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French Pages 199 Year 1999
Les récoltes des forêts publiques au Québec et en Ontario, 1840-1900
STUDIES ON THE HISTORY OF QUEBEC ÉTUDES D'HISTOIRE DU QUÉBEC John Dickinson and Brian Young Séries Editors/ Directeurs de la collection Habitants and Merchants in Seventeenth-Century Montréal Louise Dechêne Crofters and Habitants Settler Society, Economy, and Culture in a Québec Township, 1848-1881
/./. Little The Christie Seigneuries Estate Management and Settlement in the Upper Richelieu Valley, 1760-1859 Françoise Noël La Prairie en Nouvelle-France, 1647-1760 Louis Lavallée The Politics of Codification The Lower Canadian Civil Code of 1866 Brian Young Arvida au Saguenay Naissance d'une ville industrielle José E. Igartua State and Society in Transition The Politics of Institutional Reform in the Eastern Townships, 1838-1852 J./. Little Vingt ans après Habitants et marchands Lecture de l'histoire des XVIIe et XVIIIe siècles canadiens. Habitants et marchands Tweny Years Later
Reading the history of Seventeenth- and Eighteenth-Century Canada Sous la direction de/Edited by Sylvie Dépatie, Catherine Desbarats, Danielle Gauvreau, Mario Lalancette, Thomas Wien Les récoltes des forêts publiques au Québec et en Ontario, 1840-1900 Guy Gaudreau
Les récoltes des forêts publiques au Québec et en Ontario, 1840-1900 GUY GAUDREAU
McGill-Queen's University Press Montréal & Kingston • London • Ithaca
© McGill-Queen's University Press 1999 ISBN 0-7735-1783-9 (relié) ISBN 0-7735-1784-7 (broché) Dépôt légal, 1er trimestre 1999 Bibliothèque nationale du Québec Imprimé au Canada sur papier sans acide. Cet ouvrage a été publié grâce à l'aide financière de la Fédération canadienne des sciences humaines et sociales, dont les fonds proviennent du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada, et avec le concours du Fonds de recherche de l'Université Laurentienne. Nous remercions le Conseil des Arts du Canada de l'aide accordée à notre programme de publication.
Données de catalogage avant publication (Canada) Gaudreau, Guy, 1953Les récoltes des forêts publiques au Québec et en Ontario, 1840-1900 (Studies on the history of Québec, ISSN 1183-4382) Comprend des références bibliographiques et un index. ISBN 0-7735-1783-9 (rel.) ISBN 0-7735-1784-7 (br.) i. Forêts - Exploitation - Québec (Province) - Histoire - ig6 siècle. 2. Forêts - Exploitation - Ontario - Histoi - 19e siècle. 3. Forêts domaniales - Québec (Province) Histoire - 19e siècle. 4. Forêts domaniales - Ontario Histoire - 19e siècle. 5. Forêts - Exploitation - Québe (Province) - Statistiques. 6. Forêts - Exploitation Ontario - Statistiques, I. Titre, II. Collection. 50538.3.02038 1999 634.9'8'o9714 C98-9o1231-x Composé en Palatino 10/12 par Caractéra inc, Québec (Québec)
A Albert, Huguette et Louis-Philippe À Micheline, pour son amour indéfectible, son dévouement et ses conseils Aux habitants de la commune de Nant en Aveyron, pour leur gentillesse
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Table des matières
Liste des cartes ix Liste des graphiques
xi
Liste des tableaux xiii Liste des sigles
xvii
Avant-propos xix Introduction
3
1 Problématique 6 2 Concessionnaires forestiers et firmes commerciales d'exportation de bois : le passage d'un capitalisme marchand à un capitalisme industriel 27 3 Le passage du bois équarri au bois de sciage au Québec et en Ontario (1851-1874) 45 4 La mutation du secteur forestier canadien au milieu du XIXe siècle : le cas de la vallée outaouaise 63 5 Les activités forestières au Québec (1874-1900) : transition et nouvel essor 84 6 Le développement des activités forestières en Ontario (1874-1900) 109 7 Les récoltes de quelques régions forestières québécoises et ontariennes (1874-1900) 125
viii Table des matières
Conclusion 140 Annexes Annexe 1 : Une estimation des récoltes de bois de sciage au Québec (1874-1887) 145 Annexe 2 : Le traitement des données ontariennes 149 Annexe 3 : Les séries statistiques Bibliographie 165 Index 175
152
Liste des cartes
1 Production de bois équarri exporté de la vallée outaouaise, par bassin, 1844-1866, en pourcentages 78 2 Délimitation approximative des principales régions forestières du Québec et de l'Ontario au XIXe siècle 126
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Liste des graphiques
3.1 Production de bois de sciage et de bois équarri provenant des forêts publiques québécoises et ontariennes, 1852-1874, en millions de pmp 47 3.2 Répartition des droits de coupe tirés des forêts publiques québécoises et ontariennes, 1852-1867, selon les catégories de bois et selon les principales régions, en pourcentages 50 3.3 Évolution des exportations québécoises et ontariennes de bois de sciage et de bois équarri, 1850-1874, en millions de pmp 52 4.1 Évolution des récoltes de bois équarri dans la vallée outaouaise, 1847-1866, en pourcentages, selon qu'elles proviennent de forêts publiques ou privées 67 4.2 Évolution des exportations de bois de sciage telles qu'enregistrées par le Bureau du surintendant des mesureurs de bois de Québec, 1844-1866, en pourcentages 80 5.1 Évolution des exportations québécoises et ontariennes de bois de sciage et de bois équarri, 1871-1900, en millions de pmp 88 5.2 Bois de sciage et bois à pâte dans les forêts publiques québécoises, 1887-1900 : une estimation en millions de pmp 99
xii Liste des graphiques
6.1 Répartition régionale des récoltes de matière ligneuse provenant des forêts publiques ontariennes, 1871-1900, en pourcentages 116 6.2 Répartition des récoltes de matière ligneuse provenant des forêts publiques ontariennes, 1871-1900, selon les catégories de bois, en pourcentages 117 6.3 Évolution des récoltes de matière ligneuse provenant de l'agence forestière Outaouais supérieur, 1871-1900, selon les catégories de bois, en pourcentages 120 6.4 Évolution des récoltes de matière ligneuse provenant de l'agence forestière Nord, 1871-1900, selon les catégories de bois, en pourcentages 121 6.5 Évolution des récoltes de matière ligneuse provenant de l'agence forestière Belleville, 1871-1900, selon les catégories de bois, en pourcentages 122 7.1 Comparaison entre les récoltes de bois de sciage et de bois à pâte du Nord ontarien et celles de la Rive-Nord du Saint-Laurent, au Québec, 1874-1900, en millions de pmp 131 7.2 Comparaison entre les récoltes de bois de sciage et de bois à pâte du Nord ontarien et celles de la vallée outaouaise, 1874-1900, en millions de pmp 132 7.3 Comparaison entre les récoltes de bois de sciage du Nord ontarien et celles de la Rive-Nord du Saint-Laurent, au Québec, 1874-1900, en millions de pmp 133 7.4 Comparaison entre les récoltes de bois de sciage du Nord ontarien et celles du Saguenay-Lac-Saint-Jean, 1874-1900, en millions de pmp 133 7.5 Comparaison entre les récoltes de bois de sciage du Nord ontarien et celles de la Mauricie, 1874-1900, en millions de pmp 134 7.6 Comparaison entre les récoltes de bois de sciage du Nord ontarien et celles des Laurentides, 1874-1900, en millions de pmp 134 7.7 Comparaison entre les récoltes de bois de sciage du Nord ontarien et celles de la vallée outaouaise, 1874-1900, en millions de pmp 135
Liste des tableaux
3.1 Comparaison entre les récoltes et les exportations de bois de sciage provenant du Québec et de l'Ontario, 1856-1874, en millions de pmp 56 4.1 Évolution des récoltes de bois de sciage des forêts publiques de la vallée outaouaise, 1845-1866, en billots 69 4.2 Évolution des droits de coupe tirés des forêts publiques de la province du Canada, 1841-1860, en dollars 71 4.3 Répartition des récoltes de bois équarri provenant des forêts publiques outaouaises entre les principales familles de producteurs, 1841-1856, en pourcentages 74 4.4 Répartition des récoltes de bois de sciage provenant des forêts publiques outaouaises entre les principales familles de producteurs, 1841-1856, en pourcentages 75 5.1 Production de bois équarri, de bois de sciage et de bois à pâte selon les données québécoises officielles, 1871-1900, en millions de pmp 87 5.2 Évolution des récoltes forestières dans les cinq régions du Québec, 1875-1890 102 5.3 Évolution des récoltes forestières dans les cinq régions du Québec, 1891-1901 103 6.1.1 Comparaison entre les récoltes de matière ligneuse des terres privées et celles des forêts publiques ontariennes, 1871-1901 111
xiv Liste des tableaux
6.1.2 Comparaison entre les récoltes de matière ligneuse des terres privées et celles des forêts publiques québécoises, 1871-1901 112 6.2 Évolution de la production de traverses, de bois de chauffage et de bois à pâte provenant des forêts publiques ontariennes, 1871-1900 119 7.1 Comparaison des superficies moyennes des principales régions forestières du Québec et de l'Ontario, en milles carrés 127 7.2 Comparaison entre la table de mesurage du Québec (Derome) et celle de l'Ontario (Doyle) en pmp et en pourcentages 128 A.I Évolution du contenu moyen des billes de pin blanc dans les forêts publiques ontariennes, 1874-1888, en pmp 146 A.2 Évolution des récoltes de billes de pin en provenance des forêts publiques québécoises, 1874-1887, en billots 147 A.3 Estimation du contenu moyen des billes de pin et d'épinette provenant des forêts publiques québécoises, 1874-1888 148 A.4 La production de bois de sciage et de bois équarri provenant des forêts publiques québécoises et ontariennes, 1852-1874 152 A.5 Répartition des droits de coupe tirés des forêts publiques québécoises et ontariennes, 1852-1867, selon les catégories de bois et selon les principales régions, en milliers de dollars et en pourcentages 153 A.6 Évolution des exportations québécoises et ontariennes de bois de sciage et de bois équarri, 1850-1874, en millions de pmp et de pieds cubes 154 A.7 Évolution des récoltes de bois équarri dans la vallée outaouaise, 1847-1866, en milliers de pièces et en pourcentages, selon qu'elles proviennent des forêts privées ou publiques 155 A.8 Évolution des exportations québécoises et ontariennes de bois de sciage et de bois équarri, 1871-1900, en millions de pmp et en millions de pieds cubes 156 A.9 Bois de sciage et bois à pâte dans les forêts publiques québécoises, 1887-1900 : une estimation en millions de pmp 157 A.IO Répartition régionale des récoltes de matière ligneuse provenant des forêts publiques ontariennes, 1871-1900, en millions de pieds cubes 158
xv Liste des tableaux
A. 11 Répartition des récoltes de matière ligneuse provenant des forêts publiques ontariennes, 1871-1900, selon les catégories de bois, en millions de pieds cubes 159 A. 12 Évolution des récoltes de matière ligneuse provenant de l'agence forestière Outaouais supérieur, 1871-1900, selon les catégories de bois, en millions de pieds cubes 160 A. 13 Évolution des récoltes de matière ligneuse provenant de l'agence forestière Nord, 1871-1900, selon les catégories de bois, en millions de pieds cubes 161 A. 14 Évolution des récoltes de matière ligneuse provenant de l'agence forestière Belleville, 1871-1900, selon les catégories de bois, en millions de pieds cubes 162 A. 15 Évolution de la production de bois de sciage et de bois à pâte dans certaines régions forestières québécoises et ontariennes, 1874-1900, en millions de pmp 163 A. 16 Évolution de la production de bois de sciage dans certaines régions forestières québécoises et ontariennes, 1874-1900, en millions de pmp 164
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Liste des sigles
ANQ Archives nationales du Québec APC Archives publiques du Canada APO Archives publiques de l'Ontario DS Documents de la Session JALC Journaux de l'Assemblée Législative du Canada pmp pied mesure de planche (144 pouces cubes) RCTCC Rapport du commissaire des Terres de la Couronne de la province du Canada RCTCO Rapport du commissaire des Terres de la Couronne de la province de l'Ontario RCTCQ Rapport du commissaire des Terres de la Couronne de la province de Québec RSMB Rapport du surintendant des mesureurs de bois (de Québec) TCNC Tableaux sur le commerce et la navigation du Canada
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Avant-propos
Au tournant du XXe siècle, Joseph Gaudreau, paysan de Baie-desSables, se lançait dans la colonisation de la vallée de la Matapédia. Les terres disponibles étaient d'autant plus intéressantes que les activités forestières y foisonnaient. Il s'installa donc à Lac-au-Saumon avec sa famille. L'un de ses fils, Auguste, refusa le travail de cette terre ingrate et trouva de l'emploi sur une base permanente dans le secteur forestier. Bûcheron l'hiver, draveur au printemps et chauffeur de la chaudière de la scierie l'été, il parvint à élever sa famille au village. Ses fils aussi seront travailleurs forestiers. Mais les « brûleurs » des scieries de la Matapédia s'éteignent progressivement à partir des années 1940. Cela incite un entrepreneur de la région à déménager ses activités en Abitibi attirant avec lui Auguste et ses fils. L'un d'eux, Albert, installe à son tour sa famille à proximité des scieries et des chantiers. Il donne naissance à un fils qui, très jeune, a comme terrain de jeu les chantiers d'abattage et qui, le soir, arpente les multiples secrets du « moulin à scie » après que le dernier billot a été tranché. Profitant de la forte hausse du niveau de vie de l'après-guerre et de la démocratisation de l'éducation, Albert peut envoyer son fils poursuivre des études sans savoir que cela va éloigner progressivement ce dernier de la tradition familiale du travail forestier. Puis un jour, ce fils découvre que l'histoire forestière fait partie de sa famille et qu'elle peut être passionnante, y compris en Ontario, sa nouvelle terre d'adoption. Cet arrière-petit-fils du paysan de Baie-des-Sables est l'auteur de ce livre.
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Les récoltes des forêts publiques au Québec et en Ontario, 1840-1900
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Introduction
Pendant une quinzaine d'années, nous avons fait de l'histoire forestière le projet majeur de nos recherches, y consacrant nos études doctorales et publiant à l'occasion quelques textes. L'idée de produire un ouvrage est venue dans la foulée d'un premier congé sabbatique. En voici le modeste résultat. D'emblée, il a fallu circonscrire notre sujet et fixer quelques limites. Limites temporelles d'abord, la période étudiée ne s'étendant que des années 1840 à 1900. Limites de l'analyse ensuite, puisque cet ouvrage se veut une courte introduction situant les principales composantes du secteur forestier et les étapes majeures de son développement. Toutefois, il nous paraît essentiel d'étudier la forêt selon la dimension spatiale la plus vaste possible. C'est pourquoi la volonté d'élargir le cadre spatial d'analyse du secteur forestier sert de toile de fond à cet ouvrage. L'histoire régionale, malgré d'incontestables mérites, a trop limité, depuis une vingtaine d'années, l'étude du secteur forestier car elle ne permettait pas l'examen de certains mécanismes, visibles seulement dans la comparaison des espaces forestiers. Cet élargissement, capital dans notre approche, explique le choix des secteurs forestiers québécois et ontarien, l'un pouvant difficilement être dissocié de l'autre. Cela ne nous empêchera pas de nous intéresser aux performances spécifiques des activités forestières régionales, mais toujours en tant que manifestations régionales d'un secteur économique plus large. Pareille affirmation sur l'indissociabilité du Québec et de l'Ontario en tant qu'objet d'analyse historique de la question forestière au
4 Les récoltes des forêts publiques
XIXe siècle dérangera peut-être, à l'heure où le Québec cherche à sortir du cadre canadien. La pratique des historiens au Québec, qui participent à la construction et à l'affirmation de ce projet national, est sans aucun doute marquée par cette volonté plus ou moins consciente de provincialiser l'histoire, de la séparer de l'ensemble canadien. Cela est manifeste quand on parcourt l'histoire de ce qu'on appelait, jusqu'aux années 1960, le Canada français. Ce passé, pourtant canadien-français, devient québécois comme par magie alors que l'on oblitère des pans entiers de ce Canada français, qu'ils soient franco-ontariens, acadiens ou autres. En mettant l'accent sur le seul territoire québécois, cette pratique a eu pour conséquence de négliger, trop souvent, les explications historiques impliquant les autres régions canadiennes. Toute l'histoire, depuis Jacques Cartier, devient ainsi québécoise et se raconte souvent en vase clos. Une autre balise, dans le prolongement de ce choix d'englober le Québec et l'Ontario, doit être posée dès le départ. En effet, l'attention sera portée presque exclusivement sur les récoltes des forêts publiques, car elles seules ont fait l'objet de statistiques annuelles couvrant l'ensemble des régions ontariennes et québécoises. Nous n'aborderons donc pas les mécanismes complexes qui régissent l'exploitation forestière sur les terres privées, en raison du caractère fragmentaire et ponctuel des informations disponibles sur les activités des terres et forêts privées; à l'occasion, toutefois, nous prendrons le pouls de ces activités. D'une certaine façon, nous aimerions poursuivre le travail entrepris à titre de pionnier par François-Albert Angers il y a une cinquantaine d'années1. Reconstituer, comme lui, l'évolution de la production de matière ligneuse représente une étape essentielle dans la connaissance du secteur forestier, étape qu'il a amorcée avec beaucoup d'ingéniosité; mais il convient d'approfondir l'analyse, notamment en l'appliquant à la forêt ontarienne. En identifiant les principales productions et régions, leur importance et leur évolution et, plus globalement, le rythme de croissance ou de décroissance du secteur forestier, il est ainsi possible de jeter les bases des études futures. Nous poserons donc quelques-uns des jalons de cette histoire forestière québécoise et ontarienne. Beaucoup reste encore à faire. Il s'agit pour le moment d'aller au plus pressant: constituer les dossiers, asseoir les analyses ultérieures sur de solides bases documentaires et plus particulièrement sur des séries statistiques. L'ouvrage de synthèse sur l'histoire forestière n'est pas pour demain. Comme le disaient avec justesse Normand Séguin et René Hardy : i. Voir «Documentation statistique», dans Esdras Minville, dirv La forêt, Montréal, Fides, 1944, p. 337-404-
5 Introduction Pour n'avoir pu compter sur des matériaux statistiques suffisamment nombreux et consistants, les écrits sur l'histoire de la forêt, ou bien en sont restés à quelques indications générales, ou bien ont recréé un monde imaginaire des forestiers sur la base de témoignages plus ou moins cohérents, plus ou moins fidèles. Une histoire de la forêt doit certes mettre à contribution toute la gamme des référentiels qualitatifs, mais sans données concrètes, elle demeurera toujours prisonnière du discours, occultée par les messages idéologiques et les visions impressionnistes2.
Sept chapitres composent le présent ouvrage. Le premier tente de fixer les paramètres de l'histoire forestière en tant que telle. Il s'agit de la problématique qui oriente tout l'ouvrage et lui donne sa cohérence. Par la suite, nous abordons deux périodes de l'histoire forestière. D'abord les années 1840 à 1874, au cours desquelles s'effectuent plusieurs mutations: le passage d'un capitalisme commercial dominant le secteur forestier à un capitalisme industriel et le passage d'une production orientée vers le bois équarri à celle marquée par le bois de sciage. Ensuite, la période allant de 1874 à 1900 sert de toile de fond aux trois derniers chapitres. L'inégalité des performances entre le Québec et l'Ontario y sera à nouveau soulignée, inégalité qui se traduit notamment par l'émergence beaucoup plus rapide du bois à pâte au Québec. Pour finir, il convient de mentionner que l'analyse proposée est avant tout d'ordre économique. Beaucoup de chiffres émaillent le texte. C'est pourquoi, à la toute fin de l'ouvrage, nous avons voulu donner un aperçu du véritable sens historique de ces millions de billots mentionnés à tout instant. Certes, l'analyse minutieuse des coupes forestières fournit des indications précieuses sur l'accumulation de capital et, en bout de course, sur la formation d'une bourgeoisie forestière canadienne. Mais nous avons voulu la présenter surtout comme une première mesure du travail. Ces billots ne sont rien d'autre que l'expression et le fruit du travail d'une armée de travailleurs forestiers composée majoritairement de paysans. Ce travail, il s'agissait de bien le localiser et d'en mesurer avec précision les fluctuations. Voilà le sens que nous avons voulu donner à cette enquête économique sur les récoltes forestières. L'analyse sociale du secteur forestier constitue à nos yeux une autre étape, volontairement évacuée de cet ouvrage, une étape qui devrait s'appuyer sur les grandes balises que nous avons entrepris de poser.
2. René Hardy et al., L'exploitation forestière en Mauricie, Dossier statistique: 1850-1930, Trois-Rivières, Groupe de recherche sur la Mauricie, 1980, p. 7.
i Problématique
L'histoire forestière n'est pas un sujet neuf. Depuis plus de soixante ans, elle constitue un objet de recherche universitaire au Canada. Le moment est approprié pour en faire un bilan. À l'inverse de la situation prévalant dans bien d'autres domaines de recherche en histoire, aucun ouvrage récent n'a encore fait la synthèse des principales contributions historiographiques. Le point sur la recherche en histoire forestière, sur les problématiques retenues jusqu'ici et sur les avenues de recherche pour l'avenir mérite d'être fait. C'est dans cet esprit que nous voulons situer notre contribution. Ce retour à l'historiographie, tout incomplet qu'il soit, se propose d'identifier et d'examiner les différents courants de pensée en histoire forestière du XIXe siècle. Nous nous attarderons ensuite sur les mérites du courant actuel en histoire forestière et ce, afin de dégager les paramètres d'une histoire forestière appelée à se renouveler.
1.1
DE L ' H I S T O I R E C O M M E R C I A L E À L ' H I S T O I R E S O C I A L E DE LA F O R Ê T
On s'étonnera peut-être du nombre restreint d'auteurs qui ont étudié la forêt dans l'est et le centre du Canada. En effet, en dépit de l'importance de ce secteur économique dans la société canadienne, la liste est somme toute assez courte. En fait, cette situation est partiellement tributaire des succès obtenus par l'auteur le plus connu sur la question forestière, A.R.M. Lower.
7 Problématique
En dépit du vieillissement de quelques-uns de ses ouvrages, Lower est sans doute l'auteur le plus cité en histoire forestière. Il demeure, aujourd'hui encore, un des rares historiens à avoir fait de la forêt le thème principal de ses recherches1. Il a été le premier à analyser de façon détaillée l'histoire de la forêt au Canada. Ce spécialiste de la question forestière s'est penché surtout sur le XIXe siècle, sans aborder la production de bois à pâte qui apparaît à la charnière du XXe siècle. En revanche, les deux principaux produits forestiers du siècle dernier, le bois équarri et le bois de sciage, sont au cœur de son analyse. Vivement intéressé par le rôle des marchés étrangers, Lower a surtout centré ses études sur les produits forestiers expédiés en GrandeBretagne (Gréât Britain's Woodyard...) et aux États-Unis (North American Assault...). En outre, et ce qui est plus important, il a scruté avec minutie la dimension commerciale de l'exploitation forestière. Aussi traite-t-il abondamment des exportations, des firmes commerciales, des différentes techniques de transport, des tarifs britanniques et américains relatifs à l'importation de bois, etc. Cette insistance à mettre en relief les multiples aspects commerciaux du développement des activités forestières atteste une conception du développement où les marchés étrangers déterminent le rythme d'expansion des activités forestières. En cela, il reprend et prolonge les idées-forces de ses collègues H.A. Innis2 et W.A. Mackintosh3, les deux plus célèbres représentants de l'école du staple4.
1 Ses ouvrages les plus connus, publiés dans les années 1930, sont : « The Trade in Square Timber », dans Approaches to Canadien Economie History. A Sélection ofEssays, W.T. Easterbrook, M.H. Watkins, dir., Toronto, McClelland & Stewart, 1967, p. 2848, « Settlement and thé Forest Frontier in Eastern Canada », dans Canadian Frontiers of Settlement, W.A. Mackintosh et W.L.G. Joerg, dir., vol. IX, Toronto, Macmillan, 1936, et The North American Assault on thé Canadian Forest. A History of thé Lumber Trade Between Canada and United States, Toronto, Ryerson Press, 1938. Au début des années 1970, il publie finalement Gréât Britain's Woodyard : British America and thé Timber Trade, 1763-1867, Montréal, McGill-Queen's University Press, 1973. 2 Voir notamment la conclusion de son ouvrage, The Fur Trade in Canada, Toronto, University of Toronto Press, 1977. 3 W.A. Mackintosh, «Economie Factors in Canadian History», dans Approaches to..., p. 1-27. 4 Voir M.H. Watkins, « A Staple Theory of Economy Growth », dans Approaches to..., P- 49-73-
8 Les récoltes des forêts publiques
Jusqu'à la fin des années 1960, on se réfère abondamment aux travaux de Lower lorsqu'on aborde la question forestière5. La qualité de ses ouvrages est telle qu'on sent peu le besoin d'en renouveler les analyses6. On continue plutôt à explorer dans la même veine. Ainsi D.D. Calvin retrace, en 1945, l'histoire de son entreprise en relatant principalement les mécanismes qui régissent le commerce du bois flotté sur le Saint-Laurent7. Certes, on tente de traiter d'autres questions; mais le schéma de Lower en constitue toujours le point de départ. C'est le cas de Michael S. Cross, qui étudie l'influence des activités forestières dans le développement de la société outaouaise au cours de la première moitié du XIXe siècle8. Parallèlement au travail de Lower et de ses disciples, des chercheurs québécois, en particulier des économistes, se sont penchés, dès les années 1940, sur l'étude de la forêt au Québec. C'est ainsi qu'Esdras Minville et ses collaborateurs publient, en 1944, La forêt9. Bien que cet effort laisse peu de place à la dimension historique, signalons néanmoins l'article très fouillé de Benoît Brouillette sur les pâtes et papiers, lequel présente une des premières études sérieuses sur le sujet10. Il convient également de mentionner l'article de François-Albert Angers11 ; se fondant sur les statistiques disponibles, ce dernier a eu le grand mérite de mettre en lumière le large éventail de la production forestière, qui ne se limitait pas au bois équarri et au bois de sciage. En tentant une première approximation des productions forestières, Angers fouille fort habilement la question de l'uniformisation des unités de mesure servant à comptabiliser les récoltes de bois. Le premier, il a cherché à évaluer non pas les exportations de bois vers l'étranger, comme A.R.M. Lower, mais la production forestière en tant que telle. Les travaux d'Angers restent
5 En 1956, par exemple, W.T. Easterbrook et H.G.J. Aitken s'inspirent principalement de ses recherches pour présenter les étapes de l'exploitation forestière: Canadian Economie History, Toronto, Macmillan, 1970, chap. 9. 6 II faut parcourir, par exemple, ses notes infrapaginales pour apprécier toute la richesse de sa documentation. 7 D.D. Calvin, A Saga ofthe St-Lawrence. Timberand Shipping Through Three Générations, Toronto, Ryerson Press, 1945. 8 Voir notamment « The Lumber Community of Upper Canada, 1815-1867 », Ontario History, vol. 52, n° 4 (déc. 1960) : p. 213-233. 9 Esdras Minville, dir., La forêt, Montréal, Fides, 1944. 10 Parce que notre ouvrage s'intéresse au XIXe siècle, ce survol historiographique laisse peu de place à l'histoire des pâtes et papiers. 11 F.-A. Angers, «Documentation statistique... ».
9
Problématique
toutefois sans lendemain et l'histoire de la forêt n'attirera guère les chercheurs pendant les deux décennies suivantes12. Ce vide relatif rend encore plus significatif le renouvellement des orientations de la recherche au cours des années 1970. Ce renouvellement marque même, au plan épistémologique comme au plan heuristique, une rupture dans les modes d'approche de la question forestière. À des degrés divers et dans des œuvres d'inégale valeur, les travaux qui se sont succédé depuis ont contribué à reconstituer la trame sociale ou même encore la trame socioéconomique de l'exploitation forestière. Parmi les contributions des vingt dernières années, certains travaux doivent être retenus, dont ceux de R.P. Gillis13, spécialiste de la question de la conservation des ressources forestières. Il s'est penché, en particulier, sur cet engouement pour la conservation qui s'était traduit par un mouvement organisé très populaire auprès des entrepreneurs forestiers, au tournant du XXe siècle. Cet auteur a publié, en 1986, un ouvrage de synthèse sur les politiques forestières14. Dans une perspective plus large, on notera aussi la publication du livre de R.S. Lambert et A.P. Pross sur l'administration du domaine public en Ontario15.
12 On consultera avec profit le chapitre que Jean Hamelin et Yves Roby ont consacré au monde forestier (Histoire économique au Québec, 1851-1896, Montréal, Fides, 1971, p. 207-227). Ce chapitre résume fort bien l'état des connaissances sur le sujet, en 1970, et témoigne aussi de l'influence marquée de A.R.M. Lower. 13 R.P. Gillis, « The Ottawa Lumber Barons and thé Conservation Movement, 18801914 », Journal of Canadian Studies, vol. 9 (1974) : p. 14-31 ; et « Big Business and thé Origins of thé Conservative Reform Movement in Ottawa, 1890-1912 », Journal of Canadian Studies, vol. 15, n° i (printemps 1980) : p. 93-109. L'auteur a signé en 1982, avec Bruce W. Hodgins et Jamie Benidickson, un article sur les réserves forestières, dans la revue américaine Journal of Forest History (« The Ontario and Québec Experiments in Forest Reserves 1883-1930», vol. 26, n° i (janv. 1982): p. 20-33. Notons aussi que cette revue a consacré un numéro spécial à l'histoire forestière canadienne; voir le vol. 32, n° 3 (juil. 1988). 14 R.P. Gillis et T. R. Roach, Lost Initiatives : Canada's Forest Industries, Forest Policy and Forest Conservation, New York, Greenwood Press, 1986. 15 R.S. Lambert et A.P. Pross, Renewing Nature's Wealth: A Centennial History of thé Public Management ofLands, Forests and Wildlife in Ontario, 1763-1967, Toronto, 1967. Pour l'histoire forestière ontarienne, on pourra consulter le texte beaucoup plus récent de Peter W. Sinclair et ce, bien qu'il soit quelque peu décevant; voir «The North and thé North-West: Forestry and Agriculture», dans Progress without Planning : The Economie History of Ontario from Confédération to thé Second World War, lan Drummond, Toronto, University of Toronto Press, 1987, p. 77-90.
io Les récoltes des forêts publiques
Sur le plan des conditions de travail dans les chantiers d'abattage, il convient de faire une place de choix à l'ouvrage de lan Radforth16. Quoiqu'il ait centré son analyse sur le nord de l'Ontario au XXe siècle ses conclusions, notamment sur la lente mécanisation des activités et sur la transformation du procès de travail, s'appliquent parfaitement à l'est du Canada et peuvent même être utiles pour l'étude du XIXe siècle. Il s'agit donc d'un ouvrage majeur qui comble un grand vide. Mais il est encore trop tôt pour mesurer son impact sur l'historiographie. Il en va de même de l'ouvrage de J.I. Little17, qui permet d'éclairer notamment toute la question de la participation des paysans aux activités forestières, non à titre de travailleurs saisonniers, mais en tant que petits producteurs indépendants en rivalité avec les concessionnaires. Il est plus facile de reconnaître la portée historiographique des ouvrages de Normand Séguin, tellement ceux-ci ont marqué les recherches historiques. En définissant les paramètres de l'économie agroforestière, cet auteur a démontré le processus de liaison des activités agricoles aux activités forestières18. La relation intime qui lie la forêt à l'agriculture est d'ordre structurel19. « Si le travail de la forêt obligeait au travail de la terre, l'agriculture d'auto-subsistance imposait de se tourner vers la forêt, source unique d'un indispensable revenu d'appoint...20» Le groupe de recherche sur la Mauricie qu'animent Normand Séguin et René Hardy a poursuivi la réflexion dans cette direction en publiant d'abord un dossier statistique étoffé sur l'exploitation forestière régionale21. Ce dossier aborde une foule de sujets : la production 16 lan Radforth, Bushivorkers and Bosses: Logging in Northern Ontario, 1900-1980, Toronto, University of Toronto Press 1987, 336 p. 17 J.I. Little, Nationalism, Capitalism, and Colonization in Nineteenth Century Québec. The Upper St Francis District, Kingston, Montréal et London, McGill-Queen's University Press, 1989, 306 p. 18 Normand Séguin, La conquête du sol, Montréal, Boréal Express, 1977 et « L'économie agro-forestière : genèse du développement au Saguenay au vf siècle », Revue d'histoire de l'Amérique française, vol. 29, n° 4 (mars 1976) : 559-565. Séguin a poursuivi sa réflexion sur le monde rural en appliquant le concept de soumission formelle au monde rural ; voir « Problèmes théoriques et orientations de recherche », dans Agriculture et colonisation au Québec, Normand Séguin, dir., Montréal, Boréal Express, 1980, p. 181-197. 19 Alfred Dubuc avait, dès 1973, publié un article dans ce sens («Les inégalités économiques », Le Devoir, 2 et 3 mars 1973). 20 Normand Séguin, La conquête..., p. 50. 21 René Hardy, Normand Séguin et al., L'exploitation forestière en Mauricie. Dossier statistique: 1850-1930, Trois-Rivières, Groupe de recherche sur la Mauricie, n° 4, 1980.
il
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forestière, les revenus gouvernementaux, les propriétaires des scieries, de même que certains éléments importants du cadre juridique et de la gestion des forêts publiques. Quoiqu'il demeure nécessairement descriptif, ce dossier témoigne néanmoins d'un souci d'obtenir une prise de vue quantitative des différents aspects de l'exploitation forestière dans une région particulière. De plus, ce dossier n'est en fait qu'une étape dans la préparation d'une œuvre beaucoup plus marquante de Normand Séguin et de René Hardy: Forêt et société en Mauricie22. Dans cet ouvrage, l'histoire de l'exploitation forestière est l'objet d'une analyse englobante. Non seulement l'articulation des activités agricoles aux activités forestières y est-elle expliquée, mais encore on y analyse l'impact du développement de l'économie forestière sur la société mauricienne dans son ensemble et en particulier sur la formation de l'espace régional. On ne doit pas se surprendre du fait que Séguin ait maintenu son idée d'une marginalisation de l'agriculture provoquée par les intérêts forestiers. Vue depuis la Mauricie et son histoire, l'agriculture des zones de colonisation a toujours été marginale. De la même façon, Bouchard, pour le Saguenay-Lac-Saint-Jean, pouvait difficilement faire autrement que de contester ce schéma23 et d'avancer le concept de « co-intégration », s'appuyant à son tour sur une réalité agricole régionale fort différente et plus fructueuse. À notre avis, c'est le sens qu'il faut donner aux propositions fort stimulantes mises de l'avant dans la synthèse publiée récemment par Bouchard24. 1.2
LES MÉRITES DE L ' H I S T O I R E FORESTIÈRE RÉGIONALE25
L'appellation d'histoire forestière régionale est sans doute ce qui caractérise le mieux les travaux actuels sur l'exploitation de la matière
22 Montréal, Boréal Express, 1984. 23 Voir « Introduction à l'étude de la société saguenayenne aux XIXe et XXe siècles », Revue d'histoire de l'Amérique française, vol. 31, n° i (juin 1977) : p. 3-27. 24 Voir les chapitres 5 et 6 de Quelques Arpents d'Amérique, Montréal, Boréal, 1996. 25 Cette réflexion avait été amorcée dans un court texte publié dans la Revue du Nouvel-Ontario, vol. 12 (1990) : p. 219-227.
12 Les récoltes des forêts publiques
ligneuse. Des équipes de chercheurs s'affairent à Rimouski26, Chicoutimi27, Saint-Jérôme28, Ottawa29 et ailleurs30. Ces travaux s'effectuent pour la plupart dans le cadre d'un chantier de recherche dirigé par Fernand Harvey, de l'Institut québécois de recherche sur la culture, et s'intéressent vivement à l'histoire forestière31. D'une histoire globale qui associait le destin du Canada à celui de la Grande-Bretagne et des États-Unis (Lower), nous sommes passé à une histoire moins ambitieuse mais tout aussi riche : l'histoire des formations régionales. La forêt, dans ce cadre, devient un instrument contribuant à l'explication des mécanismes qui participent à la mise en place et à la structuration des régions. Ultimement, ces recherches visent à approfondir les connaissances sur les formations sociales de la périphérie. Il nous faut avouer avoir toujours éprouvé une certaine insatisfaction à l'égard des études qui réduisent la forêt aux impératifs régionaux. C'est pourquoi nous avons essayé, jusqu'à présent, de situer tous nos travaux32 sur une plus grande échelle. Même si l'on doit rester sensible à des variantes régionales qui n'ont pas fini de surprendre, nous avons toujours préféré retenir comme mode de découpage ultime une unité territoriale plus vaste. 26 Voir Jean-Charles Fortin et al., Histoire du Bas-Saint-Laurent, Québec, Institut québécois de recherche sur la culture, 1993. 27 Camil Girard et Jean-Michel Tremblay, Histoire du Saguenay-Lac-Saint-Jean, dossier statistique préliminaire, Chicoutimi, Institut québécois de recherche sur la culture et Groupe de recherche sur l'histoire du Saguenay-Lac-Saint-Jean, juin 1987 ; C. Girard et Normand Perron, Histoire du Saguenay-Lac-Saint-Jean, Québec, Institut québécois de recherche sur la culture, 1989. Camil Girard, «Histoire et région: l'industrie forestière du nord-est québécois, 1850-1930 », Histoire sociale-Social History, vol. 23, n° 43 (mai 1989) : p. 121-143. 28 Serge Laurin, Histoire des Laurentides, Québec, Institut québécois de recherche sur la culture, 1989. 29 Chad Gaffield, dir., Histoire de l'Outaouais, Québec, Institut québécois de recherche sur la culture, 1994. 30 Voir par exemple Alain Laberge, dir., Histoire de la Côte-du-Sud, Québec, Institut québécois de recherche sur la culture, 1993. 31 Voir Guy Gaudreau, L'exploitation des forêts publiques au Québec, 1842-1905, Québec, Institut québécois de recherche sur la culture, 1986. 32 Voir notre thèse de doctorat, L'exploitation des forêts publiques au Québec (1842-1905) : cadre juridique, mode d'appropriation et évolution des récoltes. Université du Québec à Montréal, 1986. Voir aussi « L'exploitation des forêts publiques au Québec (18741905) : transition et nouvel essor », Revue d'histoire de l'Amérique française, vol. 42, n° i (été 1988) : p. 3-27. « Les concessionnaires forestiers québécois de la deuxième moitié du 19e siècle : essai de typologie », Histoire sociale-Social History (mai 1988) : p. 99-112; «L'État, le mesurage du bois et la promotion de l'industrie papetière», Revue d'histoire de l'Amérique française, vol. 43, n° 2 (automne 1989) : p. 203-219.
13 Problématique
Ce malaise à l'égard de l'histoire forestière régionale n'a pas toujours été suffisamment expliqué dans nos travaux antérieurs. Il importe de le faire ici afin de nous situer par rapport à ce courant dominant de l'historiographie forestière contemporaine. La pratique de l'histoire forestière régionale pose souvent comme postulat implicite la non-reconnaissance du rôle du milieu physique régional. On estime généralement que l'espace physique ne participe pas activement au développement des régions. L'espace est social et résulte des rapports sociaux. L'homme a dominé la nature et lui impose sa volonté de telle sorte que le milieu physique régional s'apparente, tout compte fait, aux autres régions et obéit au même rythme. En témoignent les propos de Séguin: «II convient de préciser que la dimension spatiale dont il est question ici n'est pas physique. Nous récusons tout déterminisme géographique. Les éléments physiques ont leur importance mais n'ont rien d'absolument transcendant dans l'organisation de l'espace. L'espace est ici un produit social et se définit par les rapports de production33.» Certes, il y aurait lieu de distinguer les déterminismes géographiques de la spécificité du milieu physique régional. Tous reconnaissent cette spécificité, mais sans en faire un élément décisif de la dynamique régionale. Et c'est sur ce point que nous formulons des réserves, car la nature s'épuise et force les gens à se déplacer. Sans parler de déterminismes géographiques qui seraient incontournables, nous voulons reconnaître un rôle certain de la ressource et de sa disponibilité virtuelle dans le développement régional. Rôle qui, paradoxalement, ne peut pas être observé et mesuré tant que la recherche demeure confinée à l'intérieur du cadre régional. Radforth, dont il a été question plus haut, concluait son ouvrage en mettant justement en relief l'importance des facteurs naturels dans le développement de la société canadienne. Historians hâve long recognized thé importance to Canadian development of thé resource sector, but they hâve not yet fully appreciated thé conséquences of this dominance for patterns of social development at thé workplace. Factors related to thé natural environment and to thé characteristics of thé staple itself hâve resulted in late mechanization, continuing limitations on management's control over workers and a tendency to opt for incentives such as pièce rates or some form of «dépendent commodity production» along thé lines of owner-operating. Thus Canada, a country heavily dépendent on resource exploitation, has experienced work-related transformations
33 Normand Séguin, La conquête..., p. 51.
14 Les récoltes des forêts publiques in ways that differ from countries where thé manufacturing sector dominâtes34. Ces facteurs naturels ont joué sans aucun doute un rôle beaucoup plus important que celui qu'on leur attribue. Dans le contexte forestier, il faut évoquer la limite que posent les potentiels ligneux. L'épuisement des ressources est un phénomène capital dans le développement de ce secteur. L'entrepreneur se révèle souvent impuissant face à l'épuisement de la ressource commerciale. Certes, cet épuisement des ressources est relatif, à tout le moins jusqu'à l'introduction de la coupe à blanc. Il suffit de reconnaître une valeur d'échange à des essences jusque-là négligées pour que l'épuisement se transforme en abondance. Cela sera le cas, par exemple, lors de l'émergence du bois à pâte à la fin du XIXe siècle. Dans le cadre d'une analyse régionale, il est extrêmement difficile de tenir compte de ce facteur, car les points de repère sont insuffisants35. La comparaison avec la production provinciale est habituellement la seule source permettant de mesurer l'apport des récoltes régionales. Mais comment diagnostiquer la cause d'une chute de la production (qu'on pourrait déduire à partir d'une baisse de l'apport régional mesuré en pourcentage du total provincial) ? Y a-t-il arrêt de la production, faute de ressources ou faute de débouchés ? Seule une analyse plus globale, comparant plusieurs régions, et notamment celles ayant les mêmes débouchés, permettra d'évaluer l'épuisement graduel et les variations dans l'offre de matière ligneuse. Offre beaucoup moins constante qu'on le présume. 1.3
LES PARAMÈTRES D'UNE ANALYSE DU SECTEUR FORESTIER
1.3.1
La contradiction centrale
Le premier paramètre d'une analyse du secteur forestier en tant que tel restera toujours, à nos yeux, la contradiction centrale, c'est-à-dire la contradiction qui se trouve au centre de l'analyse du développement du secteur forestier et ce, peu importe le cadre spatial. 34 lan Radforth, Bushworkers and Bosses..., p. 244. 35 II est vrai que, dans le cas de l'histoire de la Mauricie, Hardy et Séguin ont réussi à bien identifier ce phénomène. Mais dans cette région, les effets de l'épuisement ont été tellement catastrophiques que le phénomène ne pouvait échapper à l'observation. Nous croyons que ce n'est pas toujours le cas : bien souvent, l'épuisement s'effectue de façon moins dramatique et passe inaperçu.
15 Problématique
Depuis la thèse métropolitaine de Careless36 et le concept d'économie agroforestière de Séguin, il est d'usage de présenter, sur le plan économique, la destinée des régions et des villes dites périphériques comme étant modelée par les impératifs du centre37. Le centre, ici, peut être le capital investi dans le secteur forestier ou dans le secteur minier qui se sert des régions comme source d'extraction38. Les décisions sont prises au centre et à son avantage, au détriment, donc, de la périphérie - et il faut vivre dans ces régions pour constater, encore aujourd'hui, la pertinence de ce cadre d'analyse et pour comprendre tous les débats sur la prise en charge par les populations régionales de leur destinée économique. Ainsi, la trame majeure du développement économique régional se situe dans ce rapport inégal entre le centre, lieu de domination de l'économie régionale, et la périphérie, dépendante. Position paradoxale, sans doute. L'analyse d'un segment fondamental de la société régionale, son infrastructure économique, passe par un modèle qui ne reconnaît pas toute sa spécificité. En effet, le modèle ramène toutes les régions à un même paradigme, au moment même où l'on cherche justement à produire une histoire plus spécifique, se situant plus près de la réalité régionale. Cette spécificité, voire cette autonomie, qu'on tente encore d'établir et d'expliquer, fait présentement l'objet de recherches dans le champ de la culture et dans celui de la reproduction sociale. Quoi qu'il en soit, le centre paraît imposer l'essentiel de ses modèles sociaux, politiques, économiques
36 Voir notamment « Fronterism, Metropolitanism and Canadian History », Canadian Historical Review, vol. 35, n° i (1954) : p. 1-21 ; et « Metropolis and Région : The Interplay Between City and Région in Canadian History Before 1914», Revue d'histoire urbaine, vol. 7, n° 3 (février 1979) : p. 99-118. 37 II y aurait lieu d'établir une distinction entre périphérie et région. Toutes les régions ne sont pas périphériques, mais celles qui ont été étudiées jusqu'à maintenant le sont à des degrés divers. 38 Dans le secteur minier, plusieurs articles ont traité de cette relation inégale, selon laquelle la métropole torontoise contrôle par les voies ferroviaires, politiques et bancaires le développement des mines du nord de l'Ontario. Voir Gilbert A. Stelter, «Community Development in Toronto's Commercial Empire: The Industrial Towns of thé Nickel Belt, 1883-1931 », Revue de l'Université Laurentienne, vol. 6, n° 3 (1974) : p. 3-53. Même les structures politique, idéologique et culturelle des villes du sud sont implantées telles quelles dans ce pays neuf et éloigné. (Voir Douglas A. Baldwin, « Imitation vs. Innovation : Cobalt as an Urban Frontier Town », Revue de l'Université Laurentienne, vol. 11 (1979) : p. 23-42.
16 Les récoltes des forêts publiques et idéologiques. Les régions deviennent des copies de Toronto, de Montréal ou d'ailleurs39. Ce schéma, quoique pertinent pour raconter et expliquer l'histoire des hommes et des femmes vivant dans les différentes régions, nous laisse sur notre faim lorsqu'il s'agit d'expliquer les grandes tendances du développement du secteur forestier à l'échelle de deux provinces. Une autre contradiction à portée théorique plus réduite nous paraît néanmoins plus adaptée à l'analyse du secteur forestier à l'échelle de deux provinces. Cette contradiction, en apparence banale, occupe néanmoins une place centrale ; elle se définit par l'utilisation, à des fins privées, de ressources naturelles demeurant sous la juridiction de l'État. Si les moyens de production, que représentent les concessions forestières, appellent une forme d'appropriation privée, le domaine public, dans lequel sont découpés ces moyens de production, conserve néanmoins un caractère éminemment social en raison du maintien du droit de propriété de l'État sur ces espaces. Mais on nous dira qu'une telle approche, en rappelant certains propos marxisants impropres aux années 1990, manque d'originalité et reprend des thèmes largement dépassés, à l'heure où le socioculturel est à l'honneur. Pourtant, elle s'applique parfaitement à une enquête statistique qui cherche à reconstituer les principales étapes de l'exploitation des forêts publiques. En fait, cette contradiction repose sur une conception de l'État qui récuse la conception orthodoxe marxiste voulant qu'il soit le simple instrument du capital et que tout soit joué à l'avance. La mise en place d'un État ne signifiait pas ipso facto la mainmise de la bourgeoisie sur les ressources publiques. Cela n'est jamais allé de soi. C'est la dynamique sociale avec ses multiples luttes qui va déterminer l'orientation des politiques de l'État en ce qui a trait au domaine public. Une autre remarque s'impose sur la portée de notre problématique. Il ne s'agit pas ici de proposer des solutions de rechange aux modèles théoriques en vigueur dans l'interprétation globalisante de l'histoire. Il s'agit plutôt de reconnaître la pertinence d'une analyse du secteur forestier en tant que tel et la nécessité d'avoir recours à une problématique adaptée à ce cadre. Cela étant dit, il est étonnant que l'on ait si peu réfléchi aux répercussions du maintien d'un important domaine public sur le développement du capitalisme au Canada. Les multiples pressions sociales 39 Gérard Bouchard parle d'appauvrissement culturel des familles, en région, cellesci ne parvenant pas à conserver les modèles culturels de leur lieu d'origine. Voir «Sur la dynamique culturelle des régions de peuplement», Canadian Historical Review, vol. 67, n° 4 (1986) : p. 473-490.
