons ou des syllabes : la contrepèterie
Doubles ententes issues de lectures dans deux directions ou par moitiés La lecture normale s’accompagne de la lecture verticale de certaines composantes : l’acrostiche La lecture entière d’un poème est suivie d’une lecture par moitiés : les vers brisés
Phrases à doubles ententes ▼ 185
DOUBLES ENTENTES ISSUES D’HÉSITATIONS VOULUES QUANT AUX LIENS ENTRE LES MOTS
1. Le propos ambigu Syn. L’amphibologie. Le janotisme – Elle offrit des crêpes à ses invités qu’elle avait fait sauter elle-même. La mauvaise construction de cette phrase pourrait laisser croire que l’hôtesse a fait sauter ses invités. Comme l’objectif de l’auteur est d’amuser, les deux interprétations, l’une cocasse, l’autre sérieuse, coexistent. S’il avait choisi d’éviter l’ambigüité, il aurait pu écrire : Elle offrit à ses invités des crêpes qu’elle avait fait sauter elle-même. Appelons propos ambigu celui qui présente deux lectures : l’une inattendue et amusante ; l’autre vraisemblable : – Nous avons toujours soutenu que l’accusé était parfaitement normal, ce qui n’est pas le cas du procureur. Deux interprétations de la suite ce qui n’est pas le cas du procureur fonctionnent ensemble : celle qui saute aux yeux, plutôt comique : « le procureur, lui, ne l’est pas » ; celle, à l’arrière-plan, plus acceptable : « le procureur, quant à lui, pense le contraire ». Ambigu vient d’un mot latin qui signifie « à double entente ». Amphibologie est issu d’un mot grec qui désigne une ambiguïté. Janotisme réfère au pauvre Janot, célèbre personnage de théâtre en France, vers la fin du xviie siècle, qui était la victime de ce genre de maladresse.
Précisions Passons en revue les principales sources d’ambiguïtés : L ’hésitation quant à l’élément (mot ou groupe de mots) sur lequel porte un autre élément. L’équivoque de la phrase suivante repose sur le fait qu’on peut d’abord penser que l’adjectif maigre porte sur vache et non pas sur lait : ● Pour votre santé, adoptez le lait de vache maigre. L ’hésitation liée à la place des mots et des groupes de mots ● Nous prions tous les employés de sexe masculin à temps partiel de se présenter au bureau du directeur du personnel. Il suffit de déplacer le groupe à temps partiel pour éviter l’équivoque : Nous prions tous les employés à temps partiel de sexe masculin…
186 ▲ Jeux verbaux et créations verbales
● Je fis une tache sur la veste de graisse que mon grand-père de laine avait
fait teindre avant de mourir en violet. (Dorvigny) En clair : Je fis une tache de graisse sur la veste de laine que mon grandpère avait fait teindre en violet avant de mourir.
L ’hésitation quant au sujet de la proposition dont le verbe est un participe présent ou passé : ● Mordant les voisins, j’ai dû me séparer de mon chien. La première interprétation est plutôt drôle : Parce que j’ai mordu les voisins, j’ai dû me séparer de mon chien. De là la seconde interprétation : Parce que mon chien a mordu les voisins, j’ai dû m’en séparer. L ’hésitation quant à l’antécédent d’un pronom, c’est-à-dire ce à quoi il renvoie : – Premier cas : l’interprétation cocasse repose sur le fait que, dans certains contextes, un pronom peut (théoriquement) renvoyer à deux mots présents dans la phrase : ● Les enfants ont apporté une citrouille à leur grand-mère qui était trop mûre. ● Comment peux-tu laisser tomber un œuf cru sur un sol en béton sans le fissurer ? — Pas de problème, les planchers de béton sont très difficiles à fissurer. – Deuxième cas : comme l’antécédent réel du pronom n’est pas exprimé, on rattache ce pronom à un mot du contexte : ● L’accès du stade est interdit aux chiens. Monsieur le maire est persuadé que ceux-ci comprendront ces élémentaires notions d’hygiène. [Le pronom ceux-ci renvoie à leurs propriétaires. En l’absence de ce groupe, le premier réflexe est de le rattacher à chiens.] – Troisième cas : le pronom devrait manifestement renvoyer à un mot du contexte ; or, on rattache ce pronom à un mot extérieur à la phrase : ● C’est le garde-barrière qui a oublié de la fermer. [S’agit-il de « fermer la barrière » ou « fermer sa gueule » ? Le pronom la a beau référer au mot barrière, on fait comme s’il renvoyait au mot gueule.] L ’hésitation liée à l’imprécision d’une préposition ou aux différentes valeurs qu’elle peut avoir : ● Lundi aura lieu le ramassage des compagnons d’Emmaüs. [Le sens un peu flou de la préposition de permet deux lectures : « on ramasse les compagnons d’Emmaüs » et « le ramassage est fait par les compagnons d’Emmaüs ».] ● Le bijoutier : C’est lui ! Je l’ai surpris dans ma bijouterie ! Il m’a frappé avec un complice ! Le gendarme : Peut-on considérer un complice comme un instrument contondant ? (Greg)
Phrases à doubles ententes ▼ 187
● [La préposition avec peut véhiculer deux sens : « en compagnie de » et « au
moyen de », interprétation motivant la question que pose le gendarme.]
L a mauvaise ponctuation ou son absence : ● Le professeur a dit cet étudiant est un imbécile. [Qui est imbécile ? Le professeur ou l’étudiant ? Seule une ponctuation adéquate permettrait de trancher : Le professeur a dit : « cet étudiant est un imbécile » ou « Le professeur, a dit cet étudiant, est un imbécile ».] ● Qu’est-ce qu’on mange maman ? [Venant d’un petit Français, la phrase pourrait signifier : Qu’est-ce qu’on mange, maman ? Venant d’un petit cannibale : Qu’est-ce qu’on mange ? Maman ?] L ’absence ou la présence du trait d’union à la suite d’un verbe et de son complément, ce qui modifie profondément le sens : ● Faites-le savoir ! vs Faites le savoir ! ● Coupez-en deux ! vs Coupez en deux ! L ’absence d’un accent aigu ou circonflexe, en particulier dans des titres : ● Un récidiviste tue (tué) ● Cette tache (tâche) l’a mis hors de lui. V. Double sens. Dissociation. Changement de thème.
2. La dissociation Syn. La séparation – Publicité d’une bière : Carling. Bonne, nouvelle. Grâce à la virgule, une bière est qualifiée à la fois de bonne et de nouvelle. Toutefois, un autre message nous est proposé à l’arrière-plan : l’arrivée de cette bière sur le marché est une bonne nouvelle. Entendons par dissociation la séparation de deux éléments qui devraient ou pourraient former un tout, ce qui entraîne un changement de sens : – Prends un cornichon, habitant. Précédé d’une pause, habitant devient un terme dépréciatif servant à interpeller quelqu’un ; il remplace le nom déposé « Habitant ». De là l’évocation de Prends un cornichon Habitant. Il y a double entente puisque le nouveau sens n’oblitère pas entièrement le premier. Le nouveau découpage de la phrase entraîne des changements de classes grammaticales et de fonctions : – Aie, le chauve, souris ! Cette injonction fait penser à la phrase sans verbe : Aie ! La chauve-souris ! D’un côté, chauve est un mot en apostrophe et souris, un verbe à l’impératif ; de l’autre, ces deux mots entrent dans la formation du nom composé chauvesouris.
188 ▲ Jeux verbaux et créations verbales
Précisions Par quels moyens un mot est-il séparé de celui qu’il pourrait compléter ? U ne virgule : – Très souvent un mot en apostrophe se substitue à un complément de nom ou de verbe : ● Veux-tu ce steak, épais ? [vs Veux-tu ce steak épais ?) ● Rendez-nous-les, ordures ! (M. Courberand) [vs Rendez-nous les ordures !] L es trois points : ● On a beaucoup, beaucoup, beaucoup d’assurance… vie. (Publicité) [avoir de l’assurance vs avoir de l’assurance-vie.] ● Laissez-vous dévorer… des yeux au Zoo de Saint-Félicien. (Publicité) [être dévoré (par un animal) vs être dévoré des yeux.] U n point : ● La femme est une île. Fidji est son parfum. (Publicité) [À cette métaphore* s’ajoute l’évocation agréable des Iles Fidji.] e passage à la ligne : L ● Publicité d’un salon de coiffure : Une tête à faire tourner les têtes ! [Une tête à faire (c’est-à-dire à coiffer) vs Une tête à faire tourner les têtes.] L a suppresion ou l’ajout d’un trait d’union : ● Le sang froid d’une femme a permis de sauver une vie à cet hôpital. [sang froid (nom + adjectif) vs sang-froid, nom composé qui signifie « maîtrise de soi ».] ● Vrai ment ? [On est passé de l’adverbe vraiment à l’adjectif vrai et au verbe ment, ce qui laisse entendre : « C’est vrai ou on ment ? »] D ’autres mots : ● L’autre télé. L’autre vision. (Publicité) [cf. télévision] ● Le passé pour être valable, doit être très simple. (M. Pagnol) [cf. passé simple] Note. Le terme dissociation peut aussi désigner des incompatibilités de sens que nous avons abordées à l’occasion de l’association saugrenue*, de l’image incohérente*, etc. V. Propos ambigu. Double sens.
Phrases à doubles ententes ▼ 189
3. Le changement de thème – Il m’a traité de vieux con et je n’ai que trente-cinq ans. (G. Bofa) La première proposition laisse clairement entendre qu’on a traité quelqu’un de con ; la seconde proposition, elle, focalise l’attention sur l’adjectif vieux. Bref, il y a un passage brusque du thème de la connerie à celui de l’âge. Appelons changement de thème le déplacement inattendu de l’attention d’un mot vers un autre, de sorte que le propos prend une autre direction : – Je pense qu’être paresseux est un défaut. Alors, j’arrête de penser ! La première phrase laisse prévoir le développement d’un thème (être paresseux) ; sans avertissement, l’auteur change de thème (ne pas penser). Les changements de thèmes se produisent dans les phrases mêmes : – Si le thé de quatre heures vous empêche de dormir, prenez-le la veille ! – L’alcool tue lentement. On s’en fout : on n’est pas pressés. (G. Courteline) – Prescription d’un médecin : « Madame, votre mari, que je viens d’ausculter, a besoin de repos. J’inscris sur l’ordonnance un tranquillisant. Vous en prendrez quatre cachets par jour. » (Dans J. Cazeneuve) Ou proviennent de répliques et de réponses : – J’ai demandé une robe de chambre. Le vendeur m’a demandé : quelle grandeur la chambre ? – L’embaucheur : Dernière année complétée ? Le demandeur d’emploi, peu scolarisé : Oui, de justesse ! – Elle : Je t’aime. Lui : Moi aussi, je m’aime ! (Sacha Guitry) – Pourquoi avez-vous toujours la pipe à la bouche ? — Où voulez-vous que je la mette ?
V. Changement de référent. Rallonge.
DOUBLES ENTENTES ISSUES D’ADDITIONS DE MOTS
1. La négation inattendue – J’ai fait croire à mes enfants jusqu’à l’âge de trois ans que le père Noël n’existait pas. (P. Sébastien) Contre toute attente, le verbe existait est accompagné de la locution adverbiale ne… pas. La négation inattendue, c’est la présence inopinée d’un adverbe négatif : – C’est une femme de retour d’une soirée, qui dit à son mari : — Tu as été complètement ridicule ce soir. J’espère que personne ne s’est rendu compte que tu n’avais pas bu. (Coluche) Le sens à l’avant-plan n’efface pas celui à l’arrière-plan ; de là la double entente.
190 ▲ Jeux verbaux et créations verbales
Précisions L’allusion* est présente quand, pour introduire la négation, on modifie une formulation connue : U n mot composé : ● Achille Talon : Après l’anti-matière et la contre-révolution, notre époque indomptable découvre la bande non dessinée ! (Greg) U ne locution : ● Sectes. Groupes dirigés par des maîtres à ne pas penser. (M. Lauzière) ● Il y a des gens qui trouvent toujours quelque chose à ne rien dire. (R. Queneau) U n dicton, un proverbe, une maxime, etc. ● L’appétit vient en ne mangeant pas. (L. Campion) ● L’esprit qu’on veut avoir gâte celui qu’on n’a pas. (L. Guitry) D es vers célèbres : ● Ce qui se conçoit bien ne s’énonce pas toujours clairement et, rarement, pour le dire, les mots viennent aisément. (F. Vandérem) ● [Rappelons les deux vers de Boileau : Ce qui se conçoit bien s’énonce clairement / Et les mots pour le dire arrivent aisément.] Note. Ce procédé, qui rappelle le contraste implicite*, est un type d’insertion lexicale*.
2. L’insertion lexicale – Vu sur une porte : Entrez sans vous frapper. L’intercalation inattendue du pronom vous sépare des éléments qui ont l’habitude d’être étroitement liés, de sorte que deux lectures nous sont proposées : celle à l’avant-plan et celle en filigrane (« sans frapper »). L’insertion lexicale est l’introduction inattendue d’au moins un mot au sein d’une séquence, ce qui en modifie le sens : – À presque cent ans, Fontenelle mourut. Comme on lui demandait comment il allait, la veille de sa mort, il répondit : « Ça s’en va. » (P. Héraclès) Il y a double entente puisque la nouvelle formulation (« Ça s’en va ») n’efface pas totalement la formulation originelle (« Ça va »). Lorsqu’elle est explicite, l’insertion se fait au cœur d’une séquence répétée : – Je préfère un pâté maison à un pâté de maisons. (B. de Foucault) – La devise des policiers est « Protéger et servir ». Ces temps-ci, c’est : « Se protéger et se servir ». (R. Martineau)
Phrases à doubles ententes ▼ 191
Précisions Où fait-on l’insertion de mot ? D ans un mot simple : ● Ça n’a au (trou du) cune importance. (San Antonio) [cf. trou du cul] D ans un mot composé : ● Pour les poulets, soupira la poule, tous les fours sont crématoires. (J.-L. Fournier) [fours (d’une cuisinière) vs fours crématoires.] ans une locution : il arrive qu’on passe alors du sens figuré au sens propre : D ● Je sautai sur mes pieds sales sans oublier ma vipère. (H. Bazin) ● Il y a une anguille sous la roche. ● À propos d’un sac renfermant des feuillets publicitaires : La bonne affaire est dans le sac. D ans un groupe de mots au sein d’une phrase : ● Un enfant à son père : Je voudrais bien avoir ta confiance en moi. ● Acceptez-vous d’être ma première femme ? (S. Guitry) ● Un avocat, c’est quelqu’un qui empêche quelqu’un d’autre de prendre votre argent. (L.J. Peter) Ce peut être une maxime, un dicton, un proverbe, etc. ● Aimez-vous les uns « sur » les autres. (J. Prévert) ● Qui vole un œuf ferait mieux de voler un bœuf. (F. Blanche) V. Négation inattendue. Enchâssement. Addition graphique.
3. La rallonge – Une petite fille à un copain qui veut le même tricycle qu’elle : — Réglons ça comme des adultes… avec des cris et des insultes ! (Bande dessinée) L’enfant commence par faire une suggestion et, après un bref moment de réflexion, ajoute un complément d’information. La rallonge est l’ajout à un propos qui semble complet d’une suite inattendue ; le sens de celle-ci rejaillit sur le sens de la séquence précédente : – Il n’est pas aussi fou qu’on le pense, mais beaucoup plus. À l’oral la rallonge est parfois précédée d’une pause, matérialisée à l’écrit par les trois points : – La clé pour un couple en santé : communiquer… le moins possible.
192 ▲ Jeux verbaux et créations verbales
Précisions Quels sont les ajouts possibles à une phrase qui paraît terminée ? U n mot : ● Lorsqu’on demandait à André Gide quel était, selon lui, le plus grand poète français, il répondait : « Victor Hugo… hélas ! » (J. Cazeneuve) ● Cette année je tombe dans la trentaine. Encore. n groupe de mots : U ● Achille Talon : Vigilance et insomnie. J’ouvre l’œil et l’autre aussi. (Greg) ● Ce fut, je crois, mon premier mensonge, mais pas le dernier, parole d’honneur. (R. Soulières) U ne ou deux propositions : ● Au péril de sa vie, le médecin se précipita au chevet du moribond et le délesta de son portefeuille. (J. – L. Fournier) ● Un mari, c’est le gars qui vous soutient dans tous les problèmes que vous n’auriez pas eus si vous ne l’aviez pas épousé. (C. Ammerlaan) U ne autre phrase : ● Sur un panneau : Soyez prudents ! N’écrasez pas un enfant. Attendez plutôt un prof. ● Pour bien défendre un client et gagner sa cause, un avocat doit connaître deux choses : le droit et le juge. Mais la connaissance du droit n’est pas toujours essentielle. Souvent la rallonge suit une formulation connue*, parfois légèrement modifiée : ● On ne frappe pas un ennemi à terre. Mais alors quand ? (L. Guitry) ● On ne frappe pas un homme à terre. Il risque de se relever. (A. Roussin) ● L’argent ne fait pas le bonheur de celui qui n’en a pas. (B. Vian) ● Avis aux gens fortunés : Si l’argent ne fait pas le bonheur, rendez-le ! (J. Renard) Dans un dialogue, la rallonge peut venir de l’interlocuteur : ● Le client potentiel : Oui, c’est exact. Comment vois-tu ça ? Ce n’est pas écrit sur mon front. L’élève colporteur :… que vous avez un peu dégarni. (R. Soulières) Il arrive qu’elle soit à l’origine d’un double-sens* ou encore qu’elle fasse dévier la pensée d’une réalité à une autre ou d’un thème à un autre : ● Lefuneste : Talon !!! C’est vous qui avez sonné ?… Achille Talon :… le glas de tous nos petits différends, ouii ! (Greg) ● J’ai passé une excellente soirée… mais ça n’était pas celle-ci. (G. Marx)
Phrases à doubles ententes ▼ 193
● Je déteste qu'on essaie de me faire passer pour un con, j’y arrive très
bien tout seul. V. Changement de thème [de référent]. Exemple. Commentaire.
DOUBLES ENTENTES ISSUES D’EFFACEMENTS DE MOTS
1. La suppression lexicale – L’argent fait le bonheur. (Titre de film) On a l’habitude d’entendre que L’argent ne fait pas le bonheur. Ici, histoire de surprendre le public, on a supprimé la négation. La suppression lexicale est l’effacement d’un ou plusieurs mots dont le public prévoyait la présence de sorte que la phrase propose deux lectures : le sens après et avant la suppression de mot(s) : – Qui trop embrasse… (Titre de roman) [Effacement de mal étreint]
Précisions Où fait-on la suppression de mot ? A u sein d’une locution : ● J’ai été si surprise que j’en suis tombée nue. (L. Guitry) [cf. tomber des nues] u sein d’une phrase : A ● Sur une porte : Prière de déranger. [Effacement de ne pas.] À la fin d’une formulation connue* : ● Rira bien… (Titre d’une émission satirique) [Effacement de qui rira le dernier.] Lorsque la suppression de mot est explicite, au lieu de revenir tel quel, un groupe de mots est amputé d’un terme : ● On n’est pas obligé d’être un grand homme. C’est déjà joli d’être un homme. (A. Capus) V. Ellipse. Suppression graphique.
2. L’expression-valise Syn. La fusion d’expressions figées – Un homme qui ne paie pas ses impôts est soumis à un passage à tabac de contrebande. (B. Vian)
194 ▲ Jeux verbaux et créations verbales
Nouveau, le groupe un passage à tabac de contrebande est issu de l’amalgame de passage à tabac et de tabac de contrebande. Deux sens du mot tabac ressortent alors. Appelons expression-valise le résultat d’une fusion d’expressions (généralement figées) qui sont empaquetées dans une seule formulation, comme dans une valise : – À l’occasion de Noël : Que ceux qui ne sont pas contents aillent se faire cuire un œuf de Pâques ! (Greg) [Fusion de aller se faire cuire un œuf et un œuf de Pâques.]
Précisions Le plus souvent, le terme qui termine la première expression à fusionner correspond à celui qui commence la seconde ; au cours du fusionnement l’élément commun n’est exprimé qu’une fois et véhicule souvent deux significations : ● À force de lire, j’ai des livres de poche sous les yeux ! (V. Roca) [livres de poche + poche(s) sous les yeux] ● Au restaurant, au moment du dessert : […] cette pensée a traversé son esprit à la vitesse d’un éclair au chocolat et n’a jamais franchi ses lèvres. (R. Soulières) [la vitesse d’un éclair + éclair au chocolat] Voyons quatre variantes : L a fusion d’expressions s’accompagne d’une insertion de mots : ● C’est un gai luron qui trémousse encore joliment des doigts du pied qu’il n’a pas dans la tombe. (R. Queneau) [doigts du pied + pied dans la tombe] L a forme commune aux expressions à fusionner est suivie des trois points : ● Pris la main dans le sac… de cocaïne ! (Titre) [la main dans le sac + le sac de cocaïne] ● Pour intégrer les jeunes à la société… des alcools. (Titre) [intégrer à la société + la Société des alcools] U n des termes de l’expression-valise propose lui-même deux lectures (ce qui rappelle le mot dans le mot*) : ● […] avec des entrecôtes d’azur. (Sol) [entrecôtes + côtes d’azur.] ● Mon ravissant index manucuré (de campagne) remonte la colonne du grand livre. (San Antonio) [manucuré + curé de campagne] L a première expression renferme une homophonie implicite*, ci-après l’amère et la mer : ● Le sang charrie des alluvions vers l’amère morte saison. (Gilles Hénault) [la mer Morte + la morte saison]
Phrases à doubles ententes ▼ 195
Parfois, le terme qui termine la première expression à fusionner diffère de celui qui commence la seconde ; on combine alors le début de la première expression avec la fin de la seconde : ● [..] et la salle, déjà pleine, continuait d’accueillir, de seconde en minute, de nouveaux arrivants. (B. Vian) [de seconde en seconde + de minute en minute] ● Il commençait à baver de convoitise. (B. Vian) [baver d’admiration + regarder avec convoitise] V. Proverbe-valise. Mot-valise. Double-sens.
3. Le proverbe-valise Syn. Le perverbe – Une hirondelle ne fait pas le moine. (F. Blanche) L’auteur est parti de deux proverbes (Une hirondelle ne fait pas le printemps et L’habit ne fait pas le moine) pour en former un troisième, inédit. Appelons proverbe-valise le résultat de l’amalgame de deux proverbes tronqués (parfois des adages, des maximes, des dictons) qui sont empaquetés dans une seule formulation, comme dans une valise : – Qui vole un bœuf rira le dernier. Ce proverbe, Michel Laclos l’a créé à partir de Qui vole un œuf vole un bœuf et de Rira bien qui rira le dernier.
Précisions Il existe deux types de proverbes-valises : ceux qu’on a ressoudés et ceux qu’on a mélangés : L es proverbes ressoudés résultent du collage de deux moitiés de proverbes pour en créer un nouveau : ● Qui donne aux pauvres commence par soi-même. (E. Berti) (Qui donne aux pauvres [prête à Dieu] et [Charité bien ordonnée] commence par soi-même.) Examinons quatre variantes : – Une addition de mots pour créer un double-sens* : ● Qui aime bien ses lunettes ménage sa monture (F. Blanche) (Qui aime bien [châtie bien] et [Qui veut voyager loin] ménage sa monture.) [En raison de la présence de ses lunettes, le sens de monture est passé de celui de « bête sur laquelle on monte pour se faire transporter » à celui de « partie des lunettes qui sert à maintenir les verres en place ».] – L’ajout d’un commentaire :
196 ▲ Jeux verbaux et créations verbales
● Quand les hirondelles volent bas, les souris dansent parce qu’elles se
sont trompées de proverbe. (F. Cavanna) [Quand les hirondelles volent bas [les pavés se prennent pour des nuages] et [Quand le chat est parti] les souris dansent.] – Le collage de plusieurs parties de proverbes, comme dans ce curieux conseil sur la chasse : ● Il ne faut pas vendre la mèche de la peau de l’ours en avant des bœufs pendant que les souris dansent. (Safarir) [Amalgame de Vendre la mèche + Il ne faut pas vendre la peau de l’ours avant de l’avoir tué + Il ne faut pas placer les bœufs avant la charrue + Quand le chat est parti, les souris dansent.] – Le collage de proverbes entiers pour créer de petits poèmes : ● Qui vole un œuf, Jeux de mains Vole un bœuf, Jeux de vilains ! L es proverbes mélangés ou mixés conservent la structure et une partie du vocabulaire d’un premier proverbe et y introduisent des mots tirés d’un second proverbe. De là une signification souvent déconcertante : ● Il faut rendre à la paille ce qui appartient à la poutre. (P. Éluard) [L’auteur a repris la structure et quelques mots de Il faut rendre à César ce qui appartient à César (et à Dieu ce qui appartient à Dieu) et les a mélangés avec Voir la paille dans l’œil de son voisin et ne pas remarquer la poutre dans le sien.] V. Expression-valise. Mot-valise. Proverbe retouché.
DOUBLES ENTENTES ISSUES DE SUBSTITUTIONS DE MOTS
1. La substitution lexicale Syn. Un mot pour un autre – On étouffe ici ! Permettez que j’ouvre une parenthèse. (A. Allais) Curieusement, l’auteur de cette demande a substitué le nom parenthèse au nom fenêtre. La substitution lexicale est le remplacement du mot (ou du groupe de mots) prévu par un autre qu’on n’attendait pas : – Achille Talon, mordu par son canard : Misérable palmipède ! Ingrat ! Agresser le derrière qui vous nourrit ! (Greg) [Au lieu de mordre la main.] Le procédé est explicite lorsque le mot de départ et celui qui le remplace sont présents : — Dis donc, ton alliance n’est pas sur le bon doigt. — Oui, c’est parce que je n’ai pas le bon mari.
Phrases à doubles ententes ▼ 197
Précisions Qu’est-ce qui permet les diverses substitutions de mots ? L ’affinité de sens entre le mot remplaçant et le mot remplacé : On remplace un générique par un autre, un spécifique par un autre, etc. ● Mes efforts ont déjà porté des légumes. [(R. Ducharme) fruits] ● Ce bonhomme haut comme trois oranges – le fruit du pays – on l’imagine jouant des coudes dans la foule. (M. Auclair) [pommes] ’affinité sonore, particulièrement à la finale des mots : L ● Heureux comme un glaçon dans le Pernod. (Publicité) [poisson… eau] e contexte verbal : L ● Fuir : prendre son courage à deux pieds. [à deux mains] ● Nom d’un chat ! Souris, où es-tu ? (R. Kempeners) [nom de Dieu] a situation de communication : L Lancée à la sortie d’un salon de coiffure, la déclaration suivante est tout à fait compréhensible : ● Je n’y remettrai plus jamais les cheveux. (A. Capus) [les pieds] À l’écoute de l’extrait suivant, le public rétablit (au moins approximativement) les termes courants de salutation : ● Madame […] allant au devant de son amie : Chère, très chère peluche ! Depuis combien de trous, depuis combien de galets n’avais-je pas eu le mitron de vous sucrer ! (J. Tardieu) – La référence à un proverbe, à une phrase connue, à un auteur en particulier, etc. ● On savait, mais au lieu d’agir, on a jasé. Pendant ce temps-là, pour paraphraser Nelligan, ah que les fraudeurs ont fraudé… (R. Martineau) [Ah ! comme la neige a neigé !] ● Le rocking-chair est triste. J’y ai lu tous mes livres. (J. L’Anselme) [Clin d’œil au vers La chair est triste, hélas, et j’ai lu tous les livres de Mallarmé.] ● Qui rit vendredi, c’est toujours ça de pris. (F. Cavanna) [Racine avait écrit plutôt : Qui rit vendredi dimanche pleurera.] L a réutilisation de la structure syntaxique d’un extrait ou d’un texte très connu (sans qu’il soit nécessaire de mentionner son auteur). Sébastien Bailly nous présente le début d’une version médicale de La cigale et la fourmi, célèbre fable de La Fontaine : ● Le malade et le médecin Le malade ayant toussé tout l’été
198 ▲ Jeux verbaux et créations verbales
Se trouva fort enrhumé Quand la grippe fut venue… De fait, pour substituer un terme à un autre, toutes les raisons sont bonnes, entre autres, épargner des précisions inutiles ou simuler la méconnaissance de la langue : ● Mais le ministère de l’Agriculture lui interdit de vendre son saumon ailleurs qu’à l’endroit où il le fume. Pourquoi ? À cause du règlement Machin, paragraphe Truc, alinéa Patente. (R. Martineau) ● Dialogue légendaire : – Ce tableau est très pythagore. – Tu veux dire pittoresque ? – Bah, ne chicane pas ! Pythagore et pittoresque, c’est synagogue. Terminons par le cas où des signes de ponctuation prennent la place des mots, sans que l’essentiel du propos nous échappe : ● – Si quelqu’un ici veut que je tombe raide mort, il n’a qu’à me parler de cette question. Elle me rappelle la plus effroyable période de ma vie… – !!! ??? !!! nous écriâmes-nous simultanément. (A. Allais) Note. Plusieurs jeux verbaux reposent sur des substitutions de mots, à commencer par tous les procédés dits « implicites » auxquels on peut ajouter la synecdoque* et la métonymie*, pour nous en tenir à ceux-là. V. Proverbe retouché. Antiphrase.
2. Le proverbe retouché – Qui veut voyager loin ménage ses chaussures. (J.-L. Fournier) La substitution de ses chaussures à sa monture a suffi pour modifier un proverbe fort connu que le public reconnaît sans peine. Le proverbe retouché (ou remanié) est celui dont on a remplacé un ou plusieurs mots en conservant (en tout ou en partie) la structure de départ : – N’éveillez pas le fonctionnaire qui dort ! [Remaniement de Il ne faut pas réveiller le chat qui dort.] Le procédé est explicite quand sont présents et le proverbe de départ et la version remaniée : – Qui donne aux pauvres prête à Dieu. Qui donne à l’État prête à rire. (T. Bernard)
Précisions Rien n’empêche de remplacer la plupart des termes principaux d’un proverbe ou d’un dicton. Deux cas se présentent alors : O u bien le résultat est cohérent : on passe alors d’un domaine du réel (ou champ lexical) à un autre.
Phrases à doubles ententes ▼ 199
– Soit que les mots conservent leur sens propre ;
● Le joint roulé, il faut le fumer. (D. Mativat)
[Quand le vin est tiré, il faut le boire.] – Soit que les mots prennent un sens figuré : ● C’est en se plantant qu’on devient cultivé. [C’est en forgeant qu’on devient forgeron.] O u bien le résultat est déconcertant ou même tout à fait absurde : ● Il n’y a pas de cheveux sans ride. (P. Éluard et B. Péret) [Il n’y a pas de fumée sans feu.] V. Substitution lexicale. Proverbe-valise. Allographe.
3. L’antiphrase Syn. L’inversion verbale – « Nous avons trop d’amis », soupira le lapin de garenne en voyant arriver les amis de la nature avec leurs fusils de chasse. (J.-L. Fournier) Personnifié, le lapin exprime le contraire de ce qu’il perçoit. Aussi convient-il d’interpréter la première occurrence du mot amis dans le sens d’ennemis. C’est que se faire appeler les amis de la nature et s’adonner à la chasse peut sembler inconséquent. Parler par antiphrase (n. f.), c’est formuler le contraire de ce qu’on pense tout en s’arrangeant pour que le public saisisse ce qu’on veut dire réellement : – J’ai passé une très bonne soirée. Vraiment. Ça m’a rappelé le procès de Nuremberg. (W. Allen) – Tout ce joli monde se retrouvera là-haut / Près du bon dieu des flics. (J. Prévert) Antiphrase vient d’un mot grec qui signifie « désignation par le contraire » (de anti « contre » et phrasis « parole, discours »).
Précisions En général, pour saisir qu’un élément est employé (très souvent par ironie) dans un sens contraire à son sens habituel, le public est guidé par le contexte ou la situation ou encore par son bagage culturel. e recours au contexte : L Voici deux exemples de Claude Gagnière, le premier au sujet de l’auteur Pierre Dac, le second à propos du langage des précieuses : ● Rendu à la vie civile, il s’essaie à des emplois prestigieux : tour à tour homme-sandwich, chauffeur de taxi, vendeur de savonnettes à la sauvette, représentant de commerce et… chômeur.
200 ▲ Jeux verbaux et créations verbales
● En ces temps d’une grande simplicité, pour demander un peigne, il
suffisait de dire : « Apportez-moi un dédale que je délabyrinthe mes cheveux ! »
L e recours à la situation de communication : ● Publicité proposant le dernier modèle d’une automobile : Cette voiture n’est pas à vendre ! L e recours à nos connaissances sur le monde : ● J’ai toujours souhaité, fort chrétiennement, une maladie soudaine et terrifiante aux chefs syndicaux qui ordonnent des grèves dans les hôpitaux. (J.-P. Desbiens) Ce qu’on sait du message évangélique, axé sur l’amour et le pardon, nous pousse à renverser le sens que prend fort chrétiennement. Quant à l’exemple suivant, il s’appuie sur une allusion littéraire, la pièce de théâtre dont il est question étant une tragédie, et non une comédie au sens moderne du terme : ● « Que nous as-tu pondu de drôle ? », demanda Racine à Corneille qui venait d’écrire Polyeucte. (J.-L. Fournier) Parfois, un ajout rectificatif permet d’éviter tout malentendu : ● Il faut voir ce film à tout prix : c’est un pur chef-d’œuvre. Oui, oui, c’est de l’ironie. (Presse) Note. Ne pas confondre avec le renversement du réel*, qui présente le monde à l’envers. V. Contraste implicite. Substitution lexicale.
