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French Pages [1568] Year 1952
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HISTORIENS ET CHRONIQUEURS DU MOYEN AGE
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HUITIÈME DE LA « BIBLIOTHEQUE DE LA PLÉIADE », LES
ÉDITIONS
ÉTÉ
ACHEVÉ
VINGT-SIX
PUBLIÉE
PAR
GALLIMARD, d’imprimer
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DÉCEMBRE MIL NEUF
CENT SOIXANTE-TROIS PAR l’iMPRIMERIE
SAINTE-CATHERINE, BRUGES.
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HISTORIENS ET CHRONIQUEURS DU MOYEN AGE ROBERT DE CLARI, VILLEHARDOUIN, JOINVILLE, FROISSART, COMMYNES
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ÉDITION ÉTABLIE ET ANNOTÉE PAR ALBERT PAUPHILET TEXTES NOUVEAUX COMMENTÉS PAR EDMOND POGNON
Tous droits de traduâion, de reproduction et d’adaptation réservés pour tous pays, y compris VU. R. i’. S'. © 1952, Éditions Gallimard.
CE VOLUME CONTIENT:
AVANT PROPOS par Albert Pauphikt. NOTE SUR LA NOUVELLE ÉDITION par EJmond Pognon. NOTE SUR LE FRANÇAIS DU XIIF SIÈCLE ROBERT DE CLARI
LA CONQUÊTE DE CONSTANTINOPLE VILLEHARDOUIN
LA CONQUÊTE DE CONSTANTINOPLE jOINVILLE
HISTOIRE DE SAINT LOUIS FROISSART
LES CHRONIQUES COMMYNES
MÉMOIRES NOTICE BIBLIOGRAPHIQUE INDEX ALPHABÉTIQUE DESNOMS CITÉS GLOSSAIRE
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VILLEHARDOUIN C’eSt encore un récit de la quatrième croisade, et qu’on pourra souvent comparer à celui de Robert de Clari. Mais l’auteur eSt bien différent. D’assez grande noblesse, non toutefois comparable aux princes qui seront les chefs, du moins apparents, de la croisade, il e§t depuis dix ans maréchal de Champagne au moment où il prend la croix; et selon les estimations des historiens, il doit avoir entre quarante et cinquante ans. Dès les réunions et délibérations qui précèdent le départ, il se fait apprécier et devient l’un des conseillers les plus écoutés des barons. Au point que c’eSt lui qui proposa et fit accepter le choix de Boniface de Montferrat comme chef suprême de l’expédition. A partir de ce moment, Villehardouin, soit dans les conseils ou négociations, soit dans les opé¬ rations proprement militaires, joue continuellement un rôle de premier plan; les faits de sa biographie appartiennent à la grande histoire. Il n’eût rien pu raconter d’essentiel sans se mettre assez fréquemment en scène. Il le fait d’ailleurs d’un ton impersonnel, sans fausse modeStie ni étalage orgueilleux, vraiment avec une réserve pleine de dignité et parfois de grandeur. Il apparaît là comme un homme de tête et de cœur, un vrai chef, en paix comme en campagne; capable de donner des conseils de prudence et de modération, d’apaiser les querelles des grands; mais à l’occasion capable d’arrêter une panique, de commander une arrière-garde dans une retraite harcelée sans cesse, et de ramener tout son monde. Il devint maréchal de Romanie comme il l’était de Champagne, reçut un fief en Macédoine, tandis que son neveu, nommé comme lui Geoffroy de ViUehardouin, se taillait en Morée un domaine qui devint la principauté d’Achaïe. Il dut mourir vers 1212, proba¬ blement sans être revenu en France. Mais son livre ne nous permet pas de le suivre jusque là : il s’arrête, inachevé, en 1207, à la mort de Boniface de Montferrat. C’eSt un des grands livres du Moyen Age, aussi bien comme œuvre littéraire que comme source historique; tout le monde en eSl d’accord, même ceux qui contestent, sur certains points, la totale exaftitude de la version qui y est présentée des événements. Car ViUehardouin soutient une thèse, et il eSt visible que, sans le marquer expressément, il a l’intention de répondre à ceux qui, alors déjà, s’étonnaient de la déviation de la croisade et en faisaient grief au commandement. Ce qu’il prétend démontrer, lui, c’eSt qu’à chaque moment les chefs ont fait ce qu’il convenait de faire.
