Phonologie hittite 9004394230, 9789004394230

This book is the first comprehensive study of Hittite phonology conducted from a descriptive perspective and the first t

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French Pages [748] Year 2019

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Table of Contents
Conventions de notation et abréviations
Introduction
1 Travaux antérieurs
2 But de l’étude
3 Le son et sa représentation
4 La documentation et son traitement
5 Le corpus hittite numérisé
6 Jugements et limites du jugement
7 Phonétique et phonologie
8 Méthodes et « théories » phonologiques
9 La phonologie et la linguistique
10 Principes élémentaires de l’analyse
1 La langue et les textes
1.1 La réapparition des Hittites et du hittite
1.2 Mise à jour et publication des tablettes
1.3 La documentation
1.4 La langue
1.5 Périodisation de la langue
2 L’écriture
2.1 Transcription du cunéiforme
2.2 Les Hittites et l’écriture
2.3 Interprétation du signe d’écriture
2.4 Types de logogrammes
2.5 Constitution graphique du mot
2.6 Constitution graphique du texte
2.7 Réalisation matérielle des tablettes
3 La lecture
3.1 La lecture et son interprétation
3.2 La conventionnalisation graphique
3.3 Les voyelles factices
3.4 L’initiale du mot
4 Les segments et leurs représentations
4.1 Voyelles et signes vocaliques individuels
4.2 Associations de signes incluant des voyelles
4.3 Organisation de l’espace vocalique
4.4 Les plosives
4.5 Représentation du mode des plosives
4.6 Interprétation du mode articulatoire des plosives
4.7 Phonétique et phonologie des plosives
4.8 Les fricatives
4.9 L’affriquée /ʧ/ et les séquences /d/, /th/ + /s/
4.10 Les nasales
4.11 Conditionnements des nasales
4.12 Les approximantes
4.13 Les liquides
4.14 Les semi-voyelles
4.15 Classement des consonnes
4.16 Relations paramétriques
5 Phonotactique
5.1 Les limites du mot
5.2 Les séquences de segments dans le mot
5.3 Les voyelles
5.4 Les séquences avec semi-voyelles
5.5 Les séquences avec liquides
5.6 Les séquences avec nasales
5.7 Les séquences avec fricatives
5.8 Les séquences avec affriquée
5.9 Les séquences avec plosives
5.10 Les relations de co-articulation
6 La syllabe
6.1 La constituance syllabique
6.2 Formations syllabiques
6.3 Composition segmentale des syllabes
6.4 Plateaux syllabiques
6.5 La réplication des voyelles
6.6 Motivations de la réplication
6.7 La gémination des consonnes
6.8 Réalisations de la gémination
6.9 Motivation linguistique de la gémination
7 L’accentuation
7.1 L’information prosodique
7.2 La démarcation prosodique
7.3 L’accentuation des syllabes
7.4 L’accent dans le mot
7.5 Caractérisation accentuelle des morphèmes
7.6 Fragments de paradigmes accentuels
7.7 Récapitulatif et bilan
8 Relations inter-segmentales
8.0 Remarque liminaire
8.1 Les transitions labiale + labiale
8.2 Transitions T}-{T et antihomophonie
8.3 Changements d’aspiration
8.4 Changements de voisement
8.5 Délocalisation des fricatives
8.6 Défriction des fricatives
8.7 Élimination, émergence et diffusion de la nasalité
8.8 Transitions V + rhotique
8.9 Transitions rhotique + C
8.10 Coarticulation et
8.11 Réduction des voyelles antérieures
8.12 Traitement du hiatus VV
8.13 L’anaptyxe
8.14 La resyllabation
8.15 Faits isolés
8.16 Morphonologie
8.17 Nivellements analogiques
8.18 Observations générales sur les relations entre segments
9 Les clitiques
9.1 Les mots clitiques
9.2 La classe des clitiques en hittite
9.3 Propriétés prosodiques
9.4 Syntaxe élémentaire
9.5 La proclise
9.6 L’enclise
9.7 Agrégats clitiques
9.8 Forme et contexte des proclitiques
9.9 Forme et contexte des enclitiques syntopiques
9.10 Forme et contexte des enclitiques polytopiques
9.11 Forme et contexte des enclitiques monotopiques
9.12 Mécanismes transcatégoriels en frontière de clitiques
9.13 Tendances phonologiques idiosyncrasiques
9.14 Règles d’élimination par hiatus
9.15 Autres règles soustractives
9.16 Règle de gémination: C → CC /__⸗j
9.17 Phonotactique
9.18 Syllabation des agrégats
9.19 Rapports de sonorance
9.20 Spécificités phonologiques du comportement clitique
9.21 Récapitulatif et bilan
Abréviations et références bibliographiques
Index thématique
Index des formes
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Phonologie hittite
 9004394230, 9789004394230

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Phonologie hittite

Handbook of Oriental Studies Handbuch der Orientalistik section one

The Near and Middle East Editor-in-chief M. Weeden (London) Editors C. Leitz (Tübingen) H. Gzella (Leiden) C. Waerzeggers (Leiden) D. Wicke (Mainz) C. Woods (Chicago)

volume 130

The titles published in this series are listed at brill.com/ho1

Phonologie hittite par

Sylvain Patri

LEIDEN | BOSTON

Library of Congress Cataloging-in-Publication Data Names: Patri, Sylvain, author. Title: Phonologie hittite / by Sylvain Patri. Description: Leiden ; Boston : Brill, [2019] | Series: Handbook of Oriental  studies. Section one, the Near and Middle East ; volume 130 | Includes  bibliographical references and index. Identifiers: LCCN 2018054509 (print) | LCCN 2019000725 (ebook) |  ISBN 9789004394247 (ebook) | ISBN 9789004394230 (hardback : alk. paper) Subjects: LCSH: Hittite language—Phonology. | Hittite language—Phonology,  Historical. Classification: LCC P945 (ebook) | LCC P945 .P28 2019 (print) |  DDC 491/.99815—dc23 LC record available at https://lccn.loc.gov/2018054509

Typeface for the Latin, Greek, and Cyrillic scripts: “Brill”. See and download: brill.com/brill-typeface. issn 0169-9423 isbn 978-90-04-39423-0 (hardback) isbn 978-90-04-39424-7 (e-book) Copyright 2019 by Koninklijke Brill NV, Leiden, The Netherlands. Koninklijke Brill NV incorporates the imprints Brill, Brill Hes & De Graaf, Brill Nijhoff, Brill Rodopi, Brill Sense, Hotei Publishing, mentis Verlag, Verlag Ferdinand Schöningh and Wilhelm Fink Verlag. All rights reserved. No part of this publication may be reproduced, translated, stored in a retrieval system, or transmitted in any form or by any means, electronic, mechanical, photocopying, recording or otherwise, without prior written permission from the publisher. Authorization to photocopy items for internal or personal use is granted by Koninklijke Brill NV provided that the appropriate fees are paid directly to The Copyright Clearance Center, 222 Rosewood Drive, Suite 910, Danvers, MA 01923, USA. Fees are subject to change. This book is printed on acid-free paper and produced in a sustainable manner.

Table générale Conventions de notation et abréviations ix Introduction 1 1 Travaux antérieurs 1 2 But de l’étude 3 3 Le son et sa représentation 4 4 La documentation et son traitement 5 5 Le corpus hittite numérisé 6 6 Jugements et limites du jugement 7 7 Phonétique et phonologie 8 8 Méthodes et « théories » phonologiques 9 9 La phonologie et la linguistique 11 10 Principes élémentaires de l’analyse 13 1 La langue et les textes 16 1.1 La réapparition des Hittites et du hittite 16 1.2 Mise à jour et publication des tablettes 30 1.3 La documentation 35 1.4 La langue 39 1.5 Périodisation de la langue 53 2 L’écriture 59 2.1 Transcription du cunéiforme 59 2.2 Les Hittites et l’écriture 62 2.3 Interprétation du signe d’écriture 67 2.4 Types de logogrammes 71 2.5 Constitution graphique du mot 81 2.6 Constitution graphique du texte 87 2.7 Réalisation matérielle des tablettes 89 3 La lecture 94 3.1 La lecture et son interprétation 94 3.2 La conventionnalisation graphique 97 3.3 Les voyelles factices 103 3.4 L’initiale du mot 110

vi

Table générale

4 Les segments et leurs représentations 118 4.1 Voyelles et signes vocaliques individuels 118 4.2 Associations de signes incluant des voyelles 142 4.3 Organisation de l’espace vocalique 149 4.4 Les plosives 153 4.5 Représentation du mode des plosives 170 4.6 Interprétation du mode articulatoire des plosives 181 4.7 Phonétique et phonologie des plosives 205 4.8 Les fricatives 217 4.9 L’affriquée /ʧ/ et les séquences /d/, /tʰ/ + /s/ 229 4.10 Les nasales 238 4.11 Conditionnements des nasales 243 4.12 Les approximantes 251 4.13 Les liquides 253 4.14 Les semi-voyelles 258 4.15 Classement des consonnes 272 4.16 Relations paramétriques 276 5 Phonotactique 280 5.1 Les limites du mot 280 5.2 Les séquences de segments dans le mot 286 5.3 Les voyelles 287 5.4 Les séquences avec semi-voyelles 288 5.5 Les séquences avec liquides 289 5.6 Les séquences avec nasales 290 5.7 Les séquences avec fricatives 291 5.8 Les séquences avec affriquée 292 5.9 Les séquences avec plosives 293 5.10 Les relations de co-articulation 296 6 La syllabe 298 6.1 La constituance syllabique 298 6.2 Formations syllabiques 304 6.3 Composition segmentale des syllabes 309 6.4 Plateaux syllabiques 315 6.5 La réplication des voyelles 318 6.6 Motivations de la réplication 327 6.7 La gémination des consonnes 339 6.8 Réalisations de la gémination 349 6.9 Motivation linguistique de la gémination 358

Table générale

7 L’accentuation 362 7.1 L’information prosodique 362 7.2 La démarcation prosodique 364 7.3 L’accentuation des syllabes 366 7.4 L’accent dans le mot 375 7.5 Caractérisation accentuelle des morphèmes 379 7.6 Fragments de paradigmes accentuels 387 7.7 Récapitulatif et bilan 400 8 Relations inter-segmentales 403 8.0 Remarque liminaire 403 8.1 Les transitions labiale + labiale 404 8.2 Transitions T}-{T et antihomophonie 414 8.3 Changements d’aspiration 420 8.4 Changements de voisement 427 8.5 Délocalisation des fricatives 435 8.6 Défriction des fricatives 441 8.7 Élimination, émergence et diffusion de la nasalité 444 8.8 Transitions V + rhotique 463 8.9 Transitions rhotique + C 465 8.10 Coarticulation et  472 8.11 Réduction des voyelles antérieures 477 8.12 Traitement du hiatus VV 486 8.13 L’anaptyxe 493 8.14 La resyllabation 509 8.15 Faits isolés 515 8.16 Morphonologie 516 8.17 Nivellements analogiques 528 8.18 Observations générales sur les relations entre segments 535 9 Les clitiques 540 9.1 Les mots clitiques 540 9.2 La classe des clitiques en hittite 543 9.3 Propriétés prosodiques 548 9.4 Syntaxe élémentaire 555 9.5 La proclise 558 9.6 L’enclise 562 9.7 Agrégats clitiques 569 9.8 Forme et contexte des proclitiques 574 9.9 Forme et contexte des enclitiques syntopiques 574

vii

viii

Table générale

9.10 Forme et contexte des enclitiques polytopiques 580 9.11 Forme et contexte des enclitiques monotopiques 590 9.12 Mécanismes transcatégoriels en frontière de clitiques 607 9.13 Tendances phonologiques idiosyncrasiques 612 9.14 Règles d’élimination par hiatus 613 9.15 Autres règles soustractives 619 9.16 Règle de gémination : C → CC /__⸗j 621 9.17 Phonotactique 624 9.18 Syllabation des agrégats 626 9.19 Rapports de sonorance 628 9.20 Spécificités phonologiques du comportement clitique 629 9.21 Récapitulatif et bilan 633 Abréviations et références bibliographiques 635 Index thématique 704 Index des formes 708

Conventions de notation et abréviations 1 Transcription La transcription des signes cunéiformes suit l’usage codifié par Christel Rüster & Erich Neu, Hethitisches Zeichenlexikon (Studien zu den Boğazköy-Texten. Beiheft, 2). Wiesbaden : Harrassowitz, 1989. Tout signe ou séquence de signes est transcrit : en minuscules italiques quand la lecture en est phonétique (pa-ah-hur, pa-ah-hu-ur « feu ») ; en M ­ AJUSCULES ­ROMAINES quand elle correspond à un idéogramme d’origine sumérienne (IZI « feu »), et en MAJUSCULES ITALIQUES quand elle correspond à un idéogramme d’origine accadienne (IŠĀTI « feu »). La restauration de parties manquantes ou effacées sur une tablette est signalée entre crochets […] quand elle repose sur une conjecture (par ex. gén. har-ga-na-[waas], mais entre crochets et parenthèses [(…)] quand elle est fondée sur, au moins, une autre copie parallèle (par ex. har-ga-na-[(wa-as)]).

2 Symbolisation (1) Segments. – Les symboles utilisés dans les représentations phonétiques ou phonologiques sont ceux de l’Alphabet phonétique international (API, version révisée de 2015), à quelques aménagements près : – la durée longue d’un segment est symbolisée par un trait suscrit [ā] (= API [aː]) ; – l’accentuation d’une syllabe est symbolisée par un accent aigu placé sur son noyau [má] (= API [ˈma]) ; – dans les reconstructions de l’indo-européen, une bulle souscrite sous une résonante *m̥ indique que celle-ci est le noyau d’une syllabe (= API [m̩ ]), alors que dans les discussions phonétiques, elle indique, conformément à l’API, une articulation minimalement voisée, par exemple [d̥ ] ; – l’emphase des langues sémitiques anciennes, dont la substance phonétique demeure incertaine (laryngalisation ? pharyngalisation ?), est représentée par une apostrophe /t’/, symbole qui, dans l’API, est réservé aux éjectives. Les symboles représentés par des lettres en majuscule ou prises à d’autres alphabets correspondent à des désignations génériques :

x C V σ μ φ

Conventions de notation et abréviations = = = =

P T K H N

toute consonne toute voyelle toute syllabe toute more tout phonème

= = = = =

toute plosive labiale toute plosive coronale toute plosive dorsale toute fricative vélaire toute consonne nasale

(2) Combinaisons segmentales . ⸗ # -

= = = =

ku-us-sa-as-se-et kussa(n)⸗set [Kus.sas⸗.seT] /Kusan⸗seT/ {Kusan-∅⸗se-T} ∅ →

= = = = = = =



=

* **

= =

frontière de syllabe frontière de clitique frontière de mot (a) dans l’analyse phonologique : frontière de morphème ; (b) dans la transcription : frontière de signe graphique transcription servile, signe à signe (« son salaire ») transcription continue représentation phonétique […] représentation phonologique /…/ représentation morphologique {…} signe zéro (dans l’analyse morphologique) (a) dans l’analyse phonologique : se réalise (dans tel contexte), produit (telle représentation)… (b) dans la restitution de l’évolution : évolue vers … dans les règles phonologiques : « partout ailleurs, dans tout autre contexte » (que celui qui a été spécifié) forme non attestée forme estimée impossible

3 Abréviations (1) Périodisation : VH VH/mh, nh MH MH/nh NH /mh, nh n.d.

texte vieux-hittite sur tablette vieux-hittite texte vieux hittite sur copie moyen-hittite, néo-hittite texte moyen-hittite sur tablette moyen-hittite texte moyen-hittite sur copie néo-hittite texte néo-hittite texte non daté sur tablette moyen-hittite, néo-hittite texte et copie non datés

Conventions de notation et abréviations

xi

Suivant l’usage de la diplomatique, on désigne ici sous le terme « authentiques » les tablettes dont la copie est synchrone d’avec sa rédaction (VH, MH et NH) en réservant le terme de « copies » aux documents recopiant des originaux plus anciens (VH/mh, VH/mh, MH/nh). Les manuscrits différents d’un même texte sont des « duplicats » (deux duplicats peuvent être également authentiques s’ils appartiennent à la même strate chronologique). (2) Abréviation bibliographiques. – Les abréviations bibliographiques sont développées dans le corps des références bibliographiques. Les abréviations relatives aux sources textuelles sont développées § 1.2.3-5. (3) Gloses. – Les formes des noms et adjectifs fléchis sont identifiés par une mention de leur cas seulement, l’information relative à leur nombre étant, sauf cas particulier (morphèmes de la flexion hétéroclitique) rendu intile par le fait que les morphèmes casuels du hittite sont soit indifférents au nombre, soit que leur forme empêche toute confusion entre le singulier et le pluriel. De même, les formes verbales glosent le temps et la personne sans mentionner, sauf nécessité, la voix. On désigne sous le terme de cas direct, abrégé « dir. », la forme correspondant, dans la flexion inanimée, aux rôles cumulés de participant unique d’une construction intransitive (U) et de patient d’une construction transitive (P). Cette forme est le plus souvent identifiée, dans la littérature spécialisée, sous le label « nominatif-accusatif », lequel est inapproprié, puisque les noms fléchis à ce cas sont, en hittite, prohibés dans le rôle d’agent transitif, ce qui constitue un comportement différent de celui qui est normalement associé au cas nominatif. A la place du label répandu de « genre neutre », dont l’utilisation n’a guère de sens dans une langue à deux genres seulement, on utilise le terme, plus adéquat, de genre inaminé, distingué du genre animé (et non « commun ») des noms de l’autre classe. A abl. acc. accad. act. adj. adp. adv. all. anim. col. coll. conj.

rôle d’agent d’une construction transitive (cas) ablatif (cas) accusatif accadien (flexion) active adjectif adposition adverbe (cas) allatif (genre) animé colonne collectif conjonction

xii conn. coord. ct.-adv. dat. déloc. dét. dir. dupl. gén. hitt. hour. imp. inan. inf. instr. int. intens. interloc. ips. itér. loc. louv. lyc. lyd. my. nom. opt. P pal. pl. poss. prés. prét. pron. ptcp. quot. rel. Ro sg.

Conventions de notation et abréviations connecteur coordinateur contrastifs-adversatif (cas) datif délocutif déterminant (cas) direct duplicat(s) (cas) génitif hittite hourrite impératif(-optatif) (genre) inanimé infinitif (cas) instrumental interrogatif intensifieur interlocutif identifiant d’ispéité itératif (cas) locatif louvite lycien lydien (flexion ) moyenne (cas) nominatif (impératif-)optatif rôle de patient d’une construction transitive palaïte pluriel possessif présent prétérit pronom participe quotatif relatif recto (d’une tablette) singulier

Conventions de notation et abréviations sum. sup. U Vo voc.

sumérien supin rôle de participant unique d’une construction intransitive verso (d’une tablette) vocatif

xiii

Introduction Je ne croy pas neanmoins qu’il y ait personne qui ne voye quelle misere c’est de ne rien comprendre en cette langue que par les yeux & d’estre obligé en mille rencontres de demander si ce qu’on entend est écrit par une telle ou telle lettre, & choses semblables qui sont aussi de la confusion dans l’esprit de ceux qui lisent, qui ne sçauroient arriver que par un long usage à distinguer quantité de mots. Dom Claude Lancelot, Nouvelle méthode pour apprendre facilement la langue grecque. Paris, chez Pierre Le Petit, 1655, Préface, p. xxij

∵ 1

Travaux antérieurs

Lors de la redécouverte du hittite, l’attention des analystes s’est naturellement portée sur les aspects de la langue qui conditionnaient la compréhension des textes, morpho-syntaxe et sémantique lexicale. L’attitude qui s’est imposée, au sujet des unités constitutives du signifiant était que leur identification pouvait se satisfaire de la lecture des signes utilisés pour les écrire, lesquels avaient soit une interprétation évidente – celle qu’ils ont dans les textes accadiens –, soit pas d’interprétation, du moins pas une interprétation qu’il serait nécessaire de connaître pour reconnaître les mots et leur signification. Cette approche, initialement dictée par les priorités du moment, a perduré bien après le stade des identifications critiques, au point que, dans une conférence de 1978, Laroche pouvait déplorer que « cinquante ans après la confirmation du déchiffrement, il n’existe toujours pas de tableau rationnel des phonèmes du hittite »1. Cinquante autres années après le constat de Laroche, la situation a, naturellement, beaucoup évolué, mais l’attitude faite de circonspection et d’attentisme envers les questions d’organisation formelle du signifié n’a guère changé au fond. Dans les descriptions récentes du hittite, la phonologie est généralement absente en tant que telle, ou confondue avec la description des processus impliquant des unités identifiées d’après

1  Laroche 1978 : 740 (qui, en l’espèce, méconnaît le traitement matriciel élaboré par Ivanov 1963 : 69-78).

© koninklijke brill nv, leiden, 2019 | doi:10.1163/9789004394247_002

2

Introduction

leurs graphies, tandis que la phonétique à proprement parler n’est évoquée qu’en dernière extrémité, quand on ne peut faire autrement2. Le désintérêt pour la phonétique et la phonologie de la langue hittite est, dans un certain sens, une conséquence de l’intérêt que leur préhistoire indo-européenne a, pour de nombreuses raisons, toujours suscité et dont les synthèses de Melchert, Anatolian Historical Phonology (1994) et de Kimball, Hittite Historical Phonology (1999) font mesurer l’ampleur. Dès le début des études hittites, il a, en effet, été admis que les propriétés phonétiques des unités reflétées par la graphie devaient se déduire d’une confrontation entre la lecture accadienne des signes d’écriture et de celles du ou des prototypes reconstruits en indo-européen dont il sont les réflexes. Dans cette perspective, initiée dès le chapitre intitulé, chez Hrozný (1916-1917 : 186-190), Der Lautbestand des Hethitischen, poursuivie par Sturtevant, A Comparative Grammar of the Hittite Language (1933 : 34-143), et dont l’illustration peut-être la plus systématique est Kronasser, Zur Schreibung und Lautung des Hethitischen (1962-1963 : 3-104), première partie d’un ouvrage intitulé Etymologie der hethitischen Sprache, la phonétique et de la phonologie du hittite sont conçues comme étant, tout à la fois, une des sources de la reconstruction de l’indo-européen et un des aspects de son évolution. Pratiquement tous les travaux qui, jusqu’à présent, ont pris parti sur l’identité et l’organisation des sons de la langue hittite procèdent, à un titre ou à un autre, de cette démarche, devenue aussi bien méthode que mode de démonstration. On ne saurait nier que l’étymologie a, effectivement, mis en lumière certains aspects du phonétisme hittite qu’il aurait été difficile d’atteindre ou de corroborer autrement. Pour autant, le recours systématique à l’étymologie et à la reconstruction pour élucider l’organisation d’un état de langue formé postérieurement à la dislocation de l’état commun ne peut que soulever des objections. Mettre en relation la situation censément inconnue d’une langue avec celle de l’état antérieur censément connu dont elle procède, alors que la reconstruction de l’indo-européen est hypothétique tout en étant, pour partie, controversée, et qu’en toute logique, la comparaison dont elle est le produit inclut aussi le hittite, revient à ouvrir un champ illimité à toutes les circularités et tautologies auxquelles s’exposent les boucles de raisonnement fermées. Le fait qu’un même son puisse avoir plusieurs origines ou qu’un 2  Au plus, un dixième du volume global des exposés : 10 pages sur 218 chez Held, Schmalstieg & Held (1987) ; 3 pages sur 67 chez Luraghi (1997) ; 2 pages sur 40 chez Rieken (2007) ; 26 pages sur 441 chez Hoffner & Melchert (2008), qui est l’exposé le plus détaillé sur l’ensemble de ces questions. – La seule description proprement phonologique du hittite jusqu’à présent publiée est la contribution de Melchert (1997a) au recueil Phonologies of Asia and Africa.

Introduction

3

même son puisse évoluer de façon différente selon ses contextes sont des observations qui, d’emblée, récusent l’idée qu’il puisse y avoir des relations d’homologie prévisibles entre un prototype et son réflexe3. Tous les sons du hittite n’ayant pas une origine indo-européenne et tous les sons de l’indo-européen n’étant pas reflétés par autant de segments en hittite, une telle démarche ne peut, en outre, qu’aboutir à une restitution, au mieux, partielle de l’état historique. Il est bien connu que les restructurations morphologiques (analogie) ou les intégrations exogènes (emprunt) sont, en outre, des mécanismes propres à motiver des changements, aussi bien qu’à engendrer des unités nouvelles, si bien qu’il est, de façon générale, illusoire de se représenter la phonologie d’une langue comme le produit historique d’une évolution des relations phonologiques antérieures4. Les latitudes de comportement, donc, d’évolution, des sons ne sont ni illimitées, ni prédictibles (Catford 1974, Garrett & Johnson 2012), ce qui récuse comme foncièrement irréalistes les conceptions, en apparence opposées, fondées, pour les unes, sur l’ultradéterminisme présumant que chaque sons a un comportement différent de tous les autres, pour les autres, sur le relativisme intégral estimant que tous les sons ont le même comportement, si bien que leurs interactions avec l’entourage n’identifient aucune propriété en particulier. C’est dire que la reconstruction des changements préhistoriques présente un intérêt propre, qu’elle entretient d’évidentes relations avec la situation de l’état historiquement attesté et qu’elle présente, le cas échéant, une indéniable utilité dans l’appréciation des graphies les plus équivoques, mais qu’elle ne saurait, comme telle, constituer une procédure, encore moins une méthode. 2

But de l’étude

La présente étude se propose de rompre avec la conception historicisante de la description phonologique. L’approche que l’on se propose ici de mettre en oeuvre, sans prétendre, d’ailleurs, à une quelconque originalité, reconnaît que les propriétés d’un son déterminent l’étendue comme la nature de ses comportements possibles, mais que, dans la diversité de ces comportements, celui qui viendra à se manifester à un stade donné de son évolution n’est déterminée, ni par son identité, ni par celle de son entourage, mais par les interactions qui se produisent – ou ne se produisent pas – entre eux. En d’autres termes, que les relations entre les symboles graphiques et leur 3  Pour une démonstration, voir Ohala 1981/2012, 1990. 4  Pour une démonstration, voir Hyman 2002.

4

Introduction

contexte, que celui-ci soit segmental, supra-segmental, syllabique ou, même, morphologique5, fait nécessairement apparaître un ensemble de propriétés possibles au sein desquelles il appartient à l’observateur de discerner celles qui sont à même d’identifier des sons6. Face aux problèmes que pose constamment l’interprétation de l’écriture hittite, c’est en fonction de la propensions des unités à réagir selon les environnements dans lesquelles elles se trouvent, que l’enquête doit être conçue, tout comme c’est en fonction des connaissances de la phonétique expérimentale et de la typologie que ces propensions doivent être interprétées. Le travail ici proposé n’a, en définitive, pas d’autre ambition que de procéder à une analyse de la langue fondée sur l’observation de son organisation et non sur celle des états par lesquels elle a passé7. 3

Le son et sa représentation

L’orientation que l’on vient de mentionner ne diffère pas de celle que poursuivent les descriptions phonologiques de la plupart des langues, à ceci près que sa mise en oeuvre pose des problèmes particuliers. Les données du hittite ne sont, en effet, accessibles qu’à travers une écriture décomposant la chaîne parlée en des unités ne préjugeant a priori ni de leur forme sonore, ni de leurs rapports de linéarité. En hittite, l’examen des relations entre les sons n’est jamais dissociable d’interprétations relatives, pour les unes, aux indices symboliques en fonction desquels on peut ou doit présumer qu’un certain type d’unité existe, pour les autres, des propriétés qu’il est possible ou nécessaire d’assigner à ces unités pour valider leur reconnaisance.

5  On considère ici le fait qu’une frontière morphologique est parfois à même de discriminer certains comportements phonétiques, et non les relations faisant que la forme de certains morphèmes varie indépendamment de leur contexte phonologique, domaine dont la description relève, depuis Trubetzkoy, de la morpho(-pho)nologie (voir Patri 2001). 6  Le constat de Ladefoged 2001 : 47, observant que « many consonants are just ways of beginning or ending vowels » n’a, à cet égard, absolument rien de trivial. 7  Le recours aux notions à la fois oppositives et relatives de synchronie et de diachronie ne va pas de soi car le propre de l’évolution linguistique est de faire coexister, dans un même état, aussi bien des éléments hérités d’états antérieurs que des éléments en cours de génération. Les confusions générées par cette terminologie ont été telles, notamment à l’époque du structuralisme dogmatique, qu’on préfère ici l’éviter, tout comme les termes de structure ou de système (voir à ce sujet les critiques développées par Jakobson 1942 / 1984, Weinreich, Labov & Herzog 1968 : 120-122).

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L’analyse phonologique du hittite a donc un caractère nécessairement plus conjectural que dans d’autres langues, mais elle présente aussi l’intérêt d’offrir à l’enquête des problèmes qui ne se posent pas ailleurs. Dans un brouillon tardivement découvert, Saussure remarquait que « les faits relatifs à l’écriture présentent, peut-être, pour tous les faits, sans exceptions, qui sont dans le langage, une mine d’observations intéressantes, et de faits non seulement analogues, mais complètement homologues, d’un bout à l’autre, à ceux qu’on peut discerner dans le langage parlé » (Saussure 2002 : 49). En affranchissant la représentation du son d’un mode de représentation univoque, l’écriture hittite ne préjuge pas des propriétés sur lesquelles se fonde un son ou une association de sons pour être représentées, ni des arrangements entre sons sur lequel repose un mot pour être reconnu comme tel. Pour l’observateur moderne, ce mode de symbolisation est source de difficultés parfois considérables, mais il présente aussi l’intérêt de témoigner de la façon dont certaines propriétés phonétiques peuvent être détachées les unes des autres ou, au contraire, cumulées, pour fonder une symbolisation. 4

La documentation et son traitement

Une autre difficulté à laquelle l’analyse est confrontée est celle de l’information susceptible de légitimer une interprétation phonologique. Ce problème revêt, en hittite, deux aspects : celui, quantitatif, de l’étendue documentaire, et celui, qualitatif, de l’appréciation des graphies. Concernant le premier point, le hittite n’est certainement pas aussi largement documenté qu’il serait souhaitable (voir chap. 1), mais le volume atteint par ses témoignages permet, le plus souvent, de mener des analyses satisfaisant aux critères minimaux de l’intelligibilité rationnelle. On ne peut certes prétendre à appréhender le phonétisme hittite dans la totalité de ses manifestations, ne serait-ce qu’en raison du caractère exclusivement scriptural de sa documentation (voir en particulier §§ 2.5.1, 8.18.5), mais il n’y a pas lieu d’estimer que son étude déboucherait sur des connaissances nécessairement vouées à rester fragmentaires. Le second point se résume à la question de savoir comment légitimer un jugement à partir de témoignages dont le caractère représentatif ne dépend, en définitive, de rien d’autre que de l’interprétation qu’on en fait. Les controverses les plus radicales qui existent en linguistique hittite dérivent, pour la plupart, de ce que les témoignages sur lesquels se fondent certains pour former un jugement donné sont estimés insignifiants ou mal interprétés par d’autres, ce qui, en matière de phonologie, revient, invariablement, à mettre en cause

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le caractère linguistiquement représentatif d’une variante graphique par rapport à une autre. Les querelles de cette nature sont fondamentalement stériles en ce qu’il n’existe aucun critère objectif propre à déterminer méthodologiquement ce qui est du ressort de banales variantes graphiques par rapport à l’expression, non moins banale, de variantes phonétiques. Quand un témoignage donné se prête à des appréciations potentiellement différentes, ce qui, dans les textes hittites, est, pratiquement, la norme, c’est sur sa cohérence et sa fécondité qu’une interprétation doit être appréciée et non d’après la représentativité, en tout état de cause, toujours hypothétique, des indices qui la fondent. 5

Le corpus hittite numérisé

Il existe une dimension dans laquelle la question de représentativité peut trouver une délimitation objectivable : celle de l’appréciation quantitative. Une évaluation quantifiée ne signifie rien en tant que telle, particulièrement quand elle est fondée sur un petit nombre de données. En revanche, quand elle est menée sur de grandes populations, elle peut être à même de révéler des données auxquelles l’intuition n’a pas accès. On a, dans la présente étude, fait usage de dénombrements statistiques chaque fois qu’ils est apparu qu’ils étaient à même de préciser un problème donné, voire de motiver une interprétation (voir, notamment, § 4.1.3, sur la répartition de ù et de u dans le mot, § 4.5.5, sur la sélection des signes ta et da, § 4.6.3b, sur l’environnement des voyelles allongées, etc.). On s’est appuyé, pour ce faire, sur le corpus hittite numérisé dont le projet a été initié, au milieu des années 1990, à l’université de Dresde, par Johann Tischler (« Boğazköy-Texte in Umschrift »). Grâce à la collaboration de divers savants, notamment de Petr Vavroušek et de H. Craig Melchert, cette entreprise a abouti à la digitalisation de la plupart des textes anciens, de la majorité des textes moyens et de la plupart des textes tardifs transmis sur tablettes synchrones (les texte transmis par des copies plus tardives n’ont pas été considérés). Les fichiers informatiques au format texte issus de cet effort ont été généreusement mis en circulation par leurs auteurs et déposés sur le site du Thesaurus Indogermanischer Text- und Sprachmaterialien de l’université de Francfort8. Dans son état actuel, le corpus numérisé atteint le volume documentaire suivant :

8  http://titus.uni-frankfurt.de/indexf.htm.

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CORPUS HITTITE NUMÉRISÉ (GRAPHIES SYLLABIQUES ET IDÉOGRAPHIQUES)

textes anciens textes moyens textes tardifs totaux :

lignes

mots

caractères latins

7 943 6 587 24 200 38 730

25 410 21 131 110 466 157 007

166 070 141 460 740 558 1 048 007

En appliquant un dénombrement fondé sur les relations graphies-sons estimées être de nature à identifier des phonèmes, la population totale du corpus comprend 173 751 occurrences de voyelles et 212 032 occurrences de consonnes soit 385 783 segments (chap. 4, tabl. 14 et 80, 91). Tous les relevés statistiques cités dans la présente étude ont été effectués à partir de cette source. Sauf cas particuliers, on s’est dispensé d’effectuer des tests de confiance, parce que les conditions de l’enquête ne permettent pas de dégager des relevés exacts, mais seulement des ordres de grandeurs. 6

Jugements et limites du jugement

L’appréciation des témoignages de l’écriture hittite a toujours suscité des polémiques, y compris au sujet des questions les plus élémentaires. L’observateur extérieur doit être averti que, pratiquement chaque question déjà abordée dans la littérature spécialisée, a sucité des vues différentes, au point que de la diversité des opinions émises sur un sujet donné est parfois équivalente à l’inventaire de toutes les réponses logiquement possibles auxquelles une interrogation quelconque peut a priori se prêter. Dans une discipline ayant juste un siècle d’existence et où le nombre de spécialistes en activité à chaque génération ne dépassait pas, jusqu’à une date récente, une poignée de personnes, on ne saurait dire que les conditions d’un authentique débat aient été remplies, ce qui rend la notion d’interprétation admise toute relative. Il existe certes des points plus discutés que d’autres, mais en l’absence de critères unanimement reconnus comme étant ceux par lesquels on peut établir qu’une proposition est vraie, fausse ou indémontrable, le fait qu’une opinion ait été adoptée ou, au contraire, rejetée par les quelques personnes qui, parfois à des décennies de distance, ont, de façon explicite ou pas, fait connaître leur point de vue concernant une question donnée,

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sans même produire d’arguments, ne saurait passer pour une (in)validation de son contenu. Les consensus qui se sont dégagés concernent des propositions qui se sont avérées non seulement compatibles, mais enrichissantes envers d’autres propositions précédemment émises, ce qui, en l’état sociologique actuel des études hittites, représente un processus dont la durée excède, le plus souvent, une vie de chercheur9. L’ensemble de ces raisons font qu’alors même que les textes hittites ne sont pas encore tous publiés, un manuel de synthèse récapitulant un état des connaissances stabilisé en regard d’hypothèses possibles, mais moins assurées n’est actuellement pas envisageable. Dans ces conditions, le présent ouvrage se donne comme objectif d’expliciter les termes du débat en tenant compte, le plus possible, des opinions déjà émises, mais sans prétendre à délimiter un état des connaissances. Il s’apparente à un manuel dans le sens où il s’efforce de prendre en considération l’ensemble des divers problèmes que suscite l’étude de la phonologie hittite, en exposant les solutions interprétatives qui semblent les plus adéquates, mais il n’est pas équivalent à un répertoire didactique. 7

Phonétique et phonologie

L’orientation de ce travail est phonologique au sens que ce terme a acquis à la suite des travaux de Baudouin de Courtenay, Saussure et Trubetzkoy. Beaucoup de phonologues ont été et restent portés à présenter la phonologie comme une discipline ayant, à la suite d’une rupture radicale avec l’ancienne phonétique, fait accéder aux problématiques de la description linguistique l’étude du matériel phonatoire, naguère confinée à la physique (acoustique) et à la physiologie (articulatoire). Une telle conception est historiquement fausse. A de rares exceptions près, les phonéticiens ne se sont jamais exclusivement préoccupés des sciences naturelles. Il suffit de lire Pāṇini ou les phonéticiens du XIXe siècle, de Pott à Sievers, en passant par Verner, Sweet, Passy, et beaucoup d’autres, pour constater que leurs interrogations, qu’elles soient intuitives ou appareillées, ne constituent pas une finalité en soi, mais un moyen de traiter des problèmes que posent l’analyse des langues. Les sons du langage étant la conséquence d’une activité humaine, aucun phonéticien n’a soutenu qu’une étude des sons de la parole se limiterait à étudier les conséquences physiques ou physiologiques de l’activité phonatoire. 9  Le principe de représentation des séries de plosives discerné par Mudge dès 1931 a été con­ testé jusque dans les années 1980. Comme le relève justement Kimball 1999 : 36-37, certaines interprétations formulées par un chercheur donné ont attendu parfois plus de 50 ans pour être ne serait-ce que prises en considération.

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La production comme la perception des sons ne peuvent pas être dissociés des mécanismes et états mentaux sollicitant ou dérivant d’une utilisation de la parole. Le son revêt, conjointement à ses manifestations matérielles, une dimension nécessairement psychique et intersubjective, ce qui est, partant, le cas de la phonétique, aussi bien que de la phonologie. Une phonétique déconnectée des problématiques linguistiques n’a, simplement, jamais existé. La phonologie représente l’aboutissement du processus au terme duquel la phonétique a mené à leur terme les interrogations dont elle s’est toujours nourrie et des buts qu’elle a toujours poursuivis en les élaborant de façon explicite et raisonnée10. 8

Méthodes et « théories » phonologiques

La phonétique et la phonologie se réfèrent à des champs analytiques qui ne sont pas plus indépendants les uns des autres qu’ils ne se confondent les uns avec les autres. La question de la frontière délimitant les deux niveaux d’observation est, depuis les origines, l’objet d’un débat critique dont il y a tout lieu de d’estimer qu’il sera sans fin puisque ses termes ne dépendent pas de l’étude de l’activité phonatoire elle-même, mais de conceptions concernant la nature du langage et de ce que sa connaissance peut et doit être11. Dans un domaine dont les délimitations et, par conséquent, les perspectives, sont mouvantes, il n’est donc pas inutile d’exposer selon quels principes l’enquête a été menée.

10  Cao 1985 : 15-28, observe justement que le seul point sur lequel la phonologie marque une véritable rupture par rapport à ce qui a précédé est d’avoir définitivement mis un terme à la croyance selon laquelle les unités linguistiques seraient des grandeurs physiques données d’avance dans la nature. 11  Dans la littérature récente, par exemple, Hale & Reiss (2000) soutiennent, après d’autres, que la phonologie et la phonologie sont des activités sans aucun rapport l’une avec l’autre car la première traite de computation, ce qui n’est pas le cas de l’autre. Une telle position est défendable si l’on estime que l’activité linguistique est par essence computationnelle, mais si l’on ne souscrit pas à cette croyance, elle n’est que la conséquence dérivé d’un postulat. A l’opposé, Ohala (1990) fait valoir, après d’autres, que les interrogation des la phonologie intégrant celles de la phonétique (la réciproque n’est pas vraie), l’interdépendance serait totale. Cette position n’a, à nouveau, de sens qu’en fonction des moyens et des objectifs que les linguistes assignent à la phonétique et à la phonologie ; elle est impraticable si l’on essaie de trouver dans la phonétique telle que la met en oeuvre Ohala des réponses aux problèmes de la phonologie computationnelle de Hale & Reiss. Saussure a anticipé la nature de ces débats en remarquant que « le continuel et subtil défaut de toutes les distinctions linguistiques est de croire qu’en parlant d’un objet à un certain point de vue, on est, de ce fait, dans ledit point de vue ; dans les neuf dixièmes des cas, c’est justement le contraire qui est vrai » (Saussure 2002 : 23).

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Depuis les années 1950, les connaissances phonétiques ont progressé de façon spectaculaire, tant au plan qualitatif que quantitatif ; parallèlement, l’évolution de la phonologie a été marquée par des débats caractérisés, d’abord, par un affrontement des conceptions européennes et américaines, puis, après le succès sociologique remporté par ces dernières, par une succession pratiquement ininterrompue de « théories » dérivant, à un titre ou à un autre, de Chomsky & Halle, The Sound Pattern of English (1968)12. Il paraît aujourd’hui flagrant que la succession des « théories » générativistes ou post-générativistes aura moins été motivée par une évaluation rationnelle de leurs résultats que par une succession de professions de foi programmatiques sans cesse renouvelés. A aucun moment, il n’a été montré qu’on pouvait objectivement atteindre des connaissances particulières en conséquence de ce qu’une de ces « théories » pourrait montrer et pas une autre. Avec le recul, abstraction faite des amnésies doctrinales et des redécouvertes soudaines ayant ponctué cette évolution, la multiplication des « nouvelles phonologies » aura néanmoins eu l’intérêt de mettre positivement en évidence les rigidités, donc les insuffisances auquelles certaines conceptions pouvaient conduire. Les évolutions principales, dues, pour l’une à l’abandon de la linéarité stricte (Goldsmith, Autosegmental Phonology, thèse de 1976), pour l’autre à l’idée que des contraintes présumées universelles sont suffisantes pour justifier, comme telles, l’application des règles (Prince & Smolensky, Optimality Theory, manuscrit de 1993, publié en 2004), ont adapté ou révisé les modes opératoires d’après lesquels Chomsky & Halle avaient, eux-mêmes, restructurés ceux de Troubeztkoy, Grundzüge der Phonologie (1939), sans que ces divers changements fassent évoluer l’état des connaissances empiriques, simplement parce que tel n’est pas l’objet de recherches faisant de la formalisation des modes de représentation et de la gestion des modèles une finalité en soi13.

12  Sur ces développements, voir Anderson 1985, Encrevé 1997, Scheer 2011, Goldsmith & Laks, à paraître. Le générativisme est un courant devenu aujourd’hui minoritaire en linguistique, mais, en matière de phonologie, ses principes continuent à dominer la plupart des débats. La « phonologie articulatoire » de Browman & Goldstein (1992b) représente, à ma connaissance, la seule entreprise véritablement originale ayant réussi à émerger récemment en dehors de ce cadre. 13  Le principe de raison suffisante est, peut-être, le mieux à même de faire valoir ce qui distingue le générativisme d’autres conceptions linguistiques : soit on considère qu’on doit pouvoir trouver raison à l’existence ou à la manifestation de tout phénomène sans préjuger de ce qui fonde cette raison ; soit on considère que tout phénomène n’est que la conséquence d’une raison donnée d’avance (en l’espèce, pour les générativistes, l’existence d’un schéma universel inné, spécifié de façon variable selon les langues).

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La phonologie et la linguistique

En linguistique, il n’existe certes pas, à ce jour, de corpus conceptuel susceptible de faire accéder à des connaissances ou à des explications nouvelles, empiriquement vérifiables, auxquelles il serait impossibles d’accéder sans cette théorie, autrement dit, pas de théorie au sens ordinairement reconnu à ce terme dans les sciences. Il existe, en revanche, une tradition s’efforcant de multiplier les observations dans les langues les plus diverses en vue de discerner les régularités sur lesquelles s’appuient les relations entre les formes et les significations, en vue d’accumuler des connaissances à même de justifier des généralisations démontrables au sujet du langage. Cette tradition, qui est celle dans laquelle s’inscrit la présente étude, diffère fondamentalement de l’approche générativiste en ce qu’elle se refuse à faire dépendre l’analyse de concepts analytiques conçus extérieurement à la linguistique. Au nombre des raisons motivant cette attitude, une des plus importantes est que, comme l’ont souligné Kruszewski (1881 = 1998 : 72), Saussure (1894 = 2002 : 202-203, 211), et bien d’autres, le langage constitue un phénomène absolument unique, sans équivalent où que ce soit dans la nature ou dans le vivant. Par suite, son étude, si elle se veut scientifique, peut et, dans une certaine mesure, doit faire appel à des analogies et à des outils analytiques élaborés extérieurement à elle, mais, en aucune manière, dépendre de questionnements qui ne sont pas ceux que pose spécifiquement l’étude des langues. C’est en générant ses propres concepts et outils d’analyse, et en les soumettant constamment aux révisions qu’exige la prise en compte de données nouvelles, autrement dit en considérant les langues en elles-mêmes que la linguistique a quelques chance de produire des résultats susceptibles d’alimenter valablement la connaissance. La phonologie a représenté la première et la plus spectaculaire des avancées effectuées dans cette perspective, ce qui ne signifie nullement, au passage, que l’analyse des langues ait dû attendre la phonologie pour être « scientifique ». La découverte, en 1863, par un mathématicien de l’envergure de Hermann Grassman, du processus phonologique qui porte aujourd’hui son nom en grec et en sanscrit (et dans bien d’autres langues), démontre que la découverte de conséquences nouvelles empiriquement vérifiables ne dépend ni d’une procédure analytique singulière, ni d’un corpus doctrinal définissant ce qu’est le language et comment on doit l’étudier14. En revanche, l’apport fondamental de 14  On pourrait multiplier les exemples du même type à toutes les époques : Michael Ventris n’a pas déchiffré le linéaire B en 1952 en appliquant une quelconque « théorie », mais en construisant et en vérifiant systématiquement des hypothèses sur les relations possibles entre des formes et des significations.

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Baudouin de Courtenay, Saussure et, surtout, de Trubetzkoy aura été de montrer que le traitement des données phonétiques imposait de reconnaître que les langues se fondent sur des unités discrètes (celles qui ont rendu possible le résultat de Grassman), donc sur une organisation dont l’analyse ne sollicite aucune forme d’idéalisme, qu’il soit matérialiste (biologique) ou romantique (psychologique). Ils ont démontré que l’obtention de résultats qui puissent ressembler à des connaissances objectives demande des corroborations fondées sur une logique propre à l’organisation des langues, indépendante des dogmes ou préjugés extérieurement conçus à leur propos. Le but de ces savants n’était pas de théoriser sur ce qu’est ou n’est pas le langage, mais de parvenir à des connaissances linguistiques qui fussent démontrables ; ils ont, pour ce faire, cherché à bâtir les concepts propres à identifier les entités qui devaient y entrer – et elles seulement – de façon à créer les conditions d’une accumulation de connaissances, donc, celle d’une science. Non sans ironie, il se trouve que, dans la seconde moitié du XXe siècle, la phonologie a suivi le cheminement exactement inverse, en se remorquant de façon plus ou moins opportuniste aux promesses programatiques successivement émises par la psychologie sociale, la psychologie behavioriste, la cybernétique, la théorie de l’information, et, en dernier lieu, la cognition15. Ainsi concue, la phonologie n’a pour autre perspective que d’adapter ses outils et ses méthodes à l’air du temps, autrement dit, de redevenir exactement ce que les fondateurs de la linguistique moderne avaient voulu que l’étude du langage ne soit pas. On estime donc que la question de choisir, entre les thématiques programmatiques ayant actuellement cours, celle qui serait plus qu’une autre à même de légitimer une analyse ne se pose pas et n’a, en réalité, pas lieu de se poser. Cette attitude ne signifie nullement que certaines des notions ou problématiques qui ont été élaborées dans les divers cadres que l’on vient de mentionner seraient négligeables, tout au contraire ; elle se limite à considérer que la fécondité des concepts et méthodes forgés par les 15  Sur ce dernier aspect, voir Lazard 2007. Cette évolution n’est guère dissociable des cadres sociologiques dans laquelle elle s’est produite, notamment de la bureaucratisation qui a accompagné, après les années 1950, la massification des universités, et qui a progressivement mis en place un mode de gestion sollicitant, ou imposant à la reconnaissance institutionnelle des humanités qu’elles s’identifient en fonction d’« axes prioritaires » et autres « fédérations thématiques » dont les intitulés se donnent des apparences de scientificité alors qu’ils ne sont que l’expression, dans le meilleur des cas, opportuniste, dans le pire, idéologique, de l’air du temps. Dans des domaines ne pouvant se prévaloir de rentabilité économique, au sens comptable du terme, donc, aux yeux de la bureaucratie, d’une légitimité propre, cette configuration génère des comportements mimétiques, tant au plan intellectuel que sociologique, dont l’uniformisation des objectifs et des méthodes est une conséquence naturelle.

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phonéticiens et les phonologues, quelle que soit leur obédience, ne dépend que de leur capacité à améliorer significativement la restitution des données empiriques, quelle que soit la « théorie » sous la banière de laquelle ils ont été émis16. Ce n’est donc pas par écclectisme cauteleux que l’on se refuse à prendre parti entre les différentes « théories » ayant actuellement cours, mais en raison de la conviction qu’en l’état actuel des connaissances, il n’y a pas matière à prendre parti. 10

Principes élémentaires de l’analyse

On mentionne ci-dessous les principes élémentaires de l’analyse dans le seul but d’expliciter pourquoi et comment on se propose de les mettre en oeuvre : (1) la finalité de la phonologie est d’identifier la forme et le comportement des unités auxquelles la langue a recours pour former le signifiant des signes linguistiques. L’identification de ces unités consiste, à établir la somme des propriétés nécessaires et suffisantes sur lesquelles se fonde leur existence en tant qu’unité, en explicitant, d’une part, la somme des comportements possibles de cette unités dans tous les contextes où elles est susceptible d’être utilisée, de l’autre, l’effectif des unités qu’une langue utilise à cet effet. (2) toute propriété d’un son qui n’est pas déterminée par le contexte dans lequel il est utilisé, est reconnue comme distinctive. Toute unité segmentale dont l’existence est fondée sur une propriété distinctive au moins est reconnue comme phonème. (3) le fait que, dans un contexte donné, la production d’une unité mette en évidence au moins une propriété distinctive différente de celle que d’autres unités mettent en évidence dans la même situation contextuelle, identifie ces unités comme étant opposables.

16  L’appréciation des résultats en matière de linguistique comme dans bien d’autres domaines, n’est pas toujours rationnelle. Bien souvent, l’adhésion à une démonstration, consiste à vérifier que ses résultats sont bien conformes à ceux que laissent prévoir la conception qui prévaut au sein du réseau socio-académique auquel on appartient ou aspire à appartenir. Dans le cas contraire, tous les moyens peuvent être bons pour maintenir la conception en fonction de laquelle le groupe s’est structuré, depuis le refus de tout débat, jusqu’à la production d’arguments extravagants, voire malhonnêtes. Les exemples abondent, dans l’histoire de la linguistique institutionnalisée, de conceptions dont le succès ou l’échec ne doivent rien à l’examen scientifique et tout aux rapports de force sociologiques en fonction desquels des réseaux d’intérêt académiques se sont constitués.

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(4) une unité phonologique correspond nécessairement, au plan phonétique, à un événement, lequel peut être constitué d’un son, de l’association simultanée de sons successifs, différents ou identiques, comme d’une absence de son. Inversement, un événement phonétique ne correspond pas nécessairement à une unité phonologique. (5) l’agencement de phonèmes créant le signifié des mots est fondé sur deux ordres de solidarités : celui de l’ordre selon lequel les phonèmes se suivent (séquentialité) et celui de la cadence en fonction duquel il se tiennent les uns par rapports aux autres (rythmicité). Les deux dimensions sont indissociables l’une de l’autre, ce qui ne signifie pas que leurs manifestations soient nécessairement simultanées, ni que l’analyse se trouve nécessairement dans la nécessité de faire dépendre l’une de l’autre. (6) La procédure mettant le plus immédiatement en évidence le caractère distinctif d’une unité est la paire minimale, montrant que la sélection d’un son dans un mot est indépendante du contexte dans laquel il est utilisé, donc que cette sélection revêt un caractère significatif dans la communication. Cette technique étant dépendante du stock lexical à même de se prêter à l’enquête, une absence de paires minimales n’est pas nécessairement significative du caractère non distinctif d’une unité. L’interdépendance des propriétés impliquées dans un événement donné, les variables comportementales dont fait preuve une unité par rapport à d’autres dans un contexte donné ou, encore, le caractère significatif que représente son absence peuvent constituer d’autres critères susceptibles de faire reconnaître une unité comme phonème. (7) L’analyse phonologique vise, entre autres choses, à identifier en fonction de quelles propriétés se fondent les oppositions entre les phonèmes, ce qui ne préjuge pas du caractère des traits en fonction desquels cette distinctivité s’élabore. La présomption selon laquelle les traits aptes à distinguer les phonèmes procèderaient d’une formalisation booléenne, selon l’hypothèse, inspirée de la cybernétique, formée par Jakobson, Fant & Halle, Preliminaries to Speech Analysis (1952), et poursuivie jusqu’à nos jours dans certaines approches post-générativistes, est démontrablement incorrecte. Certains paramètres phonologiques sont exprimables sous forme [+ x] / [− x], mais d’autres se réfèrent à un continuum, de toute évidence, scalaire17. 17  Les variables de hauteur des voyelles sont, par exemple, logiquement irréductibles à une formalisation fondée sur des alternatives [± haut] et/ou [± bas], puisqu’une organisation à plus de quatre niveaux impose de reconnaître des voyelles non seulement moyennes, mais mi-hautes et mi-basses. La nomenclature de Clements & Hume 1995, plus réaliste,

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(8) De la démonstration, par Stevens, qu’un certain nombre de caractéristiques acoustiques peuvent être identiquement utilisées par des articulations différentes, alors que d’autres caractéristiques ne sont reflétées que par certaines articulations seulement, se dégage l’existence d’une hiérarchie d’employabilité des propriétés susceptibles d’être utilisées par les phonèmes pour exister18. On tient cette propriété comme essentielle pour justifier que, comme le met en évidence la typologie, certains segments sont presque universellement présents dans les langues du monde, alors que d’autres sont rares ou exceptionnels, en sorte que certaines oppositions de traits phonétiques sont favorisées, voire obligatoires, tandis que d’autres sont moins courantes ou impossibles. Dans l’évaluation des données écrites d’une langue morte où, comme en hittite, il est souvent plus facile de repérer le caractère distinctif d’une unité que la substance phonétique qui fonde son existence, les données mises en évidence dans ce domaine ont une importance parfois décisive pour l’interprétation19. est fondée sur une hiérarchie dont les ramifications ne sont plus uniformément binaires, mais elle se heurte à d’autres objections. Sur les contradictions logiques et les insuffisances empiriques des nomenclatures générativistes, voir Martinet 1964, Ohala 1980 : 160-161, Ladefoged 2005. Le défaut commun à toutes les nomenclatures fermées est de figer un état des connaissances dont on sait qu’il n’est encore que partiel ; voir à ce sujet l’étude de Mielke 2008. 18  Stevens 1972, 1989, Stevens, Keyser & Kawasaki 1986. 19   Trubetzkoy ne disait rien d’autre il y a presque un siècle : « les lois empiriques (эмпирические законы) ainsi obtenues [par la typologie phonologique] seront d’une grande importance, particulièrement pour l’histoire et la reconstruction des langues » (lettre du 19 septembre 1928 – Trubetzkoy 1975 : 117). Voir depuis, Maddiseson 1984a, Gordon 2016.

Chapitre 1

La langue et les textes 1.1

La réapparition des Hittites et du hittite

1.1.1 Boğazköy et l’Anatolie de Texier à Sayce L’existence de vestiges archéologiques sur le site de « Boghaz-Keuï, dans la province de Yozgat, à cinq jours de voyage, à l’est d’Angora » a été révélée par l’architecte et antiquaire Charles-Marie Texier (1802-1871). Parti dans le but de retrouver Tavium, la cité des Galates, Texier découvrit, au cours de ses excursions, le 28 juillet 1834 le sanctuaire processionnel de Yazılıkaya ainsi évoqué dans sa Description de l’Asie Mineure : « lorsqu’au détour d’un rocher, je me trouvais en face de ce chef-d’oeuvre d’art barbare et primitif, je ne pus cacher mon admiration [… Les personnages] portent la robe médique décrite par Strabon »1. Trente ans s’écoulèrent avant que la découverte soit explorée plus en détail, par l’archéologue Georges Perrot (1832-1914), qui, en 1861, monta une expédition dont la publication fut accompagnée de photographies et de dessins levés par l’architecte Edmond Guillaume (Perrot, Guillaume & Delbet 1862-1872, Perrot & Chipiez 1882), avant que, encore vingt ans plus tard, l’ingénieur prussien Karl Hümann, alors en charge de l’organisation des voies ferrées de Turquie, effectue en 1882 les premiers moulages des parois de Yazılıkaya ainsi que des relevés topographiques précis de l’ensemble du site. Durant la seconde moitiée du XIXe, la question de l’historicité des récits bibliques était devenue matière à de vifs débats agitant les milieux chrétiens aussi bien qu’anticléricaux. Dans ce contexte, le pasteur anglican Archibald Sayce (1845-1933), pensait qu’avant de s’interroger sur l’histoire du monde juif, on devait préalablement étudier la question du contexte dans lequel il s’était formé, en précisant les questions, encore mal connues, relatives à l’extension spatiale et temporelle de la culture accadienne. A cette fin, il avait, à la fin des années 1870, commencé à parcourir l’Asie mineure dans le but de trouver des témoignages matériels propres à localiser les limites du monde assyrobabylonien. Au cours de ses déplacements, il avait été frappé de constater que les signes d’écriture hiéroglyphique gravés dans le sanctuaire de Yazılıkaya découvert par Texier se retrouvaient dans divers autres sites d’Anatolie occidentale et de Syrie du nord. En cartographiant ces témoignages, il acquit alors 1  « Yasili-Kaïa » dans Texier 1839/I : 214-221. Texier pensait être en présence ruines mèdes.

© koninklijke brill nv, leiden, 2019 | doi:10.1163/9789004394247_003

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la certitude qu’avant le premier millénaire, une culture de toute évidence différente de celle du monde assyro-babylonien avait occupé l’espace syroanatolien. Il proposa alors (Sayce 1881) d’identifier ladite entité avec le pays d’origine des personnages désignés dans l’Ancien Testament comme ḥitt(îm), en connectant cette désignation avec celle du royaume septentrional mentionné dans les sources égyptiennes de la XVIIIe à la XX ème dynastie sous le nom de Ḫt (la vocalisation demeure inconnue). La restitution d’une entité « héthéenne » fut d’autant plus favorablement accueillie dans les milieux savants que, grâce à un sceau doublement légendé, dans l’écriture hiéroglyphique des monuments dits « héthéens » et en écriture cunéiforme, Sayce était parvenu à établir la lecture de certains des signes de Yazılıkaya en ouvrant une porte vers le déchiffrement de ces inscriptions (qu’on sait, aujourd’hui, être écrits en langue louvite, et non en hittite). A la fin des années 1880, la plupart des archéologues ne doutaient plus que dans la liste des civilisations dont on pouvait espérer la résurection, celle des Héthéens tenait une des premières places (Perrot 1886). 1.1.2 Entre Amarna et Boğazköy : la mission Chantre En 1893 et en 1894, le géologue, archéologue et anthropologue Ernest Chantre (1843-1924) ouvrit plusieurs chantiers de fouilles dans le nord de l’Anatolie, notamment autour de ce qui est aujourd’hui le « Temple I » de Boğazköy (Chantre 1898). Il trouva des dizaines de tablettes cunéiformes affleurant à même le sol dont certaines dans des langues autre que l’accadien. Il montra ces documents au Père dominicain Jean-Vincent Scheil (1858-1940), spécialiste d’épigraphie cunéiforme, qui séjournait alors à Constantinople où il organisait les collections du nouveau Musée ottoman. Selon le P. Scheil, les conditions étaient réunies pour estimer que la langue de ces documents était celle des Héthéens : « je ne serais pas étonné, tant à cause du lieu d’origine de ces tablettes qu’à raison de quelques légers indices relevables dans le texte, que nous eussions du hétéen, non plus en hiéroglyphes, mais en signes cunéiformes » (Scheil dans Chantre 1898 : 58). Quelques années auparavant, en 1887, les archives diplomatiques de la capitale égyptienne établie par Akhénaton, vers 1360, à el-Amarna / Akhétaton avaient été mises à jour par William Flinders Petrie. La plupart des tablettes cunéiformes trouvées à cette occasion (aujourd’hui : 379) étaient écrites en accadien, dans la langue internationale de l’époque, mais deux d’entre elles, échangées entre le souverain Tarhuntaradu d’un pays d’Arzawa et le pharaon Aménophis III étaient rédigées dans une langue inconnue (actuellement EA 31 [38 lignes], et EA 32 [25 lignes], la première étant une réponse à l’autre).

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Alfred Boissier (1867-1945), épigraphiste de la mission Chantre, releva comme une « chose extraordinaire » la similitude paléographique entre les tablettes d’Amarna et celles que l’on venait de trouver à Boğazköy. Pour Boissier, il devenait alors évident, que les unes comme les autres venaient du même endroit, lequel ne pouvait être que la capitale du royaume héthéen, donc que les tablettes en question étaient écrites en langue héthéenne (Boissier dans Chantre 1898 : 42, 43, 47). La conclusion qui s’est alors imposée à Chantre était que la ville, le palais et de la forteresse de Boğazköy avaient été fondés par les Héthéens « au moins cinq siècles avant les missives hétéennes aux Aménophis » (Chantre 1898 : 200-203). En quelques lignes dispersées dans le rapport de mission, Scheil, Boissier et Chantre ont discerné avec exactitude l’essentiel de tout ce qui sera confirmé par la suite. Leurs conclusions ne furent, toutefois, guère remarquées lors de leur publication avant que d’être rapidement éclipsées par d’autres travaux. 1.1.3 Entre Amarna et l’Arzawa : Knudtzon Moins d’une décennie plus tard, Jørgen Knudtzon (1854-1917), professeur de langues sémitiques à l’université d’Oslo, qui préparait alors la publication des archives trouvée à el-Amarna, avait été particulièrement intrigué par les tablettes en langue inconnue expédiées à et par le souverain Tarhuntaradu d’Arzawa. En examinant les 68 lignes de texte que cumulent ces documents, il était parvenu à la conclusion qu’un certains nombre de mots et de formes pouvaient être rapprochés de ceux du sanscrit, du grec ou du latin, donc que la langue de ces textes, même si elle restait inintelligible, devait être d’origine indo-européenne. En 1902, il publia une monographie exposant, en 140 pages, les rapprochements et extrapolations qui lui semblaient légitimer cette conception. Un assemblage de conjectures qui, faute d’un volume suffisant de données, avait vocation à demeurer indémontrables, ne pouvait naturellement pas rencontrer l’assentiment du monde savant, si bien que les conclusions de Knudtzon furent jugées purement spéculatives (Meillet 1903 : 486-487, soulignait la « désillusion pénible » suscitée par des « combinaisons arbitraires »). Knudtzon était plus intéressé par l’origine génétique de la langue que par l’identification historique du peuple qui la parlait, quitte à mentionner marginalement les Héthéens comme les auteurs les plus probables de ces textes (Knudtzon 1902 : 32sq.). Il connaissait le rapport de la mission Chantre (Knudtzon 1902 : 58-59), mais semble être resté indifférent à leurs conclusions, notamment à la coïncidence, relevée par Boissier, entre l’écriture des tablettes amarniennes EA 31 et 32, et celles qui avaient été publiées dans Chantre

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(1898 : 58-60)2. Quoi qu’il en soit, certains des rapprochements évoqués par Knudtzon, particulièrement ceux qui lui ont été suggérées par ses collègues, les linguistes Sophus Bugge (1833-1907) et Alf Torp (1853-1916), s’avéreront, par la suite, effectivement corrects : 3sg. estu est bien une forme du verbe « être » ; hark- « détenir » est effectivement en relation avec lat. arceō ; katta « au bas » est apparenté à gr. katá ; -s et -n sont des morphèmes de la flexion nominale, etc. (voir la liste chez Eichner 1980 : 121-122). Tous les autres rapprochements exposées chez Knudtzon, Bugge et Torp sont faux ou approximatifs. Le pari qui semble avoir été fait par Knudtzon et ses collaborateurs était qu’une accumulation de rapprochement hypothétiques pouvait légitimer une interprétation d’ensemble. Mais une telle conception n’est défendable que si le caractère non aléatoire d’au moins certains de ces rapprochements est démontrable. Tant que cette condition n’est pas satisfaite, laquelle était, dans le cas présent, hors de portée, une accumulation d’analogies dont chacune n’est fondée que sur la croyance de celui qui les établit ne démontre rien. La monographie de Knudtzon s’inscrit dans la longue tradition des symphonies qui, depuis la Renaissance, proposent de « prouver » l’apparentement des langues (quand ce n’est pas leur origine) en constituant des listes de ressemblances entre des mots de sens plus ou moins proche dans des langues différentes. En comparant des formes linguistiques sur une base strictement intuitive, on ne peut, par définition, démêler les rapprochements vrais des faux, ce qui ne signifie pas que des rapprochements valides soient exclus. Ce n’est donc ni de façon fortuite, ni de façon raisonnée, que Knudtzon est le premier à avoir réuni des témoignages conduisant à l’interprétation génétique qui s’est, par la suite, avérée correcte3. 1.1.4 Fouilles de Winckler et lexiques de Delitzsch En 1905, Theodoros Makridis ou Macridy-Bey (1872-1940), directeur du Musée des antiquités d’Istamboul prit connaissance d’autres tablettes cunéiformes en provenance du site de Boğazköy. Il les montra à Hugo Winckler (18631913), professeur de langues orientales à l’université de Berlin, qui, grâce à un 2  Accessoirement, il n’a pas non plus remarqué que la langue de la tablette de Boğazköy autographiée par Schiel (dans Chantre 1898 : 61) était, elle aussi, rédigée dans la même langue (en hourrite) que celle de la tablette amarnienne EA 24. 3  Il n’est pas fortuit que selon Greenberg 2005[1990] : 177-180, qui, à l’époque moderne, est celui qui a le plus milité en faveur d’une comparaison génétique affranchie de toute méthodologie rationalisée, Knudtzon est la vrai découvreur du hittite ; dans le même sens, voir Singer 2005. Dans une lettre de 1914 à Otto Weber, Knudtzon confiait avoir des doutes au sujet de sa thèse de 1902 (voir Weber & Ebeling 1915 : 1074).

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mécène allemand, monta une expédition pour se rendre sur place. A la fin du mois d’octobre 1905, Winckler et Makridis récoltèrent, en quelques jours, plusieurs centaines de tablettes. Ils retournèrent à Boğazköy en 1906 et, après quelques sondages, firent sortir du sol plus de 2 000 tablettes, aux nombre desquelles certains textes rédigés en langue accadienne. En étudiant l’un de ces documents, qui s’avéra être un traité diplomatique entre le pharaon Ramsès II et un « grand roi du pays Hatti » du nom de Hattusili, Winckler acquit la certitude que, comme l’avaient discerné Boissier et Chantre, Boğazköy avait bien été la capitale du royaume des Hittites. Le 7 novembre 1906, Winckler annonca ses résultats lors d’une réunion de l’Orient-Gesellschaft à Berlin. La publication de cette communication, le 15 décembre suivant (Winckler 1906), marque le retour définitif des Hittites dans l’histoire4. Winckler mourut sans avoir eu le temps de publier les milliers de tablettes nouvellement trouvés. Il avait néanmoins transmis à Friedrich Delitzsch (1850-1922), son collègue à l’université de Berlin, 17 fragments de vocabulaires multilingues (suméro-)accado-hittite établissant la signification de 150 mots hittites en graphie syllabique. Au début de l’année 1914, Delitzsch publia ces documents, accompagnés d’une analyse linguistique identifiant, entre autres choses, des déterminants possessifs 1sg. mi-, 2sg. ti-, 3sg. si- et un relateurindéfini kuit. De telles formes suggéraient un rapprochement avec les langues indo-européennes, tout en excluant un apparentement avec les langues sémitiques ou avec le hourrite, mais, en l’absence de témoignages plus étendus, Delitzsch, bien que parfaitement conscient de la convergence, préférait s’abstenir de toute conclusion définitive. Cette prudence fut approuvée par le P. Scheil (1914 : 465), mais d’autres estimèrent que les informations venues des lexiques fournissaient de quoi nourrir de nouveaux rapprochements étymologiques : dans un long mémoire, Holma (1916), proposa, à l’instar de Knudtzon, une nouvelle série de rapprochement avec les langues indo-européennes dont certains s’avéreront, là encore, corrects (p. 22, mekki- : gr. mégas), tandis que, de son côté, Sayce (1914 : 971-972) décelait étrangement dans le même matériel matière à conclure que le hittite et le hourrite procédaient d’un même ancêtre caucasique.

4  Sur les carnets personnels de Winckler, voir Klengel 1993, et les documents publiés par Alaura 2006.

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1.1.5 Hrozný La Deutsche Orient-Gesellschaft avait confié à l’historien Otto Weber le soin de former une équipe chargée d’étudier et de publier les tablettes hittites rapportées par Winckler. Celle-ci était composée des épigraphistes Hugo Heinrich Figulla (1885-1969), Hans Ehelolf (1881-1939), plus spécialement chargés de l’édition des textes, et des assyriologues Bedřich Hrozný (1879-1952), alors chargé de cours de linguistique sémitique à l’université de Vienne, et Ernst Friedrich Weidner (1891-1976), encore étudiant à Berlin, à qui revenait l’étude de la langue. Disposant d’une documentation considérablement plus étendue que celle à laquelle ses prédécesseurs avaient eu accès, Hrozný fut, assez rapidement, en mesure de restituer certains paradigmes nominaux, pronominaux et verbaux dans leur (presque) intégralité, pour constater que les morphèmes et leurs organisation mettaient, à présent, en évidence non plus des ressemblances, mais des correspondances régulières avec ceux des langues indo-européennes. En rapprochant des mots hittites de sens inconnu de mots connus ayant la mêmes apparence dans les langues de cette famille, il devenait, de même, possible de restituer le sens de phrases entières, donc d’accéder aux textes. Hrozný fit connaître l’essentiel de ses résultats lors d’une conférence prononcée en octobre 1915, devant l’Orient-Gesellschaft de Berlin, conférence publiée, quelques semaines plus tard, dans la revue de la société (Hrozný 1915a), ainsi que, sous une forme condensée, en tchèque (Hrozný 1915b). Dès l’année suivante, il leur donna une forme systématique dans la monographie Die Sprache der Hethiter parue en deux parties, à la fin de 1916 (morphologie du nom et des pronoms) et au début de 1917 (suite des pronoms, morphologie du verbe et lexique). Cet ouvrage, exposant, en 250 pages, les principes généraux de la grammaire et fournissant le sens de plus de 400 mots marque le tournant à partir duquel les tablettes hittites passèrent du statut d’objet archéologique à celui de témoignages linguistiques5. Sous bien des aspects, la description de Hrozný paraît, aujourd’hui, approximative et incomplète, mais, un siècle après sa publication, elle demeure remarquablement exempte d’erreurs sérieuses. Contrairement à une approximation récurrente dans les ouvrages de vulgarisation, le hittite n’a pas été « déchiffré » : le problème qui se posait n’était pas de décrypter un code d’écriture faisant obstacle à la compréhension d’une langue présumée connue (comme ce fut le cas pour l’égyptien hiéroglyphique, 5  La redécouverte du hittite par Hrozný a été d’abord évoquée par ceux qui en furent les protagonistes (Friedrich 1924, Hrozný 1931a, 1948), avant que le sujet ne soit prolongé par d’autres (Matouš 1949, Vavroušek 1979, Kopecký 2011).

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le syllabaire cypriote, ou le linéaire B), mais, à l’inverse, d’établir la signification de formes linguistiques inconnues transmises dans une écriture comprise, pour l’essentiel, depuis un demi-siècle6. La méthode qui fut suivie par Hrozný ne différait pas de celle de ses prédécesseurs et contemporains : elle consistait à rechercher dans d’autres langues (en l’espèce : indo-européennes), des analogies à partir desquelles on pouvait faire des hypothèses sur ce que pouvait être la signification d’une forme hittite ressemblante et d’apprécier en quoi cette signification était susceptible de se combiner avec d’autres, particulièrement avec celles dont la graphie idéographique était intelligible, pour aboutir à une signification. L’avantage crucial dont Hrozný a bénéficié par rapport à ses devanciers et qui, en l’espèce, aura été décisif, est qu’il avait à sa disposition près d’une dizaine de milliers de tablettes, quand, une décennie plus tôt, Knudtzon n’en connaissait que deux7. L’élargissement de la documentation a été déterminant dans la réussite de l’entreprise car il devenait possible de tester dans quelle mesure une hypothèse relative à la signification d’un terme pouvait être corroborée dans des contextes différents, et, surtout, de se livrer aux opérations de commutation et de segmentation mettant en évidence la structuration morphologique des mots et la régularité de leurs flexions (Die Sprache der Hethiter est, pour l’essentiel, un exposé de morphologie flexionnelle). L’autre facteur dont on peut présumer qu’il a favorisé la réussite de Hrozný est que n’étant ni spécialiste d’indo-européen, ni même linguiste (il avait jusqu’alors étudié la survivance des modèles d’échanges économiques suméro-accadiens en Égypte), il a abordé les tablettes hittites de façon purement empirique en étant exempt des préjugés et routines que les spécialistes d’un domaine évitent rarement de se construire8. Face à un problème dont le traitement consiste à raisonner en termes d’analogies et de combinatoire, l’impératif est de tester systématiquement les hypothèses, sans qu’il soit nécessaire de disposer

6  Le déchiffrement des écritures cunéiformes, commencé en 1802 par Georg Grotefend a été pour l’essentiel achevé en 1857 grâce aux efforts conjugués de Henry Rawlinson, Edward Hincks et Jules Oppert. 7  De 1906 à 1912, 9 010 tablettes et 11 407 fragments avaient été sortis de terre ; quelques centaines avaient été rapportées à Berlin, tandis que la plupart étaient restée à Istamboul où Hrozný les étudia un semestre avant de revenir précipitamment à Vienne à la suite du déclenchement du conflit mondial. 8  A l’inverse, Friedrich Weidner (1917), qui faisait partie du goupe formé par la Deutsche Orient-Gesellschaft, était parti du préconçu selon lequel le hittite devait s’apparenter aux langues anciennes du Proche-orient. Son travail, publié entre les deux livraisons de Die Sprache der Hethiter (Weidner 1917) parvenait à la conclusion que le hittite s’apparentait au hourrite, à l’élamite ainsi qu’aux langues du Caucase, conception poursuivie jusqu’à la déraison par Ferdinand Bork (1920).

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de connaissances étendues en matière d’analyse linguistique ou de langues indo-européennes anciennes9. Dans des conférences rétrospectives, Hrozný (1931a, 1948) a souvent mis en avant le versant intuitif de son travail : un radical comme ed- doit signifier « manger » car il est trouvée à côté du logogramme « pain », présomption que tend à confirmer un rapprochement avec le verbe latin ed-ō, etc. Mais des illustrations anecdotiques de cette sorte ne représentent qu’un des aspects du processus, sans rendre compte de l’essentiel, ne serait-ce que parce qu’on ne peut s’interroger sur le sens d’une forme ed- avant d’avoir préalablement identifié qu’on est en présence d’un thème verbal, information que seule une commutation de 1sg. prés. e-et-mi avec 1sg. prét. e-du-un, 3pl. prét. e-te-er, etc., permet de mettre en évidence. Hrozný est parvenu à comprendre la grammaire et le lexique du hittite, non pas au gré de son inspiration, mais en soumettant des hypothèses relatives à la signification des mots et des morphèmes à un contrôle systématique de cohérence combinatoire permettant d’infirmer ou de corroborer le niveau d’interprétation sémantique auxquel on pouvait ou devait se livrer pour justifier en quoi la signification postulée pour une forme donnée, mot ou morphème, imposait ou rendait possible sa combinaison avec d’autres formes dans la construction d’un discours. Le problème qui se posait, en réalité, était de déterminer en fonction de quelles significations les mots et les morphèmes trouvaient des emplois dont la structuration permet, précisément, d’éliminer l’interprétation intuitive10. Le mérite de Hrozný est d’être parvenu à établir non pas le sens qu’avaient les phrases de la langue hittite, mais comment les phrases s’organisaient pour élaborer une signification11.

9  Hrozný 1931a : 276, rapporte qu’au cours de son séjour en Turquie, sa seule source de documentation sur l’indo-européen était le manuel d’initiation de Meringer 1903. – Il n’est pas indifférent de relever que tous les déchiffreurs d’écritures, de Grotefend, Champollion, George Smith, Rawlinson, jusqu’à Ventris, étaient plus intéressés par l’étude des civilisations que par celle les langues, et qu’aucun d’eux n’était linguiste. 10  La bibliographie de cette époque abonde, y compris après 1917, en « démonstrations » diversement farfelues visant à établir la parentée du hittite avec d’autres langues, y compris avec les moins attendues (voir Conteneau 1922 : 8-13, pour un recensement de ces publications). 11  Après 1925, Hrozný, semble avoir beaucoup perdu de son réalisme critique en affirmant comme des évidences des opinions déconcertantes telles le fait que les langues anatoliennes éclairaient la compréhension de l’étrusque (1928), ou que la forme du nez permettait de reconstituer l’histoire des peuples de l’Orient ancien (1931a : 281). Les authentiques problèmes de déchiffrement auxquels il s’attaquera simultanément, à partir des années 1930 (écriture de l’Indus, linéaire B), aboutiront à des conclusions démontrablement fausses (Chadwick 1958 : 27-28, 47).

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1.1.6 Réception de Die Sprache der Hethiter Lors de sa publication, le travail de Hrozný a été reconnu comme une réussite, sauf par Christian Bartholomae (1916), qui, de façon aussi simpliste que péremptoire, jugea que les données exposées n’étaient pas convaincantes (voir la réponse de Hrozný 1916), ainsi que par Hermann Hirt (1916 : 80), selon qui le caractère correct ou incorrect des lectures de Hrozný était impossible à apprécier, quitte à conclure, non sans contradiction, que « Im allgemeinen macht mir aber der Übersetzungsversuch keinen sehr ansprechenden Eindruck » (Herbig 1916, exprima des hésitations, surmontées dans Herbig 1922). Hormis ces cas isolés, le monde savant fut unanime à reconnaître la validité et l’importance du travail effectué par Hrozný, pour se passionner aussitôt pour la conséquence la plus spectaculairement inattendue de Die Sprache der Hethiter, qui était de démontrer l’existence d’un rapport génétique entre le hittite et l’indo-européen12. En l’espèce, le fait que les propriétés linguistiques du hittite soient aussitôt apparues, sous maints aspects, différentes de celles qu’on constate dans les autres langues indo-européennes, que son vocabulaire ne laisse immédiatement reconnaître que relativement peu de mots d’origine indo-européenne (voir § 1.4.5-6), que sa localisation dans l’espace et, plus encore, dans le temps, soient complètement imprévues, sont autant d’éléments qui imposaient une révision de fond des représentations qui avaient jusqu’alors cours, tout particulièrement de celles dont personne n’avait imaginé qu’elles étaient de nature à pouvoir être, un jour, remises en cause. La surprise fut telle que, sur l’instant, les deux spécialistes d’indo-européen les plus réputés de leur époque, jugèrent que l’origine indo-européenne du hittite n’était pas aussi sûre que l’estimait Hrozný, voire douteuse : pour Antoine Meillet, « on comprend (…) la réserve avec laquelle des linguistes (…) ont accueilli les hypothèses, aventurées, de l’auteur » pour conclure qu’il y avait de « bons arguments » contre l’origine indo-européenne du hittite (Meillet 1921 : 112-113), tandis que, selon Hermann Hirt, « M. E. ist der Nachweis der idg. Herkunft des Hethitischen nicht gelungen » (Hirt 1917 : 75). Le sentiment dominant qui s’exprima chez presque tous les spécialistes de l’époque fut que si le hittite n’était pas une langue indo-européenne comme les autres, c’était parce qu’elle n’était pas aussi indo-européenne que les autres. L’hypothèse d’un mélange de langues et / ou de populations est celle qui s’imposa immédiatement : d’après Franz Cumont (1917 : 122) « la langue introduite 12  Le point qui semble avoir emporté la conviction de beaucoup d’indo-européanistes est la mise en évidence de ce que les flexion verbales du hittite utilisent un morphème -r (3pl. prét. -er), longtemps tenu pour une innovation italo-celtique avant qu’il ne réapparaisse en tokarien. Tous les recenseurs de l’époque s’attardent sur cette correspondance.

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en Asie Mineure par les Hittites fut adoptée par une population étrangère préexistante, qui la déforma en s’en servant ». Le même jugement sera répété par Carl D. Buck selon qui le hittite résultait d’un mélange de la langue d’envahisseurs Indo-Européens avec celle de populations asianiques inconnues (« the resulting mixture became the standard language of the Hittites, of whatever origin », Buck 1920 : 192), interprétation également poursuivie par Prince (1921) et par Bloomfield (1921 : 208), pour qui « [Hittite] seems to contain an injection of I.E. material in a composite pidgin-Kanesian ». Dans la même veine, mais en renversant les paramètres, King (1917), puis Sayce (1923, 1924 : 245-255), ce dernier ne renoncant pas à ses vues sur l’origine caucasique du hourro-hittite, pensaient que le hittite n’était pas d’origine indo-européenne, mais qu’ayant été intensivement soumis à l’influence d’une langue indo-européenne (par ailleurs inconnue), elle avait secondairement acquis des traits indo-européens. Enfin, Peter Jensen (1861-1936) qui, depuis 1894, s’était intéressé au déchiffrement les inscriptions hiéroglyphiques pour en tirer la conclusion que la langue de ces textes était apparentée à l’arménien, langue qui était alors considérée comme celle qui avait connu le plus d’influences exogènes, jugeait que ses propres vues étaient confirmées (Jensen 1919). En conséquence de ces considérations, Maurice Bloomfield (1921 : 200), estimait que le hittite devait rester marginal dans la comparaison indoeuropéenne : « the relation of this Hittite Indo-European to the total of Indo-European in entirely passive or parasitic ; it is explained from and as Indo-European, it explains practically nothing Indo-European ». Elargissant le débat, Albert Debrunner (1921 : 22), se demandant « Wie stark ist der indogermanische Einschlag im Hethitischen ? », remarquait que la question qui était à présent véritablement posée aux linguistes était ,,wie erklärt sich die Mischung von Indogermanischem und Nichtindogermanischem ?“ Pour sa part, Meillet, atténuant le scepticisme exprimé l’année précédente, résumait les interrogations qui agitaient le monde savant en remarquant « actuellement, on peut envisager deux hypothèses : ou un fonds indo-européen beaucoup plus déformé que tout ce que l’on observe ailleurs, ou un fonds apparenté à l’indo-européen, mais différent (Meillet 1922 : 127-128). Pour quelques linguistes, cependant, la question du degré d’indoeuropéanité du hittite n’était pas prioritaire, en tout cas, pas une question qu’il soit possible de trancher en l’état, en tout état de cause, fort limité, des connaissances. La tâche qui, selon eux, s’imposait dans l’immédiat était d’élucider les mécanismes de la grammaire hittite avant de se livrer à leur interprétation comparative. Les partisans de cette approche, reconnaissaient, comme les autres, la validité des conclusions de Hrozný, mais ils éprouvèrent le besoin de légitimer leurs propres recherches en commencant par

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dénigrer gratuitement la façon dont son travail avait été conduit. Pour Holger Pedersen (1867-1953), « il est possible que certains des résultats de Hrozný soient corrects, peut-être même beaucoup, mais (…) celui-ci a le rare talent de susciter des doutes au sujet de ses compétences de linguiste (Pedersen 1916 : 30 = 1983 : 25, ma traduction) ; selon Ferdinand Sommer (1875-1962), le travail était entièrement à refaire : « Daß wir nach Hroznýs Publikationen erst recht von vorne anfangen (…) ist wohl jeder ernsthafte Forscher überzeugt » (Sommer 1920 : 1). Hrozný répliqua en reconnaissant ces critiques pour ce qu’elles étaient : « il est peu moral et peu scientifique de déprécier d’une telle manière les travaux de son prédécesseur malgré que (ou, plutôt, parce que ?) l’on accepte la plupart des résultats de ses travaux » (Hrozný 1922 : 158). En définitive, seuls Carl Marstrander (1919) et Johannes Friedrich (1922, 1924 : 309) ne mirent en cause ni les caractères de la démonstration livrée dans Die Sprache der Hethiter, ni ses conséquences interprétatives. 1.1.7 La question des origines et ses déterminismes Les réactions que l’on vient de résumer sont représentatives du préjugé voulant que l’indo-européen tel qu’il avait été reconstruit au cours des décennies précédentes représentait un aboutissement ayant établi, une fois pour toute, les caractères en fonction desquels une langue devait être reconnues comme indo-européenne13. On a, d’emblée, estimé que si le hittite divergeait du modèle qu’on s’était habitué à considérer comme commun, c’est soit parce qu’étant issu de la souche commune, il avait massivement subi des influences non indo-européennes, soit parce que n’étant pas issu de la souche commune, il avait massivement subi des influences indo-européennes. A une époque encore marquée par un réductionnisme souvent rigide, il n’est, semble-t-il, venu à l’esprit d’aucun de ceux dont la formation procédait, à un titre ou à un autre, de l’enseignement des Junggrammatiker qu’en présence de données nouvelles, l’attitude rationnelle consiste à réviser la reconstruction de l’état commun, et non à mettre en cause les données au motif qu’elles ne coïncident pas avec le modèle dont il venait précisément de s’avérer qu’il ne pouvait plus passer pour commun. Il faudra attendre une décennie, particulièrement le travail de Kuryłowicz (1927a) sur les « laryngales » et celui de Meillet (1931) sur la catégorisation nominale, pour montrer que certaines des étrangetés du hittite correspondaient, en réalité, à la rétention de propriétés 13  Hrozný (1931a : 280) rapporte qu’un savant de l’époque, voyant un voyelle longue dans la syllabe initiale de wādar- « eau », tira aussitôt la conclusion que soit la lecture était fausse, soit le hittite n’était d’origine indo-européenne, la doctrine de Brugmann prédisant que la syllabe initiale d’un mot devait être brève.

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héritées, éliminées dans tous les dialectes non anatoliens, aussi bien qu’à des innovations réalisées dans les langues anatoliennes selon des mécanismes différents de ceux qui avaient été, jusqu’alors, répertoriés14. Il faudra attendre encore plus longtemps les études portant sur les relations entre les hittite, le louvite, le lycien et le lydien (Meriggi 1980, Melchert 1994) pour démontrer que certains des traits censés refléter des innovations hittites remontaient, en réalité, à un état anatolien commun, alors même que, des décennies plus tôt, Hrozný (1917 : 191-193, sur le lydien ; 1920 : 39, 54-55, sur le louvite) avait clairement identifié le cadre globalement anatolien à partir duquel la question des rapports entre le hittite et l’indo-européen devait être abordée. Pour comprendre une réception où l’embarras et le scepticisme se sont mutuellement entretenus, on peut, certes, mettre en cause l’étroitesse d’esprit de certains linguistes, le caractère simpliste, voire ignorantin, de certaines de leurs conceptions, ou encore une réaction corporatiste rétive à admettre que la reconstruction de l’indo-européen puisse être boulversée par un assyriologue tchèque inconnu, toutes choses, qui, chez certains des recenseurs de Hrozný, sont, il est vrai, flagrantes. Cette approche serait, cependant, réductrice car nombre de linguistes dont la probité et les compétences sont hors de doute ont abordé Die Sprache der Hethiter avec autant d’embarras que leurs collègues moins à même de faire face aux situations imprévues. Dans les années 1920, les connaissances en matière de typologie linguistique étaient trop approximatives et trop peu développées pour que les traits identifiant en propre l’indo-européen soient clairement délimités, en sorte que les indo-européanistes, généralement peu ou aucunement familiers avec les langues non indo-européennes, n’avaient en réalité, guère conscience de ce qu’il y avait d’indo-européen en indo-européen. Il est, aujourd’hui, évident que si une

14  Même les témoignages les plus flagrants ne furent admis, dans certains milieux, qu’avec lenteur et difficultés ; par exemple, Marstrander 1929, Bonfante 1937, Sommer 1947 : 77-81, Kronasser 1952, Szemerényi 1955, Krahe 1958, demeurent réservés ou hostiles à l’idée qu’il y ait une relation entre les graphies h et hh du hittite et les « coefficients sonantiques » postulés par Saussure pour l’indo-européen. La démonstration de Kuryłowicz 1927a, ne s’imposera définitivement que dans les années 1970. De nos jours, le même scepticisme peut aussi, s’appuyer sur de considérations fantasmagoriques : par exemple Demoule 2014 : 507-508, développant la conviction que l’indo-européen est une chimère cultivée par des esprits fascistoïdes, expose que les correspondances établies par Kuryłowicz ne démontrent rien car le hittite peut être considéré comme un « pidgin » (Demoule n’explique pas la raison pour laquelle – pidgin ou pas –, Kuryłowicza, dans la langue soudainement réapparue, retrouvé les phonèmes en question exactement là où Saussure avait, cinquante ans plus tôt, prédit qu’ils devaient se trouver).

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langue utilise, simultanément, un indéfini-relatif kui-, des possessifs 1sg. mi-, 2sg. ti-, 3sg. si- et des morphèmes -s et -n aux cas nominatif et accusatif de la flexion nominale, elle ne peut pas être autre chose qu’indo-européenne, mais, dans les années 1920, dans l’ignorance où l’on était de la diversité des langues, une tel jugement aurait été jugé spéculatif15. Indépendamment de toute question de contenu, il est, par ailleurs, bien connu qu’une conception nouvelle ne parvient à s’imposer que si certaines conditions sociologiques sont réunies. Or, au début des années 1920, les spécia­ listes de langues indo-européennes ignoraient l’assyriologie, qu’il s’agisse de ses méthodes, comme des problèmes particuliers posés par l’interprétation des documents en écriture cunéiforme (à l’inverse, les assyriologues de cette époque avaient tous commencé par des études classiques et connaissaient, même sommairement, l’indo-européen). Aucun d’eux n’était en mesure d’avoir un accès de première main aux données exposés par Hrozný, si bien que chacun devait s’en remettre aux lectures exposées par lui sans être en mesure d’apprécier comment et à partir de quoi elles avaient été obtenues. Le fait qu’aucun texte hittite n’avait été publié antérieurement à Die Sprache der Hethiter (hormis par Knudtzon), n’a fait qu’accentuer une perplexité qui, chez certains, s’est transformée en défiance16. La distance avec laquelle beaucoup de savants accueillirent les résultats de Hrozný dérive de ce qu’ils avaient le sentiment de ne pas en maîtriser les tenants, donc les aboutissants. C’est dans ce contexte singulier que s’imposa l’attitude consistant à aborder les faits nouveaux comme matière à hypothèses, et non comme des données à intégrer telles quelles dans la procédure comparative. Quelques années auparavant, la découverte des langues tokhariennes, (Sieg & Siegling 1908), n’avait pas suscité les mêmes embarras car bien que l’organisation grammaticale dont elles témoignent soit, elle aussi, à bien des égards, différente de celle des langues classiques, la datation tardive des documents tokhariens ainsi que les influences étrangères qu’ils laissaient immédiatement discerner, légitimait, par défaut, une interprétation faisant de ces singularités les conséquences d’une évolution longue ponctuée d’influences éxogènes

15  Par exemple, Meillet (1903) objecte à Knudtzon que la sélection d’indices personnels tels que 1sg. m-, 2sg. t-, 3sg. s-, n’a rien de spécifiquement indo-européen puisqu’elle se retrouve dans les langues finno-ougriennes et ailleurs en Asie du nord. 16  Le fait qu’aucun texte n’ait été édité antérieurement à la publication de Hrozný est dénoncé par Pedersen (1916 : 30) comme une stratégie de l’Allemagne visant à assurer un monopole allemand sur un nouveau secteur de la connaissance.

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massives17. Le problème de fond posé par le hittite était que celles de ses caractéristiques qui n’ont pas d’équivalent dans les autres langues ne pouvaient passer pour des développements chronologiquement secondaires, du moins dans une appréciation – par ailleurs, éminemment subjective – de la distance linguistique en fonction de la distance chronologique. Une réponse globale aux interrogations suscitées par le changement de perspective qui s’est imposé au début des années 1920 fut immédiatement imaginée par Forrer (1921 : 26) avant que d’être popularisée par Sturtevant au cours des années 1930 sous le nom d’hypothèse « indo-hittite ». Selon cette approche, l’« indo-européen » serait l’ancêtre commun de toutes les langues indo-européennes connues avant 1915, mais en tant que rameau d’une souche antérieure « indo-hittite » dont l’autre rameau serait constitué du hittite (comprendre : des langues anatoliennes). Par suite, la question des différences entre le hittite et les autre langues indo-européennes ne se poserait plus en termes d’évolution ou de reconstruction de l’indo-européen, mais d’évolutions postérieures à l’état « indo-hittite », approche dont la Comparative Grammar de Sturtevant (1933) donne une illustration sytématique (voir, en dernier lieu, les discussions de Oettinger 2014, Melchert 2018). Une telle conception est, évidemment, contestable puisqu’elle revient à rendre compte des données en fonction d’une hypothèse préconçue, qui plus est, de facilité, mais ses avatars se prolongent, jusqu’à nos jours, sous des formes renouvelées (Neu 1976 : 243-245) ou de nouveaux noms (« Proto-Nuclear-Indo-European », chez Chang et al. 2015). Les épisodes que l’on vient d’exposer ne se réfèrent pas qu’au passé d’une discipline aujourd’hui juste centenaire ; ils expliquent bien des particularismes propres aux études hittites, et ont, surtout, durablement préformé nombre des attitudes et des problématiques liées à l’étude de langue, à commencer par le fait que la langue hittite a été et demeure bien plus souvent étudiée à des fins comparatives que pour elle-même, quitte, dans les cas les plus extrêmes, à confondre, dans une seule et même dimension, l’évolution et la description.

17  Voir Meillet & Lévi 1912-1913, Meillet 1914. – Au milieu des années 1950, Krause résumait le problème, en remarquant qu’on ne savait pas encore si le hittite était dans la filiation ou dans le cousinage avec l’indo-européen, mais qu’on pouvait être sûr que le tokharien était dans la filiation (Krause 1955 : 38).

30 1.2

Chapitre 1

Mise à jour et publication des tablettes

1.2.1 Le gisement de Boğazköy / Hattusa L’immense majorité des tablettes en langue hittite ont été mise à jour sur le site de la capitale Boğazköy / Hattusa (à ce jour : 28 000 tablettes)18. Après les campagnes livrant, annuellement, des centaines de tablettes (des milliers, avant la Grande guerre), on ne trouve plus, depuis les années 2000, qu’une dizaine de tablettes par an, ce tend à indiquer que, sauf surprise, le site sera, sous peu, complètement fouillé au plan épigraphique. Depuis 1907, les fouilles officielles de Boğazköy ont été concédées par le gouvernement turc à l’Institut archéologique allemand et à la Société allemande d’études orientales lesquelles, en contrepartie d’un loyer annuel, jouissent d’un droit de fouille exclusif sur le site de la capitale hittite19. Selon un accord remontant au début des fouilles, la plupart des tablettes étaient transférées en prêt à Berlin pour être y étudiées et publiées avant que d’être renvoyées en Turquie ; cette convention a été dénoncée en 1987, si bien que, depuis cette date, les tablettes ne quittent plus la Turquie et que celles qui étaient en prêt ont été retournées. La section du Proche-orient ancien du Musée d’État de Berlin a toutefois gardé 397 tablettes et 613 fragments remontant aux premières campagnes et qui appartiennent à ses collections permanentes (préfixe d’inventaire : VAT). 1.2.2 Autres gisements Un important gisement a été mis à jour, entre 1990 et 2000, à Ortaköy / Sapinuwa, ensemble urbain dont on suppose qu’il a été une résidence royale. Trente ans après sa découverte, ce gisement constitué d’environ 1 500 tablettes en langue hittite (autant dans d’autres langues) demeure presque complètement inédit. Les documents en langue hittite trouvés ailleurs que dans la capitale sont généralement des lettres expédiées par ou à l’administration hittite. Le gisement le plus important est celui de Maşat Höyük / Tappika (118 tablettes et 120 fragments), tandis que des missives plus ou moins isolées ont été retrouvées, en Turquie, à Alacahöyük, Kuşaklı / Sarissa, Kayalıpınar, Eskiyapar, 18  La Konkordanz der hethitischen Keilschrifttafeln constamment mise à jour par Silvin Košak sous les auspices de l’Akademie der Wissenschaften und der Literatur de Mayence et mise en ligne par l’université de Würzbug : http://www.hethport.uni-wuerzburg.de/ est une base de données exhaustive recensant, décrivant et raccordant toutes les tablettes et fragments de tablettes en langue hittite. Toutes les données quantitatives relatives aux tablettes citées dans le présent chapitre résultent d’interrogations de cet outil indispensable. 19  Sur le contexte politique et diplomatique de cet accord, voir Alaura 2006.

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Büklükale, Kaya Pınar (/ Samuha ?), Tell Açana / Alalah, Oymaağaç Höyük / Nerik, et, en Syrie, à Tell Mishrif’eh / Qatna, Tell Kazel, et Tell Afis. Des tablettes et des sceaux légendés ont également été trouvées dans des lieux vassalisés un temps par les Hittites, comme Ras Šamra / Ougarit (174 tablettes), Meskéné / Emar (23 tablettes), ou avec lesquels les Hittites avaient des relations diplomatiques (2 tablettes dans les archives pharaoniques de Tell el-Amarna / Akhetaton)20. Certaines tablettes trouvées avant les fouilles officielles (collections Sayce, Chantre et Lixačëv, par exemple) sont conservées dans des collections publiques, notamment au Louvre (244 tablettes et 300 fragments), au British Museum (132 tablettes et 185 fragments), et à l’Ermitage (13 tablettes et 21 fragments) ; d’autres, issues de fouilles sauvages, vols, et autres transactions plus ou moins avouables, sont chez des collectionneurs privés ou chez des antiquaires. 1.2.3 Inventaires des tablettes Tant qu’une tablette n’a pas été éditée dans une collection ou un recueil idoine, elle est considérée comme « inédite », même si tout ou partie de son contenu a été cité ou publié par un savant à l’occasion d’une étude donnée. Les « inédits » sont identifiés par le numéro d’inventaire qui leur a été attribué sur le lieu de découverte ou lors de leur archivage : PRINCIPAUX SIGLES D’INVENTAIRE A) par lieu de fouille /a …→z … Boğazköy / Hattusa, 1931-1939, 1951-1967 (une lettre par année) [précédé par Bo … et suivi par Bo 68/…] Bo Boğazköy / Hattusa, 1906, 1907, 1911-1912 [suivi par /a …→ z …, Bo … puis par Bo 68/…] Bo 68/ Boğazköy / Hattusa, depuis 1968 [précédé de Bo … et de /a …→z …] KuSa Kuşaklı / Sarissa Msk Meskéné / Emar Mşt Maşat-Höyük / Tappika Or Ortaköy / Sapinuwa RŠ Ras-Šamra / Ougarit 20  Comme l’a bien discerné Forrer dès 1919, les archives hittites conservent des tablettes en langues étrangères : louvite, palaïte, accadien, sumérien, hourrite et hatti ; le volume de ces documents s’élève aujourd’hui, pour ce qui est des fouilles de la capitale, à plus de 3 000 tablettes (le « Ur-Indisch » ajouté par Forrer se réfère aux mots d’origine indoiranienne cités dans les textes hittites et hourrites).

32

Chapitre 1

B)

par lieu de conservation AO Musée du Louvre, département des antiquités orientales BM British Museum VAT Berlin, Staatlische Museen, Vorderasiatische Abteilung (Vorderasiatische Texte)

1.2.4 Publication des tablettes Les principales collections consacrées à la publication de textes hittites en « autographie » (planches dessinées au trait à main levée ou sur report calqué) sont désignées par des sigles consacrés : ABoT CHDS

FHG FHL

HFAC

HFPC

HHT HKM

= Balkan, Kemal. Ankara Arkeoloji Müzesinde Bulunan Boğazköy Tabletleri. Boğazköy-Tafeln im Archäologischen Museum zu Ankara. Istanbul : Milli Eğitim Basımevi, 1948, xi-36 ff. = Akdogan, Rukiye & Oguz Soysal. Bogazköy Tablets in the Archaeological Museum of Ankara II. (Chicago Hittite Dictionary Supplement, 1). Chicago : The Oriental Institute, 2011, 224 pp. Soysal, O., Unpublished Bo-Fragments in Transliteration. I, Bo 9536-Bo 9736 (Chicago Hittite Dictionary Supplement, 2). Chicago : The Oriental Institute, 2015, 224 pp. = Laroche, Emmanuel. Fragments hittites de Genève. Revue d’assyriologie 45 (1951) 131-138, 46 (1952) 42-50. = Laroche, Emmanuel & Jean-Marie Durand. 1982. Fragments hittites du Louvre. Mémorial Atatürk. Études d’archéologie et de philologie anatolienne. Paris : Édition recherches sur les civilisations, 73-107. = Beckman, Gary M. & Harry A. Hoffner. 1986. Hittite Fragments in American Collections (Texts from the Babylonian Collection, 2). New Haven : The Yale Babylonian Collection, 1986, vii-60 pp. [=Journal of Cuneiform Studies 37 (1985) 1-60]. = Gurney, Oliver R. Hittite Fragments in Private Collections. Harry A. Hoffner, Jr. & Gary M. Beckman (éds.). Kaniššuwar. A tribute to Hans G. Güterbock on his Seventy-Fifth Birthday, May 27, 1983 (Assyriological Studies, 23). Chicago : Oriental Institute of the University of Chicago, 1986 : 59-68. = Riemschneider, Kaspar Klaus. 1974. Hurritische und hethitische Texte. München : chez l’Auteur. [non diffusé] = Alp, Sedat. Hethitische Briefe aus Maşat-Höyük (Türk Tarih Kurumu yayınları, VI/35). Ankara : Türk Tarih Kurumu Basımevi,

La langue et les textes

HT

=

IBoT

=

KBo KUB

= =

KuSa

=

VBoT

=

VSNF12 =

33

1991, xv-465 pp. ; Hethitische Keilschrifttafeln aus Maşat-Höyük (Türk Tarıh Kurumu yayınları, VI/34). Ankara : Türk Tarıh Kurumu Basımevi, 1991, xxxi pp.+ 114 planches. British Museum. Dept. of Egyptian and Assyrian Antiquities. Hittite Texts in the Cuneiform Character from Tablets in the British Museum [by Leonard W. King]. London : H. Milford / Oxford University Press, 1920, 8 pp. + 50 ff. Bozkurt, Hatice ; Muazzez Çığ & Hans Gustav Güterbock. İstanbul Arkeoloji Müzelerinde bulunan Boğazköy tabletlerinden seçme metinler. İstanbul, 1944-1947-1954-1988. Keilschrifttexte aus Boghazköi. Leipzig → Berlin, 1916 sq. Keilschrifturkunden aus Boghazköi. Berlin : Staatlichen Museen zu Berlin (etc.), vol. 1-60, 1921-1990. Wilhelm, Gernot. 1997. Kuşaklı-Sarissa 1 (Kuşaklı-Sarissa, I : Keilschrifttexte). Rahden : M. Leidorf. Götze, Albrecht. Verstreute Boghazköi-Texte. Marburg : chez l’Auteur, 1930, iv-43 ff. Jakob-Rost, Liane. Keilschrifttexte aus Boghazköy im vorderasiatischen Museum (Vorderasiatische Schriftdenkmäler der Staatlichen Museen zu Berlin, N. F., 12). Mainz : Ph. Von Zabern, 1997, 17 pp. + 56 ff.

Les tablettes mises à jour dans le cadre des fouilles officielles sont publiées dans deux grandes collections institutionnelles consacrées à la capitale hittite : KBo (71 volumes depuis 1916) et KUB (60 volumes depuis 1921). Chaque volume comprend une cinquantaine de planches in-folio réunissant des tablettes le plus souvent regroupées en fonction d’une unité thématique donnée (contenu, langue ou gisement). Au lendemain de la Guerre, les recueils ABoT et IBoT ont momentanément publié les tablettes conservées dans les musées turcs avant que KUB et KBo ne reprennent leur parution (en 1953 et 1954, respectivement). Les plus importants recueils occasionnels de tablettes hittites sont, chronologiquement : HT, VBoT, FHG, FHL, HHT, HFPC, HFAC ; le recueil VNSF12 est principalement consacré aux tablettes VAT de Berlin (§ 2.1) qui n’avaient pas été éditées ailleurs. Si KBo et KUB sont les principales sources de la documentation hittite, la vocation de ces collections est de publier les tablettes trouvées sur le site de Hattusa, en sorte que tous les textes qui y sont publiés ne sont pas nécessairement en langue hittite.

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Chapitre 1

1.2.5 Éditions critiques et collections savantes Les éditions des textes hittites se répartissent entre des articles parus dans des revues savantes, des collections spécialement dévolues aux études hittites ou des monographies plus ou moins isolées. Il est habituel de renvoyer aux trois principales collections spécialisées d’après un sigle consacré : DBH

= Dresdner Beiträge zur Hethitologie. Dresden : Verlag der Technischen Universität, 2001sq., puis Wiesbaden : Harrassowitz. StBoT = Studien zu den Boğazköy-Texten. Wiesbaden : Harrassowitz, 1965sq. THeth = Texte der Hethiter. Heidelberg : C. Winter, 1972sq. Depuis les début des années 2000, Detlev Groddek et d’autres savants publient à rythme soutenu, dans la collection des DBH, sous le titre, Hethitische Texte in Transkription, des volumes des collections KBo, KUB et VSNF en transcription latine. Le recueil de Fuscagni (2007) participe du même principe en transcrivant les tablettes des premières fouilles restées jusqu’alors inédites. Pour les autres abréviations – nombreuses – ayant cours dans les études hittites, voir le Chicago Hittite Dictionary. 1.2.6 Citation des textes L’organisation éditoriale des principales collections entraîne un mode de citation particulièrement lourd : après le sigle du recueil, le premier chiffre (romain ou arabe) indique la tomaison, le suivant, le numéro attribué à la tablette dans le recueil, après quoi viennent l’indication éventuelle de la face (Ro = recto [Vs. = Vorderseite] ou Vo = verso [Rs. = Rückseite]), celle de la colonne et enfin celle de la ligne. L’indication faciale n’est pertinente que pour les tablettes à colonne unique. KBo 6.3 i 1 ou KBo VI 3 i 1 se lit : « collection des Keilschrifttexte aus Boghazköi, tome sixième, tablette no 3 du recueil, première colonne, première ligne ». Lorsque, comme il arrive, un texte est transmis par plusieurs témoins ou par un témoin constitué de beaucoup de fragments, il peut être plus simple de citer un passage d’après l’édition de référence ; par exemple StBoT 24 i 11 se lit « collection des Studien zu den Boğazköy-Texten, tome 24 – en l’occurrence : Otten, Die Apologie Hattusilis III –, première colonne, ligne 11 du texte édité ; la même citation par manuscrit serait : « KUB 1.1 i 11, KBo 1.6 i 10, KUB 1.2 i 10, KUB 19.69 i 11 ».

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1.3

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La documentation

1.3.1 Le corpus et son exploitation Il n’est pas rare que les spécialistes de langues anciennes considèrent les textes écrits, spécialement les textes littéraires, comme des témoins de l’exploitation la plus élaborée qu’il soit possible de faire des propriétés d’une langue – donc les plus représentatifs ; il n’est pas moins fréquent que les spécialistes de langues à tradition orale, voient dans les énoncés saisis sur le vif ou sollicités, les seules données représentatives de l’usage effectif des propriétés d’une langue – donc les plus représentatives. Au-delà de leurs présupposés conceptuels, quand ce n’est pas esthétiques ou idéologiques, ces deux attitudes sont équivalentes en ce qu’elles préjugent a priori de la réponse qu’il convient de donner à un problème dont on ignore ce qui le fonde, et, même, comment il pourrait être fondé. Il est bien évident qu’un texte de Mallarmée ne repose pas sur le même type d’élaboration linguistique que celui que demande l’achat d’une baguette chez le boulanger, mais il n’en demeure pas moins que, si le mode d’exploitation de la langue diffère, le répertoire de ce que son appareil formel rend possible, obligatoire ou interdit, est, dans chaque cas, le même. Aucun des modes d’utilisation du langage humain n’utilisant simultanément l’ensemble des potentialités d’agencement auxquelles une langue est virtuellement susceptible de se prêter, il n’y a aucun sens à relativiser ou à valoriser la représentativité d’une analyse linguistique d’après les conditions socio-historiques dans lesquelles ses témoignages ont été recueillis. L’analyste doit être conscient des limites propres à chaque type de documentation, mais, en matière de langue, il n’y a aucun sens à évaluer le connu d’après l’inconnu. La question de la fiabilité documentaire d’un corpus se situe sur un autre plan. La seule question posée par l’étude d’un corpus est celle des propriétés linguistiques qui n’y sont pas illustrées alors qu’elles devraient l’être pour qu’une analyse circonstanciée puisse être menée à terme. Sur ce point, le corpus des textes hittites occupe une place intermédiaire en n’étant ni totalement déficient, ni pleinement satisfaisant. 1.3.2 Étendue du corpus lexical Le dénombrement quantitatif des mots d’une langue est une opération incertaine, tant les aptitudes à créer, à comprendre et à mémoriser les dérivés d’une base donnée varient non seulement selon les langues, les locuteurs et les référents, mais aussi, en fonction des relations possibles et nécessaires entre morphologie et syntaxe. Sous une apparence de précision,

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Chapitre 1

les données chiffrées qui circulent en ce domaine reposent sur des décomptes nivellant des paramètres dont le degré d’hétérogénéité échappe à toute quantification, ce qui minore fortement la portée qu’on peut leur reconnaître. Dans un corpus fermé, comme celui du hittite, le décompte des mots documentés permet, en revanche, de fournir un ordre de grandeur illustrant l’étendue de la documentation. Le nombre de vocables distincts (lemmes) écrits en graphie syllabique dans les textes hittites s’élève, d’après l’index de Jie (1994), à environ 11 300 unités dont 4 900 noms propres et de 6 400 lemmes grammaticaux et lexicaux dont la forme et sens ne sont pas toujours clairement identifiés. Le lexique de Tischler (2001), limité aux formes intelligibles, mentionne, pareillement, environ 6 000 unités lexicales en graphie syllabique. Aussi approximatifs soient-ils, ces chiffres indiquent que le hittite n’est ni la mieux, ni la plus mal documentée des langues indo-européennes anciennes : (1) MASSE LEXICALE DE QUELQUES CORPORA ANCIENS latin archaïque et classique 54 000 védique (ṚgVeda seulement) 10 100 Homère + Hésiode 9 400 vieux slave canonique 5 800 gotique (Bible seulement) 1 750 louvite cunéiforme 965 lydien 530 palaïte 220 L’ensemble de ces chiffres ne tiennent pas compte des mots représentés par des logogrammes seulement. Si l’on admet que les mots documentés en hittite sont, en principe, les plus fréquents, et qu’un stock de 6 000 lexèmes, incluant les dérivés, est, a priori, censé couvrir 96 % du discours (selon l’estimation de Laufer & Ravenhorst-Kalovski 2010), tandis que la limite en-deça de laquelle la compréhension d’un texte serait a priori entravée au plan lexical se situe aux alentours de 3 000 mots, on peut donc admettre que le hittite est correctement documenté, sans plus (pour mémoire, un dictionnaire « domestique » unilingue contient généralement autour de 50 000 mots). 1.3.3 Origine du corpus lexical Le dictionnaire étymologique de Kloekhorst (2008) comprend environ 2 300 mots (dérivés inclus), dont l’étymologie indo-européenne est assurée par des correspondances ou rendue probable sous considération de leur forme

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phonologique ou de leur organisation morphologique21. Sur la base d’une masse lexicale documentée par environ 6 000 mots intelligibles, on peut, approximativement, estimer que la part du vocabulaire hérité en hittite représente une proportion 4 : 6, comparable à celle du grec ancien où, selon Morpurgo-Davies (1986), 38 % du vocabulaire est d’origine indo-européenne (voir plus en détail, § 1.4.5)22. 1.3.4 Étendue du corpus textuel Un corpus électronique comprenant la quasi-totalité des textes hittites anciens transmis sur tablettes synchrones, compilé à l’initiative de Tischler et divers collaborateurs, s’élève à près de 8 000 lignes. Le corpus incluant la plupart des textes de la période moyenne compte 6 500 lignes tandis que celui qui concerne une grande partie des textes de la strate récente se monte à 24 000 lignes. On peut donc grossièrement estimer que le corpus hittite publié se situe probablement entre 50 000 et 60 000 lignes de texte. Cette évaluation ne prend pas en considération la longueur ou l’état de conservation des lignes (les mutilations sont fréquentes) et ne décompte pas la grande masse des textes transmis par des manuscrits postérieurs à la rédaction d’un texte, mais aussi grossiers soient-ils, ils donnent, là encore, un autre ordre de grandeur par rapport aux corpora d’autres langues ou états de langue : (2) ÉTENDUE (LIGNES OU VERS) DE QUELQUES CORPORA ANCIENS ṚgVeda 40 720 Homère + Hésiode 32 500 vieux slave canonique 30 000 louvite cunéiforme 8 000 Bible gotique 3 300 ghātas de l’Avesta 1 500 lydien 680 palaïte 468 1.3.5 Contenu du corpus textuel Peu de textes nous sont parvenus dans leur intégralité ; la grande majorité d’entre eux sont lacuneux dans des proportions variables, allant de quelques mots à la majeure partie du texte. 21  Tischler (1979 : 263-266), pour sa part, identifie en hittite 422 bases qu’il estime être sûrement d’origine indo-européenne, sans tenir compte des dérivés. 22  Voir déjà, en ce sens, Götze & Pedersen 1934 : iv. L’estimation de Tischler (1979 : 267), selon qui 35 à 60 % du vocabulaire hittite est hérité n’est pas différente.

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Le Catalogue des textes hittites (CTH) élaboré par Laroche en 1957, et remanié par lui en 1971, identifie 800 textes en langue hittite relevant d’une dizaine de genres. Le volume des textes peut être très différent selon le genre auquel ils appartiennent : (3) LE CORPUS HITTITE (LAROCHE, CTH) section du CTH

type

nombre de textes

I X VII XI II IX V VIII VI IV XII III

histoire, annalistique fêtes et cultes liturgie, rituels littératures étrangères administration civile et militaire divination mythologie administration religieuse hymnologie lexiques autres droit, jurisprudence

216 129 110 93 66 59 41 30 18 18 14 7

total :

801

Comme toutes les taxinomies de ce type, celle de Laroche est sûrement discutable (Carruba, De Martino & Pecchioli Daddi 2005), mais elle a rendu l’insigne service d’avoir établi une base de référence ayant considérablement facilité les assemblages de tablettes, de copies de tablettes et de fragments. Comme l’a montré Dardano (2006 : 5-7), les catalogues et fiches d’archives tenus par les bibliothécaires hittites mentionnent environ 650 textes dont 430 sont, à l’époque, mentionnés comme étant à peu près bien conservés. Sur ces 430 compositions, 64, relevant presque tous du domaine religieux, sont actuellement identifiables. On peut donc, par extrapolation, estimer que notre connaissance de la littérature hittite repose probablement sur environ 15 % des textes archivés à l’époque où la bibliothèque de Hattusa était en activité. Les déficiences documentaires peuvent remonter aussi loin que l’histoire hittite elle-même ; les scribes chargés de recopier les textes précisent parfois qu’une tablette peut être « absente » (NU.GÁL), « manquante » (waq-), « pas

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retrouvée » (natta wemiya-), « indisponible » (natta ar-), « non incluse » (natta handai-), « ancienne [peu lisible] » (LABĒRU) ou « complètement érodée [illisible] » (arha harran). 1.4

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1.4.1 Localisation spatiale Le royaume aujourd’hui désigné sous l’apellation « hittite » formait une entité politique appelée par ses habitants URUHatti « pays Hatti » (KUB 36.110 Vo 8, bénédictions du Labarna), nom de l’ancien royaume anatolien qu’après avoir conquis, ils s’étaient faits, sinon les héritiers, du moins les continuateurs dans des circonstances historiques dont on ignore tout (Bryce 1998 : 11-14, Soysal 2004 : 1-11). Le royaume hittite est pareillement désigné comme « le pays Hatti » dans les sources égyptiennes, accadiennes et ougaritiques synchrones. La capitale du Hatti, lieu de résidence du souverain, fut Ne/isa (la Kane/is de l’Antiquité, actuellement Kültepe) avant d’être déplacée à Hattusa (devenue Boğazköy à l’époque ottomane rebaptisé, par la suite, Boğazkale) puis, possiblement (?), à Tarhuntassa quelque part dans le sud de l’Anatolie. On ne peut localiser de façon quelque peu précise les limites du royaume hittite dont les frontières ont été, en outre, mouvantes selon les époques : Mursili Ier a envahi Babylone en 1531/1585, Muwatali a affronté Ramsès II à Qadesh en 1274, tandis que la capitale hittite a, de son côté, subi au moins deux raids destructeurs, l’un au XVe siècle, l’autre, sous Muwatali (Klengel 1998, Bryce 2005). Comme rien ne certifie que les territoires sur lesquels le souverain hittite pouvait avoir autorité étaient peuplés d’hittitophones (Steiner 1981 : 161163), que les milliers de noms de lieux mentionnés dans les textes hittites (Del Monte & Tischler 1978, 1992) n’ont, pour dans leur grande majorité, pas de motivation linguistique en hittite, et que moins d’une centaine d’entre eux sont localisables (Alparslan & Doğan-Alparslan 2015), aucune corrélation précise entre la langue et la zone habitée par les ressortissants du royaume n’est possible. Le hittite a été parlé dans les zones les plus centrales et orientales de l’Anatolie, vraisemblablement au-delà, sans plus de précision. 1.4.2 Localisation temporelle Les plus anciennes témoignages certifiant la présence, sinon de Hittites, tout du moins de populations parlant une langue proche ou identique au hittite dans le centre de l’Anatolie, remontent aux documents échangés par les marchands assyriens établis, entre la seconde moitié du XXe siècle et le milieu

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du XVIIIe siècle, à Kane/is (Michel 2001). Ces documents, constitués, pour la plupart, de traités de commerce, mentionnent des noms de personnes hittites (Garelli 1963, Matouš & Zgusta 1973, Michel 2008, Dercksen 2008), et présentent des particularités graphiques (utilisation de la réplication vocalique) ou des fautes grammaticales (erreurs de genre) supposant qu’ils ont été copiés, voire rédigés, par des Hittites (Kienast 1984 : 33, Tischler 1995, Albayrak 2005 : 101, Dercksen 2007, Michel 2011). Le dernier témoignage relatif, sinon aux Hittites, du moins au royaume constitué par la succession des « grands rois du Hatti » est une inscription égyptienne du temple des Millions d’années de Médinet Habou, remontant à la 8ème année du règne de Ramsès III – donc, à 1175 –, rapportant que le royaume du Hatti et quelques autres, ont succombé devant une coalition formée par des envahisseurs venus de la mer23. Les plus anciens textes en langue hittite remontent, selon les chronologies, vers 1750 ou 1650 (Proclamation d’Anitta), les plus tardifs, vers 1350 ou 1250, comme le traité KBo 4.14, rédigé sous Suppiluliuma II (sur la datation des textes, voir ci-après). Il existe de nombreux témoignages, dans le monde accadien, d’une pratique de la datation, en tant qu’élément d’authentification d’un texte. Ce n’est pas le cas dans le monde hittite où les collophons peuvent mentionner des personnages (scribes, témoins divers), mais jamais des dates. 1.4.3 Le nom de la langue La langue désignée, entre le dernier tiers du XIXe siècle et le début du XXe, sous le nom de de hétéen (all. Hethitisch, plus rarement Chetitisch ; it. eteo ; r. хеттский язык), puis, après les années 1920, sous celui de hittite (angl. Hittite ; all. Hittitisch [chez Pedersen] ; it. ittito), tire, comme on l’a déjà mentionné, son nom de la relation, établie par Sayce, entre le royaume de Ḫt des sources égyptiennes et les ḥitt(îm) de l’Ancien Testament, terme transposé sous la forme χέτταιοι dans les LXX et hethaei dans la Vulgate (Ex. XIII : 5, Nb. XIII : 29 ; Js. XII : 3, Gn. X : 15, XXIII, XXVI : 2, 34 ; 2R VII : 6, etc.). On ne peut clairement discerner si la population de Syrie-Palestine que les Hébreux désignent, entre le VIIIe et le IIe siècle, dans l’Ancien Testament, comme ḥitt(îm), avaient ou n’avaient pas de rapports d’ancestralité avec ceux qui parlaient la langue d’Anatolie centrale à l’âge du fer, mais il est certain que ces derniers ne désignaient pas leur propre 23  Les quelques datations absolues qu’on peut tenir comme étant relativement sûres dans l’histoire hittite sont exposées par Beckman 2000. Sur les questions, passablement complexes et controversées, des relations entre isochronismes assyriens et égyptiens et de la chronologie absolue du Proche orient ancien, voir Mellaart 1979, Kuniholm et al. 1996, Gasche et al. 1998, Dee et al. 2013.

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langue sous cette appellation (après Sayce 1890, voir l’état des discussions chez Hoffner 2004, Singer 2006, Collins 2007, Bryce 2012 : 64-75)24. Dans les textes hittites, les langues ne sont jamais désignées par des noms, mais par des dérivés adverbiaux : « ceci est dit / chanté / écrit en X-(umn-)ili » où X représente une entité territoriale ou le centre politique de cette entité : luwili « dans la langue du Luwiya, en louvite », pabili « dans la langue de Babylone, en accadien », hurlili « dans la langue du Hurla, en hourrite », palaumnili « dans la langue de ceux de Pala, en palaïte », etc. (sur les dérivés en -umn- et en -ili, voir Laroche 1966 : 255-263, Hoffner & Melchert 2008 : 292-293). La désignation hittite de la langue hittite dérive du nom de la capitale hittite (Hrozný 1931b, Güterbock 1959) : ne/isili, ne/isumnili VBoT 2 : 25 (MH), IBoT 1.36 iii 65 (MH), KBo 5.11 Vo 4 (MH ?/nh), plus rarement nasili, littéralement « (dans la langue parlée) comme celle de Ne/isa, comme celle des ‘gens de Ne/isa’ nesumena- KBo 20.10 ii 14 VH) », exceptionnellement kanisumnili KUB 41.14 : 8 « … de Kane/is » (Kane/is = Ne/i/asa). Le terme hattili (hatti-ili-) se réfère, pour sa part, à la langue hatti parlée dans le royaume antérieurement à sa conquête par les Hittites (Klinger 1996 : 89-91). Le fait de désigner, sous le même terme hittite, tout à la fois une langue, une population et une entité politique constitue donc un anachronisme délibéré propre aux études contemporaines25. Certains spécialistes ont proposé d’utiliser nésite et/ou kanésien pour désigner la langue parlée par les Hittites du royaume Hatti, mais cette terminologie par trop éclatée n’est pratiquement pas utilisée. 1.4.4 Utilisation de la langue Les interrogations relatives aux pratiques sociales impliquant la langue se résument, invariablement, au sujet du hittite, à prendre parti sur le caractère estimé fortuit ou significatif, d’une absence de témoignages là où, à tort ou à raison, l’on considère qu’il devrait ou pourrait y en avoir. 24  Le nom du roi hittite Hattusili est restitué ḫtsl [χ(a)t(tu)s(i)l(i)] en égyptien tandis que le nom du Hatti est rendu ḫt [x(a)t(i)] en ougaritique (infra, § 4.8.2), dans tous les cas, par une dorsale non voisée. Dans la transcription grecque des LXX (vers 250 avant notre ère), les non voisées [ħ] et [x] de l’hébreu sont restituées par ‘χ’ (ḥɛḇrōn → Xεβρων), alors que [ʕ] et [ɣ] ne sont pas restituées (ʿămǡlēq → Ἀμαλέκ) ou sont restituées par ‘γ’ (ʿămōrǡ → Γoμόρρα) ; comme, d’autre part, la voyelle [i] peut être une réalisation de /a/ en hébreu, il n’y a pas d’objection phonétique à admettre que ḥitt(îm) puisse être une adaptation hébraïque de hitt. Hatti. 25  La question de la signification que ces notions pouvaient ou ne pouvaient pas avoir dans le monde ancien dépend, pour l’essentiel, de la façon dont on pose les problèmes ; pour une discussion récente, voir Gilan 2008.

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Le hittite est une langue dont on n’a connaissance que par des documents provenant d’archives officielles. Aucune archive privée n’a été, jusqu’à présent, mise à jour26. En mettant cette observation en relation avec le statut dévolu aux documents en langue louvite dans le monde hittite comme aux influences linguistiques louvites en hittite, certains chercheurs on estimé que le hittite aurait été une langue de chancellerie plus ou moins étrangère à l’usage parlé ou dont l’usage aurait été limité à une frange plus ou moins réduite de la population (voir, en ce sens, avec des variantes, Rozenkranz 1938 : 280sq., Puhvel 1966 : 239, Steiner 1981 : 162sq., Stefanini 2002, et la discussion de van den Hout 2006 : 222sq.). Une telle conception n’est pas conciliable avec les données de l’observation. De nombreux textes reflètent un style spontanément émotionnel (aphasie de Mursili, prières contre la peste) ou brutalement précipité (dépêches militaires de Mașat) qui n’évoque en rien l’expression standardisée de fonctionnaires préposés à la rédaction. L’hypothèse d’une langue maintenue par et pour les usages d’une chancellerie, donc sous une forme normalisée, est, en outre, comme l’a bien relevé Melchert (2003b : 12-13), incompatible avec le fait que, sur les 450 ans d’histoire documentée du hittite, la langue ne cesse d’évoluer. La question de savoir si le hittite a été la langue de « classes dirigeantes » (comme le déclare, après d’autres, Watkins 2008 : 7) ou bien celle d’une population entière fait partie des interrogations voués à rester sans réponse, la langue des classes censément non dirigeantes n’étant pas documentée en tant que telle et aucun témoignage ne montrant qu’existeraient, dans le monde hittite, des groupes faisant d’un emploi de la langue un moyen de s’identifier par rapport à d’autres groupes. Dans le monde hittite, seule l’autorité coercitive excercée par le roi détermine l’appartenance des individus au royaume. Aucun témoignage ne suggère que la fidélité linguistique jouerait un rôle dans le fait d’être un sujet hittite ou pas ou que la langue représenterait un moyen d’affirmer une identité. La langue des textes hittites est, de toute évidence, celle qui fut parlée au sein d’une communauté linguistique, quelle que soit l’extension démographique, spatiale ou sociale qu’il convient de donner à ce terme. Cette observation ne signifie pas que les textes écrits restituent l’oralité, mais que leur élaboration restitue la langue utilisée dans la communication. Ce point précisé, en l’état actuel de la documentation (le gisement d’Ortaköy n’est toujours pas publié),

26  Bossert 1958, imagine que l’absence de documents privés et de pièces comptables dans les archives de Hattusa est dû au fait que ceux-ci auraient été inscrits sur bois, ce qui n’aurait pas permis leur conservation.

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les textes hittites ne livrent pas d’indices laissant entrevoir à quel titre le langage était utilisé (ou non utilisé), la représentation que les locuteurs pouvaient s’en faire, ou ses éventuels particularismes géographiques, générationnels ou sociaux27. 1.4.5 Influences, contacts et transferts (1) Les langues anatoliennes. – Comme on l’a déjà mentionné, dès les débuts de la linguistique hittite, on a conjecturé que les différences entre le hittite et les autres langues indo-européennes devaient résulter d’influences étrangères massivement subies au cours de sa préhistoire28. Bien qu’elle soit moins souvent évoquée aujourd’hui que naguère, du moins, de façon explicite, cette conception continue de jouer un rôle important dans les débats en constituant, en quelques sorte, le versant diffusionniste et aréal du scénario chronologique et linéaire supposé par l’hypothèse « indo-hittite ». L’hypothèse d’un substrat ayant modifié, voire transformé, l’organisation les langues anatoliennes s’appuie principalement sur le fait que la part du vocabulaire non hérité attesté dans ces langues est supérieure à celle du vocabulaire hérité. Or, si cette appréciation correspond effectivement à la réalité, il convient d’en préciser le sens et la portée. En premier lieu, il est flagrant que les langues de la famille anatolienne n’ont pas toutes été uniformément atteintes par les mêmes influences puisqu’une notion aussi centrale que « dieu » est exprimée en hittite, en palaïte et en lydien par un terme hérité de l’indo-européen (hitt. siu(n)-, pal. tiuna-, lyd. ciw-) alors que de louvite et le lycien utilisent un terme d’origine inconnue (louv. massan(i)-, lyc. mahan-). Ensuite, le taux de pénétration des mots étrangers – notion distincte de celle de mots étrangers attestés dans les textes – relativise le volume du lexique exogène, au moins en ce qui concerne le hittite (voir ci-après, et § 1.4.6). Mais surtout, la présence, dans une langue, d’un volume de mots empruntés supérieur au volume des mots hérités n’a rien d’exceptionnelle ; elle s’observe dans de nombreuses langues dont les organisations phonologique ou morpho-syntaxique n’ont en rien été atteintes

27  Watkins 1986 : 46, signale que la langue du texte de KUB 48.69 (tablette tardive), s’écarte des normes du hittite, en évoquant une possible forme dialectale. Le « hittite barbare » évoqué par Laroche au sujet de KBo 18.151 est possiblement celui d’un étranger (voir Soysal 2000). 28  Hrozný 1915a : 40 « das Hethitische […] wird aber wohl auf Einflüsse fremder Sprachen zurückgehen » ; Sturtevant 1925 : 172b « the [Hittite] vocabulary apparently consists chiefly of loan-words » ; Puhvel 1966 : 237 « in view of the heavy substratal influences to which it [= Proto-Anatolian] was subjected it is rather surprising that its rate of grammatical disintegration was not more pronounced ».

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par des influences exogènes29. Comme l’ont, en effet, montré de nombreux travaux (voir les synthèses de Thomason 2001 : 77sq., Matras 2009 : 193-233), le lexique se situe à l’extrémité inférieure de l’échelle d’empruntabilité, en sorte que si des emprunts phonologiques ou morpho-syntaxiques, prédisent invariablement l’existence d’emprunts lexicaux, l’inverse n’est pas vrai : un langue peut massivement emprunter au plan lexical sans que ni phonologie, ni la morpho-syntaxe en soient affectées. Enfin, force est de constater qu’après des décennies de recherches, on n’a non seulement identifié aucune langue mettant concrètement en évidence des propriétés dont l’emprunt, dans les langues anatoliennes, pourrait expliquer en quoi elles seraient censément devenues différentes des autres langues indo-européennes, mais encore, aucune preuve de ce que des influences lexicales étrangères auraient orienté l’organisation des langues anatoliennes dans une direction qu’elles n’auraient pas prise s’il n’y avait pas eu d’emprunts. Une proportion considérable de lexèmes n’ayant pas d’origine indo-européenne est évidente dans les langues anatoliennes, mais il ne va nullement de soi qu’on doive considérer cette masse comme significativement plus importante que dans beaucoup d’autres langues, encore moins comme un indice de déstructuration des propriétés linguistiques héritées. (2) Le hittite. – A date historique, les relations entre le royaume hittite et l’extérieur, du moins les contacts pacifiques ou non officiels, semblent avoir été, de façon générale, fort limités (voir Beckman 1999 : 166-167, pour une analyse des témoignages textuels). Au plan archéologique, on ne trouve que peu d’objets hittites en dehors de l’Anatolie, tandis que les objets de facture étrangères trouvé sur le sol hittite sont, pour la plupart, des présents de prestige ou des butins de guerre (Genz 2011). Les langues avec lesquelles on sait que les Hittites ont été en contact plus ou moins soutenu et prolongé ont été, pour ce qui concerne les langues parlées sur le plateau anatolien, le palaïte et le louvite (proches parentes du hittites), le hatti (isolé)30, le hourrite (isolé) et l’accadien des colonies marchandes (sémitique)31. D’autres contacts peuvent également être présumés avec des 29  D’après les études réunies dans Haspelmath & Tadmor 2009, la part du stock germanique hérité représente 52 % du lexique de l’anglais contenporain (Grant 375-376) et 79 % du lexique néerlandais (van der Sijs 349). En revanche, selon Kuiper (1955), la proportion de vocabulaire hérité en védique s’élèverait à 96 %. 30  Comme l’indique Soysal (2004 : 14-16), les témoignages de KBo 37.21 et 37.68, montrent que la langue hatti était toujours en usage dans le monde hittite, au moins durant la période ancienne. 31  Sur les relations entre les mondes hittite et hourrite, voir Hoffner 1998, Klinger 2001, Giorigieri 2002.

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langues non documentées, notamment celle des nomades Gasgas du nord. D’autres contact encore, plus ponctuels, ont eu lieu lors de l’occaption de territoires conquis, particulièrement avec l’ougaritique (sémitique)32. En dépit de conditions historiques moins floues qu’au sujet de l’anatolien, l’étude des emprunts en hittite demeure délicate pour diverses raisons : (i) Un emprunt, au sens précis du terme, se réfère à une unité linguistique (phonème, morphème, mot) ou à une construction dont l’emploi s’impose dans une langue emprunteuse en tant qu’expression naturellement spontanée, indépendament du contexte pragmatique ou discursif dans lequel elle est employée. Or, autant on peut reconnaître, en hittite, d’authentiques emprunts au fait qu’ils ont supplanté les formes de l’indo-européen commun (nega« soeur », negna- frère »), autant il existe, dans les textes hittites, une masse de termes d’origine indéterminées dont le degré d’intégration est indiscernable, simplement parce que leur observation est limitée à un texte ou à des textes relevant d’un genre particulier. Doit-on considérer que l’offrande présentée dans le rituels de purification sous le nom hourrite de sehel(l)iski-, sehliski-, sehellita- (CHD S 348-349) est un mot faisant partie du lexique hittite ou bien un mot que les Hittites (ou certains d’entre eux ?) utilisent dans le cadre de ce rituel particulier ? Le fait qu’un terme comme serha-, désignant une sorte de linge, n’apparaisse que dans des rituels de la période ancienne, indique-t-il un élimination de ce terme ou un abandon du rituel auquel il est lié ? Les interrogations sans réponses de ce type sont innombrables33. (ii) un autre critère faisant reconnaître un emprunt comme tel est l’adaptation qu’il subit envers les normes phonologiques et morpho-syntaxique de la langue emprunteuse (Haspelmath 2009). Or, de nombreux mots étrangers sont attestés en hittite dans une morphologie flexionnelle qui est celle de leur langue d’origine : zakki- « verrou » est fléchi en hittite à certains cas (nom. za-ak-ki-is, acc. za-ak-ki-in, gén. za-ak-ki-ya-as), mais utilise, au datif-locatif, un morphème flexionnel hourrite za-ak-ki-ti-i KBo 5.11 i 1, 25 ; de même, 32  Sur les relations entre le hittite et l’accadien, voir Veenhof 1982, Schwemer 2006, Dercksen 2007, Patri 2009b, Dardano 2011 ; entre le hittite et l’ougaritique, voir Watson 1999. 33  la question des termes techniques d’origine indo-iranienne se référant au nombre des tours de manège mentionnés dans la version hittite du traité d’entraînement des chevaux de l’écuyer hourrite Kikkuli (aika-wartanna « pour 1 tour », panza-… « pour 5 », satta-… « pour 7 », na(w)-… « pour 9 »), est marginale dans cette problématique. Les vocables en question ne sont attestés que dans ce seul document, tandis que, dans le monde anatolien, les noms propres indo-iraniens ne sont, de façon générale, documentés qu’en contexte hourrite. L’attestation des ces mots en hittite ne fait que cristalliser la question, par ailleurs compliquée (Mayrhofer 1982), des relations entre le monde indo-iranien et le royaume hourrite.

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lakkusanzani- « couverture » est fléchi au nominatif sg. sous une forme laku-sa-an-za-ni-is qui peut être, a priori, aussi bien hittite que louvite, mais utilise à l’accusatif pluriel un morphème louvite la-ak-ku-sa-an-za-ni-en-zi KBo 18.175 v 15, en alternance avec un morphème hittite la-ak-ku-sa-an-zani-es KBo 18.170a Vo 10. Les témoignages de ce type, qui ne sont en rien isolés, indiquent que les locuteurs de hittite avaient conscience du caractère étranger du lexème ou du mot-forme utilisé, ce qui ne permet pas, en toute rigueur, de les considérer comme des emprunts (voir, en outre, § 5.2.1). (iii) le fait qu’un mot emprunté soit documenté en hittite ne signifie pas qu’il ait été emprunté en hittite : nega- « soeur » et negna- « frère » sont des emprunts remontant à l’anatolien commun, comme le montrent les correspondances avec lyc. nẽne/i-, louv. cun. nāni-, mais le volume des correspondances de vocabulaire entre les langues anatoliennes étant lui-même fort limité, il est, le plus souvent, impossible de vérifier si un mot d’origine étrangère attesté en hittite seulement résulte d’un emprunt ancien ou tardif. (iv) l’identification d’un emprunt dépend, enfin, de sa source, autrement dit, sur celle de la langue préteuse. Or, la documentation lexicale des langues que l’on vient de citer est – l’accadien mis à part – limitée, voire fragmentaire. Par suite, l’origine d’un volume non négligeable de termes non hérités qu’utilise le hittite est indiscernable sans qu’on sache de quelles langues ils proviennent ou par quels intermédiaires ils sont passés. C’est, par exemple, le cas de divers termes relatifs à l’architecture ou au mobilier qui, bien qu’ils témoignent d’une culture matériellement implantée, n’ont pas d’origine identifiable (par exemple, hista/i- « bâtiment funéraire, mausolée »), de même que ceux qui se réfèrent à la cuisine et à l’alimentation : sahi(s)- désigne, par exemple, une plante aromatique mentionnée en hittite, mais aussi en hatti et en hourrite (CHD S 8-9). Un terme comme ka-a-az-zu-e « coupe à boire » est attesté en hourrite, en hatti, et en accadien (Soysal 1999 : 559), sans qu’on sache de quelle langue il procède, ni même s’il procède d’une des langues l’utilisant. Comme, en matière d’étymologie, tout ce qui n’est pas absolument évident de prime abord est, dans le meilleurs des cas, seulement possible : des termes institutionnels comme, par exemple, le titre et nom propre Tabarna- / Labarna« roi » (distinct de hassu- « roi »), ainsi que tawannanna- « reine douairière » (distincte de MUNUS.LUGAL-ri supposant hassu-sara-), sont tenus comme des formation hatties par certains spécialistes, mais comme des formations d’origine indo-européenne par d’autres (voir la discussion de Soysal 2005). Si l’on met à part l’ensemble des termes techniques qui apparaissent dans les textes hourro-hittites à partir de la période moyenne, on ne semble pas enregistrer de termes hourrites qu’on puisse véritablement considérer comme

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intégrés à titre d’emprunt en hittite, tandis que le volumes des termes hattis dont on peut estimer qu’ils font partie du lexique hittite ne s’élève pas, selon Tischler (1979), à plus d’une trentaine de lexèmes. En d’autres termes, le volume des emprunts lexicaux que l’on peut vraisemblablement ou sûrement attribuer aux langues avec lesquelles le hittite a été en contact s’avère limité, en tout cas, sûrement moins élevé qu’on ne l’a estimé durant les premières décennies des études hittites. La seule conclusion claire à laquelle parvient l’observation des emprunts ou supposés tels dans les textes hittites est que, quand ils sont démontrables, ils relèvent exclusivement du niveau lexical, en résultant d’interférences avec des langues le plus souvent inconnues. Aucune propriété linguistique particulière du hittite, qu’il s’agisse de phonologie, ou de morpho-syntaxe, ne peut être attribuée à l’influence d’une des langues non indo-européennes parlées en Anatolie ou dans le pourtour anatolien (voir déjà, en ce sens, les conclusions de Melchert 2003b : 16-17)34. (3) Hittite et louvite. – La question des relations linguistiques entre le hittite et les langues indo-européennes d’Anatolie est plus complexe car la proximité de ces langues rend la détection d’éventuelles interférences beaucoup plus difficile. La question se pose particulièrement au sujet du louvite dont certains éléments s’introduisent en hittite de façon flagrante à partir de la période moyenne, possiblement avant (Starke 1985 : 30, 1990, Rieken 1994 : 46, 2006, Melchert 2001b : 13-14, 2005). Abstraction faite des unités lexicales, trois types de témoignages sont sûrement imputables à une origine louvite : – l’insertion d’un -i- aux cas nucléaires de la flexion nominale (§ 8.17.5), insertion toujours optionnelle (comme elle l’est en louvite) et dont les témoignages sont limités à une dizaine de lexèmes du vocabulaire spécifiquement hittite ; – l’emploi des morphèmes -ahit, -alla/i et -mi- pour former, respectivement, des noms abstraits et des participes (moins de six témoignages dans chacun des cas) ; – l’utilisation de mots louvites ou hittites fléchis selon les normes de la grammaire louvite dans les textes hittites (tous les exemples sont postérieurs au vieux hittite).

34  L’hypothèse d’une « aire linguistique anatolienne » alléguée par Watkins (2001) repose sur des traits pour partie erronés (phonétique des « laryngales », pseudo-ergativité), pour partie triviaux (placement des clitiques, aptitude des consonnes à la gémination).

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Chapitre 1

Autant le caractère spécifiquement louvite de ces indices est évident, autant leur degré d’intégration dans l’appareil formel morpho-syntaxique du hittite l’est beaucoup moins, tous ayant en commun d’être attestés à titre d’alternative dans leur sphère d’utilisation. Melchert (2005 : 457) a fait observer, par exemple, que, dans la seconde Prière contre la peste, Mursili II énonce le prédicat « N devint hostile », une première fois au moyen d’un verbe louvite fléchi en louvite (Nnom. kappilazza-), puis, quelques lignes plus bas, en utilisant un verbe hittite dans une construction hittite (Ndat. + kartimiyatt- kis- ‘ça devient colère à N’) : (4) a. KUB 14.8 Ro 23 (KUB 14.11+ ii 17, sans signe glosateur) ABU-YA⸗ma ↘kappilazzata « mon père devint hostile » (envers l’Égypte) b. KUB 14.8 Ro 37, KUB 14.11+ ii 45 nu⸗war⸗as mān ANA dIM URUHatti BELI-YA kartimmiyaz kisat « (il a été établi par un oracle que ce traité fut la cause de ce que) le dieu de l’orage du Hatti, mon seigneur, devint hostile » Un témoignage de ce type, caractérisé par le fait que la forme louvite ne donne pas lieu à une adaptation phono-morphologique tout en étant utilisée dans une même acception que la forme hittite également disponible est significatif d’une alternance de codage linguistique, autrement dit d’un type de manifestation proche, mais différent de l’emprunt35. On constate également l’existence, dans les textes hittites tardifs, de formes qui ne sont ni louvites, ni hittites, mais, proprement, hybrides : l’adjectif idālu-/ idālaw- « mauvais », alterne, au nominatif pluriel, entre une forme hittite utilisant le morphème hittite attendu {-es}, i-da-a-la-u-e-es KBo 15.10 i 13 (MH), et une forme fléchissant le thème hittite au moyen du morphème louvite {-Nʧi}, i-da-a-la-u-wa-an-zi KUB 29.7+ Vo 38 (MH), alors que la forme louvite du thème est adduwa-. De même, le participe du verbe karpiya- « être en colère » alterne entre une forme hittite dérivée par {-aNT-} kar-pí-ya-an-t- et une forme louvite dérivée par {-mi-} kar-pí-mi-is KUB 32.129+ i 2 (NH), alors que le thème de ce verbe en louvite est zarpa/i-. Des témoignages de cette sorte reflètent une influence exolingue flagrante, mais ils ne se confondent en rien avec des emprunts.

35  Sur le code-switching, voir Myers-Scotton 1993 : 191-204.

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Dans le même temps, on ne peut négliger que des mots hittites sont utilisés dans les textes en langue louvite, en témoignant de ce que les influences ne se sont pas exercées à sens unique : par exemple, hurkil- « perversion » (hur-ki-laas-si-in-za KUB 35.148 iv 13) préserve une plosive normalement éliminée en louvite, ce qui dénonce l’origine hittite de ce mot (Starke 1990 : 343-345, Rieken 1999 : 477) ; de même, louv. kattawatnalla/i- « désireux de vengeance » (acc. pl. kat-ta-wa-at-na-al-li-in-za KUB 35.45 ii 19) présente une plosive initiale non conforme à l’étymologie, en suggérant un emprunt au radical hittite kattu« hostilité, conflit » (voir Kloekhorst 2008 : 466) ; une forme telle que Si-wa-ta « dieu-soleil » KBo 23.137 iii 8, représente une forme hittitisée en concurrence avec la forme louvite Tiwat-. L’étendue du corpus louvite étant considérablement plus réduite que celle du corpus hittite, le volume, donc l’apparence d’intensité fréquentielle des emprunts, est fatalement moins visible d’un côté que de l’autre en sorte que le risque de sur- et de sous-évaluation de part et d’autre ne peut être évité, sans que l’étendue de ce risque puisse être positivement déterminée. Entre des langues voisines comme le hittite et le louvite, l’absence d’interférences serait plus surprenante que le contraire, mais dans l’ignorance des critères décisifs en la matière que sont, de part et d’autre, l’attitude des locuteurs envers les données linguistiques perçues ou non perçues comme exogènes et la forme d’impératif souhaité, subi ou inconscient que représente leur utilisation (Thomason & Kaufman 1988), il est difficile, voire impossible d’évaluer avec quelque précision leur degré de (non-)intégration, a fortiori leur éventuelle signification extra-linguistique. A la différence du monde hittite, le monde louvite constitué, selon Bryce (2003), d’au moins cinq populations, n’a, au cours de son histoire, jamais été unifié autour d’institutions communes, ni même, semble-t-il, au plan géographique, en sorte qu’à l’époque où les interactions entre le hittite et le louvite se sont produites, le louvite peut être considéré comme la langue d’une culture, possiblement comme celle d’une entité socio-économique (Giusfredi 2010), mais sûrement pas comme celle d’une entité politique. Dans un tel contexte, la question des influences louvites en hittite doit plus probablement être abordée sous l’angle de la représentation culturelle que les Hittites se donnaient d’eux-mêmes, à travers leurs pratiques linguistiques, que sous celui d’un rapport de subjugation imposé ou subi36. 36  Les traits caractérisant l’influence louvite en hittite ne sont pas sans évoquer ceux de l’influence italienne en France à partir de la Renaissance (Hope 1971) : des centaines de lexèmes sont empruntés à l’italien, des tournures et des constructions italiennes apparaissent dans les textes littéraires (surtout poétiques), l’architecture, la musique et tous les arts cultivent l’italianisme tandis que des Italiens viennent occuper en France des positions de premier plan, y compris dans la famille royale. Or, aussi massive et spectaculaire

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Chapitre 1

De façon générale, il paraît aujourd’hui flagrant que l’ampleur comme la portée linguistique et extra-linguistique des mots étrangers attestés en hittite a été sur-évaluée, et ce, dans des proportions déraisonnables, voire fantasmagoriques. La seule question susceptible d’avoir des conséquences pour l’analyse linguistique est de discerner à quel point les emprunts sont susceptibles d’avoir orienté le développement du hittite dans une direction qu’il n’aurait pas prise si ces emprunts avaient pas été effectués. Pour autant qu’on puisse en juger, la réponse est que, comme beaucoup de langues, l’anatolien a emprunté une part importante de son vocabulaire à d’autres langues, connues ou, plus souvent, inconnues, mais que ces emprunts n’ont pas eu de conséquences particulières, en tout cas, identifiables comme telles, sur l’organisation de la phonologie ou de la morpho-syntaxe. 1.4.6 Appendice : taux d’emprunt en hittite (LJL) La notion de vocabulaire élémentaire a des acceptions diverses ; elle peut avoir un sens fréquentiel (les n mots qui, dans une langue, reviennent le plus souvent), mais aussi se référer aux significations auxquelles on a nécessairement recours dans une opération de communication donc, dans une perspective comparative, aux désignations censément rencontrées dans toutes les langues. La liste de 100 mots élaborée par Swadesh en 1952 dans cette dernière perspective, bien que très utilisée, a le défaut d’avoir été conçue de façon intuitive et de contenir des notions dont il s’est avéré qu’étant propres à certaines cultures, elles n’étaient pas universellement lexicalisées (« aboyer », « rond », « montagne », etc.). Au terme d’une étude à grande échelle portant sur l’emprunt lexical, Tadmor (2009 : 69-71) et divers collaborateurs ont extrait d’un échantillon de 1 460 significations prises dans 41 langues parlées à travers le monde, la liste des 100 désignations qui s’avèrent être le moins souvent empruntées (liste dite « Leipzig-Jakarta », LJL). Les termes de la liste LJL sont, sinon ceux qui ont le plus de chance d’être hérités, du moins ceux qui offrent la plus grande inertie face à la dynamique générée par les interférences linguistiques, donc ceux dont l’emprunt, quand il se produit, est nécessairement significatif d’influences étrangères soutenues. La centaine d’entrées de la LJL connaît, en hittite, une limitation pratique du fait que 17 significations ne sont pas documentées ou attestées en lecture logographique exclusivement : qu’elle ait été, la mode de l’italianisme n’a eu aucune conséquence sur la phonologie, la morphologie ou la syntaxe du français. Les études de Yakubovich 2006, 2009a, reposent pour ce qui est des incidences supposées de l’influence louvite en hittite, sur des analyses linguistiques contestables (voir § 9.11.7) et des extrapolations indémontrables.

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(5) TERMES DE LA LISTE LJL NON ATTESTÉS EN GRAPHIE SYLLABIQUE 2 nez 41 hier 65 rouge 94 sel 16 pou 44 nombril 68 peau 99 dur 18 chaire, viande 52 oeuf 77 épais 23 cou 60 sable 85 queue (sisai- ?) 40 poisson 61 rire 92 ombre Sur les 83 formes observables en graphie syllabique, 70 ont, à un titre ou à un autre, une origine indo-européenne, soit qu’elles reposent sur le même prototype que dans d’autres langues, soit que leur base trouve des répondants dans une ou plusieurs autres langues de ce groupe : (6) TERMES DE LA LISTE LJL apparentés aux langues indoeuropéennes (X 70) 1 feu pahhur50 quoi ? kui-t 3 aller i- :: ye/a 51 enfant de … hassa4 eau watar-/witen53 donner pai5 bouche ais-/is54 nouveau newa7 sang eshar-/eshan55 brûler ur-/war (intr.) 8 os hasti-/hastai56 négation natta, lē 9 pronom 2sg. zik, ⸗ddu 57 bon, bien āssu11 venir ar- :: ye/a- :: 58 savoir kane/is- :: sakkwe-/uwa13 pluie heu59 genou genu14 pronom 1sg. uk, ⸗mu 62 entendre istamas15 nom laman67 cacher munnai- :: sann(a)17 aile partawar-/ 70 emporter peda- :: pittaipartaun19 main, bras kessar72 lourd dassu- (et nakki- ?) 20 voler pattai73 prendre epp-/app- :: karp- :: peda21 nuit ispant74 vieux mehuwant- :: we/izapant22 oreille istaman-/ 75 manger ed-/adisatmin24 loin tuwa 76 cuisse sakkutai27 rocher, pierre peru(n)78 long daluki29 dire mema- :: te-/tar- 79 souffler parai30 dent gaga80 bois taru-

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Chapitre 1

31 poil, cheveu 32 gros, grand 33 un 34 qui ? 35 pronom 3sg.

ishiyanisalli-/sallaisikui-s (kā-, apā[cf. 39]) ⸗as 36 frapper, battre hatt- :: zah(h)37 pied, jambe pat(a)39 ceci, ça kā-, apā42 boire aku-/eku43 noir dankui(hanzana- ?) 45 se tenir ar- :: tiye/a-

81 courir 82 tomber 93 oeil 84 cendre 86 chien

hui-/huwai- :: pattailak- :: mu-/mausakuwahasskun-/kuwan-

87 pleurer 88 lier 89 voir 90 doux 91 corde

ishahruwahamank-/haminku-/au- :: sakuwai-miu- :: militt-/malittishiman-

95 petit

46 frapper 47 dos 48 vent

wak(k)iskishuwant-

49 fumée

tuhhima-

96 large 97 étoile 98 dans, dedans 100 briser

amiyant- :: kappi-/ kappai- :: tepu-/teppaupalhi-/palhaihasteranda(n) harr(a)- :: mall(a)- :: puwai- :: (pakkus- :: zahhurai-)

Enfin, 13 lexèmes n’ont pas de répondant formel ou sémantique dans d’autres langues connues, qu’elles soient indo-européennes ou non, ce qui ne signifie ni qu’ils aient été empruntés, ni qu’ils ne l’aient pas été : (7) termes de la liste LJL sans correspondance dans les langues indo-europénnes lāla63 sol purutt6 langue surki64 feuille lahhurnuzzi-, parsdu10 racine 66 foie le/isi12 poitrine tetaaniya- :: ye/a69 sucer unh25 faire 71 fourmi lalakuesa-, lalawesa26 maison per-/parnsiwai-/siwi- (?) 93 oiseau wattai28 amer sawitra-, sawatar38 corne En résumé, les formations sûrement héritée du hittite représentent, par extrapolation, 84 % de l’échantillon des significations les moins susceptibles de s’emprunter, sans que les 16 % restant ne mettent en évidence des formations

La langue et les textes

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dont le caractère exogène soit flagrant (une onomatopée semble probale dans le cas de lāla- « langue » ou de teta- « poitrine », comp. gr. títtʰē, lat. titta). En d’autres termes, dans la LJL hittite, on ne discerne aucun terme dont il est serait absolument certain qu’il est un emprunt plutôt qu’une formation générée lors de l’évolution de l’anatolien commun ou du hittite (les dictionnaires étymologiques proposent au demeurant des hypothèses dérivant de façon plus ou moins convaincante de l’indo-européen presque tous lexèmes de (7)). En l’absence de données comparables dans d’autres langues indoeuropéennes anciennes (la liste LJL, élaborée il y a moins de dix ans, est encore peu utilisée), ces chiffres restent difficiles à apprécier, mais il semble dès à présent sûr qu’en ce qui concerne le lexique, le hittite ne fait pas partie des langues particulièrement emprunteuses. Sachant que, comme l’ont démontré Thomason & Kaufman (1988), l’emprunt lexical est un préalable absolu à l’emprunt phonologique comme morpho-syntaxique, il y a tout lieu d’estimer que la conception selon laquelle les particularités linguistiques du hittite s’expliqueraient en fonction d’influences étrangères n’a, en réalité, pas de base empirique sérieuse. 1.5

Périodisation de la langue

1.5.1 Problèmes de la stratification L’histoire linguistique du hittite est documentée sur environ 450 ans, durée qui, transposée à nos jours, est celle qui nous sépare des écrits de Montaigne, Machiavel, Marlowe, Cervantes ou du Tretté de la grammaire françoeze de Louis Meigret (1550). Sur un ambitus de cette étendue, on peut naturellement s’attendre à ce qu’entre la langue des plus anciens documents et celle des documents les plus tardifs, des changements linguistiques adviennent. L’étude de la périodisation du hittite a commencée au milieu des années 1950 avec la mise à jour du fragment 29/k = KBo 7.14 de l’histoire de Zukrasi d’Alep dans une strate permettant de connecter certains traits paléographiques et linguistiques à une strate chronologie donnée (Otten 1953) ; elle se poursuit jusqu’à aujourd’hui en alimentant des discussions sans cesse renouvelées au sujet de l’étendue des strates et des méthodes de chronologisation. Les problèmes susceptibles de s’imbriquer sont multiples : une datation fondée sur des critères de teneur textuelle n’est envisageable qu’avec certains textes historiques, ce qui revient à reconnaître qu’elle est impossible dans la grande majorité des cas. Une datation fondés sur des critères purement contextuels (strate et localisation de la découverte) n’est, pareillement possible que si certaines conditions archéologiques sont réunies et demeure inapplicable à la masse des

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Chapitre 1

tablettes récoltées aux débuts des fouilles37. Une datation fondée sur des critères paléographiques n’échappe pas à une certaine subjectivité d’appréciation tout en pouvant être mise en cause par les pratiques individuelles des scribes. Pour ne rien simplifier, certains textes anciens par leur teneur peuvent être partiellement ou entièrement transmis par des copies plus ou moins tardives adaptant plus ou moins la langue originelle à celle du copiste. L’ensemble de ces raisons font que la chronologie des textes hittites demeure, et demeurera sans doute longtemps, un sujet de débats38. En dépit des difficultés que l’on vient de mentionner, la stratification chronologique constitue un des progrès les plus importants connus dans les études hittites au cours du XXe siècle puisque, grâce à elle, il a été possible d’améliorer et d’affiner considérablement la compréhension de la langue et de ses mécanismes. 1.5.2 Les strates chronologiques du hittite Comme dans presque toutes les langues, l’histoire du hittite est divisée en trois périodes : ancienne (vers 1650-1450), moyenne (vers 1450-1350) et récente (vers 1350-1250). Aucun trait linguistique particulier n’est propre à la « période moyenne », qui n’est que le nom donné à un stade intermédiaire entre qui n’est plus tout à fait ancien et pas encore complètement nouveau (voir à ce sujet Melchert 2007c). Quand un changement se constate dans l’histoire linguistique du hittite, c’est, généralement, soit entre le vieux hittite et les strates ultérieures, soit entre le néo-hittite et les strates antérieures. Au plan paléographique la continuité des périodes suit globalement le même principe, mais de façon moins nette, notamment en ce qui concerne la distinction entre écriture ancienne et écriture moyenne dont on admet à présent qu’elle est moins tranchée qu’on ne l’avait estimé de prime abord (Popko 2005, 2007 ; van den Hout 2009)39.

37  Laroche 1978 : 748, fait valoir que, s’agissant des tablettes, la notion de strate archéologique doit être considérée avec prudence, en citant l’exemple du fragment KBo 7.14 (29/k), retrouvé dans une couche profonde du secteur q/16, alors qu’il fait partie de la même tablette que le fragment KUB 36.100 (530/f), retrouvée six ans plus tôt à quelques centimètres du sol dans le secteur w/13. 38  Voir principalement Otten 1964 : 12 sq., Otten & Souček 1969 : 1 sq, 42 sq., Rüster 1972, Neu & Rüster 1973, 1975 ; Melchert 1977 : 18-40 ; Heinhold-Krahmer 1979 : 1-54 ; Melchert 1984a : 37, Popko 2005, 2007 ; van den Hout 2009. 39  La question d’éventuelles relations entre la périodisation linguistique, la paléographie et l’histoire politique du royaume se situe sur un autre plan ; voir Archi 2003.

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La langue et les textes

1.5.3 Datation des documents En principe, chaque tablette relève d’une des six situations de périodisation suivante : (8) périodisation des documents sur tablette description

abréviation

texte ancien sur tablette ancienne texte ancien copié sur tablette moyenne texte ancien copié sur tablette tardive texte moyen sur tablette moyenne texte moyen copié sur tablette tardive texte tardif

VH VH/mh VH/nh MH MH/nh NH

Pour la datation des textes, on suit ici les chronologies établies par Melchert (1977 : 45-131), Oettinger (1979 : 573-580) et le CHD ; pour la datation des tablettes, on suit le CHD et Košak, Konkordanz. Ces sources sont le plus souvent en accord, mais peuvent diverger dans quelques cas limités. 1.5.4 Volumes des tablettes datées Abstraction faite des documents en langues étrangères, on connaît actuellement 27 835 tablettes ou fragments de tablettes en langue hittite, au nombre desquels 11 785 sont soit en attente de datation, soit indatables. Les 16 000 tablettes datées se répartissent très inégalement selon les périodes. En réduisant au profit de datation la plus ancienne documents pour lesquels la Kondordanz de Košak hésite entre deux périodes, et sans tenir compte de la division entre junghethitisch et spätjunghethitisch, on obtient la répartition documentaire suivante : (9) stratification chronologique des tablettes datées Période

témoins

proportion

ancienne (datation sûre ou plausible) moyenne (datation sûre et plausible) tardive

286 2 176 13 588

 1,8 % 13,2 % 85 %

total :

16 050

100

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Chapitre 1

D’une strate donnée à la strate suivante, le volume des tablettes apparaît, chaque fois, mutliplié dans la même proportion : il y a 7 fois fois plus de tablettes moyennes que de tablettes anciennes ; 6 fois plus de tablettes récentes que de tablettes moyennes. On ne peut discerner si cette relative constante reflète un accroissement du taux d’activité des scriptoria, le taux de perte des tablettes d’une période à l’autre, ou une combinaison des deux facteurs. Il est, en tout cas, frappant de relever que le rapport 1 : 7 constaté d’une période à l’autre est exactement celui que restitue le taux de perte des textes catalogués par rapport aux textes retrouvés (§ 1.3.5). 1.5.5 Documents authentiques et copies L’activité des scribes ne concerne pas moins la copie que la recopie des textes. Van den Hout (2006 : 219-220), a montré que tous les textes susceptible de donner lieu à une consultation répétée ont été copiés et recopiés en plusieurs exemplaires, éventuellement plusieurs siècles après leur composition ; de ce type, relèvent les sources de droit (lois, instructions administratives, traités internationaux), les textes relatifs à la religion (rituels, narrations mythologiques, liturgies, hymnes, prières, oracles célestes) ainsi que les instruments didactiques (listes lexicales, textes en langues étrangères, traités d’élevage). A l’opposé, les textes se référant à des situations ponctuelles (inventaires, procès, compte-rendus oraculaires, voeux) ou n’ayant qu’un seul destinataire (lettres privées, gratifications, donations foncières) ne sont généralement connus que par un seul exemplaire. Du point de vue linguistique, seuls les documents authentiques, au sens diplomatique du terme, autrement dit, dont la composition est présumée synchrone à la rédaction et à la copie, peuvent être tenus comme représentatifs d’un état de langue donné. Les copies plus ou moins tardives d’un texte plus ancien sont toujours suspectes d’avoir été linguistiquement adaptées à l’état de langue parlé par le scribe. Le degré de modernisation auquel un texte peut être soumis varie, parfois considérablement, selon les copistes, les textes et, à l’intérieur d’un même texte, selon les passages. Par exemple, dans le texte du Code, la leçon ancienne, au cas allatif, de hameshant- « printemps-été » → hame-es-ha-an-da KBo 6.2 iv 60, est remplacée par un locatif ha-mi-is-ha-an-ti sous la main du copiste de la tablette tardive KBo 22.66 iv 5 (§ 100), alors que celui de la tablette contemporaine KBo 6.3 iv 60, conserve la forme originelle, mais remplace par kā- → abl. ke-e-ez KBo 6.3 i 57 la leçon plus ancienne ke-e-et KBo 6.2 i 49 (§ 22). Les témoignages de ce type peuvent être multipliés (sur la transmission du Code, voir Hoffner 1997 : 250-264) en montrant que la systématicité et le degré de rénovation linguistique dont peut faire preuve une copie tardive est imprévisible. Il peut aussi arriver que des scribes travaillent la

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La langue et les textes

forme linguistique d’un texte en lui attribuant, plus ou moins habilement, des traits qu’ils estiment devoir être anciens (pour un exemple, voir Rieken 2001b). On manque de données quantitatives permettant d’évaluer la part que représentent les copies authentiques par rapport aux recopies de textes anciens. Un balayage électronique des citations effectuées dans le CHD ne constitue certes pas un instrument analytique, mais il indique que, durant la période tardive, les textes anciens ont été un petit peu plus souvent recopiés que les textes moyens (2950 citations contre 2576). 1.5.6 Usages et mésusages de la périodisation En présence d’un fait linguistique positivement attesté dans les documents d’une strate et pas dans ceux de la strate postérieure, l’évolution de la langue est évidente. Les témoignages de ce type sont nombreux dans la morphosyntaxe : tendance à l’élimination du cas allatif par le cas datif, tendance au remplacement de gén. pl. -an par -as ; élimination des déterminants possessifs, remplacement du pronom nom. pl. ⸗e par ⸗at ; généralisation de la conjonction adversative ⸗ma au détriment de la variante ⸗a ; remplacement de andan par anda « (de)dans + loc. », etc. Dans les autres situations, la reconnaissance d’un fait linguistique donné comme étant spécifiquement ancien ou tardif est plus complexe. Beaucoup de spécialistes ont été portés, au cours des dernières décennies, à estimer que l’apparition d’un fait x, de quelque nature qu’il soit (graphie, phonologie, morphologie syntaxe), à partir des documents des périodes moyenne ou tardive seulement serait significatif d’une évolution de la langue. On présume pareillement qu’une évolution s’est produite quand il s’avère que x est attesté « plus souvent » ou « plus rarement » dans les documents d’une strate que dans ceux d’une autre strate antérieure. Or, l’application de tels principes ne peut être mécanique : l’étendue documentaire de chacune des strates du hittite étant fortement déséquilibrée par rapport aux autres, la seule probabilité pour que x soit attesté, apparaisse, ou demeure invisible diffère considérablement d’une période à l’autre : (10) volumes documentaires des strates du hittite période

textes datés

tablettes datées

ancienne moyenne tardive

 38 (5,5 %) 255 (37 %) 395 (57,5 %)

286 (1,8 %) 2 176 (13,2 %) 13 588 (85 %)

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Chapitre 1

La masse des tablettes connaissant un accroissement multiplicateur de 6 à 7 d’une période à l’autre, l’espérance statistique d’observer un quelconque fait x est considérablement plus élevée en hittite tardif que partout ailleurs ; corrélativement, celle de ne pas observer le même x en vieux hittite est plus élevée dans les mêmes proportions. Cette situation justifie qu’un nombre non négligeable de mots dont l’origine indo-européenne est sûre ne sont pas attestés avant les périodes moyenne ou tardive : lammar- (adverbe et nom) « moment, instant » (lat. numerus), le/isai- « cueillir, rassembler » (got. lisan, lit. lesù, lèsti « id. »), sanhu- « rôtir » (gr. ánumi « mener à terme »), etc. Dans une interprétation a minima cohérente des données linguistiques en terme de périodisation, il est donc impératif de prendre en considération la représentativité documentaire de la strate observée par rapport aux autres, autrement dit, abstraction faite du lexique, le volume des occurrences attestant un fait x donné dans tous les contextes où x est possible ou nécessaire. Tout x positivement documenté dans une strate et documenté de façon moins importante ou nulle dans la ou les strates ultérieures peut être tenu comme représentatif de ce que la langue a éliminé ou tend à éliminer x, mais, à l’inverse, tout x positivement documenté dans une strate et non documenté dans la ou les strates antérieures ne peut être considéré comme une évolution de la langue que s’il est attesté : – par au moins 8 occurrences en moyen-hittite par comparaison avec le vieux hittite (coefficient multiplicateur + 1), – par au moins 7 occurrences en néo-hittite par comparaison avec le moyen hittite – par au moins 48 occurrences en néo-hittite par comparaison avec le vieux hittite. Tant que ces masses ne sont pas atteintes, toute interprétation d’un fait linguistique en termes d’innovation est a priori insignifiante. Les jugements assertant que « tel x constitue une innovation parce qu’il n’est pas documenté dans la ou les strates antérieures », en négligeant la dimension quantitative, ont, logiquement, une probabilité nulle.

