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French Pages 142 [126] Year 2015
Gnindé BONZI
SOUVENIRS DE LA RÉVOLUTION Des moments de la révolution sankariste vue par un adolescent Récit
Préface de Philippe Ouédraogo et Salaka Sanou
L’ armattan International Burkina Faso
Souvenirs de la Révolution Des moments de la révolution sankariste vue par un adolescent
Gnindé Bonzi
Souvenirs de la Révolution Des moments de la révolution sankariste vue par un adolescent Récit
L’Harmattan
© L’Harmattan, 2015 5-7, rue de l’École-Polytechnique ; 75005 Paris http://www.harmattan.fr [email protected] [email protected] ISBN : 978-2-343-06008-8 EAN : 9782343060088
SOMMAIRE I-
La « prérévolution »
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II-
Un cortège de trois voitures
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III- L’économe au tribunal des collégiens
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IV- Les permanences
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V-
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Les CDR en temps de guerre
VI- Les licenciements
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VII- Les TIC
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VIII- Sankara inaugure le stade
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IX- Mon premier voyage à Ouagadougou
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X-
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La cité interdite
XI- CDR racketteurs ?
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XII- Les festivités de l’an III de la RDP
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1. « Le choc des stars »
89
2. Les mouvements d’ensemble
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3. Le défilé
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4. Sankara donne un carton rouge à Blaise
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XIII- L’UNAB
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XIV- La journée du paysan
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XV- La fin
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1. L’après-midi du 15 octobre 1987
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2. Une nouvelle assommante
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3. L’aurore crépusculaire du Front
populaire de Blaise Compaoré
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XVI- On raconte que :
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I.
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Une visite surprise à Dédougou
II. Le gendarme et le faux coup d’État 126 III. Sankara et le gendarme incorruptible 126 IV. Le policier accusé d’avoir insulté la mère de Sankara V. Sankara et la vie chère
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VI. Sankara seul, au marché de Bobo
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DÉDICACE À la mémoire de Thomas Sankara héros et incarnation de la révolution d’août 1983, à la veuve Mariam Sankara, à Auguste et Philippe Sankara, prématurément privés de l’amour et de la chaleur de leur père ; à la mémoire de tous ceux qui ont perdu la vie lors de la « rectification » de la révolution d’août 1983 ; à tous ceux qui, en dépit des reproches fondés et des insuffisances du CNR, sont restés admirateurs de la Révolution d’août 1983.
REMERCIEMENTS À mon « maître », Issa Traoré (inspecteur de l’enseignement du premier degré à la retraite) que la Providence m’a permis de rencontrer et d’en faire la connaissance au cours du chemin tortueux de mon existence d’ici-bas, pour ses multiples conseils, soutiens, encouragements, enseignements implicites et explicites, véritables ferments et fortifiants pour mon devenir.
PREMIÈRE PRÉFACE Je ne connais malheureusement pas l’auteur de ces « Souvenirs de la Révolution ». Mon embarras était donc grand lorsque l’un de mes vieux camarades m’a remis son manuscrit et m’a informé qu’il me demandait d’en écrire la préface. Pourquoi n’a-t-il pas plutôt approché un « sankariste » véritable, au lieu d’une personne comme moi, qui prétend s’en tenir à un bilan « objectif et critique » d’une révolution dont elle a été exclue de la direction et même des rangs, après une année d’expérience ? À mon corps défendant, j’ai fini néanmoins par accepter de prendre connaissance du manuscrit. Et je n’ai pas été déçu ! Car la plume fluide, légère et simple de Gnindé Bonzi confère à ses souvenirs une grande fraicheur et une lecture rapide et agréable. L’auteur évoque en effet ici les souvenirs de la période de la révolution qui l’ont marqué le plus, à un âge où beaucoup de faits et gestes posés d’abord pour les adultes, quoiqu’on dise, frappent bien plus qu’on ne l’imagine, les adolescents et les enfants qui les reçoivent et les interprètent à partir de leur propre vécu et des sentiments qu’on leur a inculqués. Ces « Souvenirs de la Révolution » sont d’abord les souvenirs d’un enfant de Koumbia, un moment immergé dans le chaudron politique de Ouagadougou, où il découvre les multiples facettes d’une grande ville et où la révolution omniprésente, a l’ambition de remodeler les hommes et les femmes d’une société ainsi que l’urbanisme d’une agglomération, en s’appuyant sur des hommes et des femmes qui ont essentiellement retenu que le 13
« pouvoir révolutionnaire » est d’abord et avant tout un pouvoir. Bonzi ramène le lecteur qui a vécu cette période, et tous les autres, à en repenser certains aspects et certains faits, ainsi que l’effet qu’ils ont pu produire à l’époque, non seulement sur le jeune adolescent qu’il était, mais également sur la majorité de la population dont la connaissance des réalités urbaines et des transformations politiques était similaire. Après avoir évoqué l’un des derniers actes du temps du CMRPN, il nous rappelle ainsi l’enthousiasme populaire au lendemain du 4 août 1983, la libération de la parole que cette date a signifiée, les Tribunaux Populaires de la Révolution, le licenciement massif des enseignants dès la première année de la révolution, la gestion arbitraire du pouvoir par les CDR, les grandes fêtes populaires de la révolution, les gestes et les mots épiques du Président Sankara. Ces souvenirs s’achèvent pratiquement sur la nouvelle incroyable et traumatisante de l’assassinat de son héros qu’il croyait pourtant invulnérable ! Le choc fut si douloureux pour l’auteur qu’il n’en a retenu que l’atmosphère de deuil qui lui a paru planer longtemps sur lui-même, sur les gens, sur les animaux, sur les choses, et sur la nature, etc. Car l’auteur ne craint pas d’avouer son admiration pour la révolution d’août 1983 et pour son fondateur, Thomas Isidore Noël Sankara ! « Souvenirs de la Révolution » a le grand mérite d’être l’un des premiers recueils de souvenirs publiés, d’un enfant de la révolution d’août : jusqu’à présent en effet, tout se passe comme si chacun de ceux qui ont vécu cette époque, attendait une période de prescription avant de rendre publique sa version des faits. La fraicheur de ton, le style simple et direct, les descriptions étonnantes de précision, de relief et de vérité, qui sont quelques unes des vertus de cet ouvrage, par ailleurs accessible à tous, grands ou petits, mériteraient 14
sans nul doute, que certaines pages des « Souvenirs de la révolution » figurent en bonne place dans les livres de lecture pour adolescents ou pour élèves des grandes classes du primaire. Philippe Ouédraogo
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DEUXIÈME PRÉFACE La Révolution du 4 août 1983 a marqué bien des esprits dans cette ancienne colonie de l’Afrique occidentale française (AOF) appelée Haute-Volta et qui a changé de nom justement à l’occasion du premier anniversaire de cet événement historique. En effet, habitué aux coups d’État militaires depuis 1966, le Burkina Faso d’aujourd’hui en a connu un qui entraînera des bouleversements importants tant dans son organisation politique que dans l’orientation de la politique de développement tout court. La particularité de cet énienne changement réside d’une part dans la jeunesse de ses acteurs (des capitaines ont mis fin à un pouvoir détenu par des colonels) mais aussi et surtout dans la conviction idéologique qui les animait. Ayant marqué la vie politique par les changements initiés, la Révolution d’Août constitue une référence dans la vie sociale et politique du Burkina Faso : - elle a créé des structures de mobilisation de toutes les couches de la société (les femmes, les anciens, les enfants, les jeunes, les militaires, les civils, les travailleurs, etc.), - elle a pris des mesures politiques dont la portée sociale a été dramatique dans certains cas (les dégagements et les licenciements des fonctionnaires jugés réactionnaires ou antirévolutionnaires, les suspensions pour les plus « chanceux »), - elle a mis en place des structures de défense de la révolution (les comités de défense de la révolution (CDR), les tribunaux populaires de la révolution (TPR), les orchestres des enfants et des femmes, - elle a entrepris des actions de développement jamais initiées dans le pays (construction de stades de sport et de centres de soins, réalisation de travaux d’intérêt commun (TIC)) qui vont permettre aux populations de 17
disposer d’infrastructures utiles pour leur bien-être social et économique, - elle a lancé des mots d’ordre de sensibilisation dont les résultats sont toujours visibles près de trente ans après (les trois luttes : contre les feux de brousse, la coupe abusive des arbres et la divagation des animaux, consommer ce que l’on produit et produire ce que l’on consomme). En 2015, nous sommes trente ans après cet événement historique dont la fin a été tragique, quatre années après son déclenchement, par ce qui s’est baptisé « rectification » et qui a été un vrai carnage avec l’assassinat non seulement du Capitaine Thomas Sankara, considéré comme le père de la Révolution d’Août, mais aussi de quinze de ses compagnons d’infortune un aprèsmidi du 15 octobre 1987. Ce jour marque un tournant décisif dans la vie du pays avec la prise du pouvoir par Blaise Compaoré, celui qui était considéré comme le plus fidèle des compagnons de Sankara, son alter ego, mais qui sera le bénéficiaire de la « rectification » en prenant le pouvoir qu’il va garder pendant vingt sept ans avant d’en être chassé suite à l’insurrection populaire des 30 et 31 octobre 2014. C’est l’histoire de cette révolution que monsieur Gnindé Bonzi propose dans ces chroniques qu’il a intitulées Souvenirs de la révolution. Ce recueil de quinze récits se donne pour objectif de retracer ce qu’un adolescent a retenu de l’expérience révolutionnaire de son pays, avec ses yeux d’adolescent, avec ce que cela comporte de naïveté, de rêves, d’espoir et aussi de déceptions et d’incompréhensions. Que le jeune élève « de brousse » se rappelle les faits et gestes qui ont marqué la période révolutionnaire du Burkina Faso est en soi une prouesse parce que, contrairement à ce à quoi on pourrait s’attendre, ce recueil n’est pas la transcription d’un journal intime ou d’un cahier d’écolier ; ce n’est pas non plus un 18
travail reconstitué par un adulte avec tout ce que cela pourrait comporter comme réécriture, recomposition, restructuration sur le plan de l’organisation. Il s’agit ici d’une relation chronologique des événements tels que l’auteur les a vécus, depuis les prémisses de la révolution en novembre 1982 jusqu’au prologue dans lequel enfin intervient l’adulte qui commente l’actualité présente de la vie politique du pays. Comme le récit est fait par un adolescent, il est parcouru par sa vision, ses impressions, ses incompréhensions, ses humeurs, bref sa manière de vivre et de comprendre les événements. Chaque récit constitue un pan de l’histoire politique du Burkina Faso, tel que l’enfant et ensuite l’adolescent l’ont vécu. Ce qui est surprenant dans ce document, c’est la sincérité qui le parcourt de bout en bout : en effet, les convictions que l’auteur n’hésite pas à affirmer côtoient les interrogations face à ce qu’il ne comprend pas, à ce qu’il estime ne pas devoir « être », c’est-à-dire ce que devrait être la révolution à son avis. Cette naïveté donne au récit une dimension d’honnêteté et de franchise qui permet au lecteur de se laisser emporter par sa vivacité, de croire en la véracité des anecdotes qui lui sont servies. Que dire de la forme du recueil ? Les textes ne cherchent pas à tricher avec le lecteur, ils lui renvoient l’image d’un adolescent pris dans le tourbillon d’une situation qu’il ne maîtrise pas mais dont il se charge de relater les péripéties selon la compréhension qu’il en a. Comprend-il lui-même ce qui se passe autour de lui ? Estil vraiment un acteur ou un spectateur ? La situation estelle maîtrisée par les acteurs ou dans quel sens évolue-telle ? Autant de questions que le lecteur ne peut s’empêcher de se poser devant la naïveté du narrateur. Du reste lui-même se pose ce type de questions à propos de l’attitude et du rôle des comités de défense de la révolution (CDR), des licenciements et des dégagements, de la 19
conviction desdits révolutionnaires, du bien-fondé même de la révolution. Le narrateur lui-même est à la recherche d’un positionnement incessant, de la vérité telle qu’il la conçoit et s’attend à la vivre dans une situation comme la révolution. Le questionnement permanent du narrateur conduit le lecteur à se poser lui aussi des questions : que cherche réellement le narrateur ? Quel message envoie-t-il à ses lecteurs ? Qu’attend-il d’eux ? Quelle est sa posture devant ces événements qu’il découvre et dont il semble ne pas maîtriser les contours ? Ce qui est remarquable dans ces textes c’est la manière dont les récits sont conduits : on retrouve, de façon discrète, les traces de l’éducateur qu’est l’auteur. Ainsi, nous avons cette volonté de faire comprendre les choses au lecteur, de lui indiquer la clé de compréhension des événements, cela à travers sa volonté de lui expliquer les différentes situations. L’adolescent qui est le narrateur est subrepticement remplacé par l’adulte sans que le lecteur s’en aperçoive car la volonté d’expliquer les événements prend le pas sur la naïveté apparente de l’enfant ; l’adulte qu’est devenu l’adolescent témoin des événements s’est substitué à l’enfant de 1982 qui a suivi le déplacement du chef de l’État qu’il a vécu pour la première fois de sa vie dans son village natal. Une autre caractéristique de la forme du document est en rapport avec la maîtrise de la langue dont fait preuve le narrateur : la langue d’écriture du récit est impeccable, avec un usage immodéré du passé simple qui nécessite des concordances des temps pas toujours faciles à manipuler, même par un féru de la langue française. Certains moments on craint que le narrateur dérape et se plante ; mais en vain. C’est un des témoignages que l’auteur est un formateur, un encadreur pédagogique qui n’a pas le droit à l’erreur en matière d’usage de la langue. Ainsi, le formateur qui se cache derrière le narrateur ne peut s’empêcher d’adopter une démarche pédagogique 20
dans ses textes : il explique, il fournit une multitude de détails, il anticipe sur les questions que le lecteur pourrait se poser pour y apporter des réponses ; bref, il se place dans la position de celui qui sait et qui veut apprendre aux autres avec le souci qu’ils comprennent bien son message. En plus de cette maîtrise de la langue, l’auteur montre qu’il a une formation académique solide qui lui permet de construire des récits en utilisant toutes les techniques narratives dont les analepses et les prolepses qui foisonnent dans le recueil. L’usage de ces techniques et leur maîtrise montrent bien que l’auteur a une formation littéraire de base assez solide dont il fait profiter son lecteur. À travers ce recueil, monsieur Bonzi fait preuve de sa volonté de témoigner des événements marquants de son pays, de sa maîtrise de cette situation, de son souci d’informer et de former son lecteur. À travers ce premier essai, je suis convaincu qu’il saura donner à lire des histoires saines et attrayantes qui relatent une partie importante de l’histoire de son pays, cette partie qui continue de se jouer et à laquelle il participe peut-être. Alors, bon vent à monsieur Bonzi, avec l’espoir qu’il saura rester un témoin de son temps, un animateur et un acteur de la vie sociale de son pays à sa manière. Pr Salaka Sanou Université de Ouagadougou
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PROLOGUE La Révolution est née en 1983, quand j’avais quatorze ans. Elle fut brutalement arrêtée le 15 octobre 1987 quand j’étais dans ma dix-huitième année. C’est donc en tant qu’enfant et adolescent que je l’ai vécue. Enfant de paysan, je l’ai vécue à distance mais d’un peu près aussi. Mais mon jeune âge, mon statut d’enfant, et surtout d’enfant de brousse, ne me permettait pas de l’analyser comme le ferait un spécialiste. Toutefois, avoir vécu la Révolution pourrait être perçu comme un privilège, par les jeunes générations. Ainsi, de nos jours je me trouve comme un peu avantagé pour avoir vécu, même si ce n’est de trop près, cette période exceptionnelle de l’histoire de notre pays : la Révolution du 4 août 1983. Aujourd’hui, ceux qui n’ont pas vécu la période révolutionnaire, les jeunes notamment, sont nombreux à être tout yeux, tout oreilles quand on en parle. La Révolution est une expérience unique, que l’on ne pourra plus jamais revivre. De même que l’on ne pourra plus jamais envoyer des hommes une seconde première fois sur la Lune, de même qu’on n’aura plus un deuxième Louis Pasteur, un deuxième Jésus-Christ ou un deuxième Bouddha, on ne pourra également non plus jamais revivre la Révolution ni avoir un deuxième Thomas Sankara. La Révolution a marqué à l’encre indélébile l’histoire du Burkina Faso. Ainsi, qu’on l’ait aimée ou pas, ce serait peine perdue que de vouloir l’effacer de l’histoire du pays. La Révolution, après à peine quatre ans de vie, a été « assassinée » il y a déjà bientôt une trentaine d’année. Mais comment cette période a-t-elle été vécue ? À ma connaissance, peu d’ouvrages locaux en parlent. Les jeunes se contentent généralement de témoignages oraux. Peut-être que des gens attendent des moments plus 23
favorables pour sauvegarder ou publier ce qu’ils ont retenu de la Révolution. Mais sont-ils sûrs d’être là à ce moment propice ? L’adage ne dit-il pas que qui remet à demain trouvera malheur sur son chemin ? Mes quelques souvenirs, j’ai pu les garder parce que la Révolution m’a marqué à jamais, et aussi profondément qu’elle a pu marquer ceux qui l’ont connue et aimée. J’ai senti un choc à l’annonce de sa fin et surtout de la manière dont elle a fini : avec l’assassinat de son père : Thomas Isidore Noël Sankara. Certes, une révolution ne se fait pas seul. Il faut beaucoup d’acteurs pour la déclencher et la mener. Et ils ont été nombreux, les acteurs de cette Révolution. Et naguère, bon nombre de ses protagonistes étaient encore dans les sérails du défunt pouvoir de celui-là même qui bâtit son règne sur le corps et le sang de son camarade et ami et frère d’armes : Blaise Compaoré. Sans doute, d’autres seront encore là après la transition consécutive à la chute aussi précipitée qu’inattendue du tombeur de Sankara, dans les instances dirigeantes de l’administration, et aussi de l’armée de l’ère post-Compaoré. Une révolution ne se fait pas en solitaire, certes. Mais une chose est certaine : on ne saurait dissocier le nom du capitaine Thomas Sankara de l’histoire de la révolution d’août 1983. C’est sans doute pourquoi il est parti avec la Révolution, sa Révolution. Il est parti mais ses souvenirs demeurent présents et vivaces dans bien des mémoires, ici au Burkina, et ailleurs à travers le monde. Voici donc en quelques pages mes « souvenirs de la Révolution »…
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I.
LA PRÉ-RÉVOLUTION
Nous étions au mois de mai 1983. JBO comme on l’appelait, le médecin-commandant Jean-Baptiste Ouédraogo était au pouvoir depuis le 7 novembre 1982. Un jour, nous apprîmes par nos maîtres que le Président de la République se rendrait à Bobo-Dioulasso, la deuxième ville du pays. Comme à l’accoutumée, il fallait lui réserver un accueil chaleureux le long des villages qu’il traverserait : oui, un accueil comme seuls savaient le faire les Voltaïques, qui n’avaient pas eu besoin en leur temps de clamer à la face du monde leur intégrité, bien que plus intègres que beaucoup de ceux qui n’ont fait qu’hériter de cet attribut révolutionnaire sans la moindre conviction. Tout bon Burkinabè savait en son temps que l’hospitalité était sacrée et que nul étranger ne devait y échapper. Grâce à nos maîtres, nous en avions fait les preuves en février 1982, quand le colonel Saye Zerbo, le Président du Comité militaire de redressement pour le progrès national (CMRPN), avait entrepris « une longue et large » tournée à l’intérieur du pays. Tout président de la République voulant se livrer à un tel exercice ne pouvait omettre de se rendre à Bobo-Dioulasso, deuxième ville du pays, qui se targuait d’en être la capitale économique… L’axe reliant Bobo à Ouaga – telles sont les appellations affectueuses et abrégées de ces deux villes, que sont BoboDioulasso et Ouagadougou - l’axe reliant donc ces deux villes, est la route nationale n°1. Or mon village, Koumbia, est traversé par cette nationale un. Donc tout Président devant se rendre à Bobo par voie de terre était obligé (comme il l’est toujours) de traverser mon village, à moins bien sûr d’emprunter des chemins détournés. Ce fut donc le cas en février 1982 avec le Président du CMRPN au pouvoir depuis le 25 novembre 1980, après avoir renversé le général Aboubakar Sangoulé Lamizana. 25
Nous étions au CM2. Douamidoun, le directeur de l’école, la seule de mon village en son temps, mobilisa tous les élèves des trois classes que comptait l’établissement. Chacun, à partir d’une simple feuille de cahier d’écolier, devait se confectionner un drapeau tricolore : noir-blanc, rouge (couleurs du drapeau de la Haute-Volta), ce que nous fîmes. Le jour J, tout le village était mobilisé comme un seul homme. L’on baignait dans une animation sans pareille. Les griots, par leurs mains habiles, faisaient émettre par leurs instruments, le meilleur de la mélodie et de l’harmonie qu’ils pouvaient. La population était disposée en U, laissant ainsi une entrée que le Président et sa suite emprunteraient pour s’en retrouver au fond. Les élèves que nous étions, avaient été placés du côté sud du U, de sorte qu’ils pouvaient voir les différents mouvements sur la route du côté de Ouaga d’où le Président devait venir. Nous étions debout au premier rang, mettant derrière nous une foule immense et respectueuse de l’enfance. Car nous n’étions pas du tout bousculés. Le directeur nous expliqua ce qui se passerait : « Ils vont bientôt arriver. Ils sont nombreux. Mais il y en a un qui tient une baguette à la main : c’est lui le Président. Il va vous saluer tous, un à un. » On était tous fébriles, pressés que le Président arrive. Vers dix heures l’arrivée tant attendue fut annoncée. En effet, à tombeau ouvert, des motards de la gendarmerie traversèrent le village, sirènes hurlantes. Celui-ci étant situé à un grand virage, la traversée en trombe des motards était vraiment fantastique : ils planaient au risque de raser le sol avec leur genou droit. Les motards furent suivis quelques instants par un cortège impressionnant de véhicules. C’étaient essentiellement des Land Cruiser bleues, dernier cri et flambant neuf. Ils avançaient presque à pas de caméléon, 26
presque collés les uns aux autres, pare-chocs contre parechocs. Il y avait un nombre impressionnant de militaires, vêtus de leur tenue léopard et coiffés de leurs bérets. Arrivées au niveau de la foule, les voitures s’immobilisèrent : des hommes, au nombre desquels le Président, en descendirent. Au bord de la voie les anciens combattants, dans leurs vieilles tenues, dont certaines étaient froissées à souhait, avaient été mobilisés pour la cause. Mon père, Nanwè, était du groupe. Quand le Président et sa suite mirent pied à terre, je ne sus à qui furent rendues les honneurs : au Président ? Ou est-ce lui qui rendit hommage à ces vaillants guerriers du temps (le temps passé) ? Dans le doute, ignorant d’ailleurs presque tout du protocole militaire, je me dis que réciproquement ils se rendirent les uns les autres les honneurs. À faible distance nous eûmes l’occasion de voir et d’apprécier ces anciens combattants se raidir, bombant leurs vieux thorax, la tête fièrement redressée pour saluer le Président. Salut d’autant plus impeccable que le Président était un colonel et eux de simples anciens soldats de première classe. Car à ma connaissance aucun d’eux ne devrait avoir atteint le très respectable grade de caporal… Ayant fini avec ces défenseurs de la République, la suite présidentielle se dirigea vers le U, du côté d’où nous étions. Nous, élèves, étions gonflés d’orgueil, par notre position que beaucoup enviaient. Chacun prit le soin de bien distinguer le Président dans cette foule d’officiels dont beaucoup étaient en tenue militaire. Je ne tardai pas à voir un homme habillé en treillis, en tenue léopard comme on le dit en jargon militaire, selon ce que mon père m’avait appris. Il avait une forte carrure. De teint vraiment noir (d’aucuns diraient « noir ciré »), il portait un béret rouge et tenait à la main une petite baguette savamment sculptée. Ce qui nous frappa, ce fut la bouche du Président : il avait en effet la 27
lèvre inférieure bien épaisse, pendante et bien rouge, ce qui tranchait net avec son teint noir. Le Président commença effectivement à serrer la main des élèves. Chacun s’efforçait de tenir au mieux son drapeau aux trois bandes horizontales, sans doute dans le souci enfantin de se faire remarquer dans cette foule anonyme, par le Président. J’étais sur la première ligne, un peu vers le milieu. Quand le Président commença ses salutations, j’étais pressé comme tous les autres qu’il arrive à mon niveau. Ce qui ne tarda pas. Je tendis ma petite main paysanne au Président. Celui-ci la reçut et la serra. Je sentis une paume bien épaisse, pas dure… Beaucoup de personnes eurent droit au salut du Président. Un jeune venu d’un village voisin, précisément de Kongolekan, prit même le malin plaisir de changer de place après que le Président lui eut serré la main pour aller se placer plus loin en avant afin de renouveler ce contact physique avec le premier dirigeant du pays. C’est ainsi qu’il se fit serrer plusieurs fois la main : « Que c’est doux de serrer la main du Président », avait-il dit après. Le Président ne salua pas que les élèves. En effet il se donna la peine, à cœur joie de serrer la main du maximum de tous ceux qui avaient effectué le déplacement. Le bain de foule terminé, le Président et sa suite furent installés sur des sièges prévus à cet effet. Puis Martine, la maîtresse, la seule institutrice de l’école, notre école, lui offrit l’eau de l’étranger1 : c’était une eau qui submergeait un to à la blancheur éclatante savamment délayée. À l’aide d’une louche bien propre et au manche
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L’étiquette du savoir-vivre impose d’offrir de l’eau à boire à tout hôte. D’où l’appellation « l’eau de l’étranger ». Par extension, elle peut désigner toute boisson offerte à celui qui est reçu, en guise de lui souhaiter la bienvenue.
