Introduction à la traductologie - Penser la traduction: hier, aujourd'hui, demain [1 ed.] 9782804159337


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French Pages 170 [169] Year 2008

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Introduction à la traductologie - Penser la traduction: hier, aujourd'hui, demain [1 ed.]
 9782804159337

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Mathieu

GUIDÈRE

lntroducti n à la traductologie

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de boeck

Couverture et maquette intérieure: cerise.be Mise en page : Nathalie Loiseau

© Groupe De Boeck s.a., 2008

1'• édition

De Boeck Université

Rue des Minimes 39, B-1000 Bruxelles Tous droits réservés pour tous pays. Il est interdit, sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, de reproduire (notamment par photocopie) partiellement ou totalement le-présentouvrage, de le stocker dans une banque de données ou de-"-"--­ le communiquer au public, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit. Imprimé en Belgique Dépôt légal Bibliothèque nationale, Paris: septembre 2008 Bibliothèque royale de Belgique: 2008/0074/319

ISSN 2030-8914 ISBN: 978-2-8041-5933-7

e présent ouvrage offre une présentation synthétique du vaste, mais peu connu, domaine de la traductologie. Il propose un exposé des activités de traduction sans aucune prétention à l'exhaustivité. Les principaux acquis des études traductologiques ont été pris en considération, mais l'originalité de l'ouvrage tient au fait qu'il met en évidence la diversité des approches théoriques et des pratiques professionnelles dans le domaine de la traduction et de l'interprétation. L'autonomie de la traductologie est affirmée tout au long ·de l'ouvrage, malgré l'orientation interdisciplinaire qui sous-tend l'ensemble des chapitres. En se focalisant sur les problématiques proprement traductologiques, l'ouvrage permet de délimiter un champ d'étude propre et des ouvertures nécessaires et fructueuses. Cette introduction à la traductologie s'adresse à tous ceux qui ont recours à la traduction, que ce soit dans Je cadre universitaire ou professionnel. Par sa conception pratique, elle se veut un outil de référence pour les futurs traducteurs, interprètes, adaptateurs, localisateurs, professeurs de langues étrangères ou formateurs aux métiers de la traduction. L'organisation de l'ouvrage vise avant tout à en faciliter la consultation. Les chapitres sont jalonnés d'aperçus généraux et d'encadrés synthétiques. Les idées développées sont illustrées par des exemples et des citations pour aider à la compréhension et à la mémorisation. Les termes techniques de la traductologie sont systématiquement définis et référencés. Chaque chapitre est couronné par un résumé des idées principales et par une série de questions qui reprennent les points abordés. Ces questions permettent également de mettre en évidence les aspects les plus importants du chapitre. La rubrique des lectures conseillées est conçue autant comme un rappel des principaux acquis que comme une mise en perspective des idées développées. L'ensemble vise à initier le lecteur à la richesse de la traductologie. A travers ce premier volume de la collection, nous espérons contribuer à la diffusion d'une culture

traductologique insuffisamment connue. Nous voulons également mettre à la disposition des étudiants francophones, sur les cinq continents, les acquis des études les plus marquantes et les plus récentes concernant la traduction et l'étude des langues et cultures étrangères.

La dimension didactique et pédagogique tient une place particulière dans notre'esprit parce que nous aimerions que les ouvrages de cette collection deviennent un outil de travail pour les étudiants et une source d'inspiration pour les enseignants en langues et en traduction.

Mathieu Guidère Directeur de la collection

L'ÂGE DE LA TRADUCTION vec la société de l'information mondialisée, nous sommes entrés de plain-pied dans l'âge de la traduction généralisée. Aujourd'hui, son importance dans le mouvement global n'est plus à démontrer : on traduit de plus en plus de documents et cela se fait de plus en plus vite, vers des langues sans cesse plus nombreuses. Cette tendance est accentuée par les progrès technologiques dans les secteurs de l'informatique et de là.communication. Le renouveau d'intérêt pour la traduction bénéficie aussi bien aux leaders économiques qu'aux acteurs de la société civile. La traduction joue un rôle clé dans d'innombrables domaines de la vie sociale et contribue au respect de la diversité linguistique et culturelle à l'échelle nationale et internationale. Le Prix Nobel Isaac Bashevis Singer estime que la traduction demeurera « l'essence même de la civilisation ». Dans de nombreuses régions du monde, elle est une donnée essentielle de l'évolution politique, économique et sociologique. Ainsi, pour le Vieux continent, Umberto Eco estime que « la langue de l'Europe, c'est la traduction ». Cette prise de conscience de l'importance de la traduction explique le renouveau d'intérêt pour ses aspects pratiques et théoriques. Beaucoup soulignent à quel point l'histoire de la traduction en Europe se confond avec l'histoire de l'Occident : « Des concepts différents de la traduction ont prévalu à des époques différentes. (. . .) la fonction et le rôle du traducteur ont radicalement changé. L'explication de tels changements relève de l'histoire culturelle (. . .) Quant aux positions à l'égard de la traduction et des conceptions traductionnelles qui ont prévalu, elles appartiennent à l'époque qui les a produites et aux facteurs socioéconomiques qui ont dessiné et déterminé leur époque » (Bassnett 1 980 : 74). D'autres insistent sur la diversité des missions assignées à la traduction selon les époques et les commanditaires : « On a traduit pour découvrir une culture, pour s'approprier un savoir. On a traduit pour répandre ou défendre des idées religieuses, pour imposer ou combattre des doctrines philosophiques ou des systèmes politiques. On a traduit pour créer ou parfaire une langue nationale. On a traduit pour révéler une œuvre, par admiration pour un auteur. On a traduit même fictivement, faisant passer pour traductions des œuvres originales. On a traduit pour faire progresser les sciences et les techniques. On a traduit pour mille et une raisons. La traduction était tout à la fois arme et outil. Elle remplissait une mission >> (Newmark 1 982 : 4). Les exemples historiques qui illustrent chacun de ces aspects ne manquent pas, car « la traduction est de tous les temps. Orale d'abord, écrite ensuite, elle a toujours existé. Elle fait partie intégrante de la vie intellectuelle de tout peuple civilisé>> (Newmark 1 982 : 366). De nos jours, la traduction est intimement liée au mouvement global de la mondialisation. Elle est à la fois le vecteur et le produit de ce mouvement. Outre le caractère multilingue des institutions et des organisations internationales, la diversité linguistique et culturelle de notre monde est soutenue par · des politiques linguistiques et des programmes de traduction ambitieux. Car la communauté internationale est plus que jamais consciente des enjeux civilisationnels liés à la traduction. On le sait désormais : qui sême le vent récolte la tempête, qui diffuse la traduction cueille la paix.

SITUATION DE LA TRADUCTOLOGIE DÉLIMITATION DU CHAMP

La discipline qui se donne la traduction pour objet d'étude est apparue dans la seconde moitié du XX• siècle, mais elle a reçu plusieurs appellations éphémères (science de la traduction, translatologie, etc.) avant de devenir la " Traductoiogie » en français et " Translation Studies » en anglais. Son champ d'étude a été rigoureusement défini, pour la première fois, par James Holmes (1 972) dans un article intitulé "The Name and Nature of Translation Studies". Dans cet article, Holmes distingue deux grandes branches : la " traductologie théorique » et la " traductologie appliquée >>. La première (théorique) a pour objet la description des phénomènes de traduction, la définition des principes explicatifs et la théorisation des pratiques traductionnelles ; la deuxième (appliquée) vise la mise en œuvre des principes et des théories pour la formation des traducteurs, le développement d'outils d'aide à la traduction ou encore la critique des traductions. Pour Holmes, ces deux branches entretiennent une relation dialectique et ne doivent, en aucun cas, être perçues de façon exclusive ni unidirectionnelle. En effet, la traductologie théorique nourrit les applications pratiques, et la traductologie appliquée permet d'enrichir la réflexion théorique. Elles sont mises sur le même plan, et c'est pourquoi il convient d'accorder à chacune une égale attention. Ce faisant, Holmes ne définit pas d'objet d'étude unique à la traductoiogie : il envisage aussi bien l'étude du produit (le texte traduit) que celle du processus (le déroulement de la traduction). Selon lui, l'étude traductologique peut être " générale )>, c'est-à-dire embrasser la totalité de la discipline, ou bien " restreinte >> à certains domaines, types de textes, problèmes

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spécifiques ou époques historiques. L'essentiel est que le 'centre d'intérêt soit la « traduction >> et non pas, par exemple, la « langue >>, le langage, la « psychologie >>, la « sociologie >> ou encore la « technologie >>, même si ces aspects peuvent être importants dans le produit ou le processus de traduction. Tout est question de focalisation et de point de vue. Car la traductologie a dù lutter pour trouver sa place parmi les autres disciplines qui se disputaient son objet d'étude. Ainsi, la traduction a été envisagée tour à tour comme une bra nche de la linguistique contrastive, de la linguistique appliquée, de la linguistique textuelle, de la psycholinguistique, ou encore comme une forme de communication multilingue ou bien de communication interculturelle ; sans oublier les approches littéraires, philosophiques ou anthropologiques auxquelles elle a pu donner lieu au fil du temps. Bref, la traduction a été abordée suivant de multiples angles, mais aucune perspective d'étude n'a épuisé son objet ni ses problé­ matiques, c'est pourquoi elle a évolué vers une discipline '0

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poétiques ; (4) l'univers du discours ; (5) le développement du langage et de l'éducation ; (6) les techniques de traduction. Dans cette classification centrée sur la traduction littéraire, l'idée de « contrainte ''joue un rôle essentiel. D'autres traductologues enfin envisagent cette histoire du point de vue de l'objet . Ainsi, Meschonnic (1973 : 322) note une évolution générale en trois temps : « L'historique européen du traduire est passé de l'unité­ mot à l'unité-groupe puis à l'unité-texte. Du littéralisme théologique à la paraphrase culturelle puis à l'exactitude érudite. " Il estime que la traduction est passé e progressivement d'un artisanat théorique vers des positions plus scientifiques, mais il regrette que les chercheurs français fassent toujours preuve d'une certaine

résistance à l'égard de la traductologie : « Le dédain culturel pour la traduction caractérise encore la France littéraire, malgré le renouveau mondial de la théorie de la traduction. » Face à la multiplicité des avis et des points de vue, il est diffi cile de suivre un seul traductologue. De plus, après tout ce qui a été dit et écrit sur la traduction, il serait absurde de refaire cette histoire dans le cadre de cet ouvrage. Il suffit de parcourir une bibliographie des principaux écrits sur la traduction depuis l'Antiquité jusqu'à nos jours pour se rendre compte qu'une approche historique n'a de sens que si elle s'attache à retracer l'évolution des idées traductologiques et leur traitement à travers les époques.

3. BRÈVE H ISTOIRE DES I DÉES TRADUCTOLOGIQUES

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Dans l'ensemble, l'histoire de la traduction est faite d e la c cexistence de contraires qui semblent s'alimenter réciproquement, chacune des étapes traductologiques étant marquée par « une série de critiques et de propositions de critères, immédiatement désavoués par une opposition toujours présente » (Brower 1 959 : 1 0) . Ceci se vérifie tout particulièrement à partir du XVI' ���le � �p�()qu� � l ëlq!Je lle ()f1 _consta !e un net développement de la réflexion sur la traduction. Les premières réflexions sont marquées par l'empirisme, mais elles se structurent autour de quelques oppositions centrales : le traduisible versus l'intraduisible, la lettre versus l'esprit, le mot versus l'idée, la fidélité versus l'infidélité, etc. Ces couples de contraires reflètent néanmoins des ef forts de conceptualisation latents qu'il .est.utile de rappeler. ... En ef fet, l'histoire des idées traductologiques est l'histoire d'une opposition sans cesse renouvelée : « Quel que soit le traité de traduction consulté, la même dichotomie reparaît : celle qui existe entre "la lettre" et "l'esprit", "le mot" et "le sens" » (Steiner 1 975 : 245). Cette tendance générale affecte la plupart des écrits, et rares sont les auteurs qui font

exception à la règle. Bassnett (1980 : 39) note que certains débats théoriques appartiennent à toutes les époques : « La distinction entre la traduction "mot-à-mot" et la traduction "sens pour sens", instaurée dès l'époque romaine, continue d'être au centre des débats jusqu'à nos jours . "

L'opposition entre la théorie et la pratique parcourt l'histoire de la traduction et continue de diviser, aujourd'hui encore, les formateurs et les professionnels. Cette distinction qui n'a cessé de s'a ffirmer au cours de J'histoire est indispensable pour comprendre bon nombre des débats et des problématiques qui se posent en tra ductologie. Elle renvoie à des oppositions non moins tranchées entre abstrait ... -=-et concre t,"fondamental •e t"appliqué , inutile-� et utile . Suivant ces lignes de partage, on rencontre des traducteurs qui récusent l'intérêt même d'une quelconque théorie de la traduction, se réclamant d'un empirisme radical et perçu comme salutaire. On rencontre également des théoriciens de la traduction qui expliquent à longueur de traités les errements de certains

n raticie ns, en s'emp loyant à démo trer les e et raisonnée. critiqu on réflexi d'une érites la raison ignore Chacun a ses raisons que ches sont deux appro les mais arfois, ecevables car elles ne sont contradictoires qu'en apparence.



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A l'examen approfondi, une seule chose

est certaine : le développement régulier et phénoménal des activités de traduction ne trouve pas d'écho à la mesure de SO!l expansion au niveau des recherches théoriques : « L'extension en largeur et en profondeur de l'activité de traduction, à laquelle on assiste sur le plan pratique, ne s'accompagne pas d'un développement parallèle sur le plan théorique » (Steiner 1 975 : 82). Malgré la somme d'essais publiés dans toutes les langues, la pratique de la traduction occupe, dans l'ensemble, une place bien plus importante que les considérations théoriques. On traduit beaucoup plus qu'on ne conceptualise, confirmant ainsi le décalage déjà ancien entre théorie et pratique. Dans son étude sur l'histoire de la traduction en Occident, Van Hoof (1991) met en évidence ce décalage en insistant sur le caractère occasionnel et ponctuel des considérations théoriques. C'est pourquoi, un aperçu historique n'a d'intérêt que s'il s'attache à retracer le développement des idées qui ont marqué la réflexion sur la traduction, telles que le traduisible et l'intraduisible.

La possibilité même de traduire s'est posée d'emblée pour les textes religieux. Les réactions contradictoires à la traduction de l'Ancien Testament mettent en évidence deux conceptions radicalement opposées de la traduction. Pour certains, la traduction permet de transmettre et de perpétuer la Révélation, tandis que pour d'autres elle constitue un acte innommable et blasphématoire. D'un côté, la traduction est perçue comme une aide aux humains pour accéder aux secrets des textes sacrés ; de l'autre, elle est considérée comme un sacrilège et une atteinte à la parole divine qu'elle ne peut que dégrader.

Dans ses travaux, Nida (1 964 : 9) s'est attaché à souligner la place centrale qu'occupent les écrits· bibliques dans l'histoire de la traduction

en Occident : « Aucun autre type de traduction ne possède une aussi longue histoire, aucun n'implique autant de langues différentes ( . . . ) aucun n'englobe des textes aussi divers, ni ne couvre des aires culturelles aussi distinctes. » C'est pourquoi, il est difficile de comprendre le développement de la traduction sans prendre en considération l'attrait considérable que les textes sacrés ont exercé sur les traducteurs de l'Antiquité à nos jours. Outre le fait que la traduction de la Bible a été un outil e fficace d'évangélisation, le rapport au texte sacré a profond�ment marqué la pratique et la conception de l'activité traductionnelle : « D'une manière générale, il convient de souligner que l'histoire des religions et, pour l'Occident, celle du christianisme en particulier, constitue une source précieuse pour l'étude. de la traduction. Les besoins d'une communauté chrétienne en expansion rapide posèrent très vite le problème de la traduction de l'Ancien Testament en d'autres langues que le latin : le syriaque d'abord, puis le copte, l'éthiopien, le géorgien, l'arménien, le gotique. La traduction religieuse fut d'ailleurs indubitablement antérieure à la traduction littéraire, tout comme la traduction administrative » (Van Hoof 1 991 : 13). Les traductions grecques de l'Ancien Testament se développent à partir du fie siècle av. J.-C. Le grec demeure la langue unique du christianisme jusqu'au milieu du 111• siècle de notre ère, mais bientôt il est supplanté par le latin avec l'essor considérable de l'empire romain. La première version latine de la Bible, la Vetus Latina, fut établie à partir d'un texte en grec pour répandre la parole de Dieu parmi les peuples latins (Van Hoof 1 991 : 1 4). C'est à cette époque qu'apparaissent les premières interrogations concernant la traduction. D'un côté, il y a ceux qui considèrent la traduction comme un don et une révélation qui permet de traduire la parole divine ; de l'autre, il y a ceux qui estiment impossible de transposer le mystère de la parole de Dieu dans le langage des humains et qui considèrent, par conséquent, la traduction comme un sacrilège et le traducteur comme un blasphémateur. De cette alternative naît la problématique de l'objection préjudicielle qui marquera l'histoire de la traduction jusqu'à l'époque contemporaine (Ricoeur 2004).

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L'une des questions qui a longtemps occupé les traducteurs et les théoriciens de la traduction a été de savoir si la traduction était un « art ,, ou une « science ». Il est clair que cette question est d'emblée sujette à caution car le caractère scientifique des travaux en traduction ne réfère pas au même type de démarche que celle observée chez les « scientifiques » justement . L'analogie entre la démarche du physicien et celle du traducteur ne résiste pas à l'examen des faits et apparaît, en fin de compte, comme une comparaison abusive . Cela n'a pas empêché bon nombre d'auteurs de se pencher sur cette question, parfois au prix de raccourcis aléatoires et de propositions infondées.

Ainsi, dans leur Stylistique comparée du français et de l'anglais, Vinay et Darbelnet affirment se rattacher à une conception « scientifique » de la traduction, en réaction aux approches « artistiques » et impressionnistes. Mais pour concilier les deux conceptions, ils avancent que la traduction « devient un art une fois qu'on en a assimilé les techniques » (Vinay et Darbelnet 1 958 : 24). Dans cette optique, les deux auteurs déploient un effort considérable pour satisfaire aux conditions de scientificité, en mettant en évidence sept procédés de traduction qui sont censés illustrer lesdites « techniques ». De plus, ils font précéder leurs analyses d'un glossaire de termes techniques qui vise à montrer la rigueur de la démarche, en la fondant sur une terminologie précise et prédéfinie d'entrée de jeu. Chez eux, la terminologie

Aperçu historique de la traduction

apparaît d'ailleurs comme la ligne de partage qui sépare les approches « scientifiques » des approches « artistiques » de la traduction.

l'auteur qu'il a fait œuvre non seulement plaisante mais vivante et, en fin de compte, durable » (Cary 1 963 : 21).

Enfin, cette aspiration à la scientificité est per­ ceptible dans le rattachement discip-linaire qu'ils revendiquent pour leur étude. Selon eux, la traduction est avant tout « une application pratique de la stylistique comparée » et un « auxiliaire de la linguistique », l'idée étant de rattacher la traduction à une science instituée (la linguistique) pour tirer profit de son cadre et de ses méthodes éprouvées.

En Allemagne, Friedrich Schleiermacher (176 7-1834) est le premier à aborder la problématique de la traduction sous l'angle de l'opposition entre auteur et lecteur. Pour lui, il n'y a guère que « deux méthodes fondamentales de traduction véritable : amener l'auteur au lecteur ou bien conduire le lecteur vers l'auteur ». Cette distinction sera largement reprise et développée par la suite dans le cadre de la tradit!on traductologique allemande.

On retrouve cette même opinion chez un autre théoricien, Mounin (1 976 : 1 6), qui défend la même position en se fondant sur une analogie pour le moins discutable : « On peut, si l'on y tient, dire que, comme la médecine, la traduction reste un art, mais un art fondé sur une science. >> Toujours est-il que l'auteur, à l'instar de Vinay et Darbelnet, « revendique pour l'étude scientifique de la traduction le droit de devenir une branche de la linguistique » (Mounin 1 976 : 273).

L'époque contemporaine voit se détacher nettement deux figures, celle de l'auteur et celle du traducteur. Même si cette répartition des rôles n'a pas été ainsi de tous temps - car il y a toujours eu des écrivains traducteurs et des traducteurs auteurs - l'opposition entre les deux n'a fait que s'accentuer au fil des siècles pour de multiples raisons. Cary (1963 : 21) expose clairement les éléments du problème : « Les théoriciens ont volontiers campé le traducteur en face de l'auteur tantôt comme un rival, tantôt comme un serviteur. Bien peu ont aperçu le terme complémentaire de l'équation, à savoir le rapport qui existe entre le traducteur et ses lecteurs. » Ainsi, pour sortir de la dichotomie surannée auteur versus traducteur, Cary fait appel à un troisième terme, le lecteur. il prend pour exemple l'un des meilleurs traducteurs français de la Renaissance, Jacques Amyot (151 3-1 S93), dont il explique le succès : « [C'est parce qu'ill traduit en pensant à son public autant qu'à

La même question taraude les esprits dans l'Angleterre victorienne qui se met à traduire en anglais les œuvres de l'Antiquité : comment juger la qualité d'une traduction ? Faut-il transposer les œuvres telles quelles ou bien les mettre au goût du jour ? Dans son On Translating Homer, publié en 1 861, Matthew Arnold considère que nous sommes dans l'impossibilité de connaître, et a fortiori de recréer, l'effet qu'avait un original grec sur les lecteurs de l'époque ; c'est pourquoi il propose de s'en tenir au jugement d'un public cultivé pour évaluer la réussite d'une traduction. On retrouve une opinion semblable chez Francis W. Newman qui estime dans ses Homeric Translations in Theory and Practice

que l'appréciation du grand public est le seul critère pour juger la réussite d'une traduction. Selon Ballard, ces deux auteurs (Arnold et Newman) pèchent par hétérogénéité, chacun reprenant une partie des principes hérités de l'école allemande (Ballard 1 992 : 245). Pour sa part, Edward Fitzgerald (1 809-1883), dans son adaptation de poèmes persans, soutient que le traducteur doit assurer la pérennité de l'œuvre, même si la ressemblance avec l'original doit en pâtir. En cela, il se fait l'écho d'une opinion partagée par d'autres auteurs tels que Thomas Carlyle (1 795-1 881 ) et Gabriel Rossetti (1 828-1 882).

Les notions d'« original » et de « copie », malgré leur apparente évidence, sont tout à fait relatives et évolutives : elles dépendent du contexte considéré et de l'époque

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i l >, mais pour cela il est obligé de comparer les manuscrits grecs avec les versions latines, de les confronter aux interprétations théologiques, afin de pouvoir reconstituer « l'original » qu'il convient de traduire . Sa traduction anglaise du Nouveau Testament, qui paraît dès 1 505, s'adresse avant tout à des érudits. Bien qu'il recommande, parallèlement à la traduction, la lecture de la Vulgate (le texte latin de référence), t rasme défend ardemment la traduction de la Bible dans la langue du peuple : « Je ne suis donc pas du tout d'accord avec ceux qui voudraient empêcher la Sainte tcriture d'être lue par les ignorants et traduite en langues vulgaires » (cité dans Ballard 1 992 : 1 39). Dans un autre registre, Luther (1483-1 546), le premier traducteur allemand de la Bible (1521), indique qu'on lui a volé sa version du Nouveau Testament, que I'Ëglise en a interdit la publication, mais qu'elle a été recopiée mot pour mot et vendue sous le nom d'un autre. il n'y avait donc pas que la notion de « texte original » qui posait problème, celle de propriété intellectuelle du traducteur faisait également défaut.

Dans

de la langue (1549), Du Bellay prône « la création, l'invention ». Il se montre très critique à l'égard des traducteurs qui manquent de « créativité » selon lui. C'est pourquoi, il préfère à leurs traductions les œuvres originales. Défense et illustration

française

Pourtant, à la même époque, l'un des traducteurs français les plus inventifs, Jacques Amyot (151 3-1593), exprime un véritable souci esthétique : « L'office d'un propre traducteur ne gist pas seulement à rendre fidelement la sentence de son autheur, mais aussi à adombrer la forme du style et manière de parler d'icelui » (cité dans Cary 1 963 : 1 7). Van Hoof (1991 : 36) explique cette orientation nouvelle de l'écriture qui s'affirme dans la seconde moitié du XVI• siècle : les auteurs passent en fait de la traduction à la paraphrase pure et simple, en invoquant le principe aristotélicien de la mimèsis (imitation).

Désormais, il ne suffit plus de traduire ; il faut imiter l'original car la mimèsis est le principe même de l'art selon Aristote. Dans le De interpretatione (1661), Pierre­ Daniel Huet défend ainsi le littéralisme comme un absolu artistique et promeut une image du traducteur comme imitateur en acte. Pour lui, " le meilleur modèle de traduction est celui où le traducteur s'attache très étroitement à la pensée de l'auteur, puis aux mots mêmes si les possibilités offertes par les deux langues le permettent, et enfin où il reproduit le style personnel de l'auteur autant que faire ·se peut, s'appliquant seulement à le présenter fidèlement, sans le diminuer par aucune suppression ni l'augmenter d'aucune addition, mais dans son Intégrité et le plus ressemblant possible en tous points » (cité dans Kelly 1 979 : 256). Huet s'insurgeait ainsi contre les « belles infidèles » qui florissaient à son époque et critiquait les choix de Perrot d'Ablancourt (1 606-1 664) en raison de son inventivité excessive. Pour lui, il ne s'agissait pas tant de bien écrire que de bien traduire. On assiste ainsi aux prémices d'une prise de conscience de la différence qui sépare l'auteur du traducteur : le premier se situe du côté de la langue maternelle, le second du côté de la langue étrangère. Cette distinction en germe dans les esprits débouchera sur les considérations éthiques des siècles ultérieurs concernant les devoirs moraux du traducteur envers ses lecteurs. À partir du XVIII• siècle, les deux figures de l'auteur et du traducteur se différencient nettement : « La miss ion civilisatrice de la traduction prend fin. L'esprit s'affranchit de la tutelle de l'Antiquité et la littérature de celle de la traduction. Pour les rationalistes, il reste à progresser, à créer plus qu'à traduire » (Kelly 1 979 : SB) .

La logique progressiste de l'époque valorise l'écriture comme une exaltation de la créativité et relègue la traduction au rang d'auxiliaire, comme une activité de second plan . Aussi celle-ci ne tardera-t-elle pas à devenir l'un des genres mineurs de la littérature, parfois raillé et souvent critiqué .

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CHAPITR E 2

Dans les Lettres persanes ( 1 7 1 9), Montesquieu (1 689-1755) met en scène deux personnages qui expriment, en filigrane, l'image dévalorisée de la traduction chez ses contemporains :

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« - J'ai une grande nouvelle à vous apprendre, je viens de donner mon Horace au public.

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- Comment ! Il y a deux mille ans qu'il y est. -Vous ne m'entendez point, c'est une traduction de cet ancien auteur que je viens de mettre au jou r : il y a vingt ans que je m'occupe à faire des traductions. - Quoi ! Monsieur, il y a vingt ans que vous ne pensez pas ! » Le caractère acerbe de cette dernière réplique en dit long sur l'image de la traduction au siècle des Lumières. La raison principale en est que la traduction est alors assimilée à l'imitation servile

alors que l'écriture est synonyme d'inventivité et de créativité. Dans ses

Observations sur l'art de traduire en

général (1 759),

D'Alembert ( 1 7 1 7-1 783) insiste sur le fait que le fondement de la traduction est l'imitation, même s'il reconnaît que des néologismes et des expressions nouvelles doivent parfois être forgés pour permettre une meilleure traduction. Comme ses contemporains, D'Alembert ne fait que refléter les vues de l'abbé Charles Batteux (1713-1 780) dont le Cours de Belles­ Lettres (1 748), consacré notamment à l'étude du langage, aura une influence considérable sur l'étude de la traduction. L'auteur y postule « pour l'ensemble des productions artistiques une base uniforme, la notion d'imitation » (cité dans d'Hulst 1 990 : 40).

Dans sa « Troisième lettre, contenant les règles de la traduction, tirées, comme autant de conséquences, de la comparaison des deux langues, latine et française », Batteux met en évidence l'importance de l'ordre des mots et des idées, que l'on doit conserver dans la traduction au même titre que la longueur des périodes, la place des conjonctions et celle des adverbes. Il considère également que la symétrie des phrases doit être préservée, que l'éclat d'une écriture ne doit être ni amplifié, ni atténué, qu'il faut rendre avec soin les figures de rhétorique, un proverbe-doit-correspondre un autre proverbe. Ces divers préceptes s'inscrivent dans le cadre d'une distinction importante de Batteux : « Je distingue deux sortes de traductions. La première est celle qui rend un auteur dans une telle perfection qu'elle puisse en tenir lieu, à peu près commé une copie de tableau, faite d'une excellente main, tient lieu de l'original. La ne tient pas lieu de l'auteur mais elle seulement à en comprendre le sen's ; �ile prépare les voies à l'intelligence du lecteur. Ce sera à peu près une estampe » (cité dans d'Hulst 1 990 : 32) . Il convient de relever, dans cette analogie intersémiotique, la comparaison de la tradu­ ction à une « copie de tableau ,, dans le premier

Aperçu historique de la traduction

cas et à une « estampe" dans le second cas. Mais dans tous les cas, l'original reste inaccessible et irremplaçable. C'est pourquoi, Batteux conseille de s'en tenir à la littéralité, mais il précise que cela ne doit pas être confondu avec l'imitation servile. Pour lui, « c'est au goût à régler les limites entre la liberté et les lois ''·

Tout au long du Moyen Âge, le latin est la langue liturgique au sein de I'Ëglise. Toût était écrit ou traduit en latin. Mais progressivement, les traductions vont se faire du latin vers les langues vernaculaires dites « profanes » ou « vulgaires , et tenues pour inférieures (du latin vu/gus, la foule), puis entre les différentes langues « vulgaires » qui ne sont autres que les langues actuelles de l'Europe. Le roi Charles le Chauve (roi de 843 à 877) et son frère Louis le Germanique, ayant exigé une version tudesque du texte roman du Serment de Strasbourg, sont ainsi à l'origine de la première traduction d'une langue vulgaire vers une autre langue vulgaire (Kelly 1 979 : 205). En anglais, les traductions marquantes sont l'œuvre du moine Aelfric, dit Grammaticus (955-1 020). Celui-ci promeut une traduction simple et fidèle des textes bibliques destinés au commun des mortels (Ballard 1 992 : 62).

dont l'influence sera prépondérante sur toute la littérature anglaise , (Van Hoof 1 991 : 1 26). Au sujet des traductions vers le français, Ballard (1 992 : 86) écrit : « Ainsi donc se dessine en Françe, dès la fin du Moyen Âge, une façon de traduire prédominante qui évite le mot-à-mot pour des raisons de clarté et d'élégance. [...] on voit ce genre de traduction se perpétuer et se développer jusqu'aux débuts de la Renaissance. Il participe du désir de rendre accessible au plus grand nombre, et en particulier aux profanes, des textes écrits en latin (ou en grec) et qui étalent jusque-là réservés aux seuls érudits. » En Allemagne, l'un des « vulgarisateurs » les plus importants des textes sacrés est Luther (1483-1 546). Il se lance de façon effrénée dans la traduction du Nouveau Testament qu'il achève en quelques mois seulement (152 1 ). Dès 1 530, il compose Ein Sendbriefvom Dolmetschen dans lequel Il précise à l'attention de ses lecteurs : « Je ne me suis pas détaché trop librement des lettres, mais j'ai pris grand soin avec mes aides de veiller, dans l'examen d'un passage, à rester aussi près que possible de ces lettres sans m'en éloigner trop librement. [.. ] j'ai préféré porter atteinte à la langue allemande plutôt que de m'éloigner du mot » (cité dans Ballard 1 992 : .