DOUBLES ENTENTES ISSUES DE PERMUTATIONS DE MOTS OU DE SONS
1. Le chassé-croisé Syn. La contrepèterie lexicale – Oui j’ai une jambe de verre et j’ai un œil de bois. (J. Prévert) Une jambe de bois et un œil de verre sont des moyens de pallier à des handicaps physiques. Ici, l’auteur a interverti les termes bois et verre pour représenter de curieux objets. La dénomination chassé-croisé désigne le procédé où un mot change de place avec un autre ; de là le passage d’une formulation prévisible à une autre au sens inattendu : – Mange ton dessert, sinon pas de soupe. (Publicité) – Ils n’ont pas pu avoir de chien. Alors ils ont fait un enfant. (Coluche)
Phrases à doubles ententes ▼ 201
Précisions Ce nouvel arrangement de mots permet une double interprétation : derrière le sens de la formulation qui nous est donnée, on perçoit toujours le sens de la formulation de départ : ● Stockport : la ville où ils font sortir les chapeaux des lapins. (Titre de presse) [Le sens de « fabriquer des chapeaux avec des peaux de lapins » n’efface pas l’image des magiciens qui font sortir des lapins de chapeaux.] Le procédé implique souvent la modification d’une formulation connue*. Aussi reconnaît-on l’affirmation de La Fontaine (La raison du plus fort est toujours la meilleure) derrière celle de Victor Hugo : ● La raison du meilleur est toujours la plus forte. Le chassé-croisé et l’hypallage* peuvent avoir des effets similaires : D ans l’hypallage, il y a déplacement d’un adjectif de sorte qu’on attribue à un nom une qualité qui convient à un autre : ● […] en train d’écouter les nouvelles nasillardes d’une radio mal réglée… (T. Cartano) [Logiquement, l’adjectif nasillardes convient davantage à une radio mal réglée (et, par métonymie* à la voix du lecteur des nouvelles).] D ans le chassé-croisé, au moins deux mots s’échangent leur place si bien que ces mots paraissent ne plus convenir tout à fait : ● Un vieillard en or avec une montre en deuil. (J. Prévert) Certes, on peut parler d’un vieillard en or (au sens figuré) comme d’une montre en or (au sens propre). On peut aussi parler d’un vieillard en deuil. Toutefois le groupe montre en deuil pose un problème de sens, sauf si en deuil acquiert un sens imagé (advenant le décès du vieillard, par exemple). ● Un troupeau de bonapartes passe dans le désert L’empereur s’appelle Dromadaire. (J. Prévert) Pour transmettre sa vision particulière (et dépréciative) de Napoléon Bonaparte au cours de son expédition en Égypte, l’auteur a interverti le nom propre Bonaparte et le nom commun dromadaire. Cet échange de place donne lieu à une animalisation* de l’empereur (d’où l’absence de majuscule au mot bonapartes). En contrepartie, élevé au rang de nom propre, Dromadaire est affublé d’une majuscule. Parfois l’échange de place s’accompagne d’une autre modification : U ne addition de mots : ● Qui s’assemble finit par se ressembler. (G. Cesbron) [À la place de : Qui se ressemble s’assemble.] ● Bonheur. Ne fait pas l’argent, hélas ! (J. Languirand) [À la place de : L’argent ne fait pas le bonheur.]
202 ▲ Jeux verbaux et créations verbales
L e remplacement d’un mot par un autre de même prononciation (un homophone ou un homonyme) : ● J’ai le bout qui sent. [Au lieu de : J’ai le sang qui bout.] Soyez attentifs au chassé-croisé de pronoms personnels : ● Je l’ai revu l’autre jour. Il avait tellement changé qu’il ne m’a pas reconnu ! (T. Bernard) [Au lieu de : je ne l’ai pas reconnu.] ● Sacha Guitry, venant de réchapper d’une crise grave : – Ah ! docteur, j’ai bien failli vous perdre. [Au lieu de : vous avez bien failli me perdre.] Ajoutons que le chassé-croisé se confond parfois avec le renversement du réel*, lequel bouleverse l’ordre normal des choses : ● La queue et les oreilles du toréador ont été remises solennellement au taureau. (J. – L. Fournier) V. Hypallage. Antimétabole.
2. La contrepèterie Syn. La contrepèterie phonique. Le contrepet – J’ai du tracas jusqu’au cou. (L. Étienne) Il suffirait que les mots tracas et cou s’échangent des sons pour que, derrière ce propos anodin, émerge un propos cocasse : J’ai du caca jusqu’au trou. La contrepèterie est un échange ou un déplacement (possible) de sons entre certains mots d’une phrase banale, laquelle se transforme alors en une autre, généralement grivoise, voire obscène, parfois dépréciative : – Il faut savoir prendre le choses en riant ! (C. Gagnière) [Cette phrase en cache une autre : Il faut savoir prendre les roses en chiant.] – C’est un ministre décent. [L’échange des sons-consonnes [m] et [s] donne : C’est un sinistre dément.] Une variante, la contrepèterie à l’envers permet le passage d’une phrase cocasse à une phrase anodine : – Quand le bain est tiré, il faut le voir. (C. Gagnière) [Vient de Quand le vin est tiré, il faut le boire.] – Il souffre de patates viriles. [Issu de Il souffre d’hépatiques virales.] Contrepèterie viendrait du verbe de l’ancien français contrepéter, qui signifiait « rendre un son par un autre ».
Précisions Les contrepèteries sont faites pour être prononcées : ce sont les sons (et non les lettres) qui comptent avant tout. C’est pourquoi l’interversion des sons peut
Phrases à doubles ententes ▼ 203
s’accompagner d’un changement au niveau de la graphie, tel le son [ɛ], orthographié « è » ou « ai » dans l’exemple suivant : ● Le père a une belle-mère. [La mère a une belle paire.] De même, dans ce slogan publicitaire, le son [ɛ̃] correspond aux graphies « in » et « eint » ; les sons [ʀɛ] aux graphies « rêt » et « rais » : ● Fin prêt ! Frais peint ! ([fɛ̃pʀɛ] [fʀɛpɛ̃]) La contrepèterie est le plus souvent implicite : au lecteur ou à l’auditeur de saisir la phrase qui se dissimule derrière celle qui lui est donnée : ● Le savant échauffe la fonte. (A. Finard) [Le savon échauffe la fente.] La contrepèterie explicite, quant à elle, affiche les deux lectures : ● Vous avez vendu votre terre pour avoir trop tendu votre verre ! (É. Tabourot) ● Le contraire de la libido, c’est le bide au lit. (G. Parking) Souvent, pour faciliter la tâche du public, l’explicitation se fait au moyen de formules comme ne pas confondre, il faut dire, etc : ● Ce n’est pas la verge du rabbin, mais bien la berge du ravin. ● J’ai dit « fouilles curieuses » ; je n’ai pas dit « couilles furieuses ». ● Il faut dire : Le paysan regarde pousser les épis, et non : Le paysan regarde pisser les époux. Le plus souvent, les contrepèteries se font par des échanges de sons, de syllabes ou de fractions de mots. O n échange des consonnes (ou des groupes de consonnes) : – Au début des mots : ● Le général aurait voulu arriver à pied par la Chine. [arriver à chier par la pine] – À la fin des mots (c’est plus rare) : ● La duchesse n’est pas femme à découper la biche en trente. [la bite en tranches] – À l’intérieur des mots : ● Un élève : Monsieur, j’enterre mon lapin. [j’en perds mon latin] – Au début d’un mot et au milieu d’un autre : ● Quel champ de coton ! [Quel temps de cochon !] O n échange des voyelles : ● La bergère s’amuse à voir passer le pitre. [pisser le pâtre] ● On boit mieux à treize. [On baise mieux à trois] O n échange des syllabes (ou des mots d’une seule syllabe) : ● J’aime mieux aller hériter à la poste que d’aller à la postérité. ● Un romancier poli ne vaut pas un roman policier. O n échange de fractions de mots, à savoir des groupes de sons plus étendus que la syllabe :
204 ▲ Jeux verbaux et créations verbales
● Passe ou file ! (B. Perret) [Pile ou face] ● Il préférait les escalopes avec une petite salade aux escapades avec une
petite salope. Les segmentations et les fusionnements de mots sont donc admis : U n mot peut se diviser en deux : ● Le tailleur est submergé sous les amas de patentes. (L. Perceau) [Le tailleur est submergé sous les appâts de ma tante.]
D eux mots peuvent se souder en un seul : ● Une bêtasse pas lourde. (Joël Martin) [Une pétasse balourde] D’autres contrepèteries sont produites au moyen de déplacements de sons ou de syllabes : O n déplace une consonne : ● Le tout de mon cru. (L. Étienne) [Le trou de mon cul] O n déplace une voyelle : ● Murillo a peint une vierge entre deux ascètes. (J. Martin) [Murillo a peint une verge entre deux assiettes.] n déplace une syllabe : O ● Attention aux congères de mai. (J. Martin) [cons de mégères.] Rien ne s’oppose à ce qu’il y ait deux contrepèteries dans la même phrase : ● La fermière sait que sa poule mue, aussi vit-elle aux champs. (L. Perceau) [sa moule pue, aussi chie-t-elle au vent] Il existe des contrepèteries à trois consonnes, comme si des lettres se couraient après : ● Ce jeune homme danse comme un ballot. (L. Étienne) [bande comme un salaud.] Généralement, deux mots s’échangent des sons. Mais il se peut que l’échange se fasse à l’intérieur d’un seul mot : ● Femme bien nippée toujours contente. (L. Perceau) [pinée] ● Un jour, ce sera ton trou. (Titre) [tour] Outre les échanges de sons, certaines contrepèteries offrent, en prime, des interversions de mots : ● Sur cette planète, les plages étaient vertes. [les verges étaient plates] ● Dites les transes de la confusion Et non les contusions de la France (R. Desnos) ● Les Dupont : – Affaire urgente : appelons Tintin. – Je dirais même plus : affaire Tintente, appelons urgin. (« Tintin » de Hergé) V. Chassé-croisé. Création par contrepèterie. Lettres interverties.
Phrases à doubles ententes ▼ 205
DOUBLES ENTENTES ISSUES DE LECTURES DANS DEUX DIRECTIONS OU PAR MOITIÉS
1. L’acrostiche – Soucieux d’être vu, je suis toujours la mode Nouveauté d’un moment et, par elle attiré, Oubliant qui je suis, d’elle je m’accommode, Bravant ainsi les yeux dont je suis admiré. La lecture, en commençant par le haut, de la première lettre de chacun de ces quatre vers donne le mot snob, sujet du poème. L’acrostiche (n. m.) est une pièce en vers dans laquelle sont imbriqués deux messages : le premier est constitué d’une strophe ou d’un poème ; le second message, qui se lit généralement de haut en bas, est réduit à un mot habituellement formé par la première lettre (ou la première syllabe) de chaque vers : – Je ne saurais nommer celle qui sait me plaire Un fat peut se vanter, un amant doit se taire La pudeur qu’alarmait l’impétueux désir Inventa sagement le voile du mystère – Et l’amour étonné connut le vrai plaisir. (G. Peignot) Acrostiche vient du grec akros « extrémité » et stichos « vers ».
Précisions Il existe des acrostiches graphiques, syllabiques et lexicaux L e plus souvent, on a affaire à des acrostiches graphiques. Le message que véhiculent les lettres est tantôt un nom propre (l’auteur ou le (la) destinataire), tantôt un mot-clé constituant le thème du poème. Voici l’acrostiche imaginé par le conseil de fabrique d’une paroisse, une invitation à payer la dîme : ● Donne ta contribution généreusement, Ici, à ta paroisse, ça servira. Maintiens cette bonne habitude ta vie durant, Et ta communauté paroissiale grandira. Dans un sonnet qui, en apparence, était une ode à la musique, l’écrivain Willy s’est vengé du directeur d’une revue musicale en dissimulant la phrase : Mangeot est bête, preuve que l’acrostiche permet de faire voir des mots sans les dire vraiment.
206 ▲ Jeux verbaux et créations verbales
À côté des acrostiches simples, il y en a des doubles, voire des triples ou des quadruples, qui permettent deux, trois ou quatre lectures verticales. Voici un acrostiche double sous le nom d’Anna, lequel se lit par les deux bouts : ● Amour parfait dans mon cœur imprimA Nom très heureux d’une que j’aime bieN Non, non, jamais cet amoureux lieN Autre que mort défaire ne pourrA Avec le télostiche (où télo- signifie « fin » et stichos « vers »), le message à lire se présente en fin de vers : ● Pieds nus Un vers qui danse sur un p, pas vraiment le top Pour les puristes, et dans cette danse à grand souci, Comment mettre un pied devant l’autre sans chausse-trappe, Comment, dans cette errance, trouver chaussure à son pied Sans être obligé, vraiment, de se tirer, du nez, les vers, Et, loin de l’alexandrin, implorer même le mirliton De voler à son secours, en ce grand tohu-bohu, Pour faire valser, avec l’hémistiche, les anicroches des télostiches ? (L » Mancy) Une autre variante propose une lecture en diagonale. Dans ce cas, le mot révélé est formé par la première lettre du premier vers, la deuxième lettre du deuxième vers, et ainsi de suite : ● Verbe préféré En toutes les saisons e N toutes les occasions il Suffit de sa clé d’enfant pli Ons nos pauvres prétentions esca Ladons sans gêne les nuages ensol Eillons ! ensoleillons ! ensoleillons ! l’human Ité doit être bleue comme sa terre le blé s’é Lever comme une table d’or le poème i Lluminer l’obscurité et tous les Efants parleraient l’oiseau libéré libé Ré libéré. (G. Brulet)
es acrostiches syllabiques sont moins fréquents : L ● Caprice injuste et fou d’une femme inconstante, Prix d’or de cet amour que je t’avais juré, C’est ma vie que tu prends en prenant la tangente ! Fidèle, en t’attendant, je loge chez ma tante. Ninon, reviens, reviens ! J’en ai trop enduré ! (J. Bens) La lecture verticale des syllabes initiales donne la phrase acrostiche : Capri c’est fini.
Phrases à doubles ententes ▼ 207
Q uant aux acrostiches lexicaux, ils se font rares. Cette fois, c’est le premier mot de chaque vers qu’il faut lire, de sorte que le résultat est également une phrase acrostiche. On raconte qu’Alfred de Musset aurait employé ce procédé pour proposer un rendez-vous galant à George Sand : ● Quand je mets à vos pieds un éternel hommage Voulez-vous qu’un instant je change de visage Vous avez capturé les sentiments d’un cœur Que pour vous admirer forma le Créateur Je vous chéris, amour, et ma plume en délire Couche sur le papier ce que je n’ose dire. Avec soin, de mes vers lisez les premiers mots Vous saurez quel remède apporter à mes maux. C’est au moyen de la même astuce que George Sand aurait répondu : ● Cette insigne faveur que votre cœur réclame Nuit à ma renommée et répugne à mon âme. Terminons par ce que, à la rigueur, on peut appeler l’acrostiche horizontal vu que les lettres sont dissimulées à l’initiale de chacun des mots formant un texte (à la manière de l’acronyme). C’est une lecture de gauche à droite qui permet alors de débusquer des mots ou des noms cachés : ● Rivalisant avec Corneille, il nous étonna. Zut ! On l’accuse ! L’orientale t’intéresse. Gare, idiot ! Dieu existe ! Chaque ligne cache les noms d’un écrivain : Racine, Zola, Loti et Gide. Note : Le poème abécédaire* propose aussi une lecture verticale, celle des vingtsix lettres de l’alphabet.
2. Les vers brisés Syn. Les vers rapportés – Bonnes resolutions Toujours nous aimerons le travail et l’effort Le loisir et les jeux sont choses détestables. Mes amis, méprisons le paresseux qui dort, Le pauvre besogneux, c’est l’homme respectable. Soyons les compagnons du noble travailleur, Du flâneur qui repose, il faut haïr le choix ! J’aime cette leçon qui prône le labeur, Ne pas faire grand chose est indigne de moi. (N. Prévost) Voilà un poème en vers brisés composé d’alexandrins (des vers de douze syllabes) qui fait l’apologie du travail. Mais en apparence seulement, parce que si on le coupe en deux, apparaissent deux autres poèmes (chacun formé de vers de six syllabes) lesquels sont une condamnation du travail.
208 ▲ Jeux verbaux et créations verbales
Bref, la lecture par « moitiés » (facilitée ici au moyen de caractères italiques) permet d’identifier deux poèmes qui contredisent le sens de l’ensemble en faisant l’apologie du loisir, de la flânerie, de la paresse… Les vers brisés sont ceux dont la division en hémistiches (ou moitiés) permet deux interprétations opposées d’un même poème. La lecture des vers entiers fournit une première interprétation ; la lecture de tous les premiers hémistiches, puis celle de tous les seconds en fournit une autre. De plus chacun de ces poèmes pratique la rime. Ci-dessous, la lecture par alexandrins est une louange d’Hitler et une condamnation de l’Angleterre ; à l’inverse, la première moitié louange l’Angleterre et la seconde condamne Hitler. (Les seconds hémistiches apparaissent en italiques) : – Aimons et admirons le chancelier Hitler ! L’Éternelle Angleterre est indigne de vivre Maudissons, écrasons le peuple d’outremer Le nazi sur la terre sera seul à survivre. Soyons donc le soutien du führer allemand De ces navigateurs la race soit maudite. À eux seuls appartient ce juste châtiment La palme du vainqueur répond au vrai mérite. Les deux « moitiés » de vers présentent des rimes croisées : elles se succèdent dans l’ordre abab et cdcd.
Chapitre 10
Entorses au sens et à la logique
Libertés prises avec le sens et la logique On se permet des rapprochements imprévisibles et fautifs On cultive les incompatibilités réelles de sens – La présence simultanée de certains mots produit une incohérence : l’association saugrenue – Les deux réalités rapprochées sont inconciliables : l’image incohérente On affectionne les idées contradictoires : la contradiction voulue On s’autorise des invraisemblances et des absurdités On verse dans le domaine de l’impossible – L’expression excessive se limite à une phrase : l’adynaton – L’expression excessive s’étend sur tout un discours : la galéjade On lance des propos qui ne correspondent pas au réel ou à la logique : le propos absurde
Libertés prises avec la logique du raisonnement On soutient des drôles d’opinions et on aboutit à des drôles de conclusions On défend une opinion manifestement erronée : la thèse farfelue On arrive à une conclusion inacceptable : la conclusion fantaisiste On fait des drôles de raisonnements On raisonne délibérément de travers : le raisonnement fantaisiste ; le faux syllogisme On recourt à un drôle d’argument : la preuve fantaisiste On présente un motif bizarre : la raison fantaisiste On exprime un résultat cocasse : la conséquence fantaisiste On mentionne un objectif farfelu : le but fantaisiste
210 ▲ Jeux verbaux et créations verbales
Libertés prises avec le sens et la logique
1. L’association saugrenue – Il y eut trois petites filles ; elles chantaient une ronde toute ronde et la dansaient en triangle. (B. Vian) Il y a une incompatibilité de sens entre une ronde, défini comme « la chanson d’une danse où plusieurs personnes forment un cercle et tournent », et en triangle, qui ne renvoie pas à un mouvement circulaire. Il y a association saugrenue quand la présence simultanée de deux mots (ou de deux groupes de mots) est ou paraît incohérente : – Les yeux fermés, nous regardions la scène. – Je leur crie que c’est jour de fête. Mais leur tête me désigne du doigt. (J. Prévert) – Achille Talon : Vous êtes sûr qu’aucune oreille indiscrète ne vous dévisage ? (Greg) – Elle me confie à moi […] que son poisson rouge est mort noyé dans son bocal pas plus tard que ce matin […] (R. Soulières) Selon L. Olbrechts-Tyteca, le « heurt de domaines » produit aussi des rencontres de mots non souhaitables : – Le meurtrier du petit Christophe est une bonne à tout faire. (Constellation)
V. Image incohérente. Hypallage. Chassé-croisé. Synesthésie. Oxymore.
2. L’image incohérente – Achille Talon : Mais ciel, soudain, la morsure d’un doute m’inonde. (Greg) Par image on peut, à la rigueur, parler de la morsure d’un doute, mais la présence de m’inonde rend cette métaphore inacceptable. L’image incohérente résulte du rapprochement de mots ou de groupes de mots imagés dont l’incompatibilité repose sur une similitude ou un contraste qui ne semble pas conforme à la logique : – Il a visité une île déserte où jamais la main de l’homme n’avait mis le pied. – Achille Talon : Le verdict des foules nous portera au zénith comme un pavé dans la mare et paf. (Greg)
Précisions Voyons quelques cas d’images incohérentes, souvent exprimées au moyen de comparaisons* ou de métaphores* et pouvant s’amalgamer à des contrastes* :
Entorses au sens et à la logique ▼ 211
U ne image ne convient pas au contexte ou ne se conforme pas au réel : ● Les spectateurs applaudirent à pleins poumons. ● La main de ces hommes était froide comme celle d’un serpent. (P.A. de Ponson du Terrail) ● On nous surnomme le clan Panneton, car nous sommes trois frères inséparables. Comme les trois doigts de la main comme qui dirait. (R. Soulières) – Ce type d’image renferme souvent un contraste amusant : ● Le renard marchait à pas de loup. ● Chez nous, la neige et la glace, ça ne fait jamais long feu. ● Achille Talon : Ma piscine aura fait naufrage avant même de prendre son vol. (Greg) eux images incompatibles sont réunies : D ● Vincent Poursan : Cette chaussure vous va comme un gant à un poisson dans l’eau. (Greg) ● Dans des cas désespérés comme le nôtre, il faut faire des pieds et des mains pour mettre le doigt sur la solution. (P. Dac) – Cette réunion d’images peut faire ressortir un drôle de contraste : ● C’est la goutte d’eau qui a mis le feu aux poudres. (R. Richebé) V. Association saugrenue. Contradiction. Contraste explicite.
3. La contradiction voulue Syn. L’antilogie – Je ne suis pas superstitieux, ça porte malheur ! (Coluche) L’idée véhiculée par la première proposition est incompatible avec celle que transmet la proposition causale qui la complète. Il y a contradiction voulue quand on s’arrange pour qu’une idée vienne en contredire une autre : – C’est assez clair pour être vague, n’est-ce pas ? (B. Vian) – Avant de prendre congé de ses hôtes, Dieu convint, de la meilleure grâce du monde, qu’il n’existait pas. (A. Allais) – Il était si heureux que ça lui faisait énormément de peine. (B. Vian) Ce sont parfois des actes qui viennent contredire la parole : – Je suis quelqu’un de très très… (jetant un coup d’œil à son texte) spontané ! (A. Gauthier) Antilogie vient d’un mot grec qui signifie « contradiction » (de anti- exprimant l’opposition et logos « discours »).
212 ▲ Jeux verbaux et créations verbales
Précisions La contradiction recherchée peut être réelle ou apparente. La contradiction réelle est souvent le fruit d’une rallonge*, à savoir l’ajout d’une séquence inattendue à une phrase qui semblait terminée : ● Nous avons tout prévu, sauf les imprévus. ● Je suis athée, Dieu merci ! (M.G. Sauvageon) ● Je suis modeste et je m’en vante. (J. d’Estourmel) ● Je sais rien, mais je dirai tout. (Titre de film) ● Moman à un proche : T’as pas changé… je t’avais pas reconnu. (C. Meunier) ● Un enfant à ses parents : Avant qu’Hammie vienne vous le dire, sachez que je ne lui ai pas touché… et aussi qu’il l’a mérité. (Bande dessinée) La contradiction apparente (ou fausse contradiction) renferme sa solution : ● Ti-mé, mort le douze, s’est éteint le quatorze. (C. Meunier) La logique est retrouvée quand on sait que Ti-mé avait souhaité être incinéré. Mort et s’est éteint sont ici de faux synonymes. ● Petite annonce : Occasion. Parachute qui a servi une seule fois. N’a jamais ouvert. De fait, par malheur un parachute peut avoir été utilisé sans s’être ouvert, ce qui expliquerait qu’une veuve, par exemple, veuille s’en départir. ● Je n’ai pas fermé l’œil de la nuit et quand je me suis réveillé il pleuvait à boire debout. Cette dernière contradiction découle d’une exagération dans les termes employés. On a beau affirmer ne pas avoir fermé l’œil, dans les faits, on peut avoir dormi, si peu soit-il. Note : Le paradoxe* n’est contradictoire qu’en apparence.
4. L’adynaton Syn. L’exagération excessive – Après avoir été pris dans un embouteillage, quand tu arrives au bureau, tu dois te refaire la barbe ; il arrive que tes vêtements aient passé de mode. (D. Lemire) Il est inconcevable que la barbe ait à ce point repoussé et surtout que des vêtements se soient démodés pendant le trajet de la maison au lieu de travail. L’adynaton (n. m) est l’emploi de mots (ou d’expressions) tellement exagérés qu’ils font sortir du possible : – Il faut toujours garder un optimisme inébranlable. Planter un gland dans la terre, en planter un autre un mètre plus loin, arroser les deux et partir en courant acheter un hamac. (P. Sébastien) Adynaton est issu d’un mot grec signifiant « impossible ».
Entorses au sens et à la logique ▼ 213
Précisions En fait, l’adynaton est une hyperbole* poussée à l’extrême : ● LÈVE-TOI, TU VAS ÊTRE EN RETARD, HURLE SA MÈRE dans un cri qui aurait pu réveiller un troupeau d’éléphants sourds bourrés de somnifères. (R. Soulières) Sur le mode ludique, l’adynaton prend souvent la forme d’une proposition de conséquence annoncée par l’adverbe d’intensité si ou tellement : ● C’était un Français qui payait tellement d’impôts que le jour où il mourut le gouvernement fit faillite. (R. Pierre) ● Elle est tellement vieille qu’elle a un exemplaire de la Bible dédicacé. ● Ma cave est tellement humide que, lorsque j’installe un piège à souris, j’attrape un poisson. V. Hyperbole. Galéjade. Propos absurde.
5. La galéjade Syn. Le propos invraisemblable – Deux marins, de Chios et de Mytilène, se racontent leurs voyages : — En Afrique, un soir, j’ai rencontré un Noir qui était si noir que dans la nuit, pour le distinguer, il fallait allumer la lumière. — Ce n’est rien, dit le marin de Mytilène. À Venise, j’ai vu un type si maigre que pour comprendre qu’il était entré dans le café, il devait passer deux fois par la même porte. (J. Delamotte) Dans ce bref dialogue, la réplique est plus invraisemblable encore que l’affirmation qui l’a déclenchée. La galéjade est un discours fantaisiste, nettement exagéré, qui vise soit à mystifier le récepteur, soit à blaguer : — J’ai vu, dit-il, un chou plus grand qu’une maison. — Et moi, dit l’autre, un pot aussi grand qu’une église. Le premier se moquant, l’autre reprit : Tout doux ; On le fit pour cuire vos choux. (La Fontaine) Galéjade vient du mot provençal galejeda « plaisanterie » ; ce mot est formé de galéja « plaisanter » et de gala « s’amuser ».
V. Adynaton. Propos absurde.
6. Le propos absurde Syn. Le nonsense – Elle dit que la télévision c’est idiot : elle préfère regarder les films à la radio. Voilà une phrase qui a du sens puisqu’on la comprend. Toutefois son contenu ne s’accorde pas avec le réel.
214 ▲ Jeux verbaux et créations verbales
Le propos absurde est intelligible, mais défie les lois de la logique, il s’oppose au sens commun et à la raison : – La stratégie consiste à continuer de tirer pour faire croire à l’ennemi qu’on a encore des munitions. (M. Chrestiens) – Le pingouin commun ne joue au billard que dans des occasions tout à fait exceptionnelles. (F. Cavanna) – Dans sa volonté de supprimer les intermédiaires, il cherchait le moyen de passer directement du foin au lait en supprimant la vache. (A. Allais) – Il poussa son dernier soupir. Mais comme il n’était pas sûr, il en poussa un autre. (R. Boudet) – La dinde de Noël n’était pas assez cuite ; elle s’envola par la fenêtre. (J.-L. Fournier) – Le premier homme qui est mort a dû être drôlement surpris. (G. Wolinski) Bref, comme le dit si bien Dominique Noguez, « ce qui ne va pas de soi est présenté comme allant de soi ». Évidemment, bien des procédés abordés dans ce manuel produisent des phrases qui confinent à l’absurde. En témoignent le contraste* et la métaphore* que voici : – Invention : La casserole carrée pour empêcher le lait de tourner en rond. (A. Allais) – Rénald à sa femme : Ma grande face de néant pastel ! (C. Meunier) Absurde vient d’un mot latin qui signifie « discordant ».
V. Adynaton. Galéjade. Anachronisme. Raisonnement fantaisiste. Faux syllogisme.
LIBERTÉS PRISES AVEC LE RAISONNEMENT
1. La thèse farfelue – Le lit est l’endroit le plus dangereux du monde : 99 % des gens y meurent. (M. Twain) La preuve qu’apporte l’auteur (99 % des gens meurent dans un lit) a beau être crédible, la thèse qu’elle soutient est manifestement fausse. Parlons de thèse farfelue, quand l’opinion soutenue est indéfendable ou insoutenable : – Non, les accidents de la route ne sont pas dus à l’alcool. Ils sont dus à la voiture. La preuve : mettez un alcoolo dans un fauteuil roulant, il ne tuera personne. (L. Rego) Encore une fois, la preuve en soi est recevable, mais non l’idée qu’elle est censée appuyer. Il arrive que la preuve soit aussi farfelue que la thèse : – Comme au fond César n’était pas vraiment méchant, il égorgeait les enfants en dernier pour ne pas faire de peine à leurs parents. (P. Perret)
V. Preuve fantaisiste. Raison fantaisiste.
Entorses au sens et à la logique ▼ 215
2. La conclusion fantaisiste – Le mari idéal, c’est celui qui rentre tôt, fait les courses, la vaisselle et s’occupe des enfants. On en conclut que le mari idéal, c’est la femme ! (B. Gaccio) Les premières propositions sont acceptables, mais la conclusion qu’on en tire est pour le moins surprenante. Appelons conclusion fantaisiste toute proposition inattendue, souvent farfelue, qui découle d’une affirmation préalable, cohérente ou non : – Le Christ est mort pour nos péchés. Nous devons donc en commettre un de temps en temps. Sinon, il serait mort pour rien. (J. Feiffer) – Le temps perdu ne se rattrape jamais. Alors continuons de ne rien faire. (J. Renard) Il va de soi que, tirée d’un raisonnement fantaisiste ou d’un faux syllogisme, la conclusion est elle-même fantaisiste.
V. Conséquence fantaisiste.
3. Le raisonnement fantaisiste – Ma barbe vit, puisqu’elle pousse, et si je la coupe, elle ne crie pas. Une plante non plus. Ma barbe est une plante. (B. Vian) L’auteur a beau se donner des airs de sérieux, sa conclusion (Ma barbe est une plante) est irrecevable. Elle découle d’un raisonnement fallacieux établissant une fausse analogie entre une barbe et une plante. Il y a raisonnement fantaisiste, quand on raisonne délibérément de travers, c’est-à-dire quand la suite de propositions que nous avons liées les unes aux autres en guise d’arguments est inadmissible : – La maladie, c’est ridicule, c’est pas triste ; et c’est pour ça qu’il faut guérir : parce que le ridicule tue. (B. Vian)
Précisions Proposons trois formes de raisonnement fantaisiste : L a présence de mots en opposition de sens, que ceux-ci se croisent ou non : ● Un au-delà ? Pourquoi pas ? Pourquoi les morts ne vivraient-ils pas ? Les vivants meurent bien ! (Chaval) ● La lune est bien plus utile que le soleil, puisqu’elle éclaire la nuit. Le soleil, lui, brille quand il fait jour, ce qui ne sert vraiment à rien. (J. Klatzmann) L es répétitions de mots, en particulier les concaténations* (ou répétitions en chaîne) : ● Les Ténèbres, c’est l’enfer à ce qu’on dit. Par ailleurs, l’Enfer, c’est le Feu. Et le Feu, c’est la lumière. Donc les Ténèbres, c’est la Lumière. Nous sommes en plein mystère. (C. Falardeau)
216 ▲ Jeux verbaux et créations verbales
L a réponse à une objection prévue au moyen d’une anticipation : on fait parler ses interlocuteurs et on réfute leur point de vue : ● Il faut reconnaître que, d’ailleurs, la nouille n’existant pas à cette époque, ladite confiture de nouilles était faite de gui ; mais alors, me diront les ignorants : « Ce n’était pas de la confiture de nouilles, c’était de la confiture de gui ! » Erreur, que je leur répondrai : c’était de la confiture de nouilles fabriquée avec du gui. (P. Dac) V. Faux syllogisme. Preuve fantaisiste. Raison fantaisiste. Conséquence fantaisiste. Propos absurde.
4. Le faux syllogisme – Une pierre ne peut pas voler. Or, ma tante ne peut pas voler. Donc, ma tante est une pierre. (L. Holberg) Voilà un raisonnement déductif particulier : il commence par des prémisses (les deux premières propositions) et se termine par une conclusion ; il s’agit d’un syllogisme. Toutefois comme l’auteur n’a pas voulu respecter les règles de formation des bons syllogismes, il en tire une conclusion extravagante. Le faux syllogisme viole les règles d’un syllogisme digne de ce nom pour en arriver à une conclusion irrecevable : – La mort est un état de non-existence. Ce qui n’est pas n’existe pas. Donc la mort n’existe pas. (W. Allen) – Personne n’accepte de conseils, mais tout le monde accepte de l’argent : c’est donc que l’argent vaut mieux que les conseils. (J. Swift) Syllogisme vient d’un mot grec qui signifie « calcul, raisonnement ».