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long, le Président puisa deux ou trois fois dans la calebasse et porta le contenu à sa bouche. Honneur fut fait aux femmes, qui exécutèrent une danse qui leur est propre : le yé’nyé2. Le yé’nyé est une danse où les femmes, une à une, se tiennent à une distance de 15 ou 20 mètres, face à d’autres disposées en arc de cercle. Puis une à une, elles s’élancent en sortant les meilleures phases : sauts, mouvements de bras, de tête ; et arrivée au bout de la course chaque danseuse saute pour se renverser en tombant sur le dos, entre les mains de leurs camarades bien alignés en courbe… Celles-ci la reçoivent, la soulèvent et la propulsent en avant. La danseuse atterrit sur ses deux pieds, vient s’aligner sur la gauche du demicercle pour qu’avec les autres elles reçoivent dans leurs bras la danseuse suivante. Pendant ce temps, une autre danseuse se détache du côté droit pour rejoindre en face celles qui s’apprêtent à prendre le départ, et ainsi de suite. Les salutations terminées, l’eau de l’étranger bue, la danse des femmes admirée, place fut faite aux discours : mot de bienvenue du chef du village, Nikiègnèni3, qui était le grand-frère de mon grand-père maternel, puis allocution du Président. Ce discours fut tenu en dioula, langue véhiculaire de l’ouest Burkina où se situe mon village. Ce que j’ai pu retenir de ce discours, c’est la bravoure des habitants de mon village et ses environnants, mais aussi leur courage. Mais hélas, que faisaient ces paysans de leur avoir ? Pas d’épargne, on s’achète plutôt de grosses motos qui nous causent tant de malheurs après (accidents mortels ou suivis de blessures aux conséquences incalculables), l’argent est dilapidé dans les débits de boissons, etc. Cette 2
Le yé’nyé, est une danse en voie de disparition, à l’instar de bien d’autres danses du pays bwa (bwa étant l’adjectif venant du gentilé Bwaba). 3 Littéralement, Nikiègnèni signifie en bwamu, « la bouche des Anciens », c’est-à-dire la parole des Anciens.
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interpellation du Président avait pour effet de susciter une prise de conscience pour un changement de comportement. D’ailleurs en son temps l’ouverture de ces endroits de beuverie était soumise à des horaires stricts. Et il était interdit aux agents de l’État de se faire prendre en flagrant délit de pinte pendant les heures ouvrables ; la musique aussi n’était jouée qu’en dehors des heures de service dans ces débits de boisson… Ce même Président, pour lutter contre la fuite des bras valides vers les pays côtiers, la Côte d’Ivoire notamment, avait instauré ce qu’on avait appelé un laissez-passer. Tout Voltaïque voulant se rendre dans ce pays devait s’en munir sous peine de se voir refoulé à la frontière. Quand tout fut terminé, le Président ne partit pas les mains vides : il reçut en effet des cadeaux dont une daba, un coq blanc, des épis de maïs, de mil, du coton graine tout blanc et un bélier, lui, tout aussi blanc. L’impressionnant cortège redémarra et poursuivit sa course en direction de Bobo. Nous croyions que c’est le même accueil qui allait être réservé à JBO et sa suite, lorsque celui-ci s’empara du pouvoir à la suite d’un coup d’État, en renversant le colonel Saye Zerbo, le 7 novembre 1982. Mais contrairement à notre attente, nous fûmes priés de nous mettre le long de la voie, sur les deux côtés. Les anciens combattants étaient encore là, drapés de leurs vieilles tenues, quelques-uns avaient les poitrines qui arboraient fièrement leurs vieilles médailles françaises. Le Président allait bientôt arriver. Même scénario : un motard de la gendarmerie suivi d’un autre vint aborder d’une manière périlleuse le virage. Quelques instants seulement après, le cortège marqua son entrée. Mais cette fois-ci, point de discours. Le président était là, accompagné de Thomas Sankara et bien d’autres 30
personnes. Rapidement ils saluèrent les anciens combattants et les notables du village sans pour autant quitter la route. Puis ce fut une chevauchée à la queue leu leu vers Bobo. Cependant, c’est avec regret que je me remémore cet événement. Car les choses allèrent très vite ce jour. Personnellement je ne sus distinguer le Président des autres. C’est après le départ du cortège qu’une fois à l’école, Gnihan, celui qui allait être mon compagnon durant le cursus du post primaire, décrivit le scénario. Lui, plus d’autres camarades eurent la chance d’être mieux positionnés pour mieux voir les officiels. C’est grâce à Gnihan donc, mais aussi à ceux qui avaient pu bien suivre, que nous comprîmes pourquoi le Président et sa suite ne mirent pas du temps : à peine les salutations d’usage terminées, Thomas Sankara aurait « poussé » JBO en avant afin qu’il accélère le pas. Voilà pourquoi cette foisci nous n’eûmes pas le loisir de voir de près le nouveau Président, encore moins, de lui serrer la main. Le lendemain ou le surlendemain, le cortège repassa pour Ouaga, sans marquer d’arrêt. C’était dans l’aprèsmidi, aux environs de dix-sept heures. Ce que nous avions remarqué d’intrigant, d’étrange ou d’incompréhensible, c’est que des portières des voitures, sortaient des poings bien formés qui se levaient et s’abaissaient vigoureusement. Qu’est-ce que cela voulait dire ? Les hypothèses ne manquaient pas et fusaient de toutes les bouches enfantines. Mais la plus soutenue était que ces poings qui s’agitaient étaient une insulte à notre endroit : ils signifieraient : « Vos grosses, grosses, grosses têtes !...» C’est avec le temps que nous apprîmes de nos camarades qui nous avaient devancés d’une année au lycée ou au CEG de Bobo-Dioulasso, qu’il y avait eu une mésentente entre le Président JBO et Sankara, qui était son Premier ministre ; qu’à Bobo celui-ci (Sankara) avait parlé 31
avant celui-là (JBO, le Président), et que les gens l’avaient beaucoup applaudi ; et que quand ce fut au tour de JBO de prononcer son discours, les populations commencèrent à vider les lieux parce que sans doute on trouvait fade le discours du Président. Cet événement aurait provoqué le retour de JBO à Ouaga par avion et Sankara par voie de terre. Ces poings levés étaient donc la manifestation du début de son œuvre, car lui-même se trouvant en principe dans le cortège. Quelque trois mois plus tard, un matin, puis pendant des jours, la radio diffusait de la musique militaire. Un coup autre d’État venait de renverser JBO à son tour. Le nouvel homme fort s’appellerait Tounkara, ai-je eu à dire à des camarades, quand ensemble chacun donnait son point de vue sur l’événement. Nanwè mon père avait un poste de radio et beaucoup me crurent en ce qui concernait l’identité du nouveau président. Mais plus tard nous sûmes l’identité du nouvel homme fort : il s’appelait Thomas Sankara. Il institua un régime révolutionnaire. Le CSP fut place au Conseil national de la révolution (CNR). Nous vivions une Révolution démocratique et populaire (RDP). Le début de la période révolutionnaire était caractérisé par le pullulement d’hommes en tenues et en armes, mais cette période fut marquée aussi par de nombreux slogans. Entre autres la radio diffusait ce passage dialogué : ―Pouvoir ! ― Au peuple ! ―Gloire ! ― Au peuple ! ―Honneur ! ― Au peuple ! ―Son génie créateur libéré, le peuple voltaïque est capable de construire de lui-même et de ses mains les 32
fondements matériels de son avenir. C’est pourquoi notre combat quotidien vise à débarrasser notre peuple de ceux qui l’ont toujours exploité, méprisé, réprimé. Et pour finir, des voix graves reprenaient en chœur : « Malheur ! à ceux qui bâillonnent leur peuple ! »
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II.
UN CORTÈGE DE TROIS VOITURES
Nous étions à Houndé, en classe de sixième ou plus probablement en cinquième, mais à quel trimestre ?, je ne saurais le dire. La rentrée au collège avait eu lieu depuis déjà quelques semaines. Un jour nous apprîmes que le PF (ainsi appelait-on le président du Faso) se rendrait à Bobo. Et comme à l’accoutumée, il fallait lui réserver un accueil chaleureux. Le jour J, quelle marée humaine ! En amont, dans le virage du côté nord en allant vers Ouaga, l’entrée de Houndé fut bloquée. Les usagers se devaient d’emprunter la déviation en suivant l’ancienne route qui débouchait du côté sud de la ville environ deux mille mètres plus loin. Mais on dirait que ce jour, la mesure avait tardé à être appliquée. Non ! Les populations, pressées, s’étaient rendues un peu plus tôt sur les lieux. C’est ainsi qu’un enfant se fit renverser par une voiture qui roulait dans le sens Ouaga-Bobo. Pendant que les gens s’étaient massés des deux côtés de la voie, une fourgonnette conduite par un homme blanc, à une faible allure, s’engagea sur le tronçon encore ouvert à la circulation. Le garçonnet, en bon bambin, poussé par la curiosité de voir le véhicule qu’il croyait sans doute être celui du Président, sortit un peu trop la tête pour voir. Mais mal lui en prit : la fourgonnette le heurta au front. Heureusement qu’elle avançait à une faible allure. Dans sa chute le garçonnet eut une large blessure ouverte sur le front. Sur-le-champ il fut transporté à l’hôpital. C’est juste après cet incident que la voie fut interdite d’accès du côté nord. L’on scandait des slogans de toutes parts : «L’impérialisme ! ― À bas ! ― La bourgeoisie ! 35
― À bas ! ― Les commerçants véreux ! ― À bas... » Dans la foule, non loin de nous se trouvait un instituteur faisant partie des milliers d’enseignants du primaire que le CNR avait licenciés. Il s’appelait Georges : c’était un homme d’une forte corpulence, dont le teint et la couleur des cheveux faisaient de lui ceux que l’on appelle couramment les « rouquins » (à ne pas confondre avec les albinos ». Il exerçait son métier d’enseignant à l’école « B », la deuxième que comptait la ville de Houndé. Georges, bien que dégagé4 donc par le nouveau régime, était aussi de la partie pour voir le chef du nouveau régime qui lui avait fait du tort. Mais était-ce réellement un tort ?... Le directeur de notre CEG, M. Doro et Georges devaient être, comme on le dit chez nous, des parents à plaisanterie, cette richesse qui est le ferment d’une véritable cohésion sociale. La parenté à plaisanterie, connue aussi bien chez nous que dans d’autres pays tels que le Sénégal, est ce lien qui, unissant des communautés données, permet à leurs membres réciproques de se taquiner, de s’insulter, de se dire à l’occasion, des vérités crues, sans que l’interlocuteur ne puisse réagir comme il aurait fait avec un quelconque individu. Elle est aussi mise en avant pour faire taire des tensions entre ces « parents à plaisanterie ». Liés par une telle parenté, l’on peut s’assener les uns les autres les vérités les plus crues sans craindre que cela déclenche une colère ou des coups de poings dans aucun des partis. C’est ainsi que notre directeur criait à tue-tête en s’adressant à Georges : « Les enseignants pourris, à bas ! » Georges était impuissant et ne se contentait que de sourire. Les slogans fusaient ainsi de 4
« Dégagé » était un des vocables de la Révolution : il signifiait pour le fonctionnaire le fait d’être licencié.
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toutes parts et gagnèrent en intensité quand un motard de la gendarmerie, sirène hurlante, traversa la foule massée des deux côtés de la route. C’est dans cette ambiance que bientôt débouchèrent du virage le cortège présidentiel: il était composé de seulement… trois voitures. Si ma mémoire m’est fidèle, c’étaient des Mercedes. Un cortège de trois voitures ! Oui !, il fallait le voir pour y croire, quand par le passé on avait eu l’occasion d’assister au passage d’un cortège présidentiel, tel celui du président du CMRPN, ou encore de son parent et « grandfrère », le général Aboubakar Sangoulé Lamizana5. En effet, ayant eu plus d’une fois l’occasion de voir passer et repasser ce genre de cortèges, je ne m’en revenais pas. Par moment on nous disait que le président Lamizana devait passer pour Bobo. Et à l’occasion nous assistions au bord de la route au passage d’une interminable suite de véhicules : des dizaines et des dizaines de voitures : imaginez combien de voitures peut compter un convoi étalé sur au moins mille cinq cents ou deux mille mètres. Imaginez aussi le coût d’un tel déplacement. À l’apparition du cortège les gens hésitèrent : ― Ce sont eux, disent les uns. ― Non, ce ne sont pas eux, répondent les autres. Quand tout le monde fut convaincu, les slogans redoublèrent d’intensité : « L’impérialisme…, ― À bas ! ― Le colonialisme…, ― À bas ! ― Le néocolonialisme…, ― À bas !… » Quand le cortège pénétra dans la haie formée le long de la voie, nous remarquâmes que Sankara était dans la voiture du milieu. Les voitures s’arrêtèrent : des 5
Aboubakar Sangoulé Lamizana et SayeZerbo sont tous deux de l’ethnie samo, dans la région de Tougan (dans la boucle du Mouhoun).
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militaires et le président Sankara en descendirent. Ils marchaient. Sankara était tout souriant. D’un mètre à l’autre, les slogans variaient : « Pouvoir ! ― Au peuple ! ― Tout le pouvoir ! ― Au peuple ! ― La bourgeoisie ! ― À bas ! « …la réaction ; à bas !, le fantochisme, le sionisme, etc., à bas ! » L’on entendait chanter : « Sankara n’est pas voleur, jamais, jamais, c’est pourquoi nous le suivons, Révolution … » Les slogans étaient accompagnés des poings bien formés, signes d’adhésion avec conviction à la Révolution, des poings qui s’élevaient et s’agitaient vigoureusement dans l’air, ou de ces mêmes poings qui s’abattaient en cadence pour vraiment mettre à bas l’impérialisme et ses valets locaux, les réactionnaires, les commerçants véreux et tous ceux qui pouvaient se mettre au travers de son chemin menant vers l’avenir radieux du Burkina. Jean-Paul, un CDR que tout Houndé connaissait, faillit y perdre la voix à force de crier les slogans que son groupe reprenait en chœur. Chacun voulait voir le PF de près, de très près même. Aussi, en moins de temps qu’il n’en fallait, le passage du cortège fut bouché : impossible pour le PF et sa suite d’avancer. Comme solution, ils s’engouffrèrent dans leurs voitures. C’est centimètre par centimètre que le cortège avançait, essayant de frayer son chemin dans cette foule à la ferveur révolutionnaire. Mais pratiquement il n’avançait pas. Des gens s’agrippaient aux voitures ; des poings de la Révolution s’agitaient devant chaque pare-brise mais aussi des côtés latéraux. N’eut été ces pare-brise - blindés ? des poings se seraient introduits dans les cabines mais 38
encore plus dans celle qui abritait le PF. Celui-ci, arborant des verres fumés, n’arrivait pas à mettre fin à son sourire bien mérité. En compagnie de seulement quelques militaires il était là, à la portée de centaines et de centaines d’yeux. Il fallut un temps interminable au cortège pour traverser cette foule en liesse. Quand il l’eut franchie, il accéléra en direction de Bobo-Dioulasso et disparut environ mille mètres plus loin au premier virage du côté sud de la ville. Après ce passage présidentiel hors du commun les populations regagnèrent chacune leur domicile. Longtemps après on ne cessa de commenter l’évènement. Pourquoi par le passé les déplacements de Président mobilisaient tant de voitures ? Avait-on besoin de déployer tant et tant de véhicules lors d’un déplacement de président ? Si le peuple vous aime, qui oserait attenter à votre vie ? Mais tout de même on ne sait jamais. Mais si ! Mais si !, Sankara se savait aimé et ne craignait pas pour sa sécurité. Ne raconte-t-on pas que plus d’une fois il avait été aperçu seul, par-ci, par-là, causant avec des passants, des paysans, sans aucun déploiement impressionnant d’aucun appareil sécuritaire ?
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III.
L’ÉCONOME FACE AU TRIBUNAL DES COLLÉGIENS
La Révolution avait semé un vent de justice dans tous les esprits. Personne ne voulait donc se laisser brimer. Il y avait dans les villages des Tribunaux populaires de conciliation dont les membres étaient élus ou choisis dans les communautés de base. Ils se chargeaient de gérer les litiges locaux et légers, tous en référant les cas qui les dépassaient à la juridiction compétente. Il y avait aussi et surtout les Tribunaux populaires de la révolution (TPR) qui, dès 1984, donnèrent l’occasion au peuple de suivre en direct les séances mettant en cause les « voleurs de la République ». Imbus de cette soif de justice, les collégiens que nous étions, allaient en faire la preuve à l’économe de notre CEG. Mais pour quelle cause ? Chaque fin d’année, avant d’aller en vacances, les boursiers recevaient les frais de transport aller-retour. Naturellement cela fut fait quand nous terminâmes l’année de la sixième en 1984. Mais au retour des vacances un problème a été soulevé à la rentrée d’octobre : les frais de transport reçus étaient en-deçà du montant attendu par chaque boursier. Il fallait donc que l’économe s’explique. Un jour, rapidement, une assemblée générale fut convoquée, réunissant le maximum d’élèves boursiers que comptait ce CEG naissant. L’on fit appel à l’économe. Celui-ci vint. Mais à peine qu’il mit pied dans la salle et avant l’entame de l’interrogatoire, sans crier gare, Inoussa commença par lancer des slogans, révolutionnaires : ― Les économes pourris… ― À bas ! ― Les économes voleurs… ― À bas ! ― Les économes détourneurs… 41
― À bas ! ―La Patrie ou la Mort… ― Nous vaincrons ! Nous nous aperçûmes que l’économe tremblait. Il était sans doute surpris par la réaction des tout petits collégiens que nous étions. Mais il fallait qu’il s’explique devant nous. La question tomba : les boursiers voulaient savoir pourquoi, en guise de frais de transport, ils avaient perçu un montant en deçà de celui attendu. Et à l’économe de répondre que dans ses prévisions, il avait omis sans le vouloir, le nom d’un boursier. Ainsi l’intéressé n’avait pas été pris en compte dans le calcul des frais de transport. Mais par souci d’équité, il avait décidé de prélever chez chaque boursier un certain montant dont le cumul du total avait été remis au malchanceux. L’économe s’est engagé à éviter de telles erreurs dans le futur : « Dorénavant, je ferais de mon mieux… » Et c’était pour moi la première fois d’entendre ce mot « dorénavant »… L’explication semblait convaincante, l’économe, sincère. L’assemblée générale prit fin sans aucun incident. Et jusqu’à la fin de notre cursus au collège, l’économe ne fut confronté à aucun problème de ce genre.
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IV.
LES PERMANENCES
L’on se rappelle que dès la naissance de la Révolution, lors de sa proclamation dans la nuit du 4 août 1983 par le capitaine Thomas Sankara, ce dernier avait demandé aux populations de constituer des Comités de défense de la Révolution, en abrégé, les CDR. Ceux-ci virent ainsi le jour dans tous les villages, toutes les villes et leurs secteurs. Je ne savais pas trop à quoi ils servaient mais néanmoins je compris qu’ils devaient contribuer à sauvegarder la Révolution, à régler les problèmes locaux. Les CDR travaillaient de nuit comme de jour à la manière des forces de défense et de sécurité que sont la police et la gendarmerie. Si celles-ci ont pour bureaux les commissariats ou les brigades, les CDR, eux, avaient pour base la Permanence. Ils s’y relayaient, y montaient la garde à l’image de ce qui se passe dans les brigades de gendarmerie ou dans les commissariats de police. Ils avaient tous subi sinon des rudiments, du moins une formation militaire de base. Pour paraître militaires certains dans les villages portaient de vieilles tenues de soldats. Il y en avait même qui se contentaient, qui d’un pantalon, qui d’une chemise ou qui encore seulement de chaussures militaires, les fameux rangers. Mais dans les villes il y avait des CDR qui se vêtaient avec la véritable tenue, si bien qu’il était parfois impossible de distinguer un CDR d’un agent des forces de l’ordre ou de sécurité, n’eut été les galons de ces derniers. Or par moment certains hommes de tenue n’en portaient guère, semant ainsi la confusion à qui voulait distinguer un CDR d’un militaire, d’un policier ou de tout autre porteur de tenue. L’on avait lancé les Trois luttes : la lutte contre la divagation des animaux, la lutte contre la coupe abusive du bois et la lutte contre les feux de brousse. Et les CDR y 43
étaient vivement impliqués pour l’observance de ces mesures révolutionnaires. Dans mon village comme partout ailleurs tout animal domestique pris en flagrant délit de divagation était conduit à la fourrière de la permanence. Son enlèvement par son propriétaire était soumis au paiement d’une amende. Mais les porcs ne bénéficiaient pas d’une telle clémence : ainsi tout goret, verrat ou pourceau surpris en flagrant délit d’errance était purement et simplement abattu sans autre forme de procès. Cette chasse domestique permettait de garnir en permanence la marmite des CDR qui bouillait ainsi à longueur de journée. De la sorte, des quartiers de porcs échoyaient fréquemment dans les estomacs des gardiens de la Révolution… Les ânes et autres chèvres et moutons qui traînaient sans que leurs propriétaires ne viennent les chercher étaient vendus aux enchères après un certain délai. Mais par manque de curiosité je ne sus jamais comment ces recettes étaient utilisées. On me raconta qu’un jour une femme se rendit à la permanence pour retirer son âne, ô ! combien malingre, sans doute à cause d’une malnutrition-, qui s’était insolemment échappé de la cour. Mais la propriétaire avait pris auparavant le temps de remarquer qu’il y avait un âne qui avait passé tellement de jours à a permanence que le temps de sa vente avait sonné. La femme se présenta à la permanence et exposa son problème. Elle paya l’amende consacrée. Et quand le moment vint pour elle de désigner son animal, elle indexa avec une sûreté déroutante un âne bien dodu, plein d’énergie. Au lieu de laisser vendre ce baudet, elle venait de se l’acquérir en échange de son âne rabougri. Aucun CDR ne s’en rendit compte. Mais c’est plutôt l’entourage de la femme en question qui remarqua que l’âne ramené n’était pas le sien. 44
Qu’était-il advenu de la vigilance dont les CDR devaient faire montre ? Que l’on pouvait donc tromper la puissante Révolution au nez et à la barbe de ses vaillants défenseurs !
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V.