143).

Le caractère « fondateur » de la Bible de Luther a été maintes fois souligné : celle-ci est à l'origine non seulement d'un « parler populaire généralisé , mais aussi de « la première grande œuvre allemande » (Berman 1 984 : 46). En traduisant la Bible en langue vulgaire, Luther a donné à l'allemand un statut et une autonomie qu'il n'avait pas auparavant, sans oublier qu'il a contribué à fixer une forme nouvelle d'allemand littéraire (Savory 1 957 : 39).

La traduction biblique connaît un engouement certain malgré les interdits de l'Église catholique. Dans l'ensemble, celle-ci considère la traduction comme une dégradation, voire une perversion du sens sacré. La méfiance à l'égard des Bibles diffusées en langues « vulgaires » était telle qu'elle suffisait à rendre leurs possesseurs suspects d'hérésie. Quant aux traducteurs incriminés, ils finissaient souvent sur le bûcher. Ainsi, William Tyndale (1 494-1 536) entreprend de traduire le Nouveau Testament à Londres en 1 523. Il veut réfuter l'idée selon laquelle la langue « vulgaire » est incapable de rendre convenablement le texte sacré. Sa témérité lui vaudra d'être pendu et brûlé.

Toutes ces particularités font dire à Van Hoof ( 1 991 : 214) que « la qualité de la traduction luthérienne en a fait un monument d'une importance primordiale non seulement pour l'histoire de la traduction, mais aussi pour la littérature allemande toute entière "·

Malgré tout, d'autres traductions de l'Ancien et du Nouveau Testament sont données en langue profane. Elles se caractérisent dans l'ensemble par « une langue simple, sans pédanterie mais aussi sans trivialité [.. ] créant une prose biblique

De plus, les réflexions de Luther concernant la relation entre les langues sont d'une modernité indéniable : « Ce n'est pas aux mots de la langue latine que l'on doit demander comment il faut parler allemand, comme le font ces ânes! mais

.

29

CHAPITRE 2

c'est à la mère dans son foyer, aux enfants dans les rues, à l'homme du commun sur la place du marché qu'il faut le demander en lisant sur leurs lèvres comment ils parlent, et c'est d'après cela qu'il faut traduire, car ainsi ils comprendront et se rendront compte qu'on leur parle allemand » (cité dans Van Hoof 1 991 : 214). A noter toutefois que, sur le plan théorique, Cary ( 1 956 : 1 7) est moins dithyrambique concernant la contribution de Luther à la réflexion sur la traduction : « Cette Épître de la traduction [celle de Luther] contient des affirmations tranchantes d'une haute importance. Cependant, il faut attendre Étienne Dolet pour voir formuler une véritable théorie de la traduction. »

Le débat sur la « fidélité » en traduction est probablement l'un des plus anciens et des plus complexes : faut-il rester fidèle au texte ? A quoi le traducteur doit-il être fidèle, à la lettre ou à l'esprit ? Dans quelle mesure est-il possible d'être fidèle à la source ? etc. Autant de questions qui taraudent les traducteurs depuis des siècles et auxquelles les réponses ont varié du tout au tout : entre les tenants de la littéralité la plus stricte et les défenseurs enthousiastes des « belles infidèles », le traducteur ne sait plus à quel saint se vouer : « Tout au long de l'histoire, la manière de traduire a été dictée en fonction de deux pôles conflictuels : le premier opposant la traduction littérale, donc fidèle, à la traduction libre ou aux �J'belles infidèles" ; et-le second; la primauté du fond sur celle de la forme > > (La rose 1 989 : 4). Déjà, saint Augustin (354-430), admirateur de saint Jérôme, met à l'honneur la notion de fidélité qui constituera la problématique centrale des théories à venir de la traduction : « On peut soutenir que toutes les théories de la traducti. Ô n, qu'elles soient formelles, pragmatiques ou chronologiques ne sont que des . variantes d'une seule . et éternelle quesi:Ton -: cam� ë nt p�i.lt-on�"o'li - ëlëïit-on parvenir à la fidélité ? [ ] Cela fait plus de deux mille ans qu'on en discute. Mais peut-on dire qu'il y ait quoi que ce soit de valable à ajouter au diptyque de saint Jérôme : verbum de verbo, mot-à-mot dans le cas des mystères, mais signification pour signification, sed sensum exprimere de sensu, partout ailleurs ? » (Steiner 1 975 : 245). .•.

Aperçu historique de la traduction

On sait que la « fidélité » a constitué une sorte de dogme qui s'est imposé d'abord à la faveur de la traduction biblique. Par la suite, on a assisté à l'extension de ces préoccupations religieuses au domaine de la traduction profane, sans trouver une issue au dilemme éprouvé par des générations de traducteurs. Il faut attendre le xx· siècle et la séparation de l'État et de l'Église pour voir apparaître les premières tentatives d'une approche critique, désacralisée et débarrassée de la dualité fidélité 1 liberté. Dans After Babel (1 975), Steiner estime que le débat sur la fidélité en traduction est vain et stérile, c'est pourquoi il appelle à dépasser cette dichotomie issue de l'objection préjudicielle : pour ou contre la possibilité de traduire. Il propose d'envisager le problème en termes de degré.

bien posé, la fidélité cesse d'être un problème : elle devient un choix parmi d'autres sur la gamme des actions conscientes du traducteur.

Dans son De finibus, Cicéron (1 06-143) est le premier à lancer le débat : « Il ne sera pas toujours nécessaire de calquer votre langage sur le grec comme ferait un Interprète maladroit [...] Pour moi, quand il s'agit de traduire, si je ne puis rendre avec la même brièveté ce qui ne demande aux Grecs qu'une seule expression, je l'exprime en plusieurs termes. Parfois encore, j'emploie le mot grec quand notre langue me refuse un juste équivalent >> (cité dans Horguelin 1 98 1 : 1 9). Dans son traité intitulé De optimo genere Eusebius Hieronymus (347-420) qui deviendra saint Jérôme, répond aux critiques adressées à l'une de ses traductions en des termes qui reprennent l'essentiel des controverses de l'époque : « Oui, quant à moi, non seulement je le confesse, mais je le professe sans gêne et tout haut : quand je traduis les Grecs - sauf dans les Saintes Écritures où l'ordre des mots est aussi un mystère - ce n'est pas un mot à mot, mais un sens pour sens que j'exprime (non verbum de verbo, sed sensum exprimere de sensu) >> (Lettres de saint Jérôme, 1 953/3 : 59). interpretandi,

« Rejeter la validité de la traduction parce qu'elle n'est pas toujours possible et jamais parfaite est absurde. Ce qu'il faut tirer au clair, demandent les traducteurs, c'est le degré de fidélité qu'on doit se fixer en chaque occasion, le jeu toléré selon les différents travaux. Une démarcation claire et précise parcourt l'histoire et la pratique de la traduction. Il n'est pas un ouvrage consacré à la question qui ne distingue la traduction de documents courants : personnels, commerciaux, d'affaires, éphémères par définition, et la recréation qu'est le transfert d'un texte littéraire, philosophique ou religieux, à un autre » (Steiner 1 978 : 236). Hurtado-Aibir (1990 : 55) lui répond sur le fond : « De Cicéron et Saint-Jérôme jusqu'à nos jours, le problème de savoir quel degré et quelle qualité de fidélité sont requis du traducteur est demeuré une naïveté ou un mensonge philosophique. Il postule une polarité sémantique "mot"/"sens" et s'interroge ensuite sur la meilleure façon d'exploiter "l'espace qui les sépare". >> On le voit, la question centrale de la problématique de la fidélité est celle de la « polarité » : le texte à traduire est perÇu de façon erronée comme une combinaison de « fond » et de « forme >> ou encore de « mots >> et de « sens », alors qu'il est en réalité un tout qui doit être appréhendé dans sa relation à un contexte particulier et en fonction d'une finalité précise. Si le cadre général de la traduction est

On le voit bien, l'opposition entre le mot et le sens est clairement énoncée, avec l'indication d'une préférence de l'auteur pour la traduction du sens, excepté dans la traduction biblique où l'idée de « mystère >> fait pencher la balance du côté de la littéralité : « Depuis ma jeunesse, ce ne sont pas les mots, mais les idées que j'ai traduites >>, dixit saint Jérôme. Loin de conforter la vision dichotomique de la traduction (le mot vs le sens), saint Jérôme suggère une adaptation au type du texte que l'on souhaite traduire : le « mot-à-mot >> serait consacré aux textes sacrés et « l'idée à idée >> aux textes profanes. En somme, la méthode de traduction serait à déterminer en fonction de la nature de l'original. C'est une option qui sera reprise au xx• siècle par le courant fonctionnaliste de la traductologie, en particulier en Allemagne.

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CHAPITRE 2

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En 384, saint Jérôme fut chargé de la révision de la Vetus Latina. Il y travailla jusqu'à sa mort survenue en 420, en s'appuyant sur le texte hébreu et diverses versions grecques, donnant ainsi naissance à la Vulgate, longtemps considérée comme l'une des meilleures traductions de la Bible : « la traduction de Jérôme, en somme, constitue souvent un compromis entre le désir de suivre, jusque dans la lettre, le texte inspiré et la volonté d'utiliser une langue aussi correcte et élégante que possible >> (Van Hoof 1 991 : 1 3).

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A la fin du v• siècle, le poète et philosophe Boèce (mort en 524) recommande de s'en tenir dans la traduction au mot-à-mot et cela afin de ne pas corrompre la vérité. Dans Je sillage de cette opinion, l'on constate que le Moyen Âge est marqué, d'un bout à l'autre, par Je débat sur le mot et l'idée en traduction.

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En 1 556, Sebastiano publie à Venise Del modo

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qui résume les termes du débat. En faisant appel aux vues de Cicéron et d'Horace, Sebastiano estime que Je « mot » fait pencher le traducteur du côté du littéralisme, mais que « l'idée >> rapproche la traduction de l'herméneutique : dans un cas, il faut s'en tenir à la lettre du texte ; dans l'autre, il faut interpréter le sens. Tout dépend de la complexité du texte à traduire (Ballard 1 992 : 96).

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de Sebastiano met en scène deux personnages qui confrontent leurs points de vue sur la traduction : l'un est partisan de la traduction mot à mot, l'autre soutient la traduction de l'idée. Au cours du débat, un spectateur intervient pour tenter de concilier les deux positions en proposant un compromis, mais il ne fait qu'ajouter à la confusion. l'auditoire se retrouve alors divisé en trois : les tenants du compromis entre Je mot et l'idée venant =s'ajouter àùx défehseurs'ilu mot co'ntrë ceux de J'idée.

les Romains ont traduit beaucoup d'œuvres de la civilisation hellénique qu'ils admiraient. Contrairement aux Grecs, qui n'avaient qu'un

seul mot pour « traduire >> (hermeneuein, comprendre, expliquer), ils pouvaient user de plusieurs vocables pour désigner J'activité de traduction : « verto, converto, transverto, imitare, reddere, translatare >> (Van Hoof 1 991 : 1 4). l'Odyssée du poète grec Homère (VJIJ• siècle av. J.-C) a été traduite en latin et en vers par livius Andronicus vers 240 av. J.-C Mais sa traduction est si libre qu'elle peut être considérée comme une adaptation de l'original : « A partir de cette période, on voit de nombreux auteurs latins se servir des originaux grecs tout autant comme base de travail pour une traduction plus ou moins libre que comme source d'inspiration pour des (re)créations plus ou moins personnelles » (Van Hoof 1 991 : 14).

En réalité, ces traductions s'inscrivaient dans Je cadre d'un courant esthétique visant la reproduction des chefs-d'œuvre grecs perçus comme un modèle à imiter. la traduction n'avait pas pour fonction de rendre les œuvres originales accessibles au public de J'époque, mais était considérée comme un exercice littéraire faisant partie intégrante de l'art oratoire. C'est d'ailleurs pour cette raison que Cicéron (1 06-43 av. J.-C) aborde les questions relatives à la traduction dans De optima genere oratorum. Dans ce traité consacré à l'éloquence, il pose les premiers jalons d'une réflexion qui formera des· sièdes· plus tard · le corps de la réflexion traductologique : « J'ai mis en latin les deux plus célèbres discours des deux Attiques les plus éloquents, Eschine et Démosthène, discours dont J'un répond à l'autre ; je les ai mis en latin non pas en traducteur mais en orateur ; les pensées restent les mêmes, ainsi que leur tour et leurs figures ; les mots sont conformes à l'usage de notre langue. Je n'ai pas cru nécessaire 'de rendre mot pour mot ; c'est le ton et la valeur des expressions dans leur enseriïl:ile que"j'ai garaeS. J'ai crù qu'fi me fafiait payer Je lecteur non pas en comptant pièce par pièce, mais pour ainsi dire en pesant la somme en bloc » (cité dans Ballard 1 992 : 39). A travers ces réflexions apparaissent les deux tendances qui vont marquer l'histoire de la traduction : la traduction « mot pour mot >>, que

Aperçu historique de la traduction

récuse Cicéron, et la traduction qui s'attache à l'identité des « pensées >> dont il fait la promotion. Dès lors, Cicéron apparaît comme le chantre de la traduction dite « libre », alors même qu'il se définit comme un orateur avant tout. Nicolas Beauzée (171 7-1 789), grammairien versé dans l'art oratoire, adopte une position proche mais polémique en ayant recours à la métaphore religieuse. Pour lui, « rien de plus rare qu'une excellente traduction, parce que rien n'est ni plus difficile ni plus rare que de garder un juste milieu entre la licence du commentaire et la servitude de la lettre. Un attachement trop scrupuleux à la lettre détruit l'esprit, et c'est l'esprit qui donne la vie ; trop de liberté détruit les traits caractéristiques de l'original, on en fait une copie infidèle » (cité dans d'Hulst 1 990 : 45). Il faut noter ici la métaphore religieuse latente qui parcourt le texte, en particulier dans la phrase « Un attachement trop scrupuleux à la lettre détruit l'esprit, et c'est l'esprit qui donne la vie ». Dans cette perspective, le traducteur se retrouve projeté à deux doigts du Saint-Esprit et la traduction invoquée pour donner vie à un texte personnifié. Ce type de métaphore religieuse est typique des réflexions prémodernes sur la traduction ; il fait partie de l'épistémè de l'époque. Aussi faut-il se garder de tout anachronisme dans le traitement des problématiques de la traduction. Cela n'est possible qu'en ayant recours à une contextualisation rigoureuse des auteurs et des écrits : qui écrit sur la traduction ? Dans quel contexte historique et politique ? Pourquoi et dans quel but écrit-il 7 Seule une réponse étayée à ces questions permet de juger, de façon objective, la portée des questions posées et la pertinence des réponses apportées. De plus, cette opposition de la lettre à l'esprit se trouve corrélée à la réception. La nécessité de « payer le lecteur », évoquée par Cicéron, marque le début de la controverse entre « sourciers » et « ciblistes » : les premiers concentrent leurs efforts sur le texte source, les seconds s'intéressent davantage aux attentes du public cible.

Meschonnic (1 973 : 362) écrit au sujet de la lettre et de l'esprit : « On a noté que, dans l'histoire de la traduction, à l'intérieur de notre culture européenne et proche-orientale, la paraphrase a précédé la traduction littérale presque partout (Rabin). Targoum, "traduction", était traduction et paraphrase mêlées. Puis au Moyen Age, la traduction étant religieuse, était littérale : la lettre était sacrée. La Renaissance, en se libérant, est allée vers l'équivalence dynamique, la paraphrase pour l'effet d'ensemble. L'Europe du XVII' et du XVIII' siècle récrivait les œuvres étrangères selon les normes classiques, opposant l'exactitude à la beauté, prolongement esthétique du dualisme occidental et chrétien entre la lettre et l'esprit, poursuite de la réaction anti-littéraliste du XVI' siècle. Contre ces libertés, l'Encyclopédie commençait à réagir : ne rien ajouter, ni retrancher, ni déplacer. Ce que faisait Florian sur Don Quichotte. Le romantisme allant vers l'individuel, la particularisation, est allé vers la traduction littérale, et la fin du siècle vers la traduction érudite, Matthew Arnold ou Leconte de Lisle. On n'oppose plus aujourd'hui l'exactitude à la beauté. On vise plutôt la beauté par l'exactitude. Et plutôt même on vise un public ».

Le XIX' siècle est marqué par la montée des nationalismes dans toute l'Europe. La traduction va être perçue à travers le prisme déformant de l'idéologie nationaliste selon l'opposition : « national » versus « étranger ». Face à cette problématique, tous les pays ne sont pas à envisager sur le même pian. Les positions diffèrent en fonction de l'évolution des rapports de force internationaux. Jusqu'à la fin du XVIII' siècle, la majorité des auteurs français traduisent de façon « pédante ». Nida parle, à ce sujet, de « supersophistication ». La tendance générale est à l'adaptation des œuvres étrangères aux attentes du public français et à la recherche d'une beauté stylistique même au prix d'un écart significatif de l'original. Le goût français s'affirme jusque dans le choix des thèmes et des auteurs. A cette époque, on commence à distinguer les contours d'une « École française » de la traduction que l'on perçoit, par exemple,

33

CHAPITRE 2

à travers le « Discours sur la vraie manière de traduire » (1 772) qui ouvre l'essai sur Pindare de Jean-François Vauvilliers (1737-1801).

34

Outre-Rhin, les auteurs allemands, ayant pris leur distance avec la tradition luthérienne, critiquent ceux qui s'inspirent de la littérature française. Ainsi, Gotthold Ephraim Lessing (1 729-1 781) reproche à Johann Christoph Gottsched (1 700-1766) d'avoir « francisé » le théâtre allemand. Dès le milieu du XVIII• siècle s'affirme une réaction contre la tradition française : « La théorie allemande de la traduction se construit consciemment contre les traductions à la française » (Ballard 1 992 : 228).

C'est ainsi que Bodmer (1 698-1783) prend parti pour une traduction littérale qui rende compte du style de l'écriture de départ. Breitinger (1701-1 776) considère également que le texte d'arrivée doit susciter des Impressions analogues à celles éprouvées par le lecteur de l'original. Van Hoof (1 991 : 232) note une évolution indéniable en Allemagne au cours de cette période : « Dans ce débat national pour ou contre la traduction, les esprits se sont aiguisés et les vues précisées. » On peut dire qu'à l'époque romantique, la traduction a été une question nationale. Meschonnic (1 973 : 330) résume à sa manière cette dialectique entre le national et l'étranger : « Quand se formaient les littératures nationales, traduire et écrire étaient de même. Puis on a entendu que traduire parlait d'un autre. Puis est venue la notion goethéenne de littérature mondiale. Puis la fermeture des histoires littéraires qui occultent l'étranger pour croire en elles-mêmes. >>

Traditionnellement, on fait remonter les premières attestations de l'activité de traduction au troisième millénaire av. J.-C. (Cary 1 956 : 1 32). Cette activité semble avoir commencé très tôt, mais elle était l'apanage d'une élite administrative chargée de gérer les relations entre différents peuples amis ou ennemis : « Après que Sumer eut été progressivement conquis, .dans.Je derniecquart . du . . .. troisième millénaire, par les Sémites akkadiens, les professeurs sumenens entreprirent la rédaction des plus vieux "dictionnaires" que l'on connaisse. Les conquérants sémitiques, en effet, non seulement avaient emprunté aux Sumériens leur écriture, mais ils en avaient conservé précieusement les œuvres littéraires, qu'ils étudièrent et imitèrent longtemps après que le sumérièn eut disparu comme langue parlée » (Kramer 1 957 : 46). La traduction apparaît ainsi comme le moyen pour le conquérant - ou pour la civilisation dominante - d'assimiler les peuples vaincus et d'intégrer rapidement l'acquis de leur culture. Seule la civilisation hellénique est restée à l'écart de ce mouvement cyclique, ce qui explique dans une large mesure la place mineure de la traduction en son sein. Les Grecs considéraient,

Aperçu historique de la traduction

en effet, les langues autres que la leur comme " barbares , et méprisaient, par conséquent, tout ce qui avait trait à « l'étranger "· Même la réflexion philosophique sur le langage était marquée par un ethnocentrisme qui allait jusqu'à ériger en catégories universelles des traits typiques de la langue grecque. Il faut rappeler qu'à l'époque, les Grecs dominaient une bonne partie du monde ancien connu et que la traduction à proprement parler se faisait essentiellement vers le grec. L'exemple de la pierre de Rosette en est une illustration (Nida 1 964: 1 1 ). Cette stèle égyptienne, qui date de l'époque ptolémaïque, porte en effet l'une des plus célèbres traductions de l'Antiquité. Elle a été réalisée en 1 96 av. J.-C. sous le règne de Ptolémée V et découverte en 1 799 lors de l'expédition de Napoléon Bonaparte en Égypte. Elle comprend un texte (ou biscript) écrit en hiéroglyphes et en démotique, accompagné de sa traduction en grec. Un véritable « corpus parallèle » qui a permis à Champollion de déchiffrer les hiéroglyphes en 1 822. Plusieurs études attestent le lien entre activité de traduction et conquête militaire. L'attestation la plus ancienne est probablement celle du « traité de Kadesh » qui fait suite à la bataille du même nom (en 1 286 av. J.-(.) entre le royaume des Hittites et l'Égypte de Ramsès Il. Deux espions-traducteurs sont au cœur de la manœuvre qui a permis in fine l'instauration de la paix. Certains traducteurs anciens vont même jusqu'à affirmer « le droit du vainqueur , de traduire, à sa guise et selon ses besoins, les œuvres et les textes du vaincu. Pour eux, en tant que conquérant, il n'a pas à se soumettre aux règles préétablies. Témoin cet avis implacable qui figure dans la préface de la traduction de la Vie de saint Antoine réalisée par Evagre : « Une journée ne me suffirait pas, si je voulais reproduire les témoignages de tous les auteurs qui ont traduit selon Je sens. JI suffira, pour le moment, de nommer Hilaire le Confesseur [. ] loin de s'attacher à la lettre som n olente et de se torturer par une traduction affectée à la manière des ignorants, il a pour ainsi dire capturé les idées et les a transposées dans sa propre langue, par le droit du vainqueur , (cité dans Ballard 1 992 : 49). ..

La traduction des « idées , serait ainsi l'apanage du vainqueur, sorte d'ultime victoire remportée sur l'ennemi, conquis jusque dans sa langue. Cette métaphore guerrière sera reprise et confirmée par des auteurs contemporains tels que Eugene Nida et Edmond Cary.

À partir du XVI• siècle, les écrivains et les

traducteurs visent ouvertement un public de plus en plus large, s'adaptant ainsi aux nouveaux besoins caractéristiques de leur époque. Van Hoof (1 991 : 3 1 ) indique, à ce propos, que « c'est la Renaissance, qui, éprouvant le besoin d'inventer des termes pour désigner des réalités nouvelles, façonne une notion entièrement neuve de la traduction "· Influencés par leur travail sur les textes religieux qu'ils veulent rendre accessibles à un plus vaste public, les traducteurs donnent naissance à un courant de traduction-vulgarisation qui prend pour ainsi dire le contre-pied du phénomène de traduction-érudition qui avait prédominé aux siècles précédents. De plus, au cours du XVIII• siècle, les traducteurs délaissent peu à peu les textes grecs et latins pour se tourner vers des littératures et des langues considérées comme « exotiques , : le russe, le persan, l'arabe et le sanskrit. Il faut attendre 1 782 pour que l'intégralité des œuvres de Shakespeare soit traduite en français grâce au travail de l'érudit Pierre Je Tourneur (1736-1 788). En réalité, Je phénomène nouveau au XVIII• siècle est le souci accordé à la traduction de documents scientifiques et philosophiques pour qu'ils soient accessibles au public et susceptibles de contribuer au progrès social. C'est le début des traductions spécialisées, notamment dans le domaine des sciences, du droit, de l'histoire et de la géographie (Van Hoof 1 991 : 62). Après Étienne de Silhouette et ses

Réflexions

préliminaires sur Je goût des traductions

(1 738), William Guthrie (1 708-1 770) insiste sur l'importance de la documentation pour Je traducteur de ce nouveau type de publications vulgarisées. Dans le même temps, la publication de dictionnaires bilingues et plurilingues, tant généraux que techniques, cannait un essor important au cours du siècle. Van Hoof (1991 :

35

CHAPITRE 2

Sur le plan théorique, « il n'y a pas de théorie unifiée de la traduction qprès 1 750, mais des théories qui se côtoient ou se concurrencent plus ou moins ouvertement, au gré des alliances et des conflits entre grammairiens et rhétoriciens. Beauzée et Batteux sont les tenants majeurs de cette opposition » (d'Hulst

technique, l'âge des mille traductions spécialisées », La différence majeure qui distingue, selon lui, la traduction spécialisée de la traduction littéraire est son pragmatisme : " La traduction occupe définitivement une place importante dans la société moderne. Contrairement à la traduction littéraire [. ] elle remplit une fonction économique et sociale indispensable dans un monde qui apparaît comme une immense machine à traduire, tournant à une vitesse sans cesse accrue. »

En réalité, avec l'extension de la révolution industrielle à l'ensemble de l'Europe, la traduction technique gagne de plus en plus de terrain face à la traduction littéraire, et les dictionnaires spécialisés se multiplient et se diversifient. Cary (1 956) a décrit le XX• siècle comme « l'âge de la grande traduction

Cependant, sur le plan théorique, il faut attendre la seconde moitié du XX' siècle pour voir émerger une réflexion traductologique concernant les domaines de spécialité. Van Ho of ( 1 991) date de la fin des années 1 960, « le premier ouvrage traitant spécifiquement des problèmes de la traduction non littéraire ». Il s'agit du livre de Jean Maillot, intitulé La

57) en cite quelques-uns, dont le Dictionnaire de

latin-français-anglais-espagnol­ italien de Roland de Virloyer (1 770-1 771 ). l'architecture

36

1 990 : 1 7).

..

·Aperçu historique de la traduction .,

tifique et technique (1 969), traduction scien republié dans une édition augmentée en 1 98 1 .

Après l a révolution industrielle du XIX' siècle, c'est le temps des révolutions technologiques à commen cer par celle de l'informatique. succombant à u n excès d'optimisme, les che rcheurs se lancent dans la création d'une machine à traduire, dont les modèles précurseurs voient le jour dès 1 946 (Bouillon et Clas 1 993). À l'époque, les recherches en trad uction automatique sont avant tout motivées par Je contexte de la guerre froide et la quantité sans cesse grandissante de documents spécialisés à traduire. En 1 954, Je français Léon Dostert, grâce à une collaboration avec la société IBM, fait une première démonstration de « traduction électronique >>. En 1 957, Jean Poulet publie une Grammaire universelle pour machines à traduire. En 1 959, Émile Delavenay dresse un bilan sur La Machine à traduire. En 1 964, Georges Mounin aborde Je sujet d'un point de vue linguistique dans La Machine à traduire : histoire des problèmes linguistiques. Autant de publications qui témoignent de l'importance des recherches pendant cette première période de l'histoire de la traduction automatique (f.A.). Parallèlement, on assiste à la même effervescence dans les autres pays occidentaux. En Angleterre, Booth publie avec d'autres chercheurs Mechanica/ Resolution ofLinguistic Problems (1 958) et Machine Translation (1967). En Allemagne fédérale, la société Siemens mène des expérimentations encourageantes. Aux États-Unis, c'est l'époque des applications ambitieuses et des projets imaginatifs. Mais cette effervescence ne tarde pas à retomber face aux résultats décevants des applications mises au point. Le tournant se situe à la fin des années 1 960, juste après la publication du rapport critique de I'ALPAC (1 966), qui met un terme à « l'ère du simple transcodage >>. À partir de ce moment-là, « les perspectives euphoriques du début ont été ramenées à des proportions plus réalistes » (Bouillon et Clas 1 993 : 253). On sait désormais que le traducteur humain est irremplaçable

pour un grand nombre de domaines et pour quantité de textes : « Après l'enthousiasme du début et malgré des résultats expérimentaux intéressants, on a dû admettre que l'utilité pratique de la traduction automatique reste à prouver >> (Van Hoof 1 991 : 86). Dès lors, les recherches se sont orientées vers les outils d'aide à la traduction qui mettent le traducteur humain au centre du système au lieu de vouloir le remplacer. Grâce à la révolution informatique des dernières décennies, des résultats probants ont pu être obtenus dans Je domaine de la traduction assistée par ordinateur (f.A.O). Aujourd'hui, le métier de traducteur ·va de pair avec la bureautique et l'informatique, grâce notamment aux « stations de travail >> dédiées à la traduction. Des entreprises multinationales telles que SYSTRAN ou TRADOS offrent des outils appréciables d'aide à la traduction : logiciels de traduction automatique, d'extraction terminologique, dictionnaires électroniques, mémoires de traduction, etc. Autant d'outils qui contribuent à améliorer la qualité et la rapidité d'exécution des traductions. Dans le prolongement de cette révolution traductionnelle, un nouveau domaine de recherche et de formation a vu le jour : il s'agit de la traductique. Ce terme est forgé à partir de « traduction >> et « informatique >> pour désigner l'ensemble des activités de traduction qui recourent à l'ordinateur, que ce soit comme un substitut ou comme un adjuvant du traducteur. Après des débuts conflictuels entre les tenants du tout technologique et les défenseurs de l'artisanat traductionnel, les deux camps ont appris à cohabiter en harmonie comme les deux volets complémentaires d'une même discipline.