Précisions Le faux syllogisme se présente dans sa forme complète ou abrégée. Le faux syllogisme à trois propositions (avec une majeure, une mineure et une conclusion) reproduit, en prenant des libertés, la forme qu’on trouve dans des manuels : ● Tout ce qui brille n’est pas or. [majeure] Or, l’or brille. [mineure] Donc l’or n’est pas en or. [conclusion] ● De deux choses l’une : ou il pleut ou il ne pleut pas.
Or il pleut, donc il ne pleut pas. ● Plus il y a de gruyère, plus il y a de trous. Plus il y a de trous, moins il y a de gruyère. Donc, plus il y a de gruyère, moins il y a de gruyère. ● Les appartements bon marché sont rares.
Entorses au sens et à la logique ▼ 217
Et ce qui est rare est cher. Donc les appartements bon marché sont chers. Le faux syllogisme raccourci est celui dans lequel il manque une des prémisses ou la conclusion : ● L’alcool est un ennemi, or celui qui recule devant l’ennemi est un lâche ! (F. Blanche) [La conclusion (Donc consommons de l’alcool.) n’est pas exprimée.] Terminons par deux syllogismes fautifs qui, à partir de la même majeure, aboutissent à des conclusions différentes : ● Tous les chats sont mortels. Or je ne suis pas un chat. Donc je suis immortel. ● Le logicien, au Vieux Monsieur : Autre syllogisme : tous les chats sont mortels Socrate est mortel. Donc Socrate est un chat. (E. Ionesco) V. Raisonnement fantaisiste. Conclusion fantaisiste. Propos absurde.
5. La preuve fantaisiste – Les gens n’accordent guère d’importance à la vie, la preuve : quand ils la perdent, ils ne la réclament jamais. (P. Héraclès) Pour soutenir son point de vue, l’auteur utilise une preuve en guise d’argument. Or cette preuve est farfelue. La preuve fantaisiste est l’argument contestable ou carrément faux, le plus souvent cocasse, servant à soutenir une opinion feinte ou réelle : – La forme même des pyramides n’est-elle pas là pour prouver qu’en Égypte comme ailleurs, les ouvriers travaillent de moins en moins ? (P. Dumayet)
Précisions La preuve est annoncée ou non. Tantôt on la signale au moyen de tours comme la preuve (que) ou ce qui prouve : ● L’homme n’est pas fait pour travailler et la preuve, c’est que ça le fatigue ! (T. Bernard) ● La preuve que nous ne comprenons rien à la mort, c’est que nous mettons un oreiller dans les cercueils. (J. Seinfeld) ● La preuve que la mode est ridicule, c’est qu’elle change tout le temps. (O. Wilde) Tantôt aucun tour particulier ne l’annonce : ● Les préservatifs ne sont pas complètement sûrs. Un de mes amis en portait un et s’est fait renverser par un bus. (B. Rubin)
218 ▲ Jeux verbaux et créations verbales
● C’était un homme méthodique. Il déjeunait en mâchant du côté droit
et dînait en mâchant du côté gauche. (J. Renard)
● Il faut vivre pour manger : on n’a jamais vu de morts en train de
manger. (C. Falardeau) [Allusion à Il faut manger pour vivre et non vivre pour manger.] À l’occasion, un exemple* peut servir de preuve : ● Vite et bien vont parfois ensemble : Exemple : vite rencontré, bien oublié. (A. Brie) ● Il ne faut pas juger un homme d'après ses fréquentations. Ne perdons pas de vue que Judas avait des amis irréprochables. (E. Hemingway) Un double-sens* (ci-dessous : il l’a mis à l’index) peut s’insérer dans une preuve : ● Monseigneur X n’a rien compris au préservatif. La preuve, c’est qu’il l’a mis à l’index. (A. Santin) V. Raison fantaisiste. Thèse farfelue.
6. La raison fantaisiste – Ne buvez pas d’alcool au volant, vous pourriez en renverser. (C. Blanchard) L’interdiction de consommer de l’alcool en conduisant laisse prévoir une raison sérieuse, tel le risque d’accident ; or, l’humoriste nous en sert une autre, plutôt drôle. La raison fantaisiste est l’expression d’un motif ou d’une cause farfelue ou cocasse, voire absurde : – Je ne joue plus à la roulette russe, car je perds tout le temps. (D. Vadet) – Le professeur : Peux-tu me dire, Alfred, comment tu peux réussir à faire autant de gaffes dans une journée ? — Je me lève tôt, monsieur. Une raison (ou une cause) est liée à une conséquence* : – [Cause] Le chasseur humilié ne voulait pas rentrer bredouille : [conséquence] il se tue.
Précisions L’expression de la raison est explicite ou implicite. Quand elle est explicite, elle est annoncée au moyen d’une conjonction ayant le sens global de « parce que » : ● Chambly ouvrit une caisse de bière en cannettes, de la Guinness, une bière bien noire vu que c’était encore la nuit. (R. Soulières) ● Les Chinois ne pourront jamais avoir la bombe H, parce qu’il n’ont pas le même alphabet que nous. (J. Berger) ● Il faut faire des enfants quand on est vieux, parce qu’on les emmerde moins longtemps. (J. Yanne)
Entorses au sens et à la logique ▼ 219
Quand la raison est implicite, nulle conjonction ne la signale ; on se contente de juxtaposer deux propositons ou deux phrases : ● On ne peut pas dire la vérité à la télé : il y a trop de monde qui regarde. (Coluche) ● Si vous voyagez vers l’au-delà, apprenez le latin, c’est une langue morte. (M. Cazenave) ● Le patron à sa secrétaire : Vous écrirez la mention « strictement confidentiel » sur ce document. Je tiens à ce que tout le monde le lise. Parfois, la surprise vient de la distorsion entre les raisons invoquées : ● Très découragée, une ado pense au suicide : Non, un coup de carabine, en plein salon et en pleine poire. C’est une mauvaise idée, ma mère ne supporterait pas la vue de mon cadavre sans compter qu’elle vient d’acheter un nouveau tapis, ça ne serait pas gentil. (R. Soulières) V. Preuve fantaisiste. Conséquence fantaisiste.
7. La conséquence fantaisiste – Les champignons poussent dans les endroits humides. C’est pourquoi ils ont la forme d'un parapluie. (A. Allais) Manifestement, la conséquence, qui tient lieu ici d’explication, ne correspond pas à la réalité. La conséquence fantaisiste est l’expression d’un résultat farfelu, voire absurde : – Vous avez de la chance, mon ami, au lieu de vous guillotiner demain matin, on vous guillotinera cet après-midi. Ainsi, vous n’aurez pas à vous réveiller de bonne heure… Une conséquence (ou un effet) est en relation avec une cause : – [Cause] Comme il devait être pris en charge au plus vite par un asile d’aliénés, [conséquence] il a été conduit au poste de police.
Précisions L’expression de la conséquence est explicite ou implicite. Quand elle est explicite, elle est annoncée au moyen d’une conjonction ayant le sens global de « c’est pourquoi » ou « par conséquent » : ● Le temps perdu ne se rattrape jamais. Alors continuons de ne rien faire. (J. Renard) ● Monsieur, je suis offensé, j’ai le choix des armes, je choisis l’orthographe. Donc, vous êtes mort. (Cité par P. Héraclès) ● Mozart était tellement précoce qu’à 35 ans il était déjà mort… (P. Desproges)
220 ▲ Jeux verbaux et créations verbales
● Dans les accidents de chemin de fer, c’est toujours le dernier wagon
qui est le plus dangereux. C’est pour cette raison qu’on l’a supprimé. (P. Dac) Quand la conséquence est implicite, aucune conjonction ne l’annonce ; une proposition ou une phrase est juxtaposée à une autre : ● Un ivrogne disait : « De la naissance à la mort, la route est bien courte. Je la prolonge en zigzaguant. » (C. Aveline) ● Notre temps est précieux. Perdons plutôt le vôtre. (B. Vian) ● Je ne peux pas rester sans rien faire. Je vais faire la sieste. (Y. Audouard) Certaines conséquences farfelues sont tirées de conditions ou d’hypothèses : ● Si Dieu nous avait vraiment faits à son image, il y aurait moins de chirurgiens esthétiques. (P. Bouvard) ● Si vous ne réussissez jamais rien du premier coup, n’essayez pas le saut en parachute. V. Conclusion fantaisiste. Raison fantaisiste.
8. Le but fantaisiste – Cherche dentier très complet pour m’exercer au maniement du cure-dent. (P. Dac) On peut chercher un dentier pour des raisons esthétiques ou pour une bonne mastication. Ici, l’humoriste révèle un objectif auquel personne d’autre n’avait pensé. Le but fantaisiste est l’expression d’une intention ou d’un objectif farfelu ou cocasse : – Je t’écris quelques mots pour que tu saches que je t’écris. Le but est en quelque sorte une conséquence* recherchée : – Les lions ont une grosse tête afin qu’ils ne puissent pas passer à travers les barreaux. (P. Doris) – Notre tête est ronde pour permettre à la pensée de changer de direction. (F. Picabia) – La vraie paresse, c’est de se lever à 6 heures du matin pour avoir plus longtemps à ne rien faire. (T. Bernard) – Il y a de la lumière dans les frigos pour que les aliments voient en permanence la date avant laquelle ils n’ont pas le droit de pourrir.
(P. Sébastien)
Chapitre 11
Ressemblances, dissemblances et liens habituels
Ressemblances et dissemblances On exprime une ressemblance inattendue entre deux éléments du réel On établit des ressemblances au moyen de mots conservant leur sens usuel – La similitude est établie au moyen d’un terme spécial : la comparaison – La similitude est établie au moyen d’une structure particulière : l’analogie On établit des ressemblances au moyen de mots acquérant des sens imagés – On fusionne deux éléments du réel en combinant deux termes : la métaphore explicite – On fusionne deux éléments du réel en remplaçant un terme par un autre : la métaphore implicite On établit des ressemblances au moyen de caractérisations non pertinentes – Un animal ou un objet se comporte comme une personne : la personnification – Une personne ou un objet est assimilé à un animal : l’animalisation – Une personne ou un animal est assimilé à une chose : la chosification On fait parler qui ne peut le faire ; on s’adresse à qui ne peut entendre Une personne dans l’impossibilité de parler ou une réalité non douée de la parole se met à parler : la prosopopée Une personne absente ou décédée ou une chose personnifiée est interpellée : l’apostrophe On exprime une dissemblance généralement non perçue entre deux réalités : la différence inattendue
222 ▲ Jeux verbaux et créations verbales
Liens de proximité et caractéristiques essentielles On « exprime » un lien de contiguïté entre deux éléments du réel Un mot en remplace un autre parce qu’une réalité est proche d’une autre : la métonymie Un mot en remplace un autre parce qu’une réalité est incluse dans une autre : la synecdoque On « crée » un lien de voisinage entre deux éléments du réel On fait percevoir deux sensations de natures différentes en même temps : la synesthésie On attribue à un mot ce qui convient à un autre : l’hypallage On évoque une des caractéristiques essentielles d’une réalité Un groupe de mots remplace le mot propre : la périphrase
Ressemblances, dissemblances et liens habituels ▼ 223
RESSEMBLANCES ET DISSEMBLANCES
1. La comparaison – Le cerveau, comme le parachute, doit être ouvert pour fonctionner. (P. Daninos) Au moyen de la conjonction comme, l’auteur rapproche une réalité (le cerveau) d’une autre (le parachute). Ce qui, à ses yeux, permet ce rapprochement, c’est la propriété commune qu’il leur attribue (doit être ouvert pour fonctionner). La comparaison établit une ressemblance entre deux éléments du réel au moyen d’un outil grammatical (comme, semblable à, fait penser à, etc.) : – Sa conversation était aussi fastidieuse que la lecture d’un horaire des chemins de fer de la Mongolie extérieure. (San Antonio) – Elle et lui se tiennent embrassés comme les deux boules du fermoir d’un porte-monnaie. (J. Renard) – Il en est des défauts comme des phares des automobiles. Seuls ceux des autres vous aveuglent. (M. Druon)
Précisions Comme l’illustre la publicité suivante, quatre éléments peuvent constituer une comparaison : ● Comme un diamant la vodka Bolshoï est d’une extraordinaire pureté. – Le comparé (l’élément qui désigne la réalité dont on parle) : la vodka Bolshoï ; – Le comparant (l’élément qui désigne la réalité que l’on veut rapprocher de la première) : un diamant ; – Le terme comparatif (celui qui unit le comparé et le comparant) : comme ; – Le point de comparaison (l’aspect qui, commun aux deux réalités considérées, justifie leur rapprochement) : d’une extraordinaire pureté. Lorsque le point de comparaison n’est pas exprimé, le public doit le rétablir : ● Le mariage, c’est un peu comme un puzzle de 5 000 pièces représentant un beau ciel bleu. (C. Ladman) [On comprend qu’un mariage heureux et durable est une réalité difficilement réalisable.] Souvent un double-sens* se glisse dans le point de comparaison : ● Talon père : Vos diffamations me laissent plus froid que la côtelette d’Amundsen oubliée sur la banquise en 1910. (Greg) [L’adjectif froid véhicule à la fois un sens figuré et un sens propre.]
224 ▲ Jeux verbaux et créations verbales
Dans le registre de l’humour, la comparaison prend souvent la forme de « X, c’est comme… » : ● Les ennuis, c’est comme le papier hygiénique ; on en tire un, il en vient dix. (W. Allen) ● Le taxi est comme le prêt bancaire. Très difficile à trouver quand on en a besoin. (José Artur) V. Analogie. Métaphore. Personnification. Chosification. Animalisation. Image incohérente.
2. L’analogie – L’amour platonique est à l’amour charnel ce que l’armée de réserve est à l’armée active. (P. Dac) Voilà une forme particulière de comparaison* qu’on pourrait exprimer schématiquement par « A (l’amour platonique) est à B (l’amour charnel) comme C (l’armée de réserve) est à D (l’armée active). Dans notre optique, l’analogie souligne une identité de rapports entre deux couples de mots (ou groupes de mots) : – Il est plus facile d’ouvrir une huître sans couteau que la bouche d’un avocat sans avance. (B. Holyday) (A) ouvrir une huître (C) (ouvrir) la bouche d’un avocat (B) sans couteau (D) sans avance
Précisions L’analogie se présente avec ou sans point de comparaison, à savoir ce qu’ont en commun les réalités rapprochées. Voici des exemples où le point de comparaison est exprimé : ● Le détail, c’est que vous avez autant de talent pour l’écriture qu’une vache pour le tricot. (P. Foglia) [Expression du manque de talent.] ● Preuve que ce parti est aussi à l’aise avec le débat sur le projet de la charte qu’un poisson rouge sur un tricycle. (R. Martineau) [Expression du malaise éprouvé.] ● Lefuneste à Achille Talon : Vous n’êtes pas bien là, tout répandu dans le gazon comme un rond de beurre sur un tournedos ? (Greg) [Expression du bien-être ressenti.] Ci-après, la qualité commune est exprimée par l’ajout d’une proposition ou d’une phrase : ● Le baiser est en amour ce qu’est le thermomètre en médecine. Sans lui, on ne se rendrait jamais exactement compte de la gravité de son état. (P. Daninos)
Ressemblances, dissemblances et liens habituels ▼ 225
● La littérature est à la civilisation ce que la queue est à la casserole : quand
il n’y en a pas, l’homme a l’air con. [Joséphine Maria Téfal] (D’après P. Desproges) Losque le point de comparaison est implicite, il revient au public de le deviner : ● Une femme sans homme est comme un poisson sans bicyclette. (G. Steinem) [On comprend que la femme sans homme n’est pas privée d’un élément essentiel.] V. Comparaison. Image incohérente.
3. La métaphore explicite – Ce qui est bien avec l’école, c’est que si après on fait de la prison, on n’est pas dépaysé. (Coluche) L’humoriste fusionne deux réalités si bien que l’école devient en quelque sorte une prison. La métaphore explicite souligne une certaine ressemblance entre deux éléments du réel en combinant un terme propre et un terme imagé, les deux appartenant à des domaines du réel différents : – Achille Talon : Brossons ces préoccupations sidérantes de notre esprit avec le plumeau de l’indifférence […]. (Greg) [Le terme propre (ou comparé) : l’indifférence ; le terme figuré (ou comparant) : le plumeau, celui-ci en affinité avec Brossons.] Métaphore vient d’un mot grec qui signifie « changement, transposition de sens ».
Précisions Dans ce type de métaphore, le terme propre et le terme imagé sont toujours présents. Ou bien le terme propre arrive en premier : ● Kangourou. Puce géante. (J. Renard) ● Le snobisme, c’est une bulle de champagne qui hésite entre le rot et le pet. (S. Gainsbourg) Ou bien c’est le terme imagé qui précède l’autre : ● Quelles sont les plus petites menottes du monde ? Les alliances. (G. Parking) ● Éloge d’un whisky : Versez-leur de l’or pur : du Canadian Club. (Publicité) La propriété commune aux termes rapprochés est parfois exprimée : ● L’hélice de l’hélicoptère n’est en réalité qu’un ventilateur, car, lorsqu’elle s’arrête, le pilote a très chaud. [Le terme propre : l’hélice (de l’hélicoptère) ; le terme imagé : un ventilateur ; la propriété commune : en cas d’arrêt, on a chaud.]
226 ▲ Jeux verbaux et créations verbales
Il manque le terme comparatif (comme, tel, semblable à, etc.), ce qui explique que la métaphore soit souvent définie comme une comparaison abrégée. La métaphore continuée se prolonge sur plusieurs mots : ● Elle avait un corps de fête que j’endimanchais d’un costume de baisers. (P. Perret) ● Achille Talon : […] et le marteau de la nostalgie s’abat avec un bruit fracassant sur l’enclume de mon cœur stupéfait. (Greg) La métaphore revivifiée est la réanimation d’une locution ou d’un cliché, ce qui permet, par exemple, à Achille Talon de présenter la tournure archaïque sonner le tocsin sous un nouveau jour : ● Si jusqu’ici vous vous sentiez, à juste titre, brimé, complexé ou haineusement ignoré, voyez en moi la cloche de la revanche, qui sonne enfin le tocsin de la libération ! (Greg) Une métaphore explicite ne se présente pas nécessairement seule : elle peut trouver une place dans une comparaison* : ● Le rire, c’est comme des essuie-glace dans la pluie du malheur : ça permet d’avancer même si ça n’arrête pas la pluie. (G. Jugnot) – La comparaison : Le rire [comparé], c’est comme des essuie-glace [comparant] ; ça permet d’avancer [propriété commune] ; – La métaphore : dans la pluie [comparant] du malheur [comparé]. V. Comparaison. Analogie. Image incohérente.
4. La métaphore implicite – Une petite fille est en train de déguster une tranche de pain aux raisins : — Moi, ce que je préfère, ce sont les grains de beauté. L’enfant désigne ici une réalité (des raisins) au moyen d’un mot composé (grains de beauté), qui convient proprement à une autre réalité. Toutefois celleci présente avec la première une certaine ressemblance (en gros, sa couleur et sa forme). La métaphore implicite établit une similitude entre deux éléments du réel en remplaçant le terme propre par un autre de sens figuré : – Huile solaire : Bronztan, les verres fumés de la peau. Le publictaire a substitué le terme imagé (les verres fumés) au terme propre (la protection).
Précisions Comme l’illustrent les exemples suivants, ce type de métaphore ne présente que le terme imagé (ou comparant) : ● Un coup de ciseaux dans les prix. (Publicité)
Ressemblances, dissemblances et liens habituels ▼ 227
● Face aux médecins mécontents, le gouvernement s’apprête à sortir l’ar-
tillerie lourde. (Presse)
● Une jeune fille raconte sa nuit de noces avec son champion boxeur :
— Et puis, c’était bien ? — Pas terrible, il a jeté l’éponge au troisième round… (C. Blanchard) On parle de métaphore continuée quand un terme imagé en entraîne un ou plusieurs autres : ● Proposition indécente : J’ai faim d’amour : si on passait à table ? ● Fleuriste cherche vendeuse pas trop empotée, ni dure de la feuille. (S. Bailly) ● Sapeur-pompier tout feu, tout flamme, désire rencontrer blonde incendiaire pour fonder un foyer. […] (P. Dac) Les métaphores revivifiées sont des réactivations de locutions courantes figurées : ● On a beau avoir une santé de fer, on finit toujours par rouiller. (J. Prévert) ● Si quelqu’un vous dit : Je me tue à vous le dire ! Laissez-le mourir. (J. Prévert) V. Personnification. Animalisation. Chosification. Extension de sens.
5. La personnification – Alors on entendit un grand sanglot. C’était le cochon qui ne pouvait plus contenir son chagrin de quitter la ferme. (M. Aymé) Étant donné que l’auteur prête à un animal une action et un état qu’on attribue ordinairement à une personne, on peut dire qu’il l’a personnifié. La personnification permet de donner des traits humains ou d’attribuer les agissements d’une personne à une idée, à une chose ou à un animal : – Périscope truqué affectant de regarder ailleurs : 128 francs. Le même, sifflotant d’un air détaché : 142 francs. (P. Dac) – Bœuf achète cher photos de vaches. (Chaval)
Précisions La métaphore* ou la comparaison* est à l’œuvre dans toute personnification : C elle d’une réalité concrète : ● À ce moment, l’horloge de l’église sonna le quart. Elle savait probablement de quelle heure, mais elle ne le disait pas. (T. Bernard) ● Un vétéran : Je fis un jour face à quarante chars ivres de rage. […] je les fixai dans les yeux […] (« Achille Talon ») ● Cet arbre qui a écrasé le bûcheron a invoqué la légitime défense. (J.-L. Fournier)
228 ▲ Jeux verbaux et créations verbales
● Publicité de pneus : Les dents de l’hiver. […] Attention, il mord ! Pirelli
colle à la route.
C elle d’une réalité abstraite : ● Puis elle s’arrête et s’asseoit sur un banc de parc avec sa déprime bien assise à côté d’elle. Une déprime qui la suit comme une ombre. (R. Soulières) ● N’essaye pas de noyer tes chagrins dans l’alcool. Ils savent nager. (Y. Mirande) ● Rumeur cherche ragot pour danser french cancan. (Montagner et Moussard) ● Mal nourris, tous mes projets sont morts de faim. (J. Renard) C elle d’un animal : ● J’ai bien observé les mouches. Je ne comprends pas pourquoi on dit qu’elles sont sales. Elles s’essuient toujours les mains avant de passer à table.
(P. Sébastien) ● Un cheval bien élevé devrait enlever ses sabots avant d’entrer dans un salon. (J.-L. Fournier) ● Que pense ma perruche quand elle me voit lire le journal et que je le mets ensuite dans le fond de sa cage ? (P. Légaré) V. Prosopopée. Renversement du réel.
6. L’animalisation – Il ne faut pas avoir peur des chevaux sous le capot mais de l’âne derrière le volant. (P. Dac) L’auteur s’appuie sur chevaux sous le capot pour assimiler le conducteur d’une automobile à un animal. L’animalisation (n. f.) est l’emploi de mots qui se rapportent généralement à des animaux pour parler de choses ou de personnes : – L’accent circonflexe […] C’est une espèce d’hirondelle à l’envers, un oiseau qui volerait dans la page. (M. Tournier) – La propriétaire de plusieurs chats a appris une bonne nouvelle : Ce soir-là, Florence, une fois endormie, ne ronflait pas : elle ronronnait. (R. Soulières)
Précisions La comparaison* ou la métaphore* est au cœur de l’animalisation : C elle d’une personne (dans ce cas, on pourrait parler de dépersonnification) : ● J’ai vu, monsieur, sur une table de boucher, des cervelles pareilles à la vôtre. (J. Renard)
Ressemblances, dissemblances et liens habituels ▼ 229
● Nos petits ours mal léchés de province me plaisent cent fois plus que
tous vos petits épagneuls si ennuyeusement dressés. (D. Diderot)
● Momo, le Français, s’adresse à un Québécois : Le chien d’un copain [...]
cause comme toi. (C. Meunier)
● […] je regardais notre professeur de latin, qui examinait son troupeau
avec une sérénité parfaite. (M. Pagnol)
C elle d’une chose : ● […] la pendule d'argent / Qui ronronne au salon qui dit oui qui dit non […] (J. Brel)
7. La chosification Syn. L’objectivation. La réification – Ève est la première femme qui ait fait manger une pomme à une poire. (A. Allais) Histoire de déprécier Adam, l’auteur s’appuie sur la présence du mot pomme pour l’assimiler à un autre fruit. C’est dire qu’une personne est ravalée au rang d’une chose, qu’elle est chosifiée. La chosification est l’emploi de mots qui se rapportent généralement à des choses pour parler d’animaux ou de personnes : – La puce, un grain de tabac à ressort. (J. Renard) – Achille Talon : […] je les ai vus à la télévision, moi, tous ces gens-là : désopilants comme des feuilles d’impôts et yé-yé comme un bol de yaourt ! Misère ! (Greg) Réification dérive de réifier, du latin res qui signifie « chose ».
Précisions La comparaison* ou la métaphore* est au cœur de la chosification : elle d’une personne (ce qu’on pourrait qualifier de dépersonnification) : C ● Achille Talon : Vous fondez [d’émotion] comme un camembert méditerranéen. (Greg) ● Le général, qui se prend pour un lampadaire, remplace son képi par un abat-jour. (J. – L. Fournier) ● Tant va l’homme à la cruche qu’à la fin il se case. (San Antonio) [Transformation de Tant va la cruche à l’eau, qu’à la fin elle se casse.] C elle d’un animal : ● Le ver : en voilà un qui s’étire et s’allonge comme une belle nouille. (J. Renard) ● Fourmis. Sable noir d’un sablier horizontal. (A. Hardelet)
230 ▲ Jeux verbaux et créations verbales
8. La prosopopée – Une fois, une fois seulement, on m’a jeté un regard terrible : moi, un pauvre couteau de cuisine, qui hésite même à couper le beurre, on aurait voulu que je poignarde… (J. Languirand) En principe, seuls les humains ont la faculté de parler. Ce qui n’empêche pas l’auteur de donner la parole à un couteau. Dans notre optique, la prosopopée met en scène et fait parler une réalité inanimée, un animal, une personne absente ou décédée : – Une dame se promène à cheval dans le bois. Elle croise un lapin. — Bon matin, lui dit le lapin. Après un moment de stupéfaction, la dame s’exclame : — Je ne savais pas que les lapins pouvaient parler. — Moi non plus, lui répond son cheval. (D. Chauveau) Prosopopée vient d’un mot latin qui signifie « personnification ».
Précisions O n fait parler une réalité inanimée : ● Galant, un volcan demande à une montagne : « La fumée ne vous dérange pas ? » (Noctuel) ● L’oreille d’un idiot s’adresse à l’autre : Y a jamais eu quoi que ce soit de bon entre nous deux ! ● Au fond, je ne devrais pas me plaindre, mais c’est plus fort que moi, le travail m’a toujours rebuté, un rien me fatigue. Sans doute suis-je un ordinateur fragile émotivement, paresseux… (R. Soulières) U n animal se met à parler : ● « Vous êtes mille fois trop bon », comme disait la chauve-souris à un vieux gentleman qui voulait absolument lui offrir une perruque. (A. Allais) ● Une Américaine était incertaine Quant à la façon de faire cuire un homard. « Si nous remettions la chose à plus tard ? » A dit le homard à l’Américaine. (J. de Coquet) O n donne la parole à un personnage historique ou à un auteur d’autrefois : ● Publicité où l’empereur Napoléon Bonaparte parle d’une bière en bouteille : Parole de Napoléon. J’en ai toujours une sous ma redingote. ● Un théâtre fait parler Molière qui lance l’invitation à venir voir « Le Misanthrope » : Amis de toutes parts, il faut, sans plus tarder, Accourir en nos murs, pour ouïr et regarder. Il est assez aisé, il reste quelques places. Hâtez-vous, toutefois, le « complet » vous menace !
Ressemblances, dissemblances et liens habituels ▼ 231
U n quidam qui n’est plus de ce monde a retrouvé la faculté de parler : ● Sur une épitaphe : Je vous l’avais bien dit Que j’étais malade ! V. Personnification. Apostrophe.
9. L’apostrophe Syn. L’interpellation – Monoprix, tu me plais, tu sais ! (Publicité) Habituellement, le mot en apostrophe permet d’établir la communication avec quelqu’un. Or, ici une cliente s’adresse à un magasin assimilé à un homme. Dans notre optique, l’apostrophe (n. f.) est l’interpellation d’une personne (absente ou disparue), d’un animal ou d’un objet personnifié : – Aux lecteurs d’un récit : Je vous donne en mille à deviner le drôle d’endroit où je m’étais fourré. Vous souriez… donc vous avez deviné ! (A. Allais) – Toi et moi, cochon, nous ne serons estimés qu’après notre mort. (J. Renard) – Toi, Paris, je suis bien dans tes bras. (E. Macias) Apostrophe vient d’un mot latin qui signifie « fait de se détourner (vers celui qu’on interpelle) ».
V. Personnification. Prosopopée.
10. La différence inattendue – La différence entre un homme et une pile, c’est qu’une pile a un côté plus. (J. Brand) Pour transmettre une vision personnelle (dépréciative) de la gent masculine, l’auteure fait ressortir une différence entre un objet et un homme. La différence inattendue attire l’attention sur une caractéristique, généralement non perçue, qui distingue deux réalités : – La différence entre le sexe et la mort, c’est que mourir, vous pouvez le faire seul et personne ne se moquera de vous. (W. Allen)
Précisions On souligne une différence entre divers éléments du réel : D eux choses : ● La seule différence entre un rendez-vous et un entretien d’embauche est qu’il y a peu de chances de se retrouver nu à la fin d’une entrevue d’embauche. (J. Seinfeld)
232 ▲ Jeux verbaux et créations verbales
U ne personne et une chose : ● La différence qui existe entre elle et une plante verte, c’est qu’on ne met pas de robe à une plante verte. (San Antonio) U ne personne et un animal : ● Boire sans soif et faire l’amour en tout temps, madame, il n’y a que ça qui nous distingue des autres bêtes. (Beaumarchais) D eux personnes : ● La différence entre un célibataire et un père de famille nombreuse, c’est que celui-ci range dans son portefeuille les photos de ses enfants à l’endroit où l’autre place son argent. À l’image du point de comparaison (ou propriété commune), le point de différenciation peut s’exprimer au moyen de divers procédés. Par exemple, ci-après, il y a un contraste* entre le mot entier (pris au sens propre) et le mot moitié (pris au sens figuré) : ● Il y a cette différence entre un cornichon et un mari que l’un se confit dans son entier et l’autre dans sa moitié. (L.A. Commerson) Ce dernier exemple montre aussi que le dégagement d’une différence peut se marier avec celui d’une similitude. En effet, l’auteur considère comme « confits » à la fois le cornichon et le mari.
LIENS DE PROXIMITÉ ET CARACTÉRISTIQUES ESSENTIELLES
1. La métonymie – Les fines tasses savent apprécier l’arôme délicat du café frais grillé. Le publicitaire a remplacé un groupe du nom (les amateurs exigeants) par un autre groupe (les fines tasses), ce dernier désignant une réalité ayant un lien habituel avec la première (à savoir les récipients qu’ils utilisent). C’est cette relation de voisinage qui rend acceptable la substitution de termes. La métonymie remplace le terme propre par un autre terme qui a un rapport habituel avec le premier et acquiert alors un sens figuré : – Voici monsieur le Marquis avec le prêchi-prêcha. (M. Pagnol) [= le curé] – Merci pour cette précision, répondit l’Italien en montrant son sourire jaunâtre. (R. Soulières) [= ses dents] Métonymie vient d’un mot grec qui signifie « changement de nom ».
Ressemblances, dissemblances et liens habituels ▼ 233
Précisions La métonymie exprime de nombreux types de relations de proximité entre deux éléments du réel. Illustrons-en quelques-uns : ● Versez y du goût ! (Publicité) [Lien entre l’effet (le bont goût) et son origine (la boisson proposée).] ● Éteignons le gaspillage ! (Publicité) [Lien entre l’effet (le gaspillage) et ses causes (les lumières allumées inutilement et le chauffage fonctionnant sans nécessité).] ● De l’essence verte pour que le ciel soit plus bleu. (Titre) [Lien entre une caractéristique du produit (sans plomb) et le vert, couleur des écologistes.] ● Au sujet d’un quotidien : Saisissez le présent à votre porte tous les matins ! (Publicité) [Lien entre le journal proposé et l’actualité qu’il fournit.] ● Nous cultivons les frites depuis 1973. (Publicité) [Lien entre le produit fini (les frites) et l’ingrédient qui sert à le confectionner (les pommes de terre).] ● Bergerac, des vins qui ont du nez. (Publicité) [Lien entre le nez et l’arôme exhalé ; allusion* au très long nez de Cyrano de Bergerac] La métonymie et la synecdoque* sont des procédés très proches que d’aucuns confondent : ● Un jour, en pénétrant dans mon île, je trouve ma solitude envahie par une barbe blonde et un chapeau de paille. (A. Daudet) [Une barbe blonde est une synecdoque (désignation d’une partie pour le tout) et un chapeau de paille est une métonymie (désignation du couvrechef au lieu de l’homme qui le porte).] V. Substitution lexicale. Périphrase. Extension de sens.