LES CDR EN TEMPS DE GUERRE
Noël 1985. Une guerre, la seconde du genre, éclata entre le Mali et le Burkina Faso. Inutile de dire que l’on était sur le pied de guerre. Le patriotisme des CDR monta d’un cran. Partout, dans tous les villages traversés par les grandes routes il y avait des barrages. Dans mon village situé à un méchant virage on avait installé des barriques à mi-chemin du virage. On y avait laissé juste le passage des véhicules. Tout véhicule qui passait devait marquer l’arrêt et ses passagers, présenter leurs cartes d’identité. Ce devait être un calvaire que d’effectuer le trajet Ouaga-Bobo, dont j’ignore le nombre de villages : donc autant de villages, autant de barrières ou d’arrêts obligatoires. Les passagers des véhicules de transport surtout me faisaient pitié. Dès qu’ils approchaient de la barrière, chacun brandissait sa carte d’identité ou tout autre document d’état civil en tenant lieu, avant même que les CDR ne montent dans le véhicule pour le contrôle. Mais à quoi servaient ces contrôles ? Était-ce pour extraire de ces cars, voitures et camions tout Malien qui s’y trouvait ? Mais pourquoi faire ? N’y avait-il que dans ces véhicules que l’on pouvait trouver des Maliens ? N’y en avait-il pas d’autres ailleurs ? Justement dans mon village vivait un Malien du prénom de Sékou. Ce devait être un puisatier, en tout cas un manuel. Un jour j’assistai, non loin de la permanence, à une discussion qui faillit tourner à la dispute. Il y eut deux camps : les partisans de l’un disaient que si le Mali et le Burkina étaient en guerre il fallait tuer tous les Maliens se trouvant sur notre territoire et que l’on pouvait capturer. Donc il fallait tuer Sékou. De leur côté, ceux de l’autre camp soutenaient le contraire : « Nous sommes en guerre 47
contre le Mali mais on ne nous a pas dit de tuer les Maliens qui sont chez nous. Celui qui touche à Sékou aura chaud au point de regretter son acte. » Ce dernier camp l’emporta et Sékou ne fut nullement inquiété jusqu’à la fin de cette guerre de pauvres comme on l’avait surnommée et qui n’avait pas duré plus de six jours. Une nuit alors que j’étais au bord de la route où j’observais les CDR dans leur œuvre, quelque chose qui ressemblait à des coups de feu se produisit par intervalles irréguliers du côté ouest du village. Mais aucun CDR n’en parla. Est-ce parce que ces CDR ne s’en inquiétaient pas ? Toujours est-il que les coups se répétaient pendant que les gardiens de la Révolution se contentaient de ne surveiller que leur barrage. Certains même étaient armés de fusil calibre 12, ces fusils que nos chasseurs possèdent. Bientôt un camion de marque Isuzu arriva du côté de Bobo. Le chauffeur marqua l’arrêt non sans avoir dit aux CDR de service : « Vous êtes là, soi-disant que vous défendez la patrie. Voilà qu’il y a des coups de feu qui se produisent non loin d’ici. Êtes-vous allés voir de quoi il s’agit ? » Sa question n’obtint aucune réponse. Le chauffeur redémarra son camion et poursuivit sa route vers Ouagadougou. Quant aux CDR, ils ne daignèrent aller dans la direction indiquée. D’où les questions suivantes qui trottinèrent dans ma tête : « Les CDR sont-ils là, attendant que le danger viennent à eux pour qu’ils le repoussent ? Ou bien se trouvaient-ils incapables d’affronter un danger inconnu ? » Dans tous les cas leur inaction me plongea dans le doute de leur engagement, car, censés défendre la patrie, surtout en temps de guerre, ils auraient dû se mettre en branle pour se porter au-devant de l’éventuel ennemi. Mais vu les rudiments dont ils avaient bénéficié en matière de maniement des armes, n’était-il pas en fin de compte sage de ne pas aller au suicide avec les moyens de bord ? Les coups de feu supposés étaient-ils l’œuvre d’un plaisantin 48
voulant intimider les CDR ? Ces pétarades restèrent donc un mystère.
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VI.
LES LICENCIEMENTS
« Maman, sauf erreur, notre frère Amadou est licencié de la Fonction publique. » Ainsi s’exprima un soir Gniènoun, notre logeur à l’endroit de sa mère quand en 1984 nous étions en classe de sixième. Nous nous demandâmes pourquoi. Nous aurons la réponse plus tard en suivant la radio. La Révolution procédait à un licenciement sans précédent dans tous les secteurs. La plupart étaient des gens qui avaient détourné d’énormes sommes d’argent. Ces gens étaient non seulement licenciés mais ils passaient à ce qu’on avait appelé les TPR (les Tribunaux populaires de la révolution). Les séances des TPR étaient retransmises en direct à la radio. Chacun disait comment il avait détourné, qui était ses complices et à quoi il avait destiné cette somme. Chacun aussi devait énumérer la liste de ses biens. Je n’ai pas écouté beaucoup de séances. Mais le peu que j’ai pu suivre m’a fait découvrir beaucoup de choses. Un trafiquant d’or dit qu’il cachait ses lingots d’or dans la carrosserie de sa voiture, qu’il en cachait dans les feux rouges de sa voiture. Des gens sincères s’étaient fait rouler par des malhonnêtes. Je conclus qu’il y avait dans notre société des Leuk-le-Lièvre et des Bouky-l’hyène6. Mais il y avait aussi des personnes accusées à tort : ce fut le cas de Gnihan de Houndé, agent des travaux publics, qui s’en sorti haut les mains, sans aucune condamnation. Mais la Révolution lui a-t-elle présenté des excuses ? Je n’en saurais rien.
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Leuk et Bouky sont les noms respectifs du lièvre et de la hyène dans les contes de Léopold Sédar Senghor et d’AbdoulayeSadji.
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Un des faits majeurs avait été le licenciement massif de plus de deux mille enseignants du primaire pour fait de grève (une grève de soixante-douze heures). Ils furent immédiatement remplacés par ceux qu’on avait appelés les E-R7 (les enseignants révolutionnaires). Ces derniers étaient pour la plupart des collégiens ou des lycéens nantis du BEPC et sans préparation aucune, ils furent parachutés dans l’enseignement, dépourvus du minimum requis pour leur nouvelle profession. À Houndé j’ai connu un ER qui était en service à l’école « B ». Cet enseignant, pratiquement chaque matin, s’habillait en tenue militaire et trottinait avec ses élèves sur le plateau d’EPS. En fait à un moment donné le monsieur préparait ses élèves à un mouvement d’ensemble pour une cérémonie qui sera décrite plus loin. Parmi les enseignants licenciés se trouvaient M. Barro, notre maître de CM2 et Douamidounson directeur. Il semble que certains avaient été prévenus et avaient jugé de ne pas observer le mot d’ordre. D’autres s’étaient entêtés à le faire malgré la menace ouvertement brandie par le CNR. Un gréviste originaire de mon village et en service dans la région du centre du pays, ayant abandonné sa classe pour se rendre à Ouagadougou, aurait appris en cours de chemin qu’on avait commencé à mettre à exécution la menace. Il aurait fait demi-tour pour rejoindre sa classe. Ainsi quand les gendarmes passèrent le même jour dans son école dans le but de recenser les grévistes, ils le trouvèrent à son poste, ce qui lui épargna le licenciement. Notre maître, n’aurait pas observé le mot d’ordre de grève dès les premiers moments. Puis il se laissa convaincre par d’autres, le dernier jour de cette grève. 7
ER se lit lettre après lettre, donc « e », puis « ère »
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L’après-midi du seul jour où il observa le mot d’ordre, la gendarmerie passa et releva son absence. Le directeur de l’école de mon village nous faisait vraiment pitié. Avec ses trois femmes et plus d’une vingtaine d’enfants, comment pouvait-il désormais vivre sans salaire ? La misère ne tarda pas à sonner à sa porte, puis à élire domicile dans son foyer. Le directeur allait de champ en champ pour se joindre aux groupes de travailleurs. C’était ainsi pour lui des occasions de prendre ses repas mais aussi d’espérer avoir quelques piécettes. C’était un forgeron, qui, à l’instar des griots, n’éprouvait aucune gêne à quémander, toute chose qui était d’ailleurs, selon une tradition ancestrale, la vocation première de la caste des forgerons. Quémander n’est-il pas mieux que voler ? Y avait-il des funérailles ? Le directeur venait s’emparer du gros tambour et accompagnait ainsi les griots dans la célébration de la solennité consacrée au défunt. Y avait-il un mariage ? Il se joignait aux festoyeurs, noyant du coup ses soucis mais aussi sa faim. « Je me nourris de mon statut de forgeron », aimait-il à dire. Mais sa nombreuse famille, comment se débrouillait-elle ? Black So Man aurait-il eu les moyens et l’inspiration nécessaire qu’il aurait déjà chanté : « Ça fait pitié ! » M. Barro, notre maître du CM2, licencié, manquait de moyens pour transporter son matériel jusque dans son village. Aussi vient-il en confier une partie, dont un buffet contenant des ouvrages pédagogiques et divers autres livres, à celui qui allait être plus tard mon beau- père. Il promit et partit, mais ne put jamais revenir chercher son matériel. Cela n’empêcha pas néanmoins les voleurs de ne pas avoir pitié de lui. Ils vinrent en effet une nuit piller le contenu du buffet et emportèrent bien d’autres choses. À Houndé nous avions dans une cour voisine une femme qui vivait seule avec ses enfants. Son mari avait été 53
licencié et avait depuis lors disparu au sens propre du mot. D’aucuns le prenaient pour mort, par assassinat ou par pendaison. D’autres par contre soutenaient qu’il avait réussi à se faire embaucher dans le port d’un pays voisin. Dans tous les cas on ne revit jamais ce mari. Mais comment sa famille se débrouillait-elle pour vivre ? Le fils de notre logeur ironisa un jour en disant que la pauvre dame vivait de « ses hanches », c’est-à-dire en vendant du plaisir aux hommes. Il y eut beaucoup de rumeurs et de témoignages sur l’infortune des enseignants dégagés : des femmes avaient abandonné leur mari, des maris s’étaient suicidés. La femme d’un douanier dégagé et emprisonné après être passé aux TPR, vendit tous ses biens avant de le quitter. Un jour dans mon village, un groupe de trois enseignants licenciés, le directeur de notre école et deux autres natifs de Koumbia, traversaient la route nationale un en devisant tranquillement. Au vu de leur apparente insouciance dans ce virage d’une voie aussi fréquentée, un plaisantin, pour attirer leur attention les interpella en ces termes : « Eh, vous là ! Il y a un véhicule qui arrive.» Et au plus âgé du groupe de répondre : « Qu’il vienne, qu’il vienne nous écrabouiller et ainsi nous aurons la paix. » J’aimais Sankara et sa Révolution. Mais cette situation m’intriguait : comment a-t-il osé faire cela ? Mettre à la porte plus de deux milliers de chefs de familles ! Et les remplacer par des gens sans formation ! Se souciait-il de la vie que ces dégagés et autres licenciés allaient mener ? Et que pouvaient apporter de véritablement constructif ces jeunes brevetés dépourvus du moindre bagage pédagogique ? Bref, ces questions m’obstinaient. C’est longtemps après que j’appris que le PF aurait été mal informé. C’est ignorant l’ampleur de la grève – on lui aurait dit que c’étaient seulement un nombre infime d’enseignants qui observaient cette grève - c’est ignorant donc son ampleur que la décision fut hâtivement 54
prise de licencier tous les grévistes. Toutefois il semble que des mesures étaient en voie d’être prises pour leur réhabilitation. Mais peut-être que réintégrer immédiatement ces enseignants n’aurait pas permis à la Révolution de maintenir sa fermeté…
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VII.
LES TIC
De nos jours le sigle TIC signifie pour le commun du public : Technologies de l’information et de la communication. Au départ on disait NTIC, le N signifiant « Nouvelles ». Mais au temps de la Révolution, TIC signifiait tout autre chose au Burkina : Travaux d’intérêt commun. Les TIC étaient donc une des caractéristiques de la Révolution. On les appelait aussi Faso baara, ce qui en langue jula8 signifie « travaux de la patrie ». Ainsi très souvent, les populations étaient conviées à des travaux dont elles étaient les principales bénéficiaires. Par exemple les habitants d’un village pouvaient consacrer une matinée à la salubrité de service public. Généralement il n’y avait pas de réticence, car participer aux TIC, c’était faire preuve de bon militantisme et de son esprit de citoyen. Toutefois, il faut noter qu’il y avait une frange de la population qui n’y adhérait pas. Par exemple dans mon village il y eut une expression en bwamu pour désigner les TIC ou « travaux de CDR » : « sadabari », ce qui signifie littéralement : « travailler leur donner », ce qui revient à dire : « travailler pour eux » ou « travailler gratuitement », vu le caractère gratuit de ces travaux. Mais les TIC, ce pouvait être aussi de grands chantiers. Grâce à eux des localités réussirent à se construire des Centre de santé et de promotion sociale (CSPS), des écoles et même des stades. Ce fut le cas de Houndé, qui eut son premier stade sous la Révolution. À Houndé le terrain de football jouxtait un cimetière. Puis entre-temps il fallait ériger le mur 8
Jula est une variante de dioula.
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d’enceinte. Mais quand il fallut construire le stade devant abriter ce terrain, les alentours furent rasés sans pitié. Plusieurs tombes furent ainsi défoncées par les bulldozers…Curieux que nous étions, nous regardions, mais avec crainte tout de même ces tombes défoncées, tout ouvertes. Nous nous demandions si la Révolution avait un tant soit peu le moindre respect pour les morts, ou si elle n’en avait pas peur. Mais enfin… Le stade dut sa construction aux TIC. En effet toutes les couches socioprofessionnelles étaient sollicitées. C’est ainsi que nous suspendions les cours, quittions le CEG pour la confection des briques. C’était courant 19841985, quand nous étions en classe de cinquième. Nous étions accompagnés dans cette activité par nos professeurs. Sur le terrain les uns amenaient l’eau, d’autres creusaient la terre que les autres pétrissaient. Certains apportaient la terre à d’autres qui la coulaient dans des moules pour en faire des briques. Je me rappelle encore notre professeur d’anglais, M. Tamini, pétrissant le banco de ses pieds, pantalons retroussés. Le stade allait ainsi être construit en banco… La construction proprement dite suivit le même scénario. Les jours étaient répartis. Élèves et professeurs prenaient une part active à la tâche. Et en un rien de temps le stade fut achevé. C’était une vaste enceinte. Le mur était épais à souhait, sans doute pour lui garantir une solidité certaine, gage d’une longévité certaine. Il était aussi suffisamment haut pour décourager tout spectateur voulant éventuellement jouir des activités qui s’y dérouleraient sans débourser le prix d’entrée. À l’intérieur, non seulement il y avait le terrain de foot mais on y avait aussi aménagé un terrain de basket-ball, de volley-ball et de hand-ball.
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VIII. SANKARA INAUGURE LE STADE Un jour il fut annoncé que le stade allait être bientôt inauguré. Le PF9 comme on l’appelait affectueusement, viendrait en personne pour cette inauguration. Que ce jour était attendu ! Enfin le jour J arriva. Quelle mobilisation ! Dans la matinée les alentours du stade furent envahis par la population. L’on avait fait venir des masques du terroir dont ceux de Boni aux longues têtes. Même le tin’mboini, le tam-tam de guerre du pays bwa10 était de la fête. Il avait été déposé à l’intérieur du stade. L’on débarqua à Houndé une impressionnante armée : beaucoup de militaires avec des engins de toutes sortes : automitrailleuses, chars de combat, etc. À basse altitude un avion militaire survolait la ville à n’en pas finir. Nous, élèves, étions encore là avec nos professeurs. En effet, après avoir pris part à toutes les activités de construction, quoi de plus normal que d’être à l’inauguration du joyau. Nous voyions les militaires en groupes, par colonne dans leurs tenues impeccables. Il y en avait qui arboraient des brassards rouges. Des policiers et des gendarmes assuraient l’ordre avec mille difficultés pour contenir cette foule folle de la joie d’accueillir le PF. Il va sans dire qu’ils faisaient un usage immodéré de fouets et de matraques ce jour-là, les circonstances le leur ayant exigé. 9
PF, initiales de Président du Faso, telle était l’appellation affectueuse du président de notre pays. 10 Bwa est l’équivalent de bwaba. Bwaba est la forme adjectivale et nominale relative au pays des Bwaba. Le singulier de Bwaba est Bwa ou Bwani (un Bwa, un Bwani, des Bwaba).
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Des slogans révolutionnaires fusaient de toutes parts. Notre professeur d’histoire-géographie, M. Drabo, perdit la voix à force de crier : « Vive la Révolution ! Vive la nouvelle armée !…» Quant à nous, élèves, nous entonnions des chants révolutionnaires également : « Sankara n’est pas voleur, jamais, jamais, c’est pourquoi nous le suivons, Révolution. Nous sommes les pionniers… » Il faut dire que ce monsieur Drabo affichait un engagement révolutionnaire. Il avait même composé un poème sur la Révolution qu’il avait fait copier à ses élèves de la sixième, et ceux-ci le déclamaient à souhait à longueur de journée. Dans l’effervescence nous fûmes engloutis par la foule. On ne distinguait plus les élèves des autres. Néanmoins j’étais bien positionné, au premier rang. Soudain la bousculade monta d’un cran. Il ne fallut que quelques fractions de seconde pour savoir que le PF arrivait. Il déboucha de l’angle nord-ouest du stade. Il était souriant. Il était accompagné de militaires à l’air grave. Les slogans atteignirent leur paroxysme « Pouvoir, au peuple ! Honneur, au peuple !… La Patrie ou la Mort, nous vaincrons !… » La foule se fit plus pressante. Par derrière on faisait tout pour mieux voir le Président, en essayant d’avancer, en poussant ceux qui étaient devant. Par devant il fallait résister coûte que coûte pour ne pas se faire fouetter par les policiers et gendarmes. J’étais petit et dépourvu de force. Même fort, qu’aurais-je pu faire face à une foule aussi dense ? Les coups de fouets redoublèrent. Il fallait que le Président passe tranquillement sa voie. Je vis de notre côté un gendarme, l’air renfrogné, abattant et rabattant son fouet, une branche assez solide sur les tibias de ceux qui étaient devant afin de les faire reculer. Et Désiré, c’était son nom, avançait à grands pas vers notre direction. Prévoyant, chacun s’efforçait de 60
prendre du recul. Mais en s’appuyant sur ceux qui étaient devant. Juste au moment où Désiré arrivait à mon niveau, je reçus une bonne pression que je n’avais nullement désirée : je fus littéralement poussé par ceux qui étaient derrière moi et me trouvai ainsi livré au gendarme. Je le vis lever vigoureusement son fouet, une branche ; je le vis faire le mouvement inverse. Le fouet s’abattit avec force sur mes deux tibias. Un deuxième coup suivit. Dans mon élan je réussis à faire un léger recul, non que je devins subitement fort pour repousser la foule, mais parce que ceux qui étaient au premier rang avaient aussi eu peur de recevoir les coups et par réflexe, avaient agi dans le même sens que moi. Mais Désiré était déjà loin, continuant son œuvre de maintien d’ordre. Quant à moi, sur-le-champ je commençai à transpirer de tous mes pores et à trembler de tout mon corps. Le fouet m’avait trop pénétré jusqu'à la moelle. Juste après cette amère expérience, le PF et sa suite passèrent. Bien placé, je pus le voir de très près. Il secouait son poing révolutionnaire en l’air. Au fur et à mesure qu’il avançait avec sa sécurité la foule se refermait derrière lui. Quand les officiels et le PF s’engouffrèrent dans le stade, ce fut au tour de la foule de pénétrer dans cette enceinte cyclopéenne en banco. Quelle bousculade ! J’essayai d’avancer mais la pression devint trop forte de tous les côtés. Entre-temps, mes pieds ne touchaient quasiment plus le sol : j’étais transporté par un fort courant humain. Je faillis même être asphyxié. Pour me sauver, pendant que les uns s’efforçaient d’avancer, moi je m’efforçais de faire le sens inverse. Mais c’est avec mille et une difficultés que je réussis à me mettre un peu en retrait. J’en profitai pour prendre une bonne dose d’air bien poussiéreux, puis me remis dans le mouvement, moins fort cette fois-ci. 61
Des dizaines de chaussures jonchaient l’entrée du stade. Des chaussures pêle-mêle et non des paires de chaussures. Ils étaient en effet nombreux à avoir perdu qui une chaussure gauche, qui une chaussure droite dans cette bousculade incontrôlée. Les lourds battants de la porte furent tordus sous la poussée de la foule. Un Peul failli y perdre la vie. Flûtiste sans égal, ce Peul au teint trop clair était aussi un des admirateurs de Thom Sank11 et de sa révolution. Aussi futce avec juste raison que Pouri – ainsi s’appelait-il -, malgré son âge avancé, avait effectué le déplacement pour ne pas faire monnayer sa présence à l’événement. Mais mal l’y en prendrait. En effet, selon ce que Gnihan mon compagnon, qui s’était retrouvé dans une position meilleure que la mienne, au moment de la ruée, il fut littéralement projeté à terre. Quand on imagine la force de la foule, ceux qui étaient derrière poussant ceux qui étaient devant sans voir devant, et ceux qui étaient devant voyant ce qu’il y avait mais ne pouvant pas se retenir d’avancer, on peut imaginer ce qui aurait pu arriver à Pouri. Pouri gisait donc à terre, se voyant déjà mort, piétiné par des centaines et des centaines de pieds. C’est avec une énergie d’éléphant qu’un militaire ou un gendarme (je ne sais plus), décida d’utiliser son Kalachnikov en guise de matraque. Ainsi, sans ménagement, il l’abattit sur ceux qui s’apprêtaient à marcher malgré eux sur Pouri. L’effet fut immédiat. Il y eut un léger recul dont profita le soldat (le militaire ou le gendarme) pour soulever le Peul de terre, lui évitant ainsi une mort à l’étouffée. Puis il fut installé à une bonne place, juste non loin des officiels où il put voir à loisir le déroulement de la cérémonie. 11
Thom Sank (troncations de Thomas et Sankara) était l’appellation affectueuse et abrégé de Thomas Sankara.
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Dans la bousculade à l’intérieur, un jeune Bwaba du quartier nommé Bouakuy se retrouva propulsé sur les promontoires du tam-tam de guerre. Or il est dit que pour jouer ou tout simplement toucher à cet instrument il faut avoir été un brave, avoir tué au moins un être humain à la guerre ou avoir déjà abattu du gros gibier, genre lion, buffle, etc. Quelle ne fut le désarroi du pauvre : « Voilà, ils ont fait et je suis monté sur le tin’mboini. Mais moi en tout cas je ne mourrai pas d’autant plus que je ne l’ai pas fait volontairement. Je ne mourrai pas », ne cessait de répéter ce « brave malgré lui ». Les masques de Boni ont dû souffrir ce jour. Venus tôt dans la matinée, les danseurs auront porté pendant des heures leurs masques jusqu’à la fin des discours dans l’après-midi, sans avoir été invités à esquisser le moindre pas de danse. À la fin du cérémonial, nous les vîmes rentrer, morts de fatigue et sans doute découragés … Il y eut des discours ce jour dans l’enceinte du stade. Ce que je retins est qu’il fut dit que le Burkina ne se limitait pas à ses grandes villes, notamment Bobo et Ouaga, et que les stades construits à l’intérieur du pays pouvaient aussi abriter de grands matchs. C’est à cet effet que, dans la quasi-totalité des villes, grandes et moyennes, notamment tous les chefs-lieux de province, des stades furent construits sous la Révolution. Ce jour, un match opposa une équipe de Bobo, (était-ce le Racing club ?), à une autre équipe de grande envergure. Je dois l’oubli du nom de cette dernière au manque d’amour du ballon rond que l’école n’a pu cultiver en moi… Je me rappelle que dans une des écoles de Houndé il y avait un enseignant révolutionnaire, un ER comme on les appelait, lui et ses camarades parachutés dans l’enseignement comme mentionné précédemment. Ces enseignants dont la plupart étaient auparavant sur les bancs ou venaient de décrocher leur premier diplôme du secondaire, le BEPC, auraient été recrutés sur simple 63
inscription, puis déployés dans tout le pays sans aucune formation professionnelle. L’essentiel était d’être révolutionnaire pour prouver aux enseignants dits réactionnaires pour avoir observé la grève antirévolutionnaire, que sans eux le Faso allait avancer glorieusement vers son avenir meilleur. Cet enseignant révolutionnaire avait une particularité, un certain zèle à exercer son métier, du moins dans ce que j’avais remarqué. Chaque matin en effet il s’habillait dans sa tenue militaire, souvent en chemise manches courtes, et en culotte et conduisait ses élèves au pas de course, plutôt de trot au terrain. C’est dire que régulièrement ses enfants pratiquaient l’éducation physique et sportive, ce qui était rare dans les écoles. En effet je me rappelle que même si nos maîtres nous soumettaient à la pratique de l’EPS, c’était par moments. Mais lui y était régulier. Ce jour il était au terrain avec ses élèves pour présenter aux autorités et à la population un numéro qu’il avait longuement et savamment préparé. Quand il fut autorisé à se produire avec ses élèves, il se mit à courir autour du terrain et ses élèves l’imitèrent en file indienne. Après un bref échauffement il ordonna certains mouvements à ses élèves. Ceux-ci évoluaient sur le terrain au gré des injonctions de l’enseignant révolutionnaire. Puis à un moment donné, obéissant à un ordre, ils exécutèrent un mouvement : le public les vit s’agenouiller, se courber et mettre leur front à terre. Ce mouvement impeccablement exécuté leur permit d’écrire avec leur corps le sigle RDP en grands caractères majuscules que la tribune des officiels put lire. Il y eut un tonnerre d’applaudissements. Je n’eus pas l’occasion de voir le cérémonial proprement dit, car il y avait un monde impressionnant. Le stade en plus du terrain de football comportait un terrain de basket-ball, de handball et de volley-ball. 64
Sankara fut ce jour le tour de tous ces terrains, lançant une balle dans un panier par-ci, lançant une autre entre les poteaux de handball par-là, etc. J’eu au moins l’occasion de voir après le film vidéo de la cérémonie d’inauguration, chez l’économe de notre collège, mais juste la partie où le Président Sankara, en bon sportif, après avoir fait rebondir la balle de hand, exécuta un bond et balança énergiquement la balle entre les poteaux. Désormais, Houndé avait son stade, le stade Kiéni12. Grâce aux TIC, grâce donc « aux bras » de ses habitants.