À partir du début du xx• siècle, l'expansion de l'activité de traduction en France va de pair avec la perte progressive d'influence du français sur le plan international et diplomatique. L'anglais connaît une montée en puissance dès la Première Guerre mondiale. En 1 91 9, la Conférence de la Paix est l'occasion pour Paul Mantoux (1 877-1956) de mettre en pratique une technique nouvelle de traduction orale qui consiste à traduire les discours politiques

37

CHAPITRE 2

de façon consécutive. En France, Jean Herbert, Georges Mathieu, André et Georges Kaminker, figurent aussi parmi les pionniers de l'interprétation consécutive. En Angleterre, Evans et lloyd se distinguent comme interprètes de conférence (Van Hoof 1 991 : 1 68). 38

En 1 927, lors de la Conférence internationale du Travail, l'introduction des microphones et des écouteurs permet l'adoption défi­ nitive de l'interprétation simultanée. Celle-ci vise à répondre à la demande croissante des institutions et des conférences internationales qui adoptent plusieurs langues de travail. En 1 952, parait le Manuel de l'interprète de Jean Herbert. En 1 956, La Prise de notes en interprétation consécutive de Jean-François Rozan. En 1 962, Théorie et pratique de l'interprétation de Van Hoof. Dans le dernier quart du XX• siècle, Danica Seleskovitch et Marianne Lederer publient plusieurs livres pour former ce qui sera connu comme « l'École de Paris >> : L 'Interprète dans les conférences internationales (1 968), Langage, Langues et mémoire : Étude de la prise de notes en interprétation consécutive pour traduire (1 984).

(1 975),

L'Université de Genève est la première à proposer une formation spécialisée, dès 1 941, dans le cadre de son École de Traduction et d'Interprétation (ETI, Suisse). En France, l'École des Hautes Éudes commerciales (HEC) de Paris installe en 1 949 une section de traduction et d'interprétation, suivie en 1 957 par la Sorbonne, avec son École Supérieure d'Interprètes et de Traducteurs (ESJn et par l'Institut Catholique de Paris avec son Institut Supérieur d'Interprétariat et de Traduction (Van Hoof 1 991 : 1 1 6). La Belgique, quant à elle, crée son École d'Interprètes Internationaux (EII) à Mons, en 1 962. L'institutionnalisation tardive de l'interprétation a conduit à un retard dans les recherches et les publications en la matière. Mais son essor fulgurant a permis un retour en force des interprètes au cours des dernières décennies. Certains chercheurs en ont même profité pour réclamer la scission de l'interprétation et sa séparation de la traductologie. Mais aujourd'hui, il n'y a plus qu'une saine émulation que l'on observe parfois dans les Écoles de traduction.

Interpréter

4. FAITES LE POINT . �'histgir�_ Qt! liJ..!!'.IQ[Jc::!iQ!Ls'�!!!IJQ sYI.Pius_çiJ: ... ... pr_éoccupations __qui .. luL..sonL étrangères, vingt siècles de réflexions hétéroclites et de d'inspiration religieuse, politique, littéraire remarques disparates qui ne se recoupent ou philosophique. Ce n'est qu'à partir du jamais parfaitement et qui véhiculent des XIX• siècle qu'elle commence à s'émanciper et à contenus théoriques et doctrinaux souvent s'institutionnaliser en gagnant progressivement son autonomie. Enfin, elle s'affirme dans la contradictoires. Pour Antoine Berman (1995 : 40), l'un des pères de la traductologie, seconde moitié du XX• siècle à travers une série cc ce discours [...] est d'une surprenante d'écoles, de théories et de programmes de formation universitaires. minceur : peu d'ouvrages, une masse de notes, de lettres, de préfaces, etc. Et si l'on compare Au fil de ce chapitre consacré à l'histoire des ce corpus à celui des textes critiques que la ·· ,=,·littérature a produit;' disons-depuis le XVI• siècle;"· idées··traductologlqùes, �riôus=nous-sommes-----�­ efforcé de mettre en évidence les oppositions on devra en conclure que les traducteurs sont principales qui ont structuré, depuis l'Antiquité, fort parcimonieux lorsqu'ils parlent de leur la réflexion théorique sur la traduction. activité. >> Il est possible néanmoins de distinguer deux temps majeurs. Depuis l'Antiquité jusqu'au siècle des Lumières, la réflexion traductologique existe certes, mais elle reste soumise à des

A l'origine, on trouve deux mythes fondateurs,

celui de la Tour de Babel et celui de la Bible des Septante, qui illustrent tous deux l'importance de la traduction dans l'imaginaire humain

temps. Mais la traduction nuit des dès lors qu'elle prend pour tex tes sacrés et en premier lieu On voit se développer la de « l'objection préjudicielle », a u sujet de la Vetus Latina, la latine de la Bible élaborée à partir du traduction est alors perçue soit comme '•"''""mc"' », soit comme un « sacrilège », té ou non de . que l'on admet la possibili divin. . re ,, stè my traciùire le « · ,., ·

Le · caractère hégémonique de la civilisation re, hellénique explique, dans une large mesu ction dans la place mineure qu'occupe la tradu cette civilisati on. Il reflète également une perception ambiguë de cette activité con sidérée par les Grecs comme un attribut du « vaincu » qui se soumet à la langue du vainqueur et cherche à reproduire les productions de son génie en les traduisant dans sa propre langue. C'est pourtant le contraire que l'on observe dans la Rome antique où la traduction du grec vers le latin connaît un développement sans précédent. Mais son rattachement à l'art oratoire comme simple exercice littéraire d'imitation accentue les oppositions apparues à la faveur de la traduction biblique. Conçue comme un instrument rhétorique, la traduction se mue avec Cicéron - et ses continuateurs - en un « art de traduire » où triomphe l'adaptation libre. Cette perspective dichotomique sera confortée par d'autres oppositions issues de la philosophie dualiste: mot versusidée, lettre versusesprit, etc. Saint Augustin (389) se montre particulièrement soucieux de « fidélité » à l'original en soutenant avec vigueur la prééminence du fond sur la forme. Mais son contemporain saint Jérôme

(395) propose une sorte de compromis, selon lequel il recommande une fidélité au sens pour les textes profanes et un respect scrupuleux de la lettre pour les textes sacrés. D'une manière générale, la réflexion sur la traduction restera pour longtemps prisonnière des cadres anciens. li faut attendre l'époque moderne pour voir se développer une réflexion théorique débarrassée des oppositions classiques. Dans l'ensemble, on constate que la distinction entre « traduction » et « écriture » est assez récente ; elle date de l'époque moderne. La notion même de document « original » est restée floue pendant longtemps : on traduisait souvent à partir d'une traduction, elle-même réalisée à partir d'une traduction, et ainsi de suite, sans que cela soit mal perçu. La traduction se présentait comme un moyen d'accéder aux civilisations du passé : elle est, comme le dit si bien Berman (1 984), « l'horizon de toute écriture ». Il faut attendre le siècle des Lumières pour que commencent à apparaître d'autres formes de traductions moins « littéraires ». En effet, ce sont bien les progrès scientifiques et techniques qui inaugurent la révolution industrielle d'abord, la révolution technologique ensuite. Ces révolutions poussent les traducteurs à la spécialisation et génèrent de nouvelles activités de traduction et de nouveaux outils d'aide à la traduction. Le volume considérable de documents à traduire conduit ainsi à l'introduction massive de l'informatique dans le métier de traducteur et au développement de recherches appliquées dans le domaine de la traduction aussi bien écrite qu'orale. C'est pourquoi, la traductologie est aujourd'hui le champ par excellence de l'inventivité et de l'interdisciplinarité. ·

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CHAPITR E 2

(. P R OCHES ET MODÈLES TRADUCTION

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reuses approches explicati�es 11 exis�e de nomb ténse, ·de 1a traduction. Chaque approche se carac 1 • termmo ogte une par rale, en ' règle géné gories spécifiques et une caté des re prop ' · cte. L'app 1 ·tcat'ton d'une méthodol ogie dtstm à la tr.:ductio� peut être ère approche particul� tratt domtnant : par du tton fonc en ualifiée ou sémiotique xemple, l'approche linguistique e sociologique ou roch l'app , ction tradu la de s que, e sociolinguistiq ue, l'approch philo ophi omène ue culturelle ou encore idéologiq du phén traduction ne!. .

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on peut faire des distinctions au sein d'une même approche. Par exemple, l'approche linguistique se caractérise par le fait qu'elle envisage la traduction avant tout comme une opération d'essence

1 1.

verbale. Au sein de cette approche, il est possible de distinguer le « modèle structuraliste » qui étudie les relations entre systèmes linguistiques, le « modèle textuel » qui s'intéresse aux situations communicatives dans les textes, le « modèle psycholinguistique » ou « cognitiviste » q ui étudie le processus mental de la traduction, etc. Ces « modèles » délimitent le domaine de la traduction de façon différente, et chacun met en relief un aspect particulier de l'activité générale. Malgré leurs divergences théoriques et méthodologiques, ces « modèles » doivent être perçus comme également pertinents et tout à fait complémentaires. Outre le bénéfice de l'interdisciplinarité, la conjonction de leurs acquis ne peut qu'enrichir la traductologie.

LES A P P ROCHES LINGUISTIQU ES

Le développeme nt de la traductologie au cours du xx• siècle est quasiment indissociable de celui de la linguistique. La traduction a beaucoup intéressé les linguistes qui lui ont appliqué les diverses approches théoriques qui se sont succédé au cours du siècle : structuralisme, générativisme, fonctionnalisme, linguistique formelle, énonciative, textuelle, cognitive, sociolinguistique, psycholinguistique. Chaque courant est parti de ses propres postulats, employant des concepts diff�rents pour étudier le phénomène de la traduction, sans jamais parvenir à l'appréhender dans sa complexité ni même dans sa globalité. Mais certaines approches ont été plus convaincantes que d'autres parce qu'elles

ont capté des aspects essentiels de l'activité traductionnelle. Cette relation complex� entre linguistique et traduction peut être résumée sous forme de deux orientations principales : on peut soit appliquer les acquis de la linguistique à la pratique de la traduction, soit développer une théorie linguistique de la traduction à partir de la pratique. Ces deux options ont été explorées successivement tout au long du xx• siècle, mais aujourd'hui les choses paraissent plus claires : la linguistique s'intéresse aux langues et au langage, tandis que la traductologie s'occupe des traducteurs et des traductions. Le cordon ombilical a enfin été coupé.

CHAPITRE 3

42

Il faut rappeler cependant que dans leur étude de la traduction, les « linguistes » (i.e. ceux qui se réclament de l'approche linguistique) partent généralement des différences observées entre les langues et les systèmes linguistiques. Ils relèvent, par exemple, les incompatibilités sémantiques dans la désignation de la réalité : Mounin (1 963) a donné l'exemple des noms du « pain » en français, et Bassnett (1 980) celui des mots qui désignent le « beurre >> en italien, pour montrer les différences flagrantes avec l'anglais. A partir de tels décalages, les linguistes se

posent la question du transfert du « sens » en insistant sur les différences et les spécificités (pour les « particularistes >>) ou encore sur les convergences et les points communs (pour les « universalistes >>). La question du « gain >> et de la « perte >> de sens fait partie des thèmes galvaudés de la réflexion linguistique sur la traduction. Pour y remédier, chaque courant linguistique propose une explication propre et des techniques spécifiques, parce que chacun envisage les phénomènes observés à un niveau différent : le « mot >>, la « phrase » ou encore le « texte >>.

Bref, depuis plus d'un demi-siècle, la linguistique joue un rôle moteur dans le développement de la traductologie, mais elle présente également certaines lacunes et inconséquences qui ont conduit à creuser le fossé entre ces deux disciplines jumelles. Garnier (1 985 : 30) insiste sur « les apports proprement linguistiques dont a bénéficié depuis environ trente ans la théorie de la traduction >>. Pour appuyer ce constat, il cite Linguistic Analysis and Translation (Firth 1 957), Linguistic Aspects of Translation (Jakobson 1 959), Les problémes théoriques de la traduction (Mounin 1 963), « Problématique linguistique de la traduction » (Charaudeau 1 971), « Traduction et linguistique >> (Kahn 1 972), « Traduction et théorie linguistique >> (Pergnier 1 973), « Traduction et théorie linguistique >> (Bastuji 1 974), « Linguistique et traduction >> (Mounin 1 976), « Traduction et linguistique » (Schmitt 1 981 ). Saluant les contributions de ces linguistes, Garnier (1 985 : 33) adhère lui-même à l'approche linguistique de la traduction. Il insiste, à l'instar de Mounin, sur le fait que « toute opération de traduction - Fedorov a raison -comporte, à la base, une série d'analyses et d'opérations qui relèvent spécifiquement de la linguistique >>. Dans ce chapitre, nous allons interroger, à travers un aperçu des principales contributions, non seulement les liens qui se sont tissés au fil des décennies entre linguistique et traduction, mais aussi les ruptures et les�lignes de démarcation entre les linguistes et les traductologues.



L'un des premiers ouvrages à adopter une approche proprement linguistique de la traduction est l'Introduction à la théorie de la traduction (1 953) d'Andrei Fedorov. Celui-ci cherche à mener une étude systématique de la traduction suivant un paradigme linguistique parce qu'il est "convaincu que « toute théorie de la traduction doit être incorporée dans l'ensemble ëiès ëlisdplinés linguistièiuiis->;{atir-- �� dans Larose 1 989 : 1 1 ). Mais il n'est pas le seul : d'autres auteurs ont la même conviction et s'évertuent à faire de la traduction un domaine parmi d'autres de la recherche en linguistique. En 1 958, Vinay et Darbelnet publient leur fameuse Stylistique

Approches et modèles de la traduction

comparée du français et de l'anglais, que l'on tient pour la « première vraie méthode de traduction fondée explicitement sur les apports de la linguistique " (Larose 1 989 : 1 1 ). D'autres « méthodes " du même genre suivront, dont la Stylistique comparée du français et de l'allemand (1 966) de Malblanc, et le Traité de stylistique comparée : analyse comparative de l'italien et du français

lntravaia.

(1 979) de Scavé et

Vinay et Darbelnet (1958 : 20) revendiquent

« son inscription normale dans le cadre de

la linguistique "· Ils considèrent même que la traduction se ramène à « une application pratique de la stylistique comparée ''· Ensuite, la liste est longue des travaux sur la traduction qui se réclament de la linguistique, à des degrés divers : Mounin (1 963 : 1 7) suit le même raisonnement en estimant que les problèmes de traduction « ne peuvent être éclairés en premier lieu que dans le cadre de la science linguistique "· Lad mirai (1 979 : 8) est du même avis mais il est plus nuancé que ses prédécesseurs : « ce n'est pas la linguistique contemporaine qui, à elle seule, peut permettre d'élaborer une théorie, une "science" de la traduction : elle fournit une méthodologie, des outils de conceptualisation ; mais il faudra bien se garder de tout terrorisme "théoriciste" ». Pourlui, certes la linguistique estincontournable, mais elle ne suffit pas à fonder la traductologie. Pour l'essentiel, ses critiques portent sur le fait que la linguistique prétend étudier la langue alors que la traduction relève du langage, c'est­ à-dire de l'ordre du verbal et du non-verbal. Du point de vue épistémologique, on constate néanmoins dans toutes les approches esquissées des problèmes de terminologie qui empêchent une comparaison rigoureuse des travaux. Ëvoquant le domaine musical, et plus largement celui des représentations artistiques, Steiner (1975 : 423) souligne à quel point un vocabulaire adéquat est la condition sine qua non d'une analyse rigoureuse. Or, bon nombre de mots-clés dans les ouvrages traitant de traduction d'un point de vue linguistique sont ·trop vagues pour permettre des études

seneuses. Ils recouvrent souvent un champ sémantique si vaste qu'ils en deviennent inopérants.

La

Stylistique comparée du français et de

(1 958) de Vinay et Darbelnet est l'un des ouvrages qui « a le plus marqué les études de traduction " (La rose 1 989 : 1 1 ). Dans cet ouvrage, les deux auteurs revendiquent le rattachement de la traductologie à la linguistique, mais ils ne se privent pas de faire appel à d'autres disciplines pour compléter leur appro·che de la traduction (stylistique, rhétorique, psychologie). l'anglais

A l'époque, l'approche comparative constitue

une innovation majeure dans le domaine des études traductologiques, parce qu'elle ne se contente pas de mettre à profit les acquis de la linguistique mais propose des principes généraux pour traduire ; bref, une véritable « méthode de traduction » (sous-titre de l'ouvrage de Vinay et Darbelnet). L'objectif des auteurs est clairement énoncé : il s'agit pour eux de dégager « une théorie de la traduction reposant à la fois sur la structure linguistique et sur la psychologie des sujets parlants » (Vinay et Darbelnet 1 958 : 26). Pour ce faire, ils s'efforcent de « reconnaître les voies que suit l'esprit, consciemment ou inconsciemment, quand il passe d'une langue à l'autre, et d'en dresser la carte "· A partir d'exemples, ils procèdent à l'étude des attitudes mentales, sociales et culturelles qui donnent lieu à des procédés de traduction. Afin d'établir ces procédés, Vinay et Darbelnet définissent des critères de base qui leur permettent d'analyser les traductions : 1 ) servitude et option ; 2) traduction et sur­ traduction ; 3) bon usage et langue vulgaire. L'application des critères leur permet de distinguer sept procédés techniques de traduction : trois procédés directs (l'emprunt, le calque, la traduction littérale) et quatre procédés obliques (la transposition, la modulation, l'équivalence, l'adaptation). Vinay et Darbelnet innovent en définissant comme objet d'analyse de ces procédés la

43

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>. En somme, la théorie interprétative de la traduction est cibliste en ce sens qu'elle accorde une attention particulière au lecteur cible, à l'intelligibilité de la traduction produite et à son acceptabilité dans la culture d'accueil.

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La théorie actionnelle de la traduction a été développée en Allemagne par Justa Holz­ Manttari (1 984). Dans le cadre de cette théorie, la traduction est envisagée avant tout comme un processus de communication interculturelle visant à produire des textes appropriés à des situations spécifiques et à des contextes professionnels. Elle .est considérée de ce fait comme un simple outil d'interaction entre des experts et des clients. Pour développer cette conception toute pragmatique de la traduction, Holz­ Manttiiri s'est appuyée sur la théorie de l'action et, dans une large mesure, sur la théorie de la communication. Elle a pu ainsi mettre en évidence les difficultés culturelles que le traducteur doit surmonter lorsqu'il intervient dans certains contextes profes­ sionnels. L'objectif premier de la théorie actionnelle est de promouvoir une traduction fonctionnelle permettant de réduire les obstacles culturels qui empêchent la communication de se faire de façon efficace. Pour y parvenir, Holz-Manttari (1 984 : 1 39) préconise tout d'abord une analyse minimale du texte source qui se limite à « la construction et la fonction ». Pour elle, le texte source est un simple outil pour la mise en œuvre des fonctions de la communication interculturelle. . Il n'a pas de valeur intrinsèque et est totalement tributaire de l'objectif communicationnel que se fixe le traducteur. La principale préoccupation de ce dernier doit �tre le message qui doit

être transmis au client et exclusivement ce message. Avant de décider de l'équivalence à employer, le traducteur doit penser le message dans la culture cible et évaluer à quel point le thème est acceptable dans le contexte culturel visé. Dans cette perspective, l'idée de« profil textuel » joue un rôle central chez Holz-Miinttari. Ce « profil » est défini relativement à la fonction du texte dans les cadres génériques existant dans la langue source et dans la langue cible. De ce point de vue, le traducteur apparaît comme le chaînon principal qui relie l'émetteur original du message à son récepteur final. Il est l'interlocuteur privilégié du client, envers lequel il a d'ailleurs une responsabilité éthique majeure. Holz-Miinttiiri (1 986 : 363) explique longuement les qualités professionnelles requises et les éléments de formation nécessaires pour développer ces qualités. Ainsi conçue, la théorie actionnelle de la traduction est, en réalité, un simple cadre de production des textes professionnels en mode multilingue. L'action du traducteur est définie en référence à sa fonction et à son but. Le texte source est envisagé comme un contenant de composants communicationnels, et le produit final est évalué en référence au critère de la fonctionnalité. Un cahier des charges précis définit d'ailleurs les spécifications du produit qu'est la traduction finale ; autrement dit, le but de la communication, le mode de réalisation, la rémunération prévue, les délais imposés, etc.

71

CHAPITRE 4

72

Bref, la fonction détermine l'ensemble du travail du traducteur. Celui-ci doit l'envisager d'une part, par rapport aux besoins humains dans la situation de communication visée et d'autre part, par rapport aux rôles sociaux dans la culture d'arrivée. Holz-Manttari (1 984 : 1 7) distingue au moins sept rôles en fonction des situations : l'initiateur de la traduction, le commanditaire, le producteur du texte source, le traducteur, l'applicateur du texte cible, le récepteur final.

ne se contente pas d'intégrer les éléments traditionnels qui entrent dans la définition de la traduction, tels que l'unité de traduction, le texte source ou le genre discursif ; elle prend en considération tous les composants de la communication interculturelle, en particulier le processus · de production des textes dans chaque langue, le rôle de l'expert et la culture spécifique de chaque client.

Ginsi par exemple, la théorie actionnelle de \

\

la traduction préconise le remplacement Dans la succession de ces rôles, le traducteur d'éléments culturels du texte source par 1 est considéré comme un simple « transmetteur d'autres éléments plus appropriés à la culture \ de messages » : il doit produire une cible, même s'ils paraissent éloignés des \ communication particulière, à un moment éléments originaux. L'essentiel est de parvenir donné et sUivant un but précis. Mais il doit au même but recherché dans le cadre de la. l agir en tant qu'expert en interculturalité en 1 communication interculturelle. C'est l'action conseillant le client commanditaire et, au , seule qui détermine, en définitive, la nature et __.../ besoin, en négociant avec lui le meilleur moyen es modalités de la traduction. d'atteindre son but. Cette approche quelque peu radicale a été Selon Holz-Manttari, le traducteur doit prendre critiquée par plusieurs traductologues, y compris parmi les tenants de l'approche toutes les mesures qu'il juge utiles pour surmonter les obstacles culturels qui empêchent fonctionnelle comme Nord (1 991 : 28). Ils lui d'atteindre le but recherché. De plus, il se reprochent notamment son déphasage par doit de négocier avec le commanditaire le rapport à la réalité d'exercice du métier de moment opportun ainsi que les conditions les traducteur qui ne peut pas toujours décider plus favorables pour diffuser sa traduction. de tout. De plus, certains traductologues Bref, le traducteur est responsable du succês comme Newmark (1 991 : 1 06) ont reproché à comme de l'échec de la communication dans Holz-Manttari le caractère jargonneux de son la culture cible, et Holz-Manttari estime que ces approche trop orientée vers le business et les exigences sont valables pour tous les types de relations publiques, alors que ce domaine ne produits culturels. représente qu'un aspect mineur de l'activité. ··Bref,-la théorie·actionnelle de la traduction·a le · La traduction apparaît atnsl comme une mérite d'avoir mis au centre du processus les activité téléologique prise dans un faisceau concepts d'action et de fonction, mais elle est complexe d'actions et tributaire d'un objectif loin d'avoir épuisé la nature protéiforme de la de communication global. Hblz-Manttari traduction.

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3. LA THÉO R I E DU SKOPOS

Le mot grec "skopos" signifie la visée, le but ou la finalité. Il est employé en traductologie pour désigner la théorie initiée en Allemagne par Hans Vermeer à la fin des années 1 970. Parmi ses promoteurs, on trouve également Christiane Nord (1988) et Margaret Ammann (1 990).

Du point de vue conceptuel, la théorie du skopos s'inscrit dans le même cadre épistémologique que la théorie actionnelle de la traduction, en ce sens qu'elle s'intéresse avant tout aux textes pragmatiques et à leurs fonctions dans la culture cible. Ainsi, la traduction est envisagée comme une activité

J

Les théories de la traduction

humaine particulière (le transfert symbolique), ayant une finalité précise (le skopos) et un produit final qui lui est spécifique (le translatum ou Je trans/at).

(vermeer (1 978) est parti du postulat que / les méthodes et les stratégies de traduction

f sont déterminées essentiellement par Je

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1

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but ou la finalité du texte à traduire. La traduction se fait, par conséquent, en fonction du skopos. D'où Je qualificatif de « fonctionnelle » accolé à cette théorie. Mais il ne s'agit pas ici de la fonction assignée par ' l'auteur original du texte source ; bien au · contraire, il s'agit d'une fonction prospective rattachée au texte cible et tributaire du commanditaire de la traduction. En d'autres termes, c'est Je client qui fixe un but au traducteur en fonction de ses besoins et de sa stratégie de communication. ....-r

Mais cela ne se fait pas en dehors de tout cadre méthodologique. Le traducteur doit respecter deux règles principales : l'une intratextuelle, J'autre intertextuelle. D'une part, la « règle de cohérence » qui stipule que le texte cible (translatum) doit être suffisamment cohérent en interne pour être correctement appréhendé par Je public cible, comme une partie de son rnonde de référence. D'autre part, la « règle de fidélité '' qui stipule que Je texte cible doit maintenir un lien suffisant avec Je texte source pour ne pas paraître comme une traduction trop libre.

Ces règles semblent trop générales et trop vagues. Aussi, grâce à l'apport de Katharina Reiss (1 984), Vermeer parvient non seulement à préciser Je fonctionnement de sa théorie mais aussi à élargir son cadre d'étude pour englober des cas pratiques et des phénomènes spécifiques qui n'étaient pas pris en compte jusque-là. Il a intégré, en particulier, la problématique typologique de Reiss. Si Je traducteur parvient à rattacher Je texte source à un type textuel ou à un genre discursif, cela l'aidera à mieux résoudre les problèmes qui se poseront à lui dans Je processus de traduction. Dans cette perspective, Vermeer prend en considération les types de textes définis par Reiss (informatifs, expressifs, opérationnels) pour mieux préciser

les fonctions qu'il convient de préserver lors du transfert. Ainsi, le texte source est désormais conçu comme une « offre d'information » faite par un producteur d'une langue A à l'attention d'un récepteur de la même culture. Dès lors, la traduction est envisagée comme une « offre secondaire » d'information, puisqu'elle est censée transmettre plus ou moins la même information, mais à des récepteurs de langue et de culture différentes. Dans ce�te optique, la sélection des informations et le but de la communication ne sont pas fixés au hasard ; ils dépendent des besoins et des attentes des récepteurs ciblés dans la culture d'accueil. C'est le skopos du texte. Ce skopos peut être identique ou différent entre les deux langues concernées : s'il demeure identique, Vermeer et Reiss parlent de « permanence fonctionnelle » ; s'il varie, ils parlent de « variance fonctionnelle ». Dans un cas, Je principe de la traduction est la cohérence intertextuelle ; dans l'autre, l'adéquation au skopos. La nouveauté de l'approche consiste dans Je fait qu'elle laisse au traducteur le soin de décider quel statut accorder au texte source. En fonction du skopos, l'original peut être un simple point de départ pour une adaptation ou bien un modèle littéraire à transposer fidèlement. Cela signifie qu'un même texte peut avoir plusieurs traductions acceptables parce que chacune répond à un skopos particulier. En bref, Je skopos est Je critère d'évaluation, et sans skopos, il n'est point de traduction valide. Cette position extrême â été critiquée parce qu'elle rompt le lien originel existant entre le texte source et Je texte cible au profit exclusif de la relation translatum-skopos. Snell-Hornby (1 990 : 84) estime que les textes littéraires contrairement aux textes pragmatiques - ne peuvent être traduits seulement en fonction du skopos : pour elle, la situation et la fonction de la littérature dépassent largement le cadre pragmatique délimité par Vermeer et Reiss. De plus, Newmark (1 991 : 1 06) critique la simplification excessive du processus de

73

1

CHAPITRE 4

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traduction et la mise en relief du skopos au détriment du sens en général.

syntaxiques ou stylistiques, uniquement pour « coller >> à son skopos.

Enfin, Chesterman (1 994 : 1 53) fait remarquer que la focalisation sur le skopos peut conduire à des choix inappropriés sur d'autres plans : le traducteur peut forcer ses choix lexicaux,

Malgré ces quelques critiques, la théorie de Vermeer demeure l'un des cadres conceptuels les plus cohérents et les plus influents de la traductologie.