2. La synecdoque – Publicité pour un fromage : Mangez du lait. Au lieu d’inviter le public à manger du fromage (le tout), on l’invite à manger du lait (une partie). Celui-ci étant une composante du fromage, cette substitution de termes se justifie. La synecdoque remplace le terme propre par un autre terme qui entretient avec le premier un rapport d’inclusion et prend ainsi un sens figuré : – Talon père : Il (le sorcier africain) est sincère ou il se paie ma moustache ? (Greg) [ma moustache s’est substitué à ma tête.] – Il est moins rentable d’acheter sa nicotine au marché noir. (Presse) [sa nicotine remplace ses cigarettes.] Synecdoque vient d’un mot grec qui signifie « compréhension simultanée de plusieurs choses ».
234 ▲ Jeux verbaux et créations verbales
Précisions Qu’exprime généralement la synecdoque ? L a partie pour le tout : ● Les amoureux de la gâchette se réunissent le week-end prochain. (Presse) [la gâchette pour l’arme à feu.] ● Talon père : Messieurs, bien que vous baragouiniez toutes vos petites détestabletés dans une langue qui offense une oreille honnête, je crois avoir saisi l’essentiel ! (Greg) [une oreille pour la personne qui écoute.] L e tout pour la partie : ● La nature dans votre assiette (Titre) [la nature pour les aliments naturels.] ● Il y a des poursuites de milliards de dollars contre les géants de la cartouche. Il y a les campagnes antitabac. (Presse) [la cartouche pour les cigarettes.] L e genre pour l’espèce (le terme générique se substitue au terme spécifique) : ● Le maître de maison grignote les végétaux, caresse l’animal et répond à l’être humain qui lui demande comment sont les nouvelles aujourd’hui […] (R. Queneau) [les végétaux, l’animal, l’être humain à la place de la salade, le chien, sa femme, par exemple.] ● Au sujet d’une équipe de base-ball : Les Oiseaux ont entamé la rencontre de manière fracassante. (Presse) [Les Oiseaux à la place de Les Aigles, nom de l’équipe.] L ’espèce pour le genre (un terme spécifique remplace le terme générique) : ● Il nous faut agir au néon des derniers événements. [le néon à la place de la lumière.] La synecdoque est une forme particulière de métonymie*. Toutefois, la relation entre les termes associés est plus étroite dans le cas de la synecdoque. Illustrons la différence : ● Perdre son ventre en trente jours. (Titre) Exprimant le tout (le ventre) pour la partie (la graisse superflue), cette synecdoque repose sur une relation d’inclusion d’une réalité dans une autre. La métonymie, elle, repose sur une relation de proximité : ● Tennis : les favoris tombent. Les petites raquettes mangent les grosses (Titre) Le mot raquettes se substitue au mot joueurs en raison du lien évident entre celui qui joue et l’instrument dont il se sert. S’ajoutent l’opposition entre
Ressemblances, dissemblances et liens habituels ▼ 235
les joueurs les mieux classés (les petites raquettes) et les autres (les grosses) de même que la métaphore (mangent à la place de éliminent). V. Substitution lexicale. Extension de sens.
3. La synesthésie Syn. Les sensations simultanées. La transposition sensorielle – Publicité à propos d’un appareil vidéo : A-t-on jamais vu un tel son ! Les mots voir et son expriment des sensations différentes, la vue et l’ouïe. Pourtant, la perception simultanée de ces deux sensations produit une seule impression. La synesthésie serait absente dans A-t-on déjà entendu un tel son ! La synesthésie associe intimement des mots qui désignent des sensations de natures différentes : – Publicité au sujet d’une eau de parfum : Kenzo, ça sent beau. La forme verbale sent renvoie au sens de l’odorat et beau, à celui de la vue. Ces deux sensations, la synesthésie les transpose, elle les fait se correspondre. Il n’y aurait pas de synesthésie dans Kenzo, ça sent bon. Synesthésie vient d’un mot grec qui signifie « sensation ou perception simultanée ».
Précisions En règle générale, une phrase ne renferme qu’une synesthésie. Ci-après, Achille Talon associe l’ouïe et la vue : ● Je n’entends rien ! Une surdité subite m’aveuglerait-elle ? (Greg) Quant à Marcel Pagnol, c’est entre l’odorat et la vue qu’il établit une correspondance : ● […] et je sens encore l’odeur rousse et douce des feux de feuilles de l’automne. La présence de deux synesthésies est aussi possible : ● Conversation entre deux fous. — Mais… qu’est-ce que tu fais ? — Je mets mes lunettes pour mieux écouter comme ça sent bon. (C. Blanchard) [Association de la vue et de l’ouie, puis de l’ouïe et de l’odorat.] V. Substitution lexicale. Oxymore. Hypallage. Association saugrenue.
4. L’hypallage Syn. L’échange d’attribution. La contagion – […] cependant il semble en nourrir sa méditation jusqu’à la présentation d’un fromage morose par la servante revenue. (R. Queneau)
236 ▲ Jeux verbaux et créations verbales
Il y a ici une impertinence de sens, fruit d’une liaison anormale : l’adjectif morose se rapporte logiquement au mot servante, mais grammaticalement au mot fromage. Néanmoins, cet échange d’attribution se défend : si le groupe fromage morose laisse entendre que l’aliment présenté est dans un piteux état, on peut supposer que la servante est également morose. L’hypallage (m. f.) est le procédé qui consiste à attribuer à un mot de la phrase un adjectif qui convient à un autre mot de la même phrase, sans pour autant qu’il y ait méprise sur le sens : – Et le grand-père André, essuyant une larme coupable, n’eut que le temps de bondir sur le marchepied […] (M. Pagnol) Logiquement, l’adjectif coupable devrait qualifier le groupe le grand-père André. Néanmoins une larme coupable se justifie : c’est le sentiment de culpabilité du grand-père qui est à l’origine de cette larme. – Georgel m’attend en frappant le trottoir d’une semelle rageuse. (San Antonio) L’adjectif rageur conviendrait bien à Georgel. Il reste que ce sont les coups de semelle sur le trottoir qui traduisent sa mauvaise humeur. Jusqu’à un certain point, l’hypallage personnifie une réalité inanimée : fromage morose, larme coupable, semelle rageuse… Hypallage est la forme francisée d’un mot grec qui signifie « échange ». Note : À ne pas confondre avec le chassé-croisé*.
V. Association saugrenue. Oxymore. Synesthésie. Personnification.
5. La périphrase – Les Montréalais devraient peut-être s’inspirer du petit guerrier au casque ailé qui, avec ses irréductibles compagnons gaulois, résiste encore et toujours à l’envahisseur. (Presse) Pour faire ressortir une dimension du réel, un journaliste a remplacé Astérix par un groupe de mots qui le caractérise. La périphrase remplace le mot propre par une suite de mots : – Je suis arrivé à un âge où l’on ne compte plus sur ses projets. [= avancé] (T. Bernard) – Abélard : Une biographie à couper le souffle. Une nuit ses ennemis se glissent chez lui pour lui retirer le goût des choses de ce monde. [= l’assassiner] (J. Languirand) [À noter le double-sens* de à couper le souffle.] Périphrase (où le préfixe péri- veut dire « autour de ») vient d’un mot grec qui signifie « parler de façon détournée ».
Ressemblances, dissemblances et liens habituels ▼ 237
Précisions La périphrase désigne une réalité de manière descriptive ou imagée, souvent par le biais de métaphores*, de métonymies*, ou de synecdoques* : ● Sa marche quotidienne le menait invariablement au boulevard des allongés. [= cimetière] ● Il me reste encore quelques gouttes de peine dans les yeux. [= larmes] (Un enfant) ● La planète rapetisse et les agités du bocal qui veulent la mettre à feu et à sang sont de plus en plus puissants et de plus en plus dangereux. [= les terroristes] (R. Martineau) ● On n’abandonne pas un navire en danger. À moins de vouloir imiter les rongeurs que vous savez. [= rats] (G. Archambault) ● Euthanasier quelqu’un, c’est lui donner la mort sans consentement. Comme on fait avec les animaux abandonnés, ou ce que le petit Allemand à la moustache faisait avec les attardés mentaux. [= Adolf Hitler] (R. Martineau) Lorsque la périphrase se substitue à des termes qui pourraient choquer, elle a une fonction d’euphémisme* : ● Ton règlement, je te le mets dans le trou des puanteurs. [= le cul] (G. Kravitz) ● Dans la paisible solitude des W.C., un lycéen écrivit le mot de Cambronne, avec un pinceau trempé dans la matière adéquate. [= la merde] (A. Rouède) Lorsque’elle est explicite, la périphrase est accompagnée du terme propre : ● En politique, un chat n’est JAMAIS un chat. Au mieux, c’est un félin. Au pire, un petit chameau sans bosses qui passe ses journées à dormir et fait « miaou ». (R. Martineau) ● Et comment va Dick le costaud ? — Il n’y a plus rien entre le ciel et lui, répondit Ned. Lambert. — Par St-Paul, dit M. Dedalus contenant sa surprise, Dick Tivy chauve ? (J. Joyce) V. Définition fantaisiste. Dénomination fantaisiste.
Chapitre 12
Réel bousculé, embrouillé ou éclairé
Hésitations voulues entre les mots et le réel L’attention du public est déplacée On déplace l’attention d’un élément du réel vers un autre : le changement de référent On déplace l’attention du réel vers un mot : la déviation On déplace l’attention d’un élément de la langue vers le réel : la bifurcation Le réel est bousculé On bouleverse l’ordre normal des choses : le renversement du réel On confond le réel d’aujourd’hui avec celui d’hier ou de demain : l’anachronisme On invente une citation qu’on fait suivre ou précéder d’une attribution fictive : la citation fausse Le langage employé est peu ou pas intelligible On emploie des mots inconnus des non-initiés : le jargon On rend difficile, voire impossible, le lien entre les mots et ce à quoi ils réfèrent : le charabia On crée un texte dont le sens n’est découvert que par une lecture inverse : l’écriture à rebours Le message est véhiculé par des dessins ou par des mots diversement assemblés On remplace les mots à deviner par des dessins : le rébus On place les mots à deviner dans divers arrangements : le rébus de lettres
Réel éclairé ou précisé On détaille un élément du réel On s’en tient à ce qui paraît essentiel : l’énumération On entasse plus de mots qu’il n’en faut : l’accumulation
240 ▲ Jeux verbaux et créations verbales
On fait ressortir une dimension du réel généralement non perçue : l’aspect inattendu On ajoute un complément d’information au propos principal ou on feint de le faire On insère une précision ou une impression dans une phrase : l’enchâssement On apporte une précision qui n’en est pas une ou qui est inutile : la fausse précision On joint une illustration : l’exemple On fait une observation : le commentaire On reprend des mots pour les expliquer : le réamorçage On exprime autrement ce qu’on vient d’exprimer : la reformulation On corrige des mots que l’on a soi-même employés : l’autocorrection
Réel bousculé, embrouillé ou éclairé ▼ 241
HÉSITATIONS VOULUES ENTRE LES MOTS ET LE RÉEL
1. Le changement de référent – Certains trouvent que vous avez la bouche un peu petite pour vos dents. D’où vient cette vision particulière ? Du fait que l’attention est passée d’une réalité (la longueur inhabituelle des dents) à une autre (la prétendue petitesse de la bouche). La vision habituelle aurait donné : Certains trouvent que vous avez les dents longues. Appelons changement de référent le déplacement de l’attention, celle qui va d’une réalité prévisible à une réalité inattendue : – À une jeune femme portant une minijupe : Que vos jambes sont longues ! – Je dois avouer que, lors de mon divorce, les torts étaient partagés : 50 % des torts à ma femme et 50 % à ma mère. (F. Olléry) – De combien est la différence entre un éléphant d’Afrique et un éléphant des Indes ? Environ 7 000 kilomètres. (Coluche) La méprise sur le référent vient parfois de l’interlocuteur. De là, une réponse ou une réplique inappropriée : — Une trompette plus une trompette, ça fait quoi ? — Deux trompettes. — Non. Ça fait de la musique. (R. Dubillard) – Moman : Ça c’est sa photo ; qu’est-ce que vous en pensez ? Yvonne : Est très bien développée. (C. Meunier)
V. Changement de thème. Déviation. Renversement du réel. Aspect inattendu.
2. La déviation — Qu’y a-t-il entre la chaise et la table ? — Il y a un « et ». La question laisse attendre la désignation d’un objet en guise de réponse. Or celle-ci correspond plutôt à un mot (la conjonction et). On comprend alors que les mots chaise et table renvoient à eux-mêmes et non à des choses. Appelons déviation l’équivoque issue du déplacement de l’attention d’un élément du réel vers un mot ou une de ses composantes : – Ce qui m’intéresse surtout dans le jazz, c’est que c’est un bon mot pour le Scrabble. (P. Geluk) Habituellement, le mot jazz réfère à quelque chose d’extérieur à lui-même (un genre de musique). Ici le mot se désigne lui-même. En langage savant, on dit qu’il s’agit d’un autonyme (du grec auto- « lui-même » et onoma « nom »).
242 ▲ Jeux verbaux et créations verbales
Au moyen de la déviation, on feint donc de parler d’un élément du réel, alors qu’il est question d’un mot ou de la composante d’un mot (une lettre ou un signe graphique, par exemple). Le phénomène se produit souvent dans les charades, les devinettes et les mots croisés : – Je suis, ami lecteur, tout au bout de ta main. Je commence la nuit et je finis demain. Réponse : La lettre « n ». – Qu’y a-t-il dans le mois de décembre que l’on ne retrouve pas dans les autres mois de l’année ? Réponse : La lettre « d ». – Les garçons en ont une, les filles n’en ont pas. Réponse : La cédille. – Accompagnement de cor. Réponse : cri. (Cf. À cor et à cri.) – Les autres arrivent derrière. Réponse : uns. (Cf. Les uns et les autres.)
V. Bifurcation. Changement de thème [de référent].
3. La bifurcation – Dans la phrase : « Le voleur a cambriolé la bijouterie. », où est le sujet ? – En prison. L’institutrice pose une question touchant la grammaire ; au lieu de demeurer dans le monde des mots, l’élève bifurque vers le monde extérieur. Appelons bifurcation l’équivoque issue du déplacement de l’attention d’une question touchant la langue vers un élément du réel : – L’institutrice : Quand je dis : « Je suis belle », quel temps est-ce ? — Le passé, madame. – L’institutrice : Quel est le futur de « Je suis vivant » ? — L’élève : Je serai mort !
V. Déviation. Changement de thème [de référent].
4. Le renversement du réel Syn. L’inversion du réel – Faisant partie des personnes soupçonnées d’être l’auteur d’un viol, quand la victime entre dans la salle pour identifier le coupable, le violeur s’écrie : « C’est elle ! ». Ordinairement, c’est la victime qui doit identifier le coupable et non l’inverse. En gros, le renversement du réel consiste à présenter le monde à l’envers ou à inverser une situation : – La folie est héréditaire. Vous la tenez de vos enfants. – J’ai travaillé à S.O.S suicide. C’est pas facile d’expliquer comment faire un nœud coulant au téléphone. (P. MacLeod)
Réel bousculé, embrouillé ou éclairé ▼ 243
Précisions Sur quoi peut reposer le renversement du réel ? S ur le remplacement de mots par d’autres de sens contraires : ● C’est tellement sale chez eux qu’ils ont mis un paillasson à l’intérieur pour qu’on s’essuie les pieds avant de sortir… (P. Sébastien) S ur une métaphore* ou la personnification* d’un objet ou d’un animal : ● Les pêcheurs se sentent pris au filet (Titre) ● J’ai dû oublier mon parapluie dans l’ascenseur. Mon parapluie doit être très inquiet de m’avoir perdu.
(E. Satie) ● Un mouton qui s’endort pas, est-ce qu’il compte des humains ? (P. Légaré) S ur un chassé-croisé* de mots : ● Les chiens accompagnés d’un aveugle ont tout à fait droit à une place assise à Pleyel. (J. – L. Fournier) ● Le jour du jugement dernier, Dieu comparaîtra devant moi. (J. Yanne) S ur l’amalgame d’un chassé-croisé et d’une personnification : ● Venez au jardin. Je voudrais que mes roses vous voient. (R.B. Sheridan) ● C’est à l’ordinateur de comprendre l’homme. (Publicité) S ur une allusion* : ● Vous connaissez celle du rat blanc qui dit à l’autre rat blanc : « J’ai tellement bien dressé mon psychologue que, chaque fois que je sonne, il m’apporte quelque chose à manger » ? (D. Mercer) [Évocation de l’expérience qu’a menée le médecin Ivan Pavlov avec un chien.] Note. À ne pas confondre avec l’antiphrase*, qui est une inversion verbale. V. Changement de référent. Chassé-croisé. Personnification. Contraste implicite.
5. L’anachronisme – Titus : empereur romain célèbre pour s’être coiffé à la Marlon Brando. (Constellation) On situe un type de coiffure bien avant la date de son apparition : Titus, né en l’an 39, n’a pas pu s’inspirer de la coiffure d’un acteur américain né en 1924. Sur le mode ludique, l’anachronisme est une erreur voulue qui consiste à placer un fait avant ou après le moment où il s’est produit : – Cet antiquaire se vantait d’avoir un crucifix qui datait de 2 000 ans avant Jésus-Christ. – À la fin d’une lettre : P-S. Je voulais t’envoyer cent dollars, mais j’ai déjà cacheté l’enveloppe. (C. Meunier) Anachronisme est formé à partir du grec ana- « en arrière » et chronos « temps ».
244 ▲ Jeux verbaux et créations verbales
Précisions Le plus souvent, l’anachronisme fait comme si une réalité d’aujourd’hui existait déjà autrefois. La scène que voici se déroule au Moyen-âge : ● Il mit pour la forme quelques pièces dans l’hippoparcomètre. Quelle époque ! Désormais, on ne pouvait plus stationner son cheval sans devoir payer quelques sous. (R. Soulières) [Dans le néologisme* hippoparcomètre, l’élément grec hippo- signifie « cheval ».] Le quatrain suivant évoque un fait remontant à l’Antiquité : outre l’anachronisme, il renferme une allusion sexuelle et des jeux de mots (le rapprochement de Hellène et de Hélène, celui de paris et de Pâris) : ● L’enlèvement en fusée pendant la guerre de troie Ayant suivi ce bel Hellène Vainqueur de paris spaciaux, À son hublot, la belle Hélène Suppliait : « Pâris, pas si haut ! » (L. Desnoues) [La guerre de Troie est un conflit légendaire provoqué par l’enlèvement d'Hélène, reine de Sparte, par le prince troyen Pâris.] Le chambardement temporel peut confiner au propos absurde* : ● Il suffisait de montrer le film « Titanic » à ceux qui devaient le prendre pour éviter une hécatombe. (P. Sébastien) Note. À ne pas confondre avec l’archaïsme*.
6. La citation fausse – Un livre doit toujours être à la page. (Gutenberg) C’est l’humoriste Pierre Dac qui a composé cette phrase à double entente pour l’attribuer à Gutenberg, le célèbre imprimeur et inventeur de la typographie. La citation fausse (ou fictive) correspond à une pseudo-phrase historique, à une fausse maxime, à un proverbe fictif, inventés pour les besoins de la cause et attribués à un personnage connu. Citation fausse et fausse attribution s’éclairent mutuellement et font apparaître un jeu de mot : – Dieu ayant créé l’homme à partir de poussière, je ne sors jamais sans ma brosse. (Adam) Héros de la bande dessinée de Greg, Achille Talon manie le procédé à sa manière : – Tel Napoléon au pont du Rubicon, je peux m’écrier : veni, vidi, et vas-y mon kiki ! hop ! En réalité, « Veni, vidi, vici » (= Je suis venu, j’ai vu, j’ai vaincu) sont les paroles qu’auraient prononcées Jules César après une victoire aussi rapide qu’inespérée.
Réel bousculé, embrouillé ou éclairé ▼ 245
Précisions On peut attribuer une citation inventée à un être ou à un groupe également inventé pour la circonstance : ● Les derniers seront les premiers. (Un cancre qui a la foi) [D. Mativat] [Contrepartie de la parole évangélique : Les premiers seront les derniers.] ● Car il ne faut jamais prendre le risque avec l’anonymat, c’est d’ailleurs devenu la devise de l’Association des paranoïaques… anonymes. (R. Soulières) À d’autres moments, la citation fictive est attribuée à une culture étrangère : ● Tell père, Tell fils. (Proverbe suisse) L’allusion* et divers jeux verbaux sont donc au rendez-vous : ● On est prié de ne pas claquer l’apôtre. (saint Pierre) Alphonse Allais évoque l’accueil supposé des âmes des défunts à la porte du Paradis en substituant l’apôtre à la porte de sorte que claquer véhicule deux sens : « donner une claque à quelqu’un » et « faire claquer ». ● Et je signe : un lecteur à ciguë (Socrate) C’est en remplaçant assidu par à ciguë qu’Alexandre Breffort rappelle que ce philosophe grec a été condamné à boire ce poison. V. Proverbe retouché.
7. Le jargon – Le professeur François de la Jacassine : […] Antoine Canon, un héros européen parfaitement original qui, par un apport subtil mêlant la symbolique aristotélicienne aux vertus oniriques, déchaîne en nous l’enthousiasme des thuriféraires avertis… (« Achille Talon ») Les adeptes de la philosophie et de la littérature trouveraient tout à fait transparente la signification de cette phrase. Mais manifestement la tournure la symbolique aristotélicienne aux vertus oniriques et le mot thuriféraires ne sont pas à la portée de tous. Dans notre optique, le jargon désigne le recours délibéré à la manière de s’exprimer propre à un groupe ou à une profession, manière en général compliquée que les profanes peuvent difficilement comprendre : – Achille Talon : Nous contournons à présent ce monticule carbonifère résultant à vue de nez du plissement hercynien […] Greg)
Précisions Il y a, bien sûr, le jargon scientifique. Ci-après, le mot savant désignant un insecte et les termes de la botanique ont beau être consignés dans les grands dictionnaires, ils posent des problèmes aux lecteurs non-botanistes d’« Achille Talon » :
246 ▲ Jeux verbaux et créations verbales
● Lefuneste, observant une abeille en train de butiner : Cet hyménoptère
laborieux récolte avec ferveur le suc succulent contenu dans l’anthère de l’androcée du végétal, recueillant les anthérozoïdes du pollen… (Greg) Tout aussi déconcertant est le jargon pseudo-scientifique, créé de toutes pièces, souvent pour se moquer de ceux qui s’emploient à impressionner leurs interlocuteurs : ● Le rédacteur en chef : De nos jours, un des éléments essentiels de la promulgation irradiante des facteurs suggestionnels d’agressivité des masses réside dans le potentiel énergétique d’influence magnético-persuasive sur la mémoire rétinienne. Êtes vous d’accord ? – Achille Talon : Heu… si c’est vous qui le dites… (Greg) Toutefois, après avoir fait étalage de son savoir, par condescendance on peut faire suivre une formulation compliquée par une autre, beaucoup plus simple : ● Achille Talon : […] ce qu’on nomme aujourd’hui la littérature graphicoïdale d’émanation narrativo-psychanalytique émotionnelle appliquée. À savoir, les petits Mickeys. (Greg) V. Charabia. Latinisme. Composition savante. Pérégrinisme. Forgerie.
8. Le charabia – Un percepteur d’impôts : C’est au sujet du quatrième rappel rétroactif des arriérés indexés de l’amende immuable provisionnelle afférant à l’impôt parallèle géométrique des personnes, biens et divers généralement quelconques. (« AchilleTalon ») Pas de mots savants dans cette phrase. Et pourtant que veut dire, au juste, le percepteur d’impôts ? Impossible de le savoir puisque, pour confondre son auditeur, il a délibérément rendu son discours obscur. La dénomination charabia désigne ici toute phrase, tout texte que son auteur a voulu incompréhensible (ou presque) : – Un chevelu à Achille Talon : C’est une collecte spontanée au profit des non-intégrés indépendants hostiles à toutes les formes inacceptables de structure des modifications à l’ensemble des systèmes. (Greg)
Précisions On le constate, faute d’aide, le sens de pareil discours peut être hors de portée : ● Une femme mariée à un homme qui la trompe avec la femme de son amant, laquelle trompe son mari avec le sien et qui en est réduite à tromper son amant avec celui de sa femme parce que son amant est son mari et que la femme de son époux est la maîtresse d'un homme déshonoré par l’amant d’une femme dont le mari trompe sa maîtresse avec
Réel bousculé, embrouillé ou éclairé ▼ 247
la femme de son amant ne sait plus où elle en est ni ce qu'elle doit faire pour ne pas compliquer encore une situation qui l’est déjà suffisamment comme ça. (P. Dac) Voilà pourquoi, par jeu Alphonse Allais fait suivre une phrase obscure d’une note éclairante : ● Vous vous froissez digitalement votre aponévrose de Tenon en me signifiant cette inquiétude. Note : l’aponévrose de Tenon est une machine qui se trouve dans l’œil. On comprend alors qu’il aurait pu dire simplement : Vous vous foutez le doigt dans l’œil en exprimant cette inquiétude. Langage obscur, le charabia peut traduire un désir (réel ou simulé) d’épater son auditeur ou son lecteur. Dans « Alice au pays des merveilles », la Duchesse embrouille son discours à l’aide d’une cascade de compléments* : ● N’imaginez jamais que vous ne soyez pas autre chose que ce qu’il pourrait sembler aux autres que vous étiez ou que ce que vous aviez été n’était autre chose que ce qu’il aurait semblé aux autres que vous auriez autrement. Alice : Je crois que je comprendrais mieux, si vous pouviez me mettre ça par écrit, mais tel que vous le dites, je ne vous suis pas tout à fait. La Duchesse : Ce n’est rien à côté de ce que je pourrais dire si je voulais. (L. Carroll) V. Jargon. Latinisme. Forgerie. Graphie réversible.
9. L’écriture à rebours – LECTEUR DU TÂCHE LA COMPLIQUE BASE DE RÈGLES DES FI FAIRE À première vue, cette suite de mots bien français ne veut rien dire. Pour y comprendre quelque chose, il convient de rompre avec ses habitudes. Lisez-la à partir de la fin et de droite à gauche pour que le sens devienne limpide : Faire fi des règles de base complique la tâche du lecteur. L’écriture à rebours consiste à écrire une phrase ou un texte en commençant par la fin et de droite à gauche de sorte qu’une lecture à rebours est nécessaire pour en saisir le sens : – PHRASE CETTE LIRE DE ESSAYER À CON D’UN L’AIR J’AI QUE
248 ▲ Jeux verbaux et créations verbales
MINUTES CINQ FAIT ÇA Ce qui revient à dire : Ça fait cinq minutes que j’ai l’air d’un con à essayer de lire cette phrase.
V. Anacyclique lexical. Palindrome lexical.
10. Le rébus
La traduction – au moyen de mots – du nombre 100 et des trois dessins représentant un tambour, un nid et une trompette correspond à l’expression sans tambour ni trompette. (L’illustration est tirée d’un ouvrage de Laure Hesbois.) Essentiellement, le rébus (prononcez le « s ») est le remplacement de syllabes et de mots par des dessins (accompagnés parfois de lettres ou de chiffres) placés dans divers arrangements : – Description d’un rébus dans L’écume des jours de Boris Vian : L’enseigne du professeur Mangemanche représentait une immense mâchoire en train d’engloutir une pelle de terrassier dont seul le fer dépassait. (B. Vian) – La représentation, sur une épitaphe, de six girafes à ailes se traduit par : Ci-gît Raphaël. Au dire de Laure Hesbois, rébus est l’abréviation de rebus loqui : « je parle au moyen d’objets ».
Précisions Si, habituellement, les objets sont représentés par des mots, à l’inverse, dans le rébus, les mots sont remplacés par des représentations d’objets. Le procédé joue sur l’homophonie*, puisque les mots (et les syllabes) que représentent les dessins et leur traduction ont la même prononciation. Considérons l’exemple que fournit Le Robert : – Les dessins : un nez rond, un nez pointu et une main. – L’homophonie : nez rond = Néron ; nez pointu + main = n’est point humain. – La traduction de l’ensemble : Néron n’est point humain.
Réel bousculé, embrouillé ou éclairé ▼ 249
Cet ensemble de quatre dessins (également emprunté à L. Hesbois) représente les mots formant le proverbe Pauvreté n’est pas vice.
Encore une fois, c’est l’homophonie qui a permis le passage des dessins aux mots : le dessin d’un pauvre et, en surimpression, d’un T (= pauvreté), celui d’un nez (= n’est), celui de pas (= pas) et celui d’une vis (= vice).
11. Le rébus de lettres Syn. Lettrébus. Dingbat – NUATÊ TEGES (M. Laclos) L’auteur a inséré le mot tête dans le mot nuages pour créer l’expression La tête dans les nuages. Au public de la trouver. Le rébus de lettres est une expression ou une phrase créée au moyen de lettres, de syllabes et de mots, placés dans divers arrangements, en excluant le recours au dessin : – LICENCE (P. Le Fur) Comme le « EN » de LICENCE n’apparaît pas en italique et que, par conséquent, il est droit, ce lettrébus signifie « Licence en droit ». Le procédé fait appel à la mise en page, à la taille des caractères (grands ou petits), à leur type (gras, italique, etc.), à leur disposition (en haut, en bas, à droite à gauche, etc.), à leur couleur, etc. – feumée [= Il n’y a pas de fumée sans feu.] (M. Laclos) Les créations suivantes sont de Patrick Le Fur : – TEXENFRANÇAISTE – F F I A I G U I L L E L
[= En français dans le texte]
[= De fil en aguille]
250 ▲ Jeux verbaux et créations verbales
L I R
E
SE ____________________
[= Lire en diagonale.]
[= Se pencher (SE penché)] sur son passé.]
SUR SON PASSÉ
RÉEL ÉCLAIRÉ OU PRÉCISÉ
1. L’énumération – Si les jeunes avaient respecté les consignes des policiers, ce jeune serait encore vivant. Cela tout le monde le comprend : Les Blancs comme les Noirs, les Jaunes, les Rouges et les Violets picotés magenta. (R. Martineau) Le chroniqueur énonce un à un les groupes qu’englobe ici tout le monde : ceux qui ont la peau blanche, ou noire, ou jaune (les Asiatiques), ou rouge (les Amérindiens). Quant au cinquième groupe, (les Violets picotés magenta), il est tout à fait farfelu ou, à la rigueur, englobe les marginaux. L’énumération passe en revue divers aspects d’une réalité en juxtaposant des mots de même nature et de même fonction. Sur le mode ludique, ces aspects traduisent une vision originale : – Vincent Poursan : Oui, cher client ! Un autre médicament fait pour vous ! Trois gouttes suffisent à paralyser la langue pour de longues heures, supprimant âneries, conférences, discours, réflexions inopportunes, demandes d’augmentation et toutes réparties généralement idiotes… – Achille Talon : J’en prends dix litres ! (Greg) – [J’en prends dix litres, qui contraste avec trois gouttes suffisent, est une hyperbole*.] En général, l’énumération débute par un mot ou un groupe de mots à développer, ci-dessous ceux dont ce décès conforte ou améliore la situation : – Quand un être disparaît, les signes extérieurs de chagrin se trouvent principalement assumés par ceux dont ce décès conforte ou améliore la situation : héritiers qui surveillent le magot depuis un quart de siècle, subalternes qui désespéraient d’avoir accès au tableau d’avancement, voisins qui lorgnaient avec envie l’appartement, la voiture ou la future veuve. (P. Bouvard)
Réel bousculé, embrouillé ou éclairé ▼ 251
Précisions Examinons diverses réalisations plutôt fantaisistes : L ’énumération volontairement exagérée : ● Arrivé au bureau, l’Homme appelle son épouse : Il vient de s’apercevoir qu’il s’est trompé de pantalon. De gilet. De chaussettes. De cravate. De souliers. De veste. [Barrer la mention inutile.] (N. de Buron) L ’énumération se limitant à deux termes : ● Il n’y a plus, de nos jours, que deux sortes de piétons : les rapides et les morts. (J. Rigaux) ● Je vais peut-être me faire couper les oreilles, ça aura deux avantages : ne plus entendre les conneries qu’on dit de moi… Et faute de pouvoir y poser mes lunettes, ne pas les lire non plus. (P. Sébastien) L ’énumération qui se termine par un élément qui tranche avec ce qui précède : ● Une centaine de solliciteurs… vont recueillir conserves, cigarettes, dollars, coups de pieds au derrière. (R. Ducharme) ● Le meilleur auditoire pour un orateur, c’est celui qui est très intelligent, très cultivé et un peu saoul. (A.W. Barkley) ● À l’occasion d’une modeste tombola paroissiale, un vicaire annonça du haut de la chaire que les prix seraient les suivants : premier prix : 25$, deuxième prix : 10$, et enfin, comme prix de consolation : un magnifique objet d’art. (J. Languirand) L ’énumération « déceptive », laquelle est volontairement incomplète ou ne répond pas au terme à développer : ● Il y a trois sortes de personnes dans le monde : celles qui savent compter, et celles qui ne savent pas… ● N’insistez pas. Ma réponse tient en trois mots : « Im-pos-sible ! » (S. Goldwyn) La suivante n’est déceptive qu’en apparence, étant donnée l’allusion au double menton : ● Il y a deux choses que j’admire chez vous : votre menton. (F. Morency) Terminons par l’absence de l’énumération qu’on aurait pu faire : ● Plusieurs dormaient sur leurs deux oreilles, mais moi, je gardais les yeux ouverts en invoquant le petit Jésus et tous les saints que je connaissais afin qu’ils intercèdent en ma faveur. Je vous épargne cette liste divine. (R. Soulières) V. Accumulation. Gradation (ascendante et descendante).