Chapitre 2

L’écriture 2.1

Transcription du cunéiforme

2.1.1 Transcription latine des signes Les syllabogrammes sont transcrits en utilisant les symboles de l’alphabet latin en fonction des propriétés phonétiques qu’on estime être les plus approchantes (ou : les moins éloignées) de leur réalisation phonétique. Dans une transcription continue des syllabogrammes du hittite, 19 symboles alphabétiques sont nécessaires : a e h i k/q/g l m n p/b r s t/d u w y z Des diacritiques et des indices peuvent être requis dans la transcription des syllabogrammes individuels ainsi que dans celle des idéogrammes (voir ci-après). Les logogrammes sont transcrits en majuscules en utilisant, le cas échéant, des symboles associés à la transcription de leur langue d’origine, sumérien ou accadien : Š Ṣ Ḫ Ḥ Ṭ ; comme avec les syllabogrammes, des diacritiques et des indices peuvent être nécessaires à leur transcription. Les différents emplois que peut assumer un signe d’écriture dans les textes cunéiformes sont conventionnellement distingués dans la transcription latine par la casse des caractères : (1) conventions de latinisation emploi syllabogrammes logogrammes d’origine sumérienne logogrammes d’origine accadienne logogrammes classificateurs

transcription minscules italiques MAJUSCULES ROMAINES MAJUSCULES ITALIQUES EXPOSANTS

Par exemple, le signe HZL 265, est transcrit Ù quand il représente le logogramme summérien correspondant au substantif « rêve, songe », mais Ù quand il représente le logogramme accadien correspondant à la conjonction de coordination « et ». Les scribes hittites n’étaient probablement pas conscients de la © koninklijke brill nv, leiden, 2019 | doi:10.1163/9789004394247_004

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distinction d’origine, du moins n’avaient pas besoin d’en être conscients pour écrire. 2.1.2 Cataloguage des homophones Depuis les années 1860, la transcription de l’écriture cunéiforme a connu des standardisations successives s’efforcant de prendre en considération les variantes graphiques, valeurs phonétiques et logographiques associées aux signes, en fonction des langues, lieux et époques où ils furent utilisés (en 2010, le MesZL compte 954 entrées). Dès les débuts du déchiffrement, il est rapidement apparu qu’une même valeur logographique ou syllabiques pouvait avoir des représentations graphiques plus ou moins différentes. Pour ordonner la masse de ces homophones, il a été convenu de recourir à des diacritiques (accents ou chiffres en indices) ajoutés sur la première valeur syllabique découverte. En l’assyriologie, au sens large du terme, l’emploi des diacritiques a une signification paléographique et non linguistique. Les principes généraux actuellement en usage sont les suivants : (a) les variantes des signes monosyllabiques sont identifiées par un accents aigu, puis un accent grave, avant que de passer à une numérotation en indice : du - dú - dù - du₄, - du₅, etc. ; (b) les variantes des signes polysyllabiques sont identifiées par un accents aigu, puis grave, situé sur la voyelle de la première syllabe avant que de passer à une numérotation en indice : muru - múru - mùru - muru₄, etc. ; (c) les nouvelles variantes syllabiques n’ayant pas encore été indexées ou dont la valeur n’est pas encore totalement sûre sont identifiées par un ‘x’ en indice, par exemple sarₓ, tanₓ ; (d) les variantes des logogrammes sont, dans le Hethitisches Zeichenlexikon, identifiées de la même façon que les signes polysyllabiques1. Le Hethitisches Zeichenlexikon attribue de nouveaux indices aux signes dont le tracé s’écarte significativement des variantes connues par ailleurs, par exemple, ùz devient uz₆, GUDU₄ devient GUDU₁₂, EZEN devient EZEN₄, etc. Chaque centre d’écriture du Proche-orient ancien n’ayant utilisé qu’une partie de ce qui, aujourd’hui, constitue la somme des signes cunéiformes étudiés en assyriologie, aucune logique n’est à attendre de l’organisation des diacritiques dans la différenciation des homophones. Les scribes de Hattusa ont utilisés les signes am (HZL 168) et am₇ (HZL 317), mais pas ám, àm, am₄, am₆, etc. Il existe de même des logogrammes tels que PÉŠ « souris » (HZL 3) ou PÈŠ « figue » (HZL 208), mais pas de logogramme PEŠ, etc. 1  L’usage assyriologique traditionnel est différent : on met un accent sur la seconde voyelle (d’abord aigu, ensuite grave), après quoi on passe à la première.

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Dans la transcription des logogrammes, l’utilisation de diacritiques est motivée quand elle permet de distinguer des logogrammes ayant une signification différente, par exemple, NITA(Ḫ) « homme » (HZL 132) / NÍTA « employé, subalterne, esclave » (HZL 16) / NÌTA « femme » (HZL 297) ; PÉŠ « souris » (HZL 3) / PÈŠ « figue » (HZL 208), etc., mais elle est plus discutable quand elle sert à signaler qu’un logogrammes peut avoir un dessin différent, par exemple SES / ŠEŠ « frère » (HZL 79). La distinction H / Ḫ ne revêt, pour sa part, aucun rôle discriminant dans l’écriture hittite ; elle est ici maintenue par simple souci d’homogénéité. 2.1.3 Transcriptions « étroite » et « large » Le principe de la transcription étroite est de restituer l’individualité de chacun des signes utilisés dans l’écriture en les séparant par un tiret (pé-e-da-as) ; celui de la transcription large est de restituer l’individualité des mots, en supprimant la division entre les signes (pēdas). La première technique est de règle dans l’ecdotique et dans les discussions regardant la paléographie ou la phonologie ; la seconde, plus facile à lire, est utilisée dans les études relatives à la syntaxe ou à la lexicologie. Dans tous les cas, la transcription se borne à transposer un code dans un autre et ne doit pas être confondue avec une représentation analytique de la chaine parlée. A titre d’illustration, le passage suivant est successivement reproduit en transcription étroite (2a), en transcription large (2b), dans des essais d’interprétation phonétique (2c), phonologique (2d) et morphologique (2e) : (2) KBo 3.22 : 49 (VH) a. ku-is am-me-el a-ap-pa-an b. kuis ammel āppan c. Kʷís ám.mel ā́.pʰan d. Kʷís ámel ápʰan e. Kʷí-s ám-el ápʰan indéf.-nom. 1sg.-gén. après « (celui) qui devient roi après moi »

LUGAL-us LUGAL-us Hás.sus Hásus Hásu-s roi-nom.

ki-i-sa-r[i] kīsar[i] Kī�.́ sa.ri Kísari Kís-ari devenir-3sg.prés.

2.1.4 Répertoires de référence Les signes cunéiformes utilisés dans le Proche-orient ancien jusqu’au premier millénaire sont répertoriés dans trois ouvrages : Labat (1995, première édition : 1948), von Soden & Röllig (1991, première édition : 1948), Borger (2010, première édition : 2004, ci après : MesZL). Les signes spécifiquement sumériens et les valeurs les plus rares sont recensés dans Rosengarten (1967), et dans Mittermayer

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(2006). Labat et Borger indiquent les valeurs syllabiques et logographiques associées à chaque signe ainsi que les évolutions des tracés (traitées séparément chez Borger), tandis que von Soden est limité aux lectures syllabiques. Les recueils de Thureau-Dangin (1926, 1929), bien qu’ayant posés les bases de tous les autres, n’ont plus qu’un intérêt historiographique. Les signes utilisés dans les textes des archives hittites sont inventoriés dans le Hethitisches Zeichenlexikon (ci-après : HZL) élaboré en 1989 par Rüster & Neu2 ; les logogrammes sont spécialement étudiés par Weeden (2011) ; l’aspect paléographique est traité dans les albums illustrés de Rüster & Otten (1972), Neu & Rüster (1975). Ces travaux remplacent les répertoires qui les ont précédées (Forrer, Friedrich) et qui ne sont plus à jour de l’état des connaissances. Le répertoire le plus complet des signes de l’écriture hiéroglyphique anatolienne demeure Laroche (1960), qui doit être complété et précisé en consultant notamment Hawkins (2005). 2.2

Les Hittites et l’écriture

2.2.1 Les systèmes d’écritures chez les Hittites L’écriture, chez les Hittites, repose sur une code graphique complexe, ainsi que sur une utilisation de ce code parmis les plus compliquée que connaisse l’histoire de l’écriture. Les témoignages ne manquent pas, dans l’Histoire, de systèmes d’écriture dont la symbolisation graphique est plus ou moins adaptée aux propriétés de la langue représentée, plus ou moins rationnellement organisée ou plus ou moins rigoureusement utilisée, mais rares sont les écritures qui, comme celle du hittite, empilent des conventions façonnées dans et pour des traditions linguistiques étrangères les unes aux autres, et dont les emplois sont aussi peu régulés qu’ils sont linguistiquement immotivés. Les textes en langue hittite sont exclusivement transmis par des documents écrits en écriture cunéiforme. Cette écriture, la plus ancienne de l’Humanité, inventée à Sumer aux alentours du XXXIVe siècle (strates d’Uruk IV et III) s’est diffusée dans l’ensemble du Proche-Orient ancien à la suite de son adoption par les Accadiens à partir du XXVIe siècle (Nissen, Damerow & Englund 1990, Schmandt-Besserat 1992, Glassner 2000). Parallèlement à l’écriture cunéiforme, les Hittites ont également utilisé, de façon plus limitée, un autre système d’écriture dit hiéroglyphique anatolien dont les origines demeurent, à ce jour, obscures (Laroche 1960, 1963, Marazzi 1990, 2  Voir les recensions de Hoffner 1993, Kammenhuber 1994. L’appréciation négative de Melchert 1991, est fondée sur des griefs en partie infondés ; cf. Catsanicos 1994.

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Melchert 1996, Hawkins 2003). Les écritures cunéiforme et hiéroglyphique ne diffèrent que par le dessin des signes et des lectures qui leurs sont associées : les signes de l’écriture cunéiforme sont formés en combinant des traits rectilignes et des enfoncements triangulaires (les « clous ») dont les agencements sont, au stade où les Hittites adoptent l’écriture, dépourvus de motivation symbolique. Les signes hiéroglyphiques, pour leur part, sont faits de lignes et de courbes, dont le dessin est, dans beaucoup de cas, motivé (par exemple, le pronom de 1ère personne est représenté par le profil d’un personnage se désignant du doigt). Pour le reste, les principes d’utilisation et de lecture des deux répertoires de signes sont identiques. Les plus anciens témoignages d’écriture hiéroglyphique anatolienne sont des légendes sigillographiques exposant le nom et la titulature de souverains hittites de la période ancienne (Güterbock 1940-1941, Mora 1994, Herbordt 2005). Quelques siècles plus tard, vers la toute fin du royaume, une vingtaine d’inscriptions monumentales de longueur très inégale ont été gravées en écriture hiéroglyphique dans Hattusa et aux alentours (Hawkins 2003 : 139-140), mais c’est surtout, après la fin du royaume hittite, entre 1100 et 700, dans les entitées d’Anatolie du sud-est et de la Syrie du nord appelées, faute de mieux, « états néo-hittites » (Bryce 2012) que les inscriptions sont le plus documentées. De même que nous ne connaissons aucun texte en langue hittite transmis dans une autre écriture que l’écriture cunéiforme, nous ne connaissons aucune inscription monumentale attribuable aux Hittites dans une autre écriture que l’écriture hiéroglyphique3. Il est difficile de départir l’emploi de l’écriture hiéroglyphique de celui de la langue louvite : tous les documents actuellement connus sont soit rédigées en langue louvite, soit se bornent à mentionner des noms propres, des titres ou des devises qui ne laissent pas discerner la langue dans laquelle ils ont été rédigés. Il est en revanche évident que l’emploi de l’écriture hiéroglyphique chez les Hittites est strictement réservée à des situations où l’écrit constitue, en tant que tel, l’affirmation publique et solennelle d’une autorité. La question de savoir si le choix de l’écriture a été commandé par celui d’une langue, en l’espèce étrangère, par celui de la culture associée à cette langue, plutôt que par le statut symbolique dévolu à cette écriture reste ouverte.

3  Pour un témoignage de texte cunéiforme représentant la version hittite d’une inscription hiéroglyphique en langue louvite, comparer KBo 12.38 avec NİŞANTAŞ ; cf. Laroche 1970 ; Hawkins 1995 : 58-59.

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2.2.2 L’adoption du cunéiforme par les Hittites L’écriture cunéiforme telle qu’elle est pratiquée chez les Hittites met en évidence un répertoire de signes et, plus encore, des modalités d’utilisation de ces signes dont l’origine est accadienne : – L’indistinction des timbres [e] et [i] que tolère la lecture de certains signes CV n’ont de justification phonétique qu’en accadien ; – la représentation d’un [m] factice n’a de motivation qu’en accadien ; – les logogrammes stipulant une information grammaticale répondent à des emplois accadien et sont formés d’indices grammaticaux utilisés en accadien (qu’ils soient d’origine accadienne ou sumérienne) ; – certaines combinaisons de logogrammes sont séquentiellement formées selon les normes de la grammaire accadienne ; La transmission de l’écriture du monde accadien au monde hittite, n’est pas historiquement documentée, si bien que c’est uniquement par le biais d’hypothèses plus ou moins étayées que l’on en restitue les étapes. Dès le XXe siècle, les documents trouvés au niveau II du quartier marchand assyrien (kārum) de la cité de Kanes / Kültepe, montrent que certains textes en langue accadienne ont été non seulement copiés, mais composés par des Hittites4. Certaine fautes relevées dans les lettres ou traités commerciaux des marchands de Cappadoce, notamment des erreurs d’accord fondés sur des confusions entre les genres masculin et féminin du sémitique avec les genres animés et inanimés de l’anatolien sont significatifs d’une appropriation seconde de la langue (Kienast 1984 : 33, Michel 2001, Albayrak 2005 : 101). Ces témoignages, combinés avec d’autres données comme la fréquence des noms hittites dans les documents assyriens de Cappadoce, l’apparition, en accadien de Kanes, de titres de fonctionnaires calqués du hittite, sans équivalents dans l’administration assyrienne (Tischler 1995), indiquent qu’entre la fin du IIIe millénaire et le XVIIe siècle, la cité de Kanes, était, autant qu’un comptoir sur les voies commerciales d’Assur, un espace stabilisé d’échanges constants entre les deux populations, voire celui d’une symbiose locale (Veenhof 1982). En étudiant le tracés des signes d’écriture ainsi que les valeurs dans lesquelles les signes sont utilisés dans les plus anciens documents hittites, on a observé que ceux-ci présentaient peu d’affinités avec les textes « mésopotamiens » et beaucoup de similitudes avec ceux des documents du niveau VII (entre la fin XVIIIe siècle à la première moitié du XVIIe siècle) de la cité nordsyrienne d’Alalah (Tel Açana), à l’ouest d’Alep, probablement détruite lors des premières incursions de Hattusili Ier en Syrie5. Depuis la publication des documents d’Alalah (Wiseman 1953), la source nord-syrienne de l’écriture hittite 4  Otten dans Bittel & al. 1957 : 68-79, Beckman 1983 : 100sq., Dercksen 2007 : 27. 5  Gamkrelidze 1959, Beckman 1983 : 100sq., Wilhelm 1984 : 649.

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est l’hypothèse privilégiée par la plupart des spécialistes ; elle ne rencontre pas d’objections formelles, mais laisse toutefois subsister des interrogations, éventuellement certains doutes6. A côté d’évidentes ressemblances dans le dessin des signes, lesquelles n’affectent pas l’ensemble du répertoire, il existe, en effet, des divergences d’utilisation : le signe HZL 335, est, par exemple, utilisé à Hattusa dans des lectures hi, he, et jamais dans les lecture tí, té, ṭí, ṭé banales à Alalah, etc7. L’hypothèse de la source Alalah-VII n’explique pas, d’autre part, pourquoi les Hittites auraient importé le cunéiforme de Syrie à l’occasion des conquêtes de Hattusili Ier dans cette région, plutôt que le cunéiforme de Kanes utilisé au milieu de leur propre territoire depuis le début du II ème millénaire. Le paradoxe est encore accentué si l’on considère que des écoles de scribes étaient probablement en activité à Kanes dès l’époque du kārum (Larsen 1976 : 53 n. 9) et qu’avec un répertoire de moins de 200 signes, le cunéiforme de Kanes est d’une appropriation plus aisée que le répertoire nord-syrien dont le volume est plus que double. Enfin, l’hypothèse de la source syrienne repose sur la conjecture selon laquelle des scribes syriens auraient été ramenés de force par Hattusili Ier dans la capitale hittite où ils auraient établi les premières écoles de scribes ; or, si rien ne s’oppose à la vraisemblance d’un tel scénario (voir Weeden 2001d, pour plus de détails), aucun témoignage ne l’étaye formellement. La géographie historique des variantes de l’écriture cunéiforme est encore loin d’être bien connue, si tant est qu’elle puisse l’être un jour (l’exposé le plus détaillé est Huehnergard 1988 : 23-97). La division entre monde mésopotamien et monde syro-anatolien mise à part, il est actuellement impossible de certifier, dans la masse des homophones cunéiformes, que l’utilisation de certains signes plutôt que d’autres est nécessairement spécifique d’une région et d’une époque plutôt que d’une autre. Comme le choix des signes et de leur tracé n’a pas d’autres motivations que celles – arbitraires, jusqu’à preuve du contraire – de l’usage, on ne peut exclure la possibilité que de mêmes signes aient été sélectionnés de façon parallèle et indépendante dans des régions et à des époques différentes8. L’étude paléographique de Hecker (1996) sur la missive KT k/k 4 échangée entre deux marchands de Kanes portant des noms hourrites a, au demeurant, montré qu’il n’y avait pas eu un seul style 6  Laroche 1978, a conjecturé que les Hittites pourraient avoir pris l’écriture cunéiforme à Ebla, mais comme le remarque Beckman 1983 : 100 n. 17, rien, dans les rares documents éblaïtes en langue accadienne ne confirme (ni n’infirme) cette thèse. 7  Pour une étude exhaustive des points de divergence entre les répertoires d’Alalah et de Hattusa, voir Popova 2015 et, antérieurement, Rüster & Neu 1989 : 15 (avec bibliographie rétrospective), Klinger 1998 : 369-371, Weeden 2011 : I.1.3. 8  Le type d’onciale grecque qui a servi de modèle à l’écriture dite (improprement) « cyrillique » était tombé en désuétude dans l’Empire byzantin au moins un siècle avant l’apparition des plus anciens documents slaves en cyrillique.

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d’écriture en usage dans cette cité, ce qui entraîne d’autres interrogations, à ce jour, sans réponses. D’autres observations invitent, au demeurant, à élargir la problématique présupposant que l’écriture hittite procède d’une source ponctuellement localisée dans le temps et dans l’espace : l’apparition du signe glosateur dans l’écriture hittite, par exemple, s’observe à partir des textes de l’époque moyenne (3 exemples) en étant pratiquement synchrone avec l’apparition de ce signe dans les documents accadiens du niveau IV des fouilles d’Alalah de la fin du XVe siècle (Márquez Rowe 1998 : 67), bien postérieurement aux premiers documents hittites, à une époque où il n’existe pas, par ailleurs, de témoignages indiquant l’existence d’échanges particuliers entre le royaume hittite et les Accadiens. Bien que mineur, ce témoignage accrédite l’existence d’influences continues entre les ateliers d’écriture, en sorte qu’il serait sûrement réducteur de poser la question de l’origine de l’écriture hittite en postulant une source unique à partir de laquelle la pratique de l’écriture se serait développée de façon autonome. Le seul point qu’on puisse aujourd’hui tenir pour assuré est que l’écriture dans laquelle on lit la langue hittite dans les premiers textes du XVIIe siècle ne dérive pas directement de l’écriture pratiquée à Kanes au début du II ème millénaire, ce qui tend à indiquer que, de quelque façon qu’on aborde le problème, il n’y a pas, chez les Hittites, un, mais plusieurs points de départ aux débuts de l’écriture. 2.2.3 La transmission et sa formalisation Le seul point sur lequel l’écriture des textes hittites diverge des usages antérieurement et postérieurement connus de l’écriture cunéiforme concerne la représentation du mode articulatoire des séries de plosives : là où l’accadien représente par la sélection de signes en partie différents ṭa, ta, da, les plosives des différentes séries, le hittite utilise les signes ṭa, ta ou da de façon relativement indifférente (§§ 3.2.2 et 4.5.5), mais en assignant aux associations -a-ta-, -a-da-, d’une part, -at-ta-, -ad-da-, de l’autre, la représentation des séries de plosives (voir plus en détails, § 4.6.3). Du moment où une distinction entre ‘Ci’ et ‘Cj’ est remplacée par une distinction entre ‘Ci/j’ et ‘C i/jC i/j’, on est naturellement porté à estimer que c’est, entre autres raisons, parce que les plosives de la série ‘CC’ avaient une durée plus longue que celles de la série ‘C’ (pour des arguments en ce sens, voir § 4.6.4(4)). Or, les locuteurs n’ont, généralement aucune perception intuitive des propriétés phonétiques de leur propre langue, a fortiori quand il s’agit de propriétés supra-segmentales telles que la durée. Si l’on admet que les deux séries de plosives hittites se différenciaient, entre autres choses, par la durée et

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que cette propriété est celle qui motive leur symbolisation par ‘C’ et ‘CC’, la probabilité pour que cette représentation soit la conséquence d’une perception hittite est pratiquement nulle. L’hypothèse émise à partir de cette constatation dans Patri (2009b) est que l’élaboration du système d’écriture cunéiforme dont témoignent les textes hittites reflète l’adoption, par les Hittites, de la façon dont les Accadiens percevaient et symbolisaient le hittite. L’hypothèse que l’on tient comme la plus vraisembable est que les scribes hittites n’ont fait que conventionnaliser la représentation que les Accadiens associaient spontanément à un contraste phonétique qui, dans leur langue, n’était pas de nature à distinguer les séries de plosives entre elles. Cette hypothèse justifie, outre la codification symbolique des oppositions distinctives, la prolifération, dans l’écriture hittite, de conventions graphiques qui n’ont de justification que dans la représentation scripturale de la langue accadienne (voir ci-après). En d’autres termes, on tient que les Hittites n’ont pas tant adopté des Accadiens la technique d’écriture et le répertoire des signes graphiques qui lui est associée que le mode de représentation des relations entre les sons et les symboles d’écriture. 2.3

Interprétation du signe d’écriture

2.3.1 Niveaux de symbolisation Le principe élémentaire sur lequel se fonde les écritures de Mésopotamie et d’Asie Mineure, qu’elles soient cunéiformes ou hiéroglyphiques, est qu’un même signe d’écriture peut, a priori, représenter une information phonétique, en l’espèce, syllabique, aussi bien qu’une information sémantique, qu’elle soit lexicale ou grammaticale. Dans le premier cas, un signe d’écriture est utilisé comme syllabogramme, dans le second, comme logogramme(aussi : idéogramme). Les logogrammes peuvent, à leur tour, connaître différents emplois : (1) lexical quand un signe représente un lexème ; (2) classificateur quand le signe stipule une information relative à la catégorie sémantique à laquelle appartient un nom contigu ; (3) quantifieur quand le signe stipule une information relative au dénombrement ou à la distributivité d’un nom contigu ; (4) grammatical quand il représente une information relative au rôle syntaxique assigné au constituant nominal dans la phrase. La lecture syllabique ou logographique d’un signe d’écriture n’est pas signalée comme telle et dépend de son contexte. Dans le passage suivant (réponse oraculaire), le même signe (HZL 8) est successivement utilisé, sur la même

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ligne en tant que syllabogramme représentant la syllabe an équivalente au pronom clitique {⸗an} ; en tant que logogramme classificateur, transcrit « d », signalant que le nom faisant suite est celui d’une divinité et comme logogramme lexical représentant le nom « ciel » : (3) KUB 5.4 + KUB 18.53 iii 14 (NH) 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 na- -an A- -NA d UTU AN SUM- -er NU. « ils en ont appelé au dieu du soleil du ciel : défavorable »

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L’opération de lecture consiste à sélectionner, dans la diversité des lecture possibles associées à un signe, celle qui, en se combinant avec les lectures éventuellement diverses des signes avoisinants, permet d’aboutir à une signification9. Comme dans les écritures alphabétiques, la familiarité avec les combinaisons les plus fréquentes fait qu’on ne reconnaît pas tant des signes que des mots. Parmis les 363 signes constituant le répertoire cunéiforme utilisé dans les textes en langue hittite (compte non tenu des signes qui ne sont attestés que dans des textes en langues étrangères), le principe du double niveau de lecture est attesté par 146 signes, soit moins de la moitié de l’effectif (40 %) ; les autres signes ont une lecture soit exclusivement logographique (57 %, 208 unités), soit exclusivement phonétique (2,4 %, 9 unités de type VC ou CVC, jamais CV). 2.3.2 Niveaux de multivalence Le second principe élémentaire de l’écriture cunéiforme, du moins au stade où les Hittites l’utilisent, est qu’un même signe, qu’il soit utilisé comme syllabograme ou comme logograme, est éventuellement susceptible d’assumer plusieurs lectures. Les signes qui, dans un emploi donné n’ont qu’une seule valeur sont dits monophoniques s’ils sont des syllabogrammes ou monosémiques s’ils sont des logogrammes, tandis que ceux qui assument plusieurs valeurs à la fois sont dits polyphoniques et polysémiques respectivement. (a) Phonie. – Dans le répertoire hittite, la polyphonie ne concerne, pratiquement, que 18 signes (12 %), dont deux ont, possiblement, trois lectures (4). Tous les autres signes à lecture syllabique sont monophoniques.

9  Voir Reiner 1973, pour une approche algorithmique appliquée à l’accadien.

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(4) signes syllabiques polyphoniques HZL 13 244 7 20 32 51 125 153 171 174 175 192 196 286 316 330 333 356

lecture 1

lecture 2

lecture 3 (?)

pát / pád kir / gir / ker / ger tar pár / bar tal (dal) lik / lik / lig tu₄ pí / pé / bi / be tah / dah hat / had sap / sab sak / saq / sag tan / dan li₁₂ pir tin / tén har / hur dis / tis

pít / píd pè / pì pis / bis pùs (pas) has mas ri / re ur tum (dum) kas / gas túh pa sìp ris kal (gal₉) lis ut / ud tanₓ mur dás / tás

L’extension polyphonique des signes peut être relativisée quand certaines valeurs sont principalement ou exclusivement attestées dans des noms propres d’origine inconnue (toponymes, noms de personnes) ou dans des em‑ prunts suspects d’avoir été écrits selon des modèles préexistants, comme dans le cas de la lecture pus de HZL 244 dans URUDUpùs-pu-se-en-zi HKM 107 : 18 (sens inconnu). Dans d’autres cas, la question de savoir si les textes hittites font usage de certaines ou de toutes les lectures attestées en accadien est plus problématique, comme dans le cas de la lecture pè / pì de HZL 13 (sur ce dernier signe, voir plus en détail, § 4.4.1(4)). En hittite, l’existence de signes à polyphonie bivalente est certaine, mais celle de signes trivalents est plus douteuse. (b) Sémie. – Avec les logogrammes, la polysémie est, à l’inverse, dominante : on compte 76 signes monosémiques (36 %), contre 133 signes polysémiques (64 %). Le caractère polysémique d’un logogramme se réfère à des emplois sémantiquement indérivables les uns des autres. Les signes les plus polysémiques ne semblent pas pouvoir assumer plus de quatre valeurs

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distinctes, par exemple HZL 212 = ŠÈ « vers, en direction de », TÚG, TU₉, ÁZLAG « robe, manteau », GI₇ « chien », ZÌ, ZÍD « repas » ; HZL 69 = KÙ, KUG « pur », AZAG « démon, tabou », GUŠKIN « or », etc. Dans un exposé consacré à la phonologie, il va de soi que les seules données qu’il soit possible de prendre en considération sont celles qui sont en écriture syllabique. Il est néanmoins nécessaire de connaître l’utilisation des logogrammes parce que ceux-ci peuvent être parfois associés à des signes syllabiques dans des graphies mixtes (§§ 2.4, 2.53). Les signes syllabiques et leur utilisation sont traités en détail au chapitre 4 relatif aux unités segmentales. 2.3.3 Niveaux de déficience La forme syllabique des unités graphiques comme l’organisation de ces formes prédit que certaines configurations sont nécessairement en discordance avec la phonétique. (1) Représentation du mot. – Les syllabogrammes du répertoire hittite sont exclusivement de forme V, CV, VC et CVC. Il n’existe pas de procédés permettant de soustraire la voyelle de la lecture des signes, ainsi que c’est le cas dans d’autres écritures syllabiques (devanāgarī, vieux perse, guèze), en sorte qu’un certain nombre de configurations phonétiques par ailleurs banales comme les séquences [CCC] ou les séquences [CC] aux extrémités des mots sont impossibles à représenter d’une façon qui soit congruente avec la forme sonore (voir § 3.3, pour plus de détails). (2) Représentation des syllabes. – En hittite, où l’effectif segmental comprend 18 ou 20 consonnes et 4 voyelles (§§ 4.3.2, et 4.15), le nombre de signes idéalement requis pour une codification non déficiente des combinaisons syllabiques s’élèverait à 1 764 unités ((V = 1 × 4 = 4) + (CV = 20 × 4 = 80) + (VC = 20 × 4 = 80) + (CVC = 20 × 4 × 20 = 1600)). Le nombre de signes effectivement attestés dans une valeur syllabique dans les textes hittites s’élève à 154, ce qui représente que 9 % du volume que demanderait une représentation a priori optimisée des combinaisons possibles de sons dans les patrons, eux-même déficients, des quatre schémas V, CV, VC et CVC. 2.3.4 Innovations hittites Il n’existe que peu de témoignages d’innovations hittites en matière de lecture syllabique des signes ; aucune ne semble antérieures à la période moyenne : – le signe tén / tin (HZL 330) fait l’acquisition d’une valeur tanₓ ; – le logogramme GEŠTIN = wiyana- « vin » (HZL 131) fait, à partir du moyenhittite l’acquisition d’une valeur wi₅ (voir § 4.14.6) ; – dans les textes les plus tardifs, le logogramme pluralisateur MEŠ (HZL 360) fait l’acquisition d’une valeur syllabique es₁₇.

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Le signe logographique ZÍZ « farine de blé » (HZL 241) fait, en hittite, l’acquisition d’une valeur syllabique dàs, tàs, mais il n’est pas certain que cette innovation soit strictement hittite (voir les appréciations divergentes de Borger 2010, no 548, et de Hoffner & Melchert 2008 : 21-22). Les innovations en matière de ligatures ne sont pas toujours flagrantes en étant soumises à un jugement relativement subjectif ; le témoignage le plus sûr est celui de la séquence hu-u, particulièrement observable dans les textes tardifs (voir § 4.8.3d). Dans les textes des archives hittites rédigés en langue hatti ou hourrite, le signe affecté, en hittite, à la semi-voyelle labio-vélaire wa est ligaturé avec les voyelles a, e i, u, pour aboutir à des signes transcrits waₐ, weₑ, wii, etc. (HZL 318-326) qui, selon toute probabilité, reflètent des labiales, fricatives ou approximante [f v ʋ], qui n’existent pas en hittite. Weeden (2011 : 370sq., et Appendice II) recense, dans les textes hittites, plus de 150 logogrammes qui, par leur tracé, leur acception ou leur formation divergent par rapports aux usages attestés dans d’autres langues. Il est le plus souvent impossibe de discerner si ces signes représentent des créations hittites ou des emprunts à des traditions inconnues. Au nombre des plus fréquents ou des plus originaux, on peut relever : UZUDIR (HZL 89) « intestins », GAD.DAM « pantalon, culotte », IR « demander, questionner », KAR « trouver », LÚUR. BAR.RA « homme-loup », NIB « léopard » (HZL 94), NU.ŠE « défavorable » (réponses oraculaires), UDU.KUR.RA « mouton des montagnes », UZ₆ « chèvre ». Les numéraux compris de 10 à 19, formés de « 10 » + « 1, 2, …9 », d’autre part, les dizaines comprises entre 70 et 90, formées de « 60 » + « 10, 20, … 90 » (HZL 359) sont ligaturés. Il s’ensuit que l’écriture de « 71 » est, par exemple, doublement ligaturée : ((60+10)+1). 2.4

Types de logogrammes

2.4.1 Logogrammes lexicaux Les logogrammes lexicaux symbolisent la signification exprimée, dans la langue, par un lexème, parfois par plusieurs. En hittite, comme dans d’autres langues à transmission cunéiforme, la plupart des logogrammes procèdent, directement ou indirectement, du signifiant associé à un signifié donné, principalement en sumérien, plus rarement en accadien. Une graphie est promue comme logogramme quand elle symbolise non plus le signifiant d’un mot, mais son signifié10. Par exemple, le mot sumérien désignant l’« huile », écrit 10  Il est difficile de réduire l’emploi des logogrammes hittites à une simple représentation du signifié : un même logogramme peut recouvrir des mots-formes différents (lesquels

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au moyen d’un syllabogramme ì (ìa), une fois promu au statut de logogramme dans l’écriture cunéiforme (transcrit « Ì ») symbolise le signifié d’un lexème dont la lecture ne préjuge pas, a priori, de son signifiant qui sera šamnu en accadien, pūz en hourrite, tāin- en louvite et sakan- en hittite. Il n’est donc pas nécessaire de connaître la langue dans laquelle un message écrit est rédigé pour comprendre la signification de certains mots, voire de phrases entières. Le sceau d’un habitant d’Emar porte deux logogrammes dans une association sémantiquement transparente « le dieu de l’orage (est) seigneur » (Msk 73.1093, Laroche 1982 : 58), sans qu’on puisse discerner si cette devise s’énoncait en accadien Bēlu-Adad, en sémitique occidental Ba’al-Bēlu, en hourrite Mudri-Tešob ou en hittite Tarhunt-X ? En conséquence d’une intelligibilité virtuellement « universelle », les logogrammes sont fréquents dans les documents voués à être exhibés, sceaux et inscriptions. Dans le colophon du traité sur table de bronze conclu entre Tudhaliya IV et Kurunta, par exemple, les seuls mots représentés en écriture syllabique sont les noms propres : (5) Bo 86/299 iv 30-43 (NH) ṬUPPA ANNIYAM INA URUTāwa ANA PANI mNeriqqaili DUMU.LUGAL {…} mHalwaziti LÚDUB.ŠAR DUMU mLupakki LÚ URUUkkiya ELṬUR « Halwaziti, scribe, fils de Lupakki d’Ukkiya, a gravé cette tablette à Tawa en présence du prince Neriqqaili » Les logogrammes peuvent être combinés entre eux pour former des unités nouvelles comme DUMU « enfant, fils » + LUGAL « roi » → DUMU.LUGAL « prince ». On ignore souvent dans quelle mesure ces composés graphiques correspondent, en hittite, à un lexème unique plutôt qu’à une association de lexèmes : MUNUS.LUGAL « reine » se lit probablement hassussara-, mais LUGAL.GAL « grand roi » correspond sûrement à deux mots (CHD S 94, Weeden 2011, s.v.) ; NU.GÁL « ne pas être » correspond à deux mots (négation natta + verbe es-) ou, dans les prédications nominales, à un seul (natta). De façon relativement peu fréquente, des logogrammes sumériens peuvent faire double emploi avec des logogrammes accadiens : la combinaison de signes A-WA-AT (sg. AWATŪ(M), pl. AWATĒ) « mot, parole, chose » est, du point de vue graphique, interchangeable avec le signe sumérien INIM ; ces deux logogrammes sont également aptes à représenter les deux lexèmes hittites qui, en graphie syllabique seraient écrits uttar- ou memiya(n)- ; de même ont des signifiés différents), quand ce n’est pas des mots différents, tandis que certains logogrammes sont utilisés dans un acception purement relationnelle sans correspondre à un signe linguistique.

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BE-EL et EN « seigneur, maître » (= hitt. isha-) dans BE-EL DI-NI-ŠU KUB 13.7 i 14 et dans EN DI-NI-kán KUB 29.9 i 16 « maître du jugement », etc. Il n’est pas exclu que la sélection de ces variantes soit liée à des nuances sémantiques. A côté de logogrammes lexicaux, certains logogrammes d’origine accadienne représentent, en hittite, des formes verbales fléchies : les graphies de ce type sont peu nombreuses – une trentaine –, mais elles sont relativement fréquentes, particulièrement dans les textes tardifs (liste chez Weeden 2011 ; Rüster & Neu 1989 : 362-369) : (6) logogrammes accadiens fléchis logogramme

lecture syllabique hittite

signification

IṢ-BAT IQ-BI AD-DIN

e-ep-ta te-e-et / me-e-mi-is-ta pí-ú-(e-)en

« il a pris » « il a dit » « j’ai donné »

Le logogramme UM-MA « il parle » KBo 22.2 Ro 1 (VH) sert, pratiquement, de marque introductive des texte introduisant un discours direct « Voici ce que déclare … / Parole de … ». 2.4.2 Logogrammes classificateurs Les logogrammes classificateurs sont des logogrammes lexicaux dont l’apposition à d’autres noms dans la chaîne graphique correspond à une catégorisation en classes sémantiques. Par exemple, le logogramme UZU qui, en tant que lexème désigne le nom « chair, viande » peut être utilisé comme logogramme classificateur (transcrit en exposant) pour catégoriser en une classe les entités appartenant ou provenant de corps vivants : UZUappuzzi- « graisse », UZUsarhuwant- « foetus », UZUsuppa- « viandes consacrées », UZUistaman- « oreille », UZUpartawar- « aile », UZUker « coeur », etc. Les logogrammes classificateurs trouvent leur origine dans une innovation de l’écriture sumérienne développée vers la fin de l’époque archaïque (vers 2400) et transposée par la suite dans toutes les écritures cunéiformes du Proche-Orient ancien avec plus ou moins de systématicité (le répertoire et l’emploi des classificateurs est, par exemple, plus limité dans l’écriture du louvite cunéiforme que dans celle du hittite – Hawkins 2003 : 153-154)11. Les logogrammes de ce type sont souvent appelés « déterminatifs » dans la littérature spécialisée ; cette désignation est impropre puisque les logogrammes de 11  Sur les usages parallèles en akkadien et en égyptien, voir Rude 1986, Goldwasser 2006.

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ce type ne modifient en rien l’interprétation sémantique des constituants nominaux, mais se bornent à indiquer qu’un lexème donné présente une propriété sémantique commune avec d’autres lexèmes au sein d’une classe conventionnellement reconnue comme telle. Les classes catégorisées dans l’écriture hittite reproduisent globalement celles des écritures sumérienne ou accadienne, lesquelles présentent d’évidentes analogies avec les classes catégorisées dans les langues à classification nominale (Aikhenvald 2000). L’emploi des classificateurs de l’écriture cunéiforme demeure, toutefois, foncièrement différent de celui des marques formelles utilisées dans les langues à classes en ce qu’il se limite aux seul niveau de la représentation graphique sans correspondre à une quelconque propriété formelle. On peut distinguer en hittite deux sous-types de logogrammes classificateurs en fonction du type de catégorisation qu’ils opèrent : générique ou désignatrice. (1) Classificateurs génériques. – Les classificateurs génériques exposent une classification du référent des noms en fonction d’une demi-douzaine de classes conventionnalisées : – le sexe des humains (hommes et femmes) – les aliments cuisinés (potages, bouillies, pâtisseries, viandes) – les espèces de l’ordre animal (bovidés, ovidés, reptiles, volatiles, créatures aquatiques) – les ustensibles (récipients ou non) – les matières premières, brutes ou manufacturée (bois, roseau, argile, corne, cuir, laine, tissus, métaux, minéraux) – les lieux habités extérieurs à l’espace hittite (KI) La plupart des classificateurs sont préposés au nom dans l’écriture, d’autres sont postposés : (7) classificateurs génériques É habitat, constructions IM argile, glaise GADA étoffes, draps GI objets en roseau GIŠ objets en bois GU₄ bovidés KUŠ cuir, peau, pelage LÚ homme, individu de sexe masculin MUNUS femme, individu de sexe féminin MUŠ reptiles NA₄ minéraux

NINDA SI SÍG DUG TU₇ TÚG Ú UDU URUDU UZU

pâtisseries, pain corne objets en laine récipients aliments liquides vêtements végétaux ovidés cuivre (ou fer ?) chairs, viandes

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KI KU₆

cités et provinces non hittites poissons, créatures aquatiques

MUŠEN volatiles SAR végétaux

Au stade de l’écriture hittite, le placement des classificateurs par rapport aux noms est purement conventionnel et ne reflète plus la motivation particulière qui pouvait être la leur (?) en sumérien : l’identifiant des bovidés (GU ₄) est préposé, mais celui des volatiles (MUŠEN) est postposé. Dans le cas des graphies composites, les désignateurs postposés sont localisés immédiatement après le logogramme : TI₈MUŠEN -as « aigle » (KUB 17.9 i 14), jamais *TI₈-asMUŠEN . Avec les végétaux, l’emploi de Ú … par rapport à … SAR semble purement conventionnel (témoignages chez Ertem 1974). (2) Classificateurs désignateurs. – Les désignateurs ne classent pas des référents lexicaux, mais indexent des noms propres : m et f sont apposés à des noms propres alors que leur équivalents génériques LÚ et MUNUS identifient des noms communs (dignités, métiers, statuts, etc.). Les classificateurs désignateurs sont toujours préposés ; ils identifient les noms dans ces catégories circonscrites en fonction de : – la divinité ; – le sexe (hommes et femmes) ; – l’environnement physique (montagnes, rivières, sources) ; – l’environnement (cités, pays) ; – les entités du monde céleste (étoiles) ; – les divisions du temps (jours, mois). (8) classificateurs désignateurs f femme KUR ḪUR.SAG montagne MUL i homme m I₇ cours d’eau PÚ ITU mois de l’année d, DINGIR ÍD cours d’eau URU

pays, province astres, étoile homme source d’eau divinité, nom divin cité

Le recours à un logogramme classificateur semble obligatoire avec certains noms, impossible avec d’autres et facultative avec d’autres encore : les oiseaux arsintara-, kakkapa-, pattarpalhi-, sasā- ne prennent jamais le classificateur MUŠEN , lequel est obligatoire avec TI₈ « aigle » ou avec SUR₁₄ « faucon », tandis que l’oiseau salwasalwa- est attesté tantôt avec, tantôt sans classificateur. De même, le nom UMBIN « doigt, ongle » = sankuwai- ne porte jamais le classificateur UZU qui s’impose souvent avec d’autres parties du corps, tandis que le nom de la « roue » est toujours identifié par le classificateur identifiant les

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objets en bois GIŠ UMBIN = GIŠ hurki-. Dans le texte sur le droit divin CTH 821, le nom du souverain est écrit labarna, sans classificateur, dans KUB 48.13, mais avec classificateur, LÚ labarna, dans le duplicat HT 67, quoique de façon irrégulière, etc. L’écriture d’un lexème donné tend généralement vers une certaines conventionnalisation, mais celle-ci n’est jamais strictement régulée. Au plan pratique, dans les séquences de logogrammes, l’identification de leur caractère lexical ou classificateur dépend généralement de l’interprétation sémantique : la chaîne graphique, LÚ « homme » + ṬĒMI « message » signifie « homme du message → messager » parce qu’il est présupposé que LÚ est la tête et non le dépendant de ṬĒMI. En revanche, dans KUR « pays » + URU « cité » + Halpa « Alep », il est difficile de départager une interprétation KUR URUHalpa « pays (de la cité) d’Alep » d’une interprétation qui serait KUR. URUHalpa « Alep » (exemple cité par Hoffner & Melchert 2008 : 23). En contradiction apparente avec la partition, en principe sélective, d’une opération de catégorisation les classifieurs peuvent être cumulés entre eux, notamment sur les noms propres en graphie composite interprétée où, lorsque le logogramme est en tête, le classifieur relaté à ce logogramme est cumulé avec le sexe de la personne portant le nom partiellement noté avec logogramme, ainsi le nom de personne mdU-zalma, avec d portant sur le caractère divin de U (= Tarhunt) et m portant sur le sexe du personnage (masculin). 2.4.3 Logogrammes quantifieurs A la différence des précédents, les logogrammes quantifieurs stipulent que le nom auquel ils sont postposés (le plus souvent, un autre logogramme) donne lieu, dans le contexte où il est utilisé, à une opération sémantique de dénombrement, mesure ou distribution. Ces signes comme leur mode d’utilisation dérivent de l’expression linguistique de la quantification en sumérien. Il existe deux types de quantifieurs : les multiplicateurs et les diviseurs12. (1) Quantifieurs multiplicateurs. – On compte trois logogrammes multiplicateurs : conformément à l’usage sumérien, ḪI.A (HZL 335) a tendance à être sélectionné par des noms sémantiquement inanimés et MEŠ (HZL 360) par des animés, tandis que DIDLI (HZL 1), sans spécialisation particulière, tend à sortir de l’usage après le vieux hittite13.

12  Les logogrammes de ce type sont traditionnellement recensés en tant que « signes de pluriel » (Rüster & Neu 1989, Hoffner & Melchert 2008 : 24, 454), ce qui constitue une labellisation trop restrictive. 13  Voir plus en détails Hoffner 2010b. Lorenz & Rieken 2016, ont depuis relevé un certain nombre de cas où la lecture es₁₇ du signe HZL 360 devait être amendée en MEŠ₄.

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Les quantifieurs de ce type expriment le fait que le nom auquel ils se rapportent compte plus d’un seul référent. Les multiplicateurs peuvent se référer à une collectivité dénombrée, comme dans ŠAH « (un/le) sanglier », face à 70 ŠAH.ḪI.A « 70 sangliers » KBo 3.22 : 60 (VH), mais aussi une collectivité non distribuée, éventuellement de façon redondante avec l’information restituée par l’écriture syllabique, par exemple dans nepisaza arha alp-a.ḪI.A pedas « depuis le ciel, il apporta les nuées » KUB 36.14 : 5 (NH) (le pluriel aurait été alp-us). Il est fréquent que ces signes soient interchangeables : [sar-]ni-ik-ze-el.MEŠ KUB 50.6 iii 50 (NH), [sar-ni-]ik-ze-el.ḪI.A 10/v :4 (NH), ou qu’ils se surajoutent les uns aux autres, par exemple ÉRIN.MEŠ (HKM 26 : 11 - MH) « troupes d’infanterie », et ÉRIN.MEŠ.ḪI.A (même tablette, ligne 13). Ces signes ne sont jamais préposés, mais leur placement en finale peut hésiter entre la finale du logogramme et celle du mot, particulièrement dans les graphies composites, par exemple GIŠ = taru- « arbre » → GIŠ.ḪI.A-ru (VH/mh) et GIŠ-ru.ḪI.A (NH). Les logogrammes de ce type peuvent avoir une signification linguistique quand ils manifestent l’interprétation que les locuteurs font intuitivement de la pluralité des noms inanimés morphologiquement non pluralisables (par exemple, taru-). (2) Quantifieur partitif. – Le quantifieur KAM (HZL 355), toujours postposé, se réfère à l’une des partie d’un référent considéré comme ayant naturellement vocation à être décomposé en sections, notamment temporelles : MU.KAM « (une certaine) année (dans la succession des années) », UD.KAM « tel jour, aujourd’hui (maintenant) », UD.7.KAM « 7ème jour, période de 7 jours », UD.KAM.ḪI.A-as « période de plusieurs jours ». Avec les numéraux, ce quantifieur exprime naturellement les ordinaux (« n-ième » d’une série) : DUB.1.KAM « première tablette », DUB.2.KAM « deuxième tablette », ITU.1.KAM « premier mois », etc14. Le logogramme partitif est compatibles avec des logogrammes multiplicateurs : MU.KAM.ḪI.Aus « (certaines) années ([acc. pl.] dans la suites des ans) ». Les graphies de type UD.KAM sont postérieures au vieux hittite. 2.4.4 Logogrammes grammaticaux Les logogrammes grammaticaux représentent une relation syntaxique donnée en utilisant les mots ou morphèmes qui, en accadien ou en sumérien, expriment ladite relation. La grande majorité de ces logogrammes sont d’origine accadienne et sont utilisés selon les normes de la grammaire accadienne, 14  Le jugment du CHD S 495b, selon lequel « KAM itself has no semantic value » est peu compréhensible.

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y compris quand celles-ci diffèrent de celles de la grammaire hittite (Kudrinskij 2018). De façon générale, l’usage des logogrammes de ce type correspond à une sorte de méta-grammaire scripturale reflétant, par des moyens accadiens, l’existence d’une relation donnée dans le texte hittite, si bien que l’emploi comme le placement de ces unités ne sont pas, sauf coïncidence fortuite, représentatifs de l’existence de propriétés formelles analogues en hittite. Les logogrammes grammaticaux peuvent indiquer un rôle syntaxique (agent, patient, complément adnominal), une relation de possession / appartenance ou le rapport sémantique dans lequel se trouvent les constituants les uns envers les autres (adpositions, conjonctions, négation). (1) Logogrammes casuels. – Les logogrammes casuels correspondent aux morphèmes de cas utilisés dans les flexions nominales de l’accadien ; ils sont postposés à des noms eux-mêmes écrits par des logogrammes, qu’ils soient d’orgine accadienne (MÁŠ-TUM) ou sumérienne (DINGIR-LIM). (9) flexion des noms en accadien singulier masc. fém. nominatif -∅-um -(a)t-um accusatif -∅-am -(a)t-am génitif -∅-im -(a)t-im

duel masc. fém.

masc.

pluriel fém.

-∅-ān -(a)t-ān -∅-īn -(a)t-īn

-∅-ū / -ānū -āt-um -∅-ī / -ānī -āt-im

Les scribes hittites pouvaient également utiliser avec les noms les désinences nom. -ūtu(m) et obl. -ūti(m) normalement réservées aux adjectifs pluriel des masculins (von Soden 1995 : 54sq.). Pratiquement, les scribes hittites utilisent surtout -TUM et -TIM pour désigner le sujet et le complément adnominal respectivement, -LIM ou -LAM pour le patient ou destinataire, quels que soient le genre ou le nombre. Le logogramme ŠA, ŠA-A (HZL 158) localisé devant un nom tenant le rôle de dépendant d’un autre nom est utilisé pour indiquer une relation génitivale, éventuellement en concurrence avec -TIM (ŠA IGI.ḪI.A GIG-an « maladie des yeux » KUB 17.8 iv 12 (/nh)). A la différence des quantifieurs, les logogrammes casuels sont normalement incompatibles avec une graphie syllabique indiquant le cas. Il existe en outre certains conventions faisant certains logogrammes casuels sont préférentiellement utilisés avec certains logogrammes lexicaux : -LIM est presque toutjours

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L ’ écriture

utilisé avec DINGIR « divinité », alors que -TIM et -TUM ne préjugent pas du lexème avec lequel ils se combinent. Dans quelques cas, les graphies de ce type peuvent lever de potentielles ambiguïtés, par ex. dU É-TIM GAL « dieu de l’orage du temple majeur » KBo 4.13 ii 18, vi 25 (NH) (et non « temple majeur du dieu de l’orage »). Les normes grammaticales de l’accadien diffèrent de celles du hittite en ce qui concerne la motivation du genre et le placement des constituants phrastiques. En hittite, la relation séquentielle entre un nom et ses modifieurs repose, à toutes les époques, sur l’ordre (hannesnas ishās « maître du jugement » KUB 36.79 i 24 ; salli utne « vaste pays » KUB 23.11 iii 33), mais quand un des termes utilisés dans cette relation est écrit au moyen d’un logogramme, le placement du dépendant fluctue librement entre l’ordre hittite, comme dans harkin SILÁ-an « (il prit un) agneau blanc » KUB 24.8 i 39 (VH ?/nh), et l’ordre accadien, comme dans GEŠ]TINnan parkuin akkuskewani « (nous boirons du) vin pur » KUB 36.110 Vo 7 (VH)15. (2) Logogrammes possessifs. – Les logogrammes possessifs peuvent être considérés comme des représentations des déterminants possessifs du hittite, mais après l’élimination de cette classe de mots au cours de l’évolution, et leur remplacement par une construction possessive, ils deviennent de simples marques graphiques apposées au nom possédé : (10) logogrammes possessifs accadiens en hittite

1 2 masc. 2 fém. 3 masc. 3 fém.

singulier

pluriel

-YA -KA -KI -ŠU, -ZU -ŠI

-NI -KU-NU -KI-NU -ŠU-NU, -ZU-NU -ŠI-NA

Les genres de l’accadien donnent généralement lieu à des réinterprétations par les scribes hittites qui tendent à favoriser, par défaut, l’emploi des formes de masculin. La graphie syllabique d’un possessif n’est pas compatible avec celle d’un logogramme possessif. 15  La différence semble avoir échappé à Francia 2001.

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Chapitre 2

(3) Logogrammes relateurs. – Plusieurs relateurs syntaxiques de la grammaire accadienne sont transposés tels quels sous forme de logogrammes en hittite : opérateur de négation UL, Ú-UL (HZL 195, 275)16, conjonction de coordination Ù « et », IŠ-TU « avec, depuis » (HZL 151), QA-DU « avec, en même temps que », QA-TAM-MA « de même que » (HZL 21), etc. La plupart des ces relateurs sont, en accadien, des prépositions qui, lorsqu’elles sont en relation avec des noms, sont nécessairement en discordance avec le modèle de formation hittite, où les adpositions sont postposées (11b) et où les rôles syntaxiques des noms sont marqués par des affixes casuels (11a). (11) logogrammes prépositionnels accadiens en hittite graphie a. ANA + N AŠŠUM + N INA + N IŠTU + N ITTI + N MAḪAR + N QADU + N ŠA + N

équivalent hittite « à N, pour N »  : « pour N, comme N »  : « dans N »  : « depuis N, par N »  : « avec N, concernant N » : « en présence de N »  : « avec, le long de N »  : « de N »  :

{N-allatif}, {N-datif} {N-datif/locatif} {N-locatif} {N-ablatif}, {N-instrumental} {N-ablatif} {N-génitif} {N-ablatif} {N-génitif}

b. PĀNI + N « avant N, devant N »  : {N-datif/locatif + peran} ŠAPAL + N « (en) (des)sous (de) N » : {N-locatif+ katta} Certaines de ces prépositions peuvent se combiner entre elles : INA PĀNI « devant », INA MAḪAR « en présence de, face à ». Quand un relateur logographique est préposé à un autre logogramme lexical, les deux mots graphiques qu’ils forment ne correspondent qu’à un seul mot fléchi en hittite, par exemple, avec pahhur = IZI « feu » :

16  Le logogramme de négation sumérien NU n’apparaît qu’en composition, notamment avec le verbe « être » (hitt. es-) pour former une représentation unitaire NU.GÁL « ne pas être » (parfois NU.Ì.GÁL « ne plus être »), laquelle ne répond pas nécessairement à un seul constituant au plan syntaxique (voir les données chez Cotticelli-Kuras 1991 : 83sq.).

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L ’ écriture

(12) équivalences entre logographiques

« feu »

nominatif génitif datif-locatif instrumental

formes

fléchies

syllabiques

et

graphie syllabique

graphie logographique

pahhur pahhuenas pahhueni pahhuenit

IZI ŠA IZI INA (ANA) IZI IŠTU IZI

De même, la lecture hittite de ANA PĀNI DINGIR.MEŠ « devant les dieux » (par exemple, KUB 31.86 iv 1-2) serait siunas peran17. Le caractère linguistiquement factice des prépositions accadiennes est formellement indiqué dans les contextes où un enclitique, normalement placé sur le premier mot de la proposition, est localisé sur le deuxième mot graphique quand le premier est un logogogramme : (13) KUB 1.1 i 14., KBo 3.6 i 12, KUB 1.2 i 13. (NH) ANA mHa[(tt)]usili⸗wa MU.KAM.ḪI.A maninkuwantes [*ANA⸗wa mH.] à H.⸗quot. années court-nom.pl. « les années de Hattusili sont comptées » [litt. ‘à Hattusili, les années (sont) courtes’] 2.5

Constitution graphique du mot

2.5.1 La représentation visuelle de la parole La finalité de l’écriture chez les Hittites est d’instituer une relation d’intelligibilité entre une représentation visuelle et un contenu linguistique sans que cette intelligibilité dépende d’un mécanisme interprétatif uniforme. Il est capital de prendre en considération cet aspect de l’écriture dans l’interprétation linguistique des témoignages écrits du hittite, particulièrement dans leur dimension phonologique. Autant l’écriture alphabétique instaure un principe associatif et un seul entre le son et sa symbolisation, autant l’écriture cunéiforme laisse la liberté de représenter le signifié aussi bien que le signifiant d’un mot, sans que la représentation de l’un comme de l’autre soit soumise à un 17  Les analyses syntaxiques négligeant cette pratique conduisent à des interprétations fausses (ainsi Boley 1985 : 36-38).

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Chapitre 2

principe d’interprétation unique. En cunéiforme hittite, ce n’est pas l’organisation phonique du signifiant qui décide de sa représentation, mais le ou les agencement(s) que le répertoire des signes syllabiques prohibe, permet ou impose pour élaborer une reconnaissance visuelle. L’écriture d’un mot revient à suivre les opérations suivantes : (1) choisir entre une représentation du signifié et une représentation du signifiant, du moins quand les deux possibilités existent (de même que certains mots n’ont pas de représentation logographique, d’autres sont exclusivement écrits par des logogrammes) ; (2) dans l’hypothèse où une représentation du signifié est possible, choisir entre la graphie simple d’un logogramme et une graphie mixte ; (3) dans l’hypothèse où le choix s’arrête sur une graphie mixte, élaborer la représentation syllabique de cette graphie ; (4) dans l’hypothèse où une représentation du signifiant est possible (elle l’est, en principe, mais certains mots comme les numéraux sont presque toujours représentés par des logogrammes), à identifier quelle(s) possibilité(s) d’agencement(s) entre signes syllabiques sont possibles, imposées et impossibles en vue de construite une représentation adéquate ; (5) quand il existe plusieurs possibilités d’agencements syllabiques, en choisir une. L’adverbe /katʰa/ « au bas » peut ainsi être écrit, en graphie syllabique, kat-ta KBo 3.22 : 5 (VH) comme ka-at-ta KUB 20.43 : 9 (VH/nh), ou, en graphie logographique, GAM, KUB 13.4 ii 77 (NH), aussi bien que GAM-ta KBo 21.20 i 10 (NH). Dans une perspective de restitution phonétique, qui ne représente elle-même qu’une possibilité, par rapport à la représentation logographique, rien n’oblige à sélectionner le signe kat plutôt que ka à l’initiale, à ceci près qu’une fois que l’un de ces signes a été choisi, le scribe devra obligatoirement poursuivre l’écriture du mot en utilisant ta dans le premier cas et at-ta dans le second. Le sélection du ou des premiers signes ne préjuge toutefois pas invariablement celle de ceux qui font suite : la syllabe finale d’un mot comme tegan- « terre » peut être écrite au moyen du signe kán aussi que d’une combinaison ga + an (te-e-kán, te-e-ga-an). Selon l’étape du processus, le scribe peut être suivre sa subjectivité, quand il existe plusieurs solutions équivalentes, mais aussi être guidé par des conventions d’écriture plus ou moins impératives : selon les époques, certains lexèmes sont ainsi plus souvent représentés par des logogrammes qu’en graphie syllabique (ou inversement), tandis que d’autres doivent impérativement être écrits en graphie syllabique (les pronoms, connecteurs, tous les mots clitiques) et que d’autres, par hasard ou pour quelque raison, sont toujours écrits au moyen de logogrammes. L’écriture hittite ne restitue pas des sons, ni même des syllabes, mais des mots. Une telle technique de représentation graphique a des conséquences non négligeables sur l’analyse phonologique :

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(a) La représentation cunéiforme restitue des données de niveau phonétique. – Dans une écriture alphabétique, les symboles d’écriture sont associables à des phonèmes puisque le principe même de leur formalisation procède d’une phonologie intuitive (en russe, le son [t] peut être écrit d quand il est une réalisation de /d/, par ex. rod « génération, lignée »)18 ; dans une écriture dont les signes symbolisent des syllabes, une analyse décomposant la chaîne des sons en unités minimales est exclue, car la graphie codifie non pas des sons isolés, mais des associations dans lesquelles chaque son est assignée à un environnement par celui ou ceux avec lesquels il est nécessairement associé. (au moins pour les consonnes), ce qui confère automatiquement à la représentation du mot le caractère d’une réalisation phonétique. Par suite, les variantes graphiques imposant ou suggérant des lectures différenciées de la forme des mots, quand elles existent, ne font que traduire le fait que la perception phonétique d’un mot n’est pas nécessairement homogène chez tous les scribes-locuteurs, lesquels peuvent user de procédés différents pour restituer ce qu’ils entendent et produisent ; si un scribe écrit ak(k)- « périr » → 3sg. prét. a-ak-ki-is KBo 6.2 iv 3 (VH), ce qu’un autre scribe écrit 3sg. prét. a-ki-is KBo 3.34 ii 12 (VH/nh), c’est, selon toute vraisemblance, parce que la plosive représentée de façon vacillante a des propriétés communes avec k et avec kk, mais aussi parce qu’elle a des propriétés différentes de celles de k comme de celles de kk (voir plus en détails, § 4.7.3)19. (b) La représentation cunéiforme n’est qu’occasionnellement congruente à la réalisation phonétique. – Le scribe vise à établir une représentation minimalement adéquate du signifiant. Cette représentation peut être occasionnellement conforme à la composition segmentale d’un mot (adv. se-e-er), mais il est aussi prévisible que, dans certains cas, elle s’en écartera, du fait même de l’organisation du répertoire graphique : dans un répertoire où tous les symboles sont de type V, CV, VC et CVC, il est, par exemple, impossible de restituer une séquence phonétique [CCC] en conformité avec la forme sonore (voir plus en détails, chap. 3). (c) L’utilisation d’un code d’écriture est, en tant que tel, générateur de normalisations, lesquelles ont vocation à déconnecter la réalisation phonétique de sa

18  Voir, à ce propos, le célèbre article de Sapir 1933, dont la conclusion (les locuteurs symbolisent spontanément des phonèmes plutôt que des sons) demeure toutefois sujette à caution : les inscriptions de Pompéi comme les grafitti contemporains restituent la prononciation et non la phonologie. 19  Le jugement de Greenberg 2005[1990] : 191, selon qui « the Hittites were poor transcribers of their own language » procède d’une mécompréhension des possibilités de restitution et des objectifs de ceux qui pratiquent l’écriture cuniéforme.

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représentation. – La représentation d’un signifiant donné repose, a priori, sur plusieurs agencements de signes possibles (kat-ta et ka-at-ta, par exemple), si bien que la normalisation d’une représentation au détriment d’autres représentations possibles, quand elle s’observe, suppose une contrainte particulière. Cette contrainte peut être d’ordre phonétique, en étant significative d’une propriété phonétique particulière (sur le signe pát, voir § 4.4.1(4)), mais elle peut aussi dériver de l’emploi du code lui-même puisque, comme toutes les écritures, l’écriture cunéiforme tend à figer l’agencement symbolique dévolu à chaque mot indépendamment de son utilisation phonétique (voir § 3.1-2). 2.5.2 Niveaux de représentation La motivation à ce qu’un mot hittite donné soit écrit en représentation phonétique ou en représentation logographique relève, pour partie, d’usages plus ou moins institutionnalisés, pour partie du choix individuellement opéré par un scribe. Certains mots hittites sont, par règle, obligatoirement écrits en graphie phonétique, particulièrement les mots relationnels (tous les mots clitiques, les pronoms, les déterminants), tandis que d’autres sont le plus souvent ou toujours écrits au moyen de logogrammes (notamment les numéraux), en conséquence de quoi leur signifiant demeure inconnu (14d). Entre ces deux situations, beaucoup des mots du lexique peuvent être a priori écrits en notation logographique comme en notation phonétique (14a). De même qu’un même lexème peut être représenté par plusieurs logogrammes (14b), un même logogramme peut représenter divers lexèmes (14c) : (14) équivalences entre graphies syllabiques et logographiques graphie syllabique graphie logographique a. « en arrière, derrière » « miel » b. « parler » « feu » c. « mot, parole » « mot, parole » d. « poisson » « cheval » « sel » une unité de longueur

appa militmemapahhurmemiya(n)uttar? (*parhu- ?) ?  ?  ?

EGIR LÀL DU₁₁, QABŪ IZI, IŠĀTI INIM, AWATŪ(M) INIM, AWATŪ(M) KU₆ ANŠE.KU.RA MUN IKU

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Le recours à une graphie logographique permet, le plus souvent, d’écrire un mot plus rapidement qu’en graphie phonétique : le logogramme INIM est constitué d’un seul signe alors que l’équivalent syllabique me-mi-ya-as en compte quatre. Il serait toutefois excessif de justifier le recours aux logogrammes d’après des motivations simplement simplificatrices ou productivistes (voir § 2.5.3d). 2.5.3 Graphies composites Les scribes peuvent aussi écrire un mot pour partie en notation logographique, pour partie en notation phonétique : le nom du « roi » peut ainsi être écrit ha-as-su-us en graphie syllabique, LUGAL ou ŠARRU en graphie logographique, mais aussi LUGAL-us dans une graphie combinant un logogramme et un syllabogramme. De telles graphies sont ici désignées comme composites20. On peut distinguer deux types de graphies composites, les graphies normales et les graphies interprétées. (1) Graphies normales. – Le principe des graphies composites normales est que la représentation d’un mot se partage en une section en écriture logographique, restituant le signe linguistique, et une section en écriture phonétique correspondant à une ou plusieurs des syllabes finales du signifiant. Le découpage ainsi opéré peut frapper les mots indéclinables (15a), comme les mots fléchis en isolant une tranche de la partie finale du mot, qu’il s’agisse d’un son (INIM-za), d’une syllabe (EGIR-pa), d’un fragment de syllabe (Egir-an), d’une séquence de syllabes (DU ₁₁-ahhi), éventuellement d’un morphème (LUGAL-i). (15) équivalences entre graphies syllabiques et composites

a. « derrière »

(indécl.)

b. « roi »

nom. dat.. dir. dir. abl.

« mot »

c. « parler »

1sg. prés. 1sg. prét.

graphie syllabique

graphie composite

appa appan hassu-s hassu-i memiya-n uttar-∅ memi(ya)na-za ? uddan-a(n)za ? mema-hhi mema-hhun

EGIR-pa EGIR-an LUGAL-us LUGAL-i INIM-an INIM-tar INIM-za DU₁₁-ahhi DU₁₁-un

20  La terminologie traditionnelle qualifie de « complément phonétique » la section en écriture phonétique de mots écrits en graphie composite. Cette terminologie est discutable

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Le résultat de ce découpage ne correspond que par hasard avec la segmentation morphologique ou avec la coupe syllabique ; le nominatif hassu-s « roi » est généralement écrit LUGAL-us quand il est équivalent à un mot aclitique, mais LUGAL-s⸗ s’il est hôte d’enclitiques. Dans l’écriture d’un même mot, les fréquences respectives des graphies phonétiques par rapport aux graphies composite peuvent varier au cours de l’histoire : la conjonction māhhan « comme » est préférentiellement écrite en graphie phonétique ma-a-ah-ha-an dans les textes anciens alors que graphie composite GIM-an est préférée dans les textes tardifs (Neu 1985) ; dans les textes anciens, la graphie a-ap-pa est plus fréquente que EGIR-pa, alors que le rapport s’inverse dans les textes plus tardifs, etc. (2) Graphies interprétées. – Le principe des graphies composites interprétées est que la forme phonologique d’un nom propre – donc, dépourvu de référent –, donne lieu à une segmentation fondé sur l’interprétation ou la réinterprétation d’une suite de syllabes d’après un lexème connu, lequel est alors écrit en notation logographique. Dans les graphies interprétées, à la différence des graphies composites normales, la place de la section phonétique n’est pas nécessairement finale et dépend de la segmentation induite par l’interprétation sémantique. Le principe de ces graphies dérive de la pratique des scribes accadiens, mais l’usage qu’en font les Hittites suppose des développements propres. La base suscitant la réinterprétation des nom propres est indépendante de la langue dans laquelle ce nom est cité. Plus la motivation sémantique d’un nom propre est transparente, ce qui est souvent le cas des composés, moins l’interprétation que reflète la graphie est arbitraire : un nom hourrite comme celui du prince Urhi-Tesub (NH 1443) peut être écrit mUrhi-dU, mUrhi-dU-ub, avec dU = Tesub, nom du dieu souverain du panthéon hourrite, alors que le nom du général hittite Tarhuntazalma (NH 1270) s’écrit mdU-zalma, avec dU = Tarhunt, nom du dieu souverain du panthéon hittite. Le nom du prince Taki-Sarruma (NH 1209) peut s’écrire TakiLUGAL-ma KUB 57.123 Ro 2, d’après accad. šarrum « roi », idéographié LUGAL. Il arrive aussi qu’un nom soit réinterprété par analogie intuitive. Le nom du pays hittite, URUHatti, est occasionnellement écrit URUKÙ.BABBAR-ti d’après le nom hittite de l’« argent », logographié KÙ.BABBAR21 ; dans les textes plus   car les graphies composites n’apportent, le plus souvent, aucune information grammaticale qu’on ne pourrait déduire du contexte syntaxique ou sémantique, en sorte qu’il pourrait être tout autant envisageable de considérer la section logographique comme un restricteur référentiel par rapport à la tranche en écriture syllabique. On propose le terme de graphie composite pour éviter de prendre parti dans une alternative indécidable. 21  La désignation hittite de l’« argent » n’est pas connu en graphie phonétique. La réinterprétation ne peut avoir été fondée sur accad. kaspu(m), ni sur hourrite ušḫuni / išuḫni.

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récents, il peut aussi être écrit URUGIDRU-ti par association libre avec accad. ḫaṭṭu « sceptre », logographié GIŠ GIDRU. Par suite, il est arrivé que le nom du souverain hittite mHattusili (NH 349), littéralement, « celui (qui est à la façon de la cité de) Hattusa », dérivé au moyen du morphème -ili soit réinterprété d’après l’accadien ilim (gén. sg.) « dieu », idéographié DINGIR-LIM pour parvenir à des graphies comme mHattusi-DINGIR-LIM « dieu de (dans) Hattusa » voire, en version totalement réinterprétée : m(GIŠ )GIDRU-si-DINGIR-LIM « sceptre du dieu ». les graphies interprétées reflètent, par analogie ou identification, la présomption de ce qu’un nom propre est formé de significations diverses, en même temps qu’elles livrent l’interprétation faite de cette présomption ; la motivation des graphies composites normales est exactement inverse en se bornant à organiser d’une certaine façon la représentation d’une unité lexicale22. 2.5.4 Abréviations Comme dans les documents de l’Occident médiéval, la pratique de l’abréviation ne répond pas nécessairement à un besoin d’économie et peut représenter un moyen de rendre saillant le terme abrégé ou bien de faire valoir son statut de topique discursif, particulièrement quand il s’agit de noms propres, par exemple : mKantuzzili = mKán-is (nominatif) ou mKá-li (onomastif) ; mTudhaliya = mTu / mTu-ut ; fZiplantawiya = fZi ; URUPina = URUPí ; URUTanizila = URUTa-ni, etc. Pour d’autres exemples de termes abrégés, voir Rüster & Neu (1989 : 375). 2.6

Constitution graphique du texte

2.6.1 La chaîne graphique L’écriture va de gauche à droite. Les mots sont, en principe, séparés les un des autres par un espace plus ou moins accusé, mais il arrive également qu’ils soient soudés entre eux, parfois par manque de place sur la tablette. Dans les tablettes les plus tardives, on constate une certaine tendance à souder les mots. Tout mot synclitique est écrit sur la même ligne, sans possibilité de césure, quitte à faire, le cas échéant, déborder la ligne sur les faces latérales de la tablette (un

22  Ces mécanismes montrent que la relation entre l’écriture et la parole ne se pose pas nécessairement en termes de hiérarchie ontologique. Les vues de Derrida 1967 : 82sq., selon qui l’activité du scribe et le « concept » sans lequel il n’y aurait pas, selon lui, de langage possible procèdent d’une distinction dépourvue de la moindre base empirique.

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rare témoignage de rupture de ligne entre clitiques tel que namma⸗as|⸗san KBo 33.167 iv 9-10, peut s’expliquer par une bévue phonétiquement motivée). Hormis l’espace vide, l’écriture hittite ne comporte pas de signes de ponctuation. Neu (1996), a fait l’hypothèse que dans le texte bilingue hourritehittite du Chant de l’affranchissement, certains signes serviraient d’indications métriques, mais cette conjecture est indémontrable. 2.6.2 La répartition du texte Les divers modes opératoires conduisant à la réalisation d’une tablette, forme, dimension, moulage et sélection des argiles, sont exposés chez Waal (2015). La plupart des tablettes hittites sont rédigées sur deux colonnes par face (56 %), plus rarement sur une seule (28 %), plus rarement encore, sur trois (15 %), ou quatre colonnes (0,2 %). Les séparations entre paragraphes sont éventuellement indiquées au moyen d’une ligne horizontale tracée à la règle au fur et à mesure de la progression de la copie23. La dimension moyenne d’une tablette d’argile est d’environ 12 × 21cm : les plus petites tiennent dans une main (8 × 17cm), les plus grandes (22 × 27cm) supposent un support de rangement. Waal (2015 : 25sq.) a montré que la dimension des tablettes tend à s’accroître dans la période tardive. On a retrouvé des nécessaires de copistes anatoliens dont les propriétaires étaient, peut-être, hittites (Payton 1991, Symington 1991). L’équivalent du pupitre des scribes médiévaux était une sorte de cahier portatif constituée de planchettes évidées en leur centre et solidarisées entre elles par des lanières de cuir. L’argile était placée dans le volume évidé et sa surface protégée en fermant les deux planchettes serrées à la façon de la couverture d’un livre. Pour écrire ou pour lire un document on ouvrait la table d’écriture. C’est vraisemblablement dans ce sens qu’il faut comprendre un passage comme nu GIŠ DUB.ḪI.A EGIR-pa hassanzi KBo 5.1 i 5 (NH) « ils réouvrirent les tables (de bois) »24. 2.6.3 Le signe glosateur L’écriture hittite peut utiliser un signe glosateur, transcrit « ↘ » (HZL 248), dont l’utilisation exprime un jugement du copiste relatif au fait qu’un mot ou son utilisation, voire une phrase entière, s’écartent, à un titre ou à un autre, de l’usage standard. Les mots signalés par ce signe sont le plus souvent des mots 23  Sur la division spatiale des textes et des phrases dans les tablettes, voir Cancik 1979, Justus 1981. 24  Chez les Accadiens, les tables de ce type pouvaient être en bois (cyprès, tamarin, voir), mais aussi en ivoire ou en lapis-lazzuli (Wiseman 1955). Sur l’utilisation des tablettes en bois chez les Hittites, voir Marazzi 2007.

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étrangers, louvites, hourrites, ou autres, mais ils peuvent aussi être des mots hittites dont l’emploi est jugé inattendu dans leur contexte parce que fautifs, mal placés, impropres, vieillis, etc. (voir Melchert 2005 : 445-446, van den Hout 2006 : 223-231)25. Le recours au signe glosateur suppose une certaine part de subjectivité, si bien que de nombreux mots, par exemple, louvites, sont marqués par ce signe dans certaines tablettes, mais pas dans d’autres. Sur l’usage du signe glosateur pour indiquer les changements de langue dans les tablettes bilingues, voir Waal (2015 : 80sq.). Dans les écritures cunéiformes, le signe glosateur représente une innovation relativement tardive attestée pour la première fois dans les documents accadiens du niveau IV des fouilles d’Alalah (fin XVe siècle) où ils servent à signaler les mots hourrites (Márquez Rowe 1998 : 67). Le signe glosateur apparaît dans les textes hittites vers la même époque (trois exemples dans les textes de l’époque moyenne), avant de devenir plus fréquent à l’époque impériale, notamment après le règne de Mursili II (près de 350 attestations). 2.7

Réalisation matérielle des tablettes

2.7.1 Les scribes Les sceaux de certains membres de la famille royale mentionnent un titre de « prince grand scribe » (ainsi Sauska-Runtiya, Penti-Sarruma, Tagi-Sarruma) ou de « prince scribe » (ainsi Armanani)26 ; cette indication ne signifie pas nécessairement que les princes assuraient un rôle effectif dans la direction des ateliers d’écriture, mais elle témoigne de l’importance accordée, dans la société hittite, à la chose écrite, ainsi que du prestige lié à ce qui était, sans doute, un statut autant qu’un métier27. Les catalogues de bibliothèques (Dardano 2005) comme des colophons montrent que le travail des scribes était accompli, pour l’essentiel, dans des scriptoria où les niveaux de spécialisation et de responsabilité étaient hiérarchisé. D’après le recensement (partiellement endommagé) de la tablette KBo 19.28 Ro 1-4, relative à l’inspection des 205 personnes travaillant dans un scriptorium de Hattusa désigné sous le logogramme É GIŠ.KI4.TI « maison des graveurs sur bois », l’atelier comptait :

25  Sur la paléographie de ce signe, voir Krecher & Souček 1971 : 433b. 26  Voir le classement prosopographique des légendes sigillographiques chez Herbordt 2005 : 375sq. 27  Sur les scribes hittites, voir les études de Gordin 2015, et de Waal 2015.

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– 33 scribes sur bois (LÚ DUB.SAR.GIŠ) ; – 19 scribes sur argile (LÚ DUB.SAR) ; – 35 devins (LÚ ḪAL) ; – 29 fonctionnaires (secrétaires ?) féminines (MUNUSkatra-) ; – 18 prêtres (LÚ sankuni-) ; – 10 chanteurs (traducteurs ?) de hourrite (LÚ NAR ḪURRI) ; – 31 autres personnes à l’occupation non précisée. Certains scribes sont spécialisés dans une thématique donnée (le LÚ DUB.SAR. KARAŠ traite d’affaires militaires, le ASINUS₂ₐ.DOMUS.SCRIBA [hiér.], d’affaires agricoles), tandis que d’autres sont archivistes (LÚ DUB.SAR GIŠ tuppas). Le scribe GÁB.ZU.ZU (accad. kabzuzu- « avisé, sage ») semble être une sorte de scribe assermenté ou en cours de promotion vers un grade supérieur. Les attributions et compétences précises du EN GIŠ.KI4.TI « maître d’atelier » sont ignorées dans le détail, mais l’existence même de cette fonction pourrait justifier la relative uniformisation des styles de tracés et des conventions de représentation graphiques que l’on constate à toutes les époques. Weeden (2011c) fait l’hypothèse que certains ateliers d’écriture provinciaux cultivaient un style qui leur a été propre. Comme dans le monde accadien, le métier de scribe semble, chez les Hittites, se transmettre de père en fils (voir les essais de reconstruction prosopographiques et/ou généalogiques de Torri 2008, Gordin 2015), mais sans qu’on ait connaissance, comme dans les mondes accadien ou sumérien, de la façon précise dont se déroulait l’apprentissage du métier. La tablette KBo 13.62 semble être une lettre-type destinée à l’éducation des scribes. Les scribes peuvent signer de leur nom une copie en indiquant sa généalogie ainsi que le nom du ou des superviseurs. Gordin (2015) a recensé 60 noms de scribes mentionnés comme copistes dans 130 manuscrits signés remontant tous à la période la plus tardive : (16) a. KUB 13.7 iv 3-7 (MH/nh) kī TUPPU arha harran ēs[ta] n⸗at ANA PANI mMahhuzi Ù ANA mHalwa-LÚ ūk mDudas EGIR-pa newahhun « cette tablette a été endommagée et moi, Duda, je l’ai restaurée sous la supervision de (litt. ‘en présence de’) Mahhuzi et de Halwaziti »

b. KBo 5.11 iv 26-28 (NH) QATI [Š]U mSakkapi DUMU mNuza DUMU.DUMU-ŠÚ ŠÁ mMawiri PANI mAngulli IŠṬUR « [tablette] finie, [copiée de la] main de Sakkapi, fils de Nuza, petit-fils de Mawiri, ayant écrit sous la supervision de Angulli »

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Le scribe n’est probablement pas moins le rédacteur, sinon l’auteur, des textes copiés (voir infra). 2.7.2 Supports et instruments d’écriture La quasi-totalité de la documentation hittite parvenue jusqu’à nous est sur des tablettes d’argile, mais les supports d’écriture pouvaient être plus divers : argile, bois, métaux (bronze, argent, or), pierre, et, possiblement, cire. Les textes gravés sur pierre que nous connaissons en milieu hittite sont en langue louvite en caractères hiéroglyphiques. Le roi Anitta déclare, dans ses annales, avoir fait graver une proclamation aux portes de sa cité, mais ce ou ces donuments, s’il a jamais existé, ne nous est pas parvenu. Les textes sur support métallique semblent être surtout des traités internationaux. En 1986, a été découvert, dans Hattusa, un exemplaire sur bronze d’un traité entre Tudhaliya IV et Kurunta (Otten 1988). La version hittite du traité conclu entre Hattusili III et Ramsès II avait été expédiée en Égypte sur une feuille d’or. On a également connaissance de documents anatoliens sur feuilles de plomb, mais les seuls témoignages de ce type connus jusqu’à présent sont des lettres privées en louvite très postérieures à l’époque hittite (vers 800 – Hawkins 1987). Des planchettes de bois ont également été utilisées comme supports d’écriture, ainsi que l’indique l’existence d’une catégorie de scribes LÚ DUB.SAR.GIŠ spécialisés dans la copie sur bois. Le contraste DUB.PA.ḪI.A⸗ma GIŠ gulzattari (1167/z : 6, CTH 530) suggère que gulzattar = GIŠ.HUR, littéralement « incision » était, avec GIŠ ṬUPPI et GIŠ LĒ’Û, le terme désignant l’écriture sur bois ou les documents sur bois, par opposition à ṬUPPI, désignant, par défaut, les document sur argile. On estime, parfois, que les textes sur bois, périssables par définition, étaient des documents à usage plus ou moins temporaire ou des brouillons de pièces plus importantes, certaines tablettes sur argile ayant été copiées d’après des originaux en bois : [k]ī⸗ma⸗kan ṬUPPA.ḪI.A IŠTU GIŠ LĒ’Û arha aniyauēn KUB 43.55 v 2-3 (NH) « nous avons copié ces tablettes d’après une tablette de bois » (sur les expressions possible de la copie et de la recopie, voir van den Hout 2016). Mais il paraît paradoxal qu’un support nécessitant une préparation (découpe, séchage, polissage) et représentant un travail de gravure sans doute plus laborieux que le tracé sur argile ait été simplement réservé à des usages subalternes, d’autant que la plupart des mentions de tablettes sur bois concernent des textes religieux. Aucun témoignage de tablette sur bois n’ayant subisté en milieu hittite, la question ne peut être tranchée. On peut mentionner comme une possibilité l’existence de tablettes en cire. On n’a aucun témoignage matériel ou textuel certifiant l’incision sur cire chez les Hittites, mais des archéologues ont fait remarquer que certains stylets

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(GI É.DUB.BA) retrouvés à Hattusa supposaient, par leur façonnage, un travail destiné à la cire, l’extrémité opposée à la pointe ayant une forme de ciseau (voir Boehmer 1979 : 13 sq. et planche XLI). 2.7.3 Réalisation de la copie Le cas des documents épistolaires mis à part, la question de l’auteur des textes est, presque toujours, insoluble : la plupart des textes historiques et beaucoup de rituels se présentent comme une narration effectuée par leur protagoniste principal, mais on ignore à quel point la rédaction et la composition du texte ont été de leur ressort plutôt que de celui de scribes. Le prince-scribe Armaziti est mentionné comme auteur d’un rituel (« parole de … » KBo 31.27+ ii 19-20, Dardano 2006 : 153, 155), sans plus d’indication. Le mode opératoire des scribes, tel qu’il est révélé par leurs fautes, notamment par les confusions entre logogrammes et syllabogrammes (voir Rüster 1988), indique que la copie ou recopie peut être effectuée d’après une lecture aussi bien que sous la dictée : (a) Le scribe copie un texte en lisant un autre texte. – Le nom du souverain Nur-Dagan, dont la défaite devant Sargon est racontée dans le Šar-Tamhāri, est restitué dans la version hittite de ce texte sous une graphie mNu-úr-da-ah-hi KBo 22.6 i 22 (VH ?/nh). Comme l’a judicieusement discerné Groddek (2002 : 274), devant un original accadien qui devait être écrit *Nu-úr-da-gan, le scribe hittite a cru que le dernier signe (HZL 113) devait être lu ḪÉ et non GAN, en conséquence de quoi il a écrit *Nu-úr-da-hé, ce que des copistes ultérieurs ont remodelé en mNu-úr-da-ah-hi ; b) Le scribe copie sous une dictée. – Des fautes comme ye/a- « aller » → 2sg. prés. my. DÙ-at-ta-ri KBo 15.9 iv 28 pour DU-at-ta-ri (= iyattari) ; LÚ.MEŠ IGI. DÙ.A-ma KUB 60.110 : 6, pour LÚ.MEŠ IGI.DÙ ₈.A-ma « (percepteurs / contributeurs ?) de taxes, cadeaux » (autres exemples chez Rüster 1988) ont nécessairement une origine auditive, les signes DÙ = GAG (HZL 75), DU (HZL 128) et DU₈ (HZL 164) étant visuellement différents. Archi (2007) observe que certains textes hourrites n’ont pas été traduits en hittite d’après les versions hourrites conservées dans les sites hittites, ce qui, selon lui, laisse supposer que leur traduction a été effectuée oralement. Cette hypothèse est vraisemblable, mais elle n’est pas exclusive de celle qui postulerait l’existence de versions hourrites différentes dont certaines seulement nous seraient parvenues. Dans une perspective proche, Marcusson & van den Hout (2015), estiment que, des variantes entre les manuscrits de certains rituels, on devrait déduire que les scribes récitaient ce qu’ils écrivaient ; cette hypothèse est pareillement envisageable, mais elle n’est pas exclusive d’autres conjectures comme une lecture inattentive, une dictée mal interprétée, réinterprétée, ou, elle-même, mal réalisée.

L ’ écriture

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Toutes les fautes n’ont pas d’explication perceptive : la représentation des plosives de la série voisée est toujours fondée sur des graphies … V-CV-, éventuellement … V-CVC-, si bien que mekki- « beaucoup, nombreux » → nom. pl. me-e-ek-e-es KBo 25.23 Vo 5 (VH), représente sûrement une faute en regard de la graphie habituelle me-ek-ke-(e-)es, sans que la cause de la confusion soit discernable (les signes e, ke et ek sont visuellement distincts). 2.7.4 Bibliothèques et archives Tous les documents hittites actuellement connus ont été retrouvés dans des archives officielles28. Il semble peu probable que, dans le royaume, la notion de bibliothèque ait été distinguée de celle d’archives. La dilection des Hittites pour l’archivage est un des aspects les plus singuliers d’une civilisation par ailleurs peu portée à la spéculation intellectuelle ou à la curiosité gratuite. La technique de la mise par écrit comme celle de l’archivage suppose une régulation sociale stabilisée ainsi qu’ une circulation de ses agents. Le premier point est abondamment documenté, mais le second demeure opaque, en sorte que les relations entre le medium et son message demeurent, pour l’essentiel, inccessibles. On ne fait que partiellement entrevoir dans quelles conditions on décide de mettre – ou de ne pas mettre – un texte par écrit, de le conserver et de l’utiliser. Il est hors de doute que les Hittites accordaient une attention soutenue, parfois même, méticuleuse, à ces différents aspects (Laroche 1949, Otten 1986, van den Hout 2009b), notamment sur les questions de la légitimité du pouvoir et des signes qu’on doit adresser aux dieux et recevoir d’eux, mais l’ensemble des dynamiques singulières susceptibles d’avoir été à l’origine de l’emprise du texte écrit dans le monde hittite demeurent, jusqu’à présent, obscures. 28  Sur les lieux d’archivage dans la capitale, voir Seeher 2005.

Chapitre 3

La lecture 3.1

La lecture et son interprétation

3.1.1 Les lecteurs Les textes ne livrent pratiquement pas d’indices permettant d’apprécier dans quelle mesure les activités de lecture et d’écriture étaient répandues dans la société hittite. Sous considération de la lourdeur du code d’écriture et de la complexité de son utilisation, on est naturellement porté à estimer que ces activités étaient, de fait, limitées aux professionnels dont c’était le métier, autrement dit, aux scribes. Les rares éléments susceptibles d’apporter quelque éclairage sur la question vont dans ce sens. Sur les 500 documents épistolaires actuellement connus, tous sont motivés par l’activité administrative, politique ou militaire ; on ne connaît pas de tablettes expédiées par une personne privée à une autre personne privée. La seul exception concerne les messages faufilés dans la marge basse des missives officielles par certains scribes (Zweitbrief dans la terminologie de Hagenbuchner, Piggyback letters, dans celle de Hoffner). Or, ces messages personnels, sans rapport avec le texte principal, ont, invariablement, pour auteurs et pour destinataires des scribes. Par exemple, dans HKM 81 : 29-30 (MH ; Hoffner 2009 : 242), un scribe demande à son collègue de transmettre ses salutations à ses parents âgés, probablement devenus sourds, en lui recommandant de s’exprimer à voix haute et distincte. Une telle pratique suppose que le scribe expéditeur savait qu’à l’arrivée, le premier et, surtout, l’unique lecteur de la tablette serait un autre scribe. La pratique des lettres faufilées représente sans doute le témoignage le plus net de ce que l’écriture et la lecture étaient des activités propres à un milieu professionnel étroit, au recrutement, d’ailleurs, souvent familial (sur la transmission du métier, voir Gordin 2015). On ne peut naturellement exclure que certains Hittites aient eu des connaissances plus ou moins sommaires ou étendues en matière de lecture et d’écriture, mais une telle hypothèse, même si elle ne semble pas invraisemblable, n’est pas étayée par des témoignages concrets1. 1  Michalowki (2012) a montré que, dans le monde assyrien, certains membres du clergé étaient non seulement en mesure d’élaborer des compositions liturgiques, mais qu’ils en assuraient la copie écrite comme la transmission.

© koninklijke brill nv, leiden, 2019 | doi:10.1163/9789004394247_005

La lecture

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3.1.2 La communication en milieu restreint En matière de langue, comme de texte, les conditions de transmission de l’information sont indissociables de la forme que revêt l’information, qu’il s’agisse de l’élaboration linguistique du contenu ou de la représentation formelle qui lui est donnée. Quand on élabore un message écrit, la question de savoir ce qu’un lecteur reçoit de ce message se pose en des termes nécessairement différents selon que les lecteurs possibles forment une masse potentiellement illimitée, supposant des situations de lecture non moins illimitées, ou qu’on s’adresse à un groupe restreint de personne constitué, qui plus est, sur la base de leur pratique des textes. Pour ce qu’on peut discerner des pratiques hittites, les objectifs des scribes en tant que copistes ne devaient pas différer de leurs attentes en tant que lecteurs. Une configuration de cette sorte suppose, à la fois, l’existence d’une codification normalisée, sans laquelle aucune communication n’est possible, mais aussi une certaine liberté dans la mise en oeuvre de cette codification, à la mesure de la capacité des professionnels à interpréter d’éventuelles innovations ou particularismes. Or, les conséquence de cette situation s’observent beaucoup plus au niveau graphique qu’au niveau linguistique puisque si la façon de représenter les lexèmes permet une certaines liberté d’usage, le corpus des textes hittites fait preuve d’une homogénéité linguistique remarquable. 3.1.3 Nivellement et expansion des variations Quand l’écriture comme la lecture des textes sont des activités limitées à un petit nombre de spécialistes, la finalité principale de la communication écrite est de produire un message intelligible, sans que son efficience communicationnelle ou son « style » constitue, en soi, un enjeu. Il ne semble pas que, chez les Hittites, la mise en forme du contenu textuel ait constitué un sujet d’attention particulier. Le témoignage possiblement le plus éloquent du peu de cas que faisaient les scribes hittites de cette question s’observe, moins dans la prolifération des lieux communs, topoi et autres trames narratives obligées que l’on constate chez eux comme dans la plupart des littératures du Proche-orient ancien, que dans le caractère hésitant et gauche des essais visant à donner une unité formelle aux traductions de textes littéraires (voir notamment, à ce propos, Rieken 2001b, Archi 2007). 3.1.4 Inertie de la représentation écrite Un système d’écriture repose sur une codification, donc sur des normes. La fixation qu’implique l’utilisation d’un code est nécessairement vouée à entrer

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Chapitre 3

en discordance avec l’évolution, non moins naturelle, des unités linguistique qu’il symbolise. Le temps passant, des représentations symboliques sont perpétuées alors qu’elles ne correspondent plus nécessairement à la réalité de l’usage, tandis que d’éventuelles évolutions de la langue sont représentées comme dans l’état antérieur ou ne ne sont pas du tout représentées (les codes graphiques du français ou de l’anglais ne sont plus fondés, aujourd’hui, sur le principe d’une correspondance entre un signe et un son). Parallèlement à cette tendance, inscrite dans la nature même des codes d’écriture, on sait qu’une langue écrite peut avoir tendance tend à figer son propre mode d’expression en suscitant des formes et des structurations linguistiques qui ne correspondent pas nécessairement aux usages de la langue parlée, encore moins à son évolution. L’écriture peut, comme telle, organiser la parole (Benveniste 2012 [1969], leçon 8). Il est donc plausible d’estimer que, dans une langue comme le hittite, attestée en continu durant 450 ans dans une écriture qui n’a pratiquement pas évoluée, la langue des documents les plus tardifs amalgame, dans des proportions a priori inconnues, de façon plus ou moins indiscernable et plus ou moins hétéroclite des éléments hérités des divers états par laquelle elle est passée. Du point de vue intéressant l’analyse phonologique, la réplication des voyelles constitue l’exemple le plus flagrant d’une pratique correspondant à une intelligibilité linguistique en vieux hittite perpétuée de façon incohérente dans les documents les plus tardifs où sa motivation originelle n’est plus comprise intuitivement (§ 6.5.2) ; il est vraisemblable que d’autres pratiques d’écriture, moins aisément détectables, procèdent du même mécanisme. 3.1.5 Inertie de la représentation segmentale Dans une écriture syllabique, la représentation d’un son donné ne repose pas sur un signe, mais un ensemble plus ou moins étendu de signes au sein desquels le son en question est associé de façon pré-établie à d’autres sons. Les éventuelles variations contextuelles ou évolutives d’un segment donné sont indécelables d’après l’observation des signes car il est exclu qu’elles puissent trouver une expression graphique identiquement signalée par chacun des signes au sein desquels le phonème en questions est inclus. Par suite, plus la représentation d’un son donné est impliquée par un nombre important de signes, moins il y a de chances pour que la représentation de ce son soit spécifique, autrement dit, significative d’une réalisation phonétique singulière. Par exemple, la fricative /s/, qui est, de tous les sons du hittite, celui qui est potentiellement représentable par le plus grand nombre de signes (34, au total) peut être considérée comme un phonème dont l’éventuel espace allophonique a le moins de raison d’être restitué par la graphie ; inversement, la fricative labialisée /xʷ/, qui n’est représentable que par le seul signe hu (également apte à

La lecture

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représenter la fricative h suivie de la voyelle u), est celle qui a le plus de chance de voir son articulation précisée par la graphie elle-même, ce qui rejoint précisément la situation constatée, avec l’émergence d’une ligature hu-u (voir § 4.8.3d)2. Dans l’écriture hittite, où un son donné est potentiellement représentable par une vingtaine de signes en moyenne, la représentation du son est, fondamentalement, générique. La généricité en cause se réfère aux propriétés acoustiques et articulatoires des sons et non à leurs caractérisation phonologique, même s’il est bien évident qu’elle doit être prise en considération par l’analyse phonologique, particulièrement dans sa dimension évolutive. 3.1.6 Une représentation de perception phonétique L’écriture cunéiforme ne constitue pas un code, mais un répertoire au sein duquel divers sous-codes coexistent, pour les uns, lâches, pour les autres, rigides. Autant l’acte d’écriture n’a rien de spontané dans le sens où le choix des signes que fera le scribe pour inscrire un mot est, relativement, préformé, autant ces contraintes n’ont pas de conséquences sur la relation entre la représentation écrite et une norme phonatoire. Le scribe écrit les mots tels qu’il les perçoit en les entendant sous la dictée ou en se les restituant à lui-même depuis une copie écrite, sans rechercher à se conformer à une norme linguistique autre qu’intuitive, et sans suivre d’autres normes graphiques que celles de l’usage. Les conséquences de cette pratique s’observent avec les représentations graphiques fluctuantes, particulièrement celles qui concernent les rapports supra-segmentaux, réplication des voyelles accentuées et gémination des consonnes : on peut avoir nepis- « ciel » → dir. ne-pí-is (VH) et ne-e-pí-is (VH) ; mema- « dire » → 3sg. me-ma-i (VH/nh), et me-em-ma-i (VH/nh), etc. Des variantes de ce type sont possibles parce qu’il existe des perceptions variables de la durée et la restitution de cette durée dans la graphie n’est pas impérative (voir plus en détail § 6.5sq.). 3.2

La conventionnalisation graphique

3.2.1 La reconnaissance symbolique des mots L’utilisation d’un code d’écriture repose, par nature, sur des conventions d’utilisation qui, quelle que soit leur nature, tendent, à leur tour, à générer des conventions de représentation en fixant, de façon parfois artificielle, la relation 2  Les semi-voyelles [j w] demeurent à la marge de ces observations car elles sont les seuls sons potentiellement représentables par divers types de signes : des signes spécialisées ya, wa, wi₅, des signes vocaliques i, u, ú, et des signe CV ou VC incluant /i/ ou /u/.

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Chapitre 3

entre la représentation individuelle d’un lexème et les signes sélectionnés pour l’écrire. L’« orthographe », au sens prescriptif du terme, ne fait qu’institutionnaliser la nécessité strictement sociale de réduire l’effort de reconnaissance symbolique des mots (voir à ce sujet les remarques de Kronasser 1956 : 33, Kuryłowicz 1958 : 220-221, au sujet des textes hittites et, plus largement, Buchwald & Rapp 2009, Carreiras et al. 2014). En hittite, la conventionnalisation s’applique principalement à l’initiale du mot, zone à partir de laquelle se déclenche la reconnaissance mémorielle de l’unité écrite, (voir infra § 3.4.1), en affectant plus les mots fréquents et courts que les mots rares et longs. Elle peut être motivée par par la recherche d’une simplicité (économie de tracé), mais aussi reposer sur des parti-pris déclinant toutes le facettes de la subjectivité ou de l’esthétique graphique. Melchert (2015), fait justement remarquer que dans le monde hiérarchisé des scribes, un maître d’atelier peut instituer un certain usage éventuellement remplacé par un autre quand son magistère s’éteint. La conventionnalisation représente une tendance naturelle dans l’écriture hittite, ce qui ne signifie pas qu’elle se mette identiquement en place avec tous les lexèmes, ni qu’une fois enclenchée, elle soit vouée à se généraliser définitivement. De tous les phénomènes susceptibles d’entraver la compréhension des relations entre l’écriture et la phonologie, la conventionnalisation graphique est, pour l’analyste, le plus redoutable parce que sa conséquence naturelle est de disjoindre la représentation graphique de son objet phonétique en dissimulant l’existence même de cette disjonction. En présence de graphies invariantes, l’observateur doit s’interroger sur ce qui peut varier et doit rester stable dans la restitution phonétique d’un mot compte tenu des ressources dont dispose l’écriture et d’apprécier si une représentation donnée peut ou doit être tenue comme significative de la phonétique plutôt que de l’utilisation du code d’écriture3. A cette interrogation constante, il n’existe pas de réponse qui puisse être généralisée à chacune des situations rencontrées, mais dans quelques cas, certains indices sont susceptibles d’orienter l’interprétation. 3.2.2 Caractère lexical de la sélection des signes Le problème majeur que pose la conventionnalisation, pour l’interprète moderne, est celui de son dépistage, autrement dit du degré de confiance qu’on peut ou doit accorder à la graphie d’un mot donné en tant que symbolisation de sa substance phonétique. Toutes les tentatives ou expérimentations visant à 3  Voir Melchert 1994 : 15sq., 2015, pour une critique justifiée de l’attitude consistant à évaluer les variantes graphiques non standard comme indiquant, par principe, une variation phonétique (voir, plus largement, § 8.0).

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La lecture

rechercher des correspondances entre une propriété phonétique donnée et la sélection d’un signe ou d’une classe donnée de signes aboutissent, invariablement, aux mêmes conclusions : (i) aucune propriété phonologique n’impose strictement la sélection d’un signe au détriment de tout autre signe apte à restituer tout ou partie de la même propriété ; (ii) la graphie d’un mot ne repose jamais sur des signes sélectionnés de façon totalement arbitraire ou aléatoire (voir le résumé des travaux menés en ce domaine chez Kimball 1999 : 86-90). L’étude consacrée par Kloekhorst (2010) à la représentation des plosives coronale à l’initiale des mots en vieux hittite authentique donne une illustration quantifiée de ces tendances. Si l’on élimine de son dépouillement les formes dont la fréquence n’est pas assez élevée (moins de 3 occurrences) pour être significative dans une comparaison alternative, et celles dont l’acception est obscure ou dont l’étymologie est incertaine ou inconnue, les trois situations logiquement possibles sont attestées : la graphie d’un lexème donné utilise l’un des deux signes et jamais l’autre (5 lexèmes : 1a) ; elle utilise majoritairement l’un des deux signes, éventuellement l’autre (2 lexèmes : 2b) ; elle utilise les deux signes dans des proportions équivalentes (1 lexème : 3c)4. (1) occurrences des signes ta- et da- à l’initiale en vieux hittite

a. ta connecteur (*to-) tekan-/takn-« terre » (*dʱeǵʱm-) tāyuga- « de deux ans » (*dwo-…) taluk- « long » (*dl ̥gu-) b. tāya- « voler », tayazzil- « vol » (*teh₂-) c. tamas- « oppresser » (*dmeh₂-)

ta-

da-

161

0

9

0

5

0

4

0

29

2

2

2

tadai- « poser » (*dʱeh₁-)

da-

0

37

dā- « prendre » 1 (*doh₃-)

123

4  Pour d’autres décomptes, réalisés dans la même perspective, voir Coello 2014, Popova 2015.

100

Chapitre 3

La fréquence de répartition de ta et de da est, le plus souvent, inégale, parfois spectaculairement, mais le point à considérer est que cette inégalité peut s’inverser du tout au tout, d’un lexème à l’autre, indépendamment de l’environnement ou de l’origine de la consonne plosive ainsi symbolisée. L’étymologie indique, au demeurant, que rien ne s’oppose à ce qu’à l’initiale, le réflexe de chacune des trois séries de plosives de l’indo-européen puisse être symbolisée par ta aussi bien que par da, même quand la prévalence statistique d’un signe sur l’autre est écrasante : (2) graphies des réflexes des plosives héritées

*t *d *dʱ

ta

da

tāya- « voler » tā-« prendre » tekan-/takn- « terre »

dāya- « voler » dā- « prendre » dai- « donner »

Dans une langue où ta et da symboliseraient des phonèmes, il serait, par définition, exclu que ces signes soient interchangeables, mais dans une langue où ta et da sont aptes à représenter de mêmes sons, la coexistence de symboles à valeur phonétique équivalente dans le répertoire des signes n’est possible que si leur utilisation tend vers une spécialisation différenciée au plan lexicologique5.

5  De façon surprenante, ces mêmes données conduisent Kloekhorst 2010, 2016 : 217-218, à juger que la sélection des signes ta et da serait, au contraire, significative du mode articulatoire des plosives, lequel impliquerait un trait [± glottal] : « the sign TA spells a plain dental stop /t/ whereas the sign DA spells a glottalized dental stop /tˀ/ ». Cette appréciation s’appuie sur des interprétations phonétiques du syllabaire d’Alalah (à l’origine, selon Kloekhorst, du syllabaire hittite), dont Popova (2016) a montré qu’elles étaient fausses, auxquelles il superpose l’enchaînement d’hypothèses suivantes : (i) qu’au degré zéro des flexions préhistoriques de dā- et de dai-, les plosives *d et *dʱ assimilent des propriétés de la « laryngale » *h₁ ou *h₃ qui leur fait suite ; (ii) que cette assimilation provoque une glottalisation des plosives ; (iii) que les plosives ainsi glottalisées se sont propagées dans l’ensemble des paradigmes, notamment là où *d et *dʱ n’étaient pas en contact avec *h₁ ou *h₃. Outre que rien n’appuie ces différentes conjectures, la cohérence même de ce raisonnement est mise en cause par le fait que, dans la flexion de da- « prendre », l’unique témoignage d’une utilisation de ta est 3pl. ta-an-zi KBo 17.36+ i 7, forme qui repose précisément sur un degré zéro *dh₃-, alors même que les formes reposant sur le degré *deh₃- sont, de leur côté, écrites da- (1sg. prés. da-a-ah-he, etc.).

La lecture

101

3.2.3 Sélection des signes, arbitraire et prototypicité On vient de voir que la possibilité de substitution de ta par da et réciproquement ne signifie pas que les deux signes soient, sauf situation fortuite, utilisés de façon aléatoire, autrement dit, répartis dans des proportions égales dans l’écriture d’un même mot. Mais on doit aussi prendre en considération le fait que si les emplois auxquels se prêtent ta et de da ne sont pas formellement régulés, leur sélection n’est pas, non plus, complètement aléatoire. Un relevé statistique portant sur la répartition des classes de signes distinguant le voisement en accadien dans l’ensemble du corpus hittite révèle, en effet, qu’en contexte intervocalique, l’écriture des plosives non voisées a recours à ta plutôt qu’à da dans des proportions qu’on ne peut attribuer au hasard, particulièrement en vieux hittite (voir en détail, § 4.5.5). L’emploi des deux classes de signes s’avère donc refléter trois ordre de propensions : (i) celle qui tend à associer les signes ta au non voisement et da au voisement, (ii) celle qui tend à associer les graphies ta à da en fonction de ce qui les distingue des graphies tt/dd et (iii) celle qui tend à fixer lexicologiquement la représentation d’une plosive au moyen d’un certain signe, sans exclure d’avoir éventuellement recours à l’autre. La somme de ces propensions explique que si l’on peut discerner des tendances dans l’utilisation des signes, il n’est jamais possible de prédire les propriétés de voisement la plosive d’un lexème donné en fonction de sa représentation par ta ou par da, tout comme il est impossible de déduire d’une graphie d’un certain type les propriétés de voisement de la plosive écrite par ta ou da. En d’autre termes, l’interprétation des signes du hittite susceptibles de manifester une opposition distinctive tels que ta et da n’est ni aléatoire, ni régulée, mais prototypique : ta a propension à représenter les non voisées comme da a propension à représenter les voisées, ce qui signifie que ni ta, ni da ne sont strictement spécialisés dans l’écriture des voisées et des non voisées. La conventionnalisation lexicale relative sur laquelle s’appuie la sélectivité de ta par rapport à da et réciproquement est la conséquence du degré d’arbitraire, ou si l’on préfère, d’imprévisible, qui caractérise les relations prototypiques par rapport aux relation prédictibles. Le problème pourrait être envisagé de discerner si les différents niveaux de propensions pourraient varier en fonction de certains paramètres, mais l’écriture comme la langue ne constituant pas des états ou des systèmes figés, il serait sans doute illusoire de chercher à définir les conditions exactes dans lesquelles on passe de la propension à un état stabilisé en termes de probabilités. En définitive, le principe global qui s’applique en hittite (notamment en vieux hittite) est que la sélection d’un signe d’écriture n’est pas imposée par celle du ou des sons qu’il peut représenter, sans en être jamais totalement

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Chapitre 3

indépendante (du moins en ce qui concerne les classes de signes reflétant des propriétés phonologiquement distinctives), mais bien par celle l’écriture du lexème particulier dans lequel le son est inclus, lequel tend, naturellement, a susciter une conventionnalisation de sa représentation graphique. L’écriture du hittite s’inscrit dans le cadre d’une tension entre une représentation des signes linguistiques par le biais d’une restitution la plus adéquate possible de leur signifié, et une représentation permettant la connexion la plus économique entre l’écriture d’un lexème et son stockage mémoriel. 3.2.4 Sources de conventionnalisation (1) Simplicité du tracé. – Pour noter une syllabe fermée /CVC/, il est généralement plus simple d’écrire un signe CVC (s’il est disponible) que deux signes CV-VC, à la condition que le nombre de traits requis pour écrire CV-VC de ne soit pas supérieur à celui que demande la graphie de CVC. Melchert (1994 : 1415) cite l’exemple de l’adverbe enclitique {⸗Kan} qui, quand il a comme hôte le connecteur phrastique {nu⸗} est presque toujours écrit nu-kán, mais dont la graphie devient nu-ut-ták-kán quand il est précédé de {⸗Ta⸗}. Les propriétés phonétiques de la plosive de {⸗Kan} n’ayant aucune raison de varier dans le contexte /u⸗__a/, la variation k : kk doit être reconnue comme la conséquence d’une conventionnalisation graphique probablement appuyée sur le fait que le recours au signe kán demande moins de traits que la combinaison ka-an ou Vk-an. (2) Fréquence. – Plus un mot revient souvent dans le discours, plus sa reconnaisance sollicite la simplicité, autrement dit l’uniformisation de sa graphie : le connecteur phrastique /Ta⸗/, fréquent en vieux hittite, est exclusivement écrit ta, jamais da ; le pronom délocutif kā- n’est jamais écrit avec le signe ga, etc. Les morphèmes grammaticaux ont, par nature, un plus grande propension que les morphèmes lexicaux à une représentation conventionnalisée du fait que leur fréquence élevée. (3) Inertie subjective. – Les usages que chaque scribe installe dans sa pratique, par habitude, par choix ou pour quelque raison que ce soit, peuvent devenir une base de conventionnalisation. Les variantes textuelles du texte récent la Prière de Muwatalli, montrent que le scribe de l’exemplaire A préfère utiliser les signes dV, là où le scribe de l’exemplaire B favorise les signes tV (voir l’étude de Singer 1996 : 128-129). Ces divers paramètres ne sont pas exclusifs les un des autres et peuvent se remplacer ou se superposer les uns les autres : la désinence verbale /-tʰu/ fléchissant la troisième personne d’impératif-optatif dans la flexion en -mi

La lecture

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est toujours écrite (… t)-tu en vieux hittite, elle alterne librement entre des graphies (… t)-tu et (… d)-du en moyen hittite, avant de n’être plus écrite que (… d)-du en hittite tardif (voir Kloekhorst 2008 : 884). Le remplacement de (… t)-tu par (… d)-du n’a aucune justification phonétique ou phonologique possible et ne résulte que d’un changement de convention. 3.2.5 Cas problématiques Le nominatif pluriel animé et le direct pluriel inanimé du démonstratif kā- est écrit ke-e en vieux hittite, mais connaît une variante ki-i dans les strates tardives du hittite, alors qu’aux mêmes cas, la graphie du démonstratif apā- est stable en reflétant toujours a-pé-e, et jamais *apī. On est donc porté à estimer que la variation kē ↔ kī n’a pas de motivation phonétique dans les textes tardifs, sans qu’on doive pour autant l’interpréter comme un changement de convention graphique car le rapport, au cas direct, de sg. kī à pl. kē est différent de celui de sg. apāt à pl. apē, ce qui laisse également place à une interprétation morphologique de la variation. 3.3

Les voyelles factices

3.3.1 Discordances prédictibles et non prédictibles Dans l’écriture cunéiforme, l’emploi d’un signe syllabique quelconque impose la représentation d’une voyelle ; on peut écrire une voyelle sans consonne, mais pas l’inverse. Par suite, dans certaines situations, l’écriture des séquences de consonnes différentes impose celle de voyelles ne correspondant pas à des segments de la chaîne parlée : (a) à l’initale du mot, une séquence [# C₁C₂…] est obligatoirement écrite C₁V-C₂… ou VC₁-C₂… ; (b) en finale du mot, une séquence [… C₁C₂ #] est obligatoirement écrite … C₁-VC₂ ou … C₁-C₂V- ; (c) toute séquence formées d’au moins trois consonnes [C₁C₂C₃] est obligatoirement écrite … C₁-C₂V-C₃… ou … C₁-VC₂-C₃…. Une représentation graphique en discordance avec l’intégrité segmentale et la syllabation du mot n’est pas toujours imposée par le code d’écriture car toute séquence [C₁C₂], quelle que soit la localisation dans le mot, peut être, optionnellement, écrite … C₁-VC₂-… ou … C₁-C₂V-…, voire -C₁VC₂-…, plutôt que … C₁-C₂… Les voyelles dont la représentation est tantôt imposée par le code graphique, tantôt librement introduite par le scribe alors qu’elles ne correspondent pas à une réalité phonétique sont dites factices.

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La norme d’écriture imposant ou laissant possible le recours au voyelles factices ne vaut que pour les séquences de consonnes formées de segments successifs [C₁C₂], indépendamment du fait que les consonnes ont des propriétés différentes ou identiques : les consonnes géminées de type [C₁ = C₂] (/s/ → [ss]) sont traitées, à cet égard, comme n’importe quelle séquence [C₁ ≠ C₂] (/sl/ → [sl]) ; en revanche, la norme ne s’applique jamais au cas des séquences d’obstruantes non sibilantes écrites CₓCₓ, qui ne représentent pas deux consonnes *[CₓCₓ], mais une seule [Cₓ], et qui, dans les contextes où les séquences de consonnes utilisent les graphies factices, se limitent à représenter cette consonne par Cₓ : militt-/malitt- « miel » → dir. {militʰ-∅} → [mi.litʰ] mi-li-it, mais gén. {militʰ-as} → [mi.li.tʰas] mi-li-it-ta-as. Sur le cas particulier que représentent les variations CₓV : VCₓ, quand V = u, voir §§ 4.4.2, 4.8.3. 3.3.2 Détection des voyelles factices Le caractère factice d’une voyelle peut être mis en évidence par des indices positifs : (1) Le plus flagrant est une alternance libre de graphies Cₓa : aCₓ, où l’échange de position de la voyelle est significatif de ce que la syllabe en apparence représentée dans la graphie n’a, en réalité, pas de noyau phonologique. Les variantes Cₓa : aCₓ s’observent le plus communément dans le contexte des séquences [CCₓC] : (3) graphies de voyelles factices en contexte [CCC] karp- « saisir » 3 sg. prés. kar-ap-zi kar-pa-zi salk- « mélanger » 3sg. prés. sa-al-ak-zi 1sg. sal-ga-mi parh- « chasser » 3sg. prés. pár-ah-zi pár-ha-zi karsnu- « finir » 3pl. prét. kar-as-nu-er kar-sa-nu-er arske3 sg. prés. a-ar-sa-ki-iz-zi a-ar-as-ki-iz-zi

[Kar.pʰʧi] [sal.Kʧi] [Parx.ʧi] [Kar.snu.er] [ar.sKi.ʧi]

La consonne Cₓ d’un signe à voyelle factice fait, le plus souvent, partie d’une attaque [C.CₓCV], mais elle peut aussi faire partie d’une coda [VCCₓ.C], comme dans le cas de pár-ah-zi : pár-ha-zi (on identifie le caractère non voisé de la fricative [x] d’après 3pl. pár-ah-ha-an-zi KUB 39.7 ii 39, MH?/nh). (2) Un autre indice positif est l’insertion optionnelle d’un signe aCₓ, Cₓa ou CaC au voisinage de la consonne Cₓ incluse dans un signe contigu en créant un redoublement CₓCₓ de la consonne. Ce mécanisme répond à l’expression – optionnelle – d’une gémination (§ 6.7.4) : esri- « image, statue » → dir. e-es-ri [ḗ.sri] et e-es-sa-ri [ḗs.sri] ; karsi- « rêche » → dir. sg. kar-si : kar-as-si (NH) [Kars.

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si] ; ke/isr- « main » → instr. ki-is-ri-i-it : ki-is-sa-ri-it [Kis.sriT], harsar- « tête » → gén. {Harsn-as} → har-sa-na-as [Har.snas] : har-as-sa-na-as [Hars.snas]. etc. Ce mécanisme se reconnaît au fait qu’une graphie n’entraîne pas une interprétation différenciée des propriétés phonologiques de /Cₓ/, qu’elle soit écrite Cₓ ou CₓCₓ. Un cas particulier est soulevé par la séquence de cinq consonnes [nTsstʰ] exceptionnellement formée dans ispant- « faire une libation » → 2pl. prés. {sPanT-tʰeni} si-pa-an-za-as-te-ni. Ce témoignage reflète une double représentation, au moyen de -za- et de -as-, de la fricative [s] issue du traitement antihomophonique /TT/ → [TsT] (§ 8.2) d’où [sə.panTs.stʰe.ni]. Conformément au schéma de gémination des séquences [T+s] le processus s’appuie sur la fricative [Ts+s] qui, sans gémination, aurait été écrite *si-pa-an-za-at-te-ni (la concurrence {sPanT-ske-} → 3sg. is-pa-an-za-ke-zi : is-pa-an-za-as-ke-e[z-zi] ne se situe pas sur le même plan en dérivant d’une réfection analogique -ske→ -Vske- du morphème de dérivation – voir § 8.13.3). (3) une autre situation faisant prévisiblement usage de graphies à voyelles factices est celle des configurations morphologiques où un thème à finale {… CC-} est fléchi par un morphème {-∅} (impératif 2sg. ou cas direct singulier de la flexion inanimée) : (4) graphies représentant {… CC-∅ #} ans- « essuyer » a-an-as hark- « avoir tenir » har-ak karp- « emporter » kar-ap sanh- « rechercher » sa-an-ah /sa-an-ha wars- « récolter » wa-ar-as walh- « frapper » wa-al-ah kars- « blé » (type de__) kar-as

/ans-∅/ /HarK-∅/ /KarP-∅/ /sanH-∅/ /wars-∅/ /walx-∅/ /Kars-∅/

Dans une flexion telle que celle de laman-/lamn- « nom » → gén. la-am-na-as, instr. lam-ni-it (etc.), face à dir. la-a-ma-an KBo 19.152 i 20 (VH/mh?), la-ma-an FHG 1 ii 17 (VH?/nh), lam-an KUB 24.8 iii 7 (NH), il est a priori impossible de discerner, d’après la graphie, si la flexion repose sur une alternance {laman- : lamn-} plutôt que sur un thème invariant {lamn-} (en l’espèce, seul le témoignage de la forme cliticisée {laman⸗miT} → la-a-am-ma-a-mi-it KUB 1.16 iii 13, VH/nh, avec une voyelle dont la réplication ne serait pas possible si elle avait été factice, impose de reconnaître {laman-∅}). Une alternance libre Cₓa : aCₓ n’est pas invariablement le signe de ce que /Cₓ/ appartient à une syllabe adjacente et peut aussi correspondre à la représentation d’une voyelle d’anaptyxe. La flexion de taks- « accorder, élaborer »

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reflète régulièrement une graphie tág-ga-as-… quand le thème est fléchi par un morphème débutant par une consonne et ták-sa-… quand le morphème débute par une voyelle : 1sg. prés. tág-ga-as[-mi], 2sg. tág-ga-as-si, 2pl. tág-ga-as-te-ni, 3sg. imp. tág-ga-as-du, face à 3pl. ták-sa-an-zi, ták-se-er). La réalisation de 3pl. {Takʰs-anʧi} est, normalement, [Ta.kʰsaɲ.ʧi] (on déduit k = /kʰ/ d’après {TakʰssKe-} → ták-ki-is-ke-), mais il n’en va pas de même pour 2pl. /Takʰs-tʰeni/ dont la forme phonologique exige l’insertion d’une voyelle d’anaptyxe [Ta.kʰəs.stʰe.ni] tág-ga-as-te-ni pour compenser l’imposssibilité de syllaber *[Takʰ.stʰe.ni] ([stʰ] serait une attaque décroissante) ou *[Takʰs.tʰe.ni] ([kʰs] serait une coda croissante). Dans ce type de situations, la voyelle n’est pas factice, mais elle n’est pas phonologique. La flexion de supp(a)l- « bétail, troupeau » → dir. suup-pa-al KUB 36.55 ii 30 (MH), dat. su-up-li-i⸗s-si KBo 6.34 iv 15 (MH/nh), restitue pareillement un thème invariant {supʰl-} réalisé, au cas direct, {supʰl-∅} → [su.pʰəl] avec une voyelle d’anaptyxe imposée par le caractère inacceptable d’une séquence *[pʰl] dans le rôle de coda (Rieken 1999 : 431-432, néglige les contraintes phonétiques). La différence fondamentale entre des variantes comme loc. ha-ar-as-ni : har-sa-ni, d’une part, et 3sg. imp. tág-ga-as-du, face à 3pl. ták-sa-an-zi, de l’autre, est que l’alternance as : sa traduit, dans le premier cas, une absence de noyau syllabique au niveau phonologique comme au niveau phonétique, alors que, dans le second, elle indique une absence de noyau vocalique au plan phonologique seulement. En conclusion, une alternance libre Cₓa : aCₓ impose de reconnaître l’existence d’une voyelle factice que si la combinaison de Cₓ avec les autres consonnes de l’entourage ne crée pas de conflit de syllabation (sonorance, phonotactique ou autres) ; quand une alternance Cₓa : aCₓ repose sur un conditionnement faisant intervenir la syllabicité, elle reflète presque toujours le développement local d’une voyelle d’anaptyxe. 3.3.3 Graphies factices analogiques Quand la flexion d’un mot aboutit à former, dans un contexte donné, une séquence [C₁C₂] imposant le recours à des graphies factices, il n’est pas rare que cette graphie soit réutilisée dans des contextes où elle n’est pas imposée par le contexte. Dans la flexion déjà cité de supp(a)l- « bétail, troupeau », la graphie du datif dat. su-up-li-i⸗s-si restitue directement {supʰl-i} → [su.pʰli], tandis que celle du gén. pl. {supʰl-an} → [su.pʰlan] est su-up-pa-la-an KUB 31.127 i 43 (VH/nh), alors que rien, sinon une analogie avec la graphie de dir. su-up-pa-al, ne justifie ce choix de représentation (*su-up-la-an, serait également licite).

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3.3.4 Timbre des voyelles factices Les voyelles factices sont écrites dans des signes sélectionnant, par défaut, le timbre a ; un signe incluant une voyelle u peut aussi correspondre à une voyelle factice, mais son emploi est limité aux signes dans lesquels u est combinée avec une consonne dorsale dont elle stipule le caractère labialisé (§§ 4.4.2, 4.8.3). Les signes incluant une voyelle de timbre i ou e, pour leur part, correspondent toujours à la symbolisation d’une voyelle phonétique, qu’elle réalise un phonème /V/ ou qu’elle soit d’origine anaptyctique. Une alternance libre entre les timbres a et i/e est rare, mais elle est attestée par la variation dont témoigne la flexion de karap- « dévorer, consumer » → 3pl. prés. gi-ri-pa-an-zi (VH/nh), ka-ra-pa-an-zi (VH/nh). Une variation de cette sorte suggère des réalisations vacillantes [Krə.baɲ.ʧi] / [Kər.baɲ.ʧi] plutôt qu’une réalisation syllabique de /r/ car les formes de singulier (donc au degré plein, supposant une voyelle phonologique) reflètent une même vacillation de la réplication vocalique 3sg. ka-ra-a-pí (VH), ka-a-ra-pí (VH/nh) supposant [Krā́.bi] / [Kā́r.bi]. L’interprétation la plus simple conduit à reconnaître que la flexion de ce verbe repose sur une alternance {Krab- : Krb-} dont les réalisations phonétiques suscitent des variantes libres, respectivement [Krāb … : Kārb …] et [Krə.b … : Kər.b …] (voir Kloekhorst 2008 : 442-444, pour un inventaire des interprétations jusqu’à présent proposées). 3.3.5 Signes CV/VC et signes CVC Les témoignages les plus nets de graphies factices s’observent avec des signes CV et VC. Il est peu fréquent, mais il arrive que la sélection d’un signe CVC plutôt que d’une combinaison VC-CV corresponde à une voyelle factice ; outre le témoignage équivoque de hassikk- « (se) repaître » → 1sg. imp. ha-as-si-iggal-lu [Has.sə.kʰlu] (supra), on peut mentionner kutruwan- « témoin » → ku-utru-e-ni-es KUB 23.77a Ro 10 (MH), face à ku-tar-ú-e-ni-es KUB 23.78b : 9 (MH), supposant [Ku.dru.(w)e.ni.es] (voir, plus en détail, § 6.2.4)6.

6  Melchert 1997 : 178, ajoute etriyant- « rassasié » → e-tar-ya-an-t[a-an] KUB 12.63 Ro 16, en postulant une élimination suivie de la réinsertion d’une voyelle sans préciser ce qui pourrait motiver ces différents changements : « we may reasonably suppose trisyllabic [ku.dru. we-], where syncope of [u] would lead to [ku.drwe-], and again syllabification / anaptyxis to [kudarwe-] ».

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Chapitre 3

3.3.6 Graphies factices problématiques Dans bien des cas, il n’est pas possible de départager l’hypothèse d’une graphie factice de celle d’une anaptyxe irrégulière correspondant à une variante de prononciation plus ou moins répandue. La flexion, bien documentée, de parh- « chasser » (CHD P 143) montre que, dans certains cas, un scribe prend le parti d’écrire pár-ah … ce qu’il pourrait tout autant représenter par pár-ha … (le scribe de KBo 3.5 utilise simultanément les deux variantes) : (5) variantes graphiques de la flexion de parh3sg. prés. pár-ha-i KBo 3.5 iii 30 (MH) pár-ah-ha-i, même tablette, iv 3 3pl. prés. pár-ha-an-zi (MH) pár-ah-ha-an-zi (MH ?/nh) inf. pár-hu-wa-an-zi (MH) pár-ah-hu-wa-[an-zi] (MH) De même, dans hatnu- « sécher », la graphie 3sg. prét. ha-at-nu-ut restitue [Ha. TnuT], alors que la variante ha-da-nu-ut crée une discordance supposant que le lecteur sait préalablement que le signe da ne représente ici qu’une consonne. La question qui est alors posée est de discerner si le scribe écrit pár-ah-ha-an-zi ou ha-da-nu-ut parce que sa perception / production oscille entre [Par.xaɲ.ʧi] et [Pa.rə.xaɲ.ʧi], [Ha.dnuT] et [Ha.də.nuT], ou bien parce qu’une des graphies pár-ah … ou pár-ha … lui semble, pour quelque raison, préférable. L’alternative semble impossible à trancher. Les situations de ce type ne sont pas isolées : dans la flexion de hassikk« (se) repaître » → 1sg. imp. ha-as-si-ik-lu KUB 24.5 + 9.13 Vo 1 (NH), la variante ha-as-si-ig-gal-lu KUB 36.93 Vo 6 (NH) ne permet pas de discerner si on est en présence d’une voyelle factice [Has.sə.kʰlu] ou d’une voyelle d’anaptyxe [Has. sə.kʰəl.lu] ; la flexion de tittnu- « installer, placer » repose le plus souvent sur des graphies tittanu-, mais peut aussi faire usage de titnu- : 3pl. prés. ti-it-nuan-zi [Ti.tʰnu.(w)aɲ.ʧi] KBo 19.150 Ro 5 (VH/nh), 1sg. prét. ti-it-nu-nu-un KUB 19.27 Ro 4 (NH), 3sg.prét. ti-it-nu-ut KUB 30.10 ii 7 (VH/mh), face à ti-it-ta-nuan-zi, ti-it-ta-nu-nu-un, ti-it-ta-nu-ut, etc. Il est possible que la réalisation de [Titʰnu-] ait occasionnellement généré une voyelle d’anaptyxe [Ti.tʰə.nu …] venant compenser la difficulté articulatoire résultant de la différence de pression intra-orale typique des relation de co-articulation homosyllabique plosive + nasale, mais cette présomption est invérifiable. Dans les situations les plus problématiques, on sait que la voyelle de l’un des signes formant le mot est factice, mais il est difficile ou imposible d’identifier laquelle : l’adverbe a-ra-ah-za « dehors, ailleurs » tiré de l’ablatif {arH-ʧ} du nom e/arh- « ligne, frontière » (l’ablatif fléchi oscille entre a-ra-ah-za et

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er-ha-az) présente une forme phonologique {arH(-)ʧ} dont la réalisation phonétique demande nécessairement l’insertion d’une voyelle. Un traitement {arHʧ} → [a.rǝHʧ] serait compatible avec la graphie a-ra-ah-za, mais le placement inattendu de [ǝ] conduit à se demander si la graphie -ra-ah- ne pourrait pas être secondairement imposée par la sélection, à l’initiale, du signe a- plutôt que du signe er- (ou ar-) ; une syllabation a-ra-ah-za [ar.Hʧǝ] ou [arH.ʧǝ] paraît donc aussi plausible a priori que [a.rǝHʧ]. Le point à considérer est qu’en définitive, aucun principe général ne permet de décider du caractère factice ou réel de la voyelle représentée dans un signe quelconque. La question peut et doit être posée dans toutes les situations où la consonne d’un signe est ailleurs qu’en position intervocalique, mais la solution, quand il y en a une, dépend de l’observation de chaque cas particulier. Le critère essentiel est celui du caractère phonétiquement licite de la syllabation en présence ou en l’absence de voyelle dans des contextes [C₁C₂], mais les interférences possibles entre la phonologie, la phonétique, la graphie et les analogies entre graphies sont trop nombreuses et se situent sur des plans souvent trop différents pour que l’interprétation soit invariablement assurée. 3.3.7 Conséquence dérivée des graphies factices Pour le lecteur moderne, les voyelles factices ont l’inconvénient d’introduire une discordance entre la syllabation du mot et sa représentation, mais elles présentent aussi l’avantage de révéler, le cas échéant, les propriétés phonologiques de certaines consonnes. Le point à considérer est que l’introduction d’un voyelle dans la graphie, même si elle ne correspond pas à une articulation phonétique, est traitée par le code d’écriture comme si elle l’était. La consonne C₁ de séquences [VC₁C₂] écrite VC₁-VC₂ comme la consonne C₂ de séquences [C₁C₂V] écrites C₁V-C₂V … se retrouvent, de fait, en position « intervocalique », autrement dit, dans un contexte où les propriétés de voisement des obstruantes non sibilantes, normalement inaccessibles quand elles sont écrites au voisinage d’autre consonnes, deviennent explicites dans la graphie. Les séquences /CCC/ créées par verbe warp- « laver » lorsqu’il est fléchi par des morphèmes à consonne intiale comme 3sg. {-ʧi} sont normalement représentées par des graphies à voyelles factices : 3sg. prés. wa-ar-ap-zi : wa-ar-pa-zi. Or, si la graphie de type wa-ar-ap- est attendue quand le thème est fléchi par un morphème à voyelle initiale comme 3pl. {-aNʧi} (ainsi wa-ar-pa-an-zi KUB 9.15 iii 1, NH), il se trouve que la variante de type wa-ar-ap- peut aussi être utilisée dans le même contexte. Dans cette dernière situation, la consonne représentée par -ap-, localisée à l’intervocalique, sera alors nécessairement écrite C si

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Chapitre 3

elle est voisée et CC si elle est non voisée (voir § 4.5.1, sur la codification de ces propriétés). La graphie 3pl. wa-ar-ap-pa-an-zi KUB 29.4 i 53 (NH) révèle, à cet égard, que la plosive est non voisée {warpʰ-}. De même, la désinence de 3sg. prét. my. normalement écrite -tari derrière consonne, d’où weh- « (se) tourner » → 3sg. prés. my. ú-e-eh-ta-ri KUB 13.4 iii 20 (VH/nh) révèle son caractère non voisé dans la variante ú-e-ha-at-ta-ri KUB 33.103 iii 6 (MH/nh) {weɣ-tʰari}. Les variantes de walh- « frapper » → 3pl. prés. wa-al-ah-ha-an-zi, nom verbal wa-al-ah-hu-u-wa-ar, identifient la fricative vélaire comme non voisée {walx-}, etc. L’apparition d’une voyelle factice non requise au plan graphique, dans wak- « frapper » → 2sg. imp. wa-a-ga KBo 4.14 ii 29, (NH) face à wa-ak Bo 4657 : 4, met en évidence une voisée [wag], confirmée, en l’espèce, par inf. wa-kán-na KBo 8.130 ii 7 (MH). La variation 3pl. prés. pár-ha-an-zi : pár-ah-ha-an-zi mentionnée ci-dessus est significative de ce que la fricative ‘h’ du thème parh- est non voisée : {Parx-}. Les données ainsi mises en évidence peuvent connaître les même vacillations qu’en contexte phonétiquement intervocalique, par exemple une variante isolée comme karp« emporter » → 3pl. kar-ap-an-zi KUB 8.1 iii 9-10 (VH/nh) face à kar-ap-pa-an-zi KUB 25.1 i 29 (NH) suggère une omission de scribe, sans totalement exclure la possibilité d’une fluctuation [pʰ : p] (§ 4.7.3). Au voisinage d’une consonne, l’information relative aux graphies soit C, soit CC, des obstruantes non sibilantes n’est mise en évidence qu’en conséquence d’une conjonction de facteurs optionnels. La question de savoir pourquoi les scribes utilisent, devant voyelle, une variante graphique possible, mais non imposée et inattendue en termes d’économie, n’a pas de réponse claire. 3.4

L’initiale du mot

3.4.1 Singularités de l’initiale L’initiale est la zone du mot dont l’interprétation phonétique cumule le plus de difficultés : – le mode de symbolisation des signes d’écriture impose, à l’initiale, une distorsion systématique de la relation entre syllabation et écriture en forcant toute séquence [# C₁C₂V] à être écrite comme une séquence [# C₁V.C₂V] ; – les normes d’emploi de l’écriture en hittite forcent les obstruantes non sibilantes non voisées à être écrites, à l’initiale du mot, comme des consonnes voisées, en neutralisant toute possibilité de distinguer leur mode articulatoire ; – l’intiale du mot est un contexte phonétique dans lequel peuvent se manifester des propriétés ou advenir des processus spécifiques qui, soit ne se

La lecture

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produisent pas ailleurs, soit se produisent en n’étant pas soumis aux même conditions qu’ailleurs (Lowenstamm 1999, Smith 2005, Scheer 2014). – divers travaux de psychologie cognitive étudiant la motricité opthalmique ont démontré que, comme le postulait une hypothèse déjà ancienne, l’initiale du mot écrit constitue le pivot à partir duquel s’élabore l’articulation entre le décodage visuel et la reconnaissance mémorielle des lexèmes (Bouma 1973, Banks et al. 1977, Jacobs 1979). L’initiale du mot écrit constitue, dans la lecture, un signal en tant que tel, si bien que cette zone est également celle qui est la plus stabilisée dans le stockage mental, donc dans la représentation graphique (les fautes d’orthographe des écoliers se localisent généralement ailleurs qu’à l’initiale du mot). Un signe CV à l’initiale, qu’il corresponde à une syllabe [# CV] ou à l’écriture d’une syllabe [# C₁C₂V], est, par suite, a priori plus suspect que d’autres d’être en discordance avec la réalité phonétique, tout particulièrement quand son écriture est conventionnalisée par l’usage. En d’autre termes, les signes CV- à l’initiale du mot sont de ceux dont l’interprétation est la plus problématique, non seulement parce qu’ils peuvent recouvrir une syllabe [CV(C)] aussi bien qu’une simple consonne [C(CV)], mais aussi parce qu’ils ont, dans dans cette position, une propension particulière à déconnecter les propriétés syllabiques d’une représentation graphique congruente. 3.4.2 Identification des initiales La réalité phonétique de la voyelle écrite dans un signe initial # CV(C) est généralement plus aisée à démontrer positivement que son absence. Les critères à même d’orienter l’interprétation sont divers : (1) Possibilité de réplication vocalique. – La réplication vocalique (§ 6.5) peut constituer une critère d’interprétation dans le sens où l’allongement vocalique qu’elle traduit ne peut s’appuyer que sur une voyelle pré-existante : l’interprétation du a de ka- dans kanint- « soif » → loc. ka-ni-in-ti est, a priori, équivoque, mais la variante ka-a-ni-in-ti certifie [Kā.nin.Ti]. (2) Contraintes de syllabation. – Les graphies initiales CaC, a fortiori CaCC, peuvent trouver une interprétation motivée selon qu’elle violent ou se conforment à la hiérarchie de sonorance (§ 6.1.2). Il est a priori impossible de discerner si une graphie # C₁V-C₂… correspond à [# C₁C₂…] plutôt qu’à [# C₁VC₂…] quand le niveau de sonorance de [C₁] est inférieur à celui de [C₂], mais on peut être certain que, quand le niveau de sonorance de [C₁] est supérieur à celui de [C₂], une graphie # C₁V-C₂… correspond nécessairement à [# C₁VC₂…], éventuellement à /# C₁VC₂…/. Le tableau ci-dessous résume les séquences initiales où la voyelle écrite derrière # C₁… coïncide obligatoirement avec l’existence d’un segment vocalique (Le symbole ‘–’ indique les situation où les rapports

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Chapitre 3

de sonorance ne permettent pas de trancher la question de la composition phonétique des initiales) : (6) graphies initiales # C₁VC₂ incluant obligatoirement un son [V] w w wVw y – l – m – n – h – p/b– t/d – k/g – s –

l

r

m

n

h

p/b t/d

k/g

s

z

wVl (*yVl) – – – – – – – –

wVr yVr lVr – – – – – – –

wVm yVm lVm – – – – – – –

wVn yVn lan – – – – – – –

wVh yVh laVh mVh nVh – – – – –

wVp yap lap mVp nVp hVp – – – –

wVk yVk lVk mVk nVk hVk (pVk) (tVk) (kVk) –

wVs yVs (*las) mVs nVs hVs (pVs) (tVs) (kVs) –

(*wVz) (*yVz) laz mVz (*nVz) hVz (pVz) (tVz) (kVz) sVz

wVt yat lat mVt nVt hVt (pVt) (tVt) (kVt) –

Le caractère prévisible de la voyelle dans des séquences [# C₁VC₂…] impliquant des plosives dépend de leurs propriétés de voisement, lesquelles sont indiscernable à partir de la graphie : une initiale écrite # pata … peut éventuellement recouvrir une séquence [# CCa] si elle est formée de [pʰtʰ] ou de [bd], mais pas si elle est formée de *[btʰ]. De même, une séquence écrite # pasa … peut, a priori, correspondre à [# pʰasa], [# basa] ou [# p(ʰ)sa], mais pas à *[# bsa]. Les mêmes principes s’appliquent quand, dans une graphie, # C₁V-C₂…, la consonne C₂ est suivie d’une autre consonne : le thème de l’adjectif palhi« large » → dir. pl. pal-hi KUB 42.78 ii 22 (NH) est nécessairement [Pal.Hi], une syllabation *[PlHi] étant, inacceptable, quelles que soient les propriétés de voisement de la plosive comme de la fricative. Des formes comme palsa- « route », panku- « ensemble, totalité », pars(a)nai- « s’accroupir », parn- (oblique de per- « maison »), etc., tombent sous le coup d’observations similaires. Les graphies de pa-at-tar « panier » KBo 8.74 i 7 (VH) ne permettent pas de faire la part entre des interprétations [Pʰa.tʰar] et [pʰtʰar], mais la variante pát-ta-ar(-ra) KBo 17.6 iii 16 (VH) suggère une réalisation [ba.tʰar] (sur la lecture particulière de pát, voir § 4.4.1(4)) car *[btʰar] serait incorrectement formé ([b] ne peut être séparée de son noyau par un segment inférieur en sonorance comme [tʰ]). La flexion de mer-/mar- (*mer- : *mr-) « périr, disparaître », suppose

La lecture

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pareillement une alternance {mer- : mar-}, mise en évidence par le fait que dans une forme telle 3sg. prés. my. mar-ta-ri KUB 13.35 iv 45 (NH), une attaque *[mrtʰ] serait inacceptable, en sorte que 3pl. imp./opt. ma-ra-an-du doit être lu [ma.ran.tʰu], quand bien même la syllabation [mran.tʰu] serait a priori correcte (voir, en outre, § 4.11.5). (3) Conformation envers les processus segmentaux. – Les initiales CaC peuvent trouver une interprétation motivée quand l’absence de noyau vocalique susciterait le déclenchement d’un processus segmental donné : le témoignage de da- « prendre » → 2pl. prés. da-at-te-e-ni KUB 36.106 : 8 (VH), par exemple, certifie une réalisation {Ta-tʰéni} → [Ta.tʰḗ.ni] car *{T-tʰéni} aurait imposé le déclenchement de la règle d’antihomophonie des coronales en limite de morphèmes (§ 8.2) ; il est, de même, certain que la graphie sakan-/ sakn- « huile, graisse » → dir. sa-ga-an restitue [sa.gan] car une attaque [# sg] en syllabe initiale, quoique bien formée en termes de sonorance, tomberait sous le coup de la règle imposant le développement d’une anaptyxe en contexte (§ 8.10). (4) Relations apophoniques. – Les initiales Ca(C) peuvent, le cas échéant, trouver une interprétation motivée quand la syllabe fait partie d’un morphème soumis, en tant que racine, à variation apophonique. Les relation apophoniques quantitatives de type {Ce/oC- : CC-} héritées de l’indo-européen ne représentent plus, en hittite, un procédé morphologique productif, mais elles subsistent localement à l’état de vestige dans de nombreuses flexions nominales et verbales. La règle qui s’applique, dans ces configurations, est qu’un degré zéro *CCest prolongé tel quel si la séquence # CC dont elle est le réflexe en hittite est apte à former une attaque syllabique correcte. Dans la flexion alternante du verbe kuen- « tuer », par exemple, le degré zéro est représenté par une initiale ku-n … dans laquelle rien n’impose de postuler la présence d’une voyelle (ku note une vélaire labialisée : § 4.4.2) : (7) flexion de kuen- « tuer » *gʷʰen- → 1sg. {KʷeN-mi} → [Kʷe.mi] ku-e-mi *gʷʰn- → 3pl. {Kʷn-aNʧi} → [Kʷnaɲ.ʧi] ku-na-an-zi En revanche, quand, pour une raison quelconque (élimination ou évolution d’un segment, rapports de sonorance, phonotactique, régulations intersegmentales), le réflexe d’un degré zéro originellement *CC … n’aboutit pas à une attaque syllabique correctement formée, le morphème reflète, en hittite, l’insertion d’une voyelle {CaC-} :

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Chapitre 3

(8) évolution du rapport apophonique *CeC- : *CC-

ed-/ad- « manger » (*h₁ḗd- : *h₁d-) ses-/sas- « dormir » (*ses- : *ss-) weh-/wah- « (se) tourner »

1sg. {CeC-}

3pl. {CaC-}

e-et-mi /éd-mi/ se-es-mi /ses-mi/ ú-e-eh-mi /wéɣ-mi/

a-da-an-zi /ad-aNʧi/ sa-sa-an-zi /sas-aNʧi/ wa-ha-an-zi /waɣ-aNʧi/

La réalité phonétique de la voyelle dans les graphies CaC- des morphèmes de ce type est mise en évidence par diverses observations : – la prohibition de séquences phonétiques [s + obstruante] à l’initiale du mot (§ 8.10.3) aurait produit, dans l’hypothèse où le degré zéro de la flexion de « dormir » aurait été un thème avocalique †{ss-}, une résolution anaptyctique †sis- ou †iss- (†is-sa-an-zi), éventuellement une simplification †{ss-} → †{s-}, à la place de sas- /sas-/ ; – le degré zéro d’un thème {CVC-} dont une des /C/ est une semi-voyelle au degré plein impose que cette semi-voyelle devienne un noyau syllabique au degré zéro, si bien que dans l’hypothèse où le degré zéro de la flexion de « (se) tourner » aurait été avocalique on aurait eu †{uh-} (†ú-ha-an-zi) au lieu de wah- ; – un thème alternant {C₁VC₂- : C₁C₂} dont l’initiale C₁ est éliminée au cours de l’évolution, au degré plein aussi bien qu’au degré zéro, ce qui est notamment le cas des « laryngales » *h₁ et h₃ de l’indo-européen, conduit, nécessairement, à une alternance {VC₂- : C₂}, selon le modèle illustré par la flexion de *deh₃-/*dh₃- « prendre » → da-/d- (1sg. prés. {Ta-xe} → [Ta.xe] da-a-ahhé : 1pl. {T-weni} → *[Tu-weni] → [Tumeni] tu-me-ni), en sorte que, dans l’hypothèse où le degré zéro de la flexion de « manger » aurait été avocalique on aurait eu †{T-} (†da-an-zi) au lieu de ad- (déduction par ailleurs confirmée par 2pl. prés. da-at-te-e-ni, ci-dessus)7 ;

7  Ces observations réfutent la conception de Kloekhorst 2008 : 120-121, selon qui « in verbs of the structure *CeR- the PIE zero grade stem *CR- yielded Hitt. CR- that is spelled CaR-, with an empty -a- […] ». L’hypothèse selon laquelle 3 pl. a-da-an-zi refléterait une glottale initiale « /ʔdantsi/ » (ibid. 262) est, en outre, invraisemblable (voir § 4.4.1(5)).

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La lecture

– un thème alternant {C₁VC₂- : C₁C₂} dont une des marges est une liquide /r l/ repose nécessairement, compte tenu de la prohibition de /r/ à l’initiale des mots (§ 5.1.4) n’admet une réalisation [CC] du degré zéro que dans une des trois situations suivantes : (9) contraintes sur la réalisation {CC-} → [CC] quand /C/ = /r l/ degré plein

degré zéro

attaque prédite

lVC CVl CVr

[lC] [Cl] [Cr]

C₂ = [j w] exclusivement C₁ = [m ʧ ɣ x b d g pʰ tʰ kʰ] exclusivement

Du moment où la voyelle apparente d’une syllabe écrite # Ca(C) peut être retranchée de l’interprétation phonétique sans que cette extraction conduise à une attaque [CC] incorrectement formée, la lecture du signe # Ca(C) demeure équivoque. (6) L’emprunt. – L’écriture du nom haluka- « message, information » utilise invariablement un signe ha à l’initiale. Or, l’écriture de ce lexème dans les textes en langue accadienne copié en milieu hittite de Kültepe / Kane/is reflète un vocalisme à la fois instable et distinct de [a] : acc.pl. ḫu-lu-ga-ni, gén. sg. ḫi-lu-ga-ni-im (Dercksen 2007 : 34). Sur cette base, Kloekhorst (2008 : 32) estime que hitt. ha-lu-ka-as reflèterait une attaque hl …, mais cette approche néglige que les vacillations i : u, i : a et u : a sont précisément typiques des textes de Kültepe, notamment dans des contextes où l’absence de voyelle est exclue (données chez Kienast 1984 : 31-35, Michel 2011 : 105-108) : (10) noms de personnes anatoliens dans les textes de Kültepe i~a Pí-ir-ka Kt d/ 15b : 7-8, Kt d/k 15a : 16-17 Pár-kà Kt n/k 168 : 6 Ší-ik-ri-ú-ma-an Kt d/k 52b : 3 Ša-ak-ri-ú-ma-an Kt 84/k 169 : 3 i~u Iš-pì-nu-ma-an Kt e/k 155 : 2 [I]š-pu-nu-ma-an Kt 88/k 90 : 4 i ~ u, u ~ a Ší-ḫu-ur-pí-a Kt n/k 72 : 4 Šu-ḫa-ar-pì-a Kt n/k 31 : 6 Šu-ḫu-ur-pì-a Kt 89/k 376 : 2

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Chapitre 3

La seule conclusion sûre dérivant de ces témoignages est que l’espace vocalique des locuteur accadiens de Kültepe / Kane/is n’était pas identique à celui des locuteurs de la langue anatolienne (hittite ?) parlée là à la même époque. Il paraît donc que l’interprétation phonétique de ha-lu-ga-as, ha-lu-ka-as peut être aussi bien [Ha.lu.gas] que [Hlu.gas] sans qu’aucune solution ne s’impose. 3.4.3 Usage et mésusage de l’étymologie L’argument étymologique, quand il est possible d’y avoir recours, est souvent évoqué dans les analyses demandant de prendre parti sur le caractère éventuellement factice d’une voyelle. Son utilisation devient, toutefois, fortement sujette à caution si elle fait abstraction des contraintes qu’imposent les relations inter-segmentales. Le problème est illustré par la flexion de kanes- « reconnaître » dont les formes sont écrite, à l’initiale, avec un signe ka ou ga (jamais ka-a-, ga-a-). Ce lexème repose sur la racine *ǵneh₃- « savoir » (gr. gignṓskō, lat. (g)noscō, got. kunnan, etc.) connue pour n’avoir pas de réflexes de l’état **ǵenh₃- dans les langues indo-européennes. Sur cette base, on admet donc que la lecture de formes comme 3sg. prés. ga-ne-es-zi ou 3pl. prét. ga-ni-es-ser (VH) est, en hittite, [Knes.ʧi], [Knes.ser]. Une telle interprétation est parfaitement légitime, à ceci près qu’elle ne récuse pas a priori la possibilité d’une lecture [Ka.nes.ʧi], [Ka.nes.ser], précisément parce la graphie est inapte à différencier une réalisation [Knes.ʧi] de [Ka.nes.ʧi] et qu’en conséquence de cette incapacité, l’évolution phonétique de *ǵneh₃- est, en ce qui concerne la syllabation, invérifiable. L’interprétation [Knes.ʧi] est conforme aux normes de syllabation, mais [Ka. nes.ʧi] l’est également, si bien que la seule raison de préférer une interprétation à une autre ne dépend que du crédit de vraisemblance que l’on accorde a priori à l’étymologie. Or, un tel crédit ne peut être mécanique : la flexion du nom ker-/kart« coeur » utilise, aux cas obliques, une forme kart- reposant originellement sur un degré zéro *k̑r̥d- (comp. véd. hr̥d-, ghāt. zərəd-, arm. sirt, v. irl. cride, v. sl. srŭdĭce, lit. širdìs ; cf. Szemerényi 1970, Rieken 1999 : 52-56). Il est ici certain qu’en hittite, le thème kart- comprend une voyelle, car, sans elle, des formes telles que gén. kar-di-as, loc. kar-di, abl. kar-ta-az, all. kar-ta, instr. kar-di-it, seraient impossibles à syllaber, une attaque à sonorance ascendante et descendante telle que */# KrTV/ étant mal formée, quelles que soient les propriétés de voisement de /K/ et de /T/. Comme chacun des emplois de kart- exige la présence d’une voyelle, celle-ci doit être tenue comme une propriété constante du morphème {KarT-}, ce qui indique que le rapport quantitatif hérité a été remplacé, en hittite, par un rapport qualitatif {Ker- : KarT-} (contrairement à Kloekhorst 2008 : 469, qui ne tient pas compte des normes de syllabation).

La lecture

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Il apparaît donc qu’il n’y a pas de correspondance automatique entre l’organisation des séquences de consonnes en indo-européen reconstruit et en hittite. Ce serait, au demeurant, nier l’évolution phonologique elle-même que de postuler que la syllabation d’un mot dans un état de langue donné serait, par principe, identique à celle de son étymon ou de son réflexe. L’étymologie livre, au mieux, des indices susceptibles d’aider à former une hypothèse, mais sûrement pas des preuves. Quand la reconstruction elle-même laisse ouverte diverses interprétations, et que les relations de sonorance n’imposent pas d’interprétation en particulier, il est rigoureusement impossible d’évaluer si une graphie # CV-C … contient une voyelle ou pas : le relateur adverbial parā « vers, en direction de, encore, après » écrit pa-ra-a (CHD P 109-130) autorise a priori deux lectures, /Prá/ et /Pará/, chacune pouvant être mise en relation avec des formations parallèles dans les langues indo-européennes : d’une part gr. pró, véd. prá, ghāt. fra-, lat. pro, got. fra, v. sl. pro, lit. pra ; de l’autre gr. pára, pará, véd. párā, v. perse parā (Tischler, HEG II : 434-435). On peut faire valoir que la régularité avec laquelle la voyelle finale est répliquée évoque l’allongement des mots monosyllabiques en syllabe ouverte (§ 7.3.2), processus conforme à un traitement /Prá/ → [Prā́], mais une telle conjecture n’ôte rien à la vraisemblance d’un traitement /Pará/ → [Pa.rā́].

Chapitre 4

Les segments et leurs représentations 4.1

Voyelles et signes vocaliques individuels

4.1.1 Graphies des voyelles Dans l’écriture cunéiforme, les voyelles constituent la seule classe de segments représentables par des signes affectés à leur seule symbolisation : (1) signes représentant une voyelle [n o du HZL] i 217 u 261 ú 195 e 187 a 364 Tous les autres signes de l’écriture cunéiforme ont une forme CVC, CV ou VC imposant la représentation d’une voyelle conjointement à celle d’une consonne au moins (aucun signe n’est affecté à la représentation d’une consonne seulement, indépendament d’une voyelle). Les signes V d’une part, CV, VC et CVC de l’autre, différencient les mêmes phonèmes vocaliques avec certaines limitations : (1) Les signes -V-. – Un signe V représente toujours un segment, mais pas nécessairement une voyelle : les signes i, u et ú peuvent représenter [i] et [u] aussi bien que [j] et [w], en étant la seule représentation possible des semi-voyelles dans certains environnements (§§ 4.1.2, 4.14) ; (2) Les signes -(…)V(…)-. – Chacun des signes de type CV, VC, CVC distingue, en principe, les mêmes voyelles que les signes V, mais avec diverses restrictions : – l’élément C des signes CV, VC ou CVC stipule nécessairement l’existence d’une consonne au moins, alors que l’élément V des mêmes signes ne reflète pas toujours la présence d’une voyelle. Quand un signe de type CV ou VC est localisé entre consonnes et qu’il représente une condition à la reconnaissance du mot, sa présence répond généralement à l’impossibilité d’écrire une séquence de plus de deux consonnes sans utiliser de signes incluant une voyelle, et non à celle du noyau vocalique d’une syllabe [CV] ou [VC] : parh- « chasser » → 3sg. prés. pár-ahzi ou pár-ha-zi pour [Parx.ʧi] (voir plus en détail, § 3.3) ; – quand un signe CV à vocalisme a est utilisé à l’initiale ou en fin de mot, il est impossible de discerner a priori d’après l’écriture s’il recouvre une

© koninklijke brill nv, leiden, 2019 | doi:10.1163/9789004394247_006

Les segments et leurs représentations

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séquence [# Ca …], [… Ca #] ou bien une consonne [# C …], [… C #] : les formes de nominatif en {-s}, quand elles fléchissent des thèmes en {… T-}, sont écrites -za pour symboliser une coda [… T+s #] ; – seuls les signes de type CV, VC, CVC peuvent être utilisés pour représenter une voyelle d’anaptyxe, laquelle n’est jamais représentée par un signe de type V. Une voyelle d’anaptyxe se détecte à partir de la représentation, généralement instable, d’un timbre vocalique dans un contexte où l’absence de voyelle engendrerait un conflit de syllabation (§ 8.13) : hatk-ske- « fermer » → 3pl. ha-at-ga-as-kán-zi KUB 30.32 i 17 (MH), et ha-at-ki-is-kán-zi KUB 47.90 ii 15 (NH). La vacillation a : i indique que le timbre de le timbre de la voyelle d’anaptyxe est différent de [a] comme de [i], ce qui l’identifie probablement, comme dans beaucoup de langues, avec une voyelle centrale [ə] ; au voisinage de [w] ou de [gʷ], le timbre d’une voyelle d’anaptyxe est [u] (voir § 4.8.3) ; – le fait qu’une ou des voyelles soient incluses dans une configuration C₁__C₂ donnée ne prédit pas que toutes les autres voyelles seront incluses dans la même configuration : il existe un signe rum, mais aucun signe *ram, *rem, *rim ; il existe un signe t/dis, t/das, mais pas de signe *t/des, *t/dus, etc. ; – l’élément V du signe Vh a une lecture générique ne préjugeant d’aucun timbre vocalique en particulier ; – la voyelle de certains signes CVC peut admettre des lectures vocaliques différentes (pát / pít) ; – la voyelle d’une moitié des signes VC et CV ainsi que certains signes CVC peut avoir une lecture e aussi bien qu’une lecture i (§ 4.1.6) ; – certains signes CV ou CVC ne se rencontrent que dans l’écriture de mots empruntés où ils représentent des sons, voyelles et / ou consonnes, qui n’existent pas en hittite : pá, ba, zu, zum, zul, gu, gaz (liste, possiblement, incomplète). 4.1.2 Semi-voyelles [ j w] et voyelles [i u] Les sons [j w], suivis de /a/ et de /i/ sont naturellement représentés par les signes spécialisés ya, wa, wi₅, mais peuvent aussi être représentés par les signes i, ú, u : hantezziya-« premier » → nom. ha-an-te-ez-zi-ya-as KBo 3.20 : 4 (VH/ nh), ha-an-te-ez-zi-i-as 27 Ro 14 (VH/nh), wiyan- « vin » → nom. wi₅-ya-na-as KUB 56.50 ii 5 (/nh), Winiyant- (divinité) → acc. ú-i-ni-ya-an-ta-an KUB 55.56 iv 16 (NH) (sur l’équivalence de u et de ú, voir infra). Le recours à i, ú, u pour représenter une semi-voyelle est obligatoire devant les voyelles /e/ et /u/ : ie/a- « aller » → 3sg. prés. my. [ja.tʰa] ya-at-ta (VH), mais

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Chapitre 4

3pl. prés. i-e-en-ta [jḗn.Ta] (VH) ; iuk- « joug » → i-ú-uk [jū́K] (VH) ; wemiya« trouver » → 1pl. prét. {wemija-wen} ú-e-mi-ya-u-en [we.mi.ja.wen] (VH) ; hark- « (dé)tenir, avoir » → 1pl. prés. har-ú-e-ni [Ha.rwe.ni] (MH). Dans le même temps, les voyelles /i u/ peuvent connaître ou susciter une réalisation [j w] quand elles sont à proximité d’une autre voyelle, particulièrement à l’attaque du mot : i- « aller » → 2pl. imp. {í-tʰen} → [ī�.́ tʰen] i-it-te-en (VH), mais 3pl. prés. {i-aNʧi} → [jaɲ.ʧi] ya-an-zi (VH) ; u- « voir » (degré zéro de au-) → 1sg. prét. {ú-xun} → [ū́.xun] u-uh-hu-un (MH), mais 3pl. prés. {u-aNʧi} → [u.waɲ.ʧi] ú-wa-an-zi (VH). Il s’ensuit que les signes i, u, ú, sont les seuls, dans l’effectif des voyelles, non seulement à cumuler une lecture vocalique avec un lecture consonantique (ou, tout du moins, semi-vocalique), mais encore à symboliser des phonèmes susceptibles de voir leurs réalisations se neutraliser selon le contexte dans lequel ils sont employés. 4.1.3 Les signes u et ú Dans les dialectes de l’accadien, il existe, en principe, trois signes pour représenter une voyelle haute arrondie : u, u₄ et ú, quatre, si l’on considère que u₉ (EZENₓAN) peut représenter [u] à côté de /ju/ (MesZL 275, et bibl.). Les deux premiers représentent, entre autres choses, les réflexes de *eu, *au (u₄ MesZL 596, est rare en lecture phonétique), tandis que ú représente, entre autre chose, les réflexes de *iu, *uu aboutissant à /u/ et à /ū/. De cet inventaire, la plupart des dialectes ont retenu, en lecture phonétique, u et ú, en confinant Ù (MesZl 731) à des emplois logographiques et en délaissant u₄. Le répertoire hittite procède de cette nomenclature en utilisant les deux signes u et ú dans une lecture le plus souvent syllabique et en assignant à Ù une lecture exclusivement logographique (celle d’une conjonction coordonnante). Dès les débuts des études hittites, on s’est interrogé sur la question de savoir si l’emploi de ú et de u recouvrait une allographie ou une distinction phonétique. Aujourd’hui, la plupart des spécialistes reconnaissent, de façon implicite ou argumentée, que u et ú représentent conjointement le même phonème /u/ (dans la bibliographie récente, voir Melchert 1992 : 186-188, 1994 : 26, 1997 : 562 ; Kimball, 1999 : 79-80 ; Kas’jan 2006), mais d’autres estiment que ces signes correspondent à des unités différentes, respectivement /o/ et /u/ (dans la bibiographie récente, voir Rieken 2005, Kloekhorst 2008 : 35-60, Melchert 2015, récusant ses vues antérieures)1. Les arguments avancés de part et d’autre sont inégalement convaincants car ils reposent le plus souvent sur des confusions 1  Les vues de Van den Hout 2011 : 13, sont, sur ce point, peu claires : « There is no /o/, but it may well be that the u sign stood for an /o/ ».