17 Problématique
qui découlent d'une propriété publique ont forgé une dynamique originale. Cette dynamique implique inévitablement que l'État dont il n'est jamais acquis qu'il soit l'instrument du capital - joue un rôle beaucoup plus actif qu'on ne le reconnaît habituellement; cela est particulièrement vrai à l'échelle régionale, en raison de l'abondance des ressources dont il est censé être le gestionnaire. La contradiction se pose alors de façon analogue à ce qui se passe dans le cas de la contradiction mise en relief par le matérialisme historique, à savoir l'unité contradictoire qui englobe le caractère privé de la propriété capitaliste des moyens de production et le caractère social de la force de travail. Dans le contexte canadien, non seulement la force de travail est-elle sociale, mais le moyen de production que constitue la ressource l'est également, ce qui aggrave la contradiction. Cette contradiction voit le jour avec la mise en place du système d'octroi de permis de coupe sur le domaine public en 1826. Mais au début, elle demeure faible parce que l'accès au domaine public est extrêmement limité. Les entreprises commerciales qui achètent le bois canadien et l'exportent vers l'Angleterre partagent les vues du gouverneur général et du Conseil exécutif; elles font en sorte que les forêts publiques se trouvant sous la juridiction du gouverneur ne deviennent pas la source d'un approvisionnement trop abondant, ce qui aurait pour effet de susciter l'apparition de gros producteurs de bois, avec qui il leur serait beaucoup plus difficile de transiger40. Toutefois, à partir de l'Union, le domaine public devient une affaire coloniale gérée davantage en fonction des intérêts canadiens et l'acquisition par l'État de la responsabilité ministérielle vient renforcer ce type de gestion. Les forêts publiques sont désormais considérées comme une source de revenus. On facilitera donc l'accès au domaine public en allégeant les conditions d'accès et d'exploitation des concessions forestières, qui jusqu'alors étaient très limitatives. Cette ouverture donne une impulsion considérable au développement du capitalisme dans le secteur forestier. Entre 1849 et 1855, l'accès à la matière ligneuse du domaine public se trouve grandement facilité, ce qui a pour effet de multiplier les sources d'approvisionnement et d'enrichissement. Cette situation profitera à une bourgeoisie naissante œuvrant dans le secteur de la production (alors qu'auparavant, le secteur forestier était dominé par le capitalisme commercial). C'est donc à partir du milieu du XIXe siècle que la contradiction se manifeste véritablement : le domaine public n'est pas accessible à 40 Voir le chap. 2 du présent ouvrage.
Bien que cette photo ait été prise en 1903, elle permet d'apprécier la taille des spécimens de pin blanc qui étaient les plus recherchés par les entrepreneurs forestiers au XIXe siècle. Il s'agit ici, vraisemblablement, d'une zone reculée de la pinède outaouaise, où la forêt n'avait encore jamais été exploitée. L'arbre qui se trouve au centre, et dont la base mesure plus d'un mètre de diamètre, aurait pu très bien être équarri, car jusqu'à la Première Guerre mondiale, on équarrissait les beaux spécimens dans les zones les plus inaccessibles de cette pinède, comme le long de la rivière Jocko, dans les chantiers de McFadden & Gillies (collection de la famille J.R. Booth, APC, PA 120330).
19 Problématique
Nombreux sont ces villages qui, comme Wallaceburg, en Ontario, avaient en leur centre une scierie qui offrait du travail, l'été, à bon nombre de villageois. À cette époque, les cours d'eau sont indispensables au transport des billes vers la scierie; par la suite, c'est grâce au chemin de fer, dont la présence nous est ici révélée par le pont surplombant la rivière, que le bois de sciage est expédié vers les marchés urbains du Canada ou des États-Unis (collection G.F. O'Grady, vers 1890, APC, PA 28584).
tout le monde. Il y a discrimination et rivalité. Quelle classe sociale aura le privilège d'exploiter en exclusivité et à son profit les concessions forestières ? L'État décide alors de favoriser les propriétaires de capitaux - pas nécessairement de gros capitaux - au détriment de la paysannerie. Résumons brièvement les droits des principaux intervenants. Les concessions forestières sont louées sur une base annuelle aux entrepreneurs, qui obtiennent des droits exclusifs d'exploitation de la matière ligneuse. L'État demeure toujours le propriétaire du sol et conserve la prérogative de ne pas renouveler le permis de coupe. Cette situation est l'inverse de celle qui prévaut dans le secteur minier, où l'on procède à des ventes de droits. D'ailleurs, il faudrait bien un jour, comme l'a suggéré Pierre Paquette41, s'interroger sur cette différence entre les modes d'exploitation.
41 Voir Pierre Paquette, « Industries et politiques minières au Québec : une analyse économique, 1896-1975 », Revue d'histoire de l'Amérique française, vol. 37, n° 4 (mars 1984) : p. 594.
2O Les récoltes des forêts publiques
Les politiques relatives aux terres du domaine public s'harmoniseront avec ce système locatif42. Afin de permettre un accès plus facile aux terres publiques et de répondre ainsi aux vœux de la petite bourgeoisie traditionnelle, apôtre de la colonisation, le gouvernement de la province du Canada cesse, à compter de 1849, la vente au comptant des terres et la remplace par un système d'achat assorti de conditions : le billet de concession. Par ce système, le colon acquiert plus facilement une parcelle du domaine public, mais il devra, aux termes de la loi, défricher, cultiver, construire une maison et payer la totalité du prix de vente avant d'obtenir un titre de propriété définitif. Pendant ce délai, qui peut s'étendre sur des dizaines d'années, il lui sera permis d'exploiter le potentiel agraire du sol dans le but d'en tirer des valeurs d'usage et d'échange, mais en ce qui concerne le potentiel forestier de son lot, c'est seulement pour sa valeur d'usage qu'il aura le droit de l'exploiter (c'est-à-dire pour construire sa maison, se chauffer, fabriquer des clôtures, etc.). Si le billet de concession porte sur une terre située à l'intérieur d'une concession forestière, comme cela arrive fréquemment, le colon reconnaît au titulaire du permis de coupe certaines prérogatives temporaires. Ce dernier a jusqu'au 1er mai suivant l'obtention du billet de concession pour s'approprier le bois commercial se trouvant sur le lot. Après cette date, les règlements définissant les droits des colons et limitant l'utilisation du potentiel forestier du lot s'appliquent encore, même si le concessionnaire n'a pu exercer ses prérogatives. Les entrepreneurs forestiers assurent aux hommes politiques d'importantes recettes grâce au paiement de redevances de toutes sortes. Mais le système des concessions bloque l'accès du domaine public aux petits producteurs et entrepreneurs moins nantis. À court terme, la reconnaissance par l'État d'une appropriation privée de la ressource suffisait : l'essentiel était d'exercer une mainmise sur la ressource, mainmise garantie par l'État. Certes ces précisions sont théoriques. Dans la pratique, il demeure difficile de limiter le colon à la valeur d'usage des forêts. Comme l'a bien démontré Little, la paysannerie parviendra malgré tout à avoir accès à la ressource en contournant le système. Il s'ensuit alors une course à la ressource qui prend des couleurs différentes selon les régions, la qualité des boisés et les époques. Cela étant dit, le moyen de production que constitue la matière ligneuse ne peut jamais faire l'objet d'une appropriation privée 42 Pour un compte rendu exhaustif de ces politiques, voir Normand Séguin, La conquête..., chap. 2.
2i
Problématique
complète, sauf dans le cas du paysan qui a respecté les conditions d'occupation et qui a obtenu son titre de propriété définitif. Il y a toujours remise en question, surtout s'il s'agit d'un colon, mais parfois aussi pour le concessionnaire forestier. Il existe toujours un risque d'ingérence de la part des autorités gouvernementales, soumises aux multiples pressions sociales43. On permettra, pour des fins de colonisation, l'ouverture d'un canton au beau milieu des concessions forestières d'un entrepreneur. Plus souvent encore, on expulsera des colons trop avides des bois situés en marge du lot, en évoquant le non-respect des conditions d'occupation44. Mais ce droit d'utilisation de la matière ligneuse, quoique incomplet, est néanmoins suffisamment bien reconnu aux concessionnaires pour que certaines familles d'entrepreneurs exploitent les mêmes permis de coupe pendant un siècle (la famille MacLaren, par exemple, installée à demeure le long du bassin de la rivière du Lièvre). Cette propriété semi-privée des moyens de production finit par imposer un frein au développement du capitalisme, en ralentissant les mutations du secteur forestier et en empêchant l'arrivée de nouveaux entrepreneurs. Comme la ressource est limitée et monopolisée par les entrepreneurs, il est parfois difficile pour les autorités gouvernementales de proposer un nouveau type d'utilisation de la ressource. Comment forcer un producteur de bois équarri à se lancer dans le sciage, ce qui aurait pour effet d'accroître les revenus forestiers en haussant l'intensité de la coupe. Autrement dit, le système efficace au départ puisqu'il donne accès à une excellente source d'approvisionnement - finit par créer des blocages qui sont beaucoup plus importants au Québec qu'en Ontario45, en raison de l'attribution d'un seul permis de coupe par concession. 43 On pourrait citer plusieurs cas à l'appui de cet énoncé. Ces cas ont été particulièrement nombreux au cours des dernières décennies de notre siècle. Mentionnons les manifestations de la population de Cap-Chat, au Québec, au cours du printemps 1989, relativement à une demande de permis d'approvisionnement en matière ligneuse, dans le but de maintenir en activité les deux scieries de la région. En Ontario, on pourrait évoquer l'affaire largement médiatisée de la réserve forestière de Temagami où s'affrontent, depuis quelques années, entrepreneurs forestiers, écologistes et Amérindiens. 44 L'annulation des billets de concession est une pratique administrative courante durant toute la deuxième moitié du XIXe siècle. On peut sans doute penser que cette pratique était souvent le résultat de pressions de la part de concessionnaires. 45 En Ontario, comme nous le verrons plus loin, on accorde parfois, sur une même concession, des droits de coupe simultanés à deux entrepreneurs, réservant à l'un le pin et à l'autre les essences moins nobles. Voir Guy Gaudreau, « La sous-traitance forestière dans le Nord-Est ontarien, 1900-1930 », Labour/Le travail, n° 40 (automne 1997) : p. 75-112.
22 Les récoltes des forêts publiques
Cette contradiction, l'appropriation privée d'une ressource sociale limitée, se manifestera surtout au cours des périodes de mutation du secteur forestier, c'est-à-dire au moment où de nouvelles utilisations de la ressource apparaîtront. D'une part, parce que ces dernières forcent l'État à intervenir davantage afin d'accélérer les mutations qui sont toujours le signe de recettes forestières accrues. D'autre part, parce qu'elles remettent d'abord en question les grands principes d'accès au domaine public et qu'elles s'accompagnent souvent d'une aggravation des exclusions et des injustices. C'est pourquoi il nous paraît fondamental de bien identifier les périodes de mutation du secteur forestier. Définissons, à titre d'hypothèse, trois périodes au cours desquelles la contradiction dont nous parlons s'est manifestée avec une acuité particulière: i) les décennies de 1850 et de 1860, où l'on passe du bois équarri au bois de sciage, 2) le tournant du XXe siècle, avec l'arrivée du bois à pâte, et 3) les trente dernières années de ce siècle, durant lesquelles on a assisté à la montée de la conscience écologiste et du réveil des régions, qui entraînent le réaménagement du système des permis de coupe et une plus grande accessibilité des forêts pour tous les citoyens. Cette contradiction débouche enfin sur une dynamique sociale qui va au-delà de la double alliance clérico-petite-bourgeoise et cléricocapitaliste. Elle reconnaît au départ une lutte pour la ressource ligneuse entre la paysannerie et la bourgeoisie, lutte qui s'accentue avec le développement du secteur des pâtes et papiers, en raison d'un approfondissement et d'un élargissement de la valeur marchande des bois. Elle reconnaît aussi le rôle fondamental de l'État à titre de propriétaire ultime et de gestionnaire de la ressource. C'est par l'État que la petite bourgeoisie traditionnelle, s'appuyant sur le processus électoral, parvient à avoir voix au chapitre. C'est par l'État que la bourgeoisie a pu prendre le contrôle de la matière ligneuse du domaine public, reléguant les petits producteurs et les petits entrepreneurs aux rôles de sous-traitants ou de travailleurs forestiers46. 1.3.2
La mobilité
Le deuxième paramètre que nous voulons mettre en évidence est la mobilité qui anime le système des activités forestières. Mobilité d'abord des biens et des marchandises. La drave symbolise fort bien 46 II faudrait sans doute nuancer cette analyse, comme le suggère Little, et faire l'hypothèse d'une certaine exploitation de la ressource au profit des petits producteurs, en particulier dans les régions moins isolées, comme le bassin supérieur de la Saint-François. Voir Nationalism, Capitalism..., p. 14.
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Problématique
les déplacements de la matière ligneuse. Il faut également tenir compte du déplacement des provisions et des équipements nécessaires à une saison d'abattage. Souvent ces biens parcourent plusieurs centaines de kilomètres avant d'arriver à destination. Tout est circulation dans le domaine des activités d'abattage. Mobilité, aussi, du capital. Mobilité qui varie d'un entrepreneur à l'autre. Les concessionnaires ne forment pas une communauté homogène47. Les plus riches sont habituellement à l'œuvre dans différentes régions, de telle sorte que l'histoire forestière d'une région n'est parfois que l'expression de la stratégie économique d'une grande entreprise qui a décidé d'y investir ou de le faire ailleurs. De nos jours, il s'agit même d'une caractéristique des entreprises papetières modernes. Qu'il s'agisse d'Abitibi-Consolidated ou de Domtar, les territoires de coupe sont aujourd'hui disséminés un peu partout au Québec et en Ontario. Et ce modèle de répartition des zones de coupe n'est pas nouveau. Il a été mis en place dès la deuxième moitié du XIXe siècle. Par ailleurs, les frontières politiques n'ont aucun effet sur la carte des territoires de coupe. La vallée outaouaise, qui constitue le cœur du territoire forestier au XIXe siècle, est patrouillée en Ontario comme au Québec par les mêmes entrepreneurs, lesquels ne sont pas nécessairement les plus aisés. La frontière politique qui sépare les deux rives de la rivière est artificielle en ce qui a trait aux activités forestières. La mobilité du capital est telle que Gwenda Hallsworth a fait du caractère continental du champ d'activité des entrepreneurs une caractéristique majeure des entrepreneurs forestiers œuvrant dans la région de Sudbury48. Certes, cette attribution est quelque peu excessive, car elle ne s'applique qu'à une poignée d'entreprises. Elle a néanmoins le mérite de bien montrer le déplacement des intérêts forestiers. Si le capital est mobile, la main-d'œuvre l'est tout autant: par exemple, il n'est pas nécessaire, loin de là, que la main-d'œuvre provienne de la région immédiate49. Très souvent, les bûcherons parcourent des distances considérables avant d'atteindre les lieux 47 Voir notre article intitulé «Les concessionnaires forestiers québécois... ». 48 Voir Gwenda Hallsworth, A Good Paying Business : Lumbering in thé North Shore of Lake Huron, 1850-1910, with Particular Référence to thé Sudbury District, thèse de M.A., histoire, Université Laurentienne, 1983. 49 Gérard Bouchard, avec beaucoup d'à-propos, avait reproché à Séguin cet aspect du développement spatial de l'économie agroforestière, à savoir que les activités forestières, en se déplaçant, n'entraînaient pas nécessairement les colons à leur suite. Cette remarque souligne à sa façon la forte mobilité des travailleurs forestiers. Voir «Introduction à l'étude... ».
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d'abattage. D'où leur absence prolongée de leur domicile durant l'hiver. La mobilité de la main-d'œuvre n'est pas un phénomène nouveau. Le commerce des fourrures reposait beaucoup sur cette capacité des «voyageurs» à traverser le continent. La mobilité des travailleurs n'est pas une invention moderne. Le déplacement des entreprises ne modifie en rien la capacité des travailleurs à se mouvoir. La présence francophone dans le Nord-Est ontarien est tributaire en bonne partie de cette migration d'origine québécoise. Les populations des villes de Hearst et de Kapuskasing doivent sans doute leur composition francophone à l'économie forestière. Arrêtons ici l'énumération des signes qui témoignent de cette mobilité afin d'aborder ses effets sur le développement des diverses régions forestières. Cette mobilité s'alimente à partir de deux pôles. La logique de l'accumulation du capital, en vigueur dans l'ensemble des secteurs économiques, constitue l'un de ces pôles et n'ajoute rien de spécifique au secteur forestier. L'autre, en revanche, à savoir le phénomène décisif de l'épuisement des ressources50, contribue substantiellement à la mobilité. Ce phénomène a une incidence sur la mobilité du capital, de la main-d'œuvre et des marchandises. L'épuisement des ressources débouche tout naturellement sur des déplacements. Un lien essentiel existe entre, d'une part, les contraintes qu'imposé la nature à l'homme et, d'autre part, à sa mobilité. On pourrait même ajouter que les défis posés par la nature et la géographie sont à la source de la mobilité de l'homme forestier. Il n'y a pas de déterminisme géographique, si l'on entend par là que la géographie dresse devant l'homme des barrières infranchissables. Ces barrières sont plus souvent qu'autrement contournables. En somme, c'est par la mobilité des capitaux et de la main-d'œuvre que les barrières géographiques sont levées. On ne peut pas comprendre le rapport de l'homme à l'espace sans intégrer à l'analyse sa mobilité. On peut, à cet égard, donner l'exemple de la famille Baptist de Trois-Rivières. À partir de la crise de 1873 à 1879, la Mauricie connaît une chute rapide des activités en raison de l'appauvrissement de la forêt en essences et en spécimens retenus jusqu'alors pour le sciage. La famille organise une nouvelle compagnie, Ottawa Lumber, qui sera détentrice de territoires de coupe mieux garnis, situés le long de la rivière Rouge51. 50 Harold A. Innis est l'un des premiers auteurs à avoir souligné ce phénomène. Voir The Fur Trade in Canada..., p. 395. 51 Voir notre article intitulé «Les concessionnaires forestiers québécois... », p. 107.
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L'épuisement des ressources est susceptible d'affecter davantage les vieilles régions productrices. Inversement, plus la région est d'ouverture récente, plus les chances sont grandes pour que les activités forestières y soient soutenues. Cela voudrait dire qu'à potentiel ligneux équivalent, les régions situées dans l'est et le sud du Québec épuiseront plus rapidement leurs ressources que celles de l'Ontario (voir le chapitre 7). Nous ferons même de cet énoncé une des hypothèses centrales de notre problématique. Il faut certes insister sur une prémisse de cette hypothèse : l'équivalence des potentiels ligneux. En fait, l'antériorité de la coupe n'annonce pas nécessairement un épuisement rapide. Il y a une forte diversité des ressources forestières. La région de l'Outaouais est dotée d'une immense pinède, d'une richesse telle qu'elle sera le théâtre de récoltes forestières abondantes et prolongées. Mais de façon générale, on peut avancer qu'il y aura déplacement graduel des activités forestières vers l'ouest et le nord. Cette idée d'un déplacement vers des territoires de coupe plus neufs se trouve renforcée par l'observation de Radforth à propos des échelles de salaires des travailleurs forestiers. Cet auteur a en effet observé une tendance à une majoration des salaires qui s'accentue d'est en ouest52. Ce phénomène explique plus que tout autre la mobilité de la main-d'œuvre. En même temps, il souligne la richesse relative des territoires de coupe situés plus à l'ouest. Par ailleurs, il faut reconnaître que l'évolution des prix de la matière ligneuse et son corollaire, une forte demande, interviennent très certainement dans le rythme de déplacement de l'activité. Des prix élevés permettent à des ressources éloignées des lieux habituels d'abattage de trouver des débouchés. En somme, ce déplacement des centres d'abattage vers le nord-ouest constitue avant tout une tendance. La manifestation la plus marquante de cette tendance à l'exploitation des ressources nouvelles serait alors l'existence d'une chronologie variable des rythmes de développement des diverses régions. Plusieurs exemples allant dans ce sens sont présentés dans le présent ouvrage. Ce phénomène décisif demande à être étayé. Les implications d'une telle diversité dans les rythmes de développement sont nombreuses. La conjoncture économique, empruntant des trajectoires variables d'une région à l'autre, ne peut plus être vue comme uniforme. Les périodes de prospérité des diverses régions forestières ne surviennent pas au même moment, loin de là. Dans cette perspective, les cycles de l'économie canadienne ne s'appliqueraient 52 Voir lan Radforth, Bushworkers and Bosses..., p. 40.
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ici qu'avec beaucoup de nuances. Il y aurait lieu de reconsidérer la signification et la pertinence de ces cycles, surtout si l'on parvenait à vérifier avec précision l'étendue et la durée de la diversité des rythmes de développement. Inversement, l'analyse de l'évolution des récoltes forestières régionales devrait prendre ses distances avec la conjoncture économique générale telle qu'établie par les économistes. Un creux ou un sommet dans la production, avec ses répercussions parfois dramatiques sur une région, peut très bien être provoqué par des phénomènes liés à la ressource. A.J. Russell, responsable de l'agence forestière outaouaise pendant presque un demi-siècle et témoin privilégié de la scène forestière, faisait une réflexion dans ce sens alors qu'il commentait l'évolution des récoltes au début des années iSço53. D'ailleurs, il faudra bien un jour écrire la biographie de ce haut fonctionnaire perspicace afin d'enrichir notre histoire. Tel qu'en fait mention le prochain chapitre, A.J. Russell participe aux démarches visant à modifier les règlements d'utilisation des forêts publiques au milieu du XIXe siècle, démarches qui opposent les producteurs et les marchands de bois.
53 « Rapport sur les richesses forestières du Canada par le statisticien du département de l'Agriculture », annexe du « Rapport du ministre de l'Agriculture pour 1894 », Ottawa, Documents de la Session, vol. 28, n° 5,1895, documents 8 et 8a, p. 17-18. Par ailleurs, on pourra consulter la courte notice biographique consacrée à Russell dans le Dictionnaire biographique du Canada (voir Margaret Coleman, « Andrew Russell », vol. XI, p. 863-864).
2 Concessionnaires forestiers et firmes commerciales d'exportation de bois : le passage d'un capitalisme marchand à un capitalisme industriel
Jusqu'au début du XIXe siècle, l'exploitation forestière à des fins commerciales demeure, au Canada, une activité bien modeste. Bien que variée, la production acheminée à l'extérieur des colonies se maintient encore à un niveau peu élevé1. On invoque généralement l'adoption par la Grande-Bretagne de puissants tarifs préférentiels pour expliquer le véritable démarrage de l'exploitation forestière commerciale au Canada2. Cette explication appelle quelques réserves3, mais il demeure que les changements tarifaires apportent un souffle nouveau au secteur forestier. Cette politique, fort coûteuse pour les consommateurs britanniques, est provoquée par des difficultés accrues d'approvisionnement en matière ligneuse. Le bois est un produit vital pour l'économie anglaise et notamment pour la Royal Navy. Cela est encore plus vrai en temps
1 Voir, pour le Québec, Fernand Ouellet, Histoire économique et sociale du Québec, 1760 1850, Montréal, Fides, 1971, tome i, p. 177-178. 2 Ibid, p. 188-190 ; voir aussi R. Armstrong, Structure and Change : An Economie History of Québec, Toronto, Gage, 1984, p. 115. Lower a retracé les différents amendements apportés à cette structure tarifaire avantageuse pour les colonies d'Amérique du Nord. Voir A.R.M. Lower, «The Trade in... », p. 30-35. 3 Voir Douglas McCalla, « Forest Products and Upper Canadian Development, 181546 », Canadian Historical Review, vol. LXVIII, n° 2 (1987), p. 159-198.
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de guerre4. Les nouvelles mesures tarifaires se veulent un appel aux bois coloniaux, car on cherche alors à contourner le blocus napoléonien mis en place en 1806-1807, blocus qui tarit les sources habituelles d'approvisionnement situées autour de la Baltique. Si le Québec et le Nouveau-Brunswick répondent avec empressement à la demande métropolitaine, c'est en partie grâce à l'arrivée de firmes britanniques d'exportation de bois. Prototypes du capitalisme commercial, ces firmes expérimentées ont délaissé leurs activités dans les ports de la Baltique pour orienter leurs capitaux vers les colonies d'Amérique du Nord. En fait, elles auraient consenti à déplacer leurs activités à condition que l'on impose de façon durable des droits d'entrée élevés sur les bois de la Baltique5 (mieux placés pour satisfaire à la demande, une fois la paix rétablie). Ces entreprises commerciales, très actives tout au long du XIXe siècle, ont été décrites par Lower6. Il s'agit de succursales dont les maisons mères, situées en Grande-Bretagne, s'affairent aux quatre coins du globe. Leur rôle est celui d'intermédiaires. Leurs profits proviennent des différences qu'elles s'efforcent d'établir et de maintenir entre le prix d'achat et le prix de revente, profits qui s'inscrivent dans le cadre plus large du mercantilisme. En règle générale, ces succursales ne sont pas engagées directement dans la production : elles achètent les produits forestiers à Québec ou à Saint-Jean (Nouveau-Brunswick où ils leur sont livrés. Souvent, elles ont financé les producteurs, ce qui leur garantit des arrivages de bois de manière constante. La présence de ces firmes commerciales britanniques nous amène à analyser leur rôle dans le secteur forestier et les rapports qu'elles ont établis avec les producteurs de bois équarri et de bois de sciage7 et, en particulier, avec les concessionnaires forestiers. De prime 4 L'imposante flotte de navires britanniques a un besoin permanent de pièces de bois et de mâts pour réparer les bâtiments et en construire de nouveaux. Or, l'Angleterre est déficitaire en matière ligneuse depuis le milieu du XVIIe siècle. Par ailleurs, on oublie souvent que toute l'économie est en quelque sorte dépendante du bois, matériau par excellence de cette époque. Les marchandises, liquides ou solides, sont alors expédiées dans des tonneaux. Sans compter que même pour faire de la brique, il faut beaucoup de bois : 50 pieds cubes de bois durs sont nécessaires pour produire 2 ooo briques ; voir Charles Carroll, The Timber Economy of Puritan New England, Princeton, Princeton University Press, 1973, p. 9-10. 5 Lower a bien expliqué les différents motifs qui ont conduit la Grande-Bretagne à adopter des tarifs préférentiels élevés et durables, voir Gréât Britain's Woodyard..., p. 100-103 ' vou" aussi W.T. Easterbrook et H.J.G. Aitken, Canadian Economie History..., p. 193. 6 Gréât Britain's Woodyard..., p. 144-145. 7 Car il s'agit de deux catégories de producteurs différents, chacun se cantonnant dans un type de production; voir A.R.M. Lower, Gréât Britain's Woodyard..., p. 160.
29 Concessionnaires forestiers et firmes commerciales
abord, les entreprises commerciales et les producteurs ont très certainement des intérêts distincts: l'un achète, l'autre vend la matière ligneuse. Au lendemain de l'Union, ces deux groupes, dont nous ne parlerons pas pour l'instant du manque de cohésion interne, affichent des intérêts contraires et les politiques8 alors en vigueur concernant l'utilisation des forêts publiques refléteront cet état de chose9. En fait, le présent chapitre soutient que l'analyse détaillée de l'évolution des politiques, évolution que traduisent les amendements apportés à la réglementation, permet de suivre une autre évolution, celle des rapports de force entre les producteurs forestiers et les firmes commerciales. Nous démontrerons d'abord que les firmes commerciales occupent, dans le secteur forestier de la fin de la première moitié du XIXe siècle, une position dominante. En somme, les représentants du capitalisme commercial occupent encore une position de force, et cela se reflète dans les politiques et règlements. Par la suite, la situation des concessionnaires s'améliore grandement entre 1849 et 1855, comme en témoignent les amendements apportés, au cours de ces années, à la réglementation. Pour finir, nous nous arrêterons sur les causes profondes de l'amélioration des conditions d'accès aux forêts publiques imposées aux concessionnaires. 2.1
LA P O S I T I O N D O M I N A N T E DES FIRMES COMMERCIALES
Voyons d'abord rapidement les principales dispositions de la réglementation s'appliquant aux concessions forestières au cours des premières années de l'Union10. Chaque concession prend la forme d'un 8 En fait, il s'agit presque toujours de simples règlements qui déterminent les modalités d'affermage des concessions forestières. Notons que ce système d'octroi de permis de coupe sur les terres publiques est introduit en 1826 au Haut-Canada et en 1828 au Bas-Canada. Le contexte entourant sa mise en place a été fort bien décrit par Richard M. Reid; voir The Upper Ottawa Valley to 1855, Richard M. Reid, dir., Ottawa, Carleton University Press, 1990, p. 1 à lii. 9 Voir J.E. Hodgetts, Pioneer Public Service. An Administrative History of thé United Canadas, 1841-1867, Toronto, University of Toronto Press, 1955, p. 139-140; voir aussi R.S. Lambert et A.P. Pross, Renewing Nature's Wealth..., p. 111 et 125. Certes, comme l'a démontré A.R.M. Lower, certaines firmes commerciales ont investi leurs capitaux dans la production, mais il s'agit à ses yeux d'un phénomène exceptionnel; voir Gréât Britain's Woodyard..., p. 145-147. 10 Le premier règlement que nous ayons retrouvé et appartenant à cette époque est celui de 1842. Il s'agit à vrai dire d'une lettre dans laquelle le commissaire des Terres de la Couronne expose les conditions d'octroi d'un permis de coupe. Voir JALC, 1842, appendice T.
30 Les récoltes des forêts publiques
permis de coupe renouvelable à chaque année, si l'entrepreneur le désire. Afin d'être en règle, le titulaire de ce permis doit effectuer un premier déboursé équivalant au quart des droits de coupe qu'il estime devoir verser à la fin de la saison ; en d'autres termes, l'entrepreneur verse, au moment du renouvellement de son permis, une partie des redevances correspondant aux récoltes qu'il prévoit obtenir au cours de l'année, ces redevances étant établies selon les volumes, les produits et les essences récoltés. Le règlement oblige le concessionnaire à couper, pour chaque mille carré affermé, un certain nombre de pieds de bois. Il lui est donc impossible de déclarer, au moment de l'acquisition du permis, des prévisions trop modestes, ce qui lui éviterait de verser des sommes importantes avant même l'ouverture de son chantier. On lui interdit, en outre, d'obtenir une concession forestière de plus de 100 milles carrés de superficie dans un même secteur de la forêt publique. Quant au renouvellement de son permis de coupe, qui lui permettrait de poursuivre ses abattages la saison suivante, il n'est pas automatique, puisque ce permis peut, selon le bon vouloir du commissaire des Terres de la Couronne, être révoqué sans justification. En somme, le renouvellement d'un permis de coupe se veut un privilège et non un droit acquis. Enfin, dernière des dispositions essentielles régissant l'octroi des permis de coupe, le commissaire peut, en tout temps, vendre des terres situées à l'intérieur du périmètre constitué par la concession. Cette vente a pour effet de priver immédiatement le concessionnaire du droit de couper le couvert forestier du lot vendu. Il est aisé de voir que l'on cherche, dans toutes ces dispositions, à rendre la vie difficile aux producteurs désireux de s'approvisionner sur les Terres de la Couronne. D'abord, ils doivent avancer des liquidités11 ; ensuite, tout se passe comme si l'on cherchait à générer une surproduction, en forçant les producteurs à exploiter au maximum leur permis de coupe, quelle que soit la conjoncture économique. Quant à l'impossibilité de mettre la main sur plusieurs concessions forestières limitrophes12, cela constitue assurément une sérieuse entrave aux entrepreneurs. En effet, cette règle d'apparence anodine 11 Liquidités que les firmes commerciales s'empressent de verser moyennant des contrats d'approvisionnement rentables pour les firmes (voir A.R.M. Lower, Gréât Britain's Woodyard..., p. 164-169). Ce dépôt du quart des droits de coupe est introduit en 1836 dans le Haut-Canada et, selon Reid, favorise les gros producteurs (voir Richard M. Reid, dir., The Upper Ottawa..., p. Ivii). Il est clair qu'une telle mesure oblige les petits producteurs à dépendre financièrment des firmes commerciales. 12 Cet interdit était effectivement en vigueur au cours des années 1840 : nous avons pu le vérifier lors d'une analyse de la propriété des concessions forestières. Voir notre thèse de doctorat, p. 133-134.
3i Concessionnaires forestiers et firmes commerciales
les empêche d'accroître leur territoire de coupe dans une même région, voire sur un même bassin de rivière et, du même coup, de réaliser des économies d'échelle substantielles en ce qui a trait aux frais liés à la construction de routes, à l'aménagement des rivières, etc. En revanche, les firmes commerciales semblent être les grandes gagnantes de cette réglementation. Elles peuvent transiger en toute quiétude avec une foule de petits concessionnaires embarrassés par des surplus de matière ligneuse ou encore forcés de vendre aux entreprises qui ont assuré leur financement13. De telles situations garantissent des achats de bois à bon compte. Certes, cette interprétation des rapports de force en vigueur au sein du secteur forestier au lendemain de l'Union demande à être étayée si l'on veut en assurer la validité. C'est pourquoi nous avons puisé dans les témoignages de différentes commissions d'enquête tenues au cours des années 1840 la documentation nécessaire à cette fin. Voyons les principaux éléments tirés de deux de ces enquêtes. La première enquête a pour objet les modalités de l'inspection et du mesurage du bois acheminé à Québec pour être exporté14. Ces modalités sont importantes étant donné l'ampleur et la variété des bois acheminés à Québec ; elles ont été introduites pour la première fois en 1829. Amendées à deux reprises, soit en 1842 et en i84315, elles demeurent, en 1844 encore, un sujet de vives controverses. Il convient cependant d'exposer d'abord sommairement le fonctionnement du système de mesurage et d'inspection mis en place avant 1842. Question 16. Les plaintes qui se sont élevées sous l'ancien système, venaientelles principalement des manufacturiers du bois transporté à Québec, ou des
13 Pour un bel exemple de contrat de bois liant un producteur à une firme commerciale, voir les Archives publiques de l'Ontario, McLachlin Brothers Papers, « Umber Contract between D. & W. McLachlin and William Sharples & Son, Bytown, 17 October 1837». Ce contrat a été publié par Richard M. Reid, dir., The Upper Ottawa..., p. 131-132. 14 « Rapport du comité spécial, auquel on a envoyé la Pétition de John P. Paterson et autres, Inspecteurs et Mesureurs de Bois dûment autorisés pour la côte de Québec, et diverses autres Pétitions demandant des amendements à l'Acte des bois; - la Pétition de Ruggles Wright et autres habitants de la Rivière des Outaouais, intéressés au Commerce de bois demandant que les dispositions dudit acte ne soient ni modifiées ni changées ; et le Bill pour régler l'Inspection et le Mesurage du Bois, des Mâts, Espars, Madriers, Douves et autres articles de même nature, et pour révoquer l'Acte de la septième Victoria, chapitre vingt-cinq», JALC, 1844-1845, appendice OO. 15 Voir 6 Victoria, chap. 7, et 7 Victoria, chap. 25.
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À Sillery, près de Québec, les bois qu'on exporte par bateau vers l'Angleterre sont empilés dans les anses à bois que possèdent les firmes commerciales et les gros entrepreneurs. Ces anses servent autant pour le bois de sciage que pour le bois équarri, comme le montre cette photo datant vraisemblablement du dernier quart du XIXe siècle (APC, c 4778-A).
marchands qui chargeaient les bâtiments ; ou bien ces plaintes ont-elles été faites par les uns et les autres ? - Ce sont les manufacturiers qui se sont plaints ; sous l'ancien système, le marchand en Angleterre s'attendait que la spécification donnée à l'acheteur en Angleterre (c'est-à-dire le dénombrement des bois chargés) mesurerait de 8 à 10 pour cent de plus que le mesurage au Canada... Question 17. En quoi cet abus consistait-il principalement, en ce qui concerne les manufacturiers ? - En ce que le mesurage du serviteur à gages de l'acheteur était valable, et qu'il n'y avait aucun recours légal contre son mesurage lorsqu'il ne rendait pas justice16. Autrement dit, le système était tel que le mesurage du bois effectué par les employés des firmes commerciales - mesurage qui, bien sûr, sous-évalue les quantités réelles afin de minimiser le coût d'achat laisse le producteur sans recours. Sans doute sous les pressions des producteurs, le gouvernement adopte une loi qui institue, en 1842-1843, un service gouvernemental d'inspection et de mesurage du bois dirigé par un fonctionnaire, 16 Témoignages de John Egan et de Joseph Aumond.
33 Concessionnaires forestiers et firmes commerciales
Une autre anse à bois aux abords de Québec, celle de l'entreprise Gilmour & Co., située à l'Anse-au-Foulon (ou « anse de Wolfe »). Cette anse, comme les autres, est bordée d'habitations où vivent sans doute des travailleurs s'affairant à la manutention des bois, de même que des gardiens. D'ailleurs, la palissade qui clôture les établissements de cette entreprise, photographiée en 1860, témoigne de la valeur des produits forestiers entreposés (photographe : William Notman, APC, PA 149092).
appelé surintendant. Cette même loi prévoit que toute matière ligneuse expédiée à l'étranger doit être classée et comptabilisée par des mesureurs ou inspecteurs du service. Deux exemptions seulement sont prévues : le bois exporté en dehors de la région de Québec et les bois expédiés directement à l'étranger par le producteur. Dans un autre ordre d'idées, les mesureurs et inspecteurs, avant d'entrer en fonction, doivent faire la preuve de leur compétence auprès d'un organisme, appelé Bureau des Examinateurs. Mais retenons surtout que le litige soulevé par cette nouvelle loi porte sur l'obligation de recourir aux mesureurs gouvernementaux. À y regarder de plus près, les deux groupes, entreprises commerciales et producteurs, ne constituent pas des blocs campés dans des
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positions aussi contradictoires que notre lecture de la réglementation peut porter à le croire. La réalité historique est plus complexe : il n'y a pas que de « petits » producteurs et de « grosses » firmes commerciales. Les producteurs, par exemple, n'optent pas tous pour la même solution. Ainsi, les gros entrepreneurs de madriers défendent plutôt une position contraire à celle des autres exploitants forestiers17. Au sein des firmes commerciales aussi, on note des divergences notables, selon qu'elles sont ou non propriétaires d'une anse, c'est-à-dire d'un endroit où l'on peut procéder à l'entreposage, à la manutention, au mesurage, à l'inspection et au chargement des bois18. Voyons les arguments invoqués par chacun. Les propriétaires des grandes scieries, comme Hamilton et Low, John Thompson et Peter Patterson, George Benson Hall, sont au nombre des adversaires farouches du recours obligatoire aux mesureurs gouvernementaux. Leur position fort cohérente illustre parfaitement le fait que leur accumulation de capital les amène à se désolidariser de leurs collègues19. Sous l'ancien système (en vigueur avant 1842), comme ils en avaient les moyens, ils engageaient leurs propres mesureurs, chose peu courante chez les autres producteurs. Ils considèrent que les tarifs fixés par la loi pour les services des mesureurs gouvernementaux dépassent largement ceux qu'ils versaient auparavant20. Qui plus est : ces frais correspondent à l'embauche de mesureurs désignés par le gouvernement que les entrepreneurs n'ont pas choisis. Il leur arrivera même, parfois, de mettre en doute la compétence de ces mesureurs (vraisemblablement parce que ces derniers ne s'étaient pas montrés assez attentifs à leurs besoins ou à leurs intérêts)21. Enfin, la loi leur paraît discriminatoire parce que l'inspection du bois (et non son mesurage) est obligatoire seulement dans le cas du bois de sciage22. 17 Évidemment, les entreprises qui se chargent elles-mêmes de vendre leurs productions en Angleterre, comme celles de Price et de Gilmour, ne sont pas touchées par la loi et ne sont donc pas tenues de recourir aux mesureurs gouvernementaux. C'est pourquoi elles s'abstiennent de participer aux débats. 18 Lower avait déjà relevé ce manque d'homogénéité des firmes commerciales, certaines effectuant des achats de bois fort modestes. Voir Gréât Britain's Woodyard..., p. 153. 19 Leurs scieries produisent chacune entre 200 ooo et 400 ooo madriers annuellement, ce qui est beaucoup pour l'époque. 20 Voir les témoignages de John Thompson (question 51) et de George Benson Hall (question 142) ainsi que la 5e observation de Hamilton et Low (« Observations de MM. Hamilton et Low sur l'acte des bois du mois de décembre 1843 »). 21 Voir le témoignage de John Thompson (question 51). 22 L'inspection et le mesurage sont deux étapes distinctes, qui peuvent être menées par la même personne, en l'occurrence le mesureur.
35 Concessionnaires forestiers et firmes commerciales La loi actuelle pèse d'une manière particulière sur nous comme propriétaires de moulin. Comme nous l'avons déjà dit, l'inspection est obligatoire pour les madriers, tandis qu'elle ne l'est pas pour le bois équarri, quoique, relativement à ces deux branches de commerce, il est clair que les manufacturiers de madriers ont droit à plus d'égards, de protection et d'indulgence, vu le montant considérable du capital qu'ils sont obligés d'employer à la construction des moulins, et pour les autres améliorations nécessaires aux opérations de ce commerce. On sait d'ailleurs que ces améliorations sont d'un grand avantage pour les endroits où elles se font; et que ces avantages sont permanents et beaucoup plus considérables que ceux qu'entraînent les opérations passagères et transitoires du commerce du bois équarri23.
Ils proposent le libre choix du mesureur, à condition qu'il soit reconnu compétent par les autorités. De cette façon, les propriétaires préférant recourir aux services d'un mesureur du bureau du surintendant et prêts à payer les frais fixés par la loi pourraient le faire, mais les autres devraient avoir la possibilité d'engager leur propre mesureur24. Mais deux groupes revendiquent avec force le maintien de la loi de 1842 (l'obligation de recourir aux mesureurs désignés par le gouvernement), révisée en 1843 : les petits entrepreneurs de madriers et de bois équarri et les firmes commerciales non propriétaires d'anse25. En somme, ceux qui disposent de moins de capitaux ou d'installations portuaires. Le recours à des mesureurs indépendants de l'acheteur et du vendeur constitue à leurs yeux la seule façon de réaliser des transactions équitables26. John Sharples, ancien partenaire d'une firme commerciale engagé à titre de surintendant des mesureurs, a bien expliqué le point de vue de ces deux groupes27 (tout en défendant bien son emploi !). Selon lui, le libre choix entraînerait le départ progressif des mesureurs du gouvernement, qui iraient chercher du travail, assorti de meilleures garanties, auprès 23 «Note additionnelle à l'observation #13 de Hamilton et Low». Ce discours sera repris maintes fois par les concessionnaires œuvrant dans le sciage et finira, comme nous le verrons plus tard, par sensibiliser les autorités gouvernementales à leurs besoins spécifiques. 24 Voir les témoignages de G.B. Hall (question 151) et de John Thompson (question 51) et la 15e observation de Hamilton et Low. 25 Ces firmes ne peuvent pas engager leurs propres mesureurs puisque ces derniers sont toujours fournis par les propriétaires des anses. 26 Voir les témoignages de John Egan (question 6), de Joseph Aumond (question 6), de Donald McArthur (question 82), de C.E. Dunn (question 6), de A. Cook (question 86) et de James Dean (question 128). 27 Voir les témoignages de John Egan (question 25) et d'Alexander McBean (question 65).
j6 Les récoltes des forêts publiques
des propriétaires d'anse. En somme, le surintendant se retrouverait sans mesureur pour appliquer la loi28. Pareille position allait, bien sûr, à l'encontre des intérêts des firmes commerciales propriétaires d'anse, lesquelles se feront entendre par l'entremise de la Chambre de Commerce de Québec29. Leur réclamation reprend, en fait, celle des gros entrepreneurs de madriers: liberté totale de choisir le mesureur. Exposés à l'amende et à l'emprisonnement en cas de fraude, les mesureurs, soutient la Chambre de Commerce, peuvent fort bien être engagés par une des parties30. En outre, leur impartialité est garantie par la vigilance du Bureau des Examinateurs, de telle sorte que les abus de l'ancien système - dont ils ont reconnu l'ampleur - ne pourront se répéter. Dans ce débat, une question présente un intérêt particulier : pourquoi les firmes commerciales adoptent-elles une position contraire, selon qu'elles sont ou non propriétaires d'une anse? Tout simplement parce que la propriété d'une anse permet de réduire les coûts inhérents au mesurage, car au lieu de verser les tarifs fixés par la loi à des mesureurs qu'ils n'auraient pas choisis, les firmes propriétaires peuvent engager des mesureurs beaucoup plus attentifs à leurs intérêts31. Les témoignages à ce sujet sont assez nets : les mesureurs à l'emploi d'un propriétaire d'anse ont tendance à sous-estimer les quantités, au profit de leurs employeurs. Les acheteurs britanniques, dépourvus d'anse, sont alors à la merci d'un propriétaire d'anse avec lequel ils devront absolument transiger. Chez les producteurs, on observe également de profondes divergences d'intérêts. Deux types de rapports ont été établis avec les acheteurs. Certains sont soumis à une forme de dépendance économique, à telle enseigne que le recours à un mesureur désigné par le gouvernement est considéré comme un moyen d'obtenir de meilleures transactions. D'autres, par contre, transigent d'égal à égal avec les firmes commerciales, comme c'est le cas pour les gros entrepreneurs de madriers, dont les volumes élevés de production leur permettent de vendre à plusieurs firmes32. De plus, les installations 28 Voir son témoignage (question 121). 29 II est cependant inexact d'associer la Chambre de Commerce de Québec aux intérêts exclusifs des firmes commerciales propriétaires d'anse. Voir le témoignage de James Dean, membre de la firme Dean, Rodgers & Co. (question 136). 30 Voir les ire et je objections du Conseil de la Chambre de Commerce (« Objections contre le bill actuel des bois »). 31 Nous ignorons toutefois jusqu'à quel point le fait de ne pas être propriétaire d'anse signifie qu'il s'agit alors de firmes commerciales de petite envergure. Mais certains indices, exposés plus loin, portent à conclure dans ce sens. 32 En 1844, par exemple, Hamilton et Low vendent leurs madriers à quatre firmes commerciales (voir le document présenté par Charles Adamson Low).