252 ▲ Jeux verbaux et créations verbales
2. L’accumulation Syn. L’entassement – On peut être condamné à mort, c’est-à-dire assassiné au nom de la Justice. Et être ainsi, en toute légalité, crucifié, brûlé vif, lapidé, empalé, étranglé, décapité, écartelé, ébouillanté, garrotté, asphyxié, mis au pilori, fouetté, roué, écorché, emmuré, bastonné, lynché, noyé, pendu, fusillé, guillotiné, électrocuté. J’en passe et des meilleures. (L. Campion) Pour rendre son propos frappant, l’auteur a aligné vingt-deux adjectifs correspondant à autant de façons de faire mourir quelqu’un. L’accumulation est l’entassement, en général sans ordre apparent, de nombreux termes de même nature et de même fonction : – Dès le matin, le ciel se dalle, se marquette, se pave, se banquise, se glaçonne, se marbre, se cotonne, se coussine, se cimente, se géographise, se cartographise… (F. Ponge) [Accumulation de onze verbes pronominaux, certains étant des néologismes*.] Accumulation vient du latin accumulare, lui-même formé sur cumulare « entasser ».
Précisions Souvent, plusieurs des termes entassés sont discordants. Voyez cette accumulation où des objets se mêlent à des personnes, des métiers se mélangent aux professions, des mots se terminent par les mêmes sonorités alors que d’autres débutent par la même syllabe : – les prolétaires, les fonctionnaires, les militaires, les révolutionnaires, les réactionnaires, les aliénistes et leurs aliénés – les gardiens, les évêques, les chaudronniers, les violonistes, les délégués, les présidents, les policiers, les marchands, les bâtiments, les porteplume, les chromosomes – le pape, les papillons et les papiers. (E. Ionesco) Le poème La Samaritaine de Bernard Lorraine cite plusieurs des choses qu’on trouve dans ce grand magasin de Paris. Voici le premier quatrain : ● Décapsuleur, taille-crayons, cloche à fromage, Peau de chamois, passe-lacets, plat à gratin, Antivols, boîte à sel, clés, réveille-matin, Vinaigrier, tire-bouchon, boîte à cirage, […] Et cette accumulation, qui s’apparente à un inventaire, de se poursuivre sur un autre quatrain et deux tercets. Bien entendu, en poésie la présence des rimes dicte un certain ordre.
Réel bousculé, embrouillé ou éclairé ▼ 253
Quand l’effet de désordre et d’excès s’atténue, on est dans la zone grise entre l’accumulation et l’énumération* : ● Ah ! la douceur de vivre. Vos bals, vos amusettes, vos cortèges, vos artifices, et vos feux d’artifice, les noces et les voyages de noces ! (E. Ionesco)
3. L’aspect inattendu – Pour séduire les hommes, je porte un nouveau parfum : « Intérieur de voiture neuve ». (R. Rudner) Histoire de se moquer de la gent masculine, l’auteure parle d’un parfum dans une perspective visant à surprendre son public. Parlons d’aspect inattendu quand on présente le réel sous un certain angle, celui qu’on juge important ou qui nous arrange : – Même les plus cons ont leur jour de gloire : leur anniversaire. (F. Cavanna) – La seule chose que nous ayons en commun mon mari et moi, c’est que nous nous sommes mariés le même jour. (P. Diller)
Précisions Parfois l’attention se déplace d’une réalité à une autre, ce qui rappelle le changement de référent* : ● J'ai choisi de m’éclairer uniquement à la bougie… Il y a quand même un inconvénient… Je suis obligé de rouler lentement.
(P. Sébastien) [L’auteur passe de la réalité prévisible (l’éclairage de la maison) à la réalité inattendue (les feux d’une automobile).] L’inattendu peut correspondre à un inconvénient (commme dans l’exemple précédent) ou à un avantage : ● Il y a malgré tout un avantage à tomber en panne sèche. C’est que c’est moins lourd à pousser que si le réservoir est plein. (
P. Geluck) ● Avoir de la famille, ça présente tout de même un avantage, pour le caveau : c’est une économie de pierre tombale. (F. Caradec)
4. L’enchâssement Syn. L’incidente – C’est en tranchant sa deuxième tranche – non, mais quel style ! – de rosbif qui l’aiderait à terminer ses patates, son omelette aux fines herbes et ses trois saucisses que le roi eut un éclair de génie. (R. Soulières) L’auteur interrompt momentanément sa phrase pour exprimer son admiration. La séquence qu’il y a insérée est grammaticalement indépendante du reste de la phrase.
254 ▲ Jeux verbaux et créations verbales
L’enchâssement est une suite de mots intercalée dans une phrase dans le but d’apporter une précision, une confirmation, une restriction, etc. – La troupe se dirigea d’un pas militaire… mais à cheval quand même, c’est moins fatigant, vers les sombres caves de Nicolas le Vilain. (R. Soulières) [D’un pas militaire… mais à cheval : précision renfermant une contradiction*.] C’est dire que l’enchâssement introduit un propos accessoire dans le propos principal : – Le chevalier de Chambly, sans tambour ni trompette, mais avec son cheval Pleingaz (surnommé Pégase pour les intellos), arriva en galopant de joie. (R. Soulières) [À noter la substitution lexicale* : galoper de joie à la place de sauter de joie.] Quelle que soit sa longueur, la partie enchâssée est placée entre des virgules, des tirets ou mise entre parenthèses.
V. Insertion lexicale. Exemple. Commentaire. Fausse précision.
5. La fausse précision – Tous les fans du cinéaste suédois Ingmar Bergman qui ont aimé Cris et chuchotements sous-titré en grec ancien savent ça. (R. Soulières) D’ordinaire une précision sert à éclairer le public-lecteur. Or, ici elle est erronée. Appelons fausse précision celle qui ne correspond pas à la réalité ou bien celle qui, sans être inexacte, n’ajoute aucune information ou est superflue : – Le chef Edgar continue à tonitruer. D’ailleurs, c’est ce qu’il fait de mieux passé 19 heures, heure normale de l’Est. (R. Soulières) Cette pseudo-précision revêt plusieurs formes. Entre autres, le rappel : – […] l’inspecteur, le doigt sur la sonnette, fait diiing ! dooong ! Je rappelle aux lecteurs distraits, un oubli est vite arrivé, que dring dring, c’est le téléphone. (R. Soulières)
V. Évidence. Enchâssement.
6. L’exemple – Parole de nonagénaire : – J’ai des troubles de mémoire. Par exemple, il m’arrive de poursuivre les jolies femmes. Je ne me souviens plus pourquoi. (P.-J. Vaillard) – Tout arrive à qui sait attendre. La mort, par exemple. (Bradley) Sur le mode ludique, l’exemple est surprenant, fantaisiste, discordant…
Réel bousculé, embrouillé ou éclairé ▼ 255
Précisions Le plus souvent, l’exemple est signalé au moyen d’une charnière (par exemple, notamment, prenez, etc.) : ● Écouter n’est pas toujours sans agrément. Exemple : « Il s’écouta parler avec délices. » (G. Elgozy) ● La plupart des femmes sont attirées par des choses très simples. Les hommes, par exemple. (H. Youngman) Ailleurs, il n’est pas annoncé, la charnière étant sous-entendue : ● Personne n’est parfait. Moi-même je suis particulièrement sensible aux courants d’air. (O. Wilde) Mentionnons enfin qu’un exemple peut servir de preuve* : ● L’avenir appartient à ceux qui se lèvent tôt, c’est une connerie. Prenez les éboueurs… (J. Yanne) V. Commentaire. Enchâssement. Rallonge.
7. Le commentaire – Les insectes sont des invertébrés de l’embranchement des articulés. Il n’y a pas de quoi se vanter. (P. Dac) L’auteur fait suivre une affirmation objective d’une remarque très subjective. Dans notre optique, le commentaire est l’addition d’une observation ou d’un point de vue personnel, souvent malveillant, sur un sujet donné : – « Prends l’éloquence et tords-lui son cou » ; il ne s’agit, évidemment, que de l’éloquence d’autrui, celle qui t’empêcherait de palabrer tout ton saoul. (G. Elgozy)
V. Exemple. Enchâssement. Rallonge.
8. Le réamorçage Syn. Régression – Ce fut un mariage d’amour pur et simple. J’étais pure et lui, il était simple. Une femme explicite tour à tour deux mots qu’elle avait employé dans la phrase précédente. Le réamorçage est la reprise de mots (tels quels ou légèrement modifiés) déjà énoncés pour les préciser ensuite : – Il y en a qui aiment les films d’amour ; d’autres les films d’action. Moi, j’aime les films d’amour où il y a de l’action. (J. Beaudry)
256 ▲ Jeux verbaux et créations verbales
Précisions Le procédé peut servir le propos d’un interlocuteur : ● Sieyès : Je vais vous dire ma façon de penser… Rivarol : Épargnez-moi votre façon, et dites-moi votre pensée. Il arrive qu’on reprenne les mots formant une énumération : ● Il y a trois méthodes traditionnellement françaises pour ruiner une affaire qui marche : les femmes, le jeu et les technocrates. Les femmes, c’est le plus marrant, le jeu, c’est le plus rapide, les technocrates, c’est le plus sûr. (M. Audiard) Une variante consiste à intervertir les termes repris (ce qui correspond à une antimétabole*) : ● On ne peut être et avoir été. Mais si ! On peut avoir été un imbécile et l’être toujours. (L. Bloy) À d’autres moments, on ne reprend pas les mots tels quels, mais on leur en substitue d’autres qui leur ressemblent : ● Dans un couple, il faut partager les tâches ménagères. Les hommes font les taches et les femmes le ménage. Est également possible la reprise des deux constituants d’un mot : ● Elle avait rencontré un extraterrestre. En fait il était peu extra et énormément terrestre.
9. La reformulation – Traitement contre la corrosion des véhicules : Il n’y a plus de temps à perdre ! Offrez-vous la meilleure protection contre la rouille. Grouille avant que ça rouille ! Le slogan final redit sensiblement la même chose que ce qui précède, mais autrement (ici par un jeu de mots). La reformulation consiste à exprimer une nouvelle fois un propos, mais en choisissant d’autres termes, dans le but de le rendre plus clair, de le nuancer ou de lui donner une teinte drôle ou cocasse : – Claude Fouché sur son lit de mort : J’ai réussi avec mon intelligence, c’est-à-dire avec presque rien. – Ma tante Fifi me serra sur son coeur, c’est-à-dire contre les baleines de son corset […] (M. Pagnol)
Précisions Certaines reformulations ont une valeur intensive ou atténuative : ● Marc est plutôt grassouillet. Pour tout dire, il est éléphantesque.
Réel bousculé, embrouillé ou éclairé ▼ 257
● Karine est sotte… enfin, disons qu’elle n’est pas super-intelligente. On est parfois amené à reformuler la pensée d’autrui. Par exemple, c’est au moyen de jeux de mots (des contrepèteries* où il intervertit des consonnes ou des syllabes) que René Droin ré-exprime (deux fois plutôt qu’une) des vers célèbres : ● Ce qui se conçoit bien s’énonce clairement Et les mots pour le dire arrivent aisément. Dans le domaine de la communication écrite, ce conseil de Boileau devient : Un texte touffu peut être considéré comme foutu. Ou, dit autrement : Un texte mal rédigé sera mal digéré. V. Autocorrection. Cercle vicieux. Évidence. Tautologie.
10. L’autocorrection Syn. La correction. La retouche corrective – Ce jour-là donc, ou plutôt ce soir-là, car c’était un soir, ma sœur vint dîner à la maison… (G. Auriol) Chemin faisant, l’auteur passe du mot jour au mot soir, histoire d’ajouter une précision, loin d’être essentielle. L’autocorrection est le retour volontaire sur ce que l’on vient de dire ou d’écrire pour le rectifier, parfois avec une touche d’humour : – Centre intégré d’aide à l’apprentissage du français : Tout un parcourt ! Oups ! un parcours ! – La lumière, ou, plutôt, l’obscurité joue un grand rôle dans l’amour. (S. Guitry)
Précisions À l’écrit, l’autocorrection est toujours une feinte puisqu’on a le loisir de biffer la première formulation et de la remplacer par la nouvelle. C’est justement le contraste entre les deux formulations qui génère l’effet recherché. Très souvent, on feint d’avoir confondu un mot avec un autre qui lui ressemble : ● Un premier ministre : Nous sommes pour des élections à date fixe… fixée par moi ! ● Nulle part n’a-t-on vu autant de ces « intellectuels enragés » – pardon, engagés – de la plus noble tradition, monter au front d’une « bonne cause » à nulle autre pareille. (F. Brousseau) Illustrons trois des nombreuses fonctions de l’autocorrection : S e moquer d’une manière de s’exprimer : par exemple, ridiculiser la préférence des termes anglais aux termes français ou l’utilisation de la langue de bois au détriment de la simplicité et de la transparence :
258 ▲ Jeux verbaux et créations verbales
● Ce n’est plus le voyageur qui importe, mais le commanditaire, pardon,
le sponsor. (N. Cazelais)
● Je sais, tout cela a l’air d’être « capillo-tracté », pardon, je veux dire : tiré
par les cheveux.
Ironiser sur soi-même, sur autrui ou tout autre réalité : ● La mort entre les dents, ou du moins entre les gencives, car je n’ai plus de dents. (Voltaire) ● C’est dans un tribunoire, non une tribu noire, non pas ça non plus, un tribunal, voilà, c’est dans un tribunal… (Coluche) [Inspirés de la couleur des toges, le néologisme* tribunoire et le groupe tribu noire sont des allusions méchantes.] R ecourir à un terme plus faible ou plus fort que celui déjà employé : ● Non, mais quelles sales… euh ! quelles sages paroles, a-t-il prononcées là, ce sacré celui-là ! (R. Soulières) La seconde escarmouche – mais non, ce fut une bataille – prit place le lendemain. (M. Pagnol) Note : Certains distinguent autocorrection (se corriger soi-même) et correction (corriger quelqu’un d’autre). V. Reformulation.
Troisième partie
Pleins feux sur les créations et sur des formes et des contenus absents du français général actuel Jusqu’ici on a « joué » avec les mots tels qu’ils apparaissent dans les dictionnaires d’usage français, sans que leur définition soit précédée d’une marque d’usage limitant leur emploi (archaïsme ou régionalisme, notamment). Centrons maintenant notre attention sur l’invention de mots nouveaux ou sur les modifications de formes, de sens ou de fonctions qu’on fait subir aux mots existants. Soyons également attentifs aux recours délibérés à des formes ou à des contenus que la plupart des locuteurs francophones jugent fautifs, à tout le moins dans certaines situations de communication. Septième section Attention portée aux créations de mots, de formes, de sens et aux changements de fonctions CHAPITRE 13 Créations de mots CHAPITRE 14 Créations de formes et de sens.
260 ▲ Jeux verbaux et créations verbales
Huitième section Attention portée à l’emploi de formes et de contenus ne faisant pas partie du français jugé correct CHAPITRE 15 Mots, formes et sens jugés fautifs
Chapitre 13
Créations de mots
Notion préalable On crée un mot, une forme, ou un sens ; on fait un changement de catégorie : le néologisme
Créations de mots à partir d’autres mots On ajoute un suffixe ou un préfixe (ou les deux) à un mot existant : la dérivation On juxtapose au moins deux mots français : la composition On juxtapose un mot français et une racine grecque ou latine : la composition savante On télescope des mots ou on insère un mot dans un autre : le mot-valise On remplace une lettre ou une syllabe d’un mot ; on insère une lettre dans un mot : Le mot nouveau a la même prononciation que le mot de départ : la création homophonique Le mot nouveau a une prononciation proche de celle du mot de départ : la création paronymique On permute des sons formant au moins un mot : la création par contrepèterie. On s’appuie sur le sens présumé des syllabes qui composent un mot : la création par fausse étymologie On change une des composantes d’un mot par un contraire : la création antonymique On part des lettres initiales d’une suite de mots : la siglaison et l’acronymie
Créations de mots sans partir d’éléments de formation préexistants La création se fait par imitation ou évocation de bruits : l’onomatopée individuelle La création se fait sans modèle apparent : la forgerie
262 ▲ Jeux verbaux et créations verbales
NOTION PRÉALABLE
Le néologisme – Thèse, antithèse et prothèse : il faut recapiter Louis XVI. (J. Prévert) Outre l’allusion* à Thèse, antithèse, synthèse, ce qui frappe ici, c’est la présence du verbe recapiter que l’auteur a créé à partir de décapiter, par remplacement de préfixe. Recapiter est un mot nouveau que seul Prévert a employé. Voilà pourquoi on pourrait qualifier ce néologisme d’« individuel ». Le néologisme est le mot, la forme ou le sens créé, entre autres, par l’écrivain, le chroniqueur, le journaliste, le publicitaire. Cette nouveauté, on ne la retrouve pas en dehors du contexte de son apparition. C’est le cas du verbe blocnoter qui n’est jamais passé dans la langue commune : – Je pars annonça le sénéchal. Mission spéciale. Blocnotez. – Le secrétaire saisit son bloc et son crayon. (B. Vian) Rappelons que néologisme vient du grec neos « nouveau » et logos « parole, discours ».
Précisions Au sens large, il existe quatre types de néologismes : L e mot nouveau Écoutons Lefuneste, le voisin d’Achille Talon : ● Et d’où tirez-vous cette certitude nostradamusesque ? Jusqu’à maintenant, personne d’autre que Greg n’a utilisé ce dérivé de Nostradamus, auteur célèbre de prédictions. L a forme nouvelle Un chroniqueur a transformé le mot peine en redoublant la syllabe initiale : ● Il ne faut surtout pas rire des croyances des gens, ça va leur faire trop de pé-peine ! (R. Martineau) L e sens nouveau Sous la plume de Boris Vian, l’égalisateur est le fusil qui, couchant les criminels, « égalise » à sa façon : ● Du même geste, les six agents d’armes posèrent la main sur la poche fessière pour signifier qu’ils étaient munis de leur égalisateur à douze giclées. L e changement classe et de fonction. Précédées du déterminant des, les interjections oh et ah, de même que la phrase As-tu vu ça ? en viennent à fonctionner comme des noms :
Créations de mots ▼ 263
● Des voix, des oh ! des ah ! des as-tu vu ça ? bourdonnaient à mes oreilles.
(L. Jacob) Tout néologisme peut faire double emploi (il se substitue alors à un terme existant), il peut répondre à un besoin (dans ce cas, il désigne une réalité nouvelle), il peut même nommer une réalité qui n’a jamais existé, tel l’impliable de l’exemple suivant, version ancienne du dépliant d’aujourd’hui qu’ont imaginée Uderzo et Goscinny, les créateurs d’Astérix : ● Des promoteurs ont distribué des renseignements écrits sur des tablettes de pierre : Un Romain : Le Domaine des Dieux ? Qu’est que ça peut bien être ? Son épouse : Peut-être trouveras-tu l’explication dans l’impliable que l’on nous a distribué. Voilà les grandes lignes. Pour le détail, voyez les procédés du présent chapitre et ceux du chapitre suivant.
CRÉATIONS DE MOTS À PARTIR D’AUTRES MOTS
1. La dérivation – Les gens accrocs au rire sont victimes d’esclaffage ! (SUMOUPS) Inutile de chercher esclaffage dans un dictionnaire : l’auteur l’a formé à partir du verbe s’esclaffer. La dérivation est la création d’un mot à l’aide d’un préfixe ou d’un suffixe accolé à une base, le plus souvent par ajout, quelquefois par remplacement. Ce mot dérivé n’est pas consigné dans un dictionnaire d’usage : – Rapportez mes œufs, j’ai refaim. – Le Religieux sortit de la sacristoche, suivi d’un Bedon et d’un Chuiche. (B. Vian) [Formé à partir de sacristie.]
Précisions On crée des mots dérivés à l’aide de préfixes, de suffixes et d’infixes. P ar addition ou remplacement d’un préfixe (élément de formation qui précède la base) : ● Ceci fait, Athanagore se désaccroupit et partit en direction présumée… (B. Vian) ● Le couloir trifurquait. (B. Vian) [Tiré de bifurquait]
264 ▲ Jeux verbaux et créations verbales
P ar addition d’un suffixe (élément de formation qui suit la base) : – À un mot simple, parfois d’origine étrangère : ● Talon père : Messieurs, […] bien que vous baragouiniez toutes vos petites détestabletés dans une langue qui offense une oreille honnête, je crois avoir saisi l’essentiel ! (Greg) ● On va holdupper dans le secteur ! (Greg) – À un mot composé (dont on a soudé les éléments) : ● Le rédacteur, qui vient d’achever un scénario : Quatre heures du matin… Mon Dieu mon Dieu que je suis donc indomptable. Je suis doté d’une nature chardassautesque. (Greg) – À un nom propre : ● Lefuneste : Vous commencez à développer des théories sherlockholmesques et quasi cohérentes… (Greg) [Tiré de Sherlock Holmes.] – À une locution (souvent légèrement modifiée) : ● Le gendarme : Hé, chef, ça fait deux heures qu’on flagrandélite… Si on faisait une pause pour boire un coup, dites ? (Greg) [Tiré de en flagrant délit.] ar remplacement d’une désinence verbale ou d’un suffixe : P ● Talon père : Imagine… je ne sais pas, moi… que tu es perdu dans le désert et que l’adversaire est un pillard qui concupisce ta dernière outre de bière ! Tu écumes ! Tu es fâché ! (Greg) [Le verbe concupiscer est tiré de concupiscence.] ● On emprunte parfois un suffixe étranger, parfois légèrement modifié : de là les formes, flicman, taximane, échanging, promening, entre autres. ar addition d’un infixe (élément inséré à l’intérieur d’un mot) : P ● Ainsi pensotai-je en me rendant chez Marcel. (R. Queneau) [Formé à partir de pensai-je.] P ar encadrement (addition simultanée d’un préfixe et d’un suffixe) : ● Les Romains projettent de détruire la forêt des irréductibles Gaulois : Anglaisus : Place à la civilisation ! Nous allons commencer à déboiser ! Centurion Oursenplus : Faudra dégauloiser d’abord. (Uderzo et Goscinny) Toutes les fantaisises sont possibles ; notamment la formation d’un verbe à partir de l’onomatopée gouzi-gouzi dont Greg a redoublé la syllabe initiale : ● Achille Talon : Le contact de la campagne, de la nature accueillante et fraternelle, m’a toujours gougouzi-gouzé le tonus. Note. Ne pas confondre la dérivation, qui sert à créer de mots, avec la dérivation (explicite ou implicite), qui associe des mots existants de même famille.
Créations de mots ▼ 265
2. La composition – Sage pas sage, à chacun sa machine-à-images (Publicité) En plus des répétitions sonores, on remarque la présence d’un nom nouveau formé de plusieurs mots juxtaposés. La composition est la création d’un mot par juxtaposition d’au moins deux mots français. Ce mot composé n’est pas passé dans la langue commune : – Il lui faudrait un chasse-déprime en atomiseur s’il vous plaît et vite ! (R. Soulières)
Précisions Les mots juxtaposés sont unis à l’aide de traits d’union ou sont soudés : ● Des armes variées pendaient au mur, des jumelles brillantes, des fusils à feu, des lance-mort de divers calibres, et une collection complète d’arrache-cœurs de toutes les tailles. (B. Vian) ● Achille Talon : […] tout homme lucide fait la distinction qui s’impose entre la bête superstition et le fait incontestable qu’il existe des porte-guigne ! Lefuneste :… Et des porte-sur-les-nerfs, donc ! (Greg) ● Vous connaissez les chicoufs ? Chicouf, c’est un terme de grands-parents : Chic, les petits-enfants arrivent ! Ouf, ils repartent ! Certaines réalisations tiennent autant de la typographie intensive* au moyen de traits d’union que de la composition : ● Achille Talon s’adressant à Lefuneste : Ça, c’est curieux… vous n’avez pas vu mon papa à moi, cher voisin-par-la-force-des-choses ? (Greg) V. Composition savante. Mot-valise.
3. La composition savante – Achille Talon : Je n’étais venu là que pour tenter vainement de me changer les idées, qui sont noires et cafardogènes. Le nouvel adjectif cafardogènes, Greg l’a formé au moyen du mot cafard et de l’élément d’origine grecque -gène qui signifie « naissance, origine ». Appelons composition savante, la formation d’un mot comprenant au moins un élément grec ou latin : – Talon père : Ouvrez ! Vous n’avez pas le droit de réduire un honnête bièrophile à l’aridité ! (Greg) [Juxtaposition de bière et de -phile, du grec philos « ami ».]
266 ▲ Jeux verbaux et créations verbales
Précisions Quels sont les éléments qu’on juxtapose ? S oit un élément grec ou latin et un mot français : ● Achille Talon : Vous voulez me tuer ! Le docteur a dit : pas de bruit ! Je suis bruitophobe au degré d’ébullition ! (Greg) [L’élément grec -phobe signifie « qui déteste »] S oit deux éléments savants. Laure Hesbois en a relevé chez Alphonse Allais : ● Les xylopyges (= «les personnes pourvues de fesses en bois ») [du grec xulo « bois » et pugê « fesse »]. ● La nécropyrie (= «la transformation du mort en pièce d’artifices ») [du grec nekros « mort » et puros « feu »]. Par jeu, certains composés ne se plient pas à des règles strictes de sorte que, créés à partir de mots français modifiés, leur formation n’est savante qu’en apparence : ● Le rédacteur en chef, à Achille Talon : Le professeur est un grand spécialiste de la littérature graphicolittéronarrative […] (Greg) V. Composition. Jargon.
4. Le mot-valise Syn. Mot-tiroir. Emboîtement lexical – Parlant des piqûres d’insectes : Ahhh… joie, jouissure, quoi de plus envoûtant que ce chant de victoire de la bestiole qui cherche où elle va forer ? (J.-P. Arsenault) Un journaliste a imbriqué les noms jouissance et piqûre pour former le mot jouisssure. Les deux noms ont dû sacrifier chacun une syllabe. Le mot-valise est le résultat d’un amalgame de mots, de sorte que deux significations au moins y sont empaquetées, comme dans une valise : – Peut-être [que] j’aurais été déchirurgien. (Sol) [déchirer + chirurgien.] Le mot-valise, c’est aussi l’insertion d’un mot dans un autre. Par exemple, San Antonio a inséré joli dans ravissant pour former rajolivissant. De là l’appellation imagée de mot-sandwich : – Eunuque. Victime de décapipitation. (P. Coppens) – Bloch, mon petit père, pérorait Vargas, avec tout le respect que je ne vous dois pas, vous êtes en train de vous ridicoculiser. (V. Volkoff) – Activité pour les enfants : Histoire de Pâques. Chasse aux cocos et briCOCOlage qui vous feront craquer. Mot-valise est la traduction de portmanteau word où portmanteau désigne une grosse valise.
Créations de mots ▼ 267
Précisions Qu’arrive-t-il aux formes des mots amalgamés ? L es formes des mots impliqués restent intactes : ● – Eh bien, dit Étienne avec bienveillance, faut supprimer cet épisode, le raturer. – Le littératurer, ajouta Saturnin. (R. Queneau) [littérature + raturer.] L a forme d’un mot reste intacte et celle de l’autre est plus ou moins changée : ● Les yogourtmandises… ça s’mange tout seuls. (Publicité) [yogourt + gourmandises.] ● On raconte son vécu à la radio, comme pour mieux prendre à témoin le pays tout entier de ses sexploits (Presse) [sexe + exploits.] L es formes des deux mots impliqués sont changées à divers degrés : ● Achille Talon : À cet instant surgit soudain un féroce tigrocéros carnassier poussant un rugissement terrifiant. (Greg) [tigre + rhinocéros] Dans ce cas, il doit rester suffisamment d’éléments de chacun des constituants du mot-valise pour que le public puisse l’interpréter sans peine. Pour éviter tout malentendu, on peut toujours en révéler l’origine : ● Voir les médias qui se sont rués par dizaines sur l’« événement », se sont bousculés comme ils en ont la grégaire et meutassière – pour meute et putassière – habitude de recueillir les moindres images, bribe et angle, pour faire du vox-pop aussi. (J. Dion) Parfois les mots-valises résultent du télescopage de trois termes : ● Gâteaux délifraîchement bons. (Publicité) [délicieux + frais + franchement] ● Hebdrolmadaire : chameau qui rit tous les lundis. (A. Finkielkraut) [hebdomadaire + dromadaire + drôle] Il arrive qu’on fasse suivre les mots-valises de définitions fantaisistes*, à la manière d’Alain Finkielkraut : ● Accalomnie : brève pause de la méchanceté. [accalmie + calomnie] ● Toutriste : voyageur parti à l’aventure, et auquel il n’est absolument rien arrivé. [touriste + triste] Peuvent surgir alors des références à des objets ou à des animaux imaginaires : ● Dynamitre : chapeau porté par les évêques qui pètent le feu. (J.-L. Chiflet) [dynamite + mitre] ● Chaméléon : caméléon à deux bosses ou chat qui change de couleur selon le coussin sur lequel il dort. (É. Vonarburg) [chameau + chat + caméléon]
268 ▲ Jeux verbaux et créations verbales
Note : Les mots-valises, qui s’apparentent parfois à des créations paronymiques* ou par contrepèterie*, diffèrent nettement des créations homophoniques*. V. Étymologie fantaisiste. Mot dans le mot. Troncation.
5. La création homophonique Syn. Le calembour graphique – Il ne sert à rien de faire un pet dans l’eau pour en dissimuler l’odeur, tous les physiciens con-pétants vous le diront, avec preuves à l’appui. (F. Dard) Le nouvel adjectif con-pétants se prononce comme l’adjectif compétents. Ce sont donc des homophones. La forme nouvelle véhicule une signification nouvelle révélée par le contexte. La création homophonique fournit un mot nouveau ayant les mêmes sonorités qu’un autre mot de la langue française et exprimant un sens nouveau : – Écoutez gratuitement Seinphonie usurpée No. 1 de Antoine Bataille. ● Jeux Insouciant et primesautier : cervaile d’oiseau […] (J. Canut) Autrement dit, la prononciation du mot nouveau est connue, mais pas sa graphie ni son sens.
Précisions Comment se fait le passage du mot connu au mot nouveau ? P ar le remplacement d’une lettre, voyelle ou consonne (ex. ensaignement) : ● Constipassion : amour timide qui n’arrive pas à se déclarer. (A. Finkielkraut) ● En lui, elle avait trouvé exactement l’homme qu’il lui phallait. (D. Blondin) P ar le remplacement d’une syllabe (ex. seinpathie) : ● Musique vidéo : chansons ressus-hit-ées. (Publicité) ● Comment nomme-t-on un médecin qui soigne les gais ? Un gayrisseur. P ar l’insertion d’une lettre (ex. fainéhantise) : ● Cette voiture de luxe, il lui avait fallu l’apprixvoiser. ● Trois fameux orizginaux. Trois riz tout à fait spéciaux. (Publicité) Parfois, une création homophonique ne transmet aucun sens nouveau :
Créations de mots ▼ 269
● Avis aux gens d’un âge certain : Renoncez aux tamalous et vous vous
épargnerez les jémalas. [Déformations de « T’as mal où ? » et de « J’ai mal à ».] La création par homophonie diffère du mot-valise* : à stictement parler, ce dernier ne sonne comme aucun autre mot français. Par exemple, pommoison ne se prononce ni comme pomme, ni comme pâmoison, les deux mots à l’origine de sa formation : ● Au secours ! soupira-t-il. Je tombe en pommoison. (J. Joyce) Le mot créé par homophonie, lui, a une prononciation identique à un mot existant : ● Publicité vantant le thon blanc : Un délicieux gueulethon. Notes : L’homophonie implicite* associe des mots qui font déjà partie du lexique français. La graphie fantaisiste* modifie l’orthographe d’un mot sans en altérer le sens. Le mot dans le mot* propose deux lectures sans créer de forme nouvelle.
6. La création paronymique Syn. La création par à-peu-près – La fuite des cerveaux, c’est une sorte de déméningement. (SUMOUPS] Le mot nouveau déméningement ressemble à déménagement. Ces mots ont une graphie et une prononciation très proches : ce sont des paronymes. La création paronymique donne un mot nouveau dont la forme, voisine de celle d’un mot existant, est porteuse d’un sens nouveau : – Comme il ne pouvait satisfaire son épouse, le courant ne passait plus entre eux. Il s’est donc décidé à consulter un érectricien. [vs électricien]
Précisions Comment se fait le passage du mot connu au mot nouveau ? P ar le remplacement d’au moins une lettre : ● Bidingue : qui délire dans deux langues. [vs bilingue] ● Les coqs ont un grand appétit sexuel : ils sont poulimiques. (SUMOUPS) [vs boulimique] ● On vient à peine de découvrir que les abeilles communiquent par e-miel. [vs e-mail] P ar l’insertion d’une lettre : ● Slogan d’un salon du livre : Cette année on s’enlivre. [vs s’enivre]
270 ▲ Jeux verbaux et créations verbales
● Il ne faut pas poéter plus haut que son luth. (Willy) [vs péter] Parfois, le mot nouveau est la reproduction sonore approximative d’une phrase : ● Si vous avez des SERPUARIENS, des produits électroniques désuets, n’attendez pas qu’ils ramassent de la poussière. (Publicité) [C’est la phrase (Il) ne sert plus à rien qui est à l’origine de serpuarien.] Création paronymique et mot-valise* peuvent se recouper : ● Les jeunes adultes refusent de grandir. En s’accrochant à leur enfance, ils créent une nouvelle génération, celle des adulescents. (Presse) Est-ce que adulescent est la modification du mot adolescent ? Est-ce le résultat de l’amalgame de adultes et adolescents ? C’est une question de point de vue. Note : La paronymie implicite* ne fournit pas de mot nouveau. V. Création homophonique [par contrepèterie]. Graphie fantaisiste.