GiA

THÉORI E D U JEU

La traduction est comparée à un puîzle-puis à un jeu d'échecs : « Le jeu de la traduction est un jeu de décision personnelle fondé sur des choix rationnels et réglés entre des solutions alternatives » (Gorlée 1 993 : 73).

la théorie d u jeu a été mise a u point par le mathématicien John von Neumann pour décrire les relations d'intérêt conflictuelles qui ont un fondement rationnel. l'idée est de trouver la meilleure stratégie d'action dans une situation donnée, afin d'optimiser les gains et de minimiser les pertes : c'est la « stratégie minimax ». Cette théorie a été successivement appliquée à divers champs d'activité humaine, dont l'activité de traduction. C'est l'idée d'optimisation qui a retenu l'attention des traductologues : comment aider le traducteur à optimiser le processus de décision sans perdre trop de temps ? levY (1 967) estime que la théorie du jeu peut y contribuer grandement : « La théorie de la traduction a tendance à être normative : elle vise à apprendre aux traducteurs les solutions optimales. Mais le travail effectif du traducteur _ est pragmatique.: celui,ci a_recours.àJa.solution qui offre le maximum d'effet en fournissant le minimum d'effort. En d'autres termes, il [le traducteur] recourt intuitivement à la stratégie minimax. » Pour illustrer son approche, levY définit la traduction comme une « situation » dans laquelle le traducteur choisit parmi des « instructions », c'est-à-dire des choix sémantiques et syntaxiques possibles afin -a'atteindre làsolutiôn -optimale:'Gorlée (1 993) adopte la même approche mais en partant de postulats théoriques différents. S'inspirant de la notion de « jeu de langage » élaborée par Wittgenstein dans son Tractatus Logico-Philosophicus, elle entreprend l'étude de ce qu'elle appelle « le jeu de la traduction ».

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la comparaison avec le jeu se justifie, pour Gorlée, par le fait qu'un jeu a toujours pour but de trouver la solution la plus adéquate en fonction de règles instituées pour le jeu en question. Ce rapprochement permet de mettre en lumière la dimension générique de la traduction. Comme le jeu, celle-ci présente une part d'imprécision qui possède à la fois des avantages et des inconvénients. Par exemple, l'analogie avec le jeu d'échecs permet de mettre en parallèle les règles qui le régissent avec celles qui déterminent le langage. Mais en traduction, il ne s'agit pas de « gagner » ni de_ « perdre. >>- au jeu, mais . . de -..1

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explicites), une co�éhension s ctive enfin : l'ensemble des caractères qu'évoque

un terme dans un esprit ou chez la plupart des membres d'un groupe >>.

2. L'« ÉQU IVALENCE »

L'équivalence est un concept largement répandu dans les études traductologiques, mais il est également très controversé en théorie comme en pratique. Certains auteurs, comme Sneii-Hornby (1 988 : 20) et Gentzler (1 993 : 4) contestent même sa pertinence et son intérêt pour la traductologie. D'autres traductologues comme Baker (1 992 : 5) l'emploient pour des raisons de · « ·;:-· té·simplement · cêïiTirïiôdi , · ·· ··· ·

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natures. Tous les éléments qui entrent dans la définition de l'équivalence ont été âprement discutés : non seulement la n..

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Pym (1 992 : 37) critique la « circularité >> du concept : pour lui, cette circularité réside dans le fait que l'équivalence est définie en référence à la traduction (l'équivalent d'une expression est sa traduction) et la traduction est définie en référence à l'équivalence (la trëïïJ·iY 1 98� traduction · d'un mot est son équivalent), de sorte qu'il est difficile de dire ce que recouvre Dans cette perspective, Bassnett (1 980 : précisément l'un et l'autre. Cette imprécision 6) distif!g_�rois .. !!iJLeau.x_çf'an_i!lY.�!! de . conduit Pym à définir la traduction comme l'équivalence . une _.!YtransactTcïiï � v�riàble et évolutive, et . l'équivalence comme urie (( entité négo�iable >> 1 1 ) L'équivalence est le résultat de la relation u,_\a�:v'> d��- le_ cadre d'un système d'échange de ' qui existe entre les unités linguistiques (niveau \_(!..' valeurs. syntaxique) ;

��}._q!)g_mène le .�raducteur pour s'y éJ�apter. (P.ym 1992).

éqüiVaiënêës

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Au niveau de la communication, on constate ���ëi1ced'êq-uivalènces « fom:tionnelles » portant sur ce�i-ris-cypes de t�xtes 0/.!liiJl� 1 989) et sur certains effets (Newman 1 994), mais aussi des--équivalences « interprétatives ----- -..:-------"' » portant sur la dimension cognitive de la communication interlinguistique ...(Leclery··­

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1 994).

Au niveau extra-linguistique, on constate jiëxistence d'équivà1énces -�- -� , de nature « normativ.e », qui reflètent les contraintes spéc-ifiq �es à chaque culture (Hermans 1 999) et de_L__§j:juivai!!.Q�S « idéologiques » (Niranjana 1 992) de nature a dentée et .�Yà.nt ur1�_p2._rtéer:?.Qiitigue. Malgré la multiplicité des approches et des définitions, le concept d'équivalence reste opérationnel en traductologie et a déjà donné lieu à des études aussi bien prescriptives que descriptives, qui structurent aujourd'hui encore la pratique et la réflexion sur la traduction. Au-delà des divergences d'objets et de points de vue, les théoriciens s'entendent sur au moins deuxdistirictfô�� essentielles pour la rpr·nprrrlP en tradUction: D'une part, ils distinguent clairement les coqespondances pOi:entië"liès quL. renvoient au niveau de la langtte ""ef ·au dicdèinïiàiTe biiTiïg·üe · ·traé!itiëiïiiêï, · -d�s "(fé{ùfv-.;i �es effectives . j:]U i COncernent le niveau des t� -�t qui xen�oi�nt à des reallsâ:tïons discursives �onsidéréës-;;;-;ntextë.A ;; .;Js si l'equivalêrlé� èst-ellé défirfie" âuJourd'hui en ·· ------ --

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Questions et problématiques de la traductologie

référence au niveau inter-textuel et non pas i �istique:----------······-··· -----�·

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D'autre part, � désormais une 'âïstinction_nette-entrele��� len �- V,eè>rr.��'è\-nature systématiqueetprescriptlve,etleséquivalences empTrlCjüêSdé.ri'"iïilri ëdêSèrfptivë �Taïiâlytfciüë. ï:esprêriïfêrês èoncerne�t des gé �éralisations établies à partir d'o���J:.� les secondes se bornent à la formalisation de l'existant dans des domaines d'étude précis (_étude-de cas) . .. -

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Ces deux distinctions ont notamment permis le développement, au cours des dernières décennies, de systèmes de traduction basés sur l'exemple ou sur les mémoires de traduction. Sans la prise en compte de l'aspect � mp)ri� u � , p e

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. . . . ;;\ c. c:::'e':$1"-\ ·:l a "'- ' \ C ' l• \ .>. Les premières est celle qui illustre le mieux l'explicitation : SOïïfdf�ïèsdifférences structurelles elle consiste à ajouter des informations entre les langues, les secondes par les choix inexistantes sur l'original « lorsque des éléments stylistiques privilégiés par chaque auteur. sémantiques importants et implicites de la Ainsi, les explicitations syntaxiques et langue source nécessitent une identification sémantiques sont necessaires lorsquëlërèsultat explicite dans la langue du récepteur>>. En guise de la traduction dans la langue cible risque d'exemple, Nida cite des expressions bibliques d'être agrammatical. Certaines différences de telles que « Reine du Sud >> (Évangile de Luc) catégories grammaticales entre les langues où chacun des mots rèquiert une explicitation





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CHAPITRE S

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exigent une explicitation : par exemple, il existe en arabe un pronom personnel spécifique lorsqu'il s'agit de deux personnes (le pronom du duel, humâ) et ce pronom exige un accord différent en genre selon qu'il s'agit de deux hommes ou de deux femmes. Lors de la traduction, cette spécificité rend obligatoires certains ajouts au niveau syntaxique, qui se traduisent par un nombre plus important de mots.

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le texte cible. Newmark (1 991 : 144) cite les exemples suivants, susceptibles selon lui d'être compensés : « les calembours, les allitérations, le rythme, l'argot, les métaphores et les mots pleins, tous peuvent être compensés si le jeu en vaut la chandelle, mais parfois cela ne vaut pas la peine >>. L'exemple le plus connu est celui de la traduction des bandes dessinées de Tintin ou encore d'Astérix qui regorgent, comme on le sait, de références culturelles et de calembours difficiles à rendre : « Les traducteurs ont renoncé à toute velléité de transposition des calembours français ; ils ont procédé à une compensation en insérant des calembours anglais de leur cru, qui n'existaient pas dans le texte source, mais en maintenant une équivalence d'intention >> (Hatim et Masan 1 990 : 202).

Il en va de même de l'explicitati�e qui concerne la différence qu'affichent les mots de la langue · concernant le découpage de la réalité. Ainsi par exemple, les mots qui servent à désigner les membres de la famille en français (oncle, tante, cousin, cousine, neveu, nièce) ne peuvent pas être traduits en arabe sans explicitation parce qu'il existe des mots différents pour chacun de ces membres selon qu'ils appartiennent à la famille du père ou à celle de la mère (oncle paternel, 'amm ; oncle maternel, khâl, etc.).

En d'autres termes, la compensation a consisté ici à utiliser le même procédé linguistique dans les deux langues (le calembour) et cela afin d'atteindre le même effet (l'humour). Mais ce n'est pas la seule possibilité offerte au traducteur. Hervey et Higgins (1 992 : 34) distinguent quatre types de compensation :

Ces explicitations sont nécessaires parce qu'elles influent réellement sur le sens du texte. Mais d'autres sont moins impérieuses parce qu'elles portent sur des préférences stylistiques (l'idiolecte). C'est le cas par exemple 1 ) La « compensation du genre » : elle consiste de la coordination avec « waw >> ou « fâ' » en à utiliser dans le texte cible un procédé arabe qui remplace, dans de nombreux cas, la linguistique différent pour recréer un effet ponctuation française ou anglaise. De même, particulier du texte source. l'usage de la redondance est plus fréquent 2) La « compensation du lieu >> : elle consiste à dans la phraséologie arabe, mais cela n'est pas - contraignant- pour-le-traducteur-qui - peut ---- -placer- l'effet du ·texte cible · à-un-autre endroit ·· que celui où il se trouve dans le texte source. choisir, par exemple, de ne pas expliciter le sens des adjectifs originaux lorsqu'ils se présentent 3) La « compensation par fusion >> : elle consiste comme des quasi synonymes. à condenser certains éléments du texte source dans la reformulation du texte cible, soit en les Bref, peu d'explicitations sont obligatoires et mélangeant, soit en les synthétisant. le traducteur garde toute latitude d'agir face au texte. En définitive, l'explicitation apparaît 4) La « compensation par scission >> : elle consiste davantage comme un procédé de traduction à développer le sêns d'un mot du texte source parmi d'autres que comme une nécessité par le biais d'une formulation plus étendue imposée par les langues et les cultures. Elle � �est ' c l üne ae!tmesu iè:Saeialib ert�"P'riSè par le · "Clans le teXte Cible. traducteur. Hervey et Higgins soulignent le fait que les deux premiers types de compensation (du genre, du lieu) ne s'excluent pas et peuvent intervenir dans un même texte, voire pour un La compensation est un procédé de traduction même élément textuel. Mais les deux autres qui consiste à pallier la perte d'un effet du texte types de compensation (par fusion, par scission) source par la recréation d'un effet similaire dans ·

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Questions et problématiques de la traductologie

s'excluent mutuellement parce qu'ils relèvent des caractéristiques lexicales de chacune des langues en présence et non pas des traits stylistiques de chaque texte. Harvey (1 995 : 84) fait ainsi une distinction claire entre les spécificités lexicales d'une langue et les particularités stylistiques d'un texte. Il propose, en conséquence, une typologie qui n'est pas fondée sur la nature du procédé linguistique employé mais sur l'emplacement de la compensation réalisée par le traducteur : compensation parallèle, contiguë ou déplacée. Cette proposition remet en question la notion d'unité de traduction qui sert à la comparaison de mots, de syntagmes ou de phrases entre les

textes source et cible. De ce point de vue, Gutt (1 991 : 48) estime que la compensation n'est concevable que dans le cadre d'une conception « holistique » (globale) du texte parce qu'elle est fortement tributaire de l'ingéniosité et de la créativité du traducteur. Mais Hervey et Higglns (1 992 : 40) insistent sur la difficulté de parvenir à une compensation satisfaisante : « Certes, la compensation permet d'exercer l'ingéniosité du traducteur, mais l'effort qu'elle requiert ne doit pas être consacré inutilement à des traits textuels Insignifiants. » Bref, les traductologues s'accordent sur le fait que la èompensation est souvent difficile, parfois impossible à réaliser ; tout dépend du texte et de l'effet recherché.

5 . LES « TYPES DE TRA DUCTIO N » La question typologique est complexe et âprement débattue en traductologie. Dans leur quête de la scientificité, les traductologues ont toujours voulu introduire des classifications pour clarifier le produit et le processus de la traduction. Ces classifications se sont considérablement affinées au cours des siècles : si l'on cherchait simplement au début à qualifier des « manières de traduire », cette attitude a évolué vers une véritable activité de théorisation typologique à partir du xx• siècle. Certains traductologues ont proposé des typologies de traductions, d'autres des typologies de textes, chacun à partir de postulats et de points de vue différents. Mais tous visaient le même objectif : derrière les « types » se profilait le souci d'une approche qui se voulait plus rigoureuse et plus méthodique de la traduction. En voici quelques exemples issus des traditions allemande et française.

Goethe (1 749-1832) n'a pas consacré un ouvrage à part à la traduction bien qu'il s'y soit intéressé toute sa vie. L'essentiel de ses idées en la matière est consigné dans Le Divan occidental-oriental ( Westostlischer Divan,

1 8 1 9) gui constitue, selon Berman (1 984 : 96),

J

« l'expression la plus achevée de la pensée classique allemande sur la traduction >>.

Dans cet ouvrage, Goethe distingue trois manières de traduire : 1 ) La première « nous fait connaître l'étranger dans notre sens à nous » ; 2) La seconde est qualifiée de « parodistique » et considérée comme typiquement française : « Le Français, de même qu'il adapte à son par­ ler les mots étrangers, fait de même pour les sentiments, les pensées et même les objets ; il exige à tout prix pour tout fruit étranger un équivalent qui ait poussé sur son terroir » (cité dans Berman 1 984 : 96). 3) La troisième manière est la plus satisfaisante selon Goethe parce qu'elle se donne pour objectif de « rendre la traduction identique à l'original, en sorte qu'elle puisse valoir non à la place de l'autre, mais en son lieu ». Goethe précise que « ce mode de traduction rencontre d'abord la plus grande résistance, car le traducteur qui serre de près son original renonce plus ou moins à l'originalité de sa nation, et il en résulte un troisième terme auquel il faut que le goût du public commence par s'adapter » (cité dans Ballard 1 992 : 23!1) .

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CHAPITRE S

D'une façon plus générale, et en dépit de l'influence de Goethe en Europe, c'est Schleiermacher (1 768-1 834) qui publie l'étude la plus approfondie sur la traduction dans Ueber

die verschiedenen Methoden des Uebersetzens

(1813). Ce livre ne sera accessible en français qu'à partir de 1 985 grâce à la traduction de Berman :

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Des différentes méthodes du traduire.

Schleiermacher aborde la traduction en philosophe et examine son objet d'étude en termes très généraux. Cela l'amène à distinguer trois types de traductions : 1 ) La traduction « intralinguistique >> par opposition à la traduction " interlinguistique » : « N'avons-nous pas souvent besoin de traduire le discours d'une autre personne, tout à fait semblable à nous, mais dont la sensibilité et le tempérament sont différents ? » (trad. Berman 1 985 : 281). 2) La traduction « intra-individuelle » par opposition à la traduction « inter-individuelle » : « Plus encore : nous devons traduire parfois nos propres discours au bout de quelque temps si nous voulons de nouveau nous les approprier convenablement » (trad. Berman 1 985 : 282).

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une autre langue, ou dans un système de symboles non linguistique » (Jakobson 1 959 : 233). Ces trois formes de traduction sont désignées de la manière suivante : 1 ) La « traduction intralinguale ou reformulation (rewording) » consiste en l'interprétation des signes linguistiques au moyen d'autres signes de la même langue. 2) La « traduction interlinguale ou traduction proprement dite » consiste en l'interprétation des signes linguistiques au moyen d'une autre langue. 3) La « traduction intersémiotique ou trans­ mutation » consiste en l'Interprétation des signes linguistiques au moyen de systèmes de signes non linguistiques (Jakobson 1 959 : 233). La typologie de Jakobson montre une prise en compte du linguistique et du sémiotique dans la réflexion traductologique, c'est pourquoi elle a eu un impact considérable sur les études ultérieures.

Dans sa Poétique, Meschonnic a établi une typologie des traductions qui réserve au 3) La traduction écrite par opposition au traducteur un statut comparable à celui de " truchement » (interprétation) : " On entend l'écrivain : « Une théorie de l'écrire et du plutôt par truchement la traduction orale, et par · ··traduction;·latraduction écrite; que l'on·excuse · --traduire · implique · une ·théorie .. du .. Jangage, une théorie du langage implique une théorie la commodité présente de cette définition, de l'écrire et du traduire » (Meschonnic d'autant plus que les deux déterminations 1 973 : 325). ne sont pas si éloignées l'une de l'autre (. .. ) chaque transposition écrite ne doit être Malgré son abstraction apparente, l'auteur considérée, à proprement parler, que comme insiste sur le fait que sa typologie est issue d'une l'enregistrement d'une transposition orale » observation de la pratique traductionnelle : (trad. Berman 1 985 : 283). · « Un établissement des critères de traduction et une typologie des traductions peuvent se faire non en fonction de la résolution ponctuelle des . Dan � ;�n arti��sti; ;; les �sp�ct� l fi19'ufstlql.ies· ··· ·· problèmes pnilologiqùeiÇmàis en dégageàiit ·de chaque pratique sa théorie » (Meschonnic de la traduction », Jakobson distingue trois 1 973 : 305). types de traduction considérés comme autant de manière d'interpréter le langage : En conséquence, Meschonnic envisage la traduction comme une activité littéraire " Nous distinguons trois manières d'interpréter à part entière et la nomme de différentes un signe linguistique, selon qu'on le traduit dans d'autres signes de la même langue, dans façons selon les aspects retenus par le ·

Qu e stions et problématiques de la traductologie

trad ucteur dans l'exercice de sa fonction d'écrivain : 1 ) La « traduction-introduction » ; 2) La « traduction-traduction >> ; 3) La « traduction non-texte ». Meschonnic précise le lien, de nature chronologique et historique, entre ces différents typ es de traductions : « Selon l'historicité du traduire, une traduction est traduction­ introduction, avant que soit produit, s'il peut l'être, le moment d'une traduction-texte » (Meschonnic 1 973 : 307).

A partir d'une analyse comparée des approches adoptées dans le domaine poétique, Etkind distingue six types de traductions qui correspondent globalement aux différentes modes de l'adaptation :

6. LES

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« 1. La Traduction-Information (T-INFO) » : elle s'apparente à un résumé et vise à donner au lecteur une idée générale de l'original. « Il. La Traduction-Interprétation (T-IND » : elle est plus proche de la paraphrase que de la traduction mais peut combiner les deux. « Ill. La Traduction-Allusion (T-ALLUS) » : elle évoque l'original et s'adresse avant tout à l'imagination du lecteur. « IV. La Traduction-Approximation (T-APPROX) » : elle s'éloigne d e l'original et reflète la conviction d'une impossibilité de traduire. « V. La Traduction-Recréation (T-R) >> : elle recrée l'ensemble, tout en conservant la structure de l'original. " VI. La Traduction-Imitation (T-1) » : elle se substitue à l'original et révèle les poètes qui cherchent d'abord à s'exprimer eux-mêmes. (Etkind 1 982 : 1 8-27) .

U N ITÉS D E TRAD UCTION »

Les " unités de traduction » désignent les éléments du texte source que le traducteur prend comme point de départ à son travail. Ces unités peuvent être des mots simples, des groupes de mots, des propositions ou encore des phrases entières ; certains théoriciens considèrent même l'ensemble du texte d'origine comme une seule et même unité de traduction. Le choix de l'unité dépend de la nature du texte et de la compétence du traducteur. Que ce soit en interprétation ou en traduction, plusieurs études ont montré que les unités de traduction tendent à être plus étendues et plus signifiantes lorsqu'il s'agit de traducteurs confirmés. A l'inverse, les apprentis traducteurs et les étudiants débutants en langues ont tendance à s'appuyer sur des mots simples et des structures grammaticales de base pour approcher les unités de traduction (lôrscher 1 993).

D'autres études ont tenté de montrer le lien existant, non pas entre la compétence du traducteur et le choix de l'unité, mais entre la structure des langues en présence, laquelle expliquerait le type d'unité choisie comme point de départ à la traduction. Il semblerait ainsi que plus les langues sont éloignées, plus la différence est marquée au niveau des unités de base, c'est pourquoi . Catford (1 965), par exemple, conseille de traduire « structure par structure "· Bassnett (1 980/1 991) résume bien le débat concernant les « unités de structure >> et les « unités de sens ». Il s'agit, en réalité, d'une refonte de l'opposition classique entre traduction littérale et traduction libre : les uns s'attachent à 1� forme pour définir les unités de départ, les autres se focalisent sur le sens pour traduire le message. Les appellations varient : « unité de sens » ou « unité d'idée » par opposition à « unité

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CHAPITRE S

linguistique » ou « unité lexicale ». S'ajoute à cela le débat sur l'équivalence : une « unité de traduction » n'est-elle pas au fond un « équivalent >> sémantique, syntaxique ou pragmatique ?

92

Bref, derrière la discussion terminologique se profilent des conceptions divergentes de la traduction comme processus ou comme produit. Le problème provient, en réalité, du fait qu'il est difficile de traduire la totalité d'un texte d'un seul coup, de même qu'il est quasiment impossible de comparer deux textes en un clin d'œil ; il faut donc descendre au niveau des unités constitutives, c'est-à-dire des portions, segments, syntagmes, etc. Mais la définition du type et du niveau de ces unités peut varier en fonction de considérations linguistiques (la nature du texte) ou pragmatiques (la visée de la traduction). Car il est évident que l'unité ne peut être prise isolément de son contexte et que le traducteur ne peut pas décider de son équivalent sans prendre en considération ce contexte (social, culturel, politique). Pour contourner le débat terminologique, Larose (1 989 : 2 1 8) a proposé un mot générique pour les unités de traduction. Chez lui, les « traductèmes >> sont des unités sémantiques qui ont une valeur fonctionnelle lors de la traduction. Le chercheur doit, par conséquent, s'attacher à les identifier, à les --- - classer,- puis-à - examiner-les-modalités-de leur---­ combinaison dans chaque langue. Il doit également s'intéresser aux phénomènes qui accompagnent le transfert de ces traductèmes parce qu'ils ont généralement une fonction distinctive. L'opération de base pour l'identification de ces unités de traduction (ou traductèmes) est la segmentation. Les unités minimales .se d�flnjssent en con�exte : ainsi, un mot ne 5auraitêtre-coi15idéré5ëul iars dë lairilduction mais toujours par rapport à d'autres mots. Même dans le cas des textes spécialisés, il est important d'envisager les collocations comme une forme de traductèmes. L'analyse-·des textes à traduire permet de mettre en évidence des traits distinctifs des traductèmes. Par exemple, le trait distinctif

de l'expression « dire haut et fort quelque chose >> est de nature pragmatique. Dès lors se pose la question de l'identification et du choix des traits distinctifs. Le nombre et la nature des traits distinctifs des traductèmes peuvent varier en fonction de plusieurs paramètres, notamment des choix théoriques. On peut ainsi opter pour une approche fonctionnelle, pragmatique, culturelle ou idiomatique dans l'étude de ces unités de traduction. Le choix des traductèmes doit permettre la construction d'un système d'équivalence entre deux ou plusieurs langues, c'est-à-dire d'un système dans lequel les traductions des différentes unités sont organisées et définies les unes par rapport aux autres. Pour construire ce système, on a recours aux principes de corrélation et de correspondance. Une corrélation regroupe toutes les équivalences d'unités faisant apparaître le même trait distinctif. La correspondance est issue de cette corrélation puisqu'elle permet de relier certaines unités dans un contexte à certaines équivalences. Bien entendu, une équivalence peut être unique ou isolée, de même qu'une unité (un traductème) peut participer de plusieurs équivalences qui forment alors plusieurs corrélations apparentées. Dans ce cas, les équivalences se réunissent en faisceaux de corrélations dans lesquels la corrélation peut associer non seulement des couples d'équivalences- mais - -aussi -des -groupes--de trois ou quatre équivalences pour un même traductème. C'est ce travail d'identification et d'organisation des équivalences qui permet la q:mstitution d'un système traductologique. Mais dans tous les cas, il faut veiller à prendre en considération la dimension fonctionnelle des équivalences. Cette dimensio � se mesure au nombre .d'occurrences pour l�:squelles l'équiv�lence · a·Ssèdë vra i·me nt unë-fond:iOlïJI ardve·;en·effet�

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que plusieurs équivalences correspondent à un seul et même traductème : c'est le phénomène de la variation traductionnelle. Cette variation désigne les différentes équivalences d'une unité de traduction dans un même contexte, équivalences qu'un traducteur peut réaliser sans que cela n'altère le sens ni la réception du message.

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Que st io ns

et problématiques de la traductologie

§� « UNIVERSAUX » L'expression « universaux de traduction » est le pendant, en traductologie, des « universaux du la n gage » en linguistique. Ceux-ci renvoient à d es régularités générales de structure qui peuve nt être rapportées à des contraintes articulatoires et/ou des contraintes cognitives. En traductologie, les « universaux » désignent les traits linguistiques qui apparaissent essentiellement dans les textes traduits et qui semblent indépendants des paires de langues en présence. En d'autres termes, il s'agit de caractéristiques que l'on retrouve dans les traductions quelle que soit la langue considérée. Baker (1 993 : 243) résume ces traits en quelques points : la simplification, la non-répétition, l'explicitation, la normalisation, le transfert discursif et la redistribution du lexique. L'étude contrastive des textes sources et des traductions permet de préciser la nature de ces universaux. Ainsi, Blum-Kulka et Levenston (1 983 : 1 1 9) s'intéressent à la « simplification » et en distinguent trois types : simplifications lexicales, syntaxiques et stylistiques. Pour eux, la simplification lexicale se reflète avant tout dans un nombre moindre de mots employés dans la traduction, mais elle peut également prendre d'autres formes telles que l'approximation conceptuelle, le recours aux synonymes familiers ou encore la paraphrase culturelle. A titre d'exemple de ces simplifications, citons le mot arabe « mar' » (fém. mar'a) qui signifie « personne magnanime » (douée de murû'a) mais qui est généralement rendu en français tout simplement par « homme >> ou « femme ». 11 en va de même du mot « fahl » (littéralement, «Viril») mais qui est souvent traduit par« grand , fécond » : par exemple, dans le titre d'un ouvrage classique de poétique arabe : « Fuhûlat a/-Shu'arâ'» est traduit par« Les grands poètes » ou encore « les poètes féconds ».

Pour les autres types de simplifications, cela passe par des procédés tels que la segmentation ou le changement de structure. Ainsi, le traducteur procède à une simplification du style en remplaçant les phrases complexes par des phrases plus courtes ou moins

alambiquées. En règle générale, il supprime également les informations redondantes et les circonlocutions. Toury (1 991 : 1 88) estime que cette dernière tendance est « l'une des normes de traduction les plus persistantes et les plus inflexibles dans toutes les langues étudiées jusqu'à présent ». Cette tendance quasi universelle à la simplification va parfois de pair avec l'explicitation du sens. Dans son étude portant sur les traductions entre l'anglais et le français, Blum-Kulka (1 986) a remarqué que les traducteurs avaient tendance à développer certains aspects du texte source afin qu'il soit plus clair pour les lecteurs de la langue cible ; ils le font en particulier pour renforcer la cohésion du texte traduit. En conséquence, l'auteur a émis l'hypothèse que l'explicitation serait une stratégie universelle, caractéristique de tous les processus de médiation et présente chez tous les traducteurs quelles que soient leurs langues de travail. Shlesinger (1995 : 210) fait une constatation analogue concernant les interprètes à partir de plusieurs études portant sur l'interprétation simultanée entre l'anglais et l'hébreu. Il conclut dans son étude que « les Interprètes ont tendance à rendre les formes implicites de façon plus explicite ». Parmi les procédés d'explicitation observés, il note la propension à compléter les phrases inachevées, à corriger les formulations agrammaticales, à supprimer les hésitations et les mots inappropriés quand l'orateur se reprend dans s� n discours. L'auteùr en déduit une tendance universelle à la « normalisation » chez les interprètes. Toury (1 995 : 267) parle, pour sa part, de « loi de standardisation croissante ». Celle-ci se refléterait dans la tendance à remplacer les relations inhabituelles dans le texte source par des relations plus conventionnelles dans le texte cible. L'auteur estime que cette « loi » s'affirme avec l'âge, le degré de bilinguisme, l'extension des connaissances et l'élargissement de l'expérience du traducteur. Il va même jusqu'à établir un lien entre la situation sociale

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langue 1 culture « majeure » vers une langue 1 culture « mineure » ou « faible ».

de la traduction dans un contexte donné et le degré de standardisation que les traducteurs vont appliquer aux textes.

On le voit, la question des universaux de traduction est controversée et possède même des prolongements idéologiques qu'il est difficile d'ignorer. Les études qui sont menées partent en général d'une intention louable, à savoir montrer l'universalité du processus de traduction, mais elles se perdent souvent sur les chemins sinueux de l'analogie et de l'idéologie. Le phénomène de la traduction est certes universel, mais l'attitude envers les langues de traduction ne l'est pas forcément.

Parallèlement, Toury (1 995 : 275) émet une autre hypothèse, dite « loi d'interférence », selon laquelle le processus de transfert d'une langue à l'autre a tendance à s'accompagner d'interférences linguistiques. Celles-ci sont inhérentes, d'après lui, au processus mental de la traduction, mais le degré de tolérance à leur égard dépend du « prestige '' des langues en présence : les interférences les plus manifestes se trouvent dans les textes traduits d'une

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également servir à enseigner la terminologie et à renforcer les connaissances des traducteurs dans les langues de spécialité.