37 Concessionnaires forestiers et firmes commerciales
portuaires qu'ils possèdent à proximité de Québec leur permettent d'engager leur propre main-d'œuvre pour la vente et le transbordement des madriers33. Ce sont eux et non les firmes commerciales qui dénombrent et inspectent leurs marchandises avant l'exportation. Face à ces opinions contradictoires, le comité tranchera en faveur de trois des quatre groupes dans leurs recommandations. Seules les firmes commerciales propriétaires d'anse paraissent avoir été mises de côté. Dorénavant, le mesurage et l'inspection du bois équarri doivent être faits par des mesureurs gouvernementaux (mesure avantageuse pour les producteurs et les acheteurs dépourvus d'anse), tandis que le recours à ces employés gouvernementaux est facultatif pour le bois de sciage (à la grande satisfaction des grosses entreprises de madriers). Quelques années plus tard, une autre enquête est tenue sur un sujet fort différent, soit la possibilité d'ériger un marché public pour le bois équarri34. Les témoignages entendus permettent de mieux apprécier la situation économique des producteurs de bois équarri au moment où les hommes politiques canadiens viennent tout juste de conquérir la responsabilité ministérielle. Afin de bien saisir l'enjeu de ce nouveau débat, laissons l'un des témoins présenter la situation prévalant lorsque les radeaux de bois d'un entrepreneur arrivent à Québec pour y être vendus. Les radeaux de bois en arrivant au marché de Québec sont généralement attachés en dehors des divers bornes ou quais situés sur les deux rives du Saint-Laurent...et lorsqu'ils sont vendus, ils sont généralement toués dans le borne de l'acquéreur; si ces radeaux ne sont pas promptement vendus en arrivant, le propriétaire doit, comme de raison, pour la sûreté de son bois, prendre des arrangements pour le mettre dans quelques bornes. (...) (Quant au bois)... qui doit être livré à Québec ou sur lequel des personnes qui sont intéressées dans les bornes ont avancé de l'argent... (il sera) immédiatement toué dans les bornes des parties respectives35. 33 Nous verrons encore mieux, plus loin, en quoi ces installations sont précieuses pour les producteurs. C'est d'ailleurs probablement dans cette perspective que John Egan, considéré comme l'un des plus gros producteurs de bois équarri du Canada, s'est associé à d'autres entrepreneurs afin de s'installer au Cap-Rouge, vers 1850 (voir l'Acte pour incorporer la Compagnie des Jetées, Quais et Bassins du CapRouge, 16 Victoria, chap. 157). 34 Voir le «Premier rapport du comité spécial du commerce du bois», JALC, 1849, appendice PPPP. 35 Témoignage de John Sharples (questions i et 2). Notons que Sharples confirme ici que plusieurs firmes commerciales avançaient de l'argent aux producteurs. Voir aussi sur ce sujet Louise Dechêne, «Les entreprises de William Priée», Histoire sociale - Social History, vol. i (avril 1968) : p. 28-29.
38 Les récoltes des forêts publiques
Au dire de plusieurs témoins, les intempéries sur le fleuve forcent souvent les producteurs à chercher rapidement à se mettre à l'abri dans une anse36. Mais en agissant de la sorte, ils réduisent leurs chances de négocier la vente de leurs bois à bon prix, car « le marchand de Québec donnera toujours la préférence au radeau qu'il pourra conduire dans ses bornes, car si le radeau est dans le borne d'une autre personne, la valeur du bois diminue d'à peu près le montant des frais d'embarquement... (qu'il sera tenu de payer au propriétaire de l'anse)37». On le devine aisément, ces témoignages sont favorables à l'érection d'un marché public pour le bois équarri. Et ils ne sont pas les seuls, puisque même certaines firmes commerciales en ont fait la proposition à leur tour38. Leur adhésion à ce projet vient du fait que le système de propriété privée des anses impose également des contraintes aux acheteurs. C'est du moins le sens qu'en donne le rapport du comité : «... (le marché public) aurait indubitablement un effet avantageux sur le commerce en rendant le vendeur indépendant de l'acheteur, et permettant ainsi à ceux qui font de petits achats d'acheter sur un marché qui n'est pas contrôlé par les riches propriétaires de bornes et les exportateurs qui monopolisent le commerce39. » Dégageons maintenant quelques éléments des deux enquêtes examinées. D'abord, elles auront permis de vérifier l'existence, au cours des années 1840, de deux groupes forestiers assez distincts : les producteurs, vendeurs de matières ligneuses, et les firmes commerciales. Ces dernières, et plus précisément les grosses firmes propriétaires d'anse, tiennent le haut du pavé, en comparaison de la plupart des producteurs de bois, et notamment de ceux qui œuvrent dans le bois équarri. De ce point de vue, la réglementation en vigueur durant cette période laisse sous-entendre que les firmes influencent en leur faveur la définition des règles d'accès au domaine public, ce que corroborent les témoignages entendus lors de ces deux enquêtes. Mais se dégage aussi de ces témoignages l'impression que les rapports de force sont précaires. Les producteurs, de mieux en mieux organisés, cherchent l'aide de l'État afin d'améliorer leur sort. Leurs revendications seront en partie exaucées. Certains producteurs se sont déjà affranchis du rapport de dépendance à l'endroit des firmes 36 Voir les témoignages de Asa Cook (question 47), de Peter Aylen (question 39) et de Ruggles Wright (question 33). 37 Témoignage de David Douglas Young (question 23). 38 Voir le témoignage de David Douglas Young, associé à la firme G.B. Symes et Co. (questions 22 et 24). 39 « Premier rapport du comité spécial du commerce des bois ». Notons qu'en dépit d'un avis favorable du comité, le marché public ne sera jamais construit.
39 Concessionnaires forestiers et firmes commerciales
commerciales. D'abord, il y a les entrepreneurs qui se chargent euxmêmes de l'acheminement des bois en Angleterre. Fort peu nombreux, ils ne sont pas intervenus dans ces débats. Les gros producteurs de madriers, pour leur part (et peut-être même quelques gros producteurs de bois équarri comme John Egan40) imposent, par les volumes de bois qu'ils déversent sur le marché, des conditions de vente les hissant au rang de partenaires et non plus de fournisseurs captifs. Ces deux exceptions annoncent des changements qui s'accéléreront à partir de la décennie de 1850.
2.2
L ' A M É L I O R A T I O N DES CONDITIONS D'EXPLOITATION DES CONCESSIONS
Les années 1849 à 1855 peuvent être considérées comme une période charnière dans l'histoire de la réglementation régissant l'accès aux forêts publiques. Au cours de ces années, plusieurs dispositions importantes font l'objet de modifications en profondeur. Voyons les clauses en question et le contexte de ces modifications. Dès i84941, on s'attaque à trois d'entre elles, jugées particulièrement irritantes pour les concessionnaires. Ainsi, on abolit l'interdiction de posséder plusieurs permis dans un même secteur, qui entravait sérieusement la constitution de blocs de concessions forestières. On va même plus loin en reconnaissant aux concessionnaires le droit de renouveler leurs permis de coupe42. Enfin, la vente d'une terre à l'intérieur d'une concession ne supprime plus dorénavant les droits du concessionnaire relativement à l'exploitation du couvert forestier du lot du colon, puisqu'il a maintenant jusqu'au ier mai suivant l'attribution du lot pour exercer ses prérogatives. En 185143, l'obligation d'exploiter la concession et celle de verser à l'avance le quart des droits de coupe que l'on prévoit devoir sont à leur tour abolies. La nouvelle mesure prend la forme d'une rente foncière payable annuellement et dont le taux double à chaque année si la concession n'a pas été suffisamment exploitée. En 1855, un 40 Ce dernier déclare une production de plus d'un demi-million de pieds cubes de bois équarri en 1844-1845. Et cela, sans compter les nombreux achats qu'il aurait faits sur des terres privées. Voir JALC, 1846, appendice CC. 41 Voir la Gazette du Canada, 1849, p. 6998-6999. 42 On se rappelle qu'auparavant le renouvellement n'était pas garanti, même lorsque le concessionnaire avait respecté tous les règlements. Notons que ce droit était sans doute, dans la pratique, déjà accordé, puisque nous n'avons repéré aucun cas de non-renouvellement de permis de coupe. Voir la Gazette du Canada, 1849, p. 69986999, article 8. 43 Voir la Gazette du Canada, 1851, p. 11217.
40 Les récoltes des forêts publiques
nouvel amendement fixe une limite à l'augmentation de ce taux : le montant de la rente foncière ne pourra plus dépasser ce que la concession, dûment exploitée, pourrait générer en droits de coupe44. Examinons les tenants et les aboutissants de ces amendements, qui tirent leur origine d'une commission d'enquête tenue en i84945 (et dont le mandat était d'examiner les causes de la crise économique qui avait affecté gravement le commerce du bois en 1847-1848). Les témoignages entendus, quoique partiaux, se révèlent fort instructifs. Les témoins, apparemment tous des producteurs, ont désigné la réglementation comme étant l'une des causes majeures de la crise. Ne nous arrêtons pas sur le bien-fondé de cette dénonciation46, mais sur ses conséquences, car les témoins ont proposé comme correctifs des amendements qui seront pour la plupart adoptés (la même année ou ultérieurement). Mettant l'accent sur les pertes encourues dans la recherche d'améliorations et sur les investissements requis pour l'exploitation des concessions, plusieurs entrepreneurs souhaitent l'établissement d'un droit de renouvellement des permis47. Pour les mêmes raisons, on recommande que soit accordé aux concessionnaires concernés un droit temporaire sur les bois des lots de colonisation nouvellement vendus. Cette mesure, dit-on, est devenue nécessaire parce que plusieurs individus, appelés « faux colons », cherchent à obtenir des lots bien boisés à l'intérieur des concessions forestières. «Comme les terres où se fait l'exploitation des bois sont généralement plus précieuses pour le bois que pour le sol, et sont souvent achetées pour le bois qui rapporte en droits un montant cinq fois plus fort que le prix d'achat, et que le manufacturier peut éprouver des embarras et des pertes précieuses48... » Une fois le bois coupé et vendu à leur profit, ces faux colons quittaient le lot - n'ayant pas véritablement l'intention de le coloniser -, ce qui privait le concessionnaire de son bois. Par ailleurs, une question bien insidieuse, posée par les commissaires, pousse les témoins à réclamer l'abolition du versement anticipé (ou dépôt) et la suppression de l'obligation d'exploiter les 44 Voir la Gazette du Canada, 1855, p. 1154. 45 Voir JALC, 1849, appendice PPPP. 46 Les témoins n'ont pas pu ou n'ont pas voulu signaler les causes internationales de cette crise. 47 II faut comprendre que ce droit désormais reconnu constitue un avantage précieux pour les entrepreneurs qui cherchent du financement auprès des institutions financières, celles-ci étant ainsi rassurées quant à la constance des sources d'approvisionnement en matière ligneuse. Les institutions financières exigeront plus tard des garanties encore plus solides ; voir notre thèse de doctorat, chapitre 9. 48 Témoignage de W.W. Dawson (question 78).
4i Concessionnaires forestiers et firmes commerciales
permis de coupe : « Pensez-vous qu'il y ait du danger que la coupe des bois sur les terres incultes de la Couronne soit monopolisée, et quel moyen peut-on prendre pour les prévenir (sic)49 ? » La formulation de cette question donne à penser que des firmes commerciales auraient peut-être participé à l'enquête, bien qu'on ne puisse identifier aucun de leurs représentants sur la liste des témoins50. Ces firmes sont les premières concernées par une trop grande concentration des permis de coupe, qui pourrait permettre aux producteurs d'accroître leur volume de vente et, conséquemment, leur pouvoir de négociation. Il ne faut cependant pas croire que cette question n'intéresse que les firmes commerciales. Plusieurs concessionnaires manifestent des inquiétudes face à la menace de monopolisation des forêts publiques. Mais ils ajoutent que la mesure alors en vigueur pour contrer cette menace a causé encore plus de torts. C'est dans ce contexte que certains concessionnaires réclameront, en lieu et place, l'établissement d'une rente foncière. Bien sûr, cette proposition n'a pas l'heur de plaire aux firmes commerciales, et c'est sans doute pour cette raison qu'elle n'est pas adoptée immédiatement. Il s'écoule deux ans avant que l'idée ne fasse son chemin, grâce notamment à l'appui d'A.J. Russell, ce haut fonctionnaire influent du ministère des Terres de la Couronne du Canada51. Le dernier amendement dont il convient d'examiner le contexte est celui de l'adoption, en 1855, d'un plafond à la majoration du taux de la rente foncière. Cet épisode, fort instructif, place le commissaire des Terres de la Couronne au centre du débat. Sur cette question de la rente foncière, deux positions contradictoires: celle des concessionnaires et celle des firmes commerciales. Les concessionnaires interviennent les premiers en s'adressant - et cela mérite qu'on le souligne - directement au commissaire52 : Your Memorialists hope that thé Government will adopt such measures as will enable thé parties interested, to suspend their opérations in thé way of production, without préjudice to their présent rights, as obtained by Government in thé way of Timber Berths, and on which so much Capital has been 49 Question 75. 50 Quant aux producteurs, non seulement sont-ils bien entendus, mais, en outre, quatre d'entre eux siègent comme membre du comité; voir H.V. Nelles, The Poïitics of...,p. 13. 51 Voir R.S. Lambert et A.P Pross, Renewing Nature's Wealth..., p. 133. 52 Auparavant, les producteurs faisaient parvenir leurs requêtes au gouverneur général. On en trouvera quelques exemples dans Richard M. Reid dir., The Upper Ottawa..., p. 136-137, p. 152-153 et p. 169-170.
42 Les récoltes des forêts publiques invested by them ; thé suspension of thé régulation, which enforces thé Party holding thé timber berths to pay an annual ground rent -this would enable thé Licence holder, to refrain from producing, until thé gréât dépression which thé Trade now labours under partially recovers53...
La requête des concessionnaires auprès du commissaire, concernant la suspension du versement de la rente foncière, amène les firmes commerciales à s'adresser à un allié naturel, le gouverneur général, et à lui demander le respect intégral de la réglementation. Leur lettre est éloquente et mérite d'être longuement citée tellement elle laisse transparaître les motifs réels de leur intervention. That a pétition has been presented to thé Honorable Commissioner of Crown Lands signed by parties who hold ...licences for cutting timber on lands belonging to thé Crown praying that... Your Memorialists désire to inform your Excellency that of late years thé bulk of thé lumber limits of thé Crown has been monopolised by a few houses of larges means to thé almost total exclusion of those means of influence was not so gréât as to obtain them and your Memorialists believe that thé présent holders are quite able to pay thé sums agreed for, and so fulfill their engagements and obligations. Therefore your Memorialists respectfully suggest that if thé présent holders of Crown Limits are unwilling or unable to pay, that they do forfeit thé same and that your Excellency will be pleased to throw thé same open to thé compétition of ail connected with thé trade...54
Devant ces requêtes contradictoires, le commissaire Joseph Cauchon mettra de l'avant une solution de compromis à l'avantage des concessionnaires puisqu'il propose, comme on le sait, l'adoption d'un taux maximal de rente foncière. Dans son rapport annuel de 1856, le premier rapport de cette nature à être publié dans les Documents de la Session, on retrouve ce qui a motivé sa décision. Retenons, pour la compréhension de ce riche épisode, qu'il a refusé de suspendre l'application de la clause relative à la rente foncière, afin d'éviter de créer un précédent. Mais, et c'est peut-être là l'essentiel, 53 Québec, Archives nationales du Québec, ministère des Terres et Forêts, correspondance générale, 4144X1855. 54 Québec, Archives nationales du Québec,... 4155X1855. Notons que leur recommandation (à l'effet d'annuler purement et simplement les permis de coupe dont les titulaires n'ont pas respecté leurs obligations) sera effectivement mise en application entre 1855 et 1858, avec un zèle inégalé par la suite et qui souligne peut-être encore l'influence cachée des firmes commerciales.
43
Concessionnaires forestiers et firmes commerciales
il a fait preuve d'une excellente compréhension des intérêts des concessionnaires forestiers. Nous y reviendrons.
2.3
LES R A I S O N S DE L ' A D O U C I S S E M E N T
DE LA R É G L E M E N T A T I O N CONCERNANT L'AFFERMAGE
Quelles sont les causes de cet indubitable adoucissement des règles d'accès au domaine public? Cela réside en partie dans le renforcement de la position des concessionnaires face aux firmes commerciales, grâce à l'accumulation de capital provenant du procès de production. Les bénéfices réalisés lors de la vente ont permis à quelques-uns, comme John Egan, d'acquérir leurs propres installations portuaires ou, plus simplement, d'augmenter considérablement leurs volumes de vente et leur pouvoir de négociation. Il y a plus que cela. L'arrivée, au début des années 1850, de riches entrepreneurs américains, dans l'Outaouais55, en Mauricie ou ailleurs, contribue à renforcer la position des concessionnaires. Les capitaux qu'ils ont investis dans les scieries ont pour effet d'accoître leur visibilité et de favoriser l'expression de leurs intérêts. Cela est d'autant plus vrai qu'on assiste à une réorientation des marchés. L'ouverture progressive du marché américain du bois de sciage canadien entraîne en effet des bouleversements majeurs. Année après année, de grandes quantités de bois sont acheminées, non plus vers la Grande-Bretagne, mais vers l'Est américain. Les firmes britanniques ne monopolisent plus la vente de la matière ligneuse à l'étranger puisque les exploitants forestiers s'en chargent de plus en plus. Cet écoulement des récoltes est d'autant plus facile que les marchés sont à proximité et que l'on peut compter sur un réseau complet de canaux et de chemins de fer. Et ce n'est pas tout : même le marché britannique est en mutation. L'abolition des tarifs préférentiels a réduit la place réservée au bois canadien et, de ce fait, la marge de manœuvre des firmes commerciales œuvrant au Canada. Il y a lieu de noter également un autre facteur, tout aussi décisif, soit le transfert de capitaux, du secteur commercial vers les scieries et chantiers. Transfert que favorise sans doute l'abolition des tarifs préférentiels en Angleterre. Des informations encore fragmentaires autorisent une interprétation se démarquant de celle de A.R.M. Lower, qui affirmait qu'il y avait eu peu de transferts d'un secteur à 55 C'est au cours de cette période que Levi Young, William Perley, Gordon Pattee, A.H. Baldwin et l'entreprise Bronson & Weston s'installent dans la région.
44 Les récoltes des forêts publiques
l'autre. D'une part, les cas de transfert sont plus nombreux que ne le pensait Lower: aux cas de Price, Gilmour et Usborne, mentionnés par l'historien56, il faudrait ajouter ceux d'Atkinson, Hamilton, Young (D.D.), Dunn, Carbray et Routh. D'autre part, beaucoup de firmes commerciales ont fini par acquérir des permis de coupe. Quels que soient les motifs entourant ces acquisitions (engagement délibéré dans la production, appropriation consécutive à une dette impayée57, etc.), les firmes commerciales seront amenées, à titre de concessionnaires, à défendre de nouveaux intérêts. En voici un exemple éloquent, datant de 1858, au moment du débat sur un projet de loi visant à accroître les droits des colons sur la matière ligneuse, et cela au détriment des concessionnaires: parmi les signataires d'une requête visant à faire obstacle au projet, on compte sept des seize firmes commerciales impliquées dans la requête de 1855. Quel revirement! Nous serions tenté d'y voir l'éclosion d'une communauté d'intérêts sans cesse grandissante. Comme si le conflit opposant firmes commerciales et producteurs perdait de sa vigueur à compter de la fin des années 1850. Dernier facteur : l'évolution du contexte politique. L'avènement de la responsabilité ministérielle, en 1848, permet aux concessionnaires, qui disposent d'une représentation efficace à l'Assemblée Législative, d'exercer des pressions de plus en plus fortes. L'enquête de 1849 en fournit déjà un bon exemple: quatre membres du comité défendaient leurs intérêts. La responsabilité ministérielle signifie aussi que le pouvoir ultime en matière de gestion forestière n'est plus entre les mains du gouverneur général, mais entre celles du commissaire des Terres de la Couronne58. Ce dernier, homme du pays, épouse plus facilement les opinions des concessionnaires, d'autant plus que les redevances qu'ils versent constituent un apport non négligeable au budget de l'État. Il est révélateur que les firmes commerciales aient adressé, en 1855, leur requête au gouverneur général et non au commissaire. 56 A.R.M. Lower, Gréât Britain's Woodyard..., p. 144-148. 57 C'est le cas de Price, qui est bien connu, mais c'est aussi celui des frères Hamilton qui, en 1810, prennent possession de la scierie de Thomas Mears à Hawkesbury pour une dette impayée. Voir Richard M. Reid dir., The Upper Ottawa..., p. xlviiixlix. 58 II n'est pas improbable que les gestionnaires du domaine public aient eu, depuis l'Union, une certaine autorité dans l'adoption des politiques. En effet, le gouvernement impérial avait accordé la juridiction du domaine public à la province du Canada à la condition qu'elle se charge des salaires de l'ensemble des fonctionnaires (la liste civile). Jusqu'à plus ample informé, il faut néanmoins retenir l'avènement de la responsabilité ministérielle comme point tournant.
3 Le passage du bois équarri au bois de sciage au Québec et en Ontario (1851-1874)
Le milieu du XIXe siècle constitue, à n'en pas douter, une période charnière dans le développement de la société canadienne. Quoique encore modestes, les processus d'industrialisation et d'urbanisation amorcent un tournant décisif, modifiant ainsi lentement la vieille structure sociale. L'exercice du pouvoir politique, remanié par l'obtention de la responsabilité ministérielle, permet l'adoption de nouvelles politiques économiques qui accélèrent les mutations. La loi de 1849 garantissant le financement de la construction ferroviaire est l'une de ces nouvelles politiques qui a de lourds effets d'entraînement. Dans ces circonstances, il ne faut pas se surprendre que le secteur forestier québécois et ontarien traverse une phase de mutation. Des liens étroits mais difficiles à mesurer relient tous ces phénomènes. Une des manifestations les plus visibles de cette mutation du secteur forestier est sans contredit le passage du bois équarri au bois de sciage. De façon plus précise, et dans la poursuite de notre questionnement, nous chercherons à fixer la chronologie de cette mutation, à identifier ses causes, tout en dégageant d'autres hypothèses de travail. La période analysée dans le présent chapitre s'étend des années 1851 à 1874. Elle constitue l'un des moments clés du développement du secteur forestier au cours du XIXe siècle. Comment se présente l'évolution annuelle des récoltes de matière ligneuse en provenance des forêts publiques1? Pour simplifier la i L'analyse exposée dans ce chapitre porte uniquement sur les forêts publiques. Les données annuelles des forêts et terres privées sont rarissimes, ce qui ne nous empêchera pas d'examiner, dans le cadre du présent ouvrage, la place des terres privées dans le secteur forestier, lorsque l'occasion s'en présentera.
46 Les récoltes des forêts publiques
présentation, nous retiendrons uniquement les récoltes de bois de sciage et de bois équarri2 et nous tairons le long travail de recherche et d'analyse lié à la production de séries statistiques homogènes, continues et fiables3. En outre, nous éliminerons pour le moment presque toutes les données régionales des récoltes forestières, sujet que nous aborderons à fond plus loin4. Retenons néanmoins qu'il faut éviter d'extrapoler, à partir des données de la province du CanadaUni, sur les performances des activités régionales. Dernier point à souligner: les données détaillées sur l'ensemble de la production canadienne antérieure à la saison 1851-1852 ne sont pas disponibles5. Le graphique 3.1 fait la synthèse de l'évolution des récoltes. De façon générale, on peut avancer que le secteur forestier, sous l'Union et au cours des années subséquentes, connaît une expansion marquée, grâce à un contexte économique favorable. En effet, un mouvement conjoncturel de longue durée, à la hausse, traverse toute cette période6. L'économie est donc en expansion et les prix sont à la hausse. 3.1 LES R É C O L T E S DE BOIS DE S C I A G E ET DE BOIS É Q U A R R I
Si le contexte économique stimule la production forestière entre 1851 et 1874, il n'exerce pas la même influence sur les récoltes de bois équarri et sur celles de bois de sciage (voir graphique 3.1). L'abattage de bois de sciage, au Québec et en Ontario, fait des progrès soutenus et remarquables durant ces années. On dénombre, en 1873-1874, sept fois plus de billots qu'à la saison 1851-1852. Cette tendance contraste avec la stabilisation des récoltes de bois équarri. Autre aspect digne
2 Au cours de cette période, les autres produits forestiers occupent globalement une place relativement marginale dans la production des deux provinces. Il s'agit de pièces destinées à la construction navale, de traverses de chemin de fer, de piquets, de poteaux, etc. 3 Ce traitement des données a été exposé en détail dans un ouvrage antérieur : Guy Gaudreau, L'exploitation des forêts publiques...; par la suite, nous avons poursuivi avec deux collaborateurs, Claire-Andrée Fortin et Robert Décarie, la réflexion sur les données brutes dans le cadre d'une commandite du Conseil attikamek-montagnais. Une partie de ces nouveaux résultats ont été publiés dans la Revue d'histoire de l'Amérique française, « Les récoltes des forêts publiques (1850-1945). Proposition de correction des données », vol. 46, n° 3 (hiver 1993) : p. 485-499. 4 Voir les chapitres 5, 6 et 7 du présent ouvrage. 5 Nous tenterons plus loin de prendre grossièrement la mesure des activités forestières au cours de la période de 1840 à 1850. 6 J. Hamelin et Y. Roby, Histoire économique..., p. 76.
47 Passage du bois équarri au bois de sciage Graphique 3.1 Production de bois de sciage et de bois équarri provenant des forêts publiques québécoises et ontariennes, 1852-1874, en millions de prnp
Notes 1 Le tableau A_4, à l'annexe 3, présente les données originales. 2 Le bois équarri a été transformé en pmp sur la base de 7 pmp pour un pied cube. Quant aux billots de sciage, nous avons estimé leur volume physique de la manière suivante : i) billes de pin : 230 pmp pour les saisons 1851-1852 et 1852-1853, 215 pmp de 1855-1856 à 1858-1859, 205 pmp de 1859-1860 à 1863-1864,190 pmp de 1864-1865 à 1868-1869,18o pmp de 1869-1870 à 1873-1874 ; 2) billes d'épinette : dans le même ordre, 130 pmp, 125 pmp, 120 pmp, 115 pmp et 110 pmp. Sources : saison 1851-1852 : JALC, 1853, appendice QQQQ; saison 1852-1853 : Archives publiques de l'Ontario, Crown Lands, Timber Sales Brandi, vol. 16, Statements of Opérations (dorénavant APO, Crown Lands, vol. 16) ; saisons 1855-1856 à 1866-1867: Rapport annuel du commissaire des Terres de la Couronne de la province du Canada (dorénavant RCTCC); saisons 1867 à 1873-1874 : Rapport annuel du commissaire des Terres de la Couronne de la province de Québec (dorénavant RCCTQ) et Rapport annuel du commissaire des Terres de la Couronne de l'Ontario (dorénavant RCCTO).
d'intérêt: il s'agit en fait essentiellement de récoltes de pin équarri (approximativement 95 % de la production). Seule la coupe du bois de sciage fait des gains durant cette période. Il n'y a donc pas seulement croissance des récoltes en volume physique, mais aussi mutation. L'exploitation forestière sur le domaine public se transforme grâce aux nombreuses scieries érigées ici et là. Mais quand y a-t-il prédominance du bois de sciage sur le bois équarri ? Et, question plus importante encore : comment comparer les récoltes des deux produits forestiers alors que leurs unités de mesure sont différentes (le billot pour le bois de sciage et le pied cube pour le bois équarri) ?
48 Les récoltes des forêts publiques
Quoique imparfaits, deux points de repère peuvent servir à établir cette comparaison. Premièrement, on pourrait recourir au volume physique de ces deux catégories de bois. Après tout, les volumes physiques fourniront une bonne approximation des efforts déployés à l'abattage. Si le bois équarri est mesuré et comptabilisé en pieds cubes, le bois de sciage utilise une unité comptable fort imprécise quant à son volume physique. En effet, le billot affiche un diamètre - et conséquemment un volume physique - qui peut varier énormément, d'abord en fonction des essences - le pin blanc atteint des dimensions de loin supérieures à celles de l'épinette -, mais aussi en fonction de l'année où l'arbre a été abattu7. Les plus beaux spécimens ayant été coupés les premiers, le diamètre du billot décroît sans cesse. Mais puisque nous cherchons ici à cerner avec précision le passage d'un produit forestier à un autre, leur comparaison exige des points de repère plus sûrs, ce qui nous interdit de recourir au volume physique. D'autant plus qu'il s'avère impossible d'estimer de manière juste les volumes physiques du bois de sciage québécois et ontarien sans entrer immédiatement dans des détails complexes et fastidieux. Un deuxième point de repère souvent retenu dans les comparaisons demeure la valeur, en l'occurrence celle des deux produits forestiers. Mais les prix fixés à l'époque n'ayant pas encore fait l'objet d'une compilation systématique, sauf dans le cas des produits exportés, où la valeur du bois de sciage est établie principalement selon le volume physique, cela ne nous avance guère. Le plus simple - et telle est la solution que nous avons finalement retenue - consistait à recourir aux droits de coupe versés à l'État pour les produits forestiers que les entrepreneurs tirent des forêts publiques. Ces redevances forestières sont estimées par l'État à partir d'une échelle de droits de coupe établie selon la valeur des différents produits. Le billot de pin, par exemple, est frappé d'une taxe supérieure à celle qui s'applique au billot d'épinette, parce que le pin se vend plus cher sur le marché. Mais - et cela doit être noté - les taux d'imposition sont aussi quelquefois fonction de décisions politiques sans égard à la valeur des produits. Il importe donc de bien évaluer le degré de correspondance entre les droits de coupe enregistrés et les valeurs des produits forestiers. Or, sur cette question, les droits de coupe appliqués au bois de sciage (comparativement au bois équarri) font l'objet d'une décision politique qui influe sur les taux d'imposition. En effet, comme l'État 7 Le billot demeure néanmoins un point de comparaison utile lorsque l'analyse porte uniquement sur une période assez brève.
49 Passage du bois équarri au bois de sciage cherche à attirer les investissements dans le sciage, il lui impose une tarification proportionnellement moins lourde8. La réduction des droits de coupe consentie équivaudrait, selon les observateurs, à environ 50 %9. En somme, les droits perçus sur le bois de sciage par l'État canadien représentent environ la moitié de ceux qui auraient normalement dû être prélevés. Le graphique 3.2 présente les droits de coupe perçus pour les deux produits forestiers, selon un découpage spatial qui s'inspire en partie de la ventilation des données telle qu'adoptée sous l'Union. En effet, nous avons conservé intacte la vallée outaouaise (appelée à l'époque Outaouais supérieur), qui s'étend en territoires ontarien et québécois et correspond au bassin hydrographique de la rivière des Outaouais. Quant aux autres territoires de coupe10, nous les avons classés en deux groupes, selon qu'ils sont situés au Québec ou en terre ontarienne. Voyons maintenant la chronologie de cette mutation. Hamelin et Roby, en se servant des données du port de Québec, principal lieu d'exportation du bois en provenance du Québec et de l'Ontario, ont mentionné comme date charnière 1867-1868". Cette évaluation doit maintenant être reconsidérée à la lumière de nos données. À l'échelle de la province du Canada-Uni, nos résultats s'approchent de l'évaluation de Hamelin et Roby: la saison 1865-1866 marque, pour la première fois et pour de bon, la prépondérance du sciage sur l'équarrissage au sein des forêts publiques. Mais en fait, dès la deuxième moitié des années 1850, les récoltes de bois scié sont sans doute aussi importantes que celles du bois équarri à l'échelle du 8 Cette politique semble avoir été remise en question, mais sans succès, en 1844. Une lettre adressée par la firme Hamilton & Low à D.-B. Papineau, député de la circonscription et commissaire des Terres de la Couronne, illustre parfaitement les arguments à l'appui d'une telle politique: «...when it is considered that Saw Millers are subject to very heavy expenses in their opérations, thé seeming différence between thé two rates of dues will cease to be matter of surprise. It is well known that Saw Mills are erected at gréât cost, they are permanent establishments which serve to bring and keep together a local class of labourers and other with their families, to thé manifest benefit of thé public.(...) The public revenue is likewise benefited in thé case of Saw logs from timber being made into logs, which would otherwise be left in thé woods as not fit for square timber... » Archives publiques du Canada, Fonds James Stevenson, vol. 4, lettre du 12 décembre 1844, citée dans Richard M. Reid, dir., The Upper Ottawa..., p. 147-148. 9 Voir, plus loin, note 39. 10 Bien que située sur les territoires des deux provinces, l'agence forestière Outaouais inférieur a été considérée comme un espace exclusivement québécois et ce, en raison de la très faible proportion des récoltes provenant du côté ontarien; voir Guy Gaudreau, L'exploitation des forêts publiques..., p. 47. 11 Voir J. Hamelin et Y. Roby, Histoire économique..., p. 217.
5O Les récoltes des forêts publiques Graphique 3.2 Répartition des droits de coupe tirés des forêts publiques québécoises et ontariennes, 1852-1867, selon les catégories de bois et selon les principales régions, en pourcentages
Notes i Le tableau A-5, à l'annexe 3, présente les données originales. Sources : saison 1851-1852 : JALC, 1853, appendice QQQQ ; saisons 1852-1853 à 1854-1855 : APO, ..., vol. 16; saisons 1855-1856 à 1866-1867: RCTCC.
Canada-Uni. Faut-il rappeler qu'il faut majorer de 50 % les droits de coupe perçus sur le bois de sciage afin d'éliminer la distorsion causée par la décision politique de stimuler l'industrialisation. Par ailleurs, cette chronologie de la croissance du sciage - plus précoce qu'on ne l'avait cru12 - n'est valable qu'en regard des moyennes calculées pour cet ensemble «canadien». La question du passage du bois équarri au bois de sciage ne se pose pas pour le Québec de la seconde moitié du XIXe siècle. Le développement des activités forestières au Québec est, en fait, fort différent de celui de la vallée outaouaise, qui enregistre un développement beaucoup plus lent sur le plan du sciage13. Quant aux territoires de coupe ontariens, notons 12 Elle est plus précoce dans les seules forêts publiques. Les données sur l'exportation retenues par Hamelin et Roby tiennent compte des coupes effectuées sur les terres privées, particulièrement importantes dans le cas du bois équarri. 13 Si on ne considère que les droits de coupe tels que rapportés au graphique 3.2 (et majorés dans le cas du bois de sciage), on constate qu'au cours de la saison 18651866 la vallée outaouaise enregistre pour la première fois une production de bois de sciage plus abondante que la production de bois équarri.
5i Passage du bois équarri au bois de sciage
qu'on assiste à une certaine montée de l'équarrissage, tant en termes absolus que relatifs. En somme, la situation est beaucoup plus complexe qu'on aurait pu le penser. Pourquoi ? Il ne faudrait pas y voir un quelconque retard économique de la part de certaines régions. Il s'agit vraisemblablement d'un décalage de certaines étapes de l'exploitation de la ressource. Les entrepreneurs forestiers coupent, en premier lieu, les plus beaux spécimens, qu'on destine à l'équarrissage. Ce choix s'explique par le fait qu'à volume physique égal, le bois équarri recèle une valeur supérieure à celle du bois de sciage. La ressource recherchée pour le bois équarri s'est épuisée plus rapidement au Québec, en raison de l'antériorité de la coupe. On se lance donc dans le sciage en exploitant des spécimens secondaires, qu'on finira aussi par épuiser bientôt14. Revenons aux causes du passage du bois équarri au bois de sciage. Il faudrait sans doute rechercher un ensemble d'éléments imbriqués. Mais il serait prétentieux de vouloir tout dire dans un seul chapitre. Nous cherchons plutôt à amorcer la réflexion en examinant plus particulièrement quatre facteurs. 3-2
LES CHANGEMENTS DE LA DEMANDE EXTÉRIEURE
S'il est une composante dont on connaît l'importance dans la mutation des activités forestières, ce sont les changements de la demande survenus dans les marchés extérieurs. L'évolution des exportations de matière ligneuse dirigées vers les deux principaux marchés extérieurs, soit les États-Unis et la Grande-Bretagne, signale l'ampleur de ces changements. De 1850 à 1864, les exportations de bois vers la Grande-Bretagne représentent le double de la valeur de celles acheminées vers les États-Unis. Dès 1866 cependant, ces dernières ont rattrapé les premières pour se maintenir à leur niveau jusqu'en 1874. Dans cette perspective, les historiens ont insisté sur la forte croissance de la demande américaine de bois de sciage15. Celle-ci serait provoquée par deux phénomènes: i) l'épuisement des ressources de matière
14 Et le décalage se poursuit au tournant du XXe siècle, comme nous le verrons plus loin dans le présent ouvrage. 15 A.R.M. Lower, North American Assault..., p. xxi et p. xxiii-xxiv; J. Hamelin et Y. Roby, Histoire économique..., p. 217.
52 Les récoltes des forêts publiques Graphique 3.3 Évolution des exportations québécoises et ontariennes de bois de sciage et de bois équarri, 1850-1874, en millions de pmp
Notes 1 Les planches expédiées à l'étranger sont comptabilisées en pmp. 2 Les madriers exportés sont dénombrés en centaines de madriers étalons. Ceux-ci ont 11 pouces de large, 12 pieds de long et deux pouces et demi d'épaisseur; cela représente 27,5 pmp par madrier. Chaque centaine de madriers étalons renferme ainsi 2750 pmp. 3 Le bois équarri est exporté et mesuré en « ton ». Cette mesure équivaut à 40 pieds cubes. Chaque pied cube a été ramené en pmp (i pied cube = 7 pmp). 4 Les six premiers mois de l'année 1864 sont couverts séparément dans les TCNC. Nous avons réparti également les volumes de bois enregistrés au cours de ces six mois entre les expéditions de 1863 et celles de 1864-1865. 5 Voir le tableau A.6 à l'annexe 3. Source : Tableaux sur le commerce et la navigation du Canada (dorénavant TCNC).
ligneuse en Nouvelle-Angleterre ; 2) l'accélération de la demande, provoquée par l'urbanisation de la côte atlantique16. L'examen des exportations de bois équarri et de bois de sciage permet de poursuivre l'analyse dans cette direction (voir le graphique 3.3). À n'en pas douter, les marchés étrangers sont partiellement responsables des fluctuations de la production. Ainsi, le 16 La performance de deux villes américaines de la côte atlantique suffira à le démontrer. Entre 1840 et 1860, la population de la ville de New York passe de 360 ooo à 1190 ooo habitants et celle de Philadelphie, de 220 ooo à 560 ooo habitants. Voir Allan Pred, Urban Crowth and City-Systems in thé United States, 1840-1860, Cambridge, Harvard University Press, 1980.
53 Passage du bois équarri au bois de sciage plafonnement des récoltes de bois équarri coïncide avec le manque de vigueur de ses exportations. Il ne faut pas croire toutefois que la demande britannique de bois équarri soit en panne. Comme l'a bien démontré Lower, cette demande est en hausse, mais elle profite aux producteurs de la Baltique17. En dépit de l'abolition graduelle des tarifs préférentiels, entre 1842 et 1860, le bois équarri canadien supporte bien la concurrence du bois de la Baltique. Si les producteurs canadiens n'en profitent pas, c'est à cause de la demande américaine de bois de sciage : ce marché alléchant aurait incité les producteurs à délaisser le bois équarri au profit du bois de sciage18. Quant aux exportations de bois de sciage, il y a lieu de souligner l'importance de celles qui sont dirigées vers les États-Unis19. Leur croissance est étonnante. En volume, elles constituent sans conteste les exportations les plus importantes20. On a cependant exagéré leur poids en les tenant pour les seules responsables de la croissance des récoltes de bois de sciage21. Lower a marqué l'historiographie sur cette question. Son North American Assault on Canadian Forest doit, aujourd'hui encore, être considéré comme un ouvrage fondamental en histoire canadienne. Mais en mettant l'accent sur un seul des produits forestiers, soit la planche et le bois de charpente, il a insisté sur un seul marché : les États-Unis. Et son autre ouvrage, Gréât Britairis Woodyard..., paru beaucoup plus tard, n'a pas permis de corriger l'impression, encore vivace aujourd'hui, selon laquelle le bois de sciage correspond essentiellement à de la planche, destinée, comme on le sait, au marché américain. 17 Voir A.R.M. Lower, «The Trade... ». 18 A.R.M. Lower, Gréât Britairis Woodyard..., p. 122 et p. 130-131. 19 Entre 1865 et 1873, les États-Unis traversent une période intense de construction. Voir M. Gottlieb, Estimâtes of Residential Building, United States, 1840-1939, National Bureau of Economie Research, 1964, p. 61-62. 20 L'importance du marché américain et plus particulièrement celui du nord-est des États-Unis est telle qu'une disposition de 1866 modifie la taille réglementaire du billot en fonction des normes en vigueur dans l'État de New York. C'est ainsi qu'est adopté le billot de 13 pieds et demi de longueur. Comme les billots s'entrechoquent et se butent à divers obstacles, lors de leur descente vers les scieries, on considère que 3 pouces de bois à chaque extrémité du billot seront inutilisables. En éboutant les planches, par la suite, on supprime cette partie abîmée. La planche est ainsi ramenée à 13 pieds, une longueur convenable pour que le bois trouve preneur sur les marchés de New York et d'Albany. Voir W.F. Fox, A History of thé Lumber Industry in thé State of New York, Washington, Government Printing Office, 1902, p. 29. 21 Voir, par exemple, J. Hamelin et Y. Roby, Histoire économique..., p. 217-218; C.G. Head, « An Introduction to Forest Exploitation in Nineteenth Century Ontario », in Perspectives on Landscape and Settlement in Nineteenth Century Ontario, J.D. Wood, dir., Toronto, McClelland & Stewart, 1975, p. 87.
54 Les récoltes des forêts publiques
Pourtant, le marché britannique du madrier n'est pas négligeable, comme le démontre le graphique 3.3. Selon les années, la demande britannique représente approximativement de 20 à 40 % des exportations de bois de sciage. À la faveur d'un accroissement de la récolte d'épinette, cette consommation s'accélère entre 1872 et 1874. Le marché britannique génère une demande stable, rassurante pour les producteurs. Nous aurions même tendance à avancer que les possibilités d'expédition vers ce marché favorisent davantage les concessionnaires québécois que leurs collègues ontariens. Il conviendrait alors d'accorder au marché britannique un rôle plus déterminant que ne le suggère le graphique 3.3. D'autant plus que le bois équarri, fautil le rappeler, est expédié exclusivement en Grande-Bretagne. 3-3
UN F A C T E U R D I F F I C I L E À M E S U R E R : LA DEMANDE INTÉRIEURE
II est de bon ton, aujourd'hui, d'insister sur l'importance du marché intérieur dans le développement de l'économie canadienne. Loin de nous l'idée de contester cette relecture de l'histoire économique, que la thèse du staple réduisait jadis à des épisodes strictement déterminés par les marchés extérieurs. Au dire de certains auteurs, le marché intérieur absorbe au-delà de 50 % de l'ensemble de la production forestière22. Bien que cette proportion soit difficilement vérifiable et probablement trop forte dans le cas des forêts publiques, elle fournit néanmoins un aperçu de la consommation intérieure. Pourtant, il nous paraît justifié d'affirmer que le marché intérieur ne constitue nullement le principal débouché des récoltes de matière ligneuse examinées dans le présent chapitre. Rappelons d'abord que seules les forêts publiques sont examinées ici et non pas l'ensemble du secteur forestier. Les terres privées, à l'exception du bois équarri que tirent de leurs lots plusieurs petits producteurs, sont davantage tournées vers le marché intérieur23. Mentionnons, à titre d'exemple, le bois de chauffage, pour ainsi dire absent des déclarations des concessionnaires, alors qu'il constitue, par rapport à l'ensemble des 22 A.R.M. Lower, North American Assault... p. 165; A. Faucher, préface à l'ouvrage de J. Hamelin et Y. Roby, Histoire économique... , p. xiv. 23 Sans doute que la coupe des grands propriétaires privés, comme le Séminaire de Québec, et des seigneuries achetées par les entrepreneurs forestiers est également orientée vers le marché extérieur.
55 Passage du bois équarri au bois de sciage
récoltes québécoises, le principal produit forestier: plus de trois millions de cordes au recensement de 1871, soit 250 millions de pieds cubes de bois solide ! (voir le chapitre 6). En ce qui concerne le bois équarri, il ne fait guère de doute que les récoltes sont pour la plupart destinées à l'exportation, du moins jusqu'à plus ample informé. Quant au bois de sciage, il est plus difficile d'être catégorique. Afin d'apporter un peu de lumière sur cette question, nous avons comparé, de manière globale, la production québécoise et ontarienne de bois scié à l'exportation du même produit (voir le tableau 3.1). Avant d'examiner les résultats, il convient de mentionner que cette comparaison est faite à titre d'essai, comme première approximation. Si les données portant sur l'exportation paraissent assez fiables24, nous ignorons toutefois quel pourcentage exact se rapporte à des récoltes provenant de terres privées. Dans le cas du bois de sciage acheminé à l'étranger, il est permis de croire qu'il provient en très grande partie des forêts publiques25, seules capables de fournir les approvisionnements nécessaires. En revanche, les données relatives à la production sous-estiment largement l'importance réelle des récoltes, parce que les concessionnaires en dissimulent une partie substantielle afin de réduire les montants de leurs redevances forestières. Les facteurs qui contribuent à ce sous-enregistrement sont nombreux. Ainsi, comme les bois provenant des terres privées ne font pas l'objet de droits de coupe, les concessionnaires ont profité largement de cette règle pour prétendre qu'une grande partie de l'abattage avait été fait à l'extérieur des forêts publiques26. Ajoutons à ces fausses déclarations que même les quantités abattues sur les concessions et inscrites dans les déclarations sont massivement sous-estimées, notamment parce que les mesureurs sont en quelque sorte les employés des concessionnaires, et non de l'État, et que les règles de mesurage, transmises oralement, sont tout à fait déficientes27. 24 Ce qui n'exclut pas la contrebande. Mais les données sur l'exportation demeurent à n'en pas douter beaucoup plus fidèles que celles portant sur la production et provenant des déclarations des entrepreneurs. 25 C'est pourquoi nous avons estimé que les exportations de bois de sciage provenaient, dans une proportion de 80 %, des forêts publiques. 26 Voir le témoignage de W.W. Dawson dans le «Second rapport du comité spécial sur le commerce du bois», JALC, 1849, appendice PPPP. Dawson affirme que la moitié des bois de la vallée outaouaise qu'on dit provenir des terres privées proviennent en fait des forêts publiques. 27 Voir Guy Gaudreau, Claire-Andrée Fortin et Robert Décarie, «Les récoltes... ».
56 Les récoltes des forêts publiques Tableau 3.1 Comparaison entre les récoltes et les exportations de bois de sciage provenant du Québec et de l'Ontario, 1856-1874, en millions de pmp
Période 1855-1856 à 1858-1859 1859-1860 à 1863-1864 1864-1865 à 1868-1869 1869-1870 à 1873-1874
Exportation estimées des forêts Production publiques (= 80 % majorée déclarée et du total) de 50 % déclarée estimée (000 billots) (000 000 pmp) (000 000 pmp) (000 000 pmp)
Consommation intérieure des forêts publiques estimée (000 000 pmp)
4284
857
1286
1328
7471
1419
2129
1642
487
13157
2368
3552
2552
1000
23486
3993
5990
4126
1864
Notes 1 Les estimations du contenu moyen des billes de sciage tiennent compte de la baisse graduelle du diamètre moyen des billots que tous les observateurs ont reconnue. C'est pourquoi les billots des saisons 1855-1856 à 1858-1859 ont été estimés à 200 pmp, ceux de 1859-1860 à 1863-1864 à 190 pmp, ceux de 1864-1865 à 1868-1869 à 180 pmp et ceux de 1869-1870 à 1873-1874 à 170 pmp. Nous reviendrons plus tard sur cette question complexe des estimations concernant les billots de sciage, une fois bien en place les composantes du secteur forestier du XIXe siècle. 2 Pour les années 1862-1863,1863-1864 et 1864-1865, les données des exportations sont des moyennes. Voir la note 4 du graphique 3.3. Sources: RCTCC, RCTCQ, RCTCO, TCNC.