7. La création par contrepèterie – Il n’a jamais apprécié la philosophie de Sacrote. Deux voyelles ont échangé leurs places de sorte que le nom du grand philosophe grec Socrate a subi une transformation qui lui donne une signification malveillante. La création par contrepèterie est la forme nouvelle ou le mot nouveau issu d’un échange ou d’un déplacement de sons, soit dans le mot même, soit d’un mot à un autre : – Je suis amoureux d’une contractuelle : on joue au gendarme et au loveur. (SUMOUPS) – Malpaquet, l’un des gendres du duc, grimoisse d’angace. (R. Queneau) L’interversion des consonnes [l] et [v] a suffi pour que voleur se métamorphose en loveur, évocation du mot anglais love suscitée par la présence de l’adjectif amoureux.
Précisions Le procédé peut produire une forme nouvelle, porteuse d’un sens nouveau. C’était vrai dans la transformation de Socrate en Sacrote, c’est encore vrai dans la définition suivante, qui rappelle le mot folie : ● Philosophie : folisophie. Très souvent, le procédé génère une simple déformation d’un mot connu. Ci-dessous, un cacocalo, ça demeure un coca-cola et grimoisse d’angace est une autre façon de dire grimace d’angoisse : ● La serveuse s’amène négligemment, aussitôt Zazie exprime son désir : – Un cacocalo, qu’elle demande. (R. Queneau)
Créations de mots ▼ 271
Encore que les sens seconds (ou connotations) sont rarement absents. Par exemple, dans ce pastiche de Léon-Paul Fargue reproduit d’après Luc Étienne, le copissaire de molice (déformation de commissaire de police) évoque des termes dévalorisants : molice fait penser à mollesse, malice, limace et l’idée de « copie » ravale le copissaire au simple rôle de gratte-papier : ● Je bondis sur le téléphone. — Allô ! le copissaire de molice ? Allô ! Ici, Péon-Faul Margue… Oui l’évicrain, le toèpe… Au secours ! Venez vite. Il n’y a pas une pinute à merdre. Je suis assiégé par les mots… Par ailleurs, la lecture de la phrase suivante nous rappelle que l’élément -aille sert à former des noms à valeur péjorative : ● Nous avons des adversailles de terre et si l’heure est grave, la nôtre aussi. (Sol) [Déformation de adversaires de taille.] La contrepèterie à l’envers*, celle qui présente une séquence cocasse derrière laquelle se cache une séquence anodine, est à l’origine de formes inventées. À preuve ces exemples glanés par Claude Gagnière : ● Faire le salaud au drapu. [vs Faire le salut au drapeau] ● Le burel du coloneau. [vs Le bureau du colonel] ● Tous à pidi dans la salle des rats morts ! » [vs Tous à midi dans la salle des rapports] Création par contrepèterie et mot-valise* se recoupent parfois : ● Je lui ferais changer d’idétorial tous les jours. (Sol) Pour passer de éditorial à idétorial, l’humoriste a-t-il changé la place respective des sons-voyelles [i] et [e] ? A-t-il télescopé les mots idée et éditorial ? Là encore, tout dépend du point de vue. Note. Généralement, la contrepèterie* n’ajoute aucun mot au lexique du français. V. Graphie fantaisiste. Création paronymique.
8. La création par fausse étymologie – Voici donc Bla Bla Bla, une sorte de clin d’œil humoristique sur les langues, autant celles de vipères que de vimères […] (F. Bernard) L’auteur feint de voir père comme une composante de vipère, ce qui, bien sûr, ne correspond pas à la réalité. De là la création du mot vimère, renvoyant à sa prétendue contrepartie féminine. La création par fausse étymologie est l’invention d’un mot en s’appuyant sur le sens supposé des syllabes qui composent un mot bien français : – J’aurais été quelqu’un […] peut-être un major d’homme […] (Sol)
272 ▲ Jeux verbaux et créations verbales
L’humoriste a créé major d’homme en décomposant le mot majordome, issu du latin major domus qui signifie « chef de la maison ». Ce faisant, il a substitué la notion d’homme à celle de maison. – Qu’allait-il advenir de sa pauvre Iris, sa conne-jointe comme il l’appelait affectueusement ? (B. Groulx) Le mot conjointe, où l’élément con- signifie « avec », n’a rien à voir avec le mot con (et son féminin conne) qui, en tant qu’adjectif, signifie « idiot » et « ridicule ». Étymologie vient d’un mot grec qui veut dire « parole vraie » (formé de etumos « authentique » et -logia « parole »).
V. Étymologie fantaisiste. Barbarisme de forme (par déconstruction).
9. La création antonymique – Achille Talon : Ce n’est pas aunuit-hui que je vais commencer ! (Greg) Deux contraires (ou antonymes) sont à l’origine de aunuit-hui, mot formé par la substitution de la syllabe nuit à la syllabe jour. La création antonymique est l’invention d’un mot en remplaçant une partie d’un mot (simple ou composé) par une autre de sens opposé : – Leurs ennemis ont tôt fait de s’emparer de leur château faible. [château fort] Lorsqu’elle est implicite, la création par antonymie apparaît seule ; lorsqu’elle est explicite, elle contraste avec le terme de départ : – Un mauvais écrivain : il conjugue ses verbes au moins-que-parfait. (A. Birabeau) [Formé à partir de plus-que-parfait.] – Âge. Méfiance ! Je serai vieux dès qu’aujourd’hui me semblera moins important qu’aujourd’hier. (H. Bazin) [À noter que le hui de aujourd’hui vient du latin hodie qui signifie « en ce jour ».] Antonyme et antonymique sont formés de l’élément ant (i) qui signifie « qui est le contraire de » et de onoma qui veut dire « nom ». Note. Le contraste implicite* (ou mot par un contraire) ne crée pas de mot nouveau.
10. La siglaison et l’acronymie Syn. Le langage alphabétique – De nombreuses associations sont souvent inutiles comme cette dernière : ACM. [Association Contre la Mort]. (P. Héraclès) D’abord, l’auteur a imaginé le nom d’une association au rôle inattendu. Ensuite, il s’est servi des lettres initiales des mots formant ce nom pour créer le sigle ACM.
Créations de mots ▼ 273
La siglaison et l’acronymie consistent à remplacer une suite de mots par leurs lettres initiales pour former un mot alphabétique nouveau, que ce soit un sigle ou un acronyme : – La loi du GBS a parlé. C’est le Gros Bon Sens. Sigle vient du mot latin sigla qui signifie « signes abréviatifs ». Acronyme vient du mot anglais acronym qui veut dire « à prononciation syllabique » (lui-même formé de acro- « qui est à l’extrémité » et -onym « nom »).
Précisions Le sigle se distingue de l’acronyme. Quand la lecture du mot alphabétique se fait lettre par lettre, on a affaire à un sigle : ● Le CLAA, c’est le Cercle des lacunes à abolir. (C. Falardeau) Quand le mot alphabétique se prononce comme un mot ordinaire, on parle d’acronyme : ● Le C.A.R.N.A.G.E : le « Club antireprésentation néfaste des actions guerrières et écoeurantes ». (« Achille Talon ») Quand le sigle est explicite, il est accompagné des mots qui ont servi à sa formation : ● Le journaliste culturel est vu comme un vendeur de soupe et sa fonction, essentiellement marchande, se résume à quatre lettres : V. A. T. P. Vendre à tout prix. (N. Petrowski) ● Qu’est-ce que c’est le HBQ marocain ? Voyons ! Du haschich de bonne qualité ! (Presse) Quand il est implicite, il apparaît seul, sans mention de la suite de mots abrégés, cette suite étant supposée identifiable grâce au contexte et à la situation : ● À propos d’aliments : Les gens pressés favorisent la BGV. [À savoir : la Bouffe à Grande Vitesse] ● Ça prend dans la vie un minimum de MGBS. [C’est-à-dire : Du Maudit Gros Bon Sens] Quant à l’acronyme, il peut se prêter au double sens* et à l’homophonie* : ● Prenez le PLI (= Petit Larousse Illustré) [Premier sens : « Prenez ce dictionnaire » ; second sens : « prenez l’habitude » de le consulter.] ● Centre de langues internationales Charpentier. Ça C. L. I. C., c’est garanti ! [Ça C.L.I.C. se prononce comme Ça clique.] Note. À ne pas confondre avec l’alphabet parlant*. V. Détournement de sigle ou d’acronyme.
274 ▲ Jeux verbaux et créations verbales
CRÉATIONS DE MOTS SANS PARTIR D’ÉLÉMENTS DE FORMATION PRÉEXISTANTS
1. L’onomatopée individuelle Syn. Le mot imitatif – Foinkk. Schnorkk. Votre téléphone cellulaire vous donne-t-il du fil à retordre ? (Publicité) Vous ne trouverez ni Foinkk ni Schnorkk dans un dictionnaire d’usage. Ce sont des imitations approximatives qu’a créées un publicitaire pour suggérer les bruits parasites qui se produisent par moments sur une ligne téléphonique. L’onomatopée individuelle est une imitation ou une transcription de bruits naturels ou artificiels, qui surprend en raison de sa nouveauté : – Vicks calme les he ! he ! (Publicité) – Un enfant s’imagine dans la peau d’un cow-boy : Pschiaou… pschiaou… les balles de son célèbre Colt frontière miaulent dans le désert de la sierra Nevada […] (G. Cesbron) Certains se plaisent à faire alterner une onomatopée connue avec une onomatopée nouvelle : – Dring, dring, dring, mais que voulez-vous ? – Pout, pout, pout, St-Hubert B.B.Q. ! (Publicité chantée) [La sonnerie téléphonique est suivie de bruits de klaxon : à peine commandé, le poulet est livré.] Rappelons qu’onomatopée vient d’un mot grec qui signifie « création de mots ».
Précisions En règle générale, l’onomatopée tend à se rapprocher du réel : ● Ah ! le bruit des skis. Mais est-ce un bruit ? Schliss ! schliss ! font les carres qui mordent la neige. Pfitt ! pfitt ! siffle le vent aux oreilles. (N. Cazelais) ● Quand M. Martin, sa chute accomplie, rencontra l’asphalte, ça fit « plmmf », le bruit mat et sourd de la viande qui s’aplatit, et presque en même temps un autre bruit, « teck », le son de la pipe d’écume qui se brise. M. Martin avait cassé sa pipe. (A. Allais) [À noter le double-sens* de avait cassé sa pipe au sens figuré de « mourir ».] ● Sachliiiinnng ! Queschliiiiiiiiigg ! (Ça c’est le bruit de deux pièces de vingt-cinq sous insérées dans une distributrice de café dans un bureau.) [R. Soulières]
Créations de mots ▼ 275
Par jeu, il arrive que l’onomatopée s’éloigne de la réalité. Ainsi Greg, l’auteur d’« Achille Talon », en a imaginé plusieurs qui correspondent très imparfaitement à des bruits naturels ou artificiels ; mentionnons dugudu (une mitraillette), kotkotkot (un chauffeur qui claque des dents de frayeur), roudoudoudou (une voiture en marche), zzligougou (un bruit de freins).
2. La forgerie Syn. Le néologisme informel – Lefuneste : il s’agit évidemment d’un superbe tagadobudoire gallo-romain à peine entamé par les ans et quelques séismes. (Greg) On a beau penser à tous les procédés de formation connus, on cherche en vain l’origine et le sens du mot tagadobudoire. C’est qu’il s’agit d’un mot créé de toutes pièces, un mot forgé. La forgerie invente des mots sans recourir aux mécanismes courants de formation ; elle propose plutôt des combinaisons sonores inhabituelles qui semblent privées de signification : – Le potifère tarissolé mole un grinime de casbola. (Cité par C. Peyroutet) Ça le soursouille, ça le salave – Ça le prend partout, en bas, en haut, en han, en hanhan. […] (H. Michaux)
Précisions Vu que les mots forgés sont des créations sans modèle évident et s’appuient sur la force suggestive des sons, il est souvent difficile de leur attribuer une signification claire : ● Acriborde acromate et marneuse la vague. (R. Queneau) ● Je ne suis pas abracante ! (E. Ionesco) Toutefois une interprétation (approximative) est souvent rendue possible par des ressemblances de formes avec des mots connus. Voilà pourquoi, cette phrase d’Henri Michaux, tirée du Grand Combat, conserve une certaine transparence : ● Il l’emparouille et l’endosque contre terre […] De fait l’emparouille fait penser à s’empare (affublé de l’interjection ouille exprimant la douleur) et l’endosque contre terre peut laisser croire que la victime est clouée au sol sur le dos. En l’absence de similitudes de formes, c’est le contexte ou la situation qui prend la relève. Ainsi, dans cette déclaration d’un petit garçon à son grandpère médecin, on devine qu’il est question de suppositoires dans le derrière : ● Je ne suis plus malade, cria Martin qui voulait que sa joie fût parfaite, tu ne me mettras plus de turbigos dans le pataf. (G. Cesbron)
276 ▲ Jeux verbaux et créations verbales
Dans le dialogue suivant, on pourrait d’abord penser que, blagatruk est un mot forgé. Or, on peut supposer que c’est la graphie fantaisiste* de blague à truc. Par contre, le mot vistemboir paraît se passer des modes habituels de formation : ● Achille Talon : Ne discutons pas. Je veux l’objet que vous venez de mettre en vitrine. Combien ? L’antiquaire : Le précieux blagatruk pré-archaïque que j’ai acheté à prix d’or à un sorcier cafre ? Si, si, mon cher, un authentique vistemboir avec toutes ses caractéristiques ! (Greg) V. Charabia. Jargon.
Chapitre 14
Créations de formes et de sens
Créations de formes On répète une des syllabes formant mot : le redoublement On supprime au moins une syllabe à un mot : la troncation On inverse les syllabes d’un mot : le verlan On modifie l’orthographe usuelle de certains mots : la graphie fantaisiste On supprime les espaces entre tous les mots d’une phrase ou certains d’entre eux : l’amalgame graphique
Créations de sens et changements de fonctions On ajoute intentionnellement un sens à un mot : l’extension de sens On fait dévier le sens d’un sigle ou d’un acronyme : le détournement de sigle ou d’acronyme On traite un mot à la manière d’un acronyme : le détournement de mot On change la classe grammaticale et la fonction d’un mot : le transfert de classe
278 ▲ Jeux verbaux et créations verbales
CRÉATIONS DE FORMES
1. Le redoublement – Chez ces dadames-là rien ne se perd, rien ne secrète […] (San Antonio) Pour créer dadames, forme nouvelle dépréciative, l’auteur a redoublé la première syllabe graphique du mot dames. Le redoublement est la répétition d’une syllabe d’un mot connu, celle-ci pouvant être légèrement modifiée : – […] il donnerait un gros bécot à sa petite fafemme adorée. (J. Joyce)
Précisions Généralement, on redouble le début d’un mot : ● Allons, les gars, verbaillons à qui mieux mieux et refoulons les purpuristes sur l’île déserte des langues mortes. (San Antonio) [Verbailler est un nouveau dérivé formé à partir de verbe.] ● — Qu’est-ce que tu aimerais boire ? — Je prendrais des bubulles. [S’ajoute ici une métonymie*, puisqu’on a remplacé le nom d’une boisson par une de ses caractéristiques.] Parfois, seule la partie redoublée apparaît au détriment du reste. C’est dire qu’il y a eu, au préalable, une apocope* (suppression de la fin du mot). ● Sois pas fru-fru, le voilà ton caf-caf. [frustré… café] ● Dis, Cloclo, tu viens avec nous sur le chantier ? (R. Queneau) [= Clovis] À d’autres moments, on redouble la syllabe finale ou un suffixe. Dans ce cas, le redoublement est précédé d’une aphérèse* (suppression du début du mot) : ● « Titide » avait été accueilli en héros national. (Presse) [Aristide] Combien de « lologues » considèrent la charte canadienne comme une véritable Bible ? (R. Martineau) [Le suffixe -logue sert à former des noms de spécialistes, politologue, par exemple.] ● Slogan de grévistes : Pas de soussous, pas de totos ! [= Pas de sous, pas d’autos] ! [Redoublement du monosyllabique sous et de la syllabe finale d’autos.] On peut même redoubler une syllabe interne : ● Le facteur : Émotion, stupeur et déflagration : le joyeux facteur écrase chaque jour la morosité blême de rage. On ne le répéteterera jamais assez. (« Achille Talon ») [répétera] Note. À ne pas confondre avec la réduplication*, une répétition de mots en contact.
Créations de formes et de sens ▼ 279
2. La troncation Syn. L’abrègement – Bonjour, ma’ame, qu’il dit. (C. Collange) Le nom madame est amputé d’un son. On peut le qualifier de mot tronqué. La troncation est la suppression d’une des composantes d’un mot, à savoir un son ou au moins une syllabe : – T’y vois core moins clair que moi. (J. Joyce) – Bsoir msieurs dames, dit Pierrot. (R. Queneau) – Êtes-vous écono ? (Titre) [= économe et allusion* à écolo.]
Précisions Il y a trois moyens de tronquer des mots : par aphérèse, par syncope et par apocope L a suppression au début d’un mot est une aphérèse (d’un mot grec qui signifie « enlèvement ») : ● Reprendre Hendrix ? Z’êtes pas un peu fêlés ! (Presse) ● On va voir s’il y a une tite souris dans la tite-boî-boîte. (P. Foglia) [boî-boîte est un redoublement*] elle à l’intérieur d’un mot est une syncope (d’un mot grec signifiant C « brisure ») : ● Et p’isque me v’là une « dame » à c’t’heure, allez me la chercher la vôtre, de dame […] (A. Salacrou) elle à la fin d’un mot est une apocope (d’un mot grec qui veut dire C « retranchement ») : ● Pour la rentrée, sortez le spag ! Repas pour 4 à emporter. (Publicité) [= spaghetti.] ● M’enfin ! Comment veux-tu que je travaille ? (Gaston Lagaffe) [= Mais] Il arrive qu’on amalgame deux mots tronqués : ● Un policier à Achille Talon : Permis de conduire ! Liste des condamnations antérieures ! Certificat de votre opticien ! Cardentité ! (Greg) [= Carte d’identité] [Contrairement au mot-valise*, il n’y a pas de contenu nouveau ici.] V. Graphie fantaisiste.
3. Le verlan – Dans le métro y’a un charclo qui traîne. (MC Solaar) C’est en inversant les syllabes du mot clochard qu’un parolier a formé charclo.
280 ▲ Jeux verbaux et créations verbales
Le verlan consiste à inverser les syllabes d’un mot, à les prononcer à l’envers, pour créer une forme nouvelle : – Ça peut chémar. [= marcher] – Tous les matins, après son féca, il prenait le tromé. [= café… métro] Le mot verlan (qui s’est déjà écrit verlen) est lui-même le résultat du renversement des syllabes de (à) l’envers.
Précisions L’inversion syllabique s’applique habituellement à des mots d’une ou deux syllabes : ● Son pinco ne porte rien d’autre que des sketbas. [= copain… basktets] ● Laisse béton, t’es pas chébran. [= tomber… branché] (Titre) On l’applique aussi à des mots de trois syllabes (ex. rigoler donne goleri) ou à des groupes de mots brefs (ex. malva vient de va mal, soirce est issu de ce soir et zyva provient de vas-y). L’inversion de syllabes peut s’accompagner de modifications orthographiques. Par exemple, relou est la modification de lourd, meuf, celle de femme et reum, celle de mère. En général, la forme en verlan conserve le même sens que le mot à l’origine de la transformation. Mais ce n’est pas toujours le cas. Ainsi, chanmé, modification de méchant, signifie « incroyable » ou « vraiment bien ». Laurent Raval et Thierry Leguay rappellent que le verlan est en constante évolution. Ainsi, les jeunes auraient déjà abandonné le mot chébran (= branché) et auraient remplacé zarbi (= bizarre) et zicmu (= musique) par les formes abrégées zarb et zic. En fait, le verlan obéit à de nombreuses règles de formation que nous taisons ici.
4. La graphie fantaisiste Syn. La fantaisie orthographique. La cacographie – Je n’ai plus très envie D’écrire des pohésies. (B. Vian) Pour parodier un genre dont il préfère se démarquer, l’auteur s’est amusé à modifier la graphie du mot poésie. La graphie fantaisiste est la modification délibérée de l’orthographe d’usage d’un mot, sans qu’il y ait création d’un contenu nouveau : – La ffine efflorescence de la cuisine ffrançouèse. (R. Queneau) – Achille Talon : Dans moins de quinze jours, j’enlève la coupe ! Entraînement intensif et nonnestoppe jusque-là. (Greg) Graphie vient du mot grec graphein qui veut dire « écrire ». Dans orthographe l’élément ortho- signifie « correct » ; dans cacographie, l’élément caco- signifie « mauvais ».
Créations de formes et de sens ▼ 281
Précisions Ou bien les modifications orthographiques paraissent gratuites, ou bien elles sont motivées. Dans le premier cas, elles reposent sur la fantaisie de celui ou celle qui applique une graphie altérée. Tantôt celle-ci n’a pas d’impact sur la prononciation de mots français (ex. vautre, phorçat, phynance, brou ah ah), tantôt elle rejaillit sur la prononciation (ex. le feu d’artipices ou je tremple d’Eugène Ionesco). Dans le second cas, les libertés prises avec l’orthographe sont dictées par le contexte ou la situation de communication.
Quels sont les motifs à l’origine des graphies fantaisistes ? On veut que la graphie de certains mots reflète le contenu du message ou qu’elle vienne le contredire : ● L’ereure est humaine. (Titre) ● […] mais les looongues, looooongues et ennuyantes descriptions de vêtements […] (R. Soulières) ● Petite annonce fictive : Étudiante donnerait cours d’hortographe et de gramaire. On veut diminuer l’écart entre la graphie et la prononciation : E n réduisant l’anomalie consistant à employer plusieurs lettres pour un seul son : ● Si par malheur ou par nécessité, le pôvre, le pôvre lecteur s’inflige le supplice de se rendre jusqu’au bout, il risque de ne pas s’en remettre avant longtemps. (C. Morency) En reflétant la chute d’au moins un son ou d’une syllabe : ● Est-ce qu’on entrave vraiment kouak ce soit à kouak ce soit ? (R. Queneau) ● Nous accourons près d’elle et lui souhaitons la bienvenue de l’air des écolières sages : « jour, Mmmselle !… Zallez bien, Mmmselle ? » (Willy et Colette Willy) E n reflétant l’addition ou la substitution d’un son, en particulier la réalisation d’une liaison, bonne ou fautive : ● Il est préférable que j’y souasse allé. (R. Queneau) ● Popa : J’pense que je sus t’en train de perdre la mémoire […] (C. Meunier) E n mettant en relief une ou plusieurs syllabes qui, à l’oral, recevraient un accent d’intensité affectif : – Par étirement d’une voyelle ou d’une consonne : ● Alors, elle se leva, les mains jointes, les yeux au ciel, elle cria d’une voix stridente : « Qu’il est bête ! Qu’il est bê-ête ! » (M. Pagnol)
282 ▲ Jeux verbaux et créations verbales
● Le présentateur du cirque Vargas : Obserrrvez le plus grrrand silence :
le numérro de la rrroue de la morrrt. – Par détachement des syllabes d’un mot : ● Un chimiste : Ri-gou-reu-se-ment impossibles, les accidents [nucléaires]. (« Achille Talon ») En reflétant l’absence de pauses entre les mots à l’oral ● Doukipudonctan ? (R. Queneau) E n reproduisant la prononciation du registre populaire ou très familier : ● […] peut-être [que] j’aurais été un dentisse (Sol) ● Quand j’y ai dit ça, a parti à rire ((Titre) E n imitant un parler, ancien ou actuel, d’un français régional : ● Bou Diou que mostre ! (M. Pagnol) [= Bon Dieu quel monstre !] n imitant un accent étranger, le fait de désonoriser certaines consonnes, E par exemple : ● Fou me plaissez peaucoup Madmaselle. (Cité par J.-J. Robrieux) E n francisant la graphie de termes étrangers, cette modification reflétant une prononciation parfois approximative : ● Virgule : Ce n’était rien, un ambassadeur, pour un coquetaile… (Greg) [= cocktail] ● Ce type de ballon sert à jouer au soqquaire* ou au foot, je ne me rappelle plus. * Plus tard, on écrira soccer ! (R. Soulières) On veut imiter des particularités d’élocution individuelles : U ne particularité passagère, le rhume ou la diction imparfaite due à l’absence de dentier, par exemple : ● Je suis enrhubé du cerveau. (É. Augier) ● La belle-mère : Où est mon denfier ? J’étais fûre de l’avoir laifé ici ! (Bande dessinée) U ne particularité permanente, entre autres choses le zézaiement : ● Moi, ze ne bouze pas ● Sur ma langue, z’ai un chat. (R. de Obaldia) On veut reproduire ou imiter une orthographe archaïque (ex. celuy, doncque) : ● – T’en souvient-il, Sainte Catheryne, comme c’estoit bon de fayre pypy quans on avait bien envye ? – Hélas ouy, Sainte Margueryte. (C. Bretécher) On veut reproduire une prononciation ancienne, encore en usage dans le registre familier d’un français régional : ● On veut pas le saouère, on veut le ouère ! (Y. Deschamps) [= savoir (…) voir]
Créations de formes et de sens ▼ 283
On veut rappeler l’origine ou la formation de certains mots :
● Le bon jour la compagnie […] Au re-voir. (V. Tremblay)
Note. Les textos (ou SMS) exploitent abondamment l’ortograf fonétik. V. Amalgame graphique. Barbarisme de forme. Fausse anagramme.
5. L’amalgame graphique Syn. L’orthographe phonétique – Il y a aussi le jeu de Quine Riskquerien Narien qui ressemble à ça… (R. Soulières) Habituellement, à l’écrit tous les mots sont séparés par des blancs, mais ici l’auteur a choisi de supprimer les espaces entre certains d’entre eux tout en prenant des libertés avec l’orthographe. L’amalgame graphique consiste à combiner les lettres formant une portion de phrase, voire toute une phrase, pour écrire comme on prononce, sans que la fidélité soit toujours parfaite : – Publicité d’une eau minérale gazeuse : Badoit : l’okipikunpeu [= l’eau qui pique un peu] – Épui sisaférir, tan mye : jécripa pour anmiélé lmond. (R. Queneau) [= Et puis si ça fait rire, tant mieux ; j’écris pas pour « emmieller » le monde.] Bref, comme l’ont écrit certains, on a affaire ici à desmotscollésensemble.
Précisions Parmi les mots amalgamés, certains conservent l’orghographe d’usage, mais la plupart revêtent des graphies fantaisistes* : ● Envouatauassa danlgosier ! (R. Queneau) ● Graphies qu’a employées Greg, le créateur d’Achille Talon : Jveukonlvire. Paricijeuvouprie. Veupalsavoirauboulot ! Parfois, dans le même contexte, des graphies fantaisistes amalgamées en côtoient d’autres qui ne le sont pas : ● Moi j’mégris du bout des douas Seskilya dplus distinglé (R. Queneau) Certaines juxtapositions graphiques reflètent les liaisons permises ou fautives : ● Je m’en vaiszala guerre, qu’il m’annonce. Je parzau combat !… (Céline) ● Achille Talon : […] c’est talavietalamort. (Greg) Visuellement, l’amalgame graphique va plus loin encore que la typographie intensive* à l’aide de traits d’union, laquelle, par ailleurs, respecte toujours l’orthographe d’usage comme le montre l’exemple suivant : ● Sous son gros-nuage-gris-qui-pleut-sur-lui-tout-seul, on le retrouve donc dans le rôle du criminel en fuite qui attend sa blonde… (S. Cormier) V. Graphie fantaisiste.
284 ▲ Jeux verbaux et créations verbales
CRÉATIONS DE SENS ET CHANGEMENTS DE FONCTIONS
1. L’extension de sens – Un malfaiteur, affligé du hoquet : Oh oui alors, que je me rends ! Hic ! Vous en trouverez peu qui se rendent comme moi ! Pour le rendement, je suis imbattable ! (Greg) Ici, rendement, au lieu de reddition, acquiert un nouveau sens : « se livrer » à la police. L’extension de sens, c’est l’attribution délibérée à un mot ou à une tournure d’une signification nouvelle qu’aucun dictionnaire de la langue française ne mentionne : – L’origine des courses de chevaux remonte à des temps immémoriaux, c’està-dire aux temps où la mémoire n’existait même pas. – A qui peut-on comparer un homme heureux ? À un eunuque qu’on vient de rembourser ! (F. Dard) [Il faut se rappeler qu’un eunuque a subi l’ablation des testicules et que les bourses désignent l’enveloppe des testicules pour saisir que ce n’est pas de l’argent qu’on lui a rendu.]
Précisions De fait, les sens imagés issus, entre autres, de métaphores*, de métonymies* et de synecdoques*, sont des extension de sens : ● Elle bégaya quelques pas sur le sable. (R. Queneau) ● Lefuneste : Talon, je vous trouve un culot stratosphérique ! (Greg) La publicité affectionne le procédé : ● Économisez avec nos combines bon marché. Combinez 2 ou 3 services et économisez… [Acquérant le sens de « combinaison », les combines dont il est question n’ont rien de malhonnêtes.] ● Les produits Cordon Bleu : les délicieux dépanneurs. [Les dépanneurs correspondent ici à des aliments qui « tirent d’embarras ».] V. Définition fantaisiste. Prise au pied de la lettre. Régionalisme de sens.
Créations de formes et de sens ▼ 285
2. Le détournement de sigle ou d’acronyme – Je suis toujours le même fou du roi que tu connais, un imbécile heureux, un VIP, un Véritable Idiot Professionnel. (P. Foglia) Dans le sens courant de « personnalité de marque », VIP (ou V. I. P.) est un sigle emprunté à l’anglais, tiré de Very Important Person. Ici le chroniqueur lui fait dire autre chose. Le détournement de sigle ou d’acronyme consiste à attribuer aux lettres qui le composent d’autres valeurs que celles qu’elles ont d’ordinaire : – PC ça veut dire… Petit Con ! (A. Roumanoff) [Sens habituel : « Personal Computer »] – C.A. Comptable agréable, qui travaille contre le fisc. (C. Falardeau) [Sens habituel : « Comptable agréé ».] – Le chien sera vite propre à la maison, gentil avec les enfants ou les grandsmères… Bref, BCBG (Bon chien bonne gueule) [(F. Lubrina) [Sens habituel : « Bon chic bon genre ».]
Précisions Le sigle ou l’acronyme peut être l’objet de plusieurs détournements ● HLM : [= Habitation à loyer modéré]
– Hauteur Laide et Morose. (Raval et Leguay) – Habitations latines mélangées. (Goscinny et Uderzo) – Habitation Loin d’être Magnifique (B. Coppens) ● OVNI : [= Objet volant non identifié] – Objet voué à nous importuner. (Raval et Leguay) – Objets vivants non identifiés (Ceux trouvés à la Société protectrice des animaux). – Organisme Venu de la Nuit Infinie. (B. Coppens) Bruno Coppens propose de définir des mots courants au moyen d’acronymes détournés ; le mot poubelle, par exemple : ● OVNI : Odeur Vachement Nauséabonde et Infecte. V. Détournement de mot. Siglaison et acronymie.
286 ▲ Jeux verbaux et créations verbales
3. Le détournement de mot – AVION : Aile Volante Imitant l’Oiseau Naturel. (Raval et Leguay) Les auteurs définissent avion comme s’il s’agissait d’un acronyme, comme si avion avait été formé par les lettres initiales des cinq mots tenant lieu de définition. Le détournement de mot est la déconstruction d’un mot lettre par lettre, comme si c’était un acronyme : – SIX : Société Internationale des Xénophobes. On trouverait vite des membres ! (C. Falardeau) – FLIC : Fédération liégeoise des imbéciles casqués. Le mot détourné acquiert souvent une valeur dépréciative.
V. Détournement de sigle ou d’acronyme. Siglaison et acronymie.
4. Le transfert de classe Syn. Translation. Dérivation impropre – Machos, les plongeurs ; et imprudents rare ! (Presse) [= très imprudents] Habituellement, le mot rare est un adjectif qui complète un nom. Or ici, comme il complète un autre adjectif, il exerce la fonction d’un adverbe. C’est dire que rare a quitté sa classe habituelle et n’exerce plus la même fonction. Appelons transfert de classe l’opération qui change la classe grammaticale et la fonction d’un mot ou d’une séquence, en général sans en affecter la forme : – Promotion d’un véhicule utilitaire : Avoir un VUS qui provoque des Oooh ! À un prix qui provoque des Hein ! ?, t’es rendu là.