Les segments et leurs représentations

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assimilant la variation graphique à une variation phonétique (quand ce n’est pas phonologique), et l’étymologie indo-européenne à la situation du hittite historiquement attesté. Une observation attentive à distinguer les niveaux d’analyse montre que si les signes u et ú sont phonétiquement équivalents, en étant aptes, l’un et l’autre, à représenter aussi bien la voyelle /u/ que la semi-voyelle /w/, il n’en va pas de même concernant leur distribution dans l’écriture, laquelle tend vers une relative régulation. (1) Équivalence phonétique. – L’égale aptitude des signes u et ú à restituer les sons [u] et [w] est mise en évidence par un certain nombre d’observations : (a) Les signes u et ú sont aptes, l’un comme l’autre, à représenter la semivoyelle /w/ (voir déjà Hrozný 1917 : 188). En vieux hittite, le morphème 1pl. {-weni} peut être écrit zina- « finir » → [z]i-in-na-ú-e-ni KBo 17.25 Ro 2 (VH), aussi bien que harna- « verser, répandre » → har-na-u-e-ni KBo 8.74+ ii 17 (VH). Dans les strates plus largement documentées, un même mot-forme peut simultanément être écrit au moyen des deux signes : epp-/app- « saisir » → 1pl. prés. [e]p-pu-ú-e-ni (MH) et ep-pu-u-e-ni (MH/nh) ; hark- « (dé)tenir, avoir » → 1pl. har-ú-e-ni (MH) et har-u-e-ni (NH) ; wes « être vêtu » → wa-as-su-ú-e-ni (NH) et wa-as-su-u-e-ni (NH), etc. A côté des graphies dans lesquelles u et ú restituent un phonème /w/, un son émergeant [w] peut également être représenté par les deux signes : dans la flexion de pai- « aller », la forme 1sg. prét. {Paj-un}, normalement réalisée [Pā.un] pa-a-un KBo 17.3 iv 9 (VH) au terme d’un effacement régulier de /j/ en contexte /a__}-{V/ (sur quoi, voir § 8.16.2), peut, secondairement, susciter l’insertion d’une semi-voyelle [Pā.wun] écrite aussi bien pa-a-u-un KUB 23.11 iii 15 (MH/nh) que pa-a-ú-un KBo 16.42 Ro 24 (NH). Le signe wi₅ (sur lequel, voir § 4.14.6) est, de même, librement interchangeable aussi bien avec ú + [i] qu’avec u + [i] : wiyan- « vin » → nom. wi₅-ya-na-as KUB 56.50 ii 5 (/nh), Winiyant- (divinité) → acc. ú-i-ni-ya-an-ta-an KUB 55.56 iv 16 (NH), wiwid- « presser » → 3sg. prés. ↘wi₅-ú-i-da-a-i KBo 5.4 Vo 29 (NH) et ↘ú-i-wi₅-ta-a-i, même tablette Vo 36 (Melchert 1979 : 265-268), hue/isu- « cru, frais » → nom. pl. hu-u-wi₅-sa-u-e-es KUB 17.12 ii 9 (NH) et hu-u-e-sa-u-e-es KBo 29.191 i 9 (NH). Les fluctuation dont fait preuve le nom de l’animal (veau) « (né) de l’année » nom. sa-ú-i-ti-is-za [sa.wi.disTs] KBo 6.3 iii 26 (VH/nh) sa-údi-is-za [sa.u.disTs] KBo 6.2 iii 23 (VH), KBo 19.1 iii 41 (VH), condense la double aptitude d’un même signe à représenter une voyelle et une semi-voyelle. Il convient ici d’être attentif au fait que seul le niveau de constriction atteint par les voyelles maximalement hautes [i u] est à même de justifier leur co-variation, en tant que noyau syllabique, avec des voyelles non syllabiques [j w], dites, à ce titre, « semi-voyelles ». Tout comme il est impossible que des voyelles moins hautes comme [e o] aient des équivalents semi-vocaliques, il est impossible que les semi-voyelles se différencient entre elles par la hauteur

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Chapitre 4

(Maddieson & Emmorey 1985, Ladefoged & Maddieson 1996 : 322-325), si bien que le degré de hauteur (en l’espèce maximal) constitue une des propriétés invariantes des demi-voyelles (Padgett 2008, Levi 2008). Or, du moment où l’on constate qu’en hittite, les signes u et ú sont (i), l’un et l’autre, des représentations possible d’une semi-voyelle /w/, comme dans wemiya- « trouver » → 1pl. prét. {wemija-wen} ú-e-mi-ya-u-en KBo 22.2 Ro 14 (VH), penna- « conduire » → 1pl. prés. {Peni-weni} pé-en-ni-ú-e-ni KBo 17.3+ iii 42 (VH) ainsi que (ii), l’un et l’autre des représentation possibles d’une voyelle, comme dans kurur« ennemi » → loc. sg. ku-u-ru-ri KBo 6.2 i 52 (VH) et kussan- « beau-fils » → dir. ku-ú-sa-an KBo 6.2 iii 17 (VH), il est évident que cette voyelle a le même niveau de constriction que [w], autrement dit, qu’elle est [u], à l’exclusion de toute autre interprétation2. C’est la situation constatée dans une langue à transmission cunéiforme comme le hourrite, où /o/ et /u/ sont plausiblement des phonèmes, en tout cas, sûrement des sons distincts : la semi-voyelle /w/, quand elle est représentée par un signe V, est invariablement écrite avec le signe ú équivalent à /u/, jamais avec le signe u équivalent à /o/ (Speiser 1941 : § 31). (b) Les signes u et ú sont aptes, l’un comme l’autre, à représenter la durée de l’autre. La flexion de l’adjectif suu- « plein, intact, complet » repose sur un thème invariablement écrit su-u- : nom. su-u-us (KBo 20.8 iv 4 (VH), KUB 7.1 i 41 (VH/nh), acc. su-u-un KUB 58.27 iv 10 (VH/nh), etc. (Weitenberg 1984 : 140). Au cas direct singulier fléchi par {-∅}, les graphies présentent des variantes su-u-ú KUB 11.19 iv 22 (VH/nh) et su-u KBo 11.12 i 5 (VH/nh) reflétant, parallèlement à āssū-/assu- (§ 4.2.2(2)) la dislocation de la durée anciennement caractéristique de ce cas. Le recours au signe ú pour expliciter la durée longue d’un timbre identifié par u indique que u et ú représentent la même voyelle. (c) Les signes u et ú sont aptes, l’un comme l’autre, à représenter l’allongement du timbre /u/ d’un même signe CV. L’allongement de la voyelle incluse dans le signe tu peut être écrite tunik- (sorte de pâtisserie) → dir. tu-ú-ni-ik KBo 17.36+ ii 17 (VH), en variation libre avec tu-ni-ik KBo 16.71 i 19 (VH) aussi bien que tuwan « de ce côté » → tu-u-wa-an KBo 25.53 : 6 (VH), en alternance libre avec tu-wa-a-an KBo 25.35 iii 1 (VH). (d) Les signes u et ú sont aptes, l’un comme l’autre, à représenter le degré zéro de morphèmes alternants de type {…(C)Vw- : …(C)u-}. La flexion du verbe « voir, regarder » est fondée sur un thème au- : u- {aw- : u-} (comp. {maw- : mu-} « tomber » → 3pl. prét. ma-ú-er (VH/mh) : 1sg. prés. mu-uh-hi (VH/nh), etc. – CHD L-N 211) dont la graphie du degré zéro a recours à ú dans 1pl. prés. {u-weni} → ú-me-e-ni KUB 30.39 Vo 5 (VH), 3pl. {u-aNʧi} → ú-wa-an-zi KBo 17.36+ iii 2  Held & Schmalstieg 1969 : 106, affirment le contraire en fondant leur jugement sur ce qui n’est qu’une fiction spéculative « if there were no letter w in English, it would seem that either of the vowel letters o or u would suffice ».

Les segments et leurs représentations

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7 (VH), dérivé {u-sKe-} 3sg. ú-us-ke-ez-zi KBo 8.42 Ro 2 (VH), aussi bien qu’à u dans 1sg. prés. {u-xi} → u-uh-hi HKM 37 : 6 (MH), 1sg. prét. {u-xun} → u-uhhu-un HKM 48 : 32 (MH). La représentation du degré zéro {u-} par les signes ú et u certifie qu’ils correspondent à la même voyelle /u/ (en dépit de Oettinger 1979 : 83, 407 ; Kloekhorst 2008 : 228 qui projettent dans la synchronie du hittite des hypothèses étymologiques sans rapport avec l’organisation de la morphologie). L’équivalence phonétique des deux signes se vérifie, par ailleurs, dans l’alternance libre dont témoigne la flexion de ce verbe, avec 1sg. imp./opt. my. {u-axaru} u-wa-ah-ha-ru KUB 14.14 Vo 15 (NH), ú-wa-ah-ha-ru KUB 14.14 Vo 30 (NH) (pour d’autres exemples, voir HW ² I : 572-574). (e) Les signes u et ú sont aptes, l’un comme l’autre, à restituer le son [u] des mots empruntés. Comme on l’a mentionné, le hourrite est la seule langue à transmission cunéiforme distinguant les timbres [u] et [o] dans l’écriture3 ; le statut de la distinction [u]-[o] n’est pas clairement établi, mais il paraît probable qu’il relève d’une opposition phonologique /u/-/o/4. Quoi qu’il en soit, dans les textes hittites, la voyelle /u/ d’un mot hourrite tel que que /furja-/ « (situé/placé/offert) au vu de (un dieu) » (Laroche 1980 : 298) est restituée par des graphies utilisant indifférement les signes u et ú : pu-u-ri-ya KBo 21.34 ii 37, 57 (MH) : pu-ú-ri-ya KBo 27.191 iii 3 (/mh ?) (la variante wuu-ri-ya KUB 15.34 iv 46 (MH), utilise un signe qu’on ne lit que dans les texte en langue hourrite). Par contraste, le /o/ de la syllabe initiale d’un mot comme /soHuri-/ « vie », écrit dat. pl. su-u-hu-ur-ra-a-sa KBo 20.129+ iii 6 (Laroche 1980 : 240) est restituée, dans les textes hittites, sous un timbre a : [s]a-a-hu-ur KBo 19.130 i 22, sa-hu-urra KBo 42.34 : 4 (Trémouille 1997 : 121 : 82). Le nom du dieu hourrite /Tessob/ Te-es-su-u-pa-as (Laroche 1948) passé, en hittite sous une forme anciennement dTe-es-ha-ap KBo 25.62 : 5 (VH) est, de même, remanié dans un vocalisme [u] : dTe-es-hu-up KUB 32.58 : 5 (MH) (à ma connaissance, les témoignages d’emprunts hittites de mots hourrites incluant /o/ sont écrits Cu ou uC, Ca ou aC, jamais au moyen des signes individuels u ou ú). Le contraste hourrite apparaît donc restitué en hittite, pour /u/, par des graphies u ou ú ; pour /o/ par des graphies a ou Cu-uC (jamais comme [i] ou [e]). 3  L’hypothèse de Poebel 1939 : 117 n. 1, reprise par Westhenholz 1991, relative à l’émergence d’un son [o] écrit u ou u₄ dans le dialecte vieux-babylonien de Nippur est critiquée par Hasselbach 2005 : 101-102 n. 8. 4  Les élément d’appréciation relatifs aux voyelles arrondies du hourrite se résument à peu de choses : (i) la semi-voyelle /w/ est toujours écrite avec ú, jamais avec u (Speiser 1941 : § 31) ; (ii) dans la lettre du Mitanni, les signes ú et u, quand ils représentent des voyelles, ne sont jamais utilisés l’un pour l’autre ; (iii) certains signes CV incluant un plosive vélaire réassignent la distinction de voisement à une distinction de timbre : ku = [Ko], alors que gu = [Ku] (Bush 1964 : 22, Wilhelm 1983 : 162-163) ; (iv) cinq timbres [a e i o u] sont distingués dans la tablette d’exercice scolaire d’Emar VI/4 no 601 (Msk 7462) (Wegner 2007 : 44).

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Chapitre 4

Le fait que la distinction hourrite /u/ : /o/ ne soit pas restituée en hittite par des moyens graphiques équivalents, certifie que ces moyens ne recouvrent pas, en hittite, la même distinction. Les spécialistes de hourrite ont, au demeurant, depuis longtemps observé que la distinction entre ú et u tendait à vaciller dans les documents hourrites copiés en milieu hittite (Speiser 1941 : § 31, Bush 1964 : 41-42, Giorgieri 2000 : 181-182, 187), alors qu’elle est régulière dans la lettre du Mitanni copiée en milieu hourrite (Speiser 1941 : § 29). (f) Les signes u et ú sont, dès le vieux hittite, librement interchangeables dans tous les environnements, en syllabe ouverte comme en syllabe fermée, éventuellement sous la main d’un même scribe, y compris dans l’écriture de mots fréquents dont la graphie tend, statistiquement, à employer un signe plutôt que l’autre : (2) interchangeabilité de u et de ú (vieux hittite) apā- dém. acc. sg. a-pu-u-un a-pu-ú-un KBo 6.2 i 16 (VH) même tablette, ii 32 au-/u- « voir » 1sg. opt. my. u-wa-ah-ha-ru ú-wa-ah-ha-ru KUB 14.14 Vo 15 (NH) KUB 14.14 Vo 30 (NH) hunink3sg. prés. hu-u-ni-ik-zi hu-ú-ni-ik-zi « abîmer » KBo 6.2 i 13 (VH) même tablette, i 16 happuloc. ha-ap-pu-u-i ha-ap-pu-ú-i « barrière, clôture » KUB 30.33 i 21 (MH/nh) même tablette, i 13 (et dupl. KUB 30.36 ii 5) pai- « aller » 1sg. prét. pa-a-u-un pa-a-ú-un KUB 19.37 iii 31 (NH) KBo 16.42 Ro 24 (NH) Les témoignages d’échanges entre les deux signes se muliplient d’une strate chronologique à l’autre : asawar- « enclos, pâturage » → loc. a-sa-ú-ni KBo 6.2 + 19.1 iii 49 (VH), a-sa-u-ni KUB 13.5 ii 22 (VH/nh), aruwai- « se prosterner » → 3sg. prés. a-ru-ú-wa-a-iz-zi KUB 2.6 i 9 (VH/nh), a-ru-u-wa-iz-zi KBo 39.62 ii 9 (MH/nh), heu-/heaw- « pluie » → acc. {Héu-n} hé-ú-un KBo 10.25 ii 3 (VH/ nh) et hé-e-u-un KBo 3.21 ii 25 (MH/nh); pai- « aller » → 1sg. prét. pa-a-ú-un KBo 16.59 Vo 5 (MH) et pa-a-u-un KUB 19.37 iii 31 (NH), etc. Pour d’autres témoignages encore, voir Hoffner & Melchert (2008 : 26, 38). Du moment où des symboles peuvent librement alterner sans limitation contextuelle, les unités phonétiques qu’ils représentent ne sont pas distinctivement opposables. (2) Distribution graphique. – Autant il est flagrant que les signes u et ú restituent conjointement les mêmes sons [u] et [w], autant cette égale aptitude ne signifie pas que les signes ú et u soient utilisés de façon aléatoire dans l’écriture. Du moment où des signes différents symbolisent un même son, leur

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Les segments et leurs représentations

maintien dans le répertoire graphique suppose nécessairement que la représentation des mots en fasse des usages différenciés, sans quoi, rien ne justifierait leur concurrence. Des situations de ce type sont, d’ailleurs, banales dans les systèmes d’écritures où la sélection des signes homographes repose presque toujours sur les mêmes critères distributionnels : – la position séquentielle du phonème dans le mot ; comparer la représentation du sigma en grec ancien ou de /s/ dans les textes imprimés du moyen-français ; – l’identité lexicologique du mot ; comparer, dans l’orthographe française, les graphies de l’adverbe où /u/ et de la conjonction ou /u/, celles de la forme du verbe « avoir », 3sg. a /a/, et de la préposition à /a/, etc. Les mêmes conséquences s’observent dans la distribution de ú et de u dans les textes hittites : (a) variation positionnelle. – Les extrémités du mot graphique, et tout particulièrement l’initiale, est la zone à partir desquelles s’élabore la reconnaissance visuelle des lexèmes, en conséquence de quoi leur écriture tend vers une normalisation plus accusée qu’au milieu du mot (§ 3.2). Une interrogation du corpus hittite numérisé indique que les deux signes sont, à cet égard, dans une évidente relation de complémentarité, même si celle-ci n’est pas absolue : ú est, à toutes les époques, le signe dominant aux extrémités du mot, alors que u est prépondérant en position interne5. (3) répartition positionnelle des signes ú et u dans le mot # uvieux hittite moyen hittite hittite tardif moyenne :

initiale

# ú-

médiane -u-ú-

finale -u # -ú #

3,6 % (10) 96,4 % (269) 221 148 32 12 % (32) 88 % (219) 424 74 25 16 % (173) 84 % (861) 1883 263 1 10,5 % 89,5 % 84 % 16 % 26 %

33 43 66 74 %

L’écriture du dérivé itératif weske- « crier » au supin {wesKe-wan} → ú-e-es-keu-an KUB 19.4 + 19.45 Ro 8 (NH) résume les tendances.

5  La répartition inégale de ú et de u selon leur localisation dans le mot écrit a été remarquée dès Marstrander 1919 : 101, avant que d’être étudié plus en détail par Sturtevant & Trager 1942 : 267 (en fonction de la documentation accessible à leur époque) ; voir encore Melchert 1984a : 13 n. 22.

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Chapitre 4

La fréquence de ú reste à peu près stable dans l’évolution, alors que celle de u triple du vieux hittite au moyen-hittite. Sur cette même période, la fréquence des signes CV et VC incluant /u/ connaît, elle aussi, une augmentation notable (§ 3.2), tout comme celle du signe wa6, si bien que ces chiffres reflètent plus probablement un accroisement des réalisations émergentes de [w] dans les rapports inter-syllabiques qu’un accroissement fréquentiel des phonèmes. (b) conventionnalisation lexicologique. – L’hypothèse selon laquelle les signes ú et u refléteraient une distinction phonologique ne repose que sur une seule observation : les scribes favorisent u dans l’écriture de certains lexèmes, et ú dans celle d’autres lexèmes. Mais une pareille conception néglige que si de symboles graphiques différents ont effectivement vocation à représenter des sons différents, il n’est pas moins vrai que l’utilisation de signes graphiques différents pour symboliser un même son est fréquente dans les systèmes d’écriture, et que cette situation se reconnaît précisément au fait qu’elle affecte les signes en question à des lexèmes différents ou à des positions différentes dans les lexèmes. Dans un code symbolique fini, des symboles différents convoyant une même information ne peuvent se maintenir que si leur sélection est soumise à des critères dérivant de l’utilisation du code lui-même et non de l’articulation relationnelle entre le son et sa symbolisation (Mandelbrot 1957, 1966). Le caractère à la fois lexicologiquement contraint et phonétiquement arbitraire de la sélection des signes ú et u apparaît dans le fait que l’écriture des lexèmes peut figer l’emploi d’un signe plutôt qu’un autre pour représenter non seulement le même son, mais encore le même morphème : le préfixe {u-} est invariablement écrit ú- quand il affixe le lexème da- « prendre » (3sg. prés. ú-da-i, VH, etc.), alors qu’il est presque toujours écrit u- quand il affixe le lexème ne-/ nai- « tourner » (sauf dans 3pl. opt./imp. ú-ni-an-du Mşt. 75/104 = HKM 31 : 19 [MH, Hoffner 2009 : 157], face à u-un-ni-an-du Mşt. 75/55 = HKM 65b : 25 [MH, Hoffner 2009 : 218])7. Comme on l’a vu, le morphème flexionnel 1pl. {-weni} peut, pareillement, être écrit -ú-e-ni aussi bien que -u-e-ni, etc. La seule situation dans laquelle la sélection de u ou de ú correspond à une interprétation phonétique différenciée concerne les séquences graphiques # ú-i …, # u-i … qui reflètent des syllabations [u.jV] ou [wi.jV] (voir plus en détail § 4.14.7(1)). (3) L’hypothèse /u/-/o/. – Dans l’hypothèse où les signes ú et u représenteraient des sons ou des phonèmes différents, le problème véritablement posé serait d’évaluer en quoi l’emploi d’un signe coïncide avec au moins une propriété distinctivement opposable aux emplois de l’autre signe. Cette approche 6  Dans le corpus numérisé, la fréquence de wa est mutipliée par 5,3 (VH 360 → NH 1901), celle de l’ensemble des voyelles, est multipliée par 2,7. 7  Pour un recensement pratiquement exhaustif de ces spécialisations, mot graphique par mot graphique, voir Kloekhorst 2008 : 35-60.

Les segments et leurs représentations

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a été tentée par Rieken (2005) selon qui, dans les textes tardifs, l’écriture favorise u au détriment de ú en position pré-rhotique et au voisinage des fricatives vélaires. Sur cette base, et par analogie avec un processus d’abaissement attesté dans l’histoire du germanique, elle suppose que /u/ aurait, dans ce contexte une réalisation abaissée [o]8. Cette conception ne saurait passer pour démontrée car des témoignages, relevés par Kas’jan (2006 : 117sq.), montrent que, dans ces contextes, les signes ú et u ne sont pas mutuellement exclusifs, mais même si elle devait être fondée, à titre de tendance, elle ne légitimerait pas la reconnaissance, suggérée par Rieken (2005 : 547), d’une « phonologisation marginale » de /o/ : dans l’hypothèse où un son [o] devait n’apparaître que dans un contexte particulier en tant que variante d’une unité se réalisant [u] partout ailleurs, ce serait la preuve que [o] n’est pas un phonème, mais la réalisation contextuelle d’un phonème, en l’espèce de /u/ (voir, en ce sens, Kümmel 2012 : 204)9. Mais une telle hypothèse rencontre, à son tour, une autre objection, cette fois dirimante, dans le fait que, comme l’a démontré BeckerKristal (2010 : 101-106), l’espace que forme l’effectif des voyelles détermine, en partie, leurs valeurs formantiques, si bien que, dans les langues à quatre voyelles, il n’y a pas de différence acoustique entre les organisations décrites tantôt comme /i e a o/, tantôt comme /i e a u/, car la hauteur de l’unique voyelle arrondie est, du fait de son isolation dans la zone postérieure, intermédiaire entre celle d’un [u] canonique et d’un [o] canonique. Dans une organisation de ce type, la question d’une réalisation abaissée de /u/ ou d’une réalisation élevée de /o/ n’a pas lieu de se poser. Enfin, la conjecture d’une distinction /u/-/o/ en hittite n’améliore en rien l’analyse ou la compréhension des données, mais conduit, au contraire, à complications, quand ce n’est pas à des impasses. Il devient, par exemple, impossible de justifier le traitement parallèle que reflète, dans l’évolution du hittite, le remplacement de a-as-su-u et de su-u-ú par par a-as-su et su-u puisque, la voyelle finale de a-as-su-u serait censée avoir un timbre différent de celle de su-u-ú (c’est la conception soutenue par Kloekhorst 2008 : 59) ; il devient également impossible de comprendre pourquoi le timbre de la voyelle d’un signe comme tu serait similaire dans tu-ni-ik et dans tu-wa-a-an, mais deviendrait différent dans tu-ú-ni-ik et dans tu-u-wa-an ; l’alternance {Hweg- : Hug-} reflétée dans la flexion de huek- / huk- « prononcer des incantations » → 3sg. 8  Le même processus est également attesté en accadien où un abaissement /i/ → [e] devant [x] ou /r/ est reflété par laberum « vieux », mehrum « réponse » – Huehnergard & Woods 2004 : 232. 9  On pourrait multiplier les observations de ce type : en néo-hittite, ú élimine presque complètement u en finale du mot, alors qu’en vieux hittite, les deux signes ont une fréquence équivalente dans cette position (tableau 3). Dans une optique assimilant ces signes à des sons, il faudrait donc en conclure qu’en fin de mot, [o] serait supplanté par [u], tandis qu’en position médiane, à l’inverse, [u] supplanterait [o]. Le non-sens est flagrant.

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Chapitre 4

hu-e-ek-zi (VH) : 3pl. hu-u-kán-zi (MH) supposerait, pareillement, un rapport apophonique **{Hweg- : Hog-} d’autant plus aberrant qu’il ne permer pas de déduire un degré de l’autre (de même huwart- / hurt- « maudire », etc.)10. (4) Conclusion. – La concurrence u : ú présente, en hittite, tous les caractères de l’allographie constatée dans les dialectes accadiens utilisant pareillement les deux signes. Comme chaque fois qu’une variation de ce type se laisse observer, les signes u et ú sont interchangeables au plan phonétique, mais pas du point de vue de la représentation graphique qui tend, de façon générale, à fixer la représentation d’un lexème donné en favorisant la sélection d’un signe au détriment de l’autre, particulièrement à l’initiale du mot. 4.1.4 Hauteur des voyelles non-arrondies Les signes graphiques CV et VC se répartissent pour moitié entre ceux qui spécifient de façon univoque la hauteur des voyelles non arrondies et ceux qui la laissent indéterminée en admettant des lectures indifféremment Ci et Ce, iC et eC. L’indistinction relative de e et de i dans l’écriture du hittite dérive de ce qu’en accadien, /i/ constitue, à toute les époques, et dans tous les dialectes, une unité distinctive, alors que l’accession du son [e] au statut de phonème ne se constate ou ne laisse soupçonner que dans les états évolués de certains dialectes seulement (Huehnergard & Woods 2004 : 232-233, Hasselbach 2005 : 107). Dans les documents accadiens les plus anciens, le timbre [e] est généralement une réalisation contextuelle de /i/, plus rarement de /a/ (von Soden 1991 : § 9h). Dans les emprunts au sumérien, le /e/ du sumérien est généralement restitué par /i/ en accadien : sum. engar « fermier, cultivateur » → accad. ikkaru ; sum. éš-gàr « tâche, corvée » → accad. iškaru ; sum. ensi₂.k « souverain » → accad. išši’akku, etc., filtrage également typique des textes en langue sumérienne copiés en milieu accadien (Jagersma 2010 : 56). La phonologisation de /e/ en accadien, quand elle se produit, dérive d’une coordination tardive entre des liaisons phonétiques suscitant une réalisation [e] et l’évolution des contextes dans lesquels cette réalisation a été suscitée. L’écriture de l’accadien ne s’est que partiellement adaptée à une dynamique variable selon les dialectes, si bien que l’expression graphique du contraste [e] : [i] dépend plus du contexte phonologique ou morphologique dans lequel les signes incluant une voyelle non arrondie sont utilisés que des signes 10  Dans une perspective d’évolution, on est, d’autre part, amené à multiplier des « règles » ad hoc qui, à l’encontre de toute naturalité acoustique ou articulatoire, seraient censées justifier comment *o n’évolue pas toujours vers a (pour la seule position interconsonantique Kloekhorst 2008 : 58-59, postule neuf règles différentes).

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Les segments et leurs représentations

eux-mêmes. L’exportation de signes à lecture vocalique indifférenciée dans l’écriture d’une langue comme le hittite, où /i/ et /e/ sont des phonèmes, est, fatalement, génératrice d’ambigüités puisque les indices contextuels susceptibles de lever l’équivoque en accadien ne sont pas transposables en hittite. D’un point de vue historique et culturel, la présence, dans le répertoire cunéiforme du hittite, d’une classe de signes pouvant être lus et, plus encore, utilisés dans des vocalismes différents constitue un des indices les plus clairs de ce que la représentation graphique des mots hittites est fondée sur une pratique spécifiquement accadienne de la coordination entre phonétique et graphie (voir d’autres indices dans Patri 2009b). Parallèlement aux problèmes d’interprétation suscitée par les signes de ce type, il existe une tendance à la confusion des réalisations des voyelles /e/ et /i/ (§§ 4.1.6, 8.11). Ce phénomène se situe sur un autre plan que le précédent, même s’il est bien évident que le cumul des deux phénomènes rend difficile, quand ce n’est pas impossible, l’appréciation du timbre e ou i dans certains mots. (1) Signes à lecture alternative. – L’effectif des signes à lecture alternative i ou e comprend 17 unités, pour la plupart, de type CV : (4) signes CV et VC à lecture alternative E ou i [n o du HZL] e/iC

Ce/i

eb, ep, ib, ip 44

pè, pì 13 pé, pí, bé, bi 153

ed, et, id, it 215

de, di 312

eg, ek, eq, ig, ik, iq 67 ez, iz 178 em, im 337 er, ir 77

sé, sí 86 ze, zi 33

ke, ki 313 ge, gi 30 he, hi 335

né, ni 72 le, li 343 re, ri 32

(2) Signes univoques. – La classe des signes univoques compte également 17 signes, majoritairement de type CV, dont la lecture, en hittite, jusqu’à preuve du contraire, correspond soit à i, soit à e, bien qu’ils puissent admettre, dans

130

Chapitre 4

certains dialectes accadiens, quoique rarement, une lecture dans le timbre alternatif (valeur entre crochets)11 : (5) signes VC et CV univoques distinguant E de i [n o du HZL] eC

es [ìs] 331 el [il₅] 307 en [in₄] 40

Ce te [ti] 249 hé [hí] 113 se 338 zé [zí] 108 me [mi] 357 ne [ni₅] 169

iC

Ci ti 37

is [es₁₅] 151

si [se₂₀] 288

il [él] 117

li₁₂ 286 mi [mé] 267

in [en₆] 354

wi₅ 131

Ce tableau diffère de celui de Melchert (1984a : 83) sur quelques points : – le signes li₁₂ n’est pas attesté dans une lecture *[le] (comp. hulhuliya- « lutte, combat » → loc. hu-ul-hu-li₁₂-ya et hu-ul-lu-li-ya) ; – le signe wi₅ ne semble pas être attesté dans un vocalisme *[we], du moins pas démontrablement : palweske- « clamer, crier » → 3pl. pal-wi₅-is-kán-zi KUB 11.25 iii 22 (VH/nh) répond à pal-ú-es[-kán-zi] KBo 20.13 Vo 17 (VH) aussi bien qu’à pal-ú-i-is-kán-zi KUB 11.17 iii 4 (VH/nh) ; – Melchert reconnaît comme des univoques à timbre /i/ les signes hi (HZL 335), ni [né] (HZL 72) et zi (HZL 33), classés comme équivoques chez Hoffner & Melchert (2008 : 19) à la suite de Rüster & Neu (1989). La question du contraste entre les signes te (HZL 249) et ti (HZL 37) peut éventuellement être mise en cause (voir Melchert 1984a : 136-137). Sur la question des signes es/ìs, et mi/mé dans les graphies « brisées », voir § 4.1.7. (3) Signes CVC. – Les signes CVC avec voyelle non arrondie, sont majoritaire­ ment des signes à vocalisme équivoque. Une lecture univoque de timbre i va souvent de pair avec une lecture dans une armature consonantique différente. Les signes mes et mis sont le seuls à former un couple différencié par le timbre.

11  Dans les textes hourrites copiés en milieu hittite, il existe des signes spécialisés pour /e/, mais pas de signes spécialisés pour /i/ ; voir Giorgieri & Wilhelm 1995.

Les segments et leurs représentations

131

(6) vocalisme non arrondi des signes CVC [n o du HZL] e

i

e ou i

píd, pít 13 píl, bíl 172 dim, tim 14

pis, bis, pes, bes 244 pir, per 316 tén, tín 330 dis, tis, des, dis 356 tir, ter 344 kis, kes 273 kir, ker 244 kib, kip, keb, kip 260 sir, ser 5 lig, lik, liq, leg, lek, leq 51 lis, les 286

sìp, sìb 175 ris 192 mes 360

mis 112

nir, ner 204

La lecture des signes dir (HZL 89) et kit₉ (HZL 173) reste peu assurée. (4) Sélectivité des signes. – Pour une même consonne C, Les signes à lecture alternative Ce/i ou e/iC ne sont opposables à des signes univoques Ce, Ci ou eC, iC que dans un nombre limité de configurations : – derrière consonne, les voyelles i et e ne sont distinguées que dans les combinaisons CV où C = t, s, m (l’accadien ajoute b) ; – devant consonne, les voyelles i et e ne sont distinguées que dans les combinaisons VC où C = s, l (l’accadien ajoute n) ; L’unique consonne au voisinage de laquelle il y a toujours moyen de distinguer /e/ de /i/ dans la graphie est donc, en hittite, la fricative /s/ (l’emploi du signe équivoque sé/í est, au demeurant, peu fréquent face à se ou à si). Il apparaît donc que du moment où le scribe doit écrire une syllabe /CV/ ou /VC/ incluant /e/ ou /i/, ses possibilités de choix sont, en réalité, limités, voire inexistantes. La représentation indistincte de /e/ et de /i/ est beaucoup plus souvent imposée par l’utilisation du code d’écriture lui-même, que de l’attitude des scribes utilisant ces signes. 4.1.5 Réalisations de /e/ (1) Hauteur. – La possibilité même d’interactions phonétiques entre les voyelles e et i (§ 8.11.2) suggère que e se situe à un degré de hauteur plus élevé que de /ɛ/, ce qui l’identifie avec /e/.

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Chapitre 4

(2) Diphthongaison. – De même qu’une séquence constituée de deux phonèmes /ej/ peut être représentée par le signe e seulement, le signe e peut représenter une séquence phonétiquement [ej] : (a) La voyelle e peut représenter une séquences /ej/ dont les constituants peuvent être homosyllabiques comme hétérosyllabiques : La flexion du nom udne- « pays » est fondée sur une alternance {uTnej- : uTni-} dont le degré plein certifie une semi-voyelle en position finale au cas direct {uTnéj-∅} → [u.Tnḗj] ; la graphie de cette forme, étant régulièrement ut-ne-e (VH), l’absence de représentation explicite de la semi-voyelle suppose que celle-ci fait partie de la réalisation même de /e/, donc qu’elle est [eʲ]12. Le signe e peut représenter la variante ⸗ya de la conjonction de coordination clitique quand celle-ci prend comme hôte le pronom clitique 3sg. dat. ⸗se. Dans les textes vieux-hittites du Code, cette combinaison est plus souvent écrite ⸗se⸗a que ⸗se⸗ya (voir § 9.10.3), ce qui suggère que dans ⸗se⸗a l’écriture de la semi-voyelle en attaque de /a/ serait redondante avec la semi-voyelle [eʲ] supposée par la réalisation de /e/. Une même observation vaut au sujet de l’opérateur de négation {lé} dont la mise en relation avec le pronom enclitique nom. {⸗as}, met occasionnellement en évidence l’apparition d’une semi-voyelle : comp. le-e-ya-as-kán wēhtari « qu’il ne s’éloigne pas » KUB 13.4 iii 20 (NH), face à le-e-as-ma-as-kán uwaittari, même tablette, ii 64. (b) Dans les séquences de mots clitiques aboutissant à créer un hiatus …V₁⸗V₂… l’effacement de V₁ par V₂ est régulier (§ 9.14), sauf si V₁ est écrite sous un timbre e, si bien que les enclitiques pronominaux ⸗se et ⸗e ne tombent jamais sous le coup de la règle : comparer {nu⸗mu⸗asTa} → nu-ma-as-ta KUB 36.75 ii 12 (VH/nh) ; {nu⸗aba} → na-pa KBo 8.74 ii 9 (VH), mais {nu⸗se⸗ an} → nu-us-se-an « (il) met sur lui (le boeuf) un pièce de cuir » KBo 6.2 iv 10 (VH), Code § 78 (dupliqué par nu⸗ssi⸗kan dans KBo 6.3 iv 3). L’apparente exception que représente cette situation s’explique si l’on admet que que, dans ce contexte, /e/ représente deux sons [eʲ], donc que {nu⸗se⸗an} → nu-us-se-an recouvre [nus.se.ʲan] (ci-après) ; (c) Le signe e peut être équivalent à une combinaison de signes e-ya, e-i-V où V représente n’importe quelle voyelle. A l’intérieur du mot, il est fréquent de constater des vacillation des graphies e-ya ~ e-a : eyan- (type d’arbre) → dir. e-ya-an (VH), mais e-a-an (MH/nh) ; imiye/a- « mélanger » → 2sg. prés. im-me-ya-si (NH), im-me-at-ti (NH) ; nē- : 12  Voir Melchert 1984a : 72-73, 1994 : 149-150. – L’hypothèse d’une flexion alternante postulée par Kloekhorst 2008 : 934, est compatible avec les graphies, mais elle a l’inconvénient de reposer sur un schéma apophonique {ē : ∅} dont il n’existe pas d’équivalent. Sur l’étymologie radicale, voir Patri 2005.

Les segments et leurs représentations

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nai- /nej- : naj-/ « tourner » → prét. my. 3sg. ne-e-ya KUB 8.81 ii 7 (MH), ne-i-ya KBo 4.9 ii 10 (VH ?/nh), mais ne-a KUB 37.223 C 2 (VH), ne-e-a KBo 17.43 i 12 (VH/mh) ; participe ne-e-ya-an-za KBo 20.82 ii 19 (VH/nh), mais ne-e-an-za KBo 17.15 Ro 11 (VH) ; pitteyant- « fugittif » → nom. pít-te-ya-an-za KUB 23.77 : 52, 54 (MH), pít-te-an-za KUB 8.81 ii 11 (MH), pít-ti-an-za KBo 18.14 g. 2 (MH) ; udne- « pays » /uTnej- : uTni-/→ gén. {udnej-as} ut-ne-ya-as KBo 3.21 ii 4 (VH/nh), mais KUR-e-as KUB 36.89 Vo 49 (NH) ; abl. {uTnej-aʧ} KUR-e-ya-az KUB 41.20 Ro 5 (NH), mais KUR-e-az KUB 29.1 i 40 (VH/nh) ; ze- « cuire » → zé-e-ya-ri KBo 8.91 i 6 (MH), mais zé-e-a-ri KUB 53.11 ii 6 (MH), etc. Le plus souvent, les témoignages d’une représentation vacillante de [j] derrière e s’observent devant a, mais d’autres témoignages, moins fréquents, devant e et u, certifient que l’on n’est pas en présence d’un son émergeant : peye-, peya- « envoyer » → 3sg. pé-e-ez-zi KBo 16.24 ii 2 (MH) face à pé-i-e-ez-zi KUB 36.106 Ro 5 (VH) (et à pé-e-ya-zi KUB 13.9 iii 5 (MH/nh) ; heu- « pluie » → acc. hé-ú-un KBo 10.25 ii 3 (VH/nh), face à hé-i-ú-un KBo 3.7 ii 25 (VH/nh). (d) la voyelle [a] peut être représentée par le signe e, mais seulement derrière [j] (ci-dessous, § 4.18) ; or, dans la flexion de heu-/heaw- « pluie », la forme acc. pl. {Héaw-us} connaît une graphie hé-ya-mu-us KBo 34.110 Ro 9 (VH/nh) alternant librement avec he-e-a-mu-us KUB 33.9 iii 10 (VH/nh). (e) Enfin, la combinaison des signes *…-e-i # est strictement proscrite en fin de mot alors que les combinaisons … a-i #, … u-i #, … ú-i # sont banales pour représenter [Vj] / [Vi] (ou [wi])13. L’unique exception est le cas isolé que constitue le mot ku-le-e-i « friche, terrain vacant » KBo 6.2 ii 47 (VH, Code, § 46), forme dont on ignore si elle est un mot hittite et si elle est fléchie (Oettinger 1995, estime qu’elle serait un collectif). En admettant que, dans ce contexte, /e/ ne représente pas une voyelle [e], mais [eʲ], la prohibition de *…-e-i # ne fait que traduire l'aptitude de e à restituer [eʲ]. La question a priori posée par ces témoignages est de discerner si on est en présence d’une réalisation affaiblie de /j/ en contexte /e__V/, traitement dont il existe bien des exemples à travers les langues où il se justifie généralement d’après la relative redondance entre le niveau de constriction de [j] et celui de [e], cumulée avec la localisation proche de [e] et de [j] (Recasens 2014), ou bien, au contraire, d’un son [j] dont l’émergence serait prédite par le contexte, en justifiant que sa représentation graphique soit optionnelle, du fait même de la redondance qu’elle représente. 13  Les graphies  … i-i #, … u-i #, … ú-i # sont également documentées en fin de mot, mais il est a priori impossible de discerner si la première restitue la durée longue de [ī], plutôt qu’une combinaison [ij] (§ 4.14.5), tandis que les autres semblent indiquer plus souvent [wi] que [uj].

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Chapitre 4

Les situations dans lesquelles /j/ est une unité distinctive peuvent a priori admettre les deux explications, mais les témoignages de variation e-yV, e-i-V ~ e-V dans des contextes où [j] n’a pas le statut de phonème et où son apparition sporadique ne peut être imputée à la nécessité de compenser un hiatus [V₁V₂] orientent vers la seconde approche : heu- / heaw- « pluie » → acc. {Hé-un} → [Hḗ(j)un] hé-e-un ABoT 5 ii 12 (VH) et hé-i-ú-un KBo 3.7 ii 25 (VH/nh) ; nom. pl. {Héaw-es} → [Hḗ(j)awes] hé-e-a-u-e-es KUB 29.3. i 8 (VH) et hé-e-ya-u-e-s⸗ KBo 8.74 ii 12 (VH) ; meu- / meaw- « relatif à ‘quatre’, quatre ? » → nom. pl. {méaw-as} → [mḗ(j)awas] mi-e-wa-as ABoT 44 i 54 (VH/nh), et mi-e-ya-wa-as, même tablette i 55 (VH ?/nh). La vacillation dont fait preuve {Héu-n} → [He.(j)un] hé-ú-un (VH/nh), face à hé-i-ú-un (VH/nh) est parallèle à celle que met en évidence, en vieux hittite authentique, nom. pl. {Héaw-es} → hée-a-u-e-es :: hé-e-ya-u-e-s, en certifiant, d’une part, l’ancienneté du mécanisme, de l’autre, son caractère non analogique14. Considérant que [e] devant voyelle ou en fin de mot met en évidence, de façon implicite ou explicite, la présence d’un [j], l’interprétation qui semble la plus simple est que l’approximante représente une propriété de la voyelle /e/, laquelle a une réalisation [eʲ] dans les contextes considérés15. On admet donc que la réalisation de /e/ devant V étant [eʲ], d’où {nu⸗se⸗an} → nu-us-se-an (**nussan), nom. pl. {Héaw-es} → hé-e-a-u-e-es et hé-e-ya-u-e-s, le signe stipulant cette voyelle est également à même de représenter les séquences /ej/, d’où {uTnéj-∅} → ut-ne-e. La graphie ne-e-ya KUB 8.81 ii 7 (MH) ne fait qu’expliciter la réalisation laissée implicite dans ne-e-a KBo 17.43 i 12 (VH ou MH), de la même façon que ne-e-a explicite la durée longue de la voyelle inexprimée dans ne-a KUB 37.223 C 2 (VH)16. 14  Contrairement à Melchert 1984a : 47, 164-165, qui ne prend pas en considération ces données. Dans une perspective d’évolution, Melchert 1984a : 31sq., 45sq., postule, dans la préhistoire du hittite, une élimination de *j intervocalique suivie de sa restauration dans le même contexte. 15  Un temps durant, Melchert (1984a : 102-103, 112-113, 1994 : 56), a soutenu que la graphie e recouvrait deux phonèmes distincts issus de *ē, d’une part, de *ey, de l’autre (conception récusée, par la suite, dans Melchert 2015). En dépit d’observations menées sur des bases très différentes, les conclusions ici exposées aboutissent, sur le principe, à une conclusion proche, à ceci près qu’on tient [e] et [eʲ] comme des réalisation d’un même phonème /e/ et que l’hypothèse d’un timbre [eʲ] plus haut que [e] est incompatible avec le fait que le degré immédiatement supérieur à [e] est [ɪ]. 16  Pour des vues différentes, voir Melchert 1984a : 47-48, selon qui un [j] intervocalique est régulièrement représenté dans l’écriture, sauf quand il correspond à l’insertion d’une approximante où à l’évolution analogique des morphèmes. Mais ce point de vue est contestable comme le montrent, outre la variation hé-e-a-u-e-es : hé-e-ya-u-e-s (VH dans les deux cas), des témoignages comme e-ya-an KBo 6.2 ii 62 (VH), IBoT 2.121 Vo 10 (VH) en regard de e-an plus tardif ; ze- « cuire » → 3sg. prés. my. ze-e-ya KBo 17.36+ ii 20 (VH), participe nom. pl. ze-e-an-te-es KBo 17.6 iii 13 (VH). L’absence de représentation explicite

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Les témoignages mettant en évidence une réalisation /e/ → [eʲ] se constatent en fin de mot ou devant une autre voyelle, autrement dit, en syllabe ouverte (sur l’équivalence de comportement entre les syllabes ouvertes /CV/ et les syllabes à coda /j/, voir § 6.3.3). Sous cette considération, les réalisations de /e/ sont conditionnées par l’organisation de la rime : (7) réalisations de /e/ /e/ → [eʲ] / (C)__.(V, #) → [e] / ∞ On ne retient pas l’approche qui consisterait à estimer que e serait une diphthongue phonologique /ej/ car, dans cette hypothèse, une réalisation [ej] serait limitée au seul contexte des syllabes ouvertes. (3) La question du e répliqué. – Kloekhorst (2012, et 2014 : 138-161) considère qu’à l’intérieur du mot, la réplication d’un e dans des contextes … u/ú-e-eC et … i-e-eC ne restitue pas une durée longue [ē], mais des séquences [we] et [je], avec voyelle brève, situation qu’il justifie d’après l’absence de signes *we ou *je en regard des signes wa et ja. Dans cette perspective, te-/tar- « dire » → 3sg. tee-ez-zi [Tḗt.ʧi], mais kuer- « couper » → 3sg. ku-e-er-zi [Kʷér.ʧi]. Cette conception est contestable pour diverses raisons, à commencer par le fait que rien ne peut expliquer pourquoi les scribes utiliseraient la réplication de signes vocaliques -e-eC pour représenter des voyelles brèves [eC] alors que, dans le contexte en cause, l’absence de durée est normalement indiquée par des voyelles non répliquées -eC, selon le modèle reflété par ukturi« éternel » → nom. pl. uk-tu-u-ri-es KBo 30.33 iii 2, 6, 7, (etc.) ? On ne peut également comprendre pourquoi une graphie censée restituer une lecture spécifique de la durée brève et du timbre e pourrait librement alterner avec d’autres graphies censées restituer le même caractère, comme le montre hapi(ya)- (fonctionnaire du culte) → nom. pl. ha-a-pí-e-es KUB 60.41 ii 9 (VH) et ha-a-pí-es KBo 20.26 + 25.34 Ro 18 (VH). Rien ne saurait en outre, justifier que seul le timbre [e], suscite un tel traitement ; il n’existe pas de signe *ji, *ju ou *wu, ce qui ne signifie pas que les graphies occasionnellement -hu-u-un de la désinence 1sg. prét. {-xun} reflète autre chose qu’un allongement [xūn] face à la graphie plus fréquente -hu-un [xun], tout comme rien n’indique que la forme nink- « satisfaire sa soif » → 2sg.imp. ni-i-ik (VH) traduise autre chose qu’un allongement occasionnel face à ni-ik (VH/nh). Autant rien ne s’oppose à reconnaître que les graphies … u-V …, … i-V … puissent restituer [wV], [jV] (§ 4.14), autant il ne va nullement de soi que des d’un [j] intervocalique paraît plus fréquente dans les textes anciens que dans les strates ultérieures.

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Chapitre 4

graphies … a-e-eC … doivent refléter des semi-voyelles devant [e]. Plus précisément, Kloekhorst néglige que l’élimination de /j/ est de règle au degré plein des flexions reposant sur une alternance {… Ci- : … Caj-} : talugai- « long » → nom. pl. ta-lu-ga-e-es (VH), acc. pl. ta-lu-ga-ú-us (VH) (voir en détail § 8.16.2), si bien qu’en l’espèce, il est certain que la graphie … a-e-eC ne reflète pas [je], mais, au contraire, un effacement de la semi-voyelle. Comme il n’y a pas de raison de supposer qu’une voyelle phonétiquement non arrondie telle que /a/ (§ 4.1.9) pourrait générer un appendice [w], rien ne justifie de considérer que la graphie du nominatif pluriel -e-es traduirait, derrière a, autre chose qu’une voyelle allongée, donc que la même graphie ailleurs que derrière a indiquerait quelque chose de différent (voir Kimball 2015 : 24-25, pour d'autres critiques). Il n’y a donc pas lieu d’interpréter les graphies de type halki- (espèce de céréale) → nom. pl. hal-ki-e-es (MH), hatku-/hatgau- « serré, contraint » → nom. pl. haat-ga-u-e-es (VH/nh) ou bien kuer- « couper » → 3sg. ku-e-er-zi autrement que comme [Hal.Ki.(j)ḗs], [HaT.Ka.wḗs], [Kʷḗr.ʧi]. 4.1.6 La distinction /i/-/e/ Melchert (1984a) a montré que la distinction de /e/ et de /i/ était fondée sur des graphies globalement stables dans les textes des périodes ancienne et moyenne. Le caractère distinctif de ces timbres dérive de paires telles que : – pronom délocutif dat.-loc. 3sg. ⸗se / déterminant possessif dat.-loc 3sg. ⸗si ; – ed- « manger » → imp. 2sg. e-et / i- « aller » → imp. 2sg. i-it Des fluctuations comme tuh-uh-e-sar KBo 25.36 iii 3 (VH), face à tuh-uh-isar « fumigation » KBo 17.15 Ro 17 (VH) ; te-es-su-mi-us KBo 17.1+ ii 35 (VH), face à ti-is-sum-mi-us « coupe » KBo 17.3+ ii 16 (acc. pl.) (VH), wars- « récolter, faucher » → 3sg. wa-ar-as-se KUB 29.30 iii 4 (VH), face à wa-ar-as-si, même tablette iii 8, se laissent toutefois constater dès la période la plus ancienne. Après le moyen hittite, les témoignages de confusions entre e et i dans l’écriture de certains mots tendent à s’accroître avant de se multiplier dans la strate la plus tardive (voir, en détail, § 8.11.2). Il n’existe pas, à ce sujet, d’étude quantitative permettant d’apprécier si l’on est véritablement en présence d’une évolution du phonétisme ou d’une évolution des conditions de l’observation. Il est en revanche certain, qu’à toutes les périodes, l’écriture de certains mots fait fluctuer e et i, alors que celle d’autres mots est absolument stable : es- « être » → 3sg. e-es-zi ; eku-/aku- « boire » → 3sg. e-ku-zi, e-uk-zi ; tekan-/takn- « terre » → dir. te-(e-)kán ; idalu- « mauvais » → i-da(-a)-lu ; na-a-ú-i « pas encore », etc. (voir Eichner 1980 : 141, pour d’autres exemples). Quoi qu’il en soit, la multiplication des témoignages équivoques ou discordants par rapport aux états antérieurs observable, de façon significative ou statistiquement déterminée, en hittite tardif a conduit certains spécialistes à

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estimer que la distinction /e/-/i/ se serait partiellement ou totalement neutralisée au cours de l’évolution. D’autres spécialistes estiment au contraire que la distinction phonologique des deux voyelles a été préservée tout au long de l’histoire du hittite et que les exemples de fluctuation ou d’instabilité résultent de réalisations localement conditionnées par le contexte (voir le récapitulatif des discussions chez Kimball 1999 : 68-78). Cette dernière attitude, suivie dans les dictionnaires de Tischler (2001) et de Kloekhorst (2008), s’impose, au plan linguistique, mais elle ne révoque pas, au plan pratique, celle des rédacteurs du CHD et du HW² qui ne différencient pas i de e dans l’alphabétisation des lemmes, au motif – justifié – que la hauteur d’une voyelle non arrondie demeure indiscernable dans beaucoup de mots. 4.1.7 Lectures /i/ et /e/ (1) Interprétations directes. – La lecture [e] ou [i] d’une voyelle non arrondie est sûre dans deux situations : – quand le noyau d’une syllabe est représenté par au moins un des signes univoques CV ou VC du tableau 5, éventuellement au voisinage d’un signe CV ou CV, quel que soit le statut de ce dernier : la graphie se-E/Ir « au-dessus » (VH) garantit une lecture /ser/ car, bien que le vocalisme du signe E/Ir soit équivoque, celui du signe se ne l’est pas ; – quand le noyau d’une syllabe est représenté par le signe i ou par le signe e, éventuellement au voisinage d’un signe CV ou CV, quel que soit le statut de ce dernier : e-E/Ir-ma-an « maladie » KBo 17.1 iv 2 (VH), pÉ/Í-e-ra-an « audessus » KUB 29.30 ii 3 (VH), restituent respectivement ērman, pēran, etc. Il n’est pas rare que l’écriture d’un mot fassent usage de signes tantôt univoques, tantôt équivoque, comme, dans les exemples que l’on vient de citer, E/Ir-maa(n)⸗ « maladie » KBo 17.3 i 7 (VH) ou pÉ/Í-ra-an KBo 7.14 Ro 2, 9 (VH). Face à ce genre de graphies, certains spécialistes comme les rédacteurs du HW² ou Puhvel, HED, transcrivent tout signe équivoque in situ en lui attribuant, par défaut, un vocalisme « i » (en l’expèce : ir-ma-a(n), pí-ra-an), alors que d’autres, comme les rédacteurs du CHD, apprécient les témoignages équivoques en fonction des témoignages univoques accessibles (en l’espèce : er-ma-a(n)). Les deux attitudes ont des avantages et des inconvénients : dans le premier cas, une confusion peut facilement s’installer entre le « i » purement conventionnel utilisé pour transcrire ir-ma-a(n) et la voyelle [i], tandis que dans le second, on préjuge que la hauteur de la voyelle de E/Ir-ma-a(n)⸗ dans le contexte particulier où cette graphie est rencontrée, est la même que celle dont témoigne un variante explicite dans un autre contexte, ce qui correspond à une présomption, mais non à une certitude, les réalisation des voyelles /e/ et /i/ étant précisément sujettes à neutralisation (§ 8.11.2). En toute rigueur, il conviendrait

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de signaler explicitement, dans la transcription, le vocalisme équivoque des signes concernés (comme on le fait ici avec « E/I »), mais l’usage s’est installé de généraliser une lecture donnée. (2) Graphies « brisées ». – Certaines graphies utilisant des signes univoques peuvent entrer en relation dans des configurations CV-VC sans s’accorder sur le timbre de la voyelle : ases- « asseoir » → 2sg. imp./opt. my a-se-es-hu-ut KBo 22.6 iv 24 (VH/nh), mais a-se-is-hu-ut KBo 12. 1 iv 6 (VH/nh) ; hamesha« printemps-été » → gén. ha-me-es-ha-as KUB 12.2 ii 10 (/nh), mais ha-meis-ha-as KUB 38.32 Vo 21 (NH), et ha-mi-es-ha-as KBo 13.231 Vo 2 (/nh) ; hulle- « battre, vaincre » → 1pl. prét. hu-ul-lu-um-me-[en] KBo 3.15 : 6 (NH), mais hu-ul-lu-mi-en KUB 23.21 Ro 29 (MH/nh) ; ses- « dormir » → 3sg. prés. se-es-zi, se-e-es-zi KBo 19.128 vi 29 (VH/nh), mais se-is-zi KUB 9.34 iii 9 (NH), etc. Certains mots sont systématiquement représentés dans une vocalisation discordante comme le possessif clitique 1sg. nom. -mi-es KUB 36.35 i 15 (NH), -me-is KBo 13.2 Ro 6, 13 (NH). On tient naturellement à part de ce problème les situations où une séquence i-e … correspond à une frontière syllabique, soit parce que i et e représentent les noyaux syllabiques de syllabes adjacentes (ainsi dans pietta- « parcelle » → dir. pl. pí-i-e-et-ta KUB 30.29 i 9), soit parce que i peut représenter une semi-voyelle [j], comme dans es- « être » → 3 sg. e-es-zi (le plus souvent), mais i-es-zi dans ku-is-ki i-es-zi KUB 34.115 iii 5 (VH) où une réalisation (conditionnée par kuiski ?) [je.ʧi] semble évidente ; de même peye- « envoyer » → 3pl. pé-i-e-er KBo 16.45 Ro 9 (VH?). Les graphies de ce type, dites « brisées », sont parfois considérées comme une indication de ce que les signes is, mi, que l’on estime être univoques sont, en réalité, équivoques (on aurait donc hu-ul-lu-mE/I-en, donc hu-ul-lu-mé-en, -mi-E/Is, donc -mi-ìs et -mE/I-is, donc -mì-is, etc). Cette approche n’est pas invraisemblable, mais elle demeure difficile car les témoignages de graphies brisées sont principalement attestés dans des textes ou des copies tardives, en indiquant un développement dont la cause (si elle existe) est peu claire. Par ailleurs, les variations systématiquement contradictoires que l’on constate avec avec ha-me-is-ha-as : ha-mi-es-ha-as semblent difficilement imputables au hasard, particulièrement dans le cas du possessif clitique qui n’est jamais écrit *-mi-is, *-me-es17. Deux attitudes sont possibles : soit on reconnaît que les signes en cause sont équivoques, donc, que es = ìs (HZL 331), mi = mé (HZL 267), auquel cas, il n’y a simplement plus de graphies brisées ; soit on considère que es et mi sont bien des signes univoques, auquel cas les graphies brisées doivent 17  Hoffner & Melchert (2008 : 29) ne prennent pas parti et se se limitent à apprécier les graphies brisées comme une variante des situations où un seul des signes fournir la lecture corroborée par d’autres variantes, en conséquence de quoi, hu-ul-lu-mi-en se transcrit hullumen sur la base de la représentation attendue du morphème {-wen}.

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être tenues comme des témoignages d’une neutralisation de la distinction /e//i/ (§ 8.11.2). Aucune de ces approches ne semble ni démontrable, ni réfutable. (3) Interprétations indirectes. – La hauteur [e] ou [i] d’une voyelle non arrondies peut être indiscernable d’après la graphie, mais déduite d’autres observations. La forme du nom « coeur » est est attestée, au cas direct, par des graphies systématiquement équivoques : kE/I-E/Ir et gE/I-E/Ir ; il ne saurait, au demeurant, en être autrement, car aucun signe CV à /K/ initial et aucun signe VC à /r/ final ne distingue /e/ de /i/. L’équivoque pourrait être levée par une graphie à voyelle répliquée *CV-V-VC qui, précisément, n’est pas attestée. La flexion de ce lexème étant fondée sur une alternance {KVr- : KarT-}, la régulation des rapports apophoniques suggère une lecture /e/, estimation appuyée, dans la comparaison indo-européenne, par le témoignage de gr. kē̃r. La transcription de kE/I-E/Ir, par ker plutôt que par kir n’est donc pas complètement arbitraire, mais elle est fondée sur des critères distincts de ceux en fonction desquels on apprécie normalement la relation entre une graphie et la phonétique. (4) Graphies ininterprétables. – Dans tous les autres cas, la hauteur des voyelles non arrondies est indiscernable. La question se pose particulièrement quand un signe Ci/e est suivi du signe Vh : la hauteur de la voyelle de ishai« lier » → 1sg. prét. is-hE/I-Vh-hu-un KBo 5.8 ii 3 (NH) est, a priori, impossible à déduire de la graphie, même si les formes alternantes du thème restituent, en principe, /i/. Les graphies de type -i-Vh- ou -e-Vh-, comme dans weh- « (se) tourner » → 3sg. prés. my. ú-e-Vh-ta-ri KUB 13.4 iii 20 (VH/nh) semblent, curieusement, très rares, alors que les graphies -u-Vh- et -a-Vh- sont banales. Dans d’autres cas, une éventuelle tendance au remplacement d’un signe par un autre dans la graphie d’un mot peut correspondre à un changement de pratique sans nécessairement restituer un changement phonétique. La désinence 1sg. présent écrite, le plus souvent, au moyen du signe hé (HZL 113) en vieux hittite (mema « parler » → me-e-ma-ah-hé KBo 17.4 ii 4, VH) peut aussi être restituée par le signe hI/E (HZL 335) : me-e-ma-ah-hI/E KUB 35.164 ii 7 (VH)18. Dans les textes tardifs, le morphème est écrit -hhI/E et non plus -hhé. Sur cette base, certains spécialistes, estiment qu’on serait en présence soit d’un changement du timbre de la voyelle, soit d’une réfection analogique -hhe → -hhi harmonisée avec la flexion en -mi (ainsi Jasanoff 2003 : 6, Kloekhorst 2008 : 341, Hoffner & Melchert 2008 : 29). Mais cette appréciation est arbitraire : du moment où l’on admet, d’une part, que le timbre vocalique de HZL 335 est équivoque, donc qu’elle peut être e aussi bien que i (Kloekhorst 2008 : 33, Hoffner & Melchert 2008 : 19), d’autre part, que le signe hé est, pratiquement, éliminé de l’usage dès la strate moyenne (il ne sert plus qu’à écrire des noms propres), l’utilisation 18  Voir Otten & Souček 1969 : 76-77, pour d’autres exemples.

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Chapitre 4

de hI/E plutôt que de hé en néo-hittite ne préjuge en rien d’un changement de timbre de la voyelle. La graphie mNu-úr-da-ah-hi KBo 22.6 i 22 (VH ?/nh) du nom du souverain Nur-Dagan respose sur une confusion du signe gan avec hé, laquel a été ultérieurement remplacé par hI/E (Groddek 2002 : 274), sans que ce changement, dépourvu de toute motivation phonétique, traduise autre chose que le remplacement d’un signe sorti de l’usage par un autre. En définitive, rien ne certifie que le timbre du morphème -hhe soit resté stable au cours du développement du hittite, mais rien n’assure qu’il ait changé. (5) Variations continues. – L’écriture de certains mots fréquents, met en évidence une fluctuation de e et de i instable au point qu’on ne peut discerner une lecture prévalente. C’est le cas, par exemple, du nom ke/issar- « main » dont la graphie reflète, à presque tous les cas, une instabilité permanente de la voyelle radicale kE/I-is- :: kE/I-es-, en conséquence de quoi l’identification du thème devient, pratiquement, impossible : {Kesr-} ? {Kisr-} ? {Kisr- : Kesr-} ? 4.1.8 La distinction /e/-/a/ Derrière /j/ la distinction entre /e/ et /a/ tend à se neutraliser : le signe e peut être utilisé pour représenter une syllabe [ja], tandis que le signe a peut être utilisé pour représenter /e/ derrière /j/. (1) Représentation de /a/ par e derrière /j/. – Le signe e peut être occasionnellement utilisé pour représenter une syllabe [ja], quelle que soit sa position dans le mot (voir HW² I : 43b, Melchert 1994 : 35). La représentation de [ja] au moyen du signe e s’observe à l’intérieur des morphèmes aussi bien qu’en frontière de morphèmes ou de clitiques. Par suite, le signe e peut alterner librement avec le signe ya, mais aussi avec une combinaison de signes telle que i-a [j+a] : (8) représentation de [ja] par -eaniye/a1sg. prés. a-ni-ya-mi « travailler » ars- « s’écouler » 3sg. prés. ar-si-ya-az-zi KUB 29.9 i 11 (VH/nh) hali- « enclos » hulaliya« entourer » harn- « verser » memiya- « parole »

a-ni-e-mi (VH)

ar-si-e-ez-zi KUB 17.10 iii 26 (VH/mh) dat.-loc. pl. ha-a-li-ya-as ha-a-li-e-as KBo 17.32 Ro 6 (MH?) KBo 6.2 iii 48 (VH) 1sg. prés. hu-la-a-li-ya-mi hu-la-a-li-e-mi KBo 17.6+ iii 14 (VH) KBo 17.3+ iv 23 (VH) 3sg. prés. har-ni-ya-zi har-ni-e-ez-zi KBo 10.45 ii 15 (MH/nh) VBoT 58 iv 24 (VH/nh) dat.-loc. me-mi-ya-ni me-mi-e-ni KBo 5.6 iii 17 (NH) KBo 10.2 ii 8 (VH/nh)

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Les segments et leurs représentations

pariyan « en face » ⸗ya (conjonction)

pa-ri-ya-an

pa-ri-e-an (MH)

*su-up-pa-ya

zeya- « cuire »

3sg. prés. my. zé-ya-ri

su-up-pa-e-a KBo 20.24 iii 9 (VH) [z]é-i-e-ri (NH)

Le témoignage de sallai- « être grand » → 3pl. prés. my. sa-li-e-a-an-da KBo 47.81 Ro 5 (MH) est important en ce qu’il montre que le signe e peut être utilisé pour représenter une réalisation longue de la voyelle : [sa.li.jāN.Ta]. (2) Représentation de /e/ par a derrière /j/. – La voyelle /e/ peut occasionnellement être représentée par a quand elle est noyau d’une syllabe attaquée par /j/ (Kimball 1999 : 173-175, et bibl.). Sporadiquement constaté en vieux hittite, ce changement semble gagner en fréquence dans les strates plus tardives, sans qu’on discerne clairement si cet accroissement est véritablement significatif ou s’il résulte d’une augmentation de la masse documentaire. (9) abaissement de /e/ tiye- « se placer » taye- « voler » peye- « envoyer » pessiye- « jetter » wemiya- « chercher » sapasiya- « explorer » haniya- « puiser »

3sg. ti-e-ez-zi (VH) 3sg. da-i-e-ez-zi (VH) 3sg. pé-i-e-ez-zi (VH) 1sg. pé-e s-si-e-mi (VH) 3pl. prét. ú-e-mi-i-e-er 3sg. ú-e-mi-ez-zi (VH) ha-ni-e-er (NH)

ti-ya-zi (NH) da-a-ya-az-zi (MH) pé-e-ya-zi (MH/nh) pé-es-si-ya-mi (VH) ú-e-mi-ya-ar ú-e-mi-ya-az-zi (MH) sa-pa-si-ya-ar HKM 6 Vo 7 (MH) ha-a-ni-ya-ar Bo 6472 : 12 (s.d.)

L’insertion secondaire de -i- que l’on constate à certains cas de la flexion nominale sous influence louvite (§ 8.17.5) fait que dans les copies parallèles du Rituel pour le couple royal, l’accusatif pl. de hara(n)- « aigle » fluctue entre ha-a-ra-ni-e-e[s] KUB 41.33 Ro 12 (VH/nh) et ha-ra-ni-ya-as KUB 41.32 Ro 12 (VH/nh). Il paraît envisageable que la variante -as des thèmes en … i- au cas nominatif-accusatif pluriel résulte de la morphologisation d’un processus originellement . Des fluctuations similaires ont été relevées en hatti par Soysal (2004 : 96, § 55 [e pour ya], 117, § 38 [ya pour e]). 4.1.9 La voyelle /a/ De toutes les voyelles, /a/ est la seule qui puisse être associée avec n’importe quelle consonne dans des signes CV, VC ou CVC tout en pouvant être

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symbolisée par un signe affecté à sa représentation individuelle (HZL 364). La voyelle a est, sous cette considération, la seule unité dont la représentation est totalement affranchie de toute contrainte graphique. Au plan phonétique, dans les langues où, comme en hittite, il n’y a qu’une seule voyelle basse, celle-ci est, presque toujours, non arrondie (une seule langue dans UPSID-451 possède une arrondie unique /ɒ/). L’étude de Becker-Kristal (2010 : 106-110) montre que, dans les langues à quatre voyelles phonologiques, la voyelle la plus basse basse tend à avoir une réalisation postériorisée [ɑ], en accord avec le principe de maximisation de l’espace vocalique. Bien que cette situation puisse être considérée comme étant plausiblement celle du hittite, on prend ici le parti de représenter la voyelle conventionnellement transcrite a par le symbole le plus neutre /a/, sans préjuger de ses réalisations phonétiques, éventuellement diversifiées. Au plan phonologique, /a/ est, dans l’espace vocalique du hittite, la seule unité à son niveau de hauteur, ce qui identifie ce phonème comme /+ bas/, sans que nul autre paramètre ne soit nécessaire à son identification. 4.2

Associations de signes incluant des voyelles

4.2.1 La réplication vocalique Il est fréquent que l’écriture d’une voyelle associe de façon redondante des signes CVₓ, ou VₓC avec une voyelle de même timbre Vₓ. La technique consistant à insérer, dans l’écriture, un signe Vₓ dupliquant la voyelle d’un signe adjacent dont le timbre n’a pas besoin de cette insertion pour être identifié est ici désigné sous le terme de réplication19. Selon les époques et les timbres, les graphies répliquées peuvent représenter jusqu’à 22 % des occurrences totales d’une voyelle donnée (voir plus en détails, § 6.5.2). (1) Procédés de réplication. – Les configurations de réplication reposent, sur divers schémas d’écriture dans lesquels un signe -V- est localisé devant un signe VC, derrière un signe CV, parfois devant et derrière, plus rarement au voisinage 19  Dans les études hittites, ce procédé est souvent désigné sous l’appelation de scriptio plena (Pleneschreibung, Plene-Writing). Cette dénomination est empruntée à la description des écritures sémitiques alphabétiques (syriaque, hébreu, copte) où elle se réfère à une représentation explicite des voyelles non écrites par défaut (scriptio defectiva). La transposition de cette terminologie au hittite est inappropriée puisque les signes de l’écriture cunéiforme, incluent, par règle, une voyelle, si bien que les graphies non répliquées ne présentent aucun caractère défectif par rapport aux graphies répliquées, lesquelles ne sont en rien fondées sur la compensation d’une déficience, mais, au contraire, sur une redondance (de façon plus adéquate, Marstrander 1919, parlait de « voyelles intercalées » et Sturtevant de « pleonastic vowels »).

Les segments et leurs représentations

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d’un autre signe -V-. L’insertion de -V- se s’observe avec tous les timbres vocaliques dans n’importe quelle syllabe du mot. La configuration *VC-Vₓ-VₓC ne paraît pas attestée : (10) schémas de réplication CVₓ-Vₓ-CV : halina- « argile (?) » → gén. ha-li-i-na-as (VH) hatuga- « terrifiant » → dir. ha-tu-ú-ga-an KBo 17.6 iii 1 (VH) genu-/ganu- « genou » → dir. ge-e-nu (VH/mh) CVₓ-Vₓ-VC : heu- « pluie » → acc. hé-e-un ABoT 5 ii 12 (VH) -V-Vₓ-VₓC : me(y)u- « quatre » → acc. pl. mi-e-ú-us (VH/nh) siu- « dieu » → nom. si-i-ú-us KUB 35.93+32.117 iii 4 (VH) ais-/is- « bouche » → dir. a-i-is (VH) CV-Vₓ-VₓC : halzai- « crier » → 2sg. prés. hal-za-i-it-t[i] KBo 17.23 Ro 2 (VH) karaitt- « flot » → nom. ka-ra-i-iz (VH) CVₓ-Vₓ-VₓC : kā- démonstratif → gén. sg. ke-e-el (VH) apā- démonstratif → acc. sg. a-pu-ú-un KBo 6.2 ii 32 (VH) has- « ouvrir » → 3sg. prét. ha-a-as-ta KUB 17.10 iv 14 (VH/ mh) nink- « « étancher sa soif » → 2sg. imp. ni-i-ik KUB 43.31 gauche, col. 6 (VH). -Vₓ-Vₓ-VₓC : ā- « être chaud » → 3pl. prés. my. a-a-an-ta VBoT 58 i 24 (VH/nh) ; ans- « frotter » → 3sg.prés. a-a-an-si KUB 30.41 i 14 (VH/ nh) CVₓ-Vₓ-Vₓ : sū- « complet » → dir. su-u-ú KUB 11.19 iv 22 (VH/nh) Les deux derniers schémas, fondés sur une succession de signes Vₓ, et dits parfois « hyper-répliqués » (ainsi Kimball 1999 : 64-66) s’observent presque toujours aux extrémités du mot. Les schéma hyper-répliqués constituent les seules configurations où l’insertion d’un signe Vₓ ne se réfère pas moins aux propriétés d’une voyelle /Vₓ/ qu’à la syllabation du mot dont /Vₓ/ est un des noyaux (§ 6.6.2). (2) Motivations. – La réplication reflète, fondamentalement, une syllabation du mot différente de ce qu’elle serait en l’absence de réplication ; le plus souvent, elle indique l’existence d’une voyelle longue [V̅ₓ], donc d’une syllabe lourde, mais peut aussi refléter une frontière de scansion résultant tantôt d’un hiatus intervocalique, tantôt d’une semi-voyelle intervocalique, donc une syllabe légère suivie d’une autre syllabe. Les différents processus phonétiques recouverts par la réplication sont détaillés, ci-après, § 6.6.

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(3) Graphies répliquées avec e/i. – L’insertion de -e- ou de -i- est, en principe, en accord avec le timbre des signes non équivoques adjacents : dai- « poser » → 1sg. prés. te-e-Vh-hé (VH), face à te-Vh-hé (VH) ; nē- « tourner » → 1sg. prét. ne-eVh-hu-un (VH), nakki- « important » → nom. na-ak-ki-i-is (MH/nh), etc. L’insertion d’un signe -e- ou -i- au voisinage de signes au vocalisme équivoque E/I, à l’avantage, pour le lecteur moderne, de lever d’éventuelles incertitudes concernant la hauteur des voyelles non arrondies (la variante zE/I-i-E/Ik du pronom 2sg. montre que le noyau de la variante zE/I-E/Ik est /i/ et non /e/, etc.), ce qui ne signifie pas que sa finalité soit d’expliciter un timbre donné (§ 6.6.7). 4.2.2 la durée des voyelles La reconnaissance de la durée longue des voyelle repose sur un seul indice : le fait que la voyelle d’une syllabe donnée dans un lexème donné est écrite en graphie répliquée plus souvent qu’en graphie non répliquée. Les manifestations de la réplication sont foncièrement instables, si bien que l’existence même d’une forme répliquée est beaucoup moins souvent fondée sur l’observation de graphies régularisées, que sur l’appréciation de rapports fréquentiels (d’ampleur très variable) entre les graphies répliquées et non répliquées de la syllabe d’un lexème donné. L’interprétation phonologique de la durée des voyelle en hittite n’a guère été débattue, en étant, le plus souvent, admise ou repoussée comme allant de soi et en étant, presque toujours, confondue avec la question – complètement différente – de l’évolution des voyelles longues, des voyelles allongées et des voyelles brèves de l’indo-européen en hittite. Certains spécialistes admettent que la seule existence de voyelles longues [V̅ₓ] serait un indice suffisant pour reconnaître, en hittite, l’existence d’une distinction phonologique entre voyelles brèves et longues, même s’il n’existe pas de paires minimales démontrant l’existence d’oppositions /V̆ₓ/ - /V̅ₓ/20, tandis que d’autres estiment que la durée longue des voyelles résulte de conditionnements contextuels /Vₓ/ → [V̅ₓ], en sorte que, d’un point de vue phonologique, les voyelles hittites ne sont ni brèves, ni longues, mais indifférentes à la durée21. Une analyse fondée sur l’observation des contextes indique que, bien qu’il subsiste localement en hittite historiquement documenté des témoignages d’une durée vocalique héritée reflétant marginalement des vestiges de voyelles intrinsèquement longues, 20  Eichner 1980 : 128 n. 36, Kimball 1999 : 45, Watkins 2004 : 11, Rieken 2007 : 85, 2011 : 56, Kloekhorst 2008 : 32, 63, Vanséveren 2010 : 56, Kas’jan & Sidel’cev 2010 : 33. 21  Pedersen 1938 : 5, 194, ad § 28, Ivanov 1963 = 2001 : 70sq., Otten & Souček 1969 : 46, Melchert 1997a : 562, Hoffner & Melchert 2008 : 26, et avec quelques hésitations, Luraghi 1997 : 5.

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les voyelles longues ne peuvent effectivement pas être considérées comme des unités distinctives au plan phonologique. (1) Durée et accentuation. – L’absence de corrélations /V̆ₓ/ - /V̅ₓ/ en hittite est, d’emblée, indiquée par le fait que les voyelles s’allongent sous l’accent. Comme l’ont montré les fondateurs de la phonologie dès les années 1920 (Patri 1998), dans les langues à accent libre, un traitement /V́ / → [V̅́ ] motivé par l’accentuation ne peut coexister avec l’existence d’oppositions de durée /V/-/V̅ / entre les voyelles, la durée des syllabes légères accentuées étant vouée à se neutraliser avec celle des syllabes lourdes, quelle que soit leur accentuation : dans une langue opposant /ā/ à /a/, des réalisations /táta/→ [tā́ta] ou / tatá/ → [tatā́] se neutraliseraient avec celles de /tāta/ et de /tatā/ (l’accent n’est pas oppositif, mais démarcatif)22. Il s’ensuit que, comme l’a établi Jakobson, des syllabes accentuées de type /CV́ / ne peuvent connaître un allongement [CV̅́ ] que s’il n’y a pas de syllabes /CV̅ / dans la langue, autrement dit, que la possibilité de /V́ / → [V̅́ ] prédit l’impossibilité de /V/-/V̅ /. Cette configuration explique que dans les langues où la quantité est distinctive et où l’accent est « libre », l’accentuation ne conditionne jamais un allongement des voyelles (ce qu’on constate en grec ancien, védique, lituanien), alors que dans langues où les voyelles s’allongent lorsqu’elles sont accentuées, la durée des voyelles n’est pas un paramètre phonologique (ainsi en italien, russe, catalan)23. Sur la durée phonétiquement conditionnée (par l’accent) et sa restitution dans la graphie, voir § 6.9. (2) Restitutions graphiques de la durée. – Hormis le cas isolé et déclinant, détaillé, ci-après, de āssu- « bon » → sg. a-as-su :: a-as-su-u, il n’existe en hittite, aucun témoignage de voyelle longue opposable à une voyelle non longue de même timbre dans le même contexte. Le contraste entre l’adposition régulièrement écrite a-ap-pa-an « derrière » et le participe epp-/app- « attraper, saisir » → ap-pa-an ne reflète pas une distinction entre des voyelles qui seraient intrinsèquement longues comme le montre que fait que certains dérivés reflètent sporadiquement la réplication (appanda → ap-pa-an-da KBo 16.68 i 27, VH/mh : a-ap-pa-an-da KBo 17.43 i 5, VH), tandis que d’autres 22  Les objections formées à ce sujet par Martinet contre Jakobson (et auxquelles j’ai accordée trop de poids dans Patri 1998) sont, en réalité, infondées puisque, comme il l’expose dans Martinet 1945 : 55 (section sur l’accent supprimé dans la brochure séparée de 1956), dans le franco-provençal d’Hauteville, seules les voyelles n’ayant pas de contrepartie longue au plan phonologique peuvent s’allonger sous l’accent. 23  Watkins 2004 : 12, voit un paradoxe dans le fait que « The correlation of stress and vowel length is very uncommon in Indo-European languages of this antiquity », en négligeant que l’explication dérive de la structuration de l’effectif des voyelles, et non de la chronologie.

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ne la restituent jamais (appezi(ya)- « antérieur » → nom. pl. ap-pé-ez-zi-e-es KBo 25.62 : 9, VH). La durée longue du [ā] initial de a-ap-pa-an, reflète un allongement de /ápʰaN/ conditionné par l’accentuation. Les pseudo-témoignages de paires minimales rassemblés par Eichner (1980 : 150sq.) et Melchert (1994 : 108), se heurtent tous à des objections identiques. La motivation accentuelle de la plupart des situations d’allongement est mise en évidence par des témoignages comme uttar- « mot, parole » → dir. sg. ut-tar (VH), pl. ut-ta-a-ar (VH), huidar- « faune » sg. [hu]-i-ta-ar (VH), pl. hu-ita-a-ar (VH), etc., montrant, au pluriel, un allongement de la voyelle indépendant du contexte segmental, les formes de singulier comme de pluriel étant fléchies par des morphèmes {-∅} : sg. {Hwídar-∅} → [Hwī�.́ dar] hu-i-ta-ar, mais pl. {Hwidár-∅} → [Hwi.dā́r] hu-i-ta-a-ar24 (voir, plus en détail, § 7.4.2). Comme le montrent, en outre, ces données, une voyelle peut être accentuée sans que l’accroissement de durée caractérisant la rime syllabique soit reflété par la graphie (le /i/ accentué au cas dir. sg. dans hu-i-ta-ar n’est pas écrit -i-i-). Mais il existe aussi des témoignages de voyelles dont la durée longue ne peut être imputé à l’accentuation25. Le contraste reflété en vieux hittite par la paire assu- (/ assaw-) « bon, bien » (adjectif) → dir. sg. a-as-su KUB 43.23 Ro 18 (VH), dir. pl. a-as-su-u (āssū IGI.ḪI.A-KA « tes yeux bienveillants » KBo 7.28 Ro 11, VH/mh), reproduite dans l’emploi substantivé assu- « (les) bien(s), possession(s) » (nom) → dir. sg. a-as-su (VH), pl. a-as-su-u KBo 25.122 ii 10 (VH), donne de cette situation une illustration exceptionnellement nette puiqu’avec autant de voyelles longues que de syllabes, il est certain que l’une d’elles ne doit pas sa durée à l’accent26. Le témoignage du dérivé as-su-ú-ul « faveur, bien-être » indique que l’accent de dir. sg. a-as-su, dir. pl. a-as-su-u porte sur la syllabe initiale (voir Rieken 1999 : 459), ce confirme la comparaison indoeuropéenne, le rapport sg. a-as-su : pl. a-as-su-u du hittite étant, en ce qui concerne le placement d’accent et les rapports de durée, exactement identique à celui que mettent en évidence les réflexes du même mot dans la flexion védique : sg. vásu : pl. vásū « bien, bon ». Pour apprécier la portée du témoignage de āssū, on doit prendre en considération le fait que les autres noms et adjectifs à thème vocalique en {… u-}, en {… i-} et en {… a-} fléchis au même cas, ne reflètent pas de voyelle longue 24  Des variantes comme dir. sg. hu-u-i-tar (/nh), gén. hu-u-it-na-as (VH/nh), face à hu-i-ta-ar (VH/nh), gén. hu-it-na-as (NH) indiquent une diérèse [Hwid …] ~ [Huwid …] (§ 8.12.7), et non un allongement de la voyelle, ainsi que le certifie la forme dir. pl. hu-u-i-ta-a-ar [Huwidā́r] KBo 10.23 iii 9 (VH/NS). 25  Les données de ce type sont peu nombreuses ; dans une perspective d’évolution, voir Kimball 1999 : 128. 26  Voir le détail des attestation dans HW² I, Lief. 6/7, 1982 : 522sq., Gertz 1982 : 43-45.

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devant {-∅pl.} : taru- « bois, arbre » → GIŠ-ru.ḪI.A (= taru) KUB 17.10 i 16 (VH/mh) ; parku- → dir pl. pár-ku KUB 24.1 i 25, NH (Weitenberg 1984 : 132-133, CHD P 161a), idalu- « mauvais » → i-da-a-lu KUB 33.68 ii 11 (VH/nh), tandis que les adjectifs tendent, de façon générale, au cours de l’évolution, à généraliser l’alternance {… u- : … aw-}, d’où a-as-sa-u-wa, pár-ga-u-wa, i-da-a-la-wa, etc27. D’autre part, dès les textes de la période moyenne, āssū tend être être remplacé par āssu en neutralisant la distinction entre le singulier et le pluriel : a-as-su ud-da-a-ar « bonnes paroles » KUB 33.68 ii 12 (VH/mh). En d’autres termes, la distinction a-as-su [ā́s.su] : a-as-su-u [ā́s.sū], bien que largement documentée (Watkins 1982, relève une douzaine d’occurrences de a-as-su-u), constitue un vestige, à tous égards, isolé. Or, dans une langue où /u/ et /ū/ sont des phonèmes, il serait, par définition, exclu que l’un soit confondu avec l’autre, a fortiori dans un contexte où la distinction de quantité est investie d’un rôle discriminant dans la morphologie. Indépendamment des pressions analogiques qui, dans l’évolution, conduiront, par la suite, āssu- à rejoindre le modèle flexionnel des autres adjectifs, en adoptant une forme a-as-sa-u-wa, dès le vieux hittite, la quantité longue de la voyelle finale n’est plus caractéristique, ni de la flexion de assu-, ni, de façon générale, des thèmes inanimés en {… V-} quand ils sont fléchis au cas direct du pluriel. La même tendance s’observe avec les autres timbres vocaliques : pratiquement tous les mots montrant deux durées concomitantes dans le même mot mettent en évidence que la réplication frappant l’un des syllabes est relativement stable dans l’évolution, en étant attribuable, selon toute vraisemblance, à son accentuation, alors que l’autre syllabe n’apparaît que rarement en graphie répliquée, voire une seule fois : iss(a)- « faire » → 2pl.prés. i-is-te-e-ni KBo 22.1 Vo 27 (VH), face à e-es-sa-at-te-ni KUB 13.4 i 47, ii 55 (VH/nh) ; kusata- « dot » → dir. ku-ú-sa-a-ta KBo 6.5 iii 10 (VH/nh), face à ku-ú-sa-ta KBo 6.3 ii 11 (VH/ nh) ; mekki- « beaucoup » → nom. pl. me-e-ek-e-es KBo 25.23 Ro 5 (VH), face à me-ek-ke-e-es KUB 43.22 i 9 (NH). A côté des témoignages reflétant à la fois la déstructuration et le déclin de la durée, d’autres données indiquent, à l’inverse, une durée figée par des graphies dont le caractère conventionnel est dénoncé par le fait que, même quand elles sont dominantes, les graphies répliquées n’excluent jamais totalement les graphies non répliquées. L’adjectif hūmant- « tout, entier », attesté par près d’un millier d’occurrences, est, presque toujours, écrit hu-u-… à toutes les époques à tous les cas de sa flexion. La durée longue de hu-u-… est, selon toute probabilité, originelle comme le montre le fait 27  Sur la graphie su- « complet, entier » → dir. pl. su-u-ú KUB 11.19 iv 22 (VH/nh), voir § 6.6.2 ; sur le cas de nakkī « pesant », voir Prins 1997 : 45-48.

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que l’accent peut allonger une autre syllabe comme dans gén. [h]u-u-maan-da-a-as KUB 24.4 Vo 5 (MH)28. Mais des graphies de type hu … sont également attestées avec des formes comme dir. sg. hu-ma-an KBo 10.45 iii 54 (MH/nh) qui seraient normalement impossibles si la langue reconnaissait la distinction entre [u] et [ū] comme phonologique. Le cas de l’adjectif idalu(/ idalaw-) « mauvais, mal » est similaire : la graphie i-da-a-… est largement dominante à tous les cas, dir. sg. i-da-a-lu (VH), acc. i-da-a-lu-un (MH), dir. sg. i-da-a-lu (VH), dat.-loc. i-ta-a-la-ú-i (VH), en reflétant, probablement, un [ā] originellement long (comparer l’accentuation désinentielle dans nom. pl. i-daa-la-u-e-es KBo 15.10 i 13, MH)29. La graphie i-da-a-… est usuelle jusque dans les textes tardifs (KBo 5.3 ii 40), mais, dès le moyen hittite, une variante i-da-… est également attestée de façon minoritaire (IBoT 3.102 i 6, KBo 2.3 ii 36). Les graphies dominantes hu-u-… ou i-da-a-… doivent donc être considérées comme étant à la fois représentatives d’une durée originellement longue, mais, aussi, d’une graphie fixée par l’usage, indépendament de la phonétique. En définitive, les mécanismes que représentent le remplacement de a-assu-u par a-as-su, ou, à l’inverse, le maintien de hu-u-ma-an ou i-da-a-lu (face à hu-m …, i-da-l …), illustrent deux aspects du même processus : dans la premier cas, la graphie anciennement longue est simplement supplantée par une graphie non longue, dans le second, elle est préservée par conventionnalisation. Les exemples d’expression instable de la durée vocalique sont nombreux en hittite, mais autant une représentation irrégulière de la durée peut avoir diverses causes phonétiques (§ 6.6.6), autant une représentation systématiquement déclinante quand elle n’est pas maintenue par l’usage graphique n’en a qu’une seule, qui est l’élimination d’un paramètre distinctif 30. (3) Conclusion. – Dans une phase de développement antérieure au hittite historiquement attesté, la durée a certainement tenu un rôle phonologique, 28  En l’espèce, Kimball 2007 : 10, reconstruit un prototype *h₂u-h₁m-ent- qui paraît mieux à même de rendre compte de la durée de ū que la base *h₂u-went- « ayant l’un et l’autre » → « tout » postulée par Puhvel, HED III, 373sq. 29  Sur l’étymologie de ce mot, voir Watkins 1982 : 261. 30  On doit également constater que les voyelles longues de l’indo-européen ne sont pas nécessairement restituées par des graphies répliquées en hittite : dans toutes les langues indo-européennes où la flexion du nom « coeur » n’a pas été refaite en généralisant le thème des cas obliques, la forme de nominatif-accusatif est caractérisé par une voyelle longue : véd. hā́rdi, gr. kē̃r, lat. cōr, pruss. seyr (Szemerényi 1970, Rieken 1999 : 52-56) ; or, le réflexe hittite de cette forme est invariablement écrit ke-er [Kér], jamais *ke-e-er, alors que les autres langues anatoliennes présentent une voyelle longue : pal. dat.-loc.sg. ka-a-ar-ti, louv. cun. dir. za-a-ar-za (Kloekhorst 2014 : 426-427, postule, sans l’expliquer, un abrègement).

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mais ce paramètre est en cours de dislocation dès le vieux hittite avant que d’être complètement éliminé dès la période moyenne. De façon significative, aucune relation ou mécanisme régulier n’est fondé sur la durée des voyelles ou nécessiterait de reconnaître l’existence de voyelles intrinsèquement longues et brèves, de même qu’aucune paire minimale n’indique que des voyelles longues seraient opposables à des voyelles brèves de même timbre dans le même contexte au long de l’histoire de la langue (le cas déclinant de a-as-su / a-assu-u mis à part). Les graphies correspondant à des voyelles longues résultent, pour la plupart, de voyelles dont l’allongement est conditionné par l’accent, dans une moindre mesure, de graphies perpétuées par l’usage. 4.2.3 La nasalité Certains contextes sont favorables à l’apparition, dans l’écriture, d’une consonne nasale n à la suite d’une voyelle : piske- « donner » → 2pl. pí-is-kat-teni KBo 22.1 Ro 20 (VH), mais pí-is-kán-te-ni HKM 84 : 17 (MH) (Hoffner 2010 : 122). Les graphies de ce type, toujours occasionnelles et instables, reflètent une nasalisation contextuelle de la voyelle [Ṽ ], et non l’insertion d’une consonne [n], laquelle serait phonétiquement immotivée, particulièrement devant une plosive (voir, plus en détail, § 8.7.3). Les témoignages indiquant une nasalisation en hittite paraissent limités à la voyelle basse /a/, sans affecter /e i u/. 4.2.4 Diphthongues Il n’y a pas de diphthongues en hittite dans le sens où il n’est nulle séquence formée d’une voyelle et d’un autre segment, semi-voyelle ou voyelle, quel que soit leur ordre séquentiel, dont l’une ne pourrait pas apparaître sans l’autre pour former une seule et même unité. Des combinaisons mettant en contact séquentiel des voyelles entre elles ou bien des voyelles et des semi-voyelles sont, en revanche, banales. Une réalisation diphthonguée peut être postulée pour la voyelle moyenne /e/ dans certaines conditions (§ 4.1.5). 4.3

Organisation de l’espace vocalique

4.3.1 Les unités phonologiques Les voyelles du hittite forment un effectif constitué de quatre phonèmes : /a e i u/. Le caractère distinctif de ces segments est mis en évidence par les oppositions suivantes :

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Chapitre 4

(11) oppositions de voyelles /i/-/e/ : i- « aller » → 2sg. imp. i-it ed- « manger » → 2sg. imp. e-et /i/-/a/ : harki- « blanc » → acc. anim. har-ki-in harka- « destruction » → acc. anim. har-ga-an /i/-/u/ : ki- « gésir » → 3sg. prés. my. ki-it-ta-ri :: 3sg. opt. ki-it-ta-ru /e/-/u/ : teri- « trois » → acc. te-ri-in turi- « lance » → acc. tu-ú-ri-in /e/-/a/ : es- « être » → 3sg. prés. e-es-zi as- « se tenir » → 3sg. prés. a-as-zi /a/-/u/ : akk- « périr » → 2sg. imp. a-ak uk « pronom 1sg. » → nom. ú-uk L’inventaire /a e i u/ est admis dans toutes les descriptions du hittite ne reconnaissant pas la durée comme trait distinctif (Ivanov 1963 = 2001 : 69, Melchert 1992 : 183, Luraghi 1997 : 5, Hoffner & Melchert 2008 : 25sq., van den Hout 2011 : 13) ; les neuf ou dix phonèmes vocaliques exposés par Kloekhorst (2008 : 62) résultent de conjectures phonétiques arbitrairement transposées au plan de la phonologie. L’assymétrie des rapports de hauteur entre arrondie et non arrondies constatée en hittite est conforme à l’organisation constatée par les langues à quatre timbres : l’existence de /e/ (ou de /ɛ/) exclue celle de /o/ (ou de /ɔ/) et réciproquement, sauf quand il n’y a pas de /u/ (Liljencrantz & Lindblom 1972 : 845-846, Maddieson 1984a : 141-142, Schwartz et al. 1997, Becker-Kristal 2010)31. Un espace vocalique fondé sur des timbres similaires à celui du hittite, est reconnu en sumérien32, en moyen baylonien, ainsi que dans certains dialectes tardifs de l’accadien33. Une convergence de cette sorte entre des langues transmises par le même système d’écriture peut susciter une défiance d’artefact graphique, particulièrement sous considération de la relative rareté des 31  Un effectif similaire à celui du hittite est banal dans les langues du nord de la Californie (Golla 2011 : 208), ainsi que dans beaucoup de langues de la famille arawak (24 langues, d’après la base SAPhon). 32  Voir Thomsen 1984, Edzard 2003, Jagersma 2010 : 55-62 (Thomsen ajoute des voyelles nasales, Lieberman 1979, un phonème /o/, Smith 2007, des phonèmes /ɛ/ et /o/). Les spécialistes de sumérien semblent admettre que la durée des voyelles est distinctive, mais divergent sur les critères qui la font reconnaître. 33  Reiner 1966, Bucellatti 1997, Huehnergard & Woods 2004, avec des restrictions dialectales et/ou chronologiques au sujet de /e/. La durée des voyelles est, en outre, phonologiquement distinctive, mais elle n’est pas systématiquement représentée (elle ne l’est jamais en vieil accadien, ni en vieil assyrien).

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effectifs à quatres voyelles. Cette hypothèse semble, toutefois, peu probable : d’une part, les données ne fournissent pas d’indices suggérant soit que des timbres phonologiquement distinctifs seraient omis dans l’écriture ou feraient l’objet, dans l’écriture, d’une symbolisation qui ne correspondrait pas à une réalité linguistique ; de l’autre, l’écriture cunéiforme est, par sa conformation, pleinement apte à discriminer de deux à cinq unités : il y a trois timbres /a i u/ en vieil-accadien, en louvite, en palaïte et, possiblement, en hatti, et cinq timbres /a e i o u/ en hourrite (Bush 1964, Wilhelm 2004). L’adéquation entre l’effectif des signes utilisés en hittite et l’architecture des voyelles n’a donc pas lieu d’être mise en cause a priori, du moins pas au niveau phonologique34. 4.3.2 Classement Dans beaucoup de langues où l’effectif vocalique est inférieur à cinq unités, l’antériorité et l’arrondissement sont des paramètres équipotents : toutes les antérieures sont des arrondies et réciproquement tandis que toutes les postérieures sont des non arrondies et réciproquement. On prend ici le parti de considérer qu’en hittite, l’arrondissement est le paramètre qui s’impose par défaut ; cette attitude est motivée par le fait que l’activité labiale déclenche certaines règles (§ 8.1) et motive certaines contraintes (§§ 5.11, 9.17.5), alors que la constriction linguale n’est impliquée que dans quelques tendances non régularisées35. D’un point de vue phonologique, un seul trait est logiquement suffisant pour identifier chacune des unités vocaliques : /a/ est basse, /e/ est moyenne, /i/ est haute et /u/ est arrondie : (12) les voyelles du hittite u a e i basse moyenne

- + - 0 - + -

haute

haute arrondie

0 - + 0 -

moyenne basse

+ -

non arrondies arrondie i u e a

34  Le jugement de Beckman 2011 : 523-524, selon qui « it is unlikely that cuneiform’s repertoire of vowels (a, e, i, u) is sufficient for an accurate representation of Hittite » peut être étendu à l’ensemble des langues à tradition scripturale ancienne, aucun système d’écriture n’ayant vocation à restituer analytiquement la prononciation. 35  Selon Ladefoged & Maddieson 1996 : 295-298, l’information primordiale des systèmes vocaliques est, outre la hauteur, l’arrondissement. Par suite, ils estiment que le recours à l’antériorité n’est justifié que dans les langues où des antérieures et des postérieures sont distinguées au sein des arrondies ou des non arrondies.

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Chapitre 4

Comme dans toutes les langues comptant un petit nombre de voyelles, les phonèmes se localisent aux points les plus excentrés de l’espace vocalique, en sorte que leurs variantes allophoniques se localisent naturellement en des zones plus centrales : outre les longues [ī ū ē ā] et la nasalisée [ã], on peut présumer l’existence d’antérieures [ɪ æ], représentant, sinon des sons stabilisés, du moins les sons en direction desquels s’orientent certaines réalisation de /i e/ et de /e a/ respectivement (§ 8.11.3) ; une variante [o] de /u/ est peu vraisemblable (§ 4.1.3). Certains mécanismes phonétiques supposent, en outre, une voyelle centrale [ə] (§ 8.13), ainsi qu’une variante rhotacisée [ɚ] pour la voyelle arrondie devant /r/ (§ 8.8). (13) principaux allophones vocaliques [i ī] [e ē] [a ā ã]

[u ū]

[ɪ] [æ]

[ə ɚ]

4.3.3 Fréquence La répartition quantitative des signes exclusivement vocaliques dans les textes des différentes strates reflète, à toutes les époques, une hiérarchie globalement corrélée la hauteur (donc à la sonorance : § 6.1.3) ; plus une voyelle est basse (ou sonorante), plus elle est, relativement, fréquente et inversement : (14a) fréquences des signes -V- (toutes époques) a 6 633 33 % e 5 148 25 % i 3 485 17,5 % u+ú (2 711 + 1 976 =) 4 687 23,5 % Ces chiffres ne font que donner des ordres de grandeur car ils reflètent les fréquences des seuls signes -V-, sans tenir compte des voyelles incluses dans les signes de type CV, VC ou CVC, dont l’utilisation ne va pas systématiquement de pair avec la présence d’un segment vocalique (§ 3.3). En outre, les signes i, ú et u peuvent être également utilisés pour représenter des semi voyelles /j w/ (§§ 4.1.2, 4.14), en sorte que les fréquences des voyelles /i/ et de /u/ sont sûrement inférieures aux chiffres indiqués (voir également § 6.5.2, pour un relevé statistique des voyelles longues et brèves).

Les segments et leurs représentations

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A titre de comparaison, un dénombrement statistique du timbre vocalique des signes VC, CV et CVC, fournit des résultats relativement différents : (14b) fréquences des timbres V des signes CV, VC, CVC (toutes époques) a 115 806 53 % e 20 845 10 % i 43 298 20 % u 37 565 17 % La fréquence plus élevée, relativement du a des signes CV, VC, CVC que du a du signe -a- (+ 20 %) se justifie sous considération de ce que les signes Ca, aC et CaC sont une représentation possible aussi bien de consonnes /C/ que de séquences dans lesquelles une voyelle d’anaptyxe a un autre timbre que [a]. Les variations relatives aux voyelles maximalement hautes (+ 3 % pour i, - 6 % pour u) traduisent probablement la part d’imprécision relative à un mode de calcul ne distinguant pas la restitution graphique de [i j] de celle de [i u]. La diminution de 15 % des occurrences de -e- par rapport à celles de Ce, eC, CeC elle met en évidence, entre les deux classes de symboles, une discordance qui n’a, en revanche, pas de justification simple. Il n’est pas douteux que l’emploi de Ce, eC, stipule une ou des informations qui ne se limitent pas à celles que représentent les combinaisons /C/ + -e- ou -e- + /C/ ; la question de savoir si cet écart pourrait se justifier sous considération de ce que la plupart des signes Ce, eC, en question ne distinguent pas les timbres e et i (§ 4.1.4), donc qu’il faudrait lire [Ci] là où l’on transcrit Ce (§ 4.1.7), serait une justification possible, mais invérifiable. 4.4

Les plosives

4.4.1 Lieux d’articulation La symbolisation cunéiforme distingue ni plus, ni moins que trois ordres de plosives : les labiales p/b, les coronales t/d et les dorsales k/g. Il y a cependant lieu d’estimer que le hittite distingue deux sous-ordres au sein des coronales (antérieures et non antérieures), ainsi qu’au moins deux sous-ordres parmis les dorsales : outre les vélaires et les vélaires labialisées, dont il n’est d’ailleurs pas certains qu’elles formes une série plutôt qu’un ordre (§ 4.4.2), on doit postuler l’existence de palatales, dépourvues de représentation graphique propre et dont le statut phonologique est peu clair (§ 4.4.3). L’hypothèse d’un phonème glottal /ʔ/, donc, d’un ordre laryngal, est, en revanche, invraisemblable.

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Chapitre 4

(1) Signes VC. – En accadien, les signes VC stipulent le lieu d’articulation des consonnes sans informer sur leur mode. Le hittite perprétue cet usage en récupérant les signes correspondant à toutes les associations possibles de voyelles et de plosives, à ceci près qu’aucun des signes de type VC ne distingue le timbre e du timbre i : (15) signes VC incluant une plosive [n o du HZL] ab, ap 97 ib, ip, eb, ep 44 ub, up 152 ad, at 105 id, ed, it, et 215 ut, ud 316 ag, ak, aq 81 eg, ig, ek, eq, ik, iq 67 ug, uk, uq 93 Selon Gelb (1961 : 33), l’indifférence au mode articulatoire dont témoigne l’emploi des signes de forme VC en accadien résulterait de ce qu’en sumérien, la discrimination des séries de plosives ne reposait pas sur la voix, mais sur l’aspiration. En adoptant l’écriture cunéiforme, les scribes accadiens ont indifférement utilisé les séries transcrites par at et ad parce qu’ils étaient phonologiquement sourds à leur caractère originellement aspiré et non aspiré. L’explication de Gelb est vraisemblable dans son principe, à ceci près que d’autres paramètres que l’aspiration peuvent être postulés en sumérien (Boisson 1989), et que la raison pour laquelle les Accadiens ne distinguaient pas le mode des consonnes des signes VC alors qu’ils différencient (partiellement) celui des consonnes des signes CV reste à clarifier. (2) Signes CV. – A la différence des signes VC, les signes CV de l’accadien différencient le lieu, mais aussi, pour la plupart, le mode des plosives. A partir du vieux babylonien, vers 1900, les signes ta se sont progressivement spécialisés dans la représentation de /ta/ (non voisée non emphatique) ou de /t’a/ (non voisée emphatique), en excluant /da/ (voisée non emphatique), tandis que, parallèlement, les signes da ont commencé à représenter /da/ ou /t’a/ en excluant /ta/36. La tendance est parachevée au sein des vélaires et, dans un moindre mesure, des coronales, par l’introduction de signes ṭa, qa distinguant les emphatiques non voisées /t’ k’/ des non voisée, non emphatiques ta, ka /t k/ et des voisées non emphatiques da, ga /d g/ (von Soden 1991 : § 25/8). La spécialisation est achevée dans certains dialectes (par exemple en vieux babylonien de Mâri), alors qu’elle est moins aboutie dans d’autres, au point que ta peut être plus ou moins occasionnellement utilisé pour da et réciproquement. A titre d’illustration, la représentation des plosives dans les documents accadiens du niveau VII des fouilles d’Alalah (vers 1750-1650), avec lesquels les 36  Voir Reiner 1966 : 28-29, Buccellati 1997 : 6 ; Huehnergard & Woods 2004 : 227.

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Les segments et leurs représentations

syllabogrammes hittites présentent certaines affinités paléographiques (Wiseman 1953 : 19-20, Aro 1956 : 361, Gamkrelidze 1959, van den Hout 2012), mais aussi des divergences d’organisation et de lecture, met en évidence les lectures suivantes : (16) signes CV incluant les plosives en accadien d’Alalah-VII (Popova 2015) vocalisme

labiales

coronales

dorsales

[a]

PA = pa, bá BA = pá, ba

[e] / [i]

BE = be BI = pí, pé, bi, bé NE = bí PU = pu, bu

TA = ta, ṭá, dá DA = ṭa, tá, da ḪI = ṭà TI = ti, ṭì, dì DI = ṭi, ti₄, di, de TE = te, ṭe₄ TU = tu, ṭú, dú DU = tù, ṭù, du TUM = tu₄, ṭu₄

KA = ka, qà, ga₁₄ GA = qá, kà, ga QA = qa, ka₄ KI = ki, ke, qí, qé GI = kí, ké, qì, qè, gi

[u]

KU = ku, qú, gu₅ GU = gu

L’étude exhaustive menée par Popova (2015) montre que les scribes peuvent a priori utiliser DA ou TA pour représenter aussi bien les voisées que les non voisées et les emphatiques, mais qu’ils favorisent quantitativement DA et TA pour les voisées et les non voisées respectivement (voir, plus en détail, §§ 3.2.2 et 4.5.5). En d’autres termes, dans cette variante d’accadien certains signes prédisent tout ou partie du mode articulatoire des plosives, mais le mode articulatoire d’une plosive ne préjuge pas du signe utilisé pour la représenter37. La plupart des signes CV avec C plosive utilisés dans le répertoire hittite sont des signes qui, en accadien, stipulent une distinction de mode, ce qui explique et, dans une certaine mesure (§ 4.5.5), justifie qu’ils soient transcrits ta, te, tu (etc.), plutôt que par da, de, du (etc.) ; la transcriptions du signe originellement emphatique HZL 31 par qa ou par ka₄ est équivalente et aussi arbitraire dans un cas que dans l’autre :

37  Les résultats de Popova 2015, réfutent les conceptions de Gamkrelidze 1959, et de Kloekhorst 2010, 2013, 2016, relatives aux lectures phonétiques des signes d’Alalah.

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Chapitre 4

(17) signes CV distinguant originellement le mode [n o du HZL] pá 292, ba 205 ta 160 da 214 ka 133 ga 159 qa, ka₄ 21 pè, pì 13 te 249 de, di 312 ke, ki 313 ti 37 tu 346 du 128 gu 304 Les signes CV incluant une labiale originellement inscrits dans une distinction de voisement ne sont que faiblement attestés dans les textes vieux hittites où il ne sont utilisés que dans l’écriture de mots d’origine étrangère : – le signe ba (HZL 205) ne se rencontre que dans l’écriture de quelques mots : ubati- « revenu foncier » → ú-ba-a-ti, Labarna, titre et non propre → acc. Ta-ba-ar-na-an ; – le signe pá (HZL 292) n’apparaît que dans la traduction d’un texte babylonien pour noter un toponyme (KBo 3.21 iii 24) ; – une lecture pè, pì, du signe HZL 13 n’est pas démontrablement attestée en hittite (voir plus en détail, ci-dessous) ; – Le signe gu (HZL 304) n’est attesté qu’une seule fois en hittite dans panku« assemblée » → nom. [p]a-an-gu-us KBo 25.13 ii 9 (VH) face à la graphie usuelle pa-an-ku-us KBo 3.1 ii 28, 47, 72 (VH/nh) (voir Riemschneider 1973). Par ailleurs, le signe qa, ka₄ (HZL 21) n’apparaît qu’une seule fois dans les textes vieux-hittites (ku-wa-at-qa KUB 43.25 : 8), compte non tenu des toponymes (URUNe]-ri-iq-qa-as KBo 34.14 iii 6), mais devient considérablement plus fréquent en hittite tardif, avec plus de 250 occurrences. Parallèlement, les signes de type CV du répertoire hittite qui, en accadien, ne spécifient pas d’information sur le mode se limitent précisément aux labiales et vélaires labialisées : (18) signes CV ne distinguant pas le mode [n o du HZL] pa, ba 174 pí, pé, bi, bé 153 pu, bu 333 ku, gu 206 Il existe donc une partition nette, dans la représentation des labiales et des labialisées, entre, d’une part, les signes pá et ba (éventuellement pè, pì), et gu, de l’autre, les signes pa / ba, pí / pé /bi /bé, ku/ gu. Popova & Kas’jan (2016) ont montré que dans les textes hattis, les signes pá ou ba sont généralement en alternance libre avec le signe waₐ, lequel n’est jamais utilisé dans l’écriture du hittite (dHa-ba-an-ta-li face à dHa-waₐ-an-ta-li-i ; ta-ba-ar-na face à ta-waₐ-ar[na]). Il y a donc lieu d’estimer que, conjointement avec waₐ, les signes pá ou

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ba symbolisent un ou des sons labiaux qui n’existent pas en hittite, vraisem­ blablement des fricatives [f v], voire une approximante [ʋ]38. Au plan pratique, la transcription de pu, bu (HZL 333), pí, pé, bi, bé (HZL 153), pa, ba (HZL 174) est, fatalement, arbitraire ; certains philologues transcrivent Te-li-bi-nu ce que d’autres transcrivent Te-li-pí-nu (les variantes de la tradition en ce domaine sont détaillées chez Hoffner & Melchert 2008 : 16-17). (3) Signes CVC. – L’effectif des signes CVC impliquant une plosive, bien qu’important, est loin d’atteindre le volume que demanderait une représentation optimisée des rapports a priori possibles entre voyelles et consonne (laquelle supposerait 1 296 unités). Le volume le plus important est constitué de plus d’une trentaine de signes impliquant une plosive en attaque : certains de ces signes ont une lecture invariablement CVC (gaz 122, túl 180, dur/túr 202, k/gán 61, etc.), tandis que d’autres admettent une lecture phonétique CVC ou bien CV (k/gas, pí, pé, bi, be 153), mais jamais CVC ou VC. Dans les deux cas, certains signes peuvent avoir des lectures foncièrement différentes (t/dan et kal 196 ; tal et re/i 32). Comme avec les signes CV, les signes CVC qui, en accadien, manifestent une distinction relative aux propriétés de C, sont limités aux coronales et aux vélaires ; comme les signes CV, leur emploi stipule le lieu d’articulation seulement : (19) signes CVC distinguant originellement le mode túl 180 kul 12 gul 271 dam 298 kam 355 tàs 24 kar 250 gaz 122 kum 120 kur 329 tir 344 kis 273 Les signes impliquant une plosive en coda sont moins d’une dizaine ; certains d’entre eux admettent une lecture CV ou CVC (pa, had/t 174), une lecture VC ou CVC (ur, lik/g/q, 51), parfois deux lecture CVC complètement différentes (sak/g/q et ris 192). Les signes impliquant une plosive en attaque et en coda, encore moins nombreux, sont invariablement des signes formés de consonnes localisées dans des ordres différents : kap/b, gáp/b 49, kip/b 260, k/gat/d 173, pát/pít 13, ták/g 243,

38  Il est arbitraire de postuler, comme le fait Kloekhorst 2016 : 219, que « Hittite had two distinct labial sounds, namely [p] and [b], which I would phonologically interpret as /pː/ and /p/, respectively ».

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tup/b 99, tap/b 90. Par hasard ou pour quelque raison, le répertoire hittite ne comprend pas de signe *p__k/g (comparer MesZL 12, 132, 881). (4) Cas particulier de pát / pít (HZL 13 = MsZl 69). – Avec 8 lectures syllabiques possibles en accadien, pát, pád, pít, píd, pè, pì, mút, múd, le signe HZL 13 est celui dont l’interprétation dans les textes hittites a suscité le plus de débats (voir Pedersen 1935, Hoffner 1973a : 100-104, Puhvel 1979, 1982). Le problème se pose essentiellement parce que l’emploi de ce signe est limité à l’écriture d’un petit nombre de lexèmes, lesquels en font un usage fréquent, quand ce n’est pas systématique. Il semble aujourd’hui admis (sauf par Puhvel) que les lectures accadiennes pè, pì, mút, múd, ne sont pas attestées en hittite, si bien que l’interprétation de HZL 13, se limite au caractère du timbre vocalique localisé entre les plosives labiale et coronale : la lecture [a] est bien documentée, tandis que la lecture [i] ne repose que sur le témoignage de 3sg. prés. pí-it-ta-iz-zi KBo 3.34 ii 35 (VH/nh), face à la variante píd-da-a-iz-zi KBo 10.7 iv 11 (VH/nh), forme qui, dans ce contexte, semble ressortir à la flexion de pa/iddai- « apporter, rendre » plus qu’à celle de paddai- « courir, fuir » (voir CHD P 354, Kloekhorst 2008 : 656-657). Les autres lexèmes pour lesquels une lecture [i] est présumée utilisent exclusivement pít- sans avoir jamais recours à une graphie *pi-it-39. La transcription par pát (et non pít) de mots exclusivement écrits au moyen de ce signe, comme l’enclitique ⸗pat ou le verbe padda- « fouir, creuser » n’est fondée que sur l’interprétation étymologique. Une autre singularité de ce signe, qui se semble pas encore avoir été prise en considération jusqu’à présent, est que les contextes dans lesquels le signe pát / pít est employé sont strictement contraints. Quand il n’est pas utilisé à l’initiale (padda- « fouir, creuser » → 1sg. pád-da-ah-hi) ou en finale du mot (par exemple, Hepat (divinité) → dHe-pát, références chez Trémouille 1997), le signe pát / pít n’a, à gauche comme à droite, qu’un seul contexte possible : – il est obligatoirement précédé d’une voyelle, et jamais d’une consonne (éventuellement de /l/ en frontière de clitiques) ; la seule exception est, à ma connaissance, appatriya- « confisquer » → 3sg. ap-pát-ri-ya-zi KUB 13.9 i 10 (MH/nh), exception isolée face aux graphies usuelles ap-pa-at-ri-ez-zi, ap-pa-ta-ri-ez-zi ; – il est obligatoirement suivi d’une consonne – jamais d’une voyelle –, laquelle est toujours une plosive coronale : pattar- « aile » → pát-tar (mais aussi : paat-tar, CHD P 240sq.), apatta « là-bas » → a-pát-ta (aussi : [a-p]a-at-ta HW² I, 168), pa/ittenu- « faire fuir » → 3sg. prés. pá/ít-te-nu-uz-zi, etc.

39  p ittalai- « abandonner », pittalwa(n)- « vierge, intact », pittuliya- « anxiété, tension », et leur dérivés (voir CHD P).

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L’entourage dans lesquel est utilisé de pá/it, pá/id est donc toujours (… V-)__ (-t …), jamais *… p-__ ou *__-V…. Il apparaît donc que l’emploi de pát / pít est prohibé dans des contextes où la coronale finale serait susceptible de représenter une plosive de la série C, tout comme la labiale est prohibée les positions qui lui feraient représenter une plosive de la série CC. L’utilisation de pát / pít revient donc, de fait, à spécifier les propriétés de mode de chacune des plosives constituant ce signe, caractéristique presque unique dans le répertoire hittite (sur Vh, voir § 4.8.2). Cette observation s’accorde avec le fait que l’écriture 29 lexèmes intelligibles en /# labiale + V + coronale/ recensés dans le CHD P 212-249, 361-368, à soit recours à pát / pít exclusivement (16 lexèmes), soit à pa-at- ou pí-it- exclusivement (11 lexèmes). Deux graphies présentent exceptionnellement un caractère interchangeables, l’une avec padda- (petit objet minéral) → dir. sg. NA4pád-da KUB 10.92 vi 4 (NH), l’autre avec pl. NA4pa-at-ta KUB 48.118 i 3 (NH), et paddai« courir, fuir » ou pa/iddai- « apporter » (cité ci-dessus). Elles n’apparaissent véritablement équivalentes que dans le seul cas du nom pattar- « panier » → dir. pát-ta-ar⸗ KBo 17.1+ iii 4 (VH) et pa-at-tar KBo 8.74 i 7 (VH), possiblement emprunté. Ce dernier cas mis à part, l’emploi du signe pát / pít n’est jamais équivalent aux combinaisons pa-at- ou pí-it-. Cette répartition semble, en outre, confirmée par l’étymologie puisque, quand celle-ci est sûre, l’utilisation de pát / pít est obligatoire avec des lexèmes reposant sur une voisée initiale (par exemple, padda- « fouir, creuser » ; comp. lat. fodiō, v.sl. bosti, bodǫ, lit. bèsti, bedù), alors que celle de pa-at- / pí-it- est obligatoire avec ceux qui reposent sur une non voisée initiale (par exemple, pata- « jambe, pied » ; comp. véd. pád-, gr. poús, podós)40. (5) La lecture aleph. – Dans les dialectes de l’accadien postérieurs au vieux babylonien, les signes a (MesZL 839), i (MesZL 252), et ú (MesZL 490), quand ils sont précédés d’une autre voyelle, peuvent avoir une lecture dite aleph (aₓ, iₓ, úₓ) représentant une glottale [ʔ]. Le statut phonologique de la glottale en accadien est controversé car les occurrences de [ʔ] ne s’observent ou ne se laissent supposer qu’en contexte intervocalique41. L’hypothèse émise par Kloekhorst (2006a : 80, 2008, passim) selon laquelle les scribes hittites auraient adopté le principe de la lecture aleph pour représenter un phonème /ʔ/ « à 40  Quand elle est accessible, l’étymologie des mots écrits pat … confirme cette distribution, sauf dans le cas de pattai-/patti- « fuir, courir », toujours écrit avec pát / pít alors qu’il repose sur une racine à non voisée initiale (véd. pátati, gr. pétomai), mais l’exception n’est qu’apparente puisque le thème /Ptʰaj-/ ne débute pas par une syllabe # CV, mais # CCV (voir sur ce point Kloekhorst 2008 : 655-658). 41  Par exemple, Reiner 1966 : § 3.1.3, réfute que [ʔ] soit un phonème, ce que d’autres spécialistes d’accadien admettent sans discussion ; voir, en dernier lieu, Worthington 2012 : 173.

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l’initiale prévocalique du mot », est en contradiction avec le modèle dont elle se réclame (voir Weeden 2011b : 63-68). Sa teneur linguistique est, en outre, contestable car, outre que les copies de textes accadiens réalisées en milieu hittite restituent [ʔ] de façon vacillante (Labat 1932 : 32), comme si cette articulation leur était difficile ou étrangère aux scribes, elle néglige que l’occlusion glottale n’est pas tant un son, qu’une absence de son se manifestant en limite d’unité prosodique, typiquement entre noyaux syllabiques ou entre mots. L’événement phonétique que constitue [ʔ] est, par définition, dépendant d’un environnement donné, ce qui explique qu’autant les manifestations plus ou moins sporadiques de [ʔ] sont banales, voire universelles dans les langues, autant il est excessivement rare que [ʔ] se voit assigner un statut de phonème42. En hittite, la mise en évidence d’un phonème /ʔ/ demanderait non seulement que cette unité soit observable indépendamment du contexte où elle est utilisée, mais encore que cette manifestation corresponde à une unité opposable à d’autres phonèmes, conjectures qui, l’une et l’autre, échappent, en hittite, à toute possibilité de contrôle, le « /ʔ/ » ainsi supposé n’étant pas symbolisé dans la graphie. Rien n’accrédite, ni ne sollicite l’hypothèse d’un phonème /ʔ/ en hittite. 4.4.2 Les labialisées Une fluctuation libre de signes VₓC et CVₓ dans l’écriture d’un même lexème indique que la syllabe représentée dans l’écriture n’a, en réalité, pas de noyau vocalique, donc que la consonne des signe VₓC et CVₓ est incluse dans la marge d’une syllabe adjacente (§ 3.3). Quand le timbre de la voyelle des signes en alternance libre est u, situation limitée aux seul signes incluant une plosive vélaire, la fluctuation VC et CV stipule, en outre, une propriété de la consonne, en l’ocurrence son caractère labialisé. Une variation de ce type est bien illustrée dans les flexions des verbes aku-/ eku- « boire » et tarku- « danser » : (20) représentation des vélaires labialisées … uk … … ku … 2sg. prés. e-uk-si (VH) e-ku-us-si (VH/nh) 3sg. prés. e-uk-zi (VH), tar-uk-zi e-ku-zi (VH), tar-ku-zi (NH) (VH) 3pl. prés. a-ku-an-zi (VH), tar-ku-an-zi (VH) 3sg. prét. e-uk-ta (VH) e-ku-ut-ta (VH/nh) 42  Pour des exemples de langues à phonème /ʔ/, voir Ladefoged & Maddieson 1994 : 74.

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Ces graphies se lisent 3pl. a-ku-an-zi [a.gʷaɲ.ʧi], tar-ku-an-zi [Tar.Kʷaɲ.ʧi], etc. Le caractère labialisé des plosives vélaires [Kʷ] est, par ailleurs, confirmé par la comparaison indo-européenne avec des correspondances régulières entre les labialisées de l’état indo-européen et celles du hittite (voir Benveniste 1932, Lindeman 1965, Puhvel 1974, Melchert 1994 : 61, Kimball 1999 : 86). Les signes graphiques susceptibles de manifester le caractère labialisé des des vélaires sont peu nombreux. Le signe gu (HZL 304) n’étant utilisé que pour écrire des mots d’origine étrangère, l’écriture des plosives vélaires labialisées ne repose, de fait, que sur trois signes : (21) signes aptes à manifester une labialisation des plosives [n o du HZL] VC

CV

CVC

ug, uk, uq 93

ku, gu 206

kum 120

L’identification des labio-vélaires pose divers problèmes, tant au plan de la graphie qu’à ceux de la phonétique et de la phonologie : (1) Graphie. – La détection d’une plosive labialisée repose, sur l’existence de variantes graphiques mettant en évidence des vacillations explicites du type de e-uk- : e-ku- ou, au contraire, témoignant d’une stabilité de -ku- et de son environnement graphique dans des contextes phonétiques où ce signe ne représente pas, à lui seul, une syllabe, comme dans la flexion du relatifindéfini kui-. Dans tous les autres cas, qui sont, de loin, les plus nombreux, la question du caractère labialisé d’une plosive se pose chaque fois que la graphie d’un mot utilise un des signes de (21), sans qu’aucun critère graphique ou phonétique ne soit à même d’orienter une interprétation : entre les graphies des adjectifs nekumant- « nu » → nom. ne-ku-ma-an-za (MH), et ekuna- « froid » → nom. e-ku-na-as, aucune autre information que l’étymologie, ne permet de savoir que, dans le premier cas, la plosive est labialisée /negʷmaNT-s/, alors qu’elle ne l’est pas dans le second /eguna-s/. La liste suivante recense la quizaine de mots du lexique hittite dans lesquels la présence d’une labio-vélaire est certifiée ou rendue plausible par la comparaison indo-européenne (on renvoie aux dictionnaires étymologiques pour plus de détails) :

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(22) lexèmes incluant une plosive labialisée neku- « faire nuit » ⸗(a)k(k)u conj. coordonante nekumant- « nu » arku- « chanter, entonner » parkui- « pur » eku-/aku- « boire » sakuwa- « oeil » halkuessar- « matériel cérémoniel » sak(u)ruwai- « abreuver » kuen- « tuer » dankui- « noir, sombre » kuer- « couper » tarku- « danser » kui- relatif-indéfini watku- « sauter » (?) guls- « graver » L’interprétation des signes de (21) dans les mots ne faisant pas partie de cette liste est, en ce qui concerne la labialisation, incertaine, puisqu’ils peuvent répondre : – soit à une séquence sûrement formée d’une vélaire non labialisée suivie de [u], par. ex. neka- « soeur » → acc. pl. {neg-us} né-e-ku-us, face à acc. sg. {neg-an} ne-ga-an, ou bien de [w], par ex. nini(n)k- « mettre en mouvement » → 1pl. prés. {niniNK-weni} ni-ni-in-ku-u-e-ni ; – soit à une articulation dont le caractère labialisé peut être supputé, mais non démontré, comme dans le cas de pasku- « repousser ignorer » dont la forme 3pl. prés. pa-as-ku-wa-an-zi reflète, en apparence, le même traitement que tarku- « danser » → 3pl. prés. tar-ku-wa-an-zi [voir ci-dessous], tandis que 3sg. prét. pa-as-ku-ut-ta, reflète celui de watku- « sauter » → wa-at-ku-ut-ta ; le parallélisme rend vraisemblable la présence d’une labio-vélaire /PasKʷ-/, mais il ne révoquent pas la possibilité d’une interprétation /PasKu-/. (2) Phonétique. – Certains spécialistes admettent une équivalence de principe entre les graphie Ku(-u …) et une réalisation [Kʷ]. Ce point de vue néglige que, dans certains contextes, les relations entre une labialisée et son entourage imposent l’émergence d’un voyelle anaptyctique ou paragogique dont le timbre est, alors, régulièrement [u] : – Une graphie telle que guls- « graver » → 3pl. prés. gul-sa-an-zi (VH/nh) suppose une réalisation [Kʷul.saɲ.ʧi], en raison du caractère inacceptable d’une syllabation *[Kʷlsaɲ.ʧi], puisqu’une attaque comportant trois consonnes *[Kʷls] est réprouvée par la phonotactique et qu’il est exclu que [l] soit être séparée de son noyau par un segment moins sonorant tel que [s]. Un traitement anaptyctique doit être pareillement reconnu dans plusieurs cas : arku- « chanter » → 3sg. prét. {arKʷ-tʰ} ar-ku-ut-ta KUB 22.70 Ro 80 (NH) suppose une réalisation [ar.Kʷut(ʰ)] ou [ar.Kʷu.tʰə], en raison du caractère à tous égards impossible d’une coda [rKʷtʰ] (voir § 8.14) ; dans la flexion de watku- « sauter », la variation de 3sg. prét. wa-at-ku-ut-ta KBo 25.122 ii 5 (VH), par rapport à wa-at-ku-ut KUB 17.7+ i 17 (NH), KUB 33.106+ i 5

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(NH, même texte), suppose nécessairement un traitement {waTKʷ-tʰ} → [waT.Kʷut(ʰ)] (autrement, Oettinger 1979 : 237), etc. – quand une consonne quelconque est géminée en coda d’une syllabe attaquée par une vélaire labialisée, la géminée est – par définition – en contexte intervocalique, donc, dans le cas des vélaires labialisées, derrière une voyelle de timbre [u] : eku-/aku- « boire » → 2sg. prés. e-ku-us-si (VH/nh) reflétant [e.gʷus.si], la variante non géminée e-uk-si (VH) suppose {egʷ-si} → [e.gʷu.si] et non *[egʷ.si] (on déduit le caractère voisé de la plosive de 3pl. prés. {agʷ-aNʧi} a-ku-an-zi). En fin de mot, l’ajout d’un clitique à voyelle initiale à ta⸗kku « si » dans ták-ku-wa-at KBo 6.2 ii 35 (VH), n’impose aucune interprétation particulière, [Ta.⸗kʰʷu.w⸗aT] et [Ta.⸗kʰʷ⸗aT] étant, l’une et l’autre, des syllabation a priori licites, mais l’absence de graphie *⸗(k)k en finale de la conjonction, toujours écrite ⸗kku, indique que la délabialisation affectant les obstruantes labialisées en fin de mot (sur quoi, voir § 5.1.3b) n’a pas opéré, autrement dit que ta⸗kku reflète bien un scansion bisyllabique [Ta.kʰʷu] ou [Ta.⸗kʰu] (voir, dans le même sens, Garrett ap. Melchert 1994 : 184). Le développement de la voyelle paragogique a été probablement favorisé par le fait que peut ⸗kku être suivi d’un enclitique à consonne initiale, voire formé d’une seule consonne, comme dans ták-ku-za KUB 13.4 iv 53 (MH/nh), KUB 13.17 Vo 15 (/nh), et que, dans cette situation, une syllabation [Ta.⸗kʰ(ʷ)u⸗ʧ] est nécessairement préférable à [Ta⸗kʰʷ⸗ʧ] en termes de reconnaissance articulatoire. L’interprétation d’autres graphies est moins nette : dans certains cas, les règles de syllabation admettent plusieurs solutions sans en imposer une en particulier : la graphie eku-/aku- « boire » → 3sg. opt. {egʷ-tʰu} e-ku-ud-du peut représenter [e.gʷu.tʰu] aussi bien que [egʷ.tʰu], mais sûrement pas *[e.gʷtʰu]. Au voisinage de /r/, l’écriture des plosives vélaires dans l’alternance apophonique reflétée par la flexion de kuer- « couper » /Kʷer- : Kʷr-/ → 3sg. prés. ku-erzi (VH/nh) : 3pl. ku-ra-an-zi (VH/mh?) peut a priori refléter [Kʷu.raɲ.ʧi] aussi bien que [Kʷraɲ.ʧi], à ceci près que la difficulté phonotactique d’une attaque [KrV.] (§ 3.3.4), suggère plutôt une syllabation [Kʷu.]. Le seul contexte dans lequel la lecture des signes K/Gu, quand ils représentent une labialisée, ne présente aucune difficulté est celui de l’attaque simple : eku- « boire → 3pl. prés. a-ku-an-zi (VH) [a.gʷaɲ.ʧi] (des variantes comme a-ku-u-wa-an-zi (NH/nh) indiquent un développement secondaire dérivé de la semi-voyelle [a.gʷaɲ.ʧi] → [a.gʷu.waɲ.ʧi] (§ 8.12.7). En résumé, l’emploi des signes Cu(C) dans lesquels C est une plosive dorsale recouvre, deux situations phonologiques correspondant à trois réalisations phonétiques possibles :

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– une vélaire non labialisée /K/ suivie de la voyelle /u/ : neka- « soeur » → acc. pl. {neg-us} né-e-ku-us, etc. – une vélaire labialisée /Kʷ/ imposant l’émergence subséquente de [u] quand certaines normes de syllabation ont à s’appliquer : /negʷTs/ → [ne.gʷuTs] ne-ku-uz, ta⸗kku « si » [Ta.k(ʰ)ʷu] ; – une vélaire labialisée /Kʷ/ réalisée [Kʷ] quand elle est en attaque d’une syllabe /(ʧ ɣ m n r l j w) + V/ : 3sg. ku-en-zi [Kʷeɲ.ʧi] « il tue », 3pl. ar-ku-an-zi [ar.Kʷaɲ.ʧi] « ils chantent » ; tarku- « danser » → nom verbal {tarKʷ-war-} → [Tar.Kʷ(w)ar] tar-ku-wa-ar KUB 4.1 ivb 40 (MH/nh). (3) Phonologie. – L’interprétation phonologique des vélaires labialisées pose d’autres problèmes : le premier concerne leur inventaire, l’autre, leur vraisemblable élimination en tant que série en hittite tardif. a) Le caractère distinctif des vélaires labialisées par rapport à d’autres dorsales résulte de paires comme relatif-interrogatif kui- → dir. pl. ku-e [Kʷe] – délocutif kā- → nom. pl. ke-e [Kē] ; kuen- « tuer » → 1sg. prét. ku-e-nu-un [Kʷe. nun] – genu- « genou » → acc. ge-nu-un [Ke.nun] KBo 20.73 i 2 (MH), etc. Parallèlement, la variation dont fait occasionnellement preuve la plosive dans la flexion du dérivé ak(k)u-ske- « boire » → 3pl. prés. ak-ku-us-kán-zi KBo 17.11 + iv 34, face à aku- → a-ku-an-zi, même tablette, iv 35 (VH) indique la possibilité d’une variation du mode articulatoire de la labialisée (sur lesquelles, voir plus en détail § 8.3.3). Cependant, autant la possibilité d’une réalisation différenciée des labialisées selon le voisement est sûre au plan phonétique, autant, rien ne certifie que ce témoignage mette en évidence une alternance de phonèmes /gʷ/ et /kʷʰ/ plutôt que des réalisations locales d’un même phonème. L’interprétation est d’autant plus problématique que les graphies intervocaliques kku sont rares de façon générale (ggu est exceptionnelle). Il est possible que cette absence résulte simplement de ce que l’articulation labialisée des vélaires n’étant assurée qu’avec une quinzaine de lexèmes, les possibilités de contrôler leur statut phonologique sont excessivement limitées, mais on ne peut, non plus, exclure une donnée de comportement indépendante de la déficience documentaire. A l’appui de cette observation, on peut remarquer que dans la liste des lexèmes reflétant plus ou moins sûrement une vélaire labialisée (tabl. 22), tous font usage, en position intervocalique, d’une graphie ku/gu (eku-/aku- ; neku- ; sakuwa-). Les graphies kku/ggu ne paraissent véritablement stabilisées que dans trois mots où le caractère labialisé de la vélaire est exclu, problématique ou impossible à discerner : tekkussiya- « montrer » (voir Watkins 1969 : 229, Tischler HEG III(9), 1993 : 304-306, Kloekhorst 2008 : 865), pakkus- « écraser » (Oettinger 1979 : 212, Puhvel HED VIII, 2011 : 60-61, Kloekhorst 2008 : 618), et lakkusanzani- « couverture, courtepointe » (avec une variante nom. la-ku-sa-an-za-ni-is, sur laquelle, voir § 8.5.6).

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L’hypothèse selon laquelle les plosives ne comptent qu’une seule vélaire labialisée /gʷ/ paraît donc a priori plus plausible que celle d’un couple /gʷ//kʷʰ/ (sur la situation comparable, à cet égard, des fricatives labialisées, voir § 4.8.3)43. Cette observation s’inscrit, au moins partiellement, dans le sens des tendances typologiques : sur les 71 langues d’UPSID-451 incluant au moins une plosive vélaire labialisée, la situation dans laquelle un couple de labialisées vélaires s’opposent selon le voisement est moins fréquente (27 langues) que celle dans laquelle une seule labialisée est présente (44 langues) ; en revanche, cette labialisée unique est, plus souvent, non voisée (41 langues) que voisée (3 langues). (b) Le témoignage de tarku- « danser » → 3pl. prés. {TarKʷ-aNʧi} normalement écrit tar-ku-an-zi (VH) : tar-ku-wa-an-zi (VH) dans la langue ancienne, apparaît, dans les documents plus tardifs sous une graphie tar-ku-u-wa-an-zi reflétant l’insertion d’une voyelle de diérèse, laquelle suppose que l’appendice labialisé s’est dissocié de la plosive [Tar.Kʷaɲ.ʧi] → [Tar.Kwaɲ.ʧi] → [Tar. Ku.waɲ.ʧi] (sur la tendance à l’insertion de [u] devant /w/, voir § 8.12.7) ; de même, les variantes de kuer- « couper » itér. kur-as-ke- face à ku-wa-ar-as-keKBo 24.3 + i 7 (/mh). L’opérateur kuwat « pourquoi ? », s’il est bien formé de l’interrogatif-relatif ku- et du pronom délocutif ⸗at (hypothèse plausible, mais indémontrable), n’est jamais écrit *ku-at {Kʷ-aT} comme on peut avoir ku-it {Kʷi-T}, mais seulement ku-wa-a-at (VH), ku-wa-at (MH), ku-u-wa-at (MH), ce qui laisse pareillement supposer une réinterprétation {KʷaT} → [KwaT] → [Ku.waT]. De tels témoignages tendent à indiquer que, dès le moyen hittite, /Kʷ/ ne fait plus partie de l’effectif phonologique en ayant été remplacé par une séquence [K]+[w] (voir déjà, en ce sens, avec d’autres données, selon moi, peu probantes, Oettinger 1979 : 237). Le remplacement de la plosive labialialisée /Kʷ/ par une approximante labio-vélaire /w/ est considéré par certains spécialistes comme le signe d’une origine louvite : tarku- « danser » → 3sg. prés. tar-uk-zi (VH), tar-ku-zi (NH), représente [TarKʷ.ʧi] ou [Tar.Kʷu.ʧi], face à tar-ú-zi [Ta.ru.ʧi] KBo 30.103 Ro 6 (VH/mh) ; lalakuesa- « fourmi » → acc. la-la-ku-e-sa-an [la.la.gʷe.san] KUB 33.93 iii 22 (NH), face à la-la-ú-e-sa-an [la.la.we.san] KBo 26.91 ii 4 (NH)44. 43  A ma connaissance, seule Rieken 2007 : 86, a relevé qu’il n’y a probablement qu’une seule labialisée en hittite. 44  Puhvel HED V : 45, Melchert 1994 : 61, Kloekhorst 2008 : 516. En louvite, [w] représente le traitement à peu près régulier de *gʷ (Kimball 1994, Melchert 2012a : 213). L’hypothèse d’un traitement hittite occasionnellement [w] d’une plosive labialisée (sur quoi, voir Ohala & Lorentz 1977), est d’autant moins à exclure que ni lalauwesa/i-, ni lalakuesan ne sont attestés en louvite où l’existence d’une base *tarwa- « danse(r) » est, par ailleurs, douteuse (Starke 1990 : 604).

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Chapitre 4

4.4.3 Les palatales (1) La question des palatales en anatolien. – Dans un article remarqué, Melchert (1987[1985]) a montré que la distinction qui existait, en indo-européen, au sein des plosives dorsales, entre les (alvéo-)palatales, les vélaires et les vélaires labialisées *k̑ ≠ *k ≠ *kʷ avait été préservée en louvite et en lycien : (23) graphie des réflexes des dorsales indo-européennes en anatolien indo-européen : louvite : lycien : hittite : palaïte :

*k̑ z s k k

*k k x k k

*kʷ ku t ku ku

La situation des réflexes de la série *g̑, *g̑ ʱ en louvite et en lycien est moins claire car les vélaires voisées tendent à être éliminées dans des conditions qui ne sont pas complètement élucidées (Kimball 1994, Melchert 2012a). La mise en évidence de ces données a des conséquences sur l’ensemble de la reconstruction indo-européenne puisqu’il était jusqu’alors admis que la distinction *k, *kʷ, *k̑, avait été partout neutralisée dans des configurations, soit traditionnellement dites centum (grec, latin, germanique, tokharien et celtique), soit , dites satəm (indo-iranien, balte, slave et arménien, ces deux derniers dialectes conservant localement quelques vestiges de la distinction originelle). Le caractère exclusif de cette répartition dialectale avait, d’ailleurs, conduit certains chercheurs à estimer que la reconstruction de trois ordres distincts de dorsales dans l’état commun était douteuse. Dans une étude devenue classique, Meillet (1894 : 278sq.) avait notamment considéré que les réflexes de *k s’observant principalement au voisinage de *u et *r, dans des contextes estimés ne pas être de nature à motiver une palatalisation, alors que ceux de *k̑ ne se rencontrant que rarement dans le même environnement, il y avait lieu d’apprécier *k̑ comme une variante conditionnée de *k en contexte palatalisant, éventuellement phonologisée par la suite (dans les langues satəm) en conséquence de nivellements paradigmatiques (conception systématiquement appliquée, en dernier lieu, par Lipp 2009, au développement de l’indo-iranien). Les fondements de cette mise en cause sont, cependant, eux-mêmes, douteux. La palatalisation d’une consonne C → Cʲ est, certes, très souvent suscitée par le caractère antérieur de la semi-voyelle [j] ou des voyelles [i ɪ e ɛ æ] qui

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Les segments et leurs représentations

lui font suite, mais elle peut aussi être générée par d’autres facteurs tels que le caractère haut des voyelles [i u y] (quelles que soient leurs propriétés d’arrondissement), voire par les harmonisation inter-syllabiques qui peuvent se produire entre voyelles, indépendamment de l’arrondissement ou de la hauteur45, si bien qu’une assimilation de « (non) palatalisant » à « (non) antérieur » sans être incorrecte, ne constitue qu’une présomption. Mais surtout, même en admettant, au plan phonétique, le principe d’une émergence de *k̑ suscitée par un environnement spécifiquement antérieur, cette conception serait en discordance avec les données : le décompte, effectué par Kümmel (2007 : 314), des racines reconstruites dans le LIV, indique, en effet, que les plosives des trois ordres se répartissent dans les mêmes contextes sans faire apparaître de sensibilité contextuelle significative (sauf en ce qui concerne *kʷ + *u, *w) : (24) répartition contextuelle des dorsales en indo-européen reconstruit (racines verbales du LIV ²) *k̑

*k

*kʷ

24 113 13 5

16 112 22 6

9 56 0 4

__*i, *j __*e __*u, *w __*o(h₃), *a

Comme le montrent ces chiffres, en contexte spécifiquement antérieur, devant *j, *i, *e, la répartition des plosives dorsales entre palatales (113+24 = 137) et vélaires (112+16 = 128) est, à peu de choses près, équivalente, si bien que l’hypothèse selon laquelle *k̑ serait une variante de *k générée par le contexte ne repose, en réalité, sur rien. Pour un survol des arguments comparatifs allant dans le même sens, voir déjà Mottausch (2012). Récemment, Melchert (2012a), est revenu sur les vues exposées dans son premier article, au motif qu’en louvite, le suffixe -(i)zza- ne doit pas être mis en relation avec le morphème lyc. -(i)s- (rapport supposant une reconstruction *-i(s)k̑o-), mais avec -za-, dans un rapport imposant la reconstruction d’une coronale *-tyeh₂-46. Le sort de *k̑ devant /o/ en louvite étant moins bien documenté qu’il ne l’avait tout d’abord estimé, il considère, à présent, que le 45  Voir Bhat 1978 : 54-55, Kochetov 2011 : 1672, et plus largement, Ohala 1994. 46  Voir à présent Sasseville 2015 : 107-109.

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Chapitre 4

prototype à l’origine de louv. z, lyc. s, était une variante conditionnée *[kʲ] de */k/ (Melchert 2012a : 212). La nouvelle conception de Melchert se heurte, cependant, aux mêmes objections que l’approche de Meillet, puisque la révision étymologique – légitime – à laquelle il soumet l’affixe louvite ne change rien au fait que, comme le montrent ses propres exemples (p. 208-209, 212213), les réflexes louvites et lyciens de *k̑ sont les mêmes devant /o w/ (25b), et devant */e/ (25a) : (25) évolutions des dorsales dans les langues anatoliennes

a. *k̑ej- « gésir » *kes- « peigner » *kʷer- « couper » b. déloc. *k̑o *h₁ék̑wo- « cheval » *k̑won- « chien »

louvite

lycien hittite

3sg. prés. my. ziyari 3pl. prét. kisanda 3sg. prés. kuwarti nom. sg. za-(a-)as hiér. á-zú-wa/ihiér. zú-wa/i-ní-i-sa

sijẽni

esbe

kitta(ri) 3pl. prés. kisanzi kuerzi ka-a-as ku-wa-as

Tout comme on ne peut soutenir qu’en anatolien, *k̑ devrait ses propriétés articulatoires au fait qu’il se trouve devant /e/, donc qu’il serait une variante locale de */k/, alors que, dans ce contexte, les propriétés de *k sont différentes de celles de *k̑, on ne peut admettre que certaines des dorsales *k, *k̑ et *kʷ seraient des variantes des autres alors qu’elles ont chacunes des réflexes différents, quel que soit leur contexte, aussi bien devant */e/ que devant */o/. Si, au moins une des trois plosives *k, *k̑, *kʷ, était effectivement limitée à un certain environnement, ou si ses réflexes se confondaient systématiquement avec ceux des autres, il serait légitime de l’apprécier en tant que variante d’un autre phonème, mais ce n’est précisément pas le cas47. En anatolien, les trois plosives *k, *k̑, *kʷ, constituent des unités également utilisables dans les mêmes contextes, tandis que la diversité de leurs réflexes dans les langues anatoliennes ne dépend pas de ces contextes, mais de leurs propriétés intrinsèques48. La distinction anatolienne */K/-*/Kʷ/ ayant été 47  Melchert 2012a : 208, affirme que « all instances of *k̑ ([kʲ]) > ts are either in exclusively fronting environments or in paradigms with fronting environments » (p. 209), alors qu’il expose lui-même (p. 208), des témoignages qui contredisent cette généralisation (voir tableau 25). 48  Contrairement à la conception plus ou moins suggérée dès Meillet (1894), et parfois affirmée comme un fait établi (ainsi par Kuryłowicz 1977 : 190), un contraste phonologique

Les segments et leurs représentations

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maintenue telle quelle en hittite et en louvite (abstraction faite du sort relativement peu clair des voisées *g, *gʷ), et la distinction */K/-*/K̑ / ayant été transphonologisée en louvite et en lycien49, toutes les conditions paraissent donc réunies pour considérer, non seulement, que l’anatolien commun a bien préservé la distinction héritée entre un ordre (alvéo-)palatal */K̑ /, un ordre vélaire */K/ et un ordre labialisé */Kʷ/, selon l’analyse adoptée par la plupart des chercheurs, à la suite du premier Melchert50, mais encore que sons symbolisés dans la reconstruction par *k̑, *g̑ n’ont aucune raison d’être appréciés comme des variantes de */k g/, que leur caractère secondairement palatalisée *[kʲ gʲ] localiserait au même point d’articulation que *[k g], mais bien comme des palatales */c ɟ/ formées plus avant que les vélaires */k g/. (2) La question des palatales en hittite. – Ce point précisé, la question doit être à présent envisagée de l’évolution de cette organisation en hittite historique, la question étant de savoir si, à côté du ‘ku’ sûrement labialisé de kuerzi, la localisation articulatoire du ‘k’ de kittari était palatale ou vélaire. En d’autres termes, faut-il estimer qu’en hittite, le réflexe de *k̑ prolonge la même localisation qu’en anatolien, donc une (alvéo-)palatale /cʰ/ écrite k/g, ou bien reflète une évolution ayant conduit ce phonème à se confondre avec les réflexes de *k pour aboutir en hittite à une vélaire unique /kʰ/ également écrite k/g ? Le problème se pose car l’écriture cunéiforme, en symbolisant les plosives dorsales au moyen d’une seule et même série de signes génériques, est par, sa conformation, inapte à restituer une éventuelle différenciation des palatales et des vélaires. Le procédé associatif dont témoigne la sélection des signes uk / ku pour représenter les labialisées ne peut être transposé à celui des palatales car distinction entre [kʷ] et [k] repose sur la superposition d’une articulation à un segment dont la localisation ne varie pas (du moins, en principe), alors que la distinction entre [c] et [k] repose, à l’inverse, sur une différence de localisation articulatoire : on pourrait imaginer qu’une palatalisée [kʲ] distincte de /c k kʷ/ au sein des dorsales n’a rien d’exceptionnel : il est documenté dans une dizaine de langues (voir les bases UPSID-454, PHOIBLE), dont l’abkhaz, étudié en détail, sur ce point, par Catford 1972. 49  Les plosives palatales ont tendance à générer un bruit fricatif durant leur phase de relâchement, ce qui peut les assimiler, au plan perceptif, à des affriquées, mécanisme que Ladefoged 1971, explique en considérant que la partie antérieure de la langue est en contact avec une portion du palais particulièrement étendue (sur les mécanismes mobilisés par la production des obstruantes palatales, voir Recasens 1990). Il est envisageable d’interpréter dans ce sens les graphies z du louvite quand elles représentent des réflexes de */K̑ /, car rien n’impose de faire l’hypothèse d’un phonème affriqué /ʧ/ → [ʧ] quand la réalisation perceptuelle de ce phonème est naturellement assimilée à une affriquée /c/ → [ʧ]. 50  Kimball 1999 : 257, Fortson 2004 : § 9.48, Kloekhorst 2008 : 14, Weiss 2009 : 35, 90, Kas’jan & Jakubovič 2010 : 20, Mottausch 2012, Zinko 2017 : 252.

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Chapitre 4

[k] soit écrite ik / ki, mais il serait exclu que des palatales [c] ou [ȶ] soient représentées dans la graphie par autre chose que k/g. L’hypothèse selon laquelle ‘k/g’ symboliserait ou ne symboliserait pas à la fois une vélaire et une (alvéo-) palatale est donc indémontrable, mais il est certain que si une (alvéo-)palatale existe, celle-ci n’a pas d’autre possibilité de représentation que ‘k/g’. Or, il existe une règle phonologique dont la justification impose de reconnaître, au plan phonétique, l’existence d’un ordre spécifiquement palatal en hittite (voir § 8.5.4). On estime donc légitime, sur cette base, d’estimer qu’existe en hittite un ordre de plosives (alvéo-)palatales symbolisées par les mêmes graphies k(k) / g(g) que les plosives vélaires. Il ne semble pas exister de paires opposant des réflexes de la série de *k̑ à des réflexes de la série *k, mais, même si c’était le cas, cette configuration ne laisserait rien déduire du statut phonologique des réflexes des deux séries en hittite historique. C’est donc sur la base d’une information exclusivement étymologique que l’on considère que la plosive ‘k/g’ de formes telles que le suffixe de dérivation itérative -ske-, les lexèmes ker- « coeur », genu- « genou », harki- « blanc », kanes- « reconnaître, savoir », parku- « haut », tekan- « terre » (etc.), est formée dans la zone palatale, tout en reconnaissant qu’il est impossible de préciser plus avant une hypothèse ne permettant aucune conclusion nette au sujet du statut phonologique de [ȶʰ ȡ] ou [cʰ ɟ]. 4.5

Représentation du mode des plosives

4.5.1 La représentation du mode Les plosives (et les fricatives non sibilantes) forment une classe de segments dont les propriétés de mode sont symbolisées au moyen d’un procédé ayant complètement échappé aux premiers analystes des textes hittites51. C’est à Charles L. Mudge, étudiant de Sturtevant, que l’on doit d’avoir remarqué, en 1931, que les graphies redoublées ‘CₓCₓ’ des obstruantes non sibilantes étaient systématiquement opposables aux graphies simples ‘Cₓ’ (voir Sturtevant 1932) : le participe inanimé du verbe « connaître » est écrit se-ek-kán « connu » KUB 48.119 Ro 3 (NH), jamais *se-kán, tandis que la désignation d’une certaine unité de mesure, est écrite se-kán KUB 38.23 : 10 (MH) ou se-e-kán KBo 18.54 Vo 23 (MH), jamais *se-(e-)ek-kán. La distinction se vérifie au sein de chaque lieu d’articulation, hormis avec les labialisées : 51  Voir Hrozný 1917, Weidner 1917, Marstrander 1919, Sturtevant 1925, 1927, Delaporte 1929, Sommer 1932, Friedrich 1931. Les auteurs qui n’esquivent pas le problème tendent à considérer qu’il n’y a qu’une seule série de plosives.

Les segments et leurs représentations

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(26) différenciation du mode articulatoire des plosives labiales : apā- (délocutif) → acc. a-pa-a-an ēpp- « saisir » → participe dir. inan. ap-pa-an coronales : pat(a)- « pied » → gén. pl. pa-ta-a-an, [p]a-a-ta-an padda- « fouir » → participe dir. pád-da-an dorsales : sekan- (unité de mesure) → dir se-e-kán sakk- « (re)connaître » → participe dir. se-ek-kán L’hypothèse formée par Mudge était que, puisque les graphies t sont interchangeables avec d, tout comme tt avec dd, la distinction entre t/d et tt/dd, ou entre h et hh, devait stipuler une information relative au mode. Après de longues controverses portant essentiellement sur la stabilité – relative – de la distinction Cₓ : CₓCₓ dans les textes (voir Pozza 2011/1, pour un inventaire des fluctuations), et sur la façon dont cette distinction se relate à l’indo-européen reconstruit, l’interprétation de Mudge s’est, depuis les années 1980, définitivement imposée52. Avant que d’aborder la question particulièrement controversée du contenu phonétique et phonologique de la distinction recouverte par ces graphies (§ 4.6.1sq.), il importe de prendre en considération les conséquences de la technique d’écriture consistant à représenter le mode articulatoire des obstruantes non sibilantes par une associations de signes distincts plutôt que par la sélection de signes spécialisés. 4.5.2 Dissociation du mode et du lieu Par rapport à l’usage accadien (babylonien), l’innnovation majeure de l’écriture hittite, est de faire dériver l’information relative au mode non pas de la lecture d’un signe, mais du contexte dans lequel un signe est utilisé. En d’autres termes, un signe CV ou VC, considéré isolément, stipule le lieu de formation des consonnes et les propriétés intrinsèques de leur mode, à l’exclusion de toute autre information (Vh et pát, mis à part, § 4.4.1(4) et 4.8.2)53. La représentation du mode articulatoire varie donc en hittite selon que le mode représente une propriété intrinsèque ou distinctive des consonnes : avec les résonantes et les sibilantes, le mode dérive de la lecture d’un signe (la par rapport à sa, ya, za, na, etc.), alors qu’avec les obstruantes non sibilantes, il dérive de la graphie du mot dans lequel une consonne est utilisée (se-ek-kán par rapport à se-kán, etc.). Corrélativement, le mode des consonnes, quand il 52  Les discussions sont résumées chez Kuryłowicz 1958, Melchert 1994 : 13-21. 53  Voir la discussion rétrospective de Kimball 1999 : 86-90 et, depuis, Hoffner & Melchert 2008 : 431, Kas’jan 2006 : 114-115, Popova 2010, Coello 2014 : 213sq.

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Chapitre 4

représente une propriété intrinsèque, est toujours symbolisé par les mêmes signes, mais peut et, parfois, doit, être symbolisé par des signes différents quand il représente une propriété distinctive. Par suite, tous les signes CV plus ou moins associés à un mode articulatoire donné dans l’écriture de l’accadien ne sont jamais exclus, dès les plus anciens textes, d’un emploi correspondant aux signes de l’autre série, du moins quand ils représentent des plosives non sibilantes : (27) interchangeabilité des signes CV stipulant originellement le mode wātardir. pl. ú-i-ta-a-ar ú-i-da-a-ar « eau » KBo 8.74+ ii 15 KBo 25.139 + Vo 2 da3pl. ta-an-zi da-an-zi « prendre » KBo 17.36+ i 7 même texte, ii 14 pattar loc. [p]át-ta-ni-i pád-da-ni-i « panier » KBo 17.3 iv 17 KBo 17.1 iv 21 antuwahhanom. an-tu-wa-ah-ha-[as an-du-uh-sa-as « homme » KUB 36.105 : 12 KBo 17.1+ i 23 es3pl. imp./opt. a-sa-an-tu a-sa-an-du « être » KUB 36.108 Ro 4 KUB 36.107 : 6 malt3sg. prés. ma-al-di ma-al-ti « réciter » KBo 20.19 : 9 KBo 20.10 i 12, ii 9 ⸗smit⸗ ka-lu-u-lu-pí-is-mi-ta-as-ta ka-lu-lu-pí-iz-mi-da-as-ta (poss. instr.) KBo 17.1+ i 19 KBo 17.3+ i 14 (dupl.) hatugaacc. pl. ha-tu-ka-us ha-tu-ga-us « terrifiant » KBo 17.5 ii 11 KBo 17.4 ii 6 Un même usage relativement indéterminé des séries de signes ta et da, s’observe, dans une moindre mesure, dans les textes en langue accadienne copiés à Alalah (voir ci-dessous) ou en milieu hittite (Labat 1932 : 21-31). La sélection des signes CV à l’initiale du mot (où les syllabogrammes ne permettent pas de représenter les séquences de consonnes) ne déroge pas à ce principe, à ceci près que, la position initiale constituant la zone critique de résolution dans l’identification perceptuelle du mot écrit54, la sélection d’un signe donnée plutôt que d’un autre y est plus normalisée qu’ailleurs (§ 3.2).

54  Voir Bouma 1973, Banks et al. 1977, Jacobs 1979. Une expérience à grande échelle menée par McConkie et al. 1989, a établi que la fréquence de refixation d’un mot écrit connaissait sa décroissance maximale au milieu du mot.

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Les segments et leurs représentations

4.5.3 Limitations à la représentation du mode Un redoublement des obstruantes non sibilantes n’est représentable, dans l’écriture, que par quatre combinaisons de signes (par exemple, avec t) : (28) graphies possibles des consonnes redoublées VC + CV ka-at-ta « au bas » CVC + CV kat-ta VC + CVC pa-at-tar « aile » CVC + CVC pát-tar KBo 23.12 Vo 13 En d’autres termes, une plosive quelconque ne peut être écrite CC qu’à la condition d’être localisée, dans la graphie, entre deux voyelles, ou entre une semi-voyelle et une voyelle : la désinence 2pl. prés. -tteni est représentée de la même façon entre deux voyelles dans da- « prendre » → 2pl. prés. da-atte-e-ni (VH) et en contexte /j__e/ dans pai- « aller » → pa-it-te-ni, VH. Dans tous les autres contextes, les plosives, quel que soit leur mode, sont écrites par une consonne C et une seule. Par contraste, les possibilités permettant l’écriture des plosives de la série ‘C’ dans le même contexte intervocalique sont plus limitée : l’écriture de la série ‘C’ repose, le plus souvent, sur une graphie …V-CV-, éventuellement sur une graphie …V-CVC-, mais jamais sur une graphie *-VC-V …55. Par exemple, une flexion bien documentée comme celle de epp- / app« prendre », montre que la plosive écrite pp entre voyelles est écrite p partout ailleurs : (29) graphie contextuelle des plosives redoublées V__V

ailleurs

prés. act.

3pl. ap-pa-an-zi

prét. act.

1sg. e-ep-pu-un 3pl. e-ep-per 3pl. ap-pa-an-ta-ti 3pl. ap-pa-an-tu

1sg. e-ep-mi 3sg. e-ep-zi 2/3sg. e-ep-ta 2pl. e-ep-tén

prét. my. imp./opt. act.

2sg. e-ep 3sg. e-ep-du

55  L’unique témoignage contradictoire est me-e-ek-e-es KBo 25.23 Vo 5, suspect, en regard de la graphie dominante me-ek-ke-(e-)es), voir § 2.7.3.

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Chapitre 4

Par contraste, la flexion de kara/ep- « consumer » montre une plosive invariablement écrite p dans tous les contextes, y compris intervocalique : (30) graphie des plosives non redoublées V__V prés. act. prét. act. imp./opt.

3sg. ka-ra-a-pí 3pl. ka-ra-pa-an-zi

ailleurs

3sg. ka-ri-ip-ta 2pl. ka-ri-ip-tén

De même, la plosive d’une désinence comme 2pl. prés. -tteni, normalement écrite … Vt-te-(e-)ni en position intervocalique est écrite … C-te-(e-)ni ailleurs, etc. 4.5.4 Limites à l’interprétation des graphies La technique consistant à représenter le mode des consonne par une association de signes plutôt que par des signes spécialisés induit donc, du point de vue du lecteur moderne, deux incertitudes : (1) Indistinction du mode articulatoire. – A l’initiale du mot, en finale, ou au voisinage de toute autre consonne, toute obstruante non sibilante est, obligatoirement, représentée par la même consonne ‘C’, que celle qui stipule le mode articulatoire d’une série donnée quand elle est en position intervocalique. Il s’ensuit qu’ailleurs qu’en position intervocalique, les propriété de mode d’une plosive sont strictement indiscernables d’après la graphie. (31) représentation graphique du mode articulatoire des plosives contexte : V__V ailleurs série 1 : pp/bb, tt/dd, kk/gg, kku/ggu p/b, t/d, k/g, ku/gu série 2 : p/b, t/d, k/g, ku/gu Remarque : Dans la présente étude, on utilise les symboles en majuscule P, T, K, H, pour représenter toute obstruante non sibilante dont les propriétés de mode sont indiscernables d’après la graphie en réservant

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l’emploi des minuscules à celles dont le mode est explicite : ták-sa-tar « niveau » [TaK.sa.dar], hal-ki-is (type de céréale) [Hal.Kis], etc. Les limitations à l’expression du mode par la graphie ne dérivent pas de la structuration phonologique du mot, mais de l’emploi du code graphique. Il suffit que la variante graphique d’un lexème fasse usage de signes à voyelle factice, mettant une plosive phonologiquement localisée au voisinage d’une autre consonne en position intervocalique dans l’écriture pour que ses propriétés de mode deviennent explicites : le mode articulatoire de la plosive coronale du dérivé causatif en -nu-, hatnu- « faire sécher », ne peut être identifié du fait de sa localisation au voisinage de n, dans, par exemple, 3sg. prét. ha-at-nu-ut (VH/nh), mais la variante ha-da-nu-ut (NH), utilisant une graphie à voyelle factice, restitue le mode de cette plosive, en conformité avec les graphies du verbe de base hat- « sécher » → 3pl. prét. ha-a-te-er. Rien ne permet d’assimiler la représentation défective de l’information phonologique induite par l’écriture à des mécanismes ou à des contraintes linguistiquement significatives (contrairement à Kas’jan & Sidel’cev 2010 : 36). (2) Indistinction de la gémination. – Une graphie de type ‘CC’ (donc, observée entre voyelles) peut, par opposition à ‘C’, a priori stipuler le mode articulatoire des obstruantes non sibilantes, mais elle peut aussi correspondre au fait qu’une obstruante, quel que soit son mode articulatoire, est suivie de la même obstruante, situation pouvant a priori correspondre à une gémination /Cₓ/ → [CₓCₓ] (voir § 6.7) autant qu’à une séquence biphonématique /CₓCₓ/. En définitive, l’interprétation du mode articulatoire des obstruantes non sibilantes n’est absolument sûre qu’en présence de graphies ‘C’ entre voyelles ou entre semi-voyelle et voyelle, lesquelles identifient, sans équivoque possible, le lieu, le mode et le caractère non géminé d’une consonne. Dans toutes les autres situations, l’information que l’on peut retirer de la lecture des signes impliquant des obstruantes non sibilantes est nécessairement partielle : – à l’initiale du mot, en finale et au voisinage d’une autre consonne, toute obstruante non sibilante est invariablement écrite ‘C’ sans que ses propriétés de mode puissent être déduites de la graphie ; – en position intervocalique, une graphie ‘CC’ peut tout autant stipuler une information sur le mode articulatoire de [Cₓ] que le caractère géminé d’une séquence de consonnes [CₓCₓ] dont les propriétés de mode sont indiscernables.

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4.5.5 Sélection des signes CV et représentation des modes Autant rien n’interdit aux signes correspondant aux séries respectivement voisées et non voisées en accadien d’être remplacés les uns par les autres dans l’écriture du hittite (tabl. 27), autant la distribution des signes pV, tV, kV par rapport à celle des signes bV, dV, gV n’est pas aléatoire. (1) La prohibition de *-VC-V-. – Comme on l’a mentionné, une plosive intervocalique de la série ‘C’ n’est jamais écrite *-VC-V …(§ 4.5.3). La règle ne s’applique toutefois pas quand la plosive finale post-vocalique d’un mot-hôte est d’un enclitique à voyelle initiale, auquel cas, cette plosive peut (rarement) être représentée par un signe VC : {KʷiT⸗aT} → ku-it-at Table de Bronze iii 54 (NH) (voir d’autres exemples chez Hoffner & Melchert 2008 : § 1.9)56. L’écriture des plosives de la série ‘C’ entre voyelles prohibe donc l’emploi de la classe des signes VC (§ 4.4.1), en imposant celle de signes CV(C) lesquels sont les seuls à stipuler une information relative au mode. L’écriture des plosives de la série ‘CC’ dans le même contexte échappe à la même contrainte, à ceci près que, dans l’écriture de la série ‘CC’, l’emploi d’un signe VC est, par définition, toujours accompagné d’un signe CV(C). (2) Signes CV voisés et non voisés en vieux hittite. – Les signes CV sélectionnés pour écrire une plosive de la série ‘C’ en vieux hittite sont, en moyenne, dans deux occurrence sur trois, des signes où ‘C’ est équivalente, en accadien, à une plosive non voisée tV, kV (on ne tient pas compte des des signes CV à plosive labiale, leur sélection n’étant pas significative du voisement – § 4.4.1) : (32) fréquences des signes CV sélectionnés pour représenter ‘C’ (vieux hittite) moyenne V-pV- = 100 % (214) V-tV- = 54 % (155) V-kV- = 73 % (151) 63 % V-bV- = V-dV- = 46 % (134) V-gV- = 27 % (57) 37 % Une relation de même nature s’observe dans l’écriture des plosives de la série ‘CC’, à ceci près que l’écart s’accuse, cette fois, de façon considérable, puisque, dans plus de neuf occurrences sur dix, les signes utilisés correspondent en accadien à des non voisées :

56  Sur les caractères phonologiquement non comensurables des contextes /… VC⸗V …/ et /… CVC …/, voir § 9.20.

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(33) fréquences des signes CV sélectionnés pour représenter ‘CC’ (vieux hittite) moyenne Vp-pV- 100 % Vt-tV- = 96 % (190) Vk-kV- = 98 % (57) 97 % Vb-bV- (120) Vd-dV- =  4 % (8) Vg-gV- =  2 % (1)  3 % Un telle répartition montre que si les signes de type pV, tV, kV ont, de façon générale, plus que les signes de la série bV, dV, gV, propension à représenter les plosives, quel que soit leur mode articulatoire, il existe une tendance massive à utiliser pV, tV, kV pour écrire la série ‘CC, laissant les signes de type bV, dV, gV pratiquement inutilisés dans cet emploi. Les 9 témoignages de graphies -(C)Vd-dV- et de -(C)Vg-gV- ne reposent, au demeurant, que sur les occurrences de deux lexèmes seulement : padda- « fouir » (1sg. prés. pád-da-ah-hi KBo 17.5 ii 2) et lukk- « devenir brillant » (3sg. prés. my. lu-ug-ga-at-ta KBo 17.3 iv 21). En termes de représentation des éléments d’écriture, les signes pV, tV, kV ne sont que 1,2 fois (155+151 = 306 / 190+57 = 247) plus souvent utilisés pour écrire la série ‘CC’ que pour la série ‘C’, dans une proportion que l’on peut tenir pour insignifiante, alors que les signes de type bV, dV, gV sont 21 fois plus souvent utilisés (134+57 = 191 / 8+1 = 9) pour écrire les plosives de la série ‘C’ que celles de la série ‘CC’ en reflétant un écart significatif. L’écart est, à peu de choses près, similaire à celui que l’on constate en observant la représentation des modes articulatoires hittites : l’écriture des plosives du mode ‘C’ ne fait usage des signes pV, tV, kV que 1,6 fois plus souvent qu’aux signes bV, dV, gV, alors que l’écriture de la série ‘CC’ a recours aux signes pV, tV, kV 27 fois plus souvent qu’aux signes bV, dV, gV. Il apparaît donc que si aucune règle ne proscrit, par principe, la sélection de pV, tV, kV plutôt que de bV, dV, gV pour représenter chacune des deux séries de plosives hittites en position intervocalique, il existe, dans l’usage, une forte corrélation entre la sélection des signes de type soit bV, dV, gV, soit pV, tV, kV et l’écriture des plosives de la série ‘CC’, dans une moindre mesure, de la série ‘C’. (3) Signes CV voisés et non voisés après le vieux hittite. – Dans les strates postérieures au vieux hittite, les écarts tendent à se réduire, sans complètement perdre de leur densité : la motivation liée à l’emploi des signes CV selon leur voisement est manifestement disloquée dans l’écriture de la série ‘C’ en moyen hittite où les rapports de VtV et de VdV s’inversent par rapport à ceux de VkV par rapport à VgV, preuve que l’écriture des plosives de cette série n’est plus significativement dépendante de la lecture des signes. La sélection des signes tV et kV demeure prépondérante dans l’écriture des séries ‘CC’, mais dans une proportion qui, en moyenne, rejoint celle de l’écriture de la série ‘C’.