L'étude du langage à partir de corpus de textes traduits a connu un essor sans précédent depuis le début des années 1 990. Un corpus est un ensemble de textes écrits ou oraux, réunis suivant des critères précis, et disponible sous format électronique pour en faciliter l'exploration par des moyens informatiques. La linguistique de corpus aborde les phénomènes langagiers de façon empirique et descriptive. C'est cet aspect qui intéresse Je plus les traductologues. Holmes (1988) a critiqué _l'_l!Sél_g�_ >, outil puissant et performant disponible en ligne. Ce type d'outils permet de vérifier sur de grands ensembles textuels des hypothèses de travail telles que « l'hypothèse de l'explicitation >> faite par Baker (1 997) selon laquelle les textes traduits sont en général plus explicites que les textes sources, ou encore « l'hypothèse de la standardisation >> émise notamment par Peters et Picchi (1 996) selon laquelle les traductions renferment, en règle générale, un usage plus conventionnel de la langue que les textes originaux.

Bref, l'étude des corpus est enrichissante, mais à condition de s'entendre sur l'aspect que l'on se propose de comparer entre deux langues : d'une part, parce que tout n'est pas susceptible de comparaison et d'autre part, parce que certains traits sont spécifiques à une seule langue et qu'il serait vain de vouloir, à tout prix, comparer chaque combinaison de langues. Enfin, la question de la disponibilité des corpus sous format électronique - et des difficultés inhérentes à leur constitution dans certaines langues à faible diffusion - peut constituer un frein réel à la réalisation de telles études. Nonobstant-ces difficultés, le recours aux outils informatiques appropriés pour le traitement des corpus offre aux spécialistes de la traduction de nouvelles possibilités d'exploration. Cela est d'autant plus vrai aujourd'hui que les outils de traitement des corpus ne se bornent plus aux calculs statistiques, mais intègrent de plus en plus la complexité du langage. En français par exemple, le logiciel « Tropes >>, développé par Acetic, offre des fonctionnalités évoluées d'analyse sémantique et rhétorique. Ces outils ouvrent également la voie à de nouvelles méthodes d'exploitation. Baker (1 997) distingue ams1 deux manières d'utiliser les corpus dans le cadre des études traductologiques : 1 ) La première méthode, dite en anglais « bottom up>> (de bas en haut), consiste à partir du corpus, c'est-à-dire des phénomènes de traduction concrets et empiriquement observables, pour tirer des conclusions spécifiques concernant certains aspects traductionnels ou bien des généralisations concernant certaines langues ou combinaisons de langues. C'est la méthode inductive en traductologiè (du particulier au général). 2) La deuxième méthode, dite en anglais « top clown >> (de haut en bas), consiste à partir d'une hypothèse de travail théorique, c'est­ à-dire la plupart du temps d'une intuition de traducteur ou d'une idée abstraite, pour la vérifier ou la valider en ayant recours à des corpus parallèles ou comparables. C'est la méthode déductive en traductologie (du général au particulier).

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CHAPITRE S

Il est possible - et préférable - de combiner ces deux méthodes de travail sur des corpus variés pour aboutir à des résultats fiables concernant les phénomènes étudiés. Mais il est évident que le plus important réside dans l'hypothèse

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et l'observation de départ, car « ce n'est pas assez d'avoir l'esprit bon, mais le principal est de l'appliquer bien >> (Descartes, Discours de la méthode, 1 637).

9. LES « CHOIX » ET LES « DÉCISIONS »

Dans un souci de rationalisation, la traduction apparaît pour un certain nombre de spécialistes comme une activité de décision face à un certain nombre de choix qui se posent au traducteur selon les textes et les contextes. Mais le processus de prise de décisions est complexe parce qu'il est tributaire des modalités de résolution des problèmes de traduction. Ces modalités dépendent du savoir disponible à un moment donné, c'est-à-dire du savoir déclaratif (ce que l'on a emmagasiné en mémoire) et du savoir procédural (la manière d'utiliser nos connaissances).

En réalité, la nature de la décision dépend du niveau où se place le traducteur et de sa stratégie de traduction. Au niveau microtextuel (des unités lexicales et syntaxiques), le traducteur ne fait que résoudre des problèmes locaux. Au niveau macrotextuel, il est conduit à prendre des décisions importantes en fonction d'une stratégie préétablie (par ex. sourcière vs cibliste). Mais pour éviter toute incohérence dans la traduction, il doit penser la résolution des problèmes au niveau microtextuel en fonction de sa stratégie au niveau macrotextuel.

Les « protocoles de réflexion à voix haute >> (TAPs) permettent de saisir certains modes questions importantes : quels sont les facteurs mentaux de ces prises de décision. En suivant quidéterminentlechoixdetelleoutellesolution pas à pas les étapes par lesquelles on passe de traduction ? Quels types de choix pour quels en traduisant, on explicite le déroulement de types de textes ? Quelles sont les décisions l'opération en énonçant à voix haute ce que possibles ? Comment se fait le choix à tel ou l'on est en train de faire. Dans le même temps, tel niveau du texte ? Quel est le résultat obtenu l'ordinateur peut enregistrer nos actions et le en fonction de tel ou tel ch (Jix ? etc: Auta rJ_t ci_�____Ql�g.[lé.!qfl.f}()n E! I1Q� r�f!t:J(iQ!1.s _ , _ _ - Üestià _ __ . _ q ns cjüf méritêntüri-e étude approfondie à partir d'un large panel de traducteurs. Tirkkonen-Condit (1 993) a pu ainsi identifier la manière dont les étudiants en traduction traitent D'un point de vue décisionnel, l'activité du les problèmes de traduction et comment ils traducteur est d'autant plus complexe que choisissent entre différentes possibilités. Il est la traduction est une opération dérivée, en ainsi établi que l'une des méthodes les plus ce sens que le sujet ne part pas du néant fréquemment utilisées est celle de « l'essaipour produire un texte original, mais « dérive » erreur » : l'étudiant opte de façon quasiment sa production d'un texte source existant. En aléatoire pour une solution, puis il évalue la toute rigueur, il faudrait étudier de façon pertinence du résultat ; s'il le juge adéquat, il le --C--�-systématique.toutesles manières parJesquelles --��maintient, sinon il fait un-autre essai, et-ainsi de� le traducteur tente de résoudre les problèmes suite jusqu'à la fin du texte. En somme, il s'agit sémantiques, pragmatiques et stylistiques au d'un processus d'apprentissage par induction cours de ce travail de « dérivation ». Leii)Î qui vise à développer progressivement des ( 1 967 : 1 72) estime que les choix de traduction stratégies de traduction générales à partir " sont influencés par le savoir accumulé lors des d'une succession de décisions particulières. On décisions antérieures et par la situation qui en a est loin du cogito pré-traductionnel qui devrait résulté ». Autrement dit, de la mémoire. éclairer le chemin du traducteur. A cet égard, Wilss (1 996) pose plusieurs

Questions et problématiques de la traductologie

Le cogito pré-traduction ne! La plupart du temps, nous traquisons des genres de textes connus. Que nous traduisions des romans, des essais, des publicités ou des manuels scolaires, nous suivons des chemins discursifs que nous avons déjà pratiqués (narratifs, argumentatifs, informatifs, etc.) et nous utilisons des procédés dont nous avons fait usage (l'adaptation, l'explicitation, etc.). Notre traduction peut être ainsi considérée comme une actualisation de nos anciens choix et de nos solutions antérieures. Le texte traduit ne serait que la convocation de décisions passées et de connaissances mémorisées. Dès lors, on peut se poser la question de la possibilité d'une décision de traduction sans mémoire. Plusieurs problématiques se posent ici. D'abord, celle de savoir ce qui distingue la décision analytique d'un choix mémoriel : s'il n'est pas de traduction sans mémoire, alors la décision se réduit-elle à la mobilisation de connaissances et de choix passés ? Ensuite, s'il est possible de penser la décision sans mémoire, cette distinction possède-t-elle des implications sur le plan pratique, concret ? Enfin, s'il est impossible de choisir une solution sans mémoire, quel statut alors donner aux décisions « originaires » qui ont pour objet ce que nous n'avons pas traduit auparavant ? Concernant le premier point, il est vrai que la plupart du temps notre choix de traduction renvoie à une traduction d'objets déjà connus. Traduire un compte rendu d'événement politique, une analyse d'économiste ou le récit des frasques d'une star du cinéma sont

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les objets de décisions si similaires qu'il est possible d'affirmer que la décision de traduction est une reconnaissance, au sens d'une remémoration. Cependant, force est de constater que la décision ponctuelle ne se réduit pas elle-même à un acte de mémoire. Pour soutenir qu'il n'est pas de traduction sans mémoire, il faut considérer que choix et mémoire peuvent être confondues. Or, mémoire et choix se donnent d'emblée comme des actes vraiment distincts. Le choix d'une solution de traduction, dans la mesure où il exige un effort de concentration, est un acte volontaire et extérieur; qui se passe entre le moi et le texte. Tandis que l'effort de mémorisation consiste à intérioriser ce qu'on perçoit pour en faire une connaissance susceptible d'être mobilisée en temps voulu. La passivité de la mémoire ne parait pas pouvoir être conciliée avec la décision volontariste. de traduire à un moment donné de telle manière. La question ne serait donc pas tant de savoir si on peut traduire sans mémoire, que de savoir comment la mémoire pourrait intervenir dans la décision de traduction. Étant donné que la traduction se donne elle-même comme une rencontre du sujet traduisant avec un donné textuel extérieur, elle peut se révéler comme un choix subjectif, et non pas comme une décision tributaire de ce qui est dans l'objet. Ce que l'on choisit comme solution de traduction constitue en général une réaction à l'intentionnalité contenue dans le donné textuel. La décision de traduction ne serait pas ainsi actualisation d'une mémoire textuelle déjà constituée, mais ré-action à une intention première de communication.

STRATÉG I ES D E TRADUCTION

Le terme « stratégie » (du grec « stratos », armée et « agêin >>, conduire) désigne la conduite générale d'une action ayant une cohérence et un but sur le long .terme. Dans le domaine de la traduction, la stratégie concerne le choix des textes à traduire et la méthode adoptée pour

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les traduire, c'est-à-dire les différentes décisions que prend le traducteur dans l'exercice de ses fonctions. Ces trois éléments (choix, méthode, décision) dépendent de facteurs divers et variés : économiques, culturels, politiques, historiques, idéologiques, etc.

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Mais il est possible de distinguer, par delà la multiplicité des facteurs, deux grands types de stratégies traductionnelles : d'une part, la stratégie « sourcière » qui vise à conforter les normes et les valeurs dominantes dans la culture source ; d'autre part, la stratégie « cibliste ,, qui vise à soumettre les textes étrangers aux contraintes de la culture cible. L'une est protectionniste parce qu'elle vise à préserver la culture de départ, l'autre est assimilationniste parce qu'elle vise à la gommer en privilégiant la culture d'arrivée. Les termes qui servent à désigner chacune de ces stratégies varient d'une langue à l'autre. En français, on rencontre le terme « naturalisation », qui indique le travail d'adaptation mené par le traducteur pour « naturaliser » l'œuvre étrangère, à la manière

d'un individu qui acquiert la nationalité par naturalisation : le texte devient naturel dans la culture cible, c'est-à-dire que l'on gomme ses particularités les plus visibles pour qu'il soit admis au sein de la « nation ». L'objectif est de faire admettre « l'étranger » dans la culture nationale sans susciter la polémique et sans heurter la sensibilité du public. A l'inverse, le terme « exotisation » indique

dans les études traductologlques d'expression française la tendance inverse, qui consiste à garder, dans la culture cible, les traits caractéristiques de l'œuvre étrangère (images, style, valeurs). Le résultat de cette stratégie est une traduction qualifiée d'cc exotique » parce qu'elle affiche son étrangéité en maintenant visibles les marques de son origine (noms étrangers, lieux exotiques, etc.). L'objectif est avant tout didactique : ouvrir l'esprit du public cible en lui faisant ressentir ce que Berman (1 984) appelle « l'épreuve de l'étranger». En anglais, les termes qui désignent ces deux stratégies sont différents mais l'idée qui sous­ tend chaque stratégie est la même qu'en français. D'un côté, il y a la « domestication » (domesticating) qui consiste à « domestiquer » le texte étranger, c'est-à-dire à le rendre domestique, à la manière d'un animal sauvage qu'on parvient à rendre docile au prix d'un grand effort, au terme duquel il fait partie de la « maison » (domus, en latin). D'un autre côté, il y a l'« étrangéisation » (foreignizing) ,;_,,nr• mais il institue les « normes >> comme troisième niveau d'analyse. Pour lui, le niveau de la compétence permet de faire l'inventaire descriptif des choix de traduction disponibles dans un contexte particulier ; le niveau de ia performa � ce permet d.E! const;3ter · -��=-="- les �h�i��effectivement rèi:imus par ·iës traducteurs, et le niveau des normes correspond aux fondements socioculturels qui régulent ces choix à un moment donné. Dans cette perspective, les normes impliquent une conception de la traduction assimilée à un processus de prise de décision. Toury

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(1 995) constate même que le traducteur a un rôle social à jouer qui dépasse largement le simple transfert linguistique. Ce rôle correspond à une fonction spécifique au sein de la société, et le traducteur est censé prendre des décisions conformes aux attentes de sa communauté. Selon lui, l'assimilation de ces attentes communautaires (i.e. normes sociales) est même le préalable au métier de traducteur. A partir d'une enquête portant sur un large

corpus de traductions et de traducteurs, Toury (1 995) distingue trois types de normes :

1 ) Les normes initiales : à ce niveau, le traducteur choisit d'adhérer soit aux normes présentes dans le texte source, soit aux normes qui prédominent dans la culture cible. L'adhésion aux premières détermine l'adéquation de la traduction au texte source, tandis que l'adhésion aux secondes détermine l'acceptabilité de la traduction dans la culture cible. 2) Les normes préliminaires : à ce niveau, le traducteur choisit d'adhérer ou non à une certaine « politique >> de la traduction : types de textes à traduire, origine des auteurs, langues prioritaires, choix de sujets tolérés, etc. ···

3) Les normes opérationnelles : à ce niveau, le traducteur prend des décisions concrètes au cours de l'acte-même de traduire : soit concernant la segmentation du texte source en prenant en considération les « normes matricielles >>, soit concernant la reformulation des segments en tenan� compte des « normes linguistlco-textuelles >�. De nombreux théoriciens ont tenté d'applique_r cescon sÏd ératicÏns à ;:livers types de textes et de traductions. Ils ont été amenés à préciser le modèle de Toury sur plusieurs points. Tout d'abord, ils ont démontré la différence entre « normes >> et « conventions », c'est-à-dire entre les cadres imposés et les préférences personnelles du traducteur.

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Questions et problématiques de la traductologie

Ensuite, ils ont établi la distinction entre normes « constitutives » et normes « régu­ latrices», c'est-à-dire entre les règles pré­ existantes à l'activité même de traduction et les règles internes au domaine dans lequel on traduit. Enfin, ils ont attiré l'attention sur la différence entre les normes « professionnelles » et les normes de « réception », c'est-à-dire entre les pratiques promues par les traducteurs et les attentes plus ou moins conscientes des lecteurs récepteurs. Chesterman (1 993 : 8) a tenté de préciser cette dernière catégorie. Il distingue trois types majeurs : 1 ) les normes « de responsabilité >>, qui concernent la dimension éthique de la traduction; 2) les normes « de communication >>, qui concernent la dimension sociale de la traduction ; 3) les normes « de relation », qui

concernent la dimension linguistique de la traduction. En définitive, la question des « normes >> apparaît comme une préoccupation typiquement cibliste parce qu'elle donne la priorité au texte cible et à la culture d'accueil des traductions. Dans certains cas, la « norme >> a pu remplacer le concept d'équivalence, étant donné que ce dernier désigne une relation plus neutre ou plus égalitaire entre les textes source et cible. Le principal mérite de la « norme » est, comme le souligne Baker (1 993 : 240), d'avoir montré que l'objet premier de la traductologie n'est pas l'étude' d'une seule traduction, mais d'un corpus de traductions, c'est-à-dire d'un large ensemble cohérent de textes traduits dans un contexte particulier et suivant des contraintes communes, alors qu'on avait tendance à considérer chaque traduction comme unique et indépendante.

1 2. LA « Q UALITÉ » ET L'« ÉVALUATION »

La « qualité >> est une préoccupation majeure aussi bien chez les traducteurs de l'écrit que chez les interprètes de conférence. Elle a été présente tout au long de l'histoire à travers le débat sur la lettre et l'esprit, la forme et le sens, etc. Mais aujourd'hui, elle se confond avec la problématique de « l'évaluation » dont les critères varient en fonction des théories et des approches traductologiques. Sommairement, il est possible de distinguer deux grandes approches : 1 ) l'approche sourcière de la qualité : elle part du principe qu'une traduction réussie est une traduction qui rend compte du texte source dans toutes ses dimensions, à la fois linguistiques et culturelles. Elle est fondée sur le critère de fidélité à l'auteur et de respect du texte. Dans sa version extrême, cette approche fait de la littéralité une condition Indispensable à la qualité : plus la traduction est proche de l'original, mieux elle est perçue ; plus elle est transparente, plus elle est appréciée ; plus le traducteur est invisible, mieux il est jugé.

2) l'approche cibliste de la qualité : elle part du principe qu'une bonne traduction est une traduction acceptable par le public cible. Au XVII' siècle, les partisans des « belles infidèles » sont allés jusqu'au bout de cette logique, en estimant que la meilleure traduction est celle qui plaît le plus au public. C'est pourquoi, ils traduisaient librement les œuvres anciennes en espérant séduire leurs contemporains. Dans cette approche, le traducteur devient auteur et le goût des récepteurs, un critère incontournable. Le XX' siècle s'est démarqué de ces approches extrêmes de la qualité en adoptant des critères à la fois plus souples et plus rigoureux. Même si l'on retrouve chez les théoriciens contemporains des « ciblistes » et des « sourciers >>, les avis sont plus nuancés et les critères d'appréciation moins subjectifs. Ainsi, Nida (1 964) a recours à la notion d'équivalence dynamique pour juger la qualité d'une traduction. Pour lui, une bonne traduction est une traduction qui produit le

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CHAPITRE 5

linguistiques et situationnelles du texte source et du texte cible. Ceux-ci sont d'abord comparés du point de vue de leur fonction (visée communicationnelle), puis du point de vue des moyens pragmatiques employés pour atteindre cette fonction, de la part de l'auteur dans le texte source et de la part du traducteur dans la reformulation du texte cible.

même effet que le texte original. Il propose trois critères d'évaluation : d'abord, l'efficacité générale du processus de communication ; ensuite, la compréhension de l'intention qui sous-tend le message ; enfin, la production d'une réponse analogue chez les deux publics (source et cible). 102

Malgré leur intérêt pour l'analyse des traductions, ces critères se révèlent vagues et imprécis lorsqu'il s'agit de juger effectivement la qualité d'une traduction donnée. Pour y remédier, Nida et Taber (1 969) les affinent en proposant un certain nombre de « tests» portant sur la compréhension de la traduction. Mais ces tests ne s'avèrent pas assez rigoureux non plus : ils sont perçus par les traductologues comme cc réductionnistes » et trop « behavioristes >>.

Dans la pratique, l'évaluateur de la qualité procède en trois temps : d'abord, il établit à partir d'une analyse détaillée du texte original un profil textuel qui définit précisément la fonction du message. Ensuite, il entreprend le même type d'analyse pour le produit de la traduction, de sorte à dégager un profil du texte cible. Enfin, il compare les deux profils textuels, point par point, et mesure l'écart qui les sépare pour juger la qualité. Cet écart est mesuré sur deux plans principaux : le sens dénoté et le sens connoté. Le relevé des erreurs sur ces deux plans sert de base à un jugement plus global concernant la qualité de la traduction.

Plusieurs auteurs tentent de pallier ce manque de rigueur en proposant d'autres critères d'évaluation. Délaissant le public source et cible, ils concentrent leurs efforts sur l'objet de la traduction, c'est-à-dire sur le « texte >>. L'une des premières approches textuelles de la qualité est celle de Katarina Reiss (1 971 ). Celle-ci estime que les choix du traducteur sont déterminés par le type textuel et que ce type est l'un des invariants les plus importants en traduction. En conséquence, elle entreprend une analyse détaillée des types de textes disponibles et des niveaux textuels pertinents pour l'évaluation : sémantique, syntaxique, · -stylistique; pragmatique;·· ·-· - - · -·

Quelques années plus tard, sa réflexion évolue vers une approche fonctionnelle de la qualité. Reiss et Vermeer placent le skopos (objectif) au centre des critères d'évaluation des traductions. Pour eux, le plus important c'est la finalité du texte et la manière dont il est adapté pour atteindre son but. Ils distinguent l'adéquation d'une traduction avec son original, de l'�qui\f> et celle que l'on recherche dans la traduction « technique ». Pour elle, il y a une différence de nature et de méthode, qui implique des critères d'évaluation distincts dans chaque cas.

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Reste le problème de la culture. Dans cette perspective, House (1 996) définit deux grands types de traductions : la traduction « ·manifeste· »--et · la--traduction·« ·secrète·,,: ta · première concerne les textes fortement dépendants de la culture source (ex. textes littéraires, poétiques), tandis que la seconde concerne les textes sans ancrage culturel marqué (ex. textes scientifiques, techniques). Dans les deux cas, House propose de juger la qualité des « filtres çulturels >> mis en place par le traducteur, (est-à-dire les modalités d'atténuation ou d'adaptation des références cul.turelles dans la traductiO_f1.

Mais certains chercheurs (Schaffner 1 998), qui s'inspirent des sciences cognitives, veulent aller plus loin en explorant la manière dont le traducteur réfléchit pour accomplir de telles opérations. Ils ne veulent plus juger seulement le produit textuel mais aussi le producteur de la traduction, à travers le processus mental qu'il déploie. Ainsi, l'on s'orie�te vers un jugement

Questions et problématiques de la traductologie

plus global de la qualité qui intègre l'homme (le traducteur) et l'œuvre (la traduction) ou encore le traducteur dans sa traduction. Mais ce type d'approche de la qualité peine encore à imposer ses critères d'évaluation tant au

niveau de l'enseignement que de la pratique professionnelle. Gilé (2005 : 213) offre un bon exemple de cette orientation : son « diagnostic '' des erreurs et des maladresses le conduit à une « évaluation globale » des traducteurs.

1 3. FAITES LE P O I NT

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Les questions et les problématiques traitées par les traductologues ont été, pendant longtemps, confondues avec celles posées par les linguistes. Le débat sur le « sens » illustre parfaitement cette influence, même si certains traductologues (Seleskovitch et Lederer) ont souvent affirmé leur refus de la linguistique ; ils n'en faisaient pas moins œuvre de linguistes en définissant, à leur manière, le sens en traduction. Les autres théoriciens ne s'en cachaient pas, comme l'indiquent certains titres d'ouvrages (cf. Catford). C'est avec le concept d'équivalence que la traductologie commence à se distinguer véritablement de la linguistique. Malgré le flou qui entoure ce concept et les controverses auxquels il a donné lieu, il n'en a pas moins contribué à l'émergence d'une réflexion traductologique autonome, centrée sur des questions et des préoccupations propres.

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Parmi les problématiques centrales des débuts, on trouve les « procédés » et les « unités » de traduction. Le débat fut lancé par Vinay

et Darbelnet (1 958) avant que d'autres traductologues n'élargissent la question en traitant, au èas par cas, des différents « modes » de la traduction (l'adaptation, l'explicitation, la compensation, etc.). Certains découvrent au passage des « universaux de traduction » et des « corpus parallèles » et « comparables », mais restent toutefois attachés à des problématiques surannées comme la fidélité et la liberté. Ayant épuisé les questions relatives au produit de la traduction, les traductologues s'intéressent enfin aux problématiques touchant au processus. Le traducteur se retrouve projeté au cœur des débats : on interroge ses choix et ses décisions, les normes qui encadrent son travail et les stratégies qu'il adopte pour négocier avec ces normes. On se focalise sur la qualité et on définit des critères d'évaluation au niveau textuel et même au niveau cognitif. Le traducteur est sommé de répondre aux questions. La réflexion traductologique veut désormais « coller » à la pratique. C'est une orientation prometteuse, étant donné la complexité et la diversité des situations professionnelles.

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CHAPITRE S

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.!ll •>. Il en va de même de Hatim et Masan ( 1 990 : 1 0) qui définissent un ensemble de paramètres pouvant servir à la comparaison des traductions. Le seul intérêt de leur modèle réside dans le fait que les niveaux d'analyse retenus et les critères d'évaluation sont de nature discursive et sémiotique. Il existe plusieurs autres modèles de com­ paraison qui incitent à poser la question de fond de ce qui doit être critiqué et évalué : , """-e:SN:e liftraduction seule� t'est:a:dire diirfs son , contexte de réception et sans comparaison avec l'original ? Ou bien est-ce la manière dont l'original a été rendu dans la langue cible ? Pour évaluer une traduction, doit-on se placer du côté de la source ou bien du côté de la cible ou

encore à mi-chemin entre les deux 7 La position du critique des traductions est délicate parce qu'elle suppose une pluralité de points de vue possibles. La question du point de vue critique a conduit certains traductologues à introduire de nouveaux critères et à émettre des jugements qui reflètent la position délicate du traducteur. Ainsi, Lewis (1 985 :56) emploie le terme« abusif» pour certaines traductions qui transgressent les normes et les cadres de la culture cible. Conely (1 986 : 49) va plus loin en qualifiant ces traductions de « destructrices ». Mais ces critères de jugement (abus, destruction) revêtent une coloration idéologique qui ne peut satisfaire les tenants d'une approche analytique et descriptive. Ce tiraillement conduit à poser la question du rôle du critique : doit-il se contenter de décrire objectivement les qualités et les défauts des traductions ? Ou bien doit-il juger le traducteur à travers le résultat de son activité ? Si le traducteur ne se confond pas avec le critique, y a-t-il une responsabilité éthique à assumer dans l'activité d'évaluation ? Si oui, quelles sont les valeurs qui font une « bonne traduction » ? Autant de questions qui appellent - du moins en théorie - une analyse des conceptions, des perceptions et des intentions présentes chez les traducteurs, mais qui soulèvent dans la pratique des··"problèrrres--d'identité, de- nationalitê;- de

religion, de sexe, etc. Bref, la critique des traductions est prise dans un tel enchevêtrement de facteurs qu'il faut commencer par démêler les approches et les points de vue avant de s'attaquer aux produits.Dans bon nombre de

3. L' I NTÉGRATION DES O UTILS TEC H N O LÔG I Q U ES

cursus universitaires, la formation à la traduction est axée sur l'acquisition des connaissances techniques à travers un certain nombre de « modules » spécialisés d'initiation aux divers domaines dans lesquels le traducteur est susceptible d'intervenir dans la réalité : modules

d'introduction à l'économie, au droit, aux sciences de la santé , aux sciences politiques, aux sciences de l'information, etc. L'objectif d'une telle diversification des enseignements est de faire acquérir au traducteur lès cadres généraux de disciplines dans lesquelles il

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Pédagogie et didactique de la traduction

pourrait intervenir, ainsi que la terillinologie spécifique aux experts de ces domaines. Lavault (1 998) montre que cette orientation a apporté un changement important en didactique de la traduction. En effet, le contenu de la formation n'est plus centré sur l'étude des textes littéraires mais il est désormais axé sur le savoir-faire professionnel et sur l'expertise culturelle du traducteur. De plus, la méthodologie de travail en classe s'enrichit dans cette perspective de recherches personnelles et de stages pratiques réalisés par les futurs traducteurs, qui prennent ainsi contact avec le monde professionnel et s'initient au cours de leur scolarité aux problématiques réelles du domaine, l'objectif étant de les rendre autonomes et immédiatement opérationnels en fin de formation. Cependant, l'intégration des technologies de l'information et de la communication dans la formation des traducteurs demeure timide et parfois inexistante, alors même que les TIC font partie intégrante de l'univers social et professionnel des apprenants. Même les outils d'aide à la traduction disponibles sur le marché sont peu intégrés à la conception de la formation. Certes, il existe parfois des « modules» d'initiation ou d'approfondissement à ces outils, mais une véritable didactique de la traduction intégrantla révolution technologique reste à penser. Les questions ne manquent pas à ce sujet : comment peut-on mettre à profit les ouvertures théoriques offertes par les nouvelles technologies dans l'enseignement de la traduction ? Que peuvent apporter les outils de la traductique à l'enseignement /apprentissage de la traduction ? Comment gérer l'interaction entre technologie et traduction tout au long de la formation ? etc. A ces questions, il convient d'apporter une réponse qui permet de concilier la tension entre le savoir « linguisturel » (i.e. linguistique et culturel) et le savoir-faire technico­ professionnel (technologique et applicatif). Cela est d'autant plus important que le mariage de ces compétences est indispensable dans le nouveau contexte de la société de l'information et de la communication mondialisée.

On sait, par exemple, qu'un tournant important a eu lieu en traductologie avec l'apparition des corpus de traductions informatisés (sous format électronique), qu'il s'agisse d'ailleurs de corpus parallèles ou comparables. A partir de ce nouvel objet d'investigation, les chercheurs ont pu travailler sur des donnéesjusque-là inaccessibles qui leur ont ouvert de nouvelles perspectives d'étude : désormais, ils n'étudient plus la meilleure façon de traduire un mot ou une phrase, c'est-à-dire leurs propositions personnelles de traduction et leurs propres efforts, mais un objet d'étude extérieur e.t délimité, formé de traductions publiées et validées par des professionnels, avec, dans la plupart des cas, une légitimité issue de la réception (le public) ou de l'émission (les institutions qui les diffusent). C'est dans cette optique que s'inscrivent les récentes orientations dans l'enseignement de la traduction. Il s'agit d'une réflexion méthodologique portant sur des corpus de traductions existantes et validées institutionnellement. En d'autres termes, les étudiants ne travaillent plus sur « la » traduction en général mais bien sur des faits de traduction attestés. Cela signifie que l'intérêt de la formation se porte davantage sur des phénomènes discursifs généraux que sur des spécificités textuelles. Et même à l'intérieur de ces phénomènes discursifs, l'attention des apprenants est focalisée sur les faits comparables entre les langues. Il ne s'agit pas de comparer des traits linguistiques, ni même · d'étudier les prin­ cipes d'équivalence entre les langues en présence. L'objectif didactique est plus ambitieux : il s'agit d'argumenter, à l'intérieur de traductions spécifiques, les éléments langagiers comparables qui permettent une meilleure compréhension du processus de traduction. Les apports essentiels de cette approche de l'enseignement peuvent être résumés en trois volets : D'abord, l'évaluation des traductions existantes et l'étude raisonnée des outils d'aide à la traduction comme méthode de sensibilisation aux problématiques de base de la traductologie

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CHAPITRE 7

et de l'argumentation dans le domaine de la traduction. D'où la traduction argumentée.

