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Ginette Aumassip est géologue, docteur ès Lettres, directeur de recherches honoraire au CNRS, spécialiste du Sahara. Outre ses recherches au Sahara, elle a assuré un enseignement de Préhistoire africaine dans diverses universités dont Paris et Alger et dirigé plusieurs formations de recherches sur la Préhistoire du Nord de l’Afrique. À ces titres, elle a publié de nombreux articles et plusieurs ouvrages. Yasmina Chaïd-Saoudi est préhistorienne et paléontologue des Vertébrés, enseignant-chercheur à l’ institut d’Archéologie (Université Alger 2) et membre du Laboratoire de Géodynamique des ensembles sédimentaires et des orogènes (USTHB). Ses recherches portent sur les paléoenvironnements préhistoriques en Algérie où elle mène prospections et fouilles sur des sites du début du Pléistocène et de l’Holocène. Elle est active dans plusieurs associations pour la défense du patrimoine paléontologique, géologique et archéologique. En couverture : Tin Tazarift. Tassili Ajjer Archers. Quoique tous en même aplat brun, utilisant les mêmes canons, la posture plus ou moins raide propose des phases picturales diff érentes. Période Têtes Rondes. Cl. S.A. Kerzabi.
ISBN : 978-2-343-17007-7
39 €
Ginette Aumassip
Plus qu’en d’autres régions, la Préhistoire au Sahara est marquée par d’innombrables questions dont l’énumération, tout en dessinant les insuffisances de la recherche, en souligne aussi les nombreux apports. Les pages qui suivent, construites autour des interrogations de plusieurs générations d’étudiants de diverses universités, tentent de réunir l’essentiel des données disponibles et d’élaborer la construction qu’elles permettent aujourd’hui. On ne pourra donc s’étonner que certaines hypothèses émises depuis des décennies se trouvent confortées et qu’il s’en substitue à celles qui tombent, marquant ainsi une nouvelle étape dans les connaissances. Ce premier volume traite des temps paléolithiques et des populations de chasseurs. Il s’articule en huit chapitres présentant le contexte paléo-environnemental, les hommes, les grandes phases de la Préhistoire telles qu’elles sont perçues à travers les vestiges matériels, et l’émergence de la spiritualité.
Tome 1 Le Paléolithique ou le temps des chasseurs
Tome 1
Préhistoire du Sahara et de ses abords
Préhistoire du Sahara et de ses abords
Ginette Aumassip avec la collaboration de Yasmina Chaïd-Saoudi
Préhistoire du Sahara et de ses abords Tome 1 Le Paléolithique ou le temps des chasseurs
Préhistoire du Sahara et de ses abords
Ginette Aumassip avec la collaboration de Yasmina Chaïd-Saoudi
Préhistoire du Sahara et de ses abords Tome 1 Le Paléolithique ou le temps des chasseurs
Nous adressons des remerciements très appuyés et très amicaux aux divers collègues et autres personnes qui nous ont apporté leur concours dans la préparation de ce manuel de préhistoire, notamment à F. Mori, F. Wendorf, A.E. Close, M. Krzyzaniak. Une pensée particulière va à Irène Lhote, B. et J. Chop-py, A.M. et M. Van Albada et à ceux qui ont facilité sa mise à jour, A. Mikdad et M. Nami qui ont familiarisé l’une de nous avec les remarquables séquences qu’ils ont mises au jour. Nous adressons aussi nos remerciements aux éditions l’Harmattan qui ont bien voulu répondre à la demande estudiantine par cette nouvelle édition.
© L’Harmattan, 2019 5-7, rue de l’Ecole-Polytechnique, 75005 Paris http://www.editions-harmattan.fr ISBN : 978-2-343-17007-7 EAN : 9782343170077
Avertissement La Préhistoire, dans son sens le plus restreint, se propose d’étudier l’homme d’avant l’écriture et par ce biais de retrouver l’origine de l’humanité, son évolution physique et psychique. L’ambition est d’autant plus grande que les moyens sont réduits, la plupart des restes de ces hommes ayant disparu ainsi que la plus grande part des objets qui les accompagnaient, soit l’essentiel de ceux qui n’étaient pas en pierre. L’entreprise, difficile et aléatoire, n’en est pas moins fondamentale, aussi tout doit-il être mis en œuvre pour « faire parler les pierres ». « Histoire exceptionnelle du vécu humain » écrivait E. Anati, la Préhistoire n’a pas deux siècles. Science encore jeune, elle est néanmoins loin du temps où Boucher de Perthes découvrant dans les terrasses de la vallée de la Somme des objets dont les formes lui paraissaient incompatibles avec un fait naturel, émettait l’hypothèse d’un travail humain et, par leur position stratigraphique, leur octroyait une haute antiquité. D’abord simple objet de curiosité, la Préhistoire figure aujourd’hui en bonne place parmi les sciences et parmi celles qui connaissent un intérêt croissant. Dans le Sahara et ses abords, elle a été souvent, et reste encore, le fruit de découvertes fortuites, de l’intérêt que lui portent nombre d’amateurs éclairés, plutôt que l’aboutissement de travaux coordonnés. Le fait est dû à l’histoire même de la discipline qui attira de nombreux érudits et curieux avant que, ces cinquante dernières années, son étude ne se trouve étroitement liée au développement de méthodes sophistiquées, les processus physicochimiques qui se sont déroulés dans les gisements lors de leur constitution puis au cours du temps, étant devenus des marqueurs particulièrement pertinents. Les datations absolues en sont une parfaite illustration en permettant d’établir avec une bonne précision des échelles stables pouvant mettre les événements en situation chronologique. Loin des mouvances antérieures, les corrélations que l’on dresse ainsi renouvellent la connaissance que l’on pouvait avoir des phénomènes globaux. Le cas le plus spectaculaire réside probablement dans les équations période glaciaire = période pluviale ou période glaciaire = période aride, équations qui opposèrent des années durant les spécialistes et dont la seconde s’est montrée, il y a peu, la plus exacte. Cette notion de contemporanéité apportée par les datations doit cependant être pondérée. Même dans les conditions d’observation les plus favorables, ce concept n’est qu’une apparence à application analogique, le seuil de résolution temporel des procédés de datation, même les plus sophistiqués, n’autorisant pas à réfléchir dans la synchronie parfaite ou la courte durée.
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Sahara préhistorique Or même restreint, ce repère chronologique est indispensable pour dépister les caractéristiques des modèles d’implantation territoriale des groupes humains. Plus qu’en d’autres régions, la Préhistoire est ici marquée par d’innombrables questions dont l’énumération tout en dessinant les insuffisances de la recherche, en souligne aussi les nombreux apports. Les pages qui suivent, construites autour des interrogations de plusieurs générations d’étudiants de diverses universités, tentent de réunir l’essentiel des données disponibles et d’élaborer la construction qu’elles permettent aujourd’hui. On ne pourra donc s’étonner que certaines hypothèses émises depuis des décennies se trouvent confortées et qu’il s’en substitue à celles qui tombent, marquant ainsi une nouvelle étape dans les connaissances. On ne pourra s’étonner que le pan méthodologique soit délaissé, moyen d’accès aux connaissances, il appartient à un domaine autre auquel de nombreux écrits sont consacrés. Un premier volume traite des temps paléolithiques et des populations de chasseurs. Il s’articule en huit chapitres présentant le contexte paléoenvironnemental, les hommes, les grandes phases de la Préhistoire (Paléolithique ancien, inférieur, moyen, supérieur à éclat et à lamelles) telles qu’elles sont perçues à travers les vestiges matériels, et l’émergence de la spiritualité. Un second volume1 traite des temps néolithiques, de leur mise en place, de leur évolution. Il se développe en neuf chapitres. Les trois premiers abordent les questions d’environnement, d’hommes et de modes de vie, ce qui conduit à une révision de la notion d’Epipaléolithique. Le Néolithique est présenté avec sa complexité, en trois grandes séquences (Néolithique ancien, Néolithique moyen, Néolithique récent et apparition de la métallurgie), mettant en relief leurs diverses cultures. Deux chapitres sont consacrés aux expressions spirituelles, l’un à l’art, l’autre au monde des morts. Un dernier chapitre évoque les premières grandes concentrations humaines qui ont conduit aux organisations urbaines et le rôle des deux grands fleuves africains, le Nil et le Niger. Chaque volume se clôt sur des annexes comportant les listes-types traditionnelles indispensables à un langage commun, les décomptes des industries lithiques des gisements présentés quand ils sont disponibles et un glossaire.
1.- Paru en 2004, chez Maisonneuve Larose (Paris), des raisons éditoriales avaient conduit à subdiviser ce manuel en deux tomes, ce qui explique l’absence de table des matières et de bibliographie dans le tome I « Au temps des Chasseurs Le Paléolithique » La parution du tome II « Au temps des Paysans Le Néolithique » n’a pas eu lieu en raison des difficultés connues par la maison d’édition, puis des options de ses repreneurs. C’est une version révisée qui est présentée ici.
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introduction En recherchant les faits humains avant qu’ils puissent être saisis par le biais de l’écrit, la Préhistoire plonge ses racines dans les Sciences de la Nature, occupant ainsi une place très particulière au sein des Sciences humaines. La Préhistoire est aussi une Science historique et, à ce titre, ne saurait se dispenser du tuteur qu’est pour elle la chronologie ; c’est elle qui « gère » son dynamisme, c’est par elle que les faits devenant évolutifs, prennent toute leur signification. Les faits humains, ce sont d’abord l’identification des hommes et de leurs objets usuels, ceux-ci permettent de saisir les gestes des hommes, la manière dont ils s’abritaient, se nourrissaient ; on tente ainsi d’atteindre leur mode de vie qui est l’élément le plus accessible, la structure des groupes, leur évolution. Les faits humains, ce sont aussi, au fil du temps et des progrès, les modes d’intégration à un environnement pouvant être hostile, la façon dont cet environnement fut maîtrisé, domestiqué, dominé. Alors apparaît ce qui est peut-être la question essentielle : peut-on saisir le « moteur » de ces transformations ? D’ordre philosophique, la question dépasse le but de ce manuel.
Les filtres de la recherche Les résultats tangibles que les travaux permettent d’obtenir doivent passer par trois filtres : les techniques d’étude employées, les travaux antérieurs qui demeurent les seuls témoins des données fugaces voire même dans de nombreux cas des données matérielles et sont, à ce titre, inestimables, et les vestiges euxmêmes dont on oublie trop souvent qu’ils ne représentent qu’une fraction, non quantifiable, du sac à outils de l’homme préhistorique.
Les vestiges Des produits de l’activité humaine, pierres taillées, os, bois aménagés, cuir, vannerie, restes de nourriture..., seules les pierres taillées sont courantes. Dans l’identification des anciennes sociétés, il est fait appel non seulement à ces objets eux-mêmes, mais aussi à leur disposition, car elle témoigne de la manière dont l’espace était structuré ; mais il ne faudra pas perdre de vue, ainsi que l’a fort justement souligné P. Janet en 1946 dans « Les études philosophiques », que les données traduiront un comportement et non une psychologie. Pour avoir accès à cette documentation, la fouille privilégie les larges décapages qui seuls conduisent à une analyse spatiale et à une reconstitution topographique partielle de chaque niveau d’occupation identifié. Ils permettent de dresser des plans
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Sahara préhistorique montrant la répartition des outils avec, quand cela est possible, les liaisons introduites par les raccords. Les sites de surface, si fréquents en zone saharienne, facilitent cette appréhension car « la fouille est faite » et la surface occupée accessiblr dans sa totalité. Il faut en effet se débarrasser de l’idée ancienne selon laquelle de tels sites ne sont que d’intérêt secondaire, cela n’est plus depuis que les progrès de la Géomorphologie et l’existence de radiodatations rendent possible leur échelonnement chronologique. Mais il faut rester prudent à leur égard car les horizons télescopés, les possibles remaniements sur place -en particulier ceux liés aux tourbillons- peuvent ne livrer qu’une connaissance défigurée et, s’agissant de phénomènes aléatoires, les mesures radiométriques peuvent être affectées de divers coefficients d’erreur. Néanmoins, une grande vigilance et beaucoup d’expérience permettent d’y saisir les détails significatifs, ils apportent alors des indications beaucoup plus nombreuses que les sites enterrés. Il faut donc apprendre à les lire... Cette collecte de l’information va ouvrir sur diverses notions : celles d’espaces de vie, de territoires, d’économie, d’évolution. Suite aux décisions du symposium de Burg Wartenstein tenu en 1965, on pourra parler de « civilisation » lorsque l’on disposera de données permettant l’accès au mode de vie, au développement intellectuel d’une société, éléments qui cernent sa « personnalité ». On parlera de « culture » quand on ne saisira que sa technologie et son mode de vie, « d’ensemble industriel » lorsque seuls les outils1 sont connus.
L’analyse des vestiges L’analyse des matériaux implique l’emploi d’un langage codé car la précision est impérative si l’on veut éviter les confusions. En langue française, on dispose de divers ouvrages tels que ceux de M. Brézillon (1968), G. Camps (1979), A. Leroi-Gourhan (1988) qui sont à même d’éviter les faux problèmes que sont ceux de terminologie. L’analyse s’accompagne de la nécessité d’ordonner les données car, ainsi que l’ont fort justement souligné M.A. El Hajraoui et M. Aberkane (2002 : 46) « classer revient à mettre de l’ordre pour l’esprit » et avec eux, on ne peut que déplorer que « certains chercheurs rejettent cette approche d’étude et se limitent à retracer les différentes phases de la chaîne opératoire ». Cette nécessité a conduit à différents types de classification, fonctionnelle et technologique, morphologique, technique. Typologie et Technologie sont des voies d’accès essentielles. L’une approche davantage la culture, l’autre « l’ingénierie ». L’une qui amène à une quantification des objets et à la structure des ensembles industriels, s’appuie sur la constance de certaines formes qui a conduit à établir des types, « témoins des diverses solutions techniques mises en œuvre pour répondre au besoin général de moyens vulnérants »2. L’autre s’appuie sur les moyens utilisés pour obtenir ces objets, oubliant souvent, pour ces périodes anciennes où l’intervention humaine reste modeste, les contraintes de la pierre. N’offrant qu’un nombre restreint de solutions, elles conduisent à confondre effet technique et effet culturel ; les gestes techniques restant limités, 1 .- Brézillon 1968, p. 19. 2 .- Les chaînes opératoires faisant partie de sa culture.
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Introduction les séquences mises en œuvre dont l’imbrication pourrait définir des cultures, sont peu nombreuses, courtes, pas forcément significatives. D. de SonnevilleBordes soulignant en 1960 « la souveraineté de la typologie sur la technique », montrait comment le Paléolithique supérieur du Sud-Ouest de la France s’individualisait par de tels critères. La création d’outils nouveaux par une culture, leur disparition avec celle-ci, font de certaines formes de véritables fossiles directeurs pour lesquels, ainsi que l’a précisé ce même auteur, une grande variété de techniques a pu être mise en œuvre. La typologie quelles que soient les critiques menées actuellement à son égard est un élément des plus appropriés pour établir des ensembles, faire valoir des changements qu’ils soient d’ordre technologique, chronologique ou culturel. Elle permet d’identifier et donc de nommer, ce qui, par le pouvoir du nom, donne existence au sujet. Cela appelle un langage commun ou à défaut implique une définition précise du vocabulaire utilisé. Moyen d’établir des fréquences, elle permet une approche statistique à laquelle on ne saurait donner valeur absolue mais qui a montré son potentiel significatif. Dans le Sahara et ses abords, elle est particulièrement efficace pour la fin du Paléolithique où elle a permis d’individualiser les cultures et voire même, en l’absence de moyens radiométriques, leur approche chronologique1. Cette fiabilité de la méthode a été mise en évidence à diverses reprises. Avant d’y découvrir des charbons qui permirent de la dater de 14270 ± 600 B.P. (Alg) ce qui se traduisait par 12220 B.C.2 en un temps où la calibration des résultats de laboratoire n’existait pas et où le passage en temps historique se faisait simplement en soustrayant 1950, C. Brahimi rapportait l’industrie de Rassel au 13ème millénaire3 par comparaison des profils typologiques ; de même El Hassi était situé au 6ème millénaire par l’un de nous (GA) avant d’être daté de 7520 ± 110 B.P. (UW310) traduit alors en 5570 B.C.4 Ces données marquaient alors une avancée spectaculaire face au flou qui existait par manque de chronologie. Si les facilités de datation ont aujourd’hui réduit cette incidence, les « listestypes » et les courbes cumulatives que l’on peut établir par ce biais, conservent l’avantage d’une lecture aisée. Mais ce moyen de comparaison, particulièrement significatif quand les cultures possèdent un éventail d’outils assez large et des pièces fortement stéréotypées, perd son intérêt pour les périodes où l’éventail est trop faible comme au Paléolithique inférieur. Il en est de même quand cet éventail est trop vaste et surtout quand les outils sont peu stéréotypés comme au Néolithique. Les identités seront alors appréhendées plus volontiers à l’aide de fossiles directeurs qui devront toujours être constitués par un ensemble d’objets dont on s’assurera qu’il ne s’agit pas de produits de négoce, et ces identités pourront être appuyées par l’enchaînement des gestes les ayant produites, quand il s’avère typique d’une culture. Identités et différences ouvrent alors à l’identification de faciès culturels. 1 .- Si la structure des ensembles industriels paraît significative à cet égard, parfois elle peut être pondérée par les particularités régionales. 2 .- Le calibrage actuel traduit cette date en 16200-14610 av. J.-C.,, modification qui se retrouve sur les éléments de comparaison utilisés. 3 .- Suivant les recommandations du colloque de Maghnia (1989), nous exprimons les millénaires, qui sont des âges et non des mesures, en valeur calendaire. 4 .- rapporté à 6470-6270 av. J.-C., par calibrage.
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Sahara préhistorique Ces représentations graphiques qui parachèvent les données typologiques, contrairement à certaines opinions, ne sont pas des fins en elles-mêmes, mais des moyens aisés de lecture. Elles permettent de rendre la physionomie d’un ensemble industriel à l’aide de diagrammes et d’en faire une comparaison rapide ; mais elles n’ont de valeur que celle accordée à l’échantillon traité. Il est donc particulièrement important d’en connaître le niveau de représentativité. Un moyen simple consiste à tracer la courbe représentant le nombre de types en fonction du nombre de pièces ; quand elle devient à peu près parallèle à l’axe, tous les types courants sont représentés, donnant avec cette première esquisse de l’ensemble industriel, le seuil en-deçà duquel l’échantillon ne peut aucunement être pris en compte. Ces méthodes visaient essentiellement à établir un engrenage archéologique, préalable à toute compréhension de l’Histoire. En livrant avec l’objet subsistant son contexte, les techniques de fouilles actuelles ouvrent en outre vers la connaissance des paléoenvironnements, des modes de vie, des techniques, éléments indispensables à l’appréhension des sociétés. En donnant accès à la fréquence, elles favorisent l’application de méthodes mathématiques, la définition de nouveaux critères. Parallèlement, l’introduction de méthodes informatiques multiplie ces moyens d’étude et permet de les affiner en leur appliquant diverses analyses, dont des analyses multivariées1. Les techniques d’étude font de plus en plus appel au remontage qui peut préciser des liens entre dépôts, orienter vers des sélections dans l’usage des outils, elles développent la tracéologie qui permet d’apprécier l’usage possible de l’outil. Elles cherchent de plus en plus à retrouver les techniques employées. Elles ne doivent pas perdre de vue l’incidence de l’objet en préhistoire et se souvenir de l’importance du nom dans l’élaboration de la pensée humaine. Elles cherchent aussi à dater l’objet de leur étude. Après le radiocarbone qui n’ouvrait qu’un créneau réduit pour le Paléolithique, de nouvelles méthodes d’investigations chronologiques permettent de dater des vestiges dépourvus de carbone organique ou trop anciens pour utiliser ce procédé. La thermoluminescence, abrégée TL, s’est imposée pour la datation de terres cuites et pierres brûlées, voire simplement passées au feu (par exemple en vue de faciliter la taille) ou longuement exposées à un soleil « brûlant ». Elle permet de remonter jusqu’aux environs de 700000 ans avec une marge d’erreur de l’ordre de 5% dans de bonnes conditions. Elle utilise les particularités de certains cristaux qui piègent les particules radioactives et dont les pièges se vident lors d’un chauffage, elle permet donc de dater le moment de ce chauffage en mesurant la radioactivité piégée et l’activité annuelle dans l’environnement de l’objet. Elle s’appuie sur un présupposé, des pièges totalement vides au moment zéro, point de départ du nouvel effet environnemental. De principe proche, la technique de datation par luminescence stimulée optiquement, abrégée OSL, mesure le temps écoulé depuis la dernière exposition à la lumière solaire des échantillons selon le même schéma de vidage-remplissage de pièges à particules. Cette technique est de plus en plus utilisée pour 1 .- Ces nouvelles pratiques posent de plus en plus un problème de stockage. Cf Colloque international L’objet archéologique africain et son devenir. Paris 4-6 novembre 1992, CNRS, Paris.
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Introduction dater non seulement des sédiments fluviatiles et dunaires, mais aussi des dépôts archéologiques ; elle pose de même des problèmes quant à l’évaluation de l’instant zéro, le vidage initial des pièges s’avérant souvent n’avoir été que partiel, moins précise que le radiocarbone, elle ne prend tout son intérêt que pour les temps paléolithiques. Autre technique souvent appliquée à l’émail dentaire la résonance paramagnétique électronique RPE ou résonance de spin électronique RSE (ou ESR) s’appuie sur ce même principe du vidage de pièges sous l’effet de la chaleur puis de l’accumulation des électrons piégés sous l’effet d’un champ magnétique. Ces moyens d’accès aux activités humaines doivent garder en mémoire l’élément fondamental de la recherche, l’homme. Lorsque à travers les produits de fouille, on tente de le faire revivre, il est difficile de se passer de modèle. Tout en sachant combien la comparaison peut être utopique, l’ethnographie va fournir ces modèles. Ils peuvent être affinés par ordinateur car celui-ci permet d’introduire diverses variables théoriques au cours de la simulation. Pour intéressante qu’elle soit, la méthode demande toutefois une grande prudence ; l’emploi d’œufs d’autruche réunis par les Bushmen dans un filet pour quérir l’eau, illustre peut-être l’usage que firent les préhistoriques de tels objets quand on les trouve regroupés, mais ne peut exclure d’autres emplois. Nombre d’autres éléments apportent des indications sur les modes de vie. Les types de gisements, site de plein air1 longuement utilisé, halte brève, abri sous roche ou de chaos rocheux, kjökkenmöding renseignent sur l’habitat et les occupations. Les rapports strontium/calcium et magnésium/calcium dans les os sont des indicateurs d’alimentation, le strontium et le magnésium se trouvant en plus grande quantité dans les plantes et les os des herbivores ; ils soulignent donc la part des végétaux dans la nourriture, de même la teneur en azote 15, en zinc et cuivre, qui sont plus élevées chez les carnivores que chez les herbivores. La teneur en carbone 13 permet de distinguer une alimentation à base de graminées, ses proportions se répercutant dans la chair et le collagène des herbivores et de leurs prédateurs ; elle est moins élevée chez les espèces forestières que chez les animaux de milieux ouverts en raison d’une photosynthèse réduite par manque de lumière et dont l’importance globale appauvrit le milieu en gaz carbonique. Il permet de distinguer les plantes dites « en C3 » de celles dites « en C4 » selon qu’elles fixent trois ou quatre atomes de carbone dans la première étape de la photosynthèse ; ces dernières traduisent une végétation de climat chaud et sec, celles en C3 une végétation de climat frais et humide. Les cut-marks permettent d’associer les ossements à une activité humaine. Les anomalies de la structure de l’émail des dents (bandes de Wilson) et les défauts de minéralisation de l’émail (stries de Retzius) traduisent des stress pouvant informer sur l’histoire de l’individu ou d’une population si les mêmes traits se retrouvent chez les individus appartenant à la même population. La sphère d’action autour d’un site peut être esquissée à l’aide des matériaux qui y furent utilisés. Les matériaux peuvent aussi traduire des contacts, souligner des préférences. Une donnée des plus importantes provient des restes 1 .- On devra être vigilant à propos de sites trouvés dans les terrasses d’oued qui peuvent être des dépôts secondaires, laissés par les écoulements.
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Sahara préhistorique animaux, la relation homme-animal étant l’une des plus riches. Les impératifs écologiques liés à chaque espèce identifiée, l’association d’espèces permettent d’apprécier divers facteurs de l’environnement, la végétation, la température, l’humidité. Un intérêt particulier peut aller aux migrateurs. C’est par leur intermédiaire que dans la vallée du Nil ou à l’Aïn Misteheiya en Algérie, on a pu conclure à une occupation saisonnière. Grâce aux oolithes, aux vertèbres des poissons, à la microstructure du cément dentaire de nombreux mammifères, aux insectes, il est également possible de mettre en évidence une époque d’occupation, de chasse ou pêche préférentielle, de retrouver les secteurs de chasse, d’établir des courbes de mortalité, de saisonnalité et d’abattage. Qu’il ait été obtenu par la chasse ou le charognage, l’animal a été à la fois une source de nourriture et de matière première : les os, en particulier les diaphyses, ont servi à façonner de nombreux objets, les peaux ont permis de confectionner des vêtements, des sacs et probablement des tentes. Moins prosaïquement, l’animal a aussi participé à certains rituels comme le laissent deviner ses inhumations ou les massacres de mouflon ou de bœuf associés à des inhumations d’hommes ibéromaurusiens et qui se retrouveront plus tard dans la vallée du Nil. Cette place de choix des animaux se traduit bien dans l’art, qu’il s’agisse de peintures, gravures ou sculptures. Le monde animal s’oppose ainsi au monde végétal dont les représentations sont exceptionnelles. La connaissance du monde végétal est souvent d’accès délicat. La palynologie souffre de transport à longue distance qui invite à une grande prudence. L’anthracologie peut pâtir de choix au sein des ligneux qui sont susceptibles de fausser la représentation du paysage. Diverses autres disciplines doivent donc aider à préciser les données, à en établir une chronologie.
L’état des connaissances Toute connaissance repose avant tout sur la somme des travaux antérieurs qui, peu à peu, au fil des découvertes, permet d’élever un édifice plus ou moins stable. Les premières découvertes d’instruments préhistoriques montraient simplement une très ancienne présence humaine. Au Sahara, dès 1864, H. Duveyrier pouvait rapporter l’existence d’un site, Tihodaïne, qui devait s’avérer remarquable. En 1872, Ch. L. Féraud faisait connaître un gisement dans la région de Ouargla. C’est aussi vers la fin du siècle dernier qu’étaient faites de multiples découvertes, bifaces à Ouzidane aux environs de Tlemcen, à Tighnif (Ternifine) non loin de Mascara. En 1875, G. Bellucci mentionnait des silex taillés dans la région de Gabès, en 1881, le docteur Collignon découvrait le site de Gafsa, en 1884, A. Pomel celui d’Aboukir, en 1894, L. Gentil celui du Lac Karar... Longtemps les découvertes se succèderont surtout au hasard des travaux de géologues. Elles seront plus tardives à l’ouest, où hormis les découvertes du docteur Bleicher vers 1875, celles de H. Duveyrier vers 1893, elles ne datent que des environs de 1910, voire 1930 ; elles le sont encore plus à l’est où l’engouement pour l’Egyptologie oblitéra très longtemps un passé plus lointain malgré les découvertes faites sur la montagne thébaine par E.T. Hamy et F. Lenormant dès 1869. Du côté de l’art rupestre, dès 1847, le docteur Jacquot accompagné
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Introduction du capitaine Koch avait reconnu Thiout, Moghar et Tatahni dans le Sud-oranais ouvrant la voie à la reconnaissance d’un art préhistorique. Dix ans plus tard, H. Barth faisait connaître Telizzaren au Fezzan qu’il avait reconnu dès 1850. A partir de 1892, les découvertes se multipliaient, de nombreux noms, A. Pomel, A.M. Hassanein Bey, L. Joleaud, M. Dalloni et bien d’autres, y sont associés. G.B.M. Flamand réunissait une somme de données qui allait conduire à la première synthèse d’art rupestre Les pierres écrites ouvrage posthume paru en 1921. Il était suivi de Das Alter der vorgeschichtlichen Felskunst Nordafrikas de H. Obermaïer qui faisait connaître les découvertes de L. Frobenius, puis en 1933, R. Vaufrey livrait L’art rupestre nord-africain, P. Graziosi L’Arte rupestre della Libya en 1942, H. Rhotert Libyschee Felsbider en 1952.
C’était l’année où le Congrès panafricain de Préhistoire réuni à Alger marquait le pas, assurant pour l’Afrique du Nord, une révision générale des sites, rafraîchissant certaines coupes, reprenant des fouilles afin de montrer aux congressistes les éléments majeurs de la préhistoire du Nord de l’Afrique. Peu après, en 1955, paraissaient plusieurs synthèses. L. Balout dans Préhistoire de l’Afrique du Nord, Essai de chronologie ordonnait les informations en une vaste fresque qui reste l’armature des connaissances actuelles. Il faisait valoir une intervention humaine dans la facture des galets aménagés trouvés par C. Arambourg à l’Aïn Hanech. L’Atérien dont la position stratigraphique avait fait l’objet de controverses des années durant, trouvait sa place incontestablement entre le Paléolithique inférieur et l’Epipaléolithique. La notion d’Epipaléolithique était introduite avec deux cultures, l’Ibéromaurusien et le Capsien, qui se seraient partagées le territoire du Nord de l’Afrique. Le Néolithique se serait manifesté au 4ème millénaire et aurait trouvé son origine dans la vallée du Nil. Beaucoup plus analytique, l’ouvrage de R. Vaufrey Préhistoire de l’Afrique livrait le détail des produits de fouilles. Il accordait une place essentielle au Capsien et à ce qu’il voyait comme son prolongement, le Néolithique de tradition capsienne, l’Ibéromaurusien n’étant pour lui qu’une subdivision du Capsien supérieur. Dressant le schéma de la Préhistoire à l’échelle de l’Afrique et non plus de l’Afrique du Nord, l’ouvrage de H. Alimen Préhistoire de l’Afrique replaçant les connaissances dans un vaste cadre, s’intéressait moins au détail. Quelques années plus tard, s’appuyant sur ses fouilles d’Haua Fteah, C.B.M. Mc Burney, dans The stone age of Northern Africa, axait davantage sa synthèse sur la partie orientale du Nord de l’Afrique. Les travaux qui suivirent, apportaient des précisions qui devaient entraîner un remodelage de ces données pour les périodes récentes. Avec le Congrès panafricain tenu à Dakar en 1967, sous l’influence de H. Faure, la Géologie du Quaternaire faisait une entrée en force dans la Préhistoire, sous celle de R. Coque et P. Estorges, la Géomorphologie l’avait précédée de peu ; elles allaient devenir l’appui essentiel de toute recherche et permettre d’établir une méthodologie adaptée à la zone saharienne1. Les nouveaux schémas qui se dessinaient furent présentés en 1974, par G. Camps, dans son ouvrage Les civilisations préhistoriques de l’Afrique du Nord et du Sahara. A la lumière des datations 1 .- Cf Méthodes d’approche de la Préhistoire saharienne. Les gisements, reconnaissance et exploitation.1996, CNRS-Alif, Paris-Tunis.
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Sahara préhistorique absolues, l’Ibéromaurusien trouvait place bien avant le Capsien. Un foyer de néolithisation se dessinait dans le Sahara central. Le Néolithique lui-même éclatait en trois domaines majeurs bien différents. Seule la part faite au Paléolithique restait modeste, aucun nouvel élément fondamental n’étant intervenu. Quelques années plus tard, avec la publication de l’ensemble du matériel paléolithique inférieur trouvé dans la vallée de la Saoura au cours d’une dizaine d’années d’études des formations quaternaires, H. Alimen enrichissait ce volet. Parallèlement aux recherches menées en zones saharienne et tellienne, la construction du barrage d’Assouan en Egypte, conduisait à de nombreux travaux d’où émergeait la connaissance du pays avant qu’il ne fasse son entrée dans l’Histoire. En Libye, les actions pratiquées par les équipes italo-libyennes esquissaient un pont entre les deux domaines et devaient fortement participer à la modification fondamentale des connaissances sur le Néolithique. Depuis, et surtout récemment, les travaux s’y sont multipliés. Au sud du Sahara et dans le Sahara méridional, les travaux sont récents et restent encore très ponctuels ; tous conduisent à l’idée d’une migration de populations vers la périphérie du Sahara avec l’accroissement de l’aridité au cours du 3ème millénaire. Certains secteurs privilégiés ont permis de suivre la succession et l’évolution des ensembles industriels sur un territoire restreint. C’est le cas dans la vallée de la Saoura avec une séquence très étoffée allant du Paléolithique ancien au Paléolithique supérieur, dans les Tadrart Akakus où un ensemble d’occupations couvrent en totalité l’Holocène, Tassili n Ajjer, où, dans le secteur de Tin Hanakaten, la série est continue depuis l’Acheuléen ancien jusqu’à l’époque subactuelle, dans l’arrière pays d’Hammamet en Tunisie avec une succession d’occupations allant du Paléolithique ancien évolué au Néolithique, c’est aussi le cas à Casablanca où la séquence acheuléenne est particulièrement bien représentée et plus récemment dans le Rif avec des séquences continues couvrant le Paléolithique moyen et supérieur. Les « vides » dont l’état des connaissances dans les années cinquante avait nanti la Préhistoire du Sahara et de ses abords, en particulier au Nord, et qui avaient pris valeur de hiatus, se sont peu à peu effacés montrant qu’il s’agissait d’une insuffisance des connaissances, du délaissement de données encore mal cernées, et non de vide humain. Dans cette partie de l’Afrique, la série « villafranchienne » voit les premières manifestations humaines ; celles trouvées à l’Aïn Hanech sont indiscutables à cet égard. Dans la vallée de la Saoura, au Maroc atlantique, on peut suivre une évolution de l’Acheuléen. En divers points, un passage au Moustérien transparaît, mais les rapports entre celui-ci et l’Atérien s’avèrent de plus en plus des rapports complexes et non une progression linéaire. Ainsi une lignée humaine évolutive qui conduira à Homo sapiens sapiens est saisie dans l’ouest du Maghreb. La néolithisation n’apparaît plus comme un fait récent, issu d’une colonisation de la zone saharienne, mais un processus ancien qui remonte au moins au 9ème millénaire dans le Sahara central et dont les racines sont seulement soupçonnées plus au sud.
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Chapitre I Le Sahara et ses abords au quaternaire Limité au nord par les effets du front polaire, au sud par ceux de la mousson soudanaise, le Sahara est une zone aride à hyperaride qui se place sommairement entre 32° et 18° N. en latitude et 18° W. - 35° E. en longitude (fig. 1). Il ne connaît que de rares pluies, irrégulières, dont beaucoup se vaporisent au cours de leur chute en raison d’une saturation insuffisante des basses couches de l’atmosphère. Au nord, il est bordé par une zone qui passe rapidement à un gradian méditerranéen favorisé par la présence de la mer. Au sud, il passe insensiblement à une zone sahélienne. Des ponts nuageux majeurs, centrés selon les saisons sur la Mauritanie, le Massif central saharien, la côte de la Mer Rouge, peut-être le Tibesti, assurent un lien entre les zones tropicales du sud et tempérées du nord. Ils confèrent à certaines régions une humidité un peu plus importante, ainsi en est-il actuellement de sa partie ouest bien moins aride que sa partie orientale.
Les temps quaternaires Epoque de refroidissements rapides du climat, le Quaternaire est marqué par une succession de périodes glaciaires et interglaciaires. Sa base, définie dans la stratigraphie marine, a d’abord été saisie dans les formations méditerranéennes où se voyait alors un changement faunique qui a conduit à en fixer formellement le début à 1,8 Ma par le Congrès de Londres de 1948. En domaine saharien, les formations continentales ne montrant aucune discontinuité, aucun changement dans un laps de temps intégrant ce moment, on voyait plutôt ses débuts à 3,5-3 Ma ou à la limite inférieure de ce qui avait été nommé Moulouyen1 au Maroc. Suite à l’identification de nouvelles phases glaciaires à la base du Quaternaire, la commission internationale de stratigraphie (ICS) a recommandé sa révision ; en 2009, l’Union Internationale des Sciences Géologiques (IUGS) a décidé de reporter la base du Quaternaire à la base du Gélasien2 soit à 2,6 Ma, moment où les nouvelles données situent la péjoration climatique, ce qui tend à rejoindre les données sahariennes et par ailleurs correspond à l’apparition de Homo. Le débat sur la réalité d’un « homme tertiaire » qui alimenta de longues polémiques, est ainsi, involontairement, fermé ! Dans les années 90, une nouvelle tendance était apparue, qui plaçait la limite du Quaternaire à 1,67 Ma, sommet de l’inversion magnétique d’Oldoway, 1 .- Le stratotype qui a servi à cette identification, a été remis en cause. 2 .- Le stratotype a été défini par la coupe stratigraphique de Monte San Nicola près de Gela en Sicile. Précédant le Calabrien, 10,8 Ma-780000, le Gelasien (PSM : point stratotypique mondial) correspond au stade isotopique marin (MIS ou OIS) 103..
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Sahara préhistorique ce qui est un repère synchrone sur l’ensemble de la planète. Jusqu’à cette date, les variations de ∂18O sont de faible amplitude et de longue période alors qu’à partir de 1,67 Ma, elles restent de faible amplitude mais sont de courte période. Elle a été écartée au profit de la limite actuelle d’ordre stratigraphique et donc plus traditionnelle. Antérieurement, la notion « d’ère quaternaire » était révolue. Pour assurer la rupture avec ce qui précède, elle suppose un macro-phénomène d’ordre géologique ayant touché l’ensemble de la planète, ce qui n’est pas ; cependant les formations attribuées au Quaternaire possèdent des particularités telles qu’il a semblé souhaitable de conserver le terme. Ainsi entendu, le Quaternaire est devenu un « système » de l’ère tertiaire. Le Quaternaire est subdivisé en deux étages1, Pléistocène et Holocène, dont la séparation est placée à 11800 B.P., fin de la dernière période glaciaire. Le Pléistocène lui-même se subdivise en Pléistocène inférieur qui comporte ainsi deux phases -ancienne (2,6-1,8 Ma), récente (1,8-0,7 Ma)2-, Pléistocène moyen également subdivisé en deux phases -ancienne (0,7-0,42 Ma), récente (0,420,14 Ma)- et Pléistocène supérieur (140000-11800). En 2015, la Commission internationale de Stratigraphie précise certaines dates amenant ainsi le début du Pléistocène inférieur à 2,58 Ma, celui du Pléistocène moyen à 781000 et celui du Pléistocène supérieur à 126000. L’Holocène débuterait à 11800-117003. Au cours du Quaternaire, la forme des continents a peu changé. Il en résulte une grande continuité dans les dépôts. Peu d’éléments permettent de préciser les étages récents, en saisir les nuances, et les particularités locales peuvent conduire à des désaccords momentanés entre spécialistes. A cette stabilité géologique s’opposent d’importants changements climatiques, les glaciations, qui ont entraîné de multiples modifications écologiques et l’émergence de nouvelles notions, celle de cycle climatique en zone froide, tempérée et méditerranéenne4, de cycle climato-sédimentaire en zone aride et subaride. L’étude des terrains, matrices des vestiges laissés par les hommes, ne peut être menée selon les modalités traditionnelles de la géologie ; aux latitudes qui nous intéressent, la géomorphologie va prendre le pas. Tout au long du Quaternaire, le développement ou la réduction de la calotte glaciaire a engendré des variations du régime des pluies, modifiant sans cesse les limites du Sahara et son degré d’aridité. Ces fluctuations résultent des déplacements en latitude du Front InterTropical (FTI) dont la position5 est la résultante de celle des Fronts Polaires (FP) nord et sud, qui s’éloignent plus ou moins des pôles. Les zones arides sont en effet sous la dépendance de la position des cellules de hautes pressions, en particulier de l’anticyclone des Açores, qui se trouve tantôt au nord, tantôt au sud des tropiques selon le bilan thermique 1 .- L’étage géologique est une unité paléogéographique définie en milieu marin ; il comporte trois phases : une phase inférieure, transgressive, à température basse, riche en 18O, une phase moyenne qui correspond au maximum de la transgression, une phase supérieure, régressive, à température chaude, pauvre en 18O. 2 .- La phase ancienne correspond au Gélasien, la phase récente au Calabrien. 3 . Voir t. II p. 11 et svtes. 4 .- Un cycle climatique est défini comme l’intervalle de temps qui sépare deux optimums climatiques, il comprend quatre phases : interglaciaire, anaglaciaire, péniglaciaire, cataglaciaire. 5 .- Hors son déplacement annuel qui l’amène à ses positions les plus basses en janvier, les plus hautes en été.
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Les temps quaternaires général de la planète. Théoriquement, ces hautes pressions migrent vers l’équateur lors de périodes glaciaires, favorisant ainsi les pluies cycloniques, pluies d’ouest qui amènent une plus grande humidité sur l’Afrique du Nord ; elles migrent vers la zone méditerranéenne lors de périodes chaudes, favorisant les pluies intertropicales1. Ces déplacements sont essentiellement contrôlés par le développement de l’inlandsis arctique en raison de ses variations notables, les limites de l’inlandsis antarctique ne connaissant quant à elles que peu de changements par suite du faible développement des terres. L’abaissement de température qui accompagne le développement glaciaire étant de ce fait plus marqué dans l’hémisphère nord que sud, il s’en suit une migration et un écrasement des zones thermiques vers l’équateur.
Les glaciations, des périodes de grande aridité ? Les correspondances glaciation-aride ou glaciation-pluvial ont longtemps fait l’objet de controverses. Actuellement, les comparaisons que l’on peut mener grâce aux datations absolues montrent qu’en phase glaciaire, l’aridité règne sur les basses latitudes, en phase interglaciaire, une période pluviale ou humide s’y installe avec, toutefois, des retards qui seront plus ou moins importants selon les lieux. La plus grande quantité de poussières désertiques qui se trouve dans la sédimentation marine lors des maxima glaciaires, souligne une plus grande action des vents, ce qui accroît la nébulosité et, en réduisant l’insolation, abaisse la température. Parallèlement, la réduction, voire la disparition, du couvert végétal modifie l’albédo qui augmente, entraînant une stabilisation de l’atmosphère défavorable à la formation de pluies. Ces mêmes données permettent d’associer un début de glaciation, l’anaglaciaire, à un début de phase marine régressive, la fin de la glaciation, le cataglaciaire, correspondant à la fin de la régression, sans qu’il y ait parfaites concordances. Les glaciations seraient dues à un refroidissement lié aux oscillations de l’orbite terrestre qui modifient la quantité de chaleur reçue par la terre2. Le système climatique actuel semble s’être mis en place entre 3,2 et 2,7 Ma, avec l’installation de la calotte glaciaire et s’être développé lentement, l’avancée glaciaire qui a entraîné une baisse du niveau marin de 100 m, n’est marquée que vers 2,7-2,4 Ma. L’englacement de l’hémisphère nord paraît lié à la conjugaison de deux faits. D’une part, la fermeture de l’isthme de Panama, il y a 4,6 Ma qui, entraînant un bouleversement des courants océaniques, a créé le gulf stream, ce qui s’est traduit entre autres par une augmentation de l’humidité de l’air dans 1 .- Ceci est vrai globalement à une échelle géologique, mais les fluctuations connues à l’époque historique montrent, à l’échelle humaine, des détails quelque peu différents. Lors du «petit âge glaciaire », refroidissement des XVIème, XVIIème et XVIIIème siècles, les régions sud-sahariennes, de même probablement la côte méditerranéenne, ont été plus humides qu’actuellement. Là où la pluviosité atteint aujourd’hui 200 à 300 mm, a été décrite une végétation tropicale comme au Sénégal, un paysage verdoyant comme au Nord du Darfur. Des régions aujourd’hui inhospitalières étaient alors peuplées. 2 .- La théorie de Milankovich émise en 1941 après 20 ans de calculs, montre que ces variations sont liées à trois facteurs fondamentaux : l’excentricité de l’orbite terrestre, ellipse dont le soleil occupe l’un des foyers,qui se déforme sous l’influence des grosses planètes, selon une périodicité de 98000 ans ; l’obliquité de l’axe de rotation de la terre sur le plan de l’écliptique qui varie avec un rythme de 41000 ans ; la précession, mouvement de l’axe de rotation qui décrit un cône autour de la perpendiculaire au plan de l’équateur en 23000 ans.
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Fig. 1 – Le Sahara et ses abords (d'après Dubief 1959).
Sahara préhistorique
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Les temps quaternaires l’Arctique. D’autre part, l’orogenèse alpine qui, avec la surélévation du plateau tibétain (2 km en 10 millions d’années) et de la chaîne alpine au SW de l’Europe (1 km en 20 millions d’années), a dévié les courants aériens ; par effet altitudinal, elle a été suivie d’un lent processus de refroidissement global dont on trouve déjà les prémices à la fin de l’Eocène. La conjugaison des deux faits serait responsable de l’englacement. Dès lors le climat oscille. On admet que les calottes glaciaires s’entretiennent par la masse d’air froid qu’elles créent. Le refroidissement s’établit lentement avec des moments de réchauffement relatif. Passé un certain seuil, le développement des inlandsis s’accélère car il est favorisé par l’alimentation neigeuse. Quand la langue glaciaire déborde du continent et du plateau continental, elle s’amenuise, se fragmente et aborde la décrue glaciaire. L’eau douce qui se déverse dans l’océan, plus légère que l’eau océanique, entraîne une modification des courants marins et un ralentissement de l’effet du gulf stream qui s’enfonce ; dans l’hémisphère nord, il en résulte un refroidissement de l’atmosphère jusqu’au moment où le froid devient suffisant pour engendrer une nouvelle glaciation. L’abaissement de température lié au phénomène glaciaire n’est pas le même selon que l’on se trouve à la périphérie de l’inlandsis où il peut atteindre 10° à 15°, ou en zone intertropicale où il n’atteint guère que 2°, ou peut même ne pas se manifester. Entre les deux, l’abaissement se fait plus ou moins régulièrement. L’effet de la glaciation sur la température sera donc essentiellement variable d’un lieu à l’autre mais aussi d’une glaciation à l’autre. Le facteur climatique devient ainsi essentiel dans l’étude de la Préhistoire, il doit prendre en considération deux éléments, la température d’une part, les précipitations d’autre part, responsables l’une et l’autre des changements de milieu. La vie humaine en zone saharienne et périsaharienne a été scandée par leurs variations majeures. Les successions de phases glaciaires et interglaciaires, leur développement en phases interpluviales et pluviales aux basses latitudes, arides et humides en zone désertique, ont été précisées par des études de carottes océaniques1. L’oxygène reflétant les changements de température, des mesures de ∂18O faites dans les carbonates des tests de foraminifères, ont créé la notion de « stade isotopique de l’oxygène » (OIS) ou « stade isotopique marin » (MIS)2. Depuis 1 million d’années, 23 stades alternativement chauds (les stades impairs) et froids (les stades pairs) ont été identifiés (fig. 2). Ils ne se sont pas traduits de la même manière dans le temps, ni dans l’espace en raison de la variabilité régionale de l’inlandsis qui a pu les amplifier ou les réduire. Cette chronologie connaît actuellement une certaine vogue en archéologie. Ces mesures ont montré un nombre de phases glaciaires bien plus grand que celui qui avait été identifié sur les continents. Elles se succèdent selon un rythme de 90000 à 100000 ans qui est celui des variations de l’excentricité de l’orbite 1.- Leur étude a également conduit à l’identification de «l’évènement de Heinrich», dépôt de sédiments contenus dans les glaces (nommé Ice Rafted Debris, IRD) et la notion de cycle (de Dansgaad-Oeschger au Pléistocène, de Bond à l’Holocène). 2 .- Les datations de ces stades ont donné lieu à différentes tentatives, les difficultés rencontrées engendrant des discordances, il s’en suit quelques variantes de l’une à l’autre, ainsi MIS 1 a été situé entre 0 et 11000 en 1994, entre 0 et 14000 en 2005.
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Sahara préhistorique terrestre autour du soleil. On admet que seuls les stades 2, 6, 12 et 18 ont eu une amplitude suffisante pour permettre leur identification dans les formations continentales. Ils pourraient correspondre aux glaciations de Würm, Riss, Mindel et Günz ; les autres stades, d’amplitude moindre, seraient perçus comme des oscillations secondaires. Ces mesures font également ressortir deux pics essentiels, vers 0,8 et 0,45 Ma, qui traduisent d’importants changements. Au stade isotopique 22 (entre 0,9 et 0,7 Ma), on passe de cycles fréquents (40000 ans) et de faible amplitude à des cycles plus longs, oscillant autour de 100000 ans, et qui sont de forte amplitude. Au stade 12, à partir de 450000 ans, lors des maxima glaciaires, le front polaire a migré au sud de 50° N. Dans le domaine terrestre, les périodes glaciaires sont les moments les mieux appréhendés, en particulier la dernière. Dénommée Würm en Europe occidentale, elle a été subdivisée en deux phases, Würm ancien et récent, comportant chacune deux stades : I et II pour le Würm ancien, III et IV pour le Würm récent. Généralement, les auteurs placent le début de la glaciation à 115000, début du stade 5d, les premiers grands froids n’intervenant qu’à partir de 75000 avec Würm II. Ils s’atténuent entre 50000 et 30000 durant Würm III, lequel aurait connu une diminution de l’humidité vers 45000, une augmentation vers 33000 accompagnée vers 30000 d’une diminution des températures1. Würm IV est la phase la mieux connue, elle débute entre 30000 et 20000, variant selon les régions, prend fin avec l’oscillation d’Alleröd qui se développe entre 11800 et 10800 B.P. A 18000 B.P., le maximum de froid serait atteint avec une baisse de 4° à 6°. Au Sahara méridional, la mousson est alors inexistante ; les marges nord, jusqu’à la mer, montreraient une aridité importante plus tardive, vers 15000 B.P. A partir de 13000 B.P., la fin de la glaciation est marquée par une succession de crises dues à des réajustements entre la terre, les océans et l’atmosphère. L’amélioration climatique intervient dès 12000 B.P. dans les régions méridionales, vers 10000 B.P., le froid s’est estompé partout. La période postérieure à la dernière phase glaciaire est l’Holocène. C’est une période de réchauffement que l’on commence à connaître en détail, où, aux alentours de 9000 B.P., apparaît un fait nouveau, l’action sensible de l’homme sur l’environnement nommée néolithisation. Dans le domaine marin, on reconnaît six principaux hauts niveaux des mers qui se placent autour de 700000, 550000-500000, 400000, 300000-250000, 125000 et 80000. Ils correspondent aux moments de réchauffement les plus importants ; plusieurs d’entre eux se situant au sein même de glaciations telles qu’elles ont été traditionnellement définies, ouvrent un nouveau créneau de recherches. En Tunisie, H. Bannour et H. Bouallagui ont identifié plusieurs épisodes de stagnation à 95000, 85000, 70000, 60000 et 45000.
Les paysages pléistocènes Les formes des paysages sahariens actuels se dessinent au début du Pléistocène, leurs grandes lignes se mettant en place avec les derniers soubresauts 1 .- Les données concernant cette période ne sont pas concordantes, peut-être en raison de moussons réduites liées à une atténuation de l’amplitude des variations de l’insolation terrestre.
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Les temps quaternaires
Fig. 2 – Corrélations paléomagnétisme, courbe isotopique (carotte V 28-239) de Shakleton et Opdyke, subdivisions quaternaires et civilisations préhistoriques (adapté de La Préhistoire française. CNRS, 1976).
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Sahara préhistorique de l’orogenèse alpine et le développement de bassins endoréiques. Depuis, sauf quelques accidents locaux, les formes ont seulement été ciselées par l’eau et le vent, avec un possible façonnement glaciaire de névé en haute montagne1, mais les variations climatiques ont modifié la végétation et par voie de conséquence la faune. Les deux grands fleuves qui pénètrent la zone saharienne, le Nil à l’est, le Niger au sud, n’ont pris leur aspect actuel que tardivement, après la capture de l’Atbara au Pléistocène moyen pour le Nil (fig. 4) dont le lit n’a cessé de divaguer jusqu’à son enfoncement récent et probablement à l’Holocène pour le Niger qui n’a réalisé sa boucle que tardivement. Des glacis, terrasses et des formations lacustres ou palustres permettent de suivre les fluctuations du débit des eaux. De manière générale, l’aride engendrerait des encroûtements et des
La forme des continents a peu changé au cours du Quaternaire. Sa durée est trop brève, au regard des temps géologiques, pour permettre l’émergence de nouvelles formations marines qui l’auraient modifiée. Essentiellement continentale, la sédimentation est grossière ; les vases de la sédimentation marine sont remplacées par des sables, cailloutis, éboulis, des dalles calcaires, des croûtes et encroûtements. Ils s’agencent en niveaux qui marquent chacun un cycle climatique. La notion d’étage géologique perd de sa valeur, celle de cycle climatosédimentaire, particulièrement significatif en zone aride, se développe. Puissant marqueur climatique, une glaciation n’est pas une période de froid régulier, c’est une suite ininterrompue de périodes froides, dites stades, et de périodes de réchauffement, dites interstades, de durées plus ou moins longues qui ne sont pas forcément perceptibles à toutes les latitudes. Les changements sont progressifs, ce qui permet une adaptation ou une migration. Mais les stades ou les interstades sont aussi entrecoupés de « crises », changements brefs, coup de froid ou sécheresse de quelques centaines d’années, dont la mise en place rapide entraîne de véritables catastrophes écologiques. Ce sont les crises climatiques qui bouleversent les écosystèmes car, même si elles sont de courte durée, elles détruisent les habitats sans donner aux diverses espèces le temps de s’adapter ou de migrer ; ainsi, il n’a fallu que 13 ans pour mettre en déséquilibre la civilisation des Navajos dont la fin correspond à une crise climatique. En créant des isolats, ces crises favorisent des phénomènes de dérive génique accentuant les particularismes. La question posée est donc celle des relations homme-environnement ; elle est de savoir si l’homme peut être totalement indépendant de son milieu naturel. 1 .- P. Rognon interprète ainsi le paysage de l’Atakor alors que A. Gallay le rapporte à des cycles climato-sédimentaires, ce que P. Rognon interprète comme des coulées de solifluxion et gélifraction serait pour lui des éboulis thermoclastiques liés à des orages en phase aride.
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Les temps quaternaires croûtes, les versants se couvriraient d’éboulis thermoclastiques, éboulis qui se distribuent par volume croissant, la gravité les entraînant d’autant plus loin, qu’ils sont plus volumineux. Le froid entraînant une réduction de la végétation, l’érosion est plus importante. L’alluvionnement des vallées est plus intense, mais régresse vers l’amont qui s’engorge car la charge des eaux est plus grande alors que leur compétence est plus réduite. Les bassins de réception, privés d’eau, sont surcreusés par l’action du vent qui arrache les particules meubles. A l’inverse, en périodes humides ou semi-arides, le drainage transporte les éléments d’autant plus loin qu’ils sont plus petits, générant des cônes d’épandage. L’augmentation de la pluviosité entraîne la formation des glacis et le creusement des lits d’oueds, celle des terrasses en raison de l’abaissement du niveau de base. La phase pluviale elle-même provoque des pédogenèses, la formation des sols bruns, l’équilibre des vallées. Certaines périodes ont été favorables à une migration de minéraux aboutissant à une cimentation des dépôts au début de l’aride, avec la formation de croûtes calcaires dans le nord du Sahara et au sud, d’une croûte, voire d’un cuirassement, ferrugineux qui peut atteindre le Sahara central. Depuis les débuts du Quaternaire, les phases pluviales n’ont cessé de diminuer tant en durée qu’en intensité tandis que les phases sèches qui les séparent augmentaient. Chaque série de glacis et terrasses, qui constitue un niveau géomorphologique, présente ainsi des caractères particuliers liés aux conditions de sa formation ; ils ont permis d’individualiser cinq phases majeures1. Un nombre variable de phases mineures peut se matérialiser dans certaines régions, notamment les piedmonts. Parallèlement, les variations de la pluviosité auxquels s’adjoignent divers mouvements telluriques ont entraîné des variations du niveau des mers, ainsi des relations entre les continents africain et eurasiatique ont pu s’établir, favorisant des déplacements de la faune.
L’aube du Quaternaire Terme ultime du Pliocène, début du Pléistocène, le Villafranchien2, en particulier le Villafranchien inférieur (= Gélasien) est associé à la transgression dite moghrébienne au Maroc3. Du Cap Barbas jusqu’aux environs de Nouadhibou, un vaste plateau de grès et calcaires gréseux dont la puissance peut atteindre une cinquantaine de mètres, traduit cette avancée de l’océan de 50 à 100 km par rapport au rivage actuel et quasi-parallèle. En Méditerranée, la mer s’avançait largement dans les terres. En Algérie, elle baignait les pieds de l’Atlas, des argiles comme celles que l’on voit près de Tipaza, dans les berges de l’oued Nador, se déposaient non loin des rives actuelles. Elles y sont datées entre 2 et 1,78 Ma en raison de leur magnétisme positif (épisode d’Oldoway) au sein de la période 1 .- Selon les auteurs, ces niveaux sont notés de l’incision actuelle (=0) vers la formation la plus ancienne ou inversement de la formation la plus ancienne (=1) vers la plus récente. Il y a là un imbroglio qu’il ne nous appartient pas de démêler d’autant que la conversion appelle des précisions qui ne sont pas toujours disponibles. 2 .- Terme devenu caduc en domaine marin où le terme Gélasien lui est substitué, qui tend à disparaître en domaine continental. Défini par Pareto en 1895, il représentait la limite Pliocène-Pléistocène. Le Villafranchien inférieur correspondait à un sous-étage de l’Astien et était daté entre 3.4 et 1.8 Ma avec des fluctuations selon les auteurs. 3 .- Pour G. Choubert, elle correspondrait au Calabrien de la nomenclature générale.
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Sahara préhistorique négative de Matuyama. Cette position de la mer est confirmée par l’existence d’une dalle marine perchée à 325 m à Bouzaréah, sur les hauteurs d’Alger, qui montre bien qu’alors la ride du Sahel n’existait pas. Au Sahara, s’est constituée une croûte calcaire puissante, dite croûte à dragées, qui forme la « petite hamada » au nord, et au sud, un cuirassement généralisé de la surface qui sera déformé et morcelé par l’instabilité tectonique de cette période. Au Sahara central, un relèvement de l’Ahaggar d’âge pliocène s’est accompagné d’un volcanisme engendrant trachytes et phonolithes. Ces laves acides ont construit des aiguilles comme l’Ilamane, de petits dômes ou parfois des cratères profonds occupés par des brèches entourant un piton comme l’Adriane qui a été daté de 5,7 ± 0,6 Ma. Le réseau hydrographique rayonnant qui s’est installé préfigure le réseau actuel, il a été fossilisé par des coulées basaltiques datées de 2 à 1,5 Ma.
Fig. 3 - Cycles climatiques : les diverses phases identifiées dans le Sahara et ses abords et leurs corrélations possibles avec les stades glaciaires et les cycles marins. Au Maroc, de récentes datations IRSL sur feldspaths potassiques placent l'Ouljien en MIS 5 (70-130 ka), l'Agadirien en MIS 7 (190-244 ka) et 9 (300-334 ka), le Maarifien se placerait en MIS11 (374-424 ka) ce qui en ferait un interstade de la glaciation de Mindel.
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Les temps quaternaires En Afrique nord-équatoriale, le climat chaud et humide du Mio-Pliocène, connaît d’abord un contraste saisonnier avec des pluies d’été dans les régions méridionales ; à Brézina, M. Couvert a pu proposer des étés plus chauds (+ 6°) et des hivers plus rigoureux (- 3°4). L’Egypte paraît recevoir des pluies réparties sur toute l’année. A partir de 3,2 Ma, le climat se dégrade pour conduire vers 2,4 Ma à un paysage de savane où les associations à Artemisia, Ephedra remplacent les associations forestières ; on retrouve les données de l’Afrique orientale où il est fait état d’un climat évoluant vers l’aride à Oldoway, dans les beds II à IV. Vers 2,2 Ma, le paysage de savane s’appauvrit et passe à ce que l’on nomme steppe dans le nord de l’Afrique. Cette période se traduit au Maghreb dans les sites majeurs d’Aïn Boucherit, Relizane en Algérie, lac Ichkeul en Tunisie, Le Fouaret, Oued Akrech, Daourat au Maroc. Les empreintes de feuilles du lac Ichkeul montrent une flore déjà constituée pour moitié d’espèces actuelles dont divers chênes, l’olivier, le laurier. Elle conserve le quart d’espèces tropicales, l’autre quart étant fait d’espèces boréales, hêtres et ormes. Les chênes, caroubiers, oliviers n’y traduisent pas un climat fondamentalement différent de l’actuel, peut-être a-t-il pu être plus continental. Dès lors, la végétation connue par le biais des analyses palynologiques et anthracologiques, oscillera entre des phases steppiques et désertiques en zone saharienne, entre des phases forestières et steppiques dans les zones périphériques. Dans les montagnes du Sahara central, un couvert végétal dense, de type de plus en plus méditerranéen, a permis l’élaboration de plusieurs générations de sols. Leur formation implique une humidité importante, des pluies lentes et prolongées, probablement un enneigement périodique. Les phases sèches qui les séparent, correspondraient à un régime d’orages d’été avec augmentation de la température, comparable à ce qui est connu à l’heure actuelle. La première phase du Pléistocène inférieur est bien documentée en faune où prédominent les antilopes de taille moyenne à petite. Dans le site de Aïn Boucherit, la présence de Oreonagor tournoueri et de Kolpochoerus phacochoroides tendent à le vieillir tandis que l’apparition, à ce stade, du genre Equus et notamment de Equus numidicus, le rajeunit. Proche de l’Equus des membres G et H de Shungura, cette espèce indique pour le site algérien, un âge inférieur à 2,33 Ma. Absente du site marocain de Ahl Al Oughlam daté de 2,4 Ma, son apparition marquerait la limite Pliocène-Pléistocène.
La phase récente du Pléistocène inférieur Développée de 1,8-1,6 Ma à 0,8-0,7 Ma, la phase récente du Pléistocène inférieur est dite Messaoudien au Maroc. Selon les auteurs, elle est associée au Calabrien ou au Sicilien I. En terme continental, tout ou partie de cette période complexe a reçu le nom de Moulouyen et Salétien au Maroc1, Mazzérien dans la vallée de la Saoura, Kaguerien en Afrique orientale. J.P. Texier et al qui, reje1 .- Les limites du Moulouyen, fraction du « Villafranchien » marocain, varient notablement avec les auteurs. Les étages Moulouyen, Salétien ainsi que Soltanien ont été remis en cause, J.P. Texier et al y voyant simplement des phénomènes d’altération.
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Sahara préhistorique tant la notion de stratotype, introduisent celle de bio-rhexistasie1, regroupent les étages moulouyen et salétien sous le nom de Moulouyen. Le Calabrien, daté entre 1,8 et 0,78 Ma, prend fin avec la dernière inversion du champ magnétique terrestre, l’inversion Matuyama-Brunhes. La transgression se terminerait vers 1,1 Ma elle est encadrée par deux régressions qui renferment une faune froide pouvant se rapporter l’une à la glaciation de Donaü, l’autre à celle de Günz ou de Mindel ; dans le premier cas, la glaciation de Gunz serait liée à un épisode régressif de la mer calabrienne. C’est la position qui semble prendre le pas, le Calabrien tendant à être subdivisé en deux épisodes majeurs, Sauternien et Emilien. Sur la face océanique, au nord du Cap Barbas, la transgression dite Messaoudien n’est peut être qu’un épisode de la mer moghrébienne. Le Messaoudien, bien connu à Casablanca, est caractérisé par la présence d’une faune chaude à Trochatella trochiformis, Acanthina crassilabrum, Purpura plessisi. La phase transgressive suivante, le Maarifien, correspondrait au Sicilien ; plus au sud, le long du rivage mauritanien, elle a été nommée Tafaritien. A Casablanca dans le quartier de Maarif auquel il doit son nom, la ligne de rivage du Maarifien est marquée par une falaise morte et des dépôts à 60 m. Dans la région d’Agadir, trois paléorivages datés par IRSL sur feldspaths-K, permettent de rapporter le Maarifien à MIS 11 (424000 à 374000) et l’épisode suivant, l’Agadirien, à MIS 7 (243000 à 191000). La faune maarifienne, plus froide que celle du Messaoudien, donne à penser que celui-ci est une phase de rémission en période glaciaire. Pour J.P. Texier et al qui introduisent la notion de cycle2, le Maarifien serait le terme final du Messaoudien -Messaoudien supérieur-, pulsation à faune froide, la phase moyenne étant le Messaoudien s.s. à faune chaude. Un aride très accentué avec fort refroidissement est sensible dans l’Ahaggar vers 1,5 Ma3. C’est probablement à cette époque que se mettent en place les éboulis thermoclastiques de l’Ilamane4. L’assèchement du climat entraînant une réduction du débit des oueds a provoqué le dépôt d’importantes masses d’alluvions au pied du massif, obstruant l’entrée du Djoua et provoquant un chapelet de sebkha en amont. Les tout derniers mouvements alpins sont rapportés à ses débuts, gauchissement de la plateforme saharienne, déformations, surrection de la Dorsale saharienne qui sépare aujourd’hui les bassins de l’Erg Occidental et de l’Erg Oriental. Après 1,5 Ma, de fortes précipitations avec gélifraction, que P. Dutil nomme « premier pluvial », se manifestent. A la latitude de l’erg Chech, les précipitations sont de type tropical ; au nord, elles sont de type méditerranéen. En Ahaggar, P. Rognon rapporte les diatomites de l’Ilamane à cette phase, A. Gallay à une phase plus ancienne. C’est alors que la vallée de la Saoura prend son aspect actuel, remplaçant des formations lacustres par un écoulement qui met en relation l’Atlas et le Tanezrouft. Aux grands lacs peu profonds, probablement 1 .- Pour eux l’unité est une période rhéxistasique majeure comportant une phase d’érosion suivie d’une phase de stabilité avec pédogénèse et développement de la végétation. 2 .- Chaque cycle est sudivisé en trois phases : inférieure, moyenne, supérieure. Les phases à faune chaude qui sont les phases moyennes, ont donné leur nom aux cycles. 3 .- Il pourrait s’agir de la phase aride liée à la glaciation de Donaü. 4 .- A. Gallay y voit la phase aride terminant ce qu’il nomme Cycle I.
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Les temps quaternaires sporadiques, dus à des barrières de sables, qui formaient de vastes étendues de l’ordre de 50 à 100 km de long et de large dont les restes sont souvent oblitérés par les sables de l’actuel Grand Erg Occidental, une phase d’érosion, exacerbée par la surrection de la Dorsale saharienne, substitue ce tracé fluviatile orienté nord-sud. Il préfigurait les actuelles vallées du Guir, de la Saoura et de l’oued Messaoud, et alimentait un vaste lac occupant les parties basses du Touât. A l’est de la Saoura, l’ensemble du réseau hydrographique né au sud de l’Atlas, rompu par la surrection de la Dorsale saharienne, vient butter contre elle et cesse de se déverser dans un lac dont les traces sont probablement enfouies quelque part sous l’actuel Grand Erg Oriental. Tout donne à penser que les puissants cours d’eau qui descendaient de l’Ahaggar, se déversaient eux aussi dans ce lac jusqu’à l’obturation du Djoua. Le Nil, sous le nom de « Protonil », dessinait un cours différent de l’actuel et avait accès à ce qui est devenu l’oasis du Fayoum. La haute terrasse et le glacis le plus élevé, généralement dit glacis 5 en zone hyperaride ou aride, se constituent. De ces glacis, subsistent de grandes lanières à dépôts plus ou moins lités, bien triés, riches en matériel fin, quartz et quartzites, aux galets émoussés ; elles sont pédogénisées avec formation de kaolinite, minéral typique de conditions tropicales, et coiffées d’une épaisse croûte calcaire1. Au Maroc, une rubéfaction vive2 affecte les dépôts. Au sud, la haute terrasse, 40 m au-dessous des formations du Continental intermédiaire, se met en place et se cuirasse ; dans la vallée de la Falémé au Sénégal, ses témoins à galets peu émoussés bien que transportés sur de grandes distances, supposent des crues violentes et brusques. Vers la fin du Pléistocène inférieur, se forme une croûte calcaire, de faciès variable, qui ne se distingue pas toujours de la croûte à dragées. D’origine lacustre, l’une comme l’autre indique la réduction de la pluviosité. En Ahaggar, la flore comporte un mélange d’espèces tropicales et tempérées où ces dernières apparaissent comme une flore montagnarde relictuelle de type méditerranéen. La végétation de la Saoura évoque une forêt galerie où croissaient des éléments tropicaux avec des acacias, arganiers, oliviers (probablement l’espèce est-africaine Olea chrysophylla), Cassia et Anogeissus dont on connaît actuellement une seule espèce qui exige un minimum de 300-400 mm d’eau. Mais une végétation à caractères sub-désertiques prédominait avec Ephedra, Calligonum, Paronychia arabica, Rhus, Zizyphus. La faune du Tell est connue par les gisements de l’Aïn Hanech, Mansourah (Algérie), Salé (Maroc). Loxodonta (Elephas) africanavus, Stylohipparion libycum, Sivatherium (= Libytherium) maurusium, éléments attardés de la faune pliocène (dite souvent faune tertiaire), vont s’éteindre. On y retrouve chez les carnivores Xenocyon atrox, Panthera leo et Crocuta crocuta, une forme récente de hyène. Les proboscidiens sont représentés par Elephas moghrebiensis proche de E. recki ileretensis. Chez les Perissodactyles, Equus tabeti est rapproché des équidés des sites d’Afrique orientale, datés entre 2,3 et 1,3 millions. Cette date correspond en moyenne à celle accordée au carnivore Xenocyon atrox. 1 .- Elle atteint 0,4 à 0,8 m aux îles Kerkennah, en Méditerranée. 2 .- La rubéfaction traduit un climat méditerranéen ou subtropical marqué par une alternance de phases humides et sèches. Sur sédiment calcaire, elle se fait actuellement sous une pluviométrie supérieure à 400-450 mm.
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Sahara préhistorique Ces taxons sont associés à une forme dérivée de suiné, Kolpochoerus maroccanus succédant à K. phacochoroides du Pliocène final et à une faune importante d’antilopes et de gazelles dont Numidocapra, un alcélaphiné apparu en Afrique orientale autour de 1,5 Ma. On y compte quelques folivores, mais la plupart est mangeuse d’herbe et indique un milieu de savane ouverte parsemée de paléolacs où évoluait Hippopotamus sirensis en nombre relativement important. A la fin du Pléistocène inférieur, l’apparition du genre Bos marquerait un changement climatique bien mis en évidence par la composition faunique de Ternifine datée de la base du Pléistocène moyen.
Le Pléistocène moyen Le Congrès de l’INQUA à Christchurch a défini le Pléistocène moyen comme la période qui s’étend de la base du Cromérien (interstade Günz-Mindel) à la base de l’Eémien (interstade Riss-Würm) ou de leurs équivalents stratigraphiques. Il s’étend ainsi de 780000 à 120000, et englobe au moins les glaciations de Mindel et de Riss. Il couvre les périodes dites traditionnellement Amirien et Tensiftien au Maroc1, Taourirtien et Ougartien dans la Saoura2 et correspondrait au Kamasien et Kanjerien d’Afrique orientale. En Mauritanie, les formations nommées Akcharien et Aguerguérien s’y rapporteraient. En Méditerranée, il serait lié à la transgression sicilienne3 et à la première transgression tyrrhénienne. L’alluvionnement de ce système complexe reste mal connu dans le détail. Au Sahara, il serait responsable de la formation du niveau 4, au cours duquel évoluèrent les hommes de l’Acheuléen. En Tunisie, la « formation Graiba », nappe de cailloutis associée à un système de glacis et terrasse, se constitue. Ce niveau est marqué par la formation de montmorillonite et non plus de kaolinite ; au sud, la ferruginisation n’aboutit plus à des dalles. En Mauritanie, un milieu de type sud-méditerranéen sans la moindre ferruginisation s’installe, tandis qu’au sud du Sahara, une nouvelle terrasse cuirassée s’édifie à quelque 20 mètres en contrebas de la précédente. En Ahaggar, le réseau actuel de vallées se met en place. A l’est, le Nil dit alors « Prénil », capture le système de l’Atbara qui le met en relation avec l’Ethiopie. Au cours du Pléistocène moyen, le réchauffement de la mer est traduit par de grandes coquilles de mollusques bien visibles à l’ouest d’Alger, près de Tipaza. En Tunisie, ce dépôt à strombes a reçu le nom de « formation Rejiche ». Au sud du Cap Barbas, certains auteurs rattachent au Pléistocène moyen des dépôts riches en faune variée et de grande taille qui ont reçu le nom d’Aïoujien. Au Maroc, sur la rive atlantique, deux transgressions sont connues, l’une dite Anfatien (datée de >250000 au Levant espagnol), à faune chaude, serait contemporaine de l’interglaciaire Mindel-Riss ou d’un interstade Riss I-II, l’autre dite Harounien datée entre 145000-125000 par U/Th, pourrait traduire l’interstade Riss 1 .- Dans la terminologie de Texier et al, ces termes se corrèlent l’un avec la glaciation de Mindel, l’autre avec celle de Riss. 2 .- La position du Taourirtien est plus incertaine, il pourrait être rattaché en partie au Pléistocène moyen, en partie au Pléistocène inférieur. 3 .- Le cycle sicilien reconnu récemment comme issu de mouvements tectoniques de grande ampleur masquant un phénomène global, tend à perdre sa valeur d’étage.
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Les temps quaternaires I-II ou plutôt Riss II-III. Le Harounien (=Rabatien) n’a pas valeur d’étage pour tous les auteurs, de plus en plus, il est vu comme le premier terme de l’Ouljien. C’est la position de J.P. Texier et al qui le rapportent au premier stade du cycle suivant Ouljien et conservent l’appellation Anfatien pour celui-ci. Ils parallélisent le Harounien avec le Paléotyrrhénien ; il connaîtrait deux oscillations : Agadirien, marqué au sud où il est aussi daté de 260000 dans la région d’Agadir, Rabatien plus récent, marqué au nord où il est daté de 145000-136000 dans la région de Rabat. Quelle que soit sa situation, cette donnée n’est pas conforme, théoriquement, à celles, récentes, obtenues à Ifri n’Ammar où il est fait mention d’une phase aride entre 145 et 130000 par datation OSL, phase dont F. Wendorf a également fait état en Egypte.
Contrairement aux idées généralement admises, la Dorsale du Sahara central n’est pas une cloison de séparation entre deux bassins sédimentaires distincts, celui de l’Erg Occidental et celui de l’Erg Oriental. Les vallées de la Chebka, aménagées par des écoulements en provenance de la cuvette de l’Erg Occidental, sont très anciennes, probablement oligocènes. Ce régime d’écoulement en direction de la région de Ouargla et de l’oued Rhir s’est maintenu jusqu’au Villafranchien (= Gélasien). Au Quaternaire moyen, la fragmentation du réseau hydrographique de la Chebka diminue de façon considérable les effets des pluviaux et les écoulements n’entretiennent plus que les axes principaux. La raréfaction des écoulements s’accentue encore au Quaternaire récent et, dès le Soltanien s’amorce un comblement des vallées. P. Estorges, Février 1974 Extrait de rapport de mission CRAPE/Institut de Géographie, Alger. La faune saharienne de la fin du Pléistocène moyen est bien connue par le gisement de Tihodaïne. Elle comporte Elephas recki recki, Hippopotamus cf amphibius, Phacochœrus, Ceratotherium simum, Equus mauritanicus, Alcelaphus buselaphus, Connochœtes, Bos primigenius. Gazella dorcas, Oryx évoquent néanmoins un environnement sec. Les Canidés, les oiseaux que l’on y a découvert ne contredisent pas cet aspect. La présence de crocodiles et de Hippopotamus cf amphibius, qui lui assurent une note méridionale, est due à l’existence de sources à même d’entretenir des eaux pérennes. Au nord, le refroidissement du climat de la fin du Pléistocène inférieur a fait disparaître petit à petit, les animaux et les plantes tropicales. Au Pléistocène moyen, on ne trouve plus Loxodonta (Elephas) africanavus, Stylohipparion, Sivatherium ; la faune reste à dominante africaine avec Theropithecus, Loxodonta atlantica (Elephas atlanticus maroccanus), Metridiochoerus, Ceratotherium mauritanicum. Elephas (Palaeoloxodon) iolensis, espèce de régions boisées, n’a été rencontré que dans les régions littorales, plus arrosées et plus récentes ;
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Sahara préhistorique il propose des similitudes avec son congénère européen Elephas antiquus. A Casablanca (Carrières Oulad Hamida, ex.carrières Thomas), à Hammami, Hippopotamus qui l’accompagne, témoigne de plans d’eau. Loxodonta atlantica qui ne lui est jamais associé et que l’on connaît au Lac Karar, à Ternifine, Aboukir, El Ma el Abiod, espèce de plaine et de savane, est accompagné d’un cortège de rhinocéros, zèbres, girafes, antilopes, hippopotames, Camélidés, caractéristiques de la faune subtropicale africaine. Certains auteurs ont pu penser que la faune euroasiatique que l’on trouve alors, pourrait venir d’Espagne, car plusieurs espèces ne sont pas connues dans l’Est du Maghreb. Le renouvellement faunique qui a introduit des éléments eurasiatiques tels que Bos primigenius, est confirmé par la présence de Ovis tragelaphus et une étude des Rongeurs. Au lac Karar, gisement de source ascendante de la région de Tlemcen, Sus scrofa, Cervus cf elaphus, Loxodonta atlantica, Equus mauritanicus, Alcelaphus sp., Connochœtes sont présents. Leur association à Sus scrofa, Megaceroides algericus et Syncerus antiquus confèrent au site un âge Pléistocène moyen final, voire Pléistocène supérieur. Au Maroc dans les niveaux les plus récents Ursus lartetianus1, Syncerus antiquus, Pelorovis (Bubalus, Homoïoceras) antiquus souvent nommé bubale, qu’il ne faut pas confondre avec l’antilope bubale, et qui vivait encore dans l’Ouest mauritanien au 2ème millénaire, apparaissent. Equus mauritanicus, animal proche des couaggas, qui se rencontrera dans les gisements jusqu’à l’époque néolithique, est présent. Toutefois, les travaux de B. Bagtache et D. Hadjouis, ceux de l’une de nous (Y. C-S.) montrent que l’on a rangé plusieurs espèces sous cette appellation et qu’il y a donc lieu de revoir le matériel ostéologique car, jusqu’en 1983, aucun caballin n’était reconnu dans le Nord de l’Afrique2. Dans les régions actuellement prédésertiques, il n’y a plus équilibre avec le milieu. Un insensible glissement des zones de végétation vers le sud, a donné peu à peu aux marges nord-sahariennes leur aspect actuel. En Tunisie pré-saharienne, les remarquables travaux de R. Coque l’ont amené à voir dans les faunes du début de l’Acheuléen, des espèces tropicales relictes qui seront « peu à peu confinées et décimées par extinction, destruction ou migration ». Durant une grande partie du Pléistocène moyen, les niveaux de végétation s’enchevêtrent au Sahara central. Une steppe à mimosées, mélange de flore tropicale sèche à Acacia cf nilotica et de flore désertique avec Tamarix, auquel se joignent des espèces tertiaires relictes (Carpinus, Platanus, Castanea...) et des espèces méditerranéennes (Pinus, Quercus, Oléacées, Ulmacés, Rosacées), a été identifiée à Tihodaïne, que l’on situe dans l’interstade Mindel-Riss, ou au plus jeune, Riss I-II. Les grandes plaines et les hauts plateaux du Maghreb étaient des savanes à mimosées identiques aux savanes à acacias actuelles qui se développent aux voisinages des grands lacs et des fleuves. Sur le littoral atlantique, l’on peut évoquer un paysage de forêts et prairies avec des plans d’eau. Sur le littoral méditerranéen, les argiles de Maison Carré (El Harrach) comportent 1 .- Il a été nommé Ursus arctos bibersoni par Ennouchi, mais d’après Geraads sa grande taille entre dans les limites de variation de U. lartetianus. 2 .- Cf p. 206.
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Les temps quaternaires 57 % d’éléments méditerranéens et 42 % d’espèces boréales ; avec des saules, frênes, chênes, vignes, cette flore évoque la Basse Provence actuelle. Fig. 4 – Variations du débit du Nil (d’ap. Wendorf et al 1968). Puissant cours d’eau allochtone, le Nil aurait pris forme au Miocène supérieur, mais son tracé actuel est récent. La composition de ses dépôts a permis d’identifier plusieurs changements de lit séparés par des assèchements dus à des phénomènes tectoniques ou climatiques. Outre le Nil moderne et le Néonil Q3 marqué par la capture du Nil bleu, on distingue un Prénil Q2 (1200-660 ka) marqué par la capture du système Atbara qui met en relation avec l’Ethiopie et comprend cinq formations : Makhadma, Dabarosa, Abbassia, Dandara, Quena ; un Protonil Q1 qui comporte trois formations : Idfu, Issawia, Armant ; un Paléonil qui remonterait au Plio-Pléistocène et un Eonil datant du Miocène supérieur.
Le Pléistocène supérieur Le Congrès de Christchurch a placé les limites du Pléistocène supérieur à la base de l’Eémien1 (ou de son équivalent) et à la base de l’Holocène ; il couvre donc la période qui s’étend de 120000 à 11800 B.P. durant laquelle se développe la glaciation de Würm. Il débute par une phase d’érosion intense que l’on attribue traditionnellement à l’interstade Riss-Würm. Dans la région de Tébessa, A. Djerrab estime entre 600 et 520 mm la pluviométrie à la charnière OIS 5-4 soit entre 100000 et 70000 ans. Au cours du Pléistocène supérieur les niveaux 3 et 2 se développent, liés aux épisodes Eutyrrhénien et Néotyrrhénien2 de la mer tyrrhénienne. On lui rattache le Saourien en Algérie, le Soltanien au Maroc3, le Ghazalien au Tchad et dans les régions voisines, le Gamblien en Afrique orientale. En Mauritanie, l’Aïoujien, phase humide marquée par une importante transgression, correspondrait, pour certains auteurs, non pas au Pléistocène moyen mais à l’interglaciaire Riss-Würm. Au Maroc, le Présoltanien qui 1 .- Il correspond à MIS 5. 2 .- Dit aussi Tyrrhénien II et parfois assimilé à la seconde phase de l’Ouljien, l’Ouljien II. 3 .- Conservant le terme, J.P. Texier et al, le corrèlent avec Würm.
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Sahara préhistorique est daté vers 115000-100000, correspondrait à un interstade Riss III pour certains auteurs, à l’interglaciaire Riss-Würm pour d’autres ; l’encroûtement qui l’affecte se serait produit aux débuts de Würm. H. Benouezdou y rapporte la formation Akarit1 dans laquelle il reconnaît deux épisodes Akarit I renfermant une industrie moustérienne et Akarit II renfermant une industrie lamellaire. La transgression tyrrhénienne est complexe, riche en oscillations que compliquent des déformations terrestres2 responsables d’un singulier imbroglio. Si les auteurs s’accordent sur une subdivision en Paléotyrrhénien, Eutyrrhénien et Néotyrrhénien, ils ne s’accordent ni sur l’importance des mouvements, ni sur les corrélations. La transgression tyrrhénienne est responsable des terrasses marines éparses entre 30 et 5 m, celles de 10 à 5 m résultant de la transgression néotyrrhénienne. Sur la côte tunisienne, le paléotyrrhénien serait daté de 120 000, le maximum de la transgression tyrrhénienne aurait été atteint à 80000. Sur la côte marocaine, le Paléotyrrhénien est assimilé tantôt au Harounien, tantôt à l’Anfatien3 et de ce fait reporté au Pléistocène moyen. Dans la région d’Agadir, le paléorivage le plus récent daté par IRSL 130000 à 71000 (MIS 5), est rapporté à l’Ouljien. J.P. Texier et al qui subdivisent l’Ouljien en trois stades, parallélisent l’Ouljien moyen (Ouljien s.s. ou Ouljien II) avec l’Eutyrrhénien, l’Ouljien supérieur (Ouljien III) -qui connaîtrait deux pulsations-, avec le Néotyrrhénien. La côte mauritanienne est quant à elle affectée par deux remontées du niveau de la mer, Inchirien inférieur et supérieur, qui auraient dessiné un vaste golfe à hauteur de Nouakchott et dont les dépôts reposent directement sur le Continental terminal ; elles proviendraient d’oscillations de Würm, l’une est datée de >39000, l’autre de 31000 B.P. Ces éléments qui semblent s’accompagner de comportements différents d’une même côte selon la latitude, pourraient être liés à la subsidence qui affecte le golfe mauritanien4. Le dernier stade de la glaciation a engendré la grande régression durant laquelle un climat particulièrement aride s’est installé sur l’Afrique nord-équatoriale. Le rivage était différent de l’actuel ; il aurait été éloigné d’une centaine de mètres le long de la côte mauritanienne. En Méditerranée, on ne peut préciser cet éloignement du fait des importants mouvements dont la côte africaine est l’objet. Sur la rive septentrionale, à Villefranche, l’abaissement a été estimé à 100 m à 12000 B.P. et restait encore de 26 m à 8500 B.P. Lors du dernier épisode de la glaciation de Würm, Würm IV, un désert dit ogolien en Mauritanie-Sénégal ou kanémien au Tchad-Niger s’installe. A l’ouest du Massif Central, dans la région d’In Sakane, la phase aride débuterait vers 25000 B.P., elle verrait le comblement des dépressions par des dunes. Au Tchad, l’aridité qui intervient avec une grande rapidité, atteint son maximum à 19000 B.P. ; en Haute Egypte, F. Wendorf et ses collaborateurs le situent à 17000 B.P. De plus en plus, cette période se montre complexe. Des travertins qui ont été identifiés en divers points de l’Akakus datent pour la plupart de 11000 1 .- Antérieurement, W.D. Page y voyait deux formations dites Akarit et Demna. 2 .- Elles sont liées à une compression généralisée issue du rapprochement des plaques africaine et eurasiatique et à sa vitesse irrégulière. 3 .- Divers auteurs rapportent l’Anfatien à OIS 11. 4 .- Des sondages à la hauteur de Saint Louis, ont montré une épaisseur de 200 m pour les dépôts quaternaires.
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Les temps quaternaires à 10000 B.P., certains ont des âges bien plus anciens, 15600±1200 (GA-2)1, 14300±400 (TH128) obtenus par mesure d’U/Th. L’aride n’a donc pas été continu, il a été entrecoupé de séquences humides. Dans le Sahara septentrional, un dépôt gypseux scelle souvent les formes du paysage, il provient de la reprise, puis du dépôt par le vent, du gypse des chotts dont les particules se sont disjointes en raison de l’abaissement du niveaude la nappe phréatique. Le Nil est bloqué par les sables, ses affluents se transforment en lacs comme l’ouadi Kubbaniya qui, sauf crues exceptionnelles, n’est plus alimenté que par la nappe. La surcharge des écoulements liée à l’abaissement des températures conduit à une élévation du niveau de la plaine d’inondation du Nil au fur et à mesure des dépôts ; de ce fait, le niveau de la Méditerranée, quoique plus bas d’une centaine de mètres, n’aura d’effet morphologique que sur la vallée de Basse Egypte.
Les Remblaiements type El Haouita, une particularité de zone aride. Tous les dépôts d’oued ne peuvent être assimilés à des terrasses. Aux points d’émergence de sources, des remblaiements dits type El Haouita peuvent s’installer. Quand le débit est faible, insuffisant pour assurer un écoulement, il entretient une humidité constante qui permet le développement d’une végétation favorable au piégeage des sables. Il s’en suit des amoncellements couvrant des surfaces plus ou moins vastes, qui peuvent atteindre plusieurs dizaines de mètres de puissance, au sein desquels des horizons noirs résultent de la décomposition de végétaux. Les formations calcaires qu’ils renferment impliquent des moments de plus grande humidité susceptibles de mobiliser les carbonates. Mais débit et ruissellement restent toujours insuffisants pour entraîner le matériel. Ils peuvent ainsi traduire soit une amélioration climatique, soit une détérioration et n’ont donc de sens que replacés dans leur contexte. Phénomènes locaux, ils n’ont pas de signification chronologique en eux-mêmes, mais sont des points d’ancrage pour la climatologie saharienne et pré-saharienne. fournissent des informations majeures pour leur environnement. Les mieux connus, ceux qui empâtent les cluses méridionales de l’Atlas saharien et certains secteurs des oueds de l’Ahaggar, prennent place fin Würm.
Le climat du Sahara aurait été frais à partir de 75000, lors de l’extension de l’inlandsis, il serait resté plus ou moins humide jusqu’à 60000. Entre 60000 et 20000 B.P., les quelques données font état de brèves oscillations. Würm III aurait connu une diminution de l’humidité vers 45000, une augmentation vers 33000, 1 .- Une date peu significative compte tenu de ses marges d’erreur 19400 +5400 -5200 (TH 94), est, par ailleurs, jugée peu fiable.
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Sahara préhistorique accompagnée vers 30000 d’une diminution des températures1. Cette diminution est bien saisie au Tchad avec le pic d’une séquence aride dite intra-ghazalienne, amorcée vers 380002. Une courte période d’amélioration climatique, probablement plus humide, se manifeste vers 23-21000 B.P.3 Vers 20000 B.P. se développe à nouveau une période froide, ventée, avec, en zone saharienne, un climat hyperaride jusqu’à 12500 B.P. ; à 18000 B.P., le maximum de froid serait atteint avec une baisse de 4° à 6°. Au Sahara méridional, la mousson est alors inexistante ; les marges nord, jusqu’à la mer, montreraient une aridité importante plus tardive, vers 15000 B.P. A partir de 13000 B.P., la fin de la glaciation est marquée par une succession de crises dues à des réajustements entre la terre, les océans et l’atmosphère. Vers 12000 B.P., le réchauffement des eaux du golfe de Guinée produit une modification de la circulation atmosphérique dans les régions intertropicales entraînant une amélioration climatique plus précoce au sud qu’au nord du Sahara. Vers 10000 B.P., le froid s’est estompé partout. Le niveau 3 qui se forme alors, est associé au développement de l’Acheuléen supérieur (3a) et du Moustérien (3b) et, au sud, à celui du Sangoen. Ses dépôts renferment des galets de petit calibre, ils sont plus ou moins lités, riches en matériaux fins, de teinte rouge homogène en raison du fer diffus, avec des taches calcaires. En Ahaggar, une phase volcanique à coulées basaltiques marque cette période. Le glacis inférieur et la terrasse graveleuse moyenne qui est associée à de nombreuses projections volcaniques, se formeraient4. Dans les marges méridionales, une phase d’assèchement au cours de laquelle s’installèrent les hommes acheuléens, est bien marquée dans la vallée de la Mékrou. Dans les régions orientales, la vaste surface « acheuléenne » qui se serait étendue du Gilf el Kebir à la vallée du Nil aurait été creusée de cuvettes par la déflation lors de l’Acheuléen supérieur. Plusieurs épisodes lacustres, séparés par des phases de déflation, ont suivi. Ils ont attiré les hommes moustériens. Le Nil aurait alors connu un changement majeur : vers 60000, la rivière anastomosée à dépôts de graviers fins se serait transformée en un chenal unique dans lequel les silts éthiopiens se déposent lors de l’inondation. A Brézina, au sud de l’Atlas saharien, la découverte d’un lambeau de terrasse bien calé par des données préhistoriques entre des niveaux à Acheuléen et à Atérien, qui marque un niveau intermédiaire renfermant du Moustérien, rappelle l’oblitération éventuelle de certaines oscillations et la multiplication possible des terrasses dans les piedmonts. Le niveau 2 présente des dépôts de pente en désordre, des colluvions ; il est riche en galets peu émoussés, peu colorés, mal triés en raison d’un ruissellement diffus. La pédogenèse se traduit par la formation d’illites et de chlorites. En zone saharienne comme au Maghreb, l’Atérien s’épanouit, l’Ibéromaurusien 1 .- Les données concernant cette période ne sont pas concordantes, peut-être en raison de moussons réduites liées à une atténuation de l’amplitude des variations de l’insolation terrestre. 2 .- Cette séquence est aussi celle où, par suite de l’interférence du cycle de précession ayant réglé la mousson pendant le dernier interglaciaire avec les autres cycles, l’amplitude des variations de l’insolation terrestre s’atténue provoquant des moussons plus réduites. 3 .- Pour A. Gallay une certaine humidité contemporaine du Moustérien, puis de l’Atérien, serait responsable des sols bruns. Ils sont coiffés par des éboulis thermoclastiques contemporains de la dernière phase aride (qui pourrait être l’Ogolien). 4 .- Ce serait le cycle III de Gallay.
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Les temps quaternaires ou les industries à lamelles apparentées qui lui succèdent, se concentrent sur les marges, elles seront particulièrement développées dans la vallée du Nil. Au sud, c’est le Middle Stone Age avec des faciès comme le Lupembien, Protostilbayen et Stilbayen, Magosien ; on trouve aussi des industries à bifaces évolués, dernières manifestations de l’Acheuléen. Le climat était plus humide et surtout la température plus basse qu’actuellement. Ces différences n’entraînaient cependant qu’un abaissement des zones climaciques et non des différences majeures. A l’intérieur des terres, dans la région de Tébessa, ce sont des espèces actuelles d’Hélicidés que l’on trouve et seule leur abondance rapporte ce climat un peu plus frais et humide que l’actuel. En Ahaggar, des sols bruns témoignent d’un retour à une certaine humidité. Ils sont coiffés par des éboulis thermoclastiques datant de la dernière phase aride qui, en certains lieux comme Mertoutek, a mis en place un remblaiement type El Haouita, empâtement sableux qui ne traduit plus des écoulements mais une humidité à même d’entretenir de la végétation et de piéger des sables éoliens. Dans les régions orientales, les dépôts locaux n’atteignent plus la grossièreté des dépôts précédents, indiquant ainsi un climat moins humide. La forte rubéfaction qui les marque est en grande partie héritée. Dans les montagnes du Sahara central, des analyses palynologiques provenant d’un paléosol d’In Ecker renfermant une industrie atérienne, ont livré Celtis cf australis, Cedrus atlantica, Pinus halepensis, des Graminées, Composées, Caryophyllacées, Cupressacées dans l’horizon inférieur alors que l’horizon supérieur ne renfermait ni Celtis, ni Cedrus, mais Alnus, Fraxinus, Quercus ilex, Tilia sp. ainsi que Daphne cf gnidium, des Chenopodiacées, Labiées, Nymphéacées, Ombellifères, Papillonacées. Les auteurs, P. Quezel et A. Pons, font remarquer que Tilia est inconnu actuellement en Afrique du Nord et Alnus étroitement localisé à la région côtière du Rif et de Numidie. L’ensemble de ces espèces ferait penser à un climat méditerranéen, thermiquement assez contrasté. Au nord, la végétation des débuts du Pléistocène supérieur est connue aux deux extrémités du Maghreb. Le site d’El Guettar en Tunisie, site dominé par le djebel Orbata, montre la prédominance du chêne vert dans les dépôts inférieurs. Il s’accompagne de quelques pins d’Alep, d’un palmier ; les Graminées et les Composées sont peu représentées et les Chenopodiacées manquent. Un assèchement qui va en s’accentuant se traduit par une végétation de cèdres et genévriers, l’augmentation des genévriers puis la disparition de la végétation arborée au profit d’un développement de Graminées et Composées. Malheureusement, en l’absence de datation, il est difficile de replacer cette séquence en chronologie. Les Beni Snassens, au Maroc oriental, bénéficient de données précises pour le début de Würm. On y retrouve une végétation méditerranéenne où Pinus halepensis, Juniperus et Tetraclinis traduisent un épisode froid semi-aride1. Il passerait à un épisode sub-humide avec augmentation de la température puis retrouverait un épisode semi-aride froid. A Aïn Tagoureit (Bérard), Loxodonta iolensis traduirait la présence d’une forêt littorale. La fin du Pléistocène supérieur montre un paysage à végétation méditerranéenne proche de l’actuelle avec des résineux, pins Pinus halepensis, Pinus ni1 .- Ce serait le Soltanien I.
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Sahara préhistorique gra, cèdre Cedrus atlantica, cyprès, genévrier, des feuillus, chêne dont Quercus ilex, pistachier, aulne, frêne, olivier Olea europea, arbousier, Phillyrea, Ulmus. Les associations végétales à cèdre et pin laricio qui occupent aujourd’hui des zones d’altitude à partir de 1400 m, étaient plus étendues, pouvant s’abaisser de plusieurs centaines de mètres, jusqu’à 900 m d’après les données du gisement Rassel au Chenoua, près d’Alger.
Les formes du paysage actuel se mettent en place dès les débuts du Quaternaire. Depuis, une succession de phases pluviales et arides liées aux retraits ou aux avancées de la calotte glaciaire, les ont ciselées et ont modelé la flore et la faune. Hors les piedmonts, le paysage saharien livre partout cinq niveaux de glacis et terrasses, ce qui traduit cinq phases climatiques majeures, impliquant cinq transgressions dominantes. Les phases pluviales majeures, celles qui ont marqué le paysage saharien, sont de moins en moins longues et de moins en moins efficaces, à l’inverse des phases arides. Il s’en suit un abaissement des niveaux de base qui engendre l’emboîtement des dépôts liés aux cycles climato-sédimentaires. Ils deviennent d’intéressants points de repères chronostratigraphiques. La faune confirme ces données. La grande faune est marquée par l’abondance des antilopes, gazelles, Equidés qui témoignent au début du Pléistocène supérieur d’une savane ou d’une steppe. Elle traduit de nombreuses migrations, entre l’Afrique et l’Europe par le détroit de Gibraltar et le canal de Sicile, entre l’Afrique du Nord et le Proche-Orient en longeant la côte méditerranéenne, entre l’Afrique du nord et du sud saharien le long de la côte océanique ou à travers le Sahara par la vallée du Niger et l’Adrar et/ou le Ténéré. Un renouvellement faunique se serait produit vers 33000, allant de pair avec le réchauffement. Loxodonta atlantica réapparaît dans les couches rouges. Cervus elaphus barbarus, Megaceroïdes algericus, Ursus arctos, Stephanorhinus (Dicerorhinus) hemitoechus, Ammotragus lervia, Bos primigenius sont présents, ainsi que Gazella cuvieri, Camelus dromedarius qui appellent une température plus élevée. Megaceroïdes algericus qui indique une végétation forestière, pourrait avoir une valeur comparable à celle du renne pour l’Europe occidentale car il disparaît à peu près au même moment, en fin de Würm. La fin de la glaciation marque le début d’un nouvel étage géologique, l’Holocène. La multiplication des études, les précisions chronologiques qu’apportent les mesures calibrées de radiocarbone permettent de connaître cette phase avec une précision qui rend maintenant possible, quasiment sans distorsion, un passage à l’Histoire proprement dite.
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Chapitre II
Les Hommes L’homme est défini zoologiquement comme ayant un cerveau développé par rapport au corps. Il appartient à la famille des Hominidés (homme, chimpanzé, gorille, orang-outan)1 sous-famille des Homininés (homme, chimpanzé) et à l’ordre des Primates. Ceux-ci sont issus d’une famille d’Insectivores primitifs, petits mammifères qui vivaient dans les forêts il y a 80 à 50 millions d’années. Après la disparition de leurs contemporains les grands reptiles, ils se répandirent sur de nouveaux territoires et évoluèrent en de nombreuses formes. Ceux des sous-bois modifiaient leur vision en déplaçant les yeux vers le devant de la face, leur fonctionnement digestif par l’absorption de végétaux, leurs membres antérieurs en l’utilisant pour saisir leur nourriture. Ils devinrent des « pré-singes ». Les habitants du Vieux monde perdirent leur queue et quittèrent parfois les arbres pour se déplacer au niveau du sol. Aussi quand le climat s’est détérioré voici 15 Ma, certains ont abandonné la forêt pour la savane. Là, ils subirent de profondes modifications, l’une des plus importantes est la station verticale qui caractérise la tribu des Hominines et remonterait à 7,1 Ma. L’une des plus mythiques est sa perte de pilosité -du moins sa modification au profit d’un fin duvet- que l’on attribue à une régulation plus aisée de sa température corporelle quand un changement climatique l’aurait amené à se déplacer beaucoup pour trouver sa nourriture. Depuis, ses traits majeurs, station verticale, pouces s’opposant aux autres doigts, n’ont guère changé. L’homme fabrique des outils de plus en plus sophistiqués, emmagasine ses connaissances hors de lui-même. Une étape essentielle de l’évolution, liée à la disparition du rôle préempteur de la bouche, lui a donné une place très particulière dans l’histoire de la terre.
Les Hominines La sous tribu des Hominines regroupe l’homme et ses parents fossiles. D’un point vue zoologique, ceux-ci se caractérisent par une tendance à accentuer les caractères suivants : - l’adaptation à la station verticale qui se traduit par : - les courbures de la colonne vertébrale 1 .- Pour certains auteurs, les Hominidés ne comportent que l’homme et ses parents fossiles, les grands singes constituant alors une autre famille.
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Sahara préhistorique - la migration du foramen magnum sous le crâne - la courbure du pied - le volume crânien qui atteint l’ordre de 1400-1450 cc - la complexité des circonvolutions cérébrales - la réduction de la crête sagittale - la réduction de la face - la forme parabolique de l’arcade dentaire, arrondie dans sa partie labiale - la réduction des canines et de la fosse canine qui disparaît chez Homo - la modification de PM1 (à deux cuspides chez Homo) - la réduction des membres supérieurs par rapport aux membres inférieurs (indice intermembral = 0,92 chez Homo) - l’écartement du pouce qui devient opposable aux autres doigts - l’augmentation du temps de gestation qui donne des produits plus stables car offrant davantage de possibilités d’attaque des mutants par les anticorps maternels - la limitation des échanges de protéines par le placenta qui entraîne de plus grandes possibilités de variations réussies de leur synthèse - l’augmentation de la durée de croissance donc de l’âge de la puberté qui favorise la vie sociale par une compétition sexuelle retardée - la fabrication d’outils conceptuels
Les plus anciens Hominines Aux genres Australopithecus et Paranthropus, on peut rattacher les formes plus anciennes Sahelanthropus tchadensis qui serait âgé de 7 Ma, Orrorin tugenensis 5,9 Ma, Ardipithecus kadabba 5,8 à 5,5 Ma ou Kenyanthropus platyos1 qui ne daterait que de 3,5 à 3,2 Ma. Les Australopithécinés ont été identifiés depuis longtemps en Afrique de l’Est et Afrique du Sud2. En 1995, la découverte de Australopithecus bahrelghazali connu sous le pseudonyme de « Abel », au Djourab, a élargi leur aire de répartition. Branche latérale de la lignée humaine, longtemps les Australopithèques furent vus comme le fait d’une migration vers des zones extrêmes où un isolement relatif aurait facilité leur développement et leur persistance, alors que les types plus progressifs se maintenaient au centre d’origine. Ce schéma a été abandonné au profit de divers autres qui sont souvent remaniés à la suite d’une nouvelle découverte, comme ce fut le cas en 2001 avec celle de Toumaï (Sahelanthropus) au Tchad. Les plus anciens australopithèques, A. anamensis, A. afarensis (Meganthropus = Preanthropus africanus) et A. bahrelghazali proviennent de niveaux da1 .- Divers auteurs rangent aussi parmi les Australopithécinés, Ardipithecus ramidus plus proche des chimpanzés et des gorilles, mis au jour en 1992 en Ethiopie dans un niveau de 4,4 Ma. 2 .- Le premier australopithèque décrit est «l’enfant de Taung». Il fut trouvé en grotte, dans une brèche d’argile, sable et silex avec une faune de mammifères (insectivores, rongeurs, antilopes et de nombreux babouins du Pléistocène inférieur). Le Pr Young, géologue à Johannesburg, entrant dans le bureau de M.A.E. Spiers directeur de la société Northern Lime à Taung (Bechnaland) pour obtenir une autorisation d’examen de fronts de carrières remarquait un presse-papier fait d’une brèche renfermant un petit crâne. Il obtint de l’emporter et la remis à Dart qui, en février 1925, produisait une note le dénommant Australopithecus africanus et ajoutait qu’il avait quelque chose à voir avec l’origine de l’homme.
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Les hommes de la préhistoire tant de 4 à 3 Ma pour ce dernier, de 4,1 à 3,3 Ma pour le second découvert en 1974 à Hadar, de 4,2 à 4 Ma pour le premier trouvé au Kenya et décrit en 1995. Actuellement, on tend à placer A. anamensis directement dans l’ascendance humaine bien que certains auteurs y placeraient plutôt Praeanthropus africanus, trouvé en Tanzanie dans les années 30 et qui, parfois, lui a été assimilé. Mais il n’y a pas unanimité pour situer A. afarensis qui pourrait être l’ancêtre d’une forme d’australopithèque robuste (Australopithecus robustus, Australopithecus boisei), à ossature massive, dents volumineuses indiquant un régime à végétaux coriaces. Les australopithèques les plus récents, A. africanus et A. garhi existent l’un dans des dépôts datés de 3 à 1,2 Ma, l’autre dans des niveaux de 2,7 à 2,5 Ma. A. africanus regroupe des formes graciles A. prometheus, A. (=Plesianthropus) transvaalensis. A. garhi est vu par certains auteurs comme ancêtre de Homo, d’autres lui préfèrent A. Sediba découvert en 2008 dans la grotte de Malapa en Afrique du Sud et daté de 1,9-1,7 Ma. Sous l’appellation « paranthropes », on range les formes robustes qui perdent leur épithète Australopithecus pour celui de Paranthropus, genre qui regroupe P. robustus1, P. (=Zinjanthropus,=Paraustralopithecus) boisei et P. (=Paraustralopithecus) æthiopicus. Actuellement, on ne les voit plus comme une lignée parallèle à Australopithecus qui aurait occupé une niche différente ; plus récents, apparaissant entre 2,6 et 2,5 Ma et disparaissant vers 1 Ma, ils seraient leurs descendants au même titre que Homo. Les australopithèques offrent de nombreux caractères identiques ou proches de ceux de Homo mais aussi des caractères différents tels qu’un volume crânien encore faible (autour de 500 cc)2 avec le maximum de largeur du crâne placé à sa base, un encéphale avec bec antérieur, ce qui est typique des Pongidés. Le plus célèbre, surnommé « Lucy » (=Birkinesh), appartient au groupe Australopithecus afarensis. Son anatomie globale débouche sur une dynamique articulaire identique à celle de Homo (en particulier au niveau du sacrum). A Laetoli, 40 km au sud d’Oldoway (Olduwai), des traces de pas, cinq empreintes échelonnées sur 1,50 m de long, qui indiquent l’acquisition indiscutable de la station verticale, révèlent la présence d’un hominidé bipède à 3,75 Ma.
Le genre Homo Un seul genre est connu et, pour la plupart des auteurs, il n’existerait même qu’une seule espèce car le courant évolutif H. habilis-H. sapiens est difficile à interrompre. La spéciation, phénomène majeur ayant produit H. habilis, paraît rapide, on la rattache à un changement climatique bien marqué à 2,5 Ma. Elle a été suivie d’un processus graduel ; contrairement à ce qui se produit pour les autres espèces, les différences de milieu n’ont pas entraîné de changements radicaux chez Homo. La culture a dû jouer un rôle déterminant en bloquant le processus de spéciation : la niche écologique humaine serait bioculturelle. 1 .- Sous le terme Paranthropus robustus, on regroupe Paranthropus robustus découvert en 1938 à Kromdraai en Afrique du Sud dans des dépôts datés de 2,6 à 1,51 Ma Paranthropus crassidens, Meganthropus paleojavanicus, Telanthropus capensis. 2 .- C’est en raison de son faible volume crânien que Homo naledi, découvert en Afrique du Sud au cours des années 2013 et 2014, difficile à dater, a été rapporté par certains auteurs à un Australopithéciné.
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Sahara préhistorique Homo se distingue des autres Primates par : - sa faculté de communiquer avec ses semblables au moyen d’un langage articulé - son psychisme développé qui entraîne une capacité de raisonnement abstrait, une faculté de création, le remplacement partiel de l’instinct par l’amour, la possibilité de dominer le milieu par les outils de plus en plus perfectionnés qu’il façonne. Pour la plupart, ces caractères sont peu apparents chez les fossiles si ce n’est par les empreintes méningées et, bien souvent, seuls les outils peuvent témoigner de ce développement psychique dans le passé.
Fig. 5 – L'évolution humaine selon divers modèles : 1) Dans l'hypothèse dite « réticulée », chaque lignée aurait évolué sur place, mais un échange permanent aurait eu lieu entre elles, unifiant le patrimoine génétique ; la dernière migration importante aurait eu lieu vers 150 000, car si elle était plus récente, elle aurait laissé plus de traces dans le patrimoine génétique. 2) Selon l'hypothèse dites du « candélabre », chaque lignée aurait évolué dans la région qu'elle occupait sans échange. 3) Dans l'hypothèse dite « arche de Noé », seul Homo sapiens archaïque d'Afrique aurait évolué en Homo sapiens sapiens, il aurait remplacé toutes les autres lignées. L'hypothèse émise en 1959, a, depuis, trouvé nombre d'arguments.
H. habilis est contemporain de Paranthropus. Il fut reconnu en 1959 en Tanzanie. Il est répandu en Afrique de l’Est, à Oldoway bed I, Koobi Fora..., en Afrique du Sud, à Swatkrans niv. I, Sterkfontein niv. V, mais aussi en Indonésie, Modjokerto, en Chine à Chienshih dans un niveau remontant à 2 Ma. Il s’épanouirait à 2,2 Ma, avec le développement d’une période sèche où la savane se transforme en steppe. Pour certains auteurs, il serait déjà présent en Ethiopie, à Hadar, au Kenya, à Kanapoi, dans des niveaux datés de 4 à 3,5 Ma. Une capacité crânienne de 550 à 680 cc, des conformations crâniennes montrent qu’il pouvait émettre suffisamment de sons pour disposer d’un langage parlé. L’apparition de celui-ci est généralement mise en rapport avec la nécessité de communiquer et, un temps, certains auteurs l’ont associé à l’usage du feu, vers 700000, en privant ainsi Homo habilis. L’appellation H. habilis apparaît comme un fourre-tout et les travaux actuels tentent un reclassement des fossiles1. H. rudolfensis décrit en 1980, taxon 1 .- Aux Journées de Préhistoire africaine tenues à Burgos les 15-16 avril 2015, R.J. Clark validait le taxon et son appellation ; il lui attribuait OH7, OH16, OH65, KNM-ER 1470, KNM-ER 1590, SK27, et soulignait la contemporanéité Homo habilis, Australopithecus africanus et Paranthropus boisei.
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Les hommes de la préhistoire qui avait été rejeté, est repris par un certain nombre d’anthropologues à la suite de découvertes nouvelles entre le Nord du Kenya et le Malawi, dans des niveaux datant de 2,4 et 1,9 Ma. Il ne diffère de H. habilis que par une capacité crânienne un peu plus élevée, 650 à 750 cc, une plus grande robustesse qui pourrait être en relation avec un milieu forestier. H. ergaster qui provient de la même région mais de niveaux plus récents, datés de 1,6 Ma, n’est pas sans poser problème par sa taille, 1,70 m. Sa face est gracile, son cerveau a une capacité de 800 cc. Pour Y. Coppens ce serait une forme archaïque d’Homo erectus.
Les Mammifères sont apparus il y a quelque 150 millions d’années. Parmi eux, la lignée des Primates, à laquelle l’homme appartient, débute voici 70 millions d’années ; elle regroupe deux sous-ordres, les Prosimiens et les Simiens. Ces derniers comprennent les singes du nouveau monde dits Platyrhiniens et ceux de l’ancien monde dits Catarhiniens. C’est au groupe des Catarhiniens que l’on rattache les Hominoïdes, superfamille réunissant les Hylobatidés, Pongidés et Hominidés. Dans la classification la plus récente, la famille des Hominidés regroupe deux sous-familles, celles des Gorillinés et des Homininés. Les Homininés (Hominines en anglais) se divisent en deux tribus : Panines (Chimpanzés) et Hominines (Hominina ou Homininan en anglais) qui réunit les humains, leurs ancêtres et parents. Il n’en subsiste qu’un seul genre Homo dont une forme ancienne, en migrant, aurait peuplé la terre. La coexistence Homo habilis et Homo erectus (ergaster) en Afrique de l’Est, demande à être expliquée ; certains auteurs ont proposé d’y voir un rejet du groupe et un effet fondateur par suite d’un brassage réduit du matériel chromosomique. Homo se distingue des autres Primates par son développement psychique ; si celui-ci ne laisse que peu de traces sur les fossiles, il l’a conduit à fabriquer des outils particulièrement significatifs de son évolution. Les plus anciens outils retrouvés en Afrique de l’Est, ont pu être rapportés à H. habilis et cet outillage est déjà diversifié1. Leur attribution à Paranthropus est possible à Oldoway où P. boisei a été découvert auprès de H. habilis ; elle paraît assurée au Kenya, à Chesowanza, gisemenent daté de 1,4 Ma, où P. robustus est associé à des outils d’Oldowayen évolué, ainsi qu’à Hadar ou dans la basse vallée de l’Omo. Des industries sur galets, comparables, existent en Afrique du Nord où ils se trouvent dans des niveaux du Villafranchien supérieur (= Pléistocène inférieur) et peut-être moyen ( = Gélasien), mais on n’en connaît pas les auteurs. A partir de 1,7 Ma, la forme dite Homo erectus intervient et se développera jusque vers 100000 ans. Sous cette appellation sont regroupées ce qui fut 1 .- Ce qui faisait dire à Hélène Roche que les plus anciens tailleurs de pierre connus étaient « trop expérimentés pour être les premiers ». En 2015, la découverte de multiples outils à Lomekwi au Kenya, dans un niveau daté de 3,3 Ma a corroboré cette remarque ; trouvés à proximité du crâne de Kenyanthropus, on tend à les lui attribuer.
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Sahara préhistorique dénommé Pithecanthropus erectus, P. robustus, P. modjokertensis, P. dubius, P. palaeojavanicus formes reconnues à Java, en Rhodésie, Afrique de l’Est, Sinanthropus pekinensis découvert en Chine, Atlanthropus mauritanicus en Afrique du Nord et « Presapiens » en Europe. Une tendance actuelle limite l’appellation aux fossiles asiatiques, les fossiles africains étant réunies sous l’appellation Homo ergaster qui en serait une forme ancestrale. L’origine d’Homo erectus n’est pas totalement assurée : pour certains auteurs, il y aurait eu plusieurs centres évolutifs, pour d’autres un seul. La migration à l’origine du peuplement de l’Afrique est une question ouverte. Vers 2 millions d’années, Homo habilis aurait migré en Afrique et Asie d’abord, puis en Europe et dès la sortie de son lieu d’émergence, il aurait connu une explosion démographique très rapide. Une hypothèse suppose que les groupes, importants, auraient éclaté amenant une progression estimée entre 10 et 30 km par génération, qui aurait peuplé la terre. Toutefois, certains spécialistes d’Afrique de l’Est suggèrent qu’il s’agirait non de H. habilis mais de H. ergaster. D’autres, tels que L. Leakey ou J. Chavaillon ont accordé la préférence à H. erectus ; pour L. Leakey, il aurait peuplé la planète à partir de 1 million d’années. Bien qu’on n’en connaisse pas l’auteur, la présence d’un outillage de galets aménagés en Afrique du Nord où il est inclu dans une sédimentation rapportée à la base du Villafranchien (= Pléistocène inférieur) et datée de 2,4 à 1,8 Ma, n’est pas conforme à ces propositions. L’origine d’H. erectus elle-même n’est pas totalement assurée. Oldoway, où le bed II atteint 20 à 30 m de puissance et débute à 1,7 Ma, traduirait un problème majeur : il assure la transition avec l’Acheuléen par une alternance de niveaux rapportés les uns à l’Oldowayen, les autres à l’Acheuléen. Pour M. Leakey, il y aurait eu occupation successive par deux populations, l’une serait issue de l’Oldowayen, l’autre, acheuléenne, viendrait d’ailleurs. Cette coexistence de Homo habilis et Homo erectus en Afrique de l’Est pose problème dès lors qu’ils occupent la même niche écologique. En Europe, les découvertes de Dmanisi en Géorgie, Atapuerca en Espagne, permettent de préciser le schéma de l’expansion humaine. Ils dévoilent une première migration, celle de l’humain porteur de galets aménagés, vers 2-1,8 Ma, probablement à partir d’un foyer d’Afrique de l’Est ; l’ultime descendant pourrait être l’homme de Florès1. Déployée sur l’Asie, l’occupation se serait limitée au sud du continent européen sauf de rares incursions septentrionales lorsque le climat s’y prêtait. On ignore qui est ce premier migrant. Une seconde migration aurait eu lieu vers 600000, celle de porteurs de bifaces, marquée par la multiplication déroutante du nombre de leurs sites en Europe2. Ne s’étant pas développée en Asie, elle expliquerait la ligne de Movius3. Ses restes appartiennent à Homo erectus s.l. En Afrique, il aurait évolué en H. rhodesiensis, d’où descend H. sapiens, en Europe, il aurait donné naissance à Homo heidelbergen1 .- Découvert en 2003 en Indonésie, dans l’île de Florès, ce descendant d’Homo erectus ou Homo habilis, surnommé Hobbit avait une capacité crânienne de 350 cc seulement bien qu’il soit entouré d’outils, une taille de 1 m, un poids d’une vingtaine de kg. Il est daté entre 95000 et 12000, (18000 pour « Ebu » un squelette complet de femme). On suppose qu’il a été éradiqué par une éruption volcanique. 2 .- On doit remarquer un Acheuléen bien plus ancien en Espagne où il est daté de 0,9 Ma. 3 .- Ligne allant du Pays de Galles au golfe du Bengale, séparant un complexe à bifaces à l’ouest d’un complexe à choppers et chopping-tools, sans biface, à l’est.
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Les hommes de la préhistoire sis d’où descendrait H. neanderthalensis1 dont les premières caractéristiques apparaissent à partir de 500000. L’hypothèse la plus récente propose une troisième « sortie d’Afrique », celle de Homo sapiens archaïque. Homo sapiens, l’homme moderne, est plus gracile que les « archanthropiens »2, a des os plus minces. Son menton, son front sont plus marqués, ses sinus modérément développés, ses hémisphères cérébraux plus enveloppants. Il forme une nappe de l’Atlantique au Proche Orient, mais il ne constitue pas une population homogène. Perçue vers 130000, cette troisième vague s’appuie sur la présence d’hommes modernes et de néanderthaliens dans le couloir du Levant, associés l’un et l’autre à une industrie moustérienne et s’y succédant au gré des vicissitudes climatiques. La question de métissage reste posée pour expliquer les caractères mixtes de certains individus. Une dernière vague aurait 50000 ans. C’est le « out of Africa » des généticiens. Ce serait celle du porteur de changements techniques et comportementaux, de nouveaux modèles sociaux à forte symbolique. Elle serait à l’origine du peuplement actuel. La forme serait fixée à partir de 50-40000 d’après certains auteurs, alors que pour d’autres, elle ne serait acquise qu’au Néolithique récent. Semblable à l’homme actuel, cet homme ancien n’en diffère que par des détails ; ils montrent que l’évolution humaine n’est pas bloquée. Mais de telles propositions (fig. 5) qui rejettent toute évolution locale, dont chaque vague balaye les occupations précédentes ou s’y surimpose, ne semblent pas conformes à l’ensemble des données et sont discutées. Comme sont discutés les motifs des transformations : mutations, isolat produisant le développement de caractères spécifiques. L’accord se fait néanmoins sur la grande mobilité de l’homme qui empêche une spéciation, permet à peine la caractérisation de races, seulement celle de variétés.
Les plus anciens restes humains trouvés dans le Sahara et le Nord de l’Afrique Tchadanthropus uxoris Les plus anciens restes d’Hominines sahariens proviennent de Yayo au nord du Tchad où ils furent découverts en 1961 par F. Coppens. Ils sont représentés par un fragment cranio-facial et ont reçu le nom de Tchadanthropus uxoris. Mais, remaniés dans les dépôts holocènes qui forment le delta fossile d’Angamma, leur datation fait problème. Tchadanthropus uxoris possède des traits d’australopithèque par son profil concave, il est proche d’Homo erectus par le bombement du front, la forme des orbites, le rétrécissement post-orbitaire. Il est diversement classé selon les auteurs, Homo habilis, Homo erectus, Homo heidelbergensis. 1 .- De plus en plus d’auteurs voient dans l’homme de Néandertal une forme ancienne d’H. sapiens adaptée au froid ; d’autres, s’appuyant sur la forme de l’encéphale, aux hémisphères cérébraux encore non enveloppants, y voient plutôt une forme d’Homo erectus. 2 .- Terme qui tombe en désuétude, il regroupait les Pithécanthropes, Sinanthropes et Atlanthropes.
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Sahara préhistorique
Atlanthropus mauritanicus La forme Atlanthropus mauritanicus découverte en 1954 à Ternifine (Tighnif) dans des niveaux datés autour de 650000, y est représentée par trois mandibules (fig. 6a), un pariétal et des dents isolées dont 4 molaires de lait. Elle est connue au Maroc dans des dépôts des débuts du Tensiftien, qui ont livré : - Carrières Thomas - Thomas I : fragments de mandibules et dents auxquels a été attribué un âge de l’ordre de 500000 ans, plus récemment une diaphyse de fémur et des fragments de crâne et mandibule d’enfant. Thomas III : fragments de crâne avec reste de face, frontal, temporal et des dents. - Sidi Abderrahman grotte des littorines : 2 fragments de mandibules dits « homme de Sidi Abderrahman » qui étaient associés à des dépôts du Tensiftien inférieur. - Salé : 2 mandibules, 3 fragments de crâne, 3 maxillaires, des dents découverts dans une cavité de grès tensiftiens, associés à de la faune. Le crâne serait long et bas, il est interprété par J.J. Jaeger comme erectus évolué ou ancien sapiens. J.J. Hublin y voit un ancien sapiens conservant des traits d’erectus dont il est encore proche. - Kebibat : fragments de mandibule, de maxillaire, plusieurs fragments crâniens, dénommés « homme de Rabat », retrouvés dans des grès dunaires attribués selon les auteurs au Tensiftien moyen ou au Présoltanien. A ces restes, se sont ajoutés des fragments de péroné identifiés par A. Dambricourt-Malassé, à Yeslem III, en Mauritanie, au sein d’une faune abondante. Homo ergaster (erectus)1 mauritanicus montre les caractères suivants : - une capacité crânienne de l’ordre de 930 cc - une artère méningée de type Pongidé - une crête sylvienne de Sinanthropus - un pariétal à courbure de pithécanthrope, sans bosse - une mandibule robuste identique à Sinanthropus avec bourrelet latéral externe sur la branche horizontale, arcade parabolique, ébauche de triangle mentonnier, cingulum sur PM et M. Les tailles différentes sont rapportées à des différences sexuelles - une dentition identique à Sinanthropus : PM1 bicuspide, M en particulier M2 allongée - des denticules à dessin dryopithèque - M3 plus petite que M2 - des caractères proches de H. sapiens avec bourrelet occipital atténué, occipital arrondi, pariétaux bombés L’origine d’H. ergaster (erectus) dans le Nord de l’Afrique n’est pas résolue. Divers auteurs qui s’appuient sur l’évolution locale des outillages, y voient une lignée autochtone. Pour d’autres, il proviendrait d’une migration asiatique au même titre que la faune associée à ces industries. Son évolution en homme moderne a pu être proposée à partir de restes plus récents retrouvés dans divers sites marocains. 1 .- Certains auteurs y voient une forme d’Homo heidelbergensis, d’autres d’Homo rhodesiensis.
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Les hommes de la préhistoire
Fig. 6a – Mandibules d'Atlanthropes découvertes à Ternifine (d'après Balout 1955).
L’homme moderne dans le Sahara et ses abords Les formes archaïques d’Homo sapiens identifiées récemment ont permis de concevoir une lignée humaine développée dans le Nord de l’Afrique et qui serait issue de Homo ergaster mauritanicus. Elle serait à l’origine de l’Homme de Mechta el Arbi. Une forme intermédiaire, qui possède quelques caractères de H. ergaster -absence de fosse canine, tendance upsilloïde de l’arcade dentaire-, est associée aux industries atériennes. A l’exception d’une molaire provenant du niveau moustérien de Aïn et Guettar, de deux fragments de mandibules trouvés dans le niveau 33 d’Haua Fteah, daté de 407001, d’un enfant retrouvé à Taramsa dans la vallée du Nil, daté 1 .- A ce propos, K. Douka et al (2014 : 58) écrivent « The most likely age of the two modern human mandibles found in the Levalloiso-Mousterian Layer XXXIII is placed between 73 and 65 ka BP at the 95.4% confidence level ».
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Sahara préhistorique
Fig. 6b - Crâne d'Homo sapiens archaïque du djebel Irhoud (cl. Musée de l'Homme) ; sa coloration rose est due à la présence de barytine.
Fig. 6c - Crâne d'Homo sapiens de Dar es Soltane 2 (cl. A. Débenath).
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Les hommes de la préhistoire de 55000, et de deux individus mechtoïdes inhumés dans un site du Moustérien nubien, les restes actuellement connus proviennent tous du Maroc : - Djebel Irhoud : deux crânes (fig. 6b) Irhoud 1 et 2, une mandibule d’enfant Irhoud 3 mis au jour par Ennouchi, un fragment d’humerus Irhoud 4 mis au jour par J. Tixier et R. de Bayle des Hermens, 1 fragment de mandibule édentée retrouvé dans la collection Ennouchi venant d’un dépôt moustérien rapporté au Soltanien I, daté autour de 160000. Récemment, J.J. Hublin et M. Ben-Ncer ont fait état de 16 ossements appartenant à cinq individus dont un adolescent et un enfant, et de date reportée à 315000. - Mugharet el Aliya : fragment de maxillaire d’enfant, molaire d’adulte, dénommés « homme de Tanger » provenant d’un niveau atérien - Dar es Soltan 2 : deux crânes (fig. 6c) presque complets dont un d’enfant, fragments de trois crânes, deux mandibules incomplètes associés à une industrie atérienne - El Harhoura 1 (grotte Zouhrah) : une mandibule, une dent, des fragments crâniens associés à une industrie atérienne avec pointe marocaine - Skhirat : un crâne retrouvé dans les grès en 1980. - Témara grotte des Contrebandiers : une mandibule complète retirée en 1956 d’un niveau atérien, un fragment d’occipital et de frontal retrouvés en 1975 et des dents ; en 2009 étaient mis au jour les restes d’un enfant de 8 à 9 ans comportant la tête, les quatre premières vertèbres cervicales, des fragments de clavicule, côtes, phalanges. - Aïn Maarouf près d’El Hajeb : diaphyse de fémur dans un niveau atérien de la « moyenne terrasse » qui serait à rapporter au plus jeune au Tensiftien. - Taforalt : fragment de pariétal découvert par les fouilles de 1951 dans l’Atérien supérieur.
Protosapiens et Cromagnoïde archaïque En l’absence de restes humains fossiles, l’équivalence faite entre l’Atérien d’Afrique du Nord et le Moustérien européen, a longtemps entraîné l’idée que l’homme atérien était un néandertalien au même titre que l’homme moustérien d’Europe. Il est vrai qu’alors l’on voyait une évolution linéaire avec Homo néandertalensis comme maillon entre H. erectus et H. sapiens. La découverte de fragments mandibulaires à Haua Fteah en 1952 et 1955, puis vers 1960, celle d’un crâne humain dans des argiles qui comblent des cavités karstiques du djebel Irhoud devaient, dans un premier temps, conforter cette hypothèse, divers traits néandertaliens y ayant été identifiés. Mais s’il possède des caractères des Néandertaliens, l’homme du djebel Irhoud en diffère aussi par l’architecture de sa face basse et prognathe, à bourrelet sus-orbitaire moins prononcé et dépression sous-orbitaire plus profonde, des orbites rectangulaires, basses, une forte largeur interorbitaire, la grande largeur du nez. En 1987, J.J. Hublin et A.M. Tillier l’identifiaient comme protosapiens. De même, en 2000, J.J. Hublin rapportait les individus de Haua Fteah à H. sapiens. Les individus de Dar es Soltan, ceux de Témara montraient une même permanence des traits de H. ergaster, des mandibules massives, la forme de
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Sahara préhistorique l’arcade dentaire à tendance upsilloïde, des dents proches de H. ergaster mauritanicus. L’occipital, moderne, ne permettait cependant pas une assimilation. En orientant vers une filiation, il laissait place à l’idée d’une autonomie évolutive. Cette idée d’une lignée africaine autochtone, issue de H. ergaster mauritanicus, devait prendre forme à partir de 1975, après la découverte de restes humains dans divers sites atériens du Maroc. Elle se greffe sur celle d’une pluralité des centres évolutifs1. Les hommes atériens offrent en effet des traits intermédiaires entre les hommes moustériens et une forme sapiens bien connue en Afrique nord-équatoriale, l’Homme de Mechta el Arbi, forme cromagnoïde associée aux industries de la fin du Paléolithique. L’homme atérien possède des os épais, une tête large, surbaissée, il ne présente ni chignon, ni torus occipital, le relief nuchal est modéré. Les orbites sont semblables à celles de l’homme du djebel Irhoud, basses, rectangulaires, à forte largeur interorbitale. Une légère dépression sur le plancher nuchal qui se retrouve sur les restes du djebel Irhoud et qui n’est connue ni chez les Néandertaliens, ni chez les Archanthropiens, souligne la parenté. J.J. Hublin l’a classé en Homo rhodesiensis, puis sapiens archaïque.
L’Homme de Mechta el Arbi De type robuste, l’Homme de Mechta el Arbi classique est très proche des Cro-magnons2 dont il ne diffère que par une voûte crânienne plus haute, un nez tendant vers la chamærhinie, l’existence de quelques formes brachycrânes. Plus de 500 sujets ont été retrouvés, ce qui permet d’avoir une image précise de cette population. Elle était de grande taille - 1,74 m pour l’homme, 1,63 m pour la femme -, possédait une capacité crânienne de 1650 cc. Son squelette était robuste, le crâne avait une forme pentagonale en vue supérieure, la face était basse et large à arcades sourcilières très saillantes médialement, s’atténuant latéralement, les orbites étaient écartées, rectangulaires, surbaissées, les mandibules robustes, les gonions fortement extroversés. Les extrémités des membres étaient longues, étroites, les avant-bras et les jambes allongés par rapport aux bras et aux cuisses. Ces Cromagnoïdes circumméditerranéens ne forment pas une population homogène. En particulier, la population de Nubie diffère de celle d’Afrique du Nord par sa face plus haute, son prognathisme plus marqué. A côté de ces types classiques, les anthropologues en ont discerné d’autres, très proches : l’un serait archaïque, un autre montrerait une tendance brachycéphale gracile. Ces caractères atténués se retrouvent sur certains individus de La Mouillah, Afalou bou Rhummel, Dar es Soltane 1, ainsi qu’à Kef oum Touiza, Columnata. Cet homme est bien connu dans la vallée du Nil et au Maghreb où diverses nécropoles ont été retrouvées. Au Soudan3 et en Egypte, il est associé à des 1 .- Les travaux de génétique qui proposent une origine unique pour l’homme moderne, reposant sur une méthodologie et un échantillon discutables, ne sont pas retenus par tous les auteurs. Pour certains, la nappe H. erectus (ergaster) aurait produit plusieurs lignées, mais on ne retient plus comme formes évolutives celles reconnues au Proche-Orient ; au Mont Carmel, elles sont vues comme des occupations successives de populations différentes. 2 .- Cro-magnon est une appellation à laquelle on tend à substituer « homme anatomiquement moderne » ou « sapiens ». 3 .- Bien qu’elle ne soit prise en compte que rarement en raison de l’absence de datation, on doit mentionner la
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Les hommes de la préhistoire industries laminaires datées autour de 30000 B.P.1 ; vers 15000-12000 B.P., il est associé au Qadien. Au Maghreb, où il a été reconnu et a reçu le nom Mechta el Arbi ou Mechta-Afalou, il est systématiquement associé aux industries ibéromaurusiennes ; à Taforalt, à Afalou bou Rhummel, il est connu dans des niveaux datés de plus de 15000 B.P. Il se trouve aussi dans des niveaux plus récents où il peut présenter une forme gracilisée. A Columnata, il figure dans des niveaux columnatiens, sus-jacents à l’Ibéromaurusien. Il se rencontre parfois à la base des niveaux capsiens. Dans les régions occidentales, Mali, Mauritanie, NordOuest algérien, il a été retrouvé associé à des ensembles industriels néolithiques,
Seulement deux fossiles anciens d’Hominines sont connus dans le Sahara et ses abords avant le Paléolithique moyen. Le plus vieux, Tchadanthropus uxoris, appartient au groupe Homo habilis ; il provient d’un niveau remanié, ce qui ne permet pas de lui attribuer un âge, ni un contexte. Le second, Homo ergaster (erectus) mauritanicus, est connu depuis 1954, associé à un Acheuléen moyen. A partir du Paléolithique moyen, une nouvelle espèce, Homo sapiens sapiens, bien documentée, se développera ; au Paléolithique supérieur, elle constitue une vaste nappe qui couvre le pays traduisant une explosion démographique. Elle a permis des essais de paléodémographie qui montrent une direction de recherche de grand intérêt, toutefois, les effectifs des populations préhistoriques restent des indications d’approche délicate, quel que soit le moyen utilisé, à partir des habitats ou des cimetières. Au Maroc, la découverte de différents restes humains échelonnés dans le temps, a permis de suivre cette branche qui, partant de Homo ergaster mauritanicus, aboutit à un Homo sapiens, l’homme de Mechta el Arbi, forme cromagnoïde africaine. On ne saisit pas encore très bien ses liens avec les populations dites méditerranéennes qui apparaissent à l’Holocène inférieur, ni avec les populations dites négroïdes. Cette diversité doit rendre prudent quant à l’interprétation des différences qui peuvent être perçues entre les individus, quelles qu’elles soient ; ils appartiennent tous à la même espèce. Tous les autres membres se sont éteints plus ou moins anciennement. Le cas est singulier. La tribu la plus proche, celle des Panines ne compte elle aussi qu’un seul genre et ne conserve que deux espèces, le chimpanzé et le chimpanzé nain. Une question se pose : quel peut être le devenir d’une branche aussi peu fournie ? découverte d’une calotte crânienne à Singa au Sud de Khartoum, en 1923 ; elle pourrait appartenir à un Homo sapiens archaïque. Elle est associée à une industrie sur éclat, mais n’est datée que par comparaison de cette industrie avec celle de Abu Hugar qui remonte à 17000 B.P. 1 .- Les Hommes de Cro-magnon découverts dans une sépulture aurignacienne de l’abri qui leur a donné son nom, sont aujourd’hui datés eux aussi de 30000.