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(34) distribution fréquentielle des signes CV en moyen hittite moyenne V-pV- = 100 % V-tV- = 44 % (121) V-kV- = 81 % (34) 62 % V-bV- = (387) V-dV- = 56 % (151) V-gV- = 19 % (8) 38 % Vp-pVVb-bV-

100 % Vt-tV- = 69 % (266) Vk-kV- = 56 % (32) 63 % (94) Vd-dV- = 31 % (117) Vg-gV- = 44 % (25) 37 %

Dans la strate la plus tardive, l’écriture de la série ‘C’ devient totalement indifférente à la sélection des signes tout en reflétant la même prépondérance relative de VkV sur VgV et de VdV sur VtV qu’en moyen-hittite. L’écriture de la série ‘CC’, en revanche, demeure toujours sensible au caractère voisé ou non voisé des signes utilisés pour la représenter, en accentuant même la proportion du moyen-hittite, sans toutefois rejoindre celle du vieux hittite : (35) distribution fréquentielle des signes CV en néo-hittite moyenne V-pV- = 100 % V-tV- = 33 % (432) V-kV- = 62 % (131) 47 % V-bV- = (1784) V-dV- = 67 % (864) V-gV- = 38 % (82) 53 % Vp-pV- 100 % Vt-tV- = 87 % (827) Vk-kV- = 68 % (177) 78 % Vb-bV- (422) Vd-dV- = 13 % (125) Vg-gV- = 32 % (82) 22 % L’écriture des plosives connaît donc une évolution notable du vieux hittite aux strates ultérieures, particulièrement en ce qui concerne celles de la série ‘CC’ qui, durant la période ancienne, repose presque exclusivement sur la sélection de signes spécifiquement non voisés (97 %), avant d’entammer cette dominance (68 % puis 78 %), sans pour autant la neutraliser. (4) Conséquences interprétatives. – L’emploi des signes incluant des plosives en vieux hittite peut être caractérisé en reconnaissant que les signes de la série non voisée tV (etc.) peuvent représenter les plosives de la série ‘C’ aussi bien que celle de la série ‘CC’, mais les signes de la série voisée dV (etc.) sont pratiquement exclus de la représentation de la série ‘CC’. La différence de statut entre les signes des séries tV et dV tend à se neutraliser en moyen et néo-hittite où elle ne susbiste plus que sous la forme d’une prohibition des signes de type VC dans l’écriture des plosives de la série ‘C’. L’emploi fait, en vieux hittite, des signes des classes tV et dV de l’accadien n’est donc pas distinctif, mais il n’est pas non plus aléatoire : les signes non voisés tV sont utilisables pour représenter les plosives de n’importe quel mode

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en hittite, de façon largement dominante pour la série ‘CC’, de façon plus lâche pour la série ‘C’, alors que l’emploi des signes voisés dV est confiné à l’écriture des plosives du mode écrit ‘C’ en étant presque exclu de l’écriture de la série ‘CC’. La relation entre modes phonatoire et symbolisation graphique mise en évidence par les décomptes que l’on vient de mentionner n’a pas, jusqu’à présent, été prise en considération par les spécialistes, à l’exception de Hart (1983 : 121122), qui, en se fondant sur quelques sondages, semble avoir été la première à remarquer que les signes non voisés de l’accadien tendaient à être préférés au signes voisés dans l’écriture de la série ‘CC’, et de Coello (2104 : 121-240) dont le travail détaillé, consacré à ce même sujet, parvient, de façon affirmée, à la même conclusion57. Ces témoignages livrent deux informations capitales pour comprendre la représentation des modes articulatoires en hittite : – la sélection des signes accadiens affectés à la représentation d’un mode articulatoire donné n’est, en hittite, ni gouvernée par des règles strictes, ni distribuée de façon aléatoire ; – il existe, en vieux hittite, une corrélation entre les signes prototypiquement non voisés et l’écriture des plosives la série ‘CC’, de même qu’existe, à un degré moindre, une corrélation entre les signes prototypiquement voisés et l’écriture des plosives la série ‘C’. L’enseignement qui se dégage de ces observation concernant l’interprétation du mode des plosives hittites est double : d’une part, il est impossible que la relation fondant la distinction entre les deux séries de plosives soit étrangère à la substance phonétique stipulée par l’emploi de ta face à da en accadien, donc au voisement (quelles que soient les propriétés phonétiques précises que ce terme peut recouvrir) ; de l’autre, il est impossible que l’emploi de ces signes reflète une distinction qui se limiterait au voisement seulement. 4.5.6 Fréquences des ordres et des modes L’étude fréquentielle des modes se fonde sur des données quelques peu différentes dans le sens où, la question qui se pose est celle de l’écriture soit ‘C’, soit

57  L’étude de Coello 2014, anticipe les résultats ici exposés, à deux réserves près : les lectures phonétiques du syllabaire d’Alalah-VII doivent maintenant tenir compte de Popova 2015 ; la consonne initiale des signe CVC ne peut mise sur le même plan, dans les dénombrements statistiques, que celle des signes CV, alors qu’il n’existe, par exemple, aucun exemple de **pa-ad-da- « fouir » ou de **pa-ad-da-ar- « aile » en vieux hittite, mais seulement pád-da, pát-tar, etc.

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‘CC’ d’une plosive intervocalique, quelle que soit la forme VC, CV ou CVC des signes utilisés58. (1) Les modes. – La fréquence globale de chacun des deux modes est pratiquement identique (48/52 %), mais varie selon l’ordre et la période considérée puisqu’à toutes les époque, les séries ‘CC’ des coronales et des dosales ont, en moyenne, une fréquence supérieure aux séries ‘C’, alors que ce rapport s’inverse avec les labiales. Dans l’évolution, la fréquence des labiales ‘C’ ne cesse de s’accroître au point d’atteindre un rapport 3 :4, alors que celle des coronales ‘C’ reste relativement stable et que celle des dorsales tend à décroître. (36) fréquences des modes de plosives intervocaliques VH C

MH

NH

moyennes

labiales 58 % (396) 68 % (387) 77 % (1784) 68 % coronales 41 % (377) 18 % (199) 39 % (1793) 33 % 48 % dorsales 57 % (320) 32 % (73) 34 % (333) 42 %

labiales 42 % (286) 32 % (184) 23 % (541) 32 % CC coronales 59 % (550) 82 % (904) 61 % (2813) 67 % 52 % dorsales 43 % (239) 68 % (157) 66 % (650) 58 % La distinction C : CC revêt une saillance variant selon les ordre, la distinction entre les labiales (68/32 = 2,15) étant, au plan discursif, plus accusée que celle qui existe entre les coronales (67/33 = 2) et plus accusée que celle que l’on constate entre les dorsales (58/42 = 1,3). La hiérarchie ainsi dégagée rejoint celle que mettent en évidence les rapports de durée d’attaque vibratoire ordres par ordres (voir, ci-dessous, § 4.6.4(5)). (2) Les ordres. – La fréquence des ordres se fonde, pour sa part, sur d’autres données encore puisque son observation n’est pas limitée par le contexte intervocalique59. La fréquence des coronales est remarquablement stable à toutes les époques en représentant toujours un peu plus de la moitié des occurrences des plosives. La fréquence des dorsales augmente quelque peu au détriment de celle des labiales du vieux hittite au néo-hittite.

58  Procédure : pour ‘C’ dénombrement des graphies … VC-V … + … V-CV …, pour ‘CC’, dénombrement des graphies … C-C …, avec C = labiales p, b ; coronales t, d, dorsales k, q, g. 59  Procédure : dénombrement des graphies ‖ p + b ‖ t + d ‖ k + q + g‖.

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(37) fréquences des ordres de plosives

labiales coronales dorsales

VH

MH

NH

moyennes

24 % (2257) 52 % (4835) 24 % (2247)

20 % (1943) 53 % (5493) 27 %(2761)

17 % (7566) 53 % (23011) 30 % (12855)

20 % 52 % 27 %

Les relations de fréquence discursive entre les ordres de plosives que l’on constate en hittite sont, en moyenne, globalement similaires à celles que l’on rencontre dans des langues comme l’anglais ou l’espagnol (voir Paradis & Prunet 1991 : 11). 4.6

Interprétation du mode articulatoire des plosives

4.6.1 L’innovation hittite Le mode de réprésentation assignant à la distinction Cₓ : CₓCₓ une expression du mode articulatoire des plosives et des fricatives vélaires n’a ni antécédent, ni postérité dans les usages connus de l’écriture cunéiforme. Il représente la seule – et l’unique – innovation propre à l’écriture des langues d’origine indo-européenne à transmission cunéiforme, hittite, louvite et palaïte60. En se fondant sur cette constatation, Sturtevant (1933 : § 53a) a estimé que les paramètres articulatoires en fonction desquels les plosives hittites s’opposent entre elles devaient être différents de ceux qui étaient utilisés dans les autres langues à l’époque où les Hittites ont adopté l’écriture cunéiforme. Ce jugement est a priori plausible en ce qui concerne l’historicité du processus, mais, pour l’analyste moderne, il n’a guère d’implications concrètes. Les connaissances phonétiques que nous avons de la plupart des langues parlées 60  Sur le palaïte, voir Kas’jan & Šackov 2010 : 100-101, sur le louvite, voir Melchert 2003a : 177-178. – Le fait que la même technique soit utilisée dans les trois langues, pose, parallèlement à la question des modes phonatoires, celle de la chronologie de leur élaboration graphique. Le problème ne semble pas encore avoir été soulevé comme tel, mais il revient à prendre parti sur la question de savoir si les textes louvites et palaïtes ont été copiés par des locuteurs natifs ou par des Hittites. Dans cette dernière hypothèse (qui entraîne d’ailleurs d’autres problèmes), la question des origines de la technique Cₓ : CₓCₓ relève de l’histoire linguistique du hittite seulement. Mais dans la première, la question posée serait celle de la génération et du mode de transmission de cette technique (selon Starke 1985 : 21-31, les plus anciens textes en louvite cunéiforme remontent au XVIe siècle).

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ou ayant été parlées aux alentours du monde hittite sont, en effet, beaucoup trop partielles et approximatives pour que les indices perceptifs en fonction desquels les locuteurs de ces langues pouvaient distinguer les ou les modes articulatoires des autres langues soient ne serait-ce que présumables. La seule langue à transmission cunéiforme dont la phonétique peut être restituée avec quelque précision est l’accadien où les plosives s’organisent en trois séries /t : t’ : d/ en combinant les paramètres [± voix] et [± « emphase »] (= laryngalisation ? pharyngalisation ?)61. En se fondant sur ce témoignage, Sturtevant estimait que, puisque le mode des plosives hittites n’est pas distingué par le même procédé graphique qu’en accadien, langue dans laquelle des voisées s’opposent à des non voiséees, on doit en déduire que les plosives hittites ignoraient le voisement. Bien que Sturtevant ait, lui-même, récusé ce raisonnement (Sturtevant / Hahn 1951 : 26-28), divers spécialistes se sont, par la suite, appuyés sur le même argument pour en tirer la même conclusion (en dernier lieu, Melchert 1994 : 16, Kloekhorst 2008 : 22-23, 2016), quitte à négliger les objections que suscitent un syllogisme pareillement formé. En premier lieu, les vues exprimées par Sturtevant dans les années 1930 sur l’articulation entre graphie et phonation en accadien remontent à un état des connaissances largement dépassé. Il est, à présent, admis en assyriologie, que la représentation du voisement et de l’emphase, est restituée au plan graphique, par des signes dont la spécialisation est globalement stabilisée en vieux et en moyen babylonien (ailleurs qu’en fin de syllabe), mais qu’elle est plus fluctuante, voire complètement absente en vieil accadien, en vieil assyrien, ainsi que, plus tardivement, dans les dialectes périphériques (sur l’histoire et la géographie de l’écriture de l’accadien, voir Huehnergard 1988 : 23-97). Or, le répertoire graphique du hittite ne dérive précisément pas des dialectes « mésopotamiens » fixant la représentation des ordres de plosives par des signes spécialisés ta, ṭa et da, dialectes trop distants dans le temps et / ou dans l’espace (voir déjà Laroche 1978 : 741sq.), mais des variantes périphériques de Syrie du nord, où la représentation des modes repose sur des signes moins strictement associés à un mode donné. Comme on l’a déjà mentionné, l’utilisation de signes d’écriture sélectionnés d’après les propriétés 61  Une caractérisation précise de l’emphase dans les langues sémitiques anciennes semble inatteignable, même si son interprétation se résume vraisemblablement à l’alternative que l’on constate dans les langues modernes où les emphatiques sont tantôt des éjectives (langues couchitiques), tantôt des pharyngalisées ou des vélarisées, (parlers arabes) ; voir, en dernier lieu, Kogan 2011 : 59sq. – Kouwenberg 2003, postule qu’en assyrien, les emphatiques seraient des éjectives (« post-glottalisées » dans sa terminologie), mais sans montrer en quoi l’attribution de cette propriété expliquerait des comportements que l’hypothèse alternative ne pourrait justifier.

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phonétiques qu’il peuvent avoir en commun et non en fonction des propriétés qui les distinguent est particulièrement bien illustrée dans le dialecte accadien d’Alalah-VII. L’étude exhaustive de ce corpus (Popova 2015) montre, notamment, que, pour un lieu d’articulation donné, pratiquement tous les signes, quelle que soit leur lecture, sont potentiellement aptes à représenter les plosives de n’importe quel mode, mais jamais dans les mêmes proportions. Le relevé ci-dessous, résume les données exposées en détail chez Popova (2015 : § 3.2.3), en se limitant aux coronales et aux dorsales qui sont les seuls ordres incluant trois séries distinctes (il n’y a pas de labiales emphatiques) : (38) graphies associées au mode des séries de plosives à Alalah-VII

/d g/ /t k/ /t’ k’/

signes DA, GA

signes TA, KA

signes ṬA, QA

96,5 % (387) 3,6 % (22) 18 % (21)

3,5 % (14) 89 % (547) 14,5 % (17)

0 7,5 % (46) 69 % (79)

Les moyennes exposées dans ce tableau varient fortement selon les ordres et les voyelles combinées aux consonnes : la syllabe /da/ est écrite 14 fois avec da et 6 fois avec ta (jamais avec ṭa), alors que /gu/ est écrite 9 fois gu et 1 fois ku, etc. La pratique scripturale telle que la reflète les textes d’Alalah se caractérise par le fait que les signes n’ont pas une interprétation phonétique strictement univoque, mais une lecture prototypique, celle-là même que l’écriture des textes hittite met également, bien qu’autrement, en évidence. Au plan linguistique, les vues de Sturtevant reposent sur des conceptions phonétiques non moins sommaires. La notion de voix repose sur des paramètres physiologiques et acoustiques qui ne sont en rien uniformes à travers les langues. Les variables du voisement sont suffisamment différentes pour que les propriétés phonétiques d’une plosive voisée dans une langue soient similaires à celles des plosives non voisées dans une autre62. A ces différences de mode phonatoire peuvent également se superposer des différences de structurations phonologiques faisant que, d’une langue à une autre, des distinctions

62  Comme l’a montré Chao 1967, les voisées du wu sont, par exemple, percues dans les langues sinitiques voisines comme des non voisées. Sur les mécanismes acoustiques et articulatoires générant le voisement, voir Gordon & Ladefoged 2001, Garellek 2019.

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fondées sur le voisement se neutralisent : en anglais, les voisées ont, à l’initiale, une durée d’attaque vibratoire faible (par exemple, dans (to) do), propriété qui est celle, en français, des plosives non voisées (toux), si bien que, dans ce contexte, la différence entre /d/ en anglais et /t/ en français est, pratiquement, insignifiante (Lisker & Abramson 1964, et pour une vue d’ensemble, Raphael 2005 : 189-192). Une connaissance du mode phonatoire des plosives voisées chez les locuteurs d’accadien au XVIIe siècle étant hors de portée, rien ne permet de savoir en quoi il était similaire ou différent de celui qui pouvait être (éventuellement) utilisé en hittite ou dans d’autres langues du Procheorient ancien. Au plan phonologique, ensuite, il est incorrect de réduire l’opposition de /d/ à /t/ en accadien à une simple distinction de voisement : la série /d/ n’est pas moins non emphatique par rapport à /t’/ que voisée par rapport à /t/ et à /t’/. Dans une langue à trois séries de plosives, les indices perceptifs en fonction desquels les locuteurs produisent et reconnaissent des sons [b d g], quels que soient ces indices, sont, par définition, différents de ceux qui identifient [b d g] dans une langue à deux séries et réciproquement. Comme dans le cas précédent, on ne peut a priori présumer du trait que les locuteurs d’accadien ou de hittite identifiaient ou n’identifiaient pas comme étant « en plus » ou « en moins » quand ils entendaient les plosives de l’autre langue63. Enfin, il est erroné de présumer que, dans une langue à deux séries, le fait qu’une série de plosive soit fondée sur le trait /+ voix/ prédirait que l’autre série serait caractérisée par /- voix/ exclusivement. Selon la base UPSID-451, plus de 42 % des langues à deux séries de plosives opposent, à la série voisées, des plosives dont le non voisement est cumulé avec un autre trait (aspiration, nasalisation, pharyngalisation, laryngalisation). Dans les configurations de ce type, la série s’opposant à /d/ se caractérise non seulement par le cumul du non voisement avec un autre paramètre, mais aussi par le fait que ce paramètre a une saillance perceptuelle d’autant plus supérieure à celle du (non-)voisement qu’il ne peut être combiné avec la série voisée. Comme le remarquent Ladefoged & Maddieson (1996 : 45), « in situations where there is a contrast between two similar articulations, speakers will tend to use more extreme forms of the gestures involved ». Par suite, il est, à nouveau, impossible de présumer a priori du trait potentiellement cumulé avec le non voisement que les Accadiens ou 63  A la même époque que Sturtevant, Sapir (1925 : 43) soulignait que « it almost goes without saying that two languages, A and B, may have identical sounds but utterly distinct phonetic patterns [comprendre : ‘phonologiques’] ; or they may have mutually incompatible phonetic systems, from the articulatory and acoustic standpoint, but identical or similar patterns ».

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les Hittites identifiaient ou n’identifiaient pas comme étant « en plus » ou « en moins » par rapport à leur propre organisation phonatoire. En réalité, la question véritablement posée, dans une perspective de comparaison avec l’« accadien », en admettant – ce qui constitue une présomption hypothétique en soi – que cette perspective pourrait être de nature à éclairer la nature des modes en hittite, ne s’incarne pas dans un scénario de rupture, en toute état de cause, anachronique et simpliste, mais porte sur la question de savoir si la technique propre aux langues indo-européennes d’Anatolie consistant à représenter les modes à travers une distinction Cₓ : CₓCₓ peut, doit, ou n’a pas besoin d’être dérivée du principe de lecture prototypique du mode commun aux pratiques graphiques d’Alalah-VII et de Hattusa. 4.6.2 Propriétés possibles et impossibles Interpréter la substance de la relation opposant les plosives du hittite revient à s’interroger sur les paramètres dont l’identité justifie, de façon naturelle, les interactions entre les segments tout en correspondant aux oppositions que les langues élaborent pour distinguer deux séries de plosives64. Le problème posé, au plan pratique, est d’identifier, en hittite, le ou les paramètre(s) phonétique(s) compatible(s) avec les conditions de possibilité mises en évidences par (1) la phonétique articulatoire et acoustique, (2) la typologie des organisations phonologiques, (3) l’évolution de l’indo-européen et (4) les emprunts témoignant d’interférences entre le hittite et d’autres langues. (1) Typologie. – Au plan typologique, d’après les bases UPSID-451 et PHOIBLE-1672 (Maddieson 2015), les distinctions possibles entre deux séries de plosives mettent en évidence deux grands types de structuration (dans la discussion ci-dessous, les coronales t/d sont utilisées comme symboles génériques sans prendre en considération envers d’éventuelles asymétries entre les lieux d’articulation) : – des plosives se distinguent entre elles par la voix /t/ : /d/ (abstraction faite du type phonatoire de voisement). Dans cette configuration, les non voisées – et elles seules –, peuvent, éventuellement, cumuler ce trait avec un un des quatre traits que sont : l’aspiration /tʰ/ : /d/ (post-aspiration ou pré-aspiration /ʰt/), la pharyngalisation /tˤ/ : /d/, la laryngalisation /t̰/ : /d/, et la nasalisation (pré – ou post-nasalisation) /ⁿt/ : /d/ ; – des plosives ne se distinguent pas par la voix. Dans cette configuration, les plosives sont invariablement non voisées et utilisent, pour se différencier entre elles, les mêmes traits qu’utilisent les non voisées face aux voisées : 64  Certains spécialistes estiment qu’un tel objectif serait hors de portée ; ainsi Kimball 1999 : 94-95, Rieken 2007 : 85-86, Kas’jan & Sidel’cev 2010 : 35-37.

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l’aspiration /tʰ/ : /t/ (post-aspiration ou pré-aspiration /ʰt/), la pharyngalisation /tˤ/ : /t/, la laryngalisation /t̰/ : /t/, et la nasalisation (pré- ou postnasalisation) /ⁿt/ : /t/. Dans les langues à deux séries, une série /tʰ/ /tˤ/ /t̰/ /ⁿt/ est donc opposable à une série /t/ aussi bien qu’à une série /d/, tandis qu’une série /t/ est opposable non seulement à /tʰ/, /tˤ/, /t̰/, /ⁿt/, mais encore à une série /d/. (39) distinctions phonologiques possibles dans les langues à deux séries de plosives

/t/



/t/ /tʰ/ /tˤ/ /t̰/ /ⁿt/



/d/

Aucune autre relation paramétrique n’est attestée dans les langues décrites jusqu’à présent, si bien que, dans une interprétation a minima réaliste des données hittites, la distinction symbolisée par les graphies t/d et tt/dd du hittite s’identifie nécessairement avec l’une des situations exposées dans (39) à l’exclusion de toute autre configuration65. (2) L’interprétation [± voix]. – L’hypothèse de Mudge selon laquelle la série hitt. t/d était issue de la confusion des séries symbolisées *d et *dʱ dans la reconstruction traditionnelle de l’indo-européen, tandis que hitt. tt/dd reposait sur la série *t, a, chez certains spécialistes, accrédité la conception selon laquelle l’opposition t/d – tt/dd du hittite étant originellement fondée sur une distinction de voisement, elle devait prolonger telle quelle cette propriété dans

65  La conception de Kloekhorst (2016) selon qui les deux séries de plosives hittites se distingueraient en fonction de la durée seulement /t/ - /tː/ est intenable. Aucune langue ne distingue deux séries de plosives par la durée, ainsi que l’indiquent les bases UPSID-451 et PHOIBLE-1672 (la South American Phonological Inventory Database renvoie une occurrence unique, en l’espèce du « border kuna », langue chibcha du nord-ouest de la Colombie, mais de façon erronée puisque la seule source mentionnée [Adelaar & Muysken 2004] ne cite pas cette langue). Les conséquence que Kloekhorst 2016, tire de cette conception sont, au demeurant, contradictoires puisqu’il affirme d’une part que la durée de /tː/ est équivalente à celle de géminées (p. 216-217, 235, 237), de l’autre que cette durée est distinctivement différente de la somme constituée par deux brèves (p. 242).

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l’état historique. Selon cette approche, les ‘C’ sont des voisées /d/ et les ‘CC’ des non voisées /t/66. Il est toutefois apparu, à la fin des années 1950, que les trois séries des plosives de l’indo-européen avaient été reconstruites sur des oppositions paramétriques typologiquement invraisemblables */t-d-dʱ/, ce qui obère le caractère significatif qu’on peut reconnaître à leurs évolutions, du moins en ce qui concerne la distribution et la nature des traits relatifs aux modes67. Les différentes réinterprétations typologiquement conformes qui ont été proposées depuis le milieu des années 1970 n’étant pas parvenues, jusqu’à présent, à faire valoir, par rapport au modèle dit « classique », des explications plus simples ou plus naturelles des processus évolutifs (voir Garrett 1991, Salmons 1993, Kümmel 2007 : 299-310, Byrd 2017 : 2061-2063), la question reste, sur ce point, en suspens. Cette observation ne réfute pas l’hypothèse d’une distinction des plosives ‘C’ et ‘CC’ du hittite fondée sur la voix, mais elle récuse celle d’une légitimitation de cette approche par l’étymologie. Mais surtout, comme on l’a déjà mentionné, l’hypothèse d’une distinction fondée sur le seul voisement /t-d/ en hittite se heurte au fait que, tant du point de vue de l’évolution qu’à celui de la description, des changements ou des variations entre les séries ‘C’ et ‘CC’ s’observent dans des contextes où rien ne saurait justifier un changement d’état ou d’activité des cordes vocales. (3) L’approche fortis-lenis. – Une autre interprétation, évoquée par Sturtevant (1932 : 12) et systématisée par Einarsson (1932), est que les plosives du hittite reposeraient sur une distinction fortis-lenis (ou : tendue-lâche). La notion de fortis-lenis ne se réfère pas à un trait articulatoire ou acoustique défini, mais à une famille de manifestations impliquant, à un titre ou à un autre, la pression articulatoire ou respiratoire, la tension des cordes vocales, des parois des l’appareil phonatoire (jusque dans la cavité orale), voire des variations d’activité mandibulaire. Dans la pratique, les phonéticiens ont généralement recours à cette notion quand la production de certaines catégories de consonnes superpose une manifestation de ce type au non-voisement, à la durée, ou à l’aspiration (voir Malécot 1966, Catford 1977 : 201-203, Jaeger 1983, Ladefoged & Maddieson 1996 : 95-99, et, pour un historique de la question, Braun 1988, Rychtařík 2008). 66  Voir en ce sens : Sturtevant & Hahn 1951 : 26-28 (récusant Sturtevant 1933), Luraghi 1997 : 3-4, van den Hout 2011 : 64. 67  Martinet 1953 : 70 = 1975 : 251-252, 1955 : 112-114, Jakobson 1958 = 1971 : 528. On désigne souvent sous le nom de « loi de Sturtevant », expression due, semble-t-il, à Pedersen 1938, les correspondances entre états dont le principe a été énoncé par Mudge et dont Sturtevant a démontré la validité.

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L’approche fortis-lenis s’est originellement développée dans les études hittites parce qu’elle semble offrir une solution à la question des différences de représentation des modes articulatoires entre l’« accadien » et le hittite, mais aussi en raison de la réticence intuitive éprouvée par certains spécialistes à voir dans la symbolisation que constitue le rapport de ‘C’ à ‘CC’ une relation fondée sur le voisement. Selon Einarsson, une série symbolisée par des graphies ‘CC’ ne pouvant être constituée que de consonnes longues par rapport à celles qui sont écrites ‘C’, et la durée étant, selon lui, la conséquence d’un caractère nécessairement fortis, la série C est, donc, lenis. Bien que conçue de façon sommaire, pour ne pas dire erronée68, cette approche a trouvé une forme de légitimation quand il est apparu que, les plosives originellement non voisées de l’indo-européen (ou supposées telles) avaient évolué vers la série ‘C’ en hittite où fluctuaient entre ‘C’ et ‘CC’ dans des contextes qui ne sauraient motiver des variations de voisement (Petersen 1933 : 22-23, Kronasser 1956 : § 60, Čop 1964 : 33, et, surtout, Eichner 1973, 1980). Dans ces conditions, un certain nombre de spécialistes ont alors estimé que fortis-lenis représentait une propriété à même de compte de la dimension « autre que le voisement » supposée par ces comportements (ainsi, dans les synthèses de Melchert 1994 : 21, 1997a : 560 ; Watkins 2004 : 10, Vanséveren 2006 : 39-40, Kloekhorst 2008 : 22-23). L’interprétation fortis-lenis a rencontré son succès en partie parce qu’elle semble apporter une réponse à des interrogations qui ne se posent dans aucune autre langue indo-européenne ancienne, mais aussi parce que son caractère intrinsèquement flou n’exige pas de prendre précisément parti au sujet du ou des paramètres phonétiques censés se cumuler avec le voisement ou s’être substitué à lui. Les jugement qui ont été formés dans le cadre de cette approche présentent, au demeurant, des caractères suffisamment différents pour être, le cas échéant, incompatibles entre eux ; on a ainsi évoqué des oppositions : fortis longues / lenis brèves, éventuellement non voisées et voisées (Einarsson 1932), fortis brèves non voisées / lenis longues non voisées (Sturtevant 1933, Kloekhorst 2008 : 22-23, 2016), fortis non voisées / lenis non voisées indifférentes à la durée comme au voisement (Petersen 1933 : 23, Sapir 1934 : 275 n 1, 1936 : 176-177 n. 2, Milewski 1949 : 191, Kronasser 1956 : 58), fortis non voisées aspirées / lenis non voisées non aspirées indifférentes à la durée (Gamkrelidze 1961 : 255-256, 1968 : 94, 1982 : 78-79, 2008 : 174), fortis voisées / 68  Le khotanais, langue iranienne transmise dans une variante de l’écriture brāhmī, représente par des graphies tt la série non voisée /t/ et par des graphies t la série voisée /d/, y compris dans les copies de textes sanscrits ; voir Emmerick & Pulleybank 1993 : 29-32.

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lenis non voisées, du moins dans certains contextes (Melchert 1997 : 560). Pour accentuer la confusion, certains spécialistes de hittite utilisent lenis dans une acception idiosyncrasique pour se référer à une sorte de « voisement faible » susceptible de s’auto-dissoudre dans des conditions indéfinies, ce qui, même pour une notion dont les contours sont vagues, constitue une conception insoutenable, une des conditions pour que des plosives se différencient entre elles par l’intensité et / ou la pression étant l’inertie des cordes vocales (Lisker & Abramson 1964 : 420, Ladefoged 1971 : 18, Catford 1977 : 203, Ladefoged & Maddieson 1996 : 98-99). Le seul fait que des conceptions aussi différentes que celles qu’on vient de mentionner puisssent se réclamer d’un même label montre à quel point l’utilisation de fortis-lenis est, en réalité, vide d’implication analytique précise, donc de portée explicative. L’évocation de cette notion peut donner l’impression de contourner à bon compte les objections auxquelles se heurtent, effectivement, une caractérisation qui se limiterait à [± voix], mais elle ne fait, en réalité, que repousser l’inconnu dans l’inconnu. Le défaut majeur de l’approche fortis-lenis, quelle que soit sa variante, est qu’il n’est aucune des interrogations posées par le développement historique ou par le comportement des séries écrites C et CC en hittite, qu’une distinction fortis-lenis serait spécifiquement à même d’expliquer au plan phonétique et que un ou plusieurs autres paramètres serait inapte ou moins à même de justifier69. Une pareille déficience met sérieusement en cause l’intérêt d’une interprétation dont la vraisemblance se heurte, d’autre part, à des objections de fond, tant au plan empirique que méthodologique. L’hypothèse fortis-lenis a été originellement engagée au sujet du hittite en des termes phonétiques, à une époque où la phonologie n’avait pas encore complètement émergé de sa gestation (y compris chez Sapir). Après les années 1980, elle a été transposée telle quelle au plan des relations phonologiques 69  Le seul argument positif évoqué à l’appui de cette conception est que les voyelles accentuées sont moins souvent écrites en graphie répliquée devant ‘CC’ que devant ‘C’ (voir § 4.6.3b), ce qui, selon Melchert (1994 : 18, 147), développé par Kloekhorst (2014 : 21-22, 544-546, 2016 : 213-217), s’expliquerait en raison du caractère fermé de la syllabe [V́ Cₓ.(Cₓ)…], lequel serait une conséquence du caractère intrinsèquement long de /Cₓ/, dont le caractère fortis serait ainsi révélé. Mais un tel jugement néglige que, comme l’a montré Maddieson (1985 : 214-215, 217), le caractère fermé d’une syllabe ne cause pas nécessairement l’abrègement de son noyau, qu’il existe, en hittite, des témoignages de voyelles allongées sous accent en syllabe fermée (voir pp. 369-370, n. 10), qu’un abrègement vocalique (ou : non allongement) peut a priori se produire dans bien des contextes (en autres, devant plosive dévoisée ; voir Ham 2001 : 179), et qu’il est, de façon générale, improbable de postuler qu’une série entière de plosives se distinguerait de l’autre série par le fait qu'elles ferment les syllabes.

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(à partir, semble-t-il, de Eichner 1980), sans que le changement de perspective qu’implique cette approche soit pris en considération. Or, à la différence d’autres traits phonétiques, fortis-lenis se réfère à une distinction graduelle : dans les langues où il est justifié d’utiliser cette notion, une série est labellisée fortis parce qu’elle amplifie des propriétés qui caractérisent aussi, mais dans une moindre mesure, la série dite lenis ; la question que pose la caractérisation fortis d’une plosive n’est de savoir si elle est ou n’est pas lenis, mais à quel degré elle ne l’est pas. Par suite, dans la description rationnelle d’une langue à deux séries de plosives, fondée, entre autres choses, sur la recherche de paramètres qualitatifs et discrets, un recours à ce trait ne peut avoir de sens que si les séries ne se distinguent entre elles par aucune autre propriété(s) que celle(s) que fortis-lenis serait censée recouvrir70. Dans toutes les autres situations, la question d’une caractérisation fortis-lenis ne se pose pas car elle ne représenterait qu’une précision annexe sur la façon dont un ou plusieurs autres traits se réalisent au plan phonétique, autrement dit, une information superfétatoire. Or, on ne connaît, à ce jour, aucune langue à deux séries de plosives dans laquelle une série s’opposerait à l’autre en fonction de cette seule caractérisation. Dans les langue à deux séries, les plosives ne se prêtent, éventuellement, à une caractérisation phonétique de ce type (par exemple, en anglais britannique, en islandais, ou dans certains dialectes allemands) qu’à la condition que leur production soit appuyée sur, au moins, une autre propriété – le plus souvent, le voisement et / ou l’aspiration –, laquelle constitue la condition phonologique de possibilité à l’existence de réalisations qu’on puisse éventuellement reconnaître comme fortis et lenis71. Les langues où les manifestations de type fortis – lenis sont les plus saillantes, qu’il s’agisse de la variété, actuellement moribonde, de Schweizerhochdeutsch du canton de Zürich pour laquelle Winteler (1876 : 21), a introduit les termes de fortis et de 70  C’est, par exemple, le cas de /t/ par rapport à série symbolisée /t*/ (faute de mieux) dans les quatre séries /d t t’ t*/ de l’agul (Daghestan) ou dans les trois du coréen /t tʰ t*/. Comme le montrent Ladefoged & Maddieson 1996 : 96-97, qui citent ces exemples, les seules langues dans lequel un recours au trait fortis-lenis est légitime au plan phonologique sont des langues comptant au moins trois séries de plosives dans lesquelles deux séries non aspirées se distinguent entre elles par l’écartement et la tension de la glotte. 71  Une grande partie des problèmes vient, en outre, de ce que les partisans de cette approche confondent la lénition, en tant que famille de mécanismes (sur la variété desquels, voir Lavoie 2001, Cser 2003, Smith 2008), avec lenis en tant que label résumant les propriétés articulatoires et acoustiques d’une catégorie de consonnes. Or, rien ne justifie pareil amalgame : dans toutes les langues romanes, les plosives voisées /b d g/ du latin ont connu une lénition, sans que cette évolution ne produise, où que ce soit, des consonnes qu’on pourrait qualifier de lenis.

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lenis en phonétique, ou bien de certaines langues du Mexique et d’Amérique centrale (Jaeger 1983), ont invariablement suscité des analyses phonologiques ayant recours au voisement, à l’aspiration, à l’écartement glottal, à la DAV, ou encore, dans une perspective non linéaire, à la gémination72. Il n’est nullement fortuit qu’aucune des nomenclatures phonologiques élaborées depuis Jakobson, Fant & Halle (1952) jusqu’à Clements (2003) en passant par Martinet (1956) ou Chomsky & Halle (1968) ne retienne une distinction telle que fortis – lenis, notion qui, dans le cadre d’une opposition bilatérale entre séries plosives, ne se réfère jamais à autre chose qu’à la conséquence phonétique de quelque chose d’autre. On ne ne saurait faire grief aux spécialistes de hittite des années 1930 d’avoir ignoré des connaissances mises en évidence, pour l’essentiel, dans la seconde partie du XXe siècle73, mais il est moins compréhensible que les débats actuels persistent à méconnaître leur existence. L’interprétation phonologique des deux séries plosives hittites respectivements écrites C et CC en fonction d’une opposition fortis-lenis est intenable, tant en raison du nonsens qu’elle représente dans l’analyse phonologique que de la vacuité explicative qui en est la conséquence au plan phonétique. 4.6.3 Le voisement Autant la représentation des séries C et CC peut vaciller ou fluctuer dans des contextes qui sont pas susceptibles de motiver une variation du voisement, autant on ne saurait négliger que certains comportements des plosives mettent positivement en évidence que la distinction entre C et CC est fondée, entre autre choses, sur une vibration des cordes vocales. Les indices montrant que les plosives écrites ‘C’ sont positivement voisées et les plosives ‘CC’ non voisées ressortissent à deux types d’observations : d’une part, des indices internes, dérivant de la représentation des segments et de leurs interactions ; de l’autre, des indices externes fournis par le mode de restitution des mots empruntés au hittite par d’autres langues, ou, en hittite, depuis d’autres langues.

72   Sur le Schweizerhochdeutsch, voir Jessen 1998 : 153-157, Fleischer & Schmid 2006, Ehrenhofer et al. 2017 ; sur le Vorerzgebirgische parlé en Allemagne orientale, voir Bergmann 1965 : 42-44. Sur les langues amérindiennes, voir DiCanio 2012, Zerbe 2013. 73  D’après Sturtevant, fortis-lenis caractériserait non seulement les plosives du hittite, mais aussi les deux séries du latin classique et les trois séries du grec ancien (Sturtevant 1920 : 94-99), ce qui montre à quel point cette terminologie est, chez lui, dépourvue de signification précise.

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(1) Témoignages internes. – Il n’existe que peu de processus dont la justification impose d’avoir recours au trait [± voix] à l’exclusion de toute autre propriété, mais ils sont dépourvus d’ambigüité : (a) Graphie des plosives. – L’emploi d’un signe non voisé de la série tV n’est jamais exclu, par principe, des emplois d’un signe de la série voisée dV (etc.), mais il y a 21 fois plus de chances pour que les plosives de la série ‘C’ soient écrites au moyen de signes de signes bV, dV, gV que de signes pV, tV, kV en vieux hittite, de même qu’il y a 1,2 fois plus de chances pour que la série la série ‘CC’ soit écrite au moyen de pV, tV, kV plutôt que de bV, dV, gV (§ 4.5.5). De tels rapports indiquent que la codification exprimée en hittite par ‘C’ et ‘CC’ répond, en partie, à la distinction phonétique exprimée, en accadien, par la sélection, elle-même relative, des signes contenant respectivement des plosives voisées et non voisées. (b) Distribution des voyelles allongées. – Les voyelles écrites en graphie répliquée sont plus fréquentes devant les plosives de la série écrites ‘C’ (en position intervocalique) que devant les plosives de la série écrite ‘CC’. Une interrogation du corpus vieux-hittite numérisé montre que le coefficient multiplicateur se situe, en moyenne, à 3,6, avec des variations selon les lieux d’articulation. (40) fréquence des voyelles allongées devant plosives (vieux hittite) labiales [+ voix] V-V-CₓV 15 [- voix] -V-VCₓ-CₓV 11

coronales

dorsales total

145 35

27 5

187 (79 %)  51 (21 %)

Or, après l’accentuation, la propriété qui est le plus à même d’influer sur la durée des voyelles est le voisement des plosives subséquentes74. Les voyelles ont universellement tendance à être plus longues devant les plosives voisées que devant les non voisées, au point qu’en fin de mot, la durée d’une voyelle peut constituer un indice perceptif supérieur à celui de la plosive finale d’un mot pour identifier le voisement de cette dernière (Walsh & Parker 1981). Aucun autre paramètre phonétique que la voix n’est à même de justifier en

74  Chen 1970, Lehiste 1970 : 10-23, Klatt 1973, Goldstein & Browman 1986, Kluender & Wright 1988, etc. – Bien que complexe, la « loi de Lachmann » en latin n’a fondamentalement pas d’autre motivation (voir en dernier lieu Jasanoff 2004).

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quoi la durée d’une voyelle pourraît être corrélée à celle d’une plosive subséquente (van Santen 1992). La répartition fréquentielle près de quatre fois supérieure des graphies V̅ devant les plosives écrites ‘C’ par rapport aux plosives écrites ‘CC’ s’explique naturellement en reconnaissante que la série ‘C’ est voisée et la série ‘CC’ non voisée75. En hittite, le voisement de la plosive ne constitue pas un facteur susceptible de causer l’allongement d’une voyelle antécédente (encore que cette éventualité ne puisse être écartée), mais comme un facteur favorisant la production et donc la restitution dans l’écriture des voyelles allongées. (c) Assimilation progressive. – Les séquences formées de plosives appartenant à des séries différentes montrent que la série CC, quand elle est précédée d’une plosive de la série C, peut occasionnellement passer, par assimilation progressive, à la série C (voir plus en détail, § 8.4) : aku- / eku- « boire » → 2pl. prés. e-ku-ut-te-ni (VH/nh) :: e-ku-te-ni (VH/nh). Or, les seuls traits transférables lors des assimilations entre plosives sont, spécifiquement, des traits laryngaux : voisement, aspiration, plus rarement, pharyngalisation (Rice 1993, Iverson & Salmons 1995, Calabrese & Keyser 2006 : 82, Zsiga 2011 : 1923). Comme la pharyngalisation est sûrement hors de cause, et que, dans une langue à deux séries, les voisées ne peuvent pas être aspirées, il est certain que l’assimilation occasionnellement reflétée par la vacillation e-ku-ut-te-ni :: e-ku-te-ni (VH/nh) implique, au moins, le voisement. (d) Sélectivité de la palatalisation. – En position intervocalique, la seule dans laquelle les propriétés de mode des plosives sont discernables, les séquences de plosives coronales sont banales à l’intérieur des morphèmes (luttai-/ lutti- « fenêtre » → gén. lu-ut-ti-ya-as, etc.), alors que les séquences * sont proscrites (voir plus en détails, § 5.9.3). La série ‘CC’ peut être suivie de /i j/ dans des séquences homomorphémiques, mais pas la série ‘C’, contrainte traduisant une prévention sélective de la palatalisation. Or, quand la platalisation n’atteint que certaines catégories de plosives ou qu’elle impose des réalisation différenciées selon le mode des plosives, le paramètre en fonction duquel opère la sélection est, toujours, le voisement (Kim 2001, Hall & Hamann 2006, Hall, Hamann, & Żygis 2006) : les non voisées tendent typiquement à générer des affriquées, tandis que les voisées, tendent à produire des fricatives ou à ne pas être affectées par le voisinage avec /i j/. 75  Sur la conjecture postulant que les plosives écrites ‘CC’ prohiberaient l’allongement des voyelles accentuées localisées devant elles à raison de la fermeture syllabique qu’elles imposeraient, voir n. 69, supra. Les occurrences de voyelles en graphie répliquée devant ‘CC’ sont certes minoritaires, mais leur volume (une cinquantaine de témoignages) récuse l'hypothèse d'un processus régulé.

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Comme Pedersen l’a bien discerné dès les années 1930, cette caractérisation est celle qui s’applique en anatolien76 et qui, selon toute vraisemblance, justifie la contrainte que l’on vient de mentionner en hittite. (e) Syllabation. – La dualité de traitement reflétée par les verbes dont le thème est identiquement écrit hark-, d’une part « détenir », de l’autre, « périr », respectivement 3sg. har-za « il (dé)tient » (VH) et har-ak-zi « il périt » (VH) (*har-ak-za n’est pas documenté) montre que les positions respectives des plosives voisées et non voisées sur l’échelle de sonorance induisent, sur leur entourage, des traitements différenciés (voir en détail, § 8.14.5). (2) Témoignages externes. – Le caractère positivement voisé des graphies simples du hittite par opposition au caractère, au moins, non-voisé, des graphies redoublées apparaît également dans les adaptation de noms propres hittites en ougaritique exposées dans Patri (2009b). Le témoignage de l’ougaritique est capital pour ce qui intéresse le présent propos car, de toutes les langues dont les locuteurs ont été en contact avec des Hittites (le royaume d’Ougarit a été vassalisé par Suppiluliuma Ier vers 1330), c’est la seule à utiliser une écriture alphabétique stipulant individuellement les propriétés de chacune des consonnes du mot (les voyelles ne sont pas écrites)77. (a) Noms hittites adaptés ou empruntés en ougaritique. – Comme l’accadien, l’ougaritique distingue trois séries de plosives : les voisées non emphatiques /d/, les non voisées non emphatiques /t/ et les non voisées emphatiques /t’/. Les noms propres portés par les Hittites du XIVe siècle impliquant des plosives sont régulièrement restituées, dans les documents ougaritiques, par des non voisées quand ils correspondant à des graphies ‘CC’ et par des voisées, quand ils correspondent à des graphies ‘C’ :

76  Götze & Pedersen 1934 : 73, Pedersen 1938 : 176, § 105. Les vues de Jensen 1962 sont gratuites (voir la critique justifiée de Kimball 1999 : 259). L’assertion de Kloekhorst 2016 : 219, selon qui « The difference in outcome between the two [processus] would be inexplicable if the two clusters only differed phonetically from each other in voice » méconnaît que toutes les études de phonétique et de phonologie consacrées à la question démontrent exactement le contraire. 77  Sur la phonétique et la phonologie de l’ougaritique, voir Segert 1985, Sivan 1997, Tropper 2000, Pardee 2004, dont les analyses révisent celles, plus anciennes, de Gordon 1965, qui ont servi de base à Starke 1990 : 144, pour produire des interprétations quelque peu différentes de celles qui sont ici présentées. – De façon désabusée, mais non sans réalisme, Laroche 1978 : 752, remarquait que « la détermination des consonnes hittites devrait être contrôlée par les écritures qui furent, ici ou là, au contact direct du monde anatolien, à savoir : l’alphabet consonantique égyptien et l’alphabet ougaritique », tout en ajoutant : « on peut douter que les hittitologues acceptent jamais des témoignages, même irréfutables, produits par des documents d’origine étrangère ».

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(41) noms propres hittites en ougaritique hittite

ougaritique

Hatti (pays) Puduhepa (reine) Suppiluliuma (roi)

ḫt pdġb ṯpllm

[x(a)t(i)] [p(u)d(u)ɣ(e)b(a)] [θ(u)p(i)l(u)l(iu)m(a)]

DUL 412 DUL 662 DUL 925

La courte liste des emprunts faits par l’ougaritique, sinon à des mots hittites, du moins à des mots transmis par le hittite (Watson 1999 : 130), met en évidence les mêmes correspondances78 : (42) emprunts hittites en ougaritique hittite

ougaritique

zapzagi- « pierre dure » tuppa(la)nuri- « scribe »79

spsg tpnr

[s(a)ps(a)g(i)] [t(u)p(a)n(u)r(i)]

KTU 1.17 DUL 875

Les témoignages de noms propres hittites transmis en néo-égyptien exposés chez Gamkrelidze (1979 : 73-74) ne sont, en revanche, pas probants car, dans cette langue, la distinction de voisement entre les plosives est neutralisée dans tous les ordres dès avant l’époque de Ramsès II, si tant est, au demeurant, qu’elle ait jamais existé (Loprieno 1995 : 38, Peust 1999 : 79-84). (b) Adaptations en hittite de mots attestés en ougaritique. – Les motsvoyageurs ou emprunts circulant dans le Proche-Orient ancien constituent un type de témoignage moins net, l’origine de ces termes, la date de leur adoption, comme leur mode de transmission étant, presque toujours, inconnus, mais ils reflètent les mêmes équivalences en faisant correspondre, en position intervocalique, les plosives non voisées (42a) et voisées (42b) des témoignages de l’ougaritique avec les graphies respectivement CC et C du hittite cunéiforme :

78  Sur la formation de tuppa(la)nuri- « chef-scribe » probablement investi d’un rôle diplomatique, au moins à Ougarit (Laroche 1956 : 27, Arnaud 1996 : 58-61), voir Broch 2008 : 37.

196

Chapitre 4

(43) mots internationaux impliquant des plosives

a. « bol » « tissu »

ougaritique

accadien

sp [s(V)p(V)] DUL 765

sappuzu-u-up-pa-an CAD 15 : 477 (acc.) Otten 1971 : 5 epartuhu-u-up-paCAD 4 : 183 ra-as HED III, 385-386 kappuka-ap-piHEG I, 491 pu-wa-at-ti-is HEG II, 679 acc. mDup-pídU-up-an KBo 5.9 i 24 (NH) ubadinnu ú-pa-ti, CAD 20 : 3 ú-ba-a-ti HEG IV, 79-83 ḫurādu hu-u-ra-ti-ya CAD 6 : 244 HEG I, 300 agannu a-ga-an-ni-is CAD 1 : 142 HW² I, 52

ġprt [ɣ(u)p(a)rt(V)] DUL 323

« mesure de capacité » « garance » (?)

kpsln [k(a)p(Vsln)] DUL 453 pwt [p(u)w(a)t(V)] DUL 688 b. Tesōb tṯb [t(e)θ(o)b] (dieu hourrite) DUL 883 « ferm(ag)e, ubdy [ub(a)d(i …)] terre à revenus » DUL 7 « troupe » « chaudron »

ḫdr [x(u)d(a)r(V)] DUL 403 agn [ag(a)n(V)] DUL 26

hittite

De même que les plosives des séries t/d et tt/dd du hittite sont discriminées comme voisés et non voisés en ougaritique, les sons distinctivement voisés et non voisés des mots-voyageurs non hittites attestés en ougaritique sont identiquement discriminés par des graphies t/d et tt/dd en hittite. Quel que soit le sens dans lequel les lexèmes se diffusent, la relation entre le trait [+ voix] des graphies t/d et le trait [- voix] des graphies tt/dd est stable. Les témoignages internes et externes se cumulent donc avec ceux de la sélection des signes d’écriture (§ 4.5.5(4)) pour indiquer que la distinction symbolisée par les graphies t/d et tt/dd en hittite est fondée sur un voisement de la série ‘C’ distinctivement opposable au non voisement de la série ‘CC’.

Les segments et leurs représentations

197

4.6.4 L’aspiration Une opposition phonologique qui serait fondée sur une distinction exclusivement [+ voix] : [- voix], est, comme on l’a mentionné, difficile à concevoir en hittite tant les fluctutations et variations des graphies ‘C et ‘CC’ s’observent dans des contextes qui ne sont pas à même de motiver des variations d’activité vibratoire. Dans cette perspective, la question doit être posée du paramètre x dont le cumul potentiel avec la série [- voix] (§ 4.6.2(1)) serait de nature à justifier de façon naturelle des mécanismes en question. (1) Typologie. – Si l’on considère la liste des traits typologiquement compatibles avec le non voisement dans le cadre d’une opposition bilatérale (§ 4.6.2(1)), l’hypothèse d’une pré- ou post nasalisation peut être sûrement éliminée en ce qu’elle aurait nécessairement été explicitement manifestée dans le graphie. La laryngalisation comme la pharyngalisation des plosives ont généralement des conséquences sur la réalisation des voyelles ou sur la prosodie, mais subissent ou provoquent relativement peu d’effets sur les autres consonnes de l’entourage. Cette caractérisation s’accorde mal avec ce qu’on peut discerner des rapports de coarticulation en hittite où, les plosives ne conditionnent jamais une réalisation différenciée des voyelles, alors que la réalisation des plosives peut être conditionnée par le contexte. Cette hypothèse serait, en outre, difficilement conciliable avec le fait que l’accadien utilise une série de signes ṭà, qa, etc., spécifiquement dévolus à la représentation de l’emphase, lesquels ne sont pas différenciés de ta, da, ka, ga, dans l’écriture hittite79. Le seul trait dont on puisse envisager qu’il se cumule au non voisement de la série ‘CC’ est, par simple élimination, l’aspiration. (2) L’élargissement glottal. – Sous considération de cette observation, la question à présent posée est de discener en quoi l’hypothèse d’une aspiration des non voisée est à même de justifier certains comportements des plosives, notamment les fluctuations ‘C’ : ‘CC’ dont on ne peut rendre compte d’après le voisement. Or, il se trouve que certains témoignages sollicitent positivement une interprétation aspirée des non voisées.

79  Ivanov 2001 : 235, récusant les vues d’Ivanov 1961 : 71 n. 6, estime, à présent, que les deux plosives hittites sont fondées sur une distinction [+ glottal] : [- glottal], sans se prononcer sur les traits phonétiques éventuellement cumulés avec cette opposition. A la différence de certaines autres, cette approche est typologiquement vraisemblable, mais le comportement reflété par les plosives dans les textes ne s’accorde pas avec cette interprétation, laquelle ne semble motivée que par la recherche d’un alignement sur les vues de Gamkrelidze & Ivanov (1984) concernant la reconstruction de l’indo-européen.

198

Chapitre 4

La plupart des données reflétant une vacillation des graphies ‘C’ et ‘CC’ s’observent quand une plosive le plus souvent écrite ‘CC’ est à proximité d’un /s/, à son contact ou bien en marge d’une syllabe adjacente. (44) variations libres ‘C’ : ‘CC’ a(k)k- « périr » 3sg. prét. a-ki-is KBo 3.34 ii 12 (VH/nh) hartakkanom.sg. har-ta-ka-as « homme-ours » (VH/mh) ista(p)p- « clore » 3sg. prés. is-ta-a-pí KUB 29.30 ii 17 (VH) lalukkess3sg.prés. la-lu-ki-is-zi « être brillant » (NH) 3sg. imp. la-lu-kis-du (NH) milittess3sg. imp. mi-li-ti-is-du « être / devenir doux » (VH/mh) nakkussinom. sg. na-ku-u-si-is « bouc émissaire » (NH) acc. pl. na-ak-us-si-us (MH) sa(k)k- « savoir, 1sg. prét. sa-qa-ah-hi reconnaître » KUB 40.1 Ro 13 (NH) sa(k)kuni- « boue » sa(pa)ra- « ? » sak(k)antat(t)ar« ornement » sepi(t)t- céréale si/apik(k)usta« épingle » te(k)kussiya« (se) présenter » wa(k)k- « frapper »

acc. sa-ak-ku-ni-in KUB 12.57 i 9, 14 (NH) sa-pa-ra-as KUB 42.59 Ro ? 11-14) dir pl. sa-kán-ta-ad-da-ra KUB 42.78 ii 22 (NH) gén. se-ep-pí-da-as KBo 17.36 iv 5 (VH) nom. [s]a-pí-ku-us-ta-as KUB 42.45 :4 (NH) 3sg. prés. te-ku-us-si-ez-zi KBo 25.1b : 2 (VH) 3sg. prét. wa-a-kis (NH)

a-ak-ki-is KBo 6.2 iv 3 (VH) har-tág-ga-as (VH/nh) is-tap-pí KBo 6.26 i 8 (VH/nh) la-lu-uk-ki-is-zi (VH/nh) la-lu-uk-ki-is-du (NH) mi-li-it-ti-is-du (VH/mh) na-ak-ku-us-si-is (MH) na-ak-ku-us-si-us (MH) sa-aq-qa-ah-hi KUB 31.127 iii 30 (VH/nh) sa-ku-ni-in KBo 22.249 iii 9 (NH) sa-ap-pa-ra-as KBo 17.100 i 10 (VH/mh) sa-ag-ga-an-ta-atta-r[a] KBo 13.61 Vo 5 (NH?) se-ep-pí-it-ta-as KUB 35.126 : 5 + (VH) sa-pí-ik-ku-us-ta-as KUB 17.28 i 14 (/nh) te-ek-ku-us-si-[ez-zi] KUB 43.38 Vo 10 (MH) wa-ak-ki-is (MH/nh)

Les segments et leurs représentations

199

La flexion du verbe « faire une libation » alterne librement entre un thème avec anaptyxe prothétique ispant- et un thème avec anaptyxe svarabhaktique sipant- (§ 8.10.3) ; dans ce dernier cas, et dans ce dernier cas seulement, la graphie de la plosive labiale est systématiquement fluctuante : (45) instabilité graphique de la plosive de sip(p)ant1sg.prés. si-pa-an-tah-ah-hi si-ip-pa-an-tah-hi KBo 16.97 Ro 27 (MH) KUB 9.27 + KUB 7.8 i 4 (MH/nh) 3sg. si-pa-an-ti si-ip-pa-an-ti KUB 43.30 ii 10 (VH) KBo 21.85 iv 12 (VH/mh) 3pl. si-pa-an-da-an-zi si-ip-pa-an-da-an-zi KBo 25.58 Vo 5 (VH) KUB 4.1 i 9 (MH/nh) 1sg. prét. si-pa-an-tah-hu-un si-ip-pa-an-da-ah-hu-un KBo 15.10 ii 10 (MH) KUB 19.37 ii 17 (NH) 3pl. si-pa-an-te-er si-ip-pa-an-te-er KBo 15.10 ii 31 (MH) KUB 5.6 ii 69 (NH) inf. si-pa-an-tu-u-wa-an-zi si-ip-pa-an-du-wa-an-zi KBo 3.6 ii 59 (NH) KBo 19.128 iii 10 (NH) ptcp. si-pa-an-ta-an-za si-ip-pa-an-da-an KUB 14.1 Vo 78 (MH) KUB 24.12 iii 25 (NH) La variante prothétique ispant- ne reflète pas ce traitement car la fricative étant séparée de la plosive par une frontière syllabique, l’introduction d’une voyelle factice *is-ap-pa- serait immotivée (la voyelle écrite # i- n’a, elle-même, pas de statut phonologique, § 8.10.3). L’étymologie indique que la plosive labiale était (dans la reconstruction traditionnelle) originellement non voisée (gr. spéndō, lat. spondeō). La fluctuation sipant- : sippant- affecte identiquement tous les dérivés tirés de ce verbe (CHD S 383-397) ; elle est documentée par des tablettes copiées à partir de la période moyenne (si-ip-pa-an-ti KBo 21.85 iv 12, VH/mh), tandis que dans les documents anciens n’attestent que la variante voisée sip … (si-pa-an-ti KUB 43.30 ii 10), mais dans un volume de témoignages est trop faible pour qu’on puisse en dériver une quelconque conclusion. Des fluctuations ‘C’ : ‘CC’ peuvent certes être observées sans qu’un /s/ soit présent dans le mot (voir ci-dessous), de même que la présence d’un /s/ n’implique pas nécessairement celle d’une variation dans l’écriture des plosives, mais bien qu’on ne dispose pas de données quantifiés à ce sujet, on peut raisonnablement reconnaître que, quand l’écriture des plosives reflète une vacillation des graphies C et CC, c’est, le plus souvent, quand un /s/ est présent dans le mot (sur le cas particulier des variations observables quand un thème verbal est dérivé le morphème d’itératif {-sKe-}, voir § 8.3.3).

200

Chapitre 4

Un segment comme /s/, indifférent, en tant que phonème, aux corrélations de voisement, et intrinsèquement non voisé au plan phonétique, ne peut imposer un voisement aux consonnes de l’entourage. L’hypothèse d’une réalisation /s/ → [z] serait arbitraire et présenterait le même caractère ad hoc pour justifier, d’une façon qui ne pourrait être que circulaire, la fluctuation ‘CC’ : ‘C’ en terme d’assimilation de (non-)voisement (pour d’autres hypothèses encore, voir Pozza 2011 : 214sq.). En revanche, l’aspiration rend naturellement compte de cette interaction tant il est banal, à travers les langues, que l’élargissement glottal caractérisant la production de /s/ suscite des relations d’assimilation / dissimilation avec les plosives de l’entourage La pression intense demandée par la production des fricatives non voisées exige un élargissement maximal de la cavité glottale permettant au flux aérien de remonter avec suffisamment d’énergie pour que la constriction orale soit accompagnée d’une turbulence audible ; l’élargissement ainsi suscité peut s’étendre aux plosives adjacentes, en causant, par désynchronisation assimilatrice, leur aspiration, ou, par dissimilation, une désaspiration des aspirées (voir Kingston 1990 : 411-412, Iverson & Salmons 1995, Vaux 1998b.). L’interaction spécifique entre /s/ et l’aspiration est documentée, à un titre ou à un autre, dans toutes les langues indo-européennes anciennes faisant ou ayant fait un usage distinctif de plosives aspirées : en indo-européen reconstruit, il n’existe aucune racine de forme **T … Dʱ, alors que des racines *(s)T … Dʱ sont attestées (Meillet 1912) ; en indien, où véd. stána- « poitrine » évolue en pāli vers tʰana- et où l’aspiration des plosives est la norme derrière /s/ (Allen 1953 : 78), la loi de Bartholomae n’atteint pas les séquences /plosive aspirée + s/ : 3sg. prés. indic. {bʱudʱ-a-ti} bodʱati, mais 3sg. désid. {bʱudʱ-sja-ti} bʱotsyati (Sag 1976) ; en grec, les formes verbales fléchies à l’aoriste sigmatique (et au futur) peuvent dialectalement brouiller la distinction entre plosives aspirées et non aspirées : égrapsen ↔ égrapʰsen (vases de Corinthe), att. bṓleste ↔ bṓlestʰe, etc. ; en arménien, la règle *t → tʰ (t‘) s’applique à toutes les plosives, sauf à celles qui sont localisées derrière /s/ : *h₂stḗr- « étoile » → astł (Kim 2016) ; de même, en germanique, la loi de Grimm reflétée par germ. *teutā- → v. isl. þjōð « peuple » ne s’applique pas à got. stairno « étoile » ; en ossète (comme en arménien), la règle d’évolution *t → tʰ s’applique partout, sauf derrière /f s x/ (Bagaev 1965 : 21sq.)80. Dans de nombreuses langues, il est impossible que les plosives se distinguent entre elles par l’aspiration au voisinage de /s/ (comparer, en anglais britannique, /p/ → [pʰɪn] / *[pɪn] « épingle », mais [spɪn] / *[spʰɪn] « faire tourner »). 80  Voir Kobayashi 2004 : 110-111, § 67, Schwyzer 1934 : 205 n. 4, Grammont 1948 : 71, Hiersche 1964 : 145, 175, Iverson & Salmons 1995, Vaux 1998b.

201

Les segments et leurs représentations

Il paraît donc légitime d’estimer que des plosives ‘CC’ intrinsèquement non voisées et aspirées peuvent être confondues dans la graphie avec des plosives ‘C’ voisées non pas parce qu’elle se voiseraient, mais parce qu’en subissant une désaspiration au voisinage de /s/, elles deviennent similaires à des voisées (voir plus en détails, §§ 8.3.2-3, pour une analyse phonétique et graphique du processus)81. Nul autre trait que [± aspiré] (ou, si l’on préfère : [± écartement glottal]) n’est susceptible de causer une modification des propriétés des plosives non voisées au voisinage de /s/82. (3) L’accentuation. – Comme on vient de le mentionner, des fluctuations ‘C’ : ‘CC’ peuvent être observées en l’absence de tout /s/ dans le mot. Si l’on reprend la flexion de verbes comme a(k)k- « périr » et wa(k)k- « frapper », on constate une variation qui, sans être régularisée, tend, comme l’ont déjà relevé Rosenkranz (1952 : 35-37), Čop (1964 : 33), et, surtout, Eichner (1973, 1980), à se produire en fonction de la localisation de l’accent (donc, dans une langue comme le hittite, selon le contexte morphologique – voir chapitre 7). Les plosives qui sont écrites ‘CC’ peuvent avoir tendance à s’écrire ‘C’ derrière une syllabe dont l’accentuation impose un allongement83 : (46) variations ‘C’ : ‘CC’ selon le contexte morphologique

a(k)k- « périr » wa(k)k- « frapper »

3sg. prés. {-i}

3pl. prés. {-aNʧi}

a-ki KBo 22.61 i 7 (VH) wa-a-ki KBo 6.2 i 24 (VH)

ak-kán-zi KUB 29.30 iii 3 (VH) wa-ak-ka-an-zi IBoT 1.36 i 20 (VH/mh)

81  Kobayashi 2004 : 105sq. constate une situation comparable en indo-iranien : « the context triggering or blocking aspiration after initial *s cannot be sharply defined ». 82  L’effet bloquant de /s/ sur la palatalisation préhistorique des plosives hittites devant /i j/ a été étudié par Joseph 1984, et Yoshida 2000 : 19sq. On ne saurait exclure que ce mécanisme soit en rapport avec l’aspiration, mais on ne saurait non plus l’affirmer : en allemand, par exemple, l’affrication de /t/ est régulière devant /j/ (Negation [negaʦjṓn]), sauf si /t/ est précédé de /s/ (Bastion [bastjṓn]). 83  Sur le rapport inversé dont témoigne la flexion historiquement refaite de sakk-/sekk« savoir » → 3sg. prés. sa-a-ak-ki (MH/nh) face à 3pl. [s]a-kán-zi (VH/nh), voir Kloekhorst 2008 : 697.

202

Chapitre 4

La graphie répliquée de 3sg. wa-a-ki indique que l’accent frappe le thème, alors qu’il se déplace sur la désinence dans 3pl. wa-ak-ka-an-zi qui n’est jamais écrit *wa-a-ak-k … (la désinence -anzi n’est, par règle, jamais écrite en graphie répliquée, même quand elle est accentuée, § 7.4.4). En d’autre termes, la plosive est ici écrite ‘CC’ en attaque d’une syllabe accentuée et ‘C’ en attaque d’une syllabe post-accentuée. Dans le cas présent, l’approche selon laquelle le changement 3sg. prés. ák-i : 3pl. akk-ánzi refléterait un simple échange des traits [+ voix] : [- voix], serait mise en cause par le fait que 3sg. prét. (a-)ak-is alterne, cette fois, librement, avec (a-)ak-ki-is, en sorte que la plosive représentée par la vacillation k : kk partage certes des propriétés aussi bien avec la série k qu’avec la série kk, mais présente aussi une caractéristique qui la rend différente de k aussi bien que de kk. Le processus reflété en hittite trouve alors une justification naturelle si l’on reconnaît que les plosives écrites ‘CC’ sont aspirées en plus que d’être non voisées, sous considération du mécanisme naturel prohibant l’aspiration des plosives non voisées en attaque d’une syllabe post-accentuée : /kʰ/ → [k] / σ́ .__ (mais [kʰ] / __σ́ )84. Comme dans la situation précédente, ‘CC’ co-varie avec ‘C’ au terme d’une confusion des non voisées contextuellement désaspirées avec des voisées intrinsèquement non aspirées. (4) La durée. – Dans les textes accadiens, les plosives non voisées des mots empruntés au hittite (quoique non nécessairement formés en hittite) sont, presque toujours, rendus par une plosive géminée. On limite la liste suivante à des témoignages dans lesquels le non voisement de la plosive est certifié par l’existence d’un emprunt parallèle en ougaritique (où il n’y a pas de géminées) : (47) représentation des non voisées dans les mots empruntés en accadien hittite

accadien

Hatti → ḫattū, ḫattītu (adj.) (nom de pays) CAD 6 : 151 tuppa(la)nuri- → tuppanuru, tuppalnuru, tuppalanuru (dignitaire) CAD 18 : 475-476 kappi→ kappu« bol » CAD 8 : 188-189 84  Pour des parallèles, voir Keating et. al. 1983 : 280-283.

ougaritique ḫt DUL 412 tpnr DUL 875 kpsln DUL 453

203

Les segments et leurs représentations

Exceptionnellement, il arrive que la non voisée hittite soit restituée en accadien par une plosive simple de la série non voisée, comme dans hitt. Hattusili → capad. Ḫa-tù-ší-ili₅. En revanche, les plosives identifiée comme voisées dans l’écriture hittite sont rendues, en accadien, par une plosive simple. (48) représentation des voisées dans les mots empruntés en accadien hittite upati« fermage » hūratiya« troupe » aganni« chaudron »

→ →

accadien

ougaritique

ubadinnu CAD 20 : 3 ḫurādu CAD 6 : 244 agannu CAD 1 : 142

ubdy DUL 7 ḫdr DUL 403 agn DUL 26

Le contraste entre (47) et (48) est d’autant plus saillant qu’en accadien, la gémination des plosives est, essentiellement, une conséquence de la morphologie dérivationnelle (Kuryłowicz 1972 : 113sq.), et que, sorti de ce cadre, elle n’est attestée, comme phénomène phonétique, que par quelques processus assimilatifs (von Soden 1991 : § 20) et de rares variantes sporadiques (Reiner 1966 : 45, Kouwenberg 1997 : 23-24)85. Il apparaît donc que, dans la perception accadienne des plosives hittites, l’absence de voisement est corrélée à une durée accrue86. Depuis Lisker & Abramson (1964), il est admis que l’indice le mieux à même de différencier les plosives en termes de durée est le laps de temps s’écoulant après le relâchement de la constriction et avant le démarage de l’activité vibratoire d’une voyelle, dit durée d’attaque vibratoire (DAV ; angl. voice onset time, abrégé VOT)87. Or, de tous les paramètres phonétiques susceptibles de se combiner avec les plosives, celui qui crée le différentiel de DAV le plus élevé est, 85  L’écriture de l’ougaritique alphabétique ignore la gémination ; cf. Sivan 2001 : 12. 86  Sur les relations linguistiques entre l’accadien et le hittite, voir Veenhof 1982, Schwemer 2006, Dercksen 2007, Patri 2009b, Dardano 2011. 87  Mikuteit & Reetz 2007, font remarquer que les mesures de DAV ne permettent pas de rendre compte de l’aspiration dans tous les contextes, ce qui les conduit à proposer un autre protocole analytique fondé sur la notion du durée post-fermeture (after closure time).

204

Chapitre 4

précisément, l’aspiration88 : la durée d’une aspirée [tʰ] est supérieure à celle de [t] (le coefficient multiplicateur se situe, en moyenne, aux alentours de × 5), en conférant au contraste [tʰ] : [d] une saillance considérablement plus élevée, en termes de durée, qu’au rapport [t] : [d]. Si l’on admet que la série non voisée écrite ‘CC’ a une durée plus longue que celle de la série voisée écrite ‘C’, le trait justifiant cette différence est plus vraisemblablement l’aspiration que n’importe quel autre. (5) Corrélation entre fréquence des ordres et DAV. – Les cas de fluctuations libres des graphies ‘C’ et ‘CC’ s’observent le plus souvent avec les dorsales k/g : kk/gg, moins souvent avec les labiales ou avec les coronales. Or, l’inégalité de cette répartition n’aurait pas de raison d’être dans le cadre d’une distinction fondée sur le voisement seulement. En revanche, elle trouve une, explication naturelle dans le fait que, comme l’on montré les mesures de Cho & Ladefoged (1999), le différentiel de DAV entre les plosives non voisées aspirées et non aspirées varie, non seulement d’une langue à l’autre mais, à l’intérieur d’une même langue, selon les lieux d’articulations. D’après leurs mesures, le facteur de multiplication est, en moyenne, de 6,3 pour les labiales, de 4,7 pour les coronales et de 2,9 pour les dorsales. La hiérarchie labiales > coronales > dorsales ainsi mise en évidence rejoint exactement celle que l’on constate, dans les textes hittites, en mesurant, par ordres, les rapports fréquentiels entre graphies C et CC en position intervocalique (tabl. 36, supra, § 4.5.6). Si les dorsales k/g : kk/gg ont une propension relativement plus élevée que celles des plosives des autres ordres à être confondues, on peut donc tenir que c’est parce que le différentiel de leur DAV est intrinsèquement plus faible que celui des plosives des autres ordres. Il apparaît donc qu’en définitive, les plosives écrites ‘CC’ ont effectivement une durée accrue par rapport à celles qui sont écrites ‘C’, mais que contrairement à ce que croyaient Einarsson (1932) et les partisans de l’interprétation fortis-lenis (§ 4.6.2(3)), cette durée n’est pas imputable à un accroissement de la phase de fermeture caractérisant la formation de la consonne elle-même, selon la définition d’une consonne longue [tː], mais à la phase d’émission aérodynamique se produisant entre le relâchement de l’occlusion et le début de la vibration de la voyelle subséquente caractérisant en propre les aspirées [tʰ]89. 88  A la suite de Lisker & Abramson 1964, voir Ladefoged 1971, Cho & Ladefoged 1999, Vaux & Samuels 2005 : 413-415, Abramson & Whalen 2017. – Les plosives voisées, ont, pour leur part, une DAV négative. 89  Gamkrelidze 1961, 1972, est à à ma connaissance le seul savant ayant proposé de reconnaître des aspirées (selon lui, fortis) dans la série écrite ‘CC’, conception qu’il dérive de l’hypothèse selon laquelle, en hittite (comme en indo-iranien), la combinaison de plosives non voisées *t et d’une « laryngale » *H aurait généré des aspirées [tʰ]. Seul le

Les segments et leurs représentations

4.7

205

Phonétique et phonologie des plosives

4.7.1 Variables de l’aspiration et de la DAV Au plan phonétique, les langues opposant des voisées /d/ à des non voisées aspirées /tʰ/, mettent, presque toujours, en évidence des réalisation non aspirées [t]. Or, dans l’interprétation du phonétisme caractérisant le comportement des plosives hittites, il est capital de prendre en considération le fait que les réalisation non aspirées des aspirées s’assimilent naturellement, au plan perceptif, à des non aspirées, autrement dit, à des voisées, et non’à des non voisées non aspirées (dans des perspectives différentes, voir Halle & Stevens 1971, Keating, Linker & Huffman 1983). Comme l’ont montré une série d’expérimentations de laboratoire portant sur le contraste /tʰ/ : /d/, une manipulation de 25 ms. portant sur la durée d’attaque vibratoire est suffisante pour que, ajoutée à une voisée /d/, celle-ci soit perçue comme non voisée [t], éventuellement aspirée [tʰ], ou que, soustraite à une non voisée aspirée /tʰ/, celle-ci soit perçue comme une voisée [d] (Stevens 1997 : 504-505). (49) DAV, aspiration et voisement [d] [t] [tʰ] DAV : 0 ms 25 ms ←←⁞→→ →→→ →→→ Le manuel de prononciation britannique de Cruttenden (2014 : 166) expose clairement la conséquence de ces relations au plan pratique : « if a word such as pin is pronounced [pɪn] (without aspiration), instead of [pʰɪn], there is the danger that English listeners may understand bin, since they interpret lack of aspiration as a mark of the voiced /b/ ». Par suite, on peut donc tenir qu’en hittite, tout mécanisme susceptible d’influer sur l’élargissement glottal, donc, sur la DAV, ou bien, sur la DAV ellemême (accentuation, proximité avec /s/, durée des voyelles, syllabation, etc.), est à même de justifier en quoi des réalisations localement désaspirées de /pʰ tʰ kʰ/ → [p t k] peuvent être confondues avec des réalisations de la série [b d g] de /b d g/ et réciproquement. On tient ici que telle est la motivation de la plupart, sinon de tous les cas de vacillation plus ou moins accusées entre les graphies ‘C’ et ‘CC’ en hittite.

témoignage de paltana- « épaule » serait susceptible d’accréditer ce traitement, mais ses graphies ne laissent pas discerner les propriétés de mode de la plosive, si bien que cette conjecture est strictement ad hoc.

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Chapitre 4

4.7.2 Interactions entre DAV et voisement La réalisation différenciée des plosives selon qu’elle sont en attaque d’une syllabe inaccentuée ou derrière une syllabe accentuée correspond au mécanisme reflétant la diminution de la DAV, donc une réalisation non aspirée, constatée, dans les langues, en attaque des syllabes post-accentuées, comme, par exemple, en anglais : appeal [ə.pʰíl], mais apple [ǽ.pəɫ] ; acquisition [æ̀ .kwə.zɪ́. ʃn̩ ], mais acquire [ə.ʰkwájr], etc. ([æ̀ ] note un accent secondaire)90. Dans cette perspective, la variation déjà évoquée du verbe {akʰ-} « périr » ak- : akk-, se justifie naturellement en fonction d’une désaspiration /kʰ/ → [k] en attaque d’une syllabe inaccentuée dont le produit [k] est restitué dans la graphie comme une réalisation de [g] du fait de la réduction de sa DAV ; en attaque d’une syllabe accentuée, l’aspiration /kʰ/ → [kʰ] préserve, en revanche, son intégrité : (50) interaction entre accentuation et aspiration des plosives ak(k)- « périr » {akʰ-} → 3sg. prés. a-ki (VH) [á.ki] → 3pl. prés. ak-kán-zi (VH) [a.kʰáɲ.ʧi] Dans une langue où [kʰ] serait la réalisation d’une plosive non aspirée /k/ (comme en anglais), on ne pourrait justifier une confusion de [k] et de [g] en fonction d’une augmentation de la DAV puisque celle de [g] demeure négative. L’approche qui se proposerait d’interpréter la variation ak- : akk- en fonction d’une relation fondée sur le seul voisement (donc [á.gi] : [a.káɲ.ʧi]), suppose de faire l’hypothèse d’un voisement /k/ → [g] derrière syllabe accentuée (donc, une véritable lénition au sens de la loi de Grimm), mais serait incompatible avec le fait que les propriété des plosives sont, par ailleurs, comme on l’a vu, librement fluctuantes au voisinage de /s/ : (51) interaction entre élargissement glottal et aspiration des plosives ak(k)- « périr » → 3sg. prét. {akʰ-s} a-ak-ki-is (VH), ag-ga-as (MH) a-ki-is (VH/nh)

90  Le mécanisme ici évoqué est reflété avec plus ou moins de régularité dans de nombreuses langues, la position d’attaque d’une syllabe accentuée étant typiquement de celles qui accentuent la force articulatoire ou bloquent la lénition des consonnes (voir Keating et al. 1983 : 280-283, Beckman 1999, Lavoie 2001 : 141-142, Kirchner 2001 : § 1.5.2, Smith 2005). Plus largement, sur les relations entre DAV et accentuation, voir Lisker & Abramson 1967, Beckman, Edwards & Fletcher 1992, de Jong 1995.

Les segments et leurs représentations

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Un traitement tel que **{ák-s} → [ágs] serait impossible à justifier phonétiquement, /s/ ne pouvant susciter le voisement d’une plosive non voisée adjacente, alors qu’un traitement tel que {ákʰ-s} → [áks] trouve une justification naturelle d’après une dissimilation envers l’élargissement glottal généré par la production de /s/ (comparer, en grec ancien, 1sg. prés. {grapʰ-ō} → [gra.pʰō], mais 1sg. fut. {grapʰ-sō} → [gra.psō]), ce qui justifie, par la suite que, comme dans le cas précédent, [k] désaspiré, du fait de la réduction de la DAV, soit restitué dans la graphie tantôt comme une réalisation [g] de /g/ (a-ki-is), tantôt comme une réalisation [kʰ] de /kʰ/ (a-ak-ki-is)91. En postulant l’existence d’une série non voisée aspirée /pʰ tʰ kʰ/, il devient alors possible de justifier de façon naturelle le comportement de la série écrite CC : (52) réalisation des plosives non voisées aspirées [C] / (1) σ́ .__ ↗ (2) s /Cʰ/ [(3) toute position faible] ↘ [Cʰ] / ∞ Il apparaît donc que la propriété « autre » que le voisement que les premiers observateurs du hittite ont, au cours des années 1930, discerné comme étant nécessaire pour rendre compte de l’évolution et du comportement des séries de plosives écrites C et CC s’identifie dans les processus de désaspiration des non voisées et d’assimilation perceptive des réalisation non aspirées des non voisées aux voisées, autrement dit, à des variations de DAV. Sur la question des fricatives h /x/ et hh /ɣ/, voir ci-dessous § 4.8.4. 4.7.3 Relations entre phonation et graphie En reconnaissant que la série non voisée était aussi aspirée, donc que la série voisée était, aussi, non aspirée, il devient possible d’interpréter naturellement non seulement le caractère des relations phonologiques entre les deux séries de plosives hittites, mais aussi les conséquences phonétiques de ces relations et leur traduction dans l’écriture.

91  On ne peut discerner si la variation Cas : Cis constatée dans a-ak-ki-is, ag-ga-as, indique le développement d’une voyelle d’anaptyxe {ákʰ-s} → [á.kəs], possible, mais non obligatoire (voir § 8.13.6), plutôt qu’une voyelle factice {ákʰ-s} → [á.ks]. Dans la première hypothèse, l’assimilation perceptive de [k] à [g] trouverait un appui supplémentaire dans le fait que la plosive est en attaque d’une syllabe inaccentuée.

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Chapitre 4

Le point à considérer est que, dans une langue où les graphies de type t/d et tt/dd symbolisent des unités distinctives, les phonèmes de la série t/d ne peuvent alterner avec ceux de la série tt/dd qu’en fonction de mécanismes réguliers. Les variations que l’on constate en hittite entre les graphies t/d et tt/ dd, du moment où, bien que fréquentes, elles ne présentent, en tant qu’événement, qu’un caractère sporadique, et jamais des règles, ne peuvent pas être autre chose que des manifestations de niveau phonétique. Il est donc nécessaire de reconnaître que si les graphies t/d et tt/dd sont, le cas, échéant, interchangeables, ce n’est pas parce que les phonèmes de la série t/d abandonneraient leurs propriétés distinctives en les remplacant par celles des phonèmes de la série tt/dd (ou réciproquement), mais parce que la réalisation phonétique des phonèmes de la série t/d présente localement, au moins une propriété commune avec celle des phonèmes de la série tt/dd (sans quoi rien ne justifierait une restitution par t/d aussi bien que par tt/dd, mais jamais par autre chose), tout en ayant, au moins, une propriété distincte des réalisations par défaut associées à la série t/d aussi bien qu’à la série tt/dd (sans quoi rien ne justifierait qu’une graphie puisse être substituée à l’autre). Outre le fait que t/d et tt/dd manifestent une instabilité dans des contextes où rien ne saurait justifier un (dé)voisement, une interprétation des oppositions t/d et tt/dd en terme de voisement ne peut se conformer à ce cadre car elle n’est fondée que sur un seul paramètre : si une voisée /d/ devait s’opposer à une non voisée /t/ en fonction de ce seul trait, on ne saurait concevoir qu’un son réalisant /d/ ou /t/ soit à la fois voisé et non-voisé tout en étant aussi quelque chose d’autre que (non-)voisé. En revanche, en reconnaissant que t/d et tt/dd recouvrent, respectivement, des séries /d/ et /tʰ/, la réalisation désapirée [t] remplit exactement ces conditions puisqu’en étant [- voix - aspirée] elle cumule des propriétés la distinguant de la série /+ voix - aspiration/ aussi que de la série /- voix + aspiration/, mais tout en partageant le trait [- aspiré] de /d/ et le trait [- voix] de /tʰ/. (53) articulation entre phonologie, phonétique et graphie

voix : aspiration : graphie intervocalique

/d/ ↓ [d] + t/d

↘ [d̥ ] [t] ↙ t/d ~ tt/dd

/tʰ/ ↓ [tʰ] + tt/dd

Les segments et leurs représentations

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Les témoignages de vacillations dans l’écriture des plosives hittites dérivent de ce que, quand certaines conditions sont réunies, une réalisation désapirée [t] de la série /tʰ/ tend à se rapprocher de la réalisation [d] de la série /d/ au point de se confondre avec elle en raison d’une DAV réduite, sans pour autant se disjoindre de la réalisation [tʰ] de la série /tʰ/ avec laquelle elle partage l’absence de vibration. On peut, de même estimer qu’une réalisation potentiellement dévoisée [d̥ ] de /d/ tend à se rapprocher de [t], donc, éventuellement d’une réalisation de /tʰ/. la restitution de [t] n’a pas et ne peut avoir de symbolisation propre car les ressources de la graphie ne permettent pas de représenter une plosive autrement que par t/d, ou tt/dd. Les scribes choisissent une de ces graphies en fonction d’une perception occasionnellement plus sensible tantôt à la non aspiration, tantôt au non voisement, en sorte que la détection de [t] ne dépend, précisément, que de la variétés des perceptions et des vacillations d’écriture qui – éventuellement – en résultent dans l’écriture d’un même mot d’une tablette à l’autre. On tient donc qu’une vacillation t/d ~ tt/dd est le signe d’une réalisation désaspirée, mais qu’une réalisation désaspirée ne met pas nécessairement en évidence cette vacillation et peut aussi, le cas échéant, être régulièrement restituée par des graphies soit t/d, soit tt/dd. 4.7.4 Catégorisation des plosives Outre les contextes répertoriés comme ceux qui suscitent typiquement des réductions / augmentations de la DAV, dans les langues à deux séries de plosives faisant usage de l’aspiration, il fréquent, voire normal, que la réalisation de celle-ci soit liée à la position des segments dans la syllabe. Dans les langues indo-européennes contemporaines, ce mécanisme est pratiquement la norme : en persan, les plosives non voisées /pʰ tʰ cʰ kʰ/ sont « très aspirées » en attaque des syllabes initiales ou à l’initiale du mot, moins aspirées en attaque des syllabes internes et « peu ou pas aspirées » en coda, tandis que, parallèlement, les voisées /b d g/ ne sont jamais aspirées, mais se dévoisent dans certains contextes, notamment à l’initiale, en fin de mot et au voisinages d’autres fricatives non voisées (Lazard 1972) ; selon les mesures de DAV effectuées par Bijankhan & Nourbakhsh (2009), on a /d/ → [d̥ ] ou [t] à l’initiale, mais /d/ → /d/ en position intervocalique, tandis que l’aspiration de /tʰ/ peut être plus ou moins accusée selon les contextes, mais jamais totalement éliminée ; en gallois, les plosives non voisées sont aspirées en attaque des syllabes, mais non aspirées en coda où la production de [p] est peu distincte des réalisations de /b/, par ailleurs faiblement voisées (Jones 1984 : 41-42, Ball & Williams 2001 : 98sq., Hannahs 2013 : 14-15) ; en islandais, où

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Chapitre 4

il n’existe pas de voisées, mais seulement des non aspirées et des aspirées, leur opposition se neutralise en coda au profit des non aspirées (Árnason 2011 : 227), etc. Les contextes suscitant une assimilation perceptive de [t] réalisant /tʰ/ à [d] ou [d̥ ] réalisant /d/ (et inversement) sont, nécessairement, plus nombreux, mais aussi, plus diffus que dans une langue où la distinctivité des plosives est fondée sur un trait unique. L’itération de ces manifestation conduit Keating (1984) à juger que, dans le continuum des exploitations possibles de la durée d’attaque vibratoire, les plosives ne ressortissent, en réalité, qu’à trois associations paramétriques : (1) voisées ; (2) non voisées aspirées et (3) non voisées non aspirées, ce qui est exactement la situation que l’on postule en hittite. De ces divers témoignages, on peut estimer qu’en hittite, par rapport au contraste maximalement saillant, en attaque de syllabes accentuées, entre /d/ → [d] et /tʰ/ → [tʰ], en position faible, en coda, au voisinage de certains autres autres segments, dans des syllabes inaccentuées (etc.), le contraste entre une réalisation contextuellement désaspirée [t] de /tʰ/ et une réalisation [d̥ ] ou [d] de /d/ devait être minime, éventuellement inexistant, en tout cas non saillant au plan perceptif (voir Henderson 1949 au sujet de l’ossète, Ball & Williams 2001 au sujet du gallois, Odisho 1988 au sujet du néo-araméen). (1) Catégorisation phonologique. – Comme chaque fois que la caractérisation d’une série repose sur une opposition équipolente /+ voix - aspiration / : /- voix + aspiration/, chacun des deux traits présents dans une série peut être vu, au plan de la stricte logique, comme une conséquence de l’autre. Le problème qui se pose est d’apprécier s’il est préférable de considérer [tʰ] comme une réalisation localement aspirée de /t/ ou bien comme la réalisation naturelle de /tʰ/. On prend ici le parti d’adopter l’interprétation /tʰ/-/d/ sous deux considérations : – l’hypothèse, a priori licite, dans un raisonnement phonologique, selon laquelle [+ aspiration] pourrait être une conséquence dérivée de /- voix/, serait contredite, en hittite, par le fait que la fricative vélaire non voisée /x/, bien qu’opposée à la voisée /ɣ/, ne reflète aucune propriété laissant supposer qu’elle serait aspirée, ni aucune propriété laissant imaginer que la relation opposant /x/ à /ɣ/ serait différente de celle qui distingue /tʰ/ de /d/ en ce qui concerne le voisement. La même observation s’applique aux segments phonologiquement indifférents à la voix, mais phonétiquement non voisés comme /s/ ou /ʧ/. – On peut envisager des réalisations localement désaspirées de /pʰ tʰ kʰ/ justifiant une assimilation de leurs réalisations à celle des phonèmes de de la série /b d g/, et réciproquement, alors que l’hypothèse d’une réalisation contextuellement aspirée /p t k/ → [pʰ tʰ kʰ], ne saurait justifier une confusion avec [b d g].

Les segments et leurs représentations

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Certains phonologues, partisans du « réalisme laryngal », considèrent que le trait phonologique propre à décrire la différence entre /t/ et /d/ en français (la voix) et dans les langues romanes est foncièrement différent de celui (l’élargissement glottal) qui rend compte de la différence entre /t/ et /d/ en anglais et dans les langues germaniques (voir Honeybone 2005, Beckman, Jessen & Ringen 2013, Cyran 2014). Un intérêt de cette approche est de rendre compte de façon simple du fait qu’en allemand, par exemple, les plosives entre voyelles ou entre résonantes peuvent être [+ voix] en étant intrinsèquement /± écartement glottal/, donc indifférentes au voisement. Un telle approche serait toutefois problématique en hittite car rien ne permet de considérer que les aspirées et non aspirées devraient leur voisement ou leur absence de voisement au contexte. Si tel avait été le cas, la distinction dont témoigne watar-/ witen- « eau » → dir. pl. {widár-∅} ú-i-ta-a-ar (VH) et pattar- / pattan- « panier » → loc. {Patʰán-i] pát-ta-a-ni (VH) deviendrait incompréhensible. On préfère donc ne pas retenir l’élargissement glottal comme le seul trait qui soit à même de justifier la distinction /tʰ/-/d/, quelle que soit, par ailleurs, son rôle dans l’explication phonétique de certains comportements des plosives. (2) Stratégie descriptive. – Nonobstant cette conclusion, une autre aspect du problème à prendre éventuellement en considération est celle de l’opportunisme descriptif. Il peut être plus commode ou plus simple d’adopter un certain parti plutôt qu’un autre dans la description d’une langue donnée, indépendamment des contenus exposés par cette description. Par exemple, les travaux portant sur le persan contemporain (farsi) s’accordent à reconnaître l’existence d’une opposition distinctive entre non voisées aspirées et voisées non aspirées : [tʰar] « humide, frais » – [d̥ ar] « (de)dans ». Cependant, le jeu des neutralisations et semi-neutralisations du voisement et / ou de l’aspiration qui, dans cette langue, sont non seulement fréquents, mais variables selon les locuteurs, font que beaucoup de spécialistes estiment plus simple, au plan descriptif, de dériver l’aspiration du non voisement, même si l’approche inverse, quoique logiquement équivalente, est, empiriquement, plus exacte (Zav’jalova 1961, Windfur 1979 : 141-142, Bijankhan & Nourbakhsh 2009). La distinction des deux séries de plosives persannes est ainsi présentée comme reposant sur /t-d/ dans certains exposés, et sur /tʰ-d/ dans d’autres, chacune de ces présentation imposant des précisions annexes relatives tantôt à l’aspiration, tantôt à la désaspiration92. Le volume et la qualité des informations contextuelles suceptibles d’orienter des choix de ce type étant inaccessibles en hittite, on préfère s’en tenir à l’approche la plus explicite dans le sens où c’est celle qui réclame le moins d’hypothèses invérifiables. 92  Voir Zav’jalova 1961, Mahootian 1997, Rubinčik 2001, Lazard et al. 2006.

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Chapitre 4

(3) Intégration phonologique. – Au plan des relations entre phonèmes et sons, on admet que la catégorisation /tʰ/-/d/ repose donc, en hittite, sur les manifestations suivantes : – la série non voisée aspirée /tʰ/ est caractérisée par une absence de vibration des cordes vocales ainsi que par l’écoulement d’un laps de temps concomitant au relâchement de la constriction, autrement dit, par un accroissement de durée. Cette série a une réalisation aspirée [tʰ] par défaut et une réalisation non aspirée [t], assimilable à une réalisation [d] de /d/ dans tous les contextes impliquant une réduction de la DAV, notamment au voisinage de /s/, en attaque de syllabes inaccentuées et, vraisembablement, dans dans les positions faibles (en coda, éventuellement au voisinage de certains autres segments) ; – la série voisée non aspirée /d/ a des réalisations régulièrement caractérisées par une absence d’aspiration et une vibration des cordes vocales, faisant possiblement varier une réalisation [d] en position forte et une réalisation [d̥ ] dans des positions faibles. 4.7.5 Convergences génétiques (1) Comparaison indo-européenne. – Bien que la perspective du présent exposé ne soit pas historique, il serait réducteur de ne pas confronter l’interprétation ici proposée avec l’élaboration qui est faite du trait /+ aspiration/ dans les langues apparentées de la famille indo-européenne. Il est, jusqu’à présent, admis que l’aspiration représente un trait phonologique dans trois des anciens dialectes de l’indo-européen : l’indo-iranien, le grec et l’arménien, avec, dans ce dernier ensemble, une variété de situations dont la diversité soulève divers problèmes de hiérarchisation évolutive, certains de ces parlers reflétant des rétentions inconnues de l’arménien classique (voir, en dernier lieu, Garrett 1991 : 797-798, 1998b, Martirosyan 2010 : 689-705). On résume ci-dessous les correspondances entre les séries de plosives de ces langues sans prendre parti sur leur reconstruction – controversée – dans l’état commun93 :

93  Référence faite, pour les dialectes arméniens à Ġaribyan 1956, 1969, Vogt 1958, Pisowicz 1976, Vaux 1998a ; abréviations : Er. = Erevan, Djoulfa, Mouch (Vogt 1 = Vaux 2), Seb. = Sebastia, Erzerum, Akn (Vogt 2 = Vaux 1), Tifl. = Tiflis, Agulis, dialectes du sud-est et, vraisemblablement, arménien classique (Vogt 3, avec III /t’/ éjective = Vaux 6, avec /t/ non éjective), Sas. = Sasun (Vaux 4, inconnu de Vogt), Mal. = Malatia, dialectes du sud-ouest (Vogt 5b = Vaux 5), Trb. = Trébizonde, Constantinople (Vogt 5a = Vaux 3), Van = Lac de Van, Karabagh, Astrakhan (Vogt 4 = Vaux 7).

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Les segments et leurs représentations

(54) correspondances entre les plosives aspirées dans les langues indo-européennes indo-ir. grec t dʱ d tʰ séries : 4

I II III

t tʰ d 3

Er.

Seb.

Tifl.

tʰ dʱ t

tʰ dʱ d

tʰ d t(‘)

arménien Sas. Mal. tʰ d dʱ

tʰ d

Van

Trb.





t

d

2

Quel que soit le nombre des séries, les réflexes de la série I sont toujours des non voisés /t/ ou /tʰ/ (la même observation vaut, au demeurant, pour toutes les langues indo-européennes, le germanique excepté). Les langues utilisant le voisement et ayant réduit les séries de trois à deux mettent en évidence des oppositions qui, quelle que soit leur origine, se résument invariablement à distinguer une non voisée aspirée /tʰ/ d’une non aspirée /d/ (Malatia, dialectes du sud-ouest, Trébizonde, Constantinople), plus rarement d’une non aspirée non voisée /t/ (Van). Toutes les autres langues indo-européennes n’utilisant pas l’aspiration, mais ayant connu la même réduction 3 → 2 reposent sur une relation I → /t/ : II/III → /d/ (avestique, falisque, celtique, slave, balte). Quand les langues indo-européennes font passer les plosives de trois à deux séries, comme c’est le cas en anatolien, c’est donc pour former une relation, soit /t/ : /d/ là où il n’y a pas d’aspiration, soit /tʰ/ : /d/ là où l’aspiration existe (exceptionnellement /tʰ/ : /t/ à Van, où /t/ est une évolution de /d/). Aucune autre évolution n’est attestée. L’organisation /tʰ/ : /d/ que l’on postule être celle du hittite s’inscrit donc dans la dynamique d’évolution normale des langues indo-européennes en reflétant la même neutralisation des séries II/III observée dans les dialectes arméniens de Trébizonde, Constantinople, Smyrne (éteint), etc94.

94  En marge de ces observations, on doit prendre en considération la démonstration, due à Garrett (1991 : 797-798, 1998b), de ce qu’en arménien commun, la série III était, selon toute vraisemblance, constituée de voisées soufflées, ce qui permet d’envisager qu’un dialecte comme celui de Sasun pourrait être représentatif de la situation commune, voire de l’état indo-européen ; sur l’aspect phonétique, voir, en outre, Seyfarth & Garellek 2018.

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Chapitre 4

(2) Comparaison anatolienne. – Comme on vient de le mentionner, l’anatolien fait partie des langues où les séries II et III se sont confondues pour aboutir à une seule série opposée aux réflexes de la série I. Divers travaux menés depuis les années 1970, ont, cependant, montré qu’entre l’indo-européen et l’anatolien certains changements avaient modifié la relation évolutive entre les séries de plosives, notamment au terme de règles dites « de lénition » ayant conduit certains réflexes de la série I à se confondre avec ceux des séries II/III95. Les données légitimant la reconnaissance des ces mécanismes ont toutefois un caractère assez instables, en variant de façon contradictoire d’une langue anatolienne à l’autre, éventuellement au sein de la même langue, ce que les spécialistes sont généralement portés à attribuer à des restructurations ou à des alignements analogiques (Oettinger 1978 : 84-85, Melchert 1994 : 61, Kimball 1999 : 263). Tous les témoignages disponibles de ce traitement étant attestés en limite de morphèmes, cette approche ne rencontre pas d’objections de principe, à ceci près que l’hypothèse selon laquelle si une plosive ne reflète pas les caractéristiques attendue, c’est parce que le morphème qui la contient a été remodelé par analogie est impossible à démontrer formellement. Les deux « règles de lénition » actuellement reconnues par les spécialistes, à la suite de Eichner (1973 : 79sq., 100 n. 6), portent, pour la première, que tout réflexe de la série I se confond avec les réflexes des séries II/III après une voyelle longue accentuée ou diphthongue accentuée ayant produit une voyelle longue ; pour la seconde, que tout réflexe de la série I se confond avec les réflexes des séries II/III entre des voyelles inaccentuée ; dans tous les autres contextes, les réflexes de la série I maintiennent leur intégrité. Une telle formulation est, cependant, problématique puisque, comme l’a justement remarqué Adiego (2001 : 12), il est improbable que des contextes différents, mais proches, puissent justifier deux règles différentes prédisant, l’une et l’autre, les mêmes conséquences. Or, « derrière voyelle longue accentuée » et « entre voyelles inaccentuées » stipulent des contextes dont la réunion est simplement équivalente à « ailleurs que devant voyelle accentuée ». Comme les relations de mode des

95  Oettinger 1979 : 46, 403sq., 449sq., Morpurgo Davies 1983, Catsanicos 1986 : 159-162, Melchert 1994 : 60-61, Kimball 1999 : 261-264, Kloekhorst 2008 : 65-66, 2016, Pozza 2011 : 41-48, et passim, Zinko 2017 : 252.

Les segments et leurs représentations

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plosives ne sont discernables qu’en position intervocalique (§ 4.5.3), aucune autre spécification n’est nécessaire. En d’autres termes, il est possible d’unifier les deux règles en reconnaissant qu’en position intervocalique, les réflexes de la série I ont tendance à se confondre avec ceux des séries II/III ailleurs que devant voyelle accentuée, alors que, devant voyelle accentuée, ils préservent leur intégrité, comme le font, parallèlement, les réflexes des séries II et III quel que soit le contexte. La position d’attaque d’une syllabe accentuée est de celles qui sont les plus favorables à la fortition (voir Beckman 1999, Kirchner 2001, Lavoie 2001, Smith 2005, pour l’explication phonétique et la typologie). Il paraît donc vraisemblable de réinterpréter « les deux règles de lénitions » en une seule règle de fortition conduisant les non voisées intervocaliques de la série I à générer un changement *t → *tʰ (du moins dans l’hypothèse où la série I de l’indoeuropéen n’était pas déjà aspirée [voir n. 94], auquel cas on aurait simplement un maintien). La question de savoir si un traitement t → tʰ traduit une lénition ou une fortition trouve, il est vrai, des réponses éventuellement différentes selon qu’on considère l’effort articulatoire ou l’intensité (en incluant la durée), notions dont les rapports sont éminemment complexes. Le critère que les phonologues s’accordent à retenir comme déterminant en la matière est celui du contexte dans lequel le processus advient ; du moment où l’aspiration se produit en attaque d’une syllabe accentuée, dans ce qui est une position typiquement forte, il n’y a aucune raison de l’apprécier autrement que comme une fortition (voir, en ce sens, les discussions de Szigetvári 2008 : 121, et de Gordon 2016 : 153). Parallèlement, il est certain que les deux séries de plosives de l’anatolien ont été discriminées par le trait [± voix], ainsi que le montrent les traitements différenciés de *kʷ et de *gʷ en louvite et en lycien : inter.-rel. *kʷi- → louv. kui-, lyc. ti-, mais *gʷow- « bovidé » → hiér. wai-wa/i-(i-), lyc. acc. wawã (Zinko 2017 : 252). Or, reconnaître une fortition *t → *tʰ devant voyelle accentuée ne suppose nullement une lénition de *t ailleurs que devant voyelle accentuée. Tout au contraire, l’effort articulatoire mobilisé pour un changement de force entre plosives n’est pas réversible, du moins pas tant que les obstruantes restent obstruantes (voir Kirchner 2001, chap. 6), si bien que la fortition d’une non voisée *t dans un certain environnement rend pratiquement certain le fait qu’ailleurs que dans cet environnement, elle demeure *t. En d’autres termes, dans cette perspective, face au *d issu de la confusion des série II et III dans tous les contextes, la série I a généré *tʰ devant voyelle accentuée, et *t ailleurs.

216

Chapitre 4

Le point à considérer, à présent, est que dans les positions syllabiques faibles (§ 4.7.4(3)), les non voisées non aspirées [t] ont, comme on l’a déjà mentionné, plus facilement tendance à se confondre, au plan perceptif, avec des voisées [d] qu’avec des aspirées [tʰ] (voir §§ 4.7.1, 4.7.3). Dans une configuration de cette sorte, on peut donc normalement s’attendre à ce que les propriétés de *t soient restituées de façon vacillante par des graphies ‘C’ et ‘CC’ normalement spécialisées dans la représentation de [d] et de [tʰ], respectivement : telle est exactement la situation dont témoignent 3sg. prés. my. *k̑éy-to(r) « il gît » → anat. *k̑ḗ-to(r) → pal. kītar, mais hitt. kitta(ri), ou l’affixe d’abstrait *-ótr-, sûrement accentué sur la voyelle précédant la plosive (§ 7.5.5(2)), et régulièrement reflété par hitt. -atar-, mais par des graphies -attar- et -atar- en louvite (comp. a-ya-at-tar « action » KBo 30.167 iii 9, face à a-ya-tar KBo 4.11 : 54). Autant l’hypothèse traditionnelle de consonnes voisées à la suite d’une lénition et soumises, par la suite, à des alignements analogiques qui les font apparaître comme des non voisées comporte une large part d’arbitraire, autant celle de consonne non voisées que leur absence d’aspiration par rapport aux non voisées aspirées résultant de la fortition tend à faire confondre avec des voisées est phonétiquement naturelle. Un autre argument en faveur de cette interprétation est le « rhotacisme » sporadiquement reflété en louvite hiéroglyphique par des témoignages tels que *yéh₁-to « il fit » → lyc. ade = louv. cun. āta = louv. hiér. a+ra/i. La quasitotalité des témoignages de rhotacisme se constatent avec des désinences inaccentuées (voir Morpurgo-Davies 1983), donc avec des plosives issues du changement *t → *t, lesquelles, quand elle ne sont pas écrites r, sont représentées par ‘C’ aussi bien que par ‘CC’ en reflétant la vacillation typique des plosives issues de la série I qui ne sont pas devant voyelle accentuée (mais la même chose est vraie au sujet des voisées issues des séries II/III) : *díwot« dieu-soleil » → louv. hiér. dat. ti-wa/i+ra/i-mi (KULULU 5, § 3), face à louv. cun. dat. dUTU-ti (= Tiwati) KBo 23.254 Vo 7, face à hitt. dat. sg. si-wa-at-ti KBo 3.55+ ii 3 (VH/nh). Or, un même mécanisme s’observe exactement dans les mêmes conditions en anglo-américain où les plosives coronales non voisées ont une réalisation obligatoirement aspirée en attaque d’une syllabe accentuée (§ 4.7.2), d’où flotation [floʊ.tʰéɪ.ʃən], alors que, dans les dialectes où le flapping a cours, une réalisation [ɾ] s’impose ailleurs que devant voyelle accentuée, d’où shouting [ʃáʊ.ɾɪŋ] (voir, plus en détails, Riehl 2003). Le mécanisme reflété en louvite procède de la même motivation qu’en angloaméricain où [ɾ] est une réalisation, en position faible, de la plosive réalisée [tʰ] en attaque accentuée.

Les segments et leurs représentations

217

Toutes les raisons semblent donc réunies pour considérer qu’en anatolien, le trait [+ aspiré], en tant que produit de la fortition des non voisées de la série I, constitue le paramètre à partir duquel on doit justifier comment les plosives issue de la même série, mais n’ayant pas connu de fortition en viennent à se confondre avec les réflexes voisés des séries II/III. Dans cette perspective, [tʰ] étant phonétiquement opposable à [d] en attaque d’une syllabe accentuée, alors qu’ailleurs que dans ce contexte, [t] est assimilable à [d], il y a tout lieu d’estimer que l’anatolien a phonologisé les plosives selon une opposition */tʰ/ – */d/ dont le hittite a hérité en lui conférant l’élaboration phonétique proche, mais quelque peu différente résumée dans (52). 4.7.6 Convergences aréales (?) L’organisation /tʰ/ : /d/ que l’on postule en hittite se retrouve, comme on l’a mentionné, dans certains dialectes arméniens, mais aussi en persan (§ 4.7.4) et dans presque tous les dialectes iraniens du nord-ouest. Le fait que l’ensemble de ces langues soient, à des degrés divers, issues de la même souche génétique et qu’elles soient parlées dans la même zone géographique peut être relevé, tout comme le fait que les langues iraniennes et les dialectes arméniens localisés dans des zones plus lointaines ont, souvent, des organisations plus ou moins différentes. La possibilité d’une convergence aréale peut donc être évoquée, avec, il va de soi, toutes les réserves qui s’imposent, tant l’histoire linguistique particulièrement longue de cette zone, est faite d’incessants enchevêtrements d’influences croisées96. 4.8

Les fricatives

4.8.1 La coronale Il existe 31 signes impliquant la fricative coronale s (la lecture syllabique es₁₇ de HZL 360 représente une innovation tardive) :

96  Les convergences motivant, chez Watkins 2001 : 51-53, l’hypothèse d’une « aire linguistique anatolienne ancienne » se fondent, pour ce qui est de la phonologie, sur deux observations dont l’une est sûrement fausse (les « laryngales » du hittite seraient formées dans la zone laryngale) et l’autre, typologiquement insignifiante (les consonnes peuvent être géminées).

218

Chapitre 4

(55) signes graphiques impliquant S [n o du HZL] VC

CV

CVC

CVC

as 1

sa 158 sá 369

sak/g 192

k/gas 153 tàs 241 t/dás, t/dis 356 has 7 mas 20

is (es₁₅) 151 es (ìs) 331 es₁₇ 360

us 132

sah 309 sam 195 sàm 103 sar, sir₉ 353 sal 297

sé/í 86 si (se₂₀) 288 se 338

sir 5 sir₉, sar 353

su 68 sú 251

sum 91 sur 42

mes 360 kis 273 ris 192 lis 286 mis 112 nís 178 p/bis, pas, pùs 244

Dans les transcriptions en égyptien et en ougaritique de noms propres portés en milieu hittite, quoique non nécessairement formés en langue hittite (noms de personne, de lieux ou de divinités), la fricative s est régulièrement rendue, dans tous les contextes, par ég. /s/ et oug. /s/, alors que l’égyptien compte trois coronales /θ s ʃ/ et l’ougaritique, cinq /θ ð s z ʃ/ (sans compter les emphatiques) : (56) restitution de noms propres en égyptien contexte

graphie hittite graphie égyptienne restitution

attaque __i Harpasili Mursili Piyassili Hattusili

 :  :  :  :

ḫrpsl mrsl psl ḫtsl

[χarpasili] [mursili] [pi … sili] [χatusili]

219

Les segments et leurs représentations

contexte

coda

graphie hittite graphie égyptienne restitution __a Hisashapa Sahpina Sarissa __u Suppiluliuma __x Ishara a__ Hapantaliyas

 :  :  :  :  :  :

ḫissp sḫipin / spinḫ srs spll isḫr ḫapntljs

[χisasapa] [saχpina] [sapinaχ] ! [sarisa] [supiluliu …] [isχar] [χapantalijas]

En ougaritique, le témoignage de trġnds et trġds (variantes reflétant la tendance fréquente à l’élimination de n devant t/d) restitue pareillement [t(a)rɣ(u)nd(a)s], génitif Tarhuntas du nom du dieu de l’orage dTarhunt- ou bien [t(a)rɣ(u)nd(i)s(a)], nom de personne Tarhuntissa. Tous les noms hourrites en X-Tesub portés en milieu hittite sont, de même, restitués par ég. -tsb [t(e)s(u)b] (détails dans Patri 2009b). Le nom du souverain Suppiluliuma, en revanche, est restitué en ougaritique par ṯpllm [θ(u)p(i)l(u)l(iu)m(a)], avec une non sibilante /θ/, là où l’égyptien utilise une sibilante /s/ dans spll ; ce témoignage doit toutefois être relativisé car il est banal, en ougaritique, qu’une dentale ou alvéaloire non sibilante ṯ [θ] fluctue avec une sibilante [ʃ ~ s] à l’initiale d’une syllabe quand une labiale /p/ est en attaque de la syllabe suivante97. Ces correspondances indiquent que le s hittite est une sibilante alvéolaire /s/, apicale ou laminale98. En tant que phonème, /s/ est opposable à des fricatives non coronales comme à des coronales non fricatives : /s/ – /T/ : sakk- « connaître, savoir » → 3sg. prés. sa-a-ak-ki [sā́.kʰi] – dakk- « ressembler » → 3sg. prés. da-a-ak-ki [Tā́.kʰi] ; /s/ – /ʧ/ : sah- « emplir, combler » →. 3sg. prés sa-a-hi [sā́.ɣi] – zah- « frapper » → 3sg. za-a-hi [ʧā́.ɣi] ; /s/ – /x/ : pas- « avaler » → 3sg. prés. pa-a-si [Pā.si] – pahhi- « hostile » (adj.) → dir. sg. *pahhi [Pa.xi] (non attesté, d’après acc. sg. pa-ah-hi-in, CHD P 1) ;

97  Comparer ṯpš / špš « soleil », ṯpḥ / špḥ « famille », ou ṯpḫln, restituant le nom hourrite Šapḫalana (voir Tropper 2000 : § 32.144-12b et 14). Un changement proche est également attestée en moyen assyrien avec une tendance , sur laquelle, voir Huehnergard & Woods 2004 : 239. 98  La démonstration a été apportée dès Friedrich 1942 : 481 ; elle fait partie des très rares points admis par tous les spécialistes : Crossland 1961 : 129 n. 1, Hart 1983 : 104, Melchert 1997a : 561, Kimball 1999 : 106, Kloekhorst 2008 : 70, Kas’jan & Sidel’cev. 2010 : 37.

220

Chapitre 4

/s/ – /ɣ/ : has- « engendrer » → 3sg. prés. ha-a-si [Hā́.si] – sah- « emplir » → 3sg. prés. sa-a-hi [sā́.ɣi]. /s/ – /n/ : sah- « emplir » → 3sg. prés. sa-a-hi [sā́.ɣi] – nah- « avoir peur » → 3sg. prés. na-a-hi [nā́.ɣi]. /s/ – /r/ : pas- « avaler » → 3pl. pa-sa-an-zi – parai-/pariya- « souffler » → 3pl. prés. pa-ra-an-zi. Un phonème isolé dans sa classe peut avoir des réalisations phonétiques éventuellement diversifiées, précisément parce que son espace de réalisation n’est pas limité par d’autres unités de la même classe. Benveniste (1962 : 8) a notament fait valoir que la palatalisation d’une voisée attestée par *djew- → hitt. siu- étant reflétée par s-, il serait envisageable que s recouvre une voisée [z]. Cette conjecture paraît toutefois peu probable, d’une part parce qu’un dévoisement [zius] → [sius] n’est pas moins envisageable a priori, mais surtout parce que la palatalisation des plosives s’est effectuée en hittite conformément à la tendance voulant que les non voisées génèrent une affriquée (2sg. *tū → *tjy → zi(k) [= pal. ti, louv. tī]) là où les voisées génèrent une fricative (*dyew- → hitt. siu- [= pal. tiuna-, lyd. ciw-]). L’évolution hittite ayant transphonologisé la distinction t-d en /ʧ/‑/s/, l’hypothèse d’une conservation des caractères phonétiques originaux qui sont, précisément, ceux que le changement remplace est problématique. L’hypothèse plus ou moins implicite dans une partie de la littérature spécialisée, selon laquelle une langue ne peut se satisfaire d’une seule fricative coronale, en sorte qu’une voisée /z/ doit exister en hittite à côté de /s/ est, pour sa part, sûrement infondée : autant la présence d’une fricative voisée à un point d’articulation donné implique presque toujours celle d’une contrepartie non voisée formée au même point, autant la réciproque n’est pas vraie : le volume des fricatives non voisées est presque toujours supérieur, éventuellement égal, à celui des fricatives voisées, mais jamais inférieur (Nartey 1979 : 8) ; par suite, dans les langues où n’existe qu’une seule fricative sibilante, celle-ci est invariablement non voisée (Nartey 1979 : 2). En définitive, l’unique fricative sibilante du hittite /s/ est, par défaut, phonétiquement non voisée et phonologiquement indifférente au voisement ; dans certains contextes, /s/ se réalise [ʃ], [z] [h] (voir ci-après), mais sa réalisation par défaut est [s]. Remarque. – Comme l’ont reconnu divers spécialistes, le recours au symbole « š » dans la latinisation des syllabogrammes du hittite n’a aucune justification : en hittite, aucun signe syllabique ne distingue « š » d’une autre espèce de « s », tandis que la production post-alvéolaire [ʃ] traditionnellement associée au symbole š en accadien est aujourd’hui identifié à [s] (Faber 1990 : 626-627, Hasselbach 2005 : 136).

221

Les segments et leurs représentations

Dans la latinisation des idéogrammes, la distinction de S et de Š peut être utile pour distinguer des variantes paléographiques, mais elle n’est jamais significative au plan linguistique dans le sens où des signes tels que SÁ (= DI, HZL 312) / ŠÁ (= NÍG, sá, HZL 369), SIR (= SUD, HZL 341) / ŠIR (HZL 5), et quelque autres, ne sont utilisés qu’en composition avec d’autres logogrammes. 4.8.2 Les vélaires Sur les 16 signes impliquant h, la plupart sont, de façon inhabituelle, des signes CVC : (57) signes graphiques impliquant H [n o du HZL] VC

CV

CVC

Vh 332

ha 367

hap, hab 179 hat, had 174 has 7 hal 2 har, hur 333

he, hi 335 hé 113 hu 24

hup, hub 50 hul 290

CVC tah, dah, túh 171 sah 309 mah 10

luh 198

Il existe un signe CV spécialisé pour tous les timbres vocaliques, sauf pour *hi, alors que le signe univoque hé (HZL 113) admet aussi une lecture hi en accadien (MsZL 253) et que le signe hi de l’accadien (MsZL 631) n’est utilisé en hittite qu’en lecture idéographique. (a) Le signe Vh. – Le signe Vh (HZL 332) est le seul signe VC impliquant un segment h ; sa lecture vocalique est, comme en accadien, générique, si bien que l’identification du timbre vocalique dépend de celle du signe utilisé devant Vh (lui-même, parfois, équivoque, § 4.1.6). On en paraît pas encore avoir signalé que la distribution du signe -Vh- est, en hittite, fortement contrainte : – le signe Vh ne peut être utilisé que s’il est suivi d’une consonne ; les séquences *-Vh-V … sont prohibées en vieux et moyen hittite et ne sont attestée en néohittite que pour écrire autre choses qu’une séquence [H + V] : pahs- « protéger » → 2sg. imp. pa-ah-as-si KBo 19.68 : 8, face à pa-ah-si KUB 1.16 iii 28, plus

222

Chapitre 4

fréquent ; kururiyahh- « faire preuve d’hostilité » → 3pl. prés. ku-u-ru-ri-yaah-er-er KBo 16.1 i 13, est une faute de copiste pour ku-u-ru-ri-ya-ah-he-er ; – Vh ne peut être précédé que d’un son maximalement sonorant, voyelle ou liquide /r l/ (/l/ seulement à l’initiale du mot) ; les séquences *… C-Vh où la consonne n’est pas une liquide sont prohibées ; – Vh n’est pas utilisable à l’initiale des mots, alors que # V-hV-… est banal (we- « venir » → 2sg. imp. e-hu KBo 7.14+ KUB 36.100 Ro 4, VH) ; cette contrainte ne traduite pas nécessairement un fait phonétique et peut dériver de l’absence de spécification de la voyelle. Considérant qu’une ‘h’ intervocalique n’est représentable que par … V-hV-, et jamais par *-Vh-V …, le signe Vh apparaît donc proscrit dans les contextes où l’interprétation de la fricative serait voisée. Cette observation converge avec le fait que le seul moyen de représenter une fricative non voisée impose, dans tous les contextes, d’avoir recours à Vh (+ hV). Il apparaît donc que Vh est un signe de type VC unique en son genre en ce qu’il ne prédit aucune propriété de la voyelle, mais prédit le lieu d’articulation ainsi que le mode, en l’espèce non voisé, de la consonne. (b) Localisation articulatoire. – Depuis les travaux de Kuryłowicz (1927a/b, 1928) et de Benveniste (1935), usant, tous deux, d’une terminologie initiée par Møller (1911 : vi) et par Cuny (1912 : 120-125), les segments dont h et hh sont, entre autre choses, les réflexes en hittite sont identifiés, dans les études indoeuropéennes, sous le nom de « laryngales ». Bien que traditionnelle, l’emploi de cette terminologie dans la description du hittite est sûrement impropre99. Les emprunts ou adaptations de mots hittites contenant h et hh sont, en effet, régulièrement restitués : – en néo-égyptien, par une fricative uvulaire ḫ /χ/ (par ex. Hattusili = ḫtsl, ainsi qu’une dizaine d’autres témoignages)100 ; – en ougaritique, où l’espace phonologique est, dans la zone dorsale, moins défectif qu’en égyptien, par une fricative vélaire, qu’elle soit voisée /ɣ/ (Puduhepa = pdġb [p(u)d(u)ɣ(e)b(a)]), comme non voisée /x/ (Alihhani = ’alḫn [al(i)x(a)n(i)]). Les phonèmes du néo-égyptien ou de l’ougaritique formés dans la zone laryngale comme les fricatives pharyngales /ħ ʕ/ ou les glottales /h ʔ/ ne sont jamais 99  La même remarque s’applique à l’accadien où il est admis que ‘ḫ’ représente une fricative dorsale non voisée ; Buccellati 1997 : 16sq., postule une palato-alvéolaire, mais Huehnergard & Woods 2004 : 230-231, une vélaire. 100  Voir Patri 2009b. La seule exception concerne le nom Kilushepa = krgp [k(i)l(u)k’(e)p(a)] ([k’] est une emphatique), mais ce nom n’est pas hittite, si bien que sa prononciation en égyptien peut avoir été fixée d’après sa prononciation hourrite native.

Les segments et leurs représentations

223

utilisées pour rendre les sons h et hh du hittite, lesquels sont, dans les deux langues, régulièrement restitués par des fricatives dorsales [χ x ɣ]. Des correspondances identiques se vérifient avec des mots voyageurs ou des emprunts tel que oug. annḫ [an(a)n(u)x] « menthe » (DUL 81) : hitt. annanuhha- (HW² I : 77)101. L’égyptien a une fricative uvulaire, mais pas de fricatives vélaires, tandis que l’ougaritique a des fricatives vélaires, mais pas d’uvulaires, en sorte que les emprunts ne font pas immédiatement discerner la localisation précise des ‘h’ et ‘hh’ du hittite. L’interprétation vélaire bénéficie toutefois d’indices dont son alternative semble dépourvue (on résume ici Patri 2009b) : (1) en hittite, h et hh sont des phonèmes opposables entre eux comme à d’autres vélaires (plosives), mais pas à d’autres uvulaires ; (2) les h partagent avec les plosives vélaires la faculté de susciter l’effacement optionnel d’un [ŋ] antécédant (§ 8.7.2) ; (3) la confusion occasionnelle h ↔ k reflété en hittite par hameshant- « printemps » → ha-mi-is-kán-za KUB 38.26 Vo 1 (NH), ha-mi-es-kán-zi (Ibid. 19) fait varier h avec une une plosive vélaire (§ 8.6.2) ; (4) l’égyptien utilise la vélaire /k’/ et non l’uvulaire /q’/ pour restituer hitt. h dans l’équation Tarhunt- = trgtṯs [t(a)rk’(un)t-…], en accord avec la transposition du même nom en ougaritique, trġnds, trġds [t(a)rɣ(un) d(+V …)s] ; (5) dans les langues anatoliennes à écriture alphabétique, h et hh sont en correspondance avec des consonnes vélaires : lyc. 1sg. prét. my. -xagã = hitt. -hhahat(i) ; hitt. Tarhunt- : mil. Trqqñt-, propriété confirmée, dans ce dernier cas, par les avatars asianiques de cette souche onomastique Ταρκυν-, Τροκο- ; (6) il existe au moins une h distinctivement labialisée (§ 4.8.3), dont il est typologiquement plus probable que la production se localise dans la zone vélaire que dans la zone uvulaire : /xʷ/ et/ou /ɣʷ/ sont banalement rencontrées dans l’effectif phonologique de nombreuses langues, alors que /χʷ/, /ʁʷ/ ne sont des phonèmes que dans des langues caractérisée par un effectif de consonnes très important (/χʷ/ et/ou /ʁʷ/ se rencontrent presque exclusivement dans le Caucase et dans le groupe wakashan d’Amérique du nord – voir, dans le même sens, Weiss 2016 : 333). 101  Dans les descriptions récentes, les conjectures voyant dans les graphie h et hh du hittite tantôt des pharyngales /ħ ʕ/ (ainsi Melchert 1994 : 22, 1997 : 559, Luraghi 1997 : 4), tantôt des glottales /h/ et /ɦ/ (ainsi Watkins 2004 : 556, Kloekhorst 2008 : 27) sont incompatibles avec ces témoignages.

224

Chapitre 4

Il ne semble pas exister d’indices suggérant une identification des graphies h et hh du hittite avec autre chose que des fricatives vélaires /ɣ x/102. Remarque. – De même que pour « š », le recours à un diacritique « ḫ » dans la latinisation des syllabogrammes n’a pas de justification, aucun signe syllabique, en hittite, ne distinguant un « ḫ » d’une autre espèce de « h ». 4.8.3 La ou les labialisées Comme dans le cas des plosives, le caractère interchangeable des signes VC et CV quand C est une fricative vélaire et que V = u stipule le caractère labialisé de la fricative. Les signes impliqués dans cette relation sont limités à … u-Vh (HZL 332, générique) et hu (HZL 24). La variation est bien documentée dans la flexion de tarhu- « vaincre » : (58) représentation graphique des labiovélaires

prés. 3sg. imp. 3sg. prét. 3pl.

… uC …

… Cu …

ta-ru-uh-zi (VH) tar-uh-du (MH/nh) tar-uh-he-e-er (NH)

tar-hu-uz-zi (VH/mh) tar-hu-du (VH/nh) tar-hu-e-er (MH)

Le caractère distinctif de la fricative labialisée est mis en évidence par les oppositions suivantes (où les propriétés de voisement des obstruantes demeurent indiscernables) : /Kʷ/-/Hʷ/ : tarku- « danser » → 3sg. tar-ku-zi [Tar.Kʷu.ʧi] – tarhu- « vaincre » → 3sg. tar-hu-uz-zi [Tar.xʷu.ʧi] ; /Hʷ/-/H/ : sanhu- « rôtir » → 3pl. prés. sa-an-hu-an-[zi] [saŋ.Hʷaɲ.ʧi] – sanh« chercher » → 3pl. sa-an-ha-an-zi [saŋ.Haɲ.ʧi]. (a) Détection des fricatives labialisées. – Tout comme dans le cas des plosives labialisées, rien, dans la graphie, ne distingue une séquence [Hʷ+u] (tar-hu-uz-zi) d’une séquence /H+u/, comme dans erh(a)- « frontière » → acc. pl. {erH-us} er-hu-us, si bien que la détection des fricatives labialisées repose sur la comparaison indo-européenne (quand elle est possible) bien plus que sur les rares témoignages textuels qui rendent explicite leur présence. Une 102  Voir Patri 2009b, où j’ai négligé que Gamkrelidze 1960 : 65, était déjà parvenu à la même conclusion, à ceci près qu’il considère que h et hh sont des variantes d’un même phonème. Pour leur part, Kas’jan & Sidel’cev 2010 : 37, et Weiss 2016, reconnaissent qu’on est bien en présence de dorsales, mais ne prennent pas parti entre uvulaires et vélaires.

Les segments et leurs représentations

225

assimilation secondaire de la labialité par la fricative semble probable d’après hu-da-a-ak [Hu.dā́K] « immédiatement » KBo 25.139+ Ro 7 (VH), face à hu-uda-a-ak Çorum 21-9-90 : 7, 10 (MH), supposant [Hʷu.dā́K]. (b) Problèmes du voisement. – Comme avec les plosives labialisées, il n’existe pas de témoignages mettant en évidence une distinction /xʷ/-/ɣʷ/. Nombre de graphies certifient ou laissent supposer une fricative labialisée [xʷ], mais aucune ne met en évidence sa distinctivité par rapport à une voisée [ɣʷ]. Le problème vient de ce que les signes ‘hu / uh’ ne sont que très peu employés dans des contextes intervocaliques formés de voyelles dont le timbre serait autre que [u] : les graphies de tuhs- « détacher, être séparé », par exemple, font alterner túh-(hu-)s … avec túh-Vh-s …, túh-hu-us- avec túh-Vh-huus- (par ex. 3sg. prés. túh-Vh-hu-us-zi / túh-hu-us-zi ; celles de tarhu- « vaincre » {Tarxʷ-} → 3pl. prét. tar-uh-he-e-er (à côté de tar-hu-e-er). Par suite, les témoignages d’un son [ɣʷ] sont limités en proportion : le plus assuré, relativement, semble être celui de la flexion de lah- « verser, laisser couler » → 3sg. prés. laa-hu-i [lā́.ɣʷi] KBo 17.1+ i 16, 17 (VH), 1sg. prét. la-a-hu-un [lā́.ɣʷun] KUB 29.7 Vo 49 (MH), mais autant la réalisation [ɣʷ] de la fricative semble ici certaine, autant le caractère distinctif de son voisement est douteux, comme le montre la graphie ‘hh’ du dérivé lahhuessar- « coupe à libation » (Kloekhorst 2008 : 512). L’analyse phonétique (et morphologique) de 2sg. imp. e-hu « viens ! » KBo 7.14+ Ro 4 (VH) est peu claire (comp. Oettinger 1979 : 125, Melchert 1994 : 98, 134, Kloekhorst 2008 : 233), tandis que celle de mehur- « temps, durée » → dir. sg. me-e-hur (VH/nh), me-hu-ur (VH), impose une scansion bisyllabique où le noyau de la syllabe finale [mḗ.ɣur] ne peut passer pour un indice de labialisation ; de même, dans le cas de pehute- « mener, conduire » où, de surcroît, il n’est pas certain que ‘h’ recouvre une fricative (8.12.4(3). En l’absence de témoignages probants, il y a donc motif à estimer que, selon la configuration, au demeurant, dominante dans les langues, il n’y a qu’une seule fricative dorsale labialisée en hittite : d’après UPSID-451, sur les 27 langues incluant au moins une fricative vélaire labialisée, 20 ont /xʷ/ seulement, tandis que 6 ont à la fois /xʷ/ et /ɣʷ/ (une seule langue a seulement /ɣʷ/). (c) L’anaptyxe. – Comme avec les plosives, l’utilisation de /xʷ/ peut imposer l’émergence d’une voyelle d’anaptyxe de timbre [u] : la variation tarhu- → 3sg. ta-ru-uh-zi : tar-hu-uz-zi certifie une syllabation 3sg. [Tar.xʷu.ʧi] car une coda *[rxʷ.] serait mal formée en termes de sonorance ; la variante ta-ru-uh-za KUB 43.75 Vo 9 (VH/nh) impose pareillement [Tar.xʷuʧ], en raison du caractère inacceptable d’une coda *[rxʷʧ]. (d) La ligature hu-u. – Dans les textes moyens et tardifs, la combinaison de hu (HZL 24) et de u (HZL 261) apparaît souvent ligaturée dans la graphie, en témoignant d’une amorce de spécialisation diversement interprétée par les spécialistes : Rosenkranz (1959 : 420, 426) estime que cette graphie dériverait

226

Chapitre 4

d’un besoin de distinguer le signe hu du signe ri, selon lui, trop ressemblants ; d’après Kimball (1999 : 67-68), elle se réfèrerait à la durée brève de la voyelle, tandis que Rieken (2005) et Kloekhorst (2008 : 51) jugent qu’elle recouvrirait un phonème /o/ (§ 4.1.3). La conception de Kimball, selon qui la voyelle [u] serait phonétiquement brève ne suscite pas d’objections factuelles, mais laisse sans réponse la question de savoir pourquoi seule la consonne /H/ imposerait une spécialisation de cette sorte à la seule voyelle /u/ et comment une graphie répliquée en viendrait à être utilisée pour indiquer le caractère spécifiquement bref d’une voyelle. L’approche consistant à reconnaître dans hu-u un timbre phonologiquement distinct de /u/ est, pour sa part, invraisemblable : outre qu’il n’y a pas de phonème /o/ en hittite (§ 4.1.3), une flexion alternante comme huek- / huk« prononcer des incantations » → 3sg. hu-e-ek-zi (VH) : 3pl. hu-u-kán-zi (MH) supposerait un rapport aberrant **{Hweg- : Hog-} que Kloekhorst tente de sauver en postulant une alternance **{Hoeg- : Hog-} qui ne fait qu’accentuer l’invraisemblance, aucun thème bisyllabique n’étant susceptible d’alterner avec un thème monosyllabique dans les relations apophoniques régulières. Il paraît plus probable de considérer que la ligature hu-u ne se réfère pas à une propriété de la voyelle, mais de la consonne, en l’espèce, à sa labialisation /Hʷ/. Dans cette perspective, la flexion du verbe huek- / huk- repose sur une alternance {Hʷeg- : Hʷg-} dont les réalisation sont, naturellement, 3sg. {Hʷég-ʧi} → [Hʷḗg.ʧi] hu-e-ek-zi : 3pl. {Hʷg-aNʧi} → [Hʷu.gaɲ.ʧi] hu-u-kán-zi, avec le développement normal d’une anaptyxe consécutif à l’impossibilité phonétique d’une attaque *[# HʷgV …]. La ligature hu-u peut recouvrir les mêmes situations que le signe hu, donc ausi bien un phonème /Hʷ/ qu’une combinaison / H+u/ : walh- « frapper, battre » inf. {walx-waNʧi} → [wal.xu.waɲ.ʧi] wa-al-ahhu-u-wa-an-zi KUB 19.10 i 11 (NH). 4.8.4 Phonologie des fricatives dorsales Le caractère distinctif des fricatives dorsales est montré par les paires suivantes103 : /x/ – /ɣ/ : sahhan- « corvée » → dir. sa-ah-ha-an KBo 6.2 ii 43 (VH) face à sah- « bloquer » → part. dir. sg. sa-a-ha-an KUB 9.28 i 14 (MH/nh), sa-ha-a-an KUB 54.85 Ro 12 ( ?/mh). /H/ – /s/ : hali- « enclos » → dir. sg. ha-a-li – salli- « grand » → dir. sg. sal-li ; han- « répendre » → 3pl. prés. sa-a-na-an-zi – san- « cacher » 3pl. prés. sa-an-na-an-zi ; 103  Pour des raisons obscures, Ivanov 2001 : 235 [ad 71 n. 6], estime que l’existence de paires minimales n’est pas suffisante pour reconnaître h et hh comme des phonèmes.

Les segments et leurs représentations

227

/H/ – /K/ : hars- « racler, râtisser » → 3sg. prés. har-as-zi – kars- « couper, séparer » → 3sg. prés. kar-as-zi. Sur le caractère distinctif de la labialisée, voir ci-dessus. En hittite, l’aspiration est, phonologiquement, une propriété des plosives104. La question de savoir si on pourrait rendre compte de la distinction de voisement caractérisant les fricatives h /x/ et hh /ɣ/ en termes de DAV ne peut, cependant, être simplement écartée. En effet, comme l’a montré Abramson, les fricatives être différenciées par la DAV, notamment derrière voyelles, même quand elles ne sont pas aspirées et bien que la différence entre friction et aspiration tende à s’estomper, particulièrement quand l’amplitude de la friction commence à décroître (voir Abramson & Whalen 2017 : 80-81). On ne peut donc exclure a priori la possibilité de rendre unitairement compte des variables accompagnant les réalisation de /x/ et de /ɣ/ d’une part, des séries /tʰ/ et /d/ de l’autre. Une telle approche se heurte toutefois à une objection, car si les témoignages de vacillations t/d ~ tt/dd dans des contextes propres à modifier la DAV des plosives sont relativement banals, il n’en va pas de même au sujet des graphies h et hh dont l’instabilité ne se manifeste pas dans les mêmes contextes. Le cas particulier des mots attaqués par une latérale mis à part (§ 8.5.6), la graphie des morphèmes 1sg. prés. -hhe, 1sg. prés. my. -hha(ri), 1sg. prét. -hhun, 2sg. opt. my. -hhut, fact. -ahh- ne met pas en évidence de vacillations, lesquelles semblent limitées à deux morphèmes lexicaux qui les attestent dans des conditions au demeurant peu claires. Les témoignages de flexion verbales reflétant ce qui a possiblement été une ancienne alternance entre les deux fricatives s’observent avec nah- « avoir peur » → 2sg. imp. na-hi KBo 21.103 Vo 28 (VH/mh), face à ptcp. nom. na-ah-ha-an-za KBo 3.29 : 21 (NH), subst. verbal gén. na-ah-hu-u-wa-as KBo 3.6 iv 15 (NH), et avec zah(h)- « frapper » → 3sg. prés. za-a-hi KBo 6.25 iii 7 (VH/nh), 3pl. prés. za-ha-an-zi KUB 5.7 i 32 (NH), face à 3pl. prét. za-ah-he-er KUB 17.21 iv 2f. (MH), 1pl. prés. za-ahhu-u-e-ni KBo 3.60 ii 17 (VH/nh). Ces témoignages ne laissent pas discerner de motivation structurée puisqu’on a 1pl. za-ah-hu-u-e-ni, mais na-a-hu-u-e-ni KUB 52.75 Vo 20 (NH), et que la forme phonologique en /ɣ/ du thème de 3sg. za-a-hi est similaire à celui de 3pl. za-ha-an-zi, ce qui oblitère toute possibilité d’analyse contextuelle (sur les remaniements analogiques subis par cette dernière flexion, voir Kloekhorst 2008 : 1020).

104  Les fricatives aspirées sont excessivement rares au plan typologique (voir Jacques 2011). Des phonèmes /sʰ zʰ ʃʰ ʒʰ/ ne sont attestés (rarement) qu’en Asie orientale et en Amérique du nord, tandis que /xʰ/ ne semble exister que dans deux langues tibétaines ; aucune langue ne phonologise [ɣʰ].

228

Chapitre 4

Il n’existe pas, d’autre part, de témoignages mettant nettement en évidence une fluctuation des graphies h et hh dans un même contexte ; le seul exemple qui pourrait être invoqué en ce sens est nah(h)- « craindre » → 1sg. prét. naah-hu-un KUB 33.120 ii 24, KUB 14.3 ii 3 (NH), face à na-a-hu-un KBo 4.2 iii 42 (NH), qui est susceptible de recevoir diverses explications (voir § 8.4.5). Quoi qu’il en ait été du conditionnement originel, la variabilité /ɣ : x/ ne s’observe qu’à titre de vestige destructuré, tandis qu’aucun mécanisme, en hittite historique, ne certifie nettement que /ɣ/ pourrait interagir avec /x/ et réciproquement (en revanche, /ɣ/ et /x/ semblent conjointement se neutraliser au profit de [h] dans les mots à attaque latérale : § 8.5.6). Il ne semble donc pas qu’il y ait lieu de mettre sur le même plan la distinction entre /d/ et /tʰ/ et la distinction entre /ɣ/ et /x/ qui, bien qu’étant l’une et l’autre fondée sur le trait [± voix], reflètent des comportements sensibles à la DAV dans le premier cas, mais pas dans le second. 4.8.5 Fréquences du mode des dorsales Une interrogation du corpus hittite numérisé indique qu’en position intervocalique, la fréquence de la voisée h est, à toutes les périodes, inférieure à celle de la non voisées hh ; le coefficient multiplicateur n’est que de × 1,25 en vieux hittite, mais il augmente pour dépasser × 2 dans les strates plus tardives. (59) fréquences des fricatives dorsales intervocaliques

/ɣ/ (V-hV) /x/ (Vh-hV)

VH

MH

NH

moyenne

44 % (165) 56 % (206)

30 % (128) 70 % (303)

33 % (759) 67 % (1543)

35 % 65 %

La relation fréquentielle de h à hh est grossièrement équivalente à celle de k/g à kk/gg (tabl. 35). Il n’existe pas de contraintes particulières relatives à la distribution de h par rapport à hh selon l’environnement105. De façon curieuse, devant les fricatives vélaires, les voyelles longues se rencontrent toutefois plus souvent devant les non voisées que devant les voisées en vieux hittite (coefficient multiplicateur : 105  L’affirmation d’Ivanov (1955/2007 : 373) selon qui, derrière e, il n’y a pas de graphie hh, mais seulement des graphies h est fausse : dai- « poser, placer » → 1sg. prés. te-e-eh-hi KBo 17.1+ 21 (VH), pai- « donner » → 1sg. prés. pé-e-eh-hé KBo 17.6 iii 24 (VH).

229

Les segments et leurs représentations

× 2) avant que la relation ne s’inverse dans les strates ultérieures, au point que les séquences VhhV deviennent spectaculairement minoritaires par rapport aux séquences VhV (coefficient multiplicateur : × 23) : (60) fréquences des voyelles allongées devant fricatives vélaires

[V̅ ɣ] [V̅ x]

(V-V-hV) (-V-Vh-hV)

VH

MH

NH

24 47

20 11

141 6

Le voisement des fricatives n’a pas, sur la durée des voyelles antécédentes, les mêmes conséquences que celui des plosives (§ 4.6.3), en sorte que l’évolution reflétée dans (60) peut s’expliquer aussi bien par un changement dans la perception des voyelles longues (§ 6.6.4), que par un changement des propriétés des fricatives (durée accrue ?). Dans tous les cas, cette inversion, aussi obscure soit-elle, fait partie des indices reflétant une évolution du phonétisme du vieux hittite aux strates ultérieures. 4.9

L’affriquée /ʧ/ et les séquences /d/, /tʰ/ + /s/

4.9.1 Le signe z L’écriture de z dans les mots hittites repose, pratiquement, sur sept signes CV et VC ; les signes zu, zum, zul n’apparaissent que dans des mots sûrement ou possiblement empruntés, tandis que gaz n’est utilisé que dans l’écriture de toponymes : (61) signes graphiques impliquant z [n o du HZL] VC

CV

za 366 ze/i 33 zé 108 zu 209

az 92 e/iz 178 uz 340

CVC

CVC gaz 122

zum 300 zul 46

230

Chapitre 4

En accadien, z correspond, dans les plus anciens dialectes, à une affriquée, aussi bien non emphatique voisée [ʣ], qu’emphatique non voisée [ʦ’], qui, dans les dialectes plus tardifs, tend à éliminer sa phase plosive pour passer à [z] et [s’]. En hittite, le signe z recouvre trois situations proches, mais différentes tant au plan phonétique que phonologique : (1) une séquence formée d’une plosive /tʰ/ ou /d/ suivie d’une fricative homorganique /s/ ou [z] ; (2) une consonne affriquée /ʧ/ ; (3) une consonne fricative [ʃ] (§ 8.5.4). 4.9.2 Les séquences /d/, /tʰ/ + /s/ Le signe z est utilisé pour représenter, dans la graphie, toute séquence formée d’une plosive coronale /tʰ/ ou /d/ suivie d’une fricative /s/ : (62) graphies des séquences /tʰ/, /d/ + /s/ siwattloc. {siwatʰ-i} « jour » si-wa-at-ti KBo 3.55+ ii 3 (VH/nh) karatacc. {Karad-an} « entrailles » ka-ra-a-ta-an KBo 22.2 Ro 16 (VH ?/mh)

nom. {siwatʰ-s} si-i-wa-az KBo 17.15 Vo 19 (VH) nom. {Karad-s} ga-ra-az KUB 33.72 i 5 (VH/nh)

Comme l’indiquent ces témoignages, la graphie z peut représenter une combinaison /d+s/ aussi bien qu’une combinaison /tʰ+s/, quelles que soient les propriétés de voisement de la plosive106. La possibilité que, dans l’environnement /d+s/, se produise une assimilation de voisement aboutissant soit à [dz], soit à [ts], pourrait être accréditée par le témoignage du dérivé itératif en -ske- de mald- « invoquer, réciter » où, si l’on admet que la plosive du thème est voisée (ce que l’étymologie rend plausible, sans le certifier), la forme 1sg. {malT-sKe/i-mi} ma-al-za-ki-mi KUB 14.4 ii 18 (NH) connaît nécessairement une réalisation [mal.dzə.Ki.mi] ou bien [mal.tsə.Ki.mi], à l’exclusion de *[mal.dsə.Ki.mi] (la sonorance de /d/ est supérieure à celle de /s/). 106  Les fluctuations dont font preuve les graphies géminées zz par rapport à z se constatent dans toutes les strates chronologiques et s’observent éventuellement dans les variantes graphiques d’un même mot (§ 6.8.3(5)). L’hypothèse de Van Brock 1966 selon qui on serait en présence de variantes [ts] et [tš] ou celle de Yoshida 2001, selon qui ces graphies recouvriraient /dz/ et /ts/ sont, sous cette considération, peu vraisemblables.

Les segments et leurs représentations

231

La graphie z peut également représenter une séquence plosive + fricative dérivant de l’émergence d’une plosive [d tʰ] devant /s/ à l’occasion d’une épenthèse (voir § 8.7.5) : {marsasTari-} « sacrilège » → nom. mar-sa-as-tar-ri-is [mar. sas.Tar.ris] KUB 26.12 iv 36 (NH) face à mar-za-as-tar-ri-is [mar.Tsas.Tar.ris] KUB 18.27 : 19 (NH). Sur la variation s : z à l’initiale de certains lexèmes, voir § 8.5.4. 4.9.3 Le phonème /ʧ/ Un phonème /ʧ/ distinct des séquence biphonématiques est mis en évidence par les observations suivantes : (1) [ʧ] est significativement opposable à [s] : 3sg. prés. sa-a-hi [sā́.ɣi] « il emplit », face à za-a-hi [ʧā́.ɣi] « il frappe » ; āska- « porte, portail » → loc. pl. a-as-ka-as [ās.Kas], abl. a-as-ka-az [ās.Kaʧ] ; (2) [ʧ] est significativement opposable à [T] : da- « prendre » → 3pl. prés. da-an-zi [Taɲ.ʧi], face à zai- « traverser » → za-an-zi [ʧaɲ.ʧi] KUB 25.14 iv 13 (VH/nh) ; apā- (démonstratif) → abl. a-pé-e-ez [a.bḗʧ], instr. a-pé-et [a.beT] ; (3) la présence ou l’absence de [ʧ] peut constituer une information discriminante : aruna- « mer » → allatif a-ru-na [a.ru.na], ablatif a-ru-na-az [a.ru.naʧ]. 4.9.4 Comportement de /ʧ/ et de /d/, /tʰ/ + /s/ Le fait que l’affriquée et la séquence de consonnes soient représentées par le même signe a parfois été apprécié comme l’indication de ce que les deux situations répondaient à la même réalité phonétique107. Cette approche est réfutée par les comportements de l’affriquée et des séquences biphonématiques envers leur entourage : (1) Phonotactique. – Les aptitudes de /ʧ/ et de /d tʰ/ ou de /s/ à se combiner avec d’autes phonèmes diffèrent, particulièrement devant /u/ et certaines consonnes :

107  Explicitement, Čop 1968 : 56, Kas’jan & Sidel’cev 2010 : 39. Pour sa part, Melchert 1997a : 560, revendique cette approche « par simplicité » sans se prononcer sur sa véridicité.

232

Chapitre 4

(63) contraintes phonotactiques sur /ʧ/, /d tʰ/ et /s/

ʧ+ s+ T (= /tʰ d/) +

+P

+m

+u

+H

+r

*ʧP sP *TP

*ʧm sm Tm

*ʧu su Tu

*ʧH sH TH

*ʧr sr Tr

(2) Sensitivité envers la gémination conditionnée. – La conjonction de coordination enclitique ⸗ya / ⸗a provoque régulièrement une gémination de la consonne en finale du mot-hôte (voir § 9.10.3). Or, la gémination d’une séquence /… T+s/ se traduit par celle de la fricative, représentée, dans l’écriture, au moyen de voyelles factices : pittai- « fuir » → participe {Pitʰi-aNT-s⸗ya} → LÚpít-ti-y]a-anza-as-sa « (fugitif comme) fuyard » KUB 23.72 Vo 56 (MH), alors que, dans le même contexte, la gémination de /ʧ/ suscite des graphies le plus souvent zz reflétant, en outre, occasionnellement, un élément vocoïde : tamai- « autre » → abl. {Tamédaʧ⸗ya} → ta-me-e-ta-az-zi-ya … uddānaz « et à cause d’une autre affaire » KUB 14.8 Ro 41, dupl. -]da-zi-ya KUB 14.11+ iv 11 (NH), voir, plus en détails, ci-dessous, § 4.9.5(4). Comme l’a bien discerné Melchert (1994 : 23-24), la gémination conditionnée s’appuie sur le segment en contact avec l’enclitique dans les séquence biphonématiques, mais sur le constituant plosif dans le cas de l’affriquée (sur les réalisations géminées de z, voir, en outre, § 6.8). (64) gémination conditionnée de « z » /V+T+s⸗ja/ → [VTs.⸗sa] /V+ʧ⸗ja/ → [Vt.⸗ʧa] 4.9.5 Localisation de /ʧ/ Divers témoignages indiquent que la consonne /ʧ/ est formée à un point d’articulation différent de celui où se forment les séquences . (1) Phonotactique. – Comme on l’a mentionné (tabl. 63), /s/ et /tʰ d/ sont aptes à former des séquences avec /u P m r ɣ/, alors que /ʧ/ n’est pas admise dans ces combinaisons. Les segments /u P m/ sont produits avec une occlusion moins abrupte (pour P et m) que leurs équivalents formés en d’autres lieux108, et reposent sur une protusion labiale ; de leur côté, /r/ et /ɣ/ ont en commun la faculté d’être formées avec un bruit de friction minimal, comme en témoigne, par ailleurs, le fait que leurs réalisations respectives peuvent, 108  Cf. Ladefoged & Maddieson 1996 : 16-17.

Les segments et leurs représentations

233

en hittite, optionnellement se confondre en coda (§ 8.6.2). Il apparaît donc que /ʧ/, à la différence de /s/ ou de /tʰ d/, ne peut former de transitions avec des sons caractérisés par (i) une protusion labiale ; (ii) une fermeture lente et (iii) une friction minimale ou une absence de friction. Une contrainte de cette nature répond normalement, en ce qui concerne (ii) et (iii), à la caractérisation des affriquées puisque celles-ci sont fondamentalement des plosives dont la phase de relâchement est modifiée de façon à permettre une friction accrue. Mais pour ce qui intéresse le présent propos, le plus intéressant est la prévention de /ʧ/ + labiale, qui ne peut se comprendre qu’en relation au fait que la production de [ʃ] va de pair avec un arrondissement ou une protusion labiale, ce qui n’est jamais le cas de [s], tandis que la vélocité du flux, donc l’intensité bruit, caractérisant [ʃ] est inférieure à celle de [s] (Ladefoged & Maddieson 1996 : 148-150). En d’autres termes, on doit admettre que si la section fricativée de z en hittite doit son incompatibilité transitionnelle avec le son suivant à raison d’un contraste trop faible entre leurs bruits de friction et d’un contraste trop faible entre des gestes de protusion identique, c’est qu’elle est [ʃ] et non [s], donc, spécifiquement formée dans la zone antérieure des coronales. (2) Prévention séquentielle de la postériorité. – Dans les textes hittites, une séquence ou syllabe /ʧ/ + /u/ ne se rencontre que dans des mots vraisemblablement ou sûrement empruntés à des langues étrangères. Une localisation alvéolaire [ʦ] de l’affriquée ne justifierait en rien l’impossibilité de *[ʦu] dans les mots hittites hérités. En revanche, l’évitement de la redondance labiale que l’on vient de mentionner, la contrainte de co-occurrence stipulant qu’une consonne non antérieure, quand elle est suivie d’une voyelle, exige que cette voyelle soit antérieure ou indifférente à l’antériorité (sur quoi, voir Flemming 2003) fournit un cadre naturel justifiant la prévention de séquences formées d’une alvéo-palatale [ʨ], d’une post-alvéolaire [ʧ], ou d’une palatalisée [ʦʲ] et de /u/109. Le nom la(h)hanza- « canard » dont la forme thématique impose qu’à l’accusatif pluriel en -us, l’affriquée rentre en contact avec une voyelle postérieure est écrit la-ah-ha-an-zu-us KUB 39.7 ii 35 (MH?/nh), mais la-ha-an-zi-us deux lignes plus bas sur la même tablette (une influence louvite suscitant l’insertion d’un -i- n’est toutefois pas à exclure, § 8.17.5). (3) Redondance palatale. – le répertoire cunéiforme hittite comprend un signe univoque pour /ʧ/+/e/ en l’espèce de zé (HZL 108), mais aucun signe 109  Par rapport à la base tu- des cas obliques du pronom 2sg. (acc. tuk, gén. tuel, abl. tuedaz), le nominatif zik repose probablement sur un traitement *tū → *tjü justifiant à la fois la palatalisation de la plosive non voisée et la délabialisation des voyelles longues (voir Melchert 1994 : 84, et, pour des parallèles, Trubetzkoy 1922 : 221-225).

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Chapitre 4

univoque pour /ʧ/+/i/. Les signes ayant une lecture zi en accadien (MesZL 140, 259, 326[226], 737, 810) sont utilisés en hittite soit comme idéogrammes (HZL 109), soit comme signes à vocalisme indéterminé ze/zi (HZL 33). Il existe, en revanche des signes univoques pour /T/+/i/ (ti, HZL 37) ainsi que pour /s/+/i/ (si, HZL 288). L’absence de signe *zi suggère, en l’espèce, une prévention de la redondance fondée sur le fait que la consonne stipule, comme telle, une localisation non antérieure de type [ʧ] / [ʨ] / [ʦʲ]. Dans ú-e-mi-ya-az-ya KBo 10.37 ii 26 (VH/nh), le scribe omet le signe zE/I que fait normalement attendre wemiya- « trouver » → 3sg. wemiyazzi, alors que le verbe est cliticisé par ⸗ya (*wemiyazzi⸗ya⸗kan), faute suggérant que la réalisation de z était perçue comme redondante devant [j]. (4) Explicitation de la non antériorité. – Les variantes de la conjonction de coordination enclitique ⸗a / ⸗ya sont, par règle, sélectionné le phonème localisé en finale de l’hôte : les mots terminés par une consonne prennent ⸗a, tandis que ceux qui se terminent par une voyelle sélectionnent ⸗ya. Or il arrive que l’enclise de la variante ⸗a sur un terme fléchi à l’ablatif {⸗(a)ʧ}, soit représentée par le signe -ya, par ex. kēz kēzzi⸗ya « de part et d’autre, d’un côté et de l’autre » KUB 20.24 iii 4 ; humandaz- « tout » → hūmandazzi⸗ya KUB 26.1+ i 27 (NH) ; antuhsaz « homme » → UN-azzi⸗ya KUB 22.70 Ro 57 (NH). Derrière /s/, /d/, / tʰ/, la conjonction est, en revanche, invariablement écrite a (Houwink ten Cate 1973, Melchert 1977 : 439sq.). La consonne z étant la seule à susciter ce comportement de la part de ⸗a / ⸗ya, il y a lieu d’estimer que l’élément vocoïde apparaissant dans les graphies … z-zi-ya des noms coordonnés à l’ablatif n’est pas imputable à la conjonction, mais à l’affriquée en finale du morphème. Ce point est confirmé par le fait que certaines formes d’ablatif peuvent isolément être écrites avec -zi, même quand elles ne sont pas cliticisées par ⸗a / ⸗ya : relat. {Kʷeʧ} → ku-e-ez-zi HKM 24 : 45 (MH), face à ku-e-ez KUB 14.1 + KBo 19.38 Ro 24 (MH). En admettant que z était une post-alvéolaire [ʧ] (ou une alvéo-palatale [ʨ], ou une palatalisée [ʧʲ]), on peut justifier les graphies de type … z-zi-ya en postulant une réalisation /…ʧ⸗a/ → [… t.⸗ʧʲa] appliquant normalement la règle de distribution du clitique (⸗a est sélectionnée par une consonne), dont les éléments vocoïdes de la graphie, i ou y, ne font qu’expliciter, au plan phonétique, une localisation de l’affriquée dans la zone palatale110. 110  On ne tient pas compte de deux témoignages à caractère problématique qui semblent montrer -zi à la place de -za : dans namma⸗war⸗as hanti túh-sa-an-zi KUB 17.10 i 39 (VH/mh), on est plus facilement en présence d’une forme personnelle 3pl. prés. {-aNʧi}

Les segments et leurs représentations

235

(5) Assimilation distante. – L’alternance sporadique s : z à l’initiale met en évidence un processus d’assimilation de lieu supposant que z avait une réalisation localisée dans le même ordre qu’une palatalisée ou une palatale (voir en détail, § 8.5.4). Parallèlement aux processus reflétés dans les textes, d’autres observations, fondées sur l’emprunt, l’évolution et de la typologie vont également dans le sens d’une identification de /ʧ/ comme non antérieure. (6) Adaptations étrangères. – Dans la transcription de noms propres hittites en néo-égyptien (où il n’existe ni affriquées, ni plosives voisées), le z hittite est régulièrement régulièrement rendu par une emphatique palatale [c’] : Karzis → krḏis [k(a)rc’(i)s], Zippalanda → ḏp’alnd [c’(i)p’al(a)nd’(a)], Zithariya = ḏitḫrrj [c’(i)tχ(a)ri …] (détails dans Patri 2009b)111. Dans le sens inverse, le z hittite sert également à rendre la fricative emphatique, originellement affriquée passée, dans les dialectes assyriens du nord, à une fricative post-alvéolaire [ʃ ’] : miṣru « frontière, territoire » (CAD 10 : 113sq.) → Mizri « Égypte » ; ḫalṣu- « forteresse, fortification, district » (CAD 6 : 51-52) → hitt. halzi- « place forte »112. En d’autre termes, le z hittite est en correspondance, dans les emprunts ou adaptations étrangères, avec une coronale emphatique spécifiquement non antérieure, jamais avec une des obstruantes alvéolaires ou vélaires qui existent en égyptien comme en accadien. (7) Évolution. – Les sons qui, comme le z hittite, résultent d’une palatalisation *t + i/j (sur laquelle, voir voir Kimball 1999 : 259, 287-292), soit sont formés dans la zone post-alvéolaire / alvéo-palatale, soit présentent un appendice palatal (Bhat 1978). La typologie des phénomènes d’affrication des plosives coronales devant [j i e] (etc.) montre, en outre, que le changement /t/ → /ʧ/ ou /ʨ/ est, de façon générale, plus fréquent que le changement /t/ → /ʦ/ ; quand

de tuhs- « couper, séparer » que d’un participe en {-aNT-s} au nominatif singulier (une réinterprétation au singulier ⸗as d’un antécédent au pluriel est documentée) ; dans mān ha-me-es-kán-zi KUB 38.26 Vo 19 (NH) « quand c’est le printemps », la forme en cause, reflétant le traitement h ↔ k au voisinage de /s/ (on attendrait ha-me-es-ha-an-za), (voir § 8.6.2), est probablement un simple erreur en regard de la graphie ha-mi-is-kán-za quelques lignes plus haut dans la même tablette. 111  Dans les tablettes d’Alalah, les noms propres Za-an-tar-mi-ya-as-ta et Zi-ir-tam-ya-as-da que Benveniste (1962 : 7) interprète en fonction de prototypes iraniens, *Čandra-myazda et *Čiθra-myazda respectivement (la transcription est mise à jour), pourraient être invoqués dans le même sens s’il y avait quelque raison d’être sûr que les personnes portant ces noms les avaient reçus en milieu hittite (bien que citées chez Mayrhofer 1960, ces données, ne sont pas prises en considération dans Tavernier 2007). 112  La lecture syllabique de ce dernier exemple n’est pas assurées ; cf. HW² III : 111.

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Chapitre 4

un processus de palatalisation génère, dans l’évolution, une affriquée alvéolaire /ʦ/, c’est généralement, après qu’une palatalisation /t/ ayant produit une non antérieure /ʧ/ ou /ʨ/ soit préalablement advenue dans l’histoire de la langue (ainsi en roman, en slave commun, dans les langues sinitiques)113 ; (8) Typologie. – Dans les langues comptant une seule affriquée, celle-ci est, de façon dominante, une post-alvéolaire [ʧ] (Nartey 1979 : 20-21) ; d’après la dernière version d’UPSID-451, quand une langue ne compte qu’une seule affriquée situation de la majorité (54 %) des langues dans lesquelles au moins une affriquée a le statut de phonème (17 % de l’effectif total), celle-ci n’est que minoritairement formée dans la zone antérieure : (65) localisation de l’affriquée unique (UPSID-451) antérieures alvéol. ʦ (× 8) 12 %

coronales non antérieures post-alv. rétrofl.

palat.

vél.

uvul.

ʧ (× 49)

cç (× 3)

kx (× 1) 7 %

qχ (× 1)

ʈʂ (× 5) 81 %

dorsales

Ce tableau n’est pas aussi précis qu’il devrait l’être, la plupart des descriptions compilées dans USPID ne distinguant ni les denti-alvéolaires des alvéolaires, ni les rétroflexes des alvéo-palatales, mais il montre que l’espérance statistique pour qu’une affriquée unique soit antérieure sont a priori neuf fois inférieures à ce qu’elle soit non antérieure. Tous les indices convergent dans la même direction pour indiquer que l’affriquée hittite a une localisation non antérieure par rapport aux antérieures /s tʰ d/114. En d’autres termes, on tient que l’affriquée symbolisée par z n’est 113  Sur les implications des vagues de palatalisations successives (slave, roman, chinois) sur les propriétés des affriquées, voir Chen 1973. Dans les typologies récentes, Hall & Hamann 2003, considèrent l’« affrication » [ʦ] et la « palatalisation » [ʧ] comme deux processus indépendants. 114  Kimball 1999 : 44, 107, est, à ma connaissance, la seule spécialiste de hittite ayant reconnu que l’affriquée, qu’elle qualifie de « palatale » (en la représentant par « /tʂ/ » au moyen des symboles normalement affectés aux alvéolaires et aux rétroflexes), n’est pas formée au même point que les plosives et fricatives coronales ; elle n’explicite pas les raisons de ce choix dont elle ne tire pas, au demeurant, de conséquences particulières.

Les segments et leurs représentations

237

pas formée d’une succession de sons identiques à ceux que la langue peut utiliser par ailleurs, mais des sons formés de façon interdépendante en un point d’articulation spécifiquement distinct des autres, selon la caractérisation, d’ailleurs, typique des affriquées115. Cette localisation justifie qu’une réalisation occasionnellement non antérieure [ʃ] du phonème antérieur /s/ soit représentée dans l’écriture par z et non par s (voir § 8.5.4). 4.9.6 Représentations de la non antériorité Les différences articulatoires entre les post-alvéolaires [ʧ], alvéo-palatales [ʨ] et palatalisées [ʦʲ] sont ténues, au point d’être éventuellement insignifiantes car, outre que la localisation de [ʦʲ] est excessivement proche de celle de [ʧ ʨ], l’élévation de l’apex accompagnant la productions [ʃ ɕ] est similaire à celle qui caractérise les palatalisations légères116. Contrairement à ce que suggère la dénomination qui leur est assignée dans la nomenclature de l’API (« alvéo-palatale » et « post-alvéolaire », respectivement), ces sons se distinguent entre eux par le geste et la forme de l’articulateur mobile plutôt que d’après le point de la cavité buccale où ils se forment. Comme l’ont montré Ladefoged et Maddieson (1996 : 137sq.), parmis les fricatives dont la production prend pour cible la région post-alvéolaire, la production de [ɕ] repose sur une élévation de la masse et de la lame linguale très peu différente de celle qui caractérise [ʃ], qu’elle soit apicale ou laminale, en générant un son proche d’une articulation secondairement palatalisée, au point, éventuellement, de se confondre avec elle. En hittite, où ces informations demeurent inaccessibles, la sélection d’un des symboles [ʃ], [ɕ] ou [sʲ] pour représenter le constituant fricatif de l’affriquée est donc quelque peu arbitraire. Le choix de représenter l’affriquée hittite par [ʧ] plutôt que par [ʨ], [ʧʲ] ou [ʦʲ] ne répond qu’à une utilisation par défaut.

115  Cf. Ladefoged & Maddieson 1996 : 90. 116  Voir Ladefoged & Maddieson 1996 : 148-149. La question de la localisation précise des coronales palatalisées est une question passablement complexe, tant au plan phonologique (Lahiri & Evers 1991), que phonétique (Ladefoged & Maddieson 1996 : 364-365), principalement parce que les variations du niveau de constriction ne sont jamais indépendantes de variations de localisation, et que, dans chaque cas, les écarts sont minimes au point de poser la question de leur caractère significatif.

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Chapitre 4

4.9.7 Caractérisation phonologique de /ʧ/ La consonne [ʧ] est, phonétiquement, affriquée, mais cette caractérisation n’est pas pertinente au plan phonologique puisqu’il n’existe pas d’obstruante non affriquées formées au même point que /ʧ/, et aucune autre affriquée formée en d’autres points selon le même mode. Comme dans toutes les situations de ce type, le problème se pose de savoir s’il est préférable de classer /ʧ/ avec les plosives plutôt qu’avec les fricatives. Bien qu’il n’existe pas d’argument absolument péremptoire en faveur d’une solution plutôt que d’une autre, on préfère ici considérer que /ʧ/ est, phonologiquement, une plosive sous deux considérations : la gémination de z met en évidence une extension du geste articulatoire appuyée sur le constituant plosif et non sur le constituant fricatif (tableau 64) ; la mise en relation d’une coronale plosive avec une autre plosive coronale déclenche le même processus que la mise en relation d’une plosive coronale avec /ʧ/ (§ 8.2)117. Toujours au plan phonétique, /ʧ/ est, selon toute vraisemblance, non voisée par défaut ; cette propriété demeure positivement indémontrable en hittite, mais deux observations la rendent vraisemblable : (1) en hittite, z dérive historiquement d’un processus de palatalisation de plosives non voisées (les voisées, pour leur part, produisent des fricatives ; voir § 5.9.3) ; (2) d’un point de vue typologique, dans les langues n’ayant qu’une seule affriquée, celle-ci est, le plus souvent (75 % des langues selon UPSID-451), non voisée118. Au plan phonologique, en revanche, /ʧ/ est indifférente à la corrélation de voisement puisqu’il n’existe aucune obstruante coronale non antérieure. En définitive, on admet donc que deux traits seulement sont nécessaires et suffisants pour caractériser /ʧ/ au plan phonologique : plosive et non antérieure (cette dernière propriété étant, en hittite, propre aux coronales). 4.10

Les nasales

4.10.1 Propriétés spectrales et transitionnelles La production des nasales présente des caractéristiques consonantiques, comme la constriction du chenal articulatoire, mais aussi des propriétés 117  Les phonologues ont tendance à considérer les affriquées comme des plosives, ne seraitce que pour éviter d’avoir à les considérer comme des segments à complexité contradictoire (elles sont à la fois non continues et continues dans la nomenclature binaire) ; voir les discussions de Clements 1999, et de Kehrein 2002. 118  Au plan typologique, une affriquée unique est le plus souvent non voisée, et non invariablement comme l’affirment Żygis, Fuchs & König 2012.