Sans entrer davantage dans les détails, on peut estimer que, tout compte fait, le niveau réel des récoltes est supérieur de 50 % à celui qui est enregistré officiellement, d'où la majoration des données inscrite au tableau 3.1. Cette majoration nous apparaît raisonnable, compte tenu du fait que notre estimation des volumes physiques est honnête sans être trop prudente. À la lumière du tableau 3.1, il nous paraît difficile de croire que le marché intérieur ait été plus important que les débouchés extérieurs. Certes, on observe une croissance de la consommation intérieure en fin de période, mais elle demeure nettement insuffisante pour renverser la prédominance des marchés extérieurs. Cette comparaison demeure provisoire. Il ne faut pas, à ce stade de la recherche, écarter la possibilité d'une sous-évaluation encore plus marquée de la production réelle de bois de sciage ou d'une solide participation des forêts privées aux exportations de bois scié. Il s'agit donc encore d'une hypothèse de travail à valider par d'autres recherches.
57 Passage du bois équarri au bois de sciage 3.4
DEUX FACTEURS SURESTIMÉS : LE C H E M I N DE FER ET LA M A C H I N E À VAPEUR
Plusieurs auteurs ont émis l'idée que la mutation du secteur forestier était en bonne partie tributaire des développements technologiques participant de l'industrialisation canadienne. La machine à vapeur et plus encore le chemin de fer sont apparus dès lors comme des facteurs indispensables au passage du bois équarri au bois de sciage28. On a insisté sur la hausse de productivité et d'efficacité attribuable à la scierie mue par la vapeur (par opposition à la scierie fonctionnant à l'aide de l'énergie hydraulique) et au chemin de fer (par opposition au transport par péniches sur les canaux et rivières). Seule la scierie à vapeur aurait permis une production à grande échelle29, tandis que le chemin de fer aurait acheminé plus rapidement le bois de sciage vers les marchés30. Comme le faisait remarquer Dolores Greenberg, la Révolution industrielle fait de la vapeur (sous la forme d'une machine-outil ou d'une locomotive) l'unique expression de la productivité et le symbole par excellence du progrès31. Cette perception du rôle de la vapeur a incité plusieurs auteurs à reléguer les autres techniques alors en usage au rang de moyens de production inefficaces et arriérés. Toutefois, il semble maintenant acquis que la machine à vapeur ne s'est pas généralisée aussi rapidement qu'on l'a d'abord cru32, et qu'elle est longtemps demeurée limitée à certains secteurs d'activité économique; parallèlement, le chemin de fer a pris du temps à déloger le transport par canaux33, en raison notamment de l'absence d'intégration des premiers réseaux ferroviaires. Ces commentaires, qui doivent être reçus comme des pistes de recherche, appellent, croyons-nous, un examen de l'apport du chemin de fer et de la machine à vapeur dans le développement des activités forestières. 28 Donald Creighton, Dominion of thé North, Toronto, Macmillan, 1957, p. 278 ; W.T Easterbrook et H.J.G. Aitken, Canadian Economie History..., p. 202; Stanley Bréhaut Ryerson, Capitalisme et Confédération, Montréal, Parti pris, 1972, p. 203-205. 29 S.B. Ryerson, Capitalisme et..., p. 205. 30 A.R.M. Lower, North American Assault..., p. 111. 31 D. Greenberg, « Reassessing thé Power Patterns of thé Industrial Révolution : An Anglo-American Comparison », The American Historical Review, 87 (1982) : p. 12371261. 32 Voir L.C. Hunter, « Waterpower in thé Century of thé Steam Engine » in America's Wooden Age : Aspects of its Early Technology, B. Hindle, dir., New York, Sleepy Hallow Restorations, 1975, p. 160-192. 33 B.R. Mitchel, «The Corning of thé Railway and United Kingdom Economie Growth », The Journal of Economie History, XXIV (1964) : p. 315-336.
58 Les récoltes des forêts publiques
Quelle belle preuve de l'importance des turbines et de l'énergie hydraulique dans le développement des scieries au XIXe siècle ! La plupart des scieries installées à la chute des Chaudières sont mues par cette énergie capable de faire fonctionner les multiples machines et de produire des quantités phénoménales de bois, même en comparaison des niveaux de production d'aujourd'hui. Selon la légende originale qui accompagnait cette photographie, la scierie de la compagnie Bronson est censée y figurer, mais rien ne permet de l'identifier avec certitude (collection W.J. Topley, circa 1870, APC, PA 12496).
Manifestement, la machine à vapeur s'implante lentement dans les scieries québécoises. Au début des années 1870, la plupart des grandes scieries sont actionnées par l'énergie hydraulique34. Par exemple, seulement une des neuf scieries outaouaises installées à la chute des Chaudières est mue par la vapeur35. Il serait d'ailleurs faux d'avancer que les scieries actionnées par l'eau ne produisent qu'à une petite échelle. Nombre d'entre elles constituent de véritables fabriques dans lesquelles œuvrent des centaines d'ouvriers. Leur
34 Ce détail n'avait pas échappé à Lower (North American Assault..., p. 114), ni à Hamelin et Roby (Histoire économique..., p. 220). 35 E.H. Knight, Mechanical Dictionary, vol. III, Boston 1876, p. 2041, cité par A.J.H. Richardson, «Indications for Research in thé History of Wood-processing Technology», Bulletin of thé Association for Préservation Technology, V (1974) : p. 35-146.
59 Passage du bois équarri au bois de sciage
Le bois de sciage des scieries de la chute des Chaudières, comme celle de J.R. Booth, est entreposé dans de vastes aires d'empilage le long de la rivière des Outaouais. Il est ensuite acheminé depuis Ottawa à bord de péniches, que l'on voit au premier plan avec, sur les ponts, quelques madriers non encore entreposés dans les soutes : belle preuve que les chemins de fer, dans bien des cas, ne sont pas alors nécessaires (collection W.J. Topley, circa 1870, APC, PA 9298).
capacité de production (plus de 250 ooo pmp par jour) est remarquable, même en regard des normes de production actuelles. Il convient toutefois de préciser que la roue à eau conventionnelle est absente des scieries ; elle a été remplacée par une invention datant de la première moitié du XIXe siècle, la turbine hydraulique, dont la rotation s'effectue horizontalement plutôt que verticalement. La puissance accrue générée par la turbine contribuera à sa propagation. Notons que cette même turbine donne naissance, à la fin du XIXe siècle, aux centrales hydroélectriques. Quoique plus lent, le transport du bois de sciage par bateau et par péniche n'est pas abandonné après l'introduction du chemin de fer. Dans la vallée de l'Outaouais, principal centre forestier du Québec et du Canada, la majorité des envois de bois de sciage durant la période
60 Les récoltes des forêts publiques
étudiée s'effectue par eau36. On pourrait dire la même chose des scieries de Trois-Rivières et du Saguenay-Lac-Saint-Jean. Compte tenu des informations partielles dont on dispose, il faudrait fouiller davantage cette question en examinant individuellement les envois de chacune des principales scieries du Québec. Des variantes régionales pourraient alors ressortir. C'est ce que laisse entendre Michael S. Cross quand il affirme que le chemin de fer n'a pas joué de rôle déterminant dans l'exploitation forestière de la vallée de l'Outaouais, contrairement à ce qui prévaut dans les autres régions forestières ontariennes.
3.5
UN F A C T E U R M É C O N N U : L'ÉTAT CANADIEN
De tous les facteurs énumérés jusqu'ici, celui qui demeure le plus méconnu est sans conteste le rôle joué par le gouvernement de la province du Canada-Uni, que nous appellerons plus simplement l'État canadien. On pourrait même ajouter que son intervention nous paraît primordiale étant donné le contrôle qu'il exerce sur l'accès à la ressource. La première forme d'intervention, indirecte, consiste à adoucir les conditions d'utilisation des concessions forestières, ce que nous avons amplement mis en évidence au chapitre précédent. Cette réorientation majeure des politiques de gestion du domaine public rend les concessions forestières beaucoup plus intéressantes aux yeux des entrepreneurs. L'État canadien joue un rôle plus direct dans la montée du sciage lorsqu'il remet sur le marché un nombre appréciable de concessions forestières à l'intention des nouveaux entrepreneurs. Cela apparaît clairement lors de l'épisode de l'annulation massive de permis de coupe, entre 1855 et 1859. Faute d'avoir reçu certains paiements de la rente foncière, dans des délais qu'on a pourtant prolongés à plusieurs reprises, le gouvernement canadien annule, à compter de l'automne 1855, au-delà de 140 permis de coupe en Mauricie et dans l'Outaouais37. Ces territoires de coupe, aussitôt 36 Voir C. Grant Head, « L'industrie forestière, 1850-1890 », Atlas historique du Canada, volume II, R. Louis Gentilcore, dir., Montréal, Presses de l'Université de Montréal, 1993, planche 38; C.C.J. Bond, «Track into Ottawa: The Construction of Railways into Canada's Capital », Ontario History, LVII (1965) : p. 127 ; M.S. Cross, « The Lumber Community of Upper Canada, 1815-1867 », Ontario History, LU (1960) : p. 219-222 ; et W.E. Greening, « The Lumber Industry in thé Ottawa Valley and thé American Market in thé Nineteenth Century », Ontario History, LXII (1970) : p. 136. 37 Pour l'annulation des permis de coupe en Mauricie, voir la Gazette du Canada, 1855, p. 1156. Nous aborderons au chapitre suivant les annulations décrétées en Outaouais.
6i Passage du bois équarri au bois de sciage
remis sur le marché, permettront notamment aux entreprises américaines de sciage de s'implanter et de consolider leurs activités en Mauricie38. L'État s'implique d'une manière encore plus décisive dans la montée du sciage : par la réglementation, il incite directement les concessionnaires à installer de nouvelles scieries39. Selon les échelles de droits de coupe, instaurées en 1849, les droits attachés au bois équarri sont de 50 % supérieurs à ceux qui s'appliquent au bois de sciage40. La mesure, dont les motifs sont explicitement mentionnés dans le texte du règlement, ne laisse aucun doute sur la volonté du gouvernement de favoriser l'industrialisation. En bout de course, on doit assurément reconnaître l'utilité d'un examen tel que celui qui précède. Le passage d'une exploitation de bois équarri, techniquement artisanale, à une production de bois de sciage réalisée dans de grandes fabriques capitalistes illustre un volet du processus d'industrialisation au Canada. Est-il représentatif des
38 Ces entreprises sont la Hunterstown Lumber Co., établie depuis 1854 et qui accroît son domaine forestier à l'automne 1855, et la Saint Maurice Lumber Co., qui met la main sur plusieurs concessions durant la saison 1855-1856. Toutes deux profitent des permis de coupe annulés en septembre 1855. (Voir les registres des permis de coupe de la province de Québec, agence Saint-Maurice, dont une copie est déposée aux Archives nationales du Québec). 39 C'est à compter de 1851 que les responsables du domaine public déclarent pour la première fois les objectifs de l'échelle des droits de coupe inaugurée en 1849. On impose délibérément un droit de coupe sur le bois équarri proportionnellement très supérieur au droit sur le bois de sciage et ce, afin de favoriser l'implantation de scieries. Voir l'arrêté en conseil du 15 mai 1851, 4582/1851. Cette politique est à nouveau mentionnée durant la commission d'enquête sur le commerce du bois en 1860 (voir le témoignage d'Allan Gilmour, question 163, JALC, 1863, app. 8). 40 Nous disons « de 50 % supérieurs » aux droits sur le bois de sciage et ce, en tenant compte du fait que le bois équarri vaut, à volume physique constant, beaucoup plus que le bois de sciage. Selon le règlement de 1849, 500 pieds de bois équarri équivalent à 20 billots. Or, comme la redevance sur le pied cube de pin blanc (l'essence la plus largement exploitée) est fixée à un demi-denier (soit 0,125 $ x 500 = 6,25 $) et que celle sur le billot de pin est de 5^ le billot (20 x 52 = 1,00 $), on peut alors estimer que l'échelle des droits de coupe est d'environ 6 fois plus élevée pour le bois équarri. Cette disproportion est cependant fortement atténuée par le fait que la valeur du bois équarri est approximativement quatre fois supérieure à celle du bois de sciage. En effet, en 1850, selon les valeurs établies dans les données tirées des Tableaux sur le commerce et la navigation, le billot de sciage vaut environ 0,50 $ (soit, 0,50 $ x 20 = 10 $) alors que le pied cube de pin blanc possède une valeur de 0,08 $ (soit 500 x 0,08 $ = 40 $). Ainsi, le bois équarri donne lieu à un droit de coupe d'environ 16 % de sa valeur (6,25 $/4O $) tandis que le bois de sciage est frappé d'un droit d'environ 10 % de sa valeur (i $/io $).
62 Les récoltes des forêts publiques
mutations qui affectent la société canadienne au mitan du XIXe siècle ? Peut-être. Rappelons les principaux éléments de ce passage du bois équarri au bois de sciage. L'essor du sciage est plus rapide au Québec qu'en Ontario, en raison notamment de l'antériorité des premières vagues de coupe. L'État, nouvellement constitué, a stimulé fortement ce début d'industrialisation en améliorant les conditions d'utilisation des forêts publiques mais aussi en pénalisant délibérément les producteurs de bois équarri. La demande extérieure, américaine et britannique, a joué un rôle certain, nettement plus important que celui du marché intérieur. En ce qui a trait au rôle du chemin de fer et de la machine à vapeur, nous avons mis en relief le caractère secondaire de leur portée. Leur réputation de productivité et d'efficacité nous semble surfaite, du moins en ce qui concerne le mitan du XIXe siècle.
4 La mutation du secteur forestier canadien au milieu du XIXe siècle : le cas de la vallée outaouaise
La question du passage du bois équarri au bois de sciage illustre fort bien la complexité de la période charnière que constitue le milieu du XIXe siècle. Cette mutation du secteur forestier, maintenant mieux campée, s'accompagne de deux autres processus tout aussi significatifs et qu'il importe maintenant d'examiner. Exposés sous forme d'hypothèses, ces deux processus formeront la trame de ce chapitre. Tel est l'objectif que nous nous fixons. Première hypothèse : le mitan du XIXe siècle serait témoin d'un changement des sources d'approvisionnement en matière ligneuse. Les terres privées, source d'approvisionnement par excellence de l'exploitation forestière depuis le début du siècle, cessent de constituer la seule source de matière ligneuse puisque les forêts publiques, prises en charge par un État canadien en formation, seront de plus en plus exploitées. Dans la foulée de cette hypothèse, nous vérifierons si ces dernières sont le lieu d'une concentration des récoltes de matière ligneuse dans la mesure où, à l'inverse des récoltes tirées des terres privées, elles constituent une source d'approvisionnement presque illimitée. La deuxième hypothèse reprend l'idée d'un déplacement des activités de coupe consécutif à l'épuisement des ressources, idée que nous avons déjà évoquée au chapitre précédent afin d'expliquer le décalage entre les secteurs forestiers québécois et ontarien sur le plan du développement. Cette hypothèse, à laquelle d'autres avant nous avaient fait référence1, constitue en fait la trame centrale de notre i Voir H.V. Nelles, The Politics of Development..., p. 65.; Richard W. Judd a observé un processus similaire de déplacement des activités de coupe. Avec beaucoup
64 Les récoltes des forêts publiques
ouvrage. Il convient maintenant d'approfondir, pour le mitan du XIXe siècle, ce phénomène de l'épuisement des ressources dans le cadre d'un secteur forestier traversé par une double mutation: exploitation de plus en plus intense des forêts publiques, combinée au maintien ou au déclin des coupes sur les terres privées, et hausse très marquée des récoltes de bois de sciage qui surpassent ainsi celles de bois équarri. La vallée outaouaise2, cœur des activités forestières au Canada durant la majeure partie du XIXe siècle, constitue une région idéale pour ces analyses. Le choix d'une région échantillon ne nous empêchera pas d'étendre les analyses aux autres régions de la province du Canada sous l'Union, quand cela sera possible. Les forêts outaouaises sont exploitées bien avant le milieu du XIXe siècle. Philémon Wright est à pied d'ceuvre dès 1810. Mais les premières décennies n'ont pas laissé suffisamment de traces pour que nous puissions produire des évaluations annuelles et détaillées de l'ensemble des exploitations de la région. Heureusement, avec l'Union, le domaine public devient une affaire coloniale gérée pour et par la colonie. Les revenus générés ne sont pas négligeables et incitent le commissaire des Terres de la Couronne, responsable de sa gestion, à accroître les contrôles et à mieux mettre en application les politiques et règlements générateurs de revenus. Ces nouvelles mesures seront à l'origine de la plupart des données dont nous pouvons aujourd'hui disposer sur l'ensemble des activités forestières de l'époque. Même les bois exemptés de droits de coupe, parce que provenant des terres privées, seront parfois comptabilisés par les autorités gouvernementales, qui s'inquiètent des fausses déclarations.
4.1
L'ÉVOLUTION DE L'AFFERMAGE DES CONCESSIONS FORESTIÈRES
Abordons, dans un premier temps, l'évolution de l'affermage des concessions dans la vallée outaouaise. Quoique très général, cet examen de l'évolution du territoire forestier public permet de reconnaître certaines tendances. Rappelons que les règles de l'affermage régissant l'accès et l'utilisation des forêts publiques avaient été profondément bouleversées entre 1841 et 1866 et qu'on avait observé une forte amélioration des d'à-propos, il fait référence à une « logging frontier » ; voir Aroostook. A Century of Logging in Northern Maine, Orono, University of Maine Press, 1989, p. 77-78. 2 Cette appellation correspond, rappelons-le, à l'agence forestière Outaouais supérieur, sous l'Union.
65 Mutations du secteur forestier canadien
conditions d'utilisation des concessions, particulièrement entre 1849 et 1855. L'État canadien a favorisé de plus en plus l'ouverture du domaine public, en échange de quoi il espérait garnir ses coffres. Du point de vue quantitatif, l'affermage connaît une mutation tout aussi manifeste3. En effet, l'évolution des superficies affermées à partir de 1845, année pour laquelle nous disposons d'une première évaluation concernant la vallée outaouaise, laisse voir des changements majeurs. En 1845, on compte 300 concessions qui couvrent une superficie d'environ 10 ooo milles carrés. Puis, la crise de 1847-1848 ramène le nombre de permis à moins de 100 (plus précisément 93 au cours de la saison 1848-1849). Même si l'on ne connaît pas la superficie totale affermée alors, on peut sans doute estimer qu'elle se situe à moins de 4 ooo milles carrés. À partir de ce creux de 1848-1849, les superficies affermées remontent en flèche, pour atteindre rapidement 14000 milles carrés au cours de la saison 1851-1852, superficie totale maintenue jusqu'en 1860. Le nombre de concessions est multiplié par 5 (il passe à 509), tandis que les superficies des territoires de coupe augmentent d'au moins 350 %. Les nouvelles politiques d'affermage, et sans doute aussi le contexte économique plus favorable, ont attiré beaucoup d'entrepreneurs. Il s'agit, à n'en pas douter, d'un tournant majeur dans l'histoire forestière, tournant qui favorise la montée rapide des activités forestières au cours des années 1850. L'État canadien ne se contente pas d'améliorer les conditions d'exploitation des ressources forestières en échange de redevances accrues. Il procède, comme on l'a mentionné au chapitre précédent, à l'adoption de nombreuses mesures favorisant le développement de l'industrie du sciage, au cours des années 1850. Il procède également à l'annulation de plusieurs permis de coupe, faute d'avoir reçu le paiement des rentes foncières et des droits de coupe4. Dans la vallée outaouaise, ces annulations connaissent leur apogée en 1858, alors que les autorités gouvernementales annulent 82 permis de coupe, c'est-àdire un sixième des permis, et, au total, un peu moins de 2 ooo milles carrés5. Ces permis seront remis sur le marché et permettront à de nouveaux entrepreneurs d'avoir accès au domaine public. Par la suite, 3 Toutes les données sur l'évolution de l'affermage proviennent des archives. Voir APO, Crown Lands..., vol. 16, p. 5 et 23. 4 Voir APO, Crown Lands..., vol. 16, p. 7 et 16. 5 Ces annulations pratiquées en Outaouais sont mentionnées dans une lettre de A.J. Russell, responsable de l'agence de l'Outaouais supérieur, en date du 9 décembre 1867 (Québec, Archives nationales du Québec, ministère des Terres et Forêts, correspondance générale, document non numéroté). Cette mesure, on le rappelle, n'est pas exceptionnelle. En effet, le commissaire des Terres de la Couronne avait procédé, en 1855, à l'annulation de plusieurs dizaines de permis de coupe en Mauricie.
66 Les récoltes des forêts publiques
les annulations perdront définitivement de leur ampleur. Il semble donc que le début de l'influence déterminante des barons du bois sur les appareils politiques ne remonte pas au-delà des années i86o6. 4-2
TERRES PRIVÉES
ET FORÊTS PUBLIQUES
L'importance de la coupe des arbres des forêts publiques par rapport à celle qui se pratique sur les terres privées se pose dans ce contexte d'une extension des territoires de coupe du domaine public. Ce sujet a toujours été difficile à traiter, particulièrement en ce qui a trait au XIXe siècle, parce que les données de la coupe sur les forêts publiques - quoique imparfaites et largement sous-estimées - étaient connues annuellement tandis qu'on ne pouvait recueillir que des estimations très vagues sur les récoltes provenant des terres privées. C'est dans ce contexte que nous avons mis au point un procédé permettant de comparer les données des recensements (fournissant une image de l'ensemble de la production) et les récoltes des forêts publiques de la saison correspondante, de façon à obtenir une approximation de la production des terres privées7. Utile pour dégager un portrait d'ensemble du secteur forestier, cette comparaison ne fournit qu'une lecture décennale et, en outre, ne permet pas d'établir de distinctions entre la coupe à des fins d'autoconsommation, comme dans le cas de la majeure partie de la production de bois de chauffage et autres produits, et la coupe commerciale, dont le rôle est beaucoup plus déterminant dans le développement de l'exploitation forestière. Un document déposé aux Archives publiques de l'Ontario, à Toronto, dont nous avons pu déjà apprécier certains résultats, nous a permis d'approfondir la question de l'importance des terres privées. Les données qu'on y trouve ont pour la plupart été recueillies par A.J. Russell, qui est responsable, rappelons-le, de l'agence forestière Outaouais supérieur pendant près d'un demi-siècle. Il s'agit sans doute de l'un des observateurs les plus attentifs des problèmes soulevés par la gestion du domaine public et il doit être considéré 6 Le rôle des barons du bois auprès des gouvernements provinciaux mériterait des analyses approfondies. Déjà plusieurs pistes ont été examinées. On pourra, par exemple, consulter l'excellent ouvrage de Marcel Hamelin, Les premières années du parlementarisme québécois (1867-1878), Québec, Presses de l'Université Laval, 1974. Nous avons également dans notre thèse de doctorat mis en évidence certains mécanismes (voir le chapitre 10). Un ouvrage récent a également exposé certains cas concrets fort pertinents ; voir Sing C. Chew, Logs for Capital, The Timber Industry and Capitalist Enterprise in thé Nineteenth Century, Westport (Connecticut), Greenwood Press, 1992, p. 121-130. 7 Ce procédé comparatif traite séparément les secteurs forestiers québécois et ontarien; voir le chap. 6 du présent ouvrage.
67 Mutations du secteur forestier canadien Graphique 4.1 Évolution des récoltes de bois équarri dans la vallée outaouaise, 1847-1866, en pourcentages, selon qu'elles proviennent de forêts publiques ou privées
Note
1 Voir le tabelau A.7a i'annexe 3. Source: APO, Crown Lands..., Vol. 16, p. 1et 25
comme une autorité en matière forestière. Grâce à ses cahiers de notes, nous avons pu reconstituer, pour la vallée outaouaise, l'ensemble des récoltes de bois équarri comptabilisées à la pièce entre 1847 et 1866 (voir le graphique 4.1). Les données de ce tableau indiquent déjà une légère prépondérance des récoltes publiques à la veille des années 1850: 59 % du côté public et 41 % en provenance des terres privées. Cela a de quoi étonner puisqu'on ne s'attendait pas à une prépondérance du secteur public aussi rapidement. Mais quelle valeur doit-on accorder à cette évaluation ? La crise des années 1847-1848 frappe sévèrement le secteur forestier. Affecte-t-elle davantage les récoltes des terres privées? Nous n'en savons rien. Dans un premier temps - et par mesure de prudence -, retenons que la performance du début des années 1850, au cours de laquelle il y a répartition égale des récoltes, apparaît comme une évaluation plus fiable de l'importance des deux secteurs8. Mais cette évaluation, faut-il le rappeler, minimise assurément l'importance 8 On aura remarqué néanmoins que, par la suite, le secteur public domine sans conteste. Qui plus est, les proportions observées (un quart des récoltes provenant des terres privées) sont enregistrées également au cours de la période 1867-1874. En effet, la moyenne de production de bois équarri des forêts publiques de la vallée outaouaise oscille autour de 150 ooo pièces, ce qui représente 76 % de la production.
68 Les récoltes des forêts publiques
Les radeaux de bois équarri sillonnent la rivière Outaouais et le fleuve Saint-Laurent. Le trajet dure plus d'une semaine et les cageux doivent forcément s'alimenter. C'est pourquoi on y installe une cuisine, appelée « cambuse », recouverte d'un toit de planches. D'ailleurs, au moment où la photographie a été prise, plusieurs ouvriers, une gamelle à la main, étaient justement en train de manger assis sur les pièces de bois équarries qui forment ces radeaux (collection W.M. Harmer, s.d., APC, c 19892).
des forêts publiques. En effet, le système des redevances incite les entrepreneurs œuvrant sur le domaine public à dissimuler une partie de leurs récoltes afin de réduire leurs paiements de droits de coupe. Ce sous-enregistrement a pour effet de majorer artificiellement les données relatives aux activités sur les terres privées, puisque les entrepreneurs déclarent que leurs bois proviennent de lots privés, non sujets aux droits de coupe. De tout cela, que faut-il retenir? Disons qu'il faut éviter de présenter le milieu du XIXe siècle comme le véritable début de l'exploitation des forêts publiques. Les volumes de bois équarri en provenance de celles-ci, durant les années 1840, sont trop considérables. Ces résultats nous amènent à nuancer notre hypothèse initiale. Mais ce même commentaire est-il applicable au bois de sciage ? Si oui, depuis quand les forêts publiques constituent-elles une source d'approvisionnement importante ? Et, autre question : est-ce que les résultats de l'analyse de la situation dans la vallée outaouaise s'appliquent aux autres régions forestières de la province du Canada ? Il est difficile de traiter de la répartition du bois de sciage de la vallée outaouaise puisque les archives consultées n'en font pas état.
69 Mutations du secteur forestier canadien Tableau 4.1 Évolution des récoltes de bois de sciage des forêts publiques de la vallée outaouaise, 1845-1866, en billots 1841-1842 1842-1843 1843-1844 1844-1845 1845-1846 1846-1847 1847-1848 1848-1849 1849-1850 1850-1851 1851-1852 1852-1853 1853-1854
??? ??? ??? 37881 ??? 71502 97876 77231 90054 150 686 176 506 225 952 316 770
1854-1855 1855-1856 1856-1857 1857-1858 1858-1859 1859-1860 1860-1861 1861-1862 1862-1863 1863-1864 1864-1865 1865-1866
228 667 230 498 279 343 253 232 394 628 508 968 504 722 284 732 334527 423 850 514 498 716 462
Sources: APO, Crown Lands..., vol. 16, p. 2; Canada, JALC, 1846, app. CC.
En effet, il n'est pas fait mention, dans les cahiers de Russell, de récoltes de bois de sciage provenant de terres privées durant la période de l'Union. Et tout se passe comme si, ce faisant, il ne commettait pas d'oubli, puisqu'à la fin des années 1870, pour l'ensemble de l'Ontario, on estime à seulement quelques millions de pmp les récoltes provenant des terres privées9. Mais cette estimation est certainement trop faible car elle ne peut tenir compte du produit des terres privées qui se commercialise seulement à l'échelle locale. Ces bois, moins rentables que le bois équarri, n'empruntent pas alors la grande voie de circulation interrégionale que constitue la rivière des Outaouais, de sorte que nous ne pouvons en prendre la mesure. Dans ces circonstances, nous nous abstiendrons de tout commentaire et retiendrons tout simplement qu'une faible production de bois de sciage provenant des terres privées se commercialise hors de la région. Qu'en est-il maintenant des récoltes de bois de sciage des forêts publiques? En fait, elles sont pour ainsi dire inexistantes en début de période puisqu'on enregistre 40 ooo billots (voir le tableau 4.1). Une première hausse apparaît au cours de la crise de 1847-1848, alors que la production se stabilise autour de 90 ooo billots. Le bois de sciage semble être beaucoup moins affecté par le repli des marchés du bois durant cette crise. Par la suite, on observe une hausse rapide et continue, la production atteignant 500 ooo billots en 1860. 9 En effet, selon un document public publié en 1879, le bois de sciage ontarien d'origine publique constitue plus de 85 % des récoltes totales. Voir Ontario, Sessional Papers, 1879, n° 62.
70 Les récoltes des forêts publiques
Assurément, la décennie des années 1850 marque cette fois un tournant dans le rythme d'exploitation des concessions forestières dont on extrait le bois de sciage10 et confirme un volet de notre hypothèse, soit le recours de plus en plus marqué aux forêts publiques. Mais le même commentaire s'applique-t-il aux autres régions sous l'Union? Pour y répondre, nous aurons recours à des informations indirectes et portant sur l'ensemble des récoltes (sans distinction quant aux types de produits forestiers). En effet, nous sommes parvenu à reconstituer l'évolution des droits de coupe régionaux perçus à compter de la saison 1840-1841. Il s'agit, bien sûr, d'une série incomplète: le non-enregistrement de droits de coupe dans une région, au cours d'une saison, ne traduit pas nécessairement une absence d'exploitation. Et cela est particulièrement vrai avant 1845 alors que le système régional de perception semble encore fort lacunaire. Gardons en mémoire que ces données sous-estiment, elles aussi, l'importance des activités et évaluons jusqu'à quel point le milieu du XIXe siècle représente une période de développement des activités forestières sur le domaine public. Si c'est le cas, on pourrait s'attendre à une hausse des droits de coupe générés. L'examen des données figurant au tableau 4.2 nous amène à reconnaître un phénomène insoupçonné: les années 1850, en dépit de l'assouplissement des politiques d'utilisation du domaine public, ne provoquent pas de hausse globale des récoltes, du moins si l'on se fie aux droits de coupe, et ce, bien qu'il y ait incontestablement majoration des superficies concédées. Dans plusieurs régions, on observe plutôt, entre 1840 et 1860, un maintien, voire un léger déclin des volumes de bois provenant des forêts publiques. C'est le cas des régions du Bas-Saint-Laurent, de la Gaspésie, du Saguenay11 et de Madawaska-Chaudière. Même dans l'Outaouais supérieur, les récoltes, provenant de territoires de coupe pourtant en pleine expansion, ne sont pas en hausse, du moins avant i86o12. Il y a certes un phénomène qu'il faut creuser. Premièrement, cela s'explique par le fait que la production et la mise en valeur de territoires de coupe sont deux phénomènes qui peuvent se développer à des rythmes différents, en raison notamment de la mise en réserve de concessions forestières pour une exploitation 10 Ce tournant des années 1850 n'avait pas été mis en relief dans nos travaux antérieurs, car les données publiées dont nous disposions ne remontaient pas au-delà de 1856. 11 Cette appellation désigne un vaste territoire qui englobe, outre celle du Saguenay, les régions du Lac-Saint-Jean et de la Côte-Nord. 12 L'accroissement des récoltes surviendra surtout après 1860, comme on a pu le constater au tableau 4.1 en ce qui concerne le bois de sciage.
71 Mutations du secteur forestier canadien Tableau 4.2 Évolution des droits de coupe tirés des forêts publiques de la province du Canada, 1841-1860, en dollars Saison
Outaouais supérieur
Outaouais inférieur1
Saint-Maurice2
Saint-François
1840-1841 1841-1842 1842-1843 1843-1844 1844-1845 1845-1846 1846-1847 1847-1848 1848-1849 1849-1850 1850-1851 1851-1852 1852-1853 1853-1854 1854-1855 1855-1856 1856-1857 1857-1858 1858-1859 1859-1860
78023 137 588 79159 87072 105 535 117 940 108 924 72130 76685 74407 90974 109 274 104 412 136 144 99395 110 498 140 187 105 903 129 363 144180
2710 ??? 10087 7118 9328 8387 4310 3961 7349 6745 9383 10034 14784 ??? ??? 18309 24348 17937 23015 27074
??? ??? ??? ??? ??? 849 4004 103 2434 1082 2461 7787 9378 ??? ??? 7605 12568 6438 11508 16098
267 ??? 1083 2519 509 2712 1302 2237 637 1048 1011 2175 1862 ??? ??? 6284 9861 8915 9565 11989
Saison
Ontario3
MadawaskaChaudière
BasSaint-Laurent
Saguenay5
Gaspésie
1840-1841 1841-1842 1842-1843 1843-1844 1844-1845 1845-1846 1846-1847 1847-1848 1848-1849 1849-1850 1850-1851 1852-1853 1853-1854 1854-1855 1855-1856 1856-1857 1857-1858 1858-1859 1859-1860
??? ??? 708 1643 981 3978 ??? 1196 3332 7546 9894 31573 ??? ??? 26434 35036 24110 44174 50138
??? ??? 91624 246 98934 70174 2656 2724 827 943 2024 6413 ??? ??? 3676 2156 ??? 4337 3722
961 ??? 4462 ??? 2280 4083 5368 2900 2653 1755 2955 5208 ??? ??? 4106 3002 3430 4525 3842
??? ??? ??? ??? 19 729 11 291 5 250 4 414 1 038 3 222 2 932 9 081 ??? ??? 3 683 4 072 ??? 7 310 7 698
4910 ??? 3 188 26 688 10 653 1 734 1 149 1 440 2 163 ??? ??? ??? ??? 1 830 1 878 1 433 1 250 1 683
Voir notes au verso.
72 Les récoltes des forêts publiques Notes du tableau 4.2 \ Au début de la décennie de 1840, un des agents responsables de cette région, basé à Berthier, s'occupe notamment du bassin de la rivière du Loup qui sera plus tard intégré à l'agence Saint-Maurice. Par ailleurs, à compter de 1855-1856 et pour quelques années seulement, l'agence Outaouais inférieur regroupe certains territoires de coupe situés sur la rive ontarienne de l'Outaouais, entre Ottawa et Rigaud. 2 Comprend aussi la Rive-Nord de Québec. 3 Cette région forestière regroupe, pour des raisons de commodité, tous les territoires de coupe situés en Ontario, à l'exception de ceux situés dans l'Outaouais supérieur et inférieur. 4 Nous avons inclus pour cette saison des droits de coupe provenant de territoires situés dans une zone mal définie en raison d'une frontière encore indéterminée. Une liste des entrepreneurs à l'œuvre dans cette zone nous a permis de déduire que ces territoires étaient en fait situés le long de la frontière du Maine et du Nouveau-Brunswick, donc à l'intérieur de la région Madawaska-Chaudière. 5 Comprend aussi les régions du Lac-Saint-Jean et de la Côte-Nord. Sources: i) pour l'ensemble des régions: saison 1840-1841 : JALC, 1842, appendice T; saison 1842-1843 : JALC, 1844-1845, app. P; saison 1843-1844 : JALC, 1844-1845, app. P; et 1849, app. RRR; saisons 1844-1845 et 1845-1846 : JALC, 1849 app. RRR; et 1847, aPP- TT; saison 1846-1847 : JALC, 1849, app. RRR ; saison 1847-1848 : JALC, 1849, app. RRR ; et 1852-1853, app. QQQQ; saisons 1848-1849,1849-1850 et 1850-1851 : JALC, 1852-1853, app. QQQQ; saison 1851-1852 : JALC, 1853, appendice QQQQ ; saison 1852-1853 : APO, Crown Lands... vol. 9; saisons 1855-1856 à 1859-1860 : RCTCC ; 2) pour l'agence Outaouais supérieur : saison 1841-1842,1853-1854 et 1854-1855 : APO, Crown Lands..., vol. 16; pour l'agence Gaspésie : saison 1841-1842 : JALC, 1842, appendice T.
ultérieure13. Les années 1850 ont été une période de constitution de territoires de coupe accaparés par des entrepreneurs capitalistes. Ces derniers profitent soudain d'une libéralisation des conditions d'exploitation des concessions, qui permettent maintenant de conserver une concession sans pénalité excessive, comme celle qu'imposait auparavant le gouvernement. Deuxièmement, cela s'explique aussi par l'épuisement rapide du pin, fortement recherché à cette époque dans les forêts publiques situées dans l'est du Canada. Nous y reviendrons plus loin. Dans un autre ordre d'idées, les résultats du tableau 4.2 confirment la vitalité des activités forestières sur le domaine public outaouais dès le début des années i84014. Activités qui représentent plus des 13 Ce phénomène a été fort bien illustré pour les Maritimes au XXe siècle. Voir L. Anders Sandberg, Trouble in thé Woods : Forest Policy and Social Conflict in Nova Scotia and New Brunswick, Fredericton, Acadiensis Press, 1992. 14 Russell présente des données globales sur la région, qui remontent à 1826, alors que le niveau des droits de coupe se situait à environ 10 ooo $. C'est surtout à compter 1834-1835 et de 1839-1840 que la région connaît une forte croissance des abattages.
73 Mutations du secteur forestier canadien
deux tiers de la production canadienne. Seulement quatre régions connaissent une majoration des activités de coupe entre 1840 et 1860. Dans le cas de la région du Saint-Maurice15, cela s'explique assez bien puisque son territoire de coupe est substantiellement agrandi au début des années 1850 (grâce aux travaux d'aménagement de la rivière Saint-Maurice). Quant à la région de la Saint-François, la hausse enregistrée, quoique forte, ne provoque pas un niveau soutenu de coupe. Il y a donc seulement deux régions qui enregistrent une croissance significative des activités forestières dans les forêts publiques au milieu du XIXe siècle : le territoire ontarien et l'Outaouais inférieur que nous appellerons dorénavant les Laurentides. Ces remarques sur l'évolution des récoltes nous conduisent à examiner, dans la section suivante, la répartition de la production entre les entrepreneurs, à partir de l'exemple de la vallée outaouaise. Estce que le développement du capitalisme dans le secteur forestier se traduit par un processus de concentration des productions ? 4.3
LA RÉPARTITION DES RÉCOLTES ENTRE LES ENTREPRENEURS
Cet examen, qui nous permettra d'observer le degré de concentration de la production dans le contexte des phénomènes observés jusqu'à maintenant, exige de longs calculs. À telle enseigne que nous avons préféré retenir les récoltes des principaux produits forestiers seulement pour quelques saisons d'exploitation et ce, afin de dégager les tendances. Il s'agit des productions de bois équarri et de bois de sciage en 1840-1841, 1844-1845, 1851-1852 et 1855-1856. Le bois équarri d'abord. Le tableau 4.3 résume les principaux éléments recueillis. La tendance est assez nette: il y a croissance du marché occupé par les principales familles de producteurs. En une quinzaine d'années, les dix plus grandes familles d'entrepreneurs ont augmenté leur part des récoltes, considérée globalement, à plus de 50 % de l'ensemble. La crise de 1847-1848 et la décennie de 1850 semblent indiquer un tournant. Cette tendance, une fois reconnue, ne doit pas faire oublier le maintien en activité d'un grand nombre de petits producteurs. Ces derniers, qui, chaque année, mettent à l'eau un radeau de bois, voire quelques-uns, sont encore responsables du cœur de cette production. C'est pour eux que l'accessibilité au domaine public s'avère précieuse. De leurs rangs émergeront plusieurs entrepreneurs qui s'illustreront durant la seconde moitié du XIXe siècle ou qui, déjà, ont commencé 15 Cette région inclut également la Rive-Nord de Québec.
74 Les récoltes des forêts publiques Tableau 4.3 Répartition des récoltes de bois équarri provenant des forêts publiques outaouaises entre les principales familles de producteurs, 1841-1856, en pourcentages 1844-1845
1840-1841 McDonnell Egan & Co. McGoey Durrell McArthur Dunlop Lang Johnston Chapman & Co. Hill + 79 producteurs
7,9 6,5 4,7 3,8 3,0 2,6 2,5 2,4 2,3 2,3 62,0
6,8 5,9 5,3 3,2 3,2 2,5 2,5 2,4 2,4 2,3 63,5
1855-1856
1851-1852 Egan & Co. McConnell McDonnell McLachlin Gilmour & Co. Supple & Co. Skead Morris Aumond Aird + 80 producteurs
Egan & Co. McDonnell Wright McGillivray McGoey McArthur Atkinson & Usborne Rogerson & Skead Adams Smith + 90 producteurs
13,6 7.0 5,4 5.1 4,1 3,8 3,7 3,4 3.0 2.1 48,8
McDonnell Gilmour & Co. Egan & Co. McLachlin Masson, Bruyère & Thomas Skead Mair Conroy Bell Aumond + 68 producteurs
10,4 8,6 7,2 6,0 4,1 4,1 3,3 3,2 3,0 2,4 47,7
Sources: JALC, 1842, appendice T; /ALC,i846, app. CC; JALC, 1853, app. QQQQ; et RCTCC.
à accroître de manière significative leurs activités d'abattage. Mentionnons les Bryson, Gillies et McLachlin. Assurément, le secteur forestier sert de creuset au développement du capitalisme. Illustrons cette affirmation en esquissant l'évolution des débuts de l'entreprise de Daniel McLachlin. C'est durant la saison 1844-1845 que nous le rencontrerons pour la première fois à titre de concessionnaire16. Au terme de la saison, il déclare une récolte d'un peu plus de 100 ooo pieds cubes de bois, soit l'équivalent de deux radeaux. Ses chantiers sont campés sur deux concessions d'une superficie totale de 120 milles carrés. Il n'est alors 16 II ne faut cependant pas croire que son implication dans le secteur forestier date seulement de cette période. Il s'y intéresse dès les années 1830, à titre de marchand général, et il est probable qu'il soit devenu concessionnaire avant les années 1840 ; voir Michael S. Cross, « Daniel McLachlin », Dictionnary of Canadian Biography, vol. X, p. 480-481.
75 Mutations du secteur forestier canadien Tableau 4.4 Répartition des récoltes de bois de sciage provenant des forêts publiques outaouaises entre les principales familles de producteurs, 1841-1856, en pourcentages 1855-1856
1840-1841 Hamilton & Co. + 1 producteur
99,8 0,2
1851-1852 Gilmour&Co. G.B. Hall Hamilton &Co. + 6 producteurs
Hamilton & Low Blasdell Turner McKay + 1 producteur
41,3 36,7 18,1 3,6 0,3
1855-1856 34,8 30,2 29,2 5,8
Gilmour&Co. Hamilton & Co. G.B. Hall McKay + 18 producteurs
34,3 31,3 14,1 8,9 11,4
Sources: JALC, 1842, appendice T; JALC, 1846, app. CC; JALC, 1853, app. QQQQ; et RCTCC, 1856.
qu'un producteur de bois parmi tant d'autres. Mais cela ne durera pas, car dès la saison 1851-1852, il a quintuplé ses récoltes, de telle sorte qu'il dispose maintenant du financement nécessaire pour étendre son territoire de coupe, lequel passera, en 1856-1857, à 653 milles carrés. Dans le secteur du bois de sciage, observons-nous une telle tendance à la concentration de la production ? Le tableau 4.4 renferme des éléments permettant de répondre à cette question. En fait, c'est la tendance inverse qui se manifeste. Au début des années 1840, une entreprise produit à elle seule plus de 99 % du bois de sciage : celle des Hamilton, dont la scierie est installée à Hawkesbury. La vallée outaouaise, du moins dans les forêts publiques, n'est pas encore à l'heure du bois scié. Progressivement, d'autres entreprises de sciage s'ajouteront. À telle enseigne qu'en 1855-1856, on dénombre plus de vingt producteurs. De ce nombre, deux familles contrôlent plus de 65 % de la production : les Hamilton et les Gilmour. Il s'agit d'un secteur qui exige beaucoup plus d'investissements que l'équarrissage, et seules les entreprises établies depuis longtemps ont la capacité de s'y lancer sur une vaste échelle. C'est le cas des familles Gilmour, Hall et Hamilton. Cette tendance à la déconcentration apparaît également dans l'évolution de la production provenant des petits entrepreneurs : quoique marginale, celle-ci passe, entre 1840 et 1855, de 2 % à plus de 11 %. S'il avait été possible de recueillir des données pour la fin de notre période, la tendance observée aurait été plus nette.
76 Les récoltes des forêts publiques
Ce type de développement du secteur du sciage ne nous étonne guère. Secteur nouveau dans la région, il est d'abord mis sur pied par une seule entreprise; puis d'autres firmes viendront s'ajouter, principalement avec la hausse de la demande au Canada et aux États-Unis, durant les années 1850. La monopolisation des récoltes, que l'on observe au début d'une période d'exploitation, est attribuable aux pionniers d'une région nouvellement ouverte: de ce fait, elle est temporaire. Cela ne signifie toutefois pas que le secteur du sciage restera à l'abri d'une concentration graduelle de la production. Ce phénomène, difficile à analyser, se déroulera après la période de l'Union. Deux tendances contradictoires traversent donc l'évolution de la production dans la vallée outaouaise, durant cette période. Il faudra sans doute éviter, à l'avenir, de procéder à une lecture trop mécanique en supposant un développement régulier et systématique du capitalisme et, en corollaire, un processus de concentration de la production. L'analyse a montré que celui-ci est à l'œuvre seulement dans le secteur du bois équarri, tandis qu'une tendance inverse s'observe dans le sciage. Avant de conclure, il importe d'aborder un dernier aspect, celui de la dimension spatiale des activités forestières. Ces différentes récoltes ne se répartissent pas uniformément dans l'espace. Il est temps de voir si notre hypothèse relative à l'épuisement graduel de la matière ligneuse se vérifie, et de se demander comment se manifeste cette tendance fondamentale du développement du secteur forestier à l'intérieur même de la région outaouaise.
4.4
L'ÉVOLUTION DES RÉCOLTES DANS L'ESPACE
Ce ne sont pas toutes les concessions de la vallée outaouaise qui sont affermées et exploitées au cours de la période. Le centre de la vallée est occupé très tôt, de même que la rive ontarienne de la rivière. Le lac Témiscamingue, la rivière Kipawa et surtout la tête de la rivière des Outaouais, à l'intérieur des terres, demeurent des zones encore peu touchées. Déjà, une première forme de logique spatiale de l'exploitation doit être notée. Question de distance ? Peut-être. Admettons donc au départ que la ressource, quoique répartie assez uniformément à l'intérieur de cette vaste pinède, est exploitée de manière très inégale. Et afin de saisir la logique qui prévaut dans le choix des concessions et des zones exploitées, nous avons procédé à une analyse de la provenance du bois équarri exporté du port de Québec au cours de la période.