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Sahara préhistorique le nord du Mali a livré 89 individus qui vivaient entre 8000 et 5000 B.P. dans un biotope subtropical, steppe à acacias avec lacs et marécages. Leur étude menée par O. Dutour montre l’étroite parenté avec la population ibéromaurusienne du Maghreb et des caractères propres aux mechtoïdes orientaux, attestant ainsi d’un même groupe anthropologique. D. Ferembach et A. Thoma qui en a étudié les dents, proposent une origine commune aux Cromagnoïdes d’Afrique et d’Europe. Tous deux dériveraient d’une forme africaine plus ancienne, un Cro-magnon archaïque. Mais D. Ferembach qui voit une rupture entre les industries atériennes et ibéromaurusiennes, propose un schéma complexe dans lequel les derniers Atériens auraient migré en Europe, puis, après avoir évolué en Cro-magnons, seraient revenus au Maghreb par l’Italie. Cette migration s’appuie sur des caractères plus proches entre les populations d’Italie et de Libye, qu’entre les autres restes. G. Camps pense qu’une telle migration n’est pas nécessaire pour expliquer les similitudes. Tel est aussi la position de O. Dutour qui conclut à un ancêtre commun aux diverses populations mechtoïdes, probablement l’homme atérien. La filiation homme atérien-homme de Mechta el Arbi met fin ou modère l’idée d’une vague de populations asiatiques qui aurait repeuplé le Maghreb après la dernière glaciation, mettant en place la population ibéromaurusienne. Cette idée avait été émise alors que l’on croyait, d’une part les populations atériennes totalement disparues lors de la grande phase aride contemporaine de Würm IV, d’autre part le peuplement ibéromaurusien postérieur à Würm. On ne croit plus guère, non plus, à cette autre vague de peuplement porteuse de la culture capsienne, venant de l’est à l’Holocène inférieur et repoussant jusqu’aux Canaries, les populations qui occupaient alors le Maghreb. A l’Holocène, une grande variabilité transparaîtra dans la population du Nord de l’Afrique. Elle pourrait traduire à la fois des phénomènes de gracilisation et de métissage. En l’absence de barrière sexuelle, elle suggère une lente évolution additionnant les transformations jusqu’à obtenir des changements tels que l’on puisse distinguer deux formes.
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Chapitre III
Les plus anciennes manifestations de l’homme Les industries de galets aménagés Les premiers témoignages de présence humaine dans le Sahara et ses abords sont des industries lithiques à forte prédominance de galets auxquels l’homme a donné un tranchant par l’enlèvement de quelques éclats voisins les uns des autres, d’où leur nom de « galets aménagés »1. Des éclats parfois retouchés en racloirs, pièces à encoches ou denticulées, leur sont associés. Dans les régions qui nous concernent, il est rare que de tels éclats aient été signalés ; il est vrai que la plupart des récoltes est ancienne, remontant à une époque où, dans l’orbite de l’abbé Breuil, on pensait à une transformation linéaire des outillages par simple réduction des volumes2. Ces industries ont reçu divers noms : Paléolithique archaïque, Paléolithique ancien confondant ainsi période et ensemble culturel, confusion rendue possible de par l’existence d’un seul ensemble durant cette période. Elles sont également nommées Pré-acheuléen, Oldowayen. P. Biberson regroupait ces ensembles au cours desquels le galet a peu à peu perdu sa forme primitive sous l’expression « Civilisation des galets aménagés », mais le symposium de Burg Wartenstein ayant proposé de renoncer au terme « civilisation » pour désigner les seuls ensembles industriels, cette appellation est devenue caduque. Cette technologie a été nommée « mode 1 » par G. Clark3, terminologie de plus en plus en faveur. Quoique très sporadiques, les outils de cette période sont répandus sur une grande partie de l’Afrique. Les plus anciens sont connus sur les hauts plateaux de l’Est africain où ils sont bien datés. Découverts par E.J. Wayland en Ouganda en 1919, ils y reçurent en 1926 le nom de Kafouen4. En Tanzanie, où ils sont associés à des restes d’hominidés, ils ont reçu celui d’Oldowayen, terme également utilisé au Kenya et en Ethiopie, qui, à l’origine, voulait distinguer les industries du niveau inférieur d’Oldoway de celles d’Ouganda à l’aspect plus fruste et qui tend de plus en plus à être employé dans le Nord de l’Afrique. 1 .- Ils sont aussi dits « choppers » quand le tranchant est produit par des enlèvements n’affectant qu’un seul côté, «chopping-tools» quand ils affectent les deux côtés, « polyèdres » ou « sphéroïdes à facettes» quand les enlèvements couvrent l’essentiel ou la totalité de la surface du galet, cf p. 56. 2 .- Ainsi croyait-on que le galet aménagé évoluait jusqu’à la lamelle, passant forcément par divers stades intermédiaires : biface abbevillien, biface mince, éclat, lame. Tous les éclats ayant permis de leur donner forme étaient entendus comme déchets et non comptabilisés 3 .- Il distinguait : mode 1 : galets aménagés ; mode 2 : bifaces ; mode 3 : industries sur débitage Levallois ; mode 4 .- industrie sur débitage laminaire ; mode 5 : industrie à débitage lamellaire et microlithes. 4 .- Depuis, l’origine humaine de cette industrie a été contestée.
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Fig. 7.- Gisements du Paléolithique ancien sités
Sahara préhistorique
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Les plus anciennes manifestations de l’homme, les galets aménagés
Le problème des galets aménagés
Longtemps ces industries restèrent marginales. Le fait est en grande partie lié à une vive réaction contre l’idée d’un « homme tertiaire » que certains préhistoriens émirent au début du vingtième siècle. Pourtant, la complexité du biface, reconnu par tous comme un outil, appelait des formes antérieures plus simples ; il devenait nécessaire d’admettre l’existence d’un outillage moins perfectionné conduisant peu à peu à cette forme complexe qui nécessite une grande habileté manuelle, un savoir faire résultant d’un long apprentissage. Les connaissances acquises à ce jour lèvent toute ambiguïté en permettant de dégager les traits caractéristiques d’enlèvements produits par l’homme et ainsi, dans la quasi totalité des cas, de les distinguer des galets et éclats cas sés naturellement1. Au fil des découvertes, les caractéristiques portées par les galets aménagés ont autorisé diverses méthodes d’étude et classifications. Dans le Nord de l’Afrique, la préférence va souvent à la méthode proposée par H. Roche en 1980 et la classification établie par L. Ramendo en 1963 (fig. 9), en raison de sa simplicité2.
Le galet aménagé est le plus ancien outil fabriqué par l’homme. Sa polyvalence est telle qu’il peut se retrouver à tout moment de l’histoire humaine, même à l’heure actuelle ; sa présence ne peut donc servir à caractériser des ensembles industriels que lorsque ceux-ci offrent d’autres attributs dont les plus importants sont la position stratigraphique et la faune d’accompagnement. A Aïn Hanech, leur forme ultime, le sphéroïde à facettes, y constitue un des ensembles les plus évolués du Paléolithique ancien. Fig. 7 – Gisements du Paléolithique ancien cités. 1) Fouyé-Edina ; 2) Site 5696 ; 3) Enneri Maro ; 4) Sherda ; 5) Zouar ; 6) Yei Lulu Loga ; 7) Tafassasset ; 8) In Afalehleh ; 9) Tin Zaouaten ; 10) Meniet ; 11) Takoumbaret ; 12) Arak ; 13) Hassi el Khenig ; 14) Aoulef ; 15) Reggan, Carrefour ; 16) Idjerane ; 17) Bordj Tan Kena ; 18) Foum el Kheneg ; 19) Meksem ed Douar, Chabba Tezzougar, Oued Trick ; 20) Oum Bouraï ; 21) Gara Taourirt ; 22) Mazzer ; 23) Foum el Hassan ; 24) Oued Abeidé, Oued Akerdeil, Achguig el Adam L.53/23 ; 25) Farabana ; 26) Thèbes ; 27) Aïn Brimba ; 28) Berraket es Salhy, Sbikha, Argoub el Blaghgi ; 29) Mansourah, Constantine ; 30) Djebel Meksem ; 31) Aïn Boucherit, Aïn Hanech, El Kherba, El Beida ; 32) Champlain (=El Omaria) ; 33) Monts de Tessala (Kailia, Ouennène) ; 34) Daya el Hamra ; 35) Ksar Lamsa, Demnet el Khil, Henchir el Mestir ; 36) N’Gaous ; 37) Kaddanarti. En l’absence de datations, la distribution géographique actuelle suggère un parcours qui suit les massifs montagneux, la vallée de la Saoura, pour s’épanouir au nord. 1 .- Dans certains cas très particuliers, un éclatement naturel, tel celui résultant de l’effet du gypse, est susceptible de poser problème. 2 .- P. Biberson en a également proposé une dans les Fiches Typologiques Africaines (1967), puis M.A. El Hajraoui, en 1989.
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Sahara préhistorique
Fig. 8 – Classification des galets aménagés d'après L. Ramendo (1963) ; simple, elle est aussi rigoureuse et et quoique ancienne, rend bien la catégorisation des galets aménagés.
Les sites essentiels Aïn Boucherit Découvert et étudié d’abord par A. Pomel en fin de 19ème siècle, puis C. Arambourg au milieu du 20ème siècle, l’Aïn Boucherit est resté longtemps un des plus importants sites paléontologiques du Nord-saharien. Les travaux repris sous la direction de M. Sahnouni au début des années 2000 devaient y ajouter la présence d’un hominidé matérialisée par la découverte de galets aménagés et d’éclats en deux points. L’un a livré 17 pièces (7 galets, 9 éclats, 1 pièce retouchée), l’autre 256 pièces réparties en 121 galets, 65 éclats, 3 éclats retouchés, 67 fragments. Il s’agit de pièces en calcaire ou silex provenant des incisions voi-
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Les plus anciennes manifestations de l’homme, les galets aménagés sines qui étaient mêlées aux restes osseux. Dans les deux locus, des ossements portent des traces de boucherie (stries de découpe, marques de percussion) et de Carnivores. Ces dernières sont peu nombreuses ; les traces de boucherie concernent 17 pièces dans le locus inférieur, 9 dans le supérieur. Le matériel osseux issu des fouilles Sahnouni (573 pièces) précise les données faunistiques antérieures ; il paraît dominé par Gazella setifiensis, Parandicorcas latifrons, Equus numidicus et des Bovidés ; il comporte Anancus osiris, Hipparion libycum, Sivatherium maurusium, Ceratotherium mauritanicum, Hippopotamus cf gorgops, Strutio barbarus..., et dans le locus supérieur Kolpochoerus phacochœroides, Elephas africanavus. Ce matériel est contenu dans une matrice fine, faite de limons et d’argiles, qui appartient à la formation de l’Aïn Hanech. Par combinaison des datations obtenues par biochronologie, magnétostratigraphie et ESR, les auteurs placent l’occupation inférieure à 2,44±0,14 Ma, l’occupation supérieure à 1,92±0,05 Ma. Aïn Hanech Voisin de l’Aïn Boucherit, le site Aïn Hanech fut longtemps connu lui aussi pour sa faune mammalienne. Découvert par C. Arambourg, en 1931, lors d’une reprise des travaux dans le gisement paléontologique de l’Aïn Boucherit, les fouilles qu’il menait en 1947 mettaient au jour dans un poudingue du sommet des dépôts géologiques, des galets en forme de boule présentant de multiples facettes. En 1963, lors d’une visite du site, une vingtaine de pièces nouvelles y étaient récoltées par une mission du Centre de Recherches Anthropologiques Préhistoriques et Ethnographiques d’Alger accompagnant C. Arambourg et Y. Coppens, puis, en 1992, les travaux étaient repris sous la conduite de M. Sahnouni de l’Institut d’Archéologie de l’Université d’Alger. Durant les années qui suivirent les découvertes de C. Arambourg, la question de l’aménagement des galets par l’homme resta posée. Pourtant aucune action naturelle ne justifiait leur forme et ils ressemblaient aux pièces trouvées en Ouganda, au Tanganyika, en Afrique du Sud, en Inde où elles constituaient alors des ensembles industriels non contestés. Il fallut pourtant attendre la réunion du Congrès panafricain de préhistoire à Alger en 1952 pour trancher. Si l’on peut s’en étonner à l’heure actuelle, il ne faut pas perdre de vue que jusqu’alors, le plus souvent, seul le biface était véritablement reconnu comme outil.
Fig. 9 - Les gisements de Aïn Boucherit (niveau inférieur) et Aïn Hanech (niveau supérieur) d’après Arambourg et Balout, 1952 - Du nouveau à l’Aïn Hanech. Bulletin de la Société d’Histoire naturelle de l’Afrique du Nord, XLIII (:152).
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Sahara préhistorique Le gisement préhistorique de l’Aïn Hanech est inclus dans des dépôts attribués au Villafranchien supérieur (= Pléistocène inférieur). Ils surmontent les dépôts du Villafranchien inférieur qui renferment les industries de l’Aïn Boucherit et, comme eux, résultent du remplissage d’une cuvette lacustre par des argiles et graviers apportés par les cours d’eau, nommé formation de l’Aïn Hanech. Les fouilles de C. Arambourg ont permis de définir deux niveaux séparés par des argiles brunes stériles. Le niveau inférieur est un poudingue calcaire à gros éléments ; le niveau supérieur, une argile grise ayant à sa base de petits lits sableux ou graveleux, est une vase lacustre. La faune est identique dans les deux niveaux ; avec des éléphants, bovidés, hippopotames et des équidés, elle indique une savane ouverte, tandis que Gazella pomeli, Numidocapra, Connochætes sont caractéristiques d’un climat aride, ce que confirme la forme des métapodes d’Equus tabeti1. Au sein de ces restes fauniques, et en nombre dans le niveau supérieur, C. Arambourg a trouvé des galets aménagés, type sphéroïdes à facettes, qui ont été tirés de galets calcaires ou dolomitiques, semblables à ceux du poudingue et sont couverts de facettes concaves montrant parfois sur le bord, des stigmates de percussion. Quelques trièdres et bifaces, à tranchant sinueux, à pointe mal dégagée, taillés à grands éclats ayant préservé une grande partie du cortex se trouvaient dans la partie supérieure du gisement. Ces sphéroïdes furent d’abord considérés comme les formes de galets aménagés les plus anciennes, mais les travaux de P. Biberson au Maroc devaient montrer qu’il s’agissait au contraire d’une forme évoluée. L’étude par analyses multivariées de leurs caractères morphotechnologiques devait conduire M. Sahnouni à conclure à deux finalités d’utilisation. Un groupe, celui des galets à taille uniface ou/et biface vise à l’obtention d’un tranchant, un autre, celui des galets polyédriques et subsphériques visant plutôt la masse et sa morphologie. La reprise des fouilles par cet auteur (fig. 10) a dégagé la coupe suivante : reposant sur un niveau graveleux, des limons constituent une matrice homogène dans laquelle deux niveaux A et B, difficiles à isoler l’un de l’autre sont séparés d’un niveau supérieur C par une formation stérile de 1m d’épaisseur. Au toit, une croûte calcaire renferme quelques laisses de présence acheuléenne. Elle a mis en valeur une conformité avec le matériel retrouvé dans les beds I et II d’Oldoway. Outre des galets aménagés, ont été mis au jour des éclats, les uns en calcaire, les autres en silex pouvant porter des retouches sommaires ou être transformés en médiocres racloirs, denticulés, encoches, parfois en burins ou perçoirs atypiques, l’essentiel 80 % consistant en pièces brutes de taille, de dimension inférieure à 2 cm. Ce matériel montre un débitage sur place et traduit un faible degré de standardisation ; il a conduit certains auteurs à proposer d’interpréter les galets polyédriques comme des nucléus. Le matériel osseux a confirmé les données antérieurement obtenues par C. Arambourg. Dès les premières découvertes, l’absence de connexion anatomique dans le matériel osseux, les fragments plus ou moins brisés, étaient rapportés à un dépôt par ruissellement. Toutefois la fraîcheur généralisée des arêtes -seules quelques pièces ont des arêtes émoussées légèrement- mettait en évidence un transport 1 .- Les métapodes des Equidés, particulièrement sensibles au milieu dans lequel ils vivent, sont susceptibles de modifications notables d’un individu à l’autre.
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Les plus anciennes manifestations de l’homme, les galets aménagés nul ou sur une faible distance. Les fouilles dirigées par M. Sahnouni ont révélé la présence de plusieurs occupations humaines en bordure de lac, à peine remaniées sur place et la question d’une occupation saisonnière est posée, ainsi s’expliquent les différences que présentent les coupes dégagées par C. Arambourg et M. Sahnouni.
Fig. 10 – Fouilles du gisement de l'Aïn Hanech (cl. M. Medig).
Aoulef A proximité de l’oasis d’Aoulef, dès 1955, H.J. Hugot a fait mention d’un gisement coiffant une colline couverte d’un niveau de galets dans lequel se rencontre le matériel archéologique. Un ensemble de 163 pièces a été récolté. Ce sont des galets en quartzite (un seul est en rhyolithe et un autre en lave), de petite taille, 6 à 8 cm, fracturés simplement pour les uns, portant des enlèvements subparallèles, perpendiculaires à ce plan de fracture pour d’autres. Les plus élaborés possèdent un tranchant sinueux obtenu par enlèvements opposés. Ils constituent 60 % de l’industrie, les autres types représentant chacun environ 15 %, auxquels s’ajoutent 10 % de divers, pièces souvent trop érodées pour être déterminables. Bordj Tan Kena En 1954, le géologue J.M. Freulon mentionnait des galets aménagés dans les niveaux supérieurs du bassin d’Illizi. Les pièces, patinées, gisaient parmi les « galets formant la grande nappe de quaternaire ancien qui s’étend du nord de Tihemboka à l’ouest de Hassi Soug’ed ». Reprenant les travaux dans cette région une vingtaine d’années plus tard, A. Heddouche récoltait un riche ensemble industriel à la surface d’une gara et dans la partie sommitale d’un glacis, vestiges d’une paléovallée perchée à 50 m au-dessus de l’oued actuel. Les pièces, en quartzite, le plus souvent volumineuses, avec des longueurs de 10 à 14 cm et pouvant dépasser 20 cm, des largeurs de 8 à 12 cm voire davantage, pour une épaisseur de 3 à 10 cm, présentent une profonde patine noire. Les enlèvements en nombre varié, avec des angles qui se situent généralement entre 31° et 60°1, 1 .- En Afrique de l’Est, J. Chavaillon mentionne des angles différents formés par les enlèvements selon l’appar-
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Sahara préhistorique ont conduit essentiellement à des chopping-tools. Un pic à section triédrique, quelques bifaces partiels donnent à cet ensemble industriel un aspect évolué. El Kherba Découvert en 1992, le site d’El Kherba est situé à 300 m d’ Aïn Hanech, il fait partie d’un complexe qui se développe sur 1 km2 mis en évidence par les fouilles de ces dernières années menées sous la direction de M. Sahnouni et qui regroupe outre El Kherba, les sites oldowayens d’Aïn Boucherit, Aïn Hanech et El Beidha récemment découvert. Mise en place en 1993, la fouille d’El Kherba s’est étendue sur une surface de 33 m2 et a dégagé une coupe de 2 m de commandement montrant plusieurs niveaux d’occupation séparés par un mince dépôt stérile. Elle a livré 631 pièces dont 270 artifacts, pour l’essentiel éclats de dimension inférieure à 2 cm (75 %), les galets aménagés ou nucléus n’atteignant que 5 %, les pièces retouchées près de 9 %, l’ensemble des éclats et fragments 11 %. La répartition du matériel rapporte des zones de plus grandes fréquences, près d’ossements d’éléphant par exemple, montrant une occupation tantôt en bordure de chenal ou rivière, tantôt en bordure de lac. Des découpes de boucherie ont été retrouvées sur des os d’hippopotame. La faune, semblable à celle d’Aïn Hanech, est dominée par les Equidés ; elle indique un milieu relativement sec et ouvert et les analyses de 13C suggèrent une aridité croissante et une expansion des prairies. M. Sahnouni intègre le matériel d’El Kherba comme celui Aïn Hanech, dans le mode 1 et l’assimile au bed I supérieur et bed II d’Oldovay, ainsi qu’aux niveaux B de Gomboré I. Farabana Sur les rives du Niger, à Farabana, non loin de Bamako, Th. Tillet fait mention d’un ensemble de 141 galets typiques associés à 23 pièces incertaines et 25 éclats plus ou moins corticaux, 1 percuteur, qui étaient regroupés sur une surface de 50 m2. Les galets se subdivisent en 61 choppers, 64 chopping-tools, 16 polyèdres. Certaines pièces sont de véritables proto-bifaces. Tous ont été roulés puis recouverts d’une patine brune, voire, pour certains, d’une concrétion ferrugineuse qui montre parfois des traces d’usure. Ils proviennent de « graviers sous berge » qui reposent sur les grès du Précambrien formant le lit du fleuve et ils sont recouverts de 2-3 m de sédiments argilo-sableux, graviers que P. Michel date de 25 000 à 30 000. Si cette position stratigraphique n’offre guère d’intérêt en elle-même du fait des remaniements dont les galets portent les marques, les concrétions ferrugineuses permettent de les rapporter à la plus ancienne cuirasse. Kailia et Ouennène Ces deux gisements ont été identifiés par G. Thomas, dans les monts du Tessala, en 1972. L’industrie est contenue dans un cailloutis hétérométrique rapporté au Salétien, qui est scellé par un paléosol. Kailia a livré 48 pièces, Ouennène 187. Ce sont des pièces à arêtes fraîches, façonnées en calcaire pour l’essentiel ou en grès. Elles se distribuent en éclats 69,8 %, polyèdres 14 %, tenance culturelle des galets. Il serait proche de 90° pour les pièces oldowayennes, de 70°-80° pour les galets accompagnant du matériel acheuléen.
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Les plus anciennes manifestations de l’homme, les galets aménagés choppers 9 %, percuteurs 5 %, éclats retouchés 2,6 %. G. Thomas les rapporte au stade III ou IV de la classification Biberson. Sherda et les gisements tchadiens On doit à M. Dalloni, les premières mentions de galets aménagés au Tchad. Le site de Sherda qu’il avait découvert lors de la mission scientifique au Fezzan, Kawar et Tibesti (1944-45) montre un abondant matériel provenant du démantèlement de la haute terrasse. Ces galets furent attribués à un Néolithique type « campignien » par H.J. Hugot, lequel néanmoins ne niait pas la présence de Pré-acheuléen dans ce secteur puisqu’il y mentionnait le site de Fouyé-Edina à une centaine de kilomètres de Largeau. La position stratigraphique du matériel provenant de Sherda a été précisée par Y. Coppens. A l’Enneri Maro, il retrouvait une situation identique avec de nombreux galets à la surface des paliers supérieurs de l’oued, qui laissaient soupçonner leur présence dans la haute terrasse. A Zouar, la découverte d’un galet en couche dans une terrasse similaire devait confirmer cette proposition. A ces gisements, il y a lieu d’ajouter le Site 5696 signalé par Y. Coppens en 1968 dans la même région, ce qui suggère une certaine densité de l’occupation humaine la plus ancienne dans ce secteur. Mais aucun de ces ensembles industriels, ni celui de Yei Lulu Loga n’a fait l’objet d’une étude détaillée. Reggan En 1962, P. Cinquabre mentionnait deux gisements de surface dans l’Ahaggar, aux environs de Reggan1, R/2 et R/3a. Ils tirent un intérêt particulier de la classification basée sur la direction des enlèvements qu’a pu établir L. Ramendo à partir de plus de 300 pièces qui y furent récoltées. R/2, d’où proviennent 81 pièces, s’étend sur la moitié d’un hectare à une quinzaine de kilomètres au sud de Reggan2. R/3a est situé à l’est de l’agglomération ; beaucoup plus vaste, à outillage moins dense, il couvre quelque 65 hectares et a livré 240 pièces. Il pourrait correspondre au site dit Reggan-Taourirt par N. Chavaillon3. Les pièces sont de petites dimensions, 71 à 32 mm, avec une moyenne plus élevée pour celles de taille unidirectionnelle, 66 mm contre 56 et 52 mm pour les bi- et multidirectionnels, à R/2. La moyenne générale est légèrement plus élevée à R/3a. Cet outillage a été taillé dans des quartz, quartzites, plus rarement dans des grès, silex, bois fossile ou roches éruptives. L’analyse par le biais de la typologie alors mise en place, fait ressortir certaines différences entre les deux points de récolte. Si dans chaque site, les galets fendus constituent environ 10 % de l’ensemble, R/3a a livré une majorité de pièces à taille unidirectionnelle (50 %) suivie par les façonnages bidirectionnels (40 %) alors que R/2 montre une situation inverse avec 50 % de pièces à taille bidirectionnelle, 30 % à taille unidirectionnelle, la proportion de multidirec1 .- En 1963, H. Lhote signalait lui aussi des ensembles de galets aménagés dans cette région. 2 .- En 1971, A. Méry fait état d’une vaste station qu’il nomme « Carrefour », plus ou moins ensablée où une industrie de galets aménagés, une industrie lamellaire épipaléolithique et une industrie néolithique sont contigus. La partie paléolithique ancien serait la station R/2. 3 .- N. Chavaillon (1961) a récolté un ensemble industriel atérien à Reggan-Taourirt (cf p. 203). P. Cinquabre tend à identifier ce site à Reggan R/3a et y voit un mélange d’industries atérienne et oldowayenne, opinion partagée par divers auteurs.
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Sahara préhistorique tionnels étant légèrement plus élevée en R/2 qu’en R/3a (6,5 et 3,6). Mais ces divergences ne prennent à l’heure actuelle aucune signification. Plusieurs autres sites ont été retrouvés dans le Sahara central. En 1950, H.J. Hugot récoltait des galets aménagés à Hassi el Khenig, il devait en retrouver, mais en position secondaire, à Arak dans un poudingue, à Takoumbaret, à Meniet. Leurs formes sont variées et l’un évoquerait un proto-biface. La mission Berliet-Ténéré en a identifié à In Afalehleh et en divers points le long du Tafassasset où une exploration due à l’Office du Parc National du Tassili1 en a également récoltés. Antérieurement, ils ont été mentionnés à Tin Zaouaten. Les gisements marocains et leurs problèmes Au Maroc, outre les découvertes faites au sud du pays dans la plaine du Draâ, de telles industries ont été mentionnées en divers points et dans des niveaux différents de la façade atlantique (Oued Mda, Arbaoua, Souk el Arba, Sidi Kacem dans le Rharb, Tardiguet-er-Rahla dans la Mamora, Douar Doum, Salé, Chellah près de Rabat, Carrières Schneider, Déprez=actuellement Ahl al-Oughlam2 et Sidi Abderrahman à Casablanca). Des positions stratigraphiques différentes avaient permis à P. Biberson de proposer divers stades3 : les deux premiers qui constituaient le « Pré-acheuléen ancien », utilisaient la taille unidirectionnelle, ce qui n’est pas conforme aux observations faites en Afrique orientale où de conséquentes séries évolutives du stade ancien utilisent la taille bi- ou multidirectionnelle. L’évolution du galet alors perçue, montrait que les sphéroïdes à facettes étaient un stade évolué conduisant à la bola qui se développe dans l’Acheuléen. La réalité de ces industries a été contestée lors d’une reprise des travaux dans la région de Casablanca par l’Institut National des Sciences Archéologiques et Préhistoriques et la Mission Préhistorique et Paléontologique Française au Maroc. Le Pré-acheuléen ancien ne serait que le résultat d’actions naturelles « provoquées par l’entrechoquement des galets dans un milieu littoral de haute énergie » et le Pré-acheuléen évolué serait le produit du remaniement d’industries plus récentes. En 1982, l’exploitation d’une carrière de limons argileux à Daya el Hamra dans la forêt de la Mamora, mettait au jour un nouveau site à galets aménagés4. L’étude menée par M.A. El Hajraoui rapporte un ensemble constitué en majo1 .- En 2011, l’appellation Parc Culturel du Tassili a été substituée à Parc National du Tassili. 2 .- Le matériel lithique retiré de ce site avec la faune, n’est plus considéré comme travaillé par l’homme. 3 .- Au stade I, le «tranchoir », galet à taille unidirectionnelle n’occupant qu’une part très réduite de la surface, prédomine. Il se rencontrerait à Oued Mda, Arbaoua dans le nord de la plaine du Rharb, Douar Doum, Tardiguet-er-Rahla. Au stade II, le tranchoir reste dominant, il s’accompagne d’ébauches de pièces bidirectionnelles. Il serait présent aux carrières Déprez à Casablanca, Schneider du Maarif-aéroport où il figure dans le niveau le plus ancien. Au stade III, la taille bidirectionnelle devient courante, la surface touchée par les enlèvements se développe, le taillant s’allonge. Ce stade figurerait dans le niveau supérieur de la carrière Schneider, à Chellah près de Rabat, Souk el Arba du Rharb, Sidi Kacem. Au stade IV, la taille unidirectionnelle a quasiment disparu, la taille multidirectionnelle se développe, le galet est presqu’entièrement recouvert d’enlèvements. Ce stade se rencontrerait à Sidi Abderrahman-Extension dans le poudingue de base. En 1970, P. Biberson signalait dans le gisement de Salé, parmi la pebble-culture,évoluée gisant en surface, une «mini-industrie» sur graviers, de dimensions inférieures à 5 cm, avec galets aménagés et nombreux éclats de taille parfois utilisés, qui évoquerait la mini-industrie du Bed I d’Oldoway. Mais alors que dans ce dernier site, les «mini-» et «maxi-industries» paraissent s’exclure, à Salé, elles seraient mêlées. 4 .- Dans cette forêt, des galets aménagés avaient été retrouvés par G. Lecointre au Tardiguet-er-Rahla.
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Les plus anciennes manifestations de l’homme, les galets aménagés rité de choppers 59 %, taillés de diverses manières, 15 % de chopping-tools, et a également livré 22 % de polyèdres et près de 1% de protobifaces ; des éclats, 38, les accompagnent dont moins de 1 % transformé en outils, racloirs de préférence. La révision de la stratigraphie qui a été faite par J.P. Raynal et al, amène à placer cet ensemble au Tensiftien ; il n’appartiendrait pas au Pré-acheuléen, il serait plus récent et ne pourrait être assimilé à l’Oldowayen1. Autres gisements En Mauritanie, d’après P. Biberson, le site d’Oued Abeidé montrerait les galets sans mélange, en contact avec la croûte ferrugineuse supérieure. Ailleurs, ils sont toujours associés à un matériel plus récent, sauf, d’après Th. Monod, à l’oued Akerdeil, dans le Richat. Ce site subsuperficiel s’étend sur plusieurs milliers de mètres carrés; d’après O. Cherif Touré, il a livré 118 pièces en quartzite. Il s’agit de galets, éclats corticaux, choppers parmi lesquels prédomine la forme à tranchant, des pointes sont aménagées sur petits galets épais, rarement par plus de quatre enlèvements envahissants et profonds, effectués dans la partie la plus épaisse. La patine et le douci des arêtes permettent d’y voir deux ensembles dont l’un qui aurait été roulé, serait en position secondaire ; même si on ne sait pas les dater, cela suggère la longue durée pour l’occupation du secteur par l’homme. En 1999, une stratigraphie y a été identifiée par G. Prince. Aux confins de l’Adrar, au nord d’Achguig el Adam, R. Vernet signale une vaste zone, L.53/23, comportant d’une part quasi exclusivement des galets aménagés, d’autre part des bifaces. Dans la vallée du Draâ, près de Foum el Hassan, en 1952, Mortelmans et al mentionnaient un site à la surface d’un reg ancien. M.H. Alimen et J. Chavaillon ont fait état de choppers et de polyèdres en divers points de la vallée de la Saoura et sur le flanc nord des Monts d’Ougarta (Foum el Kheneg, Meksem ed Douar, Chabba Tezzougar, Oued Trick, Oum Bouraï, Gara Taourirt, Mazzer). Ils proviennent de dépôts rapportés au Mazzérien (Pléistocène inférieur). Malgré le petit nombre de pièces récolté dans chaque niveau, les transformations qui s’observent, proposent une évolution conduisant aux débuts de l’Acheuléen qui se rencontrent dans le Taourirtien, formation surmontant le Mazzérien. A 120 km à l’est d’In Salah, G. Bonnet découvrait, en 1959, le site d’Idjerane. Des galets aménagés étaient cimentés dans la haute terrasse de l’oued Botha qui, en ce point, domine le thalweg de 10 à 15 m. Quelques galets aménagés roulés ont été trouvés par Castellani dans la région d’El Omaria (Champlain) dans l’Atlas ; ils sortent d’un éboulis établi aux dépens d’un conglomérat aquitanien2 que l’on suit « vers l’Est, tout au long de l’Atlas, au pied duquel il semble avoir constitué une sorte de glacis », indépendant de l’hydrographie actuelle3. Dans la région de Constantine, les découvertes sont particulièrement nombreuses. A Mansourah, en 1953, G. Laplace reconnaissait à la base d’une importante stratigraphie, des polyèdres et éclats associés à un travertin ; au-dessus, 1 .- On aborde ainsi la question d’appartenance à une culture : s’établit-elle par la structure industrielle ou la chronologie quand il n’y a pas concordance avec les schémas établis ? 2 .- Etage géologique des débuts du Miocène, l’Aquitanien est daté entre 23,5 et 20 Ma. 3 .- Balout, 1955, p. 233.
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Sahara préhistorique mêlée à des galets, la même industrie se retrouve mais elle est roulée et accompagne des trièdres primitifs, puis vient un nouveau niveau de galets emballés dans des limons sableux avec polyèdres roulés et non roulés, hachereaux. Cette stratigraphie devait être confirmée par les découvertes faites par le R.P. Poyto lors de la construction du collège. Des galets aménagés ont également été récoltés au sud du Djebel Meksem, il en a été signalé à Constantine dans les fondations d’un barrage et un niveau à galets aménagés a été identifié à N’Gaous au-dessous des niveaux acheuléens. A. Gragueb rapporte la présence de formes évoluées de galets aménagés dans l’arrière pays d’Hammamet, à Berraket es Salhy, Sbikha, Argoub el Blaghgi en Tunisie. Dans la région de Kairouan, lors de levés de géologie du Quaternaire, M.R. Karray en a trouvé à Ksar Lamsa, Demnet el Khil, Henchir el Mestir dans un calcaire lacustre attribué au « Villafranchien ». A Aïn Brimba, R. Coque les a identifiés dans des déblais de fouilles, ils y sont postérieurs à une faune mammalienne provenant d’un niveau de brèche rose datée du Gélasien. En Egypte, près de Thèbes, le glacis qui domine d’une vingtaine de mètres l’oued Bariya renferme dans ses alluvions des galets aménagés qui, d’après P. Biberson et al, appartiendraient à un stade évolué. L’ouverture d’une tranchée a montré un niveau assez bien localisé. La fraîcheur des pièces et leur concentration éliminent un long transport ; il pourrait s’agir d’un épandage de galets ayant servi de carrière1. Quelques galets associés à de la grosse faune avec Palaeoloxodon recki ont été reconnus à Kaddanarti, dans la région de Dongola, par la mission archéologique suisse. En divers endroits, la séquence d’Ounjougou a fourni à E. Huysecom et ses collaborateurs, des galets aménagés, choppers, choppingtools, sphéroïdes et des éclats ; remaniés au sein de formations ferrugineuses ou fluviatiles indurées, ils n’ont pu être datés et sont seulement proposés antérieurs à 500000.
Pérennité et autonomie des galets aménagés Si les galets aménagés interviennent en nombre dans les niveaux anciens du Quaternaire, associés ou non à des éclats bruts de taille pour les uns, retouchés pour les autres, ces niveaux ne sont toutefois pas les seuls à en livrer. Leur tradition persiste dans l’Acheuléen où ils restent associés aux bifaces2. Ils peuvent être nombreux dans l’Atérien. Certains ensembles industriels du Néolithique, en particulier au Sahara central, en renferment. Leur utilisation subsiste d’ailleurs encore à l’heure actuelle ainsi que l’a souligné P. Biberson ; les pêcheurs de la région de Tarfaya en fabriquent pour fendre les coquilles de moules afin de retirer vivant et sans blessure, l’animal qui servira d’appât pour la pêche. 1 .- L’outillage archaïque qui avait été signalé par F. Debono à Biban el Molouk, dans des dépôts anciens de la montagne thébaine, paraît discutable ; en 2006, au vu de l’iconographie, P. Vermeersch doutait de l’intervention humaine. 2 .- Sur le littoral marocain, P. Biberson en dénombre quelque 20 % dans l’Acheuléen ancien. Dans la Saoura, ils représentent plus de 50 % dans des industries associées au Taourirtien inférieur, s’abaissent à 10 % dans celles du Taourirtien supérieur ; plus tard, alors que se développe la méthode Levallois, ils subsistent à hauteur de 4 %. Au Lac Karar, dans l’Ouest algérien, ils sont mêlés à des bifaces frustes. En Egypte, à Arkin 8, ils sont également associés à des bifaces.
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Les plus anciennes manifestations de l’homme, les galets aménagés Il résulte de cette pérennité une présence possible de galets aménagés dans des formations récentes. Bien qu’ils soient alors accompagnés d’autres outils, il est indispensable de se montrer particulièrement circonspect à leur égard quand ils sont peu nombreux et des recoupements stratigraphiques doivent impérativement être faits pour éviter des confusions1.
Quand l’homme apparut-il dans ces régions ? La position stratigraphique des galets aménagés de la zone saharienne, leur association aux plus anciennes terrasses, ne suffisent pas pour leur attribuer un âge, si ce n’est les rapporter au « Villafranchien ». La stratigraphie datable établie par P. Biberson sur le littoral marocain, remise en cause, le complexe de l’Aïn Hanech est le seul ensemble d’Afrique nord-équatoriale qui réponde à cette question d’abord par le biais de son association faunique, plus récemment par son paléomagnétisme. Selon C. Arambourg la présence de Sivatherium rapportait le niveau à sphéroïdes au Villafranchien supérieur (= Pléistocène inférieur), vers 1,8-1,6 Ma. Cette proposition avait été battue en brèche par J.J. Jaeger qui, s’appuyant sur la microfaune, l’attribuait à la base du Pléistocène moyen et le plaçait vers 0,7 Ma. Or, de récentes mesures de paléomagnétisme indiquent une polarité normale ; en tenant compte des affinités de la faune, les auteurs proposent le créneau 1,951,75 Ma confortant ainsi la position d’Arambourg et la présence de matériel à Aïn Boucherit pourrait reporter cette présence à 2,3 Ma. Ces données rejoignent par ailleurs les propositions qu’avait faites P. Biberson. A partir de l’étagement de niveaux dû à des mouvements isostasiques et malgré la complexité résultant de mouvements plus localisés que d’autres2, il rapportait les plus anciens outils au Villafranchien moyen (= Gélasien ?). Ils avaient été trouvés dans des cailloutis et limons ondulés par la fin de l’orogenèse dite rifaine au Maroc3, attribués à cette période. Au Douar Doum près de Rabat, des outils émoussés, mais aussi parfois frais, se trouvaient dans la partie supérieure d’une formation de conglomérat de 20 à 30 m de puissance qui ravine une dune consolidée appartenant au Villafranchien inférieur (= Gélasien). Au Tardiguet-er-Rahla, ils furent découverts, en 1933, par G. Lecointre dans la forêt de la Mamora, au sommet d’un dépôt de 20 à 25 m qui surmonte les marnes et sables pliocènes. La base de ce dépôt limoneux, jaune ou blanchâtre sur 10 à 12 m de puissance, était attribuée au Villafranchien inférieur (= Gélasien), puis la coloration passe progressivement au rouge-orange et, sur les 10 derniers mètres, au rouge vif constituant la « formation rouge de la Mamora » qui était 1 .- Un tel exemple est fourni à l’oued el Ogol (Mauritanie) où la présence de galets aménagés avait conduit L. Hebrard à rapporter les dépôts qui les renfermaient à une période ancienne. L’ étude menée lors d’une mission dirigée par M. Bathily dans le cadre de la RCP 848 (CNRS) a montré qu’ils provenaient d’ensembles industriels néolithiques et que cette formation devait être attribuée à l’Holocène. Un autre exemple vient d’Ounjougou où une industrie d’aspect oldowayen trouvée dans le site Kokolo a été datée entre 50000 et 70000. 2 .- Malgré les contestations qui grèvent actuellement ces données, elles ont été d’un tel apport dans la compréhension des premiers peuplements du Nord de l’Afrique, qu’il nous a semblé prématuré de ne plus en faire état. 3 .- On sait que les débuts du Pléistocène connurent une forte instabilité tectonique, particulièrement importante vers l’est. Ils furent probablement marqués par quatre phases orogéniques dont la dernière serait datée de 1,5 Ma.
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Sahara préhistorique rapportée au Villafranchien moyen (= Gélasien ?)1. Comme à Daya el Hamra, c’est dans un des lits de cailloutis qui y apparaissent sporadiquement, qu’avaient été trouvés les galets aménagés. Le stade suivant aurait été associé aux plages régressives du Messaoudien. Dans la carrière Schneider du Maarif-aéroport, il était renfermé dans un poudingue, base de dépôts continentaux brun rouge foncé à leur partie supérieure, attribués au Salétien. A Chellah près de Rabat, Souk el Arba du Rharb, les galets aménagés auraient été associés à un cailloutis d’une puissance de 10 à 15 m ravinant le Villafranchien moyen (= Gélasien ?). Le stade final avait été identifié à Sidi Abderrahman extension où les pièces étaient prises dans un poudingue qui repose sur une plate-forme d’abrasion rapportée au Maarifien2 et qui est surmonté de calcaires à industrie acheuléenne. Les formations renfermant le Pré-acheuléen évolué se plaçaient ainsi vers 1500000. La reprise des fouilles à Casablanca en 1978, a fourni quelques informations complémentaires qui confirment cette proposition: en livrant un Acheuléen ancien daté d’au moins 700000, la Carrière Thomas rapportait la formation renfermant le Pré-acheuléen de Biberson à des dates de l’ordre de 1,5-1,4 Ma.
Que savons-nous des fabricants de galets aménagés ? A ce jour, aucun reste humain n’a été retrouvé associé aux galets aménagés du Nord de l’Afrique et l’hypothèse la plus courante qui voit H. habilis3 aux origines du peuplement de la terre4, pourrait être remise en cause par les nouvelles découvertes, entre autre par la présence à Java, de seuls restes d’Homo erectus et leur datation indirecte très haute.L’identification d’un outillage daté de 2,3 Ma à Aïn Boucherit interpelle également et pourrait conduire à un nouveau scénario des origines. On ne dispose, non plus, d’aucune donnée directe provenant du Sahara ou de ses abords, qui permettrait d’évoquer la vie de ces populations hors celles venant d’Aïn Hanech et El Kherba. On note simplement une haute fréquentation des bords de lacs, c’est dans cette position que se trouve la plupart des installations humaines du Paléolithique ancien, comme après elles, nombre de celles du Paléolithique inférieur qui ont été identifiées. Les informations livrées par l’Afrique de l’Est fournissent probablement un aperçu de ce qu’ont pu être les installations. L’existence d’un habitat y est bien attestée par des pavages, par des cercles ou demi-cercles de pierres, base probable de huttes en branchages, qui ont été retrouvés dans des niveaux datés de 1,75 à 1,5 Ma. A Oldoway, des fonds de cabane d’un diamètre de 3 m remontent à 2 Ma d’années. Les habitats pouvaient déjà être complexes avec des pierres pour caler des piquets, voire des secteurs d’activité comme à Garba XIIJ. 1 .- Une interprétation autre résulte de la récente reprise des travaux qui ont identifié 5 couches dans cette formation ; la couche 3 qui renferme de l’Acheuléen, est rapportée au Tensiftien. 2 .- Il est parfois mis en corrélation avec le Cromérien, épisode climatique chaud de la fin du Pléistocène inférieur, rapporté à l’interglaciaire Günz-Mindel. 3 .- Ou l’une de ses composantes, si l’on retient la complexité actuellement soupçonnée dans ce groupe. 4 .- Rappelons qu’en Angola, des fentes à ossements datés entre 1 et 0,6 Ma, ont livré des restes d’Hominidés de forme Homo habilis proche de la forme erectus.
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Les plus anciennes manifestations de l’homme, les galets aménagés Tout donne à penser qu’alors l’homme vivait en groupes d’une vingtaine d’individus ; Marie Leakey a proposé des sites occupés par une ou deux familles. Le groupe disposait d’un lieu de séjour fixe, dit souvent « camp de base », d’où il rayonnait à la recherche de sa nourriture. Des calculs appuyés sur des appréciations de besoins en calories, ont construit un modèle dans lequel chaque homme devait disposer d’une superficie moyenne de 25 km2 pour assurer sa subsistance, soit un territoire de quelque 20 x 25 km que le groupe parcourait à la recherche de ses proies. Et le modèle de poursuivre : alourdi par des enfants en bas âge, tout le groupe ne pouvait circuler en permanence, d’où la nécessité d’un camp de base qui était probablement déplacé à la faveur des saisons ou à la suite d’une réduction de potentiel nourricier à proximité.
Dès le Gélasien, des ensembles industriels à galets aménagés témoignent du notable déploiement géographique des hommes dans le Sahara et ses abords : on perçoit actuellement une traînée qui suit les massifs montagneux de l’Ennedi, Tibesti, Ahaggar, la vallée de la Saoura et s’épanouit au nord. Néanmoins, on ne dispose encore d’aucun élément qui permettrait de connaître avec précision l’âge et les modalités de ce déploiement, l’évolution de ces structures industrielles ou la forme humaine qui a conquis la savane couvrant alors l’essentiel de ce territoire. Les seuls créneaux chronologiques, 1,95-1,75 et 2,3 Ma viennent de deux gisements voisins, Aïn Hanech et l’Aïn Boucherit, au nord du Sahara. Des gisements de galets aménagés sont connus en divers lieux du Sahara et de ses abords, Reggan, Aoulef, Bordj Tan Kena, Aïn Hanech en Algérie, Berraket es Salhy en Tunisie, Thèbes en Egypte, Farabana au Mali. Au Maroc où ils ont été identifiés anciennement, leur présence dans les environs de Casablanca est contestée actuellement, mais ils se rencontreraient dans le Draâ. On sait peu de chose de la vie des tailleurs de galets aménagés. Ils aimaient s’installer près des lacs. Ils y aménageaient probablement des huttes comme celles que l’on a découvert en Afrique de l’Est. Issus d’un rameau végétarien, ils devaient accorder une grande importance à la cueillette. Charognards, ils pouvaient consommer de gros gibiers abandonnés par les fauves ou qu’ils leur disputaient ; la détérioration climatique des débuts du Quaternaire a dû les conduire aussi à chasser, surtout de petits animaux.
Les dents d’Homo habilis montrent un régime où les végétaux occupent une place importante mais d’où la viande n’est pas exclue. Les végétaux, ce sont des fruits, des racines, de jeunes pousses, l’essentiel de la végétation, l’herbe
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Sahara préhistorique et les feuilles demandant un dispositif digestif que l’homme ne possède pas. Certains auteurs ont supposé que la consommation de viande était un acquis des premiers hominiens car l’homme, issu d’un rameau végétarien, a dû adapter son organisme à cette nourriture. Plus riche en calories que la plupart des végétaux, la viande lui fournit la même énergie sous un moindre volume, ce qui libère son temps. Une partie de la nourriture carnée de l’homme provenait sans aucun doute de cadavres découverts au hasard du déplacement, peut-être disputés à d’autres charognards ; on peut penser que l’homme attendait le départ des fauves pour s’emparer de leurs restes. Des os à moelle et des crânes cassés montrent qu’il consommait la cervelle et la moelle des carcasses. En Tanzanie, à Djibouti, à diverses reprises, des outils ont été trouvés mêlés à des squelettes d’éléphants isolés. Il est probable que les hommes aient profité de la mort de l’animal pour s’assurer d’une grande ripaille car on trouve dans les mêmes conditions des cadavres d’éléphants morts naturellement sans trace de présence humaine autour d’eux. Cet aspect charognard est confirmé dans le gisement du Vallonet près de Nice où ont été retrouvés des quartiers de baleine qui ne pouvaient que provenir d’un animal échoué sur la plage. La chasse proprement dite s’affirme cependant très tôt, même celle de grands mammifères. En Afrique de l’Est, des têtes d’antilopes sont défoncées au-dessus des orbites par une masse. On suppose que la chasse ou la recherche des charognes occupaient un temps tel que les tâches plus aisées, la cueillette ou la capture de petits animaux, le ramassage d’escargots, etc., revenaient aux moins forts, femmes, enfants...
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Chapitre IV
Le Paléolithique inférieur et Les industries à bifaces En Afrique saharienne et subsaharienne, des outils appartenant au Paléolithique inférieur furent reconnus dès 1870-1875. Il s’agit essentiellement de bifaces ; le hachereau, pièce caractéristique du Paléolithique africain, beaucoup moins fréquent, défini bien plus tard1, est absent de ces premières données. Actuellement, plusieurs centaines de sites ont été retrouvées qui, dans leur quasi-totalité, se rapportent à l’Acheuléen sans que l’on puisse, dans la plupart des cas, identifier une phase précise ; d’autres ensembles industriels2 dont un possible Clactonien, n’ont été que rarement signalés. Dans l’Ouest saharien, les sites sont nombreux et le matériel peut joncher le sol sur des surfaces de plusieurs hectares comme à El Beyyed, posant divers problèmes dont celui de leur signification et de l’importance de l’occupation, c’est également le cas dans le Sud marocain où G. Camps et J. Riser font état d’un « immense ensemble de gisements ». Il en est de même de certains gisements des oasis du Sahara oriental qui comportent un nombre considérable d’objets. Ailleurs, la présence des hommes acheuléens n’est souvent traduite que par des stations modestes, (elles seraient nombreuses dans le sud de l’Adrar Bous, d’après J.D. Clark), et, surtout, des bifaces isolés, Contrairement au biface, le hachereau est rarement seul. Il manque dans certains sites et apparemment dans certaines régions qui peuvent être vastes comme le Bas-Sahara3 ; en Egypte, il n’est signalé que dans un site de la vallée. Donner un sens à cette absence conduirait sans doute à une pénétration profonde dans la compréhension de la vie des populations d’alors. Au sud, il est probable que les phases terminales de l’Acheuléen entretiennent des relations avec le Sangoen. Au nord de Khartoum, dans le site de Khor Abu Anga, A.J. Arkell a décrit une séquence couvrant l’Acheuléen qui se terminerait par une industrie sangoenne. Encore mal connu, le Sangoen se caractérise par des objets de grandes dimensions, grossièrement taillés au percuteur dur. Il comporte des nucléus discoïdes, de nombreux racloirs, des galets 1 .- Breuil , 1924. Hache taillée en quartzite. BSPF, 21 : 253-254. 2 .- Sur les marges méridionales des abords sahariens, il faut mentionner les découvertes faites à Oungoujou sur le plateau de Bandiagara au Mali par la Mission Archéologique et Ethnoarchéologique Suisse en Afrique de l’Ouest (MAESAO). Antérieurement à un Paléolithique moyen, diverses industries ont été reconnues. L’une dénommée « industrie de Kokolo », comporte des pièces aménagées par une taille des deux faces qui n’aboutirait pas à une morphologie normalisée de biface. L’autre comporte des sortes de rabots, galets de quartz façonnés et des éclats de quartz denticulés. 3 .- Sauf s’ils sont ensevelis sous les sables du Grand Erg Oriental.
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Fig. 11 – Gisements du Paléolithique inférieur cités
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Les industries à bifaces et le Paléolithique inférieur aménagés, bifaces sur éclats, pics, pièces hachoirs, grandes armatures à bord denticulé, de rares hachereaux, des « core-axes » qui sont des pièces étroites, plus ou moins allongées, à taille biface. Souvent considéré comme une phase finale de l’Acheuléen, le Sangoen a d’abord été attribué à un faciès forestier ; en Afrique Centrale, il semble aujourd’hui qu’il se soit épanoui à la faveur d’une régression de la forêt lors d’une phase climatique sèche, proposition qui appelle cependant beaucoup de réserves. Fig. 10 – Gisements du Paléolithique inférieur cités : 1) Wede Wede ; 2) Ounianga Kebir, Ounianga Serir ; 3) Zeringa ; 4) Fochi ; 5) Ehi Kourneï ; 6) Silemi ; 7) Blaka (Blaka Kallia 1) ; 8) Mouchi Sounosso ; 9) Toummo ; 10) Aho Salvator ; 11) Tejerhi ; 12) Gatrûn ; 13) Mourzouk ; 14) Tadjlilt, Ajâl, Germa ; 15) Sebha, Garet el Mâl ; 16) Shâti ; 17) Budrina ; 18) Tin Hanakaten ; 19) Djanet ; 20) Erg d’Admer (ADPi1 à ADPi4, Adrar Edjeleh, Anou Oua Lelioua, In Afalehleh, Ouakarouza) ; 21) Tihodaïne ; 22) Illerène ; 23) Ksar el Rhoul, Gara el Kelb ; 24) El Fasqiya ; 25) Erg Touareg ; 26) Timimoun (Zaouia Sidi el-Hadj Belgacem, Carrière à nucléus) ; 27) Tin Tamatt ; 28) Taoudeni MT26, MT18 ; 29) Khnâchich ; 30) Foum el Alba MK12, MK30, MK36 ; 31) Foum el Alba MN46 ; 32) Oued Era’rar ; 33) Lagreich ; 34) Kedama ; 35) Erg Idjafoum ; 36) Ouadane ; 37) El Beyyed (El Beyyed-Nord MI, MII, Reg I, Yeslem, Akerdit) ; 38) Rallaouia ; 39) Aroui el Kebir ; 40) Tazazmout es Srir ; 41) Hammami la Défense ; 42) Azrag ; 43) El Aderg, El Aderg Motleh ; 44) Sbekhat ; 45) Falémé (Djita, Karé, Kidira, Sansandé) ; 46) Mékrou (F.4, H.5, H.8) ; 47) Khor Abu Anga ; 48) Sites 509, 516, 430 ; 49) Sites 501, 502, 505 ; 50) Site 451 ; 51) Site 438 ; 52) Sites 400 (400S, 400W, 400N) ; 53) Wadi Halfa, Site 63 ; 54) Site 401 ; 55) Saï (8-B-11) ; 56) Bir Tarfawi ; 57) Kharga ( K-10, Refüf) ; 58) Bir Sahara (BS14) ; 59) Kurkur ; 60) Arkin 5, Arkin 8, Arkin 14, Dibeira 52 ; 61) Dakhla (E72-1, E72-2) ; 62) El Tiwierat ; 63) Nag’Ahmed el Khalifa ; 64) Abbassieh ; 65) Gafsa-Colline du Signal, El Mekta ; 66) Redeyef ; 67) El Ma el Abiod ; 68) Clairfontaine (=El Aouinet) ; 69) Henchir el Madene ; 70) Sidi Zin, Koum el Majène ; 71) Cap de Fer, Edough ; 72) Oued el Kebiril, Oued bou Merzoug (=Ouled Rahmoun) ; 73) Mansourah, Aïn Hanech ; 74) Djidjelli (=Jijel) ; 75) N’Gaous ; 76) Biskra ; 77) Champlain (=El Omaria) ; 78) Inkermann (=Oued Riou), Saint Aimé (= Djidioua) ; 79) Ternifine (=Tghnif) ; 80) Brézina ; 81) Lac Karar, Ouzidane ; 82) Aïn Fritissa ; 83) Oued el Baadj ; 84) Tamdafelt ; 85) Arbaoua, Oued Khemis (gisement de l’Hippopotame) ; 86) Salé, Kebibat ; 87) Chichaoua ; 88) Ouarzazate (Oued Neffid) ; 89) Tallaït Moulay Omar, Jbel Kfiroun ; 90) Smeila Gnefisa oum Agraid, 91) Aboukir, Sidi Affif, Zripha, Errayah ; 92) Abadou, Asni ; 93) Téhentewak ; 94) El Alia, Oued Jabbes, Henchir Saadoun ; 95) Ammorene, Aïn Mellah, Oued Ahfir ; 96) Majâbat el Koubrâ LO6-18, HL785 ; 97) Atlaf ben Dlala ; 98) Ginnaun ; 99) Dao Timmi ; 100) Nag el Amra ; 101) E71-K6, Shab en Ghar ; 102) Hamada du Guir. Cartouches : I - 1) Carrière Martin ; 2) Sidi Abderrahman (= Sidi Abderrahman-ancienne exploitation, Cap Chatelier, Grottes du Cheval, des Littorines, des Ours, du Rhinocéros) ; 3) Sidi Abderrahmanextension, Sidi Abderrahman grande exploitation ; 4) Carrière de la STIC ; 5) Carrières Thomas (Grotte des Hominidés=Thomas I, Grotte des Rhinocéros=Thomas III, =Oulad Hamida I) ; 6) Oued Bouskoura ; 7) Tit Mellil ; 8) Aïn Hallouf ; 9) Aïn Sebaa ; 10) Oued Mellah. II – 1) Gara Taourirt ; 2) Foum Seïada ; 3) Zemla Hemama ; 4) Baba Haïda ; 5) Feidj Seba ; 6) Oued Farès ; 7) Oued Ali ; 8) Oum Bouraï ; 9) Oued Trick ; 10) Beni Ikhlef ; 11) Zaouia el Kebira ; 12) Kerzaz ; 13) Meksem ed Douar ; 14) Chaba Tezzougar ; 15) Meksem ed Drir ; 16) Erg Djemel ; 17) Anchal ; 18) M’Birika ; 19) Feidj Tachenghit ; 20) Hassi Manda, Manda I, II, III ; 21) Azrir.
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Sahara préhistorique Au nord, un Acheuléen qui date de plus de 1 million d’années, fait face au monde européen où les plus anciennes industries à bifaces sont en Espagne et ne remontent qu’à 0,9 Ma d’années. On ne peut éliminer, en l’état des connaissances, un contact qui passerait par Gibraltar (ou/et la Sicile) au même titre que par le couloir levantin. Revisitant les propos de M. Reygasse et E.G. Gobert, en 1975, M.H. Alimen propose un passage de l’isthme hispano-marocain au début de Riss et siculo-tunisien en fin de Riss. En 1969, L. Moisin et F. Bordes évoquaient l’existence d’un Acheuléen méridional, développé dans le Sud-Ouest de la France, l’Espagne, le Portugal, différent de celui du Nord. Il réunit peu ou pas de ficrons, lancéolés ou micoquiens, possède quelques hachereaux.
L’Acheuléen, caractères et évolution L’Acheuléen et la terminologie Le terme Acheuléen fut créé par G. de Mortillet en 1872 pour désigner des ensembles industriels riches en bifaces, outils obtenus en enlevant des éclats sur les deux faces d’un bloc ou d’un éclat et lui donnant une forme plus ou moins en amande. C’est la technologie mode 2 de G. Clark. Dans les anciennes publications, on trouve plusieurs dénominations qui ont été rejetées ou sont tombées en désuétude ou encore ont vu leur sens modifié. C’est le cas d’Abbevillien qui longtemps désigna le plus ancien faciès du Paléolithique inférieur, caractérisé par des bifaces taillés au percuteur dur, aux enlèvements courts et épais, et qui conservent souvent du cortex. Si le terme est devenu caduc pour qualifier un faciès culturel, les industries auxquelles il s’appliquait étant placées dans l’Acheuléen, le mot est parfois encore utilisé comme adjectif pour désigner ces bifaces grossiers, épais, à arêtes très sinueuses, section quadrangulaire ou triédrique. Chelléen est tombé en désuétude, de même Clacto-Abbevillien, Rahmanien. Micoquien qui était pour L. Balout, l’équivalent de son Acheuléen IV, a perdu sa valeur chronostratigraphique pour simplement qualifier des bifaces allongés aux bords légèrement concaves. Levalloisien n’est plus utilisé depuis les travaux de F. Bordes montrant qu’il s’agissait non d’un faciès mais d’un mode de façonnage dit «technique Levallois ». S’Baïkien, créé en 1922 par M. Reygasse pour classer des « feuilles de laurier dérivant du coup de poing acheuléen » n’est plus utilisé ; l’industrie en cause ayant été attribuée à un faciès néolithique1, seuls de rares auteurs l’emploient parfois pour nommer de petits bifaces, allongés et épais. Acheuléen est utilisé de par le monde pour toutes les industries à bifaces dominants, quelque soit leur lieu d’origine. Une telle extension de l’appellation est conforme à l’un des grands principes qui préside à la science préhistorique : ne créer de noms nouveaux que pour désigner de nouvelles formes, de nouveaux ensembles industriels. L’industrie acheuléenne Pour M. Kleinsdienst, seuls les ensembles industriels comportant 40 % de bifaces auraient droit à cette dénomination ; il est difficile de concilier cette conception avec les récoltes anciennes car elles ne se sont intéressées qu’aux bifaces et aux hachereaux sans souci d’autres témoins des activités humaines, 1 .- Cf tome II.
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Les industries à bifaces et le Paléolithique inférieur nucleus, éclats retouchés ou bruts, qui leur auraient été associés, ni d’une représentativité statistiquement signifiante. Elle est également peu compatible avec la présence d’ateliers, sites de débitage associés à un gîte minéral où ne subsistent que des nucleus, les éclats de préparation et les manqués. Ainsi dans la région de Mijek, seule partie du Tiris où sont connus des sites acheuléens, Smeila Gnefisa oum Agraid, situé près d’un affleurement de diorite, ne conserve aucun biface, mais regroupe divers types de nucleus, discoïdes, Levallois, Kombewa, certains de grande dimension pouvant atteindre 20 à 40 cm. Dérivé du chopper, le biface (autrefois appelé «coup de poing») évolue en s’affinant et se miniaturisant montrant des formes semblables à travers le monde, cette évolution se fait en passant du galet retaillé à la retaille d’un éclat. Au fil des travaux, les formes des bifaces ont été dénommées1. Le hachereau est un grand éclat terminé en biseau par le seul effet du débitage, ce qui le distingue du biface à biseau terminal (aussi nommé à biseau transversal ou à bout tranchant) dont l’extrémité est un tranchant obtenu postérieurement au débitage par un enlèvement oblique ou une série d’enlèvements. La nécessité d’avoir de grands éclats2 pour produire biface et hachereau a posé la question du mode d’obtention de telles pièces ; une percussion sur enclume dite aussi sur percuteur dormant, le nucléus mobile heurtant le percuteur immobile3, est généralement évoquée. H. Breuil imaginait un appareil compliqué conçu sur la base du balancier qui aurait propulsé à la manière d’un pendule, un percuteur sur le bloc à débiter ; l’expérience montre que l’on obtient également de grands éclats ( > 40 cm) en jetant violemment à la verticale, le percuteur sur le nucléus. Pour V. Mourre et D. Colonge, la percussion sur enclume, qui nécessite une percussion tangentielle, est peu précise, ne peut produire que de grands éclats unifaciaux et sa réalisation est délicate en raison de la présence de bords tranchants. Ils proposent plutôt l’utilisation d’une percussion directe au percuteur dur, susceptible, elle, de produire des éclats janus4. Les caractéristiques notées sur les grands éclats ne sont pas en contradiction avec cette méthode car seuls l’angle d’éclatement et le cône de percussion sont significatifs d’un débitage sur percuteur dormant par un angle très ouvert atteignant jusqu’à 170° et un cône entouré d’écaillures et pouvant se dédoubler ; les autres traits se trouvent aussi dans le débitage au percuteur dur. L’évolution des hachereaux s’exprimerait dans la position de l’axe de débitage de l’éclat-support et de l’axe de l’outil : ces deux directions sont identiques pour les hachereaux les plus anciens alors qu’elles sont sécantes pour les hachereaux les plus récents. V. Mourre y voit une maîtrise croissante de la gestion des volumes. 1 .- L’abandon des dénominations traditionnelles par certains technologues nous paraît regrettable en privant d’un langage aisé et devenu universel. 2 .- A Tachenghit, B. Champault signale des hachereaux sur éclats Kombewa atteignant 1 kg, eux-mêmes issus d’éclats-nucléus dont la masse est estimée à 6 kg. 3 .- Le percuteur peut lui-même être aménagé. M.H. Alimen a décrit un bloc de quartzite d’une quinzaine de kg, provenant de l’Acheuléen supérieur de l’Oued Farès, présentant un certain nombre d’éclats de façonnage pour dégager un robuste éperon formant la touche du futur percuteur dormant. 4 .- Eclat à deux faces d’éclatement.
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Fig. 12 – Mensurations des bifaces. L : longueur, m : largeur maximale, n : largeur à mi-hauteur, o : largeur aux 3/4 de la longueur prise à partir de la base, a : distance de la base à la position de largeur maximale, e : épaisseur (d'ap. Bordes 1961).
Fig. 13 – Les caractéristiques de l'éclat produit par débitage (d'ap. Camps 1979).
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Les industries à bifaces et le Paléolithique inférieur C’est alors que devrait s’amorcer la notion de « chaîne opératoire »1. En tant que moyen d’identification des cultures, la chaîne opératoire ne vaut que par la manière dont s’agencent les chaînes. Nous en sommes loin, nous limitant au processus qui a créé l’objet et l’appliquant au débitage, rarement à l’outillage. Aussi, à l’énoncé des résultats actuels, la question des progrès qu’elle a introduit peut se poser. Parallèlement au cerveau qui passe de 500 cc chez l’homme le plus ancien de la lignée, Homo habilis, à 850 cc chez son successeur, Homo ergaster, le galet, ce premier outil, va s’allonger, s’appointir, devenir un biface. Tout au long de l’Acheuléen, il ne cesse de s’amincir, remplaçant pour cela le façonnage d’un galet par celui d’un éclat. Dans de nombreuses régions, il s’accompagne de hachereau, autre outil sur grand éclat ; il se développe amplement dans la vallée de la Saoura avec des procédés de débitage des supports grandement diversifiés qui invitent à la réflexion.
Le hachereau est un outil acheuléen courant en Afrique. Ailleurs, il se rencontre dans la région de Madrid, dans des alluvions rapportées à Riss, au Portugal ainsi qu’en Sicile, il se retrouve au Castillo, dans les Pyrénées, dans le Sud-Ouest de la France en particulier dans la vallée de la Garonne, la grotte de Morin ; cette distribution amène à envisager des contacts avec l’Europe et le franchissement du détroit de Gibraltar au début de la glaciation de Riss. Il est connu aux Indes. Il a permis d’établir l’hypothèse d’un mouvement de population suffisamment important pour imposer son usage aux populations locales ou d’un outil suffisamment efficace pour s’être répandu. Cet usage reste à identifier. Même si les travaux de V. Mourre le conduisent à y voir une tradition culturelle, son abondance dans certains sites d’Afrique du Nord, son manque dans d’autres ou dans de très vastes régions comme le Bas-Sahara, l’Egypte ou seulement dans certains niveaux comme à Sidi Zin en Tunisie, orientent aussi les recherches vers des relations avec l’environnement. Origine de l’Acheuléen Très répandu dans la zone saharienne et ses abords, l’Acheuléen l’est d’autant plus largement qu’il s’agit de ses stades les plus récents. Une telle progression est favorable à l’idée d’une évolution sur place et la traînée d’industries de galets aménagés permet d’envisager une continuité. Cette évolution peut d’ailleurs être soupçonnée dans divers sites avec la présence d’outils conduisant aux bifaces, tels que des galets aménagés en pointe, des trièdres. La vallée de la Saoura peut être significative à cet égard, tout comme la région de Constantine avec Mansourah, Aïn Hanech où quelques bifaces, très frustes, qui n’avaient été 1 .- Cf à ce sujet : Djindjian F., 2013 - Us et abus du concept de chaîne opératoire en archéologie. L’âge du fer en Europe. Mélanges offerts à Olivier Buchsenschutz. sous la direction de Sophie Krausz, Anne Colin, Katherine Gruel, Ian Ralston, Thierry Dechezleprêtre, Editions Ausonius, Collection Mémoires (32). Bordeaux : 93-107.
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Fig. 14 – Le graphique Bordes (d'ap. Bordes 1961). La valeur de L/a en fonction de n x100/m permet de classer aisément les formes plates (m/e>2,35), classiques, de bifaces. Le graphique dégage quatre bandes : l'inférieure (x=50, y=0,66 et x=100, y=2,95), dite bande IV, correspond aux ovalaires et limandes, la suivante dite III (x=50, y=1,96 et x=100, y=4,25) aux cordiformes, la bande II (x=50, y=3,26 et x=100, y= 5,55) aux subtriangulaires et la bande I aux triangulaires.
Fig. 15 – Classification des bifaces à base réservée (d'ap. Tixier 1958-59). Le type I est un trièdre, forme aménagée sommairement avec une extrémité en pointe de section triédrique ; dans le type II, la pointe est due à la rencontre de deux tranchants rectilignes, dans le type III, l'extrémité est arrondie, dans le type IV, les tranchants concavo-convexes donnent une silhouette piriforme, dans le type V, la pointe est dissymétrique, alors que l'extrémité distale est un biseau dans le type VI. Le type VII est large à extrémité obtuse. En VIII sont rangées les pièces atypiques qui n'entrent dans aucune des catégories précédentes.
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Fig. 16 - Biface abbevilien : biface épais (m/e < 2,35), de section volontiers triédrique ou quadrangulaire, aux arêtes sinueuses, dont les négatifs de taille sont très prononcés (Site 438, Guichard in Wendorf 1968).
Fig. 17 – Ficron : biface allongé à base épaisse, souvent taillée grossièrement : les bords sont droits ou légèrement convexes ou concaves, l'arête est sinueuse. Pour F. Bordes, ils pourraient être les ancêtres des formes lancéolées ou même micoquiennes car ils ont la même forme, mais le travail des arêtes est moins élaboré (Site 438, Guichard in Wendorf 1968).
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Fig. 18 – Biface amygdaloïde : biface épais (m/e < 2,35), en forme d'amande, qui conserve souvent du cortex (Zéringa, Arkell 1964).
Fig. 19 – Biface naviforme : biface allongé, peu épais (m/e > 2,35), dont les deux extrémités sont en pointe (Tihodaïne, Vaufrey 1969).
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Fig. 20 - Biface ovalaire : biface à extrémité obtuse, proche des cordiformes mais dont la plus grande largeur se situe vers la mi-hauteur (Zéringa, Arkell 1964). Il est nommé limande quand il est plat, m/e > 2,35 et l'allongement ≥ 1,6.
Fig. 21 - Biface triangulaire : biface peu épais (m/e > 2,35), à base rectiligne, bords rectilignes ou faiblement convexes (Site E72-1, Wendorf & Schild 1980). Il est dit subtriangulaire si la base est légèrement convexe, pélécyforme si la base est arrondie. F. Bordes nomme « dent de requin » des bifaces à bords légèrement concaves et base droite ou faiblement concave.
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Fig. 22 – Biface lancéolé : biface allongé, épais (m/e < 2,35), à base quelconque, pouvant conserver du cortex. La pointe a des bords sensiblement rectilignes. Les arêtes sont rectilignes ou faiblement sinueuses. (E72-1, Schild, Wendorf 1975).
Fig. 23 - Biface à biseau terminal : a) l'extrémité est un tranchant obtenu par un enlèvement oblique ou par une série d'enlèvements lamellaires partant de l'extrémité du biface ; ces pièces sont aussi nommées à biseau transversal ou à bout tranchant. Le biface à tranchant terminal se distingue du hachereau en ce que le tranchant est obtenu postérieurement au débitage et non façonné par celui-ci (Tachenghit, Champault 1956) ; b) Un biface dont l'extrémité ne se termine pas en pointe, allongé à talon épais, bords subparallèles, légèrement concaves est dit lagéniforme (Site 438, Guichard in Wendorf 1968).
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Fig. 24 - Biface cordiforme : biface court, base arrondie, bords convexes, extrémité en pointe ou mousse dont le rayon de courbure reste bien moindre que celui de la base. Sa minceur (m/e > 2,35) le distingue du biface amygdaloïde. Il est dit cordiforme allongé lorsque L/m > 1,5. Il se rencontre à la fin de l'Acheuléen et au Moustérien (BS 14, Wendorf, Schild 1975).
Fig. 25 - Biface micoquien : cas particulier de biface lancéolé (m/e < 2,35), les bords ensellés produisent une pointe effilée par un travail soigné (Hamada du Guir, Vaufrey 1969).
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Fig. 26 - Biface discoïde : biface large, plat (m/e > 2,35), sans talon ni pointe, L/m < 1,3 (Site 451, Guichard in Wendorf 1968).
Fig. 27 – Limande : biface très plat, à base et extrémité arrondies mais dont les rayons de courbure peuvent différer. La plus grande largeur est proche de la mihauteur (Site 400N, Guichard in Wendorf 1968).
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Fig. 28 - Biface nubien : pièce à symétrie très marquée, dont la base épaisse, arrondie est inscriptible dans un cercle presque parfait et les bords concaves déterminent une pointe plus ou moins allongée. Il est fait le plus souvent sur plaquette (Site 401, Guichard in Wendorf 1965).
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Fig. 29 – Ove (=oval, =ovale) : dans la vallée du Nil, pièce ovale, biconvexe, assez épaisse, façonnée sur galet par retouches bifaciales généralement limitées, aux arêtes ondulantes, dont un bord est épais et écrasé. Ils ont parfois été dits « type Khor abu Anga » (Site 505, Guichard in Wendorf 1968).
Fig. 30 - Biface flexueux (= torse, = twist) : biface dont le plan qui passe par les arêtes est gauchi sur un bord ou les deux, ce qui produit une plus grande longueur d'arête. V. Common discernait dans cette forme un moyen de mieux tenir en main la pièce. D. Burkenroad envisage l'amélioration d'un emmanchement sur un bâton fourchu (Sidi Abderrahman, Vaufrey 1955).
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Fig. 31 – Classification des hachereaux (d'ap. Tillet 1983). Type 0 : proto-hachreau réalisé sur entame de galet, dont le tranchant résulte de la rencontre de la face d'éclatement avec la surface ; Type 1 : sur entame de galet, le tranchant ayant été préparé antérieurement par un enlèvement ; Type 2 : sur éclat non Levallois ; Type 3 : sur éclat Levallois ; Type 4 : réalisé par la méthode Tabelbala-Tachenghit ; Type 5 : à retouches envahissantes sur les deux faces ; Type 6 : sur éclat Kombewa ; Type 7 : sur éclat para-Levallois.
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Les industries à bifaces et le Paléolithique inférieur retrouvés par C. Arambourg que dans des déblais de fouilles et qu’il attribuait à la formation surmontant le niveau à galets aménagés, ont bien été identifiés dans la croûte calcaire (et dans elle seule) qui coiffe ce gisement et qui est en parfaite continuité stratigraphique et sédimentologique avec lui. Certains auteurs ont néanmoins proposé une origine extérieure. L’abondance de bifaces dans le Sinaï a soulevé l’hypothèse d’une migration humaine asiatique, identique à celle de la faune mammalienne, au cours d’épisodes climatiques favorables. D’autres routes comme l’Espagne par Gibraltar ou l’Italie par la Sicile, ont même été envisagées lors d’épisodes glaciaires en un temps où l’on ne disposait que de données chronologiques sommaires. Remarquant l’absence de hachereau dans les industries de la vallée du Nil, P.M. Vermeersch les associe volontiers à une population « non africaine ». Evolution des industries acheuléennes Dans chacune des régions où ses transformations ont pu être suivies sur un territoire restreint, l’Acheuléen montre une évolution lente, avec une technologie qui passe à peu près par les mêmes stades, mais ne le fait pas forcément au même rythme. P. Biberson ne voyait aucun lien systématique entre les dimensions des pièces et la chronologie, ni entre les variétés de bifaces basées sur les indices de dissymétrie et de convergence, ou encore les axes de débitage des hachereaux. Néanmoins, les séquences de la vallée de la Saoura établies par M.H. Alimen et ses collaborateurs et les séquences marocaines telles qu’établies par cet auteur présentent des traits identiques pour les débuts et la fin de l’Acheuléen, le stade I voyant dans les deux cas, l’apparition des trièdres et des bifaces à biseau et leur évolution conduisant aux mêmes formes. Ces discordances rapportent une indépendance de l’évolution des bifaces, soulignée par
Fig. 32 – Débitage abbevilien : l'éclat est détaché par le choc d'un percuteur dur et la surface dégagée sert de plan de frappe à l'enlèvement suivant, chaque enlèvement pouvant à son tour avoir ce rôle (d'ap. Brézillon 1968). Les nucléus ont un aspect plus ou moins globuleux, les produits de débitage un talon lisse ou naturel, très oblique, une face inférieure bombée, un bulbe marqué. Le débitage clactonien est comparable, mais il utilise un percuteur fixe, le nucléus étant mobile ; une telle chaîne opératoire permet d'obtenir de grands éclats. Ils ne se distinguent des éclats au percuteur dur que par l'angle d'éclatement supérieur à 120° et les cônes de percussion très prononcés, pouvant être multiples, entourés de menus éclatements. Les nucléus dits de type sud-africain ont un volume imposant, ils ne sont que partiellement affectés par une succession de vastes enlèvements alternes et jointifs qui, sur une partie du nucléus, produit une arête dentée, l'essentiel de la pièce conservant sa surface originelle. Le débitage type Kerzaz utilise un galet de grande dimension, généralement allongé, qui est sommairement épannelé par l'enlèvement de quelques éclats très obliques sur la face supérieure, la face inférieure restant corticale ou sommairement arrangée. La percussion se fait ensuite généralement selon le grand axe.
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Sahara préhistorique M.H. Alimen. Elles marquent une disjonction du peuplement et malgré cela le même aboutissement des techniques. La taille au percuteur tendre, étape qui conduit vers l’obtention de pièces minces connaissant leur apogée dans l’Acheuléen supérieur, intervient au Maroc atlantique, dès l’Acheuléen inférieur stade II pour P. Biberson, seulement à l’Acheuléen moyen d’après les récents travaux franco-marocains. Elle interviendrait au stade V de l’Acheuléen moyen dans la Saoura, et seulement à l’Acheuléen supérieur dans la vallée du Nil. Le débitage Levallois apparaîtrait précocement au Sahara. Dans la Saoura, il est attesté dès la fin du Protoacheuléen et s’y accompagne de divers autres modes qui, tous, visent à la prédétermination de la forme de l’éclat. Au Maroc et dans la vallée du Nil, les prémices d’un débitage à prédétermination ne se perçoivent qu’à l’Acheuléen moyen ou au début de l’Acheuléen récent.
Fig. 33 – Le débitage Levallois est une chaîne opératoire complexe qui vise à obtenir une forme, éclat, pointe ou lame, prédéterminée ; il traduit un énorme progrès dans le développement cognitif, la conception d'un processus complexe précédant sa réalisation. Le pourtour du rognon est épannelé, puis sa surface aménagée par enlèvements centripètes de manière à disposer de deux surfaces courbes. Un plan de frappe est ensuite préparé par petites facettes. L'éclat détaché à partir de ce plan de frappe présente à sa face supérieure des nervures convergentes et la surface du nucléus dite « toit » laisse place à une surface d'enlèvement concave ; on procède à une nouvelle préparation de la surface pour produire un nouvel enlèvement. On parle aussi de méthode linéale. Selon le cas, on obtient des nucléus Levallois à éclat (1), pointe (2), lame (3). Le produit est dit préférentiel, antérieurement, il était dit de 1° ordre (d'ap. Camps 1979 et Brézillon 1968). Dans le débitage récurrent, plusieurs enlèvements sont produits sans procéder à une nouvelle préparation de la surface ; selon la position des points d'impact, le débitage sera unipolaire si les enlèvements sont parallèles et partent d'un même plan de frappe, bipolaire s'ils sont parallèles et partent de deux plans de frappe opposés ou centripète s'ils se dirigent vers le centre du nucleus.
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Fig. 34 – Le débitage Levallois connaît diverses variantes qui produisent des nucléus différents. Le débitage bent Levallois utilise un nucléus Levallois de forme triangulaire d'où l'on tire des éclats plats en forme de faucille toujours incurvés vers la droite (E71-K6B, Close et al 1979). Le débitage nubien est généralement employé pour débiter des plaquettes : une ou deux extrémités sont ovalisées, dans le débitage nubien I, de l'opposé du plan de frappe partent deux enlèvements de préparation divergents qui produisent un nucléus en museau (Site 36-4, Guichard in Wendorf 1965), dans le débitage nubien II, les enlèvements de préparation sont centripètes, un éclat outrepassé latéralement, qui peut être un couteau à dos, est détaché, puis un triangle de base, puis un second couteau sur le bord opposé au premier, un plan de frappe est alors préparé, puis la pointe débitée (Site 401, Guichard in Wendorf 1965). Le débitage est dit proto-Levallois ou Victoria West I quand les caractéristiques du débitage Levallois sont mal affirmées, les nucléus sont grands, surélevés, le plan de frappe et la surface d'éclatement forment un angle obtu. Le débitage para-Levallois ou Victoria West II permet d'obtenir un éclat épais, plus large que long, la percussion pour le détacher est faite dans le sens de la largeur ou en biais sur un nucléus allongé. Le débitage moustérien ou Levallois récurrent pratique une succession d'enlèvements sur un nucléus Levallois sans donner lieu à une mise en forme après chacun d'eux et conduit à un nucléus moustérien dit aussi Discoïde. Dans la Saoura, M.H. Alimen a reconnu un débitage qu'elle nomme Levallois variante : la préparation du nucléus n'en affecte qu'une partie épargnant une zone à peu près rectiligne, la face supérieure n'est pelée qu'à partir des zones épannelées. L'éclat débité à partir d'un plan de frappe préparé près de la zone non épannelée, outrepasse le bord du nucléus dans cette zone. Le bord outrepassé, qui reste généralement sans retouche, est toujours à peu près parallèle à l'axe de débitage.
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Fig. 35 – La méthode Tabelbala-Tachenghit permet d'obtenir des hachereaux triangulaires : 1) préparation d'un plan de frappe périphérique ; 2) des enlèvements centripètes sont développés sur la face supérieure ; 3) sur le bord qui doit servir de plan de frappe, enlèvement de trois ou quatre éclats à contre bulbe bien marqué et de dimension décroissante en direction de ce qui sera la base du hachereau, puis série de petits enlèvements ; 4) percussion sur l'enlèvement n° 2 dans sa partie la plus proche de l'enlèvement n° 1. Une variante est élaborée sur éclat Kombewa dont la face supérieure reste généralement lisse (d'ap. Tixier 1957).
Fig. 36 – La méthode Kombewa ou technique de l'éclat nucléus ou de l'éclat Janus utilise un grand éclat comme nucléus. L'éclat est débité sur la face inférieure : selon la direction de percussion, il sera subcirculaire ou ovalaire. L'éclat obtenu se caractérise par deux faces ventrales régulièrement bombées et sans nervure, la face d'éclatement du premier éclat devenant la face supérieure du second et l'éclat devenant nucléus par le négatif de l'enlèvement sur sa face inférieure (d'ap. Camps 1979).
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Fig. 37 – Le débitage halfien utilise un nucléus à deux plans de frappe opposés, à partir de l'un, de fines lamelles parallèles, courtes, jointives sont enlevées sur une face, à partir de l'autre, de petits éclats d'épannelage sont détachés, puis un éclat à bulbe prononcé et enfin l'éclat halfien. L'éclat halfien a une face supérieure concave et porte à son extrémité distale les traces des petits enlèvements parallèles. 1) nucléus halfien ; 2) éclat halfien (Site 624, Marks in Wendorf 1968).
Fig. 38 – Types de nucléus. Au cours du Paléolithique supérieur l'aspect des nucléus se modifie soulignant un changement technologique majeur lié à une importante production de lamelles. Outre des nucléus à deux plans de frappe opposés ou perpendiculaires (on parle alors de débitage orthogonal) qui sont cubiques ou polyédriques, on distingue : 1) nucléus pyramidal, quand il est cannelé (3), il indique une recherche de standardisation dans la largeur des lamelles, cette obtention est facilitée par la préparation du nucléus en mitre (4) ; 2) nucléus biseau quand les enlèvements ne se font qu'à une extrémité et de part et d'autre (Origine : 1 : Jelaya, Tixier 1984 ; 2 : Site 624, Marks in Wendorf 1968 ; 3 : Relilaï, Tixier 1984 ; 4 : Ouargla, Tixier 1984).
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Sahara préhistorique Age de l’Acheuléen En Afrique de l’Est, les plus anciennes manifestations de l’Acheuléen dont il est fait mention, remontent autour de 1,5 Ma, les plus récentes autour de 100 000. La découverte du site de Kokiselei, au Kenya, vient de faire remonter à 1,76 Ma, la présence de bifaces. C’est bien plus tôt que ce qui était jusqu’à présent connu. Au Sahara et sur ses bordures, on dispose de peu de données. L’âge de l’Acheuléen y est établi par sa position stratigraphique ou son contexte faunique ; une datation absolue, 282000 ± 5600, obtenue à Lagreich (Mali) par thermoluminescence sur un biface passé au feu est un cas exceptionnel. L’Acheuléen inférieur daterait de 1,2-0,8 Ma au Maroc carrière de la STIC. La grotte des Rhinocéros (Carrière Oulad Hamida I = Thomas III), dont l’industrie est incluse dans des dépôts de l’Anfatien inférieur, est datée de 1,2 ± 0,2 Ma par U234/238, de 279000 ± 49000/476000 ± 75000 par RPE ce qui la place dans les stades isotopiques 12 à 14 ou 8 à 101 selon le procédé utilisé et souligne la prudence avec laquelle il faut traiter des dates. L’Acheuléen supérieur a pu durer plus ou moins longuement selon les régions : à Sidi Abderrahman2, il serait associé au Présoltanien, lequel est antérieur à un niveau ouljien de +5 +8 m, daté de 95000-45000. Dans la vallée du Sénégal, le site de Sansandé3 semble se rattacher au début du stade isotopique 7, se situant ainsi entre 250000 et 190000. Dans la vallée de la Mékrou, Niger sud-oriental, un Acheuléen évolué pourrait être plus tardif, il est associé à un niveau de cailloutis qui traduit une phase d’assèchement ; l’essai d’interprétation de l’évolution paléoclimatique fait par M. Betrouni tendrait à le rapporter aux débuts de Würm. C’est la position qu’il paraît occuper dans l’Est algérien, où J. Morel date de Würm I, les sables dunaires qui le renferment.
Des stratigraphies et des classifications régionales Dans chacune des régions où les données le permettent, une classification a été établie. Celle que L. Balout proposait dans son ouvrage de 1955, couvrait l’ensemble du Maghreb, regroupant des sites acheuléens en quatre stades4. Les séquences régionales proposées dans la vallée de la Saoura, au Maroc, en Mauritanie, soulignent les difficultés à établir des corrélations et donc, une synthèse générale, ce dont L. Balout mettait déjà en garde. Le fait est particulièrement net pour la Mauritanie et le Maroc qui pourtant furent étudiés par le même auteur. La mise en situation au sein les formations quaternaires est une aide précieuse, souvent le seul moyen d’établir des comparaisons, d’apprécier les successions et ce faisant les avancées et les retards.
La vallée de la Saoura et la classification de M.H. Alimen Dans les vallées de la Saoura et du Guir, M.H. Alimen reconnaît sept phases évolutives datées par leur mise en relation avec les formations quaternaires, elles 1 .- Soit environ 370 000-250 000 ou 530 000-440 000. 2 .- Rappelons que certains auteurs attribuent ce stade à un Moustérien de tradition acheuléenne (cf p. 142). 3 .- Cf p. 114 4 .- Nommés Acheuléen I (= Clacto-Abbevillien), II (pouvant correspondre au Sicilien), III (correspondant au Tyrrhénien), IV (dont la référence est Sidi Zin). Cf Balout 1955, p. 267.
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Les industries à bifaces et le Paléolithique inférieur font valoir une multiplicité de techniques mentionnée nulle part ailleurs. Enracinées dans le Pléistocène inférieur, elles se développeraient au cours du Pléistocène moyen. C’est le cas, en particulier, à Meksem ed Douar où quatre niveaux ont pu être identifiés, à Meksem ed Drir, Oued Trick, Kerzaz. Des coupures liées à d’importantes phases d’érosion qui entraînent chacune une lacune dans les connaissances, conduisent l’auteur à distinguer trois périodes, Protoacheuléen, Euacheuléen et Néoacheuléen. Une étude technologique de H. Sahnoun qui a porté sur du matériel venant de Beni Iklef, Hassi Azrir, Hassi Tachenghit, a permis de préciser les chaînes opératoires sans pouvoir affiner les comparaisons. Une reprise des recherches dans ce secteur devrait permettre à A. Heddouche de compléter nombre d’informations. Le Protoacheuléen Une première période acheuléenne occupe toute la durée du Taourirtien. Elle se subdivise en deux stades correspondant l’un au Taourirtien inférieur, l’autre au Taourirtien supérieur : Stade I : les galets aménagés forment plus de 50 % de l’industrie, les trièdres sont présents ainsi que quelques bifaces taillés au percuteur dur. Les hachereaux apparaissent probablement. Des nucléus divers (sans préparation, à plans de frappe multiples, type Kerzaz1) et des éclats sont présents. Divers gisements qui n’ont fourni chacun qu’un très petit nombre de pièces, se rattachent à ce stade : Gara Taourirt, Meksem ed Douar, Chaba Tezzougar, Oued Trick. Stade II : les galets aménagés régressent fortement (moins de 10 %), les bifaces sont plus nombreux, toujours épais, sans retaille. Les hachereaux s’affirment. Les nucléus et éclats Levallois apparaissent. Un seul site important, Zemla Hemama, est connu. L’Euacheuléen La seconde période, Euacheuléen, se développe jusqu’à l’Ougartien supérieur en trois stades : Stade III : les galets aménagés sont toujours présents, peut-être même plus nombreux qu’au stade précédent ; les bifaces restent en nombre semblable, les hachereaux semblent plus fréquents, les nucléus et éclats Levallois augmentent. Des nucléus Kombewa2, des nucléus moustériens3, des nucléus à lames apparaissent, la méthode Tabelbalat-Tachenghit (fig. 35) naît. On retrouve de tels ensembles industriels à Oued Trick, Kerzaz, Oued Farès, Oued Ali. Stade IV : l’importance des galets aménagés diminue, les bifaces tendent vers des formes à arêtes moins sinueuses, mais aucune modification technologique ne transparaît. Les hachereaux peuvent être nombreux. La technique Levallois s’épanouit avec une forte diversification des types (Victoria West, Levallois-variante). Les racloirs se développent. Se rattachent à ce stade les sites Oued Trick, Feidj Seba, Meksem ed Drir, Kerzaz, Oued Farès, Oued Ali, M’Birika. 1 .- Précurseur du débitage Levallois, le nucleus type Kerzaz présente un nombre limité d’enlèvements prédéterminants, ils sont peu envahissants, la face supérieure reste partiellement naturelle. 2 .- Le nucleus Kombewa est un bloc polyédrique, épais, portant le négatif d’un grand éclat et sur les bords des traces peu nombreuses d’enlèvements obliques de préparation. 3 .- Le nucleus moustérien a une forme discoïde due à l’enlèvement d’éclats sur tout le pourtour, sur une ou deux faces, jusqu’à épuisement.
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Sahara préhistorique Stade V : on retrouve toujours des galets aménagés, mais des pièces plates ainsi qu’une retaille au percuteur tendre apparaissent parmi les bifaces. La plupart des hachereaux a une forme en U. Le débitage Levallois progresse. Ce stade est présent à Oued Trick, Feidj Seba, Meksem ed Drir, Kerzaz, Oued Farès, Oum Bouraï. Le Néoacheuléen Une troisième période, le Néoacheuléen, qui serait la plus importante de la Saoura, occupe la fin de l’Ougartien. Stade VI : il existe toujours des galets aménagés. La retaille au percuteur tendre se multiplie, les bifaces sont moins épais, les amygdaloïdes prédominent. Les nucléus moustériens prennent le pas sur les nucléus Levallois. Les hachereaux sont nombreux avec souvent des formes rétrécies au tranchant. Les racloirs abondent (près de 20 %). Ce stade est présent à Erg Djemel, Beni Ikhlef. Stade VII : le rôle des galets aménagés devient très effacé ou nul. Les bifaces connaissent des formes aplaties, une retaille généralisée, les lancéolés et les cordiformes jouent un rôle essentiel suivis par les limandes. Les nucléus, de même que les racloirs, sont moins nombreux que précédemment. La prédominance des hachereaux type 6 est caractéristique du stade. Les sites deviennent conséquents, formés de plusieurs dizaines d’objets. Ce stade est connu dans les sites de Manda I, II, III, Hassi Manda, Feidj Tachenghit, Azrir, Foum Seïada, Anchal, Zaouïa el Kebira, Beni Ikhlef. J. Chavaillon notait que l’Acheuléen final, auquel il rapporte aussi le site de Baba Haïda, avait été très florissant dans la vallée de la Saoura. Chaque gisement se distingue par des traits propres qui s’ajoutent aux caractères traditionnels communs aux industries de cette époque alors qu’antérieurement chaque site présentait un ensemble de traits identiques pour la même période. On se trouve donc là face à un comportement nouveau des hommes. Ainsi Anchal se caractérise par des bifaces plats, lancéolés, des hachereaux, Zaouïa el Kebira par des pics, des pièces triédriques, des racloirs, Beni Ikhlef montre même une répartition spatiale avec une forte dominance de bifaces en un point du gisement, de hachereaux ailleurs, à Tachenghit, les hachereaux, les bifaces à biseau terminal en éventail, les couteaux à dos dièdres formaient chacun un tas.
Les séquences des abords du Nil Dans le Sahara égyptien, les sites se placent au sommet de buttes isolées. A Kurkur, ils comportent essentiellement de petits bifaces, de façonnage plutôt sommaire. Vers Bir Sahara et Bir Tarfawi, l’Acheuléen supérieur est dispersé sur le plateau et divers sites sont associés aux sources artésiennes des cuvettes ; à Bir Tarfawi, il serait lié à un niveau lacustre antérieur à 350 000. Dans la vallée du Nil, des bifaces ont été trouvés à 5 m de profondeur à Abbassieh, en Basse Egypte, dans la terrasse de 30 m1. A Nag el Amra, une vingtaine de pièces étaient recouvertes par la formation Dandara. Les connaissances les plus précises proviennent de la haute vallée du Nil où l’Acheuléen se place 1 .- A 10 m au-dessous se trouvaient des pièces informes, grands éclats retouchés ou pièces à encoches fortement usés et patinés, mêlées à des graviers qui reposent sur un sable.
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Les industries à bifaces et le Paléolithique inférieur au sommet et sur la formation Dandara qui est rattachée aux terrasses de 30 m et 15 m définies par K.S. Sandford et A.J. Arkell et rapportées à Mindel et Riss. Lors des recherches qui précédèrent la construction du barrage d’Assouan, une séquence acheuléenne a été établie par J. et G. Guichard, à partir des nombreux sites découverts dans la région de Wadi Halfa où, en rive droite, ils ne sont espacés que de 2 à 3 km sur une surface de l’ordre de 15 km2. Les gisements correspondraient plutôt à des ateliers de taille ou des lieux d’extraction de matériaux, qu’à des habitats ; vastes, ils couvrent des dizaines d’hectares. Les plus anciennes manifestations dites « inférieures » seraient typologiquement l’équivalent de l’Acheuléen moyen d’autres régions. La Nubie, de Khartoum à Wadi Halfa, aurait constitué une enclave dans l’espace africain, marquée par l’emploi d’une forme particulière, le « biface nubien » (fig. 28). L’Acheuléen y est parfois nommé « Nubian Early Stone Age » ou « Acheuléen de type Khor Abu Anga ». J. et G. Guichard y soulignent le polymorphisme des bifaces, le rôle très effacé des trièdres. Ils ne mentionnent aucun hachereau. Le débitage Levallois apparaît dans l’Acheuléen moyen sans que l’on soit en droit de mettre en place des relations d’ordre chronologique avec d’autres régions. La méthode Victoria-West n’est pas signalée. Comme ailleurs dans le Nord de l’Afrique, les amygdaloïdes sont toujours présents et on assiste à un allègement de l’outil : le biface s’aplatit, évolue vers les types cordiformes, limandes. Cinq groupes ont été individualisés1 : le « groupe I » comprend des formes primitives avec pics, bifaces abbevilliens, ficrons, amygdaloïdes, trièdres et nucléiformes. Le « groupe II » réunit les amygdaloïdes, bifaces-hachereaux2, cordiformes, ovales, limandes ; le « groupe III », les lancéolés, lagéniformes, micoquiens, pélécyformes3. Au « groupe IV » figurent les atypiques, triangulaires, semi-circulaires, et au « groupe V », les circulaires, naviformes, oves type Khor Abu Anga (fig. 29), ainsi que les ébauches. L’Acheuléen inférieur Il connaît la prédominance du groupe I qui dépasse 50 %, puis du groupe III. Il n’y a pas de débitage Levallois, pas de hachereau et les galets aménagés forment une part importante de l’industrie. Le site 516 se rapporte à cette phase. La base des bifaces est souvent réservée, les bifaces abbevilliens constituent près du tiers de l’ensemble industriel ; il existe quelques pics et trièdres. Les amygdaloïdes, les ficrons ainsi que les lancéolés sont présents avec des valeurs autour de 5 % ; les cordiformes, les ovales et même les limandes font une timide apparition. Des pièces inclassables, préformes ou fragments, sont nombreuses, les nucléus très rares, les éclats exceptionnels, jamais retouchés. L’Acheuléen moyen Dans l’Acheuléen moyen, les groupes I et III ont à peu près la même représentation, de l’ordre de 30 %, avec cependant une tendance à voir prédominer le groupe III ; le groupe II atteint quelque 20 %. 1 .- Les dénominations qui furent utilisées pour désigner la forme des bifaces ne sont pas toutes normalisées. 2 .- Il s’agit de biface à biseau terminal. 3 .- Le groupe comporte aussi des bifaces dits massiformes, réniformes.
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Sahara préhistorique A cette période, se rapportent les sites 400S, 400W, 401, 505, 509 et peutêtre 502. Le débitage Levallois apparaîtrait à la fin de cette phase, son intervention restant faible. Si les formes lancéolées prédominent (15 %), les bifaces abbevilliens restent courants (autour de 10 %), les amygdaloïdes conservent leur position. Avec des valeurs de l’ordre de 5 %, les bifaces micoquiens et cordiformes se multiplient. On trouve encore des trièdres ainsi que quelques pics et de nombreuses préformes, pièces qui s’avèrent nettement moins fréquentes ou même manquent dans l’Acheuléen supérieur. L’Acheuléen supérieur Les sites 400N, 430, 438, 451 et 501 lui sont attribués. L’Acheuléen supérieur est marqué par le groupe III qui prédomine avec 40 à 50 %, le groupe II voisine toujours 20 %. L’industrie comporte des pièces plates, aux arêtes rectifiées, probablement faites au percuteur tendre pour la très grande part, ce qui n’exclut pas quelques bifaces abbevilliens, épais, aux arêtes sinueuses, quasiment sans retaille, ni quelques trièdres. L’indice Levallois, variable, est plutôt bas. Le polymorphisme est très marqué.
L’Acheuléen mauritanien Dans l’Adrar de Mauritanie où les bifaces sont souvent en surface, pouvant couvrir d’énormes superficies, P. Biberson propose une subdivision en six stades. Il a pu établir la séquence suivante : - Un Acheuléen très roulé dit Acheuléen ancien se rencontre dans le poudingue de base de la terrasse ancienne - L’Acheuléen moyen est subdivisé en deux stades : Acheuléen moyen archaïque, dit Acheuléen moyen I, présent à la base de cette terrasse ancienne et Acheuléen moyen classique, dit Acheuléen moyen II, qui se rencontre dans la partie inférieure de la terrasse moyenne, en contre-bas de la précédente. - L’Acheuléen évolué comporte les trois derniers stades. L’Acheuléen évolué I se rencontre dans la partie supérieure de la terrasse moyenne, l’Acheuléen évolué II apparaîtrait dans des formations lacustres qui succèdent sans lacune à la terrasse moyenne qu’elles recouvrent parfois, et l’Acheuléen final se trouverait dans la croûte calcaire qui coiffe les formations lacustres.
Le littoral marocain Sur le littoral atlantique marocain, l’intercalation de formations marines et continentales apporte des données fondamentales à la connaissance de la chronologie quaternaire1 et permet de suivre le jeu des transgressions-régressions. Les industries acheuléennes se développent des débuts de l’Amirien au Pré-Soltanien2. A Casablanca, les recherches préhistoriques sont liées à l’exploitation de carrières dont la principale est Sidi Abderrahman qui, longtemps, se situa dans la banlieue nord-ouest de la ville, avant d’être absorbée par son extension. Là, se lit l’essentiel de la séquence, aussi le site, en passe de devenir un parc archéologique, a-t-il été classé très tôt et figure même dans les manuels scolaires marocains. 1 .- Cf fig. 3. 2 .- Une réserve est cependant à faire à propos des industries placées dans les dépôts pré-soltaniens (cf p. 137).
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Les industries à bifaces et le Paléolithique inférieur Lors des premiers travaux des carriers, un front de taille parallèle à l’orientation générale du rivage actuel, était long de 1 km et haut de 18 m, deux fronts latéraux, au nord et au sud, s’étendaient perpendiculairement sur une longueur de 160 et 100 m. Ils ont révélé l’existence de grottes littorales renfermant des dépôts archéologiques (fig. 39). En 1940-41, Neuville et Ruhlmann y découvrirent stratifiés dans une série sédimentaire des éclats, des bifaces très frustes et des trièdres ; ils nommèrent cette industrie « Clacto-Abbevillien » puis « Rahmanien »1. Les travaux furent repris par P. Biberson qui recueillait des données le condusant à proposer huit stades : un Acheuléen ancien subdivisé en trois stades, un Acheuléen moyen également subdivisé en trois stades et un Acheuléen évolué comportant deux stades2. C’est à l’Acheuléen évolué qu’est rapporté« l’Homme de Rabat » ; en 1 .- P. Biberson devait reconnaître dans ce matériel, trois stades industriels en raison de l’état d’altération : un ensemble roulé appartenant au dernier stade de la Pebble Culture, un ensemble peu roulé rapporté à son Acheuléen I, un ensemble non roulé rapporté à l’Acheuléen II. 2 .- L’Acheuléen ancien, stade I, est connu à Sidi Abderrahman-extension, Sidi Abderrahman-ancienne exploitation, à la STIC. Il a été trouvé à la surface du poudingue de base qui contient du matériel roulé appartenant au dernier stade de la Pebble Culture. Il est recouvert par un calcaire marneux, lui-même surmonté d’un grès. Une série de 187 pièces faiblement roulées provenant des récoltes Neuville-Ruhlmann, comprend de nombreux bifaces, éclats et galets aménagés, des hachereaux et quelques trièdres. Les galets sont de tous types y compris des sphéro•des. Les bifaces sont épais, à tranchants sinueux en raison d’une taille alterne. Le stade II est connu à Sidi Abderrahman-ancienne-exploitation par la série non roulée dans laquelle les proportions d’outils sont modifiées, les hachereaux rares, les bifaces lancéolés plus nombreux. Les extrémités sont plus fines, parfois retaillées au percuteur tendre. Le stade III identifié à la carrière de la STIC voisine de celle de Sidi Abderrahman, est connu à Sidi Abderrahman-extension, Sidi Abderrahman-ancienne exploitation et sur la haute terrasse de l’oued Mellah. A la STIC (que l’on date au moins de 700000) une industrie fut recueillie dans une galerie karstique creusée dans un calcaire reposant sur une lumachelle du Maarifien régressif et coiffé par une dune consolidée rapportée à l’Amirien. Il appartiendrait au tout début de l’Amirien. Les sphéroïdes sont en régression, près du tiers consiste en bolas, plus d’un autre tiers en disques. Les trièdres, d’une grande diversité, ont une silhouette élancée. La retaille au percuteur tendre se développe. Le débitage est toujours fait sur enclume à partir de nucleus sans forme. L’Acheuléen moyen est connu à la carrière Martin et à Sidi Abderrahman. Il est associé au renouvellement faunique qui voit l’apparition de Cervus. Le stade IV s’observe à Sidi Abderrahman-extension au contact de calcaires compacts rapportés à l’Amirien et de calcaires pulvérulents qui, eux, appartiendraient au Tensiftien moyen. L’industrie comporte encore des galets aménagés de tous types avec une nette tendance à s’aplatir en disque. Les trièdres sont peu fréquents, les hachereaux exceptionnels. Les bifaces taillés au percuteur dur sont de dimension moindre que dans les stades antérieurs, mais aucun ne présente de retaille au percuteur tendre, aucune forme élancée, aucune pointe allongée si fréquente dans le stade précédent, ne s’y rencontre. Une préparation du nucleus est manifeste, il prend la silhouette d’un biface afin de contrôler la forme de l’éclat qui sera débité. Le stade V a été identifié à la Grotte des Ours. Un mélange d’industries a pu être trié à partir des degrés d’usure. Du matériel très roulé est rapporté au stade IV de la Pebble-culture et moyennement roulé à l’Acheuléen ancien. Le reste du matériel, légèrement roulé, comprend des galets aménagés, des bifaces nombreux (environ 50 %) aux formes variées mais à dominante de pièces épaisses, quelques hachereaux, de nombreux nucleus qu’explique la taille sur place de la matière première et qui vont de la pièce informe à celle soigneusement préparée où prédominent des formes subdiscoïdes. Les éclats, rebuts de taille, mais aussi grands éclats dont certains ont reçu quelques retouches, sont très nombreux. Le stade VI est connu à la Grotte des Littorines. Les galets aménagés représentent encore 13 % de l’outillage avec des formes de passage aux bifaces. Les bifaces sont deux fois plus nombreux, les hachereaux rares. De véritables racloirs apparaissent. Ce stade comporte aussi des pièces unifaces, ovalaires ou apiculées, et des percuteurs. L’éclat abonde. C’est là que P. Biberson trouva, dans une ancienne tanière de hyène, deux fragments de mandibule humaine (l’homme de Sidi Abderrahman) associés aux dépôts tensiftiens inférieurs. L’Acheuléen évolué intervient lors de la transgression harounienne (+18+20m). Il est subdivisé en deux stades: stade VII défini à Sidi Abderrahman-extension où les calcaires pulvérulents ont livré des galets aménagés, des bifaces parmi lesquels se développent des formes lancéolées et ovalaires plates (limandes), quelques hachereaux, de nombreux éclats et des outils tirés de ces éclats (pointes, racloirs, grattoirs), des lames, des nucleus
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Sahara préhistorique raison d’une interprétation différente des données stratigraphiques, il appartient au stade VIII pour M. Gigout, au stade VII pour G. Choubert et J. Marçais.
Fig. 39 – La cunette de Sidi Abderrahman et ses gisements acheuléens (d'ap. Biberson 1964). N'en subsistent aujourd 'hui que la grotte des Ours (1) et du Cap Chatelier (8).
Les travaux, repris par l’Institut National des Sciences de l’Archéologie et du Patrimoine et la Mission Préhistorique et Paléontologique Française au Maroc, n’aboutissent pas à des résultats en totale conformité avec ceux énoncés par P. Biberson. Ils distinguent seulement trois stades : - ancien représenté à la carrière Thomas I. Situé d’abord entre 1,2 et 0,8 Ma en raison d’un paléomagnétisme inverse, il a été depuis reporté entre 1,4 et 1 Ma. La microfaune et les Suidés proposent une ancienneté supérieure à celle de Ternifine dont l’industrie est semblable. Il est présent grotte des Rhinocéros dans la carrière Oulad Hamida 1, grotte des Ours et Cap Chatelier à Sidi Abderrahman, dans le gisement de plein air de Sidi Abderrahman-Extension, et carrière Thomas I (niveau L et grotte Hominidés). - moyen reconnu Carrière Thomas I-grotte des Hominidés, Carrière Oulad Hamida I (ex Thomas III)1 et Grotte des Ours. Il se retrouve à Sidi Abderrahmanpyramidaux produits par épannelage périphérique (type tayacien) et des nucleus en carapace de tortue, préparés pour débiter un éclat de type Levallois. On retrouve une industrie comparable à Oued Khemis entre Rabat et Meknès où le gisement de l’Hippopotame prend place à la partie inférieure de la terrasse de 6 m, terrasse attribuée au Tensiftien ; elle est également connue à Aïn Sebaa-Beaulieu et à l’oued Bouskoura. L’industrie type du stade VIII provient elle aussi de Sidi Abderrahman-extension où s’ouvre la grotte du Rhinocéros et du «Cap Chatelier» ; elle est connue à la grotte du Cheval, oued Khemis, Tit Mellil, Aïn Hallouf. Elle a parfois reçu le nom de «Micoquien marocain» en raison des dimensions réduites des bifaces ; dans la grotte du Rhinocéros, Mieg de Boofzheim et Plessis la nomment «Moustérien ancien à bifaces». Ce stade pendrait place durant le Pré-Soltanien. Les galets aménagés sont toujours présents. Les bifaces très variés sont encore façonnés au percuteur dur avec une retaille plus ou moins développée. Ils tendent vers de petites dimensions au sein desquelles le biface cordiforme prédomine. Les hachereaux manquent dans certaines stations. L’emploi de l’éclat est courant, certains ont été transformés en outils, petits racloirs, «pointes», grattoirs. Les nucleus sont variés : nucleus Levallois, discoïdes, pyramidaux. 1 .- Dénommée aussi Grotte des Rhinocéros, ce qui peut prêter à confusion avec la Grotte du Rhinocéros, anciennement exploitée par Mieg de Boofzheim et Plessis. Une récente étude taphonomique a montré que le
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Les industries à bifaces et le Paléolithique inférieur grande exploitation et carrière de la STIC. Il voit apparaître le débitage au percuteur tendre et se situerait vers 800000, durerait jusqu’aux alentours de 500000. - récent, il connaît le débitage Levallois, est rapporté aux stades isotopiques 11 à 9. Il est connu Grotte des Littorines qui se placerait stade isotopique 10 (400-350000 ans), au Cap Chatelier avec un âge supérieur à 370000 ans, et Sidi Abderrahman-extension situé vers 300-200000.
La séquence d’Errayah Les travaux menés depuis 2001 dans la région de Mostaganem y confirment l’importance d’un peuplement acheuléen que laissait soupçonner la découverte des sites d’Aboukir au début du XXème siècle par F. Doumergue, Sidi Affif, Zripha..., mentionnés par F.E. Roubet en 1953. Le site d’Errayah qui fait l’objet des travaux de l’Institut d’Archéologie d’Alger sous la direction de A. Derradji, montre la succession de cinq niveaux, A à E, argilo-sableux rougeâtres à concrétions ferrugineuses plus ou moins abondantes qui emballent du matériel archéologique. La fouille qui s’est développée sur 150 m2, a livré 5196 objets. Produits dans des galets de quartzite et de grès, parfois dans du silex, ils consistent essentiellement en nucleus, éclats retouchés ou non, galets bruts ou aménagés en choppers, chopping-tools et polyèdres, bifaces, accompagnés de hachereaux, racloirs, encoches, denticulés, auxquels s’ajoutent quelques grattoirs et perçoirs dans le niveau C. Une standardisation du débitage se manifeste dès le niveau B et l’emploi de percuteur tendre dans le niveau D. Les éclats abondent. Les galets aménagés sont fréquents dans les deux niveaux inférieurs, ce sont surtout les chopping-tools, ils traduisent un choix de dimensions, les plus larges et les plus épais ayant été privilégiés ; des enlèvements envahissant 50 % de la surface ont dégagé une arête convexe ou droite. Les bifaces régulièrement répartis, n’atteignent pas 10 %. De petites dimensions, à base arrondie, extrémité arrondie ou à un degré moindre pointue, ils donnent la préférence aux formes amygdaloïdes et cordiformes. Les ovalaires, limandes, discoïdes et lancéolés restent bien représentés, les micoquiens et nucléiformes rares. Ils sont parfois faits sur éclat, souvent sur éclat déjeté et présentent un talon lisse de préférence. Les hachereaux, peu nombreux, appartiennent plutôt aux types 0 et 2.
Autres stratigraphies D’autres cas de stratigraphie sont connus, mais le matériel y est trop peu nombreux pour que d’autres séquences aient pu être établies et les formations auxquelles ils appartiennent ne peuvent que difficilement être mises en corrélation. Ainsi : - Dans le Sahara central, à la périphérie de l’Atakor, l’Acheuléen est remanié dans la terrasse graveleuse et l’Acheuléen final est en place dans les alluvions supérieures ou dans un épandage de pierres gélivées postérieur à cette terrasse. A Tin Hanakaten, dans le Tassili n Ajjer, la masse de la couverture de deux niveaux morphoclimatiques a livré des bifaces ; ceux du niveau supérieur (niveau 4 attribué à l’Amirien, OIS 10,12 ou OIS 20,18,16) sont archaïques à tranchant sinueux, ceux du niveau situé 2 m au-dessous (niveau 3, Tensiftien = OIS 6, 8) ont un tranchant rectifié et le débitage Levallois est utilisé. dépôt archéologique comportait en fait une partie due au passages de carnivores et de porc-épics. Il en est de même à la carrière Thomas I.
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Sahara préhistorique - Dans le Sahara oriental, les pièces trouvées à Kharga par G. CatonThomson seraient à associer au début du pluvial kanjerien1. - A Henchir el Madene au sud du Cap Bon, à Mansourah près de Constantine, les bifaces apparaissent dans un niveau qui surmonte celui renfermant les galets aménagés2. Dans l’Est algérien, région d’El Kala (La Calle), J. Morel a trouvé des bifaces sortant d’une nappe d’éboulis grossiers recouverte de limons subactuels. Dans les massifs du Cap de Fer et de l’Edough, J. Hilly et J. Morel ont identifié un Acheuléen inférieur et moyen associé à des nappes d’éboulis, l’Acheuléen supérieur à des sables rouges soufflés qui fossilisent les nappes d’éboulis. Le gisement algérien d’Oued el Kebiril paraît lui aussi associé à une vieille nappe d’éboulis, celui d’Oued bou Merzoug (Ouled Rahmoun) à des alluvions anciennes sans que l’on sache en préciser l’âge. On peut en rapprocher également les pièces signalées près de Jijel (Djidjelli) par M. Dalloni en 1952, parmi les éboulis qui couvrent la plateforme de 60 m. Elles ont été retrouvées en 1964, à l’ouest de l’agglomération, dans les ravineaux du palier supérieur, par une mission du Centre de Recherches Anthropologiques Préhistoriques et Ethnographiques d’Alger conduite par L. Ramendo. Peut-être faut-il aussi en rapprocher le matériel mis au jour par les labours à El Omaria (Champlain), en quatre points d’une nappe de galets et sables rouges où il serait allochtone ; parmi ce matériel figurent deux nucléus remarquables dits de type sud-africain, V. Mourre qualifie l’un d’eux, qui est figuré, de « discoïde bifacial partiel ». Une pièce semblable a été trouvée par P. Estorges sur un glacis tensiftien des environs de Brézina où elle était entourée d’éclats. - En Tunisie, à Redeyef, la position stratigraphique établie à la suite de l’ouverture d’une tranchée, montre l’Acheuléen en place associé aux cailloutis de la couverture alluviale d’un glacis du niveau 3. Il s’agit de bifaces assez épais, parfois cordiformes, aux arêtes rectilignes, accompagnés de nucléus et d’éclats et qui attestent l’utilisation du débitage Levallois. Dans la région de Kairouan, des bifaces ont été retrouvés en divers points : Henchir Saadoun, El Alia. A Oued Jabbes, A. Gragueb et M. Karray ont identifié un niveau à galets et cailloux calcaires plus ou moins travertineux de 1 m d’épaisseur, d’où ils ont retiré plus de 70 bifaces de dimensions moyennes, souvent en calcaire, dont la plupart présente des formes régulières, des tranchants rectilignes. Au-dessous, un sable argileux a livré deux bifaces frustes. Au-dessus vient un sable légèrement encroûté puis un sable éolien rougeâtre qui a livré une pointe pédonculée, un racloir et des denticulés.
D’autres sites d’Acheuléen ancien Quoique de nombreux sites ne puissent être rapportés à une phase précise, une tentative de classement peut être proposée à partir des caractères des pièces 1 .- = Tensiftien (?) 2 .- A Mansourah, au-dessus du niveau à galets aménagés, un cailloutis, le cailloutis moyen, a fourni outre des galets roulés, des bifaces frustes et des trièdres peu ou pas roulés. Il est séparé d’un autre niveau de graviers par des limons rouges d’où proviennent des hachereaux, galets aménagés roulés ou non, éclats Levallois remaniés ainsi que du matériel de style moustérien ; ce niveau se termine en surface par du matériel capsien et néolithique. A Henchir el Madene, les pièces proviennent d’un niveau surmontant celui qui a livré des galets aménagés. à Berraket es Sahly.
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Les industries à bifaces et le Paléolithique inférieur actuellement disponibles. On gardera cependant en mémoire le fait que cette appartenance ne préjuge pas de contemporanéité, l’évolution des industries paraissant souvent diachrones ; des parallélismes ne deviendront possibles qu’avec un développement de datations absolues ou par des corrélations stratigraphiques fines.
Dans le Nord de l’Afrique, le Paléolithique inférieur se ramène presqu’exclusivement à l’Acheuléen. Ensemble industriel riche en bifaces, son évolution, suivie dans diverses régions, montre une diminution de leur épaisseur, une taille qui s’affine. L’une est liée à l’utilisation de plus en plus importante de l’éclat qui remplace le galet comme support du biface. L’autre est due à l’emploi de percuteur tendre. Le développement de l’Acheuléen voit aussi un outillage sur éclat prendre de plus en plus d’importance ; partout, intervient un débitage Levallois qui souligne le développement de l’abstraction, la conception de la forme précise de la pièce précédant sa réalisation et appelant une préparation complexe. Toutefois cette présence de pièces évoluées n’exclue pas forcément celle des pièces plus anciennes et ces modifications n’interviennent pas partout au même moment, ni dans le même ordre. L’Acheuléen supérieur est nettement plus fréquent que les industries plus anciennes. Les dépôts susceptibles de le renfermer étant plus accessibles car plus superficiels, ne suffisent pas à expliquer ce développement et l’on doit admettre qu’alors le peuplement était devenu bien plus important. L’identification de l’Acheuléen ancien repose essentiellement sur l’aspect des bifaces, épais, aux arêtes sinueuses, sur la coexistence de trièdres, l’absence ou l’extrême rareté du débitage Levallois. Il n’a pas été rencontré dans le désert d’Egypte. Au Soudan, en amont de Wadi Halfa, en rive gauche du Nil, A. Vila signale des industries qui pourraient être anciennes : les bifaces gisent sur le sol, mêlés à d’autres objets dont des choppers et chopping-tools ; ils peuvent être rassemblés sur des surfaces d’une vingtaine de mètres de diamètre. Au Djado, un Acheuléen ancien comportant quelques bifaces, des galets aménagés a été retrouvé à Dao Timmi, à proximité de hachereaux de grande taille. H. Ziegert fait mention d’un site acheuléen ancien à Budrina dans l’oued el Ajâl (Sud libyen), J. Jelinek des sites de Atlaf ben Dlala dans le sud de la Tripolitaine et Tadjlilt sur le plateau du Messak. En Tunisie, il pourrait exister à El Alia dans la région de Kairouan. En Algérie, aux sites bien caractérisés trouvés au nord du Sahara, il y a peut-être lieu d’ajouter El Aouinet (Clairfontaine), au nord de Tébessa, où de tels bifaces grossiers ainsi que des trièdres ont été récoltés par M. Reygasse et probablement les occupations les plus anciennes de N’Gaous.
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Sahara préhistorique Abadou C’est probablement à un Acheuléen ancien qu’il y a lieu de rapporter le site d’Abadou mentionné par M. Noçairi et al sur la bordure nord du Haut Atlas, non loin de Marrakech1. Il a livré une industrie lithique homogène composée de 447 pièces façonnées dans des quartzites, rarement dans d’autres roches, mais venant toutes des environs immédiats. Elles étaient associées à des restes osseux parmi lesquels ont été identifiés Bos primigenius, Pelorovis antiquus, Gazella cf rufina, un Equidé, un Cervidé, de la tortue. Auprès de quelques percuteurs, l’industrie comporte plus de 50 % d’éclats de grandes dimensions, parfois plus larges que longs, à large talon lisse ou cortical. Les nucleus, autour de 5 %, portent de deux à dix enlèvements, montrant un débitage effectué alternativement sur les deux faces sans préparation. L’essentiel de l’industrie est fait de hachereaux, 22,4 % ; le type 0 domine, puis vient le type I. Les bifaces 6,7 %, sont produits sur éclat ou sur galet, la base est souvent réservée. Quoiqu’en faible proportion, 2,9 %, la présence de galets aménagés, l’importance des bases réservées paraissent conforter l’appartenance à un Acheuléen ancien traduit par un façonnage grossier au percuteur dur. El Beyyed Th. Monod a fait connaître un Acheuléen ancien à El Beyyed (Mauritanie septentrionale), sur une terrasse dominant l’oued, en aval du puits. Sur quelques centaines de m2, le sol est jonché d’éclats, rejets divers parmi lesquels ont été trouvés des bifaces lancéolés à tranchant sinueux, de rares unifaces et trièdres. Ce matériel serait comparable à celui du stade I défini par P. Biberson au Maroc. Dans le cirque, l’ensemble des regs supporte également une industrie très dense. Comme la précédente, elle est taillée dans des quartzites locales. Elle réunit des bifaces à tranchant rectiligne, taille au percuteur doux qui sont parfois façonnés sur éclat, des unifaces, des hachereaux parmi lesquels prédomine le type 2, des discoïdes, des racloirs auxquels s’ajoutent quelques galets aménagés dont des sphéroïdes. Les dimensions des bifaces varient fortement ; auprès de petites pièces trapues, en figurent qui atteignent d’imposantes dimensions : citons un biface qui mesure 36x14x9 cm et pèse près de 4 kg. Il n’y a pas de débitage Levallois. P. Biberson rattache cette industrie au stade II ou III du Maroc. Le programme franco-mauritanien mené sous la direction de H. de Lumley a individualisé les sites dits Akerdit, Yeslem 1, 2 et 3. Un ensemble de pièces façonnées sur grès, venant de divers affleurements proches, comporte des bifaces, hachereaux, éclats, galets aménagés, des débris montrant une retaille sur place. Les nucleus sont peu nombreux, manquent à Yeslem 2. Les bifaces sont en majorité tirés d’éclats Kombewa, façonnés par un travail alterne des bords, concentré sur les parties épaisses. Yeslem 3, où A. Dambricourt-Malassé a découvert un péroné humain, aurait deux niveaux d’occupation, le site est riche en faune du Pléistocène supérieur avec des hippopotames, éléphants, antilopes, phacochères et recèle une faune aquatique (crocodiles, tortues). 1 .- Dans le Haut Atlas, le Paléolithique inférieur n’est connu que par quelques pièces de la région d’Asni, signalées par M. Antoine.
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Les industries à bifaces et le Paléolithique inférieur Illerène Station saharienne de la région d’Illizi, Illerène a livré des ensembles cohérents de matériel rapportés à l’Acheuléen I ou II de Balout. Découvreur du site, R. Stèque précise qu’une centaine de pièces, bifaces et hachereaux parfois accompagnés de leurs éclats, lesquels peuvent être retouchés, gisait sur un rayon de 5 m ; une cinquantaine de pièces était regroupée à une vingtaine de mètres. Ces pièces sont associées à un limon argileux ou à un niveau de pierrailles et graviers liés par un limon jaunâtre reposant partie sur les grès dévoniens, partie sur un sable argileux à cimentation argileuse consistante, qui semble le terminal des alluvions en ce lieu1. L’industrie comporte des bifaces frustes à base plutôt arrondie, à talon bien souvent réservé, à extrémité spatulée ou en ogive large, rarement en pointe. Les bords sont sinueux en raison d’enlèvements au percuteur dur. Les pièces en pointe peuvent connaître un début de retaille, mais l’une d’elles qui est entièrement retaillée, est signalée comme insolite dans le contexte. Lac Karar Dans la région de Tlemcen, le gisement du Lac Karar fut identifié en 1894 par L. Gentil. Gisement de source ascendante, l’industrie qu’il a livrée pourrait être mélangée, d’autant que s’y trouvaient des morceaux de bois travaillés2. Elle renferme un ensemble de bifaces lustrés par les eaux, taillés dans des quartzites au percuteur dur et pouvant conserver une base réservée. Leur extrémité est souvent ogivale, parfois spatulée. A ces formes frustes se mêlaient des bifaces en silex aux formes aplaties, à retouches faites au percuteur tendre et des hachereaux qui sont attribués à une phase plus récente ainsi que de petits outils sur éclat d’apparence moustéro-levalloisienne. La faune renfermait Sus scrofa, Cervus cf elaphus, Connochœtes gnu, Alcelaphus sp., Ceratotherium simum (Rhinoceros simus), Hippopotamus amphibius. Silemi Le gisement découvert en 1970 dans la région de Bilma, est inclus dans un niveau qui, pour le géologue M. Servant, représente le terme le plus ancien du Quaternaire de la région. L’industrie est constituée pour le quart de galets aménagés avec prédominance de polyèdres, 10 % de bifaces archaïques, trièdres et pics. Les autres bifaces se distribuent en cordiformes 8 %, ovalaires 13 %, lancéolés et apparentés 13 %, amygdaloïdes 37 %, divers 17 %. Le site avait antérieurement livré de rares hachereaux et quelques outils sur éclat. La plupart présente une base réservée, sans trace d’aménagement de l’éclat-support. Le débitage Levallois n’y a pas été reconnu. Th. Tillet attribue cette industrie, ainsi que les sites d’Ehi Kourneï et Toummo, à un stade avancé de l’Acheuléen ancien. Ternifine Sablière à laquelle s’attachent les noms de Pallary et Doumergue, Ternifine est à 20 km à l’est de Mascara, l’un des sites les plus prestigieux du Maghreb. 1 .- L’auteur place l’industrie à la fin de ce qu’il nomme 1er pluvial et corrèle la nappe de cailloutis coiffant les sables avec le pluvial kaguérien d’Afrique de l’Est. 2 .- Aucun élément ne permettait alors d’apprécier leur âge.
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Sahara préhistorique Il est parfois mentionné sous le nom de Palikao, appellation d’un ancien village de colonisation dont il est proche, ou plus récemment de Tighnif, transcription nouvelle du nom des lieux. C’est un autre témoin de ces multiples dépressions à source ascendante, occupées jadis par un lac dont les rives furent hantées par les hommes du Pléistocène moyen. Au cours de l’exploitation qui a éventré une colline, des ossements fossiles furent exhumés vers les années 1875. Ils étaient associés à une industrie lithique dont il est fait mention dès 1878 par A. Pomel. Une fouille importante, conduite de 1954 à 1956 par C. Arambourg devait livrer un complexe industriel de plus de 1000 pièces travaillées dans des grès, des quartzites ou du calcaire, parfois du silex et, parmi un imposant matériel ostéologique, des restes humains qui donnent au gisement un intérêt exceptionnel. Les premières découvertes ayant été éparpillées, c’est par ces fouilles qu’une bonne connaissance de l’industrie a été possible. Les fouilles reprises en 1981-83 par une mission conjointe ONRS (Algérie), CNRS, Université Paris VI (France) ont confirmé les données antérieures et ont permis de supposer que la taille avait été faite sur place en raison des nombreux éclats bruts qui ont été retrouvés. En 2013, les fouilles étaient reprises par M. Sahnouni, entre autres, elles ont livré une espèce nouvelle de Suidé. Une part confortable de l’ensemble industriel1, un peu plus de 50 %, est constituée par des galets aménagés, en majorité des choppers. Les bifaces et hachereaux sont à peu près en même nombre. Les trièdres sont largement présents 18 %. Les bifaces, frustes, sont de grandes pièces, entre 120 et 170 mm de long, aménagés sur des galets débités, parfois par débitage Kombewa. Ils comprennent une majorité de ficrons, les amygdaloïdes y montrent une présence discrète. La taille est partielle, la base souvent réservée et près de 15 % d’entre eux se terminent en biseau qui peut être obtenu par coup de tranchet. Ils ont été façonnés par enlèvements de grands éclats au percuteur dur, accompagnés d’une retaille partielle. Seuls deux cas de travail au percuteur tendre ont été mentionnés. Pour la plupart, les hachereaux sont des pièces trapues, environ une fois et demie plus longues que larges, au tranchant rectiligne ou convexe, quelques uns en ligne brisée. Le type 0 prédomine largement. Comme pour les bifaces, la face supérieure porte généralement du cortex. Le talon est rarement facetté. Il n’y a dans ce matériel aucun débitage Levallois, mais le débitage des hachereaux résulte souvent de méthode proto-Levallois et quelques pièces sont des éclats Kombewa. Pour M. Dauvois, ces derniers traduisent la recherche de tranchant régulièrement courbe. Dans ce matériel lithique, N. Djemmali a identifié deux ensembles technologiques : auprès de l’ensemble ci-dessus, il reconnaît une micro-industrie faite d’éclats presqu’exclusivement tirés de silex, dont certains sont retouchés. Il les interprète soit comme deux chaînes opératoires d’une même tradition culturelle, soit comme une occupation des lieux par deux groupes culturels, à des époques différentes. Etudiant les galets, K. Illoul a pu isoler un groupe de nucléus d’un groupe d’outils. Ils se différencient par leur rapport à la matière première, un cortex plus important et une production indifféremment sur quartzite, grès ou calcaire pour les nucléus, alors que les outils privilégient les quartzites 60 %, grès et calcaire n’atteignant que 20 % cha1 .- Vu les conditions de dépôt, il ne peut être exclu qu’il y ait mélange de plusieurs niveaux.
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Les industries à bifaces et le Paléolithique inférieur cun. Les galets offrent des tranchants polaires, pouvant connaître une seconde génération d’enlèvements, et des angles de 78° en moyenne ; les nucléus sont souvent volumineux, peu exploités, n’ayant fourni qu’une à deux générations d’éclats, ceux-ci sont relativement grands et épais. La faune associée à ce matériel comportait Machairodus latidens, Camelus thomasi. On y trouve un Phacochœriné voisin de Notochœrus ou Metridiochœrus d’Afrique de l’Est qui renforce une note archaïque. Ceci va de pair avec l’absence de débitage Levallois, la quasi-inexistence de taille au percuteur doux, la recherche de biseau terminal tant sur les bifaces que sur les choppers, tempérées par quelques éclats de forme prédéterminée et quelques traces d’utilisation de percuteur tendre. Ces éléments ont amené les auteurs, L. Balout, P. Biberson et J. Tixier à situer le matériel dans un Acheuléen ancien terminal ou moyen débutant, par comparaison avec le matériel marocain (il correspondrait au stade III du Maroc). Le site a été daté de diverses manières qui donnent des résultats concordants : antérieur à 0,36 Ma par mesure U/Th sur une série dentaire, son contexte faunique le situerait aux environs de 0,7-0,6 Ma et le paléomagnétisme le rapporterait à la période de Brunhes entre 0,65 et 0,4 Ma, ce qui a conduit à le placer entre 0,65 et 0,6 Ma. Des restes humains, trois mandibules, un pariétal et des dents, permirent de définir une forme ancienne nommée Atlanthropus mauritanicus par C. Arambourg et qui, d’abord classée dans le groupe Homo erectus, est actuellement vue comme clade Homo ergaster1.
