Série 1. Pièces modernes. 3. Bertrand et Raton, ou l'art de conspirer: Comédie en cinq actes et en prose [Reprint 2021 ed.] 9783112431207, 9783112431191


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French Pages 136 [142] Year 1851

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Série 1. Pièces modernes. 3. Bertrand et Raton, ou l'art de conspirer: Comédie en cinq actes et en prose [Reprint 2021 ed.]
 9783112431207, 9783112431191

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Î

LECTURE ET CONVERSATION.

BERTRAND ET RATON ou

L'ART

DE

CONSPIRER,

COMÉDIE EN CINQ ACTES ET EN I'ROSE, par

M. Eugène

Scribe,

munie d e notes explicatives et philologiques et d'un questionnaire par C. P l o e t z , •locleur en philosophie.

Prix, cartonné 12 Sgr.

B e r l i n , C i t e z G. R e i m e¡rr ,, tt i l ) r a i r e - é d i t e u r .

1850. jg

— t t» H"TKlKÎ'

f f

s

LECTURE ET CONVERSATION. COLLECTION DE

PIECES

DE

THÉÂTRE,

ACCOMPAGNÉES DE NOTES ET SUIVIES D'UN QUESTIONNAIRE,

A L'USAGE DES ÉCOLES.

Première série: PIÈCES MODERNES. 3. Bertrand et Raton.

®

B e r l i n , Chez

G. R e i m e r ,

libraire-éditeur.

1850.

BERTRAND ET RATON ou

L'ART DE C O N S P I R E R , COMÉDIE EN CINQ ACTES ET EX PROSE,

par M. Eugène

Scribe,

munie de notes explicatives et philologiques et d'un questionnaire

par C. Ploetz, docteur en philosophie.

B e r l i n , C h e z G. R e i m e r ,

libraire-éditeur.

1850.

Ouvrage du même auleur, en vente chez F. A. Herbig à Berlin :

Cours gradué de langue française en s i x parties. (Chaque partie se vend séparément.) 1. J j i v r e é l é m e n t a i r e , premier é d i t i o n revue et corrigée.)

cours.

(Seconde

$ Ç r a n $ i > f t f d ) e ê ( f l c m c n t a r b u r h , erffer S u r f u S . 9 S o g e n . v/t ©gr. Omette ttetScfferte Sluflage.) 2. Iilvre élémentaire, second cours. î y r n n j i j f t f d b c ë © I c m c u t a r b u c h , jimter Surfit«. 18 Sogen. 15 ©gr. (Sine j i u e i t e îlttflage ift unter ter greffe.) 3. I i c c t u r c s

clloiHÎes.

(Sous presse.)

$ Ç r a t i $ p f t f c f c e é î i e f c i m d ) f û t b t e mittleren k l a f f e n . ter greffe.)

(Unter

4. Vocabulaire systématique et guide de conversation française. S e c o n d e é d i t i o n revue et augmentée. 2 ( u l c i t ï u t f l j « m f r a t i i ö f t f d ) S y r c c b e t t für »orgertiitere ©cl)üler unb ©dnilerinneit. 3 > » e i t e B e r m e Ç r t e Mttb ö e r & e f f e r t e 3 t « f l a ß e . 1 8 SBogen. 1 5 ©gr; Four paraître incessamment: 5. Syntaxe française à l'usage des classes supérieures. 6. Exercices «le syntaxe et de style.

Avertissement.

aque petit volume qui fera partie de cette collection, se composera de trois parties distinctes, du Texte, de Notes explicatives et philologiques et d'un Questionnaire. Notre édition étant destinée à l'usage des écoles, nous aurons soin de donner un lexie tout à fait correct, suivant les meilleures éditions de Paris. Parmi les notes les unes doivent aplanir les difficultés qu'une connaissance trop peu étendue de l'histoire, des institutions, des mœurs du pays oppose souvent à l'intelligence complète d'un passage, les autres ont pour but d'inspirer aux élèves le goût d'une étude plus approfondie de la langue. L'auteur sait très-bien que les dérivations latines et grecques qu'il a presque toujours eu soin d'appuyer sur l'autorité de l'ouvrage classique de M. Diez, ne peuvent avoir de l'utilité que pour les élèves des collèges. T o u t ce qui suppose la connaissance d'une langue morte a été placé entre deux parenthèses et disposé de manière à ne pas gêner l'élève auquel ces notes ne sauraient s'adresser. L e questionnaire n'est en quelque sorté- que le développement de la méthode que l'auteur a exposée dans la préface de la seconde édition de

TI son Vocabulaire systématique. Nous avons fait suivre chaque scène d'un certain Nombre de questions: nous en avons ajouté d'autres propres à récapituler les explications données dans les notes. E n composant ce double questionnaire, notre but a été de fournir au maître un moyen facile de puiser dans la lecture même un sujet de conversation. Il est bien entendu que ces questions peuvent se varier d'une manière infinie. Nous n'avons voulu qu'indiquer la méthode, c'est au maître d'y apporter tous les changements qu'il j u g e r a convenables et de donner à ce questionnaire plus ou moins d'extension, selon la force et les besoins des élèves auxquels il s'adresse. Voici les titres complets des ouvrages qui ont été souvent cités dans les notes: F. Diez, Grammatik der romanischen Sprachen. 3 vol. 8. Bonn 1836—44, chez E . Weber. Lesaint, Traité complet et méthodique de la Prononciation française. 1 vol. 8. Hambourg 1850, chez Perthes-Besser et Mauke. C. Ploetz, Vocabulaire systématique et guide de conversation française. Seconde édition revue et corrigée. Berlin 1850, chez F . A. Herbig.

B E R T R A N D ET RATON, ou

L'ART

DE

CONSPIRER;

COMÉDIE EN CINQ A C T E S E T EN P R O S E .

Représentée pour l a première fois, à P a r » , s u r l e Théâtre-Français, le 1 4 novembre 1 8 3 3 .

PERSONNAGES. M A R I E - J U L I E , reine douairière, belle-mère de Christian VII, roi de Danemark. LE COMTE B E R T R A N D DE R A N T Z A Ü , membre du conseil sous Struensée, premier ministre. F A L K E N S K I E L D , ministre de la g u e r r e , membre du conseil sous Struense'e.

C H R I S T I N E , fille de Falkenskield. K O L L E R , colonel. R A T O N B U R K E N S T A F F , marchand de soieries, M A R T H E , sa femme, É R I C , son fils. J E A N , son garçon de boutiqne. J O S E P H , domestique de Falkenskicld

FBEDERIC DE G ΠI . I I E R , ministre de la marine.

UN SEIGNEUR DE LA COUR ( B e r g h e n ) . LE PRÉSIDENT DE LA COUR SUPKÉHE.

neveu

du

La scène se passe à Copenhague,

1772.

en janvier

ACTE PREMIER. Une salle du palais du roi Christian, à Copenhague. A ganche, les appartements du roi, à droite, ceux de Straensëe.

SCÈNE PREMIÈRE. Koller, assis à droite; d u même c i t é , des grands d u royaume, d e s militaires, d e l employés d u palais, des solliciteurs, avec des pétitions à ) a m a i n , attendant le réveil d e Struensée. Koller,

regardant à gauche.

tements du r o i ! . . . du

favori! En

belle palais

place où

vérité,

que

un

Quelle

solitude

dans

si j ' é t a i s p o e t e s a t i r i q u e ,

la m i e n n e !

médecin

Capitaine

est premier

des

qui trouve

appar-

ministre,

qu'en

dise

ce serait

gardes où

e s t r o i , et o ù le r o i n ' e s t r i e n ! M a i s p a t i e n c e ! qui en snr la table à eoté de lui.) Q u o i cour,

les

(Regardant à droite.) E t q u e l l e f o u l e à la p o r t e

la

celte combinaison admirable.

une

dans

une

un

femme

(Prenant un journal Gazette

de

la

(Lisant bas.) A h I

1

2

BERTRAND ET RATON.

ahl encore un n o u v e l édit. (Lisant.) „ C o p e n h a g u e 1 4 janvier „ 1 7 7 2 . Nous, Christian V I I , 1 ) par la grâce de Dieu roi de „Danemark et de N o r w é g e , a v o n s confié par les p r é s e n t e s 2 ) „à son excellence le comte S t r u e n s é e , 3 ) premier ministre et T ) Christian V I I , roi de D a n e m a r k , né en 1749, succéda à son père F r é d é r i c V en 1700. Ce malheureux prince était déjà de b o n a e heure atteint d'une aliénation mentale qui devait le r e n d r e incapable de tenir lui-même les rênes du gouvernement. Aussi fut-il gouverné par d ' a u t r e s , pendant tout le courant de son règne. En 1770 il prit pour ministre son médecin Slruensée, qui bientôt le domina entièrement. Après la chute de ce favori ( v . note 3 ) toute l'autorité passa aux mains de la reine douair i è r e , Marie-Julie de Brunswick (v. notes 7 et 8), mais en 1784 le prince royal Frédéric, fils de Christian et de Mathilde, s'emp a r a de la p e r s o n n e de son père et du gouvernement. La fin du r è g n e de Christian VII fut m a l h e u r e u s e : Copenhague fut bomb a r d é e et prise par les Anglais (181)7). F o r c é de fuir, Christian alla mourir à Rendsbourg, en 18(18. Dans ses dernières années ce prince était tout à l'ait tombé dans l'enfance. L'expression la présente est souvent employée substantivem e n t , pour la lettre présente p. e. Aussitôt ta présente reçue, vous viendrez me rejoindre. — Lettres, au pluriel, se dit de certains actes expédiés en chancellerie ( S a n j l e i ) au nom du p r i n c e . Par les présentes : tureb gegfnrocirttge fbnigltdjt 33erortmtng. 3 ) Struensée ( S t r u e n f e f ) d'une famille originaire de Holstein, naquit à Halle (1737), où son père élail pasteur. Il exerçait la m é d e c i n e à Altona, lorsque Christian VII passa par celle ville p o u r faire son voyage de France et d Angleterre. Struensée fut n o m m é médecin particulier du roi pour l'accompagner dans ce v o y a g e , mais il sut se r e n d r e si a g r é a b l e qu'il conserva sa place m ê m e après le retour de la cour h Copenhague. Il devint le favori de Christian, fut chargé de l'éducation du prince royal, acquit bientôt un pouvoir sans bornes sur la j e u n e reine Caroline-Mathilde (v. note I I ) et par elle renversa le ministre Bernstort ( 1770), fut nommé en 177 I premier ministre et accomplit une révolution complète dans l ' É t a t , en abolissant le conseil privé du roi, en faisant d'utiles réformes dans les finances, l'industrie et les lois pénales. Mais ces changements ne f u r e n t point opérés avec assez de p r u d e n c e , Slruen»ée blessa la noblesse danoise par sa hauteur et par des réformes qui ne respectaient point leurs privilèges, et froissa le sentiment national par l'emploi de la langue allemande dans les actes publics. La reine douairière Marie-Julie ( v . note 7 ) et le comte de Ranlzau i v. note '24) se mirent à la tè e de ses ennemis et "obtinrent du faible roi son arrestation et celle de la reine Caroline-Mathilde. Traité avec une b a r b a r i e , digne des temps du moyen â g e , le minisire fut mis en jugement, et il eut la main droite et la tète tranchée en 1112. Son ami Brandt, qui avait partagé son étonnante fortune,

3

ACTE I, SCÈNE I.

„président du conseil, le sceau de l'État, ordonnant que tous „les actes émanés de lui soient valables et exécutoires dans „tout le r o y a u m e sur sa seule signature, m ô m e quand la „nôtre ne s'y trouverait pas!" Je c o n ç o i s alors lès n o u v e a u x h o m m a g e s qui ce matin entourent le favori : le voilà roi de Danemark; l'autre a tout à fait abdiqué; car, non content d'enlever à son souverain s o n autorité, s o n pouvoir, sa c o u ronne, Struensée o s e e n c o r e . . . Allons, l'usurpation est c o m plète. (Entre Berghen.) A h ! c'est vous, m o n cher Berghen. Berghen. Oui, colonel. V o u s v o y e z quelle foule dans l'antichambre ! Koller. Ils attendent le réveil du maître. Berghen. Qui du matin jusqu'au soir est accablé de visites. Koller. C'est trop juste! il en a tant fait autrefois, quand il était médecin, qu'il faut bien qu'on lui en rende, à p r é sent qu'il est ministre. Vous avez lu la Gazette de ce matin? Berghen. N e m'en parlez pas. Tout le m o n d e en est révolté; c'est une horreur, u n e infamie. Un huissier, sortant de l'appartement à droite. S o n e x c e l l e n c e le c o m t e S t r u e n s é e est v i s i b l e . 4 ) Berghen, à Koller. P a r d o n 1 (Il s'élanee vivement avec la foule, et entre dans l'appartement à droite.) subit la m ê m e peine. — Cet événement historique est le fond de la pièce qu'on a Sous les yeux, et dont M. Scribe, laissant de côté la fin tragique du ministre, qui ne parait pas m ê m e en s c è n e , a su tirer le sujet d'une c o m é d i e , dont la conspiration t r a m é e contre S t r u e n s é e fait les principaux frais. 11 va s a n s d i r e que l'auteur a traité les données historiques avec toute la liberté qu'il faut accorder au p o ë t e , qu'il a augmenté l'intérêt qu'inspirent les p e r s o n n a g e s connus dans l'histoire, par l'inTention d'une intrigue habilement combinée. Nous i n d i q u e r o n s dans les notes les p e r s o n n a g e s qui sont de la création de l'aut e u r , ainsi que les changements qu'il a faits dans les é v é n e m e n t s et dans les c a r a c t è r e s des p e r s o n n e s e m p r u n t é e s à l'histoire. — Ainsi l'e'dit qu'on lit dans le texte et qui confère à Struenséo un pouvoir égal à celui du roi, est déjà du 14 juillet 1771. Voulant c o m p r e n d r e dans l'espace de quelques j o u r s les é v é n e m e n t s d e sa pièce, M. S c r i b e a dû r a p p r o c h e r celte date de celle de la catastrophe qui eut lieu dans la nuit du 17 janvier 1772. 4 ) Être visible, n'être pas visible veut d i r e : vouloir ou ne vouloir pas recevoir une visite. Son excellence est visible: ud)en. 1*

4

BERTRAND 'ET RATON.

Koller. Et lui aussi! il va solliciter! Voilà les g e n s qui o b t i e n n e n t t o u t e s les p l a c e s , tandis q u e n o u s autres n o u s a v o n s b e a u n o u s m e t t r e s u r les r a n g s ; aussi, m o r b l e u ! p l u t ô t mourir q u e de rien leur d e v o i r ! je suis t r o p fier p o u r cela. On m ' a r e f u s é quatre fois, à moi, le colonel Koller, 3 ) ce g r a d e d e g é n é r a l q u e je m é r i t e , j e puis le dire, , car voilà dix ans q u e je le d e m a n d e ; mais ils s'en repentiront, ils a p p r e n d r o n t à m e c o n n a î t r e , 6 ) et ces services qu'ils n'ont p a s v o u l u acheter, je les vendrai à d'autres. (Regardant au fond du théâtre.) C'est la r e i n e - m è r e , Marie-Julie ; 7 ) reine d o u a i r i è r e , 8 ) s ) Koller (la véritable forme de son nom est Koller) est un des personnages empruntés à l'histoire. Il est le seul des personnes de la pièce dont le caractère soit exactement conforme à la vérité historique. Bienlôt après la révolution à laquelle il prit une part très-active, Koller fut éloigné du pouvoir p a r d'autres conspirateurs (Eichstädt et Guldderg) plus capables et plus heureux que lui. Il dut se contenter de la place de commandant de la forteresse de Rendsbourg. 6 ) Apprendre à connaître voyez Vocabulaire systématique p. 52, note 4. 7 ) Marie-Julie (3ltïmne=ï)!anc), princesse d'un caractère perfide et vindicatif, était la fille du duc Ferdinand Albrecht de Brunswick-Wolfenbiittel. En 1752 Frédéric V, roi de Danemark, l'épousa en secondes noces, deux ans après la mort de sa première femme, mère de Christian VII. Marie-Julie avait un fils, le prince F r é d é r i c , qui dans le temps où se passent les événements qui sont, pour ainsi d i r e , le fond de notre pièce, était âgé de 18 ans. C'était un jeune homme sans la moindre capacité qui se laissa gouverner par son ancien précepteur Gulilberg, aussitôt que les événements l'eurent appelé à la tête de la régence. Marie-Julie, ayant p e r d u , par la naissance du prince royal, l'espoir de voir un jour passer la couronne de Danemark sur la tête de ce fils, pour lequel elle avait une tendresse tout à fait aveugle, se jeta dans les bras de ceux qui, par ambition ou v e n g e a n c e , conspiraient la perte de la reine Mathilde et de Slruensée, son favori. 8 ) Le substantif douaire (du genre masculin) est un terme de droit qui signifie ce que le mari donne à sa femme pour qu'elle en j o u i s s e , en cas qu'elle lui survive. On en a formé l'adjectif féminin douairière ( d a n s ce mot ai sonne comme a , on prononce douairière presque comme doi—rière, v. Lesaint, Traité de la prononc. franç. p. 8 et 37), qui désigne une veuve, jouissant d'un d o u a i r e , mais qui ne se dit que des personnes d'un rang distingué. Reine douairière, princesse douairière. [Douaire du latin dotarium, mot de la basse latinité, de dotare. Diez, Gramm, d. rom Spr. II, 288.]

ACTE I, S C È N E II. à s o n âge, c'est de b o n n e heure, c'est terrible, et plus m o i encore elle a raison de leur en v o u l o i r . 9 )

5 que

SCÈNE II.

La reine, La

reine.

Koller.

A h ! c'est vous, Koller.

(Elle regarde autour d'elle avec inquiétude.) Koller. N e craignez rien, madame, nous sommes seuls; ils sont t o u s en ce m o m e n t aux pieds de Struensée o u de la reine M a t h i l d e 1 1 ) . . . A v e z - v o u s parlé au roi? La reine. Hier, c o m m e n o u s en étions c o n v e n u s ; j e l'ai t r o u v é seul, dans un appartement retiré, triste et pensif; une g r o s s e larme coulait de s e s y e u x : il caressait cet é n o r m e chien, s o n fidèle c o m p a g n o n , le seul de s e s serviteurs qui n e l'ait pas abandonné! — Mon fils, lui ai- je dit, m e r e c o n n a i s s e z - v o u s ? — Oui, m'a-t-il r é p o n d u , v o u s êtes m a b e l l e - m è r e 1 2 ) . . . Non, non, a-t-il ajouté vivement, m o n amie, •>) En vouloir à qn. veut d i r e : Vouloir du mal à q n . , être fâché contre qn. (^emaiibem «bel toollen, crjtirnt auf iljrt fein.) En f r a n ç a i s on dit madame aux princesses de tous les r a n g s , impératrices, reines etc. Les titres de Majesté al Altesse ne sont j a m a i s employés au vocatif, mais ils doivent toujours être accomp a g n é s d'un verbe. Ainsi on dit: Oserai-je d e m a n d e r à votre Majesté, si elle o r d o n n e etc.; votre Altesse a daigné etc., m a i s on r é p o n d , oui sire, non m o n s e i g n e u r , oui m a d a m e . [Dame du latin domina]. ,l ) Mathilde-Caroline, s œ u r de Georges III, roi d'Angleterre (v. note 10) épousa Christian VII en 1760, a n n é e de son avénément à la c o u r o n n e . Dans la nuit du 17 j a n v i e r 1772 où éclata la révolution qui devait la renverser du pouvoir auquel elle participait depuis l'élévation de son favori S t r u e n s é e , celte malheureuse princesse fut a r r ê t é e par Rantzau (voyez note 2 4 ) qui en avait a r r a c h é l'ordre au m o n a r q u e imbécile, et elle fut conduite à la forteresse de Kronenbourg. Comme elle tâchait de r é s i s t e r , elle fut traitée de la manière la plus indigne p a r les officiers et soldats dent Rantzau était accompagné. Après l'exécution de S t r u e n s é e (v. note 3 ) ses ennemis firent p r o n o n c e r son divorce avec le roi. Elle dut se retirer à Celle, ville du Hanovre, où elle donna p e n d a n t trois ans l'exemple d e toutes les vertus, et où elle fut adorée de tous ceux qui pouvaient a p p r o c h e r d'elle. Elle y mourut en 1775 avant d'avoir accompli sa vingt-quatrième a n n é e . 12 ) Le mot français belle-mère a, comme tous les termes d'alliance composés avec l'adjectif beau, belle, une double signi-

6

BERTRAND E t RATON.

m a v é r i t a b l e amie, c a r v o u s m e p l a i g n e z ! V o u s v e n e z m e v o i r , v o u s ! . . . E t il m ' a t e n d u la m a i n a v e c r e c o n n a i s s a n c e . Koller. la r a i s o n ?

Il n ' e s t d o n c p a s , c o m m e o n le dit, p r i v é

de

La reine. N o n ; m a i s , v i e u x a v a n t l ' â g e , 1 3 ) u s é p a r les excès de tout genre, toutes ses facultés semblent anéanties: sa t ê t e e s t t r o p f a i b l e p o u r s u p p o r t e r o u le m o i n d r e t r a v a i l o u la m o i n d r e d i s c u s s i o n ; il p a r l e a v e c p e i n e , a v e c effort, m a i s en v o u s é c o u t a n t , s e s y e u x s ' a n i m e n t et b r i l l e n t e n c o r e d ' u n e e x p r e s s i o n singulière; en ce m o m e n t ses traits n e r e s p i r a i e n t q u e la s o u f f r a n c e , et il m e dit a v e c u n s o u r i r e d o u l o u r e u x : V o u s le v o y e z , m o n a m i e , ils m ' a b a n d o n n e n t t o u s ; 1 4 ) et M a t h i l d e , q u e j ' a i m a i s t a n t , M a t h i l d e , m a femme, où est-elle? Koller. Il fallait p r o f i t e r d e l ' o c c a s i o n , lui f a i r e c o n n a î t r e vérité. La reine. C ' e s t c e q u e j'ai fait a v e c m é n a g e m e n t , a v e c a d r e s s e , lui r a p p e l a n t s u c c e s s i v e m e n t le t e m p s d e s o n v o y a g e e n A n g l e t e r r e et e n F r a n c e , à la c o u r d e G e o r g e s 1 5 ) et d e la

fication. D'abord il e x p r i m e l'alliance e n t r e les e n f a n t s et la s e c o n d e f e m m e de leur p è r e (©tiefmutter,). Puis il d é s i g n e l ' a l l i a n c e qui existe e n t r e un m a r i et la m è r e de sa f e m m e , ou e n t r e une f e m m e et la m è r e de son m a r i ( ©cfytDÎegermuttcr). D a n s cette signification on disait a u t r e f o i s aussi bru, mot qui a vieilli. t3 ) Le substantif âge m. qui signifie p r o p r e m e n t tous les d i f f é r e n t s d e g r é s de la vie d e l ' h o m m e , se dit quelquefois absol u m e n t au lieu d e : âge fort avancé, vieillesse. Il en est de m ê m e de l'adjectif figé, éc. C'est un homme déjà âgé s i g n i f i e : C'est un homme fort dgé, vieux [âge, en vieux f r a n ç a i s aage et éage, p r o b a b l e m e n t du latin aevum, c o m m e cage de cavea, abréger de abreviare], M ) Q u a n d tous ( p r o n o n c e z : t o u e e ) , n'est p a s suivi du m o t qu'il d é t e r m i n e : substantif, adjectif n u m é r a l , adjectif qualificatif ou p r o n o m , F% finale se prononce, et fait e n t e n d r e son articulation p r o p r e devant une consonne ou à la fin d ' u n e p h r a s e . Q u a n d tous est suivi du mot qu'il d é t e r m i n e , l'S finale est toujours muette devant une consonne. D e v a n t une voyelle, l's finale, qui se lie, s ' a r t i c u l e t o u j o u r s c o m m e z. „Voyez Lesaint, P r o n o n c . f r a n ç . p. 213. 15 ) George 1IT, roi d ' A n g l e t e r r e , succe'da en 1700 à G e o r g e II, son g r a n d - p è r e , obtint de brillants s u c c è s contre la F r a n c e d a n s la g u e r r e de S e p t - A n s , m a i s conclut en 1703 la paix de P a r i s qui fut p e u a v a n t a g e u s e p o u r son pays. Il eut à s o u t e n i r la

ACTE (, SCÈNE IL

7

Louis X V , 1 6 ) lorsque Struensée, l'accompagnant comme m é decin, gagna d'abord sa confiance et son amitié; puis je le lui ai montré plus tard, à son retour en Danemark, présenté par lui à la jeune reine, et, pendant la longue maladie de son fils, admis dans son intimité, la voyant à toute heure. Je lui ai peint une princesse de dix-huit ans, écoutant sans défiance les discours d'un homme jeune, beau, aimable, a m bitieux; ne prenant bientôt que lui pour guide et pour c o n seil; se jetant par ses avis dans le parti qui demandait la réforme, et plaçant enfin à la tête du ministère ce m ê m e Struensée, parvenu audacieux, favori insolent qui, par les bontés de son roi et de sa souveraine, élevé s u c c e s s i v e ment au rang de gouverneur du prince royal, de conseiller, de comte, de premier ministre enfin, osait maintenant, parguerre contre les colonies d'Amérique révojtées, et fut forcé en 1783 de reconnaître l'indépendance des Ëlats-Unis. Sous son règne l'Anglelerre combattit de tout son pouvoir la révolution française. George III eut pour principal ministre le célèbre Pitt; c'est sous son règne que brillèrent Fox, Burke, Shéridan. En 1810 ce roi tomba en démence et ne mourut que dix ans après. Son fils, George IV, exerça pendant ce temps la régence. x6 ) Louis XV, arrière-petit-fils (Urettfel) et successeur de Louis XIV, fut de'claré roi de France en 1715, sous la régence de Philippe, duc d'Orléans, et eut Fleury pour précepteur. Devenu majeur en 1723 (à l'âge de treize ans) il conserva le régent pour premier ministre, puis après la mort subite de ce prince il donna cette place au duc de Bourbon qui, après un ministère de deux ans, fut renversé par le cardinal de Fleury, qui dominait le roi depuis longtemps et qui devint alors premier ministre. En 172") on maria le jeune roi à Marie Leczinska, fille de Stanislas, roi de Pologne, qui, de'pouillé de son royaume, vivait en France dans la détresse. Louis XV, qui montra d'abord de bonnes dispositions, ne fut qu'un prince faible, débauché, insouciant. Les désordres et les malheurs de son règne, conjointement avec ceux du règne pre'cédent, ont amassé les orages qui éclatèrent sous Louis XVI, son successeur et petit-fils. Les principaux ministres de Louis XV, après Fleury, furent le duc de Choiseul, l'abbé Terray et Maupeau. Madame de Pompadour et Madame Dubarry exercèrent successivement sur le roi un pouvoir absolu et funeste. L'e'vénement le plus désastreux de son règne fut pour la France la guerre de Sept-Ans, qui fit perdre au pays la plupart de ses possessions coloniales en Amérique, notamment le Canada et détruisit pour longtemps l'estime que l'Europe avait toujours eue pour les armes françaises, par la honteuse défaite de Hosbach (1757).

8

BERTRAND ET RATON.

jure à la reconnaissance et à l'honneur, oublier ce qu'il devait à son bienfaiteur et à son roi, et ne craignait pas d'outrager la majesté du trône!... A ce mot, un éclair d'indignation a brillé dans les yeux du monarque déchu; sa figure pâle et souffrante s'est animée d'une subite rougeur; puis, avec une force dont je ne l'aurais pas cru capable, il a appelé, il s'est écrié: La reine! la reine! qu'elle vienne, je veux iui parler! Ko lier. 0 ciel! La reine. Quelques instants après a paru Mathilde, avec cet air que vous lui connaissez,... cet air d'amazone; 1 7 ) la téte haute, le sourire superbe, et laissant tomber sur moi un regard de triomphe et de dédain. Je suis sortie, et j'ignore quelles armes elle a employées pour sa défense; mais ce matin elle et Struensée sont plus puissants que jamais; et cet édit qu'elle a arraché au faible monarque, cet édit que publie aujourd'hui la Gazette royale, donne au premier ministre, à notre ennemi mortel, toutes les prérogatives de la royauté. Koller. P o u v o i r 1 8 ) dont Mathilde va se servir contre vous, et je ne doute pas que dans sa vengeance... La reine. Il faut donc la prévenir. Il faut, aujourd'hui m ê m e . . . (S'arrètant.) Qui vient là? Koller, regardant au fond. Des amis de Struensée! le neveu du ministre de la marine, Frédéric de Gœlher, puis M. de 17 ) Les Amazones est p r o p r e m e n t le nom d'une p e u p l a d e fabuleuse de f e m m e s g u e r r i è r e s , qui habitaient, d'après ce que l'on croyait, les côtes du Pont-Euxin (Mer-Noire). Le mot amazone est aujourd'hui fort usité c o m m e nom a p p e l l a t i f : on dés i g n e ainsi une f e m m e d'un c o u r a g e m â l e et guerrier. Habit amazone et q u e l q u e f o i s s i m p l e m e n t amazone se dit d'une robe o r d i n a i r e m e n t d e d r a p , que les f e m m e s portent pour monter à cheval. Le pouvoir vient d e s s e c o u r s ou de la liberté d'agir, la puissance vient d e s forces. Pouvoir e x p r i m e deux idée3 qui sont relatives, l'une à c e l l e d'autorité, l'autre à celle de puissance. Avec l'autorité on a un pouvoir, le pouvoir juste et légitime, la voie de droit: avec la puissance, la f o r c e , on a un pouvoir, le pouvoir e x é c u t o i r e , la voie de fait. Le premier de c e s pouvoirs ( e t c'est celui dont il s'agit d a n s notre p a s s a g e ) é m a n e d e l'autorité; le s e c o n d de la puissunce; l'un a n n o n c e l'autorité qui e x e r c e s o n droit, et l'autre la puissance qui e x e r c e s o n action.