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Kiéni ou tchiéni signifie en bwamu association communautaire. Les membres du kiéni peuvent se livrer à une activité tournante dont sont respectivement bénéficiaires les associés (dans les champs des membres respectifs par exemple). L’œuvre peut être aussi dédiée à toute la communauté : ce fut le cas du stade ici, où tous les membres du kiéni étaient tous les Burkinabè de la cité en âge de travailler.
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IX.
MON PREMIER VOYAGE À OUAGADOUGOU
C’est pendant la Révolution que je connus Ouagadougou. Nous étions en classe de quatrième, pendant que depuis trois ans auparavant, Panka mon grand-frère, l’aîné de notre famille, était devenu policier. Après sa formation militaire de base au camp Ouezzin13Coulibaly de Bobo-Dioulasso et sa formation théorique et pratique à l’École nationale de police à Ouagadougou, il était resté en poste dans ladite ville, au Groupement des compagnies révolutionnaires de sécurité (GCRS). Je rêvais de connaître la capitale. Mon rêve était d’autant plus ardent que je souhaitais vivement quitter le CEG de Houndé pour Ouagadougou, car la vie de collégien que j’y menais était pénible. En effet, dès la cinquième, Gnihan (le seul en compagnie de qui nous fûmes les deux seuls admis à l’entrée en sixième en 1983) et moi, vivions seuls. Après notre admission, nos parents nous confièrent au même logeur, qui avait une grande famille : polygame à la descendance nombreuse, il hébergeait en plus de sa maman et de l’enfant de son petit frère, plus d’une demi-dizaine d’enfants confiés, qui fréquentaient soit le primaire, soit le postprimaire. En dépit de la taille considérable de sa famille, nous fûmes quatre élèves, soit trois de Koumbia (Gnihan, Nazi et moi) et une de Kiéré (Hadofini), à venir l’alourdir du coup à notre sixième, à la rentrée des classes de 1983. Avant nous, deux autres de Dohoun (Laurent et Ousséni) étaient 13
« Ouezzin », selon ce que j’ai appris de mon père qui l’a connu et qui connut aussi Nazi Boni, est une orthographe fautive, la véritable appellation étant Ouékazin, « arranger, réparer la maison », c’est-àdire « bâtir la famille». Daniel Lazare Ouezzin Coulibaly fait partie des quatre personnalités consacrées héros nationaux dans les années 1990 par le pouvoir de Blaise Compaoré (les autres étant Nazi Boni, Philippe Zinda Kaboré et Thomas Sankara le président du CNR).
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là depuis des années où ils fréquentaient le primaire. Il est donc aisé de s’imaginer que dans de telles conditions nous imposions à notre logeur des charges trop pesantes. Mais Gnihan et moi étions boursiers, contrairement à Nazi, admis parallèlement, après le test de recrutement d’élèves en complément d’effectif : nous bénéficions des 8 000 F de bourse par mois. C’est fort de ce statut que notre logeur, tout en acceptant d’être notre tuteur, montra à nos parents la nécessité de se soulager de nous en nous rendant autonomes, en nous trouvant un logement où nous allions vivre par nos propres moyens. C’est ainsi que dès la cinquième nous étions devenus responsables de notre destin : nous nous approvisionnions en eau au forage ou aux puits, nous préparions nos repas après nous être rendus compte que la bourse ne pouvait couvrir nos besoins. Au départ, nous crûmes pouvoir nous nourrir exclusivement de couscous séché, appelé bassi ou bati14. Le bassi se consomme mouillé à l’eau sucré, ou cuit avec un peu d’eau. Mais l’expérience nous prouva que ce n’est pas un aliment que l’on peut consommer régulièrement, à court et encore moins, à long terme. Non seulement il vous dégoûte, mais il est aussi source de maux de ventre, et que sais-je encore… Dans le souci de mieux nous nourrir, nous faisions venir la farine de maïs du village, nous préparions nousmêmes notre to, avec comme sauce principale le gombo ou les feuilles de baobab pulvérisées, c’est-à-dire réduites en poudre. Et les moments fastes nous ajoutions du riz ou des haricots. La sauce qui accompagnait le to était souvent préparée à froid, et mise sur le feu aussitôt que la marmite ayant servi à préparer le to descendait du foyer. Et en quelques minutes la sauce était prête… C’est dans ce climat que j’eus à écrire plus d’une fois à mon grand-frère pour lui relater ma misère : je 14
Bassi est l’appellation jula emprunté par le bwamu. Mais d’autres, particulièrement les anciens, disent aussi bati.
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l’implorais, je le suppliais de me recevoir chez lui pour la suite de mes études. Mais en attendant je voulais connaître Ouagadougou. Panka marqua son accord pour cette dernière doléance. Dès l’entame des vacances de 1986 je fis part de mon projet à mon père : celui-ci refusa catégoriquement. Les vacances sont un moment où les enfants de paysans aident leurs parents au champ. Il ne serait donc pas question pour moi d’aller à Ouagadougou où durant trois mois je n’aurais rien à faire. Mais moi, je tenais à m’y rendre. Ainsi, contre le gré de mon père (je ne sais pas si ma mère s’y était opposée) je partirais pour Ouagadougou. En effet, je profitai du retour d’un oncle de ma famille maternelle, Lamissa, qui repartait à Ouaga pour m’évader, pendant que mon père s’était rendu dans son champ… Nous devions faire le trajet avec sa grand-mère maternelle (la grand-mère de Lamissa), mais pas dans les conditions que j’avais souhaitées. Je me rappelle qu’une des priorités de la Révolution était de mettre à la disposition des Burkinabè des véhicules de transport en commun avec pour fin de leur permettre de voyager dans le confort et la sécurité15. Bientôt on voyait un car passer. C’était un car de couleur vert olive. L’on disait que c’était un car (on l‘appelait plutôt bus) offert par l’armée algérienne. Tous les jours nous le voyions passer, toujours chargé à plein de passagers. Il faisait régulièrement l’aller-retour entre Ouaga et Bobo. La nouvelle société s’appelait X9. Mais pourquoi X9, je n’en saurais rien. En plus du car vert olive, de marque Mercedes, la compagnie de transport X9 s’était dotée aussi de cars de marque Tata. D’origine indienne, ces véhicules étaient moins rapides. 15
Naguère, les Peugeot bâchées et les camions étaient les principaux véhicules de transport en commun dans notre pays.
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Une autre compagnie, appelée Faso Tours avait été créée dans la même période. Et on disait que c’était la compagnie des femmes, car on les y trouvait en nombre plus élevé. L’on disait aussi que le ticket y était plus cher qu’à X9. Mais comme c’était des cars vraiment confortables et pour qui connaît le goût des femmes ou de la délicatesse dont certains maris les entourent, pour peu que les moyens le leur permettent, cette préférence trouve aisément son explication. À Houndé, chaque jour que je voyais le car de la compagnie X9 passer, je ne rêvais que de Ouaga. Je mourais d’envie de monter dans ce car, étant donné qu’avant la Révolution on ne voyait pratiquement ce genre de véhicules qu’avec des touristes blancs. Mon père comme ma mère nous disaient que ce genre de véhicules s’appelle « courrier », sans doute en raison du fait que c’était grâce à ces cars que le courrier parvenait aux militaires16. Moi aussi je rêvais de voyager un jour avec X9. Malheureusement, ce jour je n’aurais pas l’occasion de monter dans le fameux car, en raison de notre heure de départ du village. Nous eûmes même de la peine à avoir une occasion directe pour Ouaga. Et comme nous semblions tous pressés, notre voyage sera décomposé : aux environs de 10 heures nous monterons dans une voiture 504 break (ou familiale) de marque Peugeot pour Sabou. Puis de Sabou à Ouaga, nous monterons à l’arrière d’une Peugeot bâchée en provenance de la zone de Léo, du côté sud de la ville. Le plancher de notre « habitacle » était jonché d’arachides, que je me mis à manger à satiété le long du trajet.
16 En rappel, enrôlé dans l’armée française le 23 novembre 1956, mon père fut un ancien combattant de la guerre d’Algérie. Puis, avec d’autres anciens combattants, il sera rappelé au front pendant la première guerre qui opposa la Haute-Volta au Mali en 1974.
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Nous arrivâmes à Ouagadougou vers 18 heures. Nous « descendîmes » au domicile des Lamissa où je fus surpris de voir un raisinier, cet arbre sauvage en pleine ville, dans une cour. C’était pendant le mondial qui se déroulait au Mexique. Une télé était posée à la porte et j’en profitai pour suivre le match qui s’y déroulait. Un but fut marqué. Puis un autre, et encore un autre, avec les mêmes acteurs, dans le même camp, mais avec des positions apparemment différentes…. En fait, je venais de découvrir le ralenti. Mais il faut le dire, ce ralenti était quand même rapide, si ce n’était qu’on faisait simplement repasser l’action. En tout il n’y a aucune commune mesure avec les performances technologiques d’aujourd’hui… Après quelques minutes de pause, Lamissa m’amena chez mon grand-frère.
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X.
LA CITÉ INTERDITE
Panka habitait Gounghin, le secteur 917. Les premiers jours je les passais à la maison. Puis un jour je sortis et fis le tour juste d’un « carré »18. Puis un autre jour j’ajouter un autre carré. Il fallait être prudent pour ne pas s’égarer. Et progressivement je commençai à connaître la ville. J’avais l’habitude de me promener pour découvrir la capitale. De Gounghin où j’habitais, j’allais le plus loin que pouvaient me porter mes jambes d’adolescent. Après le petit-déjeuner, je quittais la maison vers 8 heures pour n’en revenir que vers midi, bien fatigué. Je mangeais et rentrais me coucher pour une longue sieste si tant est que ce long sommeil est digne d’être appelé sieste. De cette façon je préparais déjà la soirée car pratiquement toutes les nuits je suivais la télé dans une cours voisine. M’étant bien reposé dans la journée je me mettais ainsi à l’abri d’un éventuel sommeil perturbateur à m’empêcher de suivre en rond toutes les émissions que je pouvais. En tout cas, tant que la famille du voisin ne rentrait pas ou tant que la télé ne fermait pas, j’étais là, devant le petit écran, souvent jusqu’à minuit. J’étais encouragé dans ce suivi assidu de la télé d’autant plus que je n’étais pas le seul à venir grossir le cercle des téléspectateurs, et le voisin était gentil. La télé ne courait pas les rues, encore moins les cours… Mais certaines nuits aussi je rentrais un peu tôt pour ne pas trop déranger mon frère sa femme
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En son temps, Ouagadougou avait été découpée en 30 secteurs, et les numéros des secteurs devaient supplanter les appellations des quartiers par leurs noms traditionnels. 18 Dans le langage courant des Burkinabè, le carré est un pâté de maisons séparées par des rues (que la forme du pâté soit carrée, rectangulaire, trapézoïdale, etc.).
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Kassaiyidoun et Nihani, un frère de la grande famille et camarade d’école de Panka… J’allai donc un jour chez Sérémani, un parent, vers l’aéroport. Lui, plus âgé que moi de deux ans était un aîné de l’école primaire que nous fréquentâmes ensemble avant qu’il ne quitte Koumbia pour poursuivre ses études secondaires chez son oncle douanier de profession. Il fréquentait un lycée de la place depuis quelques années. Ouaga n’était plus un secret ou une merveille pour lui. Ce jour-là, Sérémani et moi, nous écoutâmes la musique que nous distillait un électrophone. Il y avait des disques anciens dont entre autres ceux de Samboué JeanBernard19. Lorsque midi sonna, Sérémani alla acheter un bon plat de riz gras à la soupe de poisson. Rarement le fils de paysan que j’étais avait déjà mangé du si bon. Nous nous régalâmes littéralement. Le repas terminé il me proposa de me ramener en bicyclette à la maison, et je ne me fis pas prier, vu la distance que je devais parcourir à pied. C’est, juché sur le porte-bagages de son vélo que lui-même pédalait sans efforts, que j’entrepris cette tournée. Nous bavardions tranquillement pendant que dégagé de tout souci de fournir tout effort, je découvrais certains pans de Ouaga avec ses curiosités. Nous traversâmes bien des quartiers aux noms inconnus pour moi et bientôt nous atteignîmes la gare ferroviaire. Nous nous dirigeâmes à l’ouest, croisâmes une avenue à un endroit où se situait un passage à niveau. Lorsque je jetai un coup d’œil à ma droite je découvris un vaste chantier. De nombreuses villas étaient en construction, à un stade vraiment avancé. Sérémani 19
Originaire de Kari dans la province du Tuy, Samboué Jean-Bernard était un professeur des lycées et collèges, mais aussi un musicien confirmé, virtuose du tianhoun, cet instrument en paille bien connu du pays bwaba. Il est l’auteur du roman « Halombo », écrit sur son lit de mort en 1997.
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m’expliqua que c’était une cité, en voie de construction par le régime révolutionnaire : il s’agit de la Cité An III. Nous y pénétrâmes et prîmes le soin de tourner dans tous les sens dans cette future cité de la Révolution. Je ne pus m’empêcher de déduire que logiquement, si cette cité s’appelait Cité An III, c’est qu’il y avait déjà eu une cité An I et une cité An II. Donc une cité chaque année, soit trois cités à Ouagadougou en si peu de temps, puisque la Révolution n’était qu’à sa troisième année. Quand nous eûmes parcouru ses coins et recoins, nous quittâmes ce chantier. Sérémani m’expliqua que le chantier en construction était occupé avant par un quartier appelé Bilibambili, que c’était un quartier pourri, insalubre où vivaient des prostituées ghanéennes, chassées par la Révolution20. Après environ une heure de tournée, Sérémani me déposa à la maison. J’étais vraiment satisfait d’avoir bien rempli cette journée… Une autre fois je sortis de chez nous, à pied. Je portais une culotte en jean bleu et un t-shirt à manches courtes, rayé horizontalement de bleu et de blanc. Il faut dire qu’en ce temps j’avais de la peine à porter un pantalon. Et des curieux n’avaient pas manqué de me le notifier plus d’une fois. Porter un pantalon me laissait croire que partout où je passais, j’étais l’objet de regards critiques. Je m’étais convaincu que le pantalon ne m’irait jamais mais qu’il était fait pour les autres. Habillé ainsi en culotte et en t-shirt, j’entrepris ma tournée qui m’amena de loin en loin. De Gounghin - je savais au moins le nom de mon quartier, même si on l’appelait secteur 9, la Révolution ayant ainsi décidé de 20
Plus tard j’apprendrais que Sankara, contrairement à ce qu’on disait, n’avait pas chassé ces péripatéticiennes de ce quartier, mais qu’au contraire, il les aurait fait reloger pour qu’elles soient réinsérées dans la société afin d’y gagner dignement leur vie.
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diviser les villes et villages en secteurs -, de Gounghin, non loin du bar Number one, j’atteignis les voisinages de l’aéroport en passant par un hôtel, le Kilimandjaro. De Koulouba comme on me l’avait laissé entendre (ainsi nomme-t-on le quartier abritant l’aéroport), je revins au rond-point des Nations unies en laissant le Commissariat central de police à ma gauche. Je devais être naturellement sur la fameuse avenue Kuame Nkrumah. Quand je voulus traverser le croisement, je remarquai des policiers aux quatre coins. Je pris peur, m’étant rappelé que le feu rouge signifie arrêt obligatoire et le vert, que l’on est autorisé à passer. Je marquai l’arrêt, croyant qu’en franchissant la route au moment où le rouge était allumé, les policiers allaient m’arrêter. Au vert je réussis à traverser sans inquiétude. Mais au rond-point des Nations unies, je ne sus comment m’y prendre. Ne sachant pas qu’il y a des parties des intersections qui sont mieux indiquées et réservées aux piétons pour la traversée de la chaussée, je m’engageai à mes risques et périls au beau milieu d’une forêt de voitures et de motos. Le cœur battant la chamade, je réussis néanmoins à atteindre le côté ouest, en contournant le rond-point par la gauche, et poursuivis ma route. Je ne sais plus par où je passai. Mais dans tous les cas je fus confronté à un long mur qui semblait barrer mon chemin du nord au sud. Entre-temps je débouchai brusquement sur la cité An III. Je remarquai que les travaux visiblement étaient déjà bien avancés. Je voulus traverser cette cité en chantier. Mais la voie sur laquelle je cheminais, comme toutes les autres menant à l’intérieur de la cité, était barrée par une planche horizontale supportée par deux poteaux verticaux qui étaient solidement fixés au sol. La planche était couverte de larges rayures rouges et blanches obliques. Bien que la planche occupait toute la largeur de la route, elle laissait tout de même la possibilité aux piétons 76
de passer. Il y avait d’ailleurs les traces de mille et un piétons qui prouvaient que l’axe était bel et bien fréquenté. Je conclus donc que la planche avec ses rayures obliques rouges et blanches interdisait l’accès de la cité, mais seulement aux véhicules motorisés et autres cycles. Cette conclusion hâtive me fit franchir la barrière en direction de l’ouest, mais avec néanmoins un doute certain, même si devant moi je voyais des gens marcher dans tous les sens. J’essayai de me tranquilliser quand je constatai qu’à moins de cent mètres de moi un homme venait de franchir avant moi cette barrière et qu’il cheminait dans la même direction que moi, c’est-à-dire qu’il se dirigeait aussi vers l’ouest. Mais je fis à peine quelques pas que je vis un homme, qui, en même temps que je l’entendais, hélait celui qui me précédait ; il le hélait tout en accompagnant ses interpellations d’amples gestes de la main à notre direction. Je pensai que c’était mon devancier seul qui était la cause de ces gesticulations accompagnées de cris. Je perdis mon assurance et commençai à me dire que je n’aurais pas dû franchir la barrière. Aussi, est-ce avec rapidité que je marquai un brusque quart de tour sec pour me soustraire de cette zone. Le quart de tour ne fut autre que l’amorce d’un demi-tour que je ne pus effectuer. Car la voix interpellatrice me dit distinctement : « Toi aussi tu es concerné. » Mon cœur commença à battre la chamade. Ne pouvant m’envoler ni me rendre invisible, j’obtempérai aux injonctions du monsieur. C’était un CDR, c’est-à-dire membre des Comité de défense de la Révolution. Non loin de lui il y avait un petit attroupement. Mon devancier, naturellement me précéda sur les lieux. C’est tremblant de tous mes membres que j’atteignis cet attroupement. Je pus voir une grande fosse que d’autres creusaient depuis visiblement un bout de temps et qui se présenta à mes yeux. Je ne mis pas du temps pour comprendre que tous 77
ceux qui étaient là, à l’exception des CDR (oui, il y avait plusieurs CDR en ce lieu, sans doute des CDR du quartier ou envoyés en mission spéciale), étaient des otages, des personnes innocentes prises comme moi en flagrant délit de violation de cet espace interdit. À tour de rôle il fallait empoigner une pioche ou un pic et creuser cette fosse qui allait servir à quoi je ne sais. À côté il y avait un bassin plein d’eau. Il fallait creuser jusqu'à ce qu’un CDR constate votre épuisement et vous fasse remplacer par un autre. Les uns creusaient tandis que les autres, à l’aide de pelles ou de leurs mains, vidaient cette fosse. Pendant que j’attendais mon tour je me livrai à des réflexions : Après tout ce n’était tout de même pas méchant de nous condamner à un tel ouvrage. Nul n’est censé ignorer la loi, et même je dirais, le code de la route. Et l’infraction permettait d’avoir une main-d’œuvre gratis pour la réalisation de ce labeur révolutionnaire… Pendant que les uns creusaient et que moi je me livrais à mes réflexions, un jeune CDR bien gentil et au teint clair m’aborda : « Comment t’appelles-tu ?Où habites-tu ? Où vas-tu ?, etc.» Je répondis à toutes ses questions, lui expliquant que j’étais élève, originaire de Koumbia, que j’étais en vacances chez mon grand-frère qui était au GCRS, l’équivalent de la CRS d’aujourd’hui. Je répondais tout en espérant qu’il allait me laisser partir. Mais que nenni ! Quand il eut fini, nous nous approchâmes de la fosse. Un adolescent, bien mince, couvert de sueur et de poussière, ahanait sous le lourd poids de la pioche qu’il soulevait péniblement en l’air et laissait retomber sur le sol avec le peu de force qui lui restait. Il estima qu’il avait suffisamment creusé et s’attendait à se faire remplacer ou à voir un autre évacuer la terre, une occasion pour lui de reprendre haleine. Et j’étais le mieux placé, puisque arrivé depuis un long temps et passant mon temps à bavarder avec un CDR. De 78
surcroît, comme lui et moi avions sensiblement le même âge et la même corpulence, il me trouva menaçable et n’hésita pas. « Mais toi tu es là depuis longtemps et tu ne fais rien. Évacue la terre. » Cette intimation d’ordre à mon endroit lui valut des conséquences inattendues. En effet il s’entendit dire : « Ah bon ? C’est toi qui donnes les ordres ici ? Allez, prends la pelle et évacue la terre, puis continue de creuser. Tu ne seras pas remplacé tout de suite », lui dit un CDR. Puis se tournant vers moi, il dit assez fort pour que le malheureux plaignant l’entende : «Petit, repose-toi.» Et au malheureux plaignant de se remettre à la tâche avec le peu d’énergie qui lui restait. Je me mis à une distance respectable, observant le pauvre creuser en attendant mon tour. Le jeune CDR me relança avec ses questions auxquelles je répondais au fur et à mesure. Puis à un moment donné il me dit, à ma grande surprise et à ma grande joie, que je pouvais partir. Je poussai l’outrecuidance de lui demander si je pouvais me laver les pieds et les bras avec l’eau du bassin, et il m’y autorisa sans hésiter. Je me débarrassai de la poussière et repris le chemin de la maison non pas en rebroussant chemin, mais en traversant la cité, en poursuivant mon chemin, toujours en direction de l’ouest. Quand j’arrivai à la maison personne ne put savoir que j’avais été l’ « otage » des CDR de la cité AN III. Je pris mon déjeuner et m’allongeai sur la toile de tente qui me servait de couchette et m’enfonçai dans une longue sieste. Mais avant de m’endormir je me repassai le film de ma mésaventure vécue dans cette cité interdite…
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XI. CDR RACKETTEURS ? Ce jour-là j’accompagnai un cousin du prénom de Lokolo à la gare « X9 » au quartier appelé Larlé. « X9 » c’était le nom de la compagnie de transport en commun, créée par la Révolution. Un des aspects forts du CNR avait été le souci des dirigeant de la Révolution de mettre à la disposition des populations des véhicules de transport en commun qui allaient désenclaver un tant soit peu le pays. Ainsi naquirent « X9 » et « Faso Tours ». Que voyager dans le confort était un rêve pendant la longue période ayant précédé la Révolution…Voyager était simplement un parcours du combattant, du fait de l’inexistence de véhicules adéquats, en bon état et de la défectuosité des routes. De nos jours il y a un luxe à revendre en matière de voyage, qui doit son éclosion à la Révolution. Mais revenons à nos souvenirs… Vers midi je me rendis d’abord chez le cousin au quartier Ouidi, juste du côté sud de la cour du Ouidi-Naba. Mon cousin en question était venu chez son oncle Makan21 pour rendre visite à sa jeune femme Mamou. Celle-ci venait d’arriver à peine de la Côte d’Ivoire qu’elle fut mariée et « déposée » chez mon oncle pour un séjour. Ainsi en était-il dans l’habitude des ressortissants de mon village. L’idéal pour tout nouveau couple était que la femme nouvellement mariée séjourne hors du village, dans la mesure du possible, dans une ville afin qu’elle puisse peut-être y muer rapidement, mais aussi qu’elle puisse y oublier son éventuel désamour pour le mari, au cas où le mariage n’avait pas été libre. Le cas échéant, ce séjour 21
Bonzi Makan Séraphin, après son service passé à la comptabilité de la mairie de Ouagadougou, est devenu en 2007 le premier maire de la commune de Koumbia.