De l’Acheuléen moyen Il serait particulièrement bien développé dans l’Ouest saharien où il se concentre au pied des massifs de grès de faible altitude alors qu’il semble manquer dans les zones sableuses. En Mauritanie, R. Vernet qui a répertorié quelque 1200 pièces provenant de plus de 250 points2, tous de surface, remarque leur grande diversité ; bien que très peu de sites aient fait l’objet d’étude, il propose un plus grand développement pour la phase moyenne sans que l’on dispose d’éléments permettant de les placer dans la séquence établie par P. Biberson. Peutêtre y a-t-il lieu d’y rapporter des sites devenus célèbres avant même que l’on connaisse la structure de leur industrie, tel Azrag, immense cuvette où, comme à El Beyyed, les bifaces reposent sur plusieurs dizaines de kilomètres et dont on sait seulement qu’il a livré 85 bifaces et 35 hachereaux. On n’en connaît que les dimensions moyennes : longueur 12 cm, largeur 7,3, épaisseur 3,5 pour les bifaces dont le poids moyen est de 354 g ; longueur 18, largeur 11, épaisseur 5 cm et un poids de l’ordre de 300 g pour les hachereaux. Au Maroc, au nord des Beni Snassen, J. Collina-Girard a identifié deux sites de surface, Aïn Mellah nord et Oued Ahfir, ayant livré des pièces à forte variabilité morphologique, 44 pièces pour l’un, 12 pour l’autre, dont il est délicat de dire qu’ils procèdent de l’Acheuléen moyen ou récent. Ils sont dominés par les amygdaloïdes (8 exemplaires), 1 .- Cf p. 41 et svtes. 2 .- Citons parmi les plus importants : Kedama au Sud, Erg Idjafoum et dans l’Adrar, Rallaouia, Ouadane, Sbekhat, El Aderg, Aroui el Kebir, Tazazmout es Srir...
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Sahara préhistorique les cordiformes, naviformes, ovalaires (2 exemplaires chacun), les nucléiforme, ficron, discoïde, lagéniforme, lancéolé et partiel n’étant représentés que par un exemplaire. Ils étaient associés à 2 hachereaux et 11 galets aménagés dont 5 sphéroïdes, 6 nucleus et 5 éclats dont 2 Levallois. Shab el Ghar n’a livré que 12 pièces également dominées par les amygdaloïdes accompagnés de partiels, 2 exemplaires, cordiforme, ovalaire, nucléiforme, hachereau, galet nucleus, éclat denticulé. D’autres petits sites à matériel remanié sont connus dans la région est du Maroc. Leur principal intérêt est de montrer l’usage d’un débitage Levallois à schémas opératoires variés et la présence de hachereaux. En Libye, l’Acheuléen moyen serait fréquent sur le plateau du Messak, mais il est délicat d’y rapporter le site d’El Fasqiya (Tripolitaine), on ne dispose d’aucune indication d’ordre géomorphologique et la centaine de pièces qu’il a livrée, ne comporte qu’un seul biface, de forme amygdaloïde, associé à un matériel où figure un débitage Levallois, des racloirs, encoches, grattoirs et un burin. Aïn Fritissa C’est peut être à un Acheuléen moyen, bien qu’il soit susceptible de mélanges, qu’il y a lieu de rattacher le gisement de source ascendante de l’Aïn Fritissa dans l’Est marocain. L’essentiel du matériel connu, près d’un millier de pièces, provient des récoltes Ruhlmann. Il consiste en bifaces, trièdres, galets aménagés de tous types, réalisés dans des matériaux locaux. Le débitage Levallois est attesté. Une taille au percuteur tendre affecte 20 % des bifaces ; elle a fréquemment permis d’obtenir des pièces cordiformes qui se placent en deuxième position par leur nombre. Dans 30 % des cas, les pièces sont taillées au percuteur dur sans reprise des bords, ce qui leur donne un tranchant sinueux, les autres montrent une reprise du tranchant. Les bifaces lancéolés, les plus courants, constituent plus de 40 % du matériel. Près de la moitié des bifaces possède une base réservée et, parmi eux, plus du tiers une extrémité en ellipse ; les bases sont arrondies, en V ou plates. Il existe plusieurs pièces à biseau terminal dont aucune n’a une base réservée. R. Lafanechère y a signalé un biface de taille exceptionnelle, 32 cm, qui pèse plus de 4 kg. Classé parmi l’Acheuléen évolué par A. Ruhlmann et M. Antoine, cette industrie est située par J. Tixier dans une fourchette ayant pour limite inférieure l’Acheuléen moyen et pour limite supérieure l’Acheuléen final en raison de l’abondance des pièces à base réservée et des méthodes de taille utilisées. Arkin 8 Les sites nubiens Arkin 8, Arkin 14, Dibeira 52 appartiennent probablement à un Acheuléen moyen. Arkin 8, en rive droite du Nil, a livré plus de 3000 pièces dont les deux tiers sont des éclats de façonnage, provenant d’une aire de quelque 40 x 20 m où ce matériel était regroupé sur des surfaces ovales de 6 à 8 m de diamètre dans lesquelles l’auteur, W. Chmielewski, voit une occupation par un petit groupe de 8 à 15 personnes. L’un de ces regroupements était entouré des lambeaux d’un cercle en grès d’environ 4 m de diamètre. A l’intérieur de la plus vaste occupation, une forte concentration de pièces occupait des surfaces de 1,5 m de diamètre avec, dans leur partie centrale, un empilement atteignant une trentaine de centimètres de haut.
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Les industries à bifaces et le Paléolithique inférieur Le matériel est taillé dans des roches locales avec forte prédominance du quartz, près des trois quarts. Il comporte des nucléus en majorité en quartz, de nombreux galets aménagés (près de 50 %) dont des polyèdres, des bifaces ainsi que quelques outils sur éclat tels que racloirs, pièces à coche mais aussi un burin et peut-être un grattoir. Il n’y a pas de hachereau. La technique Levallois n’est pas utilisée. Des oves, bifaces ovales sur galets (les « ovates » des auteurs anglosaxons), sont entièrement retouchés sur une face et plus ou moins sur l’autre ; des pièces semblables seraient fréquentes à Khor Abu Anga et dans l’île de Saï. Les 113 bifaces sont des pièces courtes, épaisses, aux arêtes peu sinueuses, en majorité cordiformes (35 %) ou amygdaloïdes (20 %) bien qu’il y ait quelques triangulaires et lancéolés (15 %). Les bases réservées semblent fréquentes, l’extrémité tend vers une forme ovale qui parfois peut être très ouverte et qui n’est pas forcément symétrique. Blaka Kallia Le gisement B.K.1 qu’a fait connaître Th. Tillet au sud-ouest du puits de Blaka Kallia (Niger), est rapporté à l’Acheuléen moyen par l’auteur. Le site s’étendait sur une surface de 90 000 m2, et, à la périphérie, se trouvait une zone de 16 m2 ne comportant que des éclats de préparation de nucléus, quelques nucléus et des percuteurs. Près du quart du matériel consiste en galets aménagés (en majorité chopping-tools et polyèdres). Les formes archaïques voisinent 10 % et sont composées pour près de moitié de trièdres, l’autre moitié comportant essentiellement des bifaces abbevilliens, quelques bifaces à section quadrangulaire dénommés pics et quelques nucléiformes. Les formes évoluées constituent plus de la moitié des outils avec prédominance de bifaces amygdaloïdes, puis des lancéolés et apparentés, les ovalaires ou discoïdes n’atteignent que 5 %, suivis par les cordiformes, pièces à biseau terminal et triangulaires. Les hachereaux figurent à hauteur de 9 % et les outils sur éclats 14 % avec large prédominance des racloirs, présence de denticulés, encoches, grattoirs, couteaux et burins. Les matériaux sont essentiellement des grès de Nubie qui bordent la vallée. Les bifaces, en général taillés sur éclat, sont souvent retaillés au percuteur tendre ; certains supports ont été obtenus par débitage de type Victoria West. La plupart conserve tout ou partie du talon et une petite plage corticale figure souvent sur la face supérieure. Les arêtes sont sensiblement rectilignes sauf pour les pièces de type archaïque. Les hachereaux, de préférence de type 2, possèdent un biseau convexe ou droit, la forme concave restant toutefois bien représentée. L’absence de débitage Levallois tempère l’aspect évolué de l’industrie. Chichaoua Site de surface d’une superficie de 50 ares, ce site marocain a livré 37 bifaces, 16 nucléus et 178 éclats. D’après A. Berthélémy, le débitage est pour moitié Levallois. Le matériel débité comporte essentiellement des racloirs avec représentation de divers types, des encoches et denticulés, des pièces à retouches bifaciales. Il existe quelques perçoirs, parfois associés à un racloir, couteaux à dos, troncatures, choppers et chopping-tools. Les bifaces appartiennent aux types cordiformes, amygdaloïdes et ovalaires. Ils sont façonnés pour la plupart dans des plaques de silex, soit au percuteur dur, soit au percuteur tendre.
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Sahara préhistorique Erg Touareg Dans la région de Ouargla, le site de l’Erg Touareg trouvé par B. Savelli dans les années 1970, a livré un ensemble très homogène de plus de 80 bifaces épais, en calcédoine, exempt d’éclats. D’après le découvreur, le matériel gisait sur un reg qui paraît aménagé dans des dépôts du Quaternaire ancien, ce qui ne donne aucune indication pour dater l’occupation humaine. L’étude menée par l’un de nous (G.A.) et S. Hachi a montré que moins de 10 % des bifaces était fait sur éclats. Les autres, taillés dans des rognons, présentent une base réservée et du cortex subsiste plus ou moins largement sur les faces. Les extrémités sont en pointe robuste, en ogive ou parfois spatulées. Les arêtes sont sinueuses, cependant quelques pièces font valoir une tendance rectiligne. La taille faite par enlèvements courts a été développée d’abord sur une face puis sur l’autre. Quelques pièces montrent une tendance triédrique, mais un seul véritable trièdre a été récolté. A ce matériel se joignaient un uniface, un galet aménagé, une bola, de rares racloirs, un denticulé, qui appellent une certaine complexité de l’outillage. Il n’y a pas de hachereau, ce qui ne saurait surprendre, le hachereau n’ayant pas été rencontré dans le Bas-Sahara jusqu’à ce jour. Il n’y a pas non plus de débitage Levallois, mais certaines pièces qui montrent la convergence des négatifs d’éclats de taille vers le centre des faces, celles qui possèdent un pan perpendiculaire aux faces travaillé par enlèvements parallèles, ainsi qu’un nucléus, ne manquent pas de l’évoquer. Ces caractères, la tendance à conserver des bases réservées, ont conduit à assimiler ce matériel à l’Acheuléen moyen de la vallée de la Saoura. Lagreich Située à une centaine de kilomètres au nord de Gao, la station occupe une très vaste surface sur la rive gauche de l’oued Ichawan, affluent du Tilemsi ; longue de 2 à 3 km, elle atteint parfois 1 km de large et repose tantôt sur des placages sableux, tantôt sur des lambeaux de cuirasse ferrugineuse. Pour A. Diop, elle serait prise dans une terrasse scellée par une gangue latéritique. La densité de l’outillage montre des endroits de plus grande densité. J et M. Gaussen notent en particulier une surface circulaire d’une vingtaine de mètres carrés où se concentraient uniquement des bifaces. L’industrie comporte des bifaces, unifaces, trièdres, hachereaux, racloirs, « disques », quelques éclats et nucléus Levallois. Elle est taillée dans une matière première locale, siliceuse d’excellente qualité et est envahie par une patine noire d’intensité variable. Les bifaces, où prédominent les lancéolés et amygdaloïdes, sont généralement faits sur de gros éclats à l’aide d’un percuteur dur. La retaille est rare. Les arêtes sont sinueuses. Les longueurs oscillent entre 12 et 24 cm ; quelques pièces de petites dimensions posent la question de pureté de l’ensemble industriel. De nombreux éclats ne sont repris que sur une face bien que, parfois, quelques enlèvements affectent la face inférieure. Les hachereaux, nombreux, peuvent avoir un taillant évasé ; plus larges que longs, ils seraient produits par débitage Victoria-West II. Les racloirs sont sommaires, les « disques » résultent de légères retouches sur des éclats circulaires.
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Les industries à bifaces et le Paléolithique inférieur Il est délicat de rapporter le site de Lagreich à une phase déterminée. En raison de l’absence de formes appartenant à l’Acheuléen supérieur, les auteurs proposent d’y voir un Acheuléen inférieur ou moyen. La rareté des trièdres inclinerait plutôt vers ce dernier. Rappelons que l’un des bifaces a été daté de 282000 ± 5600 par thermoluminescence. A. Diop propose une évolution dynamique de l’outillage en trois stades. Les pièces les plus patinées comprendraient des amygdaloïdes, rostrocarénés, triédriques, nucléiformes. Un second stade verrait le développement des bifaces lancéolés, triangulaires, ovalaires et du débitage proto-Levallois ; la présence de hachereaux ferait alors valoir un biotope différent. Le dernier stade, à patine plus claire, comporterait des cordiformes, unifaces, et développerait un petit outillage. M’Birika Connu par les fouilles B. Champault dans la Saoura et attribué à l’Euacheuléen par M.H. Alimen, en 2013, A. Heddouche y reprenait les travaux. Il en a retiré un matériel lithique comportant essentiellement des éclats, entiers ou fragmentés, des nucleus, un chopper et une pièce bifaciale taillés dans un quartzite venant des environs immédiats, la Kahal de Tabelbala. Les nucleus ont servi à la production de grands éclats selon divers modes Levallois (à éclat préférentiel débordant et non débordant, récurrent centripète, récurrent bipolaire). Le site est entendu comme un atelier de taille produisant de grands éclats standardisés destinés à être transportés dans l’habitat pour être transformés en hachereaux. N’Gaous En 1976, Y. Bellion et J.S. Magagnosc découvrirent un site exceptionnel, non loin de Barika, à l’extrémité occidentale du kef Sefiane, où deux grandes
Fig. 40 – Pavage de l'un des gisements de N'Gaous en cours de dégagement (cl. N. Saoudi).
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Sahara préhistorique buttes qui dominent les formations quaternaires sont recouvertes d’un entablement travertineux formant corniche. En trois points, des ossements et des outils acheuléens apparaissent. Les premiers travaux ont montré qu’ils avaient probablement une valeur chronologique. L’un d’eux qui se situe à la base d’un travertin dit T3, a livré des galets aménagés et des bifaces subtriangulaires ou à base réservée, une bola et deux percuteurs. Un autre se place au sommet de la même formation travertineuse ; il a livré avec quelques galets aménagés, des hachereaux, des bifaces dont deux cordiformes et des formes à base réservée, un nucléus. Le dernier se trouve au sommet de la formation travertineuse suivante dite T4. Le matériel retiré par A. Amara comprend des bifaces dont la base est le plus souvent réservée, aux formes volontiers lancéolées, et un racloir. La disposition du matériel telle qu’elle apparaît dans la coupe et à l’affleurement permet de supposer une structuration de l’habitat avec des sols de huttes empierrés sur lesquels repose le matériel archéologique. Une reprise des travaux sous la conduite de N. Saoudi a confirmé l’existence d’un dallage dans ce dernier locus (fig. 40). Les 113 bifaces provenant des nouvelles fouilles n’étaient accompagnés que de 2 hachereaux auxquels s’ajoutent 2 nucléus et 4 éclats. De nouveaux travaux menés par A. Amara1 ont permis d’identifier de nouveaux gisements. C’est ainsi 10 gisements, 5 dits Kef Sefiane, 5 dits N’GaousEst qui sont connus. Une étude menée par T. Sahed sur du matériel issu d’un de ces derniers conclut à la très forte prédominance des lancéolés, les subtriangulaires et triangulaires venant ensuite ; les ovalaires sont présents. Les bifaces sont obtenus à partir de galets calcaires à l’aide d’un percuteur dur, seules quelques pièces ont été retaillées. Il en résulte des pièces de 3 à 8 cm d’épaisseur, au tranchant sinueux, dont près du tiers a une base réservée. Nag’Ahmed el Khalifa Faut-il rattacher à l’Acheuléen moyen ou final, le site de Nag’Ahmed el Khalifa trouvé en Egypte, dans la vallée du Nil, par le Belgian Middle Egypt Prehistoric Project of Leuven University2 ? Le matériel archéologique qui a été déplacé sur une faible distance, est pris dans un gravier grossier qui surmonte des dépôts nilotiques. Ceux-ci sont mis en corrélation avec la formation Dandara, ce qui propose de rapporter l’industrie antérieurement à 0,3, probablement entre 0,36 et 0,3 Ma. D’après les auteurs, l’ensemble industriel serait typologiquement « assez conforme à l’Acheuléen de la Nubie ». Il comporte une cinquantaine de bifaces, presqu’autant d’ébauches, quelques hachereaux qui pourraient être des bifaces à tranchant transversal, de rares racloirs, des produits de débitage sans trace de technique Levallois. Les bifaces sont épais, le plus souvent amygdaloïdes, mais aussi ovalaires et cordiformes, voire discoïdes. L’originalité de cet ensemble industriel réside dans la coexistence de ces bifaces de formes très évoluées et l’absence de débitage Levallois. 1.- Revenu à la Préhistoire après une longue absence, A. Amara y a ouvert un nouveau chantier. 2 .- B.M.E.P.P. qui a mené des travaux depuis 1976.
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Les industries à bifaces et le Paléolithique inférieur Des sites disposant d’un outillage comparable sont fréquents à la surface des hauts niveaux de bordure de la vallée, il n’est donc pas indu d’avoir trouvé un ensemble de bifaces dans la terrasse de 4 m du Nil. Ouarzazate Dans la région de Ouarzazate, plusieurs sites en place furent trouvés sur la couverture caillouteuse du reg dominant la terrasse de 5 m, et qui est un épandage rapporté à l’Amirien. Le mieux connu, Oued Neffid, fut découvert par J. Riser qui en a retiré un échantillonnage de 19 pièces vu comme représentatif. Auprès de bifaces archaïques, abbevilliens et amygdaloïdes, G. Camps a identifié des éclats proto-Levallois et Levallois, certains étroits et allongés tendant vers de courtes lames. Il n’y a ni galet aménagé, ni hachereau. Ce matériel est rapporté à la fin de l’Acheuléen moyen ou à l’Acheuléen évolué tel qu’il est défini par P. Biberson. Antérieurement, M. Antoine avait récolté dans un poudingue, une quarantaine de pièces où figuraient de nombreux amygdaloïdes taillés à grands éclats ; il remarquait l’absence de hachereau, de trièdre, la rareté des bases réservées mais posait la question de la pureté de l’ensemble industriel. P. Biberson, puis A. Rodrigue ont montré que les pseudoamygdaloïdes dont M. Antoine fait mention, sont des hachereaux. Site 401 Situé à une dizaine de kilomètres du Nil, le gisement est en place au sommet d’une butte. L’ensemble récolté par J. et G. Guichard, comporte de nombreux bifaces, de nombreux éclats Levallois et nucléus. Les quelque 300 bifaces comprennent près de 14 % d’abbevilliens ou de style abbevillien, à peu près autant de lancéolés, 6 % d’amygdaloïdes, micoquiens, limandes ou apparentés, 4 % de cordiformes, près de 3 % de triangulaires, forme rare en Nubie. Divers autres types sont présents parmi lesquels se distinguent des trièdres, des pics, des bifaces lagéniformes, nucléiformes. Les préformes sont fréquentes 6 %. Les nucléus appartiennent à divers types, ils sont couramment Levallois ou discoïdes, globuleux, certains sont de type sud-africain. Le débitage comporte de gros éclats (les auteurs font mention d’un poids de 1 kg), de larges lames. Des racloirs, des coches et denticulés en nombre semblable, quelques grattoirs, burins, troncatures sont associés à quelques pointes Levallois et à de très nombreux éclats Levallois (plus de 400) typiques pour la plupart. Tallaït Moulay Omar S. Guislain rapporte à l’Acheuléen moyen le gisement de Tallaït Moulay Omar dans le Tafilalet marocain. L’ensemble industriel serait comparable au stade III de la Saoura. Le gisement repose à la surface d’un dépôt sableux des bordures de l’erg Chebli, sur une pente douce dont le sommet prend appui sur des travertins. Le gisement ne serait pas en place, mais l’ensemble industriel serait pur. Les bifaces constituent 40 % du matériel, les hachereaux près de 5 %. Le débitage Levallois est attesté. Les racloirs sont courants 16 %. Il existe de rares galets aménagés ou polyèdres, un trièdre, un pic, quelques grattoirs. Les bifaces sont épais et massifs, les ébauches nombreuses. Les amygdaloïdes pré-
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Sahara préhistorique dominent auprès de cordiformes, lagéniformes, limandes, bifaces micoquiens, subtriangulaires ou à biseau terminal. Cet ensemble est façonné pour les trois quarts en dolérite, roche locale, le quartzite occupe la seconde place avec 20 %, les autres pièces ayant fait appel à des calcaires et rhyolites. Jbel Kfiroun est un site comparable de la même région. Il dispose de bifaces, hachereaux, nucleus et éclats façonnés sur grès. Les bifaces plutôt faits sur éclat, conservent du cortex et montrent une différence entre l’axe de débitage et celui du biface de l’ordre de 30° le plus souvent. De nombreuses pièces sont inachevées. Des nucleus dormants ou mobiles de grande dimension, attestent d’un débitage Levallois linéal et récurrent centripète, dont peu d’éclats portent la marque. Téhentawek Téhentawek couvre une surface de l’ordre de 100 x 55 m sur une coulée de lave issue du Tan Kel Assouf, aux environs d’Idelès. La coexistence de pièces évoluées et archaïques le rapporte aux débuts de l’Acheuléen moyen ou à la fin de l’Acheuléen ancien. Le niveau archéologique apparaît au toit où le matériel archéologique se confond avec les blocs de basalte ; il se développe dans un sable rouge reposant sur la coulée, interrompu en son milieu par un niveau de gros blocs. Les fouilles menées par M. Benmessaoud, ont livré un ensemble de 180 pièces façonnées dans des basaltes locaux, des quartz dont un gîte se trouve à 13 km. Un élément étranger vient de deux pièces en jaspe. Le matériel retiré comporte 33 bifaces (moyenne 140x70x40 mm), dont près de la moitié lancéolée, les autres se distribuant par valeur décroissante en ficrons, cordiformes, limandes, amygdaloïdes et triangulaires. Ils ont été façonnés au percuteur dur, face après face, à partir de galets sauf deux faits sur éclat. La base est arrondie, parfois réservée. Les nucléus, 38 dont 10 sur éclat, sont imposants avec un poids moyen de l’ordre de 500 g, et peuvent atteindre près de 2 kg ; ils ne portent que les stigmates de quelques enlèvements en débitage tournant laissant toujours une importante partie corticale. Les éclats, 132, sont épais, près de 20 mm, de module hétérogène, leur talon est lisse, souvent cortical. Un outillage sur éclat s’y ajoute avec 2 grattoirs, 3 racloirs, 5 denticulés qu’accompagnent 2 percuteurs. Tin Tamatt En Ahaggar, H.J. Hugot a décrit à Tin Tamatt, une industrie qui couvre une grande surface du piedmont du taourirt Tan Afella, près d’In Ecker. Elle repose sur le socle et, dans les parties basses, elle est parfois recouverte par une terrasse. Le matériel comporte des bifaces taillés à grands éclats alternatifs produisant une arête sinueuse, des hachereaux, des galets aménagés, des éclats et deux très grandes lames (fig. 41). La technique Levallois y serait utilisée. Fig. 41 – Une des grandes lames de Tin Tamatt. L = 27 cm (d'ap. Hugot 1963).
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Les industries à bifaces et le Paléolithique inférieur
De l’Acheuléen récent L’Acheuléen évolué est de beaucoup le plus répandu bien qu’il soit souvent délicat de rapporter les nombreux petits sites de surface comme Aïn Mellah nord ou Oued Ahfir, reconnus par J. Collina-Girard au nord des Beni Snassen, à l’Acheuléen moyen ou récent, même si, à l’Acheuléen récent, les bifaces sont généralement peu épais, portent des traces plus ou moins marquées de retaille, leurs arêtes sub-rectilignes traduisent souvent l’usage d’un percuteur tendre. Bir Sahara-Bir Tarfawi Dans cette région du Sahara égyptien dont les dépressions disposent de sources artésiennes, l’Acheuléen supérieur semble fréquent, mais d’après F. Wendorf et R. Schild, dispersé. Le seul regroupement de pièces connu, BS14, se trouve près de l’une d’elles, au sud de la cuvette de Bir Sahara. Une centaine de bifaces s’y distribue en triangulaires 40 %, cordiformes 35 %, amygdaloïdes 11 %, discoïdes, ovales, limandes 8 % parmi lesquels, les discoïdes sont les plus nombreux. Le site a livré quelques sphéroïdes, des racloirs souvent inverses, bifacial pour un, des denticulés. D’après les auteurs, cette industrie serait proche de celle d’El Ma el Abiod. Biskra Dans les environs de Biskra, une centaine de pièces regroupées dans une petite cuvette, à peine recouverte par du sable, ou dispersées sur le plateau et les pentes dominant la cuvette a été découverte par le R.P. Poyto en 1962-63. Ce matériel comporte une quarantaine de petits bifaces plats, ovalaires ou discoïdes, parfois des limandes. Les arêtes sont rectilignes, taillées face après face au percuteur tendre. Quelques bases sont réservées. De nombreuses pièces sont façonnées sur éclat. Associés à ces bifaces se trouvaient un galet aménagé, quelques grandes lames Levallois, des nucléus dont certains discoïdes ou Levallois, des racloirs, des denticulés. Cette industrie est rapportée par l’une de nous (GA) à un Acheuléen évolué peut-être final. Dakhla Deux gisements importants, E-72-1 et E-72-2 de l’oasis égyptienne de Dakhla sont associés à des sources fossiles. D’après R. Schild et F. Wendorf, ils sont remarquables par le nombre d’objets qui y a été récolté, 7000 pièces pour l’un, près de 3000 pour l’autre, ce qui les place parmi les sites paléolithiques les plus riches d’Afrique. Le matériel du site E-72-1 comprend 23 % de bifaces, des éclats dont certains sont retouchés, quelques éclats Levallois. L’outillage sur éclat est dominé par les pièces à coche et denticulés, puis les racloirs qui sont généralement simples convexes ou bifaciaux. De rares burins existent. Les bifaces, 126 dans le premier site, seulement 49 dans le second, présentent des caractères voisins. Ils se regroupent pour la plus grande part en amygdaloïdes, les subtriangulaires et les cordiformes connaissent à peu près la même représentation, les discoïdes et ovales, lancéolés, micoquiens figurent en petit nombre. En E-72-2,
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Sahara préhistorique les subtriangulaires sont en proportion comparable, les cordiformes sont plus nombreux qu’en E-72-1, les amygdaloïdes moins. Des pièces discoïdes existent dans les deux cas. Ces sites, identiques par la morphologie et la technologie, diffèrent donc légèrement par la distribution du matériel. L’illustration montre des dimensions plutôt petites, une reprise des bords même quand ils sont irréguliers. Cet ensemble, sans similitude avec la séquence nubienne, est comparable à K-10 de Kharga. El Beyyed Nord En Mauritanie, à El Beyyed-Nord, deux sites MI et MII signalés par P. Biberson comportent de nombreux bifaces cordiformes et lancéolés, certains très apiculés, à arêtes ensellées, et de grands hachereaux. L’Acheuléen évolué, « Acheuléen évolué I », se rencontre à la partie supérieure de la terrasse moyenne. Il se développe sans discontinuité de cette partie sommitale de la terrasse à la croûte calcaire scellant des formations lacustres qui lui ont succédé. Ici, comme dans la vallée de la Saoura, chaque gisement d’Acheuléen évolué présente des nuances sensibles qui contrastent avec l’unité typologique de l’Acheuléen moyen. L’industrie étant taillée dans les mêmes matériaux, les transformations technologiques ne peuvent être liées à ceux-ci. Le fait est bien illustré avec les sites de Tazazmout es Srir, Aroui el Kebir, El Aderg Motleh (hachereaux 30 %, éclats 27 %, unifaces 21 %, sphéroïdes et disques 13 %, bifaces 9 % sur une zone d’environ 50 m2), Reg VI et I d’El Beyyed ou celui de l’Erg Idjafoum. L’Acheuléen évolué est connu en divers autres points de Mauritanie, en particulier à Kedama, dans le Hodh, où quelques galets aménagés étaient associés à des bifaces plats, aux arêtes rectilignes et à quelques éclats. El Ma el Abiod Comme Ouzidane1, Saint Aimé (Djidioua), Inkermann (oued Riou), El Ma el Abiod est, dans le nord du Maghreb, un gisement d’alluvion. Contrairement à la plupart des autres gisements d’alluvion d’où ne provient qu’un petit nombre d’objets, celui d’El Ma el Abiod, avec plus d’un millier de pièces, est particulièrement riche. Il fut signalé dès 1909 par A. Debruge, puis M. Latapie. M. Reygasse y récolta les bifaces dégagés par l’érosion dans des ravineaux entre 0,5 et 1,5 m de profondeur. Il n’a pas été trouvé de hachereau. Bien que ces bifaces ne présentent aucun émoussé, leur position stratigraphique reste un problème ; pour certains, ils seraient en position secondaire et pourraient provenir d’un cailloutis rencontré à 8 m de profondeur par des sondages du service de l’hydraulique où ont été trouvés des restes de Loxodonta atlantica. Tous les bifaces déposés au Centre National de la Recherche Préhistorique Anthropologique et Historique (CNRPAH) à Alger ont été façonnés sur silex, la plupart sur éclat, sans trace de débitage Levallois. L’étude de H. Sahnoun rapporte des pièces courtes, autour de 10 cm, plutôt trapues avec une largeur 1 .- Le matériel apparaît dans les parois d’une grotte artificielle proche de Tlemcen, ce qui, un temps, l’a fait considérer comme gisement en grotte.
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Les industries à bifaces et le Paléolithique inférieur moyenne de 6 cm, mais une épaisseur ne dépassant guère 2,5 cm. De très belle venue, une taille au percuteur tendre a dégagé des bases arrondies, des arêtes rectilignes, des extrémités en pointe ou, quelquefois, encochées, tronquées voire aménagées en grattoir. Les cordiformes et amygdaloïdes constituent la moitié des récoltes, les limandes environ le quart ; les ficrons, lancéolés et micoquiens sont plus rares. Certains ont une base à tranchant très vif alors que les bords ont été écrasés. Une double patine laisse parfois supposer la retaille de pièces bien plus anciennes. Erg d’Admer En divers points de l’erg d’Admer, des industries du Paléolithique inférieur ont été identifiées. Elles ont été signalées à In Afalehleh, Anou Oua Lelioua. C’est probablement un site de boucherie qui a été trouvé par Ahmed Baba dans sa partie orientale : de gros ossements, très altérés, y étaient entourés d’un chopper, d’un fragment de biface et de quelques éclats. Quelque 200 pièces, essentiellement des bifaces, des hachereaux et quelques racloirs ont été récoltées par J. Bobo en plusieurs points de l’erg (ADPi1 à ADPi4) et des environs de Djanet. Partout, le matériel gisait dans un sédiment argileux grisâtre ou à proximité, sur un sable induré. Djanet et ADPi4 ont livré des bifaces peu épais, à arêtes rectilignes ; les types cordiformes, lancéolés y sont courants. Les autres points ont livré des pièces plus épaisses, à tranchant sinueux qui peut être adouci par une retaille, les sections ont une tendance triédrique marquée. En ADPi1, l’usage d’un percuteur tendre est net dans quelque 20 % des cas, les bases restent réservées dans les mêmes proportions. Les bifaces cordiformes prédominent, 62 %, les ovalaires et limandes forment près du tiers, les triangulaires ou subtriangulaires sont rares. La distribution des hachereaux obéit aux mêmes constantes que dans la Saoura avec une majorité de type 3, l’absence des types 0 et 1. Pour S. Hachi, ce matériel s’assimile au Néoacheuléen, Néoacheuléen VI pour ADPi1, Néoacheuléen final pour Djanet avec des hachereaux sur lesquels la retouche des bords s’accentue et les directions de percussion de l’éclat se multiplient. A l’Adrar Edjeleh qui se trouve dans le sud de l’erg, le site acheuléen s’étend sur une centaine de mètres de long, une trentaine de large, les bifaces sont mêlés à une vingtaine de centimètres de sables noirâtres et à des amoncellements de restes de silures auxquels s’ajoutent des ossements d’éléphants et de Pelorovis antiquus. D’après H. Lhote et H. Kelley, une partie des bifaces appartient à des formes épaisses, à taille grossière, une autre est mince, de petite dimension. A en juger d’après l’illustration, ce matériel pourrait lui aussi appartenir à l’Acheuléen récent. In Afalehleh a été découvert à proximité du puits, par R. Mauny, en 1955, lors de la première mission automobile Berliet Ténéré-Tchad. Le site comporte plusieurs stations en bordure d’un bras mort de l’oued. Une trentaine de pièces pour l’essentiel en quartzite, distribuée en 67 % de bifaces, 14,8 % de trièdres, 11 % de hachereaux, 7, 4 % de galets aménagés est conservée au Musée de l’Homme, elle a été étudiée par H. Sahnoun. S’il ne catégorise pas les bifaces, il en donne une étude métrique montrant des bifaces épais, quelques plats, d’une longueur moyenne 121 cm, largeur dispersée entre 95 et 41 cm, épaisseur autour de 42 cm. Les hachereaux sont un peu plus grands, moyenne de longueur 139.
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Sahara préhistorique A Ouakarouza, dans la partie orientale de l’erg, le matériel archéologique comprend des bifaces, de rares hachereaux, des nucléus et des éclats, le tout regroupé en surface, à une centaine de mètres de formations hydromorphes non datées. Le site, lui aussi, signalé par Ahmed Baba en 1991, occupe une surface de l’ordre de 50 000 m2, avec une densité au sol irrégulière. Le matériel est principalement taillé dans une roche magmatique locale. L’étude menée par M. Tauveron rapporte un large éventail des formes avec une forte majorité d’amygdaloïdes, 80 %, un même intérêt pour les subtriangulaires et les ovalaires. Les bords, à peine ondulés, résultent d’enlèvements alternes au percuteur tendre, la reprise n’étant guère pratiquée ; les sections sont fortement biconvexes, les bases plutôt convexes, 64 %. Les dimensions sont variées, avec une longueur qui va de 67 à 197 mm et des valeurs privilégiées autour de 90 et 130 mm ; l’épaisseur oscille entre 15 et 68 mm avec une préférence autour de 40. Le débitage Levallois est attesté mais fort peu employé. D’après l’auteur, les identités perçues mettent en relief des différences qui pourraient poser le problème d’une orientation des outils vers des fonctions diverses. L’attribution à un Acheuléen récent qui résulte de la présence des formes subtriangulaires et ovalaires, de l’emploi d’un percuteur tendre, est confortée par la forme en U des deux hachereaux. Falémé (Vallée de la) Au Sénégal, la vallée de la Falémé a livré récemment huit sites acheuléens parmi lesquels Sansandé et Djita ont fourni à A. Camara et B. Dubosq, un matériel conséquent qui éclaire l’occupation acheuléenne de cette région. Sansandé est connu par un sondage effectué en 1983 dans la basse vallée de l’oued. Il a montré plusieurs niveaux fossilifères d’où proviennent des bifaces, hachereaux, de rares galets aménagés, de nombreux racloirs, des grattoirs et quelques coches. La série la plus importante vient du niveau moyen, elle comporte pour moitié des bifaces de forme amygdaloïde ; les lancéolés et cordiformes viennent ensuite en proportion semblable. Le débitage Levallois était pratiqué. Ce site est rapporté au stade isotopique 738. Le gisement voisin de Karé serait comparable. Le site de Djita a livré plus de 300 pièces peu diversifiées, dominées par des choppers et chopping-tools façonnés sur de petits galets de quartz (de l’ordre de 5 cm de long). Les bifaces ne constituent que 4% du matériel ; ce sont surtout des pièces amygdaloïdes, plus rarement cordiformes ou triangulaires. Les hachereaux sont exceptionnels. De nombreux racloirs, 17 %, qui y sont associés, montrent une préférence pour les types simples rectilignes ou convexes. Le groupe encoches est comme le groupe becs, bien représenté, 11 % ; il ne renferme aucun denticulé. Les grattoirs et perçoirs sont rares, 3 %. Les auteurs rapportent les caractères primitifs de cette industrie à l’usage important du quartz disponible sur place. Des caractères comparables ont été reconnus à Kidira dans le même contexte stratigraphique. L’attribution à un Acheuléen final découle non de la structure de l’ensemble industriel, mais de sa position stratigraphique qui le place dans un niveau plus récent que Sansandé.
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Les industries à bifaces et le Paléolithique inférieur Gafsa-Colline du Signal Non loin de Gafsa, le docteur Collignon reconnaissait en 1881, un poudingue très dur renfermant des bifaces. Au début du siècle, L. Capitan et P. Boudy montrant que le poudingue avait été déformé, ouvraient un débat sur l’âge de ces mouvements. Pour R. Coque, ces bifaces n’appartiennent pas au poudingue lui-même, mais reposent à sa surface, sur laquelle ils sont cimentés par une croûte calcaire très dure. Tout donne à penser qu’ils proviennent, au moins en partie, de la colline d’El Mekta, située à quelque 15 km au nord où des bifaces semblables associés à des éclats ont été identifiés près d’affleurements de lits de silex, et où, de même, des boules thermiques se mêlent aux pièces taillées. Les bifaces sont des pièces peu épaisses, plutôt courtes, aux arêtes à peu près rectilignes pouvant être écrasées par une retouche très écailleuse et qui sont associées à des éclats parfois laminaires et des racloirs. En 1955, R. Vaufrey les rapportait à un terme ultime de l’Acheuléen. Germa et les sites du Fezzan L’immense site de Germa est une vaste dépression jonchée d’une faible densité de matériel avec parfois des regroupements appelés « nids » par J. Svoboda qui en a fait l’étude. Si la plupart du matériel est en surface, divers objets ont été retrouvés à 10 cm de profondeur dans les alluvions qui couvrent la plaine. L’industrie est taillée dans des quartzites, exceptionnellement des basaltes ou des bois fossilisés. Elle comporte des bifaces de dimensions et types variés. Des bifaces abbevilliens et micoquiens côtoient des hachereaux, nucléus, éclats et lames ainsi que de nombreuses écailles. Le débitage est essentiellement Levallois et le débitage Kombewa est attesté. La distribution du matériel n’est pas régulière. Les bifaces et hachereaux sont nettement plus nombreux dans les secteurs où le matériel est dense et où ils en constituent plus de la moitié, alors qu’ils dépassent à peine 10 % dans le reste du site. Les racloirs forment un groupe assez important et sont deux fois plus fréquents dans les « nids ». Les encoches et denticulés forment un groupe dominant sans concentrations notables. Etudiant les associations d’outils sur la même pièce-support, l’auteur remarque une plus grande fréquence des associations opposées dans lesquelles racloirs et denticulés viennent en premier, puis des associations adjacentes qui, de même, concernent essentiellement des racloirs et denticulés ou encoches. Les autres types d’association sont rares. Au Fezzan et dans les régions voisines, l’Acheuléen évolué paraît fréquent. Il est connu le long de la vallée d’Ajâl, de celle du Shâti, à Gatrûn, dans les environs de Mourzouk. Près de Sebha et à Tejerhi furent trouvés de nombreux outils amygdaloïdes qui lui sont rapportés. Du site de Garet el Mâl, au nord de Sebha, provient une cinquantaine de pièces, bifaces, rares hachereaux et, peut-être, quelques denticulés. Les bifaces sont plats (entre 15 et 45 mm), de longueurs variées ; leurs arêtes sont rectilignes, leur base est plutôt arrondie, leur extrémité en pointe ou en ogive. Le pourcentage de cordiforme est important, soulignant un ensemble rapportable à l’Acheuléen final. De manière plus générale, en Libye, l’Acheuléen est présent en nombre d’endroits. N. Petit-Maire le mentionne en bordure du Shati avec des bifaces
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Sahara préhistorique rapportés à un Acheuléen récent. B. Barich le signale dans le Jebel Gharbi près de Ginnaun, à la surface des plus hautes terrasses où il est mis en corrélation avec le stade isotopique 5, soit environ 128000 à 70000 ans. Hammami-La défense Le site dit Hammami-La défense, proche de Zouérate, se trouve en bordure du massif dunaire. Des centaines de bifaces et quelques hachereaux jonchent le sol sur moins d’un hectare1. Ils sont associés à des restes de grands mammifères, Palaeoloxodon (Elephas) iolensis, un hippopotame, un phacochère, un crocodile et différents bovinés. Le site est vu comme un site de boucherie par les auteurs, Y. Coppens et al. La faune, par la minceur de l’émail des dents d’éléphant et leur hauteur, le rapporte vers la fin du Pléistocène moyen. Hassi Manda En bordure de l’erg Er Raoui, aux environs du puits d’Hassi Manda, plusieurs stations de surface ont été reconnues. Le matériel est essentiellement façonné dans un calcaire blanc sableux, dit « tachenghit », provenant d’une formation sous-jacente. L’étude de M.H. Alimen montre des traits différents pour chacune de ces stations. Manda II, riche en bifaces et hachereaux, comporte peu de nucléus, pas de galet aménagé. Les pièces sont en quartzite. Les bifaces, plutôt plats, ont des arêtes en majorité rectilignes, retaillées au percuteur tendre. Ils se rangent dans les types cordiformes, lancéolés, limandes. Les types de hachereaux 2 et 6 prédominent, ce qui implique un rôle important des nucléus Kombewa. Les talons sont en majorité basilaires ; les tranchants, plutôt convexes, sont perpendiculaires à l’axe. A Manda III où un galet aménagé a été trouvé, les nucléus sont rares, les hachereaux en nombre écrasant (169 pour 18 bifaces). Les bifaces sont le plus souvent taillés au percuteur dur, sans retaille. Les amygdaloïdes dominent. Il existe deux trièdres ; pour M.H. Alimen, il s’agit là d’un outil de « seconde zone » d’où une fabrication négligée. Les hachereaux sont comparables à ceux de Manda II, avec une direction de percussion plus variée et une direction oblique prédominante. Les tranchants sont plus volontiers obliques qu’axés. Les outils et les éclats ne sont pas répartis uniformément : des amas en forme de croissant, forme qui est aussi celle du site, s’observent. Les petits mesurent entre 2 et 6 m de plus grande dimension, les plus grands jusqu’à 14 m. Entre ces amas se trouvent quelques pièces éparses. Toutes ces plages n’ont pas la même constitution. Les hachereaux sont particulièrement denses sur certaines où les débris de façonnage qui auraient pu faire songer à des ateliers de fabrication, sont rares. Les autres montrent des pièces beaucoup plus variées, parfois cassées, qui sont un véritable éventail de l’outillage d’alors. Kharga Dans l’oasis de Kharga, G. Caton-Thomson fait mention de divers sites avec bifaces2. A Refüf, pourrait se lire un passage à un « Acheuléo-Levalloi1.- Aucune étude de l’outillage n’a été faite. 2 .- L’auteur précise qu’aucun n’est fait sur éclat, ce qui conforte l’absence de hachereau que certains ont contestée ; l’industrie étant faite sur plaquette, il peut s’agir de biface à tranchant transversal comme le montre l’un de ceux qui ont été représentés.
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Les industries à bifaces et le Paléolithique inférieur sien », que F. Wendorf et R. Schild rapprochent de l’industrie d’El Ma el Abiod. Le matériel, peu abondant, comporte un quart de bifaces et une tendance au type cordiforme. K-10 a montré deux niveaux d’Acheuléen supérieur séparés par un dépôt de sable. Aucune différence typologique n’est sensible entre l’industrie des deux niveaux qui comprend une majorité de bifaces minces (triangulaires, ovalaires, cordiformes, lancéolés, limandes), aux arêtes rectilignes, taillés au percuteur tendre. Quelques galets aménagés, des éclats bruts, de rares nucléus quelconques, mais petits (de l’ordre de 5 cm), leur étaient associés. La pièce la plus remarquable est un burin façonné sur un grand éclat qui porte des enlèvements latéraux. Dans le niveau inférieur, l’outillage, en quasitotalité des bifaces, était aggloméré en amas denses d’une cinquantaine de pièces pour les plus importants, une dizaine pour les plus petits. Les pointes des bifaces étaient dirigées dans tous les sens. Pour G. Caton-Thomson, il peut s’agir de cache ou, plus vraisemblablement, d’objets qui avaient été placés dans des récipients. Khnâchich et ses environs Dans le Nord du Mali, l’Acheuléen se rencontre sur le plateau du Khnâchich où il serait fréquent vers 90000. L’étude de M. Raimbault fait également état de sites acheuléens au nord dans les environs de Taoudeni et au sud vers Foum el Alba, secteur également signalé par divers auteurs pour sa richesse en Acheuléen. MT26, près de Taoudeni, a livré un ensemble de 55 bifaces qui reposait sur un fond lacustre. Les longueurs très variées montrent cependant une préférence pour de petites pièces mesurant entre 6 et 8 cm. Les amygdaloïdes prédominent, près de 50 %, et ne sont suivis que de loin par les lancéolés, près de 15 %. M. Raimbault voit une évolution dans la diminution des longueurs, d’autant qu’ici, elle s’accompagne d’un emploi plus fréquent du percuteur tendre. MT18c, dans le secteur de Trahza, pourrait être un site de boucherie. Sur une surface de 30 m2, se regroupaient de nombreux éclats parmi lesquels quelques pièces Levallois, des nucléus, un percuteur ; ils étaient associés à deux os de grand mammifère, probablement de bovin. Certains éclats étaient accolés aux ossements. Les outils comprenaient 5 hachereaux dont la longueur atteint 13 cm, 8 racloirs de 10 à 12 cm de long, moins d’une dizaine d’encoches ou denticulés, un pic et un galet aménagé. Les tentatives de remontage ont montré que l’essentiel des éclats manquait. Dans la région de Foum el Alba1, trois sites ont été étudiés. Tous comportent de nombreux bifaces et de rares hachereaux. Quelques racloirs, éclats divers, des nucléus peuvent y figurer. La taille des bifaces est soignée, le percuteur tendre prédominant très légèrement. Les pièces sont peu épaisses, symétriques, à base plutôt convexe, arêtes droites. Le site le plus important, MK12, est constitué de deux stations A et B couvrant une superficie de 4 km2 au pied de l’erg Assedrem avec une densité de pièces de l’ordre de 2 ou 3 au m2. Il a livré quelque 200 pièces en quasi-totalité taillées dans des quartzites et comportant des bifaces, moins de 8 % de hachereaux, de rares racloirs. La taille est toujours soignée. Les bifaces sont pour la plupart cordiformes pour les pièces plates, 1 .- Cf la composition du sac à outils de MK4 et MK12 p. 369.
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Sahara préhistorique 40 %, amygdaloïdes pour les pièces épaisses, 40 %. Les longueurs tendent vers une valeur privilégiée située entre 10 et 14 cm. Les bases, plutôt convexes, sont parfois réservées bien que la plupart des pièces soit faite sur éclat. Parmi les 58 bifaces étudiés s’en trouvaient deux à biseau. MK36 offre des caractères identiques à MK12 mais avec une plus faible concentration des objets. MK30 occupe la surface d’anciennes dunes et de dépôts lacustres dans lesquels les pièces peuvent être prises. Les formes lancéolées et micoquiennes prédominent, constituant plus de la moitié du matériel recueilli. L’emploi d’un percuteur tendre est courant. Les dimensions des bifaces sont plus variées qu’en MK12, souvent plus réduites, près de 30 % se situant entre 8 et 12 cm. Près d’Erigat el Rhozlane, MN46 a livré 48 bifaces et de rares hachereaux. Comme dans les autres sites, la longueur des bifaces est variée, mais globalement plus grande avec des pièces pouvant atteindre plus de 20 cm. L’essentiel des formes se distribue entre amygdaloïdes 50 %, cordiformes près de 45 %. Les bases sont souvent réservées. Koum el Majène Découvert par les labours, non loin de Sidi Zin, le matériel occupait le bord d’une dépression marécageuse. Il provient d’une couche argilo-marneuse gravillonnaire de 15 cm d’épaisseur qui repose sur des marnes blanches et est coiffée par un niveau argilo-sableux verdâtre. L’ensemble industriel façonné dans des calcaires locaux, analysé par A. Gragueb, comporte 16 % de galets aménagés, de préférence des chopping-tools, de rares hachereaux, quelques unifaces et, en nombre, des bifaces. Les hachereaux ont une forme en U. Les bifaces sont aménagés sur des éclats, de ce fait on ne note pas de base réservée. Ils sont taillés au percuteur tendre, présentent un tranchant rectiligne. Leurs dimensions offrent un éventail large. Les amygdaloïdes dominent, ils sont parfois courts. Si la plupart des formes est présente, les formes plates telles que limandes ou discoïdes dont la présence traduit un Acheuléen évolué, sont peu fréquentes. Majâbat el Koubrâ Grâce aux récents travaux pétroliers, le vaste polygone de 250 000 km2 actuellement totalement vide de vie, qui borde l’Adrar au sud-est et que fit connaître Th. Monod, a montré qu’il n’en était pas de même au Paléolithique inférieur. La présence humaine se traduit par des bifaces et hachereaux regroupés en concentrations d’importance fort diverses en bordure de la cuvette, surtout dans les secteurs de Boujertala au nord-est et d’Ogueilet n’Madi au sud-ouest, tandis qu’au creux de couloirs interdunaires, des ébauches, nucleus et éclats épars reposent sur le substratum rocheux. Celui-ci a été débité directement, les arêtes de blocs affleurant ayant été utilisées pour le débitage de grands éclats. En deux points de l’un des principaux sites, un prélèvement systématique a livré 197 pièces dont 106 bifaces et 6 hachereaux en LO6-18, seulement 58 bifaces en HL785. Les bifaces, de dimensions variées, sont tirés essentiellement de blocs de quartzite au percuteur dur pour près de la moitié, au percuteur tendre
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Les industries à bifaces et le Paléolithique inférieur pour près du quart, les autres présentant des stigmates de ces deux modalités. En LO6-18, ils se répartissent en bifaces triangulaires et cordiformes 23,6 % chacun, ovalaires 16,4 %, lancéolés 11,8 %, en amande 4,5 %, ficrons 0,9 % auxquels s’ajoutent quelque 20 % de pièces cassées ou inclassables. La morphométrie est connue par des nuages de points qui traduisent une série homogène, évoluée. Des hachereaux sur quartzite, dont les axes de débitage et d’outil sont confondus, accompagnent les bifaces, une originalité vient de l’absence de débitage Levallois, alors que le quart est issu d’un débitage Kombewa. A ce matériel se joignent quelques pièces atypiques à retouches bifaciales et il est possible qu’à l’origine, il y ait eu de petits objets victimes de l’érosion car une telle association s’observe au voisinage d’Ouadane, dans des coupes de carrières. Mékrou (Vallée de la) Tout au long de son tracé dans le parc du W au Niger, la vallée de la Mékrou est bordée de dénivellations. Au cours d’une mission du GDR848, M. Betrouni a pu montré qu’il ne s’agissait pas de terrasses, contrairement à ce qui a été écrit parfois. Alors qu’une terrasse est un dépôt longitudinal, ces dénivellations sont des cuvettes coalescentes formées par des affaissements liés à un processus de kaolinisation, processus fréquent dans les régions latéritiques. Chaque cuvette est indépendante de sa voisine et a connu une évolution propre, jouant le rôle de minuscule bassin versant local où l’érosion a réalisé des incisions et mis en valeur des lits caillouteux indurés. Ces cuvettes sont inscrites dans des dépôts sédimentaires à faciès argilo-sableux monotone, très fin, interrompus à deux reprises par un petit cailloutis ferrugineux, témoin de ruptures de sédimentation, identique à celui qui coiffe actuellement les dépôts. Associée au cailloutis inférieur, se trouve une occupation humaine acheuléenne1. Le phénomène dissolution-affaissement, qui n’a pas partout le même commandement, ni le même âge, entraîne, d’une cuvette à l’autre, des positions altimétriques différentes pour le même niveau. Dans l’une des cuvettes, le cailloutis à occupation acheuléenne se trouve lui-même à diverses altitudes. L’altimétrie n’est donc ici nullement assimilable à une stratigraphie et ne peut servir à lire une évolution. Le matériel archéologique a été trouvé en divers points dont les mieux connus sont les sites F.4, H.5 et H.8. Ce dernier est situé dans le lit même de la rivière et n’est séparé du substratum que par quelques centimètres de dépôt argilo-sableux gréséifié. Il offre une concentration plus ou moins circulaire de bifaces d’à peu près une vingtaine de mètres carrés avec, en amont, des pièces dispersées. Certains de ces bifaces ont des arêtes plus ou moins émoussées par le frottement de l’eau, leur surface est brillante, d’autres pièces sont « fraîches ». En proposant des mises au jour étalées dans le temps, ceci renforce l’idée de site en place. Le lit actuel de la rivière, au moins en cet endroit, est donc postérieur à cette occupation humaine que M. Betrouni rapporte à Würm I. L’industrie provenant de ces sites est essentiellement constituée de bifaces et de bolas. Des sphéroïdes à facette de 6,5 à 13,1 cm de diamètre font passage 1 .- Des industries du Paléolithique moyen sont en place dans le second cailloutis et le Paléolithique supérieur, le Néolithique ainsi que des occupations historiques sont mêlés au cailloutis supérieur, soit à la surface actuelle.
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Sahara préhistorique aux bolas par écrasement des arêtes puis régularisation par piquetage ; cellesci, fréquentes, ont des diamètres de 6 à 9 cm. Les hachereaux sont très rares. Quelques éclats vastes, caractéristiques d’un débitage clactonien se rencontrent parfois, ils ont pu être aménagés en outils comme en témoigne un denticulé sommaire. Un débitage Levallois est attesté par de rares éclats et lames. Les nucléus retrouvés sont des pièces discoïdes, de diamètre moyen variant entre 12 et 8 cm, auxquels il y a lieu d’ajouter un nucléus Levallois, à éclats, et un nucléus pyramidal. La matière première, de préférence le quartzite, 98 %, rarement les silexites, 2 %, est d’origine locale. Les bifaces provenant de ces trois sites forment un ensemble relativement homogène qui a permis à Oumarou Amadou Ide de faire une étude globale de 50 exemplaires pris au hasard et de dégager les traits suivants. Les pièces sont plutôt épaisses, à sections biconvexes, volontiers dissymétriques, souvent façonnées sur éclat. La taille par enlèvements larges, courts, est assez sommaire ; généralement faite au percuteur tendre, elle a été développée sur une face puis sur l’autre avec parfois une retaille. Les arêtes sont presque rectilignes, les bases en majorité arrondies, les extrémités plutôt en ogive. Les bords sont généralement convexes. Les bifaces cordiformes prédominent, formant près des trois quarts de l’ensemble industriel ; il existe quelques pièces triangulaires, 13 %, lancéolées, 11 %, et une limande soit 2 %. La distribution des longueurs montre deux dimensions privilégiées, autour de 140 et 180 mm, celle des largeurs à 70 et 80 mm, des épaisseurs autour de 50 mm. Les hachereaux ont une forme en U, et sont de grande taille (17,8 cm de long pour le plus grand). Le talon est enlevé. Les bords peuvent être retouchés. Mouchi Sounosso Au Djado, des traces d’Acheuléen évolué sont connues à Aho-Salvator et en divers points de l’enneri Blaka. D’après Th. Tillet, à Mouchi Sounosso, la présence humaine se manifeste sur quelque 150000 m2, sur une haute terrasse qu’elle couvre entièrement. Parmi des blocs de grès issus de la falaise qui domine l’oued, s’observent de nombreux déchets de taille, des nucléus, quelques denticulés, couteaux, grattoirs, un perçoir, peu de bifaces et de racloirs. Le débitage Levallois est bien attesté. Le site a été interprété comme un lieu de façonnage des bifaces et appartiendrait à un stade évolué de l’Acheuléen. Moulouya (Vallée de la) De la vallée de la Moulouya, D. Lefèvre a retrouvé plusieurs ensembles industriels se rapportant à l’Acheuléen évolué. Le matériel archéologique peut différer par sa patine, sans que cela s’avère significatif. Dans un méandre, un conglomérat appartenant au palier inférieur d’un système de terrasses a fourni un ensemble de 17 bifaces, nommé Tamdafelt 5, qui comporte des pièces lancéolées, ovalaires, discoïdes, mais aussi amygdaloïdes et triédriques. Le tiers consiste en grands bifaces allongés. Ils sont accompagnés d’éclats non Levallois, d’un hachereau, d’un racloir et de cinq chopping-tools. Tamdafelt 3 et 4, sont des sites où dominent les bifaces amygdaloïdes, ils sont associés à des cordiformes, ovalaires et discoïdes, à de rares hachereaux, galets amé-
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Les industries à bifaces et le Paléolithique inférieur nagés, ainsi qu’à des nucléus et un nombre plus ou moins important d’éclats. Les petits bifaces sont nombreux 30 %. Le débitage est en partie Levallois. A Tamdafelt 3, s’observent des éclats levallois particulièrement épais (> 3 cm). Dans un éboulis de la région de Guercif, le gisement d’Oued el Baaj 2 qui est en position secondaire, a livré une trentaine de bifaces, quelques hachereaux, un chopping-tool et un outil sur éclat1. Le quart des bifaces consiste en grandes pièces allongées taillées par vastes éclats et conservant volontiers du cortex. Les formes sont en majorité amygdaloïdes, ce qui n’exclut ni des limandes, ni des trièdres. Le débitage Levallois est attesté malgré une forte dominante non Levallois. Oued el Baaj 2 se distingue de Tamdafelt par le débitage beaucoup plus fourni en plans de frappe obliques (76 %, seulement 56 % à Tamdafelt 3) et en talon lisse (70 %, seulement 52 % à Tamdafelt 3). Dans la région de Nador, des industries du Paléolithique inférieur ont été retrouvées à l’embouchure de l’oued Kert. Ammorene I, qui regroupe des bifaces minces, soigneusement ouvrés, fabriqués à partir de roche volcanique locale, parmi lesquels figure un hachereau en silex, est rapporté à l’Acheuléen récent ; à proximité un autre gisement pourrait appartenir à l’Acheuléen ancien. Oued Era’rar D’après R. Karpoff, le versant ouest de l’Adrar des Iforas serait riche en occupations acheuléennes. En 1961, il identifiait plusieurs gisements peu éloignés les uns des autres en rive gauche de l’oued Era’rar. L’un a été revisité par J. et M. Gaussen qui déposèrent le matériel récolté, 271 pièces, en parts équivalentes aux musée de Bamako, Musée de l’Homme, conservant le dernier tiers. L’essentiel consiste en bifaces 77, accompagnés de hachereaux 18, outils sur éclat 15 dont des racloirs, nucleus 38 pour moitié Levallois, débitage 120 pièces dont le tiers Levallois taillé en majeure partie dans des roches volcaniques type rhyolite, présentes dans le secteur. Malgré leur nombre, les bifaces ne sont connus que par quelques échantillons qui montrent la présence de pièces amygdaloïdes, lancéolés, cordiformes, parfois lagéniformes. Sidi Zin Le gisement tunisien de Sidi Zin découvert en 1942 par le géologue E. Dumon, a été fouillé par E.G. Gobert de 1948 à 1950, puis le Dr Salhi et M. Mougier dans les années 60. Le matériel a été étudié successivement par E.G. Gobert, L. Belhouchet, puis R. Boussoffara. Le gisement présente trois niveaux superposés qui appartiennent à l’Acheuléen final et qui sont coiffés par un tuf renfermant une industrie de type moustérien. Le niveau inférieur est un conglomérat épais de 20 à 30 cm renfermant des bifaces tantôt émoussés, tantôt frais, façonnés dans des blocs ou plaquettes de calcaire noir local, quelques galets aménagés taillés dans du calcaire nummulithique, de petits éclats de quartzite, des ossements. Pour E.G. Gobert, il s’agirait d’une surface d’occupation car de fines stries bien visibles sur de nombreuses pièces traduiraient un long piétinement. Les bifaces, lancéolés ou « piriformes », parfois cordiformes, sont façonnés sur éclats à talon plan, avec souvent une retaille. Le fait le plus remarquable 1 .- Berthélémy rapporte ce site à l’Acheuléen moyen.
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Sahara préhistorique est une usure fréquente de leur pointe. Le niveau moyen, 50 à 75 cm, est une formation tendre, sableuse. Il renferme des objets qui reposaient toujours à plat. Ce sont des pointes ogivales unifaces, des disques, des hachereaux portant des traces d’utilisation, quelques bifaces qui ne sont jamais lancéolés ; il n’y a pas de déchets de taille. L’étude de R. Boussoffara souligne la dimension modeste des hachereaux, une préférence pour les tranchants perpendiculaires à l’axe morphologique et la présence d’enlèvements au niveau du tranchant qu’il interprète comme un affûtage. Le niveau supérieur, tout comme le niveau inférieur, ne renferme pas de hachereau, il est en tout point identique au niveau inférieur, les objets étant simplement un peu plus frais, un peu moins striés. L’étude de L. Belhouchet met en valeur une différence nette au niveau des choix techniques effectués par les artisans des niveaux inférieur et moyen. Dans le niveau inférieur, le façonnage du support initial (éclat ou plaquette) est total, il est exclusivement partiel dans le niveau moyen, preuve, pour l’auteur, « de l’existence d’une anticipation bien avant la phase du façonnage », anticipation confirmée par la présence des hachereaux. La faune étudiée par R. Vaufrey renfermait Ceratotherium simum (Rhinoceros simus), Equus mauritanicus, Bos primigenius, Ovis tragelaphus, Connochœtes gnu, Gazella et, en outre dans le niveau inférieur, Loxodonta atlantica. Site 8-B-11 Dans l’île de Saï, P. Van Peer et al ont mis en évidence une stratigraphie qui place l’Acheuléen (Early Stone Age) à la base du Sangoen ; des intercalations éoliennes ont fourni des dates de 220000 à 150000 ans. Pour les auteurs, le décalage chronologique entre les niveaux sangoens et ceux d’Afrique de l’Est suggère un remplacement de population et la présence d’ocre rouge et jaune, des galets de quartz utilisés pour broyer les pigments, celui « d’acquisitions technologiques, et peut-être symboliques, nouvelles ». Site 400 North Situé à quelques kilomètres à l’est de Wadi Halfa, le gisement 400N a livré aux mêmes auteurs plus de 350 bifaces, des nucléus et une centaine de pièces débitées, en majorité des éclats Levallois atypiques et une douzaine d’outils dont la moitié consiste en racloirs. Les nucléus sont variés, peu appartiennent à un type Levallois. Les bifaces lancéolés sont les plus fréquents avec 15 % ; les ovaloïdes, micoquiens, triangulaires, cordiformes viennent à peu près au même rang (autour de 10 %) et de nombreux autres types figurent par quelques exemplaires. Site 438 Non loin de Wadi Halfa, sur l’autre rive du Nil, ce gisement où J. et G. Guichard étudièrent plus de 300 bifaces, couvre une surface de 100 x 50 m. Les formes sont diverses, mais toujours parfaitement symétriques, plutôt plates, à retouches régulières. Les formes archaïques sont rares, ce sont quelques trièdres, pics, bifaces abbevilliens. Les bifaces lancéolés constituent près du quart de ce matériel, les amygdaloïdes et les micoquiens autour de 10 %, divers autres types figurent par quelques exemplaires. Les éclats qui les accompagnent
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Les industries à bifaces et le Paléolithique inférieur sont peu nombreux, non Levallois. Les nucléus sont souvent informes, cependant quelques uns sont Levallois ou discoïdes, certains ont deux plans de frappe opposés, d’autres sont pyramidaux. Tachenghit Dans la région de Tabelbala, le feidj de Tachenghit a livré de nombreux bifaces au lieutenant César puis à B. Champault. Le gisement s’étend sur 1000 x 150 m avec une densité irrégulière de matériel, variant de 6 à 1 au m2 après les prélèvements César. Le matériel repose sur la croûte (tachenghit) qui coiffe des dunes fossiles, diverses pièces y sont encastrées, donnant à penser qu’elle était en cours de formation lors de l’occupation. Site d’habitat lié à la présence d’un lac, le site comporte essentiellement des pièces finies ; de menus travaux de façonnage paraissaient s’être pratiqués dans le secteur sud où le matériel était neuf, regroupé par type d’objet, les couteaux à dos dièdre s’accompagnant d’un petit matériel qui n’existait pas ailleurs. Ce matériel est à 99 % taillé dans des quartzites, parfois dans des rhyolithes dont le gîte le plus proche actuellement se trouve à 40 km, exceptionnellement du silex. Dans cette région, l’utilisation de moins en moins importante de rhyolithe en allant vers le sud est interprétée par B. Champault comme signe d’influences venues du nord. Dans ce secteur, B. Champault établit la distinction habitat atelier, les uns étant liés à l’eau, les autres aux blocs d’une nappe alluvionnaire qui a fourni les matériaux, ces derniers points n’étant environnés que de nucleus, d’éclats divers dont de menues écailles de retouche. Cette séparation se justifie par une distance de plusieurs kilomètres entre l’accès aux matériaux, les grandes dimensions des pièces manufacturées, le gaspillage qui entoure leur préparation et l’accès à l’eau. L’étude de la collection déposée à l’Institut de Paléontologie Humaine montre un ensemble comportant des bifaces et des hachereaux, bon nombre de racloirs, quelques galets aménagés et de rares disques. Il s’y trouve des éclats Levallois, quelques éclats Kombewa. La pratique de l’enlèvement du talon ou de l’amincissement de la base est courante. Un groupe de petits bifaces (L = 65 à 100 mm) s’individualise nettement ; parmi les grands bifaces (L = 100 à 266 mm), les formes lancéolées, puis cordiformes dominent. Les bases ne sont qu’exceptionnellement réservées, elles sont plutôt convexes. Les arêtes sont plutôt rectilignes. Il existe quelques pièces à biseau terminal. La taille est souvent faite au percuteur tendre et une retaille peut exister. Les hachereaux procèdent du type 3 pour près de la moitié ou des types 2 et 4, plus rarement du type 6, montrant ainsi l’emploi courant d’un débitage Levallois et pouvant utiliser la méthode Tabelbala-Tachenghit, plus rarement Kombewa. Les tranchants sont plutôt convexes. L’ensemble de ces traits rapproche ce matériel de celui de l’erg Djemel et de Beni Ikhlef. Tihodaïne L’un des sites majeurs de l’Acheuléen nord africain, Tihodaïne, a été attribué à un Acheuléen évolué. Signalé dès 1864 par Duveyrier au nord-ouest de Djanet, il fallut plus de 50 ans pour le retrouver. En 1933, sur informations du capitaine Duprez, le géographe E. F. Gautier et le préhistorien M. Reygasse se rendirent sur les lieux, découvrirent plusieurs endroits où s’entassaient des
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Sahara préhistorique bifaces et des hachereaux mais ne trouvèrent pas le site qu’ils venaient examiner. ll semble bien que ce soit le préhistorien A. Debruge qui, accompagné de Lagleyse et Bianchi, l’ait retrouvé, deux ans plus tard. A la fin des années quarante, C. Devillers y fit à son tour d’importantes récoltes, avant que le site soit étudié par H. Thomas et O. Oussedik en 1970 et du matériel recueilli par le géologue A. Bonnet en 1961 étudié par H. Sahnoun. Le matériel des divers locus est renfermé dans un sable argileux jaunâtre qui passe sous une dune. Les récoltes Reygasse comportent un ensemble des plus importants de bifaces et hachereaux qui gisaient en surface, en bordure d’une ancienne formation lacustre où ils étaient associés à une faune abondante. Les pièces ont été faites en grande majorité dans une rhyolithe dont un filon se trouve à 15 km soulignant un choix certain de la matière première car le quartz dont un filon est à proximité, a été employé, mais sans dépasser 12 %. L’analyse menée par O. Oussedik sur une série prise au hasard dans les récoltes Reygasse, montre la prédominance des cordiformes, 64 %, puis des ovalaires et limandes. Les bifaces ont plutôt une base arrondie, le talon, quand il est conservé, est lisse ; l’extrémité est axée, arrondie ou aiguë. Ils ont été obtenus à l’aide d’un percuteur dur qui fut utilisé même pour la retaille. La largeur moyenne 77 mm et l’épaisseur moyenne 41 mm traduisent une grande homogénéité. L’étude s’est attachée aux corrélations entre les dimensions. Celles entre longueur et largeur, longueur et épaisseur sont bonnes, elles sont un peu moindres entre largeur et épaisseur. Une étude similaire faite par S. Iddir sur du matériel pris également au hasard dans la même collection, a donné des résultats identiques, validant ces premiers résultats. L’étude de hachereaux montre des pièces en U au tranchant généralement droit, perpendiculaire à l’axe de débitage. Exceptionnellement, ils ont été faits sur éclat Levallois. Un travail soigné a conduit à des pièces à retouches couvrantes, type 5 ou à retouches largement développées, type 2. Ils traduisent une certaine homogénéité de dimensions avec une longueur moyenne de l’ordre de 16-17 cm, une largeur de 9,5 cm et une largeur au tranchant généralement un peu plus réduite. Leur épaisseur oscille entre 3 et 4 cm. Néanmoins, l’un d’eux atteint les dimensions exceptionnelles, 280 x 190 x 64 mm pour un poids de 3 405 g. L’étude de H. Sahnoun qui a portée sur trois locus ne montre pas, non plus, de variation significative de l’un à l’autre. Malgré l’absence de traces de décarnisation, les restes osseux ont été attribués à la chasse, la présence d’outils et l’absence de grands carnivores parmi les restes paléontologiques étayant cette proposition. Les gazelles et antilopes dominent : Oryx aff. dammah, Alcelaphus buselaphus, Rabaticeras arambourgi, Connochætes prognu, Gazella dorcas. Les équidés sont courants : Equus asinus africanus, E. mauritanicus, E. sp. On trouve également Bos primigenius, Ceratotherium simum (Rhinoceros simus), Hippopotamus amphibius, Palaeoloxodon (Elephas) recki, un possible chacal Canis aff aureus et quelques restes d’oiseaux. Ils indiquent une savane arborée pour les uns, des conditions semidésertiques pour d’autres. La palynologie, de même, a montré la présence d’espèces relictuelles telles que Platanus, Carpinus, Ostrya, Castanea et d’espèces semi-désertiques actuelles comme Tamarix, Acacia.
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Les industries à bifaces et le Paléolithique inférieur Ces données ont conduit H. Thomas à situer le gisement en fin de cycle lacustre et donc d’interglaciaire, ce peut être Mindel-Riss ou Riss I-II. Timimoun Dans la région de Timimoun, deux sites dits zaouia Sidi el-Hadj Belgacem et Carrière à nucléus et des bifaces isolés ont été retrouvés. Sidi el-Hadj Belgacem qui couvre 2 à 3 hectares sur le plateau du Méguidem a permis à N. Ferhat d’étudier un ensemble industriel comportant 124 bifaces, un galet aménagé, des racloirs, des denticulés, des nucléus et des éclats en partie Levallois, sauvés du pillage par le R.P. Leclerc. Les bifaces sont des pièces de section plano-convexe, souvent faites sur éclat. Les arêtes sont rectilignes. Les extrémités peuvent être spatulées. Le débitage Levallois est courant. Plus de la moitié des bifaces est de type cordiforme, les ovalaires, discoïdes, limandes interviennent pour le quart, les subtriangulaires pour 14%. Comparé aux industries de la Saoura, ce matériel trouverait son équivalent au stade VII, stade final, où dominent les cordiformes. Zeringa En Ennedi, plusieurs sites renfermant un ensemble industriel à bifaces évolués, ont été identifiés par A.J. Arkell, autour du lac d’Ounianga (dont quatre qui sont dénommés Ounianga Kebir, un qui est appelé Ounianga Serir). A Zeringa, à l’est du lac, les pièces reposaient sur une terrasse et son versant. Il s’agit d’un ensemble de 37 bifaces plats, de formes variées avec des cordiformes, des limandes, tous taillés au percuteur tendre. Diverses pièces sont des bifaces flexueux dont la torsion n’affecte qu’un seul bord ; Th. Tillet y voit, non un fait fortuit, mais la recherche de cette forme connue ailleurs, en particulier à Saint Acheul. Au nord-ouest, dans le Borkou, il est fait mention de divers sites comparables dont Fochi et Wede-Wede.
La question d’un Acheuléen à pièces foliacées Dans le Maghreb, la question fut posée par M. Reygasse avec le S’Baïkien, industrie qu’il identifia dans la région de Tébessa. Connue exclusivement en surface, dans une position stratigraphique non définie, elle aurait été « en contact avec des pièces de technique chelléo-moustérienne ». Bien qu’elle n’ait pas donné lieu à une nouvelle étude, par identité avec des éléments comparables connus en Tunisie centrale et méridionale, elle est attribuée au Néolithique1. Dans la vallée du Nil, sur le haut des collines comme à Arkin 5, El Tiweirat, les surfaces jonchées de traces de débitage Levallois coïncident avec des lieux de fabrication de bifaces ; des pièces minces à larges retouches bifaciales évitant les extrémités des pièces, des outils sur éclats, en particulier des racloirs, s’y mêlent. Ce matériel, comparable à celui rapporté au Paléolithique moyen par G. et J. Guichard ou W. Chmielewski, serait pour P.M. Vermeersch et al un mélange et les pièces foliacées appartiendraient au Paléolithique inférieur. 1 .- Cf t. II p. 279.
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Sahara préhistorique
Le Clactonien, un Paléolithique inférieur sans bifaces Les industries clactoniennes1 ne sont quasiment pas signalées dans l’ensemble de ces territoires. Le matériel découvert par J.P. Savary dans le sud de la cuvette bas-saharienne, à la surface d’un plateau, traduit-il une occupation d’un type particulier ou, comme le propose M.Y. Ohel2 pour l’Europe, d’ateliers comparables à ceux décrits dans la Saoura ? A Ksar el Rhoul des nucléus et un galet aménagé s’accompagnaient un abondant matériel débité. Non loin de là, au sommet de la Gara el Kelb, de nombreux éclats entouraient des blocs de quartzite brun ayant servi de nucléus ou d’enclumes. Le matériel consiste en grandes pièces robustes, éclats et lames de débitage clactonien, qui peuvent être retouchés en denticulés, en racloirs (nommés pseudobifaces par l’auteur) dont certains prennent l’allure de véritables disques. Il s’agit toujours de petits sites, de quelques dizaines de pièces. A Brézina3, le nucleus type sud-africain et les gros éclats environnants gisant sur le glacis 4 et le matériel semblable remanié à la base de la terrasse 3 font plutôt songer à un atelier de débitage.
L’homme du Paléolithique inférieur et ses acquis Au cours d’un laps de temps aussi long, sur un territoire aussi vaste, les milieux dans lesquels ces hommes évoluèrent ont été variés ; à l’Acheuléen supérieur, au moins durant une partie, ils eurent à affronter un climat bien plus froid qu’actuellement (de l’ordre de - 6°). Pourtant les changements dont leur outillage témoigne, restent modestes et l’état des connaissances ne nous permet pas de suivre ce qui fut sans doute un long cheminement vers des outils, des armes, de plus en plus efficaces et maniables. L’existence de sites de boucherie, de sites d’extraction de la pierre ou de débitage, plus encore de regroupements par type d’objets comme à Tachenghit ou Hassi Manda laisse profiler des spécialisations. La surproduction de matériel intact, les amas d’une dizaine à une cinquantaine de pièces aux pointes diversement dirigées de K-10, impliquent des contenants et, face au nombre de pièces sans trace d’usage, déjà l’idée de colportage. Les déplacements n’étaient certainement pas le fait du hasard ; ils pouvaient être calculés, renouvelés, l’homme revenant aux mêmes endroits comme le démontrent Terra Amata en France, Ambrona en Espagne avec une réoccupation du même site à diverses reprises. Des superstructures protégeaient certainement les lieux de vie. En Algérie, le sol soigneusement pavé de N’Gaous, en Egypte, un cercle de blocs de grès, de 2 m de diamètre du Site 63, le regroupement sur des surfaces de 6 à 8 m de diamètre du matériel d’Arkin 8 appellent la matérialisation de limites et évoquent des cabanes. Les hommes acheuléens, dont on a connaissance par les restes retrouvés dans divers sites à bifaces, Ternifine en Algérie, Sidi Abderrahman, Carrière Thomas I, Oulad Hamida I (Thomas III), Kebibat, la brèche osseuse de Salé au Maroc, Yeslem 3 en Mauritanie, semblent avoir recherché les bords de l’eau. Leurs armes/outils sont fréquents près des sources, en particulier des sources 1 .- Elles sont parfois dites tayacienne en Europe. 2 .- Ohel M.Y., 1979 - The Clactonian : un independant complexe or an integral part of the Acheuleen ? Current Anthropology, n° 204 ; 685-726. 3 .- Cf p. 98.
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Les industries à bifaces et le Paléolithique inférieur artésiennes1, et des lacs dont nombre sont alimentés par ces sources. C’est le cas à N’Gaous, Tihodaïne, Admer, Bir Tarfawi, Dakhla, Kharga, Ternifine, Karar et bien d’autres. Aujourd’hui taries, ces sources révèlent ainsi un niveau piezométrique alors bien plus élevé qu’actuellement. Le développement d’Homo ergaster (erectus) qui a duré plus d’un million d’années, a été marqué par divers événements majeurs : maîtrise du feu, invention de la méthode de débitage dite Levallois -ou de méthodes similaires qui n’ont pas connu le même engouement-, procédé complexe qui souligne l’intervention de l’anticipation et d’une pensée conceptuelle, découverte de la symétrie qui est traduite dans les premiers bifaces. Pour B. Champault, l’Acheuléen verrait la perte de l’ambidextrie ; l’apparition de la notion de droite et gauche non seulement impliquerait des particularités du développement cérébral, mais aussi la notion de faste et néfaste qui leur est associée. Certains auteurs font aussi valoir le sens de l’esthétique, l’usage de colorants et les premières manifestations d’activité rituelle. Des traces de feu ont donné à penser qu’Homo ergaster en avait la maîtrise2. En Chine, les premières découvertes de Sinanthropus dans les falaises de Choukoutien non loin de Pékin ont montré, dans des niveaux datant de 0,35 Ma, des ossements brûlés, des foyers et des cendres. Terra Amata près de Nice a révélé des foyers, petites excavations creusées dans le sable au centre de cabanes, qui remontent à 0,4 Ma. Umm Qatafa près de Jérusalem, Vertesszöllös en Hongrie, Torralba en Espagne attestent aussi l’usage du feu vers la même époque. Des témoins de l’usage du feu datés de 0,75 Ma à l’Escale dans la région de Marseille, sont contestés car, comme dans la plupart des cas, l’intervention humaine ne serait pas prouvée ; les plus anciennes traces dateraient de 0,45 Ma, elles viendraient de Plouhinec, en France, et l’usage du feu ne se serait répandu que vers 0,2 Ma. C’est négliger Petralona en Grèce où de nombreuses traces ont été identifiées dans des niveaux datés de un million d’années, date corroborée par la faune. En zone saharienne, deux bifaces passés au feu ont été mentionnés, l’un, qui provient de Lagreich, a donné lieu à une datation supérieure à 250000, l’autre aurait été trouvé par J. Chavaillon dans les dépôts du Taourirtien supérieur de la vallée de la Saoura et serait donc nettement plus ancien. Cette maîtrise du feu entraîne un nouveau mode de vie, un nouveau système de protection contre le froid, les animaux sauvages, une nouvelle technique pour la préparation des aliments avec la consommation de produits grillés, en particulier de viandes. Elle engendre aussi un nouveau niveau de conscience : pour la première fois, l’homme s’approprie l’une des forces de la nature. Elle démarque définitivement l’homme de l’animal ; n’est-il pas en effet, seul à faire face au feu, à en maîtriser la peur ? Il est vraisemblable que cette crainte viscérale n’a été surmontée que lentement3, puis il a fallu apprendre à le conserver, le produire n’intervenant que bien plus tard. 1 .- Bien que cette relation exprime des conditions particulières d’accès aux sites par l’exploitation de carrière ou le nettoyage des griffons, elle traduit probablement aussi des lieux privilégiés d’installation. 2 .- Les traces de feu dans un emplacement occupé par l’homme sur les rives du lac Turkana au Kenya qui remonteraient à plus de deux millions d’années sont très discutées et plutôt entendues comme des traces d’incendie naturelle. 3 .- E. Anati fait remarquer qu’aujourd’hui, le feu est inhérent à l’homme et qu’il fait partie de toutes les mythologies.
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Sahara préhistorique Il ne fait aucun doute que l’homme acheuléen était chasseur ; mais ainsi que le remarque P. Biberson, il n’était pas armé pour s’attaquer au gros gibier et la présence de rhinocéros, éléphants lui donne plus un caractère charognard que chasseur. Cette présence peut aussi signifier des pratiques de chasse qui ne peuvent être le fait d’individus isolés, la capture de grands animaux appelant des liens sociaux serrés. Dans le gisement espagnol de Ambrona, Clark Howell a expliqué le grand nombre d’éléphants retrouvés par une chasse au feu : allumant un demi-cercle de feu derrière les animaux, les hommes les auraient affolés et repoussés dans des marécages où ils auraient été achevés. Dans ce site et dans le site voisin de Torralba ont été retrouvés de petits tas d’ossements cassés et brûlés qui chacun contenait des spécimens des animaux dépecés sur les sites ; on peut y voir à la suite des fouilleurs les traces d’une répartition du produit de la chasse. Ces comportements impliquent des modes de communication autre qu’au rapproché. Le langage courant chez les anthropoïdes, comme d’ailleurs chez tous les animaux, qui leur permet de reconnaître dès l’abord les intentions de leurs congénères et d’éviter les conflits, n’est fait que d’expressions, de gestes, de postures. Seul le son permet le contact à distance ou des modes évolués de transmission du savoir comme ceux qu’exige l’emploi de méthode aussi complexe que le débitage Levallois. Il est lié à la forme du palais qui, par un jeu plus ou moins complexe de la langue et du pharynx, entraîne l’émission de sons plus ou moins nombreux. Le développement du menton en permettant une multiplication des mouvements de la langue, accroît ce potentiel de sons. On considère que Homo ergaster (erectus) disposait d’une structure anatomique permettant un langage articulé, peut-être lent et maladroit, mais susceptible d’émettre des sons dans un champ suffisamment vaste et de créer de courtes phrases. Longtemps, on a pensé que les Pithécanthropiens étaient les plus anciens Hominines à avoir des dispositions crâniennes qui permettent le langage parlé. Les moulages endocrâniens, en faisant valoir le développement des aires de Broca et de Wernicke chez Homo habilis, laissent supposer que celui-ci parlait aussi. Il est probable que le feu a facilité le développement du langage en constituant un centre d’attraction commun. Des pratiques vraisemblables de cannibalisme ont été identifiées à Choukoutien en Chine, où des crânes humains dont le trou occipital avait été fortement élargi, ont été trouvés. Des traces ont également été reconnues au Lazaret en France, Atapuerca en Espagne, J. Courtin en a identifié un exemple dans le Néolithique de Provence. Certains auteurs ont songé à une anthropophagie rituelle comme elle fut pratiquée dans les tribus cannibales. G. Camps fait une remarquable analyse de la question en soulignant que le cannibalisme est une négation de la mort, l’absorption du principe vital du mort. C’est, ainsi que l’a montré von Kœnigswald, un acte mystique par lequel s’acquièrent les qualités du défunt. L’homme de Sidi Aderrhaman qui a été trouvé dans un lieu d’habitat, associé à des restes de faune, reliefs de repas, traduirait-il un tel comportement ou a-t-il été le repas d’un fauve ?
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Les industries à bifaces et le Paléolithique inférieur L’homme a-t-il traversé la Méditerranée au Paléolithique inférieur ? La question initiée en 1906 par M. Boule, niée en 1929 par R. Vaufrey, 1967 par L. Balout, a été reposée en 1975 par H. Alimen, eu égard à la distribution des hachereaux. Vingt ans plus tard, M. Otte rappelle l’existence de sites européens dans lesquels les hachereaux sont en aussi grand nombre qu’au Sahara et repose la question de la traversée du détroit de Gibraltar.
Des événements majeurs ont marqué le développement d’Homo ergaster (erectus) : maîtrise du feu, découverte de la symétrie qui se traduit dans la forme des bifaces, intervention de la réflexion et de l’anticipation. La possession du feu a dû modifier son comportement, entraîner une plus grande convivialité et lui permettre une nouvelle nourriture, le cuit. B. Champault voyait dans les bifaces, dans l’harmonie des formes de ces armes/outils, de leurs proportions, de leurs courbes, un sens de l’esthétique semblable au nôtre et plaçait en cela, cette population dans l’ascendance directe d’Homo sapiens. Ecrits qui ne cessent de se confirmer. L’anatomie révèle en effet, un caractère de la symphyse mentonnière propre à l’homme actuel qui ne serait porté que par Homo mauritanicus et les découvertes de divers restes humains au Maroc, par leur échelonnement chronologique, autorisent à en suivre l’évolution, à les voir s’épanouir en une forme sapiens, nommée Mechta el Arbi, qui évoque le Cro-Magnon européen. Homo ergaster (erectus) devait avoir un langage articulé, peut-être lent et maladroit, mais il était susceptible d’émettre des sons dans un champ suffisamment vaste pour créer de courtes phrases. Encore mal armé pour s’attaquer au gros gibier, la présence de grands mammifère dans les sites suggère autant un charognard qu’un chasseur. Une distinction habitat atelier s’établit en certains endroits quand l’eau qui conditionne la présence de l’un est éloignée de l’autre que conditionne la fourniture de matériaux. Souvent séparés de plusieurs kilomètres, un tel choix implique une certaine durée de l’implantation et non la seule fréquentation maintes fois renouvelée des mêmes lieux ; pour certains auteurs, cela suppose que le problème du portage des objets soit résolu.
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Chapitre V
le Paléolithique moyen Une période mal connue Développé des environs de 350000-300000 aux environs de 30000 ans, le Paléolithique moyen marque une étape importante dans l’évolution de l’homme avec l’avènement d’Homo sapiens. Durant cette période, le sac à outils perd les bifaces robustes de l’Acheuléen et généralise l’usage du débitage Levallois. C’est le temps de la technologie mode 3, d’ensembles industriels légers, à outils spécialisés. Peu étudiée, cette phase est encore mal cernée dans le Sahara et ses abords. Alors qu’en Europe, où ils furent définis, et au Proche-Orient, ces ensembles industriels sont nommés « moustériens », ici, leur appellation fait parfois problème et l’existence même d’un Moustérien a pu se poser. ` Une cause réside dans la structure peu tranchée de ces ensembles industriels alors qu’ils demanderaient un maximum de précisions pour faire apparaître similitudes et divergences, dans leur terminologie confuse, interchangeable, conduisant à des données peu précises, diversement interprétées par les auteurs. Si l’on admet que le débitage Levallois s’inscrit dans la taille du biface, qu’il en est l’expression extrême, nombre de lieux sont à même de l’avoir produit et donc d’avoir engendré une chaîne opératoire ayant même finalité sans utiliser obligatoirement le même processus. Dès lors, l’accent mis actuellement sur les méthodes de débitage est une voie qui pourrait compléter la typologie pour cerner les faciès culturels de cette période. Une autre cause est l’intérêt porté à l’Atérien. Ces industries pouvant, en effet, renfermer des pièces pédonculées propres à cette culture, les gisements étaient dits « atériens » par la seule découverte d’une telle pièce qui prenait alors valeur de fossile directeur. L’ambiguïté qui en résultait, a été interprétée par certains auteurs comme preuve d’une absence de Moustérien ; seul l’Atérien, qualifié parfois de « Moustérien à pièce pédonculée », aurait été présent dans ces régions. Ainsi dans leurs ouvrages de 1955, R. Vaufrey n’accorde pas une ligne au Moustérien, H. Alimen ne lui consacre que quelques paragraphes, L. Balout ne l’évoque que discrètement. Certaines de ses allusions, en particulier au sujet de l’industrie de Retaïmia en Algérie ou d’industries éparses sur la steppe à alfa, laissaient voir néanmoins la complexité de la question que, plus récemment, diverses découvertes ont accentuée. Cette « lecture » du peuplement soulevait un problème essentiel : la position stratigraphique, les données paléoenvironne-
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Fig. 42 – Gisements du Paléolithique moyen cités.
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Une période mal connue, le Paléolithique moyen mentales de l’Atérien, le séparaient de l’Acheuléen par un laps de temps si long que l’idée d’un « hiatus » avait pu être émise, entraînant celle de renouvellement de la population. Dans la vallée du Nil, où les premiers travaux ont été menés dans le cadre de la sauvegarde du patrimoine archéologique de Nubie, G. et J. Guichard qui connaissaient particulièrement bien les industries du Sud-Ouest de la France, celles-là même qui servirent à définir les faciès moustériens, n’ont pas hésité à qualifier ainsi certaines des industries qu’ils ont retrouvées, ne les différenciant du Moustérien européen que par quelques nuances. Parallèlement, ils identifiaient ce qu’ils nommaient Paléolithique moyen nubien. L’un fait un large usage de la méthode paralevallois, de nucléus nubiens type I (fig. 34) ; l’autre préfère ceux de type II et n’utilise guère le débitage paralevallois. Si la distinction est maintenue par P.M. Vermeersch et ses collaborateurs, elle ne l’est pas par A.E. Marks qui fait seulement état de Moustérien. Les travaux menés en Algérie, puis au Maroc, dans les années 70-80, devaient permettre d’individualiser nettement les deux entités et mettre un terme au supposé hiatus. Mais, alors que l’on pouvait croire la question résolue, la découverte du site Ifri n’Ammar au Maroc où ces deux ensembles paraissent imbriqués, ravive diverses remarques anciennes et repose la question, tandis que celle de Beit Khallaf suggère un buissonnement d’ensembles industriels. De cet imbroglio, deux éléments majeurs émergent : d’une part l’existence d’une industrie sur débitage Levallois identique au Moustérien d’Europe ou du Proche Orient, d’autre part celle d’un ensemble industriel voisin qui offre, en outre, divers caractères autres et qui a reçu le nom d’Atérien. Cette bipartition Fig. 42 – Gisements Paléolithique moyen cités : 1) Bourougou ; 2) Adrar Bous (S/151/70) ; 3) Tadrart ; 4) Anaï ; 5) Tamakaw Tw1 ; 6) Shâti ; 7) Site Dédé ; 8) Esselessikine ; 9) Tiguelguemine ; 10) Gara Chorfa Site 13 ; 11) Oued Djaret ; 12) Touggourt Km 50 ; 13) M'zab (Ghardaia, Metlili) ; 14) Laayoune ; 15) Laghzira, Lameseïda, Izi ; 16) Tilemsi T-A 60 ; 17) Mékrou (H.4, H.9, F.4, F.7, F.8, T.15.04) ; 18) Dongola, Kobkabba ; 19) Abu Simbel ( Abu Simbel 1, Abu Simbel 6) ; 20) Bir Sahara (BS1, BS11) ; 21) Bir Tarfawi (BT14, E-86-1, E-86-2, E-86-3, E-86-4, E-87-1, E-87-3, E-87-4, E-88-1) ; 22) Dungul ; 23) Kurkur ; 24) Wadi Kubbaniya (E-81-2, E82-4, E-82-5, E-82-6) ; 25) Kharga (Bulaq Pass) ; 26) Dakhla (E72-4) ; 27) Sodmein Cave ; 28) Nazlet Safaha, Taramsa ; 29) Beit Allam, Beit Khallaf ; 30) Nazlet Khater (NK1, NK2, NK3) ; 31) Sidi el Hajj Creiem ; 32) Haua Fteah ; 33) Oued Akarit ; 34) El Guettar, Aïn et-Guettar, Sidi Mansour de Gafsa ; 35) Sidi Mansour de Sfax ; 36) Aïn Mrhotta ; 37) Sidi Zin ; 38) Aïn Metherchem ; 39) Feidj el Botta ; 40) El Oudiane ; 41) Ténès ; 42) Retaïmia ; 43) Brézina ; 44) Rhafas, Hassi Bellal, Stations Météo ; 45) Taforalt ; 46) Ifri n'Ammar ; 47) El Haÿ ; 48) Aïn Fritissa ; 49) Kifan bel Ghomari ; 50) Oued Khemis ; 51) Aïn Hallouf ; 52) Sidi Abderrahman (Cap Chatelier, grotte du Rhinocéros), Dar es Soltane 1 (=Dar es Soltan 1), El Harhoura, Temara ; 53) Tit Mellil ; 54) Oued Bouskoura ; 55) Djebel Irhoud ; 56) Tissint ; 57) Djebel Bani, Akka ; 58) Tarf H'Mer ; 59) Assaka ; 60) Sidi Saïd ; 61) Afalou bou Rhummel, Taza, Ali Bacha ; 62) Aïn Benian ; 63) Bou Aïchem, Polygone, Troglodytes ; 64) La Mouillah ; 65) Arak ; 66) Saï 8-B-11 ; 67) Affa 23 ; 68) Benzù ; 69) Mugharet el Aliya ; 70) Palestro ; 71) Doukkala ; 72) Jebel Gharbi.
Cartouche : 1) Site 1033 ; 2) Site 34 (34A, 34D) ; 3) Site 1035, Jebel Brinikol ; 4) Site 1037 ; 5) Site 1036 ; 6) Site 1038 ; 7) Site 36B ; 8) Site 6 ; 9) Site 121 ; 10) Site 1000 ; 11) Site1010-8 ; 12) Site 507 ; 13) Site 503 ; 14) Site 410 ; 15) Arkin 5, Arkin 6, Arkin 6A ; 16) Site ANW-3 ; 17) Site 440 ; 18) Site 1017 ; 19) Site 2004 ; 20) Site 622.
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Sahara préhistorique oblitère de nombreux ensembles industriels du même créneau chronologique, de style comparable, mais trop réduits pour être qualifiés. Aussi avons-nous choisi d’ouvrir un paragraphe « Levalloiso-moustérien » pour ces industries insuffisamment documentées que peu osent appeler moustériennes et, malgré les coups de buttoir donnés par le remplissage d’Ifri n’Ammar quant à cette nomenclature du Paléolithique moyen, de maintenir les subdivisions traditionnelles en traitant séparément ce qui est habituellement dit Moustérien ou Atérien.
Le Paléolithique moyen et le « Levalloiso-moustérien » « Levalloiso-moustérien », « Levalloisien »1 ont parfois été utilisés pour désigner des ensembles industriels sur éclat de débitage Levallois que l’on trouve en couche ou en surface, ne renfermant que peu d’outils, ils sont trop pauvres pour permettre d’établir un profil statistique fiable. Sont-ils assimilables au Moustérien ? H.J. Hugot posait la question. Pour lui, l’Acheuléen saharien se « terminerait par une invasion définitive de l’éclat sans pour autant être suivi d’un Moustérien vrai »2, l’analyse précédant cette remarque soulignait la présence du seul Moustérien de tradition acheuléenne qui serait trop riche en bifaces pour ne pas être rapporté au Paléolithique inférieur. Au Sahara méridional, Th. Tillet place ces gisements dans le même créneau chronologique que le Moustérien, mais leur en refuse l’appellation, alors qu’à l’Adrar Bous, J.D. Clark n’hésite pas à nommer ainsi l’industrie récoltée dans le Site S/151/70. A Kharga, G. Caton-Thomson nommait Levalloisien une industrie que A.E. Marks tend à assimiler au Moustérien ; bien qu’il précise qu’aucune conclusion définitive ne puisse être tirée sans un réexamen, ce « Levalloisien » lui paraît offrir peu de différence avec le Moustérien de Nubie. M.H. Alimen attribuait à un Levalloiso-moustérien les industries sur débitage Levallois de la vallée du Nil. Dans divers sites, Taza, Palestro, Ali Bacha, La Mouillah..., des sables rouges sous-jacents à une occupation ibéromaurusienne renferment une grosse faune qui s’accompagne d’un matériel rare avec nucleus discoïdes, éclats épais connaissant le débitage Levallois, certains ayant un talon facetté, ensemble nommé Levalloiso-moustérien. Au Polygone, aux Troglodytes dans la région d’Oran, à Ténès, grotte basse du phare, des dépôts semblables, de même position stratigraphique, pas toujours mieux documentés, sont rapportés au Moustérien. En Cyrénaïque, C.B.M. Mc Burney et R.W. Hey qualifient de Levalloiso-moustérienne une industrie de débitage Levallois qu’ils identifient en divers points, dont le plus important serait Sidi el Hajj Creiem ; ils la distinguent du Moustérien par le débitage qui produirait des nucléus discoïdes et non des nucléus Levallois en carapace de tortue. En Tripolitaine, E.A.A. Garcea note deux ensembles qui se différencient par l’emploi ou non du débitage nubien. Au Maroc, L. Wengler et P. Michel attribuent à un « Moustéro-Atérien » une industrie très pauvre associée à une faune très abondante qu’ils ont identifiées à Doukkala II, dans une poche karstique. Ils rapportent le remplissage à trois éléments, un piégeage naturel par l’aven, une tanière et une action humaine. Ils reconnaissent trois niveaux ; les niveaux 1 .- Rappelons qu’en Europe, pour F. Bordes, ce qui était nommé « Levalloisien » était un mode de fabrication des outils et ne pouvait être confondu avec un faciès culturel. 2 .- 1967, p. 535.
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Une période mal connue, le Paléolithique moyen moyen et supérieur rapportés au Tensiftien et au début du Soltanien, ont livré un matériel de débitage Levallois et un matériel ostéologique qui traduit une détérioration de l’environnement. Cette terminologie flottante ajoute à l’imbroglio qu’est le Paléolithique moyen, d’autant qu’à Dar es Soltane (=Dar es Soltane 1), A. Ruhlmann qui distinguait Levalloisien et Moustérien, avait évoqué un « Moustérien décadent » pour désigner l’industrie qu’il nommait C1 et qu’il avait retrouvée au-dessus d’un niveau atérien nettement caractérisé. Très pauvre, remaniée, elle se réduisait à 13 nucléus et 82 éclats dont 42 outils distribués en racloirs et pointes auxquels se joignaient quelques grattoirs. Des nucleus discoïdes, des éclats grossiers, atypiques, quelques lames traduisaient un débitage au percuteur dur ou tendre. Qu’il s’agisse de sites de surface ou en couche, de tels sites pourraient être antérieurs ou contemporains de l’Atérien au vu des quelques dates disponibles. A Taza, M. Medig a identifié dans un limon rouge qui repose sous un ensemble ibéromaurusien, une industrie sur éclat où dominent les denticulés et les encoches, suivis par des grattoirs et des racloirs qui est datée de > 39000 (Lab CDTN/HCR, Alger). Aïn Benian est daté de 33800 ± 1600 (UW387) sur charbons. Dans ce massif calcaire proche d’Alger, les carriers ont mis en évidence des grottes renfermant des ossements de mammifères -souvent avec restes de Camelus- associés ou non à un matériel archéologique atypique. Deux grottes découvertes en 1974 par le personnel de la SONATIBA, ont livré, l’une des restes de cheval, bovin, phacochère, rhinocéros, mouflon, à l’exception de tout autre objet, l’autre, des ossements de membre antérieur de rhinocéros et des charbons qui reposaient sur des pierres plates. C’est peut-être à un dépôt comparable qu’il faut rapporter celui que F.E. Roubet mentionne à Bou Aïchem, dans les couches rouges de la falaise. Aucune pièce pédonculée n’y a été retrouvée et le matériel est trop réduit pour que la structure de l’ensemble industriel puisse être établie. Les travaux menés à El Harhoura 2, sous la direction de M.A. El Hajraoui et R. Nespoulet ont datés de 92000 +11000/-9000, 62000 ± 4000 et 44000 ± 3000 par ESR-US, un ensemble industriel qu’ils attribuent à l’Atérien, des mesures OSL proposant un créneau plus ancien 116000 ± 7000 à 100000 ± 6000. Avec 30 % d’éclats Levallois, 40 % de racloirs, 15 % de pièces à retouches continues, 10 % d’encoches, 2 % de perçoirs, cet ensemble est très pauvre en pièces du Paléolithique supérieur, ne possède ni pièce pédonculée, ni grattoir ; les auteurs s’appuient sur la présence de technique Levallois et micro-Levallois, pièces laminaires, racloirs et la position stratigraphique. La coupe dégagée, d’une puissance de 6,5 m, montre ce niveau surmonté d’une formation à dominante sableuse recélant une occupation ibéromaurusienne ; au-dessus vient un dépôt coquillier renfermant une industrie néolithique. La centaine de pièces retouchées mise au jour dans un volume d’une trentaine de m3, n’offre aucun caractère typé ; elle évoque surtout ces dépôts «Levalloiso-moustériens». La faune abondante, qui accompagne le matériel d’ El Harhoura 2 souligne une très faible présence humaine. Un indice de transformation élevé, ordre de 20, la rareté des pièces corticales, le fractionnement de la chaîne de débitage
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Sahara préhistorique montrent qu’il ne s’agit pas d’un lieu de vie, mais simplement d’un lieu de halte où se pratiquait une activité bien définie ; l’abondance du matériel osseux ne doit pas tromper, elle y est due pour une grande part à l’action de Carnivores. Cette interprétation palethnologique justifierait ces niveaux très pauvres parfois mentionnés sous abri au-dessous des occupations ibéromaurusiennes et évoque les grottes à remplissage de terre rouge renfermant des traces de passage humain sous forme de quelques éclats volontiers de débitage Levallois ; elle pourrait expliquer les petits sites qui font problème. Lieux de haltes ayant pu être très brèves, ces sites paraissent une facette du comportement des hommes ; ils permettent d’entrevoir des pratiques identiques tout au long du Paléolithique moyen et même au-delà. A ce titre, en l’état des connaissances, ils ne peuvent être rapportés à aucune culture, seul le camps de base, lieu de vie où se multiplient les activités, laisse suffisamment d’indices pour le permettre. Définir ainsi le Levalloiso-moustérien (ou leur donner un autre nom) pourrait permettre de les qualifier sans interférer sur les autres données. Reste à voir si ces trois rubriques, Levalloiso-moustérien, Moustérien, Atérien, suffiraient à rendre compte des dissimilitudes existant entre les ensembles industriels du Paléolithique moyen.
Le Paléolithique moyen et le Moustérien Individualisation du Moustérien En Tunisie, E.G. Gobert distinguait deux industries sur débitage Levallois et remarquait leur position différente selon que des pièces pédonculées y étaient ou non associées. Ces derniers sites se rencontrent préférentiellement auprès de sources, position que ne recherchent pas les premiers. Non seulement ceci le conduisait à séparer ces deux ensembles industriels qu’il nommait Moustérien et Atérien, mais il concluait à l’antériorité du Moustérien qui se serait développé en phase aride1. Une situation semblable a été récemment identifiée au Jebel Gharbi par B. Barich qui note des objets « techniquement comparables aux objets moustériens européens »2, ils sont ici associés à une phase humide, les premiers complexes atériens intervenant au terme de l’aride qui a suivi (OIS 4). En 1962, en rapportant la présence de matériel Levallois dans la plage à strombes de Sidi Mansour de Sfax, alors que l’Atérien se situait dans les formations continentales postérieures, E.G. Gobert avait ancré le débat. Dès lors, L. Balout devait réviser sa position et, en 1965, il attribuait formellement au Moustérien une dizaine de sites. En 1969, en découvrant le gisement de Brézina dans le piedmont sud de l’Atlas saharien, P. Estorges redonnait corps à la question en Algérie et en 1974, G. Camps accordait le statut moustérien à 13 gisements maghrébins (El Guettar, Oued Akarit, Sidi Mansour3, Aïn Metherchem, 1 .- Une trentaine d’années plus tard, les travaux de F. Wendorf à Bir Tarfawi et Bir Sahara, montraient à leur tour le développement du Moustérien en période aride. 2 .- Libye préhistorique. Encyclopédie berbère, 2008, : 4389-4393, (4390). 3 .- Il s’agit probablement de Sidi Mansour de Gafsa qui est mentionné parmi les 10 sites moustériens que L. Balout reconnaissait en 1965. Au nord de Gafsa, la base des mamelons découpés dans des alluvions limoneux jaunes et qui renferment à leur sommet une industrie sur lamelle (cf p. 269), contiennent à leur base une industrie de facture moustérienne.
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Une période mal connue, le Paléolithique moyen Aïn Mhrotta, Sidi Zin, Retaïmia, Cap Ténès, Taforalt, Kifan bel Ghomari, djebel Irhoud, plus discrètement El Oudiane et Feidj el Botta), une vingtaine d’autres lui paraissant d’appartenance moins certaine. Une individualisation typologique Que la présence ou l’absence d’une pièce pédonculée ait pu, longtemps, suffire à qualifier d’atérienne ou moustérienne ces ensembles industriels tient en partie au manque de connaissance de leur structure. Connus essentiellement par des coupes, ils n’étaient représentés en effet que par quelques pièces qui tiraient leur intérêt de leur position stratigraphique et de leur contraste d’avec le matériel acheuléen d’une part, ibéromaurusien de l’autre. Pourtant M. Reygasse en comparant ce qu’il allait nommer « Atérien » au Moustérien d’Europe, avait noté un changement avec la diminution du nombre des racloirs, l’augmentation de celui des grattoirs. En s’appuyant sur les structures industrielles, F. Bordes montrait leurs équilibres typologiques différents. Pour un indice racloir supérieur à 60, il n’y aurait pas de pièce pédonculée, pour un indice inférieur à 30, elles seraient nombreuses ; entre ces valeurs, elles seraient rares. Pour cet auteur, les relations que les racloirs entretiennent avec les pièces atériennes1, les grattoirs, les autres pièces de type paléolithique supérieur (burin, perçoir, couteau à dos, outils tronqués) sont significatives. La question serait ainsi résolue par le biais de divers indices qui séparent nettement ces industries : racloirs/ pièces atériennes ; racloirs/grattoirs + pièces atériennes ; racloirs/pièces type paléolithique supérieur + pièces atériennes. Une individualisation stratigraphique A cette individualisation typologique, s’en ajoute une d’ordre stratigraphique. A Brézina, sur la face sud de l’Atlas saharien, la couche fossilifère est une brèche mal consolidée, horizontale, placée à 2 m du sommet d’une terrasse d’une dizaine de mètres de commandement. Sur 0,20 m d’épaisseur, le matériel archéologique se mêle à des sables grossiers et un cailloutis anguleux. Les pièces ont été remaniées sur place par le ruissellement mais leur déplacement ne saurait avoir une grande amplitude, les pièces ne sont pas ébréchées, ne portent pas trace d’émoussé, on ne distingue aucun tri. L’encadrement de cette couche revêt le plus haut intérêt en traduisant des cycles morphogéniques différents. La partie inférieure de la terrasse renferme parmi des galets, mêlée à des galets aménagés, une industrie à grands éclats Levallois identique à ce que l’on trouve à quelques kilomètres, sur un versant de butte-témoin appartenant au niveau immédiatement antérieur, le matériel y est fortement patiné mais peu abondant et, de ce fait, assez difficile à qualifier bien qu’il comporte un nucléus « de type sudafricain »2. En contre-bas de la terrasse, avec un dénivelé de quelques mètres, se trouve une autre terrasse qui renferme et supporte une industrie typiquement atérienne. Les industries trouvées dans ces deux terrasses appartiennent donc à des cycles morphogéniques différents. La conservation de ce témoin est due à un déplacement du lit de l’oued Seggueur. Des années de recherches n’ont pas permis de retrouver ailleurs la trace d’une formation comparable. On doit donc conclure à une morphogenèse peu 1 .- Il entend par là les pièces pédonculées mais aussi les pièces foliacées qui sont fréquentes dans certains faciès. 2 .- Cf p. 98.
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Sahara préhistorique marquée, oblitérée par la séquence suivante. Cette hypothèse a reçu une confirmation éclatante au Maroc avec les travaux de L. Wengler. A Hassi Bellal, cet auteur trouvait du matériel « moustérien » remanié dans les alluvions et à la surface de terrasses soltanienne et rharbienne et montrait qu’il provenait de la destruction d’un abri sis au pied de la cuesta, ce qui l’amenait à voir une période à forte pluviosité, peut-être froide, succéder à l’occupation moustérienne, entraînant ses manifestations dans les épandages où elles sont difficiles à identifier. Dès lors, diverses stratigraphies qui montraient la superposition de deux niveaux à débitage Levallois, dont l’inférieur ne disposait pas de pièces pédonculées, lesquelles se trouvaient dans le niveau supérieur, ont été admises en terme de Moustérien et Atérien par la plupart des préhistoriens ; J. Roche n’hésitait plus à nommer Moustérien l’industrie sans pièce pédonculée qu’il trouve à Taforalt, au-dessous d’un Atérien bien caractérisé. Les fouilles de ces dernières années ont retrouvé cette stratigraphie dans divers autres abris marocains, El Harhoura, Témara, Rhafas... Cette succession des deux cultures ne saurait être aussi formelle qu’il peut y paraître. Des ensembles industriels semblables aux ensembles moustériens peuvent avoir des âges plus récents, au Soudan, A.E. Marks reconnaît un Moustérien final qui serait contemporain du Khormusien qu’il date de 27000 à 16000 B.P. A Aïn et-Guettar, Sidi Saïd, de tels ensembles industriels reposent sur des industries incontestablement atériennes, Une séquence moustérienne peut renfermer un ou plusieurs niveaux atériens. A Haua Fteah, deux niveaux rapportables au Moustérien (XXXV à XXXII1 et XXIX à XXVII) encadreraient un niveau atérien. A Ifri n’Ammar, le dépôt dit « Paléolithique moyen » fait place à deux reprises à une industrie renfermant du matériel pédonculé. Face à ces données, l’hypothèse d’un effet écologique en relation avec le climat a été proposée pour expliquer la présence de pédoncule2.
Age du Moustérien africain Longtemps, seules les stratigraphies littorales permirent de donner une position chronologique à ces industries. Ainsi, alors qu’il occultait le Moustérien, L. Balout pouvait néanmoins préciser : « Si l’Atérien est postérieur à la plage contemporaine de l’interstade Würm I-Würm II (ce qui paraît bien établi), le Moustérien pourrait succéder à la plage contemporaine de l’interglaciaire RissWürm et être ainsi Würm I » mais ajoutait-il « ceci reste à démontrer »3. Les données actuellement disponibles confortent cette position. - Sur les rives sud de la Méditerranée, le matériel de débitage Levallois qui imprègne la plage à strombes4 ou se trouve à la base de certains gisements associés à cette plage, pourrait être attribué au Moustérien. Or cette plage est datée de 140000 au Rocher Plat à l’ouest d’Alger. - A l’oued Khemis, au Maroc, une industrie Levallois à bifaces cordiformes est renfermée dans une terrasse attribuée au Présoltanien par P. Biberson 1 .- Nommé Levalloiso-moustérien par Mc Burney. 2 .- Cette conception tend à faire perdre à la structure des industries l’identité acquise au fil du temps et à les regrouper sous un seul vocable. 3 .- 1965, p. 57. 4 .- Ce serait le niveau que G. Caton-Thomson nommait Bérardien.
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Une période mal connue, le Paléolithique moyen et c’est à cette même époque que cet auteur rapporte l’ensemble des industries « moustéroïdes à bifaces » connues au Maroc. En milieu continental, diverses stratigraphies livrent des indications convergentes et le développement des datations par AMS, thermoluminescence, U/Th, et surtout OSL les confortent : - A Brézina, les relations stratigraphiques rapportent au Tensiftien (Riss) la butte-témoin à grands éclats patinés et au Soltanien (Würm), la terrasse à industrie atérienne. Dans ces conditions, la terrasse à industrie moustérienne est à placer au Présoltanien, cycle qui n’a laissé que peu de témoins dans le paysage. - Au djebel Irhoud, la faune qui ne renferme aucune espèce émigrée eurasiatique, placerait l’industrie antérieurement à la coupure faunique qui affecte le Soltanien. Le remplissage serait ainsi postérieur à 150000 ans et antérieur à 32000 ans en raison de l’absence d’Ellobius et de la morphologie évoluée des restes humains. Daté par ESR entre 190000 et 90000, de nouvelles datations, en reportant sa base d’où viennent de nouveaux restes humains à 315000, le montrent plus ancien. - En Haute Egypte et au Soudan, le Moustérien n’a jamais été retrouvé dans la formation Dibeira, ni immédiatement au-dessous, ce qui le suppose antérieur à 30000. A Bir Sahara, il est séparé de l’Atérien par une période de déflation qui le place antérieurement à 41000 et il s’associe souvent à des formations lacustres datées entre 130000 et 70000. - Dans la grotte du Rhafas, L. Wengler plaçait la base des dépôts moustériens dans l’interglaciaire Riss-Würm, et leur sommet au Soltanien II-III1. Depuis, la reprise des travaux a permis d’obtenir des dates par OSL qui situent l’occupation moustérienne entre >100000 et 80-70 000. Sporadiquement et à diverses reprises quelques pièces présentent un pédoncule. - L’abri de Benzù dans la région de Ceuta renferme une occupation rapportée au Moustérien par J. Ramos Munoz et datée par U/Th antérieurement à 70000, une datation OSL faisant remonter une des premières occupations humaines (strate 2) à 254000 ± 17000 (Shfd 020 135). L’auteur identifie 7 strates, une prédominance absolue des racloirs et des denticulés (739 pièces sur un total de 763) avec alternance de couches à dominante racloirs (strates 3, 4 et 5) et dominante denticulés-pièces à encoche (strates 1, 2 et 6, 7). Les nucleus sont de préférence multipolaires, volontiers centripètes. Les signes d’utilisation sont fréquents et se rapportent pour l’essentiel à un travail du bois, parfois de boucherie. - A l’oued Akarit, les travaux récents qui ont retrouvé un gisement moustérien en place, le situent antérieurement à 70000. Des dates basses (entre 30000 et 20000) obtenues précédemment appellent soit un Moustérien tardif, ce qui pourrait rejoindre les données d’Haua Fteah, soit des remaniements dans les niveaux argileux qui le renferment, remaniements que de nombreuses sources artésiennes suffiraient à expliquer. - A Haua Fteah, en Cyrénaïque, C.B.M. Mc Burney qui a dégagé un niveau riche en racloirs et pointes Levallois sous-jacent à un niveau atérien, a mis la modification en relation avec un changement climatique (Würm I ou II). Puis vient à nouveau un niveau sans pièce pédonculée. Cette séquence appelle 1 .- Sur la base de ruptures strato-sédimentaires, cet auteur reconnait trois subdivisions dans le Soltanien.
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Sahara préhistorique une présence moustérienne ou assimilable au tout début de Würm, récemment situé entre 73000 et 65000 pour certains auteurs, 115000 et 70000 pour d’autres, et un Moustérien tardif, dit Levalloiso-moustérien par l’auteur, qui le situait entre 43000 et 40000. - Dans la vallée d’Assaka (Anti Atlas), L. Wengler et al ont reconnu des ensembles lithiques qu’ils rapportent à un Moustérien riche en racloirs. Ils donneraient accès aux transformations techno-typologiques sur plus de trente millénaires jusqu’à 21000. L’ensemble de ces données permettait de proposer une fourchette situant le Moustérien africain entre 140000 et 40000. Les dates d’Ifri n’Ammar permettent de reporter ses débuts vers 170000.
Origine du Moustérien africain Si la fourchette chronologique dans laquelle s’épanouit le Moustérien paraît à peu près synchrone dans l’ensemble des pays, son assise semble variée. A l’est, il aurait été précédé d’industries qui n’offrent guère d’apparentement entre elles. En Egypte, quelques sites qui seraient au moins aussi anciens que le stade isotopique 7 (soit 250000 à 190000)1, ont livré des industries sur éclat utilisant le débitage Levallois et possédant des pièces foliacées. Ils sont qualifiés de « Paléolithique moyen à pièces foliacées ». Au Soudan, le site 440 a montré, dans des sables, deux niveaux d’occupation séparés, l’un ayant livré une faune mammalienne avec Alcelaphus buselaphus, Gazella rufifrons, Equus asinus, Hippopotamus, et une prédominance des restes de Bos primigenius qui lui accorderait un statut unique dans la vallée du Nil, l’autre un grand nombre de restes de poissons. Néanmoins, l’industrie ne traduit aucune différence ; semblable dans les deux niveaux, elle comporte un grand nombre de pièces denticulées -autour de 40 %, auxquelles s’ajoutent autour de 12 % d’encoches-, des racloirs, 13 %, pièces retouchées, 12 %, quelques grattoirs, pointes Levallois ou burins, et quelques pièces foliacées qui font sa particularité. Pour certains auteurs, ce serait le seul site connu ayant livré un tel ensemble industriel ; il traduirait un faciès technologique associé à la pêche. Pour d’autres, divers gisements de la région de Dongola s’en rapprocheraient. C’est peut-être un ensemble comparable qui a été reconnu à Kobkabba par M. Kobusiewicz et J. Kabacinski. A Haua Fteah, le Moustérien reposait sur un niveau laminaire dit Pré-Aurignacien libyen2, riche en burins, utilisant le débitage Levallois. Une continuité s’y inscrit dans le nombre de burins qui ne cesse de décroître au cours de l’occupation moustérienne sus-jacente, les encoches et surtout les grattoirs qui deviennent courants, les racloirs qui se multiplient, jusqu’à prendre le pas l’un et l’autre sur les autres outils ; le débitage Levallois se généralise. A l’ouest, quand, en 1965, L. Balout reconnut la réalité du Moustérien, il en proposa l’allochtonie. Il faisait valoir deux arguments. D’une part, le Moustérien maghrébin serait proche du Moustérien évolué d’Europe et d’autre part, le Moustérien de tradition acheuléenne n’existerait pas. Or cette existence, suggérée depuis longtemps par divers sites, s’affirme alors même que les datations 1 .- Fourchette qui correspond à l’nterglaciaire Riss. 2 .- Cf p. 174.
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Une période mal connue, le Paléolithique moyen faites en Europe ne lui accordent plus systématiquement une position intermédiaire entre l’Acheuléen et le Moustérien comme on avait pu le croire. Ici, sa position stratigraphique en fait le successeur de l’Acheuléen : P. Biberson le nomme Acheuléen final, tout en parlant de son aspect moustéroïde et les travaux récents montrent que la variété des industries moustériennes européennes se retrouvent dans le Nord de l’Afrique, ces industries offrant en outre des traits particuliers tels qu’un débitage nubien utilisé jusque dans le Maghreb occidental. Ces données, plus particulièrement l’existence du Moustérien de tradition acheuléenne, précisent la question de l’origine du Moustérien sans y répondre formellement. Si elles privilégient l’hypothèse de l’autochtonie, les identités perçues avec les faciès européens ne sont pas sans soulever diverses questions : s’ils ont valeur fonctionnelle comment ont-ils pu être reproduits de manière quasi-parfaite dans des milieux que tout autorise à voir différents ? S’ils ont valeur culturelle, comment concevoir les similitudes qu’ils impliquent ? Peut-on y voir simplement une inévitable convergence ?
Variété des ensembles industriels moustériens Les quelques gisements dont la structure industrielle est connue, offrent des divergences sensibles, en grande partie conformes à celles identifiées dans les industries européennes. En zone saharienne, le Moustérien n’est connu qu’à l’Est et par un gisement dans la région de Ouargla. Dans la vallée du Nil, le Moustérien se montre encore plus complexe qu’en Europe. F. Wendorf individualise auprès d’un Moustérien à denticulés, un Moustérien nubien proche du Moustérien typique. Ph. Van Peer et P.M. Vermeersch distinguent divers groupes : un groupe N qui emploie la technique Levallois classique et un groupe K utilisant le débitage Levallois nubien ainsi qu’un débitage laminaire à partir de nucléus à un plan de frappe ou deux plans opposés. Un ensemble industriel connu dans divers sites (507, 503, Arkin 5, Arkin 6, Arkin 6A, 410, Abu Simbel 1, Abu Simbel 6), qui a reçu le nom de « Nubian Middle Paleolithic », serait à rapprocher du Sangoen et du Lupembien. En Cyrénaïque, les niveaux XXXV à XXXII d’Haua Fteah attribués au Moustérien, se singularisent par l’abondance des grattoirs (24,1 %, alors que l’indice racloir est de 23,5) et le nombre important de burins, 17,1 %, un débitage Levallois peu utilisé (ordre de 5 %), des pointes foliacées qui atteignent 6,8 %, des nucléus discoïdes, réduits, qui peuvent se ramener à des diamètres de l’ordre de 2 cm. Bien qu’en Nubie, P.M. Vermeersch et al aient proposé un schéma chronologique en trois phases : Paléolithique moyen nubien, Moustérien nubien, Khormusien, en l’état des connaissances, la variété de ces industries ne peut être mise en relation avec la seule évolution1. Au Maghreb, L. Wengler verrait volontiers dans la variété des faciès moustériens, une relation avec l’environnement : au Rhafas c’est à un environnement d’interglaciaire que correspondrait le niveau Ferrassie, alors que le Moustérien typique se rapporterait à un environnement glaciaire. 1 .- D’autant que le Site 1033 de Nubie qui présente deux niveaux archéologiques séparés par une vingtaine de centimètres de sédiments stériles, ne montre pas de différences significatives entre eux.
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Sahara préhistorique Au sud du Sahara, des ensembles industriels où prédomine le débitage Levallois avec éclats et pointes, lesquelles peuvent être nombreuses, qui ne renferment quasiment pas d’outils retouchés, sont connus dans de nombreux sites de surface ; ils sont parfois rapportés à un « Middle Stone Age »1. Mais en aucun cas, les éléments disponibles n’ont encore été suffisants pour identifier des faciès, leur accorder une position chronologique et donc saisir des relations avec les autres cultures. Avec une dizaine de sites appartenant au Paléolithique moyen, la séquence d’Ounjougou échappe quelque peu à cette image par l’identification de divers faciès. Les outils qui ne figurent que dans de rares sites, se limitent à quelques racloirs, encoches, denticulés, pièces esquillées. Certains sites disposent d’un outillage massif avec rabots, d’autres de pièces foliacées, d’autres simplement de matériel débité avec des modes différents d’un site à l’autre : débitage discoïde, Levallois, laminaire, unipolaire, bipolaire sur enclume... La plus ancienne manifestation est traduite par un nucleus à enlèvement préférentiel venant d’une formation datée de 1500002 ; l’occupation devient courante entre 100000 et 22000, particulièrement entre 50000 et 30000 ; le débitage laminaire apparaît vers 65000, discoïde vers 60000, des pièces foliacées vers 50000, elles se développeront vers 30000 alors que le débitage Levallois disparaît. Ces techniques variées appliquées à une matière première limitée à des grès et des galets de quartz, sans logique évolutive technique apparente, reflèteraient la diversité culturelle des hommes qui ont fréquenté la région.
Des ensembles industriels à débitage Levallois et bifaces Défini dans le Sud-Ouest de la France par D. Peyrony, le Moustérien de tradition acheuléenne se distingue des autres faciès moustériens par la présence de bifaces triangulaires ou de petits bifaces cordiformes. Certains auteurs voient dans ces petits bifaces, les précurseurs des pièces foliacées qui se développent durant le Paléolithique moyen. Le problème du Moustérien de tradition acheuléenne est aussi un problème de terminologie. A Sidi Abderrahman-grotte du Rhinocéros, P. Mieg de Boofzheim et C. Plessis qualifient l’industrie de « Moustérien ancien à bifaces ». P. Biberson classe les industries similaires du Cap Chatelier et Aïn Hallouf dans l’Acheuléen final dit Acheuléen VIII car il s’agit avant tout d’industries à bifaces qui font transition entre « l’Acheuléen évolué et l’Atérien ancien », mais à leur propos, parle également « d’une sorte de Moustérien de tradition acheuléenne à bifaces ». H.J. Hugot considère les industries comparables retrouvées au Sahara comme « Levalloisiennes de tradition acheuléenne », mais elles seraient « trop fortement marquées par le biface pour ne pas être classées dans le Paléolithique inférieur »3. En fait, selon que l’auteur privilégie l’aspect biface (implicitement significatif de Paléolithique inférieur) ou l’aspect Levallois (souvent plus significatif de Paléolithique moyen), l’appellation diffère. Mais ni la position chronologique, ni la position charnière ne sont mises en cause. Pour tous, il s’agit 1 .- Cf p. 163. 2 .- Il tient son importance de l’absence d’Acheuléen dans la séquence. 3 .- Hugot, 1965 (1967), p. 533.
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Une période mal connue, le Paléolithique moyen
Fig. 43 – Quelques outils : 1) Pointe moustérienne : pièce triangulaire dont les deux bords sont soigneusement retouchés sur la face dorsale pour former une extrémité distale aiguë, la face inférieure restant brute. Elle ne peut être confondue avec la Pointe Levallois ; 2) dont la forme triangulaire est prédéterminée par sa préparation et dont les axes d'outil et d'éclat coïncident ; 3) Racloir nubien : d'après G. et J. Guichard, pièce ovale, plus ou moins allongée, à racloir convergent biconvexe produit par retouche scalariforme ; 4) Pointe de chattaoueli : nommée par M. et J. Gaussen, pointe de petite dimension (ne dépasse pas 3 cm), de silhouette cordiforme ou lancéolée, faite en général sur éclat Levallois dont la face supérieure est largement retouchée et le talon aminci ; 5) Pointe de Nazlet Khater : définie par P. Vermeersch et al., est une pointe de débitage Levallois nubien à retouche inverse plane sur l'extrémité distale, amorçant une encoche sur l'un des bords ; 6) Lame chanfrée (= à chanfrein) : Mc Burney nomme ainsi une lame tronquée par enlèvement d'un burin transversal ; 7) Pointe marocaine : d'après Antoine, pointe pédonculée épaisse, à retouches bifaciales, petits ailerons bien dégagés. La réduction des ailerons conduit à une forme losangique nommée Pointe pseudo-saharienne 8. (origine : 1, 2 : Zaouia el Kebira, chavaillon 1971 ; 3 : Site 415, Guichard in Wendorf 1965 ; 4 : chattaoueli, Gaussen 1988 ; 5 : Nazlet Khater, Vermeersch et al 1990 ; 6 : hagfet ed dabba, Mc Burney, hey, 1955 ; 7 : Mugharet el Aliya, 8 : dar es Soltane, camps 1979).
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Sahara préhistorique d’industries intermédiaires. Il suffit qu’elles perdent leurs bifaces « pour que nous arrivions à ces industries indécises qu’on a appelées Levalloisien ou Moustérien en divers points de l’Afrique du Nord »1. Ici, elles traduiraient donc un continuum Acheuléen-Moustérien. Au Sahara central, dès les années trente, divers petits sites dans lesquels petits bifaces et débitage Levallois étaient juxtaposés, ont été signalés2. Dans le Shâti, N. Petit-Maire a identifié de petits bifaces cordiformes ne dépassant pas 8 cm de long volontiers mêlés à du débitage Levallois. On retrouve des sites comparables au Soudan où A.E. Marks, soulignant la rareté des couteaux, la basse fréquence des racloirs, préfère la dénomination « Nubian Mousterian, type B »3. F. Bordes ne parle pas de Moustérien de tradition acheuléenne, mais « d’un Moustérien propre au Maghreb ». Dans la vallée du Nil, P.M. Vermeersch et al ont distingué un Paléolithique moyen ancien caractérisé par la présence de bifaces, pointes foliacées, pointes nubiennes et éclats Levallois. Il appartiendrait à la phase ancienne du « Complexe nubien »4. Au Maroc, des gisements à débitage Levallois, avec bifaces, sont courants. Un ensemble de 200 pièces récolté aux débuts des années 1950 lors du curage de la source d’Aïn Hallouf, près de Casablanca, renferme des galets aménagés, des bifaces « grossiers taillés à la pierre », des pièces très évoluées « de petit format le plus souvent cordiformes », mêlés à des « nucléus discoïdes » et des « éclats transformés ou non en racloirs et grattoirs », une grande abondance de bolas mais aucune lame. Il a été rapporté à l’Acheuléen VIII par P. Biberson. Cap Chatelier P. Biberson a nommé Cap Chatelier, un site alors aux environs de Casablanca, inclus dans la carrière de Sidi Abderrahman et qu’il rapporte de même à un Acheuléen VIII. L’industrie provient d’un niveau de calcaires bréchoïdes qui termine le colmatage d’une falaise anfatienne. Pour cet auteur, il ne s’agit pas de lieu d’habitat, mais de débris de cuisine et de déchets qui auraient été jetés ou charriés depuis le rebord du plateau formant corniche à l’emplacement de la falaise. Il considère un mélange d’industries peu probable malgré la coexistence de bifaces typiques d’Acheuléen évolué, de pièces sur éclat, de nucléus d’allure « levalloiso-moustérienne », car les pièces n’offrent aucune différence d’aspect. Les travaux menés en 1981 par l’Institut National des Sciences de l’Archéologie et du Patrimoine et la Mission préhistorique et paléontologique française au Maroc ont confirmé cette position. L’industrie récoltée par P. Biberson comporte 1731 pièces dont 10 % de chopping tools, 26 % de bifaces, quelques hachereaux très frustes, 50 % d’éclats 1 .- Biberson, 1961, p. 394. 2 .- Tiguelguemine et Esselessikine où figurent des bifaces évolués, de nombreuses pointes moustériennes et qui sont riches en pièces Levallois, Oued Djaret, Bourougou ; peut-être peut-on y rattacher Gara Chorfa Site 13 qui fut dit atérien à la suite de la découverte de deux pièces pédonculées par Hugot. Du matériel comparable se trouverait dans l’Adrar de Mauritanie. Au Maroc, Siret aurait signalé une industrie à gros disques, éclats et petits bifaces cordiforme, Biberson mentionne une industrie semblable à Oued Bouskoura, Oued El Khemis, Antoine à Tit Mellil ; elle pourrait être présente à Aïn Fritissa, Tissint, au djebel Bani, à Laayoune, Laghzira, Lameseida, Izi. Petit-Maire en ferait état en Libye occidentale. 3 .- Cf ci dessous p. 162. 4 .- Cf ci-dessous p. 166.
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Une période mal connue, le Paléolithique moyen dont le dixième retouché en racloirs, parfois en pointes ou en grattoirs. Il s’y trouve quelques lames (1 %) dont de rares exemplaires sont des couteaux à dos. Les bifaces comprennent des formes amygdaloïdes et ovalaires, mais aussi de nombreuses pièces cordiformes. Leurs dimensions varient de 20 cm pour le plus grand à 4,3 cm pour le plus petit. Touggourt-Km 50 Touggourt-Km 501 a été identifié par G. Amorsi et G. Trécolle dans la région de Touggourt, sur la frange nord-occidentale du Grand Erg Oriental. Le matériel gît dans une cuvette de déflation, sur une surface de l’ordre de 300 m2 ; une butte-témoin haute de plus de 2 m, le montre néanmoins en place dans un sédiment sableux, une soixantaine de centimètres au-dessus de la surface actuelle de la cuvette. L’analyse des sédiments a montré une occupation en phase d’aridité croissante. Les bifaces qui constituent près du quart de l’ensemble industriel, sont en grande majorité cordiformes. On y note un nombre sensible de choppers et chopping tools. L’indice Levallois est bas. Une forte tendance à l’enlèvement des talons se manifeste. Sur quelque 2000 pièces recueillies systématiquement, la moitié a été transformée en outils avec suprématie de retouche écailleuse. Les racloirs prédominent, ils sont le plus souvent simples convexes ou droits, ou convergents. Les pièces denticulés sont courantes, beaucoup plus fréquentes que les encoches. Les récoltes comportent 53 pièces esquillées, plutôt à une seule plage dont les esquilles peuvent se développer sur une ou deux faces. On remarque de nombreux outils doubles. Les dimensions moyennes de ce matériel lithique sont réduites, de l’ordre de 5 à 6 cm, avec un maximum de 6 pour les éclats, 10 pour les bifaces qui, ainsi, n’évoquent nullement ceux du Paléolithique inférieur. Quoique taillés dans des rognons de calcédoine de mauvaise qualité, on ne peut faire appel à une contrainte du matériau pour justifier cet état, car dans d’autres lieux de la même région, des bifaces de dimensions habituelles à l’Acheuléen sont façonnés dans ces mêmes calcédoines.
Un Moustérien à denticulés Reconnu par Darpeix, défini par F. Bordes, le Moustérien à denticulés se caractérise par un outillage sur éclat, peu diversifié, largement dominé par les pièces denticulées et encochées. En Nubie, il se présente en petits sites qui paraissent contemporains du Moustérien nubien et pourraient être l’expression d’une économie spécialisée. A Bir Sahara, le site BS1, à forte tendance Levallois2, pourrait leur être assimilé et probablement certains niveaux de l’abri de Benzù à dominante denticulés3. Aïn Mrhotta Sous une dalle travertineuse qui contient une industrie capsienne, un conglomérat calcaire renferme une industrie moustérienne à patine blanche. Le gisement reconnu par L. Harson, a fait l’objet de nouvelles récoltes par D. Zoughlami et M. Riahi lors de la préparation de l’Atlas préhistorique de la Tunisie, feuille Kai1 .- Cf Annexes p. 365. 2 .- Cf Annexes p. 364. 3 .- Cf ci-dessus p. 139.