77 Mutations du secteur forestier canadien
Pour simplifier la présentation, nous avons comparé les récoltes de deux groupes d'années, soit celles de 1844-1845-1846 et de 1864-1865i86617. On prendra bonne note que les données sur les exportations comptent tout autant la production des terres privées que celle des forêts publiques. Ainsi, nous sommes assuré d'obtenir un portrait beaucoup plus complet de la provenance des produits de la vallée outaouaise18. Par ailleurs, ces données sont enregistrées, en ce qui concerne l'Outaouais, selon les bassins de rivières. Les résultats ont été portés sur la carte i. Ces éléments nous paraissent révélateurs. La tendance est claire : les approvisionnements en bois équarri proviennent de plus en plus des secteurs situés à l'ouest. Ainsi, des régions comme celle qui s'étend entre Montréal et Ottawa (retenue à des fins de comparaison et dont les résultats sont intégrés à ceux de la rive est du bassin de La Lièvre) ou comme les bassins de la Gatineau et de la Rideau voient s'effriter leurs parts des marchés. D'autres, situées près de l'axe de la rivière Outaouais, comme Westmeath et Des Chênes, connaissent un sort identique. En revanche, les bassins situés à l'ouest et au nord de ces régions enregistrent des gains substantiels. Mentionnons les bassins de la Petawawa, de la Madawaska et de la Noire, de même que toutes les zones de coupe situées en aval de la section de la rivière Outaouais appelée «Creuse». Ce n'est certes pas en fonction du marché que l'on se déplace, puisque celui-ci demeure britannique et qu'il se trouve donc situé beaucoup plus à l'est. En dépit de l'allongement des distances et des inévitables hausses de coûts, les producteurs doivent chercher toujours plus à l'ouest les beaux spécimens de la vallée. Ce déplacement des activités d'abattage illustre ce qui nous paraît être les effets d'un épuisement de la ressource sur la dynamique de ce secteur économique. Et le bois de sciage ? Malheureusement, les données, toujours tirées du rapport du surintendant des mesureurs de bois, ne permettent pas une lecture aussi fine en ce qui a trait aux sources d'approvisionnement. En effet, on n'y distingue que cinq régions productrices, le bassin de la rivière des Outaouais (jusqu'à Montréal) constituant à lui 17 Ces données sont tirées du « Rapport du surintendant des mesureurs de bois pour l'année 1844» (JALC, 1844-45, app. K; dorénavant RSMB); RSMB, 1845 (JALC, 1846, app. T); RSMB, 1846 (JALC, 1847, app. AA); RSMB, 1864 (RCTCC du 30 juin 1865, app. 20) ; RSMB, 1865 (RCTCC, du 31 décembre 1865, app. 20) ; et RSMB, 1866 (RCTCC, 1866, app. 20). 18 On pourra consulter la production de 1846 selon les différentes régions québécoises et ontariennes à la planche 11 de l'Atlas historique du Canada, volume II. Voir Graeme Wynn, «La production et le commerce du bois jusqu'en 1850».
Carte i Production de bois équarri exporté de la vallée outaouaise, par bassin, 1844-1866, en pourcentages
79 Mutations du secteur forestier canadien
seul une région. Mais du portrait que Ton peut tracer grâce à cette source se dégage tout de même une tendance, à l'échelle du Québec et de l'Ontario, comme en fait foi le graphique 4.2. Afin de faciliter l'analyse des informations, nous avons procédé à un découpage chronologique des données, comme dans le cas du bois équarri, en y ajoutant une lecture de façon à avoir un portrait de la situation à tous les dix ans (1844-1845-1846, 1854-1855-1856 et 1864i865-i866)19. Nous compléterons nos commentaires sur ce graphique en faisant référence aux données correspondant aux années non couvertes par ce tableau. Chaque région connaît un apogée en ce qui concerne le volume du bois de sciage exporté. Mais cet apogée ne se situe pas au même moment : plus les régions sont situées à l'est, plus les temps forts des exportations de bois de sciage sont hâtifs. Ainsi, la région Bas-Saint-Laurent, Gaspésie et Saguenay (désignée par l'expression «below Québec») enregistre, au cours des années 1840, un sommet dans ses exportations, en termes absolus aussi bien que relatifs. Par la suite, c'est la région de Québec qui connaît un apogée, au début des années i85O20 : en 1854-1855-1856, elle fournit plus du quart des exportations. Le même scénario se déroule pour la région appelée Québec-Montréal: apogée au début des années i86o21, puis léger déclin, cette région étant remplacée par l'Outaouais comme principale région productrice en i864-i865-i86622. D'autres éléments, plus ponctuels, corroborent la tendance qui se dessine dans les exportations de bois de sciage. Ainsi, durant les années 1840, la totalité de la production de bois de sciage provenant des forêts publiques de la vallée outaouaise (en amont d'Ottawa), provient d'un seul bassin : la Gatineau. Cela pourra surprendre, mais la chose ne fait pas de doute. Les Hamilton, Gilmour et Patterson (Hall) y ont concentré leurs concessions de bois de sciage. Il ne faudrait pas confondre cependant lieu d'abattage et lieu de transformation. De ces trois familles, seule celle des Gilmour a son usine de sciage dans la région. Compte tenu de l'importance que nous accordons au facteur épuisement des ressources, la question de l'emplacement des usines nous importe peu pour l'instant. Par ailleurs, cette concentration du bois de sciage dans la partie est de la vallée est compatible avec ce que nous savons de la localisation 19 Voir le RSMB, 1854 (JALC, 1855, app. U) ; RSMB, 1855 (]ALC, 1856, app. 36) ; et RSMB, 1856 (RCTCC, 1856, app. 25). 20 Plus de 28 millions de pmp exportés annuellement en 1850 et 1852. 21 La région totalise 48 % des exportations en 1860 et 1861, ce qui représente 55 millions de pmp expédiés annuellement de Québec. 22 Ces résultats expliquent en partie le plafonnement, voire le déclin des droits de coupe tirés de certaines régions, déclin que l'on peut observer au tableau 4.2.
8o Les récoltes des forêts publiques Graphique 4.2 Évolution des exportations de bois de sciage telles qu'enregistrées par le Bureau du surintendant des mesureurs de bois de Québec, 1844-1866, en pourcentages
Note i Quelques mots s'imposent concernant le procédé retenu afin d'homogénéiser les données. Selon l'équivalence usuelle, le madrier étalon compte 27,5 pmp ; chaque madrier peut ainsi être ramené sans difficulté en pmp. Le bois de sciage est également exporté sous forme de planche (« board and plank »), sans précision quant à son volume physique. Nous avons alors estimé ce contenu moyen des planches pour l'ensemble de la période à 10 pmp. Il est impossible d'affirmer jusqu'à quel point cette estimation est juste, quoiqu'elle nous paraisse vraisemblable.
des autres entrepreneurs de sciage au Québec. En effet, les données de la saison 1844-1845 pour l'ensemble de la région outaouaise (jusqu'à Montréal) indiquent des récoltes de billots de sciage plus abondantes le long des rivières du Lièvre, Rouge et Blanche. Au total, plus de 54 ooo billots ont été déclarés dans ces trois bassins, comparativement à 37 881 pour la Gatineau23. Cette concentration des abattages à l'intérieur du bassin de la Gatineau sera réduite rapidement à compter de la décennie de 1850, 23 Voir JALC, 1846, app. CC.
8i Mutations du secteur forestier canadien
c'est-à-dire à partir du moment où la production régionale enregistre une forte poussée. Entre 1853 et 1859, la part de la Gatineau oscille entre 63 % et 55 % du total des abattages24. Au début des années 1860, celle-ci chute sous la barre de 50 % (44 % en i863)25. Nous ne connaissons malheureusement pas la part des autres bassins entre 1850 et 1863, ni la répartition annuelle des abattages après 1863. Le recours à des statistiques fragmentaires sur les glissoires et estacades de la vallée outaouaise permet cependant de fournir certains indices quant à l'orientation prise par les abattages de bois de sciage après 1863. La Gatineau cesse alors de constituer à elle seule le cœur des activités. Il faut compter également avec les chantiers de la Madawaska. En 1869, 38 % des billots de la vallée correspondent aux permis de la Gatineau, et 40 % à ceux de la Madawaska26. Pour leur part, les concessions des rivières Noire, Coulonge et Petawawa fournissent respectivement 5 %, 6 % et i % des abattages. L'orientation prise par les récoltes de billots au cours de notre période semble se dessiner assez clairement : toujours plus à l'ouest, toujours plus au nord. En 1877, les bassins des rivières Gatineau et Madawaska enregistrent des récoltes similaires : chacun environ 34 % du total27. Ce sont surtout les concessions des rivières Noire, Coulonge et Petawawa qui ont majoré leurs abattages. Ceux-ci représentent maintenant respectivement 12 %, 9 % et 10 %, soit 31 % du total (ce pourcentage était de 12 % en 1869). Ces indications fragmentaires sont suffisamment concordantes pour nous permettre de formuler la piste de recherche suivante. Tout se passe comme si le bois de sciage s'implantait, en début de période, dans les vieux secteurs où l'on a épuisé les spécimens recherchés pour le bois équarri. N'oublions pas que les forêts de la Gatineau sont exploitées depuis les années 1810-1820. Nous voudrions alors émettre l'hypothèse de l'existence de plusieurs cycles dans l'évolution des récoltes. La récolte de chaque produit forestier se caractérise par un rythme qui lui est propre. En outre, les rythmes de toutes ces récoltes sont désynchronisés. L'épuisement du bois propice à l'équarrissage, dans une région donnée, provoque des déplacements vers d'autres zones, en même temps qu'il ouvre la voie, dans cette région, à l'abattage de bois de sciage, qui connaîtra un sommet, puis, à son 24 25 26 27
APO, Crown Lands..., vol. 16, p. 15. APO, Crown Lands..., vol. 16, p. 27. APO, Crown Lands..., vol. 16, p. 52. Ces pourcentages proviennent d'estimations réalisées par A.J. Russell des revenus que devraient générer les glissoires et estacades de l'Outaouais. Voir APO, Crown Lands..., vol. 16, non paginé.
82 Les récoltes des forêts publiques
Nous sommes en pleins travaux d'abattage, travaux qui ont toujours lieu à l'automne. Le travail y est certainement divisé puisque le travailleur à l'arrière-plan, sans doute plus expérimenté, entaille les arbres sélectionnés et détermine ainsi l'angle selon lequel l'arbre doit tomber. Les deux autres, munis d'un godendard, effectueront le tronçonnage de l'arbre : c'est donc davantage un effort physique que l'on attend d'eux (collection W.H. Harmer, s.d. APC, c 26244).
tour, un déclin, jusqu'à l'apparition d'un nouveau produit (pensons au bois à pâte). Ainsi, la tendance au déplacement des activités d'abattage vers le nord-ouest pourrait être temporairement annulée car les nouveaux produits forestiers auront tendance à apparaître, notamment dans les vieux secteurs. Certes, ce déplacement des aires de coupe peut être causé - et on peut même dire qu'il est causé - par d'autres facteurs. Une hausse des prix peut rentabiliser l'abattage dans un secteur éloigné ou difficile d'accès. Le phénomène de la mise en réserve des concessions pour le futur, phénomène évoqué plus haut, prend ici tout son sens. Un développement technologique pourrait aussi avoir des incidences sur la mise en valeur des territoires de coupe. Mais, en ce qui concerne le XIXe siècle, il ne semble pas que cela ait été le cas en raison de l'absence quasi complète de développement technologique dans
83 Mutations du secteur forestier canadien
les procédés d'abattage28. L'ouverture d'une région peut aussi être retardée aussi longtemps que certains travaux d'aménagement de la rivière ne sont pas effectués, comme c'est le cas du Saint-Maurice au début des années 1850. Tous ces phénomènes, quoique importants, demeurent néanmoins des facteurs d'ordre conjoncturel. Ils n'expliquent pas la tendance fondamentale. En revanche, le phénomène de l'épuisement des ressources constitue, à nos yeux, un facteur d'ordre structurel qui va, jusqu'à un certain point, au-delà des événements et de la conjoncture économique. On a peut-être trop insisté sur les éléments de la conjoncture économique et sur l'évolution de la demande pour expliquer le développement du secteur forestier. Il y a l'offre également qui n'est ni homogène ni infinie, puisqu'elle varie d'une région à l'autre. Quelques mots, en terminant, sur le rôle des forêts publiques dans le développement d'un secteur forestier capitaliste. Sur le plan de la chronologie, il est clair que les forêts publiques sont déjà largement utilisées bien avant la période 1849-1855, c'est-à-dire bien avant que l'État canadien, nouvellement constitué grâce à l'acquisition de la responsabilité ministérielle, mette en place de nouvelles politiques d'acquisition et d'exploitation des concessions forestières. Si l'on en juge par l'évolution des droits de coupe recueillis dans la vallée outaouaise, c'est au tournant de la troisième décennie du XIXe siècle que s'opère un premier essor significatif de la coupe dans les forêts publiques. Mais, les récoltes sont presque essentiellement constituées du bois équarri déclaré par une foule de petits entrepreneurs. Ceuxci s'accommodent finalement d'une politique d'accès au domaine public fort restrictive. Le milieu du XIXe siècle demeure néanmoins un point tournant dans le développement des activités forestières. D'abord, on assiste alors à un accroissement des superficies affermées, qui permettra aux grandes familles d'entrepreneurs de constituer de vastes blocs de concessions forestières, dont une partie sera mise en réserve pour les besoins futurs de l'entreprise ou dans le but de faire de la spéculation. En outre, c'est au cours de cette période que se développe rapidement la coupe du bois de sciage dans la vallée outaouaise. 28 C'est du moins l'opinion d'Ian Radforth qui s'est intéressé longuement à ce phénomène dans son ouvrage (voir Bushworkers and Bosses...). En y pensant bien, une seule découverte a sans doute bouleversé, au XIXe siècle, l'exploitation forestière : il s'agit des glissoires qu'aurait mises au point Philemon Wright et qui permettent d'extraire du bois des zones difficiles d'accès.
5 Les activités forestières au Québec (1874-1900) : transition et nouvel essor1
Les années d'exploitation des forêts publiques examinées dans ce chapitre sont marquées par l'émergence du bois à pâte, à l'aube du XXe siècle. Mais avant son apparition, le secteur forestier québécois traverse une période d'hésitation qui s'amorce avec la crise de 18741879 et se prolonge durant toute la décennie suivante ; par contre, de 1890 à 1900, la production est majorée et se renouvelle. Si deux phases bien distinctes tissent l'évolution du secteur forestier québécois entre 1874 et 1900, on y observe néanmoins une continuité fondamentale dans les deux cas, l'industrie du sciage présente des signes indéniables de difficulté. Ce malaise permet de mieux saisir le sens de l'arrivée du bois à pâte, la nouvelle manne du secteur forestier. Le présent chapitre épouse ce découpage en deux périodes et sera suivi, dans une troisième partie de l'étude, des activités forestières à l'échelle régionale. Il faut observer toutefois que cette analyse s'appuie en bonne partie sur un traitement assez complexe des données brutes utilisées. Afin de ne pas alourdir le texte, nous avons reporté à l'annexe i les explications entourant la transformation fon damentale des données officielles qui a été effecuée; les autres opei Ce chapitre est une version remaniée de deux articles que nous avons fait paraître dans la Revue d'histoire de l'Amérique française; voir « L'exploitation des forêts publiques au Québec (1874-1905) : transition et nouvel essor », vol. 42, n° i (été 1988) p. 3-26, et « L'État, le mesurage du bois et la promotion de l'industrie papetière », vol. 43, n° 2 (automne 1989) : p. 203-219. Nous tenons à remercier la Revue de nous avoir autorisé à en reproduire de larges extraits.
85 Activités forestières au Québec
rations nécessaires à la production d'une série statistique homogène, continue et fiable ont été consignées dans un ouvrage déjà cité2. 5-1
UNE P É R I O D E DE T R A N S I T I O N : 1874-1900
Les années 1874 à 1890 s'insèrent dans une phase historique identifiée par plusieurs comme étant celle de la « grande dépression ». Au Canada, cette interprétation fut remise en question au début des année 1960, notamment par Bertram qui proposa une vision nettement moins sombre du contexte économique des années 1873 à 1896. Selon lui, le rythme de croissance du secteur manufacturier canadien, mesuré à l'aide de données de recensements, se rapproche sensiblement de celui qui a marqué les années 1896 à 1910, établies comme des années de prospérité3. Cette remise en question de plus en plus acceptée de l'évolution du secteur économique canadien repose sur l'utilisation de données éclairant des secteurs différents de ceux que l'on avait examinés jusqu'alors. Ainsi, on a remplacé les volumes des activités commerciales et les données démographiques, telles que les soldes migratoires - qui démontraient l'existence d'un malaise profond entre 1873 et 1896 - par la valeur de la production du secteur manufacturier. Aussi faut-il peut-être retenir des performances économiques modestes sur certains plans et, sur d'autres, des progrès indéniables. Les activités forestières québécoises logent bien davantage à la première enseigne puisqu'elles accusent un bilan assez sombre jusqu'en 1890. 5.1.1
La tendance au plafonnement de la production forestière québécoise
La production de bois équarri enregistre au cours de cette période des moments décisifs. Une grave crise économique frappe le monde occidental en 1873 - au Québec, ses effets se font sentir à compter de 2 Voir Guy Gaudreau, L'exploitation des forêts publiques... 3 Voir G.W. Bertram, « Economie Growth in Canadian Industry, 1870-1915 : thé Staple Model», W.T. Easterbrook et M.H. Watkins, dir, Approaches to Canadian Economie..., p. 74-98 ; G.W. Bertram, « Historical Statistics on Growth and Structure of Manufacturing in Canada, 1870-1957 », J. Henripin et A.A. Asimakopoulos, dir., Canadian Political Science Association Conférence on Statistics : 1962 and 1963 Papers, Toronto, University of Toronto Press, 1964. Pour une présentation plus récente et plus détaillée du développement du secteur manufacturier canadien, voir le chapitre 4 de M.C. Urquhart, Gross National Product, Canada, 1870-1926. The Dérivation of thé Estimâtes, Kingston & Montréal, McGill-Queen's University Press, 1993.
86 Les récoltes des forêts publiques
1874 -, pour se terminer en 1879. Dans un pareil contexte, on pourrait croire que l'équarrissage, qui n'affichait aucune vitalité particulière durant les années 1860, s'effondre. Hamelin et Roby ont même conclu, avec d'autres, que cette crise économique internationale avait marqué la fin de la production de bois équarri4. Or, cette fin survient en réalité plus tard. L'amorce du déclin de cette production ne survient qu'au milieu des années 1880 (voir le tableau 5.1). De la saison 1873-1874 à celle de 1875-1876, l'équarrissage est même en hausse : il frôle alors le sommet atteint en 1863-1864. Après une seule saison difficile, celle de 1879-1880, cette production rebondit à nouveau pour ensuite s'affaisser littéralement au milieu des années i88o5. Un nouveau soubresaut à la fin de cette décennie pourrait laisser croire à une reprise. Mais il s'agit d'une remontée éphémère ; cette production disparaît à toutes fins utiles au début du XXe siècle. Ces hauts niveaux de production atteints durant la crise internationale étonneront peut-être. Sans doute faut-il les associer à la phase intense de construction que connaît alors la Grande-Bretagne6 et qui entraîne de fortes exportations de bois équarri entre 1875 et 1878 (voir le graphique 5.1). Ces exportations tendent toutefois à baisser au cours des années 1880. Dernier élément à retenir sur ce type de récolte : de fortes fluctuations ponctuent sa production. D'une année à l'autre, les variations peuvent atteindre i 500 %, voire 2 ooo %. Cette évolution syncopée est le fait d'une activité devenue accessoire dans la stratégie des entrepreneurs forestiers, une activité à laquelle ils se prêtent uniquement quand le marché les y invite. Le caractère intermittent de cette activité remonte aux années 1860, c'est-à-dire depuis que des concessionnaires s'adonnent simultanément à la coupe de bois équarri et à celle du bois de sciage7. Contrairement au bois équarri, le bois de sciage a été profondément touché par la crise (voir le tableau 5.1). La chute des récoltes s'établit à 45 % (272 millions de prnp en moyenne, entre 1874-1875 et 1878-1879, et 483 millions de pmp en 1873-1874). Le repli des activités 4 Jean Hamelin et Yves Roby, Histoire économique..., p. 91 ; W.T. Easterbrook et H.G.J. Aitken, Canadian Economie History..., p. 204. 5 Lower avait bien identifié le moment décisif où cette activité a périclité, soit la décennie de 1880; voir «The Trade... », p. 47. 6 Voir J. Perry Lewis, Building Cycles and Gréât Britain's Growth, Londres, Macmillan, 1965, p. 316-317. Notons que la tendance nord-américaine n'enregistre pas ses sommets en même temps que la Grande-Bretagne. Buckley avait déjà signalé ce phénomène, « Urban Building and Real Estate Fluctuations in Canada », C/EPS, vol. 18, n° i (1952) : p. 41-62. 7 A.R.M. Lower, Gréât Britain's Woodyard..., p. 159.
87 Activités forestières au Québec Tableau 5.1 Production de bois équarri, de bois de sciage et de bois à pâte selon les données québécoises officielles, 1871-1900, en millions de pmp1 Bois de sciage
Bois équarri Saison
pin
autres
total
pin
épinette total
1870-1871 1871-1872 1872-1873 1873-1874 1874-1875 1875-1876 1876-1877 1877-1878 1878-1879 1879-1880 1880-1881 1881-1882 1882-1883 1883-1884 1884-1885 1885-1886 1886-1887 1887-1888 1888-1889 1889-1890 1890-1891 1891-1892 1892-1893 1893-1894 1894-1895 1895-1896 1896-1897 1897-1898 1898-1899 1899-1900
60,2 63,2 49,6* 45,3 47,1* 65,4 48,1 39,0 37,9 19,2 31,0 48,5 37,7 16,1 3,0 6,4 6,3 7,2 25,8 37,8 9,3 15,1 22,9 1,9 17,4 5,6 15,5 10,7 5,0 0,8
1,1 1,0 1,8 10,0 11,0 8,7 3,1 2,3 3,1 1,7 1,9 1,5 1,0 2,2 1,8 0,3 1,9 0,7 0,8 0,9 2,0 0,6 0,3 0,1 0,5 0,3 0,9 4,4 2,7 0,5
61,3 64,2 51,4 55,3 58,1 74,1 51,2 41,3 41,0 20,9 32,9 50,0 38,7 18,3 4,8 6,7 8,2 7,9 26,6 38,7 11,3 15,7 23,2 2,0 17,9 5,9 16,4 15,1 7,7 1,3
293 355 377 382 242 201 206 170 189 287 377 397 391 252 324 344 324 468 392 302* 317 428 370 341 418 381 341 245 291 340
38 43 86 101 58 76 83 76 60 111 116 123 111 62 88 116 97 130 103 189 197* 199* 192 213 270 276 360 323 309 360
331 408 463 483 300 277 289 246 249 398 493 520 502 314 412 460 421 598 495 491 514 627 563 554 688 658 702 568 600 700
Bois à pâte2
0,3 1 6 4 6 4 4 4 7 2 3 2 4 2
Total
392 472 514 538 358 351 340 287 290 419 526 570 541 332 417 467 430 607 528 534 531 647 590 560 713 666 721 585 612 703
Notes * Donnée corrigée. 1 Voir l'annexe i. 2 Notons qu'il s'agit des données officielles et que la presque totalité du bois à pâte est déclarée sous la forme de bois de sciage d'épinette à partir de la fin des années 1880; consulter le graphique 5.2 pour un portrait plus fidèle de la coupe. Source: RCTCQ.
88 Les récoltes des forêts publiques Graphique 5.1 Évolution des exportations québécoises et ontariennes de bois de sciage et de bois équarri, 1871-1900, en millions de pmp
Notes 1 Les planches expédiées à l'étranger sont comptabilisées en pmp. 2 Les madriers exportés sont dénombrés en centaines de madriers étalons. Ceux-ci ont 11 pouces de largeur, 12 pieds de long et deux pouces et demi d'épaisseur, ce qui représente 27,5 pmp par madrier. Chaque centaine de madriers étalons renferme ainsi 2750 pmp. 3 Le bois équarri exporté est mesuré en « ton ». Cette mesure équivaut à 40 pieds cubes. Chaque pied cube a été ramené en pmp (i pied cube = 7 pmp). 4 Voir le tableau A.8 à l'annexe 3. Source :TCNC.
de sciage est brutal et la décennie qui suit la crise en est une de consolidation. Même si les récoltes d'épinette subissent une baisse moins accentuée durant la crise, cette essence est toujours moins recherchée que le pin, qui demeure l'essence par excellence dans les scieries. Toutefois, la performance de la saison 1889-1890, durant laquelle l'abattage d'épinette double pratiquement par rapport à la saison précédente, laisse présager un changement majeur dans la répartition des essences sciées. Voilà certainement un fait marquant à retenir dans l'évolution de cette production.
89 Activités forestières au Québec
L'examen de l'affermage, c'est-à-dire des superficies sous permis de coupe, confirme ces malaises du secteur forestier, malaises qu'annonce le déclin de l'équarrissage combiné au piétinement du sciage. Entre 1874 et 1890, l'aire québécoise de coupe oscille entre 40 ooo et 45 ooo milles carrés. Donc, peu de nouveaux affermages : la piètre qualité des boisés non encore concédés n'y invitait guère. L'évolution de la demande étrangère, dont témoignent les données des exportations, renforce ce constat relatif au tassement de la production de bois de sciage. L'examen des marchés américain et britannique révèle en effet une stabilisation de la demande jusqu'en iSSy8. Lors de la crise, celle-ci s'est effondrée du côté américain : la quantité de planches acheminées a diminué de moitié. Aussitôt la crise terminée, les exportations reprennent ; elles atteignent alors un volume légèrement inférieur à celui du début des années 1870 pour s'y maintenir par la suite. La demande britannique démontre quant à elle une remarquable stabilité de 1874-1875 à 1888-1889. Et si l'on observe une chute des exportations de madriers lors de la crise, c'est en raison du caractère exceptionnel des années 1872-1873 et i873-i8749, qui servent de points de comparaison. Aussi, devons-nous évaluer les exportations de madriers durant la crise en les confrontant à celles qui ont été enregistrées en 1870 et 1871. Dans cette perspective, les années 1874 à 1879 laissent deviner une situation beaucoup moins alarmante dans le cas des madriers. En outre, les lendemains de la crise ne s'accompagnent pas, comme c'est le cas pour le marché américain, d'une hausse des expéditions. Il importe de rappeler que les années 1873 à 1879, en GrandeBretagne, se déroulent dans un contexte d'essor de la construction10 dont profite le secteur forestier québécois. En revanche, la construction s'effondre brutalement aux États-Unis durant cette même période; c'est vers la fin des années 1880 qu'elle entre à nouveau en 8 Signalons que le graphique 5.1 présente l'ensemble des exportations ontariennes et québécoises. Ce choix est nécessaire, car une bonne partie des expéditions québécoises vers les États-Unis transitent par l'Ontario, tandis que la totalité des envois ontariens vers la Grande-Bretagne passe par le Québec. 9 Un examen attentif de la valeur des expéditions de madriers au cours de ces deux années démontre que le gonflement des volumes alors exportés ne s'accompagne pas d'une hausse de la valeur des expéditions. Autrement dit, la croissance des exportations en pmp s'est faite au prix d'une réduction de la valeur moyenne des madriers vendus. 10 Marr et Paterson affirment que ce phénomène est lié à une diminution des investissements britanniques à l'étranger et à un ralentissement de l'émigration britannique, qui crée une demande de logements en Grande-Bretagne; Canada an Economie History, Toronto, Gage, 1980, p. 281-283.
90 Les récoltes des forêts publiques
effervescence, le sommet se situant entre 1887 et 1889". Sans doute faut-il y voir une des causes du haut niveau de production de matière ligneuse enregistrée au Québec au cours de la saison 1887-1888. Durant cette période difficile, même la demande intérieure influence négativement le volume global de la production de bois de sciage12. En effet, jusqu'en 1890, on dénombre seulement quelques années animées d'un fort mouvement de construction domiciliaire13, lesquelles correspondent au sommet enregistré aux États-Unis, soit la fin des années i88o14. Mais tout en étant appréciable, la hausse de la consommation intérieure de matière ligneuse ne peut compenser la faiblesse de la demande étrangère, dont le redressement ne survient qu'à la fin des années 1880. 5-2
UN N O U V E L E S S O R
: 1890-1900
La décennie clôturant le XIXe siècle correspond à la phase de démarrage de la production de bois à pâte. Quoique ce dernier n'affiche pas encore l'importance du bois de sciage, sa poussée est telle qu'on doit déjà le considérer comme le nouveau moteur de l'exploitation forestière. Si le bois de sciage continue de se maintenir comme la principale récolte de matière ligneuse, il connaît par ailleurs des difficultés qui tendent à en stabiliser le volume. Voyons plus en détail les caractéristiques de cette nouvelle période. 5.2.1
Une exploitation plus intensive de la matière ligneuse
L'évolution de la production de bois de sciage se distingue par des inflexions nombreuses et accentuées (voir le tableau 5.1). En dépit de ces contractions, se profile une tendance générale à la hausse. Le pin, 11 Voir M. Gotlieb, Estimâtes of Residential Building, United States, 1840-1939, National Bureau of Economie Research, 1964, p. 61-62. 12 Cette faiblesse de la demande intérieure, mesurée à l'aune des exportations, est confirmée par les estimés d'Urquhart sur la consommation du bois de construction au Canada lors des années de recensement; voir Cross National..., p. 180-183. 13 Pour une vue d'ensemble de l'évolution de la construction résidentielle au Canada, voir Marion Steele, « Residential Rents and Residential Construction », dans M.C. Urquhart, Gross National..., p. 549-598. 14 W.G. Perley, entrepreneur forestier de l'Outaouais, estimait qu'en 1887, la région de Montréal absorbait environ 20 % de la production des scieries outaouaises, soit 120 millions de pmp. De plus, il prétendait que cette consommation montréalaise s'établissait au cours des années 1880 entre 45 et 50 millions de pmp ; voir Canada Lumberman, mai 1888. Ces chiffres, somme toute modestes, en disent long sur l'importance du marché intérieur, car n'oublions pas que Montréal constitue alors le principal marché intérieur canadien.
9i Activités forestières au Québec
essence par excellence du bois de sciage, est toutefois en perte de vitesse à compter de 1894-1895. La croissance de l'ensemble des récoltes, bien que modeste, résulte plutôt de la coupe d'épinette et des autres essences qu'on regroupe avec elle15. Entre 1890 et 1900, les récoltes d'épinette doublent, passant de 190 millions à 360 millions de pmp. En 1890, la coupe atteignait 4,75 millions de billots; dix ans plus tard, elle s'élève à près de 10 millions de billots. En fait, cette multiplication du nombre de billots résulte de la diminution irrégulière mais continue de leur diamètre moyen. Elle correspond par ailleurs à une exploitation encore plus intensive de la matière ligneuse. Le règlement de 1892, par exemple, prévoit la commercialisation de la tête des arbres qu'on laissait auparavant pourrir sur place. On établit à cette fin un droit de coupe pour les billots d'un diamètre inférieur à 12 pouces16. Cette évolution des récoltes de bois de sciage se dégage bien des données afférentes à l'exportation de planches et de madriers (voir le graphique 5.1). Celle-ci s'intensifie au cours de la même période. La comparaison entre les années 1880 et 1890 le démontre à l'évidence : la moyenne annuelle des envois de planches grimpe de 600 millions de pmp à 780, tandis que celle des expéditions de madriers passe de 300 millions de pmp à 400. Le marché britannique reste donc encore bien ouvert. Ne représente-t-il pas à l'échelle québécoise et ontarienne le tiers des exportations de bois de sciage ? Compte tenu de la relative proximité des régions forestières québécoises par rapport à ce marché, on peut croire que cette proportion est encore plus élevée au Québec, où elle atteint peut-être 50 %. Deux facteurs expliquent l'élargissement de la demande étrangère dans les années 1890 : i) la croissance de la construction en GrandeBretagne à partir de 1895, avec un sommet en 1898 et 1899, et 2) les modifications apportées aux tarifs américains frappant l'importation du bois de sciage par les États-Unis et aux tarifs canadiens imposés à l'exportation de bois brut (c'est-à-dire aux billots de sciage). Rappelons brièvement l'historique de ces modifications tarifaires avant d'en retracer les effets. Après l'abrogation du traité de Réciprocité, le gouvernement canadien s'empresse de sanctionner un tarif 15 Ces essences sont notamment le sapin, la pruche et le cyprès. 16 Les inspecteurs du ministère ont signalé dans leurs rapports que les concessionnaires profitaient de cette clause pour abattre des pins d'un diamètre à la souche inférieur à 12 pouces, puisqu'ils n'avaient qu'à prétendre que ces petits billots provenaient de la tête d'arbres de taille réglementaire.
92 Les récoltes des forêts publiques
sur l'exportation de billots de sciage bruts afin de décourager les entrepreneurs américains de s'approvisionner au Canada en matière ligneuse pour la transformer aux États-Unis. Fixé d'abord à un dollar les i ooo pmp, il subit par la suite quelques ajustements pour être finalement porté à 2 $ en i88917. L'année suivante, le Canada abolit cette mesure tarifaire. Les billots traverseront dès lors la frontière sans entrave tarifaire ni d'un côté ni de l'autre, car les États-Unis accueillent le bois brut en franchise depuis 1870. Cependant, les États-Unis continuent encore d'imposer des droits d'entrée sur le bois de sciage : la taxe américaine sur la planche de pin est abaissée de 2 $ à i $, tandis que celle frappant la planche d'épinette reste inchangée, à 2 $ les i ooo pmp18. Quatre ans plus tard, le bois de sciage canadien de toute catégorie pénètre le marché américain en franchise et ce, jusqu'en 1897. Des pressions exercées par des exploitants américains ont tôt fait cependant d'amener le rétablissement, en 1897, d'un tarif fixé à 2 $ les i ooo pmp19. Le gouvernement ontarien, préoccupé par la traversée massive de bois brut sur les Grands Lacs en direction des États-Unis, réagit alors à cette mesure en interdisant, à partir de 1898-1900, l'exportation de bois brut provenant des forêts publiques. Et le Québec suivra cet exemple en décrétant l'embargo en 1910. Entre 1894 et 1897, les mesures tarifaires rendent donc le bois de sciage canadien beaucoup plus concurrentiel sur le marché américain. Les fortes poussées de 1892-1893 et de 1896-1897 y trouvent leur explication. L'exportation de billots de sciage bruts - phénomène nouveau apparaissant à la fin des années 1880 - contribue à gonfler de manière notable le volume des exportations de matière ligneuse. La masse de billots bruts exportés représente en effet près de 20 % du volume de planches exportées entre 1890 et 1897. Quant à la chute brutale enregistrée en 1897-1898, elle peut très vraisemblablement être imputée à la réimposition des mesures tarifaires américaines. À l'aube du XXe siècle, les exportations de bois de sciage perdront de leur importance. En fait, la demande se déplace : les expéditions vers l'étranger fléchissent alors que les récoltes ne cessent d'atteindre 17 Voir A.R.M. Lower, North American Assault..., p. 154-156. 18 Le « McKinley Bill » de 1890 prévoyait en outre une clause par laquelle des droits supplémentaires seraient prélevés si les pays exportateurs (en l'occurrence le Canada) taxaient leur bois brut à l'exportation (voir l'article 218). Cette clause sera reconduite en 1894 et en 1897. 19 Voir J.E. Defebaugh, History of thé Lumber Industry of America, Chicago, The American Lumberman, 1906, volume 2, p. 453-457.
93 Activités forestières au Québec
de nouveaux sommets. C'est la demande intérieure20 qui prendra alors le relais et qui jouera - peut-être pour la première fois - un rôle déterminant et durable dans le développement du secteur forestier québécois jusqu'alors soumis aux aléas des marchés étrangers. 5.2.2 Les difficultés du sciage
Plusieurs auteurs, dont A.R.M. Lower, ont signalé que l'industrie du bois de sciage au tournant du XXe siècle entrait dans une phase difficile21. Deux symptômes auraient révélé ce malaise de l'industrie du sciage, soit le plafonnement des récoltes et la fermeture des plus grandes scieries. Certaines causes de ce malaise ont été identifiées carence des approvisionnements (le bois est plus petit et de moins bonne qualité) ; vive concurrence des producteurs de la côte Ouest et des États américains du Sud; arrivée de nouveaux matériaux de construction. Ces facteurs sont importants, mais ils ne suffisent pas à expliquer la détérioration de la situation du sciage. Une analyse plus poussée encore s'impose si l'on veut bien comprendre le malaise qui frappe le sciage au tournant du XXe siècle. En premier lieu, il faut admettre que ce malaise a de longs antécédents : en fait, il remonte à la période antérieure. Cette assertion, qui va à l'encontre de ce qui est généralement admis, provient du fait que notre analyse repose sur des bases différentes de celles utilisées par l'historien qui a le plus marqué l'histoire forestière, Lower. Celui-ci a voulu comprendre l'histoire forestière canadienne dans son ensemble. Une tâche des plus ambitieuses, il faut le reconnaître. Son analyse a reposé néanmoins, pour une bonne part, sur l'exemple ontarien, qu'il connaissait mieux et dont nous traiterons longuement dans le chapitre suivant. Lower a décrit la période 18701900 comme l'âge d'or de l'industrie du bois de sciage dans l'est du 20 L'urbanisation au Canada, et particulièrement au Québec et en Ontario, enregistre une vigoureuse poussée en ce début de XXe siècle. L'indice mesurant l'activité de construction au Canada passe de 100 à 332,8 entre 1900 et 1905. Voir K. Buckley, «Urban Building... ». Cet indice a été établi par Buckley à partir des permis de construction accordés au tournant du XXe siècle dans quelques villes canadiennes. Il fournit donc une meilleure évaluation de la consommation intérieure que l'utilisation des permis montréalais uniquement. Dans cette même veine, Steele avance comme estimation de la production canadienne en matière de construction résidentielle, tant urbaine que rurale, le chiffre de 17 100 unités en 1900, et plus de 50 ooo unités en 1905; voir «Residential Rents... », p. 584. 21 A.R.M. Lower, North American Assault..., p. 200-201; Raoul Blanchard, Le Canada français, Paris, Fayard, 1960, p. 129; Paul-André Linteau, René Durocher et JeanClaude Robert, Histoire du Québec contemporain, I: De la Confédération à la crise, Montréal, Boréal Express, 1978, p. 134.
94 Les récoltes des forêts publiques
Canada22. Cependant, on ne trouve dans ses ouvrages ni de mesures de l'évolution de la production, ni de données ventilées par province. À défaut de tels outils, il ne pouvait guère constater les difficultés du secteur forestier québécois à partir de la crise qui éclate en 1873. Les difficultés du sciage ne se manifestent pas d'un seul coup à l'échelle du territoire forestier québécois. Elles touchent d'abord la région du Saint-Maurice, dès i87523, et celle du Saguenay-Lac-SaintJean, à compter de 1880. Entre-temps, l'Outaouais, le cœur du Québec forestier du XIXe siècle, est pour ainsi dire épargné. Ce n'est qu'à partir de 1890, on le voit plus loin, que cette région éprouve à son tour des difficultés sérieuses dans le domaine du sciage. Cela nous amène à croire que ces difficultés du sciage tiennent surtout à un appauvrissement des ressources alors exploitables, que met en relief le phénomène déjà souligné de la réduction graduelle du diamètre des arbres exploités. L'évolution des volumes physiques de billots de pin et d'épinette montre une diminution de 50 % du contenu moyen des billots d'épinette entre 1888 et 1905. Cette diminution, à laquelle la coupe de bois à pâte n'est pas étrangère, est d'une amplitude considérable. Elle provient d'une coupe beaucoup plus intensive, c'est-à-dire beaucoup moins sélective. Moins importante est la diminution du diamètre des billes de pin : près de 33 % pour la même période. Ces deux pourcentages sont assurément plus élevés que ceux obtenus entre 1874 et 188824: il faut donc convenir d'une accélération de la baisse du volume moyen des billots à partir de 1890. Faire ressortir les effets de cette réduction du volume moyen des billots sur l'industrie du sciage paraît alors essentiel : ils entraînent à coup sûr une majoration des coûts d'exploitation25. Le gonflement apparent de la production de bois de sciage ou plutôt la stabilisation du niveau de production26 ne se fait qu'au prix d'une exploitation 22 A.R.M. Lower, North American Assault..., chapitre 14. 23 Voir René Hardy et Normand Séguin, Forêt et société..., p. 75. 24 En Ontario, les volumes des billes de pin ont diminué d'environ 26 % entre 1874 et 1888 tandis qu'au Québec, nous avons estimé cette baisse à environ 16 % (voir l'annexe i). 25 On pourrait aussi formuler l'hypothèse que la généralisation de la sous-traitance à la fin du XIXe siècle (voir René Hardy et Normand Séguin, Forêt et société..., p. 92) n'est pas étrangère à cette hausse des frais d'exploitation. On aurait alors réduit les frais d'opération dans les chantiers afin de maintenir un certain rendement. 26 Nous disons « apparent » parce que, comme nous le verrons plus loin, cette hausse de la production, observée au tableau 5.1, est provoquée par l'enregistrement systématique du bois à pâte en tant que bois de sciage. C'est pourquoi il faut plutôt parler d'une stabilisation de la production.
95 Activités forestières au Québec
intensive et coûteuse de petits billots. Plus concrètement, la diminution des diamètres moyens exerce peut-être ses effets les plus néfastes à l'étape cruciale du tranchage du billot. Bien que nos connaissances des techniques utilisées alors dans le sciage souffrent de nombreuses lacunes27, nous croyons tout de même pouvoir proposer la piste de recherche suivante. Quand le sciage est à son apogée, soit au début des années 1870, la technique la plus répandue de transformation du billot en planches est celle décrite par Joseph Tassé en i87328. Cette technique comporte trois opérations successives dont la première est le tranchage du billot dans sa longueur. La deuxième consiste à éliminer les imperfections et l'écorce demeurée attachée sur les bords de la planche à l'aide d'une déligneuse (ce qui donnera à la planche une largeur standard). Une dernière opération sert à ébouter la planche pour la ramener à une longueur standard. Comme la précédente, cette opération ne connaîtra pas de modification majeure : les deux s'effectuent à l'aide de petites scies circulaires très efficaces et tournant à grande vitesse. Un coup d'œil sur les machines à l'œuvre lors du tranchage montre bien toutefois qu'elles s'adaptaient mal à la diminution des volumes. Les scies utilisées pour cette opération ont un mouvement vertical et, ce qui est plus important encore, elles sont regroupées de telle sorte qu'elles tranchent simultanément le billot à plusieurs endroits équidistants. Ce premier tranchage dure quelques minutes et doit être repris, car il a laissé intact le centre de la pièce de bois. Le procédé est donc relativement long, mais efficace en autant que les billes atteignent de bonnes dimensions. Par ailleurs, et cela est capital, la durée totale du tranchage, selon ce procédé, ne dépend pas du volume des billots mais plutôt de leur longueur. L'utilisation de cette technique29 a comme résultat inévitable une baisse de la productivité consécutive à la diminution des diamètres, car la quantité de matière ligneuse produite pour une même durée est tendanciellement moindre. Cette technique, de moins en moins productive, représente alors un problème pour les entrepreneurs. Le renouvellement de leurs 27 Voir l'article étoffé de A.J.H. Richardson, « Indications for Research in thé History of Wood-Processing Technology », Bulletin of thé Association for Préservation of Technology, vol. 10, n° 3 (1974) : p. 35-146. 28 Joseph Tassé, La Vallée de l'Outaouais, Montréal, 1873, cité par Jean Hamelin et Yves Roby, Histoire économique..., p. 221-222. 29 Cette technique est cependant efficace en ce qui a trait à la maîtrise du procès de travail qu'elle accorde aux entrepreneurs. En effet, les travailleurs affectés au tranchage des billots n'ont besoin d'aucune compétence et ne peuvent exercer aucune influence sur le rythme de production, qui est commandé par la machine.
96 Les récoltes des forêts publiques
machineries s'impose s'ils veulent modifier la durée du tranchage en fonction du diamètre des billots. Ont-ils su le faire, et de manière satisfaisante? Nous ne saurions fournir une réponse catégorique à cette question. Une chose demeure certaine: la machine qui aurait pu apporter une solution à leur problème est déjà disponible sur le marché depuis la guerre de Sécession30. Il s'agit de la scie à ruban. Elle semble être utilisée dans les scieries des États américains des Grands Lacs au milieu des années 1880 et se propage au NouveauBrunswick au début de la décennie suivante31. Lower affirme qu'on la retrouve au Canada au cours des années iSço32. Son principe de fonctionnement est simple : au lieu de procéder simultanément à plusieurs tranchages, la scie à ruban effectue un seul tranchage à la fois (selon l'épaisseur du bois désirée) et ce, à une vitesse beaucoup plus rapide (quelques secondes par tranchage). Théoriquement, le temps de cette opération cruciale devient alors proportionnel au volume de la bille. La scie à ruban posséderait un autre avantage, qui a favorisé sa diffusion : elle permet de réduire substantiellement les pertes de bois imputables à la largeur du trait de scie33. Cependant, des témoignages oraux recueillis auprès d'anciens travailleurs de scieries nous invitent à la prudence dans l'appréciation des qualités de la scie à ruban, car il faut tenir compte de sa fragilité. La lame est si fine qu'elle risque à tout moment de se rompre34. En somme, le malaise du sciage au Québec provient aussi d'un problème technique consécutif à la réduction graduelle du diamètre moyen des billots de sciage. Problème qui commence à être résolu seulement à compter des années 1890, et encore, de manière imparfaite.
30 Voir Nathan Rosenberg, « America's Rise to Woodworking Leadership », B. Hindle, dir., America's Wooden Age : Aspects of its Early Technology, New York, Sleepy Hallow Restorations, 1975, p. 47. 31 Voir Richard W. Judd, Aroostook. A Century of Logging in Northern Maine, Orono, University of Maine Press, 1989, p. 151. 32 A.R.M. Lower, North American Assault..., p. 50. 33 Voir Nathan Rosenberg, «America's Rise to... » p. 48. Afin d'expliquer l'introduction de la scie à ruban, l'auteur met l'accent sur son immense avantage en ce qui a trait à la réduction des pertes de bois (la scie traditionnelle ayant un trait de scie de 3/8 de pouce, contre seulement 1/12 dans le cas de la scie à ruban, ce qui peut représenter facilement un gain de 10 pmp par billot). 34 En outre, cette innovation redonne à certains des travailleurs affectés au tranchage des billots, comme le « scieur de grande scie », un contrôle décisif sur la durée et le déroulement de l'opération, puisque c'est eux dorénavant qui déterminent l'endroit de chaque tranchage et l'épaisseur exacte de chaque pièce.
97 Activités forestières au Québec 5.2.3
L'évolution de la production de bois à pâte
C'est durant la saison d'exploitation 1886-1887 qu'on enregistre officiellement une première récolte de bois à pâte sur les forêts publiques québécoises (voir le tableau 5.1). La quantité est dérisoire, soit 471 cordes (ou 0,3 million de pmp35), d'autant plus que ce chiffre inclut une portion indéterminée de billots de cèdre et de pin. En 1888-1889, on ne feit guère mieux. Et l'année suivante, alors que le bois à pâte est comptabilisé avec le bois à fuseau, on atteint 9 708 cordes. Coupe encore modeste donc, peu représentative sans doute de la production réelle de bois à pâte, puisque cela fait déjà près de vingt ans que ce produit est tiré des forêts québécoises36 et qu'on peut sans doute présumer que des progrès considérables au niveau des volumes récoltés ont été réalisés. D'ailleurs, le recensement de 1891 le confirme: 131 ooo cordes de bois à pâte auraient été coupées au Québec en provenance des forêts publiques et privées (voir le chapitre suivant). La suite des activités de cette décennie reste obscure, mais non inexplicable. Obscure parce que, selon les statistiques officielles, la production de bois à pâte reste stationnaire à environ 6 millions de pmp (ou 10 ooo cordes, voir le tableau 5.1). Non inexplicable parce qu'il faut comprendre que le bois à pâte pouvait être mesuré et coupé autrement qu'à la corde et que, en fait, la presque totalité des récoltes de cette période étaient déclarées en pmp et étaient incluses dans le bois de sciage. Cette pratique, d'ailleurs, était connue des autorités. Le commissaire des Terres de la Couronne avait accordé, dès le début des années 1890, l'autorisation à certains entrepreneurs de déclarer le bois à pâte comme s'il s'agissait de billots de sciage d'épinette. Nombre d'entre eux se prévaudront de cet accord pour déclarer leurs récoltes sans qu'elles ne laissent de trace dans les données gouvernementales officielles. Il y a plus encore : même durant leurs activités courantes et indépendamment des autorisations gouvernementales, les entreprises coupent et mesurent déjà le bois à pâte, non pas à la 35 La formule d'équivalence retenue ici est celle qu'adoptera le gouvernement du Québec en 1910, soit: une corde équivaut à 600 pmp. Ce choix est amplement commenté au dernier chapitre. 36 À compter de 1866, deux usines papetières, l'une à Valleyfield et l'autre à Windsor, utilisent le bois comme matière première. Voir J. Harvey Perry, «The Forest Industry - Canada's greatest resource », Canadian Banker, vol. 93, n° i (février 1986) : p. 13.