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Ensuite, l'approche descriptive et analytique des phénomènes de traduction à partir de corpus authentiques et validés par des professionnels. Cette approche peut être enrichie par une réflexion sur le processus de la traduction à partir des analyses réalisées par les apprenants. Enfin, la dimension applicative de la recherche en traduction qui peut compléter la perspective théorique des études menées en cours de formation. Cela permet notamment d'ouvrir la

voie des industries de la langue aux traducteurs non seulement en tant qu'utilisateurs des technologies langagières mais aussi en tant que développeurs d'outils technolinguistiques pour la traduction. Ces trois aspects essentiels font actuellement défaut à la didactique de la traduction, à des degrés divers selon les institutions et les pays. Ils exigent une refonte des formations dans la discipline pour intégrer les évolutions technologiques et former les traducteurs de demain à vivre et à travailler avec les outils de leur temps.

4. FAITES LE P O I NT

incontestable dans la pratique professionnelle. Certes, les didacticiens des langues ont mis les langues de spécialité au centre de leurs préoccupations à travers un enseignement spécifique, par exemple, du français juridique, de l'anglais économique, de l'allemand des finances, etc. Mais la traduction en tant que telle n'était pas véritablement intégrée au processus d'apprentissage. On partait du principe qu'une fois acquis un certain nombre de connaissances spécialisées en langue étrangère, l'apprenti traducteur pourrait trouver aisément les équivalents adéquats. . .. . On sait au)oüra'fïiii Cjii'il-iï'en est rie-rï -·:· Pendant longtemps, les méthodes d'enseignel'apprentissage d'une langue étrangère - sous ment de la traduction ont été intimement quelque forme que ce soit - est radicalement liées à celles employées pour l'enseignement différent de l'apprentissage de la traduction et et/ou l'apprentissage des langues, en de l'interprétation. particulier du français langue étrangère L'exemple type qui illustre cette différence de (FLE). Les didacticiens des langues réfléchis­ fond est la critique des traductions, exercice saient en même temps à l'enseignement de pratiqué de façon · extensive dans les écoles la traduction comme exercice de formation qui forment les interprètes et les traducteurs. (Lavault 1 998). Une didactique de la traduction .�--à"proprement_parler.a_tardé à. s'affirmer. pour .,Il ne.s'agit pas tantcd.e réfléchircsur lesJangues ni sur les spécialités, mais d'argumenter des diverses raisons qui tiennent davantage aux choix et des décisions de traduction à partir de contraintes institutionnelles qu'aux raisons productions personnelles ou bien à partir de scientifiques. textes traduits et publiés par des professionnels. L'un des aspects frappants de ce décalage C'est une formation basée sur l'exemple ou entre pratique et didactique est la négligence encore sur les corpus de traduction. Mais là théorique dans laquelle est demeurée la encore, une didactique de la traduction traduction spécialisée, malgré sa prédominance argumentée reste à faire. Enseigner la traduction, c'est transmettre aux futurs traducteurs un état d'esprit et une manière de faire. Certes, l'intuition compte parfois dans le processus de traduction, mals rien ne vaut la maîtrise de la méthode. Les formateurs en traduction sont partagés quant à la définition de la meilleure façon de former à cette méthode. Certains mettent les textes (le produit) au centre de l'apprentissage, d'autres placent le traducteur (le processus) au cœur de la méthode, d'autres encore se focalisent sur les compétences (cognition) nécessaires à l'émergence d'un traducteur compétent.

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Pédagogie et didactique de la traduction

Il est clair également que la pédagogie de la traduction n'a pas encore intégré, de façon satisfaisante, les technologies de l'information et de la communication (TIC). A l'instar de ce qui s'est passé pour les langues étrangères, des outils spécifiques de formation à la traduction restent à développer pour mettre à profit les potentialités

qu'offrent ces nouvelles technologies. Pour l'heure, la branche applicative de la traductologie (la traductique) est davantage tournée vers le traitement automatique du langage et vers la traduction automatique que vers l'enseignement et la didactique de la traduction et de l'interprétation. 1 21

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CHAPITRE 7

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LES CHAMPS D'INTERVENTION DU TRADUCTEUR

Les champs d'intervention du traducteur sont divers et variés. Ils ont donné lieu à un certain nombre de spécialités plus ou moins institutionnalisées : traduction juridique, traduction économique, traduction médicale, etc. Ce sont ses domaines d'intervention " traditionnels », pour ainsi dire. Les spécialistes de ces domaines (juristes, économistes, médecins) font appel au traducteur quand ils en ont besoin en tant qu'auxiliaire ou assistant langagier. C'est sa condition ancillaire, si souvent décriée mais globalement assumée.

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Il existe néanmoins d'autres domaines dans lesquels le traducteur ne se contente pas d'attendre qu'on le sollicite ; il va au-devant des besoins de ses clients et crée parfois même le besoin en devenant aussi indispensable que les spécialistes du domaine qu'il servait auparavant. Grâce à la technicité acquise en cours de route, il échappe à sa condition ancillaire et se transforme en expert à part entière, dont le rôle déborde largement la partie langagière. Nous présentons brièvement trois champs d'intervention qui offrent désormais cette occasion unique aux traducteurs de devenir de véritables experts.

. TRAD U CTION ET M É DIAS

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L e traducteur e t l'interprète interviennent de plus en plus dans les médias, mais cela se voit rarementàl'écran,carilsinterviennentencoulisse et en amont des émissions diffusées. Outre les missions ponctuelles d'interprétation en direct, le traducteur accomplit un certain nombre de tâches connues sous la dénomination de " traduction audiovisuelle », Certains traducteurs de formation ont même pu se faire un nom dans les médias sportifs grâce à leur talent d'intervieweur et à leur sens aigu de la communication multilingue (cf. Nelson Monfort). D'autres se sont imposés comme experts d'un domaine en lien direct avec leurs traductions antérieures (Guidère 2006). Mais la traduction audiovisuelle désigne plus précisément deux formes plus classiques

d'intervention du traducteur : le doublage et le sous-titrage de films. Le doublage désigne la traduction qui est dite à l'écran (l'oral), tandis que le sous-titrage désigne la traduction qui est inscrite sous l'image à l'écran (l'écrit). Ces deux formes présentent des contraintes particulières qui relèvent de la synchronisation : synchronisation de la voix aux mouvements des lèvres, du texte aux séquences, de la longueur et de l'affichage de la traduction au temps de lecture du spectateur. Malgré l'existence d'outils spécifiques pour la synchronisation, le doublage et le sous-titrage demeurent des activités onéreuses. A noter toutefois que le doublage est en moyen �e dix

CHAPITRE S

audiovisuelle. En théorie, il est difficile de décider quel est le médium le plus important dans le processus de traduction : est-ce la langue qui véhicule le message ? Est-ce le média qui diffuse le produit culturel ? Est-ce le traducteur qui adapte l'émission ? Chaque médium pose des problématiques spécifiques qui compliquent la gestion de la traduction audiovisuelle.

fois plus cher que le sous-titrage, ce qui tend à réduire considérablement la part des films doublés au profit des productions sous-titrées, même dans les pays où le doublage était la règle jusqu'à une date récente (Allemagne, Espagne, Italie). La traduction audiovisuelle a connu un renouveau remarquable avec l'essor de la vidéo et du DVD, qui permettent la diffusion des films et des séries télévisées sur un même support et en plusieurs langues. C'est le sous­ titrage qui a le plus bénéficié de ces innovations technologiques, en raison de sa simplicité et de son faible coût. Les traducteurs travaillent à partir d'un enregistrement vidéo, traduisent, éditent et synchronisent le tout sur des " stations de travail » informatiques, de sorte que le produit final est prêt à l'emploi en fin de tradUction.

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1) La question des contraintes : les contraintes dans le domaine de la traduction audiovisuelle se subdivisent en contraintes internes (propres à la réalisation du doublage ou du sous-titrage) et en contraintes externes (propres au contexte de réception des œuvres doublées ou sous­ titrées). Dans le premier groupe de contraintes, on trouve tous les problèmes qui relèvent de la synchronisation (ex. temps de production ou temps d'affichage des répliques) ; dans le second groupe, on classe les données qui se rapportent au pays et/ou au public cible (données objectives et subjectives sur l'effet produit par le sous-titrage).

Au-delà des aspects technologiques et pratiques du doublage et du sous-titrage, la traduction audiovisuelle présente un certain nombre de problématiques générales et spécifiques.

2) La question des préférences : les préférences locales concernent la manière dont les gens aiment voir les films (doublés ou sous-titrés), les habitudes de divertissement (types de films doublés ou sous-titrés), la connaissance des langues étrangères et l'ouverture aux cultures éloignées (facteurs facilitateurs). Ces préférences peuvent être variables selon le type de public (enfants, adolescents, adultes), le genre du film (policier; romantique; historique); le sujet traité (engagé, informatif, divertissant, etc.).

En ce qui concerne les problématiques générales, le traducteur est confronté ici aux difficultés connues de la " traduction intersémiotique », à savoir :

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1 ) Il doit prendre en considération des règles et des contraintes relatives à plusieurs systèmes de signification : le texte, l'image, le son, la musique. -··

2) Il doit également prendre en considération des informations hétérogènes véhiculées simultanément par plusieurs types de signes : verbaux et non verbaux, signes visuels et auditifs. En effet, dans la traduction audiovisuelle, le texte est polysémiotique, c'est-à-dire qu'il relève autant de la vision que de l'audition et . --� "�re=1:raâucteuYBoffên· ùinir comilie.'aussn.Jien dans la phase d'analyse initiale que dans la phase d'édition finale. Le traducteur-médiateur En ce qui concerne les problématiques spécifiques, le traducteur est confronté ici aux difficultés inhérentes à la médiation

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3) La question de la culture : la culture concerne ici deux aspects : d'une part, la manière de transposer à l'oral des phénomènes représentés à l'écran (c'est la problématique de l'adaptation intersémiotique) et d'autre . part, la manière de percevoir un film doublé (c'est la problématique de la traduction visible): t·exeiniilë'ie Pius parlârit: ·il ëe '5iï]ef est celui de la traduction des expressions argotiques dans un film doublé ou sous-titré : faut-il garder l'expression originale ? Faut-il l'adapter au contexte en utilisant une expression différente de la langue cible ? Faut-il privilégier le naturel de l'expression à l'écran ou bien l'expressivité de la traduction à la réception ? Un véritable dilemme pour le traducteur.

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Les champs d'intervention du traducteur

La question de l'authenticité : le traducteur est censé rendre dans une autre langue les expressions et les attitudes visuelles des acteurs. Outre la contrainte de la synchro­ nisation du texte aux mouvements des lèvres - lequel exige du traducteur le recours aux omissions et aux raccourcis - l'authenticité de la version traduite du film nécessite souvent une adaptation des vocables et des références au contexte de la langue cible. Les problèmes les plus fréquents apparaissent dans le cas des films ayant une dimension politique ou idéologique. Le choix de naturaliser (ou « domestiquer ») Je contenu du film dépend, 4)

en règle générale, de l'identité nationale et des stéréotypes locaux. Ainsi par exemple, dans son étude de la version doublée en catalan de la série française Premiers baisèrs, Agost (1 995) montre que la force du sentiment nationaliste en Catalogne a contraint les diffuseurs à adapter non seulement les répliques des acteurs français au langage des adolescents catalans, mais aussi à employer des noms de personnages, de lieux et de groupes de musique locaux. Au final, la série n'avait plus de français que le visuel : elle était totalement « localisée " ·

2. TRADUCTION ET COM M U N I CATION M U LTI LINGUE

Avec la mondialisation de l'économie et du commerce, les entreprises ont pu conquérir de nouveaux marchés et s'implanter dans de nouveaux pays qui ne parlaient pas toujours la même langue. Cela a conduit progressivement mais sûrement à l'explosion du volume des traductions réalisées dans tous les domaines de l'activité humaine. Le marketing international a été pionnier dans le recours à la traduction publicitaire pour diffuser ses messages à grande échelle dans le village planétaire (Guidère 2000).

Ce mouvement de traduction s'est accen­ tué avec l'avènement de la société de l'information et la généralisation des outils de communication, en particulier depuis la révolution que constitue J'internet. En tant qu'hyper-média, celui-ci est devenu un véhicule commode pour tous les autres types de médias (presse, radio, télé, vidéo, chanson, cinéma). Ce potentiel extraordinaire n'a pas échappé aux entreprises ni aux institutions internationales qui se sont empressées d'en développer les capacités et l'offre, en mettant en ligne une quantité considérable d'informations et de données diverses sur tous les types de sujets. Enfin, l'appropriation citoyenne de l'internet n'est pas à négliger dans ce cadre parce que les producteurs de l'information se sont retrouvés, du jour au lendemain, en contact direct avec les récepteurs finaux de la communication, et cela à moindre coût. Beaucoup de traducteurs ont

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contribué à ce mouvement global en traduisant en langue étrangère des millions de documents pratiques destinés à d'autres pays. Avec l'internet, Je traducteur est également entré de plain-pied dans J'univers de la communication virtuelle et multilingue. Le glissement de son statut de simple traducteur à celui de véritable communicateur est perceptible à travers une nouvelle activité à laquelle il prend une part de plus en plus active : la localisation des sites web. La « localisation >>, équivalent de l'anglais « Jocalization », désigne la traduction et

l'adaptation globale des produits et des services à un « locus " (latin : lieu, région, pays, continent). Cette spécialité relativement nouvelle pour les traducteurs connaît un essor remarquable depuis la libéralisation des échanges commerciaux et la généralisation de l'utilisation de l'internet (Archibald 2004). Elle est entrée dans la plupart des formations de traducteurs à travers Je monde (voir entre autres les programmes de I'ETI à Genève et de I'ESIT à Paris). Elle englobe différentes tâches qui se distinguent toutes de la traduction « classique " par un recours massif à la technologie et par une intégration, en amont comme en aval, des outils informatiques et infographiques dans la formation et dans la pratique professionnelle. Dans The Moving Text (2004), Pym explique les tenants et les aboutissants de cette interaction

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CHAPITRE S

entre traduction et localisation, ainsi que les fondements théoriques de cette nouvelle activité. La localisation d'un site web comprend la traduction et l'adaptation du contenu informationnel, des images, des icônes et des formats dans une culture donnée. Tout le contenu textuel doit être traduit de façon précise dans la langue locale. Parfois, de nombreux composants du site doivent être modifiés comme, par exemple, le format de la date, de l'heure ou de la devise, qui varie d'un pays à l'autre (comme pour la zone Euro et la zone Dollar), l'inversion de la mise en page (de droite à gauche, par exemple, pour l'arabe ou l'hébreu), les adresses et les numéros de téléphone des distributeurs du pays d'accueil, la suppression des icônes ou des images qui ne conviennent pas à la culture cible, et l'ajout de nouveaux liens vers le contenu informationnel dans la langue appropriée. Dans son Practical Guide ta Localization (2000), Esselink explique dans le détail les étapes et les techniques de localisation des logiciels. Depuis, elles n'ont cessé d'évoluer contribuant ainsi à l'émergence d'un nouveau genre de traducteurs.

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Le traducteur-localisateur L'importance de l'activité de localisation ne doit pas être sous-estimée ni sur le plan de la quantité des sites traités, ni sur celui de la fonction économique et sociale de l'activité. Les ·· sites-web-permettent, en effet; aux utilisateurs de l'Internet de s'informer sur les produits ou les services d'une entreprise : un site web localisé est donc un rnoyen efficace pour toucher des clients potentiels sur le marché mondial. Plusieurs études ont montré que lorsque les utilisateurs du Web consultent un site rédigé dans leur langue, leur probabilité d'achat est trois fois plus élevée et leur intérêt pour le site en est accru d'autant (indexation dans les ·

D'où le caractère stratégique du travail du traducteur-localisateur. Son intervention concerne tous les aspects de la communication virtuelle : techniques, linguistiques et culturels. Cela concerne notamment les tâches suivantes : traduction du contenu iconique, révision ou adaptation culturelle du texte,

modification du format (notations décimales, unités de mesure), conversion des liens originaux et routage vers la nouvelle rubrique appropriée, affichage des jeux de caractères et résolution des problèmes liés aux caractères à deux octets, révision de la mise en page et inversion des rnenus pour les langues qui se lisent de droite à gauche, couches de texte sur les graphiques et traduction du texte des graphiques sur les images, analyse et test des icônes afin d'identifier les problèmes culturels potentiels, révision des informations locales et modification des numéros de téléphone et des adresses de contact, localisation des images de texte, test du site, vérification de l'affichage du contenu dans tous les navigateurs, test des liens et test de la fonctionnalité des liens vers toutes les rubriques et toutes les versions du site, révision et mise à jour du contenu informationnel. Pour réaliser ces différentes tâches, le traducteur-localisateur doit maîtriser un certain nombre de compéténces techniques, en particulier les langages de programmation (C++, HTML, SGML, XML Java, JavaScript, etc.) sur les versions courantes des navigateurs et des systèmes d'exploitation. Car il s'agit d'un travail qui exige la combinaison d'une compétence traductionnelle et d'une expertise technique de gestion de projets informatiques. Dans un article consacré aux problématiques nouvelles de formation à la localisation, Gouadec ·(2004) ·liste· une · centaine· d'étapes à · maîtriser pour pouvoir réaliser la localisation dans une autre langue d'un site web à partir d'un site existant. Il faut notamment savoir manier les aspirateurs de sites, les langages informatiques, les explorateurs de documents et les formats de fichiers utilisés sur l'internet, etc. Mais au-delà de l'aspect proprement technique de la local_isation, le plus important réside dans =�a dime"nsic:in��mmunicatlonn ëîl é des sitesweb. En effet, ceux-cl constituent dans la pratique une vitrine promotionnelle des entreprises ou des marques. L'Internet est devenu, en réalité, le champ privilégié de la publicité virtuelle, et la localisation s'inscrit de ce fait dans le cadre plus large de la communication multilingue à caractère commercial. Il faut, par conséquent,

Les champs d'intervention du traducteur

que le traducteur-localisateur traite ces sites web comme s'il s'agissait de véritables annonces publicitaires multimédias, parce qu'elles contiennent du texte, de l'image et du son à visée promotionnelle. Or, pour pouvoir localiser un message publicitaire sur l'Internet, il faut posséder un certain nombre de connaissances pointues dans le domaine de la communication virtuelle et avoir une parfaite maitrise de certains outils infographiques et informatiques. En effet, le traducteur traditionnel est conduit aujourd'hui, en raison de cette évolution du marché, à adapter sa pratique et à faire évoluer sa formation initiale. Car la localisation communicationnelle est une activité exigeante à tous les niveaux, et cette exigence a un prix souvent élevé pour quiconque sait négocier sa compétence et son savoir-faire. Pour les « anciens » traducteurs, la somme des compétences techniques à maitriser nécessite un sérieux recyclage, sinon une formation spécifique et intensive, qui exige du temps et de l'investissement, mais qui peut s'avérer rentable par la suite, surtout sur un

marché peu concurrentiel et en progression exponentielle. Car la maitrise des astuces techniques de la localisation ne suffit pas ; il faut avoir des connaissances approfondies en matière de traduction intersémiotique et de communication interculturelle pour réussir le transfert sur le fond comme sur la forme (Guidère 2004). Ainsi, la communication multilingue sous toutes ses formes (brochures, sites web, publicités, etc.) constitue une ouverture extraordinaire pour les traducteurs, à condition qu'ils prennent leur formation en mains et qu'ils sachent se· forger une expertise propre. Les outils techniques permettant d'acquérir cette expertise et de travailler en toute indépendance ne manquent pas. En quelques années, ces outils ont rendu le travail des traducteurs­ localisateurs d'une aisance et d'une rapidité déconcertantes en comparaison avec les difficultés et les tâtonnements des débuts. Il reste maintenant à capitaliser sur ce savoir­ faire technologique et communicationnel pour faire évoluer la formation académique et faire avancer la recherche correspondante en traductologie.

3. TRADUCTION ET VEI LLE M U LTI L I N G U E La « veille multilingue » est une expression générique qui englobe plusieurs types de veilles spécifiques telles que la veille technologique, la veille scientifique ou la veille juridique. Elle recourt aux techniques de recherche documentaire et de traitement de l'information en plusieurs langues. Cette

veille

est

considérée

comme

« stratégique » parce qu'elle permet à une

entreprise ou à une organisation de se mettre à l'écoute de son environnement mondialisé pour prendre les décisions adéquates et agir de façon ciblée pour la réalisation de ses objectifs. Après avoir été longtemps cantonné dans des activités linguistiques, le traducteur est de plus en plus sollicité pour intervenir en amont du processus de traduction afin de prendre part

aux activités de recherche et de sélection de l'information pertinente pour la traduction. Ainsi, il maitrise à la fois la source et la cible de son activité. Le traducteur joue, en effet, un rôle central dans les activités de veille, en amont comme en aval du processus de recherche docu­ mentaire et de traitement de l'information dans une optique multilingue. D'où l'intérêt d'une réflexion sur cette problématique nouvelle. D'une part, le rapport entre la traduction et la veille stratégique est à envisager dans le contexte actuel de mondialisation de l'économie et de généralisation des outils de l'information et de la communication. La veille multilingue met en évidence certaines orientations prometteuses de la profession

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CHAPITR E S

Un traducteur qui suivrait les évolutions technologiques validées par des brevets déposés dans d'autres langues que la sienne ferait œuvre à la fois de veille technologique et de veille brevet, surtout s'il restreint son travail aux inventions déposées. Même s'il existe des instituts Internationaux pour la protection de la propriété intellectuelle (OMPI) et d'autres pour la fixation des standards (ISO), la majeure partie de l'information concernant les innovations et les inventions est disponible dans les langues nationales (parex.I'INPI en France), d'où l'intérêt d'une activité de veille brevet en plusieurs langues, notamment pour les industriels qui visent plusieurs marchés.

dans le domaine de la traduction générale et spécialisée.

1 28

D'autre part, la recherche documentaire constitue un volet essentiel de l'activité des traducteurs dans ce cadre. Mais la diversité des pratiques en matière de veille multilingue appelle une mise au point concernant ces nouveaux horizons qui s'ouvrent progressivement aux traducteurs pour la valorisation de leur métier. Pour saisir ces nouveaux enjeux, il convient d'apporter quelques précisions définitoires. En effet, la veille se distingue de la simple documentation par son caractère systématique. La veille stratégique se distingue de la fonction information au sein d'une entreprise par son caractère décisionnel. Enfin, la veille multilingue se distingue de la recherche unilingue par la pluralité linguistique des sources et des supports d'information. Ces trois distinctions génériques (veille, veille stratégique, veille multilingue) s'appliquent à divers champs d'activité. Les grands domaines de l'activité sociale sont bien représentés : la politique, le législation, la technique, l'économie, l'environnement, entre autres domaines concernés. Cela signifie que le traducteur - même généraliste - peut trouver sa place dans cette nouvelle configuration. Il faut seulement réfléchir en amont à la question de son apport spécifique à ces domaines ·:··les ··traducteurs · onHis··réellement leur place dans cette activité ? S'agit-il simplement de quelques individus excep­ tionnels, des « cas » qui ont réussi à convaincre les recruteurs qu'ils avaient une compétence extra-langagière, inexistante chez les autres traducteurs ? Qu'apporte le traducteur dans le domaine de la veille ? En quoi sa contribution est-elle utile ? En quoi constitue-t-il un « plus » pour l'entreprise ou l'organisme qui lui confie son acti1f�t�cieyf:j)le ? LeS CjiJ��tle_f1 S sgnt c� rtes nombreuses, mais les exemples d'illustration ne manquent pas. Pour illustrer ce qui vient d'être développé, nous citons ci-après quelques exemples d'activités de veille menées actuellement par des traducteurs spécialisés, dans divers organismes publics et privés.

Dans les entreprises où la valeur technologique est primordiale, il est indispensable de faire appel à la veille multilingue, au moins pour connaître l'état d'avancement de la concurrence (veille concurrentielle) ou encore pour suivre les changements de réglementation concernant le domaine d'activité (veille réglementaire) dans les pays qui intéressent les entreprises. Dans les secteurs dépendants de l'information internationale, on sait que des traducteurs lisent tous les jours la presse étrangère et en font la synthèse en langue française pour différents responsables politiques et économiques. Ils font œuvre de veille sociopolitique.

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D'autres traducteurs spécialisés dépouillent quotidiennement tout ce qui est publié ou diffusé ·dans les médias--d'un pays- ou d'une région, en langue étrangère, pour faire un suivi de la situation dans ce pays ou dans cette région du monde. Ils font œuvre de veille géopolitique. C'est le cas par exemple au ministère des Affaires étrangères français (à la Direction des Affaires Stratégiques, DAS) ou encore au ministère de la Défense (pour ce qui est des groupes armés et insurrectionnels dans !e monde). ·

( Dans certains mlnistères parex: a ux Fin��ces); des traducteurs scrutent les dépêches et les communiqués de presse diffusés à longueur de journée dans diverses langues, concernant des thématiques spécifiques qui intéressent les décideurs dans les banques et les Institutions financières (évolution des prix, enquêtes sur la consommation ou sur l'immobilier dans

Les champs d'intervention du traducteur

divers pays, etc.). Ils synthétisent et traduisent l'information recueillie en langue étrangère, formant ainsi la cheville ouvrière d'une veille institutionnelle à l'utilité indiscutable. Une telle veille est pratiquée dans la plupart des organismes nationaux et des institutions ayant un rayonnement international, telles que les organisations gouvernementales et intergouvernementales (FMI, OMC, OMS, OTAN, UE, etc.). Ainsi par exemple, dans le cadre de l'OMS (Organisation mondiale de la santé), il existe une véritable veille sanitaire et médicale qui consiste à suivre tout ce qui est publié ou diffusé concernant les épidémies (ex. grippe aviaire) ou bien les comportements à risque (drogue, sida, etc.) dans diverses régions du monde. Dans le cadre des organisations non gouver­ nementales telles que l'organisation écologiste Greenpeace, il s'agit plus spécifiquement d'une veille environnementale à laquelle participent activement des traducteurs issus de différentes langues, un peu partout dans le monde. Le cas d'Amnesty International est également fort intéressant parce qu'il s'agit d'une veille multilingue portant sur le respect des Droits de l'homme. Dans le cadre de cette veille à caractère politique, la contribution des traducteurs est appréciée parce qu'elle offre toutes les garanties nécessaires pour mener à bien cette mission (langue, culture, éthique). En somme, la veille multilingue est devenue une nécessité pour les entreprises et pour bon nombre d'institutions. Avec la veille stratégique, le traducteur passe d'une extrémité de la chaîne communicationnelle à l'autre : en allant à la recherche des informations pertinentes pour la traduction, il remonte aux sources mêmes de son métier. Il sélectionne personnellement le texte source et décide du contenu qu'il convient de mettre à la disposition des décideurs et des récepteurs dans la langue cible. Son apport au domaine de la veille est double : il est d'abord linguistique puisque le traducteur est le seul acteur réellement compétent pour explorer, analyser et sélectionner les documents en langue étrangère ; cet apport est ensuite méthodologique puisque le traducteur est le mieux à même d'appliquer aux données

explorées, les procédures de recherche multilingue et d'analyse comparée du discours. La veille multilingue constitue ainsi un attribut tout désigné du traducteur. Certes, celui-ci peut s'exercer à la veille dans une seule langue (sa langue maternelle) mais il n'aurait pas recours, dans ce cas, à ses compétences de traducteur. De plus, la veille monolingue perd de sa pertinence dans le village global où nous vivons. li est rare que les informations recueillies dans une seule langue suffisent à répondre aux questions pratiques posées par les entreprises et les institutions face à la mondialisation. Mêrne dans le cas des entreprises américaines, l'expérience montre qu'il est utile de mener une activité de veille dans d'autres langues que l'anglais. Un article de presse critique, publié en chinois concernant une entreprise occidentale, peut coûter très cher en termes d'image de marque et de retombées économiques. De même, connaître l'état de l'opinion japonaise concernant un nouveau produit européen est un facteur de succès non négligeable. Encore faut-il que le responsable de la veille au sein de l'entreprise puisse accéder à ces informations dans la langue du marché cible. Le traducteur-veilleur Le traducteur-veilleur apparaît ainsi comme une nouvelle espèce de langagier ayant des compétences affirmées dans plusieurs langues, mais c'est un langagier qui possède en même temps une compétence interdisciplinaire intégrant la connaissance approfondie d'un ou de plusieurs domaines de spécialité, lesquels constituent l'objet concret de son activité de veille. Dans la pratique professionnelle, la veille multilingue s'apparente à de la traduction spécialisée, mais ici le traducteur maîtrise les tenants et les aboutissants de son activité. Car ce type de traduction spécialisée est toujours assorti d'une partie analyse qui fait la différence entre le traducteur « traditionnel » et le traducteur-veilleur. L'analyse constitue, en effet, une partie centrale dans le processus de veille effectué par le traducteur. Celui-ci doit d'abord analyser les

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documents en langue étrangère pour en évaluer la pertinence et l'intérêt pour l'institution ou pour l'entreprise commanditaire. li doit ensuite analyser le contexte propre à cette institution (ou entreprise) pour sélectionner les résultats de la recherche documentaire les plus appropriés à ses besoins. Il doit enfin analyser le contenu des documents sélectionnés pour en extraire l'information utile à la décision ; autrement dit, la partie de la documentation qu'il convient de traduire intégralement ou partiellement (Guidère 2007). On distingue ainsi, dans la pratique de la veille multilingue, trois grandes phases : la première est la phase de recherche documentaire à proprement parler ; la deuxième est la phase de sélection des documents en langue étrangère qui sont pertinents pour la veille ; la troisième est la phase de traduction - intégrale ou partielle - de la documentation sélectionnée.

interculturelle qui caractérise le traducteur ou, du moins, qui est censée faire partie de son bagage professionnel. La veille exige, dans de nombreux domaines, une fine connaissance non seulement de la langue cible mais aussi et surtout de la culture locale visée. Les cas les plus flagrants sont ceux de la veille géopolitique et de la veille sociétale. Dans de tels cas, il est évident que la connaissance approfondie des cultures locales et des habitudes sociales constitue une aide précieuse au traducteur dans son activité de veille. Grâce à son expertise culturelle, il sait détecter plus rapidement et plus efficacement que d'autres les informations pertinentes dans ses langues de travail. Le fait que le traducteur réfléchisse directement à partir de l'information disponible en langue étrangère le place d'emblée dans la position du spécialiste. Il se distingue rapidement de la personne qui connaît simplement des langues étrangères, non seulement par sa compétence traductionnelle et culturelle mais aussi par sa maîtrise des techniques de recherche et d'analyse documentaire en plusieurs langues. Il est utile à l'institution non pas en tant que simple traducteur, mals en sa qualité de veilleur multilingue. Son avis est recherché non pas tant pour sa connaissance linguistique, mais plutôt pour sa compétence stratégique acquise au contact de l'Étranger. En peu de temps, il cesse d'être un assistant langagier pour devenir un véritable expert (Guidère 2007).