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Sahara préhistorique
Fig. 44 - Moustérien à denticulés. 1 à 7) denticulés ; 8) foret ; 9, 12) nucleus Levallois ; 10) nucleus para-Levallois. (Origine. Site 1000, d’ap. Marks in Wendorf 1968).
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Une période mal connue, le Paléolithique moyen rouan. Pour E .G. Gobert et L. Harson, l’industrie consiste en « pointes à plan de frappe préparé ou non, des dérivés de ces pointes prenant l’aspect de perçoirs ou de grattoirs ogivaux »1, racloirs, denticulés, disques ou nucléus discoïdes préparés sur les deux faces. Le tout est de taille modeste, 3 à 5 cm de long. Ce matériel typique est associé à de nombreux éclats à retouches abruptes, parfaitement perpendiculaires aux faces, semblables à ce que G. Caton-Thomson a décrit dans le Kharguien et que E.G. Gobert interprète comme le résultat d’un piétinement. L’analyse menée par S. Hajri-Messaoudi fait valoir l’emploi du seul mode de débitage Levallois récurrent centripète. Brézina Avec 53 nucléus, 262 outils2, l’ensemble industriel provenant de Brézina est bien moins important par sa structure qu’il ne le fut par sa position stratigraphique3. L’absence de pièce pédonculée notée dans le niveau fossilifère lui-même, fut vérifiée sur la surface qui, en contre-bas, recevait les produits d’érosion de ce niveau4. Le matériau utilisé est un silex calcédonieux de mauvaise qualité, d’origine locale. Les nucléus privilégient les formes discoïdes 50 % avec des dimensions de 4,5 à 10 cm de diamètre, ou quelconques, 38 %. Des nucléus à lames sont fréquents, ce qui n’est pas conforme à l’aspect du matériel débité où celles-ci sont plutôt rares. Malgré la mauvaise qualité du matériau, le débitage est essentiellement Levallois. Les talons plans constituent la majorité des talons identifiables. Les éclats sont souvent épais, 1 à 1,5 cm, jamais inférieurs à 0,4 cm ; la moitié d’entre eux, généralement des fragments, conserve des restes de cortex. Cette épaisseur permet de supposer que ceux qui comportent un pan plus ou moins vertical sur un bord, ont pu être utilisés comme couteaux à dos. Les éclats Levallois constituent les trois quarts de l’outillage. Parmi les pièces retouchées, les denticulés prédominent et sont souvent des bidenticulés. La denticulation résulte d’échancrures vastes, retouchées. Certains tendent vers des scies dont les dents peuvent être arrondies. Les coches sont parfois inverses ou alternantes. Les racloirs sont à peu près tous convexes, courts, à retouches écailleuses. Trois racloirs sur éclat Levallois, convergent en pointe. Les pièces du Paléolithique supérieur ne sont représentées que par des grattoirs ; typiques, ils ont un front court, bien arrondi, pouvant être denticulé. Par comparaison avec le Moustérien européen, les auteurs, P. Estorges et l’un de nous (GA), verraient volontiers un Moustérien tardif. Ifri n’Ammar Passage obligé entre la plaine de Guerouaou et celle de la Moulouya, Ifri n’Ammar est une imposante cavité karstique, ouverte vers le SW, au pied d’un éperon rocheux. D’une surface d’environ 120 m2, la cavité est occupée par un remplissage archéologique subhorizontal, épais de 6,30 m, coiffé par une couche de fumier. Le dépôt archéologique se développe devant l’abri, sur quelque 2 m d’épaisseur. Découvert en 1996 lors de la campagne de prospection maroco-allemande dans le Rif, les fouilles débutèrent en 1997 par une tranchée 1 .- Gobert, Harson, 1958, : 12. 2 .- Cf Annexes p. 364. 3 .- Cf p. 137. 4 .- Bien qu’aucun mélange n’ait paru possible, ce matériel n’a pas été pris en compte.
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Sahara préhistorique longue de 12 m, large de 2 m, qui fut prolongée latéralement jusqu’à la paroi NW. Arrêtées en 2004 après avoir atteint le substratum, elles reprirent en 2009 et prolongèrent les premiers travaux vers le SE, occupant ainsi la partie centrale de l’abri sur une surface d’une vingtaine de m2. La stratigraphie identifiée est attribuée à deux ensembles, l’ensemble inférieur procédant du Paléolithique moyen, l’ensemble supérieur du Paléolithique supérieur. Le Paléolithique moyen a été datée de 171000 ± 12000 à 145000 ± 9000, pour sa partie inférieure, 130000 ± 7800 à 83000 ± 5600 pour sa partie supérieure. La sédimentation rapportée au Paléolithique moyen se développe sur une hauteur de 3,6 m, elle comporte trois unités sédimentaires : reposant sur le bedrock, un dépôt fin de 1,40 m d’épaisseur, brun à orangé, plus ou moins compact, légèrement concrétionné, puis sur 0,70 m, vient un empilement de croûtes calcaires, il est surmonté d’un sédiment argileux compact, parfois concrétionné, brun rouge à jaune, épais de 1,70 m, qui ne montre aucune discontinuité depuis la croûte calcaire. L’originalité de la séquence vient de son sac à outils, les dépôts inférieur et supérieur se terminant chacun par une industrie à pièces pédonculées. Cette particularité appelle plusieurs lectures. Les auteurs rapportent au Paléolithique moyen la partie inférieure de chacun des deux ensembles et à l’Atérien leur partie supérieure. Nous avons choisi de rapporter le dépôt inférieur et la moitié inférieure du dépôt supérieur au même ensemble au prétexte de l’importance donnée aux racloirs alors que les pièces pédonculées ne disposent que d’un pédoncule « hésitant », mal dégagé, suggérant plutôt une direction de recherche technologique qu’un acquis. Pareil dépôt offre les caractéristiques du Moustérien à denticulés. Il s’oppose à la moitié supérieure du dépôt supérieur qui, parallèlement à la présence de pièces pédonculées, réduit les racloirs, utilise plus régulièrement les grattoirs (qui sont présents dans tous les décapages) et multiplie les manifestations symboliques. L’étude du matériel du dépôt inférieur, dit Paléolithique moyen par les auteurs, a porté sur un volume de 5,60 m3 qui a livré 844 pièces lithiques regroupant une dizaine de nucleus, une centaine d’outils, un peu plus du double de pièces brutes et de menus éclats et débris. La densité du matériel est faible, elle augmente irrégulièrement le long des premiers 40 cm, atteint son apogée sur les 20 cm suivant, pour décroitre régulièrement au cours des 40 cm suivants. Près des trois quarts de l’industrie sont en silex, calcédoine surtout, calcaire silicifié, quartzite et sporadiquement divers autres matériaux comme le basalte. Silex et calcédoine viennent de la Moulouya et de l’Aïn Zohra, colline éloignée d’une quarantaine de kilomètres. Les éclats Levallois ne constituent que 7,1 % du débitage resté brut, les pointes 1 %, le tiers environ des pièces Levallois est retouché, transformé en racloir pour la plupart. Les lames sont rares, 1,9 %, même appuyées par les éclats laminaires 2,6 %. On relève un seul schéma de débitage ordonné, une modalité récurrente à éclats. L’outillage se distribue entre racloirs, encoches-denticulés et divers représentant plus du quart chacun, quelques grattoirs et retouches planes. Les racloirs dominent néanmoins, plus courants dans la partie supérieure (leur proportion explosera immédiatement audessus de l’encroûtement calcaire, alors que l’outillage deviendra un rien plus varié), ils résultent le plus souvent d’une retouche écailleuse ; ils sont présents
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Une période mal connue, le Paléolithique moyen sous diverses formes, accordant la préférence aux types convexes, la plupart des types concaves manquant. Les denticulés, dont un sur éclat Levallois, viennent en second en représentant plus du quart des outils et avec une plus grande fréquence dans les niveaux médians1. Les encoches, dont les coches sont entièrement retouchées, sont plus fréquentes dans la partie supérieure. Un cas présente un intérêt particulier : les coches se placent côte à côte de manière à créer un petit pédoncule latéral. Les grattoirs sont peu nombreux, à peine 5 %. Il n’y a ni perçoir, ni burin, ni couteau. Il existe 8 pièces dites pédonculées dont 5 sur éclat Levallois regroupées dans la moitié supérieure de l’occupation ; à l’exception d’une, elles sont cassées. Les pédoncules sont très courts, moins de 3 cm, mal dégagés, les plus marqués résultent de deux coches directes2 ; ils affectent des outils divers et un éclat brut. Des restes de foyers ont été identifiés et de petites pierres de tons divers retrouvées. Une faune riche en mammifères, comportant près d’une trentaine d’espèces animales, a été mise au jour. Ammotragus lervia, Gazella cuvieri, Equus aff. Grevyi, Testudo, Mauremys, des tests d’œuf d’autruche se rencontrent tout au long de la séquence, ces derniers avec une plus grande fréquence vers le milieu. Un mammifère de zone aride, Ctenodactylus gundi, apparaît avec la formation des croûtes calcaires, soit à partir de 130000, il disparaît vers 100000 avec l’amélioration climatique. Kubbaniya Alors qu’il communiquait avec le Nil, le Wadi Kubbaniya (=Koubbanieh) a connu une sédimentation importante de son embouchure. Ensablement et dépôt saisonnier de limons s’y intercalent, formant une succession d’épisodes arides et d’inondations. L’occupation humaine y fut notable à une période où les eaux du Nil se trouvaient à +8/+10 m du niveau actuel. Trois concentrations, E-81-2, E82-5 et E-82-6, qui proviennent de l’épisode inférieur, ont été retrouvées par la mission américaine. E-82-5 qui prend place vers la base de ces dépôts, est daté de 91 000 ; le matériel comprend essentiellement des denticulés, quelques éclats Levallois, racloirs et encoches. Oued Akarit Le site de l’oued Akarit affleure dans l’incision de l’oued non loin de son embouchure actuelle. Le matériel lithique qui est associé à divers ossements, a été découvert dans un banc argileux ; pour certains auteurs, il s’agirait d’une loupe de glissement. Les diverses indications disponibles concernant cette industrie ont fait valoir une large utilisation du débitage Levallois, de nombreux outils faits sur pièces Levallois ; l’outillage comporte 31 % de racloirs, des pointes moustériennes, mais aussi 37 % d’encoches et denticulés, ce qui le sin1 .- Dans la partie basale de l’ensemble supérieur, il est probable que plusieurs chaînes opératoires aient été utilisées. L’outillage, qui est plus abondant, consiste essentiellement en racloirs, la rareté des denticulés le rapproche d’un Moustérien type Ferrassie. 2 .- Les données de la publication montrent que dans la partie inférieure de l’occupation supérieure se retrouvent cette forte dominance des racloirs, plus de 60 %, et une très faible représentation des grattoirs 1 %, ce qui la distingue nettement de la partie supérieure dont elle ne se rapproche que par le développement des pièces foliacées 5,5 % ; ceci permet d’envisager le rattachement de cette partie du dépôt à l’occupation inférieure.
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Sahara préhistorique gularise. Il a été également singularisé par les dates obtenues par divers auteurs pour son environnement immédiat qui se plaçaient autour de 20000. En 1991, les fouilles du site ont été reprises par M. Riahi, J.P. Roset et D. Zoughlami. Elles se sont développées sur une surface de 10x10 m, à proximité du locus précédent. A 2 m de profondeur environ, elles ont permis d’identifier trois niveaux superposés. Le niveau supérieur, T0, discontinu, dont épaisseur varie de 0,53 m à 1,82 m, est un niveau remanié qui a livré plus de 10000 pièces ; le matériel peu altéré, mêlé à des restes osseux et végétaux, n’a été déplacé que sur une faible distance. T1 d’une épaisseur de 5 à 12 cm est qualifié de sol archéologique. Il repose sur une mince couche de sable éolien et au toit, jouxte T0. Il a livré plus de 7000 pièces dont 38 % retouchées. Au-dessous de 40 cm d’argile archéologiquement stérile, une autre occupation humaine T2, aujourd’hui au niveau du battement de la nappe phréatique, a livré quelque 300 pièces. Les tentatives de datation suggèrent un âge de l’ordre de 100000 ans. L’étude typologique du niveau T1 montre la distribution suivante : encoches 31,5 %, pièces retouchées 18 %, racloirs 15,3 %, grattoirs 14,8 %, denticulés 9,3 %, perçoirs 7,4 %, pièces composites 2 %, troncatures 1,8 %, burins 0,8 %, divers 0,2 %1. La répartition de l’outillage au sol est homogène, sans concentration significative. Entre le quart et la moitié des outils est fait sur débitage Levallois, préférentiellement sur éclat, les lames et pointes étant bien moins utilisées. D’une manière générale, il existe un fort pourcentage de pièces entières entre 82 % pour les grattoirs et 55 % pour les pièces retouchées. Les supports sont réguliers, volontiers subovalaires ou quadrangulaires, près de la moitié d’entre eux conservant du cortex qui montre « un débitage très économe, conséquence probable de l’éloignement des sources de matière première ». Ces supports ont un talon plutôt lisse, les facettés, enlevés ou naturel étant chacun deux fois moins nombreux ; il existe quelques pièces dièdres et quelques pièces à talon tronqué ou rétréci, ce qui, d’après les auteurs, implique un traitement particulier. Les encoches, en nombre variable, concernent un bord ou les deux. Bien que tous les types de racloirs soient représentés, plus de la moitié est simple, indifféremment droit ou convexe, dextre ou senestre. Les retouches sont directes, plutôt semi-abruptes. Les grattoirs accordent la préférence aux formes simples, à front bien dégagé, ils peuvent être denticulés 12 %, à épaulement ou à museau. Les perçoirs, 12 %, sont plutôt simples, peu sont réalisés sur lames. Ce sont des pièces épaisses qui présentent de petites pointes généralement dégagées par deux petites coches de même direction, directe ou indirecte. Les burins, rarement sur pièce Levallois, accordent la préférence aux types sur troncature. La grande majorité des pièces denticulées est sur éclat. Les troncatures sont plutôt rectilignes ou concaves. La présence sensible de pièces type paléolithique supérieur suggère une forme évoluée de Moustérien. Cinq espèces de grands mammifères ont été mis au jour, Ceratotherium mauritanicum, Equus mauritanicus, Pelorovis antiquus, Bos primigenius, Hippotragus cf equinus qui indiquent un biotope ouvert, peu boisé, de savane ou steppe à graminées. Des bois et charbons retrouvés proviennent de Tetraclinis articulata, Salsola, Tamarix, Traganum nudatum, et probablementde Limonias1 .- Cf Annexes p. 364.
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Une période mal connue, le Paléolithique moyen trum monopetalum. L’analyse pollinique montre une forte dominance de Chenopodiacées traduisant un milieu halophile auquel la proximité de la mer n’est pas étrangère, un ensemble steppique diversifié, riche en Composées, pauvre en Graminées et une maigre végétation arbustive à Tamarix et Callitris. Ces données s’accordent à définir une ambiance climatique aussi sèche, voire plus, qu’actuellement et des hivers doux. Site 36B Placé dans une position comparable au Site 1000 dont il est éloigné d’une dizaine de kilomètres, le site 36B occupe une surface semblable. L’industrie récoltée comporte 690 pièces dont 164 outils1 et 39 nucléus. Les éclats Levallois sont petits, souvent arrondis. Les racloirs présentent une retouche de qualité médiocre, les grattoirs, burins, encoches sont atypiques. Quelques lames courtes sont tronquées. Comme dans le Site 1000, de nombreux nucléus, 33 %, ne sont pas caractérisables, les autres sont pour près de moitié des nucléus Levallois. Il est difficile de dire si les différences qui s’observent entre les sites 1000 et 36B qui furent étudiés par le même auteur, sont significatives, qu’il s’agisse de celles qui affectent le rôle des racloirs, deux fois plus importants en 36B -ce qui rejoint leur importance dans la plupart des sites à Moustérien nubien type A-, ou la valeur de l’indice de facettage qui peut résulter de la différence de qualité des matières premières. Site 1000 Près de la route du Caire, au sommet d’une butte de rive droite du Nil, le site, étudié par A.E. Marks, couvre 200 m2. L’outillage2 en grès brun se mêle à de petits fragments de grès noir. Ces matériaux semblent provenir d’autres buttes se trouvant à quelque deux kilomètres de là. Plus d’un millier de pièces a été collecté dont seulement 184 outils et 41 nucléus. Si 27 % des nucléus ne sont pas caractérisables, les autres montrent la prépondérance des formes Levallois à éclat 41 %, quelques formes à lames 7 % et quelques pièces discoïdes 2 %. Les denticulés, qui prédominent largement, sont façonnés par des retouches particulièrement soignées qui en font des outils de fort belle qualité. Les encoches présentent indifféremment de petites ou grandes coches. Quelques outils sont remarquables. C’est le cas d’un des grattoirs, dû à une retouche inverse, qui est déporté latéralement, d’une pièce triangulaire supportant un denticulé, d’un racloir concave ou encore d’un racloir convexe qui résulte de retouche bifaciale. Tamakaw Tw1 Dans la Tadrart, le site Tw1, reconnu en 1995 par la mission Arrikine, occupe une surface de 100x100 m sur un glacis d’érosion du bassin de l’oued Arrikine. Le matériel est mêlé à la couverture du glacis, par plages d’une dizaine de mètres carrés chacune, au sein desquelles aucune distribution particulière n’existe, où nucléus et éclats de préparation montrent un débitage fait sur place. Les 33 nucléus connus ne comprennent que quelques pièces discoïdes ou Levallois, la plupart étant quelconque, avec toutefois quelques nucléus à lames, 1 .- Cf Annexes p. 364. 2 .- Id.
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Sahara préhistorique certains montrant une tendance pyramidale. Le débitage d’éclat est fortement majoritaire, 14 % est Levallois ; les bulbes sont diffus, les talons plutôt plans. L’outillage1 présente une forte dominance de denticulés et encoches dont la moitié sur éclat ou lame Levallois. Les coches se localisent de préférence sur la partie proximale de la pièce et sont en général larges et peu profondes. Les denticulés sont munis d’épines mal dégagées par petites coches peu marquées et tendent souvent vers des scies. Les racloirs sont de types divers, plutôt simples. Tarf H’Mer Tarf H’Mer est installé en bordure d’une cuvette lacustre de la région de Zouérate. D’une surface de 15000 m2, il se distingue des autres sites de la région par ses dimensions nettement inférieures. La densité moyenne des pièces est forte, 253 au m2. L’apport de bloc de silexite sur le site, l’abondance des nucleus indique un débitage fait sur place. Les nucleus sont plutôt indifférenciés ou à éclats préférentiels, parfois de type Kombewa. L’absence d’éclats issus de ces deux méthodes montre qu’ils ont été utilisés ailleurs. Le débitage Levallois IL = 26,9 assure une part importante de l’outillage ILty = 66,7. Il privilégie le mode récurrent, centripète ou unipolaire et a souvent produit des éclats qui tendent vers une forme rectangulaire. L’indice de facettage IF = 28,4 et l’indice laminaire Ilam : 4,6 sont faibles. Les 154 outils recueillis traduisent la richesse en pièces denticulées, 43,5 %, encoches, près de 26 % et racloirs, près de 20 %. L’échantillon comporte quelques perçoirs, une raclette, quatre pointes de Tayac, pièces peu courantes dans les industries sahariennes. Plusieurs pièces portent des traces de passage au feu. Cette structure de l’ensemble industriel, malgré sa pauvreté en grattoirs et en pièces pédonculées, moins de 1 % pour chacun de ces groupes, se rapproche plus du Moustérien à denticulés que de l’Atérien auquel J.F. Pasty, qui en a fait l’étude, le rapporte tout en précisant une plus grande proximité avec celui-là !
Un Moustérien typique Défini par D. Peyrony dans le gisement du Moustier dans le Sud-Ouest de la France, il se caractérise par un groupe racloir largement représenté et un équilibre numérique des autres types d’outils. Toutefois, les denticulés et les couteaux sont peu nombreux, les bifaces et les limandes exceptionnels. Généralement le débitage Levallois prédomine. Divers sites maghrébins répondent à cette définition et l’on peut en rapprocher certains sites de Nubie. Akka Faut-il y rapporter Akka, site de surface identifié par A. Rodrigue dans le Drâa, en raison d’un indice de débitage Levallois élevé ? Parmi les 185 pièces en quartzite qui en proviennent, les racloirs prédominent largement avec 69 %, ils sont de formes variées préférentiellement de formes convexe simple ou convergente et sans forme transverse. Les denticulés sont nombreux, obtenus le plus souvent par une suite de coches clactoniennes. Ce gisement présente la particularité d’avoir livré 8 petits hachereaux dont la longueur oscille entre 8 et 11 1 .- Cf Annexes p. 364.
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Une période mal connue, le Paléolithique moyen cm, dimensions permettant de supposer qu’ils appartiennent à l’ensemble moustérien1. L’un d’eux est fait sur éclat Kombewa, mode de débitage qui se retrouve sur un racloir bifacial et qui, à cette époque, n’est signalé que dans ce site. Bir Sahara et Bir Tarfawi F. Wendorf et al attribuent au Moustérien typique, divers sites des cuvettes de Bir Tarfawi et Bir Sahara ; certains qui se trouvent sur des fonds de lac soulignent une occupation en période de grande sécheresse, ce qui rejoint les remarques que E.G. Gobert faisait en Tunisie.` E-87-3 est un petit site qui repose sur un fond de lac de la cuvette de Bir Tarfawi. La distribution du matériel au sol indique une structuration de l’espace, les pointes moustériennes étant concentrées à l’une des extrémités. Le débitage a peu utilisé la technique Levallois (IL = 4,6 et ILty = 12,2). La fréquence des outils est élevée. L’indice racloir est fort, 31,7, avec des pointes moustériennes et un nombre important de racloirs convergents dont certains, 2,4 %, à retouche bifaciale envahissante peuvent être entendus comme pièces foliacées. Les encoches et denticulés sont courants (G IV = 17,1). Il n’y a aucune pièce de type paléolithique supérieur. Le site E-72-4 se trouve dans une vaste plaine de l’oasis de Dakhla, où, sur une surface de 300 x 500 m, le matériel émerge du sable en petits amas. Le débitage Levallois a été peu utilisé et a surtout produit des pointes. Les racloirs, de forme plutôt convexe, constituent plus de la moitié de l’industrie ; s’y s’ajoutent des denticulés et pièces retouchées. Il n’y a quasiment pas d’autres outils. Cet ensemble industriel se différencie ainsi de celui des autres sites de la région où le débitage Levallois est beaucoup plus utilisé. Cap Ténès La grotte du Cap Ténès dite « grotte basse du phare », qui s’ouvre à mihauteur d’une falaise abrupte que surmonte le phare, a été reconnue et fouillée par H. Marchand vers 1932, les fouilles ont été reprises en 1953 par J. Lorcin et en 2018 par N. Aïn Seba. Les fouilles de J. Lorcin ont montré à la base, sous une occupation ibéromaurusienne, dans une couche de sables mêlés d’argile, épaisse de 3 m, une industrie de faciès Levallois, elle est rapportée au Moustérien alors parfois dénommé Atérien I. L’auteur a reconnu quatre niveaux qui ne traduisent aucune évolution autre qu’un léger recul du débitage Levallois, des racloirs et des encoches avec, dans le niveau le plus profond, un biface. Le matériel archéologique se concentre dans des strates plus sombres. Il comprend outre les pierres taillées, de nombreuses esquilles osseuses dont la couleur bleutée pourrait résulter d’une calcination ou d’une action chimique. L’industrie lithique2 est de grande dimension, taillée dans des quartzites, schistes, moins souvent dans du silex ; la proportion d’outils est élevée. Le débitage a produit quelques lames, plutôt en quartzite. Parmi les nucléus qui sont rares, souvent informes, figurent quelques pièces discoïdes. L’indice Levallois et l’indice Levallois typologique sont élevés. Les pointes où tous les types sont présents, forment environ 10 1 .- Ces dimensions rappellent les hachereaux de «taille très réduite» que H.J. Hugot mentionne dans le Sahara, en particulier dans l’Adrar de Mauritanie. 2 .- Cf Annexes p. 363.
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Sahara préhistorique % des outils. Les racloirs sont nombreux, leurs formes très diversifiées malgré la suprématie des simples droits et simples convexes. Les denticulés et les encoches sont rares. Il existe quelques grattoirs atypiques, quelques couteaux à dos et de très rares pièces type paléolithique supérieur tel que perçoirs ou burins. Djebel Irhoud Situé à une centaine de kilomètres de Marrakech, la grotte du djebel Irhoud occupe une place centrale dans la Préhistoire maghrébine. En 1962, elle livrait à E. Ennouchi deux crânes humains et une mandibule juvénile associés à un matériel abondant. Les fouilles furent reprises en 1967 et 1969 par J. Tixier et R. de Bayle des Hermens qui identifiaient 22 couches essentielles dont 7 attesteraient d’une occupation permanente. Elles fournirent un fragment d’humerus. De 2004 à 2011, une équipe dirigée par J.J. Hublin et A. Ben-Ncer sortait ses premiers restes humains en 2007 (crâne, fragments de fémur, mandibule) associés à de nombreux éléments de gazelles et d’œufs d’autruche. La chauffe des silex élimine au moins partiellement l’idée de tanière. Depuis, des fragments d’un humérus et d’un ilium d’enfant, portent les restes retrouvés à 5 individus. Des traces de prédateurs sur l’ilium posent la question d’inhumation intentionnelle à cette période. D’abord attribués à un Néanderthalien, ces restes se sont avérés ceux de H. sapiens sapiens. Des datations ESR effectuées sur des dents immédiatement sus-jacentes ont donné des dates variant entre 190000 et 90000, qui en font des contemporains, voire des prédécesseurs, des premiers H. sapiens sapiens du Proche-Orient. Ce second scénario est confirmé par de nouvelles dates obtenues par thermoluminescence, à partir de silex brûlés, soit 315000 ± 34000, ancienneté étayée par ESR avec 286000 ± 320001 ; ils représentent désormais les plus anciens fossiles de l’espèce Homo sapiens. Le silex a été utilisé pour les trois quarts du débitage, les quartzites pour 20 %. Une étude du débitage a permis à J. Tixier d’affirmer l’utilisation de plusieurs procédés de débitage Levallois, linéal ou récurrent, unipolaire ou bipolaire et peut-être centripète2. Les talons sont plutôt facettés pour les outils, lisses pour les non-outils. La retouche des supports est essentiellement directe, semiabrupte. L’outillage3 présente un indice Levallois élevé et un indice Levallois typologique moyen. L’indice paléolithique supérieur est bas. Les racloirs (plus de 50 %) comportent de nombreuses formes simples, transversales et de petits racloirs déjetés qui, d’après les auteurs, seraient caractéristiques. J. Tixier attribue cette industrie au « Moustérien typique à fort indice racloirs ». Parmi les objets, un crochet en os est inaccoutumé. Le premier crâne avait été découvert sans matériel à proximité, seulement mêlé à une faune avec Equus cf mauritanicus, Bos primigenius, Connochaetes taurinus, Gazella cuvieri, G. Atlantica, G. tingitana, G. rufina, Dicerorhinus, Taurotragus, Addax, Oryx, Lepus capensis, Canis aureus, Hystrix cristata, Vulpes, les restes d’une panthère, des oiseaux dont des pies et des autruches, des rongeurs, tous éléments qui prônent en faveur d’une tanière. D’une grande cohérence écologique, ces espèces, xérophiles, voire déserticoles, font valoir un 1 .- S’appuyant sur l’étude des rongeurs, J.J. Jaeger a contesté ces dates, appelant une observation de J.J. Hublin. 2. - Cette série est une des rares à avoir fait l’objet d’étude récente utilisant les terminologies proposées par E. Boeda. 3 .- Cf Annexes p. 363.
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Une période mal connue, le Paléolithique moyen milieu découvert. Elles situent l’occupation avant la coupure faunique marquée par l’arrivée de Megaceroïdes, Capra lervia, Ursus, Sus et Bos ibericus. Les rongeurs ont donné lieu à diverses études. Ils ont permis à J.J. Jaeger qui a étudié les produits de fouilles de 1967-69 de les rapporter à moins de 125000 ans, pour F. Amani et D. Geraads qui ont repris le matériel des fouilles Ennouchi dans lequel ils ont retrouvé un fragment de mandibule humaine, l’ensemble faunique est estimé à 150000 ans. Hassi Bellal Dans l’Oriental marocain, le site d’Hassi Bellal a livré à L. Wengler, du matériel remanié dans les alluvions et à la surface de terrasses soltanienne et rharbienne. Peu déplacé, le matériel provient de la destruction d’un abri du pied de la cuesta -où d’ailleurs il en subsiste-, et présente souvent une altération ocre rouge. Le débitage n’est pas Levallois, l’indice de facettage est moyen, l’indice laminaire faible. Les racloirs sont des outils les plus courants. Les denticulés sont rares, les pièces type paléolithique supérieur surtout représentées par des burins qui sont des éclats épais à burin d’angle dièdre ou sur cassure.
Un Moustérien type Ferrassie Défini par F. Bordes, ce faciès, peu différent du Moustérien typique, utilise couramment le débitage Levallois ; les pointes et les racloirs qui sont souvent transversaux, prédominent. Il n’y a pas de biface, peu de denticulés. A ce jour, il n’est connu qu’au nord de la zone saharienne. Aïn et-Guettar Identifié en 1994, par H. Ben Ouezdou, dans la cuvette de Meknassy, en rive droite de l’oued Leben, au sud-est d’une source dite « Aïn et-Guettar » qui fait l’objet de vénération, le site tire un grand intérêt de la superposition Atérien-Moustérien. Les fouilles, faites de 2005 à 2007, développées sur 28 m2, ont dégagé une occupation moustérienne incluse dans une argile noirâtre prise en sandwich dans des argiles verdâtres. Elles sont surmontées d’une couche silteuse à intercalation de craie qui est rapportée à l’Holocène. Les argiles se poursuivent sur une profondeur de 1,4 m avec des passées ferrugineuses, jusqu’à atteindre un sable éolien qui renferme une occupation atérienne ; elle a livré une cinquantaine de pièces dont des pédonculés, grattoirs, racloirs, pièces à coche, couteaux. Le matériel mis au jour dans le niveau moustérien comporte 1 molaire supérieure humaine trouvée à la base, 360 objets parmi lesquels 38 outils1 avec racloirs et pointes, 5 nucléus, 67 éclats et 250 petits éclats < 1 cm tirés d’un silex de la région. Deux systèmes de production des éclats ont été identifiés, un débitage Levallois récurrent unidirectionnel transformé préférentiellement en pointes et couteaux et récurrent centripète faiblement retouché ou portant des coches. Un matériel osseux abondant, essentiellement constitué d’adultes, provient de Bovidés, Equidés, à un degré moindre de Canidés, oiseaux, quelques rares pièces appartiennent à des Suidés, Rhinoceros, Rongeurs. Certains ossements montrent des traces de boucherie et de passage au feu. 1 .- En l’absence d’éléments suffisants pour classer l’industrie, elle est dite un peu arbitrairement type Ferrassie.
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Sahara préhistorique Aïn Metherchem Le gisement d’Aïn Metherchem, non loin de la frontière algéro-tunisienne, témoigne de l’occupation importante d’un éperon, à la confluence de deux oueds. Le niveau moustérien est partiellement recouvert par une escargotière capsienne1. Le gisement, qui fut fouillé par R. Vaufrey, comporte deux dépôts archéologiques proches d’une source et séparés par un ravin, dits Aïn Metherchem sol pour la série est, tuf pour la série ouest. En amont, ces couches détruites par l’érosion donnent lieu à un important dépôt dit surface. L’analyse du matériel montre la grande similitude entre tuf et surface, un écart avec sol qui occupe cependant la même position stratigraphique que tuf. D’après S. Hajri-Messaoudi qui a repris l’étude du matériel, le débitage Levallois utilise diverses modalités, méthodes linéale à éclat préférentiel et récurrente à préparation uni-, bipolaire et centripète, ce qui impliquerait une grande maîtrise de la technique et répondrait à des préoccupations différentes, réponse à des besoins spécifiques pouvant se prolonger dans l’espace et le temps pour l’un, à des besoins immédiats pour l’autre. Elle y voit un comportement de parcimonie relayé par l’exploitation exhaustive des nucléus, l’utilisation intensive des outils qui est en inadéquation avec la disponibilité proche de la matière première. La structure de l’ensemble industriel tuf-surface fait valoir un indice Levallois élevé, de l’ordre de 40-50, il en est de même de l’indice de facettage voisin de 50. Les lames sont bien représentées, autour de 15 %. Plus de la moitié de l’outillage consiste en racloirs qui sont plutôt simples, volontiers convexes bien que les formes doubles ou convergentes, souvent déjetées, soient fréquentes et les formes transversales sensibles. L’indice paléolithique supérieur est insignifiant. Entre les séries sol2 et tuf-surface, S. Hajri-Messaoudi constate des différences dans des caractères secondaires tels les dimensions de l’industrie globalement plus réduite dans la série sol, une qualité de débitage moins soignée, un indice racloir plus faible, un moins grand nombre de pointes moustériennes, d’encoches, une plus haute fréquence des denticulés, des pièces à retouche abrupte alterne. F. Bordes qui y mentionne deux pièces pédonculées, distingue lui aussi la série sol des deux autres et la rapproche d’un « Atérien à rares pédonculés ». Par contre, la découverte d’une pièce pédonculée à Aïn Metherchem tuf, tout comme à El Guettar, ne lui paraît pas suffisante pour dissocier ces gisements du Moustérien. El Guettar Le gisement, qui fut étudié par M. Gruet, est situé à une quinzaine de kilomètres au sud-est de Gafsa. Proche d’une source artésienne fossile, il a été découvert à la faveur de nettoyage de foggaras. Il comporte plusieurs niveaux archéologiques associés à des dépôts sombres intercalés dans des sables gypseux. Tous renferment de nombreuses pièces passées au feu. L’élément le plus remarquable est un amoncellement de 0,75 m de hauteur pour une base de 1,30 m de diamètre, fait de quelque 4000 silex taillés dont une pointe pédonculée, d’os et de dents, sa surface était couverte de boules calcaires mêlées d’esquilles osseuses, silex taillés avec, au sommet, de longues pointes. Au centre, deux 1 .- Cf t. II p. 76. 2 .- Cf Annexes p. 362.
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Une période mal connue, le Paléolithique moyen plaquettes l’une losangique, l’autre triangulaire, reposaient l’une au-dessus de l’autre. Cette construction aurait été faite partiellement dans l’eau, le sommet émergeant de la source ; elle a été rattachée à un culte de la source. Outre cet amoncellement, trois niveaux ont été identifiés. L’indice Levallois varie de 15 à 34, l’indice de facettage est élevé 67 à 76 et 43 à 52 pour l’indice de facettage strict. Un certain nombre d’outils est façonné sur débitage Levallois (ILty = 21 à 34). Les lames sont courantes 10 à 17 %. Les racloirs souvent doubles ou convergents, volontiers déjetés, atteignent 64 à 71 %. L’indice charentien varie de 16 à 21. L’indice paléolithique supérieur est bas, 1,2. Quant à l’amoncellement, il renferme une industrie comparable mais de débitage non Levallois. La flore montre une évolution vers une végétation xérophile. La faune renferme en abondance Bos primigenius, Equus mauritanicus, Alcelaphus buselaphus, Ceratotherium simum (Rhinoceros simus), ce qui est mis en relation avec la plaine herbeuse qui se développait au pied du djebel. Elle a également montré la présence de Gazella cuvieri, Megaceroïdes algericus, de l’ours et de Camelus dromedarius représenté par une mandibule portant plusieurs molaires et une canine, une phalange et un métatarse. Il n’y a ni éléphant, ni hippopotame. Retaïmia Gisement en grotte de la région de Relizane, détruit dans sa plus grande partie par l’utilisation du dépôt archéologique comme engrais, les lambeaux résiduels de Retaïmia ont fait l’objet de prélèvement par M. Dalloni. Il en a retiré des nucléus volontiers discoïdes, du débitage dont l’indice Levallois atteint 33 et 12 pour l’indice Levallois typologique. L’outillage est riche en racloirs, 66 %, avec prédominance des formes simples rectilignes, forte représentation des formes convexes et convergentes qui peuvent être déjetées, bonne représentation des formes transversales. L’indice charentien est ici sensible, 20. Avec 8 %, les pointes moustériennes sont bien représentées ; les encoches et denticulés atteignent 15 %, les retouches abruptes sont utilisées, 7 %. L’indice paléolithique supérieur ne dépasse pas 5. J. Tixier1 voit dans la présence de petits racloirs déjetés, l’emploi de retouche écailleuse, le choix des matériaux, à plus de 90 % le silex, des éléments de comparaison avec le moustérien du djebel Irhoud, ce qui le rapprocherait d’un moustérien typique. Rhafas La grotte du Rhafas s’ouvre au pied d’une falaise dominant l’une des vallées des Monts d’Oujda au Maroc oriental. Mentionnée par J. Marion dans les années 50, la couche archéologique fut étudiée en 1978 par L. Wengler. Les fouilles montrèrent sur une épaisseur de 4,5 m, une succession de niveaux meubles et de croûtes carbonatées, ce qui traduit un climat plutôt doux et humide entrecoupé de phases sèches et froides, l’amenant à reconnaître 101 niveaux qu’il rapporte à trois ensembles culturels. Le Moustérien occupe la base des dépôts, il se développerait de l’interstade Tensiftien-Soltanien à la fin de l’interstade soltanien II-III. Il est surmonté d’une occupation atérienne, laquelle est suivie d’une occupation néolithique, le passage Moustérien-Atérien se faisant progres1 .- Le détail de cette industrie a été présenté lors du colloque de Maghnia en novembre 1989, il est regrettable qu’il n’ai pas été publié.
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Sahara préhistorique sivement, Atérien-Néolithique montrant une importante lacune sédimentaire. Les données obtenues par thermoluminescence et OSL rapportent l’occupation moustérienne antérieurement à 100000, elle aurait duré jusqu’à 90-80000 voire 70000, moment où se ferait le passage à l’Atérien. L’auteur distingue une succession de niveaux moustérien typique et type Ferrassie1, la différence entre les deux résulte essentiellement d’un indice Quina très bas dans le Moustérien type Ferrassie. Le niveau inférieur, extrêmement pauvre, comporte un biface, il est rapporté à un Moustérien typique à bifaces. Lui fait suite, une succession de niveaux (ensemble III) riches en racloirs. Globalement durant l’occupation, les décomptes montrent leur nette régression avec un indice voisin de 50 dans les couches 65 à 6, rapportées à un Moustérien type Ferrassie, s’abaissant à partir de la couche 5 où il n’atteint que 20 %, ce que l’auteur rapproche du Moustérien typique et rapporte au Soltanien II. Cette régression se poursuit à l’inter-glaciaire II-III dans une industrie proche du type Ferrassie. C’est dans ce contexte que se ferait le passage à l’Atérien, par un « Proto-atérien » illustré dans le niveau 3a et le site Sans nom, dans lesquels cet indice augmente. La réduction est surtout compensée par une augmentation sensible des pièces Levallois restées brutes et légère des denticulés. Le matériel est issu d’un débitage Levallois récurrent, avec développement d’autres modes de débitage et diminution de la dimension des éclats dans les derniers stades ; toujours le plus employé, ce débitage offre néanmoins des maxima lors des phases interglaciaires. Les lames, peu nombreuses, 5 à 9 %, sont en discrète et constante augmentation. Les racloirs dominent, à la fois par leur nombre et leur diversité typologique. L’indice paléolithique supérieur atteint presque 8. Dans le niveau 6, en fin d’intersoltanien I-II (Wurm I-II), des pièces esquillées apparaissent. Une pièce pédonculée intervient sporadiquement, indifféremment en milieu moustérien typique ou de type Ferrassie. Un nombre sensible de pièces, en particulier d’outils, plus rarement de nucléus, a connu une action thermique qui se traduit par des craquelures, des cupules et un aspect mat. Des retouches ont parfois été faites après ce passage au feu, toutefois les couches qui les contenaient n’ont pas livré de foyer et les restes charbonneux y étaient rares. L. Wengler reconnaît une évolution culturelle et une adaptation au climat. L’évolution culturelle se lirait dans une fluctuation graduelle et asynchrone des divers types d’outils. L’adaptation au milieu se marquerait dans les techniques de débitage -indice de facettage et indice d’abrasion plus bas, angle d’éclatement moins obtu en interglaciaire-, et le choix des matériaux -emploi de roches à grains fins : silex, calcédoine, schiste vert silicifié, durant les inter-glaciaires soit les phases humides, à grains grossiers : quartzite vert, tuffite, durant les phases glaciaires soit les phases arides-. Les éclats Levallois sont alors moins nombreux, mais de façonnage plus soigné avec égrisage des corniches à même de réduire les accidents de taille en renforçant le bord du nucleus et évitant une percussion trop marginale. Durant l’aride du Soltanien II, de grands éclats minces ont été recherchés d’où un abaissement de l’indice Levallois, un même volume de matière première livrant un nombre moindre d’éclats ; la nécessité 1 .- Cf Annexes p. 362.
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Une période mal connue, le Paléolithique moyen de grands nucleus aurait développé l’usage des quartzite et tuffite du seul fait de leur aspect à l’affleurement. Dans ce contexte, la création d’un pédoncule apparaît comme une innovation intervenant de temps à autre. Cette innovation reste sans lendemain jusqu’à l’inter-Soltanien II-III où elle prend de l’importance. De petits campements établis sur les berges de l’oued El Haÿ d’où proviennent des ensembles industriels voisins, ont permis à L. Wengler, en s’appuyant sur l’approvisionnement en matière première, d’accorder aux occupants du Rhafas, un territoire se prolongeant jusqu’à une centaine de kilomètres au sud, dans la zone steppique. La végétation identifiée oscille entre la steppe et la forêt méditerranéenne avec Pinus halepensis, Tetraclinis articulata (thuya), Olea europea (oléastre), Quercus ilex et Q. coccifera (chêne vert et kermès) indiquant un climat semiaride plus pluvieux que l’actuel. La faune se singularise par la présence d’autruche. Elle est riche en Equus sp ou mauritanicus, renferme Alcelaphus buselaphus, Gazella sp, Ceratotherium simum, Oryctolagus. Bos primigenius a été identifié dans les niveaux supérieurs. Stations Météo Plusieurs sites se trouvent en bordure de l’oued el Haÿ, non loin de la station météo d’Aïn Beni Mathar. Le Site 11, en rive droite de l’oued, couvre 200 à 300 m2 au sommet d’une sédimentation rapportée par L. Wengler à l’intersoltanien II-III. Sa position en surface résulte d’un dégagement par l’érosion. Le matériel est travaillé dans des roches venant des Monts d’Oujda ou des environs, en particulier des calcédoines. Le débitage est abondant, de dimensions modestes avec un fort pourcentage de pièces Levallois. Les nucleus pour les deux tiers Levallois, traduisent surtout l’emploi d’un débitage récurrent centripète. L’outillage, laminaire, est marqué pour moitié par l’abondance des racloirs, en particulier simples convexes, les pointes et les lames sont rares et il renferme deux pièces foliacées jusque là connues seulement dans des ensembles industriels atériens. L. Wengler y voit un Moustérien type Ferrassie1, dont les traits se retrouvent dans divers sites de ce secteur : Site 3, Site sans nom2 dans lequel l’auteur a pu proposer un proto-atérien. Sidi Zin A Sidi Zin, près du Kef, en Tunisie, l’industrie a été rencontrée à la pointe d’un éperon, dispersée dans un tuf de 60 cm d’épaisseur qui coiffe trois niveaux superposés appartenant au Paléolithique inférieur. La base des tufs encroûte un mince niveau de galets apportés par les derniers occupants acheuléens. La masse des tufs a livré de la faune ainsi que des pièces (environ 80) taillées sur silex et quartzite qui, d’après E.G. Gobert, seraient de « facture moustérienne ». De petits racloirs constituent les trois quarts de l’outillage ; ils s’accompagnent de pointes très épaisses, de quelques petits bifaces et de pièces attestant l’usage de la retouche abrupte. 1 .- Cf Annexes p.362 et 375 2 .- Voir Annexes p. 375.
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Sahara préhistorique Taforalt La grotte des Pigeons à Taforalt dans l’Est marocain, est un des sites les plus importants du Nord de l’Afrique. Vaste, elle s’ouvre au pied d’une falaise dans le massif des Beni Snassen et comporte une couche anthropique de plus de 6 m d’épaisseur. Signalée en 1908 par le Dr Pinchon, A. Ruhlmann en entreprit les fouilles en 1944, elles furent reprises dans les années 50 par J. Roche, et récemment par A. Bouzouggar de l’Institut National des Sciences de l’Archéologie et du Patrimoine (INSAP) et N. Barton de l’Université d’Oxford. La base des dépôts a livré, au-dessous d’un niveau atérien, une industrie où le débitage Levallois occupe une large place et où de nombreux outils sont faits sur pièce Levallois. Les talons dièdres y sont nettement moins nombreux que dans les couches sus-jacentes. L’indice laminaire est fort. L’aménagement des pièces a essentiellement conduit à des types élaborés, il est rare qu’il se soit limité à quelques retouches. Les racloirs dominent largement avec une préférence marquée pour les formes simples convexes ou, à un degré moindre, droites ; les racloirs déjetés représentent 5 % des outils. Il y a peu de grattoirs, aucune pointe à retouches bifaciales partielles1. La séquence serait antérieure à 90000. La présence d’un niveau moustérien peu développé, sous-jacent à l’Atérien, se retrouve à Témara, grotte des Contrebandiers, au Mugharet el Aliya.
Le Moustérien nubien, faciès propre à l’Egypte et au Soudan En Nubie, quelques détails tels qu’un débitage Levallois original, ont conduit J. et G. Guichard à distinguer ce Moustérien de celui d’Europe et à le nommer Moustérien nubien. Les sites sont petits, occupant des surfaces de 100 à 200 m2 où la densité d’objets est forte, de l’ordre de 120 au m2 avec une moyenne d’outils de 10 à 15 %. Tout comme à l’Acheuléen, la Nubie de cette époque aurait constitué une province distincte où ces ensembles industriels se placeraient dans un paysage de savane. Le Moustérien nubien est proche du Moustérien typique mais n’en possède pas l’abondance des racloirs dont l’indice flotte entre 15 et 25. Il en diffère aussi par la présence de pièces du Paléolithique supérieur qui constituent entre 15 et 25 % de l’outillage ; ce sont des grattoirs sur bout de lame, des burins, des perçoirs. Les nucléus Levallois prédominent mais l’indice typologique Lty tout comme l’indice Levallois IL reste faible ; les divergences notées dans les sites connus reposent essentiellement sur son développement plus ou moins important. Les indices de facettage IF et IFs sont variables, l’indice laminaire Ilam bas. La retouche est habituellement de qualité médiocre. Il peut y avoir des couteaux à dos assez peu typiques ; il n’y a pas de pointe Levallois qu’elle soit ou non retouchée. Les pièces denticulées sont toujours bien représentées. La présence de bifaces dans certains sites (sites 6 et 121, Jebel Brinikol) a conduit à subdiviser le Moustérien nubien en deux types, A sans biface, B avec biface. Peut-être y a-t-il lieu de rapprocher ce dernier du Moustérien de tradition acheuléenne. Les bifaces sont petits, leur présence va de pair avec un faible indice 1 .- Cf la structure du sac à outils en Annexes p. 373.
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Une période mal connue, le Paléolithique moyen paléolithique supérieur, un nombre important de nucléus discoïdes ou « marginaux », de nombreux racloirs. En 1990, P. M. Vermeersch et al en rapprochaient les sites de la vallée du Nil, tels Nazlet Khater. Nazlet Khater : NK1, 2, 3 Dans la vallée du Nil, entre Assiout et Nag Hammadi, les sites sont constitués d’un regroupement de nucléus et d’éclats obtenus pour la plupart par débitage Levallois, Levallois classique pour NK2 qui est rapporté au groupe K, nubien pour NK1 et NK3 rapportés au groupe N. A NK2 comme à Nazlet Safaha ou Beit Allam, les nucléus à un ou deux plans de frappe opposés sont bien représentés. L’indice laminaire est conséquent. Ces ensembles montrent une grande fréquence des encoches et denticulés, les racloirs y sont peu nombreux et quelques outils du Paléolithique supérieur y existent, plus fréquemment dans le groupe N. Les sites NK1 et NK3 possèdent une pointe à retouche inverse couvrante à l’extrémité distale, portant une coche sur l’un des bords qui est dite pointe de Nazlet Khater (fig. 43). Les matériaux proviennent des terrasses du fleuve. A Nazlet Safaha, P.M. Vermeersch et al ont découvert des tranchées de 1,80 m de profondeur qui permettaient d’atteindre les galets d’une terrasse sousjacente à un dépôt de sable éolien. La présence de déchets de débitage montre une exploitation sur place et non le simple prélèvement des galets. NK2 a livré les restes de deux individus dont un bien conservé provenant d’un homme jeune. Sites 6 et 121, Jebel Brinikol C’est à une dizaine de kilomètres au nord de Wadi Halfa, au sommet de buttes qui jalonnent la rive droite du Nil, que A.E. Marks découvrit ces gisements. Il les attribua au Moustérien nubien type B. Ils ne se distinguent des sites de type A que par la présence de bifaces. Le site 6 qui a livré plus de 2000 pièces en quartzite dont quelque 300 outils1 en a fourni 11. Les racloirs préférent les formes convexes. Les denticulés sont soigneusement façonnés. La fréquence de ces deux groupes est comparable, ce qui est un trait du Moustérien nubien type A. Parmi une nette dominance de nucléus Levallois, un nucléus pyramidal est signalé. Les produits de débitage Levallois restent toutefois modestes, ce sont surtout des éclats rectangulaires ou parfois allongés, voire quelques lames. Les talons sont facettés sans pour autant éliminer les talons plans. Le site 121 n’a fourni qu’une centaine de pièces et un seul biface2. L’ensemble qui provient du Jebel Brinikol regroupe plus de 500 pièces3 parmi lesquelles, les pièces Levallois sont nombreuses ; les racloirs utilisent volontiers une retouche inverse, ils sont bien représentés tout comme les denticulés. Les bifaces sont toujours minces, évoluant vers les pièces foliacées. 1 .- Cf détail Annexes p. 365. 2 .- Cf détail Annexes p. 366. 3 .- Ce matériel a été partagé entre divers spécialistes qui ont étudié séparément l’ensemble qui leur était confié. En aboutissant à des conclusions semblables, ils ont souligné la fiabilité des techniques d’études et montré que des séries de l’ordre de 150 pièces donnaient les mêmes résultats que celles en comportant trois fois plus. Cette question de la dimension des échantillons significatifs est également traitée dans Méthodes d’approche de la préhistoire saharienne. 1990 (1995).
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Sahara préhistorique Sites 1036, 1038 et 1010-8 A.E. Marks rapporte au « Nubian Mousterian type A », une série de gisements qui, au nord de Wadi Halfa, occupent les sommets ou les pieds de buttestémoins longeant la vallée du Nil (Sites 1010-81,10332, 1035, 10363, 1037, 10384). Plusieurs, dont 1036 et 1038, se placent au pied de la même butte, à une dizaine de kilomètres de la ville, 1010-8 se situe à moins de 10 km à l’est. Tous ces sites semblent en relation avec les affleurements de matière première. Dans le Site 1033, deux niveaux ont été identifiés qui ne montrent pas de différences significatives. Des nucléus, petits, de diverses formes se trouvent dans chaque site avec des proportions qui changent d’un site à l’autre. Les nucléus Levallois sont fréquents, mais l’indice Levallois reste modeste ; une variante, le nucléus nubien, manque en Site 1036 alors qu’il est des plus courant en Site 1038. Les éclats sont eux aussi de petites dimensions, l’apex est souvent arrondi, le bulbe proéminent. L’outillage fait une large part aux denticulés et racloirs, ceux-ci comprennent de nombreuses formes parmi lesquelles se distinguent les formes concaves et les aménagements de face plane qui peuvent conduire à des racloirs alternes. Les perçoirs, grattoirs, des éclats tronqués sont assez fréquents.
La question d’un Middle Stone Age Créé en 1928-29, le terme Middle Stone Age (MSA) est utilisé en Afrique sud saharienne pour nommer les industries façonnées sur éclat, les distinguant des industries à bifaces dites Early Stone Age et des industries à lames et microlithes dites Later Stone Age5. Nombre d’auteurs ont souligné l’ambiguïté du terme que l’on assimile au Paléolithique moyen alors qu’il ne recouvre pas réellement le même créneau chronologique6. Dans la vallée du Nil, Van Peer et al attribuent au MSA, les dépôts sangoens et lupembiens reconnus dans l’île de Saï. Au Site 8-B-11, le niveau acheuléo-sangoen est tronqué par des alluvions qui renferment trois niveaux d’occupation de type Lupembien. Dans le Sahara méridional, il a été employé parfois pour qualifier de petits sites de surface, omniprésents, comparables à ceux nommés « Levalloiso-moustérien » au Sahara central. Leur position stratigraphique telle que la géomorphologie pourrait la préciser, n’a encore donné lieu à aucune étude. J. et M. Gaussen ont parlé de « post-Acheuléen » à leur sujet. Dans la vallée du Tilemsi, ces mêmes auteurs ont ainsi qualifié des sites et montré qu’ils pouvaient aussi s’étaler sur de vastes surfaces. T-A 60, à une soixantaine de kilomètres de Télataye, couvre un hectare. L’industrie est taillée dans un silex dont de gros blocs sont épars sur une partie du site. Elle se caractérise par une large utilisation de la technique Levallois, la présence de pointes 1 .- Cf Annexes p. 366. 2 .- Cf Annexes p. 365. 3 .- Id. 4 .- Id. 5 .- Certains auteurs nomment MSA le Mésolithique, réservant l’appellation ESA au Paléolithique et LSA au Néolithique, son emploi prêtant ainsi à confusion. 6 .- Les subdivisions en mode proposées par G. Clark sont actuellement les seules à permettre une réelle dissociation.
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Une période mal connue, le Paléolithique moyen Levallois, l’abondance des pièces foliacées, parfois taillées sommairement au percuteur dur. Les outils tels que racloirs, burins, grattoirs, perçoirs, couteaux sont très rares, de mauvaise venue. Une armature qui a reçu le nom de pointe de Chattaoueli (fig. 43) s’y rencontre. Au Niger, dans la vallée de la Mékrou, divers sites ont été identifiés dans des cuvettes profondes d’une vingtaine de mètres. Ils se placent 4 à 5 m au-dessus de l’industrie acheuléenne et proviennent, tout comme elle, d’un niveau à gravillons qui marque un autre moment d’aridité du climat. La matière première est issue de galets de silexite ou de rognons de quartzite se trouvant dans la région, non loin des sites. Ces gisements possèdent tous des nucléus Levallois, discoïdes et globuleux dont les proportions varient de l’un à l’autre et qui ont fourni une dominante d’éclats, rarement des lames. En raison d’une chronologie délicate à établir, le terme MSA a été préféré à Paléolithique moyen, même si l’industrie est typiquement paléolithique moyen, sa position stratigraphique suggère qu’elle ait longuement perduré. L’étude menée par Oumarou Amadou Ide souligne un débitage en majorité récurrent, linéal dans le seul site F.8, la présence de formes pyramidales en F.4 et H.9. Les pièces corticales sont nombreuses, la face supérieure des éclats souvent marquée de plusieurs facettes souligne l’intervention de débitage centripète. Les talons sont essentiellement lisses. L’outillage est en grande partie fait d’éclats et pointes Levallois non retouchés auxquels s’adjoint un nombre jamais important d’outils façonnés. Mékrou F. 7 En 12° 16’ 26,3 N et 2° 27’ 56,2 E, le site F.7 se présente sous l’aspect d’une légère éminence de 114 x 165 m. La densité de matériel est forte sur 60 x 15 m, avec, par endroits, de véritables amas de débitage. L’ensemble lithique est taillé pour l’essentiel dans un silex jaspé provenant de plaquettes souvent épaisses amenées sur le site pour y être travaillées. Les quartzites peu utilisés ne se présentent qu’en éléments cassés, 77, le quartz est présent, plus de 80 % des 372 pièces analysées, est en jaspe. Ce matériel comporte de rares nucléus Levallois, la plupart étant quelconque ou, certains, discoïdes ; malgré ce peu d’éléments Levallois, Oumarou A. Ide note une parfaite maîtrise de la technique. Le débitage comporte pour moitié des pièces de faciès Levallois typique, le quart atypique. Les talons lisses sont largement majoritaires. L’outillage retouché1 connaît une dominance des encoches, sans qu’elles atteignent 15 %, les racloirs ne sont pas plus nombreux que les grattoirs 4 %, ils sont plutôt de type simple convexe, les denticulés sont particulièrement rares, moins de 2 %. Mékrou H.4 Le gisement se trouve par 12° 14’ 13,8 N. et 2° 22’ 19,5 E., dans une grande cuvette en forme de trèfle. Le matériel récolté, 212 pièces, était réparti de façon homogène sur de petites buttes qui parsèment une partie de la cuvette. A leur pied, les éclats de débitage bruts sont fréquents. Les nucléus, peu nombreux, se1 .- Cf Annexes p. 367.
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Sahara préhistorique raient plutôt discoïdes ou globuleux malgré la production d’un certain nombre de lames. Ils s’accompagnent de galets de phtanite, rognons de silex et de quelques galets de quartz. Le débitage montre des talons lisses ou facettés, des bulbes marqués. Le matériel Levallois brut constitue plus de 60 % de l’outillage, les racloirs qui sont les outils prédominants bien qu’atteignant à peine 10 %, sont pour la plupart façonnés sur pièces Levallois ; près de la moitié est simple droit. Les retouches sont subparallèles ou écailleuses. Les encoches sont deux fois plus fréquentes que les denticulés. Les outils retouchés portent le plus fréquemment une retouche abrupte et elle affecte préférentiellement le bord gauche. Un certain nombre d’outils -grattoirs, perçoirs, couteaux- est atypique. Des pièces foliacées bifaces constituent l’élément le plus original. Mékrou H.9 Situé par 12° 13’ 02,8 N. et 2° 22’ 56,1 E., le gisement s’étale sur une vaste surface de 1 à 2 km de long, de plus de 500 m de large. Il repose sur un replat structural au fond d’une cuvette proche des bords de la rivière. L’industrie montre une distribution très hétérogène avec des zones de densité 20, d’autres de l’ordre de 4-5, voire moins. Talons lisses et facettés sont en proportions comparables. L’outillage analysé comporte près de 350 pièces1 essentiellement en quartzite, parfois en silexite, exceptionnellement en silex jaspé qui, à l’inverse des autres matériaux, est très rare dans la région. Cet outillage ne diffère guère de celui du site F.4, petit site d’une cinquantaine de m2, peu éloigné. On trouve la même représentation des pièces Levallois avec un mode d’extraction centripète. Les talons lisses prédominent, bien que les facettés soient nombreux. Les racloirs, 4 %, sont à peine plus nombreux qu’en F.4, les encoches et denticulés aussi rares, mais on n’y trouve pas de grattoirs alors que des perçoirs et des couteaux sont présents. Une pièce atteste l’emploi de retouche bifaciale. Ce gisement est le seul qui ait fourni un certain nombre de disques, pièces dont le bord est parfois entaillé par de petites coches. Mékrou T.15.04 En T.15.04, seul le quartzite est utilisé. Les nucléus Levallois semblent avoir fait l’objet d’un débitage intensif jusqu’à être transformés en nucléus discoïdes. La préparation centripète paraît courante et le mode unipolaire est attesté. Les talons lisses sont majoritaires, les bulbes souvent très prononcés. La série comporte nombre de pièces corticales même parmi les pièces façonnées. Quelques pièces ont été faites sur galet. Les outils disposent d’une majorité de grattoirs et racloirs, comportent quelques encoches et pointes. Les racloirs ne privilégient aucune forme, mais sont toujours sommaires, à front court passant à un denticulé.
1 .- Cf Annexes p. 367.
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Une période mal connue, le Paléolithique moyen
Encore mal connu, le Paléolithique moyen s’avère complexe, marqué par l’emploi courant d’un débitage prédéterminant. Il se retrouve dans nombre de petits sites qu’il est difficile de catégoriser. Longtemps supposé absent, le Moustérien reste rare, ce qui doit, en partie, être mis en relation avec une période à forte pluviosité qui a suivi son déploiement et a pu détruire une grande partie des gisements. Le Moustérien du Nord de l’Afrique est composé d’ensembles industriels semblables à ceux d’Europe occidentale, y compris dans leur diversité. Ils se caractérisent par la haute fréquence du débitage Levallois, l’abondance des racloirs ; ils montrent des caractères plus particuliers dans les régions méridionales où les pièces foliacées qui l’envahissent, pourraient traduire des similitudes avec le Lupembien d’Afrique méridionale, si cette particularité n’affectait pas, aussi, le Moustérien marocain. Le Moustérien offre des faciès variés tout en cotoyant des ensembles industriels voisins, en Nubie, le Khormusien, en Egypte, le Kharguien lequel est souvent contesté. D’autres ensembles ne sont connus que par de rares gisements et n’ont reçu aucune appellation spécifique. Quant aux industries dites «Levalloiso-moustériennes», en l’état des connaissances, elles ne peuvent être rapportées à aucune culture, elles traduisent seulement un comportement des hommes du Paléolithique moyen. Ici, le Moustérien n’est pas porté par l’homme de Néanderthal, mais autant à l’ouest qu’à l’est, par un sapiens archaïque dont l’allotochnie n’est pas démontrée et aucun argument ne s’oppose à une autotochnie. Des ensembles industriels qui n’ont aucun similaire en Eurasie, lui succèderont, l’Atérien à l’ouest, le Complexe nubien à l’est. Des ensembles industriels voisins Le Moustérien et ses multiples variantes ne sont pas les seules cultures qui succèdent à l’Acheuléen. Au Sahara, divers autres ensembles industriels occupant une position chronologique comparable ont été mentionnés : Paléolithique moyen nubien, Paléolithique moyen à denticulés, Khormusien. La réalité du Kharguien duquel peuvent se rapprocher des industries du M’zab a été contestée. Des ensembles industriels orphelins, comme celui identifié au Site Dédé en Ahaggar, témoignent eux aussi d’autres façons d’être. P. M. Vermeersch et al regroupent le Moustérien avec le Paléolithique moyen nubien -groupe N, Khormusien, Atérien à denticulé-, en un complexe techno-typologique qu’ils nomment « Complexe nubien ». Il se caractérise par une industrie standardisée, l’utilisation des débitages Levallois et Levallois nu-
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Sahara préhistorique bien type 1 à préparation distale et type 2 à préparation latérale. Il se développerait de 128000 à 74000 (OIS 6 et 5) et est subdivisé en deux phases, ancienne qui conserve l’usage de bifaces et récente. Parallèlement se développerait un « Lower Nile Valley Complexe », ensemble industriel regroupant le Moustérien à denticulés avec le Paléolithique moyen à denticulés et le groupe K. Il se caractérise par des nucleus Levallois centripète passant à un débitage bidirectionnel de lames, riche en denticulés. P. Van Peer lit ces deux ensembles comme des adaptations écologiques, le Lower Nile Valley complexe aurait été adapté au fleuve et s’enracinerait dans l’Acheuléen, le Complexe nubien se développerait sur les plateaux et pourrait trouver son origine dans le Stillbay1. Le Paléolithique moyen nubien Cette industrie qui fut définie par J. et G. Guichard montre un indice Levallois élevé, supérieur à 40. La méthode paralevallois, fréquente dans le Moustérien, s’y rencontre rarement ; elle est connue dans des sites tels que 622, 503, 507, 410, Arkin 5. L’indice de facettage est également élevé, celui de lame faible. Les racloirs prédominent, la présence de bifaces est possible. Des pièces caractéristiques dont l’association prend valeur de fossile directeur consistent en nucléus nubiens type II (le type I se retrouvant dans le Moustérien typique), racloirs nubiens. Des pièces foliacées semblables à celles qui se rencontrent dans les industries atériennes, mais aussi stillbayennes, sangoennes ou lupembiennes, sont connues dans divers sites. Arkin 5 En rive gauche du Nil, proche de Arkin 6, le site a livré près de 10000 pièces taillées2 dans un quartzite local. Elles proviennent d’un niveau subhorizontal inclus dans des sables, en partie disséqué par des écoulements. Les fouilles ont montré trois concentrations de matériel de 3,5 m de diamètre dont une partiellement limitée par de petits blocs gréseux. L’ensemble industriel, largement dominé par des pièces simplement débitées et des pièces inachevées, a été interprété comme provenant d’un « lieu de débitage » et non d’un habitat. Le débitage Levallois est courant, les talons des éclats sont en majorité facettés, suivis de près par les talons lisses ; les bifacettés sont rares. Les retouches semi-abruptes et planes sont fréquentes. Des pièces foliacées, nombreuses, et des bifaces qui sont de petites pièces à peine plus épaisses que les pièces foliacées mais à enlèvements plus vastes, figurent chacun pour 30 %. Les racloirs qui évoquent parfois la limace, ne dépassent pas 20 %, l’ensemble denticulés-coches 15 %, les troncatures 5 %, les grattoirs, pièces atypiques parfois concaves, 2 %. Site 503 Situé près de Wadi Halfa, au sommet d’un inselberg de rive droite du Nil, ce petit site bien délimité a fourni 56 bifaces associés à des éclats, des outils et à de nombreux nucléus. Les bifaces mesurent une dizaine de centimètres de long, ils sont soigneusement retouchés donnant des formes ovalaires, amygda1 .- Faciès du Middle Stone Age à débitage Levallois, éclats et lames retouchés, pointes, pièces foliacées développé en Afrique du Sud. 2 .- Cf Annexes p. 366.
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Une période mal connue, le Paléolithique moyen loïdes, lancéolés et cordiformes. Le débitage est pour le tiers Levallois, IL = 38. L’indice laminaire est bas Ilam = 6, celui de facettage élevé IF = 52 et IFs = 37. L’outillage comprend des pointes Levallois, encoches, denticulés, grattoirs et une majorité de racloirs. Site 622 Vu comme témoin de ce faciès original par J. et G. Guichard, le site 622 offre une intéressante stratigraphie avec trois niveaux archéologiques montrant une dégradation de la qualité des outils. Installé sur une butte sableuse de bord du Nil, non loin de Mirgissa, le gisement couvre une surface de 150 x 80 m en haut d’un versant. Le plus ancien niveau se place dans une phase semi-aride évoluant vers l’aride avec pluies tropicales, le niveau médian appartient à la période de transition vers l’humide et le plus récent à une nouvelle phase aride. D’un niveau à l’autre, le matériel archéologique ne témoigne pas de divergences majeures. Le débitage clactonien est fréquent. Les encoches et denticulés prédominent, formant jusqu’à la moitié des outils et portant souvent de grosses coches clactoniennes. Le nombre de racloirs décroît de la base au sommet ; ils appartiennent parfois au type transversal et font passage à des grattoirs. Les éclats à retouche inverse sont fréquents. Les pointes Levallois sont rares de même que les grattoirs et les burins. Alors qu’ils manquent dans les niveaux inférieurs, de petits bifaces se trouvent dans le niveau supérieur, soulignant de même qu’en Europe une évolution industrielle non linéaire. Un Paléolithique moyen à denticulés Dans le Sahara égyptien méridional, des ensembles industriels riches en denticulés et possédant des pièces foliacées ont été distingués d’un Moustérien à denticulés en raison de la présence de ces pièces et de leur ancienneté. Nommés Paléolithique moyen à denticulés, ils sont bien connus dans les dépressions de Bir Tarfawi, Bir Sahara et l’on peut en rapprocher le site 440, près de Khor Musa1. Les cuvettes de Bir Tarfawi et Bir Sahara et leurs particularités ` Les cuvettes de Bir Tarfawi et Bir Sahara, 400 km à l’ouest du Nil, se trouvent dans la zone la plus aride du Sahara égyptien. Tout comme dans le désert libyen, les sites du Paléolithique moyen2 y sont nombreux, la plupart bordant des niveaux d’anciens lacs. Entre 175000 et 70000, six lacs successifs auraient été alimentés par des précipitations de l’ordre de 500 mm/an. A Bir Tarfawi, le site E-88-1, daté de 175000, serait associé au lac le plus ancien. Son industrie ne diffère guère de celle des autres gisements ; elle est dominée par les denticulés (GIV = 39,5) et les pièces Levallois brutes (ILty = 27,4). Le groupe moustérien est faible (GII = 8,9) ainsi que l’indice charentien (IC = 3,2). Les sites E-86-1, E-87-1, E-87-4, associés à la « cuvette limoneuse » datée d’environ 160000, sont rapportés par F. Wendorf et R. Schild, à un Paléolithique moyen à denticulés. ce sont de petits sites d’environ 250 m2 qui renferment une centaine de pièces façonnées dans un grès ferrugineux affleurant 1 .- Cf ci-dessus p. 367. 2 .- L’attribution de certains d’entre eux à l’Atérien qui reposait essentiellement sur la présence de pièces foliacées, n’a pas été maintenue (Sites E-86-1, E-86-2, E-86-3, E-86-4).
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Sahara préhistorique à une dizaine de kilomètres. Ils sont riches en nucléus Levallois manqués, en éclats de préparation des nucléus, en éclats Levallois, ils sont pauvres en outils autres que les denticulés qui constituent plus de la moitié des pièces retouchées avec une grande variété de formes. Les racloirs oscillent autour de 5 %. A Bir Sahara, l’ensemble industriel BS111, tiré pour l’essentiel de grès nubiens que l’on trouve à une vingtaine de kilomètres, comprend une dizaine de bolas, il est très fortement dominé par les denticulés, plus de 50 %, dont les formes sont variées ; les encoches et surtout les racloirs sont peu nombreux. Ces gisements apparaissent aux auteurs comme des sites intermédiaires entre les sites d’habitat et les gîtes qui ont fourni la matière première et où les nucléus étaient sommairement dégrossis. Sur ces gisements, la préparation des nucléus aurait été achevée. D’abondants restes osseux de gazelles, antilopes, bovidés, rhinocéros2 dont il manque les membres et les ceintures, ont été trouvés sur certains et laissé penser qu’il pouvait s’agir de sites de boucherie. Les lacs les plus récents, les lacs Gris et Olivâtre datés entre 130000 et 70000, seraient associés à des gisements où les pièces foliacées sont fréquentes et dont la partie supérieure affleurante a parfois été rapportée à l’Atérien en raison de la présence, à leur surface, de pièces à pédoncule. Mais dans la plupart des cas, il s’agirait d’un aménagement sommaire qui rétrécit la base de la pièce et qu’il est délicat d’assimiler à un pédoncule typique de l’Atérien. BT143 est le site le plus important de la dépression de Bir Tarfawi. Situé dans la partie septentrionale, il est associé aux lacs Gris 1 et 2. Il fut occupé périodiquement durant la saison sèche. Les inondations des périodes de pluies ont eu tendance à mélanger les niveaux d’occupations, faisant ainsi perdre le détail des séquences archéologiques. Vue globalement, la formation est riche en outils, denticulés ou racloirs selon la zone. Les grattoirs sont rares. Quelques pièces foliacées existent. Quelques pièces (< 0,1%) à pédoncule atypique, provenant de la surface, évoquent une industrie atérienne. Les nucléus et les produits de débitage sont peu nombreux, le débitage Levallois est employé. A la base de la séquence se trouvaient une molette et de grandes meules, certaines polies, d’autres piquetées pourraient être des enclumes. Aucune ne porte trace d’ocre. D’abondants restes osseux étaient associés au matériel. Ils se rapportent pour la plus grande part à des gazelles et des antilopes, quelques uns proviennent d’autruche, rhinocéros blanc, d’une girafe et probablement de bovins. L’absence des membres antérieurs, du bassin suppose qu’il s’agit de lieux de dépeçage. La dispersion des restes archéologiques montre des zones à concentration osseuse et des zones où leur densité est très basse. Il ne peut s’agir de remaniements dus aux inondations : avec les concentrations osseuses, on trouve systématiquement du matériel ; peu abondant, il dispose d’un fort pourcentage de pièces retouchées toujours dominées par les denticulés, plus de 35 %, puis les racloirs, plus de 15 %, et moins de pièces Levallois que dans les autres zones. E-86-2 est associé à un lac daté de 90-70000. L’industrie est dominée par les groupes I = 41,9 et IV = 36,2, montrant l’importance accordée aux denti1 .- Cf Annexes p. 367. 2 .- A Bir Sahara, un os de chameau, probable Camelus thomasi, a également été retrouvé. 3.- Cf composition du sac à outils en Annexes p. 366
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Une période mal connue, le Paléolithique moyen culés ainsi qu’aux pièces Levallois malgré un indice Levallois faible, IL = 3,1. Les indices racloir et charentien sont très proches IR = 3,8, IC = 3,3. Les pièces foliacées, tout comme les outils de type paléolithique supérieur, atteignent 1,4 %. Le Khormusien Connu dans la région de Wadi Halfa, sur la rive droite du Nil, dans une zone de dunes et sables fluviatiles proches du Nil, il a été nommé d’après le site 10171 des environs de Khor Musa Pasha. Les sites 34A2, 34D3, ANW-34 et 20045 lui sont attribués. Il se retrouverait à Kubbaniya (E-82-4). Les vestiges occupent en bord de fleuve, des sites vastes, 100 m de diamètre estimé, où la densité de pierres, faible, renverrait à de multiples installations de petits groupes de chasseurs et surtout de pêcheurs que suggère l’abondance de la faune avec des restes de grands animaux et de poissons. Des roches variées, grès, quartzites, quartz, calcédoines, bois fossiles, rhyolithes... ont été employées avec, pour le façonnage des burins, une préférence marquée pour la calcédoine. Le débitage Levallois, courant (66 % des nucléus dans le site 34A où il est le plus fréquent, à 40 % dans le site 2004 où son indice est le plus bas), a produit essentiellement des formes en pointe ou ovale. Les éclats Levallois prédominent et plus de la moitié des outils consiste en pièces Levallois non retouchées. La méthode nubienne II y connaît une position forte. L’industrie (fig. 45) renferme de nombreuses pièces à talons facettés, utilise peu une retouche bifaciale. L’outillage est marqué par le développement des burins qui sont soigneusement façonnés et de types variés ; seul le site 34A se singularise par sa pauvreté en burins et une grande richesse en racloirs. Ceux-ci, ainsi que les grattoirs sont toujours présents, mais habituellement en petit nombre. Les denticulés peuvent être fréquents, les encoches plutôt rares. Il n’y a ni retouche abrupte, ni microlithe géométrique, ni pièce bifaciale. Les sites khormusiens renferment quelques objets en os poli, mais aucune meule ou molette. Le Khormusien, un temps supposé apparaître entre 30000 et 25000, est considéré actuellement par certains auteurs comme bien antérieur à 40000, le site 34D, vu par A.E. Marks comme l’un des plus récents, ayant fourni l’indication > 41490 (SMU107). Par ailleurs, la position stratigraphique des sites, les montre posés sur des alluvions du Nil et recouverts par eux ou pris dans le sable des dunes entre 11 et 18 m au-dessus du niveau actuel du fleuve. Le Site 34 repose au sommet d’une dune, dans un sable meuble qui la coiffe, sous un dépôt de sables et limons rapportés aux dépôts Dibeira-jer les plus anciens ; le Site 1017 repose sur un sable partiellement recouvert de sables et limons qui dateraient du milieu de la formation Dibeira-jer. Le Khormusien se placerait ainsi dans et au-dessous de la formation Dibeira-jer. Il est également connu dans la formation Ballana, phase d’érosion majeure et peut-être à la base de la formation Sahaba qui la surmonte. Cependant, certains auteurs le situent au Paléo1 .- Cf p. 368. 2 .- Id. 3 .- Id. 4 .- Id. 5 .- Id.
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Sahara préhistorique lithique supérieur, entre 27000 et 16000 ; il serait le prolongement tardif d’un Paléolithique moyen à bifaces et pièces foliacées. Chronologiquement, le Khormusien correspondrait aussi au Stillbay et au Lupembien qui, d’après J.D. Clark, seraient des ensembles industriels adaptés à la forêt. F. Wendorf et R. Schild soulignent quant à eux une appartenance technologique et typologique aux industries du Paléolithique moyen. Pour M. Osypińska et P. Osypiński, les sites du Pléistocène final identifiés dans la moyenne vallée du Nil pourraient lui être assimilés. Affa-23 est daté de 15900 ± 1750 (OSL-35). L’industrie exploite surtout des nodules de chaille venant du fleuve. Elle comporte des burins, racloirs, grattoirs, de nombreuses pièces denticulées, des pointes et éclats Levallois. La faune est riche en Syncerus caffer, comporte des antilopes koudou (Tragelaphus), Cobes (Redunca, Kobus), girafe, hippopotame, potamochère, de l’éléphant, cercopithèque, hérisson (Thryonomys swinderianus), varan, crocodile. A Beit Khallaf, M. Otte et al reconnaissent « quelques analogies avec le Khormusien... pour les procédés de débitage et les principales classes d’outils retouchés : burins et denticulés.»1. Le débitage a laissé une majorité de nucleus à lames, de nombreux nucleus type Levallois à enlèvements centripètes, quelques nucleus nubiens ainsi que des nucleus à enlèvements opportunistes. Les talons punctiformes dominent légèrement les lisses ou facettés qui occupent sommairement la même position. L’industrie est dominée par les denticulés 29 % et encoches 18 %, est fournie en burins 14 %, éclats retouchés 12 %, ce qui est fréquent dans les industries paléolithiques égyptiennes, les couteaux à dos naturel et à dos retouché représentent respectivement 3 % et 4 %, soit sensiblement la même valeur que celle des perçoirs, grattoirs, troncatures, voire lames retouchées. Quelques pièces présentent une retouche couvrante. Les auteurs notent à la base de certains grattoirs, un amincissement susceptible de faciliter l’emmanchement. Relations Le Khormusien constitue un îlot totalement isolé dans une aire énorme mal connue archéologiquement. On a cependant tenté de rechercher des relations avec d’autres industries. Il n’en entretiendrait que peu ou pas avec l’Halfien ou le Gemaien, ensembles industriels qui, comme lui, se rencontrent autour de la Deuxième cataracte, mais qui paraissent plus récents, le Gemaien se trouvant à la base de la formation Sahaba. A ANW-3, la présence de pointe uniface, d’un débitage Levallois dominant, d’éclats nombreux, alors que les lames, les racloirs et pièces à dos sont rares, ont conduit à l’assimiler au groupe Stillbay. Ceci se heurte toutefois à la distance qui sépare ces sites (1600 km !) et à l’absence de relais entre eux. Ils s’opposent d’ailleurs sur divers autres points. Le débitage pression connu dans le Stillbay, est absent dans le Khormusien, les pointes unifaces et bifaces nombreuses dans le Stillbay, sont exceptionnelles dans le Khormusien, de petits bifaces présents dans le Stillbay, y manquent alors que les burins abondants dans le Khormusien sont très rares dans le Stillbay. Le Khormusien a pu être rapproché d’une indus1 .- Un site paléolithique à Beit Khallaf (Haute Egypte). Liber amicorum Jacques A.E. Nenquin, 1991, Univ. Gent, : 29-56 (45).
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Une période mal connue, le Paléolithique moyen
Fig. 45 : Industrie khormusienne. 1, 2) grattoirs ; 3, 4, 6) burins ; 5) pièce esquillée ; 7) lame Levallois ; 8) éclat Levallois ; 9, 10) denticulés ; 11) racloir ; 12) pointe Levallois ; 13) couteau à dos naturel (Marks in Wendorf 1968).
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Sahara préhistorique trie à affinités Levallois identifiée à Singa et qui, elle-même, a pu être rattachée à un Proto-Stillbay. La présence de nombreux burins l’éloigne des industries connues en Egypte sauf de celle dont E. Vignard faisait état à Nag Hammadi et qui serait d’âge tardif. Les industries s’en rapprochant le plus seraient le « Levalloisien » de Kharga. Typologiquement, on retrouve dans l’une et l’autre, une dominante de débitage Levallois à formes ovales ou en pointe, un indice de facettage élevé, des racloirs prédominants. Le Kharguien : un ensemble industriel contesté En 1952, G. Caton-Thomson publiait une industrie qu’elle avait découverte dans l’oasis de Kharga. Elle serait particulièrement fréquente à Bulaq Pass. Un débitage Levallois prédominant a donné des éclats courts, épais privilégiant les formes ovales et en pointe. L’indice de facettage est élevé, supérieur à la normale connue dans le Paléolithique moyen de Nubie ; les talons sont plutôt multifacettés. Les nucléus, discoïdes, les outils, sont de très petites dimensions. De nombreux éclats portent une retouche continue qui est souvent proximale. Les racloirs abondent, souvent convergent en pointe, ils sont dus à une retouche semi-abrupte tendant vers l’abrupte. Des grattoirs à nez bien dégagé, des perçoirs existent. Une retouche abrupte, généralement inverse, aux enlèvements irréguliers mais jointifs, affecte de nombreux éclats ; elle est bien développée sur les deux bords, voire la totalité du pourtour. De nombreuses pièces ont été fracturées transversalement et dans de nombreux cas le bulbe a été aminci ou enlevé. Les surfaces offrent un vernis orangé ou brun-orangé qui ne s’observe pas sur les autres ensembles industriels de la région. Une industrie comparable a été retrouvée à Dungul et Kurkur, la majorité en bordure de l’oued Dungul. La réalité d’une telle industrie, caractéristique pour l’auteur, a été discutée à diverses reprises. Toutes les industries de ce type étant associées à des sources ascendantes, ont pu être vues comme concassées1 ; leurs « retouches » seraient de fausses retouches qui résulteraient de chocs produits dans les mouvements de sables ascendants.
Des industries originales En Ahaggar En 1963, Cinquabre découvrait près d’In Ecker en Ahaggar, un ensemble industriel concentré sur quelque 200 x 10 à 40 m, nommé « site Dédé ». Il reposait à la surface du socle, aux abords d’un filon de microdiorite dans lequel a été fait l’essentiel du débitage. La moitié orientale du site montrait une grande abondance de pièces « géantes » mesurant plus de 20 cm, certaines, atteignant ici 28,5 et 29 cm, se rangeant parmi les plus grandes pièces connues dans le monde2. Ces dimensions, la fréquence du débitage Levallois prônent en faveur d’une industrie ancienne. G. Camps propose de le rapprocher de l’Acheuléen 1 .- Les sources artésiennes sont effectivement nombreuses dans l’oasis de Kharga. En France, F. Bordes trouve du matériel comparable au Pech de l’Azé et A.C. Blanc note des ressemblances frappantes avec le Micro-Pontinien qui précède l’Aurignacien dans la Grotta del Fosselone en Italie. 2 .- Le gigantisme a été noté à diverses reprises dans les industries de l’Ahaggar, en particulier par H.J. Hugot.
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Une période mal connue, le Paléolithique moyen IV de Balout. Si le volume des éclats le rapporte plutôt à un ensemble industriel du Paléolithique inférieur, l’importance du débitage Levallois et la présence de pièces Paléolithique supérieur prônent plutôt pour le Paléolithique moyen. En l’état des connaissances, on peut y voir une double fonction, un site de débitage en raison de l’importance de celui-ci aux abords du filon et d’habitat en raison de l’outillage retrouvé. Le matériel qui y fut récolté comporte 536 pièces auxquelles s’ajoute un biface et un hachereau ; sa structure permet-elle de l’assimiler à un Moustérien à denticulés ? Elle se compose de : Eclats Levallois ………………102 Encoches et denticulés.5 Lames Levallois ……………….47 Grattoirs…. …………6 Racloirs …..................3 Eclats non Levallois …………...39 Lames non Levallois …………..39 Burin ………………...1 Eclats naturels utilisés …………43 Becs ..………….. …..2 Encoches ……...…………..…....54 Pièces retouchées…..134 Denticulés ……..…….……..…..34 (dont 7 Levallois) Nucleus…………................…....27 (dont 3 moustériens, 7 Levallois, 1 à lames à deux plans de frappe opposés) De récentes découvertes tirent peut-être le Site Dédé de son isolement. Au nord du col d’Anaï vient d’être signalé un site en couche qui montre dans les coupes dégagées par l’érosion et à leur pied, un débitage de grandes lames d’une vingtaine de centimètres de long, quelque 5 cm de large et autour de 2 cm d’épaisseur. Mais n’y ont été observés que des lames cassées et des nucléus. Dans le sud de la Tadrart, ce même débitage de grandes lames a été noté au pied d’un inselberg. Il est connu au Fezzan. Il est possible que le matériel de dimensions imposantes, riche en lames, signalé près d’Arak puisse en être rapproché. Dans chacun de ces cas, ces grandes lames ont été débitées dans des roches ignées, de la famille des granites. En Cyrénaïque Un débitage à dominance laminaire a été reconnu en Cyrénaïque, dans le niveau inférieur d’Haua Fteah, sous-jacent au niveau moustérien. Cette industrie, obtenue à partir de nucléus plus ou moins prismatiques, utilise aussi le débitage Levallois. Le niveau comporte 40 % de burins avec prédominance de gros burins d’angle. Les lames retouchées viennent ensuite (autour de 10 %) ainsi que des pointes et éclats Levallois, auxquels s’ajoutent quelques grattoirs qui peuvent être carénés, quelques racloirs, perçoirs et de rares petits bifaces. Ce niveau devait livrer un « bec de flûte » en os possédant deux trous soigneusement façonnés1. C.B.M. Mc Burney le situait vers 100000-80000, les travaux récents le placent en période interglaciaire et proposent OIS 5e ou OIS 7 soit 125000 ou 195000, l’âge des niveaux sus-jacents privilégiant plutôt ce dernier. Il doit sa dénomination « Pré-Aurignacien libyen » à sa richesse en burins qui évoque les industries proche-orientales dénommées ainsi et avec lesquelles l’auteur trouve des affinités. 1 .- Les instruments de musique les plus anciens attestés par ailleurs, se ramènent à de rares fragments de flûtes, l’un a été trouvé à Divje Babe I en Slovénie en 1995, pour lequel la date de 43000 a été proposée, un autre, trouvé en 2003, viendrait de Hohle Fels en Bavière, il est rapporté au Paléolithique supérieur.
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Sahara préhistorique Au M’zab Dans les années trente, dans la région de Ghardaia et Metlili, fut découvert un matériel formant un ensemble homogène à la fois technologiquement, typologiquement et de par sa fossilisation. Il s’agit d’éclats courts, épais, plutôt arrondis, à conchoïde de percussion bien marqué, fréquemment obtenus par débitage Levallois. L’outillage proprement dit consiste en racloirs, grattoirs, denticulés et surtout en pièces à bord abattu qui, n’était leur épaisseur, rappelleraient des raclettes. Ces enlèvements abrupts ont fait songer à un piétinement important, c’est ainsi que l’envisageait E.G. Gobert pour des industries d’Aïn Metherchem qui offrent un aspect comparable. Toutefois, le manque de pièces cassées, cassures que ne manquerait pas de produire un piétinement intense, ne permet guère de retenir formellement l’objection1. La structure de cette industrie paraît bien illustrée à Metlili avec un ensemble de près de 300 pièces qui se distribuent en : nucléus ............................................................……………….... 24 grattoirs .................................................………………………... ..9% racloirs ................................................……………….…………...9% encoches ou denticulés ................…………………….......…........5 % encoches ou denticulés et retouche abrupte………………..…. ..20 % retouche abrupte ....................................…………..………….....47 % divers ..........................................................……………....…..... 10 % Les nucléus sont petits, 5 sont Levallois, les autres discoïdes. Le débitage Levallois est employé pour presque la moitié des pièces (IL = 45). D’un point de vue technologique, on constate que les talons sont toujours perpendiculaires à la face d’éclatement, qu’il s’agisse de talons plans, les plus courants, de talons dièdres ou facettés. Les grattoirs tendent vers des formes denticulées, à front étendu, haut et abrupt. Les racloirs sont produits par une retouche semi-abrupte, écailleuse, dessinant souvent des indentations. Les coches et denticulations résultent d’une retouche écailleuse ou semi-abrupte avec reprise écailleuse de la base. Les encoches sont plutôt larges et peu profondes. Les éclats à enlèvements abrupts présentent volontiers une ablation du talon par retouche inverse. La retouche est généralement directe, très abrupte, longuement développée, due à des enlèvements irréguliers, plus ou moins écrasés à leur base ; parfois elle est alternante, des plages de 1 à 2 cm se succédant. Ce matériel a connu des vicissitudes qui restent encore à préciser. Sur la totalité des surfaces y compris les retouches, il porte un vernis brun-rouge, pas ou peu marqué sur les bords, qui paraît lié à une auréole de déminéralisation, une pellicule blanche apparaissant sous la pellicule colorée. Ces pièces sont par ailleurs entièrement lustrées, d’un lustre comparable à celui produit par les sources ascendantes. Cette patine ocre rouge, épaisse, que G. Caton-Thomson a signalée dans le Kharguien, a été notée sur divers autres ensembles industriels. Elle se rencontre à Hassi Bellal. L. Balout en fait état à propos d’une industrie qui gît en surface dans les steppes à alfa et qu’il qualifiait de « moustérienne ». On la trouve dans diverses industries sahariennes à débitage Levallois. C’est probablement à elle que P. Van Peer fait allusion quand il mentionne une rubé1 .- Sauf à admettre qu’il n’en ait pas été prélevé un seul lors des récoltes !
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Une période mal connue, le Paléolithique moyen faction significative sur le matériel du « Middle Paléolithic ancien ». Elle n’affecte qu’exceptionnellement du matériel atérien, ce qui pourrait être un indice en faveur d’une antériorité de ces industries sur l’Atérien.
Les hommes du Paléolithique moyen et leur mode de vie Le Paléolithique moyen s’est développé sous des conditions climatiques évoluant vers l’aridité1. Dans le Sahara égyptien, le Sud tunisien, l’occupation humaine privilégie les abords de sources. En Egypte, la sédimentation est alors plus fine, le Nil ne divague plus, il édifie un chenal unique qui s’exonde par dépôts de limons lors de l’inondation. Les manifestations anciennes apparaissent néanmoins dans un contexte encore humide. Avec Dicerorhinus hemitoechus présent dans le niveau moyen, Doukkala II traduit un milieu humide à prairie arbrée, le niveau supérieur, à dominance de gazelles et antilopes, serait plus aride. A El Guettar, le climat était plus humide mais aussi plus froid lors de la première occupation, ce qu’attestent la fréquence du chêne vert et la rareté du pin d’Alep. Un palmier est également présent dans les dépôts inférieurs où les Graminées et les Composées sont peu représentées et où manquent les Chénopodiacées. Les niveaux suivants laissent penser à un assèchement progressif, passant à une végétation de cèdre et genévrier qui se poursuit par augmentation des genévriers, puis disparition de la végétation arborée au profit d’un développement de Graminées et Composées. Grâce aux nouvelles méthodes de datation, le site d’Ifri n’Ammar apporte des indications précises quant à l’existence d’une phase aride entre 145000 et 130000, période qui a vu la constitution de croûtes calcaires dans ce site, et ses prolongements environnementaux jusqu’à 100000, moment où la faune montre des changements significatifs. Dans les Beni Snassens, au Maroc, au début de Würm, entre 100000 à 70000, L. Wengler fait état d’ une végétation méditerranéenne à Pinus halepensis, Juniperus et Tetraclinis qui traduit un épisode froid semi-aride du Soltanien I. Il passerait à un épisode sub-humide avec augmentation de la température à l’inter Soltanien I-II avant de retrouver, au cours du Soltanien II, une tendance identique au Soltanien I.
Les hommes Des restes humains datant de cette époque viennent du site marocain djebel Irhoud. Aucune sépulture n’a été retrouvée, les fragments étaient mêlés aux autres vestiges osseux sans soin particulier, ce qui permet de penser qu’ils peuvent être les reliefs de repas des fauves dont l’homme a partagé la tanière. Dans un premier temps, ces découvertes faites au début des années soixante ont semblé confirmer une proposition unanimement admise : ce Moustérien était l’œuvre de l’Homme de Néanderthal. Puis les découvertes successives d’Hominidés dans divers gisements marocains, devaient conduire à une révision de la phylogenèse humaine et à voir en « l’homme du djebel Irhoud », un Homo sapiens archaïque, descendant de l’Atlanthrope. Il rejoignait les données venant de Haua 1 .- 130000 est marqué par un grand froid dans la carotte V23-82, alors que cette période, comme 70000 et 20000 B.P., est vue comme identique à la nôtre par divers auteurs.
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Sahara préhistorique Fteah où deux mandibules d’hommes modernes ont été découvertes dans les niveaux de base récemment datés entre 73000 et 65000 et attribués au Moustérien.
Divers ensembles industriels proches du Moustérien, mais qui ne sauraient lui être assimilés, ont été retrouvés dans le Sahara et ses abords. Au Niger, on rapporte au MSA, les industries de faciès Levallois présentes dans la vallée de la Mékrou où elles s’inscrivent dans la phase aride postérieure à l’Acheuléen. Au Sahara égyptien se développerait un Paléolithique moyen nubien dont le groupe N est parfois réuni avec le Khormusien et un Atérien à denticulés en « Complexe nubien » alors que dans la vallée, un Paléolithique moyen à denticulés est regroupé avec le Moustérien à denticulés et le groupe K en « Lower Nile Valley Complexe ». Depuis longtemps, l’oasis de Kharga a livré un ensemble original et contesté, le Kharguien. De même le M’zab d’où vient un ensemble industriel dont la patine orangée assure l’antériorité aux ensembles atériens. Le Sahara central connaît des industries Levallois de grandes dimensions, avec production de lames, qui sont encore mal connues et dont on ne sait si elles peuvent être rapprochées du niveau inférieur de Haua Fteah, niveau sous-jacent au Moustérien qui est riche en lames. Dans la vallée du Nil, le site de Taramsa, beaucoup plus récent, livrait à son tour, en 1989, les restes quasi complets d’un enfant dans un site d’exploitation de galets, en contexte « Middle paleolithic » à nombreux éclats, nucleus Levallois, nucleus nubien, que les diverses dates disponibles permettent de situer vers 550001. De type moderne, il paraissait assis, tête basculée vers l’arrière, bras pendants. Les individus retrouvés à Nazlet Khater 2, en 1980, ont été attribués à des mechtoïdes. Ils reposaient dans des fosses étroites, allongés sur le dos. Les restes les mieux conservés étaient orientées est-ouest, ils appartiennent à un subadulte, probablement mâle, une hache était placée près de sa tête, les insertions musculaires marquées traduisent une activité physique intense. Plus ancien squelette complet d’homme moderne, il présente divers traits archaïques notamment au niveau de la face et de la mandibule. La seconde tombe, orientée nord-ouest sud-est, renfermait un squelette dont la tête était écrasée, les restes d’un fœtus se trouvaient à hauteur du bassin et des fragments de tests d’œuf d’autruche à proximité.
L’habitat L’importance des sites varie fortement. Au Soudan et dans le Sud de l’Egypte, leur superficie va de 16 à plus de 30000 m2, la densité du matériel de 5 à plus de 250 au m2. F.A. Hassan a établi un indice de l’intensité d’occupation en multipliant la surface du site par la densité du matériel. Il propose de voir dans les sites de 250 m2 l’occupation d’un groupe de une à cinq familles, dans 1 .- Traditionnellement, on situe l’apparition de la morphologie qui caractérise sapiens vers 150000.
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Une période mal connue, le Paléolithique moyen ceux de plus de 500 m2, celle de plusieurs de ces groupes ou une réoccupation de l’espace, ce serait le cas à Arkin 5, aux Sites 1000, 10331. Les petits sites à forte densité de matériel comme 36B2, 1038, marqueraient une occupation continue sur une longue période ; ceux à faible densité de matériel, tel 1036, une occupation continue durant un court laps de temps. Pour P. Vermeersch et al, l’importance des lieux d’extraction des galets dans la vallée du Nil implique une occupation importante à cette époque et, en l’absence de sites, permet de les supposer enfouis dans la sédimentation. Bien qu’un habitat permanent ait été proposé au djebel Irhoud, on attribue volontiers aux hommes du Paléolithique moyen une semi-sédentarité. Bir Sahara et Bir Tarfawi ont été occupés en saison sèche, alors que les animaux revenaient vers ces points d’eau. Dans le Sahara oriental, les déplacements pouvaient être importants, certains matériaux étant susceptibles de provenir de 200 km. S’appuyant sur l’économie des matières premières, au Maroc oriental, L. Wengler propose lui aussi des migrations saisonnières pour les hommes moustériens ; d’après la position des gîtes de matières premières, elles pourraient atteindre 80 km au Rhafas. Etudiant les sites de la région de Ceuta, à la suite de divers auteurs, J. Ramos souligne la « grande conformité de la technologie lithique de l’ensemble de cette région d’Afrique du Nord avec celle obtenue pour le Sud de la péninsule Ibérique », plus particulièrement de la région de Gibraltar, ce qui lui permet de voir le détroit « davantage comme un pont que comme une frontière ». Divers éléments d’habitat sont connus. A Dungul, dans le Kharguien, ce sont des fonds de cabane ronds ou ovales, en pierres. Il est probable que les cercles de 3 à 7 m de diamètre dans lesquels se concentre le matériel à Tamakaw Tw1 traduisent eux aussi des fonds de cabane. Des sites comme E-86-1, E-87-4 dont l’outillage est pauvre, paraissent des ateliers dans lesquels les nucléus déjà dégrossis auraient été préparés en tant que nucléus Levallois avant d’être transportés. Un atelier de taille a été identifié dans le site F.4 de la vallée de la Mékrou : à l’extrémité sud de la cuvette, une structure à peu près circulaire faite de trois gros blocs ayant pu servir de sièges, entoure une véritable nappe de déchets de taille, sans outils, où les éclats euxmêmes sont relativement rares. Les petits gisements atypiques connus sous le nom de Levalloiso-moustérien et/ou MSA, paraissent comme lieux privilégiés de haltes. Ils suggèrent de longs déplacements loin d’un camp de base et des parcours coutumiers.
Les activités L’usage du feu est attesté en divers lieux parfois par des objets, plus souvent par des foyers. A Sodmein Cave dans le désert oriental d’Egypte, un niveau dont l’outillage se limite à quelques denticulés, burins, pièces retouchées3, renfermait deux foyers. Une particularité à laquelle on ne sait donner de signification vient d’El Guettar en Tunisie, où M. Gruet a remarqué l’abondance de silex passés au 1 .- Cf composition des sacs à outils en Annexe p. 364 et 365. 2 .- Id. 3 .- Ce sont des pièces à retouches continues, une pointe d’Emireh (petite pointe triangulaire à base amincie, pièce rare qui serait associée à des industries de transition), mais ce matériel est trop peu abondant pour être qualifié. Il est daté de 29950±900 B.P. (GrN-16782) et > 44500 (Lv-2087).
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Sahara préhistorique feu -selon les niveaux, ils peuvent représenter 1 à 10 % des pièces-, or dans le gisement aucune trace de feu n’a par ailleurs été perçue hors d’un fragment osseux carbonisé. Une particularité comparable vient d’Ifri n’Ammar, avec autour du tiers des pièces, les niveaux correspondant au foyer étant les plus pauvres. A Benzù, J. Ramos note des altérations dues au feu à tous les niveaux. Au Rhafas, des outils portent des marques de passage au feu. A Aïn Benian, les ossements présentent des traces de brûlures et des charbons étaient mêlés aux sédiments. Les hommes ont donc fait du feu, alors qu’ils n’y ont pas vécu. Ceci implique-t-il que l’homme savait le transporter ? Ou qu’il savait le produire ? Ou devons-nous supposer quelqu’incendie naturel qui le lui aurait fourni ? L’homme du Paléolithique moyen devait posséder une profonde connaissance du milieu, de sa flore et de sa faune mais aussi de ses réalités géologiques. Une sélection des matériaux est bien marquée dans divers sites, ainsi a Ifri n’Ammar, M. Nami en retrouvant l’origine d’un silex noir a pu préciser des déplacements de quelque 50 km en montagne, au Rhafas, L. Wengler note un approvisionnement dans un rayon d’une dizaine de kilomètres ainsi que l’usage modeste d’une calcédoine éloignée de 80 km. A Nazlet Safaha, P.M. Vermeersch et ses collaborateurs ont même identifié le creusement de puits permettant d’atteindre des niveaux de galets dans le lit du fleuve. Au quotidien, l’amenuisement des outils, leur diversification ont probablement apporté de sensibles changements dans la vie. Un fait marquant qui ouvre d’intéressantes perspectives pour la compréhension de cet épisode, est la possible relation entre certaines caractéristiques des instruments lithiques et l’environnement. Ainsi, L. Wengler remarquait qu’en phase aride et froide, les éclats sont plus minces qu’en période pluvieuse et plus chaude alors que les assemblages industriels restent sensiblement les mêmes. Ceci implique une grande maîtrise dans l’usage de l’éclat. A Ifri n’Ammar, certains voient dans l’apparition du pédoncule, une adaptation subtile à un changement de milieu allant vers l’individualisation de l’Atérien alors que d’autres y lisent l’existence de deux groupes humains porteurs d’un sac à outils légèrement différent. La chasse et la pêche apparaissent comme les activités essentielles, la collecte de coquillages comme secondaire. A Benzù, les mollusques abondent avec majoritairement Patella. Certains sites renferment des restes de poissons nombreux et variés comme le Site 440, au sud de Wadi Halfa. Ce site a également livré une faune abondante avec antilope Alcelaphus, gazelle Gazella rufifrons, âne Equus asinus africanus, hippopotame qui était peut-être Hippopotamus amphibius et la prépondérance de Bos primigenius, ce qui lui accorderait un statut particulier dans la vallée du Nil. A Bir Sahara et Bir Tarfawi, les restes d’herbivores prédominent suggérant un environnement de savane ou de steppe, la présence de Camelus et de Gazella rufifrons, celle commune de Gazella dorcas, Gazella dama, soulignant la proximité d’une steppe sèche. Des restes de rhinocéros blanc, Ceratotherium simum, espèce de savane herbeuse qui ne s’éloigne pas de l’eau, sont assez nombreux pour que ces animaux aient trouvé là un habitat favorable et les difficultés de leur chasse proposent l’emploi de pièges placés sur leur trajet pour les capturer. Pelorovis est présent à Oued Akarit et El Harhoura 2. Au Maroc atlantique, la faune consommée est dominée par les
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Une période mal connue, le Paléolithique moyen Antilopinés, la plus commune est Gazella atlantica à El Harhoura 2, Gazella dorcas aux Contrebandiers, partout, les Equidés sont fréquents. Les petits sites à industrie atypique suggèrent des déplacements et des aires de chasse assez importants pour appeler une grande mobilité et des points privilégiés de halte. Des témoignages d’activités non immédiatement utilitaires viennent de divers lieux. Amoncellement à El Guettar, petits galets ocre, translucides, à Ifri n’Ammar, fragment de flûte à Haua Fteah. Proche du langage, la musique ne permet pas seulement la communication, elle y ajoute l’expression de sentiments. Source de plaisir et de rassemblement, à ces titres, son existence au Paléolithique moyen renvoie à une société dont les préoccupations ne sont pas seulement matérielles. Qu’il s’agisse d’une offrande à la source, d’un ex-voto ou autre, l’amoncellement de silex d’El Guettar traduit la même disposition intellectuelle et l’idée de force supranaturelle.
Homo sapiens apparaît dans le Nord de l’Afrique au Paléolithique moyen. Ses ensembles industriels légers à outils spécialisés (dont le plus courant est le Moustérien) traduisent de profonds changements dans son comportement. J.D. Clark voit un début d’identités régionales dans la multitude de faciès ou cultures qui s’individualisent et rapportent des isolats aux évolutions similaires. Probablement semi-sédentaire, l’homme du Paléolithique moyen a évolué dans un milieu à tendance aride, recherchant les points d’eau en zone saharienne. Chasseur, pêcheur, il connaissait bien son environnement et ses possibilités. Il était susceptible d’effectuer de longs déplacements, de creuser de profondes tranchées comme il en fut trouvées à Nazlet Safaha, dans la vallée du Nil, pour s’approvisionner en matière première. Il s’adonne à la musique (en témoigne le fragment de flûte de Haua Fteah), ce qui traduit des occupations non immédiatement utilitaires.
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Chapitre VI
L’Atérien DEBUT DES particulariteS Le terme « Atérien » fut proposé en 1922 par M. Reygasse pour désigner des industries sur débitage Levallois, d’aspect moustérien, comportant en outre des pièces dont la base était aménagée en pédoncule. Reconnue en 1885 par G. Carrière dans la grotte du Polygone à Oran, cette industrie fut longtemps l’objet de polémiques en raison de la position de P. Pallary qui attribuait ces « grosses flèches » à un néolithique décadent, postérieur à ce qu’il appelait « Mauritanien » et le dénommait « Néolithique berbère »1. Malgré la stratigraphie observée à El Oubira, sa position réelle ne fut admise par l’ensemble des préhistoriens qu’avec la découverte du gisement de l’Oued Djebbana près de Bir el Ater. En 1946, en le rapportant à Würm II2 en raison de l’interprétation de sa position stratigraphique sur le littoral algérois, G. Caton-Thompson et à sa suite nombre d’auteurs le parallélisaient avec les cultures du Paléolithique supérieur européen. Il devenait selon l’expression de R. Vaufrey « un Paléolithique supérieur de tradition moustérienne ». Il a fallu l’utilisation des méthodes OSL pour modifier cette appréhension chronologique et l’étendre au Paléolithique moyen3.
Une définition ? En 1967, J. Tixier définit l’Atérien comme « un faciès moustérien de débitage Levallois souvent laminaire (avec une forte proportion de talons facettés), avec une proportion de grattoirs (souvent sur bout de lame) plus forte que dans tous les autres faciès moustériens. Une partie non négligeable de son outillage (parfois jusqu’à 1/4) est formée de pièces présentant à leur partie proximale un pédoncule en général taillé sur les deux faces »4. Cet appendice peut intéresser n’importe quel outil, aussi ne peut-on accorder valeur de projectile à un outil simplement parce qu’il est pédonculé5. Peut-on parler d’Atérien pour des industries qui ne possèdent pas de pièce pédonculée ? La question se pose et est à débattre car si le pédoncule ne suffit 1 .- Cf à ce propos L. Balout 1955, p. 270-277. 2 .- Sur le littoral algérois, l’Atérien avait été retrouvé dans les formations rubéfiées qui reposent immédiatement sur le Tyrrhénien II et qui étaient attribuées aux débuts de la glaciation de Würm (Würm I). 3 .- Il faut remarquer que la position chronologique que l’on accorde aujourd’hui à Würm II est en adéquation avec cette proposition. 4 .- 1967 p. 795. 5 .- Contrairement à ce qui se lit parfois dans la littérature spécialisée actuelle.
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Fig. 46.- Gisements atériens cités.
Sahara préhistorique
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L’Atérien et la question du Paléolithique supérieur plus depuis longtemps à faire d’un ensemble industriel un ensemble atérien, jusqu’à ce jour, sauf cas très particulier, il a semblé indispensable. Un domaine vers lequel se dirigent les recherches actuelles est le mode d’obtention des produits de débitage ; les rares informations existantes donnent à penser que les diverses chaînes opératoires utilisées peuvent avoir une signification soit en elles-mêmes, soit par leur fréquence ; associées aux données plus traditionnelles, elles pourraient parfaire identités et différences et, peut-être, permettre de mieux identifier ces ensembles industriels appréhendés de diverses manières par les auteurs. En régions orientales, P. Van Peer et al les intègrent au Complexe nubien, pour P.M. Hobler et J.J. Hester, ils ne se différencieraient du Kharguien que par ses pièces pédonculées et un âge un peu plus récent1. J.D. Clark les rapproche du Lupembien par la fréquence des pièces foliacées et leur technique de taille.
Diversité et complexité de l’Atérien Distribution géographique L’Atérien a été retrouvé sur un territoire particulièrement vaste, de la côte méditerranéenne jusqu’à 18° de latitude N., limite qui, pour certains auteurs, coïnciderait avec le développement d’une zone lacustre sud saharienne. Th. Tillet a pu décompter 330 sites dont 223 au Sahara. Développé dans le désert Fig. 46 – Gisements atériens et à industrie sur éclat du Paléolithique supérieur. 1) Ounianga Kebir ; 2) Yat, Kolokaya ; 3) Seggedim ; 4) Chemidour ; 5) Adrar Bous IV, V ; 6) Ekouloulef, Mouezout ; 7) Iberdjen, Tamakaw Tw-2 ; 8) Djanet, Admer, Assakao ; 9) Tin Hanakaten (TH7801, TH7802) ; 10) Uan Tabu, Uan Afuda ; 11) Tiouririne ; 12) Meniet ; 13) Amsir ; 14) Tadjmout ; 15) Hassi el Khenig ; 16) Oued Asriouel ; 17) Aïn Chebli, Reggan-Taourirt, Sali ; 18) Anchal ; 19) Zaouia el Kebira ; 20) Kheneg et Tlaïa ; 21) Hassi Ouchtat ; 22) Hassi el Hameïda ; 23) Taoudeni (MT8, MT30) ; 24) Foum el Alba ; 25) El Mreyyé ; 26) Azarza ; 27) Jbeilat de Tourine ; 28) El Azrag ; 29) Aderg ; 30) Foum el Hartani ; 31) Arouakim ; 32) Jraif ; 33) Tiferchaï ; 34) Inkedben ; 35) Tiemassas, Cap vert ; 36) Djebel Moya ; 37) Dongola (N2, N6, N91) ; 38) Kubbaniya (E-78-11) ; 39) Bir Tarfawi ; 40) Dungul ; 41) Kharga (KO6E, Bulaq Pass, E76-4) ; 42) Haua Fteah ; 43) Touggourt (Tg-km25-I, Tg-km25-II) ; 44) Wadi Gan (Aïn Zargha, Shakshuk, SJ-9828) ; 45) Oueds Zemzem, Sofeggin, Merdum ; 46) Monastir ; 47) Cap blanc ; 48) Pointe noire (El Kala) ; 49) Demnet el Hassan ; 50) Kef oum Touiza, Aïn Khiar, Hammam Sidi Djeballa ; 51) ; 52) Constantine (grotte des Ours, grotte du Mouflon) ; 53) Koudiat bou Gherara ; 54) Guertoufa (Vignes Deloche, La Pierre à sacrifices) ; 55) Sidi Saïd ; 56) MES 11 ; 57) Les Allobroges ; 58) Bérard (=Aïn Tagoureït) ; 59) Les Falaises rouges, Aïn Benian ; 60) Aïn Fritissa ; 61) Azrou ; 62) Kouali ; 63) Gar Kahal, Kaf Taht El Gar, Kef el Hamar ; 64) Ifri n'Ammar; 65) Karouba (Karouba-Marabout, Karouba-Moulin) ; 66) Polygone, Troglodytes, Franchet d'Esperey ; 67) La Mouillah ; 68) Rhafas, Site sans nom ; 69) Taforalt ; 70) Chaperon Rouge ; 71) Oued Thalma ; 72) Sefrou (grotte du Juif) ; 73) Mugharet el Aliya ; 74) Dar es Soltane (=Dar es Soltan) ; 75) El Harhoura 1 (grotte Zouhrah), El Harhoura 2 ; 76) Temara (grotte des Contrebandiers (=El Mnasra I), El Mnasra (=El Mnasra II) ; 77) El Khenzira ; 78) El Hank (Carrière Martin) ; 79) Aïn Djemaa ; 80) Tit Mellil ; 81) Erg Chech. Cartouche : 1) Oued Serdiesse ; 2) El Oubira ; 3) Puits des Chaatchas ; 4) Aïn Metherchem ; 5) Aïn Mansoura ; 6) Djouf el Djemel ; 7) Oued Djebbana (=Bir el Ater). 1 .- Rappelons que A.E. Marks voit dans le Kharguien, une industrie moustérienne.
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Sahara préhistorique égyptien, il est exceptionnel dans la vallée et inconnu dans le désert oriental. Sa présence, reconnue récemment dans le Moyen Atlas, à Azrou, montre qu’il s’est développé en altitude. L’inégalité de sa répartition pourrait être liée à une question de sédimentation qui a enseveli les sites du Nord, cependant, au Sahara, où l’essentiel des sites est en surface, sa répartition n’y est pas, non plus, régulière. Certains secteurs tels que la Saoura, le sud du Tassili n Ajjer, le Fezzan paraissent privilégiés. Dans le sud du massif de l’Adrar Bous, J.D. Clark signale l’abondance de petits sites. A l’inverse, dans la cuvette du Shâti, l’Atérien n’a pas été trouvé. Dans le Bas-Sahara, l’Atérien ne s’affirme le plus souvent que par des pièces pédonculées éparses, sans contexte, les regroupements avec matériel Levallois y sont très rares, toujours de très faible extension, plutôt localisés dans la région de Touggourt. A l’est de la Hamada el Hamra dans les bassins des oueds Sofeggin, Zemzem et Merdum, on connaît quelques gisements pauvres en pièces pédonculées, elles s’y accompagnent d’encoches et pièces denticulées, de grattoirs et de quelques pièces foliacées. Dans le Sahara égyptien, il est fait mention de quelques sites dans les cuvettes de Bir Tarfawi1, Kharga, Dungul et d’un petit site, E-78-11, dans la région d’Assouan, à l’entrée de l’oued Kubbaniya. F. Wendorf y rattacherait le Site 440, Arkin 5 et 6A dit Paléolithique moyen nubien, Brinikol dit Moustérien nubien B. La Mauritanie, elle aussi très pauvre, livre surtout un faciès où abondent les pièces foliacées et qui serait récent. Diversité chronologique En 1955, remaniant la classification de M. Antoine, L. Balout avait reconnu trois phases : - L’Atérien ancien (I) est très proche d’un Moustérien à fort indice Levallois ; les pièces pédonculées y sont rares. Il est bien représenté sur le littoral algérien2 et les régions proches où il apparaît dans les formations rouges. Il n’emploie que rarement le silex. Au Maroc, c’est une industrie surtout en quartzite avec de grandes lames où les pièces foliacées (dites parfois ténuifoliées) sont exceptionnelles. Il se rencontrerait à la Carrière Martin du Djebel El Hank, Dar es Soltane 1 couche I, Aïn Djemaa, Mugharet el Aliya, au Camp Franchet d’Esperey, Cap blanc, Monastir, Bérard, Karouba-Marabout. - L’Atérien moyen (II) est marqué par le développement des pièces pédonculées. Des grattoirs, des burins peuvent s’y rencontrer qui souligneraient des divergences d’évolution entre le Maghreb oriental et le Maroc. Faciès le plus répandu, il est connu à Koudiat bou Gherara, El Oubira, Djouf el Djemel, Puits des Chaachas, Djebbana, El Khenzira… Th. Tillet propose d’y placer l’Atérien de la vallée de la Saoura. - L’Atérien final (III) serait propre au Maroc et au Sahara. Il se caractérise par le développement d’une retouche pression qui tend à envahir le limbe, l’apparition de la pointe marocaine et de la pointe pseudo-saharienne (=Atérien IV et V d’Antoine). Il est présent à Tit Mellil, Mugharet el Aliya, Dar es Soltane, Adrar Bous IV, Tiouririne. J. Morel y place l’industrie d’Aïn Mansoura. 1 .- Cf p. 168, le problème de BT14. 2 .- Sur le littoral méditerranéen, L. Balout notait que l’Atérien I n’évoluait pas, il disparaîtrait rapidement sauf si ses stades récents sont immergés par la transgression versilienne.
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L’Atérien et la question du Paléolithique supérieur En 1976, F. Bordes distinguait un Proto-atérien succédant au Moustérien, puis un Atérien vrai. - Le Proto-atérien se caractériserait par un taux encore élevé de racloirs, un certain développement des outils type paléolithique supérieur, des objets atériens présents mais peu nombreux. Il y rangeait Aïn Metherchem sol1, Taforalt couche H. L. Wengler y place le niveau 3 de Rhafas et le Site sans nom.
Fig. 47 – Pièces pédonculées. La classification des pédoncules repose sur leur morphologie et leur technique de taille. A) Technique de taille : type I, quadridirectionnel (n° 1 et 6) ; type 2, tridirectionnel (n° 2) ; type 3, bidirectionnel sur face inférieure (n° 3) ; type 4, bidirectionnel sur face supérieure (n° 4) ; type 5, bidirectionnel alterne (n° 5). B) Morphologie : type a, élargi à la base (n° 2) ; type b, rectangulaire ou subtrapézoïdal (n° 4 et 5) ; type c, triangulaire (n° 1) ; type d, aminci, la retouche ayant supprimé le talon et le bulbe (n° 6) ; type e, atypique. (origine. 1 : Beni Abbès ; 2 à 5 : oued Djebbana ; 6 : Tiouririne) (d'ap. Tixier 1958-59).
- L’Atérien proprement dit disposerait d’un petit nombre de racloirs, d’un net développement des outils de type paléolithique supérieur, d’une forte représentation d’objets atériens. Il serait attesté à Bir el Ater, Dar es Soltane 1 couches I et C2, Hassi Ouchtat. 1 .- Cf p. 154.
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Sahara préhistorique Pour H.J. Hugot, en Mauritanie, pourrait se suivre une évolution qui voit la réduction du nombre de pièces pédonculées au profit des pièces foliacées. A Jbeilat de Tourine, plus de la moitié des outils présents dans les collections est pédonculée dont de nombreuses pièces foliacées. A Jraïf, à Aderg, il n’y a pas de pièce pédonculée typique alors que les pièces foliacées prolifèrent. Diversité géographique L’outillage plus diversifié que celui du Moustérien doit s’interpréter comme un témoignage de fonctions de plus en plus particularisées et, sur un territoire aussi vaste que celui qu’occupe l’Atérien, dans des milieux aussi différents, on doit admettre que le même terme couvre une multitude de faciès qui demandent à être précisés. Ainsi que l’a écrit S. Hajri-Messaoudi dans un rapport, la récurrence de l’utilisation de la méthode nubienne engagerait « à envisager la variabilité des industries atériennes non plus du seul point de vue diachronique, mais également en termes d’apports et d’échanges interrégionaux ». Certains sites comme Tiferchaï, Inkebden offrent des traits peu habituels, diversement interprétés. Tiferchaï est rapporté à l’Atérien par R. Lanfranchi, au Néolithique par J.F. Pasty et M. Nami. L’ensemble industriel possède des lames à coches dont l’aspect évoque le Capsien et qui constituent près de 15 % de l’outillage retouché. Les racloirs, perçoirs et grattoirs figurent en proportions comparables, de l’ordre de 2,5 à 3 %. Le débitage Levallois, rare, a surtout servi à produire des pointes et des lames. Les plans de frappe seraient plutôt lisses. La plupart des nucléus est discoïde. Les fonds de nucléus sont volontiers transformés en rabot. Le gisement a fourni une pièce foliacée. Seul R. Lanfranchi fait état de pièces pédonculées qui y seraient très nombreuses (70 % des 251 pièces récoltées), leur limbe présenterait souvent une retouche abrupte. En raison d’équilibres techno-typologiques différents, Th. Tillet reconnaît plusieurs faciès dans l’Atérien final du Sahara méridional. Dans le faciès de Foum el Alba, les pièces Levallois restées brutes, particulièrement les pointes Levallois, abondent, les pièces foliacées sont peu courantes. Le faciès des hamada du Nord Taoudeni ne renferme pas de pièce foliacée, est pauvre en pointes Levallois mais riche en pièces pédonculées. Le faciès de Seggedim (ou Adrar Bous) est riche en pièces foliacées et comporte des burins en assez grand nombre. Complexité L’identification de faciès chronologiques et géographiques ne peut suffire à expliquer la diversité. Au Maroc atlantique, dans des secteurs aussi réduits que la région de Témara, un site riche en choppers et chopping-tools, où les pièces pédonculées et les objets de type paléolithique supérieur sont peu nombreux voisine des sites disposant d’une industrie « classique » comme Dar es Soltane, El Harhoura 1 et 2 ou El Mnasra 1 et 2. Les particularités observées dans un même secteur ont conduit J.F. Pasty à identifier trois types de sites : des sites d’extraction et exploitation partielle de la matière première, qui se trouvent près d’affleurements et où gisent des produits de décorticage, nucleus, déchets de taille, débitage brut, ils sont signa-
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L’Atérien et la question du Paléolithique supérieur lés à Seggedim, Foum el Alba, Arouakim... ; des ateliers de taille secondaire où se concentrent de nombreux nucleus et des produits de débitage comme à Mouézout.., et des sites d’habitat avec débitage et outils qui peuvent avoir une certaine spécialisation comme Hassi Ouchtat... Tout comme B. Champault pour l’Acheuléen, il explique ces spécialisations par une étroite dépendance du milieu : la proximité de l’eau pour les besoins quotidiens, celle de la matière première pour l’industrie. Position stratigraphique et Age Jusqu’au développement des radiodatations, la côte maghrébine resta le lieu privilégié pour caler la position chronologique des industries atériennes car leur position stratigraphique permettait de les situer par rapport aux mouvements de la mer tyrrhénienne. A Aïn Tagoureït (Bérard) et d’une façon plus générale sur la côte algéroise, l’Atérien est en effet associé à des limons rouges qui reposent sur une formation marine. Sur la côte atlantique, en plein air, il apparaît au sommet de limons rouges et à la base de dépôts éoliens ; sous abri, il est postérieur à des effondrements qui reposent sur les sables ouljiens. Plusieurs dates ont permis de préciser ces relations. A Karouba-Marabout, à Aïn Tagoureït (Bérard), la formation marine sous-jacente aux limons rouges qui renferment l’Atérien est une phase du Tyrrhénien datée de 60000-55000. Sa position, au Camp Franchet d’Esperey près d’Oran, pose problème1 et demande à être re-analysée. La signification des dépôts rouges, en effet, a été fortement modulée par les travaux de F.E. Roubet qui ont montré l’existence de plusieurs couches rouges interstratifiées dans des formations dunaires lapidifiées, conduisant à substituer à une phase climatique responsable de la rubéfaction, plusieurs phases d’érosion responsables d’épandages. Aux Falaises Rouges, l’Atérien se rencontre dans la troisième couche et a été daté de 31800 ± 1900 (II 3951) à partir de restes de patelles calcinées. D’après J. Morel, Bir el Ater aurait été occupé au cours d’un épisode humide que le radiocarbone indique > 35000 (Mc 657). La multiplication des datations dans les années 2010, en particulier au Maroc, reportent ses plus anciennes manifestations autour de 80000 et le laissent soupçonner bien avant, jusqu’à 200000. L’Atérien, culture des débuts du Paléolithique supérieur ? Au Sahara où l’essentiel de l’Atérien gît en surface, il apparaît associé à des étendues lacustres antérieures à la dernière grande phase aride ; dans l’erg Chech, il est associé à des formations lacustres datées de 24200 ± 630 B.P. (I2375) sur ostracodes, 17700 ± 290 B.P. (I2376) tuf2, à l’Est, les travaux de K.W. Butzer les situaient entre 27000 et 17000 B.P. Les travaux de F. Wendorf lui accordaient une ancienneté > 44700 (SMU 79) qui pourrait être soutenue par les données venant de Cyrénaïque où les dates de 47000-43000 ont été avancées. Dans la vallée de la Saoura, J. et N. Chavaillon ont trouvé l’industrie atérienne à la base de la sédi1 .- Cf p. 212. 2 .- 10100±200 (I1645) sur calcaire est contesté.
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Sahara préhistorique mentation saourienne qui remonte aux alentours de 400001. Une situation comparable est connue dans le Nord du Mali. Th. Tillet admet une présence atérienne possible à partir de 40 000 et une véritable colonisation entre 29000 et 20000 B.P. au cours du Ghazalien supérieur, période humide au Sahara méridional. La plupart des dates a longtemps conforté cette proposition en plaçant les débuts de l’Atérien autour de 40000 : 43300 ± 3000 (SMU177) à Bir Tarfawi2, 47000-43000 en Cyrénaïque, 41100 ± 6100, au Chaperon Rouge, 41160 ± 3500 (BOR56) à El Harhoura 1, 37220 ± 2900 (TO-2045) à Dar es Soltane 1. A Haua Fteah, quelques pièces suggérant une présence atérienne, pièces foliacées, pièces pédonculées, figureraient dans un niveau daté de 43200 ± 1300 (GrN2564)3. L’Atérien, culture de la fin du Paléolithique moyen ? A l’idée d’un Atérien datant des alentours de 45000-40000, idée partagée par la plupart des auteurs au cours des années 2000, s’est peu à peu substituée celle d’une plus grande ancienneté, rejoignant ainsi les premières propositions stratigraphiques qui le rapportaient à Würm I. L’idée d’un Atérien aussi ancien a repris corps après les datations obtenues à Uan Tabu, dans le sud-ouest du Fezzan, où les sables renfermant une occupation humaine qui lui est attribuée, ont été datés de 61000 ± 10000 par OSL. Cette date a été depuis non seulement confirmée à Uan Afuda avec des datations TL et OSL allant jusqu’à 90000, mais largement dépassée par les données des sites marocains. L’utilisation de la luminescence stimulée optiquement, OSL, conduit en effet à un vieillissement singulier de ces dépôts, en rapportant à 130000 le niveau atérien d’El Mnasra et les premières tentatives de réalisation d’un pédoncule à 145000 à Ifri n’Ammar. La répétitivité de ces mesures engage à les prendre en compte, tout en restant prudent du fait des incertitudes qui peuvent les frapper quant à la mise à zéro des pièges à énergie. Au Maroc où l’Atérien est le mieux appréhendé, certains auteurs proposent une subdivision en quatre phases dites : Paléolithique moyen ancien daté de 122000 aux Contrebandiers, 112000 à Dar es Soltane 1, Atérien ancien daté de 110000 et 95000 à El Haroura 2, El Mnasra, Dar es-Soltan, Contrebandiers, Atérien récent daté de 80000 et 70000 à El Haroura 2, El Mnasra, Dar es-Soltane 1, Taforalt, Rhafas4…et Paléolithique moyen récent connu entre 60000 et 50000 à El Haroura 2 et Dar es Soltane 1. Par comparaison des diverses données, J.P. Raynal et al retiennent deux fourchettes chronologiques pour la région de Casablanca : une hypothèse haute 75000-55000, une hypothèse basse 60000-45000.
Origine de l’Atérien L’Atérien apparaît comme un ensemble industriel proche du Moustérien auquel il ferait suite. Van Peer voit son origine dans le Sahara oriental, beaucoup 1 - > 39900 et > 38000 à Bou Hadid, 33900 ± 1900 et 32700 ± 1700 à El Ouata. 2 - L’attribution à l’Atérien de sites associés aux Lacs Gris et Olivâtre datés de 140-120000 et 90-70000 qui s’appuyait sur la présence de pièces foliacées, n’a pas été retenue par les auteurs lors d’une révision des industries. 3 .- Sous cette même référence, on trouve également 41450 ± 1300. 4 .- D’après Doerschner et al des pièces pédonculées interviennent vers 109000. Doerschner N., Fitzsimmons K.E., Ditchfield P., McLaren S.J., Steele T.E., Zielhofer C., McPherron S.P., Bouzouggar A., Hublin J.-J., 2016 - A New Chronology for Rhafas, Northeast Morocco, Spanning the North African Middle Stone Age through to the Neolithic. PLoS One. 2016; 11(9): e0162280. Doi: 10.137/journal.pone.0162280.
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L’Atérien et la question du Paléolithique supérieur l’ont vu en Centre Afrique. La coupe de Bérard avait amené H. Marchand et A. Aymé à conclure à l’existence d’un « Moustérien vrai » d’où naîtrait l’Atérien, cette évolution se produisant lors de la « crue des glaciers würmiens ». Ils ont été suivis par L. Balout pour qui l’Atérien se manifesterait en premier en Algérie occidentale, serait plus tardif en Tunisie et au Maroc atlantique, ce que les données radiochronologiques actuelles ne confirment pas. Pour C.R. Ferring, de même, l’Atérien trouverait son origine dans le Moustérien d’Afrique du Nord, pour G. Caton-Thomson, elle serait au Maroc. Une succession Moustérien-Atérien est connue dans divers sites, bien que l’appellation donnée aux dépôts inférieurs puisse changer. La coupe étudiée par H. Marchand et A. Aymé à hauteur du cimetière romain de Aïn Tagoureït (Bérard) leur a livré : dans les trois quarts inférieurs de la couche rouge, un outillage dit « moustérien grossier », dans le quart supérieur et les grès à Helix qui surmontent la couche rouge, une série d’outils pédonculés. Ce serait l’un des rares points de plein air où le Moustérien ferait passage à l’Atérien, une position semblable signalée à Karouba, ayant été abandonnée lors de la découverte d’une pièce pédonculée dans le niveau inférieur de Karouba-Marabout1. B. Howe mentionne la présence d’un Levalloiso-moustérien sous le premier niveau atérien du Mugharet el Aliya. A Témara, M.A. El Hajraoui qualifie de Paléolithique moyen le niveau sous-jacent à l’Atérien dans l’abri d’El Mnasra-Contrebandiers, à Taforalt, J. Roche retrouve un « Moustérien » à la base de l’occupation2. A Haua Fteah, « l’Atérien » serait encadré par deux niveaux dits Levalloiso-moustériens et rapportés au Moustérien. Au Rhafas, la couche atérienne, riche en pièces pédonculées (plus de 12 %), fait suite à un niveau moustérien bien caractérisé, disposant aussi de quelques grattoirs et sporadiquement de pièces pédonculées atypiques. Le passage se fait sans discontinuité par augmentation du nombre de pédonculés. Le faciès de transition « Proto-atérien » utilise un débitage Levallois avec une nette tendance à l’allongement des pièces, il comporte 60 % de racloirs et moins de 5 % de pièces pédonculées ; il se placerait entre 80000 et 70000 ans. Dans le gisement d’El Guettar, la présence d’une pointe pédonculée en milieu typiquement moustérien avait suggéré une certaine contemporanéité qu’a soulignée G. Camps. Cette présence de pièce pédonculée en milieu moustérien signalée dans divers sites, Rhafas, djebel Irhoud... augurerait plutôt de son enracinement. A Ifri n’Ammar, l’Atérien interstratifié dans des dépôts sans pédonculé évoque pour nous ce que J.P. Roset et al proposent à oued Akarit, des prototypes de pédonculé annonçant l’évolution industrielle qui conduira à l’Atérien, plutôt qu’une interstratification. Cela renvoie aux remarques de C.B.M. Mc Burney qui mentionnait des « prototypes de pédoncule » dans le dépôt immédiatement sus-jacent au Pré-Aurignacien. L’Atérien n’a jamais été rencontré succédant directement à une culture autre que le Moustérien (ou un Levalloiso-moustérien) et, dans diverses stratigra1 .- La question serait à revoir entièrement dès lors que l’on admet que la présence d’une pièce pédonculée dans un ensemble industriel ne suffit pas pour le qualifier d’Atérien. 2 .- Une terminologie imprécise, interchangeable, contribue à la confusion dans l’identification des cultures qui succèdent à l’Acheuléen.
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Sahara préhistorique phies, il se montre imbriqué dans le Moustérien ; tout comme dans la séquence du Rhafas, le passage est progressif. Ces deux facteurs qui lient intimement les deux faciès permettent de voir dans le « Moustérien », l’origine de l’Atérien. S. Hajri-Messaoudi rappelle que l’introduction du pédoncule ne laisse apparaître aucune rupture d’ordre structurel et que les industries atériennes pratiquent avec la même constance le débitage Levallois récurrent centripète, innovation qui semble avoir ouvert la voie à d’autres changements tel la tendance à l’allongement des industries, l’utilisation de la méthode Levallois nubienne. Cette particularité ne peut être considérée comme fortuite en raison de sa récurrence (elle est observée en Tunisie, en Libye, au Sahara nord-occidental).
La fin de l’Atérien, une extinction ou une évolution ? En l’absence de superpositions connues, la différence entre les ensembles industriels atériens et ceux qui lui ont succédé, Néolithique au sud, Ibéromaurusien au nord, ont longtemps conduit à l’idée d’un hiatus. Actuellement tout propose une continuité y compris en zone saharienne où la conservation de la tradition Levallois au Néolithique soutient une telle perspective. Dans la plus grande partie de la zone saharienne, l’absence d’industries récentes autres que le Néolithique a laissé conclure à une extinction de l’Atérien. Quand elles se rencontrent en stratigraphie, en effet, les industries atériennes sont toujours sous-jacentes à des industries néolithiques et séparées d’elles par des dépôts sableux significatifs de période aride. Doit-on admettre comme il est dit volontiers, que les populations atériennes disparurent, chassées du pays par la sécheresse, en laissant un territoire aussi vaste que le Sahara, totalement vide d’hommes ? Une réponse vient de la Tadrart où les gravures Kel Essuf attestent d’une niche écologique occupée par l’homme en période hyperaride, ce qui substitue à l’idée de vide humain, celle de rétraction du peuplement en secteurs privilégiés. Dès lors, peut-on conclure à une continuité Atérien-Néolithique en régions privilégiées, en particulier dans le Sahara central ? Au Djebel Moya, P. Graziosi voyait une continuité typologique entre l’Atérien et le Néolithique. J.P. Roset la soupçonne dans le Néolithique ancien de Tagalagal en Aïr. Quelques indices pourraient venir de l’utilisation du débitage Levallois dans diverses industries néolithiques sahariennes. Cette permanence du débitage Levallois pose la question, sans permettre une réponse ferme. Dans le Nord, la fin de l’Atérien semble se situer vers 25000 avec le développement d’industries à dominante lamellaire. Dans la région de Tanger, à Mugharet el Aliya, si l’industrie atérienne est immédiatement sous-jacente au Néolithique1, L. Balout n’y voit pas une continuité mais plutôt la conséquence du balayage d’un dépôt intermédiaire par les Néolithiques ; la découverte de sites ibéromaurusiens au Maroc, en mettant un terme à l’hypothèse d’un îlot de résistance à cette culture, pourrait valider cette proposition d’autant qu’à 1 .- La reprise des fouilles dans les grottes de Gar Kahal, Kaf Taht el Gar, celles effectuées à Kef el Hamar y ont, de même, retrouvé une occupation atérienne reposant sur le bed-rock et supportant les niveaux néolithiques.