98 Les récoltes des forêts publiques
corde37, mais au billot38, c'est-à-dire en pmp. Et cela restera vrai jusqu'à la fin des années 193O39. Cet accroc aux règlements, autorisé par l'administration, a été fort bénéfique aux entrepreneurs, mais aussi à l'État. Les premiers ont obtenu, pour les saisons 1891-1892, 1892-1893 et 1893-1894, de substantielles réductions de droits de coupe. Le taux officiellement en vigueur, soit 0,25 $ la corde (ou pour 600 pmp), aurait dû être imposé, alors que l'administration s'est contentée d'un tarif de 0,16 $ pour i ooo pmp de bois à pâte. Quant à l'État, il a manifestement préféré retirer certains revenus des forêts qui autrement seraient demeurées inexploitées. Afin de régulariser la situation, le gouvernement adopte, en 1894, un nouveau droit de coupe sur le bois à pâte, qui tient compte des pratiques en vigueur. On ramène alors le taux d'imposition du bois à pâte d'épinette au même niveau, ou peu s'en faut, que celui du bois de sciage d'épinette (0,65 $ pour i ooo pmp) en le fixant à 0,40 $ la corde (0,66 $ pour i ooo pmp)4°. En d'autres mots, les producteurs de bois à pâte verseront dorénavant les mêmes redevances, peu importent les unités de mesure utilisées. En amendant de la sorte la tarification du bois à pâte, l'État reconnaît implicitement l'emploi du pmp dans le mesurage du bois à pâte. En somme, il s'inquiète peu de connaître les quantités réellement récoltées, pourvu que les recettes soient les mêmes. Et tant pis pour les historiens qui cherchent à mesurer avec précision son évolution ! On comprend alors comment le bois à pâte tiré des forêts publiques québécoises à la fin du XIXe siècle est déclaré sous forme de bois de 37 Voir le témoignage de l'agent P.W. Nagle, responsable de l'agence forestière SaintFrançois, et le rapport de P. Blouin, fonctionnaire du ministère , «Copie de... », in Québec, Documents de la Session. 1900, doc. 19, p. 4, 9 et 10. Voir aussi l'Annuaire du Canada, 1922-1923, p. 342. 38 On se demandera peut-être pourquoi le gouvernement a adopté une unité de mesure qui, dans la pratique, ne fait pas l'unanimité chez les entrepreneurs. En premier lieu, il faut préciser que les gestionnaires du domaine public ont rapidement abandonné la corde au profit du pmp, soit dès 1910. Ensuite, la première unité de mesure était fort probablement en usage chez les producteurs privés, c'est du moins ce qui ressort des recensements. Les gestionnaires auraient alors cru que la même unité de mesure pourrait s'appliquer dans les chantiers des forêts publiques. On verra plus loin pourquoi les entrepreneurs ont voulu conserver le droit de recourir au pmp. 39 En 1935 encore, plus des deux tiers du bois à pâte provenant des forêts publiques sont mesurés en pmp, tandis que 31,5 % des récoltes sont mesurées à la corde. Voir Henry Roy, « Log Scaling in Québec », Journal of Forestry, vol. 36, n° 10 (1938) : p. 1970. 40 Cela est sans doute délibéré. C'est du moins ce qui ressort du rapport de P. Blouin, «Copie de... », p. 10.
99 Activités forestières au Québec Graphique 5.2 Bois de sciage et bois à pâte dans les forêts publiques québécoises, 1887-1900 : une estimation en millions de pmp
Note i Voir le tableau A.9, à l'annexe 3. Source :RCTCQ.
sciage d'épinette. Cette pratique est bien plus avantageuse que ne le laissent croire les calculs des droits de coupe exposés jusqu'ici. C'est tout le mesurage même des récoltes en bois de sciage plutôt qu'en bois à pâte qui est en jeu et qui permet aux producteurs de réduire de 60 % leurs récoltes déclarées41. Ces lacunes des données officielles nous ont amené à proposer certains correctifs aux données des récoltes de bois à pâte en provenance des forêts publiques (voir le graphique 5.2). Si l'on veut faire correspondre les données officielles à la réalité historique, il convient de supposer l'existence de quantités importantes de bois à pâte. C'est
41 En somme, comme si une corde de bois à pâte sur deux n'avait jamais été déclarée. Pour plus de détail, voir Guy Gaudreau, «L'État, le mesurage... ».
ioo Les récoltes des forêts publiques
pourquoi une fraction non négligeable du bois de sciage d'épinette officiellement déclaré a été convertie en bois à pâte42. Sur la base du poids des différentes catégories de bois de la saison 1899-1900, on peut estimer qu'à la fin du XIXe siècle, le bois à pâte représente déjà 25 % de la production totale des forêts publiques québécoises. Une nouvelle mutation tout aussi fondamentale que le passage du bois équarri au bois de sciage est en train de bouleverser une fois de plus le secteur forestier. Des amendements à la réglementation relative au diamètre minimal des arbres exploitables ont rendu possible cette exploitation intensive du couvert forestier. Des essences jusqu'alors ignorées, et surtout des arbres délaissés parce que trop petits, sont maintenant recherchés. Il n'est pas surprenant alors de voir la superficie totale affermée s'étendre considérablemen à compter de i89843 : plus de 25 ooo milles carrés de nouvelles concessions s'ajoutent aux anciens territoires de coupe entre 1898 et 1905. 5.4
LA D I M E N S I O N R É G I O N A L E DES ACTIVITÉS FORESTIÈRES
Les grandes tendances de l'évolution des récoltes s'appliquent-elles à l'histoire de chaque région forestière44? Certainement pas. Il convient d'insister sur ce phénomène de rendement inégal, d'une région forestière à l'autre, en rappelant des faits tirés des deux phases présentées.
42 Des données fragmentaires confirment d'ailleurs l'ampleur du correctif proposé pour les années 1890 et garantit la fiabilité de notre estimation. Ainsi, pour la seule saison 1895-1896, deux entreprises mauriciennes déclarent au commissaire avoir coupé en bois à pâte l'équivalent de 29 millions de pmp d'épinette. Pourtant, les chiffres officiels ne font état d'aucune récolte de bois à pâte dans la région ! Les deux entreprises concernées sont Laurentide Co. et Glenn Falls Co., qui déclarent respectivement des coupes de 4 ooo et de 45 ooo cordes. Qui plus est, le représentant de Glenn Falls ajoute que sa récolte de bois à pâte est similaire à celles obtenues au cours des dernières années ; voir « Copie de... », Québec, Documents de la Session, 1900, doc. 19, p. 7, 8 et 20. 43 Dans un premier temps, l'industrie papetière s'est accaparée de vieilles concessions peu rentables mais avec lesquelles on avait jadis produit beaucoup de bois de sciage. 44 Nous avons retenu cinq régions forestières pour les besoins de l'analyse; la carte 2 présente un aperçu de leurs frontières respectives. Ce choix répond à un besoin de conserver des territoires de coupe aux frontières immuables et naturelles. Pour plus de détail, voir Guy Gaudreau, L'exploitation des forêts..., p. 78-85.
loi Activités forestières au Québec
On observe une forte progression du sciage en Outaouais supérieur, entre 1874 et 1890, avec une hausse de 40 %45. Compte tenu des conditions du marché, cette performance est appréciable. Cette région constitue à n'en pas douter le cœur du secteur forestier québécois, car elle affiche, en 1890, 70 % de tous les droits de coupe, c'est-à-dire qu'on y déclare environ 70 % de la valeur de l'ensemble de la production québécoise (voir le tableau 5.2). Toutefois, on ne peut pas en dire autant de trois autres régions pour lesquelles on note une baisse des récoltes. Dans la région du Saint-Maurice, il faut parler de plongée brutale des récoltes de bois de sciage. La chute de la production est de l'ordre de 60 % et provoque la fermeture de chantiers, des faillites ou abandons d'affaires et freine le mouvement de colonisation. La réduction de la superficie concédée témoigne d'ailleurs de ce recul. Au Saguenay-Lac-Saint-Jean et dans les Laurentides, la baisse de la production, toujours évaluée en volume physique et non en billots, est moins brutale et peut être estimée à 30 % et 15 % respectivement. Quant à la région de la Rive-Sud du SaintLaurent, on peut considérer son rendement comme moyen, dans la mesure où on y observe une hausse de 10 % de ses récoltes. Le portrait est tout autre après 1890. La situation s'est détériorée en Outaouais supérieur, puisqu'on n'y constate aucune hausse de production (voir le tableau 5.3). En revanche, deux régions, celles du Saint-Maurice et de la Rive-Sud, connaissent des activités plus soutenues. Si on totalise le bois de sciage et le bois à pâte, la croissance de la production forestière est de 200 % pour la région de la RiveSud et de 330 % pour celle du Saint-Maurice. Sans obtenir une performance équivalente, les Laurentides affichent un bilan nettement positif, avec un gain de 100 %. La coupe de bois de sciage et de bois à pâte y croît au rythme de l'évolution de la production québécoise : la région génère à peu près le même pourcentage de droits de coupe en 1890 et en 1900 (voir le tableau 5.3). Quant au Saguenay-LacSaint-Jean, les récoltes font des gains modestes (40 %), en dépit d'une forte augmentation des superficies affermées.
45 La prudence est de rigueur dans ces analyses des activités forestières régionales d'avant 1890, car il faut tenir compte de la diminution graduelle du format des arbres exploités et de l'impossibilité de convertir systématiquement les billots en pmp à l'échelle régionale (les risques de distorsion par des variantes régionales mal connues seraient trop élevés). Toutefois, on peut considérer que la dimension des billots déclarés en 1890 est déjà de 20 % inférieure à celle des billots de 18731874. Les données régionales utilisées dans ce chapitre sont présentées à l'annexe 3 de notre thèse de doctorat.
iO2 Les récoltes des forêts publiques Tableau 5.2 Évolution des récoltes forestières dans les cinq régions du Québec, 1875-1890 1874-1875 1878-1879
1879-1880 1882-1883
1883-1884 1885-1886
1886-1887 1889-1890
40,8 60,0 1,47
40,8 68,2 1,67
43,5 68,5 1,57
44,8 71,4 1,59
12,1 12,0 0,99
12,8 10,3 0,80
11,0 11,2 1,02
12,2 11,0 0,90
23,2 11,4 0,49
21,5 7,60 0,35
20,0 6,30 0,32
17,0 4,4 0,26
10,5 7,20 0,69
10,2 4,60 0,45
10,4 4,60 0,44
11,9 4,4 0,37
13,3 9,40 0,71
14,6 9,20 0,63
15,1 9,40 0,62
14,1 8,8 0,62
OUTAOUAIS SUPÉRIEUR
superficie en %l droits de coupe en %l intensité de la coupe2
LAURENTIDES 3
superficie en % droits de coupe en % intensité de la coupe SAINT-MAURICE 4
superficie en % droits de coupe en % intensité de la coupe SAGUENAY-LAC-SAINT-JEAN 5
superficie en % droits de coupe en % intensité de la coupe RIVE-SUD
superficie en % droits de coupe en % intensité de la coupe
Notes 1 Pourcentage du total de la production au Québec. 2 Le calcul de l'intensité de la coupe se fait en divisant le pourcentage des droits de coupe régionaux par le pourcentage de la superficie régionale. 3 Région officiellement appelée Outaouais inférieur. 4 Y compris la Rive-Nord de Québec. 5 Y compris la région de la Côte-Nord. Source : RCTCQ
5.4.1
Les débouchés commerciaux des régions forestières
Comment expliquer de si fortes différences régionales ? Les débouchés commerciaux en sont sûrement une des principales causes. Faute de données précises sur ce sujet46, l'évolution des marchés 46 L'historiographie est en effet très pauvre sur cette question. Lower avait déjà identifié de manière globale les débouchés commerciaux de certaines régions, mais celles-ci ne correspondent pas à notre découpage spatial. Voir North American Assault..., p. 166-168.
103 Activités forestières au Québec Tableau 5.3 Évolution des récoltes forestières dans les cinq régions du Québec, 1891-1901 1890-1891 1892-1893
1893-1894 1894-1895
1895-1896 1897-1898
1898-1899 1900-1901
OUTAOUAIS SUPÉRIEUR superficie en %l droits de coupe en %l intensité de la coupe2
44,3 64,1 1,45
43,2 60,8 1,41
40,1 52,5 1,31
38,5 53,0 1,38
LAURENTIDES 3 superficie en % droits de coupe en % intensité de la coupe
12,4 12,8 1,03
10,9 11,2 1,03
11,6 12,8 1,10
8,80 13,4 1,52
SAINT-MAURICE 4 superficie en % droits de coupe en % intensité de la coupe
18,7 6,31 0,34
18,1 10,7 0,59
18,0 13,1 0,73
20,2 12,1 0,60
SAGUENAY-LAC-SAINT-JEAN 5 10,8 superficie en % 4,90 droits de coupe en % 0,45 intensité de la coupe
11,9 4,90 0,41
14,7 4,60 0,31
16,3 3,50 0,21
RIVE-SUD superficie en % droits de coupe en % intensité de la coupe
15,8 12,4 0,78
14,3 17,0 1,19
16,1 18,0 1,12
13,9 11,3 0,81
Notes 1 Pourcentage du total de la production du Québec. 2 Le calcul de l'intensité de la coupe se fait en divisant le pourcentage des droits de coupe régionaux par le pourcentage de la superficie régionale. 3 Région officiellement appelée Outaouais inférieur. 4 Y compris la Rive-Nord de Québec. 5 Y compris la région de la Côte-Nord. Source : RCTCQ
américain et britannique sera comparée au développement des activités de chacune des régions. Appliqué entre 1856 et 1890, ce procédé comparatif permet d'entrevoir vers quel marché sont principalement dirigées les récoltes de chaque région. Le Saguenay-Lac-Saint-Jean représente sans doute le cas le plus simple : son développement se confond avec le rythme de la demande britannique de madriers47. Pendant les 17 premières années, la coupe 47 Cela est d'ailleurs confirmé par Arthur Buies, Le Saguenay et le bassin du Lac-SaintJean, Québec, 1896 (3e édition), p. 148-149.
1O4 Les récoltes des forêts publiques
y progresse lentement, puis, soudain, la production s'accélère avec la hausse rapide des ventes de madriers en 1873 et 1874. Durant la crise, la situation est beaucoup moins catastrophique que partout ailleurs au Québec. Les récoltes d'épinette, bien qu'elles régressent momentanément, demeurent vives. À telle enseigne que, durant la saison 1877-1878, on dépasse, pour cette essence, le niveau record enregistré en i872-i87348. Aussi, les droits de coupe tirés du sciage sont légèrement en hausse durant la crise. Toutefois, à la fin des années 1880, une cassure inexpliquée se produit sans que la demande britannique soit en cause. On peut avancer ici, à titre d'hypothèse, que l'épuisement des grosses épinettes49 utilisées pour la production de madriers en est responsable. Jusqu'à la crise, la Rive-Sud semble se développer selon le même scénario qu'au Saguenay-Lac-Saint-Jean. En effet, son développement est d'abord lent, puis les progrès deviennent spectaculaires en 1873 et 1874. Sauf pour sa partie ouest, sa position géographique facilite l'établissement de liens commerciaux avec la Grande-Bretagne. La crise toutefois y sévit avec plus d'intensité qu'au Saguenay-LacSaint-Jean; néanmoins, la Rive-Sud s'en tire mieux que les trois autres régions. La reprise, au lendemain de la crise, y est beaucoup plus forte que dans ces dernières. Au Saguenay-Lac-Saint-Jean, la reprise était nulle, ce qui tend à démontrer l'existence de rapports commerciaux étroits avec le marché britannique. Pour la même période, la Rive-Sud enregistre une croissance de 50 %, ce qui indiquerait une articulation dominante avec le marché américain. La région du Saint-Maurice est liée davantage à l'évolution de la demande américaine. La hausse de la coupe y est régulière jusqu'à la crise: c'est dire qu'on n'y observe aucune croissance vigoureuse des récoltes. La crise, par contre, s'abat brusquement sur la région et, dans les années 1880, tout se passe comme si les entrepreneurs, privés peu à peu de pins, étaient incapables de tirer profit de son immense réserve d'épinettes. S'agit-il, comme au Saguenay-LacSaint-Jean, d'un épuisement des ressources alors exploitables? La 48 Contrairement à la situation des autres régions, c'est en 1872-1873, plutôt que 18731874, que le Saguenay-Lac-Saint-Jean enregistre sa plus forte production d'épinettes avant la crise. 49 Les gros pins ont déjà été épuisés depuis le début des années 1870. Et quand on parle d'épuisement des ressources, il faut bien comprendre que c'est en regard des techniques de sciage alors en usage et en regard des essences et spécimens qu'on commercialise à ce moment-là. Il ne faut pas y voir un épuisement en termes absolus. Par ailleurs, il faudrait peut-être y voir aussi les effets de la forte monopolisation des territoires de coupe par la compagnie Price, monopolisation qui aurait pu l'amener à exploiter d'autres territoires de coupe à l'extérieur de la région.
ic>5 Activités forestières au Québec
région ressemble de toute manière à une terre inhospitalière50. On se rappelle qu'une des plus importantes familles d'entrepreneurs de la région, les Baptist, va étendre ses activités ailleurs en formant une société qui sera active à proximité de la région outaouaise51. De toutes les régions, celle des Laurentides est celle dont le rythme de développement est le plus difficile à interpréter. Les statistiques comparatives sont insuffisantes pour qu'il soit possible de préciser son principal débouché. Fort heureusement, il y a plus à dire sur l'Outaouais supérieur. L'importance de son territoire de coupe (voir le tableau 5.2) et les dimensions cyclopéennes de ses récoltes reposent vraisemblablement sur de multiples articulations au marché. Le bois équarri dont elle produit l'essentiel des récoltes est expédié en Grande-Bretagne. Quoique plusieurs entrepreneurs y écoulent d'importantes quantités de madriers, l'évolution de ce marché ne paraît pas marquer de manière déterminante son développement. Il en est autrement du marché américain. La consommation américaine de matière ligneuse explique à la fois la hausse de ses récoltes jusqu'en 1874 et les effets désastreux de la crise. La reprise est, en outre, à la mesure du marché américain : les gains déclarés sont alors de 100 %. Et ce n'est pas tout. On peut sans doute soutenir, à la suite du témoignage de l'entrepreneur W.G. Perley, que le marché intérieur canadien contribue aussi au développement de cette région; sa proximité des grands centres urbains canadiens et plus particulièrement de Montréal a certainement joué un rôle dans ce sens52. L'année 1890 marque une rupture très nette dans le développement des activités forestières régionales. Jusqu'à cette date, se maintient la tendance à la concentration géographique des récoltes forestières. En dépit d'une relative stabilité de la distribution régionale des territoires de coupe, les droits de coupe régionaux indiquent une répartition de plus en plus inégale de la valeur de la production. En 1890, la part de l'Outaouais supérieur atteint 71 %, un sommet pour toute la deuxième moitié du XIXe siècle. On imagine peut-être mal les conséquences de ce haut niveau de production. Les autres régions s'apparentent à des zones forestières marginales. Mais par la suite, le processus s'inverse (voir le tableau 5.3). Deux autres régions, celle du Saint-Maurice et celle de la Rive-Sud, prennent 50 Buies avait observé la baisse abrupte de l'exploitation forestière dans la Mauricie des années 1880. Voir L'Outaouais supérieur, Québec, 1889, p. 189-190. 51 Cette société porte le nom de « Ottawa Lumber Co. » et ses lettres patentes lui sont délivrées en 1886. Voir la Gazette officielle de Québec, 1886, p. 2017. 52 On pourrait dire la même chose de l'Outaouais inférieur.
io6 Les récoltes des forêts publiques
La scierie de l'entreprise Perley & Pattee vers 1870. Une fois les billots triés à Gap, ils sont acheminés aux différentes scieries où des convoyeurs (ou monte-billots) assurent leur déplacement à l'intérieur de la scierie. Le fait que cette scierie compte deux convoyeurs et deux entrées signifie que la scierie est équipée de deux systèmes parallèles et complets de transformation des billes en planches et madriers. Et cela n'est pas inhabituel puisque la scierie de George Hall, à la chute Montmorency, près de Québec, en comptait six ! (APC, c 2O-A).
une part accrue dans les récoltes de matière ligneuse. Ce nouvel élan est tributaire de l'émergence du bois à pâte. Avec son arrivée, le lent processus d'épuisement des ressources prend une autre tournure. Sous le règne du bois de sciage, le pin est l'essence par excellence. Mais il s'épuise et est remplacé dans plusieurs régions par l'épinette. Ce remplacement dans l'industrie du sciage ne se fait d'ailleurs pas sans heurts. À preuve, le blocage de la région du Saint-Maurice, à partir de la crise, et celui de la région du Saguenay-Lac-Saint-Jean durant les années 1880. L'épinette devient, avec l'émergence du bois à pâte, une essence noble, ce qui a pour effet de ressusciter les régions dépourvues ou dégarnies de pins. C'est là tout le sens qu'il faut donner à la coupure de 1890. La période 1874-1890 est certes une période de transition dans l'exploitation des forêts publiques au Québec. D'abord parce que cette période marque un temps d'arrêt dans la croissance des récoltes
107 Activités forestières au Québec
Comme on le sait, plusieurs entrepreneurs ont une scierie installée à la chute des Chaudières de telle sorte que les billots, abattus dans les différentes sections du bassin de la rivière des Outaouais, finissent par arriver à Gap près de la chute. Ils y sont triés, par un groupe d'ouvriers que l'on voit au centre de la photographie, selon les marques qu'ils portent. Ainsi, la lettre K, encerclée ou non, désigne les billes de l'entreprise Perley & Pattee, marque déposée depuis le ier juin 1870 en vertu de la loi fédérale (33 Victoria, chap. 36). À l'arrière-plan, on distingue quelques-unes des scieries présentées précédemment (collection W.J. Topley, s.d., APC, C 5950).
québécoises : le manque de vigueur de la demande intérieure, s'ajoutant à la stabilisation de la demande étrangère, ne permet pas une majoration des productions à l'échelle québécoise, et la crise a contribué à cette situation. Ensuite, parce que des signes avant-coureurs de mutation apparaissent déjà : si le pin domine encore les essences exploitées, la performance de l'épinette, en fin de période, laisse déjà présager l'essor du bois à pâte. Certaines régions, comme celle du Saint-Maurice, ont épuisé leurs pins et leurs grosses épinettes et se retrouvent en difficulté. Cela permet à la région de l'Outaouais supérieur d'occuper une plus grande place dans le secteur forestier. Globalement, le secteur forestier québécois traverse une phase fort différente de celle de son voisin ontarien. La croissance des récoltes ontariennes, examinées au chapitre suivant, est plus rapide, en raison notamment de l'ouverture de nouveaux territoires de coupe. À compter de 1890, l'émergence du bois à pâte provoque une rupture dans le secteur forestier. Rupture pour ce qui est de l'évolution
io8 Les récoltes des forêts publiques
des récoltes : celles-ci sont résolument à la hausse. Rupture aussi sur le plan de la localisation des activités : la région de l'Outaouais supérieur perd peu à peu du terrain au profit des régions riches en épinettes. Un certain malaise, manifesté par une tendance au plafonnement des volumes, est perceptible dans l'industrie du sciage. On réussit toujours à produire des quantités appréciables de pmp, mais au prix de quantités sans cesse grandissantes de billots. La technique de tranchage du billot est mal adaptée à ce contexte et toutes les manipulations additionnelles des billes que suscite la nouvelle technique tendent à faire de l'industrie du sciage une industrie où les profits sont moins alléchants. C'est dans ce contexte que se situe l'arrivée, au XXe siècle, des Canadiens-Français dans l'industrie du sciage53 : il ne s'agit plus d'un secteur très rentable. D'autres recherches permettront d'approfondir cette histoire. Dernier élément à retenir: la diversité des performances régionales. On évoquera, à titre d'exemple, la bonne performance de la région du Saguenay-Lac-Saint-Jean durant la crise ; crise qui est loin d'avoir affecté les régions également. Cela étant admis, le secteur forestier québécois apparaît comme un ensemble disparate que façonnent plusieurs types d'articulations au marché et, autre facteur capital, un éventail de potentiels ligneux s'épuisant à des rythmes différents. Cette influence des potentiels ligneux, simplement suggérée ici, sera examinée en profondeur au dernier chapitre.
53 Ce phénomène a été observé notamment en Mauricie; voir René Hardy et Normand Séguin, Forêt et société..., p. 173.
6 Le développement des activités forestières en Ontario (iS/^igoo)1
Le secteur forestier ontarien du dernier quart du XIXe siècle se compare-t-il au secteur forestier québécois? Question difficile qui demande d'abord une présentation générale des grandes tendances de son développement. Tel est l'objectif de ce chapitre. Non pas fixer à demeure toute l'analyse du secteur forestier ontarien mais, plus modestement, identifier les principaux produits, les grandes zones forestières et les éléments essentiels de sa chronologie. Il y a encore trop de recherches à entreprendre pour qu'il soit possible, maintenant, de produire une synthèse, même partielle. Nous voulons ainsi formuler quelques courtes observations tirées d'une première prise de vue de l'ensemble des activités forestières en sol ontarien2. Notons néanmoins qu'une bonne partie de l'analyse faite pour le secteur forestier québécois de cette même période
1 Ce chapitre constitue une version remaniée et abrégée d'un texte paru en 1990 dans la Revue du Nouvel-Ontario, « Le développement des activités forestières en Ontario (1855-1900) : une prise de vue quantitative », n° 12 : p. 65-90. Pour constituer la base documentaire de cette recherche nous avons reçu l'aide financière de l'Université Laurentienne et de l'Institut Nord-Ontarien de Recherche. Nous remercions la Revue de nous avoir autorisé à reprendre ce texte. 2 Le lecteur pourra consulter l'excellente étude de Douglas McCalla sur le secteur forestier ontarien de la première moitié du XIXe siècle, « Forest Products and Upper Canadian Development, 1815-46 », Canadian Historical Review, vol. 68, n° 2 (1987) : p. 159-198. Par ailleurs, notre article, cité à la note i, pourra fournir des indications utiles sur la période allant de 1855 à 1870.
no
Les récoltes des forêts publiques
s'applique ici aussi. C'est vrai notamment de l'analyse de l'évolution des marchés et des politiques tarifaires canadiennes et américaines. 6.1
LA PRÉSENCE DE DEUX SECTEURS F O R E S T I E R S : LES TERRES P R I V É E S ET LES FORÊTS P U B L I Q U E S
Quel que soit le secteur forestier analysé, qu'il soit ontarien ou québécois, l'analyse retiendra, comme premier découpage de l'ensemble de la réalité historique forestière, la coexistence de deux types d'activités d'abattage, fondés l'un et l'autre sur des rapports sociaux de production généralement spécifiques à chacun. Les activités du premier type sont menées sur les terres privées, principalement par les fermiers qui en tirent, directement ou indirectement, des moyens de subsistance. Ces paysans sont de petits producteurs insérés dans une économie marchande en expansion. Celles du deuxième type ont les forêts publiques pour théâtre, où des entrepreneurs capitalistes engagent, sur une base saisonnière, des travailleurs forestiers issus en bonne partie de la paysannerie. Ces entrepreneurs louent le domaine public et l'exploitent à leur seul profit. Il ne faut pas confondre ces deux types d'activités; elles ne sont pas homogènes. Elles sont plutôt le reflet de la société ontarienne et, plus largement, canadienne qui connaît, d'une part, un développement soutenu de son secteur capitaliste et, d'autre part, le maintien et même la consolidation de formes de production précapitalistes. Cela a amené plusieurs auteurs à retenir, comme cadre théorique, ce qu'il est convenu d'appeler l'économie agroforestière qu'articulé un rapport centre-périphérie3 ou encore le concept de co-intégration, tel que proposé par Bouchard4. Arrêtons-nous sur l'importance respective de ces deux secteurs, que l'on pourrait qualifier de privé et de public5. Compte tenu de l'état actuel de nos connaissances, une comparaison de ces deux secteurs, sur le plan des volumes physiques des récoltes enregistrées au cours d'une même année, semble être le moyen le plus sûr et le plus rapide pour mesurer leur place respective (voir le tableau 6.1.1). Et afin de bien montrer la similitude des secteurs forestiers ontariens et
3 Rappelons ici la thèse de Normand Séguin; voir notamment La conquête ... et «Problèmes théoriques et orientations... ». 4 Voir Quelques Arpents d'Amérique, chap. 6. 5 La forêt privée comprend en fait tous les lots patentés et sous billet de concession, ainsi que les lots des seigneuries et les forêts privées proprement dites.
in
Développement des activités forestières en Ontariotario
Tableau 6.1.1 Comparaison entre les récoltes de matière ligneuse des terres privées et celles des forêts publiques ontariennes, 1871-19011 Bois équarri
Bois de sciage
Pin
Pin
Autres
Saison
(000 000 pi3)
1870-1871 Forêts publiques privées TOTAL
11,5 4,8 16,3
0,2 17,0 17,2
270,9 300,4
1880-1881 Forêts publiques privées TOTAL
6,3 7,8 14,1
0,1 37,8 37,9
513,1 981,4
1890-1891 Forêts publiques privées TOTAL
1,6 5,9 7,5
0,1 12,2 12,3
1900-1901 Forêts publiques privées TOTAL
1,8 ??? 1,8
2,7 2,7
Autres
(000 000 pmp)
571,3
1 494,6
489,1 640,3 1 029,3
Bois de chauffage
Bois à pâte
(000 cordes)
0,7 124,8 124,5
1
-
4518 4519
2,8
1
759,4 762,2
5435 5435
3,7 1 162,4 1 166,1
5166 5184
631,2
47,5
353,2 984,4
302,8 350,3
19
1 114 115
40
48 61 108
3991 4031
Note i Cette comparaison résulte de la confrontation de deux séries de données sur les récoltes forestières, soit les recensements décennaux et les données annuelles de l'abattage en forêt publique. Les premiers font état des bois provenant de l'ensemble du territoire ontarien ou québécois (terres privées et forêts publiques) et récoltés entre le mois d'avril de l'année amorçant la décennie et le printemps de l'année suivante. Les autres portent sur les activités forestières des concessionnaires durant une saison d'exploitation qui démarre à l'automne et se termine à l'hiver. Il était donc possible de comparer les deux séries pour une même période, soit les saisons d'exploitation 1870-1871,1880-1881,1890-1891 et 1900-1901. Notons enfin que les récoltes des terres privées ont été déduites en soustrayant la production des concessionnaires des résultats des recensements. Sources: Canada, Recensements du Canada; RCTCO.
québécois, le tableau 6.1.2 présente, à titre indicatif, une comparaison similaire entre les secteurs forestiers québécois6. L'ampleur de la coupe du bois de chauffage est sans doute le phénomène majeur qui se dégage de ces tableaux. Il constitue le produit 6
Quoique les deux provinces affichent des résultats très similaires, il convient de mettre en lumière quelques différences. L'Ontario se démarque principalement sous trois aspects: la faiblesse, en 1870, de la coupe d'épinette destinée au sciage en regard du pin de sciage qui domine encore largement, le long maintien des récoltes de pin équarri et, troisièmement, le démarrage beaucoup plus lent de la production de bois à pâte.
112 Les récoltes des forêts publiques Tableau 6.1.2 Comparaison entre les récoltes de matière ligneuse des terres privées et celles des forêts publiques québécoises, iSyi-igoi1
Saison 1870-1871 Forêts publiques privées TOTAL 1880-1881 Forêts publiques privées TOTAL 1890-1891 Forêts publiques privées TOTAL 1900-1901 Forêts publiques privées TOTAL
Bois équarri
Bois de sciage
Pin
Pin
Autres
Autres
Bois de chauffage
Bois à pâte
(000 000 pi3)
(000 000 pmp)
(000 cordes)
5,0 4,2 9,2
0,1 15,0 15,1
273,72 227,5 501,2
37,03 325,9 362,9
4 3118 3112
-
2,6 2,9 5,5
0,2 20,0 20,2
400,0 140,1 540,0
117,7 700,5 818,2
5 3634 3639
-
0,7 1,3 2,0
0,2 15,2 15,4
317,0 195,1 512,1
197,1 878,6 1 075,7
7 3373 3380
10 121 131
0,6 0,5 1,1
0,1 4,3 4,4
307,3 137,7 445,0
319,9 527 846,8
4 3066 3070
260 269 529
Notes 1 Le jeu forcé des fractions abandonnées ou arrondies peut provoquer une différence dans les totaux. 2 Nous avons estimé qu'en moyenne, les billes de pin du Québec déclarées en 1870-1871 contenaient 170 pmp et en 1880-1881,160 pmp. 3 Nous avons estimé qu'en moyenne, les billes d'épinette du Québec déclarées en 1870-1871 contenaient 100 pmp et en 1880-1881,90 pmp. Sources: Canada, Recensements du Canada; RCTCQ.
forestier le plus commun du XIXe siècle. En effet, si nous ramenons, à l'aide de formules d'équivalence convenables7, les diverses unités de mesure en pieds cubes, de manière à pouvoir procéder à une évaluation sommaire de l'importance des différents produits, nous constatons facilement la prépondérance du bois de chauffage. Il atteint, en 1881,434 millions de pieds cubes, comparativement à 322 millions 7 On consultera l'annexe i pour prendre connaissance des formules d'équivalence retenues. La plus importante est celle qui permet de transposer les récoltes de bois de sciage en pieds cubes selon l'équivalence suivante : 7 pmp correspondent à un pied cube de bois brut.
113 Développement des activités forestières en Ontario
pour le bois de sciage8. Quant au bois équarri, produit d'une époque révolue, il n'est tout simplement plus dans la course. Le bois de chauffage reste cependant le parent pauvre de l'histoire forestière. Absent à toutes fins utiles du domaine public, il est récolté sur les terres privées, principalement dans un but d'autoconsommation, ou encore écoulé sur les marchés locaux et régionaux. Hors des grands circuits commerciaux et ne faisant pas l'objet d'un rapport de production capitaliste, il a été laissé de côté par l'histoire forestière, préoccupée par la montée du capitalisme dans le secteur forestier, par le procès d'accumulation du capital. Le bois de chauffage joue néanmoins un rôle crucial dans le maintien de la paysannerie. Il lui assure une indépendance énergétique, sans compter que les surplus de bois de chauffage vendus sur les marchés locaux servent à obtenir du numéraire. C'est d'ailleurs une des premières caractéristiques des terres privées que de desservir surtout, mais non exclusivement, le marché intérieur. Qu'il s'agisse du bois de sciage, du bois de chauffage ou du bois à pâte (pour le XIXe siècle à tout le moins), leurs marchés sont essentiellement locaux. En revanche, les récoltes des forêts publiques sont principalement acheminées vers les marchés extérieurs, que ce soit les États-Unis ou la Grande-Bretagne, et, de manière secondaire, vers les marchés urbains de l'axe Saint-Laurent-Grands Lacs. Les terres privées ne dominent pas seulement dans les récoltes de bois de chauffage. Le bois équarri et le bois de sciage, à l'exception du pin, sont également son apanage. Notons toutefois que cette domination serait sans doute beaucoup moins évidente si l'on éliminait de l'analyse tous les bois servant à l'autoconsommation. Ces résultats pourraient signifier l'urgence d'une étude minutieuse des activités forestières sur les terres privées, tellement elles s'avèrent prépondérantes sur le plan des volumes. Mais ce serait oublier l'absence à peu près complète de données chiffrées annuelles sur ces terres.
8 Notons que la formule d'équivalence usuelle développée au XXe siècle, alors que les billots de sciage ont des diamètres plus petits, est de 5 pmp par pied cube. Si cette formule était employée, le bois de sciage dominerait alors légèrement le secteur forestier puisqu'on en dénombrerait environ 451 millions de pi3. Néanmoins, cette équivalence n'est pas appropriée au XIXe siècle, et à plus forte raison en Ontario où l'on procède encore à de nombreux abattages en territoires neufs.
ii4 Les récoltes des forêts publiques 6.2 B R E F A P E R Ç U DES R É C O L T E S DES FORÊTS PUBLIQUES
Fort heureusement, les données sur les forêts publiques sont plus abondantes. Au lieu des seuls recensements décennaux - utiles par ailleurs pour les recherches locales, grâce aux recensements nominatifs - nous pouvons compter sur des séries statistiques annuelles très pertinentes. Si les données sur les forêts publiques sont plus stimulantes parce qu'elles autorisent une lecture plus fine du développement, elles ne sont pas pour autant plus fiables, car le système d'enregistrement conduit, on l'a déjà dit, à une sous-évaluation chronique des récoltes9. Nous ne sommes pas les premiers à utiliser ces données aux fins d'analyse historique. lan M. Drummond, dans son livre sur l'histoire économique de l'Ontario, a eu recours à ces données pour tracer les grandes lignes du développement du secteur forestier ontarien10. Malheureusement, cet auteur n'a pas su traiter ces données brutes de façon tout à fait satisfaisante11. C'est pourquoi nous tenterons de reprendre la recherche là où Drummond l'a laissée, en révisant la présentation qu'il a faite du développement du secteur forestier. Une utilisation critique des données brutes permet de construire des séries statistiques beaucoup plus homogènes. Le traitement de ces données ne sera pas abordé ici en détail (voir l'annexe 2). Mentionnons toutefois que ces données ont fait l'objet d'une saisie informatique et que les opérations effectuées ont porté principalement sur deux points12: i) l'estimation des données incomplètes ou man9 C'est le cas aussi des données de recensement, mais dans une moindre mesure sans doute. 10 Voir lan M. Drummond, Progress Without Planning. The Economie History of Ontario, Toronto, University of Toronto Press, 1987, p. 403-404. 11 Parmi les problèmes que soulève le tableau de Drummond, mentionnons le fait qu'il utilise différentes unités de mesure dans sa présentation de l'évolution des récoltes, ce qui l'empêche de proposer une vue globale du secteur forestier. 12 Notons qu'en ce qui concerne le découpage spatial des récoltes, un problème se pose - et nous n'avons pu le résoudre -, car le territoire de l'agence forestière Ouest, que nous appellerons le « Nord ontarien », ne demeure pas uniforme tout au long de la période examinée, en raison du différend frontalier opposant le gouvernement du Canada et celui de l'Ontario quant à la définition de la frontière de l'ouest et du nord de l'Ontario. Ce différend n'est réglé qu'en 1884, au profit du gouvernement ontarien, qui obtient une nouvelle région forestière autour du lac des Bois. Cette région était déjà exploitée, mais les relevés de coupe étaient acheminés à Ottawa et non à Toronto, une pratique - l'enregistrement au niveau fédéral de récoltes faites en territoire ontarien - qui perdure jusqu'en 1890 (voir F.E. Sider, « Profit and Conflict. Early Lumbering of thé Lake of thé Woods », Sylva, vol. 14, 1958, p. 9). Ainsi, à partir de 1891, s'ajoutent des récoltes qui jusqu'alors n'étaient pas prises en compte dans les données officielles ontariennes, ce qui a pour effet d'augmenter artificiellement le poids de l'agence Ouest dans l'ensemble ontarien. Cela doit être retenu, même si les effets de cette augmentation ne semblent pas déterminants.
ii5 Développement des activités forestières en Ontario
quantes; et 2) l'homogénéisation des unités de mesure. Voyons les résultats présentés en pourcentages et regroupés en moyennes triennales ou quadriennales13. Le graphique 6.1 souligne avec force un phénomène majeur dans l'industrie forestière : le déplacement rapide de son centre de gravité vers l'ouest. La vallée outaouaise, qui dominait largement depuis le milieu du XIXe siècle, perd progressivement de l'importance, particulièrement à compter de la fin des années 1880. La région Nord, appelée de manière inadéquate «Western Agency», profite largement de la libéralisation momentanée des politiques tarifaires canado-américaines ; elle représente, à la fin du XIXe siècle, environ 70 % de la coupe totale de l'Ontario, reléguant les autres régions à un rôle secondaire. Le graphique suivant (6.2) reprend les mêmes données, ventilées cette fois selon les catégories de bois. Au milieu du XIXe siècle, le bois équarri était, sur le plan des volumes physiques, le produit forestier par excellence, quoique le sciage avait fait des progrès soutenus14. Ce n'est plus le cas en ce dernier quart du XIXe siècle. En effet, dès 1870, le bois équarri, qui est devenu une production de faible importance, a laissé sa place au bois de sciage, devenu production dominante, position qui ne cesse de se renforcer jusqu'en 18921895. À la fin du siècle, un nouveau produit fait son apparition : le bois à pâte. Sa contribution demeure néanmoins assez modeste car, même amalgamé aux autres productions comme le bois de chauffage et les traverses de chemin de fer, il ne représente entre 1896 et 1900 que 14,3 % des abattages. Une estimation rapide faite en cette fin de siècle nous amène à conclure qu'il représente environ 5 % de toute la coupe des forêts publiques. Ce résultat se démarque nettement de la performance québécoise du bois à pâte de la même période qui s'établissait à environ 25 %. Force est de reconnaître un certain décalage, dans le cas du secteur forestier ontarien, qui n'est pas sans rappeler la situation ayant prévalu à la fin des années 1850, alors que le Québec était passé au bois de sciage une bonne dizaine d'années avant l'Ontario. Encore ici, il s'agit d'un décalage dans la succession des stades de développement. Ce décalage entre le Québec et l'Ontario se maintiendrait durant toute la deuxième moitié du XIXe siècle. Notons d'ailleurs que, selon une étude inédite menée à l'été 1988, le bois à pâte se hisse 13 Voir, à l'annexe 3, les tableaux A.io à A. 14 pour prendre connaissance des données annuelles en chiffres absolus. 14 En fait, le bois équarri représentait, au tournant de la décennie de 1860, environ 55 % du volume des bois récoltés dans les forêts publiques ontariennes.
n6 Les récoltes des forêts publiques Graphique 6.1 Répartition régionale des récoltes de matière ligneuse provenant des forêts publiques ontariennes, 1871-1900, en pourcentages
Source: RCTCO.
au rang de principal produit forestier québécois lors de la Première Guerre mondiale, alors qu'en Ontario, il faut attendre le début des années 1930. Pourquoi ce décalage ? Une chose nous apparaît certaine : la cause ne doit pas tellement être cherchée du côté des marchés. Les deux provinces ont sensiblement les mêmes débouchés. Et les deux provinces sont aussi bien situées l'une que l'autre par rapport au marché américain. Le phénomène de l'épuisement des ressources, qui se déroule à des degrés variables d'une région à l'autre, participe certainement à ce décalage. Il y a peut-être plus. Les politiques de l'État ontarien, par le décret de l'embargo sur le bois à pâte en 1900 (c'està-dire l'interdiction d'exporter le bois à pâte à l'état brut), auraientelles retardé l'exploitation de la ressource? Peut-être, mais cela s'appliquerait uniquement à la première décennie du XXe siècle, car, au Québec, l'embargo est décrété dix ans plus tard, soit en 1910; et la majeure partie de la production de bois à pâte des concession-
117 Développement des activités forestières en Ontario Graphique 6.2 Répartition des récoltes de matière ligneuse provenant des forêts publiques ontariennes, 1871-1900, selon les catégories de bois, en pourcentages
Source :RCTCO.
naires québécois est expédiée hors du Québec à l'état brut entre 1890 et 1910. S'agit-il en partie d'entrepreneurs ayant des intérêts en Ontario, mais qui auraient préféré exercer leurs activités dans une province plus permissive ? Si le décret hâtif de l'embargo en Ontario y a ralenti l'expansion des récoltes de bois à pâte au début du XXe siècle, une autre politique ontarienne a, en revanche, accéléré l'industrie du bois à pâte : l'attribution de droits de coupe simultanés sur les concessions forestières ontariennes qui autorise, ce que ne fait pas la politique québécoise, les nouvelles entreprises papetières à exploiter dès le départ les essences moins nobles des concessions déjà affermées pour le bois de sciage. À compter des années 1890, en effet, le gouvernement ontarien a accordé de vastes territoires de coupe («pulpwood concessions») à des entreprises, au Sault-Sainte-Marie, à Sturgeon Falls et à Espanola, alors que le pin pour le bois de sciage était loin d'être épuisé dans ces régions. Revenons maintenant à l'interprétation du graphique 6.2. Il faut souligner, en regard de la catégorie des bois divers à la fin de la
n8 Les récoltes des forêts publiques
L'intérieur de l'usine papetière Ste. Marie Paper, au Sault-Sainte-Marie, vers 1900. La photographie présente la section de l'usine où le bois est broyé par des meules. Cette étape de la transformation des billes en pâte est très énergivore en raison de la puissance requise pour broyer les billes. C'est pourquoi l'énergie hydroélectrique joue un rôle aussi fondamental dans le développement des usines papetières. D'ailleurs, l'absence apparente de moyens de transmission énergétique sur cette photographie atteste l'utilisation de l'électricité dans cette étape (collection de la Commission géologique du Canada, APC, PA 52774).
période, un poids beaucoup moins négligeable que ce à quoi on aurait pu s'attendre15. Afin de mieux cerner cette performance, nous avons identifié, au tableau 6.2, l'évolution des récoltes des principaux produits regroupés sous cette catégorie. Une hausse significative de 15 Ces bois divers occupaient cependant une place encore plus importante au cours de la première moitié du XIXe siècle (comme l'a fort bien montré Douglas McCalla («Forest Products... »). Cette différence s'explique en bonne partie par le fait que l'étude de McCalla porte sur l'ensemble du secteur forestier et pas seulement sur les forêts publiques. Il n'est pas exclu également que les fortes productions de douves et de potasse, qu'il a notamment observées, soient liées à l'excellente qualité des boisés du Sud ontarien, région alors nouvelle et riche en bois franc.