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ont pris la détermination que les circonstances faisaient apparaître comme la meilleure, et que seules ces circonstances, par un enchaî¬ nement plus fort que les longs projets des hommes, ont pu conduire les Croisés à Constantinople et les y maintenir. Ce n’eSt pas le lieu de discuter de la valeur historique de cette thèse, ni de rappeler les diverses influences politiques dont les historiens ont voulu découvrir les effets dans ces mêmes événe¬ ments que Villehardouin prétend dérouler si uniment. Anciennes ambitions des empereurs souabes, avec qui Montferrat était allié de famille; vaStes et subtils calculs de Venise, qui était depuis longtemps fort engagée dans les affaires de l’empire grec; peutêtre enfin chez certains chefs, donc chez Villehardouin lui-même — car on ne peut imaginer qu’un homme si bien informé et si influent ait pu être manœuvré à son insu, — le sentiment que ces diverses ambitions pouvaient finalement servir au grand dessein de la croisade, en faisant de l’empire grec, allié ou conquis, une base permanente pour les futures entreprises en Orient... Villehar¬ douin prête aux partisans de la diversion vers Constantinople, lors des discussions qu’il situe à Zara, un argument fort remarquable : « Et sachez que par la terre de Babiloine (l’Égypte) ou par Grèce iert » recovrée la Terre d’Outremer, s’ele jamais efî recovrée. » On a pu soutenir que Villehardouin n’avait pas dit tout ce qu’il savait, que ses réticences n’étaient pas moins habiles que ses récits, et qu’il n’avait pas toujours donné, aux incidents même qu’il rapportait, leur véritable signification. En particulier, il n’a jamais reconnu l’importance, et la légitimité, de la véritable crise de conscience que l’attaque de pays chrétiens provoqua à plusieurs reprises parmi les croisés. Il n’a voulu y voir qu’une tentative de dislocation de l’armée et d’avortement de la croisade, inspirée des plus lâches motifs. Robert de Clari, homme plus simple et sans grande arrièrepensée, relate plus franchement ces troubles. Quoi qu’il en soit, la thèse que soutient Villehardouin, vérité ou artifice, contribue à assurer à son livre d’éminentes qualités. L’unité d’abord, la continuité d’un récit bien lié, où les faits s’enchaînent et s’expliquent, où les personnages agissent clairement, selon leur raison propre. Il n’eSt pas jusqu’aux graves revers qui surprirent les Francs au cours des années 1206 et 1207, qui n’apparaissent ainsi comme des effets inévitables de leur faiblesse numérique, conséquence elle-même des défeélions du début. La sobriété aussi. Attentif aux grands intérêts de l’expédition, à la marche des événements marquants, il ne s’attarde guère aux épisodes, et ne fait au pittoresque, au détail fortuit, qu’une place mesurée : sa concision c§l frappante. Que l’on compare à Robert de Clari, par exemple, la façon dont il relate le départ de la flotte de Venise, ou le siège de Constantinople, et particulièrement l’assaut inutile donné lors de l’usurpation de Murzuphle, et l’on jugera bien de sa manière, de sa précision logique, de sa forte brièveté, de sa sécheresse aussi.
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Ce n’e§t pas qu’il soit toujours étranger à toute intention litté¬ raire : les discours, évidemment refaits, qu’il prête aux princes, aux ambassadeurs, aux hommes qui furent un moment représen¬ tatifs, sont excellents; ils témoignent avec éclat de la netteté de sa pensée et de l’élégance déjà toute classique de son Style; ils sont parmi les morceaux les plus achevés de son livre (cf. entre autres le bel échange de discours insolents entre les envoyés de l’empe¬ reur Isaac et Conon de Béthune). Souvent le sentiment de la grandeur des choses dont il parlait l’amène à employer des tour¬ nures de phrases, des exclamations imitées de la poésie épique. De là un mélange de simplicité et de noblesse qui n’eét qu’à lui, un Style bien accordé aux âmes énergiques, aventureuses, loyales et âpres des conquérants de Constantinople. L’homme et l’auteur sont ici difficilement séparables, et ce n’eSt pas le moindre attrait de cette œuvre unique, de nous permettre d’apprécier également l’un et l’autre.
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