Seigneurie et féodalité Le premier âge des liens d'homme à homme Tome 1 Les liens de subordination dans l'europe des francs


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French Pages [480] Year 1968

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Table of contents :
Couverture
Avant-propos
Introduction - La féodalité et l'histoire
LIVRE PREMIER. Les liens de subordination dans l'Europe des Francs
I. Commerce et circulation monétaire
II. Le cadre domanial
III. Du grand domaine à la seigneurie rurale
IV. De la vassalité au régime féodal
V. Première esquisse de la société féodale
LIVRE DEUX. Les liens de subordination en dehors de l'Europe franque
Introduction
I. "Féodalités" de l'Orient antique
II. Compagnonnages et clientèles
III. Une féodalité d'Asie : le Japon
DOCUMENTS
A. La seigneurie
B. La féodalité
C. Exemples de dépendances en dehors du monde occidental
BIBLIOGRAPHIE
INDEX
TABLE DES MATIÈRES
Couverture
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Seigneurie et féodalité Le premier âge des liens d'homme à homme Tome 1 Les liens de subordination dans l'europe des francs

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SEIGNEURIE ET FÉODALITÉ

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COLLECTION HISTORIQUE Sous la direction de Paul LEMERLE Professeur au Collège de France

ROBERT BOUTRUCHE Professeur à la Sorbonne Directeur à l'Ecole des Hautes Etudes

SEIGNEURIE ET FÉODALITÉ *

LE PREMIER AGE DES LIENS D'HOMME A HOMME Deuxième édition, revue et augmentée

Ouvrage publié avec le concours du CENTRE NATIONAL DE LA RECHERCHE SCIENTIFIQUE

1988

AUBIER éDITIONS MONTAIGNE, 13, QUAI DE CONTI, PARIS

Droits de traduction et de reproductio1t réservés- pour tous pays. © 1968 by Editions Monlaig11e.

AVANT-PROPOS

Tous les ans, du IXe au XVIe siècle, les rites suivants se répètent par milliers dans la plus grande partie de roccident. Devant les témoins rassemblés dans la grande salle d'un château ou d'une résidence ecclésiastique, deux personnages se font face : l'un appelé à obéir, l'autre à commander. Nu-tête et sans armes, le premier met ses mains jointes dans celles du second, se déclare son homme, son vassal, et parfois échange avec lui un baiser sur la bouche. Puis il prête sur des reliques, ou sur un livre d'Evangiles c corporellement touché de la main droite >, le serment de lui demeurer fidèle. A son tour, le seigneur promet d'être bon et loyal. Un dernier acte clôt ordinairement la cérémonie et représente sa raison d'être : le subordonné est investi d'un fief. Un exemple illustrera des gestes qui ont conservé leur sens profond pendant une longue période de l'évolution humaine. En avril 1127, le nouveau comte de Flandre, Guillaume, réunit les vassaux de son prédécesseur. À chacun, c il demanda s'il voulait devenir son homme sans réserve, et celui-ci répondit : "Je le veux." Puis, ses mains étant jointes dans celles du comte, qui les étreignit, ils s'allièrent par un baiser. En second lieu, celui qui avait fait hommage engagea sa foi en ces termes : " Je promets en ma foi d'être fidèle, à partir de cet instant, au comte Guillaume et de lui garder contre tous et entièrement mon hommage, de bonne foi et sans tromperie. " En troisième lieu, il jura cela sur les reliques des saints. Ensuite, avec la verge qu'il tenait à la main, le comte leur donna les investitures à eux

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tous qui, par ce pacte, lui avaient promis sftreté, fait hommage et en même temps prêté serment 1 >. Souvent, les partenaires sont des puissants de ce monde. Mais il est de modestes seigneurs et de pauvres vassaux. De son côté, le fief revêt des aspects innombrables : exceptionnellement un royaume ; parfois un vaste ensemble de territoires et de pouvoirs ; ou bien des fonctions, des revenus divers ; surtout, dans un ou plusieurs villages, des maisons, des champs, des sujets. Des sujets : car soumis à des obligations envers le personnage qui a reçu ses mains dans les siennes, le vassal exerce de son côté une « domination >, une « seigneurie > sur les gens et les terres du fief qui lui a été remis. Seigneurie à deux étages ; l'un rural, en vertu de l'autorité dont il dispose sur les paysans-tenanciers ; l'autre féodal lorsque, le fief étant très vaste et se haussant par exemple à la taille d'un comté ou d'une châtellenie, son détenteur est en mesure de le sous-inféoder partiellement à des vassaux dont il exige des devoirs semblables à ceux qui lui sont imposés par son supérieur 1 • Le voilà donc placé à l'intersection d'un double régime de dépendances, auquel il participe également. Certes, les réalités furent plus complexes que ce schéma ne l'indique. Notre propos, pour l'instant, est d'esquisser un simple aperçu de l'immense réseau de subordinations qui fut tissé entre les hommes, les terres, les pouvoirs. La seigneurie rurale est née avant la féodalité ; elle lui a survécu. En outre, son aire d'extension à travers le monde fut beaucoup plus vaste, des seigneurs exerçant leur emprise sur des groupes paysans sans être eux-mêmes engagés dans des liens privés. Elles diffèrent par leur nature, les obligations qu'elles entraînent, les attaches sociales qu'elles mettent en jeu. Moins enracinée dans le sol que la 1. Documents, n° 29 (p. 368). 2. Nous sommes sensible à l'inconvénient qui résulte de l'emploi du terme c seigneur > dans ces deux sens. Et nous en souffrons pour le lecteur. Mais c'est un terme de l'époque, ayant résonance de chef dans les rapports du seigneur avec les vassaux, de maître dans ses relations avec les tenanciers.

AVANT-PROPOS

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seigneurie, la féodalité a été plus soumise aux fluctuations du milieu et aux influences extérieures. Mais elle n'aurait pu durer sans l'assise matérielle que la seigneurie lui a fournie. Pendant une longue période, les deux organismes se sont donné la main et étayés réciproquement ; ils ont entrecroisé leurs lignes et reçu l'un de l'autre une force, une coloration nouvelles. « Il convient que les hommes labou­ rent, bêchent et arrachent les broussailles de la terre pour qu'elle produise les fruits dont vivent le chevalier et ses chevaux. Il convient que le chevalier, qui chevauche et mène l'existence d'un seigneur, tire son bien-être de ce qui fait le travail et la peine de ses hommes 1• > Ramenée à l'essen­ tiel, la société féodale est une société militaire, de par la ! mission principale dévolue aux vassaux, et une société \ rurale en raison de la nature de sa fortune et des moyens \ d'existence qu'elle puise dans la terre et le labeur paysan. Elle a connu trois époques : celle de la formation jus­ qu'au lendemain de l'an mil ; celle de l'épanouissement, qui s'ouvre peu avant le milieu du XI• siècle et se continue jus­ qu'en plein XIII' ; celle du déclin 4. 3. RAMON LuLL, Libro de la Orden de Caballeria (Obras literarias, Madrid, 1948, p. 110, § 9). 4. A ces divisions répondront trois volumes, dont seul le premier est terminé. Elles se fondent sur l'évolution des sociétés et des ins­ titutions féodo-vassaliques, principalement entre la Loire et le Rhin. - Il n'existe aucun synchronisme, d'un pays à l'autre, dans cette évolution. Contrastes entre tous sensibles, le premier âge féodal s'est prolongé jusqu'à la fin du XI• siècle, peut-être plus tard, en France du sud, et jusqu'au XII• siècle en Allemagne. En revanche, l'Italie méridionale et l'Angleterre sont entrées de plain-pied dans le deuxième âge avec la conquête normande, de même que les Etats latins d'Orient après la première Croisade. Dans tous ces pays, la mise en place des institutions féodales a devancé celle des sociétés attirées vers ]es nouveaux cadres. Sur les deux premiers âges féodaux, cf. M. BLOCH, pour lequel la coupure se place au milieu du XI• siècle par référence aux transfor­ mations du peuplement et de l'économie, plutôt qu'en fonction des changements intervenus dans la féodalité même (La société féodale, 1, p. 95 et suiv.) ; J.-F. LEMARIGNIEI\ qui, attentif à l'essor de l'organi­ sation monastique, remonte un peu plus haut : aux années 10201030 (Structuus monastiques et structures politiques, p. 398-400) ; G. DUBY qui, envisageant l'organisation sociale du Mâconnais, met la charnière aux environs de 1160 (La société en Mdconnais, p. 643).

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••• Le sujet est immense, presque sans limites. En tous pays il a fasciné les esprits et contribué à la renommée des savants qui ont mis leur science à son service. A-t-il eu cependant l'audience qu'il mérite en dehors des milieux érudits, eux-mêmes cloisonnés? On ne saurait l'affirmer. Il faut de temps à autre battre le rappel, rassembler à côté de ce qui paraît acquis les hypothèses fécondes et les problèmes en suspens, témoins de nos ignorances. Seigneurie et féodalité, envisagées là seulement où elles furent associées, formeront le thème d'une étude placée sous le signe de l'histoire comparée 1 •

5. La prem1ere édition de ce volume remonte à 1959. Dans la seconde, j'ai mis à profit les travaux publiés depuis huit ans, tenu compte des suggestions formulées par des lecteurs, apporté des nuances ou des précisions, enfin supprimé des paragraphes qui seront transférés dans le t. Il afin d'atténuer des répétitions d'ailleurs inévitables. J'ai l'agréable devoir d'exprimer mes remerciements à tous ceux qui ont facilité ma tâche : MM. Lemerle et Posener, professeurs au Collège de France ; Cahen, Gernet, Guenée, Haguenauer, Perroy et Portal, professeurs à la Sorbonne ; Schneider, doyen de la Faculté des Lettres de Nancy ; Dollinger, Laroche et Schlumberger, professeurs à l'Université de Strasbourg; Lucien Musset, chargé d'enseignement à l'Université de Caen ; Parlehas, chargé d'enseignement à l'Université de Lille ; Frank, Lafaurie et Toubert, directeurs à l'Ecole pratique des Hautes Etudes ; Mlle Héra il, professeur à l'Ecole des Langues orientales ; M. Roublev, maître de conférences à l'Université hébraïque de Jérusalem ; Mlle Fasoli, professeur à l'Université de Bologne ; MM. Dhondt et Ganshof, professeurs à l'Université de Gand ; Génicot, professeur à l'Université de Louvain ; K. Takahashi, professeur à l'Université de Tokyo ; Guillon, secrétaire général de l'Ecole française de Rome; le P. Sheehan.

INTRODUCTION

LA FÉODALITÉ ET L'IDSTOIRE

Depuis le XIII" siècle, l'interprétation des règles vassaliques et féodales a tenté des théoriciens politiques et des commentateurs, dont le plus grand fut Philippe de Beaumanoir. Mais l'histoire proprement dite du régime n'est guère antérieure à la Renaissance. Elle fut surtout l'œuvre des humanistes, attirés par l'étude des institutions et passionnés par celle des origines 1• Certains s'abreuvaient aux sources antiques, établissaient une filiation entre les clientèles et la vassalité. D'autres portaient leurs regards vers « les forêts de la Germanie > et les usages qui s'étaient développés après les inYasions 1 • Les derniers, enfin, observant que les Barbares avaient introduit leurs lois dans les pays jadis soumis par Rome, attribuaient une double origine aux liens de dépendance 1 • Traditions antiques, ou coutumes 1. Un de leurs livres de chevet était les Libri feudorum, recueil de coutumes compilées au XII• siècle en Lombardie. Le plus récent travail sur l'historiographie de la féodalité aux XVI• et XVII• siècles est l'œuvre de J. G. A. PocoK, The ancient constitution and the foudal law. English historical thought in the seventeenth century, Cambridge University Press, 1957 (ch. IV et v notamment). 2. La première tendance a été représentée par des hommes tels que GuILLAUIIE BuDi, ULRICH ZASI, LELIO TORELLI; la seconde par FRANÇOIS HoT?tlAN, dans Francogallia et dans De feudis commentatio tripertita, qui furent publiés en 1573 ; puis par THOMAS CRAIG, dans Jus feudale, qui date de 1603 et fut plusieurs fois réédité. 3. Par exemple JAcQCES CUJAS, éditeur, en 1666, des Libri f eudorum, dont Hotman donna une èdition critiq11e.

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germaniques ? Le débat était promis à une belle carrière jusqu'aux approches de l'ère moderne.

1. - LA FÉODALITÉ, PHASE DE L'ÉVOLUTION HUMAINE A. DE SPELMAN ET DE MONTESQUIEU AUX HISTORIENS DU x1x• SIÈCLE

Le mot « féodalité >, pourtant, ne semble pas remonter à la Renaissance. Sans doute fut-il forgé au début du XVII• siècle pour désigner le caractère juridique ou les charges du fief, éléments les plus vivants, à l'époque, du vieux régime médiéval'. Mais, avant la Révolution, les préférences allèrent à des ex.pressions composées avec l'adjectif c féodal >, qui remontait au Moyen Age. Au XVI' siècle encore, ce dernier concernait plutôt les tenures que les relations personnelles, passées de longue date à l'arrière· plan 5 • Ce fut à l'âge suivant qu'il reçut une signification beaucoup plus large. Préparé par des humanistes - Thomas Craig entre autres - cet épanouissement a été l'œuvre de l'Anglais Henry Spelman. Versé dans l'histoire du droit international, il a pressenti que les réseaux de dépendance, loin de se résumer dans un système foncier, avaient fourni la matière d'une structure sociale et politique commune aux pays d'Occident. N'a-t-il pas distingué entre les c tenures > et la « loi féodale >, qui supposait l'existence de rapports privés et le partage des pouvoirs•? 4. M. BLOCH, La société féodale, t. 1, p. 1. 5. Par surcroît, en Angleterre eomme dans certaines contrées françaises - Bretagne, Normandie, Guyenne ... - le terme pouvait s'appliquer non seulement aux biens vassaliques, mais à toutes sortes de tenures héréditaires (cf. par exemple THOMAS LITTLETON - qui écrivait vers 1480 - , Tenures in French and English, Londres, éd. de 1671 ; E. COKE, The first part of the institutes of the laws of England, or a Commentari upon Littleton, Londres, 7• éd., 1670). 6. Glossarium archaiologium, Londres, 3• éd., 1687 (sous les titres hommagium, feudum, fidelitas, parlamentum ... ) : The original, growth,

INTRODUCTION

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L'idée chemine obscurément, avec des repentirs, jusqu'au jour où elle prend un tel relief qu'en 1781, un siècle après les publications de Spelman, un écrivain anglais s'attarde à ce régime c dont on fait tant de bruit > 7 • De chaque côté de la Manche, en effet, juristes et philosophes lui ont prêté un intérêt accru, s'attachant à son étude technique•, recherchant aussi ses origines soit à l'époque romaine•, soit à celle des invasions barbares 10, soit sous les premiers Capétiens 11 • propagation and condition of feuds and tenures by knight aervice m England, dans Reliquiae Spelmannianae, Oxford et Londres, 1698. Même distinction, au XVIII• siècle, dans les écrits de W. GUTBRIB, w. BLACKSTONB, A. FERGUSON (ci-dessous, p. 15, n. 16) ; ou, en France, dans ceux de l'abbé de GouRcY (Quel fut l'état des personnes en France sous la première et la seconde race de nos rois ... ? Paris, 1769), et de Mlle DB UzARDIÈRE (Théorie des lois politiques de la monarchie française, Paris, éd. de 1844, 4 vol.). Bien avant Guilbiermoz, cette dernière a posé la fausse équation : libre noble. 7. J. PJNKERTON, Recherches sur l'origine et les divers établissemen, des Scythes ou Goths ..• (trad. MIELLE, Paris, 1804, p. 218-225). 8. Par exemple, NICOLAS BRUSSEL, Nour,el uamen de l'usage général des fiefs en France pendant le XI•, le XII•, le XIII• et le XIV- siècle• (Paris, éd. de 1750, 2 vol.) ; puis un avocat, Fr. HBRvi, Théorie des matières féodales et censuelles (Paris, 1785-1788, 7 vol.). 9. Dès le XVI• siècle, ETIENNE PASQUIER avait cru trouver les origines du flef dans les terres concédées héréditairement aux soldats défendant les frontières de l'Empire (Des recherches de la France, Orléans, 1560, et plusieurs rééditions postérieures). On retrouve la même opinion au XVIII• siècle, par exemple chez l'abbé J.-B. DUBos, (Histoire critique de l'établissement de la monarchie française dans les Gaules, Paris, êd. de 1742, 4 vol.) ; chez le comte du BusT, auteur de gigantesques dissertations sur l'ancien gouvernement de la France et sur l'histoire des peuples européens; ou encore chez JAcoa-N1coLAS MOREAU, précepteur de Louis XVI (dans ses Leçona de morale, de politique et de droit public, Versailles, 1773, et dans son Discours sur l'histoire de France, Paris, 1777-1789). 10. Ainsi CHARLES LoYSBAu (Du droit de, offices ; Traite% des seigneurie,, des ordres et simples dignitez, Paris, éd. de 1678). En attendant des auteurs tels que BoULAINVILLIERS, MONTESQUIEU, GUTBRIB, HUME, DALRYMPLE, BLACKSTONE (ci-dessous, p. 14 et suiv.). 11. Par exemple, CaANTBRBAU LB FEBVRE, qui a su distinguer entre le flef proprement dit et le bénéfice du haut Moyen Age, dont le flef est issu sans en répéter tous les caractères (Traité des fiefs et de leur origine, Paris, 1662).

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Ces démarches ont conduit à voir dans la formation et l'épanouissement des liens de dépendance une longue phase de l'évolution humaine. Apport essentiel, dont la Renaissance a fourni la première esquisse et que les doctrinaires des XVIII' et XIX' siècles allaient enrichir à leur tour. La c féodalité >, affirme le comte de Boulainvilliers, est une méthode de gouvernement née au lendemain des invasions germaniques 11• Dans une langue plus ferme, expression d'une pensée plus haute, Montesquieu, qui connaissait les écrits de Boulainvilliers et peut-être de Spelman, représente c les lois féodales > comme c un événement arrivé une fois dans le monde > et peu susceptible de se reproduire. Paraphrasant Virgile, il écrit : c Un chêne antique s'élève ; l'œil en voit de loin les feuillages ; il approche ; il en voit la tige ; mais il n'en aperçoit point les racines : il faut percer la terre pour les trouver 11• > Montesquieu saisit la signification historique du régime et comprend qu'il s'est formé en marge de la loi commune, qu'il est fait par excellence de pratiques coutumières 1' . Ce qui le frappe, c'est le démembrement de la puissance publique, c'est la poussière des dominations locales substituées à l'Etat centralisé, c'est enfin l'aspect politique du système seigneurial, qu'il confond avec la féodalité. Tandis que Boulainvilliers était hostile à l'institution monarchique et lui imputait tous les malheurs de l'histoire, la noblesse au contraire ayant mené le bon combat, Montesquieu a fait honneur aux rois d'avoir brisé la féodalité pour rétablir l'ordre. Attentif également à la désagrégation de l'Etat et au partage du pouvoir entre « un nombre innombrable de petits tyrans >, Voltaire assure que, loin d'être morte à jamais, la féodalité existe encore dans une partie du monde. Fon12. Histoire de l'ancien gouvernement de la France, avec XIV Lettres historiques sur les Parlements ou Etab généraux, La Haye, 1727 (cf. la 4' lettre, dans le t. 1, p. 286-300). 13. L'Esprit des Lois (éd. Laboulaye, Paris, 1877, l. XXX, ch. 1; cf. aussi les livres XXVI, XXVIII, XXXI). 14. Il n'a pu cependant éviter des erreurs. Comme Boulainvilliers, par exemple, il a rattaché la féodalité et ln noblesse aux invasions franques.

INTRODUCTION

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dée sur la force, elle constitue dans la vie des peuples un processus qui peut se répéter. c On a longtemps cherché l'origine de ce gouvernement féodal. Il est à croire qu'il n'en a point d'autre que l'ancienne coutume de toutes les nations d'imposer un hommage et un tribut au plus f aible ... Le gouvernement du Mogol est, depuis Gengis Khan, un gouvernement féodal tel à peu près que celui d' Allemagne, ou tel qu'il fut établi longtemps chez les Lombards, chez les Espagnols et en Angleterre même, comme en France et dans presque tous les Etats de l'Europe. C'est l'ancienne administration de tous les conquérants qui ont vomi leurs inondations sur la terre... La féodalité n'est point un événement. C'est une forme très ancienne, qui subsiste dans les trois quarts de notre hémisphère avec des administrations différentes u. > c Lois féodales >, « système féodal > : ces expressions reviennent aussi, Outre-Manche, sous la plume d'écrivains qui ne se haussent pas toujours jusqu'aux vues générales des philosophes français, mais qui pénètrent davantage dans le dédale des institutions. Les uns s'intéressent surtout à l'Angleterre, sans toutefois renoncer à l'histoire comparée 18• Les autres se placent plus résolument sur le plan euro15. Essai sur les mœurs, ch. xxxm et xxxvm (dans Œuvres complMes, éd. Garnier, t. XI, Paris, 1878) ; Fragments historiques sur l'Inde et sur le général Lally, II (Ibid., t. XXIX, p. 91, Paris, 1879). Nombreux sont les auteurs qu'on pourrait encore citer. L'abbé MABLY, par exemple, mêle à ses réflexions sur la féodalité des vues utopiques et fait honneur à Clovis comme à Charlemagne d'avoir reconnu les droits de l'homme (Observations sur l'histoire de France, Londres, 1789, 3 vol.). 16. fnfluencé pnr Spelman, W. GuTBRIB distingue entre les c tenures féodales >, introduites au lendemain des invasions germaniques, et la c loi féodale >, formulée à partir du X• siècle ou, dans le cas de l'Angleterre, après la conquête normande - loi qui impliquait un ensemble de devoirs et de services, donc c un système > et toute une organisation (A general history of England, Londres, S vol., 1744-1751). Moins nuancé que le précédent, W. BLACKSTONB voit dans le c système féodal > une organisation d'origine germanique ayant pour but la domination des peuples conquis (Commentaries on the laws of England, Londres, éd. de 1765-1769, et plusieurs rééditions postérieures). Même idée dans A. FsnousoN, An essag on the historg of civil societg (Londres, 1767). - Gouvemement, Jurisprudence et

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péen 17• Et certains, parmi eux, donnent une vigoureuse impulsion à l'étude des bases économiques sur lesquelles la féodalité fut construite. Rôle primordial de la richesse terrienne en période d'atonie commerciale et monétaire, affaiblissement des royautés, réduites aux mêmes ressources que les nobles, décadence des liens de dépendance lors de la renaissance des échanges et des villes : telles sont les idées exprimées par de véritables précurseurs, entre autres James Steuart 11 et Adam Smith 19• Leur analyse les conduit à l'étude des masses rurales. Privés, affirme Adam Smith, de tout stimulant et de tout espoir d'améliorer leur vie parce que leurs moyens de production sont à la merci des grands, les paysans travaillent mal, et l'économie est paralysée. Du point de vue matériel, c la féodalité > - traduisons ici la seigneurie rurale - est une anarchie qui s'est propagée à travers toute la société. Adam Smith est mort en 1790, au moment où le terme féodalité traversait la Manche pour désigner soit le morcellement de la puissance publique à l'intérieur d'un royaumes « féodaux > se retrouvent au même moment dans D. Hm,1s. L'auteur décèle dans le fief un salaire donné en contrepartie de services militaires, montre comment il est devenu héréditaire et insiste sur les prérogatives arrachées à l'Etat (The history of England ..., Londres, 1762, I, 397-424). 17. Par exemple J. DALRYMPLB, un admirateur de Montesquieu (An essau towards a general historu of feudal propertu in Great Britain, 3• éd., Londres, 1758) ; W. ROBERTSON, A histot-y of the progress of society in Europe (Paris, êd. de 1848) ; J. PINKBRTON, ouvr. cité, p. 13, n. 7. Après Voltaire, Pinkerton assure que le c système féodal est le fruit naturel de la conquête et qu'il est aussi ancien qu'elle dans le monde >. Enfin, G. STUART mérite une mention particulière. L'un des premiers, il a mis l'accent sur la présence en Europe de deux périodes féodales : l'une caractérisée par le développement des liens personnels -- nous l'appelons la période vassalique, - l'autre par le rôle prédominant des liens réels et une meilleure organisation des réseaux de dépendance. L'Angleterre penchait vers cette dornière forme quand elle fut conquise par les Normands (A view of society in Europe, Edimbourg, 1778). 18. An inquirg into the principles of political economy ... (Londres, t. 1, 1767). 19. An inquirg into the nature and causes of the wealth of nations (Londres, 4 vol., éd. de 1835-1839, le t. III surtout).

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royaume ou d'une principauté, soit un système politique et social. Copié - feodality, feudalism, feudalismus, feudalismo - ou traduit - lehn.,wesen, - il est devenu d'un emploi courant dans les divers pays européens 10 • De la Renaissance au XVIII" siècle, les savants avaient accompli une œuvre de pionniers. Après eux, historiens et juristes ont développé l'étude scientifique de la féodalité. A travers de nombreux combats d'écoles que divisaient la question des origines, l'importance respective attribuée aux liens personnels et au fief, ou la place du régime dans les Etats, ils ont pénétré dans sa structure et sa complexité. Tâche énorme, ponctuée de glorieux travaux. Ainsi en France, de Guizot à Michelet, Fustel de Coulanges et Guilhiermoz 11 ; en Allemagne, de Savigny à Roth, W aitz et Brunner ; en Angleterre, de Hallam à Stubbs, Round et Maitland u. Ce 20. En Angleterre, l'un des premiers emplois de feodalitg est dd à En. BURKE, Reflections on the Revolution in France (Londres, 1790). Sous l'influence de l'école d'Oxford, feudalism - employé concurremment avec feudal system - lui a été ordinairement préféré. En Allemagne, lehnswesen l'a souvent emporté sur feudalismus qui, sous la plume de certains auteurs - G. von Below, par exemple - s'entend non seulement des liens vassaliques et féodaux, mais des immunités. 21. Les leçons faites par Gu1zoT en Sorbonne de 1828 à 1830 méritent, en raison de leur date, une mention particulière (Histoire de la civilisation en Europe ... , Paris, éd. de 1863 ; Ilistoire de la civilisation en France ..., Paris, éd. de 1864). 22. Tandis qu'en Allemagne des érudits étaient hantés par les origines et exagéraient le caractère germanique des institutions féodales européennes, en Angleterre de nombreux chercheurs, qui vivaient dans l'atmosphère des grands débats parlementaires, se laissaient envodter par l'histoire constitutionnelle, que l'école d'Oxford patronnait, et par des conceptions opposant de façon trop absolue la féodalité à la monarchie - tendance déjà sensible à la fin du XVIII• siècle. - Ils voyaient dans la première une atteinte à l'unité nationale et une cause d'affaiblissement de la royauté depuis les Plantagenets jusqu'aux Tudors (par exemple E. A. FREEMAN, The history of the Norman conquest of England, Oxford, 1867-1879, t. V ; W. STUBBS, The constitutional history of England, Oxford, 1875, t. 1 ; J. R. GREEN, The conquest of England, Londres, 1883). J. H. RovND a r~11gi contre cette doctrine en démontrant que monarchie et féodalité, loin de s'opposer, furent associées et que le roi parvint à gouverner en s'appuyant sur les vassaux (Feudal England, Londres, 1895). De son côté, F. W. MAITLAND est revenu sur les caractères essentiels des liens rlc dépendance. IJ n envisagé les problèmes posés

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sont eux qui nous ont transmis le flambeau, l'âge actuel étant celui des larges synthèses alternant avec les monographies régionales, qui soulignent les nuances comme les disparités, et se rapprochent des hommes 13 • Depuis la seconde moitié du XVIIP siècle, cette vogue a entraîné un divorce grandissant, surtout en France, entre les ouvrages d'érudition sur la féodalité, les thèses des doctrinaires et l'emploi populaire du terme. B. LA FÉODALITÉ MARXISTE

Pour Montesquieu et pour Voltaire, rappelons-le, « féodalité > signifiait une période de l'histoire caractérisée surtout par le fractionnement des pouvoirs publics. Phase plus que millénaire de l'évolution humaine, ce même régime l'est aussi pour Marx et ses disciples, qui ont vu en lui beaucoup moins une méthode de gouvernement qu'un type d'organisation économique et sociale placé entre la fin de l'Empire romain et les « révolutions bourgeoises > des XVI• et XVII' siècles. Le type a succédé, affirment-ils, au système par la « féodalité > : terme écrasé « par la tâche impossible de représenter une très grande partie de l'histoire du monde > dans l'étendue comme dans le temps. Aussi a-t-il suggéré l'expression c système féodo-vassalique >, parfois reprise de nos jours (voir en particulier The constiiutional history of England, Cambridge, 1908 ; Domesday Book and beyond, Cambridge, 1897 ; et, en collaboration avec POLLOCK, The history of English law before the time of Edward 1, Cambridge, 1898, t. 1, livre 1, ch. n ; livre Il, ch. 1). A côté de ces chefs de file, d'autres historiens anglais ont apporté leur pierre à la connaissance des subordinations privées : par exemple FR. PALGRAVE, qui est remonté non seulement aux origines celtiques et germaniques des liens personnels, mais aux antécédents romains du bénéfice (Collected historical works of Sir Francis Palgrave, Cambridge, 1919-1922, t. 1 et VI) ; puis FR. SEEBOHI\I (The English village community, Cambridge, éd. de 1926), et P. V1NOGRADOFF (Villainage in England ..., Oxford, 1892), qui ont appliqué le terme « féodal > aux dépendances paysannes ; enfin, les collaborateurs des diverses éditions de l'Encyclopédie britannique. 23. A MARC BLOCH revient l'honneur d'avoir consacré aux liens de dépendance une œuvre si vaste et si riche qu'elle demeure inégalée (La société féodale, Paris, 2• éd., 1949, 2 vol., coll. L'Evolution de l'humanité, nos 34 et 34 bis).

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esclavagiste sur lequel reposaient les sociétés antiques, ainsi qu'à la structure patriarcale et communautaire des peuples barbares. Il a marqué un progrès dans le développement des forces productives et s'est prolongé jusqu'à la naissance du capitalisme moderne, qui a contribué à sa désintégration. La plupart des peuples ont passé par cette phase, qui a pris chez eux divers aspects en relation avec les circonstances de leur développement historique. Thèse puissante ! Elle se rattache à la doctrine présentant la structure économique comme la base principale de la hiérarchie des classes, et le mode de production comme c le moment déterminant > qui conditionne en dernière analyse les divers processus de la vie sociale, politique et spirituelle". La féodalité marxiste, à vrai dire, n'est pas entièrement celle de l'histoire. Marx, Engels et leur école remontent trop haut dans le temps, et descendent aussi trop bas. Ils réduisent à une « superstructure > d'intérêt secondaire la vassalité, le fief et le démembrement de l'autorité publique. « Féodalité >, chez eux, signifie l'appropriation par les seigneurs non seulement des terres mais des masses rurales dépendantes et d'une partie de leur travail sous une triple forme : corvées, redevances en nature, taxes en argent. Plus que le régime lui-même, ils mettent en valeur ses assises matérielles 11• D'où l'extension du terme à des époques et à 24. Cf. notamment Le Capital (traduction J. MOLITOR, Paris, 19241932). 25. Cf. par exemple M. DoBB, Studies in the development of capitalism (Londres, 3 éd., 1947), ainsi que les remarques pRsentées, à propos de ce livre, par P. M. SWEEZY, c The transition from feudalism to capltalism > (Science and Society, 1950, p. 134-157) ; H. K. TAKAHASHI, c The transition from feudalism to capitalism : a contribution to the Sweezy-Dobb controversy > (Science and Society, 1952, p. 313-346) ; G. LEFEBVRE, c Une discussion historique : du féodalisme au capitalisme > (La Pensée, n° 65, janvier-février 1956). - Voir également R. H. HILTON, Y eut-il une crise générale de la féodalité ? (Annales, E.S.C., 1951, p. 23-30) ; CH. PARAIN, c De la société antique à la société féodale > (La Pensée, n° 66, mars-avril 1956}. Consulter enfin Manuel d'économie politique, Paris, Editions sociales, 1955 (Académie des Sciences de l'lT.R.S.S., Institut d'Economie} ; et Recherches internationales. A la lumière du manisme. Le féodalisme, Paris, 1963 (éd. de la Nouvelle Critique, n° 37, p. 203-214, par Cl. CAHEN).

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des pays qui ont connu seulement les subordinations paysannes. Bien que les disciples du maître n'aient pas tenu compte autant que lui-même de tous les facteurs de la vie historique, la doctrine marxiste a grandement servi l'intelligence du passé. Pourquoi faut-il qu'à la recherche d'une étiquette à effet, collée sur un immense assemblage, elle ait prolongé les sonorités « féodales > jusqu'au fond des campagnes et jusqu'aux modes de production agricole 11 ?

Il. -

LES ABUS DE LANGAGE

« Les chefs enseignent à détester et à rejeter toute féodalité 1'. > On n'en finirait pas d'énumérer les dissertations qui ont brodé sur ce thème des dessins imaginaires, et les pamphlets des théoriciens politiques dominés par les préoccupations de leur temps. La plupart ont fait de la f éodalité leur point de mire et rassemblé sous cette métaphore à tous usages leurs rancœurs ou leurs craintes 11• 26. Ch. PARAIN ne partage pas notre opinion (La Pens,e, mars 1961) c Il est possible que l'emploi du mot féodal pour désigner un mode de production ne soit pas excellent ; mais c'est un legs de l'histoire, un legs de la bourgeoisie ascendante dans sa lutte contre un régime qu'elle avait la légitime ambition de remplacer... Il n'y a pas nécessité de remettre en cause une dénomination qui caractérise la forme tgpique d'un mode de production qui, avec toutes sortes de variantes, a connu des débauches, des inachèvements, enfin des formes de décomposition. Tout comme le capitalisme. > Sur l'abus du terme féodal en histoire comparée, ci-dessous, p. 237 et suiv. 27. ED BuRKE, Reflections on the Revolution in France (Londres, 1790). 28. Au XIX• siècle, pourtant, des juristes ont eu conscience des distinctions qui s'imposaient. Des insurrections paysannes ayant éclaté en Bade au début de mars 1848, le gouvernement du pays entreprit d'abolir les droits seigneuriaux appelés communément Feudalrechte (droits féodaux), ou Feudallasten (charges féodales). Le projet de loi présenté à cet effet usait de ces termes. Au cours de sa discussion devant le Landtag, des orateurs se plaignirent de leur imprécision et un député, professeur à l'Université de Heidelberg, demanda que l'on

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Faut-il citer Proud'hon, pour lequel la monarchie absolue était une féodalité 111 ? Ou le Manifeste du Parti communiste qui, en 1848, condamna non seulement c l'absolutisme féodal >, compris comme l'exploitation des petits par les grands, mais le c socialisme féodal >, c'est-à-dire le rapprochement tenté auprès de la classe ouvrière par la noblesse légitimiste en lutte contre la monarchie bourgeoise de LouisPhilippe 30 ? Ce socialisme, le Manifeste l'exécute sans pitié : c Mélange de jérémiades et de pasquinades, de réminiscences du passé et de vagissements de l'avenir ... En guise de drapeau, ces messieurs arboraient la besace du mendiant afin d'attirer à eux le peuple. Mais dès que le peuple accourut, il aperçut les vieux blasons féodaux dont s'ornait leur derrière, et il se dispersa avec de grands éclats de rire irrévérencieux. > Toutefois, en abusant du mot féodal, les hommes de 1830 et de 1848 n'innovaient pas complètement. Ils restaient sur le terrain brûlant où la Révolution de 1789 l'avait placé. Qu'on se rappelle les décrets de l'Assemblée Constituante, celui du 11 août 1789 par exemple, qui avait aboli c entièrement le régime féodal >. Qu'on se reporte aux orateurs de la Convention ou à ceux des municipalités, qui faisaient monter dans la même charrette les trois cauchemars du temps : les réseaux de dépendances, le fanatisme, le style des cathédrales. Témoin la fière proclamation de la municipalité de Strasbourg, 12 Frimaire, an II : c Le corps municipal, pour faire disparaître les traces de féodalité et de superstition que présentent encore les inscriptions de plusieurs rues et places de cette commune, a cru devoir faire changer les noms qui, par leur dénomination gothique, rappellent le souvenir de l'Ancien Régime et blessent l'œil déflntt exactement les droits qui seraient supprimés. La loi promulguée le 17 avril 1848 ne contenait plus le mot Feudalrechte. Elle énumérait les charges abolies sans les placer expressément sous une qualification d'ordre général. 29. Ed. BouoLÉ et MoYSsET, t. IV, La Révolution sociale, Paris, 1936, et t. XIII, Paris, 1938 (surtout Je 2• Mémoire : Lettre à M. Blanqui sur la propriété). 30. Manifeste ..., Paris, éd. de 1951 (traduction CH. ANDLBR).

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du républicain 31 • > Qu'on se souvienne encore du décret du 19 mai 1802, qui créa la Légion d'honneur. Bonaparte ne la considérait pas seulement comme une récompense. Il assignait des tâches aux décorés. c Chaque individu ... jurera sur son honneur ... de combattre, par tous les moyens que la justice, la raison et les lois autorisent, toute entreprise tendant à rétablir le régime féodal, à reproduire les titres et qualités qui en étaient l'attribut. > Bonaparte songeait-il aux institutions fondées sur les réseaux vassaliques et sur les fiefs ? Bien peu, sans doute, car elles n'étaient plus une menace. Comme la Constituante, il pensait à la noblesse d' Ancien Régime et, derrière elle, à la seigneurie rurale, à l'organisation plus que millénaire qui permettait aux gros possesseurs fonciers d'exiger de leurs tenanciers des redevances et des corvées, de leur réclamer, le cas échéant, des taxes de mainmorte, de s'arroger des monopoles tels que la chasse, enfin de maintenir diverses prérogatives honorifiques : droits encore vigoureux à la veille de la Révolution, alors que la féodalité était de longue date c un système de société mis à la retraite, décrépit avec l'âge et qui avait reçu l'extrême-onction 31 >. A leur tour, les gens de 1789 étaient, dans leur langage, des héritiers. Car, en France comme en Angleterre, la confusion à laquelle ils donnèrent pareil éclat remontait non seulement à Montesquieu et à Adam Smith, mais à des jurisconsultes, des commentateurs de coutumes et des notaires des XVI", XVII' et XVIIIe siècles qui, par ignorance ou dans un esprit de simplification, avaient mêlé vassaux et tenanciers, fiefs et censives, droits féodaux et droits seigneuriaux 33 • Quand les institutions déclinent ou 31. Cité par .iJH. DoLLINGER, dans Visages de l'Alsace (Paris, 1948, p. 67). 32. TH. CARLYLE, The French Revolution (Londres, 1885, Works, 1, 114). Ajoutons qu'en Italie l'expression c régime féodal > a été consacrée officiellement par une assemblée révolutionnaire : celle de la République cispadane (FASOLI, lntroduzione, ... ouvr. cité dans Comp1'm. bibliogr., p. 442). 33. Cette même confusion se retrouvait au l\f oyen Age en des régions incomplètement féodalisées (ci-dessous, p. 212, n. 26).

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s'évanouissent, le sens des mots s'altère. A tous ces hommes revient la paternité involontaire des doctrines qui ont chargé la féodalité des rigueurs imposées par le régime seigneurial : doctrines reprises depuis lors, au prix de nouveaux travestissements, par une foule de censeurs. Là est le cœur du problème, là aussi son explication .

••• Ces déviations rendent indulgent envers les excès de langage qui font fleurir, aujourd'hui plus que jamais, la féodalité en des lieux inattendus : langage savant, enclin à définir par ce mot tout affaissement de l'autorité publique"; langage populaire plus encore. Au sein des Parlements, les rivalités entre groupes politiques ralentissent le rythme de la vie nationale- et entravent le fonctionnement des institutions. Pour fustiger cette paralysie des pouvoirs, un terme familier est appelé à la rescousse : « Il faut à la France un Etat fort et un peuple rassemblé. II faut un gouvernement qui soit au-dessus de la féodalité des partis 35 • > Restons sur le terrain de la vie publique. Les hommes de droite s'en prennent à « la féodalité des syndicats >. Convenons cependant que les hommes de gauche ont la partie plus belle. Qui ne connaît la féodalité des deux cents familles ? Ou celle des banques, comme celle des trusts d'où émergent « les barons de la mine 38 > ? Celle aussi des « gros propriétaires campagnards > contre laquelle s'élevait déjà, en 1783, un agent municipal de Valenciennes:", et qui revient maintenant sous les feux de la rampe, accompagnée des commissionnaires en bestiaux, « vrais seigneurs de 34. Ci-dessous, livre Il, ch. I et u. 35. Général DE GAULLE, dans un discours du 12 décembre 1950. L'expression fut reprise dans un Ma nifeste du Rassemblement du peuple français, lancé à la veille des élections du 17 juin 1951 : c Il faut enfin libérer la République de la féodalité des partis. > 36. BENOIT FRACHON, La bataille de la production, Paris, Editions sociales, 1946, p. 225. 37. G. LEFEBVRE, Les pa11sans du Nord, p. 309 (1924).

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la viande 11 >, et d' « une cinquième colonne, l'alcool >, conduite par c la nouvelle féodalité des bouilleurs de cru 38 >. En définitive, la France c est saignée à blanc par toutes ses féodalités, petites et grandes, organisées ou inorganiques > : la sidérurgie, les betteraviers, les débits de boisson dont les privilèges « suffisent à empoisonner subtilement la santé morale et physique de millions de Français 40 >. A coup sûr, les puissances économiques ont dans les Assemblées et les gouvernements des hommes à leur service, qui font pression sur l'Etat et interviennent dans les affai-· res intérieures, comme dans la politique internationale. Si bien qu'une vieille formule nous est remise en mémoire : c Le capital est devenu une féodalité 41 • > Le terme signifie en l'occurrence régime de classe, association de la fortune et du pouvoir, effacement de l'intérêt général devant des intérêts privés en lutte contre le bien commun et respon~ables de c la maladie politique de la France 42 >. Ces caractè:res, la société féodale les a effectivement connus. L'analogie entre les forces économiques et les dépendances médiévales n'en demeure pas moins superficielle. A certains égards, elle est hautement comique, car le régime f éodal est né dans un milieu étranger à l'argent et à l'industrie. Disons mieux : il doit pour une grande part son développement à l'absence de ce,s formes de richesse et de travail. Fragmentation de l'autorité, troubles intérieurs, déchaînement des intérêts privés expliquent aussi l'application 88. Le Monde, 2 mai 1952 (« Banquets >) ; 22 septembre 1951 (« Les nouveaux féodaux >). 39. A. MONNIER, « La cinquième Colonne > (dans Questions de notre temps. Le Christianisme social, Paris, 1951). 40. Bulletin mensuel du comte DE PARIS, 25 juillet 1951. - Dans un autre domaine, les études médicales, voir Le Monde, 16 novembre 1966 (Médecine : De l'état féodal au pluralisme éclairé). 41. Oxford English Dictionary, IV, 127 c. 42. Et aussi de ses difficultés extérieures : c Une certaine féodalité financière et industrielle, par esprit de classe et par esprit de lucre, a dans notre démocratie conduit Je jeu défaitiste > (L'Ordre, 4 octobre 1988, à propos des accords de Munich).

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forcenée du mot féodal à la structure sociale des territoires d'outre-mer, anciens ou actuels '3. Ramené à des réalités contemporaines, il signifie action brutale et force oppressive. Des nids de coquins s'abritent sous ses ailes. Comme le terme gothique avant la réhabilitation romantique, il n'est évoqué que dans un sens péjoratif.



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On objectera que les questions de mot ont peu d'importance et que nous luttons contre des moulins à vent. Nous n'en croyons rien. Si les formules qu'on vient de rappeler relèvent de la petite histoire, plus graves sont les déviations patronnées par des chercheurs ou des doctrinaires qui les renforcent de leur autorité. Placer en effet sous la même étiquette non seulement tous les liens de dépendance mais des sociétés et des institutions qui n'ont rien de commun avec la féodalité, c'est s'abandonner à la routine et encombrer une science de scories ; c'est voiler sous la confusion des termes l'incompréhension des choses. Têtu, nous maintenons que sans contrat vas salique, sans fief, sans organisation sociale et politique fondée sur des liens privés d'une nature particulière, il n'y a pas de régime féodal. Il faut l'arracher au prétentieux langage qui l'enveloppe comme une gangue et, après l'avoir replacé dans son milieu, le regarder avec les yeux de ses contemporains". 43. Les rapports présentés aux congrès des partis politiques, les discours, la littérature journalistique en fournissent des exemples presque quotidiens. Ainsi ont défilé successivement c les éléments féodaux, réactionnaires et fascisants de la Syrie et du Liban > (Rapport pour le dixième Congrès du Parti communiste français, Pa· ris, 1945, p. 53), c la structure féodale pourrissante > du Maroc, c le féodalisme, maladie infantile du Viet-Nam >, c la lutte entre la démocratie française et la féodalité algérienne >, expression du c drame entre la métropole affaiblie et des féodaux insatiables >, c'est-à-dire les riches colons, les marchands de vin et les compagnies pétrolières (par exemple, Le Monde, 16 mai 1958 ; L'Express, 5 juin et 24 juillet 1958). D'autres pays ne sont pas mieux traités : tels le Japon (FR. BARRET, Une féodalité industrielle. Le Japon, Paris, éd. du Chêne, 1945) ; telle aussi l'Egypte du roi Farouk, puis celle du Colonel. 44. Même remarque pour la seigneurie, qui a donné lieu à des débats brièvement rappelés Livre 1, chap. III.

LIVRE I

LES LIENS DE SUBORDINATION DANS L'EUROPE DES FRANCS

CHAPITRE PREMIER

COMMERCE ET CIRCULATION MONÉTAIRE 1

1. -

LENDEJIAINS D'INVASIONS I

Nos réseaux de dépendance ont pris forme dans les régions où les peuples latins et germaniques s'étaient partiellement confondus pendant le haut Moyen Age : Europe occidentale plutôt que méditerranéenne, continentale plutôt que maritime ou insulaire, Europe des plaines plus que des hauts lieux, Europe chrétienne, enfin, mais où les enseignements du Christ peinèrent à extirper des croyances païennes profondément enracinées. Ils ont pénétré dans un milieu secoué, depuis le III• siècle, par des crises où l'on a vu tantôt le commencement de la fin, tantôt une métamorphose qui aurait pu conduire au renouveau. Milieu fort différent selon qu'on regarde vers l'est ou vers l'ouest du monde romain. Evitons pourtant de réserver toutes les lumières à l'Orient, toutes les ombres à la façade opposée de l'Empire. Longtemps, leur évolution a offert des points communs. Tendus vers la centralisation et l'absolutisme, les gouvernements ont cherché, de part et d'autre, à emprisonner dans des cadres rigides, artificiels, une société dont ils espéraient le soutien financier et militaire, mais qui, par tous moyens, s'employait à esqui1. Bibliogr., n°• 19-76, et Compléments (p. 422-425). 2. L. MussBT, Les invasions (Complém. bibliogr., p. 428).

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ver ses charges. Ecrasés par les taxes et le service de guerre, de petits propriétaires sollicitent le patronage des grands 1 • L'Etat voit fondre la matière imposable et peine à rassembler assez de mercenaires pour défendre ses frontières, en même temps qu'à enrayer la recrudescence des particularismes provinciaux. Dans l'ensemble, cependant, les contrées orientales ont surmonté les difficultés les plus graves. Les pressions extérieures, dues principalement aux Sassânides, n'étaient pas si fortes qu'on ne pût les contenir. En outre, les pays du Bosphore et de l'Asie romaine disposaient de grandes ressources économiques et d'une monnaie excellente qui, suivant l'orgueilleuse déclaration d'un contemporain de Justinien, était « reçue partout d'un bout à l'autre de la terre, admirée par tous les hommes et dans tous les royaumes parce qu'aucun royaume n'a de monnaie qui puisse lui être comparée• >. Ils avaient des villes actives, animées par de riches bourgeoisies, et bénéficiaient d'une haute civilisation intellectuelle et artistique. Exploitant ces facteurs favorables, un gouvernement efficace s'employait à demeurer le maître de l'Etat comme de l'Eglise, et à se défendre contre les pouvoirs privés. De pareils éléments ont fait progressivement défaut à l'Occident, atteint dans ses moyens de production et ses échanges à longue distance, diminué dans ses villes, jadis choyées par le régime et maintenant désertées par les grands pour leurs domaines campagnards, touché dans ses classes moyennes et inquiété par la montée des périls extérieurs. En même temps qu'il sanctionnait un état de fait, le partage de 395 a creusé les contrastes entre les deux sections du monde romain et, véritable symbole, consacré l'effacement de Rome, bientôt déchue en Italie même, devant Constantinople. Sur la carte, comme dans les œuvres des écrivains latins, l'Occident a fière allure encore au début du v· siècle. Mais il est éprouvé dans son organisation politique, son économie, sa démographie à l'heure même où la

3. Documents, n 08 4 et 5 (p. 335-337). 4. Cf. R. S. LoPEZ, art. cités ci-dessous, p. 37, n. 11.

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menace barbare se précise autour de ce grand corps affaibli qu'eJle allait bientôt réduire à sa merci.

••• Conduites par d'authentiques Germains, que refoulaient des peuples semi-nomades et des cavaliers de la steppe asiatique attirés vers des cieux plus cléments par le goût de l'aventure et du pillage, comme par la faim ou par la peur, les invasions ont pris alternativement le caractère d'une infiltration et la forme d'avalanches qui, à l'échelle de l'époque, provoquèrent de prodigieux déplacements de peuples. Puis un choc en retour se produisit au VI• siècle. Appuyés sur la Gaule, les Francs conquirent le sud et le centre de la Germanie, cependant que la reprise par Justinien de l'Afrique du Nord, de l'Espagne méridionale et de l'Italie ne laissait plus aux royaumes barbares, avant l'arrivée des Lombards, que des brèches sur la Méditerranée. Aux invasions des hommes du Nord, peuples d'agriculteurs ou de bergers qui recherchaient surtout des terres et qui conservèrent une âme de paysan, succèdent les ruées des fidèles de l'Islam : hommes des villes, des oasis et des caravanes, familiarisés avec toutes les formes du négoce, comme avec la monnaie et le troc. Il surgissent d'Arabie à partir de 633. Et, durant les cent années suivantes, ils conquièrent et convertissent à leur foi des pays qui deviennent pour eux des relais, des réserves d'hommes, des bases d'où ils préparent un nouvel élan. Divisé en plusieurs branches, le flot musulman recouvre en effet les rivages de la Méditerranée orientale, puis l'Asie centrale en même temps que l'Afrique du Nord. II pousse jusqu'au nord de la péninsule ibérique, pénètre dans le Roussillon et le BasLanguedoc, mais se brise en 718 aux approches de Constantinople, et en 732 près de Poitiers. Après avoir marqué un temps d'arrêt, la conquête progresse, depuis le milieu du IX• siècle, en Italie du Sud comme en Provence et, se faisant plus exclusivement maritime, achève de gagner la

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plupart des tles méditerranéennes Crète, Baléares, Malte, Sicile. - Ces invasions ont ruiné de vieux empires asiatiques, contraint Byzance à un énorme recul et semé en Europe un trouble immense : pirateries et razzias, surtout en Tyrrhénienne, pertes humaines et destructions de biens, transferts de peuples. Une partie des régions méditerranéennes est désormais reliée à l'Islam par les croyances et les intérêts matériels. Elle participe au commerce à longue distance et frappe monnaie au nom de calife. Toutefois, si les Musulmans se sont accrochés de façon durable à l'Espagne et- à l'Italie méridionale, ainsi qu'à des archipels et des îles, franges extrêmes de l'Europe, ils ont marqué d'une empreinte peu profonde l'intérieur de notre continent et ignoré les pays anglo-saxons .

• ** Par contrecoup, le monde romano-germanique se délimite et s'individualise en attendant d'être organisé, au IX' siècle, en un nouvel Empire. En contact avec les Slaves à l'Est et les Musulmans au Sud, protégé par Byzance contre de nouvelles ruées asiatiques, mais ouvert aux invasions sarrasines, hongroises et scandinaves, recevant des pays anglosaxons, qui vivaient hors de sa sphère politique mais pratiquaient la même religion, des hommes, des idées, des produits, l'Etat carolingien a rassemblé pour une courte période la majeure partie de l'Occident. Parfois représentée comme une coupure dans l'évolution humaine la période qui s'étend du IV' au VIII' siècle fut en réalité une fin de monde et une genèse. La formation des réseaux de dépendance en témoigne à sa manière. On leur trouve sans peine des antécédents au sein du Bas-Empire et de la Germanie des premiers âges, de même qu'on peut pourchasser sans difficulté les survivances romaines dans l'Europe barbare. Enrichie de caractères nouveaux, la fusion de ces éléments a donné leur sens et leur réalité aux institutions que nous appelons seigneurie et vassalité. Elles sont le fruit du brassage des peuples, des fortunes,

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des mentalités, qui mêla des hommes inégalement évolués et façonna des sociétés ayant une conception originale du pouvoir, des rapports privés, de l'exploitation des richesses. Faits politiques, impératifs économiques, modes de pensée ont ainsi concouru à la formation des liens privés. Comme ils furent sans doute les plus astreignants, nous mettrons d'abord en relief les éléments matériels qu, leur ménagèrent un terrain propice : d'un côté le ralentissement des échanges et de la circulation monétaire, cause de déclin pour les sociétés urbaines et les Etats eux-mêmes ; par contraste, la prédominance de l'économie agricole et de la richesse foncière, donc des civilisations rurales et des aristocraties locales.

Il. -

ÉCHANGES ET MONNAIES A. BATAILLES D'HISTORIENS s

Pour devenir intelligibles, les échanges doivent être placés à l'échelle du monde. Par malheur, le sujet est plein d'ombres. D'une part, les sources byzantines et musulmanes n'ont guère été exploitées. De l'autre, la documentation occidentale, qui a donné lieu à des investigations très poussées, peut faire illusion lorsqu'on mobilise en bloc ses données, sans distinction de pays ni d'époques. Elle apparaît au contraire fort pauvre, parfois misérable, si l'on décompose les régions et les périodes. Dans l'économie du haut Moyen Age, le secteur commercial fait triste figure. Il eut chez nous peu d'activité, donc peu de témoins ; en outre, les textes consignant ses opérations n'ont pas été conservés avec le même soin que les actes fonciers. Combien d'effondrements ou de renouveaux sont d'abord ceux de la documentation ! Triturés, malaxés, objets de scrupuleuses études d'érudition ou champs d'essai pour de brillantes hypothèses, les témoignages ont fait l'objet d'interpré5. Bibliogr., n 09 19-30 (p. 419) ; n°• 58-59 (p. 421).

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talions différentes, ou opposées•. Qu'il s'agisse de tracer la courbe de l'évolution, d'en saisir les données, ou d'assigner des causes à ses variations, chaque école, parfois chaque savant ont leur vérité. Voici Henri Pirenne et ses fidèles, dont les thèses ont illustré un débat qui, commencé bien avant eux, se perpétue âprement. Les Barbares, affirme l'historien belge, ont détruit l'unité politique du monde romain, mais conservé ses institutions, sa culture et surtout sa vie de relations, axée sur la Méditerranée, voie des échanges entre l'Orient industriel et l'Occident agricole. Le monde antique continue. Vient la poussée de l'Islam. A partir du VIII• siècle, c'en est fini de la mer familière autour de laquelle, selon Platon, les hommes se pressaient « comme des fourmis ou des grenouilles autour d'un étang >. Deux mondes hostiles se dressent sur ses bords. A la croix s'oppose le croissant. Et les chrétiens, suivant un chroniqueur arabe, « ne peuvent plus faire flotter une planche sur la mer>. Certes, l'Empire byzantin dispose d'une flotte assez puissante pour tenir une partie de ses rivages à l'abri des conquêtes musulmanes et conserver des relations avec l'Orient. Mais il n'est pas en mesure de maintenir ses communications maritimes avec la Méditerranée occidentale, infestée par la piraterie et comme isolée du monde. Ici, les ports s'étiolent au bord d'une mer interdite. L'Orient leur est fermé et avec lui les sources vives de leur commerce maritime, réduit à 6. Souvent, de fragiles indices ou même un menu détail servent à étayer une thèse. Un tiers de sou mérovingien, de même type que la monnaie de Rodez, ayant été trouvé à Rivery, près d'Amiens, un excellent érudit en déduit l'existence de relations entre cette ville et le Midi (VERCAUTEREN, Etude sur les civitates de la Belgique seconde, p. 301). - En 820, huit bateaux de commerce sont détruits par les Sarrasins, entre la Sardaigne et l'Italie. Qu'en conclure? c On ne passe plus, disent les uns. La Méditerranée occidentale est fermée aux échanges. > - c Bien au contraire, rétorquent les autres. Le trafic se maintient, et le témoignage en cause le prouve. Car si des navires sont coulés, combien d'autres parviennent à destination l > (SCHAUBB, Handelsgeschichte der romanischen Volker, Munich, 1906, p. 49 ; Dot>scH, Die Wirtschaftsentwicklung der Karolingerzeit, Weimar, 1913, II, p. 201.)

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un insignifiant cabotage, à quelques coups heureux grAce auxquels des bateaux passent à travers les mailles du filet et secouent la somnolence des ports provençaux et languedociens. Entre ceux-ci et le continent, le contact se perd également, car ils n'ont plus rien à vendre. c L'Occident est embouteillé. > Par contrecoup, la plupart des marchands professionnels disparaissent - à l'exception des Juifs et des Frisons - ; les échanges intérieurs s'opèrent au ralenti, la monnaie d'or se raréfie puis cesse d'avoir cours, la vie urbaine est paralysée; enfin, les Etats se transforment au sein d'un monde dont le centre de gravité se déplace du sud au nord et qui se germanise, tandis que l'Empire byzantin puise aux sources de la civilisation grecque. Ils voient leurs moyens d'action diminuer et leurs horizons se rétrécir. Charlemagne a tenté de réorganiser ce monde nouveau, de lui conférer une certaine unité en tenant compte de l'évolution accomplie et en consacrant « la rupture de l'Occident et de l'Orient >. Fondé par des hommes originaires de la Moselle et de la Meuse, l'Empire carolingien offre un puissant contraste avec l'Empire romain et les royaumes barbares. En dehors de ses rives septentrionales, qui s'animent sous l'impulsion des navigateurs frisons et se créent des richesses, c'est un Empire terrien, vivant en économie fermée, produisant et consommant en vase clos dans le cadre du grand domaine. Par là, Mahomet a préparé Charlemagne. En expulsant les Musulmans d'une partie de la Méditerranée et en rétablissant les échanges entre ses rivages, ]'offensive chrétienne des XI' et XII' siècles créera des conditions propices à la reprise du grand commerce et au renouveau des centres urbains 7 • 7. Cf. notamment Mahomet et Charlemagne (Paris et Bmxelles, 1937}. La doctrine s'écarte des thèses de Heyd, d'lnama Sternegg et d'Ebersolt qui, sans concorder exactement entre elles, soutiennent que le commerce méditerranéen ne subit pas d'interruption au IX• siècle. Elle s'accorde avec celle de Donsch sur la continuité entre l' Antiquité et les premiers siècles du Moyen Age, mais s'oppose à elle dans l'interprétation des échanges à longue distance durant l'é11oque carolingienne. Pour Dopsch, en effet, le IX• siècle fut une période de redressement commercial (Naturalwirtschaft und Geldwirtschaft in der Weltgeschichte, Vienne, 1930, p. 123-130).

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••• Servies par un style coloré, évocateur, et par des formules admirables, ces vues synthétiques ont exercé une séduction qui, chez certains, dure encore 8 • Pirenne a envisagé avec un souriant optimisme le mouvement commercial avant le VIII' siècle, puis perdu toute confiance, sous le coup des invasions musulmanes, en abordant l'ère carolingienne. Il a ouvert trop largement la Méditerranée du premier âge médiéval, puis l'a trop fermée après les conquêtes arabes. Dans le monde d'alors, tel qu'il le conçoit, presque tout s'ordonne et s'emboîte en fonction de thèmes économiques où la question des échanges tient une place abusive. Très vite, la réaction est venue : sort commun à de nombreuses thèses historiques. Elles brillent à leur apparition d'un vif éclat, qui se ternit rapidement. Mais elles suscitent la recherche et servent ainsi, même dans leurs erreurs, la connaissance du passé. Prenant comme champ d'observation l'Europe, ou une région, des auteurs ont prouvé que le trafic entre l'est et l'ouest de la Méditerranée avait continué après le VIII' siècle. Ils ont grignoté ou emporté les premières positions du système, fait céder des points d'appui tout en respectant certains môles, démontré que la thèse était trop générale, trop simpliste 9 • D'autres ont confirmé diverses obser8. On en retrouve l'écho notamment dans SALIN, La cir,ilisation mérovingienne, t. 1 (Bibliogr., n° 111). 9. Par exemple BRATIANU, Une nouvelle histoire de l'Europe ; BLOCH, Le problème de l'or au Moyen Age ; In., Esquisse d'une hi1toire monétaire de l'Europe ; GANSHOF, Notes sur les ports de Provence ; SABBE, L'importation des tissus ()rientauœ ; DUPONT, Le, cités de la Narbonnaise première (Bibliogr., noa 20, 31, 36, 60, 66). Sur un plan où la numismatique s'allie à l'histoire, on consultera l'important travail de P. LB GENTILHOMME, Le monnayage et la circulation monétaire ... (Bibliogr., n° 42) ; puis J. LAFAURIE, c Le trésor monétaire du Puy > (Rev. numismatique, 1952, p. 59-169) ; des articles ou des notes de P. V. HILL (dans The British Numismatic Journal, XXVI-XXVII, 1949-1953) et de PH. GRIERSON (ibid., XXVII, 1953, p. 3151). Voir également les études citées dans Complément, bibliographiques, p. 424-425.

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vations - tel le déplacement vers le nord des axes de circulation. - Mais ils en ont donné des explications différentes et plus vraisemblables 10• Aujourd'hui, l'édifice menace de s'écrouler comme un château de cartes sous les assauts des anti-Pirenne qui, travaillant sinon en équipe du moins dans un esprit commun, et faisant appel à la documentation orientale, apportent à leurs recherches cet enthousiasme et cette foi qui animaient aussi l'historien belge 11 • Si l'on en croit les plus audacieux d'entre eux, l'expansion de l'Islam a entraîné non pas la régression économique de l'Occident, mais sa renaissance 11• Le monde musulman n'a pas été une barrière, mais c un centre de rayonnement, de dispersion des influences >, comme le furent jadis les mondes hellénistique et romain. Etalé, en ses plus beaux jours, de l'Inde à l'Espagne et à la Sicile, du centre de l'Asie au centre de l'Afrique, il a soudé la Méditerranée à l'océan Indien et fait d'elle un tronçon de la route unissant !'Extrême-Orient à !'Extrême-Occident. En même temps, il donnait vie plus au nord aux routes, également tracées par Byzance et fréquentées par ses marchands, qui conduisaient de l'Iran à la Caspienne, puis, par les fleuves russes et la Baltique, aux pays scandinaves et anglo-saxons. Son or lui a fourni l'instrument de sa puissance économique. Car les Arabes ont conquis de grandes régions aurifères, le Soudan par exemple, et re1uis en circulation l'or thésaurisé durant des siècles dans les palais persans, les monastères grecs, les églises d'Egypte et de Syrie, les tombeaux des pharaons. D'autre part, les exportations dans 10. Ainsi L. GÉNICOT, Aux origines de la civilisation occidentale (Bibliogr., n° 9). 11. Bibliogr., n°• 19-30 (p. 419). Y ajouter R. S. LOPEZ, c The dollar of the Middle Ages > (The Journal of Economie Historg, XI, n° 3, 1951, p. 209-234} ; c Harmenopoulos and the downfall of the bezant > (Universitë de Thessalonique, 1951, Recueil Harmenopoulos, p. 111-125). 12. Nous songeons principalement aux recherches de M. LoMBARD sur la Méditerranée musulmane du VII• au XI• siècle. L'auteur a pris position dans plusieurs articles (Bibliogr., nos 27, 47, 48, 69).

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l'Empire byzantin leur ont procuré du métal précieux. Le monnayage d'or musulman se répand successivement en Syrie, en Egypte et en Afrique du Nord puis, au x· siècle, en Espagne et en Sicile. De plus en plus, le dinar arabe concurrence le nomisma byzantin, jadis triomphant, tend à le supplanter comme étalon des échanges internationaux 13• Sous l'influence d'un domaine économique relativement évolué et à l'appel des villes de l'Islam, qui ont besoin de leurs marchandises, des contrées d'Occident, telles que les pays mosans et l'Italie du Nord, s'éveillent entre le VIII• et le x· siècle, prennent ensuite leur essor commercial et urbain, sont mûres pour un accroissement démographique envisagé non plus comme une cause, mais comme une conséquence du renouveau économique. C'est grâce aux c injections d'or musulman > qu'elles ont regagné leur pouvoir d'achat, fort diminué, du IV' siècle à la fin du Vile, par l'épuisement des réserves métalliques. Si, en effet, leur balance commerciale reste déficitaire à l'égard de Byzance qui leur vend notamment des étoffes précieuses et des épices, elle est excédentaire vis-à-vis de l'Islam, acheteur d'esclaves, de bois de construction, de métaux utiles et d'armes H. Le redressement économique de l'Empire byzantin sous la dynastie macédonienne est aussi en relation avec l'élan donné aux échanges par les Musulmans. Commerce et circulation monétaire s'opèrent en circuit 111 • 13. Le dinar - de denarius, denier - a été calqué sur le sou d'or constantinien, dont le nomisma byzantin, appelé bezant en Occident, était lui-même la continuation. Celui-ci a subi, à partir du VIII• siècle, des altérations qui ont facilité par contrecoup le succès du dinar, qu'explique mieux encore l'expansion musulmane. Les fonctionnaires impériaux ont conservé cependant leur superbe : c Il n'est pas permis de frapper sur les pièces d'or une autre marque que celle de l'empereur des Romains. > 14. Ainsi s'expliquerait également - compte tenu de l'embargo sur l'or, établi par les empereurs d'Orient - la rareté des monnaies byzantines en Occident avant le XI• siècle (Italie exceptée). 15. Selon M. LoMBARD, c l'or musulman commence à affluer en Occident et à y jouer le rôle de monnaie dominant le grand commerce dans la seconde moitié du VIII• siècle > (Annales, E.S.C., 1948, p. 190). - R. S. LoPsz croit aussi qu'à la même époque c les mon-

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••• Ces théories puissantes suggèrent une vision du monde qui ne repose plus sur l'exclusive contemplation de l'Occident. Celui-ci redevient une case sur l'échiquier universel. Mais le système d'explications est seulement ébauché. Nous espérons que la démonstration sera décisive, qu'elle s'appuiera sur des données qui ne seront pas uniquement fournies par l'imagination créatrice et qu'elle ne restera naies arabes eurent une circulation abondante partout en Europe > (c Le problème des relations anglo-byzantines du VU• au x• siècle >, dans Byzantion, XVIII, 1946-1948, p. 150). Mme DoBHAERD partage la même opinion : c Les monnaies musulmanes affluent par Venise, par le Midi de la France et par l'Espagne dans le royaume franc > (c Les réformes monétaires carolingiennes >, dans Annales, E.S.C., 1952, p. 16). Même son de cloche, avec d'autres nuances, chez S. BouN, pour qui l'emprise de l'Islam sur l'Occident s'est exercée seulement du milieu du VIII~ siècle au milieu du IX•. Selon l'auteur, la mise en exploitation des mines d'argent de Transoxyane, vers 750, a entrainé un fléchissement du métal blanc par rapport à l'or. Inversement, l'ouverture des mines d'or de Nubie, vers 850, provoqua une baisse du métal jaune. Les variations de poids du denier carolingien reflètent ces changements. On a voulu lui conserver le même pouvoir d'achat à travers les fluctuations des rapports entre l'or et l'argent. Une telle soumission au trafic et au monnayage musulmans s'explique par des raisons économiques et par le fait, notamment, que la Gaule était une région de transit entre les pays d'Orient et ceux du Nord. A l'époque des invasions scandinaves, ce rôle d'intermédiaire a diminué, ou cessé. Voilà pourquoi Ruric a tracé au milieu des plaines russes une voie qui rétablit le contact entre le Nord et l'Orient (Mohammed, Charlemagne and Ruric. - Bibliogr., n° 19). Nous sommes peut-être victime d'un étrange aveuglemenL Mais une relation aussi rapide entre l'exploitation des mines métalliques d'Orient et les décisions des princes d'Occident n'est nullement prouvée, ni d'ailleurs nullement probable. Aussi bien le denier carolingien a-t-il été renforcé avant l'ouverture des mines de Transoxyane, puis affaibli, un siècle plus tard, avant l'exploitation des mines de Nubie (HIMLY, Une discussion de témoignages. Bibliogr., n° 24 ; et ci-dessous, n. 18). Ajoutons que l'afflux de l'or dans l'Europe du VIII• siècle reste à démontrer.

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point une vue de l'esprit, ajoutée à tant d'autres où s'enlisent parfois les sciences historiques. Gardons-nous d'attribuer au VIII' siècle ce qui date du XI', comme à un con. tinent ce qui vaut pour quelques régions. Gardons-nous également d'abaisser Byzance ou l'Occident de toute la hauteur donnée à l'Islam et d'oublier que les causes de leur affaissement ou de leur essor sont à rechercher non seulement dans leurs relations avec le dehors mais dans leur organisation intérieure 11 • Il importe enfin de restituer à la monnaie d'argent son véritable rôle dans les échanges internationaux et de ne pas faire à ces derniers une part trop belle dans l'économie européenne au préjudice de la production agricole. Pirenne était hanté par l'épouvantail arabe. Comment, par réaction, ne pas se laisser prendre au mirage oriental ? Comment ne pas être séduit par cet or musulman qui, s'écoulant vers l'Occident qu'il aide à revivre, puis vers Byzance, d'où il regagne ses lieux d'origine, en même temps qu'il alimente les foyers d'ExtrêmeOrient, opère un gigantesque carrousel ? Comment se défendre contre les trésors entassés dans les légendes de fées et les contes des Mille et une Nuits ? Bien entendu, les vues précédentes subissent actuellement les assauts les plus rudes. Des historiens soulignent leurs résultats positifs comme leurs faiblesses, et suggèrent un nouveau recensement des textes et des trouvailles monétaires, ainsi qu'une reprise de leur analyse 17• Cette même suggestion revient sous la plume d'érudits qui, ayant dressé le bilan des témoignages par pays et par périodes, le confrontent avec les hypothèses immenses des champions de l'Islam 11• De relais en relais, une histoire se crée sous 16. Voir, sur ce point, les judicieuses remarques de PH. WOLFF, c Justinien, Mahomet et Charlemagne > (Association pour l'histoire de la civilisation, Toulouse, 1953-1955 p. 25-30). 17. E. PERROY, c Encore Mahomet et Charlemagne > (Revue historique, t. CCXII, 1954, p. 232-238). 18. Voir notamment PH. GRtERSON, c Carolingian Europe and the Arabs : the myth of the mancus > (Revue belge de Philol. et d'Histoire, 1954, p. 1059-1074) ; Fr. J. HIMLY, c Une discussion de témoignages... > Bibliogr., n° 24. M. Grierson rappelle que, selon les défenseurs de la thèse musul-

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nos yeux. Un jour viendra, nous le souhaitons, où les traits du passé surgiront grâce à elle. mane, le dinar aurait circulé en Occident sous le nom de mancus (traduction latine du participe passé manqush = frappé). Equation inexacte, affirme notre auteur. En tant que monnaie réelle, le mancus a été originairement un sou local de l'Italie byzantine - sou de poids inférieur à celui du sou d'or byzantin et donc, par rapport à lui, c défectueux >, c avili > : signification véritable du terme mancus dans la très basse latinité. - Le mot s'est répandu en Angleterre et en France, où il a pris plusieurs sens et désigné soit une monnaie d'or d'un certain poids et d'un certain titre, soit des bijoux et des bracelets, soit une monnaie de compte. Conclusion : ni les textes, ni les sources archéologiques et numismatiques ne parlent en faveur d'une importante circulation de l'or musulman dans l'Occident carolingien. L'enquête de M. Himly, plus large que la précédente, aboutit par d'autres voies à des conclusions assez voisines. La monnaie musulmane, nous dit-il, ne circulait guère dans les pays baltes et scandinaves, qui entretenaient de maigres relations avec l'Islam affirmation dont on peut discuter - et qui regardaient essentiellement vers l'ouest de l'Europe. Les nids de monnaies arabes découverts dans les contrées riveraines de la Baltique, dans l'île de Gotland, dans les régions de la Volga et du Dnieper contenaient surtout des pièces d'argent frappées au X• siècle dans l'Etat samanide. Elles provenaient principalement des pillages réalisés par les Scandinaves sur les routes du trafic allant de Samarkand à la Russie méridionale. La Scandinavie n'a donc pas ravitaillé l'Occident en or musulman. Ce dernier ne circulait pas davantage dans les Etats anglo-saxons. Le mancus y jouait le rôle d'une monnaie de compte destinée à apprécier des deniers de poids et de provenance variables. Il était un étalon de mesure, non pas un instrument de paiement. Tiraillée entre diverses influences et soumise à plusieurs dominations, l'Italie laisse une impression assez voisine : dans les trouvailles, très peu de monnaies musulmanes, mais de l'or indigène ou byzantin ; dans les textes, nombreuses mentions de mancus désignant surtout une monnaie de compte. Restent la Gaule et la Germanie. Ni les textes, ni les trouvailles ne parlent en faveur d'une circulation quelconque des pièces d'or musulmanes. Les fluctuations du denier carolingien n'ont aucun rapport avec celles du monnayage des pays islamiques. Elles suivent simplement c la courbe de puissance de l'Etat carolingien >. Au renouveau de l'Europe entre le VIII• et le XI' siècles, c l'Orient n'a pris aucune part >. Aucune conciliation n'est possible entre les thèses en présence. Mais l'historien peut tirer de chacune d'elles des éléments d'apprécia-

tion.

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B. DÉCADENCE COMMERCIALE ET MONÉTAIRE JUSQU'AU DÉBUT DU VIII' SIÈCLE

Rassemblons maintenant ce qui paraît acquis, ou proche de l'être, et distinguons, pour la clarté de l'exposé, entre la période antérieure au début du VIII• siècle et l'ère suivante. Loin d'être un hors-d' œuvre, la démarche servira notre propos : les rapports entre la situation économique et la formation des dépendances paysannes et vassaliques. Bien que les traces laissées dans la documentation par les échanges entre les royaumes barbares d'Occident, considérés en bloc, et l'Orient byzantin ou sassânide, aient enflammé les imaginations, leur rôle, déjà réduit sous le Bas-Empire, est demeuré modeste au lendemain des invasions. A ce moment, le monde franc exporte vers l'Orient des esclaves, des draps, du marbre, des bois de construction navale, des armes, peut-être quelques métaux. Il lui achète des épices et des aromates, des parfums et de l'encens, des étoffes précieuses, des ivoires, des cuirs travaillés, du papyrus : produits de luxe pour les rois, l'aristocratie laïque, la haute Eglise. Huile d'olive, vins, miel, fruits et légumes secs sont également importés. Le trafic était assuré principalement par des Juifs, des Grecs et surtout des colonies d'Orientaux désignés sous le nom de c Syriens > et installés non seulement dans les ports méditerranéens et en Allemagne rhénane, mais à Paris, Rouen, Orléans, Tours... Il a diminué sensiblement à partir du VII• siècle. Désormais les mentions de marchands syriens se font rares - mais certains ont pu se fondre dans la population indigène sans cesser leur métier. - Sur les tables des grands, le beurre et le saindoux tendent à remplacer l'huile. Les chandelles de cire éclairent maintenant les intérieurs des riches demeures et des églises. L'Egypte ayant cessé provisoirement, en 692, l'exportation du papyrus, la chancellerie mérovingienne lui substitue un produit qu'on trouve sur place et qui lui est supérieur, tout en étant moins cher : le parchemin. Elle

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lui restera désormais fidèle. Byzance et la Papauté n'ont imité son exemple qu'à la fin du x• siècle. Et pour cause : le monde musulman ayant adopté le papier, la fabrication du papyrus a presque cessé en Egypte même. Enfin, un fléchissement se marque dans les importations d'épices, de parfums, d'étoffes précieuses 1•. C'est donc sous le signe d'un véritable marasme des échanges à longue distance que la période carolingienne s'est ouverte avec Charles Martel. Marasme qui a gagné également les relations entre la Gaule et l'Afrique du Nord, la Méditerranée et l'Atlantique par la route de la Garonne, enfin les ports du littoral entre Cadix, Bordeaux et Rouen•. Certes, des courants commerciaux esquissés au vu• siècle dans la vallée de la Meuse, ainsi qu'en direction des pays rhénans et des mers du Nord, tendent à se développer, rappelant à la vie des cités telles que Verdun et Maestricht, permettant la fondation de Quentovic, près de l'embouchure de la Canche, et de Dursteede, sur le Lek 11 • En outre la batellerie fluviale s'organise dans les bassins de Paris et de Londres. Mais ce sont là des faits encore isolés. Tandis que, malgré les crises des V' et VI' siècles, l'Empire byzantin jouit d'une civilisation urbaine et mercantile qui n'a cependant plus l'éclat d'autrefois 0 , la Gaule et les pays voisins baignent sur de larges espaces dans une épaisse atmosphère rurale. 19. R. S. LoPEZ, Mol1ammed and Charlemagne : A revision; R. DoBHAERD, Méditerranée et économie occidentale pendant le haut Moyen

Age (Bibliogr., nos 28 et 33). 20. CHR. CouRro1s, c Les rapports entre l'Afrique et la Gaule au début du Moyen Age > (Cahiers de Tunisie, Il, 1954, p. 127-145) ; A. R. LEWIS, c Le commerce et la navigation sur les côtes atlantiques de la Gaule, du V• siècle au VIII• siècle > (Le Moyen Age, 1953, p. 249298). 21. Etudes récentes : DBONI>T, L'essor urbain entre Meuse et mer du Nord à l'époque mérovingienne (Bibliogr., n° 64) ; In., Les problèmes de Quentovic (Complém. bibliogr., p. 424) ; VERCAUTEREN, art. cités dans Compléments, p. 423 et 425). 22. R. S. LOPEZ, « Un borgne au royaume des aveugles : la position de Byzance dans l'économie européenne du haut Moyen Age > (A110ciation po11r l'histoire de la civilisation, Toulouse, 1953-1955, p. 25-30).

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* ** Pareille situation n'est pas le résultat d'une catastrophe qui aurait paralysé d'un seul coup le commerce à longue distance, mais d'une évolution interne commencée sous le Bas-Empire et accélérée par des facteurs extérieurs. Ravagé par les invasions germaniques, privé d'une partie de ses régions méditerranéennes par les reconquêtes dévastatrices de Justinien, l'Occident barbare a reçu des Arabes un nouveau coup de massue et ressenti durement les effets de leur irruption : piraterie sur mer et brigandages sur les côtes, incursions sarrasines jusqu'en Provence et en Aquitaine, guerres et concurrence économique entre l'Islam et Byzance. En faisant jusqu'en plein IX• siècle le blocus d'une partie des côtes musulmanes, l'Empire devait contribuer plus que son adversaire à isoler l'Occident du ProcheOrient 18• Les Musulmans, en effet, n'ont pas abaissé un rideau au milieu de la Méditerranée, ni ruiné des relations qu'ils avaient intérêt à maintenir. Durant leur installation, sujette à des flux et des reflux, ils ont seulement apporté leur note dans le concert commencé avant leur entrée en scène. De longue date, l'Occident s'était appauvri. L'exode des populations germaniques avait créé entre le Rhin et l'Elbe des espaces vides; en outre, le peuplement barbare des pays envahis fut impuissant, surtout dans le Midi, à réparer les pertes dues aux massacres et aux famines. La faiblesse des densités humaines a été une cause essentielle de la stagnation économique où de nombreuses régions se trouvaient plongées. Appauvri en hommes, l'Occident est en outre diminué dans sa production, ses moyens d'exportation, ses instruments de paiement. Là encore, les prodromes sont anciens. Du jour où nos contrées se sont ouvertes aux produits 23. A. R.

LEWIS, Naval power and trade (Bibliogr.,

n° 45).

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d'Orient, leur balance a été déficitaire, les achats n'étant pas compensés par les ventes. L'or était encore abondant à la fin du Bas-Empire, bien qu'il eût fui en partie vers Constantinople, l'Egypte, l'Orient 1 \ L'exode a continué, en Gaule tout au moins, au lendemain des invasions aggravé par les tributs payés à des envahisseurs, les enfouissements de trésors, les inhumations de chefs entourés de leurs bijoux. - Pourtant, Ja frappe et la circulation de l'or sont attestées dans le royaume lombard de l'indépendance, qui commerçait avec l'Italie byzantine. Pendant la première moitié du vn• siècle, elles se poursuivent non seulement dans les pays mérovingiens, dont les ateliers émettent des tiers de sou de bon aloi, mais chez les Anglo-Saxons, qui frappent des monnaies d'or imitées de ce type : signe de leur progressive participation aux échanges occidentaux. Après quoi, elles cessent presque complètement de chaque côté de la Manche. Des Iles Britanniques aux pays frisons, le principal instrument des échanges est fourni, à côté du troc, par les sceattas, petite monnaie d'argent émise par les ateliers anglo-saxons, qui trouvaient sur place la matière première. Cette monnaie a été imitée jusqu'en Frise. En Gaule, on l'a substituée partiellement à la monnaie franque, affaiblie et décriée par les manipulations opérées dans les multiples ateliers monétaires soustraits pour la plupart au contrôle de la royauté"· La réduction des stocks d'or au terme d'une hémorragie de plusieurs siècles et le commerce avec des contrées méditerranéennes qui payaient leurs achats en argent n'expliquent pas seuls la vogue du métal blanc. Il faut invoquer plus encore le caractère revêtu par les échanges du monde romano-germanique. Echanges à petites ou moyennes distances, portant sur des objets de première nécessité beaucoup plus que sur les achats de produits orientaux qui ont 24. A. PIGANIOL, « Le problème de l'or au IV• siècle > (Ann. d'Hist. soc., 1945, p. 4 7-53). 25. P. LE GENTILHOMME, Le monnayage et la circulation monétaire ... (Bibliogr., n° 42).

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ébloui des chroniqueurs fermés à d'humbles réalités. Le trafic opéré dans les foires régionales a meilleure signification que le ravitaillement de l'abbaye de Corbie en denrées du Levant. L'économie a reçu, en fin de compte, l'instrument monétaire qui répondait le mieux à ses besoins : l'argent. Le choix traduit aussi non pas l'appauvrissement des hautes classes, gorgées de terres, mais l'abaissement qualitatif de leur train de vie. Pourtant, il reste de l'or dans les résidences des souverains, des maires du Palais et de la haute aristocratie, comme dans les églises et les monastères. Mais sa valeur, en tant que monnaie, est devenue supérieure aux besoins de la vie quotidienne. On ne trouve guère à l'employer que pour acheter des produits exotiques, des reliques et des consciences. Par-dessus tout, on voit en lui un ornement ou un joyau. c La soif de l'or >, dont parlent les chroniqueurs et les hagiographes, vient d'une hantise : thésauriser sur cette terre et descendre au tombeau pompeusement paré.

C. INDICES D'UNE RENAISSANCE A L'ÉPOQUE CAROLINGIENNE

Un changement modeste s'est opéré avec le redressement carolingien et la réorganisation des routes commerciales en Méditerranée, dans les mers du Nord et à l'intérieur du continent européen. La restauration de la monnaie en est la traduction matérielle, et celle des villes la traduction sociale. 1. La restauration monétaire. Dans l'Etat rénové par leurs soins, les successeurs de Charles Martel ont développé les expériences des maires carolingiens du Palais et fondé sur l'argent leur système monétaire. Esquissée sous Pépin le Bref, la réforme a pris

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sa pleine signification à l'époque de Charlemagne ... Celui-ci songeait-il à ménager les susceptibilités de l'empereur byzantin, dont la monnaie d'or avait constitué l'unique étalon international jusqu'au début du VIII• siècle et qui luttait, depuis ce temps, contre la concurrence musulmane? On l'a soutenu sans convaincre. Les véritables raisons de la réforme sont ailleurs. Ses protagonistes voulaient réserver à l'atelier du Palais le monopole de la frappe, lutter contre l'anarchie monétaire, l'extrême variété des types, les fraudes 11• Ils désiraient assainir le marché et faciliter les échanges intérieurs du monde franc en instaurant sous la forme de bons deniers d'argent, substitués aux misérables piécettes mérovingiennes, des moyens de paiement à leur mesure, ainsi qu'en donnant plus de mobilité à la masse métallique. Ils songeaient enfin au trafic avec l'Espagne musulmane, restée fidèle au monométallisme argent, et avec les pays du Nord, qui acceptaient celui-ci en paiement - remarque propre à corriger les conclusions 26. Vers la fin du VIII• siècle et après plusieurs expériences, ce dernier substitua à la livre romaine une livre beaucoup plus lourde, de 491 grammes, dans laquelle on tailla 240 deniers, ayant une teneur en argent de 2,04 g (teneur théorique, en raison de l'imperfection des techniques du monnayage). Seuls le denier et ses subdivisions telles que l'obole étaient des monnaies réelles. Mais un rapport était confirmé entre le denier et deux unités de compte : d'une part, le sou 12 deniers (valeur déjà mentionnée dans la loi des Francs Ripuaires, au début du VII• siècle, et répétant la proportion commune, 1 à 12, entre la valeur de l'or et celle de l'argent) ; d'autre part, la livre (à la fois unité de poids et de compte) = 20 sous ou 240 deniers. Ce système s'est perpétué dans la plupart des pays européens jusqu'à la Révolution française ou ses lendemains immédiats. Il triomphe actuellement encore en Angleterre. (L'un des meilleurs ouvrages de base sur ces questions demeure, malgré sa date, celui de M. PRou, Catalogue des monnaies françaises de la Bibliothèque Nationale, 1, Les monnaies mlrovingiennes, Il, Les monnaies carolingiennes, Paris, 1892 et 1896). - Voir en outre A. BLANCHET, Manuel de numismatique française, t. 1, p. 359 et suiv., ainsi que les travaux de BLOCH, DOEHABRD, LE GRNTILHOMMB, etc., cités dans Bibliogr., noe 31, 32, 35, 41, 42 ...) et ceux de GRIBRSON, LAFAURIE, LoPEZ, MoRRISON, VERCAUTERBN, cités dans Compllm. bibliogr., p. 422-423. 27. Charlemagne ne parvint pas à ses fins. Ses successeurs encore moins (ci-dessous, p. 58).

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des fidèles de l'or et à attirer l'attention sur le rôle international du métal blanc. - D'où l'activité des ateliers monétaires installés dans les régions qui commerçaient avec la Scandinavie et l'Angleterre. D'où également l'imitation du denier franc par des ateliers scandinaves et anglosaxons entre la fin du VIII' siècle et le x•. Peut-être, cependant, les dernières réformes monétaires de Charlemagne ont-elles revêtu une signification plus haute : l'établissement d'une relation entre le poids du nouveau denier et celui du dirhem musulman, qui avait lui-même un poids et une valeur fixes par rapport au dinar. Dans cette hypothèse, et si l'on ajoute qu'une liaison existait également entre le dinar et le nomisma, le système monétaire carolingien aurait été raccordé aux deux principaux monnayages orientaux à l'époque où se préparait la fondation de l'Empire d'Occident sa. Les Carolingiens ont-ils renoncé au métal jaune? Il y a lieu de distinguer entre la frappe et la circulation des espèces. Des pièces d'or ont été émises au nom de Charlemagne à Aix-la-Chapelle, Lucques, Bénévent, Dursteede ; d'autres, au nom de Louis le Pieux, dans ces mêmes ateliers ainsi qu'à Tours, Arles et Coire ; d'autres enfin, au nom de Lothaire 1er, à Dursteede. Elles étaient si appréciées qu'elles ont fait l'objet d'imitations étrangères qui, sous un faible aloi, ont servi à des paiements en Frise et dans les pays voisins 11 • Mais ces manifestations d'orgueil, ces illusions ont passé rapidement. Le nom des Carolin28. R. DoEHAERD, « Les réf ormes monétaires carolingiennes > (Annales, E.S.C., 1952, p. 13-20). Autre suggestion ingénieuse offerte par le même auteur aux rêflexions des chercheurs : si Charles le Chauve adopta vers le milieu du IX• sièc1e un nouveau denier, ce fut pour l'aligner sur la monnaie scandinave, faciliter le paiement des tributs aux Normands et développer les relations commerciales avec les pays du Nord. 29. PH. GRIERSON, c La trouvaille monétaire d'Ilanz > (Gazette numismatique suisse, IV, 1953, p. 46-48) ; c The Gold Solidus of Louis the Pious and its imitations > (Jaarboeck voor Munt-en-Penningkunde, XXXVIII, 1951, p. 1-41). - Sur la prétendue frappe de la monnaie d'or à Uzès, voir, du même auteur, c Le sou d'or d'Uzès > (Le Moyen Age, 1954, p. 293-309).

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giens ne figure plus sur aucune pièce d'or à partir de la seconde moitié du IX' siècle. Et rien ne prouve que des ateliers francs aient émis des monnaies portant le nom de rois arabes pour leur donner cours dans les transactions internationales 10.. L'or, en tout cas, n'a pas disparu de l'Empire, ni des pays issus de son démembrement. La thésaurisation connait de beaux jours. En outre, d'authentiques monnaies d'Orient - byzantines et arabes - sont admises en paiement sur les marges du monde carolingien (Lombardie, Septimanie, Catalogne, Frise 11 ) . Ce dernier n'est pas tombé dans une dépression économique aussi profonde qu'on l'a parfois imaginé. Il est si étendu que ses relations intérieures s'exercent à elles seules sur une grande échelle. Au surplus, ne donne-t-il pas sur la mer du Nord et la Manche, les voies d'Europe centrale, la Tyrrhénienne et l'Adriatique, les passages des Alpes et des Pyrénées ? N'est-il pas au contact de l'Empire byzantin et de l'Espagne musulmane? Or, aucune des routes n'est fermée, du moins de façon permanente. Et les liaisons sont maintenues entre elles par d'importantes artères : Rhin, Meuse et Escaut, sillon séquano-rhodanien ... Dans les influences qui ont permis la renaissance littéraire et artistique du IX' siècle, puis le premier art roman, les marchands ont certainement joué un rôle. Sujettes à maintes fluctuations, les transactions 30. Présenté d'abord comme une hypothèse, le trait a pris couleur de certitude chez les théoriciens de l'hégémonie économique du monde musulman. En histoire, à vrai dire, les monnayages de contrefaçon ne sont pas exceptionnels. Ainsi conservons-nous du roi Offa de Mercie un dinar portant au revers le nom de ce souverain et à l'avers celui d'un calife abbasside - dinar qui a excité les imaginations et entretenu des discussions qui n'ont pu faire la lumière. 31. En 1857, on a retrouvé dans le lit du Reno, près de Bologne, le pécule d'un marchand de l'Italie méridionale qui s'était noyé à la traversée de la rivière (vers 802-814). Il comprenait uniquement des monnaies d'or - la plupart byzantines ou bénéventines, les autres arabes (SAWYER MAc. A. MossER, A bibliographu of Byzantine coin hoards, Numismatic notes ... , n° 67, New York, 1935, p. 71). Cf. également la trouvaille d'Odoorn, dans les Pays-Bas, province de Drenthe (P. BoELES, Les trouvailles de monnaies carolingiennes dans les PagsBas ..., Amsterdam, 1915).

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se sont dans l'ensemble développées. Quelles voies suiventelles, et en quoi consistent les échanges ? Quelle est la place du grand commerce dans l'économie carolingienne entre la seconde moitié du VIII• siècle et le X' ? Sans nous laisser prendre au mirage des routes, des flots de marchandises et des courants monétaires, ni exagérer l'influence des Juifs et des Orientaux qui fréquentaient la cour de Charlemagne et de Louis le Pieux, esquissons des réponses à ces questions. 2. Le trafic à longue distance. Un étrange témoignage sur les voies du commerce international est procuré, vers le milieu du IX• siècle, par un haut fonctionnaire du calife de Bagdad, qui était probablement maître des postes : Ibn Khordâdbeh n. Il indique les itinéraires suivis vers l'Extrême-Orient par des marchands juifs « rahdânites 33 > installés dans l'Empire probablement en Gaule méridionale, où ils formaient une véritable association commerciale. - Grâce à lui, c'est un panorama du monde d'alors qui se déroule sous nos yeux depuis « le pays des Francs >, à l'époque où le blocus de la Méditerranée orientale par Byzance avait perdu son efficacité. Une première route mène les marchands vers l'isthme de Suez et de là vers le Sind, l'Inde et la Chine. Ils reviennent par le même chemin jusqu'aux environs de l'actuel Port-Saïd, d'où ils se dirigent les uns vers Constantinople, les autres « vers le roi des Francs >. Une 32. Le Livre des routes et des provinces (édité et traduit par BARBIER Journal asiatique, 1865, p. 512-515 ; puis par J. DE GoEJE, Bibliotheca Geographorum arabicorrzm, VI, 1889, p. 114-115. Lire, sur ce texte, les réserves de Cl. CAHEN, c Y a-t-il eu des RahdAnites? » (Rev. des Etudes juives, 4• série, t. III, fascic. 3 et 4, 1964, p. 499-505). - Sur d'autres témoignages, M. LOMBARD, La route de la Meuse ; E. PERROY, Encore Mahomet et Charlemagne (Bibliogr., n011 48 et 29). 33. On a proposé de ce terme une série d'interprétations fantaisistes. En persan, il signifie routiers, voyageurs. Et c'est le seBs que lui donnait sans doute Ibn Khordâdbeh, lequel écrivait en arabe, mais était d'origine iranienne. DE MEYNARD,

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seconde route, plus méridionale, les conduit vers la Syrie, Bagdad, l'Oman, l'Extrême-Orient. Parfois ils suivent de préférence les routes de terre. L'une passe par l'Espagne, l'Afrique du Nord jusqu'en Egypte, la Syrie où elle rejoint l'itinéraire précédent ; l'autre, par l'Italie et l'Empire byzantin, gagne c le pays des Slaves >, la Caspienne, les régions de la Basse-Volga, !'Amou-Daria, la Transoxyane, la Chine. Eunuques, esclaves et épées d' c Occident >, brocarts byzantins, pelleteries slaves constituaient à l'aller leur cargaison. Pour le retour, ils se chargeaient de musc, d'aloès, de camphre, de cannelle et c des autres productions des contrées orientales >. Avaient-ils, « sur la mer occidentale >, leurs propres navires, ou empruntaient-ils des bateaux provençaux, languedociens ou italiens? On l'ignore, comme on ignore aussi les instruments de paiement, le volume des marchandises, le rythme des voyages, les relais. Du moins peut-on les suivre dans leur .périple, imaginer les récits par eux contés aux habitants de la Gaule et la connaissance du monde qu'ils révélaient à leurs contemporains.

••• Sur des distances plus modestes, divers parcours sont accomplis entre le monde franc et les pays étrangers. Certains conduisent vers l'Espagne musulmane, devenue terre bénie, au x• siècle, des marchands d'esclaves de Verdun qui, après avoir châtré en série leurs cargaisons humaines, les vendaient dans l'émirat de Cordoue et revenaient chargés de cuirs et de tissus précieux. D'autres, en provenance de Marseille, d'Arles, de Narbonne mènent à Gaète, Naples, Salerne, Amalfi où s'accumulent étoffes de luxe, produits de l'artisanat, épices, parfums importés non seulement de Constantinople, mais des pays méditerranéens sous contrôle musulman"· Convenons pourtant que 34. CL. CAHEN, c Un texte peu connu relatif au commerce oriental d' Amalfi au X• siècle > (A rchivio storico per le Province napoletane, vol. XXXIV, 1953-1954).

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ce trafic par mer est faible et que la documentation fait état de la piraterie plus que du commerce tranquille. Convenons aussi que les marchands de l'Italie du Sud commercent surtout avec Byzance. Ils en dépendent politiquement et l'empereur les protège contre les incursions des Musulmans en même temps qu'il s'emploie, au x• siècle, à reconquérir ses anciennes possessions de l'Asie Mineure et de la mer Egée. Les marchands s'en vont-ils vers le nordouest de l'Europe ? Ils préfèrent aux routes maritimes les voies de terre qui mènent en Lombardie et aux cluses des Alpes. Ils recoupaient ici la grande voie qui unissait le monde franc à l'Italie du Nord. En annexant le royaume lombard, Charlemagne avait pris possession de Pavie, capitale politique et carrefour commercial, ainsi que de Milan. Il s'était ménagé un accès sur l'Adriatique à l'époque où il élargissait les frontières septentrionales de ses Etats par la conquête de la Frise et donnait une plus grande importance à la vallée du Rhin. Ni le démembrement de l'Empire, ni les incursions sarrasines dans les ports de l' Adriatique et de la Tyrrhénienne n'ont ruiné les relations entre l'Italie du Nord et les pays d'outre-monts. Toutefois, à partir de la seconde moitié du IX• siècle, des changements se produisent parmi les centres commerciaux. Ferrare tend à supplanter Comacchio. Venise grandit. Située près de la jonction entre les territoires byzantins et les possessions franques, en relation avec les pays musulmans, slaves et grecs, elle exporte vers Byzance et le Levant des denrées d'Italie et des esclaves dalmates. En outre, ses marchands écoulent en Occident les produits de luxe qu'ils achètent à Byzance ou qu'ils vont chercher en Sicile, au Maroc, en Egypte, en Syrie. En raison de l'insécurité qui sévissait en Tyrrhénienne et plus encore de la situation géographique de Venise, cette redistribution se faisait principalement par la route terrestre qui, s'ouvrant à ses portes, conduisait par la plaine du Pô et les passages des Alpes vers les régions rhodaniennes, rhéno-mosanes et danubiennes. Forte des privilèges commerciaux concédés par les empereurs, la ville des lagunes se livrera progressivement

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à la conquête économique de Byzance. Souvent, le relais conduit à une partielle expropriation. Au nord de cette zone à la fois continentale et méditerranéenne, d'autres voies sont exclusivement terrestres. Venus des pays rhénans, des négociants se dirigent, par le plateau de Bohême et le nord des Carpathes, à la rencontre des marchands en provenance du littoral de la mer Noire. Parfois même, ils poussent soit jusqu'à Kiev, autre carrefour du monde d'alors, soit jusqu'au Bosphore. Ou bien, ayant traversé la Bavière, ils empruntent la vallée danubienne dégagée par la chute de la domination avare à la fin du VIII• siècle, entravée plus tard par les incursions et l'installation hongroises - d'où l'avantage rendu alors à la voie de Bohême et l'importance de Prague, marché d'esclaves. - En outre, au contact des pays germaniques et slaves, où de nombreux postes douaniers sont installés depuis la région inférieure de l'Elbe jusqu'à Linz sur le Danube, des marchands germano-francs et des Juifs opèrent avec des négociants slaves et orientaux un trafic qui porte sur le sel, le bétail, les esclaves et même les armes"·

••• Restent enfin les routes qui, du IX' au XII' siècle, ont mis en relations les pays de la mer Noire, de la Caspienne et de l'Asie centrale avec les régions baltes ou scandinaves et, de là, le monde franc. Les chemins ont été tracés par les c: hommes du Nord >, les Suédois notamment, appelés Varègues par les peuples slaves du Dniepr, du Don et de la Volga 311 • Le terme signifie commerçant. Il contraste avec le nom de Viking - homme fréquentant les baies, et, par extension, pirate - retenu par les hommes d'Occident en proie aux incursions des Danois et des Norvégiens. Contraste excessif, car en pays slaves les Suédois furent loin 35. Entre autres témoignages, cf. le Capitulaire de Thionville (805) et le tonlieu de Raffelstetten, près de Linz (vers 903-905) (M.G.H., Capitularia, t. 1, n° 44, p. 123, art. 7 : t. II, n° 253, p. 249-252). 36. Ci-dessous, p. 279 et n. 20.

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d'apparaître uniquement sous les traits de l'honnête négociant. Souvent piraterie et marchandise vont de pair. Les Suédois sont entrés en contact tour à tour guerrier et pacifique avec l'Empire byzantin et les pays musulmans de l'Iran et du Turkestan. Ils ont contribué à faire de Novgorod et de Kiev les nœuds d'un commerce de transit alimenté non seulement par les marchandises du dehors, mais par les richesses de la Russie méridionale. Nous connaissons fort mal ce trafic, mais il existait, comme en témoignent des chroniques, des récits de voyageurs, des inscriptions et toutes ces trouvailles de « trésors > égaillés le long des routes allant de l'Ukraine à la Scandinavie et à la Finlande - signe à la fois de commerce et de butin 87 • Les marchands scandinaves vendaient des fourrures, du miel, des esclaves et de l'ambre à leurs clients byzantins et musulmans. Ils ramenaient des produits d'Orient et de Russie dans les ports de la Scandinavie méridionale et du sud-ouest de la Baltique - par exemple à Hedeby, sur l'isthme danois, et à Birka, dans le Svealand. - Ces ports étaient fréquentés aussi par des Francs et surtout des Frisons. Navigateurs incomparables, les Frisons se livraient de longue date au cabotage sur les côtes de la mer du Nord, de la Manche et de l'Atlantique jusqu'au golfe de Gascogne. Ils commerçaient également avec l'Angleterre, le Danemark et la Suède. Assuje_ttis à l'Etat carolingien au cours de la seconde moitié du VIII• siècle, après une lente pénétration des guerriers francs et des missionnaires anglo-saxons, ils étaient devenus les animateurs de la navigation fluviale dans les Pays-Bas et la Flandre. Par le Rhin, la Meuse et l'Escaut, secondairement par les rivières et les routes de terre du Bassin de Paris ou de l'Allemagne septentrionale, ils transportaient dans les pays du Nord des marchandises de l'Ouest européen. Par ces mêmes voies, ils redistribuaient dans le monde franc les produits concentrés dans les ports baltiques, ainsi que les draps 37. Voir la carte hors texte de M. LOMBARD (dans L'art mosan ... ), et L. MussET, Les peuples scandinaves au Moyen Age (Bibliogr .• n° 9 48 et 397).

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anglais. Les épices, dont Cambrai, au IX• siècle, Toul, Metz et surtout Mayence au xe assuraient pour une part l'écoulement, les parfums, les étoffes précieuses répondaient à la demande de l'aristocratie laïque et du haut clergé des pays francs et anglo-saxons 31 • A partir de 840, ce trafic est entravé par les invasions normandes. Plusieurs fois pillée et incendiée, sujette en outre à des inondations catastrophiques et menacée d'ensablement, Dursteede disparaît à la fin du IX• siècle. Quentovic, qui commerçait surtout avec l'Angleterre, subit le même sort vers le milieu du x•. Mais le premier a été remplacé par Tiel, le second par Etaples, Montreuil et Wissant. Birka a cédé la place à Sigtuna, Hedeby à Slesvig. La monnaie carolingienne, l'art lui-même ont été imités au Danemark et en Suède jusqu'en plein x• siècle : indices du maintien ou de la reprise des relations 39 • Dans la chaîne des rapports commerciaux, il arrive que des maillons sautent, que des interruptions se produisent. Néanmoins, s'il répond à des besoins profonds, le courant se rétablit avec d'autres hommes, d'autres ports, d'autres moyens.

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Pour l'Occident des IX' et x• siècles, la Méditerranée demeure un foyer de civilisation et une artère commerciale relativement importante, bien qu'il faiUe employer 38. Sur le commerce anglais avec les pays carolingiens et scandinaves, ainsi qu'avec l'Orient, F. M. STENTON, Anglo-Saxon England (Oxford, 2• éd., 1947) ; W. LEVISON, England and the continent in the eighth centurg (Oxford, 1946); R.S. LOPEZ, c Le problème des relations anglo-byzantines du VII• au X• siècle > (Byzantion, XVIII, 1946-1948, p. 139-162) ; E. SABBE, c Les relations économiques entre l'Angleterre et le continent au haut Moyen Age > (Le Moyen Age, 1950, p. 169-193) ; R. A. LEWIS, c Le commerce et la navigation sur les côtes atlantiques de la Gaule ... > (Le Moyen Age, 1953, p. 249-298) ; l\lussET, n°• 56 et 398 ; Compléments bibliogr., p. 422-423 (LEWIS, LOPEZ, l\lORnISON, SAWYER). 39. Les monnaies franques n'ont laissé presque aucune trace dans les trouvailles à partir de la seconde moitié du IXe siècle, malgré les tributs versés aux Normands. C'est donc qu'ils furent payés en lingots, ou que les monnaies furent rcf on dues, une fois arrivées à destination.

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maints détours pour aller de port en port, ou cheminer le long des côtes plutôt que voguer sur les eaux. Cependant, elle n'est plus, comme à l'époque romaine, l'axe principal des échanges à longue distance, reportés pour une grande part vers l'est et le nord de notre continent. Leur volume et le chiffre des affaires traitées nous échappent. A l'échelle de leur temps, ils furent certainement honorables. Une fois oubliée l'épouvante et réparées les ruines de la première moitié du x• siècle, les activités commerciales contribueront à secouer l'inertie du vieux continent. Toutefois, ne nous leurrons pas ; ne laissons point courir la folle du logis. L'Occident est loin d'être replié sur lui-même et enfoui dans son trou comme une taupe. Mais de nombreux courants passent en dehors de lui. Là même où les échanges se font selon un rythme assez réguJier et desservent une clientèle fidèle, ils souffrent d'une médiocre organisation technique, sont opérés selon des méthodes rudimentaires, ne mobilisent à leur service que peu de moyens en routes, en bateaux, en monnaie. En outre, ils ne sont pas libres. Dans l'intérêt de leur sécurité, comme de leurs finances, les souverains musulmans contrôlent le trafic et la circulation monétaire. L'Etat byzantin les surveille plus étroitement encore, établit tout un système de postes-frontières, de passeports, de douanes et d'octrois, interdit l'exportation des métaux précieux 40 • L'Etat carolingien suit une semblable politique d'économie dirigée, bien qu'il accorde des dispenses aux marchands qui approvisionnent le Palais, les abbayes et les églises en produits convoités. Par-dessus tout, de nombreux éléments de la population restent étrangers au grand commerce et en ignorent les répercussions, même s'ils résident à proximité des voies de circulation. Ainsi, de nos jours, un flot de marchandises et d'intérêts traverse l'Afrique Noire, ou suit le cours du Nil égyptien. Pourtant, au voisinage des mines et des gisements, en bordure des grands fleuves ou des ports immenses, le village indigène continue, comme situé 40. R. S. LOPEZ, c L'évolution de la politique commerciale au Moven Age > (Annales, E.S.C., 1949, p. 389-405).