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L’Atérien et la question du Paléolithique supérieur Taforalt, à la grotte du Juif près de Sefrou, El Mnasra, par exemple, l’Atérien est surmonté par l’Ibéromaurusien. A Kouali, Demnet el Hassan, Aïn Khiar, Kef oum Touiza... des lamelles à dos sont intimement mêlées à un Atérien de petite dimension qui, autant qu’un mélange d’industries, peut être une phase de transition. A Sidi Saïd, le changement de matériau associé à la réduction de la dimension des pièces suggère une évolution en direction de l’Ibéromaurusien. L’Atérien n’est systématiquement surmonté par un niveau stérile que lorsqu’il est sous-jacent à une occupation capsienne comme à la grotte des Ours, la grotte du Mouflon à Constantine, ou à Oued Serdiesse, El Oubira dans la région de Tébessa. Divers auteurs notent de troublantes coïncidences entre le Solutréen d’Europe sud-occidentale (Portugal et Sud-Est de l’Espagne) et l’Atérien final, c’est le cas du développement de la retouche plane, envahissante, pour façonner des pièces foliacées, du façonnage de pédoncules. On ne peut a priori rejeter l’hypothèse de contacts, le Solutréen apparaissant lors d’un bas niveau de la mer. A. Bouzouggar renforce cette présence par des dates : le Solutréen se développe de 21000 à 19000, des éléments comparables sont datés de 24000 à 21000 au Maroc. Il attire l’attention sur les implications des modifications des lignes de rivage lors des régressions. Tenant compte de la présence d’îles alors découvertes dans le détroit, un passage par étape de 6, 4 et 2 km se dessinerait dont le seul élément contraignant pourrait être le courant. G. Camps rappelle que le Solutréen espagnol étant aussi plus récent que celui de France, des éléments doivent être recherchés pour asseoir son origine.
Principaux sites atériens En zone saharienne, on ne dispose d’informations que pour de rares secteurs privilégiés qui ont fait l’objet de travaux plus ou moins développés, l’Immîdir et le Tidikelt, la vallée de la Saoura, le nord du Niger et du Mali, la vallée du Nil et le désert proche. Au Nord, la recherche d’indications chronostratigraphiques en relation avec les niveaux marins a longtemps privilégié l’étude des coupes de gisements côtiers ; le matériel qui en a été retiré est peu abondant et ne donnait accès à aucune structure, voire à aucune composition du sac à outils. Il en résultait une connaissance médiocre des industries, quasi nulle de l’organisation spatiale et des modes de vie jusqu’aux travaux récents. Face à l’ensemble de ces problèmes, il a paru judicieux de suivre les subdivisions proposées par Th. Tillet et de regrouper les sites selon qu’ils sont fournis ou non en pièces pédonculées, qu’ils comportent ou non des pièces foliacées.
Ensembles industriels pauvres en pièces pédonculées Aïn Mansoura Site de la région de Tébessa, la station qui fut découverte par M. Reygasse, n’a été étudiée que bien plus tard, par J. Morel. Les silex dégagés par l’érosion apparaissent en rive gauche de l’oued, à une centaine de mètres de la source. L’industrie est associée à un cailloutis qui repose sur une argile et qui
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Sahara préhistorique est lui-même recouvert d’argile. Dans chacun des sondages faits par J. Morel, se retrouvent mêlées des pièces fraîches et d’autres émoussées, ce qui montre qu’elles sont en position secondaire.
L’Atérien est un ensemble industriel typique de l’Afrique, proche du Moustérien, il en a conservé une technologie d’éclats, un débitage Levallois. Il tire son originalité d’un emmanchement qui peut affecter n’importe quelle pièce lithique et qui se traduit par un pédoncule aménagé dans la partie la plus robuste, la base. Cette technologie disparaîtra dans les cultures suivantes, sans que l’on en saisisse les motifs. Déployé au Nord de 15° parallèle, l’Atérien succède au Moustérien dans nombre de gisements. Diverses stratigraphies -qu’elles soient de plein air comme Kouali ou sous abri comme Taforalt-, ou la technologie avec des pré-pédoncules à oued Akarit, un Proto-atérien à Ifri n’Ammar suggèrent d’en chercher les racines dans le Moustérien. Mais, les relations entre ces deux ensembles industriels paraissent complexes. Les intercalations d’ensembles atériens et d’ensembles moustériens ou assimilables que l’on connaît à Haua Fteah, Ifri n’Ammar, traduisent peut-être les hésitations, les diachronies dans une innovation, le pédoncule, dont on cherche en vain la motivation depuis des décennies. Les effets du climat paraissant un élément majeur dans le choix des implantations et les transformations des ensembles industriels, divers auteurs s’interrogent sur la possibilité d’un lien entre ces innovations et les phases de détérioration climatique, celles dites du stade isotopique 5, il y a de 130000 à 71000 ans, ayant pu être déterminantes ; les dates de plus en plus hautes auxquelles on rapporte le pédoncule, ne contredisent pas cette hypothèse en raison des nombreuses crises climatiques identifiées durant ce stade. Enraciné dans le Paléolithique moyen, l’Atérien se développe, pour la plus grande part, durant le Paléolithique supérieur vu comme échelle chronologique. Il a pu être beaucoup plus précoce dans certaines régions, perdurer dans d’autres. Il marque nettement la divergence dans l’évolution des cultures préhistoriques africaines et européennes. Il disparaîtrait vers le 25ème millénaire. Longtemps, on a cru qu’un hiatus séparait l’Atérien des cultures qui l’ont précédé et de celles qui l’ont suivi. On sait aujourd’hui qu’il s’agissait simplement d’une insuffisance des connaissances. Toute l’industrie1 est en silex. Les éclats prédominent, les lames sont présentes 18 %, ainsi que quelques lamelles. La plupart des nucléus est discoïde, 1 .- Cf Annexes p. 376.
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L’Atérien et la question du Paléolithique supérieur certains sont Levallois. Les percuteurs sont rares, ce qui est en harmonie avec un débitage effectué au percuteur doux. Le débitage Levallois est bien affirmé, IL = 25, avec des talons le plus souvent facettés, volontiers amincis. La retouche la plus courante est oblique courte, mais aussi écailleuse et, à un degré moindre, abrupte ; les outils multiples sont assez courants. Les pièces pédonculées sont rares, 2 pointes Levallois, 2 racloirs. Les pointes sont allongées, certaines retouchées en racloirs partiels ou à encoche. Les racloirs sont particulièrement nombreux, en majorité simples ou convergents ; les grattoirs, de préférence simples sur éclat, n’atteignent pas 10 %. Les denticulés constituent le second groupe d’outils 25 %, leur aspect est varié, un certain nombre est associé à un racloir. Il existe quelques burins, quelques perçoirs, de rares couteaux, quelques pièces foliacées. Les encoches, fréquentes, pourraient être dues à des agents naturels. Malgré la richesse en racloir et le peu de pièces pédonculées, J. Morel croit à un faciès tardif. Ekouloulef Un des rares sites connus actuellement dans le massif de l’Aïr, Ekouloulef, prend place dans un petit cirque de blocs granitiques et doit probablement sa conservation à cette position. D’après Th. Tillet, il s’agirait de matériel remanié dans des niveaux travertineux datés entre 18600 et 4000 B.P. Les quelque 70 pièces- qui constituent l’ensemble industriel consistent pour presque la moitié en pièces Levallois brutes. Viennent ensuite les racloirs avec seulement 15 %. Les galets aménagés sont courants 11 %. Les denticulés n’atteignent que 8,5 %. Il existe de rares encoches, grattoirs, près de 3 % chacun, quelques pièces diverses 7 % et un burin, un perçoir, un biface, une possible pièce foliacée, ainsi qu’un couteau. Les quelques pièces pédonculées, 4,3 %, ont un pédoncule mal dégagé par des coches alternes. El Harhoura 1 La grotte d’El Harhoura 1 (= grotte Zouhrah) a été identifiée en 1976 au sud de Rabat, elle a fait l’objet de fouilles de sauvetage en 1976 et 1977. Elle renfermait 4,5 m de remplissage rapporté à l’Atérien pour les deux couches inférieures, au Néolithique pour la couche supérieure. En 1980, A. Debénath y trouvait une mandibule humaine, antérieurement une canine avait été mise au jour. De ce gisement provient une pendeloque en os qui fut longtemps un des rares témoins de parure des Atériens, ainsi que de leur travail de l’os. L’industrie est pauvre, limitée à quelques galets aménagés, des racloirs et des denticulés. Elle s’accompagne de nombreux restes de faune avec une abondance de gazelles, des Equidés appartenant à deux espèces, Equus mauritanicus et aff. algericus, rhinocéros, bovins, porcs-épics, félins, des oiseaux dont l’autruche, des mollusques et des crustacés en particulier des crabes. Riche d’une cinquantaine d’espèces et d’individus nombreux, cette faune indique un environnement varié et une chasse préférentielle d’adultes, voire d’individus âgés. Les petits individus, ceux de taille moyenne ont été exploités sur le site, les grands qui sont rares, n’y ont été ramenés que partiellement. Toute la faune présente n’a pas été attribuée aux hommes, en l’absence de traces de découpe, H. Aouraghe et al ont
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Sahara préhistorique imputé de nombreux restes à des Carnivores, principalement des hyènes et des porcs-épics, ce sont eux qui seraient responsables de l’importance de l’accumulation faunique. Une datation par radiocarbone sur coquilles d’Helix donne des résultats de quelque 10000 ans plus jeunes que celles obtenues par thermoluminescence 41160 ± 3500 et 32150 ± 4800. Foum el Alba En 1969, R. Vaufrey a fait connaître un ensemble de gisements dans la dépression malienne de Foum el Alba. Les travaux de M. Raimbault, puis Th. Tillet, en décrivent qui, fréquemment, télescopent des industries acheuléennes, atériennes ou/et néolithiques jalonnant le tour d’anciennes cuvettes lacustres. L’outillage atérien a été façonné dans un quartzite blond provenant du plateau de Foum el Alba. Le débitage Levallois est courant, la plupart des nucléus discoïde. Les talons montrent une prédominance de formes facettées pour le matériel Levallois, lisses pour le matériel non Levallois. Les pièces pédonculées sont rares. Les pédoncules parmi lesquels prédomine le type b, affectent volontiers des éclats ou pointes Levallois brutes. Foum el Alba 41 se trouve sur le bord nord d’une petite cuvette lacustre et présente le même mélange d’industries avec forte proportion d’Atérien. Le matériel étudié par Th. Tillet provient d’un ramassage exhaustif de 100 m2. Il comporte surtout des nucléus discoïdes. Les pièces ne conservent pas de cortex et présentent une légère supériorité des produits déjetés à droite. Les pédoncules affectent une seule pièce retouchée, bifaciale, les autres, dont quatre pointes, sont restées brutes ; les pédoncules sont de divers types mais tous obtenus par enlèvements quadridirectionnels. Foum el Alba 122 est situé au sud du puits, à peu de distance de Foum el Alba 4. Le débitage a privilégié la technique Levallois linéale centripète. Les pointes en forment le tiers et une tendance laminaire s’y perçoit. Th. Tillet note le peu de pièces Levallois retouchées (un burin) et la fréquence de pièces légèrement déjetées à droite. Les pièces pédonculées sont plus nombreuses qu’en Foum el Alba 4, ce sont des pièces très variées parmi lesquelles figurent deux lames brutes, une pointe marocaine et une pointe pseudo-saharienne. Toutes les formes de pédoncule, sauf élargi à la base, s’y retrouvent. Foum el Hartani Le gisement reconnu en 1961 par J. et N. Chavaillon dans la Saoura, prend place sur une croûte qui coiffe la surface ougartienne renfermant de l’Acheuléen final à bifaces et hachereaux. Il a livré plus d’un millier d’objets, façonnés dans des matériaux issus des conglomérats taourirtiens voisins, avec prédominance de meulière, utilisation de quartzite, éventuellement de jaspe. L’étude du matériel a été l’une des premières à préciser le détail de la chaîne opératoire3 permettant aux divers produits du débitage Levallois de participer davantage à l’identification culturelle. N. Chavaillon reconnaît ainsi une dizaine de types parmi lesquels de nombreux éclats longitudinaux lui donnent un aspect évolué. 1 .- Cf Annexes p. 369. 2 .- Id. 3 .- Cf A. Leroi-Gourhan, 1994 - Dictionnaire de la Préhistoire. 2éme éd. : 225.
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L’Atérien et la question du Paléolithique supérieur Les éclats corticaux et les éclats obliques prédominent, le débitage Kombewa est présent. D’une manière générale, les modules les plus grands sont les éclats Levallois ; ils sont souvent amincis, les talons facettés prédominant. Les nucleus sont en majorité de type moustérien à fond pyramidal, puis Levallois à éclat ou à pointe, quelques cas de nucleus semi-circulaires ou à deux plans de frappe opposés et un nucleus à lames sont notés. Les outils1 proprement dits se réduisent essentiellement à des denticulés, souvent pièces cassées réaménagées, et des racloirs. Les pièces pédonculées sont de petite taille, une seule a un limbe brut. Leur petit nombre pourrait résulter de ramassages antérieurs car l’industrie est peu différente de celle de Zaouia el Kebira2, site qui se trouve à proximité et présente des conditions semblables. Le Chaperon Rouge Le gisement dit Chaperon Rouge découvert en 1974 aux abords de Rabat, est un site de plein air également rapporté à l’Atérien malgré la rareté des pièces pédonculées, l’absence de grattoirs, la fréquence des racloirs. Il est daté de 41100 ± 6100 et 28200 ± 3300 par thermoluminescence. Localisé sur un plateau qui domine l’oued Akrech, le site est inclus dans des sables qui surmontent des calcaires. J.P. Texier a pu identifier divers aménagements, des trous de poteau, un usage courant du feu, qui supposent un habitat avec structuration de l’espace. Les matériaux utilisés sont variés, mais sont tous disponibles en galets dans l’oued Akrech. Les nucléus identifiables sont en majorité Levallois ; parmi eux, l’auteur distingue de très petites pièces, 2 à 3 cm, en relation avec les dimensions des rognons mais qui lui permettent d’évoquer des convergences avec le site de Seggedim dans le Nord du Niger et du Pech-de-l’Azé IV en France, où cette même particularité a été signalée. Le débitage est faiblement Levallois, faiblement laminaire. Il existe des éclats Kombewa. Les éclats sont obtenus au percuteur dur, leur talon est le plus souvent lisse ou cortical ; il n’a été que rarement ôté. ` Le sac à outils3 renferme quelques bifaces et un nombre important de galets aménagés. Tous les bifaces entiers appartiennent au type cordiforme. Les choppers présentent indifféremment des tranchants convexes ou concaves, rarement anguleux. Les chopping-tools, moins fréquents, se répartissent entre tranchant droit, tranchant convexe et chopping-tools à pointe. Les percuteurs sont courants. De l’outillage léger, habituel à l’Atérien, seuls les racloirs, encoches et denticulés sont en nombre sensible ; les grattoirs manquent, de même que les perçoirs et les burins. Les racloirs sont de types variés avec toutefois suprématie des fronts convexes et position transversale fréquente. Leur facture est de qualité très diverse, la retouche écailleuse n’est pas rare. Les coches peuvent être directes ou inverses sur pièces encochées, toujours directes sur les denticulés. Les quelques couteaux à dos sont pour la plupart « en quartier d’orange ». Les pièces pédonculées comportent une pointe Levallois ogivale à pédoncule de type b1, une lame Levallois à pédoncule b5, un éclat tronqué à pédoncule b2, une pointe marocaine à pédoncule e1, un éclat à pédoncule b4. 1 .- Cf Annexes p. 375. 2 .- Cf composition du sac à outils p. 372. 3 .- Cf Annexes p. 373.
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Sahara préhistorique Chaperon Rouge n’est pas le seul gisement atérien où les galets aménagés sont nombreux et qui renferme des bifaces. A Reggan-Taourirt, site dont certains ont pu se demander s’il ne s’agissait pas de Reggan R/31, N. Chavaillon a récolté 360 pièces taillées comportant 3 pièces pédonculées et 9,5 % de galets aménagés, ainsi que des petits bifaces allongés et épais qu’elle associe au matériel atérien. A moins de 50 km de là, Sali a livré un ensemble industriel aux mêmes caractéristiques et où ne se trouvait qu’une seule pièce pédonculée MES 11 Découvert en 2008, par A.R. Foley et al, au sortir d’une des gorges qui entaillent le plateau du Messak, le site se développe dans la partie supérieure et à la surface de la terrasse T2 et s’étend avec une faible densité sur les formations voisines. Il est réduit à son expression lithique. La distribution du matériel n’est pas homogène, en surface se retrouvent pièces pédonculées et pièces foliacées, alors que l’un des sondages a plutôt fourni des pièces discoïdes transformées en racloirs, encoches et denticulés. Le débitage a utilisé divers modes, Levallois récurrent centripète pour l’essentiel, parfois récurrent unipolaire ou préférentiel, nubien type 1, ou bipolaire pour obtenir de larges lames. Un débitage non Levallois convergent, parfois discoïde, a été également employé. L’industrie2, fortement dominée par les racloirs, plus du quart, riche en denticulés, comporte un pourcentage sensible de couteaux, quelque 3 % de pièces pédonculées et presque autant de pièces foliacées, il y a un fragment de biface, pas de burins, ni retouches abruptes, les objets perforants sont tous des becs. Témara Une occupation atérienne a été identifiée non loin de Dar es Soltane dans la Grotte des Contrebandiers (parfois nommée El Mnasra I) découverte par J. Roche en 1955 à Témara. Les fouilles menées par J. Roche y mettaient au jour, en 1955, une mâchoire humaine connue sous le nom « d’Homme de Témara »3. En 1975, alors que A. Debénath découvrait des restes humains à Dar es Soltane 2, J.P. Texier retrouvait un fragment d’occipital et de frontal dans ces dépôts. En 1994, A. Bouzouggar, puis S. Niftah, rouvrirent les fouilles ; elles furent reprises en 2006 par M. A. El Hajraoui et H. Dibble. Les dépôts anthropiques reposent sur une croûte à passées sableuses indurées manifestation de la transgression ouljienne sur le plancher de la grotte. Ils sont emballés dans des sables plus ou moins argileux, contenant des cailloux et des blocs de grès dunaires effondrés de la voûte, les blocs forment même un véritable lit qui divise en deux le niveau atérien. L’essentiel des dépôts est attribué à l’Atérien. Comme dans le gisement voisin de Dar es Soltane, l’Atérien est surmonté d’un niveau ibéromaurusien que coiffe un niveau néolithique. J. Roche attribuait au Moustérien quelques pièces retrouvées au-dessous du niveau atérien, et qui pourraient tout aussi bien appartenir à l’Atérien. Les fouilles récentes ont identifié nettement un niveau sans pédonculé, nommé moustérien, sous-jacent à l’Atérien, et retiré quelques bifaces de sa base. Outre des restes 1 .- Cf p. 61. 2 .- Cf Annexes p. 377. 3 .- Elle fut d’abord attribuée à l’Acheuléen.
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L’Atérien et la question du Paléolithique supérieur humains, un matériel abondant a été mis au jour, il montre un recours important aux produits de la mer, marqué par la fréquence des coquilles de Mollusques. La faune renferme une vingtaine d’espèces de mammifères avec Connochaetes taurinus, Alcelaphus buselaphus, Bos primigenius, largement dominée par Gazella dorcas. Sus scrofa est bien représenté, Phacochoerus africanus l’est peu. Hippopotamus amphibius, Stephanorhinus hemitoechus, Equus sp., sont aussi présents. Des coquilles de Patella, Mytilus, Perna traduisent la consommation de coquillages alors que plusieurs coquilles de diverses espèces de Nassarius, évoquent une ornementation. Un ou deux oiseaux, de la tortue proviennent eux aussi de rejets de nourriture, Seules les couches VII, V et III de la stratigraphie établie par A. Bouzouggar ont été assez fournies pour permettre une étude. Le débitage est fait par percussion directe au percuteur dur jusqu’à la couche V où intervient l’usage d’un percuteur tendre. Le débitage Levallois est partout largement employé IL = 50 en VII, seulement 25 en V, mais remonte à 41 en III. L’indice moustérien est sensible =19 en VII, 28 en V et 21 en III, dû à la présence de nombreux racloirs mais qui sont peu variés, simples pour la plupart. L’indice paléolithique supérieur est insignifiant dans chaque couche, celui d’encoches-denticulés passe de 22 en VII à 17 en III, avec un pic à 27 en V. L’indice de pédonculés ne cesse de croître, il est inférieur à 1 dans la couche VII, à 5 dans la couche V et atteint 17 dans la couche III. Les matériaux employés, calcaire prédominant, quartzite, quartz, plus rarement silex, se trouvent dans un rayon de moins de 40 km. Un choix de matériau, en l’occurrence les chailles, est manifeste pour les racloirs et les pédonculés alors que les coches et denticulés connaissent les mêmes variétés, chailles, calcédoine, quartzite... que les nucleus. Diverses datations faites par radiocarbone et U/Th ont donné des résultats sans cohérence auxquels aucune explication n’a été trouvée1. La date de 24500 ± 600 B.P. (Gif 2582) a été obtenue pour la couche VII. Une seule autre date, 23700 ± 1000 B.P. (Gif 2585) semble à retenir. De récentes datations OSL fournissent des dates beaucoup plus hautes allant de 117000 ± 9000 à 94000 ± 9000. Dans la grotte voisine, El Mnasra (= grotte du Casino), la présence d’un remplissage archéologique a été notée par J. Roche en 1956, les fouilles ne furent faites qu’à partir de 1990 par M. A. El Hajraoui. Dans les 4,4 m de sédimentation furent identifiées 13 couches ; les couches 4 à 7 sont attribuées à l’Atérien, les couches sous-jacentes, très pauvres ou stériles sont simplement dites Paléolithique moyen, les couches sus-jacentes sont rapportées à l’Ibéromaurusien et au Néolithique. L’outillage lithique se réduit à moins de 80 pièces surtout des racloirs et galets aménagés, puis des denticulés, il existe de rares couteux, grattoirs, burins, pièces foliacées ; un pédoncule affecte une dizaine de pièces. Les couches 5 et 6, les plus fournies, ont livré un riche outillage osseux montrant la maîtrise et la variété des techniques, ce qui conforte les données provenant d’El Harhoura. Elles ont également livré de l’hématite en petits blocs portant des stries de raclage, un galet avec restes de pigments, de nombreux 1 .- Ainsi une même coquille a été datée de 22630 ± 500 B.P. (Gif2576) par 14C et 137000 ± 17000 par U/Th.
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Sahara préhistorique coquillages souvent perforés, dont 90 % sont des Nassarius, des foyers creusés. Des dates ESR-U remontent l’occupation des couches 7 à 66000 ± 2000 (EM0601), des couche 6 à 89000 ± 6000 (EM0604) et 6a à 67000 ± 2000 (EM0603). Des datations OSL indiquent des âges plus anciens : 133200 ± 7000 (EM08-1) pour la base, 95400 ± 9300 (EM10-5) pour le sommet1. Quoique pauvre, la faune est dominée par Gazella dorcas, suivie de Bos primigenius, Connochaetes taurinus, Alcelaphus buselaphus ; Hippopotamus amphibius, Phacochoerus africanus, Sus scrofa, Oryx, Equus sp., Gazella atlantica, Stephanorhinus hemitoechus sont plus rares. Ils traduisent un milieu peu boisé à tendance aride avec points d’eau. Touggourt Tg-km25 Non loin de l’oasis de Touggourt, vers l’extrémité nord-occidentale du Grand Erg Oriental, deux sites de surface voisins, Tg-km25-I et Tg-km25-II, ont été identifiés par G. Amorsi. Ce sont de petits gisements d’une centaine de m2 où, gisant dans un voile de sable, le matériel lithique abondait, à l’exclusion de tout autre reste. Ce matériel, en quasi-totalité taillé dans des rognons de calcédoine locale de mauvaise qualité, est souvent brisé ; ceci peut résulter d’un piétinement, cependant la cassure qui mène à l’enlèvement des talons sur la moitié des racloirs et en proportion moindre sur les autres pièces, pose plutôt le problème d’un enlèvement volontaire. De rares nucléus en silex montrent que ce matériau a pu aussi être travaillé sur place dans les deux sites, mais a servi exclusivement à la fabrication de racloirs dans l’un. Les nucléus sont discoïdes ou informes, les nucléus Levallois rares. Les produits bruts abondent, ce sont de petits éclats, rarement Levallois. L’outillage2 est peu varié, quatre types, racloir convexe, grattoir, denticulé et encoche auxquels s’ajoutent de fréquentes pièces à retouche continue, regroupent les trois quarts des pièces. Les denticulés présentent une certaine variété d’aspect. Les racloirs, autour de 20 %, ont un front court, souvent convexe. Les grattoirs, de l’ordre de 10 % seulement, sont bien typés, de même les perçoirs dont la présence est discrète. Les pièces pédonculées sont rares, particulièrement en Tg-km25-I. Uan Tabu Dans l’Akakus, en bordure de l’oued Teshuinat, l’abri sous roche de Uan Tabu conserve un dépôt anthropique de 2,55 m d’épaisseur dans lequel E.A.A. Garcea a identifié quatre niveaux. Le niveau inférieur qui est séparé du suivant par 4 à 5 cm de sable, a livré un ensemble industriel qui pourrait appartenir à un Atérien tardif en raison d’indices laminaire et pédonculé bas. Le matériel3 est en quasi-totalité taillés dans des grès. Les nucléus, nombreux, montrent une préférence pour des pièces à deux plans de frappe opposés ou à plans de frappe multiples, sans que cela ait éliminé un débitage moustérien (3,3 %) ou Levallois (3,5 %). Le débitage consiste en éclats, lames, pointes Levallois et quelques 1 .- Si les séries de dates obtenues sont parfaitement cohérentes, elles n’en soulèvent pas moins un problème, celui d’un possible vieillissement systématique lié aux techniques employées, en effet le niveau 3 qui a livré quelques lames et lamelles rapportées au Paléolithique supérieur, est daté de 71600 ± 5300. 2 .- Cf Annexes p. 374 et 376. 3 .- Cf Annexes p. 370.
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L’Atérien et la question du Paléolithique supérieur lamelles. Les racloirs qui montrent une préférence pour le type simple convexe, les encoches et denticulés affectant indifféremment éclat, lame ou pièce Levallois, sont courants. Les grattoirs sont rares. Les pédoncules sont portés par des racloirs, encoches et éclats retouchés. Deux hachereaux étaient associés à ce matériel. La date de 61000 ± 10000 obtenue par OSL est confortée par celles venant de Uan Afuda où un niveau attribué avec précaution à l’Atérien, est daté de 70500 ± 9500 et 73000 ± 10000 par TL, de 69000 ± 7000 et 90000 ±10000 par OSL. Yat Gisement atérien reconnu dans le massif du Djado et étudié par Oumarou Amadou Ide, le gisement de Yat occupe de manière homogène un reg de cailloutis, sur une surface de l’ordre d’un hectare. Les matériaux sont des quartzites ferrugineux noir. Le débitage Levallois domine et les pièces obtenues ainsi sont souvent restées brutes. Racloirs, grattoirs, perçoirs, denticulés et de rares encoches complètent l’ensemble lithique. Les pièces pédonculées sont fort rares et présentent de petits pédoncules mal dégagés.
Ensembles industriels à pièces pédonculées nombreuses Azarza A Azarza, dans la Sahara malien, M. Raimbault, puis Th. Tillet et A. Morel ont reconnu une coupe où l’aride ogolien est traduit par divers dépôts éoliens dont l’un renferme des traces de racines et de dépôts palustres. Le gisement atérien Azarza 2 serait partiellement inclus dans le niveau sus-jacent. Cette position appellerait un climat subaride. Th. Tillet et A. Morel lui accordent un âge entre 20000 et 12000 ; pour M. Raimbault, il serait beaucoup plus ancien, pouvant remonter à 45-40000 ans. D’après Th. Tillet, le matériel Levallois abonde1 mais le débitage a plutôt laissé des nucléus discoïdes. Les denticulés prédominent, les encoches restent extrêmement modestes en nombre. Les racloirs, de même que les grattoirs sont peu fréquents. Les pièces pédonculées, 15 % des pièces retouchées, sont plutôt à limbe brut, un pédoncule ne se retrouvant que sur un racloir et une pointe. A Azarza 42, l’outillage façonné sur silex et quartzites, ne diffère de celui d’Azarza 2 que par l’absence de grattoirs, déjà peu nombreux à Azarza 2, et le plus grand rôle des couteaux. Les nucléus discoïdes sont majoritaires et le débitage est Levallois à plus de 60 %. Les talons facettés dominent sur les pièces Levallois, les talons lisses sur les pièces non Levallois. Les éclats sont souvent déjetés à gauche. Les pédoncules, près de 20 % des pièces retouchées, affectent des pièces brutes ; il n’y a pas de pièce bifaciale. Signalée dès 1905 par le Général de Lamothe, l’industrie apparaît en divers points de la falaise d’Aïn Tagoureït (=Bérard), dans une couche rouge surmontant la plage à pétoncles et dans la partie inférieure de grès dunaires qui la surmontent ; les affleurements les plus importants se voient l’un, légèrement à l’ouest du cimetière, l’autre au Rocher plat à l’ouest d’Aïn Tagoureït. Au gisement du cimetière, dit Bérard, les nucléus sont rares, petits relativement aux di1 .- Cf les décomptes de l’outillage en Annexes p. 370. 2 .- Id.
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Sahara préhistorique mensions du débitage. Les formes Levallois sont les plus fréquentes, en particulier celles fournissant un éclat arrondi, mais il est aussi fait état de nucléus discoïdes ainsi que de nucléus plus ou moins pyramidaux. De nombreuses lames épaisses ont été tirées de galets brisés obliquement puis taillés à partir de cette cassure. Le talon des produits de débitage est indifféremment lisse ou facetté. Les pointes sont sommaires, peu ou pas retouchées. Les racloirs forment une part importante des outils1 avec deux types bien représentés, les racloirs convexes et surtout ceux sur face plane. Des 16 pièces pédonculées décomptées, 4 sont des racloirs, 2 des pointes. Pour L. Balout, ce serait un atelier de taille en raison de l’abondance de la matière première, galets de quartzite et fragments de labradorite, du grand nombre de déchets, éclats atypiques et du petit nombre d’outils qui sont généralement brisés. Ces matériaux proviennent des alentours sauf les labradorites dont, d’après cet auteur, le gisement le plus proche se trouverait au Cap Djinet, une centaine de kilomètres à l’est ; or d’après A. Guelmaoui, ce sont ces roches qui ont été le plus souvent employées puisqu’il les retrouve dans les trois quarts des cas. Toutefois, les petits objets pédonculés sont façonnés sur silex. La présence de ces petites pièces dans les gisements riches en quartzite ou matériaux comparables, montre que l’emploi du silex procède bien d’une sélection. Bir el Ater ou Oued Djebbana Site éponyme de l’Atérien, le gisement de l’oued Djebbana, souvent nommé Bir el Ater, fut signalé en 1917 par M. Reygasse dans la région de Tébessa. Il occupait la base d’une berge abrupte de l’oued, détruite depuis par l’érosion. Le niveau archéologique apparaissait sur une longueur d’une trentaine de mètres et une épaisseur moyenne de 1 m. Il reposait sur une couche argileuse et était recouvert par plusieurs mètres2 de dépôts argilo-sableux renfermant de rares graviers qui passaient à des cailloutis immédiatement au-dessus de la couche archéologique. Celle-ci de couleur noirâtre était constituée de cendres, ossements calcinés tendant par place à une brèche osseuse, coquilles d’Helix peu abondantes ; elle était riche en pièces pédonculées, 34 %, comportait de nombreuses pointes, grattoirs, disques. Il y avait des racloirs, quelques lames retouchées, lames à coches et scies. L. Balout apporte quelques précisions supplémentaires en mentionnant des disques de petites dimensions, pédoncules aménagés avant l’achèvement de la pièce, grattoirs faits sur éclat épais ou sur lame, allongés, souvent carénés. En 1933, R. Vaufrey faisait état d’un burin latéral sur troncature, outil qui sera courant plus tard dans le Capsien typique. Depuis, des récoltes faites par J. Morel ont complété ces informations. L’industrie lithique est tirée d’un silex de très bonne qualité qui foisonne au voisinage. Le quart de l’outillage porte un pédoncule. Il se trouve sur un vaste éventail de formes où il est d’importance et de morphologie variables, mais affecte de préférence des éclats et pointes Levallois, des grattoirs et des racloirs ; une limace en est pourvue. Le reste du matériel récolté par cet auteur comprend 1 .- Cf détail p. 271. 2 .- Leur épaisseur a été diversement appréciée : 3,80 m pour M. Reygasse dans sa première publication (1919-20), 8 m en 1931. La présence de graviers, le bombement qui se note sur les photographies disponibles, évoqueraiznt un remblaiement type El Haouita plutôt qu’un dépôt de terrasse. A l’inverse de ce qui a été proposé, il traduirait alors une période aride. Ceci expliquerait les importantes différences de hauteur rapportées par Reygasse.
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L’Atérien et la question du Paléolithique supérieur plus de 600 outils1 à prédominance de grattoirs qui forment près du tiers du lot, les formes sont variées bien que privilégiant les grattoirs sur éclat retouché. Les racloirs sont eux aussi fréquents, 23,3 %, dominés par les racloirs simples convexes et convergents biconvexes. Le débitage est connu par le biais de 10 lames, 7 éclats, d’une cinquantaine de menus éclats. Les nucléus, 68, sont pour la quasi-totalité discoïdes, plats, deux sont pyramidaux. Un seul, en pyramide surbaissée, a une forme en carapace de tortue. Un autre est quadrangulaire, les enlèvements subparallèles sur chaque face y sont de directions perpendiculaires. Divers mammifères sont représentés par quelques dents ou fragments osseux : Alcelaphus buselaphus, Bos primigenius, Connochœtes taurinus prognu, et surtout un Equidé E. burchelli qui est proche d’E. mauritanicus. D’un secteur riche en cendres, provient une coquille perforée de Articularia gibbosa, gastéropode marin très fréquent dans le golfe de Gabès qui outre la matérialisation de tel contact, souligne l’intervention du symbolisme dans la pensée de ces populations. Il est probable que ce soit elle dont H. Camps-Fabrer fait état en 1966 dans la collection Morel, sous le nom de Nassa gibbosula. Celle des collections du Musée de l’Homme présentée sous l’appellation Nassarius gibbosulus2, est vraisemblablement la même, la collection Morel ayant été versée à ce musée. Le gisement a probablement livré à M. Reygasse un autre exemplaire de parure semblable qui est mentionné sous le nom de Sphæronassa gibbosula.
Fig. 48 – Le gisement de l'oued Djebbana (d'ap. Balout 1955).
Dar es Soltane 1 Au sud de Rabat, Dar es Soltane 1 est creusée dans les grès dunaires et fut fouillée par A. Ruhlmann en 1937 et 1938. L’Atérien apparaît en lentilles plus ou moins importantes dans des niveaux argilo-sableux. La coupe dégagée par A. Ruhlmann montre à la base du remplissage archéologique un sable coquillier surmonté d’une terre argilo-sableuse, le tout d’une épaisseur de l’ordre de 1 m, reposant sur une lumachelle qui marque une ancienne ligne de rivage ; la régression était donc enclenchée depuis longtemps lorsque les hommes se sont instal1 .- Cf Annexes p. 374. Les décomptes effectués par J. Morel et par A. Guelmaoui ne portent pas sur le même nombre d’objets, néanmoins, hormis les indices laminaire et Levallois nettement plus élevés dans les décomptes Morel, ils parviennent à des résultats similaires. 2 .- Contrairement à ce que laissent entendre certains textes, des coquillages semblables retrouvés dans des niveaux atériens datés autour de 80000 ne permettent pas d’extrapoler à partir de cette seule présence et d’accorder cet âge au gisement de Bir el Ater.
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Sahara préhistorique lés. L’occupation la plus ancienne (I), de 0,30 m d’épaisseur, a été attribuée à un Atérien ancien, Atérien I ou inférieur. Elle était surmontée de plus de 1,50 m d’un niveau argilo-sableux sans industrie ni faune. Une nouvelle occupation atérienne (C2), avec traînées charbonneuses, d’épaisseur comparable à la précédente lui faisait suite ; ce serait l’Atérien II ou supérieur. Au-dessus venait plus d’un mètre de sédiments stériles sur lesquels reposaient une industrie remaniée (C1) qui était coiffée par des éboulis, puis 5,60 m de terre noire cendreuse, riche en coquilles, attribuée à un Néolithique de tradition ibéromaurusienne, enfin plus de 0,50 m d’une terre grise. Sous les éboulis qui coiffent la couche C1, A. Ruhlmann a dégagé deux squelettes mechtoïdes1. Le matériel archéologique de ce niveau a donné lieu à de nombreuses discussions. L. Balout l’assimile à la couche inférieure de La Mouillah ou des Troglodytes, industries peu typées, pauvres, utilisant parfois le débitage Levallois, mais produisant surtout des éclats irréguliers pouvant porter des encoches, des écrasements, plus rarement une retouche abrupte ou écailleuse. Pour cet auteur, la séquence de Dar es Soltane montrerait qu’il s’agit d’une industrie postérieure à l’Atérien avec lequel elle ne saurait être confondue et qui, a fortiori, ne saurait l’être avec le « Levalloiso-moustérien » pré-atérien, même si elle présente des caractères voisins. Les deux couches atériennes ne présentent pas de différences fondamentales entre elles2. La couche supérieure comporte moins de talons facettés parmi les outils (IF = 49,9 et 51,7, IFs = 30 et 41,4), moins de lames (Ilam = 13,7 et 20). Le débitage Levallois est en légère régression (IL = 29,1 et 36,1, ILty = 19,8 et 38,9), les nucléus sont plus grands. L’outillage, de petite dimension, est un peu plus grand dans le niveau supérieur avec des pointes moustériennes de l’ordre de 3 cm alors qu’elles n’atteignent que 2 cm dans le niveau inférieur. Les grattoirs manquent totalement dans la couche supérieure, atteignent 5,2 % dans la couche inférieure. Les racloirs n’offrent pas de transformation significative, ils sont cependant un peu moins variés dans le niveau supérieur qui recherche le type déjeté, le niveau inférieur montrant lui, une préférence pour les types convergents ou simples convexes et droits. Les encoches sont plus fréquentes (5,7 au lieu de 0,5 %), elles sont souvent portées par de petits éclats Levallois. Les pièces pédonculées sont un peu plus nombreuses (36,4 et 15,2 %), l’une est une pointe marocaine (fig. 43), type considéré comme caractéristique de l’Atérien marocain évolué ; elles présentent les mêmes particularités dans les deux niveaux : près de la moitié d’entre elles ne porte pas de retouche sur le limbe et plus du quart présente une retouche marginale. Aucun perçoir ne figure dans l’une ou l’autre couche. Un biface et quelques pièces en quartzite aux arêtes émoussées trouvés dans le niveau inférieur, auraient pu être apportés dans la grotte par les occupants. D’abord daté de 37220 ± 2900 (TO-2045), les diverses mesures OSL réalisées après la reprise des fouilles par A. Bouzouggar et N. Barton dont 109900 ± 9800 (X2381) pour la base et 61700 ± 4400 (X2388) pour le sommet, les conduisent à dater l’Atérien de 115000-110000 à 70000-60000. 1 .- Récemment attribués au niveau supérieur. 2 .- Cf Annexes p. 371.
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L’Atérien et la question du Paléolithique supérieur Djouf el Djemel Découvert par R. Le Dû dans la région de Tébessa, le gisement occupe une position identique à celle de l’oued Djebbana, avec un recouvrement alluvial de 0,80 m. Le débitage Levallois est courant. L’outillage réuni par J. Morel comporte plus de 700 pièces1 réparties en nombreuses pointes, disques, grattoirs, beaucoup moins fréquemment en racloirs. Il existe quelques encoches, de rares perçoirs et un burin d’angle sur lame retouchée. De très nombreuses pièces, surtout des pointes et des grattoirs, sont pédonculées. El Khenzira Situées sur la côte atlantique, au sud de Mazagan, les deux grottes de Khenzira furent reconnues par A. Ruhlmann. Sous un niveau ibéromaurusien, il identifiait une industrie atérienne emballée dans une argile brune sur 1 m à 1,50 m puis dans une terre sablonneuse jaunâtre. Le débitage aurait une tendance laminaire. L’ensemble industriel comporte des nucléus discoïdes, des racloirs, des grattoirs. Des outils divers sont pédonculés. La faune associée consiste en restes de Dicerorhinus hemitoechus (Rhinoceros mercki), Equus mauritanicus, Phacochœrus æthiopicus, Sus scrofa, Alcelaphus buselaphus, Gazella atlantica, G. dorcas, Bos primigenius. Il y aurait peut-être Pelorovis antiquus, mais l’élément le plus intéressant serait une dent de Loxodonta (Elephas) atlantica ; bien qu’elle ait été retrouvée dans le niveau ibéromaurusien, elle paraît provenir du sommet des dépôts atériens, niveau dans lequel cet éléphant n’a par ailleurs jamais été signalé2. El Oubira Située à l’est de Tébessa, la station fut d’une importance capitale dans l’établissement de la chronostratigraphie. Le matériel, renfermé dans un sédiment argilo-sableux à 40-60 cm de profondeur, est dégagé par les ravineaux qui l’entaillent ; l’escargotière capsienne du Khanguet el Mouhaâd3 repose sur ce dépôt. A. Debruge qui exploita le site, y entrevit la position occupée par l’Atérien à une époque où celle-ci était l’objet de vives polémiques. L’appellation « El Oubirien » qu’il proposa alors pour cette industrie, ne fut pas retenue. On sait que des pointes et des grattoirs pédonculés se trouvaient dans les récoltes P.H. Nesbitt. Guertoufa Pierre à sacrifices` Gisement des environs de Tiaret, proche d’un énorme bloc de grès creusé de trois bassins et quatre trous ronds, il a livré quelque 200 pièces4 atériennes à R. de Bayle des Hermens. Contrairement aux autres sites de la région, le quartzite n’y a quasiment pas été utilisé. Les nucléus sont peu nombreux, essentiellement discoïdes, il n’y a pas de nucléus Levallois. Le débitage Levallois a fourni des lames et surtout des éclats dont la plupart présente des traces d’utilisation. Il n’y a pas de pointe. Les talons sont soit lisses, soit facettés. Les racloirs forment 1 .- Cf Annexes p. 372. 2 .- Deux objets façonnés dans une défense d’éléphant ont été mis au jour dans le niveau profond de Dar es Soltane 1 par A. Ruhlmann. 3 .- Cf tome II. 4 .- Cf Annexes p. 373.
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Sahara préhistorique la majeure partie de l’outillage et sont volontiers simples, plutôt rectilignes ou, moins fréquemment, convexes. Seuls des racloirs doubles offrent des formes concaves. Il existe quelques racloirs convergents, déjetés, transversaux ou sur face plane, un seul est à retouche biface. Les pointes moustériennes sont bien représentées, la moitié est sur éclat Levallois. Les pièces pédonculées, 12 % des pièces retouchées, offrent plutôt un pédoncule quadridirectionnel ; l’une est un grattoir, deux portent des retouches irrégulières, les autres sont brutes ou cassées. Hassi Ouchtat Situé dans les Monts d’Ougarta, le gisement est en partie en surface, en partie inclus dans un paléosol qui repose sur la surface villafranchienne. Pour N. Chavaillon qui a mené l’étude, il pourrait être un peu plus récent que celui de Kheneg et Tlaia1. Le matériel qui en provient comporte 2047 objets2. Le débitage a donné plutôt des talons lisses pour le matériel non Levallois, facettés pour le matériel Levallois. Les nucléus, en forte majorité en quartzite, sont pour l’essentiel des nucléus moustériens ou Levallois ; ce sont souvent des nucléus à pointe. De rares pièces sont prismatiques dont une à lame. Les nucléus moustériens, ceux à lames apparaissent comme un épuisement d’anciens nucléus Levallois. Certains sont réemployés en racloir, grattoir, denticulé. La plupart des pointes est pédonculée et presque toutes ont été utilisées. Les grattoirs sont nombreux, les denticulés fréquents, les burins rares. Les pièces pédonculées sont abondantes et variées, N. Chavaillon donne la répartition suivante : - denticulés... 14 - brutes............................ 39 - pointes retouchées......... 15 - burins......... 3 - racloirs.......................... 5 - divers......... 1 - grattoirs......................... 5 - brisées ...... 15 - encoches....................... 4 Les pédoncules sont de type 1, 77 %, les plus rares étant de type 3, puis 4 et enfin 5. Leur forme est en majorité de type b, plus rarement a ou c. Le type d manque. Très souvent les pointes pédonculées présentent une asymétrie qui peut être voulue ou due à l’usure. Karouba A 4 km au nord de Mostaganem, le site de Karouba-Marabout est connu depuis 1890. Tout comme au Camp Franchet d’Esperey, certains silex imprègnent la plage à strombes montrant sa fréquentation alors qu’elle n’était pas consolidée, mais la plupart provient de sables rouges qui recouvrent un niveau de poudingue et de grès marin à pétoncles. L’ensemble industriel comporte des « lames » brutes, nucléus discoïdes, un grattoir, une pièce pédonculée. Avant la découverte de cette pièce, le site était rapporté au Moustérien. A Karouba-Moulin, station sise 1,5 km au nord-est de la précédente et plus élevée, l’industrie est prise dans la masse et éparse à la surface de grès jaune. Les pièces pédonculées seraient abondantes, 20 sur 67 pièces, affectant des outils variés, en particulier les pointes et les grattoirs. Cette structure de l’industrie la rap1 .- Il paraît se placer à la base du Saourien II, Kheneg et Tlaia appartenant au Saourien I-II. 2 .- Cf Annexes p. 372.
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L’Atérien et la question du Paléolithique supérieur porterait à l’Atérien II de Balout. Avec ces deux sites, Karouba a pu être proposé comme étant l’un des rares témoins de l’évolution de l’Atérien sur le littoral. Les gisements de Karouba ont joué un rôle important dans l’histoire de la Préhistoire nord-africaine. P. Pallary y voyant deux niveaux et rapportant l’inférieur, celui de Karouba-Marabout au Moustérien, le supérieur, celui de Karouba-Moulin, au Néolithique, y trouvait l’assise à la position de ce qu’il nommait « Néolithique berbère ». Kheneg et Tlaia Le gisement occupe une surface de 300 m2 sur un lambeau de terrasse de la Saoura renfermant des pièces acheuléennes. Il a livré à N. Chavaillon, 175 nucléus, quelque 1400 éclats et plus d’une centaine de pièces1. Quelques unes dont une pédonculée, ont été trouvées dans un cailloutis de la base du Saourien. Le matériau privilégié est un quartzite local, sombre, identique à celui utilisé à Anchal, ce qui peut souligner un choix du matériau. ` Les nucléus Levallois prédominent, certains ayant fourni des lames ; les talons facettés sont en forte proportion. Les retouches écailleuses ont été très utilisées, mais une retouche en pelure affecte parfois la région bulbaire qu’elle amincit. Les pointes qui peuvent être retouchées manifestent une certaine tendance à devenir des perçoirs par la concavité d’un bord. Les racloirs sont courants. Les grattoirs sont nombreux, indifféremment épais ou minces. Les burins sont présents. Les pièces pédonculées, 27 %, sont souvent brisées et certaines ont été reprises après rupture du pédoncule. Malgré diverses divergences, liées en particulier à un indice pédonculé bien plus élevé, la présence de burins, lames, la retouche en pelure ont conduit N. Chavaillon à rapprocher ce site de celui d’Anchal et le rapporter à un faciès évolué. Les Allobroges Le gisement des Allobroges a été découvert dans les années soixante, lors du creusement des fondations de la cité Melki à Hydra, sur les hauteurs d’Alger. Il s’agit d’une brèche osseuse fortement consolidée au sein de laquelle se trouve un certain nombre d’objets lithiques dont de très nombreuses pièces pédonculées. Une étude taphonomique a permis à D. Hadjouis d’y voir non seulement un habitat humain, mais aussi une tanière. L’ensemble industriel est connu par une étude de R. de Bayle des Hermens et D. Belaouane. Il comprend 13 galets aménagés unifaces, bifaces ou polyédriques, 14 galets fracturés qu’accompagnent une vingtaine de galets plats ou globuleux. Un seul nucléus, à deux plans de frappe opposés a été retrouvé mais le débitage Levallois est bien attesté par une trentaine de pièces à limbe brut. Les éclats bruts sont courants ; une cinquantaine est en quartz, quelques exemplaires en quartzite, silex, labradorite. Les denticulés et les racloirs, avec une vingtaine d’exemplaire chacun, sont les outils les plus fréquents. Ces derniers présentent divers types, simples, doubles, convergents ; les deux tiers sont pédonculés ainsi que près du quart des denticulés. Il y a quelques encoches et une 1 .- Cf Annexes p. 374.
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Sahara préhistorique trentaine d’éclats retouchés, un seul grattoir qui est pédonculé. L’essentiel des pédoncules est à taille quadridirectionnelle avec une forte majorité de forme b. Le matériel osseux est d’une extraordinaire richesse en phacochères, si bien que le site est parfois désigné sous l’appellation « gisement des phacochères ». Les autres restes proviennent d’animaux qui se rencontrent dans l’ensemble du Maghreb au Pléistocène supérieur, Pelorovis antiquus, Bos primigenius, Dicerorhinus hemitoechus (Rhinoceros mercki), Hippopotamus amphibius, Alcelaphus buselaphus, Gazella atlantica, Megaceroides algericus, Kobus... Des ossements d’Equidés vus d’abord comme ceux d’un zèbrin, Equus mauritanicus, ont permis à B. Bagtache et D. Hadjouis de définir deux nouvelles espèces, Equus algericus et Equus melkiensis, ce qui remet en question l’attribution des équidés maghrébins au seul Equus mauritanicus. Si Equus melkiensis appartient peut-être à une lignée nord-africaine, Equus algericus qui montre la présence ancienne d’un véritable cheval en Afrique du Nord, n’y trouverait aucune lignée1, il aurait pu migrer avec les autres mammifères d’origine euro-asiatique. Oued Asriouel Dans le Tidikelt, la zone d’épandage de l’oued Asriouel fut signalée par Minette de Saint Martin comme riche en matériel atérien. D’après H.J. Hugot, il couvrait une énorme surface d’une centaine de kilomètres carrés ! L’essentiel est taillé dans des bois fossiles, plus rarement dans des grès, exceptionnellement en d’autres matériaux. L’inventaire dressé par H.J. Hugot2, fait mention de nombreuses pointes dont la moitié présente un pédoncule, des disques et des grattoirs. Les denticulés sont rares. La série comporte des bifaces, quelques bolas, burins et, en nombre, des pièces à double ou triple coches dites en T ou Y3. La quasi inexistence de nucléus pourrait être liée à leur réaménagement en disques. Ceux-ci, fréquents dans les anciens décomptes, doivent être considérés avec circonspection jusqu’à retrouver ces collections et reprendre une diagnose sur la base des connaissances techno-typologiques actuelles. Oued Serdiesse Le gisement tient son intérêt de sa position. A une quinzaine de kilomètres au nord-ouest de Tébessa, l’industrie « sort d’un reg alluvial caillouteux » argilo-sableux sur lequel repose une escargotière capsienne, situation qui a été utilisée par L. Balout pour asseoir définitivement la position respective de l’Atérien et du Capsien. D’après cet auteur, la centaine d’outils recueillie par M. Sérée de Roch est à peu près autant fournie en racloirs, grattoirs, pointes, disques et pièces pédonculées sans que l’on dispose de précisions autres à leur sujet. 1 .- Le caballin reconnu par M. Dalloni dans des terrains constantinois datés de 400000, pourrait nuancer cette assertion. Cela serait en phase avec les données génétiques qui accordent à l’ancêtre du barbe, une séparation du tronc caballin de l’ordre de 500000 ans ; une évolution en isolat justifierait ses particularités. 2 .- Cf Annexes p. 373. 3 .- Les pièces en T ou Y sont des pièces de taille très variable, aménagés dans des matériaux divers, possédant deux ou trois grandes coches, voire davantage. Leur position chronologique n’est pas assurée. Selon les auteurs, elles sont rapportées à l’Atérien ou au Néolithique. P. Fitte limite leur aire d’extension au Sahara occidental sommairement de 20° et Adrar des Iforas jusqu’aux confins algéro-marocain et de l’océan au Grand erg occidental, plateau du Tademaït, massif de l’Ahaggar.
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L’Atérien et la question du Paléolithique supérieur Seggedim` Découvert par R. Mauny sur les marges sud du plateau du Djado, le gisement qui a fait l’objet d’une étude de Th. Tillet, a été longtemps le seul site atérien a avoir livré des données palethnologiques et reste l’un des rares. S’étendant sur 3,5 hectares environ, l’auteur le divise en trois zones, une vaste zone centrale et, sommairement en direction du nord-est et du sud-ouest, deux petites surfaces A et B distantes de la zone centrale, l’une d’une vingtaine de mètres, l’autre d’une trentaine. La zone A de près de 7 m de diamètre, aux limites nettes avec une même concentration au centre qu’à la périphérie -ce qui a suggéré la présence d’une palissade-, a livré plus du 5600 pièces. Un cercle de gros galets1, de nombreuses pierres chauffées irrégulièrement distribuées autour sur un rayon de 1 m environ, avec, sous elles, de menus charbons dont 90 % proviennent de tamaris, ont été interprétés comme un foyer construit. Plusieurs autres foyers non construits se seraient trouvés à proximité. La zone B ne couvre que 20 m2, elle a livré 2000 objets et aurait montré la présence de trous de poteaux de 8 à 14 cm de profondeur. Au fond de deux d’entre eux restaient quelques fragments de bois de tamaris2. La zone C comprendrait plusieurs unités de ce type. Le matériel de la zone A a été façonné dans des matériaux locaux, assez variés, grès de diverses qualités, exceptionnellement silex provenant d’affleurements ou de galets. Les nucléus peuvent être très petits (jusqu’à 19 mm), le débitage montre lui aussi de nombreux éclats inférieurs à 35 mm qui peuvent être des déchets de préparation. La moitié des nucléus est Levallois, près du quart discoïde et 16 % prismatiques. Ils ont assuré la production d’éclats ; les pointes sont rares. Le débitage Levallois offre des talons facettés 80 %, alors que le débitage non Levallois a surtout fourni des talons lisses 65 %. Il est rare que les talons aient été enlevés (1 % dans le débitage Levallois, bien moins dans le débitage non Levallois). La structure industrielle3 est fortement dominée par les éclats Levallois. Des outils retouchés, seuls les denticulés et les racloirs sont bien représentés, ces derniers plutôt par des formes simples et convexes. En zone B, le nombre de burins et de couteaux est sensible. Les pièces pédonculées appartiennent à un vaste éventail de types avec des pédoncules privilégiant le type b, à un degré moindre le type c, et la taille quadridirectionnelle. Quelques pièces remarquables portant une perforation intentionnelle ont été signalées, il s’agit de 4 éclats dont un de débitage Levallois ; la perforation a été obtenue ou réaménagée à l’aide d’un mouvement rotatif de va et vient. En leur accordant la valeur de pendeloque, ce que tout porte à croire, Th. Tillet appelait à percevoir, dès 1978, la notion de symbolisme chez les populations atériennes. Taoudeni M. Raimbault a reconnu divers sites dans la région de Taoudeni. La plupart consiste en petits gisements, ne livrant que peu de matériel, un assemblage un peu plus étoffé existant à MT8 et MT 30. 1 .- Interprété d’abord comme blocage de poteau. 2 .- Malgré les conditions de conservation souvent exceptionnelles au Sahara, certains auteurs restent réticents quant à l’attribution de ces structures à l’occupation atérienne. 3 .- Cf Annexes p. 370.
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Sahara préhistorique MT 8 s’étale sur près d’un hectare à la surface d’une pente qui mène à un fond lacustre. La répartition du matériel y est inégale. Les trois quarts de l’outillage1 ont utilisé un matériau siliceux. Il y a peu de nucléus, ils appartiennent à des formes variées parmi lesquelles prédominent les nucléus Levallois à pointe et les nucléus discoïdes. Le débitage a surtout produit des talons lisses et souvent conservé des talons corticaux. Les éclats et pointes Levallois sont courants, les racloirs fréquents, ils sont plutôt simples, deux sont déjetés et deux transversaux. Les pièces pédonculées sont très rares. MT30 occupe une surface de 100 x 20 à 30 m, en bordure d’un ancien lac. Il présente plusieurs aires de débitage et de probables foyers. L’ensemble industriel2 utilise fréquemment des chailles. Les nucléus sont rares. La majorité du débitage montre un talon lisse. Les outils retouchés sont presque aussi nombreux que les pièces Levallois brutes. Les racloirs prédominent, ils se rapportent à divers types et privilégient les formes simples. Les grattoirs sont peu courants. Les perçoirs sont inhabituellement représentés. Les pièces pédonculées sont relativement fréquentes, près de moitié étant des pièces brutes. Seuls les pédoncules de type b sont courants, sauf d, les autres types sont absents ; ils sont obtenus de préférence par quatre coches, souvent par trois. Tin Hanakaten Dans le sud du Tassili n Ajjer, les abords des abris de Tin Hanakaten ont dû constituer un milieu des plus favorables à l’installation atérienne. On a pu identifier plus de cinq sites dont deux en couche (un remanié), dans un périmètre de l’ordre du kilomètre. Seuls les grès ont été utilisés, mais chaque gisement offre des caractères particuliers. TH7802 couvre une surface de l’ordre de 2500 m2 avec une densité irrégulière qui varie de 10 à 100 par m2 et qui a permis d’identifier une probable hutte de 30 m2. Les nucléus, généralement fragmentés, sont plutôt des formes discoïdes. Le débitage Levallois est nettement moins laminaire dans la partie hutte, passant de 21,6 % à 9,8 %. Les talons sont généralement plans sans qu’une différence significative existe entre le débitage Levallois et non Levallois. L’outillage retouché montre la prédominance des denticulés dans les deux parties suivis de loin par les racloirs dans la hutte, les grattoirs à l’extérieur. Les pièces pédonculées, plus fréquentes hors la hutte, supportent volontiers des racloirs, des retouches continues ou sont restées brutes de taille. Zaouia el Kebira Station de surface découverte en 1956, en rive gauche de l’oued Saoura, non loin de l’oasis de Kerzaz, elle repose à la surface d’un cailloutis ougartien. Son recouvrement par des sables saouriens II, situerait l’occupation pendant la période la plus humide du Saourien. L’étude de N. Chavaillon a porté sur un millier de pièces3. Elle montre des nucléus assez variés, aménagés dans les galets locaux, avec prédominance légère des Levallois, présence de formes prismatiques. Leur débitage a produit 1 .- Cf Annexes p. 371. 2 .- Cf Annexes p. 371. 3 .- Cf Annexes p. 372.
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L’Atérien et la question du Paléolithique supérieur plutôt des talons lisses pour le matériel non Levallois, bien que les talons dièdres s’y montrent fréquents, et des talons facettés pour le matériel Levallois. Un pédoncule affecte de nombreux éclats Levallois bruts, des pointes retouchées ou non et quasiment tous les types d’outils y compris les burins, avec cependant une préférence pour les racloirs et les denticulés. L’aspect des pédoncules ne diffère guère de celui d’Hassi Ouchtat, avec un pourcentage comparable du type 1, 7 %, le type 5 toutefois étant ici un peu plus fréquent, 2%. Les éclats Levallois ont été façonnés surtout en racloirs qui sont généralement simples. Les grattoirs, peu nombreux, sont souvent sur éclat d’épannelage ; ils peuvent être légèrement désaxés. Malgré leur petit nombre, les burins sont variés, dièdres, d’angle, sur cassure, sur troncature. Les couteaux, nombreux, ont souvent un dos naturel et leur tranchant porte des écaillures. Les coches sont petites, les denticulations grossières, irrégulières. Une des quatre pointes de Tayac est faite sur pointe Levallois. Les cinq galets aménagés, pièces courantes dans l’Atérien de cette région, sont en quartzite ou jaspe. Peu de divergences apparaissent entre les ensembles industriels de Zaouia el Kebira et Hassi Ouchtat ; les racloirs sont plus nombreux à Zaouia el Kebira, ce qui est essentiellement compensé par la réduction des pièces Levallois brutes. A l’inverse, les divergences sont très marquées avec les autres sites de la région, nettement plus riches en grattoirs et pièces pédonculées. N. Chavaillon note une certaine originalité par rapport aux industries du Maghreb en raison d’indices Levallois et de facettage faibles. Des identités qui apparaissent avec Taforalt couche F sont tempérées par l’importance des denticulés et des couteaux à dos naturel. Pour cet auteur, l’industrie se distingue de celle d’El Oubira, non seulement par ces deux groupes mais aussi par le peu de grattoirs.
Ensembles industriels à pièces foliacées Adrar Bous IVb Le site fut découvert en 1962, à l’occasion du passage de la mission Berliet dans le Ténéré du Tafassasset. L’outillage, de fort belle qualité, utilise un débitage Levallois, souvent laminaire, à talon plutôt facetté, et comporte de nombreuses pointes, encoches et grattoirs, doubles le plus souvent. Les pièces foliacées atteignent de grandes dimensions, de l’ordre de 13 cm, et peuvent porter un pédoncule que l’illustration montre toujours très court. Cet ensemble industriel tire une certaine originalité de la présence de nombreuses bolas, d’un diamètre de l’ordre de 6 cm. Non loin, le site Adrar Bous V offre des caractères semblables, y compris la présence des bolas. Aïn Chebli Proche de Reggan, la station découverte par A. Mery, couvre une surface d’environ 200 x 70 m au bord d’une cuvette ; le matériel fut étudié avec la participation de J. Tixier. Dans la partie sud, deux occupations se chevauchaient dont une plus récente, à outillage lamellaire. Les matériaux utilisés par les Atériens sont variés. Le débitage a fait un ample usage de la méthode Levallois, 45 %,
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Sahara préhistorique avec des nucléus Levallois à éclat, pointes ou lames. L’essentiel des non Levallois consiste en nucléus discoïdes. Les lames Levallois sont fréquentes. L’outillage est dominé par les encoches et denticulés, il est riche en grattoirs, moins en racloirs qui montrent néanmoins de nombreux types, il comporte un grand nombre de pièces pédonculées et de pièces bifaciales. Les galets aménagés y sont fréquents. Les pédoncules s’observent sur une grande variété d’outils, mais le tiers reste des pièces à limbe brut et le quart des encoches et des denticulés ; une dizaine de pièces à retouches bifaciales en est pourvue. La taille des pédoncules est essentiellement quadridirectionnelle, sans que les autres modes de façonnage soient en proportions négligeables. Les pièces foliacées, taillées dans des quartzites à l’aide d’un percuteur tendre pour la plupart, sont particulièrement bien représentées, toujours de grande dimension, dépassant 13 cm de long. Aïn Fritissa Dans l’Oriental marocain, plus de 3000 pièces, associées aux éléments acheuléens remontés par les eaux d’une source artésienne, ont été récoltées par A. Ruhlmann. Chacun s’accorde à reconnaître la beauté de l’outillage, taillé avec mæstria dans des silex de très belle qualité, des jaspes, calcédoines et argilites, lustré par le mouvement des sables mouillés. L’importance de la série et cette qualité ont conduit J. Tixier à en faire une étude1. Les nucléus sont pour l’essentiel discoïdes, mais il existe des formes tortues ou bipyramidales. Les plans de frappe sont préparés par grands éclats, certaines facettes pouvant être reprises. Les nombreux éclats, des lames et pointes bruts auraient été taillés sur place, parfois par méthode Levallois. Les talons facettés sont les plus courants. Les racloirs abondent avec prédominance du type convexe et haute fréquence du type transversal ; certains résultent d’un réaménagement de nucléus. Les pièces à retouches bifaciales peuvent être minces dites « feuilles de laurier »2 ou inversement épaisses, portant des enlèvements profonds, désordonnés. Elles sont allongées, souvent étroites ; circulaires, elles ont été nommées disques par l’auteur. Malgré leur petit nombre, les pièces pédonculées montrent que ce dispositif pouvait affecter n’importe quel outil. La fréquence des pièces bifaciales a fait classer cet ensemble industriel dans l’Atérien supérieur. On doit remarquer l’importance du groupe racloir, le peu de grattoirs et de pièces pédonculées qui évoquent aussi un Atérien débutant et ne pas perdre de vue, en raison des conditions de gisement, des possibilités de mélange d’industries de faciès différents. C’est une industrie semblable, avec ces mêmes pièces foliacées, qui se trouve à Tit Mellil dans une situation de source artésienne comparable. Anchal Le site, identifié par N. Chavaillon en bordure de l’erg Er Raoui, à 50 km d’Ougarta, comporte trois stations éloignées de 2 à 5 km l’une de l’autre. Les pièces sont taillées dans un quartzite sombre, rarement en d’autres matériaux. Une meulière n’a fourni que des objets achevés, de belle venue, trouvés le plus souvent brisés. Ces matériaux proviennent pour l’essentiel du djebel Anchal voi1 .- Cf Annexes p. 374. 2 .- M. Antoine les nommait pointes ténuifoliées.
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L’Atérien et la question du Paléolithique supérieur sin, certains, tels que les jaspes, pourraient venir des environs de Beni-Abbès. Le matériel des trois stations a été intégralement récolté. Il constitue un ensemble homogène comportant 145 nucléus, 1151 éclats bruts et déchets de taille, 29 lames, 30 lamelles dont une est pédonculée, 312 outils retouchés dominés par les grattoirs ; les denticulés et les racloirs forment des groupes secondaires. Les nucléus sont de type Levallois à éclat ou à pointe, de type discoïde ou à deux plans de frappe opposés. Le débitage montre une prédominance de plan de frappe facetté. Un grand nombre d’éclats présente des retouches écailleuses directes dont un tiers produisant des denticulations. Une retouche en pelure amincissant le bulbe se retrouve sur 2 % des pièces. Les pièces pédonculées sont courantes 13 %, près du tiers des pointes présente cette particularité ainsi que 2 grattoirs, 1 pièce bifaciale, plusieurs gros perçoirs frustes dégagés par un bord concave ou même un épaulement et 4 pièces à limbe denticulé. Les grattoirs sont nombreux et variés, leur front peut être denticulé. Les racloirs sont également variés, près de la moitié est double et souvent aménagée sur des lames épaisses. De nombreuses pièces portent une retouche continue. On sait peu de chose de la trentaine de bifaces qui proviennent du site, ils semblent de petite dimension, l’un d’eux pouvant être une feuille de laurier grossière. La présence de lames, de burins, d’une taille bifaciale est vue par N. Chavaillon comme l’indice d’un Atérien évolué. Arouakim Situé dans la région de Zouérate, en bordure de l’erg Aftassa, le site évoque par sa position sur le flanc de dunes, et ses dimensions de l’ordre de 2 km pour une largeur de 500 m, de nombreux sites néolithiques du nord-ouest mauritanien. D’après J.F. Pasty, malgré l’importance de la superficie, le matériel serait particulièrement dense avec une moyenne de 616 pièces au m2. Curieusement les nucléus sont peu fréquents, une quarantaine seulement a été récoltée. Ils montrent un débitage Levallois récurrent, centripète, unipolaire ou bipolaire et l’existence de la méthode nubienne. Celle-ci, inconnue par ailleurs dans ce secteur, traduirait des contacts avec la région de Tindouf et le Sahara nord-occidental où elle est développée. L’outillage étudié comporte 104 pièces retouchées1, ici aussi avec prédominance des racloirs, plus de 30 %, volontiers simples et plutôt convexes. Les grattoirs, 12,5 %, sont nettement plus fréquents qu’à El Azrag. Près de 20 % des pièces porte un pédoncule, ce sont souvent des éclats Levallois. Les pédoncules sont de type b1, plus rarement a1, b2 ou b5. Si le caractère atérien de ces ensembles industriels transparaît dans la fréquence des pièces pédonculées et le rôle des grattoirs, il reste marqué par une forte utilisation du racloir et des denticulés. S’agit-il comme le propose l’auteur d’un stade final de l’Atérien ? Camp Franchet d’Esperey Non loin de l’estuaire de l’oued Kerma, en Oranie, G. Camps a découvert une industrie incluse dans des terres rouges à Helix passant insensiblement à la plage consolidée de teinte jaune orangé, où Helix et Hélicelles font place à Pectunculus. La découverte d’un strombe pris dans la plage, a conduit G. Camps 1.- Cf p. 269.
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Sahara préhistorique à l’attribuer au Tyrrhénien II1. L’industrie est, elle aussi, en partie prise dans la plage jusqu’à une cinquantaine de centimètres de profondeur ; au-dessus de la plage, elle est enrobée par les terres rouges. Aucune différence technologique n’apparaît entre le matériel des deux formations. Pour G. Camps, il s’agit d’un niveau archéologique continu et il n’accorde aucune signification à l’absence de pédonculé dans la formation plage. L’industrie est en quartzite, 6% en silex de mauvaise qualité, sans qu’un choix paraisse pour un type de pièce. Les nucléus étaient obtenus à partir de galets par entame soit longitudinale, soit transversale, puis un épannelage précédait le débitage. Ils montrent une tendance pyramidale avec des éclats de préparation laminaire. Les talons sont un peu plus souvent facettés que lisses. Les éclats sont nombreux, en particulier les entames de nucléus qui donnent à penser à un atelier de débitage ; ils sont de dimensions variables et moins de la moitié porte des traces d’utilisation. ` L’outillage récolté est composé de 302 pièces. Les pédoncules qui affectent 10 % des pièces, sont de forme variable. Les pointes sont des pièces communes, courtes, triangulaires ou losangiques, pouvant présenter des retouches très fines ou des encoches peu échancrées. Elles peuvent être allongées, à bords subparallèles et retouche marginale. Deux d’entre elles sont à retouches bifaciales. L’une, à trois côtés retouchés, a été assimilée à une tarière. Les racloirs sont nombreux, de divers types, les plus fréquents étant façonnés sur éclat triangulaire. Les grattoirs, bien moins courants que les racloirs, sont souvent aménagés sur des éclats quadrangulaires dont l’extrémité distale est plus large que la partie proximale. Des disques, circulaires, minces, ont été obtenus à partir d’éclat d’avivage ou de préparation de nucléus ; une de leur face porte les négatifs des éclats sortis antérieurement du nucléus, l’autre présente des retouches marginales, peu développées, qui se localisent de part et d’autre du bulbe. Chemidour Le gisement, découvert et étudié par Th. Tillet, se trouve au pied de la falaise du Kawar. L’ensemble industriel est essentiellement taillé dans des quartzites blonds. Les nucléus, rares, ont laissé supposer que le débitage n’était pas fait sur place. L’outillage Levallois est peu fréquent 15 %. Les outils les plus courants sont les denticulés et les racloirs, il existe quelques grattoirs, burins, couteaux, quelques pièces pédonculées dont une pointe marocaine. Diverses pièces foliacées ont fait rapporter l’industrie à un stade évolué. Dar es Soltane 2 En 1969, A. Debénath devait identifier un autre site à Dar es Soltane et dégager une stratigraphie comparable à celle de Dar es Soltane 1, mais d’épaisseur moindre, 4,5 m au maximum. Au-dessus d’un niveau bréchique (5) recouvrant des lentilles de sable rougeâtre à industrie atérienne (6) se trouvaient une dalle d’effondrement (4), puis des niveaux sableux rougeâtres, cendreux (3). Un amas de coquilles de 1 m d’épaisseur (2), à industrie ibéromaurusienne pauvre en outils, était recouvert de dépôts remaniés (1). L’ensemble industriel diffère de 1 .- =Monastirien, =Grimaldien, formation actuellement rapportée à l’interstade Riss-Würm. La question reste posée de savoir s’il s’agit bien de la plage liée à cet interstade ou d’une plage postérieure.
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L’Atérien et la question du Paléolithique supérieur celui de Dar es Soltane 1. De nombreux outils1 sont faits sur galets et il y a peu de débitage Levallois, peu de pièces pédonculées et quelques pièces foliacées. Un aménagement de l’espace est probable, diverses petites surfaces présentant un empierrement. La fouille a permis de mettre au jour une structure sommairement circulaire, de 0,40 m de diamètre, haute de 0,10 m, faite de cinq couches superposées de plaquettes gréseuses calées par de petites pierres pour assurer leur subhorizontalité. Quelques années plus tard, une structure comparable devait être retrouvée dans le niveau ibéromaurusien2. Outre des foyers et structures anthropiques, le site tire son intérêt des restes humains provenant du niveau 6, retrouvés en 1975 par A. Debénath et ses collaborateurs : une mandibule privée de ses branches montantes associée à un fragment de maxillaire, un fragment de voûte crânienne et un crâne incomplet (Dar es Soltane 5). La face partiellement conservée de celui-ci a permis de nombreuses mesures et comparaisons qui l’ont placé en position intermédiaire entre l’Homme du djebel Irhoud associé à une industrie moustérienne et l’Homme de Mechta el-Arbi qui apparaît à l’Ibéromaurusien. Djanet environs Dans les environs de Djanet, l’Atérien serait également fréquent. J. Bobo signale 11 stations renfermant un outillage en grès noir, avec nucléus discoïdes, pointes dont certaines portent une retouche bifaciale, nombreuses pièces pédonculées, racloirs fréquents, grattoirs, burins. Il fait valoir une grande variabilité avec présence d’outils archaïques sur galet. L’Atérien est également connu dans l’erg d’Admer où une soixantaine de pièces a été retrouvée par une mission CRAPE, aux abords de la piste qui conduit à Anou Oua Lelioua. L’industrie montre une représentation voisine des racloirs, encoches et denticulés, trois fois moindre des grattoirs. Elle comportait une pointe foliacée, trois pointes moustériennes dont une pédonculée, quelques pièces brutes, pédonculées pour certaines, et une bola. Près de la piste de l’Assakao, J.P. Savary a découvert divers gisements atériens sur les replats des berges d’oued ; leur position diffère nettement de celle des sites néolithiques qui sont toujours plus éloignés des berges et se placent souvent près des abris. Le site étudié était riche en pièces pédonculées, environ un tiers, et en pièces foliacées, près de 10 % ; les racloirs et grattoirs étaient peu nombreux. E-78-11 Seul site atérien connu actuellement dans la vallée du Nil elle-même, E-7811 se trouve en rive droite de l’oued Kubbaniya. Le matériel archéologique qui est mêlé à un niveau de graviers d’une ancienne terrasse, n’a pu être daté. Il est peu abondant, une soixantaine d’outils (pièces retouchées et pièces Levallois) a été recueillie ; près de la moitié est taillée dans des chailles, plus rarement des quartz ou quartzites, parfois dans divers autres matériaux. Une partie de l’industrie gisait en surface, elle est éolisée alors que les pièces provenant de la couche sont fraîches. D’après W.L. Singleton et A.E. Close, le matériel com1 .- Cf détail p. 371. 2 .- Cf p. 284.
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Sahara préhistorique porte 5 pointes Levallois, auxquelles s’ajoutent 1 pointe pédonculée, 2 pointes moustériennes, 24 racloirs offrant un vaste éventail de types, simples ou doubles dont près de la moitié éolisée. Les denticulés, 11, sont pour moitié aménagés dans du quartz ; les coches ne sont que rarement retouchées et la denticulation affecte plus souvent l’extrémité distale. Il existe 6 encoches, 5 grattoirs, 2 perçoirs, 1 bec burinant, 1 troncature. Des pièces à retouche continue, cinq ont été assimilées à des raclettes ; certaines portent une retouche inverse. Outre une pièce esquillée, le site a livré deux fragments de pièces foliacées dont une pédonculée. Une troisième pièce pédonculée est représentée par un petit fragment. El Azrag La cuvette d’El Azrag, dans le Nord mauritanien, n’a pas été fréquentée par les seuls hommes de l’Acheuléen, J.F. Pasty a identifié en bordure occidentale de la sebkha, un très vaste gisement dont le matériel a été produit pour l’essentiel dans des silexites locales. La densité des pièces atteint 337 au m2. Les nucléus, nombreux, témoignent d’une préférence marquée pour un débitage Levallois récurrent. La structure industrielle comporte un très grand nombre d’éclats Levallois dont 4 sont des éclats Kombewa. Les 253 pièces retouchées1 qui ont été étudiées, soulignent une forte prédominance des racloirs, 40 %, l’importance des denticulés, 17 %. Les encoches, 7,5 %, sont presqu’aussi fréquentes que les grattoirs, 8,3 %, et les pièces foliacées figurent à hauteur de 4,7 %. Il existe un burin d’angle, deux pièces esquillées. La plupart des encoches résulte de retouche directe, les racloirs de retouche écailleuse également directe, ils sont plutôt simples, convexes ou rectilignes, plus rarement convergents. Les pièces pédonculées, 15,3 %, soulignent une nette préférence pour les pédoncules de type b1, à un degré moindre b2, il existe quelques formes b5, a1 et c1 à l’exclusion de toute autre. El Mreyyé Au sud-ouest de Taoudeni, le secteur d’El Mreyyé dût attirer les populations atériennes, plusieurs sites qui ne sont éloignés que d’une vingtaine de kilomètres, ayant été repérés par J. Fabre, lors d’un simple passage. Le plus important a livré 122 pièces, 194 produits de débitage brut, 4 nucléus. Il témoigne d’un caractère évolué par la fréquence du débitage laminaire, l’emploi de retouche abrupte. Certaines pièces présentent une retouche envahissante sur face plane. Les racloirs et grattoirs sont peu typés, certains racloirs sont à la limite du denticulé. Deux des couteaux, dont un aménagé en racloir sur face plane, ont un dos abattu par retouche inverse ou par endroit bipolaire. Les denticulations donnent souvent aux pièces un aspect déchiqueté. Les pièces à retouche bifaciale sont plutôt épaisses, évoquant de petits bifaces qui auraient autour de 5 cm de long. Les pédoncules affectent 10 % des pièces, un racloir, un denticulé, un burin et des pièces brutes de taille, Levallois ou non, pouvant présenter des retouches planes sur la face inférieure qui amincissent la pointe. Guertoufa Vignes Deloche Près de Tiaret, la station dite « Les Vignes Deloche »2, proche de « La Pierre à sacrifices », découverte par P. Cadenat, a livré 260 pièces à R. de Bayle des 1.- Cf détail p. 369. 2 .- Cf Annexes p. 374.
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L’Atérien et la question du Paléolithique supérieur Hermens. Elles sont taillées pour les deux tiers en silex, un tiers en quartzite, ce qui est conforme aux pratiques observées dans la région. Les nucléus comportent des formes Levallois, mais sont discoïdes pour l’essentiel. Le débitage montre plutôt des talons facettés. L’enlèvement du talon est une pratique courante. Les pointes ont été privilégiées et sont souvent retouchées, les pointes moustériennes sont courantes. Un pédoncule affecte des pièces Levallois mais aussi des éclats quelconques, des racloirs, grattoirs, denticulés, un burin ; il est le plus souvent quadridirectionnel, le type bidirectionnel sur face d’éclatement étant néanmoins bien représenté. Les racloirs ont une importance numérique bien supérieure à celle des grattoirs qui sont non seulement peu nombreux mais encore atypiques. Les racloirs sont simples ou doubles convexes pour le plus grand nombre, certains sont aménagés sur face plane. Il existe une limace, pièce peu courante au Maghreb. Les quatre pièces foliacées sont en quartzite, mesurent autour d’un centimètre d’épaisseur, celles qui sont entières ont un peu plus de 6 cm de long ; la largeur est moins régulière. Hassi el Hameida Un gisement découvert par le Lieutenant Bedel, fut signalé dès 1933 sur la bordure septentrionale de l’erg Er Raoui ; en 1964, J. Mateu récoltait quelque 700 pièces occupant une surface restreinte au fond d’une cuvette, qui est peutêtre le site Bedel. Une partie fut étudiée une trentaine d’années plus tard par A. Guelmaoui1. La plupart des pièces est tirée d’un matériau calcédonieux courant aux environs immédiats. La série Mateu comporte 110 nucléus dont plus de la moitié se rapporte à des formes Levallois en majorité à éclat arrondi. Les nucléus discoïdes atteignent près de 20 % et les pièces informes sont nombreuses. Le débitage a privilégié les talons facettés. La masse de l’industrie est faite d’éclats Levallois, les lames et les pointes sont rares (moins de 1 %) ; les outils façonnés accordent un rôle privilégié aux racloirs et encoches ou denticulés. L’éventail des formes de racloir est très ouvert avec cependant une préférence marquée pour les formes convexes. Les pièces pédonculées sont rares, toutes sont des pièces Levallois à pédoncule de type b4. Une dizaine de pièces foliacées montre une tendance à la recherche d’une extrémité pointue. Iberdjen Identifié en 1994, par la mission Tadrart, Iberdjen s’étale sur 1200 m2 à la surface d’un replat structural dominé par des reliefs gréseux. Le matériel préhistorique est mêlé à la couverture de façon irrégulière. Il est taillé dans les grès, essentiellement par technique Levallois et montre une nette tendance laminaire. Les nucléus sont en majorité Levallois. L’un d’eux, cassé transversalement, a été repris en nucléus à lames. Le débitage a laissé une majorité de talons plans, de bulbes diffus, assez souvent écaillés. Il existe quelques pointes Levallois ainsi que quelques éclats Levallois bruts de forme circulaire. La structure industrielle2 est dominée par les denticulés, les encoches et les racloirs, qui sont en proportions comparables. La plupart des coches est large, peu profonde et 1 .- Cf détail de l’outillage en Annexes p. 372. 2 .- Cf Annexes p. 371.
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Sahara préhistorique affecte des lames. La moitié des denticulés est faite sur pièces Levallois. La denticulation est fine, plutôt régulière, les dents peu prononcées, peu aiguës. Les deux pièces pédonculées sont des éclats Levallois denticulés dont le pédoncule est mal dégagé, l’un est de type b5, l’autre b3. Les racloirs les plus courants sont portés par des lames quand ils sont simples, par des pointes Levallois quand ils sont doubles. Les grattoirs sont rares, façonnés sur éclat Levallois circulaire ; le front bien développé se poursuit en racloir rectiligne sur l’un. Le seul burin est fait sur cassure. Les pièces foliacées, assez sommaires, évoquent de petits bifaces. Ifri n’Ammar Au-dessus des croûtes calcaires qui coiffent les niveaux inférieurs1, la fouille a dégagé une sédimentation argileuse compacte, parfois concrétionnée, de 1,7 m de puissance, qui ne montre aucune discontinuité depuis la croûte calcaire. L’occupation humaine s’y déploie dans un paysage de savane ouverte qui résulte de l’amélioration climatique traduite vers 100000 par la disparition de Ctenodactylus gundi. Cette disparition se double de l’apparition de Ceratotherium simum et d’une abondante microfaune. Nous rapportons à l’Atérien ce niveau, dit Paléolithique moyen par les auteurs, avec peut-être une certaine réserve pour sa partie inférieure dont le sac à outils est peu varié, très riche en racloirs, où les pièces pédonculées manquent, les grattoirs sont peu présents et qui, au même titre que les niveaux sous-jacents aux croûtes calcaires, n’a livré aucun élément symbolique. La partie supérieure est datée de 83300 ± 5600 par thermoluminescence. M. Nami et J. Moser ont décompté plus de 4500 pièces lithiques. Le silex est le matériau prédominant avec plusieurs variétés, l’essentiel venant des berges de la Moulouya et de la colline de l’Aïn Zohra. Les nucleus, très abondants, comportent près du tiers de nucléus Levallois avec des variantes linéal, récurrent unipolaire et presque le quart de nucleus discoïdes plutôt en silex. Les pièces de débitage Levallois où figurent des lames constituent la moitié du débitage et sont bien plus fréquemment retouchées que celles venant de débitage indifférencié. Les racloirs forment la masse des outils ; tous les types sont présents, une préférence allant au type latéral convexe. Bien qu’en nombre modeste, les grattoirs deviennent courants, ils sont portés non seulement par des éclats, des éclats Levallois, mais aussi des lames, des nucleus. Les fronts sont plutôt arrondis, la retouche pouvant se développer longuement ; certains s’accompagnent de coches ou d’une retouche abrupte. Les coches et denticulés sont nombreux, les denticulés résultent plutôt de coches clactoniennes, inversement les encoches sont plutôt retouchées. Les perçoirs sont atypiques, à pointe peu dégagée. Les pièces pédonculées concernent volontiers les racloirs et possèdent pour plus du quart un pédoncule quadridirectionnel. Deux petits bifaces à retaille couvrante s’ajoutent à des pièces foliacées de diverses dimensions et de même forme ovale aux extrémités tendant vers une pointe large produites par la même retouche couvrante. Cette partie de la sédimentation comportait à mi-hauteur, un foyer avec minuscules charbons concentrant autour de lui du matériel lithique, de la faune et des morceaux de galène. Outre ces derniers, elle a livré une plaque en pierre portant des traces d’usure et de polissage, de l’ocre rouge dont un éclat, des 1 .- Cf p. 147.
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L’Atérien et la question du Paléolithique supérieur coquilles perforées et colorées de Nassarius, un os long de vautour orné de trois groupes de stries circulaires ainsi qu’une phalange et une rotule humaines. Kharga Dans l’oasis de Kharga, G. Caton-Thomson rapporte à l’Atérien les Sites KO6E et Bulap Pass A à E. Les nucléus manifestent une préférence pour les formes triangulaires à Bulap Pass A, circulaires dans les autres sites. Ce sont essentiellement des nucléus Levallois. Les éclats Levallois sont de préférence triangulaires ou ovales avec légère prédominance de l’une ou l’autre forme selon le site. Des encoches ne sont signalées qu’à Bulap Pass A. Les grattoirs sont légèrement plus nombreux que les racloirs à Bulap Pass C qui n’a livré qu’une seule pièce foliacée. En 1976, la reprise des travaux par The Combined Prehistoric Expedition a permis de récolter plus de 2000 pièces dans le Site E-76-4. Comme dans les sites précédemment découverts, les nucléus sont presque tous Levallois et le matériel Levallois constitue l’essentiel de l’ensemble industriel (ILty = 93). Parmi les rares outils retouchés, se trouvent 2 pièces foliacées, 3 pointes Levallois pédonculées. Ces éléments ont fait interpréter le site comme un lieu de préparation de nucléus Levallois. Il en serait de même de KO6E qui présente des caractéristiques voisines. Cette occupation humaine serait située entre 100000 et 50000. Kolokaya Au Djado, Kolokaya occupe une petite surface au pied d’un rocher à gravures. Dans son mémoire de DEA1, Oumarou Amadou Ide rapporte une industrie taillée dans les mêmes grès ferrugineux qu’à Yat, qui comporte, outre 22 % de racloirs, des encoches, grattoirs, quelques pièces à retouche biface. Les pièces Levallois sont nombreuses (G I = 48,6), souvent non retouchées, les pédonculés peu fréquents. L’auteur fait état des valeurs 23,6, pour le groupe moustérien (G II) et 9,7 pour le groupe Paléolithique supérieur (G III). Koudiat bou Gherara Gisement de la région de Tiaret, il a été découvert et étudié par P. Cadenat. Le matériel atérien repose dans un sable argileux à petits graviers de quartzite, recouvert par une mince couche de terre arable. Un millier de pièces y a été récolté à la faveur des labours. Cet outillage est tiré de silex et surtout de quartzite, matériaux disponibles sur place. Les nucléus, les percuteurs sont rares. des nucléus de type discoïde ont probablement été aménagés en disques. Le débitage est peu abondant. Il consiste en lames et surtout éclats ovalaires ou triangulaires. Le matériel pédonculé constitue près des deux tiers des récoltes. Le pédoncule est court, généralement quadridirectionnel. L’outillage connaît une forte prédominance de pointes dont les deux tiers sont pédonculés. Les grattoirs, nombreux, peuvent appartenir à n’importe quelle forme, la moitié porte un pédoncule. Les racloirs présentent une retouche fine intéressant un bord ou les deux. Les couteaux ont un dos abrupt dû à une taille grossière. Quelques pièces foliacées et quelques bifaces étaient associés à ce matériel ; deux bifaces, les 1 .- Paris I, 1993.
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Sahara préhistorique plus grands, eux fortement altérés, sont supsupposés acheuléens, mais les trois autres feraient partie intégrante de l’ensemble industriel. Méniet En Immidîr, des pièces atériennes souvent très altérées, sont fréquentes dans les alluvions comblant les dépressions et reposant sur un cailloutis fortement cimenté qui renferme un Acheuléen non roulé. H.J. Hugot en fait mention dans le reg de Méniet ainsi qu’à Tadjmout, Amsir, Hassi el Khenig. L’outillage1 récolté à Méniet est façonné pour 97 % en rhyolite. Les nucléus, de préférence oblongs, ne sont jamais vastes bien que le débitage produise parfois de grands éclats (L=11,5 cm pour l’un). Les talons conservés montrent une forte prédominance de facettés, quelques talons lisses et rarement des formes dièdres. Les pièces pédonculées sont peu fréquentes. Les disques sont nombreux, minces, aménagés par retouches alternes. Les racloirs appartiennent à des formes diverses, le plus souvent rectilignes ou convexes ; ils montrent une préférence pour les formes doubles. De nombreux grattoirs sont atypiques. Les pièces à retouches bifaciales portent une retouche incomplète des deux faces qui, parfois, ne figure que sur un seul bord. Mugharet el Aliya Dans le nord du Maroc, les niveaux paléolithiques de la grotte de Mugharet el Aliya qui atteignent 4 à 5 m d’épaisseur, ont été fouillés à partir de 1939 sous la direction de C.S. Coon, puis de H. Hencken. Ils y reconnurent 11 couches dont deux appartenant à l’Atérien, reposant sur une couche dite « Levalloiso-moustérienne » ; les résultats furent publiés en 1947 par B. Howe. A. Bouzouggar qui a repris l’étude décompte près de 200 outils, racloirs pour plus de la moitié, types plutôt simples, latéraux, convexes ou droits. Avec plus du quart de l’outillage, l’autre part importante consiste en pointes foliacées, elles sont en grande majorité bifaciales, à sections plutôt biconvexes, leur mode de préparation montre une évolution passant de faces travaillées alternativement, à des faces travaillées l’une après l’autre.A quelques pointes moustériennes se joignent de rares pièces pédonculées qui sont atypiques, sans aileron, le pédoncule résultant d’un simple rétrécissement par retouche plane envahissante plutôt que de coches. Ce fond d’outillage s’enrichit de quelques exemplaires de grattoirs, burins, d’un bec, de lames simplement retouchées. Plusieurs chaînes opératoires ont été utilisées, il en reste des nucleus bipolaires à lames et dans toute la séquence, des nucleus discoïdes et surtout des nucleus Levallois à exploitation linéale ou récurrente pouvant être utilisés dans leur phase finale en nucleus discoïde. Ces méthodes s’appliquent aussi à de très petits nucleus (< 3-4 cm). Les dépôts atériens ont été datés par ESR-US2 de 60000 à 35000. Ils ont livré des restes humains nommés « homme de Tanger »3. La faune recueillie se particularise par la présence de poissons, d’oiseaux. 1 .- Cf Annexes p. 372. 2 .- Méthode qui combine les données obtenues par résonance de spin électronique et par uranium-thorium (U-Th). 3 .- Cf p. 49.
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L’Atérien et la question du Paléolithique supérieur Oued Thalma Situé dans la partie orientale des Monts d’Oujda, le gisement occupe 1200 m2 d’un glacis, à la partie subsuperficielle d’argiles rouges que L. Wengler rapporte au passage Soltanien III, intersoltanien III-IV. L’ensemble industriel est façonné dans des matériaux très divers qui tous se trouvent dans la région, avec une préférence marquée pour un schiste vert silicifié. Il comporte de nombreux éclats dont peu de débitage Levallois lequel est toujours récurrent centripète. La proportion d’outils1 est élevée, avec des racloirs prédominant en particulier les types simples convexes, puis convergents, des éclats Levallois ont été choisis pour produire des racloirs doubles. Les pièces pédonculées présentent un talon subtrapézoidal, exceptionnellement aminci, à coches tridirectionnelles, parfois quadri- ou bidirectionnelles, auquel cas, elles sont alternes. Elles affectent surtout des racloirs, des éclats bruts Levallois ou non, et dans ce dernier cas sont volontiers des pointes, quelques grattoirs, une pièce à coche. Ounianga Kebir Gisement de surface situé à l’extrémité sud du lac Yoan (Tchad), une quarantaine de mètres au-dessus de son niveau, il fut découvert et étudié par A.J. Arkell, puis l’étude reprise par Th. Tillet. L’outillage consiste en racloirs dont deux pointes moustériennes, denticulés dont une pointe de Tayac, quelques burins et perçoirs. Les pièces foliacées et les outils pédonculés, essentiellement des pointes et des racloirs, sont nombreux. L’abondance des pièces foliacées placerait ce gisement à un stade évolué. Puits des Chaachas Au sud de Tébessa, la station associée à un puits artésien, a livré une industrie lustrée par des sables aquifères. Outre deux bolas, l’inventaire donné par M. Reygasse fait état de pointes, disques, lames retouchées et de quelques racloirs, perçoirs, scies et rares burins. Il n’y a qu’un seul grattoir et une pièce foliacée. Les pièces pédonculées sont relativement fréquentes. L’auteur signale la présence de colorant. Taforalt Au-dessus du niveau moustérien de la grotte des Pigeons à Taforalt, J. Roche a identifié un niveau atérien (couches D, E, F) qui est coiffé de dépôts ibéromaurusiens. En 1951, J. Roche retirait un fragment de pariétal humain de sa partie supérieure ; il ne fut pris en compte que tardivement. Le débitage Levallois, fréquent (IL=42), présente une forte tendance laminaire et un indice de facettage élevé. L’ensemble industriel étudié2 montre l’importance accordée aux racloirs, denticulés et grattoirs, il y a un disque, quelques burins, perçoirs, couteaux à dos, pièces pédonculées et des pièces foliacées. De belles pointes moustériennes proviennent des couches inférieures, la couche F en renfermait plus de 2 %. Les fouilles menées depuis 2003 par A. Bouzouggar et N. Barton ont mis au jour, sur une surface de 6 m2, 13 coquilles de Nassaria gibbosula perforées portant des traces d’usure de la perforation, enduites d’ocre pour certaines. Elles 1 .- Cf Annexes p. 375. 2 .- Cf Annexes p. 373.
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Sahara préhistorique proviennent d’un niveau daté de 82500 par thermoluminescence, les diverses mesures faites antérieurement par radiocarbone rapportaient l’occupation atérienne à 34550+3200-2470 et 32370+2470-1890 B.P. Des mesures autres, dont OSL, accordent un âge de 91000 à 73000 ans à ses débuts. Ce niveau atérien passe au niveau moustérien H, sous-jacent, par une couche G qui ne comporte pas de pièce pédonculée et dans laquelle les racloirs sont plus nombreux, les grattoirs moins fréquents, où les denticulés sont courants. Une pièce foliacée y a été retrouvée. Pour F. Bordes, cette couche pourrait avoir une tendance atérienne en raison de sa place sur les diagrammes. Tamakaw Tw-2 Autre site de la Tadrart, Tw-2 occupe, en contrebas d’un abri peint, une surface de près de 100 m2, légèrement inclinée, couverte d’un cailloutis à forte patine noirâtre. Le matériel n’y présente aucune distribution particulière. Les nucléus, 41, sont généralement quelconques bien qu’il existe près de 10 % de formes Levallois. Le débitage, à prédominance d’éclats, traduit lui aussi une faible utilisation de la méthode Levallois. Les talons sont plutôt plans, parfois facettés. L’outillage1, peu abondant, consiste essentiellement en pièces denticulées, encoches. Les racloirs sont peu nombreux et aucun grattoir n’a été retrouvé. Les pointes, qui sont des pièces Levallois épaisses, sont rares. Les pièces pédonculées, 3, ont toutes un limbe brut et un pédoncule de type b5. La présence de pièce foliacée est attestée par un fragment. Tin Hanakaten TH7801 A moins d’un kilomètre de TH7802, TH7801 s’étale sur plus de 2000 m2, non loin du pied d’une falaise. Le matériel est intimement mêlé aux cailloutis qui forment la couverture du glacis le plus récent. L’étude qui a porté sur une surface de 200 m2, montre des différences ayant conduit à envisager deux secteurs d’occupation A et B contigus, se chevauchant plus ou moins. Les modalités de distribution du matériel au sol n’y sont pas les mêmes et si les outils restent semblables dans leur technique, cette dernière produit des types qui diffèrent suffisamment pour supposer une évolution. Le secteur A, avec une densité moyenne de l’ordre de 50 à 70 pièces au m2, ne traduit aucune structure. La moitié des pièces est cassée, souvent par fracturation de l’extrémité ou d’un bord. Malgré la présence de quelques nucléus, d’éclats de préparation qui montrent un débitage sur place, la disproportion entre eux et la masse des éclats et lames d’une part, entre leurs dimensions souvent importantes et celle, toujours réduites, des nucléus retrouvés, donnent à penser à un lieu de vie où ne s’exerçaient que certaines activités. Le secteur B présente une distribution très irrégulière avec une valeur moyenne de l’ordre de 100 voire supérieure dans un secteur ovale d’une dizaine de mètres de long pour une largeur de 2 à 3 m, entouré d’une auréole large de 3 à 4 m où la densité décroît régulièrement vers la périphérie jusqu’à l’ordre de quelques unités. A l’intérieur de cette surface, le matériel connaît également des regroupements de pièces aux caractères semblables. 1 .- Cf Annexes p. 372.
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L’Atérien et la question du Paléolithique supérieur L’industrie1 provenant du secteur A comporte près de 3000 pièces parmi lesquelles figurent 141 outils retouchés, le débitage Levallois est de l’ordre de 40 % avec un très fort indice typologique 84,3. Le débitage laminaire représente près de 20 % dont plus de 10 % Levallois. L’outillage retouché comporte près de 5% de pièces pédonculées, 2 % de pièces foliacées, les encoches et les denticulés en assurent chacun près du quart. Les retouches continues, plutôt abruptes, sont courantes, plus de 5 %. Le secteur B a livré près de 5000 pièces dont seulement 56 sont retouchées. Le débitage Levallois est de l’ordre de 15 % avec un indice typologique de 92,3 ; le débitage laminaire atteint à peine 10 %. L’outillage retouché comporte une proportion moindre de pièces pédonculées et davantage de pièces foliacées. Les racloirs qui n’atteignent pas 10 % en A, représentent ici le quart de l’outillage, soit une importance semblable à celle des encoches et surtout des denticulés dont la fréquence est sensiblement la même qu’en A. Il n’y a pas de burins alors qu’ils sont plus fréquents que les grattoirs en A. Tiouririne Dans l’erg Tihodaïne, un gisement atérien s’étend sur une longueur d’un kilomètre et une largeur de quelques centaines de mètres, au pied du massif de Tiouririne, à la surface d’un remplissage alluvionnaire, entre une dune et un affleurement de diatomites. Pour C. Arambourg, ses occupants auraient vécu sur les rives orientale et sud-orientale d’un lac. Le matériel2 est taillé uniquement dans des roches locales, essentiellement des rhyolites. La plupart des nucléus est de type Levallois ou discoïde, ces derniers pouvant présenter un fond plat ou sommairement pyramidal ; un est à enlèvements lamellaires. Le débitage préfère les talons facettés. Les pointes abondent, un grand nombre portant un pédoncule ; elles sont de formes variées, lancéolées, ogivales, triangulaires et leur retouche est souvent écailleuse. Elles présentent volontiers une légère denticulation ; une tendance à la denticulation des bords est par ailleurs nettement marquée sur diverses pièces. Les encoches sont rares ; dans deux cas, elles produisent une pièce étranglée dont l’une porte un grattoir de type museau. Les grattoirs sont façonnés sur lame épaisse, sur éclat court ; ils sont souvent carénés et certains sont pédonculés. Parmi les racloirs, L. Balout fait remarquer une pièce terminée en pointe bien dégagée par le racloir sur un bord, une échancrure sur l’autre. Les retouches bifaciales peuvent ou non envahir toute la pièce jusqu’à produire des pièces foliacées. Celles-ci peuvent être épaisses, proches de bifaces, ou minces, à retouches fines ; certaines en quartz qui atteignent 15 cm de long sont particulièrement remarquables tout comme celles qui portent un pédoncule. Wadi Gan C.B.M. Mc Burney et R.W. Hey font mention d’un ensemble lithique atérien se trouvant dans les berges d’un oued du djebel Nefoussa. Il comporte de petits nucléus Levallois à pointe ou ovale, ainsi que deux nucléus prismatiques. 1 .- Cf Annexes p. 369. 2 .- Cf Annexes p. 373.
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Sahara préhistorique L’outillage comprend des racloirs, des pointes, quelques denticulés, un burin, une pièce bifaciale. Alors qu’à Haua Fteah, le niveau rapporté à l’Atérien ne dispose que de quelques pièces pédonculées, ici, ces pièces constituent près du tiers des outils. La plupart n’est pas retouchée, quelques unes supportent un racloir souvent convergent en pointe, plus rarement un grattoir. La mission archéologique italo-libyenne a identifié 25 sites atériens dans le jebel Gharbi (=Nefoussa) dont un dans le haut du wadi Gan ; ils n’ont livré que très peu de matériel. Ils sont associés à des dépôts de la période OIS3 soit 57000 à 29000 ans. A Aïn Zargha, l’Atérien repose sur une formation calcaire datée de 27310 ± 320 par 14C et 30000 ± 9000 par U/Th. La plus forte densité de sites se trouve aux environs de Shakshuk. Le matériel est peu abondant, essentiellement taillé dans des chailles. Il souligne une haute fréquente du débitage Levallois qui privilégie le débitage centripète, l’emploi du débitage Taramsa1. Un seul site SJ-98-28 près de Ras el Wadi, fouillé sur une surface de 10 x 15 m, a fourni plus d’une centaine de pièces dont 6,4 % sont des pièces foliacées, indifféremment bifaciales ou unifaciales. Les pédonculés sont nombreux, 31 %, près du tiers réalisé sur pièce Levallois, 10,5 % consiste en racloirs de préférence simples, mais aussi convergents ; parmi eux figure une limace. Les pièces paléolithique supérieur se réduisent à 5,8 % de grattoirs et 1,9 % de perçoirs, de nombreux éclats sont retouchés 24 %, volontiers par retouche abrupte, accordant un aspect évolué à cet ensemble industriel. Des traces de feu affectent près d’une centaine de pièces.
D’autres industries sur éclat Des industries atypiques et/ou un Moustérien qui perdure ? Certaines industries auxquelles leur position stratigraphique peut accorder un âge récent, procèdent-elles du Levalloiso-moustérien ou sont-elles à rapporter à l’Atérien, voire un Atérien à denticulés comme le font quelques auteurs en raison du développement de tellles pièces ou à un Moustérien tardif comme d’autres le proposent ? Elles ont utilisé un débitage Levallois pour produire une part sensible de leur débitage. Les grattoirs y sont rares voire absents, les denticulés abondants, les racloirs plus ou moins courants, souvent, il n’y a pas de pièces pédonculées, des pièces foliacées peuvent être ou non présentes. Dans l’Aïr, Mouezout qui est l’un des rares gisements dont on connaisse la structure industrielle, est rattaché à l’Atérien par Th. Tillet, malgré l’absence de pièce pédonculée. Le gisement se situe dans un cirque rocheux, au pied du mont Bilet. Les nucléus sont en majorité Levallois, la plupart des autres, discoïde. Les proportions de débitage Levallois et non Levallois s’équilibrent. L’essentiel des 313 pièces du sac à outils consiste en éclats Levallois à talons facettés, 86,6 %. La quarantaine de pièces retouchées fait valoir la suprématie des pièces denticulées ou encochées qui en représentent près du tiers. Les racloirs supplantent les grattoirs. Il existe un perçoir et un petit biface. Il n’y a pas de pièce foliacée. 1 .- Le débitage Taramsa décrit par Van Peer et al est un débitage laminaire bidirectionnel exploitant en continu une large surface cintrée (nucléus bombé) au percuteur dur.
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L’Atérien et la question du Paléolithique supérieur Dans le Sahara oriental, au sud de la Deuxième cataracte, des ensembles industriels ne comportant pas, eux non plus, de pièces pédonculées, pourraient être rapprochés du Paléolithique moyen à denticulés, mais provenant d’une sédimentation (dite Goshabi) mise en parallèle avec la formation Sahaba, ils sont plus récents ; dans la région de Dongola, leur position stratigraphique les place même entre 15000 et 10000. Certaines divergences que l’on peut noter entre eux, seraient liées aux saisons et des activités différentes. Des industries atypiques sont aussi connues dans le Maghreb. Ce fait est bien illustré dans la région d’El Kala où J. Morel notait une réduction de la dimension des pièces, un débitage lamellaire concurrençant le débitage Levallois qui pourraient aussi traduire un mélange d’industries atérienne et ibéromaurusienne. A Kouali, sur le littoral méditerranéen, Ch. Stearn a recueilli dans la partie médiane d’un horizon rubéfié, un Atérien de petite dimension et, à la partie supérieure, des lamelles à dos qu’il attribue à l’Ibéromaurusien ; sur une dizaine de centimètres, les deux industries étaient associées. Ces deux industries appartiennent à une même couche rouge qui ne présente aucune discontinuité sédimentaire, et ne traduisent aucun mélange visible. Cette présence d’une industrie post-atérienne à débitage Levallois, sans pièce pédonculée, outillage de dimensions réduites, traduit-elle une phase de transition ? Le problème est posé à Sidi Saïd. Demnet el Hassan Comme dans d’autres sites de la région d’El Kala, l’industrie de Demnet el Hassan apparaît dans les ravinements et lors des labours. Elle repose, à plat, à la surface d’un sol sableux passant insensiblement au grès numidien, le tout est recouvert par un sable éolien gris, argileux, riche en humus. Associées à un cailloutis très émoussé, les pièces ont des arêtes vives, sont aussi fraîches les unes que les autres. Plusieurs sondages ont permis à J. Morel de récolter 61 nucléus, dont le tiers est discoïde, et de nombreux éclats dont 51 retouchés. Les nucléus comportent pour moitié de très petites pièces discoïdes, des formes polyédriques et à un ou deux plans de frappe. Le façonnage des outils utilise largement la retouche plane qui peut être envahissante. L’ensemble industriel consiste en pointes moustériennes, grattoirs, racloirs, denticulés, quelques encoches, auxquels se joignent des lamelles à dos, des microlithes géométriques dont un triangle et un trapèze, de rares perçoirs, burins, microburins, lames ou éclats diversement retouchés, pièces mousses ou à biseau terminal, ces deux derniers types quasiment toujours pédonculés1. Les pédoncules s’observent surtout sur les pointes, sont exceptionnels par ailleurs. Il est fait état d’une seule pièce à retouche bifaciale, laquelle est nantie d’un pédoncule. Cette combinaison d’objets de tradition atérienne et de lamelles évoquant l’Ibéromaurusien n’est pas propre au seul site de Demnet el Hassan. Elle se retrouve à Kef oum Touiza, Hammam Sidi Djeballa, Aïn Khiar... Dans l’Est algérien sont également connus divers sites à caractères atypiques ou trop pauvres pour être qualifiés. A El Kala (Pointe Noire), J. Morel a retiré de la 1 .- Le site a également livré une trentaine de bifaces ; dans les premiers travaux, cette présence a renforcé l’idée de mélange d’industrie.
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Sahara préhistorique partie sommitale de dunes anciennes datées de 23500 B.P. sur coquilles d’Hélicidés, quelques objets « moustéroïdes » dont des grattoirs, racloirs, encoches, denticulés, des éclats sans débitage Levallois et une pointe pseudo-Levallois. Une industrie comparable imprègne le sommet de la dune de Chetaïbi baie ouest qui a été datée autour de 25000 B.P. Dongola Le site N21 qui s’étend sur un hectare, offre une forte représentation de matériel Levallois brut, les encoches et denticulés sont courants, les racloirs fréquents et variés, les grattoirs atypiques. Il existe des pièces foliacées, quelques pièces à bord abattu, ainsi que des galets aménagés et du matériel de broyage. Le débitage fait largement appel à la technique Levallois qui a essentiellement produit des éclats, exceptionnellement des pointes ou des lames. La majorité des talons est lisse et les talons dièdres sont bien représentés. Les nucléus sont d’aspects variés, en majorité Levallois ou discoïdes, souvent à un plan de frappe, parfois à deux plans opposés. Les matériaux, quartz, quartzite, chaille essentiellement, se rencontrent dans un rayon de 1 à 5 km autour du site. N6, ainsi que N912, ont livré un ensemble industriel comparable mais sans galet aménagé, ni matériel de broyage, ni pièce foliacée. Sidi Saïd A l’est de Tipaza, deux cavités issues d’un système karstique, à remplissage anthropique, ont été reconnues par M. Betrouni, en 1980. Etablies aux dépens des grès siciliens qui constituent le promontoire de Sidi Saïd, elles renferment un remplissage anthropique, en cours d’étude. La cavité A à remplissage limono-argileux rouge renfermait des ossements de gros vertébrés que M.F. Bonifay rapporte à Elephas cf atlanticus, Felis pardus, Vulpes atlanticus, Phacochœrus æthiopicus, Bos, Gazella, Cervus, Camelus dromedarius, Equus mauritanicus. Ils étaient associés à une pièce pédonculée, des racloirs, denticulés et galets aménagés. Une structure circulaire de 1 m de diamètre contenait de nombreuses coquilles de Patella ferruginea, sans trace de calcination, déposées systématiquement à plat. Elles ont été datées de 38130 ± 1320 (Alg), date conforme aux autres données disponibles pour les limons rouges de la région3. M. Betrouni interprète le site comme lieu de dépeçage. La cavité B renferme un dépôt cendreux, brun, varvé, argilo-sableux, coiffé par un dépôt limono-argileux rougeâtre. Elle a livré un abondant matériel archéologique, ensemble industriel postérieur aux niveaux rouges à industrie atérienne classiques sur la côte. Le dépôt a été divisé en 4 niveaux : - Le niveau inférieur, I, daté de 27280 ± 1890, 25970 ± 360, comporte des éclats et lames retouchés essentiellement en racloirs, avec des grattoirs et burins et sans pièce pédonculée. - Le niveau II possède une industrie à nombreuses plaquettes de schiste, avec gros éclats, lames retouchées en racloirs, grattoirs ; il a livré 3 pièces pédonculées. 1 .- Cf Annexes p. 376. 2 .- Id. 3 .- 31800 ± 1900 aux Falaises Rouges, 33800 ± 1600 (UW387) à Aïn Benian.
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L’Atérien et la question du Paléolithique supérieur - L’ensemble III est riche en quartz et silex aménagés en racloirs, pointes, pièces foliacées uni- et bifaces, fortement amenuisés, ainsi qu’en lamelles. Ce matériel était associé à des structures de pierres avec charbon. - Le niveau IV est essentiellement sur silex avec des pointes et racloirs. Il est daté de 20500 ± 1400 B.P. Le matériel étudié par F. Chentir à partir d’un échantillon de 105 pièces débitées dont 73 outils, se répartit en éclats 86 %, lames 10,5 %, lamelles 2,9 % avec un indice Levallois IL= 21, auxquels s’ajoutent des débris < 5 mm. Le débitage a donné de petits modules de 20 à 34 mm de long pour l’essentiel, 12 à 22 mm de large, avec une épaisseur inférieure à 10 mm pour la quasitotalité. Il a recherché des pièces minces à face inférieure plane ; elles ont été obtenues par une percussion directe au percuteur tendre qui s’est souvent accompagnée de talons et bulbes ôtés. Les restes de cortex sont insignifiants montrant un décorticage soigneux de la matière première, exclusivement petits rognons de silex de médiocre qualité. Outre quelques pièces à retouche continue, les outils consistent essentiellement en racloirs, 68,5 %, simples pour la plupart et plus volontiers convexes, ou en racloirs convergents. Les pointes sont peu nombreuses 8,1 %, petites, les denticulés 6,8 % appartiennent à la catégorie des pièces les plus larges, à l’inverse, les encoches 4,1 % sont sur support étroit, tous les grattoirs 4,1 % ont un front bien arrondi, le perçoir 1,4 % résulte d’une très fine retouche abrupte, le burin atypique est sur lame Levallois. A cet outillage, s’ajoutent une spatule ou lissoir, des fragments d’os, de l’ocre dont des crayons, des fragments de galène, un bâton en pierre qui suggère un crayon de « khol », des os ocrés, une abondante microfaune brulée. Une telle industrie est inhabituelle, avec ses formes amenuisées voire microlithiques. Sa grande originalité réside aussi dans le choix de la matière première, un silex médiocre issu de petits rognons qui de lui-même limite les dimensions des pièces. Or, il s’agissait bien d’un choix puisque la matière première utilisée dans les ensembles antérieurs restait disponible. M. Betrouni, l’inventeur du site, pose la question d’un changement culturel en écrivant « serait-ce l’aube de l’Ibéromaurusien ? » et propose de nommer cette industrie « Tipasien ». Le site de Tiemassas et le Tiemassassien En 1953, au Sénégal, Th. Monod ramassait quelques objets épars au sudest de la Pointe Sarène entre Mbour et Joal. En 1969, la découverte de pièces en place permettait d’apporter quelques précisions et de rapporter au Paléolithique une partie du matériel de surface. Cette même industrie se retrouve dans la même position stratigraphique au Cap vert. En 1972, C. Descamps la nommait « Tiemassassien » en raison de la proximité de l’agglomération de Tiemassas. Th. Tillet la relie au repli atérien, ce serait un Atérien final, combinaison entre l’industrie atérienne dont c’est la limite méridionale et un faciès moustéroïde local. Le matériel provient d’un niveau de graviers ferrugineux coiffé d’une argile brun-vert à fins nodules ferrugineux, supportant un niveau argilo-sableux qui s’enrichit en sable vers son sommet. Les pièces sont mises au jour par le creusement du marigot qui détruit le niveau gravillonnaire. Une fouille, réduite du fait de la dureté des sédiments, a montré la forte densité de matériel et fait songer à un épandage. Elle a permis de récolter 315
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Sahara préhistorique pièces1. Les nucléus, 27, comportent 2 nucléus Levallois, 2 nucléus discoïdes, des nucléus à plans de frappe perpendiculaires, un nucléus à un plan de frappe et des nucléus informes. Les éclats présentent un talon plutôt lisse que facetté et il existe d’assez nombreux talons ponctuels. Les lames sont peu nombreuses et quelques lamelles figurent dans ce matériel. Les outils comprennent surtout des pièces à retouche continue, des racloirs qui sont le plus souvent simples, des grattoirs de divers types. Les encoches, denticulés, burins sont peu typés. Il existe quelques couteaux à dos naturel, de rares pointes, des rognons dont un bord est affuté, quelques petits bifaces.
Fig. 49 – Le gisement de Sidi Saïd (Algérie) qui, aujourd'hui s'ouvre haut sur la falaise, face à la mer (cl. M. Betrouni).
Les modes de vie des populations atériennes On sait peu de choses sur les paysages sahariens d’alors ; les données les plus récentes invitent à voir l’Atérien se manifester d’abord durant l’interglaciaire Riss-Würm, l’Eemien -que l’on s’accorde à considérer semblable aux temps présents-, puis durant la première partie de la glaciation de Würm, périodes qui sont entrecoupées l’une de phases d’aridité, l’autre de phases pluvieuses. F. Wendorf indique une phase aride dans le Sahara oriental à 130000, moment qui serait la fin de l’aride au Maroc. Un dépôt calcaire retrouvé dans l’abri d’Ifri n’Ammar et daté entre 145000 et 130000, ne peut trouver d’explication que dans une période aride riche en orages qui introduit une forte humidité, voire de l’eau, dans l’abri -ce que la nature de la roche ne saurait interdire-, suivie du dépôt de calcite à la faveur de l’évaporation. Les auteurs confortent cette 1 . Les fortes similitudes qui existent entre les différentes collections nous ont conduites à les regrouper dans les décomptes, cf Annexes p. 377.
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L’Atérien et la question du Paléolithique supérieur interprétation par la présence de goundis qui n’interviennent que durant cette séquence. Cette phase aride est également marquée au Maroc atlantique, à la charnière Pléistocène moyen-supérieur, 160-130000, par une diminution drastique de la microfaune. F. Wendorf retrouve d’autres traces d’aridité à 105000, 94 ou 84000, de 65000 à 42000 (avec un pic à 60000 et 47000), à 25000. Diverses autres données soulignent une variation de l’humidité qui diminue vers 45000, augmente vers 33000 alors que les températures diminuent vers 300001 ; la présence en abondance de porc-épic dans le dépôt d’El Harhoura 1 plaide en faveur d’un climat chaud et sec durant toute l’occupation. Au Maghreb septentrional, les données disponibles évoquent les paysages d’aujourd’hui avec des étages de végétation plus bas2. Ces régions étaient plus boisées, la pinède à pin d’Alep, Pinus halepensis, était développée ; comme à Haua Fteah, elle devait s’accompagner de Juniperus phœnicea, Pistacia lentiscus, Myrthus communis. A Aïn Tagoureït (Bérard), non loin d’Alger, une forêt littorale abritait alors Palaeoloxodon iolensis. La température devait être plus fraîche, l’humidité plus importante ainsi que l’indiquent le frêne identifié dans l’Atérien de Djouf el Djemel ou les divers Hélicidés provenant de Bir el Ater où ils vivent encore mais sont devenus rares. La présence d’Ursus, Megaceroïdes algericus témoignent elles aussi d’un climat froid. Les hommes atériens sont connus par les restes retrouvés dans divers sites marocains3 qui pourraient être les restes de repas de fauves. Quasiment tous, en effet, sont fort réduits et proviennent de sites riches en faune et ayant servi de tanière à des hyènes, porcs-épics... Seuls, les restes d’enfant mis au jour aux Contrebandiers en 2009, qui comportaient en connexion la tête complète, les quatre premières vertèbres cervicale, une clavicule, trois côtes, plus quelquphalanges de la main n’ont peut-être pas le même statut et permettent de poser la question d’une inhumation. Par leur position phylogénique entre l’homme moustérien et l’homme de Mechta el Arbi, ces restes offrent un intérêt de premier plan. L’Atérien paraît avoir peu recherché les abris sous roche, les hommes atériens ont préféré s’installer en plein air. A l’instar de ce que B. Champault note pour l’Acheuléen, J.F. Pasty reconnaît des aménagements complexes des territoires avec sites d’habitat, d’extraction des matériaux, d’ateliers. L’un et l’autre y voient une étroite dépendance du milieu, de l’eau et de la matière première. On doit également admettre des lieux de halte privilégiés suggérant comme au cours du Moustérien, de longs déplacements loin d’un camp de base et des parcours coutumiers. Il est même possible que ces hommes, profitant de régressions marines qui amenuisaient les distances entre le nord du Maroc et le sud de la péninsule ibérique aient franchi le détroit. La question peut se poser avec la similitude de divers objets de part et d’autre et des dates plus hautes côté africain. Au Sahara comme au Maghreb, une structuration de l’espace apparaît dans divers gisements avec des témoins de combustion, des trous de piquets, des 1 .- Les données concernant cette période ne sont pas concordantes, peut-être en raison de moussons réduites liées à une atténuation de l’amplitude des variations de l’insolation terrestre. 2 .- Cf p. 37. 3 .- Cf p. 49.
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Sahara préhistorique pavages. En plein air, des structures légères devaient être mises en place : à Seggedim, de probables trous de poteaux permettent de supposer qu’une palissade avait été dressée et une forte concentration d’objets autour d’un foyer suggère un agencement complexe. Au Chaperon Rouge, des trous de poteaux auxquels J.P. Texier attribue une quinzaine de centimètres de profondeur, étaient remplis de matériaux de calage ; une karstification intense qui a provoqué des affaissements du niveau d’occupation humaine, entrave l’interprétation de la surface d’habitat qui comportait de nombreux galets et diverses pièces brûlés. Des pavages, lentilles de dalles de grès de 20 à 30 cm d’épaisseur, ont été notés à Dar es Soltane 2. A El Harhoura 1, où de possibles zones d’assainissement ont été mises au jour, des calages de poteaux se retrouvent et des pierres chauffées en proviennent bien qu’aucun foyer n’y ait été reconnu. Un usage courant du feu se traduit par des pierres brûlées et des foyers qui sont de simples cuvettes renfermant des restes de cendres, de menus charbons, qui parfois ont pu être empierrés comme à Seggedim. La fréquence du matériel passé au feu, parfois en l’absence de toute trace de foyer, ne connaît aucune explication. Une nourriture carnée est traduite dans les restes de Bos primigenius, Alcelaphus buselaphus, Gazella dorcas. Dans divers sites figurent aussi des restes de Camelus. Déjà mentionné dans le niveau moustérien de Kifan bel Ghomari, il se rencontrerait dans des grottes des environs d’Alger. D’après R. Vaufrey, une dent pourrait provenir du Puits des Chaatchas. A Saint Roch près d’Oran, l’appartenance à l’espèce est mal assurée et certains auteurs voient ces éléments comme intrusifs dans une brèche qui repose sur le niveau à strombes. Aux Allobroges, la fréquence du phacochère ne doit pas faire illusion. Il ne s’agit pas là, comme on a souvent pu le croire, d’un site d’habitat ; D. Hadjouis a montré qu’il s’agissait d’une tanière où l’homme serait venu prélever sa nourriture. Les procédés de chasse peuvent être suggérés par l’examen de l’art rupestre, quel qu’en soit l’âge et le lieu1, qu’il s’agisse d’une illustration ou d’un procédé magique de capture. Des pièges, en particulier des pièges radiaires identiques à ceux qu’emploient les populations sahariennes actuelles, sont parfois figurés devant un animal. Les nœuds coulants passés aux membres que l’on voit à In Habeter, à Mertoutek évoquent pour P. Huard, un procédé d’arrêt en usage au Tchad où il est associé à des fosses camouflées au fond desquelles l’animal est tué à l’aide d’une arme de jet. A Mathendous, des chasseurs à tête zoomorphe sont munis d’une sorte de boomerang ou de massue. A Thiout, deux hommes s’attaquent à un bovin en entravant une patte avant à l’aide de crochets afin de le déstabiliser2. Au quotidien, la vie de ces populations ne témoigne guère de changements, l’outillage des Atériens est fondamentalement semblable à celui des hommes moustériens, pourtant certains indices suggèrent une nouvelle montée du psychisme3. De l’hématite, un galet portant des pigments ont été découverts à El 1 .- L’étude menée par P. Huard et J. Leclant dans «La culture des chasseurs du Nil et du Sahara» souligne, si besoin était, la permanence des techniques. 2 .- L’arc, courant à Thiout, intervient plus tardivement, peut-être à l’aube du Néolithique ; sur cette paroi, il traduit une mystique de la chasse par un trait, sorte de «lien ombilical», qui joint l’archer dont la flèche est magnifiée, à un personnage en position d’orant. 3 .- Ainsi l’existence d’objets de parure ou, comme que le propose S. Hajri-Messaoudi, la récurrence de l’uti-
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L’Atérien et la question du Paléolithique supérieur Mnasra. Une pendeloque en os vient d’El Harhoura 1, trois en pierre de Seggedim. A Harourha 1, Taforalt, Bir el Ater, Rhafas, Ifri n’Ammar, Les Contrebandiers, ont été mis au jour des coquillages perforés, souvent des coquilles de Nassarius gibbosulus, accessoires assimilés à des objets de parure et qui traduisent un comportement nouveau : l’intervention du symbolisme. A El Guettar, la pièce pédonculée de l’amoncellement de pierres qui exprimerait un culte de la source1, en est peut-être l’une des premières manifestations.
A l’inverse des ensembles moustériens qui montrent peu de variantes au sein d’un faciès, l’Atérien paraît présenter à la fois un grand nombre de faciès et une variabilité au sein de chacun avec parfois la lame comme support d’outil. Ses vestiges ont été recueillis dans les remontées des sables de sources artésiennes et ses outils peuvent être associés à des brèches osseuses. Son devenir reste une question ouverte ; en divers lieux, en effet, en s’achevant dans un ensemble industriel de petites dimensions, il laisse soupçonner sa transformation en ensembles industriels plus légers. L’Atérien n’est pas la seule industrie sur éclat à s’être développée dans le Sahara et ses abords en fin de Pléistocène ; au Sénégal, une industrie de même filiation a reçu le nom de Tiémassassien. Malgré le progrès technique qu’est le pédoncule pour emmancher les outils, rien ne distingue fondamentalement la vie de ces populations de celles qui les précèdent. Elles installent de même leurs campements soit en plein air, soit sous abri ou même en grotte, peut-être offrentelles plus encore que les Moustériens, des facettes multiples, sites d’exploitation, sites de débitage, lieux privilégiés de halte qui s’ajoutent à l’habitat. A l’instar de ces derniers, elles apparaissent comme de petits groupes, nomades ou semi-nomades, vivant de cueillette, chasse, pêche, et leurs outillages ne diffèrent que par l’emmanchement possible des outils. Pourtant une autre innovation, la parure, en soulignant le rôle du symbolisme, suggère une montée du psychisme et va leur donner une position nouvelle dans l’arbre humain. L’Atérien offre une grande variété d’ensembles industriels, mais aucune unité qu’elle soit géographique ou chronologique2 ne peut être saisie sans nouvelles études. Il traduit une si proche identité avec le Moustérien qu’il a pu être appelé « Moustérien à pédonculés ». Pour M. Nami et J. Moser « il est vraisemlisation de la méthode nubienne que l’on doit traduire en terme de contacts interrégionaux, introduisent un nouveau comportement. 1 .- Cf p. 156. 2 .- Les travaux actuels de E.M.L. Scerri et al pourraient répondre à cette attente.
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Sahara préhistorique blable ... que la maîtrise de la réalisation d’une coche profonde et retouchée soit un pas technique qui a débouché sur l’aménagement des pédoncules ». Alors que pour la plupart des auteurs l’Atérien s’enracine dans le Moustérien, ce qu’Ifri n’Ammar souligne mieux que tout autre site, d’autres balayent cette possibilité de filiation au profit d’une contemporanéité de deux populations. A Ifri n’Ammar, elle se traduirait par deux niveaux à pièces pédonculées, l’un au sommet de l’occupation inférieure, l’autre au sommet de l’occupation supérieure. De manière tout aussi arbitraire que cela, nous n’avons rapporté à l’Atérien qu’une partie de l’occupation supérieure, nous appuyant sur les frémissements que sont alors le rôle des grattoirs, la présence d’éléments symboliques qui accompagnent l’intervention des pièces pédonculées. Les pièces pédonculées de l’occupation inférieure, par leur pédoncule atypique nous semblent rejoindre la présence sporadique de pédoncule dans divers sites éloignés les uns des autres et annoncer l’Atérien. Vu ainsi, l’Atérien est une forme évolutive du Moustérien. Sa mise en place doit connaître des diachronies, un jeu d’apparitions et disparitions, a-t-elle un lien avec des contraintes dues à des vicissitudes climatiques ? C’est ce qui est parfois proposé. Reste qu’à cette avancée technique, s’ajoute un nouveau seuil dans la sapienisation qui se traduit dans la présence d’éléments sans utilité matérielle ; il rapporte un développement cérébral plus engagé que celui de l’homme moustérien.
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1a. In Ezzan. Tassili Ajjer. Bubale. On notera le piquetage à patine totale qui déforme la patte antérieure gauche et un éclat dont l’ancienneté est également attestée par la patine. Période bubaline. Cl. M. Tauveron.
1b.- El Ghicha. Atlas saharien. Combat de bubales. Période bubaline. Le trait clair est dû à une reprise qui a ajouté le personnage à la gravure originale. Cl. M. Tauveron.
2.- In Ezzan. Tassili Ajjer. Personnage à tête zoomorphe. L'œil est mis en valeur par une protubérance, l'atténuation des extrémités résulte en grande partie d’un trait peu profond. Période bubaline. Cl. M. Tauveron.
3a. - Oued Selelamine. Tassili Ajjer. Probables représentations de masques. Période Têtes Rondes. Cl. H. Lhote.
3b.- Boualem. Atlas saharien. Bélier casqué précédé d’un personnage de réalisation différente. Seule représentation de bélier figurant la toison ; l’arrière-train très altéré doit sa forme à une reprise ancienne. Période bubaline. Cl. G.A.
4a. - Arrikine. Tassili Ajjer. Girafes voisines, le ton clair des traits et des ocelles est dû à des reprises, elles ont permis de conserver la forme de l’une l’opposant ainsi à sa voisine peu visible en raison d’un trait aussi patiné que la roche. Période bubaline. Cl. M. Tauveron.
4b.- Wadi Bedis. Tadrart. Bubale. Outre son puissant cornage, la tête baissée, la queue rabattue sur la cuisse sont des caractères portés par toutes les représentations de cet animal dans le Sahara ou l'Atlas saharien. Période bubaline. Cl. Van Albada.
5a. - Kef Mektouba. Atlas saharien. Enigmatique concentration de représentations d'éléphants. Période bubaline. Cl. J. Hakmi.
5b.- Tan Zawaten.Tadrart. Eléphants. Le brouillamini de ce groupe résulte des nombreuses reprises qui n'ont pas observé le trait original des pattes, ni la marche à l'amble ; ce changement montre que les auteurs de la reprise ne connaissaient pas l'animal. Période bubaline. Cl. G.A.
6a.- Abri Freulon. Tadrart. Personnages et motifs divers de la période Têtes Rondes. Cl. M. Tauveron.
6b.- Milok. Atlas saharien. Antilopes, rhinocéros et bovin de style Tazina, sur dalle. Période bubaline ? Cl. M. Arib.
7.- Aïn Naga. Atlas saharien. Bélier à sphéroïde précédé d'un personnage. Période bubaline. Cl. G.A.
8.- El Hasbaïa. Atlas saharien. Paroi couverte de gravures parmi lesquelles un éléphant se détache par ses dimensions et son trait profond. En haut, détail : Echassier tracé à l’intérieur de l’arrière-train d’un autre éléphant. Période bubaline pour la plupart des figures. Cl. G.A.
9a.- Sefar. Tassili Ajjer. Bos primigenius et antilope. Leur représentation en semi-profil, pattes jointes deux à deux, cornes et yeux rendus de face est typique des Têtes Rondes. Cl. H. Lhote.
9b.-Tin Terert. Tassili Ajjer. Sur dalle, un bovin de 6 m de long, au cornage démesuré réalisé d’un trait profond a été entièrement couvert de motifs spiralés. Cl. K.H. Striedter.
10a.-Techekalaouene. Femme au battoir. Assise sur ses talons, les seins pendant, d’une main, elle tient un objet courbe en appui sur le sol et lève l’autre bras muni d’une sorte de battoir. Période Têtes Rondes. Cl. H. Lhote.
10b- Tin Teferiest. Tassili Ajjer. Personnages de facture typique des Têtes Rondes anciennes tenant une plante, en position telle que l’on peut y voir une scène de plantation. Cl. K.H. Striedter.
11a.- Tin Tazarift. Tassili Ajjer Archers. Quoique tous en même aplat brun, utilisant les mêmes canons, la posture plus ou moins raide propose des phases picturales différentes. Période Têtes Rondes. Cl. S.A. Kerzabi.
11b.- Sefar. Tassili Ajjer. Personnages têtes rondes. S’ils ont la même attitude, bras parallèles mi-levés, s’ils sont réalisés de la même peinture blanche, ils s’opposent par leurs dimensions et leurs factures, un riche décor de la tête et d’une cape chez l’un, un aplat chez l’autre. Cl. H. Lhote.
12a. Aman Semednime. Tadrart. Kel Essuf, tel est le nom donné à ces petits personnages réalisés par un simple martelage qui a évidé une ove et l’a nantie d’appendices filiformes. Cl. M. Tauveron.
12b.- Tigharmine. Tassili Ajjer. Grand bubale sur rocher isolé. Un puissant cornage, partiellement annelé, partiellement poli atteste de son ancienneté. Le corps est compartimenté et oblitéré par une spirale double de facture identique. Période bubaline. Cl. K.H. Striedter.
13a.- In Djerane. Tadrart. Clarias et Tilapia qui sont gravés sur les rochers ont été retrouvés dans les restes culinaires des hommes peuplant cette région durant l’Holocène inférieur. Cl. Y. Amamrar.