ACTE I, S C È N E II. Falkenskield,19) a v e c luil

le

ministre

do

la

La reine. thilde...

9 guerre:

Une demoiselle d ' h o n n e u r 2 0 ) Silence devant elle! SCÈNE

Gœlher,

sa

fille

est

d e la r e i n e M a -

III.

Christine, Falkenskield,

la reine,

Koller.

Gœlher, entrant en donnant la main à Christine. Oui, m a d e m o i s e l l e , j e d o i s a c c o m p a g n e r la reirie d a n s sa p r o m e n a d e ; u n e c a " ) Falkenskield (la véritable f o r m e de son n o m est Falkenskiold') est un p e r s o n n a g e historique. Il fut le partisan le p l u s fidèle de S t r u e n s é e a u q u e l il devait sa f o r t u n e . A l'exception d e cette c i r c o n s t a n c e M. S c r i b e a fait de Falkenskiold un tout a u t r e p e r s o n n a g e qu'il n'a été en réalité. Tandis que le poëte le r e p r é s e n t e c o m m e un h o m m e de q u a r a n t e à c i n q u a n t e a n s , d u r , hautain et m ê m e m é c h a n t (v. Acte V), m o n t r a n t q u e l q u e fois un esprit t r è s - b o r n é (v. Acte 111), tandis qu'il le fait ministre de la guerre e t , q u ' i l lui d o n n e u n e fille adulte d o n t l ' a m o u r p o u r le j e u n e E r i c (v. note 3 5 ) j o u e un si g r a n d rôle s u r la s c è n e , Falkenskiold n ' a v a i t que '27 a n s , n ' o c c u p a i t q u e le r a n g de colonel et de c h a m b e l l a n et s'est t o u j o u r s m o n t r é loyal et h o m m e de b o n s s e n s , d o n n a n t à S t r u e n s é e d e s conseils de modération qui f u r e n t r a r e m e n t é c o u t é s . De tous les a m i s du m i n i s t r e , à la s e u l e exception de Brandt ( v . Acte I , note 3 ) , il eut le sort le plus d u r , p a r c e qu'il avait eu le m a l h e u r de s'attirer la haine du p r i n c e F r é d é r i c , fils de Marie-Julie ( v . note 7 ) . Après avoir p e r d u son r a n g et s e s p l a c e s , F a l k e n s k i o l d dut être confiné, p o u r le reste de ses j o u r s , s u r le r o c h e r désert d e M u n k h o l m , p r è s de D r o n t h e i m , en N o r w é g e . Il y resta ,en effet cinq a n s , exposé à toutes les priv a t i o n s , p a r c e que le g o u v e r n e m e n t d a n o i s ne voulait p a y e r qu'un demi-thaler p a r j o u r p o u r les frais de son e n t r e t i e n . En 1777 il fut r e l â c h é sur les vives instances d e la Russie, p a y s q u ' i l avait a u t r e f o i s servi c o m m e militaire. L o r s q u e le p r i n c e royal eut pris les r ê n e s du g o u v e r n e m e n t , on essaya d e le déd o m m a g e r des m a l h e u r s qu'il avait soufferts, l.es mémoires de M. de Falkenskiold ont été publiés en à Paris 1826 par S e c r e t a n . — Gœhler (son véritable n o m est Gdhler) dont M. S o r i b e fait le m i n i s t r e de la m a r i n e , l'ut en r é a l i t é lieutenant-général et ministre des affaires é t r a n g è r e s . Il ne fut puni a p r è s la r é v o l u t i o n , q u e p a r la perte de ses dignités. M. Frédéric de Gœhler, le n e v e u du ministre qui joue d a n s la pièce un rôle si r i d i c u l e est un p e r s o n n a g e de l'invention du poëte. ,0 ) On appelle demoiselle d honneur, ou dame d'honneur, une dame noble, chargée d'accompagner une reine, une princesse:

BERTRAND ET RATON.

]0

v a l c a d e magnifique! E t si v o u s voyiez c o m m e sa majesté se tient à cheval! c'est u n e p r i n c e s s e bien r e m a r q u a b l e ; ce n ' e s t pas u n e f e m m e ! . . . La reine, à Koller. C'est un colonel de c h e v a u - l é g e r s . 2 1 ) Christine, à Falkenskield. La r e i n e - m è r e . (Elle salue ainsi que ion père et Gulher.) Je m e rendais chez vous, m a d a m e . La reine, avec étonnement. Chez moi! Christine. J'avais a u p r è s de v o t r e m a j e s t é u n e m i s s i o n . . . La reine. Dont v o u s p o u v e z v o u s acquitter ici. Falkenskield. Je v o u s laisse, m a fille; j'entre chez le c o m t e de Struensée, c h e z le premier ministre. Gœlher. Je v o u s suis; je vais lui p r é s e n t e r m e s h o m m a g e s et ceux de m o n oncle, qui est ce matin l é g è r e m e n t indisposé.

Falkenskield.

Vraiment!

Gœlher. Oui; hier soir il avait a c c o m p a g n é la reine Mathilde s u r s o n y a c h t 2 2 ) r o y a l ; . . . e t ' l a m e r lui a fait mal. La reine. A u n ministre de la m a r i n e ! Gœlher. Ce ne sera rien. Falkenskield, apercevant Koller. Ah! b o n j o u r , colonel Koller; v o u s savez q u e je m e suis o c c u p é de votre demande. La reine, bas, à Koller. Vous leur d e m a n d i e z . . . Koller, de même. P o u r éloigner leurs s o u p ç o n s . Falkenskield. Il n'y a pas m o y e n dans ce m o m e n t ; la reine Mathilde n o u s avait r e c o m m a n d é u n j e u n e officier de d r a g o n s . . . Gœlher. Charmant cavalier, qui au dernier ^bal a dansé la h o n g r o i s e d ' u n e m a n i è r e ravissante. §0fbame. La traduction littérale, de l'expression allemande veut dire tout autre chose. Une dame de la cour est une femme qui va à cour, qui est reçue à la cour. 3t ) Chevau-légers se disait autrefois en France de certaines compagnies de cavalerie légère qui faisaient partie de la maison du roi. On disait aussi, au singulier: Un chevau-léger. A présent il n'y a plus de chevau-légers en France, mais cette troupe existe encore dans d'autres pays, p. e. en Bavière. " ) Un yacht (on prononce iaque v. Lesaint p. 106) est une sorte de petits bâtiments qui va à voiles et à r a m e s , et qui sert ordinairement pour la promenade. A coup s û r , M. Scribe ne sait pas ce que c'est que l'Atver à Copenhague. Sans cela il ne ferait pas faire à la reine une promenade en mer le 13 janvier.

ACTE I, S C È N E IV.

11

Falkenskield. Mais plus tard nous verrons ; il est à croire que vous serez de la première promotion de g é n é raux, en continuant à nous servir avec le même zèle. La reine. Et en apprenant à danser! Falkenskield, souriant. Sa majesté est ce matin d'une h u meur charmante; elle partage, je le vois, la satisfaction que nous donne à- tous la nouvelle faveur de Struensée. J'ai l'honneur de lui présenter mes respects. (Il entre à droite avec Gœllier.) SCÈNE IV. Christine, la reine,

Kaller.

La reine, à qui Koller a approché un fauteuil à droite. E h b i e n , m a d e moiselle! parlez. V o u s venez... Christine. De la part de la reine... La reine. De Mathilde!... (Se tournant ver! Koller.) Qui déjà, sans doute, dans sa vengeance... Christine. Vous invite à vouloir bien honorer de votre présence le bal qu'elle donne demain soir en son palais. La reine, étonnée. M o i ! . . . ^Cherchant à se remettre.) A h ! . . . i l y a d e m a i n à la cour... u n bal... Christine. Qui sera magnifique. La reine. Sans doute pour célébrer aussi son nouveau triomphe... Et elle m'invite à y assister! Christine. Que répondrai-je, madame? La reine. Que je refuse ! Christine. Et pour quelle raison? La reine, se levant. Eh mais! a i - j e besoin de vous le dire? Quiconque se respecte et n'a pas encore renoncé à sa propre estime, peut-il approuver par sa présence le scandale de ces fêtes, l'oubli de tous les devoirs, le mépris de toutes les b i e n s é a n c e s ? . . . Ma place n'est pas où président Mathilde et Struensée, ni la. vôtre non plus, mademoiselle; et v o u s vous en seriez aperçue déjà si en vous laissant, dans l'intérêt de son ambition, comme demoiselle d'honneur dans une pareille cour, M. de Falkenskield, votre p è r e , ne v o u s avait ordonné sans doute de baisser les y e u x et de ne rien voir. Christine. J'ignore, madame, qui peut -motiver la s é v é rité et la rigueur dont paraît s'armer votre majesté. Je

12

BERTRAND ET RATON.

n'entrerai point dans une discussion à laquelle m o n âge et m a position m e r e n d e n t étrangère. Soumise à mes devoirs, j'obéis à mon p è r e , je respecte mu souveraine, je n'accuse p e r s o n n e ; et si l'on m'accuse, je laisserai à ma seule c o n duite le soin de m e défendre! (Faisant la révérence.) P a r d o n , madame. La reine. E h quoi! m e quitter déjà p o u r courir a u p r è s de votre r e i n e ? . . . Christine. Non, m a d a m e ; mais d'autres soins... La reine. C'est j u s t e ; . . . je l'oubliais; je sais qu'il y a aujourd'hui aussi une fête chez votre p è r e ; il y en a p a r tout. Un grand d î n e r , je crois, où doivent assister t o u s les ministres? Christine. Oui, madame. Koller. Dîner politique! La reine. Qui a aussi un autre b u t , vos fiançailles... Christine, troublée. 0 ciel! La reine. Avec Frédéric de Gœlher, que n o u s v e n o n s de v o i r , le neveu du ministre de la marine. E s t - c e _ . q u e v o u s l'ignoriez? E s t - c e que je vous l'apprends? Christine. Oui, madame. La reine. Je suis d é s o l é e ; . . . car cette nouvelle a v r a i m e n t l'air de v o u s contrarier. Christine. En aucune façon, madame ; mon devoir et m o n plus ardent désir seront toujours d'obéir à mon père. (Elle fait la révérence; et sort.) SCÈNE y .

La reine,

Koller.

La reine, la regardant sortir. Vous l'avez entendu, Koller;... ce soir à l'hôtel du comte de Falkenskield... Ce dîner où doivent se trouver réunis et Struensée et tous ses collèg u e s , c'est ce que j'allais vous apprendre quand on est venu n o u s interrompre. Koller. E h bien! qu'importe? La reine, i, demi-rai. Ce qu'il importe! C'est le ciel qui n o u s livre ainsi tous nos ennemis à la fois. Il faut n o u s en emparer ou nous en défaire! Koller. Que d i t e s - v o u s ?

ACTE I, SCÈNE V.

13

La reine, de même. Le régiment que vous commandez est cette semaine de garde au palais; et les soldats dont vous pouvez disposer suffisent pour une pareille expédition, qui ne demande que de la promptitude et de la hardiesse. Koller. Vous croyez... La reine. D'après ce que j'ai vu hier, le roi est trop faible pour prendre aucun parti; mais il approuvera tous ceux qu'on aura pris. Une fois Struensée renversé, les preuves ne manqueront pas contre lui et contre la reine. Mais renversons-le! ce qui est facilé, si j'en crois cette liste que vous m'avez confiée, et que je vous rends! C'est le seul moyen de ressaisir le pouvoir, d'arriver à la régence 2 3 ) et de gouverner sous le nom de Christian VII. Koller, prenant le papier. Vous avez raison, un coup de main, c'est plus tôt fait; cela vaut mieux que toutes les menées diplomatiques, auxquelles je n'entends rien. Dès ce soir je vous livre les ministres morts ou vifs. Point de grâce; Struensée d'abord, Gcelher, Falkenskield et le comte Bertrand de Rantzau! 2 4 )... 2J ) On appelle régence, la dignité qui donne pouvoir et autorité de gouverner un Etat pendant la minorité, l'absence ou la de'mence du souverain, et on appelle régent celui qui est revêtu de celte dignité. 24 ) Le comte de Rantzau (son nom est proprement RantzauAschberg) est encore un des personnages historiques de la pièce, mais M. Scribe nous a peint son caractère sous un jour beaucoup moins odieux, qu'il ne l'était réellement. Il paraît que c'était un homme méchant, perfide et inconstant, aventureux et sans principes, servant tous les partis et abandonnant lâchement ses amis au moment du danger. Il avait puissamment travaillé à élever Struensée et son parti, mais blesse par ce parvenu dans son amour propre, du reste ruiné et perdu de dettes, ne voyant d'espoir de se sauver que dans une révolution, Rantzau alla se joindre à la reine Marie-Julie. Aussi fut-il méprisé par tout le inonde; quand la révolution eut réussi, or. l'éloigna promptement des affaires, en lui donnant une pension dont il alla jouir dans la France méridionale. Il y est mort quelques années plus tard. Quant à la finesse d'esprit et à l'habilité dont il fait preuve dans la pièce, ce sont des qualités qu'il possédait réellement, sans qu'il ait pour cela joué le rôle important qu'il plaît à l'auteur de lui assigner sur la scène. Du reste il est hors de doute que M. Scribe, en faisant du comte de Rantzau le principal meneur de la conspiration, en le représentant comme un homme habile qui, sans se montrer ostensiblement, conduit tout aveo une

14

BERTRAND ET RATON.

La reine. Non, non; j e demande qu'on épargne celui-ci. Koller. Lui moins que tout autre, car j e lui en veux personnellement; ses plaisanteries continuelles contre les militaires qui ne sont pas soldats et qui gagnent leurs grades dans les b u r e a u x , 2 5 ) ces intrigants en épaulettes, comme il les appelle... La reine. Que vous importe? Koller. C'est moi qu'il désigne par là, je le sais, et j e m'en vengerai. LcCreine. Pas maintenant!... nous avons besoin de luil il nous est nécessaire pour nous rallier le peuple et la cour. Son grand nom, sa fortune, ses talents personnels, peuvent seuls donner de la consistance à notre parti,... qui n'en a pas; car tous les noms que vous m'avez donnés là sont sans influence au dehors; et il ne suffît pas de r e n verser Struensée, il faut prendre sa place, il faut s'y maintenir surtout. Koller. J e le sais! Mais chercher des alliés parmi nos ennemis... La reine. Rantzau ne l'est pas, j'en ai des preuves; il aurait pu me perdre, il ne l'a pas fait, et souvent m ê m e il m'a avertie indirectement des dangers 'auxquels mon imprudence allait m'exposer; enfin j e suis certaine que Struensée, son collègue, le redoute et .voudrait s'en défaire; que lui, supériorité d'esprit et une finesse qui charment le spectateur, a voulu produire devant les yeux du public parisien un des plus célèbres diilomales de l'époque, le (ameuxTalleyrand (on prononce Ta-lai-ran £al«Iciï)], sans I mouillée) qui vivait encore lors de la première représentation de celte comédie (il n'esl morl qu'en 1838) et qui. après avoir servi tous les gouvernements qui s'étaient succédé en F r a n c e depuis 1 7 8 9 , fut encore employé par la dynastie de Juillet. Bien p l u s , ce qui a fait à Paris le s u c c è s prodigieux de cette pièce c'est qu'on a voulu y voir une allusion aux événements de la révolution de Juillet ( 1 8 3 0 ) et à certains personnages qui y ont j o u é un grand rôle. " ) Le m o t ô u r e a u q u i signifie proprement une table destinée au travail des affaires, sur laquelle on é c r i t , on met des papiers etc. (©djrnbtifrf)), se dit par extension de tout endroit où travaillent habituellement des employés, des commis. Les bureaux d'un ministère. Le mot bureau, dans sa première signification, vient de bure, bureau, noms d'une étoffe grossière faite de laine (b, t. mit grobem S£ucï) tiberjogen). [Bure et bureau du latin birrus (burrus, burra). V. liiez, Grainm. d. rom. S p r . I, 9 et 10.J

f

15

ACTE I, SCÈNE VF.

de son côté, déteste Struensée, qu'il le verrait avec plaisir tomber du rang qu'il oceupe: et de là à nous y aider... il n'y a qu'un pas. Koller. C'est possible, mais je ne peux pas souffrir ce Bertrand deRantzau; c'est un malin petit vieillard qui n'est l'ennemi de personne, c'est vrai, mais il n'a d'ami que. lui. S'il conspire, c'est à lui tout seul et à son bénéfice; en un mot, un conspirateur égoïste avec lequel il n'y a rien à gagner, et, partant, rien à faire. La reine. C'est ce qui vous trompe... (Regardant vers la coulisse, à gauche.) Tenez, le voyez-vous dans cette galerie, causant avec le grand chambellan? 2 6 ) il se rend sans doute au conseil; laissez-nous: avant de l'attirer dans notre parti, avant de lui rien découvrir de nos projets, je veux savoir ce qu'il pense. Koller. Vous aurez de la peine!... En tout cas, je vais toujours répandre dans la ville des gens dévoués qui prépareront l'opinion publique. Herman et Christian sont des conspirateurs secondaires, qui s'y entendent à merveille; pour cela, il ne s'agit que de les payer... Je l'ai fait, et maintenant à ce soir ; comptez sur moi et sur le sabre de mes soldats... En fait de conspiration, c'est ce qu'il y a de plus positif. (Il sort par le fond cil saluant RanUau, qui entre par la gauche.) SCÈNE VI.

Le comte de Rantzau,

la reine.

La reine, k Rantau, qui la salue. Et vous aussi, monsieur le comte, vous venez au palais présenter vos félicitations à votre très-puissajit et très-heureux collègue... Rantzau. Et qui vous dit, madame, que je n'y viens pas pour faire ma cour à votre majesté? 26 ) On appelle grand chambellan le premier officier (23eamter) de la chambre du roi, celui qui sert le roi prélérablement aux premiers gentilshommes. Chambellan est un titre de cour qu'on donne aux gentilshommes qui servent ou ont le droit de servir un prince dans sa chambre. La marque distinctive de l'emploi d'un chambellan est une clef attachée à la poche droite de l'habit. | Chambellan en vieux français chamberlan et cham-

brelenc

de

l'allemand

chamerling,

Gramm. d. rom. Spr. II, 312.

caméra.

Diez

/ , I'J3.]

jl ci m m c r 11 n g ,

V.

Dies,

Chambre et Ranimer du latin

16

BERTRAND ET RATON. La

reine.

C'est g é n é r e u x ; . . .

c ' e s t d i g n e de v o u s ,

du

reste, au m o m e n t o ù p l u s que j a m a i s j e s u i s en d i s g r â c e , . . . o ù j e vais être e x i l é e

peut-être.

Rantzau.

Crovez-vous

La reine.

E h m a i s ! c'est à v o u s que j e le

qu'on

l'oserait? demanderai;

v o u s , B e r t r a n d de Rantzau, ministre i n f l u e n t , . . . v o u s , du

membre

conseil. Rantzau.

jamais.

Moi! j'ignore

ce qui s ' y p a s s e ; . . . j e n ' y

vais

S a n s d é s i r s , s a n s a m b i t i o n , n'aspirant qu'à m e

tirer d e s affaires, que v o u l e z - v o u s

re-

que j ' y f a s s e ? si ce n'est

p a r f o i s y p r e n d r e la d é f e n s e de q u e l q u e s a m i s i m p r u d e n t s , . . . c e qui p o u r r a i t bien m ' a r r i v e r '

La

reine.

connaissez

vous

donc...

Rantzau. nement;

aujourd'hui.

V o u s qui p r é t e n d i e z ne rien s a v o i r , . . .

et

Ce qui s'est p a s s é hier c h e z le r o i . . . convenez

Certai-

q u e c ' e s t u n e s i n g u l i è r e prétention

à

v o u s de v o u l o i r a b s o l u m e n t lui p r o u v e r . . . Mais en pareil c a s un le

bourgeois croirait

lui-même,

pas!

Et

vous

un

bourgeois

de C o p e n h a g u e

e s p é r i e z le p e r s u a d e r

ne

à u n front

c o u r o n n é ! . . . V o t r e majesté' devait a v o i r tort. La stian,

reine. à

un

A i n s i v o u s m e b l â m e z d'être roi

malheureux!

q u a n d on v e u t d é m a s q u e r

des

E t q u ' o n n ' y réussit p a s . . .

La

avec mystère.

Et

si j e

c o m p t e r s u r v o t r e aide, s u r v o t r e Rantzau, La

reine,

Oui,

réussissais,

madame. pourrais-je

appui?

avec force.

Il

cas,

vôtre. vous

serait

assuré,

je

vous

le

M'en jurerez-YOUS autant, j o n e dis p a s avant, mais

a p r è s le

danger?

Rantzau. La

Chri-

souriant. M o n a p p u i ! à m o i . . . qui en pareil

au contraire, r é c l a m e r a i s le jure...

à

traîtres!

Rantzau. reine,

fidèle

V o u s p r é t e n d e z q u ' o n a tort

V r a i m e n t ! . . . Il y

reine.

Rantzau.

Puis-je me Eh

mais!...

fier

en a à

il m e

donc?

vous? semble

que

je

possède

déjà q u e l q u e s s e c r e t s qui auraient p u p e r d r e v o t r e majesté, et que j a m a i s . . . La

reine,

vivement.

s o i r c h e z le ministre u n g r a n d dîner o ù Rantzau.

Oui,

Je le sais.

(A demi-voix.) V o u s a v e z

ce

de la g u e r r e , le c o m t e de Falkenskield,

assisteront tous v o s madame,

et

demain

collègues?... un g r a n d b a l



ACTE I, S C È N E VI.

17

ils assisteront également. C'est ajnsi que nous traitons les affaires. Je ne sais pas si le conseil marche, mais il danse beaucoup. 2 7 ) La reine, avec mystère. Eh bien! si vous m'en croyez, restez chez vous. Rantaau, laregardantavecfinesse.Ah! vous vous méfiez du diner,... il ne vaudra rien. La reine. Oui... Que cela vous suffise. Rantzau, souriant: Des demi-confidences! Prenez garde! je peux trahir quelquefois les secrets que je devine,... jamais ceux que l'on me confie. La reine. Vous avez raison; j'aime mieux tout vous dire. Des soldats qui me sont dévoués cerneront l'hôtel de Falkenskield, s'empareront de toutes les issues... Rantzau, d'an air d'incrédulité. D'eux-mêmes et sans chef? La reine. Koller les commande; Koller, qui ne reçoit d'ordres que de moi, se précipitera avec eux dahs les rues de Copenhague en criant: Les traîtres ne sont plus! vive le roi! vive Marie-Julie! De là nous marchons au palais, où, si vous nous secondez, le roi et les grands du royaume se déclarent pour nous, me proclament régente; et dès demain, c'est moi, ou plutôt c'est vous et Koller qui dicterez des lois au Danemark. Voilà mon plan, mes desseins; vous les connaissez; voulez-vous les partager? Rantzau, froidement. Non, madame; je veux même les ignorer entièrement, et je jure ici à votre majesté que, quoi qu'il arrive, les projets qu'elle vient de me confier mourront'avec moi. La reine. Vous me refusez, vous qui en secret aviez toujours pris ma défense, vous en qui j'espérais!... Rantzau. Pour conspirer!... Votre majesté avait grand tort. La reine. Et pour quelles raisons? Rantzau, cherebant ses mots. Tenez,... à vous parler franchement... " ) C'est un mot d'esprit que le p r i n c e de Li&ne a p r o n o n c é , d i t - o n , lors du c o n g r è s de Vienne (1HI4). I n t e r r o g é s u r la m a r c h e d e . s affaires dans un temps où les d i p l o m a t e s d e s différ e n t e s n a t ' o n s se d o n n a i e n t n Vienne b e a u c o u p de fêles et d e bals, il r é p o n d i t : „Je ne sais pas, si le Congrès marche, mais il danse beaucoup."

2

18

BERTRAND E T RATON.

La reine. Vous allez me tromper. Rantzau, froidement. Moi! dans quel but? Depuis longtemps je suis revenu des conspirations,' et voici pourquoi. J'ai remarqué que ceux qui s'y exposaient le plus étaient très-rarement ceux qui en profitaient ; ils travaillaient presque toujours pour d'autres qui venaient après eux récolter sans danger ce qu'ils avaient semé avec tant de périls. Une telle chance est bonne à courir pour des.jeunes gens, des fous, des ambitieux qui ne raisonnent pas. Mais moi, je raisonne; j'ai soixante ans, j'ai quelque pouvoir, quelque richesse;:., et j'irais compromettre tout cela, risquer ma position, mon crédit!... Pourquoi, je vous le demande? La reine. Pour arriver au premier rang; pour voir à vos pieds un collègue, un rival, qui lui-même cherche à vous renverser... Oui... je sais, à n'en pouvoir douter, que Struensée et ses amis veulent vous écarter du ministère. Rantzau. C'est ce que tout le monde dit, et je ne puis le croire. Struensée est mon protégé, ma créature, c'est par moi- qu'il est arrivé aux affaires. . . (Souriant.) Il l'a quelquefois oublié, j'en conviens; mais dans sa position il est si difficile d'avoir de la mémoire!... A cela près, il faut le reconnaître, c'est un homme de talent, un homme supérieur, qui a pour le bonheur et la prospérité du royaume des vues dont on ne peut méconnaître la haute portée; 2 8 ) c'est un homme enfin avec qui l'on peut s'honorer de partager le pouvoir... Mais un Koller, un soldat inconnu, dont l'épée sédentaire n'est jamais sorti du fourreau, un agent d'intrigues qui a vendu tous ceux qui l'ont acheté... La reine. Vous en voulez 2 9 ) à Koller! Sanizau. Moi!... je n'en veux à personne;... mais je me dis souvent: Qu'un homme de cour, qu'un diplomate soit fin, adroit et même quelque chose de plus,... c'est son état; mais qu'un militaire, qui, par le sien même, doit proî8 ) Portée q u i s i g n i f i e p r o p r e m e n t la d i s t a n c e à l a q u e l l e u n e a r m e à feu p e u t l a n c e r u n e lialle (2d)n(jh)eite, ï r a g l B c i t e ) , s e d i t s o u v e n t au figuré fid)tfn md)t »etfennett. > >') En vouloir gn. v . A c t e 1, n o t e !).

19

JACTE I, S C È N E VI.

fesser la loyauté et la franchise, troque 3 ") son épée contre un poignardI... Un militaire qui trahit, un traître en uniforme,... c'est la pire espèce de toutes! et dès aujourd'hui, peut-être, vous-même vous vous repentirez de vous être fiée à lui. La reine. Qu'importent les moyens, si l'on arrive au but? Rantzau. Mais vous n'y arriverez pas! On ne verra làdedans que les projets d'une vengeance ou d'une ambition particulière. Et qu'importe à la multitude que vous vous vengiez de la reine Mathilde, votre rivale, et que, par suite de cette discussion de famille, M. Koller obtienne une belle place? Qu'est-ce que c'est qu'une intrigue de cour, à laquelle le peuple ne prend point de part? 11 faut, pour qu'un pareil mouvement soit durable, qu'il soit préparé ou fait par lui; et pour cela il faut que ses intérêts soient en j e u , . . . qu'on le lui persuade du moins 1 Alors il se lèvera, alors vous n'aurez qu'à le laisser faire; il ira plus loin que vous ne voudrez. Biais quand on n'a pas pour soi l'opinion publique, c'est-à dire la nation,... on peut susciter des troubles, des complots, on peut faire des révoltes, mais non pas des révolutions!... c'est ce qui vous arrivera. La reine. Eh bien! quand il serait vrai... quand mon triomphe ne devrait durer qu'un jour, je me serai vengée du moins de tous mes ennemis! jRantzau, souriant. En vérité! Eh bien! voilà encore qui vous empêchera de réussir. Vous y mettez de la passion, du ressentiment... Quand on conspire, il ne faut pas de haine, cela ôte le sang-froid. Il ne faut détester personne, car l'ennemi de la veille peut être l'ami du lendemain... Et puis, si vous daignez en croire les conseils de ma vieille expérience, le grand art est de ne se livrer à personne, da n'avoir que soi pour complice; et moi qui vous parle, moi qui déteste les conspirations, et qui par conséquent ne conspirerai pas,... si cela m'arrivait jamais, f û t - c e pour vous et en votre faveur,... je déclare ici à votre majesté qu'ellemême n'en saurait rien et ne s'en douterait pas. '"J Le substantif troc m. se dit de l'échange d ' u n e c h o s e c o n t r e une a u t r e : î m i f d ) . On en a f o r m é le verlie troquer qui signifie p r o p r e m e n t : échanger, donner en troc (seitaufcllfll). I l troque ( c h a n g e ) son épée contre un poignard: A la place d e l ' a r m e du soldat, il p r e n d celle de l'assassin. 2*

20

BERTRAND ET RATON. La

reine.

