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French Pages 334 [339] Year 2020
QUAND LES DUALISTES POLEMIQUAIENT : ZOROASTRIENS ET MANICHEENS
Umr 8161, Orient et Mediterranee - Textes, Archeologie, Histoire Curs, Universite Paris-SorbclIme, Universite Paris 1 Pantheon-Sorbonne Ecole pratique des hautes etudes, College de France
Directeur de fa collection Pierre TALLET, Sorbonne Universite - Umr 8167, Orient et Mediterranee Responsable Mitoriale Nathalie FAVRY, Sorbonne Universite - Umr 8167, Orient etMediterranee C omite scientifique Vincent OftROCHE Alessia GUAROASOLE Sebastien MORLET Carole ROCHE-HAWLEY Jean-Pierre VAN STAEVEL
Mise en page: Marc BALTY - art'air-ed.
ORIENT & MEDITERRANEE
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QUAND LES DUALISTES POLEMIQUAIENT ZOROASTRIENS ET MANICHEENS
edite par
FLAVIA RUANI et MIHAELA TIMUS
PEETERS LEUVEN - PARIS - BRISTOL, CT
2020
Illustration de couverture: Cosmologie manicheenne, detail des quatre prophetes: (de gauche a droite) Mani, Zoroastre, Bouddha et Jesus. Chine, XIIIe-XIve s., peinture sur rouleau suspendu, collection privee [© Nara National Museum, Japon]
A catalogue record for this book is available from the Library of Congress.
ISBN 978-90-429-4431-2 eISBN 978-90-429-4432-9 D/2020/0602/133 © 2020, Peeters, Bondgenotenlaan 153, B-3000 Leuven, Belgium
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A nouveau, il arriva qu'a un moment un nazoreen vint devant l'apotre; illui dit: «Je te questionnerai avec un mot: quant a toi, persuade-moi avec un seul mot, et non pas beaucoup de mots ". L'apotre lui dit: « Si tu es capable de prononcer pour moi un seul mot, alors moi aussi je prononcerai pour toi un seul mot; mais s'il arrive que tu questionnes (avec) beaucoup (de mots), alors moi aussi, je prononcerai pour toi un grand nombre (de mots) !!. ee nazoreen-la dit a l'apotre: « Ton dieu que tu pries et en lequel tu croies, est-il bon ou est-il mauvais?!! Alors l'apotre dit ace nazoreen-la: « Mais, sois attentif; voici, tu n'as pas questionne avec un seul mot, mais avec beaucoup de mots! !! Alors l'apotre lui dit: « Unjuge est mon dieu!!. Alors, ce nazoreen-la, pour sa part, lui dit : « Je vois en fait qu'il n'y a aucun juge de la ville qui ne fait pas Ie mal [...J.»
Avant d'etre theologique, la controverse est rhetorique, puisque le« nazoreen» commence par demander a Mani de lui repondre brievement, avec « un seul mot» (oyC€X€ NOYWT). A l'arriere-plan de cette demande, !'intervention de l'auteur manicheen se fait probablement l'echo d'une critique qui revient souvent dans les debats contemporains, quels que soient les acteurs en presence; cette critique consiste a reprocher a l'adversaire de vouloir faire des reponses longues et compliquees, d'une part, afin qu'elles ne soient comprehensibles que par quelques
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ANNA VAN DEN KERCHOVE
personnes et, d'autre part, pour qu'elles embrouillent et induisent en erreur les gens les plus simples. Les contradicteurs souhaitent echapper a une telle critique; nous en aurions une attestation chez Augustin dans son traite polemique contre les manicheens intitule Des deux ames. En X.13, il enonce par avance une possible objection de contradicteurs anonymes (qui pourraient etre des manicheens) : « Ne pourrait-on pas dire, en m'entendant traiter ces choses, que je me jette dans des questions obscures et difficiles (in rebus obscuris abditisque), qui exposent necessairement, en raison du petit nombre de ceux qui les saisissent (inte1ligentium paudtatem), au soup,on de duperie ou d'ostentation (vel fraudis vel ostentationis suspicio)24? » Augustin y repond en faisant un enonce simple et cends a propos de la necessite de la volente et il conclut en affirmant : «]e pense n'avancer rien d' obscur (obscurum) et je crains plutot qu' on ne me reproche de proposer des choses trap evidentes (nimium manifesta)"» (X.13 fin). plus d'un siecle plus tot (entre 277 et 297'"), Alexandre de Lycopole introduit sa polemique contre Mani par un preambule ou il relie les doctrines de Mani a la « philosophie des chretiens ». 