13b.- Bou Dehbib. Atlas saharien. Grande autruche sur ce qui doit être les restes d’un miroir de faille. Près d’elle, figure énigmatique que tout oriente vers un rite de fécondité : les bras levés, le mouton (?) faisant corps avec le personnage, l’énorme phallus qu’enserrent des talons. Période bovidienne. Cl. G.A.
14a.- Tan Zoumaitok. Tassili Ajjer. Mouflons et masques. La représentation des cornes du mouflon a évolué passant d’arcs latéraux divergents à des arcs parallèles rabattus derrière la tête, tandis que la peinture blanche omniprésente faisait place à l’ocre. Période Têtes Rondes. Cl. M. Tauveron.
14b.- El Ghicha. Atlas saharien. Avec des oreilles bien trop courtes pour un âne, cet équidé à patine ancienne est proposé comme représentation d’Equus mauritanicus. L’un des ânons qui l’accompagnent est un ajout probablement contemporain de la reprise du trait poli, par piquetage. Cl. M. Tauveron.
15a.- Jabbaren. Tassili Ajjer. Personnage et poisson en superposition. Le personnage est typique d’une phase ancienne des Têtes Rondes ; il paraît revêtu d’un vêtement à manche qui flotte sous les fesses. La ligne latérale du poisson, un Tilapia (?), est marquée de chevrons. Cl. H. Lhote.
15b.- In Abedine. Tadrart. Bouquet de girafes. L’original était réalisé en trait poli dont restent de rares vestiges. Une reprise par piquetage a redessiné les ocelles et entièrement dégagé la tête à l’exclusion de l’œil ainsi bien mis en valeur. Cl. G.A.
16.- Khanguet el Hadjar. Constantinois. Original par sa technique proche du bas-relief, la gravure l'est aussi par son sujet, un personnage portant un bâton courbe et un objet carré, accompagné de moutons et de chiens, et par la répétitivité de la scène. Période pastorale. Cl. G.A.
Chapitre VII
LE PALEOLITHIQUE SUPERIEUR
ET LES INDUSTRIES SUR LAMES ET LAMELLES Fraction de temps qui couvre la fin des temps pléistocènes soit, selon les auteurs, Würm IV ou Würm III et IV, le Paléolithique supérieur1 va des environs de 35000 à 10000 B.P. (38100 à 9500 av. J.-C.). Alors que les industries du Paléolithique inférieur, puis une partie de celles du Paléolithique moyen offrent des caractères et un développement semblables à ce qui est connu en Europe, le Paléolithique supérieur du Nord de l’Afrique montre des aspects essentiellement différents. En Europe, où il a été défini, il se distingue du Paléolithique moyen par un débitage laminaire omniprésent et du Mésolithique qu’il précède, par l’absence de la technique du microburin et de microlithes géométriques ; il procède ainsi de deux échelles, chronologique et technologique qui sont confondues. Tel n’est pas le cas dans le Sahara et ses abords. Durant ce laps de temps, le débitage laminaire est exceptionnel. En l’état des connaissances, il n’a été utilisé que dans de rares sites de la Saoura et de Cyrénaïque et, plus tardivement, dans un faciès culturel de faible extension, le Capsien typique2, mais, antérieurement, il apparaissait dès l’Acheuléen, figurait dans l’Atérien et, peut-être, dans de petits sites sans attribution culturelle signalés dans les régions occidentales, il avait été employé à Haua Fteah, dans le Pré-Aurignacien libyen et dans le niveau supérieur du gisement moustérien d’El Guettar où il s’était substitué partiellement au débitage Levallois. Dans le Nord de l’Afrique, le Paléolithique supérieur est d’abord occupé par une industrie sur éclat, l’Atérien, qui y perdure longuement, puis par des industries sur lamelles. Celles-ci montrent l’emploi de la technique du microburin -même si cet emploi n’est pas courant-, peuvent posséder des microlithes géométriques. Peut-on les assimiler aux ensembles du Paléolithique supérieur ? En lui conservant une échelle chrono-technologique, le terme est peu utilisable hors de l’Europe occidentale. Accorder la primauté au facteur technologique, amène à qualifier d’Epipaléolithique, les industries sur lamelles quel que soit leur âge. C’est la position adoptée au Moyen Orient. Accorder la 1 .- Rappelons que le Paléolithique supérieur est une période. C’est celle où le renne Rangifer guettardi occupe l’Europe occidentale d’où le nom d’Age du Renne qui lui a été donné par certains auteurs. Dans cette région, il voit s’épanouir les cultures du Périgordien, Aurignacien, Gravettien, Solutréen, Epigravettien, Magdalénien ; dans le Nord de l’Afrique, se développent la fin de l’Atérien, l’Ibéromaurusien, quelques industries sur lames et diverses petites cultures sur lamelles. 2 .- Cf tome II.
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Fig. 50 - Gisements à lames et lamelles du Paléolithique supérieur cités
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les industries à lames et lamelles du Paléolithique supérieur primauté au facteur chronologique, amène à qualifier de Paléolithique supérieur, des ensembles industriels à lamelles jusque là nommés épipaléolithiques en raison de l’âge qui, un temps, leur a été accordé. C’est la position développée dans le Nord de l’Afrique1. Ces industries sur lamelles ne sont connues que dans les franges orientales et septentrionales du Sahara, leur absence ailleurs y posant la question d’une durée plus longue de l’Atérien2. Il paraît difficile en effet de “ vider ” totalement d’hommes la zone saharienne durant l’aride qui y sévit lors de la dernière phase glaciaire, d’une part parce que ce ne fut pas, comme il avait été admis, une période uniformément hyperaride, mais qu’elle fut coupée d’orages et de phases de rémission climatique, d’autre part, parce que de récents travaux viennent d’identifier des moyens très ingénieux de récupération de l’eau à cette époque, technique qui, par sa seule existence, atteste de la présence des hommes et de leurs capacités cognitives. Dans la vallée du Nil, ces industries offrent une forte variabilité qui a conduit à la multiplication des dénominations. A l’inverse, dans le Tell maghrébin, une seule culture, l’Ibéromaurusien, a été reconnue, dont nombre d’auteurs a souligné la grande monotonie. Dans les deux cas, ces modalités d’expression ont tendance à biaiser les réalités préhistoriques, aussi, tend-on, au Sahara oriental, à regrouper les dénominations, alors qu’à l’inverse, au Nord-Maghreb, on cherche à faire éclater le monolithisme ibéromaurusien. Fig. 50 – Gisements à lames et lamelles du Paléolithique supérieur cités. 1) Sites 2003, S-320 ; 2) Rive gauche (Sites 605, 608, 609, 619, 620, 621, 1041, 1042) ; 3) Khor Musa Sud (Sites 278, 412, 443, 448, 1018, 1020, 1024, 1025, 1026, 2009, 2014, 6G29) ; 4) Site 624 ; 5) ANE-1 ; 6) Wadi Halfa N. (Sites 34, 81, 83, 117 (=Djebel Sahaba), 618, 1028, 1046, 2000, 2012, 6B36) ; 7) Ballana (Sites 8859, 8896, 8898, 8899, 8956, 8957) ; 8) Tushka (8886, 8888, 8905) ; 9) Kubbaniya (Sites E78-2, E78-3, E78-4, E78-5, E78-7, E78-9, E78-10, E81-1, E81-2, E81-3, E81-4, E81-5, E82-3, E82-6, E83-4, E84-1, E84-2) ; 10) Kom Ombo (GS-2B-I, GS-2B-II, 2A28), Qau ; 11) Silsila (Site GS-III) ; 12) El Kab ; 13) Edfou (Sites E71-P1, E71-P2, E71-P3, E71-P5, E71P6, E71-P7) ; 14) Isna (E71-K1, E71-K2, E71-K3, E71-K4, E71-K5, E71-K6, E71-K8, E71-K9, E71-K12, E71-K13, E71-K14, E71-K18, E71-K20, E71-K22, Beit Khallaf) ; 15) El Abadiya, Makhadma 2, 4, Shuwikhat 1 ; 16) Dishna (Sites E61-M1, E61-M2-3, E61-M5-7, E61-M9-10) ; 17) Arab es Sabaha ; 18) Nazlet Khater ; 19) Hagfet ed Dabba, Haua Fteah ; 20) Marble Arch ; 21) Hagfet et Tera ; 22) Djebel Gharbi (site SJ-00-56) ; 23) Zarath (=Maison Triolet, = Novamor), Mareth ; 24) Oued Akarit ; 25) Sidi Mansour (=Horizon Collignon), Lalla, El Guettar, Bir oum Ali ; 26) Aïn el Atrouss ; 27) Mennchia ; 28) Er Rechada es Souda ; 29) Ouchtata ; 30) Aïne Khiar ; 31) Demnet el Hassan, Kef oum Touiza ; 32) Hammam Sidi Djeballa ; 33) Djidjelli ; 34) Taza, Afalou bou Rhummel, Tamar Hat, Ali Bacha ; 35) Courbet-marine ; 36) Oueds Kerma ; 37) El Hamel, Foum el Redad, Es Sayar, El Onçor, DDC ; 38) El Haouita ; 39) Kouali ; 41) Grotte Roland, Rassel ; 42) Columnata ; 43) El Kçar ; 44) Rachgoun ; 45) Abri Alain ; 46) La Mouillah ; 47) Hemama ; 48) Aïn Aghbal, Taforalt ; 49) Kifan bel Ghomari ; 50) Ifri el Baroud ; 51) Cap Negro, Kef el Hammar, Hattab ; 52) El Had de la Garbia ; 53) Rehiene ; 54) El Khenzira, El Harhoura 1 (= grotte Zouhrah), El Harhoura 2, Temara (Grotte des Contrebandiers), El Mnasra, Yquem ; 55) Taounate ; 56) Dar es Soltan (=Dar es Soltane) ; 57) Bouskoura ; 58) Bizmoune, Cap Ghir ; 59) Oued Mramda. 1 .- Cf en particulier F. Bordes, J. Roche, D. Ferembach. 2 .- Rappelons l’identification du gisement d’Azarza au sein des dépôts sableux de l’Ogolien, cf p. 195.
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Des industries sur lames L’Hémamien Un débitage bipolaire fournisseur de lames et lamelles est connu dans la vallée de la Saoura où, à Hémama, près de Beni Abbès, il coexiste avec un débitage Levallois, essentiellement d’éclat, qui se maintient à hauteur de 10 %. Le gisement se place sur un palier d’érosion de la terrasse saourienne dont une partie recueille une industrie issue d’un surplomb que l’érosion démembre ce qui explique les réserves de certains auteurs qui en ont contesté la pureté. Pourtant, l’une a laissé une industrie que n’altère aucune patine et qui comporte 95 % de lamelles, l’autre a utilisé un débitage Levallois pour produire des éclats et des lames qui sont diversement patinés par altération chimique, mais dont les arêtes ont été conservées. Cette occupation, qui a été dénommée Hémamien par son découvreur, N. Chavaillon, n’est pas datée et sa position stratigraphique ne lui accorde pas une position chronologique suffisamment précise. Elle peut appartenir au sommet de la terrasse et a pu être découverte par l’érosion ou être postérieure au façonnement du palier ; toutefois dans les deux cas, elle est postérieure à l’Atérien qui, dans cette région, est inclus à la base de cette terrasse. Dans l’Hémamien, éclats et pointes Levallois forment près de 10 % de l’outillage, lequel est largement dominé par les racloirs 35 % ; bien que tous les types soient présents, ils sont le plus souvent simples. On y trouve des burins, grattoirs, quelques pièces à bord abattu ainsi que quelques microlithes géométriques. Les pièces à encoches ne sont pas courantes, moins de 3 % ; les denticulés abondent 25 %. La denticulation affecte un bord ou les deux et s’observe sur des éclats et des lames ; elle est tantôt fine et régulière, tantôt irrégulière et parfois évoque celle que l’on trouve dans le Capsien. Des raclettes 4 %, de petite taille, ont une partie ou la totalité de leur bord repris par des retouches abruptes qui sont écrasées par endroits. A un certain stade d’épuisement, les nucléus ont souvent été réutilisés de manières diverses.
Le Dabbéen Industrie sur lame, le Dabbéen, ou Dabbien, n’est connu qu’en Cyrénaïque à Hagfet ed Dabba, gisement éponyme, et Haua Fteah où il succède à des vestiges « Levalloiso-moustériens » qui le séparent du Pré-Aurignacien, plus ancienne industrie sur lames du Nord de l’Afrique. Il a été nommé par C.B.M Mc Burney lors de l’étude du gisement d’Haua Fteah où il est daté de 33100 ± 400 (Grn2550) (36400-34840 av. J.-C.) dans la couche XX. Il se développerait entre 40000 et 17000 B.P., (41800 et 18300 av. J.-C.) créneau confirmé par les travaux de G. Barker qui a repris l’étude du site en 2007, puis de K. Douka et al. Le Dabbéen utilise un débitage bipolaire ; bien que faisant suite à des industries de débitage Levallois, il n’emploie pas ce procédé. Il se caractérise par l’abondance des bords abattus, de l’ordre de 50 %, de nombreux burins, des lames chamfrées (dites aussi lames à chanfrein), des grattoirs ; quelques microlithes géométriques peuvent s’y trouver. C.B.M Mc Burney distingue deux phases. Dans la plus ancienne, les lames à dos forment la moitié de l’outillage,
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les industries à lames et lamelles du Paléolithique supérieur les burins autour de 20 % ; les lames chamfrées atteignent 60 % à Hagfet ed Dabba, mais seulement 5 % à Haua Fteah. Cette phase renferme des grattoirs, 15 % à Haua Fteah, et peu de racloirs. La phase la plus récente apparaît vers 32000 (34000 av. J.-C.). L’industrie s’appauvrit en lames à dos et lames chamfrées qui atteignent seulement 4 % à Hagfet ed Dabba, disparaissent à Haua Fteah. Le nombre de racloirs augmente ; comme les grattoirs, ils constituent le tiers des outils à Hagfet ed Dabba. A Haua Fteah, les burins, avec 40 %, surclassent alors les grattoirs, puis leur proportion s’abaisse à 5 % à la fin du Dabbéen, abaissement compensé par le développement des racloirs et l’apparition de microlithes géométriques, trapèzes et rectangles. Un fragment de pièce foliacée qui provient de Haua Fteah souligne la permanence de la technique de retouche plane. La faune associée aux industries dabbéennes comporte en abondance des restes de mouflons et en quantité moindre des éléments de gazelles, bovidés dont Pelorovis, des Insectivores et rongeurs divers, des tortues. Pour C.B.M Mc Burney, le Dabbéen serait à rapprocher de l’Emiréen dont D. Garrod faisait une transition entre le Paléolithique moyen et supérieur en raison de la coexistence d’éclats Levallois, pointes, pointes moustériennes, de grattoirs et de burins ; mais au contraire du Dabbéen, l’Emiréen emploie simultanément le débitage Levallois et le débitage au punch. Faut-il en rapprocher le site SJ-00-56 reconnu par la mission archéologique italo-libyenne près de l’Aïn Shakshuk ? L’occupation se développe sur une centaine de mètres, connaît une épaisseur d’une soixante de centimètres et sa base a été datée de 16750 ± 60 B.P. (Beta-157689) (18320-17740 av. J.-C.). L’industrie résulte essentiellement d’un débitage laminaire fait en dehors du site, ce qui n’est pas le cas pour les lamelles produites à l’intérieur. L’outillage ne constitue que 2 % du matériel lithique, il consiste en denticulés, pièces à coche et grattoirs qui soulignent une spécialisation des lieux. Quatre concentrations cendreuses identifiées dans le secteur fouillé comportaient de nombreux ossements fortement altérés par le feu. Ils sont dominés par l’âne, ce qui évoque le niveau East-Oranian d’Haua Fteah où ils sont nombreux. SJ-00-56 est rapporté à une halte de chasse spécialisée dans celle de l’âne sauvage.
Les premières industries laminaires de la vallée du Nil Dans la vallée du Nil, le Paléolithique supérieur est subdivisé en deux stades : l’un, antérieur à 20000 B.P. (22000 av. J.-C.), connaît les premières industries laminaires ; l’autre, postérieur, dit Paléolithique final, voit se multiplier des industries sur lamelles. Beit Khallaf Situé au nord d’Abydos, Beit Khallaf est un site de surface reconnu en 1976 dans le cadre des travaux du Belgian Middle Egypt Prehistoric Project of Leuven University (BMEPPLU). Il occupe une petite butte de 300 x 100 m qui domine de 80 m la plaine alluviale du Nil. Le matériel archéologique est dispersé à la surface, concentré dans la partie septentrionale. Le matériel laminaire est largement dominant. Il sert de support à des denticulés, encoches, grattoirs, à la
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Fig. 51 – Dabbéen. 1 à 3) lames à bord abattu partiel ; 4 à 6) lamelles à bord abattu ; 7 à 9) chutes de burin transversal ; 10 à 12) lames à chanfrein ; 13 à 17) burins (origine : Hagfet ed Dabba, Mc Burney et Hey 1955).
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les industries à lames et lamelles du Paléolithique supérieur plupart des perçoirs, couteaux, troncatures ; les burins sur cassure sont faits sur angle de lames. Les denticulés constituent une part notable de l’outillage avec 28,5 %, suivis des encoches 17,9 %, burins 17,9 %, éclats retouchés 12,4 %, aucun autre groupe d’outils, couteaux, perçoirs, troncatures, grattoirs, pièces à retouches diverses n’atteint 10 %. Près de 30 % des nucleus a produit des lames dont la moitié avec facettage du plan de frappe. Les nucleus à éclats s’apparentent à des pièces Levallois pour 20 % avec 2,5 % de nucleus nubiens. Les talons des lames sont pour un peu plus du tiers facettés ou punctiformes, un peu moins du tiers lisses. L’industrie évoque le Paléolithique moyen par la préparation du débitage qu’il s’agisse des éclats ou des lames ce qui a conduit les auteurs M. Otte, P. Vermeersch et E. Paulissen à conclure à une industrie intermédiaire entre le Paléolithique moyen et supérieur, ils considèrent que même si ces procédés évoquent le Khormusien ou l’Edfouen, cette industrie ne peut leur être assimilée. Nazlet Khater 4 Nazlet Khater 4 (NK4) est une exploitation minière qui révèle l’extraction de galets à l’aide de marteaux de pierre, de cornes de gazelle ou d’antilope, dans des tranchées et des puits atteignant une profondeur de 2 m. Deux inhumations ont été retrouvées à quelques centaines de mètres. Le site est daté de 3340032000 (36050-34000 av. J.-C.). L’industrie ignore le débitage Levallois, elle résulte d’un débitage laminaire sur nucléus à un seul plan de frappe. Les lames sont courtes, irrégulières, à talon le plus souvent lisse. Les outils, rares, sont essentiellement des denticulés, des lames retouchées, quelques grattoirs et burins. Il existe quelques « herminettes » à retouche bifaciale. Pour P.M. Vermeersch et al, les techniques de fabrication des lames viendraient du Nord où, dans le Negev, elles étaient pratiquées plus anciennement. Un outillage sur lame intervient dans certaines unités d’extraction du silex vers 57000 ; à Taramsa, la transition entre le débitage Levallois et laminaire serait bien visible.
Fig. 52 – Nazlet Khater 4. Restitution de l'exploitation minière de galets du Nil. La sédimentation comporte quatre couches de dépôts, la deuxième couche constituée de graviers a été exploitée par l'homme. Jusqu'à 2 m de profondeur, il a creusé des puits et des tranchées en partie souterraines pour extraire le silex à l'aide de morceaux de pierre et de cornes de gazelle ou d'antilope (d'ap. Vermeersch et al 1990).
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Les industries sur lames sont rares dans le Nord de l’Afrique. Les plus anciennes viennent de Haua Fteah où le Pré-Aurignacien, antérieur à l’occupation levalloiso-moustérienne, pratique un débitage laminaire qui remonterait à 40000 B.P. Le débitage laminaire est plus fréquent dans la vallée du Nil où ses premiers témoins sont datés entre 35000 et 30000 B.P. ; il pourrait trouver son origine dans le Negev où il était pratiqué dès 45000. Les cultures les plus connues sont, outre le Pré-Aurignacien, le Dabbéen en Cyrénaïque et le Shuwikhatien dans la vallée. Cette nouvelle technologie marquerait un changement radical dans lequel certains auteurs voient l’effet d’une nouvelle structuration sociale. Le Shuwikhatien Des industries sur lame ont également été identifiées à Shuwikhat et des sites semblables sont connus à El Abadiya, dans les régions d’Edfou -E71-P2, E71-P6, E71-P7- et d’Isna -E71-K9 qui est daté de 21590 ± 1520 (21130-18090 av. J.-C.) par thermoluminescence (Ox.TL161.C.1). Ces ensembles industriels disposent de nucléus à deux plans de frappe opposés et, en moins grand nombre, de nucléus à un seul plan de frappe. Le débitage de lames et lamelles atteint volontiers 10 %. Les pièces à coche et surtout les denticulés ainsi que les burins sont toujours nombreux, les lames ou lamelles à dos, bien représentées, peuvent occasionnellement porter une retouche Ouchtata. Ils sont parfois nommés Edfouen à débitage non Levallois, P.M. Vermeerch, E. Paulissen et P. Van Peer qui en ont fait l’étude, les nomment Shuwikhatien. Ces auteurs voient les relations délicates avec l’Edfouen, bien qu’en remontant jusqu’aux environs de 40 000, il puisse en être l’ancêtre. Shuwikhat-1 En Haute Egypte, dans la région de Danderah, Shuwikhat-1 est inclus dans un dépôt de limons formant une terrasse du Nil, au-dessous d’un paléosol. L’industrie dispose d’un débitage de lames fait à partir de nucléus à deux plans de frappe opposés. Les talons sont souvent facettés. Des nucléus à un plan de frappe, peu nombreux, sont interprétés comme des tentatives de débitage abandonné en raison d’une mauvaise qualité de la matière première. Il n’y a ni débitage Levallois, ni débitage lamellaire. L’outillage est dominé, 25 %, par les lames denticulées uni- ou bilatéralement, les groupes secondaires atteignent 13 % pour les burins, 12 % pour les grattoirs qui sont tous faits sur lame. Les lames à dos, souvent fragmentées, dont beaucoup portent des retouches proximales, représentent 8 %. Les perçoirs, les troncatures sont rares. Il n’existe aucune lamelle à bord abattu ou à retouche Ouchtata. Les lames à retouche continue sont très nombreuses 30 %, la retouche qui peut être produite par l’utilisation, affecte un bord ou les deux. Le site, daté de 24700 ± 2500 (OxTL253) (25220-20250 av. J.-C.) par thermoluminescence, évoque une population de chasseurs-pêcheurs par les restes de bovins, antilope bubale, gazelle, poisson-chat.
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les industries à lames et lamelles du Paléolithique supérieur
Industries lamellaires et Paléolithique final dans la vallée du Nil Le Paléolithique final a surtout été identifié en Haute Egypte et au Soudan septentrional. De 12000 à 8000 B.P. (12000 à 7000 av. J.-C.) c’est à dire avec la fin des crues du Nil sauvage et la période d’incision qui entraîna le rétrécissement de la plaine alluviale, on ne connaît pas de sites dans la vallée1 ; l’homme y réapparaît vers 8000 B.P. (7000 av. J.-C.) avec l’Elkabien et le Qarunien. Les sites peuvent être enfouis ou peuvent manquer, les populations ayant préféré se déployer sur le Sahara à la faveur du climat plus humide de cette période. Les ensembles industriels qui ont été reconnus pourraient traduire des unités géographiques distinctes. Le Sébilien qui se développe dans la plaine de Kom Ombo, s’étend le long du Nil entre la Deuxième cataracte et Qena. L’Edfouen, identifié à Edfou, ne se retrouve que près d’Isna, une cinquantaine de kilomètres au nord. Le Gemaien n’est connu qu’aux environs de Wadi Halfa. Mais l’Halfien qui paraît lui succéder, s’étend peut-être loin vers le nord jusqu’à la région d’Isna sous forme de Kubbaniyen puis de Fakhurien ; il serait ainsi la seule culture, avec le Qadien, à connaître un ample développement. Gemaien Ensemble industriel de la région de Wadi Halfa, près de la Deuxième cataracte, il est dénommé d’après le district de Gemai. Quoique daté entre 17500 et 15000 B.P. (19000 et 16300 av. J.-C.), il serait antérieur à 17000 B.P. (18300 av. J.-C.) pour certains auteurs, et serait la plus ancienne des cultures à lamelles de la région. C’est la plus ancienne culture de la « Cataract tradition », phylum qui se poursuivrait avec le Qadien et qui, dans ses techniques, diffère du Khormusien et de l’Halfien. Le faciès fut identifié par J.L. Shiner près de Khor Musa Pacha et défini à partir de cinq sites, 278, 412, 1025, 1026, 2009. Sa position stratigraphique, à un niveau inférieur à l’Halfien et au Khormusien terminal, pourrait avoir une signification chronologique ou être liée aux variations saisonnières du fleuve. L’industrie est faite sur galets du Nil d’où ont été sorties de petites pièces, certaines par débitage Levallois. En général, les pièces sont larges, les éclats prédominent, les pointes Levallois peuvent être abondantes. L’outillage comporte surtout des racloirs, des denticulés, des pièces à retouches unifaciales, quelques burins et troncatures. Les lamelles à bord abattu sont rares, la retouche Ouchtata peu employée. Aucun microlithe géométrique n’a été retrouvé. La faune, pauvre, comprend Pelorovis, Equus. Site 278 Il présente plusieurs petites surfaces d’occupation humaine incluses dans des sables et limons de la formation Sahaba. Le petit nombre d’outils livré par chacune montre de menues différences pouvant traduire une évolution2. L’occupation la plus ancienne est riche en burins, denticulés et éclats retouchés. Puis 1 .- La question d’un développement du « Dabarosa complex » durant cette période est posée par certains auteurs. Cf T. II p. 54. 2 .- Un décompte global de l’outillage est donné p. 379.
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Sahara préhistorique les lames, les burins régressent, des racloirs et perçoirs interviennent, les coches sont plus courantes. Le débitage Levallois est de moins en moins employé. Site 1025 Petit monticule situé à 3 km du Nil, il couvre une surface de 50 x 30 m. Il semble que la densité du matériel préhistorique ait formé une chape ayant protégé de la déflation les dépôts de la formation Sahaba qui le supporte. Les nucléus sont particulièrement nombreux, le plus souvent à plans de frappe opposés. Le débitage a fourni moins de 10 % de lames ; près des trois quarts des nucléus ont été préparés en vue d’une production de pointes. Celles-ci forment l’assise de l’industrie1 et plus des deux tiers sont retouchés. Beaucoup d’outils sont façonnés sur éclat cortical, dont tous les grattoirs. Les denticulés qui constituent le groupe secondaire, offrent une plus grande régularité des coches sur les pièces laminaires et se subdivisent en deux séries selon l’éloignement des dents, 2,5 ou 5,5 mm. Les perçoirs, couteaux, bords abattus manquent, ce qui est fréquent dans le Gemaien. Halfien, Fakhurien, Kubbaniyen, des cultures apparentées ? Datés généralement entre 19500 et 15000 B.P. (21300 et 16300 av. J.-C.), ces ensembles industriels ont en commun un débitage Levallois et un débitage halfien (fig. 37), variante du débitage Levallois. Ils font un ample usage de la retouche Ouchtata, n’utilisent quasiment pas la technique du microburin. Ils sont riches en lamelles à dos, pauvres en microlithes géométriques. Ils sont connus dans des régions différentes et ont reçu des noms différents, Halfien dans la région de Wadi Halfa, Kubbaniyen dans celle d’Assouan, Fakhurien près d’Isna, ce dernier faciès pouvant correspondre à la phase ancienne du Kubbaniyen. L’Halfien a donné son nom à un mode de débitage produisant une pointe de projectile particulièrement efficace avec une extrémité distale biseautée et, près de la base, une retouche fréquente des bords latéraux qui a pu faciliter l’emmanchement. Très utilisé dans l’Halfien, ce mode de débitage est répandu dans le Kubbaniyen et l’Edfouen, à l’exclusion d’autres cultures, ce qui établit leur apparentement. Halfien Identifié par R.W. Fairbridge en 1961-62, dans la région de Wadi Halfa où il est inclus dans la formation Dibeira-Jer, l’Halfien ne fut dénommé qu’en 1963-64 par H. Erwin. et la Combined Prehistoric Expedition. En basse Nubie, il ferait suite au Gemaien. Il est connu le long du Nil du nord de Kom Ombo au sud de Khor Musa (Sites 443, 6242, 1018, 10203, 1028, 2014, 6G29), près d’Edfou, de Ballana et d’Isna (Sites E71-P1, 8859, E71-K8), où il se retrouve sur le même territoire que le Sébilien. L’Halfien comporte divers types de nucléus, Levallois, biseaux et halfiens (fig. 37 et 37). L’ensemble lithique est constitué de nombreuses lamelles à dos, plus 1 .- Cf p. 379. 2 .- Cf p. 379. 3 .- Id.
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les industries à lames et lamelles du Paléolithique supérieur
Fig. 53 – Gemaien. 1 à 3) pointes ; 4) éclat à base tronquée ; 5) grattoir ; 6) burin ; 7) racloir ; 8, 9, 12, 13) pointes denticulées ; 10, 14) éclats denticulés ; 11) éclat à coche (origine : Site 1025, Shiner in Wendorf 1968).
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Sahara préhistorique de 85 % dans certains sites, elles présentent fréquemment une retouche Ouchtata, mode de retouche qui figure souvent sur éclats halfiens. Les grattoirs, burins, pièces à coche, denticulés, troncatures, pièces esquillées et retouchées sont présents, les perçoirs rares et il n’y a ni microlithe géométrique, ni microburin. A.E. Marks identifie cinq phases ; l’évolution se ferait par diminution des éclats halfiens, augmentation des lamelles et conjointement des retouches abruptes. Il n’est pas suivi par F. Wendorf qui met les variations en relation avec des activités différentes, bien qu’on y trouve la même faune avec hippopotames, bovins, gazelles, des poissons, des coquilles d’Unio abyssinicus. Pour cet auteur, l’Halfien pourrait dériver des industries Levallois nilotiques d’Egypte centrale ; il le rapproche du Kubbaniyen, l’un et l’autre pouvant être des variantes régionales d’une même culture, et le place entre 19500 et 17500 B.P. (21300 et 19000 av. J.-C.), les dates de 25700 ± 2500 (GXO410) et 14970 ± 1420 B.P. (30600-25470 et 17725-14100 av. J.-C.) lui paraissant l’une trop ancienne, l’autre trop récente. Site 443 Proche de l’aéroport de Wadi Halfa, le niveau archéologique d’une épaisseur de 25 cm, affleure au sommet d’une dune avec une forte concentration de matériel lithique et la présence de fragments osseux. Il a été étudié par G. et J. Guichard, puis A.E. Marks qui le situe dans sa phase IV. Des aires d’une trentaine de centimètres de diamètre où ceux-ci, accompagnés d’argile brûlée, se concentraient, ont été interprétées comme des soles de « fours ». C’est l’un des très rares sites de ces régions témoignant de parure au Paléolithique. Cinq rondelles d’enfilage en test d’œuf d’autruche, certaines non achevées, ont permis de suivre leur technique de fabrication : perforation d’un fragment subcirculaire, puis polissage du pourtour jusqu’à obtenir une perle de 8 mm de diamètre avec une lumière de 4 mm. Le débitage a surtout fait appel à des nucléus à un plan de frappe bien que des nucléus biseaux, halfiens, plus rarement Levallois ou à deux plans de frappe opposés ou perpendiculaires aient été employés. L’outillage1 est de petite dimension, à nombreux types d’outils, chacun représenté par peu d’exemplaires. Il est riche en lamelles, larges et courtes, ne dépassant pas 3 cm de long, dont un bord est souvent abattu. Il comporte des grattoirs, burins, coches, denticulés souvent produits sur lamelle ou petite lame à dos cortical, des pièces esquillées, couteaux à dos naturel, pointes, quelques éclats Levallois et des éclats halfiens bruts ou retouchés. Site 1028 Reconnu par R.W. Fairbridge en 1961 à 3 km de l’aéroport de Wadi Halfa, ce site fut fouillé par J.L. Shiner en 1963. La fouille devait montrer qu’une partie du site avait pu être occupée par une autre population. L’industrie halfienne2 est riche en lamelles courtes, larges qui peuvent être retouchées, tronquées, por1 .- Cf p. 379. 2 .- Id.
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les industries à lames et lamelles du Paléolithique supérieur ter des coches ou une denticulation. Divers types de burins sont présents sans prédominance de l’un. Les grattoirs, les racloirs sont très rares ainsi que les éclats Levallois ou halfiens. Il existe quelques couteaux à dos et quelques pièces esquillées. Fakhurien Identifié à Deir el Fakhuri par D. Lubell en 1974, il est connu dans la région d’Isna (sites E71-K1, E71-K2, E71-K3, E71-K4, E71-K5) et de Kubbaniya (E81-31, E81-4, E-82-3), où il a parfois reçu le nom de Complexe B ; P.M. Vermeersch et al le nomment Kubbaniyen ancien. Il serait daté aux environs de 18000 B.P. (19800 av. J.-C.)et au wadi Kubbaniya, entre > 21000 et 19500 B.P. (23200-21300 av. J.-C.). Les sites, superficiels ou subsuperficiels, ne dépassent pas une trentaine de mètres de diamètre. Ils traduisent une occupation saisonnière, au début de la montée des eaux. L’industrie lithique est dominée par les lamelles à dos, 26 %, et les retouches continues, l’augmentation des unes se faisant aux dépens des autres. Les pièces à coche atteignent 18 à 20 %, les denticulés 9 à 22 %, les perçoirs 9 à 15 %, les pièces esquillées 3 à 12 %, les grattoirs 4 à 6 %. Les microburins et les microlithes géométriques manquent quasiment. Les nucléus ont un plan de frappe ou deux plans opposés ; il n’y a pas de débitage Levallois. La retouche Ouchtata est très utilisée dans certains sites. Ces industries montreraient des ressemblances avec ce que J.L. Phillips nomme « Industrie D » et qui est illustrée par le site E71-K122. Cet ensemble industriel est dominé par les lamelles aiguës à dos rectiligne portant souvent une retouche de l’extrémité, on y trouve des perçoirs, coches-denticulées, burins, de rares grattoirs, très peu de microlithes géométriques ; la retouche Ouchtata est largement utilisée. Il serait un peu plus récent que E71-K13 qui date de 18000 B.P. (19800 av. J.-C.) environ et présente une distribution quelque peu différente des lamelles à dos. Mais dans un cas comme dans l’autre, l’abondance des lamelles introduit un déséquilibre dans la structure industrielle. Le Fakhurien a livré une faune qui comprend Bos primigenius, Alcelaphus buselaphus, Hippopotamus amphibius, Lepus capensis, Gazella, des restes de poissons, en particulier Clarias, des coquilles d’Unio abyssinicus. Site E71-K1 Site d’habitat, il occupe une superficie de 35 m2 non loin du monastère de Deir El-Fakhuri et a été daté de 17980 ± 330 B.P. (I-3416) (20210-19085 av. J.-C.). Sa surface est jonchée de matériel lithique, fragments osseux, restes de poissons, tous attribués à Clarias, nombreuses coquilles d’Unio abyssinicus, et de pierres brûlées qui se retrouvent jusqu’à une vingtaine de centimètres de profondeur. Un débitage laminaire est courant, produit à partir de nucléus à un ou deux plans de frappe opposés ; les nucléus à éclat sont essentiellement des pièces à un seul plan de frappe, le plus souvent non facetté. L’outillage3, 1 .- Ce site est attribué au Kubbaniyen par certains auteurs. 2 .- Cf détail de l’industrie Annexes p. 381. 3 .- Id.
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Sahara préhistorique étudié par D. Lubell, comporte un grand nombre de pièces à retouche continue réparties entre éclats et lamelles. Il est dominé par les bords abattus avec une faible intervention de la retouche Ouchtata, retouche qui est très employée dans d’autres sites fakhuriens, E71-K2 par exemple. Les grattoirs, les perçoirs sont nombreux avec des formes privilégiées, grattoir sur fond de nucléus, grattoir denticulé, perçoir double sur lamelle à dos. Les coches sur éclat et à un degré moindre sur lamelle sont nettement préférées aux denticulés. Les troncatures sont fréquentes et affectent plutôt la partie distale. Les restes osseux les plus fréquents proviennent d’Alcelaphus buselaphus, dont une centaine de fragments a été récoltée, et de Bos primigenius ; Gazella dorcas et Gazella rufifrons, Nesokia indica sont bien moins abondants, encore moins Lepus capensis. Des os d’oiseaux aquatiques sont présents ainsi que des restes de poissons, exclusivement Clarias. On retrouve cette même faune ainsi que l’hippopotame dans certains sites voisins. Les restes de deux individus, en mauvais état, y ont été retrouvés, ils sont rapportés au type mechtoïde. Site E71-K3 Petit site sur dune, proche de E71-K1, il est daté de 17590 ± 300 B.P. (I3415) (19540-18640 av. J.-C.). Les travaux menés par D. Lubell ont montré la forte suprématie d’un débitage d’éclats produits essentiellement à partir de nucléus à un plan de frappe. Les nucléus à deux plans de frappe, relativement courants, sont indifféremment à plans de frappe opposés ou croisés. L’industrie lithique1 est faiblement dominée par les pièces à coche et denticulés, ces derniers étant ici bien plus nombreux que les pièces à coche. Les lamelles à dos également fréquentes font une ample utilisation de retouche Ouchtata. Les autres outils, grattoirs, perçoirs, burins, racloirs offrent les mêmes traits qu’en E71-K1, les mêmes types, la même importance. La faune est riche en Alcelaphus buselaphus et Lepus capensis. Elle renferme quelques éléments de Bos primigenius et Hippopotamus amphibius. Divers poissons ont été consommés dont une très grande quantité de Clarias. Site E71-K4 Le site repose non loin du monastère de Deir el Fakhuri, sur un sable attribué au niveau Ballana. Le matériel se réduit à l’industrie lithique et quelques restes osseux qui proviennent d’Alcelaphus buselaphus et Bos primigenius. D. Lubell fait valoir un débitage produit surtout à partir de nucléus à deux plans de frappe, en particulier à plans de frappe opposés. L’outillage2 présente des traits similaires à ceux notés en E71-K1. Il est dominé par les lamelles à dos, puis les pièces à coche nettement plus courantes que les denticulés. Comme en E71K1, la retouche Ouchtata est peu utilisée. Les grattoirs, moins fréquents, offrent également un vaste éventail de formes, il en est de même des perçoirs parmi lesquels un perçoir double sur lamelle à dos est courant. 1 .- Cf détail de l’industrie Annexes p. 381.. 2 .- Id.
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les industries à lames et lamelles du Paléolithique supérieur
Fig. 54 – Halfien. 1, 2) grattoirs ; 3,4) burins ; 5, 6) éclats à bord abattu ; 7 à 11) lamelles à bord abattu ; 12) lamelle à bord abattu et retouches inverses ; 13) lamelle à bord abattu tronquée ; 14) pièce esquillée ; 15, 18) denticulés ; 16, 17) racloirs ; 19) lamelle à coche ; 20, 21) troncatures ; 22, 23) éclats halfiens ; 24) nucléus halfien ; 25) nucléus biseau ; 26) nucléus Levallois (origine : 1 à 17, 20, 21 : Site 624 ; 18, 19 : Site 1018 ; 23 à 25 : Site 2014, Marks in Wendorf 1968).
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Sahara préhistorique
Fig. 55 – Fakhurien. 1, 2) grattoirs ; 3) perçoir ; 4, 5) mèches de foret ; 6, 7) burins ; 8) lamelle à dos arqué ; 9, 13, 14) lamelles à bord abattu partiel ; 10) lamelle à tête arquée ; 11) lamelle à dos rectiligne ; 12, 15) lamelles obtuses à bord abattu ; 16, 17) troncatures ; 18, 19) pièces à coche ; 20) denticulé ; 21) petite lame à dos arqué ; 22) lame à retouche continue ; 23) nucléus (Site E71K4, Lubell 1974).
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les industries à lames et lamelles du Paléolithique supérieur Kubbaniyen Ce complexe industriel a été reconnu au nord d’Assouan, au wadi Kubbaniya (E78-2, E78-3, E78-4, E78-51, E78-7, E78-9, E81-12, E81-3, E81-4, E841), à Isna (E71-K133, peut-être E71-K12, sites nommés « industrie D » par J.L. Phillips) et Edfou (E71-P1, E71-P6). Certains auteurs y voient un faciès évolutif du Fakhurien. Vers 20000 B.P. (22000 av. J.-C.), une accumulation dunaire dans le wadi Kubbaniya a créé un barrage ; l’abaissement du niveau des eaux du Nil ne lui permettant pas de le franchir lors de l’inondation sauf lors de crues exceptionnelles, un lac s’est créé, privant d’eau l’aval qui ne fut plus alimenté que par la nappe. Le haut des dunes devint ainsi un lieu d’occupation humaine privilégié entre 19500 et 17000 B.P. (21300 et 18300 av. J.-C.). Les gisements, de petites dimensions, y sont le plus souvent interstratifiés dans des dépôts dunaires ; ce seraient des sites saisonniers que la présence d’oiseaux migrateurs rapporte à l’hiver. L’industrie lithique est obtenue à partir de petits nucléus en silex à un plan de frappe ou deux plans opposés, parfois de nucléus halfiens, tous issus des galets du Nil ou de petits oueds proches. Le débitage Levallois apparaît sporadiquement, affectant exclusivement des silex et ne servant de support qu’à des burins. Les lamelles Ouchtata et les pièces esquillées caractérisent l’industrie. Les lamelles à dos qui forment de 25 % dans les sites anciens, à 60 et 90 % de l’outillage, sont le plus souvent rectilignes, à retouche Ouchtata prédominante. Les pièces esquillées se rencontrent dans les sites les plus anciens puis manquent, sauf dans certains gisements (E78-2 et E78-4) ; elles réapparaissent en nombre, 40 à 75 %, dans les sites récents où elles compensent la régression des lamelles à dos. Les grattoirs, perçoirs, burins sont rares, peuvent même manquer. Les pièces à troncature ne se trouvent que dans les niveaux anciens. Les coches et denticulés sont un peu plus fréquents dans les sites de plaine que dans ceux de dunes. Certains gisements, surtout des plus anciens, disposent de lamelles à retouche inverse plus ou moins envahissante. La technique du microburin n’est pas utilisée. Le matériel de broyage aurait servi à écraser des tubercules,. Il y a peu d’éléments de parure, peu de restes osseux ; ils proviennent de bovins, gazelles, ces dernières prédominant dans le site E81-3. Les poissons et coquilles d’Unio abyssinicus abondent. Trois phases ont été distinguées : outre les variations dans la fréquence des pièces esquillées, elles s’individualisent par les lamelles à retouche Ouchtata qui sont abondantes dans la phase ancienne. La phase suivante voit la retouche abrupte se développer. La phase récente possède des lamelles à base arrondie dont la retouche est fréquemment émoussée. Site E78-3 Il est constitué par un ensemble de lentilles occupant une surface de 35 m de diamètre sur le versant d’une dune, chacune traduisant une installation saisonnière. Le matériel lithique4 est particulièrement dense, il s’accompagne de 1 .- Cf détail de l’industrie Annexes p. 380. 2 .- Id. 3 .- Cf détail de l’industrie Annexes p. 381. 4 .- Cf détail de l’industrie en Annexes p. 380.
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Sahara préhistorique concentrations de restes de mammifères et de poissons, ainsi que de matériel de broyage. Découvert en 1978 dans le secteur de l’oued Kubbaniya, E78-3 fit l’objet de travaux de A.E. Close et H. Wieckowska, repris de 1981 à 1983 par A.E. Close. Le débitage provient en majorité de nucléus à deux plans de frappe opposés ou à un plan de frappe, mode dont la fréquence varie selon les niveaux. La retouche Ouchtata est très utilisée en particulier sur de fines lamelles reprises généralement à la base du bord gauche ; cette retouche s’amenuise en s’éloignant de la base, évoquant les lamelles Ouchtata. Certaines lamelles brutes présentent des traces d’utilisation dans cette zone qui suggèrent un rôle identique.
La retouche Ouchtata a été définie par J. Tixier comme une « retouche directe (très rarement inverse), courte ou très courte, n’entamant jamais largement le bord qu’elle intéresse, semi-abrupte ou légèrement abrupte, ne formant jamais de dos, parfois un peu irrégulière, presque toujours plus marquée dans la partie proximale de la pièce ». Elle est très utilisée dans certains sites, c’est le cas à Ouchtata en Tunisie d’où vient son nom, dans certaines cultures, c’est le cas dans la phase ancienne du Kubbaniyen où elle peut atteindre 80 %, dans l’Halfien, à un degré moindre le Fakhurien, l’Edfouen, le Silsilien, le Sébékien. Dans le Kubbaniyen et le Sébékien, elle affecte fréquemment la partie proximale d’un bord ou des deux, évoquant la « lamelle Ouchtata », lamelle ayant un bord abattu par retouches directes de type Ouchtata qui débutent dans la partie proximale sans supprimer le talon, vont en s’amenuisant pour laisser la partie distale brute quelle que soit sa forme. La masse des outils consiste en lamelles à dos. Les burins et les éclats Levallois sont en nombre semblable, et les burins sont parfois façonnés sur éclats Levallois. La structure des industries montre par ailleurs de légères variations d’une lentille à l’autre. Dans l’une, il n’y a que des lamelles à dos. Les troncatures sont bien plus nombreuses dans une autre où la technique du microburin est représentée par un piquant trièdre. Les grattoirs ou les burins manquent dans certaines. Le matériel de broyage abonde dans toutes les lentilles. Les meules sont d’épais blocs irréguliers avec des surfaces actives concaves ou planoconcaves, plutôt ovales, mesurant le plus couramment autour de 20 à 25 cm de long, près de 20 cm de large. Les molettes sont petites et ont été utilisées en mouvement circulaire ou en va et vient. Des tubercules de Cyperus rotundus, Scirpus, des restes de Hyphæne thebaica, le palmier doum, des fruits de Tribulus, de Liliacées et d’Ombellifères ont été identifiés. Hordeum qui fut d’abord associé à l’occupation kubbaniyenne, s’est ensuite avéré intrusif. Il en est peutêtre de même de Phœnix dactylifera, trouvé à 20 et 60 cm de la surface.
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les industries à lames et lamelles du Paléolithique supérieur
Fig. 56 – Kubbaniyen. 1, 2) perçoirs ; 3, 6 à 12) lamelles à dos arqué ; 4, 5, 13) burins ; 14, 18) troncatures ; 15, 16) pièces à coches ; 17) denticulé ; 19 à 21, 25, 26, 30) pièces esquillées ; 22 à 24) rondelles d'enfilage en test d'œuf d'autruche ; 27 à 29) hameçons en os (Site E78-4, Close 1989).
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Sahara préhistorique Site E78-4 Le site s’étend sur une longueur de 25 m, une largeur de 15 m, le long d’une dune ancienne, proche de l’oued Kubbaniya. L’occupation, qui est datée entre 19060 ± 1000 (AA-224A) et 17100 ± 540 B.P. (SMU 623) (22060-19630 et 19250-17810 av. J.-C.), est complexe, avec des foyers et des zones à plus forte concentration de matériel. Les foyers sont des zones cendreuses avec pierres passées au feu auxquels, à diverses reprises, de l’ocre était associée. Les nucléus sont de petits galets, pour la plupart à un plan de frappe, mais dans certains regroupements existent des traces de débitage Levallois et halfien. D’après H. Wieckowska et K.M. Banks, l’outillage1 est dominé par les pièces esquillées, ce qui n’est pas exceptionnel -en E78-2, de telles pièces constituent les trois quarts des outils-, ici, elles n’apparaissent pas avec la même fréquence dans tous les groupements puisqu’on peut en noter 60 % dans l’un, 7 % seulement dans un autre. Les lamelles à dos privilégient les dos partiels qui sont indifféremment distaux, proximaux ou médians, puis les dos arqués. Les lamelles à retouche Ouchtata sont un peu plus courtes que les autres. Du matériel de broyage est présent avec quelques fragments de meules, des molettes le plus souvent ovales. Des poinçons doubles, courts, façonnés dans des os de mammifères ou de poissons pourraient être des hameçons. Quelques larges rondelles d’enfilage en test d’œuf d’autruche proviennent de divers secteurs. Rare dans les ensembles industriels d’Egypte, le test d’œuf d’autruche n’a été retrouvé travaillé que dans un autre site kubbaniyen, E81-1, et dans le site halfien 443. La faune renferme des poissons, Clarias et Tilapia, plutôt de bonne taille. Alcelaphus buselaphus est largement majoritaire parmi les restes de mammifères où se retrouvent Bos primigenius et plus rarement Gazella dorcas, Hippopotamus. Ces restes alimentaires comprennent aussi des oiseaux qui appartiennent pour beaucoup à des espèces passant l’hiver en Egypte. Du palmier doum, Cyperus rotundus, figure parmi les végétaux. Site E81-3 Petit site du secteur de Kubbaniya, il est daté de 18360 ± 790 B.P. (SMU 1036) et 18120 ± 670 B.P. (SMU 1129) (19540-17620 et 18790-17620 av. J.C.), ce qui en fait une des plus anciennes occupations connues dans ce secteur. Il est attribué à la phase ancienne du Kubbaniyen. K.M. Banks le rattache au Fakhurien. Matériel lithique2, ossements, pierres brûlées apparaissaient dans les dunes, concentrés irrégulièrement sur une surface ovale de l’ordre de 150 m2 ; cinq fosses profondes d’environ 0,5 m, dont deux vastes, y ont été identifiées, la plus grande atteint 3 x 1 m. Certaines qui renfermaient en abondance des charbons, pierres brûlées et des restes de Clarias et Tilapia, ont été mises en relation avec le séchage et le fumage de poissons pour assurer leur conservation. Des coquilles d’Unio montrent l’intérêt porté aux produits aquatiques, d’autant que les restes osseux, témoins de nourriture carnée, sont comparativement rares. Ils proviennent de gazelles, antilopes, Bos primigenius, ainsi que de lièvres, renards et d’oiseaux aquatiques. 1 .- Cf détail de l’industrie en Annexes p. 380. 2 .- Id.
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les industries à lames et lamelles du Paléolithique supérieur Les occupants du site ont fait un ample usage du quartz, en particulier pour les pièces à coche, denticulés et les grattoirs. Les pièces à coche et denticulés parmi lesquels figure une pièce étranglée, prédominent. La moitié des pièces denticulées résulte d’une retouche inverse. Les lamelles à dos sont le plus souvent à retouche partielle. La retouche Ouchtata en affecte le dixième. Le débitage provient surtout de nucléus à un plan de frappe et comporte quelques pièces discoïdes. Le matériel de broyage est pauvre. Edfouen Identifié près d’Edfou au site E71-P1 par J.D. Clark, l’Edfouen y est également connu dans le site E71-P2 ainsi qu’en Haute Egypte près d’Isna (E71-K8, E71-K9X), dans les dépôts supérieurs de la formation Ballana. Les sites sont vastes ; ils peuvent s’installer dans les dunes et comportent alors un important matériel de broyage. Les fouilles ont montré l’existence de deux faciès, l’un avec débitage Levallois (E71-P1), l’autre sans (E71-P2), qui pourraient provenir d’occupations successives et pas nécessairement du même groupe. Pour E. Paulissen et P.M. Vermeersch, il pourrait s’agir de pièces intrusives. Le faciès à débitage Levallois dispose d’une panoplie lithique riche en coches-denticulés, 20 %, en lamelles à bord abattu où l’emploi de la retouche Ouchtata serait fréquente 18 %, viendraient ensuite les burins 8 %, pièces esquillées 6 %, grattoirs et troncatures 2 % chacun. Les nucléus sont pour moitié des nucléus Levallois parmi lesquels le mode halfien figure. Les autres ont un ou deux plans de frappe. L’Edfouen rappelle le Kubbanniyen et lui est même assimilé par certains auteurs en raison de ses nucléus à deux plans de frappe, burins et pièces à retouche Ouchtata. Il trouverait son origine dans le groupe K du Paléolithique moyen1. Des nucléus qui offrent une face Levallois et une face à débitage bipolaire seraient un terme de passage entre le débitage Levallois du groupe K qui peut aller jusqu’à produire plusieurs lamelles préalablement au détachement de l’éclat Levallois et le débitage lamellaire. Il pourrait s’agir de sites de transition dans lesquels la façon d’obtenir des lamelles est suggérée. D’après P. M. Vermeersch et al, cette technologie ancienne pourrait rapporter l’Edfouen jusque vers 40-30000 B.P., alors que les dates actuelles le placent entre 18000-17000 B.P. (19800-18300 av. J.-C.) plutôt à 15000 B.P. (16300 av. J.-C.). La faune consiste en Bos primigenius, Alcelaphus buselaphus, des poissons, Unio abyssinicus qui suppose un bas niveau du Nil, ce qui a permis de proposer des occupations saisonnières. Site E71-P1 Il couvre une vaste surface sur le versant méridional d’une petite dune proche d’Edfou et paraît le vestige d’occupations différentes : une partie est attribuée à l’Edfouen, une partie au Kubbaniyen. Le débitage diffère d’une zone à l’autre. Dans l’Edfouen, les éclats et lames proviennent de nucléus à un plan de frappe ou deux plans opposés, de nucléus Levallois, de nucléus halfiens. La 1 . - Ensemble industriel qui utilise le débitage nubien. Cf celui-ci p. 87.
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Sahara préhistorique retouche Ouchtata est peu utilisée. Les pièces esquillées, les burins sont rares. Dans le Kubbaniyen, se trouvent de longues lames denticulées et des lames à retouches proximales, le débitage Levallois n’est pas employé. Les lamelles Ouchtata sont fréquentes, les burins et pièces esquillées nombreux. Dans ce site, riche en restes de poissons, la chasse est attestée par des ossements d’antilopes, gazelles, bovins, hippopotames. Les coquilles d’Unio abyssinicus abondent ; leur présence distingue cette occupation de celle de E71-P2. Site E71-P2 Le gisement occupe le sommet d’une dune de même sédimentation que celle qui supporte E71-P1 mais moins élevée. Il se distingue de E71-P1 par le débitage, laminaire ou lamellaire, sans trace de débitage Levallois ou halfien, et a faune. Il n’y a pas de coquilles d’Unio, les poissons se réduisent à quelques restes de Clarias. Les produits de chasse, plus abondants, comportent surtout Bos primigenius et Alcelaphus buselaphus, quelques gazelles et hippopotames. L’industrie se démarque elle aussi par la présence de burins qui sont de types variés et toujours bien faits, l’utilisation de retouche Ouchtata qui affecte quelques lamelles. Pour F. Wendorf et al, ces divergences reflèteraient des occupations saisonnières aux activités différentes. P.M. Vermeersch et al sont réservés quant à l’appartenance de ce site à l’Edfouen. Sébilien Dénommé par E. Vignard en 1923 pour qualifier une industrie de la plaine de Kom Ombo, le Sébilien est connu le long du Nil entre la Deuxième cataracte et Qena : près d’Edfou (Site E71-P3), Dishna (Site E61-M1), Ballana (Sites 8886, 8888, 8899, 8898)1. Le site 8899, gisement dont la faune comporte essentiellement des bovins, le montre interstratifié entre l’Halfien et le Qadien. Le site 8898 comporte trois occupations successives dont la dernière aurait des affinités avec le Qadien. C’est un des termes ultimes du Paléolithique supérieur que l’on trouve dans la formation Sahaba-Darau. F. Wendorf le situe entre 15000 et 11000 B.P. (16300 et 11000 av. J.-C.), Dishna est daté de 12500 ± 300 B.P. (13400-12270 av. J.-C.). Le Sébilien est caractérisé par la coexistence de débitage Levallois, ou souvent de débitage moustérien, et de débitage laminaire. L’enlèvement du bulbe est généralisé. L’industrie comporte de nombreuses pièces tronquées, des cochesdenticulés. Elle est associée à de nombreux os à moelle brisés, à des restes de poissons et mollusques. Un frontal humain provient de Kom Ombo Site 2A282. E. Vignard distinguait trois phases chronologiques ; ces subdivisions sont aujourd’hui abandonnées, des ensembles ressemblant aux stades II et III3 s’étant 1 .- En bordure du Tanezrouft, le site de Reggan lui avait été attribué. Il est difficile de maintenir cette proposition, l’ensemble industriel sans pièce Levallois, est riche en segments et en microburins, les pièces à coche prédominent ; seules des lamelles à dos souvent oblique que peut accompagner une troncature évoquent, en dimensions réduites, les troncatures du Sébilien. 2 .- A.J. Arkell fait mention d’autres restes humains trouvés à proximité, à Qau en 1923 et Kom Ombo en 1926, mais qui pourraient provenir de dépôts remaniés. 3 .- Le Sébilien II était caractérisé par la régression du débitage Levallois, la réduction de la dimension des éclats, l’apparition de lames et de nucléus à plans de frappe opposés, l’intervention de nouvelles formes comme les segments, il possédait du matériel de broyage. Au Sébilien III, le débitage Levallois se raréfiait, l’industrie devenait microlithique avec une profusion de microlithes géométriques.
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les industries à lames et lamelles du Paléolithique supérieur montrés de même âge ou plus anciens que le Sébilien I. Le terme n’est donc plus employé que pour ce qui était classé Sébilien I, soit une industrie sur éclat à débitage Levallois et retouche abrupte fréquente. P.E. Smith y voit néanmoins deux périodes : une période ancienne à débitage Levallois, pièces à double troncature, ébauches de microlithes géométriques et une période tardive avec nucléus bipolaires et débitage laminaire, microlithes géométriques et microburins. Site 83 Au sud du Djebel Sahaba, le gisement couvre une surface de 200 m2 dans une formation sableuse qui surmonte les limons d’un niveau Dibeira-Jer. Le débitage Levallois a fourni de nombreux éclats, quelques lames, les nucléus restant fortement dominés par les formes discoïdes. Peu de pièces Levallois sont retouchées. A.E. Marks note que les outils façonnés1 privilégient les troncatures qui affectent souvent la base d’éclats. Les pièces à coche constituent un groupe secondaire peu développé. Il y a quelques perçoirs, burins, grattoirs, de rares couteaux à dos. La technique du microburin est affirmée mais peu utilisée. Site 1024A Partie d’un ensemble de sites qui se trouve près de l’aéroport de Wadi Halfa, le Site 1024A ne couvre que 60 m2. Il est daté de 11000 ± 120 B.P. (WSU-144) et 10925 ± 140 (WSU-188) (11100-10850 et 11070-10810 av. J.-C.). L’outillage2 étudié par A.E. Marks, est fortement dominé par les éclats tronqués, le plus souvent perpendiculairement à l’axe de la pièce, mais les lames tronquées sont fréquentes et les formes de troncatures variées. Il existe des pièces à coche, quelques denticulés, grattoirs, pointes Levallois. De rares lames, courtes, à base tronquée possèdent un bord abattu très court qui peut rejoindre la troncature, formant un pseudo-géométrique. Les éclats Levallois ainsi que les microburins, ceux-ci assez souvent peu typiques, sont largement représentés, 15 %. Site 1042 Situé au nord-est de Mirgissa, sur la rive gauche du Nil, le site couvre environ 5000 m2 et sa position stratigraphique le situe vers 15000-14000 B.P. (16300-15300 av. J.-C.). A.E. Marks note un indice de débitage Levallois relativement bas, 13,8, un faible indice de débitage laminaire, 4,7, la recherche de talons facettés, 77,6 dont près des deux tiers multifacettés. Les pièces tronquées, particulièrement abondantes3, présentent une forte dominance de troncature de base, volontiers perpendiculaire à l’axe de la pièce. Elle peut s’accompagner d’une troncature oblique opposée ou, moins souvent, d’une troncature latérale. Il existe en moins grand nombre des troncatures simples obliques qui font passage à des éclats à bord abattu. Ceux-ci sont parfois convexes, ce qui a permis d’en assimiler certains à de grands segments. Ballanien -Silsilien Ballanien et Silsilien sont souvent rapprochés. Ces deux dénominations couvriraient les variantes régionales d’une culture développée vers 160001 .- Cf détail en Annexes p. 382. 2 .- Id. 3 .- Id.
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Fig. 57 – Sébilien. 1) grattoir atypique ; 2) burin ; 3) lame à dos arqué ; 5) éclat à base tronquée ; 6, 8, 11) éclats à troncature oblique ; 7, 10) éclats à bord abattu et base tronquée ; 9) pointe tronquée ; 12) éclat à double troncature oblique ; 13) racloir ; 14) denticulé ; 15) éclat Levallois (Origine. 1, 2, 4, 5, 7, 10 à 15 : Site 2010 ; 3, 6, 8, 9 : Site 1042, Marks in Wendorf 1968).
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les industries à lames et lamelles du Paléolithique supérieur 13500 B.P. (17000-14500 av. J.-C.). Pour F. Wendorf et C. Hill, les identités sont telles qu’ils proposent le terme Ballanien-Silsilien et lui attribuent les sites E78-5e, E84-2 de Kubbaniya. C’est à cette culture que l’on tend à attribuer les gravures anciennes reconnues dans la vallée. - Le Ballanien est connu en Haute Egypte dans des dépôts des débuts de la formation Sahaba-Darau. Il apparaît dans de petits gisements qui renferment outre le matériel lithique, des ossements de Bos primigenius, Alcelaphus buselaphus et des restes de poissons. L’industrie lithique est issue de nucléus à lame ayant deux plans de frappe opposés. Elle emploie la technique du microburin. L’outillage est constitué par de nombreuses troncatures, 42 %, plutôt distales, droites ou convexes. Il comporte des lames et lamelles à dos 17 %, des burins 12 %. Les grattoirs ne sont jamais fréquents. Les microlithes géométriques, les microburins sont exceptionnels. La retouche Ouchtata n’est quasiment pas employée. Pour F. Wendorf, cette industrie montrerait des affinités avec l’Afien. Dans les Sites 8957, 8956, à Kubbaniya (E78-5e1, E78-5f, E81-2), le Ballanien est situé entre 16000-15000 B.P. (17000-16300 av. J.-C.). Dans le site 8896, il est daté de 14000 ± 280 B.P. (15650-14890 av. J.-C.). - Le Silsilien, identifié en 1955 par E. Vignard au Djebel Silsilah, est connu dans les environs de Kom Ombo (GS-2B-II, site princeps), à Isna (E71K20). Dans le site GS III, il est surmonté d’un niveau Sébékien. Arab es Sabaha pourrait être le site le plus septentrional. Découvert par P.M. Vermeersch à une vingtaine de kilomètres en aval de Nag Hammadi, il ne remonterait pas au-delà de 12000 B.P. (12000 av. J.-C.). Son industrie se caractérise par l’emploi du microburin, la dominance des lamelles à dos, puis des troncatures Nommé en 1966 par P.E. Smith, le Silsilien n’a été décrit qu’en 1973 par J.L. Phillips et K.W. Butzer. Il s’individualise par des nucléus à deux plans de frappe opposés et une industrie sur lamelle ou lame de petite dimension. La retouche Ouchtata est très utilisée. Un outil courant est une lamelle à base arrondie ou ogivale qui peut porter un bord abattu partiel. Les dos sont courbes, les pointes de La Mouillah fréquentes ainsi que des lamelles à troncature oblique. En Nubie, la technique du microburin n’a pas été utilisée, ailleurs, elle dépasse 10 %. Les grattoirs et burins sont rares, de même que les microlithes géométriques. Du matériel de broyage existe ; aucun reste osseux n’a été découvert. L’abondance d’Unio abyssinicus propose, comme dans le Ballanien, une occupation saisonnière en période de basses eaux. GS-2B-II Le gisement est placé à une vingtaine de kilomètres au nord de Kom Ombo, en bordure d’un petit chenal qui rejoint le Nil. Il a été daté de 15310 ± 200 B.P. (Y 1376) et 14390 ± 200 B.P. (I-5180) (16800-16140 et 15900-15300 av. J.C.) date jugée trop jeune, car le rendant contemporain du Sébékien, faciès qui serait postérieur, d’après la stratigraphie de GS-III. Les fouilles ont porté sur une trentaine de m2 et livré plus de 3500 pièces dont 106 nucléus, 385 outils2. La majorité est taillée dans des chailles qui proviennent de petits galets du Nil. Les 1 .- Cf détail en Annexes p. 380. 2 .- Cf détail en Annexes p. 381.
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Sahara préhistorique nucléus sont donc petits, en majorité à un plan de frappe et celui-ci n’est généralement pas facetté. Il n’y a pas de débitage Levallois. La retouche Ouchtata est peu employée. La technique du microburin est très utilisée, les lamelles portant un piquant-trièdre fréquentes, il s’agit souvent de lamelles à retouche partielle distale -ce que C. Brahimi a nommé « pointe de Tamar Hat »-, leur base est souvent reprise. Ces pièces ont été classées par les auteurs en troncature, d’où l’importance de ce groupe qui devient le groupe dominant et montre une grande variété d’aspect tant par la position de la troncature, droite, oblique (dominante), que par sa forme, rectiligne, convexe (dominante), parfois concave et les retouches de sa base qui peut être tronquée, ogivale, ou même être aménagée en grattoir. Les microlithes géométriques se limitent à un triangle. La faune rapporte une consommation de produits aquatiques, poissons et coquillages Clarias, Unio, Nesokia indica et, avec Hippopotamus amphibius, Equus asinus africanus, Bos primigenius, Alcelaphus buselaphus, Gazella dorcas, de produits de chasse dans des milieux différents. On trouve des restes semblables en GS-1-III auxquels s’ajoutent des oiseaux Platalea leucordia, Anser fabalis, Pandion haliaetus. Les auteurs, J.L. Phillips et K.W. Butzer, voient dans cette occupation, tout comme dans divers autres sites proches et qui offrent des traits semblables, de petits camps saisonniers. Shuwikhat-2 Shuwikhat-2 est rapporté au Silsilien en raison d’une présence de lames ou lamelles à base émoussée, trait vu par F. Wendorf et R. Schild comme caractéristique. Site de surface de la région de Qena, il a été étudié par le Belgian Middle Egypt Prehistoric Project of Leuven University en 1985. L’industrie est riche en petites lames et lamelles, ces dernières souvent affectées par une retouche Ouchtata. Les trois quarts du débitage proviennent de nucléus à plans de frappe opposés. Les grattoirs occupent la troisième position après les pièces à bord abattu et à coches, et sont souvent sommaires, façonnés sur éclat cortical. Les microlithes géométriques sont exceptionnels, les microburins manquent. La faune se réduit à quelques fragments de Bos primigenius et Alcelaphus buselaphus. Site E84-2 Situé près de l’embouchure de l’oued Kubbaniya, E84-2 est un petit site en partie enterré, d’où ont été retirés près de 10000 objets, en majorité des lames, et qui comporte quelques éléments de broyage. La matière première est une chaille dans laquelle peu d’outils ont été aménagés, une calcédoine et un silex, ce dernier proportionnellement plus fréquent dans l’outillage que dans le débitage. D’après F. Wendorf et C.L. Hill, les nucléus les plus courants ont un plan de frappe ou deux plans de frappe opposés, trois sont pyramidaux. La retouche Ouchtata est très employée. Les outils1 sont nettement dominés par les lamelles à dos ; les pièces à coches et les troncatures, en nombre à peu près équivalent, n’interviennent que modérément. Les autres outils ne figurent que par quelques exemplaires sauf les microburins avec 10 % et les microburins Krukowski 3 %. 1 .- Cf détail en Annexes p. 382.
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les industries à lames et lamelles du Paléolithique supérieur Des piquants trièdres, souvent visibles à l’extrémité des lamelles à dos arqué, appellent une chaîne opératoire bien connue dans l’Ibéromaurusien. La retouche des lamelles à dos partiel affecte plutôt la base. Ces lamelles sont à peine plus nombreuses que celles à tête arquée, un peu plus que celles à dos arqué. Il est possible que l’importance du type « tête arquée » compense quelque peu celle du type « troncature », nettement plus faible que dans d’autres sites ballaniens. Des perçoirs peuvent être façonnés sur lamelles à dos. Des traces d’utilisation se trouvent sur diverses pièces, un émoussé à la base de plusieurs lamelles. Site 8956 A proximité de Ballana, le Site 8956 s’étend sur 40 x 30 m à la surface de sables, il comportait trois foyers de pierres plus ou moins écrasés. Les nucléus sont de petits galets qui ont donné une majorité de formes à un plan de frappe et, à un degré moindre, des pièces à deux plans de frappe opposés. D’après F. Wendorf, les troncatures assurent l’essentiel des outils1. Ce sont pour les trois quarts des lamelles affectées dans leur partie distale d’une troncature oblique souvent rectiligne ; quand elle est convexe, elle tend à produire des pièces à la limite de la tête arquée. Divers éclats et lames présentent aussi ces caractères. Les lamelles à bord abattu et les burins constituent l’essentiel du reste de l’outillage. Les lamelles à dos arqué forment la quasi-totalité du groupe, le bord gauche étant abattu le plus souvent. Les dos partiels, 5 % de l’outillage, ne privilégient aucune position. Une haute fréquence de la retouche Ouchtata est soupçonnée au travers de l’illustration. Les burins composent un autre groupe notable dans lequel tous les types sont représentés. La technique du microburin est affirmée avec plus de 3 % des outils. Des restes de nourriture proviennent de silure (Clarias), seul poisson qui soit présent, de Bos primigenius et Alcelaphus buselaphus. Sébékien Le Sébékien a été identifié par P.E. Smith dans le site GS-III où il surmonte un niveau silsilien, il est daté de 16000 ± 8002 et 13611±600 B.P. (18270-16450 et 15370-13570 av. J.-C.). C’est le seul site où cet ensemble industriel est actuellement connu. Les deux niveaux se différencient à divers titres. Le niveau supérieur n’utilise pas les calcédoines multicolores du Silsilien, mais fait appel à un silex gris ou blanchâtre. Le débitage est souvent fait à partir de nucléus cylindriques à deux plans de frappe opposés, obliques, inclinés l’un vers l’autre. Il n’y a pas de microlithe géométrique3. La technique du microburin n’est pas utilisée. L’outillage façonné sur lame ou lamelle, comprend des burins plutôt sur troncature, des grattoirs, des racloirs. Un outil fréquent est aménagé par retouche de type Ouchtata affectant un ou deux bords proximaux. Le matériel de broyage est présent. La faune avec alcélaphes, hippopotames, tortues, oiseaux, silures, est banale dans cette région. 1 .- Cf détail en Annexes p. 382. 2 .- Le niveau silsilien sous-jacent est daté de 15310 ± 200 B.P. (16800-16140 av. J.-C.). 3 .- Sauf, peut-être, de rares segments, les divers écrits de P.E. Smith prêtant à confusion à ce propos.
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Sahara préhistorique Qadien Identifié près de Qada par J.L. Shiner en 1968, il est connu près du Caire et en Nubie, dans la région de Wadi Halfa (sites 81A, 34C, ANE-1, S-320, 448, 605, 608, 609, 618, 619, 620, 621, 1041, 1046, 2000, 2003, 2012), de Ballana et Tushka (sites 8899C, 8905), au wadi Kubbaniya (E78-10). Il s’épanouirait vers 15000-12000 B.P. (16300-12000 av. J.-C.). Pour cet auteur, ce serait un des termes d’une « Cataract tradition » dans laquelle se succèderaient Gemaien, Qadien, Abkien. L’unité est faite par le mode de débitage qui recherche de petits galets, les décalotte par un simple enlèvement donnant un plan de frappe lisse ou par deux ou trois enlèvements donnant un plan de frappe facetté. Ces plans de frappe sont le plus souvent opposés et le débitage souvent effectué sur une seule face. Le Qadien comporte plus de pièces à dos et de troncatures que le Gemaien, moins de denticulés et de pointes. Industrie microlithique sur éclat, dans laquelle peut être utilisé le débitage Levallois, le Qadien dispose de lamelles à dos courbe passant à des segments, de burins, grattoirs, pointes à base tronquée, pièces esquillées dont les proportions peuvent être très variables. Les segments deviennent de plus en plus nombreux dans les sites les plus récents et portent souvent un lustre que l’on rattache à la coupe de graminées ; dans le Site 8905, certains portent des traces d’adhésif. Les outils multiples avec grattoirs opposés, racloirs sur un ou deux bords sont fréquents. Les grattoirs nucléiformes sont souvent difficiles à distinguer des nucléus. Les pièces à coches montrent une coche produite par deux ou trois petits enlèvements. Outre le lustre des segments, les meules qui sont courantes, la présence de graines laissent supposer un stade pré-agricole. La faune consiste en bovins, antilopes, poissons. L’évolution de l’industrie a pu être suivie en raison de la position stratigraphique de divers sites qui se placent à un moment d’accroissement des dépôts d’inondation de la formation Sahaba pour les plus anciens, dans la partie terminale des dépôts de la même formation pour les niveaux intermédiaires et à son sommet pour les plus récents. - Le stade le plus ancien est connu dans les sites 34C (site remanié)1, 448, 1046, 609 (site de surface), 81A. Les pointes, nombreuses, peuvent être retouchées entièrement ou partiellement, sur un côté, à la base ou au sommet. Les denticulés sont fréquents, les grattoirs bien représentés. Les nucléus sont à 8 % Levallois, 50 % à un plan de frappe, 35 % à plans de frappe opposés. - Le Qadien moyen est connu dans les sites 2012, S-320, 608, ANE-1. Les grattoirs et racloirs sont peu nombreux, de même que les denticulés. Les pièces à coches, un peu plus fréquentes, atteignent comme les troncatures, des valeurs qui se rapprochent de 10 %. Les bords abattus sont à peine plus nombreux, mais les segments abondent. Il y a quelques nucléus Levallois. - Le Qadien supérieur est connu dans les Sites 621, 620 et 6192 qui est un gisement de surface sans débitage Levallois. Les plans de frappe des nucléus sont souvent corticaux. L’indice microlithique et l’indice laminaire sont élevés. 1 .- Cf détail de l’industrie en Annexes p. 383. 2 .-. Id.
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les industries à lames et lamelles du Paléolithique supérieur L’industrie ne comporte en général que peu de denticulés, de burins ; les segments sont courants. - Le Qadien final est connu dans les Sites 2000, 10411, 605 dont un foyer est daté de 4480 ± 200 B.P. (WSU 190) (3450-2930 av. J.-C.), 2003 dans lequel se trouve de la céramique. De nombreux restes humains appartenant à cette culture, ont été retrouvés. Outre ceux provenant de ANE-1, trois nécropoles (Djebel Sahaba site 117, Tushka, 6B-36) en ont livré. Ils ont permis d’identifier une population mechtoïde et attestent de violences extrêmes. Pour R. Connor et A.E. Marks, la fin du « Nil sauvage » entraînant une modification de la niche écologique nilotique, la quête d’un nouvel équilibre a pu provoquer des rivalités entre les groupes dont les conséquences auraient été funestes. Site 621 Situé à une dizaine de kilomètres de Wadi Halfa, le Site 621 qui fut étudié par J.L. Shiner, couvre une surface de 90 x 70 m. Le débitage Levallois est presqu’absent, le débitage se faisant préférentiellement à partir de nucléus à un plan de frappe, autour de 60 %, ou à deux plans opposés, près de 35 %. L’industrie2, pour l’essentiel sur petites lames, montre une grande variété d’outils avec ici aussi, la forte prédominance des segments. Des pointes dont la longueur n’excède pas 3 cm, non retouchées pour la plupart ou portant une retouche près de la base, et des burins forment des groupes secondaires bien étoffés. Les autres groupes d’outils sont régulièrement distribués. Les denticulés présentent des dents larges. Les bords abattus le plus souvent courbes, affectent de petites lames ou de petits éclats. Site ANE-1 ANE-1 est un site important sis au sud de Wadi Halfa, dans lequel furent trouvés plusieurs foyers et des restes humains. Le niveau archéologique, d’une dizaine de centimètres d’épaisseur, est inclus dans une formation sableuse située sur le versant sud d’un petit djebel où il affleure sur une surface de 40 x 12 m. Malgré la présence des foyers, aucune disposition particulière n’a été identifiée. Les restes humains très détériorés par la déflation, proviennent de la partie la plus élevée du site. L’outillage, microlithique, utilise fort peu le débitage Levallois, la moitié des nucléus est à un plan de frappe, beaucoup, 32 %, à deux plans opposés, les nucléus Levallois figurent peu, 1,2 %. L’indice de microlithisme est élevé, 87. D’après J.L. Shiner, l’éventail des types d’outils3 est vaste avec une forte présence de segments, certains passant à des triangles. Quelques fragments de meules suggèrent l’écrasement de végétaux. Le site est attribué à une population de pêcheurs-chasseurs par la présence d’une faune avec antilopes, gazelles, équidés, hippopotames et deux sortes de poissons. 1 .- Cf détail de l’industrie en Annexes p. 383. 2 .- Id. 3 .- Id.
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Sahara préhistorique
Fig. 58 – Qadien. 1, 2) pointes ; 3, 4) grattoirs ; 5, 6) burins ; 7, 8) racloirs ; 9 à 16, 21, 22) segments ; 17, 18) denticulés ; 19, 20) troncatures ; 23, 24) pièces esquillées (SiteANE-1, Shiner in Wendorf 1968).
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les industries à lames et lamelles du Paléolithique supérieur Afien (= Affien) Reconnue en Moyenne et Haute Egypte, c’est la seule culture qui, occupant les deux rives du Nil, suppose sa traversée. On la connaît près d’Isna au bord d’un lac fossile (E71-K18A1, E71-K6B), Kom Ombo (GS-2B-I où il est daté entre 13560 ± 120 (Y1447) et 13070 ± 160 B.P. (Y1375) (14970-14120 et 14480-13560 av. J.-C.), Kubbaniya (E83-4), Makhadma 42 daté de 12450 à 12050 B.P. (12780 à 12280 av. J.-C.), F. Wendorf et R. Schild y rattachent Makhadma 2 qui est attribué à l’Isnien par P.M. Veermersch et al. Les matériaux proviennent de galets d’oueds. Le débitage est essentiellement fait sur des nucléus à deux plans de frappe opposés ou, un peu moins souvent, à un plan de frappe ; le débitage Levallois est parfois utilisé ainsi qu’une variante spécifique à cette culture, dite « bent Levallois » (fig. 34). L’outillage se compose de nombreuses lamelles à dos arqué, de troncatures. Des microlithes géométriques qui sont pour l’essentiel des triangles atypiques, des microburins abondent plus ou moins selon les sites. La retouche Ouchtata est très utilisée. Les grattoirs, perçoirs et pièces à coches sont peu fréquents. Le rôle des burins est très variable, parfois important comme à Makhadma 4 où ils atteignent 37 %. Il en est de même des microlithes géométriques (triangles larges, quelques segments et trapèzes), des microburins dont l’indice oscille de 0 à 33. Du matériel de broyage existe ainsi que des hameçons en os qui traduisent indirectement une activité de pêche. La faune mammalienne est représentée par de nombreux restes de Bos primigenius et Alcelaphus, des lièvres, hippopotames, petits carnivores, loutres. Des coquilles de Engina mendicaria rapportent des contacts avec la Mer Rouge. Site E71-K18C Proche de Thomas Afian, non loin d’Isna, le site s’étale sur une surface d’une vingtaine de mètres de diamètre, où il semble que le matériel ait pu glisser légèrement. D’après A.E. Close, F. Wendorf et R. Schild, il présente néanmoins les mêmes caractères que dans les autres sites du secteur, proportions comparables de nucléus, d’éclats et d’éclats brisés, d’éclats corticaux, d’écailles et de pièces retouchées3 avec un indice de transformation voisinant 12. La moitié des nucléus a deux plans de frappe opposés, ceux à plans de frappe multiples ou à un plan de frappe sont courants ; ceci est conforme aux données des sites voisins à l’exception de K18B où prédominent largement les formes à plans de frappe multiples. Les grattoirs, peu fréquents dans l’Afien où ils privilégient le type simple, montrent ici un éventail de forme particulièrement vaste. Les burins sont également plus diversifiés avec une représentation de la plupart des types. Les lamelles à dos offrent elles aussi des formes variées avec forte prédominance des formes arquées et large utilisation de retouche Ouchtata (plus de 15 % des lamelles). Comme dans les autres sites, le bord abattu est placé à gauche dans les trois quarts des cas. Seuls des éclats sont affectés par les coches, qu’il s’agisse de coches simples, les plus fréquentes, ou de denticulation. Les troncatures, groupe fortement dominant, montrent une préférence pour une position oblique 1 .- Cf détail de l’industrie en Annexes p. 378. 2 .- Id. 3 .- Id.
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Sahara préhistorique proximale, senestre, à angle obtu très large. Parmi les microlithes géométriques, les formes isocèles prédominent ainsi que les trapèzes à un côté concave et les triangles à un côté convexe. Site E83-4 Petit site de 10 m de diamètre situé à 500 m de l’oued Kubbaniya, d’après A.E. Close, E83-4 renfermait une proportion élevée d’outils1. Le silex y est nettement préféré aux autres matériaux, 84 %. Les rares nucléus sont en partie des nucléus Levallois. La retouche Ouchtata est très utilisée, la technique du microburin bien affirmée. Les troncatures sont nombreuses, toujours rectilignes pour les distales, variées pour les proximales. Les lamelles à dos sont généralement bien faites. Des microlithes géométriques sont en majorité des trapèzes de divers types, à bords rectilignes. Auprès de quelques fragments de matériel de broyage, ont été retrouvés des restes de faune, oiseaux, antilopes, gazelles et essentiellement des poissons (Tilapia). Menchien Ce faciès est connu dans la plaine de Kom Ombo où E. Vignard le découvrit en 1923 et le qualifia « d’Aurignacien ». Il se placerait vers 14000-11000 B.P. (15300-11000 av. J.-C.) et serait contemporain du Sébilien II de Vignard et de l’Isnien avec lequel il présente de nombreuses affinités. Il ne fut nommé Menchien qu’en 1966 par P.E. Smith suite à la découverte d’El Kilh (E71-P5). Il comporte plus de 50 % de grattoirs avec une large diversité de types, 2 % de burins qui côtoient des lamelles à dos, perçoirs. Il ne renferme ni microlithe géométrique, ni microburin. Comme l’Isnien, il possède du matériel de broyage. Il serait daté de 13730 ± 700 B.P. (I-1360) (15600-13560 av. J.-C.) à E71-P5. Isnien (= Esnien ) Il fut nommé en 1974 par F.A. Hassan qui l’identifia dans la région d’Isna. Il est connu près de Dishna dans les sites E71-K14, E71-K22 et E61-M2-3, E61M5-7, E61-M9-10, à Kubbaniya E81-5. F. Wendorf et al lui rapportent le site E71-P5 près d’El Kilh que P.E. Smith retient comme type de ce qu’il nomme Menchien. L’occupation se situerait en période de hautes eaux du Nil sauvage. Associé aux limons de la formation Sahaba, il est daté de 12000 B.P. (12000 av. J.-C.) ; ce serait, en Haute Egypte, l’équivalent chronologique du Qadien et, pour F. Wendorf et R. Schild, probablement le complexe paléolithique final le plus fréquent. Dans les sites de la région d’Isna, l’abondance des nucléus et du débitage est disproportionnée avec le petit nombre d’outils. Les nucléus isniens sont globuleux, parfois à un ou deux plans de frappe, ou discoïdes. Le débitage est fruste donnant de larges éclats, épais ; il n’y a quasiment pas de débitage Levallois. Avec jusqu’à 64 %, les grattoirs dominent fortement les burins, denticulés et coches. Les lamelles peuvent manquer. Des pièces à bord abattu, des troncatures sont présentes mais peu courantes. La technique du microburin n’est pas employée. De nombreuses pièces, 15 %, sont lustrées et ajoutées aux fragments 1 .- Cf détail de l’industrie en Annexes p. 378.
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les industries à lames et lamelles du Paléolithique supérieur
Fig. 59 – Afien. 1, 2) grattoirs ; 3) burin ; 4 à 7) lamelles à dos arqué ; 8, 9) lamelles à dos partiel ; 10, 11) microburins ; 12) lamelle à piquant trièdre ; 13, 14, 17) troncatures ; 15, 16, 18 à 20, 24 à 26) trapèzes ; 21, 22) lamelles à dos tronquées ; 23, 30) pièces à cochess ; 27 à 29) triangles (Site E71K18C, Close et al. 1979).
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Sahara préhistorique de meule qui, sauf dans la région de Dishna, ont été découverts, elles laissent supposer une cueillette de graminées et l’écrasement de graines. Une plaquette, qui pourrait être gravée d’une tête d’éléphant, est le seul témoin d’art mobilier dont on puisse faire état dans cette région durant le Paléolithique. On retrouve des restes d’animaux de savane -Bos primigenius, antilopes et gazelles-, rarement des restes de poissons. A Isna, on tend à attribuer à l’orge, des pollens qui deviennent de plus en plus fréquents en montant dans la séquence. El Abadiya 3 Les travaux du Belgian Middle Egypt Prehistoric Project de l’université de Louvain rapprochent de l’Isnien, le site El Abadiya 3. Situé dans la région de Nagada, au pied d’une petite colline, en bordure d’une dépression, il apparaît comme le télescopage de maintes petites occupations de printemps ou début d’été quand les eaux sont encore basses. Daté de 12520 ± 70 B.P. (KIA14813) et 11620 ± 55 (KIA14812) (13200-12590 et 11690-11420 av. J.-C.), il est contemporain de Kubbaniya, Makhadma. Il associe les restes humains à une industrie essentiellement sur silex avec nucleus discoïdes mais aussi à un ou deux plans de frappe le plus souvent croisés. Les outils sont répartis en grattoirs 26,7 % qui présentent volontiers des restes de cortex, racloirs 4,4 % très diversifiés, burins 3,9 %, perçoirs 0,6 %, denticulés 10 %, coches 3,3 %, lames retouchées 26,1 % souvent aménagées en pointe, éclats retouchés 21,7 %, outils composites 1,7 % qui associent un grattoir à un racloir ou un perçoir. Une faune abondante est dominée par l’alcélaphe, elle traduit la consommation de Bos primigenius, Equus africanus, Gazella dorcas, Ammotragus lervia, Lepus capensis, des oiseaux, des poissons exclusivement des Claridés, des coquillages dont Unio abyssinicus, connu aujourd’hui seulement en Ethiopie.. S’appuyant sur la fréquence des grattoirs, malgré la pauvreté de l’industrie qui ne renferme que 60 outils, P.M. Vermeersch et al rapportent aussi à l’Isnien, le site Makhadma 2. Ce serait un site saisonnier, riche en poissons, dont l’industrie est constituée pour le tiers de pièces à retouche continue, où les denticulés sont, avec les grattoirs, des seuls objets courants. E71-K22 En E71-K22, site de la région d’Isna, les grattoirs constituent 45 % de l’outillage, les burins sont courants 17 %, les coches-denticulés venant en troisième position avec 14 %. Au sein des lamelles à dos, se distinguent les lamelles tronquées 5 % ; la retouche Ouchtata n’est pas utilisée ou quasiment pas. Les pièces retouchées atteignent 4 %, les perçoirs 3 %, les racloirs seulement 1 %. Il n’y a pas de microburin, ce qui n’est pas le cas dans le site E71-K14, proche, où quelques exemplaires ont été retrouvés, mais il s’agit d’un site où les trapèzes sont assez fréquents.
Apparentement de ces ensembles industriels Les différences perçues entre ces ensembles industriels ont conduit à proposer une multitude de faciès, ce qui oppose ces régions à celles de l’ouest où ce
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les industries à lames et lamelles du Paléolithique supérieur créneau chronologique est occupé par la seule culture ibéromaurusienne. Ceci a pu être favorisé par les conditions de recherches liées à la construction du barrage d’Assouan, leur simultanéité ayant pu contribuer à augmenter le nombre des dénominations. Les différences n’atteignant pas toutes la même importance, une absence de liens entre certains paraît peu probable. En s’appuyant sur des analogies majeures, il paraît possible d’envisager certains apparentements : Halfien-Fakhurien-Kubbanyien-Edfouen et Afien-Sébilien-Ballanien, ce dernier offrant de fortes similitudes avec le Silsilien. Le Fakhurien est généralement identifié au faciès le plus ancien du Kubbaniyen. Le débitage halfien, débitage très particulier, a été utilisé non seulement dans l’Halfien mais aussi dans le Kubbanyien, si bien que F. Wendorf tend à regrouper ces deux cultures ; il les rapproche du Fakhurien et de l’Edfouen, cultures qui, en outre, font un ample usage de la retouche Ouchtata. Ce mode de retouche est également très développé dans le Sébékien et l’Afien, ce qui les rapproche peut-être. P.E. Smith met en rapport le Sébékien avec l’Horizon Collignon et le Paléolithique final du Levant. L’Afien, le Sébilien et le Ballanien connaissent un important développement des troncatures, types peu courants, qui habituellement n’affectent guère les éclats, et qui peut être le signe de liens. P.M. Vermeersch et al s’appuient sur un même débitage de nucléus à deux plans de frappe opposés pour placer l’Afien dans la filiation du Silsilien. A l’inverse, pour P.E. Smith, le Silsilien serait intrusif, lié au Paléolithique final du Levant et à l’Eastern Oranian. Diverses propositions concernant l’origine du Sébilien ont été émises. F. Wendorf le rapproche du Kharguien. Pour E. Vignard, il dérivait du Moustérien, pour G. Caton-Thomson du « Levalloisien supérieur ». Pour A.E. Marks, en raison de similitudes avec le Tshitolien, son origine pourrait être à rechercher en zone tropicale. Diverses tentatives de mise en relation avec des industries d’autres régions ont été faites. Le Gemaien montrerait quelque identité avec l’Est et le Sud africains, en particulier avec le Magosien de Somalie où s’observent les mêmes pointes1. Pour J.L. Shiner, les lamelles du Gemaien ne peuvent traduire un lien avec ces industries car les outils ne lui paraissent pas de même qualité, mais ce lien pourrait intervenir avec le Qadien. C’est avec l’Ibéromaurusien du Maghreb qu’apparaîtraient les analogies les plus nombreuses en raison de l’importance des lamelles à dos, l’abondance des dos arqués et le rôle de la retouche Ouchtata. Les méthodes statistiques font même valoir des relations fortes entre certains sites maghrébins et nilotiques qui permettent d’envisager une origine commune dont le berceau pourrait se trouver près de la côte méditerranéenne ou dans le Sahara. Pour J.L. Phillips, qui rapproche le Site E71-K12 des niveaux inférieurs de Tamar Hat, plusieurs sites fakhuriens (E71-K3, E71-K4, E71-K5, E71-K12, El Kab) auraient ainsi même origine que l’Ibéromaurusien. P. E. Smith, qui souligne, lui aussi, des affinités avec l’Ibéromaurusien, envisage, de même, une origine commune ; pour lui El Kab et Oueds Kerma seraient très proches. 1 .- Rapprochement que l’on ne peut plus retenir, les particularités du Magosien, débitage Levallois, retouche biface, lamelles à dos, microlithes, connues dans le seul site de Magosi, s’étant avérées le fait d’un mélange.
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Sahara préhistorique
Les industries à lamelles de Cyrénaique et de Tunisie Dans le Sud tunisien, des gisements particulièrement riches en lamelles à dos doivent se placer entre les 20ème et 13ème millénaires ; Bir oum Ali étudié par M. Harbi-Riahi, est daté de 14370 B.P. (15580 av. J.-C.). Une grande variété de types existe parmi les lamelles avec une préférence pour les dos arqués dans certains sites, les dos droits dans d’autres. Les grattoirs qui en général constituent le groupe secondaire, n’atteignent pas 10 %. Les divers autres groupes sont très faiblement représentés. Malgré l’importance du groupe lamelles à dos, E.G. Gobert dissocie ces ensembles industriels de l’Ibéromaurusien en raison de la présence de lamelles scalènes. Il y reconnaît deux ensembles. L’un illustré à Sidi Mansour, Lalla, se rapprocherait de l’Ibéromaurusien par la présence de lamelles à dos partiel dont la retouche est proximale ; C.B.M Mc Burney et A. Montet-White retrouvent des traits semblables à Haua Fteah et Hagfet et Tera, dans ce qui est nommé East Oranian, B. Barich souligne une occupation humaine importante dans la Jeffara au pied du Jebel Gharbi, en raison de nombreuses sources. L’autre ensemble illustré à l’oued Akarit se rapprocherait du Capsien par une retouche distale et non proximale des lamelles à dos partiel, par l’absence ou la rareté des lamelles à piquant-trièdre. Ces deux ensembles occupent la même position stratigraphique près de sources où ils sont inclus dans une formation sableuse scellée par la croûte gypseuse qui recouvre le Sud tunisien et qui est due à l’hyperaridité engendrée par le dernier épisode glaciaire, Würm IV1. A El Guettar, 15 m d’alluvions les séparent de pièces apparentées au Moustérien et de lames à retouches abruptes. Aïn el Atrouss Reconnu par R. Coque, en rive sud du chott Fedjfedj, le gisement d’Aïn el Atrouss, est associé à des remontées d’eau artésienne. Il affleure entre des buttes de sable coiffées d’une croûte gypseuse. L’industrie2 est essentiellement constituée de lamelles à dos, 89,5 %, avec équilibre entre les lamelles arquées et rectilignes. La retouche Ouchtata est peu employée. Il s’y trouve quelques microlithes géométriques, surtout des segments et de rares triangles qui sont en même proportion que les microburins. Quelques restes osseux et des dents ont permis d’identifier un équidé et un bovin. Hagfet et-Tera A une trentaine de kilomètres au nord-est de Benghazi, s’ouvre la vaste grotte d’Hagfet et-Tera qui domine la plaine côtière. Elle fut fouillée successivement par C. Pettrocchi, C.B.M. Mc Burney et A. Montet-White. Les dépôts atteignent une épaisseur de 1,20 à 1,80 m, avec à leur base un niveau de sables rouges renfermant des traces d’une probable occupation atérienne que coiffe un niveau stalagmitique. Les sables rouges passent insensiblement à un niveau brun plus ou moins cendreux, riche en blocailles venant de la voûte, coiffé lui aussi d’un ciment stalagmitique, et qui renferme une industrie à lamelles. 1 .- Rappelons que les nappes phréatiques, en s’abaissant, n’assurent plus la cohésion des particules gypseuses dans les chotts. Celles-ci sont alors balayées par le vent et nappent le paysage. 2 .- Cf détail en Annexes p. 389.
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les industries à lames et lamelles du Paléolithique supérieur La plupart des nucléus est informe, certains sont discoïdes ou à un plan de frappe, les discoïdes étant nettement plus nombreux à la base. La matière première utilisée, des silex et chailles, abonde au voisinage. Les lamelles n’interviennent que pour quelque 10 % dans le débitage, les éclats en constituant la plus grande part ; ces proportions sont inversées dans les outils. Les grattoirs sont volontiers allongés, souvent doubles. Les burins sont rares et peu typés. Il y a peu de pièces à coches ou denticulés, les microlithes géométriques se limitent essentiellement à des segments, mais les lamelles à dos, de l’ordre de 70 %, paraissent riches en lamelles scalènes et renferment quelques pointes de La Mouillah. Une tendance à tronquer les lamelles s’exprime par leur fréquence inhabituelle même si elle n’atteint pas 5 %. Les lamelles à dos, larges et épaisses, prônent en faveur de l’ancienneté de l’ensemble industriel. Pour A. Montet-White, malgré des traits qui rapprochent les ensembles industriels d’Hagfet et-Tera et de l’Horizon Collignon, ils se distinguent nettement par les microburins qui, absents dans ce dernier site, atteignent 5 % à Hagfet et-Tera. Un rapprochement avec le Sébilien ne peut être retenu, l’industrie de Hagfet etTera manquant de pièces à coches et de denticulés, et l’emploi de la technique Levallois n’y étant pas affirmée. Haua Fteah Découverte par C.B.M. Mc Burney et C.T. Houlder dans le Djebel Akhdar (Cyrénaïque) en 1948, la grotte de Haua Fteah a été fouillée par C.B.M. Mc Burney de 1951 à 1955. Développées sur une surface de 100 m2, ces fouilles atteignirent 13 m de profondeur, reconnaissant quatre niveaux pléistocènes et deux niveaux holocènes. Le niveau pléistocène supérieur d’une cinquantaine de centimètres d’épaisseur se terminait avec une industrie sur lamelles qui fut nommée « Eastern Oranian » et datée de 17000 à 10000 B.P. (18500 à 9500 av. J.-C.). Les fouilles reprises de 2007 à 2011 par le CPP (Cyrenaican Prehistory Project) sous la conduite de G. Barker placent cette occupation de 14500 à 11000 av. J.-C. (15700 à 11000 av. J.-C.) qui précise que la grotte n’aurait pas été habitée en période froide, lors du maximum glaciaire et du Dryas récent.` L’industrie est riche en lamelles à dos dont la fréquence, d’après les décomptes de C.B.M. Mc Burney, atteindrait aisément 95 %. Les nucleus sont peu nombreux, le plus souvent à deux plans de frappe opposés ; dans les niveaux inférieurs quelques exemplaires sont discoïdes ou Levallois. Certains traduisent un débitage au punch. Les bords des lamelles à dos peuvent être abattus de diverses manières, par retouche abrupte directe, inverse ou bibord -ce dernier mode n’intervenant pas à la base du niveau-, parfois par retouche Ouchtata. Ce sont essentiellement des lamelles à bord rectiligne, certaines portent une denticulation, les bord arqués peu nombreux font passage à des segments qui se développent dans les tranches supérieures. Les autres outils se limitent à des grattoirs, de 4 à 6 %, plus nombreux à la base, et à quelques burins. Les microlithes géométriques et les microburins sont toujours présents mais sans dépasser 1 %. La faune, dominée par Ammotragus, comporte Bos primigenius, Alcelaphus, Gazella, des oiseaux dont des pigeons, des lézards et en abondance de la tortue dont un élément se rapporte à Testudo græca cyrenacia largement représenté actuellement. La flore est pauvre, limitée à Juniperus et Pinus halepensis.
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Sahara préhistorique Mareth En 1958, à une quarantaine de kilomètres de Gabès, dans une tranchée dominant la vallée de l’oued Zigzaou, M. Gruet découvrait un horizon de galets brisés, noirâtres, et de pierres taillées. Il s’insère dans une formation de sables très fins de couleur chamois que coiffe une carapace gypseuse. L’industrie1 est fortement dominée par les lamelles à dos, 79 %, moins cependant qu’à Mennchia ou Aïn el Atrouss ; près du tiers d’entre elles consiste en lamelles obtuses et les formes à dos rectiligne sont mieux représentées que celles à dos arqué. La retouche Ouchtata est peu utilisée. On note des grattoirs et des pièces à coches ou denticulés, quelques microlithes géométriques et microburins. Les perçoirs, burins, retouches continues ne figurent qu’en quelques exemplaires. Mennchia Dans le Nefzaoua, au pied du Djebel Tebaga, un horizon cendreux qui apparaît dans un niveau de sables scellé par la croûte gypseuse, a été découvert par R. Coque vers la fin des années 50. Il renferme des pierres brûlées, des tests d’œuf d’autruche mais aucun reste osseux, ce que la présence du gypse suffit à justifier. L’industrie2 est particulièrement riche en lamelles à dos, 83,9 %, avec une tendance aux formes rectilignes. La retouche Ouchtata est beaucoup plus fréquente qu’à Mareth. Inversement, il y a peu de lamelles obtuses. Les grattoirs sont mieux représentés que les pièces à coches et denticulés. Microburins et microlithes géométriques, en petit nombre, montrent des proportions comparables et, pour ces derniers, un éventail de forme ouvert. Oued Akarit Outre le gisement moustérien, le site de l’oued Akarit comporte trois stations à industrie lamellaire3. La station C, découverte par R. Schmalz lors des premières fouilles du gisement moustérien, est scellée par la croûte gypseuse qui voile les formes du Sud tunisien ; la station B est incluse à la base de dunes qui reposent sur cette croûte, la station A est superficielle. Les structures industrielles connues soulignent l’identité entre les stations B et C, la variation qui se perçoit entre les deux stations ne pouvant guère prendre de sens. La station A pourrait traduire une évolution par prolifération des lamelles à dos, augmentation du nombre de grattoirs, la réduction concomitante affectant sensiblement les microburins et microlithes géométriques. Les restes osseux, altérés, se limitent à un fragment d’Equidé trouvé station C. Les lamelles à dos sont indifféremment rectilignes ou arquées en A, plus volontiers rectilignes dans les autres sites. Les bords abattus partiels sont plutôt retouchés dans leur partie distale tout comme dans les industries capsiennes, parfois la retouche atteint une telle oblicité que la pièce fait passage à une troncature. Partout les lamelles obtuses sont courantes, les pointes de La Mouillah rares. La retouche Ouchtata est peu employée. Tous les types de grattoirs figurent dans la station A. En C, l’éventail des burins est plus ouvert que dans les autres sites. Les pièces à coches ont une distribution régulière. Trois types de microlithes géomé1 .- Cf p. 389. 2 .- Id.. 3 .- Cf p. 390.
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les industries à lames et lamelles du Paléolithique supérieur triques sont privilégiés, les segments, les triangles scalènes et scalènes allongés avec prédominance des segments en A, des triangles dans les autres stations. Sidi Mansour (= Horizon Collignon) En 1887, le Dr Collignon fait état d’une couche épaisse de 10 cm « farcie de silex, d’os en poussière et parfois de cendres » formant une bande vers le quart supérieur des buttes sableuses de la région de Gafsa. Les pièces sont dégagées par le ravinement et s’effondrent sur les pentes. Pour R. Coque, cette couche occupe le sommet de lanières du glacis 2 qui résultent de l’emboîtement de la basse terrasse. Cette position stratigraphique se retrouve à Lalla1. L’industrie2 est fortement dominée par les lamelles à dos qui atteignent autour de 80 % avec une majorité de bords abattus arqués. La retouche Ouchtata est très utilisée. Les lamelles à bord abattu partiel, pointes de La Mouillah et lamelles obtuses sont en nombre sensible ; certains types, lamelles à bord abattu partiel proximal, lamelles scalènes sont des formes rencontrées fréquemment au Maghreb, dans l’Ibéromaurusien. Les burins, les microlithes géométriques doivent être exceptionnels : de rares pièces figurent dans la collection Laplace, aucune dans la collection Gobert. Le débitage était fait à partir de nucléus à un ou deux plans de frappe, très rarement de nucléus pyramidaux. On retrouve à Lalla3, à El Guettar des traits identiques, avec cependant des lamelles plus longues et la présence de lames étroites. Tant à Lalla qu’à Sidi Mansour, on note une tendance des bords abattus rectilignes à se recourber en extrémité pour former une tête arquée. Cette industrie est rapprochée de celle de Hagfet et-Tera par E.G. Gobert, du Sébékien, culture plus récente de la vallée du Nil, par P.E. Smith. Zarath (= Maison Triolet, = Novarmor) En 1939, une cinquantaine de kilomètres au sud-est de l’oued Akarit, le Docteur Gruet découvrait un gisement en rive droite d’une petite incision. Il renfermait presqu’exclusivement des lamelles à dos, de minuscules nucléus prismatiques en quartz d’où elles étaient tirées et quelques grattoirs. Contrairement à ce que l’on connaît dans les autres sites à très forte dominance de lamelles à dos, ici, les rondelles d’enfilage en test d’œuf d’autruche abondaient.
L’Ibéromaurusien (Mouillien) et son rapport au Paléolithique supérieur Au nord du Sahara, et longtemps considérée comme strictement inféodée au littoral, s’est développée une culture sur lamelle que P. Pallary avait nommée « Ibéro-maurusien ». Il voulait souligner ainsi les relations entre le Maghreb et 1 .- Le niveau dit intergétulonéolithique par R. Vaufrey, occupe une position stratigraphique qui pourrait l’assimiler à celui-ci. Sa structure industrielle fait problème : elle comporterait des microlithes géométriques dont de nombreux triangles scalènes, qui introduiraient une distinction si ces derniers objets ne manquaient dans les 800 pièces des récoltes Gobert. Il en est de même pour les pièces à cochess, fort rares dans les récoltes Gobert. Quant aux lamelle à languette des décomptes Vaufrey, elles apparaissent plutôt comme mèche de foret sur les planches. S’appuyant sur ces différences d’outillage, G. Camps distingue deux niveaux. 2 .- Cf détail en Annexes p. 389. 3 .- Cf détail en Annexes p. 390.
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Sahara préhistorique
Fig. 60 – Industries à lamelles de la région des chotts. 1) grattoir ; 2) perçoir ; 3) burin ; 4 à 8) lamelles à dos rectiligne ; 9 à 11) lamelles à dos rectiligne et base arrondie ; 12) lamelle à dos rectiligne et base tronquée ; 13) pointe de Mechta el Arbi ; 14) lamelle à dos rectiligne et base retouchée ; 15) pointe d'Aïn Keda ; 16) aiguillon droit ; 17 à 19) lamelles à dos arqué ; 20) pointe de La Mouillah ; 21, 22) lamelles obtuses ; 23, 24) lamelles à retouche ouchtata ; 25) éclat à coche ; 26 à 29) segments ; 30, 33) microburins Krukowski ; 31) trapèze dissymétrique ; 32) lamelle aiguë à base arrondie ; 34) lame à coche ; 35) microburin ; 36 à 38) triangles scalènes (Mennchia, Gragueb 1983).
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les industries à lames et lamelles du Paléolithique supérieur l’Espagne que cette découverte lui laissait supposer. Aujourd’hui, l’appellation a totalement perdu cette signification première et, malgré les diverses dénominations que l’on a tenté de lui substituer depuis, Oranien ou mieux Mouillien (Congrès de Livingstone)1, ce terme reste de beaucoup le plus utilisé ; on s’est résigné à une simple modification de sa graphie par suppression du trait d’union, pour gommer sa signification. L’Ibéromaurusien fut et reste encore parfois qualifié d’Epipaléolithique. Il fut longtemps vu comme un faciès industriel microlithique post-glaciaire, ce qui faisait valoir un hiatus2 dans l’évolution du peuplement maghrébin. En remettant en cause sa position chronologique et sa structure industrielle, les travaux les plus récents réduisent ces différences tant sur le plan chronologique que technologique. L’Ibéromaurusien couvre presqu’entièrement la côte méditerranéenne du Maghreb d’une vaste nappe à outillage lamellaire. Le débitage montre la suprématie de petits nucléus à un plan de frappe tirés de galets dont les enlèvements se développent souvent sur une seule face après un décalottage. Des enlèvements bipolaires ou multipolaires sont rares et les nucléus ne sont jamais cannelés, néanmoins, une recherche de standardisation se manifeste dans certains sites. Diverses techniques de taille ont été utilisées, percussion directe au percuteur dur et au percussion tendre organique, percussion indirecte. L. Sari identifie un débitage par percussion directe au percuteur tendre minéral3, et lui accorde l’antériorité sur son utilisation en Europe. L’industrie lithique est caractérisée par un fort pourcentage de lamelles à dos qui, supérieur à 40, introduit un déséquilibre systématique dans la structure industrielle. Elle fait un ample usage de la retouche abrupte4 et utilise volontiers la retouche Ouchtata, mais rarement avec la haute fréquence de certains faciès nilotiques. Tous les types de lamelles peuvent figurer et l’intervention de certains paraît caractéristique. C’est le cas des lamelles obtuses, des lamelles à bord abattu partiel, des pointes de La Mouillah, des lamelles Ouchtata. E.G. Gobert, G. Camps ont fait remarquer la prédilection des Ibéromaurusiens pour les retouches proximales, partie la plus robuste de la lamelle. Les burins, perçoirs, grattoirs ne sont pas inconnus mais peu nombreux bien que certains sites montrent un nombre conséquent de 1 .- Oranien fut proposé par E.G. Gobert et R. Vaufrey, Mouillien ou Mouilien par M. Reygasse et Ch. Goetz. A ce propos, il semble judicieux de reprendre les termes de M. Antoine s’élevant contre l’appellation Oranien et rapportés par R. Vaufrey lui-même (1955, : 289) : “S’il est exactement synonyme d’Ibéromaurusien, quels que soient ses avantages, il doit disparaître en vertu des lois de la priorité qui doivent s’appliquer à la Préhistoire comme à toutes les sciences en général. Une appellation une fois créée, le mot cesse d’avoir une signification par lui-même pour devenir une étiquette (…). Il est mal nommé, mais il est nommé, et que M. Lenoir soit…du plus beau blond, il n’en reste pas moins M. Lenoir ». 2 .- Le hiatus que l’on a supposé exister entre l’Atérien et l’Ibéromaurusien avait été déterminé par une connaissance insuffisante du milieu et de ses multiples dépôts de colluvions. Il avait été confirmé par la méconnaissance du gros matériel qui constitue une partie des industries ibéromaurusiennes, les réduisant à un aspect exclusivement microlithique. La croyance en une présence néanderthalienne liée aux industries atériennes, nullement susceptible d’évoluer en homme de Mechta el Arbi associé à l’Ibéromaurusien, en avait été la preuve. Aucun de ces facteurs n’a pu résister aux connaissances actuelles. 3 .- Suivant J. Pellegrin, elle fait valoir un talon à point d’impact discret (petit cône détouré dans ses premiers millimètres), ligne postérieure irrégulière, lèvre réduite voire absente, bord antérieur émoussé, éventuellement bulbe esquillé à rides fines et serrées. 4 .- La retouche abrupte peut se rencontrer dans des industries antérieures (cf p. 155, 159, 165, 193, 214 par exemple) mais n’y occupe jamais une place importante.
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Sahara préhistorique grattoirs. Ils sont volontiers courts ou nucléiformes. Les burins sont souvent sur cassure. Les microburins furent probablement rejetés comme déchet dans les fouilles anciennes ; ils paraissent présents dans tous les sites ayant fait l’objet de travaux récents mais n’y sont jamais abondants et n’entretiennent pas de relation numérique avec les microlithes géométriques. Ceux-ci sont essentiellement des segments, il y a peu de triangles, quasiment pas de trapèzes et encore sont-ils atypiques. Les pièces esquillées peuvent figurer en nombre ; elles atteignent 30 % dans le gisement DDC où elles sont associées à des restes osseux abondants. Cet outillage lamellaire à retouche abrupte a longtemps occulté un gros matériel qui lui est souvent associé. Il est vrai que dans ces régions, il soulignait un événement nouveau, l’emploi d’objets de petite dimension qui non seulement impliquent un emmanchement mais dont on peut se demander s’ils étaient utilisés isolément ou regroupés en un outil complexe. L’industrie osseuse paraît pauvre, avec un nombre de types réduit, une préférence pour les objets tranchants, certains objets mousses comme les brunissoirs, peu d’outils perforants, pas de poignard, ni d’alène, il y a pourtant été trouvée une aiguille à chas. Le tranchet serait caractéristique ; il n’existe dans les industries postérieures que lorsqu’elles connaissent une forte influence ibéromaurusienne et ne se répandra qu’au Néolithique. Ces particularités de l’outillage ont été avancées pour conclure à une rupture avec les industries antérieures. Cette position ne prenait pas en compte les particularités notées à El Guettar où le niveau supérieur renferme près de 40 % de pièces laminaires dont des lames à troncature oblique, des nucléus prismatiques associés à des pièces moustériennes, petits éclats Levallois, racloirs dont près de la moitié sont aménagés sur des lames. Elle interprétait sans réserve comme « mélange » la coexistence de matériel d’aspect atérien résultant d’un débitage Levallois et de matériel obtenu par débitage lamellaire que l’on connaissait dans l’Est algérien ou à Kouali sur la côte algéroise et auxquelles les découvertes récentes permettent de donner une signification autre. A partir du 30ème millénaire, dans le Nord de l’Afrique, l’éclat cède le pas à la lame et surtout à la lamelle, ce qui assure un important allègement de l’outillage et une consommation moindre de matière première. Les industries lamellaires interviennent avant le 20ème millénaire, elles connaissent la technique du microburin, mais l’utilisent fort peu. Les microlithes géométriques y sont rares. Cette transformation des outillages est bien affirmée dans la zone littorale, le Nord du Bas Sahara, la vallée du Nil, mais on ignore ce que fut l’évolution dans le reste de la zone saharienne. Le Sahara s’est-il totalement vidé d’hommes comme il est souvent affirmé ? Les industries sur lamelle n’ont-elles pas encore été retrouvées, celles sur éclat ont-elles perduré ? Une meilleure connaissance du climat et du milieu prône plutôt en faveur de cette dernière hypothèse que seules des datations pourraient ou non confirmer. Dans la vallée du Nil, entre le 20ème et le 12ème millénaires, des ensembles industriels lamellaires prolifèrent ; ils offrent une grande variabilité qui pourrait traduire des différences régionales ou des activités saisonnières appelant des déplacements de faible amplitude. A l’inverse, un seul ensemble de vaste
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les industries à lames et lamelles du Paléolithique supérieur extension, l’Ibéromaurusien, est connu dans le Maghreb. Longtemps assimilé à un Epipaléolithique, en s’affirmant dès avant le 22ème millénaire à Taforalt, jusqu’au 9ème millénaire à El Hamel, il occupe la moitié terminale du Paléolithique supérieur qu’il déborde à peine. Vu dans le détail, l’outillage n’a pas la monotonie qui lui a été prêtée, les lamelles à dos qui en constituent l’essentiel pouvant offrir une grande variété de formes. Des évolutions locales paraissent de plus en plus probables, divers gisements montrant un amenuisement des industries antérieures et la présence de lamelles à bord abattu sommaire faisant passage à l’Ibéromaurusien au Maghreb, le débitage halfien faisant passage du débitage d’éclat Levallois à un débitage de lamelles dans la vallée du Nil.
Distribution géographique des gisements Longtemps inféodée au milieu côtier, la culture mouillienne a probablement occupé un territoire bien plus vaste. Elle est identifiée dans l’Atlas saharien, y compris sur son versant sud, ainsi qu’en témoignent les sites de Foum el Redad, El Hamel, El Haouita... Au Maroc, de petites stations en relation avec des points d’eau se retrouvent jusqu’à 2000 m dans le Haut et le Moyen Atlas. Le Nord du Maroc, longtemps considéré comme zone refuge des Atériens1 lors du déploiement ibéromaurusien, possède quelques petits sites ibéromaurusiens, tels que Taounate, El Had de la Garbia. La Tunisie orientale fait problème avec la présence des seules industries à lamelles, de même la Libye, avec les industries East Oranian trouvées à Haua Fteah, Hagfet et-Tera, Marble Arch, que C.B.M Mc Burney rapporte à l’Ibéromaurusien, mais qui sont plus proches des industries à lamelles tunisiennes que de celui-ci. Plus à l’est, certains ensembles industriels riches en lamelles à dos, tel le Fakhurien, ne peuvent qu’en être rapprochés. Ainsi que le suggère A. Rodrigue à propos de la station de l’oued Mramda dans le Haouz, cela pose non seulement la question de son extension mais aussi de sa durée, l’Ibéromaurusien ayant pu perdurer dans certains secteurs.
Age des industries ibéromaurusiennes Vu d’abord comme faciès latéral du Capsien, l’Ibéromaurusien fut placé au maximum puis au début de la transgression versilienne2 à la suite de l’étude du site des oueds Kerma. Oueds Kerma est un gisement de plein air comportant une couche archéologique de 20 à 40 cm d’épaisseur reposant directement sur un niveau calcaire et recouvert par des terres rouges provenant du lessivage des coteaux ; il apparaît à 6 m au-dessus du talweg. Sa position, antérieure au creusement du lit actuel que les auteurs liaient à la dernière phase de régression, soit la régression versilienne, le scellement qui, lui, traduit une « vallée sénile », les conduisirent à placer l’occupation humaine au Tardiglaciaire, en fin de régression néotyrrhénienne ou au tout début de la transgression versilienne. Aujourd’hui, cette position chronologique ne peut situer la totalité des temps ibéromaurusiens. Les datations absolues rapportent ses phases anciennes au 22ème millénaire -son début étant un peu plus ancien- ; la date la plus ré1 .- M. Antoine avait nommé cet Atérien tardif, Tangitan. 2 .- = Flandrien des anciens auteurs ; de la même manière, Monastirien (terme rejeté depuis de la nomenclature) = Néotyrrhénien
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Sahara préhistorique cente, 9540 ± 120 B.P. (9130-8840 av. J.-C.) provient d’El Hamel, en bordure de l’Atlas saharien.
Origine de l’Ibéromaurusien Autochtonie, allochtonie ? Telle est la question posée par cette culture. Longtemps, l’Ibéromaurusien a été vu comme l’expansion rapide d’un groupe humain déferlant du golfe des Syrtes jusqu’à l’Océan Atlantique, le long d’une côte vide d’hommes et ce malgré certaines incohérences dans cette progression ; L. Balout n’écrit-il pas « On aurait souhaité que la progression vers le Couchant des Hommes ibéromaurusiens se révélât par le faciès de plus en plus évolué de leur civilisation »1. On faisait état pour parler d’allochtonie des divergences techniques entre les industries ibéromaurusiennes, sur lamelles, à retouche abrupte, sans matériel volumineux, et celles, atériennes, qui les ont précédées où l’éclat, la retouche plane ou semi-abrupte jouent un rôle prépondérant. L’absence de continuité entre ces deux niveaux archéologiques confortait l’hypothèse et une confirmation intervenait avec le type humain que l’on croyait associé à ces industries et que l’on voyait comme appartenant à des espèces différentes, néanderthalien porteur de l’Atérien, sapiens porteur de l’Ibéromaurusien. C’était vers l’est que l’on se tournait pour trouver cette origine étrangère. D’après C.B.M Mc Burney, le Skiftien de Syrie-Palestine aurait introduit en Afrique l’usage des lamelles. J. Tixier soulignant la riche différenciation évolutive des industries lamellaires dans le Nord du Soudan, proposait d’y rechercher cette origine : ce pourrait être le Sébilien ou l’Halfien ou encore une industrie les ayant précédés. Ces propositions émises alors que l’on accordait une position tardive à l’Ibéromaurusien, sont difficiles à retenir, ces industries étant au mieux contemporaines, voire plus récentes2. A l’inverse, F. Wendorf envisage, lui, une origine nord-africaine pour les populations du djebel Sahaba qui sont associées au Qadien... Si, malgré les dates disponibles qui n’assurent aucune antériorité aux cultures des régions orientales, l’on est tenté de croire à une allochtonie de l’Ibéromaurusien, resterait à préciser s’il s’agit d’un déplacement des hommes ou d’une transmission de proche en proche de la nouvelle technologie. Plus récemment, J.K. Kozlowski3, reprenant les hypothèses de D. Ferembach et A. Debénath voit l’origine de l’Ibéromaurusien dans le Gravettien, mais il substitue à l’origine italienne prônée par ces auteurs, une origine espagnole. L’un des rares auteurs à avoir développé l’idée d’autochtonie est J. Morel. Pourtant L. Balout faisant état des découvertes d’Ali Bacha, Taza, écrivait : « une sorte de Moustérien est en contact immédiat avec l’Ibéromaurusien, contact qui peut aller jusqu’à une ébauche de symbiose »4, mais préoccupé par le décalage apparaissant avec le Capsien qui, lui, est toujours séparé de l’Atérien par un niveau stérile, il n’en tirait pas les conséquences. J. Morel s’appuie sur les par1 .- 1955, p. 374. 2 .- Le Skiftien n’est pas connu avant 17000 B.P. 3 .- Quelques remarques sur l’origine de l’Ibéromaurusien. Man-Millennia-Environment. Studies in honour of Romuald Schild, Polish Acad. Of Science, Warsaw, 2008 :185-192. 4 .- 1955, p. 308.
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les industries à lames et lamelles du Paléolithique supérieur ticularités qu’il a notées dans les sites de l’Est Constantinois tels que Demnet el Hassan, Kef oum Touiza, Hammam Sidi Djeballa, où les deux techniques, pièces de tradition Levallois généralement en grès et microlithes généralement en silex, ont la même aire de dispersion, mais avec des proportions qui varient d’une station à l’autre. Des données comparables existeraient dans le Nord du Maroc, à Rehiene et surtout Cap Negro. Peut-on parler de mélanges industriels ? En portant sur 43 stations, les remarques de J. Morel éliminent un fait fortuit et apportent un nouvel éclairage à la coupe de Kouali et les données du gisement de Sidi Saïd, donnent à ces « mélanges », une dimension inattendue. Mieux connues, les structures industrielles opposent moins radicalement Atérien et Ibéromaurusien dès lors que certains sites ibéromaurusiens possèdent un matériel non lamellaire comparable à celui qui a parfois été signalé dans les dépôts rouges sous-jacents. Ce matériel sur éclat, volumineux, a d’abord été reconnu à Taforalt ; pour J. Roche, il fait partie intégrante de la panoplie ibéromaurusienne. Il a été retrouvé dans les sites de la région d’Alger par C. Brahimi qui lui accorde la même position. Il est connu dans bien d’autres sites, Taza, Tamar Hat, Afalou bou Rhummel, Rachgoun par exemple. Une réminiscence des méthodes de débitage atérien se retrouve en milieu ibéromaurusien avec des nucléus Levallois ou discoïdes. L’anthropologie elle-même n’oppose plus les populations atériennes et ibéromaurusiennes, l’hypothèse d’une évolution des populations d’Atlanthropes vers une forme sapiens qui serait celle de Mechta el Arbi, étant généralement admise. Quant au niveau rouge stérile qui sépare les deux industries, sa signification est devenue tout autre depuis que plusieurs niveaux ont été identifiés et qu’ils ont été reconnus comme des colluvions : n’ayant pas partout le même âge, ils ne peuvent avoir qu’une signification locale. Ils ne peuvent qu’indiquer un moment d’abandon d’un site et non un hiatus de peuplement. Les travaux récents ont d’ailleurs montré l’Ibéromaurusien faisant suite à l’Atérien dans de nombreux sites marocains, Taforalt, Cap Ghir, Bizmoune, El Harhoura, El Mnasra, Dar es Soltane... Avec la réduction des dimensions de l’outillage, le choix systématique du silex comme matériau, un débitage de petits éclats allongés voire de lamelles, les industries de Sidi Saïd confortent localement, l’hypothèse d’un passage aux industries lamellaires ibéromaurusiennes.
Evolution A la suite de L. Balout, G. Camps reconnaît trois phases dans l’Ibéromaurusien. En leur accordant une valeur chronologique, elles traduisent une évolution linéaire. - La phase ancienne est connue à Taforalt, à partir du niveau VI. Le groupe lamelles à dos ne dépasse pas 75 %, les microburins sont nombreux , les pointes de La Mouillah fréquentes, alors que les microlithes géométriques sont rares voire absents. Ces traits se retrouvent à Rassel couche inférieure, Tamar Hat. - La phase classique montre un pourcentage de lamelles à dos oscillant entre 75 et 90. Les lamelles scalènes sont bien représentées. Les autres outils sont rares sauf les pièces esquillées qui peuvent atteindre des valeurs notables.
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Sahara préhistorique Les sites attribuables à cette phase sont les plus nombreux, La Mouillah, Taforalt couches V à I, El Hamel couche E, Courbet-marine, El Kçar, Columnata, Ouchtata, Aïne Khiar, Abri Alain, Er Recheda es Souda, El Khenzira. - La phase évoluée est la plus difficile à cerner. Le taux de lamelles à dos diminue, il peut se ramener à 60. Les coches et denticulés se développent, de même que les microlithes géométriques. Les éclats et lames à dos, les burins deviennent eux aussi plus fréquents. Dans cette conception de l’évolution des industries ibéromaurusiennes, un paroxysme dans le développement de l’outillage lamellaire marque une véritable crise qui, pour G. Camps, pourrait être mise en parallèle avec une modification climatique sans que l’on en saisisse le sens. Tout autre est la position de C. Brahimi suivi en cela par l’un de nous (G.A.). Les affinités qu’il perçoit entre les sites offrent une double distorsion dans l’espace et le temps qui conduisent à l’idée d’une évolution buissonnante. Ses travaux, en partie liés à ceux de G. Laplace, se sont appuyés sur des diagrammes d’instabilité et de gravité des ensembles industriels, sur les liens ou l’indépendance entre les groupes d’outils. Il remarquait des groupes stables qu’il voyait comme constituants de base des industries ibéromaurusiennes (groupes burins, perçoirs, éclats et lames à dos, microlithes géométriques), les autres outils variant considérablement, de façon totalement autonome pour le groupe grattoir, alors que les lamelles à dos, coches et denticulés, microburins montraient de nettes relations. Il reconnaissait en particulier trois seuils dans le pourcentage de lamelles à dos, à 62, 72 et 92, pour lesquels il posait la question d’une signification chronologique. On lui doit de même l’établissement des indices de débitage et de transformation1 qui apportent un éclairage nouveau à la physionomie des gisements. Ces travaux qui n’ont encore pu porter que sur un nombre restreint de sites, ne sont qu’une voie possible d’étude ; elle mérite d’être explorée pour mieux saisir la culture ibéromaurusienne.
Des gisements ibéromaurusiens essentiels Les sites ibéromaurusiens sont rares en Tunisie et localisés dans la seule partie septentrionale du pays. Ceci est-il lié au développement des « industries à lamelles » dans les régions méridionales ? Ou les conditions qui permettraient d’en retrouver les traces ne sont-elles pas remplies ? A l’est, les gisements ibéromaurusiens sont-ils recouverts par la mer en raison d’une ligne de rivage fort éloignée à cette époque, comme il l’est proposé ? On doit toutefois noter l’extrême rareté d’Ibéromaurusien dans les Hautes Plaines constantinoises, là où prolifèrera le Capsien2. 1 .- L’indice de débitage Id = poids de matière débitée x 100/poids total de matière première ; l’indice de transformation It = poids des outils x 100/poids de matière débitée. Certains auteurs ont préféré utiliser des valeurs numériques, si les résultats ne sont pas parfaitement semblables, ils se montrent de même ordre. 2 .- Rappelons les propos de L. Balout « Nous avons vu qu’il y a de l’Ibéromaurusien et du Capsien supérieur aux environs de Constantine et que, par contre, toutes les escargotières sétifiennes paraissent capsiennes » 1955 p. 380.
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les industries à lames et lamelles du Paléolithique supérieur Abri Alain (= carrières d’Eckmühl) L’Abri Alain à Oran a été fouillé au cours des années 1927 à 1929, par P. Pallary. Il renfermait une couche de 3 m d’épaisseur, jaune dans sa partie inférieure, noire dans sa partie supérieure. Les décomptes1 établis par G. Camps à partir des données de R. Vaufrey montrent une suprématie écrasante de lamelles à bord abattu comme c’est le cas dans de nombreux sites anciennement fouillés. Des chopping-tools s’y trouvaient. Des pétoncles colorés intérieurement ont été vus comme des godets. L’outillage osseux consistait en rares fragments d’outils, probables poinçons. Des restes de poissons abondaient, ainsi que les coquillages terrestres, d’eau douce, de mer. La faune comportait les espèces courantes dans les gisements ibéromaurusiens. Les charbons analysés par L. Saccardy proviennent de chênes et genévriers qui se trouvent encore à l’ouest d’Oran. Afalou bou Rhummel L’abri sous roche d’Afalou bou Rhummel, en Kabylie maritime, s’ouvre plein nord, avec une hauteur de 10 m et une profondeur semblable. Actuellement, il surplombe la route d’une quarantaine de mètres. Découvert par A. Ehrmann en 1920, il fit l’objet de fouilles par C. Arambourg entre 1928 et 1930 qui furent reprises de 1983 à 1993 par S. Hachi. L’intérieur était occupé par un remplissage archéologique gris sombre d’une dizaine de mètres d’épaisseur, à surface convexe culminant à l’aplomb d’une cheminée qui perfore le plafond de l’abri dans sa partie médiane. Il repose sur une formation rouge argileuse bien visible à l’avant de l’abri où elle atteint de 8 à 10 mètres d’épaisseur. C. Arambourg reconnaissait deux niveaux archéologiques et devait retirer du niveau supérieur, une quarantaine de squelettes Les fouilles récentes ont identifié cinq niveaux dont les trois supérieurs n’occupent que la partie sud-est de l’abri et ne traduisent pas de changements sensibles de l’un à l’autre2. La matrice est faite d’argiles brunes charbonneuses, elle contient en plus ou moins grand nombre des cailloux anguleux venant de la voûte, du matériel lithique taillé le plus souvent dans un silex noir local, quelques meules et molettes, des fragments osseux, des coquilles de mollusques, de petits charbons, mais peu d’outils. La couche supérieure, I, est originale par la présence de deux scies et trois triangles qui suggèrent un faciès évolué. La couche II, épaisse de 20 à 55 cm repose sur un dépôt induré accompagné d’un alignement de gros cailloux. Le débitage a privilégié un mode particulier : le galet de 2 à 5 cm est décalotté, fendu longitudinalement puis chaque moitié est à son tour partagée ce qui standardise la longueur des lamelles et donne une section triangulaire à la première. Quelques cas de débitage pression sont à noter. L’outillage montre un indice élevé de microlithes géométriques et la présence d’un trapèze. La couche III comporte, vers les parois, des fosses qui renferment des restes alimentaires. Une pointe d’Aïn Keda et une pointe du Chacal évoquent des particularités capsiennes. Une pièce originale, enrobée de kaolin devait être enserrée dans une gaine molle fortement serrée, la partie libre est microdenticulée sur un bord, l’autre qui est bouchardée, aurait pu servir au raclage de peaux. La 1 .- Cf détail en Annexes p. 384. 2 .- Cf la structure des ensembles industriels en Annexes p. 387.
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Fig. 61 – Ibéromaurusien. 1 à 3, 5) grattoirs ; 4) perçoir ; 6, 7, 13 à 17, 26) lamelles à dos rectiligne ; 8, 27) lamelles à dos rectiligne et base arrondie ; 9 à 12) lamelles à dos rectiligne et base tronquée ; 18, 21 à 23, 29, 30) lamelles à dos arqué ; 19, 20) pointes de La Mouillah ; 24, 25, 33 à 38) lamelles à dos partiel ; 28) troncature ; 39 à 42) microburins ; 31, 32) pièces à coches ; 43) pièce esquillée ; 44, 45) denticulés (Rassel inf., Brahimi 1970).
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les industries à lames et lamelles du Paléolithique supérieur couche IV dont la base est datée de 12400 ± 230 B.P. (Ly 3228) (13170-12190 av. J.-C.), le sommet de 12020 ± 170 B.P. (Gif 6532) (12430-11790 av. J.-C.) sur charbons, comporte des pierres aux angles doucis d’un seul côté. L’industrie quoique typiquement ibéromaurusienne avec un indice lamelles à dos de l’ordre de 43 pour la partie supérieure, offre diverses particularités, indices perçoirs et microlithes géométriques élevés, présence de pointe d’Ounan, d’aiguillons droits, de nombreux triangles1. C’est dans cette couche que furent trouvés des fragments de figurines en terre cuite représentant des têtes d’animaux à cornes interprétés comme capridés ; elles montrent la persistance d’une pratique identifiée par E.C. Saxon, autour de 20 000 dans le site voisin de Tamar Hat. Une autre singularité de la couche, dont l’importance doit être soulignée, est un cubitus d’enfant débité, raclé et durci au feu, cet aménagement d’ossement humain semblait jusqu’alors propre au Capsien. La couche V est une argile rouge, peu compacte, avec des plages cendreuses. L’outillage est un peu plus lourd malgré le développement du groupe lamelles à bord abattu qui atteint 58 % ; le matériel de broyage et l’industrie osseuse sont plus pauvres. De nombreux restes humains en proviennent, certains isolés dans les sédiments, d’autres regroupés dans des secteurs peu ou pas favorable aux occupations. Ceux découverts par C. Arambourg gisaient enchevêtrés à l’aplomb de la cheminée, ceux mis au jour par l’équipe de S. Hachi, eux aussi enchevêtrés pour la quasitotalité, étaient placés dans une anfractuosité de la paroi. La disposition des ossements a montré qu’il y avait bien inhumations mais qu’au fur et à mesure de celles-ci, les restes antérieurs étaient repoussés et empilés contre les parois pour libérer la place. Globalement l’industrie possède des traits identiques sur toute l’épaisseur des dépôts. De petite taille, elle est riche en lamelles à dos, courtes et larges, dont la longueur paraît prédéterminée par l’aménagement d’un plan de frappe plus ou moins en biais. S. Hachi note l’utilisation d’un débitage par percussion indirecte. Les lamelles à dos renferment une vingtaine de types dont certains traditionnellement inconnus dans les industries ibéromaurusiennes. Celles à dos arqué ont été obtenues par l’enlèvement d’un microburin dont la facette a été retouchée, technique également utilisée à El Hamel. Les grattoirs sont sommaires, à front court. Les perçoirs sont aménagés par retouche alterne sur éclat. Les burins, les outils composites, les lames à dos sont exceptionnels. Les microlithes géométriques, essentiellement des segments, comportent quelques triangles et de rares trapèzes ; ils n’entretiennent aucune relation numérique avec les microburins qui sont souvent des microburins Krukowski. L’industrie osseuse est modeste avec des poinçons, quelques lissoirs, couteaux, ciseaux, brunissoirs. Des traces de raclage s’y trouvent souvent en partie distale et la pratique du durcissement au feu s’y reconnaît sur diverses pièces. De nombreux outils portent à une extrémité des restes d’articulation. Du matériel de broyage a été aménagé dans des galets de calcaire siliceux, des grès ou des roches volcaniques, des diabases qui, dans un second temps, ont servi au débitage d’éclats. Chronologiquement, une partie de ces industries fait suite à celles identifiées à quelques kilomètres, dans le niveau supérieur de Tamar Hat (fouilles Brahimi). 1 .- Les deux triangles trouvés à la partie supérieure de la couche V sous-jacente, pourraient provenir de cette couche.