Que voulez-vous

Rantzau.

Voici

du

SCÈNE Rantzau,

la reine;

Eric,

dire?

monde!... VII.

paraissant à la porte du fond, et causant avec

les huissiers 3 1 ) de la chambre. La

reine.

soieries,

E h m a i s ! c ' e s t le fils de m o n m a r c h a n d

monsieur Éric Burkenstaff...

Approchez,...

de

appro-

c h e z . . . Q u e m e v o u l e z - v o u s ? p a r l e z sans crainte! (Bas, à Rantiau.) I l faut b i e n e s s a y e r Eric.

de s e r e n d r e

populaire!

J'ai a c c o m p a g n é au palais m o n p è r e , qui apportait

d e s étoffes à la reine Mathilde, ainsi qu'à v o u s , m a d a m e ; et p e n d a n t qu'il attend a u d i e n c e , . . . j e v e n a i s , . . . c ' e s t b i e n t é m é raire à m o i , . . . solliciter de v o t r e m a j e s t é u n e Lu

reine.

Eric.

_ Et

faveur...

laquelle?

A h ! . . . j e n ' o s e . . . C ' e s t si terrible de d e m a n d e r , . . .

s u r t o u t l o r s q u e , ainsi q u e moi, l'on n'a a u c u n Rantzau. parler

ainsi;

Voilà et

plus

le

premier

solliciteur

je v o u s regarde,

jeune homme, que nous nous sommes La

reine.

Soleil d ' O r 3 3 ) . . . de

Dans

les

magasins

de

plus

droitl que il m e

j'entende semble,

déjà

rencontrés.

son

père32),...

au

R a t o n B u r k e n s t a f f . . . , le p l u s r i c h e n é g o c i a n t

Copenhague.

3 r ) On appelle huissier (ÇSnlafîbeamter, Çalaflbiener) les officier» dont la principale charge est d'ouvrir et de fermer la porte du cabinet, de la chambre du roi, ceux qui se tiennent dans l'antiehambre des ministres, pour introduire les personnes qu'ils r e ç o i v e n t , et enfin ceux qui font le service de9 séances d'une assemble'e législative, d'une académie etc. Huissier est encore le titre d'un officier j u d i c i a i r e , chargé de signifier les actes de j u s t i c e , de mettre à exécution les jugements etc. (Êrccutot)» ~Huissier a été formé de huis, vieux mot français signifiant por e. A huis clos — A portes fermées. [Huis du latin ostium, Diez 1, 160.] 3 *) De nos j o u r s on se sert de préférence du mot magasin p o u r de'signer une boutique grande et élégante. Il va sans dire que le mot magasin a conservé sa signification propre où il d é s i g n e : un lieu où l'on garde un amas de marchandises: 93ÍCtgrtjtlt. 33) A Paris presque tous les grands magasins, surtout les m a g a s i n s île mode et d'étoffes portent un nom particulier c o m m e enseigne, à l'instar des hôtels et auberges, pour se faire reconnaître du public. Ainsi il y a un magasin , , A la ville de Paris,"

ACTE I, SCÈNE VU.

21

Rantzau. Non,... ce n'est pas là,... mais dans les salons de mon farouche collègue, M. de Falkenskield, ministre de la guerre. Éric. Oui, monseigneur 3 4 )... J'ai été pendant deux ans son secrétaire particulier; mon père l'avait voulu; mon père, par ambition pour moi, avait obtenu cette place par le crédit de mademoiselle de Falkenskield, qui venait souvent dans nos magasins; et, au lieu de me laisser continuer mon état, qui m'aurait mieux convenu sans doute... Rantzau, l'interrompant. Non pas! car j'ai plus d'une fois entendu M. de Falkenskield l u i - m ê m e , qui est difficile et sévère, parler avec éloge de son jeune secrétaire. Éric, s'inclinant. Il est bien bon! (Froidement.) Il y a quinze jours qu'il m'a destitué, qu'il m'a renvoyé de ses bureaux et de son hôtel. La reine. Et pourquoi donc? Éric, froidement. Je l'ignore. Il était le maître de me congédier, il a usé de son droit, je ne me plains pas. C'est si peu de chose que .le fils d'un marchand, qu'on ne lui doit même pas compte des affronts qu'on lui fait. Mais je voudrais seulement... La reine. Une autre place... On vous la do.it. Rantzau, souriant. Certainement; et puisque le comte a eu la maladresse de se priver de vos services,... nous autres diplomates profitons volontiers des fautes de nos collègues, et je vous offre chez moi ce que vous aviez chez lui. Éric, vivement. Ah, monseigneur! ce serait retrouver cent fois'plus que je n'ai perdu; mais je ne suis pas assez heureux pour pouvoir accepter. Rantzau. Et pourquoi donc? Éric. Pardon, je ne puis le dire... Mais je voudrais être officier,... je voudrais;... et je ne peux m'adresser pour cela à M. de Falkenskield. (A la reine.) Je venais donc supplier un autre: „ A u pauvre diable" (c'était longtemps un des plus riches magasins de la capitale), „Au petit sou" etc. etc. C'est celte mode parisienne que M. Scribe prête aux marchands de Copenhague de 1772, en donnant au magasin de M. BurkenstafT le .nom „ A u soleil d'or." 34 ) Le litre de monseigneur se donnait autrefois aux ministres et aux ambassadeurs. De nos jours il n'est plus usité que quand on parle aux princes du sang ou aux évéques.

22

BERTRAND E T RATON.

votre majesté de vouloir bien solliciter pour moi une lieutenance, n'importe dans quelle arme, dans quel régiment. Je jure que la personne à qui je devrai une pareille faveur n'aura jamais à s'en repentir, et que les jours qui me restent lui seront dévoués... La reine, vivement. Dites-vous vrai?... Ah! s'il ne tenait qu'à moi! dès aujourd'hui, avant ce soir, vous seriez nommé ; mais j'ai en ce moment peu de crédit, je suis aussi dans la disgrâce. Éric. 0 ciel! est-il possible! alors je n'ai plus qu'à mourir. Rantzau, passant près de lui. Ce serait grand dommage, surtout pour vos amis; et comme d'aujourd'hui je suis de ce nombre... Éric. Qu'entends-je ? Rantzau. J'essayerai, à ce titre, d'obtenir de mon sévère collègue... Éric, avec transport. Ah, monseigneur! je vous devrai plus que la vie! (Ave« joie.) Je pourrai donc me servir de mon épée... comme un gentilhomme!... Je ne serai plus le fils d'un marchand; et si l'on m'insulte, j'aurai le droit de me faire tuer. Rantzau, avec reproche. Jeune homme! Éric, vivement. Ou plutôt c'est à vous que je dois compte de mon sang, c'est à vous d'en disposer; et tant qu'il en restera une goutte dans mes veines, vous pouvez la réclamer; je ne suis pas un ingrat. Rantzau. Je, vous crois, mon jeune ami, je vous crois. (Lui montrant la table à droite.) Écrivez votre demande; je la ferai approuver tout à l'heure par Falkenskield, que je trouverai au conseil. (A la reine, pendant qu'Éric s'est mis à la table.) Voilà tin cœur chaud et généreux, une tête capable de tout! La reine. Vous croyez donc à celui-la? Rantzau. Je crois à tout le monde... jusqu'à vingt ans... Passé cet âge-là, c'est différent. La reine. Et pourquoi? Rantzau. Parce qu'alors ce sont des hommes! La reine. Vous pensez donc qu'on peut compter sur lui, et que pour soulever le peuple, par exemple, ce serait l'homme qu'il faudrait?...

23

ACTE I, S C È N E VIII.

Rantzau. Non... Il y a dans cette tête-là autre chose que de l'ambition; et à votre place,... mais, après cela, votre majesté fera ce qu'elle voudra. Notez bien que je ne vous conseille pas, que je ne conseille rien. ( É r i c a achevé s s pétition, et la présente a u comte d e Rantzau. entend Raton crier en dehors.)

En ce moment on

Raton. C'est inconcevable!... c'est inouï! Éric. Ciel! la voix de mon pèrel Rantzau. Cela se trouve à merveille. Éric. Non, monseigneur, non, je vous en conjure, qu'il n'en sache rien. ( P e n d a n t ce temps la reine a traversé le t h é â t r e à g a u c h e , e t Rantzau lni avance un fauteuil.)

SCÈNE VIII. Ranlzau;

la reine,

assise;

Raton,

Éric.

Raton, entrant en colère. C'est-à-dire que si je n'étais pas dans le palais du roi, et si je ne savais pas le respect qu'on lui doit, ainsi qu'à ses huissiers... Éric,

allant au-devant de lui, et lui montrant la reine.

Raton. Dieu! la reine!... La reine. Qu'avez-vous kenstaff? Raton. Pardon, madame, sais que l'étiquette défend de résidence royale, et surtout

Mon

père...

donc, messire 3 5 ) Raton Burje suis désolé, confus, car je se mettre en colère dans une devant votre majesté; mais,

35 ) Messire est un tilre d ' h o n n e u r q u i , d a n s le m o y e n â g e , n e se d o n n a i t q u ' a u x s e i g n e u r s d e la p l u s h a u t e n o b l e s s e . D a n s d e s t e m p s p l u s m o d e r n e s , on l'a p r o d i g u é d a v a n t a g e . De n o s j o u r s il est d e p u i s l o n g t e m p s t o m b é en o u b l i . — M. Raton Burkenstaff q u e la r e i n e q u a l i f i e d e messire, est u n p e r s o n n a g e d e l ' i n v e n t i o n du p o ë t e , et il en est n a t u r e l l e m e n t d e m ê m e d e s a f e m m e Marthe et d e s o n fils Éric. Du r e s t e c e n ' e s t p a s s a n s motif q u e M. S c r i b e a fait de M. B u r k e n s t a f f un m a r c h a n d d e s o i e r i e s , c a r la r é v o l t e d o n t c e b o u r g e o i s s e r t de p r é t e x t e d a n s la p i è c e ( v . Acte II et I I I ) n ' e s t p a s s a n s f o n d e m e n t historique. Une é m e u t e d ' o u v r i e r s en s o i e eut en eflet l i e u q u e l q u e t e m p s a v a n t la c h u l e d u f a v o r i . Le p e u d e c o u r a g e que S t r u e n s é e montra dans cette occasion, ainsi que d a n s une autre semblable, enhardit ses ennemis à des d é m a r c h e s qui d e v a i e n t le r e n v e r s e r .

24

BERTRAND ET RATON.

après l'affront que l'on vient de faire dans ma personne à tout le commerce 3 6 ) de Copenhague, que je représente... La reine. Comment cela? Raton. Me faire attendre deux heures un quart dans une antichambre, moi et mes étoffes!... moi, Raton Burkenstaff, syndic 3 7 ) des marchands!... pour m'envoyer dire parun huissier: Revenez un autre jour, mon cher; la reine ne peut pas voir vos étoffes, elle est indisposée. Rantzau. Est-il possible? Raton. Si c'eût été vrai, rien de mieux, j'aurais crié: Vive la reine!... (A demi-voix.) Mais apprenez,... et je peux, je crois, m'exprimer sanp crainte devant votre majesté? La reine. Certainement. Raton. Apprenez qu'en ce moment, de la fenêtre de l'antichambre où j'étais et qui donnait sur le parc intérieur, j'apercevais la reine se promenant gaiement, appuyée sur le bras du comte Struensée... La reine. Vraiment?... Raton. Et riant avec lui aux éclats... de moi, sans doute. Rantzau, avec un grand sérieux. Oh non, non! par exemple, je ne puis pas croire cela! Raton. Si, 38 ) monsieur le comte! j'en suis sûr; et au lieu de railler un syndic, un bourgeois respectable qui paye 36 ) Commerce désigne quelquefois, par extension, le corps des commerçants et négociants d'une v i l l e : ^xjltbelêjîmtb. 37 ) On appelle syndic celui qui est élu pour prendre soin des affaires d'une communauté, d'un corps dont il est membre. [Du grec Gvvôixoç.] Si est quelquefois particule affirmative, mais alors il s'oppose toujours à une négation exprimée dans les paroles de celui auquel on répond. Vous dites que non, et je dis que si. — Je gage qui si; je gage que non. — Vous ne ferez donc pas cela? Oh! que si. — Vous n'avez pas été là?— Si, monsieur.— Familièrement on se sert souvent de si fait, pour affirmer le contraire de ce qu'un autre a dit. Je crois qu'il n'a pas été là. Si fait, il y a été. Dans cette locution le mot fait n'a pris que peu à peu la forme d'un adverbe. Originairement on y employait le serbe faire dans toutes les personnes et l'on disait par e x e m p l e : Vous n'aimes pas à voyager'V — Si fais-je bien, moi, et en omettant le p r o n o m : Si fais bien, si faisons bien etc. Voyez là-dessus Génin, Variations du langage français p. 309, et comparez l'usage anglais: I do so. [Si du latin sic, v. Diez, Gramm. d. rom. Spr. II, 397.]

ACTE I, SCÈNE VIH.

25

e x a c t e m e n t à l'État sa p a t e n t e 3 9 ) et ses impôts, le ministre et la reine feraient m i e u x d e s'occuper, l'un des affaires d u r o y a u m e , et l'autre d e celles de son m é n a g e , qui n e vont pas déjà si bien. Éric. Mon p è r e , . . . au n o m d u c i e l ! . . . Raton. Je n e suis q u ' u n m a r c h a n d , c'est vrai! m a i s t o u t ce qui se fabrique chez moi m ' a p p a r t i e n t ; et m a f e m m e , Ulrique Marthe, fille de Gelastern, l'ancien b o u r g m e s t r e , est u n e h o n n ê t e f e m m e , qui a t o u j o u r s m a r c h é droit, ce qui est cause q u e je m a r c h e le f r o n t levé; et il y a bien des p r i n c e s qui n'en p e u v e n t pas dire autant. Rantzau, avec dignité. Monsieur BurkenstafT... Raton. Je no n o m m e p e r s o n n e . . . Dieu p r o t è g e le roi! m a i s p o u r la reine et p o u r le favori... Éric. Y p e n s e z - v o u s ? si l'on v o u s entendait! Raton. Q u ' i m p o r t e ? j e ne crains rien! je d i s p o s e de huit cents ouvriers... Oui, m o r b l e u , je n e suis pas c o m m e m e s c o n f r è r e s , 4 0 ) qui font venir leurs étoffes de Paris ou 3 ') Patent, patente est un adjectif qui veut dire évident, manifeste (ojfenbar, offenfltnbtg), mais qui ne s'emploie guère que dans l'expression: Lettres patentes. Oïl nomme ainsi, en termes de chancellerie, les lettres du roi en parchemin, scellées du grand sceau. — De cet adjectif on a formé le substantif patente ( / . ) , mais qui a vieilli dans sa première signification où il désignait des lettres (v. Acte I , note 2) des diplômes accordés ou par le r o i , ou par des corps, des universite's etc. Dans ce sens il a été remplacé par le mot brevet (v. Acte I , note 51). Aujourd'hui patente ne se dit guère que d'une contribution (Sibgabe) annuelle et proportionnelle imposée sur ceux qui font un commerce ou qui exercent une industrie sujette à ce droit: ©etBcrbefîeuer. [Patent, de patens, du verbe patêre; litterœ patentes: offenct 33rief.] 40 ) Confrère se dit, au sens propre, de chacun de Ceux qui composent une confrérie, une compagnie de personnes associées pour quelque exercice de piété (relígi'ófe 3?riifcerfd)aft). Aujourd'hui on appelle ainsi tous ceux qui sont d'une même corporation ou qui exercent la même profession (©efdjcift). Les avocats, les médecins s'appellent confrères. On ne dit collègue que de ceux qui sont revêtus de la même fonction (Simt). Deux ministres, deux conseillers sont collègues, les membres d'une assemblée législative s'appellent aussi collègues, mais les membres d'une académie sont confrères. Le mot camarade qui exprime un rapport beaucoup plus familier que ses deux synonymes, ne se dit guère qu'entre soldats, jeunes g e n s , écoliers, comédiens, domestiques etc.

26

BERTRAND ET RATON.

de L y o n ; je fabrique m o i - m ê m e , ici, à C o p e n h a g u e , o ù m e s ateliers o c c u p e n t tout u n faubourg, et si l'on voulait m e faire u n m a u v a i s jparti, si l'on m'osait t o u c h e r u n c h e v e u de la t ê t e . . . jour de D i e u ! . . . il y aurait u n e r é v o l t e dans la v i l l e !

Rantzau,

vivement.

Vraiment!

(A part.)

C'est

bon

à

savoir.

(Pendant qu'Éric prend son père à l'écart et tâche de le calmer, Rantzau, qui est debout à gauche, près du fauteuil de la reine, lui dit à demi-voix, en lui montrant Bâton.) Tenez,

voilà

l'homme

qu'il

vous

faut

pour

chef.

La reine. Y p e n s e z - v o u s ? u n important, un s o t ! 4 1 ) Rantzau. Tant m i e u x ! un zéro b i e n p l a c é a u n e g r a n d e v a l e u r ; c'est u n e b o n n e fortune qu'un h o m m e pareil à mettre en avant; et si j e m'en mêlais, si j'exploitais ce n é g o c i a n t là, il m e rapporterait cent p o u r cent de b é n é f i c e . 4 2 )

La reine, à demi-voii. V o u s c r o y e z ? (Se levant, et ¡'adressant à Raton.) Monsieur Raton Burkenstaff... Raton, s'inclinaut. Madame! La reine. Je s u i s d é s o l é e q u e l'on ait m a n q u é d ' é g a r d s e n v e r s v o u s ; j ' h o n o r e le c o m m e r c e , je v e u x le favoriser, et si à v o u s p e r s o n n e l l e m e n t je puis rendre q u e l q u e s s e r v i c e s . . . Raton. C'est trop de b o n t é s ; et p u i s q u e v o t r e majesté d a i g n e m ' y e n c o u r a g e r , il est u n e faveur que je sollicite d e p u i s l o n g t e m p s , le titre de m a r c h a n d de s o i e r i e s de la couronné. Eric, le tirant par son habit. Mais ce maître R e v a n t l o w , v o t r e confrère.

titre

appartient déjà à

" ) Le t du mot sot se prononce s o u v e n t , quand il est substantif; on ne le prononcé jamais, quand sot est adjectif. C'est un sot (pron. sötte ou sö). Un homme sot (proD. s o ) . V. Lesaint, prononc. franç. p. 166. Bénéfice se dit ici dans sa première signification de gain, profit. Les pertes ont excédé les bénéfices. De gros bénéfices. Cent pour cent de bénéfice — cent pour cent d'intérêts. Bénéfice signifie aussi: privilège, avantage, faculté accordée par la loi ou par le prince. Profiter du bénéfice de la loi. Bénéfice se dit encore particulièrement: 1) Des terres conquises dans les anciennes provinces romaines par les peuplades germaniques et que les chefs ou princes distribuaient à leurs compagnons d'armes. Dans ce sens bénéfice est synonyme de fief (Sefyen). Originairement les bénéfices ou fiefs n'étaient donnés qu'à vie ; ensuite ils devinrent héréditaires. 2} Bénéfice se djt particulièrement d'un titre, d'une dignité ecclésiastique, accompagnée d'un revenu. La nomination des bénéfices. Conférer, remettre, tenir des bénéfices. [Du latin beneficium.]

ACTE l, SCÈNE VIII.

27

Raton. Qui n ' e x e r c e 4 3 ) pas, qui se retire des affaires, q u i n'est p l u s assorti... Et q u a n d ce serait un p a s s e - d r o i t , 4 4 ) u n e faveur, tu as e n t e n d u que sa majesté voulait favoriser le c o m m e r c e ; et j ' o s e dire q u e j ' y ai des d r o i t s , car, p a r le fait, c'est moi qui suis le fournisseur de la cour. J e v e n d s depuis l o n g t e m p s à votre m a j e s t é , je vendais à la reine Mathilde... q u a n d elle n'était pas indisposée; j'ai v e n d u c e matin à* son excellence M. le c o m t e de Falkenskield, ministre de la guerre, p o u r le prochain mariage de sa fille... Eric, vivement. De sa fille! elle se marie! Rantzau, le regardant. Oui, sans d o u t e l au n e v e u d u c o m t e d e Goehler, n o t r e collègue. Éric. Elle se marie! Raton. Q u ' e s t - c e q u e cela t e fait? Eric. R i e n ! . . . j'en suis content p o u r vous. Raton. Certainement, u n e belle fourniture; d ' a b o r d les r o b e s de n o c e s et tout l ' a m e u b l e m e n t , en l a m p a s , en q u i n z e - s e i z e , 4 5 ) façon de Lyon, le tout sortant "de n o s f a b r i q u e s : c'est fort, c'est m o e l l e u x , 4 6 ) c'est brillant... Rantzau. J ' a p e r ç o i s Falkenskield; il se r e n d au conseil. *') Exercer signifie souvent: pratiquer (auiiïben). Exercer un art, un métier, une industrie. Exercer des fonctions, une charge (tterwcilten). On dit quelquefois absolument exercer, soit en parlant d'une charge, soit en parlant d'une profession. Cet avocat, ce médecin, ce négociant n'exerce plus (biefer Sit^ofat, biefet Slrjt fyabeti tfyrf biefet ilaufmnnn fyat fein ®e|d)âft auf» gegeben). " ) On appelle passe-droit : I ) Une grâce qu'on accorde à quelqu'un contre le droit et l'usage ordinaire: iribfrrec^tiic^c S e gittifligung. 2) Une injustice qu'on fait à quelqu'un, en lui préf é r a n t , pour un grade, pour un emploi, pour une récompense, une personne qui a moins de titres (ÎInjVrûcfye) que lui par l'ancienneté ou par les services: SBeBorjugung, 3ll''iic!fei>ttng. — Explication de ce mot composé: Ce qui fait passer sur le droit: ton« itber bo« SJie^t fyimreg|)ilft. 4! ) Lampas est le nom d'une étoffe de «oie qu'on tirait ordinairement de la Chine, et qui est en général à grands desseins d'une couleur différente de celle du fond. Le lampas sert surtout à Vameublement. — Quinze-seize v. Acte II, note 10. ,6 ) Moelleux, moelleuse, adjectif de mcelle (9)iarf) signifie d'abord ce qui est rempli de moelle. Un os moelleux. Par analogie on dit une étoffe moelleuse, d'une étoffe qui est souple, douce à la main (feeid) attjufufylen).

BERTRAND ET RATON.

28

La reine. A h ! j e n e v e u x p a s l e v o i r . A d i e u , c o m t e ; adieu, monsieur Burkenstaff; vous aurez bientôt d e m e s nouvelles. Raton. J e s e r a i n o m m é . . . J e c o u r s c h e z m o i l ' a p p r e n d r e à m a femme; viens-tu, Éric? Jianlzau. N o n , p a s e n c o r e ! . . . J ' a i à lui p a r l e r . (A Éric, pendant que Raton sort par la porte du fond.) A t t e n d e z là fi]" lui montre la coulisie à gauche), d a n s c e t t e g a l e r i e , v o u s s a u r e z s u r - l e - c h a m p l a r é p ç n s e d u comte. JEric,

l'inclinant. O u i ,

monseigneur. SCÈNE IX.

Rantzau;

Falkenskield,

sortant de la porte à droite.

Falkenskield,

entrant en rêvant. S t r u e n s é e a t o r t ! il e s t t r o p h a u t m a i n t e n a n t p o u r a v o i r r i e n à c r a i n d r e , e t il p e u t t o u t o s e r . (Apercevant Ranlzai) A h ! c ' e s t v o u s , m o n c h e r c o l l è g u e ; voilà d e l'exactitude! Rantzau. Contre m o n ordinaire,... c a r j'assiste r a r e m e n t a u conseil. Falkenskield. E t nous nous e n plaignons. Rantzau. Que voulez-vous! à mon âge... Falkenskield. C'est celui d e l ' a m b i t i o n , e t v o u s n ' e n avez pas assez. Rantzau. Tant d'autres en ont pour m o i ! . . . D e quoi s'agit-il a u j o u r d ' h u i ? Falkenskield. L a reine présidera le conseil, et l'on s ' o c c u p e r a d ' u n sujet assez délicat. Il r è g n e d a n s c e m o ment u n laisser-aller, u n e licence...

Rantzau.

A la cour"?

Falkenskield.

sur des des en des

N o n , à la ville. C h a c u n p a r l e t o u t h a u t la reine, s u r le p r e m i e r ministre. Moi, j e serais p o u r m o y e n s f o r t s e t é n e r g i q u e s . S t r u e n s é e a p e u r ; il c r a i n t troubles, des soulèvements, qui n e peuvent exister; e t a t t e n d a n t , l ' a u d a c e r e d o u b l e : il c i r c u l e d e s c h a n s o n s , 4 7 ) pamphlets,48) des caricatures.49)

47 ) O n a p p e l l e chanson u n e pièce d e v e r s q u e l'on c h a n t e s u r q u e l q u e a i r ($)Îp(obt'e) et d o n t les s t a n c e s s e n o m m e n t c o u plets. Le mot chanson r é v e i l l e t o u j o u r s u n e idée d e g a i t é , q u e l q u e f o i s d e s a t i r e . L e s chansons de Béran/rcr. On en a f o r m é chansonnier p o u r d é s i g n e r l e poëte qui fait d e s c h a n s o n s .

ACTE I, S C È N E IX.

29

Rantzau. Il me semble cependant qu'attaquer la reine est un crime de l è s e - m a j e s t é , 5 0 ) et dans ce c a s - l à la loi vous donne des pouvoirs... Falkenskield. Dont il faut user. Vous avez raison. Rantzau. Mon Dieu! un bon exemple, et tout le monde se taira. Vous avez entre autres un mécontent, un bavard, homme de tête et d'esprit, et d'autant plus dangereux, que c'est l'oracle de son quartier. Falkenskield. Et qui d o n c ? Rantzau. On me l'a cité; mais je me brouille avec les n o m s ; . . . un marchand de soieries... au Soleil d'Or. Falkenskield. Raton Burkenstaff? C o m m e le m o t chanson n e r é p o n d p a s à tout le g e n r e d e poësie q u ' o n d é s i g n e en a l l e m a n d par le nom d e Lied, les t r a d u c t e u r s f r a n ç a i s d e c e r t a i n e s poësies a l l e m a n d e s se s o n t vus forcés d e c o n s e r v e r le t e r m e a l l e m a n d . Ainsi le lied, au pluriel les lieder est d e v e n u un n é o l o g i s m e , que l'on r e n c o n t r e à c h a q u e i n s t a n t d a n s les meilleurs é c r i t s p é r i o d i q u e s de P a r i s . — Chanson signifie f a m i l i è r e m e n t : s o r n e l t e (Sllbetnfyeit, bummcê 3 t u 8 ) disc o u r s ou r a i s o n frivole. Il nous conte des chansons. Chansons que tout cela! [Chanson du substantif latin cantio, v. Diez, G r a m m . d . r o m . S p r . I, 159, 194. II, 281.] 48 ) Pamphlet est u n mot e m p r u n t é de l'anglais, qui d é s i g n e u n e b r o c h u r e , m a i s qui se p r e n d p r e s q u e t o u j o u r s en m a u v a i s e p a r t : ©d)maÎ)f(ï)rift, Pamphlet injurieux, séditieux. On en a f o r m é pamphlétaire p o u r d é s i g n e r un a u t e u r de p a m p h l e t s Paul Louis Courrier et Cormenin s o n t les pamphlétaires f r a n ç a i s les p l u s c o n n u s . Le p r e m i e r ( m o r t en 1825) a écrit c o n t r e la r e s t a u r a t i o n , le s e c o n d c o n l r e le g o u v e r n e m e n t d e Juillet. [Le c é l è b r e l e x i c o g r a p h e a n g l a i s Johnson fait venir ce mot du f r a n ç a i s par un filet: mit dnem gnben gcljeftet, dérivalion qu'il a p p u i e s u r la vieille o r t h o g r a p h e paunflet. D ' a u t r e s le dérivent du g r e c TCCtfMfXsxroç (SltleêinStanbflecEcnb),mais cette dériva lion est a p p a r e m m e n t fausse.] 4 ' ) Caricature, mot e m p r u n t é de l'italien, d é s i g n e une image s a t i r i q u e d a n s laquelle l'artiste r e p r é s e n t e d ' u n e m a n i è r e grot e s q u e (tibcrtrteben) el boulTonne (brotltg), les p e r s o n n e s ou les é v é n e m e n t s qu'il veut t o u r n e r en d é r i s i o n . [De carricare (charger Jflbeil, belabfit) v e r b e de la basse latinité, de carrus SBagcn.] 50 ) Lèse est un mot f o r m é d ' u n p a r t i c i p e l a t i n , signifiant blessé, violé (ttfr(ej)t) et qui s ' e m p l o i e p r i n c i p a l e m e n t avec le m o t Majesté. Crime de lèse-majesté est un t e r m e de j u r i s p r u d e n c e q u ' o n a p p l i q u e à toute action i n j u r i e u s e ou c r i m i n e l l e d i r i g é e c o n l r e un s o u v e r a i n . Le mot lèse se j o i n t q u e l q u e f o i s , p a r allus i o n , à d ' a u t r e s substantifs i iminins. Crime de lèse-humanité. Crime de lèse-nation. On dit par p l a i s a n t e r i e : En désobéissant du médecin, vous commettez un crime de lèseà l'ordonnance faculté. [Lèse d e laesus, d e laedërej

30

BERTRAND ET RATON.