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dans un autre monde. La vie du fellah se poursuit selon un rythme antique, et garde sa misère. Des types d'économies et de sociétés demeurent en contact sans se pénétrer. 3. Echanges interrégionaux et locaux. Le problème des échanges ne se résume pas dans les relations avec l'Orient, la Scandinavie et les steppes russes, ni dans le trafic à longue distance des objets de luxe. Deux types de transactions sont beaucoup plus à la mesure de l'Occident carolingien : d'une part, le commerce entre des régions dont les ressources sont complémentaires ; de l'autre, les transactions locales. Le trafic interrégional portait principalement sur des produits relativement lourds pour leur prix, mais de première nécessité : céréales, vins, produits de l'élevage et de la pêche, textiles, tissus ordinaires. Une partie du commerce baltique relevait de ce type, qui contribua à faire de Hedeby la c capitale économique du Nord •1 >. L'activité de la région rhénane ne tenait pas seulement à ses liaisons avec les Pays-Bas et la Lombardie, mais à ses richesses agricoles, à ses exportations de céréales et de vins vers les contrées voisines. Si le trafic des Frisons est devenu surtout fluvial au IX• siècle, si leurs bateaux ont sillonné le Rhin, la Meuse, l'Escaut et les rivières du Bassin parisien, si Rouen a prospéré, c'est parce que les transactions interrégionales ont relayé ou prolongé le commerce à longue distance 0 • 41. L. MussET, Les peuples scandinar.,es, p. 71. 42. Le commerce du vin, par e~emple, a donné lieu à des échanges qui expliquent en partie le développement du vignoble de l'Ile-deFrance. On a calculé que sur l'ensemble des vingt-cinq villae de SaintGermain-des-Prés inscrites au polyptyque, plus de 3 300 arpents - soit environ 1 500 hectares - étaient plantés de vignes. Si bien que l'ab~ baye pouvait vendre, ]ors des bonnes années, les quatre cinquièmes environ du vin fourni par les réserves domaniales et par les redevances des tenanciers (R. DoEHAERD, c Ce qu'on vendait dans le Bassin parisien >, dans Annales, E.S.C., 1947, p. 275 et suiv. - Voir également L. LEYILT.AIN, « Etudes sur l'abbaye de Saint-Denis à l'époque mérovin-

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Le contraste économique est frappant, de la Normandie aux pays rhénans, entre les premiers siècles du Moyen Age et la période carolingienne. Il parle en faveur de cette dernière. Il n'est pas dû seulement aux changements intervenus en Méditerranée, quel que soit le signe, positif ou négatif, dont l'intervention de l'Islam est marquée. Ces contrées ont trouvé les instruments d'un renouveau dans leurs ressources naturelles, leur réseau fluvial, leur population assez dense, ainsi que dans les activités missionnaires et la fixation des grands centres de la vie politique. Elles se sont donné un bon équipement domanial et portuaire. En maintes régions, cependant, c'est le commerce local qui triomphe sous la forme de quelques foires et d'une infinité de petits marchés fréquentés par les gens du voisinage et par des colporteurs cheminant d'un lieu à l'autre avec leur pacotille et, en poche, quelques deniers. A ce pullulement répondait pour une part le nombre élevé des ateliers monétaires : une centaine à l'époque de Charles le Chauve - donc trois fois plus que sous Louis le Pieux, pour un territoire moins étendu. - Leur présence s'imposait en des points névralgiques du trafic international et du commerce régional. Ailleurs, elle se justifiait par la proximité des mines de plomb argentifère - ainsi à Melle, en Poitou, - ou par le voisinage d'un produit convoité : le sel. Mais on les trouvait aussi dans des agglomérations villageoises. On a vu là le signe d'échanges importants, fondés sur l'emploi courant du numéraire. A tort. Ils trahissent plutôt des transactions compartimentées et de faible rayon, recevant sur- place l'impulsion qu'aucun organisme central ne saurait leur donner. Une foire se tient-elle ? L'atelier voisin lance dans la circulation des deniers et des oboles. Le reste du temps, il sommeille, car son stock métallique est insignifiant : quelques lingots, remis par gienne >, dans Bibl. de l'Ec. des Chartes, 1930, p. 7 et suiv. ; R. D10N, c Grands traits d'une géographie viticole de la France >, 1re partie, dans Rev. d'Ilist. génùale de la Phil. et d'Hist. gén. de la civilisation, n° 37, 194-l ; II• partie, dnns Public. de la Soc. de Géographie de Lille, 1948-1949, p. 6-45).

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le Palais ou provenant de la refonte de pièces démonétisées'". La multiplicité des ateliers était une prime à la variété des types, à la mauvaise monnaie et à la fraude. En fait, ils ne répondaient pas tous à de réels besoins économiques. Certains furent créés dans un but fiscal. D'autres comblèrent les Yœux d'un évêque, d'un abbé, d'un grand seigneur laïque qu'attiraient dans le monnayage les bénéfices de la frappe et dans l'existence d'un marché la perception des tonlieux. Par l'édit de Pitres de 864, Charles le Chauve tenta vainement de réduire à neuf le nombre des ateliers, de restreindre aussi celui des marchés. Du moins toutes les pièces étaient-elles frappées au nom et à ]'effigie du souverain. Mais, à partir du X' siècle, des grands ont fait passer dans leur patrimoine le droit de monnayage délégué par le roi. Ils ont émis des monnaies portant leur monogramme et ayant cours chez eux autant que la monnaie royale. A une époque où la principauté territoriale et la châtellenie constituent les cadres essentiels de la vie politique, la circulation monétaire s'opère surtout à l'échelle régionale ou locale. Autorité et économie se renvoient la même image. 4. Villes et marchands"· Les circonstances ne se prêtaient guère, dans la plus grande partie de l'Occident, au développement d'une véritable civilisation urbaine. Blotties presque tout entières entre les remparts du Bas-Empire, sur un espace rarement supérieur à trente hectares et incomplètement bâti, de nombreuses cités d'origine romaine faisaient figure de centres épiscopaux, de groupes administratifs ou de villesmusées entretenant, pour des besoins locaux, un petit peuple d'ouvriers et de commerçants. La population était faible. 43. J. LAFAURIE, c Le trésor monétaire du Puy > (Rev. numismatique, 1952, p. 59-169). 44. Bibliogr., n 08 63-76, et Compléments, p. 424-425.

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Au xe siècle, Rome, plus peuplée qu'aucune ville de l'Occident chrétien, n'avait que vingt à vingt-cinq mille habitants. Ramassée dans l'île de la Cité, Paris n'en comptait guère que cinq mille. Un certain éclat s'attachait cependant à des villes telles que Ravenne, Pavie ou Milan, jadis capitales d'Etats barbares, et même à des places fortes de fondation récente, lieux de résidence, parfois, des souverains ou de Jeurs agents. Mais ce furent surtout des éléments économiques qui, ayant créé du VIII• au XI• siècle les conditions d'une renaissance, donnèrent à « la ville du Moyen Age >, centre commercial et artisanal souvent juxtaposé à une agglomération antérieure, son originalité par rapport à la « cité antique >. On a déjà mentionné l'exemple italien et rappelé le destin hors série de Venise. Dans le nord et le nord-est de la France, dans le Brabant et les PaysBas, et surtout dans l'ouest et le centre de la Germanie, l'éveil commercial et l'accroissement de la population arrachent des cités anciennes à leur somnolence. A Arras, Verdun, Metz, Tournai, Mayence, Cologne... un faubourg se forme au pied de la vieille ville avec son débarcadère, son entrepôt et son marché. Il se protège par des palissades, ébauche d'un futur rempart soudé à l'enceinte primitive. Sa population se livre aux échanges ou à l'artisanat, tandis que les anciens habitants continuent leur vie mi-urbaine mi-rurale, sans demeurer nécessairement étrangers aux jeunes activités qui se développent à leur porte. Arras et Metz avaient, au IX• siècle, une population d'environ cinq mille habitants, autant que Paris. Dans ces mêmes contrées, des centres nouveaux grandissent. Le « noyau pré-urbain > est tantôt un monastère ainsi à Saint-Omer, - tantôt un château comtal et une abbaye, à Gand par exemple, tantôt, comme à Valenciennes, un palais royal, plus rarement un burg seigneurial. Ou bien ils naissent d'un seul coup en bordure d'un estuaire ou d'une rivière, comme près d'un confluent. Qu'on suive le littoral de la Manche et de la mer du Nord, ou le cours du Rhin, de l'Escaut, de la Meuse et de la Moselle, on assiste à leur développement presque simultané.

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Faubourgs commerçants et agglomérations toutes neuves, vouées aux échanges, ont souvent reçu le nom de portus - entrepôt, port'". - Ce sont de petits centres qu'animent le mouvement de la batellerie, le déchargement, le stockage et l'écoulement des produits. Faits essentiels : des marchands s'y installent, d'abord provisoirement, puis en permanence ; des marchés y sont créés, parfois aussi des ateliers monétaires. Ils ne sont pas surimposés au paysage, isolés du monde rural voisin. Leur trafic puise une partie de son aliment dans les denrées des grands domaines, mais leurs intérêts dépassent le cadre local. A la fin du X' siècle, pourtant, si l'on fait exception de l'Allemagne occidentale, la plupart des portus ne sont que des villes au petit pied. On connait assez peu les marchands qui les peuplent. Qu'il y ait parmi eux des vagabonds fixés par l'espoir d'un métier, que certains c négociants > mènent une vie errante en pratiquant l'achat et la vente d'une simple pacotille, on n'en disconvient pas. Mais la classe des legitimi mercatores comporte surtout trois éléments : les Juifs, principaux fournisseurs des rois et des grands en produits orientaux, - marchands d'esclaves aussi; des négociants venus de Frise et formant, par exemple à Worms et à Mayence, de .petites colonies rassemblées dans un quartier du faubourg ; enfin des marchands originaires de la région où ils exercent et qui ont pour ancêtres des ruraux. Dans la pratique de leur profession, ils jouissent d'importants privilèges économiques, judiciaires et fiscaux, concédés par les souverains, les princes territoriaux, les seigneurs urbains. Grâce à leur métier, qui les contraint à de fréquents déplacements, les mêle à tous les milieux, leur rend 45. En pays de langue germanique la préférence était donnée à wik : à l'origine, baie fréquentée par les navigateurs, puis, pat- extension, lieu de résidence des marchands (H. PLANITZ, Die deutsche Stadt im Mittelalter, Graz et Cologne, 1954, p. 54-55). - En France notamment, bourg, dépouillé de l'image évoquant une forteresse, a désigné non seulement comme aujourd'hui des agglomérations purement rurales, mais de petits centres artisanaux et commerçants situés souvent près d'une abbaye ou d'une résidence épiscopale.

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familières des pratiques telles que le change, les associations de capitaux et diverses formes de prêt, ils constituent des groupes actifs. Mais l'Eglise les entoure de méfiance, freine ou barre par ses préceptes leurs opérations ; les rois et les grands nourrissent une médiocre considération pour ces parvenus. En dehors des foyers commerciaux placés au moins à l'échelon interrégional, ils sont trop peu nombreux pour constituer une véritable classe d'argent. Envisagé de manière absolue, comme dans ses rapports avec les activités de l'époque, le rôle modeste des centres urbains et des populations marchandes est un trait caractéristique de notre haut Moyen Age.

CONCLUSION

Quel contraste entre cette morne Europe et les civilisations d'Orient, entre les cités squelettiques de France ou d'Angleterre et les villes qui s'épanouissent en Sicile comme en Andalousie, puis des rives du Bosphore à celles du Nil et de !'Euphrate ! Dans sa majeure partie, l'Occident vit sur la base d'une économie agricole et domaniale, où la spécialisation des activités est seulement esquissée, où les techniques de production, de transport, de consommation demeurent rudimentaires, où l'imagination, l'esprit d'entreprise, le goût du risque font souvent défaut. Les notions de capital, de bénéfice, de réinvestissement sont à peine ébauchées. Les prix sont néanmoins stables, et élevés par rapport au pouvoir d'achat des paysans et des artisans. Les façons de compter soulignent la persistance de pratiques prenant le métal précieux comme base. Mais, stipulés en or ou en argent, les règlements sont souvent opérés en nature, car les signes monétaires sont rares. Chacun s'emploie de préférence à « vivre du sien >. Un monastère du Brabant avait des vignes en pays rhénan ; l'abbaye italienne de Bobbio possédait des pâturages et des bois dans le comté de Plaisance, des olivettes sur les bords du

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lac de Garde. Mais les monastères, en tout temps, ont cherché à se suffire à eux-mêmes, suivant les recommandations formulées en 538 au concile d'Orléans, puis maintes fois renouvelées. La documentation nous ramène irrésistiblement vers eux. D'où certaines conclusions pessimistes sur la maigreur des échanges dans le monde occidental. En fait, l'économie n'est pas fermée, ni privée d'instruments de paiement. Un pareil type a-t-il jamais existé, même dans les sociétés primitives? C'est une économie de consommation, contrôlée par les rois et les chefs locaux, dont la sollicitude est souvent une gène plus qu'une aide, également surveillée par l'Eglise, qui a fait interdire le prêt à intérêt depuis la fin du VIII• siècle. Elle l'assimilait à l'usure et craignait que, portant sur des produits de subsistance, il n'entraînât une hausse des prix ruineuse pour les petites gens. C'est enfin, à maintes reprises, une économie de guerre, qui draine vers les armées une partie de la production. A l'exception des régions privilégiées, situées pour la plupart sur ses franges, l'Occident est un grand corps formé de multiples cellules que traversent des échanges frêles, intermittents, organisés spontanément en maigres réseaux. Nous sommes dans un monde rustique par les genres de vie, la nature des fortunes, la conception de l'autorité. On voit le labeur paysan assuré, en maintes circonstances, par la concession d'une terre ou par l'entretien sur le domaine du maître. On voit les agents des rois et des puissants, ainsi que les guerriers professionnels, servis par les mêmes moyens. Certes, les subordinations privées ont prêté leurs règles à des pratiques fondées sur l'argent et le crédit : témoins, à partir du XII• siècle, les rentes en fief. Elles ont pu s'adapter passagèrement à une active économie commerciale, lorsque les jeux politiques ou le hasard des conquêtes les exportèrent en des pays étrangers. Il y a eu des vassaux en Catalogne aux IX' et x• siècles. Il y en aura en Sicile et en Italie du Sud à l'époque normande, dans les Etats latins d'Orient à l'époque des Croisades. Ce fut toutefois dans les régions du monde franc où, à la faveur

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d'une extraordinaire rencontre, les formes de la richesse, la structure sociale et l'exercice du pouvoir reposèrent, pour l'essentiel, sur la terre que les liens de dépendance offrirent le spectacle d'une formation spontanée. C'est là qu'ils furent le mieux dessinés : d'un côté, les soumissions paysannes ; de l'autre, les fidélités personnelles honorées par des fiefs.

CHAPITRE II

LES PAYSANS ET LEURS MAITRES. LE CADRE DOMANIAL 1

I. -

VUE D'ENSEMBLE

Penchés sur les plans cadastraux, les fonctionnaires du Bas-Empire avaient le regard attiré par les grands domaines, assises des principales fortunes foncières 1 • Une demeure somptueuse, parfois entourée de portiques et ornée de sculptures, des bâtiments annexes et des ateliers, des habitations réservées aux principaux agents, des maisons paysannes, enfin un vaste terroir leur donnaient belle allure. Aujourd'hui encore, des communes de chez nous épousent leurs limites ou portent leur appellation sous la forme d'un nom d'homme, suivi d'un suffixe d'appartenance, celtique ou romain a. 1. Bibliogr., n 08 77-213 (p. 425-435), et Compléments, p. 427-428; 435-438. 2. Il subsiste de rares fragments d.as plans dressés sous l'Empire romain. A leur défaut, récits contemporains, anciennes lois barbares, modèles de déclarations fiscales, tables d'hypothèques, indices puisés dans la toponymie et l'archéologie fournissent des indications sur la répartition du sol aux IV• et V• siècles. 3. Ainsi Juillac, ou Floirac - en pays d'oïl, Juilly, Fleury. - A · l'époque romaine, le terme villa, qui a triomphé durant le haut Moyen Age, n'était guère appliqué qu'au chef-lieu de l'exploitation. Pour désigner l'ensemble du domaine, on lui préférait le mot fundus, accompagné d'un nom d'homme qui, en de nombreux cas, était celui du propriétaire dont les biens furent inscrits au cadastre sous Auguste, Tibêre ou Dioclétien. Il se maintint parfois pendant des siècles J\ travers les changements de personne. Mais deux réserves au moin&

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A l'intérieur de chaque exploitation nouvellement creee, c'est le maître qui organise l'installation des domestiques dans la maison ou les communs, et celle des paysans sur le terroir. La physionomie du domaine tranche donc, à certains égards, sur l'aspect des agglomérations dessinées par les collectivités rurales indépendantes 4. Ce n'est pas une raison pour opposer, en toutes circonstances, le domaine au village, pour étendre à la topographie et à l'habitat une antithèse qui existait surtout dans le statut des terres et des personnes : sur le domaine, subordination envers un maître, dans l'agglomération sans chef, indépendance et propriété. Si les domaines imprimaient leurs griffes sur le sol de nombreuses contrées romaines, ils ne triomphaient pas partout. Du IV' au VI' siècle, plusieurs milliers de petites agglomérations, habitées par des marchands, des artisans, des paysans, propriétaires de leurs maisons et de leurs champs, peuvent être décelées, sous le nom de vici, en Gaule et en Italie. Combien de chefs, depuis les temps celtiques jusqu'en plein Moyen Age, donnèrent leur nom à d'anciens villages sans modifier sensiblement leur structure, ni placer toutes les terres sous leur dépendance ! Ils en furent les patrons, mais nullement les seuls propriédoivent tempérer l'enthousiasme des toponymistes lancés sur les traces des grandes propriétés. Lorsque le cadastre fut dressé, chaque unité de possession y fut rappelée. Le fundus n'est donc pas toujours un grand domaine, ni l'éponyme un gros possesseur. En outre, des suffixes en ac, par exemple, ne furent pas greffés sur des anthroponymes, mais sur des noms de plantes ou de sols. Ils désignaient dans ce cas de simples lieux-dits. - Parmi les travaux récents, discutables sans doute, mais susceptibles de corriger les thèses d' Arbois de Jubainville, de Jullian, Grenier, Dauzat, citons A. DÉLÉAGE, La vie rurale en Bourgogne, p. 649-655 ; L. CHAMPIER, c: Les origines du terroir et de l'habitat en Mâconnais et en Chalonnais > (Etudes rhodaniennes, 1947, p. 206-238) ; M. RoBLIN, Le terroir de Paris aux époques galloromaine et franque ... Paris, 1951; In., c Les grands domaines de l'aristocratie gallo-romaine et la toponymie (Rev. anthropologique, 1956, p. 139-148). Voir également G. FouRNIER, Le peuplement rural en Basse-Auvergne (Complém. bibliogr., p. 427). Sur un domaine galloromain, Documents, no 13 (p. 343). 4. Même remarque pour l'Orient romain (Documents, no 4, p. 335337).

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taires. Assez souvent, le domaine ne préexiste pas au village. C'est un état second, moulé sur un vieil habitat et un terroir antique.

* ** Dans les régions de la Germanie demeurées à l'écart des influences romaines, la répartition de la propriété et de la vie rurale offrait, au IV' siècle, des images différentes des précédentes. Il existait de grandes propriétés, mises en valeur par des esclaves installés sur des terres et soumis à des redevances. Le maître vivait de ces revenus, grossis peut-être des produits d'une petite réserve exploitée par des domestiques. Mais ces domaines étaient assez rares. Le sol appartenait principalement à de petits ou moyens propriétaires rassemblés ici en groupes familiaux, là en communautés de hameaux ou de villages ayant droit de regard sur les aliénations des biens et sur les successions, exerçant en outre des droits d'usage sur les friches et les forêts. C'était un héritage de l'époque où, la prise de possession du sol s'étant faite non seulement par appropriation familiale mais par clans, des collectivités avaient imposé leur loi. Chez ces peuples, l'élevage, la cueillette, la chasse occupaient une place importante aux côtés de l'agriculture, demeurée rudimentaire en dehors des clairières privilégiées où la charrue à roues préparait la terre aux semailles, où les rotations, malgré le peu d'engrais, maintenaient l'exploitation des terroirs. Dans la majeure partie du pays, les champs étaient soumis à la culture temporaire durant plusieurs années consécutives, puis laissés en friches et livrés à de nouveaux labours au terme d'un long repos. Périodiquement, les groupes déplaçaient leurs cultures et leurs huttes à l'intérieur de zones de parcours où le nomadisme provisoire alternait ainsi avec la vie sédentaire. Bien qu'ils fussent peu nombreux devant d'immenses espaces vides, les Germains redoutaient d'autant plus le manque de terres que l'élevage exigeait beaucoup de place et que les sols lourds étaient peu recherchés. L'organisation

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des peuples germaniques trahissait ces conditions d'existence. L'instinct de propriété chez les hommes libres, l'attache à la glèbe chez les hommes asservis cédaient le pas aux fidélités personnelles, aux multiples solidarités de lignage, de clan, de tribu. Les cadres et les meilleurs éléments des troupes d'invasions furent fournis par les maîtres des domaines, suivis de leurs clients et de leurs esclaves. Ils le furent aussi par des groupes villageois ou familiaux qui abandonnèrent sans esprit de retour leurs terres ingrates. A vrai dire, les récits de César, de Pline l'Ancien et de Tacite, ainsi que les lois barbares et les trouvailles archéologiques, ne projettent que des lueurs papillotantes sur les civilisations rurales des pays d'autre-Rhin. Les incertitudes restent grandes dans une matière où il importerait de voir clair puisque nos sociétés du haut Moyen Age ont conservé la trace des influences léguées non seulement par Rome, mais par la Germanie 5 • 5. Une théorie a joui naguère d'une grande vogue : celle de la marche germanique. A l'en croire, les hommes qui passent du nomadisme pastoral à la vie agricole connaissent un stade intermédiaire de collectivisme agraire durant lequel ils sont des égaux et des associés. En prenant possession du sol, plusieurs siècles avant notre ère, les Germains l'ont réparti entre des groupes qui formaient autant d'unités politiques et sociales : peuplade, gau, centaine, marche de village. Cette dernière est une association familiale de type patriarcal, propriétaire du village qu'elle a constitué et dont elle exploite les terres labourables, les prés, les forêts et les friches. C'est elle qui répartit les lots cultivables entre ses membres ; elle aussi qui, lorsque le sol est épuisé au terme de plusieurs années d'exploitation continue, le livre à la pâture et découpe, sur le territoire labourable, une section nouvelle, partagée entre les habitants. Ce stade a été dépassé durant le haut Moyen Age. Le terroir villageois étant devenu stable et ayant été divisé en quartiers permanents, les membres de la marche ont reçu chacun un lot de semblable valeur, la hufe, formé de champs répartis entre les cantons du village et soumis à une rotation régulière des cultures. Dès lors, la propriété individuelle s'est développée aux côtés de la propriété collective. Bientôt, des familles villageoises ont arrondi leur part. Certaines devinrent assez puissantes pour imposer leur pouvoir seigneurial sur les communautés rurales sans rompre avec les usages agraires, les contraintes collectives et les coutumes familiales en honneur dans l'ancienne Germanie (cf. en particulier G. VON MAURBR, Geschichte du Jlarken-

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••• Comparés aux cadastres du Bas-Empire, des relevés du IX• siècle rendraient sensibles les changements apportés aux modes de répartition du sol. Distinguons entre la période qui suivit l'arrivée des Barbares, fédérés ou conquérants, et l'âge postérieur. Des auteurs des IV• et v• siècles ont exagéré les effets des migrations. Vivant sous la menace des « hordes innombrables > que leurs cauchemars entretenaient, ou pétris de réminiscences, ils ont cru ou affecté de croire à la fin du monde annoncée par les Pères de l'Eglise en expiation des péchés. Par réaction contre la rhétorique et les déclamations qui gâtent beaucoup de thèmes littéraires d'alors. des historiens ont tracé un tableau lénifiant des brassages de peuples. Ils ont retenu surtout les partages pacifiques ou l'infiltration légère des hors-venus et de leurs clientèles, fusionnant bientôt avec les populations romanisées. Ils n'ont pas senti que les invasions furent faites de beaucoup de sang, de ruines, de terreurs•. L'histoire de la vie rurale verfassung in Deutschland, Erlangen, 2 vol., 1865-1866 ; O. GœRn, Das deutsche Genossenschaftsrecht, 1, Berlin, 1868). La démonstration insiste à juste titre sur l'association de la culture et de l'élevage, le primitif déplacement des champs, les solidarités familiales. Mais elle comporte aussi des vues erronés sur les origines des communautés rurales et mëconnatt l'existence de la propriété f on-. cière individuelle - en dehors des maisons et des Jardins - dans la Germanie primitive. En fait, la marche est une création du haut Moyen Age et, plus encore peut-être, de la période des grands défrichements. Issue d'une entente entre les membres du groupe villageois, elle désignait non le village entier, mais la zone couverte de bois et de landes qu'il f a11ait préserver, parce qu'elle était le complément indispensable de la vie agraire. Mises au point et hypothèses par exemple dans R. KoTzscun, Allgemeine Wirts~haftsgeschichte des Mittelalters, p. 213 et suiv.; F. LÜTGE, Die Agrarverfassung des frahen Mittelalters, p. 294 et suiv. ; ln., Geschichte der deutschen Agrarverfassung ; H. BEcHTBL, Wirtschaftsgeschichte Deutschlands, 2• éd., 1951, p. 182 et suiv. ; LATOUCHE, Les origines de l'économie occidentale, p. 38 et suiv., 236-238. 6. Pour une plus Juste appréciation des faits, voir P. Cou!\CBLLB, Histoire littéraire des grandes invasions germaniques (Bibliogr., n° 82) ; L. MussBT, Les inva,ions (Complém. bibliogr., p. 428).

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s'intègre dans cet ensemble, est sujette aux mêmes exagérations. Pour les uns, il y eut rupture avec le passé ; pour les autres, continuité sans faille. On cherche aujourd'hui à reviser ces appréciations, à rendre sensibles les nuances et les disparités 7 • Gardons-nous cependant de demander aux sources plus qu'elles ne peuvent donner et, oublieux de la chronologie comme des diversités régionales, de voir partout, dès la fin du v• siècle, des Francs, des Alamans, des Burgondes ou des Goths. A un croisement de routes tel lieu-dit porte, seul de son espèce, un nom barbare : souvenir des garnisons chargées de le surveiller et de le défendre. Rien de plus. Telle agglomération a reçu un nom d'homme germanique, suivi soit des suffixes -iacus ou -ing, soit d'une finale, villa, villare, curtis, weiler ... Elle peut remonter aux invasions. Mais il s'agit souvent soit d'un établissement gallo-romain débaptisé au vu• ou au VIII' siècle, époque où des familles germanisèrent aussi leurs noms et adoptèrent le rite funéraire des Barbares, soit d'un établissement créé pendant la période franque, parfois beaucoup plus tard, et concédé à une famille comtale originaire d'Austrasie. Ce dernier trait est assez fréquent entre Seine et Loire, comme dans le Rouergue par exemple. Plus anciennes, en revanche, sont les désinences en -ingen, -ingos ou -ingas, attachées à un nom d'homme : signes de groupes installés autour d'un chef, ou de lignages unis par les liens du sang'. Les suffixes -ingaham ou -ington, répandus dans une partie de l'Angleterre anglo-saxonne, les terminaisons en -hem, -heim, -tun, -storf, fréquentes en Alsace, qualifient égale7. Aux études classiques, et donc dépassées, de Fustel de Coulanges et de L. Schmidt, par exemple, il y a lieu d'ajouter les travaux cités dans notre Bibliographie, n 08 77-114 (p. 425-427), et dans nos Compléments, p. 427-428. - Voir aussi l'introduction de DAUZAT au livre de TB. PERRENOT, La toponymie burgonde, Paris, 1942. 8. Ils ont eu de nombreux dérivés : - ingue ou - inghem en Flandre, - engo en Lombardie, - ange en Lorraine, dans le nord de la Bourgogne et du Jura, - ans en Franche-Comté et en Bresse, - ins en Savoie, - ens dans une partie de l'Aquitaine wisigothique.

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ment, lorsqu'ils sont précédés d'un nom d'homme, des groupes villageois qui ont emprunté ou reçu le nom du premier maître, du principal possesseur ou, parfois, d'un ancêtre hypothétique. Les La Fère rappellent les établissements créés par les membres d'un clan ou d'un lignage. Enfin, lorsqu'ils coïncident avec d'autres témoignages la présence de cimetières, par exemple - les noms communs germaniques attachés à un trait du paysage ou à un ouvrage fortifié sont des indices à peu près certains de la primitive installation des conquérants .



** Opérée en une seule fois, ou étalée sur une longue période, l'occupation germanique a pris des formes très diverses qu'expliquent le nombre des Barbares, la nature de la conquête, la répartition du peuplement indigène et le milieu géographique. Elle fut relativement forte dans le sud-est et le centre de l'Angleterre, occupée du v· au vu• siècle par de petites vagues d'envahisseurs qui exterminèrent ou chassèrent les grands propriétaires indigènes, et qui réduisirent à l'esclavage, ou à une condition sociale diminuée, les paysans bretons épargnés par la rafale. Elle le fut également en Gaule, à l'est ou au nord de la frontière linguistique, établie là où les Gallo-Romains restèrent assez nombreux pour opposer une barrière à l'expansion des parlers germaniques durant le haut Moyen Age •. En deçà de cette frontière, il n'y eut guère que des îlots barbares égrenés le long des vallées, éparpillés dans les plaines, ou cernant des marais et des massifs forestiers. On les 9. Même en des contrées aussi fortement germanisées que l'Alsace et l'est de la Lorraine, la substitution des toponymes germaniques aux noms celtiques ou romains parait avoir été assez lente. Elle n'était pas encore achevée au début du VIII• siècle. C'est vers ce moment, par exemple, que l'ancien domaine celtique, puis galloromain, de Disciacum a pris le nom de Hagambach (aujourd'hui Waldhambach, près de la limite des départements du Bas-Rhin et de la Moselle). Cf. Traditiones possessionesque Wizenburgenses, n 08 192 et 227, éd. Zeus, Spire, 1842. - Documents, n° 14.

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découvre dans le centre et l'ouest de la Lorraine, en Picar· die et en Champagne, dans le nord de la Bourgogne et du Jura, en Bresse et en Savoie ; ils diminuent entre Seine et Loire ; ils deviennent insignifiants au sud de ce dernier fleuve, sauf en quelques contrées de la moyenne Garonne, de l' Albigeois et des Pyrénées orientales, où la toponymie porte encore les traces de l'occupation wisigothique. Quant aux groupes qui avaient conquis l'Espagne et la Lombardie, ils imposèrent une domination politique sans procéder partout à une véritable colonisation. Pourtant, quelques centaines de milliers d'envahisseurs, installés en des pays peuplés de plusieurs millions d'hommes, ont modifié, profondément parfois, l'habitat et la répartition de la propriété. La remarque vaut surtout pour les contrées où les Barbares vécurent aux lieux et places des anciennes populations, refoulées ou exterminées. Elle intéresse également celles où vainqueurs et vaincus procédèrent à des partages selon les règles juridiques de « l'hospitalité > - vieux système appliqué par les Romains aux fédérés qu'ils avaient établis sur le sol de l'Empire. - Les exigences des Francs nous sont inconnues. Mais les Wisigoths réclamèrent les deux tiers des terres, les Ostrogoths et les Lombards le tiers ; les Burgondes oscillèrent entre la moitié et les deux tiers. Esclaves, bois et landes firent l'objet de dispositions particulières. Appliqués à la lettre, les partages auraient entraîné un prodigieux morcellement du sol et contraint les Barbares à s'égailler, donc en bien des cas à courir à leur perte. Car, autant que les terres du fisc et les grands domaines, les petites propriétés firent les frais de l'opération. Que se passa-t-il en réalité ? Le processus est si mal révélé par les sources qu'il a donné lieu à des explications contradictoires 10• On peut imaginer l'affirmation d'un principe 10. Exemples : F. LoT, Du régime de l'hospitalité ; et, de façon plus convaincante, M. BLOCH, Les invasions : occupation du sol et peuplement (Bibliogr., nos 103 et 78) ; L. MussET, Les invasions : les vagues germaniques, p. 284-288 (Complém. bibliogr., p. 428).

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général : dans la région soumise à l'hospitalité, tous les propriétaires sont soumis au partage. Puis les terres sont regroupées par voie d'échanges, et les Barbares reçoivent des lots inégaux suivant leur rang social, en même temps qu'une partie des esclaves. Un propriétaire romain disposait-il de trois villae par exemple ? Il en cède une, si la règle est celle du tiers, et conserve les deux autres. N'en avait-il qu'une seule ? Il la partage avec un chef germanique et ses dépendants. Le cadre est-il fourni par le village sans maître, composé de petites et de moyennes propriétés rurales ? Une fois terminés le découpage et le remembrement, le groupe indigène se trouve cantonné dans un secteur du terroir, tandis que, non loin de là, le clan germanique conserve son unité. Mais on a maintenu, provisoirement du moins, la notion de contrat individuel entre chaque propriétaire, grand ou petit, et chaque hôte : le premier cédant une parcelle en usufruit, le second devenant un protecteur. Un hôte barbare pouvait donc avoir autant de propriétaires qu'il disposait de parcelles enlevées à divers possesseurs, et un propriétaire autant d'hôtes qu'il avait distribué de parcelles. Hommes des champs et des bois, les envahisseurs ont peut-être reproduit les dessins villageois qui leur étaient familiers, remanié les terroirs, importé des techniques associant la culture à l'élevage. Toutefois, une impression demeure. Les cadres de la vie rurale, les formes de la propriété, les méthodes d'exploitation furent moins bouleversés que l'organisation politique, la répartition des hommes, la mentalité des sociétés .

••• Les chapelets de villages qui s'égrenaient, au lendemain des invasions, dans les contrées occupées par les Barbares n'ont pas tous conservé leur indépendance. Certes, en Bretagne, dans le centre et le sud de la Gaule, en Flandre et dans les Pays-Bas,... de petits propriétaires ont poursuivi leur existence durant le haut Moyen Age. Ils

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se sont maintenus également, malgré les guerres et les changements de domination, en Italie centrale et méridionale, dans la péninsule ibérique, en Germanie où des communautés villageoises freinèrent la marche envahissante de la grande propriété. Foule obscure, le plus souvent insaisissable. La haute société voit de plus en plus dans le domaine la forme principale de la richesse et du commandement des hommes, l'organisme agricole et artisanal le mieux adapté à la situation politique et économique 11• Les rois installent les membres de leur entourage sur des propriétés voisines des résidences monarchiques de Paris, d'Orléans, de Metz, multiplient les concessions foncières en faveur des hommes qui peuvent les servir. Par leurs soins et par ceux des grands, les temporels monastiques se grossissent de nombreuses villae, défendues en principe contre les partages par les décisions des conciles interdisant, depuis le VI' siècle, l'aliénation des biens ecclésiastiques. Près des bâtiments abbatiaux, comme autour des prieurés, les moines remettent en valeur des terres abandonnées, attaquent la bordure des massifs boisés, ou portent la hache au cœur des zones forestières des Vosges, du Jura, des Ardennes, du Hainaut. Mérovingiens et premiers Carolingiens confisquent des terres dans les contrées nouvellement conquises de la Germanie : Alémanie, Franconie, Thuringe, Saxe. L'évangélisation s'y poursuit à coups d'évêchés et d'abbayes qui reçoivent d'énormes dotations et s'inspirent partiellement des méthodes d'exploitation en usage dans le Bas-Empire finissant. En outre, venu d'en bas, un puissant mouvement de « dédition >, d' « offre de soi-même > porte de petits 11. Outre les travaux d'ordre général déjà cités, rappelons, pour la France, les études de L. CHAMPIER, de M. RoBLIN et de G. FOURNIER, mentionnées ci-dessus p. 66 (en note) ; de Ch. H100UNET, L'occupation du sol entre Tarn et Garonne (Bibliogr., n° 94) ; de J. BoussARD, Le peuplement de la Touraine (Bibliogr., n° 79) [etc.]. - Sur l'Allemagne, W. ABBL, Geschichte der deutschen Landwirtschaft; Fr. L6TGE, Geschichte der deutschen Agrarverfassung (Comp1'ments, p. 485 et 487).

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propriétaires vers les dépendances privées. Certains agissent par piété. Ils donnent, c pour Jeur âme >, des biens à un établissement ecclésiastique qui leur en laisse la jouissance à titre gracieux ou contre une faible redevance. D'autres ont des soucis exclusivement temporels. Le bien dont ils cèdent la propriété leur est rétrocédé en usufruit - à vie, ou pour plusieurs générations - par le bénéficiaire de la donation, qui leur concède de son côté une autre terre dépendante et perçoit ordinairement sur l'ensemble un cens peu élevé, simplement récognitif 11• Devenus tenanciers, ils possèdent des moyens d'existence supérieurs à ceux qu'ils détenaient comme propriétaires. Enfin, pour obtenir la protection d'un puissant voisin, éteindre les dettes criardes ou échapper aux charges publiques, des paysans engagent leurs biens et leurs personnes. Ils suivent ainsi l'exemple des ruraux qui, aux IV• et V' siècles, s'étaient placés dans le patronage des grands 13 • Des domaines s'accrurent à la suite de ces opérations, poursuivies parallèlement aux engagements vassaliques.

Il. -

BRÈVES INDICATIONS SUR LES SOURCES

Ces domaines, il importe de les décrire là où ils apparaissent en bonne lumière : Gaule, Italie du Nord, Catalogne, ouest et sud de la Germanie du VIII• au X' siècle. II faut en connaître l'étendue, les éléments constitutifs, l'organisation et l'exploitation. L'entreprise est possible 12. Ce sont là quelques types du contrat de précaire (de preces, prière, car l'intéressé s'adressait sous cette forme, réelle ou supposée, au concédant. Exemples dans LESNE, La propriété ecclésiastique, t. 1, ch. xxv). - Documents, n° 15 (p. 345). 13. F. MARTROYE, c Les patronages d'agriculteurs et de vici aux IV• et V• siècles > (Rev. hist. de Droit français et étranger, 1928, p. 201-248) : L. HARMAND, Le patronat sur les collectivités publiques, des origines au Bas-Empire, III' partie ; ID., Libanius, Discours sur les patronages (Bibliogr., n°• 163 et 164). - Sur les tentatives des ruraux pour échapper au fisc et sur les malheurs des collecteurs d'impôts, Documents, n°• 4 et 5 (p. 335-337).

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grâce à de précieux documents, jeunesse de notre histoire rurale. Inscrivons en tête les polyptyques, également appelés censiers : inventaires partiels des biens et des droits domaniaux appartenant à des établissements ecclésiastiques. II y en a de tous ordres. Les plus détaillés et les plus complets dénombrent les domaines relevant par exemple d'une abbaye - sauf les biens concédés en précaire ou en bénéfice. - Puis ils mentionnent pour chacun d'eux sinon toujours les revenus de la réserve, du moins ses éléments : bâtiments et terres, équipement agricole, esclaves et bétail. Ils énumèrent les tenanciers, ainsi que les tenures et leurs charges - sauf les dîmes - : statut juridique, superficie, redevances et services 1'. Le polyptyque fait figure d'acte authentique. Il fixe la coutume du domaine, garantit les droits du maître, protège aussi les sujets contre ses abus de pouvoir. La pratique de ces documents remonte au Bas-Empire, où elle a pu s'appuyer sur le cadastre. Elle s'est perfectionnée ensuite. Les commissaires d'une abbaye dressent l'inventaire de chaque villa après avoir confronté les déclarations des tenanciers et celles des agents domaniaux. Puis ils rassemblent, par régions, ces divers états avant d'établir un polyptyque général, sujet de loin en loin, comme les documents de base, à d'indispensables rectifications. De telles opérations étaient longues, difficiles, onéreuses. C'est pourquoi cet instrument capital de l'administration domaniale ne s'est pas généralisé, même dans le monde ecclésiastique, à plus forte raison chez les laies, qui ne nous ont laissé aucun acte de ce genre. Sa grande époque est le IX' siècle, sous les effets conjugués des recommandations impériales, dictées par des préoccupations fiscales, de l'essor monastique et de la renaissance intellectuelle. D'autre part, au lendemain des invasions normandes, des abbayes ont fait dresser par ce moyen un état de leurs terres et de leurs droits 11 • 14. Documents, n° 16 (p. 346 et suiv.). 15. Le polyptyque le plus anciennement connu - avec celui de l'évêché d'Augsbourg - et le plus riche en renseignements est celui de Saint-Germain-des-Prés, rédigé sur l'initiative de l'abbé Irmlnon,

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Mentionnons également deux sources fort importantes, qui ont trait surtout à la mise en valeur des réserves domaniales. L'une est le Capitulaire De Villis, promulgué probablement vers la fin du VIII' siècle par Charlemagne. Ses prescriptions, valables pour l'ensemble des domaines impériaux - en France tout au moins - sont un rappel et une confirmation des usages susceptibles d'assurer la bonne exploitation des fiscs, comme des grandes propriétés de l'époque 16• L'autre source est représentée par trois « Exemples d'inventaires pour décrire les biens ecclésiastiques et les fiscs >. L'un d'eux inventorie les réserves de cinq fiscs royaux de Flandre et d'Artois : maisons et bâtiments d'exploitation, équipement agricole, provisions, bétail et basse-cour, enfin, pour deux propriétés, plantes cultivées et arbres des vergers. Au cours de leurs tournées, les missi présentaient ces modèles aux principaux fonctionnaires, ainsi qu'aux maîtres des domaines, et les engageaient à s'en inspirer. Nous avons là une mise en œuvre des règles d'administration édictées notamment par le Capitulaire De Villis 11• Divers documents mériteraient encore d'être cités : inventaires énumérant les biens immobiliers d'un propriétaire (villae lui appartenant en propre, biens concédés en préprobablement au début du règne de Louis le Pieux. Des feuillets manquent à ce document, qui porte sur vingt-cinq villae, alors qu'il en dénombrait une trentaine. Une mention particulière doit être également donnée au polyptyque de l'abbaye de Prüm, dans l'Eifel, qui date de 892-893. Retenons encore les polyptyques, tous fragmentaires, de Saint-Rémi de Reims, de Saint-Bertin en Artois, de Saint-Victor de Marseille, de Lorsch en Franconie rhénane, de Lobbes dans le pays de la Sambre, de Bobbio et de Brescia en Lombardie. L'usage de ces actes s'est perpétué jusqu'en plein XII• siècle. 16. L'origine, la date de rédaction et surtout la portée du Capitulaire ont fait l'objet de débats d'autant plus âpres que les érudits l'ont invoqué à l'appui de leurs théories sur l'économie carolingienne. Voir notamment M. BLoce, Le Capitulare de Villis ; Fr. L. GANSHOP, Observations sur la localisation du Capitulare de Villis (Bibliogr., n 08 119 et 154) ; A. VERHULST, Das Capitulare de Villis (Complém. bibliogr., p. 438). 17. Cf. en dernier lieu Pe. GRIERSON, The identitg of the unnamed fiscs in the Brevium Exempla ... (Bibliogr., n° 160).

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caire ou en bénéfice) ; coutumiers fixant les rappol'ls entre seigneurs et paysans ; livres de tradition, ou recueils d'acquisitions faites par des établissements ecclésiastiques ; descriptions de villae, chartes de donations aux églises, testaments; statuts promulgués par des abbés ; capitulaires et diplômes royaux consacrant quelques paragraphes à l'exploitation domaniale et aux classes rurales 11 ••• La richesse relative de cette documentation, où les actes de la pratique s'ajoutent aux indications fournies par les polyptyques, ne saurait en dissimuler les lacunes. Ses pièces majeures concernent les classes fortunées. Les cadres de la vie rurale étrangers aux domaines, les communautés paysannes, les alleux des cultivateurs et des hobereaux de village, dont on devine un peu partout la présence, n'entrent ordinairement en scène que par le détour des actes concernant les biens des églises ou les rapports de la société laïque avec les clercs et les moines. Notre dossier est incomplet 19• 18. Exemples d'études critiques de ces sources et des polyptyques dans le cadre d'un temporel ecclésiastique ou d'une région : il y a un siècle, les travaux de BENJAMIN GUÉRARD, Polyptyque de l'abbé Jrminon; de nos jours, les thèses de CH.-E. PERRIN sur la Lorraine, d' A. DÉLÉAGE sur la Bourgogne, de PH. DOi.LINGER sur la Bavière (Bibliogr., nos 161, 192, 134, 136), de H. PLATELLE sur Saint-Amand (Complém. bibliogr., p. 438). 19. D'où les controverses érudites qui ont mis aux prises les historiens de l'économie rurale durant le haut Moyen Age, particulièrement en Allemagne : Inama-Sternegg, Gierke, Wittich, Caro, Dopsch... (controverses rappelées par Cu.-E. PERRIN, c Le grand domaine en Allemagne au Moyen Age >, dans Soc. Jean Bodin, IV, p. 115-147; c La société rurale allemande du x• au XIII• siècle >, dans Rev. historique de Droit français et étranger, 1945, p. 84-102). Selon Dopsch, notamment, la petite propriété occupait à l'époque carolingienne des surfaces supérieures à l'ensemble des villae : thèse reprise tout récemment par R. LATOUCHE, Origines de l'économie occidentale, p. 205-235 (Bibliogr., n° 12). Il serait plus exact de dire que les petites exploitations, sous forme de tenures et d'alleux, couvraient une étendue qui dépassait, au total, celle des grandes. Sans emporter toujours la conviction dans une matière où nous sommes privés de toute statistique et où il faut avoir le diable au corps pour asséner des affirmations tranchantes, l'argumentation de Dopsch et de ses continuateurs a permis de reviser des appréciations

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III. -

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SUPERFICIE ET TOPOGRAPHIE DES DOMAINES

Héritières des domaines romains, ou créations du haut Moyen Age 10, les villae de la période carolingienne offraient des aspects variables avec le milieu géographique, la structure agraire, l'habitat, les circonstances qui avaient présidé à leur évolution. Cette diversité apparaîtrait mieux encore si notre vision, limitée souvent aux possessions royales et ecclésiastiques, embrassait davantage celles des laïcs, si nous pouvions suivre les villae, grandes et petites, de leur naissance à leur fin, au lieu de les saisir au vol durant un ou deux stades de leur histoire. Pourtant, les images de ce temps ne sont pas toujours effacées au point qu'on ne puisse les faire revivre 11 • Au premier siècle de notre ère, un agronome romain, Varron, conseillait au grand propriétaire de fixer sa résisimplistes sur l'économie du haut Moyen Age, le triomphe du grand domaine et la généralisation des dépendances paysannes. Sur ces problèmes, voir aussi G. DusY, L'économie rurale, t. 1 (Compléments, p. 436). 20. A. VERHULST a mis vigoureusement l'accent sur le second trait (La genèse du régime domanial. Complém. bibliogr., p. 438). 21. Non sans mal. Tantôt l'équivalence entre les mesures du IX• siècle et les nôtres demeure incertaine ; tantôt la superficie des villae ne peut être estimée que d'après le nombre des manses. En outre, si la topographie d'une villa groupée est parfois discernable, celle des domaines formés de terres dispersées demeure le plus souvent insaisissable. Est-il besoin de rappeler que la terminologie médiévale complique la tàche de l'historien? Villa signifie ordinairement c domaine >, parfois c village >. En outre, le terme a des synonymes, eux-mêmes susceptibles de plusieurs significations : tel curtis, fréquent en Lorraine, où il désignait également, au sens restreint, le centre de la réserve, avec sa maison et ses dépendances immédiates ; tels encore mansellus, mansionile, curticella, parfois simples exploitations paysannes, parfois domaines créés sur des défrichements, ou détachés des fiscs royaux. Ces expressions ont laissé des traces dans la toponymie : ainsi les Mesnil, ou les Courcelles, nombreux dans l'ouest de la France.

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dence sur le flanc d'une colline à pente légère, exposée à l'est, à proximité d'une source ou d'une belle eau courante, et non loin d'une route, enfin à mi-chemin des bois et des prés. De là, il pouvait commander à tout le domaine, diriger l'exploitation. Des découvertes archéologiques ont permis de retrouver des villae répondant à ces vœux. Ce sont les pays de champs ouverts et d'habitat aggloméré qui ont fourni les conditions les plus favorables à leur épanouissement : ainsi les régions calcaires, anciennement défrichées, du Bassin de Paris, la Flandre, la Lorraine, une partie des pays rhénans n. Souvent, elles couvrent cinq cents à douze cents hectares : association d'une importante exploitation dirigée par le maître ou ses fondés de pouvoirs, et de fermes dépendantes. Leurs contours sont soulignés par des obstacles du relief, par des chemins, des ruisseaux, des zones incultes. Tracées en fonction des ressources du terroir et faites à la mesure du pouvoir de rayonnement de la charrue, elles forment autant d'unités rationnelles qui, au prix d'adaptations successives, ont résisté à l'usure du temps. Bien des villae, cependant, présentent un aspect différent. Certaines ont quelques dizaines d'hectares et sont tout au plus à l'échelle du hameau. Partages successoraux, ventes, donations ont fragmenté d'anciennes exploitations malgré les usages qui s'opposaient à ces pratiques. Mais des domaines ont toujours été fort exigus et n'ont occupé qu'une fraction du village. Le trait peut refléter le rang social médiocre de ses possesseurs successifs. Il peut être dû aussi au milieu physique : enfermée dans une boucle de l'Orne, dont le sol était en partie boisé, la villa de Clécy n'avait guère qu'une centaine d'hectares 18• Ou bien, il est en relation avec la structure agraire et l'habitat. Les nombreux « écarts > du Maine et de la Bretagne - petits 22. R. DION, « La part de la géographie et celle de l'histoire dans l'explication de l'habitat rural du Bassin parisien > (Publications de la Soc. de Géographie de Lille, 1946, p. 18-25). - Documents, n° 16 (p. 346 et suiv.). 23. L. MussET, Les domaines de l'époque franque, p. 26 (Bibliogr., n° 188).

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hameaux et fermes isolées - se prêtaient assez mal à la création de vastes exploitations. Ici, le cadre principal est moins le domaine que la paroisse. Unissant au c bourg > des hameaux et des fermes isolées, elle préfigure ordinairement la commune de l'Ouest bocager H. Par contraste avec les modestes propriétés, des domaines atteints de gigantisme s'étalent sur un territoire considérable : trente mille hectares en ce qui concerne le domaine royal de Benevagienna, en Italie du Nord ; dix-neuf mille pour celui de Saint-Pierre de Leeuw, en Brabant, type d'exploitation groupée 11• Souvent, il est vrai, de pareilles formations sont des domaines seconds, plutôt qu'originels. A telle villa monastique, les libéralités des fidèles et les achats ont ajouté des champs et des habitations. Telle autre, grâce à des défrichements, s'est prolongée par des c appendices >. Il arrive enfin que plusieurs villae voisines soient rassemblées en un seul domaine, aux pièces disparates et mal soudées. Un type particulier de grande possession était représenté par les fiscs : organismes formés d'une villa principale et de villae subordonnées 18• Le fisc était une unité administrative, souvent aussi une unité d'exploitation, bien que ses terres ne fussent pas toutes contiguës. Sur la villa principale, faite surtout d'une réserve, venaient travailler les paysans des villae subordonnées, qui comprenaient presque uniquement des tenures. Depuis l'époque mérovingienne, les souverains ont appliqué largement le système, de sorte que les fiscs les mieux connus ont appartenu soit au roi, soit à des communautés religieuses qui ont béné2-i. R. LATOUCHE, Origines de l'économie occidentale, p. 75 et suiv. 25. P. BoNENFANT, La notice de donation du domaine de Leeuw à l'église de Cologne (Bibliogr., n° 126). 26. Ainsi, dans la région de Lille, le fisc d' Annapes comprenait une villa principale de 2 000 hectares et trois villae subordonnées, ayant chacune entre 200 et 300 hectares. Les terres arables occupaient 35 % environ de la superficie totale (GRIERSON, art. cité sur les Brevium ezempla, dans Rer,. de Philol. et d'Hist., 1939, p. 438 et suiv.). L'expression curtis dominica désignait parfois la villa principale. Elle a survécu dans les villages appelés Courtemanche, Dimancher,ille.

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ficié d'une donation royale 11• Certains ont prêté leurs limites à des communes actuelles : ainsi le fisc de Jumièges, d'une superficie de 4 800 hectares ; celui de Pitres, auxquels correspondent les territoires de Pont-de-l'Arche et du Manoir ; celui de Vaudreuil, qui englobait Notre-Dame-duVaudreuil, Saint-Cyr, Léry; ou en Flandre, ceux de Cysoing et de Somain, répondant chacun au territoire de trois communes. Quelques-uns étaient voisins et constituaient de véritables districts : par exemple, au VI' siècle, les fis-es situés près des confluents de l' Andelle et de l'Eure avec la Seine 11 •

* ** La villa composée de terres qui sont toutes, ou presque toutes, en un tenant, est familière aux lecteurs des polyptyques concernant l'Ile-de-France. Ce n'est là qu'un de ses aspects. En Germanie, notamment, elle était faite souvent de pièces éparpillées à l'intérieur de plusieurs villages. L'Italie offrait de pareils exemples : tel, au x• siècle, le domaine de l'évêché de Lucques, dont les terres se dispersaient de la vallée moyenne du Serchio aux monts pisans H. La France également, quoique dans une moindre mesure. Dans le nord-est de la Bourgogne, des domaines se ramassaient dans le même village - sans le prendre nécessairement tout entier, - ou se répandaient sur plusieurs agglomérations voisines. Dans le sud-ouest, 27. Une théorie présentée par INAMA STERNEGG est restée longtemps classique. L'auteur voyait dans les fiscs royaux une création de Charlemagne et soutenait que, pour répondre aux sollicitations de l'empereur, les établissements ecclésiastiques avaient groupé leurs villae en unités du même type (Deutsche Wirtschaftsgeschichte, t. 1, 2• édit., 1909). En fait, les fiscs royaux sont antérieurs au IX• siècle. Et, bénêficaires ou non d'un fisc concédé par le souverain, les monastères n'ont pas étendu l'organisation à l'ensemble de leurs biens. Les villae de Saint-Germain-des-Prés, par exemple, étaient indépendantes les unes des autres. 28. L. MussET et PH. GRIERSON, art. cités (Bibliogr., nos 188 et 160). 29. G. LuzzATTO, 1 servi ..., p. 21 et suiv. - Epreuve contraire : le domaine de Lavaggio, en Lombardie, très fortement groupé.

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leurs éléments s'éparpillaient davantage et s'entremêlaient avec des biens relevant de plusieurs seigneurs et d'alleutiers 80• Le trait était parfois en rapport avec l'habitat, plus concentré en Dijonnais qu'en Charolais et qu'en Mâconnais. Mais ce rapport n'avait rien de constant, même à l'échelle régionale 31 • Au début du XI" siècle, le terroir de Sercy, situé au nord de Cluny, se trouvait partagé entre dix-neuf seigneurs et quatorze paysans alleutiers. Défriché sans doute à l'époque gallo-romaine, il avait connu depuis lors tous les morcellements qu'apportent les changements de propriétaires, les successions, les mariages, les ventes. A quatre kilomètres de là, le jeune terroir de Chazelle, taillé dans une forêt, était le siège d'un seul domaine en un tenant, borné par les mêmes limites que la paroisse. c C'est la terre neuve qui soutient les domaines cohérents 31 • > Et nous en revenons aux mêmes remarques. Le domaine est une création de l'homme sujette à des remaniements, une exploitation privée moins stable que le village ou même que le hameau, unités d'habitat. Des terres nouvelles s'y ajoutent au moment où d'autres lui échappent. Un type groupé peut se substituer à un organisme fait aux origines 30. Des exemples de grandes exploitations concentrées dans la même agglomération sont fournis par Ormoy, en Auxerrois, et Aiserey, en Dijonnais. Inversement, le domaine de Mimeure-en-Auxois se dispersait sur douze villages distants de plus de vingt kilomètres (DÉLÉAGE, La vie rurale en Bourgogne, p. 479-481). Un autre exemple de dispersion, dans le pays de Dreux cette fois, est procuré par la villa de VilJemeux qui, avec ses 6 000 hectares, représentait le plus vaste domaine de Saint-Germain-des-Prés. L'exploitation principale était de type groupé. Mais les dépendances s'étalaient jusqu'à trentesept kilomètres de la demeure du maître (L. HALPRBN, Etudes critiques sur l'histoire de Charlemagne, p. 253-259). St. A plus forte raison à l'écheUe de l'Occident, malgré les affirmations de DÉLÉAGE, qui établit des rapprochements trop systématiques entre la seigneurie continentale, le c1an et le gros village, comme entre la seigneurie méditerranéenne, la famille au sens large et le hameau (ouvr. cité, p. 448). 32. G. DUBY, La société en Mdconnais, p. 67-69. - Aux IX• et X• siècles, les Ardennes belges offrirent asile à des domaines également contrastés : les uns compacts, les autres répartis sur plusieurs clairières.

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de parcelles dispersées, et inversement. Une villa se désin· tègre alors que, tout près d'elle, des exploitations sont rassemblées de manière à constituer un nouveau domaine. L'existence du genre est incontestable. Mais il faut associer aux traits communs les types régionaux ou individuels. Lorsqu'il veut généraliser, l'historien bute sur des constatations qu'il appelle, selon son humeur, des cas aberrants ou des contradictions. Ces dernières existent surtout par rapport aux systèmes que sa pensée élabore.

IV. -

STRUCTURE ET COMPOSITION DES DOMAINES II

Le domaine est directement par le titue la réserve as ; concédées pour la

partagé en deux sections". Exploitée maitre et ses agents, la première consla seconde est fractionnée en tenures plupart à des paysans.

A. LA RÉSERVE

A l'intérieur d'un vaste enclos souvent désigné par le nom de c cour >, que la toponymie a retenu, voici une 33. Documents, n° 16 (p. 346 et suiv.). Travail le plus récent : A. VERBULST, La genêse du régime domanial (Complém. bibliogr.,

p. 438). 34. Du moins ordinairement, car des cas d'espèce rompent l'uniformité du genre. 35. Terme moderne, consacré par l'usage. A l'époque carolingienne, on disait notamment mansus indominicatus, ou indominicatum, expressions soulignant que les biens réservés relevaient directement du maître par opposition soit aux terres concédées à des tenanciers, soit, plus rarement, aux biens donnés en précaire ou en bénéfice. Des historiens restent fidèles à la formule : domaine = réserve. Pour le haut Moyen Age, toutefois, domaine peut être employé au sens large, comme synonyme de villa, afin de désigner le complexe réserve-tenures, décrit en tant qu'unité économique, puis en tant que seigneurie.

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maison d'habitation pour le maître ou le régisseur, puis des bâtiments d'exploitation, - cuisine, boulangerie, cellier, pressoir, four et forge, granges et étables, ateliers ; - en outre un dortoir ou des cabanes pour les esclaves, puis un oratoire sur l'emplacement duquel s'élèvera l'église paroissiale. Voici, tout proches, un jardin et un verger, parfois un étang et un moulin"· Dans le finage, s'étendent des champs et des prairies, ainsi que des bois ou des friches qui tantôt s'intercalent entre les terres arables, tantôt sont rejetés aux limites. Assez souvent, le groupement des parcelles est plus accusé dans les pays bocagers que dans ceux de champs ouverts, où les terres arables sont distribuées entre les soles du terroir et soumises aux lois collectives qui régissent son exploitation, où par conséquent des tenures paysannes s'entremêlent avec la réserve et adossent leurs sillons à l'enclos qui protège la ccour > domaniale. Mais le contraste ne doit pas être exagéré. Le maître recherche les meilleures terres principalement aux alentours des villages et des hameaux, où la présence de l'homme a engraissé le sol, où la main-d'œuvre est proche. D'importants quartiers de terres arables, les coutures ou condamines, constituent la section principale de nombreuses réserves. Certaines couvrent plusieurs dizaines d'hectares en un tenant et sont encloses afin d'être soustraites aux contraintes de la communauté rurale. Le maître, en effet, a procédé à des remembrements. Ou bien il s'est taillé de vastes parcelles qui trouent les grands bois. Les coutures furent un tel événement dans l'histoire de la villa que la toponymie l'a enregistré 37 • 36. Nous avons conservé le plan de la c cour > de Saint-Gall, dessiné entre 816 et 829. Ses dispositions grandioses tranchaient 'Sur la topographie courante des petites ou moyennes réserves. Pour la reproduction de ce plan, voir HANS REINHARDT, Der karolingische Klosterplan von Sankt Galien (Schweiz), Saint-Gall, 1952. 37. Traduction de cultura, le terme a reçu diverses significations. C'est ainsi qu'au X• siècle, en Bourgogne méridionale, la couture évoque la première occupation du sol par la collectivité villageoise, c les terres fertiles et légères auprès desquelles le groupe agricole s'est fixé, la partie cohérente, la partie ancienne, le premier noyau

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B. LES MANSES

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Observons maintenant la seconde section du domaine. Pour ceux qui attachent intérêt aux vieux termes campagnards, quoi de plus évocateur que le mesnil normand, le meix bourguignon ou lorrain, la masure orléanaise ou angevine, le mayne gascon, le mas provençal? Greffées sur un tronc commun, ces expressions désignent une antique unité du terroir arable > (DÉLÉAGE, La vie rurale en Bourgogne, p. 301-302 et 460). En Namurois, par exemple, et dans une partie de l'Allemagne, le mot désignait de grandes pièces de terre rattachées à des réserves surtout aux époques de défrichements. Elles contrastaient avec les champs en lanière des tenanciers (GÉNICOT, L'économie rurale namuroise, 1, 93-98 ; 347-361. - Bibliogr., n° 167). L'origine du mot condamine est discutée. On a suggéré c cum domino >, ou indominicatum : la terre qui reste au seigneur (DÉLÉAGE, p. 466 ; LATOUCHE, Origines de l'économie occidentale, p. 231, n. 1). Mais, ironie du sort, le terme peut désigner aussi un manse paysan habité par une communauté familiale (BLOCH, Caractères originaux, p. 155-156). Sur ces questions, lire également G. FOURNIER (Complém. bibliogr., p. 427). 38. De mansus, dérivé de mansio, demeure. Des mots tels que factus (= c fait >, dans le sens de c bien >, d' c avoir >), sors et colonica (colonge) sont parfois synonymes de mansus. Comme toute institution de longue durée, le manse a donné lieu à des déviations terminologiques où l'on s'est parfois perdu. En tant qu'exploitation agricole, il revêt une double signification. Au sens restreint, qui est le plus ancien et qui fut le plus tenace, il désigne la parcelle bâtie, le jardin et les terres voisines : donc, le cœur de la cellule rurale - meix, mas, courtil, masure. - Au sens large, où nous l'emploierons, il s'applique à toute l'exploitation et représente, en outre, au sein de la seigneurie rurale, une unité de tenure. Types d'études : F. LoT, Le jugum, le manse et les exploitations agricoles de la France moderne (Mélanges Pirenne, p. 318 et suiv.) ; P. DB SAINT-JACOB, La structure du manse (Ann. de Bourgogne, 1943, p. 173-184) ; CH.-E. PERRIN, Le manse dans la région parisienne (Ann. d'Hist. soc., 1946, p. 39-52) ; H. DuBLED, Encore la question du manse (Rev. du Moyen Age latin, 1949, p. 203-210) ; R. LATOUCHE, Le manse en Provence au X• et au XI• siècle (Recueil de travaux offerts à Clovis Brunel, II, 101-106). Cf. aussi les travaux de GRAND, HERLIHY et PERRIN (Complém. bibliogr., p. 437-438).

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d'exploitation : le manse. Le mot n'apparaît dans ce sens qu'au VII• siècle. Mais il habille une institution qui se retrouve sous divers noms en Occident : hufe ou hube dans les pays germaniques, bide en Angleterre, bol en Danemark, attung en Suède, ran en Armorique ... Le manse est formé en premier lieu de remplacement, souvent garni de clôtures, sur lequel sont édifiés la maison et les bâtiments agricoles. Un jardin et des terres contiguës, soustraites aux droits collectifs du groupe villageois font corps avec lui et peuvent recevoir une désignation particulière : aile en Bourgogne, ouche dans le Maine et la Champagne. Il comprend enfin, ou bien il a pour dépendances des champs, parfois des prés. Des droits d'usage sur les bois et les friches du village ou du domaine sont liés à sa possession. Le manse épouse les formes du relief, se moule sur la disposition des sols et de l'habitat. Dans les contrées de champs ouverts et d'habitat concentré, l'enclos bâti est ordinairement au village, tandis que les champs se répartissent entre les quartiers du terroir 39 • Au contraire, le manse est plutôt en un tenant dans les pays d'habitat disséminé, où des fermes isolées règnent chacune sur les champs voisins qui s'ordonnent autour d'elles'°· Dès les origines, puis au cours des âges, sa superficie moyenne a varié avec la catégorie juridique dont il rele39. Parfois, cependant, des villages construits sur un défrichement forestier sont composés d'une seule rue bordée de maisons qui ont chacune leurs champs derrières elles. (R. DION, L'habitat rural du Bassin parisien, p. 36-38. Bibliogr., n° 87). 40. Quand les textes décrivent les confrontants d'un manse groupé, il est possible d'imaginer son dessin. Grâce à des documents du XIII• siècle, on a pu délimiter sur le terrain les contours du mas du Poujet (commune de Rullac, arrondissement de Rodez) et les reproduire sur une photographie aérienne de cette exploitation. Située en pays d'habitat dispersé, de culltt1·e extensive et d'élevage, elle avait d'assez vastes dimensions : vingt-huit hectares. Mais la moitié de sa surface était, et est encore, en bois, en vacants, en prairies. La section cultivée se rapprochait donc des dimensions attribuées à de nombreux manses (CH. HIGOUNET, La seigneurie rurale et l'habitat en Rouergue du IX• au XIV• siècle, dans Ann. du Midi, 1950, p. 121134).

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vait u. Elle a changé plus encore avec les qualités du sol, les types d'exploitation, la nature des instruments de labour, la composition du groupe familial, les densités humaines. Un exemple : dans le nord-ouest de l'Europe, où de larges groupes familiaux pouvaient disposer d'une charrue attelée de quatre ou cinq paires de bœufs, l'exploitation était plus vaste que dans nos pays méditerranéens, où la cellule familiale se réduisait au ménage, où l'instrument de labour était un araire tiré par un à quatre bœufs. Lorsque les textes indiquent des dimensions ou, à leur défaut, soit le chiffre des redevances en blé, soit la quantité de semence prévue pour une année, il est possible de calculer l'étendue des manses. Mais on ne doit pas se contenter de quelques données ni surtout généraliser à l'Occident des calculs qui valent pour une contrée ou pour un domaine. Au IX' siècle, en Ile-de-France, beaucoup de manses ingénuiles avaient une superficie moyenne de onze à treize hectares, qui s'élevait à quinze dans l'Artois, le Brabant, la Bavière, qui était un peu plus forte encore - dix-huit à vingt hectares - en Flandre et dans le Hainaut, régions de faibles densités. Même à des époques de culture extensive ces biens comportaient assez de terres arables pour nourrir une vaste famille et accueillir de nouveaux membres, source d'une mise en valeur plus poussée du sol.

* ** A quoi répond le manse ? Quelle est sa signification ? Ses origines exercent sur les chercheurs une attirance d'autant plus forte qu'elles sont liées à notre plus ancienne histoire. Elles ont donné lieu à des théories dont, faute de place, nous ne pouvons confier les détails à nos lecteurs. Des historiens voient dans le manse une institution d'ori41. Les manses ingénuiles étaient ordinairement plus vastes, dans un même domaine, que les manses serviles. L'esclave, en effet, travaillait surtout c à bras > et n'avait que peu de loisirs pour se consacrer à son exploitation.

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gine seigneuriale, et dans les variations de sa superficie le reflet de la faveur plus ou moins grande accordée par le chef à ses dépendants. Ils se trompent, car s'il est vrai que, jusqu'à une période avancée du Moyen Age, de telles exploitations furent créées sur l'initiative des maîtres du sol, ou avec leur autorisation, le manse est plus ancien que la seigneurie. En outre, au IX., siècle encore, des manses sont possédés en pleine propriété, assujettis seulement aux charges publiques et aux droits collectifs de la communauté rurale. De même que les tenures dépendant d'une villa ne sont pas toutes des manses 42 , de même les manses ne sont pas tous dans la villa. Se trompent aussi les théoriciens qui attribuent au manse une origine exclusivement germanique. Selon eux, mansus serait la traduction de hube, qui désignait primitivement le lot du libre Germain°. Les envahisseurs auraient importé l'institution dans l'Occident latin. Mais l'aire d'extension du manse dépasse celle des régions occupées par les Barbares. Surtout, il est antérieur à leurs migrations. Comme les unités du même type qui, sous différents noms, existaient en Occident, le manse remonte peut-être au primitif aménagement des campagnes, aux premiers villages. Cellule principale de nos civilisations rurales, il est d'abord l'endroit où l'on demeure, puis la terre dont on vit : c la terre d'une famille >, celle aussi qu'une charrue peut labourer en une année. Mais d'autres missions lui ont incombé au cours des âges. L'Etat romain l'a pris comme assiette de perception : grâce à quoi on a pu déceler dans le caput du Bas-Empire - unité foncière servant de base à la capitation, et aussi unité familiale d'exploitation disposant d'un joug de bœufs - une préfiguration de notre manse du haut Moyen Age, et dans le mot mansus lui-même un des noms donnés au caput en pays galloromain ". A son tour, l'Etat carolingien l'a utilisé pour la 42. Entre autres les hôtises (ci-dessous, p. 119). 43. Terme dérivé de haben (posséder), et latinisé dans les chartes du haut Moyen Age sous les formes huba, ou hoba. 44. F. LoT, Nouvelles recherches sur l'impdt foncier, Paris. 1955.

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répartition des tributs extraordinaires et pour le recrutement de l'armée". Il a affecté au même usage la hufe germanique. Surtout, incorporé dans le grand domaine, le manse est devenu une unité de tenure, une base de répartition des charges paysannes. Charges variables selon que les manses étaient ingénuiles (c'est-à-dire libres), lidiles (au sens d'affranchis), ou serviles (au sens d'esclaves) : catégories répondant au statut juridique des anciens possesseurs lors de leur entrée dans la villa. De telles fonctions ne pouvaient être assumées que par une institution stable. Aussi, les coutumes seigneuriales se sont-elles prononcées pour l'hérédité du manse, qui garantissait aux maîtres la main-d'œuvre indispensable, et aux tenanciers libres la « perpétuité > sur les champs paternels 48 • De façon moins ferme, les traditions ont également parlé en faveur de l'indivisibilité de la tenure, ainsi placée à l'abri des partages successoraux et des aliénations partielles. Dans les régions où, dès le VII' siècle, cette règle a cessé d'être observée scrupuleusement, le manse est entré en décadence 47•

••• Lorsqu'elles apparaissent à la lumière de l'histoire, de nombreuses tenures sont loin de leur état premier. Tantôt, leurs surfaces sont à peu près identiques dans une même région et surtout une même villa : conséquence d'un vieux découpage du sol ayant préludé aux partages originels, ou des remaniements opérés à l'époque franque sur les ins45. Capitularia, t. 1, n° 48, p. 134, et n° 50, p. 137 ; t. II, n° 273, p. 321 : 807-864. -· Documents, n° 52 (p. 402). 46. On relève cependant des baux temporaires et renouvelables, conclus par exemple pour une à trois vies. Rare en France et en Allemagne, leur usage s'est mieux conservé en Italie, où la notion de contrat était plus répandue qu'outre-monts dans les relations entre seigneurs et paysans, où, d'autre part, les liens personnels étaient moins vigoureux. 47. Cl-dessous, p. 117 et suiv.

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tances des seigneurs, qui cherchaient à uniformiser l'étendue des manses de même catégorie afin de leur imposer des charges analogues. Tantôt, au contraire, ces surfaces sont très inégales d'une villa à l'autre, comme à l'intérieur d'un même domaine, alors que les conditions physiques et le milieu humain sont semblables. A une ferme, des défrichements ont ajouté des terres. Ou bien, des blés et des vignes ayant conquis un terrain voué d'abord à la pâture, des tenures sont devenues d'importantes exploitations agricoles. Au IX• siècle, à Poperinghe, dépendance de l'abbaye de Saint-Bertin, des manses atteignent une trentaine d'hectares; sur les terres de l'abbaye de Lobbes une quarantaine. A l'opposé, un manse normand en a quatre; des manses du domaine de Verrières, en Ile-de-France, en ont moins de deux 48 • Il y a eu en effet soit fractionnement d'une ancienne exploitation, soit création de nouveaux manses dans un domaine surpeuplé où le maître a coulu caser tous ses hommes en réduisant la part des derniers venus. Plus simplement, des manses ne désignent, dans la langue des scribes, que la parcelle bâtie, l'enclos. Mais la famille casée sur un bien d'un ou deux hectares devait nécessairement disposer de ressources complémentaires, travailler par exemple sur les terres de ses voisins. Pourtant, des cellules rappellent l'époque où le sol fut partagé entre des groupes familiaux de même type, qui employaient les mêmes instruments et se soumettaient aux mêmes usages. Des sociétés ont continué à voir dans le manse à la fois un témoin des anciens âges et un organisme répondant à un type bien défini d'exploitation rurale ; elles lui ont accordé une contenance coutumière, un dénominateur commun et parfois la valeur d'une mesure de superficie régionale. A l'époque carolingienne, où cependant l'institution a perdu de sa force, des tenures nouvelles se modèlent sur l'antique exploitation et répètent des expériences qui sont pour l'historien autant de leçons.

48. Exemples dans les études citées sous les n°• 150, 158, 161, 162, 188 de la Bibliographie, et dans les Compléments, p. 435-438.

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C. ~TENDUES COMPARÉES DE LA RÉSERVE ET DES MANSES

Au sein des villae, quelles sont les surfaces respectives de la réserve et de l'ensemble des manses? Quel rapport peuton établir entre la grande exploitation et les possessions paysannes, entre l'économie du domaine réservé et celle des des tenures ? La réponse est malaisée .a. Pourtant, grâce aux polyptyques et à l'ingéniosité des érudits, il a été possible de grouper des chiffres et de les comparer. Plus les recherches avancent, plus elles font état d'une extrême variété des situations. Sur les vingt et un domaines de Saint-Germaindes-Prés dont l'inventaire complet peut être dressé, les réserves couvraient au total un peu plus de 16 000 hectares, et les manses un peu plus de 16 500. Soit un équilibre qu'on retrouve dans plusieurs domaines, pris séparément"· A 49. Des documents permettent d'évaluer seulement la surface de la réserve, et d'autres seulement le nombre des manses : vingt à trente sur de nombreux domaines lorrains et flamands, plusieurs centaines sur d'immenses domaines impériaux d'Italie ; à l'opposé, trois à cinq sur de minuscules exploitations. Hantés par le souci d'établir des moyennes, des auteurs s'attaquent au nombre total des manses qui relèvent d'une abbaye, le divisent par celui de ses villae et en tirent des conclusions sur la superficie des domaines. Mais le chiffre des manses varie à tel point d'un lieu à l'autre qu'une pareille démarche n'a pas grande signification. La principale villa de Saint-Germain-des-Prés, Villemeux, renfermait deux cent vingt-six manses ; les plus petites en avaient moins de dix. Où trouver là une commune mesure ? 50. Il fait défaut, au contraire, à Palaiseau (réserve : 438 hectares ; tenures : 752), et plus encore à Nogent-l'Artaud (4 713 hectares contre 239), à Neuillay-lès-Bois (1537 contre 139), à Thiais (257 contre 591), à Secqueval (246 contre 1 033). Ces chiffres sont donnés d'après L. HALPBEN, Etudes critiques sur l'histoire de Charlemagne, p. 254 et suiv. (Bibliogr., n° 162). On ne doit pas leur accorder une confiance aveugle, car ils résultent de rapprochements fort approximatifs entre les mesures carolingiennes et les nôtres. Pour le temporel des autres monastères carolingiens, les recherches trahissent des incertitudes qui n'empêchent pas d'arriver à un ordre de grandeur (chiffres dans GANSHOF, Manorial organization, p. 42 et suiv. ; GiNICOT, L'économie rurale namuroise, p. 29-31 ; VERBULST, Saint-Bavon de Gand, etc.).

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Saint-Pierre-de-Gand, en revanche, les manses occupaient une superficie quatre fois supérieure à celle de la réserve, tandis que dans le fisc de Somain-en-Ostrevent, le rapport inverse était observé 111 • Ces remarques s'appliquent à la surfacé totale des villae, où les bois et les friches, d'ailleurs indispensables à la vie agricole, dévoraient de grands espaces. Les perspectives se modifient si l'on tient compte seulement des terres cultivées - vignes comprises - en fonction desquelles les tâches étaient réparties. Sur les réserves de Saint-Germaindes-Prés, elles couvraient près de 6 000 hectares, les prairies une centaine, les bois et les friches un peu plus de 11 500 u. En revanche, sur les manses, unités vitales de subsistance, elles occupaient la presque totalité des surfaces environ 16 300 hectares, contre 200 aux prairies et 250 aux terres incultes. - Abstraction faite d'une infinité de nuances locales, de nombreux maîtres exploitaient directement entre le tiers et le cinquième des étendues arables de leurs domaines : soit quelques dizaines d'hectares à plusieurs centaines, parfois plusieurs milliers. La villa offrait donc souvent le spectacle d'une grande entreprise agricole et artisanale associée à de petites exploitations paysannes dépendantes.

51. GANSBOF, c L'abbaye de Saint-Pierre-au-Mont-Blandin > (Rer,. de Philo[. et d'Hist., 1948, p. 1039) ; Manorial organization, p. 48. 52. Les proportions changeaient avec les domaines. La réserve de Verrières avait presque autant de terres arables que les manses. Celle de Villemeux en comportait sept à huit fois moins. A Nogent1'Artaud, la réserve dépassait 4 700 hectares, mais 80 seulement étaient faits de terres arables, tandis que les manses étaient entièrement culth·és (239 hectares). Même inégalité sur les domaines de l'abbaye de Lobbes : telle réserve comprenait un tiers des terres arables de la villa, telle autre un dixième (J. WARICBEZ, c Une " descriptio villarum " de l'abbaye de Lobbes à l'époque carolingienne >, dans Bull. de la Commission royale d'Histoire, LXXVIII, 1909).

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V. - L'ÉCONOMIE DOMANIALE. ADMINISTRATION ET EXPLOITATION DES TERRES$!

De lourdes préoccupations assaillent le possesseur d'une grande fortune foncière. Il en partage le poids avec de nombreux serviteurs : agents supérieurs vivant dans son entourage ; prévôts, maires, doyens et fores tiers chargés de la surveillance, de la police et de la perception des droits ; menu personnel agricole et artisanal. Des agents sont logés, nourris, habillés. D'autres, appelés à vivre loin de la cour domaniale, reçoivent des gratifications en argent et en nature, ainsi qu'un ou plusieurs manses. Qu'ils soient attachés à la maison du propriétaire ou éparpillés sur le territoire des villae, qu'ils exercent des fonctions de premier plan ou de modestes charges, ces hommes constituent un monde à part : celui des ministériaux "· Leur présence au sein de la c famille > seigneuriale leur tresse une auréole et les détache de la masse paysanne. Certains font escorte au chef, sont équipés et armés par lui, combattent à ses côtés et hument d'autant mieux l'air des milieux aristocratiques que leurs fonctions sont rétribuées par des fiefs, tantôt révocables, tantôt viagers 55 , Beaucoup, cependant, ont des origines fort humbles, 011 le maître voit une garantie d'obéissance. Dans les dernières années du X' siècle, l'évêque de Constance, qui venait de fonder le couvent de Petershausen, « rassemble ses esclaves, choisit les meilleurs d'entre eux et les établit comme cuisiniers, boulangers, taverniers ... et comme maîtres de chaque 53. Documents, n°• 18 et 19 (p. 352 et suiv.). 54. De ministerium, dans le sens de fonction spécialisée (types de travaux : F. L. GANSHOF, Etude sur les ministeriales en Flandre et en Lotharingie ; M. BLOCH, La ministérialité en France et en Allemagne (Bibliogr., nos 152 et 118) ; K. BosL, Das ius ministerialium (Complém. bibliogr., p. 435). 55. C'était le cas surtout des ministériaux appartenant à la Cour impériale ou nu personnel des principautés.

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métier" >. Les ministériaux allemands ont formé à partir du XI' siècle une classe héréditaire, ayant son droit propre conféré par ses fonctions militaires ou administratives. Classe composite : le rang y dépendait non seulement des tâches exercées, mais de la situation du chef ; en outre, des hommes libres entrés dans le groupe au prix d'une restriction de leur liberté se mêlaient aux esclaves. Finalement, ses échelons supérieurs furent admis dans la chevalerie. En France, où la ministérialité ne formait pas une classe aussi accusée qu'en Allemagne, cette satisfaction fut accordée à ceux-là seulement qui étaient de naissance libre, ou qui avaient obtenu leur affranchissement. Partout, les maîtres devaient redoubler de vigilance à l'égard des principaux agents : personnages envahissants, ancrés dans leurs charges, enclins à usurper chaque jour un peu plus d'autorité et de revenus arrachés à la seigneurie. Leur grande époque va du XI' au XIII' siècle. Elle recevra donc dans un autre livre les développements nécessaires .



** Revenons aux domaines carolingiens. Face aux manses, de vastes réserves déroulent leurs sillons. Leur mise en valeur réclame une nombreuse main-d'œuvre rassemblée par équipes sous la surveillance des agents domaniaux. Qui la fournit? Le salariat joue un rôle modeste, mais loin d'être négligeabie, à une époque de médiocre circulation monétaire et de faibles densités humaines. Le maître recourt à lui surtout aux pointes des travaux saisonniers. et tantôt paie les travailleurs en argent, tantôt les nourrit et les loge. Les esclaves domestiques lui apportent une aide plus efficace. Il les entretient chez lui, assure leur c provende >. Mais, fort serrés au lendemain des invasions barbares, les rangs de l'esclavage se sont éclaircis durant 56. Cité par DOLLINOER, Les classes rurales en Ravière, p. 455 (Bibliogr., n., 136).

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le haut Moyen Age 17• D'une part, le clergé encourage les affranchissements, sans toutefois condamner la servitude, où il voit un effet de l'ordre établi dans ce monde, ni renoncer à l'utiliser pour lui-même. Surtout, les apports extérieurs ayant diminué, le recrutement des esclaves est devenu difficile et dispendieux. La courbe n'a pas subi de baisse régulière, ni partout semblable. La source principale de l'esclavage était la guerre. Elle n'a jamais été épuisée. On la voit s'alimenter aux combats entre les royaumes barbares, comme aux luttes intestines. Avant d'envahir l'Auvergne, en 525, Thierry 1•r harangua ses troupes en des termes que n'aurait pas désavoués Bonaparte, alléchant par des promesses les soldats de l'armée d'Italie : « Suivez-moi, et je vous conduirai dans un pays où vous recevrez de l'or et de l'argent autant que vous pouvez en désirer, où vous trouverez des esclaves en abondance 18• > L'esclavage a fleuri également en Angleterre anglo-saxonne, où une partie des populations vaincues fut privée de liberté. Il a fleuri dans l'Espagne wisigothique et surtout musulmane, qui s'enrichit de tous les captifs réduits à la servitude par la conquête. Les remous provoqués dans les pays balkaniques et danubiens par les invasions slaves et magyares, ]es guerres de Pépin le Bref et de Charlemagne contre les Saxons ont contribué à l'entretenir. De son côté, la traite, opérée surtout par des marchands juifs, livrait aux amateurs la marchandise recherchée : traite des captifs bretons, basques, maures, thuringiens et saxons; à partir du VII' siècle, traite des Slaves. Les sociétés méditerranéennes et anglosaxonnes, celles également des pays germaniques situés à proximité des marchés de chair humaine qui se tenaient dans les régions de l'Elbe et du Danube, enfin, de façon plus atténuée, celles de la Gaule sont restées des sociétés esclavagistes. 57. M. BLOCH, Comment et pourquoi finit l'esclavage antique ; CH. VERLINDEN, L'esclavage dans l'Eizrope médiévale, L. Il, ch. 1 et II (Bibliogr., nos 124 et 211). 58. M.G.H., SS. rer. Merov. 1, 118.

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Pourtant, ni la guerre, ni la traite, ni les asservissements volontaires II ou c pour cause pénale >, n'ont jeté sur les marchés d'Occident, après le VI' siècle, ces masses misérables qui avaient fait les beaux jours des grands propriétaires romains et barbares. A l'insuffisance des apports extérieurs, la concurrence musulmane est venue ajouter ses effets. C'est vers l'Espagne que les marchands de Verdun exportent, au x• siècle, les captifs slaves, dont la vente leur procure de beaux bénéfices. La multiplication des moulins à eau, à partir du VIII' siècle, et, vers )a même époque peut-être, )es perfectionnements apportés aux méthodes agricoles ne sont pas étrangers à ce déclin de Ja maind'œuvre servile. On est devenu plus inventif devant la diminution des hommes qu'on pouvait mobiliser sans peine et employer à tous les usages. De leur côté, les changements apportés à la gestion des grandes propriétés sont en rapport avec )es vicissitudes des échanges à longue distance, comme de l'esclavage. La mise ~n valeur directe des latifundia réclamait de nombreux bras serviles et de vastes marchés. Les bras ayant diminué dès le II' siècle, époque de Ja « paix romaine >, et les techniques de la petite culture ayant progressé, on a renoncé peu à peu à ce système sans sacrifier l'exploitation directe, réduite néanmoins à de plus petits espaces. Et l'on a taillé des tenures à l'intention des colons, des affranchis, puis des esclaves, rivés à leur statut, mais encouragés au travail sur les terres assurant leur subsistance. Le mouvement s'est accentué à partir des VI' et VII' siècles en raison du rétrécissement des horizons commerciaux et de Ja décadence des savantes méthodes du trafic international, qui dépassaient les moyens et l'entendement des sociétés barbares. Certes, en donnant des tenures aux non-libres, les maîtres aggravaient la crise de l'esclavage domestique. Mais ils faisaient une meilleure utilisation des forces humaines. Qu'ils aient agi de propos délibéré, on n'en saurait douter. Les magnats carolingiens auraient pu puiser dans les trou59. Documtnttc. n° 7 bis (p. 338).

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peaux d'esclaves qui traversaient la France en direction de l'Espagne sinon les eunuques, les jeunes garçons et les femmes promis aux harems musulmans, du moins des domestiques. Beaucoup, cependant, ne se laissèrent pas tenter. Car leurs prédécesseurs, qui déjà reculaient devant l'entretien des groupes serviles, leur avaient appris les bienfaits d'une collaboration économique avec les paysans de leurs domaines. La main-d'œuvre que les esclaves domestiques et les salariés manquent à leur fournir, les propriétaires la réclament à leurs tenanciers, libres et non libres. Ce n'est pas un hasard si, aux IX• et x• siècles, des seigneurs de l'Italie du Nord laissent aux manses les deux tiers de leurs domaines et si, un peu partout, les tenures fournissent aux réserves les travailleurs indispensables. Ainsi se développa entre les deux sections de chaque villa une association qui fut le principe et la base du régime domanial.

••• Entrons dans quelques détails. Soit, au IX• siècle, une villa dont les terres arables occupent cinq cents hectares - à raison de cent hectares pour la réserve et de quatre cents pour les manses, au nombre de trente : vingt-cinq ingénuiles et cinq serviles 60• - Quel que soit le nombre de ses occupants, c'est le manse qui supporte les charges : services, d'une part, redevances de l'autre 61 • Fixées en général par la coutume du lieu, qui laissait d'ailleurs le champ libre à un 60. Nous pouvons négliger les manses lidiles, ordinairement peu nombreux, et dont le statut se rapprochait de celui des ingénuiles. Entre ces derniers et les manses serviles, les proportions variaient avec les domaines. Sur les terres de Saint-Germain-des-Prés, par exemple, on relevait environ sept fois plus de manses ingénuiles que de tenures serviles, et trois fois plus sur le temporel de Saint-Rémi de Reims. En Allemagne, une plus belle part était faite, non seulement aux tenures lidiles, mais aux manses serviles, supérieurs en nombre, sur les terres de l'abbaye de Lorsch, aux ingénuiles. Ces traits soulignent à leur manière les contrastes creusés au sein des classes rurales de l'Occident. 61. Documents, n° 16 (p. 346 et suiv.).

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certain arbitraire, et immuables tant que les parties ne s'entendaient pas pour les modifier, elles étaient habituellement identiques pour les manses de même catégorie relevant, dans une région donnée, du même propriétaire. Voici d'abord les manses ingénuiles. Deux séries de travaux sur la réserve sont attendus d'eux : les uns au temps, les autres à la tâche. Chacun fournit, un jour par semaine, un travailleur qui exécute avec ses outils ou son attelage des besognes agricoles appelées à suivre le rythme des saisons : semailles, moissons, fauchaisons, vendanges, labours auxquels le nom de « corvées > est souvent réservé. De façon continue pendant « une quinzaine > chaque année - soit douze jours ouvrables - il peine pour le maître, qui l'emploie à diverses tâches sur l'un ou l'autre de ses champs. En outre, il assure toute l'année la mise en valeur d'un lot de la réserve - disons vingt-cinq ares - depuis le labour jusqu'à l'engrangement des récoltes. Des travaux de clôtures sur une longueur déterminée sont requis de lui autour des bâtiments ou des terres du maître. Enfin, il charroie des produits de la réserve soit à l'intérieur du domaine, soit jusqu'à un marché ou un port voisin. Service si caractéristique que des tenures « chargées de charrois > désignent des manses ingénuiles par opposition aux manses serviles, « chargés de travaux à bras >. A nos cinq exploitations serviles, en effet, on ne demande guère pareille tâche. Pendant longtemps, leurs détenteurs n'avaient eu ni attelage, ni animaux de trait. Bien qu'à la faveur du divorce assez fréquent entre le statut juridique du manse et celui de son possesseur, de grands propriétaires aient atténué les contrastes entre tenures ingénuiles et tenures serviles, ces dernières sont restées en grand nombre dispensées du transport des produits seigneuriaux. Le détenteur d'un manse servile a il est vrai, peu de loisirs. A ses devoirs de caractère personnel, s'il est esclave, s'ajoutent les charges imposées par sa tenure. Obligation lui est faite notamment d'assurer, outre deux « quinzaines > par an, c le service de trois jours par semaine >. Mais il y a lieu de penser que faisant double emploi pour une part avec les quinzaines, comme avec les journées consacrées

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aux bestiaux, au guet à l'intérieur de la cour domaniale et à de menues besognes, ce service n'était exigé qu'en cas de besoin, et par roulement, des divers manses"· Associés très étroitement à la mise en valeur de la réserve, de nombreux manses serviles étaient imposés plus lourdement que les ingénuiles 63 • Des redevances, enfin, pèsent sur nos trente tenures. Certaines représentent le loyer du manse et des c usages > sur les communaux. D'autres, payées surtout par les manses ingénuiles, sont des taxes substituées soit à des corvées ou à des charrois, soit à des obligations militaires que l'Etat n'exige plus et dont la taxe de remplacement a été abandonnée aux maîtres du sol. La plupart sont en nature, et fixes plutôt que proportionnelles à la récolte. Leur poids est moins lourd, au total, que celui des services, mais leur variété encore plus grande : céréales, légumes, bière, produits de l'élevage et de la basse-cour, têtes de bétail ... Ajoutons-y les produits manufacturés attendus de l'ingéniosité des ruraux : obJets en bois tels que voliges, bardeaux, perches, cercles de tonneaux ; pour les manses serviles, notamment, étoffes de laine ou de lin, dont la matière était fournie ordinairement par le maître. :';.*.::

Cette description fait état des coutumes en vigueur sur divers domaines de l'Occident : par exemple en Ile-deFrance, en Bourgogne, en Artois et en Flandre, dans les pays rhéno-mosellans, en Lombardie. Mais d'autres pratiques y ont également cours. Tantôt le travail à la tâche est seul exigé des manses ingénuiles ; tantôt on lui préfère le travail au temps sous la forme soit de plusieurs c quinzaines >, réparties sur toute l'année, soit de travaux bloqués sur une ou deux saisons, soit de services spécialisés, 62. CH.-E. PERRIN, c L'exploitation de la réserve à Prilm > (Ann. d'Histoire écon. d soc., 1934, p. 450-466). 63. Non pas, toutefois, à Saint-Germain-des-Prés (GtraRARD, Polyptyque d'Irminon, 1, 893 et 897).

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labour ou fauchaison par exemple, pour lesquels on réclamait au besoin la présence de deux travailleurs par manse. Il est certain que lorsqu'elles s'adaptaient mal aux nécessités de la vie rurale les dispositions mentionnées dans les polyptyques subissaient des entorses. Pas plus que les Capitulaires, ces derniers n'étaient parole d'Evangile. A quoi bon, l'hiver venu et les travaux des champs se poursuivant au ralenti, convoquer des équipes de tenanciers qui seraient restées inemployées? Comment exiger d'un manse situé à plusieurs dizaines de kilomètres de la réserve qu'il fournisse un homme à raison d'un ou deux jours par semaine alors qu'une taxe de remplacement était dans ce cas plus avantageuse. A coup sûr, les grands propriétaires disposaient d'une main-d'œuvre considérable accomplissant chaque année cent cinquante mille journées de travail, partielles ou entières, à Saint-Germain-des-Prés, soixante mille à S. Giulia de Brescia 84 • C'était une réserve de bras, susceptible d'être mobilisée. On voit ainsi l'abbé de Saint-Trond rassembler sur ses prés, le moment venu, cent quarante à cent quatrevingts faucheurs. C'était aussi un capital que les successeurs des propriétaires carolingiens devaient monnayer lorsque, les réserves ayant diminué, ils renoncèrent à des services inutiles. Envisagé sous l'angle économique, et abstraction faite des obligations imposées aux paysans par leur statut personnel, le régime domanial était lourd, sans être écrasant là du moins où le manse abritait plusieurs adultes dont un seul, en principe, allait travailler sur la réserve. Aussi bien, de nombreuses familles engageaient-elles des valets qui secondaient les fermiers appelés à payer de leurs personnes sur les terres du maître ou qui honoraient, avec le consentement de ce dernier, les services mis à la charge des exploitations. On a calculé qu'au début du x• siècle les redevances, appréciées en journées de travail, et les services enlevaient à chaque manse un exploitant durant une période qui cou64. GUÉRARD, Polyptyque d'lrminon, 1, 893 et suiv. ; 1 servi, p. 72 et suiv.

G. LuzzA.TTO,

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vrait du sixième aux deux tiers de l'année en Bourgogne, de la moitié aux deux tiers en Lombardie 61 •

••• Quelles étaient à ce moment les contrées d'élection du régime domanial ? Portées sur une carte, les villae soumises à ses pratiques dessineraient un pointillé assez serré dans la moitié nord de la France - à l'exception de la Bretagne et du Maine - dans les pays rhéno-mosellans, la Belgique actuelle, la Germanie occidentale et méridionale, l'Italie du Nord. Le réseau se relâcherait dans le sud de la Bourgogne, l'Auvergne, le midi de la France, la Catalogne, l'Italie centrale et surtout la Germanie du Nord et de l'Est. Diverses raisons expliquent cet inachèvement. On sait déjà que dans les pays bocagers la disposition des champs et de l'habitat, qui éloignait les tenanciers du centre de la réserve, contrariait l'exécution des corvées. De leur côté, les régions viticoles, qui exigeaient la présence presque continue d'une main-d'œuvre spécialisée, demandaient davantage au salariat et à la domesticité du domaine, moins aux services des tenanciers. Pénétronsnous dans les contrées associées tardivement à la vie de l'Occident? L'organisation domaniale s'y révélait peu étendue et peu évoluée au x• siècle encore. Ne comportant à l'ordinaire qu'une assez faible réserve, formée de pièces éparpillées sur de grands espaces, le domaine germanique était moins un groupe économique qu'une unité administrative". Et la « cour > se présentait parfois comme un simple centre de perception des redevances, prélevées sur les paysans plutôt que sur les manses. Partout enfin où l'esclavage domestique permettait la mise en valeur des réserves, les services réclamés aux tenanciers étaient légers : ainsi dans une partie de l'Allemagne 65. DÉLÉAGE, ouvr. cité, p. 514-516. 66. Ou, pour parler le langage des textes, une villicatio. circonscription gérée par un intendant (villicus).

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où, s'ajoutant à la structure particulière des grandes propriétés, comme à l'introduction récente du système domanial, l'esclavage retarda l'extension de ce type d'exploitation; ainsi également du sud de la Bourgogne à la Provence, de l'Aquitaine au Languedoc, au surplus contrées de vignobles et de traditions antiques parmi lesquelles l'emploi de la main-d'œuvre domestique figurait en bonne place. Tenons compte encore des cas particuliers. Chaque maître du sol était libre de gérer ses terres à sa guise. Bien que le régime domanial eût pénétré en Flandre, l'abbé de Saint-Pierre-de-Gand n'exigeait aucune corvée des tenanciers installés sur les vingt-cinq manses de son domaine gantois. Une trentaine d'esclaves, en effet, étaient employés sur les quatre-vingt-dix hectares de la réserve 111• Des esclaves, aussi, exploitaient les terres de l'abbaye de Saint-Germain-des-Prés situées dans le Corbonnais - région de Mortagne 68 • - Enfin, l'évêque de Tolède fait grief à l'un des principaux conseillers de Charlemagne, Alcuin, d'entretenir dans ses quatre abbayes vingt mille esclaves qui, si le chiffre n'est pas trop fantaisiste, suffisaient à son bonheur 81 • Ce n'est pas un hasard si la floraison des domaines, des polyptyques et des liens vassaliques a eu pour terres d' élection les régions étalées de la vallée de la Loire aux rives du Rhin et du Main, où l'action des Carolingiens s'exerça avec le plus de constance et de fermeté. Gardons-nous, certes, de voir dans la féodalité une héritière du régime domanial, de forcer le parallélisme entre l'installation des paysans sur les tenures et le chasement des vassaux sur les fiefs, entre la soumission de l'esclave et la dépendance du libre recommandé. Même si les emprunts réciproques sont incontestables, ils répondent à des pratiques dont les origines, la nature et le sens sont différents. Pourtant, sièges 67. GANSHOF, c L'abbaye de Saint-Pierre-au-Mont-Blandin > (Rev. belge de Philo!. et d'Hist., 1948, p. 1038). Cf. aussi VERHULST, SaintBavon, p. 600. 68. Sur la structure particulière de la villa de Corbon, R. LATOUCHE, Origines de l'économie occidentale, p. 226-227. 69. GUÉRARD (Polyptyque d'Irminon, 1, 859) croit qu'il faut comprendre dans ce chiffre les colons et les lètes des quatre monastères.

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antiques des réseaux de subordinations paysannes et des pouvoirs privés sur les hommes, les domaines n'ont pas créé seulement une atmosphère favorable à l'installation du régime féodal, ils lui ont fourni aussi le meilleur de sa substance terrienne du jour où ils furent concédés en fief.

VI. - TRADITIONS OCCIDENTALES ET INFLUENCES EXTÉRIEURES

A l'époque où elle apparaît en bonne lumière, l'organisation domaniale est déjà ancienne. Il y a en elle comme une stratification des couches déposées au cours de sa longue existence. Eblouis par les mirages méditerranéens, des historiens ont cherché en Egypte et en Asie Mineure les antécédents du régime que nous venons de décrire. Il est bien vrai qu'au troisième millénaire avant notre ère, des fermiers égyptiens en possession de tenures héréditaires accomplissaient des corvées. Mais elles avaient un caractère public. Seul l'Etat les exigeait pour l'entretien des digues et des canaux. Elles n'étaient pas une nécessité pour les grands propriétaires qui, recourant fort peu à l'exploitation directe des terres arables, vivaient essentiellement des redevances payées par les tenanciers. Sous les Ptolémées, puis à l'époque romaine, des entreprises agricoles furent partagées entre une réserve et des lots concédés temporairement à des fermiers ou à des métayers. Mais des salariés et surtout des esclaves, fort nombreux sur les bords du Nil, mettaient la première en valeur. Comme jadis, les corvées restaient des services publics, réclamés par l'Etat aux paysans. Enfin, sous la domination byzantine, la grande propriété égyptienne fut divisée entièrement, ou en très grande partie, entre des tenures héréditaires, assujetties seulement à des cens en argent et à des redevances en nature. Cette situation se retrouve, au III' siècle de notre ère, en Asie Mineure et en Syrie où, au surplus, les communautés rurales protégeaient leurs membres contre les exactions des inten-

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dants ou des fonctionnaires publics et faisaient valoir, pour les défendre, la coutume du domaine 79• Ces pays ont connu la grande propriété, non pas le type d'exploitation qui fut à l'honneur dans nos contrées. Là même où des propriétés égyptiennes comprennent une réserve et des tenures, ces éléments sont juxtaposés sans être associés comme ils le furent dans le puissant sytème domanial de l'Occident. Entre celui-ci et les régimes expérimentés en Orient, des ressemblances peuvent être décelées. Après tout, les formes de possession et les méthodes de mise en valeur ne sont pas si nombreuses. Mais les analogies ne traduisent pas nécessairement une influence commune. On ne saurait croire d'une foi sans réserve à ces prodigieux circuits où manquent toujours des mailles, à ces vagabondages d'institutions qui, parties des rives du Nil ou de !'Euphrate, auraient apporté à nos contrées un régime économique et social, père de nos grands domaines comme de nos seigneuries rurales. Pourtant, les plus anciens exemples d'une authentique exploitation domaniale se situent hors d'Europe, mais peut-être grâce à une création des hommes d'Occident. Six inscriptions du n· siècle, découvertes dans la province romaine d'Afrique - Tunisie actuelle - projettent des lueurs sur la contenance, la gestion et les modes d'exploitation de sept saltus, grands domaines impériaux situés dans la vallée moyenne de l'Oued Medjerda 71 • Le saltus 70. A MORET, Le Nil et la civilisation égyptienne (coll. L'Evolution de l'Humanité, n° 7, 1926) ; M. RosTOTVZEFF, Social and economic History of the Roman Empire, (Oxford, 1926) ; E. R. HARDY, The large estates of Byzantine Egypt (New York, 1931) ; J. SCHWARTZ, c Une forme d'exploitation familiale sous Hadrien > (Bull. de la Faculté des Lettres de Strasbourg, 1950, p. 153-177). Une grande confusion règne dans l'exposé de J. PIRENNE, Le domaine dans l'ancien Empire égyptien (Société J. Bodin, IV, 5-24). Pour une plus ample information, Bibliogr., § vm, A et B (p. 449451) ; § IX, G (p. 461-462) ; Compléments, p. 450, 462, 463. 71. Voir, par exemple, TENNEY FRANK, c The inscriptions of the Imperial domains of Africa > et c A Commentary >... (American Journal of Philologg, 1926, p. 55-73 et 163-170) ; ln., An economic srm,er, of Ancient Rome (t. V, Baltimore, 1941).

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s'étendait sur plusieurs milliers d'hectares et formait une unité administrative fractionnée en plusieurs sections, ou f undi, confiées chacune à un fermier général et ayant son exploitation autonome. Le f und us comprenait une réserve et des tenures concédées héréditairement à des colons qui payaient des redevances proportionnelles à la récolte et exécutaient des services. Ces charges étaient fixes. Les agents du fermier commettaient-ils des exactions? Les colons invoquaient le statut collectif du domaine et les lois impériales réglementant leurs rapports avec le maître. Les d·ébuts de cette organisation nous échappent. II est possible que, devant l'insuffisance de la main-d'œuvre, les agents impériaux aient mis à profit l'immigration dans la province d'Afrique de nombreux colons, installés par leurs soins sur les terres du fisc, pour leur imposer non seulement des services publics - entretien des routes et des ponts par exemple - mais des corvées domaniales. L'immunité de fait dont jouissaient les domaines de l'Etat, de l'empereur et de l'aristocratie sénatoriale pouvait justifier de pareilles pratiques. On ne sait si elles furent improvisées pour des besoins occasionnels ou tirées d'usages déjà en vigueur dans l'Occident européen". Les preuves, en effet, se dérobent. Ainsi, les corvées ne sont pas mentionnées sur les latifundia d'Italie au Ier siècle avant notre ère. C'étaient des esclaves domestiques qui, secondés par des salariés, assuraient leur exploitation. Elles ne le sont pas non plus à l'âge suivant dans les baux octroyés aux colons par de grands propriétaires, peut-être parce que la législation n'avait pas inscrit l'usage dans ses articles. Elles n'apparaissent, sous une forme voilée, qu'à partir du IV' siècle dans diverses constitutions impériales. Elles sont clairement attestées au v• dans les textes concernant l'administration de ses biens par l'église de Ravenne. On ne peut donc pas affirmer que, durant les premiers siècles de notre 72. M. BLOCH (< The rise of dependent cultivation >, dans The Cambridge Economie History, 1, 21 éd., p. 235 et suiv.) fait observer qu'en Gaule celtique l'aristocratie était assez puissante pour réclamer aux groupes paysans des services sur ses domaines.

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ère, l'Italie et la Gaule aient vu s'ébaucher le système domanial, bien que selon toute vraisemblance il ait pris son véritable départ sous le Bas-Empire 71 • Un seul fait est certain au milieu de cette cascade de doutes. Dans la région de l'Oued Medjerda, la main-d'œuvre sur les réserves est fournie surtout par les esclaves et les salariés. Les colons travaillent à leurs côtés durant six ou douze jours par an et exécutent en outre des services de charroi et de guet. Bien que ces travaux, imposés individuellement, n'aient pas encore les tenures pour base, un lien existe entre les deux parties du domaine. Par une véritable ironie de la documentation, ou bien parce que les modes d'exploitation domaniale sont vraiment nés dans le sud de la Méditerranée, nous rencontrons sur une terre africaine occupée par les Romains la première esquisse d'une organisation appelée à connaître en Occident une immense fortune.

• ** Plusieurs siècles séparent l'héritier carolingien de l'ancêtre romain. Dans l'intervalle, l'emprise des grands propriétaires s'est maintenue sur les esclaves, domestiques ou casés. Elle s'est resserrée sur les hommes libres. Pour des motifs différents, les gouvernements du Bas-Empire, puis les royautés barbares ont prêté leur appui aux maitres du sol, hantés par d'impérieuses préoccupations de maind'œuvre. Au II• siècle, les colons avaient le droit d'abandonner leurs tenures. Ils perdent cette latitude au plus tard à partir du IV• siècle où l'Etat est intervenu pour fixer leur statut juridique et où, de temporaire ou viagère, leur installation est devenue héréditaire, faisant de l'ancien fermier, lié par contrat, un tenancier perpétuel. Les voilà c esclaves de la terre où ils sont nés 74 >. Mais ils reçoivent des garanties : 73. A. AYMARD, Rome et son Empire (Bibliogr., n° 3). 74. P. CoLLINET, « Le colonat dans l'Empire romain > (Soc. J. Bodin Il, Le servage, p. 85 et suiv.) ; F. L. GANSBOF, « Le statut personnel du colon au Bas-Empire > (Antiquit, classique, XIV, 1946, p. 261-277). - Documents, n° 12 (p. 342).