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Sahara préhistorique Mais les industries contemporaines de ces deux gisements se différencient fortement, ce qui n’est pas sans poser problème. Celles d’Afalou montrent des affinités avec Taza, Columnata, El Hamel et El Haouita, la couche V avec Rassel inférieur. La faune a livré Bos primigenius, Gazella dorcas, du sanglier, chacal, renard, porc épic, macaque, ours et, comme le gisement voisin de Tamar Hat, du mouflon en abondance. Aïn Aghbal Les grottes d’Aïn Aghbal s’ouvrent au-dessus de l’oued de même nom, au nord-ouest d’Oujda. Le site, reconnu en 1961 par L. Collina-Girard, comporte un boyau rempli de limons jaunes et un petit abri où, au-dessus de ces limons, existait un sédiment cendreux d’une cinquantaine de centimètres d’épaisseur. Un important sondage qui y fut mené en 1963, montrait une forte densité de matériel archéologique lamellaire dans le niveau cendreux et la présence de quelques outils de débitage Levallois, en particulier des racloirs, en quartzite, à sa base, presque directement sur les limons. L’ensemble recueilli1 dans le niveau cendreux est dominé par les lamelles à dos, 70 %. Le reste de l’outillage est essentiellement composé de pièces à coches, pièces esquillées et grattoirs. Ce sont de petites pièces tirées de petits galets de silex décalottés pour permettre l’enlèvement d’une série de lamelles ; quelques nucléus sont bipolaires, mais le débitage ne se développe sur le pourtour du galet que très rarement. L’indice de débitage est de 73,2, l’indice de transformation de 14,6 en valeur pondérale, 18 en valeur numérique. L’examen des lamelles fait ressortir une nette préférence pour l’abattement du bord gauche et de fréquentes traces d’utilisation sur le tranchant, mais il n’apparaît pas de préférence pour les formes aiguës ou obtuses, ni pour les dos rectilignes ou arqués. La retouche Ouchtata est rare. De nombreuses lamelles sont fragmentées en particulier celles à bord abattu et dans quelques cas, une utilisation de l’extrémité est perceptible. La fracture résulte souvent d’une flexion. Les grattoirs sont volontiers réalisés sur lame ou lamelle par une retouche irrégulière, très esquilleuse. Il y a quelques microburins d’assez grande taille, une troncature, mais pas de microlithe géométrique. Une pendeloque en pierre de 4,2 cm de long pour 1,5 cm de large, a été aménagée sur un fragment de schiste vert. Perforée au sommet par petits coups de gouge, sans mouvement rotatif, elle présente deux séries d’incisions sur sa face supérieure, seule face soigneusement polie. La série inférieure est un losange barré d’un trait diagonal, la série supérieure un tressage de traits. Par ses formes et dimensions, elle est comparable aux autres pendeloques découvertes dans l’Ibéromaurusien à Taforalt et La Mouillah. Cette industrie a été placée dans la phase ancienne de l’Ibéromaurusien et rapprochée de Rassel niveau inférieur et oueds Kerma à l’aide de l’indice d’affinité de Sanders et d’un diagramme treillis, méthodes qu’il pourrait être intéressant de développer. Des restes très fragmentés de faune ont permis d’identifier des gazelles, bovidés, un carnivore (panthère ou chat sauvage), des oiseaux, des tortues et, au sommet des limons, du lion. Les coquilles d’Helix étaient nombreuses. Quelques débris osseux humains y ont été reconnus. 1 .- Cf détail en Annexes p. 386.
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les industries à lames et lamelles du Paléolithique supérieur Aïne Khiar Entre la plaine du Tarf et la mer, dans un massif de collines de sables rouges recouvertes par des collines de sable blond, l’érosion éolienne engendre des cuvettes qui font apparaître les sables rouges et à la surface de ceux-ci, l’industrie. Ce sont des conditions en tous points semblables à celles d’Ouchtata. Le matériel archéologique réuni par J. Morel, est exclusivement lithique, taillé dans des grès locaux ou des silex de médiocre qualité qui se trouvent dans les grès numidiens. Il a subi des altérations différentielles sur place qui pourraient indiquer un long séjour à l’air libre. Les nucléus se rapportent à diverses formes : polyédriques qui prédominent, à plans de frappe orthogonaux ou opposés et petits nucléus Levallois mesurant de 24 à 14 mm, conformes aux micropointes et microéclats Levallois présents sur le site. La plupart est épuisée à l’extrême et certains ont été aménagés en outils, grattoirs, pièces esquillées. L’outillage1 est essentiellement fait de lamelles à dos. Les formes sont multiples, la retouche Ouchtata employée. Des segments, mais aussi de minuscules triangles, trapèzes aux bords souvent curvilignes, ont été trouvés. La présence de pièces néolithiques favorise l’hypothèse d’un mélange d’industries, des rectangles (45) et quelques pointes de flèche (6 sur le site, 11 récoltées en 1918 dans les dunes) ayant été trouvés dans le secteur. Mais la répétitivité du mélange d’un débitage Levallois de petite dimension et d’un débitage lamellaire occupant la même surface, ne permet pas de rejeter, a priori, l’idée de leur appartenance au même ensemble industriel. Bouskoura Gisement de plein air de la région de Casablanca, situé au centre du village de Bouskoura, il fut étudié par M. Antoine2. L’industrie se trouvait en poches, dans un sable gris, épais de 5 à 30 cm reposant sur la croûte calcaire qui, dans la zone côtière recouvre les « grès de Rabat ». Les nucléus sont nombreux, pour moitié à un plan de frappe, les formes globuleuses sont courantes ainsi que celles à deux plans de frappe opposés ; un nucléus Levallois montre que ce mode de débitage n’était pas totalement abandonné. Les lamelles à dos atteignent 61 % avec prédominance des dos arqués, un certain équilibre entre les dos rectilignes, les dos partiels et les formes gibbeuses. Les coches et denticulés, 5,8 %, sont faits sur lamelle ou petit éclat ; les coches prédominent et sont généralement peu échancrées. Les grattoirs comportent divers types mais sont volontiers denticulés. Il n’y fut trouvé qu’un seul microlithe géométrique, un triangle, malgré une présence plus importante de microburins, ce qui, un temps, fit problème. Aucun gros matériel n’a été signalé. Columnata Gisement de la région de Tiaret, Columnata est un site de plein air situé au pied d’une falaise gréseuse dominant la vallée du Tiguiguest, un des nombreux sous-affluents du Chélif. Il a été classé monument historique en 1952 (arrêté du 18 Novembre). Il montre une belle stratigraphie où, sur une surface de 30 x 1 .- Cf détail en Annexes p. 385. 2 .- M. Antoine en faisait le gisement-type d’un Ibéromaurusien supérieur, l’horizon inférieur ayant pour gisement princeps, celui d’El Khenzira. Il distinguait ces horizons par la présence de microburin dans le seul horizon supérieur.
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Sahara préhistorique 25 m et une épaisseur de 2 m se succèdaient latéralement ou en superposition plus ou moins partielle, des occupations ibéromaurusiennes, columnatiennes, capsiennes et néolithiques. P. Cadenat qui le découvrit, fouilla le site entre 1937 et 1962. La campagne 1956-57 mit au jour une importante nécropole. C. Brahimi reprit les fouilles en 1969 dans le dépôt ibéromaurusien sans confirmer les conclusions de P. Cadenat qui voyait deux faciès, l’un fruste, l’autre évolué. L’industrie recueillie alors a montré les mêmes traits et la même structure sur toute l’épaisseur. En 2016 et 2017, l’une de nous (YCS) reprenait la fouille. Le niveau ibéromaurusien argileux-sableux et argileux est truffé de pierres, fragments de grès de dimensions variables, 20 à 4 cm, sans agencement particulier, bien que des Unio aient été nombreux dans un secteur. La répartition des documents, homogène latéralement et verticalement, moins dense à la base des dépôt, a permis à C. Brahimi de voir une occupation faible ou discontinue précédant une occupation durable et d’interpréter les zones fouillées comme des zones de rejet et de passage. Le matériel archéologique comporte des nucléus le plus souvent à un seul plan de frappe ; quand ils portent deux plans, ceux-ci sont plutôt opposés. L. Sari reconnait l’emploi d’un débitage au percuteur tendre minéral avec un talon plus épais qu’à Taza ou Tamar Hat. La moitié de l’outillage1 consiste en lamelles à dos. Elles sont dominées par les formes arquées ; les fragments sont nombreux et la retouche Ouchtata fréquente. D’un point de vue technologique, les dos sont obtenus par retouche directe pour plus de la moitié, le tiers environ l’est par retouche bibord. Les dos senestres prédominent. Les tranchants sont repris par retouche directe marginale le plus souvent. Les grattoirs ont un front épais, à peu près vertical. Ils sont volontiers sur éclat cortical. Un certain nombre est fait sur un éclat d’avivage fendu, ce qui produit un méplat épais, vertical sur l’un des bords et une face supérieure concave par suite des négatifs d’enlèvements. Le groupe des pièces à coches et denticulés est riche en éclats, les retouches continues sont courantes. Une vingtaine de pièces émoussées, d’aspect divers, présente sur le tranchant des stries perpendiculaires au fil, qui suppose une action de raclage. Le matériel osseux, souvent fragmenté, consiste en poinçons, alênes et épingles, outils mousses. Ces pièces portent des traces d’utilisation et, pour certaines, un émoussé ; elles peuvent être esquillées, encochées, polies. L’œuf d’autruche est fréquent, mais n’est jamais gravé. Sur le plan faunique, à la suite de P. Cadenat qui publia une liste établie par F. Doumergue, l’étude du matériel entreposé au CNRPAH et au musée A.Zabana d’Oran a permis à l’une de nous (YCS) de mettre en avant les taxons suivants : Equus melkiensis, E.algericus, Pelorovis (Syncerus) antiquus, Bos primigenius, Alcelaphus buselaphus, Damaliscus sp., Oryx dammah, Hippotragus sp., Kobus kob, Gazella cuvieri et Ammotragus lervia. Bien que rare, le caballin E. algericus, reconnu dans le Pléistocène supérieur, est cité pour la première fois dans l’Epipaléolithique. Ammotragus lervia se caractérise par une forte variabilité de taille alors que la présence du cobe d’eau est en faveur d’un biotope humide. De l’Ibéromaurusien au Néolithique, se verra une raréfaction des espèces avec perte des genres Kobus et Damaliscus. 1 .- Cf détail en Annexes p. 387.
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les industries à lames et lamelles du Paléolithique supérieur Le gros calibre du matériel osseux rapporte une faune de gros à moyens vertébrés témoignant d’un biotope montagneux et de plaine ouverte. S. Merzoug accorde à l’antilope bubale Alcelaphus buselaphus l’apport carné principal, les autres taxons n’intervenant que complémentairement. Les âges à l’abattage ont permis de situer l’occupation essentiellement en fin d’été-début d’automne. Des espèces aquatiques sont représentées par Unio, des barbeaux et des crabes. De la centaine de restes humains composés d’hommes, de femmes et d’enfants, retirée de tous les niveaux archéologiques, une dizaine a été attribuée à l’Ibéromaurusien, le nombre le plus élevé venant du niveau de transition. Certaines sépultures étaient marquées d’aménagements particuliers comparables à ceux qui ont été trouvés dans les sites ibéromaurusiens de Taforalt et Afalou bou Rhummel ou dans le site qadien de Tushka. Les fouilles récentes ont mis au jour deux nouvelles sépultures. Ces dernières (un adulte et un enfant) posées en décubitus dorsal dans des fosses individuelles et accompagnées de mobilier funéraire. L’état de conservation défectueux de l’adulte rappelle celui de la majorité des squelettes écrasés par une chute importante de blocs ayant entraîné sans doute, l’abandon des lieux. Avec la découverte de témoins matériels en contre-haut du site préhistorique, il a été possible de considérer plusieurs paliers d’occupation. Ces paliers, nés de l’érosion du Djebel Boughedou, s’atténuant du Nord au Sud, représentent de véritables couloirs migratoires et sont actuellement utilisés dans la transhumance. Courbet-marine Le site de Courbet-marine est l’un des multiples gisements découverts par le géologue A. Aymé au cours de ses travaux dans la région d’Alger en vue d’en dresser la carte géologique. Situé sur l’actuelle plage de Zemmouri-marine, le matériel lithique affleurait sur une quarantaine de mètres carrés lors de sa découverte. Les fouilles pratiquées par C. Brahimi portèrent sur un volume de 4 m3 et livrèrent près de 10000 objets. Elles montrèrent un niveau archéologique de 40 à 50 cm d’épaisseur, noir, sableux, renfermant un outillage abondant à distribution homogène. Il reposait sur des gravillons jaune clair passant à gris vers leur sommet par imprégnation cendreuse et qui contenaient de rares pièces. Au-dessus, un sable plus compact renfermait un outillage plus ou moins éolisé, souvent recouvert d’une pellicule calcaire, puis le sable devenait meuble et l’industrie plus fortement éolisée. C. Brahimi y voit un fond de cabane ovale d’environ 5 x 3 m, creusé sur une cinquantaine de centimètres pour atteindre le niveau de gravillons. A partir de la structure industrielle, le même auteur a proposé de situer l’occupation au 10ème millénaire. Le matériel archéologique se réduit à l’industrie lithique1, quelques menus esquilles osseuses non identifiables, quelques fragments d’oligiste et d’ocre rouge. L’industrie lithique a été façonnée dans un silex brun foncé, rarement dans un silex plus clair, ou en quartzite pour quelques gros éclats. Les nucléus sont petits et pour la plupart ont servi à la production de lamelles. L’essentiel est à un plan de frappe, mais il en existe à deux plans de frappe opposés ou perpendiculaires. L’indice de débitage est élevé Id = 77, de transformation bas It = 14. 1 .- Cf détail en Annexes p. 384.
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Sahara préhistorique L’industrie lithique est pauvre en grattoirs qui sont toujours des pièces soigneusement façonnées. Les perçoirs, burins sont exceptionnels et de petite taille comme l’ensemble de l’outillage. Les lamelles, en nombre écrasant, sont en majorité des pièces à dos arqué, à dos partiel ou à retouche Ouchtata ; les lamelles Ouchtata sont courantes. Les fragments abondent, il s’agit toujours de cassures anciennes et ces pièces sont de moins en moins fréquentes en montant dans la stratigraphie, même si l’ensemble lithique est très homogène. Un type de lamelle paraît assez caractéristique du site : il s’agit de pièces dont la longueur voisine 5 cm et dont la retouche, longuement développée, entame la partie proximale, rapprochant cette forme d’un segment. Souvent le tranchant de telles pièces présente une retouche basilaire alors que d’une façon générale, les retouches de la base ont été peu recherchées. Les dos partiels montrent, eux, un net délaissement des dos distaux sénestres (5 % au lieu de 16 à 26 % pour les proximaux sénestres et dextres), l’auteur pense à la recherche d’une réduction de la base. Les microlithes géométriques, les microburins sont très rares. Les pièces esquillées privilégient les enlèvements courts affectant préférentiellement la face inférieure. S’ajoutent à cet outillage deux galets aménagés, une molette réemployée en percuteur, un fragment de meule, des galets qui ont pu être utilisés comme enclume et un curieux objet plat en schiste, en forme de croissant, avec quelques enlèvements sur le bord convexe et des stries longitudinales sur une face. A la base du dépôt, une pointe pédonculée a posé la question de son ramassage par la population ibéromaurusienne ou de l’installation accidentelle des hommes sur une pièce erratique. Dar es Soltane 2 Les travaux menés par A. Debénath et ses collaborateurs au sud de Rabat, à Dar es Soltane 2, ont permis d’identifier formellement une occupation ibéromaurusienne dans le dépôt sus-jacent à la dalle d’effondrement qui recouvre le niveau atérien. Cette identification conforte les vues que L. Balout avait de Dar es Soltane 1. Alors qu’A. Ruhlmann avait conclu à l’absence d’Ibéromaurusien dans l’imposante stratigraphie qu’il avait dégagée, que M. Antoine rapportait à cette période le niveau stérile entre le niveau atérien C2 et le niveau remanié C1, celui-ci, voyait une industrie ibéromaurusienne dans une partie de l’industrie de C1. Dès lors les hommes mechtoïdes retirés par A. Ruhlmann sous les éboulis, ne posent plus problème et doivent être rattachés à ceux qui y furent découverts par A. Debénath. Un autre intérêt de ces travaux est la mise au jour dans le niveau ibéromaurusien de diverses structures dont une fosse empierrée et un agencement fait de 28 petites dalles de grès subhorizontales, placées en couches successives, calées par de petites pierres, qui est comparable à celui découvert dans le niveau atérien. Au-dessus de la dalle et recouverte de blocs, une jeune femme gisait en décubitus latéral gauche forcé, bras gauche le long du corps, droit replié, main sous la joue. Elle a été datée de 16500 ± 250 B.P. (UQ1558) (18230-17450 av. J.-C.).
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les industries à lames et lamelles du Paléolithique supérieur Djidjelli Ouest Actuellement gisement de surface placé dans une crique rocheuse quelques kilomètres à l’ouest de la ville, il comportait encore en 1954 une couche cendreuse qui avait disparu lors des travaux de L. Ramendo en 1965. Celle-ci y recueillit un ensemble lithique riche en lamelles à dos, de nombreux fragments de galène, un petit bloc d’ocre jaune à surface raclée. La matière première employée est d’une grande diversité avec un débitage de lamelles dans des quartzites et l’emploi de roches très colorées originaires des massifs voisins. Les nucléus, très petits, ne dépassent pas 5 cm ; il est probable qu’à l’origine, il s’agissait de petits galets. L’outillage1 est constitué à 53 % par des lamelles à dos parmi lesquelles figurent de nombreuses pièces à retouche Ouchtata. Il y a d’assez nombreux grattoirs de types diversifiés, des pièces esquillées. Les pièces à coches ou denticulées sont courantes, près de 15 %, avec prédominance d’éclats. Les microlithes géométriques ne sont représentés que par quelques segments ; les microburins sont un peu plus nombreux. L. Ramendo rapproche cet ensemble industriel de celui des Oueds Kerma, tout en soulignant la diversité des ensembles industriels ibéromaurusiens. El Hamel Le site d’El Hamel, 14 km au sud-ouest de Bou Saada, dans les jardins de l’agglomération de ce nom, découvert et étudié par J. Tixier, montre outre l’extension méridionale de l’Ibéromaurusien, une stratigraphie des plus importantes. La fouille a livré à la base du dépôt, un niveau ibéromaurusien (couche E) ; il est surmonté par une couche dite intermédiaire (couche C), puis par un niveau néolithique (couche A). Une lentille incluse dans une formation sableuse, 1,50 m au-dessous du niveau ibéromaurusien (couche K), renfermait quelques silex, des lamelles dont une à dos, une à coche, un grattoir, deux nucléus l’un pyramidal, l’autre bipolaire, quelques éclats, présentant tous une patine blanchâtre et un lustre qui ne s’observent pas sur les autres pièces du gisement. Le niveau ibéromaurusien (couche E) a été daté de 9540 ± 120 B.P. (91308740 av. J.-C.)2. Il comportait de nombreuses taches d’ocre, quelques pierres de foyer et des charbons. L’industrie lithique3, faite de pièces de petite dimension, est dominée par le groupe des lamelles à dos qui sont de facture médiocre. Les coches-denticulés sont faiblement représentés, accompagnés de grattoirs et de quelques burins douteux. Les microlithes géométriques, les microburins sont à peine représentés, mais on note un nombre sensible de microburins Krukowski qui, sauf un, sont de pointe. L’os était abondant, très fragmenté et très altéré, ce qui n’a pas permis d’identification, hormis un poinçon fruste. Aucun fragment d’œuf d’autruche n’y figurait. La phase intermédiaire (couche C) est également rapportée à l’Ibéromaurusien. Elle a été vue à l’origine comme faciès régional d’un terme de passage Ibéromaurusien-Néolithique. L’outillage osseux se limite à des poinçons. L’outillage lithique offre un microlithisme plus accentué que dans la couche E et 1 .- Cf détail en Annexes p. 386. 2 .- La datation faite plus de 10 ans après des récoltes qui ne pouvaient prévoir cette utilisation, doit être prise avec précaution. 3 .- Cf détail en Annexes p. 384.
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Sahara préhistorique une facture plus soignée avec une régression des lamelles à dos ainsi que celle, légère, de la plupart des groupes d’outils, une forte augmentation des microburins, l’apparition de triangles et trapèzes la compensent. Parmi les lamelles à dos figure une petite lamelle étroite, à pointe très aiguë et dos légèrement arqué. Les retouches basales sont plus rares que dans la couche inférieure, mais il n’y a pas de retouche distale. Les coches sont peu nettes. La fréquence des microburins est ici liée à la fabrication des dos arqués ainsi que le prouve une lamelle qui a pu être rattachée à son microburin ; cette technique, également utilisée en Libye à Marble Arch, en Egypte dans le Site E84-2, souligne des différences technologiques avec le Capsien. El Haouita-terrasse Reconnu par P. Estorges sur le versant sud de l’Atlas saharien, il pourrait être l’un des sites ibéromaurusiens les plus méridionaux. Le niveau archéologique, épais de 20 à 60 cm, coiffé d’une dalle gréseuse, est inclus à 40 cm du sommet d’un remblaiement sableux qui empâte la cluse d’El Haouita. Il est matérialisé par des pierres taillées peu denses et des plages de minuscules charbons. Il a livré un seul menu fragment d’œuf d’autruche, aucun reste osseux. Interprété d’abord comme un « horizon », il fut ensuite attribué à des haltes successives, une reprise des fouilles ayant mis en évidence la modalité d’occupation de l’espace : du matériel lithique était regroupé en lentilles indépendantes autour de cuvettes creusées dans le sable, les menus restes charbonneux que contenaient celles-ci, montraient leur utilisation en foyer. Le débitage n’a produit que des objets de faible dimension. Les nucléus, petits, laissent difficilement percevoir deux directions privilégiées, opposées, d’enlèvements. L’industrie1 a un indice de transformation élevé (It = 38). Elle comporte une majorité de lamelles à dos avec un éventail de formes vaste, une prédominance des pièces arquées, sans que ce groupe atteigne l’importance qu’on lui connaît généralement dans l’Ibéromaurusien. Ce sont des pièces à extrémité jamais acérée, à section épaisse. Le dos résulte généralement d’une retouche sur enclume. Les bords abattus partiels présentent une forte proportion (les trois quarts) de retouches proximales dextres. Un rôle secondaire est dévolu aux coches et denticulés, un rôle accessoire aux éclats et lames à dosainsi qu’aux grattoirs. Les retouches continues sont fréquentes. Les microlithes géométriques sont quasi-inexistants, les microburins peu courants, toujours petits, indifféremment distaux ou proximaux et portent une coche plutôt dextre. Contrairement aux lamelles à dos, les quelques pièces à troncature sont minces. Les grattoirs sont courts, souvent façonnés sur des fonds ou des flancs de nucléus ou sur des éclats corticaux. La date de 8220 ± 820 B.P. (Alg 28) (8340-6400 av. J.-C.) a été jugée irrecevable par les auteurs, P. Estorges et al. La position du gisement implique en effet qu’il ait été édifié lors d’une phase aride qui a mis en place le dépôt sableux dont le sommet a été gréséifié. Une humidité locale, liée à une source aurait joué comme piège à sable. Puis les pluies sont devenues assez efficaces pour tailler un versant aux dépens des sables et du crêt turonien qui le domine car à quelques 1 .- Cf détail en Annexes p. 389.
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les industries à lames et lamelles du Paléolithique supérieur mètres du gisement ibéromaurusien, un gisement épipaléolithique attribué au Capsien est incorporé à la couverture de ce versant. Compte-tenu de la latitude, l’ensemble de ces éléments concorde parfaitement avec une occupation vers la fin de l’aride qui, ici, traduit Würm IV. Le versant aurait été modelé à l’Holocène inférieur avant une nouvelle occupation des lieux. El Harhoura Une occupation ibéromaurusienne surmonte l’Atérien dans les deux grottes d’El Harhoura. Il s’agit d’un niveau sépulcral à Harhoura 1 d’où a été retirée une quinzaine d’individus. Le niveau ibéromaurusien d’El Harhoura 2, d’une épaisseur de 70 cm, est jaunâtre et comporte de gros blocs d’effondrement. Un individu de sexe masculin, portant les traces d’une fracture consolidée, avait été enseveli parmi les blocs, un espace libre ayant servi de fosse. Le matériel lithique montre la forte suprématie des lamelles à dos, plus du tiers, alors que seulement 12 % du débitage est lamellaire, que les nucleus à lames ou lamelles sont rares. Sur les 62 pièces qui constituent le sac à outils, on ne note par ailleurs que peu d’outils du Paléolithique supérieur et quelques racloirs. Une faune importante, en grande partie accumulée par un carnivore, indique un milieu de savane sèche. El Khenzira Les grottes d’El Khenzira dans la région d’El Jedida, ont été découvertes et étudiées par A. Ruhlmann puis J. Roche ; elles renfermaient l’une et l’autre, au-dessus du niveau atérien, une occupation ibéromaurusienne d’une épaisseur de 1,25 m dans l’une, 0,75 m dans l’autre. Dans les deux grottes, l’outillage récolté, 836 et 371 pièces retouchées, témoigne d’une forte prédominance de lamelles à dos 91,3 et 87,6 %. Les grattoirs interviennent en position secondaire avec seulement 4,9 et 6,7 %, puis les microlithes géométriques 3,2 et 2,2 % qui comportent exclusivement des segments. Aucun microburin n’est mentionné. El Khenzira I a également livré quelques perçoirs 0,4 %, quelques pièces à coches 0,2 %. El Khenzira II dispose de 0,3 % de perçoirs, 1,9 % de pièces à coches, son éventail est un peu plus vaste avec 0,3 % de burins, 1,1 % d’éclats et lames à dos. Dans les deux dépôts, la faune est banale pour l’époque avec diverses gazelles et antilopes, Dicerorhinus hemitœchus, Bos primigenius, Equus mauritanicus, Sus scrofa, Hystrix cristata, Canis anthus. El Onçor En rive droite de l’oued Bou Saada, non loin d’Es Sayar, le gisement affleure au sommet d’un remblaiement sableux coiffé, en ce point, d’une croûte calcaire. Les fouilles menées par A. Heddouche montrent qu’il se prolonge sous celle-ci. Il a été daté de 10040 ± 190 B.P. (Gif 4433) (10060-9 390 av. J.-C.). La couche archéologique, épaisse de 45 cm, renferme une industrie lithique mêlée à quelques fragments d’os, une grande quantité d’œuf d’autruche, des pierres brûlées dont certaines, groupées en cuvettes, se sont avérées des foyers de 50 cm de diamètre. Du matériel de broyage se limite à un fragment de meule. Les nucléus privilégient légèrement les formes à un plan de frappe, puis à plans
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Sahara préhistorique de frappe opposés. La masse des outils1 est faite de lamelles à dos arqué, la retouche Ouchtata est rare. Bien que de types variés, les grattoirs sont plutôt simples sur éclat ou éclat retouché. Les coches-denticulés comportent une forte majorité d’éclats denticulés. L’œuf d’autruche ne présente aucun décor. Er Recheda es Souda Sur une presqu’île, à l’est du cap Serrat (Tunisie), la station occupe une surface étroite, limitée par des blocs de grès placés au bord d’abrupts descendant à la mer. Des galets et des pièces atériennes taillées sur place, un matériel lamellaire nombreux reposent sur un sol rouge couvert de sables dunaires. Le matériel lamellaire sort de ce sol. Il est de petites dimensions avec des lamelles à dos abondantes, 72,6 %, de fréquentes pièces esquillées, 17 %, dont certaines sont en grès. Les pièces à coches et denticulés sont peu nombreux, 3,5 %. Les grattoirs, les burins, les microlithes géométriques, segments ou triangles, en nombre semblable, n’atteignent guère que 2 % ; avec 1,6 %, la fréquence des microburins est comparable. Les lamelles à dos privilégient les formes arquées et les dos partiels. Ces derniers constituent plus de la moitié du groupe avec une préférence très marquée pour les retouches proximales qui en affectent 92 %. Le débitage provient essentiellement de petits nucléus à plans de frappe opposés. D’après E.G. Gobert, ces nucléus auraient volontiers été réemployés pour un « rabotage ». Es Sayar Le site apparaît à 1 m de la surface, en rive droite de l’oued Bou Saada, dans du remblaiement sableux qui l’empâte. La couche archéologique, d’une épaisseur de 25 cm, est exclusivement constituée de matériel lithique et de quelques fragments d’œuf d’autruche ; elle est datée de 13100 ± 250 B.P. (Gif 4349) (14570-13480 av. J.-C.). La fouille de A. Amara a montré un outillage2 dominé par les lamelles à dos, riche en microburins. Ils peuvent être liés à la fabrication des dos arqués qui constituent la masse des lamelles. Les lamelles à dos sont parfois retouchées à la base. Des pointes de La Mouillah sont courantes, et si l’on a trouvé quelques lamelles obtuses, il y avait aussi deux pointes d’Aïn Keda, une lamelle scalène, un triangle à côté concave, types traditionnellement attribués au Capsien. La retouche Ouchtata est utilisée modérément. Les coches sont essentiellement faites sur des lamelles. Grotte Roland Identifié dès 1902 dans le massif du Chenoua, le remplissage de la grotte Roland a connu divers remaniements et fait l’objet de nombreuses fouilles. Cependant, c’est à C. Brahimi que l’on doit une connaissance précise des industries qui s’y trouvaient. En 1967-68, il fouilla un lambeau résiduel à l’intérieur de la grotte et fit un sondage sur la plate-forme extérieure où H. Marchand avait retrouvé un niveau en place. Ces fouilles livrèrent une industrie où les lamelles à dos atteignent 69 %, les pièces esquillées sont relativement courantes (près de 5 %). La faune, abondante, avec Bos primigenius, Bos ibericus, Alcelaphus buse1 .- Cf détail en Annexes p. 386. 2 .- Cf détail en Annexes p. 389.
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les industries à lames et lamelles du Paléolithique supérieur laphus, diverses gazelles, G. dorcas, G. cuvieri, G. atlantica, Lepus kabylicus, Sus scrofa, Equus mauritanicus, Equus asinus africanus, Cervus..., était très riche en Ammotragus lervia. Antérieurement F.E. Roubet avait mis au jour une vertèbre d’alcélaphe « atteinte par une lamelle en silex demeurée contre l’os » et un foyer d’ostéite montrait que l’animal avait survécu. La faune malacologique était, elle aussi, abondante, diversifiée, mais pauvre en faune marine. Hattab 2 Egalement située dans la région de Tétouan, la grotte de Hattab 2 a été identifiée en 2001, en 2002, des fouilles ont été menées en trois points couvrant 11 m2. Elles ont permis à A. Bouzouggar d’identifier 9 couches renfermant une industrie faite sur chaille et silex, riche en lamelles à dos, plutôt arqué. Les lamelles viennent d’un débitage de nucleus à un ou deux plans de frappe opposés. La date de 8900 ± 1100 (13 345K0311) (9450-6640 av. J.-C.) a été obtenue par thermoluminescence pour le niveau 8 que la palynologie rapporte à un milieu de chênaies. Confortée par une autre mesure comparable, cette date fait valoir la longue durée de l’Ibéromaurusien dans la région. En couche 8 se trouvait une sépulture en décubitus latéral gauche, membres inférieurs repliés, membres supérieurs étendus, les divers sondages mettant au jour les restes très partiels de trois autres individus. La sépulture renfermait les restes d’un homme âgé de 25 à 30 ans qui présentait l’avulsion des incisives supérieures, un mobilier comportant deux pointes de sagaie, une corne de Gazella rufina, un Murex, un nucleus à lamelles et deux fragments d’os l’accompagnaient. La présence de cheville osseuse qui s’observe dans plusieurs sites, pourrait être une norme funéraire apparue au cours de l’Ibéromaurusien. Ifri el Baroud Large de 12 m, profonde de 23 m, la grotte d’Ifri el Baroud domine la plaine de Guerouaou. Découverte en 1994, les fouilles menées en 1995 et 1996, par la mission maroco-allemande conduite par A. Mikdad et J. Eiwanger, ont été développées en quatre points, contre les deux parois. Elles ont montré un remplissage de quelque 3 m d’épaisseur où se succèdent de haut en bas : - sédiment terreux, brunâtre de 50 à 60 cm d’épaisseur, renfermant une industrie ibéromaurusienne. Dans le fond de l’abri, le niveau est brun-rouge et renferme une industrie épipaléolithique et néolithique. - couche brune, cendreuse, ibéromaurusienne, riche en particules charbonneuses, à lits de coquilles de Gastéropodes1, entières et/ou brisées, épaisse de 1,20 à 1,30 m datée de 12574 ± 65 et 11895 ± 64 B.P. (12990-12630 et 1206011780 av. J.-C.), elle a livré quelque 6000 objets, des foyers et une sépulture. - sédiment argileux jaune-rouge, reposant sur le substratum, à industrie lithique peu dense qui a livré moins de 400 pièces lithiques, disposant de grandes lames retouchées ; épais de 0,70 m, il est daté de 16777 ± 83 à 13359 ± 72 B.P. (18050-17640 à 14160-13870 av. J.-C.). Malgré un débitage essentiellement d’éclats, le sac à outils2 des niveaux bruns est dominé par les lamelles à dos 62,5 %, viennent en positions secondaires 1 .- L’absence de coquilles à l’entrée est supposée liée à un lessivage. 2 .- Cf le détail par points de fouille en Annexes p. 388.
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Sahara préhistorique les coches-denticulés 10,1 % et les divers 10,5 % constitués essentiellement de pièces à retouches continues 7,4 %. Les autres groupes d’outils n’atteignent pas 4 % hormis les éclats et lames à bord abattu 5,7 %. Les lamelles n’excèdent quasiment pas 2,4 cm de long et livrent un éventail large de types, tout en accordant la préférence aux formes arquées 20 %, les formes rectilignes n’atteignant que 13,4 %. Les dos partiels sont peu nombreux, les pointes de La Mouillah rares, elles manquent dans les niveaux inférieurs, ce qui va de pair avec une quasi absence de microburin, une seule pointe de Mechta el-Arbi, atypique, figure. La retouche Ouchtata a été utilisée sur 5 % des lamelles. Le fond de l’abri a livré un ensemble industriel quelque peu différent avec une forte majorité de grattoirs 22,2 %, les lamelles à dos toujours dominées par les formes arquées n’atteignant que 26 %, supplantées par les pièces à cochess et denticulés 28,6 %. Les nucleus sont à dominante uni- et bipolaires, mais des nucléus polyédriques, discoïdes et un Levallois qui appartiennent indubitablement à l’Ibéromaurusien, sont aussi présents. Les talons sont pour 40 % lisses à large surface, 20 % punctiformes. Ce niveau était riche en restes osseux, comportait des éléments de parure sous forme de coquilles diverses perforées, une cheville osseuse de gazelle, dont l’extrémité porte des traces de calcination, a été entièrement polie puis décorée de quatre groupes de fines incisions parallèles circulaires, motif identique, en nombre différent, à celui trouvé dans le niveau atérien d’Ifri n’Ammar. Les niveaux rouges ont livré peu de matériel, on note néanmoins la forte suprématie des lamelles 51 % parmi lesquelles les bords abattus partiels prennent le pas, une pointe d’Ain Keda, un aiguillon droit et deux lamelles scalènes, la présence d’éclats et lames à dos 15,1 %, de racloirs, 7,1%, lesquels abondaient au fond de l’abri. Leur facture et leurs dimensions évoquent les industries atériennes. Cette similitude, l’identité des motifs décoratifs suggèrent une continuité Atérien-Ibéromaurusien dans cette région. La quasitotalité de l’industrie est taillée dans un silex gris passant à noir et marron foncé qui se trouve sous forme de rognons dans les collines d’Aïn Zohra éloignées d’une vingtaine de kilomètres, brun clair venant de galets de l’oued Moulouya soit de 36 km et transportés après épannelage sommaire. La taille et le façonnage des outils s’effectuaient dans la grotte comme l’indique la présence de nucleus parfois épuisés, de débris, de percuteurs et de retouchoirs. Vers la paroi occidentale, des foyers, l’abondance des restes osseux, la cheville osseuse décorée joints à la pauvreté du matériel lithique, impliquent des aires consacrées à des activités différentes. Ifri n’Ammar L’ensemble supérieur du remplissage d’Ifri n’Mammar est une escargotière pouvant atteindre 2,5 m d’épaisseur. Elle repose sur la formation atérienne, le passage se fait tantôt par l’intermédiaire d’un niveau de remaniement renfermant des pointes atériennes et des pièces foliacées, tantôt par un passage franc. Tout se passe comme si l’occupation ibéromaurusienne avait nettoyé la surface par endroits y engendrant une brusque différence de matrice et produisant un mélange ailleurs. Au-dessus vient un niveau néolithique perturbé, scellé par une couche de fumier. A l’extérieur, l’industrie ibéromaurusienne constitue l’essentiel d’un large cône qui s’étale devant l’abri. Les fouilles menées dans l’abri
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les industries à lames et lamelles du Paléolithique supérieur par enlèvements de 10 cm ont montré une matrice cendreuse gris-brun, riche en charbons, pierraille et coquilles de Gastéropodes et une distribution non homogène du matériel archéologique. Les lamelles et lames étaient particulièrement denses à la base, puis la densité de matériel diminuait, au sommet les microlithes géométriques s’affirmaient. Parallèlement, les auteurs ont noté une diminution de la taille des lames à partir de 15000 B.P. (16300 av. J.-C.). La partie supérieure des dépôts ibéromaurusiens était perforée par cinq fosses d’inhumation dont quatre renfermant des restes d’enfants, la cinquième d’un homme adulte. Volonté délibérée ou hasard ? Au-dessus de cette tombe, la paroi présente les traces d’une peinture à l’ocre rouge, trop altérée pour être lisible, dont certains traits nets éliminent néanmoins la possibilité d’une simple tache ; il pourrait s’agir d’une représentation humaine. Elle était oblitérée par des dépôts anthropiques datés du 13ème au 10ème millénaires. Les fouilleurs ont montré qu’en recherchant une position normale pour réaliser cette peinture, un homme de taille moyenne se trouverait au niveau 12500 av. J.-C. Au sein de ce niveau, ils ont trouvé plusieurs fragments d’ocre et un broyeur maculé. A proximité de la peinture se trouvait une fosse renfermant deux nucleus Levallois et dix nucléus testés portant des traces de galène, qui se singularisent par leurs dimensions, plus importantes que celles des nucleus retrouvés dans les couches. Le matériel est taillé dans des galets venant de l’oued Kert et de la Moulouya, chailles pour 95 %, calcédoine 3 % auxquels s’ajoutent quelques éléments en calcaire, quartz et grès. Essentiellement lamellaire, il traduit une forte prédominance du débitage bipolaire et une fragmentation importante des pièces, 30 à 40 %. L’outillage est fortement dominé par les lamelles à dos, 67,8 %, les groupes secondaires sont faiblement représentés avec 8,4 % pour le type pièces à retouche continue. Les racloirs, microburins, grattoirs ont des valeurs semblables 4,5 % pour les premiers, 4,3 % pour les grattoirs. Les microlithes géométriques atteignent 3,4 %, presqu’exclusivement sous forme de segments, les troncatures 1,8 %. Les pièces à coches et denticulés sont peu présents 2,2 %. Il y a des pièces esquillées 1,9 %, quelques burins 0,6 % et quelques outils composites 0,6 %. Des retouchoirs et une riche industrie osseuse, essentiellement constituée de poinçons, accompagnent ce matériel lithique. Des coquilles marines, columbelle, pétoncle, cardium perforés près du crochet, turritelle et autres fossiles ont été transformés en pendeloques. Divers ossements ont été décorés, le motif est volontiers un groupe de fines incisions parallèles circulaires, on en trouve sur des ossements légèrement polis, dont un poinçon. Les tests d’œuf d’autruche abondent. La faune comporte des restes de mouflons, antilopes, équidés. L’occupation est datée entre 15000 B.P. (16300 av. J.-C.) pour le niveau inférieur, et 11653 ± 427 B.P. (1208011220 av. J.-C.) pour le niveau supérieur. Kef el Hammar Dans la région de Tétouan, la grotte de Kef el Hammar a été reconnue en 1988, une fouille menée en 1992 par M.A. El Hajraoui et J. Onrubia-Pintado a été reprise en 2001 par A. Bouzouggar. Cette dernière a dégagé couches datées entre 21920 ± 110 (OxA-11872) et 13345 ± 50 (OxA-11926) (20030-19810 et 11395-11295 av. J.-C.) qui renferment une industrie lamellaire. Faite en majorité de lamelles à dos, elle comporte des grattoirs, pièces à cochess, pièces
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Sahara préhistorique esquillées quelques microburins. La couche la plus ancienne datée de 23400 ± 1200 (22600-20200 av. J.-C.), très peu fournie, est délicate à diagnostiquer, elle pourrait être une phase faisant passage à l’Ibéromaurusien. La faune, marquée par l’abondance d’Ammotragus lervia, ne comporte par ailleurs que des reptiles, amphibiens, oiseaux. La palynologie fait état d’un milieu de pinèdes et chênaies qui existent actuellement en altitude. Kef oum Touiza Kef oum Touiza est un gisement de plein air de 50 m de diamètre, d’une épaisseur de plus de 1 m, placé sur une croupe dominant de quelques mètres la vallée de l’oued el Krenga. Trouvé par des forestiers, il fit l’objet des travaux de P. Rodary et J. Morel en 1938. La découverte d’un squelette de type Mechta el Arbi lui donne un intérêt particulier. Le débitage a été fait dans un matériau de médiocre qualité, un silex provenant des grès numidiens. Les nucléus montrent des aspects divers : pyramidaux ou polyédriques pour l’essentiel, certains sont bipolaires, à plans de frappe opposés ou perpendiculaires, plus rarement ce sont des nucléus discoïdes. L’industrie où prédominent les lamelles à dos, comporte de nombreux grattoirs parmi lesquels se notent des rabots et des micrograttoirs (pièces mesurant de 14 à 27 mm). Les lamelles à dos sont arquées ou droites, les éclats sont, comme à Aïne Khiar, des pièces triangulaires dénommées pointes. Les pièces à retouche continue sont fréquentes, les racloirs mieux représentés qu’à l’ordinaire dans les industries ibéromaurusiennes. Il n’est fait mention d’aucune pièce à coches, seules figurent des pièces denticulées. Les quelques microlithes géométriques sont tous des triangles1. L’outillage comprend en outre 44 pierres de jet de la taille d’une noix à une noisette, façonnées par épannelage se recoupant à angles vifs, 1 fragment de molette, 2 percuteurs. Quelques pièces de plus grande dimension, de forme triangulaire, parfois en grès, procèdent de technique Levallois. On retrouve ainsi la même association de techniques qu’à Aïne Khiar. Kifan bel Ghomari Grotte d’une dizaine de mètres de profondeur, elle s’ouvre dans les falaises sur lesquelles est bâtie la vieille ville de Taza. Fouillée au début du siècle par J. Campardou, elle a montré une occupation ibéromaurusienne d’une cinquantaine de centimètres d’épaisseur reposant sur un niveau sablonneux rougeâtre, épais d’un mètre et renfermant une industrie rapportée au Moustérien. Une collection de 158 outils analysée par J. Roche comporte près de 70 % de lamelles à dos, aiguës dans leur grande majorité, dont près de 10 % affectées d’une retouche partielle, plus volontiers distale. Les pièces à coches, deux fois plus fréquentes que les denticulés, constituent avec ceux-ci un groupe qui vient en seconde position avec seulement 15 %. Les pièces à retouche continue forment un autre groupe secondaire avec 11 %. Seuls quelques burins et troncatures complètent l’industrie. Il n’y a ni microlithe géométrique, ni microburin, ni grattoir, ni perçoir. La faune, identifiée par F. Doumergue, pose quelques problèmes, entre autre par la 1 .- Deux armatures foliacées paraissent d’un apport plus récent.
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les industries à lames et lamelles du Paléolithique supérieur présence de Camelus sp et Ovis aries ; d’après R. Vaufrey, ils pourraient être d’introduction récente. On y trouve par ailleurs Bos primigenius et Bos ibericus fréquents l’un et l’autre, Alcelaphus buselaphus très fréquent, Ceratotherium simum, Equus mauritanicus, Sus algeriensis, Ovis tragelaphus, Oryx leucoryx, Gazella dorcas, Gazella cuvieri, Canis anthus, Vulpes atlantica, Hyæna, Felis, Herpestes, Lepus ainsi que, d’après C. Arambourg, Ursus spelæus. La Mouillah Gisement princeps de l’Ibéromaurusien, les abris sous roche de La Mouillah près de Maghnia, ont été identifiés par P. Pallary en 1899. Les fouilles de A. Barbin en 1907 et 1910, ont montré un habitat installé hors des abris, à l’appui de la falaise. Les abri eux-mêmes, pauvres en vestiges, devaient servir de refuge et ont été utilisés comme cimetière, une quinzaine d’individus dont la moitié d’enfants en ont été retirés, tous orientés ouest-est. Un traitement du cadavre a été noté sur plusieurs individus, décollation de la tête, désarticulation des membres, stries de découpe sur une phalange et un calcaneum. L’industrie, incluse dans une couche de 1,80 à 2 m d’épaisseur, est riche en lamelles à dos courbe, entières ou brisées1. La retouche reste souvent partielle. Parfois la pointe est dégagée par retouche concave en un perçoir. Il y a quelques coches ou denticulés, quelques grattoirs, de rares perçoirs et troncatures. Les formes géométriques sont rares, ce sont des segments ou « pointes scalènes », il n’y a ni triangle, ni trapèze ; les microburins sont quasi-inexistants. Les nucléus sont peu nombreux. Les fouilles ont également livré des pièces en quartzite, quelques molettes et broyeurs, ces derniers enduits d’ocre, un disque de pierre, des fossiles. L’industrie osseuse comporte des poinçons, épingles, ciseaux, une aiguille à chas, objet qui n’est connu par ailleurs que dans le Néolithique, et un andouiller de cerf qui a été utilisé. Outre des matières colorantes, ocre, oligiste, courantes dans les gisements ibéromaurusiens, divers objets de parure ont été mis au jour, une pendeloque en pierre, une rondelle d’enfilage en test d’œuf d’autruche, différentes coquilles perforées Pectunculus, Cardium, Purpura hæmastoma, Cyprea. Les rejets de nourriture comprenaient du rhinocéros, du cerf, des antilopes, de l’autruche, en abondance Equus mauritanicus. Ouchtata Situé dans les dunes du littoral nord de Tunisie, non loin de la gare d’Ouchtata, le gisement repose sur une dune ancienne. Le matériel apparaît dans des cuvettes creusées par la déflation aux dépens des dunes récentes qui le recouvrent. C. Gottis a montré que les dunes anciennes plongeaient sous la mer et avaient été recouvertes par un sol forestier dont subsistent quelques lambeaux. L’industrie recueillie2 comporte une forte majorité de lamelles à dos de types très variés, quelques microlithes géométriques -parmi lesquels de rares trapèzes et un rectangle-, microburins, coches ou denticulés, grattoirs. Elle utilise fréquemment un mode particulier de retouche des lamelles qui fut identifié par E.G. Gobert et R. Vaufrey et auquel ils donnèrent le nom du site. 1 .- Cf structure de l’industrie Annexes p. 384. 2 .- Id.
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Sahara préhistorique Oueds Kerma Le gisement de plein air des oueds Kerma1, au sud d’Alger, fut découvert par A. Aymé et fouillé avec l’aide de L. Balout en 1942. Il tire son importance de sa position stratigraphique antérieure au creusement du lit actuel qui, un temps, fut un des rares moyens d’attribuer un âge à l’Ibéromaurusien2. Il a montré une industrie3 riche en lamelles à dos arqué, en lamelles à retouche Ouchtata. Les pièces à coches et denticulés sont sommaires sauf un éclat denticulé aux coches retouchées profondément. Les microlithes géométriques sont rares de même que les microburins. Les pièces esquillées préfèrent les esquillements courts plutôt portés par la face inférieure. Des restes de faune ont montré une grande banalité avec Equus mauritanicus, Alcelaphus buselaphus (Boselaphus saldensis, Boselaphus probubalis), Connochoetes, Addax nasomaculatus, Gazella dorcas. On doit y noter deux Bovidés qui furent identifiés comme Bos primigenius (opisthonomus) et Bos ibericus. Il y aurait un cervidé et peut-être du rhinocéros. Les coquillages sont absents. Oued Yquem Sur les falaises qui se développent entre Rabat et Casablanca, à l’embouchure de l’oued Ykem, du matériel préhistorique gît dans les incisions des limons rouges soltaniens, associé par endroit à des foyers et des coquilles brûlées de moules et de pourpre. C. Collina-Girard a récolté un ensemble lithique de 2993 pièces dont 195 outils4 et 82 nucleus. Ce matériel repose sur un niveau induré qui a livré quelques pièces appartenant à l’Atérien (présence d’une pointe pédonculée et d’une pointe marocaine). Le silex est le matériau le plus courant, quartz, quartzite, dolérite et autres roches provenant de galets de l’oued ont parfois été employés dans le façonnage d’éclats. Le débitage a produit plus des trois quarts d’éclats dont seulement 7 % a été transformé en outils. Les lamelles à dos, quoique dominantes ne représentent que 40 % de l’outillage avec prédominance des dos arqués, leur taux de fragmentation est un des plus élevés, il rejoint El Hamel et Aïn Arbal. Les divers, 34,8 % sont riches de plus de 10 % de pièces esquillées. Avec 14,9 %, les coches-denticulés constituent un groupe secondaire étoffé qui renforce l’appartenance à un faciès évolué. Les autres groupes d’outils n’atteignent pas 5 %. A cet ensemble se joignent 12 galets aménagés (5 choppers, 6 chopping tools et 1 pic en quartzite, silex ou roche volcanique), 1 fragment de dentale et 2 fragments de test d’œuf d’autruche. Cette structure industrielle est attribuée à une phase récente de l’Ibéromaurusien, comparable à celles de Témara et Bouskoura. Rachgoun Le site, éventré par la route Beni Saf-Tlemcen, est riche en pierrailles et coquilles diverses avec nette prédominance des moules. Une fouille de sauvetage y fut menée par G. Camps et H. Camps-Fabrer, puis M. Gast. En 2018, les 1 .- Il ne faut pas le confondre avec celui de la grotte d’oued Kerma, dite aussi de Draria, où se trouvait une industrie pauvre, rapportée avec prudence au Néolithique. 2 .- Cf ci-dessus p. 273. 3 .- Cf détail en Annexes p. 385. 4 .- Cf détail en Annexes p. 388.
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les industries à lames et lamelles du Paléolithique supérieur travaux étaient repris sous la direction de M. Betrouni. Le site connu antérieurement, Rachgoun 1, ayant été détruit par les travaux d’élargissement de la route, c’est dans son prolongement, une entaille à flanc de coteau, dit Rachgoun 2, que les études sont menées. Elles ont permis de dégager la coupe suivante : terre végétale 20 cm, croûte calcaire 5 cm, formation cendreuse riche en coquilles 35 cm, passant progressivement à des sables 50 cm, croûte coiffant des grès à hélicidés consolidés, traversés par des croûtes calcaires. L’industrie venant de Rachgoun 1 a un aspect fruste qui peut être lié à l’emploi de basalte. A côté de l’outillage microlithique dont l’ensemble n’atteint pas 50 pièces réparties en grattoirs, perçoirs, pièces à coches, retouches continues et lamelles à dos, un matériel volumineux a été recueilli. Il consiste en galets aménagés, rabots, vastes éclats à retouches continues, pièces denticulées qui constituent une grande partie du sac à outils auxquels s’ajoutent de nombreuses molettes. Une « pointe », racloir convergent, figurée dans la publication, a été façonnée sur éclat Levallois. Les lamelles à dos, toujours de petite dimension (inférieure à 3 cm) sont plutôt du type dos arqué. Les restes humains de six individus ont été retirés, les deux dont la position a été identifiée, reposaient sur le dos, membres inférieurs repliés à la verticale. Des quatre suffisamment bien conservés, trois sont rapportés au type Mechta el Arbi, un au type protoméditerranéen. Les hommes qui vécurent là, paraissent s’être nourri surtout de coquillages marins. Outre des moules (Mytilus galloprovincialis), n’ont été retrouvés que des patelles (Patella caerulea et Patella tarentina), trochochlées (Trochochlea), des spicules d’oursins, des balanes et divers gastéropodes terrestres (Helix galena, Helix Dupoteti et Rumina decollata) ; aucun reste n’atteste la consommation de poissons et un seul os, provenant de gazelle, celle de nourriture carnée. Rassel Située sur le flanc ouest du Chenoua, non loin de la grotte Roland, la grotte fut découverte en 1958 par M. Rassel au cours de l’exploitation de carrières. L’effondrement de la voûte est responsable des nombreux blocs qui oblitèrent les dépôts archéologiques. Fouillée d’abord par le CRAPE qui en fit une école de fouilles, les travaux étaient terminés en 1966 par C. Brahimi. Ils ont montré une couche archéologiquement homogène, reste d’un probable habitat, qui a été subdivisée en deux niveaux artificiels en raison d’une disposition en escalier imposée à la fouille par le contexte, chaque « marche » ayant une épaisseur de l’ordre de 1 m. Le matériel se ramène essentiellement à de l’industrie lithique1 bien qu’il ait été trouvé quelques pièces osseuses, dont des restes humains, et divers coquillages. Pour un volume d’environ 3 m3, le niveau inférieur a livré 1701 outils essentiellement produits sur silex à l’aide d’un percuteur dur ou tendre. Les indices de débitage et de transformation furent définis à propos de ces travaux (Id = 82,5, It = 20). La plupart des nucléus est épuisée ; les formes à un plan de frappe prédominent, suivies par celles à plans de frappe opposés, puis à deux plans de frappe perpendiculaires. Les grattoirs sont souvent aménagés sur des entames de nucléus et ont un front très abrupt ; la face inférieure peut porter des esquilles au niveau du front. Les lamelles à dos qui forment la masse du matériel, sans préférence pour 1 .- Cf détail en Annexes p. 386.
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Sahara préhistorique les dos droits ou arqués, offrent une grande variété avec suprématie des dos partiels qui, dans les trois quarts des cas, sont proximaux dextres alors que les autres lamelles privilégient les dos senestres. Les lamelles à base tronquée dont la longueur voisine 3 cm, sont remarquables par la rectitude de leur dos, leur finesse ; elles tranchent sur le reste du groupe. Les pièces à coches et denticulés sont peu homogènes et parmi elles figure un denticulé dont le pourtour est ocré. Les troncatures, les microlithes géométriques sont rares mais la technique du microburin atteint une valeur sensible, peut-être en relation avec les pointes de La Mouillah. Les microburins sont plutôt des pièces proximales très petites, qui mesurent entre 1,8 et 0,5 cm, dont la coche est aménagée sur le bord droit. Les pièces esquillées sont peu nombreuses, sans forme privilégiée. A cet outillage taillé s’ajoutent deux retouchoirs polis portant des stries peu profondes, un fragment de polissoir, deux galets et divers coquillages perforés (pétoncles, dentales, turritelle, cerithe, Amycla, Pecten) ayant servi d’objets de parure. Un grand pétoncle a pu être utilisé comme coupelle à fard, le fragment retrouvé portant de l’ocre sur la partie intérieure de la valve et la partie subsistante du plateau. Des colorants, ocre rouge, jaune, galène existent en faible quantité ainsi que trois fragments de tests d’œuf d’autruche. Quelques outils sont ocrés. L’outillage osseux est représenté par six poinçons dont le plus long atteint 9 cm, deux alênes et divers fragments. Ce niveau est daté de 14270 ± 600 B.P. (Alg) (16200-14610 av. J.-C.). La densité du niveau supérieur est est bien plus faible que celle du niveau inférieur. Pour un volume identique, il n’a livré que 307 outils essentiellement des lamelles à dos avec des formes rectilignes prenant le pas sur les dos arqués et les dos partiels. Les pointes de La Mouillah manquent, les microburins peu présents. Le groupe des coches plus conséquent que dans le niveau inférieur, ne renferme que des pièces sommaires. L’ensemble lithique est de facture négligée. Le gros outillage récolté consiste en deux galets aménagés, un retouchoir. L’industrie osseuse se limite à deux poinçons et la parure à un dentale poli. Les restes malacologiques sont variés : nombreux Trochus et Cardium edule, des pourpres, pétoncles, turritelles. La faune mammalienne comporte Bos primigenius, Equus mauritanicus, Ammotragus lervia, Gazella dorcas, Sus scrofa. Ce niveau renfermait divers tessons de céramique modelée1 ou tournée, dont 4 pouvant se rapporter au Néolithique et quelques morceaux de verre qui soulignent une contamination. Quelques fragments humains dont une mandibule avec avulsion des quatre incisives, trait vu souvent comme néolithique, proviennent de ce niveau. Ils sont en mauvais état du fait des travaux de la carrière. L’analyse anthracologique a identifié Olea, Fraxinus et Cedrus atlantica. Taforalt La grotte des Pigeons à Taforalt est un des sites ibéromaurusiens les plus importants. Le dépôt de plusieurs mètres d’épaisseur qu’elle renferme, est divisé en trois niveaux par des lits de pierres pouvant être calcinées, quasiment stériles archéologiquement. Les dépôts supérieurs, cendreux, sont rapportés à l’Ibéromaurusien et datés entre 21900 ± 400 (Gif 2587) et 10800 ± 400 B.P. (SA13) (11130-10080 av. J.-C.) sur charbons, sans que le plus ancien ait pu 1 .- Cette présence de céramique modelée avait, un temps, fait attribuer ce niveau au Néolithique.
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les industries à lames et lamelles du Paléolithique supérieur l’être lui-même. A sa base, un niveau de pierres le sépare du niveau atérien argilo-sableux de ton jaunâtre, qui, lui-même, surmonte un niveau moustérien. Le sommet des niveaux atériens est daté de 32370 + 2470 -1890 B.P. (Gif 2276) sur helix. L’occupation ibéromaurusienne s’est faite dans un milieu comportant Pinus halepensis, Juniperus cf oxycedrus, Quercus ilex, Olea europea. La faune mise au jour, abondante, renferme de l’ours, du cerf Megaceroïdes algericus et des mollusques terrestres qui foisonnent. L’industrie lithique1 fortement dominée par les lamelles à dos, voit leur proportion augmenter de la base (76,2 %) au sommet (90 %), sa valeur la plus fréquente se plaçant autour de 80-85 %. Les grattoirs sont ensuite les outils les plus courants malgré une diminution de fréquence dans le niveau supérieur. Puis viennent les coches et denticulés. Les autres outils ne sont guère usités ou même manquent. Les microlithes géométriques sont plus nombreux dans le niveau supérieur où apparaissent des trapèzes tandis que les microburins et piquants trièdres régressent. Un outillage en calcaire avec galets aménagés, denticulés, racloirs devient de plus en plus fréquent et varié. L’outillage osseux est assez abondant, composé surtout de poinçons et d’alènes dont le nombre augmente dans les niveaux supérieurs. En l’absence de restes de poissons, la pêche est attestée par un fragment de harpon. La parure est modeste : pendeloques en pierre, coquilles perforées, colorants. L’œuf d’autruche, courant, n’est jamais décoré. Il y a des meules et des molettes dont une portant des traces d’ocre. Deux pierres couvertes de traits enchevêtrés ont été retrouvées, l’une par A. Ruhlmann qui y voit des cornes (elle a été, depuis, interprétée comme mouflon ou anthropomorphe), l’autre par J. Roche qui identifie deux éléphants. La partie nord-ouest du niveau supérieur était occupée par une nécropole importante ; D. Ferembach décompte 80 adultes et une centaine d’enfants provenant de 28 sépultures, L. Aoudia-Chouakri ramène le nombre d’adultes à 36 et pense le nombre d’enfants surévalué. Il s’agit pour la plupart d’inhumations primaires plus ou moins remaniées par les mises en terre suivantes, rarement d’inhumations secondaires. Les inhumations primaires étaient en décubitus dorsal ou latéral forcé. Des massacres de mouflons recouvraient l’individu A placé sous une dalle et trois massacres disposés en étoile recouvraient une sépulture multiple d’enfants. Plusieurs individus ont été l’objet d’un traitement aboutissant à un surmodelage de la tête, la découpe de divers ossements, le recouvrement d’os infra-crâniens par une matière colorée. Sur deux individus, J. Dastugue a identifié une trépanation ; ce serait les plus anciens actes chirurgicaux connus. Tamar Hat Creusé dans les calcaires dolomitiques de la corniche jijelienne, deux kilomètres à l’est de l’oued Agrioun, l’abri sous roche de Tamar Hat, profond d’une dizaine de mètres, à peu près aussi haut, s’ouvre vers la mer en dominant d’une quinzaine de mètres l’étroite plaine côtière du Melbou. Les fouilles de C. Arambourg, en 1928-30, ont permis de reconnaître un dépôt anthropique, cendreux, atteignant 5 m d’épaisseur dans l’abri, qui a été divisé en 5 niveaux. Comme à Afalou bou Rhummel, il repose sur des argiles rouges archéologiquement stériles, mais renfermant quelques restes de vertébrés dont l’éléphant et l’ours. 1 .- Cf détail en Annexes p. 385.
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Sahara préhistorique Un sondage fut entrepris par C. Brahimi en 1967 et la fouille reprise en 1973 par E.C. Saxon. Cette dernière s’inscrivait dans l’angle que formaient les fouilles Arambourg et Brahimi, vers l’entrée, et atteignait 4 m de profondeur. Elle permit de distinguer 6 niveaux qui ne montrent que de faibles variations de l’un à l’autre ; toutefois, on doit noter l’abondance des pièces retouchées dans le niveau inférieur 18 %, l’augmentation du nombre des lamelles à dos dans les niveaux médians où elles atteignent plus de 80 % puis leur réduction au voisinage de 70 %, l’augmentation de la fréquence des microburins qui ne sont courants qu’au sommet avec 8 % et sans relation avec celle des microlithes géométriques, toujours rares. La fréquence des grattoirs est essentiellement variable. Des données comparables se retrouvent dans la fouille Brahimi mise en relation avec la partie supérieure de la fouille Saxon ; les lamelles y sont encore moins nombreuses, les microburins nettement plus, les autres outils entrant dans la fourchette des variations notée par ailleurs. Ces niveaux ont été datés entre 20600 ± 500 (Mc 822) et 16100 ± 360 B.P. (Mc 817) ; les dates obtenues par C. Brahimi pour des niveaux supérieurs 12450 ± 480 (IEN67/30) et 10350 ± 375 B.P. (IEN67/31) (13720-12080 et 106209520 av. J.-C.), même si elles sont conformes à la stratigraphie, rapportent une sédimentation différente, faible, pour des durées d’occupation comparables. Traduisent-elles un déplacement latéral de l’occupation ? un mode d’occupation différent ?1. En proposant une occupation hivernale, les travaux menés par S. Merzoug sur la base de l’âge des produits de chasse introduisent la notion d’occupation saisonnière. Le débitage était fait sur place ainsi que le révèle la présence des nucléus et des esquilles. Il utilisait de préférence deux qualités de silex, noir ou gris sombre, présent dans les environs et un percuteur dur puis plutôt tendre pour le détachement des lamelles. Il se faisait sur une seule face du galet, après décalottage oblique, l’autre restant corticale. Les nucléus, de petite taille, donnent des lamelles courtes. Les lamelles à dos partiel proximal dextre prédominent au sein des outils2, montrant qu’il s’agit bien d’un geste technique visant à réduire la largeur de leur base. Sur les pièces à dos rectiligne ou courbe, ce sont les dos senestres qui prédominent. Les tranchants des lamelles à dos sont souvent ébréchés ce qui contraste avec les observations faites par le même auteur dans l’Algérois. Les piquants trièdres ont parfois été finement retouchés, ne laissant subsister qu’une arête qui prolonge la partie supérieure du bord abattu. Les grattoirs sont variés, les pièces à coches médiocres sauf quelques exceptions. A. Close a identifié un type d’outil que L. Sari qualifie de bec et nomme bec de Tamar Hat. Il proviendrait préférentiellement des pourtours de foyers. L’analyse fonctionnelle conduit L Sari à y voir un outil emmanché ayant été utilisé pour rainurer et/ou racler des matières dures animales (os ou bois en raison de leur association à des restes de Cervidés). Deux boules percées qui figurent dans les récoltes Arambourg, sont vues comme de possibles bâtons à fouir. Elément remarquable, un fragment de poterie provenant d’une corne de figurine supposée représenter un capridé, a été retrouvée par les fouilles de 1973, entre les niveaux datés de 20600 ± 500 et 19800 ± 500 B.P. (23365-21995 et 22370-21070 av. J.-C.). 1 .- Il paraît plus difficile d’y voir des différences d’étalonnage des laboratoires. 2 .- Cf détail en Annexes p. 386.
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les industries à lames et lamelles du Paléolithique supérieur La faune est composée de quelques restes de poissons et d’oiseaux dont du sterne et de l’aigle, mais surtout d’Ongulés, Macacus, Sus scrofa, Megaceroïdes algericus, Bos primigenius, Pelorovis antiquus, Alcelaphus buselaphus, Hippotragus equinus, Gazella dorcas. Ammotragus lervia est particulièrement abondant. Les fouilles Arambourg avaient en outre mis au jour Dicerorhinus hemitoechus (Rhinoceros mercki), Equus sp., Bos ibericus, hyène, genette. Les coquilles de mollusques marins sont courantes ainsi que celles d’Helix. Les travaux de E.C. Saxon, n’ont identifié Monodonta turbinata qu’en cours d’occupation après 19000 B.P. (20900 av. J.-C.). Les charbons étudiés par, M. Couvert comportaient Pinus nigra laricio dont on ne connaît actuellement qu’une station de quelques centaines d’arbres dans le Djurdjura entre 1500-1700 m, et de l’arbousier. La zone fouillée en 1973 s’est montrée riche en graines de Chenopodium hybridium et à un degré moindre de Sambucus. Des comparaisons avec les niveaux contemporains, Taforalt VI et Rassel inférieur ont fait apparaître diverses analogies. Mais alors qu’à Taforalt, entre les niveaux VI et II, existent de notables changements, C. Brahimi en note fort peu dans le secteur qu’il a fouillé à Tamar Hat. Il n’y aurait donc peut-être pas eu même évolution dans ces deux sites1. Les différences sont encore plus singulières avec les industries du gisement voisin d’Afalou bou Rhummel où une occupation contemporaine a également été identifiée. Taza Découverte lors des travaux de construction de la route de la Corniche qui relie Bejaia à Jijel, et partiellement détruite par ceux-ci, la grotte de la Madeleine renommée Taza I, fut d’abord étudiée par C. Arambourg en 1926. C. Brahimi y fit un sondage en 1970. Entre 1983 et 1993, elle servit de chantier école à l’Institut d’Archéologie d’Alger. Ces dernières fouilles ont permis d’analyser 22,5 m3 de dépôts et d’identifier trois niveaux. Le niveau inférieur, épais de 0,5 m, renferme un matériel de type Paléolithique moyen. Il est daté > 39000. Il est surmonté d’un cailloutis sur lequel repose le niveau ibéromaurusien subdivisé en deux couches datées l’une de 16100 ± 140 B.P. (Gif6800) (17550-17020 av. J.-C.) à la base, l’autre de 13800 ± 130 B.P. (Gif6799) (15260-14790 av. J.-C.) au sommet des dépôts. Le gisement a livré une tête humaine isolée qui a fait l’objet d’une reconstitution par Elisabeth Daynes. Elle appartient à un sujet féminin et a le plus petit volume connu dans la population mechta el Arbi. L’industrie2 façonnée sur silex et quartzite est dominée par les lamelles retouchées 39 % suivie par les coches-denticulés 33 %, il y a quelques burins 2 %, de rares perçoirs, troncatures, microlithes géométriques. Une différence entre les résultats Brahimi et ceux de l’Institut d’Archéologie avec des microburins atteignant 11,1 % dans les uns, en nombre insignifiant dans les autres, laisse soupçonner des regroupements d’objets similaires ou des postes de travail spécialisés. Le matériel osseux a livré des restes de mouflon, auroch, gazelle, sanglier, magot, megacerin..., au total 15 taxons, dont plusieurs portent des traces d’interventions humaines, qui sont largement dominés par le mouflon 90 %. Comme à Tamar 1 .- L’exiguïté des fouilles devant, ainsi que le précise C. Brahimi, rendre prudent vis à vis d’une telle conclusion. 2 .- Cf p. 388.
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Sahara préhistorique Hat, cette espèce se singularise par la présence de la totalité du squelette, ce qui n’est le cas d’aucune autre sauf le magot dans un des niveaux. S. Merzoug y voit une occupation hivernale. Témara La grotte des Contrebandiers (=El Mnasra I) à Témara, en partie éboulée, comporte un niveau ibéromaurusien encombré d’éboulis, d’une trentaine de centimètres d’épaisseur qui repose sur le niveau atérien. Les hommes ibéromaurusiens se sont installés dans un diverticule, occupant une centaine de mètres carrés en retrait de l’entrée, dans une partie suffisamment éclairée. Cette occupation est datée de 14460 ± 200 (Gif 2579) et 12500 ± 170 B.P. (Gif 2577) (15980-15350 et 13240-12400 av. J.-C.). Les Ibéromaurusiens, tout comme les Atériens qui les ont précédés, ont taillé des galets de plage ou d’oueds, souvent du quartz blanc. La plupart des nucléus présente un plan de frappe ou deux plans opposés. L’industrie1 ne comporte guère plus de 50 % de lamelles à dos. Les lamelles à dos aiguës peuvent être de petites dimensions, de l’ordre de 2,5 cm ; les bases sont volontiers retouchées. J. Roche note deux lamelles à base rétrécie à l’aide de deux crans. Les grattoirs sont relativement fréquents pour une industrie ibéromaurusienne et de types variés. De nombreux éclats lamellaires présentent une retouche continue. Il n’y a pas de microlithe géométrique. Un gros outillage en quartzite comporte deux grattoirs et deux galets aménagés. Aucun outillage osseux n’a été retrouvé.
Les modes de vie au Paléolithique final Le froid et la sécheresse qui ont sévi de façon irrégulière de 20000 jusqu’à 10000 semblent avoir entraîné un abaissement des étages de végétation sans altération marquée de l’environnement dans les régions septentrionales2. L’Ibéromaurusien s’est développé dans un paysage proche de l’actuel avec pin d’Alep, genévrier, cyprès, thuya, chêne kermès, lentisque, olivier, arbousier, aulne, frêne... Néanmoins, des charbons de pin laricio Pinus nigra recueillis à Tamar Hat et un peuplement de cèdre, Cedrus atlantica, identifié au Chenoua près de Tipaza, auprès d’Olea et Fraxinus, indiquent un abaissement des étages de végétation pouvant atteindre 900 m, actuellement l’un se localisant au-dessus de 1500 m, l’autre de 1400 m. En Cyrénaïque, des charbons de Cupressus sempervirens, Juniperus phœnicea, probablement Pistacia lentisca, Phillyrea, Olea europea ainsi qu’un palmier, ont été identifiés à Hagfet ed Dabba durant le Dabbéen. Tel n’est pas le cas en régions sahariennes où l’extension septentrionale des remblaiements type El Haouita jusqu’à l’Atlas saharien traduit la pauvreté de la végétation et l’importance des vents. Dans le Sahara oriental, les bouleversements sont spectaculaires avec le Nil qui creuse son chenal actuel, sans lien avec les dépressions voisines transformées en oasis. De tels changements ont préfiguré le paysage saharien d’aujourd’hui et n’ont pu rester sans incidence sur la vie des populations. 1 .- Cf détail en Annexes p. 387. 2 .- Rappelons que l’Europe connaît un grand froid, dit Tardiglaciaire, vers 13000-12000 B.P. (14000-12000 av. J.-C.) (Dryas Ib) et surtout 10800-9800 B.P. (10815-9300 av. J.-C.) (Dryas IIb).
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les industries à lames et lamelles du Paléolithique supérieur On a longtemps supposé que le Sahara avait été totalement vidé d’hommes par l’aridité qui a suivi le développement de l’Atérien. La mise en évidence non plus d’une aridité constante mais d’oscillations, a quelque peu tempéré ce postulat que les comparaisons ethnographiques ébranlaient. Une période aride ne prive pas entièrement d’eau la zone saharienne pendant des milliers, ni des centaines ou même plusieurs dizaines d’années ; en réduisant le nombre et l’intensité des précipitations, elle entraîne un morcellement du paysage par dégradations différentielles, ce qui réserve des secteurs privilégiés. Les travertins du Fezzan, avec des dates de 19400 +5400/-5200 (TH94), 15600 ± 1200 (GA-2), 14300 ± 400 (TH 128) (18280-15500, 16010-15120 av. J.-C.) en témoignent, de même la permanence d’une présence humaine dans certains secteurs de la Tadrart où M. Tauveron a identifié des modalités d’accès à l’eau qui font valoir de sévères difficultés d’approvisionnement. De multiples auges, parfois profondes, qui peuvent être reliées par des canaux et constituer un véritable réseau, sont creusées dans la roche immédiatement en contrebas de joints sédimentaires, lits argileux qui s’insèrent dans les grès. Elles s’avèrent d’ingénieux artifices pour recueillir des suintements de la roche, ces réseaux étant en mesure de retenir 300 litres en moyenne, certains plus de 500 litres. Ces planchers sont souvent brisés et la position des fragments a permis de proposer l’aride de la fin du Pléistocène, comme âge le plus probable à attribuer aux auges ; les causes de la fracturation des planchers n’a pas encore été formellement identifiée.
La population Les restes humains retrouvés, en particulier ceux venant de l’Ibéromaurusien où, en 1969, M.C. Chamla décomptait plus de 500 individus -la nécropole de Taforalt en ayant fourni quelque 200 à elle seule-, traduisent une nappe humaine de type Mechta-Afalou1 se déployant sur tout le Nord de l’Afrique. Elle dispose d’une capacité crânienne de l’ordre de 1615 cc chez les hommes, 1425 cc chez les femmes. Homogène, elle ne varie guère que par une face plus haute, un prognathisme plus accentué chez la population de Nubie. Des affinités certaines avec les Hommes cromagnoïdes européens sont notées par tous les auteurs. Exceptionnellement, des restes qui ne présentent pas de traits mechtoïdes ont été mis au jour, c’est le cas à Rachgoun où fut trouvé un individu de type méditerranéen. Est-il isolé ? Etait-il étranger, alors d’où venait-il ? Serait-il un individu évolutif ? Les questions sont posées. Le passage de l’Atérien à l’Ibéromaurusien a longtemps été entendu comme lié à l’arrivée d’une nouvelle population, en raison du hiatus supposé entre les deux cultures. A l’inverse, les données actuelles tendent à traduire une continuité. Ce passage ne se fait pas partout de la même manière et n’est pas synchrone sur l’ensemble du territoire ibéromaurusien. Il est cerné à Ifri el Baroud par la présence de nucléus discoïdes, de lames qui, dans les plus anciens niveaux ibéromaurusiens, traduisent la conservation de comportements anciens. A Sidi Saïd, il passe par une phase de diminution des modules et un changement de matériaux, dans laquelle on peut voir les conséquences de l’aridité créée par Würm IV, l’altération du milieu ayant conduit à un changement 1 .- Cf p. 50.
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Sahara préhistorique du comportement humain. Des expressions différentes traduiraient des groupes relativement isolés, ce qui rejoindrait la position de M.C. Chamla mentionnant une évolution indépendante de petits groupes d’hommes ibéromaurusiens à partir d’un type originel commun. La génétique tente aujourd’hui d’apporter sa contribution. Une étude des populations de Taforalt et Afalou portant sur 23 individus, en rapportant une continuité génétique, propose une origine locale ; elle pourrait être tempérée par de nouveaux travaux menés sur sept individus de Taforalt qui soulignent une parenté avec les Natoufiens et proposent une origine commune, nord-africaine ou proche-orientale1. L’espérance de vie des Ibéromaurusiens a été estimée entre 20 et 40 ans et la mortalité infantile élevée. A El Harhoura 2 a été retrouvé un individu qui présente un amincissement des pariétaux, anomalie génétique qui affecte la population du pourtour méditerranéen, dont ce pourrait être la plus ancienne manifestation. L’existence de soins médicaux et chirurgicaux est attestée par deux trépanations reconnues par J. Dastugue à Taforalt, qui sont des plus anciennes que l’on connaisse à ce jour. Une profonde solidarité se lit chez des infirmes entourés de soins. A Taforalt, une femme a eu la clavicule et les deux avant-bras brisés ; l’aspect des cals des avant-bras fait penser qu’elle resta paralysée complètement du membre supérieur gauche et partiellement du droit. J. Dastugue a pu écrire à son sujet : “La survie prolongée de cette blessée grave suppose donc non seulement qu’on ne l’a pas supprimée comme bouche inutile mais encore qu’on l’a soignée et assistée pendant longtemps”. A Columnata, la nécropole a livré une femme paralysée des membres inférieurs, bassin brisé, tête du fémur expulsée de la cavité cotyloïde et consolidée dans cette position, ischion fracturé déplacé vers le haut, graves lésions affectant la colonne vertébrale. En indiquant sa survie, la consolidation des blessures fait valoir une totale prise en charge.
L’habitat et la structuration de l’espace Si les conditions climatiques expliquent la recherche des abris sous roche par les populations ibéromaurusiennes, elles n’excluent pas les sites de plein air. Les hommes ibéromaurusiens ont recherché des terrains sableux pour s’installer, si bien que L. Balout a même pu parler d’une loi des sables à leur propos. Ces sites occupent des superficies variables. A Courbet-marine où un fond de cabane a été identifié, l’abondance du matériel, plus de 60000 pièces, et sa densité font valoir une occupation de longue durée, sans interruption sensible et l’aspect de l’occupation suggère une construction légère en roseaux ou branchages. A El Ksar, de petits gisements de quelques mètres carrés qui truffent les sables et n’ont livrés chacun que quelques centaines de pièces rapportent des séjours brefs en un lieu privilégié. De même, le site gemaien 278 regroupait plusieurs petites installations. Les sites 2009, 1026 s’étendaient sur quelque 250 m2, dans 1 .- Les résultats sont par ailleurs peu cohérents, les uns éliminant une origine « sub-soudanaise », les autres reconnaissant une origine « sub-saharienne » dans un tiers de la population.
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les industries à lames et lamelles du Paléolithique supérieur le Site 412, le matériel se concentrait en deux zones de 10 m de diamètre. Des sites spécialisés, véritables ateliers, existent en Egypte. La fréquence des burins dans certains gisements, tout comme la présence de meules près d’escarpements gréseux ont pu être interprétées comme la marque de groupes à activité spécialisée. Des témoins de combustion sont fréquemment conservés, des foyers ont été retrouvés dans de nombreux sites. A El Haouita, des cuvettes creusées dans le sable contenaient de menus charbons et l’outillage gisait en auréole autour d’elles. Des niveaux cendreux conséquents existent dans les sites ibéromaurusiens sous abri et, en leur sein, ils peuvent conserver des foyers. A Taforalt, des foyers s’accompagnaient d’épandages de cendres. A Afalou bou Rhummel, des foyers construits étaient disposés face à l’ouverture de l’abri.
Petit nomadisme ou sédentarité Dans les régions orientales, à partir du 20ème millénaire, des déplacements saisonniers semblent être la réponse aux contraintes climatiques du Paléolithique final. Par leur faible superficie, la faible densité du matériel, des activités qui diffèrent selon l’implantation, nombre de sites traduisent ainsi un petit nomadisme. Dans la vallée du Nil, de multiples réoccupations des mêmes lieux soulignent une occupation saisonnière et la notion de territoire. Les habitats de dunes y seraient plutôt des habitats d’hiver, période de basses eaux qui permet un accès plus facile à des coquillages comme Unio, des poissons tels que Clarias. C’est la période où les oiseaux migrateurs canards, oies, foulques… s’installent, où, les eaux baissant, le gibier se regroupe vers le fleuve. Dans l’Afien, l’écologie des poissons suppose pour les uns comme Makhadma 2, une occupation on d’hiver, en période de basses eaux, pour les autres comme Makhadma 4, une occupation de fin de printemps et d’été, en période de hautes eaux. A Kubbaniya, des graines, des fruits, des tubercules ont permis d’étendre l’occupation de décembre à juillet. En plaine, sur les berges du Nil, la rareté des restes d’oiseaux et du matériel de broyage évoque l’automne. Bien que les analyses archéozoologiques y voient des campements saisonniers plus ou moins longuement renouvelés : occupation hivernale à Tamar Hat et Taza, estivale à Columnata, pour S. Merzoug, l’homme ibéromaurusien était probablement en partie sédentaire. Non seulement l’épaisseur des niveaux sous abri y montre la pérennité d’installations, mais une tendance à la sédentarisation est proposée par la fréquence de la position accroupie. J. Dastugue notait en effet des facettes d’usure anormales sur les os des membres inférieurs des restes humains provenant de Taforalt, qui provenaient de cette posture. De même à Columnata. Cette sédentarité a pu favoriser la forte endogamie identifiée chez les populations ibéromaurusiennes ; elle conforte l’existence de petits groupes qui restaient indépendants les uns des autres.
L’acquisition de la nourriture D’importantes mutations interviennent alors avec de nouvelles stratégies d’acquisition de la nourriture. Bien qu’elles puissent être en relation avec les
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Sahara préhistorique modifications du milieu, elles soulignent surtout de profonds changements technologiques et sociaux. Une consommation carnée de grands mammifères suppose d’habiles chasseurs. Dans presque tous les sites de la vallée du Nil, des ossements de gros animaux sont fréquents ; Bos primigenius, Alcelaphus buselaphus, à un degré moindre Gazella dorcas, sont les plus courants. L’hippopotame paraît plus rare dans le Kubbaniyen et l’Edfouen, peut manquer dans le Sébilien. L’âne sauvage Equus asinus africanus se rencontre dans divers sites, de même Camelus thomasi, Ceratotherium simum, Phacochœrus æthiopicus. Pelorovis est présent dans le Gemaien, il se retrouve à Haua Fteah et Tamar Hat. Dans l’Ibéromaurusien, on a mis au jour des restes d’éléphants, rhinocéros, bovins, antilopes, gazelles, parfois des magots. Megaceroïdes est connu à Taza, Tamar Hat, Kifan bel Ghomari, Taforalt. Des dents d’Equidés sont courantes ; dans les anciennes publications, antérieures aux dernières révisions de ce genre, on les attribue à Equus mauritanicus, mais elles pourraient aussi provenir d’autres espèces. Des petits animaux, lièvres, lapins, porcs-épics, hérissons, loutres, des rongeurs, de petits carnassiers tels que chacal, renard, chat, mangouste... ont également pu être consommés, curieusement leurs restes manquent dans le Sébilien. En tant que reste culinaire, un taxon prédomine souvent dans les sites ibéromaurusiens. Alcelaphus dans les sites de plaine, Ammotragus dans ceux de régions montagneuses où l’un comme l’autre constitue parfois plus de 90 % de la faune. A Tamar Hat, E. Saxon y voit des tentatives de pré-domestication ; il n’est pas suivi par J. Morel pour qui il s’agirait d’une chasse sélective, ni par S. Merzoug. Néanmoins, à l’inverse de ce qui se note pour les autres animaux, la présence de la totalité du squelette (ce qui est aussi le cas pour le magot dans un des niveaux de Taza), implique un comportement différent à leur égard et propose une grande proximité. L’homme se nourrissait aussi de végétaux auxquels il faisait subir diverses transformations. En Egypte, l’abondance des meules sur les sites de dunes1, les résidus conservés à la surface de trois d’entre elles ainsi que de nombreux restes végétaux, en particulier de Cyperus rotundus, plante proche de Cyperus esculentus actuellement cultivée dans certaines régions sahéliennes (Niger, Tchad), supposent une consommation de pulpes. De Kubbaniya proviennent des graines de jonc, de camomille, des fruits de palmier doum, des tubercules de souchet rond et de gros jonc. A Isna, la fréquence des pollens d’orge laisse penser à une consommation de plus en plus courante de cette graminée. Mais à Kubbaniya, celui qui fut trouvé est intrusif ; le plus ancien ne semble dater que du 3ème millénaire. Chez les Ibéromaurusiens, une étude de la pathologie dentaire menée par O. Dutour, fait ressortir des similitudes avec les populations dont l’alimentation comporte une grande part d’hydrates de carbone. Chenopodium hybridium identifié à Tamar Hat, aurait-il pu participer à cette nourriture2 ? Au Paléolithique supérieur, les activités de pêche, la collecte de coquillages occupaient également une large place en bordure méditerranéenne et dans la 1 .- Dans la plaine, les sites ne possédaient aucune meule, ce qui a conduit à les distinguer des sites de dunes. 2 .- Rappelons que le genre Chenopodium renferme de nombreuses espèces alimentaires.
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les industries à lames et lamelles du Paléolithique supérieur vallée du Nil. Les populations ibéromaurusiennes furent considérées, un temps, comme exclusivement des collecteurs de coquillages ; dans les gisements côtiers, les moules, patelles, oursins, balanes, trochochlées... abondent et Rachgoun est un site où les hommes ont surtout vécu de la mer. Unio abyssinicus est fréquent dans de nombreux sites, en particulier dans la vallée du Nil. Dans le Site E71P1, ses coquilles formaient plusieurs tas, véritables amas coquilliers. La plupart des gisements de la vallée du Nil renferme d’abondants restes de poissons, ils paraissent moins courants dans le Sébilien et l’Isnien. Les espèces les plus fréquentes sont les silures Clarias et les perches Tilapia. Les restes de Tilapia abondent à Kubbaniya où ils paraissent liés à la présence de lac. A Makhadma 2, Clarias domine à 99 %. A Makhadma 4, Tilapia constitue 68 % des restes alimentaires, Clarias intervenant pour 30 %. Ces fréquences sont traduites en spécialisation dans la pêche. Dans le site kubbaniyen E81-3, un enfumage du poisson est soupçonné. Il est avéré à Makhadma 4 avec des éléments de suspension retrouvés dans des fosses riches en restes de poissons et en charbons de bois de tamaris, seul bois brûlé sur le site. P.M. Vermeersch y voit une technique pour stocker le poisson. Dans divers autres gisements (E71-K1, E71-K3 près d’Isna), l’abondance des têtes de poissons a fait supposer un étêtage et cette même recherche de conservation par séchage ou fumage. Avec la notion de réserves, ces sites traduisent un changement notable dans la vie quotidienne ; en impliquant de profondes modifications du comportement vis à vis de l’acquisition de nourriture, elle suppose une transformation des structures sociales. L’émergence de nouveaux comportements ? Les techniques de débitage visant à la production de lames ne se sont guère répandues, les populations du Paléolithique supérieur privilégiant très tôt l’utilisation de lamelles. Lames et lamelles proviennent de nucléus uni- ou bipolaires, elles ont été obtenues à l’aide d’un percuteur dur ou tendre, parfois au punch. Aux changements profonds qui se perçoivent dans les ensembles industriels avec ce développement, se joignent des comportements qui soulignent les nouvelles appréhensions cosmiques1 : soin porté aux morts, développement de la parure. Les modes de vie ont-ils changé ? Certains auteurs interprètent la différence sensible entre les surfaces d’occupation comme des moments de regroupement pour les uns, de dispersion pour les autres. Ces regroupements se seraient faits en hiver, moment où les ressources étaient abondantes. Pareil comportement suppose une organisation sociale bien plus complexe que celle de chasseurs-cueilleurs. Divers auteurs lisent aussi cette modification de la société dans le changement des modalités de débitage. La spécialisation de sites témoigne elle aussi d’une nouvelle structuration de la société avec l’amorce d’un artisanat. Cependant, l’élément le plus important est peut-être le stockage, nouveau concept qui souligne une anticipation non plus immédiate comme celle que peut traduire le débitage, mais à plus long terme et passant par des intermédiaires complexes. 1 .- Cf chapitre VII.
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Sahara préhistorique Une coutume des plus spectaculaires chez les populations ibéromaurusiennes, qui se retrouvera plus tard chez les populations capsiennes et chez certains néolithiques des mêmes régions, est l’avulsion dentaire. Elle n’est pas pratiquée en Nubie. Courante dans l’Ibéromaurusien, elle porte sur les incisives supérieures, le plus souvent sur les deux médianes, ne touche pas les incisives inférieures. Les auteurs ne sont pas d’accord sur l’âge auquel cette mutilation aurait été réalisée, vers 14-16 ans pour J.C. Verget-Pratoucy, 8-11 ans pour L.C. Briggs. On tend à voir dans cette pratique un rite de passage, parfois le port d’un labret bien que de tels objets n’aient été retrouvés qu’exceptionnellement. Pourrait-elle aussi être liée à une fonction ? Une forte usure des dents qui se note chez les Ibéromaurusiens, même jeunes, pourrait peut-être provenir d’une activité où le mâchage, comme celui de peaux, jouerait un rôle important. Autre pratique singulière, l’aménagement d’ossements humains, identifiée à Afalou bou Rhummel, se retrouvera et se développera dans le Capsien. Elle va de pair avec des stries de découpe observées sur divers ossements, mandibule, phalange, calcaneum (ou calcaneus en nouvelle nomenclature) à La Mouillah, humerus à Gambetta. Et l’existence de traces de trépanation retrouvées à Taforalt, Gambetta, pourrait marquer les débuts de la chirurgie. La notion de symbolisme que l’on voit poindre chez les populations moustériennes, émerger chez les populations atériennes, se développe. Aux quelques pendentifs qui ont été trouvés, s’ajoutent une profusion de matières colorantes qui évoque des peintures, probablement des peintures corporelles, mais aussi comme le suggère Ifri n’Ammar, des tracés pariétaux. A cela s’adjoignent des figurines en terre cuite qui, avec la question de leur rôle, soulèvent celle de préoccupations qui transcendent les réalités matérielles. D’autres témoins d’une pensée symbolique sont traduits dans les inhumations. Alors que les restes humains des périodes précédentes sont rares, qu’aucune inhumation n’a été formellement identifiée, elles deviennent alors courantes. Si dans la plupart des cas, les ossements sont épars, entremêlés, parfois ils peuvent être rangés, montrant ainsi que leur désordre résulte de positions secondaires, soit que les individus aient été déposés après rupture des connexions anatomiques, soit qu’ils aient été repoussés pour libérer de la place comme à Afalou bou Rhummel. A Taforalt, La Mouillah, Afalou bou Rhummel, d’où de nombreux restes ont été mis au jour, des zones sépulcrales distinctes de l’habitat ont été identifiées. Aucune orientation des corps n’apparaît sauf à La Mouillah où une tendance ouest-est a été mentionnée. Aucune position systématique n’apparaît parmi les dépôts primaires. A Afalou bou Rhummel, un décubitus dorsal allongé, bras le long du corps a été identifié, ce pourrait être la pratique la plus ancienne. Un décubitus dorsal assorti d’une forte flexion des jambes a été pratiqué à Ifri n’Ammar, à Dar es Soltane 2 où le squelette d’une femme vient du niveau daté de 16500 ± 250 B.P. (UQ1558) (18230-17450 av. J.-C.). A Ifri el Baroud, la position accroupie résulte peut-être de l’étroitesse de la fosse. Un décubitus latéral forcé, position qui implique un ligotage pour maintenir le défunt, a été observé à Kef oum Touiza, Afalou bou Rhummel. Un décubitus latéral fléchi est connu à Rachgoun. Au djebel Saha-
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les industries à lames et lamelles du Paléolithique supérieur ba, la cinquantaine d’individus exhumée reposait en décubitus latéral gauche. Un décubitus latéral droit a été noté à El Harhoura 2. A Afalou bou Rhummel, M.C. Chamla note « Un squelette d’enfant placé contre celui d’un adulte, la tête reposant sur l’épaule gauche, la face tournée contre l’omoplate ». L. Aoudia-Chouakri rapporte deux positions originales : décubitus dorsal, un membre inférieur replié verticalement à Rachgoun, jambes pendantes vers le bas à La Mouillah, ce que l’auteur interprète comme venant d’un lit funéraire surélevé. Du mobilier n’a été que rarement retrouvé ; l’inhumation de Dar es Soltane 2 s’accompagnait d’un galet ocré, H28 d’Afalou bou Rhummel d’un amas d’oligiste dans lequel était planté un poinçon. Ce dernier site a livré une inhumation surprenante, un macaque accompagnant le défunt HX.
L’homme de la fin du Paléolithique est sédentaire ou pratique un nomadisme saisonnier de faible amplitude. Il se nourrit des produits de ses chasses, pêches, ramasse des coquillages, cueille des végétaux. Sa chasse accorde un intérêt particulier à l’auroch, l’antilope bubale, en plaine à l’antilope bubale, en zone montagneuse, au mouflon. Sa pensée symbolique se développe. Il enterre ses morts. La notion de « temps » prend forme, l’aménagement d’ossements humains suggérant une plus grande importance accordée au passé, le stockage celle allouée au futur. Notion nouvelle, le stockage, bien attesté dans la vallée du Nil, qui rend l’homme moins dépendant de la nature, indique des changements dans la structure de la société. Pour A. Testart, il s’agit véritablement d’une transformation idéologique et sociale. L’homme compte moins sur autrui. Les inhumations peuvent porter des marques. A Rachgoun, un tas de pierres surmontait une tombe. A Columnata, H25 était placé sous une pierre fusiforme, légèrement déprimée au centre et à proximité d’un « autel ». Au-dessus de H27, une accumulation de pierres était couronnée par un enchevêtrement de cornes de Bos primigenius. Deux agencements semblables existaient à Taforalt où des cornes de mouflons remplaçaient celles de bovins. Aucune règle n’apparaît, tout se passe comme si chaque clan ou famille avait sa, voire ses, pratiques funéraires particulières. Des moments de violence se manifestent de-ci, de-là. A Kubbaniya, site E-82-6, la cavité pelvienne d’un homme mechtoïde âgé de 20 à 25 ans, trouvé dans une tombe peu profonde, renfermait deux lamelles dont une à retouche Ouchtata, qui ont pu causer sa mort 1; l’individu présentait en outre une fracture d’un bras et une blessure partiellement guérie due à un fragment de pierre enfoncé dans l’autre. Dans le Site 117 du djebel Sahaba, 24 individus portaient 1 .- Toutefois on ne peut pas éliminer totalement l’hypothèse d’un déplacement d’objet lors de l’affaissement des sédiments consécutif à la décomposition des chairs.
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Sahara préhistorique des marques de violence, armatures -dont beaucoup sont de simples éclatsfichées dans les os, traces de coupures sur les os des jambes. Les femmes et les enfants constituaient la moitié des morts, ce qui fait dire à F. Wendorf qu’il s’agit de fait exceptionnel sauf à provoquer l’extinction du groupe. A Taforalt, L. Aoudia-Chouakri a récemment montré l’existence de coups contondants sur la tête ayant entraîné la mort de six individus dont deux enfants.
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Chapitre VIII
DES SITES D’ART RUPESTRE ET
LA VIE SPIRITUELLE AU PALÉOlithique Dès le Paléolithique moyen, divers indices traduisent nettement l’importance de la spiritualité. L’art rupestre en est certainement l’expression la plus élaborée et une partie en est aujourd’hui rapportée à des populations paléolithiques. La spiritualité se manifeste aussi par la sculpture, la parure, par les soins apportés aux morts. Elle s’affirme avec plus ou moins de force selon les cultures. Des prémices sont probablement perceptibles dans le Moustérien, à Ifri n’Ammar avec la sélection de petites pierres de divers coloris, à El Guettar dans l’amoncellement que d’aucuns s’accordent à reconnaître comme la manifestation d’une sorte de culte rendu à une source et dont on ne sait s’il procède du Moustérien ou de l’Atérien, dans le Pré-Aurignacien où, à Haua Fteah, un fragment de flûte évoque une activité musicale. Pour certains auteurs, ils seraient peut-être même naissant dans la conception du biface, sa symétrie, son esthétique. Et il paraît difficile de ne pas en lier les frémissements à la possession du feu.
L’art rupestre saharien et sub-saharien, un art de plein air L’art rupestre ancien est un art gravé de plein air qui occupe des positions diverses, se déployant sur des éboulis rocheux, des falaises, exceptionnellement dans des abris sous roche. Certaines figures privilégient les affleurements rocheux, c’est le cas du style Tazina, dans l’Atlas saharien. La disposition des gravures n’apparaît pas quelconque. Certaines surfaces, qui pourtant s’y prêtent bien, en sont dépourvues, à l’inverse, d’autres pourtant moins régulières connaissent une prolifération remarquable. Les images peuvent aussi se concentrer sur une partie de panneau, laissant de vastes espaces libres auprès d’elles. Dans le Tassili n Ahaggar, elles se localisent parfois de part et d’autre de l’entrée d’habitat sous abri. La plupart est actuellement à hauteur d’homme ; les rares qui paraissent haut perchées peuvent être en rapport avec un plancher éboulé ou laissent supposer l’usage d’un échafaudage ou de cordages de rappel et leur position suggère qu’ils devaient être vus de loin. Dans certaines régions et, probablement, à certains moments, leur existence semble étroitement soumise à celle d’anciens points d’eau, comme dans la Tadrart méridionale et au Messak où elles furent fréquemment entretenues aux périodes postérieures sans doute en fonction de la pérennité de ceux-ci.
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La vie spirituelle des hommes préhistoriques et ses expressions Trois problèmes majeurs sont liés à l’art de plein air : la délimitation des sites, l’identification d’ensembles appartenant à une même culture et, bien plus qu’en milieu confiné, la conservation des images. Cette dernière se pose avec plus d’acuité encore pour les peintures dont on observe parfois de simples traces qui évoquent l’existence passée d’une forme. Délimitation des sites Les images couvrent parfois sur des centaines de mètres des surfaces rocheuses naturellement discontinues et qui peuvent être séparées les unes des autres de quelques mètres, d’une dizaine ou davantage. Dès que la distance entre les images ou les groupes d’images atteint quelques mètres, la notion de site peut être posée ; on admet généralement que le site réunit autant de « stations » qu’il y a de groupes de figures. Identification d’unités culturelles Longtemps, on a accordé au trait une valeur absolue, passant ainsi du plus ancien, un profond trait poli, à un trait moins appliqué, moins profond, moins régulier, puis à un simple burinage, voire un piquetage. Souvent vérifié dans l’Atlas, ce postulat connaît néanmoins de nombreuses exceptions. A Zaccar (fig. 63), l’antilope terrassée par un lion est en trait poli, profond pour sa partie antérieure rendue avec beaucoup de réalisme, son trait est piqueté pour la partie postérieure, de même que celui du lion vainqueur dont le tracé est bien plus schématique. On conçoit mal qu’il s’agisse d’une figure non achevée, il est bien plus probable que ce soit un mode d’expression. En donnant au trait une section en U, la représentation pouvait être magnifiée ainsi que l’a souligné R. Vaufrey, ce qui peut engager vers l’idée de soins apportés au dessin de la victime et introduire dans un monde de Chasseurs. D’autres modes d’expression, les sujets, les styles permettent l’approche d’unités culturelles, la technique n’en étant qu’un élément qui pourrait traduire un lien avec la portée symbolique de l’image. L’apport des études technologiques modernes au décodage de la chaîne Fig. 62 - Sites d’art rupestre mentionnés. 1) Oued Zirmei ; 2) Tardatega ; 3) Bardaï, Gonoa, GiraGira, Oudingueur ; 4) Dadafui ; 5) Dao Timmi, Yat ; 6) Domo, Yentas, Kolokoro, Lobezede ; 7) Blaka, Arkana ; 8) Odri Kolokaya ; 9) Aman Semednine, Tidunadj ; 10) Arrikine ; 11) Oued Mathendous (In Habeter, Tilizzaren (=Tel Issaghen), In Galghien) ; 12) Ti n Ascigh ; 13) Maknusa ; 14) Oued Zigza ; 15) Ouadi Ertan ; 16) Uan Muhuggiag ; 17) Tin Terert ; 18) Oued Djerat (Tin Tehed) ; 19) El Hosh, Abu Tanqura Bahari ; 20) Qurta, Abu Subeira ; 21) Mertoutek ; 22) Oued Ahétès ; 23) Youf Ahakit (=Ouféké,Youfaket) ; 24) Tin Ghergho ; 25) Djattou (=Beni Smir) ; 26) Tazzarine ; 27) Mokhotma, Aïn Naga, Zaccar (=Dir ed Degaouen), Kheneg Hilal, Djebel Doum, El Hasbaïa (=El Hesbaia ), Oued Romeilia ; 28) El Hamra (= Enfous, =El Richa), Aïn Sfissifa, Fricha, Kheneg el Hilal ; 29) Bou Alem ; 30) Hadjrat Driess, Merdoufa, Aïn Marshal, Ben Khelifa ; 31) Kef Sidi bou Beker, Aouzania ; 32) Kheloua Sidi Cheikh, Trick el Beïda, Gouiret bent Salloul, Garet et Taleb (= Djebel bou Sbaa), Chebka Dirhem, Feidj Naam, R’cheg Dirhem, Dellaas ; 33) Tazina ; 34) Koudiat abd el Hak (=Asla, =Kheneg Taïeb), Rosfat el Hamra men et-Taht, Atrafa foum Foug ; 35 ) Thiout, Moghar et Tatahni ; 36) Sfassafa, Milok ; 37) Ifri n’Ammar ; 38) Dabous.
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opératoire des traits gravés n’a guère convaincu jusqu’à présent : d’une part, il s’est avéré possible d’utiliser plusieurs voies pour obtenir un résultat identique dans le cas des traits polis, d’autre part, les facteurs taphonomiques peuvent influencer considérablement l’aspect qui nous est parvenu. Cependant, même si l’on manque encore de synthèses, la mise en place d’une typologie, préalable nécessaire à ces travaux, a permis quelques avancées en plus des traditionnels profils/largeur/profondeur, comme la distinction entre piquage (ou piquetage) direct et burinage1, polissage complet ou seulement partiel. Conservation Exposé aux intempéries, l’art rupestre du Sahara et du Nord de l’Afrique est particulièrement sensible à l’action conjuguée des eaux, du vent, de la lumière, des variations de température... A propos de la disparition des gravures par érosion, les auteurs ont des propositions contradictoires : pour K.W. Butzer, L. Frobenius, les gravures ne représenteraient qu’une infime partie de celles qui ont existé. Inversement pour R. Chudeau, R. Capot-Rey, celles qui ont été dégradées seraient rares ; de même pour H. Lhote qui, lui, attribue les plus grands dégâts à l’action anthropique. Les destructions d’origine naturelle varient d’une paroi à l’autre selon l’exposition, la qualité du support. Les altérations se traduisent le plus souvent par un premier phénomène, la patine, puis par sa desquamation. Dans le Sud de l’Ahaggar, à Tin Ghergho (fig 76), une gravure souligne cette évolution de la paroi qui peut être responsable de la disparition des figures les plus anciennes1. A Tardatega, dans le Tibesti, une gravure d’éléphant à trompe striée se relevant vers la bouche a conservé une patine totale alors que la roche elle-même est claire en raison de sa desquamation. Dans l’Atlas, F. Soleilhavoup a remarqué certaines parois qui ne portent que des vestiges de traits et au début du 20ème siècle, G.B.M. Flamand faisait état de gravures dépatinées, ce qui pouvait les atténuer jusqu’à les faire quasiment disparaître. Superpositions et patines, des éléments de chronologie Tous les auteurs sérieux ont pris en compte la patine et les superpositions pour tenter d’ordonner l’art rupestre, conscients néanmoins qu’il ne s’agissait là que de propositions susceptibles de réaménagements à la suite de nouvelles découvertes. Les superpositions livrent en effet un ordre de succession en un point donné sans que l’espace de temps qui sépare les figures superposées puisse être mesuré. Mais en confrontant les diverses données, peu à peu, un ordre peut s’installer et, sans pouvoir préciser ces espaces, les patines peuvent permettre de les apprécier en court, moyen ou long terme2. Quand elle existe, la patine peut même être un des éléments de base de la chronologie. La patine des gravures les plus anciennes est toujours très sombre hormis certaines parois impropres à cette altération ou qui peuvent être dépati1 .- Cf p. 350. 2 .- Ainsi que le prônent certains auteurs, il est évident que seules des datations absolues permettraient une approche précise, mais il est peu probable que l’on parvienne à disposer de matériaux suffisants pour ordonner l’art rupestre par cette seule technique.
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nées1. Elle est souvent noire dans l’Atlas saharien où la plus ancienne est aussi brillante, dans le Sahara central, elle est, en outre, épaisse. Dans les deux cas, elle est dite « totale » car celle du trait est identique à celle de la roche support, ce qui l’oppose à une patine du trait plus claire qui se note pour les gravures postérieures. Liée à des actions et interactions physiques, chimiques et biologiques, la patine se développe dans des conditions très précises faisant intervenir des facteurs tels que le climat, le temps, l’exposition, l’orientation2, la nature de la roche. Certains auteurs ont supposé que la technique du trait pouvait elle aussi jouer un rôle important dans cette formation. Cette multiplicité des facteurs entraîne une difficulté certaine pour comparer les patines entre elles car chacun de ces éléments évolue indépendamment des autres, mais quand on peut les prendre en compte tous, ou presque, quand on peut donner à chacun son sens, les gravures peuvent être sériées les unes par rapport aux autres. En 1971, F. Mori s’appuyant sur les superpositions des gravures de Ti n Ascigh où une paroi porte trois girafes de patine différente, superposées l’une à l’autre et recouvrant une gravure de Pelorovis de grandes dimensions, a pu attribuer un âge paléolithique à cette dernière ; dès lors, la girafe la plus claire appartiendrait à la phase caballine, la plus sombre à celle des Têtes rondes3, l’intermédiaire à la phase pastorale. Pelorovis dont la patine est plus sombre que celle de la girafe la plus foncée, appartiendrait à la période bubaline. Les débuts de la période des Têtes rondes étant pour cet auteur antérieurs au 8ème millénaire -et ce en raison des dates venant de Uan Muhuggiag- et la constitution de la patine appelant quelques millénaires d’écart, c’est au Pléistocène qu’il rapportait la gravure de Pelorovis4. Reléguer la signification de la patine prive d’une donnée fondamentale. Mais sa compréhension est délicate, d’autant que certains traits, faute d’examen très minutieux, peuvent entraîner une confusion dans l’analyse. Ils peuvent ne pas avoir traversé totalement l’altération comme c’est souvent le cas dans le Sahara central en région granitique où la roche est profondément altérée. Ils ont pu être anciennement « rafraîchis » jusqu’à faire disparaître quasi-entièrement le trait d’origine que seul un examen très minutieux peut permettre de retrouver. Les reprises, éléments de confusion « L’entretien » des figures appelle un examen particulièrement exigeant de la patine. Cette pratique, ancienne et probablement répétée, peut entraver la formation de la patine, la détruire ou seulement la rajeunir ce qui peut rendre difficile la lecture d’éventuelles superpositions5 ; si l’on n’y prend garde, elle 1 .- On remarquera à cet égard que la patine est rougeâtre quand la roche est enfouie ; il peut s’agir soit d’une évolution incomplète, soit d’un dépatinage, distinction que des travaux en cours devraient permettre de préciser. 2 .- Les supports horizontaux favorisent le développement rapide de la patine ; dans ce cas, la patine totale ne peut être prise en compte pour apprécier une ancienneté des gravures. 3 .- Cette attribution est contestée par H. Lhote pour qui l’art des Têtes rondes serait seulement peint. 4 .- C’était déjà la position de l’auteur dans sa publications de 1965 en s’appuyant sur des dates non calibrées rapportées au 5ème millénaire. 5 .- Ces reprises anciennes ne peuvent être assimilées au « rafraîchissement » fait actuellement par certains pour mieux percevoir le dessin.
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Sahara préhistorique peut même en donner une lecture inverse. On n’attachera donc jamais trop de soins à l’examen du trait. Une reprise de gravures anciennes à trait incisé ou poli est fréquente au Sahara ; dans certains secteurs du bassin de l’oued In Djaren au Tassili n Ajjer, ou au Fezzan, elle est même quasi-systématique. Dans de nombreux cas, elle se limite aux traces encore lisibles au moment où elle a lieu, mais elle modifie parfois la figure par des éléments qu’elle réinterprète (fig. 69), voire ajoute, et qui peuvent se montrer, du point de vue stylistique, peu adaptés au modèle ancien. Ainsi s’expliquent probablement nombre de singularités, tel l’aspect d’un des béliers de Bou Alem aux pattes démesurées. S’il n’existe plus la moindre trace du trait ancien, la reprise peut faire douter de l’origine et suggérer des imitations maladroites. Dans la Tadrart, à Tidunadj, un des bovidés représentés, d’aspect proche des précédents et de dimensions plus réduites, dont le trait est un burinage identique à celui d’une seconde génération de reprise des autres animaux, pourrait être ainsi soit une imitation maladroite, inachevée, soit la reprise partielle d’une figure quasi-effacée. Ces éléments incitent à une relecture vigilante des quelques superpositions inversant la lecture chrono-stratigraphique habituelle et sur lesquelles s’appuient les propositions des auteurs tenants d’une chronologie courte.
L’ émergence de l’art De plus en plus, l’art paraît trouver ses fondements au Paléolithique supérieur. A la chronologie courte, dans la lignée de St. Gsell, proposée par L. Balout, G. Camps, H. Camps-Fabrer qui rapportent ses origines au cours de l’Holocène inférieur, à un degré moindre H. Lhote qui les place à ses débuts, ou plus récemment A. Muzzolini qui les situe après l’aride mi-holocène, s’opposent des données qui rejoignent l’âge paléolithique envisagé par les anciens auteurs tels que M. Boule, A. Pomel, L. Joleaud, H. Kühn, A.J. Arkell, Th. Monod ou P. Graziosi. Pour E. Anati, l’art gravé débuterait avant l’Holocène et sa phase archaïque serait antérieure à un épisode aride. F. Mori rapportait les gravures anciennes au Pléistocène, ce qui a été fortement contesté, avant d’être confirmé par les découvertes de Tidunadj, Tin Ghergho ou Aman Semednine. Au Fezzan, M. Cremaschi avait montré que les traits de certaines gravures, examinés au microscope électronique, présentaient des traces d’une intense éolisation qui précède la formation de la patine. Cet élément d’ordre naturel rapporte le trait antérieurement à une phase climatique hyperaride, or seule la fin du Pléistocène et la charnière Pléistocène-Holocène montrent, pour les périodes préhistoriques récentes, les traces d’une aridité suffisamment intense et longue pour produire ce phénomène, de ce fait la gravure devait être reportée au Pléistocène. Par ailleurs, l’auteur considérait que les conditions de température et d’humidité nécessaires à une formation généralisée de la patine qui se placent dans une fourchette très étroite, ne se seraient pas rencontrées, sauf localement, depuis l’Holocène inférieur, mais, quelques années plus tard, à la suite de la fouille de monuments du Messak, il supposait qu’elle avait pu se former aussi durant le 3ème millénaire.
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La vie spirituelle des hommes préhistoriques et ses expressions Longtemps limité à des gravures, l’art rupestre ancien s’est enrichi ces dernières années de la découverte d’une peinture sur une paroi de l’abri d’Ifri n’Ammar. Scellée par des dépôts anthropiques datés entre les 13ème et 10ème millénaires, ne pouvant être qu’antérieure, elle conforte une chronologie longue et ajoute l’art rupestre aux éléments de la culture ibéromaurusienne.
Source de l’art
Deux questions fondamentales se posent à propos de l’origine de l’art saharien et périsaharien : de quelles cultures est-il l’émanation ? Est-il autochtone, apparu « ex nihilo », ou a-t-il été introduit ? Des témoignages d’art des plus anciens proviennent de l’Ibéromaurusien, culture longtemps supposée sans expression artistique. Des niveaux I et IV de Taforalt sont issues deux pierres portant des incisions qui ne peuvent résulter d’un simple usage en « planche à découper » et une possible pierre-figure bisexuée. L’une des pierres gravées, qui a servi de meule, pourrait représenter un cornage de mouflon, l’autre supporte un enchevêtrement de traits qui a été interprété comme la représentation de deux éléphants. Ifri n’Ammar a livré à M. Nami, une cheville osseuse de gazelle ornée de stries. En Egypte, une plaquette pouvant porter la gravure d’une tête d’éléphant a été découverte dans un gisement isnien. Des témoins significatifs sont des figurines en terre cuite. Un fragment retrouvé à Tamar Hat dans un niveau daté du 20ème millénaire, n’a pris toute sa signification qu’avec des découvertes semblables faites à Afalou bou Rhummel où divers fragments se trouvaient dans des niveaux qui remontent aux environs du 15ème millénaire. Tous paraissent se rapporter à des Caprinés. L’existence de tels éléments met un terme à l’idée souvent émise de populations ibéromaurusiennes « miséreuses », sans manifestation d’art, et leur donne une dimension nouvelle. Sur la roche, la réalisation des œuvres monumentales exige une parfaite maîtrise du dessin, même si, préalablement à la gravure, le trait a pu être esquissé à l’aide d’une pierre tendre comme les schistes bleus que H. Lhote a signalé en certains points de l’oued Djerat. Le dessin est particulièrement malaisé quand il est fait sur dalle et que l’œil ne peut l’embrasser totalement. C’est le cas du groupe de girafes de Tin Tehed dans l’oued Djerat qui couvre 120 m2 à l’horizontale. A. Malraux qui s’est intéressé à la question, pensait qu’il fallait « un enseignement dispensé par des maîtres expérimentés » pour atteindre pareille maîtrise du dessin. C’est aussi le cas à Dabous, entre Agadez et Arlit, où une dalle courbe supporte deux girafes dont l’une mesure 5,40 m de hauteur. Bien qu’existent de nombreuses représentations d’aspect malhabile1, nulle part des prémices, ni un perfectionnement de l’image n’ont été signalés. Au Sahara, en l’état actuel des connaissances, tout se passe comme si l’art atteignait d’emblée son apogée. Le problème n’est guère différent dans l’Atlas saharien. Les quelques plaquettes gravées qui ont été trouvées à Taforalt ne peuvent faire pendant à celles à traits s’entrecroisant, esquisses mettant en place les motifs, qui sont connues dans divers gisements européens et dans lesquelles certains 1 .- Bien entendu, cette perception d’aspect malhabile est tributaire des référents culturels de chacun, par conséquent variable d’un individu, et d’un auteur, à l’autre.
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Sahara préhistorique ont vu l’apprentissage de la gravure. L’origine de l’art du Nord de l’Afrique est toujours une question ouverte, même après la découverte d’Ifri n’Ammar1. L’art de l’Atlas saharien fut un temps rattaché à l’art franco-cantabrique, puis à l’art du Levant espagnol ; H. Obermaier, H. Lhote devaient en montrer l’indépendance2. F.E. Roubet voyait dans le Sud oranais, le berceau de l’art rupestre de l’Atlas. C’est dans cette zone que se trouve, en effet, la plus forte densité de sujets appartenant à l’étage monumental et l’on peut y suivre l’évolution de cet art d’un étage à l’autre sans discontinuité. A l’est comme à l’ouest, cet étage ancien paraît rare ou absent. En s’appuyant sur la présence de microlithes géométriques dans la zone des gravures, objets dont il faisait le fossile directeur d’un Néolithique de tradition capsienne, R. Vaufrey proposa de rattacher l’art de l’Atlas à cette culture. Cette position qui a reçu une large adhésion a néanmoins conduit divers auteurs, L. Balout, puis G. Camps, H. Camps-Fabrer, à rapporter les origines de l’art rupestre au Capsien, les « traits capsiens » en étant les prémices. Tout comme H. Lhote3, F.E. Roubet s’est opposé à cette théorie en s’efforçant d’attirer l’attention sur l’existence, dans la zone des gravures, de cultures autres que le Capsien et qui sont plus anciennes. Dans l’oued Djerat, H. Lhote remarquait l’absence de tout élément néolithique sur les lambeaux de terrasses correspondant au sol de l’époque où furent gravées les figures anciennes, ce matériel n’existant que là où se trouvent des figures plus récentes, alors que la présence d’éclats de faciès « levalloiso-moustérien » est constante sur ces vieilles surfaces. Ces coïncidences n’ont guère été retenues. Or, le vieillissement que l’on est en droit d’accorder aujourd’hui à l’art gravé, oblige à les prendre en considération. L’Atérien, ou un faciès moustéroïde, pourrait être la culture associée aux manifestations d’art les plus anciennes. Ces éléments conduisent vers une chronologie longue et mettent l’art en phase avec les autres modes d’expression des cultures. Au Sahara en particulier, il n’y a plus changements rapides pour l’art, lents pour les ensembles industriels.
Un art de Chasseurs ? Au Sahara, l’art le plus ancien que l’on ait identifié est un art gravé figuratif qui représente avec beaucoup de réalisme des animaux sauvages, souvent isolés. Les styles et les dimensions sont variables ; le trait est toujours profond, fréquemment poli et fortement patiné. Ces gravures ne sont pas répandues dans toutes les zones rocheuses, elles se concentrent dans certains secteurs qui ont parfois reçu le nom de foyers, ainsi parle-t-on du foyer de Djerat au Tassili n Ajjer, de celui de Gonoa au Tibesti, de Mathendous au Fezzan. A Qurta, dans la vallée du Nil, les gravures anciennes présentent les mêmes caractéristiques, mais ne sont plus isolées, elles sont plutôt groupées sur un même panneau, notamment celles d’aurochs. 1 .- Cf p. 291. 2 .- Pourtant récemment, rejetant les conclusions de D. Huyge et W. Claes, E. Guy n’hésite pas à voir l’origine des gravures de Qurta dans l’art européen du Gravettien-Magdalénien ! 3 .- On trouvera son argumentation dans Les gravures rupestres du Sud Oranais, 1970.
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La vie spirituelle des hommes préhistoriques et ses expressions Ne représenter que des animaux, les représenter en figures isolées, donne à l’animal une valeur essentielle. On peut songer à une valeur totémique ou, surtout, à un processus qui précède ou suit les grandes chasses car ces images sont parfois associées à de minuscules personnages, des pièges, des motifs spiralés1. Les spirales2 peuvent traduire plus qu’une province préhistorique : nombreuses dans le Sahara central où elles peuvent figurer hors tout contexte, passer à des motifs serpentiformes, marquer certains animaux, pachyderme au Borkou, hippopotame, rhinocéros, ou encore bovin à Djerat, girafe, rhinocéros, antilope en Ahaggar, leur concentration en certains secteurs, leur absence en d’autres, a probablement une signification. Le réalisme des représentations animales exige que ces derniers aient été connus de l’artiste, sans que l’on puisse savoir s’il s’agit d’espèces fréquentes ou rares. Les éléphants, les rhinocéros, les félins sont courants dans les gravures. Pelorovis, animal qui aurait vécu en milieu humide, volontiers marécageux, et qui s’est éteint au cours de l’Holocène sans que l’on en saisisse la raison ni le moment, est figuré. Les girafes foisonnent dans la zone saharienne ; au Nord, elles n’interviennent que dans l’extrême ouest de l’Atlas, marquant peut-être une limite de l’acacia dont elles sont friandes. Les gazelles et antilopes sont fréquentes dans certains étages. Les autruches sont nombreuses, parfois figurées en grandeur réelle. Mais le mouflon qui, au Sahara, se trouve pourtant en abondance dans les restes de nourriture, n’est quasiment pas représenté3, il manque dans l’Atlas où on ne connaît qu’un cas au Kef Sidi bou Beker, d’âge indéterminé, que P. Cadenat propose d’interpréter ainsi. Ceci implique donc un choix dont seule une connaissance fine des paléoenvironnements pourra permettre l’approche. Au sein de ce bestiaire, les bovins et les ovins se singularisent par leur fréquence. Les bovins figurent en nombre dans les représentations sahariennes où ils paraissent avoir eu un rôle fondamental. Leur présence à l’état sauvage n’y est mise en cause par aucun auteur. Dans l’oued Djerat où ils arrivent largement en tête des animaux représentés (les éléphants qui viennent en second étant deux fois moins nombreux), leur fréquence déterminée à partir des gravures à patine totale (ou assimilables) actuellement connues, atteint près de 20 %, (elle est de l’ordre de 13 % dans le Sud algérois et 6 % dans le Sud oranais) et ils y sont figurés dans des styles si divers, que H. Lhote a pu conclure à la longue durée et poser la question de leur domestication. Rares dans le Sahara, les ovins sont présents dans de nombreuses stations de l’Atlas saharien. Une image favorite est le bélier à sphéroïde (fig. 64) qui est, selon l’expression de H. Lhote, l’une des pierres d’angle de l’art rupestre nord-africain. Toutes ses représentations le rapportent à l’espèce Ovis longipes. Vu d’abord par St. Gsell comme le lointain reflet du culte d’Amon, il contribua à rapporter à l’époque historique les gravures qui étaient alors connues. La 1 .- Ces motifs appellent à la prudence, nombre d’entre eux se sont aussi avérés bien plus récents, relevant notamment de la période caballine. 2 .- On peut rappeler qu’en Afrique tropicale, elles sont symbole de vie. 3 .- Il deviendra une image majeure dans les peintures anciennes, celles des Têtes rondes et L. Joleaud a fait remarquer sa représentation sur des monuments égyptiens de l’Ancien et du Moyen Empire ; l’un d’eux se trouverait parmi la faune momifiée de l’ancienne Egypte.
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Sahara préhistorique présence du sphéroïde ne peut être une preuve de domestication, puisque dans l’Atlas saharien, à Trick el Beïda, celui-ci figure sur un bubale auquel personne, si ce n’est R. Vaufrey, ne songe à accorder ce statut. Pour certains auteurs, ce bélier serait domestique, pour d’autres sauvage. La domestication s’exprimerait par l’apparat qui l’accompagne, collier, tête coiffée d’un sphéroïde à plumes ou de branchages. A. Muzzolini s’appuie sur des oreilles pendantes, une queue longue, citées par Wright en 1954 et Ryder en 1983 comme critères de domestication avancée, pour lui accorder ce statut. A l’inverse, pour H. Breuil, H. Kühn, un animal, même ainsi paré, n’est pas forcément domestique ; H. Lhote à la suite de G.B.M. Flamand envisage une « privation temporaire de liberté ». L’association bélier-bubale, reconnue par G.B.M. Flamand, M. Reygasse, H. Lhote, est vue comme un élément de chronologie sans que la présence du bélier soit contraignante. Aujourd’hui, on propose une contemporanéité partielle, Pelorovis ayant été figuré plus anciennement. Cette position rejoint partiellement celle de F.E. Roubet lequel, évoquant les préoccupations que l’art rupestre traduit, notait que celles des graveurs de grands animaux comme le bubale n’étaient pas les mêmes que celles des auteurs de béliers casqués qu’il voyait comme leurs probables successeurs. Les accessoires portés par le bélier ouvrent vers une signification de l’art autre que liée à la chasse. Lisant un appel à la pluie dans la représentation d’un jet d’urine sur l’une des gravures de bélier casqué de Bou Alem, L. Joleaud a introduit l’idée de sacrifice pour mettre fin à la sécheresse1. De même, en fin de période bubaline2, les représentations de thérianthropes, figures humaines à tête animale (pl. 2) ne traduisent plus des artifices liés à la chasse, ceux de l’ouadi Ertan sont armés et s’affrontent.
Période antique, période bubaline Les plus anciennes figurations rupestres ont permis de définir une période nommée le plus souvent « du bubale » ou « bubaline », expression qui a donné lieu à une vive polémique3. En 1967, la commission « art rupestre » du sixième Congrès panafricain de Préhistoire la retenait pourtant ainsi que celle de « période de la grande faune sauvage » et éliminait celle de « période des Chasseurs »4. La période bubaline5, dont la fin serait marquée par une intervention massive d’animaux domestiques, est nettement affirmée dans l’Atlas saharien. Elle couvre probablement un long laps de temps. Rien ne s’oppose à ce que les pratiques qu’elle traduit ne se soient prolongées alors qu’avec l’élevage et l’agri1 .- Pour mettre fin à des sécheresses catastrophiques, les peuples comme les Lugbara d’Ouganda, les Bantous d’Afrique du Sud procédaient à des sacrifices humains jusqu’à ce que le rite soit accompli au moyen d’un bélier. Dans ce contexte, le « sacrifice d’Abraham » prend une dimension nouvelle. 2 .- H. Lhote les attribue au Bubalin, R. et G. Lutz les situent « au seuil du Néolithique », pour F. Mori, elles seraient de période pastorale du fait d’une patine légèrement plus claire que celle de la roche et non totale. 3 .- On peut consulter à ce sujet Lhote, 1984, p. 256 et Encyclopédie berbère cahier n° 20. 4 .- On rappellera que P. Huard utilise l’expression « culture des Chasseurs » et qu’il en voit des prolongements à l’époque pastorale y compris dans ses phases tardives. 5 .- Pour A. Muzzolini, l’ensemble bubalin n’est pas une période mais une « école » qui se développe jusqu’à la période cameline.
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La vie spirituelle des hommes préhistoriques et ses expressions culture, le mode de vie faisait appel à de nouveaux éléments. Des groupes ont pu conserver le mode de vie traditionnel tout comme les pratiques liées à la chasse ont dû se perpétuer chez les premiers producteurs. Cet art ancien est connu par des gravures, mais l’existence de peintures ne peut être éliminée. La découverte de témoignages artistiques et de nombreux restes de matières colorantes dans divers gisements du Paléolithique supérieur, suggère en effet qu’elles aient pu également exister mais, plus sensibles à l’érosion, elles ont pu totalement disparaître. Les restes d’une peinture découverts à Ifri n’Ammar conforte cette proposition et soutient celle de l’ancienneté de l’art dans le Nord de l’Afrique.
Les subdivisions de l’art ancien Naturaliste1 dans ses débuts, l’art bubalin le plus ancien passe à un art subnaturaliste à sa fin. L’unité de la période est assurée par l’opposition que l’on note globalement2 entre sa patine, foncée, et celle des autres gravures, le plus souvent chamois. Dans l’Atlas saharien, les thèmes figurés, les techniques utilisées ont permis de le subdiviser et les nuances que présentent les patines ont permis d’ordonner dans le temps ces diverses phases. H. Breuil en distinguait deux. La plus ancienne, dite naturaliste, figurait les bubales avec des cornes annelées, la seconde, dite subnaturaliste, de dessin moins soigné, les représentait avec des cornes lisses. Dans cette dernière, nommée parfois « période bubaline décadente », la patine n’atteint jamais le noir profond des ensembles dits naturalistes et, à l’Aïn Marshal, une superposition confirme sa postériorité. Ces ensembles résultent soit d’un piquetage irrégulier, soit, plus rarement, d’un trait poli qui est peu régulier, ni très large ni très profond. Bien que la qualité artistique paraisse à certains, moindre que dans la phase naturaliste, elle est trop systématique pour qu’il s’agisse d’inhabileté. La question de l’appartenance de la période subnaturaliste au monde des chasseurs peut être abordée par le thème qu’elle privilégie, l’homme. Accorder un intérêt majeur d’abord aux animaux puis à l’homme, est un changement qui fait valoir une différence très nette de l’ambiance culturelle globale. En 1970, H. Lhote soulignait la coupure avec les étages précédents et « l’évolution dans les croyances religieuses » que l’on peut y lire. On rejoint volontiers F. Mori qui voit dans l’omniprésence de l’homme l’un des signes de passage au Néolithique. La période subnaturaliste n’appartient plus au monde des chasseurs, même si ceux-ci continuent à s’y manifester.
L’art ancien en zone saharienne Une seule étude, celle de H. Lhote dans l’oued Djerat, a proposé des subdivisions dans l’art bubalin du Sahara. Il reconnaît les phases naturaliste, semi-naturaliste et subnaturaliste. Des gravures fines, souvent dites de « style Arrikine »3, évocation de la station d’Arrikine où des girafes et antilopes aux 1 .- Pour certains auteurs, l’emploi de ce terme consacré par l’usage, ferait problème. 2 .- Le critère patine discuté au cas par cas permet en effet des regroupements significatifs. 3 .- On notera particulièrement bien cette différence d’ambiance au travers des planches couleur.
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Fig. 63 – Zaccar (=dir ed degaouen) (Atlas saharien). La curée est un thème qui se rencontre dans plusieurs sites rupestres de l'Atlas ; elle est ici oblitérée par une autruche au piquetage sommaire. Le contour de l'avant train de l'antilope est soigneusement poli, vers l'arrière, il laisse voir par endroit, un piquetage antérieur très soigné, ce piquetage se poursuit seul pour tracer l'arrière-train de l'antilope et le lion qui fièrement la maîtrise (cl. G.A.).
Fig. 64 – El hasbaïa (Atlas saharien). Bélier à sphéroïde, haut sur pattes, à chanfrein fortement busqué, il offre les caractères d'Ovis longipes. La tête et le cou, moins détériorés par le ruissellement, laissent voir un polissage soigneux de la surface endopérigraphique (cl. M. Arib).
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La vie spirituelle des hommes préhistoriques et ses expressions membres effilés sont finement incisées, n’ont pas de position stratigraphique. Elles sont connues depuis longtemps et largement répandues dans le Sahara central, dans la Tadrart, le Fezzan, Tibesti, Djado... Des vestiges d’images dont l’état de conservation appelle une longue antériorité ont été signalés à diverses reprises au-dessous du niveau de gravures naturalistes monumentales du Sahara central : crocodile, tête de bovidé à In Habeter. P. Huard signale un art piqueté schématique au Tibesti qui pourrait être antérieur aux grandes gravures naturalistes anciennes. A Tin Ghergho (fig. 77), un quadrupède au dessin sommaire est prisonnier d’une patine épaisse dont la desquamation laisse place à des surfaces porteuses d’art bubalin à patine totale. Les rochers de l’Atlas saharien, ceux de la région de Tiaret, au nord, supportent souvent des gravures comparables à celles du Sahara central1 sans que l’on soit en mesure de préciser de possibles relations, voire une contemporanéité, bien que l’évolution des figures passe dans chacune de ces régions par la même étape subnaturaliste dans laquelle l’homme occupe le premier plan. Pour P. Graziosi, le groupe ancien des gravures de l’Atlas, ne se retrouverait pas au Fezzan, ni dans l’Ahaggar. H. Lhote n’applique pas à la zone saharienne les subdivisions proposées pour l’Atlas ;il note même des différences capitales entre les thèmes conduisant à des préoccupations psychiques et cultuelles qui n’auraient pas été les mêmes dans ces groupes de population. La nouvelle phase rupestre identifiée dans la Tadrart algérienne, celle des gravures Kel Essuf2 (pl. 12), trouve place antérieurement à l’étage des peintures têtes rondes3, ce qu’indiquent plusieurs cas de superpositions. Dès 1967, F. Mori avait noté dans l’Akakus, l’existence de gravures figurant de curieuses formes oblongues nanties d’appendices qui ne pouvaient être assimilées à l’art bubalin ou bovidien. Elles furent qualifiées « d’ichtyomorphes ». Les travaux de N. Ferhat, K.H. Striedter et M. Tauveron ont montré qu’elles constituaient un faciès régional ancien à rapporter au Pléistocène final. Elles n’ont pu être mises en relation avec aucun vestige matériel.
Un art ancien dans la vallée du Nil Longtemps, seul un art gravé récent, essentiellement prédynastique et dynastique, a été connu dans la vallée du Nil, même si le plus ancien, à El Hosh, était considéré comme pré-néolithique et situé à l’Holocène inférieur4. Les années 2000 ont vu la découverte de plusieurs sites aux alentours d’Assouan, à Qurta, Wadi Abu Subeira à une dizaine de kilomètres au nord de Qurta et Abu Tanqura Bahari à El Hosh, où des gravures naturalistes figurant des espèces sauvages présentent une patine totale et forment un ensemble homogène. Outre leur style naturaliste, ces représentations se distinguent de l’art prédynastique par l’absence de sol, le manque de composition : si les animaux peuvent être regroupés, il ne s’agit pas d’ensembles construits mais de la juxtaposition de 1 .- P. Huard a parlé de « style de Gonoa », à propos de ces gravures au trait fin. 2 .- Cf ci-dessous. 3 .- Cf tome II. 4 .- Cf tome II..
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Sahara préhistorique figures isolées sans interactions manifestes entre elles. Les techniques sont variées, piquetage, incision, qui peuvent être combinés, et même bas-relief. Des figurations humaines, que D. Huyge propose de voir féminines, stylisées et incomplètement représentées, sont aussi rapportées à cet ensemble. L’un des panneaux gravés reconnu à Qurta est oblitéré par un dépôt constitué de roches et de sable éolien dont quatre prélèvements échelonnés au niveau de la gravure ont montré son recouvrement progressif entre 19 000 et 9 000 (mesure OSL), ce qui rapporte la réalisation des gravures au Pléistocène supérieur. `
Fig. 65 – Principales chronologies proposées pour l'art rupestre.