Rantzau. C'est cela m ê m e l . . . Après cela, est-ce vrai? je n'en sais rien, ce n'est pas moi qui l'ai entendu... Falkenskield. N'importe; les renseignements qu'on vous a donnés ne sont que trop exacts, et je ne sais pas pourquoi ma fille prend toujours chez lui toutes ses étoffes. Rantzau, vivement. Bien entendu qu'il ne faudrait lui faire aucun mal;... un ou deux jours de prison Falkenskield. Mettons-en huit. Rantzau, froidement. Comme vous voudrez. Falkenskield. C'est une bonne idée. Rantzau. Qui vient de vous; et je ne veux pas auprès de la reine vous en ôter l'honneur. Falkenskield. Je vous en remercie, cela terminera tout. Un service à vous demander... Rantzau. Parlez. Falkenskield. Le neveu du comte de Gœhler, notre collègue, va épouser ma fille, et je le propose aujourd'hui pour une place assez belle qui lui donnera entrée au conseil. J'espère que de votre part sa nomination ne souffrira aucune difficulté. Rantzau. Et comment pourrait-il y en avoir? Falkenskield. On pourrait objecter qu'il est bien jeune... Rantzau. C'est un mérite à présent;... c'est la jeunesse qui règne, et la reine ne peut lui faire un crime d'un tort qu'elle-même aura si longtemps encore à se reprocher. Falkenskield. Ce mot seul la décidera; et l'on a bien raison de dire que le comte Bertrand de Rantzau est l'homme d'État le plus aimable, le plus conciliant, le plus désintéressé... Rantzau, tirant un papier. J'ai une petite demande à vous faire, une lieutenance qu'il me faut... Falkenskield. Je l'accorde à l'instant. Rantzau, lui montrant le papier. Voyez auparavant... Falkenskield, passant à gauolic. N'importe pour qui, dès que vous le recommandez. (Lisant.) 0 ciel!... Éric Burkenstaff... Cela ne se peut... Rantzau, froidement et prenant du tabac. Vous croyez? , Et pourquoi ? Falkenskield, avec embarras. C'est le fils de ce séditieux, de ce bavard.

31

ACTE I, SCÈNE IX.

• Rantzau. Le père, oui, mais le fils ne parle pas; il ne dit rien, et ce sera au contraire une excellente politique de placer une faveur à côté d'un châtiment. Falkenskield. Je ne dis pas non; mais donner une lieutenance à un jeune homme de vingt ansl... Rantzau. Comme nous le disions tout à l'heure, c'est la jeunesse qui règne à présent. Falkenskield. D'accord; mais ce jeune homme, qui a été dans les magasins de son père et puis dans mes bureaux, n'a jamais servi dans le militaire. Rantzau. Pas plus que votre gendre dans l'administration. Après cela, si vous croyez que ce soit un obstacle, je n'insiste plus; je respecte vos avis, mon cher collègue, et je les suivrai en tout... (Avec intention/) Et ce que vous ferez, je le ferai. Falkenskield, à part. M o r b l e u ! (Haut et cherchant .à cacher ion dépit.) V o u s faites d e m o i c e q u e v o u s v o u l e z , et j ' e x a m i nerai, j e v e r r a i .

Rantzau, d'un air dégagé. Quand il vous conviendra, aujourd'hui, ce matin; tenez, avant le conseil,, vous pouvez m'en faire expédier le brevet. 5 1 ) Falkenskield. Nous n'avons pas le temps,... il est deux heures... Rantzau, tirant sa montre. Moins un quart. Falkenskield. Vous retardez... 5 2 ) Rantzau,

causant avec lui en remontant le théâtre.

N o n pas, et là

preuve c'est que j'ai toujours su arriver à l'heure. Falkenskield,

souriant.

Je m'en aperçois.

(D'un air aimable.)

Nous vous verrons ce soir... chez moi, à dîner? SI ) Brevet se dit aujourd'hui de certains titres ou diplômes, délivrés au nom d'un g o u v e r n e m e n t , d'un prince souverain eté. Brevet de colonel, de lieutenant etc. Un brrvet de capacité v. Vocab. systém. Ch. XX, p. 140. Un brevet d'invention (Rotent ouf fint S r f i n b u n j ) . V. Acte I, noie 3(J. [Brevet de brevelum, m o t de la latinité du moyen âge, de brevis, e.] SJ ) On dit familièrement:- Je retarde, vous retardez pour: Ma montre, votre montre retarde (¡}c[)t ItacliJ. On dit de m ê m e : J'avance, vous avancez au lieu d e : Ma montre, votre montre avance (gff)t BCr). Dans un sens analogue la q u e s t i o n : ÀUezvous bien, monsieur? et la r é p o n s e : Oui, monsieur, je vais bien, s'entendent quelquefois aussi d'une montre, d'une p e n d u l e .

32

BERTRAND ET RATON.

Rantzau. Je n'en sais rien encore, je crains que mes maux d'estomac ne me le permettent pas; mais en tout cas je serai exact au éonseil, et vous m'y retrouverez. Falkenskield. J'y compte. ( I l sort p a r la porte du fond.)

SCÈNE X. Eric,

Rantzau.

(Éric l'est montré à gauche pendant que Rantzau et Falkenskield remontaient le théâtre.)

Eric. Eh bien, monsieur le comte?... je sèche d'impatience. .. Rantzau, froidement. Vous êtes nommé, vous êtes lieutenant. Eric. Est-il possible ! Rantzau. A la sortie du conseil, j'irai chez votre père choisir quelques étoffes, et je vous porterai moi-même votre brevet. Eric. Ah!... c'est trop de bontés. Rantzau. Un avis encore que je vous donne, à vous, sous le sceau du secret. Votre père est imprudent,... il parle trop haut... Cela pourrait lui attirer de fâcheuses affaires. . . Eric. O ciel! en voudrait-on à sa liberté? Rantzau. Je n'en sais rien, mais ce n'est pas impossible. En tout cas, vous voilà avertis,... vous et vos amis; veillez sur lui,... et surtout du silence. Eric. Ah! l'on me tuerait plutôt que de m'arracher un mot qui pourrait vous compromettre. (Prenant la main de Rantzau.) Adieu,... adieu, monseigneur. (Il sort.) Rantzau. Brave jeune homme!... qu'il y a là de générosité, d'illusions et de bonheur! (Avec tristesse.) Ah! que ne peut-on rester toujours à vingt ans ! (Souriant en lui-même.) Après tout, c'est bien vu!... on serait trop aisé à tromper... Allons au conseil! (Il sort)

33

ACTE IF, SCÈNE I.

ACTE DEUXIÈME. L a boutique de Raton Burkenstaff. Au fond, des portes vitrées qui donn e n t 1 ) sur la r u e , et devant lesquelles sont suspendues des pièces d'étoffes en étalagé. A gauche, un bel escalier qui conduit a ses mag a s i n s . 2 ) Sous l'escalier, la porte d'un caveau. Du même côté un petit comptoir; 3 ) et d e r r i è r e , des livres de caisse et des livres d'échantillons. A droite, des étoffes et u n e porte donuant dans l ' i n t é r i e u r de la maison.

SCÈNE

Raton,

PREMIÈRE.

Marthe.

(Raton est devant sou comptoir; sa femme est debout près de lui, tenant à la main plusieurs lettres.) Marthe. Voici des c o m m a n d e s p o u r Lubeck et pour Altona: quinze pièces de satin et autant de F l o r e n c e . 4 ) Raton, avec impatience. C'est bien, ma femme, c'est bien. Marthe. Des lettres de nos correspondants, auxquelles il faut répondre. Raton. Tu vois bien que je suis occupé. Marthe. Il faut en m ê m e temps écrire à ce riche ta-« pissier de Hambourg. Raton, avec colère. Un tapissier! Marthe. Une de nos meilleures pratiques. Raton. Écrire à un tapissier!... quand je suis là à écrire une reine 1

Marthe.

Toi !

*) Donner, comme verbe neutre, se dit quelquefois p o u r : Avoir vue sur — : bt'e 9Iu«ftd)t ijnbeit nttf — , f»nau3ge&en auf. Ces fenêtres donnent sur la rue, donnent sur la cour. J ) Magasin v. Acte I, note 32. 3 ) On dit comptoir, chez les marchands, d'une sorte de table longue et étroite sur laquelle on étale la marchandise (Sabett» tifiti), ou, dans certaines boutiques, d'une sorte de bureau (©djretbtifcï)), devant lequel le propriétaire, un commis, quelquefois une dame est assise pour écrire ce que l'on vend. En français comptoir se dit rarement dans le sens qu'on donne vulgairement à ce mot en Allemagne où il signifie le lieu où travaillent les commis, où se font et se reçoivent les payements. Dans cette signification le mot bureau a remplacé le mot comptoir. [Comptoir de compter qui vient du latin computare, v. Diez, Gramm. d. rom. Spr. I, 179.J 4 ) Florence est le nom d'une étoffe de soie. 3

34

BERTRAND ET RATON.

Raton. A la reine-mère 1 une pétition que je lui adresse au nom de mes confrères; 6 ) parce que la reine-mère n'a rien à me r e f u s e r . 6 ) Si tu avais vu, ma femme, comme elle m'a accueilli ce matin, et en quelle estime je suis auprès d'elle!... Marthe. Et qu'est-ce qu'il te reviendra de cela? Raton. Ce qu'il m'en reviendra! tu parles bien comme une femme, comme une marchande de soie qui n'entend rien aux Affaires... Ce qu'il m'en reviendra! (il ¡e lève, et sort de m eemptoir) du crédit, de la considération;... on devient un homme influent dans son quartier, dans la ville, dans l'État;... on devient quelque chose, enfin. Marthe. Et tout cela pour être fournisseur bréveté de la couronne! il te faut des titres! tu n'as jamais eu d'autres rêves, d'autres désirs. Raton. Laisse-moi donc tranquille... Il s'agit bien d'être fournisseur de la couronneI... (A demi-voii.) Il s'agit d'être p r é v ô t 7 ) des marchands, et p e u t - ê t r e même bourgmestre de la ville de Copenhague... Oui, femme, oui, tout cela est possible,... avec la popularité dont je jouis et la faveur de la cour. SCÈNE II.

Jean,

Raton,

Marthe.

Jean, portant des étoffes ions son bras. Me voici, notre maître... Je viens de chez la baronne de Molke. Raton, brusquement. Eh bien! qu'est-ce que ça me faitl qu'est-ce que tu me veux? Jean. Le velours noir ne lui convient pas, elle l'aime mieux vert, et vous prie de lui en porter vous-même des échantillons. s

) Confrère v. Acle I, Dote 40. ) La reine n'a rien à me refuser signifie: La reine m'est tellement obligée, elle a tant d'amitié pour moi, qu'elle fera tout ce que je désire. 7 ) Prévôt est un titre qu'on donnait en France & certaines personnes qui exerçaient une juridiction, qui étaient préposées pour avoir soin de quelque chose, pour avoir autorité sur quelque chose. On appelait prévôt des marchands, à Paris, à Lyon et dans quelques autres villes de France, celui qui était le chef de l'hôtel de ville (Dlatftijauâ), avec une espèce d'autorité sur la bourgeoisie. [Prévôt du latin praepositus.] 6

35

ACTE II, SCÈNE II.

Raton, allant au comptoir. Va-t'en au diable!... Vous allez voir que je vais m e déranger de mes affaires 1... Il est vrai que la b a r o n n e de Molke est u n e femme de la c o u r . . . T u iras, ma f e m m e ; ce sont des affaires du magasin, cela t e regarde. Jean. Et puis voici... Raton. E n c o r e ! il n'en finira pas. Jean, lui présentant un sac. L'argent que j'ai touché p o u r ces vingt-cinq aunes de taffetas, g o r g e de p i g e o n . . . 8 ) Raton, prenant le sac. Dieu! que c'est humiliant d'avoir à s'occuper de ces détails-là! (Lui rendant le sac.) P o r t e cela l à haut à m o n caissier, et q u ' o n m e laisse tranquille. (i| se remet à écrire.) „Oui, madame, c'est à votre m a j e s t é . . . " Jean, passant à droite et pesant le sac. Humiliant!... pas tanty et je m'accommoderais bien de ces humiliations-là. Marthe, l'arrêtant par le bras au moment où il va monter l'escalier. É c o u tez ici, monsieur Jean. Vous avez été bien l o n g t e m p s d e hors, p o u r deux courses que v o u s aviez à faire. Jean, à part. Ah, diable!... elle s'aperçoit de tout, cellelàl elle n'est pas c o m m e le b o u r g e o i s . 9 ) (Haut.) C'est que, v o y e z - v o u s , madame, je m'arrêtais de t e m p s en t e m p s d a n s les r u e s ou dans la p r o m e n a d e à écouter des g r o u p e s qui parlaient. Marthe. Et sur q u o i ? Jean. Ah, m a d a m e ! je ne sais pas, sur u n édit du roi..» Marthe. Et l e q u e l ? Raton, d'un air important et toujours au comptoir. Vous ne savez p a » cela, v o u s autres: l'ordonnance qui a p a r u ce matin et q u i r e m e t le pouvoir royal entre les mains de Struensée. Jean. Ça m'est égal, je n ' y ai rien c o m p r i s ; mais t o u t ce que j e sais, c'ést qu'on parlait vivement et avec d e s •) On appelle couleur gorge de pigeon une couleur changeants (fc&tilernbe) comme celle de la gorge des pigeons, el l'on a donné le même nom aux étoffes de cette couleur. ' ) Bourgeois est souvent la dénomination dont se servent les ouvriers, dans les différents métiers, pour désigner le maître chez qui ils travaillent: ilJïeifhr. Quelquefois les domestiques^ les garçons de bureau etc. donnent à leur maître le titre d » bourgeois: £err. [Bourgeois dérive de bourg (TOatltflecfen), m o t d'origine germanique. V. Diex, Gramm. d. rom. Spr. I, 9 ; II, 229.J 3*

36

BERTRAND ET RATON.

gestes: du

et

ça

s'échauffait,...

et

il

pourrait

bien

y

avoir

bruit. Raton,

d'un air important. C e r t a i n e m e n t ,

Jean,

avec joie. V o u s

Marthe,

à Jean.

Jean. bruit

c'est

Et qu'est-ce

que

ça te f a i t ?

Ç a m e fait plaisir, p a r c e q u e ,

on

congé;

ferme

et p o u r

les b o u t i q u e s , les g a r ç o n s

on

ne

de magasin, c'est un

d a n s la s e m a i n e ;

les rues

et d e c r i e r a v e c l e s a u t r e s ! . . .

Jean. Marthe. Jean, -dans

Marthe,

Raton.

Je

Quel

ennui!...

il

n'y

Eh bien!

vais voir ce que E t toi

a jamais

toi,

vous

de

profit»

qui étais si

occupé,

seulement savoir

les g r o u p e s

, e n f a v e u r d e la Marthe.

L e s f e m m e s sont ter-

c e qui s e p a s s e , m e m ê l e r

des mécontents,

et g l i s s e r q u e l q u e s m o t s

reine-mère.

E t q u ' a s - t u b e s o i n d'elle, ou d e sa p r o t e c t i o n ? . . .

011 a de l ' a r g e n t

o n peut se passer grands seigneurs,

dans sa caisse,

d e tout le m o n d e ;

et n o u s

en

avons,

on n'a q u e f a i r e d e s

on est libre, i n d é p e n d a n t , on est r o i d u o s

¡son m a g a s i n ; reste liât on.

c'est.

aussi?.

N ' a s - t u p a s déjà p e u r ? . . .

ribles! Je veux

auner

et r e s t e z - y ;

donc?

Marthe.

Quand

toujours!

se retournant et voyant Raton qui pendant ce temps a pris son cha-

Rato?>.

parmi

on crie

maison-ci!

peau est s'est glissé derrière elle. -où v a s - t u

dimanche

d'aujourd'hui.

sortant.

cette

du

011 a

quoi?

que je sais?

Il s u f f i t ; r e m o n t e z l à - h a u t ,

n e sortirez plus

a

et p u i s , c ' e s t si a m u s a n t d e c o u r i r

De crier... Est-ce

q u a n d il y

fait p l u s r i e n ,

de plus

Marthe.

très-grave.

croyez.

d a n s le t i e n , . . . c ' e s t ta. p l a c e !

C'est-à-dire

du q u i n z e - s e i z e ? 1 0 )

que

je

ne s u i s b o n à rien

c'est-à-dire

qu'à

q u e tu d é p r é c i e s

le

commerce? Marthe. de fabricant!

Moi, d é p r é c i e r le c o m m e r c e ! moi, fille et f e m m e moi,

a u p a y s , la s o u r c e ,0

qui

t r o u v e q u e c ' e s t l'état le p l u s

de sa richesse

et d e s a p r o s p é r i t é !

utile moi,

) On dit « n seize de la s e i z i è m e partie d'une aune (@((e). S u quinze-seize est une étoffe, large d e quinze s e i z i è m e s d'aunes. C o m p a r e z l e s e x p r e s s i o n s a l l e m a n d e s : 35tei SStertel, bret 9id)tél

lïtitei 3eug.

ACTE II, SCÈNE II.

37

\

enfin, qui ne vois rien de plus honorable et de plus estimable qu'un commerçant qui est commerçant!... Mais si lui-même rougit de son état, s'il quitte son comptoir pour les antichambres, ce n'est plus ç a . . . Et quand tu dis des bêtises comme homme de cour, je ne peux plus l'honorer comme marchand d'étoffes. Raton. A merveille, madame Raton Burkenstaff! Depuis que notre reine mène son mari, chaque femme du royaume se croit le droit de régenter 1 1 ) le s i e n ; . . . et vous qui blâmez tant la cour, vous faites comme elle. Marthe. Eh, mordi! ne songez pas a la cour, qui nu songe pas à vous, et pensez un peu plus à ce qui vous entoure. Êtes-vous donc si las d'être heureux? N'avez-vous pas un commerce qui prospère, des amis qui vous chérissent, une femme qui vous gronde, mais qui vous aime, un fils que tout le monde nous envierait, un fils qui est notre orgueil, notre gloire, notre avenir? Raton. Ah! si tu te mets sur ce chapitre. Marthe. Eh bien, oui!... voilà mon ambition, a moi, mon affaire d'État; je ne m'informe pas de ce qui se passe ailleurs; peu m'importe que la reine ait un favori, ou n'en ait pas! que ce soit tel ambitieux qui règne ou bien tel autre! Ce qu'il m'importe de savoir, c'est si tout va bien chez moi, si l'ordre règne dans ma maison, si mon mari se porte bien, si mon fils est heureux; moi, je ne m'occupe que de vous, de votre b i e n - ê t r e ; c'est mon devoir. Que chacun fasse le sien... Chacun son métier comme on dit; e t . . . voilà! Raton, avec impatience. Eh! qui te dit le contraire? Marthe. Toi, qui à chaque instant me donnes des in") Régent (v. Acte I, note 23) est aussi le titre d'un maître 3ui professe dans un c o l l è g e et qui ne se dit plus guère que es maîtres qui enseignent dans les classes inférieures. On en a formé le verbe régenter qui veut dire proprement: Enseigner en qualité de régent, professer. — Il régente dans tel collège.— Il régente la sixième, la cinquième. — Régenter se dit figtirément, comme dans notre passage, de ceux qui aiment à dominer et dans celte acception il s'emploie également c o m m e neutre et c o m m e actif: fyerrfàen, fymfdjiiicfetig fein; fccl)m|"c&fit, flàngcltt. [Régent, da participe lalin regens, regentem.]

38

BERTRAND ET RATON.

quiétudes mortelles; qui es toujours à pérorer 1 ®) sur le p a s 1 3 ) de la boutique, à blâmer tout ce qu'on fait, ce qu'on ne fait pas; toi, à qui tes idées ambitieuses font négliger nos meilleurs amis... Michelson, qui t'a invité tant de fois à aller le dimanche à sa c a m p a g n e . I 4 ) Raton. Que v e u x - t u ? . . . un marchand de draps qui n'est rien dans l'État Car enfin, qu'est-ce qu'il est? Marthe. Il est notre 1 ami; mais il te faut de la grandeur, de l'éclat. C'est encore par ambition que tu n'as pas voulu garder notre fils auprès de nous, où il aurait été si bien! et que tu l'as fait entrer auprès d'un grand seigneur, où il n'a éprouvé que des chagrins, dont il nous cache une partie. Raton. E s t - i l possible!... notre enfant!... notre fils unique!... il est malheureux! Marthe. Et tu ne t'en es pas a p e r ç u ? . . . tu ne t'en doutais p a s ? Raton. Ce sont là des affaires de m é n a g e ; . . . moi je ne m'en mêlais pas, je comptais sur toi; j'ai tant d'occupations!... Et qu'est-ce qu'il veut? qu'est-ce qu'il lui faut? E s t - c e de l'argent? Demande-lui combien... Ou plutôt... tiens, voilà la clef de ma caisse; donne-la-lui. Marthe. Taisez-vous, le voici. SCÈNE III.

Marthe, Éric,

Raton.

Eric, entrant wement. Ah! c'est v o u s , mon p è r e ! . . . je craignais que vous ne fussiez sorti. Il y a quelque agitation dans la ville. 13 ) Pérorer veut dire: parler, discourir longuement et avec « m p h a s e ( b a i gto§e 2Bort fûbrett). [Du latin perorare.] ") Pas signifie quelquefois seuil (ScfytïfUO- U est sur le pas de sa porte. [Du latin passus.] ") Campagne qui signifie proprement une plaine, une grande •étendue de pays plat et découvert, se dit souvent par opposition à la ville. Demeurer à la campagne: ouf bem S a u b e , ttt rinet < 5 o m m e r t » o l ) n u n g , ciuf b e m © a t t e n reoljnett. On dit quelquefois une campagne pour: une maison de campagne ettt Sanbfoaui, eilte ©ontmertpofynmig. [Campagne du latin eampania, mot de la b a s s e latinité, en vieux français champaigne, d'où dérive aussi J e nom propre de'Champagne. V. Diez, Gramm. d. rom. Spr.

I, 27, 193; 11, 282.]

ACTE II, SCÈNE III.

39

Raion. C'est ce qu'on dit; mais je ne sais pas encore de quoi il s'agit, car ta mère n'a pas voulu me laisser aller. Raconte-moi cela, mon garçon. Éric. Ce n'est rien, mon père, rien du tout; mais il y a des moments où, même sans motifs, il vaut mieux agir avec prudence. Vous êtes le plus riche négociant du quartier, vous y êtes influent; vous ne craignez pas d'exprimer tout haut votre opinion sur la reine Mathilde 18 ) et sur le favori. 1 6 ) Ce matin encore, au palais... Marthe. Est-il possible? Eric. Ils pourraient finir par le savoir! Raton. - Q u ' e s t - c e que ça me fait? Je ne crains rien; je ne suis pas un bourgeois obscur, inconnu, et ce n'est pas un homme comme Raton Burkenstaff du Soleil d'Or qu'on oserait jamais arrêter. Ils le voudraient, qu'ils n'oseraient pas! Eric, à demi-voix. C'est ce qui vous trompe, mon p è r e ; je crois qu'ils oseront. Raton, effrayé. Hein! qu'est-ce que tu me dis là?... Ce n'est pas possible. Marthe. J'en étais sûre, je le lui répétais encore tout à l'heure. Mon Dieu! mon Dieu! qu'est-ce que nous allons devenir? Eric. Rassurez-vous, ma mère, et ne vous effrayez pas. Raton, tremblait. Sans doute, tu es là à nous effrayer,... à t'effrayer sans r a i s o n ; . . . ça vous trouble, ça vous déconcerte, on ne sait plus ce qu'on fait: et dans un moment où l'on a besoin de son sang-froid... Voyons, mon garçon, qui t'a dit cela? d'où le tiens tu? Eric. D'une source certaine, d'une personne qui n'est que trop bien instruite, et que je ne puis vous nommer; mais vous pouvez me croire. Raton. Je te crois, mon enfant; et, d'après les renseignements positifs que tu me donnes là, qu'est-ce .qu'il faut faire? Eric. L'ordre n'est pas encore signé, mais d'un instant à l'autre il peut l'être; et ce qu'il y a de plus simple et de plus prudent, c'est de quitter sans bruit votre maison, de vous tenir caché pendant quelques jours... l5 ) La reine Mathilde v. Acle I, note 11. ") Struensée v. Acte I, noie 3.

40

BERTRAND ET RATON.

Marthe. Et où cela? Éric. Hors de la ville, chez quelque ami. Salon, vivement. Chez Michelson, le marchand de drap... Ce n'est pas là qu'on ira me chercher... Un brave h o m m e . . . inoffensif... qui ne se mêle de lien... que de son commerce! Marthe. V o u s v o y e z donc bien qu'il est bon quelquefois de se mêler de son commerce! Éric, d'un air suppliant. Eh! ma m è r e . . . Marthe. Tu as raison! j'ai tort; ne songeons qu'à son départ. Eric. 11 n'y a pas le moindre danger; mais n'importe, mon père, je vous accompagnerai. Bâton. Non, il vaut mieux que tu restes; car enlin, tantôt quand ils viendront et qu'ils ne me trouveront plus, ¿ i l y avait du bruit, du tumulte, tu imposeras à ces g e n s là, tu veilleras à la sûreté de nos magasins, et puis tu rassureras ta mère, qui est toute tremblante. Marthe. Oui, mon fils, reste avec moi. Éric. Comme vous voudrez. (Apercevant Jean, qui descend l'eicalier.) Et au fait, il suffira de Jean pour accompagner mon père jusque chez Michelson. Jean, tu vas sortir. Jean. Est-il possible? quel bonheur! Madame le permet ? Marthe. Sans doute; lu sortiras avec ton maître. Jean. Oui, madame. Éric. Et tu ne le quitteras pas? Jean. Oui, monsieur Éric. Raton. Et surtout de la discrétion; pas de bavardage, pas de curiosité. Jean. Oui, notre maître; il y a donc quelque c h o s e ? Raton, à Jean, à demi-voix. La cour et le ministère sont f u rieux contre moi; on veut m'arrêler, m'incarcérer, m'emprisonner, peut-être pire... Jean. A h bien, par e x e m p l e ! 1 7 ) je voudrais bien voir celai II y aurait un fameux bruit dans le quartier, et v o u s m'y verriez, notre maître ; vous v e n iez quel tapage ; madame m'entendra crier. Raton. Taisez-vous, Jean, vous êtes trop vif. T7) Par exemple ! est une exclamation qui s'emploie souvent dans le langage familier pour exprimer un grand élonnement o u beaucoup d'incrédulité: fccr Staufenb!

ACTE II, SCÈNE IV.

41

Marthe. Vous êtes u n tapageur. Éric. E t du r e s t e , ta b o n n e volonté sera inutile; car il n ' y aura rien. Jean, tristement et à part. Il n ' y aura r i e n . . . T a n t pis! moi" qui espérais déjà b r u i t et des carreaux cassés! Raton, qui pendant ce temps a embrassé sa femme et son fil!." A d i e u ! . . . adieu! . . . (Il sort avec Jean par la porte du fond; Marthe et Éric l'ont reconduit jusqu'à la porte de la boutique, et le suivent encore quelque temps des veut quand il est dans la rue.) SCÈNE IV.

Marthe,

Eric.