11 explique comment d'une philosophie «simple» (arrAn) ou« les questions les plus difficiles » sont laissees de cote (Contre la doctrine de Mani 1)", on passe a « quelque chose d'inextricable» (av1\VllTOV rrpiiYllu, Contre la doctrine de Mani 2) ; comme exemple de ce passage, Alexandre mentionne Mani dont il va detailler, de maniere polemique, les doctrines (Contre la doctrine de Mani 3). Dans Ie lKeph. 89, l'auteur manicheen reprend la critique anti-manicheenne, afin de mieux la retourner c~ntre Ie contradicteur. Mani demande ainsi au nazoreen de ne prononcer qu'un seul mot dans sa question, ce que celui-ci ne parvient pas a faire - comme Ie lui fait remarquer ManL Cependant, Mani accede a la demande et repond de maniere concise, par un seul mot pour definir son dieu : il affirme que celui-ci est« juge » ([Kp']THC). La controverse se deroule alors desormais sur Ie plan theologique, a propos du caractere bon ou mauvais du principe divin : « Le dieu que tu pries, alors que tu croies en lui, est-il bon ou mauvais ? », demande Ie nazoreen a Mani (p. 221, 29-30). La question fait allusion, de maniere voilee, aux deux principes qui constituent un theme recurrent de l' enseignement de Mani et, plus specifiquement, a l'identite de l'un des deux au dieu du culte ("], p.197, 13). Ces informations sur l'attitude opposee des protagonistes rappellent celle de Mani face au nazoreen de 1Keph. 89 ; Ie meme qualificatif "P.K « tranquillite » pourrait convenir a. Mani repondant au nazoreen qui chercherait a. Ie pieger. Le 1Keph. 103 (p. 257, 8 - 258, 3, « Au sujet des cinq choses merveilleuses que l'Intellect Lumiere revele aux Elus ») rend lui aussi compte de tensions ou de dissensions au sein de la communaute manicheenne. L'auteur liste les cinq signes que Ie NallS Lumiere fait pour les elus. Les deux premiers signes et Ie quatrieme sont des vertus: la sagesse pour Ie premier signe, la foi pour Ie deuxieme et l'amour pour Ie quatrieme. Ces trois signes sont lies a. la predication qui est adressee, semble-t-il, d'une part a. l'exterieur (proclamation pour convertir), et d'autre part a. l'interieur de la communaute (enseignement pour affermir les membres). Les informations sur Ie troisieme signe sont lacunaires ; toutefois, comme ce troisieme signe est mentionne au milieu de signes vertueux, il pourrait etre egalement une vertu. Le cinquieme et demier signe diftere des trois (ou quatre) signes precedents, puisqu'il est « negatif» (p. 257, 24-27) : [n]NAt+oy n€ TtPT€ "NnG)wwT ASAA Nt€n €T€G)AqG)A[ATq tJN N€"" €T€NnOYXI Tt€AntC AS.\.>..
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La peurde l'exclusion legale qui le [coupera] parmi ceux qui n'ont pas re~u l'espoir de Dieu; egalement, les impies qu'il trouvera au sein de l'Eglise, illes coupera par une exclusion legale, en raison de leur folie.
s'il est difficile de savoir a qui se refere Ie pronom « Ie » de « qui Ie [coupera] », il est surtout question des impies, c'est-a.-dire de ceux qui se comportent mal, aussi bien en acte qu' en parole. Comme dans Ie 1Keph. 82, les raisons pour lesquelles « cet impie » est ainsi qualifie ne sont pas precisees, mais Ie destinataire manicheen de ces Kephalaia du maItre devait savoir ce qu'il en etait, sans qu'il soit necessaire de l'expliciter dans ces passages. Ces deux Kephalaia temoignent done de tensions internes qui, meme si elies concernent au depart des actes de toute vie communautaire, impacteraient
A PROPOS DE
QUELQUES KEPHALAIA DE BERLIN
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finalement la vie religieuse de la communaute41 • Le lKeph. 82 parle plus precisement de discussions internes, tandis que Ie lKeph. 103 evoque les consequences d'un comportement impie. Comme nous l'avons ecrit plus haut, pour evoquer les tensions, l' auteur du Keph. 82 recourt a un procede equivalent a celui qui etait utilise dans Ie cadre de la polemique ad extra: la mise en opposition de l' attitude des protagonistes - calme d'un cote, caractere obstine ou attaque de l'autre cote -, avec Ie rejet ducote de 1'« autre» de l'attitude« violente» ; que cet autre soit externe ou interne, il est dote des memes caracteristiques. Dans les deux kephalaia, des indications sont fournies sur l'attitude qu'il faudrait adopter dans Ie cas de desaccord. Dans Ie 1Keph. 82, il est question de la « colere » (BAK€) que l'attitude des manich