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sauvegarde de leur liberté individuelle, jouissance d'une tenure domaniale. Ces mesures constituent un épisode de la politique grandiose et chimérique qui, pour assurer l'exploitation du sol, la levée de l'impôt et la défense militaire, tentait de river chaque homme à sa profession et à sa classe. Opérées dans l'intérêt de l'Etat, les mesures visant les ruraux ont eu pour résultat de multiplier les dépendances privées. Les transformations de l'âge suivant devaient servir davantage encore les intérêts de l'aristocratie et préciser les traits du régime domanial. Impuissantes à faire respecter scrupuleusement les règles de l'attache au sol, d'ailleurs enfreintes dès le IV' siècle, les royautés barbares ont en revanche alourdi. les obligations paysannes, contribué à désigner les tenures comme base d'imposition des services sur la réserve, accentué la diversité juridique dans le statut des personnes et des biens. C'est ainsi qu'au cours des VI' et VII' siècles, des édits mérovingiens, insérés un peu plus tard dans les lois propres aux Alamans et aux Bavarois, ont imposé aux manses des charges variables selon qu'ils étaient, comme leurs détenteurs, libres ou non libres. Aux premiers, on a réclamé des travaux à la tâche, aux seconds un service de trois jours par semaine. Puis, durant le VIII' siècle, services saisonniers, travaux à la tâche, produits manufacturés s'ajoutent aux charges anciennes des manses serviles dont le nombre, l'étendue et les moyens de culture sont accrus. Corvées, redevances en nature, taxes de remplacement de certains services publics pèsent maintenant sur les manses ingénuiles 75 • Armées de nouveaux pouvoirs, notamment grâce aux immunités, les aristocraties foncières réclament comme un droit aux colons des services primitivement consentis à titres gracieux et exceptionnel. Elles appliquent les conceptions qui ont désormais présidé à la mise en valeur des grandes exploitations et mettent en place l'organisation dont nous avons ébauché l'image. 75. Exemples dans Cu.-E. PERRIN, « Une étape de la seigneurie > (Ann. d'Histoire écon. et soc., 1934, p. 450-466).

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VII. - L'IJ:CONOMIE DOMANIALE ET LA soc1ere DES RICHES

Quel a été le rôle des domaines dans les activités économiques de l'époque carolingienne? Voyons d'abord en eux des centres d'attraction pour les paysans, qui viennent y chercher une installation, des moyens d'existence et une protection 79• Une population rurale qui a tout au plus doublé entre les débuts du IX• siècle et le milieu du XIX• vivait sur les terres de Saint-Germain-des-Prés situées dans le sud de l'Ile-de-France. L'observation s'applique à une région privilégiée, où l'occupation du sol était fort ancienne et entretenue par des courants d'immigration. Mais de nombreux domaines, par exemple entre la Saône et les pays rhénans, furent également le siège de groupes ruraux assez denses. A une époque où les contrées aux sols légers n'avaient pas fait encore leur plein d'hommes, les paysans se blottissaient de préférence sur les vieux manses, ou dans leur voisinage. Ils partaient moins volontiers à la conquête des friches. De même, après les invasions de la seconde moitié du IX• siècle, qui déracinèrent des groupes attirés par le voisinage des lieux fortifiés, les tenures abandonnées retinrent la sollicitude de seigneurs empressés à les repeupler plutôt qu'à ouvrir ailleurs des champs tout neufs. Pourtant, des défrichements furent opérés au cours de la période carolingienne. Poussés par des mobiles non seulement économiques, mais politiques et militaires, les souverains donnèrent l'exemple. On voit Charles Martel et Pépin le Bref appeler des colons en Franconie, Charlemagne, 76. F. LoT, c Conjectures démographiques sur la France au IX• siècle> (Le Mouen Age, 1921, p. 1-27) ; H. VAN WERVBKB, c La densité de la population au IX• siècle... > (Ann. dü trentième Congrès de la fédération archéol. et histor. de Belgique, 1936, p. 107-116) ; CH.-E. PERRIN, c Observations sur le manse ... > (Ann. d'Hist. soc., 1945, p. 46-48) ; IX• Congrès internat. des Sciences historiques, 1, Rapports, p. &6-58 ; G. DUBY, L'économie mrale, t. 1, p. 65 et suiv.

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Louis le Pieux et Charles le Chauve encourager des émigrés espagnols d'origine wisigothique à s'installer en Roussillon et dans la Marche d'Espagne. Grâce à des concessions de terres en friches, octroyées par un contrat d' « aprision > ", ils entreprirent une véritable colonisation des lieux ruinés par les invasions sarrasines ou restés anciennement c en désert >. Ils y apportèrent d'autant plus d'ardeur que leurs biens, d'abord tenus du roi, devenaient au bout d'une trentaine d'années des propriétés. Mais ils avaient le devoir de servir à l'armée sur convocation des comtes et de répondre aux réquisitions". Dans la mesure où l'occupation du sol a gagné en étendue, le mérite en revient aussi aux cadets des familles nobles comme aux monastères qui créèrent des villae sur les marges ou à l'intérieur des massifs boisés 79 • L'indigence de la documentation sur les densités et les mouvements de population est telle qu'on ne peut guère émettre à leur endroit que des impressions. Il est également impossible de dresser des statistiques de la production agricole, quels que soient les périodes et les lieux envisagés. Aucun maître du sol n'a laissé de comptes d'exploitation. Sans doute les grands propriétaires et les communautés villageoises ont-ils répandu au nord de la Loire la division des terroirs en trois soles et la rotation triennale des cultures. Ce progrès est attesté, à l'époque franque, dans la région de Trèves et dans une partie des pays rhé77. Du latin aprisio, synonyme de ruptura, défoncement du sol. 78. La nature du contrat d'aprision - fort proche en certains cas du bénéfice, - l'étendue inégale des lots concédés aux aprisionnaires, l'accueil médiocre réservé par les comtes et les paysans à des émigrés qui faisaient figure d'intrus sont bien mis en lumière par A. DuPONT, c La colonisation et la vie rurale dans le Roussillon et la Marche d'Espagne au IX• siècle (Ann. du Midi, 1955, p. 223-245) ; In., c L'aprision et le régime aprisionnaire dans le midi de la France... > (Le Moyen Age, 1965, p. 179-213 ; 375-399). Une ancienne école historique a surestimé le rôle des défrichements durant le haut Moyen Age. Il est possible que, par réaction, on tende aujourd'hui à le méconnaitre. Voir, en des sens différents, L. HALPHEN, Etudes critiques sur l'histoire de Charlemagne, p. 240-245 ; M. RoBLIN, Le terroir de Paris (Bibliogr., n 09 162 et 109). 79. Cette appréciation est à vrai dire le reflet d'une information surtout ecclésiastique. Les initiatives des petites gens nous échappent.

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nans. Le triennal avait l'avantage de fournir à la fois des céréales d'hiver - froment, épeautre, seigle - et des céréales de printemps, telles que l'orge et l'avoine. Là où il était possible de le pratiquer, il répondait mieux aux besoins de l'économie céréalière que la culture temporaire ou même que le biennal. Celui-ci l'emportait au sud de la Loire, où le climat n'était guère favorable aux céréales de printemps. Il sera réintroduit ou répandu, vers le XII• ou le XIII• siècle, en Hesse rhénane, dans le Palatinat et l'Alsace du Nord afin de fournir aux bourgeoisies les bonnes céréales panifiables qu'elles réclamaient pour leur nourriture et leurs exportations 80 • La médiocrité des rendements, due à la rareté des engrais et à l'absence de labours profonds, était rachetée par l'étendue relativement importante des surfaces cultivées, eu égard aux densités humaines. Voilà pourquoi, sans doute, les famines se répètent moins souvent à l'époque carolingienne qu'aux XIV• et xv· siècles .

••• En dehors des régions où les alleux paysans se maintinrent en nombre, ce furent les domaines de toute étendue, éparpillés à la surface de l'Occident, qui rassemblèrent et nourrirent la majeure partie des hommes : maîtres et ruraux, citadins sans terre ou sans possibilité d'achat au loin. Ils jouèrent le rôle de ferment, de centres nerveux des forces productives. Ils furent aussi un élément du commerce d'alors. Inventaires des biens et des droits fonciers, les polyptyques sont peu prolixes sur les liens unissant l'économie agraire aux échanges. Il faut voir au-delà d'eux, 80. E. Ju1LLARD, c L'assolement biennal dans l'agriculture septentrionale. Le cas particulier de la Basse-Alsace > (Ann. de Géo., 1952, p. 34-45) ; A. VooT, c A propos de l'assolement biennal alsacien > (dans L'Alsace et la Suisse à travers les siècles, Strasbourg-Paris, 1952, p. 473-478). - De récentes recherches tendent cependant à prouver qu'en Occident le développement de l'assolement triennal ne fut guère antérieur aux grands défrichements ; qu'en outre l'assolement biennal fut loin de triompher partout dans le Midi (DUBY, L'économie rurale, 1, 172 et suiv.).

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rassembler et comparer les renseignements disséminés par exemple dans les Capitulaires, les Brevium Exempla, les statuts des abbés, les chroniques, les correspondances et les actes privés. Le domaine ne vit pas uniquement sur luimême. A ce jeu, il s'userait vite, épuiserait sa propre substance. Les achats de matières premières pour les ateliers domaniaux, les ventes de denrées, de bétail et de produits fabriqués entretenaient un courant d'échanges et renouvelaient l'air des villae, surtout dans les régions du Rhin et du Pô, sièges d'un précoce développement urbain. Il y eut des domaines évolués disposant de leurs marchés, de leurs ateliers monétaires et de leurs ports fluviaux, s'adonnant à des cultures et à un élevage qui autorisaient des transactions. Au début du IX• siècle, un évêque du Mans installe au rez-de-chaussée de sa maison parisienne une taverne où il vend son vin. Vers 937, le chapitre-cathédral d'Autun tire bénéfice du troupeau de deux mille porcs qu'il entretenait dans sa seigneurie dijonnaise de Champdôtre 81 • Si la vie économique des domaines de toute taille était mieux connue, elle apparaîtrait sous un jour moins grisâtre. Mais, pour monotones qu'elles soient, les images traditionnelles n'en seraient peut-être pas renversées. Au domaine, en effet, le maître demande les éléments de son train de vie. II les trouve dans les redevances et surtout les produits de la réserve. A S. Giulia de Brescia, par exemple, les réserves fournissaient plus de vin et de grain que l'ensemble des tenures n. Or, les bouches à nourrir sont nombreuses dans une maison seigneuriale : la famille ou la communauté monastique, les provendiers - vassaux non chasés. ministériaux, petit personnel domestique, salariés agricoles, - les amis et les hôtes de passage, les pauvres qui gravitent autour des puissants, les corvéables auxquels on a finalement distribué « la pitance de midi >. Et puis, il faut prévoir les semences, rassembler la matière première des fabrications artisanales. constituer des stocks pour des 81. LB CsRVAISIBR, Histoire des evesques du Mans, 1648, p. 184 suiv. ; DêdAGB, ouvr. cité, p. 519. 82. G. LuzzATro, l servi..., Appendice Il, tav. III.

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besoins inattendus comme en prévision des mauvaises récoltes 13• Des fortunes sont à l'image de l'Empire : écrasantes, démesurées. Les dépenses le sont aussi, tellement est grand le nombre des parties prenantes et lourde la charge de l'administration. Les maîtres du sol voyagent d'un domaine à l'autre pour en consommer les produits et profiter du bien-être qui leur est dispensé dans leurs demeures successives. Ils font donner à plein, quand ils sont présents, une multitude de petits services : installation de la maison, aménagement des écuries, transfert des denrées d'un domaine à l'autre, combinaison des ressources fournies par des villae éparpillées sur des sols et sous des climats diff érents. Leur existence est à beaucoup d'égards celle d'un gentilhomme campagnard. Avant de s'installer à Aix-laChapelle, où l'appelaient ses fonctions au Palais, Eginhard écrit à son intendant de Maestricht : c Nous voulons que tu envoies quelques hommes à Aix pour restaurer nos demeures. Tu y feras venir en temps opportun tout ce qui nous est nécessaire : de la farine, du grain pour faire de la bière, du vin, du fromage et le reste, comme d'habitude. Quant aux bœufs à abattre, nous voulons que tu les fasses conduire à Lanaeken ". >

••• Il existait des degrés dans la richesse et la puissance. Nous avons entrevu les domaines en tant qu'organismes économiques. Un prochain chapitre les montrera en tant 83. Cf. les statuts promulgués par Adalhard, abbé de Corbie (éd. LBVILLAIN, dans Le Moyen Age, 1900, p. 333-386) ; E. LESNE, c L'économie domestique d'un monastère au IX• siècle, d'après les statuts d'Adalhard ... > (Mélanges F. Lot, Paris, 1925, p. 385-420) ; VERHULST et SEMMLBR, c Les statuts d' Adalhard de Corbie > (Le Moyen Age, 19.62, p. 91-123 ; 233-269). - Adalhard évaluait à trois cent cinquante personnes environ le personnel stable de l'abbaye - moines, vassaux, provendiers. - Même chiffre, approximativement, à Saint-Germaindes-Prés, sous l'abbé Irminon, et à Saint Denis, vers 832. 84. Documents, n° 19, p. 356 Oettre n° 5, vers 830).

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que seigneuries. Faisons la soudure en recherchant les maîtres du sol. Les yeux se tournent d'abord vers le souverain qui, grâce aux biens du fisc et à ses terres patrimoniales, possédait vers l'an 800, quelques centaines de domaines situés notamment dans l'ancienne Austrasie 15 • Ils se tournent également vers l'aristocratie laïque et ecclésiastique, élite du personnel administratif de l'Empire ou des royaumes issus de son démembrement. Exploitations agricoles et pouvoirs de commandements représentaient les principaux éléments des grandes fortunes 86 • Evrard, gendre de Louis le Pieux et marquis du Frioul, avait une quinzaine de domaines en Flandre et en Artois, d'autres encore en Souabe et en Italie. Vassaux du comte de Mâcon, les Bérard étaient maîtres de vastes domaines et de seize églises rurales, du Clunisois à la Dombes. Les terres du comte Géraud s'éparpillaient à travers dix-sept diocèses du centre et du sud-ouest de la France, ainsi qu'en Dauphiné et en Espagne. D'après son biographe, Eudes de Cluny, il aurait pu aller du Puy Griou, dans la région volcanique de l' Auvergne, jusqu'au sud du Rouergue ou à Sarlat, puis revenir par d'autres routes à son point de départ en couchant uniquement dans ses châteaux. Le ton est héroïque. Toutes 85. Aucun inventaire complet de la fortune des empereurs carolingiens ne nous est parvenu. On ignore même le chiffre exact de leurs domaines à un moment quelconque du IX• siècle (voir, en dernier lieu, J. DHONDT, Naissance des principautés territoriales, ch. 1 et Appendice I. - Bibliogr., n° 225). Pour l'époque antérieure, R. DOEHAERD, La richesse des Mérovingiens ; F. RoussEAU, La Meuse et le pays mosan en Belgique, Appendice II (Bibliogr., noa 135 et 75). 86. Des actes donnent une impression d'ensemble sur leur échelonnement tel que l'imaginaient . les contemporains. Ainsi, le concile d, Aix, de 816, estimait qu•un riche établissement ecclésiastique possédait en moyenne trois à quatre mille manses - chiffre, ajoutait-il, susceptible d•être au moins doublé - ; une église de second ordre, mille à deux mille ; un modeste établissement, trois à quatre cents (MANSI, Conciliorum nova et amplissima collectio, XIV, col. 232, cap. 122). Indications utiles, mais moins précises, dans un Capitulaire de 792-793, dans l'édit de Pitres de 864, et dans les actes relatifs à des tributs imposés par les Normands (Capitularia, t. 1, n° 21, p. 52 ; t. Il, n° 273, p. 314 et suiv.; F. LoT, Les tributs aux Normands, dans Biblioth. de l'Ecole de, Charte,, 1924, p. 58-78).

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révérences gardées, on songe à Charles Quint exaltant son Empire. Par contraste, de tout petits seigneurs, nombreux sans doute, se pressaient au bas de l'échelle : tel ce Warin dont le domaine, dans le Baar, comprenait une minuscule réserve et cinq tenures. Nous sommes mieux informés sur les grandes fortunes monastiques dues à la générosité des rois et des fidèles, grossies en outre par des achats. Certaines offrent un spectacle surprenant. A l'abbaye de Fulda, des estimations peutêtre trop généreuses attribuent, pour le début du IX' siècle, environ quinze mille manses ; à celle de Tegernsee, en Bavière, douze mille - soit, dans les deux cas, plus de cent cinquante mille hectares. A un échelon inférieur, l'abbaye de Saint-Germain-des-Prés régnait sur quarante à cinquante mille hectares, dépassant ainsi Saint-Bertin et l'abbaye de Prüm. Au-dessous, se pressait un monde de clercs et de moines dont les fortunes, coquettes ou infimes, se prêtent mal, dans leur variété, à un échantillonnage serré. 1(:

** L'étendue des terres possédées n'est pas le seul élément qui compte dans l'appréciation des richesses foncières : qu'elles proviennent de biens patrimoniaux, d'achats ou de donations. Il faut prêter attention à leur nature, car tout n'était pas « domanial > dans les fortunes des grands, que pouvaient tenter aussi de petites exploitations en alleu ou en tenure. Il faut aussi examiner la répartition de leurs éléments. A des champs concentrés autour de la principale demeure, ou situés dans un proche rayon, s'ajoutaient des villae ou des fractions de domaines disséminés parfois sur des distances considérables. Au début du VII' siècle, l'évêque d' Autun détenait des biens dans treize comtés allant de la Bourgogne au Rouergue, au Quercy, à la Saintonge et à la Provence. A la même époque, l'évêque du Mans ajoutait à son patrimoine aquitain des terres acquises dans son diocèse, en Trégorrois et dans la région de Paris, d'autres

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encore, données par Clotaire II, en Provence et en Bourgogne. On sait en outre que l'abbaye de Saint-Denis avait des domaines en Italie et l'église de Trèves en Aquitaine. Voulons-nous d'autres exemples? Dans son testament de 684, un évêque d'Auxerre mentionne des biens de toutes dimensions éparpillés dans quarante-quatre paroisses allant du Sénonais au Nivernais. L'abbaye de Flavigny fait mieux encore puisqu'un de ses abbés, en 723, énumère des terres dispersées dans quatre-vingt-une paroisses du Jura au Nivernais et du Barrois à l'Autunois. Celle de Lobbes, en 868, était possessionnée dans la région de la Sambre, le Hainaut, le Namurois, le Brabant, ainsi que du Laonnais aux Flandres. Aux biens donnés primitivement à l'abbaye de Nivelles, vers le milieu du vn· siècle, et qui formaient un ensemble de domaines contigus ayant seize mille hectares, des donations et des achats avaient ajouté des terres disséminées du Laonnais à l'est de Bonn. Beaucoup mieux groupé, puisque quatorze de ses domaines étaient situés dans l'Ile-de-France, le temporel de Saint-Germain-desPrés comprenait néanmoins des villae dans le pays de Dreux et dans le Berry. Plus le prestige d'une église était grand, plus elle bénéficiait de donations éloignées. En outre, des considérations économiques intervenaient, incitant par exemple des communautés ecclésiastiques du nord de la France à acquérir des vignobles sur les coteaux de la Moselle et du Rhin. La dispersion était plus forte encore en Allemagne. Ainsi l'abbaye de Saint-Emmeran de Ratisbonne possédait, au début du XI• siècle, un millier de manses en Bavière, en Autriche et dans le Palatinat. Les biens de l'abbaye de Hersfeld s'égaillaient sur plus de deux cents localités entre la mer du Nord et le lac de Constance. D'où les tentatives pour concentrer par voie d'échanges les principaux éléments des fortunes foncières 87 • 87. Pour les exemples précédemment donnés et pour de plus amples renseignements, se reporter à DUMAS, La grande et la petite propriété à l'époque carolingienne ; GRAND et DELATOUCHE, L'agriculture en France, p. 69 et suiv. ; LESNE, La propriété ecclésiastique, II (Bi-

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VIII. - CHANGEMENTS DANS L'ORGANISATION DOMANIALE DU IX' AU XI' SIÈCLE II

Les grandes propriétés sont de tout temps et de partout. Mais le régime domanial a passé. Seules importent ici les premières manifestations d'un phénomène qui, parfois, remonte haut. Des cadres ont chancelé. S'agit-il d'abord de la villa ? On s'était efforcé, sous le Bas-Empire, de lui conserver son intégrité. Or, durant la première moitié du VII' siècle, des « sections > de villae attestent un démembrement 19 • Celui-ci s'est accentué sous la poussée des bénéfices, des partages successoraux, des donations aux églises 90 • Villae écartelées entre plusieurs domaines, manses voguant par groupes ou isolément d'une propriété à l'autre et rattachés à un centre domanial parfois éloigné, tel est le spectacle offert par d'anciennes unités d'exploitation. Si bien qu'à l'époque carolingienne c'est le nombre des manbliogr., nos 144, 159, 176). Voir aussi LBVILLAIN, c Girart, comte de Vienne > (Le Moyen Age, 1949, p. 233-235) ; DÉLÉAGB, ouvr. cité, p. 213, 227-238, 422-431 ; DOLLINGER, ouvr. cité, p. 91 ; DUBY, ouvr. cité, p. 41 et suiv.; GÉNICOT, Le temporel de l'abbaye de Lobbes ; HALPBBN, Etudes critiques sur... Charlemagne (Bibliogr., nos 134, 136, 142, 158, 162). 88. Bibliogr., n 09 116, 134, 136, 149, 157, 188, 192, 210, 212 (p. 429435) ; Compléments, p. 435-438 (travaux d'ABEL, de BoussARD, DuBY, HERLIBY, JONES, LÜTGE, LA MOTTE-COLAS, PERRIN, PLATBLLE, VERBULST). 89. W. LEv1soN, Das Testament des Diakons Adalgisel-Grimo vom Jahre 63.J (Trierer Zeitschrift, VII, 1932). 90. Ainsi, la veuve d'un comte de Toulouse cède à l'abbaye de Vabres, en 865, trente-quatre manses relevant d'une douzaine de villae (HIGOUNET, c La seigneurie rurale et l'habitat en Rouergue >, dans Ann. du Midi, 1950, p. 123). - Autres exemples dans A. Dmus, c La propriété à l'époque carolingienne > (Rev. hisf. de Droit français et étranger, 1926, p. 623-624). - Sur le morcellement engendré par la diffusion des bénéfices, J. FLAcH, Les origines de l'nncienne France, II, 87 et suiv.

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ses qui est la base principale de l'évaluation des fortunes 111 • Ces derniers, pourtant, n'exerçaient plus toutes les f onctions qui leur étaient naguère dévolues. L'exiguïté anormale de certains d'entre eux - moins d'un hectare - était due à l'aliénation par les tenanciers de la plus grande partie des terres. Au VII• siècle, nous trouvons des traces de cette entorse aux règles interdisant pareille fragmentation. A son tour, l'édit de Pitres, de 864, condamna les aliénations partielles"· Comment, réduit à la maison et au jardin, le manse aurait-il pu entretenir une famille démunie d'autres ressources et servir d'assiette à la perception des taxes publiques et privées ? Mais l'édit ne fut pas respecté. A l'image de l'Empire, le manse déclinait. D'autres indices révèlent des changements profonds. En Ile-de-France et en Normandie par exemple, des manses étaient occupés chacun par plusieurs familles au début du JX• siècle. L'un d'eux, réduit à deux hectares, abritait dix personnes 93 • Diverses raisons peuvent être invoquées : ici, l'appauvrissement de tenanciers contraints de faire appel à des étrangers et de mettre avec eux en commun les ressources et les charges ; là, le manque de main-d'œuvre domestique ; ailleurs, l'éclatement du groupe patriarcal et le maintien sur la même terre de plusieurs ménages indépendants. Ce manse surpeuplé n'est plus une unité familiale d'exploitation, mais il demeure une base d'imposition des redevances et des services. Dernière observation. Alors que, primitivement, le statut juridique des manses répondait à celui des tenanciers, un divorce assez fréquent s'est opéré à partir du VIII- siècle entre la condition des paysans et celle de leurs terres. On voit des paysans libres installés sur des manses servi91. Ci-dessus, p. 114, n. 86. 92. Documents, n° 17 (p. 351). 93. GUÉRARD, Polyptyque d'lrminon, II, Villa Supra Mare. En revanche, dans la plus grande partie de l'Allemagne les manses devaient rester longtemps encore la terre d'une fa mille. Il en allait de même, au IX• siècle, sur les dépendances de Saint-Pierre de Gand (GANSBOF, art. cité, p. 1034. - Bibliogr., n° 151).

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les et des esclaves sur des manses ingénuiles "· Qu'importait au maître, après tout, puisque les charges des tenures étaient dictées par le statut de la terre, non par celui des exploitants! Mais ce désaccord achève de mettre en lumière les failles qui menaçaient une institution demeurée pourtant vigoureuse, en de nombreuses régions, jusqu'à la fin du x• siècle, parfois beaucoup plus tard. Issus de partages entre les occupants, ou formations originelles nées par exemple sur des défrichements, des demimanses et surtout des quartiers apparaissent dès le VII' siècle en Angleterre, puis à l'âge suivant en France et en Allemagne. Le mouvement devait s'accélérer à partir du XI' siècle, sans jamais devenir général. Il apporte la preuve que le manse se pliait moins que jadis à la situation démographique ou économique, et que des cellules plus petites, autorisées par des procédés de mise en valeur assurant un meilleur rendement, étaient en voie de création. Mais les attaches ont mis des siècles à se briser. Occupées à leur début par une seule famille, théoriquement indivisibles, et participant à la mise en valeur des réserves, beaucoup de tenures nouvelles n'étaient encore, à la fin de l'époque carolingienne, que des unités d'exploitation. C'était en fonction du manse, demeuré la cellule fiscale essentielle, que les seigneurs fixaient leurs charges, proportionnellement à leur étendue. Pour rompre le cercle dont le manse est le centre, il faut regarder ailleurs : vers les hôtises, petites tenures dessinées sur des espaces incultes et concédées à des hôtes contre de légères redevances et de menus services 95 ; vers les censives qui, dans les textes tout au moins, ne font qu'une timide apparition avant le XI• siècle.

94. Documents, n° 16, art. 38, 43 (p. 347). Bien entendu, les cas d'espèce jouaient en des sens différents. A la fin du IX• siècle, sur les terres de l'abbaye de Wissembourg, la concordance restait entière entre le statut des manses et celui de leurs détenteurs. 95. Comme elles compliquaient l'administration de la villa pour des hommes habitués au régime domanial, des hôtises voisines furent parfois unies les unes aux autres de façon à constituer un manse, ou l'une de ses fractions. Après avoir été brisé, le cercle se reformait.

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En définitive, l'apogée du manse semble avoir coïncidé fréquemment avec celui du régime domanial - fort décalé dans le temps, d'une contrée à l'autre. Cependant, il lui a survécu. Des pays d'enclos, où il était en un tenant et reposait sur une solide assise terrienne, l'on conservé jusqu'à l'époque moderne comme unité d'exploitation - des manses anciens ayant résisté à l'épreuve de l'âge et de nouvelles tenures s'étant formées à leur image. - Il a duré jusqu'au XIV• siècle sur de nombreux terroirs anglais et allemands : protégé en Angleterre par l'administration royale, qui voyait toujours en lui, ou dans ses unités fractionnaires, une base fiscale, défendu en Allemagne par des règles hostiles aux ventes partielles et aux partages successoraux. En revanche, il s'est effrité au cours des XI• et XII' siècles dans les pays de champs ouverts français, où la dispersion des parcelles favorisait les aliénations. Souvent ainsi, !'infiniment petit révèle, lorsqu'il est une cellule vitale, les changements intervenus dans la structure des sociétés et des Etats.

* ** Le fractionnement des villae et des manses remettait chaque fois en question les rapports entre la réserve et les tenures, obligeait les maîtres à des rajustements successifs, entraînait la suppression de corvées devenues sans objet. Toutefois, il n'atteignait pas dans son essence le régime domanial lui-même. Or, entre la fin du IX" siècle et celle du XIII', ce régime s'est désagrégé dans une partie de l'Occident. Là où le manse fournissait jadis cent à cent cinquante journées de travail par an sur la réserve, on ne lui a plus demandé, au terme de l'évolution, que plusieurs semaines, parfois plusieurs jours, groupés sur une courte période ou étirés au fil de l'année. Le travail à la tâche et les charrois ont été allégés ou supprimés tandis qu'augmentaient les redevances, les

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droits d'usage, les prestations en rapport avec l'installation de la féodalité. Ni l'emploi massif d'esclaves domestiques, pratique dépassée, ni l'appel à des salariés, assez rares encore sur les marchés de la main-d'œuvre, ne justifiaient pareilles transformations. Une autre explication s'impose : des réserves ont sauté et fait place, en partie, à une multitude de menues exploitations paysannes. Le « manse dominical > continue à donner le ton grâce à sa superficie, à son installation, à ses cultures choisies. Mais il n'écrase plus de sa masse ni de ses exigences les tenures rurales. Aux yeux de certains seigneurs, les paysans sont moins des fournisseurs de main-d'œuvre que des contribuables. Etape considérable de l'histoire rurale, la diminution des réserves a modifié la répartition et la destination des produits, permis aux paysans de consacrer plus de temps que jadis à leurs fermes ou à leurs métairies. Mais pourquoi cette réduction ? On invoque parfois la raréfaction des marchés susceptibles d'absorber les denrées domaniales excédentaires. Or, les marchés se sont multipliés à partir du XI" siècle avec l'extension des échanges internationaux. De grandes réserves, au surplus, pouvaient s'accommoder aussi bien d'une relative atonie commerciale - donnée précisément comme une cause de la faveur accordée au régime domanial durant le haut Moyen Age - que de la présence de larges débouchés. C'était affaire d'adaptation et d'organisation. En outre, le renouveau intellectuel du IX' siècle, en attendant celui du XII•, ne s'accorde pas avec les théories qui imputent à la chute de l'instruction l'ignorance des règles comptables élémentaires et l'impuissance à gérer de grandes exploitations. L'argument pouvait valoir au VII" siècle, non ensuite. D'autres raisons emportèrent la décision : tels l'accroissement de la population, le développement des routes commerciales et celui d'une économie fondée plus que naguère sur le métal précieux, le déséquilibre dû aux partages successoraux et aux constitutions de fiefs, enfin les devoirs vassaliques et les courses lointaines qui laissaient aux seigneurs peu de loisirs pour administrer leurs biens, ou pour contrôler la gestion des maires. Que les « puissants > aient

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pris l'initiative, ou qu'ils aient dft s'incliner devant l~s réclamations des villageois, un résultat demeure : l'élan victorieux donné aux tenures et, parfois aussi, aux alleux paysans. Elan permis par des progrès techniques qui favorisèrent les grands défrichements. Car c'est à ce moment que l'amélioration, durant le haut Moyen Age, de l'équipement rural et des méthodes agricoles fait sentir ses effets : un meilleur attelage, une charrue capable de retourner les terrains lourds, de nombreux moulins, enfin des règles d'assolement mieux établies 96 • A vrai dire, l'effritement des réserves et le déclin du régime domanial furent soumis à tant de repentirs et de retours provisoires au passé, ils s'étirèrent sur une si longue période qu'ils découragent toute explication unilatérale. Il s'agit là d'un « fait européen >. Mais des facteurs régionaux et des initiatives privées ont précipité ou retardé le mouvement 97• Avant de devenir irrésistibles, les contraintes économiques sont souvent dévi~s ou corrigées par les traditions locales, les habitudes, les réactions des hommes.

CONCLUSION Les débuts du XI• siècle, en principe terme de ce livre, ont dû être dépassés afin de suivre une évolution qui s'est prolongée bien après eux. Revenons à l'organisation domaniale du haut Moyen Age. On a vu parfois en elle une solution de pares,se. Nous sommes d'un avis différent. Certes, elle exigeait moins d'imagination, en économie de subsistance, que la mise en valeur des domaines romains et des 96. G. DUBY, L'économie rurale, t. 1, p. 170 et suiv. 97. Les oppositions sont plus sensibles encore lorsqu'on envisage, dans leur ensemble la France, l'Allemagne et l'Angleterre. Ces problèmes seront abordés dans notre tome Il, livre 1, chap. 111.

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entreprises modernes, étroitement liées aux variations de la conjoncture internationale. Néanmoins, il fallait une grande ingéniosité pour combiner les ressources des domaines composant une grosse fortune, contrôler la production puis l'emploi des denrées et des objets fabriqués, maintenir ou rétablir l'équilibre entre les deux sections de chaque villa, proportionner le nombre des manses et des services aux exigences de la réserve en combattant soit la pénurie, soit l'excédent de main-d'œuvre. Il importait également de répartir les tâches quotidiennes, hedomadaires ou saisonnières, de tenir un état des recettes et des dépenses, de respecter les statuts juridiques et d'obtenir l'accord des paysans pour modifier leurs charges. De pareils soins réclamaient un personnel considérable, qui devait être surveillé, contrôlé, admonesté. L'auteur de la Vie de Charlemagne, Eginhard, s'en prend un jour à sc,n intendant du domaine de Fritzlar, sur la rive gauche du Main : « Tu n'as envoyé à Mulinheim ni grain pour faire de la farine ou préparer de la bière, ni autre chose que trente porcs médiocres et trois muids de légumes, - rien de plus ... Si nous ne pouvons pas retirer plus d'avantages de Fritzlar, nous ne voyons pas pourquoi nous devrions conserver ce bénéfice. Nous te prions de réparer ta négligence et de nous faire savoir promptement ce que nous devons attendre de toi 91 • > Les grands propriétaires butent contre la réglementation qui s'est accumulée au cours des âges. Les plus avisés cherchent à déblayer le terrain, à faire peser les mêmes charges sur tous les manses, libres et non libres, d'un même domaine. Un rapport existe entre ces tentatives et la renaissance intellectuelle dont les abbés et les évêques furent les principaux agents. Malgré la difficulté qu'ils éprouvent à rompre avec des méthodes traditionnelles et à s'adapter aux exigences d'une évolution économique d'autant moins perceptible qu'elle est fort lente, ils essayent d'agencer au mieux les rouages de l'organisation domaniale. Des inca98. Documents, n° 19, p. 357-358 (lettre n° 9

vers 828-830).

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pables, au contraire, s'immobilisent dans des pratiques routinières ornées de « traits classiques > par des historiens de l'économie carolingienne. Mais souvent, en histoire, les formes classiques d'un régime ne constituent pas une marque d'épanouissement. Elles sont un manteau jeté sur des signes d'usure qui annoncent le déclin.

CHAPITRE III

LES PAYSANS ET LEURS MAITRES DU GRAND DOMAINE A LA SEIGNEURIE RURALE 1

Le domaine n'est pas seulement une unité d'exploitation partagée entre une réserve et des tenures, mais un groupe social dépendant d'un maître, un organisme de commandement, ou seigneurie, ayant son administration et ses coutumes particulières. Le seigneur est pl us qu'un patron dirigeant des équipes de travailleurs, ou qu'un propriétaire recueillant les fruits de ses terres, les loyers de ses fermes et de ses métairies. C'est un chef pliant à l'obéissance des sujets qui se rattachent à lui par des liens personnels entrecroisés avec les dépendances terriennes. Souvent héréditaires, ces liens enveloppent l'existence des ruraux, déterminent leur statut juridique, fixent à beaucoup d'égards leur place dans la société et dans l'Etat 1 •

1. Bibliogr., n 08 115-213 (p. 428-435) ; Compléments, p. 435-438.

« Seigneurie rurale ? > L'expression est assez ,·ague, mais nous n'en connaissons pas de meilleure. Elle réunit deux aspects : l'un foncier, l'autre politique (ce dernier quelquefois désigné sous le nom de seigneurie justicière, ou hautaine, ou banale, afin de mettre l'accent sur l'origine publique des droits exercés). 2. Dans la 81 édition du t. 1 de B. GBBHARDT, Handbuch der deutschen Geschichte, K. BosL a donné un résumé des théories de nombreux historiens allemands sur les origines de la seigneurie en pays germanique : d'abord communauté d'individus subordonnés à un chef ; puis groupement non seulement de personnes mais de biens, pris notamment sur des terres vagues et concédés par un maître à des paysans dès lors placés dans sa dépendance.

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1. -

LES POUVOIRS

Fort complexe, l'institution seigneuriale s'offre parfois en victime aux abstractions qui la situent hors du temps et de l'espace. Plaçons-nous de nouveau à l'époque carolingienne pour définir le genre à la lumière d'une documentation moins stérile que celle de l'âge antérieur. Après quoi, nous remonterons dans le passé.

A. LE DROIT DE BAN

Habillé en latin, un vieux mot germanique contient et résume les pouvoirs attachés notamment aux grandes dominations seigneuriales : bannus, le ban 3 • En vertu de ce droit, le maître ordonne, contraint, punit. Il intervient dans la vie privée de ses dépendants, par exemple à l'occasion de leur mariage ou de leur succession, perçoit des taxes de mutation sur leurs tenures, contrôle les droits d'usage. Il exige d'eux l'hospitalité, procède à des réquisitions d'ordre militaire et économique, crée des marchés, taxe le transport et la vente des denrées. Après avoir construit à grands frais des moulins, des pressoirs et des fours, il les met contre redevances à la disposition de ses hommes, mais leur interdit semblable initiative. Et ces monopoles sont à tel point une expression de l'autorité seigneuriale qu'ils portent le nom de banalités. Surtout, il exerce une juridiction privée qui peut aller jusqu'à la condamnation à mort, l'exécution de la sentence et la confiscation des terres. La plupart de ces prérogatives ne figurent guère avant le x· siècle dans la documentation. Ont-elle appartenu de toute ancienneté aux principaux maîtres du sol, mis en mesure grâce à elles d'administrer les domaines, d'y maintenir l'ordre, d'asseoir leur autorité sur les paysans? Ou 3. Etude locale récente : DuBLED, c La notion de ban en Alsace au Moyen Age > (n.ev. histor. de Droit fr. et étranger, 1961, p. 30-75).

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bien sont-elles en relation avec raffaissement de la monarchie carolingienne, contrainte de déléguer ses pouvoirs à des grands, ou réduite à fermer les yeux sur leurs usurpations ? En d'autres termes, le domaine fut-il dès ses débuts une seigneurie rurale, notamment dans les sociétés sans Etat des premiers âges de l'histoire? Ou bien ne l'estil devenu qu'à une époque tardive, lorsque des pouvoirs d'origine publique s'ajoutèrent à de vieux droits domaniaux? Les deux doctrines ont mis aux prises plusieurs générations d'érudits. Et leurs champions ont creusé entre eux un fossé garni de barbelés". Pourtant, les réalités furent moins tranchées sans doute que les antagonistes ne l'imaginent. On décèle dans les anciennes sociétés celtiques et germaniques l'intervention de chefs de clans, de villages ou de domaines qui sollicitent et quêtent en retour de la protection qu'ils accordent :1. Un jour vient où ils exigent. Ils ne réclament plus seulement des redevances et des corvées, loyer de la terre, mais la participation à l'équipement du domaine et divers monopoles, loyer des instruments prêtés aux paysans. Les cadeaux sous forme de bétail par exemple, l'aide en cas de grande nécessité, le contrôle des droits d'usage, ainsi que des taxes sur le formariage et les successions des hommes libres comme des esclaves, deviennent des « coutumes > domaniales. Sans doute faut-il leur adjoindre le gîte, le jugement des causes relatives aux tenures, enfin la répression des petits délits civils. Ainsi l'association cède la place à une soumission progressive. Un droit privé s'échafaude à côté de la loi générale et 4. La théorie domaniale, qui voit dans la plupart des droits seigneuriaux une conséquence naturelle de la propriété et des besoins inhérents aux grandes exploitations, a été élaborée principalement par Fustel de Coulanges, développée par Henri Sée, reprise et nuancée par Marc Bloch, renforcée et généralisée par Léo Verriest. L'école adverse rassemble un grand nombre d'historiens et de juristes, qui s'en tiennent à des textes relativement tardifs et raisonnent à leur lumière. 5. M. BLOCH, c The rise of dependent cultivation > (The Cambridge Economie Historu, 1, 2' éd., p. 235 et suiv.). - Eléments de comparaison dans Documents, n 09 1-3 (p. 331-335).

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règle les rapports entre les membres de chaque groupe 1 • De telles pratiques ont pour fondement la propriété du sol, le pouvoir domestique et coercitif du maître 7 • Elles font du domaine ancien une seigneurie élémentaire, foncière plus que politique. Mais pendant le haut Moyen Age, l'institution seigneuriale s'est enrichie de traits où nous aimons voir l'épanouissement du système : justice, presta6. Des c: droits ridicules », selon l'expression des feudistes français, affirment leur puissance. On ne les connaît guère avant la seconde moitié du Moyen Age. Autant de résurgences locales de pratiques sans doute anciennes, issues, croyons-nous, du climat entretenu soit par la vie de clan ou de tribu, soit par l'esclavage, et remises en honneur grâce à l'accroissement du « ban seigneurial >. Tel le droit de jambage ou de cuissage (pudiquement, jus primae noctis), en vertu duquel le seigneur pouvait partager la couche de la nouvelle mariée durant sa première nuit. Quitte pour l'époux désireux d'esquiver la mésaventure à racheter le droit du maître, s'il y consentait. Attestée par exemple en Béarn, en Catalogne et en Allemagne, plus tard chez des tribus de l'Amérique centrale et des peuplades hindoues - sans préjudice d'autres coutumes à caractère obscène, telles que le droit de c: congnage >, qui relèvent du folklore ou de mauvaises plaisanteries après boire - cette exigence singulière a excité les imaginations sans recevoir aucune explication décisive (CH. SCHMIDT, Jus primae noctis, Fribourg-en-Brisgau, 1881 ; Io., Der Streit über das Jus primae noctis, dans Zeitschrift für Ethnologie, XVI, 1884). Autre coutume originale : l'obligation faite à des paysans de battre pendant la nuit les douves entourant le château du maître ou les étangs proches de sa demeure villageoise, afin d'interrompre les coassements des grenouilles qui l'empêchaient de dormir. L'usage n'est guère mentionné qu'à partir du XII• siècle, où le chasement des serfs sur d'anciennes réserves laissa à leur charge des obligations mentionnées désormais dans les contrats, puis insérées dans les coutumiers. Le 4 août 1789, un député du Tiers-Etat condamna le « grenouillage > en termes véhéments : « Qu'on apporte ces titres qui obligent les hommes à battre les étangs pour empêcher les grenouilles de troubler le sommeil de leurs voluptueux seigneurs. Qui de nous ... ne ferait un bftcher expiatoire de ces infâmes parchemins ? > (J. SCHNEIDER, c: Le droit de grenouillage dans la Lorraine médiévale >, Le pays lorrain, Nancy, 1953). 7. Des taxes sur le transport et la vente des denrées à l'intérieur des domaines ont pu avoir la même source, en fait puis en droit. Les rois les ont confirmées en grand nombre ; ils en ont créé d'autres. De là leur double origine, privée ou publique selon les cas (Sur les marchés, présentés comme un droit régalien, voir l'édit de Pitres, de 864, dans Capitularia, Il, 317, art. 19).

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tions militaires et fiscales, frappe de la monnaie, création de marchés et perception de tonlieux, extension du ban sur des territoires et des hommes étrangers au domaine. Quand il était puissant, l'Etat s'est appuyé sur les seigneurs pour mieux atteindre les sujets. Aux époques de crise et de carence, il leur a concédé ou s'est laissé arracher des prérogatives. Le contraste est frappant entre les actes royaux qui maintiennent par l'écrit la présence de l'autorité publique et les réalités que ces mêmes actes laissent entrevoir : sinon une c foire d'empoigne >, du moins un glissement presque continu qui s'est précipité durant la seconde moitié du IX' siècle et le X•. Au festin de l'Etat, la haute aristocratie ne fut pas seule conviée. Elle dut laisser des parcelles d'autorité à des concurrents et à des auxiliaires.

B. LES IMMUNITÉS

Esquissée dans l'Empire romain, développée dans les royaumes barbares, réorganisée par les Carolingiens, une institution a joué un rôle considérable dans l'accroissement de l'autorité exercée par les hautes couches seigneuriales : l'immunité •. Sous le Bas-Empire, elle fut appliquée notamment aux domaines du fisc, qu'on voulait soustraire aux impôts et à la juridiction des magistrats. Le soin de percevoir les taxes et de rendre la justice était confié à 8. Cf., entre autres, M. KROELL, L'immunité franque ; H. HIRscu, Die hohe Gcrichtsbarkeit im deutschen Mittelalter ; L. LEVILLAIN, Note sur l'immunité mérovingienne ; VERRIEST, Institutions médiévales, p. 89 et suiv. (Bibliogr., n°• 169, 166, 179, 212) ; GANSHOF, c L'immunité... > (Soc. J. Bodin, t. 1, 2' éd., p. 171-216). Il y a lieu de consulter également les travaux de CAPITANI et de FISCHER-DREW (Complém. bibliogr., p. 436). Rappelons enfin que, selon certains historiens allemands - von Dungern, par exemple - des nobles jouissaient de l'immunité en vertu de leur naissance (évocation de cette théorie par GÉNICOT, L'économie rurale namuroise, II, 23-24 ; c La noblesse dans l'ancienne Francie >, Annales E.S.C., 1962, p. 2-6). Suivant ces mêmes historiens, la haute aristocratie germanique a toujours eu le sentiment que ses pouvoirs étaient de même nature que ceux du souverain et qu'elle était en droit de les exercer sans concession royale.

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des régisseurs impériaux•. Les Mérovingiens ont maintenu le système sur les biens du fisc. Surtout, ils ont accordé l'immunité à des couvents et à des églises. Cette concession est perpétuelle. Elle s'applique c à tous les biens, présents et à venir >, des heureux titulaires : villae ou fractions de villae, « lieux, champs et autres possessions >. En obtenant de Clovis II un tel privilège, l'abbé de Saint-Bertin, par exemple, sait qu'il restera attaché à son couvent et que toutes les terres qui, par achat ou donation, viendront grossir le temporel, participeront à l'immunité 10• Ancrée au cœur des comtés, une marqueterie de territoires c immunes > s'est dessinée sur le sol des pays francs, ainsi qu'en Italie, en Espagne, dans l'Empire d'Orient ... Entre 635, date du premier diplôme mérovingien de ce genre, et la fin du IX' siècle, la plupart des actes concernent des ecclésiastiques 11 • Les laïcs ne furent pas exclus de cette mesure. Mais, tantôt leurs domaines ont joui d'une immunité de fait qui ne fut pas confirmée par un acte de chancellerie - tels certains domaines détachés du fisc, - tantôt cet acte a disparu des archives laïques, soumises à beaucoup plus d'aléas que celles des communautés religieuses. Assurer à des grands qu'on désirait gagner ou récompenser des ressources d'origine administrative ou judiciaire ; dans ce dessein, conférer par une faveur exceptionnelle l'autonomie à leur territoire et abandonner aux 9. Il est certain, d'autre part, que sur leurs grands domaines des membres de la noblesse sénatoriale jouissaient d'une immunité de fait, surtout en matière judiciaire (L. HARMAND, Le patronat sur les collectivités publiques, p. 480-482). 10. Par prudence, ses successeurs sollicitèrent à huit reprises en moins d'un siècle la confirmation du privilège (KROBLL, ouvr. cité, p. 75-76). Mais en droit cette confirmation n'était pas nécessaire. 11. Pour l'époque, en etTet, on ne connait guère que deux exemples d'immunités accordées à des laïcs. Le premier remonte au règne de Louis le Pieux (DEVIC et VAISSETE, Histoire générale du Languedoc, Toulouse, t. Il, éd. de 1885, n° 34, col. 100). Le second est du 23 juin 898 (Recueil des actes de Charles Ill le Simple, éd. Lauer, Paris, 1940, n., 13, p. 21). Indications complémentaires dans GANSROF, art. citd, p. 192, n. 66.

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immunistes non pas tous les revenus publics mais la rétribution prélevée sur eux par les agents royaux et, s'il y consentait, par le roi lui-même, tel fut le véritable objet de l'immunité mérovingienne, à la fois privilège fiscal et, par voie de conséquence, translation de pouvoirs. Elle ferme le territoire en cause aux officiers royaux, l'exempte de leur intervention. Défense leur est faite d'y exercer un acte d'autorité. Sans cesse reviennent les mêmes litanies : c Nous ordonnons qu'aucun agent public n'ose pénétrer sur les terres de cette église pour entendre des causes en justice, percevoir des amendes et des compositions, exiger le droit de gîte et de procuration, demander des corvées et des tributs, réclamer des répondants, contraindre injustement les hommes, esclaves ou libres, qui y demeurent 12 • > L'immunité ne libère pas les habitants de leurs devoirs envers l'Etat. Mais ce sont les immunistes qui, par l'intermédiaire de leurs représentants laïques, précurseurs des avoués, remplissent chez eux les tâches dévolues ailleurs aux agents royaux et bénéficient des avantages matériels attachés à leurs fonctions. L'administration proprement dite et la levée des impôts étant d'un rapport médiocre, l'exercice de la justice est devenu la principale tâche de l'immuniste. Non pas que l'honneur de juger exerçât un attrait particulier. Mais on poursuivait par là des fins lucratives : une part sur les amendes, les confiscations, les multiples profits tirés des plaideurs. En dispensant les immunités, le roi répondait à des sollicitations impérieuses. Quitte, pour les satisfaire, à diminuer l'Etat .

••• Pourtant, les premiers Carolingiens ont étendu cette pratique à la plupart des biens d'Eglise. Dans leur pensée, 12. Mêmes formules au X• siècle (par exemple, Documents, n° 20, p. 359). Les diplômes mérovingiens ne précisent guère les fonctions dévolues aux immunistes, ni les pouvoirs laissés aux comtes. Aussi la nature et la portée de l'immunité ont-elles donné lieu à des interprétations fort diverses et à des mises au point successives (ci-dessus, n. 8).

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en effet, elle était en même temps qu'une faveur un rouage de l'organisation politique et, comme la vassalité, un instrument de gouvernement. L'immuniste devient un délégué et un auxiliaire du roi 18 • Il a des pouvoirs judiciaires sur lesquels nous allons revenir. - Il a des pouvoirs fiscaux : perception des impôts et des contributions extraordinaires, dont une partie est reversée au trésor royal, à moins que l'immuniste n'en soit dispensé par un privilège spécial. Il exerce des pouvoirs militaires : levée de contingents pour l'armée royale, la garde et le guet. Le roi accorde sa protection au territoire d'immunité et inflige des amendes considérables à ceux qui lui portent atteinte. En revanche, il soumet l'immuniste à un contrôle et s'emploie à le tenir en main, comme à freiner grâce à lui les ambitions des comtes. En cas d'insoumission ou de gestion défectueuse, il peut lui infliger des amendes, lui enlever les fonctions et les bénéfices terriens qu'il lui a concédés. Enfin, il intervient dans le choix de l'avoué, agent laïque établissant une liaison entre le souverain et les habitants du territoire d'immunité, assumant aussi les tâches que l'immuniste, en raison de son caractère religieux, ne pouvait pas remplir. C'est à l'avoué que le droit de ban est confié. A lui de présider le tribunal, de contrôler la perception des amendes, de surveiller la gestion du territoire immuniste. A lui de défendre devant les plaids publics les intérêts de sa communauté, de conduire les vassaux et les paysans libres aux assemblées judiciaires, comme à l'ost royal ou comtal, de faire exécuter les services de garde et les corvées pour la construction ou l'entretien des routes et des ponts. L'immuniste subventionne l'avoué et fait les frais d'une institution qui a pesé lourdement sur ses destinées. Sous Louis le Pieux et ses successeurs, l'immunité a 0

13. Deux diplômes de 772 et de 775, qui confirment l'immunité déjà accordée aux évêques de Trèves et de Metz, procurent des renseignements sur la répartition des pouvoirs entre les immunistes et les agents royaux, ainsi que sur les devoirs des habitants envers le roi (M.G.H., Diplom. Karol., éd. Mühlbacher, 1906, n°• 66 et 91).

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repris le caractère nocif qu'elle avait eu à l'époque mérovingienne et qui était dans sa nature profonde. Achats, donations, contrats de précaire passés avec des alleutiers qui abandonnent la propriété de leurs biens pour n'en conserver que la jouissance élargissent son cadre territorial. Le privilège est même étendu à des lieux où l'immuniste ne possède ni réserve ni tenanciers : décrochement typique entre la seigneurie foncière et une seigneurie nouvelle, faite uniquement de pouvoirs de commandement. Les immunistes tendent à s'isoler de l'Etat. Des privilèges leur font grâce de tout don annuel au roi, comme des tonlieux, et exemptent leurs dépendants de l'ost et des corvées publiques 14. Par-dessus tout, ils voient dans leur diplôme non seulement une garantie contre l'intervention des fonctionnaires publics, mais le principal fondement de leur autorité sur les hommes de leur circonscription. A cet égard, l'histoire des droits de justice est significative .

••• Sous le Bas-Empire, des grands exerçaient chez eux une justice privée, rendue par leurs propres tribunaux. L'immunité a répandu l'usage à l'époque mérovingienne, tout en le renfermant dans certaines limites. Le tribunal de l'immuniste juge les habitants domicilés sur le territoire privilégié, à l'exclusion des procès qui les mettent aux prises avec des hommes résidant à l'extérieur. Sur les esclaves, sa compétence s'étend au criminel comme au civil, à l'exception parfois des crimes les plus grayes. Sur les hommes libres, elle ne va pas au-delà des causes mineures, ou petits délits. Les causes majeures relèvent des tribunaux publics 15 • 14. Exemples dans KROELL, L'immunité franque, p. 180 et suiv. 15. Par causes majeures, on entendait notamment le meurtre, le rapt, le viol, l'incendie volontaire, les revendications concernant la liberté des personnes. - Des historiens croient que l'immunité a comporté, dès les origines, c la plénitude de la juridiction > sur tout le territoire intéressé, qu'ils assimilent à un c comté ecclésiastique > (VBRRIEST, Institutions médiévales, p. 99). Le fait n'est pas exclu, mais sous la forme de cas d'espèce.

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Il appartenait au représentant de l'immuniste de leur présenter les accusés. Les réformes de Charlemagne attribuant au tribunal comtal le jugement des causes majeures et au tribunal du centenier celui des causes mineures ont eu des répercussions sur l'organisation judiciaire des immunités. La compétence de l'immuni-ste au regard des hommes libres est assimilée à celle du centenier. Il juge donc les causes mineures - y compris, maintenant, celles où des étrangers sont impliqués. Le jugement des causes majeures lui échappe. Et les esclaves eux-mêmes, pour certains crimes, relèvent du tribunal comtal. Toutefois, dès le deuxième tiers du IX• siècle et surtout au x•, les principaux immunistes étendent et précisent leur compétence, au besoin domaine par domaine, en ce qui concerne les causes comme les personnes. Ils revendiquent la totalité des pouvoirs judiciaires sur tous les laïcs de leur territoire : libres et non-libres, tenanciers et recommandés personnels, dépendants des petits seigneurs, alleutiers eux-mêmes. Ils prétendent juger les individus qui, vivant en dehors de leur circonscription, se sont placés sous leur protection, ou qui leur ont cédé la propriété, mais non la jouissance, de leurs alleux. Justices territoriales et justices personnelles entrent en concurrence au moment où, à un autre point de vue, la nature des institutions judiciaires se modifie progressivement. La justice de composition recule devant celle de répression, de sang, qui sera la haute justice des temps féodaux. Ne voyons pas en elle un héritage des causes majeures. Elle est issue du principe nouveau qui punit au lieu de dédommager et de réconcilier, qui substitue des peines afflictives à la possibilité de racheter les fautes les plus graves .

••• Bien entendu, les immunistes n'ont pas connu partout le même succès. Malgré la monotonie des formules, moulées pour la plupart sur le même patron, on saisit quelques difficultés. En Allemagne, où la justice fut beaucoup moins galvaudée qu'en France, les tribunaux publics conservèrent

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une compétence relativement étendue sur les hommes libres des immunités, notamment sur les alleutiers. En France même, une sourde rivalité, traversée de conflits brutaux, mit aux prises des immunistes avec les comtes et les châtelains. Souvent, des partages d'attributions intervenaient. Tel immuniste gardait les justices sur les parties groupées de ses domaines. Il y renonçait sur les manses isolés et le terres éloignées, ou bien s'y réservait seulement la basse justice. Tel autre reconnaissait au comte la juridiction sur les routes royales qui traversaient ses terres. De pareils accords limitaient la confusion des pouvoirs; ils ne la supprimaient point. Elle était d'ailleurs accrue par la coutume qui donnait aux tribunaux ecclésiastiques le jugement des causes où clercs et moines étaient impliqués, comme celui des actes revêtant un caractère religieux - tels le serment et le mariage. - Elle l'était enfin par les pratiques féodales, car des seigneurs concédaient en fief des domaines sur lesquels ils se réservaient la justice supérieure. Qu'on se représente les ruraux aux prises avec des juges dont l'un réclamait la connaissance des causes foncières, un autre celle des petits délits, un autre encore celle des méfaits graves. L'enchevêtrement d'une telle pluralité de pouvoirs devait conduire les hommes de l'époque féodale à les réorganiser sur de nouvelles bases, notamment dans le cadre des châtellenies. Toutefois, les principaux obstacles à la liberté d'action des immunistes sont venus du trouble introduit chez eux par l'avouerie. Le caractère de cette institution a changé avec le déclin de l'autorité monarchique et la multiplicité des tâches dévolues aux puissants. Elle n'est plus un lien entre eux et un Etat qui s'en va à la dérive. Elle sert maintenant à des fins intérieures. Sous les premiers Carolingiens, l'avoué était souvent un homme de modeste origine, recruté en dehors des milieux de fonctionnaires et chargé d'une mission importante, mais temporaire. Le roi demeurait le protecteur naturel des églises. Le jour où cette protection a manqué, elles ont vu dans l'avoué un défenseur, désormais choisi dans la haute aristocratie. Bonne aubaine pour les titulaires ! A une époque où les

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usages féodo-vassaliques se répandent, l'avouerie devient un fief héréditaire au même titre que les terres et les droits rétribuant la fonction. L'avoué fait peser son autorité tracassière sur le monde rural, harcelé par ses meutes d'agents, et bâtit sa propre seigneurie au cœur des domaines de l'Eglise. De grandes familles laïques goûtent ainsi aux pouvoirs exorbitants rattachés à l'immunité, aux ressources de ces énormes temporels qui excitaient tant de convoitises insatisfaites malgré les concessions de précaires opérées sur l'ordre du roi. Sous sa forme seigneuriale, l'institution a duré plusieurs siècles. C'est le mouvement grégorien, c'est aussi la renaissance de l'autorité monarchique qui aideront les communautés religieuses, évêchés d'abord, puis monastères, à s'affranchir de leurs dangereux protecteurs 18• L'extension de la puissance seigneuriale n'a pas eu seulement pour origine l'octroi d'immunités. A la faveur du déclin de l'Etat et des poussées féodo-vassaliques, les plus favorisés parmi les membres de l'aristocratie laïque font passer dans leur patrimoine les fonctions déléguées à leurs ancêtres : tels les ducs et les comtes, qui s'érigent en maîtres de vastes dominations autonomes ; tels les châtelains, qui soumettent à leur autorité les villages situés près de leurs forteresses 17• Leurs pouvoirs en tant que seigneurs ruraux offrent un pêle-mêle de prérogatives publiques et privées dont les contemporains ne distinguent plus, sauf exceptions, les origines ou la nature. Des scribes, à partir du X' siècle, les désignent sous le nom de « coutumes >, tant il est vrai qu'elles trouvent leur justification, aux yeux 16. En tant que fonction particulière, confiée à un agent spécialisé, l'avouerie s'est développée surtout dans le nord et l'est de la France. Ailleurs, elle fut souvent exercée par des ducs ou des comtes qui se chargèrent de gérer et de défendre les intérêts matériels des églises - des avoués subalternes, de rang social modeste, étant toutefois maintenus pour représenter les communautés devant la justice laïque et pour jouer le rôle dévolu à l'avouerie primitive. Dans le royaume de Germanie, l'institution, surveillée par le roi de façon plus efficace qu'en France, n'a pas donné lieu aux mêmes abus de pouvoir ; en outre, elle a duré beaucoup plus longtemps. 11. Sur l'aspect féodal du problème, cl-dessous, p. 188 et sulv.

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des hommes d'alors, dans l'immédiate tradition, vraie ou supposée. La muitiplicité de ces droits, la rigueur qui préside à leur exercice traduisent l'âpreté des maîtres et la brutalité de leurs agents. Peut-être aussi ont-ils le sentiment que les prestations réclamées, les c injustes coutumes > introduites 18, les exactions commises trouvent une explication et une excuse dans le maintien, par leurs soins, d'un ordre relatif sur leurs terres, d'une protection sur leurs dépendants.

* ** Entre la seigneurie rurale du XI' siècle, où le maître juge, taille, réquisitionne autant qu'il participe à l'exploitation de ses biens, et celle du haut Moyen Age, qui était surtout un groupe économique, il existe une différence de degré et, pour une part, une différence de nature. En outre, le cadre a changé. Ce n'est pas toujours le domaine, mais un territoire plus vaste et mieux groupé, dont les limites reproduisent par exemple une ancienne division du comté telle que la viguerie, ou le ressort d'un château - ban, sauvement, pôté. - Ici, les pouvoirs du maître ne s'étendent pas seulement aux paysans de ses domaines, ils se superposent à l'autorité des simples seigneurs fonciers, atteignent leur tenanciers, leurs protégés personnels, parfois leurs esclaves. Ils gagnent les alleutiers par le biais d'une justice imposée, de réquisitions réclamées. Mais ils butent aussi contre les enclaves parsemant leur territoire : terres d'Eglise protégées par l'immunité, grosses seigneuries dont les chefs, héritiers de propriétaires carolingiens demeurés à l'écart des fonctions publiques, sont assez influents pour imposer chez eux des prestations et se dresser contre l'implantation d'un pouvoir supérieur. Le X• siècle, l'ère suivante plus encore ont vu se déchaîner d'âpres rivalités seigneuriales, traduites par des coups de force alternant avec des compromis boiteux et des arbitrages souvent rompus. Tantôt, tous les droits de ban sur les 18. Capitularia, t. 1, n° 141, p. 289, art. 4 (819).

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personnes et les biens d'une circonscription appartiennent au même seigneur; tantôt ils s'éparpillent. Le châtelain de Berzé, en Mâconnais, est le seul maître de plusieurs paysans du hameau de Tournier, le seul seigneur de leurs tenures, l'unique détenteur du droit de ban. En revanche, l'abbé de Cluny laisse le châtelain d'Uxelles et le comte de Chalon réclamer des prestations à des hommes installés sur ses terres. D'un alleutier, le comte de Mâcon exige des coutumes. Le comte d' Auxois assure la défense de plusieurs villages dépendant de l'abbaye de Flavigny et, en vertu de ce c sauvement >, lève des droits sur les habitants 11 • En définitive, qu'ils s'exercent depuis le chef-lieu de comté ou qu'ils prennent pour point d'appui un établissement ecclésiastique, une forteresse, ou la maison d'un hobereau de village, les pouvoirs seigneuriaux s'infiltrent progressivement au cœur des masses paysannes. Ce sont elles qui ont fait les frais de la déroute de l'Etat. Ces masses, il est grand temps de les pousser sur le devant de la scène. A défaut de pouvoir pénétrer dans leur vie privée, il importe de connaître leur statut et de définir les· principaux groupes enfermés dans les seigneuries.

Il. -

LES SOCIÉTÉS RURALES A. LIBERTÉ ET SERVITUDE to

Tous les paysans des domaines étaient des dépendants. Mais ils n'avaient pas tous le même statut personnel. c On 19. DuBY, La société en Mdconnais, p. 205-206 et 214; DÉLÉAGE, ouvr. cité, p. 533 (fin du X• siècle et XI•). Voir également J. RICHARD, Les ducs de Bourgogne et la formation du duché, p. 95 et suiv. Pour la Lorraine, se reporter à Ca.-E. PERRIN, Recherches sur la seigneurie rurale, p. 664 et suiv. 20. Depuis quelques années, des auteurs ont renouvelé le sujet (Complém. bibliogr., p. 435-438 ; 442; 445-447 : BoERBN, BosL, DANNENBAUBR, DESPY, DuBLED, DuBY, voN DuNGERN, GÉNICOT, Lf.lTGE, MAYER, MULLER-MERTENS, SCHLESINGER, TABACCO, VERHULST, WERNLI ••.).

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est libre ou esclave, - rien d'autre >, déclarait un agent du Palais à un missus, au début du IX• siècle 11 • Ce contraste essentiel n,intéressait pas seulement les gens des seigneuries. De petits alleutiers et, dans les villes, des marchands ou des artisans avaient des esclaves à leur service. Ecartés du peuple chrétien par leur religion, les Juifs formaient une catégorie particulière de non-libres. L'opposition entre liberté et servitude plonge ses racines dans les temps primitifs. Au prix de nombreux remaniements, elle a traversé les âges avant de disparaître, chez nous, sous la Révolution, en d'autres pays avec les affranchissements du siècle dernier. Mais c,est au sein des seigneuries rurales qu'elle a répondu le mieux, durant le haut Moyen Age, à la représentation majeure que les hommes se faisaient de leur état. A vrai dire, celle-ci n'était pas aussi nette, aussi immuable que les affirmations tranchantes des textes officiels le laissent supposer. Liberté et servitude étaient en quelque sorte des notions relatives. Elles se définissaient moins en elles-mêmes, dans leur essence et leur contenu, que par opposition l'une à l'autre. En outre, la barrière juridique dressée entre les hommes ne se doublait pas d'une barrière sociale aussi haute. Libres et esclaves vivaient côte à côte dans les mêmes villages, peinaient sur le même terroir, occupaient des manses ne répondant pas toujours à leur statut, s'unissaient par le mariage et pratiquaient la même foi. Pourtant, nous répète-t-on, le partage est clair : point de milieu, point de demi-libres. Fausse clarté ! Entre la pleine liberté et l'asservissement total existait une zone indécise dont les contemporains avaient conscience, même s'ils n'en faisaient guère l'aveu, une zone qui n'osait pas dire son nom. Certains de ses éléments furent tour à tour élevés et abaissés 11 ; d'autres restèrent dans l'entre-deux. Avant de tendre des traquenards aux historiens et de les mettre à la peine, leur situation ambiguë a embarrassé les juges ou les arbitres de l'époque carolingienne et, plus 21. Documents, n° 8 (p. 339). 22. Ci-dessous, p. 167-169.

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encore, leurs successeurs. Elle a provoqué enquêtes, contestations, quiproquos. Si des rédacteurs de chartes se meuvent avec aisance parmi les statuts personnels, combien d'autres s'expriment en termes équivoques, hésitent à classer tel paysan dans le camp de la liberté, tel autre dans celui de la servitude ! L'agent impérial qui émettait avec une si belle assurance l'avis qu'on vient de reproduire évitait de se prononcer directement sur le sort des enfants nés de mariages mixtes. Le Bréviaire d' Alaric, la législation et un psittacisme fort répandu lui fournissaient une formule générale; les cas d'espèce l'embarrassaient. Si, de leur côté, les habitants d'un village connaissaient ordinairement la condition de leurs voisins, si chacun, à Palaiseau, savait que tel manse se trouvait occupé par trois familles dont les chefs étaient esclaves, tandis que leurs épouses jouissaient de la liberté, en d'autres cas ils pouvaient se tromper : témoin la mésaventure de cette femme libre qui apprit, au bout de plusieurs années seulement, que son mari appartenait à la catégorie opposée 23 • Marquons-le nettement : la multiplication des liens de dépendance a déteint sur la notion de liberté et entretenu un malaise juridique que la législation a tenté de dissiper sans y parvenir. L'imbroglio est aggravé par le latin des chartes : langue morte, sauf pour une élite qui tantôt l'adaptait aux besoins du jour, tantôt puisait dans les formulaires des mots passepartout, devenus archaïques et imprécis. Servus, à l'époque envisagée, ne désignait pas seulement le non-libre. Des textes appliquaient le terme aux hommes du domaine parce qu'ils c servaient > le maître - liber, par contraste, signifiant c exempt de charge >. - D'autres désignaient par là non pas une condition définie, mais un degré dans la dépendance et un état de comparaison. Ainsi ce document de 768 : « Moi, Hildirch, je donne au monastère de l\fondsee mes deux esclaves apiculteurs, dont l'un est libre et l'autre esclave, ainsi que leurs femmes, toutes deux escla23. DoLLINOER, Les classes rurales en Bavière, p. 210 (texte de la fin du XII• siècle, oà les situations étaient encore plus incertaines qu'au IX•).

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ves. > Ou ce texte de 1062 : le monastère de Cluny achète, avec le domaine de Berzé, c les serfs qui vivent sur ce patrimoine, qu'ils soient libres ou qu'ils soient serfs,. >•

• ** Cette division n'était pas la seule dont les contemporains eussent conscience. Laissons les partages entre les clercs et les laies, entre l'aristocratie et les petites gens. Et retenons seulement les hommes des seigneuries. Le langage savant les a répartis avec délectation entre de nombreux groupes placés sous le chapeau de la liberté ou de la servitude : une dizaine en Normandie au IX" siècle, une quinzaine au XI". Les distinctions étaient plus subtiles encore en Allemagne, où les paysans se trouvaient distribués entre des catégories parfois infimes - effet de la mentalité germanique, comme de la diversité des charges imposées aux dépendants. On en éprouve de l'impatience, ainsi que l'envie de chercher querelle aux scribes, de leur imputer la responsabilité d'un pareil morcellement et, plus royalistes que le roi, de définir autrement qu'eux les groupes sociaux. Or, les scribes faisaient leur métier. C'était avec les yeux du maitre, soucieux de ses droits, qu'ils voyaient les ruraux, et que nous les voyons également si nous ne cherchons pas plus loin. Voilà pourquoi ils s'acharnaient à leur enlever l'anonymat, à les baptiser de noms qui répondaient soit aux divisions juridiques traditionnelles, soit à de modestes réalités : une fonction dans la seigneurie, une forme d'entretien ou de protection, un trait original fourni par une redevance peu répandue ou par des modalités particulières d'installation sur le sol domanial. D'où les ministériaux, les provendiers, les francs commendés, les hôtes, les protégés d'Eglise ou c sainteurs u >. Ces noms se justifient. Mais que dire des 24. Documents, no 6 (p. 337-338). 25. De sanctuarii, hommes du sanctuaire. - Ces demiers fournissent un bel exemple de l'échantillonnage recherché par les scribes. En Bavière notamment, on les appelait censuales, parce qu"ils

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figurants représentés par quelques dizaines de familles, et des groupes minuscules relevant du folklore ou de l'esprit inventif des chancelleries seigneuriales ?

••• De hauts médiévistes s'accrochent à cette nomenclature et, par scrupule ou coquetterie, reculent devant la traduction des termes techniques. Il n'y a plus de paysans, mais des étiquettes sur de petits paquets d'hommes, plus d'histoire, mais des prouesses érudites d'où le lecteur vaillant sort assommé. Assommé pour rien. Car on ne saurait confondre ces grains de sable avec des classes, ni bâtir des édifices sociaux sur des données mineures. Aussi bien, quand elles demeurent sur le terrain du droit, les mosaïques les plus fidèlement dessinées ne présentent-elles qu'un tableau incomplet des situations. La notion de classe ne se nourrit pas seulement de concepts juridiques, mais de données matérielles : éléments qui ne coïncident pas nécessairement. Des non-libres avaient d'assez nombreuses terres au soleil : tel cet esclave de Saint-Germain-des-Prés, acquéreur d'un manse d'une trentaine d'hectares. Inversement, des alleutiers disposaient seulement de quelques champs, à l'exemple de ce Gaubert qui vendit à l'abbaye de Cluny tous ses biens - un hectare environ. - Ils étaient « les pauvres hommes libres > dont plusieurs Capitulaires plaignent le sort 18• Où allaient les préférences des ruraux ? A une pauvreté dorée par l'indépendance ? Ou a une petite fortune payaient annuellement un cens par tête, ou chevage. Ceux d'entre eux qui acquittaient leur redevance en cire étaient dits cerecensuales, ou cerearii. Leur statut passait pour supérieur à celui des simples censuales, entre lesquels une hiérarchie s'établissait également d'aprës le montant du cens, qui traduisait en principe une inégalité des fortunes. Le terme, enfin, avait des .synonymes ; tributarii, votivi, oblati, luminarii... Atmosphère d'église, évoquant la soumission à de saints patrons ou l'odeur des cierges, non le parfum des champs. 26. B. GuiRARD, Polgptgque d'Irminon, XII, 47 ; Capitularia, t. 1, n° 44, p. 125, art. 16 (805).

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sans liberté ? Ils n'ont pas laissé de confidences. Mais la richesse et les modes d'existence contribuaient à fixer leur rang, à distinguer notamment entre laboureurs et manouvriers. Ces éléments jouaient aussi pour l'ensemble de la société. c Très grands, moyens, tout petits > : Raoul Glaber tient compte, avant le milieu du XI" siècle, d'un partage des classes fondé, malgré son imprécision, sur des facteurs économiques. Pourtant, c'est au leitmotiv c liberté, servitude > qu'il accorde ses préférences. Les statuts personnels demeuraient si astreignants qu'ils imprimaient plus que les fortunes leur cachet sur la hiérarchie paysanne. Même riche, l'homme privé de liberté ne pouvait pas rompre à sa guise les liens puissants qui l'attachaient à son maître. Dans l'ignorance où nous sommes des noms que les groupes paysans se donnaient à eux-mêmes, résignons-nous à conserver quelques appellations traditionnelles. Et, laissant le dédale des catégories mineures, représentons-nous de façon concrète les classes rurales.

B. LES CLASSES

1. Les esclaves 11• Tandis qu'en Allemagne, en· Italie du Nord et en Catalogne des seigneurs maintenaient en esclavage, aux IX• et 27. Servi (ancillae pour les femmes), ou mancipia - ce dernier terme pouvant aussi qualifier, au sens restreint, les esclaves attachés à la réserve et, au sens large, les dépendants d'une seigneurie. Esclave vient non de servus, mais de sclavus. Le mot a désigné tantôt c le Slave >, sans plus, tantôt la marchandise humaine enlevée en pays slave et vouée au même sort que les non-libres de l'époque romaine auxquels, dans notre langue, le terme esclave a été étendu par analogie. L'expression convient aussi aux non-libres carolingiens. En revanche, elle a répondu de moins en moins à la condition des paysans d'Occident qui, après le X• siècle, restèrent privés de liberté. Ceux-là sont appelés serfs, pour les distinguer de leurs prédécesseurs comme des captifs que la traite continuera d'introduire sur les marchés internationaux jusqu'à la fin de

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X' siècles, une assez nombreuse main-d'œuvre, en France le chiffre moyen des individus privés de liberté ne dépassait pas sans doute dix à vingt pour cent de la population rurale. Issus pour la plupart d'une longue file de générations humaines qui s'étaient succédé sur les mêmes domaines, ils partageaient l'existence des autres habitants des campagnes. Le haut Moyen Age a ignoré les guerres serviles qui avaient inquiété Rome et sans doute les revendications collectives d'esclaves trop dispersés pour s'unir et pour secouer le joug. Les théories stoïciennes du 1er siècle avant Jésus-Christ, la législation du Bas-Empire puis celle de l'époque franque, les décisions des conciles les ont arrachés au pouvoir absolu du maitre, qui a perdu sur eux le droit de vie et de morts•. L'atmosphère des grands domaines carolingiens n'évoque pas celle des latifundia de la République romaine, peuplés de foules composites ligotées par la conquête. Elle n'a rien de commun avec celle des plantations antillaises du XVIII' siècle, mises en valeur par des hommes enchaînés, butin des négriers. Baptisés, autorisés à fonder un foyer et à posséder des biens propres, admis à déposer au cours des enquêtes seigneuriales et à dire la coutume, les esclaves carolingiens ne sont plus ce bétail que les lois barbares condamnaient, pour des vétilles, à la flagellation, à des mutilations ou à la peine de mort. Ils ont pris visage humain. Pauvre visage, en vérité. L'esclave est attaché héréditairement à un homme qui le considère comme un élément de son patrimoine. Si l'on en croit des actes seigneuriaux qui répètent d'anciennes formules, cet homme le garde à l'ère moderne. Ce remue-ménage du vocabulaire n'est pas exempt d'artifices. Mais qu'importe, si à ce prix nous voyons plus clair dans les classifications sociales. Pourtant, des historiens traduisent servus par serf pendant tout le haut Moyen Age, quels que soient les périodes et les Jieux considérés : fidélité touchante à l'étymologie, mais anachronisme flagrant. D'autres se rangent à une solution paresseuse. lis conservent le mot latin sans le définir et laissent aux lecteurs le fardeau de la preuve, ou le soin de se faire une raison. 28. Ainsi que le rappelle un édit de Clotaire II (Capitularia, t. 1, n° 9, p. 23 : 614).

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sa disposition à tout moment et en tout lieu. Il peut « le donner, le vendre, en faire ce qui lui plait >. Entre eux, point de contrat. Le manse servile a un statut ; l'esclave n'en a pas. Le maitre dresse un rideau entre lui et « le peuple des Francs >. Non seulement l'esclave n'a qu'une faible personnalité juridique, mais il est écarté des institutions de droit public; il vit en marge de l'Etat et même de la collectivité villageoise, qui lui dénie en plusieurs contrées tout droit d'usage sur la section des communaux considérée comme « terre des Francs >. Cette exclusion est le signe, la marque indélébile de la servitude, l'origine des incapacités dont le non-libre est frappé. L'Etat ne lui demande ni serment de fidélité, ni service militaire, ni présence aux assemblées judiciaires. Son témoignage n'est pas reçu en justice quand un homme libre est mis en cause. Son maître le représente, répond de ses actes, juge et punit ses fautes à l'exception de certains crimes, qui relèvent théoriquement des tribunaux publics 11• Et ses méfaits sont sanctionnés par des peines dont le rachat peut lui être refusé 30• En principe, le clergé n'admet pas parmi ses membres des hommes si étroitement assujettis qu'ils sont frappés par là d'une tare. c Une personne vile ne doit pas remplir une fonction sacerdotale 11 • > A ces incapacités s'ajoutent des entraves que l'esclave n'est pas seul à connaître, mais qui le ligotent plus étroitement que les paysans libres des seigneuries. Interdiction 29. Cf. par exemple le Capitulaire De Villis (Capitularia, t. 1, n° 32, p. 83, art. 4) et un Capitulaire de Charles le Chauve, en date de 873 (Ibid., t. Il, no 278, p. 343, art. 3). A cet égard, le droit a varié avec les périodes et les pays, comme avec la qualité des possesseurs d'esclaves. Malgré les prescriptions impériales, des immunistes semblent avoir exercé, dès le IX• siècle, l'ensemble des pouvoirs judiciaires sur leurs esclaves. Mais les maîtres n'avaient pas tous de pareils droits. L'esclave propriétaire d'un non-libre n'était pas son juge, ftlt-ce pour les petits délits. Ce pouvoir restait au seigneur du domaine. 30. Documents, n ° 11 (p. 341). 31. Documents, no 9 (p. 340). - Souvent formulée depuis le IV• siècle, cette interdiction est loin d'avoir été toujours respectée (VnLINDBN, ouvr. cité, p. 37-38, 680-684).

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lui est faite de se déplacer à sa guise et surtout de fixer où il le veut sa résidence. Le pouvoir du maître pèse également sur son mariage si le conjoint n'a pas le même statut, ou s'il appartient à une autre seigneurie. Cas fréquent là où les esclaves étaient si peu nombreux et les domaines si exigus que, pour éviter les unions consanguines, il fallait bien chercher au-dehors son compagnon. Les polyptyques, qui énumèrent comme une litanie la condition des tenanciers, attestent ces mariages mixtes : c Ermenoldus, esclave, et sa femme, colone, ont avec eux quatre enfants ; Maurus, esclave, et sa femme, libre, ont avec eux deux enfants; Nadalfredus, esclave, et sa femme, colone, ont avec eux trois enfants 31 • > Or, ce formariage porte préjudice à l'un des maîtres. Un esclave épouse-t-il une femme libre du domaine? Jadis, les lois barbares la condamnaient à l'asservissement. Maintenant, on lui laisse son statut, qu'elle transmet ordinairement à ses enfants 33 • Si bien que, dans son foyer, l'homme reste seul privé de liberté. Mais la descendance échappant à l'esclavage, le seigneur subit un préjudice. Inversement, il est vrai, le mariage d'une de ses esclaves avec un colon entraîne l'asservissement de leur postérité. Deux esclaves qui n'ont pas le même maître veulent-ils s'unir? La femme venant vivre avec son mari, le seigneur perd ses services et ensuite ceux de sa descendance, même s'il demeure le propriétaire de leurs personnes. Selon des textes du IX• siècle et des âges suivants, où l'esclavage fait place, peu à peu, au servage, le formariage est donc subordonné au paiement d'une indemnité par les époux. En outre, il donne lieu entre les seigneurs à des arrangements. On procède, par exemple, à des échanges. Le propriétaire favorisé par le formariage cède au seigneur lésé un non-libre de même sexe et de même for32. Documents, n° 16 (p. 347-348). Cf. aussi n° 10 (p. 340). 33. Le trait est mentionné, au début du VII• siècle, dans la formule 59 d'un Recueil d'Angers qui contient aussi un des textes les plus anciens que nous connaissions sur le formariage d'esclaves appartenant à deux sel gneuries différentes (VERLINDEN, ouvr., cité, p. 692693).

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tune. Surtout, des usages ou des conventions particulières règlent le sort des enfants : partage de la descendance par moitié, partage en fonction des sexes... L'esclave qui se « formariait > sans autorisation s'exposait aux pires déboires. Devant les incertitudes ou les repentirs du droit canon, des clercs eux-mêmes ont soutenu durant tout le Moyen Age qu'une pareille union était nulle et que les conjoints pouvaient être séparés. Enfin, une surveillance vigilante est exercée sur les fortunes des esclaves. Mais le droit n'étant pas fixé, les solutions adoptées défient toute généralisation. Les non-libres peuvent disposer d'un pécule - vieille idée romaine , - acquérir des tenures et des alleux. Mais il leur est interdit de les vendre ou de les donner sans le consentement du maître qui, d'autre part, intervient dans les successions, car la c main > de l'esclave, c'est-à-dire son pouvoir de disposition, meurt avec lui. Le maître reprend les biens des esclaves défunts qui ne laissent aucune postérité. Aux enfants, quand il en existe, il abandonne les immeubles, mais saisit les meubles, ou une partie d'entre eux - à moins qu'il ne se contente d'une taxe légère. - Comme le formariage, la mainmorte a entraîné des combinaisons d'autant plus variées qu'on tenait compte de l'origine et de la nature des biens. Comme lui, elle reste souvent dans l'obscurité avant le x· ou le XI• siècle, de sorte que les premières formes de son apparition posent un problème en partie irrésolu 34 • L'amputation opérée sur les successions signifiait qu'on reconnaissait à l'esclave un pouvoir de possession et à ses enfants un droit sur l'héritage, qui remontent peut-être au VIII" siècle, sinon plus tôt. Il semble qu'on ait dès lors appliqué aux non-libres les règles imposées antérieurement aux affranchis du droit germanique, comme aux hommes libres qui s'étaient placés dans la dépendance d'une communauté ecclésiastique 35 • 34. Le formariage et la mainmorte seront étudiés plus amplement dans le t. Il, livre 1•r, chap. II. 35. M. BLOCH, c Les colliberti. Etude sur la formation de la classe scn•ile > (Rev. histor., t. CLVII, 1928).

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••• Bien entendu, les faits économiques, les métiers exercés, les scènes de la vie courante introduisent dans ce tableau trop juridique des touches contrastées. On ne saurait confondre les ministériaux avec les valets domestiques, pliés plus que leurs compagnons à l'arbitraire et exposés à des châtiments corporels entraînant des blessures graves ou la mort. Les Capitulaires condamnaient ces violences. Mais la justice publique n'intervenait guère pour les réprimer lorsqu'elles ne sortaient pas du cadre de la c famille > seigneuriale. D'autre part, l'esclave casé connaît un meilleur sort que le domestique•. II a sa maison et son exploitation, parfois ses propres esclaves. Certes, il reste à la disposition du maître. Et ce dernier peut lui reprendre à tout moment sa tenure, ou vendre séparément l'homme et le manse. Assez souvent, toutefois, on ne les sépare pas, dans l'intérêt même de l'exploitation domaniale. Malgré son incapacité en matière successorale, l'esclave garde l'espoir de transmettre ses biens à ses enfants. Suivant un glissement amorcé de longue date, il se rapproche d'un état voisin du futur servage. Dans le domaine, l'esclave a sa place. Mais sa condition reste c vile>. On voit en lui moins un homme qu'une source de travail et de profit. Ainsi la loi burgonde estimait la valeur du non-libre à deux fois et demi celle d'un bon cheval ; et un tonlieu d'Arras, à l'époque mérovingienne, rangeait des esclaves sous le paragraphe : de bestiis. Au IX• siècle encore, la considération qu'on leur porte reste fort maigre. Au regard de l'Etat, agent du seigneur ou simple valet, casé ou non, l'esclave, socialement parlant, n'est rien. Il demeure emprisonné dans sa condi36. Par opposition aux esclaves casés (servi casati, ou manentes), dont se rapprochent les massarii italiens, différents termes sont appliqués par les scribes allemands à leurs compagnons moins bien lotis : homines proprii, ou quotidiani, ou prebendarii. La première épithète met l'accent sur la dépendance personnelle, la deuxième sur rassuJettissement à des services journaliers, la troisième sur le mode d'entretien.

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tion aussi longtemps que la volonté du maître l'y maintient. Pour en sortir deux solutions s'offraient à lui : une légale, l'affranchissement ; une autre en rupture avec les lois et les coutumes d'une société fort attachée à l'ordre établi : la fuite, qui signifiait l'abandon de tous les biens, mais qui donnait au fuyard assez heureux pour brouiller les pistes des enquêteurs l'espoir de se laisser oublier et de faire peau neuve.

2. Affranchis et colons.

Au-dessus de cette classe, divers groupes s'accrochent à l'échelle des dépendances. Leur statut personnel se définit par antithèse avec celui des esclaves, car il se pare des couleurs de la liberté. c Liberté restreinte >, dirons-nous au prix d'une aberration juridique, mais au bénéfice de réalités sociales très vivantes. Tels les affranchis. Un acte solennel les a arrachés à l'esclavage tout en les maintenant pour la plupart dans l'obéissance de leur ancien maître, ou en les plaçant sous la tutelle d'un autre seigneur. Chaque année, le versement d'une taxe légère, le chevage - impôt par tête - implique dépendance et protection associées à une liberté toute neuve, ou récente 17• Enfin, les clauses fort variables des contrats d'affranchissement limitent leur droit de se c formarier >, d'aliéner leurs biens et de les transmettre par voie successorale. Elles le subordonnent à l'autorisation seigneuriale, toujours onéreuse. L'affranchissement est aussi vieux que l'esclavage. A l'époque carolingienne, ses rites portaient encore la trace des influences exercées soit par le droit romain, soit par le droit germanique. En outre, les charges imposées aux affranchis sous réserve d'obéissance, comme aux personnes qui renonçaient 37. On a vu quelquefois dans le chevage du haut :Moyen Age un symbole de servitude. Certes, des esclaves carolingiens acquittaient cette redevance, mais elle soulignait seulement leur état de subordination.

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à leur indépendance, semblent avoir été à l'origine de certaines taxes qui ont frappé la plupart des hommes libres et non libres des seigneuries 38 • Mais le groupe des affranchis, à la fois grossi d'éléments enlevés à la servitude et diminué des hommes rattachés à d'autres catégories, est si mobile, si médiocrement caractérisé que ses effectifs échappent à toute évaluation .

••• Les masses rurales sont formées de colons, vieux nom savant appliqué moins à une classe qu'à un assemblage disparate de paysans venus de plusieurs horizons : descendants de colons du Bas-Empire et de l'époque franque, affranchis élevés à une condition supérieure, anciens alleutiers 89 • Le colon est un cultivateur-né, qui réside c sur la terre d'un autre >, sur une tenure. Ses relations avec le maître sont réglées non par un contrat privé, mais par la coutume de la seigneurie. Défense lui est faite de quitter le domaine à son gré et d'aliéner ses biens; défense est faite au seigneur sinon de lui enlever sa tenure, du moins de le laisser sans terre. Mais l'attache au sol, trait caractéristique de la condition colonaire aux IV• et v· siècles, a perdu de sa vigueur au cours de l'époque franque, car les moyens manquaient aux maîtres et à l'Etat pour la faire respecter 40 • En revanche, le statut personnel des colons s'est alourdi depuis le Bas-Empire. Certains paient le chevage, une taxe en cas de formariage, une taxe également sur les successions, ou l'un de ces droits. S'ils meurent sans enfant, leur héritage est exposé à une amputation de la 38. M. BLOCH, art. cité sur les colliberti (Rev. histor., t. CLVII, 1928). On ne peut fixer aucune date précise à l'établissement de ces taxes, ni suivre leur diffusion durant le haut Moyen Age. Les premières indications ne remontent guère qu'au VI• siècle. 39. Colonus a eu plusieurs synonymes avant de disparaître du vocabulaire des scribes à partir du X• siècle. Le plus fréquent fut ingenuus. 40. Contre l'évasion des colons, Capitula1·ia, t. 1, n° 56, p. 148 (vers 808-813). Documents, n° 12 (p. 342).

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part du seigneur. Toutefois, leurs obligations changent avec les domaines et parfois les individus. Il reste que, sous Charlemagne comme sous Constantin, le colon est dans la catégorie des hommes libres parce qu'il a une fenêtre ouverte sur les institutions publiques et qu'il participe à la vie de l'Etat. Le roi peut lui demander le service militaire, requérir sa présence aux plaids. Son témoignage est reçu par les enquêteurs publies. Il a le droit d'intenter des actions en justice. Et nous savons déjà que, même s'il réside sur un territoire d'immunité, il est justiciable des tribunaux de comté pour les délits classés parmi les causes majeures. Sur divers domaines, enfin, des hommes ont une condition supérieure à celle des colons. Ils paient des redevances, exécutent de légers services, mais ne sont astreints à aucune obligation personnelle. Leur dépendance envers un seigneur est liée à la possession d'une tenure. Elle cesse avec elle. Les scribes peinent à définir cette catégorie paysanne, et nous-même à la déceler, car elle représente moins un groupe qu'une série de destins individuels : tenanciers prenant des terres à bail •1, hôtes installés sur des friches ... En outre, si elle est assez étoffée en Allemagne, en Italie et dans les contrées méridionales de la France, ailleurs elle ne forme qu'une mince pellicule d'hommes placés juridiquement dans une situation avantageuse 0 • 41. Sur les dépendances de l'église de Ravenne au IX• siècle, les scribes les inscrivaient sous le nom de libellarii (de libelli, baux à part de fruit). 42. La place nous manque pour faire état de tous les groupes régionaux qui ont introduit une si grande variété parmi les paysans des seigneuries. Groupes purement juridiques. Tels les « protégés d'église >, mentionnés dès la fin du VIII• siècle dans les pays rhénans et, un peu plus tard, en Bavière, en Hainaut, en Flandre, dans le nord de la France. Formée de paysans et d'artisans, cette catégorie rassemblait deux sortes d'éléments : des esclaves affranchis soit avant leur donation à une église, soit par la communauté ecclésiastique qui les avait reçus dans sa dépendance ; des hommes libres qui s'étaient placés volontairement sous la protection d'un saint patron (sur leurs noms, ci-dessus, n. 25). Dans notre t. Il, livre 1er, chap. II, nous consacrerons un développement aux barschalken.

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3. Les hommes sans seigneur.

Pourtant, la véritable aristocratie paysanne est ailleurs chez les paysans sans maître. Ils n'ont d'obligation ni pour leurs personnes, ni pour leurs terres, qui sont des alleux 43 • C'est au roi ou à ses agents qu'ils doivent fidélité, impôts, services. Charges si lourdes, d'ailleurs, que le souverain les a limitées à plusieurs reprises en établissant un rapport entre la fortune foncière et les devoirs militaires, comme en réduisant le nombre des sessions judiciaires où ils étaient convoqués 44• Mais le remède fut mal administré par les comtes et les immunistes, enclins à aggraver les charges publiques des alleutiers pour les contraindre à vendre leurs biens et les plier à leur subordination 45 • Afin de ne pas rester seuls près d'un puissant voisin, ou pour éteindre des dettes criardes, quelques-uns cèdent des droits sur leurs terres sans en abandonner la propriété. Plus résolument, d'autres entrent dans les liens de la vassalité ou de la seigneurie rurale, tandis que leurs alleux deviennent entre leurs mains soit des fiefs, soit des tenures paysannes - le rang social des intéressés, l'importance des biens con43. Alleu vient probablement du germanique al-od. Le mot avait d'abord désigné les biens patrimoniaux par opposition aux acquêts. Puis, à partir du VIII• ou du IX• siècle, il fut appliqué de préférence aux biens possédés en pleine propriété, par opposition aux bénéfices et aux tenures. Néanmoins, ce contraste n'était pas toujours très net. - Des scribes appelaient les alleutiers liberi, ou /ranci, afin de les distinguer des coloni et des servi. Mais le mot liberi pouvait aussi désigner les colons, présentés comme des tenanciers libres par contraste avec les esclaves. Exemple typique des difficultés soulevées par le vocabulaire. Un mot encore : le statut des terres ne s'accordant pas nécessairement avec celui des personnes, colons, affranchis et esclaves pouvaient acquérir des alleux. Mais ce luxe ne changeait rien à leur condition juridique, commandée par leur dépendance envers un maitre. 44. Ainsi en 807 et 808 (Capitularia, t. 1, n° 48, p. 134, et n° 50, p. 137). - Documents, n° 52 (p. 402). 45. Le cas est rappelé notamment en 811 (Capitularia, t. 1, n° 73, p. 165 ; voir également t. 1, n° 44, p. 125, art. 15 et 16 : 805).

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cédés, les engagements pris fournissant des éléments de discrimination. - Toutefois, malgré l'extension des droits seigneuriaux, ce glissement ne s'est pas généralisé. Dans les régions qui n'avaient pas été soumises autant que les pays d'entre Loire et Rhin à la pression constante des Carolingiens et de leurs clientèles, dans celles également où, grâce à la persistance des traditions romaines, la notion de propriété conservait sa vigueur, des lignages paysans ont échappé aux liens de dépendance". Au-dessus d'eux de gros alleutiers opposèrent la même résistance aux réseaux tendus par la féodalité en marche.

C. RAPPROCHEMENT DES STATUTS JURIDIQUES DANS LE MONDE RURAL DU IX" AU x1· SIÈCLE

On vient de souligner plusieurs caractères de la condition paysanne durant le haut Moyen Age. Tableau statique, qu'il faut maintenant animer et prolonger jusqu'au XI• siècle afin de relever des changements essentiels. L'effritement de la puissance publique, en laissant le champ libre à l'extension des pouvoirs privés, a rejailli sur la vie matérielle des seigneuries et sur les rapports entre maîtres et paysans. Dès le x• siècle, parfois plus tôt, le seigneur a utilisé à des fins économiques son droit de ban sur toute la circonscription soumise à son autorité : manses dépendant de simples seigneurs fonciers, alleux paysans, domaines propres. Il disposait de moyens lui permettant soit de prolonger l'ancien système d'exploitation, qui menaçait de partir à la dérive, soit de réduire les services tout en augmentant les redevances, donc de demander moins pour la réserve, davantage pour les tenures et les droits personnels 47 • Alors se multiplient les ordonnances 46. Mal connu en raison des lacunes documentaires, le trait est cependant attesté en des contrées fort diverses : Aquitaine, Provence, Bourgogne, Flandre, Frise, Toscane, Catalogne... (sur cette dernière, R. n'ABADAL, Catalunua Carolingia, Il, textes des p. 243-244). 47. Types de travaux : CH.-E. PERRIN, La seigneurie rurale en

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présidant aux grands actes de la vie agricole, fixant le début des travaux saisonniers et la rotation des cultures, encourageant l'exploitation des forêts et la mise en valeur des friches, recommandant l'entretien des chemins et des ponts. Alors se développent des pouvoirs exigés avec d'autant plus de rudesse que la poussée des besoins féodaux se répercutait sur l'organisation seigneuriale : réquisitions, justices, banalités 48 ••• De telles armes ont servi les puissants dans la mesure où ils ont pris conscience de l'évolution économique et de l'essor démographique : essor trop peu marqué avant le XI' siècle pour rompre les anciens cadres, mais suffisant pour inciter les maîtres du sol à attirer vers eux la sève qui multiplie les hommes et les besoins.

••* Ces hommes changent de visage vers la fin de l'époque carolingienne. D'abord les non-libres. Impavides, des scribes continuent à les appeler servi. Le terme, on le sait, est rendu dans notre langue par deux mots qui répondent à deux moments de l'évolution des classes privées de liberté : esclaves, puis serfs. Depuis quand, et pourquoi, a-t-on pu dire : tel homme n'est pas un esclave à la mode romaine ou carolingienne ; c'est un serf? La réponse s'avère malaisée. Esquissé dès le VIII' siècle en France, un peu plus tard en Allemagne, le passage de l'esclavage au servage s'est opéré insensiblement et sans grandes secousses sociales. Ce fut une phase dans l'évolution de la servitude depuis le Bas-Empire. Les contemporains n'en priLorraine, p. 481, 664 et suiv., 731 ; G. DuBY, La société dans la région mdconnaise, p. 209-211, 319 et suiv. ; J.-F. LEMARIGNIER, « La dislocation du pagus et le problème des consuetudines, X•-XI• siècles > (Mélanges Halphen, p. 401-410). 48. L'une des premières banalités mentionnés dans la documentation remonte à 952 (banalité du moulin, dans un acte de l'évêque de Verdun pour Saint-Vit, Gallia Christiana, XIII, col. 553).

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rent pas immédiatement conscience. Les historiens, à leur tour, ne la saisissent qu'à son terme. Car il est difficile de dépouiller le vieil homme qui se cache sous la nomenclature, comme d'assister au modelage des traits qui composent la physionomie d'une nouvelle classe sociale. La formation du servage a fait l'objet de savantes controverses. Elle demeure un grand problème historique dont la solution dépend des études régionales et de l'examen des situations particulières 49 • Quitte à schématiser, on peut néanmoins relever quelques indices. Comme l'esclave, le serf appartient à une condition méprisée qu'il transmet héréditairement à ses enfants. Dès sa naissance, il est c l'homme de corps > de son maître. Toute sa vie, des incapacités pèsent sur lui : il ne peut quitter le domaine à sa guise, aliéner ses biens, témoigner en justice contre un homme libre. Sauf exceptions, les portes du clergé lui sont fermées. Mais voici les différences. Contre son maître, l'esclave avait peu de recours. Il était pratiquement à sa merci. Le serf est un autre homme. Certes, il est assujetti à une personne qu'il n'a pas choisie. Néanmoins, les coutumes l'admettent au sein de la communauté villageoise, lui donnent des garanties en matière judiciaire, le font participer plus· largement que l'esclave à la vie du domaine et par-dessus tout lui reconnaissent un statut juridique. II est membre de la seigneurie. A ce titre, il a non seulement des devoirs mais des droits. Tel fut l'élément décisif qui acheva de donner au servage sa couleur particulière. Celui-ci n'est pas seulement une forme atténuée de l'esclavage, mais une condition sociale en partie nouvelle dont quelques scribes intelligents désignent les membres par des

49. Types d'études : M. BLOCH, c Comment et pourquoi finit resclavage antique > (Annales, E.S.C., 1947, p. 30 et suiv., 161 et suiv.) ; L. VERRIEST, Institutions médiévales, p. 168 et suiv. ; CH.-E. PERRIN, « Le servage en France et en Allemagne > (Xe Congrès internat. des Sc. histor., Relazioni, 111, p. 213-245) ; CH. VERLINDEN, L'esclavage dans l'Europe médiévale (t. 1, livre Il, ch. 1 et II pour la France jusqu'au XIII• siècle) ; G. Dusv, L'économie rurale, t. Il, p. 402 et suiv.

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termes moins brutaux que servus ao. Deux catégories de gens lui ont fourni son aliment principal : d'une part, les descendants des esclaves casés de l'époque carolingienne qui, ayant une maison et des champs, ont viré insensiblement au servage ; de l'autre, les paysans recrutés parmi les couches les plus pauvres de l'ancien colonat et tombés dans une dépendance si étroite qu'elle se confondit finalement avec la privation de liberté. Il est probable que, dès le XIe siècle, le servage groupait plus d'hommes que l'esclavage carolingien. Mais la documentation rend illusoire toute statistique générale des nonlibres, toute carte détaillée de leur répartition et de leurs densités. Elle éclaire fort mal aussi les causes des changements intervenus dans leur statut. L'Eglise ne s'est pas contentée de prêcher la résignation aux non-libres. Elle est intervenue pour que leur sort fût adouci. Situation inconfortable ! D'un autre côté, en entraînant des marchandages et des compromis la concurrence entre les seigneurs a détendu à la longue les liens qui les rattachaient à leurs hommes de corps. Enfin, les facteurs économiques ont exercé une pression considérable sur des maîtres cependant mieux armés que leurs prédécesseurs pour imposer leur loi. Les défrichements ont porté en maintes régions le dernier coup à l'ancien esclavage, déjà sapé antérieurement par l'attribution de tenures à un grand nombre de ses membres. Il y avait contradiction entre le statut de l'esclave et le genre de vie des défricheurs, souvent éparpillés loin de la demeure seigneuriale et livrés presque sans contrôle à eux-mêmes. En ménageant un sort acceptable aux éléments les plus défavorisés des classes rurales, les seigneurs sont parvenus à les retenir sur leurs terres; ils ont réalisé un meilleur emploi de leurs forces de travail. Le servage a sauvé la non-liberté. Pourtant, les formes anciennes de la servitude n'ont pas disparu. Durant les derniers siècles du Moyen Age, des trou50. Nous reprendrons dans le t. Il l'examen du vocabulaire servile, ainsi que tout le problème du servage.

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pes fraîches fournies aux pays méditerranéens comme à l'Europe centrale et orientale demeurent assujetties selon les modes antiques. Utilisées surtout à des fins domestiques dans les maisons urbaines plutôt que sur les exploitations rurales, elles se juxtaposent aux vieux contingents serviles, qui s'embourgeoisent.

••• Parallèlement aux transformations de l'esclavage, relevons celles qui ont atteint les libres dépendants des seigneuries, non pas, en ce qui les concerne, pour alléger leur condition mais pour l'aggraver. L'expression « hommes de Saint-Germain >, appliquée à des colons par les rédacteurs du polyptyque d'lrminon, traduisait déjà une étroite subordination. Or, plus on avance dans l'époque carolingienne, plus leur état se dégrade et fournit, comme par éclatement, de nouvelles catégories sociales ; plus ils se rapprochent des non-libres, sans se confondre avec eux. Dans le courant du IX• siècle, des taxes et des réquisitions leur sont parfois imposées à Ja place du service militaire. On les convoque rarement aux plaids. Les tribunaux leur infligent des peines autrefois réservées aux esclaves. Ils voient se retirer d'eux ce qui subsiste des pouvoirs publics. A partir du x• siècle, la désagrégation de l'Etat, surtout en France, livre davantage encore à la puissance seigneuriale les tenanciers ou les protégés personnels de toutes catégories. Le fossé se creuse entre les potentats ou leurs clientèles vassaliques, auxquels l'entrée dans la chevalerie donne conscience d'appartenir à une classe supérieure, à une « noblesse >, et la foule des « non-nobles, esclaves, colons et autres noms du même ordre > qu'énumérait à la va-vite le concile de Chalon en 813 n. Alleutiers, ils dépendent souvent des justices seigneuriales, héritières des justices comtales ou vicariales ; colons, affranchis, protégés, ils sont pliés à une obéissance susceptible d'appel à l'intérieur 51. M. G. H., Conc. Karol., p. 283.

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de la hiérarchie féodale, mais sans recours à des instances supérieures. Jadis, le rattachement à la communauté franque était un brevet de liberté. La décadence des institutions publiques a emporté cette conception 51 • Pour se dire libre, on a désormais invoqué soit l'indépendance à l'égard de tout seigneur, soit le droit de choisir son maître comme de le quitter dans les cas prévus par les coutumes. Il en est résulté des tâtonnements qui ont alimenté des controverses. On voit les contemporains s'interroger, hésiter sur les preuves à fournir quand liberté et servitude sont en balance, ou conclure en des sens différents. L'évolution a donc été soumise à des courants contraires et parfois inversés d'une époque à l'autre : courants en faveur du servage par exemple en Champagne, courants libérateurs en Normandie. En Bavière, le groupe des barschalken passe pour libre au IX• siècle, pour serf aux x· et XI•, de nouveau pour libre au XII'. Marqués du « sceau de la liberté > au x• siècle, les protégés d'Eglise flirtent avec la servitude deux siècles plus tard 53 • Où s'est fixé le cran d'arrêt à ce glissement des masses paysannes vers les bas-fonds de la dépendance ? Difficile entre toutes, la question a réalisé entre les historiens un désaccord parfait. Car des conclusions générales sont souvent données à des problèmes ayant chacun leur solution particulière. Devons-nous croire que, précipités dans le creuset des seigneuries, puis brassés et rebrassés, les alleutiers, les descendants des colons et des affranchis, les sousgroupes de toute nature ont pris pour la plupart, aux approches du XI• siècle, un visage de servitude ? L'opinion a été soutenue 114. Elle ne semble pas fondée. Livrés à leurs seigneurs plus que ne l'étaient leurs ancêtres, les libres

52. Sauf dans les régions où ducs et comtes l'ont sauvegardée pour quelque temps encore : ainsi en Allemagne, où la notion carolingienne de l'Etat s'est maintenue jusqu'au XII• siècle. 53. DoLLINGER, ouvr. cité, p. 321 et suiv. 54. Essentiellement par MARC BLOCH (Bibliogr., nos 116 et 123). Lto VERRIEST a combattu victorjeusement certaines parties trop systématiques de cette doctrine (Institutions médiévales, p. 168 et suiv.).