Marthe. Tu m ' a s s u r e s q u e d a n s q u e l q u e s j o u r s n o u s le r e v e r r o n s ? Éric. Oui, m a m è r e . Il y a q u e l q u ' u n qui daigne s ' i n t é r e s s e r à nous, et qui, j'en suis s û r , emploiera son crédit à faire cesser les poursuites, et à n o u s r e n d r e m o n père. Marthe. Que j e serai h e u r e u s e alors, q u a n d n o u s s e r o n s réunis, q u a n d rien n e n o u s séparera p l u s ! . . . E h b i e n ! q u ' a s - t u d o n c ? d'où viennent cet air s o m b r e et ces r e g a r d s si t r i s t e s ? Éric, avec embarras. Je c r a i n s . . . q u e p o u r moi d u moins v o s v œ u x ne se réalisent p a s . . . J e serai bientôt obligé d e v o u s quitter, et p o u r l o n g t e m p s p e u t - ê t r e .

Marthe.

0 ciel!

Éric, avec plus de fermeté. Je voulais d ' a b o r d n e p a s v o u s en prévenir, et v o u s é p a r g n e r ce c h a g r i n ; mais ce qui a r rive a u j o u r d ' h u i . . . Et p u i s , partir sans v o u s e m b r a s s e r , c'était impossible, je n'en aurais jamais eu le c o u r a g e . Marthe. P a r t i r ! . . . l'ai-je bien e n t e n d u ! et p o u r q u o i d o n c ? Éric. Je v e u x être militaire; j'ai d e m a n d é u n e lieutenance. Marthe. Toi, m o n Dieu! et que t'ai-je d o n c fait p o u r m e quitter, p o u r fuir la m a i s o n paternelle! E s t - c e que n o u s t ' a v o n s r e n d u m a l h e u r e u x ? e s t - c e q u e noue t'avons c a u s é du c h a g r i n ? P a r d o n n e - l e - m o i , m o n fils; ce n'est pas m a faute, c'est s a n s le vouloir, et j e réparerai m e s torts. Éric. Vos t o r t s ! . . . v o u s qui êtes la meilleure et la p l u s tendre des m è r e s ? . . . Non, je n ' a c c u s e q u e moi s e u l . . . Mais, v o y e z - v o u s , j e n e p e u x rester en ces lieux.

42

BERTRAND ET RATON.

Marthe. Et pourquoi? Y a-t-il quelque endroit, dans le monde, où l'on t'aimera comme ici? Que te manque-t-il? Yeux-tu briller dans le monde, éclipser les plus riches seigneurs? Nous le pouvons. (Lui donnant la clef.) Tiens, tiens, dispose de nos richesses, ton père y consent; moi, je te le demande et je t'en remercierai, car c'est pour toi que nous amassons et que nous travaillons tous les jours ; cette maison, ces magasins, c'est ton bien, cela t'appartient! Eric. Ne parlez pas ainsi; je n'en veux pas, je ne veux rien; je ne suis pas digne de vos bontés. Si je vous disais que cette fortune, fruit de vos travaux, je suis tenté de la repousser; que cet état, que vous exercez avec tant d'honneur et de probité, cet état, dont j'étais fier autrefois, est aujourd'hui ce qui fait mon tourment et mon désespoir, ce qui s'oppose à mon bonheur, à ma vengeance, à tout ce que j'ai de passions dans le cœurl Marthe. Et comment cela, mon Dieu? Eric. Ah! je vous dirai tout; ce secret-là me pèse depuis longtemps, et à qui confier ses chagrins, si ce n'est à sa mère!... Mettant tout votre bonheur dans un fils qui vous a causé tant de peines, vous l'aviez fait élever avec trop de soin, trop de tendresse peut-être. Marthe. Comme un seigneur, comme un prince ! Et s'il y avait eu quelque chose de mieux ou de plus cher, tu l'aurais eu. Eric. Vous n'avez pas alors voulu me laisser dans ce comptoir, 18 ) où était ma vraie place? Marthe. Ce n'est pas moi! c'est ton père, qui t'a fait nommer secrétaire particulier de M. de Falkenskield. Eric. Pour mon malheur; car, admis dans son intimité, passant mes jours près de Christine, sa fille unique, mille occasions se présentaient de la voir, de l'entendre, de contempler ses traits charmants, qui sont le moindre des trésors qu'on voit briller en elle.. . Ah ! si vous aviez pu l'apprécier chaque jour comme je l'ai fait, si vous l'aviez vue si séduisante à la fois de raison et de grâce, si simple et si modeste, qu'elle seule semblait ignorer son esprit et ses talents; et une âme si noble, un caractère si géné™) Comptoir

se dit ici pour bureau

v. Acte II, noie 3.

ACTE II, SCÉNE IV.

43

reux!... Ah! si vous l'aviez vue ainsi, ma mère, vous auriez fait comme moi, vous l'auriez adorée. Marthe. 0 ciel! Eric. Oui, depuis deux ans cet amour-là fait mon tourment, mon bonheur, mon existence. Et ne croyez pas que, méconnaissant mes devoirs et les droits de l'hospitalité, je lui aie laissé voir ce qui se passait dans mon coeur, ni que jamais j'aie eu l'idée de lui déclarer une passion que j'aurais voulu me cacher à moi-même... Non, je n'aurais plus été digne de l'aimer... Mais ce secret, dont elle ne se doute pas et qu'elle ignorera toujours, d'autres yeux plus clairvoyants l'ont sans doute deviné; son père se sera aperçu de mon embarras, de mon trouble, de mon émotion; car à sa vue je m'oubliais moi-même, j'oubliais tout, mais j'étais heureux,... elle était là! Hélas! ce bonheur, on m'en a privé... Vous savez comment le comte m'a congédié sans me faire connaître les motifs de ma disgrâce, comment il m'a banni de son hôtel, et comment depuis ce jour il n'y a plus pour moi ni repos, ni joie, ni plaisir. Marthe. Hélas, oui! Eric. Mais ce que vous ne savez pas, c'est que tous les soirs, tous les matins, j'errais autour de ses jardins pour apercevoir de plus près Christine, ou plutôt les fenêtres de son appartement; et dernièrement je ne sais quel délire, quelle fièvre s'est emparée de moi:... ma raison m'avait abandonné, et, sans savoir ce que je faisais, j'avais pénétré dans le jardin. Marthe. Quelle imprudence! Eric. Oh, oui, ma mère ! car je ne devais pas la voir... Sans cela, et au prix de tout mon sang... Mais rassurezvous; il était onze heures du soir; personne ne m'avait aperçu, personne qu'un jeune fat qui, suivi de deux domestiques, traversait une allée pour se rendre chez lui... C'était le baron Frédéric de Gœlher 1 9 ), neveu du ministre de la marine, qui tous les soirs, à ce qu'il paraît, venait faire sa cour... Oui, ma mère, c'est son prétendu, celui qui doit l'épouser... Je n'en savais rien alors;... mais je le devinais déjà à la haine que j'éprouvais pour lui; et quand il me »») Gœlher

v. Acte I, note 19.

44

BERTRAND ET RATON.

cria, d'un ton impertinent et hautain: Où allez-vous ainsi? qui êtes-vous? l'insolence de ma réponse égala celle de la demande, et a l o r s , . . . ah! ce souvenir ne s'effacera jamais de ma mémoire, il ordonna à ses gens de me châtier, et l'un d'eux leva la main sur moi: oui, m a n i è r e , oui, il m'a frappé; non pas deux fois, car à la première j e l'avais étendu à m e s pieds; mais il m'avait frappé, il m'avait fait affront: et quand j e courus à son maître, quand j e lui en demandai satisfaction: „Volontiers, me dit-il; qui è t e s - v o u s ? " .le lui dis mon nom. „Burkenstaff! s'écria-t-il avec dédain: j e ne me bats pas avec le fils d'un marchand. Si vous étiez noble ou officier, j e ne dis p a s . . . " Marthe, effrayée. Grand Dieu! Eric. Noble! j e ne puis jamais l'être, c'est impossible! mais officier... Marthe, vivement. Tu ne le seras pasl tu n'obtiendras pas ce grade, où tu n'as pas de droit; non, tu n'en as p a s . . . T a place est ici, dans cette maison, près de ta m è r e , qui perd tout aujourd'hui; car te voilà comme ton p è r e ; v o u s voilà Tous deux prêts à m'abandonner, à exposer vos j o u r s ; et pourquoi? parce que vous ne savez pas être heureux, parce qu'il vous faut des désirs ambitieux, parce que vous regardez au-dessus de votre état. Moi, je ne regarde que vous, j e n'aime que vous! J e ne demande rien aux puissances du jour, ni aux grands seigneurs, ni à leurs filles... J e ne veux que mon mari, mon fils;... mais j e les v e u x . . . (Serrant son fils dans tes bras.) Ça m'appartient, c'est mon bien, et on ne me l'ûtera pas'. S C È N E V.

Marthe,

Jean,

Éric.

Jean, avee joie et regardant la eantonadc.10) v e i l l e ! . . . c o n t i n u e z c o m m e ça.

C'est

ça ! à

mer-

3 ! ) On appelle cantonade l'intérieur des coulisses. Parler à la cantonade se dit dans les pièces de the'àtre d'un acteur qui parle avant de paraître en scène, sans être vu des spectateurs. Le mot cantonade a été' formé de canton qui, dans sa première signification, désigne une certaine partie d'un pays, considérée comme distincte du reste de ce pays. [Canton probablement de l'allemand: .San te.]

45

ACTE II, SCÈNE V.

Eric. Eh quoi! déjà de retour!. .. Est-ce que mon pere «st chez Michelson? Jean, avec joie. Mieux que cela. Marthe,

avec impatience.

E n f i n il est en

sûreté?

Jean, d'un air de triomphe. Il a é t é a r r ê t é . Marthe. Ciel! Jean. Ne vous effrayez pas! ça va bien, ça prend une bonne tournure. Eric, avec colère. T'expliqueras-tu? Jean. Je traversais avcc lui la rue de Stralsund, quand nous rencontrons deux soldats aux gardes qui nous examinent,... nous suivent,... puis s'adressant à votre père: Maître Burkenstaff, lui dit l'un d'eux en ôtant son chapeau, au nom de son excellence le comte Struensée, je vous invite à nous suivre; il désire vous parler. Éric. Eh bien? Jean. Voyant un air si doux et si honnête, votre père répond: Messieurs, je suis prêt à vous accompagner. Et tout cela s'était passé si tranquillement, que personne dans la vue no s'en otait aperçu; mais moi, pas si bête!... je me mets à crier de toutes mes forces: À moi! au secours! on arrête mon maître, Raton Burkenstaff!... à moi, les amis! Eric. Imprudent ! Jean. Pas du tout; car j'avais aperçu un groupe d'ouvriers qui se rendaient à l'ouvrage: ils accourent à ma voix; en les voyant courir, les femmes et les enfants font comme eux, on ne peut plus passer, les voitures s'arrêtent, les marchands sont sur les pas de leurs portes, et les bourgeois se mettent aux fenêtres. Pendant ce temps, les ouvriers avaient entouré les deux soldats aux gardes, délivré votre père, et l'emmenaient en triomphe, suivi de la foule, qui -grossissait toujours; mais en passant rue d'Altona, où sont « o s ateliers, ça a été un bien autre tapage ! Le bruit s'était -déjà répandu qu'on avait voulu assassiner notre bourgeois, qu'il y avait eu un combat acharné avec les troupes; toute la fabrique s'était soulevée et le quartier aussi, et ils marchent au palais en criant: Vive Burkenstaff! qu'on nous te rende! . Éric. Quelle folle! Marthe. Et quel mallicjr!

46

BERTRAND ET RATON.

Eric. D'une affaire qui n'était rien, faire une affaire sérieuse, qui va compromettre mon père et justifier les mesures qu'on prenait contre lui. Jean. Mais du tout;... n'ayez donc pas peur,... il n'y a plus rien à craindre! ça a gagné les autres quartiers. On casse déjà les réverbères et les croisées des hôtels:... ça va bien, c'est amusant. On ne fait de mal à personne; mais tous les gens de la cour que l'on rencontre, on leur jette de la boue à eux et à leur voiture! ça approprie les rues... Et tenez,... tenez;... entendez-vous ces cris? voyez-vous ce beau carrosse arrêté près de notre boutique et qu'on essaye de renverser? Eric. Qu'ai-je vu? les -armes 3 ') du comte de Falkenskield!... Dieu! si c'était... (|| s'élance dam la rue.) SCÈNE VI. Jean, Marthe. Marthe, voulant retenir Éric. s'exposer ! . . .

Mon

fils!

mon

filsl

S'il

allait

Jean. Laissez-le donc... lui!... le fils de notre maître!... il ne risque rien, il ne court aucun danger... que- d'être porté en triomphe, s'il veut! (Regardant au fond.) Voyez-vous d'ici comme il parle aux messieurs qui entourent la voiture, des jeunes gens de la rue, je les connais tous... ils s'en vont,... ils s'éloignent. Marthe. A la bonne heure!... Mais mon mari,... je veux savoir ce qu'il devient;... je cours le rejoindre. Jean,

voulant l'empêcher de sortir. Y

pensez-vous?

Marthe, le repoussant et s'élançant dans la rue à droite. te dis-je, je le veux,... je le veux! Jean.

Laisse-moi,

I m p o s s i b l e d e la r e t e n i r . (Appelant à gauche dans la rue.)

Monsieur Éric!... monsieur Éricl... (Regardant.) Tiens, qu'estce qu'il fait donc l à ? . . . il aide à descendre de la voiture une jeune dame, qui est bien belle, ma foi, et bien élégante... Eh mais! est-ce qu'elle serait évanouie? {Redescendant le théâtre.) Elle a eu peur de ça... Est-elle bonne! " ) Armes en t e r m e s de blason (ffioppenfuilbe, £ n a l b i f ) se dit des signes héraldiques peints ou figurés s u r l'armure d'un chevalier, sur un cachet (ÇettfcfyafO) sur la p o r t i è r e d ' u n e voilure elo.

SBappen.

ACTE II, SCÈNE VII.

47

Eric, rentrant et portant dans ses bras Christine, qui est évanouie, et qu'il dépose sur un fauteuil à gauche. Vite des secours!... ma m è r e ! . . . Jean. Elle vient de sortir pour avoir des nouvelles de notre bourgeois.

Eric, aussi.)

regardant Christine. E l l e r e v i e n t

Qu'est-ce

que

tu fais l à ?

à e l l e . (A Jean, qui la regarde

va-t'en!

Jean. Je ne demande pas mieux. (A part) Je vais r e trouver les autres et les aider à crier 1 (Il sort par le fond.) SCÈNE VII.

Christine,

Eric.

Christine, menant à elle. Ces cris,... ces menaces,... cette multitude furieuse qui m'entourait,... que leur a i - j e fait? et où suis-je? Eric, timidement. Vous êtes en sûreté; ne craignez rien! Christine, avec émotion. Cette voix... (Se retournant.) Éric,... c'est vous! Eric. Oui, c'est moi qui vous revois et qui suis le plus heureux des h o m m e s ; . . . car j'ai pu vous défendre,... vous protéger et vous donner asile. Christine. Où donc? Eric. Chez moi, chez ma mère; pardon de vous recevoir en des lieux si peu dignes de vous; ces magasins, ce comptoir, sont bien différents des brillants salons de votre p è r e ; mais nous sommes si peu de chose, nous ne sommes que des marchands! Christine. Ce serait déjà un t i t r e 2 2 ) à la considération de t o u s ; 2 3 ) mais auprès de moi et auprès de mon p è r e yous en avez d'autres encore, et le service que vous venez de me rendre... Eric. Un service! ah! ne prononcez pas ce mot-là. Christine, toujours assise. Et pourquoi donc? Eric. Parce qu'il va encore m'imposer silence, parce qu'il va de nouveau m'enchaîner par des liens que je veux " ) Titre se dit souvent pour le droit qu'on a de posséder, de demander, de faire quelque chose: Slnfprucft. [Titre du lalin titulus, v. Diex, Gramm. d. rom. Spr. I, 134.] " ) On prononce ici l's. V. Acte I, note 14.

48

BERTRAND ET RATON.

rompre enfin. Oui, tant que je fus accueilli par votre père, tant que j'étais admis par lui sous son toit hospitalier, j'aurais cru manquer à la probité, à l'honneur, à tous les der voirs, en trahissant un secret dont ses a,flïonls me dégagent; j e ne lui dois plus rien, nous sommes quilles; et avant de mourir j e veux parler, je veux, dussiez-vous m'accabler de votre dédain et de votre colère, que vous sachiez une fois ce que j'ai éprouvé de tourments et ce que mon coeur renferme de douleur et de désespoir. Christine, se levant. Éric, au nom du ciel! Eric. Vous le saurez. Christine. Ali, malheureux! croyez-vous que je l'ignoreI Eric, transporté de joie. Christine!... Christine, effrayée, lui imposant silence. Taisez-vous! taisez-vous! croyez-vous donc mon cœur si peu généreux qu'il n'ait pas compris la générosité du vôtre, qu'il ne vous ait pas tenu compte de votre dévouement et surtout de votre silence? (Mouvement de joie d'Éric.) Que ce soit aujourd'hui la dernière fois que vous ayez osé le rompre; demain, je suis destinée à un autre, mon père l'exige; et soumis à mes •devoirs... Eric. Vos devoirs... Christine. Oui ; je sais ce que j e dois à ma famille, à ma naissance, à des distinctions que je n'eusse pas désirées p e u t - ê t r e , mais que le ciel m'a imposées, et dont j e serai digne. (S'avançant vers lui.) Et vous, Éric, (timidement) j e n'ose dire mon ami, ne vous abandonnez pas au désespoir où j e vous vois: dites-vous bien que la-honte ou l'honneur ne vient pas du rang qu'on occupe, mais de la manière dont on en remplit les devoirs; et vous ferez comme moi, vous subirez le vôtre avec courage et sans vous plaindre. Adieu pour toujours; demain je serai la femme du baron de Gœlher. Eric. Non pas tant que j e vivrai, et j e vous jure ici... Dieu! l'on vient! SCÈNE Vill.

Christine, Éric, liant zau,

Marthe.

Marthe, à Rantzau. Si c'est ù mon fils que vous voulez parler, le voici, (a part.) Impossible de rien apprendre. Christine., l'apercevant. 0 ciel!

ACTE II, SCÈNE VIII.

49

Marthe et Rantzau, saluant. Mademoiselle de Falkenskield !... Eric, vivement. A qui nous avons eu le bonheur d'offrir un refuge, car sa voiture avait été arrêtée. Rantzau. Eh mais! vous avez l'air de vous justifier d'un trait qui vous fait honneur? Eric, troublé. Moi, monsieur le comte! Marthe, à part. Un comte!... (Avec mauvaise humeur.) C'est fini, notre boutique est maintenant le rendez-vous des grands seigneurs. Rantzau, qui pendant ce temps a jeté un regard pénétrant sur Christine et sur Eric, qui tous deux baissent les yeux. C'est bien, . . . c'est b i e n . . . (Souriant.) Une belle dame en danger, un jeune chevalier qui la délivre; j'ai vu des romans qui commençaient ainsi. Eric, voulant changer la conversation. Mais vous-même, monsieur le comte, vous êtes bien hardi de sortir ainsi à pied dans les rues. Rantzau. Pourquoi cela? Dans ce moment, les gens à pied sont des puissances; ce sont eux qui éclaboussent; et puis, moi, je n'ai qu'une parole; je vous avais promis, en venant ici faire quelques emplettes, de vous apporter votre b r e v e t 2 4 ) de lieutenant... (Le tirant de sa poche, et le lui présentant.)^ Le voici! Eric. Quel bonheur! je suis officier! Marthe. C'est fait de moi... (Montrant Rantzau.) J'avais raison de me défier de celui-là. Rantzau, se tournant vers elle. Je vous fais compliment, madame, sur la faveur dont vous jouissez en ce moment. Marthe. Que voulez-vous dire? Rantzau. Ignorez-vous donc ce qui se passe? Marthe. Je viens de nos ateliers, où il n'y avait plus personne. Rantzau. Ils sont tous dans la grande place; votre mari est devenu l'idole du peuple. De tous les côtés on rencontre des bannières sur lesquelles flottent ces mots: Vive BurkenstafT, notre chef! BurkenstafF pour toujours!... Son nom est devenu un cri de ralliement. Marthe. Ah, le malheureux! Rantzau. Les flots tumultueux de ses partisans entou'*) Brevet v. Acte I, note 51.

4

50

BERTRAND ET RATON.

rent le palais, et ils crient tous de bon cœur: A bas Struensée! (Souriant.) Il y en a même quelques-uns qui crient: A bas les membres de la régence ! Eric. O ciel! et vous ne craignez pas... Rantzau. Nullement: je me promène incognito, en amateur; d'ailleurs, s'il y avait quelque danger, je me réclamerais de vous! Eric, vivement. Et ce ne serait pas en vain, je vous le jure! Rantzau, lui prenant la main. J'y ai compté. Marthe, remontant le théâtre. Ah, mon Dieu! entendez-vous ce bruit? Rantzau, à part, et prenant la droite. C'est bien! cela marche! et si cela continue ainsi, on n'aura pas besoin de s'en mêler. SCÈNE IX. Christine, Eric, Jean, Marthe, Rantzau. Jean, aceonrant tout essoufflé. Victoire!... victoire!... nous l'emportons!... Marthe, Eric et Rantzau. Parle vite, parle donc! Jean. Je n'en peux plus, j'ai tant crié!... Nous étions dans la grande place, devant le palais, sous le balcon, trois ou quatre mille! et nous répétions: Burkenstaff! Burkenstaffl qu'on révoque l'ordre qui le condamne; Burkenstaff!!! Alors, la reine a paru au balcon, et Struensée à côté d'elle, en grand costume, du velours bleu magnifique, et un bel homme, une belle voix! Il a parlé, et on a fait silence: „Mes amis, ,,de faux rapports nous avaient abusés; je révoque toute ,,espèce d'arrestation, et je vous jure ici, au nom de la ,,reine et au mien, que M. Burkenstaff est libre et n'a plus ,,rien à craindre." Marthe. Je respire!... Christine. Quel bonheur!... Eric. Tout est sauvé! Rantzau, à pari Tout est perdu! Jean. Alors, c'étaient des cris de: Vive la reine 1 vive Struensée! vive Burkenstaff! Et quand j'ai dit à mes voisins: C'est pourtant moi qui suis Jean, son garçon de boutique, ils ont crié: Vive Jean! et ils m'ont déchiré mon habit, en m'élevant sur leurs bras pour me montrer à la multitude. Mais ce n'est rien encore; les voilà tous qui

51

ACTE II, SCÈNE X. s'organisent,

les

complimenter maison

chefs

notre

des

métiers en tête, pour venir

maître

et

le

porter

en

ici

triomphe à la

commune.28) à pari.

Marthe,

Un triomphe! il en perdra la t ê t e !

à part.

Rantzau,

Quel d o m m a g e !

mençait si b i e n ! . . . A

une r é v o l t e qui

SCÈNE

X.

Christine, Eric, au fond; Burkenstaff e t plusieurs qui l'entourent; Marthe, Jean, Rantzau. prenant pluie-an pétitions.

Burkenstaff, j e présenterai

vos

com-

qui se lier à présent?

réclamations

Oui,

notables

mes amis,

à la reine

et

oui,

au ministre,,

et il faudra bien qu'on y fasse d r o i t ; j e serai là d'ailleurs,, j e parlerai.

Quant au triomphe que le peuple me

décerna

et que ma modestie m ' o r d o n n e de refuser... à part. A

Marthe, le b o n effet. prendre frères,

la b o n n e

J'attendrai ici le

quand

il voudra.

les n o t a b l e s 2 6 )

que tantôt,

heure!

Je l'accepte! dans l'intérêt général et p o u r

Burkenstaff.

au

retour

cortège,

qui

à vous,

peut venir

con-

de notre c o r p o r a t i o n , j ' e s p è r e

bien

triomphe,

mes

ma

chers

du

Quant

vous viendrez

souper

chez m o i ; j e v o u s invite tous. Tous,

criant en sortant. V i v e Burkenstaff! v i v e notre

chef!

N o t r e c h e f ! . . . v o u s l'entendez 1 quel

Burkenstaff.

hon-

neur 1... ( A Érie.) Quelle gloire, m o n fils, pour notre maisonl ( A Marthe.) Eh bien, ma f e m m e ! que te disais-je? j e suis una puissance,...

un p o u v o i r , . . .

rien

n'égale

ma popularité,

et

tu v o i s ce que j ' e n peux faire. Marthe.

V o u s en f e r e z une m a l a d i e ; 2 7 )

car v o u s n'en p o u v e z

reposez-vous,...

plus!

" ) La maison commune est la maison où s'assemblent lesofficiers municipaux (bie fiâfctifdjett Seamten), où siègent les au» torités communales, et qu'on appelle ordinairement hôtel de ville:

9ìat!)fyait3. f Maison

d e mansio

d e manëre

v . Diez,

Gramm.

d. rom. Spr. I, 160; II, 281.] " ) L'adjectif notable veut dire: remarquable, considérable: tebeutenb. Une somme, une perte, un gain, un avantage notable. Comme substantif il se dit des principaux et (tes plus considérables citoyens d'une ville, d'une province, d'un État. L'assemblée des notables

précéda

en France

(1788)

la convocation

généraux. [Du latin notabilis.] " ) Faire une maladie est une expression

des

familière 4*

états

pour:.

52

BERTRAND ET RATON.

Burkenstaff, s'essuyant le front. Du tout ! la gloire ne fatigue p a s . . . Quelle belle journée! tout le monde s'incline devant moi, s'adresse à moi et me fait la cour. (Apercevant Christine et Rantzau, qui sont près ilu comptoir à gauche, et qui étaient masqné! par Éric.) Que v o i s - j e ? mademoiselle de Falkenskield et monsieur de Rantzau chez moi! ( A Rantzau, d'un air protecteur et avec emphase.) Qu'v a-t-il, monsieur le comte? Que p u i s - j e pour votre service? que me d e m a n d e z - v o u s ? . . . Rantzau, froidement. Quinze aunes de velours pour un manteau. Burkenstaff, déconcerté. A h ! . . . c'est cela, pardon... Mais p o u r ce qui est du commerce, je ne puis pas; si c'était toute autre c h o s e . . . (Appelant.) Ma f e m m e ! . . . Vous sentez qu'au moment d'un triomphe... Ma femme... montez dans l e s magasins, servez monsieur le comte. Rantzau, donnant un papier à Marthe. Voici ma note. Burkenstaff, criant à sa femme, qui est déjà sur l'escalier. Et pilis, t u songeras au souper, un souper digne de notre nouvelle position; du bon vin, e n t e n d s - t u ? . . . (Montrant la porte qui est soui l'escalier.) Le vin du petit caveau. Marthe, remontant l'escalier. E s t - c e que j'ai le temps de tout faire? Burkenstaff. Eh bien ! ne te fâche pas... J'irai m o i - m ê m e . . . (Marthe remonte l'escalier, et disparait.) (A Rantzau.) Mille pardons encore, monsieur le comte; mais, v o y e z - v o u s , j'ai tant d'occupations, tant d'autres soins... (A Christine, d'un ton protecteur.) Mademoiselle de Falkenskield, j'ai appris par Jean, mon garçon d e , . . . (se reprenant) mon c o m m i s , . . . le manque de respect qu'on avait eu pour votre voiture et pour v o u s ; croyez bien que j ' i g norais. .. Je ne peux pas être partout. (D'un ton d'importance.) Sans cela, j'aurais interposé mon autorité; je vous promets d'en témoigner tout mon mécontentement, et je v e u x avant tout... Rantzau. son père.

Faire

reconduire

mademoiselle

à l'hôtel

de

gagner une maladie (ïtonf tnerben). La réponse de Marthe: Fou* en ferez une maladie renferme un jeu de mot sur le verbe faire; car son mari vient de dire: Tu vois ce que j'en peux faire Ce j e u de mot pourrait se rendre en allemand par: ¿Du fiebfl toflô taburd» au$ mtr toerbtn fann! — Sratif toirjl bu teerbett!

53

ACTE II, S C È N E XI.

Burkenstaff. C'est ce que j'allais dire, vous m'y faites penser... Jean, que l'on rende à mademoiselle son carrosse... Vous direz que je l'ordonne, moi, Raton de Burkenstaff... Et pour escorter mademoiselle... Eric, \iyement. Je me charge de ce soin, mon père. Burkenstaff. A la bonne heureI... (A Éric.) S'il vous arrivait quelque chose, si on vous arrêtait,... tu diras : Je suis Éric de Burkenstaff, fils de messire... Jean. Raton de Burkenstaff... C'est connu. Rantzau, saluant Christine. Adieu, mademoiselle;... adieu? mon jeune ami. (Eric a offert sa main à Christine, et sort avec elle, suivi d e J e a n . )

SCÈNE XI. Rantzau,

Raton.