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renforcerait les liens conjugaux, la nouvelle mariée pourrait aussi apprendre les bonnes manières citadines de sa famille d’accueil... À pied, Lokolo et moi, nous allâmes à la gare, d’autant plus qu’il n’habitait pas loin de là. Aux environs de 13 heures l’on procéda à l’appel. Mon cousin monta dans le véhicule et je l’enviais, lui, confortablement installé sur un des sièges luxueux du car (que nous appelions plutôt bus). C’était un véhicule de marque Mercedes, couleur vert olive, semblable à celle de la tenue de campagne des militaires, la tenue de couleur vert olive. D’ailleurs on disait que ce car était un don de l’armée algérienne à notre pays, en signe d’amitié entre nos deux peuples. Donc rien n’était plus étonnant quant à la couleur de ce bus au vu de la qualité du donateur. Il y avait un beau monde ce jour à la gare. Quand le bus, ponctuel, démarra à 13 heures ou à 13 heures 30 minutes, je me retrouvai seul au milieu de cette mer de monde grouillant dans la gare. Je pris le chemin de la maison. Dès la sortie de la gare je traversai la voie bitumée menant à Ouahigouya et me dirigeai vers le sud-ouest, direction : Gounghin. Le soleil brillait de toute sa splendeur et de tout son éclat. Il faisait chaud. Il fallait alors que je me dépêche pour être rapidement à la maison. Ainsi, en quelques minutes je débouchai sur un vaste espace traversé en son côté nord, dans le sens est-ouest, par des rails : le chemin de fer Ouaga-Bobo. Un peu derrière ces rails se dressaient deux grandes constructions métalliques à forme cylindrique. C’était un dépôt d’hydrocarbures. Je pus lire sur ces cuves géantes : Shell. Je trouvai que pour être rapide, plutôt que de redescendre à l’ouest pour croiser la voie bitumée qui va de l’École nationale de police à Kologhnaba (où elle croise la route de Ouahigouya), je gagnerais en temps et en repos en traversant cet espace obliquement. Au lieu de 82
faire un long contour à angle droit, je décidai d’aller tout droit en suivant l’hypoténuse du triangle, lequel triangle que le trajet voulait m’imposer. Notre maître ne nous avait-il pas appris à l’école primaire que la ligne droite est le chemin le plus court d’un endroit à l’autre ? Pourquoi allonger inutilement mon chemin pendant que je pouvais le raccourcir ? Les connaissances ne sont-elles pas faites pour aussi en user en cas de besoin ? Vite. La décision fut prise. Je franchis allègrement les rails. Mais à peine je les ai eu franchis que j’entendis un coup de sifflet strident…Je levai la tête et orientai mon regard du côté du dépôt. Il y avait construit un mur bas en forme de U, le tout couvert à une hauteur d’un mètre quatre-vingt environ d’un toit de fortune. C’était un abri, un hangar de CDR… Je vis l’un d’entre eux qui me faisait des signes énergiques à la main, m’intimant de venir. À ses côtés il y avait un autre et qui, à mon endroit, tournoyait fièrement au-dessus de sa tête un large ceinturon qu’il tenait à la main : le ceinturon des militaires. Mon cœur battait à rompre ma cage thoracique. Tremblotant comme un chevreau surpris et battu par une pluie torrentielle je me dirigeais vers ces gardiens de la Révolution. Arrivé, je les saluai poliment, de mon air de gamin innocent. On me répondit. Puis un des CDR me cria : «Petit, on ne traverse pas ici. » À peine que je voulu articuler que je ne le savais pas, le CDR poursuivit : « Allez, à genoux !». N’ayant pas eu le choix, j’obtempérai aux ordres. Je m’agenouillai. Le sol était couvert de gravillons, chauffés à blanc par un soleil brûlant. Il y avait accroché à un bois du hangar un petit poste de radio dont le haut-parleur chantait un morceau du Congolais Pamelo Mounka, celui-là même qui a chanté le célèbre tube L’argent appelle l’argent. Aimant la musique, malgré mon infortune, je me permis de déguster 83
avec mes oreilles la chanson dont le titre était Mariama. « Mariama, je t’achèterai une villa, au lycée tu iras dans ta voiture, disait le séducteur à Mariama, qui lui répondait : « Vous perdez votre temps monsieur, j’ai déjà choisi de vivre avec ce bonhomme, ainsi va la vie… Petit à petit, l’oiseau fait son nid…» On me posa un chapelet de questions. « Qui es-tu ? D’où viens-tu ? Où vas-tu ? » Je répondis à toutes les questions, essayant d’indiquer là où j’habitais et surtout prenant le soin de dire que je vivais chez mon grand-frère qui était policier au camp de la GCRS tout près. D’une manière impitoyable le soleil me cuisinait. Pendant que je peinais, je vis bientôt une jeune fille portant un bébé au dos traverser allègrement les rails. Je me mis à imaginer la désagréable surprise qui l’attendait. Mais à ma grande déception la fille fut bien accueillie. Une conversation s’engagea entre elle et les gardiens des lieux. « Donc quand c’est les garçons on les met à genoux… », me suis-je mis à penser. Pendant que les CDR causaient avec la fille je me mis à observer leur abri. Dans le creux du mur en U était posée une table en bois. Sur la table, des armes, mais je ne sais plus si c’étaient des kalachnikovs ou des PMC (des Pistolets mitrailleurs chinois, oui, les Chinois qui ont fait la Révolution chez eux aussi, aimaient notre pays et lui avaient offert des armes pendant notre Révolution). Mes genoux commencèrent à me faire mal. Je me posais des questions sur mon sort. Pendant combien de temps serai-je retenu ? Moi, gamin que j’étais, que pouvais-je faire comme mal à la puissante Révolution pour mériter d’être agenouillé si longtemps ? Le bon sens ne permettait-il pas à ces messieurs de distinguer les innocents des malfaiteurs ? Ces CDR sont-ils au sérieux quand ils me 84
soupçonnent d’une capacité de nuisance au régime en place ? J’étais plongé dans mes réflexions quand tout à coup j’en fus tiré par des coups de sifflet venant d’un des CDR. Je tournais la tête et me rendis compte que la zone venait d’être violée par un pauvre innocent. C’était cette fois-ci un adulte. Mais lui aussi ne savait pas qu’il était en infraction. Il continuait son chemin comme si de rien n’était. Les coups de sifflet redoublèrent. Rien. Le sifflet fut abandonné. Les CDR firent recours à leurs bouches. Toutes se mirent à héler le monsieur : « Hé ! Hé ! Vous là ! Hé !... » Mais toujours rien. Le monsieur était visiblement pressé, pressé d’aller essayer de résoudre quelques-uns des multiples problèmes qui assaillent les gens dans les grandes villes. À le voir, on aurait dit que plus les CDR criaient plus cela accélérait son allure, car bientôt il était au bout d’un carré et bifurqua à gauche, dans un six mètres, en direction du nord. Cela courrouça les CDR. Alors ils se levèrent d’un bloc, deux ou trois, je ne sais plus, je sais seulement qu’un seul était resté avec moi sans doute dans le souci de ne pas me laisser prendre la poudre d’escampette. Les deux ou trois CDR se mirent à courir aussi vite que le permettaient leurs jambes, à l’assaut du pauvre. Quelques minutes plus tard ils revinrent, toujours au pas de course… L’un d’eux était chargé d’un colis : le malheureux homme qui venait de violer à son insu la zone interdite. En effet un des CDR portait sur son épaule droite l’infortuné, voilà de quelle manière : il avait la tête qui pendait sur le dos de son porteur, son ventre était sur l’épaule et ses deux jambes étaient solidement tenues à l’avant par les deux mains du porteur. C’est donc plié en deux parties, pendant de part et d’autre sur l’épaule d’un de ses bourreaux, que le monsieur arriva au QG des CDR. Juste à côté du hangar, le porteur, toujours serrant bien les jambes de l’innocent, - car c’était un innocent-, 85
s’accroupit puis se redressa vigoureusement comme mu par un puissant ressort. Dans son brusque mouvement de redressement il poussa au maximum vers le haut les jambes du malheureux avant de les lâcher. Le monsieur vola dans le vide et alla atterrir comme un tronc d’arbre dont on s’est débarrassé après avoir souffert sous son poids sur une longue distance. Il tomba dans un bruit indescriptible, poussa un gémissement sourd et se mit à se tordre dans tous les sens. Pendant qu’il se demandait ce qui lui était arrivé, l’un des CDR lui cria : « À genoux ! » Tant bien que mal il réussit à adopter la posture à lui commandée. Mais ses gémissements se poursuivaient de plus belle. Sans doute le monsieur devait avoir une constitution solide. Sinon je le voyais déjà à demi mort avant son atterrissage sur le sol dur… Pendant que je m’apitoyais de tout mon cœur sur le sort du malheureux, pendant qu’à peine il venait de réussir à se mettre à genoux, les CDR se mirent à lui adresser des mots en moore, langue que je ne comprenais pas (et que je ne comprends toujours pas). Je le vis sortir de la poche de son boubou court et sale des papiers dont une carte jaune. Les échanges se poursuivirent entre lui et un des CDR qui, à un moment donné, dit : « Chef, il dit qu’il n’a que 800 F. ― Ok. Qu’il les donne ! » Le pauvre fouilla minutieusement ses poches desquelles il ne retira rien que des pièces d’argent dont la plupart étaient de couleur jaune, en somme, de la petite monnaie, qu’il remit au CDR. Sur ces entrefaites on le « libéra ». Mais il eut du mal à se redresser. Il geignait toujours. Quand il put tenir sur ses deux jambes, c’est péniblement qu’il reprit sa route. Quand il eut fait quelques pas, un des CDR s’adressa à moi en ses termes : « Petit, tu as vu ce qu’on a fait à l’homme-là ? ― Oui, lui répondis-je. 86
― La prochaine fois on te fera subir le même sort. Allez ! Lève-toi et va-t’en. » Je me levai, adressai un merci aux CDR et rentrai à la maison. Jamais je ne racontai cette mésaventure à mon frère Panka ni à sa femme. Je passai l’après-midi à me demander : « Est-ce un comportement digne de CDR ? Est-ce comme cela que la Révolution a dit de travailler ? J’aime la Révolution mais pas ces manières de faire de ses gardiens. Pourquoi malmener un pauvre innocent qui ne faisait que passer son chemin ? Qu’est-ce qui indique que cette zone est interdite ? Pourquoi est-elle ouverte aux jeunes filles ? Quelle capacité de nuisance un adolescent de mon âge pouvait avoir à l’encontre de la Révolution ? » Puis le sommeil me prit… Un autre jour je me rendais chez mon oncle Makan, celui chez qui avait résidé le cousin que j’avais accompagné à la gare « X9 ». J’avais encore fraîche dans ma mémoire ma mésaventure de mon retour de la gare après le départ de mon cousin Lokolo. Mais je ne pouvais trouver un autre chemin plus court que de passer dans les parages du dépôt Shell. Néanmoins je savais désormais par où ne plus mettre les pieds. Je pris de ce fait le soin de suivre la voie bitumée longeant l’École de police jusqu'à la limite des premières habitations après les rails, puis j’obliquai vers ma droite vers l’est. De la sorte, je marchais parallèlement au chemin de fer. Mais avant même d’avoir bifurqué, j’avais remarqué depuis la voie bitumée que deux jeunes gens devisaient tranquillement en cheminant… sur la zone interdite. Eux aussi se dirigeaient vers l’est, vers les cuves d’hydrocarbures... Je me permis d’imaginer le sort qui les attendait. Je modérai mon allure afin de pouvoir observer le traitement qui allait être réservé à ces gens sans soucis. Quand les deux compères arrivèrent au niveau du hangar, un CDR se leva et braqua une arme de guerre sur eux. Ce devait être un kalachnikov. Les deux marcheurs 87
s’immobilisèrent sur-le-champ ! Il y eut à peine un dialogue entre eux et les CDR. Puis ils firent orientés par le canon menaçant de l’arme derrière le hangar. Je m’attendais à les voir subir le même sort que j’avais connu quelques jours plus tôt. Mais au lieu de les faire s’agenouiller, les CDR leur imposèrent des pompes militaires… Je poursuivis mon chemin, tournai bientôt à gauche, en suivant le « six-mètres » emprunté par le vieux qui n’avait pas mérité d’être dépouillé par les CDR. Je ne sus comment l’histoire se termina entre les deux jeunes et les CDR.
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XII.
RDP AN III
1. « Le choc des stars » La date anniversaire de la Révolution approchait à grands pas. Au nombre des manifestations il y avait un concert géant, un concert du genre que le Burkina n’avait jamais connu. La publicité faisait écho de ce que les organisateurs avaient appelé le Choc des stars. Pour un choc de stars c’en était vraiment un, car le concert allait regrouper dix vedettes de la chanson féminine africaine. Ces stars venaient de pays différents. Il y avait : Tem’s Timbale Ouédraogo, « l’étoile montante de la musique burkinabè », la Malienne Nahawa Doumbia, Genshi Ever, une Béninoise, Mamie Claudia, une Congolaise, Nayanka Bell de la Côte d’Ivoire, M’Pongo Love, « la voie la plus limpide du Zaïre » et Tshala Muana « La Reine aux reins de roseaux » (elle aussi du Zaïre, redevenu République démocratique du Congo), Julia Young du Cameroun, auxquelles il faut ajouter : Asabia Crouper du Ghana avec son high-life comme rythme, et enfin Celia Johnson du Togo. La publicité montrait une tranche de quelques secondes de chaque vedette. Tem’s ressemblait à une blanche. On la disait métisse (ou mulâtre selon le terme consacré). Elle n’avait pas de morceau à elle mais interprétait ou jouait en play-back un célèbre titre de Nayanka Bell, « Chokologo » ça s’appelait. Il faut dire que j’ai eu de la peine à me faire convaincre par des amis lycéens de Bobo quand je leur dis que ce beau titre était de notre Tem’s « nationale » et eux me répliquèrent que c’était de Nayanka Bell. À l’époque je 89
ne pouvais pas savoir qu’il y a ce qu’on appelle le playback… Parmi les artistes invitées les plus connues pour moi étaient Nayanka Bell dont j’ai fait la connaissance à travers son morceau Iwassado et surtout Tshala Muana qui a défrayé la chronique au début des années quatre-vingt non seulement avec deux titres choc de son premier album (Tshébélé et Amina) mais surtout avec la singulière manière de danser son rythme à elle, le mutuashi. Bien habillée avec une longue jupe, mais jupe fendue jusqu’à la terminaison de la cuisse (gauche ou droite je ne sais plus) elle savait danser. À la voir à l’œuvre elle n’a fait que mériter son surnom de Reine aux reins de roseaux tant son corps paraissait ne pas comporter d’os… Plus d’une fois nous eûmes l’occasion de voir les clips vidéo que l’économe de notre CEG projetait, ayant fait de la projection de films à travers les villages une activité lucrative pour sans doute pouvoir joindre les deux bouts … Mais je la connaissais aussi grâce à un morceau qu’elle avait interprété et qui louait, glorifiait la Révolution. C’était une interprétation au rythme bien cadencé de chez nous, précisément du terroir moaga22. D’ailleurs il était chanté en moore23 et en français. Entre autres phrases musicales il y avait : « Vive la révolution, vive la révolution ! Longue vie au peuple, longue vie au peuple. » Comment Tshala Muana, depuis son lointain Zaïre, avait-elle aimé notre pays à tel point de lui chanter sa révolution dans sa langue la plus répandue ? Ma curiosité m’apprit que cette composition était l’œuvre d’un célèbre musicien burkinabè, Georges Ouédraogo surnommé le Gandaogo c’est-à-dire le chef. Il semble qu’il y avait un 22 Moaga est l’adjectif pour désigner le territoire des Mossi, ethnie dominante de la soixantaine que compte le Burkina Faso. 23 Moore : c’est la langue des Mossi.
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projet de mariage entre Tshala Muana et un de nos compatriotes, organisateur de show biz, un impresario en fait : Ram Ouédraogo24. Georges n’avait fait que composer un morceau pour son pays, dans la langue maternelle, et la femme de son « frère » n’avait plus qu’à le chanter. Le concert était prévu pour début août, en tout cas avant le 4, jour anniversaire de la RDP. Plus je suivais la publicité plus j’avais hâte et envie de voir ces chanteuses. Mais voilà qu’un jour mon grand-frère me dit que j’irais au village en fin juillet car le « vieux », c’est-à-dire mon papa, insistait pour que j’y revienne pour raisons de travaux champêtres. Je protestai, lui disant que je voulais assister au concert. Il ne marqua aucune opposition. Le jour tant attendu vint. Mon frère était en mission, où je ne sais. Je l’attendis mais jusqu'à seize heures il ne vint pas. D’ailleurs il ne viendra pas ce jour. Mais j’avais déjà échafaudé mon plan. Qu’il vienne ou pas j’irai au concert. Par tous les moyens. Et les moyens j’en avais. En effet pendant mon laps de temps passé à Ouaga je devins le trésorier de mon frère. Après chaque descente d’un poste de contrôle il me remettait une somme à garder en lieu sûr. Ne sachant pas que la vie à Ouaga était « dure », un jour je vis un joli t-shirt jaune, avec artistiquement imprimé au dos le nombre 75. Je marchandai et le vendeur s’arrêta à mille francs net. Sans hésiter je vins soustraire les mille francs dans les économies du frère, m’achetai le t-shirt avant de lui en faire un compte rendu. Je fus surpris de sa réaction, car contrairement à mon attente, il me réprimanda, moi qui croyais que tout ce qui appartenait à mon frère m’appartenait aussi. J’aurais dû le prévenir ou l’en 24
Ram Ouédraogo est devenu par la suite un homme politique bien connu au Burkina. Il a été candidat à la présidentielle de 1998.
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informer auparavant. Je lui promis de ne plus recommencer. Mais voilà que l’heure du concert arrivait à grands pas et lui n’était pas là, lui qui avait marqué son accord pour que j’aille audit concert. C’est d’ailleurs ce qui avait prolongé mon séjour à Ouaga pendant que notre papa s’impatientait de me voir voler à sa rescousse dans son champ envahi par d’insolentes herbes rebelles. Comme il avait marqué son accord je conclus qu’en prélevant dans ses économies juste le prix de deux tickets il n’allait pas se mettre en colère, étant donné que le deuxième ticket allait être remis à sa femme. J’avais convaincu cette dernière avec mes arguments. Je réussis plus facilement à le faire d’autant plus qu’elle-même avait aussi envie d’assister au méga concert. Mais je n’étais pas au bout de mes inquiétudes car dans l’après-midi une abondante pluie commença par arroser Ouagadougou. Si elle ne cessait pas le concert allait être reporté. Heureusement vers dix-sept heures il cessa de pleuvoir. Nous attendîmes jusqu'à dix-sept heures, puis dix-huit heures dans l’espoir de voir mon frère revenir pour nous autoriser à aller au concert. Hammou, un de ses collègues, originaire de notre village et voisin de quartier, en compagnie de Wamoumou sa femme, vint nous trouver et nous dit qu’ils étaient en route pour le stade. Quinze ou trente minutes plus tard, mon frère ne venant toujours pas, sur mon ordre sa femme et moi, nous prîmes le chemin du stade du 4-Août. J’étais impatient car la musique parvenait à mes oreilles. Nous marchâmes à grandes enjambées. Quelques instants plus tard nous parvînmes au stade. Il y avait une longue file composée de tous ceux qui voulaient être du spectacle. Quand je pus obtenir nos deux tickets une autre lutte nous attendait. Je crois que nous devions entrer à la 92
porte 6 ou 8. Mais quand nous y arrivâmes, un des hommes en tenue qui y assuraient la sécurité nous dit d’aller à la porte suivante. Mais là-bas aussi, même scénario. Nous fîmes ainsi plusieurs portes pendant que le temps s’égrenait. Finalement nous pûmes accéder à l’intérieur du stade. Mais quelle ne fut ma surprise. Le stade était plein. Nous reçûmes néanmoins à nous insérer, carrément vers le haut. Pire nous étions vers un virage c’est-à-dire à une des deux parties courbes du stade (c’était le côté nord). C’est dire que nous étions bien loin du podium placé en face de la tribune officielle, là où s’asseyent les autorités et invités de marque. Je voyais au loin les musiciens s’activer. Le concert proprement dit commença en notre présence. Une des vedettes dit que c'est grâce à leurs prières que la pluie qui avait inquiété plus d’une personne, avait cessé. J’eus envie ce jour d’avoir des jumelles pour mieux voir. À tour de rôle les artistes passaient une à une. Il y avait une artiste, Mamie Claudia, dont l’accoutrement, des jambes aux hanches, ressemblait à celui d’un masque. Mamie Claudia eut la gentillesse de s’éloigner du podium, et d’entamer un demi-tour de la piste d’endurance du stade. Elle nous donna ainsi l’occasion de la voir d’un peu plus près… Ce jour, je ne sais plus si j’avais ingurgité une bonne dose d’eau. Mais toujours est-il qu’à peine trente minutes après le début du concert ma vessie était pleine. Je fus pris par une irrésistible envie de me soulager. Je frayai un chemin dans la foule, allai aux toilettes et revins. La même durée plus tard l’envie me pressa de me soulager de nouveau. Mais cette fois-ci en plus de ce que mon corps avait de liquide à expulser il y avait aussi du solide… Dans les toilettes je me mis à l’aise. Mais quand j’eus fini je me rendis comte que je manquais du nécessaire pour me rendre sain : pas le moindre papier hygiénique, encore moins la très répandue et populaire bouilloire à côté… Je 93
me débrouillai néanmoins à ma façon, en tirant la chasse d’eau et en recueillant la quantité que la main gauche pouvait contenir, en portant cette eau à l’endroit de mon anatomie quelle devait nettoyer. Je recommençai l’opération plusieurs fois, jusqu’à satisfaction et rejoignis ma place où je suis sûr de n’avoir embaumé personne… Quand Tshala Muana apparut j’étais plus qu’ému de la voir en chair, en os et en vie, même si c’était de loin. Elle était vêtue d’un habillement hyperbrillant à tel point qu’il m’était impossible de savoir si elle marchait, se trémoussait, ou dansait au rythme endiablé de sa musique. Elle interpréta un morceau qu’elle dit avoir été composé par sa sœur M’Pongo Love. Quand celle-ci sortit sur le podium je ne pus pratiquement rien voir de distinct. M’Pongo Love était handicapée moteur des deux jambes. C’est après le concert que la femme de mon frère m’expliqua qu’elle s’était accrochée à quoi je ne sais pour ne pas rester sur son fauteuil roulant… mais en avais-je besoin ? Moi qui avais fait retarder mon retour au village à cause de ce concert. Sans doute le PF était de la partie. Mais je ne le sus qu’après à travers les journaux. Il y avait entre autres mon journal préféré, l’Intrus où l’on tirait à boulets rouges sur les autorités. Il y avait aussi Yirmoaga, un héros d’une bande dessinée… Quand toutes les vedettes passèrent chacune à leur tour, elles se retrouvèrent toutes sur le podium pour le morceau d’au revoir. Au même moment le stade commença à se vider à un rythme digne d’un marathon de caméléon. Quand j’eus accès à l’extérieur du stade je fus surpris de constater que son esplanade était noire de monde : une véritable marée humaine. Un peu au loin, aux abords de la route principale qui longe le stade, surtout du côté sud, il y avait des centaines de voitures. Quant aux engins à deux roues on eut dit que toutes les motos et tous 94
les cyclomoteurs de Ouaga y avaient été rassemblés. Je pus néanmoins me frayer un chemin dans tout ce mélange, et à retrouver l’itinéraire menant à la maison. Quant à Kassaiyidou, la femme de mon grand-frère, elle me devança. En effet, alors que nous étions prêts d’arriver à l’extérieur du stade, nous rencontrâmes une de nos connaissances qui se proposa de la ramener à notre domicile. Je passai une très bonne nuit, satisfait d’avoir été présent à un concert du genre (celui-ci ayant d’ailleurs été le premier du genre dans l’histoire de notre pays). Le lendemain matin, quand mon grand-frère rentra de sa mission, je lui fis part de mon forfait et il ne trouva pas à redire, d’autant plus que c’est ce concert qui avait été la cause du report de mon retour au village. 2. Les mouvements d’ensemble La célébration du troisième anniversaire de la RDP avait donné lieu aussi à un autre spectacle très grandiose : les mouvements d’ensemble savamment et patiemment préparés par des Coréens, m’avait-on dit. J’eus un jour l’occasion de voir comment ils s’exécutaient. Là encore les acteurs étaient des enfants. Assis sur les tribunes chacun avait un petit cahier. De la musique était jouée. Puis les enfants, - ils étaient des centaines-, recevaient par moments des consignes : « Ouvrez vos cahiers à la page x.» Et quand ils s’exécutaient, les spectateurs en face voyaient une gigantesque feuille ou un géant panneau rempli d’une image ou d’un slogan révolutionnaire. Le jour où j’assistai pour la première fois à ce spectacle je ne pus m’empêcher de louer l’intelligence humaine : c’était pendant une séance de préparation où des centaines d’enfants, assis sur des rangées, peut-être une 95
quarantaine, formaient un grand rectangle, chacun muni d’un cahier portant un minuscule morceau de l’image ou du slogan qui allait bientôt s’afficher…Je dois cette occasion à Nazouko, un cousin qui s’était fait enrôlé dans l’armée juste pour accompli son Service national populaire (en abrégé SERNAPO à ses débuts, puis SNP par la suite). Un jour il m’emmena au stade où je pus le voir, en compagnie d’un grand nombre de ses camarades, s’entraîner eux aussi pour une figure à démontrer pendant les festivités du 4-Août. J’en ferai mention plus loin. Un après-midi de début août, le stade était plein de monde. Il y eut les mouvements d’ensemble décrits plus haut. Entre autres images et slogans retenus il y avait : le portait du PF, ce slogan Oser lutter, savoir vaincre, etc. Les démonstrations étaient accueillies par des tonnerres d’applaudissements. Sur la pelouse, il y avait aussi des majorettes, ces jeunes filles superbement habillées et qui formait par moment de jolies figures en exécutant à la perfection les consignes données par une voix dont on ne voyait jamais le porteur… Par moments aussi des garçons, après une petite course, obéissant à des consignes, s’asseyaient ou se courbaient en s’alignant de sorte à former de jolies figures ou à écrire des slogans révolutionnaires. Il y eut aussi cette démonstration servie par les appelés du Service national populaire. Coiffés de leur casquette de recrue, ils étaient habillés dans leur tenue de campagne, la tenue vert olive et chaussés de pataugas25, ces chaussures militaires en toile. Chacun était armé d’un fusil de la veille de la Seconde Guerre mondiale, un fusil appelé Mass 36 (de l’année de son invention, m’avait-on 25
Selon Wikipédia, la pataugas est une chaussure créée le 24 août 1950 par René Elissabide, un industriel de Mauléon, village de la province de la Soule (France).À partir du brodequin, l'inventeur vulcanisa une épaisse semelle crantée obtenue avec de la pâte de caoutchouc chauffée à l'aide d'un réchaud à gaz, d'où le nom de « pataugas ».