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dépendants ont vu s'alourdir leurs charges et se garnir, en l'absence de l'Etat, l'arsenal de leurs obligations privées, héritage pour une part d'anciens devoirs publics. Ils s'opposaient jadis aux esclaves ; ils s'opposent maintenant aux serfs. Mais les deux conditions ont fait un pas l'une vers l'autre, si bien que les classes rurales du XI' siècle sont séparées par des arêtes juridiques moins nettes que durant le haut Moyen Age. Des réalités plus concrètes que les précédentes se placent dès lors au centre de leurs préoccupations : la possession des champs, du bétail et de l'outillage indispensables, les perspectives créées par d'immenses terres en friche, la prise de conscience ou l'ascension des groupes villageois.

CONCLUSION Au tournant du Moyen Age, la seigneurie offre plusieurs aspects. Le nœud du système reste la seigneurie ayant pour assise un domaine. Son possesseur est le seul maitre de la réserve, le seul ou le principal détenteur des droits éminents sur les tenures. Mais dans l'exercice d'une autorité plus haute, il peut se heurter sur ses terres à des voisins qui revendiquent la justice, qui exigent ici un péage ou un tonlieu, ailleurs le gîte ou le guet. Au-dessus des anciennes villae, dotées de pouvoirs représentant une étape dans l'épanouissement des prérogatives seigneuriales - étape que beaucoup d'entre elles n'ont jamais dépassée - des dominations territoriales se sont élevées : seigneuries comtales, immunités, châtellenies... Faites de terres, de droits privés et publics, de prérogatives issues des « commendises > paysannes - sans préjudice des contrats vassaliques elles englobent dans leur orbite ou entraînent dans leur sillage non seulement leurs propres tenanciers et leurs recommandés personnels, mais des paysans qui dépendent d'un autre maître pour leur tenure, ainsi que des alleutiers et de modestes seigneurs. La plupart règnent sans partage sur les lieux proches d'un château ou d'une abbaye, tandis qu'à

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leurs limites elles sont criblées d'enclaves étrangères et si instables qu'on a pu les comparer à des nébuleuses. Elles demeurent le champ rêvé des concurrences, des pouvoirs qui se juxtaposent, s'imbriq~ent, se détruisent. Partout, enfin, les contrastes régionaux accentuent les diversités. Contrastes entre l'Allemagne de l'Ouest et du Sud, où la seigneurie a largement pénétré, et les pays en bordure de la mer du Nord et de la Baltique, qui ne connaissent guère les dépendances paysannes ; contrastes de même ordre entre les régions allant de la Loire au Rhin, sièges de fortes seigneuries, et le Midi aquitain, catalan ou provençal, asile de groupes villageois sans maître ; opposition identique entre la plaine lombarde et la Toscane. Il est bien vrai, pourtant, que l'Occident du haut Moyen Age a vu s'étendre et s'affirmer un« ordre> domanial et seigneurial qui fut imposé à la majeure partie des masses rurales. C'est sur lui, pour une grande part, que la féodalité fut bâtie.

CHAPITRE IV

DE LA VASSAIJTÉ AU RÉGIME FÉODAL 1

1. -

PROTECTION ET SUBSISTANCE. LA PÉRIODE V ASSALIQUE A. L'ARRIÈRE-PLAN POLITIQUE

Dans l'histoire des civilisations, c les temps mérovingiens > sont frappés de défaveur et traités plus rudement que l'Espagne wisigothique, l'Italie des Ostrogoths puis des Lombards, ou l'Angleterre anglo-saxonne. Les annalistes et les hagiographes du royaume franc étaient presque tous des clercs, juges sévères par tendance et par mode des sociétés laïques. Ils ont laissé souvent les vertus dans l'ombre et braqué l'objectif sur c les vies, tissées de 1. Bibliogr., n°• 214-290 (p. 438-441 ; 444-445) ; Compléments p. 441443 ; 445-44 7. - L'étude sera conduite, comme celle de la seigneurie, jusqu'aux premières années du XI• siècle dans le cadre territorial qui fut celui de l'Empire carolingien. Des sources, diverses mais incomplètes, permettent d'entrer en contact avec les premiers temps de la féodalité : entre autres les lois barbares, les formulaires et les diplômes des VII• et VIII• siècles, puis les sources carolingiennes - Capitulaires, Diplômes et lettres des rois, Annales officielles et monastiques, Annales de Flodoard, Chroniques des IX• et X• siècles, Correspondance d'Eginhard et écrits d'Hincmar, chartes octroyées à des abbayes ... - (Exploitation de nombreux textes, grAce à une critique vigilante de la documentation, par F. L. GANSBOF, Qu'est-ce que la féodalité? 3' éd., Bruxelles, 1956).

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perfidies >, des rois et des grands dont l'Eglise avait lieu de se plaindre 1 • Partout, à les en croire, des factions s'affrontent pour la conquête de la fortune et du pouvoir ; partout règne une atmosphère de coupe-gorge. Le tableau serait moins hallucinant, et il serait plus exact, si les laies bénéficiaient de la même indulgence que les hommes d'Eglise et si les contemporains appréciaient avec la même sérénité leur époque et celle de leurs pères. Dès ses origines, il est vrai, le régime édifié par Clovis portait des germes de faiblesse qui se multiplièrent après lui. Le souverain voit dans le pays qu'il a conquis par les armes une possession personnelle, un patrimoine soumis aux règles successorales du droit franc. Ayant de ses prérogatives une conception absolue, tyrannique, il se hausse difficilement à la notion abstraite de l'Etat. Pourtant, ce despote est mal servi. De même que les saints sont vénérés en proportion des avantages attendus de leur intercession, de même le roi est obéi dans la mesure où il se fait redouter et où il distribue des terres, des offices, des revenus. Ses agents sont moins des fonctionnaires que des serviteurs. Leur rang est lié à la faveur du monarque ; il change avec elle. Les rouages de l'administration galloromaine ont achevé de se gripper entre les mains malhabiles de ces parvenus, que rien ne préparait à des tâches alourdies par l'extension du royaume. Le Palais mérovingien, qui rassemble les rudiments d'une administration centrale, est c une grande maison mal tenue > 1 • Il peine à légiférer, à faire exécuter ses décisions. Et ses défaillances se répètent au sein du comté, cadre principal de l'administration locale. Dans le détail, tout est à l'avenant. Le système financier légué par le Bas-Empire s'en est allé à la dérive. L'impôt foncier n'est plus perçu. Resté paysan, le Franc s'insurge contre lui, est incapable, au surplus, de dresser un nouveau cadastre et de le tenir à jour. A sa place, on multiplie les taxes, d'ailleurs rémunératrices, sur la cir2. Ga1foo1RE DE TouRs, Historia Francorum, VI, 45-46 ; Fat»tGAIRB, Chronicarum libri IV, éd. Kruscb, p. 151. 3. R. LATOUCHE, Les grandes invasions et la crise de l'Occident au v• siècle, p. 251.

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culation et sur la vente des marchandises. Même décadence en matière judiciaire, où la personnalité des lois est substituée au principe d'universalité mis à l'honneur par le droit romain, où la procédure devient formaliste, où le juge cesse d'être un magistrat instruit dans sa profession, où les immunités dressent des barrières devant les agents du comte. Aux côtés de la haute Eglise, une classe domine le monde mérovingien : l'aristocratie, classe ouverte, mêlée, mouvante où se rencontrent les descendants des familles galloromaines qui avaient reçu le titre honorifique de c sénateurs de Rome >, les héritiers des chefs barbares et les agents du roi. Elle possède la plus grande partie du sol et donc le moyen de gouverner les hommes : esclaves livrés à leurs maîtres, colons se défendant mal contre les griffes de la seigneurie, groupes inquiets de petits propriétaires et de marchands, clientèles domestiques et guerrières. Elle sert la royauté, mais pèse aussi sur elle, et contribue à la dégrader par ses convoitises et ses révoltes. Le tableau offert par les dominations barbares qui, aux côtés des Francs, occupèrent l'ouest de l'Europe rappelle à divers égards le précédent, bien que la haute société des pays goths n'ait pas subi une déchéance intellectuelle aussi prononcée que celle de la Gaule. Même caractère tyrannique des royautés, fondées sur le pouvoir personnel et peu efficaces puisque leur champ d'action ne dépassait guère celui de la présence du souverain. Même prédominance de l'aristocratie foncière qui, en Espagne, procéda finalement à l'élection du roi, tandis qu'en Italie lombarde elle obtenait le contrôle des actes législatifs. Ajoutons, entre les puissants, d'atroces rivalités, scandées par des meurtres et des confiscations 4. Malgré ses insuffisances, le régime mérovingien a duré plus de deux cents ans. Au sein d'une Europe déchirée, dont l'équilibre fragile était sans cesse remis en question, la Gaule franque a non seulement contenu les invasions, mais s'est étendue au-delà du Rhin. L'assassinat n'a pas été l'unique frein apporté au despotisme. On s'est efforcé de main4. Sur l'Angleterre anglo-saxonne, ci-dessous, p. 265 et suiv.

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tenir la notion d'un seul royaume, bien qu'à diverses reprises plusieurs rois se soient partagé le territoire. Un même droit public a régi le peuple des Francs, qu'il fftt d'origine germanique ou gallo-romaine. Ce peuple a combattu dans une armée qui, reposant sur le principe que les hommes libres devaient servir à leurs frais durant trois mois par an, parvint à rassembler des effectifs relativement importants. Il a reçu l'enseignement d'une Eglise qui gardait en elle assez de ressources pour répandre le christianisme et maintenir l'unité de foi. Enfin, des pouvoirs de fait ont créé des points de fixation et empêché la déroute. D'abord intendant de la maison du roi, le maire du Palais a trouvé dans cette fonction qui lui donnait la haute main sur l'organisation économique de la cour et l'associait à ses intrigues un tremplin pour bondir vers de nouveaux pouvoirs : le commandement de la garde armée du souverain, la tutelle de ses recommandés, la présidence du tribunal. Dans une première période, il apparaît comme le porteparole auprès du roi de l'aristocratie gallo-franque, dont le Palais est le lieu de rassemblement puisque c'est là que se distribuent les places et les honneurs. Tantôt unique, tantôt créée non seulement pour la Neustrie, mais pour l' Austrasie et la Bourgogne, dont elle soulignait le particularisme, la charge a grandi à la faveur des minorités royales. Son titulaire a rassemblé entre ses mains l'autorité qui échappait au souverain. Dès le second quart du VII' siècle, il commence à porter ombrage à l'aristocratie, qui demande à le choisir, à contrôler ses actes, et qui réclame même la suppression de l'office. Vainement. Les Carolingiens ont accédé par la mairie du Palais, devenue héréditaire, au pouvoir suprême. Leur triomphe fut celui d'une famille ayant en Austrasie des terres immenses et des fidèles groupés autour de chefs qui surent abattre les régionalismes rivaux, défendre puis élargir les frontières du royaume. Ce fut également la victoire des for ces neuves libérées par la décomposition de l'Etat et bases, à leur tour, d'un regroupement des pouvoirs. Ces for ces ont pris appui sur des serments privés qui ont substitué à la notion d'autorité publique, exercée

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sur un territoire, les fidélités personnelles, reflet de la mentalité et des besoins matériels des sociétés barbares. Revenons en arrière pour les commenter en nous plaçant principalement en Gaule, leur terre d'élection.

B. LES RELATIONS VASSALIQUES

Du sein des groupes humains qui tentaient de se ressaisir au milieu du branle-bas causé par les guerres civiles et les règlements de compte, jaillissait un grand cri : protection, subsistance. Or, il n'y avait plus guère de responsabilité publique. De leur côté, les communautés familiales et les collectivités villageoises formaient des cellules isolées, dépourvues de ces attaches qui, dans les anciennes sociétés tribales, nouaient des solidarités et fournissaient des moyens de commandement. Des hommes recherchaient donc la sécurité et un gagne-pain auprès de personnages euxmêmes protégés, le cas échéant, par un puissant, et en quête c d'amis et de serviteurs > qu'ils prenaient sous leur aile. Il y eut des réductions volontaires en esclavage. Elles furent rares. La plupart des solliciteurs perdaient leur indépendance, mais gardaient leur liberté. De tels usages ont achevé de conférer son caractère et sa couleur à l'époque barbare. D'abord ignorés des lois, mais non illégaux, ils furent élevés finalement au rang d'une institution. Les liens de dépendance étaient noués par la recommandation 1 • Cette vieille pratique, aux aspects multiples et aux effets inégaux, unissait temporairement ou à vie patrons et subordonnés. Ni l'Occident, ni le Moyen Age n'en ont eu le monopole. Elle remonte sans doute au début de l'histoire et fut l'apanage des sociétés qui ne trouvaient pas un moyen suffisant de protection dans les tribus, les lignages 5. Du latin commendatio, employé surtout à partir du IX• siècle, mais ayant des antécédents dans l'expression se commendare, qu'on rencontre dans le pur latin classique, puis dans des lois barbares et des chroniques du VI• siècle. Sa signification revêtait beaucoup plus de force que dans notre langage. Se recommander, c'était devenir l'homme d'autrui, se couvrir de son autorité et s'engager à lui obéir.

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ou les Etats. Sous le Bas-Empire, la recommandation jouait entre grands et petits propriétaires, comme entre chefs villageois et groupes paysans - d'où un patronage rural, collectif plutôt que privé, et fait de liens personnels qui furent une source de la seigneurie 8 • - Elle jouait aussi, à un étage plus élevé, entre riches personnages, ou hauts fonctionnaires, et leurs clients, entre chefs de guerre et leurs escortes privées de buccellarii - ou mangeurs de biscuits, - à la fois serviteurs, hommes de main et guerriers. Le peu que nous savons sur la Germanie ancienne dénote aussi l'existence de c compagnons > recrutés à des fins surtout guerrières'. Les hommes de l'époque franque avaient gardé le souvenir de ces usages, qu'on retrouve dans tous les royaumes barbares. Les descendants de Germains, mêlés à la société indigène, et les populations romanisées, entrées dans la dépendance des nouveaux-venus, ont associé aux pratiques de la recommandation romaine, souvent accompagnées d'une distribution de tenures, celles, plus personnelles et plus vigoureuses, du compagnonnage germanique. Ils leur ont donné un sens nouveau ou, mieux, plusieurs significations répondant à divers besoins d'où la vassalité est finalement issue.

* ** Dans un recueil de Tours, où furent réunis, pendant le second quart du VIII• siècle, des actes coutumiers servant de cadres ou de modèles aux scribes, on lit une formule si caractéristique que l'historien des origines vassaliques ne saurait manquer de la reproduire•. c Celui qui se recommande en la puissance d'autrui. Au seigneur magnifique " un tel ", moi " un tel ". Attendu qu'il est parfaitement connu de tous que je n'ai pas de quoi me nourrir ni me vêtir, j'ai demandé à votre pitié 6. L. HARMAND, Le patronat sur les collectivités publiques, p. 473 et suiv. 7. Documents, n° 21 (p. 361). 8. Documents, n ° 22 (p. 363).

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- et votre bonne volonté me l'a accordé - de pouvoir me livrer ou me recommander en votre maimbour '. Ce que j'ai fait aux conditions suivantes. Vous devrez m'aider et me soutenir, pour la nourriture autant que pour le vêtement, dans la mesure où je pourrai vous servir et bien mériter de vous. Aussi longtemps que je vivrai, je vous devrai le service et l'obéissance qu'on peut attendre d'un homme libre, et je n'aurai pas le pouvoir de me soustraire à votre puissance ou maimbour, mais je devrai au contraire rester tous les jours de ma vie sous votre puissance et protection. En conséquence, il a été convenu que si l'un de nous voulait se soustraire à ces conventions il devrait payer à son pair une composition de x sous; et la convention ellemême resterait en vigueur. D'où il a paru bon que, de cet acte, deux lettres de même teneur fussent rédigées et confirmées par les parties. Ce qu'elles ont fait. > Cette formule ne crée pas le lien de subordination, car il était déjà noué, par gestes et paroles, quand on la présentait aux deux parties. Elle n'en porte pas non plus témoignage 10• Elle institue seulement une amende punissant toute entorse aux obligations contractées. Mais elle rappelle, dans son préambule, l'un des mobiles de la recommandation, en même temps ,qu'elle souligne sa nature et ses effets : un individu isolé, sans ressources, s'est placé dans la dépendance d'un personnage dont il demeure juridiquement l'égal et qui peut exiger de lui toutes sortes de services, à condition qu'ils soient compatibles avec la dignité d'un homme libre. En retour, son existence matérielle est assurée. Le contrat est indissoluble jusqu'à la mort d'une des parties. Il engage les deux hommes. En cas de faute, il est passible de sanctions. La recommandation répondait à divers besoins et intéressait toutes les catégories d'hommes libres. La formule de 9. C'est-à-dire c d'entrer dans votre patronage >. Maimbour est la traduction en vieux français du germanique latinisé mundeburdis, ou mundium (synonyme de patrocinium). Le terme mithium était aussi employé pour désigner cette protection, dans le sens d'une représentation du protégé devant les tribunaux. 10. GANSBOF, Qu'est-ce que la féodalité? p. 21-22.

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Tours n'évoque donc qu'un cas entre beaucoup d'autres. Maillon d'une longue chaîne dont les premiers anneaux plongent dans le passé celtique et germanique, elle offre néanmoins certains caractères revêtus par la vassalité : liberté personnelle des partenaires, durée viagère d'un contrat entraînant des obligations réciproques 11 • Mais la vassalité a emprunté les formes de la recommandation pour des motifs ordinairement plus relevés que ceux dont nous venons de faire état. Et le gros de ses éléments, même aux origines, semble avoir été recruté moins parmi les pauvres hères que dans les couches moyennes ou basses de l'aristocratie u. En d'autres termes, la fortune, les capacités, la nature des obligations et le rang du maître ont établi un clivage parmi les « hommes libres en dépendance > - ingenui in obsequio - et hissé les vassaux à leur tête. Voici d'abord les hommes qui constituent la garde personnelle, la c truste > du roi 13 • Ils vivent à ses côtés, veillent à sa sécurité, servent dans l'armée. Ils sont par excellence ses compagnons et forment le noyau de ses fidèles, - de ses leudes. Comme on le dira plus tard des nobles, ils valent « plus cher que les autres >. Selon la loi salique, le meurtrier d'un antrustion devait payer à sa famille une composition trois fois supérieure à celle qu'on exigeait pour le meurtre d'un simple homme libre. Successeurs des compagnons qui formaient le comitatus, la suite armée des rois germaniques, les antrustions représentaient la catégorie supérieure des dépendants. On les retrouve, sous d'autres noms, en Italie lombarde et surtout en Espagne wisi11. Il semble toutefois qu'à l'époque mérovingienne aucune disposition législative ni coutumière n'ait interdit de briser les liens proprement vassaJiques. Ajoutons qu'en droit wisigothique, comme en droit lombard, les fidèles pouvaient changer de maitre librement. Ils c gardaient le pouvoir de leur personne et pouvaient s'en aller avec leur lignage où ils voulaient > (Sur les mesures réglementant la rupture des contrats, ci-dessous, p. 180, 222, n. 43). 12. Pourtant, à la fin du VIII• siècle encore, des vassaux sortaient des rangs de l'esclavage (Capitularia, 1, n° 25, p. 67, art. 4 : 792-793). 13. Du mot trustis, lui aussi latinisation d'un terme germanique signifiant fidélité et, par extension, compagnonnage.

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gothique où le roi était entouré de gardingi qui lui avaient prêté un serment spécial. De leur côté, les maires du Palais, les comtes, les membres du haut clergé, les grands propriétaires entretenaient une clientèle fort mêlée de c convives >, de « nourris >, qui faisaient dans leur orbite l'apprentissage des fonctions civiles et militaires, et les suivaient dans leur carrière prometteuse. Parmi eux, un groupe s'est détaché : celui des guerriers domestiques, qui escortaient un chef, le protégeaient, le soutenaient dans ses querelles, combattaient à ses côtés dans l'armée royale. L'époque barbare leur a donné divers qualificatifs : gasindus (de gisind, compagnon, en usage dans la Germanie primitive et qu'on rencontre également dans le royaume lombard, tandis que l'Espagne a eu ses criados, ou « nourris >) ; puer (jeune garçon, esclave domestique) ; homo (susceptible de diverses significations marquant la dépendance) ; enfin et surtout vassus. D'origine celtique (gwas), ce mot apparaît pour la première fois sous son manteau latin dans la loi salique, où il a le sens d'esclave, qu'il devait conserver en certains cas jusqu'en plein Moyen Age. Mais, dès le début du VIII' siècle, il a triomphé sous une autre forme et désigné ordinairement l'homme libre qui s'était recommandé 14, principalement le suivant d'armes. L'explication de son succès relève de l'hypothèse. Donné d'abord aux esclaves appartenant aux gardes privées des grands personnages, il fut peut-être étendu puis réservé aux libres dépendants, qui puisaient dans leur service une considération particulière. Ou bien il fut pris par les recommandés eux-mêmes parce qu'il soulignait une subordination honorable à l'égard du maître, désigné par les termes de c dominus > ou, plus encore, de c senior > (l'ancien, le seigneur) 11 • Un acte plus vieux d'une centaine d'années que la for14. Ainsi qu'en témoigne pour la première fois la loi des Alamans rédigée pendant le premier quart du VIII• siècle (éd. Lehman, dans M. G. H., Leges, V, 1, Lex Alamannorum, XXXVI, 3). 15. M. BLOCH, La société féodale, 1, 239-240 ; F. LOT, Les destinée, de l'Empire en Occident, p. 689 et suiv.

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mule de Tours précise quelque peu les rites, d'origine fort ancienne, qui présidaient à l'entrée des antrustions dans la garde royale. Chacun jurait fidélité en mettant la main dans celle du roi 18 • Il y a lieu de penser que le cérémonial jouait primitivement pour tous les libres dépendants, y compris peut-être ceux de la formule tourangelle. En définitive, c'est dans le milieu des guerriers domestiques que la vassalité proprement dite a pris naissance. Nouée selon un formalisme qui bientôt se précisera et ne jouera plus guère que pour elle, entraînant aussi des obligations progressivement spécialisées, elle devait canaliser les frêles réseaux formés par les recommandations primitives. C.

LE

BÉNÉFICE

Aux VI' et VII" siècles, époque de dépression commerciale, de pénurie monétaire et de grandes fortunes foncières, de nombreux dépendants partageaient la table du maître, logeaient dans ses vastes demeures, étaient habillés, équipés et armés par ses soins, attendaient ses c cadeaux >. Se trouvaient-ils appelés par leurs services à résider hors de chez lui? Des gratifications en nature étaient les bienvenues. De sorte qu'à l'origine la vassalité eut c comme une odeur de pain de ménage 11 >. Mais, dans les couches supérieures de la société, des vassaux souhaitaient obtenir, après avoir fait leurs preuves, une dotation foncière - villa ou fraction de villa, par exemple - qui servît de cadre à leur existence ou qui accrût leur fortune et leur rang. Avant la création des liens vassaliques comme à l'époque de leur formation, mais sans relations nécessaires avec eux, la période mérovingienne fournit des exemples de concessions foncières accordées à des particuliers de toute condition par les rois, les maires du Palais, les comtes et les personnes privées. L'opération était présentée comme une libéralité du donateur, comme un bienfait (bene16. Documents, n° 23 (p. 364). 17. M. BLOCH, La sociétl. féodale, 1, 361.

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ficium). Dans beaucoup d'actes, le terme n'a pas de sens juridique précis; il s'applique moins au statut de la terre concédée qu'à l'acte même de concession. Des bienfaits ont été donnés en pleine propriété à des églises et à des personnages dont on espérait le concours, ou qu'on voulait récompenser 11• Par piété ou par intérêt, les Mérovingiens ont multiplié cette pratique et donc amputé leur domaine privé. Si bien qu'un jour est venu où ils n'ont plus été en mesure de payer leurs fonctionnaires, de maintenir les leudes dans le devoir ni de gagner de nouveaux appuis. Ils ont mangé leur capital foncier 1•.

••* Un autre mode de concession s'offrait aux rois et aux grands : l'octroi de tenures à des particuliers qui en recevaient la jouissance gratuitement ou contre une faible redevance, tandis que la propriété restait au donateur. Cette concession était aussi un beneficium, car elle résultait d'une largesse du concédant. Pour éviter toute confusion, traduisons arbitrairement le mot par le terme technique, pris au sens étroit, de bénéfice. La plupart des bénéfices connus à l'époque mérovingienne ont emprunté la forme, très ancienne et très répandue, de la précaire - de precaria, prière. - Le demandeur adressait au concédant une requête, consignée dans une charte. Et ce dernier scellait l'accord par un autre acte. D'abord simples conventions octroyant une terre à titre révocable, sans durée déterminée, de nombreuses précaires étaient devenues depuis le VII' siècle - et le bénéfice avec elles - des contrats à temps, ou viagers n. L'opéra18. Exemples dans LAUER et SAMARAN, Les dipldmes originaux des Mérovingiens, nœ 1, 2, 6, 18 ; TARDIF, Monuments historiques, n° 19 ; PARDEssus, Diplomata, II, n• 658. 19. J. DBONDT, Naissance des principautés territoriales en France, p. 9-11 (Bibliogr., n° 225). 20. L'institution remonte à l'époque impériale oà, sous le nom neutre de precarium, elle répondait aux intentions et aux besoins les plus divers : accroissement d'une entreprise agricole, fermage,

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tion garantissait les droits de propriété du concédant et les droits de jouissance du précariste. L'un immobilisait une partie de son capital foncier, mais gardait la faculté de la reprendre dans les conditions fixées par le contrat. L'autre pouvait exploiter à plein des tenures libres de toute redevance pécuniaire, ou grevées de faibles cens. On comprend qu'un système aussi souple ait préparé la voie au bénéfice vassalique, qui a fait corps avec lui avant de s'en dégager à l'époque carolingienne, la précaire accentuant son caractère de tenure grevée de charges surtout économiques, le bénéfice étant concédé principalement en retour de services militaires ou politiques, à la fois rendus et espérés. Le problème est de savoir si les rois et les grands ont octroyé avant le VIII' siècle des bénéfices-tenures à leurs vassaux dans le dessein de les entretenir. La documentation est si misérable qu'elle laisse le trait dans l'obscurité. Seule la concession des terres en propriété donnait lieu à l'établissement de diplômes royaux. Celle des bénéfices prêt, hypothèque... Ce précaire était ignoré de la loi et dépourvu de sanctions juridiques. Le concédant était libre de le reprendre à sa guise. Si bien que les premiers bénéfices mérovingiens se sont peutêtre inspirés de ce statut avant de se mouler en grand nombre dans le cadre de la precaria, issue, selon toute probabilité, du precarium et enrichie de traits nouveaux, de caractère contractuel. A l'époque franque, de nombreuses tenures, appelées indifféremment précaires ou bénéfices, ont été données, en dehors du cadre vassalique, à des particuliers tantôt à titre temporaire, mais renouvelable, tantôt à vie. Une église ·voulait-elle gagner l'appui ou s'assurer la neutralité d'un puissant voisin ? Elle lui faisait une concession de ce genre. Un grand propriétaire ne pouvait-il mettre toutes ses terres directement en valeur ? La même opération lui permettait de trouver preneur. Un petit possesseur souhaitait-il agrandir son exploitation ? Il cédait ses droits de propriété à un riche voisin, qui lui laissait l'usufruit de ses biens, augmentés de terres en précaire. A partir du VII• siècle, cette cession s'est accompagnée d'un transfert réel de la terre entre les mains du seigneur, qui la rétrocédait au donateur, chargée ordinairement d'un cens. C'est là une des sources de la censive classique, devenue en outre héréditaire (LESNE, La propriété ecclésiastique en France, 1, p. 316 et suiv. ; LEMARIGNIER, Les actes de droit privé de Saint-Bertin au haut Moyen Age, dans Rev. internat. des droits de l'Antiquité, V, 1950, pp. 35-72 ; SANCHEZ-ALBORNOZ, c El precarium en Occidente > (Etude, offerte, à Petot, p. ,sl-505).

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s'opérait en général verbalement 11 • La défaillance des témoignages masque donc les origines d'un mouvement qui a pu revêtir une certaine ampleur avant d'apparaître dans les textes 11•

••• Dans l'histoire des liens de dépendance, les VI• et VII• siècles sont une période de tâtonnements, de lente gestation. A la fragmentation des pouvoirs publics répond le resserrement des groupes sociaux, blottis autour des chefs dont ils acceptent les contraintes. Une puissante aristocratie foncière vit sur des terres d'autant plus vastes que les densités humaines sont faibles et les rendements médiocres. Par sa fortune et son rang social elle se hausse au-dessus de la masse des hommes libres, renforce son autorité sur les payans de ses domaines, accroît le nombre de ses recommandés. La seigneurie rurale a grandi, les pratiques vassaliques se sont développées notamment entre la Loire et la 21. Le plus ancien exemple de bénéfice vassalique est fourni par une charte des environs de 735 pour l'abbaye de Murbach (Documents, n° 41, p. 382. Cf. GANSROP, Qu'est-ce que la f'odaliM? p. 28). Mais le pacte d' Andelot (587) et l'édit de 614 ne sont peut-être pas étrangers à cette pratique. 22. Concession en pleine propriété, tenure issue ou non d'un contrat de précaire, le beneficium a donné lieu à des conclusions divergentes ou opposées. Une des hypothèses les plus récentes sur ses origines et sa nature a été formulée par SANCHEZ-ALBORNOZ, El stipendium hispano-godo 1/ los origenes del beneficio prefeudal {BuenosAires, 1947). Après avoir relevé plusieurs. traits communs aux institutions franques et wisigothiques, l'auteur recherche les sources du bénéfice dans les concessions de biens faites aux clercs, vers le début du VI' siècle, pour assurer leur entretien. Elles eurent pour base, selon lui, non la précaire de l'époque barbare - tenure économique de caractère contractuel - mais le précaire romain, qui aurait survécu aux invasions, en Espagne comme en Gaule, sous le nom de stipendium (traitement, solde). Entraînés par l'exemple, rois et grands auraient entretenu leurs vassaux, à partir du VII• siècle, grlce à de semblables concessions. Cette argumentation ingénieuse met bien l'accent sur le caractère provisoire imprimé à d'anciens bénéfices.

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Meuse, dans le Sud-Ouest de la Germanie, en Espagne wisigothique et dans l'Italie lombarde. Mais la féodalité n'est pas née. L'association de la vassalité et des bénéfices destinés à l'entretien des dépendants demeure assez rare, même dans l'entourage des rois et des maires du Palais. Elle est dépourvue de véritable assise juridique, ne forme pas un système lié. Et l'autorité publique n'intervient pas pour l'encourager. De nombreux vassaux n'ont aucune terre ; inversement, des bienfaits sont octroyés pour des raisons indépendantes des services vassaliques. Cheminant sur des voies différentes, recommandation et bénéfice auraient passé vite. Et les clientèles d'Occident n'eussent pas laissé plus de traces que celles de la steppe asiatique. Mais après de brèves rencontres pendant l'époque barbare, les deux institutions vont se rapprocher et s'unir selon un rythme dont l'histoire politique permet de décomposer les phases : l'ascension des maires carolingiens du Palais, le gouvernement de Charlemagne, les troubles des JX• et x• siècles. Le régime féodal est issu, pour une part, de cette union.

Il. -

FORMATION DU RÉGI1WE FÉODAL

A. RAPPORTS PERSONNELS ET BÉNÉFICES SOUS LES MAIRES CAROLINGIENS DU PALAIS

Victorieux de l'armée neustrienne à Tertry, en 687, le maire du Palais d' Austrasie, Pépin d'Herstal, est parvenu à unifier la majeure partie du royaume. Œuvre fragile. Le désordre renaît après sa mort, tandis que grandissent les périls extérieurs. Mais un de ses bâtards, Charles Martel, opère le regroupement des forces et prélude au rassemblement des Francs sous l'égide carolingienne. II lutte efficacement contre les régionalismes, repousse près de Poitiers un raid sarrasin, contient les Frisons et les Saxons, rétablit l'hégémonie franque sur le sud et le centre de la Germanie, où saint Boniface poursuit son évangélisation. En 751,

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son successeur, Pépin le Bref, accomplit les gestes décisifs : l'élection comme roi des Francs, le sacre. Un peuple nouveau achève d'émerger au grand jour, ayant sa cohésion et sa fierté, puisant une foi et une morale dans un christianisme progressivement régénéré. Il pousse en Germanie, s'ouvre des portes sur la mer du Nord et l'Italie, pose les fondations du futur Empire d'Occident. Une vive impulsion fut alors donnée aux liens de subordination. Car les maires carolingiens n'auraient pu triompher des résistances ni prendre la couronne sans le concours de clientèles recrutées surtout en Austrasie et accueillant à leur tour des fidèles. Elles formèrent le noyau de l'armée. Contrairement à une opinion dont la simplicité a assuré la vogue, Charles Martel n'a pas créé de toutes pièces la cavalerie pour s'adapter à la tactique musulmane 13 • Depuis la seconde moitié du vu• siècle, la lutte contre les Avars, les indications recueillies sur les armées byzantines, puis arabes, avaient incité les Francs, les Wisigoths d'Espagne et les Lombards d'Italie, à développer la nouvelle arme. Mais peut-être Charles Martel a-t-il achevé de lui donner le premier rang. Elle le gardera ju!iqu'au xv· siècle, notamment dans les marches d'approche et l'exploitation du succès. Il s'agit d'une cavalerie lourde. Chaque homme est pesamment armé et équipé. L'apprentissage est difficile, car l'art du combat exige un entraînement commencé dès l'adolescence. Et le service est fort coûteux. En effet, la monture, l'équipement, l'entretien du cavalier et de ses servants d'armes sont à la charge de l'intéressé pendant la durée des campagnes, en principe trois mois par an. Or, les « dévoués > qui avaient aidé à la prise du pouvoir attendaient une récompense, et les cavaliers professionnels une solde. Il y eut des dons en nature, des distributions d'or et d'argent. Ce n'était là qu'un encouragement, 23. D'autant plus que dans les armées de l'Islam, la cavalerie ne jouait pas le rôle exclusif qu'on lui a souvent attribué. Rôle que, par un excès contraire, des auteurs sont enclins aujourd'hui à méconnaître (Sur ces questions, F. LoT, L'art militaire et les armées au Moyen Age en Europe et dans le Proche-Orient, Paris, 1946, t. I, ch. 1 et u).

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SEIGNEURIE ET FtODALITt

une mesure d'attente. Les guerriers voyaient dans la terre

- disons mieux : dans les seigneuries rurales -

la rému-

nération idéale. Le Capitulaire de Thionville qui, en 805, devait fixer à douze manses au minimum la fortune indispensable à l'entretien d'un cavalier complètement équipé, sanctionna une longue expérience"· Ce fut dans leur patrimoine et dans les biens du fisc que les maires carolingiens du Palais trouvèrent les moyens d'entretenir une armée et d'asseoir leur autorité 15• Mais cette source risquait de se tarir d'autant plus vite que, durant le premier tiers du VIII' siècle, de nombreuses terres furent encore données en pleine propriété. Sous peine de courir à la déchéance, comme les Mérovingiens qui achevaient alors leur destinée, il fallait puiser à d'autres sources, renouveler les stocks. Plus encore qu'à l'époque précédente, des terres défrichées - notamment à l'est de l'Allemagne - et des biens d'Eglise firent les frais de l'opération. Le pas fut sans doute malaisé à franchir chez des gens que harcelait la crainte de l'enfer. Mais la nécessité fit loi. Les spolations de Charles Martel lui ont donné une masse de manœuvre considérable, l'ont placé hors de pair parmi les puissants : signe sensible du rôle joué par la terre dans les jeux politiques. Toutefois, elles mettaient en péril l'organisation ecclésiastique et la vie religieuse. Rendu attentif à un état de choses qui suscitait dans l'Eglise de vives résistances, Pépin le Bref, lui aussi spoliateur de biens ecclésiastiques, accepta les dispositions préconisées par trois conciles réunis entre 742 et 744. Les biens confisqués à l'Eglise redevinrent sa propriété, mais elle ne put pas en disposer. Leurs détenteurs les reçurent d'elle en précaire contre un cens modique - c précaire faite sur l'ordre du roi >, dira-t-on un peu plus tard. En même temps, ils les 24. Documents, n° 52 (p. 403). 25. Sur leur fortune, F. RoussEAU, c La Meuse et le pays mosu. en Belgique ,, Appendice IJ (Annales de la Soc. archéol. de Namur., XXXIX, 1930) ; J.F. NIERIIEYER, c La Meuse et l'expansion franquE1 vers le Nord, VII•-VIII• siècles > (Mélanges Rousseau, Bruxelles, 1958, p. 445-463) ; Th. MAYER, Die Konigsfreien (Complém. bibliogr., p. 445).

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tinrent du souverain en bénéfice viager. Et c'est de lui seul qu'ils furent les vassaux 18 • La règle ainsi définie devait jouer encore au IX' siècle, parallèlement à la distribution de bénéfices pris directement sur les biens du roi. Le développement de la cavalerie n'a pas été c la cause > de la féodalité - ni les progrès techniques qui lui donnèrent le premier rang au combat. - Mais elle a contribué puissamment à la formation d'une caste de possesseurs fonciers qui constituèrent l'élément principal des armées et, plus tard, de la société chevaleresque. Elle devait précipiter également l'évolution des liens de dépendance, encore accélérée par les événements politiques de 751, époque d'emprunts massifs aux biens du clergé et de distributions de terres en rapport avec le changement de dynastie. Enfin, le double contrat passé par les détenteurs de biens ecclésiastiques avec l'Eglise d'une part, le roi de l'autre, permit de préciser la notion du bénéfice vassalique. Dès lors, le nombre des recommandés nourris dans la maison seigneuriale, ou de ceux qui recevaient des biens en propriété a diminué par rapport à celui des vassaux mis en possession de tenures. La formule n'est pas encore érigée en système, mais ses avantages sont reconnus : jalon solide planté dans l'élaboration du régime féodal.

••• A cette époque aussi remonte le premier exemple connu des rites vassaliques. L'historien ne peut lire sans une sorte de frémissement le sobre récit d'un cérémonial 26. L'Eglise gagnait à cette mesure une satisfaction d'ordre moral plutôt que matériel, car, c en cas de nécessité >, les biens concédés ne lui revenaient pas après la mort des premiers détenteurs. Le roi les transférait à leurs héritiers ou à d'autres fidèles. Elle retira un avantage beaucoup plus substantiel d'une disposition de Pépin le Bref - confirmée et précisée par Charlemagne - qui imposait aux habitants le versement d'une dîme prélevée sur les produits de leurs terres. Sur les précaires concédées par ordre du roi, une taxe supplémentaire, la none, fut ajoutée à la dîme par Charlemagne, (Art. récent : G. CoNSTABLB, c Nona et decima >, dans Speculum, 1960, p. 224-250).

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appelé à se perpétuer pendant plus d'un millénaire. En 757, le duc de Bavière Tassilon Ill, mis en présence de Pépin le Bref, c se recommanda en vasselage par les mains. Il jura de multiples et innombrables serments, en mettant les mains sur les reliques des saints, et promit fidélité au roi, comme un vassal doit le faire 37 >. Le vieux rituel qui présidait jadis à l'entrée des hommes libres en dépendance s'est ainsi enrichi d'éléments nouveaux, décomposés en deux temps : la recommandation par les mains, puis le serment de fidélité, maintenant chargé de traits chrétiens 11• Sous cette forme, il fut progressivement réservé aux protégés que la qualité de leurs protecteurs et surtout la nature des services attendus détachaient de la masse des modestes subordonnés et de celle des hommes libres entrés en servitude st. Dès l'époque de Pépin le Bref s'affirme cette c mystique de la vassalité > qui a frappé les meilleurs historiens des origines féodales. L'union entre seigneur et vassal se fait si étroite qu'elle l'emporte parfois sur les attaches entre roi et sujets, ou même entre mari et femme 30 • Pourtant elle fut souvent orageuse, surtout dans les hautes classes où la dépendance était le fruit moins d'un élan sincère que d'une course aux bénéfices ou de provisoires nécessités politiques. Quelques années après s'être recommandé à Pépin le Bref, Tassilon de Bavière se révoltait contre lui. Quitte, en 787, à prêter l'hommage à Charlemagne pour conserver son duché 31 • Les historiens devraient lui élever une statue. 27. Documents, n° 24 (p. 365). - Un autre rite, le baiser, fut sou\'ent adjoint au geste des mains à partir du X• siècle (Documents, n° 27, p. 367). 28. Sur les rapports, très contestés, entre le serment des antrustions et celui des vassaux, H. BRUNNER, Deutsche Rechtsgeschichte, II, éd. de 1928, p. 134-137 ; GANSBOF, L'origine des rapports vassaliques, p. 3536. - Nous reviendrons plus loin, p. 218 et suiv., sur la portée de l'hommage et de la fidélité. 29. Toutefois, cette spécialisation ne fut jamais rigoureuse dans nos contrées méridionales (ci-dessous, p. 212, n. 26). 30. Ce dernier cas est à vrai dire exceptionnel (Capitularia, 1, n° 16, p. 4:1, art. 9 : vers 756). 31. Documents, n° 25 (p. 365).

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Grâce à lui, nous connaissons le premier hommage, la première « trahison > d'un vassal, la première investiture, quelque peu précisée, d'un bénéfice.

B. LA VASSALITÉ ET L'ÉTAT A L'ÉPOQUE DE CHARLEMAGNE u

Roi des Francs, puis des Lombards, empereur d'Occident, Charlemagne ne revint pas aux principes romains de gouvernement et de propriété. Les habitudes prises, le souvenir des méthodes adoptées par les maires carolingiens du Palais, l'évolution sociale ne se prêtaient pas à une rupture avec le récent passé. Surtout, après être allé de conquête en conquête et avoir reculé les frontières jusqu'aux confins des mondes byzantin, musulman, slave et scandinave, le premier empereur carolingien peinait à faire exécuter ses ordres. Des cadres manquaient, ou n'étaient qu'imparfaitement construits. Les hommes compétents étaient rares ; et les sujets, dispersés sur de grands espaces, inclinaient d'autant moins à l'obéissance qu'ils n'avaient pas le sentiment d'appartenir à une même communauté. Voilà pourquoi Charlemagne et ses successeurs ont élargi les expériences de Pépin le Bref et élevé la vassalité au rang d'une institution. De hauts personnages sont rattachés au Carolingien non seulement par la fidélité que tout sujet libre doit au roi, mais par le dévouement personnel : tels les ducs et les comtes, puis les évêques et les abbês, choisis et nommés par le souverain. Des vassaux du roi exercent au Palais les principales fonctions publiques ; d'autres sont éparpillés à travers les territoires impériaux et assoient leur autorité sur les contrées récemment soumises ou pacifiées - Alémanie, Bavière, royaume lombard, Aquitaine, Marche d'Espagne. - Tous sont encouragés à 32. Pour l'histoire générale du règne de Charlemagne, puis de la décadence carolingienne, on se reportera par exemple à l'exposé de L. HALPHEN, accompagné d'une abondante bibliographie, sur Charlemagne et l'Empire carolingien (coll. c L'Evolution de l'Humanité >, Paris, 2• éd., 1949), ainsi qu'aux travaux d'ensemble mentionnés cidessous, p. 417-418.

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faire entrer dans leur vasselage les agents placés sous leurs ordres et les particuliers ayant richesse et influence. Le souverain exhorte, sans imposer. Il exhorte les hommes libres de toutes conditions à choisir un seigneur qui leur réclamera l'impôt au nom de l'Etat, les conduira à l'ost royal et devant le tribunal public. Mais ce seigneur n'a pas de troupe privée ; il n'est pas le juge de ses propres vassaux, qui relèvent soit du tribunal comtal, soit du tribunal du Palais. A certains égards, le système vassalique joue dans l'Empire le rôle dévolu aux immunistes sur leur territoire. Il l'étend et le complète. Grâce à lui, l'Etat trouve des agents pour son administration et sa police, des assesseurs pour sa justice, des chefs et des troupes pour ses armée en campagne, comme pour les garnisons installées aux frontières. Ainsi est tendu un réseau de subordinations qui, s'accompagnant à tous les étages d'une délégation de pouvoirs et de responsabilités, pénètre jusqu'aux plus humbles sujets par l'entremise des vassaux, devenus en grand nombre des seigneurs ruraux. Prodigieusement enrichi par ses conquêtes et la confiscation des biens arrachés aux vaincus ou aux rebelles, le souverain distribue en effet des bénéfices à plusieurs centaines de lignages, qui rémunèrent par le même procédé les services de leurs recommandés. A cette époque encore, chaque dépendant ne pouvait avoir qu'un maître. Il n'était en droit de le « désavouer > que s'il lui portait préjudice, ou s'il manquait à ses devoirs de protection et de défense 33 • Réciproquement, le seigneur pouvait se séparer du vassal infidèle et lui enlever ses bénéfices. Soit une réglementation destinée à limiter les motifs de rupture et à renforcer la stabilité des rapports personnels. La vassalité se précise, se ramifie. Et le bénéfice se joint à elle sans lui enlever sa primauté. Des éléments jusqu'alors isolés s'emboîtent en un système d'institutions. Mais dans la pensée du fondateur de l'Empire, seul l'Etat devait profiter en fin de compte du service des dépendants.

33. Ci-dessous, p. 222, n. 43.

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C. LA DÉCADENCE IMPÉRIALE

Ce grandiose effort a échoué. Une fois Charlemagne descendu au tombeau et rendues vaines les tentatives de Louis le Pieux pour affermir l'autorité impériale selon les principes définis par les· clercs, l'histoire carolingienne est celle d'une décadence qui a conduit au partage de Verdun puis, après une restauration temporaire, à l'effondrement de 888. Des royaumes menacés de fragmentation, des principautés qui luttent aussi contre le morcellement, de petites unités territoriales étalent leur mosaïque sur les ruines de l'ancien Empire. Pour expliquer ces faits, des auteurs présentent les successeurs de Charlemagne sous les traits de tout petits hommes. Ils insistent sur l'inapplication de la loi qui réglait la succession impériale, gémissent sur les querelles de famille, les déchirements politiques et les remaniements territoriaux du temps de Louis le Pieux. Ces facteurs ont joué. Mais les causes profondes sont ailleurs. Le souverain disposait de ressources considérables, bien que difficiles à mobiliser. Il avait de grands do1uaines et des centaines de vassaux. Des hommes libres d'origine modeste, placés sous sa protection, lui assuraient des fidélités et des points d'appui ". Il pouvait rassembler des effectifs militaires supérieurs à ceux de ses adversaires et les conduire par la guerre au butin. Son tribunal ramenait à lui les causes importantes. La haute Eglise le conseillait, lui tendait la main aux passages difficiles. Pourtant, l'Empire a duré beaucoup moins que la monarchie mérovingienne ou que la plupart des royaumes barbares. Il s'est désintégré parce qu'il ne répondait pas à la mentalité ni à l'instruction des hommes d'alors, peu 34. C'était le cas surtout dans une partie de l'Italie et de l' Allemagne. - Sur les c libres du roi >, la structure de leurs groupes, leurs rapports avec le souverain et les changements apportés A leur statut, voir les travaux de BoGNETTI (dans L'Età longobarda, Milan, 1966-1967, 3 vol.), DANNENBAUER, MAYER, TABACCO, TOUBERT et \VERNLI, cités dans Complém. bibliogr., p. 436, 446-447.

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prompts à saisir la notion abstraite de l'Etat, même sous la forme où elle était présentée par l'élite impériale. Il est tombé parce qu'il était une construction démesurée, monstrueuse au regard de l'organisation économique et de la structure sociale. Les Carolingiens firent des efforts touchants pour répandre l'usage de l'écrit chez leurs principaux agents. Ils lancèrent sur les pistes incommodes des territoires impériaux des envoyés portant leurs recommandations, les expliquant, maintenant des contacts personnels entre un Palais voyageur et les comtes ou leurs subordonnés. Entre le milieu du VIII• siècle et les environs de 820 ils construisirent un édifice imposant, mais lézardé dès sa naissance. L'Etat carolingien ne posséda jamais un système administratif capable de transmettre à temps les ordres, d'imposer l'obéissance, de contenir les forces internes qui poussaient au démembrement. Il fut déchiré par les régionalismes, cadres vivants de tous ces peuples que la guerre avait réunis sous une même autorité et qui, celle-ci faiblissant, cherchèrent à s'émanciper. Charlemagne, déjà, commençait à reculer devant la tâche quand la mort le prit 11 • Ses successeurs furent écrasés tout en dessous. Des menaces extérieures, enfin, ont aggravé les périls, hâté la chute. De nouvelles vagues d'envahisseurs exploitent les défaillances de l'Empire, puis des royaumes issus de son démembrement. Elles se rient des lourdes armées continentales, inaptes à une défense mobile, s'infiltrent entre les troupes des frontières, comme entre les garnisons des forteresses. Finies, les guerres de conquêtes et avec elles les distributions de terres dont elles étaient le signal. Les Musulmans opèrent des razzias le long des côtes méditerranéennes de l'Europe, s'installent en Sicile et en Italie du Sud, éloignent Byzance de l'Occident. Les Hongrois envahissent l'Italie du Nord et l'Allemagne occidentale, poussent jusqu'en Bourgogne et au sud de la Loire. Surtout, venus de Scandinavie, les Normands accomplissent des coups de main sur les côtes, remontent les fleuves, pillent des monas35. F. L. GANSBOF, c Charlemagne (Speculum, XXIV, 1949, p. 520528) ; c La fin du règne de Charlemagne. Une décomposition > (Zeitschrift far Schweizerische Geschichte, 1948, n° 4, p. 433-452).

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tères et des églises, attaquent des villes. Les populations vivent en état d'alerte, barrent les rivières aux pillards, mais les ferment aussi aux échanges. De nombreux châteaux perdent leur caractère de forteresse publique, contrôlée par le roi ou ses représentants, et tenue par un de leurs fidèles ~6 • Ils deviennent des points d'appui pour les aristocraties locales, qui les transforment en bastions interdits aux agents royaux. Sur les chemins, c'est l'exode. Des moines vont de résidence en résidence, emportant les reliques du fondateur de leur communauté et les objets précieux qu'ils tenaient de la générosité des fidèles. Tels ceux de Saint-Philibert qui, entre 826 et 875, quittèrent Noirmoutier pour les bords du lac de Grandlieu, qu'ils abandonnèrent bientôt pour le Saumurois, le Poitou, Saint-Pourçain-surSioule, enfin Tournus, sur les bords de la Saône.

D. MONTÉE DE LA VASSALITÉ ET DU BÉNÉFICE AUX 1x• ET x• SIÈCLES

Les réseaux de subordination ont joué leur note dans ce concert sous l'action de deux éléments qui ne tendaient pas nécessairement au même but mais dont les effets se combinèrent : la politique des derniers Carolingiens, les poussées multiples venues d'en bas 37 • Ils ont envahi l'Etat et les sociétés. 1. L'Etat devant les réseaux de dépendance.

Les successeurs de Charlemagne, imitant son exemple, ont voulu faire de la vassalité un instrument de l'autorité 36. Et cela en dépit des mesures de Charles le Chauve, par exemple, qui, dans un article ajouté à l'édit de Pitres, avait déclaré : c Nous exigeons que tous ceux qui, en ces temps, ont élevé sans notre autorisation des châteaux, des fortifications ou des palissades, détruisent toute fortification de ce genre avant le t •r aot1t > (Capitularia, t. II, n° 273, p. 328 : 864). 37. Nous consacrerons quelques pages à ces dernières dans le chapitre suivant.

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publique et renforcer grâce à elle les principes de souveraineté. Un des arguments invoqués par Louis le Pieux en 833 pour faire rentrer ses fils dans le devoir est qu'ils sont ses vassaux. En 870, l'évêque de Laon déclare : « Je serai fidèle envers mon seigneur Charles, comme un vassal doit l'être, en droit, envers son seigneur et un évêque envers son roi 11• > Mais les obligations vassaliques étant plus astreignantes que les devoirs dus au souverain, des écrans sont dressés entre lui et les arrière-vassaux. Pour tout subordonné, le seigneur direct vient en premier. Il lui a engagé sa foi, demeure sous sa responsabilité, tient de lui la totalité ou une partie de sa fortune. Les systèmes de dépendance ont usé l'organisme de l'Etat. Ils détenaient un pouvoir d'expansion que libérèrent les capitulations des souverains devant les factions aristocratiques susceptibles de favoriser leurs projets extérieurs, de contenir les invasions, de les aider dans leurs démêlés familiaux. Sous Louis le Pieux déjà, et surtout après lui, on commence à admettre que si le roi manque à ses devoirs, ses sujets, comme ses vassaux, ne seront plus tenus de lui obéir. Puisée dans l'idée vassalique plus encore que dans la promesse verbale, incorporée au sacre depuis 869, par laquelle le roi s'engageait à dispenser la justice et la paix, l'idée de contrat s'est substituée à celle du pouvoir absolu. Elle devait rester un fondement de la société féodale 89 • La multiplication des engagements vassaliques a eu pour conséquence celle des bénéfices. Ainsi s'offrent à nous une fois encore, le salaire, la récompense des subordonnés. Grâce à ses conquêtes, Charlemagne avait rassemblé un énorme capital foncier. Empereur pacifique, Louis le Pieux a entretenu des troupes de vassaux oisifs ou voués à des tâches intérieures. Il a vécu sur l'actif laissé par son 38. MIGNE, Patrologie latine, CXXVI, p. 575. 39. Voir notamment le texte des délibérations de l'assemblée de Coulaines, près du Mans, en 843 (Capitularia, Il, n° 254, p. 253-255). Cf. LoT et HALPHEN, Le règne de Charles le Chauve, ir• partie, p. 9397. - Sur les obligations contenues dans la promesse du sacre, MARCEL DAvm, Le serment du sacre du IX• au XV• siècle, p. 47 et sulv. (Bibliogr., n° 266).

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prédécesseur. Les brèches ouvertes par lui dans les domaines impériaux furent d'autant plus larges que, non content de distribuer des bénéfices, il concéda des biens en pleine propriété ou transforma des tenures en alleux : signe évident, qui se répéta au x· siècle, d'une soumission au chantage des grands. A son tour, Charles le Chauve opéra des coupes sombres dans les biens du fisc, puis fit appel aux terres d'Eglise. Mais il renonça au subterfuge de la précaire et tantôt concéda directement des biens usurpés, tantôt demanda à des communautés d'installer chez elles des hommes qui entraient dans leur vassalité tout en rendant les services au roi. Après quoi, les invasions, les convulsions intérieures, l'obligation d'acheter de nouvelles clientèles réduisirent encore les domaines des Carolingiens. Leur étoile ayant pâli, de nombreuses fidélités ne montèrent plus vers eux. Elles allèrent à des puissants qui, après avoir accumulé des terres et des fonctions, distribuèrent la manne autrefois prodiguée par les souverains. Des immunistes et même d'anciens vassaux du roi portèrent leur hommage à des princes territoriaux. Pour saisir tous les aspects d'une pareille déchéance il faut se tourner vers une autre forme des relations de dépendance, vers un épisode saisissant du drame qui s'est joué entre le roi et les recommandés.

* ** En demandant à leurs fonctionnaires de se lier à eux par la vassalité, Pépin le Bref et Charlemagne avaient cru les plier d'autant mieux à l'obéissance qu'ils pouvaient, à tout moment, les déplacer ou les révoquer. Rapidement, toutefois, des failles ont couru à travers le système. Pour donner une certaine continuité à l'administration locale et à la défense militaire en des contrées que l'état des communications et le morcellement des groupes sociaux isolaient du pouvoir central, des comtes et leurs subordonnés sont maintenus pendant des années dans leur circonscription. Mieux encore, des fils de fonctionnaires se voient confier les charges de leur père. Connue au VIII• siècle, la prati-

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que s'est répandue sous Charlemagne et intensifiée après lui. Elle aurait été sans danger si le roi avait conservé ses pouvoirs de disposition. Or, Louis le Pieux et surtout Charles le Chauve ont rencontré à cet égard des difficultés croissantes. Pendant la première moitié de son règne, celuici a déplacé de nombreux agents, même irréprochables, et tardé à leur fournir des compensations'°. Ensuite, il s'est incliné à maintes reprises devant les exigences des grands. Ces derniers s'accrochaient d'autant plus à leurs fonctions (honores) qu'elles étaient rémunérées par une dotation foncière et par des droits régaliens ordinairement concédés en bénéfice. Dans une société envahie par l'usage des subordinations profitables, par la multiplication des serments ayant pour contrepartie la jouissance de biens matériels, la notion de bénéfice a finalement embrassé non seulement les domaines attachés à une charge, mais cette dernière aussi, avec son cadre territorial - ensemble qui formait un honor, au sens large. - Il y a eu contamination. Le langage de la chancellerie royale en porte témoignage. Combien sont expressifs les textes qui mentionnent des c honneurs bénéficiaires >, des comtés ou des évêchés tenus c en bénéfice 41 > ! Or, nous allons le voir, le bénéfice a glissé vers l'hérédité. Si bien qu'on assiste au singulier spectacle d'un Etat dont les agents supérieurs, ainsi que les fonctionnaires placés sous leurs ordres et liés à eux par la recommandation, cherchent non seulement à conserver, leur vie durant, les charges publiques, mais à les transmettre de père en fils. Au besoin, ils opposent la force à ceux qui veulent les priver du c comté de leurs parents >. Décidés à rester les maîtres chez eux, ils s'emploient à éliminer les missi et les vassaux du roi. Freiné en Allemagne jusqu'au XII' siècle par une monarchie qui avait su conserver ou reprendre certains éléments de la puissance publique, le mouvement s'est accéléré en France après 850. 40. D'oà les réclamations formulées à l'assemblée de Coulaines, en 843 (référence, note 39). 41. Par exemple, Annales Bertiniani, éd. Waltz, p. 20 (839).

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••• Loin d'accepter de gaieté de cœur l'enracinement de pratiques qui les menaient par tous chemins à la ruine, les Carolingiens ont fait face, puni des rebelles, cherché à sauvegarder des principes d'autorité. Un acte célèbre, en date de 877, le Capitulaire de Quierzy-sur-Oise, souligne la portée des changements qui sont en train de s'accomplir. Au moment d'opérer une descente en Italie, Charles fa Chauve édicte des dispositions relatives au gouvernement du royaume jusqu'à son retour. Certaines intéressent la transmission des bénéfices 0 • Si un comte passe de vie à trépas, les officiers du défunt et l'évêque administreront le comté jusqu'au moment où l'empereur, prévenu sans retard, se sera prononcé sur la succession. Le comte laisse-t-il un fils en bas âge, ou compagnon de l'empereur dans l'expédition italienne? Le conseil de gestion veillera sur ses intérêts et administrera le comté en son nom. L'empereur se réserve la décision, mais la succession reviendra presque certainement à l'héritier du défunt 43 • La proclamation finale lue devant l'assemblée de Quierzy va plus loin dans ce sens que l'édit et ne laisse place à aucune ambiguïté : le conseil de gestion gouvernera le comté jusqu'au moment où le décès du comte sera venu à la connaissance de l'empereur et le fils du défunt « revêtu par nous des charges de son père >. Capitulaire et proclamation stipulent enfin que les mêmes règles joueront en faveur de tous les vassaux du roi. Ces derniers, à leur tour, agiront semblablement c envers leurs hommes > : les investi-

42. Capitularia, II, nos 281-282, p. 388 et 360 (Extraits dans Documents, n° 45, p. 391). 43. Une autre stipulation est plus significative encore : si le souverain meurt pendant l'expédition, ceux de ses fidèles qui voudront renoncer au monde afin de prier pour lui pourront disposer de leurs honneurs en faveur de leurs flls ou de leurs proches, capables de servir l'Etat.

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tures des bénéfices vacants seront différées. Néanmoins, on réservera les droits des héritiers. Le Capitulaire de Quierzy n'a pas institué l'hérédité des bénéfices. Mais, tout en ménageant les droits du souverain, il a consacré un état de fait devenu en France assez ordinaire, et admis qu'il pouvait se généraliser. Après la mort de Charles le Chauve, Louis le Bègue et ses successeurs ont tenté, le plus souvent sans succès, de déplacer ou de révoquer des comtes "· Le personnel politique commence à perdre la notion de caractère public attaché aux offices et aux obligations qu'ils entraînent. Il s'installe, se provincialise non pour consacrer une décentralisation qui supposait le maintien de l'Etat, mais pour conquérir son autonomie.

2. Les pouvoirs territoriaux et leurs cadres. On ne reviendra pas sur les royaumes constitués dans les limites de l'ancien Empire carolingien ni sur les territoires d'immunité. Nous insisterons en revanche sur une formation originale : les principautés. Le rassemblement des pouvoirs régionaux entre les mains d'un seul homme était une pratique fort ancienne. Sans remonter plus haut, rappelons les territoires placés sous l'autorité des maires mérovingiens d'Austrasie et de Bourgogne, puis les marches créées aux frontières par les premiers Carolingiens. L'institution se répandit très vite après eux, groupant ordinairement plusieurs comtés subordonnés à un magnat. L'affaissement de l'Etat et les invasions appelaient en effet la concentration des pouvoirs locaux et l' établissement de cadres adaptés aux moyens de gouvernement. Des rois ont encouragé de telles formations afin de contenir les raids normands. Ainsi, Charles le Simple créa en faveur de Robert, frère de l'ancien roi Eudes, la principauté de Neustrie, cœur du futur domaine capétien. Conscients du danger qu'elles faisaient courir à l'autorité monarchique, d'autres souverains les ont interdites, notamment 44. Exemples dans J. riales, p. 41 et suiv.

DHONDT,

Naissance des principautés territo-

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entre la Seine et le pays flamand, ou supprimées : témoin la Franconie. En fait, la plupart des principautés furent le fruit d'entreprises individuelles ou familiales poursuivies durant plusieurs générations et accomplies en plusieurs phases. Des potentats, souvent unis par des alliances familiales à une dynastie royale, s'incrustent dans le pays où leurs pères et eux-mêmes s'étaient constitué un beau patrimoine et avaient reçu délégation des pouvoirs royaux. Ils construisent des châteaux, en principe comme détenteurs de la puissance publique, acquièrent de nouvelles terres et de nouveaux droits, fréquemment arrachés à des temp(>rels ecclésiastiques, et deviennent têtes de file d'un grand nombre de yassaux. A la faveur de l'hérédité, ils font glisser dans leur patrimoine les pouvoirs délégués et developpent un sentiment d'attache à leur dynastie. Ainsi se dessinèrent, de 875 à 925 environ, le comté de Flandre, les premiers duchés de Bourgogne et d'Aquitaine, et cinq duchés allemands : Saxe, Bavière, Souabe, Franconie, Lorraine. Formation originale entre toutes, puisqu'elle provenait d'une cession faite par Charles le Simple à un chef viking, Rollon, le duché de Normandie se constitua pendant le premier tiers du x• siècle. Dans la création des principautés, le groupement de comtés n'a été qu'un point de départ. Le succès fut éclatant surtout dans les contrées qui tiraient leur cohésion de facteurs conjugués : une antique communauté de civilisation, quelquefois soulignée par le précédent d'un royaume barbare et, à défaut d'unité naturelle, un espace géographique dont les divers points étaient reliés par des routes, les passages solidement tenus et les ressources économiques complémentaires. Leurs chefs flattaient les régionalismP,s imparfaitement assimilés par la domination franque. Ils s'appuyaient sur eux, même s'ils ne réunissaient pas tous les éléments d'une c nationalité > ou si, inversement, ils annexaient des populations allogènes. Le trait est attesté en France, comme en Italie du Nord où le souvenir du royaume lombard était un aiguillon aux souhaits d'affranchissement. Il l'est plus encore en Germanie, où des groupes

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ethniques, couches résiduelles d'anciennes nations rattachées à la monarchie franque, reprirent ou renforcèrent leur autonomie à l'intérieur des duchés .

••• De nombreuses principautés, auxquelles s'ajoutèrent les puissances ecclésiastiques en possession de pouvoirs comtaux, ont connu leur âge d'or aux x• et XI' siècles. Dans leur ressort, le roi ne nomme plus ni comtes, ni évêques ; il ne touche les populations que par l'entremise de leurs chefs et à leur demande ; parfois même, il ne se montre plus en personne. Le Mâconnais, par exemple, après avoir reçu Louis IV en 951, attendra jusqu'en 1166 pour assister au retour du souverain"· Une ressource restait au roi : les liens féodo-vassaliques. Or, au sud de la Loire comme en Bourgogne méridionale, les vassaux royaux ont diminué et presque disparu au cours du x• siècle, car ils sont entrés dans la dépendance des princes territoriaux. Ces derniers, de leur côté, tardaient à rendre l'hommage au Carolingien, ou s'en abstenaient durant toute leur vie. Ainsi Guillaume Têted'Etoupe, comte de Poitou, s'est déclaré vassal de Louis IV six ans après son avènement. Durant la seconde moitié du x• siècle, le marquis de Gothie et le comte de la Marche d'Espagne, entre autres, n'ayant jamais rencontré le roi, n'ont eu à aucun moment l'occasion de mettre leurs mains dans les siennes. Chacun vivait dans sa sphère, et prétextait l'éloignement ou l'insécurité des routes pour se tenir à l'écart"· Les liens sont restés plus solides entre le roi et les chefs des principautés situées au nord de la Loire. La plupart sont ses « fidèles >. Non pas qu'ils lui aient prêté, sauf 45. G. DUBY, La société en Md.connais, p. 91, 540 et suiv. 46. Un autre indice souligne la faiblesse de la monarchie l'absence de tout diplôme royal, octroyant ou confirmant des privilèges dans les pays de langue d'oc, entre 987 et 1108 (LEMARIGNIER, Structures monastiques et structures politiques dans la France de la fin du X• et des débuts du XI• siècle, p. 361-363. - Bibliogr., n° 264).

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exceptionnellement, le serment public de fidélité que Charlemagne, par exemple, avait exigé de tous les hommes libres de l'Empire. Ce serment était en voie de disparition au x• siècle. Mais ils se sont recommandés à lui, sans engager nécessairement tous leurs offices, ni tous leurs biens. Ils y mirent parfois peu d'empressement. Comme Guillaume Tête-d'Etoupe, le duc Alain de Bretagne attendit six années avant de porter l'hommage à Louis IV. D'autres ont rompu et renoué à plusieurs reprises avec le souverain, tantôt servant dans son armée et assistant aux sessions de sa cour, tantôt opposant leurs troupes aux siennes durant les périodes, à la fois mouvementées et monotones, où Carolingiens et Robertiens prirent tour à tour la couronne". Pourtant, l'isolement des seigneurs méridionaux, la précarité des rapports entre les rois et les puissants, les brouilles temporaires n'ont pas empêché le maintien de la mouvance française dans le cadre fixé par le traité de Verdun". Les chefs des principautés jouissaient de l'autonomie. Aucun n'était indépendant. Même lorsqu'ils ne prêtaient pas l'hommage, ils étaient comme les membres d'une grande famille qui, éloignés du chef et ne le connaissant pas, avaient néanmoins le sentiment d'appartenir à sa communauté. Héritiers des hauts fonctionnaires carolingiens, ils reconnaissaient implicitement l'autorité morale du roi, puisée dans la tradition et le sacre, d·ataient leurs actes d'après les années de son règne, laissaient leurs sujets ecclésiastiques solliciter de lui des diplômes. Ils n'excluaient pas, envers la personne royale, la possibilité d'un soutien qu'eux-mêmes lui réclamaient en cas de besoin. Inquiété par les Sarrasins, Borel, comte de la Marche d'Espagne, 47. Sur tous ces faits, voir un article décisif de J.-F. LEMARIGNIER, rédigé surtout d'après les Annales de Flodoard et les Recueils des actes de Louis IV, Lothaire et Louis V (936-987). Ce travail marque une date, sinon un terme, dans les querelles érudites soulevées, depuis un demi-siècle, par la nature juridique des liens unissant au roi les grands du royaume (Les fidèles du roi de France. - Bibliogr., n° 279). 48. De son côté, le royaume de Germanie s'agrandissait des territoires lotharingiens (sur les principautés allemandes, ci-dessous, p. 196-197).

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demanda secours à Lothaire, Louis V, Hugues Capet. Il offrit de les rencontrer pour leur prêter les serments vassaliques. Le secours ne vint pas et l'hommage ne fut pas rendu, sans que la Marche ait paru pour autant détachée du royaume •9 •

* ** II est possible de cerner les contours des principautés et d'esquisser leur organisation à divers moments de leur histoire 110 • Type, le premier duché de Bourgogne, qui prit forme dans les dernières années du IX' siècle et rassembla, lors de sa plus grande extension, les contrées allant des pays de Sens, Troyes et Langres au Mâconnais, ainsi que de l' Auxerrois, du Nivernais et de l' Autunois aux pays d'outre-Saône. Les habitants de ces régions, diverses ou contrastées, avaient gardé le souvenir de l'unité un moment réalisée, dans un cadre plus vaste, par l'ancien royaume des Burgondes. En outre, des routes reliaient les points éloignés aux principales villes : Autun et Dijon. Apparentés à la famille des Robertiens et ayant à plusieurs reprises troqué la couronne ducale pour la couronne royale de France, les maîtres du duché étaient de très hauts personnages. Jusqu'à la seconde moitié du XI' siècle, ils bénéficièrent de l'organisation administrative mise en place par les Carolingiens 51 • En tant que ducs, ils maintiennent la paix publique, 49. LEMARIGNIER, art. cité n. 47. 50. Etudes récentes : a) à l'échelle du royaume de France, J. DHONDT, Naissance des principautés territoriales; F. LoT et R. FAWTIER, Institutions seigneuriales; J.-F. LEMARIGNIER, L'hom-

mage en marche et les frontières féodales. b) Dans le cadre d'un duché, J. RICHARD,

Les ducs de Bourgogne

et la formation du duché. c) Dans le cadre d'un comté, G. DuBY, La société en Mdconnais 11 • 225, 282, 252,. 260, 142). d) Consulter aussi les travaux des auteurs cités dans Complém. bibliogr., p. 441-443 (BosL, BUISSON, CRISTIANI, DiPREZ, FASOLI, NAVEL, TELLENBACH, WERNER, YVER ...). 51. Rappelons qu'en France le terme ducatus englobait au sens large la fonction ducale, le cadre territorial où elle s'exerçait et la dotation foncière qui donnait à son titulaire les ressources néces-

(Bibliogr., n

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convoquent les riches possesseurs fonciers - vassaux et alleutiers - aux sessions de leur cour comme à leur ost, protègent les églises, contrôlent les mesures et les monnaies, permettent ou interdisent la construction des châteaux forts, disposent des biens du fisc. Toutefois, ces pouvoirs recouvraient, sans se substituer à eux, les droits de même nature que les comtes exerçaient chacun dans leur circonscription. Le duc aurait donc été convié à l'honorariat s'il n'avait ajouté à ses prérogatives sur l'ensemble du pays des moyens d'action puisés à diverses sources : ses domaines ruraux et les réseaux de dépendance qui se rattachaient à sa personne, ses abbatiats et ses fonctions d'avoué, enfin les comtés qui lui appartenaient en propre - à savoir, vers la fin du x• siècle, Autun, Avallon, Beaune, Dijon, Châtillon-sur-Seine. - Son champ d'action essentiel se réduisit progressivement à ces régions où d'ailleurs il fut atteint finalement par le déclin qui frappait toute puissance publique. Les chefs des comtés situés aux limites de la Bourgogne restaient sensibles au prestige de la dynastie ducale illustrée par Richard le Justicier et Hugues le Noir. Ils sentaient que le duc était leur supérieur parce qu'ils se trouvaient placés au-dessous de lui dans l'ancienne hiérarchie administrative. Pourtant, leurs relations tendirent à se limiter aux rapports vassaliques. C'est donc sous un aspect féodal que nous entrevoyons le duché de Bourgogne au début du XI• siècle. L'autorité comtale a subi une évolution parallèle. Le Mâconnais en procure un exemple. Recrutés dans la même famille de la fin du IX• siècle aux dernières années du X', les comtes de Mâcon avaient mis à profit la situation de la contrée aux limites du royaume et de la Bourgogne, l'éloignement du roi et la faiblesse de l'emprise ducale pour créer une petite principauté autonome, tournée beaucoup plus vers les pays de la basse Saône qu'en direction de l' Autunois ou du Dijon.nais. Non seulement ils bénéficiaient saires pour remplir sa mission et assurer son existence. Les mêmes éléments étaient recouverts par des mots tels que comitatus, episcopahz, ...

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des devoirs vassaliques imposés à leurs dépendants mais, investis du ban royal, ils avaient conservé en surface l'organisation fiscale, judiciaire et militaire de la belle période carolingienne. Déjà chancelante vers la fin du x· siècle, cette organisation s'est désagrégée à l'époque suivante. La ruine des institutions publiques arrache le comte à son piédestal. Le pagus, cadre antique dont le comté avait épousé les limites, et sa principale subdivision, la viguerie, se fragmentent et font place à des cellules dont les frontières répondent rarement à celles des anciennes circonscriptions"· Les plus importantes furent les territoires d'immunité dont les chefs, à la faveur des institutions de paix et du mouvement grégorien, secouèrent la tutelle du comte et se donnèrent leurs propres tribunaux. Ce furent plus encore les châtellenies u. Dans ce Mâconnais où les liens personnels et réels n'obligeaient pas à des devoirs aussi stricts qu'au nord de la Loire, des châtelains se soustraient à l'autorité comtale en matière judiciaire et militaire. Ils ne vont plus à ses plaids, ni à son ost, et deviennent les véritables maîtres des forteresses confiées à leur garde ou inféodées par le comte. En même temps, ils imposent leur ban aux villages d'alentour. Héritiers eux aussi d'une puissance publique passée dans leur patrimoine, ils maintiennent l'ordre, protègent et tyrannisent. Ainsi se forment les centres nerveux de la société seigneuriale et féodale. En défini52. Le pagus s'est maintenu plus longtemps en Normandie et en Flandre que dans le sud de la Bourgogne, l'Ile-de-France, le Maine et le Poitou (sur ce problème, J.-F. LEMARIGNIER, « La dislocation du pagus et le problème des consuetudines >, dans Mélanges Halphen, Paris, 1951, p. 401-410). Voir également M. GARAUD, « L'organisation administrative du comté dt Poitou au X• siècle et l'avènement des châtelains et des châtellenies > (Bull. de la Soc. des Antiquaires de l'Ouest, 1953). 53. Châteaux et châtellenies ayant constitué les points d'appui essentiels de la féodalité aux XI• et XII• siècles, les développements nécessaires leur seront consacrés dans l'ouvrage qui fera suite à ce livre (types d'études : R. AUBENAS, « Les châteaux forts des X• et XI• siècles >, dans Rev. histor. de Droit français et étranger, 1938, p. 548-586 ; travaux de DÉPREZ, FASOLI, GARAUD, PERROY, RICHARD, YvER, cités dans Complém. bibliogr., p. 442-443).

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tive, le comté s'est dégradé dans son cadre territorial el dans ses pouvoirs. Au XI' siècle, son maître ne passe plus pour le représentant du roi, pour le chef investi d'une mission supérieure, mais pour un seigneur dans le comté, un seigneur presque semblable à ses voisins. Un jour viendra où le titre comtal, vidé de sa substance, ne sera plus qu'une dignité personnelle, un degré dans la hiérarchie nobiliaire.

* ** Fort caractéristique, l'exemple bourguignon ne saurait résumer l'histoire des principautés. Certaines se sont divisées dès Je x• siècle en dominations plus petites et mieux adaptées que les formations originelles à la géographie et aux moyens de gouvernement. Les unités régionales créées au sein de la principauté d'Aquitaine en sont un exemple. D'autres, au contraire, ont gardé sans grand changement durant des siècles leur cadre territorial : ainsi le comté de Flandre, le duché de Bretagne - un moment étendu vers le Maine et l'Anjou - et surtout le duché de Normandie, dont les maîtres surent créer, aux x• et XI• siècles, une organisation administrative faite d'éléments carolingiens étayés et complétés par les institutions féodales"· Colosses aux pieds d'argile, les principautés ont souffert des mêmes faiblesses que les Empires et les royaumes, là surtout oit leur étendue faisait tort à leur cohésion et à leur efficacité, là également où les chefs ne surent pas imposer des coutumes successorales freinant la fragmentation. Pourtant, les grandes dynasties provinciales ont occupé les échelons supérieurs du gouvernement des hommes et assuré tant bien que mal le relais des pouvoirs échappés à la royauté. C'est dans leur ressort, comme dans celui des comtés, qu'apparaît en vive lumière la création des réseaux 54. Il y n débat, actuellement, sur le maintien ou sur la disparition des institutions carolingiennes en Normandie ducale. La première thèse est soutenue notamment par J. YVER et L. MussET, la seconde par M. de Bouard (Bibliogr., n 09 265, 188., 217).

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féodaux qui se ramifient sans venir à bout des immunités ni des seigneuries allodiales, sans subordonner efficacement tous les comtes, vicomtes ou châtelains aux princes territoriaux. C'est là également que la transformation des institutions publiques en organismes privés revêt sa pleine signification.

••* La situation était différente en Allemagne. A l'exception de la Lorraine, les duchés répondaient mieux que les nôtres à de vieilles unités régionales qui avaient conservé leur langue et leurs coutumes particulières. Vers la fin du IX' siècle et pendant le premier quart du x•, leurs maîtres avaient failli réduire le pays à une mosaïque de principautés indépendantes. Puis la monarchie s'était ressaisie sous la conduite de la dynastie saxonne. Le soutien fourni par les vassaux royaux, le renouvellement du personnel ducal, l'habile application des règles vassaliques à tous les ducs, ainsi rattachés à la couronne, et surtout la renaissance des principes carolingiens de gouvernement, en vertu desquels ils furent considérés non seulement comme des vassaux, mais comme des fonctionnaires, permirent à Otton 1•r de vaincre la plupart des résistances. Les ducs restèrent puissants, mais surveillés 111 • C'est le roi qui les choisit, de préférence parmi les membres de sa parenté alliés à des familles de la région intéressée, lui encore qui les révoque en cas de rébellion et qui va même, en 939, jusqu'à supprimer le duché de Franconie pour en faire un comté mouvant directement de la couronne. A leur mort, rien ne l'oblige à confier les duchés à leurs fils, ni à les réinféoder. Otton 1•r a d'autre part maintenu ou rétabli la distinction entre « l'honneur comtal > et les fiefs attribués aux comtes à titre de salaire. Il a combattu l'hérédité de leurs charges, mais s'est heurté à des oppositions si vives qu'il 55. Sur la distinction entre prérogatives ducales et simples pouvoirs comtaux, R. ScHROEDER, Lehrbach der deutschen Rechtsgeschichte, 7• édit., 1932.

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n'a pu en toutes circonstances faire triompher ses vues. Ses successeurs immédiats restèrent fidèles aux mêmes principes sans parvenir à enrayer le mouvement irrésistible qui conduisait vers l'hérédité des honneurs et entamait la puissance publique 56 •

CONCLUSION

Revenons en France pour tirer les leçons d'une expérience que connurent, tôt ou tard, les pays de féodalité spontanée. Les successeurs de Charlemagne ont concédé des terres et des fonctions sans recevoir les services espérés. Incapables de rassembler entre leurs mains fragiles les faisceaux de dépendance, il furent broyés dans l'engrenage qu'ils avaient contribué à mettre en place. On ne saurait leur reprocher d'avoir été des rois fainéants. Mais ils ne purent empêcher les seigneurs de détourner à leur bénéfice les tâches dues à l'Etat. Au x• siècle, les troupes des grands tendent à se substituer à l'armée royale, les taxes particulières aux impôts, la monnaie seigneuriale à celle du souverain; la plupart des assemblées judiciaires se transforment en cours privées dont les membres, appelés à juger un de leurs pairs, sont souvent indulgents aux fautes commises, images de leurs propres défaillances, ou impuissants à les faire réprimer. Les derniers Carolingiens sont restés les mains vides, ou presque, après avoir distribué sans mesure des charges et des biens. Ainsi s'explique leur lent effacement devant la famille robertienne, riche des comtés d'entre Seine et Loire, sortie des rangs de la féodalité, imprégnée 56. Les duchés c nationaux > ont été atteints eux aussi, dès le XI• siècle et surtout au XIIe, par l'action des forces féodales qui les ont morcelés en duchés territoriaux privés d'unité ethnique. D'autre part, le titre ducal, en se répandant, a perdu une partie de son ancienne signification : ducs, par exemple, des représentants du roi sans duché, ou des puis~ants qui attachaient ce titre à leur maison ; ducs, des ecclésiastiques en possession de plusieurs comtés .. ,

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de son esprit et libérée des ambitions démesurées que ses prédécesseurs avaient nourries. De leur côté, les princes territoriaux et les comtes s'employaient à défendre contre les empiétements de leurs subordonnés les conquêtes opérées par usurpation ou avec la bénédiction du roi. Pour des causes en partie semblables, leur fléchissement devait suivre celui de l'autorité monarchique. La féodalité attire à elle les anciens ·pouvoirs au prix de tous ces coups de force qui accompagnent la naissance d'un ordre nouveau.

CHAPITRE V PREMIÈRE ESQUISSE DE LA SOCIÉTÉ FÉODALE 1

Laissons maintenant ces constellations pour nous rapprocher des hommes atteints par les liens de dépendance, suivre la progression de la féodalité au sein des sociétés, puis définir la nature des contrats passés entre seigneurs et vassaux jusqu'à l'aube du XI• siècle.

1. -

ARISTOCRATIE ET FÉODALITÉ

De sérieuses retouches doivent être apportées à un tableau demeuré longtemps classique : celui de la féodalité progressant à la manière d'une inondation qui aurait tout recouvert. Des puissants demeurent à l'écart : anciens dépendants en rupture de ban, ou récusés par leur maître ; vassaux qui ne renouvellent pas leurs serments à la mort du seigneur, ou qui tardent à prêter l'hommage 1 ; pardessus tout, alleutiers ayant conservé leur fière indépendance, sujets de ce qui reste de l'Etat sans être assujettis à une personne privée, sans avoir mis leurs mains jointes dans celles d'un supérieur'. Ont-ils érigé leurs 1. Bibliogr., noa 214-290 (p. 438-441 ; 444-445) ; Compléments, p. 441443 ; 445-44 7.

2. Ainsi que le démontrent les Annales de FLODOARD (éd. Lauer, Paris, 1905). 3. Sur l'opposition entre de gros alleutiers et des vassaux, Miracula Sancti Bertini, dans M.G.H., Scriptores, XV, 1, p. 513.

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biens en seigneuries ? Ils se trouvent placés à la tête d'un réseau de subordinations qui s'arrête à eux. Le trait est accusé principalement dans les régions marginales de l'ancien Empire éloignées des centres d'action des Carolingiens : Saxe, Pays-Bas, Catalogne. Il l'est aussi dans les pays méridionaux - enfants pauvres de l'historiographie - où les traditions romaines, une mentalité et des habitudes de vie inadaptées aux usages vassaliques ont freiné l'installation de la féodalité : Aquitaine, Bourgogne du Sud, pays rhodaniens, Provence, Italie centrale. Dans ces mêmes contrées, nous l'avons dit, les alleux paysans se maintenaient en grand nombre'. Jamais, d'ailleurs, les terres n'ont été prises autant que les hommes dans les réseaux de subordination. Du IX• au XI' siècle, parfois plus tard, des riches, après avoir négocié à haut prix leur fidélité, engagent leur personne sans soumettre toutes leurs terres. Des rois et des grands concèdent des propriétés à leurs vassaux 1 • Inversement, des personnes de modeste condition prêtent l'hommage sans recevoir aucun bien foncier sur les territoires où, la demande de protection étant plus forte que l'offre, cette dernière se faisait moins généreuse. Leur nombre fut plus important qu'on ne l'imagine. Car les textes signalent rarement ces petites collectivités anonymes, vouées à des fonctions domestiques et à la garde des châteaux, ou ces parasites, vivant obscurément dans l'ombre des puissants, qui ont passé sans laisser de traces. Ces réserves faites, soulignons avec force que les person4. On peut se reporter par exemple aux domaines, criblés d'alleux, qui sont énumérés dans des diplômes carolingiens relatifs à la Catalogne (R.n' ABADAL I DE V1NYALS, Catalunya Carolingia, Il, Els diplomes carolingis a Catalunya, Jre partie, p. 78, 92, 96-98, 163-165, 170-17 4, 198-200... : 938-986). 5. Sur les vassaux royaux en possession de propriétés et de bénéfices, Capitularia, 1, n° 34, p. 100, art. 10 (802) ; n° 49, p. 136, art. 4 (vers 807) ; n° 140, p. 287, art. 3 (818-819). - Nombreuses mentions d'alleux, également, dans le Recueil des actes de Charles III le Simple (éd. Lauer, Paris, 1940 : par exemple, n° 27, p. 56 : n° 99, p. 227 ; n° 118, p. 277 ; n• 121, p. 286).

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nes et les biens ont pénétré progressivement dans l'édifice féodal. A l'impulsion donnée par les Carolingiens s'ajoutèrent des poussées spontanées. Elles firent refluer vers le régime nouveau des hommes alléchés par la promesse d'une terre, ou résignés à céder leurs alleux, puis à les reprendre en bénéfice après s'être recommandés. L'opération répondait à celle des paysans qui, ayant laissé leurs petites propriétés à un seigneur, les recouvraient chargées de redevances et de services. En même temps qu'un transfert de l'alleu on opérait donc une dissociation entre la propriété et la possession : au seigneur les droits éminents allodiaux sur le bien concédé ; au vassal, la jouissance de ce même bien. Convoités par l'Eglise, faisant l'objet de ventes, de donations et de partages qui échappaient aux règles de transmission pesant sur les tenures, les alleux changeaient souvent de mains. De leur côté, les vassaux sans terre ont diminué au cours du x• siècle, car la recommandation a reçu plus souvent que jadis le bénéfice comme compagnon. Maîtres et dépendants y trouvaient avantage. La foule des c nourris > était bruyante, revendicatrice ; et son entretien posait d'irritants problèmes quotidiens. Quant aux subordonnés, ils souhaitaient obtenir une maison et des terres pour installer leur foyer. Etaient-ils déjà pourvus sous forme d'alleux, de précaires ou de bénéfices ? Ils espéraient d'autres biens en rapport avec leur position sociale et les services qui leur étaient réclamés. On peut affirmer sans paradoxe que, pour de petits personnages et, parfois, pour des puissants, l'entrée en dépendance est devenue une condition de la fortune et de l'influence. Elle a ouvert l'accès aux honneurs, aux concessions foncières avantageuses, aux échanges de bons procédés et de services. Voilà pourquoi le recrutement des milieux vassaliques s'est amélioré depuis l'époque franque.

* ** Très tôt, les réseaux de subordination ont pénétré dans l'Eglise, prise dans une ambiance qui déteignit étrangement

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sur elle et finalement contaminée par le milieu'. Elus, en principe, selon le droit canonique, par le clergé et par le peuple de la cité, mais désignés en fait par le roi ou par un prince territorial, placés à la tête d'un temporel organisé en seigneuries immunistes, étroitement associés au gouvernement du royaume grâce à l'attribution de hautes charges administratives - entre autres les fonctions comtales, des évêques ont prêté l'hommage et la fidélité, puis reçu l'investiture de leurs charges et des biens attachés à leur église. Après quoi venait la consécration liturgique. L'évêché - fonction épiscopale, circonscription diocésaine, temporel - était en effet un « honneur tenu en bénéfice > au même titre que le duché ou le comté. Sur lui s'étendaient la protection et l'autorité du souverain ou du chef territorial, qui voyaient dans son détenteur un vassal astreint à des services d'aide et de conseil. A la mort de l'évêque, ou en cas de déposition, ils reprenaient l'évêché « dans leur main >. Subissant la même tutelle et dépendant par surcroit de l'évêque diocésain, de nombreuses abbayes connaissaient une situation analogue. Par la brèche ainsi ouverte, la protection devint domination. Les abus se multipliant, les gens du siècle soumirent à leur appropriation un nombre considérable d'églises et de monastères 7 • Ce ne fut pas toujours de bonne grâce, loin de là, que les dignitaires ecclésiastiques se soumirent à des règles qui les introduisaient au cœur de la société féodale et pré6. Exposé général et bibliographie dans E. AMANN et A. DUMAS, L'Église au pouvoir des lafques, 888-1057, (Coll. c Histoire de l'Eglise >, t. VII, Paris, éd. de 1948). Cf. également, entre autres, hrnART DE LA TouR, Les élections épiscopales dans l'Eglise de France du IX• au XII• siècle, p. 110 et suiv., 227 et suiv. ; E. LESNE, Histoire de la propriété ecclésiastique en France, t. Il, fascic. 1-3 (Lille, 19221928) ; M1TTEIS, Lehnrecht und Staatsgewalt (Bibliogr., n° 257) ; GANSHOF, L'Eglise et le pouvoir royal (Complém. bibliogr., p. 446). - .Je dois à M. DEVISSE d'utiles précisions sur Hincmar, archevêque de Reims dont la personne et l'œuvre seront l'objet, par ses soins, d'une thèse de doctorat. 7. Qu'au surplus la société laïque ait gotîté de longue date aux biens d'Eglise, de nombreux faits nous l'ont déjà démontré : spoliations des premiers Carolingiens, précaires données sur l'ordre du roi, emprise grandissante des avoués.

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sidaient, dans son sein même, à l'établissement de dépendances privées : chanoines et curés prêtant les serments vassaliques à l'évêque, moines rendant la pareille à leur abbé, laïques se recommandant à des hommes de Dieu. Un témoignage éclatant en est fourni par l'archevêque de Reims, Hincmar, qui se fit à plusieurs reprises l'interprète des résistances. Quand, en 858, Louis le Germanique, envahit le royaume de France, Hincmar lui refusa toute subordination personnelle. En termes vigoureux, il éleva à la hauteur d'un principe des arguments tirés non seulement des circonstances, mais d'une vieille tradition de l'Eglise, née dès l'époque de Grégoire le Grand, précisée ensuite par des conciles ou des synodes des VIII• et IX' siècles. Les biens et les charges ecclésiastiques n'étaient pas des bénéfices. Ils n'appartenaient pas au monde, mais au corps de l'Eglise. Comme tels, ils formaient un bloc indissoluble, inaliénable, même si le roi avait occasionnellement le droit de disposer à titre provisoire d'une partie du temporel. D'autre part, comment oser contraindre les clercs à c se recommander en vasselage >, ou même à prêter un serment quelconque à un laie ? La fonction qui ouvrait les portes du ciel n'était assimilable à aucune autre. Donnant aux clercs la responsabilité d'autrui, elle n'était pas sujette à réduction, ni pliée à des fins temporelles. Quelle abomination, au surplus, de mettre une main ointe du saint chrême dans celle d'un laie 8 ! La théorie comportait des lacunes. Ainsi, elle ne fixait pas nettement le statut des biens personnels appartenant aux clercs et parmi lesquels se trouvaient des bénéfices. Hincmar savait qu'elle était trop radicale pour être généralisée et qu'elle allait à contre-courant. A diverses reprises, lui-même reconnut qu'elle pouvait subir des atténuations et qu'il était légitime, quoique regrettable, de réclamer à des clercs, en certaines circonstances, soit le serment géné-

8. Voir quelques extraits de cette doctrine dans Documents, n° 47 (p. 395-396).

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ral de fidélité, soit la recommandation et la foi vassaliques. L'avenir immédiat devait infliger un cruel démenti aux doctrines de l'archevêque de Reims. Durant le x• siècle et la première moitié du XIe, l'Eglise occidentale est tombée sous l'emprise des laies. Nulle région ne fut épargnée : ni la France septentrionale, ni l'Italie, ni l'Allemagne où cependant les dynasties saxonne et salienne parvinrent à freiner le mouvement, à disposer elles-mêmes des évêchés « sur l'invitation du clergé et du peuple > et à dresser, face à l'aristocratie, une haute société ecclésiastique en possession de droits comtaux et d'immunités considérables. La crise atteignit son paroxysme dans le centre et le midi de la France. Là plus qu'ailleurs, princes territoriaux, comtes et vicomtes transmettent héréditairement, aliènent ou mettent en gage des fonctions et des biens ecclésiastiques, considérés comme un patrimoine. Ils disposent des évêchés et surtout des monastères en faveur de leur famille ou de leurs fidèles. Plus qu'au IX• siècle ils se mettent à la tête de nombreuses abbayes. Passant outre aux interdictions canoniques qui leur interdisaient de porter les armes et de verser le sang, des clercs conduisent leurs contingents à l'ost, dirigent des expéditions, combattent, au lieu d'en laisser le soin à leurs avoués. Le salut vint pour une part du renouveau monastique. En germe dès le x• siècle, il prit son élan au XI• grâce surtout à l'ordre de Cluny qui, laissant la monarchie à son impuissance et s'arrachant à l'autorité d'évêques trop ouverts à la vie du siècle, se tourna vers Rome et se plaça sous l'autorité directe de la Papauté. Il vint plus encore de la réforme grégorienne qui, ayant trouvé une solution aux problèmes posés par les investitures des fonctions et des biens ecclésiastiques, permit de desserrer l'étau. Le nombre considérable d'authentiques alleux entrés dans leur temporel, les donations de fiefs ou de censives convertis en franches-aumônes, la nature même des établissements religieux qui, étant supposés ne point mourir, échappaient au jeu normal des successions et des aliénations, enfin et surtout la mission spirituelle incombant aux hommes de Dieu :

PREMIÈRE ESQUISSE DE LA socniTÉ FÉODALE

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tous ces traits expliquent que les clercs, une fois passé le XI• siècle, aient fait figure de francs-tireurs dans un monde féodal dont ils ne partageaient pas toutes les préoccupations et dont ils ne pouvaient guère respecter les règles.

••• Ce monde mouvant et bigarré, nous le connaissions déjà par rapport à la seigneurie rurale avant de le retrouver sous les traits tout jeunes de la féodalité. Il forme une société de maîtres : les domini, les seniores - termes pouvant marquer deux degrés dans la puissance. - Au sommet, des satrapes en miniature, hissés à la tête des principautés et des comtés, monopolisent des charges et des biens héréditaires, ou dévolus à des proches, contractent entre eux des mariages qui soudent leurs intérêts, entretiennent parfois des liens de parenté avec la famille royale•. Est-il besoin de rappeler les Boson, les Bernard, les Evrard, les Guillaume, ou d'évoquer la lignée des Robertiens? Formée de gros propriétaires et de clientèles installées, une élite de la fortune et du prestige, qui revêt l'aspect d'un gang, domine l'Etat. Au-dessous, viennent les évêques et les abbés, les officiers du Palais, les châtelains et les riches seigneurs fonciers sans titulature. La foule des petits possesseurs appartenant aux couches inférieures de l'aristocratie ferme la marche. Ces maîtres sont également des dépendants puisqu'ils ont prêté l'hommage et la foi. En tête viennent les vassaux du roi 10, puis ceux des seigneurs privés 11 • Mais cette 9. Selon G. TELLENBACH (Konigtum und Stâmme in der Werdezeit des deutschen Reiches, p. 56 et suiv.), la très haute aristocratie comprenait, à l'époque de Charlemagne, un peu plus de cent personnages appartenant à une quarantaine de familles, en majorité austrasiennes et alémaniques. Consulter également les travaux de BosL et de WERNER par exemple (Complém. bibliogr., p. 441 et 443). 10. Esquisse d'une classification de leurs fortunes (de trente à deux cents manses, et plus), dans Capitularia, 1, n° 21, p. 52 (vers 792-793). 11. Y compris, parmi eux, des hommes d'origine servile (Capitularia, 1, n° 25, p. 67, art. 4 : 792-793).

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division ne coïncide pas nécessairement avec la richesse et le prestige. Si des vassaux royaux exercent des charges ducales, épiscopales ou abbatiales, s'ils ont des fortunes foncières pouvant atteindre plusieurs centaines de manses, d'autres ne sont que de « pauvres vassaux >, attachés à la domesticité du Palais is. Ils font maigre figure auprès de ceux qui, subordonnés à de simples seigneurs, jouissent d'une large aisance. A tous, le langage savant a donné des appellations qui soulignent leur dépendance personnelle : vassus, vassallus - ce dernier mot en vogue depuis le x• siècle en France et le XI" en Allemagne; - fidelis, tantôt synonyme de vassal, tantôt appliqué à un homme qui avait prêté un serment de foi étranger à la vassalité 13 ; homo, terme général, attribué à de nombreux subordonnés, vassaux comme tenanciers. Avec les dernières années du IX• siècle, une appellation est devenue plus fréquente dans le monde laïque : miles. Elle l'emportera finalement sur les précédentes, _sans les faire oublier. A ce titre, elle mérite examen et retour en arrière.

* ** Les vassaux laïques se recrutaient en partie au sein d'une aristocratie rurale que sa fortune, son genre de vie et l'exercice des pouvoirs de commandement distinguaient des autres hommes libres. Dépourvue de caractère juridique, accueillante aux nouveaux venus, lâchant aussi du lest lorsque ses membres ne pouvaient plus soutenir leur état, elle formait une masse flottante, aux limites indécises. Pour désigner ses éléments, les scribes usaient de divers qualificatifs, dont les plus fréquents étaient nobilis ou le comparatif nobilior : termes traduisant un état se différenciant 12. M.G.H., Scriptores, I, p. 38 (802). 13. On a soutenu que vassus désignait ordinairement un simple suivant d'armes qui s'était recommandé, tandis que fideli, était plutôt réservé aux principaux vassaux du roi (CHR. ÜDEGAARD, Vassi and fideles in the Carolingian Empire, Cambridge, Mass., 1945). La distinction est subtile, mais les textes lui apportent rarement confirmation.

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du commun et comportant plusieurs degrés. Or, nobilis s'incline parfois devant miles vers la fin du x• siècle - tout au moins en France. Ce changement de vocabulaire a consacré des transformations sociales et militaires opérées durant la période carolingienne. Sous les traits du « noble > perce en effet le soldat par excellence, l'homme lourdement armé et équipé : le chevalier. Miles est un titre individuel, désignant le membre d'une milice terrestre vouée par profession à la guerre et réclamant, en contrepartie de ses charges, des droits que la coutume a progressivement sanctionnés. L'ancienne aristocratie contenait la chevalerie en germe. Elle lui a fourni de nombreux éléments, puis a reçu d'elle ses contours et sa définition 14. Dans quelle mesure, pour en revenir à notre propos, y at-il eu assimilation entre la chevalerie et la vassalité laïque? La première a attiré vers elle non seulement des recommandés mais des alleutiers, assez nombreux dans la société des puissants. Si bien que miles est parfois étranger à toute idée de subordination 15• Inversement, la chevalerie est restée fermée à de modestes vassaux : valets d'armes, prévôts des seigneuries, dépendants sans fief. Ces distinctions un peu lassantes étant formulées, il reste que la plupart des vassaux étaient mûrs pour la chevalerie. Voilà pourquoi miles est entré dans le vocabulaire féodal comme synonyme de vassal. En définitive, la société des puissants n'a pas dû son 14. Les rapports entre la noblesse, la chevalerie et la féodalité, du XI• siècle à la fin du XIII':, seront étudiés dans le t. II. Dès maintenant, soulignons, pour le haut Moyen Age, l'intérêt des travaux dus par exemple à M. BLOCH, BosL, DANNENBAUER, DueY, von DuNGERN, GÉNICOT, Th. MAYER, SCHLESINGER, TELLENBACH, VERRIEST, K. F. WERNER ... (Bibliogr., n° 216. Compléments, p. 441-443 ; 44( 44 7) ... Soumis à un véritable jeu de massacre, les points de vue se modifient rapidement (R. BoUTRUCHE, dans Rev. histor., t. CCXXXIII, 1965, p. 199-203). 15. Contrairement à la thèse célèbre de Gu1LHIERMOZ, qui a non seulement posé l'équation liber = nobilis, mais soutenu que chevalerie, noblesse et vassalité représentaient une même condition (Essai sur les origines de la noblesse en France au Moyen Age, Paris, 1902). La question a été reprise depuis lors par de nombreux auteurs, cités dans la note précédente.

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organisation aux seules institutions féodales. Vesprit che-

valeresque lui a inculqué des manières de penser et de vivre, des vertus et tout un code moral qui ont favorisé son épanouissement et nourri chez elle un esprit de caste que l'aristocratie carolingienne n'avait pas connu et qui n'entrait pas dans l'essence de la vassalité. Ce même esprit a réagi sur l'application des règles féodo-vassaliques, leur donnant une vigueur nouvelle, leur apportant aussi une limitation en rapport avec la prise de conscience d'une classe décidée à défendre ses privilèges et à faire préciser ses devoirs.

II. -

SEIGNEURS ET VASSAUX

Quelles sont ces règles à l'orée du XI• siècle? Pour l'instant, nous répondrons brièvement. Séduisante pour qui porte attention aux étapes d'une longue évolution, l'époque convient imparfaitement à l'étude d'un régime dont les rouages sont encore assez mal rodés.

A. RECOMMANDATION ET FIDÉLITÉ

C'est par la description des rites vassaliques que cet ouvrage a débuté : justice rendue à un formalisme qui revêtait une importance capitale aux yeux des contemporains. Revenons vers lui pour en souligner la signification. La recommandation par les mains, appelée ordinairement l'hommage à partir du XI' siècle, constituait le premier acte. Ensuite venait la fidélité, faite d'une promesse verbale et d'un serment sur un objet sacré, que le vassal touchait de ses deux mains, ou de la main droite 18• Attestés, nous le 16. Sur la valeur respective de la promesse et du serment, souvent simultanés plutôt qu'en deux temps, voir M. DAVID, Le serment du sacre du IX• au XV• siècle (Bibliogr., n° 266).

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savons, depuis l'époque de Pépin le Bref, ces rites ont réclamé jusqu'au XIII' siècle la présence des deux partenaires, quel que fût leur rang 17• On ne concevait pas que des liens si étroits fussent noués par procuration. Entretemps, un geste est venu les enrichir : le baiser. Il est mentionné pour la première fois dans la narration, faite par un moine de Saint-Gall, qui écrivait un quart de siècle après l'événement, d'un hommage prêté à Otton J•r en 971 11 • Pourtant, le rite s'est répandu surtout en France, où les distances sociales étaient souvent moins fortes qu'en Allemagne entre seigneurs et vassaux. Le plus souvent, il suivait le geste des mains jointes et mettait le sceau à l'hommage, dit à juste titre « hommage des mains et de bouche 11 >. Parfois, il venait après le serment de fidélité, ou même après l'investiture. C'était un geste de paix, né peut-être dans l'atmosphère des mouvements de concorde encouragés par l'Eglise aux approches de l'an mil :ao. C'était aussi un geste d'amitié, signe sensible de la qualité revêtue par les attaches vassaliques. La recommandation est restée à travers les âges l'acte premier et spécifique de la vassalité. Elle a conféré à l'institution sa puissante originalité. C'est par elle que le vassal fait au seigneur son « offre de lui-même >, librement consentie et acceptée; par elle aussi qu'il reçoit protection et que se noue le contrat qui les engage en principe pour leur vie. Pourtant, elle n'aurait pas d'effet si elle n'était suivie du serment de fidélité. Considéré isolément, celui-ci 17. Documents, n°• 24-26 (p. 365-366). 18. Documents, n° 27 (p. 367). Cf. CHÉNON, Le rite de l'osculum (Bibliogr., n° 223). 19. Des narrateurs prêtaient une telle importance au baiser qu'ils oubliaient de mentionner le geste des mains, qui allait de soi. 20. Aussi bien, des adversaires ont-ils recouru à l'hommage pour rétablir entre eux la paix. Dans ce cas, il était exclusivement personnel et n'entraînait pas des rapports de subordination aussi étroits que l'hommage ordinaire. Dès le X• siècle, les ducs de Normandie ont prêté au roi de France de semblables hommages, l'entrevue ayant lieu « en marche >, c'est-à-dire aux limites du duché et du domaine royal (J.-F. LEMARIGNIER, Recherches sur l'hommage en marche et les frontières féodales, Lille. 1945).

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est de toute époque et de tout pays 11• A l'ère féodale, comme pendant d'autres périodes, il a noué toutes sortes d'engagements étrangers à ceux qui nous préoccupent. D'abord purement laïque, il a pris la puissance divine comme arbitre et comme juge au cours de la première moitié du VIII• siècle, époque· d'expansion du christianisme et de ses lois. C'est aussi vers ce moment, rappelons-le, qu'il fut associé à la recommandation non seulement pour donner une coloration religieuse aux engagements vassaliques, ainsi renforcés, mais pour hisser la vassalité au-dessus des subordinations dont la formule de Tours fournit un exemple et la distinguer également des asservissements privatifs de liberté. Jusqu'à la fin de la féodalité, hommage et fidélité sont restés indissolublement unis dans la plus grande partie de l'Occident". B. NAISSANCE DU « FIEF >

Une fois ces rites accomplis, le seigneur procédait à l'investiture, c'est-à-dire à un acte matériel, de forme symbolique, réalisant le transfert et la mise en possession d'un droit réel. Selon un cérémonial qui semble avoir été fixé au VIII• siècle, sous réserve de quelques enjolivements ultérieurs, il opérait par le sceptre, la verge, l'épée ou la lance; ou bien il remettait au vassal un objet : étendard ou bâton de commandement pour un duché, motte de terre 21. Témoin le serment demandé en 802 par Charlemagne à tous les hommes libres de l'Empire et dont un Capitulaire exposa la signification (Capitularia, I, n° 33, p. 92). Ses termes furent probablement empruntés à la fidélité vassalique. Un même personnage pouvait donc prêter deux serments : l'un comme sujet du roi, l'autre comme vassal. 22. Leur portée respective a fait l'objet d'interprétations diverses (cf., par exemple, MITTEIS, Lehnrecht und Staatsgewalt, p. 47 et suiv. ; J. CALMETTE, La société féodale, p. 35-40 ; M. BLOCH, La société féodale, 1, p. 224-227; GANSHOF, L'origine des rapports féodo-vassaliques, p. 31-42. - Bibliogr., nos 257, 222, 216, 232). Voir également, sur la fidélité, les études de Dumas et de David citées dans notre Bibliographie, nos 269 et 266-267. - Sur les rites vassaliques en Italie, ci-dessous, p. 224-227.