119 Développement des activités forestières en Ontario Tableau 6.2 Évolution de la production de traverses, de bois de chauffage et de bois à pâte provenant des forêts publiques ontariennes, 1871-1900 Saison
Traverses (unités)
Bois de chauffage (cordes)
1870-1871 1871-1872 1872-1873 1873-1874 1874-1875 1875-1876 1876-1877 1877-1878 1878-1879 1879-1880 1880-1881 1881-1882 1882-1883 1883-1884 1884-1885 1885-1886 1886-1887 1887-1888 1888-1889 1889-1890 1890-1891 1891-1892 1892-1893 1893-1894 1894-1895 1895-1896 1896-1897 1897-1898 1898-1899 1899-1900
7084 100 802 23206 85639 467 8216 23439 10416 17485 97489 90258 201 842 433 516 721 302 1 015 673 973 329 781 088 763 065 579 651 673 635 978 823 632 677 1 130 405 569 362 907 862 708 451 278 955 1 152 213 453 855 1 143 374
1132 793 2047 2741 746 1831 1009 993 294 1044 654 2927 2817 17752 24647 22791 48260 15623 3062 29971 18764 69907 16812 14687 21495 25519 5118 31245 18077 29184
Bois à pâte (cordes) _
864 7544 3717
10793 31115
35037 46388 16448 29838 65051
Source: RCTCO.
ces récoltes apparaît nettement à compter de 1883. Trois éléments expliquent cet essor : la production de traverses de chemin de fer, liée au développement ferroviaire du nord de l'Ontario, la coupe de bois de chauffage que l'on peut sans doute associer au développement minier et ferroviaire de la région et, enfin, le début de la production de bois à pâte à partir de 1890. Les trois graphiques suivants portent sur les trois régions forestières ontariennes. Ils sont soumis à titre d'éléments d'information complémentaires. Nous les commenterons simultanément et brièvement.
i2o Les récoltes des forêts publiques Graphique 6.3 Évolution des récoltes de matière ligneuse provenant de l'agence forestière Outaouais supérieur, 1871-1900, selon les catégories de bois, en pourcentages
Source: RCTCO.
L'élément le plus crucial nous apparaît être sans conteste le caractère régional de la production de bois équarri. Bien que beaucoup moins vives qu'au milieu du XIXe siècle, les récoltes de bois équarri se concentrent presque exclusivement dans l'Outaouais supérieur. Et on aura remarqué que, comme au Québec, la crise de 1873-1879 n'y a pas provoqué la mort de ce type d'exploitation. Bien au contraire, même son poids sur l'ensemble du secteur outaouais est momentanément en hausse. Dans les deux autres régions, le bois de sciage domine sans conteste les activités d'abattage et cela est vrai depuis le milieu du XIXe siècle. En ce qui concerne la catégorie des bois divers, on notera la participation inégale des trois régions. À coup sûr, la région nord-ontarienne demeure le lieu par excellence de ces coupes. Les développements ferroviaire et minier s'y concentrent et suscitent ces abattages. Si, au milieu du XIXe siècle, le chemin de fer n'a pas joué de rôle significatif, il en va bien autrement dans le Nord ontarien lors du dernier quart du XIXe siècle. Nous ne saurions trop insister sur le rôle signi-
121 Développement des activités forestières en Ontario Graphique 6.4 Évolution des récoltes de matière ligneuse provenant de l'agence forestière Nord, 1871-1900, selon les catégories de bois, en pourcentages
Source: RCTCO.
ficatif de la construction ferroviaire dans le développement des activités forestières de cette région. C'est par les voies ferrées qu'est acheminée une partie des récoltes vers les marchés16. Alors qu'au Québec, la date charnière du développement du secteur forestier est l'année 1890, en Ontario, les années 1883-1886 semblent constituer une période clé. Celle-ci coïncide avec l'arrivée du chemin de fer du Canadien Pacifique, qui contourne les Grands Lacs, et avec celle du Northern Railway, qui relie Toronto à North Bay, ce qui rend beaucoup plus accessible cette immense forêt du Nord ontarien. Pour finir, arrêtons-nous aux tableaux A.io et A.n portés à l'annexe 3. Ces tableaux présentent l'évolution des récoltes régionales par catégorie de bois non plus en pourcentages mais en volume physique. Il faut absolument souligner ce plafonnement de l'ensemble 16 Les autres récoltes empruntent les Grands Lacs, comme c'est le cas des produits des activités forestières de la baie Géorgienne, composante principale de la région du Nord ontarien.
122 Les récoltes des forêts publiques Graphique 6.5 Évolution des récoltes de matière ligneuse provenant de l'agence forestière Belleville, 1871-1900, selon les catégories de bois, en pourcentages
Source : RCTCO.
des récoltes ontariennes durant les douze dernières années du XIXe siècle. Plafonnement que ne parvient pas à faire oublier le sommet de 1894 et de 1895 (alors que le contexte tarifaire nord-américain autorise l'exportation en franchise de bois brut du Canada vers les États-Unis). D'une part, ce plafonnement est encore une fois enregistré une bonne dizaine d'années après le Québec. Là, c'est entre 1874 et 1890 qu'on avait observé ce tassement du niveau des récoltes. D'autre part, la faiblesse de la production de bois à pâte, production qui a joué un rôle déterminant dans la relance du secteur forestier québécois, y est sans doute ici pour quelque chose. Et à cela, s'ajoute la décision politique d'interdire l'exportation des billes de pin brut en 1898. Rappelons quelques-uns des éléments apparus au cours de cette recherche. Le bois de chauffage demeure le produit forestier le plus commun de la deuxième moitié du XIXe siècle. Cette prépondérance
123 Développement des activités forestières en Ontario
Le chargement de billots dans un chantier forestier de la vallée outaouaise. La présence de la neige témoigne fort bien du moment où se situe l'étape du transport des billes dans les chantiers, soit le milieu de l'hiver, alors que l'on peut compter sur la neige pour assurer le glissement des traîneaux. On notera par ailleurs l'absence de casques de sécurité dans ces chantiers, où les accidents sont fort nombreux (collection W.J. Topley, s.d., APC, PA 12614).
souligne en même temps l'importance de la coupe sur les terres privées; coupe qu'il faudrait analyser plus en détail. Les activités d'abattage sur les lots de ferme constituent une zone mal connue de la réalité historique. Par ailleurs, dans les forêts publiques, le bois de sciage domine depuis qu'il a remplacé le bois équarri au cours des années 1860. Ce passage d'un type de production à un autre s'effectue, en Ontario, à un rythme différent de celui du Québec. L'Ontario maintient, durant toute la deuxième moitié du XIXe siècle, un décalage dans les stades de développement de son secteur forestier, en regard du développement qui se fait au Québec. Décalage qui souligne, faut-il le répéter, les effets variables du processus d'épuisement des ressources. Dernier point : cet épuisement de la matière ligneuse est à l'origine du déplacement du centre de gravité des activités forestières ontariennes. La région outaouaise, à compter de la fin des années 1880, cesse d'être la principale région productrice. Elle cède sa place à la
124 Les récoltes des forêts publiques
région Nord dont l'expansion profite surtout de la construction et de la mise en service du Canadien Pacifique qui lui sert en quelque sorte d'épine dorsale. Il importe alors de bien dégager ces effets de l'épuisement des ressources sur les performances régionales. Le dernier chapitre analyse en détail ce phénomène à l'échelle du Québec et de l'Ontario.
7 Les récoltes de quelques régions forestières québécoises et ontariennes (1874-1900)
À plusieurs reprises au XIXe siècle, nous avons évoqué des différences sensibles entre les secteurs forestiers québécois et ontarien. Ainsi, il fut question notamment d'un impact moins sévère de la crise de 1873-1879 sur les activités d'abattage ontariennes, puis de la faible production de bois à pâte en Ontario à la fin du XIXe siècle, comparativement au Québec, où cette nouvelle manne du secteur forestier occupe déjà environ 25 % des récoltes. Ces observations ponctuelles et très générales méritent un examen plus attentif, qui passe par une étude des récoltes sur une base annuelle et régionale pour tout le dernier quart du XIXe siècle. Ce sera l'occasion d'observer de manière systématique les différences entre les deux provinces et de vérifier au passage s'il y a toujours un décalage, dans la chronologie du développement de l'abattage, entre les deux provinces. Afin de répondre à ces questions, nous avons délimité un immense territoire, composé de presque toutes les régions forestières québécoises et ontariennes. Seules la Rive-Sud du Saint-Laurent et l'agence forestière Belleville ont été exclues de cette analyse, ce qui nous donne une zone d'étude s'étendant de la frontière manitobaine à la Côte-Nord (voir la carte 2). Nous analyserons l'évolution de la coupe de bois de sciage et de bois à pâte1 dans les six régions composant ce territoire forestier qui s'étale sur plus de 3 ooo kilomètres. i Dans ce chapitre, nous nous concentrerons uniquement sur l'analyse des récoltes de bois de sciage et de bois à pâte. À cette époque, le bois équarri constitue déjà, nettement, une production de second ordre.
126 Les récoltes des forêts publiques Carte 2 Délimitation approximative des principales régions forestières du Québec et de l'Ontario au XIXe siècle
1. Saguenay-Lac-Saint-Jean 2. Saint-Maurice 3. Laurentides 4. Outaouais supérieur (Québec) 5. Outaouais supérieur (Ontario) 6. Belleville 7. Nord ontarien Disons d'abord quelques mots de ces régions, dont les frontières sont reproduites sur la carte 2. En fait, il ne faut surtout pas se fier à la dimension des régions pour mesurer leur caractère comparatif. La véritable base de comparaison demeure les superficies régionales sous concession. La région nord-ontarienne, par exemple, compte peu de concessions forestières si l'on considère sa superficie. C'est pourquoi nous avons donné quelques indications de leurs superficies sous concession au tableau 7.1. Comme on peut l'observer, une seule région affiche une superficie moyenne nettement différente des autres, l'Outaouais supérieur québécois. Les autres sont comparables du point de vue des super-
127 Récoltes de quelques régions forestières Tableau 7.1 Comparaison des superficies moyennes des principales régions forestières du Québec et de l'Ontario, en milles carrés
Nord ontarien Outaouais ontarien Outaouais québécois Laurentides Saint-Maurice Saguenay-Lac-Saint-Jean
1870-1871 1871-1872 1872-1873 1873-1874
1886-1887 1887-1888 1888-1889 1889-1890
1895-1896 1896-1897 1897-1898
Moyenne générale
4508 7460 18182 5463 10039 5116
8294 6082 19302 5258 7353 5152
7591 6182 18576 5362 8345 6382
6798 6575 18687 5361 8579 5550
Note i La moyenne générale est approximative car elle s'applique aux superficies relatives aux saisons mentionnées ici. Sources: RCTCO; RCTCQ.
ficies sous concession. Seuls les potentiels ligneux peuvent présenter des différences. Sur un autre plan, la comparaison et l'addition des récoltes de matière ligneuse tirées des forêts publiques ontariennes et québécoises ne sont pas aussi faciles qu'elles peuvent le paraître. C'est pourquoi aux chapitres 5 et 6 nous nous étions contenté d'approximations grossières et ponctuelles. Soumis à deux gouvernements provinciaux indépendants l'un de l'autre, l'enregistrement des récoltes ne s'effectue pas de la même manière. Non seulement l'échelle des droits de coupe est différente, mais même les unités de mesure requises dans le calcul des récoltes diffèrent. Ces difficultés sont telles que les chercheurs avant nous avaient refusé de s'aventurer dans cette voie pourtant fort pertinente. En simplifiant quelque peu, il faut reconnaître que trois difficultés devaient être résolues avant que l'on puisse effectuer cette comparaison sur une base solide. Les deux premières ont déjà été aplanies : la conversion des récoltes de bois de sciage du Québec en pmp, afin de faciliter la comparaison avec celles de l'Ontario, et une estimation, toujours pour le Québec, des récoltes réelles de bois à pâte qui jusqu'alors étaient assimilées au bois de sciage d'épinette. La dernière difficulté concerne le choix d'une unité de mesure commune au bois de sciage et au bois à pâte enregistrés dans les deux provinces et surtout la validation d'une telle unité de mesure. Même
ia8 Les récoltes des forêts publiques Tableau 7.2 Comparaison entre la table de mesurage du Québec (Derome) et celle de l'Ontario (Doyle), en pmp et en pourcentages
Longueur des billes (pi)
Diamètre du fin bout (po)
12 Que.
12 Ont.
13 Que.
13
Ont.
14 Que.
14 Ont.
16 Que.
16 Ont.
8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20
24 34 44 50 60 75 90 100 120 140 160 185 210
12 19 27 37 48 61 75 91 108 126 147 169 192
26 37 48 54 65 81 97 108 130 152 173 200 227
13 21 29 40 52 66 81 98 117 137 159 183 208
28 40 51 58 70 87 105 117 140 163 187 219 245
14 22 32 43 56 71 88 106 126 148 171 197 224
32 45 59 67 80 100 120 133 160 187 213 247 280
16 25 36 49 64 81 100 121 144 169 196 225 250
Différence en pourcentages (pmp Que. - pmp Ont. -=- pmp Que.)
8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20
12 pi
13 pi
14 pi
16 pi
50 44 39 26 20 19 17 9 10 10 8 9 9
50 43 40 26 20 19 16 9 10 10 8 9 8
50 45 37 26 20 18 16 9 10 9 9 10 9
50 44 39 27 20 19 17 9 10 10 8 9 11
une fois transposées en pmp (dans le cas des récoltes québécoises entre 1874 et 1887) ou déjà calculées en pmp, les récoltes de bois de sciage ne peuvent s'additionner aux cordes de bois à pâte. Il devient nécessaire d'établir une forme d'équivalence entre ces deux unités de mesure combien différentes au niveau de leur conception! En effet, l'estimation en pmp du contenu d'une bille de sciage se fait, sur le chantier même, à l'aide d'une table de conversion indiquant, pour chaque billot d'un diamètre et d'une longueur déterminés, son contenu en pmp. Or, cette table est établie de telle manière qu'elle tient compte des pertes de bois consécutives à la transformation du billot
129 Récoltes de quelques régions forestières
en planches. Autrement dit, elle fournit pour le billot une indication de son volume net. Cela n'est pas le cas pour la corde de bois, qui se mesure simplement à partir de sa longueur, de sa hauteur et de sa largeur, ce qui se traduit par une estimation de son volume brut. Devant pareille dissemblance, il n'était guère aisé d'arrêter un choix. C'est pourquoi nous avons retenu, par commodité, la formule d'équivalence qui, bien qu'imparfaite, sera en usage au Québec à compter de 1910, soit une corde de bois à pâte équivaut à 600 pmp. Ainsi, les récoltes de bois à pâte, dénombrées à la corde, ont été aisément converties en pmp, bien que cela sous-estime quelque peu le poids du bois à pâte2. Ce choix, il convient de le retenir, pénalise principalement le Québec qui verra ainsi sa coupe de bois à pâte sous-estimée. Sachant qu'il existe plusieurs formules mathématiques permettant d'élaborer une table de conversion du contenu des billes de sciage en pmp, il ne restait plus qu'à s'assurer que les tables québécoise et ontarienne étaient compatibles. Le tableau 7.2 établit cette comparaison. Compatibles, on ne peut pas dire qu'elles le soient. Des différences notables apparaissent, particulièrement pour les billes de faible diamètre. Néanmoins, à partir de 15 pouces et plus de diamètre, les différences entre les deux tables se stabilisent à environ 10 %. Autrement dit, les entrepreneurs ontariens, par rapport à leurs collègues québécois, sous-estiment, sur cette seule base, leurs récoltes de bois de sciage de 10 à 15 %3 par rapport à celles déclarées au Québec4. Les autorités ontariennes sont d'ailleurs conscientes de ce manque à gagner5, ce qui ne nous étonne pas compte tenu du laxisme avec lequel les gouvernements provinciaux ont géré le domaine public. 2 Puisqu'on fait comme si le bois à pâte avait un volume net bien inférieur à son volume brut. Toute la bille est utilisée dans le cas du bois à pâte et non pas seulement 600 pmp sur les i 020 pmp que chaque corde contient théoriquement (85 pieds cubes x 12 pmp). Néanmoins, notre choix paraît plus juste que celui retenu par Richard W. Judd qui utilise la formule d'équivalence de deux cordes de bois par i ooo pmp (voir Aroostook. A Century..., p. 200). 3 Comme il y a baisse tendancielle du diamètre moyen des billes, il s'ensuit que l'écart entre les deux tables variera. Au cours des années 1870 et 1880, cet écart de 10 % est probablement valable. Mais, à la fin du siècle, avec une exploitation de plus en plus intensive de la forêt et une baisse certaine du diamètre moyen, cet écart s'accroît rapidement. 4 Qui, faut-il le rappeler, sont elles-mêmes largement sous-estimées, comme nous l'avons montré ailleurs; voir Guy Gaudreau, Claire-Andrée Fortin et Robert Décarie, «Les récoltes... ». 5 E.J. Darby, responsable de l'agence outaouaise à la fin du XIXe siècle, avait mis en évidence l'insuffisance de la table ontarienne en utilisant certaines données réelles tirées de son agence. Sur la base de plus d'un million de billots de pin et d'épinette, cette récolte aurait enregistré un volume moyen de 77 pmp selon la table ontarienne et de 94 pmp selon la table québécoise, ce qui représenterait une différence de 18 %. Voir APO, Crown Lands..., vol. 16.
130 Les récoltes des forêts publiques
Un chargement de billes de sciage dans un chantier de la compagnie William Cowan, toujours en hiver. On compte environ 45 billes dans ce chargement, dont le volume total est estimé, selon la légende originale, à 15 ooo pmp. En somme, le contenu moyen de chaque bille serait inférieur à 40 pmp, ce qui semble correspondre à une sous-estimation du volume réel, confirmant en cela la pratique systématique des entrepreneurs de déclarer une récolte bien en deçà de la réalité (collection W.J. Topley, s.d., APC, PA 11566).
Pour notre part, nous garderons en mémoire cet écart lors de la comparaison des secteurs forestiers des deux provinces, lequel compense partiellement l'influence exercée par le choix de la formule d'équivalence. 7.1
COMPARAISON ENTRE LES REGIONS FORESTIÈRES QUÉBÉCOISES ET O N T A R I E N N E S
Dans un premier temps, examinons l'évolution des récoltes de pâte et de sciage enregistrées dans trois grandes régions forestières, soit la Rive-Nord du Saint-Laurent (qui englobe la Côte-Nord, le Saguenay-Lac-Saint-Jean, la Mauricie, la région de Québec et les Laurentides), la vallée outaouaise avec ses zones de coupe québécoises et ontariennes, et finalement le Nord ontarien qui couvre les forêts publiques du lac Nipissing au lac des Bois.
131 Récoltes de quelques régions forestières Graphique 7.1 Comparaison entre les récoltes de bois de sciage et de bois à pâte du Nord ontarien et celles de la Rive-Nord du Saint-Laurent, au Québec, 1874-1900, en millions de pmp
Le contraste entre la situation du Nord ontarien et celle de la RiveNord est particulièrement évident sur le graphique y.i6. Au cours des premières années, soit entre 1874 et 1880, les récoltes de la RiveNord dépassent celles du Nord ontarien. Mais dès la saison 18811882, la situation se renverse et l'écart se creuse rapidement jusque vers la fin des années 1880. Par la suite, les récoltes de bois à pâte permettent à la Rive-Nord de rattraper une partie du terrain perdu. À la même époque, on ne récolte presque pas de bois à pâte dans le Nord ontarien et ce, en dépit de l'attribution de droits de coupe simultanés qui favorisent l'arrivée des entreprises papetières. Comparativement à la vallée outaouaise et à sa riche pinède, le Nord ontarien prend plus de temps à occuper la première place. Il faut dire que les récoltes outaouaises sont, au début, quatre fois plus importantes. Mais cette domination s'effrite et disparaît au cours des années 1890: on ne parvient plus, dans l'Outaouais, à hausser les récoltes depuis le milieu des années 1880, tandis que le Nord ontarien abrite encore de nouveaux territoires de coupe qui permettent une majoration presque ininterrompue des abattages.
6 Le tableau A.15, à l'annexe 3, présente les détails de l'évolution des récoltes de bois de sciage et de bois à pâte dans les différentes régions retenues.
132 Les récoltes des forêts publiques Graphique 7.2 Comparaison entre les récoltes de bois de sciage et de bois à pâte du Nord ontarien et celles de la vallée outaouaise1,1874-1900, en millions de pmp
Note i La vallée outaouaise comprend ici les territoires ontarien et québécois de ce qu'on appelle à l'époque l'Outaouais supérieur. Sources : RCTCQ, RCTCO.
Approfondissons notre examen en retenant seulement le bois de sciage7. D'abord, fixons l'évolution des récoltes de bois de sciage à l'échelle de la Rive-Nord (voir le graphique 7.3). Une fois le bois à pâte extrait des récoltes, l'image des activités de sciage dans cette grande région se modifie singulièrement. Au cours du dernier quart du XIXe siècle, on n'enregistre aucune hausse de production des bois sciés. La hausse de la consommation intérieure, vers la fin des années 1880, et la reprise de la construction domiciliaire en Grande-Bretagne à la fin du siècle ne profitent pas à ces régions. Ce maintien des niveaux de coupe est difficile puisqu'il est mesuré en millions de pmp et qu'il s'accompagne, en fait, d'une hausse significative du nombre de billots, exerçant des pressions à la baisse sur la productivité et sur les profits. Allons plus en détail en distinguant les différentes régions de la Rive-Nord (voir les graphiques 7.4, 7.5 et 7.6). C'est probablement au graphique 7.4 que la piètre performance de la région du SaguenayLac-Saint-Jean, mentionnée au chapitre 5, se manifeste avec le plus 7 Le tableau A. 16, à l'annexe 3, présente les chiffres complets sur le bois de sciage, par région.
133 Récoltes de quelques régions forestières Graphique 7.3 Comparaison entre les récoltes de bois de sciage du Nord ontarien et celles de la Rive-Nord du Saint-Laurent, au Québec, 1874-1900, en millions de pmp
Sources : RCTCQ, RCTCO.
Graphique 7.4 Comparaison entre les récoltes de bois de sciage du Nord ontarien et celles du Saguenay-Lac-Saint-Jean1,1874-1900, en millions de pmp
Note i Le Saguenay-Lac-Saint-Jean comprend aussi la région de la Côte-Nord. Sources: RCTCQ, RCTCO.
134 Les récoltes des forêts publiques Graphique 7.5 Comparaison entre les récoltes de bois de sciage du Nord ontarien et celles de la Mauricie1,1874-1900, en millions de pmp
Note i La Mauricie comprend aussi la Rive-Nord de Québec. Sources: RCTCQ, RCTCO.
Graphique 7.6 Comparaison entre les récoltes de bois de sciage du Nord ontarien et celles des Laurentides1,1874-1900, en millions de pmp
Note i Le territoire des Laurentides correspond ici à l'agence forestière Outaouais inférieur. Sources : RCTCQ, RCTCO.
135 Récoltes de quelques régions forestières Graphique 7.7 Comparaison entre les récoltes de bois de sciage du Nord ontarien et celles de la vallée outaouaise, 1874-1900, en millions de pmp
Sources : RCTCQ, RCTCO.
d'éclat. Au départ, les récoltes y sont presque aussi abondantes que dans le Nord ontarien, mais très vite, cette dernière région produit de 10 à 20 fois plus de bois de sciage, ce qui donne tout son sens à notre analyse, selon laquelle l'épuisement des ressources constitue le principal facteur d'explication. La même chose se produit dans les régions de la Mauricie (graphique 7.5) et des Laurentides (graphique 7.6). Ici encore, les récoltes sont comparables en 1874, mais cessent très vite de l'être par la suite. Et ce, dès la crise des années 1870. En effet, la crise n'affecte nullement la région Nord puisque, non seulement on n'y observe aucune baisse, mais qui plus est, une hausse significative des abattages y est enregistrée. Tout se passe comme si, plutôt que de s'acharner à poursuivre, sur la Rive-Nord du Saint-Laurent, des activités d'abattage moins rentables, on investissait en Ontario où les forêts sont plus neuves, les lieux de coupe à plus grande proximité des scieries et les possibilités de profits meilleures. La comparaison avec la vallée outaouaise ne diffère guère en substance (graphique 7.7). Cette riche région qu'on croyait inépuisable et qui dominait largement en 1874 (quatre fois plus de volumes récoltés), perd du terrain. D'abord momentanément, au cours de la crise des années 1870, mais plus nettement à partir de la deuxième moitié des années 1880 et surtout pendant l'épisode tarifaire des années 1890. À la fin du XIXe siècle, on produit plus de bois de sciage
136 Les récoltes des forêts publiques
La cour à bois de l'entreprise Perley & Pattee, à Ottawa, vers 1870. L'abondance de la main-d'œuvre requise pour cette étape du travail en scierie est illustrée sur cette photographie marquée par l'usure du temps. Abondance nécessaire compte tenu de l'absence de moyens mécaniques facilitant l'évacuation des planches, leur tri et leur empilement (collection W.J. Topley, APC, PA 12535).
dans le Nord ontarien que dans l'Outaouais. Qui l'aurait cru! L'exploitation intensive et prolongée des pins de la vallée outaouaise a fini par éloigner considérablement les zones de coupe encore rentables, contribuant ainsi au succès des nouveaux territoires de coupe du Nord ontarien bien pourvus en moyens de communication par voie d'eau (les Grands Lacs) et par chemin de fer (le Canadien Pacifique et le Northern Railway). Ces performances différentes, voire contraires, il était important de les identifier parce qu'elles affectent les sociétés régionales qui vivent
137 Récoltes de quelques régions forestières
en bonne partie des activités forestières. En fait, derrière les nombreux chiffres énumérés depuis le début du chapitre, voire de l'ouvrage, ce sont toujours les succès des entreprises de colonisation qui sont en jeu8. Qu'il suffise, en guise de conclusion à ce chapitre, d'amorcer une réflexion sur l'impact des récoltes sur les emplois régionaux. Retenons un écart de 300 millions de pmp entre deux régions, comme c'est le cas entre la Mauricie et le Nord ontarien. Écart annuel qui dure une bonne quinzaine d'années, soit la moitié d'une génération. Combien de familles paysannes, villageoises ou urbaines de la fin du XIXe siècle arrondissent leur budget grâce à la coupe de 300 millions de pmp ou même en vivent principalement ? Combien de familles pourront ainsi, année après année, développer une région, fonder de nouvelles paroisses et consommer les produits manufacturiers de Montréal, de Hamilton ou de Toronto ? Les archives de la Compagnie Bronson, dépouillées par le sociologue américain Sing C. Chew, jettent un éclairage stimulant à ce sujet9. L'entreprise, qui produit annuellement environ 60 millions de pmp10, a effectué certains calculs afin de mettre en évidence les besoins des entreprises de sciage de la fin du XIXe siècle. Les calculs portent d'abord sur les besoins en main-d'œuvre11, qui ne se limitent pas aux bûcherons que l'entreprise estime à 450 pour une durée moyenne de six mois12. A ces derniers s'ajoutent l'équivalent de 300 conducteurs d'attelage ou charretiers13, chacun disposant, comme il se doit, d'une paire de chevaux qui travailleront trois mois à transporter les billots sur les rivières et les lacs avant la fonte du printemps. Puis vient la drave, où l'on doit compter à nouveau sur 8 9 10 11
Voir René Hardy et Normand Séguin, Forêt et société..., p. 148-149. Voir Sing C. Chew, Logs for Capital... Ibid., p. 147. Archives publiques du Canada, Bronson Company, M G 28 III 26, vol. 94, cité par Sing C. Chew, Logs for Capital..., p. 84. 12 II faut comprendre sans doute qu'il s'agit de l'équivalent du travail de 450 hommes pendant six mois - ce qui est une durée beaucoup trop longue - ou encore de 900 hommes pendant trois mois. 13 Si l'on ajoute les conducteurs aux bûcherons, cela totalise l'équivalent de 600 hommes travaillant pendant six mois dans les chantiers afin de produire environ 60 millions de pmp. Si l'on estime que les six mois correspondent à 158 jours de travail, on est en droit de penser que chaque travailleur produit à peu près 630 pmp par jour. Ce chiffre est réaliste et nous rassure quant à la fiabilité des estimations de la main-d'œuvre de l'entreprise. Si l'on en croit les estimations de Lower, le travailleur forestier produit quotidiennement 100 pieds cubes de bois équarri ( x 7 p m p = 700; voir Gréât Britain's Woodyard..., p. 201); pour le début du XXe siècle, Hardy et Séguin proposent une récolte quotidienne similaire de 20 billots de 8 à 9 pouces de diamètre (soit 31,5 pmp x 20 = 630 pmp ; voir Forêt et société ..., p. 103).
138 Les récoltes des forêts publiques
La cour à bois d'une autre entreprise forestière connue dans la région outaouaise, E.B. Eddy. Le procédé d'évacuation et de classement des planches et madriers est ici fort différent et sans doute plus récent. En effet, les wagons (ou chariots à bois), sur lesquels sont empilés les différentes catégories de bois de sciage et autres produits forestiers, sont tirés par une petite locomotive sur des rails qui courent dans les différentes sections du complexe industriel (collection W.J. Topley, s.d., APC, PA 12442).
l'équivalent de 300 hommes pendant trois mois. Une fois les billots à la scierie, 300 hommes y trouvent encore de l'emploi pour une durée moyenne de six mois, ce qui inclut le fastidieux travail d'empilage des planches et madriers. Et, comme l'entreprise se charge elle-même des expéditions, elle engage encore 222 nommes pour le transport du bois dans ses 36 barges et 4 bateaux à vapeur, pour une demi-année. Au total, l'entreprise estime avoir besoin de i 272 hommes pendant six mois pour mener à bien ses activités. De ce nombre, combien n'ont pas pu ou n'ont pas voulu travailler plus de quelques semaines ou quelques mois ? Le roulement du personnel est très élevé dans les chantiers14. Ils sont certainement quatre fois plus à avoir touché un salaire, d'autant que nombre d'entre eux 14 Voir René Hardy et Normand Séguin, Forêt et société..., p. 99.
139 Récoltes de quelques régions forestières
cherchent un salaire d'appoint. Plutôt que i 272 emplois, on peut avancer, en étant extrêmement prudent, que plus de 3 ooo familles sont impliquées dans une récolte de 60 millions de pmp. Par conséquent, on peut supposer que 300 millions de pmp d'écart représentent alors de l'emploi pour 15 ooo familles de plus, soit environ 100 ooo habitants au total. Derrière chaque million de pmp se profile ainsi toute une série d'emplois directement liés à l'industrie forestière. Que dire alors des emplois indirects que suscitent les besoins en matériel, en équipement et en nourriture pour mettre en branle ces activités forestières. La même compagnie Bronson a proposé une estimation de ses besoins en prenant comme base de calcul un million de billots15, soit l'équivalent d'environ 100 millions de pmp. Les quantités de marchandises nécessaires à cette fin sont faramineuses, sans compter que la liste paraît incomplète : 5 500 barils de porc, 6 ooo barils de farine, 3 ooo boisseaux de fèves et de pois, 2 500 gallons de sirop, 50 ooo livres de thé (les hommes avaient la réputation de manger beaucoup, même si les menus étaient monotones !), 250 ooo boisseaux d'avoine, 2 ooo tonnes de foin, 500 boîtes de haches, 400 godendars, i 500 « sleighs », 25 ooo cordes, 10 ooo chaînes, 300 barges... Ces achats, qu'ils soient faits par les sous-traitants ou par l'entreprise, représentent un stimulant économique qui profite notamment aux paysans des environs et aux boutiques et entreprises des grands centres régionaux. On le voit clairement : le ralentissement des activités forestières se répercute inévitablement sur les familles. Plusieurs d'entre elles seront forcées de partir vers d'autres régions où les possibilités de rémunération sont plus alléchantes. C'est de cette façon que le NordEst ontarien sera colonisé par des familles québécoises à la recherche de terres et d'emplois saisonniers qu'ils ne trouvent plus dans leur province.
15 APC, Bronson Company, MGa8 III, vol. 94, cité par Sing C. Chew, Logs for Capital..., P-74-
Conclusion
Le même pays, le même secteur économique, les mêmes marchés, la même période historique et les mêmes produits forestiers. Pourtant, des performances régionales allant parfois en sens contraire. L'idée d'un secteur économique, souvent animé par des entrepreneurs œuvrant à la fois au Québec et en Ontario, s'impose en effet comme une caractéristique importante du secteur forestier, particulièrement dans la vallée outaouaise où la plupart des gros entrepreneurs passent allègrement d'une rive à l'autre. Il en est de même des travailleurs forestiers dont on peut penser que les effectifs proviennent pour une bonne part du Québec, notamment ceux qui s'installent dans le Nord-Est ontarien. En ce qui a trait aux deux marchés étrangers que représentent la Grande-Bretagne et les États-Unis et qui orientent sans conteste le développement, il serait totalement inexact d'associer exclusivement le Québec au premier et l'Ontario au second. Les deux exercent une influence décisive dans les deux provinces, bien que l'on doive reconnaître que l'Ontario demeure mieux située pour le marché américain, en déplacement vers l'ouest, et que le Québec dispose d'un avantage du même ordre face au marché britannique ; l'avantage lié à la situation de l'Ontario, par rapport au marché américain, demanderait toutefois à être vérifié minutieusement. Il faut donc admettre que la croissance exceptionnelle de la région nord-ontarienne s'explique de façon secondaire par sa grande proximité des États du centre américain; cela est manifeste au moment de la libéralisation
141
Conclusion
tarifaire des années 1890, alors que, pendant quelques années, de bonnes quantités de bois brut traversent les Grands Lacs. Ce secteur économique fut marqué, au mitan du XIXe siècle, par trois grandes mutations entremêlées, parmi lesquelles il faut mentionner le passage d'une activité dominée par le capitalisme commercial, où brillent les firmes commerciales britanniques, à une autre où les entrepreneurs forestiers deviennent maîtres d'œuvre, grâce notamment à l'appui d'un nouvel État canadien transformé par l'acquisition de la responsabilité ministérielle. Parallèlement à cette première mutation et tributaire en partie de celle-ci, se poursuit, depuis la troisième décennie du XIXe siècle, l'essor de plus en plus marqué de l'exploitation des forêts publiques, qui, par ses dimensions, favorise la constitution d'immenses territoires de coupe indispensables à l'expansion d'un capitalisme industriel et à une production à grande échelle. Troisième mutation: le passage d'une activité forestière sélective cantonnée à la production de bois équarri à une autre plus intensive exploitant le bois de sciage. Par la suite, le processus complexe de l'épuisement des ressources dans l'évolution des activités forestières au Québec et en Ontario fait sentir ses effets. À chaque fois, le secteur forestier québécois franchissait des étapes de 10 à 15 ans avant que le même phénomène n'apparaisse en Ontario. Ce fut le cas pour ce qui est du passage du bois équarri au bois de sciage. Ce le fut à nouveau pour l'épuisement des récoltes de pin. Ce le fut encore dans l'émergence du bois à pâte, qui apparaît à la fin du XIXe siècle. Quelques mots s'imposent sur l'histoire forestière régionale, puisqu'il faut rappeler la signification des performances de quelques-unes des régions. Ainsi, les récoltes enregistrées au SaguenayLac-Saint-Jean nous avaient laissé croire que la relation particulière de cette région avec le marché britannique lui avait permis de se soustraire aux effets néfastes de la crise de 1873-1879. Cela demeure exact, mais l'explication reste insuffisante à la lumière de la solide performance du Nord ontarien où, au même moment, on enregistre une hausse des récoltes en dépit d'un marché américain fonctionnant au ralenti. En somme, les ressources de la région Nord sont nouvellement exploitées et les spécimens exploitables garantissent une marge de profit suffisante. Il est clairement apparu aussi qu'entre 1874 et 1890, l'examen des activités forestières d'une région comme le Nord ontarien devenait un point de repère incontournable pour l'examen des activités forestières de la Mauricie ou du Saguenay-Lac-Saint-Jean. Le sens réel de l'évolution des récoltes dans ces deux régions n'est pas accessible
142 Les récoltes des forêts publiques
aux chercheurs par le seul examen des activités internes puisque celles-ci ont partie liée avec les activités forestières extrarégionales. De la même manière, l'essor des récoltes de bois à pâte en Mauricie, à la fin du siècle, que nous avons même atténué par des estimations prudentes, acquiert une dimension encore plus prodigieuse à la lumière de la faiblesse de cette récolte en Ontario. Le XIXe siècle se termine, rappelons-le encore, par le renouvellement des activités au Québec grâce au bois à pâte. Cela fait suite à une quinzaine d'années de marasme. En Ontario, en raison du poids de plus en plus marqué de la région Nord, cette période allant de 1874 à 1890 en est une de croissance soutenue. À telle enseigne qu'on a cru qu'il s'agissait de « l'âge d'or » des activités de sciage pour tout le Canada. Les offres d'emplois fusent en Ontario, des familles nombreuses s'y installent, y travaillent et y consomment. Pourtant, la différence entre les deux provinces est telle qu'on doit se demander si le vieux débat sur la « grande dépression » ne tire pas son origine, en partie, d'une performance économique très inégale d'une province à l'autre. Sans doute faudrait-il comparer, pour chacun des grands secteurs économiques, les résultats provinciaux. Non, les secteurs forestiers de ces provinces sœurs ne sont pas étanches et ne doivent plus être examinés séparément. Les entrepreneurs toujours à l'affût savent que ce qu'on a épuisé dans un domaine public peut être puisé dans l'autre. Il s'ensuit inexorablement des périodes d'attente, d'arrêt ou de ralentissement des activités dans certaines régions parce qu'on trouve ailleurs les spécimens dignes d'intérêt. Ces spécimens, faut-il insister, sont jugés rentables en fonction des techniques de production du moment et celles-ci, finalement, nous sont apparues, dans le cadre de l'industrie du sciage, stagnantes, tout au long de la deuxième moitié du XIXe siècle. Les activités forestières ont, en bout de course, un rythme qui leur est propre. Elles sont essentiellement cycliques, avec des temps forts et des temps faibles, que provoquent la conjoncture internationale et l'épuisement des ressources. Pour l'avenir, il y a lieu de mettre en relief les thèmes autour desquels devraient s'entreprendre les recherches en histoire forestière et les principales questions auxquelles il faudrait répondre. L'examen du secteur forestier doit retenir deux dimensions: le temps et l'espace. Ces deux dimensions sont essentielles. Cette approche spatio-temporelle requiert l'examen de deux grandes séries d'informations. L'une porte sur l'évolution annuelle de la production de matière ligneuse provenant des forêts publiques de chacune des régions du Québec et de l'Ontario. L'autre renferme les noms des titulaires de chacune des concessions forestières affermées au Québec
143
Conclusion
et en Ontario depuis 1840. Ces deux grandes enquêtes n'ont pu être menées ici, parce que trop ambitieuses. Ce premier volet touche la question de la production forestière. Comment évoluent les activités forestières sur le plan des productions durant un siècle? Quelles sont les mutations enregistrées et quand s'effectuent-elles? Y a-t-il croissance continue des récoltes et cette croissance s'adosse-t-elle à une extension continue des aires de coupe ? En outre, il faudra bien un jour mettre en parallèle de façon systématique l'évolution annuelle de la coupe et de la population de chaque région afin de voir jusqu'à quel point les activités forestières rythment le développement humain régional. La question de la production devra également être soigneusement examinée sur le plan spatial. Quels sont les rythmes de développement de chacune des régions québécoises et ontariennes ? Comment se comparent ces rythmes ? Y a-t-il déplacement du centre de gravité des activités forestières comme nous l'avons suggéré plus haut ? Estce que des régions se spécialisent dans la production de certains produits forestiers ? À un autre niveau, il faudra examiner le processus de concentration des permis de coupe et celui de leur regroupement spatial à la lumière des mutations du secteur forestier. Ces deux processus sont-ils rythmés par le passage d'une production à une autre? Y a-t-il démembrement des territoires de coupe quand on passe d'une production à une autre ou assistons-nous à un freinage de la concentration ? La question de la propriété est également centrale et devrait faire l'objet d'un autre ouvrage. Ce volet permettra notamment d'aborder quelque peu la nature de la bourgeoisie forestière et de ses rapports avec l'État. Comment évolue la propriété ? Qui bénéficie des concessions forestières prises à même le domaine public ? Combien de soustraitants sont parvenus à acquérir des concessions? Et dans quel contexte ont-ils pu le faire ? Y a-t-il une différence dans l'exercice de la propriété entre les entrepreneurs axés sur le bois équarri par rapport à ceux produisant du bois de sciage ? Comment les mutations du secteur forestier, tel le passage du bois équarri au bois de sciage, ou celui du bois de sciage au bois à pâte, bouleversent-elles la propriété? Et ces mutations permettent-elles l'arrivée de nouveaux entrepreneurs ? Inversement, il faut absolument réfléchir à l'exercice de la propriété des concessions en tant que frein aux mutations. À un niveau différent, il faudra examiner la question du regroupement des concessions dans l'espace, processus qui doit être distingué de celui de la concentration du capital. Ces deux processus évoluentils au même rythme et dans la même direction ? L'emplacement exact
144 Les récoltes des forêts publiques
des concessions pouvant être connu grâce aux registres des concessions forestières, ainsi que le nom de chacun de leur titulaire, on pourrait jeter un coup d'œil sur l'emplacement des entreprises et sur les producteurs spécialisés dans chacune des principales productions. Y a-t-il une logique spatiale du développement du secteur forestier ? Dans un autre ordre d'idées, il faudrait voir, grâce à l'identification des entrepreneurs et des entreprises titulaires des concessions, comment se transforme le mode de propriété. Comment passe-t-on du mode familial de propriété et de gestion aux sociétés par actions? Quand s'opère ce changement et quels en sont les effets sur le secteur forestier ? En terminant, l'examen du rôle des activités forestières dans cette zone pionnière que constitue le Nouveau-Brunswick reste à faire. Il ne serait pas étonnant que plusieurs éléments exposés dans cet ouvrage doivent être révisés à la lumière d'une analyse similaire des récoltes du Nouveau-Brunswick, particulièrement au cours de la première moitié du XIXe siècle. À quand une étude comparative qui inclurait les récoltes forestières de cette autre province ?
ANNEXE 1
Une estimation des récoltes de bois de sciage au Québec (1874-1887)
Entre 1874 et 1887, les données officielles sur le bois de sciage, parues dans le rapport annuel du commissaire des Terres de la Couronne du Québec, sont comptabilisées en billots et non pas en unité de mesure faisant référence à un volume physique fixe1, comme c'est le cas en Ontario au même moment. Afin de comparer les récoltes ontariennes et québécoises, il faut donc proposer une estimation du contenu des billots de sciage enregistrés au Québec au cours de cette période. Exposons succinctement la méthode que nous avons d'abord adoptée. Essentiellement, il s'agissait de se servir de l'évolution annuelle du contenu moyen des billes de pin ontariennes - lequel est connu pour la première fois en 1874 - et de l'adapter aux données québécoises. Affichant 151,6 pmp en 1873-1874, ce contenu moyen s'établit à 109,4 pmp en 1887-1888, comme on peut le voir au tableau A.i. Cette baisse ne doit pas étonner. Pour une des régions ontariennes, soit la zone outaouaise, on a relevé 170,7 pmp en 1873-1874 et 118,3 en 1887-1888. En fait, la réduction graduelle des volumes moyens est une des caractéristiques des activités forestières. Ce phénomène résulte d'un rythme d'exploitation de la forêt plus rapide que son rythme de croissance. Il caractérise également les activités forestières québécoises. C'est pourquoi nous avons appliqué aux premières données québécoises fournissant le contenu moyen des billes, soit i Le billot est une simple unité comptable, car son diamètre est variable et inconnu d'une saison à l'autre. Il est donc impossible d'évaluer sur cette base les volumes récoltés.
146 Annexe i Tableau A.I Évolution du contenu moyen des billes de pin blanc dans les forêts publiques ontariennes, 1874-1888, en pmp 1873-1874 1874-1875 1875-1876 1876-1877 1877-1878
151,6 161,6 143,2 139,7 138,2
1878-1879 1879-1880 1880-1881 1881-1882 1882-1883
142,5 130,9 124,4 116,0 111,9
1883-1884 1884-1885 1885-1886 1886-1887 1887-1888
118,5 118,5 122,7 122,1 109,9
Source :RCTCO.
celles de 1887-1888, le rythme de croissance ontarien (si l'on fonctionne à rebours, c'est-à-dire de 1887-1888 vers les années antérieures). Et nous disons bien le rythme de croissance et non le contenu moyen lui-même2. En y pensant bien, ce procédé était beaucoup trop mécanique. Appliquer intégralement le rythme ontarien provoque sans doute des distorsions. D'une saison à l'autre, le contenu moyen ontarien peut décroître tandis qu'il est temporairement en hausse au Québec. Faut-il alors remettre en question le taux de croissance observé, soit 38 % sur une période de 15 ans ? Dans le but d'apporter des éléments nouveaux, nous avons examiné en profondeur les données québécoises et ontariennes. Ces premières, par exemple, présentent un aspect, pourtant digne d'intérêt, qui nous avait jusqu'alors échappé. Deux catégories de billes de pin sont consignées entre 1868-1869 et 1887-1888: celle d'un diamètre égal ou supérieur à 17 pouces et celles d'un diamètre inférieur. Or, la proportion du nombre de billots déclarés entre les deux catégories constitue un point de repère approximatif dans la tentative de définir un rythme de croissance spécifiquement québécois. En effet, si la proportion des plus grosses billes diminue par rapport aux petites, le contenu moyen de l'ensemble risque fort de chuter. Voyons alors comment, vues sous cet angle nouveau, les récoltes de pin ont évolué (voir le tableau A.2). Les chiffres révèlent clairement une réduction très sensible du diamètre. Avec un rapport de 0,85 en 1873-1874, il est sûr que le contenu moyen des billots est supérieur à celui de 1886-1887, alors que ceux de petit diamètre sont presque deux fois plus nombreux que les grosses billes (0,52). 2 Ce contenu moyen ontarien n'est pas transposable au cas des données québécoises, notamment parce qu'en Ontario, la table de conversion des billots en pieds mesure de planche est différente de celle en vigueur au Québec. C'est une des raisons qui expliquent que le contenu moyen des billes de pin blanc est, en 1887-1888, de 109,8 pmp en Ontario et de 137,8 pmp au Québec.
147 Estimation des récoltes de bois de sciage, 1874-1887 Tableau A.2 Évolution des récoltes de billes de pin en provenance des forêts publiques québécoises, 1874-1887, en billes Saison
Billes > 17 po
Bittes < 17 po
(Billes >17 po) -r (Billes < 17 po)
1873-1874 1874-1875 1875-1876 1876-1877 1877-1878 1878-1879 1879-1880 1880-1881 1881-1882 1882-1883 1883-1884 1884-1885 1885-1886 1886-1887
1 099 285 789 016 682 640 711 001 570 251 617 354 848 954 1 021 168 977 535 943 971 688 697 861 339 888 994 787 766
1 288 583 667 331 501 336 465 641 462 629 561 691 942 919 1 397 790 1 634 451 1 698 677 1 015 177 1 325 759 1 497 620 1 507 246
0,85 1,17 1,36 1,53 1,23 1,10 0,90 0,73 0,60 0,56 0,66 0,65 0,59 0,52
Source : RCTCQ.
Autre observation: le rythme québécois de réduction ou de croissance est différent. Durant la crise, les diamètres rapetissent en Ontario tandis qu'au Québec les données semblent démontrer une majoration des volumes par rapport à 1873-1874. En effet, on abat alors plus de gros arbres que de petits3. Cela n'est peut-être pas si étonnant : la crise sévissant beaucoup plus durement au Québec (-45 %) qu'en Ontario -25 %), les entrepreneurs ont sans doute tendance à se procurer les billes les plus rentables. Derrière ces chiffres, un phénomène essentiel se dessine : plus il y a croissance du nombre de billots, plus le rythme de réduction du diamètre des billes risque de s'accélérer. Or, encore ici, la situation québécoise diffère. Dans la province voisine, on observe un taux de croissance de plus de 120 % entre 1874 et 1887. Mais au Québec, celui-ci oscille autour de 15 % seulement. Il faut donc écarter l'idée d'appliquer mécaniquement le taux de croissance ontarien. D'abord, les données de la crise sont fort probablement celles d'une période au cours de laquelle on enregistre une hausse du contenu moyen. Ensuite, le taux de 38 % demeure excessif si l'on tient compte de la faible hausse du nombre de billots récoltés entre 1874 et 1887. À la place, nous proposons d'appliquer un taux 3 On atteint alors parfois un rapport équivalent à celui enregistré en 1868-1869 (1,40), soit presque dix ans plus tôt.