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dit). Ils évoluaient harmonieusement, rampaient, se levaient et se livraient à bien d’autres mouvements. Puis à un moment donné, ils se levèrent, orientèrent leurs fusils dans la même direction, et pan ! D’un même coup ces fusils, préalablement chargés de balles à blanc, crachèrent leur contenu ! Il y eut de la fumée en l’air. On sentit un petit remous dans la foule située du côté où avaient été orientés les « tirs »…
3. Le défilé À Ouagadougou, tôt le matin du 4 août 1986, jour de la Fête nationale, une foule compacte provenant de plusieurs directions, convergeait vers un seul lieu : l’avenue de la République26. Je ne voulais en aucun cas manquer cette belle occasion de suivre la cérémonie commémorative des trois années de la Révolution. Je ne savais pas quelle voie menait à la place de cet évènement, mais il m’a suffi de suivre le mouvement de la foule, tel une feuille emportée par un courant d’eau. Tout le monde était pressé. Les plus rapides et plus forts bousculaient les moins rapides et les moins forts pour sans doute occuper les premières places afin de mieux savourer le défilé. Dans ma hâte, le corps d’adolescent que portaient mes jeunes jambes était au moins plus leste et plus vigoureux que celui d’autres personnes. On était sur 26
La Fête nationale (ou fête de l’indépendance) du Burkina est commémorée chaque 5 août, mais célébrée le 11 décembre, date de la proclamation de la République de notre pays (appelé alors HauteVolta). Mais sous la Révolution il fut décidé que le 4 août serait le jour de la Fête nationale, cette révolution symbolisant la véritable indépendance du Burkina. Toutefois après la fin de la Révolution, la célébration du 4-Août disparut pour faire place au 5-Août et au 11Décembre.
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l’avenue Yennenga27, la principale voie qui, venant de Bobo traverse Ouaga en passant par Gounghin, le CBC (le Comptoir burkinabè des chargeurs, là même où la femme de Sankara travaillait) et son rond-point de la Bataille du rail, le rond-point du 2-Octobre jusqu'à la place des Nations unies. De cette place, la large avenue menant tout droit à l’est sur la Présidence (devenue Premier ministère après l’occupation du nouveau bâtiment abritant la présidence « Kossyam » par le chef de l’État) devait être le lieu du gigantesque défilé… Dans ma hâte, ne voulant pas être des derniers, je bousculai par mégarde une vieille et courte femme affaiblie par le poids de l’âge mais qui se rendait aussi sans doute au défilé. La vieille femme se mit alors à bougonner, à m’attribuer tous les qualificatifs possibles que méritent les « bousculeurs » de vieux et de vieilles. Je ne comprenais pas le moore, alors ça ne me faisait pas tellement mal. Néanmoins je pus capter un bazaaga, qui, m’avait-on dit, signifie « chien » dans cette langue… L’avais-je donc bousculée comme si j’étais un chien ? Mais ce jour, qui n’avait pas bousculé quelqu’un ? Je ne dis rien, même pas le moindre mot pour m’excuser auprès de la vieille femme. Mais au fond de moi je le fis quand même, prenant Dieu à témoin, qui savait que mon acte n’était pas délibéré, qu’il était indépendant de ma volonté. Bientôt j’arrivai au lieu du défilé. Mais à ma grande surprise j’y trouvai une véritable marée humaine. Que la foule était dense ! Moi qui croyais y arriver tôt afin de bien me positionner… Les deux côtés de l’avenue grouillaient de monde ! Je me mis du côté sud de l’avenue. Sur les caïlcédrats, sur les géants panneaux publicitaires bordant l’avenue, 27 Yennenga est une amazone, que l’histoire retient comme étant la mère de Ouédraogo, fondateur du premier royaume moaga (royaume des Mossi).
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s’étaient hissés de jeunes et courageuses gens pour mieux jouir du spectacle. Je réussis tant bien que mal à m’approcher des spectateurs de l’avant-garde. À côté de moi était arrêté un vieil homme dont la face était rongée par un mal mystérieux, un mal dont les symptômes ressemblent à ce qu’on appelle noma. Ce mal l’avait rongé à tel point que sa joue gauche laissait voir ses molaires un trou circulaire. Par cette ouverture, de la salive s’écoulait régulièrement, que le vieil homme épongeait avec un semblant de mouchoir. J’eus pitié de lui… La vieille femme que par mégarde j’avais bousculée, le vieil homme à la joue trouée, tout cela me fit dire que tout le monde voulait voir la fête de la RDP. Bientôt des véhicules, venant du côté du rond-point des Nations unies passèrent en direction de la Présidence. Entre-temps je sentis une fébrilité au sein de la foule. Un véhicule militaire, un VLRA28 aux roues cerclées de blanc fit son apparition. À bord, je crus voir le PF en tenue militaire, avec son béret impeccablement vissé sur la tête. Il y avait avec lui d’autres militaires, peut-être les autres camarades, pères fondateurs de la Révolution : Blaise Compaoré, Jean-Baptiste Boukari Lingani et Henri Zongo. Je ne sus pas où ils s’installèrent. J’étais bien loin de la tribune officielle, du côté ouest, sur le même alignement que les autorités. Il y eut des discours que ma position lointaine ne me permit pas de suivre, ce qui allongea pour moi le début du défilé. Puis l’heure tant attendue arriva. Le défilé commença : il fut ouvert par les tout petits, les enfants du 28
VLRA est une siglaison de Véhicule léger de reconnaissance et d'appui. Le VLRA est un véhicule multifonctionnel de l’armée, mais plus connu chez nous pour le transport des troupes ou d’équipement.
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préscolaire. Je m’enthousiasmai de voir des enfants de moins de six ans défiler sans être perturbés visiblement par cette foule aussi dense… Il est évident qu’ils ne purent pas marcher au pas. Il y eut aussi les élèves, les grands, il y eut les femmes aussi. Je remarquai l’une d’elle qui ne savait pas marcher au pas car chacun de ses pieds mis en avant était accompagné par le bras du même côté, ce qui est le contraire de la marche naturelle ou cadencée de l’Homme… Par groupes, tout ce beau monde bien entraîné passait. Je m’émerveillai de constater que la fanfare militaire n’était jouée que par des enfants, les pionniers. J’étais donc plus âgé que ces bambins. L’enfant était une priorité pour la Révolution ! Quand les hommes en tenue firent leur apparition, que le spectacle était encore plus beau : ils martelaient le sol de leurs pieds chaussés de rangers, ces chaussures militaires. Ils passaient, l’air grave. Les militaires d’un groupe portaient chacun un fusil de guerre, un kalachnikov au bout duquel était monté un couteau militaire. Ce couteau s’appelle baïonnette d’après ce que mon papa eut à m’expliquer un jour, lui-même étant un ancien combattant de la guerre d’Algérie. Et, selon notre professeur de français de la classe de sixième, M. Ariste, quand ce couteau est monté sur un fusil, l’ensemble s’appelle « baïonnette au canon », et cela sert au combat en corps-à-corps quand les ennemis sont à court de munitions. Ces militaires portaient leurs armes obliquement sur leur poitrine. Puis à un signal donné ils poussèrent un cri tout en pointant devant eux chacun son arme comme s’ils s’apprêtaient, selon ce que le professeur nous avait expliqué, à livrer à l’ennemi un corps-à-corps, ce combat auxquels les guerriers s’adonneraient quand par hasard ils étaient en rupture de munitions… 100
Une des images fortes que j’ai retenues de ce défilé c’était ce groupe de gendarmes vêtus de leur nouvelle tenue léopard aux tâches menues, et chaussés de rangers aux semelles cloutées de boules métalliques. À leur passage ces chaussures émettaient un bruit métallique qui cadençait bien cette marche. Ces gendarmes furent littéralement acclamés par la foule, pour leur pas cadencé impeccable. Je me suis alors souvenu du fait que Nanwè, mon père, était revenu de sa carrière militaire avec plusieurs paires de chaussures de sa profession, au nombre desquelles une dont les gendarmes portaient les pareilles. Il m’avait dit que ces chaussures s’appellent des brodequins, et que lors d’une bagarre en ville, entre un groupe de militaires dont il faisait partie, et des civils, ils avaient usé de ces fameux brodequins ayant des bouts en forme de bouclier antichoc. Un bon coup sur le tibia et l’ennemi, pardon, l’adversaire est mis hors d’état de combattre… Il y eut de nombreux groupes. Le défilé dura plus de deux heures. Après les marcheurs, place fut faite aux engins motorisés. Si ma mémoire m’est fidèle, ce sont des enfants, encore des pionniers, qui ont ouvert ce défilé mécanique. Ces enfants chevauchaient de grosses motos, les motos d’escorte, oui !, ces motos souvent chevauchées par les gendarmes ou les policiers pour escorter les autorités. Ces enfants, en colonne par deux, passaient à une faible vitesse et je ne fus pas le seul à m’en émerveiller. Quand ils finirent de passer devant moi, à une cinquantaine de mètres plus loin, un enfant déséquilibré par je ne sais quoi, perdit le contrôle de son engin et se retrouva à terre. Rapidement des hommes volèrent à son secours, puis le défilé se poursuivit. On assista au passage de véhicules militaires : des camions, des automitrailleuses, etc. 101
Je revois aussi ces camions porte-chars sur lesquels il y avait des pieds de mil, de maïs dans des pots, un gros porc, des volailles dans des cages, et toutes ces autres choses symbolisant la paysannerie, moteur de développement de notre pays. Lors du défilé, des avions de chasse passaient et repassaient au-dessus de nos têtes, dans le sens est- ouest. Si l’on pouvait suivre l’évolution de ces avions militaires il y avait cependant un autre, surprenant par sa vitesse. À un moment donné, un bruit de tonnerre me fit fléchir. Juste une ou deux secondes. Le temps de me redresser et de comprendre, l’avion supersonique, qui volait à basse altitude et qui était la cause de ce tonnerre, était déjà vers l’horizon, à l’ouest de la ville. Bien que je fusse venu de la « brousse » je ne me complexai pas car je constatai que je n’avais pas été le seul à avoir été victime de ce grondement aérien. Par la suite, je sus que cet avion était un Mig… Je fus vraiment comblé par tout ce que je venais de vivre. Je me voyais déjà de retour au village en train de raconter à mes camarades toutes ces choses merveilleuses et parfois incroyables que j’avais vécues à Ouagadougou, surtout les acrobaties aériennes que j’avais pu observer depuis un certain temps dans la ville et qui allaient nous être servies encore le soir du 4 août en gros plan au stade… 4. Sankara donne un carton rouge à Blaise. L’après-midi du troisième anniversaire de la RDP, après le défilé dans la matinée, les manifestations se poursuivirent au stade du 4-Août. Certaines démonstrations du soir avaient été préparées depuis de longues dates. 102
Je me rappelle cet avion que je prenais plaisir à observer dans le ciel de Ouagadougou se livrer à de terribles acrobaties. Mais laissez-moi vous raconter ce que je ressentis quand je le vis pour la première fois. C’était un matin. Arrêté à la porte sur les ruines de ce qui ressemblait à une crèche, j’entendis non loin de moi le vrombissement d’un avion. Je pris le soin de regarder aux alentours pour m’assurer que personne ne m’observait avant de lever le regard sur l’avion. Mais pourquoi ? Quelques années plus tôt, en 1982 quand mon père m’emmena à Bobo pour que j’y subisse les épreuves du Prytanée militaire du Kadiogo (PMK), un après-midi nous nous rendions au terrain (c’était au quartier nommé Bolomakoté), à environ deux kilomètres de l’aéroport. Il y eut un vrombissement dans le ciel : c’était un gros porteur que j’aurais eu plaisir à observer si seulement celui qui nous accompagnait, Drissa, un des fils de notre directeur d’école, qui fréquentait un lycée et connaissant Bobo depuis assez longtemps, ne nous avait pas dit qu’on vous traite de gaoua (c’est-à-dire de broussard) quand on vous surprend le nez en l’air en train d’admirer un oiseau métallique… Je n’avais jamais vu de près un avion. La seule occasion qui s’était présentée était d’avoir vu un hélicoptère à Sindo (dans le nord du Kénédougou) quand j’étais au front avec mon père lors de la première guerre qui avait opposé le Mali à la Haute-Volta entre 1974 et 1978. Même quand on se sent gaoua on n’aimerait pas qu’on vous le dise. Je n’eus donc pas le loisir de satisfaire ma curiosité ce jour à Bobo. À Ouaga il n’était pas non plus question de me faire traiter de gaoua… Aux alentours il n’y avait personne pour me voir et me traiter de la sorte. Et puis, qui me connaissait dans ce quartier ? Tant pis !, j’observerais bien cet avion. Je levai les yeux, je le vis avancer, puis brusquement, mon souffle se coupa ! Car je vis l’avion qui se mit à tomber, à tomber !... Mon cœur sauta dans ma 103
poitrine. J’allais être un des témoins privilégiés d’un triste évènement : le crash, l’écrasement d’un avion sur la ville de Ouagadougou. Mais heureusement non, car à une bonne distance du sol, l’avion remit brusquement son nez en l’air, reprit son altitude. Un peu plus loin, même scénario. Mais cette fois-ci en tombant il se mit à faire des vrilles, c’est-à-dire à tourner sur lui-même. En remontant, en allant horizontalement l’avion, par moments, se livrait à ces acrobaties périlleuses. Il faisait des loopings, des tonneaux et quoi encore !, je ne sais… Mais comment le pilote se débrouillait-il pour tenir le coup ? Depuis ce jour, chaque fois que mes yeux avaient l’occasion de rencontrer cet avion dans le ciel je me donnais à satiété à l’admiration de ces prouesses dignes de la fiction pour moi. Et le soir du 4 août j’allais être servi de près… En effet, dans l’après-midi du 4 août, un match se déroula dans l’enceinte du stade portant le même nom. L’équipe gouvernementale, qui comprenait au moins deux femmes devait affronter une autre équipe. Le PF était là. Et l’arbitre c’était lui ! Il était habillé en tenue militaire. Le public rit beaucoup ce jour… Blaise (l’inséparable compagnon d’armes du PF et numéro 2 du régime) écopa même d’un carton rouge pour une faute commise. Mais était-elle si grave ? N’étant pas un féru du football je ne pus apprécier…D’ailleurs, il n’y avait pas que le match à suivre. En effet, pendant que les footballeurs se disputaient une éventuelle victoire, « l’avion acrobate » évoqué cidessus ne cessait de survoler le stade. Par moments on eut cru qu’il allait s’écraser au sol tant il s’en approchait. Puis au moment où bon nombre retenait son souffle, il remontait après une virée spectaculaire : il faisait des vrilles, des loopings et que sais-je encore. Je ne retins rien du score de ce match. Ce que par contre je ne peux oublier, c’est le match lui-même arbitré par le PF et le 104
carton rouge donné à Blaise. Les manifestations de la RDP AN III furent vraiment de taille. La Révolution devait être bien lancée… Les festivités de la Révolution, j’en ai vécu et gardé des souvenirs. Quelques jours après les solennités commémoratives du troisième anniversaire de la Révolution, mon grand-frère m’emmena au poste de police, à la sortie ouest de Ouagadougou, juste après le pont du barrage de Boulmigou, où il me fit embarquer (gratuitement, à l’habitude de certains hommes portant tenue de l’époque) dans la cabine d’un camion-citerne faisant partie d’un convoi d’une lenteur à vous faire dégoûter les voyages…Nous quittâmes Ouaga vers 11 heures et je foulai le sol de mon village natal vers 18 heures, soit plus de sept heures de route pour moins de trois cents kilomètres de bitume. Les vieux camions-citernes étaient hyperlents et avaient marqué quelques longs arrêts. Le lendemain de mon retour au village je me rendis au champ de mon père et pus constater qu’il était envahi par de hautes et insolentes herbes. Et même si l’on venait à bout de ces herbes, le maïs et le coton étaient déjà rabougris et ne pourraient rattraper leur croissance pour un rendement probant. À l’endroit de mes camarades je ne tarissais pas de commentaires sur tout ce que j’avais vu et vécu à Ouaga. Ces amis d’enfance, dont beaucoup n’avaient encore eu l’occasion de séjourner dans une ville moderne, m’écoutaient bouche bée. Certains mêmes me dirent que je pimentais et salais un peu trop mes comptes rendus. Il y en eut même un, Dofinita, qui me dit carrément que j’étais un menteur car, me posa-t-il comme question : « Comment un avion peut-il voler, basculer, se mettre sur le côté, faire des tonneaux en vol horizontal, en plongée ou en piquée ? Et même si cela était possible comment se débrouillerait le pilote ? Comment s’agripperait-il dans son cockpit ? » 105
Pourtant je ne faisais que retracer exactement ce que j’avais vu et vécu.
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XIII.
L’UNAB
Avec la Révolution on vit la naissance ou du moins la création de nombreuses unions : Union des femmes du Burkina (UFB), UNPB (Union nationale des paysans du Burkina), UNAB (Union nationale des anciens du Burkina). Chaque union avait été créée pour un but précis. Je n’ai pas su les missions et attributions de chacune d’elles, mais je sais qu’elles devaient contribuer respectivement à la marche radieuse de la Révolution. S’agissant de l’UNAB, je ne me trompe pas en disant qu’elle devait, de par les sages conseils des Anciens, guider la Révolution. Je me rappelle qu’un soir, sur les ondes de la radio nationale, à l’issue d’une rencontre des Anciens (était-ce un congrès, une rencontre nationale ? dans tous les cas, c’était une rencontre d’une certaine envergure) Sankara prononçait un discours à la radio. Il était question du rôle des Anciens, de la construction d’un immeuble pour abriter le siège de l’Union. Approximativement voici un pan de ce que ma mémoire a pu me confier : « Nous allons construire un immeuble pour l’UNAB. Mais à quel niveau allons-nous les loger ? » Réponses diverses de la foule. « J’entends huitième étage. Il y en a même qui disent quinzième étage ! Eh bien non ! Nous allons loger les Anciens au rez-de-chaussée. Pourquoi ? Parce que les Anciens ils sont vieux. Si nous les mettons au quinzième étage ils auront le vertige. Nous les logerons au rez-dechaussée et nous les jeunes nous serons en haut, au quinzième étage. Nous verrons de loin ce qui arrive. Et nous dirons aux Anciens : « Ah ! Voilà ce que nous voyons arriver .Que faut-il faire ? » Et les Anciens nous diront la conduite à tenir… » Il y eut un tonnerre d’applaudissements. 107
C’est à la même occasion que j’ai pu retenir cette boutade de la bouche du PF : « Celui qui n’a pas le courage d’affronter les abeilles pour s’en procurer le miel doit éviter de déranger la ruche. »
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XIV.
LA JOURNÉE DU PAYSAN
Nous devions être en 1987, quelques mois avant l’hivernage. En tout cas c’était en saison sèche. Nous apprîmes que le PF devait arriver à Houndé, que c’était à l’occasion d’une journée consacrée à la paysannerie. « Une journée du paysan » ! Oui, la Révolution était consciente que la paysannerie était le moteur de notre économie et qu’il ne fallait pas la négliger. À l’occasion de cette arrivée certains avaient affirmé que des chars avaient été postés par-ci par-là, aux alentours et aux points stratégiques de la ville. Ces engins étaient donc bien cachés car nous n’en avions aperçu aucun. Et puis la présence de ces supposés chars me fit venir des questions dans la tête : du cortège à trois voitures évoqué ci-dessus à l’arsenal déployé cette fois-ci il y avait quelque chose d’intrigant : le PF se sentait-il cette fois-ci en danger ? Qui pouvait lui en vouloir ? Tous les villages des départements environnants devaient envoyer leurs représentants. Selon ce que j’avais remarqué et entendu dire, il était fait obligation à chaque représentant de se vêtir en faso dan fani, cette cotonnade made in Burkina. Cela m’amena à me poser des questions : « Pourquoi forcer les gens ? Et si moi je n’aime pas cette cotonnade ? » Je me rappelle que mon premier sac d’écolier, quand mon père me ramena au village où j’allais continuer mes études au CP2, était une large bande de faso dan fani plié en deux et cousu à la main sur les deux cotés par mon grand-père, mon père n’ayant pas pris le soin de m’acheter un « bon sac » après mon CP1 passé à ces côtés à Sindo. Ce sac m’avait-il donné un dégoût pour le faso dan fani ? 109
L’aire d’accueil était bien aménagée. C’était dans un espace jouxtant la préfecture et la gendarmerie. Une tribune avait été dressée. Bientôt du côté est, le PF marqua son entrée. Il marchait d’une manière leste. Il était vêtu d’une tenue militaire couleur vert olive tirant sur le gris. Elle était d’un ensemble dont le pantalon et la chemise n’étaient pas séparés. Dans l’armée il paraît que ça s’appelle tenue d’aviateur, selon les souvenirs gardés des causeries de mon père. Le PF souriait. Il marchait allègrement. Un paysan de la délégation de mon village, qui ne le voyait que pour la première fois de près ne put s’empêcher de s’écrier en s’étonnant d’admiration : « Eh ! C’est lui-là Sankara comme ça ? Mais je suis plus âgé que lui !» Quand le PF et sa suite s’installèrent il fallut lui offrir l’eau de l’étranger comme on a coutume de le dire au pays des Hommes intègres. Cette eau était contenue dans une calebasse bien proprette. En fait d’eau, c’était du to délayé dans une eau qui le submergeait. Le breuvage était savamment préparé par une camarade de notre collège, une fille qui nous avait devancés en troisième, un bon nombre d’élèves de la première promotion de notre CEG ayant redoublé la classe de quatrième, moi y inclus… Ce fut donc Salimata, une fille petite à l’intelligence démesurée qui avait été chargée d’offrir l’eau de bienvenue au PF. Celui-ci en but deux louchées. Ce jour, on offrit des cadeaux à Thomas Sankara : il y avait entre autres du coton tout blanc, des épis de maïs, (un bélier blanc si je ne m’abuse) et deux dabas neuves. Quand on tendit au PF la première daba il la saisit, la leva en l’air et la secoua à la manière dont lui seul savait secouer ses poings révolutionnaires. Puis il mit cette daba sur son épaule gauche. Quand la seconde lui fut remise, il fit encore un brandissement en l’air avant de la porter sur 110
son épaule droite. Il y eut un tonnerre d’applaudissements pendant qu’il était arrêté avec les deux dabas sur les deux épaules. Ce jour, il y eut également des discours dont je ne puis rien retenir. Le discours de PF, prononcé en français fut à la fin traduit en langues nationales dont le dioula. À cette occasion nous découvrîmes concrètement un talentueux traducteur peul qui, à l’écouter, semblait maîtriser mieux le dioula que sa langue maternelle. Il s’appelait Bouba Diallo. Bouba Diallo, coiffé d’un bonnet de laine surmonté d’un pompon, traduisit le discours avec force gestes comme si c’était lui le concepteur. Il fut littéralement applaudi. Bouba Diallo était très bien connu sur la voix des ondes. L’on disait que c’était un instituteur qui était en service à Orodara. Et que lors d’une tournée présidentielle, il avait charmé le PF par son éloquence d’une rareté incroyable. C‘est ainsi qu’il devint sur ordre du PF un personnage emblématique, car chargé de la traduction des faits révolutionnaires en dioula, tâche à laquelle il s’adonnait avec brio. Quand les discours prirent fin, le PF et sa délégation s’ébranlèrent pour Karaba dans la banlieue nord-ouest de Houndé pour, nous avait-on dit, visiter une ferme. Nous n’eûmes pas l’occasion de suivre la délégation présidentielle, le peu que nous vîmes ce jour était largement suffisant.