Les segments et leurs représentations

239

vocaliques, comme l’absence de turbulences aériennes et l’étagement en bruits périodiques. Par suite, dans certaines langues (dont l’indo-européen reconstruit), les consonnes nasales sont aptes à tenir un rôle de noyau aussi bien que de marge. Ce n’est pas le cas en hittite où il n’existe pas de témoignages laissant supposer qu’une consonne nasale pourrait être le noyau d’une quelconque syllabe (sans exclure qu’une voyelles puisse être contextuellement nasalisée), ce qui signifie que les nasales se comportent exclusivement en consonnes119. La distribution des variantes du morphèmes d’accusatif singulier {-n : -an}, met, en outre, explicitement en évidence une prohibition des nasales en position de noyau (voir § 8.13.7(1a)). Par ailleurs, les consonnes nasales présentent des caractéristiques acoustiques et articulatoires qu’aucune autre classe de sons ne reflète, ce qui explique que les nasales ne sont généralement pas assimilables aux consonnes d’autres modes, mais aussi qu’elles ont une moindre propension que d’autres consonnes à se différencier les unes des autres. Cette dernière caractéristique trouve, en hittite, une illustration dans le fait que les nasales reflètent des réalisations considérablement plus contraintes par le contexte que celles de n’importe quelle autres classes de phonèmes en voyant leur réalisations entièrement conditionnées par le contexte, hormis devant voyelles. Deux consonnes nasales ont le statut de phonème en hittite : la labiale /m/ et la coronale /n/ ; leur caractère distinctif est mis en évidence par des paires telles que makkess- « devenir volumineux » → 3sg. prés. ma-ak-ke-es-zi (MH), 3sg. prét. ma-ak-ke-e-es-ta (VH/mh) – nakkess- « devenir important » → 3sg. prés. na-ak-ke-es-zi (MH), 3sg. prét. na-ak-ke-e-es-ta (MH/nh) ; mai- « croître, prospérer » → 3sg. opt./imp. act. ma-a-ú (VH) – nē- « tourner » → 3sg. opt./imp. act. na-a-ú (MH), etc. 4.10.2 La labiale On compte 26 signes impliquant m ; il n’existe pas de signes *Ce/im, alors qu’un signe e/im est attesté.

119  La principe s’applique, au demeurant, dans toutes les langues indo-européennes anciennes puisque, même en védique, les liquides peuvent être noyau, mais pas les nasales.

240

Chapitre 4

(66) signes graphiques impliquant m [n o du HZL] VC

CV

CVC

CVC

am 168

ma 208

mah 10

tám, dam 298 kam, gám 355 lam 306 nam 39 sàm 103 sam 195

em, im 337 um 98

me (mi) 357 mi (mé) 267 mu 17

man 296 mar 191 mas 20 mes 360 mil, me 151 mis 112 mur 333

tim, dim 14 tum, dum 125 kum, gum 120 sum 91 lum 310 zum 300

L’identité phonologique de /m/ dérive de son opposition à /n/, ainsi qu’à /w/ et aux plosives labiales : /m/ – /n/ : mai- / mi- « croître, grandir » → 3sg. prés. act. ma-a-i – nai- « (se) tourner » 3sg. prés. act. na-a-i ; /m/ – /w/ : malla/i- « moudre » → ptcp. dir. sg. ma-al-la-an KUB 24.14 i 10 (NH) – walla- « fémur » → acc. sg. wa-al-la-an KUB 27.1 iii 20 (NH) ; mark- «  diviser » → ptcp. nom. mar-kán-za – warkant- « gras » → nom. wa-ar-kán-za ; /m/ – /P/ : mai-/mi- « croître » → 3sg. prés. ma-a-i (VH/mh) – pai-/pi« donner » → 3sg. prés. pa-a-i. Hoffner & Melchert (1998 : § 1.24), ont signalé que les scribes de la période tardive pouvaient utiliser les signes CVm pour représenter /CV/, en citant l’exemple du signe kam dans ar-kam-mi- « lyre » (et ar-kam-mi-ya-ya-la« joueur de lyre »), dont les variantes sont (a-)ar-ga-(a-)mi-, mais jamais *arga-am-mi-. De façon équivalente, on constate que l’effacement (sporadique) de /n/ devant /m/ en frontière de clitiques (§ 9.12.3) reflété par {atʰan⸗man} « mon père » → at-ta-ma-an KUB 29.3 i 6 (VH) peut être représenté par addam-ma-an KBo 3.44 : 9 (VH/nh). La faute que représente la graphie ki-nunam KUB 53.18 iii 3 (VH/nh) pour /Kinun⸗a/ (relevée par Neu 1980a : 161, n. 35) s’explique vraisemblablement de la même manière.

241

Les segments et leurs représentations

L’emploi des signes CVm transpose dans l’écriture hittite une convention d’écriture spécifiquement accadienne dérivant de ce que le [m], dit, de « mimation », caractérisant certains morphèmes (pluriel des noms féminins, masculin des adjectifs, pronoms au datif), tend à être éliminé lorsqu’il se trouve en fin de mot : nom. pl. v. bab. šarrātum « reines » → moyen bab. šarrātu (Huehnergard 2005 : 258-259, 596). En conséquence de ce mécanisme, la conventionnalisation graphique fait que les signes CVm peuvent avoir une lecture [CV]. Il est assez curieux que cet usage, documenté dès la période du vieux babylonien tardif, avant 1500 (Ur-III), n’apparaisse que relativement tardivement dans la pratique des scribes hittites qui en étendent l’usage à toutes les syllabes du mot. La question du contexte dans lequel un emprunt de cette nature a été effectué demeure d’autant plus obscure qu’à la même époque, l’usage de la langue accadienne chez les scribes hittites diminue (elle se limite à la rédaction des traités internationaux), et que, de façon générale, les usages graphiques reflétant les évolutions plus ou moins tardives des dialectes de l’accadien n’ont pas été imités par les Hittites. Un des effets de l’adoption de cette pratique par les scribes hittites est que les témoignages de gémination de /m/ reposant sur des graphies CVm-m … peuvent être tenus comme étant a priori suspects, par exemple harp« séparer, disjoindre » → 2pl. imp. my. har-ap-tum-ma-ti (NH) face à la variante har-ap-du-ma-ti (NH) ; nekumant- « nu » → nom. ne-ku-ma-an-za (MH), face à ne-kum-ma-an-za KBo 10.23 iv 12 (VH/nh), où le signe kum représente simplement /gʷ/. 4.10.3 La coronale Comme avec z, le volume des signes VC et CV impliquant n est supérieur à celui des signes CVC. (67) signes graphiques impliquant n [n o du HZL] VC

CV

CVC

CVC

an 8

na 15

en, in₄ 40 in (en₆) 354

ni, né 72 ne (ni₅) 169

nap, nab 100 nam 39

tan, dan 196 man 296 tin, tén 330

un 197

nu 11

nís 178 nir, nàr 204

242

Chapitre 4

Sur le caractère distinctif de sur /n/ par rapport à /m/, voir ci-dessus (§ 4.10.1) ; /n/ est opposable à toutes les autres coronales en attaque syllabique : /n/ – /T/ : nai- « (se) tourner » → 3sg. prés. act. na-a-i [nā́i] – da- « prendre → 3sg. prés. da-a-i [Tā́i]. On pourrait étendre la liste aux géminées si l’on pouvait être sûr que le nom du « père » ne comporte pas une plosive simple [a.tʰas] ; on aurait alors : anna- « mère » → nom. an-na-as [an.nas] – atta- « père » → nom. at-ta-as [aT.Tas] (§§ 6.7.9, 6.9.1) ; /n/ – /ʧ/ : nah- « avoir peur » → 3sg. prés. na-a-hi [nā́.ɣi] – zah- « frapper » → 3sg. za-a-hi [ʧā́.ɣi] ; /n/ – /s/ : connecteur nu [nu] – connecteur su [su] ; nah- « avoir peur » → 3sg. prés. na-a-hi [nā́.ɣi] – sah- « emplir, bloquer » → 3sg. prés. sa-a-hi [sā́.ɣi] ; /n/ – /l/ : ni(n)k- « être rassasié » → 3sg. prés. ni-ik-zi (VH~MH/nh) – li(n) k- « jurer » → 3sg.prés. li-ik-zi (VH) ; /n/ – /r/ : kuen- « tuer » → 2sg. imp. ku-e-ni, ku-en-ni – kuera- « champ » → dat.-loc. ku-e-ri. La nasalité d’une voyelle (§§ 4.2.3, 8.7.6sq.) est symbolisée dans la graphie par un signe en n, beaucoup plus souvent que par un signe en m. 4.10.4 Graphies des emprunts Un des traits d’après lesquels on peut le plus sûrement reconnaître, dans les textes hittites, l’origine étrangère d’un mot est une alternance libre, dans l’écriture d’un même lexème, des graphies mp/b ~ np/b ~ p/b ~ m, éventuellement p/b ~ w : loc. sa-am-pu-uk-ki KBo 5.1 iii 19, sa-an-pu-u[k-ki …] KBo 27.151 i 9, gén. sa-pu-uk-ki[-…] KUB 45.77 i 6 (sorte de bouillie) ; nom. hu-im-ma-as KUB 7.13 Ro 19, hu-im-pas-as KUB 7.41 Ro 20, acc. hu-in-pa-an KUB 33.36 iii 4 (pièce d’architecture) ; [↘l]u-um-pa-as-ti-is KUB 21.38 Vo 11, ↘lu-up-pa-as-ti-i KUB 36.97 iv ? 1 ; ↘lu-pa-as-tin KUB 21.38 Ro 65 (chose déplaisante) ; ne-ra-am-pi KUB 15.34 iv 53, KUB 45.47 iii ; ni-ra-am-pi KUB 27.1 iii 7, ni-ra-am-mi KBo 20.109 Vo 6, ni-ra-am-wi KUB 27.21 : 7, ni-ra-ap-pi KBo 22.180 iv 9 (attribut divin, meuble ?) ; nom. la-al-la-am-pu-u-ri-ya-as KBo 21.34 iii 52, iv 5, la-al-la-pu-u-riya-as, ibid. iii 35, et la-la-mu-ri-ya-as KBo 21.38 : 4 (plat à base de céréales), etc. Des vacillations du même type s’observent, dans une moindre mesure, dans l’écriture des textes en langue hourrite ou hatti, à ceci près que le répertoire graphique de ces langues comprend aussi une série de signes waₐ, weₑ (etc.) susceptibles d’entrer dans ces alternances : hourrite waₐ-an-ta-ri-ni-na-a « cuisinier » KBo 32.13 i 22, mais pa-an-ta-ri-in-na KBo 32.15 i 28, (Neu 1996 : 260) ; hatti i-da-a-waₐ KUB 28.48 Ro 9, i-da-a-ma KUB 28.60 Ro 3, i-ta-a-pa KUB 28.54 g. 4 (Soysal 2004 : 97, 511sq.). Selon toute vraisemblance, les sons ainsi réprésentés en hourrite et en hatti sont des labiales fricatives [f v] ou approximante [ʋ].

243

Les segments et leurs représentations

Dans les textes hittites, la restitution de mots étrangers est la seule situation où, devant une labiale, la nasale peut être aussi bien n que m. La même vacillation peut aussi s’observer entre nasales labiale et coronale, par exemple dans la graphie isolée dir. ge-em-zu KBo 5.3 i 24 (NH) « ventre, abdomen » face aux représentations plus usuelles ge-en-zu, ke-e-en-zu, où l’origine étrangère du lexème est, par ailleurs, dénoncée par l’emploi du signe zu propre aux mots empruntés (§ 4.9.1)120. Dans tous les cas, les variations de ce type restituent des sons étrangers au hittite que les scribes restituent en se fondant sur une perception partielle de leurs propriétés. 4.10.5 Fréquences Une exploration quantitative du corpus hittite numérisé montre que la fréquence relatives des nasales /m/ et /n/ devant voyelles est stable à toutes les époques avec une légère dominance fréquentielle de la coronale sur la labiale. (68) fréquences des nasales pré-vocaliques

m n

4.11

VH

MH

NH

moyenne

42 % (1255) 58 % (1751)

44 % (1754) 56 % (2204)

46 % (10103) 54 % (12052)

44 % 56 %

Conditionnements des nasales

4.11.1 Localisation des nasales On ne semble pas encore avoir mentionné, dans les descriptions du hittite, qu’ailleurs que devant voyelle, le lieu de formation des nasales est entièrement gouverné par le contexte dans lequel elles sont localisées. 4.11.2 Coda simples (1) Devant labiales. – Devant une syllabe attaquée par une plosive labiale /pʰ b/, la nasale en coda de la syllabe précédente est, toujours, une labiale [m] (sauf dans le cas des mots étrangers – § 4.10.4). Le témoignage de dampu« émousssé, arrondi » (pour l’interprétation sémantique, voir Güterbock 1988, 120  Il n’y a pas aucune raison de présumer que ge-em-zu par rapport à ge-en-zu reflèterait une nasalisation de la voyelle, comme le font Hoffner & Melchert 2008 : 47 n. 85.

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Chapitre 4

contre Puhvel 1975) → dir. dam-pu offre le seul exemple sûrement hittite d’une séquence m + plosive ; ce lexème n’est cependant attesté que deux fois dans une graphie dam-pu (VH/nh) en utilisant un signe CVm potentiellement équivoque (§ 4.10.2), mais les graphies du dérivé tampues- « être/devenir arrondi » (en décrivant un croissant de lune), également rares, reflètent la nasale dans 3sg. prés. ta-am-pu-e-es-z[i] (VH/nh), 3sg. prét. ta-am-pu-e-es-ta (VH/nh). Les séquences *np/b et *nm sont proscrites. La possibilités de séquences de phonèmes /mm/ est rendue vraisemblable par quelques témoignages comme imma « en fait, véritablement » ; gimmant- « hiver ». La gémination phonétique de /m/ est, en revanche, banale en autorisant des séquences plus ou moins fluctuantes [mm] : {amiaNT-s} → nom. a-mi-ya-an-za KUB 17.10 i 38 (VH/mh), am-mi-ya-an-za KUB 30.16+ i 3 (VH/nh) ; hima- « substitut » → acc. pl. hi-immu-us, hi-mu-us, etc. Sur le traitement des séquences m + w, voir § 8.1.1. Toute coda nasale autre que [m] est prohibée devant une attaque labiale ; quand la morphologie crée des situations de ce type, une nasale non labiale est éliminée : – /n/ → ∅ /__m : kuen- « tuer » (1sg. prét. ku-e-nu-un, etc.) → 3sg. prés. ku-e-enzi, mais 1sg. {Kʷen-mi} ku-e-mi (MH) ; le même mécanisme est attesté en frontière de clitiques (§ 9.12.3) ; – /n/ → ∅ /__w : kuen- « tuer » → 1pl. prét. {Kʷen-wen} ku-e-u-en (MH) ; alternativement 1pl. prét. {Kʷen-weni} → [Kʷe.nu.we.ni] ku-en-nu-um-me-e-ni (MH/nh), ku-en-nu-um-mé-e-ni (NH) avec le développement d’une anaptyxe. En frontière de clitiques, la situation est plus vacillante : man⸗wa → ma-a-an-wa KBo 3.7 iii 10 (VH/nh), mais ma-a-wa(-)… Ibid. i 25, ma-a-u-wa KBo 21.22 : 56 (MH). (2) Devant coronales antérieure. – Devant une syllabe attaquée par une obstruante /tʰ d s/, la coda nasale d’une syllabe précédente est obligatoirement [n] : antara- « bleu » → acc. an-ta-ra-an (MH/nh), ans- « frotter » → 3sg. prés. a-an-si (MH), etc. (sur la faiblesse articulatoire des nasales devant les obstruantes, voir, par ailleurs § 8.7.2-3). Devant les résonantes /n r l j/ en attaque d’une syllabe, aucune nasale n’est possible en coda d’une syllabe précédente (la prohibition *[n.r], *[n.l] est absolue, ne serait-ce qu’en termes de sonorance). Comme avec /m/, une réalisation optionnellement géminée [n.n] est possible, comme dans appananda « derrière » → a-ap-pa-an-an-da KBo 6.2 ii 10 (VH) :: a-ap-pa-an-na-an-da KBo 19.150 i 4 (VH/nh) est banale en tant que résolution phonétique de /n/. La question d’éventuelles séquences phonologiques /nn/ est plus délicate à apprécier car elle dépend de l’interprétation que l’on peut faire de mots où la graphie nn est invariante, par exemple anna- « mère » → nom.sg. an-na-as (VH), où il peut y avoir une suspicion de gémination expressive.

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En apparente violation de ces principes, une nasale labiale /m/ peut être trouvé devant une coronale /n/ (l’inverse est impossible), mais à la condition que la séquence /mn/ ainsi formée corresponde, comme l’a démontré Melchert (1994 : 81), au degré zéro d’un morphème ayant, au degré plein, une forme {… mVn …} : samen- : samn- « passer, se fondre » → 3sg. prés. se-me-en-zi (VH), mais 3pl. sa-am-na-an-zi (VH/mh?) ; hilamar- : hilamn- « portail » → gén. hi-lam-na-as (VH), abl. hi-lam-na-az (VH), loc. hi-lam-ni (VH), all. hi-lam-na (VH), etc. Toutefois, même dans ces situations, la séquence /mn/ tend généralement à susciter une assimilation [mm], aboutissant à [m] : dir. hi-lam-mar KBo 5.2 iv 5 (MH/nh) ; karimn- « sanctuaire » → loc. ka-ri-im-ni / ka-ri-im-mi ; saram(a)n- « pâtisserie » → abl. sa-ra-am-ma-na-az / sa-ra-am-ma-az, dat.-loc. pl. sa-ra-am-na-as / sa-ra-a-ma-as ; histumna- « desservant de mausolée » → nom. hé-es-tu-um-na-as, hi-is-tu-um-ma-as, hi-is-tu-u-ma-as, etc. D’un point de vue phonétique, un même mécanisme d’assimilation peut se produire entre des nasales distantes : me-ma-ah-ha-an-da « contre, avant » KBo 24.71 : 15, face aux formes plus courantes me-e-na-ah-ha-an-ta KBo 9.73 Ro 1 (VH), me-na-ahha-an-ta KUB 14.1 Ro 28. En d’autres termes, la préservation d’une séquence /mn/ → [mn], quand elle se produit, n’est possible que dans un contexte morphologique déterminé où elle est, par ailleurs, instable en étant le plus souvent réalisée [mm] ou [m] ; ailleurs que dans cette configuration morphologique, il n’y a pas de séquences */mn/121. (3) Devant coronale non antérieure. – La consonne /ʧ/ ayant une localisation non antérieure (§ 4.9.3sq.), on doit supposer qu’une nasale placée devant elle avait une réalisation homorganique [ɲ]. Le son [ɲ] n’a ni statut phonologique, ni graphie spécialisée (bien qu’il soit toujours écrit n, et jamais m). La séquence /Nʧ/ est massivement documentée avec la désinence 3pl. -anzi : malai- « approuver », 3pl. {mál-aNʧi} → [mā́.laɲ.ʧi] ma-a-la-an-zi KUB 41.54 iii 14 (NH) (mais ptcp. {mal-áNT-s} → [ma.lā́nTs] ma-la-a-an-za KUB 21.38 Ro 26) ; les ablatifs du type de {PaPran-aʧ} → pa-ap-ra-an-na-an-za KUB 12.58 iv 2, 26 (NH) reflètent, en revanche, une nasalisation de la voyelle [Pa.Pran. nãʧ], non la présence d’une consonne nasale (§ 8.7.8). Aucune nasale ne peut être en coda d’une syllabe attaquée par /j/, si bien que la question d’éventuelles séquences [ɲj] ne se pose que dans le cas des attaques complexes (voir ci-dessous). (4) Devant dorsales. – Devant une syllabe attaquée par une obstruante /kʰ g x ɣ/, la coda nasale d’une syllabe précédente est [ŋ] : sanh- « chercher » → 1sg. prés. sa-an-ah-mi [saŋ.Hmi], harnink- « faire périr » → 1sg. prét. har-ni-in-kuun [Har.niŋ.Kun]. Comme [ɲ], le son [ŋ] est une réalisation phonétique qui, n’ayant pas de graphie propre est toujours écrite n. 121  On ne peut exclure que mema- repose sur *memn- (v. sl. měniti).

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(5) Fin de mot. – Toute consonne nasale en fin de mot est obligatoirement écrite n. L’interprétation la plus directe de cette graphie est une coronale [n], mais on ne peut exclure qu’elle puisse correspondre à une autre localisation comme, par exemple, [ŋ]. 4.11.3 Marges complexes (1) Coda. – Dans les syllabes à coda complexe /VNC/, la nasale est, par règle, toujours suivie d’une obstruante. Dans ces contextes, la nasale est invariablement homorganique de la plosive ou de la fricative qui lui fait suite : sagan- « huile » → instr. {sagn-T} → [sa.gənT] sa-gán-da KBo 22.2 Ro 2 (VH) (face à Ì-it supposant [sa.gnəT] KBo 10.45 ii 15, MH/nh) ; Tarhunt- → vocatif {TarHuNT-∅} → [Tar.HunT] dIM-ta KUB 33.24+28 iii 13 (VH/nh) ; nink- « boire » → 2sg. imp. ni-in-ga [niŋK] ; ans- « frotter, essuyer » → 2sg. imp. {áNs-∅} → [ā́ns] a-an-as KBo 21.8 ii 4 (VH/mh). Les coda */VCN/ sont, de façon générale, proscrites. (2) Attaques. – Dans les attaques de type /NCV/, la consonne /C/ ne peut être qu’une approximante ; dans cette situation la seule nasale est [m] : – devant les liquides coronales /r l/, la seule nasale attestée est la labiale [m] : sumreske- « être enceinte » → supin sum-re-es-ke-wa-an [su.mres.Ke.wan] ; gimra- « steppe (tout ce qui est en dehors de la cité) » → [Ki.mras] nom./gén. gi-im-ra-as (VH), samlu- « pomme, pommier » → abl. [sa.mlu.wãʧ] sa-amlu-wa-an-za (VH/nh) ; – devant la nasale coronale /n/, la seule nasale possible est pareillement [m] : lamniya- « appeler » 3pl. prét. {lamni-er} → [la.mni.er] lam-ni-er (sur la syllabation [V.mnV] – et non [Vm.nV] – des séquences {… mn …}, voir § 6.4.4) ; – devant /w/, aucune nasale n’est tolérée (*/nw/ et */mw/ sont des attaques impossibles) ; – devant la semi-voyelle /j/, l’appréciation des graphies nasales est plus incertaine car le signe ya, le seul dont l’écriture garantisse la présence d’une semi-voyelle, n’est, par règle, jamais précédé d’une consonne dans l’écriture (§ 4.14.4). L’appréciation d’éventuelles séquences [ɲj] (toujours en attaque) est entièrement soumise à des hypothèses – possibles, mais invérifiables – sur la syllabation du signe i ou d’un signe incluant i. Des graphies comme aniur- « rituel » → dat.-loc. a-ni-u-ri ; imiul- (type de céréale) → dir. im-mi-úul KBo 4.2 ii 33 (VH/nh), sont, de ce point de vue, totalement équivoques : [a.ɲju.ri] / [a.ni.(j)u.ri] (?), [im.mjul] / [im.mi.(j)ul] ? La facilité avec laquelle les verbes dérivés en -ye/a- mettent évidence une diérèse, comme dans imiye/a- « mélanger » → 3pl. prés. i-im-mi-an-zi KUB 29.48 Vo 16 (MH) face à i-mi-ya-an-zi KBo 14.63 iv 14 (MH) suggère des syllabations [mi.(j)V], [ni.(jV)] plus facilement que [mjV] (?), [ɲjV], mais cette observation ne certifie rien.

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La formation des attaques de type /CNV/, en revanche, est similaire à celle des attaques /NV/, avec une distinction /m/-/n/ indépendante du lieu de formation des consonnes de l’entourage : epp-/app- « saisir » → 1sg. prés. e-ep-mi [ḗ.pʰmi] (VH), mais lap(p)nuske-« faire briller, reluire » → supin la-ap-nuus-ki-u-wa-an KUB 17.1 ii 8 (NH) ; ptcp. dir. la-ap-pa-nu-wa-an [la.pʰnu.wan] KUB 42.69 Ro 14 (NH) (sur la variation p :: pp, voir § 8.1.4) ; ed- / ad- « manger » → 1sg. prés. e-et-mi [ḗ.dmi] (VH/nh), sarnink- « comprenser » → 1sg. prés. sar-niik-mi [sar.ni(ŋ).Kmi] (VH), etc. 4.11.4 Nasales + résonantes Les combinaisons nasale + résonante sont, de façon générale, soumises à des contraintes plus étroites que les combinaisons nasale + obstruante : – la possibilité de séquences [mj ɲj] n’est pas contrôlable, tandis que *[mw nw nm] sont illicites dans la phonotactique ; – sont sûres ou vraisemblables : la séquence [mn], soumise à une condition morphologique, et les séquences formées de segments identiques [mm] et [nn] ; – la combinaison d’une nasale et d’une liquide est toujours [mr ml], jamais *[nr nl]. Les seules séquences dont l’existence est certaine se résument donc à : . 4.11.5 Phonétique et phonologie des nasales (1) Phonétique. – Les indices perceptifs sur lesquels reposent la distinction des consonnes nasales entre elles sont notoirement plus faibles que ceux qui distinguent les autres classes de sons. Une expérimentation célèbre de Malécot (1956) a montré que les séquences C₁C₂ dont les constituants sont manipulés de façon à réduire leur durée à celle d’une seule consonne sont perçues, quand C₁ est une consonne nasale, soit comme des C₂, soit, soit comme des séquence homorganiques de C₂. La distinction de lieu régulière des nasales en contexte /V(C).N(C)/ (où /N/ est en attaque) que l’on constate en hittite, face à leur indistinction systématique en contexte /V(C)N.CV/ dérive de ce que les transitions formantiques NV génèrent des indices perceptifs plus saillants que les résonances nasales elles-mêmes122 (voir déjà les observations de Passy 1891 : 193sq., Trubetzkoy 1949[1939] : 189sq.). Il est, en revanche, peu fréquent,

122  Dans le prolongement des résultats de Malécot, voir Repp 1978, Fujimura, Macchi & Streeter 1978, Hura, Lindblom & Diehl. 1992, Kurowski & Blumstein 1993, Narayan 2008, Kawahara & Garvey 2014.

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parmis les langues indo-européennes et, singulièrement, dans les langues anciennes, qu’elle revête une systématicité comparable à celle que l’on constate en hittite (pour une vue d’ensemble sur les restrictions à l’assimilation de lieu de nasales, voir Mohanan 1993, Jun 2004 : 66sq.). a) Cas de [m]. – Le point le plus original de la distribution des nasales hittites est l’obligation de réaliser une séquence formée d’une nasale et d’une résonante quelconque en assignant une localisation labiale [m] à la nasale. En l’absence de liquides non coronales, et en l’impossibilité de distinguer clairement le comportement des nasales devant /j/ (en admettant qu’elles y soient admises), on ne peut se prononcer sur ce que [m] assimile ou n’assimile pas devant les résonantes coronales. La production des liquides (et des semi-voyelles) diffère des autres consonnes en mettant en évidence des formants accusés durant toutes les phases de leur émission ; sachant que les nasales [m] et [n] se distinguent entre elles par l’extension qu’elle donnent à la cavité orale (selon que l’occlusion est effectuée par les lèvres ou par la langue), donc par des résonances supplémentaires plus basses pour [m] que pour [n], lesquelles se soustaient aux résonances principales pour créer des antiformants (Kurowski & Blumstein 1993), on peut faire l’hypothèse qu’en hittite, la transition nasale + résonante coronale demande la plus grande ouverture possible de la cavité orale, donc une labiale [m], plutôt que [n] (sur la question globale du lieu d’articulation devant les liquides, voir les expérimentations de Flemming 2007). b) n #. – Une autre singularité concerne la généralisation de la graphie n en fin de mot (déjà relevée par Hrozný 1917). Dans beaucoup de dialectes indo-européens anciens, on constate une tendance à l’uniformisation du lieu d’articulation des consonnes nasales en fin de mot ; dans ceux où m et n sont également licites, les motifs d’estimer que l’une des nasales pourrait historiquement dériver de l’autre sont trop nombreux pour imposer une solution univoque (voir Meillet 1896, Gauthiot 1913 : 155-163). Il est, par suite, pratiquement impossible de restituer une situation unitaire dans l’état commun, donc de discerner comment l’évolution a eu lieu, voire, si une évolution a eu lieu. D’un point de vue phonétique, la plupart des travaux consacrés à la question montrent que la localisation d’une nasale en fin de mot est, dans le flux de la parole, principalement dépendante de la localisation du segment initial du mot suivant (Lahiri & Reetz 2002, Zimmerer, Reetz & Lahiri 2009). Dans cette perspective, on pourrait faire l’hypothèse que dans les langues indoeuropéennes où, comme en hittite, les nasales finales sont assignée à un lieu de formation et à un seul, la localisation de cette nasale dépend de la fréquence

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discursive de l’initiale du mot suivant. En hittite, le corpus numérisé tend à accréditer cette hypothèse en montrant que, sur 157.000 mots en graphie syllabique, l’espérance statistique est deux fois plus élevée pour que l’initiale soit coronale plutôt que labiale : (69) fréquences des consonnes à l’initiale du mot selon le lieu d’articulation labiales

coronales

p/b w

= 4.178 = 854

somme

= 5032 (19 %)

t/d z s l somme

dorsales = 7.420 = 778 = 2.220 = 1.200 = 11.618 (= 40,5 %)

k/g h

= 6.496 = 2.946

somme

= 9.442 (= 36 %)

Compte tenu de la faiblesse de l’écart statistique, on ne saurait toutefois exclure que la graphie n en fin de mot recouvre une dorsale [ŋ] plutôt qu’une coronale [n]. (2) Phonologie. – La description des consonnes nasales en hittite se résume à constater que, comme dans beaucoup de langues, la distribution des nasales [m n ɲ ŋ] est entièrement conditionnée par le contexte, sauf devant voyelle qui est le seul environnement où /m/ est distinctivement opposable à /n/. Par suite, toute nasale ailleurs que devant voyelle est symbolisée dans la présente étude par le symbole générique /N/. a) Environnements linéaires. – Ce point acquis, la description des environnements justifiant la distibution de [m n ŋ] pose un problème de catégorisation, puisque la distribution dont les nasales font preuve s’écarte de l’habituelle relation d’homorganicité, le lieu de formation de /r l/ étant disjoint de celui de /pʰ b/, et l’attaque comme la coda d’une syllabe ne pouvant être que [m] au voisinage de /r l/ : (70) distribution linéaire des consonnes nasales [m] + /pʰ b r l n/ [n] + /tʰ d s/, # [ɲ] + /ʧ/ [ŋ] + /kʰ g x ɣ xʷ/

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b) Syllabation. – Le paradoxe peut être surmonté en constatant que la relation hétérorganique s’observe exclusivement quand la nasale labiale [m] est en attaque C₁ d’une résonante coronale C₂ : la réalisation [m] est obligatoire devant liquide, avec gimra- « steppe » → gi-im-ra-as [Ki.mras], samlu- « pomme, pommier » → abl. sa-am-lu-wa-an-za [sa.mlu.wãʧ], et possible devant une autre nasale, du moins quand certaines conditions morphologiques sont réunies, par exemple, dans les cas de samen- / samn- « passer, se fondre », 3pl. {samn-aNʧi} → [sa.mnaɲ.ʧi] sa-am-na-an-zi (sur la syllabation, voir § 6.4.4). Le fait que la syllabation [Ki.mras] s’impose par défaut au détriment de *[Kim. ras], est démontré par la gémination occasionnelle de la nasale reflétée par gén. {Kimr-as} → gi-im-ma-ra-as KBo 6.3 iii 10 (VH/nh) (à côté de gi-im-ra-as, VH), loc. pl. gi-im-ma-ra-as (MH/nh) : il est possible de dériver [Kim.mras] de [Ki.mras], mais pas de *[Kim.ras]. Dans toutes les autres configurations, une nasale est invariablement homorganique de la consonne qui lui fait suite, quelles que soient les positions syllabiques des segments (la fin de mot étant, par défaut, une localisation coronale)123. Il apparaît donc que le principe d’homorganicité s’applique sans restriction aux réalisations de /N/ en coda, mais pas ailleurs, où la nasale de toute attaque complexe /N + résonante/ est réalisée par la labiale [m]. En d’autres termes, [m] est la réalisation de toute nasale suivie d’une résonante coronale [r l n] en attaque, de même qu’elle est la réalisation de toute nasale suivie d’un segment labial en coda (dampu-). Le comportement de [m] diffère, à cet égard, de celui des autres nasales en étant sensible au contexte linéaire et syllabique, alors que [n ɲ ŋ] ne sont sensibles qu’au seul contexte linéaire : (71) réalisations des consonnes nasales attaque coda .__r l n __.pʰ b (résonantes coronales) (obstruantes labiales) __tʰ d s # (toute coronale antérieure non résonante) __ʧ (j ?) (toute coronale non antérieure non résonante) __kʰ g x ɣ xʷ (toute dorsale)



/N/  ↓ [m]

→ → →

[n] [ɲ] [ŋ]

123  Les séquences [mr ml mn] reflétant cette singularité en hittite sont exactement celles qui, en indo-européen, ne suivent pas les schéma de resyllabation caractérisant les autres résonantes ; voir à ce sujet Schindler (1977 : 56-57) et, plus récemment, Cooper (2015 : 157sq., 305-306). La similitude entre le hittite et l’indo-européen est remarquable.

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En termes phonétiques, la labiale [m], à la différence des autres nasales, exige, en position d’attaque, que le segment suivant, soit caractérisé par – une absence de turbulences aériennes ; – une résonance des cordes vocales (les résonantes et les voyelles étant voisées par défaut) ; – des formants vocoïdes au plan acoustique. Par constraste, les seules consonnes qui peuvent se trouver à la suite de [n ɲ ŋ] sont exclusivement des obstruantes (lesquelles, peuvent, par ailleurs, effacer la nasale, ce qui n’est jamais le cas de [m] : § 8.7.2-3). La labiale [m] met donc positivement en évidence le fait qu’elle ne peut être en attaque syllabique que si certaines conditions de transitions co-articulatoires sont réunies, ce qui s’accorde pleinement avec certains comportements du phonème /m/ (voir § 8.1). 4.12 Les approximantes 4.12.1 La classe des approximantes L’emploi du terme « approximant » plutôt que « continu sans friction » s’est généralisé (API de 1979), à la suite de Pike (1943) et de Ladefoged (1971), pour désigner des sons dont les articulateurs, quels qu’ils soient, et quel que soit le niveau auquel ils se mettent en mouvement, demeurent trop éloignés ou se rapprochent trop peu pour produire une turbulence audible (voir, en dernier lieu, Martínez-Celdrán 2004)124. Les approximantes du hittite sont la latérale /l/, la rhotique /r/, et les semi-voyelles /j w/ ; on postule, en outre, l’existence d’une approximante laryngale [h] d’après le comportement des autres sons de son entourage putatif, et non d’après sa symbolisation dans l’écriture. Phonologiquement, les approximantes du hittite ont toutes en commun de refléter des comportements à divers titres dépendants de la syllabation, soit parce qu’elles sont les seules à pouvoir occuper certaines positions dans la syllabe, soit parce qu’elles sont, au contraire, exclues de certaines positions. 4.12.2 Problème de [h] Le son [h] dont on postule l’existence en hittite n’est pas la fricative glottale caractérisée par un certain niveau de friction que l’on rencontre, par exemple, dans les langues sémitiques, mais l’approximante étudiée, d’un point de vue phonétique, par Keating (1988 : 282sq.). L’unique spécification de ce son est 124  Le terme de glissantes (angl. glide), suggérant que ces sons sont essentiellement transitoires, semble malaprorié en raison de l’aptitude à la gémination dont font preuve ces consonnes dans certaines langues.

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sa localisation laryngale, la forme de l’appareil phonatoire au moment de sa production n’étant pas différente de celle des sons avoisinants. En l’absence d’autre sons formés au même point d’articulation en hittite et compte tenu du caractère hypothétique d’une articulation qu’on on ne peut assimiler à un phonème125, on se bornera à caractériser [h] comme approximante laryngale, à l’exclusion de tout autre trait. L’hypothèse d’un son [h] ne repose sur aucun signe graphique particulier, mais dérive du comportement dont d’autres sons font preuve dans certaines situations : – l’effacement de /s/ devant une fricative vélaire (§ 8.5.2) comme la neutralisation des fricatives vélaires (§ 8.5.6) sont des processus dont la réalisation phonétique suppose une phase durant laquelle un son totalement dépourvu de friction est présent ; – Le passage vieux-hittite a-as-su-us-se-me-et (…) sarr[a]nzi « ils divisent leur(s) bien(s) » KBo 6.2 ii 4, 8 (VH), Code § 33, reflète une graphie inattendue du possessif enclitique 3pl. dont on attendrait que, derrière syllabe ouverte, il soit V⸗smet (§ 9.9.2). Pour justifier la graphie C⸗se/amet, normalement limitée aux enclitiques attaché à des hôtes en syllabe finale fermée, la justification la plus simple consiste à reconnaître que la graphie en cause recouvre une syllabe effectivement fermée [ā́s.suh⸗smeT]. Cette interprétation est, en outre, conforme à l’étymologie puisque nom assu- écrit a-assu-u au cas direct pluriel repose sur *assu-h₂ (sur la question du sort des syllabes finales *CVH, dans lesquelles *H est réputé disparaître en tant que segment en fin de mot aclitique, voir Watkins 1982 : 255-257, Melchert 1994 : 86, 131-132, Kimball 1999 : 425-426). – Les verbes pehute- « enmener, conduire (au loin) » et uwate- « apporter » forment un couple de dérivés préfixaux en pe- et en u- dont la relation est sémantiquement conforme aux orientations antonymiques reflétées dans d’autres couples comme peda- « emporter » / uda- « apporter », penni« conduire (au loin) » / unni- « conduire (ici) », pe(iye)- « expédier (au loin) » / uye- « envoyer (ici) » (malgré Melchert 1994 : 134, pour qui pehuteet uwate- seraient formés sur des thèmes différents). La base dont dérivent pehute- et uwate- ne subsiste pas en hittite, mais on peut supposer qu’elle 125  Selon Jakobson (1958 = SW II, 1971 : 528), l’existence d’une série distinctivement aspirée non voisée dans une langue, prédirait l’existence d’une fricative glottale non voisée /h/. Bien que souvent reproduite dans la littérature typologique, cette prédiction est fausse : sur les 119 langues ayant des aspirées répertoriées dans UPSID-451, 46 (= 28 %) n’ont pas de /h/ (irlandais, norvégien, arménien, bengali pour se limiter aux seules langues indoeuropéennes). En assamais, langue indo-iranienne du nord-est de l’Inde, il existe bien une fricative glottale, mais celle-ci est voisée (Goswami & Tamuli 2003 : 404sq.).

Les segments et leurs représentations

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reposait sur une alternance *wate- :: *ute- dont les degrés respectifs ont été lexicalisés par chacun des dérivés. Dans cette approche, la commutation des préfixes met en évidence, dans pehute-, un h qu’on ne retrouve pas dans uwate- ; l’hypothèse d’une élimination de h dans uwate- ne suscitant que des conjectures ad hoc (voir le récapitulatif des solutions proposées chez Tischler, HEG II/11-12 : 555-556), il paraît au moins aussi légitime de reconnaître le h de pehute- comme un son émergeant en limite de morphèmes. Dans l’hypothèse d’un son venant rompre un hiatus intervocalique entre voyelles, on serait alors en présence d’une approximante [h], et certainement pas d’une fricative [x] ou [ɣ] sur lesquelle il est impossible que la résolution d’un hiatus puisse s’appuyer (Casali 2011 : 1437sq., Gordon 2016 : 165sq.). Par suite, [h], localisée entre voyelles, a naturellement tendance à assimiler leur voisement (Keating 1988 : 282sq.), donc à s’identifier avec la dorsale voisée [ɣ] représentée par la graphie ‘h’. Par rapport au traitement {Pe-ude-} → [Pe.hu.de-] → [Pe.ɣu.de-] ainsi postulé, l’insertion de [h] en contexte /e.u/ paraît optionnelle au regard du dérivé {Tamé-uman-} « autre, différent » → [Ta.mḗ.u.man] ta-me-e-u-ma-an Bo 6109 : 4 (s.d.), mais ce caractère est précisément typique des insertions d’approximantes : {HarKi-as} (génitif de harki- « blanc ») → [Har.Ki.as] har-ki-as / [Har.Ki.jas] har-ki-ya-as, etc126. L’approche consistant à reconnaître le h de pehute- comme un son émergeant n’est pas moins arbitraire a priori que celle qui consiste à postuler une élimination de h dans uwate-, mais elle a l’avantage, sur cette dernière, de rendre compte du cadre dans lequel coexistent pehute- et tameuman-. 4.13

Les liquides

4.13.1 La notion de « liquide » Outre leur caractère continu, dépourvu de friction, fortement sonorant et voisé par défaut, la question peut être posée, au plan phonologique, de la légitimité qu’il y aurait à considérer /r/ et /l/ comme membres d’une même classe de « liquides ». Cette apellation est traditionnelle dans la description des langues indo-européennes anciennes (Welte 1981), sans qu’elle soit toujours clairement ou explicitement motivée. Une telle association peut être justifiée en hittite sous considération de ce que /r/ et /l/ reflètent conjointement un certain nombre de traits comportementaux : 126  Pour des interprétations différentes (incompatibles entre elles), voir Yakubovich 2011 : 277 Kümmel 2014.

254

Chapitre 4

– elles sont les seules consonnes prohibées en tant qu’attaque syllabique dans les mots clitiques ; – elles sont les seules résonnantes aptes à former des attaques complexes [rw lw] (sauf à l’initiale du mot : § 5.5) ; – elles sont les seules résonantes aptes à former des coda syllabiques (voir ci-après) ; – elles sont les seules consonnes pouvant être précédées d’une nasale hetérorganique (§ 4.11.5(2)) ; – elles sont les seuls consonnes pouvant être suivies de -Vh-. Dans la graphie les signes en r et l sont les seules consonnes qui peuvent être suivie d’un signe en wa, ya (§ 4.14). Par ailleurs, les deux phonèmes peuvent aussi faire preuve de latitudes combinatoires différentes : (72) divergences phonotactiques entre liquides #l *Pl *Tl *lr *# r Pr Tr rl En hittite, « liquide » ne se réfère donc ni à une propriété acoustique ou articulatoire, ni à un trait phonologique, qui distinguerait spécifiquement /r l/ des autres segments, mais à un type de comportement, notamment dans la formation des syllabes (Bhat 1974, Proctor 2010). Le recours au label « liquide » peut être utile dans la description, à la condition de ne pas perdre de vue qu’il ne se situe sur un autre plan que les paramètres phonétiques relatifs à la production et à la perception des sons. 4.13.2 Fréquences des liquides La fréquence de /r/ est toujours supérieure à celle de /l/ à toutes les périodes dans un rapport aux alentours de 1 : 2. (73) fréquences des liquides

l r

VH

MH

NH

moyenne

36 % (1323) 64 % (2207)

38 % (1463) 62 % (2346)

30 % (4977) 70 % (11514)

35 % 65 %

La tendance s’accentue marginalement, si l’on retranche des décomptes de /l/ la position initiale dont /r/ est exclue (respectivement 160, 287 et 770 occurrences).

255

Les segments et leurs représentations

4.13.3 La latérale Le phonème l est le seul, dans la répertoire hittite, pour lequel il existe un signe CVC dans lequel les deux consonnes sont identiques : lal (HZL 358). (74) signes graphiques impliquant l [n o du HZL] VC

CV

al 183

la 95

CVC

lal 358 lam 306 il (él) 117 el (il₅) 307

ul 275

le/i 343 lì 288 li₁₂, lis 286 lu 210 luh 198 lum 310

CVC p/bal 4 t/dal 32 kal, gal₉ 196 kál, gal 242 hal 2 lal 358 sal 297 me/il 151 p/bíl, pél 172 lik/g 51 lis, li₁₂ 286 túl 180 kul 12 kúl, gul 271 hul 290

Phonétiquement, [l] est la seule unité, parmis les consonnes, dont la production repose sur une contraction de la masse linguale suscitant un écoulement du flux aérien plus important, en principe, sur ses bords que sur sa surface. Le comportement de /l/ conditionne au moins un processus dont l’interprétation indique qu’elle est approximante (§ 8.5.6). Son lieu d’articulation coronal est certifié par les relations d’assimilation distante qu’elle peut entretenir avec r (§ 8.15). En tant que phonème, /l/ s’oppose à la rhotique /r/ en tant que latérale aussi bien qu’à l’ensemble des autres coronales en tant qu’approximante : /l/ – /r/ : kā- (dém.) → gén. ke-e-el – ker « coeur » → dir. ke-er ; halki – type de céréale → nom. hal-ki-is – harki- « blanc, brillant » → nom. sg. har-ki-is ; auri« vigie, observateur → – auli- « tube, larynx »

256

Chapitre 4

/l/ – /n/ : li(n)k- « jurer » → 3sg.prés. li-ik-zi (VH) – ni(n)k- « être rassasié » → 3sg. prés. ni-ik-zi (VH~MH/nh) ; /l/ – /s/ : la- « lâcher » → 3sg. prés. la-a-iz-zi – sai- « être en colère » → 3sg. prés. sa-a-iz-zi ; /l/ – /T/ : apā- (dém.) → gén. a-pé-el – instr. a-pé-et Phonologiquement, /l/ se définit donc comme approximante latérale coronale. 4.13.4 La rhotique Le répertoire cunéiforme comprend un nombre élevé de signes impliquant r (27), dont quelques homophones, notamment ur et úr. (75) signes graphiques impliquant r [n o du HZL] VC

CV

ar 289

ra 233

CVC

rat, rad 29

er, ir 77

re, ri 32

ur 51 úr 124

ru 43

ris 192

CVC pár, bar 20 tar 7 kar [kir₈] 250 kàr, gar 240 har, hur, mur 333 mar 191 nir [nàr] 204 sar [sir₉] 353 ter, tir 344 pir 316 tir [ter] 344 kir, gir (et al.) 244 sir 5 pur, bur 245 túr, dur 202 kur 329 kùr, gur 185 sur 42

En hittite, la consonne /r/ est prohibée en attaque des syllabes initiales du mot, si bien que son caractère distinctif n’est discernable qu’en position interne ou finale :

Les segments et leurs représentations

257

/r/ – /l/ : ker « coeur » → dir. ke-er – kā- (dém.) → gén. ke-e-el /r/ – /n/ : kuera- « champ » → dat.-loc. ku-e-ri – kuen- « tuer » → 2sg. imp. kue-ni, ku-en-ni ; /r/ – /s/ : parai- « souffler » → 3pl. prés. pa-ra-an-zi – pas- « avaler » → 3pl. pa-sa-an-zi /r/ – /ʧ/ : ker « coeur » → dir. ke-er – kā- (dém.) → abl. ke-e-ez /r/ – /T/ : ker « coeur » → dir. ke-er – kā- (dém.) → abl. ke-e-et 4.13.5 Phonétique et phonologie de la rhotique En hittite, le lieu d’articulation de r se situe dans la zone coronale (alvéolaire), ainsi que le montre la dissimilation distante r → n dont fait localement preuve ur-/war- « brûler » → 3sg. prés. my. /u.ra.ri/ → [u.ra.ni] ú-ra-a-ni ; pour le reste, le comportement phonétique de r met en évidence des propriétés diversifiées : (a) r fait partie (avec /l n s H/) des segments admis en C₁ d’une coda complexe, au plus près du noyau vocalique (§ 6.3.4) ; (b) r est proscrit en attaque d’une syllabe initiale, mais admis en attaque d’une syllabe interne (§ 5.1.4) ; (c) en coda, r conditionne la réalisation aspirée d’une plosive en attaque de la syllabe suivante (§ 8.3.1) ; (d) en coda, r peut susciter une réalisation différenciée de son noyau vocalique (§ 8.8) ; (e) en coda, r peut être éliminé, particulièrement en coda d’une syllabe finale (§ 8.9.5) ; (f) en coda, les réalisations de r et de /ɣ/ peuvent, occasionnellement, se confondre (§ 8.6.2). Les comportements (c)-(e) peuvent évoquer une fricative voisée [ɹ̌] (pour laquelle le code API n’a pas prévu de symbole), tout comme le comportement (f), une approximante [ɹ] (comme en anglo-américain) ou encore un trille partiellement ou complètement dévoisé [r̥] (comme en persan). Dans un contexte d’attaque (pa-ra-a « depuis, autour ») on peut envisager un trille [r], sans exclure une battue [ɾ]. Aucun de ces comportements, considérés isolément, n’est spécifique de /r/, mais la somme qu’ils constituent, notamment les interactions avec les voyelles, le comportement phonotactique ou le placement syllabique sont typiques des rhotiques. Il semble, au demeurant, aujourd’hui admis par les phonéticiens (Lindau 1985, Ladefoged & Maddieson 1996 : 242, Magnusson 2007) comme par les phonologues (Wiese 2011) que la classe des rhotiques repose plus sur une somme de propriétés que ces sons sont les seuls à pouvoir cumuler que sur l’existence d’un ou de plusieurs traits qui serait spécifiquement lié à leur production.

258

Chapitre 4

La production de la rhotique hittite étant caractérisé par des réalisations diversifiées, tout particulièrement en coda, il serait sans doute illusoire de chercher à circonscrire étroitement les propriétés du phonème qu’on prend ici le parti de représenter par le symbole le plus neutre, /r/, dans son acception la plus générique. Phonologiquement, /r/ est une approximante coronale centrale par rapport à la latérale /l/, alors que les approximantes /w j/, bien que phonétiquement centrales, ne s’opposent à aucune autre latérale. 4.14 Les semi-voyelles 4.14.1 L’observation des semi-voyelles L’étude des semi-voyelles /j w/ présente des difficultés particulières dues à une intrication de facteurs graphiques, phonétiques et phonologiques : – les semi-voyelles [j w] peuvent être représentées par trois types de signes : (i) des signes spécialisés ya, wa, wi₅127, (ii) des signes i, u, ú, également associables à la représentation des voyelles /i u/, (iii) des signes CV ou VC incluant /i/ ou /u/. L’interprétation des premiers ne présente pas de difficultés, mais celle des deux autres est plus délicate dans le sens où les lectures [i u] plutôt que [j w] ne dépendent pas de l’observation des graphies, mais seulement d’hypothèses relatives à la syllabation. La présence des sons [j w] a deux motivations possibles : soit ils réalisent les phonèmes /j w/, soit ils émergent, au voisinage de /u i/, voyelles dont la représentation repose sur des signes susceptibles de représenter aussi des semi-voyelles. Pour obscurcir encore les relations entre l’écriture et la phonétique, de même que /u i/ peuvent susciter l’émergence de [w j] dans certains contextes, les phonèmes /w j/ peuvent aussi susciter l’émergence de voyelles [i u], tandis que les sons [j w], quand ils correspondent à une émergence, reflètent le plus souvent des comportements échappant à tout régulation phonologiquement prédictible. La flexion de ar-/er- « venir » (HW² I : 208) fournit une illustration des ces relations : la forme 1pl. prés. {er-weni} peut être écrite e-ru-e-ni (avec /w/ inclus dans le signe ru), er-u-e-ni (avec /w/ symbolisé par le signe u), et e-ru-u-e-ni, où la combinaison -ru-u- n’aurait pas lieu d’être si elle correspondait simplement à [e.rwe.ni], ce qui demande de reconnaître l’émergence – optionnelle – d’un [u], donc [e.ru.we.ni]. Le nom de personne

127  Contrairement à Vanséveren 2006 : 29, les signes wa et ya sont attestés dans les textes anciens.

Les segments et leurs représentations

259

écrit Pí-ir-wa (NH 1017) dans les textes hittites reflète exactement les mêmes variations dans les documents accadiens du niveau II de Kültepe/Kanes (vers 1980-1840) : Pè-ru-a Kt c/k 1634 : 17, Pé-er-wa Kt d/k 28b : 6, 17, 19 ; Kt d/k 40b : 9, 16, Pé-ru-wa Kt c/k 1637 : 2. Autant la substance phonétique de /j/ et de /w/ ne suscite pas d’interrogations particulières, autant leur comportement est, pour l’ensemble des raisons qui viennent d’être évoquées, un des domaines les plus glissant, donc les plus incertains de l’analyse (la seule étude consacrée à cette question est Melchert 1984a : 9-77, qui traite essentiellement d’évolution et de reconstruction). 4.14.2 Statut phonologique L’écriture limite ou prohibe les combinaisons C-wa, C-wi₅, C-ya (voir ci-dessous) tout en permettant la représentation de /w/ et de /j/ au moyen de u, ú et i au voisinage d’une voyelle, si bien que la graphie ne peut restituer directement d’éventuelles distinctions CjV – CiV, VjC – ViC, VjV – ViV, Vj # – Vi #. Le problème que pose cette situation, et qui est posé, de façon générale, dans les langues où coexistent des semi-voyelles [j w] et des voyelles [i u], est de discerner si [j w] doivent être considérées comme des phonèmes /j w/ ou comme des variantes de /i u/128. On sait que la réponse à cette interrogation dépend, presque toujours, d’options méthodologiques, en étant soumise à la question du niveau d’abstraction auquel on estime nécessaire ou opportun d’envisager la notion de syllabe. Sans entrer dans des débats souvent frappés de circularité, on se bornera à constater que l’approche selon laquelle les semi-voyelles seraient des variantes des voyelles suscite, en hittite, des objections dirimantes, alors que son alternative permet de rendre simplement compte des données de l’observation : 1) Les langues dans lesquelles [j w] sont démontrablement des variantes de phonèmes /i u/ sont des langues dans lesquelles les formation des syllabes est soumise à des contraintes rigides (typiquement, quand les syllabes sans attaque de type V(C) sont, à un titre ou à un autre, non tolérées), ce qui n’est pas le cas en hittite ; 2) en hittite, [w] et [j] sont distinctivement opposables entre elles ainsi qu’à d’autres sons :

128  Sur les relations entre voyelles et approximantes, voir Maddieson & Emmorey 1985, Browman & Goldstein 1989 : 229.

260

Chapitre 4

(76) oppositions bilatérales des semi-voyelles /w/ – /Kʷ/ : wen-/uwan- « s’accoupler » → 3sg. prés. [weɲ.ʧi] ú-en-zi (VH) – kuen-/kun- « tuer » → 3sg. prés. [Kʷēɲ.ʧi] ku-e-en-zi (VH) /w/ – /P/ : wai-/wi- « crier, grogner » → 3sg.prés. wa-a-i (MH) – pai-/ pi- « donner » → 3sg. prés. pa-a-i (VH) /w/ – /j/ : we- « venir » → 3sg. prét. [wēT] ú-e-et (VH) – ye/a- « faire » → 3sg. prét. i-e-et [jēT] (VH) ; ⸗wa [wa] (variante du relateur quotatif ⸗war/⸗wa) – ⸗ya [ja] (variante de la conjonction ⸗a / ⸗ya) 3)

l’absence de [w] ou [j] peut constituer une information discriminante (déjà, ci-dessus) :

(77) distinctivité des semi-voyelles /w/ – ∅ : hazziya- « entailler » → 3pl. prés. {Haʧija-aNʧi} ha-az-zi-yaan-zi KBo 20.40 v 10 (VH/nh) – inf. {Haʧija-waNʧi} ha-azzi-ya-u-wa-an-zi KUB 35.145 ii 6 (/nh) ; la- « lâcher » → 3pl. prés. la-an-zi (VH) nom verbal la-a-u-wa-ar (/nh) etc. /j/ – ∅ : la conjonction connaît deux variantes en distribution complémentaire : ⸗a / ⸗ya (§ 9.10.3) 4) En attaque d’une syllabe les semi-voyelles /w/ et /j/ proscrivent les nasales en coda de syllabe précédente, ce qui n’est pas le cas des voyelles /u i/ ; 5) le comportement de [w] diffère selon qu’il est une réalisation de /w/ ou de /u/ : quand le morphème d’accusatif pluriel {-us} affixe un thème en {… u-}, il déclenche une règle de coalescence /uu/ → [u] (§ 8.12.6), alors que, quand il affixe un thème en {… w-} (typiquement ceux qui sont soumis à alternance {… u- : … aw-}), il déclenche la règle dissimilative /w/ → [m] (§ 8.1.1)129 :

129  Ces données contredisent la généralisation de Clements & Keyser 1983, Kaye & Lowenstamm 1984, selon lesquels le caractère vocalique ou consonantique d’un segment dériverait universellement de son association à un constituant vocalique ou consonantique dans une syllabe donnée.

261

Les segments et leurs représentations

(78) distinction /u/-/w/ parsdu- « feuillage » acc.pl. {ParsTu-us} wappu- « berge » acc.pl. {wapʰaw-us}

→ [Pars.Tus] pár-as-du-us → [wa.pʰa.mus] wa-ap-pa-mu-us

La différence de comportement de [w] selon qu’il est un son émergeant ou une réalisation de /w/ s’observe dans diverses langues (Lévi 2008) ; voir, en outre, § 8.12.7. 6) Les alternances apophoniques quantitatives du type de pai- / pi- {Paj- : Pi-} « donner », au- / u- {aw- : u-} « voir » dérivent de ce que la position de noyau syllabique ne peut être occupée que par une voyelle. La condition pour qu’un morphème, partie prenante dans une relation apophonique, accède au degré zéro est qu’au degré plein, la syllabe comporte, en coda, un segment qui puisse passer du statut de marge à celui de noyau sans modifier ni son niveau de constriction, ni ses propriétés mélodiques. L’existence de ce mécanisme certifie : (i) qu’au degré plein, le segment subséquent au noyau est nécessairement constitué d’une marge, donc d’une consonne /j w/, et (ii) que cette consonne est apte, au degré zéro, à prendre une position de noyau, donc d’alterner avec une voyelle /i u/130. 7) enfin, la conception alternative selon laquelle [j w] seraient des réalisations conditionnées de /i u/, point de vue soutenu par Kloekhorst (2008 : 31 et n. 8), entraîne des contradictions : il devient notamment impossible de justifier pourquoi la voyelle /u/ qui, selon cette approche, se trouve à l’initiale du morphème 1pl. prés. -wen(i) se réaliserait [m] en contexte /u__V/, alors que, dans ce même contexte, la voyelle /u/ du morphème acc. pl. {-us} se réalise [u] (§ 8.1) ; pourquoi, au voisinage de ce qui serait des voyelles /i u/, d’autres voyelles [i u] pourraient émerger à titre de diérèse (§ 8.12.7) ; pourquoi la voyelle /i/ qui, dans cette perspective, caractériserait l’initiale de la conjonction clitique ⸗ya serait sélectionnée par des hôtes à voyelle finale, alors que les hôtes en consonne sélectionneraient /a/ (⸗a) (§ 9.10.3) ? 4.14.3 Interprétation des graphies Le comportement phonologique des deux semi-voyelles n’est pas symétrique, mais l’interprétation de leurs graphies repose sur la même interrogation : les signes i, u, ú, et les signes incluant i ou u, quand ils sont utilisés au voisinage d’une autre voyelle doivent-ils être appréciés comme restituant des semi-voyelles [j w] ou des voyelles [i u] ? L’appréciation des graphies cunéiformes est, sur ce 130  On ne fait ici que reprendre l’argumentation développée par Brugmann 1876.

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Chapitre 4

point, d’autant plus incertaine que les critères même de la syllabation dans ces contextes sont particulièrement glissants, voire insaisissables131. (1) Un premier problème d’évaluation dérive de ce qu’une graphie Cu-V, peut recouvrir aussi bien une syllabe /CwV/, comme dans pahs- « protéger » → 1pl. prés. {PaHs-weni} pa-ah-su-e-ni, qu’une syllabe /CuV/, comme dans alpuess- « être/devenir aigu » → 3sg. prés. {alPu-es-ʧi} [a]l-pu-e-es-zi. Au plan phonologique, l’équivoque est facilement levée quand la semi-voyelle se situe en limite de morphème, mais elle reste entière ailleurs : hasduer- « branche » → dir. ha-as-du-(e-)er peut être lu [Has.Tu.er] aussi bien que [Has.Twer], aniur« rituel » → dir a-ni-u-ur, gén. a-ni-u-ra-as, peut être lu [a.njūr] aussi bien que [a.ni.ūr] ou [a.ni.jūr], etc. Corrélativement, les graphies Cu-V recouvrant [CwV] aussi bien que [CuV], il devient impossible de s’assurer que la réalisation des formes que l’on vient de citer ne serait pas [PaH.su.e.ni] ou [al.Pwes.ʧi]. Le problème se pose encore au sujet des graphies Ci-V puisqu’aucun morphème grammatical du hittite ne débute par /j/ et que l’hypothèse de morphèmes à /j/ finale n’est vraisemblable qu’avec des radicaux alternants du type de pai-/pi- / Paj- : Pi-/ « donner », /uTnej- : uTni-/ « pays », lesquels ne sont pas attestés sous la forme pai- devant un morphème {-V …}. (2) Un autre problème est de discerner si, dans les cas de variations telles que hes-/has- « ouvrir » → 1pl. prés. ha-as-su-e-ni (VH) et ha-as-su-ú-e-ni (VH), on doit tenir que la graphie restitue une prononciation [Has.swe.ni] : [Has. su.we.ni], ou bien que Cu-V et Cu-u-V sont deux façons de restituer une même réalisation [Has.swe.ni]. On admet ici la première interprétation parce qu’il n’y aurait aucune raison d’écrire ha-as-su-ú-e-ni si ha-as-su-e-ni était suffisant, tout en reconnaissant que cette variation ne démontre pas l’inaptitude de ha-as-su-e-ni à représenter [Has.su.we.ni]132. La tendance au développement d’une voyelle [u] au voisinage de /w/, bien que fréquente, particulièrement dans les textes tardifs, n’étant qu’une tendance (§ 8.12.7), les graphies Cu-u-, Ci-i, sont moins incertaines en ce qui concerne la syllabation que les graphies Cu-V, Ci-V, mais leur interprétation n’est pas dépourvue de toute équivoque. (3) Un troisième problème concerne l’appréciation des situations de contiguïté entre les signes vocaliques de même niveau de constriction. Quand les signes u ou ú et i sont au contact immédiat les uns des autres, quel que soit 131  L’enquête de Walter 1982, a, par exemple, montré que, dans près d’une moitié des points d’enquête du territoire métropolitain, les réalisation de louer alternent librement entre [lwe] et [lu.we], tandis que certains locuteurs sont persuadés dire [lwe] alors qu’ils prononcent [lu.we] (ou l’inverse). 132  Ce type de problèmes est traité en détail par Sturtevant & Trager 1942 ; on ne partage donc pas ici l’opinion de Melchert 1984a : 20, ou de Kimball 1999, pour qui wa, u-wa et ú-wa sont des graphies équivalentes, tout du moins pas au plan phonétique.

Les segments et leurs représentations

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leur ordre, il est souvent difficile, voire impossible, de départager la voyelle de la semi-voyelle : par exemple, la graphie miu- « doux » → dir. sg. mi-ú ne laisse pas discerner si la réalisation est [mi.u], [mi.ju] ou [mju] ; la variante mi-i-ú indique que i est plus probablement une voyelle qu’une semi-voyelle et donc que, dans cette occurrence au moins, la scansion est probablement bisyllabique, mais sans toutefois délimiter une interprétation [mi.u] par rapport à [mi.ju]. (4) Un dernier problème, lié à tous les autres à la fois, concerne les réalisations plus ou moins vacillantes de la syllabation en contexte [u] :: [uw], [i] :: [ij]. Mises à part les situations dans lesquelles, /j w/ sont des phonèmes, il serait sans doute vain de rechercher une règle phonologique à même de prédire ces fluctuations. Un témoignage montrant combien peut être instable la syllabation des voyelles hautes au contact d’autres voyelles s’observe dans la flexion de heu-/ heaw- « pluie » dont la forme d’accusatif pluriel en {-us} reflète une réalisation {Heaw-us} → *[He.(j)a.wus] appliquant normalement la règle de redondance labiale dans les textes les plus anciens, d’où he-e-a-mu-us KUB 33.9 iii 10 (VH/nh), hé-ya-mu-us KBo 34.110 Ro 9 (VH/nh), avec une expression instable de [j], et, plus tardivement, un remplacement du thème alternant {Heaw-} par {Heu-}, d’où des traitements reflétant, pour les uns, une simple coalescence, d’où {Heu-us} → [Hē.us] hé-e-us KUB 28.4 Ro 19 (NH), hé-e-ú-s⸗ KUB 28.5 Ro 13 (NH), pour les autres, l’insertion d’une semi-voyelle, d’où [Hē.wus] hé-u-us KBo 3.7 ii 22 (VH/nh), hé-e-ú-us KUB 16.37 iv 6 (NH), voire une réalisation {Heu-us} → *[Hēw.us] suscitant à nouveau le déclenchement de la règle de redondance labiale en tant que réalisation de /u/, d’où he-e-mu-ú-us KUB 24.1 iv 15 (NH). 4.14.4 La semi-voyelle [ j] Un signe seulement est spécialisé dans la restitution de la semi-voyelle [j] : ya (HZL 218). Il n’existe pas de signes *je, *ji, *ju, ni aucun signe de type *Vj. Par ailleurs, le son [j] peut être occasionnellement représenté par le signe i, ou par tout autre signe CV ou VC dans lequel V = i. L’emploi du signe ya en hittite est complètement différent de ce qu’il est en accadien où il représente indifféremment [aj ja ji ju]. Le signe ya n’est utilisable qu’à l’initiale des mots où précédé d’un signe -(C)V-, où V est, le plus souvent, e ou i, plus rarement a. Les combinaisons … C-ya sont proscrites dans l’écriture, sauf quand C est une rhotique /r/ (anturi(y)a- « de l’intérieur » → nom. an-dur-ya-as). Le signe -e- peut être utilisé pour représenter [ja] derrière un signe de type (C)V- (§ 4.1.8). Dans tous les autres cas, notamment dans ceux où la voyelle située à la suite de /j/ est /u/, la semi-voyelle est représentée par i ou par tout autre signe CV et VC où V = i.

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Chapitre 4

Les séquences [ja] sont naturellement écrites ya, mais elles peuvent aussi, plus rarement, être représentées par … i-a … : ye/a- « faire » → 3pl. prés. ya-anzi KBo 17.30 ii 6 (VH), i-an-zi KUB 32.130 : 24 (MH) [jaɲ.ʧi]. La diérèse étant optionnelle (comp. [jaɲ.ʧi] et i-ya-an-zi [i.jaɲ.ʧi], VH), on ne peut clairement discerner si dans imiya- « mélanger » → 3pl. prés. i-mi-ya-an-zi KBo 6.34 ii 22 (MH/nh), la variante im-mi-an-zi KBo 3.5 + IBoT 2.136 iv 65 (MH/nh) restitue [im.mjaɲ.ʧi] plutôt que [im.mi.jaɲ.ʧi]. La raison pour laquelle un scribe représente [ja] par ya plutôt que par … i-a … est opaque. L’interprétation des graphies (…)iu … est souvent incertaine : dans ishiul« lien » → dir. is-hi-ú-ul, la voyelle, du fait de sa réplication, représente sûrement un noyau syllabique, mais on ne peut discerner si la réalisation est [əs.Hjūl] ou [əs.Hi.ūl] ; le même problème de délimitation se pose avec aniur« rituel » → dir a-ni-u-ur, gén. a-ni-u-ra-as ; hurki- « roue » → acc. pl. hur-ki-us ; à l’initiale, en revanche, iuk- « joug » → dir i-ú-uk KBo 25.72 dr. 11 (VH) représente plus probablement [jū́K] que [i.ū́K], mais sûrement pas *[iwK], qui serait une syllabation inacceptable, ni *[i.wuK] qui tomberait sous le coup de la règle w → m (§ 8.1). Les variantes de l’adjectif composé tayuga- « de deux ans » montrent une difficulté à maintenir telle quelle la séquence /ju/ : nom. ta-a-iú-ga-as (VH), da-a-i-ga-as (VH/nh), ta-a-ú-ga-as (VH/nh). La mise en évidence de séquences /je/ se heurte aux mêmes difficultés, à ceci près que le problème est limité à la question du statut de … i : si l’on admet que la syllabation de anturiya- « de l’intérieur » → nom. an-dur-ya-as, an-turi-ya-as est [an.Tu.rjas], on peut estimer que celle de nom. pl. an-tu-u-ri-e-es est [an.Tu.rjes] (la réplication des voyelles est déconcertante), mais aucune de ces interprétations n’exclut la possibilité de [an.Tu.ri.(j)es]. Comme avec /u/, la possibilité de séquences [je] ne semble assurée qu’à l’initiale : ya- « aller » → 3pl. prés. my. i-e-en-ta [jḗn.Ta] (ou [jḗnT]) KBo 22.1 Ro 14 (VH). Les graphies … ie … peuvent aussi correspondre à des emplois de e pour ya, comme dans anniya- « faire » → 1sg. prés. a-ni-e-mi (VH), face à a-ni-ya-mi (VH/mh), ainsi qu’à des graphies « brisées » (§ 4.1.7(2)), comme dans gim- « hiver » → loc. gi-im-mi, gi-mi, mais gi-e-mi KUB 30.37 i 9 (NH). Les séquences /ji/ sont indiscernables d’après la graphie, sauf quand elles sont écrites i-i (graphie qui peut aussi indiquer la durée longue d’une voyelle, comme dans 2sg. imp. us-ki-i « vois ! » [us.Kī�]́ ). Un traitement phonétique nettement délimité de ces séquences est difficile à identifier : dans la flexion alternante de dai- / di- « poser, placer », face à 3pl. {Ti-aNʧi} → [Ti.jan.ʧi] ti-anzi KBo 17.1+ ii 36 (VH) la forme à degré plein 3sg. {Táj-i} semble indiquer une réalisation [Tā́.j] da-a-i KBo 17.1+ ii 28 (VH), plutôt que [Tā́.ji] qui aurait été écrite *da-a-i-i. Mais à l’inverse, la flexion de iss(a)- « faire » 2 pl. prés. {is-tʰéni}

Les segments et leurs représentations

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reflète le développement d’une prothèse semi-vocalique [jis.tʰḗ.ni] d’après i-iste-e-ni KBo 22.1 Vo 27 (VH), comme tendent à confirmer les graphies 3pl. prét. i-is-se-er KBo 6.2 iii 15 (VH), i-e-es-ser KBo 17.105 ii 18 (MH) reflétant {ís-er} → [jís.ser]. Il semble donc que devant /i/, la réalisation du phonème /j/ peut (ou doit) être éliminée si la voyelle est équivalente à un morphème {-i} en fin de mot, mais qu’un son [j] peut (ou doit) être insérée à l’initiale du mot. On ne peut tout au plus qu’évoquer une tendance car le traitement reflété par dai- / di- → 3sg. prét. da-is KUB 36.100 iii 3 (VH), ta-i-is KBo 18.151 Vo 10 (VH/mh), da-a-i-is KUB 15.5+ i 10 (NH) suggère que le maintien ou l’élimination de [j] devant [i] était variable selon les locuteurs et, possiblement, les époques. Dans le sens inverse, la possibilité de séquences [ij] est posée par miēss« croître » → 3sg. prés. mi-i-e-es-zi [mjḗs.ʧi] ou [mi.jḗs.ʧi], mais surtout par les variantes du morphème de datif-locatif détaillées ci-dessous (§ 4.14.5). Dans les cas où la présence de /j/ est sûre, la semi-voyelle est en attaque d’une syllabe. La possibilité pour que [j] occupe la position de coda dans une syllabe est beaucoup moins fréquente et semble limitée aux syllabes finales (autrement dit, en fin de mot) : derrière /e/, l’approximante n’est pas représentée dans la graphie (comp. /uTnéj- : uTni-/ réalisée au cas direct {uTnéj-Ø} → ut-ne-e § 4.1.5), tandis qu’elle est restituée par i derrière /a/ : pai-/pi- « donner » → 2sg. imp. {Páj-∅} pa-i (VH), pa-a-i (VH/nh) [Pā́j]. En revanche, dans des cas comme āppa- « être terminé » → 3sg. prés. a-ap-pa-i, il est difficile de départager une interprétation [ā́.pʰa.i] d’une interprétation bisyllabique [ā́.pʰaj]. La sélection de la conjonction clitique ⸗a / ⸗ya dans des exemples comme ta-ma-i-ya ut-tar « et la seconde parole » KBo 4.4 ii 1 (NH) peut être appréciée [tamai⸗ja] aussi bien que [tamaj⸗a]. 4.14.5 Problème du cas datif-locatif singulier Le morphème de datif-locatif singulier est susceptible d’apparaître sous trois variantes -i, -ia et -ai dont la distribution est relativement conditionnée par le contexte : (79) variantes graphiques du morphème de datif-locatif graphies -i(-i) -i-ya (-)a-i

 :  :  :

tous les contextes exclusivement, thèmes en … i- et … ele plus souvent, thèmes en … a-

266

Chapitre 4

On ne tient pas compte ici d’une quatrième variante tardive -e, constatée dans la flexion de thèmes en … u-, qui, en s’inscrivant dans le cadre général des interactions entre /i/ et /e/ (§ 8.11.2), n’est pas spécifique à ce cas (voir ci-après). (a) La variante la plus fréquente, utilisable dans tous les contextes, quelle que soit la période, est -i : ēsri- « statue » → e-es-sa-ri (VH), humant« tout » → hu-u-ma-an-ti (VH), karaitt- « flot » → ka-ra-it-ti (VH), kutt- « mur » → ku-ut-ti (VH), henkan- « mort » → hi-in-ga-ni (VH), per/parn- « maison » → pár-ni (VH), harsar « tête » → har-sa-ni (VH), tāru- « arbre, bois » → ta-ru-ú-i (VH?), etc. Quand elle fléchit des thèmes en {… e/aj-} ou en {… i-} la désinence -i n’est pas toujours différencié par la graphie de la forme thématique elle-même : lūli- « étang » → lu-ú-li (VH/nh), utnē « pays » → ut-ne-e (VH), hastai- « os » → ha-as-ta-i. La réplication de la graphie -i se rencontre irrégulièrement aussi bien avec les thème en -i : dapi- « tous » → da-pí-i KUB 5.1 i 12, 37, 48 (NH), qu’avec d’autres : tēkan « terre » → ták-ni-i (plus souvent que ták-ni), hūmant- « tout » → hu-u-ma-an-ti-i KBo 4.4 iv 13, VBoT 120 ii 22. Dans les copies tardives, il arrive que -i soit remplacé par -e : assu- « bon » → a-as-sa-u-e KUB 31.127 iv 1 (VH/nh), hu-u-ma-an-ti-i (KBo 4.4 iv 13, VBoT 120 ii 22) face à hu-u-ma-an-te (KUB 24.9 ii 31, KUB 13.2 iv 10, KUB 13.1 iv 14), esri- « statue » → e-es-re-e(⸗s-si) KBo 3.7 iii 20 (VH/nh), idalu- « mauvais » → i-da-la-u-e KUB 29.1 iii 11 (VH/nh), panku-/pangaw- « nombre, totalité » → pa-an-ga-u-e KUB 25.36 ii 10, 14 (VH/mh ?), tepu-/tepaw- « petit » → te-pau-e⸗ KUB 33.106 ii 5 (NH). (b) la variante -i-ya se rencontre sur les thèmes en {… e-} ou en {… i-}, lesquels en font un usage vacillant : utne- « pays » → ut-ni-i (VH/nh) et ut-niya (VH), esri- « statue » → e-es-sa-ri (VH) et e-es-ri-ya (MH/nh), nathi- « lit, couche » → na-at-hi (NH) et na-at-hi-ya (NH), lūli- « étang » → lu-ú-li (VH/nh) et lu-ú-li-ya (VH/nh) ; tuzzi- « armée » → tu-zi KBo 3.13 ii 3 (VH/nh) et [t]u-uzzi-ya KUB 36.106 Vo 11 (VH), etc. (c) La troisième variante -ai, beaucoup plus rare que les deux autres, fléchit principalement (non exclusivement) des thèmes en {… a-} ; tous les noms éventuellement fléchis par -ai au une datif-locatif sont, le plus souvent, fléchis par -i. L’emploi de -ai n’est pas assuré en vieux-hittite car hassa- « foyer » → [ha-] as-sa-a-i KBo 25.36 iii 8 (VH) peut refléter la flexion par -i du thème que son accentuation vacillante (§ 7.6.6) peut faire apparaître sous la forme hassā-. Les témoignages avérés sont plus tardifs : asawar- « enclos » → a-sa-u-na-i Bo 6002 Ro 7 (datation ? cf. Fuscagni, HPMM 6, 2007, 126), E-eb-la-i « dans Ebla » KBo 32.19 iii 37 (MH/mh, labarna- (titre et nom propre) → la-bar-na-i

Les segments et leurs représentations

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KUB 2.2 iii 9 (VH/nh), ta-bar-na-i (KUB 44.60 iii 15 (NH), dMa-am-ma-i « à Mama » KUB 27.67 ii 45, 53 (MH/nh), pit(t)uliya- « tension, anxiété » → píddu-li-ya-i (VH/MH ?/mh), tawananna- (titre) → ta-wa-na-an-na-i KBo 17.88 + KBo 24.116 iii 21 (VH ?/mh). On relève quelques témoignages de (datif-)locatif en -ai fléchissant d’autres thèmes que /a-/ : tēkan « terre » → ták-na-i KUB 24.9+ ii 22 (VH/nh), wappu- « berge » → wa-ap-pu-wa-i KBo 9.106 ii 15 (MH/nh). Face à la forme fréquente labarni {labarn-i} KUB 1.16 ii 31 (VH/nh), la forme labarnai reflète, selon toute vraisemblance, une amorce d’alignement analogique du thème oblique sur le thème nucléaire suscitant des réanalyses plus ou moins incertaines {labarn-i ~ labarna-i → labarn-ai}, justifiant l’extension de la désinence -ai à d’autres thèmes que les thèmes en {… a-} (voir Neu 1979 : 188, Hoffner et Melchert 2008 : 74). Le fait que la variante -ai soit surtout documentée dans la flexion de mots étrangers ou empruntés s’accorde avec l’analyse morphologiquement hésitante que suppose l’émergence de -ai133. (2) Discussion. – Partant de l’observation que la variante -i-ya fléchit exclusivement des thèmes en voyelle antérieure {… i/e-}, on peut déduire que le recours à cette graphie répond à un conditionnement de nature phonétique. L’hypothèse que l’on formera ici est que -i-ya représente l’explicitation d’une semi-voyelle [j] dérivant d’une réalisation {… i-i} → [ij], elle-même optionnelle par rapport à un traitement {… i-i} → [i]. Dans cette perspective, les variantes -i- et -i-ya des thèmes en {… i-} ne feraient que traduire deux syllabations possibles de la même forme phonologique : {lúli-i} « étang » → [lū́.li] lu-ú-li (VH/nh) et [lū́.lij] lu-ú-li-ya (VH/nh), {ésri-i} « statue » → [ḗs.sri] e-es-sa-ri (VH) et [ḗ.srij] e-es-ri-ya (MH/nh), etc. Une autre observation semble étayer cette hypothèse : au locatif, la forme utne- « pays » peut être écrite ut-ne-e ; or, cette graphie est la même que celle qui est utilisée au cas direct ut-ne-e dont on sait qu’elle repose sur {uTnéj-∅} → [u.Tnḗj] (§ 4.1.5) ; dans cette perspective, les variantes ut-ne-e KBo 6.26 iii 33-34, KUB 29.34 : 15 (VH/nh, Code § 191), ut-ni-i (VH/nh) et ut-ni-ya KBo 6.2 iii 59, KBo 6.3 iii 64 (VH, Code § 71), seraient deux représentations graphiques possibles de la même réalisation phonétique {uTni-i} → [u.Tnij] (en reconnaisant, il va de soi, e pour i). En définitive, il semble donc plausible de reconnaître que les graphies -i et -i-ya du morphème de datif-locatif sont phonologiquement équivalentes sous

133  L’hypothèse d’une recaractérisation de l’allatif en -a par le datif en -i, est improbable car la flexion de tekan-/takn- « terre, sol » reflète régulièrement, au cas allatif, un allongement de la voyelle finale ta-ak-na-a KBo 17.1 + KBo 25.3 iii 8 (VH), ták-na-a, ta-a-ak-na-a KUB 29.30 iii 13 (VH), alors que la forme de locatif en -ai n’est jamais jamais *taknāi.

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Chapitre 4

considération de ce qu’en finale de mot, derrière voyelle antérieure, la voyelle /i/ peut se réaliser [i] comme [ij]. En d’autre termes, si cette analyse est correcte, le signe ya mettrait en évidence une lecture avocalique [j] au même titre que n’importe quel autre signe CV. 4.14.6 La semi-voyelle [w] Le sumérien ignorant /w/, les langues à écriture cunéiforme ont diversement innové dans la sélection, l’organisation et l’utilisation des signes affectés à la représentation de l’approximante labiovélaire. En hittite, la représentation de [w] (comme celle de [j]) repose sur une codification graphique pour partie spécialisée, pour partie non spécialisée : – Les signes wa (HZL 317 = MesZL 383) et wi₅ (HZL 131 = MesZL 212) représentent invariablement [w] + V ; – les signes u et ú (§ 4.1.3), ainsi que les signes CV et VC dans lesquels V = u représentent [w] quand ils ne représentent pas [u]. L’utilisation de wa et de wi₅ en hittite diffère notablement de l’accadien : – le signe limité à /wa/ en hittite est utilisé en accadien pour représenter toute combinaison /Vw/ ou /wV/ : /wa/, /we/, /wi/, /wu/, /aw/, /ew/, /iw/, /uw/ ; – le signe qui se lit /wi/ à partir du moyen hittite (HZL 131) n’a pas de lecture syllabique en accadien où il n’est utilisé que comme logogramme GEŠTIN « vin » (le génitif {wijan-as} écrit 131 -ya-na-as KUB 56.50 ii 5, peut être trans­ crit wi₅-ya-na-as aussi bien que GEŠTIN-ya-na-as). Le signe wi₅ n’a pas de lecture [we]. Le fait que le hittite ne récupère pas la lecture [wi] de wa attestée notamment à Alalah-VII (Popova 2015 : § 3.5) et assigne un signe spécial wi₅ à la combinaison [wi] semble indiquer une réalisation différencié de la semi-voyelle selon qu’elle attaque une voyelle [a] ou [i]. Cette partition pourrait rejoindre la tendance constatée dans certaines langues où /w/ se réalise [w] devant voyelle postérieure et [v] (éventuellement [β], voire [ʮ]) partout ailleurs134. Une telle hypothèse est impossible à démontrer positivement, mais sa possibilité ne peut être écartée. Une autre hypothèse, également, envisageable, serait que wi₅ aurait émergé par alignement analogique envers le fait qu’à l’initiale du mot, la combinaison /w+a/ est toujours représentée par un signe unique (en l’espèce, wa), et jamais par une combinaison de signes *u/ú-a … (les deux motivations ne sont, au demeurant, pas contradictoires). Le plus souvent, les deux signes de type wV sont utilisés à l’initiale du mot ou derrière voyelle. Les combinaisons C-wa et C-wi₅ ne sont possibles, dans l’écriture, que si C = /r l/ : ar- « se tenir » → 1pl. prés. my. ar-wa-as-ta-at (MH) ; 134  Voir Ohala & Lorentz 1977 : 598.

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wellu- « pâturage » → gén. ú-e-el-wa-as (MH/nh) ; tarwesgala- « danseur, maître de danse » → nom. tar-wi₅-es-ga-la-as (/nh) ; palweske- « clamer, crier » → 3pl. pal-wi₅-is-kán-zi (VH/nh) ; cette contrainte relève de l’économie graphique car le phonème /w/ n’est pas nécessairement précédé d’une liquide dans la phonologie : pas- « avaler » → inf. {Pas-waNʧi} pa-a-as-su-an-zi KBo 32.114 Ro? 6 (s.d.). A l’initiale du mot, les séquences /wi/ sont le plus souvent écrites úi … et non *ui … (voir § 4.14.7(1), et Melchert 1984a : 13 n. 22), par exemple watar- « eau » → instr. ú-i-ta-an-ta (VH). En position interne, l’interprétation des graphies … ui/úi … suscite, en revanche, les même interrogations quant à la délimitation syllabique que les graphies … iu …, quoique, relativement, moins souvent. La réplication des voyelles peut, à cet égard, être tenue comme un indice : quand une graphie … u-i- susceptible d’alterner avec … u-u-i- ne traduit pas un allongement contextuel de la voyelle parce que l’accent frappe une autre syllabe du mot, il y a lieu d’estimer que … u-i- recouvre [wi] : par exemple, dans la flexion de huitar- « faune », il semble vraisemblable d’estimer que, face à dir. pl. hu-i-ta-a-ar [Hwi.dār] (VH), le u introduit dans la variante hu-u-i-taa-ar représente le développement d’un [u] de diérèse [Hu.wi.dār] (VH/nh) ; de même, luessar- « fumigation » → dir. lu-e-es-sar (NH) indique [lwēs.sar] et lu-u-e-es-sar (MH) [lu.wēs.sar] ; saru- « butin » → dat.-loc. sa-a-ru-i (NH) [sā. rwi], suil- « fil » → dir. su-ú-il (VH/mh) [su.wil] et non [sū.il] à cause la variante su-ú-i-il (VH/nh) [su.wīl], etc. Dans la flexion de tuekka- « corps personne », les variantes dat. pl. tu-e-eg-ga-as (MH) et tu-ú-i-ig-ga-as (VH/nh) s’accordent sur [Tw.ē.kʰas], [Tu.wē.kʰas] en accord avec l’alternance thématique de forme {Twekʰ- : Tukʰ} supposée par gén. sg. tu-ug-ga-as KUB 30.10 Ro 9 (VH/mh). A l’inverse, dans la flexion de karuili- « ancien, antique », on admet que dir. sg. [k]a-ru-il-i-s⸗a (VH) restitue [Ka.ru.i.lis], de même que acc. ka-ru-ú-i-li-in (VH/nh) supposent [Ka.rū.i.lin], en accord avec la graphie la plus fréquente de la base ka-ru-ú « anciennement ». En l’absence de voyelles répliquées, l’interprétation des graphies est moins nette : pasu- « piédestal » → loc. pa-as-su-i (MH), pa-as-su-ú-i (NH), reflète [Pas.swi], [Pas.su.wi] d’après la variante pa-as-su-wi₅ (NH) sans laquelle on pourrait songer à *[Pas.su.i]. Dans le cas de warhui- « brousailleux », il paraît impossible de trancher la question de savoir si nom. wa-ar-hu-is, acc. wa-arhu-in restituent [war.Hu.is] plutôt que [war.Hwis]. Les problèmes sont encore accentués derrière les obstruantes vélaires dont le caractère éventuellement labialisé est, le plus souvent, incontrôlable (§ 4.8.3). Les séquence /we/ sont écrites ú-e- à l’initiale et -u-e-, ú-e-ou Cu-e ailleurs : uwa- « venir » → 3sg. prés. ú-e-ez-zi, 3sg. prét. ú-e-et ; wekk- « vouloir » → 1sg. prés. ú-e-ek-mi, 3sg. ú-e-ek-zi ; wemiya- « trouver » → 3sg. prés. ú-e-mi-ez-zi, etc., face à arawa- « libre » → nom. pl. a-ra-u-e-es [a.ra.wēs], aniya- « faire » → 1pl.

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Chapitre 4

prés. a-ni-ya-u-e-ni [a.ni.ja.we.ni] ; suwa- « pousser » → 3sg. prés. su-ú-ez-zi [su. we.ʧi] ; dai- « poser, placer » → 1pl. prét. da-i-ú-en [Ta.i.wen] (ou [Taj.wen] ?), te-/tar- « parler » → 1pl. prés. ta-ru-e-ni (VH), etc. Les séquence /wa/ sont régulièrement écrites à l’initiale, au moyen du signe wa. Des combinaisons *# ú-a-, ou *# u-a sont prohibées135 : wak(k)- « frapper » → 3sg. prés. wa-a-ki ; walla- « louer, honorer » → 1sg. prés. wa-al-la-ah-hi ; warkant- « gras » → nom. wa-ar-kán-za, etc. Ailleurs qu’à l’initiale, la séquence /wa/ peut être représentée par wa, mais, aussi, par des combinaisons u-a-, encore plus rarement par ú-a : arawa- « libre » → nom. a-ra-u-as (VH), a-ra-wa-as (NH) [a.ra.was] ; arkiu- (élément architectural, « passage » ?) → abl. ar-ki-i-ú-az KBo 20.8+ 26 i 9 (VH). Une séquence /wu/ n’est possible que si elle est précédée d’une consonne, situation qui ne semble pas attestée (sur la possibilité de séquence [wu] avec [w] non phonologique, voir § 8.1). Une séquence /uwV/ est pareillement impossible, mais [uwV] est admise quand elle représente l’émergence d’un [w] : kappu- « compter » → 3 pl. prés. kap-pu-u-an-zi (VH/nh), kap-pu-wa-an-zi (NH), kap-pu-u-wa-an-zi (NH) montre que [w] est émergeant sans quoi il susciterait le changement w → m, si bien qu’on doit tenir [Ka.pʰu.waɲ.ʧi] comme une réalisation de {Kapʰu-aNʧi} ; de même, warnu- « faire brûler » → 3 pl. waar-nu-ú-e-er KUB 17.10 iii 15 (VH/mh), indique une relation {warnu-ér} → [war. nu.ēr] ou [war.nu.wēr]. Il est difficile de mettre en évidence une articulation [w] en coda ou en finale de mot : les témoignages les moins hypothétiques sont devant une désinence zéro : harnu- / harnau- « siège d’accouchement » → dir. {Harnaw-∅} → [Har.naw] har-na-a-ú KBo 5.1 i 7, 12 (MH/nh) ; tarna- « laisser » → 3sg. imp./opt. [Tar.nāw] tar-na-a-ú KUB 21.15+ iv 13 (NH). Mais d’autres données peuvent suggérer une syllabation [u] ; par exemple, au- « voir » → 2sg. imp. a-ú n’est jamais écrit *a-a-ú alors que les thèmes monosyllabiques à l’impératif 2sg. en -∅ font généralement usage de la réplication (§ 6.6.6(2δ)), ce qui pourrait indiquer une réalisation [a.u] plutôt qu’une monosyllabe [aw] (?). 4.14.7 Les semi-voyelles à l’initiale du mot Comme on l’a déjà mentionné une particularité de l’écriture des semi-voyelle est que les signes ou combinaisons de signes utilisés sont différents selon que l’on est à l’initiale du mot ou ailleurs.

135  On tient pour négligeables les témoignages isolés de ú-ar-as-ha-an-zi KUB 10.66 vi 4 (s.d.), « envoyer » → 2 pl. ú-a-wa-at-ten KUB 14.14 ii 36 (NH).

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Les segments et leurs représentations

(1) La labio-vélaire. – Comme l’indiquent les données exposées ci-dessus, la représentation de /w/ à l’initiale du mot est gouvernée par des règles strictes dont la variable est le timbre de la voyelle faisant suite à la semi-voyelle. Ailleurs qu’à l’initiale, aucune norme de distribution particulière ne se laisse discerner. (80) graphies de /w/ dans le mot initiale /wa/ : /wu/ : /we/ : /wi/ :

ailleurs wa (jamais *ú-a-, ni *u-a) (impossible) ú-e (jamais *u-e) ú-i, wi₅ (jamais *u-i)

wa, -u-a-, très rarement -ú-a (indiscernable) -u-e, plus rarement -ú-e -u-i, plus rarement -ú-i ou -wi₅

La voyelle [u] à l’initiale du mot devant consonne peut être représentée par les deux signes : hun- « sucer (?) » → 3pl. prés. u-un-ha-an-zi KBo 25.61 ii 3 (VH), mais we/uwa- « venir » → 1sg. prés. ú-wa-mi KBo 17.7 Vo 11 (VH), de même qu’en qu’en position interne, ú peut représenter [u] : ta-a-i-ú-ga-as « âgé de deux ans » [Tā.ju.gas], aussi bien que u peut restituer [w] : pai-/pi- « aller » → 2pl. pa-a-i-u-e-ni(⸗wa⸗ma) [Pāj.we.ni]). Dans le contexte /# __i/, la sélection de u ou de ú revêt toutefois une signification particulière : ú stipule une réalisation [w], alors que u indique une réalisation [u] : uiya- « envoyer » → 1sg. prés. u-iya-mi KUB 21.5 + KBo 19.74 iii 23 (NH), 3pl. prét. u-i-e-er KBo 4.4 iv 51 (NH)136, mais wai-/wi- « crier, grogner » → 1sg. prés. ú-i-ya-mi KUB 14.1 + KBo 19.38 ii 93 (MH), 3pl. prét. ú-i-e-er KUB 31.67 iv 10 (NH) ; dans le premier cas, u représente le noyau de la syllabe initiale [u.ja.mi], [u.jḗr], dans l’autre, ú représente la semi-voyelle en attaque de la syllabe initiale [wi.ja.mi], [wi.(j)ḗr]137. La règle ne s’applique qu’à l’initiale devant i ; elle ne se vérifie pas devant d’autres signes vocaliques ni ailleurs qu’à l’initiale du mot. Ces données indiquent que le paramètre discriminant dans la sélection de ú et de u à l’initiale du mot est le fait qu’un i subséquent représente soit le noyau [i] de la syllabe attaquée par [w] (ú), soit l’attaque [j] de la syllabe suivante (u). Cette distribution ne fait, en définitive, que traduire la prohibition universelle des séquences de semi-voyelles hétérorganiques **[wj, jw] en marge des syllabes, laquelle se résout par la substitution d’une voyelle à l’une des 136  Ce verbe, formé au moyen du préfixe /u-/, est écrit écrit avec u- dans 97,7 % des occurrences selon le décompte de Melchert 1984a : 16 n. 31. 137  Voir déjà, en ce sens, Melchert 1992 : 187.

272

Chapitre 4

semi-voyelles. Sous cette considération, il serait légitime de transcrire # ú-i par wi et # u-i par uj. (2) La coronale. – Les différences d’écriture entre l’initiale et le reste du mot sont moins tranchées avec /j/ qu’avec /w/ : (81) graphies de /j/ dans le mot

/ja/ : /je/ : /ji/ : /ju/ :

initiale

ailleurs

ya, jamais *i-a … i-e … i-i … i-ú- (rare)

derrière CV, ya, rarement e ; … i-a ailleurs le plus souvent … i-e, rarement ya … i-i … i-u-, … i-ú-

(3) Conditionnement distributif ? – Les normes gouvernant la représentation des semi-voyelles à l’initiale du mot sont, selon toute vraisemblance, une conséquence de la tendance, déjà évoquée, au figement des représentations graphiques à l’initiale du mot (§ 3.2). Cette approche n’est toutefois pas contradictoire avec l’hypothèse d’une réalisation contextuellement variable des semi-voyelles, particulièrement dans le cas de /w/. Dans cette dernière approche, tout le problème serait de discerner ce qui, du timbre vocalique ou de la position dans le mot, est susceptible d’expliquer la distribution des signes. On pourrait imaginer que /w/ se réalise à l’initiale comme une labio-vélaire non voisée [ʍ] (parfois notée [w̥ ]), et [w] ailleurs, auquel cas, compte tenu de la sélectivité de la voyelle faisant suite à w, on pourrait encore conjecturer qu’à l’initale, on a [ʍ] devant [a] et autre chose ([β] ? [ʮ] ?) ailleurs ; ces conjectures sont impossibles à démontrer et ne semblent pas avoir de conséquence concrètes pour l’analyse phonologique. 4.15

Classement des consonnes

4.15.1 Modes articulatoires On adopte ici la perspective identiquement défendue, bien qu’en des termes très différents, par Steriade (1993), Ladefoged & Maddieson (1994), selon laquelle les différences de mode articulatoire des consonnes reposent, fondamentalement, sur un continuum de striction dont les phases s’articulent en trois grands modes de production : les plosives, les fricatives et les approximantes. Les nasales et les latérales ne sont pas directement impliquées dans cette corrélation, du moins pas selon le même axe.

Les segments et leurs représentations

273

4.15.2 Fréquence des modes Les relevés ci-dessous, effectués à partir du corpus hittite numérisés, demeurent imprécis en ce qui concerne les approximantes : la graphie ne permettant pas toujours de distinguer [j] de [i] et [w] de [u], on s’est limité à enregistrer les fréquences des signes spécifiques ya, wa, wi₅, si bien que les fréquences de /j/ et de /w/ sont sûrement supérieures aux chiffres indiqués : (82) fréquences relatives des modes (toutes époques) plosives (incluant /ʧ/) 78 021 37 % fricatives 40 744 19 % nasales 58 504 28 % approximantes 34 763 16 % 4.15.3 Lieux d’articulation La caractérisation phonologique certains segments appelle quelques précisions en ce qui concerne leur lieu de classement : (1) L’approximante [j] est, phonétiquement, formée dans la zone palatale ; toutefois, en hittite, son comportement phonologique l’assimile plus à une coronale qu’à une dorsale, particulièrement en raison des interactions de /j/ (et de /i/) avec les coronales (§ 5.8), mais non avec les dorsales. En retenant le trait /+ palatal/ pour identifier /j/, on serait, en outre, conduit à situer ce phonème en marge des autres corrélations, aucun autre segment ne lui étant opposable à ce point d’articulation. Il semble donc préférable de considérer /j/ comme une consonne non antérieure, selon la solution au demeurant adoptée dans la description de la plupart des langues où la question se pose (voir Ladefoged 1993 : 43-44, et, plus largement, Hall 1997 : 8-10). (2) Le trait de labialisation distingue sûrement certaines dorsales du hittite, mais en l’absence d’informations articulatoires, on ne peut savoir si /Kʷ/ est formée exactement au même point que /K/, en représentant un mode articulatoire distinct des vélaires /K/, ou si /K/ et /Kʷ/ sont formés en des lieux plus ou moins différents, ainsi que c’est le cas dans certaines langues138. Cette incertitude n’est pas sans conséquences pour le classement des consonnes, voir § 4.15.7. 4.15.4 Fréquence des ordres La tableau ci-dessous diffère du tableau 67 déjà présenté au sujet de l’initiale, mais il reproduit les mêmes rapports avec une large dominance des coronales sur les deux autres ordres, lesquels ont une fréquence similaire : 138  Sur la façon dont les langues élaborent la distinction [C] : [Cʷ], voir Ladefoged & Maddieson 1996 : 31.

274

Chapitre 4

(83) fréquences relatives des ordres (toutes époques) labiales 35 021 16,5 % coronales 145 592 68,5 % dorsales 31 419 15 % 4.15.5 Inventaire Les consonnes du hittite forment un effectif constitué de 18 ou 22 unités phonologiques (la situation des vélaires labialisées et d’éventuelles alvéo-palatales étant peu claire) distinguant 4 lieux d’articulation (ou 5, compte tenu de l’indécision suscité par les labialisées). Les distinctions de mode sont fondées sur 6 ou 7 paramètres : la striction ; la labialisation (en admettant qu’elle ne soit pas, aussi, un paramètre de localisation) ; l’aspiration ; la voix ; la sibilance ; la nasalité ; et la latéralité. Le tableau ci-dessous se borne à inventorier les propriétés associables aux phonèmes sans préjuger de leur hiérarchie interne, ni de leur redondance relationnelle. (84) les consonnes du hittite (interprétation maximale) labiales

coronales dorsales + ant. - ant. pal. vél. ʧ

+ sibil. plos.

- lab. + lab.

+ asp. - asp. + asp. - asp.

- voix + voix - voix + voix

pʰ b

tʰ d

(cʰ ?) kʰ (ɟ ?) g (kʰʷ ?) gʷ x ɣ xʷ (ɣʷ ?)

- voix + voix + lab. - voix + voix

- sibil. - lab. fric.

s

+ sibil. nas. centr. appr.

latér.

m

n

w

r l

j

275

Les segments et leurs représentations

Il existe de nombreuses façons d’organiser les tableaux de consonnes (Hervey 1984). Le principe même d’une tabulation à deux dimensions peut, non sans raisons, être mis en cause, mais les techniques alternatives de représentations présentent d’autres défauts et ne paraissent pas véritablement meilleures. On prend ici le parti de privilégier ici l’approche faisant ressortir les asymétries relationnelles et les espaces de réalisation potentiellement libres qui en résultent : (85) les consonnes du hittite (interprétation minimale)

plosives :

labiales

coronales dorsales ant. non ant. non lab. lab.

pʰ b

tʰ d s

fricatives : m

nasales : approximantes

ʧ

centrales : latérale :

w

kʰ g x ɣ

gʷ xʷ

n r

j l

On ne peut décider si les alvéo-palatales [ȶʰ ȡ] ou palatales [cʰ ɟ] dont on postule l’existence (§ 4.4.3) ont un statut phonologique ; dans cette éventualité, les oppositions au sein des dorsales reflèteraient, selon que l’on considère que /gʷ/ ressortit à un mode plutôt qu’à une série, soit trois ordres palatales /cʰ ɟ/ : vélaires /kʰ ɟ/ : vélaire lablialisé /gʷ/ soit deux seulement. Les autres consonnes dont on postule l’existence sont des sons dont les occurrences sont conditionnées par l’entourage : les plosives non voisées non aspirées [p t (ȶ ou c) k] (§ 4.7.1sq.) ; la fricative /s/ a des réalisations [ɕ] ou [ʃ] (§ 8.5.2) et [h] (§ 8.5.4), que les nasales [ɲ ŋ] sont homorganiques du son qui leur fait suite (§ 4.11) et l’approximante [h] (§ 4.12.2). 4.15.6 Typologie L’effectif des consonnes en hittite ne présente pas de singularités notables : en volume, il se situe dans la tranche basse du groupe typologiquement médian des 22 ± 3 unités (Maddieson 2013), lequel correspond à la situation la

276

Chapitre 4

plus fréquente dans les langues du monde (35 % des langues)139. L’effectif des consonnes hittites est, en outre, congruent avec la contrainte sur l’absence de marges syllabiques homomorphémiques de type CCC (sur laquelle, voir § 6.2.2). La seule originalité – mineure – dont fait preuve l’effectif hittite est d’être dépourvu de la fricative labiale [f], laquelle, avec [v], fait partie des obstruantes les plus fréquemment rencontrées dans les langues du monde (Gordon 2016 : 44, 65-71). Les plosives sont organisées en deux séries (51 % des langues), en utilisant des voisées (67 % des langues) et des non voisées aspirées (25,5 % des langues) (Maddieson 1984a : 26-28). On relève quatre (ou cinq) fricatives, au nombre desquelles des vélaires, ainsi que, comme dans toutes les langues comprenant des fricatives, une coronale /s/. L’affriquée unique est, comme dans la plupart des langues, une sibilante phonétiquement non voisée (Żygis, Fuchs & König 2012). Les résonantes sont organisées comme dans presque toutes les autres langues indo-européennes anciennes, avec deux nasales /m n/, deux semi-voyelles /w j/, une rhotique /r/ et une latérale /l/. 4.16

Relations paramétriques

4.16.1 Résonantes et obstruantes La distinction entre obstruantes (plosives, fricatives et affriquée) et résonantes (nasales et approximantes) repose sur la génération d’une turbulence aérodynamique audible pour les premières, distincte des rapports plus ou moins complexes de résonances et, éventuellement, d’anti-résonances (nasales et approximante latérale) caractérisant les secondes140. L’obstruance tient, en hittite, un rôle majeur dans la répartition des traits qu’utilisent ou n’utilisent pas les phonèmes pour se différencier les uns des autres : – les résonantes sont étrangères aux corrélations phonologiques de voisement en étant voisées par défaut ; – les obstruantes non sibilantes forment la seule catégorie de segments utilisant régulièrement le trait [± voix] pour se différencier les unes des autres (§ 4.6-8) ; – aucune résonante n’est formée dans zone dorsale où les seuls phonèmes sont des obstruantes. 139  Le jugement de Benveniste 1962 : 7-8, selon qui l’effectif des consonnes du hittite devrait « frapper par sa pauvreté » est arbitraire. 140  Pour une critique de vues assimilant l’obstruance à un paramètre articulatoire, voir Ladefoged & Maddieson 1996 : 136, Hall & Żygis 2010.

277

Les segments et leurs représentations

4.16.2 La nasalité Une des questions que pose souvent le classement phonologique des nasales est de décider s’il est préférable de les considérer, avec les plosives, comme une catégorie particulière d’occlusives ou bien de les considérer comme une catégorie particulière de résonantes. Cette dernière solution est préférable en hittite sous les considérations suivantes : – les nasales sont soumises à des contraintes de co-ocurrence de lieu (§ 4.11.5) en mettant en évidence un comportement distinct de celui des plosives comme des approximantes ; – le trait de nasalité est susceptible de se diffuser d’une syllabe à une autre (§ 8.7.6), en supposant un niveau de résonance particulièrement élevé, en tout cas largement supérieur à celui que les obstruantes peuvent produire ; – les nasales peuvent interagir avec les obstruantes, en étant effacées par elles (§§ 8.7.2-3), alors qu’elles ne mettent pas en évidence de rapports particu­ liers avec les autres résonantes. 4.16.3 La labialisation Les consonnes labialisées sont celles dont l’inventaire et, partant, le classement est le plus problématique : outre qu’il n’est pas possible de discerner si la labialisation est une propriétés de mode seulement ou bien de mode et de lieu, l’indécision dans laquelle on se trouve au sujet du statut phonologique des sons [kʰʷ] et [ɣʷ] (voir § 4.4.2 et 4.8.3) fait que la question de savoir si les vélaires labialisées utilisent ou n’utilisent pas le trait de voisement n’a pas de réponse nette. Dans l’hypothèse minimale selon laquelle les seuls phonèmes labialisés seraient /gʷ/ et /xʷ/, ceux-ci seraient caractérisés comme des vélaires labialisées, respectivement plosive et fricative, sans autre spécification. Par suite, l’utilisation distinctive du voisement serait strictement limitée aux obstruantes non sibilantes et non labialisées. (86) classement de vélaires (hypothèse minimale) plosives

- lab.

fricatives

+ lab. - sibil. + sibil.

+ asp. - asp.

- voix + voix

- lab.

+ voix - voix

+ lab.

kʰ g gʷ ɣ x xʷ –

278

Chapitre 4

L’hypothèse alternative d’un effectif constitué de /gʷ/ et de /kʰʷ/, de /ɣʷ/ et /xʷ/, semble moins vraisemblable, principalement parce qu’il n’existe pas de témoignages mettant positivement en évidence l’existence de /kʰʷ/ et /ɣʷ/, mais aussi parce que l’énergie requise par la production de la labio-vélaire [w] est élevée, propriété qui semble difficilement compatible avec le caractère faiblement bruyant des obstruantes utilisant le voisement de façon distinctive (voir § 4.16.6). 4.16.4 La sibilance Le trait de sibilance (ou : stridence) est fondé sur le fait que le bruit généré par le flux aérodynamique forcé par la constriction est, au moins en partie, imputable à la rencontre avec l’obstacle que forme la dentition. Ce trait, purement acoustique, ne constitue pas, en hittite, un paramètre susceptible d’identifier des oppositions entre segments, mais il prédit la façon dont certains traits se combinent avec d’autres : seules les non sibilantes /x ɣ/ se distinguent par la voix, alors que les sibilantes /s/ et /ʧ/ sont indifférentes à la corrélation de voisement. 4.16.5 L’aspiration L’aspiration est, phonologiquement, une propriété des plosives exclusivement. Sous cette considération, l'état de la glotte au moment du geste que constitue le relâchement de la fermeture orale sont, en hittite, totalement interdépendants. 4.16.6 Le voisement Selon une situation fréquente dans les langues indo-europénnes, mais peu banale à l’échelle des langues du monde, le voisement constitue un paramètre discriminant pour les plosives, mais aussi pour certaines fricatives, en l’espèce, dorsales. En hittite, les consonnes distinctivement opposables par le voisement sont, spécifiquement, des obstruantes non sibilantes ; il n’existe pas de sibilantes résonantes, tandis que les obstruantes sibilantes comme /ʧ/ ou /s/ sont indifférentes au voisement. L’utilisation du voisement en tant que paramètre distinctif suppose donc, en hittite : – acoustiquement, une émission à turbulence relativement peu bruyante et à fréquence relativement peu élevée ; – que le bruit généré par le flux aérodynamique à la sortie de la constriction soit généré par un geste spécifique et non par la rencontre avec un obstacle, comme c’est le cas avec les sibilantes.

Les segments et leurs représentations

279

En d’autres termes, la phonologisation du voisement, en hittite, va de pair avec l’existence d’un bruit suscité par la constriction et par elle seulement141 ; sans ce bruit, nul segment ne peut être distingué d’un autre par la seule vibration des cordes vocales. Ce point justifie pourquoi le trait /± voix/ fait partie de la définition des plosives /tʰ d/ (etc.) ou des fricatives /x ɣ/, mais pas de /ʧ/, ni de /s/. 4.16.7 Défectivité des vélaires labialisées Il existe, comme on l’a vu, des raisons d’estimer que les vélaires labialisées, à la différence des autres obstruantes, sont phonologiquement indifférentes à la voix, la plosive aussi bien que la fricative n’ayant probablement pas de contrepartie (non-)voisée : on a /gʷ/, mais pas */kʰʷ/, /xʷ/, mais pas */ɣʷ/. La défectivité des dorsales envers le voisement distinctif est bien connue ; on s’accorde généralement à reconnaître qu’elle dérive de ce que les vélaires ont une moindre propension que d’autres obstruantes à se distinguer par la voix car leur point de constriction laisse un volume trop réduit pour permettre l’élargissement passif requis pour maintenir le flux aérien à un bas niveau de pression pharyngal (Ohala & Riordan 1979, Westbury 1983, Keating et al. 1983). En hittite, cette contrainte s’applique aux labialisées, mais pas avec les autres vélaires, possiblement parce que le niveau de constriction imposé par la superposition avec [w] est moins favorable à un maintien du voisement (Ohala 1983 : 198-201). Quoi qu’il en soit, le point à considérer, est que la défectivité des séries dorsales ne peut se justifier que d’après une pression transglottale insuffisante pour permettre une différenciation, donc d’après le paramètre de voisement qui est le seul dont la condition de possibilité repose sur l’existence de cette pression.

141  Quand le bruit caractéristique de la production des fricatives s’additionne avec la vibration propre aux voisées, celui-ci est modulé par le voisement, si bien que son amplitude varie aussi avec la fréquence fondamentale ; voir sur ce point Shadle 2012 : 511-512.

Chapitre 5

Phonotactique 5.1

Les limites du mot

5.1.1 Délimitation du mot La présente section porte exclusivement sur la phonologie et la phonétique du mot. Nul critère univoque n’étant apte a identifier de façon nécessaire et suffisante ce qu’est un mot, on utilise ici à cette notion en référence à l’unité dont la signification, la forme et l’emploi ne sont pas déterminés par les unités avec lesquelles elle est utilisée dans la syntaxe ; les rapports entre les mots clitiques et aclitiques sont étudiés à part, au chapitre 9. 5.1.2 La fin de mot Tous les phonèmes peuvent figurer en fin de mot, à l’exception de /m/ et, vraisemblablement, de /w/. D’un point de vue phonologique, il n’existe pas de morphèmes en *{-… w} susceptibles de se trouver en fin de mot ; d’un point de vue phonétique, tout dépend de l’interprétation que l’on peut faire de graphies comme tarna- « laisser » → 3sg. imp. tar-na-a-ú KUB 21.15+ iv 13 (NH) [Tar.nāw] ou [Tar.nā.u] ; da- « prendre » → 3sg. imp. da-a-ú, [Tā.u] ou [Tāw] ? La présence de /j/ en fin de mot est morphologiquement assurée par la flexion de udne- « pays » {uTnej- : uTni-}, à ceci près que l’écriture ne permet pas sa représentation (§ 4.1.5). La labiale /m/ est proscrite en coda finale, mais elle est licite en coda interne : dampu- /TaNPu/ « émousssé, arrondi » → dir. dam-pu [Tam.Pu], dériv. tampuess- → 3sg. prés. ta-am-pu-e-es-zi. Les fricatives vélaires sont possibles, mais peu fréquentes en fin de mot, hormis dans les mots étrangers (par exemple, iskaruh type de vaisselle) ; par ailleurs, la non voisée /x/ est attestée avec walh- « frapper, faire résonner » → 2sg. imp. wa-al-ah (MH) [walx], mais /ɣ/ ne semble pas documentée. 5.1.3 Les obstruantes en fin de mot Melchert (1994 : 85, 111), suivi par plusieurs spécialistes, estime que la fin de mot serait un contexte neutralisant les distinctions de mode entre plosives, lesquelles auraient, invariablement, une réalisation voisée1. Il fonde cette 1  Watkins (2004 : 10), Kas’jan & Sidel’cev (2010 : 36), Rieken (2011 : 40), van den Hout (2011 : 65), Byrd (2015 : 22).

© koninklijke brill nv, leiden, 2019 | doi:10.1163/9789004394247_007

Phonotactique

281

conception sur un seul indice : la consonne présumée non voisée à raison de son étymologie de la désinence 3sg. prét. -t ne change pas de graphie quand le verbe qu’elle fléchit est pris comme hôte par un clitique à voyelle initiale : on observe pai- « aller » → 3sg. prét. {Paj-T} pa-i-it, en regard de {Paj-T⸗as} → pa-a-ita-as KBo 3.7 iii 13 (VH/nh), jamais *paitt⸗as. Cette analyse se prête, cependant, à contestation : – le raisonnement est incorrectement formé, car si -(V)t symbolise une désinence voisée en finale aclitique dans pa-i-it en conséquence d’une certaine contrainte, tout en étant voisée au contact d’un enclitique, ainsi que pa-ai-t⸗a-as serait censée le révéler, la conclusion qui s’imposerait serait que le voisement constitue une propriété invariante de /-d/ dans tous les contextes où elle apparaît, donc que la question de son voisement ne se pose pas ; – l’hypothèse d’un voisement des plosives non voisées en fin de mot est absolument invraisemblable au plan phonétique, cette position étant typiquement à même de susciter divers affaiblissement des plosives (diminution de l’intensité), mais pas leur voisement (Wetzel & Mascaró 2001, Gordon 2016 : 151sq.). Autant il est banal que la fin de mot suscite, dans les langues, une réalisation non voisée des plosives, autant on ne connaît pas de langues dans lesquelles les plosives en finale auraient, par règle, une réalisation voisée (hormis devant un autre mot à plosive voisée initiale en débit rapide, comme c’est, parfois, le cas dans certaines langues du Caucase). Dans un échantillon de 51 langues neutralisant à un titre ou à un autre le voisement étudié par Keating et al. (1983), la distinction de voisement soit est maintenue en finale, soit est neutralisée au profit de non voisées, sans jamais se neutraliser au profit des voisées. La réalisation voisée en finale de plosives non voisées en position intervocalique ne semble s’observer que dans quelques langues où une convergence de facteurs indépendants les uns des autres conduit des voisées à évoluer de façon particulière à l’intervocalique (voir Yu 2004, Blevins 2006). A titre de parallèle légitimant son interprétation, Melchert (1997 : 560) mentionne les langues italiques anciennes, où, dans les états de langue les plus anciens, le morphème hérité 3sg. *-t peut être reflété par -d (lat. feced « fecit », osque deded « dedit »), mais en négligeant que ce traitement local dérive d’un maintien du contraste morphologique par rapport à l’évolution de la flexion « primaire » *-ti → -t et que, contrairement à son affirmation, il n’existe aucune contrainte imposant, en vieux latin, le voisement des plosives finales, comme le montrent les graphies archaïques mitāt « mittit » (Duenos), dedet, fuet, kaput, ut, et, etc. (des séquences CC entièrement non voisées sont également attestées : ops, rex, etc.) ;

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Chapitre 5

– en hittite comme ailleurs, les mécanismes phonologiques impliqués dans la cliticisation ou provoqués par elle mettent éventuellement en évidence des modification de la forme phonologique des mots clitiques eux-mêmes, mais jamais un changement affectant les mots aclitiques qui leur servent d’hôte (§ 9.20). Le contexte /… VCV …/ ne suscite ni les mêmes mécanismes, ni les mêmes effets que le contexte /… VC⸗V …/ pour une /C/ quelconque. Les propriétés de la plosives finale de pa-i-it n’ayant pas lieu d’être modifiées par l’enclise d’un autre mot, il n’y a pas lieu d’estimer que sa réalisation serait différente selon qu’elle est cliticisée ou pas. L’hypothèse de Melchert paraît donc, à tous égards, infondée. (1) Désaspiration. – La question d’une réalisation uniformisée des plosives en finale reste toutefois posée au vu d’autres données. La graphie de séquences de phonèmes identiques en finale comme has- « cendre savon », nom. {Has-s} → [Hass] ha-as-sa-as (MH/nh), montre qu’il est possible d’avoir recours à de signes à voyelle factice pour représenter [CₓCₓ] en fin du mot (des variantes ha-a-as, ha-as-s⸗a sont également attestées). Or, ce procédé paraît limité aux obstruantes sibilantes, donc, à des consonnes indifférentes au voisement ; les segments inscrits dans une corrélation de voisement (plosives et fricatives dorsales) sont régulièrement écrits, en fin de mot aclitique, par une seule consonne, sans avoir jamais recours aux signes à voyelle factice qui serait à même de mettre en évidence une graphie CC : on a toujours ēpp- « prendre » → 2sg. imp. /épʰ/ e-ep, jamais *e-ep-pa ; walh- « frapper, faire résonner » → 2sg. imp. /walx/ wa-al-ah, non *wa-al-ah-ha, etc. Sur la base de cette différence de traitement, on peut faire l’hypothèse que si les les consonnes distinctivement non voisés ne sont jamais écrites *-Ca-aC, alors que la graphie autorise cette représentation avec les consonnes indifférentes au voisement, c’est parce que les premières subissent une neutralisation de leurs propriétés distinctives. L’interprétation la plus simple, dans cette perspective, serait, que les plosives aspirées (non voisées) auraient, en fin de mot, une réalisation désaspirée 2. Cette conjecture, qui correspond à un mécanisme phonétiquement banal, est à même de justifier que [p t k] deviennent phonétiquement assimilables à des réalisation de /b d g/ (§ 4.7.1-3).

2  Davis & Cho 2003, ont montré que les aspirées tendent à diminuer ou à perdre leur aspiration selon leur position dans le mot et dans la syllabe, particulièrement en finale où il est rare que la réalisation des plosives intrinsèquement aspirées soit aussi aspirée qu’ailleurs.

Phonotactique

283

(1) Cʰ → [C] /__# L’hypothèse alternative d’un dévoisement /b d g/ → [b̥ d̥ g̊] ~[p t k] pourrait, a priori, elle aussi, motiver une assimilation perceptuelle de [p t k] à des réalisations de /pʰ tʰ kʰ/ dans le même contexte, mais elle serait phonétiquement inexplicable et resterait incompatible avec le fait que, comme on vient de le voir, les consonnes distinctivement voisées et non voisées sont écrites en fin de mot comme des voisées en position intervocalique. (2) Délabialisation. – Le processus d’affaiblissement (ou de lénition) postulé par (1) trouve confirmation dans le mécanisme de délabialisation illustré dans la flexion de lah(h)u- « verser » reflétant → 3sg. prés. la-a-hu-i [lā́.ɣʷi] KBo 17.1+ i 16, 17 (VH), 3sg. prét. la-a-ah-hu-us [lā́.xʷus] KUB 33.24 ii 8 (VH/ nh), où la forme d’impératif {-∅} 2sg. la-a-ah IBoT 2.128 Vo 5 (MH/nh), KBo 21.22 : 12 (VH/mh) reflète [lā́x] ou [lāɣ́ ], en tout cas, pas *[lā́Hʷ] (voir déjà, en ce sens, les observations de Kloekhorst 2008 : 512, Melchert 2011 : 130). Le mécanisme semble toutefois limité au cas de lahu- et ne s’observe pas ailleurs : la conjonction de coordination est toujours écrite ⸗kku (jamais **⸗k(k)), tout comme la forme eku-/aku- « boire » → 2sg. imp. e-ku KUB 24.8+ ii 6 (NH), qui, par contraste, indiquent l’existence d’une voyelle paragogique [Kʷu] en fin de mot (sur l’origine de laquelle, voir § 4.4.2(2)). D’un point de vue phonétique, le caractère fricatif ou plosif des labalisées ne saurait justifier leur délabialisation dans un cas et pas dans l’autre. Il est plus intéressant de relever que la labialisation de ⸗kku ou de eku-/aku- représente un caractère hérité, /Kʷ/, alors que celle de lahu- résulte d’une assimilation secondaire de /H/ devant /u/ (voir les dictionnaires étymologiques). Il paraît donc que les obstruantes qui doivent leur caractère labialisé à une assimilation peuvent aussi connaître une délabialisation, alors que celles qui sont intrinsèquement labialisées ne sont pas soumis à la délabialisation (pour un mécanisme analogue en nootka, voir Nakayama 2001 : 11-12). Dans cette perspective, la forme lahu- → 1sg. prét. la-a-hu-un KUB 29.7 Vo 49 (MH) peut être appréciée autant comme un témoignage de délabialisation devant [u] : {láɣʷ-un} → [lā́.ɣun] que comme un témoignage de labialisation secondaire {láɣ-un} → [lā́.ɣʷun]3. 5.1.4 L’initiale du mot (1) Prévention de la rhotique. – Tous les segment peuvent occuper l’initiale du mot, à l’exception de /r/. La prohibition de /r/ en attaque constitue une propriété de l’attaque initiale du mot, mais ne s’applique pas dans les syllabes 3  Comme l’a bien discerné Kloekhorst 2008 : 512, le traitement séparé de lah- et de lah(h)udans le CHD (L-N 4 et 13-19, respectivement) est immotivé.

284

Chapitre 5

internes et/ou finales : kuera- « champ » → nom. ku-e-ra-as [Kʷe.ras] (VH/nh). La possibilité de # r … initial est secondairement attestée en louvite hiéroglyphique, en lycien et en lydien à la suite d’éliminations d’une syllabe initiale. La prohibition de /# r/ est parfois tenue comme un héritage de l’indoeuropéen, mais elle s’observe aussi dans d’autres langues d’Anatolie comme le hatti (Soysal 2004 : 70, 988sq.) et le hourrite où les mots à r- initial empruntés aux langues sémitiques développent régulièrement une prothèse vocalique (Laroche 1980 : 209). L’hypothèse d’un héritage (soutenue par Kloeckhorst 2008 : 27) n’est donc pas plus ou moins vraisemblable a priori que celle d’une tendance aréale (soutenue par Kammenhuber 1969 : 267), ou encore que celle d’une innovation anatolienne4. (2) Conjecture sur l’uniformisation. – Melchert (1994 : 18-20), suivi par Watkins (2001 : 52), a émis l’hypothèse qu’en hittite, lorsqu’un mot débute par une consonne inscrite dans une corrélation de voisement (autrement dit, par une obstruante non sibilante), cette consonne serait, par règle, non voisée. Il fonde cette interprétation sur l’observation de ce que, dans langues anatoliennes à écriture alphabétique, lycien et lydien, les signes correspondant à des plosives sont, à l’initiale du mot, associés à des non voisées. Cette conjecture se heurte, elle aussi, à des objections : – il est difficile de concevoir en fonction de quelle motivation phonétique /b d g ɣ/ seraient, en tant que consonnes distinctivement voisées, prohibées à l’initiale des mots quand les résonantes intrinsèquement voisées /w j l m n/ sont, en hittite, banales dans cette position. La position relative de ces sons dans la hiérarchie de sonorance accentue le paradoxe : /pʰ tʰ kʰ/ étant au bas de l’échelle, pourquoi /b d g/ situées à un niveau supérieur seraient prohibées alors que /w j l m n/ localisées à un niveau encore supérieur seraient admises ? – le lycien, le lydien, et le carien, langues attestées plus de six siècles après le hittite (début du VIIIe s. pour le lydien, du VIe s. pour le lycien), et reflétant, par ailleurs, des processus de lénition qui leur sont propres (voir Patri 2010), sont des langues où n’existe qu’une seule série de plosives, autrement dit, des langues dans lesquelles le voisement n’est pas distinctif. Comme dans toutes les langues n’ayant qu’une seule série de plosives, celles-ci sont phonétiquement non voisées, quelle que soit leur position dans le mot (Maddieson 4  Dans un certain nombre de langues, la prévention de [r] en début de mot va de pair avec une prévention de [l], ce qui conduit certains phonéticiens à suggérer que l’attaque du mot défavoriserait les consonnes à haut niveau de sonorance. De façon alternative, Smith 2005 : 239sq., considère qu’à l’initiale des mots, la notion de morphème prévaudrait sur celle de syllabe. Cette approche pourrait convenir en hourrite où les mots à [l] initial très rares, de façon générale, sont pour moitié des noms propres (Laroche 1982 : 159-161), mais il ne convient pas au hittite et au hatti où les attaques initiales en # /l/ sont bien documentées.

Phonotactique









285

1984a : 27, Westbury & Keating 1986 : 163, Lindblom & Maddieson 1988, Gordon 2016 : 45-46) ; divers témoignages indiquent positivement que des phonèmes distinctivement voisés peuvent être utilisés à l’initiale du mot : (a) à l’initiale du mot, certains mots utilisent constamment le signe pát / pít là où d’autres font vaciller pát / pít avec des graphies pi-it- ou paat- (CHD P 231sq.). L’utilisation de pát / pít prédisant le caractère voisé de la labiale (§ 4.4.1(4)), on peut tenir que les lexèmes tels que padda« fouir, creuser » (1sg. pád-da-ah-hi, etc.), padda- (désignant un objetsupport en pierre, dir. pád-da), pattar- « aile » (dir. pát-tar) ont une voisée initiale ; (b) la préfixation par pe- ou u- (souvent parallèle), ne s’observe que dans quelques dérivés archaïques formés avant que la suffixation ne devienne seul procédé morphologique utilisé en hittite. Or, les dérivés peda-/ped- « emporter » → 1pl. pé-e-tu-me-ni (VH), pé-e-tu-me-e-ni (VH), et uda-/ud- « apporter » → 1pl. ú-du-me-e-ni (VH), du verbe da-/d- « prendre » → 1sg. da-a-ah-hé, 1pl. tu-me-e-ni (VH), etc., montrent que l’initiale de la forme de base est voisée : {da-} (on n’a jamais **pé-et-tu-me-ni, etc.) ; (c) le terme écrit hu-u-up-pa-ra-as désignant, dans les textes hittites, une sorte de tissu ou de vêtement (Puhvel, HED III, 385-386) est restitué, en ougaritique, avec une voisée initiale : ġprt [ɣ(u)p(a)r(…] (DUL 323), de même que l’emprunt au hittite tu/ahhui- « encens » que représente dġt [d(u/a)ɣ(i)θ…] « fumigation rituelle » (DUL 268) (Watson 1999 : 130). L’adverbe pa-bi-li-li « en babylonien (= accadien) », formé à partir du nom de la cité restituée avec une voisée initiale dans toutes les langues sémitiques anciennes (accad. Bābili(m), hébr. Bavēl, aram. Bwl, syr. Bāwēl) est pareillement écrit en hittite au moyen du signe « indigène » pa / ba (CHD P 101), et jamais avec un des signes pá ou ba utilisés pour écrire les mots étrangers (§ 4.4.1(2)) ; (d) la dérivation par redoublement, procédé susceptible de relocaliser la plosive initiale d’un mot en position intervocalique, montre que celle-ci peut être voisée : ku(n)k- « remuer, faire vaciller » → kun(n) iku(n)k- KBo 10.24 iii 9-10 (Dempsey 2015 : 84-88), d’où /guNK-/ ; parai« souffler, gonfler » → paripara(i)-5 (Dempsey 2015 : 121-126), d’où /baraj-/ ; harsiharsi- « temps orageux, menacant », d’où /ɣarsi-/ ;

5  Sur les 11 occurrences de ce verbe (CHD P 155a), une seule est écrite avec une non voisée dans une graphie par ailleurs fautive pa-ri-ip-pa-ra-a KBo 25.60 ii 3 (/nh), raison pour laquelle on estime pouvoir ne pas tenir compte.

286

Chapitre 5

(e) La formation du composé sallakarta- « arrogance » et ses dérivés (CHD S 83sq.), à partir de salli- « grand » et du thème oblique kart(ker-) « coeur » met en évidence que la plosive initiale du nom est voisée {sal-a-garTa-} (on n’a jamais *sallakkarta-). Ces deux derniers témoignages ne sont pas sûrs dans le sens où, la position de la plosive par rapport à la syllabe accentuée dans les formes redoublées ou composées est indiscernable, en sorte qu’on ne peut exclure la possibilité d’un voisement conditionné (c’est l’hypothèse retenue par Kimball 1999 : 275-276, au sujet de sallakarta-), mais les deux premiers certifient que des plosives et des fricatives distinctivement voisées sont présentes à l’initiale du mot. L’hypothèse selon laquelle les consonnes à l’initale du mot connaîtraient, en hittite, une uniformisation de leur mode articulatoire paraît donc infondée. Rien ne s’oppose à ce que des plosives distinctivement voisées et non voisées puissent figurer à l’initiale du mot, même si leurs propriétés articulatoires in situ demeurent masquées par la graphie. 5.2

Les séquences de segments dans le mot

5.2.1 Lexique hittite et non hittite La phonotactique est le secteur de la description qui, plus que tout autre, met en évidence l’existence, dans les textes hittites, la coexistence d’un lexique hérité et d’un lexique exogène. Les noms de personnes, de lieux et les lexèmes à l’origine plus ou moins obscure qui foisonnent dans les textes reflètent des association et des prohibitions entre segments foncièrement différentes que celles que connaît le lexique d’origine indo-européenne. La démarcation est, sur ce point, souvent, radicale, ce qui montre, au passage, que les mots étrangers sont restitués dans les textes hittites avec fidélité en n’étant que fort peu soumis aux filtrages perceptuels et aux alignements phonotactiques typiques des mots étrangers complètement intégrés (sur quoi, voir § 1.4.5). L’enquête sera ici strictement limitée à la portion du lexique hittite pour laquelle il existe des raisons d’estimer qu’il est formé de mophèmes hérités de l’indo-européen. Les autres données ne sont sûrement pas dépourvues d’intérêt ou de signification, mais leur examen excède les limites de la présente étude. 5.2.2 Limitations documentaires Les témoignages dans lesquels une plosive ou fricative est sûrement interprétable comme labio-vélaire étant trop peu nombreux pour qu’on puisse en tirer une information significative, on a renoncé à les inclure dans l’étude. Les

287

Phonotactique

propriétés de voisement des plosives et des fricatives vélaires étant indiscernables ailleurs qu’en position intervocalique, on ne traite des segments de cette classe que l’angle de leur point d’articulation exclusivement en les symbolisant génériquement par P T K H. D’autre part, l’impossibilité de contrôler certaines situations impliquant les semi-voyelles /w j/ fait que qu’on peut tirer certaines conclusions de leurs comportements positifs, mais jamais de leurs comportements (possiblement) négatifs. L’observation est donc restreinte aux segments /P m T s ʧ n r l K H i u e a/. Le lecteur doit donc garder à l’esprit que les faits présentés dans la présente section ont un caractère partiel – donc, approximatif – en soustrayant de l’analyse des paramètres aussi importants que /± voix/, /± aspiration/ et /± labial/. 5.2.3 Phonétique et phonologie Les tableaux présentés ci-dessous sont fondés sur le comportement des phonèmes et non sur celui des sons ; les géminées, qui n’ont d’existence que phonétique, ne sont, par conséquent, pas prises en considération, de même que des séquences comme /s + obstruante/ à l’initiale ou /TT/ ou sont considérées commes possibles alors que [# sP # sT # sK] *[TT] seraient illicites au plan phonétique. 5.3

Les voyelles

5.3.1 Voyelles et voyelles On ne constate aucune incompatibilité séquentielle entre les voyelles, avec cette restriction que des combinaisons de voyelles ei ou ie non arrondies où les deux signes représentent chacun un noyau syllabique sont pratiquement impossibles à observer. Les graphies de udne « pays » → dir. ut-ne-e, ut-ni, utni-e, ne reflètent jamais le /j/ final de la forme /uTnej-∅/ supposée par le thème alternant /uTni-/ des cas obliques, loc. ut-ni-i(-ya), abl. ut-ni-ya-az. (2) séquences de voyelles

a e i u

#__

a

e

i

u

__#

#a #e #i #u

aa ea ia (?) ua

ae

ai ei (??)

au eu iu uu

a# e# i# u#

ie (??) ue

ui

288

Chapitre 5

Comme toujours, les cas les plus incertains concernent la possible réalisation des voyelles hautes en semi-voyelles. De façon générale, si des séquences /iV, uV/ sont phonologiquement possibles, quelle que soit V, rien ne certifie que leur réalisation soit [iV, uV] plutôt que [jV, ijV, wV, uwV] : ishai- « lier » → part. is-hi-ya-an-t- et is-hi-an-t- ; kariulli- « protection » → dir. ka-ri-ul-li, ga-ri-ul-li, ka-ri-ú-ul-li ; kinu- « ouvrir » → 3pl. {Kinu-aNʧi} ki-nu-an-zi et ki-nu-wa-an-zi ; kutruwan- / kutruen- « témoin » → nom. pl. ku-ut-ru-e-ni-es (MH) ; miumiu(t)« pâtisserie » → loc. mi-ú-mi-ú-i, par rapport à [wi] dans nawi « pas encore » na-a-wi₅, face à na-ú-i. Un /i/ final est sûr derrière V, mais on ne peut discerner si, après voyelle, il était réalisé [i] ou [j], par ex. appa- « être achevé » → 3sg. prés. a-ap-pa-i KBo 20.26+ Ro 22 (VH). La vraisemblance des séquences ea peut être mise doute sous considération de ce que l’appendice palatal de la réalisation [eʲ] de /e/ n’est que sporadiquement explicité dans la graphie, et que presque tous les témoignages de séquence graphique e-a présentent des variantes e-ya (voir § 4.1.8). Des séquences de voyelles identiques s’observent avec des thèmes comme suu- {suu-} « plein, intact, complet », ā- {aa-} « être chaud » → part. /aaNTs/ a-a-an-za « chaud ». On en peut exclure que leur réalisation suscite, au plan phonétique, l’insertion d’une glottale ou d’une approximante [ā́.ʔanTs] ou [ā́.hanTs] (voir § 6.6.2). 5.3.2 Voyelles et consonnes Il n’existe pas de contraintes sur la mise en relation d’une consonne avec une voyelle et réciproquement, sauf dans le cas de /ʧ/ détaillé ci-dessous (§ 5.8). Cette situation est significative de la la rareté des processus fondés sur une interaction entre voyelle et consonne (à l’exception de e → a / j__, § 4.1.8). 5.4

Les séquences avec semi-voyelles

L’étude des combinaisons impliquant les semi-voyelles /j w/ est particulièrement incertaine, en raison des difficultés que posent l’analyse des graphies (§ 4.14). En l’absence de données claires, on se limitera à relever que les combinaisons dans lesquelles la mise en relation d’une consonne et d’une semi-voyelle semble improbable ou impossible sont : *Pj, *Tj, *zj, *mw, *nw. La séquence /wu/ est sûrement prohibée à l’initiale.

289

Phonotactique

5.5

Les séquences avec liquides

5.5.1 Latérale (3) + liquides #__

P

m

#l

*Pl(?) ml lP lm

T

s

ʧ

n

r

l

j

K

H

w

__#

*Tl lT

sl ls

*zl nl *lr *ll *jl Kl Hl *wl lz *ln *lr *ll lj lK lH lw l#

La tendance autorisant les obstruantes coronales devant [r], mais les prohibant devant [l] n’est pas isolée dans les langues (Trubetzkoy 1925) ; la prévention de *Tl en hittite est confirmée par les variantes du titre (et nom propre ?) d’origine vraisemblablement étrangère porté par le souverain hittite : nom. la-ba-ar-na-as et ta-ba-ar-na-as ; acc. la-ba-ar-na-an et ta-ba-ar-na-an ; dat. la-ba-ar-ni et ta-ba-ar-ni6. La séquence Pl n’est reflétée que par des mots dont le caractère hittite est douteux : laplai- (désignation d’un organe), lapla/ipa/i(nza)- « sourcil », ainsi que par quelques données onomastiques. Kl est en revanche bien attesté. La séquence lm est surtout attesté par l’onomastique et par des noms d’instruments, ce qui fait peser une suspicion sur son caractère hérité (voir les dictionnaires étymologiques sous kalmi- « bois de torche », kalmara- « rayon », kalmus- « crosse, crochet ») ; ln n’est attesté que dans l’onomastique et dans gén. ú-il-na-a-as « glaise », vraisemblablement emprunté (Kloekhorst 2008 : 1013) ; sl n’est nettement attesté qu’en limite de morphème par es- « être » → 1sg. imp. e-es-li-it, e-es-lu-ut. 5.5.2 Rhotique Une syllabe attaquée par /r/ n’est, le plus souvent, pas suivie d’une autre syllabe (§ 5.1.4).

6  Les tentatives pour trouver un étymologie indo-européenne à ce terme sont justement critiquées par Kloekhorst 2008 : 520. Pour la même raison, l’équation entre la URUDa-la-a-wa des textes hittites et la cité connue sous le noms de Τλῶς dans le monde héllénistique (Lycie, Pisidie), demande d’admettre, quelle que soit l’origine de ce toponyme, une syllabation [Talawa] ou [Təlawa] en hittite.

290

Chapitre 5

(4) + rhotique #__

P

m

T

s

*# r

Pr rP

mr Tr sr rm rT rs

ʧ

n

r

l

*zr nr rr rz rn rr

j

K

H

w

__#

*lr *jr Kr (?) Hr *wr r# rl rj rK rH rw

La possibilité d’une séquence Kr paraît douteuse : en attaque, cette formation n’est attestée que dans l’onomastique et par tekri-, mot de sens peu clair, dans un contexte (KBo 5.6 iii 15) laissant soupçonner une origine égyptienne ; ailleurs, Kr appelle, régulièrement ou occasionnellement, une réalisation KVr possiblement explicable par anaptyxe : sak(u)ruwa« abreuver » → 3pl. prés. sa-ak-ru-wa-an-zi (MH) et sa-ku-ru-u-an-z[i] (MH) [comp. Melchert 1994 : 169] ; karap- « dévorer » → 3pl. prés. gi-ri-pa-an-zi / ka-ri-pa-an-zi (§§ 3.3.4, 8.3.1). Une séquence *zr n’existe pas, le cas de Mizri « Égypte » (emprunt à l’accadien Miṣru) mis à part ; rH n’est pas documenté. 5.6

Les séquences avec nasales

5.6.1 Labiale (5) séquences avec nasales #__

P

m

T

s

ʧ

n

r

l

j K

H

w

__#

#m

mP *mm *mT *ms *mz (*)mn mr ml ? *mK *mH *mw Pm *mm Tm sm zm nm rm *lm ? Km Hm wm *m#

La séquence Tm n’est reflétée qu’en limite de morphèmes (1sg. edmi « je mange », ku-it-ma-an « quand » formé de façon transparente sur kuit + man). On ne retient pas comme représentatif le seul exemple de mT attesté par a-dam-dahi-es KUB 5.1 + 52.65 iv 57, mot emprunté au hourrite, ni le seul exemple de mz isolément reflété par genzu- « abdomen » → ge-em-zu KBo 5.3 i 24 (normalement ge-(e-)en-zu). Une séquence lm n’apparaît que dans l’onomastique et dans des mots plausiblement empruntés (kalmara- « rayon de lumière » → abl.

291

Phonotactique

kal-ma-ra-az ; kalmus- « bâton de commandement (sceptre ?) » dir. kal-muus). La consonne [m] est la seule nasale possible devant les obstruantes [r l n] (§ 4.11.4). 5.6.2 Coronale (6) séquences avec nasales #__

P

m

T

s

ʧ

n

r

l

j

K

H

w

__#

#n

*nP *nm NT ns nz *nn *nr *nl  ? *nK *nH *nw Pn (*)mn Tn sn zn *nn rn *ln  ? Kn Hn wn n#

Une séquence [jn] est phonétiquement envisageable d’après kaina- « parent » → nom. ga-i-na-as. 5.7

Les séquences avec fricatives

5.7.1

La coronale

(7) séquences avec /s/ #__

P

m

T

#s

Ps *ms Ts sP sm sT

s

ʧ

n

r

l

j

K

H

w

*ss *ss

sz zs

ns sn

rs sr

ls js Ks Hs *ws sl sj sK sH sw

__# s#

La consonne s est difficile à mettre en évidence devant /j/ ; le témoignage le moins improbable pourraît être wesiya- « paître » → 3sg. prés. my. ú-si-e-et-ta KBo 17.23 Ro 4 (VH) [u.sje.tʰa] (ou [u.si.je.tʰa] ?). Une séquence /sw/ est nette en limite de morphème dans ses- « dormir » → 1pl. prét. se-es-u-en KBo 41.126 : 3, mais *ws semble impossible. Sur le traitement phonétique particulier des séquences /s + plosive/ à l’initiale, voir § 8.10.3.

292

Chapitre 5

Les vélaires

5.7.2 (8)

séquences avec les fricatives vélaires

#__

P

m

T

s

ʧ

n

r

l

j

K

H

w

__#

#H

PH *mH TH sH *zH ŋH rH lH *jH KH *HH *wH *HP Hm HT Hs Hz Hn Hr Hl Hj *HK *HH Hw *H#

Les séquences de fricatives vélaires *[ɣx] et *[xɣ] sont prohibées, alors que les séquences de coronales [ss] sont banales et que les séquences coronale + vélaire ou vélaire + coronale sont possibles. La séquence HP n’apparaît que dans l’onomastique et avec l’hapax de sens inconnu su-uh-pí-li-in KUB 51.63 Vo 6, 8 (contexte mutilé) ; TH semble limitée à la flexion de tith- « tonner » (3sg. prés. my ti-it-ha, etc.) ; KH n’est attesté qu’avec sakk- « savoir » → 1sg. prés. {sakʰ-xi} sa-a-ak-hi (des séquences éventuellement [gx, kʰɣ, gɣ] ne sont pas attestées) ; HK n’est attesté que dans LÚ tu-uh-kán-ti-is, titre de dignitaire sûrement emprunté (Tischler III, 1994 : 410). Des séquences wH et jH semblent impossible à observer ; on admet Hw d’après huinu- « faire courir » où H n’est pas labialisée ; ishai- « lier » → 3pl. prét. is-hi-i-e-er KBo 6.34 i 26 (MH/nh) laisse possible une lecture [isHjer] si l’on admet une syllabation [is.Hjer] (ou [is.Hi.jer]). 5.8

Les séquences avec affriquée

5.8.1 Consonnes On ne prend ici en considération que les situations où z représente le phonème /ʧ/, non ceux où z correspond à la séquence /T+s/. (9) séquences avec affriquée #__

P

m

T

s

ʧ

n

r

l

j

K

H

w

__#

#z Pz *mz Tz sz *zz ɲz rz lz *jz Kz Hz *wz *zP *zm *zT *zs *zz zn *zr *zl *zj zK *zH *zw z# L’analyse phonologique de dir. ú-iz-za pa-a-an (en deux mots) KBo 1.42 iv 42 (NH), dir. pl. ú-iz-za-pa-an-ta « mûr, vieilli » (en un seul mot) est trop

293

Phonotactique

incertaine pour accréditer la possibilité d’une séquence *zP, non documentée par ailleurs. Tous les témoignages de zi/iz, uz, se constatent quand les voyelles [i u] sont des noyaux syllabiques, jamais avec [j w]. Les graphies zt/d ou sz ne restituent jamais le phonème /ʧ/, mais des séquences /T+s/ (ed- « manger » → 3sg. prét. e-ez-ta KBo 32.47c iii 1, MH ; 2sg. prés. e-ez-si KBo 22.1 Ro 28, VH, témoigne d’une réfection analogique de *ed-s (*e-ez) normalisée en e-ez-si par la suite) ; les graphies zh indiquent pareillement toutes des séquences /T+s/ (sur zashai- « rêve » → loc. za-az-hi-i KBo 4.2 iii 46 (NH), voir § 8.13.5(2)). Les séquences Tz, sz, rz, Hz, Kz et zK se recontrent en limite de morphèmes (typiquement devant 3 sg. -zi, mais aussi indéf. kuiski- → abl. ku-e-ez-za) ; zn est assurée par les nombreux dérivés de hassuezzi- « royauté ». Sur la prohibition de *zs, voir § 9.12.6. 5.8.2 Voyelles Le phonème /ʧ/ est la seule consonne séquentiellement incompatible avec une voyelle, en l’espèce avec /u/. (10) affriquée et voyelles ʧa ʧe ʧi *ʧu aʧ eʧ iʧ uʧ La graphie zu ne se rencontre que dans l’onomastique et des mots sûrement ou possiblement empruntés, dont genzu- « abdomen » (les mots à initiale zu- sont exhaustivement traités chez Otten 1971). L’impossibilité de */ʧu/ en hittite se justifie sous considération d’une contrainte de co-occurrence de l’antériorité (voir § 4.9.5). Le composé /Tagan- + seba-/ toujours écrit Taganzepa- reflète l’insertion d’un /T/ devant /s/ (§ 8.7.5), non un phonème /ʧ/. 5.9

Les séquences avec plosives

5.9.1 Labiales (11) séquences avec plosive labiale #__ P m #P

T

s

ʧ

n

r

l

? mP *TP sP *zP *nP rP lP ? Pm PT Ps Pz Pn Pr *Pl

j

K

H

w

__#

*jP *KP *HP *wP *Pj *PK PH Pw P#

294

Chapitre 5

La possibilité de TP semble douteuse ; cette séquence n’apparaît que dans l’adverbe ou locution adverbiale ketpandalaz « depuis tel moment », éventuellement écrite en deux mots, ket # pandalaz (références chez Puhvel, HED IV : 202). On ne retient pas *KP qui n’est attesté que dans les noms propres, en limite de clitique (zik⸗pat) ou dans des textes en langue accadienne (KBo 5.1 ii 64). La possibilité de Pw est fondée sur epp- « prendre » → 1pl. prét. e-ep-pu-en KBo 3.60 iii 6 (VH/nh). 5.9.2 Coronales (12) séquences avec plosive coronale #__ P #T

m

T

s

ʧ

n

r

l

j

K

H

w

__#

*TP *mT TT sT *zT NT rT lT *jT KT HT wT PT Tm TT Ts Tz Tn Tr *Tl *Tj TK TH Tw T#

La séquence Tw est possible dans tuekk(a)- « personne, corps », ainsi qu’en limite de morphèmes, avec ed- « manger » → 1pl. prés. a-du-e-ni. La graphie singulière de hatt- « entailler » → 3sg. prés. /Hatʰ-ʧi/ ha-at-zi KUB 53.12 iii 24 (/nh), avec deux plosives en contact phonétique, reflète, selon toute vraisemblance, un graphie conventionnalisée (§ 8.2.4). 5.9.3 Coronales /tʰ d/ + /i/ Compte tenu des situations où la hauteur de la voyelle non arrondie est incertaine, une plosive /tʰ/ ou /d/ peut être suivie de /i/ quand une frontière morphologique sépare la consonne de la voyelle : peda- « lieu » → loc. {Ped-i} pé-e-di ; face à siwatt- « jour »→ loc. {siwatʰ-i} si-wa-at-ti, witt- « année » → loc. {witʰ-i} ú-i-it-ti, etc. A l’intérieur des morphèmes, en revanche, les séquences */di/ ne sont pas documentées, alors que les séquences /tʰi/ sont banales : katti « le long de, avec » kat-ti-i ; luttai-/ lutti- « fenêtre » → gén. lu-ut-ti-ya-as ; pattai-/ patti« courir » → 3pl. prés. pát-ti-ya-an-zi ; sietti- « coiffure (?) » → nom. si-e-et-ti-is ; titta-/ titti- « installer, octroyer » → 3pl. prés. ti-it-ti-ya-an-z[i] (compte non tenu de la lecture peu claire hat- « sécher » → (?) 3sg. prés. ha-a-ti KUB 8.3 Ro 12, sur laquelle voir Oettinger 1979 : 408, Kloekhorst 2008 : 329). Cette restriction n’est observable qu’en position intervocalique, les propriétés de voisement des plosives étant indiscernables ailleurs.

295

Phonotactique

Il semble vraisemblable d’apprécier cette situation est fonction d’une prévention sélective de la palatalisation, laquelle serait, au demeurant, conforme à la situation constatée dans beaucoup de langues où, selon qu’elle sont voisées ou non voisées, les plosives n’interagissent pas identiquement avec /i j/ (les voisées produisent typiquement des fricatives, tandis que les non voisées génèrent des affriquées)7. On ne peut rien tirer de clair du témoignage l’emprunt accad. di-pa-(a-)ru(m) / ṭi-pa-(a-)ru(m) « torche » (CAD 3 : 156, von Soden AHw I, 172b) → hitt. zu-pa-(a-)ri, zu-up-pa-(a-)ri (Otten 1971 : 6). 5.9.4 Vélaires (13) séquences avec plosive vélaire

#__ P #K

m

T

*PK *mK TK *KP Km KT

s

ts n

r

l

sK Ks

zK ŋK rK lK Kz Kn Kr(?) Kl

j

K H

jK  ? *HK Kj  ? KH

w

__#

wK Kw

K#

La posssibilité de Km ne s’observe qu’en limite de morphèmes : thèmes en {… K-} fléchis par 1sg. -mi, ou dérivés par -mai (hu(e)k- « prononcer des paroles rituelles » → hukmai- « sort »). 5.9.5 Séquences de plosives Les séquences de plosives sont relativement peu fréquentes : PT (harp« séparer » → 2pl. imp. har-ap-te-en ; hu(wa)pp- « être hostile » → 3sg. prét. hu-u-wa-ap-pí-is, remplacé par hu-wa-ap-ta), TT, KT (ekt- « filet » → nom. e-ek-za) et TK (hatk- « fermer », watku- « sauter »). Au plan phonologique, elles se résument à des situations où une coronale /T/ :

7  La préhistoire des palatalisations en hittite (distincte de celles des autres langues du groupe anatolien) n’est pas complètement restituable : sont documentés, les traitements de # *dj … (*djeu- → siu- [siu] « dieu »), de # *tj … (pronom 2sg. *tū → tjy → zi(k)), ainsi que celui de *… ti(…) (3sg. *-ti → -za [ʧ], reformé en -zi, § 8.17.2), mais pas celui de *… di(…). On ne peut donc savoir ni si les coronales interagissent avec /i/ exactement comme avec /j/, ni si leur traitement varie selon la position dans le mot (voir le développement de Kimball 1999 : 259, 287-292). Comme l’ont montré Hall & Hamann 2006, une palatalisation ne peut être causée par /i/ que si elle est aussi causée par /j/, tandis que la palatalisation des voisées n’est possible que si celle des non voisées l’est aussi.

296

Chapitre 5

– soit est suivie d’une autre plosive, soit coronale, soit dorsale ; – soit est précédée d’une plosive quelconque. Au plan phonétique, en revanche, une séquence de plosives est nécessairement constituée d’une coronale, soit suivie d’une dorsale, soit précédée d’une labiale ou d’une dorsale ; sur le traitement phonétique des séquences /TT/, voir § 8.2. 5.10

Les relations de co-articulation

5.10.1 Hiérarchie combinatoire En hittite, aucun segment ne peut être séquentiellement mis en relation avec tous les autres sans exception. La hérarchie de compatibilité, allant du segment le plus compatible à celui dont la distribution est la plus contrainte, ne met pas en évidence de propriété articulatoire ou acoustique particulière. (14) hiérarchie de compatibilité phonotactique s → K → r → n → T, H → l → m → P → ʧ 5.10.2 Séquences impossibles En hittite, nul segment n’a exactement le même comportement qu’un autre segment en ce qui concerne ses aptitudes à (ne pas) se combiner avec d’autres. Le tableau suivant récapitule les séquences dont le caractère inacceptable est le plus clairement attesté (les relations /semi-voyelle + C/ sont trop incertaines pour être mentionnées) : (15) séquences de phonèmes réprouvées (lexique hittite)   #__ P m

mP

n

nP

l

Pl(?)

r #r ts

zP

m

T

s

ʧ

n

mT ms mz (mn) nm (mn) lm(?) mz zm

Tl

zT

zl

ln

r

l

j

H

w

mK mH mw

lm nr nl ln lr lr zr lr zl

K

nw

(Kr) zj

zH zw

__# m#

297

Phonotactique

  #__ P

m

P

TP

T

TP

mT

K

KP

mK

s H

T

HP

ms mH

s

ʧ

n

r

zP nP

l

j

K

w

__#

KP HP Pl(?) Pj PK

zT

Tl

Tj

HK

Kr zH

H

HK

5.10.3 Le principe de contour L’hypothèse selon laquelle un segment ne peut être en relation de consécution avec un segment identique, dit souvent « principe de contour obligatoire » (McCarthy 1986) trouve, en hittite, des réponses différentes selon le point de vue adopté. Au plan phonologique, cette hypothèse est sûrement réfutée par des témoignages comme has- « cendre savon » → nom. {Has-s} ha-as-sa-as, ou huett- « tirer » → 2sg. prés. my. {Hwetʰ-tʰa} hu-e-ez-ta. Il importe toutefois de préciser que les témoignages de phonèmes identiques en relation de consécution mettent régulièrement en évidence une frontière affixale entre les segments concernés (compte non tenu des possibles cas de gémination expressive, § 6.9.1 et n.). La question du rôle de la morphologie dans le principe de contour a été très débattue ; certains chercheurs estiment qu’elle peut conserver sa portée, moyennant des adaptations plus ou moins étendues, mais d’autres considèrent qu’elle est simplement intenable (Odden 1988, Blevins 2004b). On ne prendra pas ici parti sur une question qui, comme souvent, dépend plus de considérations méthodologiques générales que des données empiriques. Il semble en revanche significatif de relever qu’autant une séquence formée de segments identiques ne peut exister que si elle est traversée par une fontière morphologique (en incluant les clitiques), autant nul morphème ou mot invariant ne met en évidence une consécution segmentale qu’il ne serait pas possible d’interpréter en termes de gémination conditionnée au niveau phonétique.

Chapitre 6

La syllabe Non seulement les choses doivent se suivre, mais elle doivent se tenir les unes aux autres.

Extrait du Traité de Lucien intitulé comment il faut écrire l’Histoire, traduit par M. Jean Racine, Oeuvres, t. VI, Paris : Pougin, 1796 : 294

∵ 6.1

La constituance syllabique

6.1.1 Rhythme et relations segmentales Tous les phonéticiens s’accordent à reconnaître qu’il n’existe pas d’indices phonétiques spécifiques propres à identifier ce qu’est une syllabe (voir en dernier lieu, Ladefoged & Maddieson 1996 : 281-282). La notion de syllabe a suscité des études privilégiant, pour les unes, l’aspect articulatoire et acoustique, pour les autres, l’aspect physiologique, sans qu’une synthèse à même d’intégrer les deux dimensions ne parvienne, jusqu’à présent, à se dégager (voir les récapitulatifs de van der Hulst & Ritter 1999, Cairns & Raimy 2001). On se bornera donc ici à reconnaître que la syllabe identifie une unité de temps et d’intensité appuyée sur la rythmicité qui semble être une des conditions élémentaires à la production de la parole. La syllabe est une partie intégrante de la description phonologique, d’une part, parce que certaines interactions entre les segments n’ont de justification que dans le cadre qu’elle identifie, de l’autre, parce que, les opérations à la base de l’identification des phonèmes peuvent dépendre du rôle assigné à ces unités dans la formation des syllabes (en hittite, pratiquement toutes les occurrences des résonantes, par exemple, conditionnent ou sont conditionnées par la syllabation). Les recherches contemporaines portant sur la syllabe admettent que celleci est formée d’un noyau, seul élément indispensable à la formation d’une syllabe (Levin 1985), ainsi que de marges qui, quand elles existent, sont formées à l’initiale d’une attaque, et, en finale, d’une coda ; le noyau et la coda forment une rime. L’attaque comme la coda peuvent comprendre plusieurs segments. En hittite, le noyau d’une syllabe est toujours une voyelle est ses marges, quand elles existent, sont toujours formées de consonnes. © koninklijke brill nv, leiden, 2019 | doi:10.1163/9789004394247_008

299

La syllabe

(1) organisation des syllabes attaque C₁ karp- « emporter » → 2sg. imp. kar-ap kuen-/kun- « tuer » → 3pl. ku-na-an-zi

[Kʷ

rime coda C₁ C₂

C₂

noyau V

[K

a

r

n

a

ɲ (.ʧi)]

P]

La question d’éventuels appendices syllabiques (voir Vaux & Wolfe 2009, pour un récapitulatif sur cette question) ne semble se poser en hittite qu’avec les suffixes flexionnels {-s} et {-ʧ} (§ 6.1.5). 6.1.2 La sonorance L’intuition des locuteurs concernant la segmentation du mot en syllabes étant inaccessible, la description sera ici fondée sur les résultats des recherches relatives aux latitudes combinatoires entre phonèmes à l’intérieur des syllabes et en jonction des syllabes, naguère étudiés sous le terme de force, et, depuis les années 1980, sous celui de sonorance1. Ces travaux ont notamment établi que les aptitudes des segments à se combiner pour former des syllabes était déterminées par une échelle universelle, dite « standard », dont la hiérarchie prédit, au plan empirique, un certain nombre de comportements : (a) à l’intérieur d’une syllabe donnée, le noyau est le segment occupant la position maximale dans la hiérarchie de sonorance ; (b) à l’intérieur d’une syllabe donnée, nul segment ne peut être séparé du noyau par un segment moins sonorant que lui ; (c) une frontière inter-syllabique correspond à la décroissance maximale possible du niveau de sonorance. On ne néglige pas que les paramètres phonétiques sur lesquels reposent les relations de sonorance ne sont pas homognènes, ni même, probablement, réductibles à une causalité unique (Lindblom 1983, Ohala & Kawasaki 1997) ; 1  Ces travaux remontent à la fin du XIXe siècle (Saussure 1995, 2002 : 238-256, Sievers 1901 : § 528sq., Jespersen 1904 : 192sq.), mais ils ont connu un nouvel essort à la fin des années 1970, en réaction contre l’approche strictement linéaire imposée par la méthodologie générativiste d’alors (voir l’historique chez Scheer 2011). – On utilise ici les termes de sonorance, sonorant (angl. sonority, all. Sonorität) afin d’éviter toute confusion avec les étiquettes sonore, sonorité, qui, dans une terminologie francophone désuette, mais toujours usitée, se réfère au voisement, généralement par opposition à sourd, surdité.

300

Chapitre 6

que la hiérarchie censément universelle qu’elles établissent demande, dans certaines langues, des ajustements, presque toujours en ce qui concerne les fricatives ; que certains types de marges, normalement prohibés selon cette hiérarchie, sont fréquemment attestés dans les langues (Greenberg 1978, Gordon 2016 : 97-104, Blevins 2017 : 52sq.), et que, de façon générale, la question de la formation des syllabes se résume pas à celle des relations entres les segments (Parker 2012). La hiérarchie de sonorance n’explique rien en tant que telle, mais elle constitue un étalon dont l’efficience prédictive est avérée, en fournissant, au plan pratique, le seul cadre et le seul outil propre à justifier objectivement l’interprétation d’un code graphique aussi peu adapté à la restitution des rapports de consécution linéaire des sons que l’est l’écriture cunéiforme. A titre d’illustration, la flexion de palhi- / palhai- « large » → nom. sg. palhi-is (NH), pl. pal-ha-a-e-es (VH), pal-ha-a-es (MH), pal-ha-e-es (VH?/nh), dir. pal-hi (NH), reflète la flexion alternante : {… i-, … u-} (dir, nom., acc. sg.) : {… aj-, … aw-} (ailleurs) typique des adjectifs (sur lequelle, voir Melchert 1994 : 138-139), mais sans que la graphie ne mette en évidence de façon précise la syllabation des thèmes. Deux interprétations sont a priori possibles : soit {PlHi- : PlHaj-}, soit {PalHi- : PalHaj-} (on peut sûrement écarter {PlaHi- : PlaHaj-} qui aurait été écrit *pa-la-(ah-)hi …). En se fondant sur certains rapprochements étymologiques, la plupart des spécialistes estiment que la flexion hittite serait fondée sur un degré zéro {PlHi- : PlHaj-}2. Mais ce point de vue néglige qu’une consonne latérale ne peut être séparée de son noyau vocalique par une fricative située à un plus bas niveau qu’elle sur l’échelle de sonorance, tout comme il est impossible que la courbe de sonorance d’une attaque soit montante et descendante à la fois, quelles que soient les propriétés de voisement de la plosive et de la fricative : on peut avoir [PVl.HV …] ou [PlV.HV …], mais sûrement pas **[PV.lHV …] ou **[PlHV …]. L’insertion d’une voyelle d’anaptyxe [PəlHi …] étant régulièrement exigée par la réalisation du thème à degré zéro, précisément en raison de l’impossibilité de la séquence [P] + [l] + [H] à former une attaque correcte, un thème de forme **{PlHi-} est invraisemblable tant au plan phonétique que phonologique (du moment où la présence d’une voyelle est requise entre [P] et [l], elle fait partie de l’identité phonologique du morphème). L’interprétation de ces graphies est donc {PalHi- : PalHaj-} parce qu’elle est la seule qui satisfasse aux conditions d’une syllabation naturelle tout en étant conforme à la structuration normale des thèmes alternants3. Nombre 2  Voir la chronique chez Tischler, HEG II, 2001 : 394-395, et Kloekhorst 2008 : 620-621. – Puhvel, HED VIII, 2011 : 67-68, semble être le seul à avoir reconnu le caractère bisyllabique du thème. 3  Historiquement, palhi- / palhai- repose sur l’état radical reflété en slave par l’adjectif *polh₂-u- → v. r. polyi (reposant sur *polŭ-jĭ) « ouvert, étendu » (Sreznevskij II, 1148) ; v. sl. polje « espace ouvert, champ », r. póle (gén. pólja), s.-cr. pȍlje, etc.

301

La syllabe

de pseudo-solutions et de pseudo-problèmes phonologiques, morphologiques et étymologiques encombrant la littérature spécialisée pourrait être évités si, dans l’interprétation des langues à transmission cunéiforme, l’existence des relations de sonorance n’était pas négligée, quand ce n’est pas méconnue4. La hiérarchie de sonorance ne livre pas toujours de solution impérative à l’interprétation des graphies, mais elle fournit des critères éventuellement décisifs permettant d’identifier les rapports de contigüité entre segments que l’agencement des signes syllabiques a, naturellement, vocation à masquer. 6.1.3 Hiérarchisation Les sons dont l’existence, en hittite, est sûre ou présumée se hiérarchisent, selon l’échelle de sonorance dans les positions suivantes : (2) les sons du hittite dans l’échelle de sonorance standard caractérisation articulatoire

sons

16 15 14 13 12 11 10 9 8 7 6 5 4 3 2 1

a e iu ə jw ɹ l r mn h ð z ɣ ɣʷ b d g gʷ θ s x xʷ ʧ p t k kʷ pʰ tʰ kʰ kʷʰ

voyelle basse voyelle moyenne voyelles hautes voyelle centrale moyenne approximantes semi-voyelles approximante rhotique approximante latérale approximante rhotique nasales approximante (non spéc.) fricatives voisées plosives voisées fricatives non voisées affriquée non voisée plosives non voisées plosives non voisées aspirées

En application des principes qui viennent d’être mentionnés § 6.1.2, on tient que la syllabation de sah- « emplir » → 3sg. pré. my. sa-ha-a-ri KUB 13.2 ii 23 4  Kavitskaya 2001, est, à ma connaissance, l’unique étude ayant tiré parti du potentiel explicatif des relations de sonorance dans l’interprétation des données hittites (sur les conclusions de Kavitskaya, voir § 8.13.3).

302

Chapitre 6

(MH/nh) est [sa.ɣā.ri] et non *[saɣ.ār.i] car la sonorance diminue de [a] à [ɣ] et de [ā] à [r], alors qu’elle augmente de [ɣ] à [a] et de [r] à [a] ; tepnu- « diminuer, amoindrir » 3pl. prés. te-ep-nu-zi est, pour les mêmes raisons, syllabé [Te.bnu. ʧi] (on déduit la voisée /b/ de tepu- « petit »), car la sonorance est croissante de [b] à [n], ce qui récuse la possibilité de *[Teb.nu.ʧi], a fortiori de *[Tebn.u.ʧi] ; de même, la syllabation de ar- « se tenir » → 2sg. imp. my. (a-)ar-hu-ut est [ar. xuT] car une scansion *[a.rxuT] contiendrait une attaque [rx] incorrectement formée, la sonorance étant décroissante de [r] à [x], tandis que *[arx.uT] serait inacceptable, la sonorance étant croissante de [x] à [u] ; la syllabation de walh- « frapper » → 3sg. prés. wa-al-ah-zi est sûrement [walx.ʧi] (on identifie /x/ d’après 3pl. prés. wa-al-ah-ha-an-zi) car une attaque [xʧ] comme une coda [lxʧ]seraient mal formées, etc. (3) Courbe de sonorance de wa-al-ah-zi [walx.ʧi] « il frappe » :



La frontière syllabique correspond à la phase de décroissance maximale

6.1.4 Problème des fricatives non voisées La position des fricatives non voisées /s x/ sur l’échelle de sonorance a suscité de nombreux débats, certains phonologues estimant qu’elle se situe audessus des plosives non voisées, et d’autres la localisant en-dessous (voir le résumé des discussions chez Parker 2011). En hittite, la possibilité d’attaques /b d g/ + /s x/ ou de codas /s x/ + /b d g/ est, le plus souvent, indiscernable du fait de ce qu’au voisinage de s ou de h, une plosive ne peut être écrite que ‘C’ (§ 4.5.3), ce qui peut susciter des alternatives sans solutions quand l’indécision relative au voisement de la plosive induit des solutions de syllabations différentes.