Au cours de ces trois phases (recherche, sélection, traduction), le traducteur-veilleur agit en véritable expert du domaine avec, en plus, l'avantage de la compétence linguistique multilingue et le mérite de la familiarité avec l'analyse du discours. Par expert, il faut comprendre un traducteur qui se mue en spécialiste de marketing, de réglementation, d'environnement, de politique ou d'économie. Il ne s'agit pas simplement d'une forme de culture générale qu'il mettrait au profit des " vrais » spécialistes. En tant que chargé de T veifië� i f peÜ traëiliireé:fës-informatîOiis-Uriiques __ _ En-- réalité; l'entrée· dü traducteur ·dans le parce qu'elles ne sont disponibles qu'en langue domaine de la veille lui fait retrouver le statut étrangère (en chinois, japonais, russe, arabe, ancien et privilégié qui était le sien, celui de conseiller. Ainsi, à l'époque des drogmans etc.), et cet accès privilégié à l'étrangéité constitue justement son trait distinctif par (interprètes du Levant), le traducteur ne faisait rapport aux autres spécialistes. Avec le temps pas que traduire, il éclairait les souverains et l'expérience, il devient souvent le seul de son avis en les aidant dans leur prise de expert multilingue dans son environnement décision politique. . Ce pouvoir important, perdu avec l'avènement de la spécialisation professionnel. et l'instrumentalisation de la traduction, ---Dans beaucoup _de cas, ..cette distinctio_!Lc_ le�JrA.d_uct(!_l!L est en vole de le reconCjuérlr aujourd'hui grâce à la veille multilingue. langagière se confond avec la compétence

Les champs d'intervention du traducteur



FAITES LE POINT

Le traducteur a cessé d'être un simple artisan du texte. Non seulement il a poursuivi sa spécialisation (traduction juridique, économique, médicale, publicitaire, etc.), mais en plus il a profité de la révolution informatique pour diversifier ses champs d'intervention. Le premier de ces champs innovants, bien que chronologiquement plus ancien, est celui de la traduction audiovisuelle qui regroupe essentiellement le doublage et le sous-titrage. Avec l'essor des médias internationaux, le traducteur est de plus en plus sollicité pour ses compétences langagières et culturelles. Il est devenu un « média-teur » au plein sens du terme. Cette participation active au champ médiatique a également fait entrer le traducteur de plain-pied dans le domaine de la communication, mais son champ d'intervention privilégié est celui de la communication multilingue. Celle-ci a connu un essor fulgurant avec l'internet et la multiplication phénoménale des portails et autres sites virtuels dans la plupart des langues. Cela a amené le traducteur à se transformer en localisateur chargé de l'adaptation technique,

linguistique et culturelle des sites web un peu partout dans le monde. Cette évolution dans la maîtrise des nouvelles technologies va de pair avec un changement d'optique dans la nature de l'intervention. Dans une économie mondialisée et dominée par l'information, le traducteur n'est plus cantonné dans les tâches de transposition linguistique. Il est sorti cfe sa réserve langagière pour investir d'autres champs plus propices à la recherche documentaire. Le traducteur-veilleur est né de la nécessité où se trouvent les entreprises et les institutions aujourd'hui d'être à l'écoute de leur environnement mondialisé par le biais d'une veille effectuée en plusieurs langues. Dans la course à l'intégration des médias et à la maîtrise de l'information, il reste au traducteur à investir le champ de la télé-traduction. Après avoir quitté son pupitre pour s'installer derrière son ordinateur, la prochaine étape importante pour lui sera celle de la téléphonie et de la visiophonie multilingues. On verra peut-être ainsi s'estomper de nouveau la frontière artificielle qui s'est formée au XX• siècle entre le traducteur et l'interprète.

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CHAPITRE S

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LES CHAMPS D'APP LICATION DE LA TRADUCTOLOGIE

Jusqu'ici, les outils d'aide à la traduction ont été essentiellement pensés et développés par des non-traductologues. Pourtant, Holmes (1972) avait expressément prévu une traductologie appliquée pour s'occuper de cette question. Depuis, les champs d'application de la traductologie ont considérablement évolué, mais les traducteurs demeurent relativement en retrait de ces domaines innovants. Certes, l'affirmation de la traductique (traduction + informatique) dans les années 1 990, a contribué au développement d'outils technolinguistiques destinés aux traducteurs, mais la traductologie appliquée est demeurée à l'état embryonnaire. Cela est d'autant plus étonnant que ses champs d'applicationn'ontcessédes'élargir,ilsconcernent

aujourd'hui tous les médias d'information et de communication : la télévision avec les outils de doublage et de sous-titrage, l'internet avec les outils de localisation et d'adaptation de sites web, la téléphonie avec les outils de traitement de la parole et de traduction orale, la visioconférence et l'interprétation simultanée. Pour l'heure, les principaux champs d'application investis par les traductologues portent toujours sur la seule composante langagière de la traduction. Les spécialistes intéressés par les progrès technologiques exercent leur talent dans le champ vaste et évolutif des industries de la langue, mais leurs travaux concernent en réalité des branches réactualisées de la linguistique informatique.

1 . TRADUCTION, TRADUCTIQUE ET INDUSTRIES DE LA LANGUE Avec l'essor des technologies de l'information et le développement des outils bureautiques et informatiques dans les années 1 990, Je besoin s'est rapidement fait sentir de s'appuyer sur les ressources de la machine pour faciliter Je travail du traducteur. Parallèlement, l'étude du langage humain a pu profiter de la puissance des ordinateurs pour acquérir une nouvelle dimension et ouvrir la voie à de nouvelles applications réunies sous Je nom d'industrie de la langue.

automatique du langage naturel (TALN). Ces industries sont basées sur les recherches en ingénierie linguistique qui représente le versant appliqué de la lingui stique informatique (ou « computationnelle ») . Celle-cl 'étudie les modèles théoriques de description du langage en vue de leur utilisation par des ordinateurs. Elle s'intéresse au développement d'outils technolinguistiques qui permettent de traiter, d'interpréter, de générer et de comprendre le langage humain à l'écrit comme à l'oral.

On désigne par « industries de la langue » le secteur économique qui couvre tous les produits et services liés aux langues, ainsi que les activités qui exigent un traitement

La traductique est née dans ce contexte : elle est issue de l'introduction de J'informatique dans la pratique de la traduction. Elle consiste à analyser et à développer des ressources

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linguistiques et des outils logiciels pouvant servir à la traduction du langage humain, dans des contextes bilingues ou multilingues, que ce soit concernant la langue générale ou ·les langages spécialisés (L'Homme 2000).

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Son objectif est d'automatiser tout ou partie des tâches qui entrent dans la traduction. Mais il est très important de noter que cette automatisation n'est pas toujours systématique ni complète et cela pour deux raisons principales : d'une part, parce que toutes les opérations de la traduction ne sont pas automatisables ; d'autre part, parce que toutes les étapes de la traduction ne sont pas à automatiser (Bouillon et Clas 1 993). Ainsi, les logiciels d'aide à la traduction, qui automatisent seulement une partie du travail s'inscrivent dans le champ d'application de la traductique. Cette automatisation partielle de la traduction possède deux avantages : non seulement elle permet de soulager les traducteurs humains des tâches répétitives les plus ingrates, mais elle permet également d'optimiser le processus de traduction en offrant des outils d'aide qui réduisent le temps de traitement des documents à traduire. Le traducteur peut certes trouver dans ce secteur des produits utiles qui facilitent son travail, mais il a également un rôle à jouer, puisque ses compétences peuvent être mises à profit pour le développement même····de ces produits;· sans cesse plus nombreux : dictionnaires électroniques destinés à la traduction automatique, outils d'aide à la rédaction technique, vérificateurs d'orthographe, analyseurs morphologiques et syntaxiques, concordanciers, systèmes de dépouillement automatique des textes, logiciels de traitement statistique des données linguistiques, logiciels d'analyse documentaire et d'indexation automatique, etc.

Étant donné l'importante production logicielle de ces dernières années dans le domaine des industries de la langue, il convient d'envisager une évaluation des outils, en prenant en compte le rôle et la valeur des mesures quantitatives et statistiques des données linguistiques qui entrent dans le processus de la traduction. Une telle évaluation devrait porter prioritairement sur les phénomènes de traduction observés à partir des textes traduits grâce à ces outils. À l'observation des phases lexicales et syntaxiques, il faut ajouter une analyse sémantique, puis pragmatique et cognitive de la traduction. Mais les contours de la traductique sont encore imprécis et mal définis : les uns la considèrent simplement comme la branche applicative de la traductologie, les autres la rattachent à la linguistique appliquée ou au traitement automatique du langage (TAL), voire aux industries de la langue. C'est pourquoi elle apparaît aujourd'hui comme un domaine en plein essor mais soumis à des tensions et des clivages importants : d'un côté, les applications pratiques par opposition aux recherches théoriques; de l'autre, le recours aux techniques linguistiques et informatiques par opposition . aux approches proprement traductologiques. Ces tensions proviennent essentiellement des différentes disciplines connexes sur lesquelles s'appuie la traductique et qui peuvent se disputer son ancrage théorique : la linguistique, l'informatique, la traductologie, l'intelligence artificielle ou encore les sciences cognitives. Les chercheurs en traductique sont généralement issus de l'un ou l'autre de ces domaines, mais leurs objectifs et les problématiques qu'ils abordent diffèrent selon le point de vue adopté par rapport à la traduction.

Pour ne prendre qu'un exemple, on peut assigner à la tradùctique deux objectifs de nature tout à fait différente : d'une part, la définition de modèles généraux de traduction " On constate ainsi que la traductique sesitue'iïu-· o'u "ënëore ële ressources liiï!;iuistiq ûeS'pour croisement de plusieurs disciplines et qu'elle le traducteur ; d'autre part, la construction soulève plusieurs questions : d'abord, celles de logiciels de traduction, d'outils d'aide à la des méthodes d'analyse et de traitement de traductionouencored'applicationsmultilingues la traduction ; ensuite, celles des outils de qui répondent à une demande sociale et formalisation et de modélisation des données ; économique dans le domaine de la traduction enfin, celles des applications informatiques (aide à la rédaction, à la documentation, à la d'aide à la traduction. veille, etc.).

Les champs d'application de la traductologie

Les outils issus de la traductique peuvent être classés en deux grandes catégories : les outils logiciels (applications autonomes, modules et composants, outils d'aide à la gestion) et les outils linguistiques (correcteurs automatiques, dictionnaires électroniques, moteurs termino­ logiques, etc.). Cette distinction des outils n'a cessé de s'affirmer au cours des dernières décennies et fait partie aujourd'hui des acquis d'un domaine en évolution constante : nécessité de traduire des textes tout venant, possibilité d'accéder à de grands volumes de textes traduits, constitution de modèles formels pour la traduction automatique, besoin croissant d'extraction terminologique et de veille documentaire multilingue. Ainsi, la traductique est conçue comme un soutien technique et logistique au traducteur. Elle s'intéresse aux ressources et aux outils qui permettent de réaliser en arrière-plan plusieurs opérations de traitement automatique de ses langues de travail. Elle vise également la création d'« outils traductionnels ». Par « outils traductionnels », on entend des modules technolinguistiques qui sont intégrés aux systèmes d'aide à la traduction (T.A.O) ou de traduction automatique (T.A.). Ils consistent en applications informatiques à partir de données de traduction réutilisables dans d'autres contextes. Le chercheur en traductologie appliquée doit d'abord commencer par comprendre le fonctionnement des outils existants avant d'envisager leur enrichissement ou la construction d'autres outils plus efficaces et plus pertinents. Citons, à titre d'exemple, deux outils importants pour la traduction assistée par ordinateur : les mémoires de traduction et les concordanciers bilingues.

Une mémoire de traduction est un ensemble de textes traduits et organisés de façon à ce que l'on puisse accéder aux équivalences entre les différentes unités de sens plus facilement et plus rapidement, sans passer par une phase de recherche fastidieuse. On parle de « mémoire »

parce qu'il s'agit d'une sauvegarde électronique des traductions réalisées précédemment par le traducteur lui-même ou par d'autres traducteurs travaillant avec la même combinaison de langues et dans le même domaine de spécialité. La mémoire est une extension du « bitexte », qui est généralement aligné au niveau des phrases et qui permet de récupérer automatiquement d'anciennes traductions enregistrées dans une base de données ou bien des solutions ponctuelles à des problèmes de traduction qui apparaissent dans de nouveaux contextes (Macklovitch 1 992). Les possibilités d'utilisation des mémoires de traduction sont multiples et les modalités de leur intégration au travail du traducteur très variées. Citons parmi les fonctions généralement offertes par les logiciels : l'analyse de texte, l'alignement automatique de segments, la pré­ traduction automatique, la comparaison de traductions, la navigation dans la base de textes, l'insertion automatique de termes, le suivi de la cohérence terminologique, etc. Toutes ces fonctionnalités visent à réduire le temps de production du document, tout en augmentant la qualité et la fiabilité de la traduction. Du point de vue pratique, disons que les deux fonctions principales d'une mémoire de traduction sont le rappel de phrases déjà traduites et le rappel de vocabulaire dont il existe des équivalents répertoriés. A chaque fois qu'un élément connu est détecté dans le texte, il est rappelé automatiquement à partir de la base de données textuelles pour les phrases (le bitexte) et de la base de données terminologiques pour les vocables (le glossaire bilingue). Mais l'insertion de l'unité repérée (phrase ou vocable) est la,ïssée à l'appréciation du traducteur qui valide ou non la proposition de la machine pour le contexte considéré avant de continuer à traduire les segments pour lesquels il n'existe pas d'équivalence lexicale ni phrastique dans la mémoire de traduction. Ainsi, il s'agit avant . tout d'une aide à la traduction (T.A.O) et non pas de traduction automatique (T.A.). Les spécialistes de traductique parlent d'ailleurs, à juste titre, de « traduction humaine assistée par la machine » (THAM) lorsque les propositions faites par la mémoire de traduction sont

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préalablement validées par le traducteur et de « traduction machine assistée par l'humain >> (TMAH) lorsque le traducteur procède à une « pré-traduction automatique >> qu'il contrôle et amende par la suite (Bédard 1 992).

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Il est important de préciser que ce type de démarche ne vise pas la recherche de correspondances totales entre textes mais des équivalences partielles entre segments de phrases qui puissent être réutilisables dans d'autres contextes verbaux. Il est évident que la correspondance totale entre phrases nouvelles et phrases déjà traduites est rare dans la pratique : on la rencontre seulement dans certains types de textes très normés qui réutilisent les mêmes formulations en substituant les éléments de référence spatio­ temporelle.

directions (français et anglais). Il convient de préciser ici que ce caractère unidirectionnel ou bidirectionnel de la mémoire de traduction est indépendant du type de corpus à partir duquel la mémoire a été initialement créée ou alimentée : non seulement parce que les notions de « source >> et de « cible >> sont rarement opérantes pour les bitextes, mais aussi parce que la qualité des équivalences prime sur leur origine effective. Si une équivalence est valide en contexte, elle devrait pouvoir s'appliquer dans les deux directions. C'est le fondement même de la technique d'évaluation appelée « rétro-traduction >>.

Une concordance est un index de mots présentés avec leur contexte. Son élaboration nécessite l'indexation préalable des mots à partir des textes qui sont des traductions mutuelles. Le traducteur dispose ainsi d'un outil qui lui donne la possibilité de consulter et d'exploiter parallèlement les divers emplois attestés d'un même vocable dans un domaine d'activité particulier.

La pertinence et l'efficacité d'une mémoire de traduction sont évaluées en fonction d'un domaine d'application particulier. Il est difficile, en effet, de concevoir une mémoire de traduction valable pour tous les types de textes : soit parce que celle-ci est développée Le concordancier est l'outil informatique qui à partir du travail réalisé par un traducteur permet de rechercher dans un corpus de textes professionnel et qui reflète, par conséquent, le bilingues toutes les occurrences d'une unité contenu de ses seuls domaines de compétence ; linguistique donnée. li extrait l'unité recherchée soit parce qu'elle est développée à partir d'un dans le corpus de la langue A et l'affiche corpus de textes issu d'une même source accompagnée de ses concordances, puis en (institution, entreprise, etc.) et qui présente, donne la liste des phrases équivalentes dans le par conséquent, une certaine homogénéité de · · ---··5-iYïë·ët·u-rl cërtarn-degre-ae-#ïeëlalisai:ion-dans· - - - cof[ft:fs delalangue ·s;- le vocabulaire. Selon la méthode de recherche employée, le concordancier produira une organisation C'est donc par rapport à ce corpus spécifique différente des contextes : soit selon l'ordre et des nouveaux textes qui s'y apparentent que d'apparition dans le corpus (et en fonction des l'on peut juger la qualité d'une mémoire de mots voisins), soit selon les variantes de formes traduction. Cette qualité peut être évaluée en de l'unité recherché.e (et en fonction de leur termes de « score » en calculant la proportion fréquence : « veux, veulent, voulais, voulions >>, entre le nombre de segments semblables etc.). et de segments inconnus qui sont détectés �-'�par la.machine. . Pius le nombre_ de segments L'intérêt du concordancier pour le traducteur semblables est élevé, plus la mémoire est riche réside dans le fait qu'il permet d'interroger et efficace pour la traduction du domaine simultanément et parallèlement deux textes considéré. issus de deux langues différentes à la recherche d'éventuelles équivalences entre unités En fonction de cette qualité, on peut juger linguistiques (mots, collocations, phrases). l'applicabilité de la mémoire de traduction dans Mais pour cela, il faudrait que le concordancier une seule direction (par ex. du français vers l'anglais seulement) ou bien dans les deux puisse exploiter un glossaire ou un dictionnaire

Les champs d'application de la traductologie

bilingue qui recense au moins les équivalences entre les formes « canoniques » des mots. Dans ce cas, il pourra extraire des contextes précis pour des unités linguistiques recherchées dans deux langues différentes et les mettre en parallèle pour enrichir, par exemple, la mémoire de traduction. Il existe deux manières d'interroger le corpus parallèle à l'aide d'un concordancier à des fins de recherche : soit rechercher tous les contextes d'apparition d'une même équivalence lexicale, soit rechercher toutes les équivalences lexicales pour une unité à l'exception d'un sens particulier. Dans le premier cas, il s'agit d'enrichissement syntaxique de la mémoire de traduction (phrases différentes pour une même équivalence de sens) ; dans le second cas, il s'agit d'enrichissement lexical de la base de données (équivalences différentes pour une même unité linguistique). Toutes ces informations contextuelles figurent rarement dans les ouvrages de lexicographie ou de terminologie, alors qu'elles constituent une aide précieuse au traducteur dans son travail quotidien.

Concrètement, le recours au concordancier permet de mettre en évidence, entre autres, les phénomènes suivants : 1 ) Les équivalences de sigles et d'abréviations récentes ou relatives à un événement, une institution, etc. 2) Les équivalences de termes ou d'expressions techniques spécifiques à un domaine, une administration, etc. 3) Les équivalences de formules spécifiques au style d'une institution ou d'une entreprise. 4) Les équivalences de concepts, de symboles et de références culturelles concernant une thématique donnée. De plus, le fait que l'information textuelle soit accessible en parallèle dans les deux langues permet de comparer les solutions de traduction, de les évaluer en contexte, puis de choisir la plus appropriée à la tâche en cours. L'accès à une multitude de textes et de solutions contribue ainsi à uniformiser la terminologie au sein d'un domaine et à harmoniser le style des traductions pour un genre particulier de documents.

2. TRADUCTION ET TERM I N O LO G I E

Le lien entre traduction e t terminologie est problématique pour plusieurs raisons : d'abord, parce que les traducteurs ont recours à la terminologie de façon occasionnelle et instrumentale ; ensuite parce que la terminologie n'est vraiment utile aux tra­ ducteurs que pour certains types de textes uniquement (textes spécialisés, techniques et scientifiques) ; enfin, parce que la traduction porte sur le langage en situation tandis que la terminologie porte sur le langage comme système conceptuel. La différence d'objet et de mission tend à distinguer clairement le traducteur du terminologue. L'un est un praticien de la traduction, l'autre est un spécialiste du voca-

bulaire. En toute rigueur, il faudrait comparer le travail du traductologue - et non du traducteur- à celui du terminologue bilingue, parce qu'ils relèvent tou.s deux de l'analyse et de la conceptualisation interlinguistique. Au moment même où la terminologie affirme son autonomie, elle est perçue par les traducteurs comme une discipline annexe, censée les aider dans leur travail quotidien. Bien que son champ d'application ne soit pas restreint à la traduction, elle est envisagée comme un outil Indispensable et complé­ mentaire. Dans la pratique, on constate que les tra­ ducteurs humains ont souvent recours à

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CHAPITRE 9

la terminologie principales :

dans

trois

situations

1 ) lorsqu'ils cherchent le sens précis d'un terme ou d'une unité spécialisée du langage ;

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2) lorsqu'ils hésitent entre différents termes que ce soit dans la phase de compréhension ou de reformulation ; 3) lorsqu'ils veulent créer un néologisme ou

une paraphrase dans la langue cible.

En traduction automatique, la terminologie ou sa partie appliquée, la terminotique - sert dans divers modules : 1 ) dans le module d'analyse, elle sert à identifier le terme pour le relier au concept correspondant ; 2) dans le module de transfert, elle sert à établir des équivalences conceptuelles entre les systèmes linguistiques et culturels différents ; 3) dans le module de génération, elle sert à prédire ou à créer l'équivalent terminologique adéquat par rapport à la structure et aux cadres

de langue cible.

Dans tous les cas, la terminologie est envisagée comme un soutien technique pour le traducteur, en particulier dans les domaines de spécialité. En effet, les textes spécialisés représentent

aüjoüri:l'li-uit'eàasante majarife.destraductions

réalisées (les textes littéraires représentent moins de 1 % du volume global). C'est pourquoi, pour travailler en traduction spécialisée, il est recommandé de posséder des bases solides en terminologie (théories et principes) et de bien connaître les outils pratiques et les banques de données terminologiques qui facilitent le travail du traducteur, notamment ceux disponibles en ligne (sur l'internet).

Le traducteur a besoin de la terminologie bilingue dans deux cas de figure : d'une part, pour connaître la terminologie utilisée effectivement par les spécialistes dans ses deux langues de travail, ainsi que la structuration

conceptuelle générale des domaines de référence de ses textes ; d'autre part, pour connaître la valeur pragmatique de cette terminologie (degré de normalisation, fréquence, niveau de spécialisation), ainsi que la manière dont elle est utilisée en langue cible : les collocations typiques, les unités phraséologiques où elle s'inscrit, les variantes orthographiques et régionales, etc. En effet, le traducteur doit savoir non seulement choisir entre plusieurs dénominations concurrentes, mais aussi détecter les cas où deux langues ne font pas la même délimitation des concepts, afin de résoudre correctement les lacunes de dénomination en langue cible. Pour cela, il doit disposer de recueils terminologiques fiables et être en mesure d'élaborer des glossaires thématiques bilingues ou plurilingues. Face à un problème d'ordre terminologique dont il ne trouve pas la solution, le traducteur peut adopter différentes démarches en fonction du temps dont il dispose et de la spécialisation des textes qu'il se propose de traduire. Soit il se contente de reproduire le terme d'origine entre guillemets ou le paraphrase, soit il crée un néologisme conforme au système linguistique, soit il agit en tant que terminologue en recherchant et en enregistrant la terminologie des textes traduits (De Bessé 1 992). En effet, les équivalences de termes sont primordiales ··· poür la fradué:tion specia li see · (technique, scientifique, médicale, juridique, etc.), mais leur collecte est longue et fastidieuse en raison du nombre considérable de documents produits et de la créativité lexicale dans certains domaines d'activité. Jusqu'ici, le traducteur spécialisé avait recours à des aide-mémoire pratiques et peu coûteuses. Mais le temps des fiches terminologiques cartonnées est révolu. Le volume des termes à gérer, mais aussi la nécessité,d'orgëlniser les données terminologiques de façon raisonnée afin de pouvoir les modifier et les enrichir, rend le recours à l'outil informatique quasiment incontournable (Sager 1 990). Celui­ ci offre, en effet, la possibilité de combiner des recherches à partir de grands corpus de textes et de les agencer de façon relationnelle et uniformisée. -

Les champs d'application de la traductologie

Le dépouillement des textes est une opération préalable à l'extraction terminologique proprement dite, qui permet de connaître l'importance relative des termes dans les corpus traités afin de mesurer l'effort nécessaire à la phase de traduction proprement dite. Ce dépouillement s'effectue généralement sur des bases statistiques en calculant la fréquence des termes simples et complexes, voire des unités qui présentent une cooccurrence exploitable par la machine. Mais le critère de fréquence peut s'avérer trompeur. Si la machine calcule le nombre d'occurrences de chaque unité linguistique dans le corpus, nul doute que les plus hautes fréquences seront occupées par des mots­ outils de la langue ou par des verbes auxiliaires ou encore par des noms communs qui n'ont rien à voir avec la terminologie du domaine considéré. On parle dans ce cas de « bruit ''• c'est-à-dire d'unités terminologiques non pertinentes extraites par le système. L'une des solutions pour pallier cette lacune consiste à prévoir au sein du système une « liste d'exclusion » contenant au moins les mots outils, les particules et autres prépositions qui risquent de fausser le calcul des fréquences. L'autre solution consiste à décompter uniquement les occurrences fréquentes d'au moins deux unités successives (calcul des séquences répétées ou cooccurrentes), mais elle présente le risque d'ignorer des variantes de formes concernant ces séquences, ainsi que des termes simples mais importants du domaine. On parle dans ce cas de « silence », c'est-à-dire d'unités pertinentes pour le domaine mais non extraites ni répertoriées par le système. Enfin, une solution plus élaborée consiste à fournir une liste de base des termes du domaine pour en calculer la fréquence dans le corpus de l'étude et en extraire toutes les associations et les équivalences. Mais il est évident que la fréquence d'un terme s'apprécie autant par rapport au vocabulaire général du corpus dans lequel il s'inscrit que par rapport aux autres termes du domaine. De plus, l'extraction se ferait dans ce cas uniquement à partir de ce qui est connu (la liste fournie) et ne permettrait pas de découvrir les termes

inconnus et non encore répertoriés du domaine (Lebart 2000).

La terminologie intéresse autant les traducteurs que les interprètes. Les progrès de l'informatique et leur application à la terminologie ont donné naissance à une nouvelle sphère de compétences appelée « terminotique ». Celle-ci désigne l'ensemble des opérations de création, de stockage, de gestion et de consultation des données terminologiques à l'aide de moyens informatiques. Aujourd'hui, elle fait partie intégrante des industries de la langue, lesquelles proposent plusieurs types d'outils informatiques permettant de gérer la terminologie dans le processus de traduction. D'une part, les systèmes de gestion de bases de données (SGBD) généralistes tels que Access ou Excel, qui permettent de définir des catégories de données, de construire une base structurée et de rechercher des termes de façon efficace, mais leur élaboration nécessite du temps et des connaissances en programmation. D'autre part, les systèmes de gestion de bases de données terminologiques (SGBDn tels que Multiterm de la société Trados, qui sont conçus par des sociétés d'ingénierie linguistique pour répondre spécifiquement aux besoins des traducteurs et des terminologues. Dans ce secteur en pleine expansion, de nouveaux types d'outils sont en train de changer la nature de l'activité traductionnelle. Parmi ces outils, citons : les bases textuelles spécialisées (BTS) et les qases de connaissances terminologiques (BG). les premières (BTS) renvoient à un ensemble de textes de spécialité numérisés et structurés dont chacun est décrit du point de vue formel, sémantique et pragmatique. la plus petite unité d'information d'un texte est délimitée et étiquetée. les secondes (Ben désignent une base de données terminologiques très améliorée qui représente le savoir spécialisé partagé (« consensuel », commun) des spécialistes d'un domaine donné. les relations conceptuelles des BG sont très enrichies, allant jusqu'à former de véritables ontologies.