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XV.
LA FIN
1. L’après-midi du jeudi 15 octobre Le poste de radio était notre compagne fidèle, et par conséquent nous ne pouvions rater aucun évènement majeur de l’actualité. La radio était aussi pour nous un véritable moyen de distraction et surtout de culture générale. Tous les jours nous écoutions les informations. La nuit, mon camarade de chambre (Gnihan) et moi, nous branchions régulièrement sur l’émission à frissons de la chaîne panafricaine, « Africa numéro un » : l’Aventure mystérieuse, animée par Patrick N’Guema Dong. Cette émission nous fascinait et nous captivait par ses aventures abracadabrantes. À peine l’Aventure mystérieuse terminée, nous nous mettions à l’écoute de « l’émission qui faisait la place à la musique africaine » : Canal tropical, de l’inimitable et regretté Gilles Obringer, de Radio France Internationale. Pour qui aimait la musique africaine, le voyage à bord de la « navette musicale » Canal tropical (devenue Couleurs tropicales après la mort de son créateur, qui avait souhaité qu’à sa mort il soit incinéré et que ses cendres soient répandues sur le continent africain), le voyage donc était nécessaire. Non seulement l’on y distillait la musique afrocaribéenne mais on y donnait des paquets d’informations sur les artistes. La panafricaine Africa N°1, elle, proposait entre autres en fin de matinée une émission de culture générale : Le Défi, et le soir à seize heures une émission de musique africaine aussi : Kilimandjaro. C’est dire que nous connaissions par cœur les émissions qui nous intéressaient sur les grandes radios. Nous savions que RFI et Arica N°1 donnaient 113
régulièrement des informations, la seconde un flash toutes les heures, un journal complet à neuf heures et treize heures etc., et RFI un journal toutes les heures et même les demi- heures. Pendant que nous causions j’avais l’oreille rivée sur ma radio à deux piles, une National Panasonic que mon grand-frère en fonction dans un poste frontalier m’avait achetée en septembre 1987 sur ma demande bien insistante. Mais bien avant tout cela, très tôt j’avais appris à écouter la radio avec mon père depuis l’école primaire, et quand j’avais ressuscité son poste qui était en panne depuis longtemps et qu’il avait abandonnée, ceux qui étaient à l’affût de mes défauts ne tardèrent pas à dire que la radio était ma femme. Que n’ont-ils pas dit quand grâce à mon grand-frère j’acquis cette radio neuve dont je ne me séparais que pour aller au collège. La radio, nous l’écoutions tous les jours. Les jeudis soir nous n’avions pas cours et nos professeurs sportifs pouvaient s’adonner à leurs exercices de tous les jours, sinon au moins à l’hebdomadaire sport de masse. En effet le sport de masse avait été institué par la Révolution pour amener les agents de l’État, les fonctionnaires comme on les appelle, à pratiquer des exercices physiques, histoire de les soulager un tant soit peu de leur excès de graisse…, de les aider à se maintenir en bonne santé. Je ne sais plus comment, mais toujours est-il que vers seize heures de ce jeudi 15 octobre, pendant que nous étions avec nos camarades hébergés par notre tuteur, dans la cour de ce dernier, nous fûmes surpris d’entendre encore de la musique militaire. Or cette musique avait ceci de particulier : elle n’était diffusée sur les antennes de la radio nationale qu’en cas de coup d’État. Nous sûmes alors automatiquement que quelque chose n’allait pas à Ouaga. Nous écoutâmes à dix-sept heures puis à dix-huit heures les chaînes internationales préférées qu’étaient RFI et Africa N° 1, mais sans succès. En effet aucune d’elles 114
ne put nous dire avec exactitude ce qui s’était passé à Ouagadougou. Nous sûmes seulement qu’il y avait des coups de feu. La radio nationale quant à elle diffusait toujours la musique militaire, entrecoupée de communiqués. Entre autres il était dit que le CNR était dissous, que le Président du Faso était démis de ses fonctions. Son pouvoir était qualifié d’autocratique et lui-même de termes nouveaux et sans bon goût pour nous. On le traitait renégat, de traître, de misogyne et j’en passe. Un autre communiqué annonçait la réintégration des instituteurs licenciés en 1984. Ces communiqués étaient diffusés et rediffusés. Sankara n’était plus donc l’homme fort du pays ! Incroyable ! Mais qu’était-il devenu ? Nous ne le saurons jamais ce jour. Nous passâmes la nuit à nous poser mille et une questions. 2. Une nouvelle assommante: Sankara assassiné ! Ce jour 16 octobre 1987 nous n’avions pas cours. En effet, les nouveaux maîtres avaient décrété ce jour chômé et payé, sur toute l’étendue du territoire nationale. Avec des camarades : Nazi, Gnihan, Sérima et moi, nous nous rendîmes à quatre dans un verger situé à l’est de la ville, au pied de la colline servant d’aérodrome aux petits avions. Boisé de manguiers, le verger offrait une ombre épaisse à qui s’y rendait. C’était un coin propice pour le repos, la méditation et même la causerie. Nous grimpâmes chacun sur un manguier. Les branches étaient basses de telle sorte que nous étions près du sol. Et vu que les manguiers étaient très rapprochés les uns des autres, nous pouvions causer tranquillement. Nous parlions de choses et d’autres. Le doute nous avait envahis quant au sort des 115
protagonistes de Ouagadougou et nous nous permettions par moments des digressions. Néanmoins, nous avions naturellement l’oreille scotchée à la radio, voulant savoir ce qui était arrivé au juste à Ouaga et notamment au très populaire Thomas Sankara. J’écoutais mes camarades d’une oreille et de l’autre la radio. Africa N°1 diffusaient en effet la musique. Puis neuf heures sonna. On annonça un flash. J’avais réglé faiblement le volume afin de ne pas noyer notre causerie, de sorte que je pouvais écouter des deux côtés comme je l’ai mentionné plus haut. Je poussai un cri : « Eh ! » ― Qu’est-ce qu’il y a ? ― Thom est mort, m’écriai-je. Le premier élément du flash venait en effet d’annoncer la mort du capitaine Sankara la veille au soir à peu près en ces termes : « Le capitaine Thomas Sankara a trouvé la mort hier soir lors d’affrontements qui ont opposé sa garde à des éléments armés… (Je ne retiens pas bien la fin de la phrase). Mes camarades poussèrent aussi des cris. Nous nous tûmes pour écouter le bref développement qui s’en est suivit. La nouvelle était incroyable, paralysante, assommante. Sankara ! Mort ! Ce n’est pas vrai ! Nous cessâmes séance tenante notre causerie. Nous quittâmes chacun son perchoir et mîmes pied à terre. Silencieusement nous reprîmes le chemin de la maison. Nous ne pouvions plus rien échanger entre nous. À l’intérieur du grand marché nous croisâmes des camarades, au nombre desquels Diarra Issouf. Quand nous les vîmes nous comprîmes qu’eux aussi avaient appris la triste nouvelle. « Avez-vous appris la nouvelle ? Thom est mort, nous dirent-ils. » Nous ne pûmes rien dire d’autre. 116
Vendredi c’est le jour du marché de Houndé. Je ne sais pas ce qui nous a conduits à traverser ce lieu d’échanges ce jour. Mais toujours est-il que quand nous le traversions, ce monde fou et grouillant qu’il abritait d’habitude était visiblement aussi assommé par l’événement. À la maison nous nous assîmes. Des questions tombaient, sans réponses. « Pourquoi Blaise a-til fait ça ? Ne disait-on pas que Thomas Sankara était invulnérable aux balles ? Comment se fait-il que des balles viennent à l’anéantir ? À présent qu’il est assassiné, quel est l’avenir du Burkina Faso ?, etc.» Un mince espoir de vengeance pour nous poignit à l’horizon. En effet, sur RFI ou sur Africa N°1, nous suivîmes une interview de Boukary Kaboré dit « le Lion du Boulkiemdé ». Commandant du bataillon d’intervention aéroporté (BIA) basé à 100 km à l’ouest de Ouagadougou, à Koudougou précisément, il n’avait pas approuvé le coup d’État et surtout la mort de Sankara. L’on disait qu’il était entré en rébellion contre les nouveaux hommes forts de Ouagadougou. L’on redoutait un affrontement entre les hommes de Blaise Compaoré et le Lion. Et sa réponse avait été celle-ci : « Si on m’attaque, je me battrais jusqu’à la dernière cartouche. » Nous avions donc espoir d’une revanche de la part du « lion du Boulkiemdé » : il irait venger la mort de Sankara en chassant ses tueurs du pouvoir. Mais hélas, espoir vain. Car le 27 octobre 1987, de redoutables soldats venus de Ouagadougou encerclèrent Koudougou. Nous apprîmes après la fuite du lion pour le Ghana et le massacre de ses hommes. L’on avait qualifié cela de « la libération de la ville de Koudougou ». Nous finîmes par nous convaincre qu’un espoir ne pourrait venir de quelque part que ce soit. Et même si le Lion du Boulkiemdé arrivait à renverser le régime de Blaise, cela ramènerait-il Sankara à la vie ? Les jours passaient et se ressemblaient pour moi par leur morosité. 117
Tout était devenu morose, sans goût, sans couleur. Tout avait changé. On eut dit que tout mon univers était attristé. Le soleil chaque jour, comme abattu, semblait manifester son chagrin par sa pâleur : il n’avait plus d’éclat. Les oiseaux dans leur vol semblaient pleurer la mort du père de la Révolution. Les papillons, les animaux domestiques, le vent par sa manière de faire agiter le feuillage des arbres semblaient dire : « Tout a changé à jamais pour le Burkina. » Le vent soufflait timidement, les arbres agitaient mélancoliquement leur feuillage, bref la nature pleurait. C’est du moins ce que j’eus comme sensation, comme impression. Il est quasi impossible de transcrire ce que je ressentis les premiers moments de l’assassinat de Thomas Sankara et même longtemps après. C’est sans doute ce qu’on appelle un choc. Un tel choc, il est difficile de s’en remettre… Cependant, l’on ne pourrait dire que tous accueillirent mal l’avènement du coup d’État. C’est ainsi que moins d’un mois après la tragique disparition du PF, un jour, pendant que nous étions en classe, un de nos professeurs (je ne dirais pas quelle discipline il nous enseignait) nous présenta un journal : c’était un Jeune Afrique avec à la Une, une photo de la tombe de Sankara, avec des bouts de papier portant des messages qui lui étaient adressés. C’était une tombe ordinaire, une simple bute de terre rouge sous laquelle reposerait Thomas Sankara. Le professeur feuilleta le journal, nous montra quelques photos, dont une du tombeur et successeur de Sankara. Il commença par nous expliquer le « bienfondé » du coup d’État et l’opportunité du nouveau régime, appelé Front populaire, dirigé par Blaise Compaoré, ami d’alors de Sankara, duquel il ne se séparait presque jamais. Il lut des extraits où, entre autres, il était dit que Ouagadougou avait retrouvé son calme habituel, que les activités avaient repris, que le couvre-feu était levé, etc. Il nous commenta certains articles sur la 118
Rectification, orientation que le Front populaire se disait impulser à la Révolution. Ce professeur écorcha un peu la vie conjugale du nouveau Président dont on disait que la femme était un « don » du Président ivoirien HouphouëtBoigny. Et la réponse du nouveau Président aurait été de demander au journaliste qui lui avait posé la question, si le chef d’État de la Côte d’Ivoire avait des femmes à distribuer. C’est avec ce professeur que nous apprîmes aussi le nombre et les noms des enfants de Sankara : Auguste et Philippe, respectivement 7 et 5 ans. Je m’étonnai de me rendre compte qu’il existait des gens, des Burkinabè, intellectuels de surcroît, qui ne voyaient pas les bienfaits de la Révolution, et pire, qui n’aimaient pas Sankara, mais qui, au contraire, se réjouissaient de la fin du PF et de sa Révolution. Je m’étonnai que la joie se lise sur un visage de Burkinabè à peine un mois après la disparition de son vaillant Président. Comment dans un même pays ne pouvait-on pas voir les choses de la même manière, d’autant plus qu’à l’extérieur le Burkina jouissait d’un prestige grâce à son invention originale : la révolution dans un pays pauvre, mais prestige lié surtout à l’image de son Président ? Comment pouvait-on se réjouir à l’intérieur du pays tandis que le monde entier était sous le choc. Non, pas le monde entier, car Sankara était un « dérangeur » et ses contempteurs se devaient de s’en réjouir. Je pense à ce vieil instituteur polygame, père de plus de vingt enfants, et qui dirigea l’école de mon village pendant au moins trois ans qui précédèrent son licenciement en 1984, et réhabilité juste avec l’avènement du 15 octobre. À l’annonce de la fin de la Révolution et de l’assassinat de son père, et de la réintégration de tous les enseignants précédemment dégagés il se serait mis à rouler à terre tel un enfant qui venait d’avoir un cadeau auquel il n’avait jamais rêvé. Il ignorait sans doute qu’un projet de réhabilitation de ces 119
instituteurs était déjà adopté et restait à être activé par le défunt président. Le temps passa mais l’amertume resta. Nous ne perdîmes toutefois pas l’habitude d’écouter la radio. Curieusement la radio nationale semblait avoir changé de programmes. Sinon, était-ce un temps mort en attendant une « rectification » des programmes ? Dans tous les cas, nous avions remarqué que la radio nationale, aux heures de diverses émissions, diffusait plutôt, et à longueur de journées la musique à profusion, dont beaucoup de nouveautés. Je suis un fan de la musique, celle qui était diffusée était de la bonne musique, de la musique d’animation, mais pour moi elle n’avait pas de goût. Une question nous obsédait : « Était-ce une manière de fêter la mort du président Sankara ? » Je n’étais pas le seul à être touché par la mort brutale de Thomas Sankara. À Houndé il y avait un CDR très dévoué à la cause de la Révolution : il s’appelait Doogo. Y avait-il des travaux d’intérêt commun ? Doogo y était présent. Une autorité devait-elle venir à Houndé ? Doogo faisait partie des lanceurs de slogans révolutionnaires. Et le plus souvent, en bon CDR, il se vêtait d’une tenue militaire vert olive, même si elle était délavée à souhait…Doogo semblait le plus malheureux ou le plus attristé de tous. Quand on le voyait arpenter les rues dans la ville, c’était sans aucune vivacité. On le croirait malade. Et tous ceux qui l’avaient connu pour son engagement visible comprenaient et mesuraient la lourdeur de sa peine.
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2. L’aurore crépusculaire du Front populaire Pendant que tous les jours j’avais de la peine à réaliser la fin tragique du capitaine Thomas Sankara, des missions étaient organisées pour expliquer à l’extérieur, à des chefs d’État africains, les causes et le « bien-fondé » de l’avènement du 15 octobre. Je ne sais plus si en son temps plusieurs responsables avaient été commis à cette tâche, qui avait pour objet de légitimer le régime naissant de Blaise Compaoré. Mais je retiens cependant que Arsène BognessanYé29, capitaine alors, eut à effectuer plus d’une mission. Toutefois je ne retiens plus dans quels pays il se rendit. Peut-être au Congo-Brazzaville, en Côte d’Ivoire, au Gabon, etc. Cela encore me faisait naître des interrogations : si l’acte commis est loyal, justifié, pourquoi aller l’expliquer ailleurs ? Je finis même par me donner raison, faisant mien cet adage : « Qui s’excuse s’accuse », et par conséquent, a tort. Quelques temps après le tragique évènement, Gnihan et moi étions à court de provisions. Nous n’allions plus avoir de quoi nous nourrir. Mon « cochambrier » effectua donc le voyage du village d’où il devait revenir avec de la farine. Ce déplacement coïncida avec un évènement pour le moins insolite de notre point de vue. En effet, par la radio nous apprîmes que la femme du nouveau président se rendrait à Bobo. L’évènement était d’autant plus insolite que de mémoire de jeune burkinabè l’on avait jamais appris que la femme de Sankara avait entrepris un voyage officiel, dans une quelconque localité du Burkina 29
Bognessan Arsène Yé fut aux côtés de Blaise Compaoré jusqu’à la fin de son long règne. En 2011 il fut nommé ministre d’État, ministre chargé des relations avec le Parlement et des Réformes politiques, en vue évidement de faire passer la pilule de la modification de l’article 37, qui allait garantir à Blaise Compaoré un règne à vie. Il lui fut alors attribué par dérision le sobriquet de « ministre de l’article 37 ».
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Faso. Personnellement, ce n’est qu’à la faveur des évènements du 15 octobre que je sus que l’épouse du père de la Révolution s’appelait Mariam Sermé. Nulle part durant les quatre années du CNR, il n’avait jamais été question d’aller accueillir l’épouse du PF se rendant dans telle ou telle localité du Burkina pour une quelconque cérémonie, du moins, de tout ce que nous savions. Mais voilà qu’il avait été demandé aux populations riveraines de la route nationale n°1 de réserver un accueil chaleureux à la Première Dame, c’est-à-dire à cette femme dont le mari était à la fois l’ami et le « tueur » de Thomas Sankara…Il est évident qu’il n’y eut aucun enthousiasme du moins à Houndé et à Koumbia30 mon village. Je ne me donnai pas la peine d’aller satisfaire ma curiosité en découvrant la femme de celui qui, aux yeux de nombreux compatriotes, est l’auteur ou le commanditaire de la mort de Sankara. Devant notre habitation située dans les parages du rond-point rebaptisé « rond-point Mathias Sorgho31 » une voie donnait tout droit sur la grand-route, à quelque quatre cents mètres. Mon attention fut attirée par les sirènes des motards de la gendarmerie. La voie était désespéramment vide de ses populations qui accueillirent par le passé Thomas Sankara. Quand mon compagnon revint il me dit que dans mon village où il est tombé par coïncidence sur ce passage de la femme du nouveau président, aucun accueil n’avait été réservé à la Première Dame. C’est lui qui me la décrivit : « Elle est comme une
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Koumbia est sans doute l’une des rares localités à fêter encore de nos jours le 4-Août. Du temps de la Révolution, il fallait se lever à temps pour être celui qui allait avoir l’autorisation d’organiser une soirée dansante dans la nuit du 3 au 4 août, où l’on fêtait avec faste l’anniversaire de la RDP. Et la tradition est restée, même après la disparition forcée du régime révolutionnaire de Thomas Sankara. Comme pour dire : « On n’efface pas l’histoire… » 31 Mathias Sorgho fut le premier directeur de l’école « A » de Houndé, ouverte en 1943.
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Blanche. Elle a beaucoup de cheveux, attachés en chignon par derrière. » Le lendemain, pendant qu’il attendait un taxibrousse pour revenir à Houndé, il vit le cortège passer à vive allure en direction de Ouagadougou. C’était un dimanche. Comme d’habitude, radio Bobo diffusait le concert des auditeurs, qui se passait de 10 heures à 11 heures. Quand le cortège traversait Houndé, ladite radio distillait un morceau d’un groupe de musiciens camerounais appelé « Golden Sounds ». Et le morceau qui passait était le titre phare de l’album : Zangalewa. Quand Gnihan arriva, chacun commenta l’évènement. C’est là qu’il me fit savoir qu’au moment où le cortège traversait notre village, distant de Houndé de trente-trois kilomètres, c’est le même morceau qui passait. C’est là que je compris la célérité du cortège, même si le morceau en question dure environ douze minutes. La tristesse était omniprésente. Tout avait changé à jamais. Je me convainquis que plus jamais, rien ne pourra faire vivre au Burkina des moments comme ceux du temps de la Révolution… La Révolution, c’était vraiment fini, et ce depuis le 15 octobre 1987. Le vent d’une nouvelle ère soufflait. Mais je parvins à la conclusion qu’il a beau souffler, il ne pourrait jamais effacer, jamais dissiper l’odeur de la Révolution dans notre pays. Je me convainquis aussi que, aussi longtemps que l’humanité vivra, l’histoire parlera toujours de Thomas Sankara et de « sa » Révolution.