La syllabe

303

Une graphie comme, par exemple, ha-tu-ga-as « terrifiant », dans l’hypothèse où le signe ha recouvre une consonne seulement, impose la reconnaissance d’une syllabation [xdu.gas] (*[ɣdu.gas] étant exclue), tout en laissant ouverte, dans l’hypothèse où le signe ha correspondrait à une syllabe, la possibilité de syllabation [xa.du.gas] ou [ɣa.du.gas], des attaques **[xdV …], **[ɣdV …] étant, en revanche, impossibles. Si l’on admet que la graphie hatu-ga-as recouvre deux syllabes, conjecture qu’accrédite, sans la démontrer, l’étymologie établie par Benveniste (1937), il devient alors nécessaire de reconnaître la hiérarchie (2) comme étant celle qui est valide en hittite, ne serait-ce que parce que la syllabation de ce mot devient impossible dans l’hypothèse où les fricatives non voisées auraient un niveau de sonorance supérieur à celui des plosives voisées. L’interprétation de la hasduer- « branche » → dir. ha-as-du(e-)er met en évidence une alternative similaire : la syllabation peut être [Has. tʰwer] ([Has.tʰu.er] ?) ou [Ha.sdwer], mais pas *[Has.dwer], etc. 6.1.5 Dérogations « normales » Dans beaucoup de langues, certaines combinaisons segmentales sont aptes à former des marges syllabiques alors qu’elle sont, en principe, en discordance avec les prédictions de la hiérarchie de sonorance (Gouskova 2004, Duanmu 2008 : 168sq.). Le hittite reflète, à et égard, deux des situations de dérogation les plus largement documentées dans les langues en admettant comme licites deux configurations : – des coda [plosives + s #] sont possibles (§§ 6.2.2, 8.10.2) (mais les attaques [# s + plosives] sont proscrites, § 8.10.3) ; – les séquences [obstruantes + r l], dites muta cum liquida peuvent avoir une syllabation [VT.RV] plutôt que [V.TRV] (§ 6.2.4). Ces deux restrictions mises à part, la syllabation hittite ne reflète pas d’autres écarts envers les prédictions de la hiérarchie de sonorance. Rien ne suggère, en hittite, la possibilité de syllabations alternatives du type de celles dont on postule l’existence, particulièrement en anglo-américain (upper [ʌ́.pɚ] ~ [ʌ́p.ɚ])5.

5  L’analyse de Gussenhoven 1986, relative à une possible ambisyllabicité des segments, est mise en cause par Jensen 2000, qui souligne, entre autres choses, qu’une appréciation de ce type ne peut être que strictement intuitive.

304 6.2

Chapitre 6

Formations syllabiques

6.2.1 Types de syllabes En hittite, le noyau d’une syllabe est obligatoirement formée, au plan phonétique, d’un voyelle, à l’exception de toute autre classe de segments. Il n’existe pas de syllabes dont l’organisation pourrait suggérer un noyau phonologique formé d’une consonne nasale ou liquide (§ 8.13.17). La question de savoir si les mêmes segments seraient éventuellement aptes à tenir ce rôle au au plan phonétique est, en revanche, impossible à trancher. Il n’existe pas de contrainte sur l’ouverture des syllabes. Les syllabes à marge simple peuvent se trouver n’importe où dans le mot, mais les syllabes à marges complexes sont soumises à certaines restrictions (§ 6.3.4-5). (4) type de syllabes V au- « voir » → 1pl. prés. ú-me-e-ni [u.me.ni] CV per-/parn- « maison » → all. pár-na [Par.na] nakki- « important » → nom. na-ak-ki-is [na.kʰis] VC i- « aller » → 2sg. imp. i-it [īT] ed- « manger » → 2sg. imp. e-et [ēT] CVC ker- « coeur » → loc. kar-di [Kar.Ti] app-/epp- « saisir » → 3pl. prét. e-ep-per [ē.pʰer] VCC ans- « essuyer » → 2sg. imp. a-an-as [āns] CCV tepnu- « diminuer » → 1sg. prés. te-ep-nu-mi [Te.bnu.mi] CVCC karp- « emporter » → 2sg. imp. kar-ap [KarP] CCVC kuen- « tuer » → 3pl. ku-na-an-zi [Kʷnaɲ.ʧi] Sur le cas particulier des syllabes finales de type [CVCCC] reflété par sa-ú-diis-za [sa.u.disTs] « (né) de l’année », voir ci-dessous. Abstraction faite des mots phonologiques incluant des clitiques, le nombre maximal de syllabes qu’un mot peut contenir semble s’élever à neuf : sakuwantariyanu- « négliger » (faire / laisser se tarir) → 2pl. prés. [sa.gu.wan.Ta.ri.ja.nu. tʰe.ni] sa-ku-wa-an-ta-ri-ya-nu-ut-te-ni KUB 13.4 iv 42 (NH). Il n’existe pas de mots aclitiques formés d’une consonne seulement (certains clitiques comme ⸗za n’ont pas de noyau), ce qui est équivalent à reconnaître qu’en hittite, tout mot, qu’il soit aclitique ou synclitique, compte, au moins, une syllabe. 6.2.2 Règles des trois consonnes Mis à part le cas particulier des mots fléchis par un morphème {-s}, toute marge syllabique est, en hittite, maximalement formée de deux consonnes ; dans une séquence /C₁C₂C₃/, la consonne /C₂/ est nécessairement séparée de /C₁/ ou de /C₃/ soit par une frontière syllabique, soit par l’insertion d’une voyelle

La syllabe

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anaptyctique instaurant une frontière syllabique. Une telle situation s’inscrit dans le cadre de la norme, mise en évidence par Maddieson (2007), stipulant que le nombre d’unités maximalement utilisables dans une marge syllabique donnée est corrélé au nombre des consonnes utilisées dans la langue ; en l’espèce, dans une langue à 20 ± 2 consonnes, comme en hittite, une marge quelconque ne peut normalement comporter plus de deux segments. Seules les langues comptant plus de 23 consonnes peuvent – éventuellement – admettre des attaques ou des coda homomorphémiques de type /C₁C₂C₃/. (1) Coda thématiques finales à morphème {-s}. – Les seules situations dans lesquelles une séquence /C₁C₂C₃/ est apte à former une marge syllabique s’observent en syllabe finale d’un mot, quand un des morphèmes {-s} fléchit un thème en plosive coronale {… CT-} : saudist- « né de l’année » → nom. sg. saú-di-is-za {saudisT-s} KBo 6.2 iii 23 (VH), sa-a-ú-i-ti-is-za {sawidisT-s} KBo 6.3 iii 29s (VH/nh) ; sast(a)- « couche, lit » → nom. sa-as-za {sasT-s} KUB 33.8 iii 19 (VH/nh). Les divers types de noms en {… NT-s} au nominatif singulier reflètent le même traitement, qu’il s’agisse de participes en -ant- plus ou moins lexicalisés, de dérivés en -ant- tirés de noms ou d’adjectifs, ou encore de noms dont rien ne permet de dire qu’il sont dérivés ou de quoi ils dériveraient, mais qui présentent une finale /… aNT-/ dans leur thème : armai- « être enceinte » → ar-ma-u-wa-an-za « enceinte », zena- « automne » → zé-na-an-za ; ermala- « malade » → er-ma-la-an-za ; humant- « tout » → nom. hu-u-ma-an-za. La même situation advient quand un morphème en {… r, l, n-} suscite l’épenthèse de [T] (§ 8.7.5) : nom. {HasTer-s} « étoile » → [Has.TerTs] ha-as-te-er-za KBo 26.34 iv 9 (NH). Dans beaucoup de langues, les coda finales de type /… Cₓ + Cplosive coronale + s/ sont affranchies des normes comportementales prédites par la hiérarchie de sonorance (voir § 8.10.2, pour l’explication phonétique, et Gordon 2016 : 103-104, pour la typologie). On peut cependant prévoir que, quand une coda est de type /… VsTs #/, une insertion anaptyctique sera requise car les propriétés permettant à une coda d’être ascendante [V(s)Ts #] ne peuvent pas lui permettre d’être descendante [VsT(s) #], si bien la réalisation d’une forme telle que sa-as-za {sasT-s} « couche, lit » doit être [sa.səTs] ou [sas.Tsə] (voir, en outre, § 8.14.2). (2) Partout ailleurs. – Dans toutes les autres configurations, une séquence /C₁C₂C₃/ est invariablement bisyllabique : – quand la relation de contigüité entre les segments /C₁C₂C₃/ correspond à un rapport de hiérarchie naturelle sur l’échelle de sonorance, une frontière syllabique sépare régulièrement /C₂/ tantôt de /C₃/, tantôt de /C₁/ : /C₁C₂C₃/ → [C₁.C₂C₃] : pahsnu- « protéger » → 1sg. prés. pa-ah-sa-nu-mi [Pax.snu.mi] ; /C₁C₂C₃/ → [C₁C₂.C₃] : parh- « poursuivre » 3sg. prés. pár-ah-zi, pár-ha-zi [Parx.ʧi], etc. ;

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– quand la relation entre les segments /C₁C₂C₃/ ne suit pas une hiérarchie continue, une frontière syllabique séparant /C₂/ de /C₃/ est générée par l’insertion d’une voyelle d’anaptyxe [ǝ] ; ce mécanisme s’observe surtout quand le déclenchement de la règle d’antihomophonie des plosives coronales crée des relations séquentielles normalement prohibés par les rapports de sonorance : hatt- « percer » → 3sg. {Hatʰ-ʧi} → *[Ha.tʰθʧi] → [Hat.tθǝ.ʧi] ha-az-zi-zi (VH/nh). Les séquences homosyllabiques /C₁C₂C₃/ étant strictement limitée à des configurations /… Cₓ + Cplosive coronale- + -s] et la possibilité de ces séquences dérivant d’une violation « autorisée » des principes de sonorance, on peut tenir que les normes de formation qui, en hittite, sont spécifiquement du ressort de la syllabation se limitent à constater qu’un noyau est toujours formé d’une voyelle et que ses marges éventuelles ne peuvent pas comporter plus de deux consonnes6. 6.2.3 Attaques et coda Il n’existe pas de syllabes *CCVCC : une syllabe à attaque complexe ne peut avoir une coda également complexe et réciproquement. Pour autant qu’on puisse en juger d’après un sondage non systématique, les schémas syllabiques les plus fréquents sont, par ordre décroissant : CV > CVC > V > VC ; les autres schémas VCC, CCV, CVCC et CCVC sont plus rares, voire excessivemement rares. 6.2.4 Muta cum liquida Dans une langue où la position de noyau est toujours occupée par une voyelle, la localisation de celles-ci, au sommet de l’échelle de sonorance, crée une situation dans laquelle la phase de décroissance entre deux syllabe correspond nécessairement au fait que le ou les segments qui l’occupent appartiennent à l’attaque de la syllabe suivante, du moins tant qu’aucune contrainte ne leur assigne de rejoindre la coda de la syllabe précédente (principe de « maximisation de l’attaque », onset maximization, en termes générativistes). L’organisation des langues montre, cependant, que la scansion n’est pas invariablement fondée sur un contraste maximal des rapport de sonorance. La syllabation des séquences /obstruantes + r l/, dites muta cum liquida, en particulier, échappe fréquemment à la prédiction [V.TRV] de la hiérarchie 6  L’appréciation de Kloekhorst 2008 : 860, selon qui ták-na-a-as (génitif de tekan- « terre ») reposerait sur une forme « /tgnā́s/ » dans laquelle « in the initial cluster /tgn-/ no anaptyctic vowel has developed » est, par principe, invraisemblable : quand elles sont tolérées dans les langues, les attaques complexes de type C₁C₂C₃, n’admettent ni une hétérogénéité de voisement entre leurs plosives, ni, si elles sont formées d’au moins une plosive, l’absence de fricative (Greenberg 1978 : 254sq.).

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standard (‘T’ = toute plosive, ‘R’ = toute liquide). Pratiquement toutes les langues indo-européennes illustrent, à un titre ou à un autre, cet écart : le traitement des séquences *TRT est un des indices discriminant les zones dialectales du slave commun (Bethin 1998 : 46sq.) ; l’évolution des langues romanes, montre qu’en latin, integrum « entier » a été syllabé, au moins un temps, [in.tég. rum], et non [ín.te.grum] (Scheer & Ségéral 2007) ; en grec ancien, la métrique tragique autorise des syllabations différentes pour une vingtaine de lexèmes comme húbris → [hú.bris] et [húb.ris] (Devine & Stephens 1994 : 33-34) ; en gotique, l’orthographe impose normalement que la coupure des mots en fin de ligne se fasse après une syllabe ouverte, sauf dans des cas comme hlut‸rans « propre, pur », broþ‸runs « frère » (Riad 2004 : 184sq.), etc. Les combinaisons prohibées (§ 5.9.2) mises à part, les témoignages de séquences /TR/ sont nombreux en hittite. Or, dans ces situations, la voyelle localisée devant une séquence /TR/ n’est généralement pas écrite en graphie répliquée : hatrai- « écrire » → 3sg. prét. ha-at-ra-et (VH), ha-at-ra-a-et (MH) ; kutruwan- « témoin » → nom. pl. ku-ut-ru-e-es (MH/nh), maklant- « maigre » → acc. sg. ma-ak-la-an-ta-an (VH), paprant- « impur » → nom. pl. pa-ap-ra-an-te-es (MH), sak(u)ruwai- « abreuver » → 3pl. prés. sa-akru-wa-an-zi (MH), [s]a-ku-ru-u-wa-an-zi (MH), suppl(a)- « bétail » → dat. suup-li-i⸗ (MH/nh), wakkariya- « se rebeller » → 3sg. prés. wa-ak-ri-ya-zi (VH/nh), wa-ag-ga-ri-ez-zi (NH), watru- « source » → dir. sg. wa-at-ru (MH), wa-at-ta-ru (VH), etc. Quand l’écriture d’une voyelle a recours à la réplication devant /TR/, c’est toujours dans des conditions qui ne sont pas compatibles avec l’hypothèse d’un allongement causé par l’accentuation : tantôt la graphie du mot comporte deux voyelles en graphie répliquée, comme dans sawatar- « corne » → dir. sg. sa-a-ú-i-it-ra-an (VH), et saklai- « coutume, loi » → nom. sg. sa-a-ak-laa-is (NH) ; tantôt la graphie d’un morphème lexical est généralisée sa flexion comme dans sa dérivation : ed-/ad- « manger » (prés. 1sg. e-et-mi, 2sg. e-ez-si) → etri- « nourriture » → dir. e-et-ri (VH). En d’autres termes, il ne semble pas exister de témoignages montrant qu’une voyelle devant /TR/ pourrait s’allonger en conséquence de son accentuation ; cette situation ne signifie pas que les voyelles en cette position seraient inaccentuées, mais que la séquence /TR/ constitue une entrave à leur allongement. Une justification à cette situation serait que l’allongement n’a pas lieu parce que la syllabe est fermée, ce qui reviendrait à reconnaître que la syllabation de séquences /VTRV/ serait plus facilement [VT.RV] que [V.TRV]. Dans les configurations où l’écart de sonorance entre les consonnes est maximal, c’est-à-dire, entre les plosives non voisées et /l/, la probabilité pour que cette situations se réalise est naturellement moins grande que dans les configurations où l’écart est moindre, comme entre les plosives voisées et /r/.

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Dans cette perspective, suppl(a)- « bétail » → dat.-loc. su-up-li-i⸗ KBo 6.34 iv 15 (MH/nh) suppose plus facilement [su.pʰlī] que [supʰ.lī] ; hasikk- « être rassasié » → 1sg. imp./opt. ha-as-si-ik-lu (NH) [Hás.si.kʰlu] plutôt que [Hás.sikʰ. lu], etc. En revanche, quand l’écart de sonorance est plus réduit, les graphies peuvent explicitement mettre en évidence des variantes de syllabation ; le témoignage de sak(u)ruwai- « abreuver » → 3pl. prés. 3pl. sa-ak-ru-wa-an-zi (MH) :: sa-ku-ru-u-an-z[i] (MH) montre notamment une alternance des signes ak et ku, représentative d’une anaptyxe [sa.gʷu.ru.waɲ.ʧi] dérivant de l’instabilité des syllabations [sa.gʷru.waɲ.ʧi] / [sagʷ.ru.waɲ.ʧi] (on déduit le voisement de la plosive vélaire d’après inf. sa-ku-ru-u-wa-wa-an-zi, son caractère labial du timbre de la voyelle d’anaptyxe [u] u et non [ə] a) ; de même, les variantes de kutru(w)en- « témoin » → nom. pl. ku-ut-ru-e-ni-es KUB 23.77a Ro 10 (MH), ku-ut-ru-ú-e-ni-es KBo 12.18 iv 2 (VH/nh), face à ku-tar-ú-e-ni-es KUB 23.78 : 9 (MH), au sujet desquelles Melchert (1997b : 178) postule, sans l’expliquer, une anaptyxe [Ku.də.ru.(w)en.es], supposent une variation [Ku.dru.(w)en.es] / [Kud.ru.(w)en.es] ; si l’on admet, avec Melchert (1997b) que l’hapax taryandan KUB 12.63 + 36.70 Ro 9, 16 (VH/mh) est bien un participe lexicalisé du verbe etriye/a- « nourrir, engraisser » (lui-même dérivé de etri- « nourriture », en dernière analyse de ed-/ ad- « manger », où la plosive est sûrement voisée), la forme avec anaptyxe [(e.)də.ri.(j)an.Tan] répondrait pareillement à une même variation [e.dri.(j)an.Tan] / [ed.ri.(j)an.Tan]. Il paraît donc, en définitive, raisonnable d’estimer qu’en dépit d’une relative instabilité, la syllabation des séquences /VTRV/ pouvait être. [VT.RV]. L’interprétation ici proposée se limite aux seules plosives ; il n’existe pas, à ma connaissance de témoigne de séquences intervocaliques < fricative + liquide > qui ne formeraient pas une attaque homosyllabique : esri- « image, statue » → dir. {ésri-∅} e-es-ri reflète [ē�.sri], et non *[ē�s.ri], comme le certifie la gémination de la variante e-es-sa-ri [ē�s.sri]. Sur la possibilité pour la le comportement de la nasale labiale /m/ soit en partie assimilable à celui d’une obstruante, notamment au autorisant des séquences /m + r/, /m + l/, voir § 4.11.5. 6.2.5 Syllabations indiscernables L’analyse des séquences intervocaliques C₁C₂ ne pose généralement pas de problèmes particuliers d’interprétation, sauf quand l’une des C est une obstruante non sibilante dont les propriétés de voisement sont, dans ce contexte, impossibles à déduire de la graphie. Dans mald-« prier, réciter, invoquer » → 1sg. prét. ma-a-al-tah-hu-un KBo 3.22 :59 (VH), ma-al-da-ah-hu-un KUB 26.71 i 7 (VH/nh), face à 3sg. prés. ma-a-al-di KBo 25.112 ii 15 (VH), on peut voir : soit [mā́l.tʰxun] où une plosive non voisée serait suivie, dans la graphie, d’une

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voyelle factice (c’est l’appréciation de Kimball 1999 : 116) ; soit [mā́l.də.xun] où une plosive voisée serait suivie d’une voyelle d’anaptyxe venant compenser l’impossibilité d’une attaque [.dx] ; une syllabation comme *[mā�l.dxun] est exclue, tandis que [mā́l.tʰə.xun] est phonétiquement possible, mais phonologiquement impossible à justifier. Dans eku- « boire » → 3sg. opt. {egʷ-tʰu} e-ku-ud-du peut représenter [e.gʷu.tʰu], moins probablement [egʷ.tʰu], mais sûrement pas *[e.gʷtʰu] car l’indice de sonorance décroît de [gʷ] à [tʰ]. La syllabation de séquences C₁C₂C₃ peut être a priori problématique quand la séquence C₁C₂ forme un plateau de sonorance (§ 6.4) et que C₂C₃ forme une attaque syllabique acceptable ou quand C₂C₃ forment un plateau et C₁C₂ une coda possible. Par hasard ou pour quelque raisons, on n’a pas rencontré de situations de ce type en hittite ; celle qui s’en rapproche le plus est illustré par pahsnu- « protéger » → 1sg. prés. pa-ah-sa-nu-mi dont la syllabation ne peut être *[Paxs.nu.mi], mais seulement [Pax.snu.mi] (on identifie /x/ d’après 1sg. prés. my. pa-ah-ha-as-ha). 6.3

Composition segmentale des syllabes

6.3.1 Attaques Simples Compte tenu des incertitudes pesant sur le voisement des obstruantes non sibilantes, on ne constate qu’une seule limitation de nature segmentale sur la formation des attaques. Le phonème /r/ est proscrit en attaque simple d’une syllabe initiale, mais est admis dans les autres syllabes du mot, particulièrement quand la syllabe est en position finale dans le mot : iskar- {sKar-} « piquer, percer » → 3sg. prés. is-ka-a-ri [əs.Kā́.ri] (VH). La rhotique est admise en attaque complexe, du moins si l’on estime de parā recouvre [Prā] (§ 3.4.3). La rhotique fait partie des segments géminables, ce qui autorise son emploi dans des marges syllabiques contigües : sar- « diviser, répartir » → 3pl. prés. sar-ra-an-zi [sar.raɲ.ʧi] (VH). Une syllabe /rV(C)/ peut être suivie d’une autre syllabe, mais rarement : tē-/tar- « parler » → 3pl. opt. da-ra-an-du [Ta.ran.Tu] (VH/nh) (on admet [Ta.ran.Tu] et non *[Tran.Tu], car, le radical a nécessairement un noyau dans 1pl. prés. ta-ru-e-ni, 2pl. tar-te-ni) ; haran- « aigle » → ha-a-ra-na-an (VH). La question de possible corrélations entre l’identité segmentale de C₁ et de C₂ à l’intérieur des syllabes de type C₁VC₂ reste à étudier7.

7  Par exemple, selon une estimation de MacNeilage & Davis 2000 : 289sq., les syllabes /CVC/ ayant une attaque labiale favoriseraient une coda coronale.

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6.3.2 Coda Simples En principe tous les segments sont aptes à former une coda, mais certains peuvent être soumis à des restrictions contextuelles. Les segments les plus fréquents dans la position de coda simple sont les résonantes /r n/, sans limitations de contiguïté. La nasale /m/ ne peut former une coda que quand la syllabe est suivie d’une autre syllabe débutant par /r l/ (sumreske- « être enceinte » → supin sum-re-es-ke-wa-an, etc.). La syllabe suivante peut débuter par /n/ si la frontière syllabique séparant /m/ de /n/ est susceptible de se déplacer sous l’effet de la variation morphologique, par ex. lammar- « moment » → gén. lam-na-as [lam.nas] (§ 4.11.2(2)). La nasale labiale est géminable, ce qui, phonétiquement, autorise son emploi dans des marges contigües : gim- « hivers-automne » → loc. gi-mi (/nh) et gi-im-mi (VH/mh) [Ki.mi : Kim.mi]. La latérale /l/ ainsi que les fricatives /s x/ sont moins fréquentes, mais bien attestées en coda : walh- « frapper » → 3pl. prés. wa-al-haan-zi [wal.xaɲ.ʧi] (VH) ; alpa- « nuage » → nom. al-pa-as [al.Pas]. Les plosives ne sont sûrement possibles en coda qu’en fin de mot (ablatif en -a(n)z(a), instrumental en -(i)t), moins nettement à l’intérieur du mot. 6.3.3 Extramétricité des semi-voyelles en coda Il est difficile, d’après la graphie, d’observer la présence de semi-voyelles en coda, mais celles-ci peuvent être déduite d’après la morphologie alternante de certains thèmes (sur udne- « pays », voir §§ 4.15, 4.14.4). Les relations apophoniques dans les flexion nominales et adjectivales reposant sur une alternance {… Caj- : … Ci-} montrent que la forme de leur degré plein sélectionne régulièrement la variante /-n/ du morphème d’accusatif singulier, et non la variante /-an/ attendue derrière syllabe fermée (voir § 8.13.7(1a)) : (5) comportement des syllabes /CVj/ dans l’affixation acc. sg. {-n : -an} lingai-/linki- « serment »



hurtai-/hurti- « malédiction »



sagai-/saki- « oracle »

[liŋ.Kajn] li-in-ga-en (VH), li-in-ga-in (MH) [Hur.tʰajn] hu-ur-ta-in, hur-ta-in [sa.gajn] sa-ga-in (VH)

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Il apparaît donc que, selon une situation au demeurant banale dans les langues, une syllabe fermée par /j/ (et, possiblement, par /w/) est, par son comportement, équivalente à une syllabe ouverte (comparer la situation similaire de fr. faille, angl. why, russe čaj, etc.), en d’autres termes, qu’en coda, /j w/ ne comptent pas pour des unités propres dans la computation syllabique en étant extramétriques. 6.3.4 Attaques complexes Quatre principes s’appliquent dans la formation des attaques complexes : (i) la position C₁ peut être occupée par n’importe quelle consonne à l’exception des semi-voyelles /j w/ ; (ii) toute obstruante en C₁ peut être suivie en C₂ d’une consonne quelconque, à la condition d’être compatible avec la phonotactique et de ne pas présenter une décroissance de sonorance ; (iii) toute résonante en C₁ est obligatoirement suivie d’une autre résonante en C₂ ; (iv) nulle attaque ne peut être formée du même segment en C₁ et en C₂ (ss, rr, etc.) ; La liste des attaques complexes attestées ou discernables se résume à (6) : (6) attaques complexes pʰʧ pʰs pʰx Pm tʰs kʰʧ kʰs kʰx Km sɣ (?)

Pn Tn Kn ʧn sm sn Hm Hn

Pr

sr Hr mr

Kl

Kj

sl Hl ml

sj mj nj rj

Pw Tw Kw sw Hw rw lw

Ce tableau demeure approximatif car les propriétées de voisement des plosives et des fricatives vélaires, possiblement discriminantes, sont, le plus souvent, impossible à discerner : une attaque Hn n’est attestée qu’avec H = /ɣ/ (wahnu« (se) tourner » → 1sg. prés. wa-ah-nu-mi [wa.ɣnu.mi]) sans qu’il soit possible de discerner si c’est par hasard ou pour quelque raison. Certains graphies, notamment hatt- « percer » → 3sg. prés. ha-at-zi sont suspectes de normaliser la représentation graphique du morphème ha-at- car

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Chapitre 6

d’autres variantes comme 3sg. ha-az-zi-zi (VH/nh) [Hat.tʰsǝ.ʧi] reflètent le traitement normalement attendu de la séquence /tʰʧ/. Sur l'analyse de tuekka- « corps, personne » → dat. sg. tu-e-ek-ki (MH), dat. pl. tu-e-eg-ga-as (MH) [Twē�.kʰas], voir § 4.14.6 ; la variante tu-ú-i-ig-ga-as KUB 7.1 i 31 (VH/nh) restitue [Tu.wī�.́ kʰas]. L’aptitude de /r/ à occuper C₁ dans une attaque complexe est limitée aux situations dans lesquelles C₂ est une semi-voyelle /j w/, par ex. har(k)« détenir, avoir » → 1pl. prés. har-wa-ni (VH) = [Ha.rwa.ni] ; nahsariya- « redouter, respecter » → 3pl. prés. na-ah-sar-ya-an-zi [naɣ.sa.rjaɲ.ʧi] (MH). Une attaque de forme */rl/ n’est pas documentée. La latérale /l/ en C₁ va nécessairement de pair avec /w/ en C₂, à l’exclusion de toute autre consonne : alwanzatar- « sorcellerie, sortilège » → dir. al-wa-anza-tar [a.lwaɲ.ʧa.dar] ; palwa- « s’exclamer, (pro)clamer » → 3sg. prés. pal-waa-ez-zi (VH) [Pa.lwā́.(j)e.ʧi] ; palweske- « clamer, crier » → 3pl. pal-wi₅-is-kán-zi [Pa.lwis.Kaɲ.ʧi]. Une séquence /lj/ n’est pas attestée en attaque. Pour des raison dues à la graphie, l’observation des attaques complexe à l’initiale des mots est difficile (§ 3.4), mais leur possibilité de principe est attestée par des données comme kuen- « tuer » → 3pl. ku-na-an-zi [Kʷnaɲ.ʧi]. Les variantes que l’on constate au cas direct de l’adjectif ma/i/eliddu- « doux, plaisant » → dir. sg. mi-li-id-du KUB 17.10 ii 17 (VH/mh), ma-li-id-du KUB 17.10 ii 26 (VH/mh), [m]e(?)-li-id-du KUB 33.75 ii 14 (VH/nh) semblent restituer {mlitʰu-∅}, sans exclure la possibilité que la base ma/ilitt- « miel » ait été anciennement soumise à une apophonie radicale. Aucune attaque complexe n’est formée de deux plosives (les séquences plosive + affriquée sont, en revanche, possibles). Les attaques complexes sont bien attestées à l’intérieur du mot ; asnu« prendre soin » → 1sg.prés. as-nu-mi [a.snu.mi] ; wahnu- « (se) tourner » → 1sg. prés. wa-ah-nu-mi [wa.ɣnu.mi] ; sam(a)lu- « pomme, pommier » → abl. sa-amlu-wa-an-za, sa-ma-lu-wa-an-za [sa.mlu.wãʧ]. Les plosives en C₁ peuvent être suivies par n’importe quel type de consonne en C₂ : appatariye- « gager » → 3sg. prés. ap-pa-at-ri-ez-zi, ap-pa-ta-ri-ez-zi, ap-pát-ri-ya-zi [a.pʰa.dri.(j)e.tsi] ; tethima- « tonerre » → nom. te-et-hi-ma-as [Te.THi.mas] ; titnu- « installer, asseoir » → 3pl. prés. ti-it-nu-an-zi [Ti.tʰnu.aɲ.ʧi] ; tepnu- « diminuer, amoindrir » → 1sg. prés. te-ep-nu-um-mi [Te.bnum.mi] ; saknuwant- « sali, souillé » → nom. sa-ak-nu-an-za [sa.kʰnu.anTs] ; padda- « fouir » → inf. {Patʰ-waNʧi} pát-tu-anzi [Pa.tʰwaɲ.ʧi] KUB 42.89 Ro 11, Vo 2 (NH) (à côté de la variante [Pa.tʰu.waɲ. ʧi], d’où [Pa.tʰu.maɲ.ʧi] pát-tu-u-ma-an-zi KUB 55.45 ii 4). De même, les syllabes à attaque complexe peuvent facilement se trouver en fin de mot : harsar « tête » → gén. har-as-sa-na-as ou har-sa-na-as [Har.snas] ; ishahru- « larme » → dir is-ha-ah-ru [is.Ha.Hru] (ou [i.sHa.Hru] si ‘h’ = [ɣ]) ;

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gimra- « steppe » → nom. gi-im-ra-as [Ki.mras], utne- « pays » → dir. sg. ut-ne-e [u.Tnej] ; tekan-/takn- « terre » → gén. ták-na-as [Ta.gnas] ; lapp-« luire » → 3sg. prés. la-ap-zi [la.pʰʧi], wekk- « vouloir » → 3sg. prés. ú-e-ek-zi [wē.kʰʧi] ; hatnu« faire sécher » → 3sg. prét. ha-at-nu-ut VBoT 58 i 8 (VH/nh), ha-da-nu-ut [Ha.dnuT] KUB 33.89 + 36.21 iii 21 (NH), etc. 6.3.5 Coda complexes Les coda complexes sont plus rares que les attaques complexes, mais aussi plus libres dans leur formation en autorisant les configurations dérogatoires en fin de mot (§ 6.1.5). Ces dernières situations mises à part, trois principes majeurs dominent la composition des coda complexes : (i) seuls sont admis en C₁ les segments caractérisée par une absence d’obturation complète de la cavité orale : les liquides /r l/, la nasale /n/, les fricatives /s H/, les semi-voyelles /j w/ ; (ii) seules sont admises en C₂ des obstruantes (plosives, affriquée et fricatives) ; (iii) tout segment relevant d’une classe donnée en C₁ proscrit un segment de la même classe en C₂, la fricative /s/ exceptée ; (7) coda complexes non dérogatoires lH rH rs rʧ rP rK ŋH ns nT ŋK ss sʧ Hʧ Ce tableau est aussi approximatif que le précédent pour les mêmes raisons d’indistinction des propriétés de voisement des C₂ (dans beaucoup de langues, elles sont obligatoirement non voisées). Les semi-voyelles /j w/ peuvent concourir à former une marge complexe à la condition d’être au contact du noyau : {liNKi- : liNKaj-} lingi-/lingai- « serment » → nom. sg. {liNKaj-s} → [liŋ.Kajs] li-in-ga-is (MH) ; {Harnu- : Harnaw-} harnu- / harnau- « siège d’accouchement » → nom. sg. {Harnaw-s} → [Har.naws] har-na-a-us (MH/nh). Compte tenu de l’instabilité de la syllabation des semi-voyelle, on ne saurait naturellement exclure des réalisations [liŋ.Ka.is], [Har.na.us]. La flexion du nom animé has- « cendre savon » repose, au nominatif, sur une forme {Has-s} écrite ha-a-as, ha-as-s⸗a, dont la variante ha-as-sa-as KUB 29.7 + KBo 21.41 Ro 35 (MH/nh) indique un recours aux signes à voyelle factice pour représenter /Has-s/ (l’hypothèse d’un nominatif formé sur un thème *hassatiré d’une réinterprétatation de l’accusatif {Has-an}, n’est pas impossible, mais

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Chapitre 6

serait, en l’espèce, arbitraire). Ce témoignage, avec une succession de segments phonologiques, ne se situe pas sur le même plan que les faits de gémination, mais il certifie qu’une coda finale peut être formée de [ss]. Les coda avec C₂ fricative ou affriquée sont attestées partout dans le mot : ans- « essuyer » → 2sg. imp. /ans-∅/ a-an-as ; sanh- « rechercher » → 2sg. imp. /saNH-∅/ sa-an-ah /sa-an-ha ; wars- « récolter » → 2sg. imp. /wars-∅/ wa-ar-as ; tē/tar- « parler » → itér. {Tar-sKe-} tar-as-ke-, tar-si-ke-, tar-si-ik-ke- [Tars.K-] (voir § 8.13.7) ; parh- « poursuivre » 3sg. prés. pár-ah-zi / pár-ha-zi [Parx.ʧi] (*[.xʧi] serait inacceptable) ; walh- « frapper » → 3sg.prés. wa-al-ah-zi [walx.ʧi] (on identifie /x/ d’après 3pl. prés. wa-al-ha-an-zi : wa-al-ah-ha-an-zi, nom verbal wa-al-ah-hu-u-wa-ar) ; hark- « (dé)tenir, avoir » → 3sg. prés. har-za [Harʧ] KBo 9.73 Ro 12 (VH), (mais har-zi [Har.ʧi], § 8.14.5) ; nepis- « ciel » → abl. ne(e-)pí-is-za [nē.bisʧ] ; sittar- « stylet » → abl. si-it-tar-ra-za, si-it-tar-za [si.tʰarʧ] ; andurza « dedans, à l’intérieur » → an-dur-za [an.Turʧ] (ablatif figé) ; tapus« côté » → abl. ta-pu-us-za [Ta.busʧ]. Une coda [xʧ] est sûre dans suhh- « toît » → abl. su-u-uh-za [suxʧ] (VH) ; sur l’adverbe l’adverbe a-ra-ah-za « dehors », voir § 8.9.4. Les coda avec C₂ plosive ne semblent attestées qu’en fin de mot : démonstratif apā- → instr. /abéT/ a-pé-et (VH) et a-pé-e-da-an-da /abédaNT/ (VH) ; sagan- « huile » → instr. sa-kán-da [sa.gənT] ; Wisuriyant- → voc. d]Ú-i-su-uri-ya-an-ta [wi.su.ri.janT] ; hark- « avoir tenir » → 2sg. imp. /HarK-∅/ har-ak ; karp- « emporter » → 2sg. imp. /KarP-∅/ kar-ap. Cette situation est une de celles où il y a le plus de raisons de postuler une réalisation non aspirée des plosives (§ 5.1.3). 6.3.6 Réversibilité des marges complexes Les attaques ne constituent un miroir des coda que dans une demi-douzaine de cas qui, tous, incluent une résonante. La majorité des attaques comme des coda sont caractéristiques d’une localisation donnée, à droite ou à gauche du noyau vocalique. (8) marges réversibles envers V attaques : Tn sn sr Hn coda : nT ns rs ŋH

Hr rH

Hl lH

Ces groupes de consonnes sont globalement caractérisés par un niveau de sonorance relativement bas et sont, pour la plupart, phonétiquement instables à un titre ou à un autre. Tous comportent une nasale et / ou une fricative. L’interrogation globale que suscite cette observation est celle de la possible perturbation perceptuelle que créent, par rapport au niveau de sonorance

La syllabe

315

élevé des voyelles, des marges syllabiques à durée longue et à faible sonorance et des ajustments que cet écart peut, éventuellement, favoriser. 6.4

Plateaux syllabiques

6.4.1 Principes de comportement Hormis le cas attesté, mais rare, de noms animés à thème en {…-s} fléchis au nominatif animé en {-s} (cf. has -« savon cendre », supra), la questions de la syllabation des séquences formées de phonèmes situés au même niveau de sonorance ne se pose qu’avec des segments formés en des points d’articulation différents : les plosives voisées non aspirées /b d g/ ; les plosives non voisées aspirées /pʰ tʰ kʰ/ ; les fricatives /s/ et /x/ et les nasales /m n/. Compte tenu des impossibilités phonotactiques, toutes les situations de plateau, en hittite, impliquent nécessairement soit une obstruante coronale antérieure, plosive ou fricative, soit une nasale coronale. Les semi-voyelles /j w/ ne ne sont opposables entre elles qu’en attaque. La gémination ne relève pas de cette problématique car elle opère à un niveau strictement phonétique en prédisant qu’une frontière syllabique sépare les segments ayant les mêmes propriétés (§ 6.7.3). Le principe général qui semble s’appliquer en hittite est que toute séquence formée de segments de même niveau de sonorance n’est possible qui si chacun de ces segments appartient à une syllabe différente s’il s’agit d’obstruantes et à une même syllabe s’il s’agit de résonantes (nasales). Chaque fois que la morphologie met en cause ces principes, des traitements particuliers se déclenchent en conduisant, le cas échéant, à des phonologisations (§ 8.14). 6.4.2 Les plosives La phonotactique proscrit les séquences *TP *KP, *PK, et impose à TT un traitement phonétique particulier (§ 8.2). Les séquences possibles de plosives de même niveau de sonorance se limitent donc aux situations dans lesquelles une coronale est soit suivie ou précédée d’une vélaire, soit précédée d’une labiale. Les séquences PT, KT, TK, apparaissent régulièrement traversées par une frontière syllabique ; le plus souvent, la frontière syllabique coïncide avec une frontière morphologique : epp- « prendre » → 2pl. prés. ap-te-ni KUB 12.63 Ro 15 (VH/mh) [apʰ.tʰe.ni] ; happ- « joindre » → 2sg. prés. ha-ap-ti (MH) [Hapʰ.tʰi] ; wekk- « vouloir » → 2sg. prés. ú-e-ek-ti [wḗkʰ.tʰi] ; sarnink« compenser » → 2pl. prés. sar-ni-ik-te-ni (MH) [sar.ni(ŋ)K.tʰe.ni] ; indéf. kuitki→ ku-it-ki. Plus rarement, la frontière se situe à l’intérieur des morphèmes : hapax sa-ap-ta-mi-en-zu KUB 29.1 iii 2 (MH), vraisemblablement « sept fois »

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Chapitre 6

(où -zu reflète une épenthèse de t devant *-su- ; comp. louv. hiér. -su, lyc. -su « n fois ») ; ukturi- « ferme, stable » (la variante nom. pl. wa-a[k-t]u-u-ri-is KUB 33.120 i 6 (NH), face à uk-tu-u-ri-i-e-es n’est pas claire) ; hatk- « fermer » → 3sg. prés. ha-at-ki ; watku-« sauter » → 3pl. prés. wa-at-ku-an-zi, wa-at-ku-waan-zi. [waT.Ku.(w)an.ʧi]. La syllabation de hartakka-, nom désignant un animal prédateur que, sur une base étymologique, on peut identifier à l’« ours » (nom. har-tág-ga-as, acc. har-ták-kán, gén. har-tág-ga-as) est plus vraisemblablement {HarT.kʰa-} que {Har.Ta.kʰa-} (voir ci-après), car, quelles que soient les propriétés de voisement de la coronale, une frontière syllabique entre la coronale et la dorsale s’impose, soit par règle de plateau, si elle est /tʰ/, soit, par décroissance naturelle, si elle est /d/ (l’absence de graphie mettant en évidence une voyelle entre r et t récuse la possibilité de {HraT.kʰa-} ou de {Hra.Ta.kʰa-}, par ailleurs, correctement formées a priori). A côté de la désignation de l’animal, existe aussi un dérivé LÚhartakka- « homme-ours » (dans certains rituels), identiquement fléchi, qui présente la particularité de refléter une vacillation de la plosive dorsale au nominatif seulement : har-tág-ga-as KBo 17.43 i 14 (VH), mais har-ta-ga-as KUB 58.14 Vo 7, et dupl. KBo 7.37 Ro 14 (VH/mh) (HW² III, 378-379) ; la fluctuation g : gg peut se justifier à raison de la proximité de la fricative homosyllabique /s/ ou bien d’un déplacement d’accent de la base {HarT.kʰás} → [Hartʰ.kʰás] au dérivé {HárT.kʰas} → [Hártʰ.kas] (voir § 7.5) ; l’hypothèse d’une assimilation de voisement (§ 8.4) serait ici peu vraisemblable, la réalisation des plosives derrière /r/ étant aspirée, donc non voisée (§ 8.3.1). 6.4.3 Les fricatives Il n’existe pas de restriction phonotactique aux combinaisons de fricatives, hormis le fait que des séquences *[ɣx] et *[xɣ] sont impossibles et que la séquence hs est stable, alors que la séquence sh peut être sujette à assimilation (§ 8.5.2). La norme de dissylabicité se vérifie avec les fricatives comme avec les plosives : eshar- « sang » → gén. is-ha-na-a-as [is.Ha.nās] ; pahs- « protéger » 3sg. prés. pa-ah-sa [Pax.sa] (on identifie /x/ d’après 1sg. prés. my. pa-ah-ha-as-ha) ; pahsnu- « protéger » → 1sg. prés. pa-ah-sa-nu-mi [Pax.snu.mi] ou bien [Paxs. nu.mi] (voir supra, § 6.2.2) ; parh- « poursuivre » → 2sg. prés. pár-ah-si [Parx.si] (on identifie /x/ d’après 3sg. pár-ha-a-i : pár-ah-ha-i ; le caractère factice de la voyelle devant h se déduit de 3sg. prés. pár-ah-zi / pár-ha-zi) ; walh- « frapper » → 2sg. prés. wa-al-ah-si [walx.si] (on identifie /x/ d’après 3pl. prés. wa-al-ha-anzi : wa-al-ah-ha-an-zi). Le témoignage de tuhs- « détacher, être séparé » → 3pl. prés. {Tuxʷs-aɲʧi} túh-uh-sa-an-z[i] KBo 13.155 : 7 (/nh) suppose [Tuxʷ.saɲ.ʧi], mais la variante

La syllabe

317

túh-hu-is-sa[-an-zi] KBo 6.5 iii 9 (VH/nh) met en évidence une anaptyxe [Tu.xʷǝ.saɲ.tsi], plausiblement pour prévenir *[Tu.xʷsaɲ.ʧi]. Kloekhorst (2008 : 362) estime que, dans des exemples comme hama/enk« lier » → ha-ma-an-ku-un [Ha.maŋ.gun] KUB 58.108 iv 12 (MH/nh), la désinence 1sg. prét. /-xun/ de la flexion en -hi (écrite C-hu-un et Vh-hu-un) a été analogiquement remplacée par la désinence -(n)un de la flexion en -mi. Cette explication est vraisemblable, mais on doit aussi observer que les témoignages de ce remplacement correspondent, le plus souvent, à des contextes diversement problématiques au plan phonologique : la forme attendue *[Ha.maŋK. xun] supposerait une séquence [Kx] réprouvée par la phonotactique ; les variantes de la flexion de has- « engendrer » (et d’autres thèmes en … s-) → ha-aas-hu-un et ha-a-su-un sont susceptibles de tomber sous le coup de la tendance à l’effacement de la fricative vélaire constatée dans eshar- « sang » → dir. e-eshar : e-es-sar. Par ailleurs, certaines flexions comme celle de assas- « asseoir » → 1sg. prét. a-sa-as-hu-un ne reflètent pas de changement, tandis que d’autres paraissent l’avoir mené à terme, comme ispant- « faire une libation » → si-ippa-an-da-ah-hu-un, si-pa-an-tah-hu-un, mais si-ip-pa-an-du-un KUB 58.79 iv 5 (MH/nh), où une élimination de [x] serait phonétiquement immotivée (autrement, Hoffner & Melchert 2008 : 45-46). Ces observations suggèrent que le remplacement de -hhun par -(n)un correspond à la structuration morphologique d’un changement dont la causalité est phonétique. Quand une séquence de fricatives C₁C₂ n’est pas simplement proscrite, C₂ est menacée quand C₁C₂ forment un plateau éventuellement assimilable à une attaque : la syllabation de 1sg. prét. {Hás-xun} ha-a-as-hu-un est normalement [Hā́s.xun], mais il suffit qu’elle soit réalisée [Hā́.sxun], avec une chute maximale de la sonorance, pour que l’un des fricative soit assimilé par l’autre, d’où [Hā́(s).sun]. La question des plateaux n’est pas concernée par des données comme nahsaratt- « crainte » → nom. na-ah-sa-ra-az (MH) ; taks- « donner forme » → 3sg. prés. my ta-ah-sa-at-ta-ri [Taɣ.sa.tʰa.ri], où la fricative est /ɣ/ (comp. nah→ 2sg.imp. na-(a-)hi ; 3pl. prét. tah-is-ker [dérivé en -ske-]). Le principe de dyssylabicité ne s’applique qu’avec des segments hétérorganiques ; pour autant qu’on puisse en juger d’après l’exemple de hass- « cendre savon » au nominatif {Hás-s}, → ha-as-sa-as et ha-a-as [Hā́ss] ou [Hā́s], des séquences formées de phonèmes similaires peuvent appartenir à la même rime. 6.4.4 Les nasales La question des plateaux formés de nasales se situe sur un autre plan : d’une part, les séquences /mn/ ne sont possibles que si elles sont incluse dans la forme zéro d’un morphème dont la forme alternante est {… mVn …] au degré

318

Chapitre 6

plein ; de l’autre, la réalisation phonétique de ces séquences est instable en faisant varier [mn] avec [mm] voire [m] (sur ces différents points, voir § 4.11). Il est donc difficile d’apprécier si l’on est véritablement en présence de séquences positivement phonologiques /mn/ plutôt que de variantes morphologiques. Quoi qu’il en soit, le problème d’interprétation qui est posé est de discerner si, dans des témoignages comme laman- « nom » dir. {láman-∅} → la-a-maan KBo 19.152 i 20 (VH/mh?), face à loc. {lamn-i} la-am-ni KUB 30.41 iv 5, 18 (VH/nh), on doit postuler une syllabation spécifiquement nasale [la.mni] ou un alignement des séquences nasales sur le modèle commun [lam.ni] ? Les deux interprétation sont a priori également vraisemblables en termes de sonorance, mais la première semble préférable au vu du témoignage du verbe dérivé lamniya- « appeler » 3pl. prét. {lamni-er} → lam-ma-ni-er KBo 63.61 i 11 (/nh) où la gémination de /m/ impose de reconnaître une syllabation [lam.mni.jer], la gémination pouvant être dérivée de [la.mni.jer] lam-ni-er KUB 36.109 : 6 (MH), mais non de *[lam.ni.jer]. Il paraît donc que les normes de syllabation des plateaux constitués de résonantes (en l’espèce : de nasales) sont distinctes de celles qui impliquent des obstruantes : dans le premier cas, les segments en relation de consécution forme la marge d’une même syllabe, dans l’autres, ils appartiennent à des syllabes différentes. 6.5

La réplication des voyelles

6.5.1 Manifestation La réplication des voyelles repose sur les procédés exposés § 4.2.1 ; elle constitue un procédé d’écriture aussi fréquent qu’instable : dans une même tablette, wahnu- « faire tourner » → 1sg. prés. wa-ah-nu-mi KBo 17.1+ ii 37 (VH), peut fluctuer avec wa-ah-nu-ú-mi, ibid., ii 18. Par suite, l’appréciation du caractère significatif de la réplication d’une syllabe d’un mot-forme donné repose sur une présomption de représentativité beaucoup plus souvent que sur un constat de régularité. Corrélativement, l’interprétation d’un témoignage de réplication dérive nécessairement non pas d’une hypothèse, mais d’un cumul d’hypothèses, concernant tout autant le caractère significatif de l’observation que les interprétations que l’on peut former à partir d’elle8.

8  La réplication a été spécialement étudiée par Rozenkranz 1959, Hart 1980, Kimball 1983 (non uidi, résumé dans Kimball 1999 : 55-67), Makarova 2001, Kloekhorst 2014.

319

La syllabe

6.5.2 Fréquences La fréquence de la réplication varie, selon le timbre vocalique et la strate chronologique, en allant de 1,3 % à 18 % des occurrences d’une voyelle donnée (relevés effectués à partir du corpus numérisé)9 : (9) fréquence des graphies répliquées dans les textes authentiques VH

MH

NH

my.

a 88 % (16 549) 92 % (16 270) 94,5 % (82 987) ā 12 % (1 971) 8 % (1 289) 5,5 % (4 608) 8,5 e 82 % (3 685) 86 % (2 988) 85 % (14 172) ē 18 % (668) 14 % (424) 15 % (2 251) 15,5 i 98,3 % (7 969) 98,4 % (6 207) 98,7 % (29 122) ī 1,7 % (138) 1,6 % (104) 1,3 % (391) 1,5 u 93 % (5 056) 91 % (5 293) 94,3 % (27 216) ū 7 % (363) 9 % (476) 5,7 % (1 570) 7 my. V répl. 9,5 % 8 % 7 % La propension des voyelles à la gémination met en évidence, à toutes les époques, une hiérarchie dont l’organisation diffère de celle de la fréquence des signes -V- en ce que e précède a (comparer § 4.3.3). Cette différence peut être justifiée sous deux considérations : les chiffres correspondant aux rapports a : ā sont fondés sur les occurrences de signes -a- et sur celles des signes Ca, aC, lesquels ne stipulent pas nécessairement la présence d’une voyelle, si bien que la fréquence des voyelles de timbre ‘a’ étant sûrement inférieure à celle qui est indiquée, celle de ‘ā’ apparaît proportionnellement comme plus importante ; d’autre part, la hauteur et la durée étant interdépendantes, et la réalisation de e bref étant naturellement plus haute que celle de ē long (§ 6.6.6), dans une langue où les voyelles les plus basses sont les plus fréquentes (§ 4.3.3), l’écart de hauteur entre [ē] et [ā] est naturellement plus faible qu’entre [e] et [a]. Les taux de variation u :ū et i : ī doivent, pareille­ ment, être relativisés car les graphies répliquée avec signes u, ú et i, peuvent

9  Mode de dénombrement : (‘-V-V’ + ‘V-V-’ + ‘#V-V’ + ‘V-V#’) x 100 / (somme des ‘V’) -(‘-V-V’ + ‘VV-’ + ‘#V-V’ + ‘V-V#’), incluant, pour toute V et pour toute V incluse dans un signe CV, VC, les variantes portant un diacritique.

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Chapitre 6

aussi correspondre à des mécanismes de resyllabation incluant [w j] (§§ 4.14, 6.6.3, 8.12.7). Comme le montrent les données de (9), au cours de l’histoire du hittite, la fréquence des voyelles répliquées tend globalement à diminuer, quoique dans des proportions très variables selon les timbres considérés : il est divisé de moitié avec a, il diminue moins fortement, mais dans les mêmes proportions pour e et u, et demeure presque stable avec i. Ici encore, la corrélation entre la durée et la hauteur est flagrante : plus une voyelle est basse, donc, intrinsèquement longue, plus la représentation de sa durée tend à diminuer. De façon générale, pour l’ensemble des raisons déjà exposées (§ 4.3.3), les données statistiques relatives aux voyelles dans les textes hittites doivent être appréciées en tant qu’indications de grandeurs relatives, et non comme des relevés précis. 6.5.3 Évolution L’évolution, bien qu’allant de pair avec un accroissement de la documentation, ne permet guère de préciser l’utilisation faite de la réplication, tout au contraire. La graphie répliquée dominant l’écriture d’une syllabe donnée dans un mot donné en vieux hittite peut se déplacer sur une autre syllabe ou disparaître complètement dans les strates ultérieures : haran- « aigle » → nom. ha-a-ra-as, mais ha-ra-a-as KBo 12.86 : 7 (NH) ; sesur- « irrigation » → gén. si-is-su-ú-ra-as KBo 6.26 iii 5 (VH/nh), mais se-e-su-ra-as KUB 17.8 iv 3 (NH), erman- « maladie » → e-er-ma-an KBo 17.1 iv 2 (VH), mais er-ma-a-an KUB 26.87 : 8 (NH), etc. Dans certains cas, les graphies dominantes s’inversent de façon massive : l’écriture de l’adverbe ser « au dessus », mot invariable, monosyllabique et aclitique fait dominer se-e-er sur se-er en vieux hittite, avant que le rapport s’inverse complètement dès la période moyenne, au point qu’en hittite tardif, se-e-er devient parfaitement marginal par rapport à se-er. (10) fréquence des graphies de ser dans les textes authentiques

se-er se-e-er

VH

MH

NH

3 24

25 2

238 1

Les témoignages de ce type ne sont pas isolés : à partir du moyen hittite, la graphie ma-ah-ha-an « quand, comme » supplante ma-a-ah-ha-an, plus ancienne (Neu 1985). A l’inverse, le morphème 3pl. prés. {-aNʧ(i)} normalement écrit

La syllabe

321

-an-zi, -an-za, en vieux hittite (sur 3pl. pānzi « ils vont », voir § 6.6.2) entre en concurrence avec -a-an-zi à partir du moyen hittite (pittai- « apporter » → pídda-a-an-zi HKM 21 : 23) avant que cette dernière graphie prenne de l’extension en hittite tardif (ar- « venir » → a-ra-a-an-zi, etc. ; cf. Kimball 1999 : 245). Dans les textes tardifs, la réplication peut donner lieu à des utilisations totalement erratiques, comme, par exemple, les variantes de kappuwa- « compter » → 3pl. kap-pu-wa-an-zi, kap-pu-u-wa-an-zi, kap-pu-u-wa-a-an-zi, tandis que s’accumulent les témoignages de réplications multiples au sein d’un même mot : arsa(r)sur- « flot, courant » → dir. pl. ar-sa-a-as-su-ú-ri KUB 36.55 ii 25 (VH/mh). Il serait certainement incorrect de voir dans la réplication l’expression arbitraire et désordonnée de la subjectivité des scribes (« Schreibermarotte » selon Götze) car il est flagrant que la réplication, quand elle se constate, tend à affecter les mêmes syllabes des mêmes mots, au moins dans la strate la plus ancienne ; en revanche, la multiplication des situations de réplication isolées, contradictoires ou aberrantes que l’on constate en hittite tardif par rapport aux états antérieurs indique que le procédé a progressivement perdu son intelligibilité, et que son utilisation ne répond plus qu’à la perprétuation d’un procédé d’écriture. Sous cette considération, la réplication est un des rares domaines de la phonologie hittite dont l’analyse est absolument dépendante de la stratification chronologique. 6.5.4 Situations de réplication en vieux hittite On limite les exemples ci-dessous au corpus vieux-hittite authentique qui, bien que moins étendu que les autres, illustre toutes les situations susceptibles de se présenter. (1) Absence de réplication. – aucune des syllabes d’un mot n’est jamais représentée en graphie répliquée : cette situation est attesté dans la flexion de mots fréquents et bien documentés comme anna- « mère », atta- « père », aruna- « mer », eku-/aku- « boire », es-/as- « être assis », iskis- « dos », hark« (dé)tenir, avoir », ker-/kard- « coeur », ki- « gésir », gimra- « steppe », sarra« diviser », sarnink- « restituer », etc., ainsi que par certains mots invariables comme les adverbes an-da-an « dedans », ha-an-ti « à part, séparé », kat-ta « au bas », etc. L’absence de réplication est régulière avec les mots clitiques à toutes les époques (§ 9.3). (2) Réplication stable. – La même syllabe d’un même mot-forme est représentée en graphie répliquée dans toutes les occurrences de ce mot ; su- « complet, entier » → nom. sg. su-u-us, i- « aller » → imp. 2sg. i-it, pronom 1sg. ú-uk, conjonction ma-a-an, démonstratif kā- → acc. pl. ku-u-us, acc. sg. ku-u-un, abl.-instr. ke-e-et, da- « prendre » → 2sg. imp. da-a, opérateur de négation le-e. Beaucoup de mots relevant de cette situation sont monosyllabiques, mais non

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tous : déloc. apā- → acc. sg. a-pu-u-un (etc., de même, déloc. kā-), adverbe a-appa-an « derrière, après », adj. hūmant- « chaque entier, tout » → nom. sg. hu-uma-an-za, nom. pl. hu-u-ma-an-te-es, etc. (3) Réplication instable. – une syllabe donnée est représentée en graphie répliquée dans certaines des occurrences d’un mot-forme donné, mais non dans toutes : (11) réplication instable en vieux hittite uske- « voir » 3pl. prés. us-kán-zi (dériv. -ske-) KUB 60.41 ii 19 punuss2pl. prés. pu-nu-us-te-ni « demander » KBo 22.1 Ro 26 wahnu1sg. prés. wa-ah-nu-mi « faire tourner » KBo 17.1+ ii 37 pronom 2sg. zi-ik KUB 8.41 ii 2 witt- « année » loc. ú-it-ti KBo 3.22 Ro 10 adv. peran pé-ra-an KBo 20.3 iii 15 nepis- « ciel » dir. ne-pí-is KBo 17.3+ i 3 mema- « dire, parler » 3sg. prés. me-ma-i KUB 8.41 iii 10 memal-« plat, repas » me-ma-al KUB 43.30 iii 16 taye- « voler » 3sg. prés. ta-i-ez-zi KBo 6.2 iii 54 ar- « venir » 3sg. prés. a-ri KBo 17.9+ i 4 halzai- « crier » hal-za-i KBo 17.1+ i 35

3sg. ú-us-ki-iz-zi KBo 8.42 Ro 2 3pl. pu-ú-nu-us-sa-an-zi KBo 17.9+ ii 19 wa-ah-nu-ú-mi même tablette, ii 18 zi-i-ik KBo 25.112 i 5 ú-i-it-ti KUB 4.72 Vo 2 pé-e-ra-an même tabl. iii 3 ne-e-pí-is KBo 17.1+ i 8 [dupl.] me-e-ma-i KUB 31.143 ii 5 me-e-ma-al KBo 17.15 Vo 14 ta-a-i-ez-zi même tabl. i 39 a-a-ri KBo 20.11 iii 4 hal-za-a-i même tabl., i 37

De toutes les situations de réplication, c’est, de loin, la plus fréquente. Selon le mot-forme considéré, le rapport fréquentiel entre formes répliquées et non répliquées peut être très variable, depuis la domination massive d’une variante sur l’autre, jusqu’à une répartition à peu près équivalente des deux graphies. (4) Réplication discordante. – la syllabe représentée en graphie répliquée dans certaines occurrences d’un mot-forme donné est différente de celle qui est représentée en graphie répliquée dans d’autres occurrences du même

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mot-forme : hassa- « foyer » → acc. sg. ha-as-sa-an KBo 17.11+ i 7, ainsi que ha-aas-sa-an KBo 25.147 Vo 6, et ha-as-sa-a-an KBo 25.31 ii 17 ; pattar- « panier » → loc. pád-da-ni-i KBo 17.1 iv 21 (VH) et pád-da-a-ni KBo 17.4 iii 10 (VH), wagatas(type de pâtisserie) → dir. wa-ga-ta-as KBo 17.9+ ii 11, ainsi que wa-ga-a-da-as KBo 17.29+ i 8 et wa-ga-da-a-as KBo 25.79 i 7 ; sali(n)k- « toucher, entrer en contact » → 3sg. prés. my. sa-li-ga KBo 17.43 i 15, face à sa-a-li-ga KBo 17.42 : 7 et sa-li-i-ga KBo 17.18 ii 1710. (5) Réplications multiples. – la syllabe représentée en graphie répliquée dans certaines des occurrences d’un mot-forme donné voisine, dans le même mot-forme, avec au moins une autre syllabe également représentée en graphie répliquée : assu- « bon, bien » → dir. pl. a-as-su-u KBo 25.122 ii 10, iss- « faire » → 2pl.prés. i-is-te-e-ni KBo 22.1 Vo 27 ; hapiya- (fonctionnaire cultuel) → nom. pl. ha-a-pí-e-es KUB 60.41 ii 9, kusata- « dot » → dir. ku-ú-sa-a-ta (VH/ ?), saktai- « prendre soin, soigner » → 3sg. prés. sa-a-ak-ta-aiz-zi KBo 6.2 i 17. Certaines formes peuvent être à la fois discordantes et multiples, par exemple issa- « faire, accomplir » → 2 pl. i-is-te-e-ni KBo 22.1 Vo 27 (VH) et i-is-te-ni-i, même tablette, ligne 33. Le caractère de ces témoignages a, d’emblée, deux conséquences capitales sur l’interprétation : – la réplication, de quelque façon qu’on l’aborde et quels que soient le ou les phénomènes qu’elle recouvre, ne peut être appréciée comme l’expression ni d’une cause unique, encore moins comme l’expression d’un paramètre distinctif au plan phonologique (voir déjà, sur ces points, Friedrich 1931 : 19-20, Kuryłowicz 1958 : 218-219) ; – la graphie isolée d’un mot-forme donné ne peut être considérée comme représentative, positivement ou négativement, d’une propriété susceptible d’être manifestée par la réplication (voir déjà Kimball 1999 : 56). La question du volume d’occurrences absolu ou proportionnel à partir duquel une variante graphique peut être reconnue comme significative par rapports à des témoignages discordants est, objectivement, insoluble. 6.5.5 Parallèles La réplication est, comme procédé, attestée en accadien où elle est limitée aux séquences CV-V(-VC) ; son usage y est notablement moins fréquent qu’en hittite et répond à divers emplois (Aro 1953, 1971, Knudsen 1980, Worthington 2012 : 168sq., 232sq.) : 10  Des fluctuations du même type se constatent en louvite : has- « os » → abl.-instr. ha-sa-a-ti KUB 35.88 iii 7 et ha-a-sa-ti KBo 29.6 Ro 20.

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(a) représenter la durée longue d’une voyelle, qu’elle soit phonologique ou phonétiquement conditionnée par une coalescence de voyelles, en san­dhi comme au voisinage de certains morphèmes, par l’accentuation ou par l’intonation. Ce procédé n’est véritablement usité qu’en moyenassyrien où toutes les voyelles longues ne sont pas écrites selon ce procédé (von Soden 1995 : § 7e), tandis qu’il n’est pas attesté en vieil assyrien, en vieil accadien et en vieux babylonien (bien que la distinction entre voyelles longues et brèves soit phonologique) ; (b) représenter l’insertion d’une approximante en hiatus : l’état construit de dātum « taxe » écrit da-ha-at en vieux babylonien est écrit da-a-at en vieil assyrien (Veenhof 1972 : 227-228) ; (c) expliciter le timbre du noyau syllabique au voisinage d’un signe CV ou VC de timbre équivoque (Worthington 2012 : 266sq.). La fréquence des graphies à réplication vocalique semble plus élevée dans les textes en langue accadienne copiés à Hattusa que dans les textes copiés en milieu indigène (Labat 1932 : 10). Dans les documents en langue accadienne du niveau II (vers 1980-1840) du kārum de Kültepe / Kanes, l’usage de la réplication dans certaines formes nominales et verbales, notamment en syllabe finale, constitue un des indices faisant reconnaître une copie réalisée en milieu hittite : noms e-ṣé-e (Kt d/k 16b : 8), ší-mì-i (Kt n/k 75 : 8), šé-re-e-šu (Kt 88/k 1050 : 6) ; verbes iš-qú-lu-ú (Kt e/k 156 : 12), ú-ṣú-bu-ú (Kt e/k 156 : 14), i-du-nu-ú (Kt d/k 12b : 11 ; Kt d/k 12a : 17)11. En louvite, la réplication est attestée en écriture cunéiforme comme en écriture hiéroglyphique, à ceci près qu’elle semble encore plus vacillante qu’en hittite : cunéiforme a-li-is (KUB 29.43 : 2) : a-a-li-is (KBo 9.127 ii 4) « haut » (nom. sg.), hiéroglyphique á-mu : á-mu-u (pronom 1sg. nom.), etc. Le hourrite est la seule langue transmise en écriture cunéiforme dans laquelle la réplication paraît stabilisée : certains radicaux sont régulièrement écrits sous forme répliquée (še-e-n … « frère », ta-a-n … « faire »), tandis que d’autres ne le sont jamais (Wilhelm 1991 : 161). La ou les propriétés que recouvre cette distinction reste débattue12. 6.5.6 Interprétations Il existe, fondamentalement, deux approches de la réplication : celle qui ne voit en elle qu’une conséquence de l’utilisation du code graphique et 11  Voir Michel 2011 : 107, avec bibliographie antérieure. 12  On peut relever qu’un mot hourrite comme purulli- « maison, temple », écrit pu-ru-ul-l … en contexte hourrite, peut être éventuellement écrit pu-ru-l … KBo 11.20 dr. col. 3 en contexte hittite.

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celle qui la considère comme représentative d’une réalisation phonétique particulière. (1) Ornementation graphique. – On a supposé que la réplication serait motivée par un soucis esthétique variable selon l’humeur des scribes (ainsi Kronasser 1956 : 35-36, 1962 : 27-30). On ne mentionne cette hypothèse que pour mémoire car il est invraisemblable d’attribuer à la fantaisie individuelle des scribes le fait que des signes d’écriture sytématiquement redondants seraient introduits dans l’écriture des mêmes syllabes des mêmes mots quelles que soient les tablettes. On a également estimé que la réplication serait un moyen d’amplifier, dans une ligne d’écriture, le volume spatial de mots que les scribes estimeraient être « trop courts » (ainsi Sturtevant & Hahn 1951 : 24, Otten & Souček 1969 : 44-50), ce qui revient à postuler, de façon arbitraire, que l’écriture assignerait un calibre minimal à la graphie de chaque mot13 ; (2) Yod intervocalique. – Götze (1954a : 187a, 1962 : 32a), a estimé que la réplication servirait à indiquer la présence d’un yod intervocalique, conjecture qu’il dérive de l’utilisation la réplication en accadien pour représenter les approximantes en hiatus (voir ci-dessus). Dans cette perspective, ā- « être chaud » → part. a-a-an-za « chaud », reflèterait /ajaNTs/, graphie que Götze justifie en fonction d’une prohibition du signe -ya- derrière /a/ en vieux hittite. Cette approche est contestable : (i) contrairement à son affirmation, le signe ya est licite derrière /a/ en vieux-hittite (ta-ya-az-zi-il « vol, larcin » KBo 6.2 ii 55, su-wa-ya-az-zi KUB 29.28 : 9), si bien que rien ne s’opposerait à ce qu’une forme comme [a.janTs] soit écrite *a-ya-an-za ; (ii) de nombreuses données reflètent une instabilité de [j] en contexte intervocalique, mais aucun de ces témoignages ne montrent que la réplication alternerait avec les graphies avec [j] explicite : udne- « pays » → gén. {udnej-as} ut-ne-ya-as KBo 3.21 ii 4 (VH/nh), mais KUR-e-as KUB 36.89 Vo 49 (NH) ; abl. {uTnej-aʧ} KUR-e-ya-az KUB 41.20 Ro 5 (NH), mais KUR-e-az KUB 29.1 i 40 (VH/nh) ; (iii) on ne peut raisonnablement considérer que des mots dont le noyau vocalique est (presque) toujours écrit en graphie répliquée comme l’opérateur de négation le-e, ou le pronom délocutif kā- → nom. ka-a-as auraient une scansion bisyllabique. (3) Durée vocalique. – Selon une opinion évoquée de façon plus ou moins affirmative dès les débuts de la linguistique hittite, la réplication restitue la durée longue des voyelles (Hrozný 1916-1917 : 186, Čop 1964 : 63-34, et beaucoup d’autres par la suite). Cette interprétation à l’avantage de mettre en relation de façon naturelle la symbolisation graphique et le rythme phonétique, tout en débouchant sur d’autres interrogations relatives aux motivations de la durée. 13  La même justification est avancée, au sujet de l’accadien, par Seminara 1998 : 109, et Kouwenberg 2011 : 492.

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A partir de la fin des années 1970, certains chercheurs, ont estimé que l’existence de voyelles longues était, à elle seule, suffisante pour reconnaître celle d’une distinction phonologique entre voyelles longues et brèves, autrement dit, que les graphie répliquées restituent des phonèmes (Oettinger 1979 : 233, Weitenberg 1984 : 349)14. Cette conception n’est pas crédible, ne serait-ce qu’au vu du caractère erratique et instable, quand ce n’est pas contradictoire, des graphies répliquées. Il peut exister, dans l’histoire des écritures, des exemples de codes graphiques, généralement empruntés, oblitérant totalement la représentation de certains segments (les latérales du grec sont représentées dans le syllabaire mycénien comme des rhotiques : eleútʰeros = e-re-u-te-ro), mais aucun système d’écriture n’attribue aux unités distinctives une représentation sporadique. Si les graphies Vₓ et VₓVₓ devaient symboliser des phonèmes différents, il serait, par définition, impossible que Vₓ soit occasionnellement écrite comme VₓVₓ et réciproquement. De façon plus vraisemblable, d’autre spécialistes reconnaissent que la durée des voyelles ne résulte pas de leur caractère intrinsèquement long, mais de leur allongement contextuel. Le facteur généralement évoqué pour justifier la durée, donc la réplication, est l’accentuation15. Cette approche a, sur les autres, l’avantage de reposer sur un traitement phonétique naturel (voir infra) et d’être corroborée par la comparaison. Au début des années 1980, une série de travaux indépendamment menés par Hart (1980, 1983), Carruba (1982), Georgiev (1983) et Kimball (1983), sur les relations entre les paradigmes accentuels reconstruits en indo-européen et la distribution des graphies répliquées dans les flexions hittites ont montré qu’existaient des corrélations entre les graphies répliquées et la place de l’accent (voir depuis : Rieken 1999, Kloekhorst 2014). Le fait que les mots clitiques, inaccentués par défaut, ne sont jamais écrits en graphie répliquée constitue, négativement, un autre indice allant dans le même sens (voir § 9.3.2, sur la prosodie des clitiques). Toutefois, autant un conditionnement accentuel de la réplication peut, aujourd’hui, être tenu comme sûr, autant il n’est pas moins certain que l’accentuation ne constitue pas la seule motivation à la réplication des voyelles. Dans un même mot, plusieurs syllabes, voire toutes, peuvent donner lieu à réplication, alors que l’écriture de nombreux mots sûrement accentués ne 14  Voir de même Eichner 1980 : 150-154, du moins si sa formulation, peu claire, ne se réfère pas à la préhistoire hittite. 15  Hrozný 1916-1917 : 186-187 n. 1, Friedrich 1931 : 19-20, Pedersen 1938 : 3-5, 34, 164, 194, Kuryłowicz 1958 : 218-219, Rosenkranz 1959, Kammenhuber 1959 : 29 (avec des réserves), Houwink ten Cate 1970 : 53, Watkins 1975, Carruba 1982, Ivanov 2001 : 226.

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fait jamais usage de la réplication ; tout comme un même mot aclitique ne saurait compter plusieurs accents, on ne saurait concevoir que d’autres n’en comptent aucun16. Par suite, l’explication de la réplication d’après l’accentuation ne rend que partiellement compte de ce cette technique graphique peut recouvrir. Actuellement l’approche partagée, semble-t-il, par la plupart des chercheurs (voir particulièrement Melchert 1992, Kloekhorst 2014), et dont le précurseur semble avoir été Pedersen (1938), consiste à reconnaître que la réplication traduit un allongement conditionné par divers facteurs, au nombre desquels l’accentuation est le plus fréquent17. L’essentiel des débats actuels ne concernent plus guère la motivation prosodique de l’allongement, relation que plus personne ne met sérieusement en cause, que les problèmes de délimitation explicative et d’interprétation linguistique posés, d’une part, par l’expression instable de la réplication, de l’autre, par les situations où la réplication n’est pas imputable à l’accentuation. 6.6

Motivations de la réplication

6.6.1 Cadre général On admet ici que réplication est un procédé d’écriture répondant à, au moins, quatre motivations différentes : (i) la représentation d’un hiatus intervocalique ; (ii) la représentation de sons [j i w u] émergeant dans certains contextes ; (iii) la représentation d’anciennes distinctions de durée vocalique en voie de dislocation ; (iv) la représentation d’un allongement vocalique conditionnée par l’accent. Les deux premiers mécanismes concernent la forme des syllabes, mais non leur durée, tandis que les deux autres, considérablement plus fréquents, concernent la durée des syllabes indépendamment de l’identité segmentale des segments qui la composent. Dans tous les cas, la réplication n’a de justification que dans la dimension syllabique de l’analyse phonologique.

16  Lindeman 1983, ne tient pas compte de ces données et voit dans la réplication une représentation de la place de l’accent. 17  Certains chercheurs n’admettent pas cette conclusion : selon Kimball 1999, l’accentuation est la seule cause de réplication.

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6.6.2 Représentation du hiatus L’hypothèse formée par Götze attribuant à la réplication la représentation d’une semi-voyelle est, comme on l’a vu infondée (§ 6.5.5(2)). Il est en revanche possible d’interpréter la réplication non pas comme le signe de ce qu’un son viendrait s’insérer entre des voyelles, mais, au contraire, de ce qu’il est éliminé18. La flexion bien documentée du verbe {Paj- : Pi-} « aller » (CHD P 19) en vieux hittite met bien en évidence le mécanisme. Les morphèmes alternants sont soumis à une règle éliminant /j/ entre voyelles (voir § 8.16.2), en sorte que la graphie du thème à degré plein est invariablement pa-i … devant morphème à consonne initiale, mais pa-a-… devant morphème à voyelle initiale : 1sg. pa-i-mi, 2sg. pa-i-si, 3sg. pa-iz-zi, 1pl. pa-i-wa-ni, etc., face à 3pl. pa-a-an-zi KBo 6.2 iv 12, etc., prét. 1sg. pa-a-un KBo 17.1+ iv 13, 3pl. pa-a-er KBo 22.2 Ro. 6. La graphie du morphème de base demeure toujours la même, que la voyelle initiale du morphème flexionnel soit identique à celle du thème, comme dans 3pl. {Páj-aNʧi} → pa-a-an-zi, ou qu’elle soit différente, comme dans 1sg. prét. {Páj-un} → pa-a-un, 3pl. prét. {Páj-er} → pa-a-er (des graphies comme 3pl. prés. pa-an-zi, prét. pa-er ne sont pas documentées avant la période tardive ; le témoignage tardif de pa-i-er VH/nh, est analogiquement refait). Il apparaît donc que, même quand les conditions d’une potentielle coalescence sont réunies, à la suite de l’élimination d’une semi-voyelle, la morphologie préserve la frontière entre thème et désinence sous la forme d’un hiatus, éventuellement entre voyelles de même timbre. En l’espèce, la réplication ne reflète pas tant une réalisation longue de la voyelle de {Paj-}, toujours écrite pa-i- devant morphème à consonne initiale (des témoignages comme 1sg. prés. pa-a-i-mi, etc. sont postérieurs au vieux hittite), mais bien une situation de hiatus : 3pl. {Paáj-aNʧi} → [pā́.aɲ.ʧi] pa-a-an-zi, 1sg. prét. {Paj-un} → [Pā́.un] pa-a-un, etc. La situation du participe a-a-an-za évoquée par Götze s’explique précisément de cette façon : la forme thématique i- reflétée par le dérivé causatif i-nu- « faire chauffer, frire » ainsi que la forme alternante ay- montrée par le dérivé processif ay-ēss- « devenir chaud », indiquent, que la flexion de ce verbe reposait sur une ancienne alternance *{aj- : i-}, à partir de laquelle la formation du participe {áj-aNT-s} → [ā́.anTs] a-a-an-za se justifie exactement comme 3pl. {Paáj-aNʧi} → pa-a-an-zi. Les verbes montrant une alternance … a- : … ai- en finale de leur thème dont Oettinger (1979 : 357-360) a montré qu’ils reposaient, pour la plupart, sur d’anciens dérivés dénominatifs en *-ye/o- résultent du même mécanisme : dans la flexion de aruwai- « s’incliner, se prosterner », on constate, devant consonne : 3sg. opt. {aruwaj-tʰu} → [(a-ru-wa-)]a-id-[du] 18  Hypothèse déjà évoquée (avec d’autres) par Ivanov 1963 = 2001 : 68.

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KUB 13.10 Ro 3 (MH), mais 3pl.prés. {aruwaj-aNʧi} → [a.ru.wa.aɲ.ʧi] a-ru-waa-an-zi (VH/nh, HW² I, 356sq.) ; les flottements dont témoignent 3sg. prés. {aruwaj-ʧi} a-ru-wa-iz-zi KBo 17.19 i 10 (VH) et a-ru-wa-a-iz-zi KUB 43.28 ii 4 (VH) semblent, de leur côté, indiquer une resyllabation [a.ru.wa.it.ʧi]. D’autres verbes présentent des cas morphologiquement différents, mais phonologiquement similaires : halai- « mettre en mouvement » → 2pl. prét. {Halaj-tʰen} ha-la-it-[t]én KBo 26.100 i 7 (MH), mais 3pl. prés. {Haláj-aNʧi} → [Halā́.aɲ.ʧi] ha-la-a-an-zi KUB 15.27 ii 3 (NH) (le /j/ est conservé devant /tʰ/, mais pas devant /m s/ : 1sg. ha-la-a-mi, 2sg. ha-la-a-si) ; sa(y)e-, sai- « être / se mettre en colère » → 3sg. pl. {sáj-aNʧi} → [sā́.aɲ.ʧi] sa-a-an-zi KUB 31.135 Ro 14 (VH/mh) (comp. 1sg. prét. sa-a-nu-u[n] KUB 33.9 ii 13, VH/nh), mais 3sg. prés. sa-a-iz-zi KBo 40.166 : 2. De même, dans heu- « pluie » + acc. pl. {-us} → hé-u-us, hé-e-ú-us [Hē�u.us] (à côté des variantes plus anciennes he-e-a-mu-us, hé-ua-mu-us reposant sur une variante à degré plein {Hewa-us} → *[He(w)awus] → [He(w) amus]). Il apparaît donc que l’élimination de la semi-voyelle en contexte au degré plein d’un morphème soumis à alternance apophonique est compensée, dans la graphie, par l’insertion d’une voyelle nouvelle stipulant non la présence d’un segment, mais celle d’un hiatus, autrement dit, d’une scansion dissociée des syllabes. La réplication peut aussi représenter une situation de hiatus entre des voyelles de timbre identique sans que cette situation dérive nécessairement d’une élimination préalable de /j/ : la flexion de l’adjectif suu- « complet, plein, intact » → nom. sg. su-u-us KBo 20.8 iv 4 (VH), dir. sg. su-u-ú KUB 11.19 iv 22 (VH/nh) (et su-u KBo 11.12 i 5, VH/nh), abl. su-u-wa-u-az KBo 38.78 : 5 (MH), reflète un thème invariant su-u- qu’on ne peut justifier d’après ce qui serait une durée vocalique intrinsèquement longue, celle-ci demandant l’ajout d’un signe supplémentaire pour être exprimée, ainsi que le montre su-u-ú ; il est également invraisemblable de justifier su-u-us en postulant la présence d’une d’une semi-voyelle /su.wus/, comme le font Götze (1954b : 404 n. 13) et Melchert (1994 : 54-55, 115), puisque celle-ci tomberait nécessairement sous le coup de la règle w → m (§ 8.1). Il est donc flagrant que suu- correspond à un thème {su.u-} dont la nature bisyllabique est, au demeurant, confirmée par l’étymologie19, donc, que, tout comme 3pl. [pā́.aɲ.ʧi] est écrit pa-a-an-zi, le nominatif {suu-s} → [sū�.us] est écrit su-u-us (ce point est bien discerné par Melchert 1997a : 564). Au plan de l’information graphique, ont peut donc tenir que les graphies « hyper-répliquées » caractéristiques des syllabes localisées aux extrémités du mot constituent l’expression normale d’un hiatus : ā- « être chaud » → 3pl. prés. my. a-a-an-ta VBoT 58 i 24 (VH/nh) ; sū- « complet » → dir. su-u-ú KUB 11.19 iv 19  Voir Watkins 1975 : 378 = 1994 : 230, Oettinger 1976 : 39 n. 76, Melchert 1984a : 29.

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22 (VH/nh), sans être toutefois exclusivement affectées à cette représentation : dans la- « laisser » → 2sg. imp. la-a-a (MH) et la-a (VH/mh), il n’y a pas de raison de considérer que la scansion du mot serait monosyllabique dans un cas et bisyllabique dans l’autre, en sorte que la graphie hyper-répliquée doit ici être appréciée comme une simple variante de graphie répliquée. Au plan phonétique, on ne saurait naturellement exclure que le hiatus puisse, à son tour, constituer un terrain favorable à l’insertion d’une approximante [h] ou [ʔ], mais cette éventualité ne serait qu’une conséquence dérivée de [V.V] ; elle représente, en outre, une hypothèse a priori faible au vu de la restitution sporadique du [ʔ] intervocalique accadien en milieu hittite (Labat 1932 : 32). La représentation du hiatus et des ses conséquences au moyen de la réplication est soumise aux fluctuations qui, de façon générale, affectent la réplication comme le montrent les variantes suu- → dir. sg. su-u-ú KUB 11.19 iv 22 (VH/nh) et su-u KBo 11.12 i 5 (VH/nh). L’expression répliquée du hiatus semble surtout fréquente dans la strate la plus ancienne ; aux époques ultérieures, il devient possible que des morphèmes comme 3sg. imp./opt. -antu, 3pl. prés. -anzi, soient écrits -a-an-zi derrière consonne (epp-/app- « saisir » → ap-pa-a-an-du, ap-pa-a-an-zi). 6.6.3 Représentation de sons émergeants On ne semble pas encore avoir mentionné, dans la littérature spécialisée, que la réplication des voyelles hautes /i u/ peut, dans certains contextes, correspondre à la représentation de son émergeants, le plus souvent des semi-voyelles [j w], plus rarement des voyelles [i u]. La flexion de heu-/heaw- « pluie » présente, à l’accusatif {Héu-n}, trois variantes : hé-e-un ABoT 5 ii 12 (VH), hé-ú-un KBo 10.25 ii 3 (VH/nh) et hé-e-u-un KBo 3.21 ii 25 (MH/nh). La forme la plus ancienne reflète une réplication hé-eque l’on peut raisonnablement tenir comme significative d’un allongement sous accent {Héu-n} → [Hḗ.un]. Les deux autres répliquent la seconde syllabe dans un contexte de hiatus favorisant l’émergence d’un [w], en sorte que les graphies hé-ú-un, hé-e-u-un restituent, l’une et l’autre, une forme [Hḗ.wun] normalement écrite au moyen des signes u ou ú, qui sont la seule expression possible de [w] devant [u] dans la graphie. Le caractère émergeant de [w] justifie que ces formes ne tombent pas sous le coup de la règle w → m (§ 8.1). Un cas similaire est reflété par la flexion de siu- « dieu » dont le nominatif {siu-s} (ou {siun-s} ?) est reflétée par deux variantes si-i-us [sī�.́ us] KBo 20.21 Vo 2 (VH) et si-i-ú-us KUB 35.93 Vo! 4 (VH) ; la réplication si-i- étant stable, ont peut estimer qu’elle restitue un allongement conditioné par l’accent, en sorte que si-i-ú-us s’analyse en fonction de l’insertion d’une semi-voyelle [w] compensatrice de hiatus [sī�.́ wus].

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Dans la flexion de isa- « faire », il est douteux que la réplication de i dans la syllabe initiale dans 3sg. prés. i-is-sa-i KBo 6.2 ii 25 (VH), ou 3pl. prét. i-is-se-er KBo 6.2 iii 15 (VH) résulte d’un allongement conditionné par l’accent, ainsi que le montre 2pl. prés. i-is-te-e-ni KBo 22.1 Vo 27 (VH) reflétant l’accentuation de la désinence {-tʰéni}. Il semble plus probale d’estimer que i-is-te-e-ni repose sur une forme {is-tʰéni} → [jis.tʰḗ.ni] ayant développé une prothèse homorganique [j] devant [# __i]. La variante i-e-es-ser KBo 17.105 ii 18 (MH) de i-is-se-er va dans le même sens, en supposant un traitement {és-er} → [jés.ser] reflétant une variation du vocalisme radical {is- : es-}, mais en préservant l’intégrité de la prothèse. Dans la flexion de sa(y)e-, sai- « être / se mettre en colère », la graphie 3sg. prét. sa-a-i-it KUB 17.10 i 22 (VH/mh ?) restitue, de même, une syllabation [sā́.jiT] face aux variantes sa-a-it KUB 30.10 Ro 2 (VH/mh) et sa-a-is KUB 41.8 i (31) (MH/nh). De même dans tuekka- « corps, personne » → dat. pl. tu-ú-i-igga-as KUB 7.1 i 31 (VH/nh) la double réplication face aux variantes plus communes dat. sg. tu-e-ek-ki (MH), dat. pl. tu-e-eg-ga-as (MH) [Tu.ē�.kʰas], montrant que l’accent frappe la voyelle non arrondie, certifie que Cu-ú- restitue l’émergence d’une voyelle : [Tu.wē�.kʰas] (partant du principe que la flexion de ce mot repose sur une flexion alternante {Twekʰ- : Tukʰ}, on admet que [Tu.wē�.kʰas] dérive de [Twē�.kʰas] et non de de *[Tu.ē�.kʰas]). La flexion de pai-/pi- « donner » → 1pl. prés. {Pi-weni} écrit pí-i-ú-e-ni (VH ou MH), face à pí-ú-e-ni (MH), parallèlement à la variante pí-i-wa-u-e-ni (NH), face à pí-wa-u-e-ni (VH/nh) indique pareillement l’émergence (optionnelle) d’un [j] dans le thème [Pij.we.ni] (ou [Pji.we.ni] ?). Une même explication vaut pour aniya- « faire, accomplir » → 3sg. prét. a-ni-i-e-et [a.ni.jēT] (MH/nh) ; harp- « séparer » → 1pl. prés. har-pu-u-e-ni [Har.pʰu.we.ni] (MH/nh). Dans cette perspective, il ne serait pas invraisemblable d’estimer que les graphies i- « aller » → 2pl. imp. i-it-te-en (VH), i-it-tén (MH) restituent [ji.tʰen], plutôt que [ī�.́ tʰen]. La graphie tardive et isolée déloc. kā- → acc. pl. ku-u-ú-us KUB 14.14 Vo 13 (NH) est, identiquement, représentative de [Kū́wus], forme qui, par rapport à la graphie ancienne ku-u-us [kū́s], montre, dans le contexte global de la tendance à la neutralisation, en hittite tardif, des formes casuelles anciennement spécialisées, nom. kē, acc. kūs, une hyper-caractérisation {Kú+us} → [Kū́wus] parallèle à celle de nom. pl. {Ké} → [Kē�] ke-e (VH) remplacé par {Ké+us} → [Kē�us] ke-e-us KUB 14.8 Vo 18 (NH). Comme dans le cas précédent de manifestation du hiatus, la réplication stipulant l’insertion d’une approximante émergeante se borne à manifester le fait que des voyelles contigües dans la graphies sont phonétiquement hétérosyllabiques.

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6.6.4 Dislocation de la durée distinctive La réplication peut encore, dans certains mots, correspondre à la représentation de voyelles dont la durée originellement longue s’est localement perpétuée en vieux hittite, avant que d’être éliminée des la graphie ou bien, au contraire, relativement figée dans des graphies conventionnalisées ; voir § 4.2.2. 6.6.5 Allongement conditionné par l’accentuation Les témoignages de réplication qui ne relèvent pas des situations qui viennent d’être mentionnées, c’est-à-dire, la plupart, correspondent à un allongement causé par l’accentuation des voyelles (sur les relations phonétiques entre l’accent et la durée, voir Fry 1955, 1958, Morton & Jassem 1965). Les témoignages des graphies répliquées inattendues que l’on constate dans les documents en langue accadienne du kārum de Kültepe / Kanes dont il y a tout lieu d’estimer qu’ils ont été copiés ou composés par des Hittites (voir supra) sont représentatifs de l’attitude-réflexe de locuteurs chez qui l’accentuation des voyelles va naturellement de pair avec leur allongement (situation des Russes parlant espagnol, par exemple). La motivation accentuelle d’une durée vocalique n’est pas toujours aisée à détecter. En premier lieu, si toutes les voyelles dont la durée n’est pas imputable à un mécanisme graphique ou à une voyelle anciennement longue peuvent être tenues comme accentuées, la réciproque n’est pas vraie : certains mots dont il n’y a aucune raison de présumer qu’ils seraient inaccentués ne reflètent jamais de réplication dans aucune de leurs syllabes (§ 7.4.4). Ensuite, l’expression de la durée concomitante à l’accentuation est frappée d’irrégularité et d’instabilité, au point qu’il n’est pratiquement pas un seul mot dans lequel la réplication statistiquement dominante d’une syllabe ne connaisse au moins une variante sans réplication. Enfin, dans les strates postérieures au vieux hittite, où, de façon générale, la fréquence de la réplication diminue, le caractère déjà instable de la réplication évolue vers des situations anarchiques, en multipliant les témoignages discordants par rapport à la situation antérieure (§ 6.5.4). L’information fondamentale livrée par ces observation est que l’accentuation des syllabes ne produit pas, invariablement, le même accroissement quantitatif de toutes les voyelles dans n’importe quel contextes, tandis que le caractère même de cette durée tend à devenir moins saillant avec l’évolution. 6.6.6 Fluctuations perceptuelles et graphiques Les paramètres susceptibles de justifier une représentation vacillante ou instable de la durée des voyelle consécutive à leur accentuation sont nombreux :

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(1) L’érosion perceptuelle. – Le cadre général dans lequel on estime que s’inscrivent les relations entre la durée des voyelles et la représentation de cette durée en hittite est celle que décrit, vers 275, le grammairien Marius Plotius Sacerdos qui, deux siècles après les premiers témoignages de disparition des oppositions de quantité en latin (inscriptions pompéiennes des années 40-70 du Ier siècle), constatait que les lettrés de la latinité, bien que conscients de ce que la durée devait caractériser certaines syllabes de certains mots, ne savaient plus dans quels mots et dans quelles syllabes les voyelles (anciennement) longues devaient être placées20. Dans un état d’évolution de ce type, caractérisé le fait que ce qui fondait une distinction n’a plus de consistance intuitive, alors que des réalisation longues subsistent encore à travers des réalisations plus ou moins sporadiques, il est naturel que la perception même de la durée subisse une érosion. La surdité perceptuelle envers la durée et, plus encore, la dynamique d’évolution, est un des facteurs qui expliquent autant la vacillation, dès le vieux hittite, des graphies répliquées représentant la durée hérité que les utilisations incohérentes dont elles font l’objet dans les strates tardives sur fond de décroissance fréquentielle. L’adverbe tagan « par terre, au sol », dont les occurrences sont fréquentes à toutes les époques illustre bien cette évolution : en vieux hittite, la fréquence de ta-ga-a-an est supérieure à celle de ta-ga-an, en restituant une durée /Tagán/ → [Ta.gā́n] assez saillante pour être restituée dans la plupart des cas, mais non régulièrement ; dans les textes plus tardifs, la graphie ta-ga-a-an est toujours usitée, mais elle coexiste à présent avec une nouvelle variante contradictoire ta-a-ga-an KUB 34.120 : 7 (NH), da-a-ga-an KUB 43.17 : 6 (NH), montrant que la durée frappant la seconde syllabe n’est plus entendue, en sorte que les scribes, n’ayant plus la perception intuitive de la durée, mais sachant qu’ils ont une durée à placer commettent des fautes d’hypercorrection. Le point ultime de la confusion est synthétisé dans des graphies tardives totalement aberrantes telles que da-a-ga-a-an KUB 40.46 : 9 (NH), équivalente à ta-ga-an pour ce qui est de l’absence de discrimination phonétique, mais représentative de la perpétuation, chez les scribes, d’un procédé devenu étranger à sa motivation linguistique d’origine21.

20  Salvador Villegas Guillén (éd.). Scriptores latini de re metrica. III, Marius Plotius Sacerdos. Granada : Universidad de Granada, 1987, p. 132. Sacerdos s’appuyait sur cette observation pour légitimer la métrique nouvelle dont il est l’auteur. 21  Pour une appréciation complètement différente de ces témoignages, voir Kloekhorst 2008 : 32-33, et n. 54, 2014, passim. Comme le souligne Kimball 2015 : 23-24, on ne peut légitimement postuler, comme le fait Kloekhorst, qu’une variante non répliquée face à une variante répliquées du même mot dans la même strate refléterait une « abrégement ».

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Les témoignages de déplacement de la syllabe frappée de réplication entre le vieux hittite et les strates ultérieures sont nombreux ; tous ne sont pas aussi bien documentés que tagan, ce qui, dans une approche philologiquement étroite, peut superficiellement évoquer un déplacement de l’accent, comme les graphie de l’adverbe écrit pé-e-ra-an (et pé-ra-an) en vieux hittite avant l’apparition d’une variante pé-ra-a-an dans des textes moyens (HKM 24 : 7) et tardifs (KBo 2.8 ii 10). Sauf cas particuliers explicitement documentés, il n’y a pas de raison d’estimer que, dans l’évolution du hittite, l’accent changerait de place (ou de nature), mais bien plutôt que les conséquences de l’accentuation sur les segments ne sont pas les mêmes de la strate la plus ancienne à la strate la plus tardive. Des variations attestées dans des copies tardives seulement telles que pada- « pied, jambe » → gén. pl. pa-ta-a-an KBo 17.74 i 9 (VH/mh) et [p]a-a-taan KUB 34.120 : 6 (VH/nh), ne permettent aucune conclusion22. (2) Variables de l’allongement. – Dans le contexte global d’une perception déclinante de la durée, on peut admettre que des fluctuations constatées, dès le vieux hittite, telles que wa-a-tar : wa-tar « eau » traduisent une perception vacillante des conséquences de l’accentuation de {wádar-∅} (de même, ta-gaa-an : ta-ga-an, etc.). Mais il n’est pas moins intéressant de relever que, dans certains mots, aucune syllabe n’est jamais écrite en graphie répliquée (katta « au bas », gimra- « steppe », etc.). La question posée par les témoignages de ce type est celle des variables susceptibles de justifier un traitement différencié de l’allongement : (α) Propriétés intrinsèques des voyelles. – Les voyelles les plus basse ont universellement tendance à être plus longues que les voyelles les plus hautes, au point que la durée d’une voyelle inaccentuée /a/ peut être supérieure à celle d’une voyelle accentuée /i u/ (Lehiste 1970 : 18-20, Klatt 1976, O’Shaughnessy 1981, Ren 1985, Lehnert-LeHouillier 2007 : 80sq.). En hittite, cette tendance trouve une illustration immédiate dans la fréquence des graphies répliquées avec un rapport de /a e/ répliquée par rapport à /a e/ non répliqué proportionnellement plus élevé que le rapport de /i u/ répliquée par rapport à /e i/ non répliqué (tableau 9)23. La propension, relevée par Watkins (2014 : 11), des voyelles /a e/ à refléter un allongement conditionné par l’accent dans tous les 22  Le caractère significatif de la« correspondance » souvent mentionnée dans la littérature spécialisée entre gén. pl. hitt. patān et gr. podō� n, véd. padā́m, est douteux car dans un mot de deux syllabes, la place de l’accent est coincidente à hauteur de 50 % de l’espérance statistique. 23  On constate la même chose dans les textes épigraphiques latins faisant usage de la marque de longueur vocalique dite apex ; Flobert 1990, a montré que plus un timbre est bas, plus il a des chances de recevoir l’apex (près de 30 % des cas), alors que les voyelles hautes ne sont marquées que dans 10 % des cas.

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contextes syllabiques, alors que l’allongement de /i u/ s’observe principalement (non exclusivement), en syllabes ouvertes ne fait que traduire un effet de ce principe général, tout comme l’observation faite par Melchert (1997 : 565) de ce que les témoignages de voyelles longues de timbre [ā] correspondent invariablement à des voyelles en syllabe accentuée. Ce type d’observation montre combien il serait fallacieux d’aborder les conséquences de l’accentuation sur la durée des voyelles en présumant l’existence d’une polarisation uniformément abrupte bref-long, alors qu’on est en présence d’un processus dont les effets phonétiques sont, de toute évidence, graduels. (β) Contexte segmental. – L’identité phonétique des plosives situées au voisinages de voyelles n’a pas d’incidence sur la durée de ces dernières en contexte CV, mais en a une en contexte VC (Chen 1970). Les voyelles ont universellement tendance à être réalisées plus longues devant des consonnes voisées que devant des consonnes non voisées et plus longues devant les codas simples que devant les coda complexes24. Les données hittites sont, sur ce point encore, pleinement conformes au principe général avec une fréquence des graphies répliquées presque quatre fois supérieure devant les plosives voisées que devant les plosives non voisées (§ 4.6.3). La conséquence de ce mécanisme est qu’il y a, a priori, quatre fois moins de chances pour qu’une voyelle allongée à raison de son accentuation soit perçue et restituée comme telle dans l’écriture si elle est suivie d’une non voisée plutôt que d’une voisée. (γ) Structuration des syllabes. – La durée des voyelles accentuées est plus importante, donc, plus saillante, en syllabe ouverte (C)V qu’en syllabe fermée (C)VC(C), si bien qu’autant l’allongement des voyelles en syllabe CVC est moins aisé qu’en syllabe CV, leur abrègement en syllabe CVC est plus aisé qu’en syllabe CV (Fowler 1981). Or, en hittite, où toutes les syllabes sont a priori accentuables, quel que soit leur schéma de formation, les syllabes CVC ne peuvent traduire leur allongement, quand il se produit, que par une réplication de leur noyau, alors que les syllabes CV, peuvent avoir recours à la réplication comme à la gémination en combinant, le cas échéant, les deux procédés (voir § 6.9.2). Les tendances à l’expression de la réplication d’origine accentuelle s’avèrent donc contradictoires : les syllabes ouvertes la favorisent, relativement, au plan phonétique, alors que les syllabes fermées, par contrainte, la favorisent, relativement, au plan graphique (§ 7.3.3). Il est impossible d’apprécier l’extension relative de chacune de ces tendances, précisément parce que leur conflit tend à niveller ce que chacune a de saillant. En revanche, leur concurrence explique qu’il ne puisse y avoir de relation directe ou immédiate entre l’allongement conditionné et sa représentation graphique. 24  Javkin 1976, Kluender et al. 1988, Munhall et al. 1992, Durvasula & Luo 2014.

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(δ) Structuration du mot. – On a souvent remarqué que les mots qui sont le plus souvent et le plus régulièrement écrits en graphie répliquée sont monosyllabiques, mais on ne semble pas avoir assez pris en considération que les mots qui ne sont jamais écrits en graphie répliquée sont tous plurisyllabiques (les clitiques mis à part). La justification que suggère cette observation est que, conformément à la tendance phonétique universelle, l’augmentation du nombre des sons dans un mot va de pair avec une diminution de leurs durées respectives (Lindblom 1968, Lehiste 1970 : 43sq.)25. Dans le cas particulier des voyelles, l’accroissement de durée caractérisant les voyelles accentuées varie significativement selon le nombre des voyelles non accentuées présentes dans le mot (Ciszewski 2012). Les formes verbales fléchies à l’impératif 2sg. {-∅} offrent, à cet égard, une situation intéressante car leur organisation morphologique est unitaire, alors que leurs formations syllabiques sont diverses. Or, on constate que l’écriture de ces formes fait de la réplication : – un usage régulier quand le mot est équivalent à une seule syllabe de forme VC ou CV : akk- « disparaître » → a-ak, es- « être » → e-es (VH), i- « aller » → i-it (VH), has- « ouvrir » → ha-a-as, huis- « vivre » → hu-e-es, la- « laisser » → la-a-a (MH) et la-a (VH/mh), da- « prendre » → da-a (VH) ; – un usage dominant, mais moins régulier quand le mot est équivalent à une syllabe fermée CVC(C) : hark- « (dé)tenir » → har-ak, link- jurer » → li-i-ik, nink- « satisfaire » → ni-i-ik (VH) et ni-ik (VH/nh), sakk- « savoir » → sa-a-ak (MH) et sa-ak (NH) ; sanh- « chercher » → sa-a-ah, te- « parler » → te-e-et (VH/mh) et te-et (MH), wakk- « fapper » → wa-a-ga (NH) et wa-ak (s.d.) ; walh- « frapper » → wa-al-ah (MH), wekk- « vouloir » → ú-e-ek ; – le plus souvent, aucun usage quand le mot fléchi comporte plus d’une seule syllabe : au- « voir » → a-ú, handai- « arranger, déterminer » → ha-an-da-a-i, istamas- « écouter » → is-ta-ma-as, istarnink « affliger » → is-tar-ni-ik, pai« donner » → pa-i (VH), peda- « prendre » → pé-e-da (MH) et pé-da (MH?/ nh), punus- « demander » → pu-nu-us, wete- « construire » → ú-e-te. Kammenhuber (1969 : 176-177), Carruba (1981 : 237) et Kimball (1999 : 63-64), ont relevé un certain nombre de témoignages montrant qu’un mot répliquant plus ou moins régulièrement la voyelle de l’une des syllabes d’un mot donné peut avoir tendance à ne plus la répliquer quand ce mot devient hôte d’enclitique : apā- → dir. sg. {abáT} → [a.bā́T] a-pa-a-at KBo 17.3+ ii 13 (VH), mais {abáT⸗ja} → a-pa-at-ta, même tablette iv 29, suggérant un abrègement [a.báT. Ta]. Il est possible que les données de ce type, en tout état de cause, sporadiques (comparer nom. pl. a-pu-u-us KBo 17.1+ i 21, VH, face à [(a-pu-u-us-sa)] KBo 17.11+ i 48, VH), reflètent un autre aspect de la même tendance. 25  Sur les aspects perceptifs, voir Kawai & Carrell 2005.

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Il paraît donc vraisemblable de reconnaître qu’en hittite, plus un mot comporte de sons, a fortiori de syllabes, moins la durée des voyelles allongées sous l’accent devient saillante, en conséquence de quoi, la probabilité pour que cette durée soit représentée dans la graphie diminue (on retrouve le sens de la remarque de Sturtevant au sujet des « mots courts » § 6.5.5(1)). Cette conclusion est conforme à la tendance qu’on peut discerner dans l’usage de la réplication et ne peut, il va de soi, être assimilée à une règle (la réplication de syllabes incluses dans des mots longs reste toujours possible ; cf. hūmant- « chaque entier, tout » → nom. pl. hu-u-ma-an-te-es). (ε) Contexte phrastique. – Les noyaux des syllabes localisées en finale d’un mot pré-pausal connaissent généralement une durée plus élevée que celle des autres syllabes (Lehiste 1970). En hittite, la graphie des formes d’impératif est, comme on vient de le mentionner, souvent caractérisée par une réplication. Melchert (1997 : 564), reprenant une observation de Watkins, estime trouver une illustration des propriétés phonétiques des syllabes pré-pausales dans le témoignage de har(k)- « (dé)tenir, avoir » → 2pl. prés. {Har-tʰeni} dont la graphie est exceptionnellement répliquée har-te-ni-i KBo 22.1 : 31 (VH) dans le contexte discursif d’une question rhétorique « est-ce donc ainsi que vous tenez les engagements pris par mon père ? ! ». En contexte déclaratif, la même forme verbale présente une réplication frappant la première syllabe du morphème flexionnel (du moins d’après le témoignage tardif de har-te-e-ni [Har.tʰē�.ni] KUB 14.12 Vo 10, NH). Cette variation suggère toutefois moins un « déplacement » de l’accent qu’une modulation expressive de la durée de la syllabe finale [Har.tʰē�.nī] dont l’accroissement relativise, par contre-coup, la durée de la pénultième accentuée. (3) Conventionnalisation d’écriture. – La tendance à la conventionnalisation vers laquelle tendent naturellement les représentations graphiques oblitère la coordination censée exister entre la forme sonore des mots et leur restitution dans l’écriture. Ces figements de graphie sont, par nature, difficiles à détecter, mais ils se présentent dans des conditions quelque peu différentes quand on abordre la question des rapports entre réplication et allongement conditionné, précisément parce que la présence, sinon la position, d’un accent est une propriété prédictible des mots aclitiques. On ne semble pas connaître de formes sûrement accentuées qui seraient toujours ou le plus souvent écrites avec une voyelle répliquée alors, qu’à l’inverse, certaines formes sûrement accentuées ne sont jamais représentées en graphie répliquée (sur le cas à cet égard flagrant du morphème 3pl. prés. {-aNʧi}, voir § 7.4.4). D’autres désinences de la flexion verbale ne sont jamais écrite en graphie répliquée, notament 1sg. prés. {-mi} / {-xi/e}, 2sg. {-si} 3sg. prés. {-ʧ(i)} / {-i/e}, mais leur situation diffère de celle de 3pl. {-aNʧi} en ce qu’elles ne préjugent pas de la non réplication des voyelles du thème qu’elles

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fléchissent, si bien que leur graphie peut traduire le fait qu’elles ne sont pas accentuées. 6.6.7 L’hypothèse de l’explicitation Selon une hypothèse lancée par Sturtevant (1933 : 64), reprise, par la suite, par divers chercheurs (Otten & Souček 1969 : 44-49, Melchert 1984a : 83-84, Hoffner & Melchert 2008 § 1.32, Kloekhorst 2008 : 34), l’insertion d’un signe -e- ou -i- au voisinage de signes au vocalisme équivoque E/I aurait pour finalité de rendre explicite le timbre ambivalent d’un signe Ce/i ou e/iC (§ 4.1.6). La réplication des voyelles non arrondies serait, dans cette perspective, un procédé, en quelque sorte, didactique. Une autre variante de la même approche, formulée par Hoffner & Melchert (2008 § 1.46), est que la réplication aurait pour finalité « to distinguish real vowels from mere graphs, as in pa-ra-a (/pra/), where the first a is merely graphic » [voir, à ce sujet, p. 117, supra]. Ces conceptions sont implicitement fondées sur la présomption – en tout état de cause, contradictoire – que les lecteurs des textes hittites ne savaient pas comment prononcer les mots tout en ayant besoin de savoir comment il se prononcaient pour les comprendre. Or, des scribes écrivant et lisant leur propre langue n’ont pas besoin d’informer ou d’être informés sur la façon les mots sont articulés, mais, seulement, de partager des conventions de représentation. Tout ce qu’on discerne de leur pratique indique, au demeurant, que leur objectif n’est nullement de réaliser une restitution orthoépique de la parole, mais d’assurer les conditions d’intelligibilité minimale pour que la représentation graphique d’un signifiant soit associée avec son signifié26. L’hypothèse d’une explicitation délibérée répondant à la nécessité d’introduire une information sans laquelle un mot ne pourrait pas être reconnu ou correctement prononcé est, en outre, positivement réfutée par certains témoignages. La monosyllabe du nom du « coeur » est, par exemple, toujours représentée par des graphies dont le vocalisme est équivoque kI/E-E/Ir et gI/E-E/Ir (jamais *ke-e-er), en démontrant de ce qu’une explicitation de la hauteur de la voyelle n’est nullement requise, ni pour reconnaître le mot, ni pour l’écrire. Une graphie comme celle de tarhu- « dominer, vaincre » → 3sg. tar-Vh-zi KBo 17.11+ Ro 12 (VH) montre, pareillement, que les scribes n’ont pas besoin que la lecture du signe générique Vh soit explicitée pour savoir que celle-ci est /u/ (comme le montre la variante tar-ru-Vh-zi KBo 20.73 iv 6, VH/mh) ou pour déduire une signification de la représentation du signifiant. Il est invraisembable d’estimer que dans une graphie telle que déloc. kā- → dat-loc. pl. kE/I-e-da-as (MH), le 26  En accadien, Worthington 2012 : 267sq., montre qu’un recours à la réplication peut effectivement constituer un moyen d’éviter des confusions de lecture.

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scribe insérerait un signe -e- afin de préciser que le timbre de la voyelle est [e], alors que celui-ci peut aussi être [i], ainsi que le montre la variante kE/I-i-ta-as KUB 43.55 v 4 (VH/nh) ; le scribe écrit ke-e-da-as plutôt que ke-da-as en fonction de sa perception de la durée, et non pour rendre explicite un timbre qui n’a aucun besoin de l’être. La présomption selon laquelle les scribes introduiraient dans l’écriture des méta-informations en vue de résoudre des problèmes d’interprétation qui ne se posent qu’au lecteur moderne ne repose que sur une confusion anachronique27. 6.7

La gémination des consonnes

6.7.1 Manifestation La représentation d’une consonne peut être redoublée dans l’écriture sans que ce redoublement n’entraîne une interprétation différenciée des propriétés de mode et de lieux de la consonne par rapport à sa représentation dans une graphie simple, ainsi que le montrent les témoignages de variations libres entre Cₓ et CₓCₓ : ye/a- « faire » → 3sg. prés. i-e-zi KBo 6.2 i 60 (VH), mais i-e-ez-zi, même tablette, ii 50, iii 17 : mema- « dire » → 3sg. me-ma-i KBo 6.5 iv 5 (VH/ nh), mais me-em-ma-i KUB 12.62 Ro 13 (MH/nh) ; sar- « diviser » → 3sg. prét. sa-a-ar-as (VH), mais sar-ra-as (MH), tuhhuessar- « fumigation, encens (ou approchant) » → dir. túh-hu-es-sar KBo 25.36 iii 3 (VH), mais túh-hu-i-sar KBo 17.15 : 17 (VH), etc. Les consonnes susceptibles de manifester ce redoublement sont dites géminées. La représentation de la gémination dans l’écriture repose, en hittite, sur les mêmes procédés qu’en accadien (vieux babylonien) où une forme telle que inaddiššum « il lui donnera » peut être indifférement écrite, selon les scribes, i-na-di-šum, i-na-ad-di-šum, i-na-di-iš-šum, i-na-ad-di-iš-šum (Huehnergard 1988 : 228). Ainsi que l’indiquent ces témoignages et beaucoup d’autres la gémination ne reflète pas, en hittite, une propriété stabilisée de la phonologie du mot. La gémination est toutefois moins vacillante que la réplication des voyelles, un volume important de lexèmes étant, pour les uns, presque toujours écrits avec une géminée, pour les autres, jamais. 27  Les voyelles représentent, dans la graphie, un rendement informationnel notoirement inférieur à celle des consonnes, comme le montre l’existence de nombreux systèmes d’écriture omettant plus ou moins systématiquement les voyelles. Sur les différents aspect de cette inégalité (biologiques, cognitifs, linguistiques), voir Cutler et al. 2000, Benveniste 2012 [1968], leçon 8.

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Chapitre 6

6.7.2 Gémination et phonétique Le procédé consistant à représenter une consonne par Cₓ plutôt que par CₓCₓ est, du point de vue graphique, identique à celui qui, avec les plosives et la fricatives dorsales, stipule une distinction de mode articulatoire, /d-tʰ/, /ɣ-x/. Sur la base de cette observation, certains spécialistes ont estimé que le rapport Cₓ : CₓCₓ avait partout la même motivation phonétique, donc, que le rapport l : ll était identique au rapport /d/ : /tʰ/28. Ce point de vue est intenable pour diverses raisons, la plus évidente étant qu’un ensemble constitué de sons aussi bien voisés que non voisés tels que [m n r l s ʧ] ne ne peut se prêter au même traitement. Il n’est certes pas indifférent de constater que la distinction [d] : [tʰ] a recours au même procédé graphique que la distinction [l] : [ll], mais on doit précisément prendre en considération que l’allongement ainsi symbolisé répond à une causalité différente dans chacun des cas : – en présence des plosives, la durée longue des aspirées /tʰ/ par rapport aux non aspirées /d/ dérive de la phase d’émission aérodynamique qui se produit entre le relâchement de l’occlusion et le début de la vibration de la voyelle subséquente (Lisker & Abramson 1964, Cho & Ladefoged 1999, Abramson & Whalen 2017). L’aspiration représente une conséquence de la durée d’attaque vibratoire distinguant [tʰ] de [d], autrement dit, une propriété intrinsèque des plosives de la série /tʰ/ ; – avec /s ʧ m n r l/, l’allongement relatif de [ll] par rapport à [l] résulte de la durée sur laquelle s’étend la phase de fermeture, indépendamment de l’éventuelle explosion ou de l’éventuelle DAV caractérisant la formation de la consonne elle-même (Lahiri & Hankamer 1988, Ham 2001, Kirchner 2001, Kingston 2008) ; la réalisation de [ll] par rapport à [l] dépend de la situation contextuelle de /l/. On ne peut présumer dans quelle mesure l’augmentation de durée de [ll] par rapport à [l] était, en hittite, quantitativement comparable à celui de [tʰ] par rapport à [d], les variations de durée simples : géminées revêtant, selon les langues, des rapports proportionnels extrêmement variables (Dmitrieva 2012). 6.7.3 Gémination et phonologie Certains chercheurs considèrent les graphies ll (etc.) par rapport à l comme des variantes d’un même phonème (Ivanov 1963 : 71-72, Melchert 1994, Watkins 2004, Patri 2009b), mais d’autres, beaucoup plus nombreux, apprécient les 28  Cette conception est, par exemple, celle de Kloekhorst 2008 : 27sq., ou de Kas’jan & Sidel’cev 2010 : 36. Les vues de Melchert 1997a : 560, sont moins claires : « the geminate and simple variants are determined by the same prehistoric rules which govern voiceless and voiced stops (…) I interpret all occurring geminates as biphonemic sequences » (voir de même Melchert 2012b où la variation has- « engendrer » → 3sg. hāsi : 3pl. hassanzi, est mise sur le même plan que la variation ak(k)- « périr » → aki : akkanzi).

La syllabe

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graphies l et ll en tant que représentations de phonèmes distincts29. L’approche faisant de l et de ll des phonèmes n’est pas vraisemblable : (1) en hittite, aucune géminée n’est traversée par une frontière morphologique et aucune géminée ne fait partie de la même marge syllabique. Corrélativement, une attaque ou une coda complexe peut être formée de deux consonnes non géminées distinctes C₀Cₓ (§ 6.2), mais jamais de consonnes similaires dont l’une ou l’autre serait géminée, *C₀CₓCₓ ou *C₀C₀Cₓ (sur le cas particulier des syllabes finales, voir § 6.1.5). Par suite, les géminées CₓCₓ sont, invariablement, tautomorphémique et hétérosyllabique, en reflétant un comportement radicalement différent de celui de toutes les autres consonnes phonologiques ; (2) aucune gémination de C₂ n’est possible en contexte /C₁.C₂/ ; toute séquence *[C₁C₂C₂] est prohibée ; (3) le comportement d’une consonne géminable /Cₓ/ dans les contextes où elle est, par règle, soumise à un changement ne distingue en rien les géminées CₓCₓ de leur variante non variantes géminée Cₓ : arr- « laver » → nom verbal gén. {ar-was} ar-ru-ma-as [ar.ru.mas] et ar-ru-um-ma-as [ar. rum.mas] ; (4) le comportement du second élément d’une géminée CₓCₓ ne diffère en rien de celui d’un segment en finale d’une quelconque séquence C₀Cₓ ; de même, celui du premier élément ; (5) le contenu de distinctions Cₓ : CₓCₓ est, en hittite, irréductible à une propriété articulatoire commune, les segments géminables étant pour partie des résonantes intrinsèquement voisées /m n r l/, pour partie des obstruantes non voisées /s ʧ/. Dans ces conditions, il est exclu qu’une quelconque différence d’activité laryngale puisse discriminer de la même façon Cₓ de CₓCₓ quand /C/ est une obstruante non voisée et quand elle est une résonante voisée (la conception de Kloekhorst 2008 : 27, est, de ce point de vue, insoutenable) ; (6) la gémination correspond le plus souvent à une réalisation instable des segments géminables dans un mot-forme donné. Nombre de lexèmes font un usage relativement stabilisé des graphies CₓCₓ, quel que soit leur contexte syllabique (notamment dans les flexions), alors que d’autres font librement alterner une graphie Cₓ avec CₓCₓ (sur ces deux points, voir plus en détail, ci-dessous : 29  Bernabé Pajares 1973 : 456, Eichner 1980 : 128 n. 36, 161-164, Kimball 1999 : 46-47, 95-96 ; Luraghi 1997 : 4 ; Rieken 2007 : 86, Kloekhorst 2008 : 27, Kas’jan & Sidel’cev 2010 : 36. Dans son dictionnaire, Kloekhorst 2008 : 525, assigne, par exemple, des entrées différentes à le/ isai- « cueillir » et à le/issai- « cueillir », formes considérées par lui comme deux verbes différents.

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(12) instabilité de la gémination s handa(i)s- « chaleur » loc. ha-an-ta-i-si ha-an-da-is-si KBo 3.22 Ro 17 (VH) KBo 53.257 : 8 (NH) z ye/a- « faire » 3sg. prés. i-e-zi i-e-ez-zi KBo 6.2 i 60 (VH) ibid. ii 50, iii 17 m 1sg.prés. i-ya-mi i-ya-am-mi KBo 17.3+ ii 13 (VH) KUB 1.16 iii 24 (VH/nh) n sesatar- (fruit) gén. se-e-sa-na-as se-sa-an-na-as KUB 24.2 Vo 14 (NH) KUB 24.1 iv 12 (NH) r sittar(a)- « stylet » abl. si-it-tar-za si-it-tar-ra-za KBo 2.1 i 9 (NH) ibid. i 35 l malla- « broyer » 3pl. ma-la-an-zi ma-al-la-an-zi KBo 26.182 i 6 (NH) IBoT 1.29 Vo 19 (VH/mh) Il paraît donc flagrant qu’en hittite, comme, au demeurant, dans la plupart des langues faisant un usage démarcatif de la gémination, les graphies de type ll (etc.), reflètent la réalisation, traversée par une frontière syllabique, d’un même segment phonologique /l/ : dans l’exemple de 3pl. prés. {mal-aNʧi} « ils broient » reflété par les variantes libres ma-la-an-zi :: ma-al-la-an-zi, le segment /l/ inclus dans l’attaque de la syllabe interne de [ma.laɲ.ʧi] est – en l’espèce, éventuellement – associable à la coda à la syllabe antécédente, d’où [mal.laɲ.ʧi]. Par suite, on reconnaît ici comme segments géminables les phonèmes dont la réalisation phonétique est potentiellement associable à deux position syllabiques successives30. 6.7.4 Représentations de la gémination Tout comme la représentation distinction de voisement des plosives, la gémination est immédiatement explicite, dans la graphie, en position intervocalique : wellu- « pâturage » → gén. ú-el-lu-as KBo 20.19 + 20.25 Ro? 7 (VH), mais ú-e-el-wa-as KBo 25.109 iii 10 (VH?/mh). La représentation d’une gémination au voisinage d’une autre consonne demeure également possible moyennant un recours aux voyelles factices : usniya- « vendre » → 3sg. prés. us-ni-ya-zi [u.sni.ja.ʧi] KUB 13.4 ii 40 (VH/nh), face à us-sa-ni-ya-zi [us.sni.ja.ʧi] KUB 13.4 ii 40 (VH/nh) ; harsar- « tête » → gén. {Harsn-as} → har-sa-na-as [Har.snas] : har-as-sa-na-as [Hars.snas], etc.

30  Sur l’historique de cette approche, remontant, semble-t-il, à Sievers 1901 : 209, voir Ham 2001 : 6sq.

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A l’initiale et en fin de mot, des séquences [CₓCₓ] ne sont phonétiquement possibles que si elles sont traversées par une frontière morphologique en réa­ lisant des segments phonologiquement successifs : nom. {Has-s} « cendre, savon » → ha-as-sa-as [Hass] (MH/nh). La gémination d’un segment /Cₓ/ → [CₓCₓ] supposant l’existence de position syllabiques successives, la gémination à l’initiale et en finale de mot est impossible31. 6.7.5 Les graphies non géminées La latitude laissée par l’écriture à l’utilisation des signes à lecture factice ne revêt pas la même signification avec les plosives et avec les résonantes. Un signe à lecture vocalique factice au voisinage d’une plosive ne fait que révéler incidemment une propriété inhérente de cette plosive indépendante de sa graphie (la réalisation phonétique de hatnu- « sécher » 3sg. prét. [Ha.dnuT] est identique dans ha-at-nu-ut et dans ha-da-nu-ut). Avec une résonnante ou une fricative sibilante, la sélection d’un signe à lecture vocalique factice suppose, en revanche, une syllabation différenciée du mot : 3sg. prés. {usnija-ʧi} → [u.sni.ja.ʧi] ou [us.sni.ja.ʧi]. Dans le premier cas, le scribe prend le parti de représenter d’une certaine manière une forme sonore qu’il pourrait identiquement représenter d’une autre manière, alors que dans le second, il représente une forme sonore d’une certaine façon et une autre forme sonore d’une autre façon. La différence signifie que l’absence de gémination au voisinage d’une autre consonne ne dérive pas invariablement d’une contrainte dérivée de l’emploi du code graphique lui-même, mais bien d’une réalité phonétique. L’absence de gémination au voisinage d’une autre consonne peut donc recouvrir deux réalités différentes : – (i) le fait qu’une consonne géminable n’est pas géminée alors qu’elle pourrait l’être (situation de, par exemple, de /s/ dans 3sg. prés. us-ni-ya-zi), – (ii) le fait qu’une consonne géminable n’est pas géminée parce qu’elle est dans l’impossibilité de l’être dans l’environnement phonétique où elle se trouve.

31  Abramson 1999 : 591, démontre que la gémination n’est pas proscrite par principe à l’initiale des mots, mais que sa production y est nécessairement accompagnée d’indices acoustiques différents de ceux qui caractérisent la distinction simple : géminée dans tous les autres contextes. Les expérimentations de Ridouane & Hallé 2017, sur le berbère vont dans le même sens en indiquant que les même locuteurs peuvent produire des géminées initiales, tout en étant, à l’audition, incapables de les reconnaître comme telles.

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La flexion du verbe as- « demeurer » illustre bien cette dernière situation ; quand /s/ est en position intervocalique, la fricative est régulièrement géminée : 3pl. prés. a-as-sa-an-zi, 3pl. prét. a-as-se-er, a-as-ser, part. a-as-sa-an-t- ; en revanche, quand /s/ est au contact d’une autre consonne, celle-ci n’est jamais géminée : 3sg. prés. act. a-as-zi, my. a-as-ta-at, 3sg. prét. a-as-ta, 3sg.imp./ opt. a-as-du (HW² I, 366sq.). Le point à considérer ici est que si, dans cette dernière situation, la fricative n’est jamais géminée, ce n’est pas parce que le code graphique l’interdirait, puisque des graphies *a-as-sa-zi, *a-as-sa-ta-at seraient a priori possibles, mais parce que, dans ces contextes, la gémination de /s/ devant une plosive est phonétiquement prohibée. La gémination de C₁ dans une séquence /C₁C₂/ est, en effet, subordonnée au fait que C₁ se situe à un niveau de sonorance inférieur à C₂ : la syllabation de 3sg. {ás-ʧi} est nécessairement [ā́s.ʧi] a-as-zi, celle de 3sg. prét. my. a-as-ta-at [ā́s.tʰaT], parce que [s] ne peut être séparé du noyau [i] par des sons moins sonorants comme [ʧ] ou [tʰ] dans des formes *[ā́s.sʧi], *[ā́s.stʰaT]. En d’autre termes, 3sg. prés. act. a-as-zi, my. a-as-ta-at, sont des graphies représentatives d’une absence de gémination imposée par l’environement phonétique. Il s’avère donc que, selon les contextes, l’absence de gémination n’a pas partout ni la même signification, ni la même portée : dans le premier cas, elle est, en tant que telle, négativement significative d’une propriété linguistique, mais pas dans le second ; dans le premier, l’absence de gémination contraste avec la possibilité de sa réalisation, alors que dans le second, la gémination n’a aucune possibilité de se réaliser. 6.7.6 Conditions de possibilité à la gémination Le seule contexte dans lequel la gémination ne connaît aucune limitation de principe est la position intervocalique ; partout ailleurs, la gémination est soit limitée, soit impossible. (1) Gémination au voisinage de consonnes. – Comme on vient de le mentionner, la gémination de /C₁/ ou de /C₂/ dans une séquence /C₁C₂/ est possible tant que la consonne géminée se situe envers /C₁/ ou de /C₂/ dans un rapport de sonorance normal. (a) /C₁C₂/ → [C₁.C₁C₂]. – Dans une flexion comme celle de asnu- « prendre soin », on est naturellement porté à estimer que du moment où 1sg. {asnu-mi} peut être écrit as-nu-mi [a.snu.mi], la variante as-sa-nu-mi représente [as.snu.mi] ; kussan- « rémunération » → dat.-loc. ku-us-ni [Ku.sni] (VH/nh) et ku-us-sa-ni-i [Kus.snī] (VH) ; usniya- « vendre » → 3sg. prés. us-ni-ya-zi [u.sni.ja.ʧi] KUB 13.4 ii 40 (VH/nh), face à us-sa-niya-zi [us.sni.ja.ʧi] KUB 13.4 ii 40 (VH/nh), etc. La nécessité dans laquelle se trouve C₁ de se situer à un niveau de sonorance inférieur à C₂ pour être géminée justifie que soit, dans la pratique, limitée à des /C₁/ fricatives.

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(b) /C₁C₂/ → [C₁C₂.C₂]. – A l’inverse de la situation précédente, la gémination de /C₂/ suppose que le niveau de sonorance de celle-ci soit inférieur à /C₁/. Le cas qui se présente le plus souvent est celui de séquences /rs/ : kars- « couper » → 1sg. prét. kar-su-un [Kar.sun] (VH/nh), kar-as-su-un [Kars.sun] (NH) ; arsnu- « faire couler » → 3pl. ar-as-sa-nu-wa-an-zi [ars. snu.waɲ.ʧi] ; karsi- « rude, rugueux » → dir. kar-si face à kar-as-si. Comme le montre ce dernier témoignage, la gémination est indépendante de l’organisation morphologique. (2) Gémination aux extrémités du mot. – La gémination à l’initiale ou à la finale du mot n’est pas attestée, alors qu’une séquence [CₓCₓ] est représentable dans l’écriture. En finale du mot, la représentation explicite d’une séquence [CₓCₓ] en coda est, en principe, possible ainsi que le montre la graphie de has- « cendre savon » au nominatif en {-s} : {Hás-s} → ha-as-sa-as KUB 29.7 + KBo 21.41 Ro 35 (MH/nh), face aux variantes ha-a-as, plus banales. Toutefois, ce type de représentation paraît limité aux situations dans lesquelles [CₓCₓ] est équivalent à une séquence de phonèmes /CₓCₓ/, non aux réalisations [CₓCₓ] d’une /Cₓ/ géminée. Le témoignage de kutt- « muraille », dont les graphies reflètent une gémination constante au nominatif {Kútʰ-s} → ku-uz-za (MH), ku-ú-uz-za (NH) (jamais *ku-(ú-)uz), suppose une insertion paragogique [Kū́tʰs.sə], conformément aux normes qui s’appliquent en cas de conflits d’ambisyllabicité (§ 8.14.2). Aucune graphie ne laissant supposer l’existence de géminées à l’initiale du mot, on est donc porté à estimer que les géminées sont, de façon générale, proscrites aux frontières du mot (sur la cliticisation par ⸗a/⸗ya, voir § 9.16). 6.7.7 Gémination et syllabation La condition de subséquence nécessaire à l’aquisition d’une coda par une syllabe de type (C)V ne coïncide pas nécessairement avec une syllabe phonologique. La dissociation syllabique mise en évidence par la gémination peut notamment être significative d’un traitement anaptyctique. Cet aspect est illustré par la flexion de ke/issar- « main » ; les variantes de ce mot au cas nominatif ki-is-sar-as (MH), ki-is-si-ra-as mettent en évidence un thème de forme {Kísr-} à partir duquel l’affixation d’un morphème en consonne comme nom. {-s} provoque un confit de sonorance normalement résolu par le développement anaptyctique reflété par le flottement typique -sar-as : si-ra-as. La gémination reflétée par ki-is-sar-as, ki-is-si-ra-as [Kís.sǝrs], ne s’appuie donc pas sur la forme {Kisr-s} mais sur sa réalisation *[Kí.sǝrs]32. La possibilité d’une géminée dans eku- « boire » → 2sg. prés. e-uk-si KBo 22.1 Vo 28 (VH) face 32  Pour d’autres vues, voir Rieken 280, et Kloekhorst 2008 : 471-472, qui proposent de la flexion de ke/issar- des analyses dérivant des doctrines concurrentes relatives aux

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à e-ku-us-si KUB 1.16 iii 29 (VH/nh) [e.gʷus.si] reflète le même mécanisme : {egʷ-si} → [e.gʷu.si] → [e.gʷus.si]. 6.7.8 Consonnes géminées et consonnes redoublées La gémination ne constitue pas une propriété des morphèmes, ce qui ne signifie pas que la forme phonologique de certains morphèmes excluerait, par principe, des séquences de phonèmes identiques. Cette propriété se manifeste, dans l’écriture hittite, quand une séquence tautomorphémique /CₓCₓ/ préserve phonétiquement l’intégrité de la séquence [CₓCₓ] dans tous les contextes, alors que, comme on l’a vu, les géminées reflètent le traitement /Cₓ/ → [CₓCₓ] en position intervocalique exclusivement. Un exemple de cette situation est fourni par le verbe arr- « laver », dont les graphies préservent /rr/ au voisinage d’une autre consonne, alors que, par contraste, celle du verbe ar- « venir, arriver », dans le même contexte, reflète toujours /r/. La flexion de ar- « venir » est écrite {ár-tʰeni} → ar-te-ni [ar.tʰe. ni], {ár-xi} → a-ar-hi [ā́r.xi], alors que celle de arr- « laver » exige le développement d’une anaptyxe en raison du caractère inacceptable des attaques *[.rtʰ], *[.rx], d’où {arr-tʰeni} → [ar-]ra-at-te-ni [ar.rə.tʰe.ni], {arr-xi} → ar-ra-ah-hi [ar.rə.xi]. (13) intégrité phonologique des consonnes redoublées en contexte V_C

arr- « laver » : ar- « venir » :

2pl. prés.

1sg. prés.

[ar-]ra-at-te-ni KBo 20.108 Vo 3 (NH) ar-te-ni KUB 31.101 : 31 (MH)

a-ar-ra-ah-hi a-ar-hi

La séquence /rr/ peut localement connaître une assimilation [r] dans certaines formes : 3sg. prét. a-ar-as-ta, 2pl. imp. a-ar-at-te-en. Le caractère phonologique de la distinction entre la séquence /rr/ de « laver » et la consonne /r/ de « venir » se manifeste également en position intervocalique où le positionnement similaire de l’accent dans 3sg. {ár-i} « il vient » →

paradigmes alternants en indo-européen (sur le caractère des conceptions développées à et égard à Vienne et Erlangen, d’une part, à Leyde, de l’autre, voir Watkins 1998 : 61-62).

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a-a-ri [ā́.ri] et dans {árr-i} « il lave » → a-ar-ri [ā́r.ri] montre que la variation de syllabation n’est pas imputable à un conditionnement supra-segmental : (14) intégrité phonologique des consonnes redoublées en contexte V_V

arr- « laver » : ar- « venir » :

3sg. prés.

3pl.

a-ar-ri (VH) a-a-ri (VH)

ar-ra-an-zi a-ra-an-zi (MH)

Un autre cas de morphèmes incluant des séquences de phonèmes identiques est représenté par les morphèmes de dérivation itérative -ss(a)- et -anna/i(sur lesquels, voir Dressler 1968, Melchert 1996b, Hoffner & Melchert 2008 : 318-323), qui sont toujours écrits sous forme CₓCₓ, quel que soit leur contexte : halziss(a)- « appeler », iss(a)- « faire, accomplir », wariss(a)- « venir en aide » ; iyanna/i- « aller » (3sg. prés. i-ya-an-na-i), pessiyanna/i- « jeter, abandonner », sippandanna/i- « faire une libation », etc. La représentation de ces morphèmes apparaît conventionnalisée au niveau graphique comme le montre le fait qu’elle peuvent se cumuler, dans un même mot, avec d’autres consonnes géminées : 3pl. prés. wa-ar-ri-is-sa-an-zi KBo 5.8 i 10 (NH), 2sg. imp. wa-ar-ri-is-sa KBo 5.9 ii 17 (NH) ; 3sg. prés. pé-es-si-ya-an-ni-es-ki-iz-zi KBo 24.47 iii 18 (/nh). 6.7.9 Segments géminables Le procédé consistant à écrire CC pour C n’est pas généralisable à l’ensemble des consonnes, soit parce que l’effectif des signes d’écriture ne le permet pas, soit parce ce que le procédé est déjà affecté à l’expression d’une autre propriété linguistique. (1) Gémination des semi-voyelles. – Une potentielle gémination des semivoyelles [j w] supposerait des graphies yy, ww, impossibles à élaborer dans l’écriture. On peut estimer que, dans certains cas, des graphies ú/u + wa/wi₅ ou i + ya sont potentiellement à même de recouvrir [ww], [jj], mais sans nulle possibilité de démonstration. La possible gémination des semi-voyelles reste d’autant plus virtuelle, que cette classe de segments est, au plan typologique, très rarement géminable. (2) Gémination des obstruantes non sibilantes. – Du moment où la gémination est possible dans une langue, les plosives non voisées ont vocation à faire partie des segments géminables (Jaeger 1978 : 320sq., Gordon 2016 : 55-57), bien que leur fréquence comme géminées soit généralement

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inférieure à celle des résonantes (Dmitrieva 2012). En hittite, où /ʧ/ est géminable on ne saurait donc concevoir que /pʰ tʰ kʰx/ ne le soient pas aussi. Les voisées /b d g gʷ ɣ/ ont, en revanche, une moindre propension que les non voisées à la gémination. D’autre part, le fait que les résonantes /m n r l/ sont géminables fait que la probabilité est forte pour que les fricatives vélaires /ɣ x/, dont le niveau de sonorance est moins élevé soient également géminables33. Autant on peut donc tenir que sûrement /pʰ tʰ kʰ x/ et possiblement /b d g gʷ ɣ/ sont des segments géminables en hittite, autant la gémination de ces segments demeure impossible à discerner d’après la graphie puisque leur écriture, soit ‘C’, soit ‘CC’ peut aussi être interprétée comme une représentation du mode articulatoire : quand /C/ est une plosive ou une fricative dorsale, une graphie VCCV peut recouvrir aussi bien la gémination d’une voisée [VddV, VɣɣV] que la gémination d’une non voisée [VtʰtʰV, VxxV], ou le non voisement d’une non géminée [VtʰV, VxV]. L’existence d’obstruantes géminées est absolument sûre dans le cas des mots en consonne finale cliticisés par la conjonction de coordination {⸗ja} dont l’emploi impose, précisément, une gémination, au sein du mot synclitique (voir plus en détail, § 9.16). Le processus affecte les résonantes aussi bien que les obstruantes : ták-na-a-as-sa ({Tagn-ás⸗ja}) « et de la terre » KUB 43.23 Vo 18, ne-e-pí-is te-e-kán-na ({Tégan-∅⸗ja}) « ciel et terre » KUB 31.143 ii 21, a-pé-el-la ({ab-el⸗ja}) KUB 36.104 Vo 6, LÚ A.ZU ú-ug-ga ({úK⸗ja}) « le médecin et moi » KBo 17.1+ iv 7 ; nu a-pa-at-ta ({ab-aT⸗ja}) « et ceci » KBo 17.3+ iv 29, etc. (tous ces témoignages sont vieux-hittites)34. Mais dans tous les autres cas, la possibilité de plosives géminées ne peut être qu’évoquée, en restant indémontrable. Sur la base de l’étymologie, des spécialistes estiment que des plosives écrites CC pourraient être géminées ; par exemple Kimball (1999 : 282) voit dans mekki- « grand, nombreux » → nom. sg. me-ek-ki-is une réalisation [mek.kis] sous considération du prototype *méǵ h₂- (gr. méga-, lat. magnus, véd. máhi-, etc.) ; cette approche est possible, mais elle ne réfute pas la possibilité de [me. kʰis] ou de [meg.gis] ; le problème se pose en des termes similaires avec uttar« parole » ou avec piddai- « fuir » en restant sans solution démontrable. En d’autres termes, l’observation de la gémination en hittite est limitée par la graphie à certaines classes de segments, fricatives sibilantes, nasales et 33  Cf. Podesva 2002 : 4 « if there are geminate sonorants, then there are geminate sonorants of lower sonority ». 34  Il existe un autre clitique ⸗a, en distribution complémentaire avec ⸗ma en vieux hittite, indiquant une relation contrastive, lequel n’impose pas de modification sur la syllabation, d’où tēkan⸗a, uk⸗a, apat⸗a, etc. (§§ 9.10.3-4).

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liquides ; la gémination des obstruantes non sibilantes peut être tenue comme sûre, au moins pour les non voisées, mais le caractère équivoque de sa représentation la rend impossible à détecter. 6.8

Réalisations de la gémination

6.8.1 Fréquences La fréquence des réalisations CₓCₓ par rapport aux réalisations Cₓ dans le même contexte varient fortement selon les segments observés. Les décomptes ci-dessous ne prennent en considération que le contexte intervocalique qui est le seul où la gémination comme la non gémination d’un segment est explicitement restituée par la graphie. On a renoncé à dénombrer les occurrence de ‘z(z)’ car il est trop souvent impossible de savoir si cette graphie recouvre une consonne ou une séquence de consonnes. L’interprétation /ʧ/ ou /Ts/ de z n’est absolument sûre qu’en fin de mot, avec des morphèmes qui, à l’exception de la désinence 3sg. prés. -zi (sur la gémination de laquelle, voir § 8.8.3(6)), ne sont pas susceptibles d’être trouvés en position intervocalique. (15) fréquence du rapport Cₓ : CₓCₓ

s ss m mm l ll n nn r rr

VH

MH

NH

moyenne % coeff.

51 % (353) 49 % (334) 76 % (355) 24 % (114) 76 % (400) 24 % (127) 80 % (567) 20 % (141) 97 % (739) 3 % (22)

53 % (341) 47 % (306) 66 % (458) 34 % (238) 69 % (298) 31 % (137) 83 % (570) 17 % (116) 94 % (706) 6 % (46)

54 % (1509) 46 % (1302) 62 % (1907) 38 % (1165) 79 % (1661) 21 % (441) 78 % (3161) 22 % (868) 90 % (2906) 10 % (308)

53 47 68 32 75 25 80 20 94  6

1,12 2,12   3   4   16

Les chiffres concernant mm peuvent être minorés car les scribes de l’époque tardive tendent à utiliser des signes de type CVm pour représenter /CV/ (§ 4.10.2). Les variation que l’on constate d’une période à l’autre sont relativement faibles et ne mettent pas en évidence de tendance significative, sauf, peut-être,

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Chapitre 6

dans le cas de /r/ dont la réalisation géminée fait plus que tripler du vieux hittite à la strate la plus tardive, tout en demeurant fortement minoritaire face à la réalisation non géminée. Dans le corpus moyen-hittite de Tapikka / Maşat (intégré dans le présent dénombrement), Hoffner (2010 : 109-111), remarque une certaine tendance à représenter par Cₓ des graphies qui tendent à être écrites CₓCₓ à Hattusa, mais cette conclusion repose sur quelques témoignages dont le volume n’est pas nécessairement représentatif. La constante qui se dégage de ces données est qu’en hittite comme ailleurs, la fréquence des réalisations non géminés est toujours supérieure à celle des réalisation géminées du même segments, quel que soit le segment et quelle que soit la période35. Cette supériorité revêt un même aspect que l’on se place du point de vue de la propension d’un segment à la gémination ou de celle du volume des occurrences géminées d’un segment par rapport aux autres. La fricative /s/ montre une aptitude à la gémination supérieure à celle de tous les autres segments, tandis qu’à l’autre extrémité, la rhotique /r/ apparaît comme la consonne la moins géminable de tous les segments géminables ; au milieu de l’échelle, les nasales et la latérale reflètent une fréquence de gémination relativement proche. Sans surprise, les phonèmes qui ont le plus de réalisation géminées, sont ceux qui ont les plus grandes propensions à la gémination. La hiérarchie résultant de ces données est résumée dans (16) : (16) propension à la gémination en hittite /r/ → /n/ → /m/ → /l/ → /s/ A la suite de Kawahara (2007), certains linguistes estiment que la propension des segments à la gémination serait inversement proportionnelle à leur niveau de sonorance ; cette hypothèse ne se vérifie guère en hittite, notamment en raison de la localisation de la latérale /l/. 6.8.2 Situations de gémination en vieux hittite La restitution graphique de la gémination est à la fois moins instable et moins fréquent que celle de la réplication, ce qui peut être justifié en observant que si la réplication peut advenir dans n’importe quelle syllabe du mot, la gémination ne peut se produire qu’avec certains segments dans certaines positions syllabiques. Comme dans la présentation des situations de réplications, on limite

35  Les chiffres sur lesquels se fonde Tremblay 2000 : 222, pour affirmer que les géminées CₓCₓ ont une fréquence toujours supérieure à celle des non géminées Cₓ (jusqu’à trois fois) sont extravagants.

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les exemples cités dans cette section au corpus vieux-hittite authentique, sans tenir compte des cas de gémination conditionnée par la présence de l’enclitique coordonnant {⸗ja} : (1) Absence de gémination. – aucun des segments géminables d’un motforme n’est jamais renprésentée en graphie géminée : cette situation est naturellement celle des mots monosyllabiques, mais aussi de formes où un segment géminable est en frontière syllabique : haran- « aigle », hūmant- « tout », idālu- « mauvais », memai- « parler », parā, pe/ēran, sarā, sina- « figure », sumes- pronom fort 2pl., daluki- « long », tamai- « autre » (liste non exhaustive) ; (2) Gémination stable. – un segment géminable est représentée en graphie répliquée dans toutes les occurrences d’un mot-forme donné ; hassa« foyer », hazziya- « instrument de percussion », ke/issar- « main », nassu « ou bien », pessiya-, sallanu- « faire croître », sunna- « emplir », zinna(liste non exhaustive) ; (3) Gémination instable. – une segment géminable donnée est représentée en graphie répliquée dans certaines des occurrences d’un mot-forme donné, mais non dans toutes : cette situation ne semble attestée, en vieux hittite, que par halmasuitt- « trône » → abl. hal-ma-as-su-it-ta-az KBo 17.1+ iii 25 et hal-ma-su-it-ta-az KBo 17.19+ ii 8 (mot probablement emprunté) ; (4) Géminations multiples. – tout ou partie des segments géminables inclus dans un mot-forme donné sont géminés : ce phénomène est rare et semble limité aux situations dans lesquelles l’une des géminées est nettement issue d’une assimilation, par ex. wannummiya- « privé de soutien, voeuve ou orphelin » → nom. wa-an-nu-um-mi-as [wan.num.mi.(j)as], analysé par Kimball (1999 : 337) comme un dérivé d’appartenance en *-umn- → -umm- d’une base *wannu- « vide » ; (5) Gémination obligatoire. – Le conjonction clitique coordonante {⸗ja} impose, par règle, une gémination de la consonne finale du terme cliticisé, quelle que soient les propriétés de celle-ci (§ 9.16). Hormis le cas des morphèmes à graphie conventionnalisée, il ne semble pas exister de cas de gémination discordante au terme de laquelle un segment géminable représenté en graphie géminée dans certaines des occurrences d’un mot-forme donné serait différent de celui qui est représentée en graphie géminée dans d’autres occurrences du même mot-forme. La gémination, en tant que manifestation phonétique, ne se prête pas, à cet égard, aux même confusions que la réplication vocalique. En revanche, comme avec la réplication, les témoignages de gémination instable faisant osciller les graphies Cₓ : CₓCₓ se multiplient dans les strates postérieures, a fortiori quand on compare les donnée d’une strate avec celles d’autres strates.

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6.8.3 Stabilité segmentale des géminées La stabilité et la fréquence de la gémination varie notablement selon les propriétés du segment impliqué : (1) La fricative /s/. – Ce phonème est, comme on l’a mentionné, celui dont la gémination est, à la fois, la plus fréquente et la moins instable. Un nombre important de lexèmes sont presque toujours écrits avec ss : iss- « bouche » (oblique de ais-) ; hassa- « foyer » ; hassa- « progéniture, descendant » ; hassikk« être rassasié » ; iss(a)- « faire » ; kaness- « reconnaître » ; karuss(iya)- « être/ rester silencieux » ; kessar- « main » ; less- « collecter » ; nassu (conj.) « soit … (soit) » ; passila- « pierre (précieuse) » ; passu- « piédestal » ; pessiha- « laisser, abandonner » ; punuss- « questionner » ; tamass- « oppresser » ; dassu- « fort » ; tekkussiya- « montrer » ; ussiya- « ouvrir », etc. De même, les dérivés abstraits en -ssar-/-sn-, les déverbatifs en -ssa- et en -ess- sont presque toujours écrits ss, quel que soit le contexte dans lequel ils sont affixés, ce qui indique, au passage, une normalisation de leur graphie. Parallèlement, dans bien des cas, des lexèmes le plus souvent écrits avec ss font varier cette graphie avec s : halziss(a)- « crier » → 3sg. prés. hal-zi-sa-i (VH/nh), 3pl.prés. hal-zi-sa-an-zi (/nh) ; hanissa- (sorte de vaiselle) → nom. ha-ni-sa-as ; hass- « cendre, savon » → acc. pl. ha-as-us (VH/nh) ; passandala- « goûteur » → nom. pa-sa-an-da-la-as (MH?/nh) ; pihassassi- (qualifiant le dieu de l’orage) → acc. pí-ha-sa-si-i[n] ; sissur- « irrigation » → gén. se-e-su-ra-as (NH). L’adverbe kissan « ainsi » tend à être écrit ki-is-sa-an dans les textes anciens, mais kis-an dans les textes récents36. La tendance inverse à écrire ss pour une graphie le plus souvent s se vérifie dans des proportions, semble-t-il, similaires : asas- « installer » → 1sg. prét. assa-as-hu-un (/nh) ; asiwant « pauvre » → dir. a-as-si-wa-an (/nh) ; es- « être » → 1pl. prét. e-es-su-u-en (/nh) ; es- « s’asseoir » → 3pl. prés. my. e-es-sa-an-ta-ri (/nh), 3sg. prét. my. e-es-sa-at (/nh) ; hapusas- « tige » dat.-loc. ha-a-pu-ú-sa-assi (/nh) ; has- « engendrer » → 3sg. prés. ha-as-si (/mh) ; has- « ouvrir » → 3pl. hé-es-sa-an[-zi] (/nh), hi-is-sa-an-zi ; kalmisna- « braise » → loc. kal-mi-is-sa-ni ; kis- « peigner » → 3pl. prét. ki-is-si-er (/nh) ; ses- « sommeiller » → 1sg. se-es-suun (/nh), etc. En frontière de clitiques, une combinaison biphonématique /… s⸗s …/ est le plus souvent souvent écrite ss, mais elle peut aussi être écrite s : unuwashus⸗(s) mus pianzi « on donne leurs ornements » KUB 11.28 iv 11 (VH/nh) ; {Tahas⸗sta} → Tahasta KÁ.GAL-za « depuis la porte de Taha » KBo 16.49 i 5 (MH?).

36  Comme l’indiquent ces témoignages, rien ne permet de juger que ss et s recouvriraient une distinction /s/-/z/, comme le suggère Benveniste 1962 : 8.

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La fréquence élevée de ss peut s’expliquer, au moins en partie, en raison de ce que s, étant, de toutes les consonnes, la plus compatible dans la phonotactique (§ 5.10), elle peut, plus facilement que d’autres segments géminables, faire partie d’une séquence de consonnes, si bien que lorsque l’écriture a recours à des voyelles fictives, elle redouble mécaniquement la graphie de la consonne : wars- « récolter » → 3sg. prés. {wars-i} wa-ar-si (VH) et wa-ar-as-se (VH). (2) La latérale /l/. – Un certain nombre de mots assez fréquemment attestés présentent invariablement une graphie ll, par ex. iskalla- « glisser », hulle« vaincre, écraser », salli- « grand », sulle- « être (devenir) hautain ». Les formes de hattalla- « massue » sont toujours écrites avec ll, celles de hattalu- « verrou », toujours avec un seul l. Ceci posé, les témoignages de vacillation aléatoire l : ll en position intervocalique sont fréquents. La tendance semble être globalement la suivante : – les mots reflétant le plus souvent ou presque toujours ll peuvent, occasionnellement, refléter l : annalla- « ancien, vétuste » → acc. an-na-al-la-an KBo 12.56 i 7 (NH), mais an-na-la-an KBo 2.1 i 34 (NH) ; kaliss- « appeler, invoquer » → 3sg. prét. kal-li-is-ta KUB 17.5 : 6 (VH/nh), mais 3pl. prés. gali-is-sa-an-zi IBoT 2.80 vi 4 (VH/nh), malla- « broyer » → 3pl. prés. ma-al-laan-zi IBoT 1.29 Vo 19 (VH/mh), mais ma-la-an-zi KBo 26.182 i 6 (NH) ; wellu« pâturage » → gen. ú-el-lu-as KBo 20.19 + 20.25 Ro ? 7 (VH), mais ú-e-el-ua-as KBo 25.109 iii 10 (VH ?/mh) ; – les mots qui reflètent le plus souvent ou presque toujours l ne reflètent que rarement ll : galaktar « opium » → dir. ga-la-ak-tar KUB 9.27 Ro 8 (MH/nh), mais kal-la-ak-tar KUB 9.27 Ro 8 (MH/nh) ; wastul « faute, malheur » → gén. us-tu-la-as KUB 29.29 i 10 (VH), mais wa-as-túl-la-as (MH), ulai- « cacher » → dériv. ú-ul-li-is-ke- (passim). Certains mots ne semblent pas faire prédominer une graphie sur l’autre, peutêtre parce que leurs attestations ne sont pas assez nombreuses pour faire apparaître une tendance, par. exemple kal(l)is- « appeler » → 3pl. prés. ga-li-is-saan-zi IBoT 2.80 vi 4 (VH/nh), face à 3sg. prét. kal-li-is-ta KUB 17.5 : 6 (VH/nh). (3) La nasale /m/. – Le statut des graphies mm est moins net que celui des autres segments géminables car les signes de type ‘CVm’ peuvent être employés pour représenter /CV/ (§ 4.10.2), raison pour laquelle on ne tiendra pas compte ici de variantes comme kar-tim-mi- face à kar-di-mi- (kardimiya- « être en colère »). Relativement peu de lexèmes généralisent une graphie mm, mais ceux qui l’utilisent lui donnent une expression généralement stable : amm- thème oblique du pronom 1sg. uk ; imma « en fait, véritablement » ; gimmant« hiver » ; mimma- « refuser, repousser » ; namma « en outre » ; dammesha« punition, châtiment », etc.

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Il est peu fréquent qu’un mot à graphie à dominante mm soit écrit avec un seul m : ammiyant- → nom. am-mi-ya-an-za (VH/nh), a-mi-ya-an-za (VH/mh) ; himma- « substitut » → acc.pl. hi-im-mu-us, hi-mu-us ; immiya- « mélanger » → 1sg. prés. i-mi-ya-mi (NH) i-im-mi-ya-mi (/nh). Il est, en revanche, assez banal qu’un mot dont la graphie dominante est m soit occasionnellement écrit mm : annanumar « éducation » → gén. an-na-numa-as (VH/nh), an-na-nu-um-ma-as (VH/nh) ; hamesha- « été-automne » → loc. ha-me-es-hi (VH), ha-am-me-is-hi (NH) ; gimra- « steppe » → gén. gi-im-raas (VH), gi-im-ma-ra-as (VH/nh) ; mema- « parler » → 2sg. prés. me-e-ma-at-ti (NH), me-em-ma-at-ti (NH) ; 3pl. prét. me-e-mi-er (VH), me-em-mi-er (VH/nh) ; memal- « plat » → dir. me-e-ma-al (VH), me-em-ma-al (NH) ; nekumant- « nu » → nom. pl. ne-ku-ma-an-te-es (MH?), ni-ku-um-ma-an-te-es (/nh) ; sum- pronom 2pl. → nom. su-me-es (VH), su-um-me-es (MH) ; sumanzan- « jonc, ligature » gén. su-ma-a-an-za-na-as (VH/mh), sum-ma-an-za-a-as (MH/nh) ; warsma- « bois à brûler » → abl. wa-ar-sa-ma-za (/nh), wa-ar-sa-am-ma-za (NH). La désinence 1sg. {-mi}, en particulier, est souvent écrite -mmi avec certains verbes : arnu- « faire aller » → ar-nu-mi (MH), ar-nu-um-mi (/nh) ; ye/a« faire » → i-ya-mi (VH), i-ya-am-mi (VH/nh) ; lahhiya- « se mettre en marche contre » → la-ah-hi-ya-mi (NH), la-hi-ya-am-mi (NH) ; parsi- « briser » → pársi-ya-mi (MH/nh), pár-si-ya-am-mi (/nh) ; siye- « imprimer, ficher » → si-ya-mi (NH), si-am-mi (NH) ; taninu- « installer » → ta-a-ni-nu-mi (NH), ta-ni-nu-ummi (NH) ; titnu-« idem » → ti-it-ta-nu-mi (MH), ti-it-ta-nu-um-mì (NH) ; we-/ uwa- « venir » → ú-wa-mi (VH), ú-wa-am-mi (/mh). De même, la désinence 2pl. {-wen(i)} est souvent écrite mm quand elle procède de la règle w → m (§ 8.1) ; asnu- « prendre soin » → as-nu-me-ni, [as-s]a-nu-um-me-ni ; huinu- « faire courir » → hu-i-nu-me-ni (MH/nh), hu-i-nu-um-me-ni (/nh). L’écriture d’un nombre non négligeable de lexèmes reflète un usage totalement instable du rapport m : mm sans faire nettement prévaloir une graphie sur l’autre, par ex. mumiya- « se désagréger » → 3sg. prés. mu-mi-e-ez-zi : muum-mi-i-e-e[z-zi] ; pihaimi- (qualifie le dieu de l’orage) → nom. pí-ha-i-mi-is, píha-i-mi-i-is : pí-ha-im-mi-is ; sarlaimi- « loué, célébré » → nom. → sar-la-i-mi-is : sar-la-im-mi-is. (4) La nasale /n/. – La graphie nn semble généralisée dans plus de lexèmes que la graphie mm : annalla/i- « ancien, antique » ; anna- « mère » ; annanu« entraîner » ; hanna- « juger » ; hanna- « grand-mère » ; iyanna- « se mettre, être en marche » ; kunna- (adj.) « droit favorable » ; sallanna- « tirer » ; sanna« dissimuler » ; sunna- « emplir » ; unna- « envoyer, mener » ; wannum(m)iya« privé de soutien, voeuve ou orphelin » ; zinni- « finir ». La flexion du verbe aniya- « faire, travailler » est toujours n, mais celle du dérivé en -ske- est toujours nn : an-ni-is-ke- (VH), (a-)an-ni-es-ke- (MH) ; à l’inverse, l’adverbe innara

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« vigoureusement » est toujours écrit avec une géminée, in-na-ra-a, tandis que le dérivé inarahh- « affermir » ne présente qu’un seul n, d’où 3sg. prés. i-nara-ah-hi (VH). Certains dérivés abstraits en -ātar- ont, aux cas obliques, une graphie -anna- dérivant d’une assimilation *-adna- (§§ 6.9.1, 8.16.6). A la différence de ce que l’on constate avec d’autres segments, les oscillation de graphies semblent également réparties entre les mots habituellement écrit nn faisant occasionnellement usage de n et les mot habituellement écrit avec n faisant occasionnellement usage de nn : dans la première catégorie on peut relever : arawanni- « libre » → nom. a-ra-wa-ni-es (/nh), a-ra-wa-an-ni-es (NH) ; hulukanni- « voiture » → abl. hu-lu-ga-an-na-az (VH/nh), hu-lu-ga-na-az (MH) ; munnai- « se cacher » → 1sg. prés. mu-un-na-a-mi (VH/mh), mu-na-ami (NH) ; nanna- « conduire, mener » → 3pl. na-an-na-an-zi (NH), na-na-an-zi (NH) ; penna- « conduire » → 1sg. prés. pé-en-na-ah-hi (MH/nh), pé-na-ah-hi (MH/nh). Dans la seconde catégorie, on observe, par exemple, harknu- « faire disparaître » → 3pl. opt. har-ga-nu-wa-an-du, har-kán-nu[-an-du] ; harsar-/ harsn- « tête » → dat.-loc.sg. har-sa-ni (VH), har-sa-an-ni (/nh) ; kuen- « tuer » → 3pl. prét. ku-e-ner (MH), ku-en-ner (VH/nh) ; mehur- « temps, durée » → loc. me-e-hu-ni (VH), me-e-hu-un-ni (MH) ; me(y)an- « durée » → gén. me-ya-na-as (NH), me-ya-an-na-as (NH) ; memiyan- « parole » → abl. me-mi-ya-na-az (NH), me-mi-ya-an-na-az (NH) ; sanh- « chercher » → 2sg. prét. sa-an-ah-ta (NH), saan-na-ah-ta (NH). (5) La rhotique. – De tous les segments géminables, la rhotique /r/ est le phonème le moins souvent géminé. Les mots ayant une graphie stable avec r, comme, par exemple peran « devant, face à » (pé-e-ra-an, pé-i-ra-an, pé-ra-an, pé-ra-a-an) sont considérablement plus fréquents que ceux qui ont une graphie stable avec rr, comme tarra- « être capable », warr(a)i- « utile, secours ». La plupart des témoignages de vacillations s’observent dans des mots qui sont le plus souvent ou presque toujours écrits avec un seul r et qui, occasionnellement, présentent rr : happar- « négoce, tarif » → abl. ha-a-ap-pa-ra-az (VH), mais ha-ap-pár-ra-az (VH/nh) ; hāran- « aigle » → gén. ha-a-ra-na-as, mais har-ra-n[a-as] KUB 20.54 + KBo 13.122 Vo 8 (VH/nh) ; ispār- « disperser » → 3pl. prés. is-pa-ra-an-zi KBo 25.31 iii 10 (VH), mais is-pár-ra-an-zi KUB 29.45 i 14 (MH) ; kattera- « du bas, inférieur » → loc. kat-te-ri KBo 4.2 i 30 (VH/nh), mais kat-te-er-ri KBo 10.24 iv 31 (VH/nh) ; nahsaratt- « peur » → nom. na-ahsa-ra-az (MH), mais na-ah-sar-ra-az (MH/nh) ; nuntariya- « rapide » → nom. nu-ut-ta-ri-ya-as (VH/nh), nu-tar-ri-ya-as (NH) ; paranta « le long de » pa-raan-da (NH), mais pár-ra-an-ta (MH) ; tapariya- « ordre » → nom. ta-pár-ri-as KUB 5.1 iii 93 (NH) ; zahhurai- « briser, émietter » → 3sg. imp./opt. za-ah-hura-id-du KUB 41.8 iii 29 (MH/nh), mais za-ah-hur-ra-id-du KBo 10.45 iii 38 (MH/nh).

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Chapitre 6

Rarement, les quelques mots presque toujours écrits avec rr, reflètent un seul r : arr- « laver » → 2pl. imp./opt. a-ar-at-te-en KUB 41.23 iii 10 (MH/nh) ; sar- « diviser » 3sg. prét. {sar-s} → sar-ra-as (MH), mais sa-a-ar-as (VH). (6) Cas particulier de l’affriqué /ʧ/. – Dans les langues où les affriquées sont géminables, leur réalisation repose, le plus souvent, sur un allongement du constituant plosif, non du constituant fricatif (Thurgood 1993 : 128, Pycha 2009). Les données du hittte sont conformes à cette tendance puisque la gémination conditionnée d’une consonne finale par ⸗a/⸗ya s’appuie sur sur [t] (ou [ȶ]) quand z correspond à /ʧ/, alors qu’elle s’appuie sur [s] quand z correspond à une séquence /t d/ + /s/ (§ 4.9.4(2)). Par suite, on reconnaît que ye/a- « faire » → 3sg. prés. {je-ʧi} se réalise [je.ʧi] i-e-zi (VH) ou [jet.ʧi] i-e-ez-zi (VH), mais pas *[jeʧ.ʃi]. Les témoignages où une graphie zz correspond sûrement à /ʧ/ se limitent à quatre situations : – (i) les exemples de de graphies … z-za du morphème d’ablatif {-ʧ} deviennent fréquents dans les textes tardifs, mais sont limités aux pronoms délocutifs et relatif-interrogatif (ke-e-ez-za, ku-e-ez-za), tout en demeurant optionnels face au graphies non géminées (ke-e-ez, ke-e-za, a-pé-e-ez, a-péez, ku-e-ez, ku-e-za,), lesquelles sont dominantes, mais non de règle, dans les textes anciens (a-pé-ez-za est documenté dès le vieux hittite) ; – (ii) la désinence 3sg. prés. actif est le plus souvent écrite écrite -Vz-zi, par ex. ye/a- « faire » → i-e-ez-zi et i-e-zi ; zinna- « finir » → [zi-i]n-ni-i[z-zi] KUB 60.41 Vo 19 (VH) et zi-in-né-z[i] KBo 20.10 i 5 (VH) ; – (iii) le morphème de dérivation -ezzi- est toujours représenté sous cette graphie : hantezzi(ya)- « premier », appezzi(ya)- « dernier », katterezzi« inférieur », sarazzi(ya)- « supérieur » ; – (iv) l’intensifieur enclitique -z(a) éventuellement écrit … Vz-za quand il est précédée d’un mot en voyelle finale, par ex. nu-uz-za (VH) face à nu-za. En contexte /(V)C #/, les graphies z ou zz de {⸗ʧ} ainsi que du morphème {-(a)ʧ} ne sont probablement pas linguistiquement significatives : non seulement une gémination en fin de mot n’est pas justifiable au plan phonétique (particulièrement dans le cas d’un clitique censément non accentué), mais rien ne pourrait justifier que /ʧ/ soit la seule des consonnes hittites à refléter ce comportement. L’étude de Kühne (1988) montre, en outre, que la possibilité de -Vz-za, originellement conditionnée par l’environnement (on a généralement -Vz derrière voyelle et -zV derrière consonne en vieux hittite), tend à s’éliminer avec la généralisation de la graphie-zV dans les textes postérieurs. Selon toute vraisemblance, les graphies zz en fin de mot de ces morphèmes résultent de conventions graphiques plus ou moins stabilisées.

357

La syllabe

La seule situation où la graphie zz recouvre sûrement une gémination de /ʧ/ est celle du contexte /(V)CV #/ prédit par l’emploi du morphème de flexion verbale 3sg. prés. -zi. De façon remarquable, à la différence de ce que l’on constate avec toutes les autres consonnes, la fréquence des graphie géminées de ce morphème est, à toutes les époques, supérieure à celle des graphies non géminées : (17) fréquence des graphies de 3sg. {-ʧi}

… Vz-zi # … V-zi #

VH

MH

NH

88 % (303) 12 % (43)

90 % (62) 10 % (6)

69 % (288) 31 % (132)

La graphie … Vz-zi ne se rencontre, en vieux hittite que derrière voyelle (párku-nu-uz-zi KBo 6.2 ii 34), tandis que -zi est le plus souvent derrière consonne (ku-e-en-zi KBo 6.2 i 3), minoritairement, derrière voyelle (is-pár-nu-zi KBo 20.10+ i 12, ii 9). Pour justifier cette situation, il paraît plausible d’estimer que les graphies Vz-zi perpétuent un traitement antérieur à la palatalisation hittite *ti → -ʧ où la gémination en cause n’est pas celle de l’affriquée, mais de la plosive originelle derrière voyelle accentuée : *{…V́ -ti} → *[…V́ t-ti] → *[…V́ t- ʧ] → (par restauration de *i, § 8.17.2) […V́ t-ʧi] … Vz-zi37. En définitive, hormis le cas des mots dont la gémination est conditionnée par {⸗ja}, il n’existe pas de témoignages mettant clairement en évidence que zz correspondrait à la réalisation géminée de l’affriquée, ce qui fait peser un doute sur le caractère véritablement géminable de cette consonne. Peu de lexèmes font un usage stabilisé des graphies zz : la situation de variation la plus fréquente, relativement, semble être celle où un mot faisant dominer une graphie zz est occasionnellement représenté dans une graphie z : appuzzi- « graisse » → dir. ap-pu-uz-zi, mais ap-pu-zi ; kazzarnul- « vêtement » → dir. ka-az-za-ar-nu-ul (MH), mais ka-za-ar-nu-ul ; luzzi- « corvée » → dir. lu-uz-zi (VH), mais lu-u-zi (NH) ; tuzzi- « armée campement » → gén. tu-uz-zi-as (MH), mais tu-zi-as ; acc.pl. tu-uz-zi-us (/nh), mais tu-zi-us (NH) ; 37  Yoshida 2001 : 726-727, estime que, dans les textes anciens, la distribution de z et de zz reflèterait une origine étymologique différente, conclusion incompatible avec les témoignages de variations libres du type de ye/a- « faire » → 3sg. prés. i-e-zi KBo 6.2 i 60 (VH) : i-e-ez-zi, même tablette ii 50, iii 17.