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pour une simple seigneurie foncière. S'agissait-il d'un évêché? Dès l'époque de Louis le Pieux en France, et de Louis le Germanique en Allemagne, l'investiture s'effectuait par la remise d'une crosse. Pour désigner les biens octroyés, un mot est apparu sous diverses formes, à l'extrême fin du IX' siècle et au début du x·, dans les écrits de plusieurs clercs de la Bourgogne méridionale, de l'Auvergne, du Rouergue, du Languedoc et de l'Italie centrale : f eum, f evum, f eudum, f eodum ... A ce moment il n'éclipse pas encore beneficium, dont il est le synonyme 23 • Il faut attendre la seconde moitié du XI' siècle pour qu'il l'emporte sur son rival, sans triompher complètement de lui, en France, dans les Pays-Bas et en Italie, le XII' pour qu'il connaisse le même succès en Angleterre et en Allemagne. Le terme est la consécration latine d'un vieux langage parlé, dont le provençal fournit des exemples sous le pluriel feus, feos, et qui prit en gallo-roman la forme de c fié, fiet, fief >. D'origine germanique, probablement fehu (= bétail, comme le latin pecus, et l'allemand moderne vieh) auquel s'était ajouté ôd = bien, il avait longtemps désigné des biens meubles d'un certain prix, soumis à des transactions 24. Puis on l'avait appliqué, on ne sait au juste par quels détours, au salaire donné pour l'accomplissement des services spécialisés, aux objets mobiliers concédés par le seigneur à ses vassaux domestiques, enfin à la tenure vassalique 25 • Durant les derniers siècles du Moyen Age, l'épi23. Selon un texte, souvent cité, de 1087 : c Beneflcium, quod vulgo dicitur feodum > (C. Duv1v1ER, Actes et Documents intéressant la Belgique, Bruxelles, 1903, n° 6, p. 18). 24. L'allemand n'a pas retenu vieh pour désigner le fief. Il lui a préféré lehen - voisin de leihe, concession - qui avait d'abord eu le sens de prêt et qui Je conserva Jongtemps (comme le terme hispanique prestamo). 25. Dans ce dernier sens, l'exemple le plus ancien est fourni en 899 par une charte du Cartulaire de Maguelone, interdisant de donner un alleu per fevum (Documents, no 42, p. 382). - Cf. M. BLOCH, La société féodale, 1, p. 254-256 ; GANSHOP, Relations féodo-vassaliques, p. 93 et suiv. L'étymologie du mot, son évo]ution phonétique et ses différentes significations demeurent controversées (voir en dernier lieu

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thètc c noble >, ou l'expression « fief de chevalier > sont venues souligner assez souvent la différence entre le fief proprement dit, les biens donnés sous le même nom à des artisans ou à des serviteurs chargés d'exécuter certains travaux, et surtout les censives. De même que c vassal >, d'origine très humble, fut étendu principalement au groupe supérieur des libres recommandés, de même « fief >, demeuré longtemps sans éclat, fut appliqué à la catégorie la plus élevée des terres dépendantes. Vassal et tenancier, fief et censive : deux étages répondant à deux conditions sociales et à deux formes de tenures 141 • K. J. HoLLYMAN, Le développement du vocabulaire féodal .•. , p. 41-55. L'auteur émet, après Oscar Bloch, une interprétation difficilement acceptable de f eodum, présenté comme le résultat d'un croisement de feu avec allodium). 26. Voici pourtant des observations qui mettront le lecteur en garde contre les simplifications et lui feront saisir les difficultés du métier d'historien. Jusqu'en pleine ère moderne, dans les régions incomplètement f éodalisées du sud-ouest de la France, par exemple, le c fief > a désigné indistinctement la tenure vassalique et la tenure roturière (imprécision qui était celle du bénéfice à ses origines et qui reparaît un peu partout à l'ère moderne). Pour des raisons différentes, dues peut-être à l'empreinte des Scandinaves, qui distinguaient mal les services du guerrier de ceux du paysan, la Normandie a offert de semblables nemples. Des confusions analogues se sont perpétuées dans l'emploi du terme c vassus > qui, en plein XII• siècle encore, désignait parfois le serf. Elles ont persisté aussi dans les rites de la recommandation. En Guyenne, du XII• au XVI• siècle, des paysans libres prêtaient l'hommage et la fidélité pour leurs censives sans être astreints le moins du monde à des obligations vassaliques. Des serfs suivaient leur exemple sur une simple semonce de leur seigneur ou lorsqu'ils recevaient une tenure servile à laquelle ce rite était attaché par tradition (R. BoUTRUCHB, La crise d'une société, Paris, 1947 ; 2• éd .• 1963, p. 105-106). D'où l'hypothèse qui attribue aux hommages vassaliques et aux hommages serviles des origines contemporaines époque franque (P. PsroT, L'hommage servile. Bibliogr., n° 200). Toutefois, les textes ne mentionnant l'hommage servile qu'à partir du XII• ou du XIII• siècle, de nombreux auteurs croient qu'il fut introduit tardivement, par analogie avec les ·rites de la recommandation supérieure, pour souligner la sujétion des non-libres. A une époque où le sentiment de caste se développait dans une noblesse attachée à ses rites, ses titres et ses prérogatives, une pareille contamination semble douteuse. Le débat reste ouvert.

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C. PLACE GRANDISSANTE DES TEXU.RES DANS LES RAPPORTS PRIVÉS

Entre les liens personnels et les liens réels, des coutumes cl des actes législatifs consacrant d'anciens usages ont établi progressivement des relations juridiques fort étroites. Investiture du fief subordonnée à la prestation des serments vassaliques, obligation faite au vassal de consacrer les revenus de sa tenure au service du seigneur, confiscation des biens en cas de faute grave du dépendant, inversement droit pour ce dernier, lorsque le maître manquait à sa parole, de tenir le fief du seigneur supérieur ou d'en faire un alleu : autant de notions mises en valeur depuis la seconde moiti~- ~1~ VIIl9 siècle, sans qu'on puisse assigner une date préët~é-â.Jeur première apparition. Rien ne démontre .mieux l'action exercée par le fief sur les rapports vassaliques que le problème de l'hérédité 11 • Peut-être s'est-il posé plus tôt pour les bénéfices ordinaires que pour les « honneurs >. Dès le VIII• siècle, de nombreuses concessions étaient viagères, surtout dans la haute aristocratie. Le seigneur voulait-il reprendre un bénéfice?. Il en négociait le retrait et, par exemple, donnait en échange un bien de même valeur. A l'ère suivante, les pressions vassaliques se sont accentuées. Certes, lorsque le seigneur venait à mourir le contrat était rompu, et Ja concession prenait fin. Mais Je dépendant s'efforçait de renouveler l'hommage entre les mains de l'héritier du défunt, afin d'être remis en possession du bénéfice. Il pouvait se heurter à un refus. Dans sa correspondance, Eginhard s'est fait l'écho des inquiétudes nourries par de petits personnages 21 • A cc moment la pratique demeurait fluide, le droit plus encore. Puis les refus sont devenus rares devant l'insistance des recommandés. Le maître, au surplus, hésitait à expulser le vassal de son père, à commettre un acte qui eût inquiété tous ses dépendants. 27. Ci-dessus, p. 186-188. 28. Documents, n° 43 (p. 383 et suiv.).

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Dans un cas, au moins, la terre concédée aurait dû revenir automatiquement au seigneur : à la mort du subordonné qui, elle aussi, rompait le contrat vassalique et laissait sans objet le bénéfice. Pourtant, ce dernier passait fréquemment, sous réserve de l'hommage, soit au fils aîné du défunt, soit à l'un de ses cadets - la primogéniture ne créant pas un droit. - A défaut de fils, il revenait au parent mâle le plus proche et pouvait même échoir à une fille, surtout en France méridionale. Les usages, la répugnance qu'on éprouvait à léser la famille d'un vassal qui avait bien servi, le souci d'empêcher l'épuisement des ressources d'un domaine livré à titre temporaire ont parlé en faveur d'une hérédité de fait, antichambre de l'hérédité de droit. Bien que le mouvement n'ait pas été universel en l'absence d'une autorité capable d'imposer partout sa loi, la première s'est affirmée à partir du IX' siècle, notamment de la Loire aux pays rhénans 1•. La seconde a triomphé au cours du XI' siècle dans cette même région. Grâce à Conrad II elle a pénétré à la même époque dans le royaume d'Italie et en Allemagne. Il faut gagner le XII' siècle pour la voir se répandre de façon décisive en France méridionale et dans les pays germaniques où, cependant, les fiefs viagers devaient rester assez nombreux jusqu'à la fin du siècle suivant. L'évolution n'en est pas moins remarquable. La haute aristocratie s'est incrustée la première dans ses biens fonciers et dans ses charges. Puis un jour est venu où elle a dft reconnaître le même privilège à ses dépendants 30• 29. Ainsi le domaine de Folembray, dépendance d'une famille apparentée à un évêque de Laon, fut transmis de · père en fils, au IX• siècle, durant quatre générations (Documents, n° 44, p. 389). Epreuve contraire : l'exemple du fief de Saint-Saturnin qui, au XI' siècle, fut repris plusieurs fois par le comte d'Anjou, au préjudice des héritiers (LESNE, La propriété ecclésiastique, 111 , p. 251252 ; BLOCH, La société féodale, 1, 303-304). - Autres exemples de bénéfices héréditaires dans le Recueil des actes de Charles 11 le Chauve (éd. Giry, Prou, Lot et Tessier, Paris, 1943. Tel le n° 34 : 844). 30. Seuls des actes de la pratique, nombreux et variés, résoudraient des problèmes posés à l'époque carolingienne, mais qu'on n'entrevoit guère avant le XIe siècle : taxes de succession ; dévolution hérédi-

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••• Dans le partage des droits sur le fief, le vassal a donc pris l'avantage. Toutefois, à l'époque envisagée, les abandons seigneuriaux ne sont pas allés plus loin. Certes, le vassal pouvait sous-inféoder sa tenure, et même la démembrer, mais le consentement du seigneur était indispensable. II pouvait aussi l'aliéner sous trois conditions : l'autorisation du maître, la reprise temporaire du bien par ce dernier, la prestation de l'hommage et de la fidélité par l'acquéreur ou le donataire avant son entrée en possession. Ajoutons que dans ce cas, comme dans celui des successions, un « cadeau > du nouveau dépendant était le bienvenu. Enfin, le vassal pouvait renoncer au fief, mais il ne semble pas qu'au x• siècle encore cette renonciation l'ait autorisé en droit à mettre un terme à ses engagements personnels. Si, d'autre part, des vassaux ont mis à profit l'absence de cadastre ou la négligence de leur maître pour transformer leurs tenures en alleux ou les céder comme tels à un tiers, il reste entendu que cette pratique fut toujours considérée comme illégale 31 • D'ailleurs, elle était susceptible d'entraîner une réaction en chaîne : du seigneur direct à l'égard du vassal, des seigneurs supérieurs à l'égard des arrière-vassaux. Anticipant sur les doctrines élaborées par les juristes des XII' et XIII' siècles, nous pouvons dire que le seigneur exerçait sur le fief des droits directs, ou éminents, tandis que le vassal avait l'usufruit. Le fief n'était pas une propriété, mais une tenure. Malgré l'accroissetaire du fief à l'intérieur de chaque famille et question de l'indivisibilité ; retrait Jignager - ou droit, pour l'héritier le plus proche, de se substituer à l'acquéreur ou au donataire en cas de cession du fief ; - retrait féodal, conférant le même pouvoir au seigneur ; intervention du maître dans le mariage des filles ou des veuves en possession d'une tenure féodale. On est mieux renseigné sur la tutelle des mineurs, assurée soit par un conseil de gestion, ainsi que le prouvent des articles du Capitulaire de Quierzy, soit par un homme du seigneur chargé d'accomplir provisoirement les services, soit, de préférence, par le seigneur lui-même. 31. Par exemple, Capitularia, 1, n° 46, p. 131, art. 6 et 7 (806).

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ment des droits réels du vassal et l'élargissement de son pouvoir de disposition, il l'est resté des origines à sa fin. Ainsi chargé de traits spécifiques, le fief a réagi sur les relations vassaliques et modifié leur caractère. Au x· siècle encore, de nombreux dépendants s'entendaient dire : « Vous serez entretenus. A cet effet, vous recevrez peut-être, tôt ou tard, un fief qui vous permettra d'assurer vos services. Toutefois, vos obligations resteront liées uniquement à vos engagements personnels. > Au début du Xl9 siècle, là où l'évolution a été rapide, le candidat à la vassalité est enclin à déclarer : « Je n'entrerai dans votre hommage que si vous me concédez un fief. L'étendue de mes obligations sera dictée non seulement par mes serments, mais par les biens octroyés 32 • > Il arrive même qu'on se recommande pour obtenir des terres ou des fonctions nommément désignées - trait qui sera mis brutalement en lumière à l'époque suivante dans le royaume d'Italie, où l'investiture précédera les serments. - Certes, on n'affirme pas encore que les services sont dus par le fief. Mais on a conscience qu'ils le sont en partie pour lui. S'ils demeurent essentiellement le salaire de la fidélité, ils tendent aussi à devenir le loyer de la tenure 33 • Fort inégale selon les contrées puisque, au milieu du XI• siècle encore, les liens réels jouaient un rôle effacé en France méridionale, cette conjonction était devenue dès ce moment, de la Loire au Rhin, le fondement des devoirs attendus de la société féodale .



** Le fief a uni au-delà d'une vie humaine des générations de vassaux à des générations de seigneurs. A ce titre, il a renforcé parfois les fidélités. Le fait, cependant, est assez rarement attesté. Une fois casés, les vassaux ne partagent plus guère la vie du seigneur. Faute de contacts humains, 32. Hincmar avait employé l'expression dès 868 : « Secundum quantitatem et qualitatem beneficii > (MIGNE, Patrologiae latinae cursus completus, t. CXXV, col. 1050). 33. Ci-dessous, p. 218 et suiv.

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ils ne ressentent pas l'attachement qui régnait dans les clientèles purement vassaliques et qui s'est maintenu dans les sphères modestes des humbles vassaux domestiques pendant toute la période féodale. Combien voient en lui moins un chef et un protecteur qu'un distributeur de terres ou de fonctions ! Combien tiennent leurs bénéfices de l'hérédité, et nullement de leurs capacités ! Souvent, c'est le fief qui impose un maître, ou qui oblige à accueillir un dépendant. Un témoignage éclatant des bouleversements introduits par les liens réels dans les rapports de subordination fut la possibilité donnée au vassal de tenir ses biens de plusieurs seigneurs après avoir prêté à chacun l'hommage et la fidélité. Dans un régime purement vassalique, une telle pratique était inconcevable. Aussi l'avait-on interdite à plusieurs reprises au cours des VIII• et IX• siècles 34. Le vassal, en effet, pouvait être contraint de manquer à ses devoirs envers un de ses maîtres. Il pouvait aussi prétexter leurs différends pour ne remplir aucune obligation. La vassalité multiple est attestée pour la première fois en 895 35 • Elle remonte probablement au règne de Louis le Pieux, époque de surenchères entre les factions aristocratiques et d'affaissement de la foi jurée. Dès le x• siècle en France, à partir du XI• en Allemagne, de nombreux dépendants ont été attirés vers plusieurs seigneurs dans l'unique objet d'accumuler des fiefs 18• On répète souvent que ce fut là « un germe de mort > pour la féodalité. Mort à crédit, convenons-en ! Car le régime allait durer plus d'un demi-millénaire. Sans la pluralité des hommages, le vassal peu fortuné aurait végété au service du même personnage 34. Par exemple en 787 (Capitularia, 1, n° 94, p. 199-200). 35. Documents, n° 28 (p. 367). - Cf. GANSHOF, Depuis quand a-t-on pu en France être vassal de plusieurs seigneurs ? (Mélanges Paul Fournier, p. 261 et suiv.). - Cette pratique conduisit, au XI• siècle, à la création de l'hommage lige. 36. Tel Eudes de Blois qui, durant le premier quart du XI• siècle, fut vassal à la fois du roi de France, du comte de Sens et de l'évêque d'Auxerre (LEMARIGNIER, Structures monastiques et structures politiques... , p. 376 et n. 62).

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et partagé, si celui-ci était de rang modeste, sa médiocre existence. La société se serait immobilisée, sclérosée. La nouvelle coutume traduit l'élargissement des bases économiques données aux réseaux de subordination. Elle souligne le passage de la vassalité au régime féodal, pour qui elle fut un élixir de longue vie.

D. DEVOIRS ET DROITS VASSALIQUES

Malgré le chemin parcouru pai: le fief, les rapports personnels tissaient à l'aube du XI• siècle une toile beaucoup plus serrée que les liens réels. Ils conservaient en outre une grande partie de leurs vertus. Grâce à eux, le seigneur pouvait dire à ses subordonnés : c Vous êtes mes hommes ; vous êtes miens. > Ils entraient par là dans le cercle de sa famille. Souvent citée, et sujette à des interprétations quelque peu différentes, une lettre adressée en 1020 par l'évêque de Chartres, Fulbert, au duc d'Aquitaine, qui désirait connaître la nature et la portée des contrats vassaliques, mettra le sceau à ce paragraphe 37• Elle souligne en effet les résultats de l'évolution accomplie. Ne dit-elle pas que son auteur a recouru aux c livres qui font autorité> : textes législatifs, sentences des cours, peut-être recueils de coutumes? Fulbert part du serment de fidélité et va jusqu'à omettre toute mention de l'hommage. Cette lacune ne saurait surprendre sous la plume d'un canoniste qui partageait la méfiance de son ordre à l'égard du vieil acte païen, synonyme d'une totale « dédition > de la personne. Il trouvait par surcroît meilleure matière à dissertation en insistant sur la foi, implicitement contenue dans l'hommage, explicitement déclarée dans le serment et rehaussée par lui, qu'en commentant les effets de la recommandation 88 • Fulbert mobilise six épithètes au service de l'idée sui37. Documents, n° 54 (p. 405). 38. Inversement, des textes ne mentionnent que l'hommage. L'autre acte est sous-entendu.

PREMIÈRE ESQUISSE DE LA

socniTÊ

FÉODALE

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vante : celui qui a juré fidélité s'engage avant toutes choses à ne pas nuire au seigneur. Il doit en conséquence respecter sa personne, ses desseins, son rang et ses possessions, ne porter aucune atteinte à sa sécurité ni opposer obstacle au bien qu'il peut faire dans ce monde 39 • Ce leitmotiv se retrouve, abrégé, dans de nombreux actes des X' et XI' siècles qui, parfois, s'en tiennent là. Frappés par une telle insistance, des historiens ont attribué à la fidélité un caractère essentiellement négatif et manifesté quelque scepticisme envers la portée pratique des engagements'°. Il est bien vrai que dans l'atmosphère de violence qui régnait alors, l'instinct de conservation faisait prévaloir le sentiment qu'avant d'exiger des services il importait de se prémunir. Adressé à des hommes frustes, cet avertissemen\ revêt chez Fulbert la forme familière d'une homélie commençant par une mise en garde. Mais quel avantage aurait eu le seigneur à s'entourer de vassaux s'il avait dft rester constamment sur le qui-vive ? A force d'insister sur ce trait, on colore d'eau de rose les obligations des subordonnés.

••• En fait, ces derniers se voient réclamer surtout des services positifs. C'est en les remplissant qu'ils méritent leur chasement et respectent la foi jurée : combinaison caractéristique de la vassalité et du fief dans les relations des maîtres et de leurs dépendants. Fulbert les résume en deux formules très anciennes, qu'on rencontre pour la première fois en 858 : le conseil et l'aide ' 1• Il ne les développe pas. Leur contenu était assez général pour être adapté aux circonstances. En outre, il était encore imprécis, sans limitation bien nette de durée ni d'objet, à une époque où la vassalité gardait le parfum de ses origines et où la subordination de l'homme s'accommodait as,sez mal de règles 39. Dans la lettre de Fulbert, l'épithète tutus doit être rapprochée du substantif securitas, employé fréquemment à l'époque. 40. Mêmes réticences chez de nombreux juristes. 41. Documents, n° 63 (p. 403).

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SEIGNEURIE ET FÉODALITÉ

restrictives, qui cependant existaient. Mais des textes du IX• au XI' siècle donnent quelques éclaircissements. En vertu du conseil, le vassal doit se rendre aux réunions, aux « cours> organisées par le maître. Il les rehausse de sa présence, dispense aussi ses avis sur l'administration de la seigneurie, comme sur des questions touchant soit à des préoccupations quotidiennes, soit à des actes graves : arbitrages pour régler un différend, guerre ou paix. En outre, il est convoqué à son tribunal et appelé à juger les causes qui relèvent de sa compétence - sans préjudice des cas oi1, aux côtés des autres hommes libres, il participe aux sessions judiciaires du comté, ou de la centaine, quand elles existent encore. -- De pareilles obligations contraignaient les vassaux à des déplacements onéreux, mais où ils trouvaient des compensations. Festins, jeux et gratifications renforçaient les amitiés, rappelaient la chaude atmosphère qui avait entouré les premières clientèles vassaliques. Autant que ses dépendants, le seigneur appréciait des réunions qui ajoutaient à son prestige. Dans la quête de nouveaux vassaux, cette considération a certainement joué un rôle. Plus lourde, à coup sûr, était l'aide proprement dite : aide financière, sur laquelle nous avons peu de précisions avant le XI- siècle, et surtout aide militaire, parfois exprimée sous le nom de servitium qui, en France, comportait aussi des services de cour et d'administration, et se confondait en partie avec le consilium. C'était dans un dessein guerrier, essentiellement, que les Carolingiens de la grande époque avaient encouf"agé la vassalité. En principe, le service n'était dû qu'au roi, et chaque vassal devait venir en personne à l'ost royal ou comtal. En fait, sous Louis le Pieux et ses successeurs, des grands employèrent leurs gens à des fins particulières. Comme toutes les institutions de ce temps, le service militaire a revêtu progressivement un caractère privé. L'effort demandé aux dépendants tenait compte, en gros, de leur fortune 41 , de la nature des expéditions et des 42. En 806, répétons-le, Charlemagne anit stipulé que tout homme

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accords passés avec leurs vassaux par des seigneurs qui entretenaient des troupes personnelles. Enfin, il était loin de connaître la réglementation que l'époque suivante allait introduire. Pas de limitation à quarante jours par an ce délai n'intervenant dans la législation que pour fixer l'intervalle entre deux convocations. - Pas de distinction dans la durée ni l'e91>ace entre l'ost et la chevauchée. Pas de remplacement du service militaire contre argent. Pourtant, le x• siècle a vu se développer, en France plus qu'en Allemagne, les lourdes cavaleries féodales. Comme monture, le destrier - cheval de bataille ferré, garni d'une selle et d'étriers - dont l'élevage sur une assez vaste échelle était devenu possible grâce au développement de la culture de l'avoine. Comme équipement défensif, la broigne, le heaume et l'écu. Comme armes offensives, l'épée et la lance. Le service pouvait être requis chaque année, ordinairement entre le printemps et l'automne, sans préjudice des services de garde dans le château du maître. Enfin il ne donnait lieu, en principe, à aucune rémunération particulière. Les ressources conjuguées de la seigneurie, du pillage et des bonnes prises ne permettaient pas toujours de faire face à de telles charges. D'où, dans un monde chevaleresque rapproché par la conscience de classe, une progressive limitation de l'aide militaire, probablement en cours à l'époque où Fulbert de Chartres répondait aux questions du duc d'Aquitaine. Mais la fidélité du vassal avait sa récompense. Bien que la réciprocité ne ftît pas entière et que le seigneur reçût plus qu'il ne donnait, il devait payer de retour son subordonné : donc ne lui causer aucun dommage, le conseiller et l'aider. Il devait aussi l'entretenir, mais Fulbert, très avare de détails, néglige d'en faire état. Le vassal se rendait-il coupable de « perfidie et de parjure >, 01.1 le ayant au moins douze manses devait servir avec un équipement complet (Capitularia, 1, n° 44, art. 6, p. 123). Autres détails sur l'équipement et l'armement dans Ibid., 1, n° 25, art. 4, p. 67 ? Les liens étaient rompus. Ils pouvaient l'être également lorsque les partenaires désiraient, d'un commun accord, se séparer 43 •

••• Telle est la lettre. On voudrait savoir dans quelle mesure les réalités s'en rapprochaient et s'évader du monde des grands vassaux, choyés par la documentation, pour saisir les variétés de la vie quotidienne. Les récits des chroniqueurs et les actes de la pratique font état de cas particuliers, parfois exceptionnels, qui ne valent pas pour l'ensemble de la société vassalique. A la géographie dans l'espace de la pénétration féodale s'ajoute une géographie plus complexe et plus insaisissable des nuances revêtues par l'application des règles vassaliques. Néanmoins, une impression peut être dégagée. Au X' siècle, le respect des obligations a dépendu assez souvent des rapports de force entre les partenaires"· Le petit vassal d'un comte était dans une étroite subordination. Le grand personnage lié par serment à un seigneur de même fortune avait les coudées beaucoup plus franches. La course aux fiefs et les hommages multiples ont fait chanceler des vertus vassaliques et entraîné une cascade de c trahisons > pourtant présentées, à l'époque, comme le pire des crimes. C'est à l'intérieur des châtellenies. où les contacts étaient presque quotidiens, c'est plus encore parmi les couches des hobereaux de village, entourés de quelques vassaux logés dans la maison doma43. Plusieurs Capitulaires de Charlemagne avaient prévu des motifs de rupture en cas de faute du seigneur. Chercher à réduire le dépendant en servitude, lui enlever sa femme ou sa fille, le frapper ou essayer de le tuer, manquer au devoir de protection justifiaient la dénonciation de l'hommage (Documents, n ° 49, p. 399). La liste s'allongera au cours du XI• siècle. 44. Exemples dans M. BLOCH, La société féodale, 1, ch. vn (pour le X• siècle et la période suivante) ; J. DHONDT, Naissance des principautés territoriales, ch. 11 et v ; J.-F. LEMARIGNIER, Les fidèles du roi de France, p. 142 et suiv.

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niale ou casés dans le voisinage, que les fidélités ont conservé leur spontanéité et leur fraîcheur. Le cas est attesté aux XI• et XII• siècles. On peut admettre qu'il vaut aussi pour l'époque précédente. Plus que les chefs des grandes maisons, cependant pôles d'attraction d'importantes compagnies vassaliques, ce furent les hommes de rang relativement modeste qui donnèrent sa vitalité et son élan à la féodalité. Cette dernière est loin d'avoir été coulée partout dans le même moule. Elle n'eut rien d'un phénomène général ni simultané. Certes, elle présentait au début du XI- siècle des lignes de force, des traits communs ou apparentés : rites, nature des contrats personnels et du fief, caractère foncier et militaire de l'aristocratie. Toutefois, on ne saurait prétendre que même entre la Loire et le bassin mosello-rhénan, berceau du régime, elle ait offert des aspects identiques, qu'elle ait eu la même pénétration et le même esprit du Maine jusqu'aux Pays-Bas. En Normandie, par exemple, un pouvoir ducal, tatillon et tenace, était en train d'imposer de strictes règles militaires aux dépendants, de créer à son bénéfice cette organisation cohérente dont Charlemagne avait rêvé pour l'Empire, et sans doute d'inventer l'hommage lige. Sans le savoir, il forgeait l'instrument qui allait faire ses preuves en Italie du Sud, en Angleterre, dans les Etats latins d'Orient. Mais les véritables contrastes étaient entre les pays du nord de la Loire et les contrées méridionales, où les réseaux de subordination tardaient à s'installer et se cassaient les dents sur de nombreux alleux, où « l'amitié > du vassal, « l'affection et la bienveillance > du seigneur entretenaient des relations sans rigueur et étendues à une partie seulement de l'aristocratie"· Ces contrastes étaient plus nets encore quand on quittait la France pour l'Italie et pour l'Allemagne.

45. Exemples dans R. BouTRUCHE, L'alleu en Bordelais et en Ba:zadais du XI• au XVIII• siècle, ch. 11-1v ; G. DUBY, La société en Mt2connais auz XI• et XII• siècles, p. 140-145, 185, n. 1.

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SEIGNEURIE ET FÉODALITÉ

Ill. -

CARACTÈRES PROPRES A L'ITALIE ET A L'ALLEMAGNE

Assujettie à plusieurs dominations étrangères, l'Italie offrait une surprenante diversité au regard des liens de dépendance 48 • Au x• siècle, les territoires sur lesquels Byzance exerçait directement sa loi, le pays vénitien, les Pouilles, la Lucanie, la Calabre, ainsi que les principautés d' Amalfi, de Sorrente, Naples et Gaète ign~raient la f éodalité. La Sicile musulmane également. Ces 1~égions furent le siège de principautés, de domaines immunistes et de simples seigneuries rurales. Des clientèles militaires y reçurent des terres : petites propriétés, en principe inaliénables, dans l'aire byzantine, concessions foncières appelées iqtâ's en Sicile 47 • En revanche, si des serments de fidélité, revêtant généralement un caractère public, peuvent être relevés, nous ne trouvons pas mention de l'hommage. Du fief, pas davantage. Sans doute parvint-on à dégager la notion d'une terre donnée en salaire contre des services spécialisés, mais on ne s'éleva pas à celle d'un bien concédé en contrepartie de serments privés jusqu'au moment où prenait fin soit la fidélité du subordonné, soit la vie de l'un des contractants. Une pareille organisation se prêtait néanmoins à l'aménagement de strictes dépendances. Ce sera l'œuvre des Normands. Seul un pays devait se tenir à l'écart. Frôlée par les influences du dehors et les aventures des conquérants, la Sardaigne resta un milieu seigneurial et paysan fermé à la féodalité. Les Etats pontificaux furent moins rétifs, bien que les subordinations f éodo-vassaliques, tardivement connues, y aient revêtu pendant longtemps un caractère superficiel. 46. Bibliogr., n 09 221, 245, 249-251, 258, 263 (p. 439-441) ; Comp1'ments, p. 442, 443, 445, 446, 462 (travaux de BRANCOLI BUSDRAGHI, CRISTIANI, FALCO, FASOLI, GUILLOU, LEICHT, MARONGifl, TABACCO).

47. Sur les biens mllltaires à Byzance et sur les iqM's dans le monde musulman, cl-dessous, p, 291 et aulv,, 298 et suiv.

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Pourtant, un Français, Gerbert d'Aurillac, devenu pape sous le nom de Silvestre II, encouragea de tels usages et s'efforça, à partir de l'an mil, d'introduire le fief aux lieu et place des tenures emphytéotiques, concédées ordinairement pour plusieurs vies, qui entraient dans le cadre des préoccupations rurales, mais s'accordaient mal avec des des liens personnels tout au plus viagers"· Le temps lui manqua pour mener à bien une entreprise que ses successeurs allaient poursuivre, non sans succès .

••• Restent d'une part les duchés lombards de Bénévent, Salerne et Capoue, de l'autre le royaume d'Italie proprement dit, héritier du royaume lombard conqµis par Charlemagne puis incorporé en 962 dans l'Empire reconstitue par Otton ier. Depuis le VIII' siècle, les ducs avaient mis à profit leur éloignement de toute autorité centrale pour conquérir une autonomie fort proche de l'indépendance. Mais leurs clientèles ayant comme eux usurpé les fonctions publiques, et les immunistes échappant largement au contrôle de l'autorité supérieure en matière fiscale et judiciaire, les duchés s'étaient morcelés en dominations locales de faible rayon. La situation elit été différente si un puissant réseau de subordinations personnelles était venu pallier le déclin de la puissance publique. Or, ce réseau était seulement ébauché à la fin du X' siècle. Il n'intéressait guère que l'entourage des ducs, des comtes, des châtelains et des principales églises. Les filets de dépendance, isolés les uns des autres et inorganiques, rappelaient ceux de la Gaule mérovingienne au début du VIII' siècle : des fidélités privées analogues aux primitives relations vassaliques, mais peu d'hommages; des concessions terriennes, mais faites assez souvent en pleine propriété et, de toute façon, une liaison 48. KARL JORDAN, Das Eindringen des Lehnswesens in das Rechtsleben der romischen Kurie (Archiv. für Urkundenforschung, 1931, pp. 13-110). - Documents, n° 48 (p. 397).

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très lâche entre le bénéfice, importé à l'époque carolingienne, et les services. Enfin, la terminologie relative à la vassalité et au bénéfice demeurait vague et susceptible d'applications diverses. On peut trouver plusieurs raisons à cet inachèvement : d'abord la faible influence des institutions carolingiennes sur des régions situées à l'extrémité méridionale de l'emprise franque et tout imprégnées de tradition romaines et byzantines ; puis la nature de l'aristocratie, urbaine, par sa résidence et attirée en majorité vers les fonctions civiles plutôt que vers les tâches militaires, qu'elle préférait laisser aux milices bourgeoises chargées de la défense locale. Prenant appui pour une part sur les seigneuries rurales et sur une économie surtout agricole, les linéaments de la féodalité s'étaient cependant introduits dans les principautés lombardes. Ce furent les Normands qui procédèrent au XI' siècle à sa véritable installation. A cette époque, elle avait depuis longtemps pénétré en Italie du Nord et du Centre, tout en laissant subsister de nombreux alleux. On ne saurait la faire remonter à l'Etat lombard de l'indépendance, où les fidélités personnelles n'avaient guère dépas-sé le stade des clientèles armées, où d'autre part les « bienfaits > étaient privés de rigueur juridique. Mêlés aux souvenirs de la recommandation romaine, ces usages lui ont préparé le terrain. C'est toutefois la conquête carolingienne qui a fait passer le pays d'une vassalité peu rigoureuse à la féodalité, dont elle a installé les cadres et les hommes sans imposer le régime nouveau à toute l'aristocratie indigène. Des comtes et de grands vassaux du roi, venus pour la plupart d' Austrasie durant la première moitié du IX' siècle, s'entourent de dépendants mis en possession de bénéfices. Aux frontières, des marches groupent plusieurs comtés : par exemple celles du Frioul et de Spolète, plus tard celles d'lvrée et de Lombardie. Enfin, des forteresses, appelées à se multiplier au cours du XI' siècle, sont bâties sur les crêtes des Apennins, surveillant les passages, guettant plaines et bassins tout proches vers lesquels glisse insensiblement la domination des châtelains. Comme en France, l'hérédité des

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fonctions publiques et des bénéfices s'est répandue aux 1x· et x· siècles dans la haute société, en même temps que s'accusait l'effritement de l'autorité publique à l'échelon de Ja royauté, puis des principautés et des comtés. Elle allait gagner au XI• siècle les couches inférieures de J'aristocratie. Ne poussons pas p1 us loin les similitudes aYec notre pays. Les caractères propres à la vie italienne ainsi que le rattachement du pays à l'empire ottonien ont conféré aux liens de subordination une certaine originalité. Témoin le rôle relativement important attribué à la féodalité ecclésiastique dans le gouvernement du royaume. Comme en Allemagne, les Ottons voyaient en elle un contrepoids aux entreprises des laïcs. Témoin également le caractère administratif revêtu en de nombreux cas par le régime féodal. Ce ne sont que délégations et subdélégations de pouvoirs, depuis les hautes charges jusqu'à de modestes offices de cour et à des services domestiques. Si bien qu'une hiérarchie nobiliaire s'est fondée sur leur nature et leur importance. Certes, la vocation militaire tenait une grande place dans les marches et les châtellenies. Mais si l'on envisage l'ensemble de la société féodale, elle ne venait qu'en second. Et l'on ne saurait trop souligner l'absence d'une classe chevaleresque au sud des Alpes. S'agit-il enfin des institutions proprement dites ? Après le X' siècle, l'investiture du fief précéda ordinairement les rites vassaliques, euxmêmes réduits en de nombreux cas à la fidélité. La signification profonde du geste des mains semble avoir échappé à des hommes qui trouvaient peu d'attrait dans le formalisme et les symboles nés sur d'autres terres. En ce pays où les enseignements du droit écrit étaient restés vivaces, où d'autre part le grand commerce et la vie urbaine connurent une précoce renaissance, la féodalité n'a pas rencontré un climat aussi favorable qu'au-delà des monts.

* ** PJus encore que le royaume d'Italie, 1' Allemagne offre des caractères particuliers lorsqu'on la compare à la

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France septentrionale au x• siècle". Le plus saillant est le retard apporté à la féodalisation du pays. D'une part, les alleux se maintenaient en grand nombre : alleux paysans, comme c alleux-souverains > là où l'aristocratie conservait de larges secteurs sous son autorité ; d'autre part, l'organisation des réseaux privés restait encombrée d'élé:,pents archaïques. Ce retard, à vrai dire, n'était pas partout aussi accusé. L'Allemagne était faite de régions qui n'avaient pas la même structure sociale et économique et qui, surtout, étaient entrées à des époques différentes dans l'unité franque. La Lotharingie, puis l'Allemagne du Sud et du Centre avaient été f éodalisées partiellement. Mais la Saxe, dernière venue dans l'Empire et ignorant cette fusion des peuples d'où avait jailli, en Gaule, l'étincelle féodale, restait à la traîne sans toutefois se défendre contre l'invasion progressive des subordinations privées. En revanche, pays de fortes communautés lignagères, la Frise demeurait fermée à la féodalité comme à la seigneurie. Plaçons-nous dans les régions de vieille féodalisation à l'est du Rhin. Les divergences entre elles et la France du Nord se manifestaient d'abord dans la terminologie. Bien que f eodum eftt été calqué sur un terme germanique, la langue savante conserva jusqu'en plein XII' siècle sa faveur à beneficium pour désigner non seulement le fief, mais des biens accordés contre la fidélité aux ministériaux, certaines tenures roturières et, comme partout, les bénéfices ecclésiastiques. D'autre part, tandis qu'en France le terme honor avait finalement désigné la fonction publique et les biens qui la rétribuaient, outre-Rhin il était employé seulement dans le premier sens. Comme sous les premiers Carolingiens, on soulignait ainsi la distinction entre les charges et leur dotation. Derrière les mots, une réalité se faisait jour : la survivance de la puissance publique. Des différences apparaissaient également dans les rites. 49. Bibliogr, nos 220, 226, 245, 246, 257, 264, 277, 284, 287-289 (p. 439-441 ; 444-445) ; Compléments, p. 435-437 ; 445-447 (travaux de BosL, DANNENBAUER, von DuNGERN, MAYER, METZ, MULLER-MERTENS, ScHRAMM, SPROEMBERG, WERNER, WBRNLI ...).

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Très attachée au formalisme qu'elle tenait de ses origines, aux gestes et aux paroles ayant valeur symbolique, la société allemande donnait un sens absolu à chaque acte et marquait une certaine répugnance à l'égard des innovations. La haute aristocratie prêtait volontiers le serment de fidélité, qui avait de longue date ses titres de noblesse. Mais elle ne se pliait pas sans réticences à l'hommage, qui gardait le c parfum de servitude > attaché à ses lointaines origines. Même retard dans les institutions. La pluralité des hommages, très rare avant la fin du x• siècle, se généralisa seulement vers la fin du XI', et l'hérédité des fiefs au XII', bien que les fiefs viagers n'aient pas tous disparu. D'autre part, ni les taxes de mutation en cas d'héritage ou d'aliénation du fief, ni les aides féodales en argent ne connurent jamais une grande extension. L'originalité allemande a tenu encore à des traits sociaux, dont l'un des plus caractéristiques était le nombre important de vassaux non casés. Elle a tenu surtout aux rapports de la féodalité avec l'Etat sous la dynastie saxonne, qui dura de 919 à 1024. Nous avons déjà rappelé la politique d'Otton Ier à l'égard des principautés, ses tentatives pour entraver la f éodalisation des hautes charges publiques et faire des ducs, ainsi que de la plupart des comtes, des agents de la royauté. D'autres éléments soulignent l'application de méthodes de gouvernement fondées à la fois sur des principes d'autorité publique et sur les réseaux de subordination. Ainsi, le service militaire à cheval était exigé des riches alleutiers comme des vassaux. Les paysans libres ayant une certaine aisance servaient dans l'infanterie et pouvaient être appelés, comme ce fut le cas en Saxe, à garder les forteresses construites aux frontières. Entre les éléments supérieurs de la paysannerie et la noblesse, privée du monopole des armes puisque la cavalerie triompha seulement à partir du XII' siècle, la séparation était donc moins profonde qu'en France. Le développement de la féodalité en fut ralenti. Dans le domaine judiciaire, enfin, exception faite pour la Lotharingie, qui se rapprochait du système français, les cours féodales ne jugeaient que les causes intéressant ]es rapports vassaliques et les fiefs. Les

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tribunaux comtaux jugeaient les autres affaires et pouYaient donc appeler deYant eux seigneurs et vassaux pour les questions étrangères aux liens privés ao. Contre la haute aristocratie laïque, la dynastie saxonne s'est alliée à l'Eglise, dont eJle a fait une Eglise nationale, associée au gouvernement du pays. Le souverain désigne les évêques et les abbés des monastères royaux, reçoit leurs serments vassaliques, les investit de leurs fonctions spirituelles et de leurs biens temporels. Plus largement qu'en France, des prélats jouissent de droits comtaux sur leurs diocèses et, parfois, sont placés par surcroit à la tête d'un ou plusieurs comtés, nœuds de vfritables principautés. Appuyée sur le clergé et les arrière-vassaux, tirant à vrai dire plus d'éclat que de force de la possession du royaume d'Italie et de la restauration d'un Empire tronqué d'Occident, possédant sa juridiction, ses finances, ses troupes d'alleutiers, la royauté allemande allait maintenir l'Etat, pendant deux siècles encore, face à la féodalité laïque, finalement victorieuse u.

CONCI.JUSION Dans l'histoire du premier âge féodal, lui-même décomposé en deux étapes, celle des origines et celle de la formation, la période qui va du IX• siècle au deuxième tiers du XI" représente la phase décisive où furent rassemblés des éléments-clés jusqu'alors mal reliés. Phase politique et institutionnelle plus encore que phase sociale en raison des réticences d'une partie des hautes classes devant l'entrée en dépendance. De façon plus précise, les temps se sont 50. Nous évoquerons dans un autre ouvrage le contraste, défini au XIII• siècle, entre le droit du fief, ou I. . ehnrecht, et le droit territorial, ou Landrecht. 51. Sur le prestige de l'Empire ottonicu, G. A. BBzzou, Das ottonische Kaisertum in der franzijsischen Gesclticltlsschreibung des 10. und 1,eginnenden 11. Jnhrhunderfs. Gra.z et Cologne, 1956.

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accomplis sous Charles le Chauve et ses successeurs immédiats, tout au moins dans les pays d'avant-garde allant de la Loire aux contrées rhénanes. On en connaît les résultats : fixation du vocabulaire féodal, extension des liens privés, marche vers l'hérédité, vassalité multiple, accentuation des caractères terrien et militaire d'une aristocratie mûre pour la chevalerie. Une bulle du pape Silvestre II, en date du 26 décembre de l'an mil, encourageant la création de fiefs dans un domaine pontifical, la lettre de Fulbert de Chartres au duc d'Aquitaine, qui est de 1020, précisant la nature du contrat vassalique, une Constitution de Conrad II pour l'Italie étendant, le 28 mai 1037, l'hérédité à la plupart des fiefs tenus par les arrière-vassaux, enfin les coutumes analogues qui se .sont développées dans l'Allemagne du même temps devaient tirer les conclusions des changements apportés au régime 0.

••• Régime encore imparfait au moment où nous l'abandonnons dans ce livre. La haute pyramide de droits et de responsabilités que les Carolingiens avaient souhaité bâtir, cet « ordre féodal >, fondé sur une hiérarchie de pouvoirs s'étayant réciproquement, dont on a parfois exalté les vertus : belles formules, mais illusions, jeux de l'esprit ! L'ordre féodal n'est devenu tel que du jour où il a été apprivoisé, enrobé dans la demeure monarchique par les théoriciens des derniers siècles médiévaux. A ce moment, son heure commençait à passer. Au début du XI• siècle, il n'y a pas de hiérarchie vassalique allant sans discontinuité du roi aux plus modestes dépendants, pas d'étagement de fiefs mouvant les uns des autres, mais des cellules autonomes qui fractionnent la société en îlots. Il n'y a pas de « système féodal > tissant un réseau monotone à travers chaque pays. Mais il existe, brodant sur un tronc commun, des féodalités qui préludent aux types nationaux, ou impo52. Documents, n• 48 (p. 397) ; n• 5,4 (p. 405) ; n• 48 (p. 892).

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sés par la conquête, de l'ère suivante. Violation des serments les plus solennels, luttes intestines, politique étriquée de châteaux et de clochers, tel est le spectacle fréquemment offert par la genèse des temps féodaux. Entre l'Etat disloqué, devenu incapable d'imposer sa loi, et la féodalité du premier âge, écartelée par des forces centrifuges et qui tâtonne en même temps qu'elle se construit, un grand vide s'est creusé. Qu'on relise la complainte d'un diacre de Lyon, Florus, qui met en cause le traité de Verdun et la société nouvelle : c Un Empire, beau entre tous, florissait sous un brillant diadème. Il n'y avait qu'un prince et qu'un peuple... Pleurez sur la race des Francs qui, par le don du Christ élevée au rang d'Empire, est aujourd'hui réduite en poussière. Au lieu d'un roi, un roitelet ; au lieu d'un royaume, des fragments de royaume. L'intérêt général est oublié ; chacun s'occupe de protéger son bien. L'Etat est comme une muraille dont on voit la chute menaçante 113• > Semblables résonances au synode de Trosly, tenu en 909 : c De même que les premiers hommes vivaient sans craindre Dieu, de même aujourd'hui tout homme fait ce que bon lui semble. Les forts oppriment les faibles. Le monde est plein de violences à l'égard des pauvres. Les hommes s'entre-dévorent comme les poissons de la mer"· > Un siècle plus tard, l'évêque de Laon, Adalbéron, reprend le même thème dans un poème dédié à Robert le Pieux : L'Etat court à sa ruine ; c les lois s'affaiblissent" > •

••• Pourtant, malgré ses rudesses et ses vues courtes, la société féodale ne s'inscrit pas tout entière sous le signe de l'épouvante et des terreurs contées aux petits enfants 53. Querela de divisione imperii (M.G.H., Poetae latini, Il, p. 561). 54. MANSI, Sacrorum conciliorum... collectio, t. XVIII, col. 263. 55. Carmen ad Rotbertum regem, édité par G. A. HucKEL, c Les poèmes satiriques d' Adalbéron > (dans Biblioth. de la Faculté des Lettres de Paris, XIII, 1901, p. 186). - Documents, n° 55 (p. 407).

PREMltRE BSQUISSB DB LA SOCl4TÊ FÉODALE

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et aux écoliers. Loin d'étouffer les activités qui lui sont étrangères ou hostiles, elle reste sensible à la présence de la royauté sacrée, respecte en principe les droits des alleutiers sur leur domaine, des communautés villageoises sur leur terroir, des groupes familiaux sur leurs maisons et leurs champs, cependant que grâce à la montée des échanges et de l'artisanat la bourgeoisie se fait une place à ses côtés se. En outre, elle est chrétienne, et le sentiment religieux met un frein à ses désordres. Les clercs s'efforcent de répandre les enseignements de l'Eglise, de lutter contre les troubles provoqués par la faiblesse de la royauté et la fragmentation territoriale. Ils lancent l'anathème ou l'excommunication contre les parjures et les criminels, menacent les coupables du châtiment éternel et les invitent à racheter leurs fautes contre le sacrifice d'une partie de leurs biens temporels. Réunis en conciles ou en synodes, par exemple à Charroux, près de Poitiers, en 989, au Puy l'année suivante, ils encouragent les mouvements de paix suivis par tous ceux-là, nobles et rustres, qui jurent de renoncer à la violence contre les personnes ecclésiastiques, les marchands et les paysans désarmés. Devant la lenteur et les lacunes des pouvoirs judiciaires, les arbitrages se multiplient. De son côté, l'organisation fondée sur les liens de dépendance contenait des ferments de rénovation. L'anarchie dont on la rend souvent responsable était dans les mœurs beaucoup plus qu'en elle-même. Ses règles ne précisaient pas assez les tâches imparties aux vassaux. Et sa justice, si lourde aux pauvres gens, peinait à atteindre les magnats. Mais elle est devenue capable, une fois constituée, d'imposer une discipline, d'assurer un gouvernement. Aux plus sombres jours, elle a maintenu le sentiment d'une communauté qui devait aider les Etats à se ressaisir. Elle valait mieux que les hommes. Au XI• siècle, seigneurs et vassaux s'ouvrent à l'esprit chevaleresque, à 56. Sur les « solidarités > qui furent nouées en dehors de la féodalité, J. DHONDT. « Les solidarités médiévales ... > (Annales, E.S.C., 1957, p. 529-660).

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un idéal qui met au premier rang des vertus non seulement la vaillance guerrière, mais le respect de la foi jurée, et qui recommande la protection des faibles et des malheureux. Une sève puissante monte dans ces sociétés attirées par la conquête du sol tout proche comme par les aventures lointaines, et appelées à vivre dans un merveilleux décor artistique. C'est au milieu d'une renaissance que le monde féodal a jeté tous ses feux.

LIVRE II

LES LIENS DE SUBORDINATION EN DEHORS DE L'EUROPE FRANQUE

INTRODUCTION 1

Ce livre est limité à l'Occident. Mais l'histoire comparée remplit d'autant mieux sa mission qu'elle couvre un champ plus vaste. Or, diverses questions appellent un élargissement des horizons. Doit-on attribuer la paternité du régime féodal à l'Europe carolingienne? Ou bien la féodalité occidentale fut-elle l'héritière de pratiques expérimentées par les sociétés antiques ? D'autre pays, enfin, au cours de leur c Moyen Age >, ont-ils forgé eux-mêmes un régime proche du nôtre ? Comme tous les problèmes d'antécédents et de filiations, celui-ci est semé d'embftches. Seule en effet une parfaite connaissance de l'histoire universelle permettrait de déceler les types de dépendance qui se sont formés dans le monde, comme d'enregistrer leur absence et de dire pourquoi. Cette connaissance est loin d'être atteinte. Mis en présence de civilisations fort diverses, qu'il ne peut approcher personnellement, le comparatiste est ligoté par l'inégal avancement des recherches. Il bute en outre contre un vocabulaire qui appelle la c féodalité > à la rescousse pour caractériser des régimes politiques et sociaux n'ayant souvent avec elle que des ressemblances superficielles. 1. Les pays qui connurent seulement les dépendances paysannes n'entrent pas, rappelons-le, dans le cadre de cet ouvrage dont l'objet est d'associer à l'étude de la seigneurie celle de la féodalité en formation. En de nombreuses régions, cette formation était beaucoup moins avancée, au début du XI• siècle, qu'entre Loire et Rhin. A Byzance, en Russie, au Japon, par exemple, il sera donc nécessaire de descendre bien au-delà de cette période pour obtenir des éléments de comparaison entre des structures parvenues approximativement au même stade.

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Plutôt que de refuser à ces jeux de l'esprit le droit à l'existence et de consolider par réaction les partis pris contraires, mieux vaut, sans oublier l'histoire, porter d'abord le débat dans le camp des historiens qui ont répandu la féodalité à travers le monde. Mieux vaut également, au prix d'un choix résolu, retenir les pays où l'argumentation est la plus raisonnable et, se référant à la féodalité occidentale, prise comme témoin, non comme patron, souligner les points de rencontre, puis les différences•. 2. Pour les travaux d'histoire comparée, cf. Bibliogr., n°• 291-296 (p. 447-448) ; Complément,, p. 448. Notre propos a inspiré à Claude CAHEN des remarques dignes de méditation (c Réflexions sur l'usage du mot féodalité >, dans Journal of the economic and social history of the Orient, t. III, 1960-1961, p. 3-20. Etude reprise et remaniée sous le même titre dans Recherches internationales. A la lumière du marzisme. Le féodalisme. Paris, 1963, éd. de la Nouvelle Critique, n° 37, p. 203-214). Dans son premier article, l'auteur écrit : c Il n'existe pas entre nous (historiens) de rigoureux accord de langage, si bien que tantôt nous présentons en des termes différents des faits analogues, tantôt nous baptisons du même nom d'autres faits mutuellement irréductibles >. Disons seulement, c l'auteur le montrera lui-même > pour le Japon, c qu'en certains cas une terminologie empruntée à l'Europe > peut convenir c à une réalité orientale : il n'y a pas de rideau de fer entre les fractions de notre commune humanité >. Et voici des réserves : c Je ne suis pas sûr que j'aurais personnellement procédé de la même façon que R. Boutruche... Celui-ci est un homme du nord des Alpes, qui part de la situation... entre Rhin et Loire... L'attitude rationnelle paraît consister non pas à partir d'une société arbitrairement choisie, mais simultanément et également de toutes celles où se décèlent des tendances convergentes, et d'en préciser les ressemblances, les différences, le conditionnement ... Originale, la féodalité occidentale l'est certes, mais... parce qu'on y a combiné - dans le domaine carolingien exclusivement -- des éléments qui, ailleurs, sont restés séparés ou inégalement coordonnés >. De son côté, Emmanuel LAROCHE émet les observations suivantes (Bibliotheca orientalis, 1966, n° 1-2, p. 60) : c Pour caractériser la société hittite, on utilise le terme de féodalité. On a mobilisé Je ,·ocabulaire de l'Occident médiéval ; et les descriptions générales aussi bien que les ouvrages techniques abondent en suzerains, vassaux, fiefs... Or, on peut se demander si la base documentaire sur laquelle a été fondée, sans nuances, la doctrine du féodalisme bltUte,

INTRODUCTION

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n'est pas un peu étroite... Que l'organisation de l'empire hittite présente des analogies avec le système des fiefs et des corvées n'est nié par personne. Mais ce que l'historien comparatiste aimerait déterminer, c'est le point exact où cessent les analogies, où surgissent les différences et les lacunes. Le souci de mieux définir la valeur concrète du vocabulaire engagé sauverait le hittitologue du péril des traductions paresseuses et des ressemblances de façade. >

CHAPITRE PREMIER « FÉODALITÉS » DE L'ORIENT ANTIQUE 1

1. -

L':SGYPTE 1

Au cours d'un passé plusieurs fois millénaire l'Egypte a traversé tour à tour des périodes de rigoureux absolutisme et de démembrement des pouvoirs. Elle a subi des invasions, fait appel à des mercenaires qui ont formé dans l'Etat une classe particulière et agi sur son destin. Elle a vu des aristocraties locales peser lourdement sur leurs fellahs, des gouverneurs provinciaux s'incruster héréditairement sur leurs territoires et s'arroger certaines prérogatives de la couronne - titres, comput des années, levée des milices, - enfin un Etat se reconstruire et l'évolution recommencer. Il en fut ainsi dans la seconde moitié du troisième millénaire, au déclin de l'Ancien Empire, comme aux XVII' et XVI' siècles sous les Hyksos, conquérants venus d'Asie ; également du XIII• au VIII• siècle, au milieu des troubles entretenus par les mercenaires, puis au sein des convoitises qui hissèrent sur le trône, en 950, le chef 1. Bibliogr., n 08 297-352 (p. 449-452) ; Compléments, p. 450-453.

et J. AueoYBR, L'Orient et la Grèce antique, Paris, 5• éd., 1963 (coll. Hist. gén. des civilisations, t. 1). 2. A la bibliographie donnée sous les noe 297-311, ajouter le volume de textes publiés par J. H. BRBASTBD, c Historical Documents from the earliest times to the Persian Conquest > (Ancient Records of Egupt, IV, Chicago, 1906, notamment les § 796-883, vingt-troisième dynastie). Cf. aussi Compl~ments, p. 450. A. An1ARD

~ FÉODALITÉS

> DE L'ORIENT ANTIQUE

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d'une grande famille libyenne, fondateur de la vingtdeuxième dynastie. En diverses circonstances, l'Egypte se trouva placée dans un état de grâce vassalique, un peu à la façon de l'Occident barbare, ou du Japon des XI' et XII• siècles. Toutefois, le mélange de peuples inégalement évolués, les immunités aux temples et à la haute aristocratie laïque, l'hérédité des charges et les concessions de terres contre des services n'aboutirent pas à la formation d'une société féodale. Il y eut des poussées dans ce sens. Mais les éléments n'ayant jamais été rassemblés, le régime ne fut jamais bâti. Pas d'hommage rendu par les chefs militaires et civils à un Pharaon qui, élevé au rang d'un dieu sur cette terre et maître des personnes comme des biens, se fût difficilement éveillé à la notion de rapports contractuels ; des filets de dépendance au sein des bandes guerrières, proches du stade tribal, comme à l'intérieur des gouvernements régionaux, mais, autant qu'on puisse voir à travers une documentation très incomplète - chartes d'immunités, stèles de donations, inscriptions royales et privées - pas de chaînes vassaliques, doublées de distributions de fiefs et d'arrière-fiefs. Même aux périodes de fragmentation, les rapports essentiels, en dehors des liens familiaux, unissaient les rois ou les princes à des sujets, les chefs de service à des fonctionnaires, les chefs de bandes à des compagnons. A l'échelon du royaume, comme à celui des principautés, une énorme bureaucratie imposait partout sa présence. De la sixième à la onzième dynastie, puis de la vingt et unième à la vingt-sixième, la stagnation économique, la faiblesse de l'autorité monarchique et l'ascension des puissants confère nt cependant à l'Egypte une place d'honneur sous la plume des champions du c féodalisme universel 8 >.

3. Exemple : J. PIRENNE, c La féodalité en Egypte > (dans Sociltl J. Bodin, 1, c Les liens de vassalité et les immunités, 28 éd., p. 15-53. Bibliogr., n° 296•).

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Il. -

SEIGNEURIE ET F!ODALITJt

MÉSOPOTAMIE, ASIE MINEURE ET IRAN

La Mésopotamie, l'Asie Mineure et l'Iran, sièges de civilisations insuffisamment connues, n'ont rien à lui envier. Du quatrième millénaire à la conquête musulmane, le champ de l'histoire offre une étendue vertigineuse. A maintes reprises, les événements auraient pu favodser la féodalité. Néanmoins, si des Barbares plièrent des peuples vaincus à leur loi, s'il y eut des principautés autonomes et des subordinations militaires payées par des biens fonciers, l'installation d'un pareil régime reste douteuse. En Babylonie, rien de tel après l'irruption et l'établissement des Summériens durant les derniers siècles du quatrième millénaire et au début du troisième, mais seulement des compagnonnages guerriers et des principautés indépendantes. Rien de tel non plus pendant les premiers siècles du deuxième millénaire. La c féodalité hammourabienne > a été mise à l'honneur parce que, sans se préoccuper assez de la nature des liens personnels et réels, ses inventeurs ont opposé aux biens patrimoniaux et assimilé à des fiefs les terres qui, selon le code d'Hammourabi, rétribuaient des fonctions publiques et des services militaires durant le temps où ils étaient exécutés. Or, il s'agissait là d'une forme de paiement temporaire à des agents qui, même dotés d'immunités, dépendaient directement de l'Etat. A cette époque, la Babylonie était une monarchie centralisée dont le chef, représentant de Dieu sur cette terre, gardait entre ses mains les principaux pouvoirs. Il contrôlait l'administration centrale ainsi que les chefs des gouvernements provinciaux, veillait à ce que les dotations foncières attachées à une fonction ne fussent pas dissociées de cette dernière, ni transformées en biens héréditaires. L'affaiblissement de la monarchie babylonienne sous les successeurs d'Hammourabi eut pour conséquence le glisse4. Bibliogr., n 08 312-332 (p. 450-451) ; Compléments, p. 451.

« FÉODALITÉS > DE L'ORIENT ANTIQUE

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ment des tenures et de certaines fonctions vers l'hérédité, ainsi qu'une exécution imparfaite des charges, laissées par leurs titulaires à des remplaçants. Mais il n'est pas prouvé que des relations proprement vassaliques aient existé entre le roi et les grands, ni entre les diverses couches de l'aristocratie. Vint ensuite la dynastie kassite qui, de la fin du XVI• siècle au dernier tiers du XII', occupa le trône babylonien. Elle a été représentée comme féodale parce que, placée à la tête d'un peuple conquérant qui fut surimposé à la société indigène, elle confia à une aristocratie privilégiée le commandement des marches-frontières et l'administration des villes ; elle lui concéda en outre des domaines et des immunités, puis, à son déclin, laissa des gouvernements provinciaux transmettre héréditairement leurs charges, usurper la propriété des terres qui les rétribuaient et détourner à leur bénéfice les services que les agents subalternes devaient à l'Etat. On ne connaît pas exactement la nature ni l'ampleur des subordinations qui se formèrent à cette époque en Babylonie. II est sûr, cependant, que la conception du pouvoir monarchique, la forte organisation des cités et de leurs territoires, enfin l'essor commercial empêchèrent la création d'un régime bien ordonné de dépendances privées 11 • 5. Des fouilles récentes à Ras Shamra, dans le nord de la Syrie, ont amené la découverte d'inscriptions projetant quelques lueurs sur l'organisation du petit royaume d'Ugarit au XV• siècle. Organisation qualifiée aussitôt de féodale (notamment par G. BOYER, c Le droit des fiefs à Ugarit >, p. 293-299, dans Mission Ras Shamra, t. VI, Le Palais royal d'Ugarit, publié sous la direction de CLAUDE F. A. SèHAEFFER, Ill, Paris, 1955). - L'auteur voit dans le fief une concession faite c par la puissance publique >. D'une part, nous dit-il, le roi distribuait des terres auxquelles étaient attachés des services d'ordre surtout économique : hébergement des gens de guerre, livraison de denrées et d'animaux domestiques au Palais... Leurs titulaires pouvaient les aliéner librement, et peu importait la personne du preneur pourvu que les services fus sent exécutés. C'était la c féodalité foncière >. D'autre part, le souverain rétribuait de nombreux agents en leur donnant pour la durée de leur charge la jouissance de certains biens. Ils formaient Ja c féodalité de fonctions >. - Abus de langage éclatants I Il y a, dans le premier cas, des

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La féodalité a-t-elle eu plus de succès chez les Hittites, peuple indo-européen qui, après avoir traversé par vagues successives le Caucase et la Thrace, occupa la partie intérieure, peuplée d' Asianiques, des plateaux d' Anatolie, poussa des pointes jusqu'en Babylonie et fonda un empire composite qui atteignit son apogée aux xn1• et xnr siècles ? Il y eut ici juxtaposition et fusion partielles de peuples inégalement évolués, prédominance d'une caste guerrière, récemment sortie du stade tribal et combattant à cheval, distribution de terres à cette aristocratie à charge pour elle de former le nœud de l'armée, et concession d'immunités aux temples. En outre, le pays fut secoué par des troubles intérieurs, surtout au XV " siècle, avant que le Nouvel Empire eftt succédé à l'Ancien. Ils contribuèrent à arracher les régions périphériques au contrôle direct de Ja royauté. Plus qu'en Egypte ou qu'en Babylonie, des liens personnels de fidélité ont couru à travers l'Etat hittite. Ils rattachaient au grand roi ses guerriers professionnels, dotés de tenures, ses gouverneurs de province, les chefs héréditaires des royaumes protégés, largement autonomes, les chefs également héréditaires, et souvent recrutés dans la famille royale, des royaumes sujets où le souverain instaIJait des hommes à lui, qui rappelaient les vassi dominici de l'Empire carolingien. Ce roi n'était pas absolu. Les textes font état, dans l'Ancien Empire, d'une assemblée de la caste dirigeante qui se réunissait périodiquement non ~eulement pour lui renouveler sa fidélité et jurer de le servir, mais pour recevoir de lui le serment de respecter ses privilèges. Enfin, sous l'Ancien comme sous Je Nom·el Empire, la loyauté des dépendants avait pour contrepartie tenures chargées d'humbles tAcbes économiques, dans le second cas des terres sc1·vant à l'entretien des agents de l'Etat. Le roi les concédait sans exiger au préalable un serment de nature privée. Elles n'étaient pas des fiefs, ni leurs titulaires des vassaux.

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l'engagement pris par le roi de venir à leur aide en cas de besoin. Cet appareil éveille des images si familières que des historiens de Ja société hittite l'ont représenté comme une société féodale parfaite. Ils ont imposé aux c vassaux > des devoirs positifs et négatifs qui, deux mille cinq cents ans plus tard, auraient ravi Fulbert de Chartres. C'est à lui, en effet, que nos auteurs ont emprunté leur terminologie•. L'organisation hittite offre avec nos liens de dépendance d'évidentes analogies qui, pourtant, ne doivent pas faire illusion. L'une des sources essentielles, le Code hittite, fait surtout état des rapports entre le roi et ses subordonnés immédiats 7 • Noués par des serments périodiquement renouvelés, que scellait une invocation aux dieux, et suivis du versement d'un tribut, ils unissaient non pas des vassaux à un seigneur, mais des chefs de protectorat à une puissance protectrice, des princes apanagés et de hauts fonctionnaires à un souverain. Ils aYaient un caractère public beaucoup plus que privé. Enfin, les offices et les domaines concédés étaient dépourvus des éléments qui entraient dans la natun' complexe du fief. De contexture fragile, l'empire hittite fut pour une part centralisé, dan~ les régions soumises directement au roi, et pour une part fédéral. Il ne semble pas avoir été féodal en raison du prestige attaché à une royauté 6. Le paraUèlc est poussé très loin par L. DEI.APORTE, qui d'autre ))art se laisse aller à écrire : c Les Hittites indo-européens sont venus d'Europe ; c'est de là qu'ils ont apporté l'Idée du régime féodaJ. On la retrouvera plus tard dans les poèmes homériques > (Les Hittites, Coll. L'Eoollltion de l'Humanité, n° 8 bis, Paris, 1936, notamment p. 171-172). Même son de cloche féodal par exemple dans G. CONTENAU, La cfoilisation des Hittites et des Hourrites du Mitanni (Paris, 2e éd., 1948) ; puis sous la plume de H. G. GÜTERBOCK (dans Supplement to the Journal of the .4.merican Oriental Society, n° 17, juillet-septembre 1954, p. 16-2,i - contribution à une étude intitulée Authoritg and Law in the Ancient Orient) ; dans l'Encyclopédie de la Pléiade, Histoire Unioerselle, t. 1, p. 365 : c L'Asie occidentale ancienne >, par G. GoossENS. Beaucoup plus raisonnable est une étude de O. R. GunNEY, The Hittites (Bibliogr., n" 324). -- Sur ces questions, ci-dessus, p. 238, n. 2. 7. J. B. PRJTCHAnn, .4ncienl .Y,-ar fü1sfer11 "1.l'I.'; 1·elalina to the: Olcl Testament (Princeton, 1950).

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d'essence divine, dont le représentant était déifié après sa mort, du maintien de la loi dont il était le gardien, de l'importance des villes, où vivait l'aristocratie, des ressources que le pouvoir monarchique tirait notamment de l'économie commerciale et qui lui permettaient d'entretenir une administration et une forte armée. La société le fut moins encore. On cherche vainement un étagement de vassaux et d'arrière-vassaux, de fiefs et d'arrière-fiefs. En tout cas, la documentation n'a pas conservé la trace de relations féodo-vassaliques entre personnes privées• .

••• Restent les empires parthe, puis sassanide, mosaïque de peuples et de civilisations établis principalement en Iran occidental et en Babylonie. Le premier se maintint du milieu du 111• siècle avant Jésus-Christ à l'année 224 de notre ère où il tomba, victime du second qui, plus tard,_ fut effacé à son tour par la conquête musulmane. Un parallèle ingénieux a été tracé entre les traditions achéménides, conservées par les Parthes, et les souvenirs laissés par Rome dans l'Occident barbare, entre les chefs de l'aristocratie, avec leurs domaines, leurs immunités, leurs clients, et les grands seigneurs de France et d' Allemagne, entre la noblesse parthe, lourdement armée, et la chevalerie occidentale. On a comparé Mithridate le Grand à Charlemagne et à l'empereur du Japon Yoritomo, la décadence de l'empire parthe à celle de l'empire carolingien•... Pareille démarche peut se justifier. En revanche, la « structure féodale > de l'empire appartient probablement au domaine des rêves entretenus par les lacunes documen8. Un peuple asianique - les Hourrites - mêlé à des éléments indo-européens, fonda à partir du Mitanni un Etat allant de la Méditerranée au lac Van. Il se donna aux XVI• et XV• siècles un régime comparable à celui de l'Empire hittite avant d'être absorbé par lui. Il a été aussi affublé du qualificatif féodal (cf. en dernier lieu G. GoossENs, dans Encyclopédie de la Pléiade, Histoire Unioerselle, t. 1, p. 357-361). 9. Par exemple CouLBORN, Feudalism in History, p. 326-343.

c FÉODALITÉS > DE L'ORIENT ANTIQUE

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taires 10• Certes, des principautés autonomes, héritières d'anciens royaumes indépendants, furent maintenues aux côtés des gouvernements provinciaux, des marches-frontières et des territoires soumis à l'administration directe. En outre, des dépendances personnelles se formèrent pl.ndant les premiers temps de l'empire, au moment où la dynastie arsacide, les princes royaux et les chefs de clan installés dans un pays de civilisation supérieure à celle dê leurs tribus semi-nomades s'efforçaient de créer une organisation d'Etat. Elles reprirent vigueur durant les périodes de troubles et le déclin de l'empire, des puissants levant des troupes et se coalisant contre le roi. Cependant, il n'apparaît pas qu'un réseau de subordinations privées, accompagné d'une distribution de fiefs, ait encadré la haute société et imposé sa loi à une royauté despotique qui avait à son service une administration et une armée de cavaliers lourds. Comme l'empire hittite, celui des Parthes a été une confédération de principautés et de grandes seigneuries coiffées par une domination centrale, un agrégat de peuples impatients de secouer le joug. Pour le caractériser, il n'est pas besoin d'employer le mot c féodal >. La même observation vaut pour l'empire sassanide qui, après avoir triomphé des Parthes, s'étendit de l'Arménie occidentale et de la Mésopotamie jusqu'à l'Indus. Sa structure rappelle à certains égards celle de l'empire précédent. Servie par une bureaucratie considérable, l'autorité centrale contrôlait les royaumes dépendants confiés à des princes de la maison impériale ou laissés à des dynasties indigènes qui reconnaissaient l'autorité du roi des rois. Une puissante noblesse seigneuriale fournissait les cadres de 10. Rêves caressés notamment par RosTOVTZBFF (dans The Cambridge Ancient History, XI, p. 117 et suiv.) ; A. CHRISTBNSBN, L'Iran sous les Sassanides (avec une première partie sur les Parthes, p. 14 et suiv.) ; ALTHEIM et STIEHL, Feudalismus unter den Sassaniden (Bibliogr., nos 317 et 314). - Dans un ouvrage collectif sur La civilisation iranienne, p. 92 et suiv. (Bibliogr., n° 328), il est dit à plusieurs reprises que l'organisation féodale fut une tare des peuples d'origine nomade. La flèche manque son but, car si une vassalité nomade peut se concevoir, la féodalité, avec les fiefs terriens comme ports d'attache, incline au sédentarisme.

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l'administration et d'une armée où combattaient non seulement une cavalerie lourde d'iraniens et de mercenaires, mais une infanterie paysanne. Là aussi, l'application des termes occidentaux à l'organisation politique et sociale est source de confusions f âcheuses. On connaît fort mal la nature des liens publics et privés, ainsi que le régime des terres. Pourtant, les tendances des grands à l'autonomie, la présence de roitelets maintenus aux frontières, le glissement vers l'hérédité de certaines charges tenues par de hauts dignitaires ont incliné à considérer l'empire sassanide comme un « Etat féodal ::!). La structure de la société a reçu la même appellation parce qu'elle était divisée en castes, elles-mêmes partagées en classes, parce que de grandes familles nobiliaires se 1·évoltaient contre le roi et détournaient à leur bénéfice les contingents qu'elles avaient la charge de lever pour son service. C'est au prix d'équivoques que les alliés, les protégés et les serviteurs du souverain ont été habillés d'une vassalité à la mode classique, puis leurs offices et leurs terres représentés comme des fiefs 11 • Même aux époques de crise dynastique et de troubles intérieurs, l'empire sassanide, mieux centralisé et plus « iranien > que l'empire parthe, semble avoir ignoré une pareille organisation. De nombreux facteurs parlent contre elle : tel le caractère religieux et despotique d'une monarchie qui s'appuyait sur une église d'Etat et qui pouvait payer en argent ses fonctionnaires et ses soldats ; telles aussi la survivance de l'esprit de clan, la force conservée par les liens du sang et l'interdiction de passer d'une classe à l'autre, plus élevée. Parthes et Sassanides allaient jusqu'aux portes de l'Inde, autre pays de choix pour les féodalités d'amateurs. Leurs efforts ayant porté principalement sur la future Inde musulmane, puis sur celle des Rajputs, nous prendrons congé sans insister. 11. Voir par exemple, A. CHRISTENSEN, ozwr. cité, p. 89-98, 254 ; H. MASSÉ, dans La civilisation iranienne, p. 120 et suiv. (Bibliogr., nos 317 et 328). Selon HERZFELD, « Chivalry and feudalism were fully developed in Iran a thousand years earlier than in Europe. > (Iran in the Ancient East, p. 310. Cf. Complém. bibliogr., p. 451).

c FÉODALITÉS > DE L'ORIENT ANTIQUE

III. -

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LA GÉORGIE ET L'ARMÉNIE

A côté des empires, une recension plus complète que la nôtre retiendrait tous les petits pays considérés comme féodaux. Ainsi la Géorgie et l'Arménie. Depuis l' Antiquité, leur situation à un carrefour de routes les a vouées moins souvent à l'indépendance qu'à l'assujettissement ou à des partages qui ne les empêchèrent pas de se donner chacune leur langue, leur religion, leur cu]ture. A la Géorgie, on a accordé une antique féodalité sur la foi d'une hiérarchie des classes qui est de tout temps et de partout, ainsi que par analogie avec d'autres pays du Proche-Orient et de l'Asie Mineure 11 • Une autre lui a été attribuée sans preuves suffisantes, aux XI• et XII• siècles de notre ère, sous le prétexte que des seigneurs épris d'indépendance luttaient contre le roi et s'opposaient aussi entre eux 11• L'Arménie a connu pareille aventure. Dispersée entre des bassins fertiles encadrés de montagnes, elle oscilla, nous dit-on, entre deux tendances c qui furent les constantes de son histoire > : tendance unitaire, groupant temporairement petits royaumes et principautés, c féodalisme invétéré, cause d'affaiblissement et de discordes > qui entraînèrent le partage du pays entre des dominations étrangères 14 • Féodale, - disons nobiliaire - l'aristocratie 12. Cf. par exemple A. :MANVELICHVILI : « L'analogie avec les Summériens... et autres peuples laisse supposer qu'il existait chez les tribus, ancêtres des Géorgiens, une sorte de féodalité qui dura jusqu'au VII• siècle avant notre ère > (Histoire de Géorgie, p. 77. Bibliogr., n° 330). 13. Ibid., p. 156 : c Leur obéissance au souverain n'était subordonnée qu'à leur bon vouloir. Retirés sur leurs terres, ils y menaient une vie indépendante, qui flattait Jeurs tendances séparatistes et qui était caractéristique de l'esprit féodal. > - On retrouve ici la conception qui voit dans la féodalité le refus de toute discipline et donc une anarehie (Sur la Géorgie, textes dans J. KARST, Code géorgien du roi Vakhtang VI, Strasbourg, 1935-1937, 2 vol.). 14. Cf. notamment R. GROUSSET, Histoire de l'Arménie (Bibliogr., n° 323). Même thèse, avec plus de nuances, dans B. KHERUMIAN, Esquisse d'une féodalité oubliée (Bibliogr., n° 327). Cf. aussi N. AnoNTz, Histoire de l'Arménie (Bibliogr., n° 812).

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SEIGNEURIE ET FÉODALITÉ

hourrite, qui occupa une partie de c l'Arménie pré-arménienne > pendant la première moitié du deuxième millénaire. « Monarchie féodale >, le royaume d'Ourartou qui, à la fin du IX• siècle avant notre ère, rassembla les régions du lac Van. Le prétexte donné est maigre : les chefs des principautés payaient tribut au roi des rois, et l'armée se composait de contingents fournis par les seigneurs terriens. c Féodale > encore et, à ce titre, proie toute fraîche offerte aux conquérants, l'organisation de l'Arménie sous les Parthes, les Romains, les Sassanides et les Arabes. La raison alléguée est que les chefs des grandes maisons qui avaient succédé aux clans consanguins deux siècles au moins avant notre ère sapèrent l'autorité monarchique par leur instabilité et leurs convoitises, entretinrent l'anarchie, appelèrent le démembrement. Se fondant sur ces faits, comme sur la hiérarchie et la mentalité des groupes nobiliaires, un savant rempli d'enthousiasme a vu dans l'organisation arménienne « la plus ancienne et la plus solide féodalité de l'histoire 11 >. Curieuse féodalité ! Elle est sans contrat vassalique, car la loyauté demandée par les rois ou les puissants à leurs subordonnés ne saurait se confondre avec l'hommage. Elle est aussi sans fief 18 •

15. B. KHERUMIAN, art. cité, p. 33 et 56. 16. De l'aveu d'ADONTZ lui-même : c ... S'il faut comprendre par fief une possession conditionnelle > (ouvr. cité, p. 143). Pour déceler, sur le plan politique et social, certaines ressemblances avec la féodalité, il faut descendre jusqu'au X• siècle de notre ère où, sous la dynastie des Bagratides, l'Arménie desserra l'étau musulman, mais resta le jouet des princes apanagés et de la noblesse militaire et terrienne qui, par ses désordres, provoqua l'intervention étrangère et un nouveau morcellement. Toutefois, les recherches sur la nature des subordinations personnelles et sur le régime des terres restant superficielles, la féodalité arménienne du X• siècle demeure hypothétique. Il n'empêche qu' Achot 1er a été comparé à Hugues le Grand, le roi à un seigneur des seigneurs et l'humeur indépendante des grands à une humeur féodale. Passons (R. GnoussET, 01mr. cité, p. 384-385, 466, 483 ...).

c FÉODALITÉS > DE L'ORIENT ANTIQUE

IV. -

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LA CHINE 1'

Ces négations répétées deviennent, nous le craignons, lassantes. Avec la Chine, elles se feront moins absolues en raison des brumes qui enveloppent encore son histoire sociale. Le pays a donné asile à des seigneuries rurales et à des principautés rappelant, en beaucoup plus grand, duchés et comtés d'Occident. La question est de savoir s'il est passé par des étapes féodales en sortant du stade tribal où il se trouvait encore au milieu du deuxième millénaire, puis après les invasions barbares qui déferlèrent à plusieurs reprises sur son sol, enfin pendant les périodes de morcellement qui précédèrent ou suivirent la formation des empires. Dans l'affirmative, le régime pourrait refléter le développement de grandes régions économiques finalement dressées en unités politiques autonomes ou indépendantes. Ou bien il pourrait traduire soit un conflit de races et de civilisations aboutissant à l'emprise des nomades sur les sédentaires, soit une domination purement politique imposée par la haute aristocratie à des groupes subordonnés 18• L'époque allant du XI' au III' siècle est souvent présentée comme féodale 1•. Cantonnés dans le Chien-Si puis le Ho17. Bibliogr., n°• 333-352 (p. 451-452) ; Compléments, p. 452-453. Documents, n° 56 (p. 408-409). 18. Sur les thèses en présence, O. LATTIMORE, lnner Asian frontiers of China (Boston, éd. de 1962) ; W. EBERHARD, Conquerors and rulers. Social forces in MedieDal China (Leiden, 1965) ; B. SCHWARTZ, c A marxist controversy on China > (Far Eastern Quarterly, 1954, p. 143-153) ; DERK BonnE, c Feudalism in China >, dans Feudalism in Historu, p. 49-92 (à propos de cette étude, observations intéressantes de J. R. LEVENSON et d'E. BALAsz, dans Far Eastern Quarterly, XV, 15 aoftt 1956, p. 569-572, et XVI, 16 février 1957, p. 329-332 ; puis d'O. LATTIMORE, dans Past and Presenf, novembre 1957, p. 47-57). Sur le régime social et économique du pays, cf. également Wu TAK'UN, An interpretation of Chinese Economie History (Past and Present, n° 1, 1952, p. 1-12) ; E. BALASZ, c Le régime de la propriété en Chine du IV• au XIV• siècle. Etat de la question > (Cahiers d'Histoire mondiale, 1, n° 3, 1954, p. 669-678) ; Complém. bibliogr., p. 452-453. 19. Cf. par exemple R. GROUSSET et S. REGNAULT-GATŒR, dans

-

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SEIGNEURIE ET FÉODALITÉ

Nan, les Tcheou créèrent une organisation complexe d'Etat et de relations personnelles juxtaposées aux liens du sang. La vie économique reposait essentiellement sur l'agriculture. En outre, une partie du sol dépendait de grands domaines exploités par des esclaves ou occupés par des communautés paysannes fixées sur des terres qui ne leur appartenaient pas en propre et où elles n'avaient droit qu'à une fraction des récoltes. Ces c: gens du commun >, ces c: gens de peu >, qui étaient cependant appelés à l'armée où ils formaient une piétaille misérable, entretenaient une aristocratie dont chaque membre appartenait à un clan, pratiquait le culte des ancêtres, avait le droit de posséder la terre et d'exercer des fonctions, portait enfin un titre selon son rang. C'était un monde à part avec ses rites et ses coutumes, ses différenciations sociales, son code de l'honneur et son rigoureux conformisme. Là se recrutaient les principaux agents de l'administration centrale, les chefs des gouvernements régionaux et des petites unités locales. Loin de former un bloc gouverné directement par le souverain, la plus grande partie de la Chine d'alors était une confédération de principautés et de seigneuries allant rles dominations territoriales aux chefferies de village sous l'autorité du Fils du Ciel, chef de la hiérarchie administrative et militaire, principe d'ordre, gardien des traditions. Les chefs des gouvernements provinciaux étaient investis de leurs fonctions selon des rites qui rappellent sur plusieurs points ceux de l'Occident. L'intéressé se prosternait devant l'empereur, lui prêtait serment et recevait une tablette où la concession se trouvait consignée. On lui remettait en outre, enveloppée dans de l'herbe, une motte de terre prise sur l'autel du dieu Sol et de teinte changeante selon la situation de la principauté par rapport aux points cardinaux. A certaines dates, le gouverneur devait renouveler son serment, verser un tribut, fournir des troupes, l'Encyclopédie de la Pléiade, Histoire Universelle, 1, p. 1551-1552. Pour une meilleure interprétation de l'histoire sociale de la Chine, même si la terminologie féodale y occupe une place excessive, voir les travaux cités à la note précédente. Y ajouter ceux de FRANKE, GRANET, MAsPiRO (Bibliogr., nos 340-342, 344-346).

« FÉODALITÉS > DE L'ORIENT ANTIQUE

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remplir des devoirs de cour. Mais, chez lui, il était autonome et exerçait l'ensemble des pouvoirs administratifs, judiciaires et militaires. De pareilles similitudes avec nos principautés, puis les contrastes entre l'élite guerrière et les masses paysannes, suffisent-ils à justifier cette c féodalité chinoise > que des sinologues évoquent avec complaisance 'l Les rites d'investiture ne sont guère connus que dans la mesure où ils mettaient en présence l'empereur et les gouverneurs territoriaux nommés à la tête d'une province, ou confirmés dans les charges de leurs pères. De déduction en déduction, on a prétendu, sans preuves, que ces rites étaient les mêmes entre les gouverneurs, les chefs des unités locales secondaires et les membres des noblesses régionales. Et l'on a construit une chaîne de vassaux, doublée d'une chaîne de fiefs. Il serait plus raisonnable, sans doute, de voir dans l'attribution des principautés l'acte d'un souverain désignant de hauts fonctionnaires ou les confirmant dans leurs charges. C'était une délégation de pouvoirs faite, sous réserve de fidélité, à des hommes qui dépendaient de l'Etat, même s'ils parvenaient à rendre leurs charges héréditaires, et qui, à leur tour, nommaient et entretenaient des agents. Il y avait, si l'on y tient, une pyramide de fonctionnaires et un étagement des groupes aristocratiques. Il y avait aussi des liens de compagnonnage beaucoup plus que des contrats vassaliques. D'autre part, ce que nous savons du régime des terres se rapproche de la propriété plus que de la tenure.

••• Les invasions barbares du VIIIe siècle, puis les déchirements intérieurs qui affaiblirent la Chine des Tcheou jusqu'au III• siècle, sous les c royaumes combattants >, ont fait l'objet, plus encore que la période précédente, de rapprochements avec l'Occident. Féodales, parce que traduisant une anarchie, les luttes entre chefs de principautés qui s'emparaient des prérogatives de la couronne et se rendaient indépendants. c Type de société féodale >, l'aristo-

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SEIGNEURIE ET FÉODALITÉ

cratie locale attachée aux princes ou aux puissants dont elle recevait, assure-t-on parfois, « grands fiefs et arrièrefief s > suivant un système d'investiture semblable au nôtre. Habituées aux clientèles guerrières, aux distributions de cadeaux et de terres, ainsi qu'au rapprochement entre liens personnels et liens familiaux, nos aristocraties barbares se seraient probablement senties à leur aise dans la Chine de ce temps. Auraient-elles entrevu les institutions qui donnèrent son véritable sens et sa portée au régime féodal ? Nous l'ignorons, car on n'a découvert ni rapports vassaliques échelonnés du haut en bas de la société des puissants, ni concessions foncières apparentées juridiquement au fief. Cette anarchie n'empêcha pas la vigueur de la pensée religieuse, surtout à l'époque de Confucius, le développement du droit, la renaissance de l'économie commerciale et monétaire. Elle cessa avec la formation d'un Empire étendu à la Chine entière sous les chefs du royaume Ts'in puis sous la dynastie des Han, qui dura jusqu'en l'année 220 de notre ère après avoir lutté vainement contre un nouveau démembrement du pays. Proie d'invasions turco-mongoles, toungouzes et thibétaines, partagée entre plusieurs dominations indépendantes dont les chefs s'entouraient d'hommes de main et assuraient vaille que vaille un gouvernement, souffrant enfin d'une grave crise des échanges à longue distance, la Chine réunit une fois encore, jusqu'à la fin du VI• siècle, les conditions qui, chez nous, ouvrirent le chemin à la vassalité et au bénéfice. Pontant, la conception que les Chinois se faisaient du pouvoir et de la propriété, le culte voué au fonctionnarisme et à une administration bureaucratique formant un corps spécial dans l'Etat, les liens du sang ainsi que les traditions religieuses et familiales paraissent l'avoir écartée de la voie suivie non seulement par l'Occident mais par le Japon so. 20. Des féodalités héréditaires >, celles des seigneurs terriens et celles des hauts fonctionnaires qui cherchaient à s'affranchir de toute autorité supérieure, ont été attribuées non seulement à la Chine antique, mais à celle du Moyen Age et de l'ère moderne. Reconstruction et déclin de l'Etat sous les Tang, qui furent contemporains

« FêODALITÉS > DE L'ORIENT ANTIQUE

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CONCLUSION

L'Orient ancien offre une maigre moisson à qui vient y chercher la féodalité comme cadre de la hiérarchie sociale, expression des raports humains, moyen de gouvernement substitué à la puissance publique. Conclusion mélancolique des longs efforts tentés pour déceler sa présence. Les pays qui sont allés le plus loin sur ses traces n'ont couvert qu'une petite partie de la route : Egypte vers la fin de l'Ancien Empire et sous les princes libyens, Babylonie sous la dynastie kassite, Anatolie et Syrie du Nord sous les Hittites, Chine des Tcheou. Disons, si l'on veut, qu'ils sont demeurés c pré-féodaux > : terme prudent, qui marque le seuil d'une organisation susceptible de se développer aussi bien que de rester dans les limbes. Pourtant, on l'a vu assez, le vocabulaire féodal triomphe dans les écrits de nombreux orientalistes tombés sous le charme. Certains adoptent le terme parce qu'il est commode et sans le définir. Chez d'autres, il ne s'agit pas seulement d'une question de mots. Que ces derniers atteignent ou non les réalités, leurs employeurs édifient de fil en aiguille des constructions imaginaires par analogie aYcc un régime occidental entrevu de trop haut. Les illusoires féodalités contemporaines, rappelées au début de ce livre, ont ainsi pour réplique toutes sortes de féodalités savantes, forgées par des historiens, des juristes, des sociologues ou des ethnologues qui envisagent le problème sous un éclairage différent et le résolvent à leur manière. Pour s'y retrouver, il faudrait un index et une table de concordance. Car les étapes pullulent : para-féodales, proto-féodales, post-féodales, - sans oublier les féodalités avortées des Carolingiens, puis sous les Song, qui montèrent sur le trône en 960, vingt-sept ans avant Hugues Capet, offrent, il faut l'avouer, une proie tentante aux comparatistes en mal de comparaisons. Mais cette proie n'est pas féodale.

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SEIGNEURIE ET FÉODALITÉ

ou bàtardes. Les types plus encore : féodalités patriarcales, nomades, urbaines, bureaucratiques, décentralisées ou centralisées ... De tels régimes sont souvent abusifs. Témoin, en dehors des pays déjà énumérés, celui qui a été infligé à l'empire assyrien décadent et fractionné en principautés souveraines. Or, si le régime féodal se prête aux autonomies locales, il est la négation de l'indépendance et repose fondamentalement sur des subordinations, sur un échange de droits et de devoirs. Témoin encore « la féodalité achéménide >, dont les inventeurs prennent surtout pour prétexte l'octroi de satrapies à des chefs recrutés dans leur future circonscription et dotés de larges pouvoirs 11 • L'organisation de la Grèce homérique, puis celle de l'Empire séleucide ont fait surgir aussi dans les cervelles érudites l'oiseau magique. Sauf erreur, l'Empire romain l'attend encore. 11 viendra. En dernière analyse, les « mini-féodalités > de l' Antiquité sont définies beaucoup moins par des traits spéc.ifiques que par des circonstances ou des indices isolés, accompagnements habituels des royaumes qui tombent : gouvernements régionaux, troupes privées de cavaliers lourds, clivage social et parfois ethnique entre l'aristocratie et le reste de la population. Toute maladie de l'Etat, avec les secousses intérieures qui ]accompagnent, l'anarchie qu'elle entretient, la confusion entre droit public et droit privé qui en résultent, est donnée comme le signe infaillible et la clef de systèmes féodaux dont on oublie trop souvent de préciser la nature juridique et les enchaînements politiques et sociaux. Ces éléments ont fait cortège à nos réseaux de dépendance : d'où les glissements précipités sur la pente des comparaisons. Mais ils ne sont pas « la féodalité " dans son essence, son esprit, sa complexité, aussi longtemps que l'organisation des Etats et des sociétés repose sur d'autres bases que les subordinations vassaliques et les fiefs authentiques. 21. Plus nuancés, cependant, sont les arguments de G. CARDASCIA, « Le fief dans la Babylonie achéménide > (Soc. J. Bodin, t. 1, 2- éd., 1958, p. 55-88).

c FÉODALITÉS > DE L'ORIENT ANTIQUE

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Quels mots surgiraient sous la plume des orientalistes s'ils consentaient à oublier la nomenclature occidentale ? En dispensant d'un effort créateur, l'emploi d'une terminologie passe-partout empêche d'entrevoir sous leur véritable jour, de situer dans leurs perspectives et de caractériser les structures de l'Orient antique.

CHAPITRE II

COMPAGNONNAGES ET CLIENTÈLES 1

A défaut du monde antique, la féodalité s'est-elle formée spontanément au Moyen Age chez des peuples placés en dehors des sphères carolingiennes ? Pour le savoir, élargissons le cercle à partir des frontières qui, pendant trois quarts de siècle, furent celles de l'Empire franc 2 •

1. -

UNE ÉVOLUTION INTERROMPUE : L'ESPAGNE a

L'Espagne a subi des invasions qui reçurent chez elle la marque wisigothique. Comme en Gaule et en Italie, l'organisation de la propriété et des rapports sociaux, héritée du Bas-Empire, fut partiellement adaptée aux besoins de l'aristocratie conquérante et de la haute Eglise. Même extension des grands domaines, qui pourtant ne s'imposèrent pas à tous les groupes villageois ; même développement des immunités ecclésiastiques, notamment en ma1. Bibliogr., n°• 353-452, et Compléments (p. 453-463). 2. Dans les parties de l'Occident soumises aux influences germaniques, des liens de dépendance, des solidarités rurales, des structu:res aristocratiques appellent des rapprochements. Néanmoins, les exigences d'un exposé ayant la féodalité pour thème nous obligent à séparer de l'Europe franque non seulement l'Italie lombarde de l'indépendance, mais l'Espagne et l'Angleterre. 3. Bibliogr., n°• 353-378 (p. 453-454) ; Compléments, p. 454-455.

COMPAGNONNAGES ET CLIENTÈLES

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tière fiscale ; une stratification juridique des classes rurales qui, dans l'ensemble, se rapproche de la nôtre ; enfin, pareil alourdissement, au vn· siècle, des charges pesant sur les colons. La maigreur de nos moyens d'information dissimule de nombreux contrastes régionaux, mais n'empêche pas de rendre justice à un caractère original de la société wisigothique : l'importance de l'esclavage 4 • Renouvelés par la guerre et par la traite, les non-libres étaient employés sur les domaines, dans la domesticité des grands et dans l'artisanat urbain. Bien que des textes fassent état des mauvais traitements qui leur étaient infligés et mentionnent des esclaves fugitifs, le statut servile paraît s'être amélioré quelque peu au cours de la période wisigothique. Des esclaves étaient admis dans les ordres monastiques. D'autres, vers la fin du VII" siècle, servaient dans l'armée. Un tel honneur, il est vrai, tenait beaucoup moins à un accroissement de considération qu'à la crise de l'Etat wisigothique, affaibli, au moment oit se précisait la menace musulmane, par la diminution des petits propriétaires et la répugnance des hommes libres à remplir leurs obligations militaires. Dans la péninsule ibérique des temps wisigothiques, la seigneurie rurale, même inachevée, présente des arêtes plus nettes que la vassalité. Pourtant, des dépendances privées sont attestées, dès le VI' siècle, dans les hautes couches de la société. Des gardingi - du gothique gards, au sens de cour - jouaient auprès du roi le rôle des antrustions en Gaule. Comme dans tous les royaumes barbares, des grands avaient leurs escortes de guerriers professionnels et d'hommes de main. Elles rappelaient les buccellarii, ou c mangeurs de biscuits >, qui accompagnaient les chefs militaires du Bas-Empire. Ces dépendants prêtaient à leur maître un serment particulier de fidélité, qu'ils avaient la faculté de rompre. Ils étaient entretenus dans sa maison ou, selon une évolution classique, casés soit sur des pro4. Ouvrage essentiel : CH. VBRLINDEN, L'esclavage dans l'Europe médiévale, t. 1, livre 1 (Bibliogr., n° 211).

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SEIGNEURIE ET FÉODALITÉ

priétés, soit sur des tenures. L'Espagne paraît avoir précédé l'Italie dans sa marche vers les subordinations vassaliques. A-t-elle aussi devancé la Gaule et trouvé avant elle la formule du bénéfice ? La question a été posée 1 • Elle n'est pas tranchée. Plusieurs dispositions législatives prouvent néanmoins qu'au VII' siècle la monarchie wisigotllique a mieux compris que sa collègue mérovingienne l'importance des réseaux privés comme moyen de gouvernement. Mais elle ne parvint pas à faire de ses vœux une réalité. Ce fut dans un milieu déchiré par les luttes pour la couronne, les révoltes des grands et les intrigues du haut clergé que déferlèrent à partir de 711 les invasions musulmanes.

••• Les vainqueurs confisquèrent au profit de la communauté musulmane les terres de la couronne wisigothique, de l'Eglise chrétienne et des propriétaires en fuite. Ils expulsèrent ou réduisirent en esclavage des paysans attachés à leur foi, tandis que des ruraux ralliés à l'Islam durent abandonner une partie de leurs biens aux Berbères et aux Syriens qui avaient suivi les premières vagues d'invasion. Pourtant, l'organisation des grands domaines ne subit pas de changement fondamental, et leur évolution s'opéra, jusqu'au XI' siècle, selon un tracé qui parfois remet en mémoire celui des pays carolingiens. D'origine fort diverse - chrétiens faits prisonniers, Slaves et Africains acquis sur les marchés - les esclaves furent conviés à des activités surtout domestiques ou artisanales. Les colons fournirent donc la plus grande partie de la maind' œuvre indispensable à l'exploitation des réserves jus:qu'au moment où, vers le XI' siècle, elles diminuèrent au bénéfice des tenures. Sur eux, l'autorité seigneuriale se fit d'autant plus tracassière que le maître habitait en ville et 5. Notamment par SANCHEZ-ALBORNOZ, En torno a loa origenea del feudalismo, t. 1 et III ; El stipendium hispano-godo ... ; Espaiia 11 el feudalismo carolingio (Bibliogr., n 09 367-369). Cf. ci-dessus, p. ·173, n. 22.

CO~IPAGNONNAGES ET CLIENTÈLES

261

qu'il remettait la gestion de ses biens à des agents portés à des abus de pouvoir. Si la seigneurie rurale a progressé dans l'Espagne musulmane, un coup d'arrêt fut porté par la conquête au développement des dépendances vassaliques et des bénéfices. Dans les régions au contact des royaumes chrétiens, des marches furent constituées, qu'on peut rapprocher des marches carolingiennes comme des commandements militaires créés au XII• siècle sur les côtes anglaises de la Manche, ainsi que sur les frontières du pays de Galles et de l'Ecosse. Mais leurs chefs étaient les sujets du Calife, au même titre que les bénéficiaires des tenures emphytéotiques, ou iqtd's, qui furent distribués aux soldats des armées d'invasion, aux Syriens amenés en renfort, puis aux indigènes convertis à l'Islam et servant dans les troupes montées•. Ne seraient-ce pas là des mesures qui auraient incité Charles Martel à développer une cavalerie de vassaux entretenus par des bénéfices-tenures ? On l'a soutenu, probablement à tort. La cavalerie arabe était une cavalerie légère. En outre, comme les biens militaires byzantins, les iqtâ's étaient des terres de faible étendue concédées par l'Etat à des hommes qui ne prêtaient pas les serments vassaliques, inconnus du monde musulman, et qui exécutaient des services de nature publique. On peut même admettre que cette modeste classe de cavaliers, ainsi que les esclaves engagés dans l'armée des Omeyyades de Cordoue, ont servi le pouvoir souverain et joué contre la féodalité. De cette dernière, on cherche sans succès la trace non seulement dans le Califat, mais dans les petits royaumes, ou taifas, nés de son démembrement, et au cœur des territoires placés à la fin du XI' siècle sous la domination almoravide .

••• Dans l'Espagne demeurée chrétienne, la formation des liens de dépendance fut aussi ralentie par le contrecoup des invasions musulmanes et par la lutte contre les Maures. 6. Sur la nature de l'iqtâ' pendant sa première période, voir ci-

dessous, p. 291-292.

262

SEIGNEURIE ET FÉODALITÉ

Laissons la Catalogne, placée depuis le début du IX• siècle dans l'orbite carolingienne et partiellement féodalisée. Accrochés aux montagnes pyrénéennes et cantabriques, faisant des pas inquiets et lents vers les bassins de l'Ebre et du Douro, des royaumes fragiles et rivaux s'étaient constitués dans le nord de la péninsule : bastions chrétiens battus par les vagues musulmanes qui, durant la seconde moitié du x• siècle encore, poussèrent jusqu'à Barcelone, Pampelune, Saint-Jacques-de-Compostelle et se maintinrent jusqu'au XIII• dans le royaume de Saragosse. Restés indépendants, ou i_-attachés finalement à la Castille, les royaumes chrétiens poursuivirent deux objectifs essentiels, qui expliquent certains caractères de l'organisation politique et sociale : la lutte contre les Maures et le repeuplement des terres désertes qui s'étalaient du Douro au Minho, comme de la bordure méridionale des pays cantabriques à la haute vallée de l'Ebre et au nord de la Nouvelle Castille. En même temps que des châteaux forts et des évêchés, de grands domaines formés de réserves et de tenures furent créés dans ces régions, du jour où la reconquête prit tout son élan. Esclaves musulmans capturés au cours des guerres, affranchis descendant des esclaves chrétiens partis avec leurs maîtres lors des invasions et casés sur des tenures, paysans attachés au sol en même temps qu'à leurs seigneurs par des liens héréditaires et ayant un statut fort proche du servage, tenanciers jouissant d'une complète liberté personnelle constituaient sous des ·noms divers, répondant à autant de catégories juridiques, la population des grandes propriétés. Toutefois, des Asturies au Léon et surtout à la Vieille Castille, placée durant des siècles à l'avant-garde de la reconquête, les pouvoirs seigneuriaux étaient moins étendus qu'au-delà des Pyrénées, car les monarchies avaient su conserver leurs droits essentiels. Ils étaient aussi moins assujettissants pour une partie des tenanciers, qui restaient libres de changer de protecteur ou de s'affranchir de toute tutelle'. Ajoutons qu'ils tra7.

SANCHEZ-ALBORNOZ,

« Las behetrias. La encomendacion en Astu-

COMPAGNONNAGES ET CLIENTÈLES

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çaient un tissu plus lâche que chez nous. De nombreuses communautés paysannes qui avaient reçu, dès le IX• siècle, des chartes de peuplement conservaient en effei leur indépendance. D'autre part, les nobles ne furent pas les seuls bénéficiaires des concessions royales ou princières accordant des propriétés prises sur les territoires enlevés aux Musulmans et faisant un devoir d'y attirer la maind'œuvre et de les exploiter. De cette presura, qui s'apparentait à l'aprisio catalane, profitèrent aussi des cultivateurs indépendants, qui formèrent par surcroit une cavalerie de rustres aux côtés de la chevalerie. Sur les frontières changeantes, traversées par des raids réciproques, des deux Espagnes en conflit, la situation faite à la classe des paysans-soldats a encouragé la colonisation et soutenu les entreprises militaires. En réduisant l'écart entre l'aristocratie et les rustres, moins cantonnés que chez nous dans leurs champs, elle a également ralenti la progression de la féodalité.

*

'* '* Une autre puissance a joué dans le sens anti-féodal : celle des rois chrétiens. Tendus vers l'effort de guerre, trouvant assez de ressources dans les razzias, le butin et les impôts pour entretenir une administration et une armée, ils surent empêcher la confusion entre offices et bénéfices puis combattre, ordinairement avec succès, l'hérédité des charges. Pourtant, la haute société a connu des liens privés, que les monarchies mirent à leur service. Il n'existe donc. pas de véritable discontinuité entre cette période et l'époque wisigothique. Rois et grands entretenaient chez eux des « nourris > - criados, - ou concédaient à leurs subordonnés tantôt des propriétés, tantôt des tenures conditionnelles, tout au plus viagères. Dans les pays asturo-léonais, rias Leon y Castilla > (Amzario de Historia del Derecho Espaiiol, t. I, 1924, p. 158-336) ; c Muchas paginas mas sobre las behetrfas > , exigea le service militaire des hommes libres et réclama leur aide pour l'entretien des fortifications et des ponts. Mais les immunistes purent lever des taxes d'origine publique et exercer, surtout à partir du IX' siècle, des pouvoirs judiciaires sur leurs hommes. A côté des petits seigneurs qui percevaient seulement les amendes infligées aux délinquants de leur ressort par les cours publiques, des puissants avaient leur juridiction particulière, le plus souvent concédée par le roi. Certains voyaient leur compétence limi-

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tée aux causes intéressant l'administration, la police des domaines, les tenures et les transactions sur les marchés locaux. D'autres jouissaient de pouvoirs plus étendus, équivalant à la haute justice, sur des villages entiers où vivaient non seulement leurs tenanciers, mais des alleutiers et des paysans appartenant à divers seigneurs fonciers. Leur cadre était tantôt une cour particulière, distincte des cours locales formées notamment par les assemblées populaires d'hommes libres, tantôt une cour de centaine sur laquelle le seigneur avait établi sa mainmise et qui fonctionnait pour son compte, en principe avec l'agrément du roi. L'emprise progressive et inégale de la seigneurie, ainsi que les brassages auxquels furent soumis pendant le haut Moyen Age les descendants des esclaves, des lètes et des ceorls avaient imprimé aux conditions personnelles une complexité si effarante que les rédacteurs normands du Domesday Book, entraînés pourtant aux classifications les plus subtiles, eurent grand mal à démêler l'écheveau. On ne se laissera prendre ici au sortilège des catalogues juridiques que dans fa mesure où, loin d'être un jeu de scribes, ils touchaient au fond de la condition paysanne et reflétaient des différences de fortune et de genre de vie. En dehors des esclaves domestiques ou casés - les theows, - sans doute nombreux, une classification est suggérée par plusieurs coutumiers du XI• siècle, antérieurs à la conquête normande 10 • Voici, à l'échelon inférieur, le groupe des geburs, formé d'esclaves affranchis et d'anciens ruraux indépendants, soumis à des maîtres qui pouvaient reprendre après leur mort leurs petites tenures. Hommes de peine que ceux-là, chargés de redevances, de travaux à la tâche et de deux ou trois jours de corvées hebdomadaires, comme les non-libres carolingiens, dont ils étaient fort proches bien qu'ils ne fussent pas juridiquement asservis. Au-dessus, se détachaient les cotsetlas, ancêtres, avec 10. Voir notamment les Rectitudines singularum personarum, analysées en dernier lieu par STENTo~, Anglo-Saxon England, p. 465 et suiv. (Bibliogr., n° 393).

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les précédents, des cottager& et des bordier& du Domesday Book. Eux aussi étaient des hommes pauvres, astreints sur les réserves domaniales à des travaux surtout saisonniers, qui leur laissaient toutefois le temps de travailler comme journaliers chez des voisins plus favorisés. Peut-être fautil voir en eux des cadets de familles paysannes qui, n'ayant pas trouvé un emploi dans l'exploitation paternelle l'avaient quittée pour une installation fort modeste· sur quelques acres de terre. Ajoutons à ces groupes les descendants des ceorls et les membres des communautés rurales indépendantes qui fournirent un grand nombre des c villains > inscrits dans le Domesday Book. Au sommet, enfin, se dressait l'aristocratie paysanne des geneats. Le terme signifie compagnon de nourriture. Il avait désigné au VII• siècle des guerriers qui entouraient les grands. Puis, ayant quelque peu déchu, il s'était appliqué à des ruraux chargés de tâches honorables : escorte des étrangers en visite chez le maître, port de messages, garde des châteaux, service militaire. Cette aristocratie se retrouvait dans les contrées soumises aux Danois. Non contents de travailler la terre, ses membres - les drengs, ou c garçons > - exécutaient des services de cour auprès du seigneur dont ils étaient les c recommandés >. Ils pouvaient être appelés à l'armée royale, où ils se mêlaient aux gens de petite noblesse qui formaient avec eux un groupe intermédiaire entre la simple paysannerie et les puissants. Tous ces hommes, à la fois collaborateurs des agents seigneuriaux et paysans-soldats, eurent leurs héritiers dans les sokemen, les radmen et les radknights du Domesday Book, qui bénéficièrent de statuts voisins ou analogues. Formation de grandes propriétés, développement du régime domanial, accroissement des pouvoirs seigneuriaux, abaissement de la condition personnelle de nombreux paysans ayant perdu leur indépendance et consenti une diminution de leur liberté : l'évolution répète dans ses grandes lignes celle que connurent, à travers bien des nuances, la France, l'Allemagne et l'Italie. Au début du XI• siècle, néanmoins, l'Angleterre avait sur elles un certain retard. Non seulement le régime domanial n'était qu'ébauché sur de

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nombreuses propriétés, mais dans les catégories supérieures de la paysannerie les règles de subordination s'avéraient peu rigoureuses. Des hommes se recommandaient à un seigneur sans engager leurs terres ; d'autres tenaient de lui des biens qui ne les obligeaient pas à des services ; dans !e nord et le nord-est du pays, des tenanciers pouvaient rompre leurs liens et « aller vers n'importe quel seigneur de leur choix >. Les banalités demeuraient inconnues. Quant aux justices privées, elles étaient entravées dans leur expansion par une monarchie qui, sous l'égide de la maison de Wessex, avait su limiter la portée des immunités. Surtout, de nombreuses collectivités villageoises échappaient encore à une puissance seigneuriale moins vigoureuse et moins envahissante que sur le continent.