(Rantzau s'est assis près du comptoir, et Raton d e l'antre coté, à droite.)

Raton. On vous a fait attendre, et j'en suis désolé. Rantzau. J'en suis ravi;... je reste plus longtemps avec vous, et l'on aime à voir de près les personnages célèbres. Raton. Célèbre... Vous êtes trop bon. Du reste, c'est une chose inconcevable... Ce matin personne n'y pensait, ni moi non plus,... et c'est venu en un instant. Rantzau. C'est toujours ainsi que cela arrive; (à part) et que cela s'en va. (Haut.) Je suis seulement fâché que cela n'ait pas duré plus longtemps. Raton. Mais ça n'est pas fini... Vous l'avez entendu;... ils vont venir me prendre pour me mener en triomphe. Pardon, je vais m'occuper de ma toilette; car, si je les faisais attendre, ils seraient inquiets, ils croiraisnt que la cour m'a fait disparaître. Rantzau,

souriant.

C'est vrai, et cela

recommencerait.

Raton. Comme vous dites... Ils m'aiment tant!... Aussi, ce soir, ce souper que je donne aux notables sera, je crois, d'un bon effet, parce que dans un repas on boit... Rantzau. On s'anime. Raton. On porte des toasts 2 8 ) à Burkenstaff, au chef 2S

) Toast (on prononce lôste) un de ces nombreux mots

54

BERTRAND ET RATON.

à demi-voii et avee force.

Que nous l'ayons

seule-

La reine, vivement. Et vous agirez?... Rantzau. Non pas moi. Jja reine. Et qui donc? Rantzau, s'arrêtant. On frappe. (Montrant la petite porte à gauche.)

La

reine,

à demi-voix. Qui vient là?

Raton, en dehors. Moi, Raton de Burkenstaff. Rantzau, à demi-voii à la reine. A merveille ! . . c'est l'homme qu'il vous faut pour exécuter vos ordres, lui et Koller. La reine. Y pensez-vous? Rantzau. Il est inutile qu'il me voie, faites-le attendre ici quelques instants, et venez me retrouver. La reine. Ou donc? Rantzau, à demi-voix. Là! La reine. Dans l'antichambre du roi! (Rantzau sort par la porte à deux battante, à gauche.)

SCÈNE VII. Raton, la reine. Raton, entrant mystérieusement. C'est moi, madame, qui n'ai rien encore à vous annoncer, et qui viens à ce sujet consulter votre majesté. La reine, vivement C'est bien!... c'est bien!... c'est le ciel qui vous envoie. . . Attendez ici, et n'en sortez pas. . Attendez les ordres que je vais vous donner et que vous aurez soin d'exécuter à l'instant. Raton, s'inclinant. O u i , m a d a m e . (La reine entre dans l'appartement à gauche.)

SCÈNE VIII. Raton, seul. Ça ne fera pas mal! . je ne serai pas fâché de savoir ce que j'ai à faire,... car tout retombe sur moi, et je ne 17

)

Pouvoir

v. Acte I, noie 18.

ACTE IV, S C È N E IX.

89

¡sais auquel entendre... Maître, où faut-il a l l e r ? . . . maître, qu'est-ce qu'il faut dire?... maître, {qu'est-ce qu'il faut f a i r e ? . . . E s t - c e que je sais? je leur réponds toujours: Attendez ! on ne risque rien d'attendre ; . . . il peut arriver des idées, tandis qu'en se pressant... SCÈNE IX. Jeun,

Raton,

Marthe.

Raton, à Marthe et à Jean, qui entrent par la petite porte h gauche. E h bien ! Jean, tristement. Cela va mal... tout est tranquille! Marthe. Les rues sont désertes, les boutiques sont fermées, les ouvriers que nous avons envoyés ont eu beau crier: Vive Burkenstaffl personne n'a répondu!... Raton. Personne!... c'est inconcevable!... des gens qui m'adoraient h i e r ! . . . qui me portaient en t r i o m p h e ; . . . et aujourd'hui ils restent chez eux! Jean. Et le moyen de sortir? Il y a des soldats dans toutes les rues. Raton. Vraiment! Jean. Les portes de nos ateliers sont gardées par des piquets de cavalerie. Raton. Ah, mon Dieu! Marthe. Et ceux des ouvriers qui ont voulu se montrer ont été arrêtés à l'instant même. Raton, effrayé. Voilà qui est bien différent. Ecoutez donc, mes enfants, je ne savais pas cela. Je dirai à la reine-mère: Madame, j'en suis bien fâché; mais à l'impossible nul n'est tenu, 1 8 ) et je crois que ce que nous avons de mieux à faire est de retourner chacun chez nous. Marthe. Ce n'est plus possible, notre maison est envahie; des trabans 1 9 ) de la garde y sont casernés; ils mett8)

A l'impossible nul n'est tenu est un proverbe qui veut dire:

Quelques soient les promesses que quelqu'un ait faites, on ne peut exiger de lui de iaire l'impossible. Le participe tenu, signifie souvent: Qui est obligé (tterpfïicfytet) à faire quelque

chose. Je ne suis pas m'indemniser.

tenu à cela,

de cela.

Il est tenu de

" ) On appelait autrefois trabans des militaires a r m é s de hallebardes et chargés d'un service particulier. Dans les com-

90

BERTRAND ET RATON.

t e n t tout au pillage; et si v o u s y paraissiez m a i n t e n a n t , il y a o r d r e de v o u s saisir, et p e u t - ê t r e pire encore. Raton. Mais ça n ' a pas de n o m ! c'est é p o u v a n t a b l e ! c'est d ' u n a r b i t r a i r e ! E t où n o u s cacher m a i n t e n a n t ? Marthe. N o u s c a c h e r ! q u a n d m o n fils est en danger, q u a n d on dit qu'il vient d ' ê t r e c o n d a m n é ! Raton. Est-il p o s s i b l e ! Marthe. C'est v o u s qui l'avez v o u l u ; et maintenant q u e n o u s y s o m m e s , c'est à v o u s de n o u s en r e t i r e r ; il faut a g i r : décidez q u e l q u e chose. Raton. Je n e d e m a n d e pas mieux, mais q u o i ? Jean. L e s ouvriers du port, les matelots n o r w é g i e n s 2 0 ) .sont en liberté; ceux-là ne r e c u l e r o n t p a s ; et en leur d o n nant de l ' a r g e n t . . . Marthe, vivement. II a r a i s o n ! . . . De l ' o r ! de l ' o r ! tout ce q u e n o u s a v o n s ! Raton. Permets donc... Marthe. V o u s hésiteriez? Raton. Du t o u t ; j e n e dis p a s n o n , mais j e n e dis p a s oui. Jean. Et q u ' e s t - c e q u e v o u s dites d o n c ? Raton. J e dis qu'il faut attendre. Marthe. A t t e n d r e ! Et qui v o u s e m p ê c h e de p r e n d r e un parti? pagnies suisses il y avait des trabans qui veillaient particulièrement à la sûreté du capitaine. Aujourd'hui le mot traban est devenu, comme le mot satellite, un terme de mépris. Traban ( ï t r t b a n t ) est un mot d'origine allemande qui dérive du verbe t r a b e n ( ï r a b a n t = Sîciufer), mais que la langue italienne parait avoir formé (trabante), et que l'allemand lui a emprunté plus tard. 2 ) Une révolte de matelots norwégiens eut lieu en effet, mais déjà le 16 septembre 1771, huit jours avant la révolte des ouvriers en soie dont nous avons déjà parlé (v. Acte I, n. 35). On avait fait venir ces matelots de Norvvége pour les employer dans une seconde expédition qu'on préparait contre le dey d'Alger, après que la première eut échoué complètement. Mais les préparatifs de celle nouvelle expédition se firent avec une telle lenteur que les malheureux matelots, laissés pendant ce temps sans solde et sans pain, se révoltèrent enfin ouvertement. Cette occasion montra clairement toule la pusillanimité du ministre. Au premier bruit Struensée effrayé s'enfuit de la ville avec toute la cour, et s'empressa d'accorder à la menace ce qu'il venait de refuser à la prière.

ACTE IV, SCÈNE X.

91

Jean. Vous êtes le chef du peuple. Raton, avee colère. Certainement, je. suis le chef! et on ne me dit rien, on ne me commande rien; c'est inconcevable! SCÈNE X. Les précédents; L huissier,

thuissier.

l'adressant à Bâton et lui présentant une lettre tous enveloppe.

A monsieur Raton Burkenstaff, de la part de la reine. Raton. De la reine! c'est bien heureux! (A l'huissier, qui se retire.) Merci, mon ami... Voilà enfin ce que j'attendais pour agir. Marthe et Jean. Qu'est-ce donc? Raton. Silence! Je ne vous le disais pas, je ne disais rien; mais c'était convenu, concerté avec la reine; nous avions notre plan. Marthe. C'est différent. Raton. Voyons un peu... d'abord ce petit mot. (Lisant à part.) „Mon cher Raton, je vous confie, comme chef du „peuple, cet ordre du roi..." Du roi! est-il possible 1 „Vous „le remettrez vous-même à son adresse." Je n'y manquerai pas. „Après quoi, et sans entrer dans aucun détail ni „éclaircissement, vous vous retirerez, vous sortirez du parais, vous vous tiendrez soigneusement caché." Tout cela sera scrupuleusement exécuté. „Et demain, au point du jour, „si vous voyez le pavillon royal flotter sur les tours de „Christianborg, parcourez la ville avec tous les amis dont „vous pourrez disposer, en criant: Vive le roi!" C'est dit. „Déchirez sur-le-champ ce billet." (Le déchirant.) C'est fait. Marthe et Jean. Eh bien! qu'y a-t-il? Raton. Taisez-vous, femme! taisez-vous! les secrets d'État ne vous regardent pas; qu'il vous suffise d'apprendre que je sais ce que j'ai à faire... Voyons un peu... (Prenant le papier cacheté.) „A Raton de Burkenstaff, pour remettre au „général Koller."*! Marthe. Koller ! Raton, cherchant. Qu'est-ce que c'est que ça? (Se rappelant.) Ah! je le sais;... un des nôtres dont la reine nous parlait ce matin... Tu ne te rappelles pas? Marthe. Si vraiment!

92

BERTRAND ET RATON.

Raton. Il l'aura bientôt, c'est convenu. Quant à -nous, nies enfants, ce qui nous reste à exécuter, c'est de-sortir d'ici sans bruit, de nous tenir cachés toute la soirée... Marthe. Y penses-tu? Raton. Silence donc! c'est dans notre plan. (A Jean.} Toi, pendant la nuit, tu rassembleras les matelots n o r w é giens dont tu nous parlais tout à l'heure; tu leur donneras de l'or, beaucoup d'or; on me le rendra... en honneurs et en dignités;... et puis vous viendrez tous me trouver avant le point du jour, et alors... Marthe. Cela sauvera-t-il mon lils? Raton. Belle demande!... Oui, femme, oui, céla le sauvera;... et je serai conseiller, et j'aurai une belle place, et Jean aussi... une petite. Jean. Laquelle? Raton. Je te promets quelque chose... Mais ^ious p e r dons là un temps précieux, et j'ai tant d'affaires en tête! Quand il faut" penser à tout, par où commencer? Ah! cette lettre à M. Koller, c'est par là d'abord qu'il faut... Venez, suivez-moi. tJean et Marthe vont pour sortir par la porte à gauche; Koller paraît à la porte du fond; Raton s'arrête an milieu do the'àtre.)

SCÈNE XI.

Jean, Marthe, Raton,

Koller.

Koller, apercevant Raton. Que vois-je! Que faites-vous ici? qui êtes-vous? Raton. . Que vous importe? je suis chez la reine, j'y suis par son ordre. Et v o u s - m ê m e , qui ê t e s - v o u s pour m'interroger ? Koller. Le colonel Koller. Raton. Koller! quelle rencontre! Et moi, je suis Ratoin de Burkenstaff, chef du peuple. Koller. Et vous osez venir en ce palais, quand l'ordre est donné de vous arrêter? Marthe. 0 ciel ! Raton. Sois donc paisible ! Koller, à demi-voii.) Je sais qu'avec vous je n'ai rien à craindre; car nous sommes

ACTE IV, SCÈNE XI.

93

d u m ê m e b o r d , 2 1 ) n o u s n o u s e n t e n d o n s ; . . . v o u s êtes des nôtres. Koller, avec mépris. Moi! Raton, à demi-voix. E t la p r e u v e , c'est q u e voilà u n p a p i e r q u e j e s u i s c h a r g é d e v o u s r e m e t t r e , et d e la p a r t d u r o i . Koller, vivement; D u roi ! . . . est-il p o s s i b l e 1... Q u ' e s t - c e q u e . cela signifie? (Il ouvre la lettre, qu'il parcourt.) 0 ciel! u n p a reil o r d r e ! . . . Raton, le regardant, et ¡'adressant à sa femme et à Jean. V o u s v o y e z déjà

l'effet...

Koller. C h r i s t i a n ! . . . C'est b i e n sa main, c ' e s t sa s i g n a t u r e . . . E l v o u s m ' e x p l i q u e r e z , m o n s i e u r , c o m m e n t il se f a i t . . . Raton, gravement. J e n ' e n t r e r a i d a n s a u c u n détail ni é c l a i r c i s s e m e n t : c ' e s t l ' o r d r e d u r o i ; v o u s s a v e z ce qui v o u s r e s t e à f a i r e . . . et m o i a u s s i . . . J e m ' e n vais. Marthe, le retenant. Eh, m o n D i e u ! q u ' y a - t - i l d o n c d a n s ce papier! RatonÇa n e t e r e g a r d e p a s , et t u n e p e u x le s a voir. (Al sa femme et à J e a n . ) Viens, f e m m e , p a r t o n s . Jean. J'aurai u n e place! j'espère bien qu'elle sera b o n n e . . . S a n s c e l a . . . J e v o u s suis, n o t r e m a î t r e . (Rato», Marthe, et Jean sortent par la petite porté à ganche.) 21 ) Le mot bord signifie p r e m i è r e m e n t Vextrémité dé toute surface, de tout corps, on dit: le bord d'une robe, d'un manteau,. d'un verre, le bord des lèvres etc. Bord se dit particul i è r e m e n t du terrain, du sol qui est le long de la m e r , d ' u n fleuve, autour d'un lac etc.: Ufft, Bord en termes de m a r i n e ' d é s i g n e souvent le coté d'un bâtiment^ d'un vaisseau, et dans ce s e n s on dislingue entre bâbord (côté g a u c h e , en p a r t a n t de la p o u p e : SBctcfborb ) et entre tribord ( c ô t é d r o i t : ©teuerbovb). L a locution figurée de notre p a s s a g e : Nous sommes du même bord veut d i r e : Nous sommes du même parti, de la même opinion. On peut expliquer son origine de deux m a n i è r e s différentes. D'abord le mot bord s'emploie souvent de tout le navire, et nous sommes du même bord veut dès lors dire : Nous servons sur le même navire. Mais elle peut aussi venir de la c o u t u m e suivante. Quand un bâtiment m a r c h a n d a quitté lè pbrt, on divise ordinairement tout l'équipage en deux parties qui doivent faire alternativement le service. A cet effet le capitaine et le pilote (©teuermatttt) appellent successivement un matelot. Ceux choisis par le capitaine se mettent à tribord, les a u t r e s choisis par le pilote se mettent à bâbord. Cette c o u t u m e explique suffisamment Ia ; locution, figurée : Nous sommes, du même bord.

94

BERTRAND ET RATON. SCÈNE XII.

Rantzau, sortant de la porte à deux battants, à gauche; Koller, plongé dans tes réflexions, tenant toujoun la lettre dam la main.

debout,

Koller. Grand Dieu! monsieur de Rantzau! Rantzau. Monsieur le colonel me semble bien préoccupél Koller, allant à lui. Votre présence, monsieur le comte, est ce qui pouvait m'arriver de plus heureux; et vous a t testerez au conseil de régence... Rantzau. Je n'en suis plus, j'ai donné ma démission. Koller, avec étonnement et à part. Sa démission 1 . . . l'autre parti va donc mail (Haut.) Je ne m'attendais pas à un pareil événement, pas plus qu'à l'ordre inconcevable que je reçois à l'instant. Rantzau. Un ordre !... et de qui ? Koller, à demi-voix. Du roi. Rantzau. Pas possible! Koller. Au moment où, d'après l'ordre du conseil, je m e rendais ici pour arrêter la r e i n e - m è r e , le roi, qui ne se mêlait plus, depuis longtemps, ni du gouvernement ni des affaires de l'État, le roi, qui semblait avoir résigné toute son autorité entre les mains du premier ministre, m ' o r donne, à moi Koller, son fidèle serviteur, d'arrêter ce soir m ê m e Mathilde et Struensée. Rantzau, froidement et après avoir regardé l'acte. C'est bien l a signature de notre seul et légitime souverain, Christian VII, roi de Danemark. Koller. Qu'en pensez-vous? Rantzau. C'est ce que j'allais vous demander; car ce n'est pas à moi, c'est à vous que l'ordre est adressé. Koller, avec inquiétude. Sans doute; mais, forcé d'obéir au roi ou au conseil de régence, que feriez-vous à ma place? Rantzau. Ce que je ferais!... D'abord, je ne demanderais pas de conseils. Koller. Vous agiriez; mais dans quel sens? Rantzau, froidement. Cela vous regarde. Comme en toute affaire votre intérêt seul vous détermine, pesez, calculez, et voyez lequel des deux partis vous offre le plus d'avantage. Koller. Monsieur... Rantzau. C'est là, je pense, ce que vous me demandez,

ACTE IV, SCÈNE XII.

95

et je vous engagerai d'abord à lire attentivement la suscription 2 2 ) de cette lettre; il y a là: Au général Koller. Koller, à part. Au général!... ce titre qu'on m'a toujours refusé. (Haut.) Moi, général! Rantzau, avec dignité. C'est justice: un roi récompense ceux qui le servent, comme il punit ceux qui lui désobéissent. Koller, lentement et le regardant. Pour récompenser ou punir il faut du pouvoir; en a-t-ii? Rantzau, de même. Qui vous a remis-cet o r d r e ' Koller. Raton Burkenstaff, chef du peuple. Rantzau. Cela prouverait qu'il y a dans le peuple un parti prêt à éclater et à vous seconder. Koller, vivement. Votre excellence peut-elle me l'assurer? Rantzau, froidement. Je n'ai rien à vous dire; vous n'êtes pas mon ami, je ne suis pas le vôtre; je n'ai pas besoin de travailler à votre fortune. Koller. Je comprends. (Après un instant de silence, et se rapprochant de Rantzau.) En sujet fidèle, je voudrais obéir aux ordres du r o i . . . C'est mon devoir d'abord; mais les moyens d'exécution... Rantzau, lentement. Sont faciles... La garde du palais vous est confiée, et vous commandez seul aux soldats qui y sont renfermés. Koller, avec incertitude. D'accord; mais.si l'on échoue... Rantzau, négligemment. Eh bien! que peut-il arriver? Koller. Que demain Struensée me fera pendre ou fusiller. Rantzau, se retournant vers lui avec fermeté. N ' e s t - c e que cela qui vous arrête? Koller, de même. Oui. Rantzau, de même. Aucune autre considération? Koller, de même. Aucune. Rantzau, froidement. Eh bien, alors! rassurez-vous;... de toute manière cela ne peut pas vous manquer. Koller. Que voulez-vous dire? Rantzau. Que si demain Struensée est encore au p o u voir, il vous fera arrêter et condamner dans les vingtquatre heures. " ) On appelle suscription: rieur d'une lettre missive.

l'adresse écrite sur le pli exté-

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BERTRAND ET RATON.

Koller. Et sous quel prétexte? pour quel crime? Rantzau, lui montrant des lettres qu'il remet sur - le - eliarop dan! sa poche: Eir faut-il d'autre que ces lettres écrites par vous à la reine-mère; ces lettres qui contiennent la conception p r e mière du complot qui doit éclater aujourd'hui, et où Struensée verra qu'hier même en le servant vous le trahissiez encore? Koller. Monsieur, vous voulez me perdre! Rantzau. Du tout; il ne tient qu'à vous que ces preuves de votre trahison deviennent des preuves de fidélité. Koller. Et comment? Rantzau. En obéissant à votre souverain. Koller, avec fureur. Mais vous êtes donc pour le roi? vous agissez donc en son nom? Rantzau, avec fierté. Je n'ai pas de compte à vous rendre; je ne suis pas en votre puissance, et vous êtes dans la mienne; quand je vous ai entendu hier, devant le conseil assemblé, dénoncer des malheureux dont vous étiez le complice; je n'ai rien dit, je ne vous ai pas démasqué, je vous ai; protégé dè mon silence : cela me convenait alors , cela ne me convient plus aujourd'hui; et puisque vous m'avez demandé conseil, je vais vous en donner un. (D'un air impératif et à demi-voix.)- C'est celui d'exécuter les ordres- de votre roi, d'arrêter cette nuit, au milieu du bal qui se prépare, Mathilde et Struenaée, ou sinon... Koller-, dam1 le>plus giamt triobte. Eh bien! dites-moi seulement que cette cause est désormais là vôtre, que vous êtes u n . des chefs, et j'accepte. Rantzau. C'est vous seul que cela regarde. Ce soir la punition de Struensée, ou demain la vôtre. Demain vous serez général... ou< fusillé:... choisissez. (Il fait un pas poirr eortlr.) Koller, l'arrêtant. Monsieur le comte 1... Rantzau. Eh bien! que décidez-vous, colonel? Koller. J'obéirai! Raton. C'est bienl (Avet inJcniio».) Adieu,... général! (Il-sort p u : la porte à g&uche, et Koller par le fond.)

ACTE V, S C È N E I.

9 |

ACTE CINQUIÈME. Un salon de l'hôtel de Falkenskield. De chaque côté une grande porte; une au fond, ainsi que deux croisées donnant sur des balcons, A g a u c h e , sur l e premier plan , u n e table et ce qu'il faut pour écrire. S u r la table, deux flambeaux allumés. SCÈNE Christine,

PREMIÈRE.

enveloppée d'une m a n i e , 1 ) et dessous en costume d e b a l ;

Falkenskield. Falkenskield, ment

cela

entrant en donnant le.bras à sa fille. E h b i e n ,

com-

va-t-il?

Christine. Je vous remercie, mon père, beaucoup mieux. Falkenskield. Votre pâleur m'avait effrayé; j'ai vu le moment ou, au milieu de ce bal, devant la reine, devant toute la cour, vous alliez vous trouver mal. 2 ) Christine. Vous le savez, j'aurais désiré rester ici; c'est vous qui, malgré mes prières, avez voulu que l'on me vît à cette féte. Falkenskield. Certainement! que n'aurait-on pas dit de votre absence!... C'est déjà bien assez qu'hier, lorsqu'on a arrêté chez moi ce jeune homme, tout le monde ait pu remarquer votre trouble et votre effroi.... Ne fallait-il pas donner à penser que vos chagrins vous empêchaient de paraître à cette féte? Christine. Mon père! x ) On appelle mante une e s p è c e de v ê t e m e n t de f e m m e , a m p l e et sans m a n c h e s , qui se porte p a r - d e s s u s les autres vêtem e n t s , d a n s l e s temps froids: Überwurf. [Mante, manteau de mantum mot de la b a s s e latinité ( q u o d manus tegat tantum), manteau d e mantelum. V. Diez, Gramm, d. rom» Spr. I, 33.] 2 ) La l o c u t i o n : Se trouver mal pourrait très-bien s'entendre d a n s le s e n s d e : éprouver du m a l a i s e (ft'cfo übel bcftnbett), c o m m e on dit d a n s un s e n s c o n t r a i r e : Se trouver bien (|tcfy tvoitl bt» finbett), mais il veut dire a u s s i : Tomber en faiblesse, en défaill a n c e , s'évanouir (in £>i)itmad)t fnKnt). L'usage a m ê m e tellem e n t c o n s a c r é cetle dernière signification que la locution se trouver mal n e se dit plus guère dans l'autre s e n s , et qu'elle est d e v e n u e la s e u l e e x p r e s s i o n usitée p o u r : T o m b e r e n d é faillance.

7

98

BERTRAND ET RATON.

Falkenskield, reprenant d'un air détaché. Qui, du reste, était superbe... Une magnificence! un éclat! et quelle foule dorée se pressait dans ces immenses salons!... Je ne veux pas d'autres preuves de l'affermissement de notre pouvoir; nous avons enfin fixé la fortune, et jamais, je crois, la reine n ' a vait été plus séduisante; on voyait rayonner un air de triomphe et de plaisir dans ses beaux yeux, qu'elle reportait sans cesse sur Struensée... Eh mais! à propos d'homme heureux, avez-vous remarqué le baron de Goelher? Christine. Non, monsieur. Falkenskield. Comment, non? Il a ouvert le bal avec la reine et paraissait plus fier encore de cette distinction que de sa nouvelle dignité de ministre; car il a été nommé... Il succède décidément à M. de Rantzau, qui, en habile homme, nous quitte et s'en va quand la fortune arrive. Christine. Tout le monde n'agit pas ainsi. Falkenskield. Oui,... il a toujours tenu à se singulariser; aussi nous ne lui en voulons p a s ; 3 ) qu'il se retire, qu'il fasse place à d'autres: son temps est fini, et la reine, qui craint son esprit,... a été enchantée de lui donner pour successeur... Christine. Quelqu'un qu'elle ne craint pas. Falkenskield. Justement! un aimable et beau cavalier comme mon gendre. Christine• Votre gendre!

Falkenskield,

d'un air sévère, et regardant Christine.

Sans

doute.

Christine, timidement. Demain, mon père, je vous parlerai au sujet de M. de Gœlher. Falkenskield. Et pourquoi pas sur-le-champ? Christine. Il est tard, la nuit est bien avancée,... et puis, je ne suis pas encore assez remise de l'émotion que j'ai éprouvée. Falkenskield. Mais cette émotion, quelle en était la cause? Christine. Oh! pour cela, je puis vous le dire. Jamais je ne m'étais trouvée plus seule, plus isolée, qu'au milieu de cette fête ; et, en voyant le plaisir qui brillait dans tous les yeux, cette foule si joyeuse, si animée, je ne pouvais croire qu'à quelques pas de là, peut-être, des infortunés 3

) En vouloir à qn. v. Acte I note 9.

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ACTE V, S C È N E I.

gémissaient dans les fers... Pardon, mon père, c'était plus fort que m o i : 4 ) cette idée-là me poursuivait sans cesse. Quand M. d'Osten s'est approché de Struensée, qui était p r è s de moi, et lui a parlé à voix basse, je n'entendais pasce qu'il disait; mais Struensée témoignait de l'impatience; et, voyant la reine, qui venait à lui, il s'est levé en disant: „C'est inutile, monsieur, jamais de pitié pour les crimes de „haute trahison, ne l'oubliez pas." Le comte s'est incliné, puis, regardant la reine et Struensée, il a dit: „Je ne l'oublierai pas, „monseigneur, et bientôt, peut-être, je vous le rappellerai." 5 ) Falkenskield. Quelle audace! Christine. Cet incident avait rassemblé quelques p e r sonnes autour de nous, et j'entendais confusément murmurer ces mots: „Le minisire a raison; il faut un exemple... — „Soit, disaient les autres, mais le condamner à mort!..." Le condamner!!! à ce mot un IVoid mortel s'est glissé dans mes veines; un voile a couvert mes y e u x ; . . . j'ai senti que la force m'abandonnait. Falkenskield. Heureusement j'étais là, près de toi. Christine. Oui, c'était une terreur absurde, chimérique, je le sens; mais que v o u l e z - v o u s ? Renfermée aujourd'hui dans mon appartement, je n'avais vu ni interrogé personne... Il est un nom, vous le savez, que je n'ose prononcer devant vous; mais lui, n'est-ce pas, il n'y a pas à trembler pour ses jours? Falkenskield. Non,... sans d o u t e ; . . . rassure-toi. Christine. C'est ce que je pensais,... c'est impossible; et puis arrêté hier, il ne peut pas être condamné aujourd'hui; et les démarches, les instances de ses amis, les vôtres, mon pore... Falkenskield. Certainement; et comme tu le disais, d e main, mon enfant, demain nous parlerons de cela. Je m e retire, je te quitte. ") Cest plus fort gue moi est une locution fort usitée q u i se dit d ' u n e p a s s i o n , d ' u n e r é p u g n a n c e (iilMterttuliOj d ' u n e habitude etc., qu'on ne peut v a i n c r e , qu'on ne s a u r a i t s u r m o n t e r . 5 ) Ces mots sont une allusion au p r o c è s fait plus tard à S t r u e n s é e . P a r un proce'dé, inouï d a n s les a n n a l e s j u d i c i a i r e s , la c o m m i s s i o n , c h a r g é e de j u g e r l ' e x - m i n i s t r e et c o m p o s é e tout e n t i è r e de ses e n n e m i s , trouva dix chefs d'accusation, dont et de c h a c u n c o n t e n a i t , selon elle, le c r i m e de lèse-majesté haute-trahison. 1*

100

BERTRAND ET RATON.