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Ces bases sont capables d'apprendre de l'expérience et permettent de répondre à des requêtes telles que : « je sais qu'il existe dans la base un concept C qui est une partie de P et qui possède les caractéristiques W et Z. Quels sont les termes qui répondent à cette description ? » Ou encore : >, >. Cela ne signifie pas toujours qu'il ignore le sens de l'unité en question, mais qu'il est à la recherche de la meilleure façon de la traduire par rapport au contexte. Il convient, par conséquent, de faire une distinction de principe entre le dictionnaire bilingue et le dictionnaire de traduction qui vise à répondre aux besoins spécifiques du traducteur professionnel. Le premier donne traditionnellement des correspondances hors contexte entre des mots et des expressions dans deux langues différentes, tandis que le second est censé fournir des équivalences contextuelles entre des usages discursifs spécifiques et actualisés. La différence est essentielle : l'un encode la langue, l'autre décode le discours. Contrairement au dictionnaire bilingue qui donne la traduction correspondant au sens d'un mot ou d'une expression, le dictionnaire de traduction fournit des équivalences d'usage pour un mot ou une expression dans différents contextes verbaux. Il est, de ce point de vue, une sorte de " mémoire de traduction >> qui contiendrait les traductions les plus stables et

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CHAPITRE 9

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les plus usitées pour certains types de textes ou genres de discours.

distinctions, mais celles-ci sont rarement codées dans les dictionnaires usuels.

Ainsi, le dictionnaire de traduction doit être conçu d'abord comme une base de données d'équivalences lexicographiques contextuelles, variées et authentiques. Autrement dit, il doit comporter le maximum de phrases traduites et validées pour le maximum de collocations et d'expressions concernant un vocable. C'est là un aspect qu'il partage avec le dictionnaire de décodage, mais ce qui intéresse le traducteur professionnel lorsqu'il consulte le dictionnaire bilingue, ce n'est pas tant la compréhension du sens des unités linguistiques que les différentes manières de les traduire. Bref, le dictionnaire de traduction doit être conçu comme un outil d'aide à la rédaction et à la reformulation inter­ langues et inter-textes.

Ainsi, le dictionnaire bilingue est lacunaire concernant plusieurs aspects qui sont tributaires des usages socioculturels, conjoncturels ou actuels. Ces aspects sont liés de près ou de loin à la « culture >> (emprunts, néologismes, idiomatismes, proverbes, figements, etc.), car « la traduction est croisement. Croisement dans l'homme et entre les hommes. Croisement, donc, entre les cultures >> (Cordonnier 1 995 : 1 0). Or, le traducteur qui rechercherait dans les dictionnaires bilingues ce type d'informations serait rapidement déçu. les écarts culturels entre les langues sont rarement abordés et les équivalences données dans les dictionnaires n'intègrent pas cet aspect, pourtant essentiel en traduction, en particulier dans la traduction littéraire (éditoriale). Même dans les textes de type « pragmatique >>, les phénomènes linguistiques ayant une portée culturelle sont nombreux. Dans ces textes, le sens n'est que la partie émergée de l'iceberg, puisque la culture forme l'essentiel de la difficulté. Pour cette raison, il serait plus juste de parler à leur égard d'équivalence interculturelle, c'est­ à-dire d'une traduction qui a pour objet des unités linguistiques inscrites dans des langues­ cultures différentes et non pas seulement dans des textes ou des systèmes linguistiques divergents.

Pour certains types de textes, tels que ceux classés sous l'étiquette « littéraire », le dictionnaire bilingue doit répondre à un autre besoin prégnant et tout aussi important. Ces textes contiennent bon nombre d'unités linguistiques dont la charge culturelle requiert le recours à un dictionnaire pour en vérifier le sens et la traduction, mais celui-ci contient rarement des équivalences pertinentes de ce point de vue. la raison principale d'une telle carence est que le sens et la portée communicative des mots culturellement connotés apparaissent rarement hors contexte, alors que les dictionnaires ont tendance à consigner les dénotations .... ... et les . emplois stabilisés éfe ia ÏarÏgue: ·

·

.

Il existe des unités linguistiques qui sont fortement déterminées par la culture (Wharf 1 956). Mais les catégories conceptuelles dont dérive le lexique sont aussi tributaires de l'usage des locuteurs. Certains traits dépendent des catégories structurelles de la langue {le ,_,,,féminin, . Je.masculin,�l'aspect�du ..verbe, .etc.), d'autres des interactions verbales et des conventions socioculturelles (les normes et les habitudes de communication). Qu'il s'agisse de catégorisations temporelles et spatiales ou de spécifications sociologiques concernant l'organisation de la famille (oncle paternel, maternel, etc.), les traducteurs, comme les usagers, sont contraints au respect de ces

-�­

les travaux de Robert Galisson, élaborés à l'origine pour l'enseignement du français langue étrangère (FLE), peuvent être d'une grande utilité dans la réflexion sur le rapport entre traductologie et lexicographie concernant la problématique culturelle dans les dictionnaires bilingues. Dans son ouvrage De la langue à la culture par les mots (1991), il montre que le lexique à valeur culturelle est très souvent négligé :.«. cet ouvrage nourrit donc.le double dessein de réhabiliter Je vocabulaire dans l'enseignement 1 apprentissage des langues . . . et des cultures, [. . . ] d'intégrer langue e t culture dans un même enseignement 1 apprentissage, c'est-à-dire de célébrer une union souvent annoncée mais toujours retardée. Et ce, grâce au vocabulaire, justement apte à jouer le rôle de passerelle entre la langue, toute pavée de ..

Les champs d'application de la traductologie

mots, et la culture (en particulier la culture comportementale commune), omniprésente dans les mots (d. la charge culturelle partagée) » (Galisson 1 991 : 3). Rares sont les dictionnaires bilingues qui donnent la traduction des expressions ayant une charge culturelle. Ainsi par exemple, pour les phraséologismes (expressions figées et idiomatiques), outre l'absence d'équivalent culturellement pertinent dans les dictionnaires bilingues, il convient de signaler une autre lacune importante : l'absence d'indication du registre auquel appartiennent ces unités linguistiques. Or, l'indication du registre constitue une .aide appréciable au traducteur qui peut ainsi distinguer le « sociolecte » (usage d'un groupe) de l'« idiolecte » (usage spécifique à un auteur) et choisir ses équivalences en conséquence.

La dictionnairique désigne l'intervention de l'informatique dans le processus d'élaboration des dictionnaires. Il s'agit de la branche applicative de la lexicographie qui vise la création de dictionnaires électroniques, mais son intérêt pour le traducteur se limite à sa partie bilingue et multilingue, car le dictionnaire constitue toujours une aide appréciable et un outil de travail incontournable en traduction. Cela est d'autant plus vrai aujourd'hui que le dictionnaire dit « électronique » est accessible « en ligne » (sur Internet) et qu'il est différent du dictionnaire « classique » à plus d'un titre : d'abord, concernant la nature des entrées répertoriées ; ensuite, concernant leur organisation interne et enfin, concernant le type d'informations linguistiques qu'il contient sur les mots de la langue. D'un point de vue épistémologique, la dictionnairique représente une discipline connexe à la traductologie. Mais elle peut s'enrichir à son contact grâce notamment à l'expertise spécifique des traducteurs pour tout ce qui touche à l'étude et à la modélisation des équivalences bilingues ou multilingues intégrables aux dictionnaires électroniques.

Avec l'essor de l'outil informatique et la disponibilité de grands corpus de textes, il est possible aujourd'hui d'envisager un dépouillement plus systématique, plus exhaustif et plus objectif des usages de la langue et des équivalents dans les traductions. Ainsi, l'entrée du dictionnaire peut désormais être élaborée à partir d'une interrogation du corpus à l'aide d'un concordancier qui fournit une série de contextes pour le vocable recherché. Ces concordances facilitent la tâche du lexicographe et lui permettent de préciser le contenu et la structure de son entrée : ordonnanc�ment interne, formes attestées du vocable, traits sémantiques et morpho­ syntaxiques, combinaisons lexicales les plus fréquentes, etc. Signalons à ce sujet que l'analyse de corpus est devenue une étape essentielle de la lexicographie monolingue et que le recours aux corpus pour la création de dictionnaires monolingues a fait l'objet de maintes recherches et publications (Sinclair 1 991 ), mais l'utilisation des corpus de traductions (qu'ils soient parallèles ou comparables) pour l'élaboration de dictionnaires bilingues n'a pas donné lieu à des applications efficaces en dehors des projets liés à « Google Translate ». Pourtant, les résultats issus des recherches sur les corpus de traduction ne manquent pas d'intérêt pour la lexicographie bilingue. L'inventaire des équivalences contextuelles constitue un acquis qui peut être mis à profit pour l'élaboration de dictionnaires plus appropriés à l'usage des traducteurs professionnels. En effet, la comparaison systématique des textes traduits permet de mesurer avec précision le degré de correspondance entre les .langues en contact ; d'autant plus que ce genre de comparaison permet surtout de déceler des correspondances multiples et enrichit considérablement le contenu des dictionnaires. L'on peut ainsi être amené à réviser les traductions établies pour certains vocables anciens ou à intégrer des équivalents contextuels pour certains patrons morphologiques (tels que l'aspect du verbe ou l'expression de la durée ou de l'intensité selon les langues). En somme, la critique et l'exploitation du dictionnaire bilingue devraient faire partie de

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la formation de base des futurs traducteurs afin de leur en montrer les potentialités, mais aussi de les sensibiliser aux limites des ressources existantes. En tout état de cause, une approche

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traductologique des dictionnaires devrait commencer par faire l'examen critique des traductions qui y sont consignées avant d'en banaliser l'usage.

4. FAITES LE P O I NT

Malgré les progrès scientifiques considérables qui ont été réalisés au cours des dernières décennies dans le domaine du traitement automatique des langues et de la traduction, les champs d'application de la traductologie demeurent restreints et tributaires des anciennes pratiques et problématiques. Les besoins du traducteur en matière de terminologie et de lexicographie ont reçu des réponses et des solutions plus ou moins adaptées à ses conditions d'exercice, car ces disciplines ne se conçoivent pas comme des auxiliaires à la traduction et sont engagées, comme la traductologie, dans une course à l'indépendance. Ainsi, en dehors des langues à large diffusion, les terminologies bilingues et multilingues sont relativement rares, et les dictionnaires électroniques manquent de spécifications culturelles

et ontologiques, pourtant très utiles au traducteur. Le seul domaine d'application où l'on observe un réel intérêt pour les problématiques proprement traductionnelles est celui de la bien nommée « traductique ». Celle-ci a créé au cours des deux dernières décennies un certain nombre d'outils qui se sont avérés très utiles au traducteur dans l'exercice de son travail. Les plus connus de ces outils sont les mémoires de traduction et les concordances bilingues. Mais la traductique tente désespérément de se libérer de la tutelle de la linguistique informatique et de celle du traitement automatique du langage (TAL) pour devenir une branche autonome de la traductologie appliquée. L'avenir dira si le bras de fer engagé sera bénéfique aux traducteurs.

Les champs d'application de la traductologie

5. POUR ALLER PLUS LOI N

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LA TRADUCTION AUTOMATIQUE

Les traductologues s'intéressent peu à la traduction automatique (T.A.). Celle-ci est traitée essentiellement par des informaticiens ou encore par des spécialistes de la linguistique informatique (ou computationnelle). La raison de cette désaffection tient à la confusion savamment entretenue par les technicistes de tous bords entre la partie proprement traductionnelle de la T.A. et la partie strictement informatique. Bref, une épistémologie de la T.A. reste à faire pour permettre aux tra­ ductologues d'y occuper la position qui leur est due. La traduction automatique se définit par la gestion informatique de la totalité du processus de traduction. L'utilisateur se contente d'entrer un texte source dans la machine puis lance

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la fonction de traduction pour obtenir en sortie un texte cible, sans intervenir au cours de l'opération. Après avoir été critiquée de façon virulente pour son caractère utopique, la traduction automatique connaît un regain d'intérêt avec l'essor de l'internet et le besoin croissant de traductions instantanées sur le Web. Mais la qualité des traductions produites en ligne demeure peu satisfaisante, même pour les couples de langues ayant une longue expérience dans le domaine de la T.A. (tels que le français et l'anglais ou l'anglais et le russe). Dans les pages qui suivent, nous proposons un bref aperçu des étapes qui ont marqué le développement de la traduction automatique, avant d'exposer les principaux choix théoriques et applicatifs dans ce domaine.

BREF RAPPEL DE L'H ISTOI RE DE LA T.A.

Pour comprendre les tenants et les aboutissants de la traduction dans le contexte actuel de l'internet et de la société de l'information, il convient de retracer brièvement les étapes historiques et méthodologiques par lesquelles elle est passée. Nous proposons de suivre pour cela l'évolution des approches qui ont introduit l'automatisation au sein de la traduction parce qu'elles permettent de percevoir en filigrane les perspectives théoriques et les mises en application pratiques. La T.A. est née au milieu du xx• siècle aux États-Unis, sous l'impulsion de la Défense américaine, soucieuse de posséder des

systèmes de cryptographie et de traduction susceptibles de faciliter le renseignement en langues étrangères dans le contexte de la guerre froide naissante. Dès la fin des années 1 940, le cryptographe Warren Weaver produit un Memorandum qui pose la question de la faisabilité de la « Mechanical Translation >> en se référant à la théorie de l'information de Shannon et Weaver (1 948). Il énonce un certain nombre de problématiques qui constitueront les axes de recherche pour les décennies suivantes : la structure logique des langues, les grammaires universelles, les universaux langagiers, mais aussi la structure syntaxique et la signification des vocables en discours.

CHAPITRE 1 0

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part, la réalisation d'applications exploitables à l'échelle industrielle pour une utilisation ciblée (objectif de rentabilité). En cela, ils ont bénéficié d'un triple mouvement convergent : J'essor des théories de la linguistique et de la traduction, la demande sociale et institutionnelle pour des outils opérationnels, et le développement technologique des systèmes de calcul.

Son analyse le conduit à envisager une faisabilité relative de la T.A. et une utilisation restreinte de ses applications : il estime, par exemple, que la traduction littéraire est hors de portée des machines et que seule la traduction technique et scientifique est possible. Et même dans ce domaine, il estime qu'il n'est pas possible d'atteindre l'exactitude ni la qualité de la traduction humaine et défend une position proche de ce qui sera appelé plus tard la T.A.O (Traduction assistée par ordinateur).

Cet extraordinaire élan théorique et pratique va prendre fin au milieu des années 1 960 avec la publication du rapport de I'ALPAC

Le Memorandum on Mechanical Translation de Weaver est adressé à plus de deux cents chercheurs aux États-Unis et sera pris comme base de travail par plusieurs équipes dans les universités américaines. Les études vont donner lieu à la réalisation à l'Université de Washington de la première « machine à traduire » dédiée au traitement automatique des langues anglaise et russe, The US Air Force Automatic Language Translater. désigné sous le nom de code Mark !.

(Automatic Language Processing Advisory Committee, 1 966), qui conduit à la suppression brutale des subventions gouvernementales et à la marginalisation de la T.A. des projets de recherche américains pendant plus de vingt ans (Hutchins 1 986). Les conclusions du rapport ALPAC sont en effet catégoriques : la « traduction automatique » est hors de portée, il n'y a guère que la « traduction assistée par ordinateur » qui puisse donner des résultats satisfaisants, à condition d'orienter les recherches vers le traitement informatique de la langue (Computational Linguistics).

Dans la pratique, les résultats sont décevants, mais les chercheurs bénéficient d'un soutien En Europe, on assiste au même mouvement gouvernemental et d'un financement consi­ dérable qui leur permet d'asseoir le domaine. de réorientation des recherches au profit de En effet, grâce aux budgets alloués par la la linguistique informatique. Ainsi, en France, Je CETA (Centre d'Étude pour la Traduction Défense américaine, toute une série de projets sera mise en œuvre dont l'objectif affiché est Automatique), qui avait été créé en 1 959 sous la traduction automatisée à grande échelle. J'impulsion du ministère de la Défense, a opéré Citons parmi les approches novatrices dans un virage théorique analogue à celui des ces projets : la résolution des ambiguïtés à Américains (Loffier-Laurian 1 996). ······- J'aide de méthodentatistiques·(Kaplan · 1 950);-· La traduction automatique en tant que champ l'analyse syntaxique fondée sur une approche d'investigation spécifique n'est plus inscrite sémantique (Masterman 1 957, Melëuk 1 960), officiellement dans les programmes de l'ébauche d'un système basé sur les mémoires recherche. Mais les travaux continuent de viser de traduction (Koutsoudas et Humecky 1 957), implicitement la mise au point de systèmes de la conception de dictionnaires électroniques T.A. opérationnels à travers une multitude de fondés sur l'analyse morphologique (Oettinger travaux convergents permettant une meilleure 1 960), etc. On assiste ainsi durant la décennie modélisation du _ langage : grammaires 1 950-1 960 à un foisonnement de méthodes formelles, analyse syntaxique, génération de empiriques et d'approches théoriques qui !E!xte, m>, de construire des logiciels de traduction efficaces, répondant à une demande sociale et économique forte, en particulier dans la contexte de l'internet ; il s'agit également, dans le cadre de « l'int\!lligence artificielle >>, de définir des algorithmes généraux visant la compréhension et la simulation du comportement des traducteurs professionnels, l'idée étant de modéliser les procédures techniques et le raisonnement qui est appliqué lors de la traduction par l'humain. Nous allons présenter brièvement les choix théoriques et métho> d'une certaine structuration de la phrase source vers une structure équivalente dans la langue cible.

1 ) L'approche « lexicale >> caractérise les systèmes de traduction automatique directe. Ceux-ci sont fondés sur la recherched'équi­ valences lexicales inscrites dans un dictionnaire bilingue plus ou moins élaboré. Dans le cadre de cette approche, les systèmes traduisent le texte de la langue source directement à partir du lexique, c'est-à-dire sans passer par une phase d'analyse des deux langues concernées par la traduction. Le système utilise seulement les ressources du dictionnaire (correspondances lexicales) pour réaliser la traduction de façon automatique.

En raison du saut qualitatif qu'elle représente par rapport à l'approche « directe >>, cette conception de la traduction automatique a servi au développement des systèmes dits de " deuxième génération >> et elle est à la base de la plupart des logiciels commercialisés. Son mode de fonctionnement peut être schématisé de la façon suivante :

En raison de sa simplicité apparente, cette approche a servi au développem ent des systèmes de T.A. dits « de première génération >> selon le schéma suivant : Lexique de la langue source -> Correspon­ dances lexicales (dictionnaire bilingue) -> Lexique de la langue cible. Dans les versions les plus évoluées de ces systèmes, le dictionnaire bilingue est associé à un analyseur morphologique qui traite les formes de base de la langue et à une grammaire rudimentaire qui traite les règles syntaxiques. Mais malgré cette évolution, le résultatfinal reste décevant : accords non respectés, traduction littérale, calques de structures, équivalences erronées, ambiguïtés non résolues, etc. 2) L'approche « syntaxique >> caractérise les systèmes de traduction automatique dits « par

Syntaxe de la langue source -> Règles et structures d'équivalence (Grammaire) -> Syntaxe de la langue cible. Le point fort de l'approche syntaxique réside dans l'application de règles formelles différentes pour chaque langue : lors de la phase d'analyse, ce sont les règles syntaxiques de la langue source qui sont appelées ; lors de la phase de génération, ce sont les règles syntaxiques de la langue cible qui sont appliquées. Ainsi, l'approche évite bon nombre des écueils de l'approche lexicale, en particulier le non­ respect des accords et le calque de structures phrastiques. La qualité des traductions issues de cette approche demeure tributaire du degré de précision et d'abstraction des règles syntaxiques exploitées pour le « transfert >> interlinguistique. 3) L'approche « ontologique >> caractérise les systèmes de traduction automatique fondés sur les connaissances du monde (les mots et les choses). Ceux-ci utilisent les techniques de l'intelligence artificielle pour générer des équivalences sémantlquement pertil}entes.

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Dans le cadre de cette approche, la traduction est conçue dans une optique « encyclopédique» nécessitant la réunion d'un grand volume de connaissances sur le contexte d'utilisation des mots de la langue pour pouvoir les traiter correctement. On peut schématiser le modèle de traduction issu de cette approche de la manière suivante : 1 52

Connaissances du monde source --> Règles d'inférence logiques (dictionnaire encyclopédique) -> Connaissances du monde cible. Même si elle n'a pas donné lieu à un système exploitable à grande échelle, cette approche a conduit dans la pratique à une prise en compte plus sérieuse de la problématique du « sens » au sein de la traduction. L'intégration des modèles ontologiques est observée sur deux plans : au niveau du « dictionnaire >> qui comporte une combinatoire de données linguistiques et d'autres de nature encyclopédique, et au niveau de l'analyse morphosyntaxique qui traite prioritairement les problèmes liés à l'ambiguïté catégorielle et sémantique. Mais les limites de l'approche se situent au niveau de la méthodologie d'analyse locale qu'elle fait du sens et au niveau de la taille des données linguistiques et cognitives nécessaires à l'analyse. 4) L'approche « systémique » caractérise les systèmes de traduction automatique dits ···par·interlangue;·Ceux-ci sont fondés sur des règles d'équivalence portant sur l'ensemble du système linguistique et non pas sur un niveau spécifique. Dans le cadre de cette approche, la traduction est conçue dans une optique « universaliste » postulant la possibilité de mettre en pratique une représentation abstraite (« l'interlangue »), qui soit valable pour plusieurs couples de langues. Dans ce cas, l'équivalence n'est pas considérée en fonction d'un couple de langues en particulier, - �mais dans une optique générale o"ù"l�s règles seraient applicables à toutes les combinaisons possibles. Malgré le développement de quelques prototypes expérimentaux, cette approche n'a pas donné lieu jusqu'ici à un système opérationnel, essentiellement en raison de

l'abstraction d e son modèle que l'on peut schématiser ainsi : Analyse d'un système linguistique donné -> Ensemble de représentations abstraites (lnterlangue) -> Génération d'une représen­ tation donnée. L'intérêt principal de l'approche systémique réside dans la réutilisation d'une même représentation pour plusieurs combinaisons linguistiques, économisant ainsi - en théorie l'effort d'élaboration d'un ensemble de règles spécifiques à chaque couple de langues. Mais cela n'est possible qu'en adoptant un degré élevé d'abstraction et de systématisation, ce qui rend la traduction quasiment impossible car elle deviendrait alors trop éloignée des usages effectifs et spécifiques des langues considérées. Bref, ce type d'approche est potentiellement exploitable pour certains textes présentant une g rande homogénéité lexicale et syntaxique (domaine médical, juridique, etc.), mais elle demeure utopique pour le traitement des textes tout venant. 5) L'approche « probabiliste » caractérise les systèmes de traduction automatique fondés sur le calcul statistique des occurrences linguistiques. Ceux-ci utilisent les ressources de grands corpus de textes traduits et alignés pour générer des équivalences pertinentes. Dans le cadre de cette approche, la traduction est conçue dans une optique documentaire utilisant----les ···techniques - mathématiques d'association des séries. Le système calcule la fréquence d'une unité lexicale du texte source, puis la probabilité d'apparition de son équivalent dans le texte cible, et en déduit des règles d'équivalence qui sont exploitées pour de nouveaux textes. On peut schématiser le fonctionnement du. système de la manière suivante : Unités linguistiques du corpus source -> Calcul

statistique et probabilisation âes équîi.ialences (Moteur de recherche) -> Réutilisation des unités pour d'autres corpus cibles.

Cette approche s'inscrit dans le prolongement des systèmes de T.A. dits « basés sur l'exemple », mais elle n'a pas été développée à grande échelle pour toutes les combinaisons

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La traduction automatique

de langues. Il n'en reste pas moins que ses fondements théoriques sont prometteurs. En effet, étant basée sur corpus, elle privilégie les usages effectifs et authentiques de discours spécifiques et ne cherche pas à modéliser les réalisations potentielles du système de la langue en général. La combinaison de règles statistiques et linguistiques devrait permettre une plus grande précision des traductions produites automatiquement. Mais le point d'achoppement demeure le corpus dans lequel le système pulse les solutions de traduction et les équivalences réutilisables. Celui-ci n'est pas toujours validé ni immédiatement disponible et sa constitution est souvent coûteuse en temps et en énergie, mais il est indispensable au bon fonctionnement du système et doit être élaboré avec précision et soin. On voit bien, à travers cet exposé sommaire, que les différentes approches présentent des divergences importantes sur le plan conceptuel et technique, mais leur grande lacune réside au niveau de la place accordée aux données linguistiques réelles. Toutes partent d'une conception théorique ou d'une technique

particulière pour tenter une application à la langue, mais aucüne ne met les productions effectives de la traduction au cœur du système conçu. A chaque fois, il s'agit de génération préconçue qui sous-estime l'inventivité et la créativité des traducteurs humains, mais aussi la complexité inhérente au processus de traduction. Certes, les productions langagières à caractère esthétique ou artistique (littérature, poésie, publicité) sont hors de portée de la T.A, mais les textes à caractère technique, qui présentent une certaine homogénéité de forme et une spécialisation du vocabulaire, devraient pouvoir être traités par la machine de façon satisfaisante. Déjà, pour certains couples de langues, les systèmes existants produisent des traductions acceptables dans certains domaines techniques et scientifiques. Il faut espérer seulement que les acquis de ces systèmes puissent bénéficier à l'avenir aux traducteurs des langues moins rentables économiquement, afin que la traduction automatique puisse contribuer à la diffusion du savoir dans toutes les langues du monde.

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4. FAITES LE P O I NT

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La traduction automatique a été à l'origine du renouveau de la recherche en traduction au milieu du xx• siècle, mais elle est souvent ignorée ou méconnue par les traductologues pour deux raisons principales : parce qu'il s'agit d'un domaine de recherche mal étudié et perçu comme rébarbatif par les passionnés du langage, et parce qu'il s'agit jusqu'ici d'un champ dominé par les informaticiens et les techniciens, délaissé par les traducteurs de terrain et les langagiers désillusionnés à son sujet. C'est pourquoi, depuis des décennies, la traduction automatique est le champ d'une bataille théorique aux enjeux applicatifs considérables entre les seules linguistes et les informaticiens. Les divers choix théoriques décrits dans ce chapitre illustrent bien ce tiraillement. Ainsi par exemple, face aux approches sémantico-syntaxiques des linguistes se dressent les approches systématico-

probabilistes des informaticiens. Mais aucune n'est satisfaisante ni sur le plan théorique ni sur le plan pratique. Certes, l'on voit se dessiner dans le domaine de la traductique des approches plus réalistes et plus conciliantes qui s'inspirent du travail des professionnels humains et qui recourent à l'intelligence artificielle, mais l'on est encore loin des traducteurs automatiques dont rêvent les utopistes de la traduction universelle. Depuis les années 2000, la traduction automatique connaît pourtant un renouveau indéniable à la faveur de la révolution informatique et de la généralisation du web multilingue. Le besoin en traduction n'a jamais été aussi pressant, contribuant du même coup à dynamiser les recherches et à multiplier les applications. Mais la contribution des traductologues en la matière demeure modeste en comparaison avec l'importance des défis et des enjeux.

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La traduction automatique

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1 est difficile de faire la synthèse de toute une discipline en un seul ouvrage. C'est pourtant le défi que nous nous sommes lancé, mais il a fallu faire des choix difficiles et parfois des raccourcis abrupts. Dans un ouvrage d'initiation, il était impossible de rentrer dans les discussions de fond concernant les concepts et les définitions, pas plus que dans une critique exhaustive des approches et des théories exposées. La synthèse, exercice ingrat s'il en est, est à ce prix. Espérons que les lecteurs avertis nous pardonneront les oublis et les insuffisances. Nous sommes partis d'une volonté de délimitation du champ propre à la traductologie, passée par des décennies de tiraillements entre plusieurs disciplines et quantité d'options théoriques globalement issues de la linguistique. Cette investigation a montré que la traductologie ne pouvait être qu'un champ interdisciplinaire par définition. En raison même de son objet protéiforme, elle adopte des points de vue multiples et des méthodes d'approche variées. Mais l'étude approfondie montre qu'elle a enfin un objet que personne ne lui dispute : la traduction et le traducteur, à la différence de la linguistique qui s'occupe de la langue et du langage. Cette spécificité est confortée par l'histoire des idées traductologiques qui s'organise autour de plusieurs dyades persistantes depuis l'Antiquité : le traduisible et l'intraduisible, le sacré et le profane, la lettre et l'esprit, la fidélité et la liberté, la forme et le sens. Ces oppositions sont toujours présentes à l'époque contemporaine à travers une dispute entre la théorie et la pratique, plaçant les traductologues dans une situation inconfortable, toujours sommés de résoudre l'éternel dilemme de la " source » et de la " cible ». Nombreux sont les théoriciens qui se sont attaqués au phénomène traductionnel avec la volonté affichée de l'expliquer « scientifiquement » ou bien de le faire rentrer dans une case théorique claire et bien identifiée. On ne compte plus les approches, les théories, les modèles et les typologies : la seconde moitié du XX• siècle a connu une inflation d'études ét de propositions théoriques au sujet de la traduction, que nous avons tenté de présenter brièvement. Après la stylistique et son approche comparée qui se voulait méthodique, des linguistes épris de théorie générale se sont intéressés à la traduction pour sonder son essence langagière, avant de la renvoyer chez les tenants de l'application qui en firent une excroissance de la linguistique appliquée. Mais d'autres linguistes bien ancrés dans la réalité sociologique leur ont disputé l'objet de leur convoitise en faisant remarquer qu'il n'est guère de traduction sans traducteur et que ce dernier est un être social avant d'être un applicateur langagier. Steiner siffle la fin de cette première partie en reconstruisant la tour de Babel et en plaçant l'herméneutique traductionnelle au centre des préoccupations. D'autres traductologues s'engouffrent dans la brèche, affirmant la nécessité impérieuse de l'interprétation et la centra lité du sens dans le texte passé et à venir. Grâce à la sémiotique, on découvre également les multiples facettes de la traduction et l'on se rend compte qu'au-delà du langage se trouve l'empire des signes. Le texte est mort, vive la communication ! Après Babel, on assiste en effet au déferlement des sciences de la communication qui, comme les sciences du langage au siècle dernier, forment l'horizon indépassable de notre temps. La traduction devient donc communication multilingue et le traducteur un expert en interculturalité. L'