* ** Dans ce climat, la féodalité n'a pas trouve à s'épanouir bien que les subordinations personnelles se soient multipliées autour des rois et des grands. Parmi les « nourris > ou les « mangeurs de pain >, dépendant des « donneurs de miches > appelés hlafords - origine du terme lord, - il f;rnt détacher les hommes de la garde du roi (leode, leudes), les geneats, ou compagnons de nourriture, et par-dessus tout les gesiths, puis les thegns. Gesith est de la même famille que le vieil allemand gisind, compagnon d'expédition. Il désignait l'homme d'armes d'un certain rang, entretenu dans la maison du maitre ou doté d'un bien foncier et devenu seigneur local. Après avoir triomphé au VII' siècle et pendant la première moitié du VIII', il fut supplanté progressivement par le mot thegn 11• A travers ses modifications un sens a prévalu : celui de serviteur personnel. On peut l'être comme domestique, page ou simple suivant d'armes - ce fut souvent le cas aux origines. - On peut l'être aussi comme chef de guerre ou administrateur : fonctions exercées par des thegns du roi qui évoquent les grands vassaux 11. H. R. LoYN, Gesiths and thegns in Anglo-Sazon England (Bibliogr., n° 386).

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dispersés dans l'Empire carolingien. Ils devinrent d'autant plus puissants que la maison de Wessex les éleva avec elle au x· siècle, en fit ses agents politiques et militaires. En revanche, les thegns des grands étaient parfois de modestes personnages. Par leur fortune et leur genre de vie ils se rapprochaient des knights - mot qui, d'abord appliqué à des serviteurs parfois privés de liberté, le fut ensuite à des guerriers domestiques, en attendant d'être promu dans l'Angleterre normande à une brillante fortune, puisqu'il désigna le chevalier. Ils se rapprochaient aussi des drengs, des geneats et des vavasseurs normands, rejoignant par là les éléments supérieurs de la paysannerie. Tous ces termes, avec leur signification changeante, reflètent tant bien que mal les transformations intervenues au sein de l'aristocratie anglo-saxonne, comme dans ses rapports avec la monarchie. Ils traduisent des différences de rang, de prestige et de fortune, mais nullement une hiérarchie vassalique. Une grande imprécision régnait parmi les réseaux personnels. Les recommandés étaient certainement des fidèles, liés par un serment qui s'accompagnait parfois d'un geste des mains. Mais les liens étaient précaires, le subordonné pouvant abandonner son maître dans des conditions stipulées par la législation, ou servir en même temps plusieurs seigneurs. En outre, ils n'intéressaient qu'une partie de l'aristocratie et avaient pénétré fort peu dans l'Eglise. Les rapports entre la recommandation, le statut des terres concédées et les services attendus souffraient du même flottement. De nombreuses terres étaient données en pleine propriété. La concession, cependant, était-elle temporaire ? Tantôt elle prenait fin avec les services exigés ; tantôt, le subordonné la conservait jusqu'à expiration du délai fixé même si, dans l'intervalle, il se recommandait à un autre seigneur. Ajoutons que l'aide militaire, due en principe au roi seulement, était sans relation nécessaire avec la valeur et l'étendue des biens octroyés. En définitive, les concessions terriennes ne se trouvaient pas soumises à des règles assez strictes pour qu'on pût les ramener à un type essentiel : le fief. Certes, des rois tels que lEthelstan, qui fut mêlé aux affaires du continent et

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influencé par rexemple carolingien, puis un siècle plus tard Edouard le Confesseur, tentèrent d'imprimer un caractère plus rigoureux aux dépendances privées afin de les mettre au service de l'Etat et de la paix intérieure. Pourtant, l'esquisse ne put faire place à un dessin plus ferme. Bien qu'elle fût sillonnée de subordinations fragiles et qu'elle vécût dans un état de grâce tout proche de la vassalité, l'Angleterre d'Edouard le Confesseur et d'Harold s'était moins avancée que l'Espagne du Cid en direction de la féodalité. Elle se trouvait alors au même stade que la Gaule vers le début du VIII" sièce. A quoi tient ce retard ? Invoquons une fois encore la présence de fortes communautés villageoises et de solidarités lignagères qui freinèrent l'extension des dépendances privées. Rappelons aussi, en même temps que le lent développement de l'économie monétaire, le maintien d'une puissance publique exercée non seulement par une administration centrale rudimentaire, mais par des organismes locaux qui furent renforcés au cours du x· siècle. Ils avaient pour cadres le shire, équivalent du comté, ainsi que sa principale subdivision, la hundred, ou centaine, petite circonscription fiscale et judiciaire rassemblant des villages dont les terres arables occupaient en principe une superficie totale de cent hides. La gestion en était confiée à des grands, parfois tentés de s'approprier les droits régaliens. Toutefois, leurs fonctions passaient pour issues d'une délégation royale, et cette notion ne subit jamais l'éclipse qu'elle connut en France à partir du x• siècle. Elles supposaient la fidélité sans être liées à des serments privés, ni tenues en fief. Dans ce pays étroit, où l'exercice de l'autorité ne se perdait pas au milieu d'espaces comparables à ceux de l'Empire carolingien, où la confusion des pouvoirs publics et privés était loin d'atteindre le même degré que dans les principautés françaises, le roi conservait des moyens d'action étrangers aux dépendances particulières. Il pouvait, sans passer par elles, exiger la loyauté, lever des taxes, requérir l'aide militaire ... Un dernier facteur a joué un rôle décisif dans l'échec partiel du régime vassalique. Entre l'aristocratie et les masses

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rurales, des ponts furent lancés grâce aux petits thegns et aux paysans-soldats mobilisés dans une armée qui, ayant peu de chevaux et combattant à pied, n'exigeait pas le long entraînement ni les dépenses réclamées par les troupes continentales. Le service militaire n'était donc pas le monopole d'une caste tirant prétexte de ses charges pour dresser autour d'elle une barrière contre laquelle protestait d'ailleurs l'imprécision des clivages sociaux. Ici, en effet, les traditions romaines, génératrices de divisions tranchées entre les classes, avaient de longue date disparu 11 • Sans la conquête normande, l'Angleterre se serait-elle alignée sur le continent ? En histoire, de telles conjectures sont forcément gratuites. On peut néanmoins admettre sans débauche d'imagination que le pays aurait subi une évolution comparable à celle des régions scandinaves sous l'égide d'une monarchie capable de renforcer l'Etat en évitant de recourir aux réseaux privés. En 1066, l'irruption des Normands en décida autrement. Malgré les violences et les spoliations, l'organisation politique et sociale ne fut pas bouleversée de fond en comble. La voie était préparée à l'extension des dépendances. Brtî.lant les étapes et associant aux institutions indigènes celles de leur duché français, les Normands allaient faire du domaine une seigneurie vigoureuse et donner à la société anglaise un cadre féodal demeuré sans égal en Occident. De l'aventure, l'historien peut tirer une leçon. Aussi longtemps qu'une main ferme, celle d'un gouvernement indigène on celle d'un étranger, n'a pas réuni en faisceau les liens de subordination, ces derniers sont restés à l'état d'ébauche. 12. Ces structures concernent le monde purement anglo-saxon. Sous l'action des milieux du Danelaw et des guerres danoises, elles reçurent d'ailleurs de sensibles retouches avant 1066. De Knut à Harold, des guerriers professionnels à la solde du roi ( les lithsmen et, plus encore, les housecarles) formèrent l'élément le plus efficace du corps de bataille de l'armée anglaise (HoLLISTER, Anglo-Saxon military institutions, p. 9-24. Complém. bibliogr., p. 456). En outre, le système militaire avait conservé la même rigueur que dans l'Empire carolingien. Le fyrd était organisé sur la base de l'unité de cinq hides, la levée navale sur celle du shipsoke : autant d'éléments susceptibles de renforcer la cohésion de la société.

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Ill. -

LE MONDE SCANDINAVE 11

Nous ferons seulement un temps de galop à travers les régions scandinaves, slaves et byzantines, comme au cœur des contrées soumises à l'Islam. Avec elles, en effet, nous abandonnons les grandes routes ayant conduit à des f éodalités inégales pour de simples pistes aboutissant à un fouillis de dépendances sans véritable cohésion jusqu'aux derniers siècles du Moyen Age. Ces incursions sont cependant efficaces dans la mesure où elles permettent de mieux saisir, par contraste, les caractères profonds du régime féodal. Le Danemark, la Norvège et la Suède ont chacun leur histoire et leur originalité 14. Ils ont aussi des traits communs, parmi lesquels on relève l'absence de subordinations comparables aux nôtres. Certes, il y avait là une aristocratie de chefs, élevée au-dessus des cultivateurs libres, des affranchis et des esclaves i:,. Avant le XIII• siècle, elle imposa aux paysans des obligations économiques et de lourds devoirs navals et militaires. En outre, les rois s'entouraient d'une garde personnelle, la hirdh, chargée comme la truste mérovingienne de tâches militaires et administratives. Des grands, enfin, sillonnaient avec leurs compagnons les mers occidentales et nordiques, ainsi que les routes unissant la Baltique à la mer Noire. Mais, abstraction faite de rapports accidentels entre les souverains scandinaves et. l'Empire, il faut pour trouver trace de la vassalité et du fief descendre jusqu'au XIV• siècle où, sous l'influence de l'Allemagne, une féodalité légère et superficielle prit racine. La force du lignage, comme celle des communautés villageoises en Danemark et en Suède, ou des associations de voisins en Norvège occidentalP,, le développement 13. Bibliogr., n°• 396-398 (p. 456-457) ; Compléments, p. 457. 14. L'Islande plus encore - société c coloniale > sans royauté, sans armée, sans marine. 15. Témoignages par exemple dans La Saga d'Eric le Rouge (éd. et trad. M. GRAVIER, Paris, 1955, Biblioth. de Philologie germanique, t. XVII).

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des institutions publiques à partir du XI• siècle, les ressources puisées dans l'activité commerciale et les razzias en pays étrangers n'entrent pas seuls en ligne de compte. Comme en Angleterre, l'échec s'explique aussi par le clivage incertain tracé entre les différentes classes d'hommes libres, qui jouissaient sensiblement des mêmes droits politiques et combattaient dans les mêmes armées. Enfin, ces peuples d'envahisseurs ne furent pas à leur tour envahis. Ils vécurent selon leurs coutumes, qui laissaient peu de place aux contraintes seigneuriales et surtout aux structures vassaliques 111 • Ces dernières étaient ignorées des sociétés qui vivaient dans les régions maritimes étalées de l'Eider à l'est de l'Elbe, ainsi que dans les îles et les presqu'îles de la mer du Nord, de la Baltique et de l'océan Arctique. L'efficacité des « parentèles >, chez les Nordiques comme chez les Celtes, l'obstacle apporté à la notion de classe par le rassemblement des grands et des humbles dans les mêmes bandes guerrières réduisirent jusqu'au XIIIe siècle les subordinations partirulières à de simples dépendances économiques entre riches et pauvres et à des relations de compagnonnage dans les hautes sphères de la société.

IV. -

LE MONDE SLAVE

Aux abords de l'Elbe commençait le monde slave. La documentation est si pauvre que son histoire ne débute guère avant le VII• siècle et qu'il faut gagner le XI• pour donner quelques réponses à des questions multiples. De très vastes espaces ouverts devant un petit nombre d'hom16. Des travaux récents paraissent démontrer que le caractère indigène de ces coutumes n'était pas aussi accentué qu'on l'a cru. L'armée, la marine et certaines structures rurales ont subi l'influence des sociétés anglo-danoises du Danelaw (HoLLISTER, AngloSazon military institutions ; Ku&N, c Die Grenzen der germanischen Gefolgschaft > (Zeitschrift der Savigny-Stiftung ..., 1956 p. 1-83) ; MussET, Les invasions : le second assaut, ... p. 251-252). '

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mes; à côté de l'élevage, des procédés de culture fondés primitivement sur l'essartage, mais en voie d'amélioration depuis le VIII• siècle ; le long des fleuves, une vie d'échanges assez active qui donna naissance à des villes ; des tribus et, au-dessous d'elles, des clans qui imposaient le principe de la responsabilité collective à tous leurs membres et possédaient en commun la plus grande partie des terres sans cependant interdire la propriété individuelle ; enfin la formation de grands domaines accentuant les différences entre les moyens de production, les fortunes et les classes : tels sont les traits qui, ajoutés à la christianisation venue de Rome ou de Byzance, tranchent sur la grisaille de l'histoire économique et sociale des pays slaves durant notre premier millénaire n. Relevons encore, en matière politique, des principautés fragiles dans un monde instable, des bribes d'Etats substitués directement aux tribus, puis des Empires passagers à l'exemple de celui qui rassembla les Tchèques et les Slovaques sous l'autorité des princes de Moravie. Avant le XII• siècle, l'étude des liens de dépendance se trouve ici sur un terrain mineur. L'exemple de la Pologne et de la Russie, dont le lointain passé comporte moins d'inconnues que celui des autres pays slaves et de la Hongrie en apportera un témoignage. Nous le pousserons jusqu'aux époques, parfois tardives, où des éléments de comparaison avec l'Occident carolingien peuvent être envisagés. 17. Des auteurs font remonter la désagrégation des clans, là où le phénomène fut précoce, au IX• ou au X• siècle, sans nier qu'ils aient laissé de tenaces survivances chez les villageois. Ils en recherchent les causes dans un progrès technique : le passage de l'essartage, qui demandait beaucoup de terres et d'efforts pour un rendement médiocre, à une agriculture moins primitive. Dès lors, les principales forces productives auraient glissé des mains de la communauté de clan dans celles des grands propriétaires. Il en serait résulté une accentuation des inégalités sociales et la formation de pouvoirs seigneuriaux. Ingénieuse et séduisante, comme le fut la théorie de la marche germanique, l'hypothèse aurait besoin d'être confirmée par des recherches plus poussées (H. LoWMIANSIU, c La genèse des Etats slaves et ses bases sociales et économiques >, dans La Pologne au X• Congrés international des Sciences historiques, Varsovie, 1955, p. 29-53).

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A. LA POLOGNE

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li

C'est au X• siècle seulement que, sous l'action des Piasts, appelés à une longue existence dynastique, furent créés les éléments d'un Etat allant du bassin de la Vistule à celui de l'Oder. Les Piasts, en effet, s'imposèrent aux tribus qui, durant les siècles précédents, avaient vécu dans l'indépendance ou l'autonomie sur leurs territoires de colonisation, pointés de bourgs fortifiés. Ils s'imposèrent aussi aux clans, tout en s'imprégnant de leur esprit. Mais, pour longtemps encore, les dépendances privées ne jouèrent en Pologne qu'un rôle très secondaire. Du moins sont-elles attestées tardivement. Devant le silence des textes, nous ~gnorons si les nombreuses places fortes édifiées à partir du vu• siècle entraînèrent, comme nos châtellenies, des subordinations paysannes, et si des villages entiers furent soumis à un maître. En outre, il faut descendre jusqu'au XI• siècle pour trouver certains éléments du régime domanial, les salariés et les esclaves ayant assumé, auparavant, l'exploitation des réserves. C'est aussi vers ce même temps que la seigneurie rurale s'est développée, car les monastères et les églises reçurent un temporel considérable et des immunités. Ils furent en mesure d'interdire à leurs paysans l'abandon du domaine. L'évolution est en rapport non seulement avec l'emprise grandissante exercée sur l'Etat par le clergé et la noblesse, mais avec le progressif effacement des clans et le développement des inégalités sociales. Il n'empêche qu'au XIII- siècle encore une partie de la paysannerie polonaise relevait en matière judiciaire et militaire non des seigneurs, mais des princes ou de leurs représentants. Malgré les atteintes à son indépendance elle jouissait d'une liberté que ses frères d'Occident auraient pu lui envier. Elle la conserva jusqu'à la fin du Moyen Age.

18. Bibliogr., n°• 399-405 (p. 457) ; Compléments, p. 458.

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••* Entre la « féodalité > polonaise et la nôtre, les points de rencontre sont beaucoup plus rares qu'entre nos seigneuries et celles des bords de la Vistule. Au x· siècle, des princes et des puissants avaient leur garde personnelle, la drujina, investie de fonctions militaires et administratives à l'exemple de l'antrustionat mérovingien et de la hirdh scandinave, C'est ainsi que l'un des fondateurs de l'Etat polonais, Miesko I•r, entretint un compagnonnage rappelant celui d'un autre bâtisseur de royaume : Clovis. Les membres des drujinas recevaient une solde, puis « le vêtement, les chevaux, les armes et tout le nécessaire >. Après le Xl8 siècle, les chefs donnèrent à leurs hommes - descendants des anciens compagnons, ou subordonnés de fraîche date des propriétés héréditaires ou des biens temporaires : conséquence du sédentarisme auquel se pliait maintenant une partie de l'aristocratie et aussi de la décadence économique qui atteignit la plupart des pays slaves. Toutefois, malgré le morcellement de la Pologne en principautés, malgré les immunités ecclésiastiques et les privilèges d'une chevalerie issue en partie des drujinas, les traditions du clan et surtout le maintien des institutions publiques empêchèrent la substitution des fidélités vassaliques aux rapports entre l'Etat et les sujets. Certes, la Pologne des Piasts avait adopté quelques institutions carolingiennes, connues par l'intermédiaire de la Bohême et de l'Allemagne. Elle entretenait de nombreuses relations avec l'Occident. Et l'on ne saurait oublier qu'elle devint fief d'Empire en 1032 ni que, cent ans plus tard, Boleslas III prêta hommage à l'empereur pour la Poméranie et l'île de Rügen. Faits accidentels. Durant la plus grande partie du Moyen Age, la Pologne a ignoré, en droit tout au moins, l'appropriation privée, transmissible héréditairement, des fonctions publiques, ainsi que les tenures conditionnelles, soumises à des charges spécialisées. C'est à partir du XIII• siècle seulement que, sous l'influence de l'Allemagne et de la Lithuanie, des rapports vassaliques se sont noués entre le roi et les chefs des principau-

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tés, comme entre des nobles et leurs subordonnés. Mais les structures de l'Etat et celles des sociétés en furent peu affectées. A ce pays, l'inspiration féodale a toujours manqué.

B.

LA

RUSSIE

li

La Russie a fait ses premiers pas sur les grandes routes de terre, sillonnées de fleuves, qui allaient de la Baltique à la mer Noire. C'est là qu'est apparu le nom « russe > et que se sont formés les premiers rudiments d'une organisation politique qui franchit au IX' siècle une étape décisive. Alors, en effet, les caravanes armées de marchands itinérants venus de Suède ne se bornèrent plus à créer des entrepôts. Leurs chefs fondèrent des principautés où les éléments slaves et scandinaves, étroitement associés, furent placés finalement sous l'autorité du prince de Kiev. Celle-ci s'étendit d'une part sur les régions situées de Novgorod à l'Ukraine, sièges d'une active économie commerciale qui favorisa la croissance des centres urbains, de l'autre sur les espaces forestiers, presque vides avant le XII" siècle, que traversaient le Don moyen, l'Oka et la haute Volga 10• 19. Bibliogr., n°• 406-421 (p. 458-459) ; Compléments, p. 459. Documents, n 08 57-60 (p. 409-413). 20. Aux dires d'une thèse classique, Rus' aurait été appliqué non seulement aux Suédois, mais aux colonies marchandes scandinaves - les Varègues des chroniques byzantines - installées chez les Slaves de l'Est, et par extension à ces derniers eux-mêmes. Néanmoins, les historiens restent partagés sur l'origine et le sens du mot, dont le mystère n'est pas percé. Attesté dès le VI• siècle par des sources syriaques, il est peut-être d'origine méridionale, plutôt que nordique (mais la plupart des germanistes lui attribuent une origine finnoise). Si, d'autre part, l'historiographie soviétique souligne le rôle commercial des Scandinaves dans la Russie primitive et, avec plus de réserves, leur action politique, elle n'admet pas que l'Etat de Kiev ait été fondé par eux. Cet Etat, affirme-t-elle, avait un passé slave ; il puisa ses forces essentielles dans les éléments indigènes puis, secondairement, dans leur association avec les Scandinaves. - L'extrême insuffisance de la documentation autorise thèses et antithèses, d'où les préoccupations contemporaines sont loin d'être exclues. l\lais

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Ce que nous savons du passé de cet Etat jusqu'au milieu du XII• siècle ne concerne qu'indirectement notre propos 21 • On peut déceler pourtant des dépendances paysannes, car des fermiers et des métayers vivaient aux côtés des salariés. agricoles, des affranchis et des nombreux esclaves sur les terres des grandes propriétés appartenant aux princes, aux chefs des places fortes et aux couvents. Mais elles étaient surtout économiques et ne rejaillissaient guère sur le statut personnel des ruraux. Il existait aussi des subordinations privées dans les hautes couches de la société. C'est grâce à leur drujina, réplique des compagnonnages de l'Occident barbare et de la Scandinavie, que les princes de Kiev, les membres de leur famille et les boïars avaient établi leur pouvoir sur la Russie primitive. Mais les compagnons n'étaient liés à leur chef que par la fidélité : serment auquel ils pouvaient, comme lui-même, renoncer à tout instant. En outre, avant le XII' siècle, la plupart étaient entretenus directement plutôt qu'installés sur des terres. Arrivait-il qu'ils fussent casés ? La concession était faite ordinairement en pleine propriété, sans qu'un lien fût établi entre elle et les services exigés, qui demeuraient purement personnels. Ces pratiques auraient pu d'autant mieux conduire à la féodalité que les distinctions étaient peu nettes, comme dans tous les pays slaves, entre droit public et droit privé, et les rivalités fort vives entre chefs territoriaux. Néanmoins, l'Etat de Kiev resta une confédération de principautés nombreuses et souvent morcelées, sans pyramide de subordinations ni attribution de fiefs. elle interdit toute conclusion définitive (R. PORTAL, c Quelques problèmes d'histoire russe et slave >, dans Rev. historique, t. CXCIX, 1948, p. 58-73) ; An. STENDER-PETERSEN, c Das Problem der altesten byzantinisch-russisch-nordi~chen Beziehungen >, dans le X• Congrès internat. des Sc. histor., Rome, 1955, t. III, p. 165-188 ; H. LowMIANSKI, c Critique de la théorie de l'origine normande des Etats slaves >, dans Studi in onore di Armando Sapori, 1957, 1, p. 149-172) ; SMITH, c Le Haut Moyen Age russe > (Annales, E.S.C., 1958, p. 754-764). 21. A moins de considérer la féodalité comme une phase de l'histoire entre l'esclavage antique et le capitalisme moderne au lieu de voir en elle - c'est ici notre tâche -- un ensemble de sociétés et d'institutions dotées de caractères spécifiques.

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Les traditions laissées par les anciens clans, la fragilité des liens privés, accrue par l'étendue des terres vacantes et par les déplacements des guerriers, qui facilitaient les transferts de fidélités, s'opposèrent à l'installation d'un ferme régime de soumissions particulières. D'autres éléments encore les rejetèrent à l'arrière-plan : telle la place tenue par les assemblées urbaines et les communautés rurales ; telle la présence de fonctionnaires et de mercenaires soldés par les princes grâce aux revenus que leur procuraient les échanges commerciaux et le butin. Au XII• siècle, la grande période de l'Etat de Kiev commence à passer. Aux querelles de succession dans la famille princière s'ajoutent alors les invasions des Petchénègues et des Coumans, le ralentissement du commerce avec Byzance et l'Orient, l'abandon partiel de la route du Dniepr par les marchands d'Occident, que tentaient les voies méditerranéennes. Le coup final lui fut porté par les Mongols, qui occupèrent ses contrées méridionales et imposèrent leur protectorat aux régions de l'Oka et de la haute Volga.

* ** Un siècle plus tôt déjà, les forces vives du pays s'étaient déplacées en ces directions. Le mouvement fut accéléré par la poussée mongole, chassant vers le nord-est clientèles princières, moines et paysans de l'Ukraine. Là, d'immenses espaces attendaient les défricheurs. Des principautés y avaient été créées au XII• siècle : ainsi celle de Souzdal, où Moscou est mentionnée pour la première fois en 1147. D'autres surgirent au XII' siècle, en même temps que des dominations de faible rayon taillées dans les forêts sous la conduite des drujinas et surtout des couvents. Elles furent rattachées par des liens très lâches au prince de Kiev, puis au khan des Mongols. La plupart jouissaient d'immunités plus ou moins étendues ou d'une autorité de fait qui puisait sa force dans la richesse foncière, le caractère patrimonial du pouvoir et l'aide apportée par les fidèles. Mais à quoi bon des tenures, munies de toutes les précautions dont l'Occident les entourait, en des contrées où l'on s'installait le plus

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souvent à sa guise, où les chefs recherchaient avant tout des hommes - guerriers pour la défense du pays, ruraux capables de tracer des champs, - où le fief, si l'on y avait songé, se serait révélé peu pratique ? La terre fut donc prodiguée en don pur et simple sous la forme de domaines patrimoniaux - votchina - plutôt qu'à titre conditionnel : de sorte que les services demandés aux compagnons immédiats et aux clientèles éparpillées dans les clairières furent la conséquence du dévouement promis, non des terres reçues. Enfin, malgré certaines résistances seigneuriales, les dépendants purent passer d'une principauté à l'autre en gardant les biens donnés par les anciens maîtres. A ses débuts, le monde franc avait traversé de pareilles incertitudes avant de créer un rapport entre la recommandation, la cession d'une terre et les services attendus. Pour la Russie des xn· et XIII• siècles, ne parlons pas de société féodale, avec son étagement des subordinations et son monopole guerrier. Elle n'apparaît ni sous les derniers princes de Kiev, ni sous les Mongols qui, dans les pays de l'Oka et de la haute Volga, se bornèrent à exiger des princes indigènes la fidélité et des tributs. En revanche, on peut assister au développement d'une aristocratie dont les propriétés furent organisées sur la hase d'un régime domanial atténué par la présence d'esclaves et d'ouvriers agricoles. Ces propriétés devinrent des seigneuries grâce aux prérogatives conférées par la possession du sol, aux immunités d'inégale importance octroyées par les princes à des territoires ecclésiastiques, ou à l'autonomie laissée à des laïcs. L'évolution traduit les progrès du sédentarisme, l'effritement de certaines communautés rurales et le resserrement des pouvoirs privés sur les paysans dans le cadre d'une économie surtout agricole. Pourtant, les subordinations rurales furent loin d'être aussi répandues qu'en Occident à la même époque. La plupart des paysans appartenaient encore à des groupes villageois indépendants qui s'administraient eux-mêmes et formaient, au regard du prince, autant de cellules soumises à l'impôt, à des travaux d'utilité publique et à des ,services dans les milices locales. Des ruraux relevaient-ils d'un domaine? La

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population était si faible que, pour la retenir en l'absence d'un pouvoir central capable de la river au sol et de pourchasser les fuyards, il fallait lui accorder des conditions avantageuses : certitude d'une protection, autorisation pour les tenanciers d'un même domaine de tenir des assemblées et d'avoir des magistrats élus, dégrèvement durant la mise en valeur, droit d'abandonner ou de vendre les tenures et souvent aussi d'obtenir en propriété une partie du sol défriché, qui restait aux mains de l'exploitant même s'il quittait son maître. En outre, les tenanciers dépendaient des c institutions publiques > puisque le prince conservait des prérogatives fiscales et militaires sur les territoires d'immunité eux-mêmes. Bref, la plupart des paysans russes étaient libres encore au début du XIV" siècle. C'est l'ère moderne qui les a asservis. C'est sur eux principalement que s'est abattu le lourd appareil de l'Etat moscovite, rassembleur des territoires composant le centre et le nord de la plaine russe. Non content de porter atteinte aux communautés villageoises indépendantes, souvent endettées et battues en brèche par les grandes propriétés, il a aggravé les charges fiscales de tous les ruraux et accru leur subordination envers des seigneurs dont il servait les intérêts pour obtenir leur concours. Par-dessus tout, il a réduit leurs possibilités de déplacement - notamment vers l'Oural au XVI• siècle - et les a progressivement fixés au sol. Le processus répète à certains égards l'histoire du colonat occidental sous le Bas-Empire et pendant le haut Moyen Age.

* ** L'Etat moscovite offre également, depuis le XIV• siècle, une ébauche de la féodalité, formée dans l'entourage des princes et des grandes familles qui entretenaient des hommes d'armes. Si bien qu'à travers un décalage chronologique conduisant jusqu'aux temps modernes, un rapprochement peut être fait entre cette période et les débuts de l'époque carolingienne, car elle fut celle des bâtisseurs. Avec l'agrément du khan mongol et au besoin son appui, le grand

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prince de Moscou c place sous sa main> les chefs des principautés secondaires et lève sur eux un tribut qu'il remet au khan. Une fois disparu le joug mongol, il perçoit ce tribut pour lui-même, obtient l'aide militaire des grands, s'ingénie à prendre à son service les seigneurs ruraux, combat les changements d'allégeance en stipulant que les biens par lui concédés seront dans ce cas repris à leurs bénéficiaires. La concentration de la terre russe s'accompagne ainsi d'un resserrement de l'autorité. Toutefois, les liens que nous attendons ne se sont pas formés principalement au sein de la vieille aristocratie des boïars, persécutée par Ivan III et décimée par Ivan le Terrible. Ils sont nés surtout parmi les « gens de service > du tsar, recrutés non seulement dans l'Etat moscovite mais chez les Cosaques, ainsi qu'en Lithuanie et dans les pas tartares, pour répondre aux besoins militaires de l'Etat agrandi. Les ressources fiscales, pourtant importantes, ne suffisant pas à les solder en argent, ils furent les principaux bénéficiaires des tenures appelées pomiestiés - c'est-à-dire chasements - : domaines de plusieurs dizaines à plusieurs centaines d'hectares, partagés sur leur plus grande étendue entre des fermiers et des métayers soumis au pouvoir seigneurial du maitre. Le pomiestié apparaît durant la seconde moitié du xv• siècle, mais l'institution est un peu plus ancienne. Le XVI• siècle a vu son épanouissement. Elle rappelle l'iqtâ, le timâr et la pronoia à certaines périodes de leur histoire n. Elle se rapproche aussi du fief. Comme lui, elle était la contrepartie d'obligations particulières et devait fournir à l'armée un nombre d'hommes déterminé. A son image, elle fut d'abord temporaire ou viagère. Puis elle devint en de nombreux cas héréditaire sous réserve de l'accomplissement des devoirs. On retrouve ici l'union féconde entre la possession de la terre, l'exercice des droits seigneuriaux et le service du prince, assuré par une classe détachée du reste de la population. Ce régime fut moins le résultat d'un mouvement spon22. Ci-dessous, p. 291 et suiv., 306-307. Documents, n 08 58-60 (p. 410413).

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tané, venu des couches profondes de la société avant d'être encouragé par des mesures officielles, que le fruit d'initiatives gouvernementales. Le démembrement de la puissance publique n'est donc pas un préalable nécessaire à la formation des liens de dépendance. L'exemple russe, comme les exemples anglo-normands ou ottomans, démontre qu'ils peuvent être créés dans l'intérêt de l'Etat. Jamais cependant les réseaux privés n'ont poussé en Russie leurs ramifications aussi loin qu'en Occident ni atteint au même degré les sociétés et leur gouvernement sa. Ce dernier a monopolisé en fin de compte les services que des chefs de l'aristocratie réclamaient encore pour euxmêmes vers le milieu du XV' siècle. C'est de lui seul qu'ont dépendu la plupart des titulaires de pomiestiés, soldats de l'Etat pliés à des devoirs auxquels ne répondait qu'imparf aitement l'obligation du souverain 14. La concession des terres et l'octroi des charges relevant le plus souvent de l'administration centrale, il n'y eut pas entre maitre et serviteur ces contacts humains, cette « parenté supplémentaire > qui furent longtemps un trait fondamental de la féodalité. Grâce aux pomiestiés, l'aristocratie a eu connaissance de la tenure conditionnelle sans s'élever à la notion de fief 15• Elle a ignoré l'hommage, avec lequel on ne saurait confondre le « salut frontal > des dépendants devant leur maître, geste de soumission n'ayant pas la valeur du contrat vassalique. En outre, la superposition des dévouements privés est restée exceptionnelle. Une noblesse s'est développée, ayant pour raison d'être le service du prince, jouissant de privilèges fiscaux et judiciaires, et s'appuyant sur la sei23. Il en alla autrement dans les parties de la Russie tombées sous le pouvoir des grands-ducs de Lithuanie après la chute de la domination mongole. Un régime assez proche de la féodalité occidentale y fut instauré jusqu'au XVI• siècle. 24. Des couvents, toutefois, ont aussi distribué des pomiestiés (Documents, n° 58, p. 410). 25. Les pomiestiés étant devenus héréditaires et aliénables au cours de l'époque moderne, la distinction entre eux et les domaines patrimoniaux s'est atténuée progressivement. Une Ordonnance de 1714 y mit fin en assimilant les pomiestiés aux patrimoines.

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gneurie rurale. Mais, au regard de la féodalité, la Russie n'a connu qu'un haut Moyen Age.

V. -

LES MONGOLS•

Nous avons déjà rencontré les Mongols, fondateurs d'un Empire des steppes édifié au cours des randonnées gigantesques qui virent les petits chevaux aux longs poils et les chars couverts de f entre noir des nomades asiatiques parcourir l'espace, du Pacifique aux plaines danubiennes et à la France bourguignonne. Pendant longtemps, le clan avait formé la cellule principale de la société. C'était là, on le sait, une association de parents consanguins, ou présumés tels, qui se rattachaient à un même ancêtre. Ils pratiquaient l'entraide mutuelle, avaient leurs terrains de pacage, découpés sur le territoire de la tribu, mais laissaient à chaque famille le droit de posséder en propre son bétail, ses chariots, son outillage. Loin d'être des égaux, ils formaient une petite société de chefs, de guerriers, de gens du « commun > et d'esclaves recrutés notamment parmi les prisonniers et les hommes dénués de ressources. Les alliances entre tribus ou clans voisins, comme la subordination des groupes vaincus à leurs vainqueurs, ébauches d'une unification constamment remise en question, étaient des pratiques anciennes, au même titre que l'abandon du clan par une de ses branches, qui fondait ailleurs une cellule nouvelle. Elles se multiplièrent à partir du XI• siècle où, par surcroît, de nombreux clans perdirent leur « pureté primitive >, déjà altérée à maintes reprises au cours de leur ancienne histoire. Alors, en effet, de nouveaux rapports sociaux se créent à l'intérieur ou en dehors des groupes traditionnels. Plus qu'aux époques précédentes, des hommes de clans différents nouent des pactes d'amitié et se disent c frères de nom >. Des chefs accueH26. Bibliogr., n°• 422-426 (p. 459-460).

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lent des étrangers, qui deviennent « gens de leur maisonnée >. Ils les entretiennent aussi longtemps qu'ils restent à leur service, les emploient comme gardes du corps ou agents administratifs, leur demandent d'encadrer les troupes qu'ils mènent au combat contre les tribus voisines et qui razzient c belles femmes, filles et bons chevaux >. Comme au Japon par exemple, des relations fondées sur la fidélité se juxtaposent ainsi aux rapports consanguins ou se substituent aux vieux groupes affaiblis. Aux comitatus barbares, à la hirdh scandinave, aux drujinas slaves répondent les compagnonnages mongols, dont les membres étaient libres de changer de maitre, comme les chefs de renoncer à leurs services. c Khan universel, autocrate de la terre et du temps, seigneur de la conjonction des planètes ... >, Gengis Khan a rassemblé les tribus en une fédération puissante et étendu des clans à l'Etat comme au peuple la notion d'ulus, c'està-dire de communauté et de patrimoine. Il a développ~ sa garde privée, fondé une partie de son autorité sur Je dévouement exigé des puissants, renforcé la hiérarchie des classes et des grades. Une fois au moins dans leur vie, les princes impériaux et les chefs des dominations locales lui promettaient fidélité en se prosternant devant lui et en frappant du front le sol à neuf reprises. En retour, ils étaient confirmés dans leurs possessions et leurs immunités, ou recevaient pouvoir sur un nombre déterminé de familles, comme sur le territoire attribué à la transhumance de leurs troupeaux. De leur côté, les hauts dignitaires octroyaient des fonctions et des biens à leurs clients ou à leurs agents, compte tenu de leur rang et sous réserve de l'agrément du khan. Les principaux subordonnés rendaient la justice, percevaient des taxes, levaient des contingents pour le service de leur supérieur, lui-même tenu de les mettre à la disposition du chef de l'empire. Contrairement aux fidèles de la période précédente, ils ne pouvaient quitter leur maitre ni aliéner les offices et les biens reçus, qu'ils s'efforçaient toutefois de conserver héréditairement. L'organisation se maintint sous les premiers successeurs de Gengis Khan jusqu'au démembrement de l'Em-

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pire. Elle se répéta également dans les khanats issus de son partage.

••• On a vu parfois dans « le féodalisme la pierre angulaire de la vie sociale des Mongols >. Il serait issu de la décadence des clans, aurait progressé sous Gengis Khan, puis atteint son apogée du XIV• au XVIll9 siècle dans les royaumes d'Asie centrale et du Caucase issus de son démembrement 97• Les indices retenus prêtent effectivement à confusion si l'on ne s'en tient qu'à des apparences et si l'on se refuse à toute rigueur dans la définition des concepts sociaux. « Hommage vassalique > la prosternation, devant le khan, des princes, des alliés, des protégés, alors qu'il s'agit d'un rite de soumission à un souverain ; « vassauxserfs > les clans vaincus - mésalliance de mots qui est à elle seule un contresens ; - « hiérarchie vassalique > l'étagement militaire des commandants de myriade, des chiriarques et des centeniers qui formaient les cadres de l'armée et devaient fidélité à leur supérieur immédiat ainsi que, par lui, à l'empereur ; « fiefs >, les divers biens octroyés aux dignitaires, alors qu'il s'agissait le µlus souvent de propriétés données à titre héréditaire, il est vrai sous réserve de la fidélité, car les Mongols, comme de nombreux peuples i~orant le droit romain, distinguaient assez mal la propriété de la tenure ; « fiefs > encore - disons protectorats - les royaumes subordonnés et les principautés dépendantes. Remplie de traits primitifs, en même temps qu'ouverte aux innovations et tolérante en matière religieuse, la 27. Cf. notamment B. VLADIMIRTsov, Le régime social des Mongols (Bibliogr., n° 426). L'étude, attachante et instructive, est malheureusement viciée par la terminologie de l'auteur. qui répand « le f éodalisme > sur la structure, les devoirs, la mentalité « chevaleresque > de l'aristocratie mongole, et qui assimile souvent au fief des biens concédés en propriété. Sur les tendances « féodales > de certaines sociétés pastorales de l'Asie centrale et orientale, Louis M. J. ScHRAM, The Monguors of the Kansu-Tibetan frontier (Bibliogr., n° 425).

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noblesse mongole a vécu dans une atmosphère de clans et de compagnonnages coiffés depuis Gengis Khan par une autocratie qui se disait émanée du ciel. Dans cet Empire bâti sur l'herbe et sur le sable, l'extrême instabilité de l'habitat, les modes de vie et la conception du pouvoir se prêtaient magnifiquement aux dévouements privés. Ils n'appelaient pas les rapports permanents ni les régimes complexes engendrés par l'entrecroisement des liens personnels et réels, renouvelables de génération en génération. La féodalité nomade est une chimère.

VI. -

LE MONDE MUSULMAN 18

Etalé du bassin occidental de la Méditerranée jusqu'aux Indes, divers dans son immensité et sujet d'âge en âge à de profonds bouleversements, le monde musulman s'offre maintenant à notre examen. Trouée d'énormes lacunes, dues à l'état des sources comme à celui des recherches, son histoire sociale se laisse difficilement saisir 19 • On présentera néanmoins quelques points de vue, valables seulement pour les pays eux-mêmes contrastés du Proche-Orient. On le fera très brièvement, sous la forme d'une coupe à travers un passé dont seuls nous importent les éléments qui, ayant des analogies réelles ou supposées avec la vassalité et avec le fief, peuvent servir l'histoire comparée. Au cours de leur établissement dans des régions chargées d'une longue histoire romano-byzantine et iranienne, les fidèles de l'Islam ont fait souvent appel aux rapports de protection : mawâlt indigènes des premiers siècles, placés sous la dépendance des conquérants arabes, clientèles rattachées à un chef politique, fidélités d'affranchis envers leurs maîtres, « recommandations > de petites gens qui voulaient échapper au fisc, se prémunir contre une éviction pure et simple ou obtenir la sécurité. 28. Bibliogr., n°• 427-433 (p. 460) ; Compléments, p. 461. 29. CL. CAHEN, c L'histoire économique et sociale de l'Orient musulman médiéval > (Studia islamica, 1955, fasc. III, p. 93-115).

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Les gouvernements s'efforcèrent d'entretenir des rapports administratifs directs avec la majeure partie des populations. Mais des schismes religieux et des révolutions de palais ayant affaibli le Califat, les chefs des armées de mercenaires, d'affranchis et d'esclaves exercèrent dans leurs provinces des pouvoirs militaires et civils autrefois séparés. Non contents de distribuer des terres et des revenus à leurs troupes, d'affermer des impôts et de se tailler de grands domaines, ils visèrent à l'autonomie et à l'hérédité, utilisant à cette fin, comme nos princes d'Occident, les tendances particularistes qui renaissaient partout dans le monde musulman. Toutefois, le Califat persista à les considérer comme ses délégués, même quand ils échappaient à son contrôle. On ne voit pas que pour les maintenir dans le devoir, ou les y faire rentrer, il ait recouru à des pratiques proprement vassaliques. On ne le voit pas davantage au XIIe siècle lorsque, dans l'Etat seldjoukide ébranlé, surgirent une fois encore de grands commandements autonomes dont les maîtres mirent la main sur l'administration financière, construisirent des forteresses et levèrent des troupes. Les dominations rurales ont eu plus de succès, mais elles n'ont jamais pris l'aspect que nous leur connaissons en Occident. Dans la plus grande partie du monde musulman, le travail agricole était accompli par des tenanciers attachés à la glèbe et payant redevances. Les réserves étant rares, ou nulles, on leur réclamait seulement des corvées publiques. Ils restaient sujets d'une administration quelque peu c privatisée >, à vrai dire, par le régime de l'iqtâ' 30 • La puissance relative des Etats et des communautés rurales, le maintien d'une classe de petits et de moyens propriétaires, l'absence d'un droit d'aînesse et la mobilité des couches aristocratiques entravèrent pendant longtemps la formation des grandes seigneuries. Toutefois, à partir du 30. Il faut tenir compte, bien entendu, des variétés régionales : de l'Egypte, où l'économie agricole était dirigée par l'Etat ; du Bas-Iraq, qui fut affecté, à un certain moment, par une révolte de type spartakiste, celle des Zendjs, esclaves noirs exploitant les latifundia.

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IX• siècle, et surtout du X', le nombre croissant des fondations religieuses, les investissements fonciers des marchands et, plus encore, la prodigieuse ascension de la classe militaire accélérèrent leur progression .

••• Une institution, l'iqtâ', révèle mieux qu'aucune autre les transformations subies par le statut des terres dépendantes et au-delà d'elles par les couches sociales. A travers ses changements, elle traduit une série d'adaptations aux besoins des personnes et des Etats 31 • C'est donc à elle que nous nous attacherons pour serrer de plus près notre propos. c Parcelle découpée > dans le domaine public, l'iqtd' se présente pendant les premiers temps de l'histoire musulmane comme un domaine, ordinairement petit ou moyen, octroyé par l'administration à un particulier tenu de le mettre en valeur et de payer la dîme. La plupart des bénéficiaires en confiaient l'exploitation à des cultivateurs sur lesquels ils n'exerçaient que des contraintes économiques et qui continuaient à dépendre de l'Etat. Juridiquement, l'iqtâ' était une forme de l'emphythéose. En fait, et bien que la communauté musulmane exerçât sur lui des droits éminents, il était tout proche de la propriété. Son détenteur restait libre de l'aliéner. Sauf exceptions, il pouvait aussi le léguer à ses héritiers. C'est grâce à des concessions de ce genre, comme aux biens militaires distribués aux soldats vivant sur les frontières, qu'une honorable société de possesseurs terriens a pu se maintenir ou se développer selon un

31. Sur l'iqtâ et les autres types de possession, cf. CL. CAHEN, L'évolution de l'iqtà du IX• au XIII• siècle (Annales, E.S.C., 1953, p. 25-52). - Sur quelques aspects des relations de dépendance, et notamment sur la taljî'a, analogue à la recommandation, comme sur la himiiya, ou protection accordée par un grand à des personnes et à des biens, voir, du même auteur, Notes pour l'histoire de la c himâya > (Mélanges Louis Massignon, 1956, p. 287-303).

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processus identique à celui qu'on observe sur les territoires byzantins n.

* ** De la seconde moitié du IX• siècle au XIe, les déchirements de l'Islam, ainsi que la création d'armées de mercenaires lourdement équipés ont eu des répercussions sur le régime de l'iqtâ', devenu singulièrement complexe. Malgré l'expansion de l'économie marchande et monétaire, les charges de l'Etat contrôlé par les militaires furent si lourdes et si mal réparties qu'elles dépassèrent ses possibilités de paiement direct en argent. D'autre part, les terres du domaine public avaient diminué. Certes, des soldes étaient encore versées par le Trésor. Mais les rétributions essentielles se firent désormais au moyen d'iqtâ's d'un type nouveau, qui revêtirent un caractère fiscal et se résumèrent dans le droit de percevoir sur des terres de kharâdj nommément désignées, et en fonction de leur revenu, l'impôt foncier jusqu'alors prélevé par les agents de l'Etat. Cette perception donnait un droit de regard sur la gestion du fonds et sur ses habifants. Si bien que les principaux détenteurs d'iqtâ's, aidés de leurs régisseurs, imposèrent aux paysans, sous une forme mitigée, une autorité de caractère seigneurial. Remarquons néanmoins que de tels iqtâ's étaient temporaires, comme la durée des services, et qu'en tout cas l'Etat pouvait les reprendre à la mort du titulaire. D'où un frein apporté à l'appropriation des revenus et des droits publics. Mais rien n'empêchait les possesseurs d'iqtâ's d'acquérir dans le voisinage des propriétés rurales et des droits éminents sur les terres des paysans qui, de gré ou de force, 32. Il importe de remarquer que les iqtâ's étaient réservés aux Musulmans d'origine. Les terres appartenant à des personnes d'une autre confession avaient été assujetties, au lendemain de la conquête, à un impôt foncier, le kharâdj. Beaucoup plus lourd que la dtme, il soulignait le droit éminent des vainqueurs sur les biens des vaincus. Rapidement, toutefois, les Musulmans purent acquérir des terres de kharddj, dès lors astreintes seulement à la dtme. Mais, pour des raisons fiscales évidentes, les terres des indigènes convertis à l'Islam restèrent soumises à l'impôt foncier.

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s'étaient recommandés à eux. En bien des cas, l'iqtd' fut ainsi le point de départ ou l'occasion des dépendances rurales. A la même époque, sa notion s'élargit. Iqtd's, les domaines concédés aux gouverneurs provinciaux en rétribution de leurs services ; iqtâ's, les fermes de certains impôts attribués à des militaires sur un ensemble de villages ; iqtâ's, dans la Syrie fatimite notamment, des provinces entières. Et par là, répétons-le, la montée d'une aristocratie de fortune et de fonction rattachée par une fidélité publique, même lorsque ses charges étaient pratiquement héréditaires, soit au Califat, soit à une dynastie indigène, soit à un grand gouvernement.

••• La conquête de la plus grande partie du Proche-Orient par les Turcs Seldjoukides, pendant le dernier tiers du XI' siècle, a provoqué un vigoureux brassage des couches aristocratiques et ouvert une nouvelle phase dans l'histoire de l'iqtâ', notamment en Iran, en Mésopotamie et en Syrie. Au début, le sultan est parvenu à contrôler l'institution, qu'il s'agît d'apanages princiers, de revenus assignés aux soldats sur des terres, ou de soldes payées par des caisses locales. Mais, au XII• siècle, le partage du pouvoir entre les membres de la famille régnante, les minorités et les coups de force militaires, vices habituels du monde musulman, ont permis à des membres de la haute aristocratie de conserver héréditairement les districts qu'ils avaient mission d'administrer, ainsi que d'y entretenir des clientèles et des troupes. A leurs chefs on a distribué non plus des rentes, tirées de ressources fiscales devenues d'autant plus insuffisantes que les échanges commerciaux avaient diminué, mais des domaines viagers ou héréditaires souvent dotés d'immunités et susceptibles de fournir, proportionnellement à leur valeur, un nombre déterminé de soldats entretenus également par de modestes lots de terre. L'iqtd' dernière manière a repris ainsi l'aspect foncier qu'il avait eu à ses origines. Mais il a revêtu plus que jadis le caractère d'une

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possession conditionnelle, et il est entré quelque peu dans une hiérarchie de subordinations qui allaient par exemple du gouverneur de province aux officiers et aux soldats. Mieux encore : influencée peut-être par l'exemple des Etats latins issus de la première Croisade, la Syrie post-seldj oukide a adopté les éléments d'un régime qu'on pourrait concevoir comme une c féodalité > réduite en haut à des tenuresfonctions et en bas à des tenures-services sans vassalité 83 • Même à cette époque, pourtant, les dépendances se révèlent improvisées et dépourvues de cohésion. Pas d'hommage, avec les relations contractuelles qu'il suppose; pas de rapports de droits nettement définis entre un suzerain et ses subordonnés ; pas de statut aussi rigoureux que celui du fief. Les c fidèles > dépendaient non seulement de leur maître, mais de la communauté musulmane, plus forte que les coutumes particulières et que les engagements privés. Les conquérants mongols, après avoir triomphé des Etats post-seldjoukides, rétablirent un équivalent de l'iqtâ' foncier, qui tint lieu de solde, et développèrent, entre le khan et ses subordonnés, des relations personnelles dépourvues, nous le savons, de caractère vassalique. Sous la domination ottomane, enfin, aux tendances centralisatrices nettement affirmées, un seul élément doit nous retenir : la création d'une cavalerie entretenue par des biens d'inégale valeur selon la qualité des bénéficiaires. La concession a reçu un nom persan : tîmâr. Elle dépassait rarement les dimensions d'un village. Son détenteur levait des redevances sur les habitants et pouvait obtenir une délégation des droits publics, notamment en matière judiciaire et fiscale. Comme les possesseurs d'iqtâ's aux X' et XI' siècles, 33. A l'opposé, les maîtres de l'Egypte sous la dynastie ayy'llbide, illustrée par Saladin, puis sous les Mameluks, maintinrent une administration directe et contrôlèrent non seulement les services des gouverneurs provinciaux, mais ceux des soldats de métier, bénéficiaires d'iqtd's de caractère fiscal, donnés tout au plus à vie. En revanche, la condition du fellah fut beaucoup plus dure et, à certains égards, plus proche de l'esclavage que celle des paysans !!eldjoukides ou ottomans, qui conservèrent en majorité leur liberté.

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ou les pronoiaires byzantins jusqu'au XIII•, il jouissait seulement des revenus du fonds. Interdiction lui était faite de l'aliéner sans l'autorisation du gouvernement ; interdiction aussi, jusqu'à une époque tardive, de le transmettre à ses héritiers. Plus que les détenteurs de pomiestiés, en Russie moscovite, les timariotes formèrent une classe de serviteurs entretenus par le labeur paysan. A la fois seigneurs ruraux et sujets de l'Etat, ils furent un rouage du gouvernement, et leurs biens une fraction des propriétés de l'Empire. Comme à beaucoup d'autres, le cachet féodal leur a été appliqué. C'est une aberration.

* ** Omeyyade, abbasside ou bûyide, seldjoukide ou ottoman - sans parler des dynasties égyptiennes - le Proche-Orient musulman offre des dépendances tour à tour esquissées et détruites. Des forces énormes ont joué contre la féodalité. D'abord le milieu, pour une part nomade ou urbain. Les villes ne retenaient pas seulement des bourgeoisies vivant en dehors de toute subordination personnelle, elles attiraient à elles des membres de l'aristocratie, dès lors privés de l'isolement propice aux châtelains d'Occident et exposés à la surveillance comme aux coups des chefs régionaux. Si d'autre part l'économie marchande et monétaire fut loin de tuer dans l'œuf les régimes fondés sur la tenure-service, puisqu'ils coexistèrent aux x· et XI• siècles avec des échanges fort actifs, elle entrava cependant leur développement. Califes, sultans, gouverneurs provinciaux furent toujours en mesure de payer des agents en numéraire, d'acquérir puis d'armer des esclaves et de réduire grâce à eux des rebelles. Egalement importante fut l'action exercée par la Loi unique, émanant de Dieu et interprétée par les docteurs de l'Islam. Elle autorisait les subordinations de personne et les différenciations de classe, fondées sur la fortune et l'autorité. Mais elle limitait les initiatives des princes, qui ne pouvaient légiférer que dans son cadre, soumettait les Musulmans aux mêmes règles et aux mêmes tribunaux,

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créait un climat peu propice à la constitution d'une noblesse jouissant de privilèges juridiques. Par là manquait un ressort essentiel du jeu féodal. Aussi bien l'aristocratie futelle toujours instable. Elle éprouva d'autant plus de difficultés à devenir une classe héréditaire que, des Omeyyades aux Ottomans, elle fut renouvelée par des conquérants, prompts à briser les vieilles autonomies locales. Isolés ou combinés, ces facteurs ont fait obstacle à l'établissement, dans le monde musulman, d'un puissant régime de subordinations personnelles et réelles, cadre des sociétés, nœud des Etats.

VII. -- LE 1J,JONDE BYZANTIN 34

En fut-il de même dans l'Empire byzantin qui, durant plus d'un millénaire, a joui d'une civilisation brillante, faite d'un vieux fonds latin enrichi et transformé par les apports du christianisme, de l'hellénisme et de l'Orient sassanide ? A la fin du règne de Justinien, Constantinople était la capitale d'un Etat qui allait de l'extrémité orientale de la mer Noire au golfe Persique, qui atteignait les plaines du bas Danube et la Dalmatie, englobait l'Italie, l'Espagne méridionale et la plus grande partie de l'Afrique du Nord. Mais, formé de pièces disparates, ce colosse était exposé aux déchirements intérieurs et aux invasions. Dès le dernier tiers du VI" siècle, il dut abandonner l'Italie du Nord aux Lombards. Puis, ce fut au VII' siècle le temps de la grande pénitence sous les coups des Arabes, des Bulgares et des Slaves. On vit ensuite l'Empire amorcer son redressement politique et économique, s'étendre et se raffermir en Asie Mineure et vers !'Euphrate, ainsi que dans les Balkans, la Dalmatie et la Grèce : terres qui constituaient son principal domaine et, au XI• siècle encore, le cœur de sa puissance. Après quoi, malgré les efforts des Comnènes, puis des Paléologues, et en dépit de passagères restaurations, il alla déclinant jusqu'à sa chute entre les mains des Ottomans. 34. Bibliogr., n°• 434-452 (p. 461-462) ; Compléments, p. 462-463.

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•• Pendant les premiers siècles du Moyen Age, petites et moyennes propriétés mises en valeur par leurs possesseurs, ou louées à des fermiers et à des métayers, ont conservé en Orient une place plus importante que dans l'Occident barbare. Certaines appartenaient à des ruraux qui, dans les régions frontières, avaient pour mission d'exploiter et de défendre le sol - régime de transition entre les cultivateursguerriers, ou limitanei, installés par le Bas-Empire sur le limes, et les possesseurs de biens militaires de l'époque macédonienne. D'autres, en plus grand nombre, étaient détenues par des paysans, des artisans et des marchands installés dans des villages indépendants et organisés en communautés solidairement responsables, devant le fisc, des charges publiques imposées à chacun de leurs membres. Néanmoins, les grands domaines ont progressé au VI• siècle as. La réduction des échanges et la multiplication des patronages privés ont joué en leur faveur. Des villageois, pliés aux règles du colonat, continuaient à dépendre des institutions publiques, pouvaient posséder des biens propres et entrer dans le clergé. Mais l'abandon de leur indépendance réduisit d'autant plus leur liberté que l'Etat confia à d'importants propriétaires le soin de lever des taxes en son nom, qu'il interdit aux paysans de se formarier sans l'autorisation de leur maître et, sauf en des cas exceptionnels, d'agir en justice contre lui. Par-dessus tout, il maintint les clauses d'une Constitution de 393 les fixant sur le domaine. Harcelés par de pressants besoins financiers et militaires, soucieux de corriger par des moyens de fortune la diminution des esclaves, le Bas-Empire puis Byzance ont alourdi la condition des classes rurales. 35. Principalement en Egypte (E. R. HARDY, The larges estates of Byzantine Egypt. New York, 1931). En revanche, dans certaines parties de la Syrie, les grandes propriétés n'ont joué qu'un rôle secondaire durant le siècle qui précéda l'irruption des Arabes (G. TcHALBNKO, Villages antiques de la Syrie du Nord (Bibliogr., n° 450).

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Naturellement, des domaines s'alimentaient à d'autres sources que les précédentes : héritages, achats, donations aux monastères... Une fortune célèbre, celle des Apion d'Egypte, offre le tableau étonnant des possessions immenses administrées par des fondés de pouvoir qui dictaient leurs ordres à des serviteurs libres, à des salariés et à des équipes d'esclaves attachées notamment à la réparation des digues et à des travaux d'irrigation. Les Apion avaient leur police et leur,s prisons, leurs services de poste et de transport, leur flotte sur le Nil. Mais ils restaient sujets de l'Etat.

••• A partir du vn· siècle, les invasions musulmanes ont enlevé à l'Empire de vastes territoires, ruiné de,s domaines et provoqué dans les régions demeurées byzantines un afflux considérable de Slaves et, peut-être, d' Arméniens, de Turcs, d' Arabes en quête d'un établissement. D'où la multiplication des villages indépendants. D'où également l'atténuation ou la disparition des règles d'attache à la glèbe sur les grands domaines. En même temps, le gouvernement renforçait la défense des frontières, et les successeurs d'Héraclius créaient à l'intérieur du pays des districts militaires, ou thèmes. Pour compléter cette réforme, ont-ils distribué des terres à des paysans byzantins, arméniens et slaves, connus sous le nom de stratiotes que portaient déjà certains guerriers professionnels des siècles précédents ? Ont-ils forgé par conséquent, aux lieu et place des troupes de mercenaires, une armée nouvelle appuyée sur un régime de petite propriété ? Une tradition récente de l'historiographie byzantine tendrait à l'établir et à faire du système la base de la renaissance militaire et économique du pays au lendemain des conquêtes de l'Islam 36 • Malheureusement, elle se fonde sur une documentation postérieure à la seconde moitié du 36. Cf. notamment les travaux d•OsTROGORSKIJ (par exemple La féodali" byzantine; et Histoire de l'Etat byzantin. Bibliogr., nœ 445 et 447).

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IX• siècle, audacieusement projetée dans l'ère précédente. En outre, elle attribue aux biens militaires une importance excessive puisque, même à l'époque macédonienne, une partie de l'armée était recrutée en dehors des contingents fournis par les thèmes, et soldée en argent 37 • Il est donc probable qu'un régime analogue à celui des limitanei du BasEmpire s'est prolongé jusqu'au IX• siècle. Il a été élargi à ce moment par les Macédoniens, désireux d'assurer le recrutement et le financement de troupes plus lourdement armées que jadis. Aux• siècle, enfin, Constantin VII et.ses successeurs immédiats ont consacré aux biens militaires une législation particulière et codifié les usages existants. Ajoutons que la plupart des stratiotes se bornaient à exploiter leurs terres et confiaient à un remplaçant, qu'ils armaient, équipaient et entretenaient pendant la durée de la campagne, le soin de répondre à l'appel aux armes. Certains, pourtant, ont pu à la fois cultiver et combattre. S'il en fut ainsi, le paysan-soldat représenterait à Byzance un type humain devenu très rare au même moment dans l'Occident carolingien, tandis qu'on le retrouve dans les marches anglaises, en Germanie orientale et dans l'Espagne chrétienne des confins. Pris sur les domaines de l'Etat ou sur ceux des propriétaires qui faisaient enregistrer leurs terres sur les c rôles stratiotiques >, les biens militaires composant la strateia, ou tenure du stratiote, avaient une valeur qui fut portée jusqu'à douze livres d'or par Nicéphore Phocas, en raison de l'extension prise par les unités cuirassées. Ces biens n'étaient pas de véritables seigneuries. Leurs possesseurs employaient des travailleurs agricoles, mais n'exerçaient sur eux qu'une autorité économique. Les analogies avec la principale fonction du fief sont plus sensibles puisque les terres étaient octroyées contre une aide militaire. Elles n'en restent pas moins superficielles. Les stratiotes étaient d'ailleurs de modestes personnages qui ne prêtaient aucun serment privé et dépendaient directement de l'Etat. Ils pou37. Sur cette question, P. LEMERLE, dans Rev. histor., t. CCXIX, 1958, p. 70-74 (Bibliogr., n° 441).

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vaient léguer leur terre, avec ses charges. Mais, dans le dessein notamment de prévenir les entreprises des grands, défense leur était faite de la vendre, ou d'en détacher une parcelle au bénéfice d'un tiers. La multiplication des petites possessions a réduit l'importance relative de la grande propriété, restreint la place de l'aristocratie dans l'Etat comme dans une société qui a vu renaître au IX' siècle les échanges à longue di,stance et les industries de luxe. Malgré le·s menaces et les grignotages dont elle était l'objet, la communauté rurale indépendante a conservé sa vigueur. Elle est demeurée le cadre principal de la vie paysanne. Pourtant, des institutions religieuses, des chefs militaires et de hauts fonctionnaires disposaient de biens considérables. Des particuliers également : tel Philarète, qui possédait en Paphlagonie une cinquantaine de domaines et un nombreux élevage ; telle encore une dame de Patras, Danélis, riche d'au moins quatre-vingts domaines, qu'elle légua à l'empereur Léon VI". Les transformations sociales de Byzance sous la dynastie macédonienne n'en sont pas moins remarquables. La rénovation de l'Empire fut en partie l'œuvre des communautés rurales et des stratiotes ou de leurs remplaçants, dressés pour la défense du sol.

••* Le système s'est affaibli durant la seconde moitié du 1025. Déchiré par des luttes religieuses et des querelles de succession, menacé par les autonomies provinciales, le gouvernement byzantin a dtî également freiner un nouvel assaut de l'aristocratie contre les petites et les moyennes propriétés. Bien qu'ils aient accru le temporel et les privilèges des monastères, des empereurs ont tenté de protéger les groupes villageois en réglementant l'achat des terres paysannes, en contraignant les puis-

x• siècle. Il a craqué après

38. l\f. FouRNY et M. LEROY, c La vie de saint Philarète > (Bgzantion, 1934, p. 85-170) ; A. BoN, Le Péloponnèse byzantin jusqu'en 1204 (Paris, 1951, p. 121-122).

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sants à des restitutions, en leur faisant défense d'accueillir, sans son autorisation, les ruraux appartenant aux domaines impériaux, comme ceux qui étaient inscrits sur les listes du fisc et soumis à des obligations militaires. Ces dispositions étaient dictées beaucoup moins par des sentiments de compassion à l'égard des faibles que par le désir de conserver intactes les assises de la fiscalité. En raison des immunités accordées à des propriétaires - dignitaires de l'Empire, hauts fonctionnaires, chefs militaires, couvents, - l'impôt foncier échappait en effet à l'Etat du jours où les paysans entraient dans leur dépendance. En 934, une Novelle de Romain Lécapène avait défini parfaitement la situation : c L'écrasement des faibles par les puissants conduit, pour qui sait voir, à la ruine de l'Etat, car c'est le grand nombre des propriétaires qui est la base des impôts, et tout manquera si la classe moyenne vient à manquer•.> Malgré ces mesures, des paysans endettés ou désireux d'échapper au fisc ont renoncé à leur indépendance, si bien que les communautés, contraintes de payer les impôts des fuyards, plièrent sous la charge. De leur côté, les grands n'ont pas attendu que les petites propriétés tombassent comme un fruit mûr entre leurs mains. La détresse paysanne et une crise démographique entraînant une diminution de la main-d'œuvre leur fournirent l'occasion d'acquérir des terres à bas prix et de remettre en vigueur l'attache à la glèbe. Trait essentiel, enfin : le statut des biens militaires ayant, comme celui des thèmes, épuisé ses vertus, ils furent achetés en nombre par ceux des grands qui réussirent à passer outre aux interdictions des pouvoirs publics. On peut voir dans le déclin des thèmes une conséquence de la paix extérieure dont l'Empire bénéficia vers le milieu du XI' siècle. L'Etat procéda à une vaste reconversion, marquée principalement par la fiscalisation de la strateia et la généralisation, grâce à elle, du mercenariat. La réforme aurait pu réussir si l'imprévu ne s'était pas pro39. Cité par P. 273.

LEMERLE,

dans Rev. histor., t. CCXIX, 1958, p. 272-

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duit : Byzance fut prise en tenaille entre les Normands d'Italie, qui s'emparèrent de Bari en 1071, et les Turcs qui, la même année, l'emportèrent à Mantzikert. Dès lors, l'aristocratie militaire reconquit l'avantage. Elle ouvrit la voie aux Comnènes. Pour toutes ces raisons - intérieures et extérieures le XII• siècle débouche sur le triomphe des puissants. Le moment est venu de prêter attention aux domaines et à la condition de leurs habitants depuis l'époque macédonienne'°.

••• Comme en Occident, des propriétés couvraient des centaines ou même des milliers d'hectares - champs, forêts, friches. - Les biens que nous pouvons assimiler aux c réserves> occidentales, aux prix d'un rapprochement quelque peu forcé, étaient mis en valeur moins par des esclaves domestiques que par des salariés et des tenanciers astreints à des corvées dont Ie nombre ne peut être précisé qu'à partir du XIII• siècle. Nombre fort inégal. Tel feu, occupé anciennement par une famille servile, devait exceptionnellement un jour de corvée par semaine, tel autre, plus fréquemment, un jour par mois. L'extension de certaines réserves au cours de cette période s'explique malaisément. On peut la relier, comme dans l'Angleterre du même temps, à l'essor commercial, qui encouragea les seigneurs à chercher dans l'exploitation directe des ressources compensant la 40. L'administration des grandes propriétés est connue surtout grâce aux praktika, admirables inventaires, si précis et si complets que nos plus beaux polyptyques pâlissent à côté d'eux. On y trouve énumérés non seulement les tenures avec les maisons et les champs, la composition des familles et les éléments de leur fortune, enfin les taxes seigneuriales, mais les terres et les revenus de la réserve ainsi que les droits levés en vertu des immunités. Le plus ancien praktikon qui ait fait l'objet d'une publication date de 1073. D'autres inventaires, également édités, vont de la fin du XIII• siècle au dernier quart du XV• (cf. OsTROGORSKIJ, La féodalité b11zantine, p. 259 et suiv. ; LBMBRLE, c Un praktikon inédit ... >, dans Mélanges Orlando,. Cf. Complém. bibliogr., p. 463).

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baisse de leurs revenus, provoquée par la dépréciation du nomisma et la hausse des prix. On peut aussi invoquer la désertion des campagnes, suivie de l'annexion au domaine de tous les biens délaissés. Ce sont pourtant les paysans installés héréditairement sur des c stases > comparables aux manses qui ont procuré aux seigneurs les ressources essentielles •1 • Les redevances en nature sous la forme de c cadeaux > ou de c petits paniers > étaient loin d'être négligeables. Mais, dans ce pays de grande circulation monétaire, le loyer de la terre se traduisait surtout par des taxes en numéraire, auxquelles s'ajoutaient les divers droits fiscaux u et les amendes que l'Etat abandonnait à des immunistes sur un nombre déterminé de leurs paysans"". L'aristocratie a vu dans les privilèges d'exemption une source de revenus âprement disputés. D'où entre l'Etat, les principaux laies et les établissements ecclésiastiques, uue concurrence qui s'est reflétée sur la condition paysanne. Observée d'abord sous l'angle économique, cette dernière présentait de fortes inégalités rendues sensibles par des témoignages, il est vrai tardifs, qui distinguaient entre les c pauvres > et les c tout à fait pauvres >. Des ruraux parvenaient à concentrer entre leurs mains plusieurs lots de terre et disposaient d'un assez nombreux cheptel. D'autres devaient se contenter de quelques arpents et de rares têtes de bétail. Certains, enfin, n'avaient rien et travaillaient comme ouvriers agricoles. De leur côté, les inégalités juridiques, peut-être moins tatillonnes qu'en Occident, opposaient aux esclaves les tenanciers connus sous le nom de parèques. Abstraction faite des catégories secondaires, ces derniers se partageaient en deux groupes dépendant l'un de 41. ÛSTROGORSKIJ, La féodalité byzantine, p. 297. 42. Documents, n° 61 (p. 413). 43. D'après OsTROGORSKIJ, la perception des amendes par les seigneurs laisserait supposer qu'ils avaient des tribunaux exerçant le droit de c punir et de mater > (La féodalité byzantine, p. 116-118 361-364). La déduction est excessive, car l'Etat pom,.ait abandonne; des amendes à des particuliers sans leur transférer le droit de Juger ies délinquants.

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l'Etat, l'autre de personnes privées. Le fisc les ignorait en raison des privilèges d'exemption concédés à leurs maîtres. A partir du XIIP siècle, les plus défavorisés se sont rapprochés de la condition servile. Plus qu'auparavant, en effet, les seigneurs leur ont interdit de quitter le domaine, les ont séparés en certains cas de leurs tenures, ont disposé des terres tombées en déshérence. L'évolution eut des causes essentiellement économiques. Les propriétaires voulaient percevoir des taxes régulières sur les parèques cloués aux domaines, comme sur ceux qu'ils autorisaient à résider audehors. D'où les mesures prises à l'encontre des ruraux indociles et surtout des fuyards. En fait, la plupart des parèques jouissaient d'une liberté restreinte. Leur statut rappelle le colonat. Le parèque avait une large capacité juridique lui permettant de se marier à sa guise, d'entrer dans les ordres, de témoigner en justice. Sa tenure était le plus souvent héréditaire, sans obligation de la mainmorte, et aliénable sous certaines conditions. Il pouvait tenir des terres de plusieurs maîtres, acquérir des alleux et en disposer librement... Il reste que la condition des parèques a présenté, selon les époques et les domaines considérés, une diversité offerte aux interrogations et aux peines des historiens byzantins. Au temps des Comnènes la documentation réserve une place d'honneur aux domaines. Non pas qu'ils aient tout submergé. Une paysannerie indépendante s'est maintenue dans l'Empire jusqu'à sa chute : celle des villages qui, de tout temps, avaient pu résister aux conquêtes seigneuriales ; et aussi une masse flottante de pauvre gens - les éleuthères, - « inconnus du fisc > en raison de leur misère. D'anciens parèques qui avaient échappé à leurs maîtres et réussi à se faire oublier se mêlaient à ce groupe difficilement contrôlable. Toutefois, plus on descend dans l'histoire de Byzance, plus les efforts du gouvernement pour défendre la matière imposable se heurtent à des résistances. Des paysans appauvris et endettés se livrent au vagabondage ou se hâtent vers les villes. D'autres répondent aux sollicitations des propriétaires s'arrachant leurs parèques ou faisant appel aux éleuthères, de même que les seigneurs d'Oc-

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cident, à l'époque des grands défrichements, installaient chez eux des hôtes.

* ** A Byzance comme en France ou en Allemagne, la seigneurie foncière s'est épanouie et consolidée pendant le Moyen Age ; elle a servi d'assise économique à l'aristocratie. Jamais, cependant, l'Etat n'a mis bas les armes, même lorsque du XIII' au XV• siècle il a relâché son contrôle sur l'entrée des parèques dans les grands domaines et élargi les exemptions. Imprégné de traditions romaines et préservé de toute contamination germanique, ayant dressé un appareil fiscal impressionnant et puisant d'importantes ressources dans l'économie commerciale, il a maintenu les principes de souveraineté et de puissance publique. Lorsque l'empereur abandonne à un grand la perception de diverses taxes sur des paysans, la notion d'impôt subsiste à travers cette délégation. Lorsqu'il concède des privilèges administratifs à un particulier, il voit en lui un agent du gouvernement. Cette permanence d'un Etat centralisé a interdit la formation, au-dessus des dépendances paysannes, d'une hiérarchie vassalique interposée entre l'autorité centrale et les sujets. Voilà pourquoi, avant le XIII' siècle, le deuxième panneau du diptyque, chargé de représenter la féodalité, s'est teinté seulement de couleurs légères. Pourtant, deux pratiques, souvent données à tort comme féodales, ont reçu par les soins des Comnènes un développement considérable : le charistikion, la pronoia. Du premier, on trouve des traces dès le v• siècle. II se définit comme la concession d'un bien ecclésiastique à un membre de l'aristocratie laïque, ou parfois de la haute Eglise, qui en percevait les revenus à charge de l'administrer, d'entretenir les moines et de payer les impôts d'Etat. II faisait suite à une prière du concessionnaire, s'opérait par une lettre de donation et conférait au preneur l'usufruit, soit viager, soit à deux vies, d'un temporel monastique, qui ne pouvait être démembré ni aliéné. Le charistikion n'était pas octroyé en contrepartie d'un serment privé, ni de services au donateur. Avant

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le milieu du XI• siècle, tout chef de monastère pouvait faire une concession de ce genre, les moines ayant avantage à se décharger de leurs tâches administratives et à redistribuer les terres accumulées. Puis, à partir d'Alexis Comnène, ce fut l'empereur qui, pour gagner l'aristocratie, se réserva de plus en plus le monopole d'une opération apparentée désormais aux « précaires données sur l'ordre du roi >. C'est également sous Alexis Ier, semble-t-il, que la pronoia a commencé à se répandre". Sous sa forme concrète, il s'agissait le plus souvent d'un territoire dont le « soin > - sens premier du terme - avait d'abord été confié à de hauts fonctionnaires civils en rémunération de leurs services et pour leur assurer un traitement. La concession a changé de signification, d'objet et de destination sous les Comnènes, qui donnèrent des pronoiai, taillées dans les biens de l'Etat et peuplées de parèques, à des membres de l'aristocratie militaire et à quelques monastères. Ils poursuivaient par là un double dessein : lier des grands à leur fortune, refaire grâce à eux une armée sur d'autres bases qu'à l'époque macédonienne. En effet, les pronoiaires devaient non seulement servir à cheval avec un équipement lourd, mais recruter des cavaliers parmi leurs dépendants. Aux milices paysannes d'autrefois, accompagnant les petites et les moyennes possessions, se substituaient ainsi des troupes de tenanciers encadrés par les seigneurs et leurs agents. L'institution a duré jusqu'à la chute de Byzance sans répondre entièrement aux vœux des souverains. Tandis que les biens militaires appartenaient à des hommes de condition modeste, la pronoia a servi les intérêts d'une élite qui se pliait plus difficilement à l'obéissance que les timariotes ou les détenteurs de pomiestiés, et qui cherchait à lever des troupes privées. Au déclin de l'Empire, des pronoiaires ont obtenu la dispense du service militaire contre le paiement d'une taxe analogue à l'écuage anglais. Si bien que Byzance a dû recruter une fois encore des mercenaires sans fidélité ni patrie. H. Mais l'institution remonte peut-être au XI• siècle.

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Faite de terres, de droits fonciers et de pouvoirs de commandement, la pronoia est sans nul doute une seigneurie qui, en se répandant, a précipité la diminution de la petite propriété et accentué les dépendances rurales. Son possesseur n'exigeait pas seulement des redevances et des corvées, il bénéficiait aussi d'exemptions administratives et fiscales. Comme le fief, d'autre part, auquel elle fournira au XIII• siècle un cadre idéal, la pronoia était tenue à titre conditionnel. Comme lui, elle fut concédée temporairement ou à vie avant de devenir assez souvent héréditaire sous les Paléologues, tout en continuant à se distinguer des biens patrimoniaux 45 • Pourtant, le pronoiaire n'est pas un vassal. II ne prête aucun serment contractuel de nature privée qui soit assimilable à l'hommage. Et la pronoia n'est pas un fief, mais une conce~sion publique octroyée par l'Etat qui, au surplus, interdit de l'aliéner ou de la fractionner sous des formes analogues aux sous-inféodations. A Byzance, durant des siècles, la féodalité a manqué le coche. Elle devait le rejoindre après 1204 sous la poussée des conquérants de la quatrième Croisade qui, répétant les gestes accomplis par les Normands sur les rives de la Manche et de la Méditerranée, introduisirent leur organisation dans les parties de l'Empire soumises à leur loi".

45. Documents, n° 62 (p. 414). 46. La question sera examinée dans le t. II.

CHAPITRE III

UNE FÉODALITÉ D'ASIE : LE JAPON 1

L'Asie a été la terre rêvée des compagnonnages, des Etats temporaires et des principautés fragiles taillées dans d'immenses blocs territoriaux. Hittites ou sassanides, chinois ou mongols, byzantins ou musulmans, des empires ont surgi, pour qui l'étiquette féodale est trop lourde à porter. En revanche, elle convient au Japon. Evitons cependant de l'attacher à son histoire durant notre premier millénaire. Ce sont les clans qui ont d'abord formé la base de son organisation sociale et politique. Avec sa parentèle et ses « alliés >, le clan impérial s'éleva au-dessus des groupes rivaux, tenta d'arbitrer leurs querelles et de faire reconnaître son autorité. Il construisit un Etat qui, aux VII' et VIII' siècles, s'inspira de la Chine des T'ang en matière politique et administrative, établit son droit éminent de propriété sur toutes les terres et présida au développement d'une civilisation également imprégnée d'éléments venus du continent. Puis, au cours d'une troisième phase, le pays revint à son isolement sans oublier les ensei1. Bibliogr., n 08 453-466 (p. 463-464) ; Compléments, p. 464. M. KoHACHIRO TAKAHASHI, professeur d'histoire économique à l'Université de Tokyo et partisan déterminé des études comparées, nous a fourni de précieuses indications sur l'évolution de la société japonaise jusqu'au seuil de l'époque moderne. M. HAGUENAUER, puis M. FRANK et Mlle HÉRAIL nous ont également apporté un concours essentiel.

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gnements des vieux maitres chinois qui, par l'intermédiaire de la Corée, lui avaient jadis donné son écriture et la religion bouddhique. La réaction contre les influences étrangères s'accompagna d'un émiettement de l'autorité centrale dont le clan des Fujiwara, qui du IX• au xne siècle détint beaucoup plus que l'empereur la réalité du pouvoir, parvint seulement à ralentir les effets. La protection des lettrés et des artistes, l'éclat de la cour du Kyôto, dont le luxe et le raffinement eussent .fait rêver les aristocraties occidentales du même temps, enfin les essais de réorganisation intérieure et le maintien de certains principes de la puissance publique ne sauraient cacher les vices d'un régime qui n'eut pas assez de moyens administratifs, financiers et militaires pour triompher des querelles de palais ou des résistances régionales appuyées sur des clientèles.

A

1. -

L'ARISTOCRATIE ET LE SHO JUSQU'AU XII" SIÈCLE

Le premier élément qui s'offre à notre examen est le maintien jusqu'en plein XIJ- siècle d'une caste dirigeante où le rang était fonction des charges exercées héréditairement, du nombre de guerriers susceptibles d'être rassemblés et entretenus. Caste terrienne aussi : ce qui nous conduit aux modes de possession du sol, aux assises foncières sur lesquelles reposaient les fortunes et les pouvoirs. La cellule essentielle était le shô, apparu vers le VIII• siècle, puis agrandi et multiplié sous l'action de plusieurs facteurs que nous avons observés ailleurs à maintes reprises : octrois de terres rétribuant des fonctions publiques, donations aux institutions religieuses, défrichements, annexions de terres paysannes dont les possesseurs voulaient se dérober aux taxes de l'Etat, cherchaient une protection ou se voyaient contraints d'entrer en dépendance. Clan impérial, Fujiwara, hauts dignitaires de la cour, grandes familles locales, temples et monastères dis-

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posaient de vastes shôen, qui pouvaient couvrir plusieurs milliers d'hectares et rassembler des centaines de familles. Grâce à des chartes d'immunités, ou à des usurpations, des puissants étaient exemptés d'impôts, jouissaient de privilèges fiscaux sur leurs terres, entretenaient des troupes privées et exerçaient des pouvoirs de justice. Mais le shô rappelait d'assez loin nos grands domaines. Sa culture principale, le riz, exigeait des pratiques agraires et des contraintes collectives fort différentes des nôtres puisqu'elles étaient placées sous le signe de l'eau et de l'irrigation. D'autre part, les biens du maître, exploités par des esclaves, occupaient tout au plus un dixième des terres cultivées. La grande « propriété > - notion imprécise en Extrême-Orient - était donc partagée entre un nombre infini de toutes petites exploitations confiées, contre des redevances en nature, à des fermiers ou à des métayers qui travaillaient soit à la houe, soit à la charrue. Ils pouvaient quitter les lieux d'autant plus aisément que leurs droits réels, avant le XII• siècle, portaient moins sur le fonds que sur une partie des récoltes. Les autres fractions allaient au propriétaire, comme à ceux qui vivaient aux dépens du shô et de ses exploitants : intendants, directeurs de travaux, soldats privés, fonctionnaires publics. D'abord précaires, ces droits à une perception, ces shiki I étaient devenus héréditaires, négociables. susceptibles d'être partagés. Ils entretenaient une aristocratie dont les membres vivaient en majorité à la cour ou dans les villes sans participer à la culture d'un sol dont ils étaient, plus qu'en Occident, les rentiers.

li. - TRANSFORMATIONS DE L'ARISTOCRATIE ET DU SHÔ SOUS LE RÉGIME DE KAMAKURA

Des forces ont joué contre cette classe : chefs militaires et samouraï - ceux qui servent ; - clans provinciaux 2. Terme controversé (HAGUENAUER, dans Rev. histor., t. CCXXII, 1959, p. 333. - Cf. Compllm. bibliogr., p. 464).

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changés dans leur structure et leur esprit par l'introduction de nouveaux-venus qui se mêlèrent aux groupes consanguins ; riches paysans et régisseurs de shôen, qui développèrent entre eux et les membres de leurs familles, entretenus par leurs soins, des relations fondées à la fois sur les liens du sang et la fidélité - régime du sôryo-sei. Cette société passa sur le devant de la scène politique durant la seconde moitié du XII• siècle. Victorieux des maisons rivales - notamment des Taira - qu'il avait affrontées au cours de luttes sanglantes, le chef de la famille des Minamoto s'installa à Kamakura. II avait là de grands domaines et de nombreux dépendants. II se trouvait à proximité des pâturages du Kanto, précieux pour l'élevage des chevaux, et non loin des régions mal pacifiées du NordEst, qu'il pouvait surveiller et réduire à l'obéissance. En 1192, l'empereur lui décerna la dignité de shôgun, qui lui donnait la haute main sur l'armée et sur les chefs des commandements territoriaux. Voué au mépris, parfaitement vain, de l'aristocratie civile qui avait servi les Fujiwara, le shôgunat bakufu de Kamakura lutta contre le banditisme et s'efforça de rétablir l'ordre. L'évolution est analogue à celle qui plaça les maires du Palais à la tête de l'Etat mérovingien. Mais elle fut poussée moins loin, car le shôgun ne toucha pas à l'empereur, dont il se disait le délégué, ni à la cour, qui conserva une partie de l'administration civile. Le dualisme devait durer jusqu'en 1868. Par les soins des Minamoto puis de leurs successeurs, les Hôjô, qui les remplacèrent au début du XIII' siècle avec le titre de régents du shôgunat, l'aristocratie militaire reçut de grands domaines dans le nord du Japon, ainsi que des revenus assignés sur les shôen des contrées centrales et occidentales. En outre, le shôgun unit à sa personne des princes territoriaux, des gouverneurs militaires, ou shugo, et un grand nombre de bushi et de samouraï dont un organisme administratif contrôlait les services 3 • 3. Cet organisme, le mandokoro, avait d'abord exercé sa mission à l'intérieur du clan des Fujiwara avant de devenir une institution d'Etat. Nous avons là un exemple de la confusion grandissante, depuis le Xe siècle, entre pouvoirs privés et pouvoirs publics.

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De ses dépendants directs, appelés gokenin, ou hommes de la maison, le shôgun exigeait un serment qui engageait pour la vie non seulement ceux qui le prêtaient, mais aussi leurs enfants'. Il les obligeait à des services d'ost, de garde et de cour. Le shôgun, quant à lui, ne précisait pas ses devoirs. Antiques traditions du clan et sens de l'Etat, hérité des emprunts faits à la Chine des T'ang, déteignaient sur le caractère imprimé aux liens privés. Généralisant d'autre part des usages qui remontaient au XII' siècle, le shôgun introduisit dans chaque shô des agents à lui, les jitô, recrutés parmi ses dépendants. Il les chargea de faire la police du lieu, d'en commander la garnison, de percevoir les taxes instituées sur tous les propriétaires pour assurer la défense du pays et de lever les redevances pour le chef du domaine. Ils eurent aussi pour mission de distribuer des shiki aux soldats de métier, dont les services allaient au gouvernement shôgunal bien qu'ils dépendissent économiquement du maître du shô : système qui peut être rapproché des précaires données par les monastères carolingiens à des vassaux du roi. Bien entendu, les jitô étaient parties prenantes aux revenus du shô, qui les payaient de leurs peines. D'âge en âge, on verra ces personnages envahissants usurper des revenus publics et privés, puis opérer un remembrement des terres et des ressources domaniales au préjudice de divers détenteurs de shiki ainsi que des propriétaires, dont ils prirent parfois la place. On les verra également, comme les avoués de France et d'Allemagne, imposer aux paysans des pouvoirs seigneuriaux, restreindre leurs libertés et faire peser sur eux une surveillance d'autant plus étroite qu'ils résidaient sur les domaines. Les transformations subies par la structure des shôen traduisent non seulement des changements sociaux, mais une adaptation aux besoins militaires et administratifs. Pourtant, sous le régime de Kamakura, l'aristocratie n'a 4. Du moins en principe. Car des fils portaient leur fidélité à un seigneur autre que celui de leur père, qui pouvait en ce cas les répudier (As.UAWA, Tite documents of lriki, n° 26, 1277).

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pas été prise tout entière dans les liens privés. Des provinces comme celle de Kyûshû les ont peu connu~. De nombreux membres de la famille impériale, de la cour, de la haute administration sont restés en dehors. Rares étaient les vassaux du shôgun qui recevaient eux-mêmes des serments, bien que des gouverneurs et des jitô aient cherché à organiser un vasselage. En outre, la notion de tenure féodale demeurait imprécise, la recommandation des personnes et celle des terres étant loin d'aller de pair. A la fin du XIII' siècle, les subordinations n'avaient guère dépassé le stade atteint en Gaule au début du IX'. Le vasselage militaire créé par les Minamoto et les Hôjô fit néanmoins ses preuves contre les Mongols, dont les tentatives d'invasion furent brisées. Ce fut d'ailleurs le chant du cygne du régime de Kamakura. Impuissant à triompher de la gabegie administrative et à empêcher la dilapidation des ressources publiques, affaibli par les rivalités des chefs militaires, débordé par l'afflux des quémandeurs sollicitant des terres et des revenus, enfin dirigé par des régents incapables sous les derniers Hôjô, il disparut en 1333.

III. - DÉSORDRES ET MORCELLEMENT DU XIV' SIÈCLE AU DÉBUT DU XVII'

L'empereur, la cour de Kyôto et les vieilles familles qui étaient restées fidèles à l'Ancien Régime abaissé par les hommes de Kamakura tentèrent vainement de reprendre le pouvoir. Dès 1338, une branche issue de la famille des Minamoto, celle des Ashikaga, obtint pour elle-même le rétablissement du shôgunat. Elle entreprit de placer ses hommes à la tête des gouvernements provinciaux et des shôen. Mais son autorité ne fut qu'un pâle reflet du pouvoir exercé par les Hôjô à leur belle époque. Nouveauvenu dont la légitimité était discutée, le shôgun ne put se faire reconnaître par tout le pays comme le délégué de l'institution impériale, d'aileurs frappée par un schisme

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qui mit aux prises deux souverains pendant la majeure partie du XIV• siècle. Il ne réussit pas davantage à rattacher tous les chefs de groupes vassaliques à sa personne. On voit revivre sous nos yeux des traits classiques : fractionnement de l'Empire en principautés autonomes formant, comme en Occident, autant d'unités régionales qui devaient plus tard servir de base à la restauration de l'Etat ; extension des immunités sur les territoires seigneuriaux ; hiérarchie de subordonnés partant du shôgun, d'un membre de la cour, d'un shugo exerçant le gouvernement civil et militaire d'une province qu'il ne tenait d'ailleurs pas en fief, ou de j itô qui avaient pris la place des anciens propriétaires ; distribution soit de fiefs terriens taillés dans les shôen, dès lors démembrés, soit de fiefs-rentes moulés sur les shiki ; enfin, restriction des libertés rurales, malgré la résistance des communautés villageoises, et parfois asservissement des paysans. Fort lents à s'organiser avant le XIV• siècle, les liens de dépendance se sont développés à tel point sous les Ashikaga que la période peut être comparée à ce que furent les X' et XI• siècles pour l'Occident. Toutefois, le régime fut moins efficace au Japon que chez nous. Peu de freins religieux, mais des luttes entre les maisons se disputant leurs fidèles, levant des troupes privées où une infanterie paysanne, encadrée par des soldats de métier, servait à côté des cavaliers. L'anarchie s'accrut pendant la seconde moitié du XV' siècle et surtout au XVI•, « l'âge du pays en guerre > des historiens japonais. Elle prit, comme la guerre des Deux-Roses, le caractère d'une lutte inexpiable qui détruisit beaucoup de vieilles familles au profit de nouvelles couches sorties des aristocraties provinciales. Elle n'empêcha pas les échanges avec la Chine, l'activité intellectuelle et artistique, les premiers contacts avec l'Occident. Il faut arriver au début du XVII• siècle pour assister à la restauration de l'unité japonaise, achevée par la maison victorieuse des Tokugawa, qui s'installa à Edo (l'actuel Tokyo), et dont l'établissement formera le terme de cette esquisse. Pris en main par un gouvernement autoritaire, qui renforça la bureaucratie, précisa

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l'étagement des fidélités, soumit les devoirs vassaliques à une législation minutieuse et les vassaux à un contrôle rigoureux, les réseaux de subordination contribuèrent à enfermer des groupes dans une hiérarchie rigide, faite de toutes ces classifications sociales et administratives où se complaisent les peuples d'Extrême-Orient.

IV. - TRAITS PRÉDOMINANTS DE LA FÉODALITÉ JAPONAISE

Que le régime élaboré dans certaines contrées du Japon se soit écarté progressivement des compagnonnages, sans s'arracher totalement à leurs usages ; qu'il ait revêtu peu à peu, depuis la fin du xn· siècle, un caractère vassalique et finalement un caractère féodal, on ne saurait guère en douter 1 • Il l'a revêtu en tant qu'institution. Au fil du 5. Voir cependant les réticences exprimées ci-dessous, p. 318-321. Selon des historiens, la féodalité japonaise était en germe dès le X• siècle. D'autres font remonter ses origines à une époque plus tardive : soit au régime de Kamakura - et nous nous rallions maintenant à cette opinion, - soit aux Ashikaga, soit en 1576 ou en 1609. Les derniers, enfin, nient son existence. Ils soutiennent par exemple que, même sous les Tokugawa, les daimyô étaient moins des vassaux que des mandataires du pouvoir shôgunal. Des parentèles ont marché de pair avec la vassalité - surtout lorsque les subordonnés appartenaient à des branches cadettes dont les liens avec la branche aînée se trouvaient ainsi fortifiés. - L'association entre ces régimes s'avérait si étroite que des rapports de dépendance étaient exprimés en termes de famille et qu'il est souvent difficile de distinguer, à l'époque de Kamakura par exemple, entre le c seigneur > et le c maître de maison >, entre le c vassal > et le c serviteur >, entre le c fils > et c l'être adopté >. Pour l'historien, c'est une leçon et une pierre d'achoppement Lorsque les chercheurs &e seront accordés sur les mots, ils s'accorderont peut-être aussi sur les réalités. - On trouvera une définition de certains termes techniques et des démarches en faveur d'une indispensable c périodlsation > dans quelques études dont la lecture est d'autant plus enrichissante que leurs auteurs ne partagent pas tou-

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temps, des liens personnels furent noués en chaine et des services récompensés par l'attribution d'offices, de terres ou de revenus qui glissèrent souvent vers l'hérédité, tout en restant susceptibles d'être rompus en cas de manquement 8 • Il l'a revêtu en tant que société, surtout à l'époque des Tokugawa. En haut, le shôgun ; puis, lui prêtant fidélité, un peu plus de deux cents daimyô, ou grands seigneurs qui possédaient des domaines produisant au moins dix mille koku de riz ; ensuite, leurs vassaux ou leurs arrière-vassaux entretenus par des terres ou des distributions en nature. En dehors de ce régime, mais fondement économique de son établissement et de son maintien, les classes du « commun ~ 7. C'est dans l'aristocratie que la vassalité a recruté ses principaux éléments, sans s'imposer jamais - loin de là - à tous ses membres. Constamment renouvelée et fort diverse, puisque les daimyô, les samouraï, les agents civils de l'Etat et des seigneurs appelaient une considération inégale suivant leur rang, cette société se distinguait de la classe marchande, avec laquelle elle nouait cependant des alliances de famille. Elle tranchait aussi sur les paysans, bien que de riches fermiers aient servi dans l'infanterie jusqu'en plein XVI' siècle et constitué avec les marchands et les samouraï peu fortunés une sorte de classe moyenne. Soumise à une législation pénale particulière, elle se donna par surcroît une solide structure familiale, maintenue par des usages qui attribuaient au plus capable des fils le principal héritage et combattaient l'excessif morcellement des patrimoines. L'Etat et les seigneurs intervenaient dans ce sens, l'unité de la tenure garantissant l'exécution des services. Comme notre chevalerie, enfin, la caste militaire, jours la même opinion (par exemple HAGUENAUER, dans Rev. histor., t. CCXXII, 1959, p. 333 et suiv. ; JoüoN DES LONGRAIS, L'Est et l'Ouest, p. 122 et suiv., 279-280. Cf. Complém. bibliogr., p. 448). 6. Pourtant, l'union du fief et de la vassalité fut toujours incomplète. 7. Cet ordre social était rendu de manière expressive par le terme shi-nd-kd-shd (shi = les daimyô et leurs vassaux ; nd = les paysans ; kd les artisans ; sh6 les marchands).

=

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véritable colonne marchante du régime, exaltait le courage, l'honneur, le souci, de c la face >. Ce code répondait si bien à la mentalité japonaise qu'il gagna tous les groupes sociaux. L'aristocratie ne pouvant vivre sans le labeur paysan, une accélération du rythme seigneurial a répondu à chaque poussée féodale. Il en fut ainsi par exemple dans le dernier quart du XVI' siècle et au début du XVII•. Débarrassés de la plupart des ayants droit qui jadis percevaient des shiki sur une même terre, les détenteurs de fiefs découpés sur les anciens domaines exercèrent une autorité rigoureuse sur leurs paysans. Ils reçurent l'appui du gouvernement qui, à partir de 1582, fit procéder à l'arpentage des terres et à l'estimation de leur valeur, de manière à déterminer le taux des redevences •. On interdit aux paysans de quitter le domaine et de vendre les tenures sans le consentement du seigneur. Nature des cultures, habillement, nourriture, habitation furent réglementés. Un tel régime s'apparentait au servage de la glèbe. Mais il ne déteignit pas autant que chez nous sur le statut personnel des ruraux et ne conféra pas aux maîtres du sol des pouvoirs judiciaires comparables à ceux qu'exerçaient nos seigneurs médiévaux. La cause essentielle de son établissement fut la nécessité où se trouvaient les grands propriétaires, qui ne résidaient pas sur leurs terres et qui avaient renoncé pour la plupart à toute exploitation directe, de percevoir régulièrement sur les tenures ou, mieux, sur les communautés villageoises, solidairement responsables, les rentes en nature qui leur fournissaient les moyens de vivre et de remplir leurs devoirs féodaux. Au Japon comme dans l'Occident médiéval, les statuts juridiques des classes rurales se sont transformés sous la pression des forces économiques et des obligations de la classe seigneuriale. Comme le tsar en Russie moscovite, le shôgun a prêté la main à cette évolution pour défendre ses intérêts à travers ceux des seigneurs. En définitive, les contrastes se sont 8. Voir en dernier lieu K. Meiji ... (Bibliogr., n° 465).

TAKAHASHI,

La place de la Révolution de

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accentués entre l'aristocratie militaire, vivant de ses revenus fonciers, et la classe des paysans-producteurs, ellemême partagée en groupes économiques et privée depuis 1587 du droit de porter les armes. Féodal, le régime le fut enfin, à certains égards, par le rôle assigné aux liens de dépendance dans l'Etat. Ce dernier faiblit-il ? L'autorité publique se morcelle, se dilue entre les mains des puissants : chefs de principautés, commandants militaires, shugo et jitô unis au shôgun par des attaches fort distendues et têtes de file de groupes vassaliques prétendant à des terres et à des revenus héréditaires. Le shôgun parvient-il à s'imposer, sans rompre avec les structures anciennes, comme ce fut le cas sous le premier Minamoto et surtout à l'époque des Tokugawa ? Les réseaux de subordination deviennent pour lui un instrument de gouvernement. A l'expérience carolingienne, aux efforts normands en Italie du Sud, en Angleterre et dans les Etats latins d'Orient, répondent les tentatives japonaises.

* ** Plus proche des féodalités occidentales qu'aucune autre au monde, la féodalité japonaise est cependant un produit du terroir. Extrême-Orient et Extrême-Occident ne se sont guère connus avant le milieu du XVI• siècle. Et l'on ne voit pas que les marchands venus des bords opposés du monde jusqu'en Chine, terme de leurs pérégrinations, aient apporté dans leurs bagages puis échangé des recettes féodales. Un régime social et politique peut donc se répéter en divers temps et en divers lieux sous la pression de forces qui ne sont pas nécessairement identiques. Mais n'exagérons pas les ressemblances. La féodalité japonaise s'est constituée plus lentement et plus tard que la nôtre dans un milieu privé bien entendu de substrat romain et resté à l'abri d'invasions rappelant celles des Germains en Occident. Toutes proportions gardées, nous pouvons néanmoins comparer l'influence civilisatrice de la Chine sur le Japon jusqu'au IX' siècle à celle de Rome sur

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la Gaule antique. Portons aussi attention aux migrations coréennes des premiers siècles de notre ère, puis aux brassages de populations composites et inégalement évoluées qui s'opérèrent entre le Hondo primitif et le reste du Japon. Il y eut par là un peu de cette fusion des peuples et des mentalités qui exerça chez nous une action décisive•. Malgré les insuffisances de la recherche, qui empêchent de toucher au fond comme de percevoir toutes les variétés régionales, et en dépit des points d'interrogation qui restent posés, il faut souligner enfin les rapports entre la situation économique et le cheminement des liens de dépendance. La période qui va du IX• au XII- siècle a vu le repliement de l'économie sur l'agriculture et, de façon générale, le retour à l'isolement. Ce fut à cette époque que se développèrent les grands domaines et les clientèles. Néanmoins, ni la reprise des échanges et de la circulation monétaire, d'abord au XIII• siècle avant les invasions mongoles, puis à partir du XIV-, ni l'expansion de la classe marchande n'interrompirent la poussée des subordinations privées. La médiocre organisation financière et les défaillances administratives s'opposèrent sans doute au paiement en argent de toutes les soldes et de tous les salaires. En outre, les relations de dépendance étaient si ancrées dans les traditions qu'elles purent s'adapter aux transformations économiques comme aux changements intervenus dans la vie de l'Etat. L'exemple de l'Occident aux XII• et XIII• siècles démontre que ces facteurs, loin de s'exclure, ont pu se combiner.



** Une originalité de la féodalité japonaise, comparée à celle de nos pays, résidait dans la nature des relations personnelles. c Nous, les Minamoto, ne servons qu'un seul 9. Sur la présence, dans la préhistoire japonaise, de groupes c ethniques > venus sans doute de Corée, de Mongolie, ainsi que de Mandchourie, et déjà métissés avant de s'être rapprochés et confondus durant notre premier milJénaire, on se reportera à Cs. HAOUENAUER, Origines de la civilisation japonaise, Paris, t. 1, 1957.

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maître > : sauf en des cas exceptionnels, la devise a valu pour toute la société vassalique sous le régime de Kamakura, comme à l'époque des Tokugawa. L'interdiction d'avoir plusieurs seigneurs venait de l'extrême subordination imposée aux dépendants jusque dans tous les actes de leur vie privée. « Pour un guerrier, le devoir est, comme pour un moine, d'obéir à la règle... Qu'il occupe une tête d'épingle de terre, ou qu'il gouverne un millier d'acres, sa fidélité doit être la même. Il ne doit pas penser que sa vie lui appartient, mais qu'il l'a offerte à son seigneur 10• > La fidélité des subordonnés était absolue, inconditionnelle, quelle que fût la conduite du supérieur. A l'époque d'Edo, des daimyô étaient déplacés ou rétrogradés suivant le bon plaisir du shôgun. L'absence d'un contrat réciproque imprimait à la vassalité d'Extrême-Orient, dont au surplus nulle influence féminine ne tempérait les rudesses, un caractère si singulier qu'aux yeux d'un c Occidental > le mot appelle des réticences. Ces dernières s'avèrent d'autant plus fortes que la création des rapports personnels était loin d'être toujours placée sous le signe d'un étroit formalisme. Une audience, surtout lorsqu'elle était sollicitée, une simple inscription nouaient des dépendances. Droits et devoirs découlaient des règles morales traditionnelles. Il n'était pas besoin de les préciser. Faut-il ajouter que la punition des fautes pouvait se faire expéditive ? Combien de vassaux infidèles furent tués par leur maître ou contraints au harakiri ! Qu'en effet de nombreux liens aient été rompus, l'histoire des XIV' et xv• siècles par exemple en fournit la preuve. Ainsi se retrouvent au Japon les contradictions, tant de fois dénoncées, entre des rapports noués en principe pour la vie et le comportement de beaucoup d'hommes, prompts à se retourner contre leur seigneur sans avoir le sentiment qu'ils commettaient une « trahison >. Le milieu humain qui composait la société féodale présentait aussi des particularités. Il y eut là, au-dessous de 10. Conseils d'un partisan des Minamoto à son fils (cités par G. B. SANSOM, A history of Japan. - Bibliogr., n° 464).

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la haute féodalité militaire, un nombre considérable de petits dépendants sans terre ni seigneurie, entretenus par des rentes en nature ; il y eut aussi, notamment à l'époque des Tokugawa, tout un monde de bureaucrates attelés à des tâches administratives auprès du shôgunat ou des grandes maisons qui s'étaient donné leur organisation et leurs coutumes. On sait d'autre part que l'empereur fut toujours étranger au régime. Finalement privé de pouvoirs efficaces, même en matière civile, il resta néanmoins le gardien de traditions politiques et religieuses qui lui valurent d'être respecté aussi longtemps qu'il ne faillit pas à la c règle >. Sinon, il devenait c attaquable >, c reléguable >, c assassinable > - avec discrétion. - Dans la f éodalité japonaise parvenue à son apogée, des cadres, des institutions, des vertus de loyauté et de courage rappellent les nôtres. Ce sont des formes parallèles, plutôt que similaires. Ce n'est pas la même âme.

CONCLUSION GÉNÉRALE

Groupons en faisceau, comme ils l'étaient dans la· vie, des éléments étudiés parfois en ordre dispersé. A l'époque romaine, des propriétés offraient l'aspect d'immenses réserves mises en valeur par des esclaves et des salariés : témoins les la tif un dia. D'autres étaient louées à des fermiers ou à des métayers, notamment dans l'Asie Mineure du III• siècle. Saluons ces deux formes au passage sans nous y arrêter, car elles ne sont pas des seigneuries. Ailleurs, on a mis à l'honneur des modes d'exploitation laissant au maître une fraction du sol et concédant le reste à des tenanciers. A ces derniers, on pouvait demander uniquement un loyer en nature ou en argent, sans préjudice de certaines obligations personnelles. L'Egypte romaine, l'Angleterre anglo-saxonne, nos pays de bocage en livrent des exemples appelés à gagner, après le XI' ou le XII' siècle, la plus grande partie de l'Occident. Cependant, une autre méthode a prévalu durant le haut Moyen Age en de nombreuses régions françaises, allemandes et italiennes : la fourniture non seulement de redevances mais de services imposant aux paysans un va-etvient entre leurs fermes et celles de leurs propriétaires. C'est principalement sur ce type que la seigneurie rurale s'est d'abord greffée : groupe économique subordonné à un maître qui réclamait le secours de ses bras et une partie de ses revenus ; groupe social et politique se rattachant à lui par des liens personnels et réels issus ordinairement de l'hérédité et de la coutume, plutôt que de contrats individuels. Trait original entre tous, la seigneurie place

CONCLUSION GÉNÉRALE

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des hommes sous une autorité privée. Elle se substitue à la puissance publique dans des proportions qui varient avec l'étendue de ses prérogatives et le statut juridique des paysans soumis à sa loi. Quelles furent les étapes de sa progression pendant le haut Moyen Age? Problème capital, mais incomplètement résolu, car le cheminement fut si lent qu'on peine à le déceler. Même si l'on fait abstraction des organismes urbains, la notion seigneuriale a souvent dépassé le cadre des grandes propriétés. Des dominations territoriales ont surgi à travers le monde et conquis leur autonomie sans rompre avec les royautés, ni vivre en marge des Etats. L'Orient antique, l'Occident médiéval, Byzance, les Musulmans et la Russie de Kiev ont connu cette expérience. Semblable organisation se retrouve en des régions que leur situation géographique condamne à l'isolement. C'est le cas de certaines vallées de montagne, ou d'îles comme la Sardaigne. Des aristocraties en sont restées au stade seigneurial. Elles ont dû leurs prérogatives non seulement à leur fortune foncière mais à des concessions dont l'expression la plus parfaite fut l'immunité. La puissance publique demeure-t-elle capable de contrôler les seigneuries ? Ces concessions font de leurs bénéficiaires des agents du pouvoir : ainsi dans l'Empire byzantin à certains moments de son histoire, en Russie moscovite et dans l'Empire ottoman. Court-elle au contraire à sa ruine ? Les seigneurs ramènent à eux la justice, les finances, la défense militaire. Le monde antique et plus tard le monde musulman en offrent maintes démonstrations. Mais, tout-puissants sur leurs terres, ces chefs au-dehors n'étaient rien. Expressions de besoins sommaires et d'ambitions locales bridées par de farouches rivalités entre les maîtres, de nombreuses seigneuries furent vouées à une existence précaire et contraintes, pour survivre, de favoriser la reconstitution d'une autorité supérieure issue d'elles-mêmes ou imposée par la victoire de l'étranger.