Christine. Vous r e t o u r n e z à ce b a l ? Falkenskield. N o n , j ' y ai l a i s s é G œ l h e r , q u i n o u s r e p r é s e n t e à m e r v e i l l e , et q u i d a n s e r a p r o b a b l e m e n t t o u t e la nuit. Le j o u r ne p e u t pas tarder à paraître; je ne m e c o u c h e r a i p a s , j ' a i à t r a v a i l l e r , et j e v a i s p a s s e r d a n s m o n c a b i n e t . H o l à ! q u e l q u ' u n ! (Joseph parait au tond, ainsi qu'un autre domestique, qui va prendre sur la table à gauclie un des deux flambeaux.) A l l o n s ! d e la j'orce, d u c o u r a g e . . . B o n s o i r , m o n e n f a n t , b o n s o i r . (Il 9ort suivi du domestique qui porte le SCÈNE

Christine,

flambeau.)

II.

Joseph.

Christine. J e r e s p i r e ! j e m ' é t a i s a l a r m é e s a n s motif, il était q u e s t i o n d ' u n a u t r e . H é l a s ! il m e s e m b l e q u e t o u t le m o n d e d o i t ê t r e c o m m e m o i , et n e s ' o c c u p e r q u e d e lui! Joseph, qui s'est approché de Christine. M a d e m o i s e l l e . . . Christine. Qu'y a-t-il, J o s e p h ? Joseph. U n e f e m m e q u i a l'air b i e n à p l a i n d r e e s t ici d e p u i s l o n g t e m p s . Q u a n d elle d e v r a i t , d i s a i t - e l l e , p a s s e r t o n t e la n u i t à a t t e n d r e , elle e s t d é c i d é e à n e p a s q u i t t e r l'hôtel sans avoir parlé à mademoiselle en particulier.

Christine.

A moi?

Joseph. D u m o i n s elle m ' a s u p p l i é do v o u s le d e m a n d e r . Christine. Qu'elle v i e n n e ! . . . q u o i q u e bien fatiguée, je la r e c e v r a i . Joseph, qui pendant ce temps a été cliereher Marthe. E n t r e z , m a d a m e ; voilà m a d e m o i s e l l e , et d é p ê c h e z - v o u s , c a r il e s t t a r d . (II sort) SCÈNE

Marthe,

III.

Christine.

Marthe. Mille p a r d o n s , m a d e m o i s e l l e , d ' o s e r à u n e p a reille h e u r e . . . Christine, la regardant. M a d a m e B u r k e n s t a f f l (Courant à elle, et lui prenant les main). A h ! q u e j e s u i s c o n t e n t e d e v o u s a v o i r r e ç u e ! . . . q u e j e s u i s h e u r e u s e d e v o u s v o i r ! (A part, avec joie et attendrissement.) S a m è r e ! (Haut.) V o u s v e n e z m e p a r l e r d ' É r i c .

ACTE V, SCÈNE III.

101

Marthe. E h ! dans le désespoir qui m'accable, puis-je parler d'autre chose que de mon fils,... de mon pauvre e n f a n t l . . . Je viens de le voir. Christine, vivement. V o u s l ' a v e z - v u ? Marthe, fleurant. Je viens de l'embrasser, mademoiselle, pour la dernière fois! Christine. Que dites-vous? Marthe. Son arrêt lui avait été signifié cette après-midi. Christine. Quel a r r ê t ? . . . qu'est-ce que cela signifie? Marthe, avec joie. Vous l'ignoriez d o n c ! . . . A h ! tant m i e u x ! . . . sans cela, vous n'auriez pas cIl à ce bal, n'est-il pas vrai? Quelque grande dame que vous soyez, vous n ' a u riez pas pu vous divertir quand celui qui -avait tant d'affection pour vous est condamné à mort? Christine, poussant un tri. A h ! . . . (Avec égarement.) Ils disaient donc v r a i ! . . . c'était de lui qu'ils parlaient, et mon père m'a trompéeI (a siartbc.) Il est condamné? Marthe. O u i , mademoiselle... Struensée a signé, la reine a signé: c o n c e v e z - v o u s c e l a ? Elle est mère c e p e n d a n t ! . . . elle a un fils! Christine. R e m e t t e z - v o u s ! . . . tout n'est pas perdu; j'ai encore de l'espoir. Marthe. Et moi je n'en ai plus qu'en v o u s ! . . . Mon mari a des projets qu'il ne veut pas m'expliquer; je ne devrais pas vous dire cela: mais vous, du moins, vous ne me trahirez point; , en attendant, il n'ose se montrer, il se tient caché; ses amis n'arriveront pas, ou arriveront trop t a r d , . . . et moi, clans ma douleur, que puis-je tenter? que p u i s - j e f a i r e ? . . . S'il ne fallait que mourir,... je ne v o u s demanderais rien, mon fils serait déjà sauvé. J'ai couru hier soir à sa prison, j'ai donné tant d'or qu'on a bien voulu me vendre le plaisir de l'embrasser; je l'ai serré contre mon cœur, je lui ai parlé de mon désespoir, de mes craintes!... H é l a s ! . . . il ne m'a parlé que de vous. Christine. É r i c ! . . . Marthe. Oui, mademoiselle, oui, l'ingrat, en 1110 c o n solant, pensait encore à vous. „J'espère, me disait-il, qu'elle ignorera mon sort,' „qu'elle n'en saura r i e n ; . . . car heureuse„ment, c'est de grand matin, c'est au point du j o u r . . . " Christine. Quoi donc?

102

BERTRAND ET RATON.

Marthe, avec égarement. Eh bien! est-ce que je ne vous l'ai pas dit?... est-ce que vous ne l'avez pas deviné à mon désespoir?... C'est tout à l'heure, c'est dans quelques instante qu'ils vont tuer mon fils!... Christine. Le tuer !... Marthe. Oui, oui, c'est là, sur cette place, sous vos fenêtres, qu'ils vont le traîner... Alors, dans le délire, dans la fièvre où j'étais, je me suis arrachée de ses bras; et, loin de lui obéir, je suis accourue pour vous dire: Ils vont le tuer!... défendez-le! Mais vous n'étiez pas ici,... et j'attendais... Ah, quel supplice !... et que j'ai souffert en comptant les instants de cette nuit que mes voeux désiraient et craignaient d'abréger!... Mais vous voilà, je vous vois; nous allons ensemble nous jeter aux pieds de votre père, aux pieds de la reine, nous demanderons la grâce de mon fils. Christine. Je vous le promets. Marthe. Vous leur direz qu'il n'est pas coupable; il ne l'est pas, je vous le jure; il ne s'est jamais occupé de révolte ni de complots; il n'a jamais songé à conspirer; il ne songeait à rien qu'à vous aimer!... Christine. Je le sais, et c'est son amour qui l'a perdu. C'est pour moi, pour me sauver, qu'il marcherait à la m o r t ! . . . oh n o n ! . . . ça no se peut pas... Soyez tranquille, je réponds de ses jours. Marthe. Est-il possible! Christine. Oui, madame, oui, il y aura quelqu'un de perdu, mais ce ne sera pas lui! Marthe. Que voulez-vous dire? Christine. Rien!... lieu!... Retournez chez vous, partez; dans quelques instants il aura sa grâce, il sera sauvé!... Fiez-vous-en à mon zèle. Marthe, hésitant. Mais cependant... Christine. A ma parole,... à mes serments. Marthe, de iiii'me. Mais... Christine, hors d'elle même. Eh bien!... à ma tendresse!... à mon amour!... Me croyez-vous maintenant? Marthe, avec éloimcmenl. 0 ciel!... oui, mademoiselle, oui, je n'ai plus peur. (Poussant un cri en montrant la croisée.) Ali!... Christine. Qu'avez-vous?

ACTE V, SCÈNE V.

103

Marthe. J'avais cru voir le j o u r l . . . Non, grâce au ciel, il fait sombre encore. Dieu vous protège et vous rende tout le bonheur que je vous dois... Adieu,... adieu!... (Elle aort.) SCÈNE IV. Christine,

seule, marchant avec agitation.

Je dirai la vérité, je dirai qu'il n'est pas coupable; je publierai tout haut qu'il s'est accusé lui-même pour ne pas me compromettre, pour sauver ma réputation. Et m o i . . . (S'arrètant.) Oh ! moi,... p e r d u e , déshonorée à jamais... E h bien!... Eh bien! quand je penserai à tout cela,... à quoi b o n ? Il le faut, je ne peux pas le laisser périr. C'est par amour qu'il me donnait sa vie,... et moi, par a m o u r , . . . je lui donnerai plus encore. (Se mettant à la table.) Oui, oui, écrivons. Mais à qui me confier? à mon p è r e ? . . . oh non! à Struensée? encore moins; il a dit devant moi qu'il ne p a r donnerait jamais ; mais à la reine ! à Mathilde ! elle est femme, elle me comprendra; et puis, je ne voulais pas le croire: mais si, comme on l'assure, elle est aimée, si elle aime!... 0 mon Dieu! fais que ce soit vrai: elle aura pitié de moi, et ne me condamnera pas. (Écrivant rapidement.) H â t o n s - n o u s ; cette déclaration solennelle ne laissera pas de doute sur son innocence... Signé Christine de Falkenskield... (Lain^it tomber la plume.) Ah!... c'est ma honte, mon déshonneur que je signe... (Pliant vivement la lettre.) N'y pensons pas, ne pensons à rien... Les moments sont précieux,... et comment, à une heure pareille?... ah! par madame de Linsberg, la p r e mière femme de chambre de la reine,... en lui envoyant Joseph, qui m'est dévoué... Oui, c'est le seul moyen de faire parvenir à l'instant cette lettre... SCÈNE V. Christine,

Falkenskield.

Falkenskield, qui est entré pendant les dentiers mots, se trouve en face de Christine, qui veut sortir. 11 lui prend lé lettre des mains. U n e l e t t r e , e t

pour qui donc ? Christine, avec effroi. Mon p è r e ! . . . Falkenskield, lisant. „A la reine Mathilde." Eh mais! ne

104

BERTRAND ET RATON.

vous troublez pas ainsi; puisque vous tenez tant à ce que cette lettre parvienne à sa majesté, je la lui remettrai; mais j'ai le droit, je pense, de connaître ce que ma fille écrit, même à sa souveraine, et vous permettez... Christine,

(Faisant le geste d'ouvrir la lettre.) suppliant. Monsieur...

Falkenskield, rouvrant. Vous y consentez... (Lisant.) 0 ciel!... Éric Burkenstaff était ici pour vous, caché dans votre appartement! et c'est là qu'aux yeux de tous il a été découvert... Christine. Oui, oui, c'est la vérité! Accablez-moi de votre colère: non que je sois coupable ni indigne de vous, je le jure; c'est déjà trop que mon imprudence ait pu nous compromettre; aussi, je ne cherche ni à me justifier ni à éviter des reproches que j'ai mérités; mais j'apprends, et vous me l'aviez caché, qu'il est condamné à mort; que, victime de son dévouement, il va périr pour sauver mon honneur; j'ai pbnsé alors que c'était le perdre à jamais que de l'acheter à ce prix; j'ai voulu épargner à moi des remords,... à vous un crime... J'ai écrit! Falkenskield. Signer un tel aveu !... et par ce témoignage, qui va, qui doit devenir public, attester aux yeux de la reine, de ses ministres, de toute la cour, que la comtesse de Falkenskield, éprise d'un marchand de la Cité, 6 ) a compromis pour lui son rang, sa naissance, son père, qui, déjà en butte 7 ) à tous les traits de la calomnie et de la satire, 6 ) Le mot cité ne s'emploie plus guère dans le sens de ville qu'en poësie et dans le style soutenu. Jérusalem s'appelait la sainte Cité. — Cité désigne dans quelques villes la partie la plus ancienne. La Cité de Paris, ta Cité de Londres. [Cité du latin civitas. Voyez Diez, Gramm. d. rom. Spr. 1, 123, 225; II, 295 ] 7 ) Une butte signifie une petite élévation de terre (@rbert)b» tyltttg). Le mot butte se dit particulièrement d'une petite élévation de terre ou de maçonnerie, où l'on place un but C 3 ' f 0 pour tirer au blanc (um ttacfy bfr ©cfydbe ju fcijtefjett). Cette dernière signification explique suffisamment l'emploi figure' des phrases: Être en butte aux traits de la fortune, être en butte à la médisance, aux traits de la satire et de la calomnie etc. lt Les quatre mois français la butte (®rberf)iH) "fl/ 3 ' f 0 1 ' £ (3tcl, bout (gnbe) et le bouton (Sînopf) dérivent probablement de la même racine germanique 6ot, butz: finopf, Ênbe.

ACTE V, SCÈNE V.

105

Va cette fois être accablé et succomber s o u s leurs coups! Non, cet écrit, g a g e de notre déshonneur et de notre ruine, ne verra pas le jour. Christine. Q u ' o s e z - v o u s dire? ô ciell Ne pas v o u s opposer à cet arrêt! Falkenskield. Je ne suis pas le seul qui l'aie signé. Christine. Mais v o u s êtes le seul qui connaissiez son innocence; et si v o u s refusez d'adresser ce billet à la reine, je c o u r s m e jeter à ses p i e d s . . . Oui, monsieur, oui, p o u r votre honneur, p o u r le repos éternel de vos j o u r s ; et je lui crierai: G r â c e , m a d a m e ! . . . sauvez Éric, et surtout sauvez mon p è r e ! Falkenskield, la retenant par la main. Non! vous n'irez p a s ! . . . v o u s n e sortirez p a s d'ici 1 Christine, effrayée. Vous no voudrez pas, je pense, m e retenir par la f o r c e ? Falkenskield. Je veux, malgré v o u s - m ê m e , vous e m p ê c h e r de vous perdre, et v o u s ne me quitterez p a s . . . (II v a f e r m e r l a p o r t e d u fond. Christine l e suit p o u r le r e t e n i r ; m a i s e l l e j e t t e les y e u x s u r l a ctoise'e, e t p o u s s e u n cri.)

Christine. 0 ciel! voici le jour, voici l'instant de son supplice; si vous tardez encore, il n'y a plus d'espoir de le sauver; il ne n o u s restera plus r i e n , . . . rien que des r e mords. Mon p è r e ! au nom du ciel et par vos genoux que j'embrasse, ma lettre! ma lettre! Falkenskield. Laissez-moi,... relevez-vous. Christine. Non, je ne m e relèverai pas; j'ai promis ses jours à sa m è r e ; et quand elle viendra me demander son fils, que v o u s aurez tué, et que j'aime... (Mouvement de colère de Falkenskield. Christine it relève vivement.) Non, non, je ne l'aime p l u s , . . . je l'oublierai,... je manquerai à nies s e r m e n t s . . . j'épouserai Goelher... je vous obéirai... (Poussant un tri.) Ah! ce r o u l e m e n t 8 ) f u n è b r e , ce bruit d'armes qui a r e t e n t i . . . (Courant à la croisée à gauche.) Des soldats s'avancent et entourent un prisonnier; c'est lui! il m a r c h e au supplice! ma lettre! Ma lettre! il est p e u t - ê t r e temps encore! ma lettre! ") ¡Roulement, substantif du verbe rouler, se dit quelquefois a b s o l u m e n t d u b r u i t f o r m é p a r un ou p l u s i e u r s t a m b o u r s q u e l ' o n b a t c o n t i n u e l l e m e n t à c o u p s é g a u x et p r e s s é s : ïrotttmel» tutrbel. Rouler d e l ' a l l e m a n d : rollen.

BERTRAND ET RATON.

.106 Falkenskield. seule réponse.

J'ai pilié de votre déraison, et voilà ma (II déchire la lettre.)

Christine. Ah, c'en est trop! votre cruauté me détache de tous les liens qui m'attachaient à vous. Oui, je l'aime; oui, je n'aimerai jamais que lui... S'il meurt, je ne lui survivrai pas, je le suivrai... Sa mère du moins sera vengée, et comme elle vous n'aurez plus d'enfant. Falkenskield. Christine! (On entend du bruit en dehors.)

Christine, avec forte. Mais écoutez,... écoutez - moi bien : si ce peuple qui s'indigne et murmure se soulevait encor« pour le délivrer; si le ciel, le sort,... que sais-je? le hasard peut-être, moins cruel que vous, venait à le soustraire à vos coups, je vous déclare ici qu'aucun pouvoir au monde, pas même le vôtre, ne n'empêchera d'être à lui; j'en fais le serment. (On entend un roulement de tambour plus fort et des clameurs dan« la r u e . Christine pousse un cri, et tombe sur nn fauteuil la téte cache'e dans ses mains. Dans ce moment on frappe à la porte dn fond. Falkenskield va ouvrir.)

SCÈNE VI. Christine,

Rantzau,

Falkenskield.

Falketiskield, étonné. M. de Rantzau chez moi! à une pareille heure! Christine i courant à lui en sanglotant. Ah, monsieur le comte! parlez... Est-il donc vrai?... ce malheureux Éric... Falkenskield. Silence, ma fille! Christine, avec égarement. Qu'ai-je à ménager maintenant? Oui, monsieur le comte, je l'aimais, je suis cause de sa mort, je m'en punirai! Rantzau, souriant. Un instant! vous n'êtes pas si coupable que vous croyez ; car Éric existe encore. Falkenskield et Christine. 0 ciel! Christine. Et ce bruit que nous avons entendu!... Rantzau. Venait des soldats qui l'ont délivré. Falkenskield, voulant sortir. C'est impossible! et nia vue seule. . .

107

ACTE V, SCÈNE VIF.

Rantzau. Pourrait peut-être augmenter le danger; aussi, moi, qui ne suis plus rien, qui ne risque rien, j'accourais auprès de vous, mon cher et ancien collègue. Falkenakield. Et pour quelle raison? Rantzau. Pour vous offrir, ainsi qu'à votre fille, un asile dans mon hôtel. Falkenakield, stupéfait. Vous ! Christine. Est-il possible! Rantzau. Cela vous étonne! N'en auriez-vous pas fait autant pour moi? Falkenakield. Je vous remercie de vos soins généreux; mais je veux savoir avant tout... Ah! c'est M. de Gœhler; eh bien, mon ami! qu'y a-t-il? parlez donc! SCÈNE VII. Christine,

Rantzau,

Gœlher,

Falkenakield.

Gœlher. Est-ce que je sais ? c'est un désordre, une confusion. J'ai beau demander comme vous: Qu'y a-t-il? comment cela se fait-il? tout le monde m'interroge, et personne ne me répond. Falkenskield. Mais vous étiez là cependant,... vous étiez au palais... Gœlher. Certainement, j'y étais; j'ai ouvert le bal avec la reine; et quelque temps après le départ de sa majesté, je dansais le nouveau menuet de la cour avec mademoiselle de Thornston, lorsque tout à coup, parmi les groupes occupés à nous admirer, je remarque une distraction qui n'était pas naturelle; on ne nous regardait plus; on causait à voix basse, un murmure sourd et prolongé circulait dans les salons... Qu'y a-t-il donc? Qu'est-ce que c'est? Je le demande à ma danseuse, qui ne le sait pas plus que moi, et j'apprends, par un valet de pied tout pâle et tout effrayé, que la reine Mathilde vient d'être arrêtée dans sa chambre à coucher par l'ordre du roi. 9 ) ') Comparez Acte I , note 2 et Acte III, note 1. Les conjurés forcèrent le pauvre monarque, d'annoncer à la reine son arrestation par un hillet écrit de sa propre main, ce qu'il fit en langue française. Voici le texle de ce singulier billet, comme il est rapporté par l'historien danois Hôst: Comme vous n'avez

108

BERTRAND ET, RATON.

Falkenskield. L ' o r d r e du r o i ! . . . E t S r u e n s é e ? Gœlher. A r r ê t é aussi, c o m m e il rentrait d u bal. Falkenskield, avec impatience. E t Koller, m o r b l e u ! Koller, qui avait la g a r d e d u palais, qui y c o m m a n d a i t s e u l ? Gœlher. Voilà le plus é t o n n a n t et ce qui me, fait croire q u e ce n ' e s t p a s vrai. On ajoutait q u e c e t t e d o u b l e a r restation avait été exécutée, p a r q u i ? p a r Koller l u i - m ê m e , p o r t e u r d ' u n o r d r e du roi. Falkenskield. Lui, n o u s t r a h i r ! ce n'est p a s p o s s i b l e ! Gœlher, à Ranliau. C'est ce q u e j'ai dit, ce n ' e s t p a s p o s s i b l e ; mais en attendant on le dit, on le r é p è t e ; la g a r d e d u palais crie: Vive le roi! le p e u p l e , appelé a u x a r m e s p a r Raton BurkenstafF et ses amis, crie encore p l u s h a u t ; les autres t r o u p e s , qui avaient d ' a b o r d résisté, font m a i n t e n a n t c a u s e c o m m u n e avec e u x ; enfin j e n'ai p u r e n t r e r à m o n h ô t e l , devant lequel j'ai a p e r ç u u n a t t r o u p e m e n t ; et j'arrive chez v o u s , n o n sans danger, encore tout en émoi et en c o s t u m e de bal. Rantzau. C'est moins d a n g e r e u x d a n s ce m o m e n t q u ' e n c o s t u m e do ministre. Gœlher. .le n'ai p a s eu le t e m p s depuis hier de c o m m a n d e r le mien. Rantzau. Vous p o u v e z v o u s é p a r g n e r ce soin. Que v o u s d i s a i s - j e h i e r ? Il n'y a p a s v i n g t - q u a l r e h e u r e s , et v o u s n ' ê t e s p l u s ministre. Gœlher. Monsieur? Rantzau. V o u s l'aurez été p o u r d a n s e r une c o n t r e danse, et a p r è s les t r a v a u x d'un pareil ministère, v o u s d e vez avoir besoin de r e p o s ; je v o u s l'offre chez moi, (vivement) ainsi q u ' à t o u s les vôtres, seul asile où v o u s soyez maintenant en sûreté, et v o u s n'avez p a s de t e m p s à p e r d r e . E n t e n d e z - v o u s les cris de ces f u r i e u x ? Venez, m a d e m o i selle, v e n e z ; . . . s u i v e z - m o i tous, et p a r t o n s . (Dans ce moment les deux ernisees (lu fond s'ouvrent violemment. Jean et plusieurs matelots ou gens du peuple paraissent sur le balcon armes de carabines.)

pas voulu suivre les bons conseils, ce n'est pas ma faute, me trouve obligé, de vous faire conduire à Cronenbourg.

si je

109

ACTE V, SCÈNE IX. SCÈNE Jean,

en dehors du balcon, à gauche; kenskield,

VIII. Rantzau, Gœlher.

Christine,

Fal-

Jean, les couchanten joue. H a l t e - l à , m e s s e i g n e u r s , o n n e s ' e n v a p a s ainsi. Christine, poussant un cri, et se jetant au-devant de son père, qu'elle entoure de ses liras. A h ! j e s u i s t o u j o u r s v o t r e fille! j e le s u i s pour mourir avec vous! Jean. Recommandez votre âme à Dieu! SCÈNE

IX.

Jean, Rantzau; 'Eric, le liras gauche en ccliarpe, s'élançant par la porte du fond, et se mettant devant Christine, Falkenskield et Gœlher. Eric, à Jean cl à ses compagnons, qui viennent de sauter du balcon dans la chambre. A r r ê t e z ! . . . p o i n t de m e u r t r e ! p o i n t de s a n g r é p a n d u ! . . . q u ' i l s t o m b e n t d u p o u v o i r , c ' e s t a s s e z . (Montrant Christine, Falkenskield et Gœlher. Mais a u p r i x d e m e s j o u r s j e les d é f e n d r a i , j e les p r o t é g e r a i ! (Apercevant RanUau, et courant à lui.) A h , m o n s a u v e u r ! m o n Dieu tutélaire! Falkenskield, étonné. L u i ! m o n s i e u r de R a n t z a u ! Jean et ses compagnons, s'inelmant. M o n s i e u r d e R a n t z a u ! c ' e s t d i f f é r e n t ; c'est l'ami d u p e u p l e : il est d e s n ô t r e s . Gœlher. Est-il possible! Rantzau, à Falkenskield, Gœlher et Christine. E h , m o n Dieu, o u i ! . . . a m i d e t o u t le m o n d e ! d e m a n d e z p l u t ô t au g é n é r a l Koller et à s o n d i g n e allié m e s s i r e 1 1 ) R a t o n B u r k e n s t a f ï . Tous, criant. Vivo R a t o n B u r k e n s t a f ï ! (Rantzau remonte le théâtre, et Eric le traverse pour se placer pre9 de Jean.) 10 ) Coucher, mettre en joue veut d i r e : Ajuster (rid&tetO son fusil et viser (jtr(en), pour lirer s u r q u e l q u ' u n , sur quelque chose. L i t t é r a l e m e n t : iai ©ett)ct)r nn bte SÈatfe legcit. On dit elliptiquement dans les c o m m a n d e m e n t s militaires: Enjoué, feu! [Coucher, en vieux français colchier, du latin collocare, v. Diez, G r a m m . d. roui. Spr. I, 37, 193, '244. Joue du mot p r o v e n ç a l gaute, qui vient peut-être du latin gabata (©d'oie, ©cfyuifeï), v. Diez, I, 148.]

Messire

v. Acte 1, note 33.

BERTRAND ET RATON.

110

SCÈNE X. Jean

e t ses

compagnons,

Eric;

• ' ¿ l a n ç a n t vers i o n fils, qu'elle embrasse;

Marthe,

Raton,

Rantzau, Christine, Fallcenskield, Koller; et au fond, peuple, soldats, de la cour.

entrant la première, et

e n t o u r é d e tout le p e u p l e ;

Goelher; derrière eui, magistrats, gens

Marthe, embrassant Éric. Mon filsl... blessé! il est blesséI Eric. Non, ma mère, ce n'est rien. (Elle l'embrasse à plusieurs reprises, tandis que le peuple erie :) Vive Raton Burkenstaff! Raton. Oui, mes amis, oui, nous avons enfin réussi; grâce à moi, je m'en vante, qui, p o u r le service du roi, ai tout mené, tout dirigé, tout combiné. Tous. Vive Raton ! Raton, à sa femme. Tu l'entends, ma f e m m e , la faveur m'est revenue. Marthe. E h ! que m ' i m p o r t e à m o i ! . . . je n e demande plus rien, j'ai m o n fils. Raton. Mais, silence, messieurs! s i l e n c e ! . . . J'ai là les ordres du roi, des ordres que je viens de recevoir à l'instant; car c'est en moi que notre a u g u s t e souverain a u n e confiance illimitée et absolue. Jean, à ses compagnons. Et le roi a raison. (Montrant son maître, qni tire de sa pochc l'ordonnance du roi. Une fameuse tête, sans que cela paraisse! Il savait bien ce qu'il faisait en jetant l'or à pleines mains. (Avec joie.) Car de vingt mille florins, il ne lui reste rien, pas une rixdale. Raton,

tout en décachetant l e papier, lui faisant signe d e se t a i r e .

Jeanl

Jean. Oui, notre maître, (A ses compagnons.) En r e v a n c h e , 1 2 ) si ça avait mal t o u r n e , nous y p a s s i o n s 1 3 ) tous, lui, son fils, sa famille et ses g a r ç o n s de boutique. Le verbe revancher qui est familier dans (ouïes ses acceptions, veut proprement dire: défendre quelqu'un, puis il signitie: rendre la pareille (®Ietd()c3 mit ©leicbcm »crgclten) en bien ou en mal. Il y en a un substantif revanche f . En revanche est une locution adverbiale qui veut dire: en récompense, en compensation (gum Srffljje, bngegett) et qui s'emploie souvent avec un sens ironique, comme dans noire passage. [Revancher de venger qui vient du latin vindicare, comme juger de judicare, manger de manducare, empêcher de impedicare etc. Comp. Diez, Gramm. d. rom. Spr. I, 17(i et II, 326.] t3 ) Le verbe neutre passer se dit quelquefois absolument

ACTE V, SCÈNE X.