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ON RACONTE QUE…
L’on a raconté beaucoup de choses sur le PF et l’on ne finira pas d’en raconter. Voici quelques-unes des histoires que j’ai moi-même déjà entendues, certaines plus d’une fois. 1. Une visite surprise au camp militaire de Dédougou Sankara était un homme imprévisible. Ainsi, diton, un jour il se serait rendu à Dédougou, sans prévenir aucune autorité administrative ou militaire. Il faut se rappeler qu’au temps du CSP, Sankara, arrêté et dégradé, avait été envoyé à la garnison de Dédougou. Était-ce pour aller rendre visite à ses anciens geôliers qui sans doute l’avaient bien entretenu ? Toujours est-il qu’un jour il se serait rendu à Dédougou, en aéronef, à la surprise de tous. Ce n’est qu’une fois à l’aérodrome que les autorités militaires et civiles avaient été mises au courant. Quel branle-bas ! Les militaires, toujours prompts à réagir, en un tournemain, se seraient mobilisés à la seconde pour aller accueillir le chef de la Révolution. Mais c’était sans savoir que celui-ci était déjà en route, à pied, en direction du camp Bankuy. C’est donc à leur surprise générale qu’ils rencontrèrent Sankara et le petit groupe de militaires qui l’accompagnaient, marcher allègrement en direction du camp. Un crissement de freins mit fin à la folle allure des véhicules mobilisés pour la circonstance, qui firent demi-tour pour venir marquer l’arrêt au niveau du chef de l’État qu’ils avaient croisé sans s’en rendre compte. Sankara aurait décliné 125
l’offre, préférant dans ses réactions surprenantes, effectuer le trajet à pied. Les autorités se seraient jointes à lui. Et le groupe grossissait au fur et à mesure qu’il progressait. Au camp, sans formule protocolaire, Sankara se serait assis au milieu d’anciens collaborateurs pour une causerie à bâtons rompus. 2. Le gendarme et le faux coup d’état L’on se rappelle que notre pays était familier aux coups d’État, pour en avoir connu trois en quatre ans : le 25 novembre 1980, le 7 novembre 1982, le 4 août 1983. La diffusion de la musique militaire à la radio était le signe qu’un chef d’État venait de perdre son fauteuil et son statut. Un jour donc, la radio nationale se serait mise à jouer de la musique militaire. Incontestablement c’était encore un coup d’État. Les réactions promptes se manifestèrent. Dans une caserne, un gendarme se serait écrié : « Ça, j’en étais sûr. La Révolution ne pouvait pas aller loin… Le Peul oreillard avec ses manières là, …» Quelle ne fut sa surprise, de savoir quelques temps après que ce n’était qu’un montage, un ballon d’essai pour apprécier le degré d’adhésion à la Révolution, pour savoir si la Révolution était aimée ou rejetée. Le pandore en question se serait attendu à une sanction, s’étant senti considéré comme un contre-révolutionnaire, un réactionnaire (ainsi appelait-t-on les ennemis de la Révolution). Mais rien ne lui arriva… 3. Sankara et le gendarme incorruptible On raconte aussi qu’une nuit, Sankara, seul au volant d’une voiture, se rendait à Bobo, à une heure indue. 126
C’était peut-être à un moment de couvre-feu ou encore je ne sais. On dit seulement qu’à une certaine heure les postes de contrôle fermaient la route à toute circulation. Dans les parages de Bobo, Sankara, voulant tester l’efficacité de l’appareil sécuritaire, se serait buté à un gendarme. Et pour cause !, le poste était déjà fermé. Mais Sankara cherchait coûte que coûte à rentrer à Bobo. Le gendarme était catégorique. Pas question de laisser passer qui que ce soit. Les ordres sont les ordres, surtout dans l’armée. Il aurait épuisé ses arguments tout en faisant savoir à cet usager qu’il ne faisait que son devoir. Il ne savait même pas qu’il avait affaire au PF. Celui-ci négocia, en vain. Il lui proposa même une somme. Mais le gendarme était inflexible. Ce n’est que de guerre lasse que le PF finit par lui révéler son identité. Et comme il se faisait tard, et comme le PF devait peut-être se rendre à Bobo pour des raisons sues de lui-même (il avait sans doute voulu tester le degré d’intégrité des forces policiers et pandores), le gendarme lui ouvrit le passage. Le lendemain le pauvre pandore aurait été convoqué d’urgence à Ouaga. C’est tout tremblant qu’il se serait présenté au lieu de la convocation. Quelle ne fut sa surprise ! Craignant une sanction, le gendarme se serait vu félicité et même récompensé avec une élévation en grade. 4. Le policier accusé d’avoir insulté la mère de Sankara L’on se rappelle qu’au temps de la Révolution il y avait ce qu’on a appelé « des sanctions révolutionnaires ». Il y avait les « dégagements », mais il y avait aussi les « suspensions ». Un fonctionnaire ou un agent de l’État suspendu, travaillait durant tout le temps de ladite suspension, sans pour autant avoir droit à un salaire. Ainsi, si l’on vous suspendait pour deux ou quatre mois, vous voyiez vos collègues toucher deux ou quatre fins de mois 127
leur salaire pendant que vous-même n’aviez droit à rien. C’était comme si vous travailliez gratuitement. Un policier se serait donc retrouvé dans cette situation, avec d’autres malheureux camarades. Le poste d’affectation du policier en question c’était l’aéroport international de Ouagadougou. Et il logeait à l’opposé, dans un quartier situé dans la partie ouest de la ville. Durant la purgation de sa peine, le policier, comme tout autre agent suspendu, faisait le plus consciencieusement possible son travail, pour éviter une sanction d’ordre supérieur. Un matin, pendant qu’il se rendait au service, il tomba en crevaison. Le colleur à qui il confia son engin lui fit le travail comme il se le devait. Malheureusement, comme c’était aux premières heures du matin, le colleur n’avait rien encaissé et le policier n’avait pas de monnaie. Que faire ? L’un voulait sa pièce de 100F tandis que l’autre ne tenait pas à se séparer du seul billet qui lui restait. Le colleur voulait en effet garder le billet tout en invitant le policier à passer récupérer sa monnaie à la descente. Il n’y eut pas d’entente entre le gardien de la paix et le colleur, lequel tenait à ce que son dû lui soit rendu. Dépassé par cette discussion qui ne faisait que le retarder au risque de lui faire encourir une autre sanction, le policier , contre le gré du colleur, pris son engin tout en disant tout haut : « Même si la mère de Sankara descendait ici, moi je m’en irais .» Puis il démarra et se rendit à son poste. Le lendemain il fut convoqué par le PF en personne. C’est naturellement tremblant de peur qu’il se présenta devant lui, dans son bureau où il l’aurait trouvé en train de lire un journal. Et le PF lui aurait posé cette question : « Ah bon ! C’est toi qui insultes ma mère ?... » Et le policier de lui préciser les circonstances. « Je n’ai nullement insulté votre mère », lui aurait répondu le pauvre agent. Et de lui retracer toute l’histoire. Et d’ajouter la situation difficile qu’il vivait. Situation malgré 128
laquelle il s’efforçait de son mieux de s’acquitter le plus consciencieusement possible de son devoir. Après que le PF l’eut écouté, le policier fut autorisé à se retirer. Le lendemain ou seulement quelques jours après il fut amené dans une cité, dans la « zone du bois » (à Zogona) où on lui remit les clés d’une villa, le tout accompagné de sacs de vivres : maïs, riz, etc. Le PF avait été sensible à la misère du policier, mais surtout à sa loyauté et à son courage de bien accomplir son devoir malgré la situation difficile qu’il traversait. 5. Sankara et la vie chère Sankara, comme à son habitude de se déplacer sans protocole à la rencontre des masses, se serait un jour trouvé devant une vieille femme dont elle voulait avoir l’avis sur la Révolution. À la question de savoir comment allait le train de vie la vieille lui aurait répondu : « Depuis l’arrivée du Peul oreillard au pouvoir, la vie est devenue intenable. Tout coûte cher… » D’autres avancent que c’est un jour, après s’être assis incognito chez un vendeur de café au lait, il aurait, après consommation de son bol de lait et de son pain, posé la même question et qu’il aurait reçu la même réponse. 6. Sankara seul au marché de Bobo Sankara se serait un jour, à l’incognito, rendu au marché de Bobo. Qu’y cherchait-il ? Seul lui le savait. Scène inattendue, c’est à leur grande surprise que les gens se rendaient compte de sa présence dans ce lieu public, sans la moindre escorte, du moins visible. Une femme se serait étonnée et tira la conclusion suivante : « Sankara au 129
marché ? Un président dans un marché ? C’est le signe de la fin très prochaine de son règne. » C’est peu de temps après que le 15 octobre eut lieu, avec les conséquences funestes que tout le monde connaît.
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ÉPILOGUE Blaise Compaoré, tombeur et successeur de Sankara, a régné pendant 27 ans, soit du 15 octobre 1987 au 31 octobre 2014. Après avoir survécu à deux crises majeures, en 1999 (suite aux manifestations consécutives à la mort tragique du journaliste d’investigation Norbert Zongo et ses trois compagnons) et en 2011, année de multiples mutineries dans les casernes, le pouvoir de Blaise Compaoré lui échappera le 31 octobre 2014. En effet, après un règne de plus d’un quart de siècle, et suite à son entêtement à modifier la constitution une énième fois afin de rester au pouvoir pendant encore 15 ans à la fin de son dernier mandat en novembre 2015, l’opposition, la société civile et le peuple opposèrent à Blaise Compaoré un refus catégorique. Le 28 octobre 2014, un meeting géant organisé par les composantes sus-citées, se tint à la place de la Révolution en guise de dernier avertissement au Président, qui s’apprêtait à modifier la constitution pour un règne à vie. Le 30, une gigantesque marche, comme on ne l’avait jamais observé au Burkina Faso, se tint à Ouagadougou. Ce jour-là plus d’un million de Burkinabè (selon les organisateurs) déferlèrent dans la rue, des dizaines de milliers prirent d’assaut le siège du Parlement où étaient réunis les députés pour voter la loi controversée. Le bâtiment partit en flammes et en fumée. La télévision nationale, de même que d’autres symboles du règne de Blaise Compaoré, connurent la furia des manifestants. Le soir, sur une chaîne de télé privée, Blaise dit avoir entendu l’appel du peuple et comprit sa soif et son aspiration profonde au changement ; il propose une transition d’une année au bout de laquelle il remettrait le pouvoir au président démocratiquement élu. Trop tard ! L’opposition, la société civile comme le peuple, demandent son départ. 131
Le 31 octobre fut le jour le plus attendu des adeptes et admirateurs de Sankara et de sa Révolution d’août. Ce jour-là, des centaines de milliers de manifestant assiègent l’État-major général des armées, demandant aux militaires de prendre leurs responsabilités : ou bien l’armée destitue le président, auquel cas on éviterait les morts, ou bien le peuple, mains nues, se rendrait à la présidence pour l’en faire partir, quel que soit le prix à payer. Mue par un sursaut patriotique, ou peut-être par toute autre raison dont elle seule sait, l’armée finit par annoncer à la foule, en direct, que monsieur Blaise Compaoré n’était plus le président du Burkina Faso. Cris de joie ! « Si vous tuez Sankara, demain il y aura vingt Sankara », avait lancé comme défi le chef de CNR en octobre 198332. Puis plus tard, en 1985 : « Que Sankara soit éliminé (…) physiquement, il y aura des milliers de Sankara qui relèveront le défi »33. Ainsi, que ce soit le 28, le 30 ou le 31 octobre, de nombreux manifestants portaient des portraits ou des effigies du père de la Révolution. Des slogans de la révolution sankariste, dont le « la Patrie ou la Mort, nous vaincrons ! », étaient scandés en chœur, par des milliers de voix. « Maintenant-là, c’est vraiment la patrie ou la mort !… », déclara Zéphyrin Diabré, chef de file de l’opposition politique au grand « meetingavertissement » du 28 octobre 2014. Ce slogan a même été réadapté à la situation : « Ma patrie ou ma mort,… » Mais en début de l’après-midi de ce 31 octobre 2014, Blaise Compaoré ne choisit ni la patrie, ni la mort, mais préféra plutôt le chemin de l’exil. Peu après 13 heures, il invoque l’article 43 de la loi fondamentale, déclare la vacance du fauteuil présidentiel, prend la 32
Cette citation est tirée de Sankara le rebelle, de Sennen Andriamirado, page 226. 33 Voir l’interview réalisé en 1985 par Mongo Beti, repris par le bimensuel burkinabè d’informations et de reportages l’Ouragan, n°247 du 10 octobre 2011.
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direction de Pô (ancien fief des redoutés commandos de la tête desquels il était depuis l’entrée de Sankara dans le gouvernement du CMRPN et du CSP), accompagné d’un long cortège de véhicules 4x4. Mais, à croire l’hebdomadaire Jeune Afrique, il n’atteindra pas cette ville où les populations, hostiles, l’attendaient. C’est par Nobéré qu’il passera, dans la brousse de laquelle un hélicoptère viendra le chercher pour Fada N’Gourma où il embarquera dans un avion pour la Côte d’Ivoire, son « beau-pays »34, où sa femme l’avait déjà précédé. Une autre vie venait ainsi de commencer pour celui-là qui avait dit quelques mois auparavant que nulle part au monde aucune marche n’a jamais fait retirer une loi (d’où aucune marche ne pouvait empêcher l’adoption de la loi modificative de l’article 37), celui-là qui avait pris le contre-pied du tout-puissant président américain Barack Obama en lui rétorquant indirectement qu’il n’y avait pas d’institutions fortes sans hommes forts, celui-là dont les militants, ou supposés tels, avaient rempli « rectoverso avec intercalaire »35 des stades courant juin 2014
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Chantal Terrasson de Fougères, épouse de Blaise Compaoré, est ivoirienne par sa mère. En Côte d’Ivoire, Blaise est de ce fait dans sa « belle-famille ». 35 L’expression « remplir recto-verso un stade », qui sera enrichie par la suite, est une expression usitée pour la première fois l’ex-maire de Bobo-Dioulaso, Salia Sanou, à l’occasion du meeting du CDP et de son Front républicain tenu au stade Wobi de Bobo, le 12 avril 2014. Il eut à dire en effet que le stade était rempli « recto-verso ». Comme réplique, l’opposition voudra faire mieux : « Le 31 mai, le stade du 4Août sera rempli recto-verso, en haut et en bas », déclara le chef de file de l’opposition politique, Zéphirin Diabré à l’orée du meeting des partis d’opposition, tenu 31 mai 2014, à Ouagadougou. En réponse à l’opposition, qui réussit à mobiliser ses partisans avec pour objectif affiché, de dénoncer les intentions du pouvoir de modifier l’article 37, les militants de CDP et de ses alliés regroupés autour du « Front républicain », prirent le pari de mieux faire, en remplissant les stades. «Le stade est plein recto-verso, de haut en bas, aller-retour, avec
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pour soutenir son projet de modification de l’article 37, celui-là même qui avait soutenu en 1987 qu’il dormait (parce que souffrant de palu) quand ses hommes tuaient Sankara pour lui offrir le fauteuil présidentiel imbibé du sang de son ami et frère d’armes, celui-là même qui avait déclaré aux premiers moments de son règne qu’il n’avait jamais rêvé de pouvoir et qu’il ne s’y accrocherait pas, celui-là même qui semble être le véritable instigateur du bain de sang d’octobre 1987 dans lequel il a noyé la révolution pour s’emparer du pouvoir, pouvoir qu’il allait abandonner 27 ans après, devant des centaines de milliers de Burkinabè aux mains nues… Mal entré dans l’histoire qu’il aura essayé de trafiquer, il en est mal ressorti, chassé de son trône combien maculé de sang, par des populations aux mains nues et qui, face aux forces spéciales créées par lui pour lui garantir un règne à vie (le Régiment de sécurité présidentielle, « une armée dans l’armée » parce que surarmé et surentraîné) n’avaient pour seule arme que leur détermination. Une autre ère venait de s’ouvrir pour le Burkina Faso. Mais quelle ère ? De l’espoir sans doute. De la rupture. Et aussi de la renaissance. Le pays des Hommes intègres pourra-t-il se remettre sur le chemin des aspirations du Président Thomas Sankara ? Les Burkinabè redeviendront-ils plus intègres que sous l’ère Compaoré ? Peut-on rêver d’un Burkina sans corruption, sans affairisme, d’un Burkina empreint du maximum de civisme et de patriotisme, d’un Burkina débarrassé de tous les maux dont on chargeait le régime de Blaise Compaoré qui « rectifia » la Révolution en 1987 et qui « n’est resté au pouvoir que pendant seulement 27 ans », car « n’ayant pas voulu s’y accrocher » ?… intercalaire », dit un partisan du pouvoir de Blaise Compaoré, au meeting du Front républicain du 21 juin 2014, au stade du 4-Août.
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À la jeunesse et aux dirigeants de faire en sorte que cette nouvelle soit chargée de la concrétisation des nobles aspirations des Burkinabè. Car à leur tour, ils sont attendus au jugement de l’histoire…
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Le Burkina-Faso aux éditions L’Harmattan
Dernières parutions Attachement et délinquance des mineurs : déterminants psychosociaux au Burkina Faso
Yougbaré Sébastien
Ce livre porte sur les adolescents délinquants en ville, au Burkina Faso. Il met en perspective le mode d’attachement de 114 adolescents âgés de plus de 13 ans à moins de 18 ans révolus et les formes de délits par une double démarche d’enquête réalisée sur les données institutionnelles et d’entretien clinique. L’enquête fait émerger des dimensions psychosociales que l’entretien clinique, inspiré de la théorie des liens, permet d’éclairer au plan des processus psychopathologiques. (Coll. Études africaines, 31.00 euros, 304 p.) ISBN : 978-2-343-05197-0, ISBN EBOOK : 978-2-336-36582-4 Langues nationales et musique moderne burkinabé face à la mondialisation
Daboué Jacob
À l’heure de la mondialisation, le Burkina Faso, longtemps resté à l’ombre des musiques étrangères, s’illustre aujourd’hui à travers la revalorisation de ses langues et de ses rythmes traditionnels dans la cuvette de la musique moderne. Aussi le dynamisme actuel de cette musique en langues nationales par hybridation devrat-il impacter la culture mondiale globalisante. (Coll. Politique et dynamiques religieuses en Afrique, 21.00 euros, 210 p.) ISBN : 978-2-343-04755-3, ISBN EBOOK : 978-2-336-36128-4 vie (La) à travers la naissance chez les Lyelae du Burkina Faso Problématique d’une théologie de l’inculturation
Bayili Blaise
Il n’y a pas de culture qui résumerait à elle seule l’humanité, qui serait l’harmonie de toutes les cultures. Chaque peuple, chaque culture constitue, dans cette symphonie, une note qui est à la fois personnelle et source d’ouverture. Le Lyel a sa façon propre de concevoir la vie notamment à travers le processus de la naissance. Puisque la tradition Lyelae entre dans cette symphonie appelée au salut dans le Christ, il importe que le Lyel apporte sa note au rendez-vous de cette rencontre avec le message chrétien. (Coll. Afrique théologique & spirituelle, 25.00 euros, 344 p.) ISBN : 978-2-343-04629-7, ISBN EBOOK : 978-2-336-35941-0
Oppression coloniale et résistance en Haute-Volta L’exemple de la région de la boucle du Mouhoun (1885-1935)
Souyris Bernard
En 1895, le gouvernement français décide de conquérir militairement ce qui deviendra plus tard la colonie de Haute-Volta. En trois ans, l’armée coloniale obtient la soumission des souverains africains mais il lui faudra faire face à la résistance des peuples pendant plusieurs dizaines d’années. Ce livre raconte comment les peuples qui vivaient dans la région de la boucle du Mouhoun ont refusé la domination coloniale et se sont organisés pour mener une véritable guerre contre les colonnes de «pacification». (Coll. Histoire Africaine, série XIXe-XXe siècle, 21.00 euros, 216 p.) ISBN : 978-2-343-03927-5, ISBN EBOOK : 978-2-336-35464-4 adolescents (Les) africains et leurs projets d’avenir
Moumoula Issa Abdou Préface de Jean Guichard
Après un examen critique des principaux modèles et concepts appliqués à l’étude des représentations d’avenir des adolescents, ce livre s’attache à mettre en lumière les variables contextuelles qui participent de la construction des projets des adolescents burkinabè. Il s’inscrit dans une perspective sociale utile en vue de faire évoluer les politiques d’orientation au Burkina Faso. (Coll. Études africaines, 39.50 euros, 412 p.) ISBN : 978-2-343-00719-9, ISBN EBOOK : 978-2-296-53456-8 Politique et mercatique au Burkina Faso
Badolo Célestin
Cette étude a pour objectif de rechercher l’écart qui pourrait exister entre ce qu’offrent les partis politiques et les attentes des populations de la province du Kadiogo. cette étude a permis aussi de faire une rétrospective sur l’histoire politique du Burkina et d’y déceler les pratiques du marketing politique propres à ce pays. (Coll. Politique et dynamiques religieuses en Afrique, 17.00 euros, 166 p.) ISBN : 978-2-343-00125-8, ISBN EBOOK : 978-2-296-53478-0 Femmes du Burkina
Vincent Marie-Pascale
Cet ouvrage retrace sous forme de portraits le quotidien des femmes dans un des pays les plus pauvres au monde. Au hasard des rencontres, entre témoignage sur la condition féminine au Burkina et carnet de voyage, ces récits laissent également la place à l’émotion. (12.00 euros, 96 p.) ISBN : 978-2-296-96203-3 Je ne veux pas qu’on m’offre des faveurs dans une calebasse ! La discrimination positive au Burkina Faso, ou l’affirmation de la différence L’exemple de la loi sur le quota
Merindol Ouoba Clarisse
La discrimination positive en faveur du genre féminin est une mode en vogue, aujourd’hui adoptée dans plusieurs pays pour réduire des inégalités séculaires qui
existent entre les hommes et les femmes. Si les résultats peuvent être salués dans certains espaces, les réalités endogènes africaines devraient pousser à la prudence quant à l’endossement de stratégies qui viseraient à introduire de nouvelles inégalités de genre, qui devraient cette fois se comprendre en termes de progrès et non de discrimination. (Coll. Points de vue, 12.50 euros, 112 p.) ISBN : 978-2-336-29179-6, ISBN EBOOK : 978-2-296-53269-4 Pouvoir et accès aux ressources naturelles au Burkina Faso La topographie du pouvoir
Korbéogo Gabin
Cet ouvrage explore les répertoires des règles officielles et locales qui autorisent et interdisent l’usage et l’appropriation des ressources naturelles dans le Gourma rural (à l’est du Burkina Faso). Dans un contexte de faible ancrage de la légitimité de l’État, la décentralisation a revigoré l’autorité des chefferies traditionnelles et réhabilité son monopole sur les ressources naturelles. Cette situation amenuise la réalisation de l’idéal démocratique de la répartition équitable des ressources entre les citoyens burkinabè. (Coll. Études africaines, 31.00 euros, 298 p.) ISBN : 978-2-336-00264-4, ISBN EBOOK : 978-2-296-51630-4 Musique moderne et langues nationales au Burkina Faso
Daboué Jacob
Un nouveau phénomène est en passe de devenir la règle dans l’univers culturel du Burkina Faso : l’utilisation des langues nationales dans la musique moderne. Le phénomène s’ancre essentiellement dans l’émancipation artistique et la recherche identitaire. Il gagnerait à être mieux encadré et canalisé par les pouvoirs publics pour la constitution d’un patrimoine culturel national à même de s’imposer à la mondialisation. (Coll. Politique et dynamiques religieuses en Afrique, 17.00 euros, 184 p.) ISBN : 978-2-336-00220-0, ISBN EBOOK : 978-2-296-50891-0 Fespaco (Le), une affaire d’Etat(s) Festival Panafricain de Cinéma et de Télévision de Ouagadougou (1969-2009)
Dupré Colin Préface de Clément Tapsoba – Postface de Catherine Ruelle
En février 1969, à l’initiative d’un groupe de cinéastes et de passionnés, naît à Ouagadougou au Burkina Faso, le premier festival de cinéma africain au sud du Sahara, devenu aujourd’hui le rendez-vous incontournable pour les cinéastes du continent, pour lesquels il constitue un tremplin. Le Fespaco revêt une dimension politique évidente et, au fil des années, il est devenu une véritable vitrine culturelle et politique pour le Burkina. (33.00 euros, 406 p.) ISBN : 978-2-336-00163-0, ISBN EBOOK : 978-2-296-50844-6
Burkina Faso Les opportunités d’un nouveau contrat social Facteurs et réalités de la crise
Sous la direction d’Alain Edouard Traoré Préface de Beyon Luc Adolphe Tiao
En mars 2011, suite à la mort d’un élève à Koudougou, une grave crise secoue le Burkina-Faso entraînant une spirale d’événements conflictuels et violents. Cet ouvrage est une analyse, sans oeillères, de l’ampleur et l’étendue de cette crise, une évaluation de ses causes profondes et de son déroulement factuel, et cela dans le but d’en tirer les leçons pour l’avenir du système démocratique burkinabè. (Coll. Harmattan Sénégal, 13.00 euros, 130 p.) ISBN : 978-2-296-54907-4, ISBN EBOOK : 978-2-296-50366-3 Burkina Faso (Le) contemporain Racines du présent et enjeux nouveaux Cahiers N° 26
Sous la direction d’Issiaka Mandé
Ce livre propose un regard critique sur la trajectoire de l’État et de la société burkinabè. Il explore les différentes facettes de l’histoire politique, de l’économie coloniale, des politiques culturelles et tente de cerner la richesse du patrimoine matériel et immatériel du pays. (Coédition Laboratoire Sedet - Université Paris Diderot, Coll. Groupe AfriqueOcéan indien, 27.00 euros, 360 p.) ISBN : 978-2-296-13672-4 Homme-Dieu (L’) et la culture africaine Réflexion théologique à partir d’éléments anthropologiques des Lyele du Burkina Faso
Bassonon André-Jules
Comment recevoir, dans le contexte du milieu traditionnel africain subsaharien, la foi au Christ «vrai Dieu» et «vrai homme» à partir de nos traditions culturelles et religieuses d’aujourd’hui ? Ce livre de théologie, intégrant le domaine de l’inculturation, tente de répondre à cette question qui se présente comme un défi lancé à l’Eglise en Afrique. (Coll. Afrique théologique & spirituelle, 18.00 euros, 170 p.) ISBN : 978-2-296-96623-9 Yamgana et Pasanga – * DVD *
Boccara Michel Avec la participation de Pascale Barthélemy
«Nous sommes descendus du ciel grâce à des bandes de tissu», disent les Yiyonsé de Silaléba (Burkina Faso). Autochtones, ils ont ensuite passé une alliance avec des étrangers venus à cheval, et notamment leur chef, Naaba Yandefo, il y a plusieurs siècles – au XVIe d’après les chroniques. Ce film raconte cette histoire et ses développements contemporains et présente la mythologie d’une province moose, le Kirigtenga, ainsi que celle de son rituel central, le kiougou. (20.00 euros) ISBN : 978-2-296-13522-2
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Des moments de la révolution sankariste vue par un adolescent
SOUVENIRS DE LA RÉVOLUTION
Souvenirs de la Révolution est le récit d’un adolescent couvrant la période de 1982 à 1987. Il relate les souvenirs du jeune écolier du CM2, du temps du CMRPN et du CSP, mais se focalise sur la période de la révolution sankariste, qui a profondément marqué l’auteur. Ses souvenirs, ce sont aussi les conditions de vie du collégien vivant « loin » de ses parents, les décisions incomprises du CNR, notamment le licenciement massif des enseignants du primaire et la misère qui s’en est suivi, les Tribunaux populaires de la révolution, les mésaventures du jeune collégien du village découvrant Ouagadougou, et victime des CDR, son admiration et la description des festivités de l’an III de la Révolution, l’émotion ou le choc dû à la fin de la Révolution et surtout à la mort de Thomas Sankara. L’auteur y décrit ce choc avec force détails, car incontestablement, en dépit des reproches faits au CNR, il est un grand admirateur de Thomas Sankara et de son régime. Gnindé Bonzi est né le 20 décembre 1969 à Koumbia, au Burkina Faso. Il fait ses études primaires à Sindo en 1976-1977 et à Koumbia de 1977 à 1983. Puis de 1983 à 1988 il fréquente le CEG de Houndé. En 1989 il est admis à l’École nationale des enseignants du primaire (ENEP) de Loumbila. Respectivement instituteur certifié en 1996, instituteur principal en 1999, il devient inspecteur de l’enseignement du premier degré en 2006. Il est aussi titulaire d’une licence en linguistique obtenue en 2003, à l’université de Ouagadougou.
ISBN : 978-2-343-06008-8
14,50 €