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••• La seigneurie rurale attache des paysans à un maître. La féodalité va plus loin. Elle unit les maîtres entre eux par des liens qui atteignent toujours leurs personnes, souvent aussi leurs biens et leurs pouvoirs. Elle prend en outre dans son engrenage des hommes sans terre, engagés uniquement par leurs serments. Les clientèles privées de l'époque romaine ne sauraient se mesurer avec elle. Recrutés en partie dans le prolétariat, dépourvus d'un statut juridique précisant les obligations et les droits réciproques, leurs membres étaient pliés au bon vouloir d'un patron de fortune, disposé à leur procurer des moyens d'existence en retour des tâches médiocres qui faisaient d'eux des flatteurs, des agents électoraux, des hommes de main. Par contre, l'atmosphère des compagnonnages à la mode germanique, slave ou scandinave évoque celle de la vassalité domestique. Combien de petits dépendants, après la mort de leur seigneur, auraient pu faire écho à la plainte de ce compagnon anglo-saxon que la disparition de son chef exposait à l'isolement et à la misère : c Il rêve, par moments, qu'il étreint et baise son seigneur, met les mains et la tête sur ses genoux, comme autrefois près du haut siège d'où venaient les dons. Puis l'homme sans amis s'éveille et ne voit plus devant lui que les sombres vagues. Où sont les joies de la grande salle? Où est, hélas ! la brillante coupe 1 ? > Pourtant, le compagnonnage n'est pas la féodalité. Suite armée d'un chef, et de qualité plus haute que les parasites bourdonnant autour d'un patron, il ignore comme eux l'hommage, les fidélités superposées, le fief. La féodalité a succédé à deux régimes : celui de la tribu, importé par les Celtes et les Germains ; celui de l'Etat selon les conceptions romaines, puis carolingiennes. Elle est issue pour une part de leur effritement, a mêlé leurs survivances et s'est imprégnée de leurs leçons, tout 1. Cité par M.

BLOCH,

La société féodale, t. 1, p. 281.

CONCLUSION GÉNÉRALE

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en s'adaptant aux besoins des hommes pour qui elle était faite. A la civilisation de la tribu et du clan, elle a emprunté un caractère fondamental : les solidarités lignagères, et des sentiments primitifs : répugnance envers l'écrit, attachement au formalisme et aux rites symboliques, goût des contacts personnels et de la vie en commun. De l'Etat, elle a hérité la notion, à vrai dire flottante, d'un pouvoir supérieur, vestige de l'autorité publique. Elle s'est construite sur ses ruines, après avoir précipité sa chute. Gardons-nous toutefois de la considérer uniquement comme le résultat d'un écroulement, de voir en elle un régime fait de miettes et de morceaux arrachés à des cadres vermoulus. Dans les royaumes barbares, dans l'Empire carolingien lui-même, l'Etat n'avait jamais été achevé. Dès ses origines, la féodalité fut une réponse à cet inachèvement, une solution originale apportée au commandement des groupes sociaux vivant dans les clairières de peuplement ou à l'ombre des châteaux. Loin d'ailleurs de tout envahir, les réseaux de dépendance furent mêlés à des formes politiques et religieuses, à des modes de production et à des classes qui puisaient leur raison d'être en dehors d'eux et poussaient leurs antennes vers d'autres directions .

••• La présence de plusieurs éléments clés est indispensable pour qu'on puisse en toute logique faire appel à ce petit mot, si lourd de sens : féodalité. Mot imparfait puisqu'il met l'accent sur le fief sans rendre justice aux liens personnels. Mot acceptable, pourtant, puisque la notion de fief est subordonnée à la prestation des serments et qu'elle a pris finalement le premier rang dans les rapports entre seigneurs et dépendants. Ces éléments, nous les connaissons déjà. Opérons leur rassemblement. S'agit-il des institutions ? Issue de liens d'abord domestiques, la vassalité forme la base d'un régime qui repose sur des engagements réciproques, bien qu'inégaux, sur un contrat entre deux hommes libres dont l'un, le seigneur, peut être lui-même le subordonné d'un plus grand et dont

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l'autre, le vassal, peut accueillir à son tour les mains jointes d'un dépendant. Les liens sont le plus souvent viagers. Mais les parties sont en droit d'y renoncer de leur plein gré, ou de les rompre en cas de manquement. Aux yeux du seigneur, hommage et fidélité ne sont pas seulement une prime de sécurité, mais le commencement de nouvelles relations sociales et politiques, la source de services rémunérés fréquemment par une tenure féodale sur laquelle le concédant gardait des droits éminents, tandis que le bénéficiaire en recevait l'usufruit. D'où un démembrement de la propriété, bientôt accentué par l'hérédité. Cette dernière offrait des avantages évidents non seulement aux vassaux, ainsi assurés de conserver les biens et les fonctions de leurs pères ou de leur lignage, mais aux seigneurs qui, grâce à elle, recrutaient sans effort des soldats et des administrateurs. D'abord simple paiement de la vassalité, le fief, libéré primitivement de toute charge, est devenu peu à peu, au même titre que les engagements personnels, le point de départ des services exigés. Cette transposition a modifié la nature des relations entre seigneurs et vassaux, liés désormais par des terres autant que par des serments. En d'autres termes, il y a eu un droit de la vassalité et un droit du fief. Dans la moitié nord de la France d'abord, puis dans les pays gagnés par les réseaux de dépendance, une telle combinaison a donné leur véritable physionomie aux institutions féodales. Appliqué au gouvernement des hommes, Je régime a inspiré des méthodes fondées non sur « la loi >, mais sur Je dévouement personnel, l'honneur, la vengeance. Livré à lui-même, il a fourni à ses chefs une autorité fragile et limitée. Coiffé par la monarchie, il s'est avéré un instrument efficace du pouvoir. Témoin la France capétienne, où la royauté a ressaisi par le biais des rapports vassaliques des prérogatives que l'extension du ban seigneurial, entre autres, lui avait fait perdre. Témoin l'Allemagne des rois saxons, dont les souverains rattrapèrent grâce aux liens personnels des hommes séduits par le mirage de l'indépendance, et virent dans la vassalité le moyen de rattacher à leur couronne des pays étrangers : royaume

CONCLU~ON GfNfRALE

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de Bourgogne, Italie, Pologne. Bohême. Ainsi encore, le Japon des Minamoto ou des Tokugawa, et surtout l'Angleterre du Conquérant où les réseaux privés, au lieu de s'élever sur les ruines de l'Etat, furent une formation première associée à la royauté. La féodalité est enfin une organisation de classe, une « solidarité verticale >, une société en majorité aristocratique, serrée autour de chefs locaux : société d'hommes inégaux mais distincts du c commun > grâce à leur vocation militaire, leur fortune, leurs droits de commandement ; société de puissants qui, c soit par eux-mêmes, soit encore par des tiers avec lesquels ils sont notoirement liés, sont en situation d'intimider ou de séduire par la promesse d'un bienfait 1 >. Incultes pour la plupart, sensibles au prestige, aimant la chasse, les bonnes tables, les belles étoffes et les armes richement ornées, pratiquant l'entraide guerrière et menant une existence collective, ils ont puisé dans la chevalerie une conscience de classe, un code de l'honneur et une manière de vivre. Au-dessous d'eux, liés à leur destin et peinant pour eux, Jes paysans dépendants s'accrochent à la seigneurie. A la distinction toujours vivante entre libres et non-libres s'ajoutent les contrastes entre ceux qui prient, ceux qui combattent et ceux qui travaillent' .

••• Quand s'ouvre le XI• siècle, les réseaux féodaux ne dressent pas encore l'édifice majestueux qui devait répondre beaucoup plus tard aux vœux de Beaumanoir. La construction féodale est faite pour une part de dominations locales qui forment autant de clefs de voûte isolées à l'intérieur d'un bâtiment appelé un jour à les rassembler. En outre, la notion de fidélité prend diverses résonances : assourdies chez les puissants, plus fortes chez les humbles. 2. Texte byzantin de 934, cité par P. t. CCXIX, 1958, p. 270. 3. Documents, n° 55, p. 406-407.

LEMERLE,

dans Rev. histor.,

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Les dévouements sont inégaux suivant la position des intéressés dans l'échelle sociale et, en cas d'hommages multiples, selon la nature des serments. La féodalité occupe alors un espace restreint sur la carte de l'univers. La partie de l'Europe qui va de la mer du Nord à la Loire, ainsi que des contrées rhénanes aux frontières de la Bretagne, en forme le centre. C'est là qu'elle est née, là aussi que les termes vassalité et fief eurent leur véritable patrie. En dehors des îlots formés par les anciennes marches carolingiennes, son dessin devient moins ferme en France méridionale, dans le royaume d'Italie, dans le nord de la Germanie et de l'Espagne. Par vagues puissantes, elle va bientôt gagner l'Italie du Sud et la Sicile, puis l'Angleterre, son pays d'adoption préféré. Ailleurs, elle sera un contre-plaqué provisoire : Orient latin, Europe du Centre et de l'Est. A l'autre bout du monde, elle n'avance qu'à pas comptés sur les terres japonaises, où l'expérience se poursuit en vase clos. Dans ses institutions et sa structure, tout est nuances, adaptations au milieu, infinie souplesse. La féodalité est présentée parfois comme une abstraction. Folie ! En vérité, c'est une personne. Ni l' Antiquité, selon toute vraisemblance, ni l'ère moderne n'ont modelé son visage. La première a exercé des poussées dans sa direction sans l'atteindre. La seconde a recueilli ses restes. La féodalité est médiévale. Elle ne doit rien à l'Afrique, rien sans doute à l'Asie, le Japon excepté. Elle est fille de l'Occident.

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A. -

LA SEIGNEURIE

1 Comment le présent éclaire le passé

a) LA FORMATION DE COUTUMES COMMUNAUTAIRES, VUE PAR UN H.OMANCIER 1. JOHN STEINBECK, Les raisins de la colère (trad. DUHAMEL et COINDREAU. Paris, Gallimard, 1947, p. 210-212).



Les voitures des émigrants surgissaient en rampant des chemins de traverse, regagnaient l'autostrade et reprenaient la grande voie des migrations, la route de l'Ouest. A l'aube, elles détalaient, pareilles à des punaises ; dès la tombée du jour, surprises par. l'obscurité, elles se rassemblaient et venaient grouiller autour d'un abri ou d'un point d'eau. Et parce qu'ils se sentaient perdus et désemparés ... les émigrants se groupaient, se parlaient, partageaient leur vie, leur nourriture et tout ce qu'ils attendaient de la terre nouvelle. Quand par exemple une famille campait près d'une source, il arrivait qu'une autre famille vînt s'y installer, à cause de la source ou par besoin de compagnie, puis une troisième, parce que les deux premières avaient étrenné le coin et l'avaient jugé favorable. Et à la tombée du jour, c'étaient peut-être vingt familles et vingt voitures qui finissaient par se trouver rassemblées là. Vers le soir, il se passait une chose étrange : les vingt familles ne formaient plus qu'une seule famille, les enfants devenaient les enfants de tous. Ainsi partagée, la perte du foyer se faisait moins sensible et le paradis de l'Ouest devenait un grand rêve commun ... Assis autour des feux, les vingt n'étaient plus qu'une seule tribu. Tous se soudaient peu à peu en groupes, pour le campement, pour la veillée,

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pour la nuit. .. Un monde se créait, un monde complet, meublé d'amitiés affirmées, d'inimitiés subitement établies ; un monde complet avec ses vantards, ses lâches, avec ses hommes calmes, ses hommes modestes et bons. Chaque soir s'établissaient les relations qui font un monde, et chaque matin le monde se disloquait à la façon d'un cirque ambulant. Au début, les familles montraient de la timidité dans l'élaboration et la démolition des mondes, mais peu à peu la technique de construction leur devenait familière, devenait leur mode de vie. C'est alors que surgissaient des chefs, que s'élaboraient des lois, que s'instituaient des codes. Et à mesure que les mondes se déplaçaient vers l'Ouest, ils étaient plus complets, mieux meublés, car leurs constructeurs avaient plus d'expérience. Les familles apprenaient ce qu'elles devaient respecter : la ·\ie privée dans les tentes ; le droit d'enterrer le passé tout au fond de son cœur ; le droit de parler, d'écouter ; le droit qu'avait le fils de courtiser, et la fille de se laisser courtiser ; le droit à la nourriture pour ceux qui avaient faim ; le droit qu'avaient les femmes enceintes et les malades de se prévaloir de leur état pour passer par-dessus tous les autres droits. Et les familles apprenaient, sans que personne leur en eût parlé, ce qui était monstrueux et qu'il fallait absolument abolir : le droit de s'immiscer dans l'intimité d'autrui, le droit de faire du tapage pendant que le camp dormait, le droit de séduire ou de violenter, le droit d'adultère, le vol et le meurtre. Ces droits étaient impitoyablement réprimés, car sans cela les petits mondes n'auraient pas pu subsister, même une seule nuit. .. Les règles devenaient lois, sans que personne l'eût appris aux familles. C'est enfreindre la loi que de se soulager près du camp, de souiller l'eau potable, de manger des choses riches et appétissantes près de quelqu'un qui a faim, sauf si on lui en réserve une part. Et avec les lois, les châtiments - et il n'y en avait que deux : une bagarre prompte et meurtrière, ou l'exclusion, et des deux l'exclusion était le plus dur. - Car quiconque violait les lois emportait avec lui son nom et son visage et

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n,avait plus de place dans aucun monde, quel que f'lît l'endroit où il avait été créé ... Les conventions sociales adoptaient des formes fixes, rigides ... Une famille respectant les lois se savait en sécurité à l'abri de ces lois. Des gouvernements se formaient dans les mondes, des gouvernements nantis de chefs, de doyens ... Il faut, à un monde qui se crée, un certain décor naturel : de l'eau, la berge d'une rivière, un cours d'eau, ou simplement une prise d'eau non prohibée. Et il faut aussi une étendue de terrain plat, suffisante pour permettre l'érection des tentes, quelques buissons, ou un boqueteau pour le bois à brûler ... Et les mondes se créaient le soir.

b) SUPERPOSITION D'UN RÉGIME SEIGNEURIAL A UN SYSTÈME COMMUNAUTAIRE JACQUES WEULERSSE, Problèmes d'Irak (Annales de Géographie, 1934, p. 67-69).

N° 2.

[Au XIX" siècle encore] dans le Nord, les villages vivaient groupés autour du chef, ou agha, c'est-à-dire l'homme le plus fort et le plus riche, capable de défendre les paysans en cas de péril et de les aider en cas de disette. Il représentait la communauté auprès du gouvernement, du moins quand celui-ci était assez fort pour se faire connaître, et lui payait l'impôt. A l'intérieur du village, il réglait la répartition des terres, d'accord avec les paysans. L'apparition de la nouvelle formule permit à beaucoup d'aghas sans scrupule d'asseoir définitivement leur autorité. Il leur suffisait de faire enregistrer à leur propre nom la propriété tapu [ou propriété de l'Etat) du village lui-même. Sans doute, au début, rien n'apparut changé. Mais peu à peu l'exode des propriétaires vers les villes vint rompre la communauté de vie et d'intérêts entre aghas et paysans. Ceux-ci ne furent plus que des malheureux qu'il s'agissait de pressurer au maximum. Et si le domaine, constitué ainsi par un coup de surprise, passe, comme c'est souvent le cas, entre les mains

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d'usuriers professionnels des villes, leur sort ne peut qu'empirer encore. [Dans le sud du pays, sur les terres d'irrigation] des nomades en voie de sédentarisation... ont conservé toute leur structure sociale originale, basée sur la tribu et ses liens du sang... La simple fixation au sol amène un développement immédiat de l'individualisme, par opposition à l'ancienne soumission au groupe social. La désintégration des tribus sur un sol sans statut foncier risque d'amener une inextricable confusion. CHARLES RoBEQUAIN, L'Indochine française (Paris, A. Colin, 2• éd., 1948, p. 93-95).

N° 3.

Les sociétés thai offrent les traits d'un régime féodal 1 ••• Le seigneur est en théorie le seul maitre de la terre : il fonde ses prétentions sur l'initiative et les efforts d'ancêtres plus ou moins lointains, qui auraient entrepris et dirigé les premiers défrichements ou du moins stabilisé, par l'extension des rizières permanentes, des populations jusqu'alors nomades ; parfois il invoque une ascendance annamite ou même chinoise pour justifier son prestige, qui reste grand. Au-dessous de lui s'étage toute une hiérarchie de notables, souvent héréditaires eux aussi, et bénéficiant comme lui de véritables droits seigneuriaux. Les meilleures rizières de la tribu sont réservées à ce chef ; leur culture est assurée par des serviteurs personnels et par des corvées auxquelles toutes les familles sont astreintes ; les autres terres irriguées sont réparties entre ces dernières selon leurs besoins, mais à charge pour elles de verser certaines redevances, les unes périodiques, les autres liées à de grands événements : ainsi doit-on un tribut au seigneur lorsque son fils aîné se marie, lorsque son père meurt, lorsqu'il veut construire une nouvelle case. Certains de ces seigneurs, avides ou prodigues, peuvent sans doute pousser jusqu'à l'exaction l'exercice traditionnel de ces droits. Mais en réalité, ceux-ci sont compensés par des 1. Dans le sens de seigneurial.

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devoirs ... Le seigneur n'est pas un maitre lointain, inaccessible. Il vit au milieu de ses sujets, d'une vie de gentilhomme campagnard ; la case qui abrite ses femmes, ses enfants, ses domestiques, est longue et spacieuse, construite en bois choisis, mais du même modèle que les autres; le riz de ses greniers est distribué aux habitants en cas de disette, et il prête des buffles au nouvel immigrant ... Mais ce régime ... ne s'oppose pas au communisme indonésien ... Il en conserve certains traits ... La forêt apparaît comme le bien de tous ; chaque famille de la tribu y choisit l'emplacement et les limites de ses champs temporaires, qu'elle désigne par une marque évidente ; ces terrains lui resteront tant qu'elle voudra les exploiter, puis seront intégrés de nouveau au patrimoine collectif. Mais les terres irriguées sont souvent devenues de véritables biens privés ... Les familles conservent souvent très longtemps les mêmes rizières ; il leur arrive de les céder dans une période de gêne, avec l'autorisation du seigneur ; l'acquéreur, dont les droits sont longtemps contestés, finit cependant par prendre figure de propriétaire. Ailleurs, l'extension des champs irrigables aux dépens de la forêt ou de la brousse vaut au défricheur entreprenant des privilèges généralement reconnus.

II Les patronages dans l'Empire romain N° 4. LIBANIUS, Discours sur les patronages (vers 386-392, édition et traduction L. Harmand, Paris, 1955).

P. 27-28, § 4. - Il existe de grosses bourgades appartenant chacune à de nombreux propriétaires : elles se réfugient sous la protection des soldats en stationnement, point du tout pour échapper au mal, mais pour être en mesure de le commettre. Le pourboire est tiré des produits du sol : blé, orge, fruits des arbres, ou bien consiste en un poids d'or brut ou en une somme d'or. S'étant fait ainsi un rempart

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des bras de ces soldats, les donneurs de cadeaux ont acheté la permission de tout faire. Et les voici maintenant devenus pour leurs voisins une source de maux et d'embarras, empiétant sur leurs terres, rasant les arbres, pillant, égorgeant des animaux, saccageant, se repaissant. Alors les gens dont c'était là le bien gémissent à cette vue, mais eux, occupés à se gaver, s'esclaffent, et ils sont tellement éloignés de redouter une enquête sur les événements qu'ils ajoutent la menace aux actes déjà consommés ; et ce ne sont point gens à s'abstenir d'autres actes. P. 31-32, § 11. - La recherche d'un patron n'est pas seulement le fait de ces campagnes qui appartiennent à de nombreux propriétaires, chacun d'eux en détenant un fragment de faible étendue mais encore de celles qui n'ont qu'un seul et même maître. Du mercenaire, elles se concilient également les faveurs, mais au préjudice de ce maître, car la rémunération proposée et les cadeaux offerts sont prélevés sur ses dépouilles. C'est pourtant à des gens éminents qu'ils appartiennent, ces villages, à des gens fort capables de tendre la main aux malheureux. Oui, mais, je le présume, c'est en vue du mal à commettre, non pour échapper à la misère, que les paysans achètent la puissance d'aucuns. De cette puissance usant à la longue, et contre leurs propres maîtres, comme ceux-ci les exhortent au travail parce que la terre l'exige, féroce est le regard qu'ils lèvent sur eux, sous prétexte qu'ils sont hors de contrainte, que c'est à leur convenance qu'ils travaillent, et qu'ils ne toucheront pas à leur terre à moins qu'ils ne s'en persuadent spontanément. P. 35, § 17. - ... Tout ceci, pour révéler combien de patrimoines sont ébranlés par ces défections de la paysannerie : car sur le territoire de chaque cité, ce sont les mêmes paysans, les mêmes parties de chasse à la recherche d'un protecteur, les mêmes pourboires, les mêmes ententes, les mêmes profits, les mêmes préjudices causés, les mêmes explosions de joie et les mêmes accablements. Bien plus, émigrant des autres villages (ceux où la voie n'est pas ouverte à de telles violences), abandonnant femmes et enfants, innombrables sont ceux qui se laissent emporter vers ces

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puissants, ces formidables bastilles, dans l'intention de tirer parti de cette force illégale. N° 5. SALVIEN, moine de Lérins, De gubernatione Dei, livre V, chap. vm (vers 440) (J.lf. G. H., Auctores antiquissimi, t. I, éd. Halm, 1877, p. 62). Les tributaires pauvres et indigents se livrent à de plus grands qu'eux pour être défendus et protégés. Je rendrais plutôt grâce à cette grandeur d'âme des puissants, auxquels se donnent les pauvres, s'ils ne vendaient ces patronages, si ce qu'ils appellent défendre les humbles relevait de l'humanité, non de la cupidité. On les voit protéger les pauvres pour les spolier. La sécurité des parents est achetée par la misère des descendants. Tributarii pauperes et egestuosi ... tradunt se ad tuendum protegendumque majoribus ... Potius gratularer banc potentum magnitudinem, quibus se pauperes dedunt, si patrocinia ista non venderent, si quod se dicunt humiles defensare, humanitati tribuerent, non cupiditati... Tueri pauperes videntur, ut spolient... Tuitio parentum mendicitate pignorum comparatur ... III Quelques éléments des classes paysannes pendant le haut Moyen Age

N• 6.

DIFFICULTÉS DE LA TERMINOLOGIE. DEUX EXEMPLES.

a) LuNAEL, Urkundenbuch des Landes ob der Enns (t. I, Vienne, 1852, p. 23 : 768-769). Moi Hildirch, je donne mes deux esclaves apiculteurs, dont l'un est libre et l'autre esclave, ainsi que leurs femmes, toutes deux esclaves. Ego Hildirch, ... dono ... cidlarios meos II servos, unus est liber et alter servus, uxores vero ejus ambo ancillas.

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b) A. BERNARD et A. BRUEL, Recueil des chartes de l'abbaye de Cluny (t. IV, Paris, 1888, n° 3380, p. 475 :

19 janvier 1062). Nous faisons donation au seigneur Dieu et au seigneur abbé Hugon du domaine de Berzé, avec les serfs et les serves qui vivent sur ce patrimoine, qu'ils soient libres, ou qu'ils soient serfs. Facimus donum Domino Deo ... domnoque abbati Hugoni.. . videlicet villam de Berziaco,... cum servis et ancillis qui .. . in ipsa hereditate degunt, ... sive sint liberi, sive sint servi. N° 7. LE BESOIN DE PROTECTION. - DONATIONS D'ALLEUX DANS LE COMTÉ CATALAN DE PALLARS (avril 920). (Acte publié par R. d'ABADAL IDE VINYALS, dans Els comtats de Pallars i Ribagorça, n° 132, p. 351-352. - Institut d'Estudis catalans. Catalunya carolingia, vol. III, 2e partie. Barcelone, 1955). Au nom du Christ. Nous tous I vous donnons tous nos alleux dans le comté de Pallars et la villa de Baén 1, par notre bonne volonté et afin que vous soyez notre bon défenseur contre tous les hommes de votre comté. In Christi nomine. Nos omnes ... donamus tibi. .. nos omnes alodes nostros in pago Paliarensi et in villa Baiene, ... propter nostram bonam voluntatem et ut vos sitis bonus noster senior et defensor contra totos homines de vestro comitatu ... N° 7 bis. HOMMES LIBRES ENTRANT VOLONTAIREMENT EN ESCLAVAGE (A. BERNARD et A. BRUEL, Recueil des chartes de l'abbaye de Cluny (t. 1, Paris, 1876, n ° 30, p. 35 : 887). Moi Bertier, je me suis mis la corde au cou et je me suis livré aux mains et au pouvoir d' Aleré et de sa femme Ermengart, afin que, de ce jour, vous fassiez de moi-même 2. Suivent les noms de douze ménages, de quatre hommes ou femmes agissant pour eux et leur fils, et de deux isolés. S. Suivent les noms de lieu et les confrontants.

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et de ma descendance tout ce que vous voudrez, ainsi que vos héritiers ayant pouvoir de me garder, de me vendre, de me donner ou de m'émanciper, et afin que, si je veux un jour me soustraire à votre service, vous puissiez me retenir, vous ou vos envoyés, comme vous le feriez pour un de vos autres esclaves d'origine. Berteriùs, ... corrigiam ad collum m-eum misi et manibus in potestate Alariado vel ad uxore sua Ermengart. .. se tradidit ... ut post ac die de me ipsum et de mea angnicione faciatis quitquit voleritis vos vel ered-es vestri adabendi, vendendi, donandi vel ingenuandi et, si ego ... me de servicio vestro abstraere voluero, taliter mihi detinere vel destringere debeatis, vos vel missi vestri, sicut relico mancipio originalio vestro. N° 8.

RÉPONSE D'UN AGENT DE CHARLEMAGNE A UN MISSUS PRÉOCCUPÉ PAR LE STATUT DES ENFANTS ISSUS DE MARIAGES MIXTES ENTRE COLONS ET ESCLAVES, SUJETS DE DEUX SEI· GNEURS DIFFÉRENTS (M. G. H., Capitularia regum Fran-

corum, éd. Boretius, t. I, n° 58, p. 145 : 801-814).

On touchait à la question de savoir dans le premier chapitre si, dans le cas où l'esclave de quelqu'un avait épousé une colone, leurs enfants devraient appartenir à cette colone ou à cet esclave. Si ton propre esclave s'est uni à la propre esclave d'un autre, ou si le propre esclave d'un autre a épousé ta propre esclave, considère auquel de vous deux leur progéniture doit appartenir et agis semblablement dans le premier cas. Il n'y a rien de plus, en effet, que le libre et l'esclave. Continebatur ... in primo capitulo, utrum, ubi colonam servus cujuslibet uxorem acceperit, infantes illorum pertinere deberent ad illam colonam an ad illum. Considera enim, si proprius servus tuus alterius propriam ancillam sibi sociaverit, aut alterius servus proprius tuam propriam ancillam uxorem acceperit, ad quem ex vobis eorum procreatio pertinere debeat, et taliter de istis fac. Quia non est amplius nisi liber et servus.

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N° 9.

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LES ESCLAVES ET LA PRtTRISE.

a) J. MANsI, Sacrorum conciliorum nova et amplissima Colleètio (Venise, t. XVIII, 1773, c. 146, n. 29 : Concile de Tribuf, 895). Selon les décrets des saints pères, nous avons décidé qu'un êvêque ne peut pas se permettre d'ordonner un esclave avant que celui-ci ne soit doté d'une complète liberté, parce qu'une personne vile ne doit pas remplir une fonction sacerdotale.

Secundum decreta sanctorum patrum, prejudieamus... ut nullum servum episcopus ordinare presumat antequam perf ecta ditetur ingenuitate, quia non debet vilis persona fungi sacerdoti dignitate.

b) J. P. MIGNE, Patrologiae latinae cursus completus (Paris, t. CXL, 1880, col. 628, chap. xx1 : décret de Burchard de Worms, début du XI' siècle). ... Qu'aucune personne de condition servile ne soit promue aux ordres sacrés à moins qu'auparavant elle n'ait obtenu de ses propres seigneurs la liberté reconnue par les lois. ... Nulli de servili conditione ad sacros ordines promoveantur, nisi prius a dominis propriis legitimam libertatem eonsequantur. N• 10.

RESTRICTIONS

AUX

MARIAGES

SERVILES.

LETTRES

»'EGINHARD, éd. Hampe, dans M. G. H., Epistolae, t. V, 1899, n• 37, p. 128, vers 828-836. [Eginhard] à sa très chère sœur, salut éternel dans le Seigneur. Un esclave à vous, de Makesbah ', nommé W énilon, a contracté mariage avec une femme libre. Et redoutant maintenant votre colère, en même temps que celle de son seigneur 4. Couvent de femmes, non loin d'Ostheim et de Seligenstadt.

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Albuin, il s'est réfugié dans l'église des saints Marcellin et Pierre. Pour cela, je demande votre charité, afin que vous daigniez intercéder en mon nom auprès d' Albuin pour qu'il soit permis à cet esclave, avec le consentement d' Albuin et le vôtre, de garder la femme qu'il a prise. Je souhaite que vous vous portiez toujours bien. Dilectissime sorori. .. aeternam in domino salutem. Quidam servus vester de Makesbah, nomine W enilo, quandam liberam feminam accepit sibi in conjugium; et modo timendo iram vestram simul et domini sui Albuuini, confugit ad limina sanctorum Marcellini et Petri. Pro quo rogo caritatem tuam, ut mea vice apud illum intercedere digneris, qua.tenus ei liceat cum sua et tua gratia feminam illam, quam accepit, habere. Opto ut semper bene valeatis. N° 11. ESCLAVES EN FUITE. LETTRES n'EGINHARD, éd. Hampe, dans !tf. G. H., Epistolae, t. V, 1899, n° 48, p. 133 : vers 828-840. A notre très cher ami Marchrad, glorieux vidame, Eginhard, salut éternel dans le seigneur. Deux esclaves de saint Martin se sont réfugiés dans l'église des bienheureux martyrs du Christ, Marcellin et Pierre, parce que leur frère a tué son compagnon. Ils demandent qu'il leur soit permis de payer le wergeld pour leur frère, afin qu'on lui fasse grâce de ses membres. Nous demandons donc à votre dilection de daigner l'épargner dans la mesure du possible, pour l'amour de Dieu et de ses saints dans l'église desquels ils se sont réfugiés. Je souhaite que vous vous portiez toujours bien dans le Seigneur. Dilecto amico nostro Marchrado, glorioso vicedomno, Einhartus, aeternam in domino salutem. Duo servi sancti Martyni... confugerunt ad limina beatorum Christi martyrum Marcellini et Petri, pro eo quod frater eorum quendam socium suum occidisset, rogantes ut eis liceat solvere ilium weregeldum pro fratre suo, et ut ei membra perdonentur. Proinde rogamus dilectionem tuam ut, in quantum possibile est, ei parcere digneris propter

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amorem Dei et sanctorum ej us, ad quorum limina confugerunt. Opto ut semper bene valeas in Domino. N° 12.

L'ATTACHE DES COLONS AUX DOMAINES.

a) Code Justinien, XI, 52.

Les colons, bien qu'ils semblent de condition libre, sont cependant considérés comme les esclaves de la terre même où ils sont nés. Coloni,... licet condicione videantur ingenui, servi tamen terrae ipsius cui nati sunt aestimantur. b) M. G. H., Capitularia regum Francorum. éd. Boretius,

t. 1, n ° 56, p. 143 : 803-813. Afin que les hommes du fi.se, colons ou esclaves, demeurant sous le pouvoir d'autrui, lorsqu'ils sont réclamés par leur premier seigneur, ne s'en aillent pas ailleurs que dans leur lieu d'origine, que chacun d'eux revienne là où on l'a vu séjourner et qu'on s'enquière ici de son statut et de sa parenté. Ut homines fiscalini, sive coloni aut servi, in alienum dominium commorantes, a priore domno requisiti, non aliter eisdem concedantur, nisi ad priorem locum, ubi prius visus fuit mansissc, illuc revertatur et ibi diligenter inquiratur de statu ipsius cum cognatione ejus. c) H. Wopfner, Urkunden zur deutschen Agrargeschichte, d'après M. G. H., Formulae Merowingici et Karolini aevi, éd. Zeumer, 2• partie, 1886,

Stuttgart, 1925, n ° 43, p. 52 -

p. 463 : vers 817-840. Ils devraient être colons de ce saint, mais ils avaient abandonné à tort leur tenure colonaire. En aucune manière, ils n'ont pu dire pourquoi ils avaient pu quitter cette tenure, et ils se sont reconnus les colons de ce saint. Coloni sancti illius esse deberent et malo ordine de ipso colonatico sibi abstrahebant... Nullatenus potuerunt dicere.. . pro quid de 1pso colonatico sibi abstrahere potuissent, .. . et... pro colonos sancti illius sibi... recognoverunt.

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IV

Domaines seigneuriaux en Occident N° 13. UN DOMAINE GALLO-ROMAIN AU IV• SIÈCLE : CELUI D' AusoNE, EN BAZADAIS (AUSONE, Œuvres, t. 1, p. 22-24, Domestica, éd. et trad. M. Jasinski, dans Coll. GARNIER, Paris, s. d.). Salut, petit héritage, royaume de mes ancêtres, que mon bisaïeul, mon aïeul, mon père ont cultivé et que celui-ci, déjà vieux, me laissa lors de sa mort encore prématurée. Bien petit héritage, je l'avoue. Je possède deux cents arpents de terres, un vignoble de cent arpents et la moitié en prairies, en outre, des bois plus que doubles en surface des prés, des vignes et des labours. Mes ouvriers agricoles ne sont ni trop nombreux, ni en trop petit nombre. Auprès, une source, un petit puits et le fleuve clair, navigable, où la marée m'amène et d'où elle me remmène. Salve, herediolum, majorum regna meorum, Quod proavus, quod avus, quod pater excoluit, Quod mihi jam senior properata morte reliquit ... Parvum herediolum, fateor ... Agri bis centum colo jugera, vinea centum Jugeribus colitur prataque dimidio ; Silva supra duplum, quam prata et vinea et arvum. Cultor agri nobis nec superest, nec abest. Fons propter puteusque brevis, tum purus et amnis ; Naviger hic refluus me vehit ac revehit. N° 14. CHARTE DE DONATION A L'ABBAYE DE WISSEMBOURG DE BIENS AYANT APPARTENU AU DOMAINE DE DISCIACUM-WALDHAMBACH, DANS LE PAGUS DE LA SARRE (15 février 713) (Traditiones possessionesque Wizenburgense,, éd. Zeuss, Spire, 1842, n° 192, p. 180-181). Au saint seigneur et père en Christ Ratfrid, abbé. Moi Weroald, j'ai donné pour le salut de mon âme, sur mes

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SEIGNEUIUE ET FÉODALITÉ

biens propres, au monastère appelé Wissembourg, édifié en l'honneur des saints apôtres Pierre et Paul, et je lui livre et lui transfère à perpétuité, dans la villa de Haganbach, nommée Disciacum, que mon père Audoin m'a donnée jadis, ce qu'on l'a vu tenir là, à cette époque, entre l'Eichel et le Mittelbrunnen, totalement et intégralement, avec les manses, les maisons, les esclaves et les tenanciers libres qui y demeurent, les champs, les prés... et, dans les Vosges, le quart de ce que je possède et qui appartient à cette villa entre l'Eichel, le Mittelbrunnen, la via Bassoniaca et une pierre large 1 • Je donne ces biens audit monastère de Wissembourg à condition que, ma vie durant, je puisse les conserver en usufruit. Si quelqu'un, ou moi-même, ou l'un de mes héritiers ou cohéritiers, ou une personne étrangère voulait violer cet acte de donation, que j'ai fait rédiger spontanément et volontairement, qu'il soit excommunié de toute église catholique ... Et que cette donation demeure en tout temps constante et inviolée. Fait au château de Sarrebourg. Domino sancto et in Christo patri Ratfrido, abbati. Ego Uueraldus, ... pro remedio anime mee, ... de rebus meis propriis, ... donavi ad monasterium quod vocatur Uuizenburg, in honore sanctorum apostolorum Petri et Pauli constructum, ... trado atque transfundo ... in perpetuum ... in villa Haganbah que nuncupatur Disciacu, quam genitor meus quondam mihi dedit Audionus eo tempore quicquid ibidem visus fuit tenuisse inter Aculia et Mittilibrunnen, ... totum et integrum, ... cum mansis, domibus seu mancipiis vel accolis ibidem commanentibus, seu campis, pratis... et, in Vosogo, quartam partem de mea portione que ad ipsam villam pertinet inter Aculia et Mittilibrunnen et via bassoniaca seu lata petra ... Ad supradictum monasterium Uuizenburg dono, ... ea vero ratione ut, dum advixero, usu fructuario ordine debeam possidere ... 5. Menhir connu sous le nom de Breitenstein.

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Si quis vero, ... si ego ipse, vel aliquis de heredibus meis, vel coheredibus meis, aut quislibet extranea persona qui contra hanc testamentum donationis, quam ego ex spontanea voluntate conscribere rogavi, ... eam... voluerit... frangere,... ab omni eclesia catholica excommunicatus appereat ... Hec donatio omni tempore firma et inviolata permaneat. Actum... in castro Saraburgo. N° 15. UNE PRÉCAIRE. (Selon les Formulae Bituricenses, 2, Praecaria, dans M. G. H., Formulae Merowingici et Karolini aevi, éd. Zeumer, pe partie, 1882, p. 169). On n'ignore pas que notre père a pu demeurer sur votre terre et qu'il vous a fait une lettre de précaire. Nous la renouvelons donc semblablement et la confirmons en la signant, demandant humblement à votre pitié la permission de rest-er sur cette terre. Mais afin que notre possession ne porte aucun préjudice à vous-même ni à vos héritiers, nous vous avons remis cette lettre de précaire. Nous vous avons garanti que si jamais, à l'avenir, nous oubliions les clauses d-e cette charte et disions que ce que nous possédons n'est pas à vous, nous serions, en tant qu'usurpateurs malhonnêtes, soumis à composition envers votre partie selon la rigueur des lois, et que vous pourriez nous chasser de ce lieu sans l'intervention d'aucun juge. Quia inscium non habetur quod genitor noster in re vestra manere dinoscitur et praecariam vobis fecit, quam nos semiliter renovamus et signantes firmamus et, ut nos ibidem pi-etas vestra manere permittat, humeliter postulamus. Sed ne possessio nostra vobis heredibusque vestris praejudicium inferat, hanc praecariam vobis deposuimus, spondentes quod, si ullo umquam tempore hujus cartulae condicion-em obliti. .. hoc quod possedemus non vestrum esse dixerimus, tamquam praevasores inprobos juxta legum severitate vestris partibus conponamus, et nos ipsos exinde projeciendos absque ullius judicis interpellatione... potiamini ...

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N° 16.

STRUCTURE ET CONTENANCE D'UN DOMAINE DE L'ABBAYE DE SAINT-GERMAIN-DES-PRÉS AU DÉBUT DU IX• SIÈCLE : PALAISEAU (Polyptyque de l'abbé lrminon, éd. B. GuÉRARD, t. Il, 1844, p. 6 et suiv.) 8 •

1. [L'abbaye] possède à Palaiseau un manse seigneurial avec une maison et d'autres bâtiments agricoles en nombre suffisant. [Dans ce manse], elle a 6 coutures de terre arable, d'une superficie de 287 bonniers, où peuvent être semés 1.300 muids de froment, et 127 arpents de vigne où peuvent être récoltés 800 muids de vin. Elle a 1OO arpents de pré, où peuvent être ramassées 150 charrettes de foin. Elle a là une forêt, dont la circonférence totale est estimée à une lieue, où 50 porcs peuvent être engraissés. Elle a là trois moulins à blé, qui rapportent un cens de 154 muids de grain. Elle y possède une église, soigneusement construite, avec tout son mobilier, dont dépendent 17 bonniers de terre arable, 5 arpents et demi de vigne, 3 arpents de pré. Toutefois, elle a ici un manse ingénuile comprenant 4 bonniers et et 2 ansanges de terre arable, un arpent et demi de vigne, 3 arpents de pré. Elle a là six hôtes qui ont chacun un journal de terre arable et qui doivent, pour cela, une journée chaque semaine, un poulet et 5 œufs. Elle possède une autre église à Gif, que tient le prêtre Warodus. Sept hôtes en dépendent. Ils font chaque semaine une journée, mais elle les nourrit. Ils doivent un poulet, 5 œufs et 4 deniers. Elle exige aussi, en don, un cheval. 2. Walafrcdus, colon et maire, et sa femme, colone, gens de Saint-Germain, ont avec eux deux enfants. Walafredus tient deux manses ingénuiles, ayant 7 bonniers de terre arable, 6 arpents de vigne, 4 arpents de pré. Il fournit pour chaque manse une année un bœuf, l'année suivante un porc adulte, 4 deniers pour le droit d'usage du bois, 2 muids de vin pour la paisson, une brebis avec un agneau. Il laboure 6. Autre édition : celle d' A. (Bibliogr., n° 161).

LoNGNON,

t. Il, 1886, p. 1 et suiv.

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4 perches pour les blés d'hiver, 2 perches pour ceux de mars. Il fait des corvées, des charrois, des manœuvres et des coupes de bois autant qu'on lui en commande. Il doit 3 poulets et 15 œufs. 3. Hairmundus, colon, et sa femme, colone, gens de Saint-Germain, ont avec eux cinq enfants. Hairmundus tient un manse ingénuile ayant 10 bonniers de terre arable, 2 arpents de vigne, un arpent et demi de pré. Il doit les mêmes redevances [ que le précédent] . 4. Turpius, colon de Saint-Germain, a avec lui trois enfants. Ragenulfus, colon, et sa femme, colone, gens de Saint-Germain, ont avec eux un enfant. Ces deux hommes tiennent un manse ingénuile ayant 4 bonniers de terre arable, 2 arpents de vigne, 2 arpents de pré. Ils doivent les mêmes redevances [ que le précédent]. 36. Aclemandus, colon, et sa femme, colone, gens de Saint-Germain, ont avec eux six enfants. Ermenricus, colon de Saint-Germain, Amicus, colon de Saint-Germain, Ratboldus, colon, et sa femme, colone, gens de Saint-Germain, ont avec eux six enfants. Wineboldus, colon, et sa femme, colone, gens de Saint-Germain, ont avec eux quatre enfants. Ces cinq hommes tiennent un manse ingénuile ayant 8 bonniers de terre arable, 3 arpents de vigne, 2 arpents de pré. Ils doivent les mêmes redevances [que ci-dessus]. 38. Ebrulfus, colon, et sa femme, esclave, gens de SaintGermain, ont avec eux quatre enfants. Ermenoldus, esclave, et sa femme, colone, gens de Saint-Germain, ont avec eux quatre enfants. Teutgarde, esclave de Saint-Germain, a avec elle un enfant. Ces trois individus tiennent un manse ingénuile ayant 4 bonniers et une ansange de terre arable, 4 arpents de vigne, 2 arpents de pré. Ils font dans la vigne [ du maître] 8 arpents. Ils paient 2 muids de vin pour la paisson et 2 setiers de sénevé. 43. Berneharius, colon, et sa femme, colone, gens de Saint-Germain, ont avec eux cinq enfants. Berneharius

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tient un demi-manse ayant 4 bonniers de terre arable et un arpent et demi de vigne. Il paie la moitié de ce que paient les manses. 1. Maurus, esclave, et sa femme, libre, gens de SaintGermain, ont avec eux deux enfants. [Il y a aussi] Guntoldus, colon de Saint-Germain. Ces deux hommes tiennent un manse servile ayant 2 bonniers de terre arable, 2 arpents et demi de vigne, un arpent et demi de pré. Ils font dans la vigne [ du maître] 8 arpents. Ils paient 4 muids de vin pour la pais son, 2 setiers de sénevé, 3 poules, 15 œufs. Ils doivent des manœuvres, des corvées, des charrois.

pis. Leodardus, lite de Saint-Germain, tient un quart de manse ayant 2 bonniers de terre arable et un demi-arpent de vigne. Il fait dans la vigne [ du maître] 4 arpents. Il doit un muid de vin pour la paisson, un setier de sénevé, une poule, 5 œufs. 2. Nadalfredus, esclave, et sa femme, colone, gens de Saint-Germain, ont avec eux trois enfants. Electulfs, esclave, et sa femme, colone, gens de Saint-Germain, ont avec eux trois enfants. [Il y a aussi] Teodoinus, esclave, et sa femme, colone, gens de Saint-Germain. Ces trois hommes tiennent un manse servile ayant un bonnier de terre arable, un arpent de vigne, un demi-arpent de pré. Ils font dans la vigne [ du maître] 9 arpents et doivent 3 muids de vin pour la paisson, et 3 setiers de sénevé.

L'abbaye possède à Palaiseau 108 manses ingénuiles. Les manses tous ensemble : ingénuiles, sans tenancier et serviles, sont au nombre de 117. BREVE DE PALATIOLO

1. Habet in Palatiolo mansum dominicatum cum casa et aliis casticiis suflïcienter. Habet ibi de terra arabili culturas VI, quae habent bunuaria CCLXXXVII, ubi possunt seminari de frumento modios

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MCCC ; de vinea aripennos CXXVII, ubi possunt colligi de vino modios DCCC. Habet de prato aripennos C, ubi possunt colligi de f eno carra CL. Habet ibi de silva, sieut aestimatur per totum in giro leuva I, ubi possunt saginari porci L. Hab et ibi f arinarios III. Exiit inde in censum de annona modios CLIIII. Habet ibi ecelesiam 1, cum omni apparatu diligenter eonstructam. Aspiciunt ibi de terra arabili bunuaria XVII, de vinea aripennos V et dimidium, de prato aripennos III. Excepta, habet ibi mansum ingenuilem I, habentem de terra arabili bunuaria 1111 et antsingas Il, de vinea aripennum I et dimidium, de prato aripennos III. Habet ibi hospites VI, qui habent de terra arabili unusquisque jornalem 1 ; inde faciunt in unaquaque ebdomada diem 1, pullum I, ova V. Habet aliam ecclesiam in Gito, quem Warodus presbyter tenet. Aspiciunt ibi hospites VII... Faciunt in unaquaque ebdomada diem I, si eos paverit, pullum 1, ova V et denarios 1111. Exiit inde in dona caballum 1. 2. Walafredus, colonus et major, et uxor ejus, eolona, ... homines sancti Germani, habent secum infantes 11... Tenet mansos ingenuiles II, habentes de terra arabili bunuaria VII, de vinea aripennos VI, de prato aripennos 1111. Solvit de unumquodque mansum bovem 1; ad alium annum, soalem 1 ; in lignericia denarios 1111, de vino in pascione modios II, vervicem cum agno 1. Arat ad hibernaticum perticas 1111, ad tremissem perticas II ; corvadas, carroperas, manoperas, caplim, quantum ei jubetur; pullos Ill, ova XV. 3. Hairmundus, colonus, et uxor ejus, colona, ... homines sancti Germani, habent secum infantes V.... Tenet mansum ingenuilem I, habentem de terra arabili bunuaria X, de vinea aripennos Il, de prato aripennum I et dimidium. Solvit similiter. 4. Turpius, colon us sancti Germani, habet secum infantes III ; Ragenulfus, colonus, et uxor ejus, colona, homines sancti Germani, habent secum infantem 1 ... Isti duo tenent mansum ingenuilem I, habentem de terra arabili bunuaria

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1111, de vinea aripennos Il, de prato aripennos II. Solvunt similiter. 36. Aclemandus, colonus, et uxor ejus, colona, ... homines sancti Germani, habent secum infantes VI... Ermenricus, colonus sancti Germani; Amicus, colonus sancti Germani; Ratboldus, colonus, et uxor ejus colona, ... homines sancti Germani, habent secum infantes VI... Wineboldus, colonus, et uxor ejus, colona, ... homines sancti Germani, habent secum infantes 1111 ... Isti quinque tenent mansum ingenuilem 1, habentem de terra arabili bunuaria VIII, de vinea aripennos III, de prato aripennos Il. Solvunt similiter... 38. Ebrulfus, colonus, et uxor ejus, ancilla, ... homines sancti Germani, habent secum infantes 1111... Ermenoldus, servus, et uxor ejus, colona, ... homines sancti Germani, habent secum infantes 1111... Teutgardis, ancilla sancti Germani, habet secum infantem 1... lsti tres tenent mansum ingenuilem I, habentem de terra arabili bunuaria 1111 et antsingam I, de vinea aripennos 1111, de prato aripennos II. Faciunt in vinea aripennos VIII ; solvunt de vino in pascione modios Il, sinapi sestarios II. 43. Berneharius, colonus, et uxor ejus, colona, ... homines sancti Germani, habent secum infantes V... Tenet dimidium mansum, habentem de terra arabili bunuaria 1111, de vinea aripennum I et dimidium. Solvit demedietatem mansi. 1. Maurus, servus, et uxor ejus, libera, ... homines sancti Germani, habent secum infantes II ;... Guntoldus, colonus sancti Germani. Isti duo tenent mansum servilem 1, habentem de terra arabili bunuaria II, de vinea aripennos II et dimidium, de prato aripennum I et dimidium. Inde faciunt in vinea aripennos VIII ; solvunt de vino in pascione modios 1111, sinapi sestarios Il, pullos Ill, ova XV ; manoperas, corvadas, caroperas. 1 bis. Leodardus, lidos sancti Germani, tenet quartam partem de manso, habentem de terra arabili bunuaria Il, de vinea dimidium aripennum. Inde facit in vinea aripen-

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nos 1111 ; solvit de vino in pascione modium 1, sinapi sestarium 1, pullum 1, ova V. 2. Nadalfredus, servus, et uxor ejus, colona, ... homine~ sancti Germani, habent secum infantes III... Electulfs, servus, et uxor ejus, colona, homines sancti Germani, habent secum infantes III ... Teodoinus, servus, et uxor ejus, colona,... homines sancti Germani. Isti tres tenent mansum servilem 1, habentem de terra arabili bunuarium 1, de vinea aripennum 1, de prato dimidium. Faciunt in vinea aripennos VIIII, solvunt de vino in pascione [modios] Ill, sinapi sestarios III. Habet in Palatiolo mansos ingenuiles CVIII ... Fiunt simul mansi, inter ingenuiles et absos et serviles, CXVII. N° 17. INTERDICTION D'ALIÉNER LES TERRES QUI FORMENT LE MANSE (selon l'édit de Pitres, de 864, dans M. G. H., Capitularia regum Francorum, éd. Boretius, t. Il, n ° 273, p. 323, art. 30). Dans certains lieux, les colons, ceux du fisc comme ceux des établissements ecclésiastiques, vendent les manses qu'ils tiennent. Ils gardent seulement la maison d'habitation. Par le fait, des villae ont été ruinées, de sorte que non seulement les cens dus ne peuvent plus être perçus, mais qu'en outre on ne peut plus déjà reconnaître les terres ayant appartenu à chaque manse. Nous avons donc décidé de faire prescrire l'interdiction absolue, à l'avenir, de cette pratique, afin que les villae ne soient pas ruinées ni défigurées. Que les éléments de chaque manse vendus par certains sans l'autorisation des seigneurs ou des maîtres soient repris, et qu'on les restitue à chaque manse dont les terres ont été vendues et dont le cens est dû ... Quoniam, in quibusdam locis, coloni, tam fiscales quam et de casis Dei, ... mansa quae tenent ... vendunt, et tantummodo sellam retinent et, hac occasione, sic destructae fiunt villae, ut non solum census debitus inde non possit exigi, sed etiam quae terrae de singulis mansis fuerunt, jam non possint

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agnosci : constituimus ut praecipiatur... ut hoc nullo modo de cetero fiat, ne villae destructae atque confusae fiant ; et quicquid de singulis mansis sine licentia dominorum vel magistrorum per quoscumque venditum est, recipiatur, et singulis mansis, de quibus terrae venditae sunt et de quibus census decidit, ... restituatur. N° 18.

INSTRUCTIONS TIRÉES DU CAPITULAIRE DE VILLIS SUR L'EXPLOITATION DES DOMAINES IMPÉRIAUX (dans M. G. H.,

Capitularia regum Francorum, éd. Boretius, t. 1, n ° 32, p. 82 et suiv.) '. 1. Nous voulons que nos villae, que nous avons établies pour subvenir à nos besoins, servent intégralement à notre usage et non à celui d'autres hommes. 3. Que nos intendants se gardent d'employer notre domesticité à leur service et de la forcer à faire pour eux des corvées, des coupes de bois ou tout autre travail. Qu'ils n'acceptent d'elle aucun don, ni cheval, ni bœuf, ni vache, ni porc, ni brebis, ni cochon de lait, ni agneau, ni quoi que ce soit, sauf des bouteilles, des produits du jardinage, des fruits, des poulets et des œufs. 4. Si notre domesticité nous a causé préjudice par des vols ou par d'autres fautes, qu'elle en réponde sur sa personne. Pour les autres délits, qu'elle reçoive une sanction selon la loi. [Pour le préjudice causé] à d'autres hommes, qu'on ait soin de rendre la justice selon leur loi. 5. Lorsque nos intendants doivent faire procéder à nos travaux : semailles, labours, moissons, fauchaisons, vendanges, que chacun d'eux, à la saison du travail et en chaque lieu, y pourvoie. 6. Nous voulons que nos intendants donnent intégralement la dîme de tous les produits aux églises qui sont dans 7. Autre édition : celle de

WINKLER,

dans Zeitschrift für romanische

Philologie, t. XXXVII, 1913, p. 513 et suiv.

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nos fiscs, et que notre dîme ne soit pas donnée à une église d'autrui, sauf là 01i, anciennement, cet usage a été institué. Et qu'aucun autre clerc en dehors des nôtres - appartenant à notre domesticité ou à notre chapelle - ne possède ces mêmes églises. 7. Que chaque intendant s'acquitte intégralement de son service, tel qu'il lui a été assigné. Et si, par nécessité, il doit un surcroît de service, qu'il fasse calculer si celui-ci doit être accompli par un supplément d'hommes ou de journées. 8. Que nos intendants prennent la charge de nos vignes qui relèvent de leur ministère, et qu'il les fassent bien exploiter. Qu'ils mettent le vin dans de bons vaisseaux et qu'ils pourvoient diligemment à ce qu'en aucune manière il ne soit perdu. L'autre vin qu'ils doivent se procurer, qu'ils le fassent acheter là où il pourra être transporté dans les villae royales. Et quand il aura été acheté plus de vin qu'il n'est nécessaire, qu'ils nous en réfèrent. Qu'ils fassent servir en effet à notre usage le produit des ceps de nos vignes. Que le produit des cens de nos villae qui doivent du vin soit mis dans nos celliers. 9. Nous voulons que chaque intendant ait, dans son ressort, une mesure de muids, de setiers, ainsi que des jarres de huit setiers, et une mesure de paniers, le tout de la même contenance que ceux que nous avons dans notre palais. 26. Que les maires n'aient pas dans leur ressort plus de terres qu'ils n'en peuvent parcourir et administrer en un jour. 62. Que chaque intendant nous adresse tous les ans, à Noël, des comptes à part, séparés et méthodiques de tous nos revenus afin que nous soyons en mesure de connaître ce que nous avons, et combien nous avons, de chaque chose. A savoir : le compte [ des terres labourées], avec les bœufs que nos bouviers conduisent ; celui des manses qui nous doivent le labour ; celui des porcs, des cens, des obligations et des amendes ; celui du gibier capturé dans nos forêts sans notre permission ; celui des diverses compositions ;

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celui des moulins, des forêts, des champs, des ponts et des navires ; celui des hommes libres et des centaines qui sont chargés des soins de notre fisc ; celui des marchés, des vignes et de ceux qui nous doivent du vin ; celui du foin, du bois et des torches ; celui des planches et de tout autre bois d'œuvre ; celui des terres vaines ; celui des légumes, du millet et du panic, de la laine, du lin et du chanvre ; celui des fruits, des arbres, des noyers, des noisetiers, des arbres greffés de toutes espèces, des jardins, des navets ; celui des viviers ; celui des cuirs, des peaux et des cornes d,animaux ; celui du miel, de la cire, de la graisse, du suif, du savon ; celui du vin de mûres, du vin cuit, de l'hydromel, du vinaigre, de la cervoise, du vin nouveau et du vin vieux, du blé nouveau et du blé ancien ; celui des poules et des œufs ; celui des oies ; celui des pêcheurs, des ouvriers en métaux, des fabricants d,écus et des cordonniers ; celui des huches et des coffrets ; celui des tourneurs et des selliers ; œlui des forges, des mines de fer et de plomb, et des autres mines ; celui des tributaires ; celui des poulains et des pouliches. 1. Volumus ut villae nostrae, quas ad opus nostrum serviendi institutas habemus, sub integritate partibus nostris deserviant, et non aliis hominibus. 3. Ut non praesumant judices nostram familiam in eorum servitium ponere, non corvadas, non materia cedere, nec aliud opus sibi facere cogant ; et neque ulla dona ab ipsis accipiant, non caballum, non bovem, non vaccam, non porcum, non berbicem, non porcellum, non agnellum, nec aliam causam, nisi buticulas et ortum, poma, pullos et ova. 4. Si familia nostra partibus nostris aliquam fecerit fraudem de latrocinio aut alio neglecto, illud in caput conponat ; de reliquo vero pro lege recipiat disciplinam vapulando ... Ad reliquos autem homines justitiam eorum, qualem habuerint, reddere studeant, sicut lex est ... 5. Quando judices nostri labores nostros facere debent, seminare aut arare, messes colligere, f enum secare aut

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vindeamiare, unusquisque in tempore laboris ad unumquemque locum praevideat... 6. Volumus ut judices nostri decimam ex omni conlaboratu pleniter donent ad ecclesias quae sunt in nostris fiscis, et ad alterius ecclesiam nostra decima data non fiat, nisi ubi antiquitus institutum fuit. Et non alii clerici habeant ipsas ecclesias, nisi nostri aut de familia aut de capella nostra. 7. Ut unusquisque judex suum servitium pleniter perficiat, sicut ei fuerit denuntiatum. Et si necessitas evenerit quod plus servire debeat, tune conputare faciat, si servitium debeat multiplicare vel noctes. 8. Ut judices nostri vineas recipiant nostras, quae de eorum sont ministerio, et bene eas faciant, et ipsum vinum in bona mittant vascula, et diligenter praevidere faciant quod nullo modo naufragatum sit; aliud vero vinum peculiare conparando emere faciant, unde villas dominicas condirigere possint. Et quandoquidem plus de ipso vino conparatum fuerit quod ... opus sit, nobis innotescat... Cippaticos enim de vineis nostris ad opus nostrum mittere faciant. Censa de villis nostris qui vinum debent, in cellaria nostra mittat. 9. Volumus ut unusquisque judex, in suo ministerio, mensuram modiorum, sextariorum - et situlas per sextaria octo - et corborum, eo tenore habeant sicut et in palatio habemus. 26. Majores vero amplius in ministerio non habeant, nisi quantum in una die circumire aut previdere potuerint. 62. Ut unusquisque judex per singulos annos ex omni conlaboratione nostra, quam cum bubus quos bubulci nostri servant, quid de mansis qui arare debent ; quid de sogalibus, quid de censis, qui de fide f acta vel freda ; quid de feraminibus in forestis nostris sine nostro permisso captis ; quid de diversis conpositionibus ; quid de molinis, quid de f orestibus, quid de campis, quid de pontibus vel navibus ; quid de liberis hominibus et centenis qui partibus fisci nostri deserviunt ; quid de mercatis ; quid de vineis, quid

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de illis qui vinum solvunt ; quid de feno, qui de lignariis et faculis ; quid. de axilis vel aliud materiamen ; quid de proterariis ; quid de leguminibus, quid de milio et panigo ; quid de lana, lino, vel canava ; quid de frugibus arborum ; quid de n ucibus, maj oribus vel minoribus ; quid de insitis ex diversis arboribus ; quid de hortis, quid de napibus, quid de wiwariis ; quid de coriis, quid de pellibus, quid de cornibus ; quid de melle et eera ; quid de uneto, et siu, vel sapone ; quid de morato, vino eocto, medo et aceto ; quid de cervisa, de vino novo et vetere, de annona nova et vetere ; quid de pullis et ovis, vel anseribus, id est aucas ; quid de piscatoribus, de fabris, de scutariis, vel sutoribus ; quid de huticis, et confinis, id est scriniis ; quid de tornatoribus, vel sellariis, de ferrariis et scrobis, id est fossis ferrariciis, vel aliis fossis plumbariciis ; quid de tributariis ; quid de poledris et pultrellis habuerint, - omnia seposita, distincta et ordinata, ad nativitatem Domini nobis notum faciant, ut scire valeamus quid vel quantum de singulis rebus habeamus. N° 19. EGINHARD ET L'ADMINISTRATION DE SES DOMAINES, D'APRÈS SES LETTRES (Einharti Epistolae, éd. Hampe, 1899, dans Jf. G. Il., Epistolae, t. V, p. 105-145). LETTRE N° 5 (vers 830) Au nom du Christ, l'abbé Eginhard à notre vidame et fidèle, salut. Sache-le, nous voulons que tu envoies quelques hommes à Aix pour améliorer et restaurer nos demeures. Tu y feras venir en temps opportun tout ce qui nous est nécessaire, c'est-à-dire de la farine, du grain pour faire de la bière, du vin, du fromage et le reste, comme d'habitude. Quant aux bœufs qui sont à abattre, nous voulons que tu les fasses conduire à Lanaeken pour les y faire abattre. Nous voulons que tu fasses donner un de ces bœufs à !Iruotlouge, et que les morceaux et les issues, qui ne peuvent servir à notre usage, soient donnés à la domesticité qui est là. Quant à nous, nous voulons nous rendre au Palais vers la SaintMartin.

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... In Christi nomine, Abbas Einhartus vicedomno et fideli nostro, salutem. Notum sit, quia volumus, ut homines aliquos mittas ad Aquis, qui mansiones nostras emendent atque restaurent, et ea que nobis ibi necessaria sunt ad habendum, id est farinam, bracem, vinum, formatem et cetera, secundum consuetudinem tempore oportuno illuc venire facias. Boves vero, qui occidenti sunt, volumus ut facias ad Ludinacam venire et ibi occidere. Unum ex bis volumus ut dari facias Hruotlouge ; et illa minutalia atque interanea, que ad nostrum opus servari non possunt, volumus ut dentur ad illam familiam que ibidem est. Nos vero, ... volumus circa missam sancti Martini ad palatium venire .. . LETTRE N° 56 (840) [Eginhard à l'un de ses agents] Nous te faisons savoir que nous manquons de cire pour notre usage et que nous ne pouvons pas nous en procurer ici parce que la récolte de miel a été petite depuis deux ans dans ces régions. Nous voulons donc que tu t'entendes à ce sujet avec N. pour savoir s'il est possible de profiter, pour nous en envoyer une charge, du retour de ceux de nos vassaux qui doivent revenir ici après la Saint-Bavon. Portetoi bien et prie pour nous . ... Notum tibi facimus quia cera indigemus ad servitium nostrum et hoc in istis locis recuperare non possumus, quia parvus proventus mellis fuit per hos duos annos in istis regionibus. Ideo volumus ut tractes atque consideres cum N., qualiter, si fieri potest, unam soumatam nobis venire faciatis simul cum vasallis nostris qui ad nos de istis partibus post missam sancti Bavonis revertuntur. Bene vale et ora pro nobis. LETTRE N° 9 (vers 828-830) Au nom du Christ, Eginhard à N., vidame Nous sommes fort surpris que toutes les choses dont nous t'avions chargé aient pu rester dans l'état où elles sont. Car,

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nous l'avons appris, tu n'as envoyé à Mulinheim • ni grain pour faire de la farine ou préparer de la bière, ni autre chose que trente porcs médiocres, ainsi que trois muids de légumes, - rien de plus. Ce n'est pas tout. Durant tout cet hiver, nous n'avons réussi à voir ni toi-même, ni personne de ta part pour nous donner quelque nouvelle de ces lieux où tu es. Si nous ne pouvons pas retirer de Fritzlar 9 plus d'avantages que ceux dont nous te sommes redevable jusqu'à ce jour, nous ne voyons pas pourquoi nous devrions conserver ce bénéfice. Maintenant donc, si tu as quelque souci de nos bonnes grâces, nous te prions de t'appliquer à réparer ta négligence, et de nous faire savoir promptement ce que nous devons attendre de toi. ln Christi nomine, Einhartus N., vicedomino Miramur valde propter hoc, quod omnia sic remanere potuissent, sicut remanserunt, que tibi facienda commisimus. Nam, sicut audhimus, de illa annona sive ad farinam sive ad bracem faciendam, quam ad Mulinheim mittere debuisti, nihil misisti ; nec aliud aliquid nisi triginta porcos et illos ipsos non bonos, sed mediocres, et tres modios de legumine ; de cetero nihhil. Et non solum hoc, sed etiam illut, quod in toto hiberno isto nec te nec missum tuum aliquem videre potuimus, qui nobis aliquid de istis partibus adnuntiaret. Quodsi majorem utilitatem de Frideslare habere non possumus, nisi quantum tu nos inde habere efficis, nescimus cur illut beneficium habere debemus? Nunc ergo, si tibi de gratia nostra ulla cura sit, rogamus ut neglegentiam tuam emendare studeas et nos cito certos efficias, quid de te sperare debemus ...

8. Il s'agit de Seligenstadt, sur la rive gauche du Main. 9. Dans la Hesse, près de Cassel.

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V Un diplôme d'immunité

N° 20. DIPLÔME D'ÜTTON LE GRAND POUR L'ÉVtCHÉ DE SPIRE (octobre 969). (M. G. H., Diplomata regum et imperatorum Germaniae, t. I, 2· partie, 1884, n ° 379, p. 520). Au nom de la sainte et indivisible Trinité, Otton, empereur auguste, à tous les fidèles de la sainte Eglise de Dieu. Le vénérable Otkar, évêque de la cité de Nemeta ou Spire, a invoqué notre clémence, nous demandant d'ordonner que la protection de l'immunité soit conférée à l'église dont il est le chef et qui a été édifiée en l'honneur de la sainte mère de Dieu et toujours Vierge Marie. Nous avons accédé à sa demande. Nous ordonnons qu'aucun duc, ni comte, ni juge public investi de la puissance judiciaire, ni qui que ce soit, sauf l'évêque et l'avoué de la familia de l'église de sainte Marie, mère de Dieu, dans la cité appelée Spire ou Nemeta, et en dehors des murs de la même cité, c'est-à-dire dans la ville de Spire, qui touche à cette cité, que personne donc n'ose y tenir un plaid public en vertu de notre ordre et de notre concession. Et que dans les églises, lieux, champs ou autres possessions qu'on voit ladite église détenir actuellement à juste titre et raisonnablement, et dans tout bien qui lui a été concédé, quels que soient les comtés et les territoires où ils sont situés, nul, parmi les fidèles de la sainte église de Dieu et les nôtres, n'ose jamais pénétrer en aucun temps pour entendre des causes judiciaires, pour percevoir des amendes, requérir le gîte ou des fournitures, prendre des répondants, réclamer des redevances ou des prestations illicites, contraindre injustement les hommes de cette église, tant libres qu' esclaves. Mais qu'il soit permis aux gens servant Dieu de vivre et de demeurer paisiblement sous la protection de notre immunité, afin qu'ils aient mieux le loisir d'invoquer avec plus de soin et en tout temps la miséricorde du Seigneur pour

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SEIGNEURIE ET FÉODALITÉ

nous, notre épouse, notre descendance et la pérennité de tout le royaume qui nous a été conféré par Dieu. Fait en Toscane, près de la cité appelée Sienne. In nomine sancte et individue Trinitatis. Otto, ... imperator augustus... Omnibus fidelibus sancte Dei ecclesie... Vir venerabilis Otkarius, Nemetine vel Spire civitatis episcopus, adiit nostram clemenciam, postulans ut ecclesie cui preesse videtur, que est constructa in honore sancte Dei genitricis semperque virginis Marie,... immunitatis tuicionem fieri juberemus. Cujus peticioni... adsensum prebuimus ... J ubemus ut nullus dux sive cornes, vel ullus publicus judex ex judicaria potestate, aut aliqua ... persona, nisi solus episcopus et advocatus f amilie sancte Dei genitricis Marie, in civitate Spira vel Nemeta vocata, aut foris murum ejusdem civitatis, id est in villa Spira... que ... adjacens est, nullus ex jussione et concessione nostra deinceps publicus placitus presumat habere ; nec ullus hominum ex fidelibus sancte Dei ecclesie ac nostris, in ecclesiis, aut locis, vel agris seu in reliquis possessionibus prefate ecclesie quas moderno tempore juste et racionabiliter possidere videtur in quibuslibet pagis vel territoriis, ... vel quicquid ibidem ... collatum fuerit, ad causas audiendas, vel freda exigenda, aut mansiones vel paratas faciendas, aut fidejussores tollendos, aut ullas reddibiciones vel inlicitas occasiones requirendas, aut homines ipsius ecclesie, tam ingenuos quam servos, injuste constringendos ullo umquam tempore inire audeat ... Sed liceat ibidem Deo famulantibus sub nostre immunitatis tuicione quieto ordine vivere ac resideré, quatinus melius illis delectet omni tempore pro nobis, et conj uge proleque nostra, atque stabilitate tocius regni a Deo nobis collati domini misericordiam attencius exorare ... Actum in Tuscania ... prope civitatem que dicitur Sena.

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B. -

LA FÉODAUTÉ 1

Les compagnonnages dans la Germanie ancienne

N° 21. TACITE, La Germanie (éd. et trad. J. Collection Guillaume Budé, Paris, 1949).

PERRET,

dans

Chap. xm (p. 78-79) . ... Une insigne noblesse ou les grands mérites de leurs pères obtiennent la faveur d'un chef, même à de tout jeunes gens ; ils s'agrègent aux autres plus forts, et depuis longtemps déjà éprouvés ; et l'on ne rougit pas de figurer parmi les compagnons. Bien plus, ce compagnonnage lui-même comporte des degrés, à la discrétion de celui auquel on s'est attaché ; il y a aussi une grande émulation : entre les compagnons à qui aura la première place auprès du chef, et entre les chefs à qui aura les compagnons les plus nombreux et les plus ardents. C'est la grandeur, c'est la force d'être entouré toujours d'un groupe important de jeunes gens d'élite, ornement dans la paix, garde dans la guerre. Et ce n'est pas seulement dans sa nation, c'est encore auprès des cités voisines que la réputation, que la gloire sont acquises à quiconque se distingue par le nombre et la valeur de ses compagnons : on les sollicite par des ambassades, on leur offre des présents et souvent leur seul nom décide de l'issue des guerres . ... Insignis nobilitas aut magna patrum merita principis dignationem etiam adulescentulis adsignant ; ceteris robustioribus ac jam pridem probatis adgregantur, nec rubor inter comites adspici. Gradus quin etiam ipse comitatus habet, judicio ejus quem sectantur; magnaque et comitum aemu-

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latio, quibus primus apud principem suum locus, et principum, cui plurimi et acerrimi comites. Haec dignitas, hae vires, magno semper electorum juvenum globo circumdari, in pace decus, in hello praesidium. Nec solum in sua gente cuique, sed apud finitimas quoque civitates id nomen, ea gloria est, si numero ac virtute comitatus emineat : expetuntur enim legationibus et muneribus ornantur et ipsa plerumque fama bella profligant. Chap. x1v (p. 79) . ... Les chefs combattent pour la victoire, les compagnons pour leur chef. Si la cité où ils sont nés s'engourdit dans l'oisiveté d'une longue paix, la plupart des jeunes nobles s'en vont d'eux-mêmes chez des peuples qui ont alors quelque guerre, car cette nation déteste l'état de paix. Puis, il leur est plus facile de s'illustrer dans les hasards, et l'on ne peut entretenir de nombreux compagnons que par la violence et la guerre ; ils exigent en effet de la libéralité de leur chef ce cheval de bataille, cette sanglante et victorieuse framée ; la table du chef avec ses apprêts grossiers, mais abondants, leur tient lieu de solde ; la source de la munificence est dans la guerre et le pillage. ... Principes pro victoria pugnant, comites pro principe. Si civitas in qua orti sunt longa pace et otio torpeat, plerique nobilium adulescentium petunt nitro eas nationes quae tum bellum aliquod gerunt, quia et ingrata genti quies et facilius inter ancipitia clarescunt magnumque comitatum non nisi vi belloque tueare ; exigunt enim principis sui liberalitate ilium bellatorem equum, illam cruentam victricemque frameam ; nam epulae et quamquam incompti, largi tamen apparatus pro stipendio cedunt ; materia munificentiae per bella et raptus. Chap. XXI (p. 83). On est tenu d'embrasser les inimitiés soit d'un père, soit d'un proche, aussi bien que ses amitiés. Suscipere tam inimicitias seu patris, sen propinqui, quam amicitias necesse est. ..

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II

La recommandation à l'époque mérovingienne N° 22. D'après une formule de Tours, 2• quart du VIII• siècle (Formulae Turonenses, n° 43, dans M. G. H., Formulae Merowingici et Karolini Aevi, éd. Zeumer, r• partie, 1882, p. 158). Celui qui se recommande en la puissance d'autrui. Au seigneur magnifique c un tel >, moi c un tel >. Attendu qu'il est parfaitement connu de tous que je n'ai pas de quoi me nourrir ni me vêtir, j'ai demandé à votre pitié et votre volonté me l'a accordé - de pouvoir me livrer ou me recommander en votre maimbour. Ce que j'ai fait aux conditions suivantes. Vous devrez m'aider et me soutenir, pour la nourriture autant que pour le vêtement, dans la mesure où je pourrai vous servir et bien mériter de vous. Tant que je vivrai, je vous devrai le service et l'obéissance qu'on peut attendre d'un homme libre ; et, tout le temps de ma vie, je n'aurai pas le pouvoir de me soustraire à votre puissance ou maimbour, mais je devrai au contraire rester tous les jours de ma vie sous votre puissance et protection. En conséquence, il a été convenu que si l'un de nous voulait se soustraire à ces conventions, il paierait à son pair une composition de x sous, et que la convention elle-même resterait en vigueur. Il a été convenu aussi que, de cet acte, deux chartes de même teneur devraient être rédigées et confirmées par les parties. Ce qu'elles ont fait. Qui se in alterius potestate commendat. Domino magnifico illo ego enim ille. Dum et omnibus habetur percognitum qualiter ego minime habeo unde me pascere vel vestire debeam, ideo petii pietati vestrae, et mihi decrevit voluntas, ut me in vestrum mundoburdum tradere vel commendare deberem ; quod ita et feci ; eo videlicet modo ut me tam de victu quam tt de vestimento, juxta quod vobis servire et promereri potuero, adjuvare vel consolare debeas, et dum ego in capud advixero, ingenuili

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ordine tibi servicium vel obsequium inpendere debeam, et de vestra potestate vel mundoburdo tempore vitae meae potestatem non habeam subtrahendi, nisi sub vestra potestate vel defensione diebus vitae meae debeam permanere. Unde convenit ut, si unus ex nobis de bas convenentiis se emutare voluerit, solidos tantos pari suo conponat, et ipsa convenentia firma permaneat ; unde convenit ut duas epistolas uno tenore conscriptas ex hoc inter se facere vel adfirmare deberent : quod ita et fecerunt. III

Les rites vassaliques 1 a) ANTÉCÉDENTS

N° 23.

PREMIER EXEMPLE CONNU D'UN ENGAGEMENT c PAR LES MAINS > (PREMIÈRE MOITIÉ nu VII• SIÈCLE) (Formulae Mar-

culfi, 1, 18, dans M. G. H., Formulae Merowingici et Karolini aevi, éd. Zeumer, r· partie, 1882, p. 55). De l'antrustion du roi Il est juste que ceux qui nous promettent une foi inébranlable soient placés sous notre protection. Et parce que X, notre fidèle, avec l'aide de Dieu, est venu ici, dans notre palais, avec son arme, et qu'on l'a vu jurer dans notre main fidélité, à cause de cela, par le présent précepte, nous décrétons et ordonnons qu'il soit compté désormais au nombre de nos antrustions. Et si quelqu'un, par aventure, ose le tuer, qu'il sache que, pour son wergeld, il sera passible de 600 sous. De regis antrustione Rectum est ut qui nobis fidem pollicentur inlesam nostro tueantur auxilio. Et quia illi fidelis, Deo propitio, noster 1. Nous les suivrons jusqu'à la Révolution afin de fournir aux lecteurs des éléments de comparaison.

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veniens ibi in palatio nostro una cum arma sua, in manu nostra trustem et fidelitatem nobis visus est conjurasse, propterea, per presentem preceptum, decernemus ac jobemus ut deinceps memoratus ille inter numero antruscionorum conputetur. Et si quis fortasse eum interficere presumpserit, noverit se wiregildo suo soledos sexcentos esse culpabilem. b)

RECOMMANDATION ET FIDÉLITÉ A L'ÉPOQUE CAROLINGIENNE

N° 24. PREMIER EXEMPLE CONNU DES SERMENTS VASSALIQUES (757) (Annales regni Francorum, éd. Kurze, 1895, p. 14, dans M. G. H., SS. Rerum Germanicarum in usum scho-

larum). Le roi Pépin tint son plaid à Compiègne avec les Francs. Et là vint Tassilon, duc de Bavière, qui se recommanda en vasselage par les mains. Il jura de multiples et innombrables serments, en mettant les mains sur les reliques des saints. Et il promit fidélité au roi Pépin et à ses fils susdits, les seigneurs Charles et Carloman, ainsi que par droit un vassal doit le faire, avec un esprit loyal et un ferme dévouement, comme un vassal doit être à l'égard de ses seigneurs. Et rex Pippinus tenuit placitum suum in Compendio eum Francis. Ibique Tassilo venit, dux Baioariorum, in vasatico se commendans per manus. Sacramenta juravit multa et innumerabilia, reliquias Sanctorum man us inponens, et fidelitatem promisit regi Pippino et supradictis filiis ejus, domno Carolo et Carlomanno, sicut vassus recta mente et firma devotione per justitiam, sicut vassus dominos suos esse deberet. N° 25. SOUMISSION DE TASSILON III DE BAVIÈRE A CHARLEMAGNE (787) (Annales Guelferbytani, éd. Pertz, 1826, dans M. H. G., SS., t. 1, p. 43 ; Annales Laurissenses minores, éd. Pertz, 1826, dans Ibid., p. 119.

Charles se dirigea vers le territoire des Bavarois. Et là vint le duc Tassilon. Et celui-ci rendit à Charles le pays

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même par le moyen d'un bâton au sommet duquel était sculptée une figure hu:naine. Et Tassilon ayant renouvelé ses serments, on lui permit de conserver le duché. Karolus ... perrexit in finis Baguvariorum. Et illuc venit dux Tassilo ; et reddit ei ipsam patriam cum baculo in cujus capite similitudo hominis erat scultum ... Et iterum renovans sacramenta,... permittitur ei habere ducatum. N° 26.

ENTRÉE DU ROI DANOIS HARALD DANS LA VASSALITÉ DE LOUIS LE PIEUX, ET INVESTITURE (826) (ERMOLD LE

Nom, In honorem Hludowicii, Classiques de l'histoire de France, éd. et trad. Faral, 1932, vers 2482-2495).

Bientôt, les mains jointes, il se livra volontairement au roi et, avec lui, le royaume qui lui appartenait. c Reçoismoi, César, dit-il, avec mon royaume qui t'est soumis. De mon plein gré, je me livre à ton service. > Et César lui-même accueillit ses mains dans ses mains honorables. Puis, César, suivant le vieil usage des Francs, lui donne un cheval et des armes... Il fait présent à Harald, qui est maintenant son fidèle, de vignobles et de régions fertiles ... Mox, manibus junctis, regi se tradidit nitro Et secum regnum, quod sibi jure fuit. c Suscipe, Caesar, ait, me nec non regna subacta ; Sponte tuis memet confero servitiis. > Caesar at ipse manus manibus suscepit honestis... Mox quoque Caesar ovans Francisco more veterno Dat sibi equum nec non, ut solet, arma simul... Interea Caesar Heroldum jamque fidelem Munere donat. .. ... Ioca vinifera multimodasque dapes.

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c) LE BAISER

N° 27. L'UN DES PLUS ANCIENS EXEMPLES (Casus S. Galli, c. 16, éd. von Arx, dans M. G. H., SS., t. Il, p. 141).

Un moine de Saint-Gall relate comment Notker, élu abbé de ce couvent en 971, devint vassal d'Otton 1•r : c Enfin tu seras mien, dit l'empereur, et après l'avoir reçu par les mains, il l'embrassa. Puis, un évangéliaire ayant été apporté, l'abbé jura fidélité. > Meus tandem eris, ait, manibusque receptum osculatus est. Moxque ille, evangelio allato, fidem juravit.

d) LA VASSALITÉ MULTIPLE

N° 28. PREMIER EXEMPLE CONNU (895) (Gallia Christiana, t. XIV, 1856, éd. Hauréau, Instrumenta, col. 53).

Notice relatant comment Ecfredus, prévôt, est venu avec Adalmarus, avoué de Saint-Martin [de Tours], dans la cité du Mans devant le comte Bérenger. Ils ont réclamé contre le fait qu'un vassal de celui-ci, nommé Patri, conservait à tort les biens des frères, que Guitton avait tenus autrefois en raison de l'avouerie. Alors, le comte Bérenger répondit que Patri n'était pas seulement son vassal, bien qu'il tînt de lui quelque chose en bénéfice, mais qu'il l'était davantage encore de Robert', son ami, parce qu'il tenait de lui un bénéfice plus considérable. Notitia qualiter venit Ecfredus praepositus cum Adalmaro, advocato S. Martini, in civitate Cinomannis,... ante Beringerium comitem, et reclamaverunt se quod vasallus ipsius, Patericus nomine, resfratrum, quas Guitto propter advocariam olim tenuerat, malo ordine retinebat. Tune Beringerius cornes respondit quod non esset suus solum2. Frère du roi Eudes.

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modo vasallus, quamvis ex suo beneficio aliquid haberet, sed potins vasallus Rotberti, amici sui, quia plus ab ipso beneficium tenebat.

e) HOMMAGE ET FIDÉLITÉ AU

XII•

SIÈCLE

N° 29.

SERMENTS VASSALIOUES PR~TÉS AU NOUVEAU COMTE DE FLANDRE GUILLAUME, ET INVESTITURE (1127) (GALBERT DE BRUGES, Histoire du meurtre de Charles le Bon, comte

de Flandre, éd. H. Pirenne, Paris, 1891, p. 89. Traduction Ganshof, n° 231, Qu'est-ce que la féodalité ? p. 97). Le 7 des ides d'avril, un Jeudi, des hommages furent de nouveau rendus au comte. En premier lieu, ils firent les hommages de la façon suivante. Le comte demanda [au futur vassal] s'il voulait devenir son homme sans réserve, et celui-ci répondit : c Je le veux > ; puis, ses mains étant jointes dans celles du comte, qui les étreignit, ils s'allièrent par un baiser. En second lieu, celui qui avait fait hommage engagea sa foi en ces termes : « Je promets en ma foi d'être fidèle, à partir de cet instant, au comte Guillaume et de lui garder contre tous et entièrement mon hommage, de bonne foi et sans tromperie. En troisième lieu, il jura cela sur les reliques des saints. Ensuite, avec la verge qu'il tenait à la main, le comte leur donna les investitures à eux tous qui, par ce pacte, lui avaient promis slireté, fait hommage et en même temps prêté serment. Septimo idus aprilis, feria quinta, iterum hominia facta sunt comiti. Primum, hominia f ecerunt ita. Cornes requisivit si integre vellet homo suus fieri, et ille respondit : Volo ; et junctis manibus, amplexatus a manibus comitis, osculo confederati sunt. Secundo loco, fidem dedit is qui ho minium f ecerat prolocutori comitis in iis verbis : « Spondeo in fide mea me fidelem fore amodo comiti Willelmo, et sibi hominium integraliter contra omnes observaturum fi.de bona et sine dolo. > Idemque super reliquias sanctorum tertio loco juravit. Deinde, virgula quam manu consul tene-

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bat, investituras donavit eis omnibus qui hoc pacto securitatem et hominium simulque juramentum fecerant. f) HOMMAGE ET FIDÉLITÉ A L'ÉPOQUE DE SAINT LOUIS

N° 30. ETABLISSEMENTS DE SAINT LOUIS (éd. Paul Viollet, t. Il, p. 395-398, dans Société de /'Histoire de France, Paris, 1881). § XIX. - Cornent l'en doit requerre son seignor et d'entrer en sa foi sans demeure et de faire obéissance ligement. Quant aucuns doit tenir de seignor en fié, il doit requerre son seignor dedans XL jorz ... Et quant aucuns viaut entrer en foi de seignor, il le doit requerre ... et doit dire en tel maniere : « Sire, je vos requier corne a mon seignor que vos me metez en vostre foi et en vostre bornage > ••• Et doit estre cil presanz qui est en la foi dou seignor ... Et, jointes mains, doit dire en tel maniere : c Sire, je devien vostre hom, et vos promet feauté et loiauté, de ce jor en avent, envers touz homes qui puissent ne vivre ne morir... > Et li sires doit presentement respondre : c Et je vos recoif et pran a home et vos en baise en nom de foi. > g) HOMMAGE ET FIDÉLITÉ AU XIVe SIÈCLE

N° 31. HOMMAGE ET FIDÉLITÉ DE GASTON FÉBUS, COMTE DE Foix, AU PRINCE NOIR POUR LE MARSAN ET LE GABARDAN (12 janvier 1364) (Public Record Office, E. 36/189, f 08 14 v et 15. - Acte publié partiellement par M. DELPIT, Collec-

tion générale des documents qui se trouvent en Angleterre, Paris, 1847, p. 117-118). En la meson dez Freres Prechoures, deinz la chambre de Parlement, en la cité d'Agent, le XII jour de janvyer, al houre de tierce,... en presence de moi, Piers Maderan, notaire... et des nobles seigneurs... presentz,... le noble et tres bon sire Guaston, count de Foixs et vicounte de Bearn, se presenta... par devant le tres noble et tres puissant sei-

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gneur monsire Edward, eisnez filz de nostre tres souverein seigneur le roi d'Engleterre, prince d' Aquitai~ne et de Gales ... Ledit sire, ... estentz à genoils, ... sannz ceynture ne chaperon, tenent ses mayns j uinctes par entre les deus mayns de notredit et noble sire le prince, et a li corne prince d' Aquitaigne, ad fait foi, serement et bornage lige pour les terres et tenements et choses q'il doive et doit tenir de luy dedeinz la principalté d' Aquitaigne. Sa "ie et ses membres, terrenal honour, foi et loialté l'at promys porter et garder vers toutz et contre toutz qui puirront vivre et morrir ... Il at promis de faire tout ce que tout bon, loial et liege vassal doit et est tenuz de faire a son verray et naturel seigneur, reservé la souvereigneté due a nostredit et souverein seigneur sire le roi d'Engleterre ... Et tout ceo promys et jura ledit vassal, mysez sez mayns sur le livre et la croyx, et yceaux baizer, q'il tiendrait pour toutziours, si Dieu li aidast e les Sentz Evangelies que illocqs estoient. A quel homage et serment de loialté notre tres redouté sire le prince ad resceuz ledit vassal en baizant li de sa bouche, sauve son droit et lui autruy. [Injonction a été faite ensuite au comte de Foix de payer] les devoirs q'il devoit a cause de ses terres et tenements, et auxi, dedeinz le temps que la custume de pais requiert, bailla par escrit son fee ... q'il tyent et clama tenir dudit. .. prince d' Aquitaigne.

h) PREMIERS SIGNES DU DÉCLIN : LE ROI DÉLtGUE A SES OFFICIERS LE POUVOIR DE RECEVOIR EN SON NOM LES SERMENTS VASSALIQUES

N° 32.

ÛRDONNANCE DE JUILLET 1319, RELATIVE AU PÉRIGORD ET AU QUERCY (ISAMBERT, Recueil général des ancienne,

lois françaises, t. III, n° 567, p. 222). Si deux ou quatre barons de ladite sénéchaussée ... - à condition qu'ils soient dans notre hommage, ou notre foi -

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nous écrivent qu'un noble, tenu de nous faire hommage, ne peut s'en acquitter ... à cause de son infirmité, de sa pauvreté ou de son âge, nous accordons que, ce noble ayant prêté le serment de fidélité au sénéchal, ne pourra être inquiété par nous ni par le sénéchal, pour hommage non prêté, tant que l'empêchement durera. Nous accordons que notre sénéchal puisse recevoir en notre nom, dans la sénéchaussée, le serment de fidélité des nobles ayant jusqu'à cinq cents livres de revenu... avec cette réserve que, s'il nous advient d'aller vers ces parties, ils seront tenus de nous faire seulement les hommages ... N° 33. ORDONNANCE P. 2299, n° 167b1•)

DU 3

5

AOÛT

1457 (Arch. Nationales,



Charles VII stipule que, pendant trois ans à partir de la promulgation de cette ordonnance, les baillis et les sénéchaux pourront recevoir, aux lieu et place du roi, les serments vassaliques pour les fiefs d'un revenu inférieur à cinquante livres tournois. Lorsque le revenu sera de cinquante à cent livres tournois, les serments seront reçus, soit par les lieutenants généraux, dans les limites de leur circonscription, soit par le président ou le doyen des conseillers de la Chambre des Comptes. Les actes seront revêtus du sceau de la Chancellerie. Les raisons données dans le préambule de l'Ordonnance sont les suivantes. Le roi a appris « que plusieurs de nos vassaux... de Champagne, Brie, Normandie et autres, qui tiennent de nous à foy et hommage, n'ont pu cy devant, et ne peuvent encore bonnement, venir par devers nous faire iceux f oy et hommages, parce que nous avons esté puis longtemps en ça, et sommes encore de présent, hors et loing d'iceux pays, et aussi que les dictes terres et seigneuries, dont lesdits foy et hommages nous sont deus, sont de petite valeur ; et conviendrait à nos dits vassaux et subjets 3. Cf. L. MIROT, Inventaire analytique des hommages rendus à la Chambre de France, Introduction générale, p. v-v1.

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SEIGNEURIE ET FÉODALITÉ

autant et plus dépendre à venir par devers nous faire leurs dits f oy et hommages comme monte le revenu de leurs dites terres et seigneuries pour une année. Et, par deffaut des dits foy et hommages non faits, nos officiers... empeschent chaque jour icelles leurs terres et seigneuries, en quoy ils ont été et sont grandement intéressés et endommagés, et plus pourrait estre, si par nous ne leur estoit sur ce pourveu de remède convenable >. N° 34.

ÛRDONNANCE DE CHARLES VII CONFIRMANT ET ÉTENDANT, SANS LIMITE DE TEMPS, LES MESURES PRÉCÉDENTES

(Ordonnances des rois de France, t. XIV, p. 503-504, 3 novembre 1460). Charles, par la grace de Dieu Roy de France, à tous ceux qui ces présentes lettres verront. Comme dès le mois d'aoust, l'an mil quatre cens cinquante-sept, nous, par nos autres lettres patentes eussions, pour le soulaigement de nos vassaulx et subjets tenans de nous en fief, voulu et ordonné que jusques à trois ans lors prochains ensuivans, nos séneschaux et baillifs, chacun en leurs mettes et jurisdictions; receussent pour nous et en nostre nom, les hommaiges qui nous seroient deubz pour raison des terres, seigneuries et possessions non excédans cinquante livres tournois de rente ou revenu annuel, et que en nostre Chambre des Comptes, au bureau, feussent lesdits hommaiges jusques à cent livres de rente et au-dessoubz, par vertu desquelles lettres, plusieurs d'iceulx hommaiges ont esté faits et receus comme dit est ; mais obstant qu'elles sont expirées dès le mois d'aoust dernier passé, nos amez et féaulx gens de nosdits Comptes et nosdits séneschaulx et baillifs n'en osent plus recevoir nuls, qui est au grand préjudice de plusieurs de nosdits vassaulx et subjets, lesquels, à l'occasion d'iceulx hommaiges non faits, sont empeschez en la jouissance de leurs tènemens, et auxquels seroit griefve et sumptueuse chose venir pour ce devers nous, mesmement à ceulx de nostre pays de France, Normandie, Champaigne, Vermandois et autres estans de la rivière de Loire, desquels pays nous sommes souventesfois loing, et conviendroit qu'ils y dépen-

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dissent autant ou plus que ne monte la revenue de leurs tènemens : Savoir faisons que nous, considérant ces choses, voulant, en tant que bonnement faire le povons, relever nosdits vassaulx et subjets de peines et despenses, pour ces causes et autres à ce nous mouvans, et par l'advis et délibération des gens de nostre conseil, avons voulu et ordonné, voulons et ordonnons par ces présentes, que doresenavant nostre prévost de Paris, et nos baillifs et séneschaulx, ou leurs lieutenants, puissent recepvoir tous hommaiges et sermens de f éauté à nous deubs pour raison des terres, possessions, rentes, revenues et autres choses nobles, assises ès mettes de leurs povoirs et j urisdictions, non excédans cinquante livres de rente ou revenue par an, encores toutesfois que nous ne serions en personne èsdictes mettes, ou nostre amé et féal chancelier. Et lesquels hommaiges nous voulons et entendons estre receus publiquement ès prétoires et auditoires desdictes prévostés, séneschaussées et bailliages ... et que lettres en soient faictes autentiquement,... et soubz nos sceaulx ... Pour lesquels sceaulx sera prins de chascun hommaige six sols parisis à nostre proufit, et non plus ... Et lesquelles lettres, nosdits prévost de Paris, séneschaulx et baillifs, ou leurs Iieutenans, seront tenus d'envoyer diligemment en nostredicte Chambre des Comptes pour y estre enregistrées et mises à la conservation de nos droits, ainsi qu'il est accoustumé. Et au regard des hommaiges et sermens à nous deubs à cause des terres, seigneuries ou autres tènemens, valans par an jusques à cent livres parisis et au dessoubz, nous voulons et ordonnons que, nous ou nostredict Chancelier absent de nostredicte ville de Paris, ils puissent estre faits et receus en ladicte Chambre de nos Comptes, au bureau, à la personne du Président en icelle, pour nous et en nostre nom, ou de l'un des maistres de nos Comptes en son absence, et que lettres en soient f aictes soubz le séel de nostredicte Chancellerie ... Lesquels hommaiges et sermens ainsi faits, nous auctorisons, voulons et décernons valoir comme se faits avoient esté à nostre personne, pourveu que ceulx qui les feront seront tenus de bailler leurs dénombremens et adveus

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par escript, dedans temps deub, et de faire et payer préalablement les devoirs et droits deuhs à cause desdits ténemens...

i) ACCENTUATION DU DÉCLIN AU XVI• SIÈCLE

N° 35. LES RITES DANS LE PAYS, D'ETAMPES (d'après les Coutumes des bailliage et prévosté du duché d'Estampes, éd. Marc-Antoine Lamy, Paris, 1720). - Cf. PAUL DU PIEUX, Les institutions royales au pays d'Etampes, 11,.78-1598. Versailles, 1931.

Article XII (p. 27). Toute fois et quantes que le fief est ouvert par mutation venuë du côté du vassal, le nouveau vassal doit aller, dedans les quarante jours de l'ouverture, vers son seigneur féodal pour lui faire et porter la foi et hommage, et lui payer profit, s'il en doit, et pour ce faire se transporter au lieu du fief dominant, et dont dépend ledit fief, appeller et semondre son seigneur pour le recevoir ; et s'il y est, lui faire l'hommage, et à son absence le faire sur ledit lieu à lui, si aucun se trouve qui ait pouvoir de le recevoir, sinon en la présence du procureur et receveur ou fermier dudit lieu, si aucuns se trouvent; et, en l'absence de tous, en la présence d'un notaire et de deux témoins. Et, de l'acte qui sera pour ce faict, en laisser copie duëment expédiée audit seigneur, son procureur, receveur, métaier ou fermier, ou au prochain voisin, en l'absence l'un de l'autre successivement. N ° 36. LES RITES DANS LA RÉGION DE PARIS. a) HOMMAGE ET FIDÉLITÉ PAR DAME PHILIPPE LE CLERC, VEUVE D'UN CONSEILLER EN LA COUR DU PARLEMENT DE PARIS, POUR UN FIEF MOUVANT DE L'ABBAYE DE SAINT-GERMAIN-DES· PRÉS (Arch. Nat., S. 2909, 27 juillet 1578). - Cf. GUSTAVE LE CLERC, « Un fief de l'abbaye de Saint-Magloire de Paris.

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La seigneurie de Vaudétard à Issy, 1117-1790 > (dans

.llémoires de la Soc. d'Hist. de Paris, t. IX, 1882, p. 287-309). Laquelle dite dame s'est transportée exprès de sa maison, située et assise au village d'Issy, en l'hostel seigneurial. .. A demandé à M• Pierre Regnard, greffier de la justice dudit lieu, s'il y avoit aucun religieux dudit couvent ayant charge ou pouvoir de la recevoir en ladite foy et hommage ... A fait réponse qu'il n'y avoit personne. Au moyen de quoi, a ladite dame, en présence des dessusdits notaires, fait et porté ladite foy et hommage auxdits religieux ... en baisant le locquet ou cliquette de la grand'porte, principale entrée dudit lieu seigneurial... Desquelles choses susdites, ladite demoiselle a requis et demandé acte auxdits notaires, qui lui ont octroyé ces patentes pour lui servir et valoir en temps et lieu ce que de raison ... b) HOMMAGE ET FIDÉLITÉ DE JEAN DE CHAULNES AU SEI• GNEUR DE MONTAIGU ET DE GOMETZ (23 février 1594) (Cf. JULES LAIR, Histoire de la seigneurie de Bures, dans Mémoires de la Soc. d'Hist. de Paris, t. Il, 1876, p. 214).

Le seigneur étant absent, Jean de Chaulnes, après avoir enlevé son épée et ôté ses éperons c: en signe d'humilité >, tête nue et genou en terre, baise « un arbre poirier estant sur le lieu seigneurial >. c) HOMMAGE ET FIDÉLITÉ DE CHARLES BOUCHER, MAITRE DES REQUtTES ET SEIGNEUR D'ORSAY, A JEAN DE CHAULNES POUR SON FIEF DE BURES (11 septembre 1595) (Ibidem, p. 214-215).

Arrivé devant l'hôtel seigneurial, Charles Boucher descend de cheval, c oste sa ceinture, armes et esperons, se met à genoux, nue teste, criant à haulte voix par trois et diverses fois : « Mon seigneur de Bures, estes-vous céans? Je suis venu exprès en ce lieu pour vous porter la foi et hommage, et prester le serment de fidélité. > Et, à l'instant, [le seigneur étant absent], ledit sieur d'Orsay s'est relevé et a esté

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baiser... le cliquet de la porte principale et entrée dudit lieu seigneurial >. Le notaire d'Orsay dresse acte de l'hommage et en laisse une copie au concierge. j) LES SURVIVANCES AUX

xvn-

ET XVIII· SIÈCLES

N° 37. HOMMAGE LIGE PRtTÉ A LOUIS XIV PAR LE DUC DE LORRAINE POUR LE DUCHÉ DE BAR (25 novembre 1699) (SAINT-SIMON, Mémoires, éd. A. de Boislisle, t. VI, p. 391395. Paris, 1888).

.•. Le mercredi 25 novembre, jour marqué pour l'hommage, Monsieur amena M. de Lorraine à Versailles... Un peu après que Monsieur fut chez le roi, Monsieur -envoya dire à M. de Lorraine d'y venir : c' étoit vers les trois heures après midi. Il fut suivi de tous ceux de ses sujets qui l'avoient accompagné dans son voyage ... Le roi l'attendoit dans le salon... Il étoit dans son fauteuil, le chapeau sur la tête, M. le maréchal de Lorge derrière lui, au milieu de M. le Chancelier et du duc de Gesvres, ... Mgr le duc de Bourgogne, debout et découvert, un peu en avant de M. le Chancelier, mais sans le couvrir ; M. le duc d'Anjou de même, de l'autre côté, sans couvrir le duc de Gesvres ... M. le duc de Berry, Monsieur, M. le duc de Chartres, les princes du sang et les deux bâtards étoient tous en rang, faisant le demi-cercle, avec force courtisans derrière eux ... M. de Lorraine trouva fermée la porte de la chambre du roi. ... Un de la suite de M. de Lorraine gratta. L'huissier demanda : « Qui est-ce? > Le gratteur répondit : « C'est M. le duc de Lorraine > ; et la porte demeura fermée. Quelques instants après, même cérémonie. La troisième fois, le gratteur répondit : « C'est M. le duc de Bar. > Alors, l'huissier ouvrit un seul battant de la porte. M. de Lorraine entra, et, de la porte, puis du milieu de la chambre, enfin assez près du roi, il fit de profondes révérences. Le roi ne branla point et demeura couvert, sans faire aucune sorte de mouvement. Le duc de Gesvres, alors... s'avança deux

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ou trois pas et prit le chapeau, les gants et l'épée de M. de Lorraine ... M. de Lorraine se mit à deux genoux sur un carreau de velours rouge, brodé d'un petit galon d'or, qui étoit aux pieds du roi, qui lui prit les mains jointes entre les deux siennes. Alors, M. le Chancelier lut fort haut et fort distinctement la formule de l'hommage lige et du serment, auxquels M. de Lorraine acquiesça, et dit et répéta ce qui étoit de forme, puis se leva, signa le serment avec la plume que Torcy lui présenta, un peu à côté du roi, où Nyert lui présenta son épée, qu'il remit, puis lui rendit son chapeau, dans lequel étoient ses gants, et se retira. Pendant ce moment, le roi s'étoit levé et découvert, et tous les princes du sang et les deux bâtards demeurèrent en leurs places. M. de Lorraine retourné vers le roi, S. M. se couvrit, le fit couvrir ensuite, et, en même temps, les princes du sang et les deux bâtards se couvrirent aussi. Après être demeurés quelque peu de temps en conversation, ainsi debout et rangés, le roi se découvrit et passa dans son cabinet. .. Le lendemain, Torcy alla lui faire signer un écrit de tout le détail de la cérémonie et de sa prestation de foi et hommage lige, et lui en délivra une copie signée de lui et de Pontchartrain. N° 38. « DÉCLARATION

PORTANT RÈGLEMENT POUR LES RÉCEPTIONS DE FOI ET HOMMAGES, AVEUX ET DÉNOMBREMENS DES VASSAUX DU ROI> (lsAMBERT, Recueil général des anciennes

lois françaises, t. XX, n° 1815, p. 413-416, 18 juillet 1702). Louis ... 1. Que tous nos vassaux qui nous rendront la foi et hommage de leurs fiefs en notre dite Chambre des comptes seront tenus d'y présenter leurs requêtes, ... et feront mention des titres en vertu desquels ils seront devenus possesseurs desdits fiefs ... 3. Le même arrêt qui permettra au vassal de rendre sa foi et hommage ordonnera qu'acte lui en sera délivré ... 4. Les originaux des hommages, aveux et dénombremens qui auront été reçus par les trésoriers de France seront

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SEIGNEURIE ET FÉODALITÉ

envoyés par eux en notre Chambre des comptes, ès mains de notre procureur général, trois mois après chacune année finie ... 7. Après que le vassal aura rendu la foi et hommage en notredite Chambre des comptes, il sera tenu d'y présenter son aveu et dénombrement, s'il est laïque, et la déclaration du temporel de son bénéfice, s'il est ecclésiastique, dans les termes portés par les coutumes. 8. L'aveu sera renvoyé pour être publié et vérifié ; savoir, pour les fiefs situés dans la généralité de Paris, devant les baillis et sénéchaux des lieux ; et, pour ceux situés dans les autres généralités, devant les trésoriers de France ; et la déclaration sera renvoyée devant les baillis et sénéchaux des lieux où seront situés les bénéfices ... 9. Après les actes de publication, et la sentence ou ordonnance de vérification, le vassal rapportera à notre Chambre des comptes son aveu ou déclaration, et présentera requête pour la réception qui s-era décrétée comme dessus. 10. Les oppositions qui seront formées, à la réception des aveux en notre Chambre des comptes, par notre procureur général, receveur et contrôleur de nos domaines, seront jugées en notre dite Chambre en la manière ordinaire.... 11. Après le jugement desdites oppositions ... sera l'aveu déclaré reçu par arrêt rendu sur la requête du vassal et sur les conclusions de notre procureur général. Et sera ledit aveu renvoyé à nos conseillers auditeurs, pour en être par eux délivré l'attache en la manière accoutumée. 13. Ne seront taxées ni pris-es aucunes épices sur les conclusions et arrêts qui seront rendus pour raison des foi et hommages, aveux et dénombremens.

N° 39.