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Les subdivisions de l’art ancien dans l’Atlas saharien Tout comme au Sahara, des gravures très fines ont été notées dans l’Atlas où M. Hachid mentionne leur naturalisme un peu simplifié. Pas plus qu’en zone saharienne, elles n’ont reçu de valeur stratigraphique et pour H. Lhote leur position chronologique serait variable. Elles ont été maintes fois mentionnées sous les gravures monumentales, dans la période naturaliste de l’Atlas saharien. Dans celle-ci, H. Lhote reconnaissait trois ensembles ayant valeur d’étage : de grandes, moyennes et petites dimensions. Chacun se caractérise par un style -style monumental, style du niveau supérieur d’El Hasbaïa, style ou école de Tazina-. Pour M. Hachid, la période naturaliste ne comporterait que deux ensembles qui seraient contemporains, l’école de Tazina d’une part et le style figuratif d’autre part dans lequel sont réunies toutes les autres figures quels qu’en soient les canons. Plus récemment, à partir d’une étude des représentations de bubales et de leur environnement, N. Aïn Seba propose de regrouper le style Tazina et les gravures de moyennes dimensions en un seul étage faisant passage au Bovidien. Les plus anciennes gravures La question du niveau de gravures le plus ancien est posée en divers points de l’Atlas. A Ain Naga, un grand éléphant usé apparaît sous un bubale de grandes dimensions. De même, des Equidés ont été mentionnés par R. Vaufrey sous un bubale à Gouiret bent Salloul. Ceux qui sont connus depuis longtemps à Moghar et Tatahni rappellent en tout point ceux dont H. Lhote fait état à El Hasbaïa, sous un bovin et sous un éléphant. A Gouiret bent Salloul, F. Cominardi signale un niveau de gravures précédant l’étage monumental. Mais, ni le synchronisme de ces figures anciennes n’est avéré, ni leur unicité culturelle. L’étage monumental La phase bubaline ancienne, dite étage monumental ou étage bubalin de grandes dimensions, représente des animaux de grande taille, pouvant être identique au réel. La patine est toujours très foncée, les différences de teinte faibles, sauf cas particulier, et des dépatinages peuvent se produire. Ces gravures rendent la plupart des animaux -rhinocéros, béliers, gazelles ou antilopes, bœufs, ânes, caballins…-, en profil absolu, une seule patte rendant chaque train. Malgré une représentation de la tête en profil, les deux yeux sont couramment figurés, selon la formule dite « dioculaire ». Les félins sont dessinés suivant une convention particulière qui a reçu le nom de « style Djattou »1 (fig. 66). Parfois des hommes sont associés aux animaux ; ils sont fortement disproportionnés : habituellement de petite taille, parfois de grande taille avec en général six traits terminant les membres. L’étage de moyennes dimensions En 1984, à la suite de la reconnaissance du site d’El Hasbaïa, H. Lhote isolait un étage de moyennes dimensions qui est aussi nommé « d’El Hasbaïa ». 1 .- Cf p. 331.
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Fig. 66 - Hadjrat Mokhotma (Atlas saharien). Félin en style Djattou. Le style Djattou, propre à l'Atlas, rend le corps de profil, la tête de face ; les deux yeux sont toujours mis en valeur, séparés le plus souvent par deux traits verticaux. L'extrémité des membres est bien dessinée, caractère constant des gravures anciennes de félins (cl. G.A.).
Cette identification résolvait un des vieux problèmes posés par l’art rupestre de l’Atlas. H. Breuil avait remarqué, sans pouvoir apporter d’explication, que les éléphants se différenciaient des autres représentations anciennes et que la présence d’une patte par train, particularité qui se retrouve chez de nombreux bubales, n’était pas chez eux un caractère obligatoire. A El Hasbaïa, la fréquence des éléphants seulement dans le niveau supérieur des gravures, montrerait qu’il s’agit d’un trait évolutif et a permis à H. Lhote de dégager un nouvel étage. Il note une évolution des thèmes : le bélier est rare, les bœufs plus fréquents, la tête du lion est figurée de profil. Ces caractères se retrouvent sur la paroi de Thiout qui jusque-là restait difficile à situer. L’étage de petites dimensions C’est en 1970 que H. Lhote a proposé le terme « Ecole de Tazina » pour désigner un ensemble de gravures de style sub-schématique, de petites dimensions (gravures ad naturam de Flamand) mis en évidence dans le Sud-oranais et qui constitue « l’étage bubalin de petites dimensions ». Les formes, même si elles restent figuratives, sont très stylisées, réduites aux traits essentiels à même de rendre des expressions de vie. F. Cominardi a pu parler à leur propos d’un schématisme dynamique. Les extrémités, très effilées, sont parfois démesurément allongées ; des excroissances fantaisistes peuvent s’y développer, d’où
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Fig. 67 – Blocs éboulés de Koudiat abd el Hak (Atlas saharien), celui du haut, détruit par les carriers, n'est connu que par la photographie publiée par R. Vaufrey. Celui du bas, qui est lu différemment par les auteurs, montre la superposition de deux étages de gravures, ce qui accorde un intérêt majeur à la station (cl. M. Arib).
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Sahara préhistorique l’expression « style fantastique » que leur appliquait Flamand. Le trait, d’une grande régularité, est large, profond, poli en U, plus rarement en V, toujours sans trace de piquetage antérieur. La surface qu’il délimite, dite surface endopérigraphique, peut être soigneusement polie ou remplie de traits. La patine est foncée, identique à celle des gravures monumentales. Le mode de représentation rejoint celui de l’étage monumental figurant un corps de profil, une tête de profil ou de trois quarts et les deux yeux. La faune est elle aussi comparable, mais privilégie les gazelles et les antilopes. Bien connu dans l’Atlas, le style Tazina se retrouverait au Draâ et au Sahara atlantique avec des gravures sur dalles au trait poli, profond, à patine totale figurant des antilopes et gazelles isolées ou en petit groupe, à extrémités longues et effilées, queue ramenée à un trait très allongé. Le corps peut être compartimenté. On n’y retrouve pas Pelorovis, ni d’ithyphalliques. Pour R. Wolff, ce style serait courant au Maroc, en particulier dans la zone de Tazzarine où des représentations de pièges seraient souvent associées aux animaux. P. Huard et J. Leclant envisagent d’y rapporter quelques gravures aux extrémités effilées du Fezzan, de la Tadrart, du Djado tout en remarquant que certains bovidés de Djerat portent aussi ce caractère mais sont de dimensions moyennes1. Toutefois, limiter l’identification d’un style (ou d’une école) au seul caractère « extrémités effilées », qui peut n’être qu’une convergence2, fait problème et peut engendrer de sévères confusions, l’étage de petites dimensions et le style Tazina étant synonymes dans l’Atlas saharien. La position stratigraphique de cet étage est attestée par une gravure de Koudiat Abd el Hak (Fig. 67). La lecture la plus fine est donnée par F. Cominardi qui décrit trois niveaux de gravures : 1) le plus ancien de « très petites imensions » comprend trois personnages, deux antilopinés et deux lignes sub-parallèles qui sont les restes d’une figure illisible ; 2) un niveau intermédiaire, de dimensions un peu plus importantes, est représenté par un antilopiné et deux personnages, la croupe de l’antilope et un des personnages recoupant l’antilopiné et une ligne de l’étage antérieur ; 3) l’étage supérieur est constitué par un éléphant parfaitement représentatif de l’étage de grandes dimensions dont la tête recoupe l’anti1 .- On ne peut retenir les vues d’A. Muzzolini qui élimine le critère petites dimensions, et étend l’appellation à l’ensemble des gravures figuratives et schématiques, en trait poli, à patine foncée. Il transpose ainsi la conception du style Tazina ; un sens plus large, lui permet d’assimiler sans difficultés nombre de figures car dit-il « ces représentations en style de Tazina «pur» sont souvent inextricablement mêlées, dans les mêmes sites et sur les mêmes parois, à des types de graphisme schématique finalement de même inspiration et eux aussi parfaitement distincts des écoles naturalistes ou géométriques » (1988 p. 183). Dès lors le style Tazina ne sera qu’une entité stylistique, sans valeur d’étage. Il va pouvoir se retrouver sur l’ensemble du Sahara où il intègrera même des figures telles que deux chars à Arkana (Djado). Cette redéfinition sémantique appelle évidemment une nouvelle proposition de développement spatio-temporel. Rejetant les superpositions, le même auteur ne s’intéresse pour situer le style de Tazina, qu’à ce qu’il nomme une « analyse interne ». La faible représentation de la grande faune sauvage, l’abondance des girafes, antilopes, la présence d’oryx révèleraient selon lui quelques traits d’âge plus récent que le Bubalin naturaliste, cette faune manifestant un caractère moins archaïque. Elle débuterait donc vers la fin de « l’humide néolithique ». La disparition du style Tazina pourrait trouver place au « Bovidien final et à la période des chars » en raison de « sa fréquente juxtaposition à des figurations d’époque caballine ». 2 .- Cette idée fut développée, notamment par J.-L. Le Quellec, avant qu’il ne s’aligne définitivement sur les thèses d’A. Muzzolini et abandonne toute référence à ses propres travaux.
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La vie spirituelle des hommes préhistoriques et ses expressions lopiné du niveau précédent. L’auteur conclut à un dédoublement de l’étage de petites dimensions dont le plus ancien serait detrès petite taille ; l’un et l’autre seraient, ici, antérieurs à l’étage naturaliste de grandes dimensions. Toutefois en l’absence d’autres preuves, argumentant du style schématique plus évolué, il conclut en faisant débuter l’étage de petites dimensions avant la disparition de l’étage de grandes dimensions.
Toute étude de l’art rupestre doit intégrer l’idée de n’observer qu’un matériel résiduel, d’autant plus ténu qu’il est plus ancien. L’art rupestre rejoint alors l’archéologie proprement dite qui n’accède qu’à des vestiges. Pas plus qu’une fouille ne s’arrête à la couche supérieure d’un gisement ni ne néglige la taphonomie, l’étude de l’art rupestre ne saurait plus se limiter à une simple description traduisant son ultime état de fossilisation. Les superpositions indiquent l’ordre des successions, mais le laps de temps qui les sépare est délicat à apprécier, il n’est guère soupçonnable que par les différences que peuvent présenter les patines et leur étagement lui-même peut être bouleversé par les reprises. Des « ensembles » gravés sont définis à l’aide de divers critères : thèmes ou sujets, formes, dimensions, orientations, positions ; la question des techniques est plus délicate à faire jouer, certaines gravures en mettant en œuvre plusieurs. Les figures d’un même ensemble peuvent posséder un réseau de similitudes denses ou lâches selon qu’elles appartiennent à un moment où les liens culturels sont forts ou au contraire peu contraignants. Peu de stations peuvent se prévaloir de ne comporter que des figures susceptibles d’être réunies dans le même ensemble. Des ensembles d’âges différents se côtoient, s’oblitèrent, évoquant la structuration des territoires et la permanence du peuplement. Au fil des découvertes, ces ensembles deviennent de plus en plus précis, mais si les uns sont confortés, d’autres éclatent. Pour chacun, les distributions géographiques doivent être recherchées et l’on doit tenter de cerner les relations avec les vestiges matériels. En rapportant les éléphants à un étage de moyennes dimensions ou d’El Hasbaia, H. Lhote pour qui l’éléphant recoupait une gazelle, mais était luimême recoupé par une autre, concluait de même à une contemporanéité ; elle portait sur les étages de petites et moyennes dimensions, l’étage de grandes dimensions étant antérieur.
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Des sites majeurs Des gravures appartenant à la période ancienne figurent dans nombre de stations où, le plus souvent, elles s’accompagnent de gravures d’âges plus récents dans des proportions qui varient fortement d’une station à l’autre1. Une telle continuité dans la destination de certains lieux est un facteur puissant de continuité du peuplement, continuité sur une très longue durée quand on songe que l’on voyait encore, il y a peu de temps, certaines de ces stations livrées à des pratiques rituelles. La répartition des figures anciennes n’est pas sans faire problème. D’une part, elles sont rares, voire absentes, dans certaines vastes régions, en particulier la vallée du Nil, l’Aïr, l’Adrar (Adagh) des Ifoghas, le Djebel Ouénat, l’Adrar en Mauritanie, sans que l’on dispose d’arguments pour proposer une disparition ou un manque d’intérêt de la population ancienne pour cette forme d’expression2, d’autre part les identités que l’on peut percevoir d’une région à l’autre, ne préjugent nullement d’une contemporanéité. Alors que dans le Sahara central, diverses données permettent de situer les gravures anciennes au Paléolithique final depuis une vingtaine d’années, une position semblable n’a été établie que récemment dans l’Atlas saharien, à partir de l’étude des patines. Abu Subeira Le site a été reconnu par Adel Kelany et son équipe du Conseil suprême des Antiquités de l’Egypte, en 2006 et 2010, dans une vallée sèche du secteur d’Assouan, en rive droite du Nil. Il regroupe une soixantaine de panneaux de gravures exclusivement animalières où dominent les bovins ; ils sont associés à des ibex, addax, oryx ainsi qu’à des éléphants, girafes, autruches, rhinocéros, à des poissons, hippopotames, crocodiles ou lézards... Diverses techniques ont été utilisées, piquetage, incision, large trait passant à du bas-relief. Aïn Sfissifa La station fut découverte en 1898-1900 par le capitaine Maumené, en contrebas de la route d’El Richa, à une vingtaine de kilomètres d’Aflou. Elle est célèbre par une scène figurant un éléphant protégeant son petit des attaques d’une panthère3. Son style, la précision des figures, la rapportent à la période bubaline, la mise en situation est diversement interprétée, rapportée à sa phase la plus récente ou inversement la plus ancienne. Un éléphant qui paraît venir au secours de ses congénères, des autruches au trait piqueté, légèrement poli, un quadrupède indéterminé seraient de même époque. A proximité, un bubale aux cornes annelées, au trait en U sous lequel transparaît un pointillé, traduit sa grande ancienneté par la double patine noire que laissent paraître les extrémités de ses cornes et l’altération qui a détruit une partie de ses traits ; à l’examen attentif, en effet, sa partie postérieure, « sabrée », laisse percevoir un trait antérieur qui rend les formes habituelles de cet animal. Il jouxte un asinien au corps entièrement poli, exemple parfait de monopérigraphisme. 1 .- Ne sont mentionnées ci-dessous que des stations où l’art bubalin ancien est largement présent. 2 .- Sans omettre le fait que l’on puisse ne pas l’avoir encore retrouvé ou identifié. 3 .- La scène a été retenues par l’UNICEF, comme symbole de la protection de l’enfance.
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La vie spirituelle des hommes préhistoriques et ses expressions Aman Semednine et l’étage Kel Essuf Sur les parois de l’un des abris d’Aman Semednine en Tadrart ont été identifiées des formes oblongues nanties d’appendices (pl. 12), interprétées comme des représentations humaines auxquelles a été conservée l’appellation locale de « kel Essuf »1. Certaines sont sexuées, elles se donnent parfois la main, suscitant l’idée de couple, des représentations de petites dimensions suggérant, dans ce contexte, des enfants. Les auteurs reconnaissent trois sous-groupes basés sur la forme et la position des appendices qui traduisent une évolution et ont valeur chronologique. Elles sont, selon toute vraisemblance, à rapporter au Pléistocène final ; d’une part, en effet, la forte corrélation qui existe entre ces gravures et des planchers à auges2 souligne leur réalisation en période de grande aridité, d’autre part, elles sont calées par l’étage de peintures têtes rondes dont les premières manifestations paraissent de plus en plus anciennes. Les gravures Kel Essuf sont généralement situées sous abri. Elles ont une distribution dense dans la Tadrart méridionale, entre l’oued Iberdjen et Aman Semednine, très lâche plus au nord dans l’Akakus. Elles apparaissent ainsi comme un faciès « chrono-régional » lié à un repli de populations dans un secteur privilégié par ses possibilités d’accès à l’eau. Elles confortent l’hypothèse de niches refuges au détriment de celle de vide humain de la zone saharienne lors de l’aride kanémien3. Bardaï et ses environs Les environs de Bardaï sont largement pourvus en gravures avec les stations célèbres de Gonoa, Gira-Gira, Oudingueur, celle déjà citée de Tardatega... Les plus anciennes, de grandes dimensions, très réalistes, sont patinées, elles sont faites d’un trait large, profond, qui peut être altéré et en partie effacé. Les éléphants sont fréquents, souvent représentés avec des oreilles en aile de papillon, les girafes, les rhinocéros sont eux aussi courants. Un des rhinocéros mesure 2,25 m, un autre à contour marqué d’un trait fin, surface martelée, a été rapproché de gravures de l’oued Zirmei, au nord-est du Tibesti, que A.J. Arkell rapportait au Paléolithique supérieur. Il en est de même d’un éléphant. Quelques gravures suggèrent que cette phase ancienne ait également eu des représentations schématiques obtenues par piquetage en raison de superpositions qui les montrent au-dessous des gravures au trait. Le plus ancien niveau de gravures de Gonoa figurerait des rhinocéros, des éléphants dont la tête est parfois surmontée d’un demi-cercle, la trompe annelée. Un bubale, Pelorovis antiquus, de 2 m de long, unique représentation de cet animal que l’on connaisse au Tibesti, y est figuré. Le site montre diverses images d’autruches, d’antilopes, de girafes ; leur fréquence, ainsi que celle des éléphants, est semblable à ce qui s’observe en lisière ouest du massif et au Djado. Si le rendu des corps est toujours réaliste, celui des pattes est, à l’inverse, souvent schématique : de longs traits, ne marquant pas les articulations, convergent en pointe effilée pour les girafes, en arrondi pour les rhinocéros. Seuls les éléphants bénéficient d’un dessin plus réaliste. 1 .- Cette appellation « gens du vide », témoigne d’une singulière portée dans l’imaginaire des populations actuelles. 2 .- Cf p. 301. 3 .- Cf p. 34.
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Sahara préhistorique Des gravures produites par trait fin1, peut-être favorisé par le peu de dureté de la roche qui est un tuf volcanique, paraissent, elles, plus récentes ; elles seraient contemporaines de figures naturalistes au tracé plus raide. Elles montrent la même faune d’éléphants, rhinocéros, un hippopotame, le seul de la station. L’une d’elles fait la célébrité de Gonoa. C’est une représentation humaine de 1,85 m de haut remarquable par son galbe et son mouvement. L’homme, au sexe marqué, est masqué ; il porte une massue sur l’épaule droite et le bras gauche est replié dans une position symétrique. Les jambes très longues, le haut du corps raccourci, accentuent l’effet de hauteur. P. Huard a interprété cette disproportion comme résultant de la position haute de la figure qui aurait conduit à tracer le buste à bout de bras ; on peut aussi lui accorder une valeur symbolique. Blaka et les sites du Djado Site le plus connu du Djado, Blaka a été identifié en 1956 par la mission Berliet. Il comporte plusieurs stations dans un secteur où les traces d’habitat seraient nombreuses. Les gravures, de grandes dimensions, naturalistes à subnaturalistes, rendant les animaux dans des attitudes dynamiques, représentent des rhinocéros, antilopes, girafes, éléphants dont un chargeant. Une figure singulière propre à la région qui pourrait être un étui pénien2, a été nommée « ceinture pelvienne ». Les gravures anciennes offrent une certaine diversité avec des extrémités de membres effilées pouvant rester ouvertes pour les unes, des extrémités subarrondies, toujours fermées pour les autres, en particulier chez les éléphants. Le trait est généralement profond, souvent dissymétrique. Des gravures au trait fin figurent divers animaux dont des gazelles en course recoupant un éléphant également au trait fin. Dans les enneris Domo, Lobezede et Odri Kolokaya, plusieurs sites importants ont été plus récemment relevés. La densité des stations est très forte au confluent de l’enneri Domo et de l’oued Yentas où les gravures sont souvent faites sur supports subhorizontaux et présentent une patine totale, quelle que soit leur ancienneté. Là se trouvent quelques gravures de taille nettement supérieure à la moyenne locale, dont des autruches profondément incisées, pratiquement en grandeur naturelle. Dans les divers sites, les caractères généraux des figures sont identiques à ceux de Blaka. Les mêmes animaux sont figurés, avec les mêmes canons ; il faut leur associer des représentations de ceintures pelviennes qu’aucun caractère ne permet, pour les plus anciennes, de dissocier des représentations animales ; plusieurs cas très nets de reprises, notamment sur le site de Kolokoro en amont de l’enneri Domo, montrent qu’une incision avait précédé le piquetage. Quelques représentations humaines sont également considérées comme anciennes : souvent placées derrière des animaux sauvages et nettement plus petites que ceux-ci, elles sont interprétées comme une expression typique de populations de Chasseurs. Pour Striedter et al, les très grandes figures seraient parmi les plus anciennes et les représentations aux membres non terminés et/ou effilés, qui montrent une nette tendance à la stylisation, plus récentes, marqueraient la transition entre chasseurs et pasteurs. 1 .- Ce trait est à l’origine de l’appellation « style de Gonoa » proposée par P. Huard, cf ci-dessus. 2 .- Certains auteurs, tels P. Masy, y voient également de possibles représentations de nasses.
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La vie spirituelle des hommes préhistoriques et ses expressions Au sud du massif, à Dao Timmi et Yat, et, dans une moindre mesure, sur la bordure occidentale du plateau, se retrouvent les mêmes figurations d’éléphants, rhinocéros, girafes et ceintures pelviennes. A Yat, deux grands bovins qui furent d’abord attribués à la période pastorale, ont été récemment replacés par les mêmes auteurs dans la période ancienne. Ils montrent des affinités avec le Fezzan, il en est de même à Dadafui, plus à l’est, avec des figurations anciennes d’éléphants et d’autruches. A Dao Timmi, une figure énigmatique qui évoque un homme camouflé marchant à quatre pattes tire un intérêt particulier de son trait, partiellement double, technique bien connue au Fezzan, exceptionnelle ailleurs. Vers le nord, les publications d’U.W. Hallier font état de divers sites qui permettent de reconnaître la même ambiance picturale pour les gravures anciennes. Il convient d’y ajouter des sites où abondent des signes abstraits (lignes ondulées, cercles et arceaux concentriques, cercles rayonnants, très rares spirales). L’auteur les rattache à la culture des Têtes rondes qui y trouverait ses racines. P. Huard les rapportait volontiers à un horizon archaïque de chasseurs. .Djattou (= Beni Smir) La station, découverte dans la région de Figuig en 1914, doit son intérêt à un mode de représentation des félins auquel elle a donné son nom : l’animal est en profil et la tête, toujours de face, est barrée par deux traits verticaux de part et d’autre desquels un cercle figure les yeux. Cette représentation est connue à El Hamra, Djebel Doum, El Hasbaïa, Kheneg Hilal, Mokhotma, Merdoufa... La frontalité qui représente la tête de face et le corps de profil ou inversement pour l’homme, la tête de profil et le corps de face, est un procédé qui marque diverses gravures anciennes. Outre les félins, elle se retrouve dans quelques représentations de Pelorovis. Elle deviendra courante dans l’art bovidien et, à l’est, sera l’un des canons de l’art pharaonique. El Hamra (= Enfous, = El Richa) Reconnu en 1897 par le capitaine de la Gardette de Favier et A. Joly, ce site de la région d’Aflou dans l’Atlas saharien, regroupe de nombreuses gravures dispersées sur des blocs éboulés ou sur la falaise. Si des gravures subschématiques représentant des ovins, un équidé, sont attribués à la période bubaline décadente, beaucoup appartiennent à la période bubaline naturaliste. De longs signes courbes ont été interprétés par G.B.M. Flamand comme des boomerangs. Un combat de bubales (pl. 1) met aux prises deux mâles de dimensions différentes, le plus grand par ses pattes écartées paraissant se porter sur le second, plutôt arc-bouté. La scène est gravée en traits polis profonds, les animaux sont en profil relatif, cornes de face, mais seuls deux membres et non les quatre sont figurés ; une scène semblable se retrouve à diverses reprises dans l’Atlas saharien, à Kheloua Sidi Cheikh, à Aouzania près de Tiaret. Une des figures majeures de l’Atlas, le bélier à sphéroïde est reproduit en profil absolu, la base du sphéroïde n’est marquée par aucun trait, seule la représentation d’une corne rompt un dessin monopérigraphique. Diverses autres figures représentent des éléphants, un félin. Un équidé suité, de dessin très élaboré en particulier l’œil dont la paupière est marquée, pose
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Sahara préhistorique problème : un fort bombement frontal, la croix dorsale et les bandes annelées audessus du sabot l’ont fait attribuer à un âne Equus Asinus africanus1, cependant la longueur de ses oreilles, trop réduite pour celles d’un âne, a permis à G. Camps d’envisager une représentation d’Equus mauritanicus2. Une troisième représentation plus petite et plus sommaire est vue comme une figure imitative postérieure en raison de la différence de qualité et de patine des deux dessins, et l’inhabituel qu’est cet animal accompagné de deux petits. El Hasbaia (= El Hesbaïa) En versant nord de l’Atlas saharien, El Hasbaia est le site le plus important de la région de Djelfa. Il regroupe trois stations, la principale est une grande falaise qui surplombe un méandre de l’oued Hasbaia. La base (pl. 8) est couverte de l’enchevêtrement d’une centaine de figures qui constitue l’ensemble le plus dense que l’on connaisse dans le Nord de l’Afrique. Ces figures ont eu un rôle important dans l’établissement de la chronostratigraphie puisque c’est en les décryptant que H. Lhote a pu définir l’étage de moyennes dimensions. Cette station lui permettait également de confirmer l’existence d’un étage antérieur à l’étage monumental, qui renfermerait des images de très petites dimensions. Les animaux, naturalistes pour les uns, subschématiques pour les autres, sans que le trait montre d’altération différente, sont souvent rendus en profil absolu et peuvent être nantis de deux yeux. La grande paroi regroupe des éléphants, antilopes, rhinocéros, de nombreux bovins dont un aux cornes ballantes, des ânes, lions, léporidés, autruches et autres échassiers, ainsi que quelques personnages ; l’un d’eux, minuscule, est associé à un bélier casqué. Le trait est poli, toujours très profond, ce qui donne beaucoup de relief aux dessins et paraît lié à la qualité des grès qui sont très tendres ; plusieurs figures ont subi un polissage endopérigraphique total ou partiel. La plupart des figures appartient à l’étage de moyennes dimensions ; de petites gravures apparentées au style Tazina, s’intercalent entre elles ou se trouvent à l’intérieur de leur corps. Au voisinage, deux parois à surface fortement dégradée, portent des figures rapportées aux étages de petites dimensions et monumental. Sur l’une des falaises, elles sont si hautes que l’hypothèse d’un échafaudage ou d’une descente en rappel peut être émise. Les figures monumentales reproduisent entre autres une file de trois bubales aux cornes annelées, des bovins et des lions en profil absolu. Les petites figures représentent des gazelles, des antilopes, un lion style Djattou en vue raccourcie ; il est difficile d’apprécier si un petit caballin, en partie effacé par le polissage qui compartimente le corps d’un bovidé sans corne à l’intérieur duquel il se trouve, appartient à cet étage de petites dimensions ou à un étage plus ancien. Des empreintes d’animaux ont été attribuées à un lion et un porc-épic. L’autre falaise comporte, au ras du sol, les mêmes bovins ainsi qu’un bélier très abîmé portant un collier et qui devait être nanti d’un sphéroïde. 1 .- Celui-ci était fréquent dans l’ancienne Egypte. Actuellement son habitat est réduit au Semsar et à la Nubie, mais on en rencontre des îlots au Tibesti et en Ahaggar où on croit qu’il est ensauvagé. 2 .- G. Camps fait judicieusement remarquer que l’on ne connaît pas l’aspect de cet équidé fossile, dont les restes osseux ont été fréquemment retrouvés et qu’il serait surprenant qu’il n’ait pas été figuré au même titre que les autres animaux.
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La vie spirituelle des hommes préhistoriques et ses expressions El Hosh Dans la vallée du Nil, une trentaine de kilomètres au sud d’Edfou, les figurations d’El Hosh sont actuellement rapportées à la période 13000-8000 B.P. (13700-6900 av. J.-C.). A. Watchman a obtenu une datation ante quem de 59005300 av. J.-C. par AMS à partir de fibres végétales qui se trouvaient dans la patine. Ces gravures comportent une remarquable frise d’animaux avec éléphant, rhinocéros, antilope, gazelle. Une chasse à la gazelle de style plus schématique pourrait être plus récente tout comme des motifs curvilignes interprétés comme pièges à poissons et qui sont figurés seuls ou en groupe, associés à des éléments abstraits ou figuratifs, cercles, échelles, empreintes de pieds, crocodiles, personnages. Fricha Non loin d’Aflou, sur paroi verticale, une représentation traditionnelle de Pelorovis, longue de 2,75 m, le figure campé sur ses pattes antérieures alors qu’une seule postérieure est tracée, ses cornes sont annelées, sa queue rabattue sur la fesse, son sexe marqué. Il est recoupé par un petit bélier à sphéroïde qui fait face à un personnage en orant. Sa tête en pointe laisse supposer le port d’une barbe ou le canon d’un style, ce qui serait à préciser. La paroi très altérée laisse à peine percevoir un second bélier, placé derrière lui, un peu plus haut sur la paroi et qui lui tourne le dos. De nombreux traits traduisent les restes de diverses figures non identifiables. A patine totale, ces figures sont toutes faites d’un trait en U soigneusement poli et se rapportent toutes à la période ancienne. Garet et Taleb (= Djebel bou Sbaa) Signalée en 1925 par L. Frobenius dans la région d’El Bayadh, la station comporte une grande variété de styles de la période bubaline. Elle recèle des techniques plus récentes, peu utilisées tel que le trait miroir1. Les figures anciennes, toujours réalistes, représentent des bubales, éléphants, antilope, lion. Le « scorpion » est une gravure serpentiforme, de 6 m de long, au trait piquetépoli, dont le corps paraît annelé. Gouiret bent Salloul Proche d’El Bayadh, riche de plusieurs centaines de gravures, cette station a fait l’objet d’une étude exhaustive de F. Cominardi qui, grâce à de nombreuses superpositions, a identifié 9 niveaux. Malgré une lecture rendue difficile par l’importance des enchevêtrements, il situe au niveau le plus ancien, de nombreux équidés ; ils seraient antérieurs à l’étage monumental, ce que R. Vaufrey avait proposé en raison d’une superposition de Pelorovis qu’il y avait notée et que H. Lhote a retrouvée à la lecture de l’une des parois d’El Hasbaïa. Au second niveau, se placent des figures de grandes dimensions, avec un enchevêtrement d’éléphants et bubales, des antilopes, des personnages en trait fin. Pelorovis qui est avec l’éléphant, la figure la plus fréquente, est représenté dans une attitude placide qui l’oppose à ses représentations du cinquième niveau où il est toujours belliqueux. Les bovins interviendraient immédiatement avant les repré1 .- Cf tome II.
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Sahara préhistorique sentations de bubales belliqueux. Ovis est fréquent et un bélier casqué existe au septième niveau. Les chiens qui sont connus dans le secteur, n’ont pas été identifiés dans ce site. Les nombreux personnages de grande taille appartiendraient aux niveaux les plus récents dits libyco-berbères par F. Cominardi.
Toute étude de l’art rupestre doit intégrer l’idée de n’observer qu’un matériel résiduel, d’autant plus ténu qu’il est plus ancien. L’art rupestre rejoint alors l’archéologie proprement dite qui n’accède qu’à des vestiges. Pas plus qu’une fouille ne s’arrête à la couche supérieure d’un gisement ni ne néglige la taphonomie, l’étude de l’art rupestre ne saurait plus se limiter à une simple description traduisant son ultime état de fossilisation. Les superpositions indiquent l’ordre des successions, mais le laps de temps qui les sépare est délicat à apprécier, il n’est guère soupçonnable que par les différences que peuvent présenter les patines et leur étagement lui-même peut être bouleversé par les reprises. Des « ensembles » gravés sont définis à l’aide de divers critères : thèmes ou sujets, formes, dimensions, orientations, positions ; la question des techniques est plus délicate à faire jouer, certaines gravures en mettant en œuvre plusieurs. Les figures d’un même ensemble peuvent posséder un réseau de similitudes denses ou lâches selon qu’elles appartiennent à un moment où les liens culturels sont forts ou au contraire peu contraignants. Peu de stations peuvent se prévaloir de ne comporter que des figures susceptibles d’être réunies dans le même ensemble. Des ensembles d’âges différents se côtoient, s’oblitèrent, évoquant la structuration des territoires et la permanence du peuplement. Au fil des découvertes, ces ensembles deviennent de plus en plus précis, mais si les uns sont confortés, d’autres éclatent. Pour chacun, les distributions géographiques doivent être recherchées et l’on doit tenter de cerner les relations avec les vestiges matériels Hadjrat Driess Figure de bubale énigmatique en raison de deux petits bubales se faisant face qui l’accompagnent, cette représentation serait celle d’une femelle, la seule connue. On remarque en effet l’absence de sexe, un port de queue inhabituel dans les représentations de cette facture. La tête est petite, disproportionnée au corps. Elle est en profil absolu, tempéré comme à l’habitude par la représentation des deux cornes et ici de deux yeux et deux naseaux, tous rendus par de minuscules cupules. Très altérée par l’érosion, le bas des pattes a totalement disparu et avec lui, probablement un troisième petit bubale dont ne restent que l’extrémité des cornes.
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Fig. 68 – A El Habaïa (Atlas saharien), diverses gravures sont tracées haut sur la falaise, laissant supposer un sol plus élevé, l'emploi d'un échafaudage ou une descente en rappel lors de leur réalisation. Les pattes d'un bubale aux cornes annelées, en posture placide, et un animal indéterminable sont profondément altérés par l'érosion éolienne. A gauche, un bovin sans corne (cl. G.A.).
Fig. 69 – Wadi Tidoua (Messak). Pelorovis de période bubaline ancienne, déformé par des reprises -ce qui est courant dans le Messak- lui ayant donné un corps de bovin (cl. K.H. Striedter).
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Sahara préhistorique
Fig. 70 – Oued Djerat (Tassili n Ajjers). Rhinocéros de période bubaline et spirales (cl. H. Lhote).
Fig. 71 – Wadi Erahar (Messak). Bos primigenius est volontiers figuré sur les rochers du Sahara central. Trapu, cornes ramenées vers l'avant, son trait à patine totale confirme les détails de sa représentation pour l'attribuer à la période bubaline (cl. K.H. Striedter).
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La vie spirituelle des hommes préhistoriques et ses expressions Dans la même région, Ben Khelifa est une station où n’est connue qu’une seule figure, un bubale des plus stéréotypés. Il est lui aussi en profil absolu et semble, de même, présenter deux yeux et deux naseaux à peine visibles. Ses pattes se terminent par un sabot bifide, un ergot bien marqué. Kheneg Hilal Dans cet autre site de la région de Djelfa, les gravures sont isolées les unes des autres, parfois de plusieurs kilomètres. La plupart est rapportée à la période bubaline ancienne. La station principale est une paroi verticale dont les quelques gravures sont dominées par un animal en profil absolu, aux cornes de profil, portant sur le dos une sorte de réserve polie. Il a été diversement interprété. Près de lui, se trouvent une tête plus petite qui lui ressemble, un bélier à sphéroïde inachevé avec un grossier piquetage de la tête et un petit bovidé. Les rochers des environs montrent un lion en style Djattou, de petits éléphants subschématiques dont un à formule dioculaire, un bubale aux cornes lisses probablement plus récent. La station ne doit pas être confondue avec celle de Kheneg el-Hilal dans la région d’Aflou, où se trouvent les restes de cinq bubales stéréotypés. Maknusa Large vallée ensablée, creusée dans les grès, la passe de Maknusa est l’un des rares points qui permettent de franchir la falaise bordant l’oued el Ajal. En venant du nord, c’est ainsi un passage quasi-obligé pour atteindre Mourzouk et le sud du Fezzan. Les parois verticales, les affleurements de la roche, les blocs éboulés qui bordent la falaise, supportent des gravures qui furent signalées en 1914 par C. Zoli et dont D. Pauphilet a donné la description. Au nord, près de l’embouchure, elles sont fréquentes, présentes à toutes les hauteurs ; dans la partie sud, elles sont moins nombreuses, localisées vers le sommet. Les gravures patinées, de grandes dimensions, résultent d’un trait profond, en V large, dissymétrique. De nombreux animaux sont en profil absolu, les quatre membres souvent figurés. Tous n’ont pas reçu le même traitement : les extrémités restent souvent ouvertes, elles peuvent aussi être effilées et, dans un certain nombre de cas, les pattes se limitent à un simple trait. Le dessin des girafes est un peu raide, la surface du corps généralement garnie d’ocelles, est souvent polie ; cette technique atteste d’un traitement particulier des gravures car, alors que le trait est noir, fortement patiné, la surface du corps a une teinte rougeâtre qui suggère une longue pratique du polissage. La girafe serait l’animal le plus représenté et, d’après D. Pauphilet, le site serait remarquable par l’association girafe-félin. L’une tend le cou presque à l’horizontale au-dessus d’un petit félin, image qui a été lue comme une protection du félin par la girafe. Une autre dont le cou paraît transpercé par une lance à pointe magnifiée, traduit un lien avec une activité cynégétique. Un bubale, Pelorovis antiquus, bien reconnaissable au port de sa tête baissée, de sa queue ramenée sur la cuisse, s’inscrit dans l’art du Fezzan par ses pattes terminées en triangles pour figurer les sabots, son corps compartimenté par un trait continuant le tracé de la face interne des pattes, détails qui sont l’un et l’autre des canons de l’art de cette région. Un élé-
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Sahara préhistorique phant à longue trompe, à l’oreille soigneusement dessinée, est lui aussi typique de cet art par le trait double d’une partie de son contour. Ces représentations anciennes figurent également des rhinocéros, gazelles qui peuvent être de dessin très sobre. Des bovins à corne unique en avant pourraient appartenir eux aussi à ce monde des Chasseurs. Merdoufa Dans la région d’El Bayadh, le site de Merdoufa regroupe quatre stations de gravures d’époques différentes. La plus importante est une paroi du kef supérieur à gravures monumentales, au trait en U surbaissé, formant une sorte de frise continue avec bovins, félins qui sont parfois en style Djattou, équidés, rhinocéros dont un très petit tracé à l’intérieur d’un autre mesurant 0,70 m de long, Pelorovis, ainsi qu’un bélier à sphéroïde à surface endopérigraphique polie avec, devant lui, un petit personnage en pointillé. La station conserve également une représentation de petit caballin ancien identique à ceux de Gouiret bent Salloul ou Chebka Dirhem, de probables bovins, des félins et divers personnages accroupis. Sur une paroi verticale, à 3 m et 5 m du sol, sont figurés plusieurs Pelorovis aux cornes lisses, dont un suité, qui sont plus récents. Les autres stations conservent les restes de représentations de Pelorovis à patine sombre, cornes annelées ainsi qu’un grand nombre de figures très altérées. Oued Ahétès En Ahaggar, de part et d’autre de la haute vallée de l’oued Ahétès qui draine des eaux de la Téfédest jusqu’à l’Igharghar, les gravures couvrent des rochers isolés ou de petits gour. Elles offrent une grande variété de styles et de formes. Le niveau le plus ancien figure des éléphants, un rhinocéros, peut-être des girafes. Ce sont des représentations qui atteignent 1 à 2 m de long, à trait poli, patine foncée, de style un peu raide qui évoque le semi-naturalisme dont H. Lhote fait état à Djerat ; des gravures apparentées se trouvent à Mertoutek et pourraient se retrouver dans l’Adrar des Iforas. Oued Djerat Au Nord du Tassili n Ajjer, l’oued Djerat regroupe plus de 2600 gravures distribuées sur quelque 35 km, en 75 stations. Ces gravures, découvertes en 1932 par le Lieutenant Brenans, ne furent inventoriées qu’en 1959. Pour H. Lhote qui en a fait le relevé, elles s’étaleraient sur une durée de temps très longue. Elles figurent 28 espèces animales et comportent un lot considérable attribué à la période bubaline. La plupart des figures a été tracée sur des dalles horizontales et obtenue par un trait profond, poli, qui est fortement patiné. Elles sont le plus souvent isolées, de grande taille, parfois supérieure au réel. A Tin Tehed, une dalle porte un bouquet de girafes remarquables par leur beauté et leur dimension ; la plus grande atteint 8,50 m, ce qui en fait l’une des plus grandes gravures rupestres connues dans le monde. Ces gravures représentent une profusion de girafes, éléphants, rhinocéros, bovidés. Pelorovis, des gazelles, des antilopes sont figurés, ainsi que des hip-
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La vie spirituelle des hommes préhistoriques et ses expressions popotames, félins, divers oiseaux, quelques poissons, quelques singes, de rares chiens ; une partie des contours de pieds semblables à des empreintes est rapportée à la période bubaline par H. Lhote. Les motifs spiralés aux enroulements variés, appartiennent à divers étages et marquent divers animaux, rhinocéros (Fig. 70), bovins, le plus souvent ils se placent à proximité de ceux-ci ou les marquent. Les rapports Homme-Animal sont exceptionnels (un homme présentant un objet coudé à un bœuf, deux femmes en position d’imploration devant un bœuf, des personnages touchant un rhinocéros). Une cinquantaine de figures à patine totale est en représentation statique, la plupart en profil absolu. Les autres, soit l’essentiel des gravures, témoignent d’un puissant dynamisme avec des figures en profil relatif, saisies en marche ou en course. Quelques cas de frontalité existent ainsi que quelques animaux couchés. Le plus souvent, le contour n’est pas fermé, c’est ce que G.B.M. Flamand nommait contour dialypérigraphique. L’œil est rarement marqué, sauf peut-être chez les éléphants et rhinocéros. La formule dioculaire, mode de représentation des yeux qui, dans l’Atlas, affecte les gravures anciennes, est fort peu utilisée ici. Elle s’observe sur quelques éléphants, bœufs, rhinocéros, autruches, un hippopotame que H. Lhote considère des plus anciens. Mais, comme dans l’ensemble saharien, il semble que cette modalité n’ait pas la portée chronologique qu’on lui connaît dans l’Atlas. Alors que les rhinocéros sont des images assez monotones, les bœufs ainsi que les éléphants offrent une grande variété d’aspect pouvant traduire un étalement dans le temps. Les éléphants sont nantis d’oreilles de formes et positions diverses, parfois festonnées ; leur trompe dessinée dans différentes positions, est parfois striée ou annelée. Les bovins sont les animaux les plus fréquents. Ils présentent le plus souvent, une corne unique recourbée vers l’avant, tantôt des cornes en tenailles dirigées vers l’avant ou remontées au-dessus de la tête, certains ont des cornes en lyre, d’autres des cornes flottantes. Le corps est parfois compartimenté. Outre les relations avec des spirales, ils peuvent porter des appendices, traits joignant les cornes, traits barrant le cou que l’on nomme colliers, pendeloques. Certains, tout comme quelques autres animaux, s’agrémentent d’un décor festonné qui court sur l’échine. Une partie appartient incontestablement à la période des Pasteurs. Un bovidé à double corps (figure 2467 de H. Lhote) représenté à la station LXV, évoquerait même certaines peintures de la période bovidienne ; tracé sur dalle, sa patine n’a pas grande signification, mais son style, la qualité de son trait seraient plutôt en faveur d’une période ancienne. Les gravures que H. Lhote attribue à la période bubaline lui ont permis de poser la question d’une possible domestication locale et d’un rôle du bœuf au Sahara semblable à celui du bélier dans le Sud oranais. Oued Mathendous et Messak Settafet Un cas très particulier est celui de l’oued Mathendous1. En Libye, au sud de la Hamada el Hamra, entre les ergs d’Oubari et de Mourzoug se développe un plateau de grès perméables, qu’un chevelu d’oueds courts entaille jusqu’à proximité de grès peu perméables ; ils rejoignent l’oued el Ajal. Le long de ces vallées, la concentration des gravures est probablement l’une des plus grandes que 1 .- On englobe souvent sous le terme Oued Mathendous, un grand nombre de stations et de sites dont les plus connus sont Tilizzaghen, In Habeter, In Galghien.
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Sahara préhistorique l’on connaisse, elles se regroupent majoritairement en stations qui pourraient être liées à la présence d’eau plus ou moins pérenne durant les périodes de sécheresse. La stratigraphie des gravures n’est pas encore établie. Pour L. Frobenius, les plus anciennes ont utilisé la technique du double trait. Pour A. Pesce, le niveau le plus ancien serait sous-jacent à la grande faune tropicale et figurerait de nombreux bovins ; c’est cette lecture qui reste l’élément majeur de la chronologie courte que proposent certains auteurs1. S’il ne fait de doute pour personne que diverses phases rupestres soient représentées, bien peu ont tenté d’en établir l’ordre. Le fait est probablement lié à un remarquable « entretien » des images au cours des temps préhistoriques qui, ainsi que le font remarquer K.H. Striedter et M. Tauveron, a souvent oblitéré l’ordre des superpositions, gêné le développement de la patine ou l’a détruite ; quelques indices, qui s’appuient sur des images ayant échappé aux reprises, laissent cependant soupçonner une succession comparable à ce que l’on connaît en d’autres régions sahariennes. Ces auteurs remarquent également que des figures anciennes, isolées, ont pu être intégrées dans des scènes comme partie de celles-ci, les compositions étant des modes d’expression qui n’existent quasiment pas dans la période ancienne. Ainsi, les lectures de L. Frobenius et A. Pesce ne seraient que celles de l’état aujourd’hui le plus manifestement apparent mais ne tiendraient pas compte d’une histoire antérieure, pourtant souvent apparente2. Des éléphants, girafes, rhinocéros, bubales, bovins sont les figures les plus courantes, des autruches, antilopes -addax et oryx- sont fréquentes. Le mouflon est présent mais rare ainsi que le crocodile et les fauves. Des chèvres et moutons sont figurés, dont, peut-être, un bélier casqué. Des cercles réticulés abondent et ont été interprétés comme pièges en raison de quelques mises en situation ; des ovales dans lesquels certains auteurs voient des signes de fécondité, sont également nombreux. Les spirales et leurs dérivés, si courants à l’ouest, à Djerat ou dans l’Ahaggar, sont ici extrêmement rares. Bien que très érodé lorsqu’il ne fut pas repris, le contour des gravures résulte généralement d’un trait large à profil en U, probablement profond à l’origine, souvent poli ; certaines figures cependant sont piquetées ou en trait fin. Lorsqu’il y eut un entretien ou réemploi, le trait peut être en V, symétrique ou non, fortement poli, la surface endopérigrahique peut être polie ou piquetée polie, intégralement ou partiellement, la surface exopérigraphique abaissée, une patine variable d’un secteur à l’autre de la figure est souvent révélatrice de plusieurs phases dans son évolution. Le trait profond peut être double, en particulier pour les bovins, ce qui produit un effet de relief. Le polissage qui peut couvrir l’ensemble du corps, pouvant surcreuser fortement la roche, a été largement employé, plus particulièrement pour les bovins. Le dessin des épaules et 1 .- Appuyée par différents articles publiés par A. Pesce à la fin des années 1960, cette lecture a été reprise 15 ans plus tard par A. Muzzolini qui en fait la pierre angulaire de sa thèse, à partir de laquelle il force la domesticité de tous les bovinés figurés au Sahara, ce qui sera repris par J.-L. Le Quellec. En montrant la persistance de Bos primigenius au côté des bœufs domestiques, au moins jusqu’au Néolithique moyen, sinon final, dans la nécropole de Mankhor, les études paléo-zoologiques racontent une autre histoire. 2 .- Ainsi, A et A.-M. Van Albada notent « ...beaucoup de graphismes fortement éolisés à côté d’œuvres en très bon état. Ce phénomène est parfois visible au niveau de l’encornure et de l’extrémité des pattes....où un ancien contour apparaît... »
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La vie spirituelle des hommes préhistoriques et ses expressions des cuisses est fréquemment souligné par un trait qui prolonge celui des pattes. Les extrémités sont généralement bien finies, souvent arrondies ou en triangle ; dans le cas des girafes, elles sont parfois effilées. Les animaux sont représentés avec des corps souples, leur donnant vie. Certains sont suités. Ils sont souvent rendus en marche rapide ; chaque paire de pattes forme un V renversé dont les extrémités se chevauchent, l’ordre du chevauchement évoquant l’amble chez les girafes et certains éléphants. Les yeux, le détail des naseaux sont traduits avec soin. Les fauves se démarquent par un tracé raide tendant vers le schématisme, des griffes bien marquées. L. Frobenius distinguait un groupe d’antilopes aux pattes courbes, qu’il nommait « en forme de corne ». Nonobstant leur position chronologique, A. et A.M. Van Albada rangent les représentations de bovins en quatre catégories, bovins aux cornes en tenailles (Fig. 71), au corps massif que beaucoup n’hésitent pas à qualifier de Bos primigenius, bovins aux cornes en arrière, rabattues vers l’épaule qui pourrait être le bœuf d’eau, Syncerus caffer, bovins à corne unique dont l’extrémité se courbe vers le bas, bovins à longues cornes dressées portées par un animal élégant, haut sur pattes dans lequel la plupart des auteurs reconnaît Bos africanus. Plusieurs scènes de chasse font appel à des personnages à tête zoomorphe. L’une, qui est célèbre, présente deux hommes à tête de chacal devant un hippopotame reposant sur le dos ; les chasseurs tiennent en main gauche un objet ovale, court et la main droite de l’un oblitère une patte de l’hippopotame. La fréquence d’hommes à tête animale que certains ont nommé thériomorphes, est une des particularités de cette région (pl. 2). Ce sont de tels personnages qui interviennent dans les scènes à connotation sexuelle ; ils n’appartiendraient pas à la phase ancienne, ils seraient postérieurs. In Habeter est connu pour ses éléphants. Ils sont souvent accompagnés d’un minuscule personnage, caractère qui tend à les placer dans une période ancienne. De grandes dimensions (l’un d’eux mesure 2,25 m), le dessin de leurs oreilles est particulièrement recherché, il peut être strié, quadrillé, couvert d’un motif scalariforme. La trompe qui se relève parfois, peut être striée. Une représentation inhabituelle figure la tête de face, oreilles écartées. Dans une scène célèbre mettant en jeu un éléphant et des hommes, un homme paraît s’agripper à la queue de l’animal alors que deux autres personnages de mêmes petites dimensions se trouvent devant lui. Les girafes sont nombreuses, leur cou peut être allongé à l’horizontale, voire courbé vers le bas, l’extrémité de leurs membres est effilée ou fermée en arrondi. Elles sont souvent associées à un cercle, motif fréquent dans ce site, qui y est traduit comme piège ; devant l’une, qu’un petit personnage tient par la queue, existe ainsi un motif fait de deux cercles concentriques joints par des rayons. Une figure très connue est celle d’un crocodile suité, au corps hachuré, dont les membres antérieurs sont terminés en pointe, les postérieurs, restés ouverts, seraient pris dans un piège piqueté. Une autre figure marquante est celle des « chats », personnages zoomorphes (?), au corps entièrement poli, dressés sur leurs pattes arrières ; l’extrémité des membres est ouverte pour les uns, terminée par des griffes acérées pour les autres. C’est l’une des rares gravures du Fezzan à formule dioculaire. Sur le corps de l’un d’eux
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Sahara préhistorique est très finement gravé un petit personnage qui évoque l’art égyptien. Divers personnages de grande taille se trouvent également dans le site. A Tilizzaghen (=Tel Issaghen), la figure surnommée « Apollon Garamante »1 qui fut trouvée par H. Barth en 1850, peu après les découvertes de Thiout2, comporte un premier niveau profondément gravé, partiellement raclé avant l’exécution de « l’Apollon » et rendue de ce fait indéchiffrable et qui appartient probablement à cette période ancienne. Oued Romeilia Dans cette autre station de la région de Djelfa, un panneau dit «des lions» est gravé si haut sur une falaise qui domine la vallée, qu’il suppose lui aussi l’usage d’un échafaudage, ou autre artifice, pour les figures supérieures. Il regroupe sept lions, un chacal qui est un commensal habituel du lion, les traces d’un quadrupède indéterminable, un petit personnage schématique plus tardif. Les lions sont en profil absolu, queue relevée, ce qui est vu comme signe d’irritation. Trois seulement résultent d’un trait poli ; les yeux sont figurés par des cupules l’une au-dessus de l’autre, une troisième cupule peut traduire la gueule et des cupules petites et profondes, les griffes. Les quatre autres lions sont piquetés, de dessin plus sommaire, évoquant des imitations, mais les patines n’offrent pas de différence sauf celle de l’un qui oblitère un motif ovalaire. Au pied de la falaise, des rochers éboulés portent de-ci de-là quelques antilopes, gazelles dont le style, sobre, limité à quelques traits essentiels peut évoquer celui de Tazina, ainsi qu’un rhinocéros, des vestiges de gravures d’éléphants, d’une probable autruche. La quasi-totalité de ces autres gravures se rapporte à l’étage de grandes dimensions. Oued Zigza Sur une longueur de 30 km, cinq sites ont été identifiés dans cette partie du Fezzan. Les figures sont de petites dimensions avec, souvent, abaissement partiel ou total de la surface. Elles sont assez mal conservées, souvent peu lisibles. Les plus anciennes sont faites d’un trait profond, très patiné, les autres sont piquetées, d’un rendu dynamique qui va en se figeant. Elles représentent de nombreuses girafes de divers styles, des rhinocéros à formule dioculaire, des antilopes, gazelles, éléphants, autruches. Qurta et la Vallée du Nil Négligé lors des campagnes de sauvegarde des monuments de la vallée du Nil, le site de Qurta a été retrouvé en 2007, par D. Huyghe et la Mission archéologique belge en Egypte. Il regroupe trois stations comportant quelque 160 gravures disposées sur des rochers de la plaine de Kom Ombo, à proximité du site GS-III. Les traits de gravures tout comme la surface des parois, fortement altérés, fissurés, sont couverts d’une patine sombre. La majeure partie représente des animaux avec une forte prédominance des bovins, 70 %. Le plus souvent à corne courte, unique, recourbée vers l’avant, ils sont attribués à Bos primige1 .- Pour Barth, il s’agissait d’une scène mythique figurant Apollon -père de Garamas, patriarche des Garamantes, chez lesquels le bétail était vénéré-, et Hermès qui se disputant pour la possession des troupeaux. 2 .- Rappelons que c’est en 1847 que furent reconnues, à Thiout, les premières gravures figurant des animaux inadaptés au milieu ; elles allaient ouvrir la voie à l’identification d’un art préhistorique.
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La vie spirituelle des hommes préhistoriques et ses expressions nius. Ce sont de grandes figures mesurant 0,80 m à 1,80 m très différentes des gravures d’âge prédynastique bien connues dans le même secteur. Des hippopotames, gazelles, poissons, oiseaux ainsi que des silhouettes anthropomorphes sont représentés, mais en petit nombre. Des ossements provenant des espèces figurées ont été retrouvés dans le site voisin et le panneau, oblitéré par un dépôt sableux qui a été daté par OSL, a permis à D. Huyge et W. Claes d’estimer leur âge à environ 19.000 à 17.000 ans et de les rapporter au Ballanien-Silsilien. Les gravures sont disposées sans ordre apparent, certaines à la verticale, en contour monopérigraphique pour les unes, plus élaboré pour d’autres dont les membres sont souvent représentés dans la même attitude : au train avant, la patte de premier plan est en avant, au train arrière, elle est souvent repliée. Les contours n’ont pas le réalisme que l’on connaît ailleurs dans le Sahara ou ses abords, les angles sont prononcés. Des silhouettes féminines, fusiformes, ne sont identifiables qu’à leurs fesses prononcées. Ces gravures ont été réalisées par piquetage et incision et dans quelques cas par un trait profond à paroi externe fortement inclinée qui produit un effet de bas-relief. Des rayures marquent souvent la tête et le cou. Les anomalies de la roche ont pu être utilisées pour rendre la figure. Rosfat el Hamra men et-Taht Dans cet autre site de la région d’El Bayadh, de nombreuses gravures sont placées les unes sur la falaise, parfois très haut, les autres isolées sur des rochers éboulés. L’étage monumental est bien représenté avec Pelorovis, des éléphants, équidés, félins et autruches. L’un des éléphants en trait soigneusement pointillé, à l’oreille bilobée, a été postérieurement marqué de trois haches. Pelorovis est en profil absolu, mais le cornage qui est annelé, est de face, le sexe et le sabot sont dessinés. Les pattes écartées campent l’animal dans une position qui est connue en divers lieux, Dellaas, Gouiret bent Salloul, Hadjrat Driess, R’cheg Dirhem avec une figure très altérée, mais aussi Aïn Marshal où une figure plus récente le représente avec des cornes qui ne sont pas annelées. C’est l’attitude de l’animal que l’on retrouve dans le combat d’El Hamra, mais comme à Hadjrat Driess, la queue est ici pendante et non ramenée sur la fesse. Sfassafa Sur une crête du djebel Lazreg, habillée de dalles fortement inclinées et couvertes d’une patine noir profond, Mohamed Hadj Kadour reconnaissait en 1993, une dizaine de gravures : bubale (Fig. 72), bovin, antilopes, gazelles dont une suitée, cheval, se succèdent de plaque en plaque. La plupart est en style Tazina, de forme sobre due à un profond trait en U, bien typée avec des extrémités en pointe. Tous s’accompagnent, au-dessous des corps, de nombreux traits parallèles, verticaux. Sur la plus grande de ces figures, bovin probable, s’ajoutent des traits verticaux qui recouvrent en totalité le corps, sont plus serrés dans l’avant-train, horizontaux dans la tête. Une minuscule figure inhabituelle, un archer de quelque 5 cm de haut, de ton verdâtre, obtenu par un menu burinage rectangulaire, peu serré, peu profond, qui est bordée de traces de burinage au ton ocre, plus marqué, irrégulier, est bien plus récente.
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Sahara préhistorique Le style Tazina est aussi présent au pied du Djebel Milok sur des affleurements rocheux qui émergent de la plaine et ont été reconnues par V. Sohbi et le R.P. Jean Collignan. La station la plus remarquable développe sur quelque 5 m2, une file d’animaux avec bovin, rhinocéros et trois oryx (pl. 6). De dessin monopérigraphique, pattes en V, appendice démesurés, ils sont réalisés d’un trait profond, dissymétrique, s’emboitent les uns dans les autres, sans se recouper. Tazina Sur trois affleurements rocheux proches de la source de Tazina dans la région d’El Bayadh, des gravures de petites dimensions, au trait poli, profond, figurent des gazelles, bovins, éléphants (fig. 73). Les membres sont particulièrement effilés, s’allongeant parfois démesurément. La formule dioculaire est courante. L’éléphant est représenté oreilles côte à côte au-dessus de la ligne dorsale, selon la formule conventionnelle dite « en ailes de papillon » (Fig. 74). On retrouve des gravures identiques, toujours sur affleurement, dans diverses stations, Chebka Dirhem, Atrafa foum Foug, Feidj Naam... Leurs points communs ont permis de définir le style dit « de Tazina » qui, pour de nombreux auteurs, a valeur d’étage. La faune est la même que dans l’étage monumental mais l’on y voit en outre des personnages en position d’orant. Il se retrouve dans les environs de Laghouat où les stations de Milok et surtout Sfassafa montrent particulièrement bien les exubérances que connaît parfois le style Tazina, avec une prolifération de traits parallèles qui occupent l’espace. Tiaret Au Nord de l’Atlas saharien, la région de Tiaret (Algérie) offre des représentations qui appartiennent à une même province rupestre. A l’oued Azouania, ne subsistent que peu de vestiges de ce que F.E. Roubet a décrit comme combat. La tête du seul bubale visible ne présente qu’un seul œil et un seul naseau rendus l’un par un ovoïde profond, l’autre par une cupule. Au Kef Sidi bou Beker, la station principale comporte une soixantaine de gravures avec Bos primigenius, Pelorovis, des antilopes, gazelles, autruches, des félins, des animaux indéterminés dont certains pourraient être des éléphants. Elles n’appartiennent pas toutes à la phase monumentale. Thiout La station de Thiout a été signalée dès 1847 par F. Jacquot ; son intérêt se double d’un intérêt historique en étant la première station rupestre retenant l’attention du monde scientifique et ouvrant le voie à la reconnaissance d’un art préhistorique. Elle est rapportée pour l’essentiel, à l’étage bubalin de dimensions moyennes par H. Lhote ; une partie des figures appartient à une phase récente où l’arc est utilisé. Les figures se regroupent sur une paroi verticale, basse, où malgré leur grande densité, les superpositions sont exceptionnelles. Seul, un grand lion suité recoupe la patte arrière d’un bovin qu’il enserre par ailleurs dans son dessin. Le trait de la plupart des figures est poli ainsi que la surface endopérigraphique. Alors qu’aucun détail n’est indiqué chez les autres animaux, les oreilles, yeux, bouche des lions sont figurés par de petites cupules et les griffes de l’adulte sont marquées. Les bovins qui sont généralement nantis
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La vie spirituelle des hommes préhistoriques et ses expressions
Fig. 72 – Sfassafa (Atlas saharien). Pelorovis est identifiable à la forme et au port de sa tête. En style Tazina, il est gravé sur bloc, d'un trait profond et sûr. La partie postérieure est fortement altérée par des desquamations et la patte détruite par une très ancienne cassure qui a permis à la patine de se régénérer (cl. M.Arib).
de cornes en avant, sont les représentations les plus courantes. Diverses figures traduisent une atmosphère de chasse, hommes touchant un fauve ou munis de crochets entravant l’avant d’un bovin. Une seconde station a été reconnue en 1967, quelques kilomètres au sud. Trois éléphants au trait en U poli, d’aspects différents par les oreilles, pattes, trompes appartiennent à la période bubaline, ainsi qu’un âne et un chien qui lui fait face. Les éléphants sont marqués de poignards piquetés, à patine claire, qui rapportent une appropriation des gravures anciennes et leur intégration à un art récent, de l’âge des métaux dans ce cas. Tidunadj En Tadrart, à Tidunadj (Fig. 77), dans un large méandre de l’oued, une paroi gréseuse sub-verticale supporte la gravure de quatre bovins1 qui a joué un rôle notable dans l’assise d’une chronologie longue. Sommairement réalistes, les bovins, de grande taille, sont conventionnellement munis d’une unique et imposante corne courbée vers l’avant, ils permettent la lecture suivante : un trait poli en U a d’abord été partiellement effacé, puis, alors que la gravure était en partie peu lisible, ce trait a été rafraîchi. Postérieurement, une terrasse de l’oued a recouvert le bas des gravures presque jusqu’à la ligne du ventre, masquant les pattes de deux bovins et les pieds d’un autre. Une seconde génération de reprise, à patine chamois, affecte la partie non recouverte. Ceci implique, pour la première génération, un tracé antérieur à 7 500 B.P. (6 400 av. J.C.) car cette terrasse 1 .- Une cinquième représentation, plus petite, peut être une imitation ou une figuration maladroite.
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Sahara préhistorique
Fig. 73 – Tazina (Atlas saharien). Le style de Tazina est un dessin vigoureux au trait profond, poli, qui rend avec sobriété la silhouette, ici celle d'un éléphant (cl. M. Arib).
Fig. 74 – Tazina (Atlas saharien). Eléphant à oreilles « en ailes de papillon ». Th. Monod a donné ce nom à un mode de représentation des oreilles, l'une à côté de l'autre, débordant la ligne du dos (cl. M.Arib).
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La vie spirituelle des hommes préhistoriques et ses expressions est la plus élevée d’un système bien connu dans la Tadrart où deux terrasses emboîtées sont reliées aux écoulements actuels ; elle n’a pu se mettre en place, au plus jeune, qu’à l’Holocène inférieur, avant l’installation de l’aride intra-holocène qui a bloqué les dépôts de l’oued et abaissé le niveau de base, créant la terrasse. Le fait que le tracé primitif était déjà peu lisible lors de la reprise, suggère un laps de temps tel que sa réalisation est à reporter avant le premier humide holocène, donc au Pléistocène final, ce qui rejoint les propositions de F. Mori à la lecture des gravures de Ti n Ascigh. Ce laps de temps permet d’expliquer la perte de référent culturel mise en évidence par les différences techniques et stylistiques entre reprise et original malgré la constance de l’intérêt pour le thème. Tin Terert Proche de la guelta Assar, au Tassili n Ajjer, la station est un imposant affleurement rocheux dominant le maader de Dider. Il supporte une centaine de gravures rapportées à la période bubaline par H. Lhote. Des gravures plus récentes dues à un piquetage non jointif, figurent essentiellement des hiboux. Cette position sur paroi horizontale ne permet pas d’utiliser le critère patine comme élément distinctif, néanmoins H. Lhote distingue deux ensembles, tous deux remarquables par la beauté de l’image, le trait profond, poli, dont la dissymétrie produit une ombre assurant du relief à la gravure. Les figures anciennes sont celles d’éléphants, rhinocéros, girafes, autruches, antilopes, gazelles. La course d’une autruche est rendue par dédoublement du corps et de la tête (Fig. 75) selon un procédé bien connu dans l’art rupestre. L’un
Fig. 75 – Tin Terert (Iraraïn). Autruche en course. Le mouvement est rendu par un procédé courant dans l'art préhistorique, le dédoublement de tout ou partie de l'animal, ici celui de la tête et du cou (cl. M. Arib).
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Sahara préhistorique des rhinocéros porte trois cupules profondes sur la tête dont deux pourraient rappeler une formule dioculaire, particularité qui se retrouve chez un ou deux bovins. Plusieurs gazelles sont représentées couchées, corps arqué, tête ramenée vers l’arrière train ; leur tête présente trois profondes cupules figurant les yeux et les nasaux. Trois girafes en groupe, au corps quadrillé, arc-boutées, tendent le cou vers un même point comme pour brouter de hauts feuillages. Les représentations de bovidés restent difficiles à situer. Certains sont remarquables par leurs dimensions qui peuvent dépasser 4 m de long et l’un d’eux aux cornes démesurées, a le corps entièrement couvert de motifs spiralés. Il est probable que ces figures s’étalent sur un long laps de temps, les attributs portés par les bovins comme la fréquence des personnages (personnages à tête zoomorphe, ithyphalliques (Fig. 76) ou portant l’étui phallique, femmes dont une, en position agenouillée, est interprétée comme témoin de l’utilisation d’une meule), en rapportent une partie à une phase avancée de la période bubaline, probablement charnière avec le monde pastoral. Tin Ghergho Dans la partie méridionale du Tassili de Tin Ghergho, près d’Ouan Rechla, un lambeau de surface noirâtre, vestige d’une patine très ancienne, brillante, habillant la roche sur quelques millimètres d’épaisseur et dont la destruction intervient par décollement de la roche support puis écaillage, intègre une figure de quadrupède à patine totale (fig. 78). A proximité, des parois exfoliées supportent des gravures
Fig. 76 – Arkana (Djado). Ithyphallique à tête de canidé (cl. M. Tauveron).
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La vie spirituelle des hommes préhistoriques et ses expressions également à patine totale, mais cette patine, qu’il s’agisse de celle de la roche ou de celle de la gravure, est terne ; à l’inverse de la précédente, elle ne forme pas une croûte. C’est là un solide argument en faveur de deux ensembles gravés dont le plus ancien qui fait corps avec la carapace de patine1, est en voie de disparition depuis longtemps puisque c’est sur la roche écaillée que le second, qui figure la grande faune et pourrait traduire des prémices de domestication, a été gravé avant qu’une nouvelle patine ne couvre roche et gravures. Youf Ahakit Le site, connu sous diverses transcriptions, plus particulièrement Ouféké et Youfaket, est un des lieux les plus fréquentés de l’Ahaggar. Zone de chicots gréseux, il comporte 28 stations dont deux avec peintures. Riche ensemble bovidien, il renferme aussi quelques gravures anciennes peu visibles, de ton gris semblable à celui de la roche. L’une des stations montre un grand rhinocéros
Fig. 77 – Tidunadj (Tadrart). Sur la paroi de Tidunadj figurent cinq bovins à corne unique, recourbée vers l'avant. Le trait originel est poli, en U. Ces gravures ont été « rajeunies » à plusieurs reprises : une première fois par un burinage qui présente la même patine totale, gris foncé, que le trait antérieur et dont le dessin devient hésitant et maladroit là où ne subsiste aucun reste du trait original, parties avant du bovidé central, par exemple. Une seconde génération de reprises, également réalisée par burinage, mais avec un autre outil, de manière à la fois plus légère, moins serrée et moins régulière, est de patine chamois. Le cinquième animal, plus sommaire, pourrait être une imitation inachevée, seul un burinage identique à celui de seconde génération de reprise est perceptible. Cette seconde génération est postérieure à un recouvrement du bas de la gravure par une terrasse de l'oued car elle n'affecte que la partie non couverte de la gravure. La terrasse étant à rapporter, au plus jeune, à la mi-holocène, le laps de temps nécessaire à la création de deux générations de patine, celle de l'original d'abord, puis celle de la première génération de reprise, renvoi la réalisation de la gravure au Pléistocène supérieur (cl. M. Tauveron).
1 .- Dans l’Atlas saharien, la croûte la plus ancienne a été nommée patine primitive. En l’état des connaissances, il n’est pas possible de les comparer l’une à l’autre.
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Sahara préhistorique de 2 m de long, au trait large, peu profond en raison d’une usure prononcée de la surface rocheuse, une autre deux éléphants fortement érodés. Le plus grand atteint 4 m de long, le trait est peu profond mais très large (3 à 5 cm). Leur état d’usure bien plus avancé que celui des autres gravures atteste d’une plus grande ancienneté de même leur style aux nombreux détails.
L’art le plus ancien est un art animalier gravé qui peut avoir des dimensions supérieures au réel. Très fréquemment, mais pas exclusivement, le trait a un profil en U, poli, qui peut montrer les restes d’un piquetage antérieur. Par leurs patines et leurs contextes, quatre cas indépendants l’un de l’autre, Ti n Ascigh, Tin Ghergho, Tidunadj, Aïn Sfissifa, rapportent la réalisation de l’art des Chasseurs le plus ancien au Pléistocène. Art de chasseurs, il est d’un remarquable réalisme ; les figures sont le plus souvent isolées, un regroupement n’introduisant pas obligatoirement une relation entre elles. Elles représentent couramment des éléphants, bubales (Pelorovis), gazelles, antilopes, autruches, rhinocéros, girafes, lions... Au Sahara, l’auroch (Bos primigenius) peut être fréquent. L’homme intervient peu et avec des dimensions réduites ou inversement démesurées. Très petit, sans arme, touchant les fauves, il participe à la symbolique des images. S. Mithen décompose l’art en trois éléments : une pré-conception qui appartient au domaine technique déjà perceptible dans le débitage Levallois, un désir de communiquer qui appartient à l’intelligence sociale et se traduit dans le langage, la possibilité de donner un sens à une image non associée à son référent ce qui appartient à l’intelligence naturelle et n’interviendrait qu’alors. De la communication entre ces trois domaines viendrait l’art. Certains auteurs se sont particulièrement attachés aux signes qui accompagnent plus ou moins fréquemment les gravures. Ce sont des arcs de cercle, des croissants, des signes en V ou Y auxquels s’ajoutent des symboles à valeur psychique comme la spirale, les disques céphaliques… P. Huard qui en nomme certains « signes des Chasseurs » y voit, entre la vallée du Nil et la côte atlantique, le symbole d’un peuplement de même substrat. Cet art ne disparaîtra pas avec la mise en place d’un mode de vie nouveau. Il perdure au Néolithique, se raréfiant et côtoyant un art d’inspiration autre, ordonné autour de l’homme.
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La parure, témoin d’un souci mystique ? Les plus anciens objets de parure apparaissent dans l’Atérien1 et ce sont de loin les coquillages qui semblent les plus courants, les matériaux autres, os, pierre, semblent peu utilisés : une pendeloque en os a été retrouvée à El Ha-
Fig. 78 – Tin Ghergho (Tassili wan Ahaggar). Quadrupède non identifiable, prisonnier de la patine primitive. En s'effritant et se desquamant, elle a libéré des surfaces verticales utilisées à une centaine de mètres par des graveurs bien plus récents pour figurer la faune sauvage ; la patine noire, totale, patine carapace de Flamand, qui les recouvre permet de rapporter la patine primitive antérieurement à l'aride pléistocène supérieur (cl. M. Tauveron).
rhoura 2 et trois éclats à perforation intentionnelle à Seggedim. Le coquillage le plus fréquent est Nassarius gibbosulus. A Taforalt, 13 coquilles gisaient sur une surface de 6 m2 dans des niveaux qui ont pu être datés de 85000 à 70000. Ils présentaient une coloration rougeâtre due à une imprégnation d’ocre. Dans divers gisements marocains, Ifri n’Ammar, Bizmoune, Contrebandiers, Rhafas, ces mêmes pendentifs (?) ont été retirés de niveaux d’âges comparables. Il est probable que deux coquillages-pendeloques proviennent de Bir el Ater : l’une 1 .- Des traces de litholatrie ont été notées dans le Moustérien d’Ifri n’Ammar.
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Sahara préhistorique qui appartient à la collection Morel est percée dans la partie antérieure, elle est mentionnée et figurée par J. Morel sous le nom d’Arcularia gibbosula, E.G. Gobert cité par H. Camps-Fabrer en 1960, en fait état sous le nom de Nassa gibbosula et, bien que ceux-ci ne le précisent pas, tout donne à penser qu’il s’agit de celle qui fut identifiée par F. d’Errico et al dans cette collection, l’autre est mentionnée parmi les premiers objets retirés du gisement et ne saurait être confondue avec celle de la collection Morel. Dans l’Ibéromaurusien, la parure est souvent présente, mais jamais abondante. Comme précédemment, l’essentiel consiste en coquillages transformés en pendeloques par une perforation, naturelle dans un certain nombre de cas, produite par une action rotative due à l’homme dans d’autres. Les plus courants sont les pétoncles, turritelles, dentales, mais on a aussi retrouvé des cônes, tritons, pourpres, cyprées, cérithes qui, eux, ne se comptent que par unité. A l’oued Akarit, des nasses étaient mêlées aux lamelles à dos. A La Mouillah, Abri Alain, Taforalt, Taounate, des galets ont été perforés. A Taforalt, La Mouillah, Zarath, le test d’œuf d’autruche a été aménagé en rondelles d’enfilage. L’ocre, à un degré moindre, la galène, abondent dans ces gisements. De véritables crayons ont été découverts à Sidi Said, dans un dépôt plus ancien. En proposant des objectifs picturaux, ils subodorent l’emploi de peintures corporelles, ce que renforcent les traces portées par divers coquillages perforés car elles évoquent un frottement contre une surface ocrée, celle d’un vêtement ou la peau. Dans les sites de la vallée du Nil, quelles que soient l’époque et l’appartenance culturelle, les colorants sont quasiment absents et la parure exceptionnelle. Les seuls éléments retrouvés sont quelques rondelles d’enfilage en test d’œuf d’autruche qui proviennent du site halfien 443 et des sites kubbaniyens E78-4 et E81-1. L’ocre n’a été identifié que dans le site kubbaniyen E78-4, où sa position auprès de plusieurs foyers a probablement une signification. Le rôle de la parure est une question posée. Certains y voient une expression esthétique, l’affirmation de soi, à d’autres elle apparaît plutôt comme marqueur d’appartenance à un groupe ou, vu sa dispersion, à une catégorie sociale. Pour H. Camps-Fabrer, elle est un appareil prophylactique qui vise à protéger ou attirer des forces bienfaisantes. Nonobstant son rôle, elle accorde à l’homme du Paléolithique supérieur, une pensée abstraite et une sphère culturelle développée.
Des pratiques funéraires, autres témoins de mysticisme ? En zone saharienne, seul le Paléolithique inférieur d’El Beyyed a livré un fragment humain, un péroné ; au nord, en particulier au Maroc et à un degré moindre en Algérie, Libye, Mauritanie, hors ceux retrouvés en Egypte dans le site moustérien de Nazlet Khater, les restes venant des sites anciens, moustériens et atériens, se limitent à des fragments céphaliques ou mandibulaires, exceptionnellement à des os longs. Rien ne permet de leur attribuer un traitement différent de celui réservé aux restes d’animaux auxquels ils étaient souvent associés. Les récents travaux de taphonomie y voient volontiers des rebuts de la nourriture de fauves ; une volonté délibérée d’inhumation n’intervient que dans
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La vie spirituelle des hommes préhistoriques et ses expressions le Sébilien, le Kubbaniyen et surtout le Qadien et l’Ibéromaurusien avec des individus entiers, indiscutablement déposés avec soins. Les modes d’inhumation Ces inhumations occupent des positions variées. Elles sont généralement plus ou moins regroupées dans une partie inhabitée comme dans les sites ibéromaurusiens d’Afalou bou Rhummel, Taforalt ou La Mouillah. Dans le site qadien ANE-1, kubbaniyen E-82-6, fakhurien E71-K1, elles sont placées en bordure d’habitat. A Nazlet Khater 2, une tombe se trouvait au voisinage d’une exploitation minière. Le site qadien 117 près du djebel Sahaba est un véritable cimetière indépendant de l’habitat, mais il s’agit probablement d’un cas particulier qui paraît lié à des luttes violentes. Des lieux privilégiés d’ensevelissement ont été identifiés dans divers gisements. A La Mouillah, les inhumations étaient faites dans l’abri qui, lors de sa découverte, était fermé par de grosses dalles. D’après A. Barbin, il n’aurait pas servi d’habitat, mais de lieux de refuge et d’inhumation, l’habitat se trouvant au pied de la falaise. A Taforalt, près de 200 individus retirés du gisement (80 adultes1, 6 adolescents, 97 à 100 enfants) proviennent de deux diverticules s’ouvrant dans le fond de l’abri. A Afalou bou Rhummel existent de véritables ossuaires ; ils ne sont pas situés dans des secteurs quelconques de l’abri, mais correspondent à des zones impropres aux occupations quotidiennes, l’aplomb de la cheminée où l’on ne pouvait se protéger des intempéries et une anfractuosité de la paroi rocheuse ne permettant pas à l’homme de se mouvoir. Les enchevêtrements d’ossements ont d’abord donné à penser que les corps étaient jetés pêle-mêle, puis l’étude a montré que cet enchevêtrement résultait des remaniements qui intervenaient lors de nouvelles inhumations. Des sépultures primaires ont été retrouvées isolées, dans divers sites ibéromaurusiens. C’est le cas à Taoura (Gambetta), Kef oum Touiza, Ifri n’Ammar, Hattab II. A Rachgoun, les six individus qui furent découverts, étaient probablement dispersés dans le site. On ne dispose d’indications que pour ceux retirés par les missions du CRAPE, les autres ayant été recueillis sans informations par les ouvriers qui ouvraient la route. La position de l’enfant de Taramsa, découvert assis dans une exploitation minière, tête basculée vers l’arrière, donne à penser qu’il se trouvait ainsi lors de son dernier soupir, ce qui paraît pour le moins énigmatique : s’est-il perdu ? a-t-il été abandonné ? Une orientation systématique n’a été observée qu’à La Mouillah où les individus sont placés ouest-est. Dans les autres sites, les orientations, les positions d’inhumation reconnaissables sont variables, bien que laissant soupçonner certaines tendances. La position la plus ancienne est peut-être le décubitus dorsal ; elle a été observée à Nazlet Khater. L’un des individus qui date de plus de 30 000 ans, reposait sur le dos, regard à l’ouest, bras étendus, main gauche ramenée sur le bassin. Une autre fosse, qui a livré des restes écrasés, sans crâne, accompagnés de quelques os de fœtus, reposait également sur le dos. H28 et HX d’Afalou bou 1 .- Nombre ramené à 36 par L. Aoudia-Chouakri, les autres individus n’ont pas été réévalués.
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Sahara préhistorique Rhummel étaient dans cette position. Elle se retrouve à La Mouillah, Dar es Soltane 2, Ifri n’Ammar. Les deux individus retirés de Rachgoun par les missions CRAPE reposaient ainsi et montraient en outre l’un des membres inférieurs replié vers le haut, dans une attitude peu habituelle évoquant une position accroupie qui aurait basculé ou le décubitus dorsal d’un corps en position contractée. C’est aussi le cas du sujet féminin de grande taille d’Ifri el Baroud qui semblait assis. Pour A. Ben Ncer, le creusement de la fosse serait volontairement fait pour ne recevoir qu’un cadavre ramassé avec des membres inférieurs fléchis ; il y voit une position en passe de devenir courante chez les Ibéromaurusiens1. Le décubitus latéral fléchi a été pratiqué à Rachgoun. C’est la position la plus courante à La Mouillah avec des défunts reposant sur le côté droit, tête à l’ouest. A Taforalt, le seul squelette pour lequel on dispose d’indications, se trouvait dans cette position. A El Harhoura 1, d’où ont été retirés des ossements fragmentés appartenant à une quinzaine d’individus, le seul dont la position était reconnaissable était en décubitus gauche. A Afalou bou Rhummel, un seul individu, H2 qui obstruait l’anfractuosité renfermant l’un des ossuaires, était légèrement fléchi, couché sur le côté droit, regard à l’ouest. Quelques sites, comme le site qadien 117 qui a livré une soixantaine de restes humains, témoignent d’une grande unité. A l’exception d’un corps retrouvé en décubitus ventral, tous les autres avaient été placés en décubitus latéral fléchi, ils reposaient presque tous sur le côté gauche, tête à l’est, regard au sud, dans des fosses ovales qui renfermaient un individu, parfois plusieurs ; jusqu’à huit corps, indifféremment hommes, femmes, enfants, ont été retrouvés dans la même fosse. Dans le site 8905, 21 sépultures peuvent être regroupées en deux ensembles dont le plus ancien, qui serait contemporain de la formation Sahaba (ce qui pourrait le situer vers 15 000), présente des individus en décubitus latéral fléchi, reposant sur le côté gauche, regard à l’est. Cette uniformité de position des inhumations oriente vers une idée de culture prégnante. Faut-il voir dans la différence du côté de repos, gauche en région orientale, droite en région occidentale, une différence d’ordre régionale ou sexuelle comme on en trouvera dans le monde néolithique ? Une position en décubitus latéral contracté a été notée dans l’Ibéromaurusien, à Kef oum Touiza. Cette position préférentielle se retrouve à Dar es Soltane 2 où le défunt qui reposait sur la dalle d’effondrement était en position contractée, placé sur le côté gauche, tête au nord. Elle aurait été courante à Afalou bou Rhummel où la diversité des modes d’inhumation et le soin différent apporté aux défunts, est vu comme l’expression d’une hiérarchisation de la société. Dans le Qadien, il est le mode d’inhumation le plus fréquent à Tushka, où le corps était placé sur le côté gauche, moins souvent droit, la tête plutôt au nord dans le premier cas, à l’est dans le second, sans que ces positions soient systématiques. La Préhistoire livre peu de cas de décubitus ventral. Outre l’individu du Site 117, il est connu à Kubbaniya, site E-82-6, où a été retrouvé un individu d’une vingtaine d’années dont la tête était placée à l’est et qui avait probablement été l’objet de violence à en juger par des lamelles logées dans la cavité abdominale. Un cas particulier a été rencontré à La Mouillah où trois corps étaient allongés sur le dos, jambes pendantes, position qui propose un support surélevé 1 .- A partir des datations disponibles, A. Ben Ncer rapporte la sépulture au moins à 12500 B.C.
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La vie spirituelle des hommes préhistoriques et ses expressions laissant les jambes dans le vide et un ligotage de celles-ci ayant permis de les conserver dans cette position. Des restes incomplets qui suggèrent une inhumation secondaire se trouvaient dans quelques tombes de Tushka, dans le Site 117. P. Cadenat en a mis au jour à Columnata. Des stries de découpe qui résultent de la désarticulation de membres, partie de membres ou ceinture, ont été observées à Taforalt, La Mouillah, Gambetta. Elles marquent aussi une décarnisation à Taforalt. Ce même site a montré des traces de pigments sur des stries de découpe de crânes, un rembourrage des orifices du visage, suggérant un surmodelage. Les dépôts et monuments funéraires Couramment, les inhumations s’accompagnent du dépôt d’une ou plusieurs pierres. Des pierres plates recouvraient les squelettes à La Mouillah, des blocs de grès à El Harhoura. Une couverture de dalles a été identifiée sur certaines inhumations du Soudan, dans le Site 117 ; à Dar es Soltane 2, au Maroc, il s’agit certainement de bloc d’effondrement. A Rachgoun, on peut faire état d’un tumulus épais de 70 cm au-dessus d’un des corps. A Columnata, les ossements étaient parfois surmontés d’un amoncellement de petites pierres, certains étaient associés à un véritable monument. H25, individu réduit aux restes post-crâniens, était surmonté d’une pierre oblongue, et à 0,50 m, s’étendait un pavage de 1 x 0,5 m que P. Cadenat identifie comme un « autel ». H27 était surmonté d’un tas de petites pierres mesurant plus de 1 x 0,5 m avec une hauteur de l’ordre de 0,40 m d’où émergeaient des chevilles osseuses de Bos primigenius. Cette pratique de placer des bucranes dans la tombe, qui connaîtra plus tard un ample développement au Soudan, se retrouve dans le gisement ibéromausien de Taforalt où des cornes d’Ammotragus en marquaient deux. Elle est connue dans le Qadien : à Tushka, des cornes de bovidés étaient placées près de la tête de trois individus. Le mobilier funéraire est particulièrement discret. Dans l’une des tombes de Nazlet Khater, une hache en pierre, identique à celles fournies par le site minier, se trouvait près du crâne. Il est possible que les quelques fragments de tests d’œuf d’autruche associés à l’autre inhumation, près de laquelle gisaient des restes d’un fœtus, aient été un dépôt funéraire. A Afalou bou Rhummel, un dépôt d’oligiste broyée de plus d’un kilogramme avec un poinçon planté au milieu était placé au sommet du crâne de H28, quelques galets de silex non taillés étaient sous la tête au niveau du menton, sous ses pieds se trouvait un crâne d’enfant dont on ne saurait dire s’il appartient ou non à la même inhumation. HX tenait un couteau en os dans la main droite et était accompagné d’un macaque, lui aussi en position primaire. Ces particularités s’ajoutent à la position en decubitus dorsal de ces deux individus qui appartiennent au niveau ancien, pour suggérer un changement dans les coutumes au cours de l’Ibéromaurusien. L’emploi de l’ocre associé aux inhumations est fort peu répandu, il est attesté à Rachgoun et à Dar es Soltane 2, avec un galet ocré reposant à 50 cm de la tête de l’un des défunts.
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Sahara préhistorique
Au Paléolithique supérieur, des témoins de parure (coquillages, os travaillé…), d'art mobilier (plaquettes gravées, figurines en terre cuite…) que livrent certaines cultures traduisent de nouvelles modalités de contact de l'homme avec son environnement et soulignent une nouvelle étape de son évolution, le développement de sa psyché ; ce sont probablement ces constructions qui s'expriment dans l'art rupestre. Au Paléolithique final, une idée de transcendance s'exprime aussi dans les soins prodigués aux morts, les offrandes déposées près d'eux. Les Ibéromaurusiens les enterrent volontiers dans des secteurs peu accessibles de leurs habitats. La bonne conservation ainsi assurée à ces restes, a permis de disposer de plusieurs centaines d'individus pour connaître cette population. Elle a permis à M.C. Chamla de montrer qu'ils évoluaient par petits groupes indépendants constitués à partir d'un type commun.
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En conclusion
Dès le Pléistocène inférieur, des ensembles industriels à galets aménagés témoignent du notable déploiement géographique des Hominines dans le Sahara et ses abords : on perçoit actuellement une traînée qui suit les massifs montagneux, Ennedi, Tibesti, Ahaggar, la vallée de la Saoura et s’épanouit au nord. Néanmoins, on ne connaît pas le moment de cette dispersion ; longtemps, on n’a disposé que d’un seul créneau chronologique, 1,95-1,75 Ma, venant du gisement Aïn Hanech, au Nord du Sahara, qui, avec des sphéroïdes à facettes, est un des ensembles les plus évolués du Paléolithique ancien. La découverte de pierres taillées à Aïn Boucherit reporte à 2,3-2,4 Ma cette présence. Une date aussi haute ne résoud pas la question, elle la complique et peut poser en d’autres termes la forme humaine (?) qui a conquis la savane couvrant alors l’essentiel de ce territoire. Ce premier outil va s’allonger, s’appointir, devenir un biface. Tout au long de l’Acheuléen, il ne cessera de s’amincir, le façonnage d’un éclat remplaçant pour cela celui d’un galet. Dans de nombreuses régions, il s’accompagne de hachereau, autre arme/outil sur grand éclat. Il se développe amplement dans la vallée de la Saoura avec des procédés de débitage, des supports, grandement diversifiés qui invitent à la réflexion. Au Pléistocène moyen, la densité de l’occupation s’intensifie fortement. L’Acheuléen supérieur voit même une véritable explosion, tout particulièrement dans la zone saharienne. L’homme est alors capable de façonner et regrouper des objets semblables. Ayant conquis le feu, il modifie sa nourriture avec des aliments grillés. Dès lors, il quitte définitivement la sphère animale pour une nouvelle aventure. Une distinction habitat atelier s’établit en certains endroits quand l’eau et les matériaux nécessaires à la confection des outils sont éloignés, ce qui peut les séparer de plusieurs kilomètres. Un tel choix implique une certaine durée de l’implantation et non la seule fréquentation maintes fois renouvelée des mêmes lieux ; pour certains auteurs, cela suppose que le problème du portage des objets soit résolu. Au nord du Sahara, divers restes humains permettent de connaître l’auteur des industries à bifaces, Homo erectus ou, pour de plus en plus d’auteurs, Homo ergaster. On lui attribue un développement du cerveau qui atteint autour de 850 cc. Il fut d’abord identifié à Ternifine (Tighnif) dans un gisement que l’on date de 0,65 Ma, puis dans divers sites marocains. Avec le biface, l’homme a développé les notions de réflexion et d’anticipation qui s’expriment dans le débitage Levallois, technique que le développement d’un langage articulé facilite.
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Sahara préhistorique Il développe le sens de l’esthétique par l’usage de colorants. Il a perdu l’ambidextrie, a découvert la symétrie. Dans la Saoura, B. Champault voyait dans l’harmonie des formes des bifaces, un sens de l’esthétique semblable au nôtre et, par cela, plaçait leurs auteurs dans l’ascendance directe d’Homo sapiens. Cinquante ans plus tard, en identifiant un caractère de la symphyse mentonnière propre à l’homme actuel qui ne serait porté que par Homo mauritanicus, la palæoanthropologie rejoint cette proposition. Durant la plus grande partie du Paléolithique, les hommes qui ont occupé le Nord de l’Afrique ont utilisé les mêmes ensembles industriels que ceux qui évoluaient en Europe occidentale. Mais s’ils sont semblables, ces ensembles ne sont pas totalement synchrones, non seulement les utilisateurs de galets aménagés, mais aussi les porteurs de bifaces, par leur plus grande ancienneté au Maghreb, ont fait naître l’hypothèse d’une migration sud-nord, le détroit de Gibraltar et le canal de Sicile ayant pu servir de pont au même titre que le couloir levantin. Le hachereau, par sa répartition, conforte cette proposition qui reste cependant à confirmer. Encore mal connu, le Paléolithique moyen s’avère complexe, marqué par l’emploi courant d’un débitage prédéterminant. Il se retrouve dans nombre de petits sites qu’il est difficile de catégoriser. Le Moustérien qui fut longtemps supposé absent d’une grande partie de ces régions, s’y présente sous des formes semblables à celles d’Europe occidentale, y compris dans leur diversité ; il montre des caractères plus particuliers dans les régions méridionales où les pièces foliacées qui l’envahissent, auraient pu traduire des similitudes avec le Lupembien d’Afrique méridionale, si cette particularité n’affectait pas aussi le Moustérien marocain. C’est alors que la notion de « chaîne opératoire » en tant que moyen d’identification des cultures peut prendre tout son sens. Ici, le Moustérien n’est pas porté par l’homme de Néanderthal, mais, autant à l’ouest qu’à l’est, par un sapiens archaïque. Des ensembles industriels qui n’ont aucun similaire en Eurasie, lui succèdent : à l’ouest, l’Atérien, à l’est le Complexe nubien. Diverses stratigraphies -qu’elles soient de plein air comme Kouali ou sous abri comme Taforalt-, ou la technologie avec des pré-pédoncules à oued Akarit, un proto-Atérien à Ifri n’Ammar invitent à en chercher les racines dans le Moustérien. La complexité des relations entre ces deux ensembles industriels, leurs intercalations que l’on connaît à Haua Fteah, Ifri n’Ammar, traduisent peut-être des tâtonnements dans l’invention du pédoncule. Les effets du climat paraissant un élément majeur dans le choix des implantations et les transformations des ensembles industriels, divers auteurs s’interrogent sur la possibilité d’un lien entre cette innovation et les phases de détérioration climatique, celles du stade isotopique 5, il y a de 130000 à 71000 ans, ayant pu être déterminantes ; les dates de plus en plus hautes auxquelles on rapporte le pédoncule, ne contredisent pas cette hypothèse. Le passage de l’Atérien à l’Ibéromaurusien dans le Nord du Maghreb reste une question ouverte. On croit de moins en moins à une invasion par le peuple ibéromaurusien. Avec la réduction des dimensions de l’outillage, le choix systématique du silex comme matériau, un débitage de petits éclats allongés, voire de lamelles, les industries de Sidi Saïd soutiennent l’hypothèse d’un passage
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Conclusion local aux industries lamellaires ibéromaurusiennes. Le hiatus que l’on a supposé exister entre l’Atérien et l’Ibéromaurusien avait été déterminé par une connaissance insuffisante du milieu et de ses multiples dépôts de colluvions. Il avait été confirmé par la méconnaissance du gros matériel qui constitue une partie des industries ibéromaurusiennes, les réduisant à un aspect exclusivement microlithique. La croyance en une présence néanderthalienne liée aux industries atériennes, alors que l’homme de Mechta el Arbi était présent dans les sites ibéromaurusiens, en avait été la preuve. Aucun de ces facteurs n’a pu résister aux connaissances actuelles. Partant d’Homo mauritanicus, l’échelonnement chronologique des divers restes humains découverts au Maroc autorisent à suivre une évolution qui s’épanouit en homme de Mechta el Arbi, forme sapiens qui évoque les Cro-magnons européens, et proposer le développement d’une lignée sapiens dans le Maghreb . Si le déploiement d’industries lamellaires vers le 20ème millénaire est un fait généralisé au nord du Sahara et dans la vallée du Nil, le problème n’est pas résolu dans le Sahara lui-même où se pose la question d’un Atérien qui perdurerait. Il paraît difficile en effet de “ vider ” totalement d’hommes la zone saharienne durant l’aride qui y sévit lors de la dernière phase glaciaire, d’une part parce que ce ne fut pas, comme il avait été admis, une longue période uniformément hyperaride, mais qu’elle fut coupée d’orages et de phases de rémission climatique, d’autre part, parce que de récents travaux viennent d’identifier des moyens très ingénieux de récupération de l’eau à cette époque, technique qui, par sa seule existence, atteste de la présence des hommes et de leurs capacités cognitives. Tout au long du Paléolithique, l’homme a vécu de ses cueillettes, de charognes, du produit de ses chasses, au sein d’agencements de plus en plus complexes. Dans la Saoura, une organisation sociale se perçoit déjà à l’Acheuléen, avec la surproduction de matériel intact, la standardisation, le regroupement de formes en secteurs spécifiques. Le Paléolithique supérieur est marqué par divers changements : dans le mode d’obtention des outils où le débitage centripète fait place à un débitage uni- ou bidirectionnel, dans la production de pièces plus légères transformées en une multitude d’outils. Un comportement nouveau est noté chez les Ibéromaurusiens : leurs restes fauniques traduisent un attrait prononcé pour le mouflon ou l’alcélaphe, selon les régions et, à l’inverse de ce qui se note pour les autres mammifères chassés qui ne comportent jamais le squelette axial, leurs carcasses entières sont présentes. C’est également le cas, à certaines époques, à Taza I, pour le magot. Cela implique une présence très proche et des agissements particuliers à leur égard. Autres modifications profondes des comportements, outre une spécialisation qui s’affirme de plus en plus, la constitution de réserves dont témoignent les aires de séchage du poisson découvertes dans la vallée du Nil, amène l’homme à moins compter sur autrui. La technologie qui se développe souligne une emprise de plus en plus grande sur le milieu, c’est ainsi qu’aux puits d’extraction des galets dans la vallée du Nil, se substituent de véritables galeries. Et partout, franchissant un nouveau seuil, l’homme développe une pensée symbolique, il enterre ses morts, se pare quel que soit le sens des premiers « bijoux », identitaire, protecteur ou autre,
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Sahara préhistorique il inscrit sur la roche des “ messages ” que nous nommons art. Ces manifestations symboliques, émergentes dans le Moustérien, s’affirment dans l’Atérien, puis dans l’Ibéromaurusien et les ensembles industriels connexes. Les parois rocheuses se couvrent de gravures qui témoignent d’un sens artistique développé, d’une hardiesse d’exécution par des inachevés comme l’extrémité des pattes. Il développe le concept « temps » par une notion de futur suggérée par les stocks, celle de passé par l’aménagement d’ossements humains. En fin de Paléolithique, une transformation idéologique et sociale est en marche. Les effets du climat paraissent un élément majeur dans les transformations des ensembles industriels et le choix des implantations ; grâce à l’abondance de l’eau, certains secteurs comme la Jeffara resteront privilégiés. Pour le préhistorien, ces transformations appellent des modes d’appréhension des laisses humaines de plus en plus sophistiqués. Après la stratigraphie qui a permis de les ordonner dans le temps, la typologie a permis de définir les cultures, puis la radiochronologie de les dater ; aujourd’hui, diverses tentatives sont faites pour parfaire la connaissance de l’homme, développement de la technologie, utilisation de procédés mathématiques (diagramme treillis...), d’analyses diverses, certaines avec grand succès. Ces pratiques nouvelles ne doivent pas entraîner au délaissement systématique des vieilles techniques ou revenir à l’utilisation d’un vocabulaire fluctuant, personnalisé, alors qu’il en est un défini au fil des avancées par les organisations internationales ; pour faire progresser la connaissance de ce lointain passé, un langage commun est un passage obligé, toutefois, au même titre que les méthodes de fouilles ou d’analyses, il se doit d’être évolutif.
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DATATIONS Adriane : 5700000±600 000 Afalou bou Rhummel : 12020±170 (Gif 6532) Afalou bou Rhummel : 12400±230 (Ly 3228) Affa-23 : 15900±1750 OSL Aïn Benian : 33800±1600 (UW387) Aïn Boucherit : 1 920 000±0,050 000 Aïn Boucherit : 2 440 000±0,140 000 Aïn Zargha : 27310±320 Aïn Zargha : 30000±9000 U/Th Akakus (= Fezzan) : 14300±400 (TH128) U/Th Akakus (=Fezzan) : 15600±1200 (GA-2) U/Th Akakus (= Fezzan) : 19400 +5400/-5200 (TH 94) Benzù : 254000±17000 (Shfd 020 135) Bir el Ater : > 35000 (Mc 657) Bir Tarfawi : 43300±3000 (SMU177) Bou Hadid : > 38000 Bou Hadid : > 39900 Chaperon Rouge : 28200±3300 TL Chaperon Rouge : 41100±6100 TL Contrebandier : voir El Mnasra I Dar es Soltane 1 : 37220±2900 (TO-2045) Dar es Soltane 1 : 61700±4400 (X2388), OSL Dar es Soltane 1 : 109900±9800 (X2381), OSL Dar es Soltane 2 : 16500 ±250 (UQ1558) Dishna : 12500±300 Djebel Irhoud : 286000±32000 Djebel Irhoud : 315000±34000 E71-K1 : 17980±330 (I-3416) E71-K3 : 17590±300 (I-3415) E71-K9 : 21590±1 520 (Ox.TL161.C.1) TL E71-P5 : 13730 ± 700 (I-1360) E78-4 : 17100±540 (SMU 623) E78-4 : 19060±1000 (AA-224A) E81-3 : 18120±670 (SMU 1129) E81-3 : 18360±790 (SMU 1036) El Abadiya 3 : 11620±55 (KIA14812) El Abadiya 3 : 12520±70 (KIA14813) El Hamel : 9540±120 El Harhoura 1 : 32150±4800 TL El Harhoura 1 : 41160±3500 (BOR56) TL
El Harhoura 2 : 44000±3000 (EH0605) ESR-US El Harhoura 2 : 62000±4000 (EH0603) ESR-US El Harhoura 2 : 92000+11000/-9 000 (EH0601) ESR-US El Harhoura 2 : 100000±6000 (EH08-8) OSL El Harhoura 2 : 116000±7000 (EH08-3) OSL El Mnasra I (=Contrebandiers) : 12500±170 (Gif2577). El Mnasra I : 14460±200 (Gif2579) El Mnasra I : 22630 ± 500 B.P. (Gif2576)1 El Mnasra I : 23700 ± 1000 B.P. (Gif 2585) El Mnasra I : 24500 ± 600 B.P. (Gif 2582) El Mnasra I : 94000 ± 9000 El Mnasra I : 117000 ± 9000 El Mnasra I : 137000 ± 17000 U/Th2 El Mnasra II (grotte du Casino) : 66000±2000 (EM0601) ESR-U El Mnasra II : 67000±2000 (EM0603) ESR-U U/Th El Mnasra II : 71600±5300 OSL El Mnasra II : 89000±6000 (EM0604) ESR-U El Mnasra II : 95400±9300 OSL El Mnasra II : 133200±7000 OSL El Onçor : 10040±190 (Gif 4433) El Ouata : 32700 + 1700 El Ouata : 33900 + 1900 Erg Chech : 10100±200 (I1645) Erg Chech : 17700 ± 290 (I2376) Erg Chech : 24200±630 (I2375) Es Sayar : 13100±250 (Gif 4349) Falaises Rouges : 31800±1900 (II 3951) Grotte des Rhinocéros (carrière Ouled Hamida I = Thomas III) : 279000±49000 RPE Grotte des Rhinocéros (carrière Ouled Hamida I = Thomas III) : 476000±75000 RPE Grotte des Rhinocéros (carrière Ouled Hamida I =Thomas III) : 200000±200 (U234/238) Halfien :14970±1420 Halfien : 25700±2500 (GXO410), Hattab 2 : 8900 ± 1100 (13 345K0311) Haua Fteah : 33100±400 (Grn2550)
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Sahara préhistorique Haua Fteah : 43200±1300 (GrN2564)3 Ifri el Baroud : 11895±64 Ifri el Baroud : 12574±65 Ifri el Baroud : 13359±72 Ifri el Baroud : 16777±83 Ifri n’Ammar : 11653±427 Ifri n’Ammar : 83300±5600 TL Ifri n’Ammar : 130000±7800 TL Ifri n’Ammar : 145000±9000 TL Ifri n’Ammar : 171000±12000 TL Kef el Hammar : 13345±50 (OxA-11926) Kef el Hammar : 21920±110 (OxA-11872) Lagreich : 282000±5600 TL Rassel : 14270±600 (Alg) Shuwikhat-1 : 24700±2500 (OxTL253) TL Sidi Saïd : 20500±1400 Sidi Saïd : 25970±360 Sidi Saïd : 27280±1890 Sidi Saïd : 38130±1320 (Alg) Site 34C : > 41490 (SMU107) Site 605 : 4480±200 (WSU 190) Site 1024A : 10925±140 (WSU-188) Site 1024A : 11000±120 (WSU-144) Site 8896 : 14000±280 Site GS-2B-I : 13070±160 (Y1375) Site GS-2B-I : 13560±120 (Y1447) Site GS-2B-II : 14390±200 (I-5180) Site GS-2B-II : 15310±200 (Y 1376)
Site GS-III : 13611±600 Site GS-III : 15310 ± 200 Site GS-III :16000±800 Site SJ-00-56 : 16750 ± 60 (Beta-157689) Sodmein Cave : 29950±900 (GrN-16782) Sodmein Cave : > 44500 (Lv-2087). Taforalt : 10800±400 (SA13) Taforalt : 21900±400 (Gif 2587) Taforalt : 32370 + 2470 -1890 (Gif 2276) Helix Taforalt : 34550+3200-2470 Tamar Hat : 10350±375 (IEN67/31) Tamar Hat : 12450±480 (IEN67/30) Tamar Hat : 16100±360 (Mc 817) Tamar Hat : 19800±500 Tamar Hat : 20600±500 (Mc 822) Taza : 13800±130 (Gif6799) Taza : 16100±140 (Gif6800) Taza : > 39000 (Alger) Temara : voir El Masra I Uan Afuda : 69000±7000 OSL Uan Afuda : 70500±9500 TL Uan Afuda : 73000±10000 TL Uan Afuda : 90000±10000 OSL Uan Tabu : 61000±10000 OSL Wadi Gan : 27310±320 Wadi Gan : 30000±9000 (U/Th)
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LISTES TYPOLOGIQUES Bien que la tendance actuelle tende à les délaisser, on ne saurait oublier que les listes-types ont favorisé l'établissement d'un langage commun, aisément accessible à tous ; elles ont conduit à d'importantes avancées en permettant des comparaisons fiables et ont simplifié les comparaisons par leur expression graphique. Elles restent une manière simple et rapide d'appréhender les ensembles industriels et par delà, les cultures, éléments fondamentaux de la connaissance de l'humanité.
LISTE-TYPE DU Paléolithique moyen 1 – éclat Levallois 2 – éclat atypique 3 – pointe Levallois 4 - pointe Levallois 5 - pointe Levallois retouchée 6 - pointe moustérienne 7 - pointe moustérienne allongées 8 – limace 9 – racloir rectiligne 10 - racloir convexe 11 - racloir concave 12 - racloir double rectiligne 13 - racloir double droit-convexe 14 - racloir double droit-concave 15 - racloir double biconvexe 16 - racloir double biconcave 17 - racloir convexo-concave 18 - racloir convergent rectiligne 19 - racloir convergent convexe 20 - racloir convergent concave 21 - racloir déjeté 22 - racloir transversal droit 23 - racloir transversal convexe 24 - racloir transversal concave 25 - racloir sur face plane 26 - racloir à retouche abrupte 27 - racloir à dos aminci 28 - racloir à retouche biface 29 - racloir alterne 30 - grattoir typique
31 – grattoir atypique 32 - burin typique 33 - burin atypique 34 - perçoir typique 35 - perçoir atypique 36 - couteau à dos typique 37 - couteau à dos atypique 38 - couteau à dos naturel 39 - raclette 40 - éclat tronqué 41 - tranchet moustérien 42 – encoche 43 – denticulé 44 - bec burinant alterne 45 - retouche surface plane 46-47 - retouche abrupte alterne épaisse 48-49 - retouche abrupte alterne mince 50 - retouche biface 51- pointe de Tayac 52 - triangle à encoche 53 – pseudo-microburin 54 - encoche en bout 55 – hachoir 56 – rabot 57 – pointe pédonculée 58 - outil pédonculé 59 – chopper 60 - chopper inverse 61 - chopping-tool 62 – divers 63 - pointe foliacée biface
Indices technologiques : IL = éclats+lames+pointes Levallois x100/total éclats+lames+pointes débités IF = talons bifacettés et multifacettés x 100/total talons reconnaissables IFs = talons multifacettés x100/total talons reconnaissables Ilames = lames x100/éclats+lames+pointes Indices typologiques : ILty = éclats+lames+pointes Levallois non retouchés (types1à 4) x100/total outils (types 1 à 62) IR = racloirs (9 à 29) x100/outils (1 à 62) IC = racloirs convexes+limaces+racloirs transversaux(8,10,22-24) x 100/outils (1 à 62) IB = bifaces x100/outils (1à 62) Groupes caractéristiques I = Groupe Levallois = ILty II = Groupe Moustérien : types 5 à 29 x 100/outils (1 à 62) III = Groupe Paléo sup : types 30 à 37 x 100/outils (1 à 62) IV = Groupe Denticulé : types 43 x 100/outils (1 à 62)
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LISTE-TYPE Paléolithique supérieur et Epipaléolithique Dans la liste-type ci-dessous, établie par J. Tixier pour le Maghreb, ne sont reprises que les définitions non immédiatement évidentes. 1.- Grattoir simple sur éclat 2.- Grattoir sur éclat retouché 3.- Grattoir circulaire 4.- Grattoir nucléiforme ou rabot 5.- Grattoir denticulée 6.- Grattoir à épaulement ou à museau 7.- Grattoir à coche(s) 8.- Grattoir simple sur lame ou lamelle 9.- Grattoir sur lame ou lamelle retouchée 10.- Grattoir sur lame à bord abattu 11.- Grattoir double 12.- Perçoir simple 13.- Perçoir sur lamelle à bord abattu 14.- Perçoir d’Aïn Khanga « lamelle à bord abattu par retouches abruptes dont une extrémité présente une arqûre du dos et une coche (à retouche normale ou inverse) sur le tranchant opposé dégageant ainsi un petit crochet ou perçoir incurvé. L’autre extrémité est souvent aménagée en soie longue et très étroite. » 15.- Grand Perçoir capsien 16.- Mèche de foret 17.- Burin dièdre 18.- Burin dièdre d’angle 19.- Burin d’angle sur cassure 20.- Burin multiple dièdre 21.- Burin d’angle sur troncature rectiligne normale 22.- Burin d’angle sur troncature rectiligne oblique 23.- Burin d’angle sur troncature concave 24.- Burin d’angle sur troncature convexe 25.- Burin d’angle sur piquant-trièdre 26.- Burin multiple sur troncature 27.- Burin multiple mixte 28.- Burin nucléiforme 29.- Burin dièdre sur lame à bord abattu 30.- Burin d’angle sur cassure de lame à bord abattu 31.- Burin sur dos de lame à bord abattu 32.- Burin d’angle sur troncature de lame à bord abattu 33.- Burin multiple sur lame à bord abattu
34.- Eclat à bord abattu 35.- Lame à bord abattu rectiligne 36.- Lame à tête arquée 37.- Lame à bord abattu arqué 38.- Couteau de Guentis « éclat ou large lame -souvent de technique Levallois- ayant un bord abattu par retouches abruptes très fortement arqué dans sa partie distale » 39.- Lame à bord abattu convexo-concave 40.- Lame à bord abattu obtuse 41.- Lame à bord abattu partiel 42.- Fragment de lame à bord abattu 43.- Grattoir-Lame à bord abattu 44.- Grattoir-Burin 45.- Lamelle aiguë à bord abattu rectiligne 46.- Lamelle aiguë à bord abattu rectiligne et base arrondie 47.- Lamelle aiguë à bord abattu rectiligne et base tronquée 48.- Pointe de Mechta el-Arbi « pièce de type 45 présentant en outre une base tronquée obliquement, par retouches bifaciales envahissantes, faisant un angle aigu avec le bord abattu » 49.- Pointe du Chacal « Lamelle aiguë à bord abattu rectiligne par retouches très abruptes en général « sur enclume », de silhouette très élancée, dont la base présente une troncature courte adjacente au bord abattu et une troncature plus longue opposée, obtenues par retouches directes » 50.- Pointe d’Aïoun Berriche « Lamelle aiguë à bord abattu rectiligne par retouches abruptes, de silhouette très élancée, dont la base présente une troncaturenettement concave, symétrique à l’axe de la pièce » 51.- Lamelle aiguë à bord abattu rectiligne et base retouchée 52.- Pointe d’Aïn Keda « Lamelle aiguë à bord abattu rectiligne par retouches abruptes, de silhouette très élancée, présentant sur la totalité du bord opposé au dos des retouches semi-abruptes (rarement abruptes) directes, inverses ou alternantes »
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Annexes 53.- Aiguillon droit « Lamelle aiguë à bord abattu rectiligne (plus rarement concave) par retouches « sur enclume », de section triangulaire, sans nervure sur l’une ou l’autre face, à tranchant plus ou moins convexe, parfois partiellement retouché, ne présentant plus trace de talon » 54.- Chute de burin à retouches abruptes 55.- Lamelle à tête arquée 56.- Lamelle à bord abattu arqué 57.- Lamelle à bord abattu arqué et base arrondie 58.- Lamelle à bord abattu arqué et base tronquée 59.- Lamelle à bord abattu arqué et base retouchée 60.- Lamelle à bord abattu gibbeux 61.- Lamelle à bord abattu et base rétrécie 62.- Pointe de La Mouillah « Lamelle dont un bord, abattu par retouches abruptes, se termine par un piquant-trièdre distal ou proximal » 63.- Lamelle à bord abattu partiel 64.- Lamelle à cran 65.- Pointe à cran 66.- Fragment de lamelle à bord abattu 67.- Lamelle obtuse à bord abattu 68.- Lamelle scalène « Lamelle ayant un bord abattu rectiligne, une troncature plus ou moins oblique lui faisant suite en formant un angle au sommet bien marqué ; bord abattu et troncature sont obtenus soit par retouche abrupte soit, plus fréquemment, par retouche Ouchtata, une partie du talon étant toujours conservée » 69.- Lamelle aiguë à retouche Ouchtata 70.- Lamelle Ouchtata « Lamelle ayant un tranchant (généralement le droit) abattu par retouches directes de type Ouchtata. Ces retouches, débutant dans la partie proximale sans supprimer le talon, vont en s’amenuisant pour laisser la partie distale brute de débitage, que celle-ci soit aiguë ou obtuse » 71.- Lamelle à retouche Ouchtata 72.- Fragment de lamelle à retouche Ouchtata 73.- Grosse pièce à coche ou étranglement 74.- Eclat à coche(s) 75.- Eclat denticulée76.- Lame ou lamelle à coche(s) 77.- Lame ou lamelle denticulée 78.- Scie 79.- Pièce à coche(s) ou denticulation et retouche continue 80.- Pièce à troncature(s)
81.- Pièce à troncature et base ogivale retouchée 82.- Segment ou demi-cercle 83.- Trapèze isocèle 84.- Trapèze dissymétrique 85.- Trapèze rectangle 86.- Trapèze à un côté concave 87.- Trapèze à deux côtés concaves 88.- Trapèze à un côté convexe 89.- Triangle isocèle ou équilatéral 90.- Triangle scalène 91.- Triangle à un côté concave 92.- Triangle à deux côtés concaves 93.- Triangle à un côté convexe 94.- Triangle scalène allongé 95.- Triangle scalène allongé à petit côté court 96.- Scalène-perçoir «Triangle scalène allongé à petit côté court dont la grande pointe a été aménagée en perçoir » 97.- Triangle scalène allongé à petit côté concave 98.- Scalène-perçoir à petit côté concave 99.- Triangle scalène allongé à angle arrondi 100.- Scalène-perçoir à angle arrondi 101.- Lame ou lamelle à piquant-trièdre 102.- Microburin 103.- Microburin Krukowski 104.- Pièce esquillée 105.- Pièce à retouche continue 106.- Racloir 107.- Pointe d’Ounan «Petite lame ou lamelle à extrémité distale naturellement aiguë ou ap-pointie par de légères retouches,dont la base a été aménagée, par retouches abruptes -plus rarement envahissantes-, en fin perçoir à double épaulement,très souvent arqué » 108.- Pointe de Bou-Saada « Lamelle à extrémité distale naturellement aiguë, ou appointie par de l égères retouches, dont la base a été encochée par des retouches directes plus ou moins abruptes ou l égèrement envahissantes, parfois bifaciales, supprimant le talon » 109.- Lamelle aiguë à base arrondie 110.- Pointe de Columnata « Petite pièce de silhouette triangulaire ou trapézoïdale prise sur lamelle, présentant une base tronquée normale ou concave par retouches bifaciales envahissantes et une pointe obtenue par retouches abruptes d’un seul bord » 111.- Pièce à languette 112.- Divers
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Classification des nucleus (Tixier 1963) - pyramidaux - plats
Nucleus cannelés
Nucleus non cannelés
- pyramidaux - globuleux
- discoïdes - cylindriques à 2 plans de frappe opposés - plats à 2 plans de frappe opposés - croisés à 2 plans de frappe perpenduculaires - divers
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Annexes
STADES ISOTOPIQUES (en ka) D'après : 1) Lisiecki & Raymo (2005) ; 2) Aitken & Stokes from Bassinot et al. (1994)
Holocène
MIS 1 – 0-14 ka, 0-11ka Pléistocène supérieur MIS 2 – 14-29 11-24 fin du Younger Dryas MIS 3 – 29-57 24-60 dernier maximum glaciaire MIS 4 – 57-71 60-74 MIS 5 – 71-130 74-130 subdivisé de a à e : MIS 5a – 71-82 74-84 MIS 5b – 82-87 84-92 MIS 5c – 87-96 92-105 MIS 5d – 96-109 105-115 MIS 5e – 109-123 115-130 Eemien
Pléistocène moyen
MIS 6 – 130-191 130-190 MIS 7 – 191-243 190-244 MIS 8 – 243-300 244-301 MIS 9 – 300-337 301-334 MIS 10 – 337-374 334-364 MIS 11 – 374-424, 364-427 le plus semblable à MIS1 MIS 12 – 424-478, 427-474 MIS 13 – 478-533 474-528 MIS 14 – 533-563 528-568 MIS 15 – 563-621 568-621 MIS 16 – 621-676 621-659 MIS 17 – 676-712 659-712 (689) MIS 18 – 712-761 712 (689)-760 (726) MIS 19 – 761-790 760 (726)-787 (736)
Pléistocène inférieur
MIS 20 – 790-814 787 (736)-810 (763) MIS 21 – 814-866 810 (763)-865 (790) MIS 22 – 865 (790)-1.03
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Glossaire Abbevillien : v. biface. Abkien : culture du Néolithique soudanais, localisée dans la région de la Deuxième cataracte et en amont. Acheuléen : culture du Paléolithique inférieur où domine l’usage du biface ; est souvent utilisé pour désigner la période durant laquelle, cette culture se développe. Afien : ensemble industriel paléolithique supérieur de Moyenne et Haute Egypte, dont l’extension territoriale suppose la traversée du Nil. Agadirien : v. Ouljien. Aguerguerien : d’Aguerguer (Mauritanie) ; sur le littoral mauritanien, phase régressive encadrée par les transgressions de l’Aïoujien et l’Inchirien. Aïdien : plus ancien cycle climato-sédimentaire reconnu dans la Saoura. Il se placerait vers 3 à 2 millions d’années. Aïoujien : d’El Aïouj (Mauritanie) ; phase transgressive bien marquée sur la côte mauritanienne ; pour certains auteurs, elle pourrait correspondre à l’Eutyrrhénien (interglaciaire Riss-Würm), pour d’autres, elle appartiendrait au Pléistocène moyen. Elle est suivie de la régression de l’Aguerguerien. Akcharien : de Akchar (Mauritanie), sur le littoral mauritanien, phase régressive succédant au Tafaritien et précédant l’Aïoujien. Albédo : partie de l’énergie solaire incidente qui est réfléchie par la terre. Alène : outil en os. V. industrie osseuse. Amirien : de Beni Amir. Au Maroc, phase continentale des débuts du Pléistocène moyen, nommé en 1956 par Choubert et al. Il remonte au moins à 700000 ans et voit le développement d’une partie de l’Acheuléen. C’est alors qu’apparaît la faune euro-asiatique, elle pourrait venir d’Espagne car plusieurs espèces ne sont pas connues dans l’Est du Maghreb. Pour Beaudet et al., l’Amirien couvrirait la glaciation de Mindel, se développant avant et après. Il serait l’équivalent du Kamasien en Afrique orientale et de la base de l’Ougartien dans la Saoura. Anaglaciaire : début de glaciation, période d’extension des glaciers et de réduction des pluies en zone saharienne. Analyse multivariée : mode d’analyse statistique. Les travaux de Préhistoire font intervenir de plus en plus des analyses complexes telles que univariées qui s’expriment en courbe de Gauss, bivariées qui permettent des corrélations entre deux caractères, multivariées qui mettent en relation un nombre plus ou moins important de caractères, en composantes principales (ACP), en factorielle des correspondances (AFC), en classification ascendante hiérarchique (CAH). Anfatien : nom donné par P. Biberson à la transgression ayant laissé au Maroc ses traces autour de +30 m. Elle correspondrait au Paléotyrrhénien. Anthracologie : étude des charbons permettant d’identifier l’espèce botanique. Il est délicat d’en tirer des informations quantitatives, mais les indications obtenues permettent, en Préhistoire, de saisir des choix faits par les hommes. Anthropoïde : singe de grande taille, dépourvu de queue, tel que chimpanzé, gorille... Archanthropiens : ensemble des Homo erectus.
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Sahara préhistorique Atérien : dans le Nord de l’Afrique, période à cheval sur le Paléolithique moyen et supérieur, caractérisée par des outils nantis d’un pédoncule et le développement des grattoirs. Atlanthrope : voir Atlanthropus mauritanicus. Atlanthropus mauritanicus : (= Atlanthrope), forme de Homo erectus du Nord de l’Afrique dont des restes ont été trouvés en Algérie près de Mascara et au Maroc près de Casablanca et Rabat. Aurignacien : une des plus anciennes cultures du Paléolithique supérieur européen. Les grattoirs y sont nombreux ainsi que les burins et des lames à retouche caractéristique. Australopithécinés : sous-tribu des Hominines. Australopithecus : Australopithèque. Primate fossile de la famille des Hominidés, bien connu en Afrique de l’Est et du Sud où le premier fut décrit en 1925. Il mesurait 1 à 1,50 m, avait un cerveau occupant un volume de 400 à 500 cc, une face saillante. Il comprend plusieurs formes dont les relations ne sont pas clairement établies. Ballana (formation) : dans la vallée du Nil, épisode aride qui fait suite à la formation Dibeira-jer. Ballanien : ensemble industriel du Paléolithique supérieur égyptien. Biber : nom de la plus ancienne période glaciaire marquée dans le paysage. Elle est rapportée au plio-quaternaire. Biface : Pierre taillée dont la longueur peut aller de 30 à 5 cm, ayant un aspect d’amande, façonnée plus ou moins complètement sur les deux faces par petits enlèvements. Le terme biface (Vayson de Pradennes 1920) a remplacé celui de « coup de poing » (Mortillet 1883) ou « hache » (Jussieu 1723), ou encore celui de « hachereau », terme parfois employé en Europe pour désigner certains bifaces et qui ne saurait les confondre avec le hachereau africain. La nomenclature des bifaces la plus couramment employée est celle établie par F. Bordes (1961) qui désigne les formes par leur silhouette (fig. 18 à 31). L’épaisseur, la régularité du façonnage, sa technique qui varient selon les époques, ont permis de distinguer une vingtaine de types et de retrouver plusieurs stades d’évolution. Dans les périodes anciennes, c’est un objet lourd, épais, au tranchant sinueux, conservant d’importantes parties non travaillées. Quand l’aménagement n’affecte qu’une partie de la pièce, le biface est dit partiel ; il est à talon réservé lorsque, façonné sur éclat, il a conservé tout ou partie de celui-ci, à base réservée lorsque taillé sur rognon ou galet, du cortex subsiste enveloppant plus ou moins largement la base. J. Tixier distingue des bases arrondies, en V et plates. Des enlèvements courts, larges, à contre-bulbe prononcé traduisent un façonnage au percuteur dur, l’intersection entre les deux faces se fait selon un angle ouvert égal ou supérieur à 60°. Des enlèvements plus longs que larges à contrebulbe diffus traduisent un façonnage au percuteur tendre, l’intersection des faces produit un angle < 30°. La retaille ou régularisation est une finition du bord qui en augmente la rectitude à l’aide d’une succession de petits enlèvements. L’étude la plus courante se mène à partir des mensurations (fig. 7). L’orientation du biface se fait en le posant sur la face la moins bombée, la base toujours plus épaisse et plus large que l’extrémité distale n’étant difficile à déterminer que dans le cas des pièces à tendance discoïde. On parle de biface dévié quand la pointe de la pièce n’est pas dans son axe, de biface mixte lorsque les deux bords appartiennent à des formes différentes. Les mensurations servent aussi au calcul de divers indices significatifs de la forme du biface et qui facilitent les comparaisons. Indice de dissymétrie ID : L/a x 100 qui rend compte de l’allongement et de l’arrondi de la base ; de convergence IC : o/m x 100 qui précise la forme de la pointe; d’allongement IA : m/L x 100 ; sectionnel IS : e/m x 100. Outre les valeurs chiffrées mentionnées ci-dessus, l’analyse des bifaces doit faire mention de l’aspect des arêtes qui peuvent être sinueuses, à courbes courtes et nombreuses ;
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Glossaire hélicoïdales, à courbes larges ou torse si le plan qui passe par l’arête est gauchi ; rectilignes, sans courbe. On gagnera à indiquer si l’aménagement a été fait par enlèvements développés sur une face puis l’autre ou par enlèvements alternés. Biostasie : phase de développement de la végétation. Bola : boule de pierre, utilisée comme arme de jet dès l’Acheuléen. Bovidien : culture préhistorique développée au Sahara entre les 6e et 3e millénaires, surtout connue par ses peintures. Brachycrâne : crâne à dimension antéro-postérieure courte. Broyeur : v. molette. Bubalin : au Sahara et ses abords, période la plus ancienne de l’art rupestre. Burin : éclat, lame ou plaquette portant un biseau produit par un ou plusieurs enlèvements dus à la technique du coup de burin. Calabrien : nom donné par Gignoux en 1910, à un épisode transgressif de la mer villafranchienne. Sa mise en relation avec les rémissions glaciaires est mal assurée. Sur la côte méditerranéenne, il a laissé des traces qui ont été portées à une altitude de l’ordre de +600m et est en continuité sédimentaire avec le Plaisancien. Sa base serait marquée par l’extinction de Dicoasters. Il se subdivise en : Calabrien inférieur ou Précalabrien à faune banale avec parfois des espèces boréales, Calabrien moyen (= Emilien de Ruggieri, Selli 1948) légèrement régressif, ne renfermant plus d’espèces froides et Calabrien supérieur (= Néocalabrien de Bonifay 1959) à faune froide avec Cyprina islandica, Hyalinea baltica, Ammonia beccarii en Méditerranée. En 2008, Cita et al le situent entre 1 806 000 et 781 000 moment de la dernière inversion du champ magnétique terrestre, l’inversion de Brunhes-Matuyama. Campignien : technique de taille visant à la production d’un gros outillage à extrémité pointue, le pic, ou tranchante par la rencontre de deux surfaces d’éclatement, le tranchet. Longtemps, le terme a désigné une culture néolithique renfermant ces outils. Capsien : culture préhistorique connue entre les 8e et 5e millénaires en Afrique du Nord. Carpologie : étude des graines et fruits fossiles. Ceux trouvés dans les gisements donnent accès aux paysages et aux comportements humains. Cataglaciaire : fin de glaciation, période de réduction des glaciers, marquée par une amélioration de la pluviosité en zone saharienne. Céramique : (=poterie), en Préhistoire, nom donné aux terres cuites. Chaîne opératoire : suite de gestes par lesquels l’homme a confectionné ses outils. Elle est caractéristique du développement technologique ; la plus simple consiste à enlever quelques éclats à un galet pour produire une arête aiguë. Par comparaison des chaînes opératoires de différents sites, elle permet de suivre l’évolution des techniques et aide à définir les cultures. Chelléen : terme tombé en désuétude. Chopper : v. galet aménagé. Chopping-tool : v. galet aménagé. Ciseau : outil en os. V. industrie osseuse. Clactonien : mode de débitage produisant de grands éclats (fig 31). On nomme également clactonien un ensemble industriel ancien ne comportant que de grands éclats obtenus en général par cette technique. Clacto-Abbevillien : terme tombé en désuétude. Classification : mise en ordre des données, elle peut se faire d’après divers critères ce qui conduit à différents types de classification des outils préhistoriques, fonctionnelle et technologique, morphologique, technique.
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Sahara préhistorique Coche : outil lithique comportant une ou plusieurs échancrures non jointives obtenues par une succession de retouches intentionnelles ou d’utilisation (coche retouchée) ou par une seule percussion ou pression (coche clactonienne). Colluvions : dépôts fins ayant subi un faible transport par les eaux courantes. Columnatien : de Columnata (Algérie), culture préhistorique développée au Maghreb au 8-7e millénaire. Complexe nubien : complexe techno-typologique qui se développe sur les plateaux. Il utilise le débitage Levallois et Levallois nubien. Il regroupe le Paléolithique moyen nubien groupe N, le Khormusien, l’Atérien à denticulé. Il se développerait durant les stades isotopiques 6 et 5 et est subdivisé en deux phases, ancienne qui conserve l’usage de bifaces et récente. Cortex : partie altérée de la surface naturelle d’un galet ou d’un rognon ; terme essentiellement utilisé pour le silex. Couche archéologique : entassement de vestiges anthropiques sur une certaine épaisseur. Il est indispensable de savoir si les objets sont en place, (on dit aussi en position primaire), restés là où les hommes préhistoriques les ont abandonnés ou s’ils ont subi un déplacement par des agents naturels (on les dits remaniés ou en position secondaire), auquel cas, on ne peut pas retenir de relation directe entre les produits de l’activité humaine et les dépôts qui les renferment. Coup de tranchet : enlèvement tangent à un bord et qui outrepasse latéralement une partie de l’autre face, ce qui rend l’arête plus aiguë. Couteau : éclat ou lame dont un bord est épaissi naturellement ou par retouche, l’autre restant brut et tranchant. Cristallophyllienne : type de roche métamorphique, à la fois cristalline et feuilletée. Cromérien : nom donné à l’interglaciaire Günz-Mindel. Croûte : couche dure liée au rapport infiltration/évaporation ; les croûtes se fossilisant lors du passage d’une phase pluviale ou humide à une phase aride, ont une valeur de marqueur climatique local. Cuesta : escarpement. Dabbéen : ensemble industriel sur lame des débuts du Paléolithique supérieur de Cyrénaïque. Dandara (formation) : première phase d’alluvionnement du néo-Nil. Datations : attribution d’une date par mesures du temps. Le 14C est le procédé le plus courant. Il s’applique particulièrement bien aux charbons, bois. Les ossements ont longtemps posé quelques problèmes qui semblent résolus avec le dosage de l’apatite. Les datations absolues ont permis l’essor de la Préhistoire en zones arides où de nombreux gisements se trouvant en surface par suite de la déflation, aucun moyen de saisir leur succession, et par suite l’évolution des ensembles industriels, n’est bien souvent accessible en dehors d’elles. Grâce à l’utilisation d’accélérateur (AMS), on peut aujourd’hui dater d’infimes quantités de matière organique. Les quantités utiles pour obtenir une datation traditionnelle sont de : - Charbons 10g - Os 100g - Coquilles 50g selon la richesse en matière végétale - Céramique - Terre charbonneuse 100g - Sols 1 kg Le 14C ne permettant de dater que jusque vers 40000, on utilise au-delà des éléments radioactifs de la famille de l’uranium, en particulier la méthode dite Uranium-Thorium
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Glossaire qui permet d’atteindre un âge de 350 000 et s’applique aux calcaires, coquilles marines, coraux. Au-delà, on utilise la méthode Potassium-Argon qui actuellement permet de dater à partir de 10000 et qui n’a pas de limite supérieure pour le préhistorien ; elle s’applique aux roches volcaniques, particulièrement aux basaltes. Diverses autres méthodes, telles que les traces de fission permettent de dater les corps cristallins dans le même créneau que le Potassium-Argon. Le paléomagnétisme s’applique aux argiles, donnant l’orientation du champ magnétique terrestre lors de leur dépôt. La racémisation des acides aminés, la mesure de fluor absorbé par les os post-mortem, l’hydratation de l’obsidienne et surtout la thermoluminescence peuvent être utilisés selon les cas. La luminescence stimulée optiquement (OSL) s’applique aux sédiments en particulier aux dépôts éoliens. Débitage : action par laquelle l’homme détache un fragment (éclat, lame ou lamelle selon sa forme) d’un bloc dit nucleus. Le débitage procède de diverses chaînes opératoires (fig. 32 à 36). Il était encore pratiqué, il y a quelques décennies, dans diverses régions, Sahara septentrional par exemple, pour la fabrication des pierres à briquet. Il peut se faire par le choc ou la pression d’un instrument agissant directement sur le nucleus, il peut également se faire en interposant un accessoire entre le nucleus et le percuteur tendre, il est alors dit « au punch ». Décubitus : position du corps placé à l’horizontale. Denticulé : outil de pierre qui possède une succession de dents irrégulières. Diatomite : roche tendre due à l’accumulation d’algues unicellulaires qui se développent dans une faible épaisseur d’eau. Dibeira-jer (formation) : premier épisode de dépôts du Nil moderne, défini en 1968 par de Heizelin. Complexe, il comporte plusieurs phases : la première voit le développement du Paléolithique moyen, la seconde du Paléolithique final. Disque : petit outil plat, de forme subcirculaire, connu dans les ensembles industriels atériens. Il est obtenu sur éclat ou fond de nucleus par retouches planes plus ou moins envahissantes. Distal : extrémité d’éclat ou d’outil opposée à la base. Donaü : période glaciaire de la base du Quaternaire, elle se situerait entre 2 000 000 et 1 800 000 ans. Eastern Oranian : v. Ibéromaurusien. Eclat : fragment de roche plus ou moins important qui se détache lors de la percussion ; il porte des stigmates qui caractérisent le procédé utilisé (fig. 32 à 36). Quand la longueur est supérieure à deux fois la largeur, on parle de lame et quand elle est petite, L