Précisions Les transferts se font par par nominalisation, adjectivation, « adverbialisation » et « verbalisation » a nominalisation consiste à faire en sorte qu’un mot ou une suite de mots L fonctionne comme un nom. Pour ce faire, on les fait précéder d’un déterminant (article, démonstratif, possessif, etc.) : ● Mettez du Youp-là avec Miracle Whip. (Publicité) ● Personne n’aime une « je-sais-tout », jeune fille. (La Déveine) ● Le petit écran nous fabrique un monde du « Coucou, me voilà ! » (Presse) L’adjectivation consiste à faire fonctionner comme un adjectif un mot d’une autre classe ou un groupe de mots. Ceux-ci viennent alors qualifier un nom :
Créations de formes et de sens ▼ 287
● Danessa, une mousse tellement chocolat. (Publicité) ● Petits gâteaux miam-miam amusants ! (Publicité) ● Nul besoin de s’étendre sur le fait que ce rythme de vente est plutôt
WOW. (Presse)
A ppelons « adverbialisation » le fait de donner le rôle d’un adverbe à un élément d’une autre classe. L’élément le plus souvent adverbialisé est l’adjectif, qui complète alors un verbe ou un autre adjectif : ● Diététique du cerveau : mangez intelligent. (Titre) ● Talon père : Remarquez, je résume : le type, ici, écrit plus compliqué. (Greg) N ommons « verbalisation » le cas où un mot en vient à fonctionner comme un verbe, sans que sa forme en soit affectée : ● Je crois que j’ai eurêka la solution. [Le français a emprunté le mot grec eurêka « j’ai trouvé » pour en faire une interjection.] Souvent, on remplace le déterminant qui devrait précéder un nom par le pronom je ou le pronom il : ● Il tend sa paluche pour que je la lui condoléance. (San Antonio) ● Quand il joue / l’enfant joue-t-il ? / et le poète / quand il poème ? (J.-D. Chéné) Tout transfert, telle l’adverbialisation suivante, peut appuyer un autre procédé : une dérivation explicite*, par exemple : ● Chiffon J. Parce qu’un linge propre essuie propre. (Publicité) Note. La création de mots par dérivation* produit souvent des changements de classes grammaticales.
Chapitre 15
Mots, formes et sens jugés fautifs
« Fautes » voulues touchant la prononciation ou la graphie On fait des additions ou des substitutions fautives de sons entre les mots : le pataquès On recourt à une forme sonore ou graphique issue d’un français régional : le régionalisme de forme
« Fautes » voulues concernant le vocabulaire On recourt à un mot sorti de l’usage : l’archaïsme lexical On recourt à un mot ou à une locution d’origine étrangère : L’élément emprunté vient d’une langue vivante : le pérégrinisme L’élément emprunté vient du latin : le latinisme On recourt à un mot d’un français régional : le régionalisme de mot On recourt à une expression d’un français régional : le régionalisme de locution On déforme délibérément un mot du français général : le barbarisme de forme On emploie une appellation inattendue, connue ou créée pour la circonstance : la dénomination fantaisiste
« Fautes » voulues concernant la grammaire On enfreint délibérément certaines règles actuelles du français : la grammaire fantaisiste On revient à des tours appartenant à un usage ancien du français : l’archaïsme grammatical On copie la grammaire d’une langue étrangère ou on feint d’en appliquer les règles : la traduction fantaisiste
290 ▲ Jeux verbaux et créations verbales
Sens ignorés de la plupart des francophones et définitions nouvelles On recourt à un sens confiné à une variété régionale du français : le régionalisme de sens On propose une définition qui s’écarte de celles des dictionnaires d’usage : la définition fantaisiste
Étymologies fausses ou tombées dans l’oubli On invente une étymologie : l’étymologie fantaisiste On fait remonter à la surface le sens originel d’un mot : l’étymologie réveillée
Mots, formes et sens jugés fautifs ▼ 291
« FAUTES » VOULUES TOUCHANT LA PRONONCIATION OU LA GRAPHIE
1. Le pataquès – […] c’est sain-z-et sauf que le maire rejoignit ses invités. (R. Queneau) L’auteur a transcrit une mauvaise liaison entre deux mots, une liaison « malt-à propos ». Dans notre optique, le pataquès est une liaison sonore fautive intentionnelle entre deux mots : – Je suis-t-allé-z-hier chez quatre-z-amis. En gros, pataquès serait l’imitation ironique de Je ne sais pas-t-à qu’est-ce.
Précisions On simule ce type de faute au moyen d’une addition ou d’une substitution de sons que l’on reproduit à l’écrit de diverses façons : O n fait une liaison là où elle devrait être absente, en particulier pour éviter un hiatus, c’est-à-dire la rencontre de deux voyelles : ● Je me suis attachée peu-z-à peu à elle. ● Ça va-t-être une belle journée, c’est sûr. O n remplace une liaison correcte par une liaison fautive : ● Ces questions sont trop-z-importantes. ● Popa : J’pense que je sus t’en train de perdre la mémoire. (C. Meunier) I l arrive qu’on mime ces mauvaises liaisons sonores au moyen de graphies fantaisistes* : ● La plume a couru zen petits traits noirs. (R. Queneau) ● Lorsque j’y ai zété. / Pour la première fois. / C’était en février. / Mais il faisait pas froid. (B. Vian) u encore on se plaît à les commenter : O ● Il avait un drôle de nez et des drôles de-z-yeux. (J’ai toujours superposé l’euphonie à la grammaire.) (A. Allais) ● J’ai un ami qui était tépris, on fait la liaison, qui était épris, si vous préférez, de musique. (Coluche)
292 ▲ Jeux verbaux et créations verbales
2. Le régionalisme de forme – Mais au secteur public ? Bof, on s’en fout, au yâble la dépense ! (R. Martineau) Un chroniqueur québécois emploie la forme archaïsante (et très familière) yâble au lieu de la forme correcte diable. Le régionalisme de forme est la réalisation orale ou écrite d’un mot, employée dans une région de la francophonie et inconnue de ceux vivant dans une autre région : – Le Québécois ne manque pas son coup : y se casse la yeule. (B. Diouf) [= la gueule] – Seuls les produits Labatt vous offrent le plaisir inégalé d’ouvrir votre bouteille de bière sans problème, et sans ayoye. (Publicité) [= aïe ou ouille]
Précisions De notre point de vue, ce type d’emprunt n’est pas le fruit de l’ignorance, mais correspond à un choix pour produire un effet bien précis : ● Lorsqu’il fait frette et que le tuyau pète… vite, j’appelle Qualinet ! (Publicité) [Évidemment, frette (= froid) a l’avantage de rimer avec pète et Qualinet, le nom de l’entreprise.] La présence d’une forme régionale permet de mélanger deux registres de langue, en général un registre valorisé socialement par opposition à un autre qui ne l’est pas : ● Un appartement à Paris oubedon un condo à Montréal ? (R. Elkouri) [La forme du parler populaire québécois oubedon (qui équivaut à ou bien) surprend chez une journaliste d’un grand quotidien.] Toute forme régionale peut dépayser un francophone habitué à la fois au français général et à celui de sa propre région : ● Entéka… ce n’est pas au Québec que ça t’arriverait ça, mon Nicolas. [= En tout cas] Malgré tout, habituellement la forme moins répandue n’oblitère pas celle connue de tous : ● Ma vie amoureuse de marde (Titre) [= merde] V. Régionalisme de mot [de locution, de sens]. Mélange de registres. Graphie fantaisiste. Archaïsme lexical.
Mots, formes et sens jugés fautifs ▼ 293
« FAUTES » VOULUES CONCERNANT LE VOCABULAIRE
1. L’archaïsme lexical – Chambly contourna donc la château par la dextre […] (R. Soulières) Le mot dextre n’est plus employé ; aujourd’hui on utilise plutôt droite. Comme cette phrase est tirée d’un roman jeunesse dont l’intrigue se déroule au MoyenÂge, il est naturel que l’auteur y emploie çà et là des mots désuets. L’archaïsme lexical est le mot ancien qu’on préfère employer à la place d’un mot du français actuel : – Dans ce cas, allons nous coucher ma mie, il se fait tard. (R. Soulières) [= mon amour] Archaïsme vient d’un mot grec qui signifie « ancien » ou « originel ».
Précisions Dans les dictionnaires d’usage, tout mot archaïque est signalé comme tel. Ainsi, le Robert fait précéder la définition du verbe occire (qui signifie « tuer ») de la mention vx (= vieux) : ● Mais pourquoi qu’t’as occis le mataf ? (J. Genet) Le héros de Greg, Achille Talon, raffole de ces vieux mots : ● À un garde-barrière : Si je n’avais pas freiné en ouïssant ce « tuut », j’eus été laminé, moi, danger public ! [Aujourd’hui, on emploie entendre au lieu du ouïr.] ● Pourquoi parlé-je de rêver derechef ? Fatale obsession. [derechef a cédé la place aux périphrases une seconde fois, encore une fois.] Sans être déjà des archaïsmes, certains mots en perte de vitesse sont considérés comme vieillis : ● Je ne pense qu’à cela, moi itou, répondit le chevalier en jetant un coup d’œil à une étagère […] (R. Soulières) [itou = aussi ou également.] Évidemment, il n’y a pas d’archaïsme lorsqu’un mot ancien désigne une réalité d’autrefois : ● — Que veux-tu, manant ? Comment oses-tu frapper à ma porte si tôt les matines. — Sire, soyez indulgent. […] — Allez, encouragez-moi, messire. En espèces sonnantes et trébuchantes […] (R. Soulières)
294 ▲ Jeux verbaux et créations verbales
À noter qu’un mot considéré aujourd’hui comme un archaïsme (ou un terme vieilli) ne l’était pas chez l’auteur d’un texte du xviie siècle, par exemple. Ainsi quand La Fontaine parle d’un chat « faisant la chattemite », au sens de « qui affecte des manières douces et modestes pour tromper son entourage », l’expression était courante alors. En revanche, il y a bel et bien archaïsme lorsqu’un auteur d’aujourd’hui recourt à un mot ancien pour désigner une réalité actuelle. V. Archaïsme grammatical.
2. Le pérégrinisme Syn. Le xénisme – Ils sont crazy, ces Français ! […] À Montréal, des irréductibles continuent de se battre pour le français. À Paris, ils ont déjà capitulé. The guerre is over, mes friends. (S. Durocher) En parsemant son propos de mots anglais, une chroniqueuse québécoise se moque de l’engouement des Parisiens pour l’anglo-américain. Contrairement à bien d’autres, ces mots anglais n’ont pas (encore) trouvé une place dans les dictionnaires français. Dans notre optique, le pérégrinisme est le mot ou la tournure qui provient d’une langue étrangère et que le français n’a pas assimilé : – Il avait eu beau chercher partout, rien, niet, nothing, nada, comme on dit dans les dictionnaires pour touristes. (R. Soulières) Souvent l’appellation pérégrinisme renvoie au mot désignant une réalité propre à la culture d’origine et considéré comme intraduisible dans notre langue, comme l’ont été ranch et cow-boy, jazz et rock and roll, pour ne mentionner que ceux-là. Pérégrinisme est la forme francisée d’un terme latin qui signifie « de l’étranger ». Dans xénisme, l’élément d’origine grecque xen- veut dire « étranger ».
Précisions Tantôt le pérégrinisme dénote le snobisme, tantôt il répond à la production d’un effet précis. Aussi ne faut-il pas s’étonner que le slogan d’un spectacle qualifié de « franglais » mélange ces deux langues : ● Promotion du one man show de l’humoriste québécois Sugar Sammy : You’re gonna rire : le show franglais [Traduction : Vous allez rire. À noter que show et one man show, eux, ont leur place dans le lexique français.] Par contre le pérégrinisme peut refléter un parti pris : la préférence pour le terme étranger même quand les circonstances ne l’exigent pas : ● Yeah, pis pas d’main sur le volant, j’le laisse tourner su l’side… (Dead Obies)
Mots, formes et sens jugés fautifs ▼ 295
[À l’évidence, ce groupe de rap aurait pu employer Ouais et sur le côté.] Certains optent pour un compromis : mis en italique, le mot étranger est accompagné de sa traduction : ● J’hésite à conclure qu’il s’est comporté comme un lone wolf, un loup solitaire, ou un loose cannon, un électron libre, susceptible de tirer sur ses propres matelots. (J.J. Samson) Attention : dans la phrase suivante, seul too much est un pérégrinisme. Tous les autres mots d’origine anglaise ont fini par se tailler une place au sein du français : ● Monsieur Dupont-Durand était effondré. Il n’en croyait pas ses oreilles. Certes, il avait fini par s’habituer sans problème au chewing-gum des GI’s libérateurs, ceux-là même qui dansaient le be-bop le week-end dans les dancing, mais là, ça devenait too much. (J.-L. Chiflet) V. Latinisme. Charabia. Jargon. Traduction fantaisiste. Régionalisme de mot.
3. Le latinisme – Il nous arrive, toutes les trois cent quarante-huit semaines environ, de nous poser l’angoissante question : serai-je génialement drôle une fois de plus cette semaine ? Et quousque tandem ? (Greg) Au lieu de terminer simplement par jusqu’à quand, Achille Talon opte pour une tournure latine, les premiers mots des « Catilinaires » de Cicéron. Le latinisme est le mot ou la tournure qu’on puise dans le latin, cette langue « morte » à l’origine des langues romanes (français, espagnol, italien, portugais, etc.) : – Le milieu de la construction est possédé par un esprit malin ? La ministre va l’arroser d’eau bénite et tout va rentrer dans l’ordre. « Vade retro satanas ! » [= Arrière, Satan !] (R. Martineau)
Précisions Certains latinismes sont consignés dans les dictionnaires d’usage français, tel illico qui signifie « sur-le-champ » : ● […] Alors, je vais cesser illico d’être désagréable, alors vas-y je t’écoute religieusement. (R. Soulières) À côté des latinismes véritables, on rencontre les imitations que sont les faux latinismes : ● Achille Talon : […] l’homo dessinatans mérite qu’on médite un instant sur son cas. (Greg) [L’homo dessinatans, littéralement l’homme qui dessine, réfère ici à l’auteur de bandes dessinées.]
296 ▲ Jeux verbaux et créations verbales
Dans Le Diconoclaste, Jean-Loup Chiflet parle d’un ecclésiastique lexicologue qui a élaboré un dictionnaire de latin moderne dont voici un aperçu. À remarquer le mélange de termes véritablement latins et de mots français latinisés, ce qu’on peut qualifier de latin de cuisine : ● Cafeinum ablatum [Caféine enlevée] : un décaféiné. ● Fabula americanae occidentalis [Récit américain de l’Ouest] : un western. ● Orbis lasericus [Disque laser] : un CD. V. Pérégrinisme. Charabia. Jargon.
4. Le régionalisme de mot – Pas question de permettre la vente de vulgaires roteux. (R. Martineau) Pour désigner des hotdogs, le mot roteux (dérivé de rot) n’est attesté que dans le langage très familier québécois. Le régionalisme de mot est celui qu’on utilise dans une région particulière de la francophonie, mot parfois difficilement compris par les auditeurs ou les lecteurs d’une autre région : – Le Québécois ne s’étend pas : y s’évache ; ce n’est pas un expert : c’t’une bolle. (B. Diouf)
Précisions Quand apparaît un régionalisme de mot, ce qui surprend, c’est le mot en entier et pas seulement sa forme (orale et écrite) ou son sens : ● Une fois le diable parti, tout le monde retournera à ses affaires, le temps que les crosseurs raffinent leurs méthodes et préparent leur retour. (R. Martineau) [Au niveau familier, le mot québécois crosseur sert à désigner les gens malhonnêtes ou profiteurs.] Les régionalismes de mot sont généralement absents des dictionnaires d’usage. Sinon, ils sont signalés comme tels. Ainsi, Le Robert relève le verbe escagasser, mentionnant qu’il est employé surtout en Provence, au Languedoc et au Sud-Ouest. Greg l’utilise dans le sens de « blessés » : ● Un truand : Cela dit, il est peut-être de votre devoir d’aller secourir ces aéronautes qui pourraient bien être légèrement escagassés… Terminons par une remarque qui, valant pour le Québec, vaut aussi pour les locuteurs des autres régions de la francophonie. D’une part, tout mot d’origine québécoise dépayse les non-Québécois ; d’autre part, comme le québécisme fait habituellement partie du registre très familier ou populaire, voire vulgaire, dans certaines situations, cet écart de registre a de quoi étonner même le public québécois. V. Régionalisme de forme [du locution, de sens] Registre inadéquat. Archaïsme de mot.
Mots, formes et sens jugés fautifs ▼ 297
5. Le régionalisme de locution – Dominic Paquet. Rien qu’s’une gosse ! (Titre d’un spectacle) La gosse dont il est question ici n’est pas une enfant. C’est que, dans le registre populaire québécois, gosses désignent les testicules et l’expression imagée rien que sur une gosse signifie « sans préparation, à toute vitesse ». Le régionalisme de locution est l’expression employée dans une région de la francophonie et non dans les autres : – Le Québécois n’est pas infidèle, y saute la clôture ; il ne s’enivre pas, y prend une brosse. (B. Diouf)
Précisions Toute locution régionale peut revêtir une prononciation et une graphie confinées à cette région ● Le plus triste est que ces faces de beus ne sont même pas conscients de leur attitude d’enterrement. (Presse) [Au Québec, la face de beu (= bœuf) correspond en gros à la face de carême.] S’il a trouvé une place dans un dictionnaire du français général, le régionalisme de locution est identifié comme tel. Aussi le Robert fait-il précéder la locution en titi (dans le sens de « beaucoup ») de la mention « Régionalisme (Canada) Familier » : ● IGA Boniprix vous simplifie la vie en titi. (Publicité) (Probable que vous avez remarqué également l’assonance* en [i].) V. Régionalisme de mot [de forme, de sens].
6. Le barbarisme de forme – Quand j’ai appris la mauvaise nouvelle, ça m’a dromatisé. Dromatisé est une altération involontaire de traumatisé due à l’ignorance. Toutefois, pour amuser son public, on peut faire pareille faute en toute connaissance de cause. De notre point de vue, le barbarisme de forme est la déformation ou la déconstruction délibérée d’un mot existant : – […] un début d’infractus, oui, oui ça se prononce mieux qu’infarctus. (M. Beaulieu) – Moman : C’est une grippe tropicale que vous avez ? Belle-moman : Pas trop… picale, non. (C. Meunier) Le recours à une forme fautive se fait souvent dans le but d’imiter quelqu’un pour s’en moquer : – Marotte : Dame ! Je n’entends point le latin, et je n’ai pas appris, comme vous, la filofie dans le grand Cyre. (Molière)
298 ▲ Jeux verbaux et créations verbales
Le célèbre dramaturge ridiculise ici un personnage qui, sans le vouloir, altère le mot philosophie et le titre Grand Cyrus, roman de Madeleine de Scudéry. Barbarisme vient d’un mot latin dérivé de barbarus, au sens propre d’« étranger » (c’est-à dire qui n’est ni Romain ni Grec) et au sens figuré d’« inculte » pour qualifier un usage incorrect de la langue.
Précisions À l’aide de perles relevées çà et là, voyons comment un auteur pourrait s’amuser à reproduire ou à créer des barbarismes. Il pourrait déformer un mot français : P ar la substitution d’une lettre ou d’un suffixe : ● Je vous jure que mon médecin m’a parlé de douleurs interpostales. [= intercostales] ● Les soldats se cachaient pour éviter l’éclatation des obus. [= éclatement] P ar l’addition d’au moins une lettre : ● C’est dans les testicules que se développent les supermatozoïdes. [= spermatozoïdes] P ar l’interversion de lettres en contact ou à distance dans un mot donné : ● Elle avait en horreur les guernouilles. [= grenouilles] ● As-tu vu mes blouques d’oreille ? [= boucles] P ar l’amalgame de mots (l’un d’eux ayant perdu une syllabe), sans qu’il y ait création d’un contenu nouveau : ● Je veux une tartine de barachide. [= beurre d’arachides] P ar la conservation, au singulier, de la liaison présente au pluriel : ● Regarde le zoizeau bleu. (Le [z] s’entend dans les oiseaux.) En fait, il existe beaucoup d’autres causes de déformations. En voici une autre : ● Lu dans la vitrine d’un petit restaurant : « Nous délivraisons gratuitement » [= livrons] [Délivraisons est un croisement du mot livraison et du mot anglais delivery.] Un auteur pourrait aussi déconstruire un mot français : il s’arrangerait alors pour qu’on confonde la composante d’un mot avec un mot : ● Leur performance magistrale a été la pothéose du festival. [= l’apothéose] ● Où sont mes dicaments ? [= médicaments] Note. Qu’elle soit voulue ou accidentelle, la paronymie implicite* remplace un mot par un autre bien français. V. Graphie fantaisiste. Néologisme.
Mots, formes et sens jugés fautifs ▼ 299
7. La dénomination fantaisiste Syn. L’appellation fantaisiste – Vous savez comment on appelle l’endroit dans une Mini-Austin où on met ses papiers, un paquet de cigarettes, une paire de gants et un mouchoir ? Le coffre. (Coluche) La définition donnée ici correspond à ce qu’on appelle la boîte à gants. Or l’humoriste propose ironiquement la dénomination coffre qui, on le sait, désigne un espace de rangement beaucoup plus grand. La dénomination fantaisiste est « la désignation d’une chose ou d’une personne par un nom » qui ne convient pas : – Maman, ce n’est pas un pet, c’est une respiration de fesses. (Un enfant) – Il y a des moments où l’on ne peut s’empêcher de faire des bêtises : cela s’appelle l’enthousiasme. (H. Meilhac) Dénomination et définition fonctionnent ensemble : – Empêcher les autres de parler, c’est ce qu’on appelle l’éloquence. (A. Capus) [définition] [dénomination]
Précisions La dénomination fantaisiste peut revêtir une forme nouvelle (un néologisme*) ou endosser une forme connue. À certains moments, une dénomination nouvelle (parfois deux) accompagne une dénomination courante : ● Comparativement au « pied-à-terre français » qu’il serait plus juste d’appeler « orteil à terre » ou la cage à lapin japonaise, le condo montréalais apparaît certainement comme une aubaine. (R. Elkouri) À d’autres moments, seule apparaît la dénomination nouvelle : C elle qu’on applique à une réalité connue, habituellement désignée autrement : Par exemple, tous connaissent le beignet soufflé communément appelé pet-de nonne. Influencés par les synonymes de pet et de nonne, deux personnages de La Petite vie emploient d’autres appellations, inconnues jusque-là : ● Moman : […] des pets de sœurs. Popa : […] des flatulences de nonnes… des gaz de nonnes. (C. Meunier) C elle qui fournit un nom à une réalité qui n’en a pas : ● Nous avons aussi chez nous des vacanceux. Et on pourrait les définir ainsi : des personnes grossières et impolies qui se croient tout permis parce qu’elles jouissent de vacances annuelles. (J.-M. Paradis) elle qui désigne une réalité imaginaire : C ● Les semailles de la graine de nouille, c’est-à-dire les senouilles, représentent une opération extrêmement délicate. (P. Dac)
300 ▲ Jeux verbaux et créations verbales
Quand on recourt à une dénomination courante, celle-ci en accompagne une autre tout à fait inattendue : ● Un avare est un type qui vit sans dépasser ses revenus. On l’appelle aussi un magicien. (A. Herald) Ou on l’applique à une réalité qu’on a l’habitude de désigner autrement : ● Quand une idiote parle à l’oreille d’une imbécile, on peut dire qu’il s’agit d’un transfert de données. (C. Crown) V. Néologisme. Synonymie explicite. Définition fantaisiste.
« FAUTES » VOULUES CONCERNANT LA GRAMMAIRE
1. La grammaire fantaisiste – La candidate s’apprêtant à passer un oral d’examen : Je peux m’assir ? L’examinateur : Non, mais vous pouvez sorteoir. La jeune femme emploie involontairement une désinence verbale fautive. C’est pour se moquer d’elle que l’examinateur fait une faute au moyen d’une interversion de désinences. Adoptons la dénomination grammaire fantaisiste pour désigner toute faute de grammaire voulue : – J’alla, je passa, je cria, je monta. (R. Queneau) Par analogie avec la troisième personne du passé simple (il monta, par exemple), l’auteur a délaissé la désinence en -ai au profit de la désinence en -a.
Précisions Les possibilités de fautes de grammaire sont nombreuses, notamment celles touchant les pronoms : ● Tu m’aimes-tu ? (R. Desjardins) ● Bonsoir à tous et à tousses. (D. Lemire) Toutefois, limitons-nous à quelques jeux sur les formes verbales. L a création de formes inexistantes : – En remplaçant le radical d’un verbe à certains temps verbaux : ● Dès que les vents tourneront nous nous en allerons. (R. Séchan) [= nous nous en irons.] – En transformant une désinence verbale : ● L’annuaire a chu, je l’ai ramassu et regardu machinalement. (San Antonio) [chu est le participe passé du verbe choir. Par analogie et pour les besoins de l’assonance en [y], l’auteur a modifié les formes correctes ramassé et regardé.] – En intervertissant des désinences verbales :
Mots, formes et sens jugés fautifs ▼ 301
● Elle ne se foutit point de lui, il serva, on trinquit. (R. Queneau)
[se foutre n’ayant pas de passé simple, l’auteur lui en a imaginé un en -it. De là les autres désinences fautives : serva (au lieu de servit) et trinquit (au lieu de trinqua).]
L a création de faux passifs : ● — Tu n’as toujours pas été congédié ? — Non, j’ai été « démissionné » ! L ’utilisation du mauvais mode ou du mauvais auxiliaire (avoir vs être) : ● Si j’aurais su, j’aurais pas venu. (R. Queneau) ● Un industriel plus riche que cultivé arrive en retard : Je suis été à mon usine. Le ministre qui préside le dîner, ironise : Je m’en avais douté. [= était douté] V. Archaïsme grammatical. Graphie fantaisiste.
2. L’archaïsme grammatical – Lorsque nous nous vîmes, nous nous plûmes. Supplanté par le passé composé, le passé simple a un air vieillot, parfois comique. De nos jours, on dirait plutôt : Lorsque nous nous sommes vus, nous nous sommes plu. En gros, l’archaïsme grammatical est l’emploi délibéré d’une forme aujourd’hui sortie de l’usage habituel : – Achille Talon : Monsieur, je ne saurais souffrir que vous ne passassiez pas avant moi ! (Greg) – [Aujourd’hui, on utilise passiez au lieu de passassiez.]
Précisions Illustrons quelques cas : L e recours à une place ancienne attribuée à un mot : ● Achille Talon : Mes congratulations homériques et superfétatoires, ami cher ! (Greg) ● […] alors un peu de fromage pour trois écus, ce n’est pas cher payé. (R. Soulières) ● Achille Talon : Mais que vois-je ? Que réalise-je soudain ? (Greg) L e recours à une forme verbale tombée en désuétude, laquelle favorise la rencontre de sonorités auxquelles nous ne sommes plus habitués : – L’utilisation du conditionnel passé 2e forme (identique au subjonctif plus-que-parfait) au lieu du conditionnel passé 1re forme :
302 ▲ Jeux verbaux et créations verbales
● Achille Talon : Un effort n’eût pas nui. (Greg) [vs n’aurait pas nui]
– L’utilisation du passé simple (à la place du passé composé) :
● À de grands travailleurs bourguignons
Contre les maux qui compromettent vos picrates Vous soufrâtes. Mais, vignerons, quelle fatigue après ces rites Vous souffrîtes ! (L. Desnoues) [Évidemment, dans ce quatrain, vous avez soufré et vous avez souffert n’auraient pas permis les rimes.] – L’utilisation du subjonctif imparfait (au lieu du subjonctif présent) : ● Achille Talon : Il serait probable que vous ne vous en décrochassiez point la mâchoire. [vs décrochiez] L’emploi de formes désuètes favorise des rencontres cocasses de formes ou de sens : D es effets d’écho* : ● Mais quand vous me parlâtes, vous m’épatâtes !… (C. Gagnière) ● J’aurais souhaité que nous nous aimassions à Sion. (T. Leguay) D es évocations de mots de sonorité identique ou de sonorités rapprochées : ● Nos propres jugements, il ferait beau voir, monsieur le Président, que nous les cassassions ! [cassation] ● Merlin n’était qu’un simple mortel jusqu’à ce qu’enchanteur il devint. [devin] ● Quelle joie lorsque vous m’offrites ces pommes de terre ! [frites] ● Que la crevette était un insecte, vous le crûtes assez. [crustacé] es doubles-sens* : D ● Docteur, ma femme est clouée au lit, je souhaiterais que vous la vissiez. [La forme vissiez (à la place de voyiez) correspond à la fois au subjonctif imparfait du verbe voir et au subjonctif présent du verbe visser.] V. Archaïsme lexical. Grammaire fantaisiste.
3. La traduction fantaisiste – Testis unus, testis nullus : On ne va pas bien loin avec une seule couille. (P. Desproges) La traduction du vieil adage juridique latin correspond à Un témoin unique est un témoin sans valeur (mot à mot : Témoin unique, témoin nul). Ce qui justifie, jusqu’à un certain point, la traduction cocasse qu’en donne l’humoriste, c’est que, en plus du sens de « témoin », le mot testis réfère aussi aux testicules. Adoptons traduction fantaisiste pour désigner la reproduction voulue en français des habitudes langagières d’une autre langue, en particulier à l’aide de mauvaises traductions :
Mots, formes et sens jugés fautifs ▼ 303
– Une dame anglaise à un chauffeur de taxi : Êtes-vous fiancé ? Cette dame n’a pas voulu être indiscrète ; simplement, elle a oublié que, suivant le contexte, le mot anglais engaged signifie « occupé » ou « fiancé ». – Au resto anglais, un Français commande un biftek saignant : A bloody steak, please. En anglais, quand il est question de viande, ce sont les mots rare ou underdone qui conviennent.
Précisions Donnons un bref aperçu d’un domaine fort vaste, en commençant par l’imitation de certaines particularités d’une langue étrangère : L a confusion concernant le genre des noms : Par exemple, qui n’a pas été témoin de la difficulté qu’ont les anglophones à démêler le féminin et le masculin des noms français, distinction inexistante dans leur langue ? ● Excellent idée ! s’exclama un Anglais, qui maîtrisait bien la épée, mais un peu moins le langue français. (R. Soulières) a confusion liée au fonctionnement d’une préposition : L Certaines langues (ou certaines de leurs variétés) aiment bien faire fonctionner une préposition comme s’il s’agissait d’un adverbe (refoulé en fin de phrase et non suivi d’un complément) : ● Le gros Belge avec son cornet de frites et ses deux bières : Écoutez ceci : il y a quand même des choses qu’on sait pas rigoler avec, n’est-ce pas ? (« Achille Talon ») En pareil contexte, le français préfère déplacer avec et lui redonner sa fonction de préposition : il y a quand même des choses avec lesquelles on (ne) sait pas rigoler. L a confusion quant aux sens des mots : Voulant montrer qu’une anglophone peut se faire comprendre en français, un pseudo-bilingue l’invite à parler dans la langue de Molière au moyen d’une phrase en mauvais anglais : ● À son entourage : Elle parle un peu le français quand même […] À la jeune anglophone : You french a little bit. (C. Meunier) Pour traduire parler français, il a remplacé malencontreusement speak french par la forme tronquée de french-kiss qui signifie « embrasser avec la langue ». On pratique aussi la traduction littérale. Dans son livre intitulé Sky my husband ! Ciel mon mari ! Jean-Loup-Chiflet s’est plié au jeu des traductions mot à mot, qui reposent souvent sur la confusion des sens propres et figurés. En voici un spécimen : ● Appuyer sur le champignon (c’est-à-dire : sur l’accélérateur)
304 ▲ Jeux verbaux et créations verbales
To press on the mushroom (Traduction mot à mot) To accelerate [ou To speed up] (Bonnes traductions) Certaines traductions fautives résultent du passage de mots d’origine étrangère à des mots français qui leur ressemblent : ● Trespassers will be prosecuted. Les trépassés seront persécutés. (Traduction littérale) Les contrevenants seront poursuivis. (Bonne traduction) D’aucuns s’amusent à reproduire des perles glanées ça et là. Parmi d’autres, Claude Gagnière nous a offert des traductions du latin au français : ● Cesar cepit galliam summa diligentia (Phrase de départ) César s’empara très rapidement de la Gaule (Bonne traduction) César conquit la Gaule au sommet d’une diligence. César attrapa la gale en haut d’une diligence. Nombreux sont ceux à l’affut des traductions cocasses apparaissant sur des étiquettes de produits alimentaires : ● Polish Sausage traduit par Polissez la saucisse (au lieu de : Saucisse de Pologne). ● May contain nuts traduit par Peut contenir des écrous (au lieu de : Peut contenir des noix). ● Toffee bites traduit par Morsures de caramel (au lieu de : Bouchées de caramel). Certains, tel l’humoriste Daniel Lemire, imaginent des traductions allant d’une variété de français à une autre : ● C’est le boutte de la marde ! (Équivalent populaire québécois de C’est le comble !) ● C’est l’extrémité des excréments ! (Traduction fantaisiste qu’il attribue au français surveillé.) En plus des traductions littérales existent les traductions fictives (ou imaginaires), lesquelles font place à l’imagination, parfois débridée. Ainsi, on est frappé par la concision de l’ordre proféré en chinois et la longue traduction qu’en donne Tristan Bernard : ● Le général Hang-Hang leva bien haut son sabre bicuspide, et s’écria : — Hou-Tchi ! Ce qui voulait dire : « Sur le dix-huitième escadron du vingt-deuxième régiment, formez la masse ! » Quant à Pierre Desproges, il a beau s’inspirer de ressemblances formelles, les traductions cocasses qu’il nous propose ont de quoi étonner. En voici une : ● Chi va piano va sano. (Phrase italienne) Qui va lentement va sûrement. (Bonne traduction) Fais pas dans le piano, va aux toilettes ! V. Allographe. Traduction homophonique. Pérégrinisme.