111

Raton. Jean, taisez-vous! Jean. Oui, notre maître. (Criant.) Vive Burkenstaff! Raton, avec satisfaction. C'est bien, mes amis; mais du silence. (Lisant.) „ N o u s , Christian VII, roi de Danemark, à n o s „fidèles sujets et habitants de Copenhague. Après avoir „puni la trahison, il n o u s reste à récompenser la fidélité „dans la p e r s o n n e du comte Bertrand de Rantzau, que, s o u s „la régence de notre mère, la reine Marie-Julie, nous n o m „mons notre premier ministre... Rantzau, d'on air modeste. Moi, qui ai d e m a n d é ma retraite, et qui v e u x m e retirer des affaires... Raton, sévèrement. Vous n e le pouvez p a s , monsieur le comte; le roi l'ordonne, il faut o b é i r . . . Laissez-moi achever, de grâceI (Continuant à lire.) „Dans la personne du comte de „Rantzau, que nous n o m m o n s premier ministre, (avec emphase) ,,et dans celle de Raton de Burkenstaff, négociant de Cop e n h a g u e , que nous n o m m o n s dans notre maison royale, „(baissant la voii) premier marchand de soieries de la couronne.' 1 Tous. Vive le roil Jean. C'est s u p e r b e ! nous aurons les armes royales sur notre boutique. Raton, faisant la grimace. La belle avance! et au prix que ça m e c o û t e ! 1 4 ) Jean. Et moi, la petite place que v o u s m'aviez p r o m i s e ? . . . Raton. Laisse-moi tranquille! dans le sens de: mourir, expirer. Il est àil'agonie, il va passer. Je l'ai vu passer. — Si ça avait mal tourné, nous y passions tous: Sïafynt bt'e ©ad)e etne «Me 2Benbung, fo gttiflfn rctr nlle bvouf! Cet emploi absolu du verbe passer ne peut s'expliquer que par une ellipse, car on dit figurément: Passer de cette vie en Vautre, passer de cette vie à une meilleure. [Passer de passare, verbe de la latinité du moyen âge, qui dérive de passus ] 14 ) Le substantif avance f . signifie 1) la partie d'un bâtiment qui anticipe sur une r u e , sur une cour, et qui sort de l'alignement du reste du bâtiment, 2) Vespace de chemin qu'on a devant quelqu'un: SScrfptttttjj. En partant de cette seconde signification, on dit ce mot dans un sens plus étendu de ce qui se trouve déjà de fait ou de préparé dans une affaire, dans un ouvrage. La belle avance! est une locution populaire qui a toujours un sens ironique et qui veut dire: Nous n'avons rien gagné par là (bfl$ ()t(ft uné etociS 9leci)te$!). [Le verbe avancer vient de la préposition avant qui dérive probablement du latin ab ante.]

112

BEUTHAND ET RATON. à ses compagnons.

Jean,

Quelle i n g r a t i t u d e ! . . .

c a u s e de t o u t ! . . . aussi il m e le

P u i s q u e le roi l ' e x i g e ,

Hantzau. mettre, je

messieurs,

l'espère,

et

se

charger

(aux magistrats)

m o i qui

suis

payera! il faut bien s'y

d'un

l'affection

de

sou-

fardeau

qu'allégera,

mes

concitoyens.

( A Éric.) P o u r v o u s , m o n j e u n e officier, qui dans c e t t e o c c a sion

avez

quelque

couru

les

plus g r a n d s r i s q u e s , . . .

on v o u s

avec franchise.

Eric,

Aucune;

c a r j e puis le dire m a i n t e n a n t

à v o u s , à v o u s s e u l . . . (A demi-voix.) J e n'ai j a m a i s ces choses Raton,

qu'on ne

d o la

cour!

J e l'étais déjà par le fait, e x c e p t é q u e j e

la m o i t i é de m a

et

qu'en

en

renvoyant une,

je

fourperds

clientèle.

E t t u as r i s q u é ta fortune, t o n e x i s t e n c e , c e l l e

Marthe. fils,

après.

Fournisseur

T u dois être c o n t e n t , . . . c ' e s t c e q u e tu désirais.

nissais deux reines,

et

dit j a m a i s . . .

à part, tristement.

Marthe. Raton.

conspiré!

lui imposant silence. C ' e s t b i e n ! c ' e s t b i e n ! voilà de

Rantzau,

de t o n

doit

récompense.

qui est b l e s s é . . .

dangeureusement

peut-être,...

pourquoi? Raton,

fitent.

16

montrant Ranlzau et Koller.

P o u r q u e d'autres en

pro-

)

" ) Ces mots renferment la morale de la pièce qui démontre la m ê m e chose que la fable de La Fontaine, Le singe et le chat ( L i v r e IX, fable X V I I ) , à laquelle M. S c r i b e a voulu faire allusion, en donnant le prénom de Raton à Burkenstafî qui tire les marrons (Tfaftailtni) du feu, et celui de Bertrand à Rantzau qui sait profiter des dangers que l'autre a courus. Voici quelques vers de cette f a b l e : Bertrand dit à Raton: Frère, il faut aujourd'hui Que tu fasses un coup de maitre; Tire-moi ces marrons. Si Dieu m'avait fait naitre Propre à tirer marrons du feu. Certes, marrons verraient beau jeu. Aussitôt fait que dit: Raton, avec sa patte, D'une manière de'licate, Ecarte un peu la cendre, et retire les doigts; Plus les reporte à plusieurs fois; Tire un marron; puis deux, et puig trois en escroque: E t cependant Bertrand les croque. Une servante vient: adieu mes gens. Raton N'était pas content, ce dit-on. P o u r comprendre l'a propos de cette allusion il faut savoir, qu'en F r a n c e tout le monde sait les fables de La Fontaine p r e s q u e par cœur. Une grande quantité des expressions qu'on

113

ACTE V, SCÉNE X.

Marthe. Faites d o n c des conspirations! Raton, lui tendant la main. C'est d i t , . . . désormais j e les r e g a r d e r a i passer, et le diable m ' e m p o r t e si j e m ' e n m ê l e ! Tout le peuple, entourant Ranbau et i'intlinant devant lui. Vive le comte de Rantzau! y trouve, Sont devenues d'un usage général et ont même passé en proverbe; on y fait si souvent allusion, tant dans la conversation que dans les livres, qu'il est indispensable que l'étranger qui se pique de savoir le français ait fait une étude toute particulière des fables de La Fontaine. Le nombre des éditions qu'on en a données est prodigieux. Parmi les éditions des œuvres complètes de la Fontaine la plus estimée est celle de Walkenaër, avec commentaires, 6 vol. in-8, 1822 et 1827. La Fontaine, né en 1621 à Château-Thierry, est mort en 1695.

8

QUESTIONNAIRE. ACTE PREMIER. S C È N E I. 1. Q u e l l e est la p e r s o n n e qui se trouve sur la s c è n e au lever du rideau, et quelle remarque fait-elle, en regardant autour d'elle?*) 2. Qu'est-ce que le colonel lit dans un journal qu'il trouve sur la talile, et quelle impression celle lecture lui fait-elle? 3. Dans quel s e n s M. Beruhen s'exprime-t-il sur l'édit qui vient de paraître dans la Gazetle de la c o u r ? 4. Pourquoi Berghcn s'empresse-t-il de quilter Koller, et quelle est la r e m a r q u e que c e dernier fait l à - d e s s u s ? S C È N E II. 5. Q u e l est le n o m et le rang de la p e r s o n n e qui entre à p r é s e n t en s c è n e ? 6. Quel récit fait-elle à Koller? 7. Dans quel état la reine-mere a-t-elle trouvé le m a l h e u reux m o n a r q u e ? L'a-t-il r e c o n n u e ? 8. Q u e l l e s sont les c i r c o n s l a n c e s qu'elle , a tâché de lui r a p p e l e r , pour exciter s o n indignation contre Struensée et la reine Mathilde? 9. Quelle impression ce récit a-t-il fait sur le m o n a r q u e d é c h u ? 10. De quelle manière la reine Mathilde est-elle entrée dans l'appartement du r o i , et quel a été le résultat de s o n entretien a v e c lui? 11. Quels sont les p e r s o n n a g e s qui viennent interrompre la reine-mère, lorsqu'elle allait c o m m u n i q u e r s e s plans à Koller? S C È N E III. 12. De quoi M. de Gœlhcr parle-t-il à Mademoiselle de Falleenskield, avant de voir la reine-mère, et quelle est la r e m a r q u e que celle-ci fait au sujet d e s é l o g e s d o n n é s à la reine Mathilde? 13. Qu'est-ce qu'elle d i t , lorsqu'elle entend parler de l'in^ disposition du ministre d e la m a r i n e ? *) 11 est bien entendu que l'élève qui désire a p p r e n d r e à p a r l e r f r a n ç a i s n e le contentera jamais d e r e p o n d r e p a r des v o c a b l e s , ou des n o m s , mais que t a réponse contiendra toujours u n e p h r a s e e n t i è r e .

115

ACTE I, TEXTE.

14. Quelle est la c i r c o n s l a n c e qui a e m p ê c h é M. de Falkenskield d ' a c c o r d e r au colonel Koller le g r a d e d e g é n é r a l qu'il sollicitait? '•-,. 15. Qu'est-ce que la reine Marie-Julie conseille m a l i g n e m e n t à Koller de faire, p o u r obtenir ce g r a d e ? 16. Quelle est la r é p o n s e q u e d o n n e à la reine M. de Falkenskield, piqué de ce s a r c a s m e ? S C È N E IV. 17. Quelle invitation Mademoiselle Christine de Falkenskield fait-elle à la reine Marie-Julie' au n o m de la reine Mathilde? 18. Quelle est la r é p o n s e que la reine-mère lui d o n n e , et quelle observation a j o u t e - e l l e s u r la position de Christine à la c o u r ? 19. Qu'est-ce que cette d e r n i è r e r é p o n d à la reine? 20. Quelle f â c h e u s e nouvelle Mademoiselle de Falkenskield a p p r e n d - e l l e de la bouche de la reine Marie-Julie? S C È N E V. 21. Quel est le projet de la reine-mère p o u r ce soir, et c o m m e n t la c o m m u n i c a t i o n de ce projet est-elle r e ç u e par Koller? 22. Qui veut-elle qu'on é p a r g n e p a r m i les m i n i s t r e s , et quelles sont les r a i s o n s qu'elle en d o n n e ? 23. P o u r q u o i Koller n e v e u t - i l p a s d ' a b o r d consentir à é p a r g n e r le comte de Rantzau? 24. Qu'est-ce que la reine dit à Koller, en voyant Rantzau a r r i v e r p a r une g a l e r i e ? S C È N E VI. 25. Quelle est l'opinion de M. de Rantzau sur l ' e n t r e v u e que la reine-mère a eue avec le r o i ? 20. Quel conseil Marie-Julie donne-t-elle à Rantzau, pour le p r é s e r v e r du d a n g e r qui le m e n a c e ce soir, et qu'est-ce q u e celui-ci lui r é p o n d i r o n i q u e m e n t ? 27. De quelle m a n i è r e l'engage-t-il à lui tout c o n f i e r ? 28. Quels sont les desseins que la reine c o m m u n i q u e à Rantzau, bt qu'est-ce qu'il lui r é p o n d , lorsqu'elle lui d e m a n d e de les p a r t a g e r ? 20. Par quelles raisons Rantzau ne veut-il p a s e n t r e r d a n s la c o n s p i r a t i o n , qu'esl-ce qu'il lui dit au sujet de Koller, el q u e l conseil finit-il p a r d o n n e r à sa m a j e s t é ? S C È N E VII. 30. P a r qui l'entretien de la reine et du ministre est-il interrompu? 31. Chez qui le comte de Rantzau a-t-il déjà vu Jiric? 32. Q u ' e s t - c e q u e ce j e u n e h o m m e a p p r e n d au c o m t e au sujet de la p l a c e qu'il occupait chez le ministre de la g u e r r e , 8*

116

QUESTIONNAIRE.

quelle offre lui fait M. de Rantsau à ce propos, et pourquoi Eric ne peut-il pas l'accepter? 33. Quelle grâce Éric demande-t-il à la reine-mère, et qu'est-ce qu'elle lui répond ? _ ' 34. Quelle promesse le comte de Rantsau fait-il à Éric, et qu'est-ce qu'il lui dit de faire à cet effet? 35. Qui entend-on crier en dehors de la scène, et quelle prière Éric s'empresse-t-il d'adresser au comte de Rantzau, au sujet de la demande qu'il vient de lui faire? SCÈNE VIII. 36. De quelle manière M. Raton Burkenstaff entre-t-il en s c è n e ? 37. Qu'est-ce qu'il fait, lorsque son fils lui fait remarquer qu'il est en présence de la reine-mère? 38. Quel est le sujet de la grande colère de M. Raton Burkenstaff? 3lJ. Qu'est-ce que Raton répond à son (ils, qui le prie de se ménager et de prendre garde à ses expressions? 40. Qu'est-ce que Rantzau conseille i la reine de faire de Raton, et quelle réponse spirituelle donne-t-il à Marie-Julie, lorsque celle-ci lui dit que Raton n'est qu'un sot? 41. Dans quel sens la reine-mère parle-t-elle alors à Raton? 42. Qu'est-ce que celui-ci lui d e m a n d e , enhardi par la bonté avec laquelle elle le traile? 43. Sur quelles circonstances Raton appuie-t-il la demande qu'il vient de faire à la reine, et quelle fâcheuse nouvelle Éric apprend-il à cette occasion de la bouche de son père? 44. Pourquoi la reine-mère quitte't-elle la scène? SCÈNE IX. apprend à M. de 45. Qu'est-ce que M. de Falkenskield Rantzau sur le principal objet dont le conseil va s'occuper aujourd'hui ? 46. Qu'est-ce que Rantzau conseille à Falkenskield de faire, pour donner un exemple à la population de la capitale, et dans quel but lui donne-t-il ce perfide conseil ? 47. Quel service M. de Falkenskield vient-il alors demander à son collègue? 48. De quelle manière Rantzau répond-il à l'objection que Gœlher est encore bien j e u n e ? 49. Quel est le service que M. de Rantzau demande à son tour à M. de Falkenskield? 30. Dans quel sens celui-ci s'empresse-t-il d'abord' de rép o n d r e ; mais quelles objections fait-il, quand il voit le nom de la personne dont il s'agit? 51. Quelles sont les réponses que M. de Falkenskield reçoit à toutes ces objections, et comment se voit-il forcé malgré lui, d'accorder enfin la lieutenance que son collègue lui demande p o u r Éric ?

ACTE I, NOTES.

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S C È N E X. 52. Qu'est-ce que M. de Rantzau promet à Éric, après lui avoir a n n o n c é qu'il va être n o m m é lieutenant? ue 53. Q l avis le comte donne-t-il e n c o r e au j e u n e h o m m e , au sujet de s o n p è r e ? , 54. Q u ' e s t - c e q u ' É r i c répond au ministre, lorsque celui-ci lui d e m a n d e le s i l e n c e sur cette affaire?

Notes du p r e m i e r acte. 1. Qu'est-ce que v o u s savez de Christian V I I , roi de Danemark et de s o n r è g n e ? 2. Dan» quel s e n s l ' e i p r e s s i o n les présentes est-elle e m p l o y é e d a n s notre p a s s a g e ? 3. Qu'avez-vous retenu sur l'origine, la vie et la mort de Struensée? De quelle m a n i è r e M. Scribe a-t-il traité c e s faits historiques, en c o m p o s a n t la p i è c e dont v o u s venez de lire l e premier a c t e ? 4. Que veut dire: Être visible ? 5. E s t - c e que le colonel Koller est un p e r s o n n a g e histor i q u e ? * ) Q u e l rôle a-t-il j o u é dans la conspiration qui fait le fond historique de notre p i è c e ? 7. Q u i était Marie-Julie? Q u e l est le nom allemand, s o u s lequel cette p r i n c e s s e est c o n n u e dans l'histoire? Qu'est-ce q u e v o u s savez sur les motifs qui ont a m e n é cette princesse à tramer une conspiration contre Struensce et la reine? 8. Que signifie le substantif douaire? Quel adjectif en a-t-on formé et de qui se dit cet adjectif? Quelle est la dérivation du mot douaire?**) 9. Que veut d i r e : En vouloir à quelqu'un? 10. Envers qui e m p l o i e - t - o n en français le litre de Madame? Q u ' e s t - c e que vous savez sur l'emploi des mots Ma-

jesté

et

Altesse?

11. Qui était Mathilde-Caroline? Quel fut le sort de cette malheureuse^ p r i n c e s s e après le r e n v e r s e m e n t de Struensée, s o n favori? 12. Q u e l l e s sont les deux significations du mot belle-mère? 13. Dans quel s e n s particulier emploie-t-on quelquefois les m o t s tige, tige ? 14. Qu'est-ce que vous savez sur la prononciation du pluriel tous? Dans quel cas l's finale de ce mot est-elle muette, et dans quel c a s faut-il la faire e n t e n d r e ? *) Qu'on n'oublie pas d e dire aux élèves qu'un Français liicn ¿levé ne répond jamais o u i , n o n , tout court, mais qu'il dit o u i , m o n s i e u r ; n o n , m a d a m e ; o u i , m a d e m o i s e l l e , selon la personne à laquelle il s'adresse. * * ) Cette question qui n e peut s'adresser qu'à des élèves qui ont quelques connaissances en latin, n ' a p a s été r é p é t é e pour le reste des notes. L e maître qui s'adresse à des élèves qui apprennent 1rs langues mortes, aura soin d e d e m a n d e r l a dérivation chaque fois qu'elle est i n d i q u é e dans l a noie.

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QUESTIONNAIRE.

10. Q u ' e s t - c e que vous avez retenu s u r le règne de George / / . / , roi d'Angleterre? 16. R a c o n t e z - m o i ce que vous savez sur le r è g n e de Louis X f ' , roi de France. 17. Qu'est-ce que les Amazones? Dans quel sens emploie-t-on quelquefois ce mot comme nom appollatif? 18. P o u v e z - v o u s m'expliquer la différence qui existe entre les deux synonymes pouvoir et puissance? 19. Qu'est-ce que vous savez de Falkenskield ou plutôt Falkenskiold, et de la part qu'il a eue aux actes de Struensée? Quelles sont les principales circonstances dans lesquelles le poète a altéré la vérité historique au sujet de ce p e r s o n n a g e ? 20. Qu'est-ce qu'une demoiselle d'honneur? Q u i est-ce qu'on appelle en français: Dames de la cour ? 21. Q u e l l e s troupes a p p e l a i t - o n autrefois en F r a n c e : Chévau-légers? 22. Qu'est-ce qu'un yacht? La p r o m e n a d e en m e r , dont on parle dans la pièce, a-t-eile de la v r a i s e m b l a n c e ? 23. Q u e l l e est la signification des mots français régent et régence? 24. Q u ' e s t - c e que vous savez du comte de Rantzau et de la part qu'il a prise à la conspiration qui, renversa Struensée? E n peignant le caractère de cet homme d'Etat, l'auteur de notre pièce a-t-il observé la vérité historique? Q u e l célèbre diplomate d e l'histoire contemporaine a-t-il voulu produire au public, sous la figure de ce comte de Rantzau? Q u e l l e allusion le public parisien a-t-il voulu voir dans toute celte pièce? 25. Quelles sont les différentes significations du mot bureau? 26. Q u i est-ce qu'on appelle chambellan? 27. Q u e l mot s p i r i t u e l , devenu historique, l'auteur a-t-il voulu rappeler aux s p e c t a t e u r s , en faisant dire au comte de R a n t z a u : , , / e ne sais pas si le conseil marche, mais il danse beaucoup?'' 28. Q u e l l e est la p r e m i è r e signification du mol portée, et d a n s quel sens se dit-il souvent au f i g u r é ? 30. Q u e veut dire troc, troquer? 31. Q u i est-ce qu'on appelle huissier? De quel vieux substantif français, ce mot a-t-il été f o r m é ? 32. Dans quel sens d i t - o n a u j o u r d ' h u i souvent le mot magasin? 33. Q u e l usage parisien a engagé l'auteur à donner un n o m spécial au magasin de M.- Raton Burkenstaff? 34. A quels hauts fonctionnaires donnait-on autrefois le titre de monseigneur? 35. Qu'est-ce que vous savez sur le titre de messire? — L a révolte d'ouvriers en soie dont BurkenstalT est le prétexte, a-t-elle un fondement historique? 36. Dans quel sens particulier emploie-t-on souvent le mot commerce ? 37. Qu'est-ce qu'un syndic?

ACTE II, TEXTE.

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38. Qu'est-ce que vous savez sur l'emploi de la conjonction si comme particule affirmative? Dans quel sens emploie-t-on l'expression si fait, et quelle est l'origine dç cet emploi adver-' bial du participe fait? 39. Quelle est la signification de l'adjectif patent, patente, et dans quel sens dit-on aujourd'hui le substantif patente qu'on en a formé? 40. Quelle différence de signification y-a-t-il entre les synonymes confrère, collègue et camarade? 41. Q u ' e s t - c e que vous savez sur la prononciation du mot sot, substantif et adjectif? 42. Dans quel sens a-t-on employé le mot bénéfice dans noire passage? Quelles sont les deux significations spéciales et historiques de ce substantif? 43. Dans quel sens le verbe exercer se dit-il quelquefois absolument? 44. Qu'est-ce qu'on appelle passe-droit? 45. Qu'est-ce que du lampas? 46. Q u e signifie l'adjectif moelleux? 47. Qu'est-ce qu'une chanson? Quel mol en a-t-on formé? 48. Qu'est-ce qu'un pamphlets Quels sont les noms des plus célèbres pamphlétaires français? Savez quelque chose sur l'origine probable du mot pamphlet? 49. Qu'est-ce qu'on appelle caricature? 50. Quelle est la signification et I'originp d.ij mot lèse? Qu'est-ce qu'on appelle crime de lèse majesté? 51. Dans quel sens dit-on aujoqrd'hui le mot de brevet? 52. Dans quel sens dit-on familièrement: Je retarde, vous retardez; j'avance, vous avancez.

ACTE II. SCÈNE I. 1. A quoi Raton Burkenstaff est-il o c c u p é , lorsque le rideau se lève? 2. Quel reproche sa femme lui fait-elle à ce sujet, et qij'estce qu'il lui répond? SCÈNE II. 3. Quelle est la commission que J e ^ n vient de faire, et comment est-il reçu par son maître? 4. Que dit Raton, lorsque son garçon veut lui remettre l'argent qu'il a touché, et quelle est la remarque que cette réponse fait faire à Jcan'i 5. Q u ' e s t - c e que Jean dit à Madame Burkenstaff pour excuser son retard ? 6. Pourquoi aime-t-il tant l'agitation politique et les émeutes, et qu'est-ce qu'on lui ordonne pour l'empêcher d'y prendre p a r t ?

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QUESTIONNAIRE.

7. Quelle r é p o n s e Raton donne-t-il à sa feihme Marthe qui lui d e m a n d e , pourquoi il veut sortir ? 8. Q u ' e s t - c e que Marthe reproche à la conduite de son m a r i , et de quelle m a n i è r e celui-ci reçoit-il cette observation? 9. Pourquoi Raton croit-il devoir négliger son ami Michelson dont lui parle sa femme? 10. Qu'est-ce que Marthe lui a p p r e n d par r a p p o r t à Éric, leur fils« SCÈNE III. 11. Q u e l avis Éric donne-t-il à son père? Comment celui-ci le reçoit-il d ' a b o r d , et de quelle m a n i è r e se conduit-il, lorsqu'il a p p r e n d qu'il est réellement m e n a c é d'une a r r e s t a t i o n ? 12. Chez qui Raton veut-il se retirer pour échapper à la poursuite du g o u v e r n e m e n t ? 13. Pourquoi ne veut-il pas que son fils l'accompagne, et qui charge-t-on de ce s o i n ? 14. Q u e dit Jean, lorsqu'il a p p r e n d le d a n g e r dont on m e n a c e son maître? SCÈNE IV. 15. Qu'est-ce qu'Éric a n n o n c e à sa mère s u r les projets qu'il a p o u r l'avenir, et c o m m e n t celle-ci reçoit-elle cette nouvelle? 16. Q u e l secret Madame Burkenstaff apprend-elle enfin de ton fils, à qui elle d e m a n d e la c a u s e de celte r é s o l u t i o n ? 17. Reproduisez le re'cit qu'Jirt'c fait à sa mère de l'avent u r e qu'il a eue dans le jardin de M. de Falkenskield. 18. Quel r e p r o c h e Marthe fait-elle à son fils, quand il a fini son récit et qu'elle sait le motif qui lui a fait d e m a n d e r une lieutenance? SCÈNE V. 19. P a r qui l'entretien à,Éric et de sa mère est-il i n t e r r o m p u ? 20. Quelles r é p o n s e s comiques Jean donne-t-il d'abord a u s questions qu'on lui fait? 21. Qu'est-ce qu'il raconte er.fin sur l'arrestation de son maître? 22. Q u e l est l'accident qui arrive près de la boutique, et qui cause la sortie à'Éric'i SCÈNE VI. 23. 24. 25.

P o u r q u o i Marthe quitte-t-elle la s c è n e ? Avec qui Eric revient-il sur la s c è n e ? Q u e dit Jean, lorsqu'i?r/e lui o r d o n n e de s o r t i r ? SCÈNE VII.

26. Quelle excuse Éric fait-il à Christine, a p r è s qu'elle est revenue à elle-même? 27. Quelle réponse Christine donne-t-elle à la déclaration q u ' E r i c vient de lui f a i r e , et c o m m e n t tâche-t-elle de le consoler ?

ACTE II, TEXTE.

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S C È N E VIII. 28. Q u e l l e s sont les p e r s o n n e s qui viennent i n t e r r o m p r e l'entretien d'Éric et de Christine? '29. Qu'est-ce que dit Marthe, en a p p r e n a n t que celui qui yient d ' e n t r e r avec elle, est un c o m t e ? 30. Q u e l est le double motif de la visite du comte de Rantzau, et qu'est-ce qu'il r é p o n d à Éric qui «le trouve hardi d e sortir à pied p e n d a n t une é m e u t e ? 31. S u r quoi le comte fait-il son c o m p l i m e n t à Marthe, et qu'est-ce qu'il lui r a c o n t e , quand elle d e m a n d e une explication de ses p a r o l e s ? S C E N E IX. 32. P a r qui le re'cit du comte est-il c o n t i n u é ? 33. Q u ' e s t - c e que n o u s a p p r e n o n s de Jean sur le p r o g r è s et la fin de la révolte que l'arrestation de Raton avait c a u s é e ? S C È N E X. 34. De quelle m a n i è r e Raton fait-il son entrée en s c è n e , et qu'est-ce qu'il r é p o n d au p e u p l e qui lui d é c e r n e un t r i o m p h e ? 35. Q u ' e s t - c e qu'il dit à sa femme et à son fils s u r la n o u velle position où il se t r o u v e ? 36. Q u e l l e question Raton fait-il au comte de Rantzau d'un air p r o t e c t e u r , quelle est la r é p o n s e i n a t t e n d u e qu'il r e ç o i t , et de quoi charge-t-il a l o r s sa femme? 37. Q u ' e s t - c e qu'il t é m o i g n e à Mademoiselle de Falkenskield, et quel o r d r e fait-il d o n n e r par Jean aux g e n s du p e u p l e , p o u r p o u v o i r faire r e c o n d u i r e celte d a m e à l'hôtel de son p è r e ? S C È N E XI. 38. Q u e l l e s sont les deux p e r s o n n e s qui r e s t e n t à p r é s e n t s u r la s c c n e ? Expliquez-moi les motifs de la sortie des a u t r e s p e r s o n n e s qui étaient s u r le théâtre p e n d a n t la s c è n e p r é c é d e n t e . 39. Q u e l l e r é p o n s e ironique le comte de Rantzau donoe-t-il à Raton qui lui d e m a n d e p a r d o n de le faire a t t e n d r e ? 40. P o u r q u o i Raton dit-il qu'il doit se d é p ê c h e r de finir sa t o i l e t t e ? Q u ' e s t - c e qui p o u r r a i t a r r i v e r , s'il faisait a t t e n d r e ceux qui v i e n d r o n t tout-à-l'heure le p r e n d r e p o u r le t r i o m p h e ? 41. Q u e l l e idée donne-t-il par ces mots à Rantzau, qui n e d e m a n d e pas mieux que de voir r e c o m m e n c e r l ' é m e u t e ? 42. De' quelle m a n i è r e Rantzau se prend-il p o u r e n g a g e r Raton à d e s c e n d r e d a n s le petit c a v e a u , et qu'est-ce que celui-ci a e n c o r e la bêtise de lui dire s u r l ' é p a i s s e u r du m u r ? 43. Q u e fait Rantzau, q u a n d Raton est d e s c e n d u d a n s le c a v e a u , et de quelle exclamation plaisante accompagne-t-il l'action qu'il vient de f a i r e ? S C È N E XII. 44. Q u e vient a n n o n c e r Jean qui a c c o u r t s u r la s c è n e a u m o m e n t où le comte de Rantzau monte au m a g a s i n , et qu'est-ce qu'il fait, lorsqu'il ne voit plus son maitret

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QUESTIONNAIRE.

45. Que fait le peuple en dehors, pendant qu'on cherche en vain M. Raton Burkenstaff? 48. Quelle idée vient à J e a n , quand il voit que toutes les recherches sont infructueuses et que Huton a de nouveau disparu? 47. Quelles sont les paroles que Jean adresse aux gens du peuple qui sont dans la r u e , et par quelles actions ceux-ci répondent-ils à ses cris? 48. Quel est le tableau que la fin de cette scène nous représente? \ o l c s