EDIT PORTANT RÈGLEMENT POUR LA REDDITION DE FOI ET HOMMAGE DE LA PART DES VASSAUX DU DOMAINE DU ROI (ISAMBERT, Recueil général,... t. XXVII, n ° 1794,

p. 284-287, mai 1783). 1 ° Les foi -et hommages des terres érigées en titre de

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dignité ne pourront être reçus que par notre très-cher et féal chancelier ou garde des sceaux, ou par notre Chambre des comptes. Maintenons aussi notre dite Chambre des comptes dans le droit et possession de recevoir les aveux et dénombrements desdites terres de dignité, comme aussi de recevoir tous actes féodaux des simples fiefs, terres et seigneuries, dans l'étendue de la généralité de Paris, et ceux qui seront portés à notre dite Chambre par les vassaux des autres généralités dans l'étendue de son ressort. 2 ° Les trésoriers de France établis dans les généralités qui sont dans l'étendue du ressort de notre Chambre des comptes, autres néanmoins que ceux du bureau des finances de la généralité de Paris, continueront de recevoir, comme par le passé, les hommages des terres non érigées en titre de dignité, et des simples fiefs mouvants de nous, situés dans l'étendue de leur juridiction ; recevront aussi les aveux et dénombrements qui leur seront portés, et pourront contraindre, même par voie de saisie féodale, ceux de nos vassaux qui seront en retard de remplir les devoirs féodaux. 3° Voulons que, trois mois après chaque année expirée, nos dits trésoriers de France envoient à notre Chambre des comptes les originaux en parchemin, et en forme régulière, de· tous les actes de foi, hommages, aveux et dénombrements reçus en leurs bureaux pendant le cours de l'année ... 4° Les actes de foi et hommage qui seront rendus devant les trésoriers de France par nos vassaux en personne seront signés d'eux, et exprimeront distinctement le nom du fief, sa mouvance, le bailliage ou sénéchaussée dans le ressort desquels il est situé, et le titre de la propriété. Ledit acte sera communiqué à notre procureur audit bureau, lequel signera l'original destiné au dépôt de notre Chambre des comptes. 5 ° Défendons à nosdits trésoriers de France de cumuler dans un même acte les hommages de deux fiefs de mouvance différente, ou situés en différents bailliages ou sénéchaussées, comme aussi d'énoncer dans aucun acte d'hommage qu'il tiendra lieu d'aveu, ou de dispenser de rendre

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l'aveu et dénombrement, et de faire aucun remise de fruits tombés en perte pour le vassal. 6° Les aveux et dénombrements seront signés du vassal, publiés par trois fois dans les paroisses où les fiefs sont assis, aux audiences des bailliages ou sénéchaussées et du bureau des finances dans la juridiction desquels ils sont situés ... 7° Il sera fait desdits actes d'hommages et aveux deux originaux en parchemin timbré,... dont l'un sera envoyé en notre Chambre des comptes, et l'autre sera remis au vassal... N° 40. L'UN DES DERNIERS HOMMAGES (6 juiUet 1789) (Arch. Dép. de la Nièvre, 1 F. 74, pièce 22). Ce jourd'huy, six juillet mil sept cent quatre vingt neuf, après midy, Jean Baptiste Byon, sieur de Fraize y demeurant paroisse de Vitry sur Loire, assisté de maître Jean Claude Pinot, notaire royal résidant à Bourbon-Lancy, paroisse de Saint Nazaire, soussigné, et des témoins cy bas nommez et aussy soussignez, pour lui s'est exprest transporté en personne au chateau seigneurial de la justice et baronnie dudit Vitry sur Loire, paroisse du même nom, fief dominant du seigneur de Vitry. Et étant à la principalle porte et entrée du chateau dudit Vitry, à laquelle il a frappé, à l'instant est survenu sieur Jean Berger, commissaire aux droits seigneuriaux, demeurant audit chateau de Vitry, qui a dit avoir pouvoir dudit seigneur pour le fait dont il s'agit, et a signé Berger. Ledit sieur Jean Baptiste Byon a requis luy déclarer si le seigneur de laditte terre de Vitry est audit chateau et, en cas de son absence, s'il sçait auquel de ses officiers il a donné charge et pouvoir de recevoir ses possesseurs de fiefs de saditte justice à reprendre de fief. Lequel a dit qu'il en a le droit et pouvoir. Et, sur le champ, ledit sieur Jean Baptiste Byon, en sa qualité de propriétaire de son fief de Fraize, et étant que de besoin seroit comme uzufruitier du fief de Montrouard, étant à la principalle porte dudit chateau de Vitry,

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teste nue, un genouil sur terre, ayant ôté ses épronds et ses gands, et ayant observé touttes les formalitez prescriptes par la coutume de cette province de Bourgogne, et en l'état prescript par icelle, a dit à hautte et intelligible voix : « Monsieur le Baron et seigneur de la baronnie de Vitry sur Loire, je vous fais, en votre qualité de seigneur baron dudit Vitry, la reprise de fiefs que je vous dois à cause de mon fief de Fraize, dont je suis propriétaire en qualité d'héritier de mes père et mère, et comme uzufruitier du fief de Montrouard, par la force du testament de maître Etienne Byon, avocat en parlement, mon frère. Pour raison desquels fiefs, tant en propriété qu'en uzufruit, moy, ledit sieur Jean Baptiste Byon, me reconnois votre vassal, et vous fais la Coy et ho mage ; lesquels fiefs de Fraize et de Montrouard relèvent en plein fief, foy et ho mage de vous, Monsieur le baron de Vitry, à cause de votre baronnie dudit Vitry. Je vous demande, avec tout le respect qui vous est dû, l'investiture desdits fiefs tant en propriété qu'uzufruit, aux offres et soumissions de vous faire et prester, comme je le fais présentement entre les mains dudit notaire soussigné, le serment de fidélité envers et contre tous, excepté le roy mon maître et mon souverain seigneur, et de vous donner avœux et dénombrement dans le tems prescript par la Coutume de laditte province de Bourgogne rierre laquelle sont scituez lesdits fiefs >. Dont et de tout ce que dessus, ledit Jean Baptiste Byon a requis acte à moy, ledit notaire soussigné, qui lui a été octroyé pour luy valloir et servir ce que de raison, en présence de Jacques Gogin et Philibert Aignery, praticiens audit Bourbon, demeurant paroisse de Saint Ségur, qui ont signé avec ledit sieur Byon, ledit notaire et ledit sieur Berger, qui a dit qu'il accepte pour Monsieur le baron de Vitry la foy et bornage pour le fief de Fraize seulement, n'ayant aucun pouvoir d'accepter celle de Montrouard, ignorant quant à présent si Montrouard est porté en fief de la baronnie dudit Vitry; d'ailleurs qu'un uzufruitier est sans droits ny qualité pour rendre une foy et bornage, qui ne doit se faire que par le propriétaire ou par un fondé de procuration, du consentement du seigneur.

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En présence desquels témoins, moy, ledit notaire, ay layssé la présente copie de laditte foy et homage à mondit seigneur baron de Vitry... Touttes lesdittes parties ont signé, ainsy que lesdits témoins et ledit notaire, ainsy qu'il est dit cydessus. Berger, Byon, Gogin, Aigneri. Pinot, notaire royal.

IV

Vassalité et bénéfice du IX' au XJ• siècle N° 41. RAPPORT ENTRE LES DEUX INSTITUTIONS. L'UN DES PLUS ANCIENS EXEMPLES (735-737) (Charte d'Eberhard pour l'abbaye alsacienne de Murbach, dans PARDESSUS, Diplomata, t. Il, Paris, 1849, n° 544, p. 355-357). Eberhard donne des terres au monastère et mentionne à ce propos non seulement les biens livrés à d'autres établissements religieux, mais aussi, ajoute-t-il, « ceux que j'ai concédés en bénéfice à mes vassaux >. Similiter, infra ipsum ducatum, ... excepto quod ad alias casas Dei... per donationes nostras delegavimus, ... vel ad vassos nostros beneficiatum habui, ... in jure et dominatione jam dicti monasterii. .. integrum trado atque transfundo ad possidendum. N° 42. PREMIER EXEMFLE CONNU DE L'EMPLOI DE c FIEF > DANS LE SENS DE TENURE VASSALIOUE (899) (Cartulaire de Maguelone, éd. J. ROUQUETTE et A. VILLEMAGNE, t. 1, n° 3, Montpellier, 1912). Guillemette, comtesse de Melgueil, cède parmi d'autres biens un alleu à la cathédrale de Maguelone. Elle fait défense c de donner cet alleu susdit en fief à quiconque >

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( c ipsum alodem supranominatum donare per f evum al

ullum hominem>). N° 43. LETTRES D'EGINHARD (Einharti Epistolae, éd. Hampe, 1899, dans M. G. H., Epistolae, t. V, p. 105-145). 1. CESSION D'UN VASSAL (lettre n ° 63, année 840). Au saint et à juste titre vénérable seigneur N., prêtre du Très-Haut, Eginhard, pécheur. Ce vassal, nommé Aganthéon, est mon parent, et il a été pendant quelque temps à mon service. Mais comme il désire maintenant passer ses jours sous votre seigneurie, j'ai décidé de lui donner ces lettres de recommandation, afin que, grâce à mon intervention, il ait plus facilement accès auprès de votre sainteté et qu'il réside auprès de vous. Je vous prie donc de daigner l'accueillir et le nourrir pour votre service. Je souhaite que vous vous conserviez toujours dans la grâce du Seigneur.

Domino sancto et merito venerabili N., Summi Dei sacerdoti, Einhartus, peccator. Vasallus iste nomine Agantheo propinquus meus est, et fuit per aliquantum tempus in meo servitio. Sed quia nunc desiderat sub vestro dominatu dies suos ducere, ... has com.. mendatorias litteras ei dare decrevi, ut per meam interventionem faciliorem accessum ad vestram sanctitatem haberet et apud vos resedisset... Precor igitur ut eum suscipere et per servitium vestrum nutrire dignemini... Opto ut semper bene valeatis in Domino. 2. DEMANDE D'UN BÉNÉFICE AUSSITÔT APRÈS L'ACTE DE RECOMMANDATION (n° 34, vers 833-834).

A Louis le Germanique. Je veux faire appel à votre bienveillance en faveur de mon ami et familier N., votre fidèle, afin que vous daigniez l'accueillir, et, après qu'il se sera recommandé entre vos mains, lui accorder le secours de quelques..uns de ces béné·

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SEIGNEURIE ET FÉODALITÉ

fices que nous savons être vacants et disponibles dans notre voisinage. Car c'est un homme noble, d'une fidélité éprouvée, et bien capable de servir vos intérêts en toute affaire qui lui sera prescrite. Il a servi, en effet, fidèlement et activement votre aïeul et votre père ; et il est tout disposé à agir de même à votre égard, si Dieu veut bien lui prêter vie et santé. Quant à présent, il est encore bien faible, et c'est pourquoi il ne peut pas se présenter devant vous ; il le fera aussitôt qu'il le pourra ... [Einhartus Ludowico Il, regi Germanico]. Pro quo dam amico et f amiliare meo, N ., videlicet fidele ,estro, pietati vestrae supplicare volo ut eum suscipere dignemini, et quando in vestras manus se commendaverit, aliquam consolationem ei faciatis de beneficiis, que hic in nostra vicinia absoluta et aperta esse noscuntur. Est enim homo nobilis et bone fidei, bene quoque doctus ad serviendum vestris usibus in qualicumque negotio quod ei fuerit injunctum. Servivit enim avo et patri vestro fideliter et strenue ; sic et vobis facere paratus est, si Deus illi vitam et sanitatem concedere voluerit. Nam adhuc valde infirmus est, et ideo non potest ad vestram pietatem venire ; veniet, cum primum potuerit ... 3. MENTION 833).

DE L'ENLÈVEMENT D'UN BÉNÉFICE

(n ° 30, vers

Au saint et à juste titre vénérable et très révérend seigneur N., Eginhard, pécheur . ... Ce prêtre m'a prié d'intercéder pour lui auprès de vous. Il a été réduit, comme il l'affirme, à une grande pauvreté, maintenant surtout que le petit bénéfice qu'il possédait en Bavière lui a été enlevé pour être donné à un autre. Et maintenant il ne sait plus que faire, ni de quelle manière il doit servir son seigneur, à moins que, par votre intercession, le seigneur Lothaire ne daigne lui donner quelque secours pour soutenir sa vie présente ...

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Domino sancto et merito venerabili N. reverentissimo, Einhartus, peccator. Iste presbiter... rogavit me ... ut pro illo aput vos intercederem ... Qui, sicut ipse asserit, in magna paupertate constitutus est, et nunc maxime, quando ipsum parvum beneficiolum, quod habuit in Baioaria, ablatum est ab illo et alteri datum. Et nunc nescit quid agere, vel qualiter seniori suo servire debeat, nisi per vestram intercessionem domnus Hl. ei aliquod solacium ad vitam praesentem sustentandam dare dignabitur ...

4.

INQUIÉTUDES VASSALIQUES AU SUJET DES B~ÉFICES.

a) La maladie (n° 27, vers 833). Eginhard à N., salut éternel. Frumold, fils du comte N., accablé par une infirmité plutôt que par la vieillesse - ·car il souffre d'une continuelle et grave douleur aux pieds - possède en Bourgogne, dans le pagus de Genève, où son père a été comte, un petit bénéfice qu'il craint de perdre si votre bonté ne lui vient pas en aide, parce que l'infirmité dont il souffre l'empêche de se rendre au Palais. Pour cette raison et afin de subvenir à ses besoins, il vous prie de vouloir bien demander au seigneur empereur [Lothaire Ier] l'autorisation de conserver ce bénéfice qui lùi a été concédé par son aïeul [Charlemagne], maintenu par son père [Louis le Pieux] jusqu'à ce que Frumold, ayant recouvré ses forces, vienne se présenter à lui et se c rl'commander > suivant l'usage consacré. Portezvous bien ... Einhartus N., sempiternam salutem. Frumoldus, filins N. comitis,... magis infirmitate quam senectute confectus - nam continuo ac gravi pedum dolore vexatur - habet beneficium non grande in Burgundia, in pago Genawense, ubi pater ejus cornes fuit, et timet illud perdere, nisi vestra benignitas illi opituletur, eo quod propter infirmitatem, qua premitur, ad palatium venire non

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potest. ldcirco precatur ut, pro sua necessitate, domnum imperatorem rogare dignemini, ut permittat se habere beneficium, quod avus ejus illi concessit et pater habere permisit, quo usque viribus receptis ad ejus presentiam venerit ac se sollemni more commendaverit. Bene vale ...

b) La mort du seigneur (n ° 24, vers 832-833). Aux très chers frères en Christ Egilolf et Humbert, salut éternel dans le Seigneur. ... Vous n'ignorez pas, je le sais, que l'évêque Wolfger, d'heureuse mémoire, a sur ma demande donné en bénéfice à Gerbert, notre homme, trois manses et douze esclaves. Mais comme celui-ci n'a pu jouir de cette concession que pendant la vie temporelle de l'évêque, je m'adresse à votre bienveillance afin que vous permettiez audit Gerbert de conserver ce bénéfice comme par le passé, jusqu'à ce qu'un nouvel évêque ait été ordonné sur ce siège et que j'aie pu m'entendre avec lui sur ce que l'on devra faire à l'avenir de ce bénéfice ... Dilectissimis in Christo fratribus ... Egilolfo et Hunberto, eternam in domino salutem. Scio vos non latere, quod bone memoriae \Volf garius episcopus, me petente, beneficiavit homini nostro Gerberto ... mansos III et mancipia XII. Sed quia hoc diutius manere non potuit, nisi dum ille in corpore vixit, precor benignitatem vestram ut memoratum Gerbertum illud beneficium habere permittatis, sicut modo habuit, usque dum in hac sede episcopus fuerit ordinatus, et inter me et ilium convenerit, quid de ipso beneficio fieri debeat in futurum ... c) La politique.

1. N° 39, vers 830-834.

Au vénérable abbé Gozbert, Eginhard, pécheur. Je prie votre sainteté de vouloir bien prendre connaissance de l'affaire de cet homme nommé Bébon, Je lui avais

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donn de ne pas permettre qu'on lui suscite quelque difficulté au sujet de ce bénéfice avant que vous et moi, s'il plait à Dieu, nous puissions en conférer ensemble. Je vous mande cela parce que je connais la malveillance, la cupidité insatiable de certaines gens, qui ne se font pas scrupule de nuire à leur prochain pourvu qu'ils puissent assouvir leur très avide convoitise. Je souhaite que vous vous conserviez toujours dans le Seigneur. U1('

Gozberto venerabili abbati, Einhartus, peccator. Precor ut sanctitas vestra cognoscere dignetur de causa hominis istius nomine Bebonis, quod ego beneficium illi dedi de monasterio sancti Chodowaldi propter hoc, quia mihi bene serviebat ; sed postquam eum domno Hlothario commendavi, impetravi a domno imperatore ut ei confirmationem faceret de eodem beneficio ad dies vite suae. Propter hoc, rogo et obsecro dilectionem vestram ne illi permittatis aliquod impedimentum fieri de ipso beneficio, donec nos Domino volente vobiscum loquamur. Haec ideo vobis mando, quia cognosco quorumdam hominum pravam voluntatem et infinitam cupiditatem, qui de proximorum damnis nullam habent curam, in eo quod suae avidissime cupiditati satisfacere valeant. Opto ut semper ya]eatis in Domino. 2. Nu 29, vers 833. Au magnifique, honorable et illustre N., glorieux comte, Eginhard, sa] ut éternel dans le Seigneur. Je fais appel à votre bienveillance afin que vous daigniez appuyer auprès du seigneur empereur ce jeune homme, N., pour que lui et son frère ne perdent pas leur bénéfice. Car ils possèdent quinze manses dans Je pays de Tournai et cinq autres manses au-delà du Rhin. N, désire servir le seigneur

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empereur avec le bénéfice situé dans le Tournaisis, tandis que son frère se recommanderait [à Louis le Germanique] pour celui qui est situé au-delà du Rhin. Et cependant ils auraient tout ce bénéfice en commun. Mais ce frère ne veut y consentir que si le seigneur empereur le lui prescrit. Or, si cet arrangement n'a pas lieu, ils perdront le bénéfice situé outre-Rhin. N. s'adresse donc à votre bienveillance afin que vous daigniez prier le seigneur empereur d'ordonner au frère d'agir ainsi qu'il vient d'être dit... Magnifico et honorabili atque inlustri N., glorioso comiti, Einhartus, aeternam in domino salutem. Rogo benignitatem vestram ut hune juvenem N. aput domnum imperatorem adjuvare dignemini, ut beneficium, quod ipse et frater suus habent, non perdant. Habent enim in pago Turnacense mansos XV et ultra Renum mansos V. Ipse vult cum beneficio, quod in Turnacense est, servire domno imperatori ; et ut frater suus, cum illo quod ultra Renum est, se ad N. commendet; et tamen communiter illud beneficium totum habeant. Sed ille non vult ei ad hoc consentire, nisi domnus imperator illi precipiat. Nam, nisi hoc factum fuerit, perdunt illum beneficium, quod ultra Renom habent. Ideo precatur bonitatem vestram ut inde domnum imperatorem rogare dignemini ut fratrem ejus sic facere jubeat. .. 3. N° 25, vers 833. A Louis le Germanique. [ J'invoque la clémence] du très glorieux roi, mon seigneur, et je le prie de ne pas être irrité contre moi si je n'ai pu me présenter devant lui. Je ne l'ai pas fait pour vous offenser, ni par paresse, mais parce que j'étais malade ... C'est à peine si j'ai pu arriver jusqu'en présence de votre frère, le seigneur Lothaire, et, avec sa permission, repartir... En outre, je ne suis rentré chez moi que parce que j'ignorais comment vous aviez réglé entre vous le partage du

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royaume. En effet, le bruit s'était répandu que cette partie de la France orientale, [ qui vous est échue], dans laquelle je demeure et où j'ai un petit bénéfice, devait appartenir au royaume du seigneur Lothaire. Je supplie votre clémence de me permettre de conserver ce bénéfice et d'en jouir, en attendant que j'aie obtenu du seigneur Lothaire l'autorisation de me rendre auprès de vous et de venir me recommander dans vos mains, si je puis jamais obtenir cette autorisation. Car je m'offre à être votre fidèle et à venir me dévouer à votre service, si Dieu daigne m'accorder vie et santé. [Einhartus a Ludowico Il, rege Germanico, petit beneficium parvum ... ] . ... Domini mei gloriosissimi regis ne contra me indignemini quod neque ad vestram postea adveni praesentiam. Non enim hoc feci propter injuriam vestram vel desidiam, sed eo quod infirmus eram... Et vix potui ad praesentiam domini Hlotharii fratris vestri pervenire, et accepta ab eo licentia... redire... Quod autem me domum retraxi, id non oh aliud feci, nisi quod divisione regni inter vos facta, qualis f acta est ignorabam. Tulerat enim fama quod illa porcio orientalium plagarum Francorum, in qua et commoror et parvum beneficium habeo, ad regnum domni Hlotharii pertinere deberet ... Precor clementiam vestram ut me permittatis habere et uti ipsum beneficium, donec a domno Hlothario 1icentiam accepero ad vos veniendi et in vestras manus me commendandi, si hoc ullatenus impetrare potuero. Fidelis enim vobis propono et devotus ad vestrum venire servitium, si Deus mihi vitam et sanitatem concedere dignabitur.

N° 44.

HÉRÉDITÉ D'UN BÉNÉFICE AU JX• SIÈCLE. LETTRE D'HINCMAR, ARCHEvtouE DE REIMS, A SON NEVEU HINCMAR, ÉdOUE DE LAON (860) (MIGNE, Patrologiae latinae cursus

completus, t. CXXVI, col. 537-538). Les hommes de la villa qui est appelée Folembray, appartenant à l'église métropolitaine de Reims, mais située dans ton diocèse, se sont plaints auprès de moi de ne pouvoir, dans leur égJise, ni entendre ln. messe, ni faire baptiser leurs enfants en cas de nécessité, ni procurer aux mourants le

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salut par l'administration du viatique. Or, cette église fut toujours [ une paroisse] autonome. Car au temps de Tulpin, archevêque de Reims, quand Raoul, grand-père de Pardoul, évêque de Laon, tint cette villa en bénéfice, Fertèrc fut prêtre de cette église. Après la mort de Fertère, Dodon y fut prêtre, quand Odelher, fils de Raoul, père de l'évêque Pardoul, tint cette villa en bénéfice. Après la mort du prêtre Dodon, ce fut Agmerad qui en devint le prêtre, quand Odelgise, frère de l'évêque Pardoul, eut la même villa en bénéfice. Au temps de l'évêque Pardoul, Otteric, prêtre de Folembray, mourut après avoir été, pendant soixante ans environ, prêtre de cette église. Après la mort d'OUeric, l'évêque Pardoul y nomma, avec mon accord, le clerc Vulfeger, ce qui me fut suggéré par Osver, auquel j'avais donné le bénéfice d'Odelhar, fils d'Odelgise, neveu de l'évêque Pardon]. ... Homines de villa quae vocatur Follanaebrayus, metropolis ecclesiae Rhemorum, ... in tua parochia consistente, ad me reclamaverunt quia in ecclesia ... nec missam audire, nec in tempore necessitatis... eorum infantes baptismum accipere, nec etiam oheuntes... viatici muneris reconciliatione salvari possint... Ipsa ecclesia per se fuit semper ... Nam tempore Tilpini, Rhemorum archiepiscopi, quando Rodulfus, avus Parduli, Laudunensis episcopi, ipsam villam in beneficio habuit, fuit in praefata ecclesia Ferterus presbyter. Post obitum Ferteri fuit in ipsa ecclesia Dodo presbyter, quando Odelherus, filins Rodulfi, pater Parduli episcopi, ipsam villam in beneficio habuit. Post obitum Dodonis presbyteri fuit in ipsa ecclesia Agmeradus presbyter, quando Odelgisus, frater Parduli episcopi, habuit ipsam villam in beneficio ... Tempore [Parduli episcopi] obiit Ottericus, preshyter de Follanaebrayo, qui per annos circiter sexaginta in eadem ecclesia presbyter deguit. Post ohitum Otterici, ... Pardulus ... episcopus, cum meo consensu, suggerente mihi Osvero, cui beneficium Odelharii, filii Odelgisi, nepotis de fratre Parduli episcopi commiseram, ,vulfegerum clericum in ipsa ecclesia 01·dinandum suscepit.

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N° 45.

CAPITULAIRE

DE

QUIERZY-SUR-ÛISE,

391 14 juin 877

(M. G. H., Capitularia, éd. Boretius, t. Il, 1890, n° 281,

p. 358, art. 9 et 10). ART. 9. - Si un comte meurt, dont le fils est avec nous, que notre fils, avec nos autres fidèles, constitue, parmi ceux qui auront été les plus intimes familiers et les plus proches du défunt, celui qui veillera sur ce comté, avec les ministériaux du comté et l'évêque, jusqu'à ce qu'il nous en soit référé•. Mais si le défunt laisse un fils en bas âge, que cet administrateur, avec les ministériaux du comté et l'évêque dans le diocèse duquel il se trouve, veille sur le comté jusqu'à ce que le cas parvienne à notre connaissance 1 • S'il n'y a pas de fils, que notre fils, avec nos autres fidèles, désigne celui qui, avec les ministériaux du comté et avec l'évêque, gérera le comté jusqu'à ce que notre décision soit rendue. Et à cet égard, que personne ne s'irrite s'il nous plaît de donner le comté à un autre qu'à celui chargé jusqu'alors de la gestion. Il faut procéder de même pour nos vassaux. Et nous voulons et ordonnons expressément que les évêques, aussi bien que les abbés et les comtes, et également nos autres fidèles, s'appliquent à observer les mêmes règles vis-à-vis de leurs hommes ... ART. 10. Si l'un de nos fidèles, après notre mort, veut renoncer au monde, laissant un fils ou un proche capable de servir la chose publique, qu'il soit autorisé à lui transmettre ses « honneurs >. Et s'il veut vivre tranquillement sur son alleu, que nul n'ose lui faire obstacle, et qu'on n'exige rien de lui, sauf de se porter à la défense de la patrie.

4. La proclamation lue par le chancelier de l'Empereur, le 16 juin 877, devant l'assemblée de Quierzy-sur-Oise, ajouta la précision suivante : c: Afin que nous fassions bénéficier son fils, qui sera avec nous, des honneurs de ce dernier ( c: ut filium illius, qui nobiscum erit, de honoribus iJlius honoremus >) (Capitularia, Il, 362, art. 3). 5. La même proclamation devait stipuler : c: Jusqu'à ce que la mort dudit comte parvienne à notre connaissance et que son fils soit revêtu grâce à notre concession des charges de son père > (c: Donec obitus praefati comitis ad notitiam nostram perveniat, et ipse ftlius ejus per nostram concessionem de illius honoribus honoretur >) [Ibid.].

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ART. 9. - Si cornes obierit, cujus filius nobiscum sit, filius noster, cum ceteris fidelibus nostris, ordinet de his qui illi plus familiares et propinquiores fuerint, qui cum ministerialibus ipsius comitatus et episcopo ipsum comitatum praevideat, osque dum nobis renuntietur. Si autem filium parvulum habuerit, isdem cum ministerialibus ipsius comitatus et episcopo, in cujus parochia consistit, eundem comitatum pravideat, donec ad nostram notitiam perveniat. Si vero filium non habuerit, filius noster, cum ceteris fidelibus nostris, ordinet qui cum ministerialibus ipsius comitatus et episcopo ipsum comitatum praevideat, donec jussio nostra inde fiat. Et pro hoc nullus irascatur si eundem comitatum alteri, cui nobis placuerit, dederimus quam illi qui eum hactenus praevidit. Similiter et de vassallis nostris faciendum est. Et volumus atque expresse jubemus ut tam episcopi, quam abbates et comites, seu etiam ceteri fideles nostri, hominibus suis similiter conservare studeant... ART. 10. - Si aliquis ex fidelibus nostris, post obitum nostrum, ... seculo renuntiare voluerit et filium vel talem propinquum habuerit, qui rei publicae prodesse valeat, suos honores... ei valeat placitare. Et si in alode suo quiete vivere voluerit, nullus ei aliquod impedimentum facere praesumat, neque aliud aliquid ab eo requiratur, nisi solummodo ut ad patriae defensionem pergat. N° 46. EDIT DE L'EMPEREUR CONRAD Il SUR LES FIEFS (28 mai 1037) (M. G. H., LL, 1v, Constitutiones, éd. Weiland, t. 1, 1893, p. 90). Au nom de la sainte et indivisible Trinité. Conrad, par la grâce de Dieu empereur auguste des Romains. 1. Nous voulons que tous les fidèles de la sainte église de Dieu et les nôtres, présents et futurs, sachent que pour réconcilier les esprits des seigneurs et des vassaux, et afin qu'ils nous servent fidèlement, avec persévérance et dévouement, nous et leurs seigneurs, nous prescrivons et statuons fermement qu'aucun vassal des évêques, abbés, abbesses,

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marquis, comtes, ou de tous autres, qui tient présentement ou qui a tenu et perdu injustement, jusqu'à présent, un fief issu de nos biens publics ou des propriétés des églises, qu'aucun d'eux, tant parmi nos grands vavasseurs que parmi leurs vassaux, ne perde son fief sans faute certaine et démontrée, sauf en vertu de la constitution de nos ancêtres et du jugement de leurs pairs. 2. Si un litige naît entre seigneurs et vassaux et que les pairs aient décidé par jugement que le vassal devait être privé de son fief, si celui-ci affirme que la sentence était injuste et prononcée par haine, qu'il conserve son fief jusqu'à ce que son seigneur et l'accusé, avec ses pairs, viennent par-devant nous, et que la cause soit ici réglée justement. Mais si les pairs de l'accusé font défaut devant les tribunaux seigneuriaux, que l'accusé conserve son fief jusqu'à ce que lui-même, avec son seigneur et ses pairs, ait comparu devant nous. Que le seigneur ou le vassal accusé, qui a décidé de venir jusqu'à nous, le notifie à celui avec lequel il est en litige six semaines avant de commencer son voyage. Cela doit être observé aussi en ce qui concerne les grands vavasseurs. 3. Pour les petits vassaux, que leur cause soit tranchée dans le royaume, devant les seigneurs ou devant notre envoyé. 4. Nous prescrivons aussi que lorsqu'un vassal, grand ou petit, décédera, son fils recevra le fief. S'il n'a pas de fils, et s'il laisse un petit-fils né d'un enfant mâle, que ce dernier ait de la même façon le fief, étant conservé l'usage des grands vavasseurs de donner des chevaux et des armes à leurs seigneurs. S'il advient qu'il ne laisse pas de fils, né d'un fils, mais s'il a un frère légitime du côté de son père, et si ce frère, après avoir offensé le seigneur, veut réparer sa faute et être fait son vassal, qu'il ait le fief qui appartint à son père. 5. En outre, nous interdisons absolument à tout seigneur d'oser échanger un fief de ses vassaux, ou d'en faire une précaire ou un libelle sans leur consentement. Quant aux

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biens que les vassaux tiennent en propriété, ou par précepte, ou par libelle légal, ou en précaire, que personne n'ose les leur enlever injustement. 6. Le ravitaillement exigé des châteaux, que nos ancêtres ont eu, nous voulons l'avoir. Mais celui qu'ils n'ont pas eu, nous ne l'exigeons en aucune façon. 7. Si quelqu'un viole ce statut, qu'il paie cent livres d'or, la moitié à notre Chambre et la moitié à celui qui a subi le dommage. Fait au siège de Milan. In nomine sancte et individue Trinitatis. Chuonradus, gratia Dei Romanorum imperator augustus. 1. Omnibus sancte Dei ecclesie fidelibus et nostris, tam presentibus quam et futuris, notum esse volumus quod nos, ad reconciliandos animos seniorum et militum, ... et ut fideliter et perseveranter nobis et suis senioribus serviant devote, precipimus et firmit-er statuimus ut nullus miles episcoporum, abbatum, abbatissarum aut marchionum vel comitum, vel omnium, qui benefitium de nostris bonis aut de ecclesiarum prediis tenet nunc aut tenuerit vel hactenus injuste p-erdidit, tam de nostris majoribus valvasoribus quam et eorum militibus, sine certa et convicta culpa suum beneficium perdat, nisi secundum constitucionem antecessorum nostrorum et judicium parium suorum. 2. Si contentio emerserit inter seniores et milites, quamvis pares adjudicaverint ilium suo beneficio carere debere, et si ille dixerit hoc injuste vel odio factum esse, ipse suum beneficium teneat, donec senior et ille quem culpat cum paribus suis ante nostram presentiam veniant, et ibi causa juste finiatur. Si autem pares culpati in judicio senioribus defecerint, ille qui culpatur suum beneficium teneat, donec ipse cum suo seniore et paribus ante nostram presentiam veniant. Senior autem aut miles qui culpatur, qui ad nos venire decreverit, sex ebdomadas antequam iter incipiat, ei cum quo litigatur innotescat. Hoc autem de majoribus valvasoribus observetur.

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3. De minoribus vero, in regno aut ante seniores aut ante nostrum missum, eorum causa finiatur. 4. Precipimus etiam ut cum aliquis miles sive de majoribus, sive de minoribus, de hoc seculo migraverit, filius ejus beneficium habeat. Si vero filium non habuerit, et abiaticum ex masculo filio reliquerit, pari modo beneficium habeat, servato usu majorum valvasorum in dandis equis et armis suis senioribus. Si forte abiaticum ex filio non reliquerit et fratrem legittimum ex parte patris habuerit, si seniorem offensum habuit et sibi vult satisfacere et miles ejus cffici, beneficium quod patris sui fuit habeat. 5. Insuper etiam omnibus modis prohibemus ut nullus senior de beneficio suorum militum cambium, aut precariam, aut libellum sine eorum consensu facere presumat. Illa vero bona, que tenent proprietario jure, aut per precepta, aut per rectum libellum, sive per precariam, nemo injuste cos divestire audeat. 6. Fodrum de castaellis, quod nostri antecessores habuerunt, habere volumus. Illud vero, quod non habuerunt, nullo modo exigimus. 7. Si quis banc j ussionem infregerit, auri libras centum componat, medietatem kamere nostre et medietatem illi cui dampnum illatum est ... Actum in obsidione Mediolani ...

V

La féodalité et l'Eglise N° 47. LETTRE o'HINCMAR A LOUIS LE GERMANIQUE (NOVEMBRE 858) (1'1. G. H., Capitularia, éd. Boretius, t. Il, 1890,

n° 297, p. 439-440). Les églises qui nous ont été confiées par Dieu ne sont pas, comme les bénéfices et. comme la propriété du roi, d'une

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nature telle que celui-ci puisse les donner ou les enlever à son gré inconsidérément, puisque tout ce qui est chose d'Eglise est consacré à Dieu. D'où il ressort que celui qui frustre ou enlève quelque chose d'Eglise doit savoir que, selon la sainte Ecriture, il commet un sacrilège. Et nous les évêques consacrés à Dieu, nous ne sommes pas de cette catégorie de gens qui, comme les hommes du siècle, doivent se recommander en vasselage à qui que ce soit. Mais nous devons nous donner tout entiers, nous et nos églises, à la défense et à l'aide du gouvernement en matière d'administration ecclésiastique. Nous ne sommes pas de cette catégorie de gens qui doivent prêter, de quelque façon que ce soit, un serment, car l'autorité évangélique, apostolique et canonique nous l'interdit. Il est abominable, en effet, que la main ointe du saint chrême qui, par la prière et le signe de la croix fait, par sacrement, du pain et du vin mêlé d'eau, le corps et le sang du Christ, que cette main, quoi qu'elle ait fait avant l'ordination, procède de quelque façon que ce soit, après l'ordination épiscopale, à un serment séculier. Et il est néfaste que la langue de l'évêque, qui est devenue la clef du ciel par la grâce de Dieu, jure, comme un séculier quelconque, sur les objets sacrés au nom de Dieu et en invoquant les saints, sauf quand par aventure, ce qu'à Dieu ne plaise, un scandale éclate contre lui à propos de son église. Qu'il agisse alors prudemment, ainsi qu'en ont décidé, grâce à l'enseignement de Dieu, les pères de l'Eglise par résolution synodale. Et s'il arrivait que des serments fussent arrachés aux évêques ou prêtés par eux contre Dieu et les règles ecclésiastiques, qu'ils soient déclarés nuls en vertu des textes de la sainte Ecriture. ... Ecclesiae siquidem nobis a Deo commissae non talia sunt beneficia et hujusmodi regis proprietas, ut pro libitu suo inconsulte illas possit dare vel tollere, quoniam omnia quae ecclesiae sunt Deo consecrata sunt. Unde qui ecclesiae aliquid fraudatur aut tollit, sacrilegium secundum sanctam scripturam facere noscitur. Et nos, episcopi Domino consecrati, non sumus hujus-

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modi homines ut, sicut homines saeculares, in vassallatico debeamus nos cuilibet commendare (sed ad defensionem et ad adjutorium gubernationis in ecclesiastico regimine nos ecclesiasque nostras committere) aut jurationis sacramentum, quod nos evangelica et apostolica atque canonica auctoritas vetat, debeamus quoquomodo facere. Manus enim chrismate sacro peruncta, quae de pane et vino aqua mixto per orationem et crucis signum confieit corpus et Christi sanguinis sacramentum, abhominabile est, quiequid ante ordinationem f eeerit, ut post ordinationem episeopatus saeculare tangat ullo modo saeramentum. Et lingua episcopi, quae facta est per Dei gratiam clavis caeli, nefarium est ut, sicut saecularis quilibet, super sacra juret in nomine Domini et sanctorum invocatione, nisi forte, quod absit, contra eum scandalum acciderit ecclesiae suae ; et inde sic temperanter agat, sicut Domino docente constitueront rectores ecclesiae synodali consilio. Et si aliquando sacramenta ab episcopis exacta aut facta fuerunt contra Deum et ecclesiasticas regulas, quae ... irrita sanetae seripturae paginis declarantur.

N• 48.

LETTRE DU PAPE SILVESTRE Il AU COMTE DARFERIUS, A SES FILS ET A SES PETITS-FILS, LEUR ATTRIBUANT A TITRE DE BÉNÉFICE, PRINCIPALEMENT EN RETOUR DU SERVICE MILITAIRE, LA CITÉ HAUTE ET BASSE DE TERRACINE, AINSI OUE LE COMTÉ DU MtME NOM (26 DÉCEMBRE 1 000) (J. P. MIGNE,

Patrologiae latinae cursus completus, t. CXXXIX, col. 276277 '). [A propos de cette concession, le pape émet les remarques suivantes] : Puisqu'il est évident que les pontifes de la sainte église romaine ont cherché à tirer profit, à titre de loyer, de ces biens et de beaucoup d'autres en les concédant à diverses 6. Autre édition : Regesta pontificum romanorum, 2• éd., JafféWattenbach, t. 1, 1885, n° 3912, p. 498.

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personnes contre certaines taxes, mais qu'ils ont perdu de très importants biens d'Eglise, attribués contre un cens dérisoire, nous transformons totalement ce genre de don en un meilleur, de telle sorte que ce que nous concédons par la présente charte sous le nom de bénéfice comporte aussi des services militaires. Nous jugeons bon qu'en raison de ce [nouveau]mode d'imposition, les vassaux servent en temps de paix par l'obéissance, et en temps de guerre par les armes, pour l'honneur et le salut de la sainte Eglise romaine. Mais, pour que les biens ecclésiastiques ne puissent pas passer dans la possession ou la propriété d'un particulier, nous instituons par cette présente charte, à titre de loyer, une dîme extraordinaire : à savoir trois sous d'or, qui devront être payés, au moi~ de janvier, aux agents du fisc de la sainte Eglise romaine. ... Et quoniam... sanctae romanae ecclesiae pontifices, nomine pensionis, per certas indictiones haec et alia nonnulla attribuisse nonnullis indifferenter constat, cum lucris operam darent et sub parvissimo censu maximas res ecclesiae perderent, id genus doni totum in melius commutamus, uti ea, quae per hanc nostrae praeceptionis paginam concedimus sub nomine beneficii, et stipendia militaria sunt. Hoc quippe genus pensionis dignum ducimus, ut milites in pace obsequio, in hello arrois, pro honore et. salute sanctae romanae ecclesiae decertent. Sed ne res ecclesiasticae in possesionem vel proprietatcm alicujus transire possint, sub nomine pensionis ab hac praesenti quarta decima indictione constituimus, ut actionariis sanctae romanae ecclesiae tres auri solidi persolvantur, id est in mense .Januario.

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VI Devoirs et droits vassaliques A) LÉGISLATION SUR L'ABANDON DU SEIGNEUR PAR LE VASSAL

N° 49. a) Capitularia regum Francorum, éd. Boretius, t. 1, 1883, n° 77, p. 172 (802-803). ART. 16. - Que personne n'abandonne son seigneur après avoir reçu de lui la valeur d'un sou, excepté si le seigneur veut le tuer, ou le frapper d'un bâton, ou violer sa femme ou sa fille, ou lui enlever son patrimoine.

Quod nullus seniorem suum dimittat postquam ab eo acciperit valente solido uno, excepto si eum vult occidere, aut cum baculo caedere, vel uxorem aut filiam maculare, seu hereditatem ei tollere. b) Capitularia, t. 1, n° 104, p. 215 (vers 801-813). ART. 8. Si quelqu'un veut abandonner son seigneur, qu'il lui soit permis de le faire s'il peut apporter la preuve d'un de ces crimes : en premier lieu, si le seigneur a voulu le réduire injustement en servitude ; en deuxième lieu, s'il a nourri un dessein contre sa vie ; en troisième lieu, s'il a commis un adultère avec la femme de son vassal ; en quatrième lieu, s'il a marché contre lui, l'épée haute, pour le tuer volontairement ; en cinquième lieu, si pouvant assurer la défense de son vassal après que celui-ci s'est recommandé dans ses mains, il ne l'a pas fait.

Si quis seniorem suum dimittere voluerit et ei approbare potuerit unum de his criminibus : id est, primo capitulo, si senior eum injuste in servitio redigere voluerit ; secundo capitulo, si in vita ejus consiliaverit ; tertio capitulo, si senior vassalli sui uxorem adultaverit ; quarto capitula, si evaginato gladio super eum occidere voluntarie occurrerit ;

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quinto capitulo, si senior vassalli sui defensionem facere potest postquam ipse manus suas in ejus commendaverit, et non fecerit, Iiceat vassallum eum dimittere ... B) LA VASSALITÉ AU SERVICE DE L'ETAT N° 50. a) Capitularia, éd. Boretius, t. 1, n ° 64, p. 153, art. 17 (810). Que chacun 1 exerce une action coercitive sur ses inférieurs afin que ceux-ci, de mieux en mieux, obéissent d'un cœur consentant aux mandements et aux préceptes impériaux. Unusquisque suos juniores distringat, ut melius ac melius oboediant et consentiant mandatis et praeceptis imperialibus.

b) Capitularia, t. Il, n° 204, p. 71, § III, art. 2 (847). Nous voulons aussi I que chaque homme libre, dans notre royaume, choisisse le seigneur qu'il voudra, nousmême ou l'un de nos fidèles. Volumus etiam ut unusquisque liber homo in nostro regno seniorem, qualem voluerit, in nobis et in nostris fideIibus accipiat. N° 51. LETTRE DE CONVOCATION ADRESSÉE PAR CHARLEMAGNE A L'ABBÉ FuLRAD (bf. G. H., Capitularia, éd. Boretius, t. 1, 1883, n° 75, p. 168 : vers 806). Charles, grand et pacifique empereur, à Fulrad, abbé. Sache que nous avons convoqué notre plaid général, cette année, en Saxe orientale, sur le fleuve Bode, au lieu appelé 7. C'est-à-dire chaque chef. 8. Dans le sens de « nous permettons >.

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Stassfurt 9 • Nous t'enjoignons de t'y rendre, le 15 des calendes de juillet, avec tous tes hommes, bien armés et équipés, avec armes, bagages et tout le fourniment de guerre en vivres et vêtements. Que chaque cavalier ait un écu, une lance, une épée longue et une épée courte, un arc et un carquois garni de flèches. Qu'il y ait dans vos chariots des outils de tout genre, et aussi des vivres pour trois mois à partir de ce lieu de rassemblement, ainsi que des armes et des vêtements pour un semestre. Nous t'enjoignons de veiller à ce que nulle prestation ne soit exigée en dehors du fourrage, du bois et de l'eau. Quant aux dons que tu dois nous présenter à notre plaid, fais-nous-les parvenir au milieu du mois de mai, là où nous serons à ce moment. Veille à ne commettre aucune négligence, dans la mesure où tu veux bénéficier de notre bonne grâce. Carolus, ... magnus pacificus imperator, ... Fulrado abbati. Notum sit tibi quia placitum nostrum generale, anno presenti, condictum habemus infra Saxoniam in orientali parte, super fluvium Bota, in loco que dicitur Starasfurt. Quapropter precipimus tibi ut pleniter cum hominibus tuis bene armatis ac preparatis ad predictum locum venire debeas XV. Kal. J ul,... cum armis atque utensilibus necnon et cetero instrumento bellico in victualibus et vestimentis. lta ut unusquisque cabalarius habeat scutum et lanceam et spatam et semispatum, arcum et pharetras cum sagittis ; et in carris vestris utensilia diversi generis, ... utensilia vero ciborum ... de illo placito in futurum ad tres menses, arma et vestimenta ad dimidium annum. Et hoc omnino precipimus ut observare facietis ... ut preter herbam et ligna et aquam nichil de ceteris rebus tangere presumatis ... Dona vero tua quae ad placitum nostrum nobis presentare debes, nobis medio mense Maio transmitte ad Iocum ubicumque tune fuerimus ... Vide ut nullam negligentiam exinde habeas, sicut gratiam nostram velis habere. 9. Au sud de Magdebourg.

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N° 52.

RAPPORT ENTRE LES OBLIGATIONS MILITAIRES ET LA FORTUNE FONCIÈRE.

a) Capitularia, t. 1, n ° 50, p. 137, année 808 10• ART. 1. - Ut omnis liber homo, qui quatuor mansos vesses habités, soit en alleu, soit en bénéfice de quelqu'un, fasse ses préparatifs et se rende de lui-même à l'ost soit avec son seigneur, si ce dernier y va aussi, soit avec son comte. Que le possesseur de trois manses soit associé au possesseur d'un manse, qu'il aidera afin que celui-ci puisse servir pour tous deux. Que le possesseur de deux manses soit associé à un autre possesseur de deux manses, et que l'un d'eux, aux frais de l'autre, aille à l'ost. Que le possesseur d'un seul manse et que trois hommes qui n'en ont également qu'un seul soient associés et donnent leur aide à celui qui ira à l'ost. Les trois hommes qui l'aideront resteront chez eux. ART. 5. En ce qui concerne nos hommes et ceux des évêques et des abbés qui ont des bénéfices ou des propriétés, si l'on en a découvert qui se seraient rachetés à prix d'argent, ou qui seraient restés chez eux avec l'autorisation de leurs seigneurs, qu'ils se soumettent à notre ban. ART. 1. - Ut omnis liber homo, qui quatuor mansos vestitos de proprio suo sive de alicujus beneficio habet, ipse se praeparet et per se in hostem pergat, sive cum seniore suo si senior ej us perrexerit, sive cum comite suo. Qui vero tres mansos de proprio habuerit, huic adjungatur qui unum mansum habeat et det illi adjutorium, ut ille pro ambobus possit. Qui autem duos habet de proprio tantum, jungatur illi alter qui similiter duos mansos habeat, et unus ex eis, altero illum adjuvante, pergat in hostem. Qui etiam tantum unum mansum de proprio habet, adjungantur ei tres qui similiter habeant et dent ei adjutorium, et ille pergat tan-

10. Cf. aussi les instructions données en 807 à Aix-la-Chapelle (Capitularia, t. 1, n° 48).

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tom; tres vero qui illi adjutorium dederunt domi remaneant. ART. 5. - De hominibus nostris et episcoporum et abbatum, qui vel beneficia vel talia propria habent, ... si aliqui inventi fuerint, qui vel pretio se redemissent vel dominis suis permittentibus domi remansissent, bannum nostrum ... persolvant ...

b) Capitularia, t. 1, n° 44, p. 123, année 805. ART. 6. - En ce qui concerne l'armement à l'ost, que tout homme ayant douze manses porte une broigne. De armatura in exercitu, ... omnis homo de duodecim mansis bruneam habeat. C) PREMIÈRE MENTION DU CONSILIUM ET DE

L'AUXILIUM

N° 53. SERMENT.S DE QUIERZY ENTRE CHARLES LE CHAUVE ET SES FIDÈLES, LE 21 MARS 858 (dans Capitularia, t. Il, n ° 269, p. 296). 1. Serment des fidèles. Dans la mesure où je saurai et pourrai le faire avec le secours du Seigneur, sans aucune fourberie ni révolte, je vous servirai fidèlement, pour le conseil et l'aide 11, selon ma fonction et selon ma personne, afin que, cette puissance que Dieu vous a octroyée, vous puissiez la garder et l'exercer selon sa volonté, ainsi que pour votre sauvegarde et celle de vos fidèles.

2. Serment du roi. Moi aussi, dans la mesure où je saurai et pourrai le faire raisonnablement avec l'aide du Seigneur, j'honorerai cha11. La même expression revient dans l'acte d'accusation porté par Charles le Chauve, en juin 859, contre l'archevêque de Sens Wenilon, qui avait rompu la foi jurée en mars 858 (Capitularia, t. II, n° 300, p. 452. art. 9).

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cun de vous selon sa condition et sa personne. Je veillerai à son honneur et à son salut. Je lui maintiendrai sa loi propre et son droit. Dans la mesure où il en aura besoin et le demandera raisonnablement, j'userai envers lui d'une miséricorde conforme à la raison, ainsi qu'un roi fidèle est tenu en droit d'honorer et de sauvegarder ses fidèles. Pour autant que le permet l'humaine fragilité et que Dieu m'en donnera l'intelligence et le pouvoir, je ne m'écarterai de cette ligne de conduite au profit de personne, ni 1>ar faveur, ni par malveillance, ni sous l'effet d'exhortations indues. Et si je me laisse entrainer à m'en écarter par faiblesse, je m'emploierai, dès que je m'en apercevrai, à réparer spontanément [le préjudice commis]. 1. Sacramentum fidelium. -- Quantum sciero et potuero, Domino adjuvante, absquc ulla dolositate aut seductione, et consilio et auxilio secundum meum ministerium et secundum meam personam fidelis vobis adj utor ero, ut illam potestatem, quam... vobis Deus concessit, ad apsius voluntatem et ad vestram ac fidelium vestrorum salvationem... tenere et gubernare possitis.

2. Sacramentum regis. - Et ego, quantum seiero et rationabiliter potuero, Domino adjuvante, unumquemque vestrum secundum suum ordinem et personam honorabo et salvabo et honoratum ac salvatum, ... conservabo et unieuique competentem legem et j usticiam, ... et qui illam neeesse habuerit et rationabiliter petierit, rationabilem misericordiam exbibebo, sicut fidelis rex suos fideles per rectum honorare et salvare... debet... Et pro nullo homine ab hoc, quantum dimittit humana fragilitas, per studium aut malivolentiam vel alieujus indebitum hortamentum deviabo, quantum mihi Deus intelleetum et possibilitatem donaverit ; et si per fragilitatem contra hoc mihi subreptum f uerit, cum hoc recognovero, voluntarie illud emendare curabo.

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0) UNE DÉFINITION DU CONTRAT VASSALIQUE

N° 54.

LETTRE DE FULBERT DE CHARTRES AU DUC D' AQUITAINE, ANNÉE 1020 (Recueil des Historiens des Gaules et

de la France, t. X, p. 463). Au très glorieux duc d'Aquitaine Guilhelm, Fulbert, évêque. Invité à écrire sur la teneur de la fidélité, j'ai noté brièvement pour vous ce qui suit, d'après les Livres qui font autorité. Celui qui jure fidélité à son seigneur doit avoir toujours les six mots suivants présents à la mémoire : sain et sauf, sûr, honnête, utile, facile, possible. Sain et sauf afin qu'il ne cause aucun dommage corporel au seigneur. Sûr, afin qu'il ne nuise pas à son secret, ni aux ouvrages fortifiés qui I ui procurent la sécurité. Honnête, afin qu'il ne porte pas atteinte à ses droits de justice, ni à d'autres éléments où son honneur peut paraître engagé. Utile, afin qu'il ne porte aucun préjudice à ses possessions. Facile et possible, afin que le bien que son seigneur pourrait faire aisément ne lui soit pas rendu difficile, et que ce qui lui était possible ne lui devienne pas impossible. II est juste que le fidèle se garde de ces actes pernicieux. Mais il ne mérite pas ainsi son chasement. Car il ne suffit pas de s'abstenir de faire le mal, il faut aussi faire le bien. II importe donc que, dans les six domaines mentionnés ci-dessus, le vassal fournisse fidèlement à son seigneur le conseil et l'aide s'il veut paraitre digne du fief et respecter la foi qu'il a jurée. Le seigneur aussi doit rendre en toutes ces choses la pareille à son fidèle. S'il ne le faisait pas, il serait taxé à juste titre de mauvaise foi, de même que le vassal qui serait surpris en train de manquer à ses devoirs, par action ou par consentement, serait coupable de perfidie et de parjure. Gloriosissimo duci Aquitanorum \Villehno, Fulhertus, episcopus ...

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De forma fidelitatis aliquid scribere monitus, haee vobis quae sequuntur breviter ex Librorum auetoritate notavi. Qui domino suo fidelitatem jurat, ista sex in memoria semper habere debet : incolume, tutum, honestum, utile, f aeile, possibile. Ineolume, videlicet ne sit domino in damnum de corpore suo. Tutum, ne sit ei in damnum de secreto suo, vel de munitionibus per quas tutus esse potest. Honestum, ne sit ei in damnum de sua justitia, vel de aliis causis quae ad honestatem ejus pertinere videntur. Utile, ne sit ei in damnum de suis possessionibus. Facile, vel possibile, ne id bonum, quod dominus suus leviter faeere poterat, f aciat ei difficile ; neve id quod possibile erat, reddat ei impossibile. Ut autem fidelis haec nocumenta caveat, justum est ; sed non ideo casamentum meretur ; non, enim sufficit abstinere a malo, nisi fiat quod bonum est. Restat ergo ut in eisdem sex supradictis consilium et auxilium domino suo fideliter praestet, si beneficio dignus videri velit, et salvus esse de fidelitate quam juravit. Dominus quoque fideli suo in his omnibus vicem reddere debet. Quo si non fecerit, merito censebitur malefidus ; sicut ille, si in eorum praevaricatione vel f aciendo vel consentiendo deprehensus fuerit, perfidus et perjurus ...

VII Partage de la société en trois ordres (fin du

x•

siècle)

N° 55. Selon Adalbéron, évêque de Laon, Carmen ad Rotbertum regem (éd. G. A. HucKEL, Les poèmes satiriques d'Adalbéron, dans Bibliothèque de la Faculté des Lettres de l'Université de Paris, t. XIII, 1901, p. 155-156) u. L'ordre ecclésiastique ne forme qu'un seul corps, mais la division de la société comprend trois ordres. La loi humaine, 12. Nous n'avons guère tenu compte de la traduction de l'auteur, trop imprécise.

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[ en effet], distingue deux autres conditions. Le noble et le non-libre ne sont pas gouvernés par une loi identique. Les nobles sont les guerriers, les protecteurs des églises. Ils défendent tous les hommes du peuple, grands et petits, et, par le fait, ils se protègent eux-mêmes. L'autre classe est celle des non-libres. Cette race de malheureux ne possède rien sans souffrance. Provisions, habillement sont fournis à tous par les non-libres, car aucun homme libre n'est capable de vivre sans eux. Donc, la cité de Dieu, qu'on croit une, est partagée en trois ordres : certains prient, d'autres combattent et d'autres travaillent. Ces trois ordres vivent ensemble et ne souffriraient pas une séparation. Les services de l'un d'eux permettent les travaux des deux autres. Chacun, tour à tour, prête son appui à tous. Tant que cette loi a prévalu, le monde a joui de la paix. [Aujourd'hui], les lois s'affaiblissent et déjà toute paix a disparu. Les mœurs des hommes changent, comme change aussi la divisioQ. de la société. Res fidei simplex, status est sed in ordine triplex. Lex humana duas indicit conditiones : Nobilis et servus simili non lege tenentur ... Hi bellatores, tutores aecclesiarum, Defendunt vulgi majores atque minores Cunctos, et sese parili more tuentur. Altera servorum divisio conditionum : Hoc genus afflictum nil possidet absque dolore ... Tesaurus, vestes, cunctis sunt pascua servi, Nam valet ingenuus sine servis vivere nullus ... Triplex ergo Dei domus est, quae creditur una Nunc orant, alii pugnant, aliique laborant. Quae tria sunt simul et scissuram non patiuntur ; Unius offitio sic stant operata duorum ; Alternis vicibus cunctis solamina praebent ... Sic lex praevaluit, tune mundus pace quievit. Tabescunt leges, et jam pax defluit omnis ; Mutantur mores hominum, mutatur et ordo.

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SEIGNEURIE

ET

FÉODALITÉ

C. - EXEMPLES DE DÉPENDANCES EN DEHORS DU MONDE OCCIDENTAL

a) MISÈRES PAYSANNES EN CHINE AU MILIEU DU VIII• SIÈCLE ET AU XIe N° 56. a) Selon un décret de 752 (Ts' o-fou yuan kouei, chap. 495, cité par HENRI MASPÉRO, Les régimes fonciers en Chine, dans Recueils de la Société Jean Bodin, t. Il, Le servage, Bruxelles, 1937, p. 292.

J'ai appris que les rois, les ministres, les fonctionnaires et les gens riches fondent à l'envi des villae ... Ils n'ont aucune crainte des règlements ... Ils s'emparent des terres ... Quant aux parts de distribution, ils les vendent et les achètent contrairement aux héritages et contrairement aux lois. Ou bien ils en changent les inscriptions sur les registres ; ou bien ils les reprennent en gage. Ils font que les gens du peuple n'ont plus de lieu où s'installer. De plus, ils arrêtent des étrangers, leur donnant un salaire d'ouvriers agricoles ; ils s'emparent des propriétés des habitants.

b) Suivant Lou TcHE (754-824), T'ang Lou Siuan-kong tseou-yi, chap. IV, p. 34y-37, cité par HENRI MASPÉRO dans lbid., p. 293). Quand les paysans sont ... très épuisés, ils vendent leur champ et leur hutte. S'il y a une bonne année, ils paient leurs dettes, et la récolte est à peine finie que les mesures de grains sont vides. S'il y a une famine, ils arrivent à la ruine totale : les familles se dispersent, les os et la chair se séparent, ils demandent à devenir esclaves ... Maintenant, les règlements sur les terres sont tous violés ... Les pauvres ...

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.s'appuient sur les puissants et deviennent leurs serviteurs privés. Ils empruntent leurs semences ; ils prennent à bail leurs champs. Toute l'année, ils s'épuisent sans un jour de repos. c) D'après un écrivain du XI• siècle, Sou Siun (Kia-yeoutsi, chap. V, p. 7•, cité par HENRI MASPÉRO dans Ibid., p. 294-295). Les champs ne sont pas la propriété de ceux qui les cultivent, et ceux qui possèdent les champs ne les cultivent pas 1 • Les champs des cultivateurs dépendent des riches. Les gens riches ont. .. de vastes propriétés ; leurs parcelles se touchent ; ils font venir des émigrants et leur en partagent la culture. La cravache et le bâton activent les corvées. Le maître les traite comme des esclaves ... Des produits des champs, il prend la moitié. Il n'y a qu'un propriétaire et il y a dix cultivateurs, de sorte que le propriétaire, accumulant de jour en jour sa moitié, arrive à la richesse et à la puissance, et le cultivateur ... à la misère et à la faim. Et il n'y a aucun recours.

b) EN RUSSIE

N° 57. CHARTE D'EXEMPTION FISCALE ET JUDICIAIRE ACCORDÉE POUR OUINZE ANS PAR LE PRINCE DE RADONEZ, VASILIJ JAROSLAVOVIè, A VORONEC STEPANOV, EN FAVEUR DE SON DOMAINE DE GOLKOV, A RADONEZ (1427-1456). (Akty social'no-ekonomiceskoj istorii Severovostocnoj Rwii. Moscou, 1952, t. 1, p. 54). Moi, prince Vasilij Jaroslavovié, j'ai gratifié Voronec Stcpanov. Que son domaine patrimonial, la terre de GolkoY, à Radonez, et tous les gens d'une principauté étrangère, et non de nos domaines, qu'il fera venir sur cette terre, soient dispensés de mon impôt durant quinze ans : des charges, 1. A rapprocher de plusieurs textes des IV• et V• siècles selon lesquels, dans l'Empire romain, c les colons cultivent la terre d'un autre. > Cf. aussi Documents, n° 12 (p. H2).

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des taxes de la belka I pour la nourriture, de la poste, du charroi, de la nourriture de mon cheval et de toute autre redevance. Et que mes gouverneurs de Radonez ne réclament rien à Voronec dans ce domaine, ni à ses gens, et qu'ils n'aient en rien le droit de juridiction sur les gens de Voronec. Que Voronec juge ses gens lui-même pour le vol ou pour les querelles privées. Et si l'action est intentée entre gens de Voronec et gens de ma région, et que ce soient mes gouverneurs qui jugent, que Voronec, ou la personne qu'il aura désignée, juge avec eux; et qu'ils partagent entre eux le bénéfice [ des amendes]. Et quand les gens de Voronec auront épuisé leur délai de quinze ans, les agents du prince les forceront à payer l'impôt. De par cette mienne charte, quiconque prélèvera quelque chose sur Voronec et le lèsera de quelque manière que ce soit encourra mon châtiment. Signature : Timofej Aleksandrovic. N° 58.

ATTRIBUTION D'UN POMIESTIÉ PAR LE MONASTÈRE DE SoLOscINSK (1510) (Akty istoriceskie sobrannye i izdan-

nye archeograficeskoj kommissieju. Saint-Pétersbourg, 1841, t. I, n ° 118). Moi, Grégoire, avec mon frère Théodore et mon [autre] frère Théodore, tous fils de Grégoire Fenin, nous avons fait la requête d'un pomiestié à l'archimandrite Dosithée, du monastère de la Très-Sainte-Vierge à Soloscinsk. Et l'archimandrite, ayant pris conseil de sa communauté, nous a gratifiés du pomiestié du nouveau village de Rojkinskaja Poljana, sur la petite rivière Krapivenka. Moi Grégoire, et moi Théodore, et moi Théodore, fils de Grégoire Fenin, nous éviterons de nous approprier, d'attribuer au prince et de vendre le village de cette campagne de Rojkinskaja Poljana, sur la rivière Krapivenka, dans les limites qu'en a déterminées de tous côtés Simon Djatlov. 2. Belka, unité monétaire. Il s'agit probablement, ici, d'un impôt en nature converti en monnaie.

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Mais cette campagne et ce nouveau village appartiennent au monastère de la Très-Sainte-Vierge à Soloscinsk, à l'archimandrite Dosithée et à la confrérie. N° 59.

LE TSAR PLACE LES HABITANTS D'UN VILLAGE DANS L'OBÉISSANCE DU NOUVEAU TITULAIRE D'UN POMIESTIÉ

(1571) (Akty istoriceskie, ... Saint-Pétersbourg, 1841, t. 1, n° 180.)

De la part du tsar et grand prince de toute la Russie, Ivan Vasil'evic, de la circonscription de Mescesk, dans le Stan de Nedokhod, aux habitants du village de DubrovnoRozestvennoe, sur la rivière Jamna, à ceux de la campagne de Mikhailevo, [ de plusieurs autres campagnes, ici nommées] et de la terre nouvellement défrichée de Vlasov, lesquels village, campagnes et terre ... étaient en pomiestié au profit d'Ivan, fils de Viskovatyj, à tous les paysans qui vivent dans ce village et dans ces campagnes. J'ai gratifié de ce village et de ces campagnes mon diacre attitré Basile Jakovlevic Scelkalov. Il les tiendra en pomiestié avec tous leurs revenus ... Et vous tous les paysans qui habitez ce village et ces campagnes, vous devez obéir à notre diacre Basile Scelkalov, labourer ses champs et lui payer l'impôt des pomeiéiki. Ecrit à Moscou, en l'année 7079, le 6• jour d'avril. N° 60. Textes reproduits d'après A. EcK, Le Moyen Age russe, Paris, 1933 a. A)

Une charte d'immunité (vers 1365).

P. 486-487. - Voici la faveur du grand prince Vasilij Mihajlovic et de ses neveux ... au monastère des Sept-Dormants d'Ephèse ... Nous l'avons gratifié [ des privilèges suivants]. L'archi3. Dans un souci de clarté, la traduction de l'auteur a subi quelques corrections.

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mandrite de la Sainte Vierge et les hégoumènes ... qui dépendent du monastère des Sept-Dormants de la Sainte Vierge, les moines, les bedeaux, tous les officiants ecclésiastiques, les serviteurs conventuels, les sommeliers et les gens libres ne doivent aucun tribut, ni relais, ni charroi, ni tonlieu, ni huitième, ni aucun autre impôt à la ville ou aux districts ... Que nos namêstniki et volosteli n'entrent pas chez ces gens, et qu'ils ne les jugent point ... Que nos receveurs, préposés aux relais, recenseurs et percepteurs de coutumes n'entrent pas chez ces gens conventuels et qu'ils n'y fassent pas entrer [leurs délégués] ... Pour le brigandage, le meurtre ou le vol... entre les gens conventuels ... nos juges ne doivent intervenir en rien. Si les gens conventuels se mêlent en jugement à des gens de district, le tivun conventuel ainsi que l'intendant jugeront ensemble avec nos juges, et ils partageront le revenu par moitié ... Et même si jamais nous ordonnons de prélever des impôts sur ceux qui auront nos chartes de faveur,... que personne ne prélève rien, selon cette charte. B)

Fixation des paysans au sol.

P. 314. - Stipulations des contrats d'affermage vers 1592 : « Si je pars du domaine, ... ou si je fuis sans l'ordonnance du souverain et à l'insu [du seigneur], les officiers de ce dernier seront libres de me prendre là oi1 ils me trouveront, de me ramener nu domaine ... et de me remettre ... sur le lot oi1 le seigneur m'aura mis. » C)

Restriction du droit donné aux gens de service d'abandonner leurs seigneurs (seconde moitié du Xl'e siècle).

P. 199. [Le serviteur, en s'engageant, promet par écrit] « de servir, sa vie durant, son seigneur et ses enfants, et de ne les quitter pour personne d'autre ».

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D)

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Blâmes adressés par l'Eglise aux gens de service qui désavouent leurs seigneurs sans motifs suffisants (XIV•-xv• siècles).

P. 132. - c Si quelqu'un quitte son prince pour un autre, quoique ayant eu de lui des honneurs mérités, il est comparable à J ndas. > EJ Formules des chartes de soumission adressées aux pay-

sans d'un pomiestié (fin du xv· siècle et XVI•). P. 219. - c Vous devez honorer> le détenteur du pomieslié, c lui obéir en tout, labourer pour lui les champs et lui payer toute redevance qu'il vous imposera ; il vous administrera et vous jugera en tout, suivant ma présente charte>. F)

L'Etat au-dessus des seigneurs (XVI• siècle).

P. 444. - Selon Ivan IV le Terrible, c les autocrates russes, depuis toujours, gouvernent eux-mêmes leur royaume, et non les boïaré ni les grands seigneurs > • c)

N° 61.

A

BYZANCE

CONCESSIONS DE TERRES ET D'IMMUNITÉS FISCALES. -

Chrysobulle d'Alexis 1er Comnène pour le proèdre et katépanô d'Abydos, Léon Képhalas (mai 1086). (Texte grec : F. DoLGEn, Aus den Schatzkammern des heiligen Berges, Munich, 1948, p. 3-4. Original dans les archives du monastère de Lavra, au Mont Athos.) Le proèdre et katépanô d' Abydos, Léc,n Képhalas, en récompense des exploits qu'il a accomplis dans la place de Larissa, quand celle-ci était assiégée par le maudit Bohémond et toute l'armée franque, a reçu la commune de Chostiani, dans le thème de Mogléna. Il a en mains l'ordonnance, revêtue de ma signature, qui lui fait cette donation,

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SEIGNEURIE ET FÉODALITÉ

et le praktikon, établi par le vestès Pierre, qui donne la liste des parèques, peu nombreux et de la dernière catégorie, établis sur le territoire de cette commune. Il a demandé que, pour plus de sûreté, cette donation lui fût confirmée par un chrysobulle, et il a paru juste de le lui accorder. Par le présent chrysobulle, il est ordonné qu'à Léon Képhalas et à tous les siens, héritiers et ayants droit, la commune de Chostiani, située dans le thème de Mogléna, appartienne définitivement, irrévocablement et à perpétuité, sans supporter d'impôts ni de charges, sans que Képhalas ou les siens n'aient rien à verser au fisc, au titre de n'importe quelle redevance. En vue de quoi, je prescris que, dans le praktikon fiscal du thème de Mogléna, soit mentionnée à l'encre, de la main du protoproèdre et logothète du drome Jean, au bénéfice de Léon Képhalas, l'annulation de toutes les impositions de la susdite commune. A partir du commencement de la présente neuvième indiction et jusqu'à la fin des temps, plus rien ne sera réclamé à cette commune, dont le revenu ira en totalité à Képhalas et aux siens. Ceux-ci devront se comporter paisiblement avec les paysans, ne pas les expulser, ni accueillir les habitants d'autres communes, s'ils veulent que la donation conserve ses effets. La commune de Chostiani et les paysans qui y sont installés seront exemptés... [ de plus de cent impôts et charges de toute nature dont la liste est fournie]. J'interdis à tout fonctionnaire ... d'enfreindre, à n'importe quel moment et sous n'importe quelle forme, le présent chrysobulle, délivré au mois de mai de la neuvième indiction, en l'an 6594. N° 62. UNE PRONOIA (1342). (D'après PAUL LEMERLE, Actes de Kutlumus. Paris, 1945, n ° 20, p. 90-91. Archives de l'Athos, t. II).

Attendu que les soldats clazoménitains, qui habitent dans la ville de Serrès, protégée par Dieu, ont présenté une requête dans laquelle ils demandent que la somme ' 4. A savoir les biens f on ci ers dont le revenu en impôts correspond à cette somme.

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qu'ils possèdent en oikonomia (= pronoia), à savoir pour les uns 12 hyperpres, pour les autres 10 hyperpres, leur soit garantie par un chrysobulle, ma Majesté I a accueilli favorablement leur demande. Elle délivre le présent Chrysoboullon Sigillion, par lequel elle ordonne et décide que les soldats clazoménitains, qu'ils aient 12 ou 10 hyperpres, les posséderont en toute tranquillité, et intégralement. Ils auront" le droit de les aménager et de les améliorer, d'en faire ce que bon leur semblera, et en outre de les transmettre avec leurs améliorations à leurs enfants et héritiers, qui les posséderont de la même façon 8 • En vertu de la force du présent Chrysoboullon Sigillion de ma Majesté, les soldats posséderont lesdites sommes et en jouiront de la même façon en fournissant la douleia (ou service) due pour ces sommes. C'est pour cela que leur a été délivré le présent Chrysoboullon Sigillion de ma Majesté, au mois de novembre de l'indiction XI.

5. Il s'agit de l'empereur, source de tous les privilèges. 6. C'est-à-dire avec les mêmes droits.

BIBUOGRAPHIE 1

La bibliographie est si énorme que nous avons dft procéder à un choix rigoureux et nécessairement arbitraire, dicté par le souci d'orienter le lecteur sans l'écraser. Une place avantageuse a été réservée aux ouvrages récents. Classées par sujet et, pour chacun d'eux, par ordre alphabétique, les études retenues sont· précédées, sauf dans les Compléments, d'un numéro qui, répété au cours de l'exposé, dispensera le plus souvent de citer leurs titres en entier.

1. - Les liens de dépendance dans le cadre de l'histoire générale 1. AMANN (E.) : L'époque carolingienne. Paris, éd. de 1947 (coll. c Histoire de l'Eglise >, t. VI). 2. AMANN (E.) et DUMAS (A.) : L'Eglise au pouvoir des laïques, 888-1057. Paris, éd. de 1948 (coll. c Histoire de l'Eglise >, t. VII). 3. AYHARD (A.) : Rome et son empire. Paris, 5• éd., 1967 (coll. c Histoire générale des civilisations >, t. II). 4. CALHBTTB (J.) et HIGOUNBT (Ch.) : Le monde féodal. Paris, 2• éd., 1951 (coll. c Clio > ). 5. DAWSON (C.) : Le Moyen Age et les origines de l'Europe, des invasions à l'an 1 000 (trad. française). Grenoble, éd. de 1960. 6. DuBY (G.) et MANl>Rou (R.) : Hi,toire de la civili,ation f rançaise. Paris, 2• éd., 1962-1964, 2 vol. 1. Arrêtée à la date du ter juin 1967. - Des études omises dans la première édition, ou publiées depuis 1958, figurent à la fin de chaque paragraphe. Ces Compl~mtnt, sont séparés par un trait de la bibliographie primitive.

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SEIGNEURIE ET FÉODALITÉ

7. EsMEIN (A.) : Cours élémentaire d'histoire du Droit français. Paris, 15" éd., 1925. 8. GÉNICOT (L.) : Les lignes de faite du Moyen Age. TournaiParis, 511 éd., 1966 (coll. c Lovanium > ). 9. GÉNICOT (L.) : c Aux origines de la civilisation occidentale, Nord et Sud de la Gaule > (Miscellanea L. Van der Essen, Louvain, 1947, p. 81-93). 10. HALPHEN (L.) : Les Barbares, des grandes invasions aux conquêtes turques du XI• siècle. Paris, 5• éd., 1948 (coll. c Peuples et civilisations >, t. V). 11. HALPHEN (L.) : L'essor de l'Europe, XJ•-XII• siècles. Paris, 3" éd., 1948 (coll. « Peuples et civilisations >, t. VI). 12. LATOUCHE (R.) : Les origines de l'économie occidentale, Paris, 1956 (coll. « L'Evolution de l'Humanité >, n° 43). 13. LE BRAS (G.) : Histoire du droit et des institutions de l'Eglise en Occident. T. 1 : Prolégomènes. Paris, 1955. 14. LoT (F.), PFISTER (C.), GANSHOF (F. L.) : Les destinées de l'Empire en Occident de 395 à 888. Paris, 2• éd., 1940-1941 (coll. « Histoire générale >, sous la direction de G. GLOTZ,

Moyen Age, t. 1). 15. LoT (F.) : La fin du monde antique et le début du Moyen Age. Paris, 2• éd., 1951 (coll. c L'Evolution de l'Humanité », n° 31). 16. OLIVIER-MARTIN (Fr.) : Histoire du droit français des origines à la Révolution. Paris, 1948. 17. PERROY (E.) : Le Moyen Age (avec la collaboration de J. AuBOYER, Cl. CAHEN, G. DUBY, M. MoLLAT). Paris, 4• éd., 1965 (coll. « Histoire générale des civilisations >, t. III). 18. STEIN (E.) : Histoire du Bas-Empire. T. II : De la disparition de l'Empire d'Occident à la mort de Justinien. Paris et Bruxelles, 1949. CALAsso (Fr.) : Medioevo del Diritto. 1, Le Fonti. Milan, 1954. Duav (G.) : L'An mil. Paris, 1967 (coll. c Archives >). FoLz (R.) : Le couronnement impérial de Charlemagne (25 décembre 800). Paris, 1964. LE GoFF (J.) : La civilisation de l'Occident médiéval. Paris, 1964 (coll. « Les grandes civilisation >). LOPEZ (R. S.) : Naissance de l'Europe. Paris, 1962 (coll. c Destins du monde>).

BIBLIOGRAPHIE

II. -

419

Le milieu commerçant et urbain I

A) Controverse!!!.

19. BoLIN (S.) : < Mohammed, Charlemagne and Ruric > (The Scandinaz,ian Economie llistory Review, t. I, 1953, p. 5-39). 20. BRATIANU (G. 1.) : < Une nouvelle histoire de l'Europe au Moyen Age > (Revue belge de Philologie et d'Histoire, 1939, p. 252-266). 21. CIPOLLA (C. M.) : « Encore Mahomet et Charlemagne... > (Annales, E.S.C., 1949, p. 5-9). 22. DENNETT (D. C.) : « Pirenne and Mohammed > (Speculum, t. XXIII, 1948, p. 165-190). 22 a. DuPLESSY (J.) : < La circulation des monnaies arabes en Europe occidentale (Revue numismatique, 1956, p. 101-164). 23. GRIERSON (Ph.) : « Carolingian Europe and the Arabs : the myth of the mancus » (Revue belge de Philologie et d'Histoire, 1954, p. 1059-1076). 24. HIMLY (Fr. J.) : « Y a-t-il emprise musulmane sur l'économie (Revue suisse d'Histoire, t. V, 1955, p. 31-81). 25. LAMBRECHTS (P.) : « Les thèses d'Henri Pirenne... > (Byzantion, t. XIV, 1939, p. 513-536). 26. LAURENT (H.) : < Les travaux d'Henri Pirenne sur la fin du monde antique et les débuts du Moyen Age > (Byzantion, t. VII, 1932, p. 495-509). 27. LOMBARD (M.) : « Mahomet et Charlemagne. Le problème économique > (Annales, E.S.C., 1948, p. 188-199). 28. LOPEZ (R. S.) : « Mohammed and Charlemagne : a revision > (Speculum, t. XVIII, 1943, p. 14-38). 29. PERROY (E.) : « Encore Mahomet et Charlemagne > (Revue historique, t. CCXII, 1954, p. 232-238). 30. RnsING (A.) : « The fate of Henri Pirenne's thesis on the consequences of the Islamic expansion » (Classica et Mediaevalia, Rev. danoise de Philol. et d'Hist., t. XIII, 1952, p. 87-130). 30 a. HAVIGHURST (A. F.) : The Pirenne', thesis ... Boston, 1958. 2. Sur les échanges et les monnaies, consulter le t. VIII des Settimane di studio sull'Alto Medioevo. Spolète, 1961. - Sur les ,·mes ibid., t. VI et XI, Spolète, 1959 et 1964. '

420

SEIGNEURIE ET FÉODALITÉ

B) Commeree et monnaie.

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INDEX DES NOMS DE MATIÈRE

Nous avons retenu principalement les termes qui définissent ou caractérisent une institution, une classe, un état social. Pour des mots souvent répétés - domaine, seigneurie, féodalité... les renvois aux pages figurent seulement dans la mesure où ils peuvent guider le lecteur.

A Abus de langage : 20-25, 212, n. 26, 237-239, 241-257, 288 et n. 27, 289, 295, 305-307. Accroissement démographique : 38, 106, 109, 110, 121, 154. Affranchissement, affranchi : 90, 96, 97, 103, n. 69, 147, 149, 150, 151, n. 42, 152, n. 43, 157, 158, 262, 265, 268, 274, 280, 289, 290. Ages féodaux : 9 et n. 4, 16, n. 17, 231, 232. Aide (auzilium) : 219-221, 229. - V. aussi Devoirs militaires et fortune foncière (vassauz). Alleu, alleutier : 75, 78 et n. 19, 83, 111, 122, 135, 137, 139, 142, 150-153, 157-160, 185,

193, 196, 199-201, 204, 207, 211, n. 25, 223, 226, 229, 233, 268, 304. Etymologie : 152 et n. 43. Alleu en fief : 185, 200, 201, 211, n. 25. Alleu en tenure paysanne: 75, 201. - V. aussi Fief en alleu. Antrustion, truste : 168 et n. 13, 170, 259, 274, 278. Aprisio, aprision : 110 et n. 7778, 263. Alando : 264. Attache au sol : 68, 107, 108, 146, 150, 262, 265, 277, 283, 290, 297, 298, 301, 304, 317. Autonomie et indépendance : 190-192, 195-197, 256, 323, 326, 327. Avouerie, avoué : 131, 132, 135, 136 et n. 16, 193, 202, n. 7, 204, 312.

466

SEIGNEURIE ET FÉODALITÉ

B

Baiser : 7, 209. Ban (bannus) : 126, 128, n. 6, 129, 132, 137, 138, 153, 194. Banalités : 126, 154 et n. 48 270. ' Barschalken : 151, n. 42, 158. Baux temporaires, ou viagers : 90, n. 46, 225. Bénéfice, bene{icium.

Sens général de bien(ait : 170, 171, 174, 226, 327.

Béné{ice et précaire : 171 et n. 20, 173, n. 22, 176, 177 et n. 26, 185, 306, 312. Béné(ice vassalique : 13, n. 11, 17, n. 22, 170-174, 177-180, 184-188, 211 et n. 23, 226-228, 260, 261, 263, 264. V. aussi

Fief. Biens militaires : 261, 291, 297301, 306. Bordier : 269. BuccellarU : 166, 259. Bushi : 311.

c Capitulaire : 77 et n. 16 101 176, 187, 188. ' ' Caput : 89. Causes majeures : 133 et n. 15, 134, 151. - V. aussi Justice

seigneuriale. Causes mineures : 133, 134. V. aussi Justice seigneuriale. Censive : 119, 171, n. 20, 212 et n. 26. Censuales : 141, n. 25. Ceorl : 266, 268, 269. Charistikion : 305.

Château, châtellenie : 59, 135138, 159, 183 et n. 36, 189, 193, 194, 196, 222, 226, 227. Chevage : 141, n. 25, 149 et n. 37, 150. Chevalerie, chevalier : 9, 95, 157, 207, 208, 221, 227, 231, 233, 263, 264, 271, 278, 316. - V. aussi Vassalité, cheva-

lerie, noblesse. Clan : 67, 71, 73, 83, n. 31, 127, 128, n. 6, 247, 248, 250, 252, 265, 276 et n. 17, 277, 278, 281, 286-289, 308-310, 311, n. 3, 312, 325. Clientèle, client : 11, 153, 163, 165, 174, 175, 224, 246, 254, 266, 281, 282, 289, 293, 309, 319, 324. Collectivité rurale : 66, 67, 68, n. 5, 73, 74, 78, 80-83, 85-89, 104, 110, 138, 145, 155, 159, 160, 165, 166, 213, 214, 233, 252, 258, 263, 265-270, 272, 274, 281-283, 290, 297, 298, 300, 301, 304, 314, 317. Colon, colonat : 97, 103, n. 69, 106-109, 146, 149-151, 152, n. 43, 156-158, 163, 259, 260, 283, 297, 304. Compagnon, compagnonnage (comitatus) : 166, 168, 241, 242, 253, 266, 274, 275, 278, 28~ 28~ 28~ 28~ 30& 31~ 324. Compagnonnages et clientèles (différences) : 324. Condamine : 85 et n. 37. Conseil (consilium) : 219-221. Corvées et services domaniaux : 19, 22, 98-108, 118121, 123, 131, 153, 267-270 302. '

467

INDEX DES NOMS DE MATIÈRE

Corvées de nature publique 104, 106, 132, 133, 298. Couetla : 268. Cottager : 269. Courants commerciaux (principaux) : 30-40, 42-62, 96, 97, 111, 112, 279 et n. 20. V. aussi Economie commerciale et liem de dépendance. Coutumes, pratiques coutumières : 11, 12, 14, 78, 90, 105, 106, 125, 127, 128 et n. 6, 136, 150, 155, 322. Couture : 85 et n. 37. Criados : 169, 263. Curtis : 79, n. 21. - V. aussi Réserve domaniale. D

Daimyd : 315, n. 5, 316 et n. 7, 320. Défrichements : 68, n. 5, 74, 80, 81, 83, 85 et n. 37, 87, n. 38, 91, 110 et n. 78, 119, 122, 156, 281, 283, 305, 309. Démembrement de la propriété : 215, 326. Démembrement de la puissance publique : 14, 16-18, 23-25, 127, 129, 131, 133, 135-138, 153, 158 et n. 52, 159, 181-189, 190 et n. 46, 193-198, 225-227, 231, 232, 240-243, 246-250, 253, 254, 285, 312-314, 318, 323-325. V. aussi Féodalité et Etat. Devoirs militaires et fortune foncière (paysans) : 89, 90, 151, 152, 229, 267, 269, 273. Devoirs militaires et fortune foncière (vas,aux) : 175, 176,

220 et n. 42, 221, 229. - V. aussi Aide. Dlme (origine) : 177, n. 26. Domaine (villa). Définition. Caractéri,tiques : 65 et n. 3, 66-68, 71 et n. 9, 72-78, 79 et n. 21, 80-83, 84 et n. 35, 92-98, 109-117, 120-130, 144, 252, 258, 262, 266, 267, 276, 277, 282, 297, 298, 302, 303, 309-311, 322. Origines : 104-108. - V. aussi Réserve domaniale. Domanial (régime). Géographie : 102, 103, 160. Rapports avec la féodalité : 103, 104, 170, 171. Domaniale (théorie) : 126, 127 et n. 4, 128, 129. Dominas, domini : 169, 205. Dreng : 269, 271. Droits d'usage : 67, 87, 100, 121, 126, 127. Drujina : 278, 280, 281, 287. Ducatus (signification) : 192, n. 51. E

Economie commerciale, circulation monétaire et liens de dépendance : 9, n. 4, 16, 24, 33, 42, 43, 59, 62-64, 74, 95, 96, 121, 170, 227, 228, 233, 241, 243, 246, 254, 272, 274, 275, 278, 281, 284, 291-293, 295, 297-300, 302, 303, 305, 319. Eleuthëre : 304. Equipement agricole, techniques agraires : 67, 68, n. 5,

468

SEIGNEURIE ET FÉODALiri

73, 95-98, 110, 111 et n. 80, 122, 276 et n. 17. Esclavage, esclave. Etymologie : 143, n. 27, 169. Réduction en esclavage : 71, 96-98, 165, 260, 265, 286. Traite : 38, 42, 51-54, 61, 96-98, 156, 157, 259.

Féodalité et Eglise : 176, 177 et n. 26, 186, 190, 197, n. 56, 201-205, 210, 211, 230, 233,

Esclaves et domaines seigneuriaux : 67, 85, 88, n. 41, 94-

Féodalité et fusion des peuples : 11, 12, 14, 15, n. 16, 16, n. 17, 29, 32, 33, 166, 318, 319, 324, 325. Féodalité et noblesse : 14 et n. 14, 16, 310-317, 327. ~ V. aussi Vassalité, chevalerie,

100, 102-104, 106-108, 119, 121, 127, 128, n. 6, 134, 139, 140, 142-149, n. 42, 154-159, 252, 259, 268, 277, 280, 298, 302, 310, 322.

118, 133, 151, 267, 303,

F Féodale (mentalité) : 178, 184, 186, 190-192, 208, 215-218, 222, 223, 228, 229, 231-234, 316, 317, 319-321, 324-328. Féodalité.

Commentateurs, théoriciens : 11-23. Géographie : 223, 328. Gouvernement; lois féodales : 12-25. Retard dans l'installation : 199, 200, 224-230, 261264, 270-275, 278, 279, 283-286, 314, 315, o. 5, 318. Féodalité et anarchie : 14, 16, 23, 24, 25 et n. 43, 231-233, 249 et n. 13, 250, 253, 254, 256, 314, 325. Féodalité et cavalerie : 175177, 221, 229, 261, 314. - V. aussi Chevalerie.

271.

Féodalité et Etat : 14, 16, 17 et n. 22, 183-189, 195-198, 229, 230, 232, 311-315, 318, 324, 325-327. - V. aussi Dé-

membrement de la puis,ance publique.

noblesse. Féodalité et seigneurie (différences, ou rapports) : 8, 9, 14, 16, 17, n. 22, 18, 19 et n. 25, 20 et n. 26 et 28, 21-23, 176, 212, 317, 322-324, 327. - V. aussi Abus de langage. Fidelis : 190, 191 et n. 47, 206 et n. 13. Fidélité vassalique (nature) : 178, 208, 209, 210 et n. 21, 218, 219, 225-227, 229, 271, 312, 314, 315, 320. Fief. Etymologie : 211 et o. 2325, 212 et n. 26, 228. Investiture : 7, 179, 202, 209-211, 213, 215, 216, 227, 230. Formes concrètes : 8. Nature : 212-216, 326. V. aussi Béné(ice. Aliénation : 215. Confiscation : 213. Retrait féodal : 214, n. 30. Soua-inféodation : 8, 215.

469

INDEX DES NOIIS DE IIATiiRE

Tran,formation en alleu 213, 215. Fief temporaire, fief viager 213, 214 et n. 29, 229. Fief terrien (hérédité) : 15, n. 16, 213, 214 et n. 29, 216, 217, 231, 316, 318, 326. V. aussi Bénéfice vmsaliqae et Office,. Fiscs : 77, 81 et n. 26, 82 et n. 27, 93. Formariage : 127, 146 et n. 33, 147, 149, 150, 297. Fortunes seigneuriales : 114 et n. 85-86, 115, 116, 205 et n. 10, 206, 266, 298, 300. J.'andas : 65, n. 3, 106.

Hommage lige : 217, n. 35, 223. Hommage roturier, hommage servile : 212, n. 26. Homo (homme, au ,en, de vassal) : 7, 169, 187, 206, 218. Homines proprii : 148, n. 36. Honor, honore,, honneurs : 186, 196, 197, 202, 213, 228. - V. aussi Offices. Hospitalité (régime de l') : 72, 73. Hôtise, hôte : 89, n. 42, 119 et n. 95, 151, 305. Hube, Hufe : 68, n. 5, 87, 89 et n. 43, 90. Hundred (centaine) : 268, 272.

1 G

Gardingi : 169, 259. Gmindus, gisind : 169, 270. Gebur : 268. Geneat : 269-271. Gens de service : 284. Gesith : 270. Gite : 126, 127, 131, 159. Gokenin : 312. Grenouillage : 128, n. 6. Groupe familial : 68 et n. 5, 83, n. 31, 85, n. 37, 88-91, 165, 233, 265, 275, 315, n. 5, 316. Guerrier domestique : 169, 170, 259, 271. H

Hide : 87, 266, 272, 273, n. 1. Himaya : 291, n. 31. Hirdh : 274, 278, 287. Hlaford, lord : 270. Hommage de paix, hommage en marche : 209, n. 20. Hommage des mains et de bouche : 209.

Immunité, immuniste : 106, 129-137, 145, n. 29, 151, 152, 194, 225, 241, 258, 267, 270, 282, 283, 301, 303, 310, 314, 323. Immunité et vassalité : 131, 132, 180. Invasions. Germaniques : 29-31, 34, 44, 68, 69-73, 163, 258, 265, 318. Hongroises, magyares : 32, 53, 96, 182. Mongoles : 281, 282, 286, 294, 313, 319. Musulmanes (ou arabes, ou sarrasines) : 31, 32, 3438, 44, 52, 96, 110, 182, 246, 260-263, 289, 296, 298. Scandinaves (ou normandes, ou varègues, ou vikings) : 32, 38, n. 15, 5355, 76, 182, 183, 189, 224, 226, 264-267, 269, 273,

470

SEIGNEURIE ET FÉODALITÉ

275, 279 et n. 20, 302, 307. Slaves : 96, 296. Turques : 293, 295, 302. Au Japon : 313, 318. En Asie Mineure : 244. En Babylonie : 242, 244. En Chine : 251, 253, 254. En Egypte : 240. Investiture. - V. Fief. lqtd' : 224, 261, 284, 291, 292 et n. 32, 293, 294.

J Jambage : 128, n. 6. Jit6 : 312-314, 318. Justice féodale : 193, 194, 197, 220, 229, 233. Justice seigneuriale : 126-138, 145 et n. 29, 157-159, 267, 268, 270, 303 et n. 43, 317. V. aussi Causes majeures et Causes mineures. K

Kharddj : 292, n. 32. Knight : 271. L

Latifundia : 97, 106, 144, 322. Lehen : 211, n. 24, 264. Lète. - V. Affranchissement, affranchi. Leude : 168, 171, 270. Liber, liberi : 140, 152, n. 43, 207, n. 15. Liberté et servitude (contrastes entre) : 139-143, 157-159. Lignage : 68, 71, 228, 272, 274, 325. Retrait lignager : 214, n. 30. Limitanei : 297, 299.

M

Maimbour : 167 et n. 9. Mainmorte (faxe) : 147, 304. Maire du Palais : 164, 169, 170, 174, 188, 311. Mancipia : 143, n. 27. Mandokoro : 311, n. 3. Manse paysan. Caractéristiques : 86 et n. 38, 87-93, 101, 117 et n. 90, 118 et n. 93, 119121, 123, 139, 303. Manse ingénuile : 88 et n. 41, 90, 98 et n. 60, 99, 100, 108, 119. Manse lidile : 90, 98, n. 60. Jlanse servile : 88 et n. 41, 90, 98 et n. 60, 99, 100, 118, 119, 145. Demi-manse : 119. Quartier : 119. Hérédité : 90, 1:48. Indivisibilité : 90, 119, 120. Surpeuplement : 91, 118, 119. Marche : 188, 226, 227, 261. Marche germanique (théorie) : 68, n. 5, 276, n. 17. Miles. - V. Vassalité, chevalerie, noblesse. Ministérialité, ministériaux : 94 et n. 54-55, 95, 112, 141, 148, 228. Mithium : 167, n. 9. Monnaies (problèmes) : 34, n. 6, 35, 36, n. 9, 37-41, 4448, 49 et n. 30-31, 55-59, 62, 63. - V. aussi Economie commerciale et monétaire.

471

INDEX DES NOMS DE MATIÈRE

N

R

Nobilia. - V. Vaualité, chevalerie, noblesse.

Recommandation (commenda-

0

Offices (hérédité) : 185-189, 196, 204, 213, 226, 227, 229, 231, 240, 242, 243, 244, 248, 252-254, 263, 278, 290, 293, 316, 326. - V. aussi Honor.

p

Pagus : 194 et n. 52. Parèque : 303-306. Patron, patronage, patronat 30, 75, 166, 297, 324. Paysan-soldat : 261, 263, 266, 269, 273, 297, 299, 306. Polyptyque : 76 et n. 15, 78 et n. 18, 82, 92, 101, 103, 111, 146, 267, 302, n. 40. Pomiestié : 284, 285 et n. 25, 295, 306. Portus : 61. Praktikon, praktika : 302, n. 40. Précaire (precaria) : 75 et n. 12, 76, 133, 136, 176, 201, 306, 312. Precaria et precarium : 171 et n. 20, 173, n. 22. Prestamo : 211, n. 24, 264. Presura : 263. Principauté territoriale : 59, 188-196, 230, 241, 242, 247, 250-253, 256, 276, 278, 280, 283, 284, 288, 290, 293, 308, 314, 318, 323. Pronoia, pronoiaire : 284, 295, 305-307.

tio). Nature : 165 et n. 5, 166170, 178, 208-210. - V. aussi Vassalité (nature). Réserve domaniale (caractéristiques) : 84 et n. 35, 85 et n. 36-37, 92 et n. 49-50, 93 et n. 52, 95, 98-107, 112, 113, 120-123, 153, 260, 266, 267, 290, 302, 303, 310, 322. V. aussi Domaine, Domanial.

s Salariat agricole, salarié : 95, 98, 102, 104, 106, 112, 121, 277, 280, 282, 302, 322. Saltus : 105, 106. Samouraï : 310, 311, 316.

Sanctuarii (protégés d'Eglise, sainteurs) : 141 et n. 25, 151, n. 42, 157. Seigneurie rurale. Caractéristiques : 8, 22, 32, 33, 84, n. 35, 125129, 136-138, 153, 159, 160, 258, 259, 262, 263, 267-270, 277, 282-285, 290-293, 297, 302-305, 310, 312, 317, 323. Définition : 125 et n. 1, 322, 323. Géographie : 160. Origines : 105-108, 125 et n. 2, 126-129, 133, 137, 138, 153, 154, 157-159, 165, 166. - V. aussi Domaine, Immunité. Senior, seniores : 169, 205.

472

SEIGNEURIE ET FÉODALITÉ

Serf, servage : 128, n. 6, 141, 143, n. 27, 148, 154-156, 158, 159, 212, n. 26, 262, 302, 304, 317. Servas, servi (double sens de) : 143, n. 27, 154, 156. Shiki : 310, 312, 314, 317. Shire : 272. Shô, shôen : 309-314, 316, n. 7. Shôgun, shôgunat : 311-314, 316-318, 320, 321. Shugo : 311, 314, 318. Société féodale (nature) : 9, 24, 63, 64, 186, 205-208, 222, 223, 227, 229, 231-234, 327, 328. - V. aussi Féodalité ; Vassalité ; Vassalité, chevalerie, noblesse. Strateia, stratiote : 298-301.

T

Taljî'a : 291, n. 31. Thegn : 270, 271, 273. Thèmes : 298, 299, 301. Theow : 268. Tîmdr, timariote : 284, 294, 306. Tonlieu : 59, 129, 133, 159. Toponymie : 65 et n. 3, 70-72, 79, n. 21, 84, 85 et n. 37. Tribu : 68, 128, n. 6, 165, 241, 244, 249, n. 12, 251, 265, 276, 277, 286, 287, 324, 325. Tutelle des mineurs : 187, 214, n. 30. V Vassal (vassus, vassallas). Etymologie : 169, 206 et n. 13, 212, n. 26.

Vassal non casé : 169, 170, 174, 177, 200, 201, 206, 207, 229, 259, 270, 271, 316, 321. Vassal royal : 179, 180, 183-187, 190, 191, 196, 205, 206, 244. Vassalité. Analogies : 244-246, 252256, 264, 270-272, 278, 283-285, 287, 288, 312, 314-316. Hiérarchie : 179, 180, 187, 205, 206, 231, 313-318, 327. Nature du contrat : 166168, 178, 183, 184, 208210, 218, 219, 222, 223, 319, 320, 325, 326. Retard dans la prestation des serments : 190, 191, 199. Rites : 7, 170, 177, 178, 227-229. Rupture : 168, n. 11, 178, 179, 180, 187, 222 et n. 43, 320. Vassalité multiple : 217 et n. 36, 218, 222, 229, 231, 319, 320, 328. Vassalité, chevalerie, noblesse : 205-208, 231, 233, 327. Vassalité et parentèles : 315, n. 5. Vici : 66. Viguerie : 137, 194. Villes (caractères) : 30, 52, 54, 55, 59-62. Vocabulaire des scribes (difficultés) : 79, n. 21, 139, 140, 141 et n. 25, 142, 143 et n. 27, 152, n. 43, 154, 212, n. 26, 268, 269. Votchina : 282.

TABLE DES MATitRES

AVANT-PROPOS

••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••

INTRODUCTION. -

1. -

LA

LA

FÉODALITÉ

ET

7

L'HISTOIRE

FÉODALITÉ, PHASE DE L'ÉVOLUTION HUMAINE • • • •

12

A. De Spelman et de Montesquieu aux historiens

du XIX• siècle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . B. La féodalité marxiste . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Il. -

LES ABUS DE LANGAGE , • , , , • , .•••• , • • • • • • • • • • • • •

12 18 20

LIVRE PREMIER

LES LIENS DE SUBORDINATION DANS L'EUROPE DES FRANCS CHAPITRE PREMIER. -

COMMERCE ET

CIRCULATION

MONÉTAIRE

J, -

LENDEMAINS D'INVASIONS

29

Il. -

ECHANGES ET MONNAIES

33 33

A. Batailles d'historiens B. Décadence commerciale et monétaire jusqu'au début du vm· siècle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . C. Indices d'une renaissance à l'époque carolingienne . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1. La restauration monétaire . . . . . . . . . . . . . . . . . 2. Le trafic à longue distance . . . . . . . . . . . . . . . . 3. Echanges interrégionaux et locaux . . . . . . . . 4. Villes et marchands . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . CONCLUSION • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • . • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • •

42 46 46 50 57 59 62

474

TABLE DES MATitRES

CHAPITRB

II. -

LES PAYSANS ET

LE

CADRE

LEURS MAITRES.

DOMANIAL

I. -

VuE D'ENSEMBLE • . • . . • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • •

II. -

BRÈVES INDICATIONS SUR LES SOURCES • , • • • • • • • •

III. -

SUPERFICIE ET TOPOGRAPHIE DES DOMAINES • • • • • •

IV. -

65 75 79 84 84 86

STRUCTURE ET COMPOSITION DES DOMAINES • • • • • •

A. La réserve . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . B. Les manses . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . C. Etendues comparées de la réserve et des manses . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

92

V. -

L'ÉCONOMIE DOMANIALE. AD:&IINISTRATION ET EXPLOITATION DES TERRES •••••••••••••••••••• , • , • • •

VI. -

TRADITIONS OCCIDENTALES ET INFLUENCES EXTÉRIEURES . • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • •

VII. -

L'ÉCONOMIE DOMANIALE ET LA SOCIÉTÉ DES RICHES.

104 109

VIII. -

CHANGEMENTS DANS L'ORGANISATION DOMANIALE DU IX· AU XI' SIÈCLE • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • . • •

117

CONCLUSION

CHAPITRE DU

1. -

••••. •••••••••••••••••••••••••••••••••••••

III. -

GRAND

LES

PAYSANS

DOMAINE

A

LA

ET

LEURS

SEIGNEURIE

122

MAITRES. RURALE

LBS POUVOIRS • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • •

A. Le droit de ban . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . B. Les immunités . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . II. -

94

LES SOCIÉTÉS RURALES • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • •

126 126 129 138 138 143 143 149 152

A. Liberté et servitude .. .. .. .. .. .. . .. . .. . .. . .. B. Les classes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1. Les esclaves . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2. Affranchis et colons . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3. Les hommes sans seigneur . . . . . . . . . . . . . . . . C. Rapprochement des statuts juridiques dans le monde rural du IX• au XI' siècle . . . . . . . . . . 153 CONCLUSION

••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••

159

475

TABLE DES MATIÈRES

CHAPITRE IV. -

1. -

II. -

DE

LA VASSALITÉ AU

RÉGIME FÉODAL

PROTECTION ET SUBSISTANCE. LA PÉRIODE VASSALIQUE • , , •••• , ••• , , , , • , •••••••••••• , • , • , , •• , • •

A. L'arrière-plan politique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . B. Les relations vassaliques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . C. Le bénéfice . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

161 161 165 170

FORMATION DU RÉGIME FÉODAL ••••• , •• , , • • . • • . • •

174

A. Rapports personnels et bénéfices sous les maires carolingiens du Palais . . . . . . . . . . . . . . 174 B. La vassalité et l'État à l'époque de Charlemagne. 179 C. La décadence impériale .. . .. . .. . . .. .. . . .. .. 181 D. Montée de la vassalité et du bénéfice aux IX• et x· siècles . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 183 1. L'État devant les réseaux de dépendance. 183 2. Les pouvoirs territoriaux et leurs cadres. 188 CONCLUSION

•••••••••. ••••••. . ••. •••••••••••••. •••••••

CHAPITRE V. DE LA

198

PREMIÈRE ESQUISSE SOCIÉTÉ FÉODALE

1. -

ARISTOCRATIE ET FÉODALITÉ • .. • .. .. .. . .. • .. .. ..

199

II. -

SEIGNEURS ET VASSAUX .. .. • .. .. • .. .. .. .. . .. • ..

208 208 210

A. Recommandation et fidélité . . . . . . . . . . . . . . . . . B. Naissance du c fief > .. • .. .. .. .. .. .. .. .. • .. C. Place grandissante des tenures dans les rapports privés . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . D. Devoirs et droits vassaliques . . . . . . . . . . . . . . . . III. -

CARACTÈRES PROPRES A L'ITALIE ET A L'ALLEMAGNE.

CONCLUSION

••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••

213 218 224 230

476

TABLE DES :MATIÈRES

LIVRE Il

LES LIENS DE SUBORDINATION EN DEHORS DE L'EUROPE FRANQUE INTRODUCTION

•••. •••••••••••••. ••••••••••••••••. . ••••

CHAPITRE PREMIER. DE L'ORIENT

1. Il. -

L'EGYPTE

c FÉODALITÉS > ANTIQUE

••••••••••••••. •••••••••••••••••••••

MÉSOPOTAMIE, ASIE MINEURE ET IRAN • • • • . • • • • •

III. -

LA

IV. -

LA CHINE • • . • • • • • • . . • . . • . • . • • • . • • • • • • • • . • • • • •

GÉORGIE ET L'ARMÉNIE . • • • . . • • . • • • • . • • • • • • • •

CONCLUSION

CHAPITRE

1. Il. Ill. IV. -

Il. -

COMPAGNONNAGES ET

UNE ÉVOLUTION INTERRO}IPUE : L'ESPAGNE • • • • • •

LE MONDE SÇANDINAVE • • • • . • . • • • • • • • • . • • • • • • • • • LE MONDE SLAVE • • • • • • • • • . • • • • . • • • • • • • • • • • • • • •

LBs MONGOLS • • • . • • • • • . • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • LB MONDE MUSULMAN • • . • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • LB MONDE BYZANTIN • • • . • • • • • • • • • . • • • • . . • • • • • • •

1. Il. -

III. -

255

CLIENTÈLES

UNE ÉVOLUTION PRÉCIPITÉE PAR LA CONQUÊTE NORMANDE : L'ANGLETERRE . . . • • • • • • • • • • • • • • • •

CHAPITRE

240 242 249 251

•••••••. . . ••••. •. •••. •. . . ••••••••. •••. ••••

A. La Pologne . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . B. La Russie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . V. VI. VII. -

237

258 265 274 275 277 279 286 289 296

UNE FÉODALITÉ D'ASIE : LE JAPON

XII'

SIÈCLE.

309

TRANSFORMATIONS DE L'ARISTOCRATIE ET DU SHÔ SOUS LE RÉGIME DE KAMAKURA • • • • • • • • • • • • • • •

310

L'ARISTOCRATIE ET LE SHÔ JUSQU'AU

TABLE DES MATIÈRES

III. IV. -

DÉSORDBBS BT KORCBLLBJIBNT DU XIV' SŒCLB AU DÉBUT DU XVII' . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

477

TRAITS PRBDOIUNANTS DB LA. FÉODALITÉ JAPONAISB.

313 315

CONCLUSION GIDŒRALE • . • • • • • . • • • • • . •

322

DOCUMENTS A. LA

1. II. III. IV. V. -

Comment le présent éclaire le passé 331 Les patronages dans l'Empire romain . . . . . . . . . . 335 Quelques éléments des classes paysannes pendant le haut Moyen Age . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 337 Domaines seigneuriaux en Occident . . . . . . . . . . . . 343 Un diplôme d'immunité . . . . .. . . . .. .. . .. .. . . .. 359 B. LA

1. II. III. IV. V. VI. VII.

C.

-

SBIGNBURIB

FÉODALITÉ

Les compagnonnages dans la Germanie ancienne. La recommandation à l'époque mérovingienne. Les rites vassaliques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Vassalité et bénéfice du IX• au XI' siècle . . . . . . La féodalité et l'tglise . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Devoirs et droits vassaliques . . . . . . . . . . . . . . . . . . Partage de la société en trois ordres (fin du x· siècle). . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

361 363 364 382 395 399 406

EXBKPLBS DB DÉPENDANCES BN DEHORS DU KONDB OCCIDENTAL

1. -

II. III. -

Misères paysannes en Chine au milieu du VIII• siècle et au XI' . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 408 En Russie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 409 A Byzance . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 413

478

TABLE DES MATIÈRES

BIBLIOGRAPHIE 1. -

II. III. IV. V. VI. VII. VIII. IX. X. -

Les liens de dépendance dans le cadre de l'histoire générale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Le milieu commerçant et urbain . . . . . . . . . . . . . . Occupation du sol et milieu rural . . . . . . . . . . . . . . Domaines et seigneuries (France, Allemagne, Italie) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . La société féodale et ses institutions . . . . . . . . . . . .

417 419 425 429 438

La féodalité et l'~tat . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 444 Essais d'histoire comparée des liens de dépendance . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 447 Les c féodalités > antiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 449 Compagnonnages et clientèles . . . . . . . . . . . . . . . . . 453 Le Japon . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 463

INDEX DES PRINCIPAUX NOMS DB :MATIÈRE • • • • • • • • • • • • • • • •

465

Achevé d'imprimer sur les Presses d'Offset-Aubin 86000 Poitiers le 10 mars 1975

Dépôt légal, 1er trimestre 1975. - Imprimeur n° 5333. Imprimé en France.