148 Annexe i Tableau A.3 Estimation du contenu moyen des billes de pin et d'épinette provenant des forêts publiques québécoises, 1874-1888 Saison
Pin
Épinette
1887-1888 1886-1887 1885-1886 1884-1885 1883-1884 1882-1883 1881-1882 1880-1881 1879-1880 1878-1879 1877-1878 1876-1877 1875-1876 1874-1875 1873-1874
137,8 141 144 148 148 148 152 156 160 160 165 175 170 165 160
79,3 81 83 85 85 85 87 89 92 92 95 100 97 95 92
d'environ 15 %, entre les années 1880 et 1887, selon la progression des rapports calculés au tableau A.2, et une hausse momentanée des volumes durant la crise. Les résultats sont exposés au tableau A.3. En outre, comme il n'y a aucune raison de croire que les billots d'épinette seraient à l'abri de cette réduction des diamètres, nous avons appliqué les mêmes pourcentages et les mêmes rythmes à ces récoltes.
ANNEXE 2
Le traitement des données ontariennes
Plusieurs étapes sont nécessaires afin de transformer les données brutes, saisies sous support magnétique, en séries statistiques immédiatement utiles à l'analyse. Nous ne les énumérerons pas toutes1. Seules deux d'entre elles doivent être mentionnées, en raison de leur grande influence sur les résultats. Il s'agit de l'estimation des données incomplètes ou manquantes et de l'homogénéisation des unités de mesure.
L'ESTIMATION DES DONNÉES INCOMPLÈTES OU MANQUANTES Ces cas mineurs ont somme toute peu d'impact sur l'ensemble des données. Mais tel n'est pas le cas des billots de sciage enregistrés avant 1873 dont nous ignorons totalement les volumes physiques. C'est pourquoi nous avons proposé un contenu moyen aux billots enregistrés avant 1873. Ce contenu varie d'une agence forestière à l'autre et d'une essence à l'autre afin de tenir compte des variations observées. Il a été calculé à partir des premières récoltes dont les volumes physiques sont connus, soit celles des saisons d'exploitation 1873-1874, 1874-1875 et 1875-1876. Voici les contenus en pmp appliqués aux billots de sciage enregistrés entre les saisons 1870-1871 et 1872-1873 : i Une présentation plus complète de ce traitement des données peut être consultée dans notre article, «Le développement des activités forestières en Ontario...», p. 81-84.
150 Annexe 2
• • • • • •
Pin blanc de l'Outaouais supérieur : 170 pmp ; Autres essences de l'Outaouais supérieur : 90 pmp ; Pin blanc de l'agence Ouest: 160 pmp; Autres essences de l'agence Ouest : 170 pmp ; Pin blanc de l'agence Sud : 120 pmp ; Autres essences de l'agence Sud : 75 pmp.
L'HOMOGÉNÉISATION DES UNITÉS DE MESURE Les récoltes de matière ligneuse ne sont pas comptabilisées à partir d'une seule unité de mesure : chaque catégorie de bois est mesurée à l'aide d'une unité qui lui est propre. Il n'est sans doute pas nécessaire d'expliquer l'utilité de ramener ces unités de mesure à un dénominateur commun. Ce dénominateur est le pied cube, qui sert déjà d'unité de mesure pour le bois équarri. La plupart des équivalences utilisées sont celles qu'ont retenues les compilateurs ou les statisticiens ayant travaillé dans le secteur forestier. Nous en donnons la liste plus loin. Arrêtons-nous sur l'équivalence choisie afin de ramener, en pied cube, le bois de sciage mesuré initialement en pmp. L'équivalence en usage est 5 pmp = i pied cube2. Mais cette équivalence, mise au point au XXe siècle alors que le bois de sciage affichait une certaine dimension moyenne, est tout à fait inadéquate pour le bois de sciage du XIXe siècle, dont les diamètres étaient beaucoup plus grands3. Aussi avons-nous proposé 7 pmp pour i pied cube. En ce qui concerne les autres formules d'équivalence, voici, en terminant, celles que nous avons retenues : • pièce de construction navale (varangue, genoux, etc., à l'exception des mâts) : 10 pi3 ; • mât : 50 pi3 ; • corde de bois de chauffage (résineux ou feuillus), de bois à bardeau, d'écorce, de bois à latte : 80 pi3 ; • corde de bois à pâte : 85 pi3 ; • bardeau à l'unité : i ooo pièces = 16 pi3 ; 2 Théoriquement, il faudrait compter 12 pmp, car i pmp représente l'équivalent de 144 po . Mais il faut compter les pertes de bois imputables aux imperfections et aux traits de scie. En somme, cette équivalence indique qu'à partir d'un pi3 de bois brut on peut tirer en moyenne 5 pmp. 3 Donc, comptant proportionnellement moins de pertes.
151 Le traitement des données ontariennes • • • • •
traverse de chemin de fer : 5 pi3 ; perche et piquet : 1,2 pi3 ; poteau: 15 pi3; douve : 0,0428571 pi3 ; pièce de bois mesurée en pieds linéaires : i pied linéaire = 0,5 pi3.
ANNEXE 3
Les séries statistiques Tableau A.4 La production de bois de sciage et de bois équarri provenant des forêts publiques québécoises et ontariennes, 1852-1874 Bois équarri
Bois de sciage
Pin
Pin
661 832 ??? 777 750 975 800 1052 1278 1263 931 1086 1287 1291 1680 2153 2683
3391 2902
3165 4881 4725 4474
121 214 777 777 108 133 164 302 335 397 280 309 305 277 307 524 462 389 453 379 469 910 1128
Autres 3
(000 pi )
(000 billots)
Saison 1851-1852 1852-1853 1853-1854 1854-1855 1855-1856 1856-1857 1857-1858 1858-1859 1859-1860 1860-1861 1861-1862 1862-1863 1863-1864 1864-1865 1865-1866 1866-1867 1867-1868 1868-1869 1869-1870 1870-1871 1871-1872 1872-1873 1873-1874
Épinette
12799
11852 777 ???
12405
15921 11518 13570 15359 17237 15742 16809 18532 15353
12681 13536 6069
15951 12162 16525 12227 12396
11770
53 49 777 777 303 330 174 432 321 337 858 531 664 291 306 213 146 506 203 194 204 287 718
Sources : saison 1851-1852 : ]ALC, 1853, appendice QQQQ; saison 1852-1853 : Archives publiques de l'Ontario, Crown Lands, Timber Sales Branch, vol. 16, Statements of Opérations 1826-1894 (dorénavant APO, Crown Lands, vol. 16) ; saisons 1855-1856 à 1866-1867 : Rapport annuel du commissaire des Terres de la Couronne de la province du Canada (dorénavant RCTCC) ; saisons 1867-1868 à 18731874 : Rapport annuel du commissaire des Terres de la Couronne de la province de Québec (dorénavant RCCTQ) et Rapport annuel du commissaire des Terres de la Couronne de l'Ontario (dorénavant RCCTO).
153 Les séries statistiques Tableau A.5 Répartition des droits de coupe tirés des forêts publiques québécoises et ontariennes, 1852-1867, selon les catégories de bois et selon les principales régions, en milliers de dollars et en pourcentages Saison
Ontario Bois de sciage
Bois équarri
Bois de sciage
000$ 1851-1852 1852-1853
14,1 (71) 20,6 (74)
5,7 (29) 7,4 (26)
15,3 (70) 24,4 (72) 11,3 (59) 19,6 (59) 25,5 (61) 23,3 (47) 19,1 (39) 19,4 (56) 30,1 (55) 13,0 (38) 14,0 (54) 32,8 (79)
6,5 (30) 9,6 (28) 7,7 (41) 13,7 (41) 16,4 (39) 25,9 (53) 29,7 (61) 15,3 (44) 24,7 (45) 21,5 (62) 12,2 (46) 8,6 (21)
1853-1854 1854-1855 1855-1856 1856-1857 1857-1858 1858-1859 1859-1860 1860-1861 1861-1862 1862-1863 1863-1864 1864-1865 1865-1866 1866-1867
Québec
Outaouais Bois équarri
Bois de sciage
113,0 (88) 85,9 (82) 110,0 (81) 80,2 (81) 91,3 (83) 116,5 (83) 83,8 (79) 95,8 (74) 100,2 (70) 108,4 (72) 109,7 (82) 126,8 (82) 130,3 (79) 107,8 (72) 92,5 (61) 106,8 (54)
Bois de sciage
Bois équarri
000$
000$
15,6 (12) 18,5 (18) 26,4 (19) 19,1 (19) 19,2 (17) 23,2 (17) 22,1 (21) 32,9 (26) 42,4 (30) 41,4 (28) 23,7 (18) 27,9 (18) 35,3 (21) 42,9 (28) 59,7 (39) 90,6 (46)
Bois équarri
TOTAL
31,0 (80) 39,1 (86)
8,0 (20) 6,5 (14)
60,7 (32) 78,3 (44)
126,7 (68) 99,8 (56)
32,5 (75) 39,2 (76) 32,2 (81) 47,9 (80) 52,9 (76) 57,2 (78) 46,5 (82) 56,3 (88) 54,6 (83) 63,5 (93) 79,8 (93) 94,8 (98)
11,0 (25) 12,4 (24) 7,8 (19) 12,2 (20) 17,2 (24) 15,9 (22) 10,1 (18) 7,4 (12) 10,9 (17) 4,5 (7) 6,5 (7) 2,2 (2)
67,0 (38) 86,8 (38) 65,6 (40) 100,4 (45) 120,8 (47) 121,9 (45) 89,4 (37) 103,6 (41) 120,0 (42) 119,3 (47) 153,5 (58) 218,1 (65)
108,8 (62) 138,5 (62) 99,3 (60) 121,6 (55) 133,8 (53) 150,2 (55) 149,5 (63) 149,5 (59) 166,0 (58) 133,7 (53) 111,1 (42) 117,6 (35)
Sources : saison 1851-1852 : JALC, 1853, appendice QQQQ; saisons 1852-1853 à 1854-1855 : APO,... vol. 16; saisons 1855-1856 à 1866-1867: RCTCC.
154 Annexe 3 Tableau A.6 Évolution des exportations québécoises et ontariennes de bois de sciage et de bois équarri, 1850-1874, en millions de pmp et de pieds cubes Année
1850 1851 1852 1853 1854 1855 1856 1857 1858 1859 1860 1861 1862 1863* 1864-1865* 1865-1866 1866-1867 1867-1868 1868-1869 1869-1870 1870-1871 1871-1872 1872-1873 1873-1874
Bois équarri3
Planches1
Madriers2
(000 000 pmp)
(000 000 pmp)
(000 000 pi3)
122,2 120,1 156,8 218,5 168,6 221,1
82,5 97,0 110,6 106,1 136,9 76,2 105,8 146,1 134,3 122,1 174,8 190,5 144,8
21,5 25,3 21,9 24,5 26,7 16,3 20,1 26,5 18,1 29,6 25,5 27,8 24,1 42,4 41,9 26,1 24,1 24,8 21,7 21,5 21,8 24,4 21,8 16,9
229,8 222,6 384,8
314,1 309,0
165,6 246,2 357,7 386,3 465,8 533,2 570,7 554,8
717,8 702,5 752,0 739,0
781,2
238,0
250,1 156,9 159,0 144,4 194,6 196,1 184,7 193,4 402,6 487,6
Notes 1 Les planches expédiées à l'étranger sont comptabilisées en pmp. 2 Les madriers exportés sont dénombrés en centaines de madriers étalons. Ceux-ci ont 11 pouces de large, 12 pieds de long et deux pouces et demi d'épaisseur, ce qui représente 27,5 pmp par madrier. Chaque centaine de madriers étalons renferme ainsi 2 750 pmp. 3 Le bois équarri exporté est mesuré en « ton ». Cette mesure équivaut à 40 pieds cubes. * Les six premiers mois de l'année 1864 sont couverts séparément dans les TCNC. Nous avons alors réparti également les volumes de bois enregistrés de cette période entre les expéditions de 1863 et celles de 1864-1865. Source : Tableaux du commerce et de la navigation du Canada (TCNC).
155 Les séries statistiques Tableau A./ Évolution des récoltes de bois équarri dans la vallée outaouaise, 1847-1866, en milliers de pièces et en pourcentages, selon qu'elles proviennent de forêts privées ou publiques Pourcentages
Pièces (000) Saison
Forêts privées
Forêts publiques
TOTAL
Forêts privées
Forêts publiques
1846-1847 1847-1848 1848-1849 1849-1850 1850-1851 1851-1852 1852-1853 1853-1854 1854-1855 1855-1856 1856-1857 1857-1858 1858-1859 1859-1860 1860-1861 1861-1862 1862-1863 1863-1864 1864-1865 1865-1866
93 58 73 106 122 195 89 109 62 96 75 58 67 61 164 113 159 122 72 57
165 118 109 92 122 174 108 193 161 177 224 157 188 201 213 225 266 278 229 189
258 176 182 198 244 369 197 302 223 273 299 215 255 262 277 338 425 400 301 246
36 33 40 54 50 53 45 36 28 35 25 27 26 23 23 33 37 30 24 23
64 67 60 46 50 47 55 64 72 65 75 73 74 77 77 67 63 70 76 77
Source : APO, Crown Lands..., vol 16, p. i et 25.
156 Annexe 3 Tableau A.8 Évolution des exportations québécoises et ontariennes de bois de sciage et de bois équarri, 1871-1900, en millions de pmp et en millions de pieds cubes Année
Planches1 (000 000 pmp)
Madriers2 (000 000 pmp)
Bois équarri3 (000 000 pi3)
1870-1871 1871-1872 1872-1873 1873-1874 1874-1875 1875-1876 1876-1877 1877-1878 1878-1879 1879-1880 1880-1881 1881-1882 1882-1883 1883-1884 1884-1885 1885-1886 1886-1887 1887-1888 1888-1889 1889-1890 1890-1891 1891-1892 1892-1893 1893-1894 1894-1895 1895-1896 1896-1897 1897-1898 1898-1899 1899-1900
702,5 752,0 739,0 781,2 454,7 336,1 330,2 353,6 371,5 621,2 579,2 619,0 574,2 614,2 608,3 573,8 556,2 586,2 686,9 674,7 724,7 688,1 816,7 1 262,4 707,0 756,2 1 067,1 528,8 598,3 685,4
184,7 193,4 402,6 487,6 280,2 264,4 290,9 251,6 159,4 215,7 314,4 237,8 296,4 311,7 257,5 349,3 331,3 256,8 245,1 396,5 359,5 295,2 328,2 344,4 319,1 411,4 384,9 495,6 524,3 470,3
21,8 24,4 21,8 16,9 21,0 17,7 24,7 17,6
7,5 8,8 20,2 11,6 12,9 14,0
9,9 10,5
6,1 7,1 8,7 10,7
8,4 7,1 6,4 6,7 4,7 6,5 6,1 5,8 6,6 5,2
Notes
1 Les planches expédiées à l'étranger sont comptabilisées en pmp. 2 Les madriers exportés sont dénombrés en centaines de madriers étalons. Ceux-ci ont 11 pouces de large, 12 pieds de long et deux pouces et demi d'épaisseur, ce qui représente 27,5 pmp par madrier. Chaque centaine de madriers étalons renferme ainsi 2 750 pmp. 3 Le bois équarri exporté est mesuré en « ton ». Cette mesure équivaut à 40 pieds cubes. Source :TCNC.
157 Les séries statistiques Tableau A.9 Bois de sciage et bois à pâte dans les forêts publiques québécoises, 1887-1900 : une estimation en millions de pmp Saison
Bois de sciage
Bois à pâte
Total
1886-1887 1887-1888 1888-1889 1889-1890 1890-1891 1891-1892 1892-1893 1893-1894 1894-1895 1895-1896 1896-1897 1897-1898 1898-1899 1899-1900
421 598 495 447 466 577 516 497 603 569 571 407 446 520
0,3 1 6 48 54 53 50 60 92 90 133 163 158 182
421 599 501 495 520 630 566 557 695 659 704 570 604 702
Source: RCTCQ.
158 Annexe 3 Tableau A.IO Répartition régionale des récoltes de matière ligneuse provenant des forêts publiques ontariennes, 1871-1900, en millions de pieds cubes Saison
Ottawa
Nord
Belleville
TOTAL1
1870-1871 1871-1872 1872-1873 1873-1874 1874-1875 1875-1876 1876-1877 1877-1878 1878-1879 1879-1880 1880-1881 1881-1882 1882-1883 1883-1884 1884-1885 1885-1886 1886-1887 1887-1888 1888-1889 1889-1890 1890-1891 1891-1892 1892-1893 1893-1894 1894-1895 1895-1896 1896-1897 1897-1898 1898-1899 1899-1900
34,3 42,5 37,7 31,4 30,6 17,6 19,1 13,2 23,3 30,9 38,9 38,2 36,2 28,3 38,9 42,2 42,3 47,3 38,7 30,7 16,8 19,9 18,8 23,0 32,0 29,0 29,2 13,6 22,1 22,4
8,7 13,2 13,1 10,5 10,1 14,8 11,3 14,7 14,8 19,3 22,9 27,8 24,1 27,2 26,4 34,3 41,3 47,1 60,4 48,9 52,4 75,1 85,6 68,6 88,3 109,7 43,4 70,1 59,8 85,1
7,2 16,1 13,2 14,4 15,2 8,1 10,4 9,8 12,5 11,0 18,9 18,7 15,1 11,1 17,4 17,7 14,0 21,1 18,4 8,8 8,9 11,8 13,0 6,2 11,2 7,4 9,5 10,1 7,5 12,1
50,1 71,8 63,9 56,3 55,9 40,5 40,8 37,7 50,6 61,3 80,8 84,7 75,4 66,6 82,7 94,2 97,7 115,5 117,5 88,4 78,2 106,8 117,4 97,9 131,6 146,1 82,1 93,8 89,3 119,5
Note
i Le jeu forcé des fractions abandonnées ou arrondies peut entraîner des différences dans les totaux. Source :RCTCO.
159 Les séries statistiques Tableau A.II Répartition des récoltes de matière ligneuse provenant des forêts publiques ontariennes, 1871-1900, selon les catégories de bois, en millions de pieds cubes Saison
Bois de sciage
Bois équarri
Bois divers
1870-1871 1871-1872 1872-1873 1873-1874 1874-1875 1875-1876 1876-1877 1877-1878 1878-1879 1879-1880 1880-1881 1881-1882 1882-1883 1883-1884 1884-1885 1885-1886 1886-1887 1887-1888 1888-1889 1889-1890 1890-1891 1891-1892 1892-1893 1893-1894 1894-1895 1895-1896 1896-1897 1897-1898 1898-1899 1899-1900
37,2 62,6 54,4 45,5 46,7 32,8 30,0 31,2 46,2 54,4 70,9 74,4 63,5 51,6 67,6 77,2 81,2 100,3 104,2 74,6 65,1 87,4 103,8 88,5 116,2 131,4 69,5 79,0 73,4 97,2
11,7 7,1 8,4 8,7 7,0 6,1 9,6 5,3 2,5 4,2 6,4 6,9 6,4 6,9 3,3 5,2 2,5 3,4 5,1 3,5 1,7 3,9 2,0 1,2 0,9 1,1 2,0 1,5 5,3 1,9
1,3 2,0 1,1 2,0 2,3 1,6 1,2 1,2 1,8 2,6 3,4 3,3 5,4 8,1 11,9 11,9 13,9 11,7 16,2 10,3 11,4 15,5 11,6 8,2 14,5 14,1 10,6 13,4 10,7 20,4
Source: RCTCO.
160 Annexe 3 Tableau A.12 Évolution des récoltes de matière ligneuse provenant de l'agence forestière Outaouais supérieur, 1871-1900, selon les catégories de bois, en millions de pieds cubes Saison
Bois de sciage
Bois équarri
Bois divers
1870-1871 1871-1872 1872-1873 1873-1874 1874-1875 1875-1876 1876-1877 1877-1878 1878-1879 1879-1880 1880-1881 1881-1882 1882-1883 1883-1884 1884-1885 1885-1886 1886-1887 1887-1888 1888-1889 1889-1890 1890-1891 1891-1892 1892-1893 1893-1894 1894-1895 1895-1896 1896-1897 1897-1898 1898-1899 1899-1900
22,4 35,0 28,9 22,9 22,3 10,8
11,0
0,8 1,0 0,9 0,9 1,9 0,9 0,7 0,4 0,8 1,5 1,9 1,1 3,5 1,7 3,1 2,8 2,6 2,8 2,4 1,3 0,7 0,9 2,1 1,3 3,1 2,6 2,2 1,3 2,4 4,0
Source: RCTCO.
9,6 7,8
20,3 26,0 31,4 31,6 27,3 21,5 34,5 37,5 38,4 43,3 34,2 27,8 15,8 18,1 16,0 21,1 28,8 26,7 26,6 12,0 15,5 18,0
6,5 7,9 7,5 6,5 5,8 8,8 4,9 2,2 3,4 5,6 5,6 5,3 5,1 1,3 1,8 1,2 1,1 2,1 1,6 0,3 0,9 0,7 0,6 0,1 0,1 0,4 0,3 4,1 0,4
i6i Les séries statistiques Tableau A. 13 Évolution des récoltes de matière ligneuse provenant de l'agence forestière Nord, 1871-1900, selon les catégories de bois, en millions de pieds cubes Saison 1870-1871 1871-1872 1872-1873 1873-1874 1874-1875 1875-1876 1876-1877 1877-1878 1878-1879 1879-1880 1880-1881 1881-1882 1882-1883 1883-1884 1884-1885 1885-1886 1886-1887 1887-1888 1888-1889 1889-1890 1890-1891 1891-1892 1892-1893 1893-1894 1894-1895 1895-1896 1896-1897 1897-1898 1898-1899 1899-1900 Source: RCTCO.
Bois de sciage
8,3 12,6 12,7
9,3 9,6 14,2 10,5 14,0 14,0 18,3 21,3 25,4 22,1 20,1 17,4 23,4 29,9 37,3 52,2 38,5 41,6 58,9 75,7 61,6 77,2 97,8 34,6 57,8 50,7 68,5
Bois équarri
0,4 0,3 0,4 0,9 0,4 0,2 0,6 0,2 0,2 0,5 0,5 1,1 0,9 1,5 1,4 3,2 1,2 2,0 2,9 1,7 1,2 2,9 1,2 0,6 0,7 1,0 1,7 1,2 1,1 1,5
Bois divers
0,3 0,4 0,1 0,4 0,2 0,5 0,6 0,6 1,1 1,3 1,1 5,6 7,7 7,7 10,3
7,7 5,2 8,7 9,7 13,3
8,7 6,4 10,5 10,9
7,2 11,2
8,0 15,0
i62 Annexe 3 Tableau A. 14 Évolution des récoltes de matière ligneuse provenant de l'agence forestière Belleville, 1871-1900, selon les catégories de bois, en millions de pieds cubes Saison
Bois de sciage
Bois équarri
Bois divers
1870-1871 1871-1872 1872-1873 1873-1874 1874-1875 1875-1876 1876-1877 1877-1878 1878-1879 1879-1880 1880-1881 1881-1882 1882-1883 1883-1884 1884-1885 1885-1886 1886-1887 1887-1888 1888-1889 1889-1890 1890-1891 1891-1892 1892-1893 1893-1894 1894-1895 1895-1896 1896-1897 1897-1898 1898-1899 1899-1900
6,4 15,0 12,8 13,4 14,8 7,7 9,9 9,4 12,0 10,1 18,2 17,4 14,1 10,0 15,7 16,3 12,9 20,2 17,8 8,4 7,7 10,4 12,0 5,8 10,3 6,9 8,3 9,2 7,2 10,7
0,3 0,3 0,1 0,3 0,1 0,1 0,2 0,2 0,1 0,3 0,2 0,2 0,2 0,3 0,6 0,1 0,1 0,2 0,1 0,2 0,1 0,1 -
0,4 0,8 0,3 0,7 0,2 0,3 0,3 0,3 0,4 0,6 0,5 0,9 0,8 0,8 U 1,3 1,0 1,2 0,6 0,3 1,0 1,2 0,9 0,4 0,9 0,6 1,2 0,9 2,9 1,4
Source: RCTCO.
163 Les séries statistiques Tableau A.15 Évolution de la production de bois de sciage et de bois à pâte dans certaines régions forestières québécoises et ontariennes, 1874-1900, en millions de pmp Saison
SaguenayNord Outaouais Outaouais TOTAL Laurentides Mauricie Lac-St-Jean ontarien ontarien québécois
1873-1874 1874-1875 1875-1876 1876-1877 1877-1878 1878-1879 1879-1880 1880-1881 1881-1882 1882-1883 1883-1884 1884-1885 1885-1886 1886-1887 1887-1888 1888-1889 1889-1890 1890-1891 1891-1892 1892-1893 1893-1894 1894-1895 1895-1896 1896-1897 1897-1898 1898-1899 1899-1900
65,1 67,2 99,4 73,5 98,0 98,0 128,1 149,1 177,8 154,7 140,7 121,8 163,8 209,3 261,1 365,4 269,5 291,7 416,3 530,9 437,5 558,6 705,6 269,8 414,3 371,8 516,6
160,3 156,1 75,6 67,2 54,6 142,1 182,0 219,8 221,2 191,1 150,5 241,5 262,5 268,8 303,1 239,4 194,6 110,6 127,2 113,2 147,8 202,0 186,9 186,4 84,0 108,5 126,0
Note i Une corde de bois = 600 pmp. Source: RCTCQ et RCTCO.
218,6 144,6 109,0 123,7 108,0 130,7 216,1 277,8 303,4 319,3 205,8 264,2 279,6 269,8 396,1 340,1 269,4 326,3 371,4 315,3 285,5 355,4 334,4 270,6 204,0 256,1 303,4
73,4 47,1 39,1 35,8 31,0 34,7 50,0 74,4 47,8 43,0 40,1 47,3 45,2 49,7 69,1 44,3 62,3 68,7 76,8 81,2 59,8 85,9 82,8 97,8 88,2 93,6 115,9
75,2 44,2 60,8 51,7 29,6 25,0 32,0 42,0 61,6 55,7 20,3 21,5 44,6 23,5 25,5 25,6 31,2 46,4 43,6 48,9 70,4 89,9 81,1 138,4 109,1 96,6 97,1
57,7 29,1 29,1 36,3 40,5 25,7 39,7 55,4 34,3 30,4 23,1 20,2 32,5 34,4 27,4 36,7 48,9 28,0 40,8 38,2 37,9 35,2 33,5 21,1 36,2 6,8 15,6
650,3 488,3 413,0 388,2 361,7 456,2 647,9 818,5 846,1 794,2 580,5 716,5 828,2 855,5 1 082,3 1 051,5 875,9 871,7 1 076,1 1 127,7 1 038,9 1 327,0 1 424,3 984,1 935,8 933,4 1 174,6
164 Annexe 3 Tableau A.i6 Évolution de la production de bois de sciage dans certaines régions forestières québécoises et ontariennes, 1874-1900, en millions de pmp Saison
SaguenayOutaouais Outaouais Nord TOTAL Laurentides Mauriac Lac-St-Jean québécois ontarien ontarien
1873-1874 1874-1875 1875-1876 1876-1877 1877-1878 1878-1879 1879-1880 1880-1881 1881-1882 1882-1883 1883-1884 1884-1885 1885-1886 1886-1887 1887-1888 1888-1889 1889-1890 1890-1891 1891-1892 1892-1893 1893-1894 1894-1895 1895-1896 1896-1897 1897-1898 1898-1899 1899-1900
65,1 67,2 99,4 73,5 98,0 98,0 128,1 149,1 177,8 154,7 140,7 121,8 163,8 209,3 261,1 365,4 269,5 291,2 412,3 529,9 431,2 540,4 684,6 242,2 404,6 354,9 479,5
160,3 156,1 75,6 67,2 54,6 142,1 182,0 219,8 221,2 191,1 150,5 241,5 262,5 268,8 303,1 239,4 194,6 110,6 126,7 112,0 147,7 201,6 186,9 186,2 84,0 108,5 126,0
218,6 144,6 109,0 123,7 108,0 130,7 216,1 277,8 303,4 319,3 205,8 264,2 279,6 269,8 396,1 340,1 265,9 324,6 370,5 314,8 284,6 353,8 332,1 269,6 202,3 253,7 300,4
73,4 47,1 39,1 35,8 31,0 34,7 50,0 74,4 47,8 43,0 40,1 47,3 45,2 49,7 69,1 44,3 59,2 63,2 69,6 73,7 52,4 73,5 67,6 77,8 58,8 60,1 71,3
75,2 44,2 60,8 51,7 29,6 25,0 32,0 42,0 61,6 55,7 20,3 21,5 44,6 23,5 25,5 23,8 25,6 36,7 33,0 37,2 52,8 61,7 52,9 88,7 52,3 46,8 49,5
57,7 29,1 29,1 36,3 40,5 25,7 39,7 55,4 34,3 30,4 23,1 20,2 32,5 34,4 27,4 36,7 43,0 24,7 35,8 33,6 33,1 29,9 28,4 17,2 27,3 4,9 11,7
650,3 488,3 413,0 388,2 361,7 456,2 647,9 818,5 846,1 794,2 580,5 716,5 828,2 855,5 1 082,3 1 049,7 857,8 851,0 1 047,9 1 101,2 1 001,8 1 260,9 1 352,5 881,7 829,7 828,9 1 038,4
Notes 1 Une corde de bois = 600 pmp. 2 Le bois d'estacade est exclu. 3 Dans notre estimation des récoltes des différentes régions du Québec, nous n'avons pas appliqué une formule unique de conversion du bois de sciage en bois à pâte. Nous avons estimé que les pourcentages moyens québécois s'appliquaient seulement aux récoltes des Laurentides. En Outaouais et au Saguenay-Lac-Saint-Jean (région qui comprend les récoltes de la Côte-Nord), nous avons appliqué un pourcentage inférieur, de 50 %, au pourcentage québécois. Quant à la Mauricie (qui comprend la région de Québec), nous avons utilisé un pourcentage supérieur, étant donné la présence de nombreuses usines papetières dans cette région. Source: RCTCQ ; RCTCO.
Bibliographie
ARCHIVES
Les archives gouvernementales représentent une source documentaire de première main pour l'histoire forestière à l'échelle provinciale. Il serait téméraire d'affirmer que tout a été exploité de ce côté. Bien au contraire, nous avons le sentiment qu'il faudrait dépouiller systématiquement ces archives afin d'approfondir notre connaissance du sujet. De la même façon, les archives des entreprises forestières n'ont pas fini de nous livrer leurs secrets. Leur consultation permettra sans doute de prolonger, nuancer et même contester certaines affirmations par trop générales de notre ouvrage. Parmi les archives gouvernementales consultées, signalons la correspondance générale du ministère des Terres et Forêts ainsi que les Registres des concessions forestières déposés aux Archives nationales du Québec (à Québec). Il est à noter qu'au cours des années 1980 encore, de nombreux dossiers indispensables à l'historien étaient toujours conservés au centre de préarchivage du ministère des Terres et Forêts, certains se trouvant même toujours en possession de fonctionnaires. Quant aux archives gouvernementales de l'Ontario, force nous est de reconnaître qu'elles ont été moins consultées, à l'exception de la série «Crown Lands, Timber Sales Branch»: volume 9, Statements of thé Opérations, 1853-1893 ; volume 11, Statements of thé Opérations ; volume 16, Statements of Opérations 1826-1894. PUBLICATIONS OFFICIELLES
Les publications officielles constituent en fait la principale partie des sources documentaires de cet ouvrage. Parmi les plus importantes, citons quelques documents publiés sur une base annuelle.
166 Bibliographie Le «Rapport annuel du commissaire des Terres de la Couronne de la province du Canada» (RCCTC) est publié pour la première fois en 1856. À partir de la Confédération, les provinces de Québec et de l'Ontario héritent de la juridiction du domaine public, de telle sorte que chaque province publie annuellement un rapport qui poursuit les pratiques héritées du gouvernement de l'Union en faisant notamment le bilan des activités de coupe dans les forêts publiques (et ce afin de faire le décompte des redevances forestières). Il s'agit du « Rapport du commissaire des Terres de la Couronne de la province de Québec » (RCTCQ) et du « Rapport annuel du commissaire des Terres de la Couronne de la province de l'Ontario » (RCTCO). Les droits générés par le commerce international constituent une autre source de revenus fort importante à l'époque et qui demeurera sous juridiction fédérale. Ici encore, qui dit revenus dit aussi, pour l'historien, source d'information. Ces activités commerciales s'effectuent pour une part dans le cadre des exportations de bois à l'étranger. Celles-ci sont publiées annuellement dans les «Tableaux sur le commerce et la navigation du Canada» (TCNC). Une troisième source fournit à l'historien des informations fondamentales sur les activités forestières - mais cette fois seulement pour la période de l'Union. Il s'agit du «Rapport du surintendant des mesureurs de bois» (RSMB), dans lequel on dénombre le bois inspecté et mesuré à Québec, alors principal lieu d'expédition de bois du Canada. Ces trois grandes séries statistiques sont publiées dans les Journaux de l'Assemblée Législative de la province du Canada (JALC) et plus tard dans les Documents de la Session (DS). On y trouve aussi d'autres données ponctuelles sur les activités forestières. À titre d'exemple, mentionnons l'excellent document préparé par A.J. Russell («Rapport sur les richesses forestières du Canada par le statisticien du département de l'Agriculture», annexe du « Rapport du ministre de l'Agriculture pour 1894 », Ottawa, Documents de la Session, vol. 28, n° 5, 1895, documents 8 et 8a). Une autre source d'informations mise à contribution dans cet ouvrage est constituée des témoignages livrés lors de commissions d'enquête. Il convient d'en signaler ici quelques-unes. «Rapport du comité spécial, auquel on a envoyé la Pétition de John P. Paterson et autres, Inspecteurs et Mesureurs de Bois... », JALC, 1844-1845, appendice OO. «Premier rapport du comité spécial du commerce du bois», JALC, 1849, appendice PPPP. «Second rapport du comité spécial sur le commerce du bois», JALC, 1849, appendice PPPP. « Rapport du comité sur l'administration des terres publiques », JALC, 18541855, appendice MM.
167 Bibliographie « Rapport du comité spécial chargé de s'enquérir de la condition du commerce du bois du Canada au point de vue de la colonisation du pays et de l'action du gouvernement à cet égard », Canada, Documents de la Session, 1863, vol. 21, app. 8. Enfin, notre tour d'horizon des publications officielles ne serait pas complet sans la mention de la Gazette du Canada et de la Gazette officielle de Québec, dans lesquelles sont publiés les règlements relatifs aux concessions forestières, de même que plusieurs avis relatifs aux ventes de concessions forestières et à la formation ou à la dissolution de sociétés forestières. OUVRAGES ET ARTICLES
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169 Bibliographie Gaudreau, Guy, Claire-Andrée Fortin et Robert Décarie, «Les récoltes des forêts publiques (1850-1900). Proposition de corrections des données», Revue d'histoire de l'Amérique française, vol. 46, n° 3 (hiver 1993) : p. 485-
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Index
Abitibi Consolidated Co., 23 Angers, François-Albert, 4,8 Anse à bois, 33-34, 36 Atkinson, Henry, 44 Baptist, famille, 24, 105 Baron du bois, 66 (voir aussi Concessionnaire forestier) Bas-Saint-Laurent, région, 70-71, 79-80 Belleville, région, 116, 122, 125, 126, 158, 162 Bertram, G.W., 85 Billet de concession, 20 Blanche, rivière, 80 Bois à pâte, 5, 7, 14, 84; comparaison des récoltes, 87, 99-100, 115; coupe à blanc, 14; données officielles, 87, 97, 99; droits de coupe, 98; embargo, 116-117; équivalence avec le bois de sciage, 129; récoltes, 87, 90, 97-100, 107-108, 111, 112, 119, 131, 157, 163; répartition géogra-
phique des récoltes, 163; unité de mesure, 98, 150 Bois de chauffage, 54, 66; marché intérieur, 113; et paysannerie, 113; prépondérance, 55, 111113, 122; récoltes, 111, 112, 119 Bois de sciage, 5, 7, 115; comparaison des récoltes, 86-87, 99-100, 115, 117, 120, 121, 122, 123; comparaison entre les régions, 116, 132, 133, 134, 135, 136, 164; difficultés, 84, 93-96; droits de coupe, 48-49, 61, 70-73; embargo, 122; énergie hydraulique, 58-59; estimation des volumes moyens, 56, 145-150; exportations, 51-54, 55, 88-90, 91-92, 154, 156; marché américain, 51, 53, 88-90, 9192, 102-103, i°5' marché britannique, 54, 88-89, 91, 102-103, 132; marché étranger, 56;
marché intérieur, 56, 90, 93, 105, 132; producteurs, 24, 34, 39; récoltes, 46-47, 69-70, 86-87, 90-91, 92-93, ni, 112, 113, 152, 153, 160, 161, 162, 164; répartition des récoltes entre les producteurs, 75-76; répartition géographique des récoltes, 77, 79, 83, 164; techniques de tranchage, 95-96; transport, 59-60 (voir aussi Chemin de fer); unité de mesure, 47-48, 53, 129; volume physique, 48, 56, 94, 101, 130, 149-150 Bois divers, récoltes, 117119, 120-121, 122, 160, 161, 162 Bois équarri, 35, 57; comparaison des récoltes, 85-87, 115, 120-122; droits de coupe, 48-49, 61; exportations, 52-53, 76-78, 86, 88, 105, 154, 156; marché britannique, 28, 54, 77;
176 Index marché public, 37-38; producteurs, 21, 28, 39; radeaux, 37-38, 68; récoltes, 46, 67-68, 8587, 111, 112, 152, 153, 160, 161, 162; répartition des récoltes entre les producteurs, 73-75; répartition géographique des récoltes, 7678, 120; unité de mesure, 47, 48 Bouchard, Gérard, 11, 16, 110 Bronson & Co., 137-139 Brouillette, Benoît, 8 Bureau des Examinateurs, 33 Calvin, D.D., 8 Canada français, 4 Cap-Rouge, 37 Carbray & Routh, 44 Careless, J.M.S., 15 Carte des régions forestières, 126 Cauchon, Joseph, 42 Centre-périphérie, 12, 15, 110 Chaudières, chute des, 5859, 107 Chemin de fer, 19, 57, 5960, 119, 120-121, 123, 136 Chew, Sing C., 137 Co-intégration, 11, 110 Colonisation, 11, 20, 137 Commissaire des Terres de la Couronne, 30, 41, 44, 64, 97 Concession forestière, 20, 29-30; affermage 17, 19, 29-31, 39-43, 60-61, 6465; moyens de production, 20-21; superficies affermées, 65, 89, 100; territoires de coupe, 23, 82, 143-144; (voir aussi Permis de coupe, Droits de coupe) Concession papetière (pulpwood concession), 117
Concessionnaire forestier, 23, 28, 29-31, 32, 34, 3637, 38, 39, 41-42, 43-44, 55, 61, 65, 73-76, 98, 108, 129, 140, 142-143 Côte-Nord, région (voir Saguenay-Lac-SaintJean) Coulonge, rivière, 81 Cowan, William, Co., 130 Creuse, rivière, 77 Cross, Michael S., 8 Cycles économiques, 2526,85 Déterminisme géographique, 13, 24 Domaine public, 64; accès, 17, 20-22, 65; droit de propriété, 19, 143; laxisme des gouvernements, 129; pressions sociales, 22; vente des terres, 20; (voir aussi Forêt publique) Domtar Co., 23 Droits de coupe, échelle, 61, 98, 127; répartition, 48-50, 70-73, 102, 103, ï53 Drummond, lan M., 114 Dunn, CE., 44, Écologie, 22 Économie agroforestière, 10, 23, 110 Egan, John, 37, 39, 43, 74 Entrepreneur forestier (voir Concessionnaire forestier) Espanola, papetière, 117 État, gestionnaire du domaine public, 16-17, 22, 98, 129-130; volonté d'industrialisation, 4950, 61, 116-117, 122 États-Unis, construction domiciliaire et urbanisation, 52, 89-90; entrepreneurs forestiers, 43
Exportations (voir Marché, Bois de sciage, Bois équarri) Firmes commerciales, 17, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37' 38, 41/ 43, 44 Forêt publique, 4; chronologie du développement, 22, 66-68, 83; et terres privées, 66-68, 6973, 110-111, 112, 113, 155; (voir aussi Domaine public, Secteur forestier)
Gap, 106, 107 Gaspésie, région, 70-72, 79-80 Gatineau, rivière, 77-78, 79, 80, 81 Gillis, R.P., 9 Gilmour, famille, 33, 74, 75,79 Grande-Bretagne, construction domiciliaire, 86, 89, 91, 132; (voir aussi Marché) Grande dépression, 85, 142 Greenberg, Dolores, 57 Hall, famille, 34, 75, 79, 106 Hallsworth, Gwenda, 23 Hamelin, Jean, 49, 86 Hamilton, famille, 44, 75, 79 Hamilton & Low, 34 Hardy, René, 4-5, 10-11, 14/94 Harvey, Fernand, 12 Hearst, ville, 24 Histoire forestière, 3-5; commerciale, 6; régionale, 11-14; universitaire, 6 Histoire québécoise et non canadienne-française, 4 Histoire socioculturelle, 15-16 Industrialisation, 50, 57, 61 (voir aussi État)
177 Index Innis, Harold A., 7 Institut québécois de recherche sur la culture, 12 Kipawa, rivière, 76 Lac-Saint-Jean, (voir Saguenay-Lac-SaintJean) Lambert, R.S., 9 Laurentides, région, 12, 71-73, 127, 130-135, 163, 164 du Lièvre, rivière, 21, 7780 Little, J.I., 10, 20 Lower, A.R.M., 6-7, 8, 12, 28, 43-44, 53, 93 Machine à vapeur, 57, 58 Mackintosh, W.A., 7 MacLaren, famille, 21 Madawaska, rivière, 7778 Madawaska-Chaudière, région, 70-72 Main-d'œuvre, besoins, 137-138; conditions de travail, 10; mobilité, 2324; productivité, 137; salaires, 25; travail, 5, 37, 68, 82, 96, 136, 137139 Marché, 14; américain, 7, 51-53, 88-90, 91-92, 102103, 105, 154, 156; britannique, 7, 28, 51-54, 55, 76-78, 86, 88-89, 91/ 102-103, 1O5/ a32/ 154/ 156; étranger, 7, 8, 51, 140; intérieur, 54-56, 90, 93, 105, 113, 132; public, 37-38 Matière ligneuse, approvisionnement, 17, 30, 63; épuisement des ressources, 14, 24-25, 51, 83, 87, 91, 94, 106, 116, 123, 142; (voir aussi Secteur forestier)
Mauricie, région, 10-11, 14, 24, 43, 60-61, 71-73, 94, 101-103, 104-105, 106, 127, 130-135, 141142, 163, 164 McLachlin, Daniel, 74-75 Mécanisation, 10, 13, 8283, 95-96 ( voir aussi Machine à vapeur, Scierie) Mesurage du bois, 31-37, 55, 99, 128-129; surintendant des mesureurs, 32-33 Minville, Esdras, 8 Noire, rivière 77, 81 Nord ontarien, région, 115-116, 119, 126, 127, 130-136, 140-141, 158, 161, 163, 164 Nouveau-Brunswick, 28, 96, 144 Ontario et Québec, affermage, 21; comparaison des tables de mesurage, 127-128; décalage du rythme de développement, 50-51, 62, 63, 107, 115-116, 122-123, 125> 141, 142; histoire indissociable, 3-4, 23, 49, 140 Ottawa, 12, 59, 136, 138 (voir aussi chute des Chaudières, Gap) Outaouais, région et vallée, 23, 25, 26, 43, 49, 50, 60, 64, 65, 66, 67-68, 69-70, 71-73, 74-76, 7779, 94, 101-103, 105, 115116, 120, 126, 127, 131132, 135, 145, 153, 155, 158, 160, 163, 164; rivière, 77 (voir aussi rivière Creuse) Paquette, Pierre, 19 Passage du bois de sciage au bois à pâte, 5, 106, 115-116, 143
Passage du bois équarri au bois de sciage, 5, 4851, 141, 143 Patterson, Peter, 34, 79 Paysannerie, 10, 11, 13 Périodisation de l'histoire forestière, 5 Perley, William, G., 90, 105, 106, 107 Permis de coupe, annulation, 42, 60-61, 65-66; concentration, 143; renouvellement, 19, 30 Petawawa, rivière, 81 Petite bourgeoisie, 20, 22 Price, William, 44 Pross, A.P., 9 Québec, région, 79-80 Québec, ville, 28, 31, 32, 33/37 Québec-Montréal, région, 79-80 Québec et Ontario, (voir Ontario et Québec) Radforth, Ian,io, 13, 25, 83 Redevances forestières, 30, 48, 65, 68, 98, 129 Région(s), carte des régions forestières, 126; récoltes forestières, 83, 100-106, 115-122, 130136, 141, 158-164; superficies sous concession, 126-127 Rente foncière, 39-43 Responsabilité ministérielle, 37, 44 Ressources, épuisement, 14, 24-25, 51, 83, 87, 91, 94, 106, 116, 123, 142 Révolution industrielle, 57 (voir aussi Mécanisation) Rimouski, région, 12 Rive-Nord de Québec, région, 72, 73, 102, 103, 134 Rive-Nord du SaintLaurent, région, 130133/ 135
178 Index Rive-Sud du SaintLaurent, région, 101105, 125 Roby, Yves, 49, 86 Rouge, rivière, 80 Russell, A.}., 26, 41, 66-67 Saguenay-Lac-Saint-Jean, région, 11, 12, 70-72, 7980, 94, 101-104, 106, 126, 127, 130-133, 141, 163, 164 Saint-François, région, 7172 Saint-Laurent, fleuve, 8, 68 Saint-Maurice, (voir Mauricie) Sault-Sainte-Marie, papetière, 117, 118 Scieries, 19, 34, 47, 58-59, 61, 95-96 Secteur forestier, 13, 14; besoins en équipements et nourriture, 139; besoins en maind'œuvre, 137-138; centre des activités, 115, 143; chronologie des mutations (voir aussi pas-
sage), 22, 49-51; contradiction centrale, 14, 16; décalage du rythme de développement entre les deux provinces (voir Ontario et Québec); déplacement des activités de coupe, 22-23, 76-83; répartition régionale, 83, 100-106, 115-122, 126, 130-136, 158, 163, 164; éventail de la production, 8, 110-113; (voir aussi Matière ligneuse) Secteur manufacturier, 85 Secteur minier, 19 Séguin, Normand, 4-5, 1011, 13-15, 94 Sharples, John, 35 Sous-évaluation des récoltes, 55-56, 68, 99100, 128-129 Sous-traitance, 22, 139, 143 Spatialisation des activités, 126, 143-144 voir aussi Bois équarri, Bois de sciage (répartition
géographique des récoltes) Simple, école, 7, 54 Sturgeon Falls, papetière, 117 Sudbury, 23 Table de mesurage, 128129 Tarifs américains, 91-92, 122
Tarifs canadiens, 92 Tarifs préférentiels, 27, 43 Tassé, Joseph, 95 Témiscamingue, lac, 76 Terres privées, 4, 63, 66-67; forêts publiques, 66-68, 69-73, 110-111, 112-113, 155; marchés, 54, 113 Thèse métropolitaine, 15 Thompson, John, 34 Travail, (voir Maind'œuvre) Traverses de chemin de fer, 115, 119, 151 Wright, Philemon, 64, 83 Young, David Douglas, 44