Mots, formes et sens jugés fautifs ▼ 305
SENS IGNORÉS DE LA PLUPART DES FRANCOPHONES ET DÉFINITIONS NOUVELLES
1. Le régionalisme de sens – Au bout d’une heure, le brave type a commencé à vêler. Contrairement au français général où il a le sens de « mettre bas » (en parlant de la vache), dans certains coins du Québec, le verbe vêler signifie « être exténué » ou « être malade », de quoi étonner la plupart des francophones. Le régionalisme de sens correspond à un mot ou à une locution connus de tous les francophones mais employés dans un sens limité à un des français régionaux : – Le Québécois ne se trompe pas : Y se fourre. (B. Diouf) Dans ce type d’emprunt, ce n’est pas le mot ou la locution qui surprennent, ni leurs réalisations sonores ou graphiques, mais le sens qu’on leur attribue. De là la surprise du Major Thompson devant une appellation courante au Québec : – Toutefois, je déconseille à un compatriote de demander une paire de claques à un vendeur de chaussures sous prétexte qu’il a besoin de snowboots […] (P. Daninos)
V. Régionalisme de mot [de forme, de locution]. Extension de sens.
2. La définition fantaisiste – Un synonyme est un mot qui remplace celui qu’on ne sait pas épeler. Cette définition individuelle, donc subjective, tranche d’avec la définition collective, celle du dictionnaire, qui définit le mot synonyme comme celui qui « a sensiblement la même signification qu’un autre ». La définition fantaisiste est celle qu’on imagine pour attirer l’attention sur un aspect plaisant ou cocasse, lequel passe habituellement inaperçu : – Le porte-clés est une invention très pratique qui permet de perdre toutes ses clés d’un seul coup au lieu de les perdre une par une. – Le secret de ma bonne santé, c’est ma tempérance. Je n’ai bu d’alcool ni fumé le cigare avant l’âge de neuf ans. (W.C. Fields)
Précisions On redéfinit un mot existant ou on définit un mot qu’on vient de créer, c’està-dire un néologisme* : ● – Qu’est-ce que tu vas faire maintenant que tu es à la retraite ? – Chercheur ! Chercher mes lunettes, ma canne, mon dentier, mes clés…
306 ▲ Jeux verbaux et créations verbales
● Dodogmatique : qui endort ses interlocuteurs à force de paroles tran-
chantes et d’affirmations péremptoires. (A. Finkielkraut) [Mot-valise* formé de dodo et dogmatique.] Définitions fantaisistes et dénominations fonctionnent ensemble :
T antôt la définition suit la dénomination : ● On appelle voiture d’occasion une voiture dont toutes les pièces font du bruit sauf le klaxon. (P. Dac) ● Dans certains restaurants, on appelle « plat du jour » les restes de la veille qui ne peuvent pas attendre le lendemain. (P. Bouvard) T antôt c’est la définition qui arrive en premier : ● Quand on se réjouit d’être jeune, et qu’on remarque qu’on se porte bien, c’est la vieillesse. (J. Renard) ● Un client s’adressant au boucher : 250 grammes d’émincé de porc mécaniquement modifié contenant du nitrite et du phosphate de sodium ainsi que du lactate de potassium et comprenant des épices et saveur de fumée. Le boucher : Du jambon. (Beaudry) Certaines de ces fausses définitions sont fondées sur les étymologies fantaisistes* de mots qu’on a déconstruits : ● Considéré : tellement con qu’il n’en revient pas. [con + sidéré] ● Décimer : détruire les cimes. (M. Leiris) [dé + cime] L’Oulipo nomme surdéfinition celle qui consiste à définir un mot à la fois par son sens et par sa présence dans un autre mot. De là des rapprochements de sens intéressants entre cri et crise, entre émoi et mémoire : ● Cri : il peut y en avoir beaucoup dans une crise. ● Émoi : un certain trouble dans la mémoire. À l’inverse, Marcel Bénabou propose de trouver à quoi correspondent certaines de ses surdéfinitions. Parmi elles : ● Une voûte à l’entrée de l’archevêché (arche). ● Un creux au milieu de l’évidence (vide). La plupart des définitions fantaisistes s’appuient sur divers procédés que nous abordons ailleurs dans cet ouvrage. Par exemple, la suivante tient à la fois de l’animation des calories et du renversement du réel*, puisqu’on fait croire que ce sont les vêtements qui rapetissent et non les personnes qui grossissent : ● Les calories sont des petits monstres qui s’introduisent la nuit dans votre garde-robes et qui rétrécissent vos vêtements. V. Extension de sens. Périphrase. Dénomination fantaisiste. Aspect inattendu.
Mots, formes et sens jugés fautifs ▼ 307
ÉTYMOLOGIES FAUSSES OU TOMBÉES DANS L’OUBLI
1. L’étymologie fantaisiste Syn. La pseudo-étymologie. La fausse étymologie – Il était une fois un rein et une reine. (R. Desnos) Le rapprochement de rein et de reine, comme s’il s’agissait du même mot à des genres différents, repose sur une étymologie fausse vu que rein vient du latin ren et reine, du latin regina. Inventée, l’étymologie fantaisiste est issue du rapprochement de certains mots comme s’ils faisaient partie de la même famille alors que leur ressemblance de forme est accidentelle : – Il croyait qu’un presbytère était une maison pour les presbytes. Formes semblables, étymologies éloignées : presbyte vient d’un mot grec qui veut dire « vieillard » et presbytère, d’un mot latin dont le radical signifie « prêtre ». Attention. On peut penser que la phrase suivante propose une pseudoétymologie : – Le Père Clément a inventé la clémentine. Pourtant, l’étymologie de clémentine est réelle : c’est aux bons soins du moine Clément que nous devons l’apparition de ce fruit. Rappelons que le mot étymologie vient d’un mot grec qui signifie « parole vraie ».
Précisions Comment produit-on une étymologie fantaisiste ? O n rapproche des mots paraissant avoir une origine commune ; de là la non-pertinence du propos : ● C’est en lisant qu’on devient liseron. (R. Queneau) Diminutif de lys, le mot liseron désigne une plante herbacée. Donc, aucun lien avec l’action de lire. Cette phrase fait penser inévitablement à « C’est en forgeant qu’on devient forgeron », où la communauté d’origine des mots forgeant et forgeron est réelle. O n « dé-valise » des mots comme si c’était des mots-valises* ; de là les définitions originales : ● Trésor, c’est très + or, c’est-à-dire beaucoup de richesses. Comme par hasard. (R. Droin) ● Secrétaire : mot composé de secret et de taire. (G. Elgozy)
308 ▲ Jeux verbaux et créations verbales
● Tracteur : comédien saisi par l’angoisse au moment d’entrer en scène.
(A. Finkielraut) [trac + acteur] ● Je suis parlementaire. Parler. Mentir. Me taire. (P. Marie)
O n découpe des mots composés ou dérivés et on les réinterprète en se basant sur le sens supposé de leurs parties : ● C’est le roi du fric-frac, Arthur, le bel Arthur, Bourré de fric, toujours en frac, Côte d’Azur […] (B. Lorraine) Le mot fric-frac, qui signifie « cambriolage par effraction », a été formé d’après le mot fracture. Cela n’a rien à voir avec fric « argent » et de frac « habit masculin de cérémonie ». ● On ne dit pas match interminable, mais rencontre entre de mauvais joueurs. On a imaginé que le mot interminable se compose de inter- « entre » et de minable « médiocre ». En réalité, interminable est formé de l’élément à sens négatif in- et de terminable, dérivé du verbe terminer. ● Femme rebelle, c’est-à-dire deux fois belle : dans ce qu’elle permet et dans ce qu’elle refuse. (A. Brie) L’adjectif rebelle n’a rien à voir avec la beauté : il vient du mot latin rebellis signifiant « qui recommence la guerre ». Il arrive que la saisie d’une pseudo-étymologie repose sur le rétablissement d’un terme manquant : ● Illettré. Quelqu’un à qui personne n’écrit. (P. Coppens) Pour comprendre cette nouvelle étymologie de illettré, il faut prolonger la phrase : Quelqu’un à qui personne n’écrit de lettre. On peut rapprocher des mots ayant une origine commune, parfois lointaine, mais cela ne garantit en rien la véracité du propos : ● La première croisade fut conduite par Pierre Marmite et Jo Bouillon, inventeur des mots croisés. Mots croisés et croisade ont beau faire partie de la famille du mot croix, il y a ici un anachronisme*, étant donné que l’origine des mots croisés est récente. En plus de servir à définir des mots, l’étymologie fantaisiste permet de justifier plaisamment des dénominations connues : ● Un type qui apprend à conduire tout seul, c’est un auto-didacte. (P. Geluk) ● Portable (téléphone) : abréviation de « insupportable ». (M. Lauzière) Elle sert même à créer des mots inexistants : ● Un chasseur rentre bredouille de la chasse au lièvre. — Tu comprends, explique-t-il à sa femme, les lièvres couraient en zigzag. Chaque fois que je tirais dans le zig, ils couraient dans le zag. V. Étymologie réveillée. Création par fausse étymologie. Mot dans le mot. Définition fantaisiste.
Mots, formes et sens jugés fautifs ▼ 309
2. L’étymologie réveillée Syn. L’étymologisme. Le jeu étymologique – Les camelots ont l’habitude de mettre leur camelote sur le trottoir. (R. Droin) En rapprochant les mots camelots et camelote, l’auteur a attiré l’attention sur leur communauté d’origine, laquelle n’est plus perçue de nos jours. Appelons étymologie réveillée la réactivation du sens originel d’un mot, sens généralement oublié, ou la révélation de l’origine commune qu’ont deux mots : – Je suis allé au concert mais j’en suis sorti un peu déconcerté. (D. Blondin) – […] J’ai aussi plein de bonbons à t’offrir. J’ai des dizaines de plats de bons bonbons… (R. Soulières)
Précisions Comment révéler l’étymologie d’un mot ? E n rapprochant le mot qu’on veut éclairer d’un autre mot qui en dévoile le sens originel : ● Il donna à l’homme un pourboire que celui-ci irait sûrement dépenser pour manger, car il avait l’air d’un menteur. (B. Vian) La présence de pour manger rappelle l’origine de pourboire, « somme d’argent que l’on remettait à quelqu’un pour boire ». ● Un mandarin prend deux mandarines à la fois. (R. Droin) La ressemblance formelle s’explique par un lien de parenté : le mot mandarine vient de l’espagnol mandarina qui signifie « (orange) des mandarins ». ● Elle n’aimait plus son rôle de femme au foyer. Elle était fatiguée de surveiller le feu. La présence du mot feu fait resurgir le sens premier du mot latin à l’origine de foyer, à savoir « espace aménagé dans une maison pour y faire du feu ». Par ailleurs, c’est par extension de sens que foyer a fini par désigner aussi le lieu où l’on vit. E n décomposant un mot pour en faire surgir la forme d’origine : ● Un tel chef ayant été nommé, les gens d’armes durent improviser un sévère service d’ordre. (« Achille Talon ») ● […] laissant très peu pour boire au garçon et s’en fut, désespérée. (R. Queneau) ● Ne rien faire, c’est mal traiter un enfant… E n faisant ressortir visuellement un mot d’un autre, ce qui rappelle le mot dans le mot* :
310 ▲ Jeux verbaux et créations verbales
● Le groupe vocal Ami-Chante : 25 ans d’enCHANTement et le spectacle
continue. (Presse) La présence de lettres capitales fait voir le mot chant à l’intérieur du mot enchantement. Or chant, chanter, enchanter et enchantement font partie de la même famille étymologique. E n révélant les liens éloignés unissant certains mots : ● Elle porte toutes nos questions et nos quêtes – mots qui proviennent des mêmes racines ! (G. Bédard) L’ancêtre de ces deux mots, en effet, est le verbe latin quaerere qui signifie « chercher ». ● Si vous chutez sur le coccyx, vous aurez mal au coucou (si ! si !) (É. Brami) Et l’auteure d’ajouter : Coccyx, de kokkus, « coucou ». Cet os ressemble au bec du coucou. V. Étymologie fantaisiste. Faux contraires.
Conclusion
Le calembour Chaque fois qu’il est question de jeux verbaux ou de jeux de mots, on pense inévitablement au terme calembour, sans savoir à quoi il réfère au juste. C’est que l’appellation de calembour coiffe plusieurs définitions, parfois contradictoires. À strictement parler, le calembour repose sur la substitution d’un élément à un autre pour créer une équivoque, c’est-à-dire un propos qui se prête à deux interprétations : – Si vous mettez le pied sur une vipère, vous risquez une « mort sûre ». (J. Aillaud) [morsure] C’est dire que le procédé est implicite, puisque l’élément utilisé en évoque un autre ; c’est dire aussi que le sens à l’avant-plan n’oblitère pas le sens à l’arrière-plan ; de là la double entente. D’une part, calembour semble de la même famille que calembredaine, lequel a déjà désigné un jeu de mots fondé sur l’équivoque ; d’autre part, calembour paraît se terminer par la forme tronquée de bourde dans le sens de « plaisanterie ».
Précisions 1. Quels sont les éléments qu’on a l’habitude de remplacer ? U n mot par un autre : ● Le flux et le reflux me font marée. (R. Devos) [marrer] U n mot par un groupe de mots, lorsqu’on peut découper ce mot pour en former d’autres : ● Avoir le cou tôt sous la gorge. (R. Galisson) [couteau] U n groupe de mots par un mot, lorsqu’on peut réunir plusieurs mots en un seul : ● Plus cancéreux que moi, tumeur ! (P. Desproges) [tu meurs]
312 ▲ Jeux verbaux et créations verbales
2. Quelles sont les diverses formes de calembour ? Dans les cas où on remplace un élément par un autre, les formes généralement admises sont les suivantes : L e calembour homophonique, qui associe des éléments de même prononciation, à savoir des homophones : ● À la pêche : « Mes illusions sont des truites… » (J.-P. Grousset) [détruites] ● Le petit Mozart à sa première leçon de musique : — Quel sol fais-je ? Quelle harpe ai-je ? (R. Bacri) [solfège… arpège] L e calembour paronymique, qui associe des éléments de prononciations rapprochées, à savoir des paronymes : ● Alcoolisme. Chassez le naturel, il revient au goulot. (P. Coppens) [galop] ● Errer comme un âne en plaine. (V. Hugo) [une âme en peine] D’autres formes sont également admissibles : L e calembour synonymique, qui associe deux mots ayant sensiblement le même sens (des synonymes) ou des sens très proches (des quasi- synonymes) ● Exaltée, cette comédienne affectionnait les incendies de la rampe. [les feux] ● Quand tu lui parles de ses enfants, tu touches la ficelle sensible. [la corde] L e calembour antonymique, qui associe deux mots de sens opposés, à savoir des antonymes (ou des contraires) : ● Commençons au haut de l’échelle. [au bas] ● Le rédacteur en chef : Le professeur est un grand spécialiste de la littérature graphicolittéronarrative et fait la pluie et le mauvais temps dans l’opinion ! (« Achille Talon ») L e calembour homonymique, qui associe des mots de prononciation et d’orthographe identiques, à savoir des homonymes : ● Dieu soit loué !… mais à un prix raisonnable. (Popek) [Le verbe louer « louanger » vs le verbe louer « donner en location ».] ● Armée du salut recherche individu louche pour servir la soupe populaire. (P. Dac) [L’adjectif louche « suspect » vs le nom louche « grande cuillère à long manche ».] L e calembour homographique, qui associe des mots de même orthographe, mais de prononciations différentes, à savoir des homographes ● « Où sont mes fils ? » demande la couturière. (Raval et Leguay) [Le nom fils, prononcé [fis], « personne de sexe masculin… » vs le nom pluriel fils, prononcé [fil], « brins filés et tordus utilisés pour la couture ».]
Conclusion ▼ 313
Dans le cas où un néologisme* a la même prononciation qu’un mot français existant, on a affaire au calembour graphique : ● C’était un être très sangsuel, un adepte du sadomasochisme poussé à l’extrême. [La prononciation de sangsuel, qui correspond à celle de sensuel, est connue ; c’est la graphie nouvelle qui surprend.] Mentionnons également le calembour polysémique, qui affiche un mot (ou un groupe de mots) véhiculant deux sens à la fois. ● Faut-il plaindre un imprimeur qui a rencontré beaucoup d’épreuves dans sa vie ? ● Un reporter : Les évadés n’ont pu qu’emprunter (mais la rendront-ils ?) la départementale 118. (« Achille Talon ») Finalement, notez que d’aucuns considèrent également comme calembours des procédés explicites, ceux où il y a des combinaisons de mots plutôt que des substitutions. Aussi sont-ils amenés à parler de calembour dans le contexte suivant où bonheur et bonnes heures ont des prononciations très proches. ● L’argent ne donne pas le bonheur, mais procure de bonnes heures. (J. Gunshia)
Bibliographie sélective
Voici une sélection d’ouvrages qui renferment des notions, entre autres, sur les figures, la versification et la poésie, les jeux verbaux, les jeux de mots et les créations verbales. Aquien Michèle, 1990, La versification, Paris, PUF, « Que sais-je ? ». Aquien Michèle, 1993, Dictionnaire de poétique, Paris, Le livre de poche, « Les Usuels de Poche ». Arcand Richard, 1991, Figures et jeux de mots, Beloeil, La Lignée, « Langue et style ». Arcand Richard, 2004, Les figures de style, Montréal, Les Éditions de l’Homme, « Le bon mot ». Arcand Richard, 2006, Le plaisir des mots, Montréal, Les Éditions de l’Homme, « Le bon mot ». Backès Jean-Louis, 1997, Les vers et les formes poétiques dans la poésie française, Paris, Hachette. Bacry Pierre, 1992, Les Figures de style, Paris, Belin, « Sujets ». Bailly Sébastien, 2003, Jouez avec les mots, Paris, Eyrolles, « Eyrolles Pratique ». Bonhomme Marc, 1998, Les figures clés du discours, Paris, Le Seuil, « Mémo-Lettres ». Bonnard Henri, 1981, Procédés annexes d'expression, Paris, Magnard. Boutet de Montvel Marc, 1984, Les procédés du discours, Paris, Magnard. Cazeneuve Jean, 1984, Le Mot pour rire, Paris, La Table Ronde. Cazeneuve Jean, 1996, Du calembour au mot d’esprit, Paris, Le Rocher.
Charpentreau Jacques, 2015, Jouer avec les poètes, Paris, Hachette Jeunesse, « Livre de poche ». Colignon Jean-Pierre, 1979, Guide pratique des jeux littéraires, Paris-Gembloux, Duculot. Delbourg Patrice, 1997, Demandez nos calembours, demandez nos exquis mots, Paris, Le Cherche Midi. Desaulniers Claude Michèle, 1994, Un exemple de créativité dans la bande dessinée : les langages d’Achille Talon, thèse de doctorat, Québec, Université Laval. Droin René, 1991, Dictionnaire extraordinaire des mots ordinaires, Paris, Belfond. Duchesne Alain et Leguay Thierry, 1985, Petite fabrique de littérature, Paris, Magnard. Dupriez Bernard, 1977, Gradus. Les procédés littéraires (dictionnaire), Paris, Union générale d’éditions, « 1018 ». Étienne Luc, 1971, L’art du contrepet, Paris, Jean-Jacques Pauvert/Le Livre de poche. Évrard Franck, 1996, L’humour, Paris, Hachette, « Contours littéraires ». Foucault Bruno de, 1988, Les structures linguistiques de la genèse des jeux de mots, Berne, Peter Lang. Fromilhague Catherine, 1995, Les figures de style, Paris, Nathan, « Collection 128-Lettres ».
Bibliographie sélective ▼ 315
Frontier Alain, 1992, La poésie, Paris, Belin, « Sujets ».
Martin Joël, 2005, La contrepèterie, Paris, PUF, « Que sais-je ? ».
Gadbois Vital, 1972, Le jeu verbal dans « L’écume des jours » de Boris Vian. Questions de méthode, thèse de doctorat, Aix-Marseille, Université de Provence.
Mazaleyrat Jean et Molinié Georges, 1989, Vocabulaire de la stylistique, Paris, PUF.
Gagnière Claude, 1997, Pour tout l’or des mots : au bonheur des mots, des mots et merveilles, Paris, Robert Laffont, « Bouquins ».
Molinié Georges, 1986, Éléments de stylistique française, Paris, PUF, « Linguistique nouvelle ».
Gauvin Lise, 2004, La fabrique de la langue. De François Rabelais à Réjean Ducharme, Paris, Le Seuil, « Points. Essais ».
Molino Jean et Gardes-Tamine Joëlle, 1987, Introduction à l'analyse de la poésie. I- Vers et figures, Paris, PUF, « Linguistique nouvelle ».
Grunig Blanche, 1990, Les mots de la publicité, L’architecture du slogan, Paris, CNRS.
Mounin Georges (dir), 1974, Dictionnaire de la linguistique, Paris, PUF.
Grynberg Gisèle, 1984, Les Jeux de mots : étude comparative des jeux de mots chez R. Devos et Sol, Thèse, Université de Nice, Section de linguistique.
Nevert Michèle, 1992, La langue qu’on affiche : le jeu verbal dans le slogan publicitaire au Québec, Montréal, VLB.
Guiraud Pierre, 1976, Les jeux de mots, Paris, PUF, « Que sais-je ? ». Hamon Albert, 1992, Les mots du français, Paris, Hachette Éducation. Henry Jacqueline, 2003, La traduction des jeux de mots, Paris, Sorbonne Nouvelle. Hesbois Laure, 1988, Les jeux de langage, Ottawa, Université d'Ottawa. Jardon Denise, 1988, Du comique dans le texte littéraire, Paris/Bruxelles, De Boeck/ Duculot. Klein-Lataud Christine, 1991, Précis des figures de style, Toronto, Le Gref. Kolkelberg Jean, 2003, Les techniques du style, Paris, Nathan. Laclos Michel, 1979, Jeux de lettres, jeux d’esprit, Verviers, Marabout. Landroit Henry, 2004, 100 jeux de langue à l’école et ailleurs, Bruxelles, Ministère de la communauté française, Direction générale de la culture, Service de la langue française. Leguay Thierry et Raval Laurent, 2004, 500 jeux avec les mots, Paris, Larousse. Martin Joël, 1986, Manuel du contrepet. L’art de décaler les sons, Paris, Albin Michel.
Nevert Michèle, 2000, La Petite vie ou Les entrailles d’un peuple, Montréal, XYZ, « Documents ». Noguez Dominique, 2000, L’Arc-en-ciel des humours, Paris, Librairie Générale Française. Olbretchts-Tyteca Lucie, 1974, Le Comique du discours, Bruxelles, Université de Bruxelles. Peyroutet Claude, 1994, Style et rhétorique, Paris, Nathan, « Repères pratiques ». Poirier Julie, 1998, Le Plaisir d’écrire. Ateliers de création littéraire, Sainte-Foy, Le Griffon d’argile. Ricalens-Pourchot Nicole, 2003, Dictionnaire des figures de style, Paris, Armand Colin. Robrieux Jean-Jacques, 1998, Les figures de style et de rhétorique, Paris, Dunod, « Les Topos ». Tamba-Mecz Irène, 1991, La sémantique, Paris, PUF, « Que sais-je ? ». Yaguello Marina, 1981, Alice au pays du langage. Pour comprendre la linguistique, Paris, Le Seuil.
Index des notions
● En caractères gras : les appellations des jeux verbaux, des créations
verbales et des figures sous-jacentes : Exemple : Liaison fantaisiste ● En caractères italiques : les procédés étudiés dans une entrée principale : Exemple : Apocope ● EN LETTRES MAJUSCULES : des notions servant à mieux comprendre les procédés abordés : Exemple : POLYSÉMIE
A Abécédaire, 91 Accumulation, 252 Acrostiche, 205 Addition graphique, 79 Adjectivation, 286 Adverbe équivoque, 136 Adverbialisation, 287 Adynaton, 212 AFFINITÉS DE SENS, 19 Allitération, 49 Allographe, 41 ALLUSION, 18 Alphabet parlant, 31 Amalgame graphique, 283 Anachronisme, 243 Anacyclique graphique, 105 Anacyclique lexical, 106 Anacyclique syllabique, 106 Anadiplose, 127 Anagramme, 95 Analogie, 224 Anaphore, 115 Animalisation, 228 Antanaclase, 141 Antépiphore, 117
Anticipation, 216 Antimétabole, 120 Antimétabole partielle, 121 Antiphrase, 199 Aphérèse, 279 Apocope, 279 Apostrophe, 231 Archaïsme grammatical, 301 Archaïsme lexical, 293 Archaïsme orthographique, 282 Aspect inattendu, 253 Association saugrenue, 210 Assonance, 50 Assonance de fin de vers, 61 Autocorrection, 257
B Babebines, 62 Barbarisme de forme, 297 Biffure graphique, 81 Bifurcation, 242 Boule de neige graphique, 99 Boule de neige lexicale, 129 Boule de neige syllabique, 100 Boustrophédon, 98 But fantaisiste, 220
Index des notions ▼ 317
C Cacophonie voulue, 52 Calembour, 311 Calligramme, 168 Cascade de compléments, 118 Cercle vicieux, 156 CHAMP LEXICAL, 19 Changement de référent, 241 Changement de thème, 189 Charabia, 246 Chassé-croisé, 200 Chiasme, 173 Chiffres parlants, 32 CHOIX, 15 Chosification, 229 Citation fausse, 244 COMBINAISON, 15 Commentaire, 255 Comparaison, 223 Composition, 265 Composition savante, 265 Concaténation, 127 Conclusion fantaisiste, 215 CONNOTATION(S), 12 Conséquence fantaisiste, 219 Contradiction voulue, 211 Contraires réconciliés, 146 Contraste explicite, 143 Contraste implicite, 145 Contre-assonance, 62 Contre-euphémisme, 171 Contrepèterie, 202 Contrepèterie à l’envers, 202, 271 Coquille d’imprimerie, 79 Couplage, 176 Création antonymique, 272 Création homophonique, 268 Création par contrepèterie, 270 Création par fausse étymologie, 271 Création paronymique, 269 CRÉATION VERBALE, 14 Croisement sonore, 55
D DÉCONSTRUCTION, 18 Définition fantaisiste, 305 Dénomination fantaisiste, 299
DÉNOTATION, 12 Dépersonnification, 228, 229 Dérivation, 263 Dérivation explicite, 42 Dérivation implicite, 44 Détournement de mot, 286 Détournement de sigle ou d’acronyme, 285 Déviation, 241 Différence inattendue, 231 Dislocation, 178 Dissociation, 187 Double couronne, 66 Double-sens, 135
E Écho, 69 Écriture à rebours, 247 Ellipse, 179 Enchâssement, 253 Énumération, 250 Épelure, 42 Épiphore, 116 ÉQUIVOQUE, 14 Étymologie fantaisiste, 307 Étymologie réveillée, 309 Euphémisme, 170 Évidence, 157 Exemple, 254 EXPLICITE (PROCÉDÉ), 16 Expression-valise, 193 Extension de sens, 284
F Fausse anagramme, 97 Fausse attribution, 244 Fausse contradiction, 212 Fausse coquille, 78 Fausse omission, 178 Fausse précision, 254 Fausse synonymie, 136, 151 Faux contraires, 147 Faux latinisme, 295 Faux syllogisme, 216 FIGURE, 13 Figure étymologique, 153 Forgerie, 275 FORME, 11
318 ▲ Jeux verbaux et créations verbales
G Galéjade, 213 Gradation ascendante, 163 Gradation descendante, 164 Grammaire fantaisiste, 300 Graphie fantaisiste, 280 Graphie réversible, 97
H Harmonie imitative ou suggestive, 51 Hétérosyllabisme, 56 Homéoptote, 71 Homéotéleute, 70 Homéotéleute inverse, 72 Homographie explicite, 75 Homographie implicite, 75 Homonymie explicite, 34 Homonymie implicite, 35 Homophonie explicite, 25 Homophonie implicite, 26 HORIZONTAL (AXE), 15 Hypallage, 235 Hyperbole, 161
I Image incohérente, 210 IMPLICITE (PROCÉDÉ), 16 Insertion graphique, 80 Insertion lexicale, 190 Inversion, 176 Isosyllabisme, 56, 172
J Jargon, 245 JEU DE MOT, 14 JEU VERBAL, 13, 16
K Kyrielle graphique, 90 Kyrielle lexicale, 128 Kyrielle syllabique, 71
L Lapalissade, 158 Latinisme, 295 Lettre en plus ou en moins explicite, 81 Lettre en plus ou en moins implicite, 82 Lettre-image et mot-image, 168
Lettre imposée, 87 Lettres chiffrées, 95 Lettres interverties, 83 Liaison fantaisiste, 138 Lipogramme, 93 Lipossible, 81 Litote, 162 Logogriphe, 82
M MÉLANGE DE PROCÉDÉS, 20 Mélange de registres, 155 Métagramme explicite, 77 Métagramme implicite, 78 Métaphone explicite, 44 Métaphone implicite, 45 Métaphore explicite, 225 Métaphore implicite, 226 Métonymie, 232 Mini-holorimes, 30 MODIFICATION D’UNE FORMULATION CONNUE, 16 Monoconsonantisme, 49 Monoconsonantisme graphique, 87 Monorime, 63 MONOSÉMIE, 12 Monovocalisme, 50 Monovocalisme graphique, 87 MOT, 11 Mot bilingue, 76 Mot dans le mot, 139 Mot forgé, 275 Mot incrusté, 28 Mot-sandwich, 266 Mot-valise, 266
N Négation inattendue, 189 Néologisme, 262 Nominalisation, 286 Non-répétition, 180 Notes parlantes, 33
O Onomatopée individuelle, 274 Onomatopée intensive, 165 Onomatopée-phrase, 154 Oxymore, 148
P Palindrome graphique, 101 Palindrome lexical, 104 Palindrome numérique, 104 Palindrome sonore, 103 Palindrome syllabique, 104 Pangramme, 93 Paradoxe, 149 Parallélisme, 172 Paréchème, 52 Paronymie explicite, 37 Paronymie implicite, 39 Pataquès, 291 Pérégrinisme, 294 Périphrase, 236 Personnification, 227 Phrase rétrograde, 105 Pléonasme voulu, 152 Poème abécédaire, 92 Poème holorime, 30 Polyptote, 111 POLYSÉMIE, 12 Positions privilégiées, 174 Preuve fantaisiste, 217 Prise au pied de la lettre, 137 PROCÉDÉS DE TRANSFORMATION, 16 Propos absurde, 213 Propos ambigu, 185 Prosopopée, 230 Proverbe retouché, 198 Proverbe-valise, 195 Proverbes mélangés, 196 Proverbes ressoudés, 195
R Raison fantaisiste, 218 Raisonnement fantaisiste, 215 Rallonge, 191 Réamorçage, 255 Rébus, 248 Rébus de lettres, 249 Récit alphabétique, 32 RECONSTRUCTION, 18 Redoublement, 278 Réduplication, 124 RÉFÉRENCES CULTURELLES, 18 RÉFÉRENT, 11
Index des notions ▼ 319
Reformulation, 256 Régionalisme de forme, 292 Régionalisme de locution, 297 Régionalisme de mot, 296 Régionalisme de sens, 305 Registre inadéquat, 156 Renversement du réel, 242 Répétition de groupe de mots, 113 Répétition de mot, 110 Répétition de nombre, 112 Répétition de préfixe, 112 Répétition de proposition, de phrase, de vers, 113 Répétition de syllabe, 125 Ressassement, 125 Rime, 55 Rime annexée, 67 Rime batelée, 64 Rime consonantique, 60 Rime continue, 61 Rime dérivative, 43 Rime dissyllabique, 59 Rime double, 66 Rime enjambée, 68 Rime équivoquée, 28 Rime féminine, 59 Rime fratrisée, 68 Rime intérieure, 58 Rime masculine, 59 Rime pauvre, 59 Rime pour l’œil, 76 Rime renforcée, 65 Rime rétrograde, 102 Rime riche, 59 Rime semi-équivoquée, 40 Rime suffisante, 59 Rime triple, 66 Rime unique, 63 Rime vocalique, 60 Rimes babebines, 62 Rimes croisées, 60 Rimes embrassées, 61 Rimes finales, 58 Rimes initiales, 58 Rimes mêlées, 61 Rimes suivies, 60
320 ▲ Jeux verbaux et créations verbales
S SENS, 11 Siglaison et acronymie, 272 Substitution lexicale, 196 Suppression graphique, 80 Suppression lexicale, 193 Surdéfinition, 306 Symétrie sonore, 54 Symploque, 118 Syncope, 279 Synecdoque, 233 Synesthésie, 235 Synonymie explicite, 150 Synonymie implicite, 152
T Tautogramme, 88 Tautologie, 153 Télostiche, 206 Thèse farfelue, 214 Traduction antonymique, 146 Traduction fantaisiste, 302
Traduction homophonique, 30 Transfert de classe, 286 TRANSFORMATION (PROCÉDÉS DE), 17 Triplication, 124 Troncation, 279 Truisme, 157 Typographie intensive, 166
V Verbalisation, 287 Verlan, 279 Vers anacycliques, 106 Vers brisés, 207 Vers en écho, 67 Vers holorimes, 29 Vers léonin, 63 Vers lettrisés, 89 Vers palindromiques, 105 Vers rétrogrades, 105, 106 Vers rhopaliques, 101 VERTICAL (AXE), 15 Virelangue, 52