358

Chapitre 6

we/izzapant- « vieilli, vieux » → dir. pl. ú-e-ez-za-pa-an-ta (NH), mais ú-e-ez-paan-ta (NH). Il est plus rare qu’un mot le plus souvent écrit avec z reflète zz, par ex. tayazil- « voleur » → gén. ta-ya-zi-la-as (VH), mais ta-i-ez-zi-la-as (MH/nh). Certains lexèmes reflètent une fluctuation z : zz plus ou moins variable d’un tranche chronologique à l’autre, le cas le plus flagrant étant celui des pronoms kā-, apā-, kui- évoqué ci-dessus. 6.9

Motivation linguistique de la gémination

6.9.1 Gémination et accentuation Au plan de la graphie, la gémination des consonnes partage plusieurs caractères avec la réplication des voyelles : une représentation fondée sur la redondance, une tendance à frapper les mêmes syllabes des mêmes mots-formes, ainsi qu’une instabilité croissante avec l’évolution de la langue. Mais surtout, les deux procédés se rejoignent, au plan phonétique, en tant qu’ils expriment, chacun à leur manière, un accroissement de durée, autrement dit, une propriété de niveau supra-segmental (Taylor 1985, Fox 2000). Dans les langues où l’origine de la gémination est historiquement contrôlable (langues germaniques, romanes et slaves, pour l’essentiel), celle-ci met en évidence trois motivations principales (Blevins 2004 : 168-191) : l’expressivité, augmentant la durée de fermeture des consonnes intervocaliques (a.na → an.na), la résolution de processus d’assimilation contigüe (a.dna → an.na), notamment avec les semi-voyelles (a.nja → an.na) et l’accentuation des noyaux syllabiques (á.na → án.na). Les deux premières causes sont soupçonnables ou attestées en hittite (mān⸗man → ma-a-am-ma-an KUB 30.10 Ro 22 ; … VC⸗ya → [… VC.Ca] ; adātar « nourriture » gén. {adadn-as} → [a.dan.nas] gén. a-da-anna-as), mais elles sont limitées à des configurations étroites qui ne peuvent expliquer l’extension prise par le phénomène, particulièrement à l’intérieur des morphèmes38. Il paraît donc que, dans les textes hittites, et conformément à la tendance qui semble être typologiquement la plus fréquente (Turk 1992, Thurgood 1993), l’accentuation d’une syllabe légère imposant l’acquisition

38  La caractère « expressif » d’une gémination repose par définition sur une évaluation subjective, mais on peut remarquer que les termes de la parenté proche, qui, dans les langues, sont typiquement ceux que la gémination expressive affecte prioritairement, présentent une géminée : anna- « mère », hanna- « grand-mère », atta- « père » ; dans cette perspective, il n’est pas exclu que la graphie tt de « père » recouvre [atʰ.tʰa] ou [ad.da], etc.

359

La syllabe

d’une coda phonologiquement associée à la syllabe suivante est la cause principale, sinon exclusive, de la gémination39 : (18) /Cₓ/ → [Cₓ.Cₓ] / (C)V́ __V Par rapport à la réplication des voyelles qui, quand elle résulte de l’accentuation, peut affecter le noyau de n’importe quelle syllabe, la réalisation de la gémination est plus contrainte : elle ne peut se produire (1) que si la syllabe acquérante est ouverte, (2) que si elle est accentuée, (3) que si elle est suivie d’une autre syllabe, laquelle doit, à son tour, (4) être attaquée par un segment géminable, à la condition que ce segment (5) ne soit pas suivi par une consonne d’un niveau de sonorance inférieur. Le contraste entre les deux possibilités d’expression apparaît dans les données de (19) : (19) expression de l’accentuation par la gémination arā- « ami » nom. sg. a-ra-a-as, a-ra-as, acc. sg. /a.rán/→ a-ra-a-an, a-ra-an dat.-loc. a-ri abl. nom. pl. a-re-es acc. pl. a-ru-us

arra- « anus » /á.ran/→

ar-ra-an ar-ri a-ar-ra-az ar-ru-us

De même, les flexions respectives de as- « demeurer, rester » (3sg. prés. a-aszi) et de es- / as- « être » (3sg. prés. es-za) mettent en évidence des situations où la réplication de la syllabe accentuée écrite en graphie répliquée dans certaines combinaisons de morphèmes génère une réalisation géminée de la fricative, avec /á.saN …/ → āssan …, alors que, dans d’autres combinaisons de

39  Kronasser 1956 : 35, et, surtout, Kuryłowicz 1958 : 219, 220, ont proposé, de façon plus ou moins affirmative, de mettre en rapport la gémination avec l’accentuation. Dans la littérature plus récente, Melchert va occasionnellement dans le même sens, notamment Melchert 1993, postulant un processus évolutif *# éC- → aCC-. Pour d’autres vues justifiant la gémination en fonction d’une position pré-accentuée, voir Kimball 1999 : 310.

360

Chapitre 6

morphèmes, le déplacement de l’accent fait que celle-ci n’a plus lieu d’être, /a.sáN …/ → asan …40 : (20) conditionnement syllabique de la gémination 3pl. prés. as- « demeurer, rester » {ás-aNʧi} → [ā́s.saɲ.ʧi] a-as-sa-an-zi (VH/mh) es-/as- « être » {as-áNʧi} → [a.saɲ.ʧi] a-sa-an-zi (VH)

participe nom. sg. {ás-aNT-s} → [ā́s.sanTs] a-as-sa-an-za (VH/nh) {as-áNT-s} → [a.sanTs] a-sa-an-za (VH)

Une graphie es-/as- → ptcp. a-sa-a-an-za est tardivement attestée (HW² II : 94), sans être nécessairement significative. De même, hattalla- « massue » → dir. pl. ha-at-tal-la, supposant {Hatʰál-a}, face à hattalu- « verrou » → dir. sg. ha-at-ta-lu supposant {Hatʰalú-∅} (éventuellement {Hátʰalu-∅}, mais pas *{Hatʰálu-∅}) ; à l’inverse, malai- « approuver » → 3pl. ma-a-la-an-zi KUB 41.54 iii 14 (NH) et malla/i- « moudre » → 3pl. ma-al-la-an-zi IBoT 1.29 Vo 19 (VH/ mh), reflètent par des moyens différents, la même accentuation /má.laɲ.ʧi/. 6.9.2 Gémination et réplication En hittite, où la représentation graphique de l’allongement est, de quelque façon qu’on l’aborde, toujours fondé sur une redondance plus ou moins instable, une graphie faisant osciller VVC : VCC, n’exclue pas la possibilité de graphies VVCC. Quand l’écriture d’une syllabe reflète, avec une certaine fréquence, une variation VCC : VVC, il y a toute raison d’estimer que ces graphies traduisent les réalisation d’une syllabe accentuée : has- « engendrer » → 3sg. prés. ha-a-si / ha-as-si ; sarr- « diviser » → 3sg. prét. sa-a-ar-as / sar-ra-as ; ses« sommeiller » → 1sg. prét. se-e-su-un / se-es-su-un, a fortiori quand on est en présence d’une graphie VVCC : as- « se tenir » → 3pl. prés. a-as-sa-an-zi ; hass« savon, cendre » → acc. ha-a-as-sa-an, etc.

40  En dépit de Puhvel, HED I : 189, et Kloekhorst 2008 : 214-215, les verbes as- « demeurer, rester » et es-/as- « être » procèdent, selon toute vraisemblance, de la même origine, tant il est fréquent, à travers les langues, que l’expression morphologique de l’une de ces signification dérive de l’autre (voir Heine & Kuteva 2002 : 278, 282).

La syllabe

361

Kimball (1999 : 153), a remarqué que « reflexes of accented vowels are not spelled with plene writing before geminates from consonant plus laryngeal and before hypocoristic, or expressive geminates (…) The lack of plene writing suggests that lenghtening rules failed in these environments ». Kimball ne ne tire pas de conséquence particulière de cette observation, bien qu’elle dégage un enseignement majeur : les conséquences que l’accentuation entaîne sur le réalisation des segments que sont la gémination et la réplication sont (éventuellement) compatibles à la condition d’avoir la même cause, laquelle se résume au fait que l’accent frappe une syllabe et une seule dans le mot. Sur les relations entre la réplication, la gémination et l’accentuation, voir plus en détail le chapitre 7.

Chapitre 7

L’accentuation 7.1

L’information prosodique

7.1.1 La graphie des rimes Les codes graphiques tendent à symboliser les paramètres distinctifs du message linguistique sans considération pour les manifestations qui, telles la place de l’accent, n’ont pas de rôle distinctif dans la phonologie1. Dans l’histoire des écritures, une symbolisation de la prosodie, quand elle est introduite, répond à des besoins d’explicitation didactique telles que la synchronisation de la parole envers une mélodie (sur les textes védiques, voir Renou 1952 : 68-71, 74, Witzel 1974), ou la fixation d’une norme orthoépique mise en cause par la dynamique de l’évolution (aucun manuscrit grec antérieur au VIIe siècle ne fait usage en continu des signes d’accentuation inventés en Égypte au IIe siècle – voir Reil 1910, Lameere 1960 : 91-92, Pfeiffer 1968 : 178-181). Les écritures des langues anatoliennes ne dérogent pas à ce principe, en sorte que l’étude de la prosodie hittite repose entièrement sur des hypothèses relatives aux conséquences de l’accentuation sur l’organisation des syllabes, non sur l’observation d’une symbolisation spécifique. L’hypothèse de base sur laquelle repose l’étude de la prosodie hittite est que l’accentuation d’une syllabe va de pair avec un accroissement de sa durée, plus exactement, que la durée longue d’une syllabe dont la causalité n’est pas imputable aux propriétés intrinsèques de son noyau vocalique ou à des interactions particulières entre des segments, résulte de son accentuation. La réplication des voyelles est l’expression privilégiée de ce processus, mais la gémination des consonnes, quoique plus rarement prise en considération, constitue, dans une sphère d’employabilité plus réduite, une autre conséquence de l’accentuation. C’est dire que l’étude de la prosodie hittite n’a pas d’autre source que celle des rimes syllabiques restituées dans l’écriture par une symbolisation de leur composition segmentale, à un titre ou à un autre, redondante. 7.1.2 Limites de l’analyse La réplication comme la gémination sont des représentations dont la motivation n’est pas invariablement accentuelle et dont les emplois sont, de façon 1  L’accent n’est ni décomposable en traits, ni opposable à un autre accent ou une absence d’accent. Le caractère contrastif, et non, distinctif, de l’accent a été démontré de façon différente par Harris 1944 = 1970 : 13-14, Martinet 1954, Garde 1968. © koninklijke brill nv, leiden, 2019 | doi:10.1163/9789004394247_009

L ’ accentuation

363

générale, instables. A partir de témoignages aussi précaires, il va de soi que l’analyse prosodique du hittite est encore plus conjecturale que d’autres secteurs de la phonologie, l’interprétation de chaque cas ne requérant pas une, mais plusieurs hypothèses. Aucune des conjectures que l’on peut former au sujet de la prosodie hittite n’étant positivement contrôlable, les assertions que l’on peut émettre à son propos n’ont pour seule légitimation que leur vraisemblance phonétique et la cohérence des explications qu’elles permettent. La typologie des organisations prosodiques a mis en évidence certaines constantes réduisant quelque peu le champ des interprétations possibles (sur l’invraisemblance de l’interprétation tonale, voir par exemple § 7.2.2), mais, en se confondant ellemême avec des débats méthodologiques notablement dispersés, elle ne livre, en définitive, que peu d’enseignements à même d’orienter l’analyse. Ces points précisés, l’instabilité des données de l’observation ne signifie pas que l’étude prosodique du hittite soit vouée à produire des spéculations gratuites ou arbitraires : la réplication des voyelle comme de la gémination des consonnes laissent discerner des régularités et des schémas relationnels conformes à ceux que l’on constate dans les langues indo-européennes où l’observation de l’accentuation est fondée sur des indices explicites. En fait, le problème majeur auquel est confronté l’étude de la prosodie hittite, à chaque instant, n’est pas tant d’identifier des témoignages potentiellement ou sûrement significatifs de la place de l’accent dans le mot, que d’évaluer jusqu’à quel point il est possible ou nécessaire de généraliser à partir de cas dont l’interprétation, conjecturale par nature, rencontre, invariablement, des témoignages sinon contradictoires, du moins non conformes2. 7.1.3 Corpus Aucune analyse phonologique n’est plus dépendante de la stratification chronologique que la prosodie : selon que les témoignages mis en relations sont synchrones ou pas, l’observation peut livrer des résultats radicalement différents. En vieux hittite, un mot fréquent tel que eshar- « sang, meurtre » restitue (de façon partielle) un paradigme accentuel comparable à celui d’autres mots (ci-dessous, tabl. 23), alors que des attestations plus tardives comme loc. e-es-ha-ni KUB 45.47 iii 18 (MH), gén. is-ha-a-na-as KUB 17.18 ii 29 (NH) non

2  La prosodie hittite a été, jusqu’à présent, plus souvent étudiée dans une perspective de reconstruction que pour elle-même ; voir Hart 1980, Ivanov 1982, Kimball 1983 (thèse non publiée), Kassian 2002. La volumineuse étude de Kloekhorst 2014, Accent in Hittite, traite des conséquences supposées de l’accentuation sur l’évolution des segments dans la préhistoire hittite et anatolienne, mais sans aborder la question de sa nature, ni celle de ses critères de positionnement (voir les recensions de Kimball 2015, Melchert 2018).

364

Chapitre 7

seulement n’ont plus de rapport avec le modèle antécédent, mais deviennent impossibles à accorder entre elles, du moins selon un cadre régulier. Les exem­ ples de ce type se multiplient avec l’évolution3. L’étude sera donc ici limitée aux données dont l’interprétation demande a priori le moins d’hypothèses ; à cet effet, les témoignages mentionnés dans le présent chapitre sont, sauf mention particulière, tirés du corpus vieux-hittite authentique, parce que c’est dans cette strate chronologique que la réplication comme la gémination donnent lieu aux emplois les plus cohérents. 7.2

La démarcation prosodique

7.2.1 L’accent L’allongement des voyelles accentuées dont on admet ici qu’il est à l’origine de la plupart des graphies répliquées du hittite est un mécanisme banal dans les langues où un accent frappe une syllabe et une seule dans le mot (Fry 1955, 1958, Morton & Jassem 1965). Il est, en revanche, inconnu dans les langues à tons où chacune des syllabes du mot reçoit une individuation prosodique (mélodique ou ponctuelle) qui lui est propre4. Cette observation suffit à faire reconnaître le hittite comme une langue à accent, selon la caractérisation au demeurant commune à l’ensemble des langues indo-européennes anciennes (Kuryłowicz 1958). On admet donc qu’en hittite, les syllabes accentuées se différencient des syllabes inaccentuées par une augmentation de la durée, mais aussi de l’intensité et de la fréquence fondamentale (voir De Lacy 2014, pour un récapitulatif des conséquences phonétiques de l’accent). 7.2.2 Nature de l’accent La nature dynamique ou mélodique de l’accent hittite (stress et pitch dans la terminologie d’Abercrombie) demeure, en revanche, inaccessible. Les seules conséquences qu’on puisse imputer à l’accentuation en hittite sont un accroissement de la durée des syllabes et un blocage de la désaspiration des plosives en attaque d’une syllabe accentuée (§ 4.7.2). 3  Les divergences entre les analyses ici exposées et celles de Hart 1980, ou d’Ivanov 1982, dérivent de ce que les données prises en considérations par ces derniers appartiennent à des strates chronologiquement hétérogènes. 4  Certaines configurations segmentales sont susceptibles de générer des tons, mais l’inverse n’est pas vrai ; la tonalité n’est jamais coïncidente avec les propriétés des voyelles, sauf, éventuellement, en ce qui concerne le mode phonatoire de leur voisement (Yip 2002 : 31-33). La question d’éventuelles interactions entre les tons et les consonnes est plus complexe ; la controverse ouverte à ce sujet par Maddieson 1976, 1978, 1984b, et Hyman 1976, 2001 : 1377sq., n’est toujours pas close (voir Gussenhoven 2004 : 42-43).

L ’ accentuation

365

Adiego (2001 : 13) a émis l’hypothèse qu’en anatolien commun, toute vo­ yelle longue était équivalente à deux mores dont seule la première serait accentuable, conception adoptée par Kloekhorst (2006b : 133-134), Yoshida (2011 : 102-107) et Melchert (2012b). Par sa seule formulation, une telle conjecture n’est pas vraisemblable. La notion de more se réfère au fait que, dans certaines langues, l’accent (ou le ton) n’affecte pas une voyelle longue durant toute la durée de sa production, mais partitionne cette durée en tranches successives, dites mores, en se plaçant tantôt sur l’une, tantôt sur l’autre. La durée d’une voyelle longue étant, équivalente à deux brèves, une voyelle brève n’a qu’une more quand les voyelles longues en comptent deux. Sur les voyelles longues, le déplacement de l’accent d’une more à l’autre va souvent de pair avec une réalisation mélodique différenciée : grec ancien nom. sg. σῶμα [sóo.ma] « corps », nom. pl. σώματα [soó.ma.ta], gén. pl. σωμάτων [soo.má.toon] ; serbo-croate čakavien брāдȁ « barbe » → nom. pl. брȃдe [bráa.de] (accent descendant), dat. pl. брāдán [braa.daán] (accent montant), etc5. Dans l’analyse prosodique, l’unique critère de délimitation des mores étant que l’accent (ou le ton) se déplace de l’une à l’autre, il est, d’emblée, antinomique de postuler qu’en anatolien, il se placerait invariablement sur l’une et jamais sur l’autre. Sans prendre en considération la contradiction, Adiego suppose, en outre, que les mores accentuées recevraient un « ton haut », opposé au « ton bas », caractérisant, les mores inaccentuées. Dans une pareille conception, la hauteur des tons devient donc une simple conséquence dérivée du caractère (in)accentué des syllabes (aucune voyelle longue ne pouvant être accentuée sur la seconde more), ce qui n’empêche pas Adiego (2001 : 14-15) de considérer que ce serait le ton, et non l’accentuation, qui déterminerait le comportement des consonnes au voisinage des voyelles longues. Outre ces incohérences, l’hypothèse de voyelles longues caractérisées par deux tons successifs est, comme telle, intenable, puisqu’une caractéristique des langues tonales comptant en mores est précisément que les mores d’une même syllabe ont toujours la même hauteur ou la même courbe mélodique, et jamais des profils différents (Yip 2002 : 141sq., Gussenhoven 2004 : 39). L’hypothèse d’une tonalité moraïque en anatolien ne repose que sur une accumulation de confusions (voir d’autres

5  On se réfère ici à la notion de more dans son acception classique (Fox 2000 : 46-50, 79-80), et non au sens particulier que ce terme a pris, à la suite de Hyman 1985, chez certains phonologues, pour désigner, à la fois, l’« unité de poids », distinguant les syllabes lourdes des syllabes légères, et toute position équivalente à n’importe quel segment long, voyelle ou consonne (sur la « phonologie moraïque », voir Hayes 1989, Noske 1993 : chap. II, Broselow, Chen & Huffman 1997, Zimmermann 2017 : 23sq.).

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Chapitre 7

critiques chez Pozza 2001 : 45, Rychtařík 2008 : 137-140)6. La réduction des « deux règles de lénition » préhistoriques à une seule, qui semble être le but poursuivi par Adiego, peut être obtenue autrement (§ 4.7.5). 7.2.3 Unités accentuables et accentuées La notion d’unité accentuable varie selon la finalité descriptive poursuivie (Garde 1968) : au plan de l’analyse phonologique, la seule unité susceptible d’être sélectionnée par l’accent n’est pas un phonème, mais la syllabe, étant entendu, par ailleurs, qu’en hittite, le noyau d’une syllabe étant obligatoirement une voyelle, seuls les segments de ce type peuvent être frappés par l’accent. Au plan syntaxique, en revanche, l’unité individualisée par l’accent n’est pas la syllabe, mais le mot (sur les propriétés accentuelles des morphèmes et des mots, voir §§ 7.4-5 ; sur les mots synclitiques, voir § 9.3). En hittite, les syllabes et les morphèmes se répartissent entre ceux qui sont accentués et ceux qui ne le sont pas, sans qu’aucun critère de niveau segmental ne permette de prédire sur quelle syllabe du mot l’accent doit tomber, ni comment il tombe. 7.3

L’accentuation des syllabes

7.3.1 Réplication, gémination et métrique Les manifestations graphiques dont on admet qu’elles sont motivées, entre autres facteurs, par l’accentuation sont la réplication des voyelles et la gémination des consonnes. D’un point de vue métrique, les deux manifestations sont identiques : – la gémination, du moins quand elle est conditionnée par l’accentuation, résulte de ce qu’une syllabe /(C)V/, quand elle est accentués, fait, l’acquisition d’une coda dupliquant l’attaque de la syllabe suivante : /(C)V́.CₓV/ → [(C)V́ Cₓ.CₓV] ; – la réplication, quand elle est conditionnée par l’accentuation, résulte de ce que le noyau d’une syllabe accentuée (donc une voyelle) a une réalisation allongée : /V́ / → [V̅́ ]. 6  Adiego 2001, utilise de façon par ailleurs confuse le terme de « ton », pour désigner les situa­ tions où un accent frappant une seule syllabe dans le mot a une mélodie qui lui est propre, comme en lituanien ou en serbo-croate štokavien (p. 13), aussi bien que celles où chaque syllabe du mot a un contour tonal, ponctuel ou mélodique, qui lui est propre, comme dans les langues tibéto-birmanes, africaines, etc. (p. 16-17). Or, autant la question d’éventuelles interactions entre la tonalité et les consonnes reste ouverte (voir ci-dessus, n. 4, la controverse Maddieson / Hyman), autant il est certain que qu’une mélodie différenciée des accents n’a aucune conséquence sur les propriétés des consonnes.

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L ’ accentuation

Il suffit de reconnaître une voyelle longue comme la somme de deux voyelles brèves en la symbolisant par [VV] plutôt que par [V̅ ] pour constater que, dans les syllabes accentuées /(C)V́ /, la réplication est aux voyelles ce que la gémination est aux consonnes7. La seule différence est que l’allongement de la voyelle se fonde sur le noyau de la syllabe elle-même, alors que l’accquisition d’une coda prend appui sur l’attaque de la syllabe suivante. Dans les deux cas, le mécanisme se résume à accroître la durée de la rime syllabique : (1) conséquences de l’accentuation sur les rimes syllabiques /(C)V́.Cₓ…/ :

gémination : [(C) V́

Cₓ ←

.

Cₓ…]

réplication :

→ V́

.

Cₓ…]

[(C) V́

En hittite, les schémas [(C)V́ Cₓ.Cₓ…] et [(C)V́ V.́ Cₓ…] dérivant de l’accentuation sont, l’un et l’autre, spécifiquement caractéristiques des syllabes dites lourdes (par opposition aux autres schémas syllabiques, dits légers). Dans de nombreuses langues, le poids des syllabes est le critère qui, précisément, détermine l’aptitude des syllabes à recevoir l’accent : les syllabes légères sont inaccentuées par défaut, voire inaccentuables, tandis que seules les syllabes lourdes sont accentuables, voire accentogènes8. L’effet de l’accentuation sur le poids des syllabes à l’avantage de mettre en évidence certaines principes élémentaires des relations entre accentuation et syllabicité en hittite : I. en hittite, la durée des rimes ne représente pas une propriété des segments, mais la conséquence d’un conditionnement supra-segmental9 ; II. toutes les syllabes sont phonologiquement accentuables, qu’elles soient lourdes ou légères ; III. l’accentuation d’une syllabe impose, au plan phonétique, son allourdissement IV. seules les syllabes phonétiquement lourdes sont susceptibles d’être reconnues comme accentuées (ce qui ne signifie pas que toutes les syllabes lourdes sont nécessairement accentuées).

7  Sur ce type de représentation, voir, en dernier lieu, Fox 2000 : 38sq., 63sq. 8  A la suite de Jakobson 1931, voir Allen 1973, Hyman 1985, Gordon 2006. – Selon Goedmans 2010, le placement de l’accent est, à un titre ou à un autre, sensible au poids syllabique dans 45 % des langues. 9  Sur le détail de ces manifestations, voir §§ 4.2.2(1), 6.6.5, 6.9.1.

368

Chapitre 7

Le fait qu’en hittite, des mots qui se confondent avec une syllabe légère de type /CV/ puissent être accentués, fait partie des témoignages indiquant que la durée vocalique n’est pas un paramètre distinctif en hittite puisque la la notion de poids syllabique n’a de sens que dans les langues où les voyelles sont phonologiquement opposables par la durée (§ 4.2.2(1)). Les principes que l’on vient de mentionner se réfèrent, bien entendu, aux conséquences phonétiques de l’accentuation, non à leur restitution éventuellement vacillante dans la graphie, ni au fait que la graphie peut perpétuer des consonnes géminée ou des voyelles répliquées pour des raisons indépendantes de la phonétique. 7.3.2 Accentuation et poids syllabique Au plan phonétique, la gémination et la réplication peuvent donc être vus comme des processus dérivant de ce l’accentuation d’une syllabes légère /CV́ / impose une réalisation lourde à sa réalisation soit [CV́ V́], soit [CV́ C(.C …)]. Cette dualité explique le fait que des mots aclitiques – donc, en principe, accentués – dont la forme est équivalente à une monosyllabe ouverte /CV́ / sont toujours écrits avec une voyelle répliquée : opérateur de négation {lé} → le-e, pronom délocutif kā- → dir. {kí/ké} ki-i, ke-e, la- « laisser » → 2sg. imp. la-a-a (MH) et la-a (VH/mh), da- « prendre » → da-a (VH), possiblement l’adposition {Prá} → pa-ra-a « vers, en direction de, devant, le long de », etc. (les connecteurs nu⸗, ta⸗, su⸗, en tant que mots clitiques, n’utilisent jamais la réplication, § 9.3). 7.3.3 Délimitations des procédés Les deux processus d’alourdissement, bien que parallèles, ont des sphères d’emplois en partie distinctes : la gémination ne peut advenir que si la syllabe accentuée se situe devant une autre syllabe, que si cette dernière est de type CV … et que si son attaque est un segment géminable (§ 6.9.1). La réplication, pour sa part, ne connaît, a priori, aucune limitation positionnelle ou contrainte sur l’organisation segmentale de la syllabe. L’accentuation d’un mot exclusivement formé, au plan phonologique, de syllabes ouvertes (dans une langues sans voyelles phonologiquement longues, une syllabe phonétiquement légère est, par nature, phonologiquement ouverte), suscite – du moins quand sa graphie restitue explicitement l’accentuation – la gémination d’une des syllabes ou la réplication d’une des voyelles. A l’inverse, l’accentuation d’une syllabe fermée ne peut se traduire, quand la graphie restitue l’accentuation, que par la réplication de la voyelle.

369

L ’ accentuation

(2) manifestations possibles de l’accentuation (Cₓ est un segment géminable) gémination

réplication

/(C)(C)V́.(CₓV …)/

[(C)(C)V́ Cₓ.(CₓV …)]

/(C)(C)V́ C(C)./

*

[(C)(C)V́ V.́ (CₓV …)] ou [(C)(C)V́ V́Cₓ.(CₓV …)] C)(C)V́ V́C(C)]

Dans certains cas, l’organisation des syllabes commande l’expression de l’accentuation, comme dans (3) où l’accentuation de la syllabe CV initiale de /má.lan/ « moulu » suscite une gémination [mál.lan], tandis que l’accentuation de la syllabe CVC finale de /ma.lán/ « approuvé » n’a pas d’autre expression possible que la réplication [ma.lā́n] : (3) allongement des rimes conditionnée par la structuration segmentale des syllabes malai- « approuver »

mala/i- « moudre »

ptcp. dir. sg. /ma.lán/ ma-la-a-an /má.lan/ ma-al-la-an KUB 5.1 i 8 (NH) KUB 24.14 i 10 (NH) Dans d’autres cas, une syllabe fermée de type /CVC/, quand elle est localisée devant des syllabes à attaque non géminable ne ne peut utiliser la gémination, ce qui ne signifie pas qu’elle aura nécessairement recours à la réplication : dans la flexion de kis- « devenir, advenir », la réplication caractérise généralement la syllabe initiale si elle est ouverte [CV] (quoique, non obligatoirement, cf. 3sg. prét. ki-is-a-ti, VH/mh) (4a.), alors que quand elle est fermée [CVC], la graphie n’expose rien de l’accentuation du mot (4b)10 : 10  Pour une approche différente, voir Oettinger 1975 : 128-129, 1979 : 447-449, qui, ayant bien discerné ce comportement, suppose l’existence une « loi de quantité » stipulant, dans l’évolution, l’allongement de toute voyelle en syllabe ouverte, hypothèse renversée par Kloekhorst 2008 : 480-481, selon qui, au contraire, les voyelles longues s’abrègent en syllabe fermée. De façon générale, le caractère ouvert d’une syllabe accentuée n’impose pas régulièrement l’allongement de son noyau ou l’acquisition d’une coda. En vieux hittite, la flexion de epp- « saisir » montre un allongement régulier de la voyelle /V́ / : 1sg. prés. e-ep-mi, 3sg. e-ep-zi, 3sg. prét. e-ep-ta, 3pl. prét. {épʰ-er} → [ḗ.pʰer] e-ep-per, alors

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Chapitre 7

(4) flexion de kis- « devenir, advenir » a. prés. my. 3sg. {Kís-a} → [Kī�.́ sa] ki-i-sa (VH) 3pl. {Kís-aNTari} → [Kī�.́ san.Ta.ri] ki-i-sa-an-ta-ri (VH/nh) prét. my. 3sg. {Kis-adi} → [Ki.sa.di] ki-is-a-ti (VH/mh) 3pl. {Kís-aNTaTi} → [Kī�.́ san.Ta.di] ki-i-sa-an-ta-ti (VH) b. prés. my. 1sg. {Kis-Ha} → [Kis.Ha] ki-is-ha (VH/mh) 2sg. {Kis-Ta} → [Kis.Ta] ki-is-ta (VH/mh) prét. my. 2sg. {Kis-TaT} → [Kis.TaT] ki-is-ta-at (VH) L’absence d’information relative à l’accentuation dans (4b) par rapport à (4a) peut résulter d’une minoration de la durée vocalique en syllabe fermée (§ 6.6.6), aussi bien que de l’impossibilité à générer une gémination de C₂ en contexte /C₁.C₂/ (§ 6.7.6). Enfin, quand une syllable ouverte CV est localisée devant une syllabe attaquée par un segment géminable, les deux procédés sont susceptibles d’entrer en concurrence, particulièrement quand la délimitation syllabique est en discordance avec la délimitation morphologique : la flexion de ses-/sas- « sommeiller » → 1sg. prét. {sés-un} met en évidence deux variantes se-e-su-un KBo 4.4 iv 16 (NH) et se-es-su-un KUB 52.91 ii 4 (NH) (il existe encore une variante se-su-un KUB 43.46 : 7, ne restituant aucune information prosodique) ; la première restitue le traitement phonétique [sḗ.sun] attendu en syllabe ouverte, tandis que la seconde [sés.sun] peut être éventuellement suspectée d’accorder la syllabation sur la morphologie. La même remarque peut être faite au sujet des verbes malai- « approuver » et mala/i- « moudre » qui bien qu’ayant des paradigmes accentuels distincts, ont une forme commune en l’espèce de 3pl. prés. {mál-aNʧi} : malai- « approuver » montre l’allongement normal en syllabe ouverte [mā́.laɲ.ʧi] ma-a-la-an-zi KUB 41.54 iii 14 (NH) tandis que mala/i« moudre » reflète [mál.laɲ.ʧi] ma-al-la-an-zi IBoT 1.29 Vo 19 (VH/mh) indique une gémination probablement alignée analogiquement, la plupart des formes du paradigme étant écrites mall-, hormis ma-la-an-zi KBo 26.182 i 6 (NH). 7.3.4 Intrication homosyllabique Si la réplication comme la gémination peuvent advenir indépendamment l’une de l’autre, dans le sens où la graphie d’un mot peut contenir une consonne que celle de es- « être », ne reflète le même allongement qu’avec certains mots-formes : 1sg. prés. e-es-mi, 3sg. e-es-za/e-es-zi, 3sg. prét. e-es-ta, mais mais 3pl. prét. {és-er} → [é.ser] e-se-er / e-ser (rien ne s’opposerait à l’accentuation de {-er} comme le montre darupp« réunir » → da-ru-up-pé-e-e[r] KBo 22.1 Ro 2). A l’inverse, le caractère fermé d’une syllabe accentuée n’est pas nécessairement un facteur bloquant l’allongement de son noyau : déloc. kā- → gén. ke-e-el, kuen- « tuer » → 3sg. prés. ku-e-en-zi, etc.

L ’ accentuation

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géminée sans aucune voyelle répliquée, et inversement, la réplication et la gémination peuvent aussi se cumuler en affectant l’une et l’autre la rime d’une même syllabe11. (5) homosyllabicité de la réplication et de la gémination (vieux hittite) hassa- « descendant » nom. pl. ha-a-as-se-es /Háses/ KBo 25.122 ii 6 hassa- « foyer » acc. sg. ha-a-as-sa-an /HásaN/ KBo 25.147 Vo 6 isa- « faire » 3sg. prés. i-is-sa-i /ísai/ KBo 6.2 ii 25 supin i-is-su-wa-an /íswaN/ KBo 8.42 Vo 2 siessar- « bière » dir. sg. si-e-es-sar /sjésar/ KUB 43.30 iii 3 ussiya- « tirer » 3pl. prés. ú-us-si-an-zi /úsi(j)aNʧi/ KBo 17.11+ i 31 wes- « être habillé » 3pl. prés. my. /wésaNTa/ ú-e-es-sa-an-da⸗ KBo 17.1+ i 24 Dans le corpus vieux-hittite, on ne relève qu’une exception nette : au- « voir » 1pl. prés. {u-wéni} → um-me-e-ni KBo 25.139+ Vo 6, face aux variantes plus fréquentes ú-me-e-ni et ú-me-ni. Dans tous les autres cas, une discordance entre la localisation de la réplication vocalique et de la gémination consonantique résulte de ce que la durée de la voyelle est héritée ou que la graphie est conventionnalisée, éventuellement par une combinaison des deux facteurs : hu(i) ttiannai- « tirer » → 3sg. prés. hu-ut-ti-an-na-a-i KBo 17.18 i 3, variante de huut-ti-an-na-i (la graphie du morphème de dérivation itérative -anna- est systématiquement géminée quel que soit son contexte) ; punuss- « demander » → 3pl. pu-ú-nu-us-sa-an-zi KBo 20.5 iii 7 (la graphie du morphème lexical est presque toujours géminée quel que soit son contexte, CHD P 377sq.) ; hanessa- (mesure) → nom. sg. ha-ni-is-sa-a-as KBo 16.71+ i 30 (toutes les formes du paradigme sont écrite ha-ni-is-s …), pessiyay- « jeter » → 3sg. pé-es-si-i-e-ezzi KBo 17.43 i 16, graphie isolée face à pé-es-si-ez-zi, plus usuelle (la graphie 3sg. -zzi domine massivement -zi dans les textes anciens) ; kessar- « main » → 11  Kimball : 2009 : 153, a bien discerné ce point en observant que la réplication est « en échec » devant les géminées, mais sans en tirer de conséquences.

372

Chapitre 7

dat.-loc. ki-is-sa-ri-i (VH) repose sur un thème analogiquement nivellé, comme le montre la présence d’une voyelle d’anaptyxe injustifiée dans ce contexte (§ 7.6.3(1)). Une syllabe accentuée qui ne serait pas ouverte est incompatible avec la gémination, mais laisse possible l’emploi de la réplication ; dans la flexion de wes-, par exemple, l’accentuation de la syllabe initiale indiquée par 3pl. prés. my. /wé.saN.Ta/ → [wḗs.san.Ta] ú-e-es-sa-an-da⸗ se retrouve dans 3sg. prés. my. /wés.Ta/ → [wḗs.Ta] ú-e-es-ta KBo 20.26+ Ro 12 (du moins s’il n’y a pas nivellement analogique des graphies). Dans le cas présent, la gémination de ú-e-es-saan-da⸗ tient le même rôle que la réplication de ki-i-sa (tableau 4). Le fait que les deux procédés puissent être utilisés indépendamment l’un de l’autre, mais que leur réalisation conjointe dans un même mot ne soit pas détachable de la même syllabe montre qu’on ne saurait assimiler leur sélection à des réalisations nécessairement différentes, au plan phonétique : dans le cas de ses-/sas- « sommeiller » → 1sg. prét. {sés-un} se-e-su-un :: se-es-su-un, des interprétations respectivement [sḗ.sun] et [sés.sun] ne sont pas exclusives de [sḗs.sun] (bien que *se-e-es-su-un ne soit pas attestée). Les variantes graphiques de we-/uwa- « venir » → 1sg. prés. {uwá-mi} offrent la même gamme des manifestation possible d’un allongement conditionné : ú-wa-mi (VH), mais ú-wa-a-mi et ú-wa-am-mi. Les principes que l’on vient d’exposer se vérifient de façon à peu près régulière en vieux hittite, mais perdent beaucoup de leur consistance dans les strates ultérieures où la gémination comme la réplication reflètent des évolutions irrégulées (§ 6.6.4). Par exemple, des verbes comme penna- « conduire », sunna- « emplir » presque toujours écrits, en vieux hittite, avec une géminée supposant une accentuation 3sg. prés. {Péna-i} → pé-en-na-i, {súna-i} → su-unna-i, peuvent être écrits, dans les documents plus tardifs, dans des graphies pé-en-na-a-i, su-un-na-a-i qui, si elle n’expriment pas une variante aléatoire de la réplication, peuvent éventuellement refléter un changement d’accentuation {suná-i} combiné avec une graphie conservatrice des thèmes penna-, sunna-. 7.3.5 Absence de restitution accentuelle La réplication étant, dès le vieux hittite, un procédé dépourvu de systématicité, watar- « eau » pouvant être écrit, au cas direct singulier, wa-a-tar KBo 17.1+ i 14, aussi bien que wa-tar KBo 20.10+ ii 8, il est bien évident qu’autant un témoignage de réplication constitue une information positive, autant son absence ne permet aucune conclusion sur la place de l’accent. La gémination est relativement plus stable, au moins en vieux hittite, mais ses possibilité de réalisation étant plus beaucoup plus limitées, son absence n’autorise pareillement pas de déduction.

L ’ accentuation

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Or, parallèlement aux variantes faisant un usage plus ou moins sporadique de l’un ou l’autre de ces procédés, on doit aussi considérer qu’un volume non négligeable de lexèmes ne les utilisent absolument jamais. Des diverses interrogations que suscite l’étude de l’accent en hittite, l’absence régulière de réplication comme de gémination condense tous les problèmes à la fois sans laisser prise à aucun. Pour justifier cette absence, on ne peut guère faire que des hypothèses relatives à la structuration syllabique du mot : – quand la réalisation phonétique d’un mot compte une syllabe légère et une syllabe lourde, quel que soit leur ordre, le fait qu’aucune des syllabes ne soit jamais écrite avec gémination ou avec réplication favorise l’hypothèse d’une accentuation de la syllabe fermée, l’accentuation d’une syllabe ouverte n’étant, en principe, soumise à aucune contrainte de représentation graphique. Dans un cas comme ha-an-ti « à part, séparé » (indécl.), il est, a priori, plus aisé de présumer /HáN.Ti/ que /HaN.Tí/, car cette dernière hypothèse, un allongement de la dernière syllabe aurait permis une graphie *ha-an-ti-i, au moins dans certaines occurrences ; – quand un mot formé de syllabes lourdes ne reflète aucune conséquence de l’accentuation, comme dans la flexion bien documentée de halki- (type de céréale) → nom. hal-ki-is, acc.sg. hal-ki-in (etc.), alors que la réplication se manifeste quand la flexion génère une syllabe ouverte, par ex. dat.-loc. halki-i (MH), on peut estimer que l’allongement concomitant à l’accentuation est minoré du fait du caractère fermé des syllabes ; – quand un mot constitué de syllabes ouvertes n’utilise jamais ni la réplication, ni la gémination son accentuation demeure complètement inaccessible. Les témoignages de ce type ne sont pas isolés : kat-ta « au bas » / Ka.tʰa/ (VH) ; opérateur de négation na-at-ta (VH) ; hatuga- « terrifiant » → acc. pl. ha-tu-ga-us KBo 17.3+ ii 6 (VH) /Ha.du.ga.us/ ou /xdu.ga.us/ ; iya« faire » → 1sg. prés. i-ya-mi KBo 17.3+ ii 13 (VH), watt(a)ru- « source » → dir. wa-at-ta-ru KUB 31.143a + iii 21 (VH) (comp. wa-at-ru KBo 40.34 : 5, MH), gén. wa-at-ru-as KBo 8.41 ii 3 (VH), etc. L’absence de toute indication relative aux conséquence de l’accentuation que l’on constate à travers les témoignages de ce type ne peut s’expliquer en supposant une perception phonétiquement minorée (voir § 6.6.6). Il paraît plus probable d’admettre que, dans ces exemples, les conséquences de l’accentuation ne sont pas perçues comme phonétiquement significatives car la place de l’accent est prévisible. Les mots inscrits dans une flexion donnée peuvent relever de ce cadre : l’adjectif suppi- « pur, sacré » au cas direct singulier su-up-pí (VH) forme deux syllabes ouvertes dont aucune n’est jamais répliquée, mais la forme flexionnelle du mot comprend un morphème {-∅sg} dont l’accentuation récessive (§ 7.5.4) laisse envisager {súpʰi-∅} plus facilement que {supʰí-∅}. Dans

374

Chapitre 7

le cas de mots indéclinables constitués d’un seul morphème comme katta ou natta, on doit admettre qu’existe une norme assignant à l’accent un positionnement par défaut dans le mot, en masquant toute possibilité d’avoir accès aux critères de ce placement12. 7.3.6 Durées concomitantes dans le mot Les témoignages de réplications multiples comme de géminations répétées au sein d’un même mot (respectivement § 6.5.4 et 6.8.2), certifient que ces deux mécanismes n’ont pas que l’accentuation pour seule cause, tout le problème étant de discerner celle des deux syllabes qui est frappée par l’accent et ce qui motive le caractère long ou allongé de l’autre. L’identification des causes non prosodiques est relativement aisée dans certains cas, beaucoup moins dans d’autres. Par ailleurs, on doit, garder à l’esprit que la réplication comme la gémination sont des représentations sujettes, comme telles, à des conventionnalisations d’écriture, en sorte que les indices qu’elles fournissent peuvent aussi répondre symbolisations fondées sur l’usage. L’exemple de la paire assu- « bon, bien » (adj.) → dir. sg. a-as-su KUB 43.23 Ro 18 – assu- « (les) bien(s), possession(s) » (nom inan.) → dir. pl. a-as-su-u KBo 25.122 ii 10, fournit l’exemple le plus clair de ce qu’une réplication constante, en l’espèce, sur la voyelle initiale, peut être attribuée à l’accent, tandis que l’autre réplication, occasionnelle, a une autre cause, en l’espèce, morphologique13 : (6) flexion inanimée de l’adjectif assu- « bon » {ásu-∅sg.} → [ā́s.su] a-as-su {ásu-∅pl.} → [ā́s.sū] a-as-su-u (→ a-as-su, après désintégration) Dans les autres cas, on ne peut que constater, sans être en mesure de les expliquer, des graphies telles que saktai- « prendre soin, soigner » → 3sg. prés. sa-aak-ta-a-iz-zi KBo 6.2 i 17, avec sa variante plus tardive sa-ak-ta-iz-zi KBo 6.4 Ro 23 (NH) (pour de possibles justifications préhistoriques, voir Melchert 1994 : 177-178), kusata- « dot » → dir. ku-ú-sa-a-ta (VH) ; mekki- « beaucoup » → nom. pl. me-e-ek-e-es KBo 25.23 Ro 5 (VH) forme douteuse (§ 2.7.3).

12  En adaptant au hittite les vues de Kiparsky & Halle 1977, sur l’accent indo-européen, Yates 2015, estime que l’accent se placerait par défaut sur la syllabe initiale ; cette conception dérive de déductions, non de l’observation de données empiriques. 13  Voir, ci-dessus, § 4.2.2(2).

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L ’ accentuation

7.4

L’accent dans le mot

7.4.1 Unités accentuables Dans les langues à accent, l’accent peut a priori frapper n’importe quelle syllabe du mot, quel que soit le nombre de syllabes qu’il comporte (italien, anglais, russe, etc.) ou bien une syllabe identifiée, de façon régulière ou prédominante, d’après sa position par rapport à aux autres syllabes du mot (français, tchèque, islandais, etc.). Dans le premier cas, il est dit « libre », dans l’autre « fixe »14. En hittite, l’accent est « libre » dans le sens où il peut frapper a priori une syllabe localisée n’importe où dans le mot : l’adverbe « derrière, après » est toujours écrit a-ap-pa, jamais *ap-pa, d’où /ápʰa/ → [ā́.pʰa], alors que la flexion du démontratif apā- est le plus souvent écrite nom. sg. a-pa-a-as, dir. sg. a-paa-at, nom. pl. a-pé-e, d’où /abé/ → [a.bḗ], etc., jamais *a-pé. Un accent libre peut, en outre, se déplacer d’une syllabe à l’autre dans la flexion d’un même lexème : watar- « eau » → dir. sg. {wádar-∅} → [wā́.dar] :: pl. {widár-∅} → [wi.dā́r] (des graphies comme sg. wa-tar KBo 20.10+ ii 8 :: pl. ú-e-da-ar KBo 25.2 Ro 8, demeurent également possibles en vieux hittite) : (7) déplacement de la réplication au cas direct (vieux hittite) singulier « eau » wa-a-tar KBo 17.1+ i 14 « parole » ut-tar⸗ KBo 16.71+ ii 10 « tête » (non attesté en VH)

pluriel ú-i-ta-a-ar KBo 8.74+ ii 15 ut-ta-a-ar KBo 17.36+ ii 5 har-sa-a-ar KBo 17.1+ iv 19

D’autres déplacements se laissent également observer à d’autres cas, comme dans la flexion de eshar- « sang » → dir. {ésHar-∅} : gén. {esHan-ás}15 : (8) déplacement paradigmatique de la réplication au génitif (vieux hittite) dir. e-es-har KBo 17.3+ i 22 (non attesté) gén. is-ha-na-a-as KBo 17.1+ iv 8 sa-ak-na-a-as KBo 25.20 Ro 6 instr. is-ha-an-da KBo 17.3+ iii 46 sa-gán-da KBo 22.2 Ro 2 14  D’après Goedemans & van der Hulst 2013, les deux organisations sont à peu près équivalentes typologiquement : sur 502 langues à accent, 56 % on un accent fixe et 44 % un accent libre. 15  Une syllabation [es.Hnás] n’est pas à exclure.

376

Chapitre 7

On pourrait ajouter le témoignage du génitif de certains noms à thème en {… a-} comme isna- « pâte » is-na-a-as, si l’on pouvait être sûr que la graphie répliquée reflète bien une propriété de la syllabe et non la simple transposition d’un thème à graphie prédominante isnā-, etc. 7.4.2 Accentuation et morphologie Dans les langues à accent dit « libre » le placement de celui-ci est tantôt gouverné par l’organisation interne des syllabes, tantôt par l’organisation morphologique du mot, éventuellement par un cumul des deux critères (voir, en dernier lieu, van der Hulst 1999, 2014, dans le prolongement de Kuryłowicz 1958, Illič-Svityč 1963, Garde 1968). Le témoignage de dir. sg. {wádar-∅} → [wā́.dar] :: pl. {widár-∅} → [wi.dā́r] « eau(x) » (tabl. 7) présente, sous cette considération, l’intérêt d’illustrer idéalement un déplacement de l’accent à l’intérieur d’un morphème dont les variantes sont placées dans des contextes phonologiquement identiques, mais morphologiquement différents. Pour savoir que l’accent frappe la première syllabe du morphème dans {wádar-} et la seconde dans {widár-}, il est nécessaire et suffisant de connaître le contexte morphologique sans faire intervenir quelque autre considération. La situation dont témoigne le paradigme de nom. {nébis-∅} → [nḗ.bis] :: gén. {nébis-as} → [nḗ.bi.sas] « ciel » conduit à la même conclusion : l’accentuation sur la première syllabe est une propriété du morphème {nébis-} indépendamment du nombre des syllabes incluses dans le mot. Dans une langue où la place de l’accent serait déterminée par la composition phonologique du mot en syllabes ou par celle des syllabes en phonèmes, il serait exclu que des mots identiques au plan segmental comme les participes /má.lan/ « moulu » et /ma.lán/ « approuvé » (tableau 3, et § 6.9.1) aient une accentuation différente. Le placement de l’accent hittite apparaît donc gouverné par la morphologie. Cette situation est banale dans les langues indo-européennes anciennes ou modernes (védique, russe, serbo-croate štokavien, lituanien, italien), mais au plan typologique, elle est beaucoup moins fréquente que celle où la place de l’accent libre est gouvernées par l’organisation interne des syllabes comme c’est le cas, dans le domaine indo-européen, en latin16. 7.4.3 Accentuation et syntaxe Certains spécialistes de hittite estiment que le placement des mots dans la phrase ou vis-à-vis d’autres mots serait significatif de leur accentuation. En observant les variantes de positionnement des mots en fonction des rapports 16  Pour une démonstration du conditionnement morphologique de la loi de Saussure, voir Kuryłowicz 1978 : 284-285.

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de dépendance syntaxique qu’ils entretiennent et en interprétant ces variations en fonction d’hypothèses relatives à des intrications de la dépendance prosodique et de la dépendance syntaxique, ils estiment qu’il serait non seulement possible de restituer les principes gouvernant la métrique hittite, mais encore de distinguer les propriétés accentuelles des mots17. Cette approche est problématique à divers titres : – une variation prosodique conditionnée par le contexte discursif ne fait que moduler certaines propriétés accentuelles ou segmentales déjà existantes, sans modifier en quoi que ce soit au positionnement de l’accent18 ; le témoignage de har(k)- « (dé)tenir, avoir » → 2pl. prés. {Har-tʰeni} dont la graphie est répliquée har-te-ni-i KBo 22.1 : 31 (VH) dans le contexte d’une question rhétorique indignée « est-ce donc ainsi que vous tenez les engagements pris par mon père ? ! » restitue une intensification portée sur la syllabe finale de la phrase, procédé expressif qui se situe sur un plan complètement différent de celui qui gouverne le placement de l’accent sur les morphèmes du mot (voir en outre § 6.6.6(2ε)) ; – les changements d’intensité ou de mélodie ne constituent pas une propriété des mots, ni même des constituants phrastiques, mais, virtuellement, de n’importe quelle portion de texte (il pleut encore ! il pleut encore ?) ; – quand des mots ou des constituants peuvent changer de place dans la phrase sans que leur déplacement modifie le contenu propositionnel de l’énoncé, ainsi que c’est le cas en hittite, c’est le signe que leur positionnement restitue une information pragmatique et non grammaticale. D’une information de ce type, on ne peut tirer nulle conclusion sur la forme phonologique des mots, même en présumant – sans preuve –, qu’un écart par rapport au placement par défaut irait de pair avec un changement de profil prosodique ; – la dépendance syntaxique n’est pas plus un signe de déficience accentuelle a priori que l’indépendance n’est un signe d’autonomie accentuelle : sur le statut prosodique des formes clitiques, voir § 9.3.1, sur celui des mots aclitiques, § 7.3.5, sur celui des unités lexicales fondées sur la composition, § 9.9.3(2). En d’autres termes, on ne peut, sans présomption arbitraire, postuler qu’on pourrait déduire les propriétés accentuelles inhérentes des mots en considérant les contextes discursifs et pragmatiques dans lesquels ils sont employés. 17  Voir dans cette perspective, McNeil 1963, Durnford 1971, Melchert 1998, 2007b, Kloekhorst 2011. 18  Dans le cadre de la métrique accentuelle dont ils postulent l’existence en hittite, Durnford 1971 : 70 n. 12, et Melchert 1998 : 484 n. 2, précisent que « stressed » signifie qu’un mot donné représente une unité dans la computation du vers. Kloekhorst 2008 : 193, 464, 816, 2011, 2014 : 639, pour sa part, voit dans la caractérisation prosodique des mots de cette métrique supposée une restitution de leurs propriétés intrinsèques.

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La question des formes liées se situe sur un autre plan : dans de nombreuses langues, le type particulier de dépendance syntaxique qu’illustre de type relationnel va de pair avec une déficience prosodique plus ou moins graduelle et plus ou moins systématique19. Toutefois, dans une langue où, comme en hittite, la graphie des formes liées, ou supposées telles, ne diffère en rien de celle des formes non liées (voir § 9.3.3(3)), la présomption d’une accentuation différenciée, même si elle n’est pas invraisemblable, demeure invérifiable. 7.4.4 Conventionnalisation graphique et accentuation Une des difficultés de l’étude des relations entre graphie et prosodie en hittite est que si une graphie explictement répliquée ou géminée peut être considérée comme un signe d’accentuation, une graphie non répliquée ne peut jamais être tenue comme un signe d’inaccentuation. De façon encore plus critique, il arrive que l’écriture de certains mots ou morphèmes ne fasse jamais usage de la réplication ou de la gémination alors qu’ils sont sûrement accentués. Le cas sans doute le plus représentatif à cet égard est est celui du morphème 3pl. prés. {-aNʧi} : dans le corpus vieuxhittite, cet affixe est écrit … a-an-zi/… e-en-zi (198 occurrences), strictement jamais *… a-a-an-zi/*… e-e-en-zi, hormis dans le cas isolé de pai- « donner » → 3pl. pa-a-an-zi, où la réplication ne représente précisément pas un allongement, mais un hiatus (§ 6.6.2). Non seulement, le morphème en question n’est jamais écrit en graphie répliqué, mais encore, les thèmes qu’il fléchit ne le sont dans aucune de leurs syllabes20, de sorte que les mot-formes de 3pl., dans leur ensemble, ne laissent jamais rien discerner de leur accentuation. Or, dans des flexions comme celles de (9) où le thème est formé d’une consonne, il serait impossible que {-aNʧi} soit inaccentué : (9) graphies de formes bisyllabiques fléchies 3pl. prés. (vieux hittite) ye/a- « aller » → ya-an-zi KUB 36.106 Ro 1, KBo 25.98 : 6 ye/a- « faire » → ya-an-zi KBo 25.98 : 6 19  Sur la cas typique des formes adverbiales devenant préverbes, voir le récapitulatif de Los et al. 2012 : 8-12. 20  On ne tient pas compte des graphies qui généralisent la réplication d’une syllabe donnée à toutes les graphies de tous les mots-formes en témoignant d’une conventionnalisation indépendante de la position de l’accent : peda- « prendre, emporter » → pé-eta-an-zi (VH) (comp. {Pe-T-wéni} → pé-e-tu-me-e-ni [Pēdumḗni] (VH)) ; unh- « sucer ( ?) » → u-un-ha-an-zi KUB 32.94 i 3 (VH). A l’inverse, la réplication est exceptionnelle dans punus- « demander » → pu-ú-nu-us-sa-an-zi KBo 20.5 iii 7 (VH), témoignage unique en vieux hittite, face aux graphies usuelles pu-nu-… (voir CHD P 377).

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la- « lâcher » da- « prendre »

→ la-an-zi KBo 17.36+ iii 8 → da-an-zi KBo 17.1+ ii 35

La conclusion à laquelle on est donc conduit est que c’est à la suite d’une conventionnalisation d’écriture que certains morphèmes ne sont jamais représentés en graphies répliquée, alors qu’ils sont, de façon générale, potentiellement accentuables et, dans des cas comme ceux de (9), sûrement accentués. 7.5

Caractérisation accentuelle des morphèmes

7.5.1 Comportements Les morphème n’ont pas, à proprement parler, de propriétés prosodiques, terme que l’on ne peut, en toute rigueur, attribuer qu’au mot, mais ils ont une caractérisation de comportement envers l’accent21. A la suite de Garde (1968), on distinguera les morphèmes inaccentuables qui repoussent systématiquement l’accent vers un autre morphème, des morphèmes auto-accentués qui l’attirent invariablement sur eux, et des morphèmes accentuables qui, selon leur contexte, peuvent recevoir l’accent comme ne pas le recevoir. 7.5.2 Morphèmes inaccentuables (1) Flexions nominales et pronominales. – Les morphèmes inaccentuables en vieux hittite sont, pour autant qu’on puisse en juger, des morphèmes flexionnels (flexions nominales, pronominales et verbales). Cette caractérisation découle soit de ce qu’ils sont équivalents à des zéros morphologiques, comme les morphèmes de cas direct de la flexion inanimée (singulier et pluriel), soit qu’ils n’ont pas de noyau syllabique, comme {-s} (nominatif sg. ou 2/3 sg. prét.), l’accusatif animé sg. ou cas direct inanimé {-n} (variante : -an), l’ablatif {-ʧ} (variante {-aʧ}), l’instrumental {-T} (variante : -it), ou le cas direct {-T} de la flexion de apā-. Quand ces morphèmes sont incorporés dans des mot-forme (par exemple isha- « maître » → nom. sg. is-ha-a-as), l’accent demeure une ca­ ractéristique du thème même s’ils sont incorporés dans la syllabe accentuée.

21  La mise en évidence des relations entre morphologie et accentuation remontent aux travaux de Saussure sur l’accentuation lituanienne, mais leur élaboration méthodologique repose essentiellement sur les travaux de Stang 1957, Kuryłowicz 1958, Zaliznjak 1964, Garde 1968. La reconstruction accentologique des langues slaves et baltes est, par ailleurs, depuis toujours, un domaine extraordinairement controversé où aucun consensus ne semble possible (voir déjà, à ce sujet, les observations désabusées de Trubetzkoy dans une lettre du 19 sept. 1926-1975 : 91).

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Comme l’indique cette courte liste, tous les morphèmes nominaux inaccentuables ne correspondent pas à un cas syntaxiques, mais toutes les formes du noms employées au singulier dans les rôles élémentaires d’agent, de patient ou de participant intransitif ont un accent obligatoirement localisé dans leur thème. La partition entre cas syntaxiques et cas périphériques se double donc, en hittite, d’une distinction prosodique, quel que soit le genre des noms, du moins quand l’accent n’est pas figé sur la syllabe initiale du paradigme. (2) Flexions verbales. – On ne semble pas rencontrer de morphèmes flexionnels inaccentuables dans les flexions verbales. Divers morphèmes de la flexion verbale ne sont jamais écrits sous forme répliqué alors qu’ils sont, dans certains contextes, sûrement accentués (§ 7.4.4). A l’intérieur des morphèmes inaccentuables, on peut distinguer les morphèmes pré-accentués des morphèmes récessifs ; il ne semble pas exister de morphèmes post-accentués en hittite. 7.5.3 Morphèmes pré-accentués Les morphèmes pré-accentués assignent l’accent à la syllabe qui les précède immédiatement, à condition que le thème fléchi soit primaire (non dérivé). Le témoignage le plus net de ce comportement est illustré par le morphème {-∅} du cas direct pluriel : (10) accentuation du cas direct pluriel en {-∅} « eau » {widár-∅} ú-i-ta-a-ar KBo 8.74+ ii 15 « parole » {utʰár-∅} ut-ta-a-ar KBo 17.36+ ii 5 « tête » {Harsár-∅} har-sa-a-ar KBo 17.1+ iv 19 « animal » {Huidár-∅} hu-i-ta-a-ar 12 ii 17 Tous les noms marqués par {-∅} au pluriel ne manifestent pas explictement, dans leur graphie, une accentuation prédésinentielle (Prins 1997 : 49sq.), mais ceux qui font usage de la réplication la font porter sur la syllabe prédésinentielle (sur āssū, voir ci-dessous). On ne tient pas compte ici du témoignage de udne- « pays » dont la flexion en cours de réfection sur la base d’une assimilation du cas direct à un thème (Neu 1974 : 112, Hoffner & Melchert 2008 : 105) et pour laquelle aucun témoignage ne met en évidence une pluralisation au cas direct (Prins 1997 : 42-43). 7.5.4 Morphèmes récessifs On désigne comme récessifs les morphèmes inaccentuables qui assignent l’accent à la syllabe initiale mot fléchi s’il est primaire. Ce comportement est nettement restitué par le morphème {-∅} du cas direct singulier :

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(11) accentuation du cas direct singulier en {-∅} « eau » {wádar-∅} wa-a-tar KBo 17.1+ i 14 « terre » {Tégan-∅} te-e-kán KBo 17.1+ iii 1 « sang » {ésHar-∅} e-es-har KBo 17.1+ i 27 « arbre » {Táru-∅} ta-a-ru KBo 17.3+ iv 12 Comme dans la situation précédente, de nombreux noms marqués par {-∅} au singulier ne manifestent pas explictement leur accentuation, par ex. henkan- « maladie », sagan- « huile » (sa-a-kán est plus tradivement attesté, KBo 40.69 dr. 5), mais ceux dont la flexion fait un usage mobile de la réplication font porter celle-ci sur la syllabe initiale. On ne tient pas compte de témoignages comme a-as-su-u KBo 25.122 ii 10, parsūr « soupe » → pár-su-uur KBo 25.79 iv 6 (VH), ou idālu- « mauvais » → i-da-a-lu (VH) dont la flexion standardise la réplication de la même syllabe dans toutes les formes de leurs paradigmes. Le cas de ais- « bouche » → dir sg. a-i-is (VH) :: obl. iss- est peu clair dans le sens où la flexion de ce mot reflète un rapport apophonique {ajs- : is-} sans équivalent ailleurs dans la langue (Melchert 1994 : 115). Dans la perspective ici adoptée, on estime que a-i-is restitue une réalisation {ájs-∅} → [á.jis] dans laquelle l’apparente réplication -i-i indique le développement d’une voyelle d’appui au sein d’un thème dont l’accentuation sur la voyelle initiale n’est pas explicitée. Le comportement tantôt récessif, tantôt pré-accentuée des zéros morphologiques rejoint exactement la situation reflétée en russe moderne : klinopis’ « (écriture) cunéiforme » → nom. sg. /kl’í.no.p’is’-∅/ ( : gén. sg. /kl’ínop’is’-i/), face à golova « tête » → gén. pl. /go.lóv-∅/ ( : nom. sg. /golov-á/). 7.5.5 Morphèmes auto-accentués D’après la documentation limitée du vieux hittite, deux morphèmes peuvent être considérés comme étant toujours accentués parce que, bien que leur graphie ne soit pas systématiquement répliquée, il n’existe pas de témoignage montrant une réplication ou une gémination au sein des morphèmes qui se combinent avec eux. Dans les deux cas, il s’agit de morphèmes dérivationnels. (1) Dérivés causatifs en -nu-. – En vieux hittite, les formes des dérivés en -nu-, quand elles incluent une réplication, font porter celle-ci sur le morphème de dérivation, et jamais ailleurs : wahnu- « faire tourner » → 1sg. prés. wa-ah-nuú-mi KBo 17.1+ ii 18 (mais wa-ah-nu-mi Ibid. ii 37). Quand la graphie de ces dérivés reflète une gémination, celle-ci porte sur la syllabe incluant le morphème, jamais ailleurs : parkunu- « purifier » → 3sg. prés. pár-ku-nu-uz-zi KBo 6.2 ii 34, pittinu- « faire courir » → 3sg. prés. pít-ti-nu-uz-zi KBo 6.2 ii 10, saminu- « faire

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disparaître » → 3sg. prés. sa-me-)]nu-uz-zi KBo 25.85 iii 31, wahnu- « faire tourner » → 3sg. wa-a[(h-nu)]-uz-zi KBo 17.1 ii 32. Les autres dérivés en -nu- n’utilisent ni réplication, ni gémination (isparnu- « répandre », kistanu- « éteindre », pahsanu- « protéger », sasnu- « endormir »). Après le vieux hittite, la réplication peut porter sur la syllabe initiale du thème fléchi : esharnu- « ensanglanter, rendre rouge » → 3sg. prés. e-es-har-nu-zi KUB 14.1+ Vo 30 (MH). (2) Noms abstraits en -atar-. – Le seul affixe dérivationnel qui soit attesté en graphie répliquée dans plus de deux contextes en vieux hittite est {-adar-}, morphème servant à former des noms abstraits tirés de nom, d’adjectifs et de verbes. En vieux hittite, sur cinq dérivés de ce type (en incluant les noms verbaux), trois (12a) utilisent la réplication en reflétant une accentuation {-ádar-}, situation qui se prolonge dans les strates plus tardives : (12) dérivés en {-adar-} en vieux hittite a. (papr- « sale » ?) → pa-ap-ra-a-tar « impureté » KBo 17.1+ iv 2 (pupu- « séduisant » ?) pu-p[u-w]a-a-tar « adultère » KBo 9.73 Ro 6 sulle- « être dominateur » su-ul-la]-a-tar « dispute » KUB 29.30 iii 14 (Code § 169) b. mai- « croître » mi-ya-tar « croissance » KUB 43.23 Ro 18, Vo 16 huiswa- « être vivant » hu-is-wa-tar « vie » KUB 43.23 Vo 16 Comme dans le cas de -nu-, les graphies restituent soit {-ádar-}, soit ne mettent en évidence aucune interprétation en particulier, à ceci près qu’il n’est nul dérivé en -atar- reflétant une réplication portant sur une autre syllabe que celle qui inclut le morphème (on n’a jamais *mi-i-ya-tar). On observera que les propriétés accentuelles du morphème de dérivation {-ádar-} s’imposent au détriment de celles du morphème {-∅} du cas direct singulier qui n’impose sa récessivité que dans la flexion des thèmes non dérivés. 7.5.6 Morphèmes accentuables Tous les autres morphèmes, qu’ils s’agisse des morphèmes lexicaux dans leur ensemble, des désinences équivalentes à des syllabes dans les flexions nominales ou verbales n’ont pas, en tant que tels, de comportement prédictible envers l’accent. Dans les mots où ils sont utilisés, le positionnement de l’accent dépend soit des relations de hiérarchie qu’ils entretiennent avec les autres morphèmes du mot, soit de l’identité lexicologique du lexème.

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Les morphèmes flexionnels qui, par leur forme, sont équivalents à une syllabe au moins et qui, de ce fait, sont a priori accentuables au plan phonologique sont, avec les verbes : 1sg. prés. -mi et -he/i, 1sg. prét. -(n)un, 2pl. prét. -ten et 3pl. -er ; avec les noms : acc. sg. -an (derrière syllabe fermée), gén. sg. et dat.-loc. pl. -as, nom. pl. -es, acc. pl. -us, gén. pl. -an. Le comportement de ces morphèmes envers la réplication fait discerner trois situations : (1) le caractère accentuable du morphème est démontré par le fait que les thèmes avec graphie répliqué ont une désinence non répliquée et vice-versa ; (2) le caractère accentuable du morphème est rendu plausible par le fait que sa graphie est occasionnellement répliquée ; (3) un morphème n’est jamais écrit en graphie répliquée, ce qui tenderait à indiquer, en principe, son caractère inaccentuable, s’il n’était par ailleurs certain que certains morphèmes accentués sont écrits de cette façon. Chacune de ces situations connaît elle-même diverses variantes. (1) Déplacements de réplication. – Les morphèmes de génitif {-as} et {-an} ainsi que le morphème d’allatif {-a} sont les seuls à mettre positivement en évidence une accentuation portant tantôt sur le thème, tantôt sur la désinence. (a) allatif {-a} est régulièrement écrit en graphie répliquée dans la flexion de deux lexèmes : kessar « main » → ki-is-ra-a KBo 8.42 Ro 4 ; tekan/takn- « terre » → ta-ak-na-a KBo 17.1+ iii 8 (et ta-a-ak-na-a KUB 29.30 iii 13) ; le nom hassa« foyer » reflète des graphies vacillantes ha-as-sa-a KBo 17.36+ i 25, et ha-as-sa, même tablette, iii 8 (sur he/ista/i- « chambre funéraire » → hi-is-ta-a KBo 17.15 Vo 14, voir ci-dessus). A l’inverse, d’autres mots fléchis à l’allatif en vieux hittite mettent en évidence une réplication dans le thème et non dans la désinence : lahh- « expédition, campagne militaire » → la-a-ah-ha, la-ah-ha ; nepis- « ciel » → ne-e-pí-sa ; teta(n)- « poitrine, téton » te-e-da ; zeri- « coupe » → ze-e-ri-ya. Le plus souvent, les mots fléchis à l’allatif ne reflètent aucune réplication : anna- « mère » → an-na ; e/arh(a)- « limite, frontière » → ar-ha ; aruna- « mer » → a-ru-na ; lukkatt- « aube » → lu-uk-kat-ta ; hameshant- « printemps-été » → ha-me-es-ha-an-da ; luli- « source » → lu-li-ya ; mak(kiz)zi(ya)- type de bâtiment → ma-ak-zi-ya ; per-/parn- « maison » → pár-na ; suhh(a)- « toîture » → su-uh-ha. Un allatif aska- « porte » → aska n’est, à ma connaissance, pas attesté en vieux hittite authentique : la restauration a-a]s-ka dans le contexte gravement mutilé de KBo 25.96 : 4, est hypothétique, tandis que la forme a-as-ka du Code (KBo 6.3 iii 63) est transmise par des copies tardives seulement. (b) gén. sg. {-as} est, avec gén. pl. -an (ci-dessous) un des rares morphèmes flexionnels dont la graphie met clairement en évidence un contraste entre des flexions où le morphème en graphie répliquée fléchit un thème non répliqué et des flexions où une des syllabes du thème est en graphie répliquée alors que le morphème ne l’est pas :

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(13) graphies du morphème gén. {-as} (vieux hittite) mak(kiz)ziya- « chambre de purification » → ma-a-ak-ki-iz-zi-ya-as KBo 20.8 i 8 nepis- « ciel » → ne-e-pí-sa-as KUB 29.3 i 11 (et ne-pí-sa-as) eshar- « sang » → is-ha-na-a-as KBo 17.1+ iv 8 Par suite, le déplacement de l’accent au génitif se vérifie sur les deux axes : (14) déplacements de l’accent dir. {ésHar-∅} → [ḗs.Har] gén. {esHan-ás} → [es.Ha.nā́s]

{nébis-∅} → [nḗ.bis] {nébis-as} → [nḗ.bi.sas]

(c) le caractère occasionnellement accentuable de gén. pl. {-aN} est montré par la variation dont témoigne pada- « jambe, pied » {Pad-án} → pa-ta-a-n⸗ KBo 20.8 Ro (4), 19 (VH), pa-ta-a-an KBo 17.74 i 9 (VH/mh) [Padā́n], par rapport à witt- « année » {wítʰ-an} → ú-i[(-it-ta-an)] [wī�.́ tʰan] KUB 29.3 : 2 (VH) (on ne tient pas compte ici de apā- → a-pé-e-en-za-an, trop tardivement attesté, ni de humant- → hu-u-ma-an-da-an (VH/nh), dont la syllabe initiale est, par convention, presque toujours répliquée). (2) Réplication occasionnelle. – La graphie éventuellement répliquée d’un morphème indique que celui-ci est, en principe, accentuable, mais en l’absence de témoignages de réplication privative sur le thème, aucune certitude n’est possible. (a) 3pl. prét. act. {-er} est attesté en graphie répliquée par quatre témoignages : dans le premier, kururiya- « être hostile » → ku-u-ru-ri-e-er, l’interprétation de la réplication est obscurcie par son redoublement dans le mot ; les autres forment des mots monosyllabiques dans lesquels la question du positionnement de l’accent ne se pose pas : ye/a- « faire » → i-e-er [jḗr], we-/uwa « venir » → ú-e-er [wḗr] ; la graphie de pai- « donner » → pí-i-e-er (aussi : pí-i-er) suggère une scansion bisyllabique [Pi.jḗr] ; seul le témoignage de darupp« réunir » → da-ru-up-pé-e-e[r] KBo 22.1 Ro 2, est net ; (b) acc.-dat. -as de la flexion pronominale est attesté sous forme répliquée dans l’exemple isolé de sum- pronom fort 2pl. → su-ma-a-as KBo 17.3+ ii 51 ; le témoignage de pat(a)- « jambe, pied » → dat.-loc. pl. pa-ta-a-as (voir infra, § 7.6.3) va dans le même sens. La question de savoir si -as a le même comportement accentuel dans les flexions pronominale et nominale est difficilement vérifiable, ce morphème étant peu attesté. (c) 1sg. prét. -(n)un n’est jamais écrit en graphie répliquée dans les flexion verbales, alors que les flexions pronominales utilisent massivement la graphie

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acc. sg. -u-un (apā- → a-pu-u-un, kās- → ku-u-un, sans exclure complètement a-pu-un, ku-un) ; (d) en admettant que la graphie isolée suppiyahh- « purifier » → 3sg. prét. my. su-up-pí-a-ah-ha-ti KBo 25.112 ii 14, soit significative, le morphème dérivationnel {-ax-} serait accentuable ; (e) datif-locatif sg. {-i} est occasionnellement écrit en graphie répliquée dans la flexion de certains noms, lesquels font généralement librement cette graphie avec une forme non répliquée : isha- « maître, seigneur » → is-hi-i KBo 7.14+ KUB 36.100 Vo 10, et is-hi⸗ KBo 6.2 iv 13 (etc.) ; hassa- « foyer » → haas-si-i KBo 17.36 ii 19 et ha-a-as-si-i KBo 17.11+ i 52 ; ke/issar- « main » → ki-is-sari-i KBo 17.1+ i 28, et ki-is-sa-ri⸗ KBo 17.3+ i 15 ; pattar- « panier » → [p]át-ta-ni-i KBo 17.3 iv 17, 21, pád-da-a-ni KBo 17.4 iii 10 et pád-da-ni KBo 17.4 iii 8. Le caractère occasionnellement accentué de ce morphème est plausible, mais aucun bon exemple ne certifie qu’un mot fléchi à ce cas serait accentué sur le thème. (f) Un certain nombre de témoignages sont morphologiquement incertains, par exemple la forme de patient ar-ha-a-an « limite, frontière » KBo 22.1 Ro. 31, dont le thème hésite entre arah- / arh- / arha- et qui peut être une forme fléchie par -n au cas direct des inanimés ou une forme d’accusatif animé. On ne peut tenir compte de termes étrangers (empruntés ?) dont la flexion ne permet pas de discerner le thème, ainsi « glaise » → all. ú-li-wa-a-li-na-a, mais gén. ú-ilna-a-as, loc. ú-li-ni-i, ou dont l’intégration flexionnelle est problématique, notamment he/ista/i- « chambre funéraire », qui se limite à deux forme he/ista/i (éventuellement hi-is-ti-i KBo 25.17 i 4) et he/istas, lesquelles ne correspondent pas aux formes casuelles normalement attendues dans leurs emplois : hesti indique l’origine d’un déplacement alors qu’on attendrait une forme fléchie à l’ablatif en -az (Puhvel HED III, 321), tandis que histā est employé dans une localisation où l’on attendrait normalement un locatif en -i (Neu 1983 : 65 n. 285). Enfin, on tient comme équivoque le témoignage de is-sa-a-as-ma[… KBo 17.1+ i 15], qui peut admettre une lecture {isá⸗sma} « dans sa bouche » à l’allatif aussi bien qu’une lecture {isás⸗smas} « à sa bouche » au datif (Neu 1983 : 11 n. 43). (3) Absence de réplication. – Trois morphèmes fréquents ne sont jamais écrits en graphie répliquée en vieux hittite : 1sg. prés. -mi, -he/i de la flexion verbale et 3sg. {-i/e} de la flexion en -hhe/i), qui peut faire varier le timbre de la voyelle, mais pas sa durée : {wars-e/i} « récolter » → wa-ar-as-se KUB 29.30 iii 4 (VH) :: wa-ar-si même tablette, iii 8, etc. ; 3pl. prés. {-aNʧi} (sur l’accentuation de ce dernier, voir § 7.4.4). D’autres morphèmes manifestent une réplication dans certaines conditions seulement : acc. pl. {-us} est massivement écrit en graphie répliquée dans les flexions pronominales (apā- → a-pu-u-us et kā- → ku-u-us), alors que les flexion

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nomino-adjectivales n’utilisent ces graphies que derrière voyelle : ha]r-s[a]ú-us KBo 17.3+ii 17 (VH), ta-lu-ga-ú-us KBo 17.22 iii 6 (VH) où elles reflètent possiblement la présence d’une semi-voyelle [… Ca.wus] ; derrière consonne, la graphie de {-us} est toujours Cu-us : mekki- « beaucoup » → me-ek-ku-us KUB 43.23 Vo 20 (VH), la-a-lu-us ii KBo 17.3+ ii 6 (VH). Le morphème de nom. pl. {-es} est attesté sous forme (doublement) répliquée par le témoignage unique (et suspect, § 2.7.3) de mekki- « beaucoup » → nom. pl. me-e-ek-e-es KBo 25.23 Ro 5 ; dans tous les autres cas, le morphème est écrit …-(e-)es derrière voyelle et … e-es derrière consonne (§ 4.1.5(3)). La question des morphème jamais écrits en graphie répliquée est peu claire. La graphie qui les caractérise ne peut être appréciée comme un signe d’inacentuabilité car certains d’entre eux, comme 3pl. prés. {-aNʧi}, sont sûrement accentués dans des forme verbales monosyllabiques (§ 7.4.4) ; il semble donc raisonnable d’apprécier ces graphies en fonction d’une tendance à la conventionnalisation. La question de savoir pourquoi une réplication du noyau vocalique est possible avec certains morphèmes, alors qu’avec d’autres, elle est impossible ou suit un conditionnement distinct de la prosodie, demeure obscure. L’intérêt de ce témoignage est de démontrer, en vieux hittite, l’existence de paradigmes (ou courbes) accentuelles dont l’organisation est indépendante des morphèmes utilisés. 7.5.7 Hiérarchie des virtualités accentuelles On peut prévoir que, quand la formation d’un mot repose sur la mise en relation de morphèmes ou de mots potentiellement ou toujours accentués, les propriétés accentuelles du mot ainsi formé résulteront de ce que la caractérisation accentuelle de mots ou de morphèmes sera oblitérée par celle d’un autre mot ou morphème en fonction d’un rapport hiérarchique. Un exemple de cette situation est le composé appasiwatt- « futur », formé de l’adposition appa « derrière, à la suite de » et du nom siwatt- « jour » : la graphie régulièrement a-ap-pa du premier terme restitue une accentuation {ápʰa} (de même, l’adverbe a-ap-pa-an), tandis que celles du nom siwatt- « jour » met en évidence une accentuation fixe sur la première syllabe du thème {síwatʰ-} (voir, infra, tabl. 20). Or, l’écriture du composé appasiwatt- « futur » n’utilise jamais la réplication dans aucune des syllabes de ce mot (Rieken 1999 : 103), ce qui laisse supposer qu’il ne frappe plus la syllabe initiale de appa, sans toutefois mettre en évidence une localisation précise :

L ’ accentuation

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(15) flexion de appasiwatt- « futur » all. ap-pa-si-wa-at-ta (VH/mh) abl. ap-pa-si-wa-at-ta-az (VH/mh) loc. pl. ap-pa-si-wa-at-ta-as (VH) Dans ce cas particulier au moins, on peut tenir que l’accentuation de l’adposition varie selon qu’elle est utilisée isolément ou en composition. Dans un autre exemple comme weh- « tourner » → 3sg. prés. ú-e-eh-zi :: wahnu- « faire tourner » → 1sg. prés. wa-ah-nu-ú-mi, l’accent se déplace de la syllabe initiale du thème verbal sur celle du morphème de dérivation. A l’inverse, la flexion de au-/u- « voir » n’accentue jamais le degré u- (voir tableau 29, infra), mais le témoignage de 3sg. prés. ú-us-ki-iz-zi KBo 8.42 Ro 2 (VH) indique un thème dérivé {ú-sKe-} avec un déplacement de l’acent du morphème post-thématique au morphème thématique. La documentation hittite est trop limitée pour qu’on puisse ne seraitce qu’esquisser une typologie des rapports hiérarchiques pouvant exister entre les morphèmes du point de vue de leur prosodie, même si l’existence de cette hiérarchie est certaine. 7.6

Fragments de paradigmes accentuels

7.6.1 L’accentuation des flexions Le positionnement de l’accent dans chacun des mots-formes d’une flexion relativement à tous les autres identifie, logiquement, trois situations inégalement attestées en vieux hitite : un accent fixe sur une des syllabes du thème fléchi (A) ; un accent fixe sur une des syllabes des morphèmes fléchissant le thème (B) ; un accent se déplacant, dans le paradigme, du thème aux désinences (C)22. Chacune de ces situation corrrespond à un paradigme accentuel indépendant de la structuration morphologique propre à une classe ou sousclasse de mots donnée (noms, verbes, adjectifs, pronoms).

22  On reprend ici les sigles utilisés, depuis Stang (1957) dans l’étude accentologique des langues slaves et baltes.

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Chapitre 7

7.6.2 Type A : accent fixe sur le thème De tous les paradigmes accentuels, celui dans lequel l’accent frappe le morphème thématique est, sinon le plus fréquent, du moins le mieux documenté, par des verbes comme par des noms, quel que soit le type morphologique de flexion dans lequel il s’inscrivent. (1) Noms. – Tous les noms relevant de ce paradigme sont accentués sur la syllabe initiale s’ils sont primaires (non dérivés). Les témoignages les plus clairement attestés en vieux hittite sont ceux des animés lala- « parole » et haran« aigle » (toutes les formes citées sont, sauf mention, vieux-hittite) : (16) flexion de lala- « langue » nom. sg. {lála-s} →  [lā́.las] nom. pl. {lál-es} →  [lā́.les] acc. sg. {lála-n} →  [lā́.lan] acc. pl. {lál-us} →  [lā́.lus] dat.-loc. {lál-i} →  [lā́.li]

la-a-la-as (MH) la-a-le-es la-a-la-an la-a-lu-us la-a-li

Des formes contradictoires apparaissent en hittite tardif, par ex. acc. la-la-a-an KBo 11.11 i 9 (NH). (17) flexion de haran- « aigle » nom. sg. {Háran-s} →  [Hā́.ras] nom. pl. {Háran-es} →  [Hā́.ra.nes] acc. sg. {Háran-an} →  [Hā́.ra.nan] gén. {Háran-as} →  [Hā́.ra.nas] all. {Háran-i} →  [Hā́.ra.ni]

ha-a-ra-as ha-a-ra-ni-is (VH/mh) ha-a-ra-na-an ha-a-ra-na-as ha-a-ra-ni (MH)

Les données contradictoires apparaissent dans les copies plus tardives : acc. ha-ra-na-a-an KBo 13.86 Ro 16 (VH/nh), ha-ra-a-an KBo 39.239 : 3 (/mh ?). Dans la flexion inanimée, le témoignage le mieux documenté est celui de nepis- « ciel » : (18) flexion de nepis- « ciel » dir. sg. {nébis-∅} →  [nḗ.bis] gén. {nébis-as} →  [nḗ.bi.sas] abl. {nébis-ʧ} →  [nḗ.bisʧ] loc. {nébis-i} →  [nḗ.bi.si] all. {nébis-a} →  [nḗ.bi.sa]

ne-e-pí-is ne-e-pí-sa-as ne-e-pí-is-za ne-e-pí-si (MH) ne-e-pí-sa

La flexion du sous-type inanimé à cas direct en -∅ n’est pas différente de celles du sous-type à cas direct en -n comme le montre la flexion de peda- « lieu,

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L ’ accentuation

endroit » (dont la plupart des attestations sont toutefois postérieures au vieux hittite) : (19) flexion de peda- « lieu, endroit » dir. sg. {Péda-n} → [Pḗ.dan] pé-e-da-a(n)⸗s … (VH), pé-e-da-an (MH) gén. sg. {Péd-as} → [Pḗ.das] pé-e-da-as (VH/mh) gén. pl. {Péd-as} → [Pḗ.das] pé-e-da-as (VH/mh) abl. {Péd-aʧ} → [Pḗ.daʧ] pé-e-da-az (VH/nh ?) loc. sg. {Péd-i} → [Pḗ.di] pé-e-di loc. pl. {Péd-as} → [Pḗ.das] pé-e-da-as (VH ?/nh) Les graphies non répliquées du type de ne-pi-is KUB 8.41 ii 6, 12 (VH) sont plus rares que les graphies ne-e-pí … (CHD L-N 448). Les graphies non répliquées du type de pé-da-an KUB 33.120 ii 77 (NH), pé-di KBo 3.34 i 14 (VH/nh), pé-da-az KUB 33.120 ii 34 (NH) s’observent toutes dans des copies tardives (CHD P 234). D’autres données flexionnelles, plus fragmentaires, livrent des indices suggérant une accentuation fixe sur le radical, par exemple siwatt- « jour »23 ou witt- « année » : (20) flexion de siwatt- « jour » nom. {síwatʰ-s} →  [sī�.́ watʰs] gén. {síwatʰ-as} →  [sī�.́ wa.tʰas] (21) flexion de witt- « année » gén. {wítʰ-as} →  [wī�.́ tʰas] loc. {wítʰ-i} →  [wī�.́ tʰi]

si-i-wa-az si-i-wa-at-ta-as

ú-i-it-ta-as Bo 4636 iii 10 (VH/mh) ú-i-it-ti KUB 4.72 Vo 2 (VH)

Les éléments de la flexion ancienne de siu- « dieu » mettant en évidence une réplication supposent une accentuation similaire : sg. nom. si-i-us, dat.-loc. si-i-ú-ni KUB 30.10 Vo 11 (VH/mh). D’après mehur- « temps durée » → dir. me-e-hu-ur, loc. me-e-hu-ni on peut également envisager un rapport {méɣur- : méɣun-} (gén. pl. me-e-hu-u-na-as est transmis par des tablettes tardives), alors que les graphies, il est vrai plus tardives, d’une flexion similaire comme

23  En dépit de Neu (1980 : 16), Rieken (1999 : 104), CHD S 495, 503b, on ne considère pas ici si-i-wa-at KBo 25.17 i 1 (VH) comme un « locatif sans désinence », mais comme un adverbe dérivé « aujourd’hui, présentement » (comparer le composé siwat siwat « quotidiennement »). Le déplacement d’accent dont témoigne la variante si-wa-a-at [si.wā́T] KBo 21.49 iv 8 (VH/nh) va dans ce sens, la formation d’adverbes par dérivation accentuelle étant relativement banale dans les langues indo-européennes ; comp. gr. → kʰaríeis « plaisant » → nom.-acc. nt. sg. kʰaríen, face à l’adverbe kʰárien « avec plaisir ».

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Chapitre 7

celle de pahhur- « feu » sont contradictoires : dir pa-a-ah-hur (VH/mh) et pa-ah-hu-u-ur (MH?). (2) Verbes. – Le nombre de paradigmes verbaux faisant usage de la réplication dans plus d’une moitié de ses mots-formes est limité en vieux hittite. Aucun paradigme ne met positivement en évidence une accentuation figée sur le thème ; divers croisements bien que fragmentaires, tendent toutefois à indiquer que cette situation est possible : es- « être » → 2sg.prés. e-es-si, 3sg. prés. e-es-za/e-es-zi, 3sg.prét. e-es-ta, 2pl.prét. e-es-te-en (MH), 3sg.imp. e-es-tu ; hulaliya- « entourer » → 1sg. prés. hu-la-a-li-ya-mi, 3 sg. hu-la-a-li-iz-zi, part. dir. sg. hu-la-a-li-an ; hunink- « frapper » → 3sg. hu-u-ni-ik-zi KBo 6.2 i 13, hu-u-ni-inkán-za ; irha- « faire des tours » → 3sg. prés. ir-ha-a-i[z-z]i, 3 pl. ir-ha-a-an[-zi ; isa- « faire » → 3sg. prés. i-is-sa-i, 3pl. prét. i-is-se-ir ; kank- « suspendre » → 1sg. prés. ga-a-an-ga-ah-hé, 3sg. ka-a-an-k[i ; lahu- « verser » → 3sg. prés. la-a-hu-i, 3pl. la-a-hu-wa-an-zi ; mald- « réciter, prier » ; 3sg. prés. ma-a-al-di, 1sg. prét. ma-a-al-tah-hu-un ; mema- « dire, parler » → 1sg. prés. me-e-ma-ah-hé, 3sg. mee-ma-i, 3pl. prét. me-e-mi-ir ; nai- → 3sg. na-a-i, part. ne-e-an-za ; tiya- « se tenir » → 3sg. prés. ti-i-e-iz-zi, 3pl. ti-i-en-zi ; turiye- « harnacher » → 3sg. prés. tu-u-ri-ezzi, 3pl. prés. tu-u-ri-ya-an-zi ; wess- « être vêtu » → 3sg. my. ú-e-es-ta, 3pl. ú-e-essa-an-da, etc. Comme le montrent ces données, l’accent peut frapper la première syllabe du thème (mema-) aussi bien qu’une autre (hulaliya-). On ne semble pas relever de témoignages de paradigmes verbaux ayant une accentuation « désinentielle » figée sur le morphème post-thématique : le seul exemple qui pourait susciter une appréciation de ce type est uda- « apporter » → 1pl. ú-du-me-e-ni, 3pl. ú-d[(a-a)]n-zi KBo 25.61 + KBo 40.79 Vo 5, du moins si l’on estime plausible la restitution de 3pl. en regard de son duplicat ú-da-an-zi KBo 25.62 : 12. 7.6.3 Type B : accent fixe sur la désinence On admet ici que les paradigmes dans lesquels l’accent frappe régulièrement les morphèmes flexionnels accentuables, sont représentatifs d’une accentuation désinentielle ; les formes des paradigmes fléchies par des morphèmes phonétiquement inaccentuables (§ 7.5.2) imposent à l’accent de rejoindre une des syllabes du thème, toujours la première, mais cette localisation ne dérive que d’une incompatibilité phonétique, non d’une structuration morphologiquement significative. Comme on vient de le mentionner, une accentuation figée sur morphème post-thématique n’est bien documenté que par des noms. Deux situations sont à distinguer selon le thème est mono- ou plurisyllabique :

391

L ’ accentuation

(1) Type B₁ : accentuation désinentielle plurisyllabique. – L’accent est fixe sur les désinences accentuables, et se porte sur la syllabe initiale du thème quand celui-ci est fléchi par des désinences inaccentuables. Ce schéma paradigmatique est bien documenté dans la flexion inanimée : (22) flexion de tekan-/tagn- « terre » dir. sg. {Tégan-∅} →  [Tḗ.gan] gén. {Tagn-ás} →  [Ta.gnā́s] abl. {Tagn-áʧ} →  [Ta.gnā́ʧ] loc. {Tagn-í} →  [Ta.gnī�]́ all. {Tagn-á} →  [Ta.gnā́]

te-e-kán ták-na-a-as (MH) ták-na-a-az ták-ni-i ta-ak-na-a

La flexion de tēkan- devient aberrante en hittite tardif en ce qui concerne la distribution des voyelles répliquées (§ 6.6.6(1)). La flexion hétéroclitique de eshar-/eshan- « sang », bien que plus limitée dans ses attestations anciennes, indique un schéma similaire : (23) flexion de eshar- « sang » dir. sg. {ésHar-∅} →  [ḗs.Har] gén. {esHan-ás} →  [is.Ha.nā́s] loc. {esHan-í} →  [is.Ha.nī�]́

e-es-har is-ha-na-a-as is-ha-ni-i

Après le vieux hittite, les graphies de eshar- deviennent pareillement incohérentes en ce qui concerne la réplication : gén. is-ha-a-na-as KUB 17.18 ii 29 (NH), loc. e-es-ha-ni KUB 45.47 iii 18 (MH). Dans les flexion animée, le type B₁ ne paraît documenté que par la flexion de ke/issar- « main », bien que celle-ci soit délicate à analyser pour diverses raisons. Au nominatif en {-s}, la fluctuation a : i que l’on constate dans les variantes ke-es-sar⸗s …, (VH), ki-is-sar-as (/mh) face à ke-es-si-ra-as (VH/nh) combinée avec l’impossibilité d’une coda *[sr] indiquent un développement anaptyctique {Kísr-s} → [Kís.sərs] (on laisse de côté la question de la sélection du timbre, i ou e, qui semble insoluble). La forme d’instrumental en {-T}, reflétée par des variantes ki-is-sar-at (VH/mh) / ki-is-sar-ta (MH) indique un traitement parallèle {Kísr-T} → [Kís.sərT] ; la variante plus tardive ki-is-ri-i-it (MH/nh), utilisant la variante accentuable {-iT} du morphème, restitue, pour sa part, {Kisr-íT} → [Ki.srī�T́ ]. Les formes fléchies par des morphèmes phonétiquement accentuables comme acc. [ki-i]s-se-ra-an (VH), ki-is-si-ra-an (MH/nh), gén. ki-is-ra-as (MH), ki-is-sa-r[(a-as)] (MH), abl. ki-is-ra-az (MH) et ki-is-sa-ra-az (MH) ne sont jamais écrites en graphie répliquée, tandis que

392

Chapitre 7

leur gémination indique un accent sur la syllabe initiale du thème. Enfin, les formes de locatif ki-is-sa-ri-i (VH) et d’allatif ki-is-ra-a (VH), indiquent explicitement, une accentuation post-thématique {Kisr-í}, {Kisr-á}. Il apparaît donc que, dans la flexion de ke/issar- l’accent est régulièrement sur la désinence quand celle-ci est accentuable, mais sur la syllabe initiale du thème quand la désinence est inaccentuable24 : (24) flexion de ke/issar- « main » nom. sg. {Késr-s} →  [Kés.sərs] instr.

{Kísr-T}

→  [Kís.sərT]

loc. all. acc. sg.

{Kisr-íT} {Kisr-í} {Kisr-á} {Kisr-an}

→  [Ki.srī�T́ ] →  [Ki.srī�]́ →  [Kí.srā́] →  [Ki.sran]

gén.

{Kisr-as}

→  [Ki.sras]

abl.

{Kisr-aʧ}

→  [Ki.sraʧ]

ke-es-sar⸗s … ki-is-sar-as (/mh) ke-es-si-ra-as (VH/nh) ki-is-sar-at (VH/mh) ki-is-sar-ta (MH) ki-is-ri-i-it (MH/nh) ki-is-sa-ri-i ki-is-ra-a [ki-i]s-se-ra-an ki-is-si-ra-an (MH/nh) ki-is-ra-as (MH) ki-is-sa-r[(a-as)] (MH) ki-is-ra-az (MH) ki-is-sa-ra-az (MH)

La gémination dont font preuve les témoignages anciens de la flexion de anna« mère » (nom. an-na-as, acc. sg. an-na-an, acc.pl. an-nu-us) pourraît pareillement indiquer une accentuation nom. {ána-s}, mais la nature affective de ce mot n’exclue pas une gémination expressive (nom. {anna-s} ?) dont l’accentuation n’est pas discernable. Il ne semble pas exister de situations où l’accent d’un mot plurisyllabique porterait ailleurs que sur la syllabe initiale aux cas fléchis par des morphèmes inaccentuables. La question demeure cependant posée, dans la flexion hétéroclitique des inanimés au vu du déplacement d’accent, bien attesté, au cas direct, entre les formes de singulier où l’accent frappe la syllabe initiale du thème, et les formes de pluriel, où il se déplace sur la syllabe pré-désinentielle (voir tableaux 7 et 11, respectivement). La flexion du nom « eau » atteste clairement ce déplacement (§ 7.4.1), mais sa situation est difficilement généralisable car ses formes obliques ne révèlent rien de leur accentuation en étant, de surcroît, 24  Pour des analyses différentes, reposant sur des approches de la syllabation ne tenant pas compte des relations de sonorance, voir Rieken 1999 : 278-281, Kloekhorst 2008 : 471-472.

393

L ’ accentuation

fondée sur une base monolyllabique (§ 8.14.7) ; la flexion de harsar- « tête » est dans la même situation documentaire (thème oblique {Harsn-}). La flexion de uddar- « parole » serait susceptible d’accréditer l’hypothèse d’un paradigme de type B₁ dans lequel, quand les morphèmes flexionnels sont inaccentuables, l’accent peut se déplacer de la syllabe initiale à la syllabe pré-désinentielle du thème, mais il se trouve que la forme du cas direct singulier n’est jamais écrite *u/ú-ut-tar, si bien que cette conjecture, bien que possible, demeure indémontrable (dans le cas de ce mot, on ne peut exclure, par ailleurs que la plosive soit géminée) : (25) flexion de uttar- « parole » dir. sg. {utʰar-∅sg.} → [u.tʰar] ([ú.tʰar] ?) dir. pl. {utʰár-∅pl.} → [u.tʰā́r] gén. {utʰan-ás.} → [u.tʰa.nā́s] loc. {utʰan-í.} → [u.tʰa.nī�]́ abl. {utʰan-áʧ.} → [u.tʰa.nā́ʧ]

ut-tar (VH) ut-ta-a-ar (VH) ud-da-na-a-as (VH/mh) ud-da-ni-i (MH) ud-da-na-a-az (MH)

En définitive, la question de savoir si, quand des morphèmes inaccentuables fléchissent un paradigme de type B, l’accent doit ou peut frapper la syllabe initiale du thème reste sans réponse. (2) Type B₂ : accentuation désinentielle. – L’accent frappe la syllabe du thème la plus proche des désinence (la plus à droite) quand celui-ci est fléchi par des morphèmes inaccentuables, mais les désinences quand celles-ci sont accentuables. La flexion de isha- « maître » met d’autant plus clairement cette situation en évidence qu’elle repose sur un thème [sHa-} phonologiquement monosyllabique (sur le développement régularisé la prothèse, voir § 8.10.3) : (26) flexion de isha- « maître » nom. sg. {sHá-s} →  [əs.Hā́s] acc. sg. {sHá-n} →  [əs.Hā́n] nom. pl. {sH-és} →  [əs.Hḗs] gén. {sH-ás} →  [əs.Hā́s] dat. {sH-í} →  [əs.Hī�]́

is-ha-a-as is-ha-a-an is-he-e-es (/mh) is-ha-a-as is-hi-i⸗s … (VH), is-hi-i (VH/mh)

Il n’existe pas de données significatives du positionnement de l’accent au singulier et au pluriel à la fois en vieux hittite authentique ; pour autant qu’on puisse en juger d’après certaines convergences, il est vrai, tardivement documentées, une accentuation désinentielle s’observe, notamment avec les thèmes en -a monosyllabiques comme plurisyllabiques :

394

Chapitre 7

(27) accentuation désinentielle des thèmes en -a

alpa- « nuage » erha- « frontière » isha « maître »

nom. sg.

acc. pl.

al-pa-a-as KUB 59.54 Ro 7 (/nh) er-ha-a-as KUB 19.37 ii 33 (NH) is-ha-a-as KBo 6.2 ii 14 (VH)

al-pu-ú-us KUB 28.5 Vo 7 (VH/nh) ir-hu-ú-s(a) KUB 31.128 i 3 (NH) is-hu-u-us KBo 15.31 i 14 (VH/nh)

Un témoignage moins net d’accentuation possiblement post-thématique au pluriel est pata- « pied, jambe » → dat.-loc. pl. pa-ta-a-as {Pad-ás}, gén. pl. pata-a-n⸗a {Pad-án} KBo 17.74 i 9 (VH/mh), sans perdre de vue que des graphies [p]a-a-ta-an KUB 34.120 : 6 (VH/nh) et acc. pl. pa-a-tu-u[s], (MH) sont également attestées, en sorte qu’il est impossible de trancher25. 7.6.4 Type C : accent mobile Les paradigmes dans lequels l’accent se déplace du thème aux désinences accentuables est moins attesté que les deux autres. Avec toutes les réserves qu’impose le traitement d’un corpus limité de données sur le caractère fuyant desquelles on a déjà largement insisté, l’accent mobile ne semble nettement attestée qu’au présent de la flexion verbale en -hhi/e. La flexion vieux-hittite de da- « prendre » au présent indique un déplacement de la réplication de la syllabe du thème à une de celles du morphème flexionnel entre le singulier et le pluriel (le thème da- de de 2pl. dattēni repose probablement sur un nivellement analogique au singulier car la mise en contact des deux plosives coronales aurait imposé le déclenchement de la règle d’antihomophonie)26.

25  La place de l’accent est identique dans gén. pl. pa-ta-a-n⸗, gr. podō�n, et véd. padā́m, à ceci près que quand un mot compte deux syllabes, les chances pour que ses réflexes convergent positivement sur la place de l’accent sont, a priori, exactement équivalentes aux chances pour qu’il n’y ait pas de convergence, ce qui pose le problème du caractère non aléatoire de ce type de « correspondance ». 26  La flexion de ped(a)- « prendre, emporter » qui est un ancien dérivé préfixé de da- présente un radical invariablement écrit pé-e-t …, y compris dans 1pl. pé-e-tu-me-e-ni, avec deux syllabes répliquées.

395

L ’ accentuation

(28) flexion de présent de da- « prendre » (vieux hittite) graphies sg. pl.

1 2 3 1 2 3

interprétation prosodique da-a-ah-hé da-a-at-ti da-a-i tu-me-e-ni da-at-te-e-ni da-an-zi (jamais *da-a-an-zi)

{Tá-xe} {Tá-tʰi} {Tá-i} {Tu-wéni} {Ta-tʰéni} {T-aNʧi} ({Ta-áNʧi} ?)

La flexion de au-/u-, moins bien documentée, ne laisse pas discerner l’accent à 2/3sg., tandis que 1sg. u-uh-hi, plus tardif, est vraisemblablement une forme analogiquement refaite, de même que 3sg. a-us-zi (voir Kloekhorst 2008 : 228, pour une explication plausible des pressions analogiques) : (29) flexion de présent de au/u- « voir, regarder » (vieux hittite) graphies sg. pl.

1 2 3 1 2 3

interprétation prosodique u-uh-hi (MH) a-ut-ti a-us-zi ú-me-e-ni us-t[e-e-]ni ú-wa-an-zi

{ú-xi} {au-tʰi} {aus-ʧi} {u-wéni} {us-tʰéni} {u-aNʧi}

Le témoignage de 3sg. prés. ú-us-ki-iz-zi KBo 8.42 Ro 2 (VH) indique un thème {ú-sKe-}. La flexion de sakk- « savoir, reconnaître », encore moins bien attestée en vieux hittite laisse supposer un schéma similaire avec 1sg. prés. sa-a-ak-hi (VH/mh), 2sg. sa-a-ak-ti (VH ?/mh ?), 2pl. sa-ak-te-e-ni (VH). On ne peut rien tirer de es- « être » → 2pl. is-te-e-ni KBo 22.1 : 27 (VH), i-is-te-ni-i (ibid., ligne 33). Le problème global que pose ce type de témoignage est que le déplacement d’accent va de pair avec une ancienne variation apophonique : les formes à accentuation thématique reposent sur un degré plein (3sg. da-a-i), tandis que les formes à accentuation post-thématique reposent sur un ancien degré zéro (1pl. tu-me-e-ni, ú-me-e-ni). Il est, dans ces conditions, difficile d’apprécier si

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Chapitre 7

la place de l’accent dérive du schéma prosodique assigné, comme tel, à une classe flexionnelle ou du caractère phonologiquemet inaccentuable de thèmes CC- au degré zéro quand les deux consonnes sont obstruantes (la flexion de da- « prendre » repose sur un thème *deh₃- : *dh₃-). L’accentuation des thèmes dont le vocalisme repose sur une ancienne variation apophonique qualitative n’est pas prédictible : dans une flexion comme celle de has- « ouvrir » (HW² II : 394sq.), les réflexes des anciens degrés pleins comme des degrés réduits semblent également accentuables : has- « ouvrir » → 1pl. prés. {hás-weni} → ha-as-su-e-ni KBo 8.74+ ii 9 (VH), face à 3pl. prét. {Héser} hé-e-se-er KUB 29.3 i 5 (VH). Une illustration particulièrement critique du problème est qu’en hittite, l’alternance apophonique des radicaux n’implique pas que des morphèmes lexicaux monosyllabique : la flexion de du verbe kalis« appeler, invoquer » bien que peu documentée, reflète un déplacement de la gémination de /l/ et de /s/ correspondant exactement à une opposition entre degré plein et degré zéro dans la première syllabe du thème27. En dépit de cette variation morphologique et syllabique, l’accent semble rester stable sur la syllabe initiale (type A) : (30) flexion de kalis3sg. prét. {Kális-tʰ} → [Kál.list(ʰə)] kal-li-is-ta KUB 17.5 : 6 (VH/nh) 3pl.prés. {Klís-aNʧi} → [Klís.saɲ.ʧi] ga-li-is-sa-an-zi IBoT 2.80 vi 4 (VH/nh) Il est difficile de généraliser à partir de quelques témoignages tirés d’une flexion unique en son genre, mais en admettant qu’ils sont représentatifs, on serait amené à considérer qu’en hittite, l’accent peut devenir indépendant des rapports apophoniques. Il est certain en revanche, que l’accentuation mobile n’est nettement documentée qu’avec des thèmes (anciennement) alternants. 7.6.5 Problème des flexions pronominales (1) Pronoms délocutifs. – Les flexions des pronoms délocutifs kā- et apā- a recours à des morphèmes flexionnels en partie similaires à ceux de la flexion nominale, en partie spécifiquement pronominaux. Les deux pronoms ont une flexion presque identique, sauf au cas direct singulier, où kā- utilise une désinence {-∅} ({Kí-∅} → ki-i), là où apā- utilise une désinence {-T} ({abá-T} → a-pa-a-at). Par ailleurs, dès le vieux hittite, apparaît un élément émergeant /…(n)d(an)…/ aboutissant à créer, aux cas obliques, de pseudo-thèmes

27  L’analyse ici proposée rejoint, pour l’essentiel, celle de Kloekhorst 2008 : 430, à ceci près que ce dernier assimile les géminées à des phonèmes.

397

L ’ accentuation

ke(n)d(an)- ape(n)d(an)- dont le statut morphologique comme les conditions de variations sont peu clairs. Le tableau ci-dessous résume l’organisation en vieux hittite. (31) flexion des pronoms délocutifs (vieux hittite, sauf mention) anim.

singulier inan.

anim.

pluriel inan.

P

a-pu-u-un a-pa-a-at  a-pu-u-us a-pé-e  ku-u-un ki-i   ku-u-us  ke-e U apa-a-as   a-pé-e A  ka-a-as *   ke-e * gén.    a-pé-el  a-pé-e-en-za-an    ke-e-el ke-e-en-za-an (VH/nh) dat./loc.   a-pé-e-da-ni (MH)  a-pé-e-da-as (MH) ke-e-ti (VH/mh), ke-e-da-ni (MH) ke-e-da-as (MH) instr.       a-pé-et, a-pé-e-da-an-da      ke-e-da (VH/nh), ke-e-da-an-ta abl.        a-pé-e-ez (MH)      ke-e-et, ke-e-ez (VH/mh)

L’analyse de ces flexions pose divers problèmes dus au fait qu’il n’existe pas de critères à même de départir objectivement le thème de la désinence ou, plus exactement que chaque motif d’opérer une segmentation donnée peut être contredit par d’autres motifs non moins fondés a priori. Le problème se pose surtout au sujet de l’élément /(N)d(aN)/ dont la forme comme la distribution sont imprévisibles, mais aussi au sujet de formes régulières comme acc. apūn que l’on peut analyser apū-n, par analogie avec les formes d’accusatif -n des thèmes nominaux en syllabe ouverte, comme ap-ūn sous considération de ce que qu’une concurrence apā- : apū- n’a ni justification, ni explication ailleurs que dans les flexions pronominales. Deux approches sont possibles : soit on considère que les morphèmes thématiques sont invariants {ab-, K-}, soit qu’ils sont fondés sur des rapports de supplétion faible {aba- : abu- : abe-, Ka- : Ku- : Ke-} ; aucune de ces conceptions (séparées par ‘|’ dans la tableau 32) n’est pleinement satisfaisante puisque, la première approche identifie, au nominatif singulier, un morphème de -as distinct du morphème -s utilisé partout ailleurs (y compris par le pronom

398

Chapitre 7

relatif-interrogatif kuis), et que, dans la seconde, -s devient une marque de nominatif au singulier et d’accusatif au pluriel. Les difficultés analytiques que l’on vient de souligner se résument à des pressions analogiques concurrentes, éventuellement contradictoires, dont la compétition paradigmatique est, selon toute vraisemblance, une des cause du renouvellement rapide auquel ces flexions ont été soumises dans l’histoire du hittite (sur les évolutions dans les strates plus tardives, voir Hoffner & Melchert 2008 : 143sq.). (32) variantes d’analyse morphologique des pronoms délocutifs anim.

singulier inan.

anim.

pluriel inan.

P ab-úN | abú-N ab-ús | abú-s ab-é | ab-áT | abá-T U ab-ás | abá-s ab-é | abé-∅ abé-∅ A * * gén.     ab-él | abé-l ab-én-saN | abé-n-saN dat./loc. *ab-éd-i, ab-édan-i | *abé-d-i, abé-dan-i  ab-éd-as | abé-d-as instr.      ab-éT, ab-édaN-T | abé-T, abé-daN-T abl.          ab-éʧ | abé-ʧ Ces différentes approches conduisent à des interprétations complètement différentes de l’accentuation : dans l’hypothèse d’une supplétion faible, on est en présence d’un paradigme à accent fixe sur le thème, nom. sg. {abá-s}, acc. sg. {abú-N}, gén. {abé-l}, etc. ; dans celle d’un thème invariant (donc, inaccentuable dans le cas de {K-}), on est en présence d’un paradigme à accent fixe sur la désinence : nom. {ab-ás}, instr. {ab-édaNT}, gén. pl. {ab-éNsan}, etc. La première situation n’a pas d”équivalent dans la morphologie hittite, l’accent des noms et verbes du type B frappant normalement la première syllabe du thème, alors rien ne s’oppose à faire entrer la seconde dans le cadre du type A, moyennant une limitation de l’accent sur la première syllabe puisque les morphèmes flexionnels des noms et verbes ne comptent pas plus d’une seule syllabe. Cette dernière observation peut constituer un argument en faveur de l’approche fondée sur une segmentation {ab-ás}. (2) Pronoms interlocutifs. – Les flexions des pronoms interlocutifs posent des problèmes différents, quoique de nature similaire : les formes de nominatif

399

L ’ accentuation

sont (sauf à 2pl.) dans un rapport de supplétion envers les autres, en étant morphologiquement inanalysables, tandis que les cas obliques ne laissent pas discerner de solution de segmentation évidente. Les formes d’ablatif étant ininterprétables en termes d’accentuation, on ne les fait pas figurer dans le présent tableau. (33) flexion des pronoms interlocutifs (vieux hittite, sauf mention) 1 sg.

2 sg.

1 pl.

2 pl.

nom. ú-uk zi-i-ik ú-e-es su-me-e-es (MH) acc./dat. am-mu-uk (VH/mh) tu-uk (MH) an-za-as su-ma-a-as gén. am-me-el tu-e-el an-ze-el su-me-en-za-an (MH) Les formes monosyllabiques mises à part, les seules données susceptibles de restituer la place de l’accent sont, d’une part, 1sg. acc./dat. {ám-uK}, gén. {ámel}, supposant une accentuation de type A, de l’autre, 2pl. nom. {sum-és}, acc./ dat. {sum-ás}, supposant une accentuation de type B (on tient que tu-e-el repose sur une monosyllabe {Twél} plutôt que sur *{Tu.él} car on attendrait dans ce cas, au moins occasionnellement, une réalisation *[Tuwḗl] *tu-u-(e-)el), qui n’est pas attestée. En résumé, le comportement des pronoms envers la paradigmatique accentuelle ne diffère pas de celui des verbes ou des noms : la caractérisation prosodique des flexion dépend de l’identité des morphèmes thématiques, non de la classe de mot à laquelle ils appartiennent. 7.6.6 Évolution de l’accentuation La dislocation de la réplication dans les strates chronologiques postérieures au vieux hittite ne laisse que fort peu de témoignages cohérents susceptibles d’être interprétés en termes d’évolution de l’accentuation dans quelque direction que ce soit. L’exemple le plus clair est le nom hassa- « foyer », dont la flexion, bien documentée, vacille, dès le vieux hittite, entre les paradigmes A et B₂ (voir le détail des attestations dans HW² III, 400-409, Puhvel HED III, 221-225 – sauf mention, les formes sont vieux-hittites).

400

Chapitre 7

(34) flexion de hassa- « foyer » (vieux hittite, sauf mention) type B₂ nom. acc. gén. abl. loc. all.

{Hasá-s} {Hasá-n} {Has-ás} {Has-áʧ} {Has-í} {Has-á}

type A ha-as-sa-a-as ha-as-sa-a-an ha-as-sa-a-as ha-as-sa-a-az ha-as-si-i ha-a-as-si-i ha-as-sa-a

{Hása-n} ha-a-as-sa[-as] {Hása-n} ha-a-as-sa-an {Hás-as} ha-a-as-sa-as (/nh) {Hás-i} ha-a-as-si (VH/nh)

Le problème soulevé par ces données est que la réplication ne s’accorde avec la gémination qu’avec les témoignages du type A, lesquels sont moins bien documentés que ceux du type B dans les textes vieux-hittites authentiques. Il apparaît donc que, dès le vieux hittite, le paradigme accentuel de ce mot est en train d’évoluer (changement dont la forme anomale loc. ha-a-as-si-i restitue possiblement une étape intermédiaire), même si on ne discerne pas clairement dans quelle direction s’oriente l’évolution28. Pour les même raisons de limitation documentaire, les pressions analogiques qui jouent un rôle considérable, quand ce n’est pas dominant, dans l’assignation accentuelle des morphèmes, donc, dans le nivellement des paradigmes (Kuryłowicz 1958), sont pratiquement indiscernables en hittite. 7.7

Récapitulatif et bilan

7.7.1 Principes généraux Le hittite est une langue à accent libre dont le placement est gouverné par la morphologie. Le positionnement de l’accent dans le mot dérive, d’une part, des propriétés accentuelles des morphèmes en tant qu’ils ont vocation intrinsèque à attirer l’accent, à le refouler ou à être occasionnellement frappés par lui ; de l’autre, par les rapports de dominance qui se créent lorsque des morphèmes caractérisés par des mêmes propriétés accentuelles sont mis en relation dans un même mot.

28  L’hypothèse d’un paradigme anciennement alternant, postulée par Hart 1980 : 14, Ivanov 1982 : 200, Kloekhorst 2008 : 323, 2014 : 261-262, paraît difficile car on n’attend pas d’un nivellement qu’il génère la formation de paradigmes différents.

L ’ accentuation

401

7.7.2 Phonétique et graphie L’accent peut frapper n’importe quel type de syllabe, indépendament de son organisation phonologique, en provoquant un allongement (alourdissement, dans le cas des syllabes légères) se traduisant par un accroissement de durée plus ou moins régulièrement restitué par la graphie (un allongement peut avoir d’autre causes que l’accentation tout comme il peut être minoré par d’autres facteurs que la prosodie). 1) L’accentuation d’une syllabe phonologiquement légère (ouverte) de type /(C)V/, quand elle est traduite dans la graphie, se manifeste : – par une réplication de son noyau quand elle n’est pas suivie d’une syllabe attaquée par un segment géminable ; – par une réplication de son noyau ou par gémination de sa coda quand elle est suivie d’une syllabe attaquée par un segment géminable ; – éventuellement, quand le contexte s’y prête, en combinant les deux procédés. 2) L’accentuation d’une syllabe phonologiquement lourde (fermée) de type /(C)VC/, quand elle est traduite dans la graphie, se manifeste seulement par une réplication de son noyau. Un mot dont les graphies ne manifestent jamais aucun de ces procédés peut être un mot dont l’introduction dans la phrase n’impose pas celle d’une unité accentée (clitiques), un mot dont l’accentuation n’est pas représentée parce qu’elle est morphologiquement prédictible (adjectif suppi-), parce que les conséquences phonétiques de son accentuation sont phonétiquement peu saillante (mots longs), ou parce qu’une norme décide de l’accentuation des mots morphologiquement amorphes constitués de syllabes ouvertes (adverbe katta). 7.7.3 Phonologie et morphologie En hittite, la place de l’accent dans le mot est conditionnée par l’agencement des morphèmes, indépendamment du nombre des syllabes ou de leur composition segmentale. Hormis le cas des clitiques qui, bien qu’étant inaccentués par défaut, peuvent, le cas échéant, recevoir un accent, le positionnement de celui-ci est prédit par l’identité des morphèmes, par les relations paradigmatiques ou dérivationnelles ainsi que par les rapports de potentalité hiérarchisés dans lesquels les morphèmes se situent les uns envers les autres. Quand un mot comptant plus d’une syllabe est formé d’un seul morphème, le postionnement de son accent constitue un des aspects de son identité lexicologique. Il ne va donc nullement de soi qu’en hittite, on doive considérer la prosodie comme une des dimensions de la description phonologique : dans les langues

402

Chapitre 7

où le placement de l’accent est dominé par la structuration des syllabes, qu’il soit libre (grec) ou fixe (latin), cette conception s’impose, mais dans les autres situations, rien ne s’oppose à considérer que sa description relève, plutôt, de la morphologie, en l’espèce de la description individuelle des paradigmes et des morphèmes, le cas échéant, des lexèmes.

Chapitre 8

Relations inter-segmentales 8.0

Remarque liminaire

La plupart, sinon tous les motifs de désaccord – parfois considérables – qui existent entre les spécialistes au sujet du phonétisme hittite se ramènent à des divergences d’appréciation concernant le caractère significatif des graphies ; une analyse estimée correcte par certains peut être récusée par d’autres au motif qu’elle se fonde sur des témoignages jugés linguistiquement insignifiants, tandis que d’autres témoignages, censés être véritablement significatifs auraient été négligés. On pourrait écrire une historiographie des études hittites pratiquement exhaustive en dressant la somme des faits tantôt méconnus ou sous-estimés, tantôt sur-évalués, qui ont fini, pour les uns, à être reconnus comme des données représentatives, pour les autres, comme des illusions. Dans le domaine de la phonétique, ces controverses sont presque toujours équivalentes à déclarer (ou à admettre implicitement) qu’une variante a pour cause, soit des caprices ou des conventions de représentation écrite qu’on ne saurait prendre en considération au plan phonétique, soit la restitution d’une prononciation qu’il serait coupable de négliger au plan phonétique. Le problème se pose de façon cruciale dans l’appréhension des relations entre segments fondées, entre autres choses, sur l’observation de variantes. Or, il n’existe en la matière, aucun critère de jugement a priori. Melchert a souvent dénoncé l’attitude qui consiste à apprécier une variation graphique comme étant, par principe, le signe d’une restitution phonétique, mais autant une telle approche est, effectivement, insoutenable, autant celle qui, à l’inverse, attribuerait, par principe, toute variante graphique à la seule utilisation du code d’écriture ne l’est pas moins. En la matière, tout jugement de représentativité ne peut être appréciée qu’a posteriori, en fonction de son intérêt explicatif et de la cohérence prédictive que présente l’analyse des données qui la motivent. Il est parfaitement vain d’accepter ou de mettre en cause une analyse sans prendre son contenu en considération, ni proposer d’alternative, au seul motif que l’interprétation des graphies n’impose pas de certitudes. Dans ce qui suit, on s’est limité à exposer des mécanismes dont on a estimé qu’il étaient étayés par des indices suffisament cohérents pour justifier une analyse correspondant à une motivation phonétique rationnelle.

© koninklijke brill nv, leiden, 2019 | doi:10.1163/9789004394247_010

404 8.1

Chapitre 8

Les transitions labiale + labiale

8.1.1 Règle /w/ → [m] / V.__V (∃V V=u) Dès les débuts de la linguistique hittite, il a été observé que la semi-voyelle /w/ pouvait connaître une réalisation nasale [m] (Hrozný 1917 : xiv, 173, et, plus en détail : Kammenhuber 1955 : 363sq., Melchert 1984a : 22-30, Kimball 1999 : 374sq.). Les conditions suscitant cette réalisation sont au nombre de trois : la semi-voyelle doit : (i) représenter la réalisation d’un phonème /w/ ou /u/, et non un son émergeant [w] ou [u] ; (ii) être localisée entre deux voyelles ; et (iii) se situer au voisinage immédiat d’une voyelle [u]. Accessoirement, /w/ doit être en attaque syllabique, mais cette dernière condition peut être tenue comme superfétatoire dans le sens où /w/ ne peut pas occuper la position de coda d’une syllabe interne). (1) Témoignages. – Les conséquences de la règle s’observent quand un morphème de forme -wV … affixe un thème en … u-, ou bien quand un morphème de forme -u … affixe un thème en … Vw- : (a) Flexion et dérivation verbale. – Le changement se produit régulièrement quand un thème verbal en {… u-} est affixé par 1 pl. {-wen(i)} ou par les morphèmes de nominalisation verbale {-waNʧi} et {-war} : au- « voir » → 1pl. {u-wéni} ú-me-e-ni (secondairement : a-ú-ma-ni VBoT 1 : 12, MH). Le dérivés causatifs en -nu- illustrent presque tous ce mécanisme : arnu- « mettre en mouvement » → 1pl. ar-nu-um-me-en, (avec géminée) → inf. {arnu-waNʧi} ar-nu-ma-an-zi ; zanu- « cuire » → inf. {Tsanu-waNʧi} za-nu-ma-an-zi ; wahnu« faire circuler » → {waHnu-waNʧi} wa-ah-nu-ma-an-zi ; mi(e)nu- « attendrir » → subst. verbal {mi(e)nu-war} mi-i-nu-mar « gentillesse », nuntarnu- « hâter » → subst. verbal {nuNTarnu-war} nu-un-tar-nu-um-mar « fait de hâter », etc. (le suffixe -want- ne semble pas attester de réalisation -mant-, voir Oettinger 1988 : 285-286). Le changement peut se produire au voisinage d’une voyelle [u] de diérèse dont l’émergence /CwV/ → [CuwV] est optionnelle (§ 4.14.6), sauf en contexte {… C-wV …} où elle est obligatoire si /C/ est coronale : da-/d- « prendre » → 1pl. *{T-weni} → *[Tuweni] → [Tumeni] tu-me-(e-)ni (VH) (en incluant les dérivés préfixaux peda-/ped- « prendre » → 1pl. pé-e-tu-me-ni (VH), pé-e-tume-e-ni (VH), et uda-/ud- « apporter » → 1pl. ú-du-me-e-ni (VH)) ; wete-/wet« édifier, bâtir » → 1pl. ú-e-du-me-e-ni (NH), inf. {wed-waNʧi} → *[we.du.waɲ. ʧi] d’où ú-e-du-ma-an-zi (MH) ; tarn(a)- « laisser » → nom verbal {Tarn-war} → *[Tar.nu.war] d’où tar-nu-mar (MH)1. 1  Voir déjà, une peu différement, Oettinger 1979 : 566 n. 12, Melchert 1984a : 25.

Relations inter-segmentales

405

(b) Flexion nomino-adjectivale. – Le processus se déclenche quand un thème en {… w-} est fléchi par le morphème d’accusatif pluriel {-us} : heu« pluie » → acc. pl. {Heaw-us} → *[He.a.mus] he-e-a-mu-us KUB 33.9 iii 10 (VH/nh) ; newa- « nouveau » → acc. pl. {new-us} ne-mu-us KUB 25.31 Ro 15 (/nh). La flexion des adjectifs reflète régulièrement ce processus quand la syllabe finale de leurs thèmes connaît une alternance {… u- : … aw-} : idalu« mauvais » → acc. pl. {idalaw-us} idālamus « mauvais », parku- « haut » → acc. pl. pargamus « haut », etc. Quand l’alternance apophonique typique de la flexion adjectivale est normalisée au profit d’un thème unique à degré zéro, le processus n’opère plus : acc. pl. i-da-lu-us. Dans les cas de heu- « pluie » → nom. (acc.) pl. {Heu-us} (refait) → *[Hew-us] → [He.mus] he-e-mu-ú-us (NH), et de siu- « dieu » → acc. pl. {siu-us} → *[siwus] → [si.mus] si-mu-us KBo 45.3 Ro 5 (VH ?/nh), le [w] impliqué dans la règle est une réalisation de /u/ dérivant probablement de la nécessité de prévenir une coalescence /uu/ → [u] conduirait à confondre les accusatifs pluriels avec les nominatifs singuliers {síu-s} → si-i-us KBo 20.21 Vo 2 (VH), {Heu-s} → hé-e-us KUB 16.81 Vo 4 (NH)2. Le témoignage de l’adjectif salli- « grand » → acc. pl. sal-la-mu-us KBo 27.11 Ro 2 (NH) est traité § 8.16.2(1). (c) Composition. – D’après tāru- « bois » + wak- « frapper » → tarumaki« pivert » (Hoffner chez Friedrich HW Erg.-Heft III, 1966 : 33), la règle opère également en limite de composés. Dans toutes les autres situations, la règle n’opère pas, même si un son [w] est au contact d’un [u] : (a) quand [w] représente un son émergeant venant résoudre un hiatus /uV/ → [uwV] avec /V/ ≠ /u/ : au-/u- « voir » → 3pl. {u-aNʧi} → [u.waɲ.ʧi] ú-wa-an-zi (§ 8.12.7) ; par contraste, [w] représente une réalisation de /u/ dans la variante siu- « dieu » → acc. pl. {siu-us} → *[si.wus] → [si.mus] si-mu-us KBo 45.3 Ro 5 (VH?/nh) ; (b) quand une obstruante labialisée (donc, vélaire : § 4.4.2) se trouve devant une séquence /wV/ : eku-/aku- « boire » 1pl. prés. {agʷ-weni} → [a.gwe.ni] a-ku-e-ni KBo 17.1+ iii 15 (VH), e-ku-wa-ni KBo 15.26 : 7 (MH) (autrement, Rieken 1999 : 61) ;

2  La flexion du nom « dieu » est compliquée car, hormis à l’accusatif pluriel et au nominatif singulier, le thème est siun- (gén. si-ú-na-as, dat. si-ú-ni, etc.). Il serait éventuellement possible de retrouver siun- au nominatif en postulant un traitement *{siun-s} → [sius] (§ 8.7.2), mais à l’accusatif, [si.mus] ne peut reposer que sur {siu-us}. Il paraît donc nécessaire de reconnaître la coexistence de deux thèmes siu- et siun-. La graphie DINGIR-LUM-na-as, d’après laquelle on a conjecturé l’existence d’un nominatif *siunas doit être lue, en réalité, DINGIR-LUM⸗nas (voir van den Hout 1998 : 196, 224-225).

406

Chapitre 8

(c) en frontière de clitiques : paiddu⸗wa⸗kan KUB 29.7 Vo 16, KBo 21.41 Vo 25 (MH/mh) ; {mān⸗wa} → *[mam⸗wa] → [ma(u)⸗wa] ma-a-u-wa KBo 21.22 : 56 (MH), face à ma-a-wa- KBo 3.7 i 25 (VH/nh), nu wappu[i pera]n « devant la rive » KBo 15.25 Ro 20 (MH/nh). (2) Analyse. – La vraisemblance phonétique d’un traitement /w/ → [m] a parfois été mise en cause de façon arbitraire, alors que le traitement w → m (et son inverse) est documenté dans diverses langues3 : en indo-iranien, les dérivés en *-want- ont une forme -mant- derrière labiale : devá-vant« pourvu (protégé) des dieux » : av. réc. daēva-vant- « connu des Daēva », face à véd. mádʱu-mant-, av. réc. maδu-mant- « pourvu en douceur » (Debrunner 1954 : 880-894) ; dans la préhistoire de l’arménien, il est relété par le changement : *onomno- « nom » → *anuwn → anun ; mrǰiwn : mrǰimn « fourmi » (Meillet 1936 : 48, Martirosyan 2010 : 723). Dans le voisinage hittite, en moyenbabylonien, w peut optionnellement passer à m : /awīlu(m)/ « homme » → a-mi-lu, a-me-lu (CAD I : 48-49 ; Huehnergard & Woods 2004 : 236-237), etc4. La structuration du processus /w/ → [m] en hittite présente divers intérêts. En premier lieu, comme l’a bien remarqué Melchert (1997a : 563), le déclenchement de la règle dépend du statut phonologique de /w/ et de /u/ : des séquences [uwV] / [Vwu] ne sont phonétiquement licites qu’à la condition que le son [w] ne soit pas un phonème, si bien que tout [w] en contexte /u__V/ ou /V__u/ peut être tenu comme un son émergeant ou une réalisation de /u/, même si cette émergence est, de fait, régularisée dans certaines flexions, comme celle de au-/u- « voir » 3pl. {u-aNʧi} → [u.waɲ.ʧi] ú-wa-an-zi, 1sg. opt. {u-alu} → [u.wal.lu] ú-wa-al-lu (mais 1sg. prét. {u-xun} → [u.xun] u-uh-hu-un)5. De même, le phonème /w/ n’est jamais attesté en contexte /u__V/ ou /V__u/. La sélectivité du mécanisme est clairement reflété dans la flexion, unique en son genre de l’adjectif suu- « plein, complet » (nom. su-u-us) : le degré zéro repose sur une base bisyllabique {suu-} (§ 6.6.2) dont le degré plein {suaw-} connaît, à l’accusatif pluriel en -us, une réalisation régulièrement *[su.wa.wus] → [su. wa.mus] su-u-wa-mu-us KBo 17.1 + KBo 25.3 i 26 (VH) : le son [w] généré par 3  L’hypothèse d’un « substitut graphique » alléguée par Kronasser (1962 : 81) et Neu (1974 : 121-22) ne repose sur rien, tandis que l’affirmation de Kortlandt (citée par Kloekhorst 2008 : 94 n. 206) selon qui ce mécanisme serait « phonetically incomprehensible » ne reflète que sa méconnaissance du sujet traité, notamment, par Ohala & Lorentz (1977 : 585), Ohala (1979 : 356-358). 4  Pour d’autres références concernant m → w, voir Kümmel 2007 : 88-89. 5  Comme l’a montré Lévi 2008, il n’est pas rare que, dans les langues, le comportement de [w] diffère selon qu’il est un son émergeant ou une réalisation de /w/.

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Relations inter-segmentales

la hiatus /u+a/ dans le thème {suaw-} → [suwaw …] n’est pas soumis à la règle, tandis que le phonème /w/ inclus dans le morphème {suaw-} est réalisé [m]. Sur d’autres aspects du traitement différencié de [w] selon qu’il représente un son émergeant ou une réalisation de /w u/, voir §§ 4.14.2 et 8.12.7. Ensuite, la règle met en évidence une neutralisation locale de la distinction /w/-/m/ opérant au niveau phonétique, et non une alternance morphonologique /w : m/, comme l’estime à tort Watkins (2004 : 11), puisque la prohibition des séquences */Vwu/, */uwV/ reflète une contrainte généralisée dans la langue et non un processus local. La règle opère, enfin, sur un échange de traits impliquant seulement trois propriétés, tout en préservant, à chaque phase du processus, le trait de labialité : (1) dissimilation /w/ → [m] w



m

/

V.__V (∃V V=u)

[+ arrondi] [- nasal] [- consonantique] [+ labial]



[- arrondi] [+ nasal] [+ consonantique] [+ labial]

/

[+ arrondi] [- nasal] [- consonantique] [+ labial]

Un son [w] émergeant, quel que soit son contexte, ne se confond jamais avec [m], alors que [w], quand il est une réalisation de /w/ ou de /u/, se neutralise obligatoirement avec une réalisation de /m/ au voisinage de /u/ en position intervocalique : (2) dissimilations et insertions en contexte labial a. /w/ → [m] / u__V  : [u.mV] *[u.wV] / V__u  : [V.mu] *[V.wu] ∅ → [u] / C__wV  : [Cu.mV] *[Cu.wV] /u/ → [w] / V__.u  : [V.mu] *[V.wu] b. ∅ → [w] / u__V  : [u.wV] *[u.mV] / V__u  : [V.wu] *[V.mu] 8.1.2 Règle [m] → [w] / V__.w Avant que d’analyser le changement /w/ → [m], il importe de prendre en considération qu’il ne constitue qu’un des aspects du traitement des transitions labiale + labiale.

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Chapitre 8

La prohibition généralisée des séquences dans la phonotactique du hittite se double d’un processus manifestant positivement une élimination de la nasale par la labiovélaire : kuen- « tuer » → 3pl. prét. {Kʷen-er} → [Kʷe.ner] ku-e-ner (MH), mais 1pl. prét. {Kʷen-wén} → [Kʷe.wen] ku-e-u-en KUB 23.21 Ro 15 (MH) ku-e-u-e-en KBo 16.47 Ro 15 (MH). La règle, qui s’applique dans les morphèmes et en jonction de morphèmes, représente également une tendance en jonction de clitiques : {mān⸗wa} → ma-a-waKBo 3.7 i 25 (VH/nh), mais duplicat [m]a-a-an-wa- KUB 12.66 iv 12 (VH/nh, où [n] peut avoir été restauré ?). Les nasales en coda adoptent systématiquement le lieu d’articulation de la consonne qui leur fait suite, si bien qu’un processus comme {Kʷen-wén} → [Kʷe.wen] suppose une phase intermédiaire *[Kʷem.wen], éventuellement *[Kʷeŋ.wen] si l’on admet que la nasale aurait ici le comportement d’une vélaire plus que celui d’une labiale. Contrairement à l’interprétation de Melchert (1994 : 129), il ne peut y avoir d’élimination sporadique de [w] derrière [n], la nasale [n] ne pouvant être suivie que d’une voyelle ou d’une consonne homorganique. Par ailleurs, les relations {… n-w …} suscitent régulièrement l’insertion d’un [u] de diérèse [… nuw …] (sur la forme alléguée par Melchert, voir, en outre, Kloekhorst 2008 : 309). Une séquence *[n.w] étant, de façon générale, impossible en terme de coordination des lieux d’articulation (§ 4.11), le traitement auquel les séquences /Nw/ sont soumise met en évidence le fait que la labio-vélaire n’élimine pas n’importe quelle consonne nasale, mais bien une labiale ou labio-vélaire6. On est donc fondé à poser un mécanisme stipulant que toute nasale labiale en coda (donc, précédée d’une voyelle) est régulièrement éliminée devant /w/ à la suite de l’enchaînement (3) : (3) (a) [m] → [w] / V__.w (b) [w] → ∅ / __w On préfère un traitement avec enchaînement à un changement direct car les interactions entre segments labiaux se traduisent, de façon générale, par une modification de leurs propriétés, non par leur élimination et parce que que l’hypothèse d’une coalescence est accrédité 6  Ce traitement pourrait être reflété dans l’étymologie si l’on admet que le nom désignant l’animal « (né) dans l’année », oscillant entre des réalisations faisant preuve d’une syncope [sa.wi.disTs] (nom. sa-ú-i-ti-is-za, VH/nh) ~ [sa.u.disTs] (nom. sa-ú-di-is-za, VH) repose sur *som « un » + *wed- « année » (hitt. witt- → loc. ú-i-it-ti), mais voir les objections de Kloekhorst 2008 : 740.

Relations inter-segmentales

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par la traitement dont font preuve les voyelles de même timbre en frontière de morphème (§ 8.12.6). Dans cette perspective, on admet donc que 1pl. {Kʷen-wén} suppose un traitement *[Kʷem.wen] → *[Kʷew.wen] → *[Kʷe.wen] ku-e-u-en. La possibilité que, devant /w/, la nasale soit vélaire [ŋ] plutôt que labiale [m] ne modifie pas l’architecture de la règle. Un mécanisme comparable à (3a) – peut-être identique –, est, au demeurant, supposé dans la préhistoire des langues anatoliennes puisque les désinences de la flexion verbale en {-wV …} du hittite correspondent avec des formes en {-mV …} des autres langues indo-européennes : (4) correspondances des morphèmes à labiale initiale hittite

autres langues indo-européennes

1pl. prét. 1pl. prés.

-wen -we/ani

1pl. my.

-wasta

véd. mā, gr. -men, lat. -mus, v. sl. -mŭ véd. -mas, -masi, ghāt. -mahi, gr. -men/-mes, lat. -mus, got. -m, v. sl. -mŭ véd. -mahe, -mahi, gr. -metʰa, tokh. -mtär

Le mécanisme remonte à l’anatolien commun si l’on juge par 1pl. prés. louv. -unni, palaïte -wani, lydien -wv7. Le témoignage de 2pl. prés. my. hitt. -t(t)uma(ri/ti), face à véd. -dʱve, gr. -stʰe (reconstruit *-dh₂we par Melchert 1984a : 26) résulte, pour sa part, d’un traitement normal w → m après insertion et phonologisation d’un [u] de diérèse devant *w. 8.1.3 Tendance /m/ → [w] / nu.__V Parallèlement au processus régulier /w/ → [m], on ne semble pas encore avoir signalé, à l’inverse, une tendance /m/ → [w] opérant de façon occasionnelle quand une syllabe de forme /nu/ est suivie d’une syllabe attaquée par /m/ : l’opérateur de négation nūman, fondé sur l’univerbation ancienne de nu + man, ordinairement écrit nu-u-ma-(a-)an, est attesté en hittite tardif sous des formes nu-u-wa-an KBo 14.9 iii 3 (NH), nu-u-wa-a-an KBo 5.6 iii 14 (NH). Ce processus affecte les labiales nasales, y compris celles qui résultent du processus

7  Les désinences hittites mentionnées dans le tableau (4) sont peu et mal documentées dans les autres langues anatoliennes (l’exposé de Meriggi 338-339, 347, 359, n’est plus à jour) ; comme l’a montré Melchert 2003 : 194 n. 24, la forme -mi-na du louvite hiéroglyphique n’est pas une désinence 1pl., mais un gérondif.

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Chapitre 8

/w/ → [m] en créant une apparence de retour à la situation initiale, notamment avec les dérivés causatifs en -nu-. La tendance s’observe principalement : – dans la formation des noms verbaux en -war, par ex. warnu- « allumer » → gén. {war-nu-was} wa-ar-nu-wa-as KUB 12.22 : 16, face à wa-ar-nu-ma-as, wa-ar-nu-um-ma-as reflétant la règle généralisée ; wahnu- « tourner » → [wa-]ah-nu-wa-u-wa-ar, face à wa-ah-nu-mar ; huinu- « faire courir » → gén. hu-u-e-nu-ma-as, etc. – dans la formation des infinitifs en -wanzi : kinu- « ouvrir, laisser béant » → ki-nu-wa-an-zi (MH/nh), face à ki-nu-ma-an-zi (MH) ; han- « tirer de l’eau » → ha-nu-wa-an-zi KUB 39.71 i 24 (/nh), ha-nu-ma-an-zi KUB 29.4 i 59 (NH). Les constituants de la syllabe /nu/ sont indissociables : /m/ est stable en contexte /u__V/ en l’absence de /n/ (cf. hūmant- « tout », etc.), comme en contexte /nV.__V/ en l’absence de /u/ (cf. namma « ensuite, par suite »)8. Comme dans la situation précédente, le mécanisme opère en préservant la labialité tout en impliquant trois traits : (5) tendance à l’assimilation/dissimilation de la protrusion labiale m

→ w

/ nu.__V

[- arrondi] → [+ arrondi] / [- arrondi]-[+ arrondi].__V [+ nasal] [- nasal] [+ nasal]-[- nasal].__V [+ consonantique] [- consonantique] [+ cons.]-[- cons.].__V Une syllabe /nu/ n’est pas susceptible d’avoir une réalisation [nwu] ou [nuw], une attaque *[nw] étant impossible. 8.1.4 Tendance /pʰ/ → [p] / V.__V (∃V V=u) A ces processus, les uns réguliers, l’autre occasionnel, s’ajoute encore un dernier témoignage du traitement des transitions labiale + labiale, semble-t-il non encore répertorié, consistant en ce qu’une plosive labiale non voisée /pʰ/ fait presque toujours, fluctuer les graphies pp/bb et p/b, quand la plosive est au voisinage de /u/, que ce soit devant la voyelle (6a) ou bien derrière elle (6b) :

8  Un processus similaire est également attesté dans diverses langues africaines et océaniennes, ainsi qu’en moyen baylonien où /m/ → [w] /V__V (Huehnergard & Woods. 2004 : 239).

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Relations inter-segmentales

(6) fluctuations de la plosive labiale graphie dominante variante a. appuzzi« graisse » kappuwai« estimer compter » lapplipa« sourcils » sarapp« siroter »

dir. ap-pu-zi (MH)

a-pu-zi KUB 58.33 iv 3 (NH) ka-pu-u-e-si KBo 3.28 ii 12 (VH/nh) la-ap-li-pu-us KUB 15.34 ii 11 (MH) sa-ri-pu-wa-as KUB 17.23 i 10 (NH)

2sg. prés. kap-pu-uwa-si (VH/nh) acc. pl. la-ap-li-ip-pu-us nom verbal gén. sa-ra-ap-pu-wa-as (MH/nh) suppnom verbal su-up-pu- inf. su-pu-an-zi « sommeiller » u-wa-ar (NH) KUB 18.10 iv 33 (NH) b. suppinom. su-up-pí-is su-pí-is « pur, sacré » (VH) VS 28.15 ii 15 (NH) suppadir. pl. su-up-pa UZUsu-pa « viande sacre » (VH/nh) KUB 25.32 iii 29 (VH/nh) tarupp- « joindre » 3sg. prés. ta-ru-up- da-ru-pa-iz-zi pa-iz-zi (NH) KUB 9.31 iii 22 (NH) wanuppastala/inom. wa-an-nu-up- wa-an-nu-pa-as-ta-li-es « étoile filante » pa-as-ta-al-li-is (NH) KUB 34.16 iii 3 (VH/nh) uppieske3pl. prés. [(up-pí-is-) u-pí-es-ká[n-zi] « envoyer » ká]n-zi (NH) KUB 59.3 : 11 (NH) zupparidir. zu-up-pa-a-ri zu-pa-a-ri « torche » (VH) KBo 17.1 i 33 (VH)

Le changement est bien documenté dès le vieux hittite, mais il est surtout attesté dans des textes composés ou copiés dans la strate récente, possiblement en relation avec l’accroissement de la masse documentaire9. Il est attesté avec des mots hérités aussi bien qu’avec des emprunts comme zup(p)ari- (sur ce lexème, voir le relevé exhaustif chez Otten 1971 : 6-11). Les plosives coronales et les vélaires restent à l’écart de cette tendance. 9  On ne retient pas les témoignages de harp- « séparer → 1pl. prés. har-pu-u-e-ni / har-ap-puu-e-ni dont la variation peut résulter du choix de ne pas introduire de voyelle fictive, et de huppai- « empiler » → 1sg. prés. hu-u-up-am-mi KUB 33.67 iv 18 (VH/nh) dont la graphie est peu claire.

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Chapitre 8

Le changement occasionnel de /pʰ/ opère dans des contextes comparables à ceux qui motivent la règle /w/ → [m] puisque, dans les deux cas, c’est le voisinage avec /u/ en position intervocalique qui motive le changement. Au plan phonétique, la vacillation p / pp ne peut être interprétée en termes de variation de voisement, ce qui ce qui suggère qu’elle traduit plutôt une désaspiration /pʰ/ → [p] permettant que ce son soit occasionnellement assimilé à une réalisation de /b/ (§ 4.7.2sq.). 8.1.5 Interprétation (a) Phonétique. – Les divers mécanismes que l’on vient de mentionner reflètent, à divers titres, une contrainte unitaire : une consonne et une voyelle caractérisées, l’une et l’autre, par une activité des articulateurs labiaux ne peuvent être associés dans une relation de contigüité quand l’un de ces segments est au contact d’une autre voyelle. Quand cette situation est imposée par la morphologie, la transition [labiale + V] subit une modification fondée sur un changement des propriétés de mode de la consonne. Les transitions formantiques entre les consonnes labiales ou entre les consonnes labiales et les voyelles arrondies sont, de façon générale, particulièrement peu différenciées (Flemming 2002 : 125sq.). L’individualité de ces segments est plus difficile à percevoir en ce contexte qu’ailleurs, ce qui justifie les prohibitions homosyllabiques ou hétérosyllabiques entre sons labiaux que l’on constate dans beaucoup de langues : en accadien, la loi de Barth (1894) prédit que toute labiale nasale devient coronale quand elle est en attaque d’une syllabe contenant une autre labiale p, b, m (*markabtum → narkabtum « chariot »), sauf, quand elle est suivie d’une voyelle labiale [u] (Kogan 2004) ; en cantonais, la voyelle /u/ ne peut pas être précédée d’une consonne labiale, si bien que les séquences [pow], [pʰow], [mow] sont possibles, mais pas *[puː] *[pʰuw], *[muː] ; dans les langues sinitiques, quand deux sons labiaux coexistent dans la même syllabe, le second dépose sa labialité en cantonais : pjam → cant. pin (Bauer & Benedict 1997 : 413sq.) ; en anglais, les labiales /p b m f v/ ne sont jamais suivies de /w/, sauf dans des mots empruntés, fr. poids (avoir du), esp. pueblo, swahili bwana ; en ponapéen, la présence des labiales /p m/ dans une syllabe exclue celle des labialisées /pʷ mʷ/ et réciproquement (Bennett 2015 : 213) ; en palau, l’infixe {-m-} se réalise régulièrement [w] devant /p b/, mais [m] ailleurs (Bennett, ibid.), etc10. 10  Le processus qui, sous le nom de « loi de Stang » (Stang 1965), prédit, en indo-européen, un allongement des voyelles en contexte *__wm # (véd. nom. gaús « vache » : acc. gā́m (*gʷow-m), nom. dyaús : acc. dyā́m (dyéw-m, etc.) pourrait être analysé comme une variante de ce mécanisme en reconnaissant que la durée de la voyelle résulte secondairement d’un allongement compensatoire dyéw-m → *dyémm → véd. dyā́m.

Relations inter-segmentales

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En hittite, le terme commun aux données de (2) consiste à prévenir la confusion qui pourrait assimiler les résonances d’un son labial à celles du son labial qui lui fait suite en modifiant la transition qui existe entre ces sons11, conformémement, au demeurant, à une tendance largement documentée (Miller & Wayland 1993). L’assimilation de la continue /w/ à une occlusive [m] met en place une transition abrupte [u+m] ou [m+u], en tout cas plus abrupte que [w+m] ou [m+w], de même que la désaspiration /pʰ/ → [p] crée une transition [pu] nécessairement plus abrupte car plus brève que [pʰu], la perception des consonnes labiales étant principalement dépendante de leur phase de relâchement12. Le traitement de /m/ est plus complexe, puisqu’il peut passer à [w] si une autre transition nasale coronale + labiale [n+u] existe dans la syllabe antécédente ou s’il est localisé devant /w/, en reflétant des propriétés qui ne sont pas moins dépendantes de son caractère labial que de son caractère nasal, en ménageant, à l’inverse, une transition graduelle envers la labiale avoisinante. (b) Régularisation phonologique. – Le caractère optionnel ou régulier des différents processus relatifs au traitement des transitions labiales apparaît essentiellement gouverné par la syllabation : – quand une consonne labiale est au voisinage d’un /u/ homosyllabique (situation de /w/ en attaque ou de /m/ en coda), les propriétés de mode de la consonne sont modifiées par règle ; – quand la consonne labiale est au voisinage d’un /u/ hétérosyllabique, une modification des propriétés de mode de la consonne demeure optionnelle : (7) transitions CV en contexte labial /pʰ/ → [p] / V.__V (∃V V=u) irrégulièrement /m/ → [w] / nu.__V /m/ → [w] / V__.w régulièrement /w/ → [m] / V.__V (∃V V=u) Le fait que, dans le lexique hittite, les consonnes /m/ et /w/ ne soient pas attestées comme phonèmes en fin de mot (§ 5.1.2), qu’il n’existe aucun mot débutant par /w+u/ (§ 4.14.6) et qu’aucun des mots à pu … initial ne provienne

11  Sur l’analyse acoustique, voir Ohala & Lorentz 1977, Ohala & Ohala 1993 : 235sq. 12  Ladefoged & Maddieson 1996 : 357 ; sur l’enchaînement des mouvement labiaux et linguaux dans les séquences /p + V/, voir Löfqvist & Gracco 1999.

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Chapitre 8

d’un prototype indo-européen clairement identifiable sont autant d’indices significatifs d’une tendance globale de la langue à éviter les transitions labiales en limite des mots et des morphèmes13. De cette tendance, on peut déduire que la délimitation des unités formées, en hittite, sur la base d’une activité labiale demande à être appuyée sur des transitions formantiques relativement saillantes. 8.2

Transitions T}-{T et antihomophonie

8.2.1 La règle /… T}-{T …/ → [TθT] Les séquences formées de deux plosives coronales /T+T/ ou d’une plosive coronale et d’une affriquée /T+ʧ/ sont phonologiquement licites, mais phonétiquement prohibées. Quand les relations entre affixes créent une situation de ce type, quelles que soient les propriétés de voisement des plosives, la séquence ainsi formée est restituée par une graphie … z(a)-t … indiquant une séquence [plosive + fricative +plosive] : (8) plosives coronales consécutives en frontière de morphèmes

hat« sécher » huett« tirer »

V__{-V

__{-T

3pl. prét. {Hád-er} → ha-a-te-er KUB 17.10 i 16 (VH/mh) 2sg. imp. {Hwétʰ-i} hu-et-ti KUB 17.10 iv 3 (VH/mh)

3sg. prét. {Hád-tʰa} → ha-a-az-ta KUB 17.10 i 16 (VH/mh) 2sg. prés. my. {Hwétʰ-tʰa} → hu-e-ez-ta KUB 17.10 iv 1 (VH/mh)

L’existence de ce processus, initialement reconnu par Götze (1927 : 126 n. 5), se déclenche sous trois conditions : (i) La séquence /C₁C₂/ est formée de plosives coronales dans laquelle C₁ est une plosive /tʰ d/ et C₂ une autre plosive /tʰ d/ ou bien une affriquée /ʧ/ (elle-même issue, par affrication, d’une plosive coronale). Des séquences de plosives l’une et l’autre formées au même point d’articulation ne sont, de façon générale, pas documentées car il n’existe pas de morphèmes dérivationnels ou flexionnels en {-P …, -K …}, et qu’à l’intérieur 13  Voir les dictionnaires de Tischler, HEG II, 639sq., Kloekhorst 2008 : 681sq.

Relations inter-segmentales

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d’éventuelles séquences de plosives labiales ou dorsales, des séquences biphonématiques ne sont pas discernables d’après l’écriture ; (ii) les coronales en contact sont traversées par une frontière morphologique. Le mécanisme ne se déclenche, ni en frontière de mots clitiques : {nu⸗ war⸗aT⸗tʰ} → nu⸗war⸗at⸗ta KUB 14.3 ii 35 (NH), {abaT⸗ja} → nu a-pa-at-ta [a.PaT.Ta] « et ceci » KBo 17.3+ iv 29 (VH) (sur la gémination conditionnée par ⸗a/⸗ya, voir § 9.10.3), ni à l’intérieur des morphèmes où aucune une séquence /TT/ n’est, de façon générale, attestée ; (iii) les coronales en contact sont des phonèmes. La règle ne se déclenche qu’en présence de séquences /TT/. Aucune des séquences dont la graphie tt ou dd peut être appréciée comme autre chose qu’une plosive non voisée /tʰ/ ne reflète ce traitement, notamment pas celles où on peut soupçonner des géminées n’ayant pas de statut phonologique, comme dans atta- « père » ([atʰ.tʰa] ou [ad.da] ? [a.tʰa] ? § 6.9.1 et n.). 8.2.2 Analyse phonétique Il n’existe pas de consensus concernant l’interprétation phonétique du traitement mis en évidence par les séquences /TT/. Les analyses jusqu’à présent proposées suscitent des objections : la conjecture d’une épenthèse 14, n’est pas soutenable car une séquence formée de segments identiques ou partageant les mêmes propriétés ne peut, par définition, générer l’enchaînement désynchronisé de gestes articulatoires motivant ce traitement (§ 8.7.5) ; cette approche est d’autant plus invraisemblable que [s] ne fait pas partie des segments auxquels une épenthèse peut avoir recours (Gordon 2016 : 165sq.). L’hypothèse concurente d’une affrication ou assibilation 15, est pareillement incongrue, ce processus n’étant, de façon générale, régularisé que dans des contextes vocoïdes, typiquement au voisinage de voyelles antérieures, de voyelles hautes, ou de yod, tandis que quand une plosive coronale génère ou conditionne l’émergence d’une fricative quelconque, que ce soit par lénition, relâchement ou autre chose, cette fricative n’est jamais sibilante (Kirchner 2001 : 78-80, Honeybone 2001 : 238). Deux observations préforment l’interprétation : les conditions dans lesquelles le mécanisme se déclenche s’inscrivent dans le cadre général du principe de prévention d’homophonie morphologique – ou antihomophonie (Crosswhite 1999, Blevins 2004b) – dont la finalité est de préserver l’intégrité 14  Ainsi Kronasser (1956 : 61), Schindler (ap. Mayrhofer 1986 : 110-111), Melchert (1997a : 563), van den Hout (2011 : 26), Byrd (2015 : 22, 44). 15  Ainsi Kimball (1999 : 285), Vanséveren (2006 : 43), Kloekhorst (2016 : 241-243).

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d’une frontière morphologique menacée par la mise en contact de segments identiques, donc, par une fusion (sur la coalescence inter-morphémique des consonnes, voir § 8.12.6)16. Au plan phonétique, le mécanisme ne peut s’appuyer que sur les propriétés que la mise en relation des segments en question génère naturellement, même si elle ne sont pas phonologisées dans d’autres contextes. On proposera donc de rendre compte du traitement phonétique des séquences /T+T/ en hittite d’après la turbulence aérodynamique naturellement créée par la succession de plosives homorganiques : la constriction étroite du chenal combinée avec la pression élevée requise par production des deux plosives suscite une turbulence qui, si elle est amplifiée, génère une pression importante, tout en maintenant un niveau de bruit minimal, ainsi qu’une faible amplitude, autrement dit, produit une caractérisation acoustique assimilable aux fricatives non sibilantes [θ ð] caractérisée par le fait que leur turbulence dérive de leur seule constriction, et non d’obstacles rencontrés lors de l’émission du flux aérien (Ladefoged & Maddieson 1996 : 138). Dans cette perspective, les sons [θ ð] ainsi produits ne représentent pas une propriété de /tʰ/ ou de /d/, mais une propriété de la transition entre les plosives coronales amplifiée par la nécessité de maintenir la distinction entre /T₁/ et /T₂/17 : (9) … tʰ}-{tʰ… → [tθtʰ] … d}-{d… → [dðd] La représentation de [tθ] et de [dð] par le même symbole d’écriture z ne permet pas de discerner si [θ] et [ð], sont l’une et l’autre acoustiquement perçues comme des réalisations de /s/ sur la base de leur localisation antérieure commune ou si, en tant que fricatives, elle sont réinterprétées comme [s z]. Cette interrogation phonétique n’a, au demeurant, pas de conséquences sur l’analyse phonologique puisque [s] et [θ] se situent au même niveau de sonorance. C’est donc de façon relativement arbitraire qu’on prend le parti, dans ce qui suit, de représenter par [θ ð] ce qu’on pourrait tout autant représenter par [s z], la question d’une réinterprétation de [TθT] en [TsT] étant impossible à démontrer.

16  Le « principe de contour obligatoire » (McCarthy 1988) se situe sur un autre plan. L’antihomophonie mise en évidence dans le cas des plosives coronales résulte de la mise en relation de morphèmes ayant vocation ayant vocation à fléchir ou à être fléchis. 17  Voir, plus en détail, Patri, 2009a ; l’interprétation ici exposée rejoint, dans son principe, celle, restée inaperçue, formée par Gramont 1948 : 212-213, au sujet du grec.

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Sur l’assimilation progressive dont témoigne le traitement des séquences /dtʰ/, voir § 8.4.6. 8.2.3 Anaptyxe et assimilation Le signe z étant apte à représenter aussi bien /tʰ+s/ que /d+s/ (§ 4.9.1), l’écriture ne distingue pas, a priori, le traitement de /d+tʰ/ par rapport à celui de /tʰ+tʰ/ : 3sg. prét. {Had-tʰa} → ha-a-az-ta, face à 2sg. prés. my. {Hwetʰ-tʰa} → hu-e-ez-ta. Le déclenchement de la règle d’antihomophonie n’a cependant pas les même conséquences sur la syllabation du mot selon que les séquences de consonnes nouvellement formées sont voisées ou non voisées. (1) Séquences non voisées. – En principe, la hiérarchie de sonorance impose à une séquence [VtθtʰV] une syllabation [V.tθə.tʰV], avec le développement d’une anaptyxe dérivant de ce que *[θtʰ] ne peut être une attaque bien formée. Mais on sait aussi que, selon un tendance fréquente dans les langues, les séquences [tʰθ] normalement prohibées par les rapports de sonorance sont aptes à former une coda (§ 6.1.5), si bien que [Vtθ.tʰV] est, sous cette considération une syllabation potentiellement licite. En d’autres termes, le traitement de /tʰtʰ/ peut être aussi bien [V.tθə.tʰV] que [Vtθ.tʰV] (à l’exclusion de toute autre solution), ce qui est effectivement le traitement dont témoigne, par exemple, la flexion de huett- « pousser » : (10) syllabations des séquences {… tʰ-tʰ…} 2sg. prés. my. {Hwétʰ-tʰa} 2pl. imp. {Hwetʰ-tʰen} →[Hwḗtθ.tʰa] hu-e-ez-ta →[Hwe.tθə.tʰen] hu-u-e-za-at-tén KUB 17.10 iv 1 (VH/mh) KUB 58.77 Ro 27 (NH) Le témoignage de huwart- / hurt- « maudire » → 3sg. prét. hur-za-ta KUB 5.6 iv 22 (NH) suppose {Hurtʰ-tʰ} → [Hur.tθət(ʰ)]. (2) Séquences voisées. – Avec les thème à finale voisée, la situation est quelque peu différente. Si la syllabation imposée à [VdðtʰV] (ou [VdðdV]) par la hiérarchie de sonorance est normalement [V.dðə.tʰV], alors que [V.dð.tʰV] représente une violation potentiellement autorisée au même titre que [Vtθ.tʰV], on constate, aussi, que les réalisations avec anaptyxe mettent occasionnellement en évidence un changement des propriétés de la plosives : le morphème 3sg. imp./opt. {-tʰu} normalement écrit … d-du, peut aussi être écrit …-du. Il apparaît donc que, préalablement au déclenchement de la règle d’antihomophonie, les thèmes en plosives voisée peuvent – occasionnellement – refléter une assimilation progressive, ce que montrent, par exemple, les flexions de ed-/ad- « manger » ou hat- « sécher » :

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(11) syllabations des séquences {… d-tʰ…} 3sg. opt. {éd-tʰu} →[ḗdð.du] e-ez-du →[ḗd.dðə.d/tu] e-ez-za-du KUB 43.23 Ro 3 (VH/mh) KUB 57.79 iv 23 (NH) →[ḗd.dðə.tʰu] e-ez-za-ad-du KUB 36.25 i 5 (NH) 3sg. prét. {Hád-tʰa} 3sg. opt. {Had-tʰu} →[Hā́dð.da] ha-a-az-ta →[Had.dðə.d/tu] ha-az-za-du KUB 17.10 i 16 (VH/mh) KUB 60.144 : 6 (NH) Le déclenchement des traitements avec anaptyxe, qu’il repose sur des séquences voisées ou non voisées semble surtout attesté dans des textes ou des copies récentes ; le traitement sans anaptyxe semble plus ancien, au moins, au plan documentaire. (3) Séquences indiscernables. – Le développement d’une voyelle d’anaptyxe peut être explicité par des variantes graphiques : ispart- « s’enfuir » → 3sg. prés. {sParT-ʧi} is-pár-zi-zi (VH), is-pár-za-zi (MH) met en évidence l’insertion d’une voyelle au sein de la réalisation par ailleurs normalement géminée de la désinence -zi (sur quoi, voir § 6.8.3(6)) d’où [əs.Par.tʰθǝt.ʧi] (on déduit le caractère non voisé de la plosive du thème de sa localisation derrière /r/, § 8.3.1). L’ensemble de ces traitements se résume donc à deux solutions de syllabation, fondées, pour l’une sur la violation autorisée des relations de sonorance (12a), pour l’autre sur l’utilisation de l’anaptyxe (12b) : (12) syllabation des séquences /TT/ graphies (a) /VtʰtʰV/ → [Vtθ.tʰV] Vz-tV /VdtʰV/ → [Vdð.dV] (b) /VtʰtʰV/ → [V.tθə.tʰV] V-za-at-tV /VdtʰV/ → [Vd.dðə.dV] Vz-za-tV Sur les traits phonologiques assimilés par les plosives non voisées, voir, en outre, § 8.4.6. 8.2.4 Réfections analogiques Le fait que la règle d’antihomophonie implique une dimension morphologique crée des conditions favorables à des restructurations analogiques. Bien que dérivés d’une transition /T₁T₂/, les sons [θ ð] sont voué à devenir, au plan paradigmatique, une propriété de /T₁/, et non de /T₂/, car l’emploi des

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morphèmes en {-T₂…} ne préjuge en rien de la forme phonologique des morphèmes qu’ils fléchissent (il s’agit de désinences verbales), alors qu’à l’inverse, les morphèmes en {… T₁-} ont vocation à être fléchis, au moins en partie, par des morphèmes en {-T₂…}. A la suite du traitement {éd-tʰu} → [ḗd.dðə.du] e-ez-za-du, la tranche antécédente à la désinence [ḗd.dðə…..] peut donc être réinterprétée comme thème {éd.dza-}. Certains mots-formes utilisent exclusivement ce thème, comme 3sg. prés. e-za-az-zi (VH/nh), e-ez-za-zi (MH) (la forme ancienne attendue *e-ez-zi n’est pas attestée), tandis que d’autres reflètent explicitement le remplacement de ad- par ezza-, notamment dans des contextes où rien ne justifierait le déclenchement de la règle, comme 3pl. opt./imp. a-da-an-du (MH) remplacée par e-ez-za-an-du (NH). Le thème écrit azzas- reflété par 3sg. opt/imp. e-ez-za-as-du KBo 8.35 ii 20 (MH), face à e-ezza-ad-du KUB 36.25 i 5 (/nh) ; 2pl. prés. az-za-as-te-ni KBo 25.112 ii 2 (VH), KUB 1.16 iii 34, 48 (VH/nh) dont Kimball (1999 : 285) estime à tort qu’il serait tardif, résulte possiblement d’un réinterprétation faisant de la géminée de {éd.dza-} un motif à redéclencher la règle, d’où [ḗd.ðəd.dza…..], simplifié en [ḗd.ðə.z…..] ou bien d’une restitution confuse de la fricative (voir Puhvel, HED I-II, 320, Kloekhorst 2008 : 262). D’identiques réfections analogiques s’observent dans la flexion de {ad-} « sécher » avec 3sg. prét. ha-a-az-ta KUB 17.10 i 16 (VH/mh), face à ha-a-az-za-as-ta KUB 29.40 iv 20 (MH). Un même mécanismes s’observe avec les thèmes à finales non voisée. La flexion de hatt- « percer » connaît normalement une réalisation 3pl. {HatʰáNʧi} → ha-at-ta-a-an-zi [Ha.tʰā́ɲ.ʧi] KBo 15.34 ii 28 (VH/nh) concurrencée, dès le vieux hittite, par une variante ha-az-zi-an-zi KBo 20.14+ 25.33 Ro 8, 19 (VH) fléchissant une base hazzi- issue d’une réinterpétation 3sg. [Ha.tʰθǝ.ʧi] → {Hátsi-}, d’où hazzi-zi, elle-même assimilée à la flexion des dérivés en -ye/a(1sg. prét. ha-az-zi-ya-nu-un, NH). Il n’est d’ailleurs pas exclu que le thème hattait été affixé par *-ye/o- à un stade de son évolution. 8.2.5 Analyse phonologique L’antihomophonie illustrée en hittite est reflété, avec des adaptations locales, dans la plupart des dialectes indo-européens anciens : *TT (*wid-tó- « vu, connu ») → [tt] indien vittá- ; [st] ghātique vista-, grec á(w)istos, slavon russe věstŭ, balte ; [ss] latin īsus, got. (un-)wiss, v. irl. fess (exceptionnellement [st]). Sur la base de cette observation, certains comparatistes estiment que le traitement dont font preuve les plosives coronales en contact pourrait être envisagée comme un mécanisme hérité dont les motivations phonétiques originelles ne sont plus nécessairement opérantes dans les états de langue considérés. Dans cette perspective, le changement provoqué par la règle ne relèverait pas de la phonologie, mais d’une alternance morphonologique.

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Sans discuter de l’éventuelle légitimité de cette approche dans certaines langues, celle-ci est inadéquate en hittite car la prohibition des séquences *[T}-{T] est généralisée au plan phonétique, alors que les séquences /T}-{T/ sont phonologiquement licites, et que la possibilité de séquences [TT] ne peut être exclue (voir, ci-dessus, § 8.2.1(iii)). Il semble donc qu’en définitive, l’expression la plus adéquate du traitement phonétique des séquences /TT/ consiste à poser la règle suivante : (13) ∅ → [θ ð] ([s z]) / T-}__{-T En dépit des apparences, (13) ne stipule pas une épenthèse, mais un son acoustiquement généré par la transition des plosives coronales. 8.3

Changements d’aspiration

8.3.1 Aspiration des plosives derrière /r/ (1) Données. – En relation de contiguïté immédiate avec une consonne quelconque, une plosive est obligatoirement écrite au moyen une graphie C oblitérant ses propriétés de mode, mais quand l’environnement sollicite ou rend possible l’utilisation de signes à lecture factice au voisinage de la plosive, celleci fait peut être écrite C aussi bien que CC (§ 3.3.7). Dans les situations de ce type, on constate que les plosives précédées de /r/ sont régulièrement écrites CC : (14) graphie des plosives derrière /r/ harp- « séparer » 1pl. prés. har-ap-pu-u-e-ni KUB 30.36 ii 9 (NH) harpai- « entasser » 3pl. har-ap-pa-an-zi KBo 11.52 v 8 (VH/nh) karpiye3sg. prés. kar-ap-pí-ez-zi KUB 27.16 i 9 (VH/nh) « emporter » 1sg. prét. kar-ap-pu-un KBo 3.4 ii 57 (NH) istark3sg. prés. is-tar-ak-ki-ya-zi KBo 21.21 iii 4 (MH/nh) « souffrir » 3sg.prét. is-tar-ak-ki-at KBo 32.14 ii 10, 51 (MH) 3sg. prét. my. is-tar-ak-ki-ya-at-ta-at KUB 14.15 ii 13 (NH) mark3pl. prés. mar-ak-kán-zi KBo 34.96 Vo 7 (Puhvel HED « diviser » 8, 218) parkiye-« élever » 1sg. prés. my. pár-ak-ki-ya-ah-ha[-ha-ri] KBo 18.115 Vo 4 (NH) warp- « laver » 3pl. prés. wa-ar-ap-pa-an-zi KUB 29.4 iii 10 (NH)

Relations inter-segmentales

warkant« gras »

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nom. pl. wa-ag-ga-an-te-es HT 1 iii 32 (MH/nh), dupl. wa-ar-kán-te-es (KUB 9.31 iii 39) et wa-ar-gaan-te-es (KUB 9.32 i 21)

La relation entre /r/ et la graphie CC des plosives subséquentes est régulière, à l’exception isolée de karp- « saisir, emporter » → 3pl. kar-ap-an-zi KUB 2.15 v 1 (NH ?) face à kar-ap-pa-an-zi KBo 4.9 v 31 (VH/nh), ce qui suggère la simple omission d’un signe par le scribe. De façon moins nette, dans la tablette ABoT 44 (VH/nh), les variantes karap- « consumer (trans.) » → 3pl. prés. ka-ri-ip-paan-zi i 55, face aux graphies plus communes gi-ri-pa-an-zi (VH/nh), ka-ri-paan-zi (NH), 3pl. imp./opt. ka-ri-ip-pa-an-du i 54, face à ka-ri-pa-an-du (MH/nh), montrent une variation qui peut dériver de la syllabation instable de la base {Krb-} (§ 3.3.4). Par hasard ou pour quelque raison, les témoignages de plosives derrière /r/ à l’intérieur des morphèmes semblent limités aux labiales et aux dorsales. La sélection du mode des plosives derrière /r/ se manifeste également dans la flexion de hurt- « maudire » dont la forme 3sg. prét. {HurT-s} n’est pas écrite *hur-za, comme le laisserait attendre l’expression graphique az/za d’une coda [… CTs #], ainsi que le montre, par exemple, ispant- / sip(p)ant- « faire une libation » → 3sg. prét. {sPaNT-s} si-pa-an-da-za, mais hur-ta-as KUB 22.70 Ro 8 (NH), hu-wa-ar-ta-as KUB 22.70 Ro 86 (NH), graphies mettant en évidence une anaptyxe [Hur.tʰəs]. Ce traitement dérive de ce qu’une coda *[rtʰs] serait mal formée, alors que [rds] n’appelle pas de mécanisme compensateur. La flexion de hurt- connaît, par ailleurs, un développement spécial avec une réinterprétation de [HurTəs-] en tant que thème, motivant, à son tour, l’emploi de la désinence -ta, spécialisée dans la flexion des thème en -s (Oettinger 1979 : 41), avec hur-za-as-ta KBo 10.45 i 4 (MH/nh), hu-wa-ar-za-as-ta KBo 32.14 ii 11 (MH). (2) Interprétation. – Oettinger (1979 : 197, 345), qui est le premier à avoir remarqué ce mécanisme, estime qu’on serait en présence d’un dévoisement, hypothèse dont Melchert (1994 : 153) admet la vraisemblance, mais que récuse Pozza (2011 passim, 2012 : 271-272) au motif – justifié – qu’une rhotique intrinsèquement voisée ne saurait motiver un dévoisement. Pozza estime qu’on serait en présence d’une neutralisation, mais sans préciser les paramètres qui, selon elle, se neutralisent, ni ce qui cause leur nivellement. Melchert évoque encore l’éventualité d’une gémination en citant le témoignage des variantes libres reflétées par véd. ár.tʰa- : árt.tʰa- « but », mais ce rapprochement est inapproprié car la gémination árt.tʰa- en védique répond à une extraction optionnelle de ce segment la position de coda simple que /r/ et /h/ ne peuvent normalement

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pas assumer (Saussure 1889, Allen 1953 : 79, Vaux 1992), alors qu’en hittite, /r/ est licite en coda interne. La production des rhotique ne mobilise aucun articulateur susceptible de bloquer ou de limiter la vibration des cordes vocales, ce qui récuse effectivement, d’emblée, l’hypothèse d’un traitement différencié du voisement. En revanche, le fait que la formation des rhotiques s’étende sur trois niveaux de cavités, pharyngale (rétrécie), laryngale (comprimée) et orale (Lindau 1985, Magnuson 2007) justifie que leur formation soit caractérisée par une durée relativement élevée, particulièrement quand elles ont une réalisation [ɹ] qui tend, en outre, à se rapprocher d’une fricative, ou, ce qui intéresse plus directement le présent propos, quand un dévoisement de /r/ assimile la rhotique à une fricative non voisée (Catford 2001 : 182sq.). On peut alors faire l’hypothèse que, devant plosive, /r/ connaît une diminution du flux aérien [ɹ], laquelle est assimilée à une fricative, donc, à une unité susceptible de produire un élargissement glottal propre à susciter, par assimilation, une aspiration de la plosive adjacente. Plus largement, on peut aussi estimer que la durée accrue de [ɹ], en étant assimilée par la plosive, suffit à confondre acoustiquement avec la série de plosives ayant la DAV la plus élevée, donc avec les aspirées. Quoi qu’il en soit (je n’ai pas connaissance de spectrogrammes illustrant ces mécanismes), le processus est documenté dans diverses langues : en calabrais, le seul des dialectes italiens à connaître des plosives aspirées, la position post-rhotique impose l’aspiration des plosives non voisées : it. standard [sarto] « tailleur », mais calabrais [sartʰu]18 ; dans divers dialectes arméniens, particulièrement en arménien oriental, il existe une tendance à de ce que, derrière /r ɾ/, les plosives et les affriquées voisées, soient réalisées comme des non voisées aspirées (Dum-Tragut 2009 : 24-27). (15) tendance arménien /barʣ/ /mard/ /veɾʤ/ /jeɾgel/

à l’apiration et au dévoisement des plosives en → [barʦʰ] → [martʰ] → [vɛɾʧʰ] → [jɛɾkʰɛl]

« haut » « homme » « fin » « chanter »

18  Les études de Sorianelleo 1996, et de Nodari 2016, sur le sujet restent assez évasives quant aux phonèmes « vibrants » susceptibles de générer l’aspiration ; Stevens & Hajek 2010, montrent qu’existe, en outre, une tendance pan-dialectale, en italien, à réaliser les géminées non voisées comme des aspirées.

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L’aspiration de [barʦʰ] « haut » en arménien est similaire à celle que reflète 1sg. prés. my. párakkiyahha[hari] [Par.kʰi.ja-] « élever » en hittite (formes issues de la même racine indo-européenne). Il paraît donc raisonnable de tenir qu’en hittite, /r/ neutralise les distinctions de mode des plosives subséquentes au profit des aspirées (donc, des non voisées) : (16) aspiration conditionnée par la rhotique /b d g/ ↘ [pʰ tʰ kʰ] / r__(V) /pʰ tʰ kʰ/ ↗ Cette interprétation est fondée sur le fait qu’il n’y a pas de témoignages de séquence [r + b d g] en hittite, ce qui supposent l’existence d’une contrainte généralisée *[r + plosive non aspirée] (autrement dit : *[r + plosive à DAV négative]). Cette conclusion n’est cependant possible que dans les situations où la plosive est en contexte /r__V/, en sorte que leur comportement en contexte /r__C/ demeure indiscernable. La mise en place de la règle (16) est, en tout état de cause, relativement tardive car elle n’opère pas dans le cas des verbes écrits hark- (§ 8.14.6). 8.3.2 Désaspiration des plosives au voisinage de /s/ Les données témoignant d’une vacillation des graphies ‘C’ et ‘CC’ au voisinage plus ou moins proche de /s/, donc d’une réalisation désaspirée /pʰ tʰ kʰ/ → [p t k] sont exposées § 4.6.4. En reprennant, à titre d’illustration le cas, particulièrement bien documenté, de la flexion de sip(p)ant- « faire une libation » (voir § 4.6.4(2)), deux hypothèses sont logiquement possibles : soit une voisée non aspirée {sbaNT-i} aurait une réalisation [sə.bʱān.Ti] où la soufflée [bʱ], étrangère à l’effectif des consonnes, serait assimilée à une aspirée [pʰ], d’où si-ip-pa-an-ti ; soit une non voisée aspirée {spʰaNT-i} aurait une réalisation [sə.pān.Ti] où la plosive désaspirée [p], privée d’une caractéristique distinctive de /pʰ/, serait perçue comme une non-aspirée [b], d’où si-pa-a-an-ti. Cette dernière approche est celle qui s’impose car la durée d’attaque vibratoire (DAV) d’une soufflée [bʱ] est certes différente de celle d’une voisée non soufflée [b], mais demeure, dans les deux cas, négative par rapport à [p], a fortiori par rapport à [pʰ] (voir les mesures effectuées par Lisker & Abramson 1964 : 397-398, en hindi et en marathe). En reconnaissant que la DAV est l’indice dominant du contraste /b/ : /pʰ/, on peut justifier une assimilation de [p] désaspirée à la voisée [b] sur la base d’un traitement /# spʰ/ → [# sp] → [# səp] restitué dans l’écriture par la vacillation sipa … :

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sippa … (§ 8.10.3), alors que l’hypothèse d’une aspiration /# sb/ → [# sbʱ] serait beaucoup plus problématique, l’écart entre la DAV de [bʱ] et de [pʰ] étant trop important pour justifier une confusion19. Une illustration du même mécanisme s’observe en gallois où, comme le décrit Ball (1984 : 17-18), une plosive non voisée /p t k/ derrière /s/ n’étant jamais aspirée (alors que /p t k/ sont toujours aspirées en attaque), une séquence [st] est phonétiquement assimilable à [sd̥ ]. Une autre illustration des perceptions vacillantes de l’aspiration que peuvent susciter les séquence # s + plosive est donnée dans l’étude phonétique de l’ossète (digor) par Henderson (1949) qui entend [sp] là où son informateur estime produire [spʰ]20. Une désapiration des plosives localisées derrière /s/ en syllabe initiale paraît donc, a priori, plus plausible qu’une aspiration dans le même contexte (voir § 4.6.4(2)). Le mécanisme dont on postule l’existence en hittite est fondé sur des formations à fricative initiale, mais une désaspiration devant /s/ est également documentée (§ 8.3.3), si bien que l’environnement que constitue /s/, quel que soit sa position, semble suffisant pour susciter une désaspiration d’une plosive : (17) /Cʰ/ → [C] / s On admet donc ici que, mis à part les témoignages uniques, toujours susceptibles de représenter une bévue de scribe, que les nombreux témoignages de vacillations ‘C’ : ‘CC’ sont motivés par une dissimilation distante envers l’écartement glottal caractéristique de /s/21. Dans le cas du hittite, on ne saurait écarter la possibilité d’un parallèle avec la loi de Grassmann dont le principe consiste, fondamentalement, à prévenir le fait que deux segments également

19  Il ne paraît pas nécessaire de faire des hypothèses sur l’antériorité de ce processus par rapport au développement de l’anaptyxe (§ 8.10.3) ce mécanisme étant attesté jusqu’en hittite tardif. De même, le volume, de façon générale, peu élevé des attestations de la variante svarabhaktique (9 occurrences, d’après le CHD S 384-385) n’est pas suffisant pour accréditer l’hypothèse du caractère tardif de la fluctuation C :: CC des plosives au voisinage de /s/. 20  « The group ‘s + labial’ calls for elucidation. My informant’s pronunciation of the whole cluster is voiceless, and it was at first suggested to him that it might, despite the orthography, be regarded as sp-, of which no example had at the time been discovered. He rejected this suggestion on the grounds that the second element of sp- would be aspirated » (Henderson 1949 : 65-66). 21  Sur la tendance, commune aux langues indo-européennes anciennes, à assimiler le trait laryngal d’une obstruante en coda à celle de l’obstruante en attaque d’une syllabe subséquente, voir Kobayashi 2004 : 151sq. Sur la propension globale de l’aspiration à entrer dans le jeux de relations d’assimilations / dissimilations, voir Ohala 1981/2012.

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caractérisés par un élargissement glottal (en l’espèce, des plosives aspirées), soient en marge de syllabes adjacentes. 8.3.3 Aspiration de la vélaire labialisée devant {-sKe-} Un problème connexe, quoique différent, est posé par les situations dans lesquelles le morphème de dérivation itérative -ske- peut, occasionnellement, susciter un dévoisement de la plosive finale du thème dérivé. (1) Données. – eku-/aku- « boire » {agʷ-} → 3pl. prés. a-ku-an-zi [a.gʷaɲ.ʧi] KBo 17.11 + iv 35 (VH), face à {agʷ-sKe-} → 3pl. prés. ak-ku-us-kán-zi, même tablette, iv 34 ; hwek- « conjurer » → 3pl. prés. hu-u-kán-zi face à hu-uk-ki-iskán-zi ; saraku- « abreuver » → part. nom. pl. sa-ra-ku-wa-an-te-es KUB 35.148 iii 39 (VH/nh), face à 3pl. sa-ra-ak-ku-is-kán-du Bo 4010 : 2 (NH) ; kuk(k)urske« mutiler » → 1sg. ku-wa-ku-wa-ar-‹as-›ki-mi KBo 11.11 i 7 (NH), 3pl. ku-uk-kur-askán-zi KBo 19.3 iv 14 (VH/nh). La plosive susceptible de connaître une variation de voisement est sûrement ou potentiellement labialisée en étant toujours au voisinage d’un u22. Les verbes à thème en vélaire non labialisée comme les verbes dont le thème se termine par une voisée non vélaire ne reflètent pas ce processus : mugai« invoquer » → 3pl. mu-u-ga-an-zi [mu.gaɲ.ʧi], face à mu-ki-is-ki-ir [mu.gis.Ker] KBo 17.105 ii 18 (MH) (*mu-uk-ki-is- n’est pas attesté ; cf. CHD L-N 320a) ; sakiya- « révéler » → 3sg. prés. sa-ki-ez-zi et itér. sa-a-ki-es-k … ; sali(n)k- « toucher, être en contact » → 3sg. prés. my. sa-li-ga et itér. sa-li-kis-k … ; mitai- « lier avec une laine » → 3sg. prés. mi-ta-iz-zi et itér. mi-ti-es-k … ; pehute- « conduire » → 3sg. prés. pé-hu-te-zi et itér. pé-hu-te-es-k …, etc. (2) Interprétation. – Ces témoignages sont difficiles à analyser car ils ne mettent pas en évidence de paramètres précis : la source n’est pas un phonème, mais le morphème {-sKe-} où, en étant placée derrière /s/, la plosive vélaire /K/ ne révèle pas ses propriétés de voisement, donc, d’aspiration, tandis que la cible s’identifie avec la vélaire labialisée /gʷ/ qui semble isolée dans son ordre (ou sa série) (§ 4.4.2). Les hypothèses d’un dévoisement de /gʷ/ au contact de /s/ évoquée par Kimball (1997 : 300), ou celle d’une gémination avancée par Melchert (1994 : 1718), sont possibles, mais fragiles car dans tous les autres contextes, les plosives voisées devant -ske- restent voisées ou non géminées (mu-ki-is-ki-ir, etc.). La conjecture d’une antériorité de ce processus par rapport à la phonologisation de la voyelle (anciennement) anaptyctique caractérisant -ske- → -Vske- n’a pas d’utilité particulière en raison de la possibilité (théorique) de syllaber [agʷs. 22  Kloekhorst 2008 : 514, mentionne un dérivé lakkiske- de lak- « faire tomber » que je n’ai pas retrouvé.

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Ke-] (mais pas *[a.gʷsKe-]). Positivement, la seule certitude que l’on peut retirer de l’observation est que le dévoisement d’une plosive voisée en contexte intervocalique étant impossible (Garrett & Johnson 2012 : 52), on doit admettre que la variation a-ku-an-zi :: ak-ku-us-kán-zi repose sur autre chose que le seul voisement. Le processus étant limité à la consonne /gʷ/, la seule, de toutes les plosives hittites, qui soit phonologiquement indifférente aux corrélation de voisement et d’aspiration, de nombreuses interprétations peuvent être imaginées, d’autant que les propriétés phonétiques et phonologiques du morphème -skesont elles-mêmes susceptibles d’interprétations différentes. La conjecture qui semble la moins hypothétique serait une assimilation distante d’aspiration par analogie avec le mécanisme de règle en islandais quand une plosive en attaque d’une syllabe est suivie d’une autre syllabe attaquée par une plosive et précédée d’une ficative : taka « prendre » [tā.ka], mais taktu « prends ! » [tʰax.tʏ] (Árnason 2011 : 226). Le témoignage de {TsKe-} « poser, placer » → 3sg. prés. [Tsə.kʰet.ʧi] zi-ik-ki-iz-zi (ci-dessus) montrant qu’une plosive peut, sinon doit, être aspirée derrière /s/ irait dans ce sens avec 3pl. prés. {agʷ-sK-aNʧi} → ak-ku-us-kán-zi [a.kʷʰus.kʰaɲ.ʧi]. Le mécanisme reposerait alors sur un traitement /gʷ… kʰ…/ → [kʰʷ… kʰ…] reflétant une sorte de réplique en miroir de la loi de Grassmann en grec et en védique (Collinge 1985 : 47-61). Cette hypothèse présente deux avantages : d’une part, elle permet une justification unitaire de la loi de Grassmann consistant à reconnaître que des plosives en attaque de syllabes successives doivent harmoniser leurs propriétés d’aspiration ; de l’autre, l’inversion des paramètres d’aspiration par rapport aux données de l’indo-iranien est exactement parallèle à celle dont témoigne la variante hittite de la loi de Bartholomae (§ 8.4.7). En dépit des difficultés que présente l’analyse d’un changement dont les données de base se présentent dans des conditions trop particulières pour imposer de façon nette une solution exclusive des autres, le point à considérer est que son explication demeure, comme dans le cas précédent, impossible à détacher du trait d’aspiration23.

23  Ladefoged & Maddieson 1996 : 70, caractérisent l’aspiration comme « a period after the release of a stricture and before the start of regular voicing (…) in which the vocal folds are markedly further apart than they are in modally voiced sounds. This definition would allow for voiceless aspirated and breathy voiced aspirated sounds to be grouped together ».

Relations inter-segmentales

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8.3.4 Remarque sur /s/ et /r/ Les phonèmes /s/ et /r/ ont en commun, outre d’être en mesure de provoquer aussi bien que de subir certains processus, de jouer un rôle conditionnant dans la distribution de l’aspiration. Il est bien établi que [s ʃ z ʒ] peuvent être perçues comme [r] et inversement du moment où la durée des fricatives est allongée ou celle des rhotiques, réduite (Solé 1992 : 263, Catford 2001 : 171), particulièrement quand les fricatives sont voisées (la friction est moindre) et quand la rhotique a une réalisation fricative ou approximante [ɹ], mécanisme qui est à la base du « rhotacisme » observé dans diverses langues (latin). En hittite, /r/ et /s/ ne se confondent jamais, ce qui suggère que leur durée et leur amplitude de friction sont robustes, en sorte que que si les deux phonèmes ont, conjointement, un effet conditionnant sur l’aspiration des plosives adjacentes, on peut estimer que c’est en vertu d’autre chose que l’intensité du flux aérien. Dans le cas de /s/ il semble peu douteux que l’élargissement glottal est le facteur déterminant ; dans le cas de /r/, on doit postuler que ce phonème a, au moins devant plosive, une réalisation fricative [ɹ], ce que tend à confirmer, par ailleurs, le fait que si /r/ ne se confond jamais avec /s/, il peut se confondre avec une fricative vélaire (§ 8.6.2). 8.4

Changements de voisement

8.4.1 Relations de contiguïté entre fricatives Les obstruantes non sibilantes constituent les seules classes de phonèmes pouvant former des séquences dont les unités diffèrent les unes des autres par un trait distinctif, voisement et/ou aspiration ; elles sont aussi la seule classe de phonèmes dont les propriétés distinctives sont, précisément, masquées par l’écriture quand elles sont au voisinage d’une autre consonne (§ 3.3), ce qui soumet leur observation à de conditions particulières, peu souvent réunies. En ce qui concerne les fricatives, l’interprétation du mode articulatoire des séquences de consonnes se limite aux situations où un thème verbal à finale …(h)h- est fléchi par un des morphèmes 1sg. prés. act. -hhe/i, 1sg. prét. act. -hhun (remplacé par -(n)un : §§ 6.4.3, 8.16.8), 1sg. prés. my. -hha(ri), -hhahari, 1sg. prét. my. -hhat(i), hhahat(i), 1sg. imp./opt. my. -hharu ayant tous en commun une initiale non voisée /x/. La règle qui s’applique quand un thème en {… x-} est fléchi par un des morphèmes en {-x …} est que les deux fricatives se confondent en une seule au terme d’une règle de coalescence /xx/ → [x]. Le mécanisme est bien documenté

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Chapitre 8

avec les dérivés factitifs en -ahh- : inarahh- « rendre fort, affermir » → 1sg. prét. my. in-na-ra-ah-ha-at KUB 30.10 Ro 18 (Vh/mh) ; 1sg. prét. : arawahh- « libérer » → a-ra-wa-ah-hu-un KUB 26.58 Ro 12 (NH), ishiulahh- « faire alliance » → is-hiul-la-ah-hu-un KBo 4.4 iii 68 (NH), idalawahh- « maltraiter » → i-da-a-la-wa-ahhu-un KUB 6.41 ii 34 (NH), newahh- « renouveler » → ne-wa-ah-hu-un KUB 13.7 iv 7 (MH/nh), paprahh- « rendre sale, souiller » → pa-ap-ra-ah-hu-un KUB 30.10 Ro 14 (VH/mh), suppiyahh- « purifier » → su-up-pí-ya-ah-hu-u-un KBo 12.85+ i 25 (MH/nh). La seule exception semble être happinahh- « enrichir » → 1sg. {Hapʰin-ax-xi} ha-ap-pí-na-ah-ha-ah-hi KUB 41.32 Vo 10 (VH/nh) qui représente probablement une préservation graphique puisque 1sg. prét. {Hapʰinax-xun} ha-ap-pí-na-ah-hu-un KBo 19.49+ iv 11 (NH) applique normalement la coalescence. L’affixation des thème en {…ɣ-} n’est, en revanche, pas clairement observable : parmis les verbes primaires à thème en fricative dorsale, seul nah(h)« craindre » paraît fléchi par un morphème en {… x-}, mais son thème fait varier [ɣ] et [x] dans des conditions telles qu’on ne peut discerner la forme de base du morphème. D’autre part, les réalisations fluctuantes mises en évidence par 1sg. prét. {naH-xun} → na-ah-hu-un KUB 14.3 ii (3) (NH), KUB 31.101 : 21 (NH) et na-a-hu-un KBo 4.2 iii 42 (NH), KUB 48.125 ii 9 (NH) ne sont pas claires : na-ah-hu-un semble refléter le même traitement {nax-xun} → [naxun] que ci-dessus si l’on admet que la base contient une voisée {nax-}, mais une assimilation {naɣ-xun} → [naxun] si l’on considère qu’elle contient une non voisées. L’analyse de na-a-hu-un n’est pas moins problématique car cette forme peut représenter le produit d’une assimilation {náɣ-xun} → *[nāɣ́ .ɣun] → [nā́.ɣun], aussi bien qu’un témoignage du remplacement du morphème -hhun par -(n)un {náɣ-un} → [nā́.ɣun] (§ 6.4.3). Il ne semble pas possible de trancher entre ces diverses interprétations. Dans l’hypothèse d’un traitement phonétique (?), on serait en présence d’une assimilation progressive du voisement (suivie de la même règle de coalescence que ci-dessus)24 : (18) /x/ → [ɣ] / ɣ__ [?] Une règle de coalescence prédisant que de deux fricatives vélaires partageant les mêmes propriétés de voisement se confondent en une seule paraît donc sûre dans le cas de /x/ et possible dans celui de /ɣ/ :

24  Melchert 1994 : 351, postule l’existence d’une assimilation progressive plosive + fricative en lycien.

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(19) C [±voix]ₓ [+ fric. + vél.] + C [±voix]ₓ [+ fric. + vél.] → C [±voix]ₓ [+ fric. + vél.] Il s’avère donc que la préservation phonologique d’une frontière morphologique ne présente pas le même impératif avec les plosives (§ 8.2.1) qu’avec les fricatives, qui ne déclenchent pas de mécanisme compensateur. Pour justifier cette différence, on peut estimer que une succession de gestes identiquement fondés sur une obstruction complète du chenal articulatoire favorise naturellement plus des mécanismes de disjonction séquentielle que des gestes fondés sur l’obstruction partielle caractérisant les consonnes continues comme {… x-x …}. 8.4.2 Relations de contiguïté entre plosives Une lecture du mode articulatoire des séquences de consonnes incluant une plosive est possible dans deux situations : – quand une plosive labialisée (dorsale) dont la représentation va de pair avec l’utilisation d’un signe uk / ku incluant une voyelle qui, bien que graphique, impose, à l’écriture des plosives de l’entourage, une représentation explicite de leur voisement ; – quand, dans une séquences de plus de trois consonnes, l’insertion d’une voyelle d’anaptyxe (§ 3.3.7), met une des plosives en position intervocalique, donc dans une situation révélatrice de son voisement. Ces deux configurations sont rares, mais chaque fois qu’elles sont documentées, elles montrent que, dans une séquence de plosives /C₁C₂/, la réalisation de /C₂/ peut être modifiée par celle de /C₁/, alors que celle de /C₁/ n’est jamais modifiée par /C₂/. Jusqu’à présent, les témoignages reflétant ce traitement ne semble pas avoir été pris en considération. 8.4.3 Plosives voisées labialisées Les observations possibles dans cette configuration sont passablement réduites puisqu’elles sont limitées aux situations dans lesquelles un thème en plosive labialisée voisée /gʷ/, est fléchi par une désinence à plosive initiale non voisée /tʰ/. Aucune autre séquence que /gʷtʰ/ n’est observable car aucun morphème grammatical ne débute par /gʷ/ et que les morphèmes flexionels dont l’initiale plosive est régulièrement écrite CC quand elle est en position intervocalique se limitent à 2pl. prés. {-tʰeni}, 3sg. prét. {-tʰ(a)}, 2pl. prét. ou imp. {-tʰen}, 3sg. imp./opt. {-tʰu}, tous relevant de la flexion active25. 25  Les morphèmes 2pl. -teni, -ten, ont des variantes -steni, sten, que Kloekhorst 2007 estime venir de la flexion en -he, mais sans expliquer pourquoi les morphèmes 2sg. -ta et -ti ont également des variantes -sta et -sti (Hoffner & Melchert 2008 : 181).

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Chapitre 8

En dépit d’un champ d’observation particulièrement limité, on constate que, dans les séquence /gʷtʰ/, la coronale /tʰ/ reflète des réalisations faisant régulièrement vaciller la graphie attendue tt/dd avec t/d, par exemple dans la flexion de aku- / eku- « boire » : (20) assimilation progressive du voisement (voisées labialisées) 2pl.prés. {egʷ-tʰeni} → e-ku-ut-te-ni e-ku-te-ni KUB 1.16 iii 34 KBo 14.41 iv 17 (VH/nh) (VH/nh) 2pl.imp. {egʷ-tʰen} → e-ku-ut-te-en e-ku-te-en KBo 7.28 Ro 26 KUB 33.62 iii 11 (VH/mh) (VH/mh) Le nom akut(t)ara- « goûteur de boisson, échanson, annonciateur de libation », dérivé agentif en -ttara- tiré d’un autre degré radical du verbe, reflète la même variation : nom. {agʷ-tʰara-s} → a-ku-ut-tar-ra[-as] KBo 5.11 i 14 (MH/ nh), a-ku-ut-tar-as HT 40 Ro 3, 7 (NH), a-ku-tar-as KBo 37.1 Vo 29 (NH). La flexion des autres verbes incluant sûrement une plosive labialisé en finale de leur thème est peu documentée : arku- « chanter » ne reflète que 3sg. prét. ar-ku-ut-ta KUB 22.70 Ro 80 (NH), tandis que tarku- « danser » n’est fléchi par aucun morphème en {-tʰ…}. 8.4.4 Plosives voisées non labialisées Comme dans le cas précédent, l’observations est limitée aux situations dans lesquelles un morphème à /tʰ/ initial, fléchit un thème, cette fois en /d/ final, donc en suscitant le déclenchement de la règle d’antihomophonie (§ 8.2). Par hasard ou pour quelque raison, les thèmes verbaux en labiale ou en dorsale voisée ne sont, à ma connaissance, pas attestés dans des formes fléchies par un morphème en {-tʰ…}. La règle d’antihomophonie des plosives coronales hétéromorphémiques {… d-tʰ…} peut susciter l’émergence d’une voyelle d’anaptyxe (§ 8.2.3) en révélant que, préalablement au déclenchement de la règle, l’initiale du morphème en {-tʰ…} connaît, derrière {… d-}, une représentation systématiquement vacillante, par exemple dans les flexions de {ed-/ad-} « manger » (HW² II : 130, 132) et {Had-} « sécher » (HW² III : 478) :

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(21) assimilation progressive du voisement (coronales voisées) 2pl. prés.{éd-tʰeni} → ez-za-at-te-ni e-ez-za-te-ni KUB 13.4 ii 75 (VH/nh) KUB 31.114 iii 7 (NH) 2pl. imp. {éd-tʰen} → e-ez-za-at-ten e-ez-za-tén KBo 5.3 iii 37 (NH) KBo 17.105 iii 30 (MH) 3sg. imp. {éd-tʰu} → ez-za-ad-du e-ez-za-du KUB 36.25 i 5 (NH) KUB 57.79 iv 23 (NH) 3sg. imp.{Had-tʰu} ha-az-za-du KUB 60.144 : 6 (NH) La gémination dont font preuve e-ez-za-te-ni et d’autres formes se justifie plausiblement d’après l’accentuation de la syllabe initiale (§ 6.8.3(6)). 8.4.5 Fricatives voisées (?) Il existe un témoignage de représentation du morphème 2pl. prés.{-tʰeni} par V-te-ni dans la flexion de sanh- « rechercher, vouloir » → sa-an-ha-te-ni KUB 21.5 ii 19 (NH), KUB 14.14 Vo (9) (NH), face à sa-an-ha-at-te-ni KUB 26.34 Vo 7 (NH). L’appréciation de ce témoignage demeure toutefois sujette à caution car la flexion de sanh- élimine souvent la nasale [ŋ] devant la fricative vélaire (§ 8.7.2) en faisant précisément vaciller le voisement de cette dernière : 3pl. sa-ha-an-zi KBo 17.65 Vo 36 (MH?) suppose [sa(ŋ).ɣaɲ.ʧi], alors que saan-ah-ha-an-zi KUB 54.10 ii 18 (/nh) suppose [saŋ.xaɲ.ʧi]. Le voisement de la fricative /H/ demeurant indistinct, on ne peut donc lui attribuer la fluctuation sa-an-ha-te-ni : sa-an-ha-at-te-ni plutôt que qu’aux variations d’aspiration constatées au voisinage d’une fricative (§ 4.6.4). 8.4.6 L’assimilation progressive Une assimilation progressive de la plosive initiale des morphèmes flexionnels en {-tʰ…} se constate donc presque chaque fois qu’ils fléchissent un thème en {… d-, … gʷ-}26. Le mécanisme constaté lors de la mise en relation des plosives entre elles est parallèle à celui qui est, entre autre interpréation possible, celui de 1sg. prét. {náɣ-xun} → *[nāɣ́ ɣun] → [nāɣ́ un] na-a-hu-un (§ 8.4.1). 26  Kloekhorst 2008 : 23, déclare que « if a word like e-ku-ud-du ‘he must drink’ really contained a cluster (…), I do not see why neither the [gʷ] was devoiced yielding **[-kʷt-] (spelled **e-ek-ku-ud-du), nor the [t] was voiced yielding **[gʷd] (spelled **e-ku-du) », alors qu’il mentionne lui-même (p. 236), les variantes 2pl. imp. e-ku-ut-te-en / e-ku-te-en qui contredisent son affirmation. Kloekhorst 2014 : 545, et 2016 : 214-215, répète encore que « neither of these developments took place ».

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Chapitre 8

L’assimilation des plosives ne constitue pas une règle stricte, mais une tendance suffisament récurrente pour se manifester pratiquement chaque fois qu’une séquence /C₁C₂/ diverge par la voix et par l’aspiration (sur le caractère intrinsèquement graduel, au plan phonétique, des processus d’assimilation du voisement, voir Ernestus & al. 2006). Une tendance similaire se manifeste dans les textes accadiens copiés en milieu hittite où un changement /gt/ → [gd] est sporadiquement attesté (ug-dim-mi-ir), alors que les séquences de type /k’t/ restent stables (Labat 1932 : 40). Depuis Lombardi (1999), la phonologie post-générative d’inspiration optimaliste estime que les mécanismes d’assimilation doivent être appréciés en tant que conséquences de contraintes phonotactiques. Cette attitude peut être justifiée dans certaines situations, mais la radicalité méthodologique qu’elle introduit repose sur une dissociation de la phonétique et de la phonologie dont on ne considère pas qu’elle soit tenable. En l’espèce, on tient que le problème d’analyse posé par les séquences d’obstruantes divergentes par leur voisement en hittite est celui des propriétés phonétiques de /d gʷ/ qui sont assimilées par les réalisations de /tʰ/, sachant que les relation d’assimilation de mode affectant les plosives transfèrent, négativement ou positivement, des traits laryngaux exclusivement : la voix, l’aspiration, plus rarement la pharyngalisation (sur ce dernier point, voir Rice 1993, Iverson & Salmons 1995, Calabrese & Keyser 2006 : 82, Zsiga 2011 : 1923). Trois hypothèses semblent a priori possibles pour rendre compte de la représentation de {egʷ-tʰen} par une coronale voisée e-ku-te-en : (a) on est en présence d’une assimilation de voisement /tʰ/ → [d] fondée sur l’acquisition du trait [+ voix] caractérisant /d/ ; dans cette perspective, e-ku-te-en [egʷ.den], e-ez-za-tén [ḗd.dðə.den], reflètent l’assimilation, mais pas e-ku-ut-te-en [egʷ.tʰen] ; e-ez-za-at-ten [ḗd.dðə.tʰen] ; (b) on est en présence d’une dissimilation d’aspiration /tʰ/ → [t] fondée sur l’acquisition du trait [- aspiré] caractérisant /d/ ; dans cette perspective, le son [t] est assimilé à une réalisation [d] de /d/ sur la base de sa DAV réduite (Stevens 1997 : 504-505), en justifiant les réalisations, en apparence, irrégulières de l’assimilation ; les formes [egʷ.ten], [ḗd.dðə.ten] sont alors normalement restituées par des graphies e-ku-te-en et e-ku-utte-en, e-ez-za-tén et e-ez-za-at-ten (§ 4.7.3) ; (c) on est en présence d’un traitement impliquant simultanément les deux mécanismes, en sorte que /tʰ/ assimilerait à la fois [+ voix] et [- aspiré] pour passer à [d] (là où – peut-être – /x/ assimile [+ voix] pour passer à [ɣ]). En l’absence d’autres mécanismes d’assimilation progressive en hittite, il est a priori difficile de trancher entre ces différentes solutions, mais l’analogie que

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présentent ces traitements avec ceux de la loi de Bartholomae constitue un argument non négligeable en faveur de cette dernière interprétation27. 8.4.7 La loi de Bartholomae Une règle mise en évidence dans les langues indo-iraniennes anciennes par Bartolomae (1882 : 3-11, 1895 : 20sq.), stipule que, dans une séquence de plosives C₁C₂, une C₁ voisée et soufflée impose à une C₂ non voisée et non aspirée une réalisation aspirée et voisée, tandis que cette dernière impose, en retour, à C₁ une réalisation non aspirée : véd. śudʱ- « purifier » → participe {śudʱ-ta-} suddʱá- ; 3sg. injonct. *augʱ-ta « il dit » → ghāt. aogəda Y 32.10 (supplanté par la forme analogiquement refaite av. réc. aoxta) ; participe *wr̥dʱ-tó- « multiplié, accru » → véd. vr̥ddʱá- = av. réc. vərəzda-, etc. (Collinge 1985 : 7-11, Mayrhofer 1986 : 115sq., Kobayashi 2004 : 143sq., 158sq.). (22) loi de Bartholomae en indo-iranien C₁

C₂

[+ voix] [- voix] [+ aspiration] [- aspiration]

→ C₁

C₂

[+ voix] [+ voix] [- aspiration] [+ aspiration]

L’assimilation reflétée en hittite présente une évidente analogie : (23) assimilation progressive des plosives en hittite C₁

C₂

[+ voix] [- voix] [- aspiration] [+ aspiration]

→ C₁ [+ voix] [- aspiration]

C₂ [+ voix] [- aspiration]

La différence par rapport à la loi de Bartholomae, dans sa version indoiranienne, tient à ce qu’en hittite, langue à deux séries, l’aspiration n’est pas dissociable du non voisement (et réciproquement) alors qu’en indo-iranien,

27  L’étude publiée par Puhvel 1972, sous le titre « Bartholomae’s Law in Hittite » rassemble des hypothèses étymologiques ayant en commun de supposer des assimilations préhistoriques de mode ou de lieu, sans prendre en considération les données ici exposées.

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Chapitre 8

langue à quatre séries, les traits de voisement et d’aspiration ne sont pas mutuellement dépendants ; par ailleurs, en indo-iranien, l’assimilation progressive du voisement et de l’aspiration se superpose à une assimilation régressive de désaspiration, alors qu’en hittite, l’assimilation progressive du voisement ne peut aller de pair avec celle de l’aspiration, les voisées étant par définition, non aspirées. L’expression hittite de ce mécanisme se résume donc à une assimilation progressive de la non aspiration, à la suite de quoi, la non voisée [t] est, selon le mécanisme déjà exposé (§ 4.7.3), restitué dans la graphie comme une voisée [d], aussi bien que comme une aspirée [tʰ] : (24) tʰ → t / gʷ__ Pour le reste, l’effet au terme duquel une relation séquentielle /C₁C₂/ dans laquelle les propriétés respectives de /C₁/ et de /C₂/ divergent par la voix et par l’aspiration est convertie en une relation où ces propriétés sont harmonisées ou tendent à s’harmoniser selon la voix est identique. 8.4.8 Contrainte globale La généralisation à laquelle on est alors conduit est qu’en indo-iranien comme en hittite, une séquence de deux plosives [C₁C₂] est prohibée si les propriétés respectives de C₁ et de C₂ ne sont pas harmoniques en ce qui concerne le voisement et l’aspiration ; C₁ et C₂ ne peuvent être en rapport de consécution que si l’une s’accorde avec l’autre soit sur le voisement, soit sur l’aspiration, éventuellement sur les deux. En l’espèce, pour être bien formée, une séquence de plosives [C₁C₂] exige que [C₁] et [C₂] soient voisées, si elles divergent par l’aspiration, autrement dit, que des non voisées consécutives ne peuvent pas être identiquement aspirées28. La conséquence de cette contrainte en hittite est schématisée dans (25) : (25) C[- voix + asp.] → C[- voix - asp.] / C[+ voix - asp.] ___ La question d’une origine indo-européenne de la loi de Bartholomae est débattue depuis sa découverte. Selon le point de vue, adopté, les témoignages du hittite peuvent confirmer ou infirmer l’hypothèse d’un héritage partagé 28  Depuis Miller 1977, beaucoup de phonologues générativistes rendent compte de la loi de Bartholomae en terme de contraintes relative à la « structure des morphèmes » (en dernier lieu, Calabrese & Keyser 2006). Cette conception est problématique puisqu’elle reconnaît le morphème comme un domaine similaire à celui que constitue le mot, tout en admettant que ce dernier est fondé sur un agencement de morphèmes.

Relations inter-segmentales

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puisque si la contrainte de base et sa résolution sont pratiquement similaires, les segments qui la manifestent en indo-iranien et en hittte ne procèdent pas des mêmes corrélations phonologiques et n’ont pas la même origine29. En l’état, il paraît difficile de trancher entre l’origine commune et la manifestation parallèle, en indo-iranien et en hittite, d’un phénomène d’assimilation dont le degré de naturalité est, par ailleurs, encore mal connu (à la différence de la loi dissimilative de Grassmann, moins complexe que celle de Bartholomae, qui connaît des parallèles dans diverses langues). Quoi qu’il en soit, la tendance à l’assimilation progressive, phénomène par ailleurs, rare, en tant que tel (Gordon 2016 : 129-132), constitue un des indices démontrant que la voix et l’aspiration représentent, l’un comme l’autre, des paramètres distinctifs dans la caractérisation des plosives hittites (§§ 4.6.3-4). 8.5

Délocalisation des fricatives

8.5.1 Interactions entre fricatives Outre l’hypothétique assimilation de voisement évoquée § 8.4.1, les fricatives subissent sûrement deux types de processus : la défriction, étudiée ci-après (§ 8.6) et des assimilations de lieux au terme desquels /s x ɣ/ tendent à se postérioriser, par assimilation distante ou contigüe. Les assimilations sûres ou supposées subies par les fricatives sont caractérisées par le fait qu’elle sont toujours conditionnées par d’autres consonnes continues. 8.5.2 s → h / __.H (1) Données. – Dans les tablettes copiées à partir de la période moyenne, on peut constater, de façon peu fréquente, un effacement de s devant une fricative vélaire ou, inversement, d’une fricative vélaire par /s/ : (26) interactions entre /s/ et fricatives vélaires eshardir. e-es-har e-es-sar « sang » KBo 10.45 iii 18 (MH/nh) KUB 41.8 iii 9 (MH/nh) [dupl.] gén. e-es-ha-na-as e-es-na-as KBo 10.45 iii 1 KUB 41.8 ii 36 [dupl.]

29  Bartholomae 1895 : 20-23 ; l’argumentation la plus détaillée en ce sens est exposée chez Kuryłowicz 1977 : 198-205, qui ne dissimule pas qu’elle comporte nombre d’hypothèses annexes ; la plus brève est celle de Watkins 1998 : 39-40 (voir encore, dans une toute autre perspective, Gamkrelidze & Ivanov 1984 : 32-35).

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Chapitre 8

has« engendrer » palzasha« socle, base »

1sg. prét. ha-a-as-hu-un KBo 22.2 Ro 2 (VH/mh) nom. pal-za-as-ha-as KUB 38.3 i 4 (NH) loc. pal-za-as-hi KUB 51.50 iv ? 4 (NH)

ha-a-su-un KUB 24.7 iii 24 (NH) pal-za-ha-as KUB 12.63 Ro 6 (VH/mh) pal-za-hi KBo 13.165 ii 9 (VH/mh)

Les propriétés de voisement de la fricative vélaire de eshar- sont indiscernables. Dans les cas de has- et de palzasha-, le caractère non voisé de la vélaire est, en revanche, sûr, comme le montrent les variantes nom. pal-za-ah-ha-as KUB 2.2 ii 9 (VH ?/nh), gén. pal-za-ah-ha-as KBo 4.1 Vo 11 (NH), ainsi que les graphies du morphème 1sg. prét. {-xun} en position intervocalique : au- « voir, regarder » → 1sg. prét. u-uh-hu-un (MH), etc. Les séquences de plosives TK sont stables, indiquant que les interactions entre coronales et vélaires est propre aux fricatives30. 8.5.3 Interprétation Il n’existe pas de données indiquant que le séquence sh pourrait être [sɣ], laquelle, quand elle est contôlable, se limite à des situations [sx], ce qui suggère – sans certitude – que le mécanisme se limite à des non voisées. Par ailleurs, dans toutes les situations observées, [s.x] forme un plateau traversé par une frontière syllabique, [Hās.xun], [Pal.ʧas.xas], avec /s/ localisé en position post-vocalique, derrière une voyelle probablement accentuée. Ce contexte, ainsi que caractère réversible du rapport de dominance dans lequels l’intercation entre [s] et [x] se produit suggère, compte tenu de la position spécifiquement faible occupée par /s/, un changement fondé sur l’assimilation par /s/, normalement caractérisée par un bruit à haute fréquence, des propriétés acoustiques de /x/. La transition /V+s/ est, de façon générale, suffisante pour générer, à la marge de la voyelle, une activité pulmonique [h] indépendante de la fricative (Ohala 1993b : 159-159, et bibl.), dont on peut facilement concevoir que l’amplitude est favorisée au voisinage d’une autre fricative. 8.5.4 Assimilation /s/ → [ʃ] / #__(…).C(alvéo-)palatale Une paire de lexèmes reflète, à l’initiale du mot, une fluctuation des graphies z et s : 30  La lecture nassariya- « avoir peur » pour nahsariya- d’après laquelle Melchert (1994 : 161) évoque un changement h → ∅ /__s doit être lue 3sg. prés. my. ḪUŠ-ri-ia-ad-da-at KUB 44.4 Vo 7 (NH) d’après la collation du CHD.

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Relations inter-segmentales

(27) variation libre # s : z sakkar dir. sa-ak-kar « excrément » KUB 17.28 i 5 (VH/nh) gén. sa-ak-na-as KUB 7.5 i 9 (MH/nh) sama(n)kur- samankur-want- « barbu » « barbe » → nom. pl. sa-ma-an-ku-úr-wa-an-te-es KBo 3.8 iii 25 (NH)

za-ak-kar KBo 1.45 Ro 9 (NH), KUB 13.4 iii 67 (NH) dir. za-ma-an-kur KUB 35.45 ii 33 (NH), za-ma-an-gur KUB 24.12 iii 7, 34 (/nh) za-ma-kur KUB 30.10 ii 8 (VH/mh)

Le témoignage de si-en-ti-in (outil de boucherie ou approchant) KUB 30.41 i 15 (VH/nh) face à zi-in-ti-ya-an KBo 21.25 i 43, 45 (VH/mh) est trop peu clair pour être retenu. La forme za-ak-kar / sa-ak-kar reflète sûrement une syllabe initiale de type [CV.] car une initiale /# sK/ aurait provoqué le développement d’une anaptyxe prothétique *isk- (§ 8.10.3) ; la forme sama(n)kur(want)-, pour sa part, peut a priori représenter [sma(ŋ) …] aussi bien que [sa.ma(ŋ) …], bien que les données de la comparaison indo-européenne favorisent la première interprétation (comp. véd. śmáśru-, arm. mawrow-k‘, lit. smãkras, smakrà). Comme le montre la variante za-ma-kur, la plosive est voisée. Dans les deux cas, le contexte est donc identique : s/z est en attaque d’une syllabe initiale suivie d’une syllabe attaquée par k/g. 8.5.5 Interprétation L’hypothèse d’une plosive [T] émergeant à l’initiale du mot étant invraisemblable, la variation # s : z ne peut être appréciée qu’en fonction des propriétés intrinsèques des sons associables à ces signes. La comparaison indoeuropéenne enseigne que les plosives de sakkar- (comp. gr. skō�r, skatós, germ. *skarna- → v. isl. skarn, v. angl. scearn) comme de sama(n)kur- (données comparatives citées supra) sont, l’une et l’autre, issues d’une plosive palatale *k̑ (= API [c]). En fonction de cet indice, on proposera d’apprécier la vacillation # s : z en fonction d’une assimilation distante du lieu d’articulation : à l’initiale, la fricative coronale /s/ connaît une réalisation post-avéolaire [ʃ] (ou alvéopalatale [ɕ], § 4.9.6) quand la syllabe suivante est elle-même attaquée par une palatale [cʰ ɟ] (ou alvéo-palatale [ȶʰ ȡ]) : /sa.cʰar/ → [ʃa.cʰar] sakkar- ~ zakkar-, /samaNɟur/ → [ʃa.ma(ɲ).ɟur] samankurwant- ~ zama(n)kur-. Le recours

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Chapitre 8

au signe z pour représenter cette réalisation résulte de ce que ce symbole est, dans l’effectif des phonèmes hittites, le seul dont la réalisation est localisée dans la zone post-alvéolaire tout en incluant un constituant sibilant (sur la réalisation phonétique de z, voir § 4.9.5). En d’autres termes, on tient que le mécanisme à l’origine de cette variation est une assimilation distante du trait d’antériorité. Les deux mots reflétant ce mécanisme étant, semble-t-il, les seuls du lexique hittite à refléter /# s(…)/ devant une syllabe attaquée par une plosive palatale, rien ne s’oppose à reconnaître ce mécanisme comme l’expression d’une règle : (28) /s/ → [ʃ] / #__(…).C(alvéo-)palatale ou, plus simplement encore, en prenant en considération le fait qu’en hittite le trait d’antériorité n’est pertinent qu’avec les coronales : (29) [+ ant. + obstr.] → [- ant. + obstr.] / #__(…).[- ant. + obstr.] L’assimilation distante de la non-antériorité sur laquelle se fonde l’interprétation ici proposée est identique à ce qu’on constate en indien où la palatale à l’initiale de véd. śmáśru- « barbe » ne reflète pas l’évolution attendue de la fricative non antérieure reflétée par le prototype *smók̑-, qui aurait été *smáćru→ *smáśru-, mais un changement *s → ś motivé par une assimilation distante de s avec la palatale *k̑ → *ć, autrement dit, exactement la même conséquence de (28)-(29) qu’en hittite. La forme phonologique de śmáśru- est stable parce que la palatale ś /ɕ/ est, en indien, un phonème, alors qu’en hittite, [ʃ] (ou [ɕ]) n’est qu’une réalisation locale de /s/, ce qui explique que sa représentation se traduise par une fluctuation des graphies sa-ak-kar : za-ak-kar jusque dans des manuscrits tardifs31. En dépit de la convergence entre l’indien et le hittite, ce traitement représente vraisemblablement un traitement parallèlement effectué dans des conditions identiques plutôt qu’un héritage commun. Le fait qu’un prototype tel que *swé-k̑uro- « beau-père » suscite le même traitement dans certaines langues indo-européennes (lit. *sẽšuras → šẽšuras), mais pas dans d’autres (lat. socer, v. sl. svekrŭ, v. irl. smech), et qu’à l’intérieur de l’indo-iranien, il soit reflété en indien, avec *svaćura- → véd. śváśura-, mais pas en iranien *swacura → *hwasura- → xvasura- (Mayrhofer, EWai II : 675-676), ou encore, qu’en balte, les 31  Pour des hypothèses complètement différentes, voir Oettinger 1994 : 326, Melchert 1994 : 172, Kimball 1999 : 107, Rieken 1999 : 293-296, García Castillero 2004, Kloekhorst 2008 : 700.

Relations inter-segmentales

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réflexes de *sešì « 6 » → fassent coexister lit. šešì, avec let. sešì (Stang 1966 : 278), montre que ce type d’assimilation a opéré de façon indépendante dans chaque langue, aussi bien avant qu’après que la plosive ait évolué vers une fricative. Les processus d’assimilations / dissimilations distantes entre coronales selon le trait [± antérieur] sont de façon générale, banals dans les langues (comparer, dans l’histoire du français, lat. circare /kir.kā.re/ → v. fr. cerchier /ser.ʧer/ (d’où angl. to search) → fr. mod. chercher /ʃɛʁ.ʃe/), à ceci près que leurs conditions de possibilités étant étroitement limitées, les témoins permettant leur observation sont réduits en proportion (voir déjà Passy 1891 : 193, et, depuis, Hall 1997 : 78sq., Rose & Walker 2004 : 481 sq.). La vacillation reflétée par les graphies s : z présente deux intérêts d’ordre général : l’un est de certifier que le hittite prolonge la localisation palatale (ou : palato-alvéolaire) des plosives héritées ; l’autre est de confirmer que la fricative [s] et l’affriquée [ʧ] ne sont pas formées au même point d’articulation (§ 4.9.4). 8.5.6 Neutralisation /x ɣ/ → [h] / l(V)__ Un autre cas reflétant l’assimilation par une fricative des propriétés du segment en attaque d’une syllabe voisine, semble-t-il, non signalé jusqu’à présent, est représenté par l’apparente neutralisation de [x] et de [ɣ] en attaque d’une syllabe post-initiale attaquée par /# l (…)/. Dans ces situations, la vacillation des graphies h et hh devient systématique. (30) fluctuation de fricatives vélaires lah(h)uwaila-ah-hu-u-wa-i la-hu-u-wa-i « verser, couler » KUB 13.3 i 12 (MH) KUB 33.67 i 23 (VH/nh) lah(h)iyaila-ah-hi-ya-mi 1sg. prés. la-hi-ya-am-mi « se mettre en marche » KUB 21.5 iii 20 (NH) KUB 5.1 ii 17 (NH) lah(h)anza(na)la-ah-ha-an-za nom. la-ha-an-za « canard » KUB 39.7 ii 12 (NH) KUB 39.7 ii 13 (VH/nh) lahlah(h)imala-ah-la-ah-hi-ma-an acc. la-ah-la-hi-ma-an « agitation mentale » KUB 14.14 Ro 40 (NH) KUB 14.14 Vo 38 (NH) lah(h)urnuzila-ah-hu-ur-nu-zi dir. la-hur-nu-zi « feuillage » KBo 15.10 ii 17 (MH) KUB 27.67 ii 43 (MH/nh) lah(h)uraloc. la-ah-hu-u-ri la-a-hu-ri-ya « table d’offrande » KBo 5.2 ii 53 (MH/nh) KBo 11.18 v 12 (s.d.) On ne peut exclure que, devant u, la graphie h reflète une fricative labialisée (§ 4.8.3), particulièrement quand la syllabation n’exige pas que /u/ soit un noyau vocalique (sur l’étymologie de « verser, couler », voir Melchert 2011).

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Une séquence [lx] ou [lɣ] en attaque syllabique serait incorrectement formée, en sorte qu’on doit tenir les graphies lah … comme restituant une syllabe de type CV … Le fait que le timbre de la voyelle située derrière l soit toujours a n’est pas nécessairement significatif car il n’existe pas, de façon générale, de mots hittites en *lehV …, *lihV …, *luhV … (luha- « lumière (?) » semble être un mot louvite). Les graphies des plosives précédées du signe la- sont stables de façon générale, hormis dans lakkusanzani- « couverture » → nom. sg. la-ku-sa-an-za-ni-is KBo 18.181 Vo 23, face à pl. la-ak-ku-sa-an-za-ni-es KBo 18.170a Vo10, mot faiblement attesté, possiblement louvite (CHD L-N 20). 8.5.7 Interprétation Le mécanisme paraît entièrement dépendre de la relation entre les fricatives et la latérale /l/. La graphie prédominante de la fricative dans lahu-, lahuwai« verser couler » étant h [ɣ], alors qu’elle est hh [x] avec les autres lexèmes, et la fluctuation h ↔ hh affectant identiquement les deux types de données, il semble a priori plus simple de postuler une tierce neutralisation [h] de la distinction /x/ : /ɣ/, plutôt qu’un changement qui identifierait la réalisation d’un des ces phonèmes à l’autre. Les interactions entre une latériale et une autre liquide ou une nasale sont banales dans les langues, mais une incidence de la production de [l] sur celle de [ɣ x] est plus difficile à justifier. Un indice montre cependant qu’en hittite, la coexistence séquentielle d’une latérale et d’une fricative est problématique : la consonne C d’une une séquences initiale [lVCV] peut être n’importe quelle obstruante ou résonante, sauf /s/ (on ne tient pas compte du verbe lassanu- de sens inconnu, attesté deux fois dans des rituels, CHD L-N 87). Aucune interprétation ne s’imposant, on se limitera à recenser quelques hypothèses possibles : (1) le bas niveau de constriction comme de vélocité du flux aéodynamique propres à une séquence initiale /l/ + /voyelle/ supposent une absence de friction dont l’inertie créerait une entrave à l’accélération du flux aérien et l’augmentation du niveau de constriction nécessaires pour rendre audible le bruit de friction déjà intrinsèquement faible de /x ɣ/. Le mécanisme se résumerait à un affaiblissement des fricatives au voisinage des latérales (et des nasales), dont il existe divers exemples dans les langues (Ohala & Solé 2010 : 65). A l’appui de cette conjecture, on peut relever que les séquences /l+s/ sont de celles dont la formation suscite des confusions optionnellement compensées par une épenthèse : guls- « inscrire », 3pl. prés. {Kuls-aNʧi} → [Kul.saɲ.ʧi] gul-sa-an-zi (etc.), mais gulzi- « inscription, tracé » → acc. {KulTsi-N} → [Kul.Tsin] gul-zi-in (NH). Le changement

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/s/ → [l] constaté devant plosive dans les textes accadiens copiés en milieu hittite (Labat 1932 : 37sq.) tend également à indiquer qu’en hittite, les comportements phonétiques du phonème /l/ ont une certaine propension à se rapprocher de [h]. (2) /l/ aurait une réalisation vélarisée [ɫ] ou [lʷ] à l’initiale du mot devant une voyelle basse comme [a] (comme en macédonien, norvégien, portuguais brésilien), distincte d’une réalisation [l] ailleurs, si bien que la fluctuation /ɣ/ ~/x/ traduirait une assimilation distante entre vélaires n’ayant pas le même mode articulatoire (tous les phonèmes incluant le trait vélaire dans leur définition sont des obstruantes), en conséquence de quoi l’approximante [lʷ] imposerait une réalisation approximante [h] (non spécifiée selon la voix) aux fricatives /ɣ/ et /x/. (3) en faisant l’économie d’une hypothèse sur la labialisation de [l], on pourraient encore conjecturer que /x ɣ/ en attaque d’une syllabe interne se comporteraient conjointement en approximantes (voir les témoignages de confusion occasionnelle de h et de r, § 8.6.2) quand la syllabe précédente est attaquée par une approximante dépourvue de friction, en assimilant leur réalisation à une approximante [h] non spécifiée selon la voix. De quelque façon qu’on aborde le problème, il semble difficile de justifier es témoignages de (30) sans faire l’hypothèse que, dans ce contexte, les réalisations de /x ɣ/ sont distinctes de celles que ces phonèmes reflètent dans d’autres contextes. Une explication démontrable semble hors de portée. 8.6

Défriction des fricatives

8.6.1 Comportements diffus Peu de changements impliquent le trait d’obstruance ; les deux processus que l’on peut invoquer à ce titre partagent deux caractéristiques : ils sont diffus dans le sens où ils reposent sur des confusions ne mettant pas en évidence une direction précise ; ils impliquent des fricatives vélaires, lesquelles ont, par nature, une durée et une friction inférieures à celles des autres fricatives. 8.6.2 [ɣ] ↔ [ɹ] / __. (1) Données. – Occasionnellement, les réalisations de /r/ et de /ɣ/ en coda peuvent se confondre entre elles : weh-/wah- « (se) tourner » → wa-ah-nu-anzi « ils entourent (avec un feu) » KUB 15.33b iv 9, pour war-/ur- « brûler » →

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Chapitre 8

3pl. wa-ar-nu-an-zi « ils allument » KUB 15.34 iv 49 (MH/nh)32 ; sarhuwant« ventre, foetus » → abl. sar-wa-an-ta-za KBo 6.7 : 13 (VH/nh), face à sar-huwa-an-ta-az correctement restitué dans le duplicat KBo 6.3 iv 28 (VH/nh) (le voisement de la fricative apparaît explicitement dans 3pl. prés. wa-ha-an-zi, mais reste indiscernable dans sarhuwant-). Le nom dir. sg. pár-su-il « miette, débris » KUB 9.28 iii 23 (MH/nh), connaît une variante pa-ah-su-il KUB 29.40 ii 8 (MH), alors que les autre dérivés de pars- « briser, écraser » ne reflètent rien de similaire. Le nom erhui(t)« panier » → loc. ir-hu-u-it-i KBo 17.15 Ro 14, reflète un thème en {… T-} au datif-locatif seulement, ce qui dénonce ce mot comme étant d’origine louvite, mais sa variante er-u-i-ti KUB 38.25 i 16, 21 (NH), dans laquelle Hoffner & Melchert (1998 : 90 n. 63), voient un changement louvite, peut aussi s’interpréter d’après une assimilation de la fricative à la rhotique. (2) Analyse. – L’hypothèse d’une dorsalisation /r/ → [ɣ] (comme en portuguais brésilien, en espagnol porto-ricain, dans les dialectes suédois, etc.) est a priori vraisembable, mais elle serait, en l’espèce, arbitraire, la variation r ↔ h fonctionnant dans les deux sens en hittite. L’intensité de la friction caractérisant les fricatives voisées est inférieure à celle des non voisées, au point de les faire souvent confondre avec des approximantes. La vélaire /ɣ/, caractérisée par une friction particulièrement faible, présente éventuellement, à cet égard, les caractéristiques d’une continue sans friction plus que d’une fricative (Ladefoged & Maddieson 1996 : 165, Ohala & Solé 2010 : 54-55), caractéristique traduite, dans certaines langues, par des changements de type [ɣ] → [j], [w] (Kümmel 2007 : 85-86). Il semble donc vraisemblable d’apprécier la confusion dont témoignent les données hittites en fonction d’un traitement conduisant à produire un son caractérisé par un niveau de bruit très faible et une quasi-absence de turbulence, donc par des propriétés pratiquement identiques à celles de la réalisation [ɣ] de /ɣ/. En l’espèce, il ne paraît pas nécessaire de mettre en relation la réalisation /ɣ/ → [ɣ] avec à la réalisation /r/ → [ɹ], sauf pour constater que les deux sons sont assez proches pour que l’un puisse être confondu avec l’autre. La seule hypothèse que demande ce mécanisme est de reconnaître que la rhotique, ou tout du moins, une de ses variantes, tend à se fricativer. A l’appui de cette interprétation, on doit relever que le nom pár-su-il connaît une variante pa-ah-su-il (ci-dessus), mais aussi une troisième variante pa-as-su-il

32  La confusion wahnu- : warnu- est attestée dans plusieurs textes ; cf. Kronasser 1962 : 70, et, surtout, Doğan-Alparslan 2002 : 250 n. 11.

Relations inter-segmentales

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KBo 14.63a i 8 (MH) dans laquelle ni [ɹ], ni [ɣ] ne sont restitués dans la graphie. Ce dernier témoignage suggère que la réduction du flux aérien caractérisant le traitement /r/ → [ɹ] peut aller jusqu’à produire une approximante [h] (sur quoi, voir Catford 2001 : 183). 8.6.3 H ↔ K / s Une confusion occasionnelle entre plosives et fricatives vélaires, est attestée par hameshant- « printemps-été », le plus souvent ha-me-es-ha-an-za, mais ha-mi-is-kán-za KUB 38.26 Vo 1 (NH), ha-mi-es-kán-zi (même texte, ligne 19) ; iskis- « dos » → abl. is-ki-sa-za KUB 33.114. iv 13, face à is-hi-sa-za KUB 33.112 iv 4 (VH/nh) ; ishuna-/ iskuna- « abîmer, dégrader, maltraiter » → 3pl. is-hu-na-anzi KBo 6.26 ii 19 (VH/nh), face à ptcp. dir. pl. is-ku-na-an-ta « (linges) souillés » KBo 4.2 i 45 (NH). Le témoignage de 3sg. prés. my. ta-ah-sa-at-ta-ri KUB 41.24 Vo 2 (anticipation des obsèques royales) relève de la flexion de taks- → táksa-at-ta-ri « élaborer, donner forme » (Kümmel 1967 : 109, Oettinger 1979 : 219) et non d’un thème *tahs- « prédire » qui n’existe pas (en dépit de Kloekhorst 2008 : 805). La graphie UŠ.GI.EN pour UŠ.ḪI.EN Bo 3316 Vo 5 (s.d.), IBoT 3.114 Vo 1 « il s’inclina » (accad. uškennu) participe du même mécanisme en supposant une restitution auditive de l’idéogramme (Rüster 1988 : 300). D’autres témoignages sont moins nets : panduha- « organe interne (viscères ?) » → acc. sg. pa-an-tu-ha-an, possiblement (?) collectif dans n⸗an pa-an-tu-ga aniyami « je le traite aux p. » KUB 43.59 + KUB 9.39 i 1 (pour d’autres possibles exemples, voir Ivanov 1963 = 2001 : 87, Melchert 1994 : 170). Il est flagrant que la variation h [x ɣ] ↔ k [kʰ g] se produit au voisinage de /s/, en mettant en cause l’écartement glottal dans le déclenchement de la confusion. Pour le reste, la motivation de ce mécanisme reste peu claire, notamment parce que les données ne mettent pas en évidence la direction précise du changement, les témoignages les plus clairs étant contradictoires (h → k avec hameshant-, k → h avec iskis-), et que rien ne laisse discerner les propriétés de voisement de /H/, ni de /K/. A titre de parallèle, on peut relever qu’un traitement /x/ → /k/ est régularisé dans l’histoire du sorabe (Schaarschmidt 1998 : 44). La seule information véritablement sûre que l’on puisse retirer de ces données est que l’identification de h à k, ou l’inverse, présuppose une propriété commune entre les réalisations de ces phonèmes, en l’espèce, un lieu d’articulation vélaire (§ 4.8.2).

444 8.7

Chapitre 8

Élimination, émergence et diffusion de la nasalité

8.7.1 Nasalité et obstruance La nasalité est, sans doute, la propriété phonétique qui, en hittite, conditionne et subit les traitements les plus variés ; on compte quatre mécanismes suscités ou imposés par la nasalisation : – élimination des consonnes nasales ; – épenthèses de consonnes plosives ; – nasalisations émergente des voyelles ; – harmonisations intersyllabique. On prend le parti d’étudier cet ensemble de manifestations dans une même section car ils procèdent fondamentalement d’une même causalité : les flux aérodynamiques dérivant de la production des nasales et des obstruantes reposent sur des configurations de l’appareil phonatoire qui sont dans l’impossibilité d’influer l’une sur l’autre, en sorte que les relations de co-articulation entre nasales et fricatives sont compensés par des mécanismes dépendants des environnements dans lesquels ces séquences se trouvent en justifiant, selon les cas, aussi bien l’élimination d’un segment par l’autre, que l’assimilation par d’autres segments des perturbations ainsi causées, quitte à générer des segments nouveaux ou des propriétés nouvelles aux segments déjà présents (voir Ohala 1979, Ohala & Ohala 1993, Ohala & Busà 1995, Solé 2007, 2009, Ohala & Solé 2010 : 61-63, 66sq.). En hittite, les relation séquentielles entre nasales et obstruantes sont limitées aux coronales et aux vélaires : (31) transitions possibles nasale + obstruante N + plosives : [m] + /pʰ b/ [n] + /tʰ d/ [ɲ] + /ʧ/ [ŋ] + /kʰ g/ N + fricatives : [n] + /s/ [ŋ] + /x ɣ/ Les labiales restent quelque peu en marge de cette problématique d’une part, parce qu’il n’existe pas de fricatives formée à ce point, de l’autre parce que, de façon générale, les combinaisons [m] + /pʰ b/ sont, de façon générale, excessivement rares (§§ 4.10.2, 4.10.4). 8.7.2 Élimination /N/ → ∅ /.__C-fricatives (1) La coronale /s/. – L’élimination de [n] devant /s/ est un mécanisme fréquent rencontré dans des configurations particulièrement diversifiées : (a) A l’intérieur des morphèmes. – La relation de has- « engendrer » et de son dérivé hanzassa- « progéniture, descendance » suppose une base *{HaNs-} à partir de laquelle le verbe a tantôt inséré un [T] épenthétique, d’où hanzassa-, tantôt a complètement éliminé la nasale, d’où has- → 3sg. prés. ha-a-si (VH),

Relations inter-segmentales

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3pl. ha-as-sa-an-zi (VH/mh), 3sg. imp./opt. ha-as-du (VH/nh) ; la flexion de ans- « frotter, essuyer », en revanche, reflète un maintien de la nasale dans tous les contextes, d’où 3sg. prés. a-an-si (MH), 3pl. a-an-sa-an-zi (VH/nh), 3sg. imp./opt. a-an-as-du (VH/nh), 2sg. imp. {ans-∅} a-an-as KBo 21.8 ii 4 (VH/mh), etc. La position de la séquence /Ns/ dans ces morphèmes étant identique, la dualité de ces traitements indique des alignements analogiques. (b) En jonction de morphèmes. – Quand la nasale et la fricative appartiennent à des morphèmes différents, l’élimination de la nasale est régulière : kuen- « tuer » → 3sg. prés.act. ku-e-en-zi, mais 2sg. {KʷeN-si} → ku-e-si [Kʷe.si] (NH), ku-en-ti (VH/nh) ; itér. 2sg. {KʷN-sKe-si} → [Kʷu.wəs.Ki.si] ku-ua-as-ki-si KUB 17.4 : 5 (VH/mh)33 ; de même hana- « juger » → itér. {HaN-sKe-} ha-as-sike- KUB 34.84+ i 33, ii 18 (MH), etc. La flexion hétéroclitique des noms verbaux en -war est fondée sur une alternance de morphèmes flexionnels dir. -war : gén. -was dérivant d’un rapport {-war :- wan} où le /… n-/ du thème oblique a été éliminé devant {-s}, d’où *war-∅ → -war-∅ : *-wan-s → -wa-s (Schindler 1975 : 8). Des graphies occasionnelles telles que wen-/uwan-+-ske- « copuler » {wan-sKe-} → 3pl. ú-wa-an-si-kán-zi KUB 31.64 i 7 (VH/nh) ne reflètent pas une séquence [ns], mais une anaptyxe [u.wa.nəs.Kaɲ.ʧi] (en supposant [K] non voisée) dont la graphie si est une représentation parmis d’autres (comp. tarn(a)- « laisser » + -ske- {TarN-sKe-} → tar-as-ke- KUB 24.9 ii 42 (VH/nh) et tar-si-ke- KBo 22.2 Ro 8 (VH)). (c) En jonction de clitiques. – Les enclitiques à ⸗s … initial quand ils prennent comme hôte un mot à … n final peuvent occasionnellement susciter un effacement de la nasale (voir § 9.12.2). (d) A la frontière des mots. – Très rarement, la nasale finale d’un mot peut être éliminée si le mot suivant débute par /s/ : {PeraN # sijadal} « devant la porte » → pe-ra-as GIŠsi-ya-tal, KBo 26.65 i 21 (NH). Il apparaît donc que le mécanisme (32) constitue une règle d’agencement entre morphèmes fléchis, mais une tendance plus ou moins fréquente dans tous les autres contextes : (32) /n/ → ∅ / __{-s La condition morphologique à la constitution de (32) comme règle s’observe, en outre, dans le fait que si tous les verbes à thème en {… Ns-} reflètent 33  L’émergence de [w] dans ku-ua-as-ki-si [Kʷu.wəs.Ki.si] certifie que la forme de base comportait une voyelle d’anaptyxe *[Kʷəs.Ki.si] dont le développement est nécessairement postérieur à l’élimination de [n], car si son émergence avait été antérieure, elle aurait reflété un timbre [u] (*[Kʷun.sKi.si] → *[Kʷus.Ki.si] **ku-us-ke-).

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régulièrement une élimination de la nasale quand il sont fléchis, il n’en va pas de même quand ils sont dérivés : {HaNs-} « engendrer » → 3sg. ha-a-si (etc.), mais dérivé {HaNs-adar-} « famille, naissance » → gén. ha-as-sa-an-na-as et ha-an-sa-an-na-as HT 6 i 17 (NH) ; {HaNs-ása-s} « progéniture, descendance, génération » → [HaN.Tsā́s.sas] ha-an-za-a-as-sa-as. Bien que la règle fasse intervenir une dimension morphologique, on ne croit pas légitime de la ranger au nombre des règles morphonologiques, ses effets se laissant sporadiquement observer ailleurs que dans cette dimension. L’élimination d’une coda nasale va souvent de pair avec un allongement compensatoire de son noyau (Kavitskaya 2002 : 56-58), mais il ne semble pas que ce soit le cas en hittite historique. Le seul témoignage qui pourrait être interprété dans ce sens est le dérivé {Kʷen-sKe-} « tuer » → 2sg prés. ku-ua-aski-si KUB 17.4 : 5 (MH/nh), 1sg. prét. ku-wa-as-ki-nu-un KBo 5.8 ii 38 (NH), où il semble possible de tenir a comme le réflexe d’un *[ē] allongé (pour un traitement parallèle de *e faisant suite à l’élimination d’une « laryngale » *h₂ ou *h₃, voir Kimball 1999 : 149-151). (2) La ou les vélaires /x/ (et /ɣ/ ?). – L’élimination de [ŋ] devant /x/ (et devant /ɣ/ ?) est moins documentée et, surtout, moins fréquente que celle de [n] devant /s/ : (33) élimination optionnelle de [ŋ] devant fricatives vélaires manhhanda « comme » ma-a-an-ha-an-da ma-a-ah-ha-an-da sanhu- « rôtir » ptcp. sa-an-hu-u-wa-an-ta sa-hu-wa-an unh- « sucer (?) » 1sg. prét. u-un-hu-un 3sg. prét. u-uh-ta, KUB 31.77 i 16 même tabl. i 12 Dans une flexion comme celle du verbe sanh- « chercher » (CHD S 162-163), la fluctuation est constante : (34) flexion de sanh- « chercher » 1sg. prés. sa-an-ah-mi KUB 14.3 i 22(NH) 3sg. prés. sa-an-ah-zi KUB 21.47+ : 18 (MH) 3pl. prés. sa-an-ha-an-zi KUB 9.1 ii 14 (NH) 1sg. prét. sa-an-hu-un KBo 21.19 iii 38 (VH/nh) 2sg. imp. sa-an-ha KUB 17.10 i 31 (VH/mh)

sa-ah-mi KBo 17.61 Ro 13 (MH) sa-ah-zi KBo 22.1 Ro 17 (VH) sa-ha-an-zi KBo 17.65 Vo 36 (MH?) sa-ah-hu-un KBo 5.9 i 20 (NH) sa-a-ah même tablette, i 25

Relations inter-segmentales

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Quand, dans l’ordre vélaire, une nasale est éliminée devant une fricative, la première est invariablement en coda : /man.xan.Ta/ → ma-a-ah-ha-an-da KBo 6.2 iii 19 (VH) : ma-a-an-ha-an-da KUB 28.75 ii 24 (VH) [ma(ŋ).Han.Ta] (on observera que la conjonction peut être écrite en deux mots ma-a-an ha-anda KBo 16.45 Ro 7, MH, tandis que la forme de même sens mahhan n’est jamais écrite *manhhan). La fricative est sûrement non voisée dans ma(n)hhanda ; ailleurs, les propriétés de la fricative sont d’autant plus indiscernables qu’elles sont instables dans sanh- « chercher » → 3pl. sa-ha-an-zi KBo 17.65 Vo 36 (MH), mais sa-an-ah-ha-an-zi KUB 54.10 ii 18 (/nh). L’élimination d’une nasale devant une fricative, qu’elle soit non voisée (le plus souvent), ou voisée, est un processus fréquent dans les langues : phonétiquement, elle dérive de ce que la pression intra-orale intrinsèquement faible dérivant de l’ouverture du voile du palais est une condition de base au voisement, alors que la pression intra-orale des fricatives est nécessairement élévée pour générer un bruit de friction avant de connaître une baisse subite (Ohala & Ohala 1993 : 227). Le conflit de voisement généré par les séquences fricatives + nasale se résout alors par le dévoisement et l’élimination de la nasale dont le signal acoustique est assimilé à celui de la fricative (Ohala & Busà 1995), ou bien, plus rarement, par un changement des propriétés des fricatives (Martinet 1981, désigne comme « spirantes » le résultat de ce changement, terme ce qu’on remplacerait plus facilement, aujourd’hui, par approximantes ; comp. Martínez Celdrán 2004). C’est ce que l’on constate en hittite où l’effacement de [n] et de [ŋ] est sûr devant une fricative non voisée /s/ ou /x/ (cf. ma-a-ah-ha-an-da :: ma-a-an-ha-an-da) alors qu’il n’est pas documenté devant la voisée /ɣ/ ; de même, l’élimination de [n] est totalement régularisée devant la fricative /s/, mais ne représente qu’une tendance devant plosive. 8.7.3 Élimination /N/ → ∅ /__ C-plosive (1) Les coronales /ʧ tʰ d/. – Devant /ʧ/, l’élimination de la nasale semble limitée aux situations où [ɲ] est en coda d’une syllabe et /ʧ/ en attaque d’une autre syllabe : arhai- « tracer une délimitation » → 3pl. er-ha-zi KUB 15.34 iv 40 (MH?), face à ir-ha-an-zi (VH) ; arnu- « mettre en mouvement » → inf. {arnu-waNʧi} ar-nu-ma-zi KBo 23.110 Ro 10 (NH)34 ; {alwaNʧ-adar} « sorcellerie » → al-wa-a-za-tar, al-wa-za-a-tar, face à al-wa-an-za-tar, al-wa-an-za-ta ; istanzan- « âme, esprit » → is-ta-za-na-a(s)⸗s-mi-it KUB 41.23 ii 21 (VH/nh), face à 34  Dans l’hypothèse où le morphème d’infinitif -wanzi dériverait d’un ablatif figé, on doit supposer une réintroduction systématique de /i/ (sur laquelle, § 8.17.2), ou bien une représentation conventionnalisée de l’appendice palatal de /ʧ/ (§ 4.9.5), le traitement régulier faisant attendre une graphie *-wanza.

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is-ta-an-za-na-a(s)⸗s-mi-is, même tablette ii 19, 23 ; mulanti- « type de pâtisserie » acc. mu-u-la-a-an-ti-in KUB 25.46 ii 8 (/nh), mais mu-u-la-a-ti-in (/nh). Devant plosive, ce comportement semble surtout documenté quand la nasale est en coda : nuntarnu- « précipiter, hâter » → 2sg. prés. nu-un-tar-nu-si et nu-tar-nu-si ; hatantiya- « lieu sec » → gén. ha-ta-an-ti-as KUB 42.1 iii 7 (NH), mais ha-ta-ti-ya-as KUB 42.1 iii 14 (NH) ; halent(i)u- « palais » → loc. [h]a-le-tiu-i ; Daganzepa- « divinité de la terre » → da-ga-an-zi-pa-as et da-ga-zi-pa-as (composé ou dérivé en -sepa- avec insertion de [T]). L’élimination de la nasale est également attesté quand celle-ci est incluse dans une coda complexe avec la plosive : nai- « tourner » → ptcp. nom. {neant-s} ne-e-a-za KUB 9.7 Ro 13 (/nh), face à ne-e-an-za KBo 17.15 Ro 11 (VH) ; das(u)want- « aveugle » → nom. ta-as-wa-za KUB 12.62+ Ro 12 (NH) face à dasu-wa-an-za KBo 24.9 i 5 (MH) (formation morphologiquement peu claire, cf. Kloekhorst 2008 : 856sq.) ; les noms dérivés en -(a)nt- fléchis au nominatif -s ne semblent pas attester ce processus. Singer (1996 : 129) a signalé que la tendance à l’élimination de la nasale devant obstruante est particulièrement accusée chez l’un des copistes de la Prière de Muwatalli : (35) variantes textuelles de CTH 381 (Singer 1996) « A » KUB 6.45

« B » KUB 6.46

hu-u-ma-an-da-as is-ta-ma-as-sa-an-du La-u-wa-za-an-ti-ya si-ip-pa-an-ti (*daganzipas)

hu-u-ma-a-da-as is-ta-ma-sa-du La-u-wa-za-ti-ya si-ip-pa-ti gén. da-ga-zi-pa-as

En accadien, le nom išpatalu « auberge » représente possiblement un emprunt à la forme d’ablatif ispant- « nuit » → abl. is-pa-ta-za KBo 3.13 ii 3 (VH/nh) (voir Kammenhuber 1975 : § 2). (2) La ou les vélaires. – L’élimination d’une nasale devant plosive vélaire est bien documenté, quand la nasale en est coda, en limite de morphèmes comme à l’intérieur des morphèmes (Justeson & Stephen 1981, Kimball 1999 : 316-318) :

Relations inter-segmentales

(36) élimination optionnelle de [ŋ] devant plosive a. hink- « s’incliner » 3sg. my. hi-in-ga harnink- « faire périr » 1sg. prét. har-ni-in-ku-un link- « jurer » 3sg. prét. li-in-kat-ta nanankus- « s’assombrir » 3sg.prés. [n]a-na-an-ku-us-zi ninink- « mobiliser » 3pl. prés. ni-ni-in-kán-zi panku- « assemblée » dat. pa-an-ga-u-i sankuni- « prêtre » nom.pl. sa-an-ku-un-ni-i[s] sarnink- « compenser » 3pl. prés. sar-ni-in-kán-zi zamankur- « barbe » dir. za-ma-an-kur

449 hi-ik-ta har-ni-ku-un li-ik-ta na-na-ku-us-zi ni-ni-kán-zi pa-ga-u-i sak-ku-ni-is sar-ni-kán-zi za-ma-kur

Comme dans le cas précédent, la nasale se situe est éventuellement en coda d’une syllabe complexe incluant la plosive : 2sg. imp. {niNK-∅} « bois ! » → ni-in-ga : ni-i-ik [ni(ŋ)K]. Certains thèmes morphologiques peuvent généraliser l’élimination de la nasale : le verbe kalank- « appaiser » → 3sg. imp./opt. ka-la-an-kad-du (VH/nh), maintient la nasale, mais le dérivé abstrait galaktar- « substance appaisante (opium ?) » → dir. ga-la-ak-tar, kal-la-ak-tar l’élimine (dans les deux cas ces lexèmes sont, il est vrai, peu documentés). L’insertion d’une voyelle devant la plosive que l’on constate avec tamenk- « attacher » → 3pl. prés. ta-me-ni-kán-zi KBo 20.116 Vo? 10 (MH/nh), ta-mi-[n]i-kán-[zi] KUB 25.48 + 44.49 ii 28 (MH/nh) face à ta-me-en-kán-zi, peut représenter un mécanisme de préservation du [ŋ] par ailleurs éliminé dans 3sg. ta-me-ek-zi KUB 23.1+ iii 9 (NH) (pour d’autres interprétations, voir Melchert 1994 : 124). Le volume comme la localisation contextuelle des témoignages d’élimination des consonnes nasales réfute l’hypothèse de fautes de copistes évoquée par Carter (1979), tout comme celle de « graphies simplifiées » postulée par Melchert (1994 : 124). Les témoignages d’élimination de [ŋ] devant plosive vélaire sont plus fréquents que ceux de [n] devant plosive coronale, ce qu’on attribuera à l’intensité articulatoire moindre de [ŋ] par rapport à [m] et à [n] (les nasales atténuent les hautes fréquences alors que l’anti-résonance de la nasale vélaire se caractérise, entre autres choses, par une fréquence plus élévée que celle des labiales et des coronales). 8.7.4 Le traitement [NT] → [T] et le voisement L’élimination des nasales devant une plosive, dérive, globalement, de la même motivation phonétique que celle qui explique leur élimination devant fricative, à ceci près que l’état glottal au moment de la production de la plosive n’est pas le même selon que celle-ci est voisée ou non voisée. Comme on l’a

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mentionné, la production des nasales crée les conditions d’un voisement ; par suite, les séquences nasale + plosive sont, de façon générale, beaucoup plus facilement perçues comme formant une seule unité quand la plosive est voisée que quand elle est non voisée (la phonologisation de séries /mb nd ŋg/ est notablement plus fréquente, dans les langues, que celle de séries /m̥ p n̥ t ŋ̊ k/). Une autre conséquence de cette relation est que les plosives non voisées ont une plus grande propension que les voisées à effacer les nasales puisqu’en évitant la co-articulation avec les nasales, elles préservent leur intégrité spectrale35. Il est vraisemblable d’estimer qu’un traitement de ce type se produit en hittite, parce que des flottements CC : C dans l’écriture des plosives se laissent observer quand elles sont mises en position intervocalique après l’élimination d’une nasale : sankuni- « prêtre » → nom. pl. sa-an-ku-un-ni-es KUB 39.69 Vo 2 (/nh), sa-ku-ni-es KUB 39.71 ii 30 (NH), mais ablatif36 sa-an-ku-un-ni-ya-an-za KUB 1.1 i 19 (NH), sak-ku-ni-an-za KBo 16.83 iii 3 (non daté) ; nuntariya- « rapide » → nom. nu-ut-ta-ri-ya-as KUB 12.21 col. dr. 9 (VH/nh), acc. nu-ut-ta-ri-yaan KUB 33.106 iii 32 (/nh), mais nuntaras « rapidement » → nu-tar-as KUB 43.8 iii 10b (/nh), face à nu-un-tar-as KBo 18.25 Ro 9, 10 (NH). La même variation se constate avec les fricatives : sanh- « rechercher, vouloir » → 3pl. sa-ha-anzi KBo 17.65 Vo 36 (MH?) supposant [sa(ŋ).ɣaɲ.ʧi], face à sa-an-ah-ha-an-zi KUB 54.10 ii 18 (/nh) supposant [saŋ.xaɲ.ʧi]. Il paraît donc que l’élimination d’une nasale devant un segment distinctivement voisé ou non voisé suscite un changement soit /nd/ → [tʰ], soit /ntʰ/ → [d], dont la direction reste a priori indiscernable, mais dont l’existence même suppose que le (non-)voisement de l’obstruante est discriminant37. 8.7.5 Épenthèse ∅ → [T] / N__s Le développement d’une plosive épenthétique se constate, en hittite, dans les contextes  ; on limite la présente section au traitement 35  Solé 2009 : 213sq. cite l’exemple de l’anglais nord-américain où l’effacement d’une nasale devant plosive homosyllabique est pratiquement de règle avec les non voisées, mais pas avec les voisées : /tent/ → [tʰẽt], face à /tend/ → [tʰẽnd] ; Basset & al. 2001, mentionnent, de même, le fait que winner et winter ont la même réalisation, etc. Sur la hiérarchie des segments susceptibles d’activer un effacement d’une nasale, voir l’étude de Tuttle 1991, sur les dialectes italiens, et plus largement, Nasukawa 2005 : 24-33. 36  De façon aberrante, le CHD S 182sq. identifie le nom « prêtre » comme étant au pseudo « cas ergatif » dans nu⸗za ANA DINGIR-LIM LÚ sankunniyanza BAL-ahhun KUB 1.1 i 19, KBo 3.6 i 16 (NH) « j’ai fait des offrandes à la divinité en tant que prêtre » (sankuni- est, qui plus est, de genre animé). 37  La variation dont témoigne les formes hourrites Pu-ra-at-ti KBo 23.27 ii 14, Pu-ra-anti KUB 27.46+ i 7, restituant le nom de l’Euphrate, reflété en acccadien par Purattum, d’après le sumérien bura-nun, laisse envisager quelque chose de semblable.

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des seules consonnes nasales qui déclenchent ce processus en fonction de motivations phonétiques quelque peu différente de celles des liquides (voir § 8.9.2). L’épenthèse en contexte [ns] semble limité aux seules coronales ; le même traitement ne semble pas attesté avec les séquences de vélaires [ŋx] qui ne font pas émerger de [K]. Comme on l’a déjà mentionné, un même morphème contenant une séquence /Ns/ peut susciter un effacement de la nasale aussi bien que le développement d’une épenthèse : *hans- « engendrer » → 3sg. {HáNs-i} → [Hā́.si] ha-a-si (etc.) et {HaNs-ása-} → [Han.Tsā́s.sa-] ha-an-za-aas-sa-as « progéniture, descendance, génération » ; la même dualité est reflétée, dans l’onomastique, par la souche Siwan- : *siwans-kunian- → Siwaskunian kt n/k 73, 6, 9, face à *siwans-anna/i- → [siwanTs-anna-] Siwanzanna/i-38. D’autres données reflètent un usage stabilisé de l’épenthèse : délocutif apā→ gén. pl. {abé-N-san} → [a.bḗn.Tsan]. a-pé-e-en-za-an (NH)39. L’épenthèse constitue une norme dans la formation des composés nominaux onomastiques en {… N-} + {se/iba-} désignant une divinité (37b), génie, esprit ou démon (Laroche 1946) : (37) épenthèse ∅ → T / … n-} + {-s … a. aska- « porte » hanta- « devant, face » kamru- ? b. miyatar-/n- « prospérité » hilatar-/n- « portail, enclos »40 tagan- « sol »

+ -se/ipadAskasepadHantasepadKamrusepadMiyatanzipa dHilanzipa dTaganzipa-

38  Laroche (1967 : 175-176) analyse ce composé comme reposant sur la mise en relation des noms anna-/i- « mère » et *siwans, forme pouvant représenter le génitif sg. syncopé siwann(a)s d’un dérivé abstrait *siwatar- « divinité » ou bien d’un thème siwana- « divin » reflété par nom. pl. si-wa-an-ni-e-es KBo 20.73 iv 8 (VH/mh), si-i-ú-wa-an-ni-e-es KUB 9.4 iii 9 (MH/nh), si-wa-an-ni-es KUB 9.34 iii 45 (NH) ; voir encore Zehnder (2010 : 7, 275-276). 39  La désinence *-san procède du morphème *-som reflété, au même cas, dans les flexions pronominales de véd. téṣām, lat. eōrum, v. sl. těxŭ. – La raison pour laquelle Kloekhorst 1998 : 427, estime que « -VnzV- can only reflect *-nHs- » m’échappe. 40  Comme l’a observé Laroche (1957 : 18), le nom hiladar- / hiladn- → hilan- se déduit du génitif hilannas attesté KBo 6.2 iv 18 (VH) // KBo 6.3 iv 13 (VH/nh). Les acceptions de hilasont, le plus souvent, « cour, portail », mais aussi « h. de la lune, du soleil », ce que Puhvel (HED III : 305-313) résume en postulant une signification « halo », mais que l’on pourrait, peut-être, aussi interpréter comme « passage, transition ».

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Les autres composés en -ze/ipa n’ont pas de base claire, mais reflètent tous une nasale en finale du premier terme : Tarsanzipa, Huriyanzipa, Iwanzipa, Gulzanzipa, Suwanzipa, Zikkanzipa. La graphie dIspanzasepa- représente normalement par z la séquence /T+s/ formée à partir de ispant- « nuit ». Dans tous les cas, la plosive résultant d’une épenthèse est complètement phonologisée dans les morphèmes où l’on constate sa présence (pour d’autres exemple dans l’évolution, voir Melchert 1994 : 121). Il est, par conséquent, difficile de préciser dans quelles conditions une séquence /Ns/ suscite l’épenthèse plutôt que l’effacement de la nasale. D’après les témoignages les plus nets, il semble qu’une séquence homosyllabique /Ns/ a tendance soit à se maintenir comme telle (ans- « essuyer » → 2sg. imp. {ans-∅} a-an-as), soit à susciter un effacement de la nasale (noms verbaux en -war → gén. sg. {-wan-s} → -was), mais jamais à susciter une épenthèse. En revanche, quand la séquence /Ns/ est traversée par une frontières syllabique et morphologique, soit la nasale est effacée (kuen- « tuer » → 2sg. {KʷeN-si} → [Kʷe.si]), soit une une épenthèse se développe ({HaNs-ása-} → *[Han.sā́s.sa-] ha-an-za-a-as-sa-as, {TagaN-se/iba} → [Ta.gan.se/i.ba] dTaganzipa- et taganzipa- « (divinité du (sous-))sol »). Le déclenchement de l’épenthèse, quand il advient, ne repose donc pas moins sur une condition de linéarité segmentale /Ns/ que sur des conditions syllabiques et morphologique, raison pour laquelle certains dérivés généralisent des formes avec épenthèse, tandis que d’autre dérivés de la même base généralisent l’alimination ou le maintien de /N/. (38) ∅ → [T] / N.-}__s Dans tous les cas, (38) représente une tendance et non un règle. Phonétiquement, l’émergence de [T] dérive d’une fermeture désynchronisée du voile du palais durant la production de la nasale elle-même. Lors de la dernière phase de la production de la nasale, il y a anticipation de la position (ouverte) du voile et de la configuration glottale de la fricative. (39) motivation phonétique de l’épenthèse segment C₁ /n/ plosive émergente : T C₂ /s/

cavité nasale

cavité orale

ouverte fermée fermée

fermée fermée ouverte

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Le prolongement de la phase de fermeture du voile au moment de la production de la fricative durant la constriction de la nasale crée les condition d’apparition d’une plosive [T] (Ohala & Solé 2010 : 76sq.). On fait le choix de réprésenter la plosive épenthétique du hittite par [T] plutôt que par [Tʰ] car certaines études ont montré que la durée des plosives épenthétiques était significativement plus brèves que celle des plosives issues de la réalisation d’un phonème (Fourakis & Port 1986). 8.7.6 Assimilation distante de la nasalité L’assimilation distante de la nasalité n’a pas encore été reconnue comme telle en hittite, même si les témoignages de « nasales inattendues » ou « déplacées », au demeurant, peu fréquents, et toujours optionnels, ont été depuis longtemps observés (voir, succintement, Kimball 1999 : 200-201, 318-319, et, surtout, Oettinger 1994). En hittite, les données relevant de ce processus sont caractérisées par le fait qu’une syllabe anticipe le trait de nasalité présent dans une syllabe subséquente. (1) Témoignages. – Selon la nature du segment séparant la syllabe contenant la nasale originelle de la syllabe nasalisée, on peut distinguer deux situations susceptibles de susciter une assimilation : (a) quand une syllabe est constituée d’une attaque plosive et d’une coda nasale, cette nasale peut être reportée, dans la graphie, en coda de la syllabe ouverte précédente : (40) harmonisation nasale anticipatrice à liaison plosive variante nasalisée hatt3pl. prés. my. ha-at-ta-an-ta ha-an-da-an-da « percer » {Hatʰ-aNTa} KUB 24.9+iv 12 (MH/nh) nahsaratt- acc. na-ah-sa-ra-ad- na-ah-sar-an-ta-an « peur » {naHsaratʰ-an} da-an KUB 33.120 i 41 (NH) uwate3pl. prés. ú-wa-ta-an-zi ú-wa-an-da-an-zi « apporter » {uwad-aNʧi} KUB 1.13+ iii 24 (MH/nh) Pour d’autres exemples, voir Oettinger 1994 : 319sq. L’hypothèse d’un processus salik- « toucher, approcher » → 3pl. [s]a-li-in-kán-zi KBo 29.133 iii 2 (MH), face à [s]a-li-ga-an-zi KBo 24.24 i 6 (/mh ? nh ?), sa-li-kán-zi KUB 5.1 ii 6 (NH), est douteuse car la forme avec nasale peut être appréciée comme le témoignage d’un thème salink- dans lequel la nasale aurait été presque complètement éliminée devant plosive (§ 8.7.3) ; en faveur de cette dernière interprétation, retenue dans le CHD (S 101), on doit observer que la nasalisation des voyelles hautes [i u] n’est, de façon générale, pas attestée, si bien qu’il est moins conjectural de postuler une élimination de [ŋ] que l’inverse.

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(b) quand une syllabe contenant une fricative /s/ est suivie d’une syllabe attaquée par une nasale, cette nasale peut être reportée, dans la graphie, en coda de la syllabe précédant la syllabe comportant /s/ : (41) harmonisation nasale anticipatrice à liaison fricative variante nasalisée hattesarabl. ha-at-te-es-na-az ha-an-te-es-na-az « trou » {Hatʰesn-aʧ} KUB 17.6 i 6 (VH/nh) hassatargén. ha-as-sa-an-na-as ha-an-sa-an-na-as « famille » {Hasan-as} HT 6 i 17 (NH) tunakkessar- all. tu-un-na-ki-is-na tu-un-na-an-ak-ki-is-na « chambre » {tunakʰisn-a} KUB 20.28 i 2 (VH/nh) Le témoignage de n-an-san KUB 23.11 iii 11 (MH/nh), peut être considéré comme une simple bévue de scribe confondant l’accusatif avec le nominatif ou comme un témoignage du même processus {nu⸗as⸗an} → [n⸗an⸗san] (?). Dans cette dernière situation, la nasale ne se trouve pas devant une obstruante, mais derrière elle, comme si la perturbation due au contexte [ns] était équivalente à celle du contexte [sn], voire à celle du contexte [sVn]. (2) Analyse. – Les témoignages d’assimilation distante de la nasalité en hittite s’observent entre des syllabes séparées par des obstruantes : la consonne nasale servant de source à une diffusion de la nasalité est invariablement localisée soit devant une obstruante hétérosyllabique, soit en marge d’une syllabe dont l’autre marge est une obstruante. Ce point est crucial car les obstruantes constituent précisément la classe de sons qui, dans les langues où l’harmonisation nasale est systématisée, ont un effet bloquant sur sa diffusion dans le mot (Schourup 1972, Walker 1998). La cause de cette obstruction est que la nasalité et l’obstruance buccale reposent sur des configurations articulatoires qui, ne pouvant s’adapter l’une à l’autre, deviennent antagonistes (Ohala & Solé 2010 : 61-63, 66sq.). De même que le signal acoustique propre à la production des nasales peut être comme noyé dans l’intensité du flux aérodynamique mobilisé par la production des obstruantes, en rendant possible une éventuelle élimination des consonnes nasales de la chaîne perceptive, une séquence [sn] forme un bruit à large bande immédiatement suivi de la nasale en ne laissant comme paramère distinctif que la transition voisée-non voisée (Ladefoged 1971 : 11). Sous cette considération, la perturbation éventuellement causée par la relation [N + obstruante] et la relation [s + n] ont la même cause (Solé 2009). On ne peut donc apprécier les témoignages hittites de n « déplacés » selon le mécanisme d’harmonisation de la nasalité observé dans un certain nombre

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de langues (Piggott 1992, Cohn 1993, Walker 1998), ce qui impose de les analyser en fonction d’une assimilation distante au terme de laquelle une obstruante anticipe la relation coarticulatoire résultant de la mise en relation d’une nasale et d’une autre obstruante dans une syllabe subséquente. En d’autres termes, le mécanisme n’anticipe pas une propriété qui serait inhérente à un segment donné, mais une propriété dérivant de la co-articulation entre une nasale et une obstruante (symbolisée par « Ɲ » dans le tableau 42) : (42) anticipation de la relation acoustique nasale/obstruante hatt3pl. prés. my. [Ha.tʰaƝ.Ta] [HaƝ.tʰaƝ.Ta ] « percer » {Hatʰ-aNTa} ha-at-ta-an-ta ha-an-da-an-da hattesar- abl. [Ha.tʰes.naʧ] [HaƝ.tʰes.Ɲ aʧ] « trou » {Hatʰesn-aʧ} ha-at-te-es-na-az ha-an-te-es-na-az Le type de nasalisation que recouvre l’insertion du signe d’écriture n demeure peu clair. Du moment où l’on admet que le mécanisme procède par assimilation anticipatrice, il semble a priori vraisemblable d’admettre que la nasalité se diffuse d’une voyelle nasalisée à une autre voyelle. Dans cette perspective, il faudrait reconnaître qu’un noyau vocalique se nasalise devant /N + obstruante/ préalablement à ce que le noyau de la syllabe antécédente devant /obstruante/ anticipe le caractère nasalisé de cette voyelle : (43) hypothèse sur une anticipation conditionnée de la nasalité hatt3pl. prés. my. « percer » {Hatʰ-aNTa} [Ha.tʰãn.Ta] [Hã.tʰãn.Ta] ha-at-ta-an-ta ha-an-da-an-da hattesarabl. « trou » {Hatʰesn-aʧ} [Ha.tʰẽs.naʧ] [Hã.tʰẽs.naʧ] ha-at-te-es-na-az ha-an-te-es-na-az Mais cette conjecture entraîne, à son tour, une autre interrogation : si l’on admet que {Hatʰ-aNTa} suscite la nasalisation de la voyelle située devant /NT/, il devient difficile de discerner si la graphie n indique la présence d’une consonne nasale devant voyelle nasalisée [Ha.tʰãn.Ta] ou bien la nasalité de la voyelle seulement [Ha.tʰã.Ta] ? En l’absence d’information relative au voisement des plosives, il semble impossible de prendre parti41. 41  Sous bénéfice d’inventaire, on peut relever que dans certaines langues, l’accentuation peut tenir un rôle discriminant dans la diffusion de la nasalité ; voir Cohn 1993 : 164.

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8.7.7 Nasalisation émergente La nasalisation émergente (ou : rhinoglottophilie) est le processus au terme duquel des voyelles font l’acquisition d’une nasalisation en l’absence de toute consonne nasale dans le mot. Ce processus a longtemps été considéré comme une particularité des langues du sous-continent indien, où, bien qu’irrégulier, il est documenté par de nombreux témoignages comme véd. akṣī → hindi [hãkʰ]. Divers travaux récents ont montré qu’il était, en réalité, attesté sous une forme non systématique dans de nombreuses langues (anglais, hébreu, langues tibétaines, sinitiques, océaniennes …)42. La nasalisation émergente s’explique par la présence, au voisinage d’une voyelle, de sons générant un flux aérodynamique à haut niveau de turbulence, typiquement des fricatives non voisées, plosives aspirées ou affriquées non voisées, dont les résonances sont assimilées à celles qui sont issues de la cavité nasale et suscitent, par conséquent, une réinterprétation des voyelles orales en voyelles nasales (voir Matisoff 1975, Beddor 1993 : 184-185, Ohala & Solé 2010). Certaines données du hittite reflétant, de façon occasionnelle, la présence d’une nasale correspondent exactement à cette détermination contextuelle : suwe- « espionner, observer » → 2pl. imp. su-wa-at-te[-en] [su.wa.tʰen] KBo 12.18 i 7 (VH/nh), mais 3pl. su-u-wa-an-du [su.wã.tʰu] (Oettinger 1979 : 294, sans source) ; piske- « donner » → 2pl. {Pi-sKa-tʰeni} pí-is-kat-te-ni KBo 22.1 Ro 20 (VH), mais pí-is-kán-te-ni [Pis.Kã.tʰe.ni] HKM 84 : 17 (MH) (Hoffner 2010 : 122) ; maz- « résister » → 3sg. prés. ma-az-za-az-zi KUB 12.60 i (7) (VH/nh), mais ma-an-za-az-zi [mã.ʧat.ʧi] KUB 33.120 i 21 (NH). Le verbe istah- « goûter » (dont la vélaire est non voisée {sTax-} d’après 3pl. prés. is-tah-ha-an-zi) met en évidence, dans la flexion du dérivé {sTax-sKe-} une variation 3sg. prés. is-ta-ah-hi-es-ki-iz-zi KBo 59.98 : 8 (NH), face à 3sg. prét. is-ta-an-hi-is-ki-it [əs. Tã.xəs.Kit.ʧi] KBo 8.41 : 12 (VH/nh) ; le témoignage isolé de istanhiskit mis à part, aucune des formes fléchies ou dérivées de ce verbe ne reflète de nasale, ce qui rend peu problable l’identification d’un thème *istanh- (en dépit de Puhvel, HED I/II : 463, Kloekhorst 2008 : 413)43. Le scribe B de la Prière de Muwattali qui a particulièrement tendance à assimiler les résonances de [ʧ] à celles de [ɲʧ] (§ 8.7.3), peut écrire sunniya« plonger » → 3sg. su-un-ni-ya-an-zi [sun.ni.jã.ʧi] KUB 6.46 iv 29, là où le scribe A écrit correctement su-un-ni-ya-zi [sun.ni.ja.ʧi] KUB 6.45 iv 62 (Singer 1996 : 42  Voir Matisoff 1975, Masica 1991 : 117-118, Heegård & Mǿrch 2004 : 65-67 (langues indoaryennes et dardes), Blust 1998. – La relation entre ĀH « être assis » → 3sg. prés. act. subj. av. aŋha : aŋhat̰, face à véd. ásat reflète probablement le même processus en iranien. 43  Il semble vraisemblable de rapprocher hitt. istah- de v. sl. tajati « mélanger, devenir / rendre liquide » en tant que réflexes d’une racine *(s)teh₂- (sur laquelle, voir LIV² 616).

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27, 71, souligne que, dans ce contexte, une confusion des morphèmes 3sg. -zi et 3pl. -anzi est exclue). Comme l’indiquent ces témoignages, seule la voyelle de timbre /a/ est susceptible de se nasaliser. Les conditions semblent donc réunies pour qu’on puisse reconnaître l’existence, en hittite, d’une tendance à l’émergence de la nasalité au voisinage des obstruantes non voisées aspirées [pʰ tʰ kʰ], et particulièrement à celui des obstruantes non voisées caractérisée par une friction [s ʧ x] : (44) /a/ → [ã] / Cobstr. non voisée 8.7.8 L’ablatif nasalisé Il est relativement fréquent que la variante {-aʧ} du morphème d’ablatif {-ʧ}, généralement écrite …-a-az, …-a-za, soit représentée par des graphies (… a)an-za, mettant en évidence une nasalisation (Sturtevant 1933 : 173, Stefanini 1959 : 7-8, Jasanoff 1972, Melchert 1977 : 448-450). La question de l’ablatif nasalisé se présente en des termes pour partie similaires à ceux qui viennent d’être exposés, pour partie, différents. (1) Les témoignages. – L’étude de la variante d’ablatif nasalisé est d’emblée compliquée par le fait que la graphie -(a)nza caractérisant un nom fléchi à l’ablatif nasalisé est identique à celle des dérivés en -ant- fléchis au nominatif singulier en -s. Or, quand ils sont agents transitifs, les noms de genre animé (dont font partie les dérivés en -ant-), sont normalement marqués au nominatif en -s, tandis que les noms inanimés sont normalement marqués au cas ablatif, qui, s’il est nasalisé, s’écrit comme un dérivé en {-aNT-} fléchi par {-s}. Il s’ensuit que, hormis dans quelques situations où certains indices permettent de distinguer les deux configurations (détail chez Patri 2007, 2018), il est impossible de discerner, d’après l’écriture, si un nom en -anza dans le rôle d’agent transitif représente un dérivé animé en -ant- fléchi au nominatif plutôt qu’un inanimé non dérivé fléchi à l’ablatif nasalisé. On peut soupçonner que des thèmes nominaux qui ne sont attestés que sous la forme -(a)nz(a) et que dans le rôle d’agent transitif sont plus facilement des dérivés en -(a)nt- au nominatif que des ablatifs nasalisés, mais aucune certitude n’est possible44. Pour éviter toute équivoque, les formes en (… a)-an-za mentionnées dans la présente section sont, exclusivement, des formes attestées en tant que compléments

44  Relèvent de ce type, par exemple : appuzzi- « graisse » ap-pu-uz-zi-an-za KBo 25.107 : 6 (VH), VBoT 58 i 14 ; iskis- « dos » → is-ki-sa-a-an-za KBo 3.45 ii 8 (VH/nh) ; supp(a)l(a)« bétail » → su-up-pa-la-an-za KUB 36.32, 5, 8 (MH ?), etc.

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d’origine et de moyen, et dont on peut être certain qu’ils reposent, à ce titre, sur {-aʧ} et non sur -{-aNT-s}45. La nasalisation du morphème d’ablatif s’observe sûrement dans trois types d’environnements, éventuellement dans quatre : (a) Quand le morphème d’ablatif {-aʧ} fléchit un thème {… Vn-}, la syllabe finale ainsi formée /… V.naʧ #/ peut mettre en évidence, dans la graphie, l’insertion d’une nasale devant /ʧ/ : (45) flexion à l’ablatif de thèmes {… VN-}

variante nasalisée eshar{esHan-aʧ} e-es-ha-na-za is-ha-na-an-za « sang » KUB 39.102 i 1 (MH/nh) hassatar{Hasan-aʧ} ha-as-sa-an-na-az ha-as-sa-an-na-an-za « lignée » KUB 11.1 iv 24 (VH/nh) uddar{utʰan-aʧ} ud-da-na-a-az, ut-ta-na-an-za « parole » ud-da-na-za KUB 8.53 i 6 (NH) papratar{PaPran-aʧ} pa-ap-ra-an-na-za, pa-ap-ra-an-na-an-za « souillure » pa-ap-ra-an-na-az KUB 12.58 iv 2, 26 (NH)

Un même scribe peut faire usage de la variante nasalisée : dans la tradition manuscrite de la Proclamation de Télébinu, l’ablatif de hassatar- « famille » ha-as-sa-an-na-an-za KUB 11.1 iv 24 (VH/nh), a comme variante une forme ha-as-sa-an-na-az KBo 3.67 iv 12 (VH/nh) ; de même, quoique de façon moins nette, les variantes formulaires dans le Chant d’Ullikumi semblent (compte tenu de la lancune dans 46b) mettre en évidence deux formes d’ablatif de tethessar- « orage » : (46) a. KUB 33.106 iv 21-22 (NH – Güterbock, JCS 6, 1952 : 30) n⸗as⸗kan te-et-he-es-na-za katta aruni conn.⸗3sg.nom.⸗adv. orage-abl. bas mer-loc. āras aller-3sg.prét. (le dieu de l’orage) « il alla au fond de la mer, avec l’orage » 45  Certains philologues récusent l’interprétation proposée dans Patri 2007, au sujet de la marque -anza caractérisant les agents inanimés en niant, contre toute évidence, que les propriétés morphologiques et catégorielles du sujet inanimé dans les constructions transitives sont, en tout point, identiques à celles des compléments de moyen ou d’origine fléchis au cas ablatif. On ici évite d’introduire dans la discussion des témoignages d’ablatifs agentifs dans le seul but d’éviter des digressions polémiques qui feraient inutilement dévier le présent propos de son objet et dont on trouvera un exposé détaillé dans Patri 2018.

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b. KUB 33.106 i 8-9 (NH – Güterbock, JCS 6, 1952 : 18) nu⸗kan te-et-he-es-na-an-za dA[stabis …] aruni GAM-an conn.⸗adv. orage-abl. A. mer-loc. bas tarnas laisser-3sg.prét. (Astabi déchaîne l’orage) « A[stabi] laisse aller […] au fond de la mer avec l’orage » La majorité des noms relevant de cette situation (plus de la moitié) sont des noms fléchis selon le modèle hétéroclitique, lequel prédit une forme {… Vn-} aux cas obliques. Des lexèmes relevant d’autres flexions reflètent également une nasalisation pour autant que leur thème soit, également, de forme {… Vn-} : erman- « maladie » → er-ma-na-an-za KUB 37.190 Vo 6 (s.d.) (face à GIG-az) ; henkan- « peste, maladie » → hi-in-ga-na-an-za KUB 24.3 ii 25 (MH/ nh) (face à hi-in-ga-na-az), etc. L’idéogramme GIŠ TUKUL-an-za VBoT 25 i 5, 11 « au moyen d’une arme » n’a pas d’interprétation univoque les lectures phonétiques possibles de l’idéogramme étant trop diverses. (b) Quand le morphème d’ablatif {-aʧ} fléchit un thème dont une des syllabe contient une consonne nasale devant une syllabe attaquée par une obstruante, la syllabe finale /… N.Cobstr.(…).aʧ #/ peut mettre en évidence, dans la graphie, l’insertion d’une nasale devant /ʧ/ : (47) flexion à l’ablatif de thèmes {… N.Cobstr.(…)-} variante nasalisée ispant{sPaNT-aʧ} is-pa-an-da-za GE₆-an-za « nuit » KUB 1.11 iv 45 (MH/nh) sankuni{saNKuni-aʧ} sa-an-ku-un-ni-ya-an-za « prêtre » KUB 1.1 i 19 (NH) Le nom luessar-/luesn- « encens » semble refléter un ablatif nasalisé dans le contexte mutilé de mahhan⸗ma⸗za GIŠ lu-u-e-es-na-an-za arh[a …] n⸗at ANA DINGIR-LIM ser arha wah[nuzi] « mais quand, avec (?) l’encens [… (se disperse ?)] au loin, il (le prêtre) le fait tourner au-dessus et loin du dieu » KUB 39.71 ii 44-45 (NH) ; la leçon au cas direct GIŠ lu-u-e-es-sar du duplicat KUB 39.70 i 3-4 (NH) est peu claire. De façon invraisemblable, le CHD S 182sq. analyse l’ablatif nasalisé du nom sankuni- « prêtre » (nom de genre animé !) comme une forme de « cas ergatif » censé marquer l’agent transitif dans nu⸗za ANA DINGIR-LIM LÚsa-an-ku-unni-ya-an-za BAL-ahhun KUB 1.1 i 19, KBo 3.6 i 16 (NH) « j’ai fait des offrandes à la divinité en tant que prêtre » ; mSippa-LÚ SISKUR LÚsak-ku-ni-an-za kuwapi

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BAL-as KBo 16.83 iii 3 (NH) « Sippa-LÚ, en tant que prêtre, a accompli ce rituel ». (c) Dans une troisième configuration, certains lexèmes peuvent être fléchis par la variante nasalisée du cas ablatif alors que leur thème ne comporte aucune consonne nasale : (48) flexion à l’ablatif de thèmes sans nasales variante nasalisée lutta(i){lutʰ(i)-aʧ} lu-ut-ti-ya-az lu-ut-ta-an-za « fenêtre » KBo 20.61 iii 46 (VH) KBo 8.42 Ro 2 (VH) tuppi{Tupʰi-aʧ} tup-pí-az tup-pí-ya-an-za « tablette » KBo 3.1 ii 48 (VH/nh KUB 40.88 iv 5 (/nh) Dans un un texte tardif comme celui de la Prière de Mursili où le pronom inanimé ⸗at peut aussi bien représenter le participant unique d’un construction intransitive que le patient d’une construction transitive, il est difficile de discerner si dans # kezz⸗at hingananza tama[sta # kezz⸗at] ku-ru-ra-an-za tamasta KUB 24.3 ii 26 (NH), les noms à l’ablatifs sont des agents passifs « il (le pays hittite) a été oppressé par la maladie, il a été oppressé par la guerre » ou des agents transitifs « la maladie l’a oppressé, la guerre l’a oppressé » ; dans la première hypothèse, on pourrait ajouter kurur- « guerre » à cette courte liste. (d) On doit enfin mentionner, sinon considérer, des cas peu nets comme celui de formes telles que sa-am-lu-wa-an-za dans le passage mutilé de KBo 3.46 Ro 12 (VH/nh) (voir CHD S 113-114), et GIŠ ḪAŠḪUR-lu-wa-an-za⸗ma⸗an⸗kan ZU-us dandu KUB 44.4 Vo 27 + KBo 13.241 Vo 16 (NH) (NH), que le CHD (S 113b) analyse comme un complément de moyen (« qu’on [‘ils’] prenne sa dent au moyen d’une pomme »), mais où l’on peut être en présence d’un agent transitif (« que les pommes lui prennent sa dent »). Ce témoignage est typiquement de ceux qui ne laissent pas clairement discerner si l’on est en présence d’un ablatif nasalisé de sam(a)lu- « pomme, pommier » plutôt que du nominatif d’un dérivé {samlu-aNT-}. En faveur de cette dernière hypothèse, on peut remarquer qu’il n’existe pas de témoignages d’ablatifs nasalisés formés sur un thème dont la coda n’est ni une nasale, ni une plosive aspirée. (2) Analyse. – La variante nasalisée du morphème d’ablatif est attestée par une quinzaine de noms utilisés dans le rôle de complément d’origine ou de moyen, témoignages dont le volume peut être multiplié si l’on prend en considérations les noms de genre inanimés marqués en tant qu’agents transitifs au cas ablatif (ces derniers étant, par définition, inanimés, ils relèvent massivement de la flexion hétéroclitique dont le thème en {… Vn-} favorise, quoique non exclusivement, la variante nasalisée du morphème flexionnel).

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Par rapport aux données témoignant d’une diffusion de la nasalité (§ 8.7.6), la question de l’ablatif nasalisé se pose en des termes, à première vue, paradoxaux : dans la grande majorité des cas, la forme nasalisé du morphème d’ablatif fléchit un thème contenant une nasale, ce qui suggère une diffusion allant du thème vers la désinence. Mais à l’encontre de cette approche, une nasalisation -anza est possible alors qu’aucune consonne nasale n’est présente dans le thème (luttai- « fenêtre » → {lutʰ-aʧ} → [lu.tʰãʧ] lu-ut-ta-an-za, tuppi- « tablette » {Tupʰi-aʧ} → [Tu.pʰi.jãʧ] dup-pí-ya-an-za). D’autre part, dans l’hypothèse d’une diffusion de la nasalité, le morphème d’ablatif semble faire l’acquisition de la nasalité d’après son contexte de gauche, alors que l’harmonisation nasale opère précisément dans le sens inverse, par anticipation du contexte de droite46. Un troisième étrangeté, enfin, dérive de ce que la nasalisation dont témoigne la désinence {-aʧ} est limitée au seul morphème d’ablatif, alors que d’autres d’autres désinences de forme {-VC#} comme gén. {-as}, acc. pl. {-us}, placées dans des contextes similaires, ne la reflètent jamais. Un trait commun aux divers témoignages d’ablatifs nasalisés est que la voyelle basse [a] est localisée devant une affriquée non voisée [ʧ] en étant précédée soit d’une plosive aspirée (luttanza), soit d’une consonne nasale (uttananza). Cette observation est capitale car elle permet de résoudre de façon unitaire les difficultés qu’on vient de mentionner en reconnaissant ces contextes comme ceux qui correspondent aux conditions de la nasalisation émergente ci-dessus étudiée : la production de l’affriquée suppose une résonance laryngale intense propre à créer les condition d’une confusion avec des résonances issues de la cavité nasale, confusion favorisée par la proximité avec un son générateur de résonances interprétables comme nasales, qu’il s’agisse d’une consonne nasale ou d’une plosive aspirée. L’affriquée /ʧ/ comme les plosives aspirées reposent sur une ouverture de la glotte plus importante que celle l’on constate avec d’autres consonnes en raison du flux aérodynamique important mobilisé par leur production. Les voyelles au voisinage de telles consonnes sont donc formées avec une plus grande ouverture glottale que dans d’autres contextes. Les résonances créées par cette élargissement devenant alors similaires à celles qui se produisent lors de la production des voyelles nasales, les premières sont perceptuellement assimilées aux secondes (on résume le résultats de Ohala citées § 8.7.2). Il paraît alors vraisembable de considérer que l’affriquée du morphème d’ablatif constitue le principal des facteurs responsables d’une nasalisation occasionnelle de la voyelle qui la précède, les autres étant la présence, dans la 46  Un quart des langues étudiées par Cohn 1993 : 170, attestent une nasalisation bidirectionnelle /VN/ ou /NV/ par contact direct, mais aucune langue de son échantillon ne reflète une harmonisation nasale multidirectionnelle.

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syllabe finale du thème fléchi, soit d’une nasale, soit d’un son à haut niveau de turbulence (génériquement symbolisé par « ͳ » dans 49) : (49) /a/ → [ã] / N/ͳ(…)-}__ͳ # En conséquence de cette interprétation, on admet que l’apparition d’une nasale n dans l’écriture du morphème d’ablatif symbolise une voyelle nasale : (50) nasalisation émergente du moprhème d’ablatif a {HeNKan-aʧ} [Haŋ.Ka.nãʧ] hi-in-ga-na-an-za {PaPran-aʧ} [Pa.Pran.nãʧ] pa-ap-ra-an-na-an-za {esHan-aʧ} [es.Ha.nãʧ] is-ha-na-an-za b. {sPaNT-aʧ} [əs.Pan.Tãʧ] GE₆-an-za c. {sam(a)lu-aʧ} [sa.m(a.)lu.wãʧ] sa-am-lu-wa-an-za d. {lutʰ-aʧ} [lu.tʰãʧ] lu-ut-ta-an-za En résumé, le traitement {-aʧ} → [ãʧ] dont on postule l’existence en hittite est le même que celui qui, dans l’histoire des langues indiennes, justifie des changements comme skt. uccaka- → hindi /ũːʧa/, bengali /uɲʧa/ « haut » (« and so on in thousands of cases », selon Grierson 1922). L’avantage de cette approche est qu’elle permet de dépasser la contradiction que constituait, jusqu’à présent, le fait que, dans le même état de langue, pouvait coexister une tendance à l’élimination d’une nasale devant obstruante, comme dans ispant- « nuit » → abl. ispataza (is-pa-ta-za KBo 3.13 ii 3, VH/nh) et une tendance à l’apparente insertion d’une nasale, comme dans ispantanza (GE₆-an-za KUB 1.11 iv 45, MH/nh). Du moment où l’on reconnaît que la graphie (… a)-an-za, se réfère à une propriété de la voyelle, et non la présence d’une consonne /n/, rien ne s’oppose à admettre qu’une forme {sPaNT-aʧ} puisse (optionnellement) connaître des réalisations différentes : quand le signal acoustique de [n] se fond dans la turbulence créée par la transition [nT], on a [əs.Pa.Taʧ], alors que quand les résonances de [a] devant [ʧ] sont identifiées à celles d’une nasale, assimilation facilitée par la présence d’une nasale en coda de la syllabe précédente, on a [əs.Pan.Tãʧ]. Un autre avantage de cette approche est d’expliquer pourquoi la voyelle du morphème d’ablatif {-aʧ} est la seule à refléter une nasalisation occasionnelle, alors que les morphèmes gén. {-as}, acc. pl. {-us} n’ont jamais de variante nasalisées. La résistance des affriquées au flux aérien est pratiquement nulle, alors que celle des fricatives non voisées est, au contraire, très élevée (voir les mesures de Kim & al. 2010 : 156sq.), ce qui justifie que gén. -as ne connaisse pas de variante nasalisée. De même, dans de nombreuses langues, les voyelles orales

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Relations inter-segmentales

hautes supposent une position relativement élevée du voile du palais, laquelle est plus difficile à synchroniser avec l’abaissement du voile caractérisant les voyelles nasales qu’avec les voyelles basses dont la position du voile est naturellement peu élevée, ce qui justifie que acc. pl. -us ignore également les variantes nasalisées47. 8.8

Transitions V + rhotique

8.8.1 La fluctuations u : uwa Devant r, la voyelle u peut occasionnellement connaître une réalisation suscitant une graphie uwa ; ce processus est documenté dès le vieux hittite (pour d’autres exemples, voir Rieken 2001a) : (51) traitement de [u] derrière [r] aurigén. a-ú-ri-(ya-)as « guêt » hengurdir sg. hé-en-gur « offrande » hurniske3sg. prés. hu-ur[-ni-is-ke« chasser » KBo 12.59 i 2 kueritér. kur-as-ke« couper » kukkursitér. ku-uk-ku-ra-as-ke« amputer » lahhurnuzzidir. la-ah-hur-nu-uz-zi « feuillage » pahhur dir. pa-ah-hur « feu » pahhursiacc. sg. pa-ah-hur-si-in « membre de la KUB 23.1 ii 29 (NH) famille royale » sehur dir. se-e-hur « urine »

a-ú-wa-ri-(ya-)as KUB 39.49 i 9 (VH) pl. hi-in-ku-wa-ri (/nh) [h]u-u-wa-ar-ni-is-ke-ez-zi Ibid. i 7 (NH) ku-wa-ar-as-keKBo 24.3 + i 7 (/mh) ku-wa-ku-wa-ar-as-keKBo 11.11 i 5 (NH) la-ah-hu-wa-ar-nu-u[z-z …] KBo 22.216 : 4 (/nh) pa-ah-hu-wa-ar KUB 7.60 ii 11 (/nh) nom. pl. pa-ah-hu-wa-ar-se-es KUB 29.1 iii 42 (VH/nh) se-e-hu-wa-ar KUB 58.90 ii 5 (/nh)

47  Bell-Berti 1993 : 68-70, Beddor 1993 : 178. Dans les langues où se produit une nasalisation des voyelles, qu’elle soit contextuelle ou qu’elle ait généré des phonèmes, il est, par suite, considérablement plus fréquent de constater l’existence de voyelles nasalisées non hautes comme [ã ɛ̃ ɔ̃ ] que de nasalisées moyennes ou hautes [ẽ õ ĩ ũ] (ce dont la situation du français donne un exemple ; voir Whalen & Beddor 1989).

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Chapitre 8

Le verbe hurt- « maudire » → 3sg. prét. hu-wa-ar-ta-as KUB 22.70 Ro 86 (NH), face à hur-ta-as KUB 22.70 Ro 8 (NH) relève, peut être, de la même situation, mais non sûrement car les formes en huwart- s’observent surtout (non exclusivement) là où une flexion alternante *hurt-/*huwart- ferait attendre le degré plein, en sorte qu’un vestige d’ancienne relation apophonique peut être suspecté (voir Puhvel HED III : 433-437, Kloekhorst 2008 : 372-373). La flexion de ur- (war-) « brûler » (intrans.) se situe sur un autre plan en mettant en évidence un radical de forme war- en remplacement d’un radical ur-, dans une distribution qui n’évoque en rien un ancien rapport morphologique *{ur- : war-} (point bien discerné par Kloekhorst 2008 : 924) : 3sg. prés. my. ú-ra-a-ni KBo 17.3+ iii 44 (VH), mais wa-ra-a-ni KBo 8.96 Ro 3, 5 (MH) ; 3sg. imp./opt. my. ú-ra-a-nu KUB 12.28 : 8 (NH), mais wa-ra-a-nu KUB 29.7+ Ro 66 (MH). Il y a donc lieu d’estimer que ce témoignage relève du processus (51), à ceci près que la voyelle /u/ étant à l’initiale absolue du mot, le traitement [wa] indique que [a] représente une insertion et [w] une réalisation de /u/. Le caractère discriminant de /r/ dans le changement des propriétés de la voyelle apparaît dans le fait que la flexion hétéroclitique reflète u → uwa aux cas directs, mais jamais aux cas obliques (*pauwan-, *sehuwan- ne sont pas attestés). Ce changement apparaît, d’autre part, strictement linéaire car si la plupart des exemples situent /u/ et /r/ dans la même rime, les témoignage de auri- et de ur- indiquent un traitement hétérosyllabique. Quand /u/ est précédé d’une consonne, celle-ci est une vélaire, plosive ou fricative, ce qui suggère que la transition particulièrement peu saillante, caractéristique des co-articulations (labio-)vélaire + /u/ (Stevens 1998 : 365-375), favorise le déclenchement de ce traitement. 8.8.2 Analyse Il est fréquent qu’une rhotique impose à une voyelle antécédente une réalisation différenciée, notamment en fin du mot. La rhotacisation des voyelles est le seul mécanisme au terme duquel la fréquence du troisième formant connaît une décroissance notable en n’étant plus déductible de celle des deux premiers (Ladefoged & Maddieson 1990 : 116), en conséquence de quoi, les paramètres liés à l’activité des articulateurs actifs, particulièrement des articulateurs labiaux, est neutralisée au profit d’une voyelle centralisée. Dans les langues sinitiques et dans le domaine anglophone où ce mécanisme a été très étudié, la rhotacisation des voyelles peut aussi s’accompagner d’un allongement, d’une diphthongaison, éventuellement d’une élimination complète de la rhotique, d’où, par exemple, anglais américain cure /kjur/ → [kjʊɝ] (Wells 1982). Il y a lieu d’estimer que le processus reflété en hittite relève de ce mécanisme, avec un traitement (on écrit [ɚ] sans présumer de

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la hauteur précise de la voyelle centralisée). Il est, à cet égard, possible que la graphie r ne reflète pas la présence d’une consonne [r] (qui peut avoir été éliminée lors de ce processus), mais la rhotacisation de [ɚ]. L’émergence d’un son vocalique à la suite de [u] repousse la voyelle en position de noyau dans la syllabe antécédente, en motivant le développement d’une semi-voyelle venant rompre le hiatus intervocalique entre des voyelles n’ayant pas les mêmes propriétés d’arrondissement (§ 8.12.3), d’où /Pa.xur-/ → [Pa.xu.ɚ(r)] → [Pa.xu.wɚ(r)] pa-ah-hu-wa-ar. A l’initiale, où le même traitement ne peut être appliqué, [u] adopte la position d’attaque sous la forme [w], d’où /ur-áni/ → *[u.ɚ.(r)ā́.ni] → [wɚ.(r)ā́.ni] wa-ra-a-ni. Dans la première configuration, le statut spécifiquement émergeant de [w] est par ailleurs certifié par le fait qu’il ne déclenche pas la règle w → m (§ 8.1.1). (52) tendance à la rhotacisation de /u/ a. /u/ → [uɚ] / __r (b. ∅ → [w] / u__ɚ) Dans tous les cas, la réalisation rhotacisée de /u/ demeure sporadique, d’où des vacillations comme /Paxur/ → [Pa.xur] pa-ah-hur face à [Pa.xuɚr] → [Pa.xu.wɚr] pa-ah-hu-wa-ar (pour une interprétation différente de certaines de ces données, voir Rieken 2001a). 8.9 Transitions rhotique + C 8.9.1 La coordination rhotique A côté de la règle suscitant l’aspiration des plosives derrière /r/ (§ 8.3.1), on constate, en hittite, un certains nombre de mécanismes erratiques, se manifestant plutôt rarement, ayant en commun d’impliquer /r/ dans des rapports de coordination intersegmentale ou intersyllabique. 8.9.2 ∅ → T / r, l.__s Une séquence formée d’une liquide /r l/ suivie d’un fricative /s/ peut, comme avec les nasales (§ 8.7.5), occasionnellement susciter, l’épenthèse d’une plosive homorganique [T]. (1) Données. – Le caractère vacillant du processus est bien documenté avec /r/ par des exemples comme : marsastarri- « sacrilège, profanation » → nom. mar-sa-as-tar-ri-is [mar.sas.Tar.ris] KUB 26.12 iv 36 (NH) face à mar-za-as-tarri-is [mar.Tsas.Tar.ris] KUB 18.27 : 19 (NH), dat./loc. mar-sa-as-tar-ri KBo 13.64 Ro 14 (NH) face à mar-za-as-tar-ri KUB 49.89 dr. col. 12 (NH) ; arsana- « auberge,

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caravansérail ? » → loc. ar-sa-na [ar.sa.na] KBo 49.196 Ro 10 (NH), face à loc. ar-za-na [ar.Tsa.na] (plus fréquent) ; pahhursi- « membre de la maison royale » → nom. pl. pa-ah-hur-si-is [Pa.xur.sis] KUB 23.1 ii 13 (NH), face à pa-ah-hur-zie-es [Pa.xur.Tsi.es] KBo 3.27 Ro 17 (VH/nh), etc. La flexion de haster- « étoile », à la fois nom commun animé et toponyme, rare en graphie syllabique reflète le même processus d’après nom. {HasTer-s} → [Has.TerTs] ha-as-te-er-za KBo 26.34 iv 9 (NH) (la forme du thème est livrée par. acc. {HasTer-an} → [Has.Te.ran] URUHa-as-te-ra-an). Plus rarement, le processus opère avec /l/ : la flexion du verbe guls- « inscrire », 3pl. prés. {Kuls-aNʧi} → [Kul.saɲ.ʧi] gul-sa-an-zi (etc.), ne reflète jamais l’épenthèse, alors que celle-ci est systématisée dans le dérivé gulzi- « inscription, tracé » → acc. {KulTsi-N} → [Kul.Tsin] gul-zi-in (NH), nom. pl. gul-zi-es (MH/nh), etc., dont il n’y a pas de raison d’estimer qu’il serait un emprunt au louvite, même si ce traitement est la norme dans cette langue. La variation reflétée dans nahs/zi- « mesure de poids ou de capacité » → nom. na-ah-ha-si-is KUB 42.105 iii 6, 13, 21 (NH), na-ah-zi-is KBo 23.27 iii (31) (MH?) reflète l’adaptation d’un mot d’origine probablement hourrite (Laroche, GLH 176). La graphie an-tu-u-wa-ah-za « homme » KUB 12.44 iii 7 (/nh), pour an-tu-wa-ah-ha-as (VH) [an.Tu.wa.xas] est exceptionnelle. On en peut inférer des ces donnée une épenthèse derrière fricative /H/. (2) Analyse. – Par sa motivation, l’émergence de [T] en contexte /r l/ + /s/, ne diffère pas, fondamentalement, de celle que l’on constate en contexte /N/ + /s/ (§ 8.7.5), mais son explication est quelque peu différente. La production des liquides et de la fricative s’effectue au même point de constriction apex-palais, mais en fonction de gestes complémentairement distincts : avec /s/, le dos de la langue est relevé tout en creusant un sillon central, alors qu’avec les fricatives, le dos de la langue est abaissé et connaît une rétraction en même temps que l’apex se rapproche ou touche la crête alvéolaire (voir les diagrammes chez Ohala & Solé 2010 : 56-57). Si, lors de la transition /r l/ + /s/, la succession de ces gestes n’est pas exactement coordonnée, un contact s’effectue tout le long de la crête en créant les conditions de formation d’une plosive homorganique (Ohala 1993c : 160). Le mécanisme séquentiellement inverse est banalement attesté dans de nombreuses langues (lat. vulg. inf. esse + -re → estre → fr. être) où sa motivation est similaire. 8.9.3 K → ∅ / r__C L’élimination d’une plosive vélaire derrière /r/ est sporadiquement reflété par istark- « affliger » → 3sg. prés. is-tar-zi KUB 8.38 + 44.63 iii 9 (MH/nh) (face à is-tar-ak-zi) ; tarku- /TarKʷ-/ « danser » → 3sg. prés. tar-ú-zi [Ta.ru.ʧi] KBo 30.103 Ro 6 (VH/mh) (face à tar-uk-zi [Tar.Kʷu.ʧi] KBo 17.43 i 9 VH, 3pl.

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prés. tar-ku-an-zi [Tar.Kʷaɲ.ʧi]). L’élimination de la plosive est, en revanche, régularisée dans la flexion de hark- « (dé)tenir, avoir », qui alterne entre avec hardevant morphème à consonne initiale, et hark- partout ailleurs : 1sg. prés. har-mi, 2sg. har-si, -ti, 3sg. har-za, -zi, (etc.), mais 3pl.prés. hark-anzi, 1sg. prét. hark-un, 2sg. imp. har-ak /HarK-∅/ (sur le traitement différent du verbe homographe, mais non homophone hark- « périr », voir § 8.14.5). De ces données, on peut inférer qu’une séquence [rK] est, de façon générale mal tolérée en coda homosyllabique alors qu’elle se maintient si elle est hétérosyllabique (comme le montre le traitement 3sg. {TarKʷ-ʧi} → [Tar. Kʷu.ʧi] tar-uk-zi, [Ta.ru.ʧi] tar-ú-zi, la voyelle [u] est anaptyctique). La raison pour laquelle, dans ce contexte, les propriétés d’une plosive vélaire /K/ ([kʰ] plus probablement que [g]) s’assimilent à celles d’une rhotique /r/ sont peu claires, mais il semble vraisemblable d’estimer que la striction langue-palais se coordonne mal avec l’ouverture longue de la plosive vélaire en causant l’affaiblissement de cette dernière devant une autre consonne. Diverses études aérodynamiques et électropalatographiques ont montré que la coordination du geste consistant à utiliser l’apex de la langue simultanément avec le dos de langue était de nature à suciter des décalages de construction et/ou de durée qui peuvent être à l’origine de changements (Solé 2002). Cette explication n’est sans doute pas la seule possible, mais on n’en voit pas de meilleure. 8.9.4 s → ∅ / r__ʧ Une instabilité de s derrière r devant z se constate sporadiquement avec des témoignages comme ars- « couler » → 3sg. prés. ar-as-zi [ars.ʧi] KUB 9.3 i 10 (MH), mais a-ar-zi [ar.ʧi] KBo 10.45 i v 39 (MH/nh)48 ; pappars- « répandre » → 3sg. pa-ap-pár-as-zi KUB 15.34 ii 26 (MH), mais pa-ap-pár-zi KBo 7.44 Vo 10 (NH) (corrigé à tort CHD P 98) ; pár-as-za (MH/nh) « en direction de », mais pár-za (VH). Melchert (1994 : 166), estime que le processus peut avoir été déclenché avant la généralisation analogique de -i dans les pradigmes verbaux, mais cette conjecture n’est pas nécessaire car 3sg. *{ars-ʧ}, avec trois consonnes en coda n’est pas une formation syllabique acceptable : si l’on admet que la résolution de *{ars-ʧ} était *[a.rəsʧ], il devient difficile d’expliquer a-ar-zi ; et si l’on postule qu’elle était *[arʧ], il est devient problématique de justifier ar-as-zi. Les séquence rs sont fréquentes en hittite devant des résonantes (comp. parsnu- « faire briser » → 3sg. prét.act. pár-sa-nu-ut, itér pár-as-sa-nu-uske-). Devant plosive, elles appellent soit une anaptyxe (tar- « parler » → itér. 48  Voir également le dérivé arsarsur- « courant, flot » → dir. pl. ar-sa-ar-su-u-ri (VH/mh), ar-sa-a-as-su-ú-ri (VH/mh), dans lequel Rieken 1999 : 326, voit une dissimilation de r.

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Chapitre 8

tar-si-ke- / tar-as-ke- (§§ 8.3.3, 8.13.7), soit une élimination de /s/ en montrant une difficulté à coordonner correctement les points de striction respectifs de /r/ et de /s/ en contexte [rsʧ]. Quoi qu’il en soit, il est probalement significatif de relever que processus conduit au même résultat que l’épenthèse de /T/, convergence laissant supposer une certaine tendance à l’harmonisation des transitions syllabiques : (53) harmonisation des transitions élimination de s : rs.ʧ → r.ʧ épenthèse de t : r.s → r.ts Le témoignage de tapus- « côté » → abl. (et adverbe) /Tabus-ʧ/ → [Ta.buʧ] tapu-us-za (VH), et ta-pu-uz-za IBoT 2.4 i 6 (/nh), KBo 34.152 iii 3, ne s’interprète probablement pas sur le même plan. 8.9.5 r → ∅ / __. En coda de syllabe CVC (derrière voyelle), r tends sporadiquement à être éliminé, particulièrement, mais non exclusivement, en syllabe finale. (1) Syllabes finales. – En syllabe finale, une élimination plus ou moins fréquente de r est reflétée par trois types de données : a) les mots dérivés par un morphème en {… r-} (abtraits en -atar-, essar, -āwar, -mar, noms verbaux en -war) dont le flexion suit le modèle hétéroclitique caractérisé par l’usage d’une marque -∅ au cas direct éliminent irrégulièrement la rhotique finale, notamment en vieux et moyen hittite : (54) élimination sporadique de /r/ final cas direct

variante

pa-ap-ra-tar KUB 43.58 i 17 (MH/mh) mi-ia-tar KUB 43.23 Vo 16 (VH) al-wa-an-za-tar KBo 1.45 Vo 8 [voc.] (NH)

pa-ap-ra-ta « impureté » KUB 24.9 ii 10 (MH/nh) mi-i-ya-ta « abondance » KUB 33.12 iv 19 (VH/nh) al-wa-an-za-ta « sorcellerie » KBo 13.157 : 2 (s.d.)

Les variantes peuvent coexister dans les copies d’un même texte, par ex. avec hattatar « destinée » :

Relations inter-segmentales

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(55) Prière de Mursili II (Catsanicos 1991 : 3, n. 5) KUB 24.3 ii 18 (NH) : ha-at-ta-tar⸗sum-mi-it harakta KUB 24.4 Ro 8 (NH)  ha-at-ta-ta⸗sum-mi-it harakta « notre destinée s’est abîmée » Melchert (1988) estime que ce procédé correspond à la démarcation de noms identifiés comme collectifs ; cette hypothèse paraît peu plausible, car si le phénomène s’observe souvent avec des formes suggérant ou dénotant une pluralité des référents, cette interprétation ne peut être appliquée à toutes les situations, ainsi que le montre (55). Le fait que certains hétéroclitiques élident presque toujours la rhotique (par ex. iyatar « fécondité, prospérité »), alors que d’autres tendent à la maintenir (pisnatar « virilité »), suggère, au demeurant, que la position de coda finale n’est pas le seul facteur en cause. Le processus n’est, notamment, jamais attesté par des formations primaires non dérivées du type de watar- uttar-, etc., ce qui suggère que le paramètre phonétique se double d’un paramètre morphologique. Pour des raisons s’appuyant sur la comparaison indo-européenne, Neu (1982 : 215) et Melchert (1988) postulent que l’inaccentuation de la syllabe syllabe dont /r/ est coda constitue un facteur favorable à l’élimination de la rhotique, mais au stade du hittite historique, les données empiriques ne confirment, ni n’infirment cette conjecture. b) dans le paradigme de présent de la flexion moyenne, la désinence 3pl. fait, dès le vieux hittite, librement alterner -anta avec -antari (par ex. ya« aller » → i-e-en-ta KBo 22.1 Ro 14 (VH), i-en-ta-ri KBo 14.129 Vo 11 (VH/mh), sans jamais refléter *-antar, alors que tous les exemples de normalisation analogiques fondés sur l’ajout ou la restauration d’un … i (§ 8.17.2) se bornent à ajouter une voyelle en finale. Cette observation, combinée avec les données de la comparaison indo-européenne suggère que l’ajout de … i vient préserver un r qui, en finale, est menacé d’élimination (comparer Neu 1968 : 140sq., Hart 1988 : 74-76, Yoshida 1990 : 112sq.). c) le relateur quotatif enclitique connaît deux variantes {⸗war : ⸗wa} dont la première situe obligatoirement la rhotique en en attaque syllabique (donc, devant un autre enclitique à voyelle initiale), tandis dont la seconde est la forme par défaut (pour plus de détails, voir § 9.10.4). (2) Syllabes internes. – Une élimination de /r/ en coda de syllabe interne est moins fréquente : warkant- « gras » → nom. pl. wa-ag-ga-an-te-es HT 1 iii 32 (MH/nh), dupliquant wa-ar-kán-te-es (KUB 9.31 iii 39) et wa-ar-ga-an-te-es (KUB 9.32 i 21). En revanche, la graphie isolée pé-an KUB 13.8 : 9 (MH/nh) de l’adposition peran « devant » reflète vraisemblablement l’omission d’un signe

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Chapitre 8

plutôt qu’une « abréviation » (ainsi CHD P 293b) la forme abrégée de pé-ra-an étant plutôt pé. Un problème particulier est posé par la flexion de tē / tar- « parler ». Ce verbe appartient à la langue ancienne ; il est presque exclusivement attesté dans des texte anciens, originaux ou copiés, et disparaît de l’usage en hittite tardif. Les descriptions estiment généralement que sa flexion est fondée sur un rapport supplétif tē- : tar- (la base ter- de 3pl. prét. terer confond exceptionnellement les deux autres)49 : (56) flexion de tē-/tar- « parler » tēimp./opt. 2sg. te-e-et (VH/mh) 3sg. te-e-ed-du (VH/mh) 2pl. te-et-te-en (VH), te-e-tén (VH/nh) 3pl. présent 1sg te-e-mi (VH) 2sg. te-si (VH) 3sg. te-e-ez-zi (VH) 1pl. 2pl. te-e-te-ni (VH/nh) 3pl. prétérit 1sg. te-e-nu-un (MH) 2sg. te-e-es (MH) 3sg. te-e-et (VH/mh) 3pl. itér. -ske-

tar-

ter-

da-ra-an-du (VH/nh)

ta-ru-e-ni (VH) tar-te-ni (MH) ta-ra-an-zi (VH)

tar-si-ke- (VH) tar-si-ik-ke- (MH) tar-as-ke- (VH)

te-re-er (MH)

Le recours à la notion de supplétion paraît cependant discutable sous considération de ce que la distribution de tē- par rapport à celle tar- suit le modèle relationnel caractérisant les flexions à vocalisme alternant comme ed- « manger », epp- « saisir », kuen- « tuer », kuer- « couper » : 49  Oettinger 1979 : 107-110, Tischler, HEG III, 1981 : 140sq., Hoffner & Melchert 2008 : 211-212, Kloekhorst 2008 : 858.

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Relations inter-segmentales

(57)

Degré pleinimp./opt.

2sg. 3sg. 2pl. 3pl.

présent

1sg

2sg. 3sg.

1pl. 2pl. 3pl.

itér. -ske-

ku-e-ni (MH) e-ez-du e-ep-du ku-en-du (NH) e-ez-te-en e-ep-tén

e-et-mi (VH/nh) e-ep-mi (VH/nh) ku-e-mi (MH) ku-er-mi (NH) e-ez-si (VH) e-ep-si (VH/nh) ku-e-si (NH) e-za-az-zi e-ep-zi (VH) ku-e-en-zi (VH) ku-e-er-zi (MH)

Degré zéro

a-da-an-du (MH) ap-pa-an-tu (VH ku-na-an-du (NH) ku-ra-an-du (NH)

a-tu-e-ni (VH) [a]p-pu-ú-e-ni (MH) ku-wa-an-ú-e-ni (NH) e-ep-t[e-ni] (MH) [a]z-za-as-te-e[-ni] (VH) ku-en-na-at-te-ni (VH/nh) ap-te-ni (VH/mh) a-da-an-zi (VH) ap-pa-an-zi (VH) ku-na-an-zi (VH/nh) ku-ra-an-zi (VH/mh ?) az-za-ke-, az-zi-ke- (MH) ap-pí-is-ke- (VH) ku-as-ke- (VH/nh) ku-ra-as-ke- (NH)

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Chapitre 8

Du moment où, dans la distribution paradigmatique, la distribution de tē- est à tar- ce que celle de ed- est à ad- (etc.), on ne peut considérer que tēet tar- seraient dans une relation supplétive. Le fait que les formes fléchies de tē- mettent en évidence des contextes dans lesquels la rhotique est systématiquement en coda suggère plutôt un processus préhistorique d’élimination généralisé, par analogie, au plan paradigmatique. En admettant que que tē-/tar- repose sur une racine *ter- « parler » (lit. tarýti, tariù « parler », v. tch. tratořiti), le processus serait donc 3sg. *[Tēr.T(i)] → [Tē.ʧ(i)], mais 3pl. *[Ta.ran(.)T(i)] → [Ta.raɲ.ʧ(i)]. L’hypothèse alternative de l’insertion d’un /r/ dans la variante tar- semble phonétiquement moins vraisemblable sous considération de la faiblesse de /r/ en coda50. 8.10

Coarticulation et

8.10.1 Coordination fricative : plosive Les séquences homosyllabiques formées d’une fricative /s/ et d’un plosive en attaque ou, leur miroir, formé d’une plosive suivie de /s/ en coda constituent, l’une et l’autre, des formations faisant l’objet d’un traitement phonétique particulier : les premières imposent, par règle, l’insertion du voyelle anaptyctique, tandis que les secondes sont régulièrement dérogatoires par rapport aux normes de la hiérarchie de sonorance. Dans les deux cas, des mécanismes résultent des rapports de coordination entre la voyelle constituant le noyau des syllabes et leur attaque plosive ou leur coda fricative. 8.10.2 Coda finales /plosive + s #/ (1) Les noms. – Comme on l’a mentionné (§ 6.1.5), les implications de la hiérarchie de sonorance sont régulièrement controuvées en hittite quand le morphème nom. sg. {-s} fléchit un thème dont la consonne finale est une coronale /T/ ou une résonante /r l n/ suscitant l’émergence d’un [T] épenthétique. Bien que les coda à sonorance ascendante sont, par principe, incorrectement formées, les noms, les finales /tʰs #/, /ds #/ sont régulièrement écrites -az/-za en reflétant une relation de contigüité entre la plosive et la fricative [… Ts #] :

50  L’hypothèse selon laquelle tē-/tar- reposerait sur *dʱeh₁- « poser, faire » (v. russe dějati, děju « parler, s’adresser à », v. tch. dieti, diem « faire, parler ») semble, dans cette perspective, peu plausible car elle supposerait un processus */h₁/ → *[r] sans équivalent ailleurs.

Relations inter-segmentales

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(58) coda à sonorance ascendante {-Ts} siwatt- « jour » nom. si-i-wa-az (VH) [sī.watʰs] nahsaratt- « crainte » nom. na-ah-sa-ra-az (MH) [naɣ.sa.ratʰs] karaitt-/karett- « flot » nom. ka-ra-i-iz (VH) [Ka.ra.itʰs] kast-« famine » nom. ga-a-as-z[a] (VH) [Kā́sTs] La graphie d’une coda en principe réprouvée comme {… tʰ-s #} ne diffère pas de celle d’une coda correctement formée comme {… d-s #} (comp. {Karad-s} « entrailles » → nom. ga-ra-az [Ka.rads], peut être [… ts] ou [… dz]), de même qu’en dépit de la règle prohibant les marges syllabiques formées de trois consonnes, des coda de type {… CTs #} sont possibles : le nominatif de kast- « famine » {KasT-s} ferait normalement attendre une réalisation [Kas.Təs] ou [Ka.səTs] (selon que t = [d] ou t = [tʰ] / [t]), alors que les graphies restituent invariablement [KāsTs] : ga-a-as-za (VH), ga-as-za (MH), ka-a-as-za (VH/mh), ka-as-za (MH). De même, le nom de l’animal (veau) « (né) de l’année » {sawidisT-s} → sa-ú-i-ti-is-za KBo 6.3 iii 26 (VH/nh), sa-a-ú-i-te-es-za KBo 6.6 i 33 (VH/nh) (la variante plus ancienne nom. sa-ú-di-is-za KBo 6.2 iii 23 (VH), reflète une élimination de [i]). Le comportement des finales plosive + s est également reflété avec des thèmes dans lesquels la plosive résulte d’une insertion épenthétique (§ 8.9.2) : nom. {HasTer-s} »étoile » → [Has.TerTs] ha-as-te-er-za KBo 26.34 iv 9 (NH) (la forme du thème est livrée par. acc. {HasTer-an} → [Has.Te.ran] URUHa-as-te-raan). L’interprétation de kutt- « muraille » → nom. ku-uz-za (MH), ku-ú-uz-za (NH), karaitt-/karett- « flot » → nom. gi-re-e-ez-za (VH/nh) impose de reconnaître l’insertion d’une voyelle paragogique /…V́ tʰs/ → [tʰs.sə] sans laquelle la gémination de z resterait inexplicable (§ 6.7.6). La situation que l’on vient de décrire s’applique aux noms exclusivement ; on pourrait s’attendre à ce que les thèmes verbaux à plosive finale fléchis par {-s} reflètent le même traitement, mais il s’avère qu’ils mettent en évidence un traitement anaptyctique dissociant la plosive de la fricative : istapp- « bloquer » → 3sg. prét. {sTapʰ-s} → is-tap-pa-as [əsTa.pʰəs], hurt- « maudire » → 3sg. prét. {HurT-s} hur-ta-as, hu-wa-ar-ta-as [Hu(wa)r.tʰəs], etc. Les conditions de cette différenciation sont étudiées à part, § 8.13.4(5). (2) Interprétation. – La situation reflétée en hittite est banale au plan des relations de co-articulation; de nombreuses langues accordent un statut dérogatoire aux séquences en coda (Gordon 2016 : 103104). L’explication phonétique fournie, à cet égard, par Browman et Goldstein (1992) est que dans les coda complexes de type le geste correspondant à la production du noyau vocalique est complètement

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Chapitre 8

achevé au moment où débute celui de l’obstruante, si bien que celui-ci reste indépendant de la formation de /s/. Engstrand & Ericsdotter (1999), font en outre valoir, au sujet des coronales, que l’information relative au lieu d’articulation de /tʰ/ est contenue aussi bien après sa production, avec /s/, qu’avant, du fait de la transition formantique de la voyelle. Par suite, une séquence /Vtʰs/ bénéficie, dans le flux de la parole, d’indices de reconnaissance dont d’autre séquences sont dépourvues, ce qui affranchit /Vtʰs/ des contraintes de positionnement relationnel pesant sur les autres configurations (la « saillance perceptuelle » évoquée par Syrika et al. 2011, au sujet de ces séquences procède globalement de la même approche). En termes métriques, on pourrait donc considérer qu’une séquence /Cplosive coronale + s/ compte phonologiquement pour une seule unité segmentale si elle est homosyllabique en position de coda finale, mais pour deux, partout ailleurs. Alternativement, on pourrait également estimer que dans cette configuration, le morphème {-s} constituerait un appendice extrasyllabique, approche facilitée par les les appendices en question sont, typiquement, des fricatives non voisées (Cho & King 2003). Les deux approches ne sont pas exclusives. 8.10.3 Attaques initiales /# s + obstuante/ Le hittite fait partie des langues dans lesquelles une séquence est, phonétiquement, une attaque syllabique mal formée. Cette configuration impose, par règle, l’instauration d’une frontière syllabique entre la fricative et l’obstruante réalisée par l’insertion anaptyctique d’une voyelle tantôt prothétique, tantôt svarabhaktique : (59) dissociations phonétiques des séquences /# sCobstr.V …/ (a) / # __s.Cobstr.V ∅ → [ə] (b) / # s__.Cobstr.V La grande majorité des mots hittites à initiale généralisent soit la prothèse [əs.Cobstr.V …], soit la svarabhakti [sə.Cobstr.V …], en adoptant, presque toujours, la prothèse : ispai- « être comblé », ispar- « répandre, disperser », istuwa- « devenir connu », iskalla- « inciser, déchirer », iskar- « percer », etc. La flexion du verbe {sPant-} « faire une libation » (comp. gr. spéndō, lat. spondeō) est la seule à refléter simultanément les deux traitements :

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Relations inter-segmentales

(60) flexion de ispant- en vieux hittite

1sg. 3sg. 3pl.

∅ → ə / #__sP

∅ → ə / #s__P

is-pa-an-tah-hi is-pa-a-an-ti is-pa-an-ta-an-zi

si-pa-an-da-ah-hi si-pa-a-an-ti si-pa-an-ta-an-zi

Dans la langue ancienne, la fréquence de sipant- semble légèrement dominer celle de ispant-. Un rapport similaire semble exister, au plan dérivationnel, entre entre le nom isha- « maître » et le verbe sish(a)- « ordonner, décréter » (Oettinger 1979 : 499). La voyelle d’anaptyxe utilisée dans de traitement de est, le plus souvent, écrite i, mais elle peut aussi fluctuer avec e et a : si-pí-i[k-k]u-usta-as (MH), se-pí-ik-ku-us-[ta-as] (MH ?), sa-pí-ik-ku-us-ta-as (NH) « épingle, stylet » [sə.bi.kʰus.Tas] ; sa/ippai- « éplucher » → 3sg. prés. sa-ap-pa-a-iz-zi KUB 44.63 ii 11 (NH), mais 3pl. si-ip-pa-an-zi KUB 51.15 Vo 3 (NH). Une variation du même type est envisageable avec sa-pa-an-ta-al-la, hapax dont il semble raisonnable d’estimer qu’il est un dérivé de {sPaNT-} « faire une libation » dans le collophon sapantalla⸗ma DUB.1.KAM.ḪI.A anda UL handa KUB 30.42 i 7 (NH) « les premières tablettes (relatives au rituel) de libation n’ont pas été mises en ordre » (voir Laroche 1971 : 162, Dardano 2005 : 31-32), et qui refléterait donc une variante sapant- de sipant- et de ispant-. Les séquences reflètent le même mécanisme que les séquences  : ishamai- « chanter », ishuwai- « répandre, verser », etc. La voyelle d’anaptyxe n’est jamais écrite sous forme répliquée (voir Hoffner & Melchert 2008 : 27 n. 40, corrigeant une fausse lecture de Eichner). Une trace historique de ce mécanisme s’observe dans les textes capadociens si l’on admet, avec Laroche (1966 : nn° 472, 1191), que le nom de personne [I]š-punu-ma-an Kt 88/k 90 : 4, est une variante de Šu-pu-nu-ma-an51. La règle est donc limitée aux configurations dans lesquelles un /s/ initial est suivi d’une obstruante, plosive, comme fricative. Il n’existe pas de témoignage d’un traitement comparable dans les configurations . La variation reflétée par sa/e/imen- « disparaître, se retirer, se défiler » → 3sg. prés. 51  Sur les traits anatoliens (hittites) des textes de Kültepe / Kanes, voir Kienast 1984 : 31-35, Michel 2011 : 105-108.

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Chapitre 8

se-me-en-zi KUB 29.29 Ro 7 (VH), sa-me-en-zi KBo 21.68 i 3 (VH), si-me-en-zi KBo 22.203 Ro? 2 (VH/nh), ne peut être significative d’une anaptyxe car une attaque /# smV/ est, par principe, correctement formée en termes de sonorance. Pour la même raison, il n’y a pas lieu d’estimer que l’initiale du verbe dérivé sumumahh- « unifier » aurait subi un traitement anaptyctique52. Des initiales , ne semblent pas attestées. Pour autant qu’elles soient interprétables, les graphies s + n r l j w reflètent soit /sVR/, comme dans sali(n)k- « toucher » → 3sg. prés. my sa-li-i-ga KBo 17.18 ii 17 (VH), sa-a-li-ga KBo 17.42 :7 (VH), où la distribution des voyelles répliquées est étrange, mais certifie qu’on est en présence d’un thème {saliK-} et non †{sliK-}, soit /sR …/ → [sR …] obligatoirement écrit sVR (par exemple sarunta/i- « source » → acc. ↘sa-ru-unti-in KUB 31.77 i 10 (NH), abl. sa-ru-un-ta-az KUB 29.4 iii 46 (NH), où le signe glosateur « ↘ » indique toutefois une origine possiblement louvite du lexème. La manifestation de l’anaptyxe au moyen d’une alternance plus ou moins libre des signes si sa, se : is, c’est-à-dire d’un procédé d’écriture en apparence similaire à celui qui peut être représentatif d’une absence de noyau vocalique (§ 3.3) a conduit certains spécialistes à juger que i serait une voyelle factice, donc à voir dans ispant- : sipant- un thème phonétiquement monosyllabique [sPanT-]53. Cette approche est sûrement incorrecte puisque la prohibition phonétique des attaques à l’initiale des mots reflète une contrainte généralisée dans la langue54. La contrainte reflétée en hittite est, au demeurant, excessivement banale en étant documentée dans de nombreuses langues où elle donne lieu à des traitements phonétiques similaires (voir le récapitulatif bibliographique chez Morelli 2003). Le mécanisme d’insertion vise prioritairement à instituer une délimitation syllabique entre la fricative et la plosive, sans considération particulière pour la forme des syllabes obtenues, raison pour laquelle {sPant-} peut se réaliser [əs.PanT-] ispant- aussi bien que [sə.PanT-] sipand- / sapant-. La fluctuation de placement constatée en hittite s’observe identiquement dans d’autres langues, par exemple, en hindi 52  En dépit de Melchert 2016 : 189, suivant Rieken. Une assimilation anticipatrice *sm-uman→ sumuman- n’est pas moins vraisemblable. 53  Ainsi Sturtevant 1933 : 47, 138-140, Benveniste 1937 : 497, Friedrich 1960 : 30-31, Kammenhuber 1960 : 280, Rosenkranz 1978 : 41, Kimball 1997 : 109-111, Ivanov 2001 : 65, Yakubovich 2009. – D’autres chercheurs ont admis cette hypothèse avant de se récuser, comme Melchert 1994 : 31, et Hoffner & Melchert 2008 : 27, ou l’ont récusée avant de l’adopter, comme Kronasser 1956 : 29-30, et Kronasser 1962-1966 : 524-525. Au contraire, Oettinger 1979 : 416-417 n. 44, et Kloeckhorst 2008 : 61, reconnaissent la présence d’une voyelle, mais sans justifier la cause de son émergence. 54  La thèse de Forssman 1994, visant à justifier les variantes sip(p)and-/ispand- en fonction d’hypothèses sur la morphologie, est d’autant plus incongrue que les flexions, emplois et acceptions sémantique de si(p)pand- et de ispand- ne diffèrent en rien.

Relations inter-segmentales

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où la restitution de mots étrangers comme angl. sponge peut être [si.pənɟʝ] aussi bien que [is.pənɟʝ]55. La tendance à généraliser le signe is, et, avec lui, la voyelle de timbre i, relève, pour sa part, de la tendance à conventionnaliser l’écriture des signes à l’initiale du mot. Comme l’ont démontré Browman et Goldstein (1988), la motivation du conflit vient de ce que dans les attaques complexes de type , le geste correspondant à la formation de la voyelle peut débuter au moment où se termine celui qui correspond à la fricative en glissant presque complètement sur celui de l’obstruante (voir d’autres précisions et généralisations chez Goldstein & Pouplier 2014 : 219-220). Les langues dans lesquelles l’intégrité est menacée par une réalisation de ce type soit éliminent une des consonnes, soit préservent chacune d’elles en instaurant une frontière syllabique séparant la fricative de la plosive par l’insertion d’une voyelle. Les langues anatoliennes illustrent exactement cette dualité de traitement avec *stm̥ ant- « oreille » → louvite tuman(t)-, face à hittite istamant-. Sur la situation des coda complexes de type en hittite, voir § 6.1.5. Sur les fluctuations du type si-pa-an-tah-hi : si-ip-pa-an-tah-hi dans la résolution de type svarabhaktique, voir § 4.6.4(2). 8.11

Réduction des voyelles antérieures

8.11.1 Neutralisation partielle /e/-/a/ On ne reprend pas ici les données exposées au § 4.1.8, montrant : (1) une représentation occasionnelle de /a/ par e derrière /j/ et (2) une représentation occasionnelle de /e/ par a derrière /j/. Bien que le parallélisme des deux tendances paraisse évident, il ne semble pas encore avoir été reconnu. Trois interprétations sont logiquement possibles : derrière /j/, (i) /e/ connaît une réalisation abaissée aux alentours de [a] ; (ii) /a/ connaît une réalisation élevée aux alentours de [e] ; (iii) /e/ et /a/ ont, conjointement, une réalisation commune, laquelle suppose une localisation moins antérieure ou plus centralisée [æ]56. Le deux premières conjectures correspondent l’une et l’autres à des 55  Voir Bharati 1994 ; 57, cité par Fleischhacker 2001, qui mentionne encore d’autres parallèles. Le témoignage du composé eshaskant- « couvert de sang », dont Melchert admet qu’il repose sur *eshan- « sang (obl.) » + skant- « oint (ptcp. de iske/a-) » n’est pas significatif, la séquence [sK] étant traversée par une frontière syllabique [es.Ha(n)s.KanTs]. 56  Ladefoged & Maddieson 1996 : 300-306, montrent que la distinction de [ɪ ʊ ɛ ɔ æ] par rapport à [i u e o a] est fondée sur des variation de hauteur et / ou de localisation qui ne justifient pas de faire intervenir une notion telle que la « tension ». L’interprétation ici proposée rejoint celle de Held & Schmalstieg 1969 : 96sq., à ceci près qu’il n’y a pas de sens

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Chapitre 8

processus phonétiques attestés, mais leur coexistence dans une même langue serait contradictoire, ce qui oriente l’analyse vers (iii). A l’appui de cette interprétation, il importe de prendre en considération la flexion du verbe « faire, accomplir » qui reflète une vacillation de a et de e dans pratiquement toutes ses formes : 1sg. prés. i-ya-mi (VH) : i-e-mi (VH) ; 2sg. prés. i-ya-si (MH) : i-e-si (VH) ; 3sg. prét. i-ya-at (MH) : i-e-et (VH), etc. Or, les témoignages de 3pl. opt. i-ya-an-du (MH) : i-en-du (MH/nh), 3sg. opt. i-ya-addu (MH) : i-e-ed-du (MH) certifient qu’on est en présence d’une restitution hésitante du même timbre puisque le vocalisme des signes et, ed, it, id, et ad / at et n’est jamais susceptible de se confondre (chap. 4, tabl. 15)57. Des interactions plus ou moins structurées entre /e/ et /a/ derrière /j/ sont fréquentes dans les langues, particulièrement quand l’une des voyelle est plus longue que l’autre58. Une analyse précise du mécanisme semble toutefois hors de portée, d’une part, parce que la confusion de e et de a derrière /j/ constitue une tendance échappant à toute régulation stricte, de l’autre, parce que cette tendance est, elle-même, brouillée par la tendance à l’instabilité de [j] entre voyelles (§ 4.14.4), ce qui condamne toute interprétation à rester au stade d’hypothèse. En restant à un niveau d’explication relativement général, on pourrait considérer, qu’existe, de façon générale, en hittite, une tendance à ce que les séquences formées de semi-voyelles et de voyelles homorganiques qu’il s’agisse de postérieures /w/ + /u/ ou d’antérieures /j/ + /e a/ créent des transitions indistinctes dont la préservation demande une restructuration soit des propriétés de C avec les labiales (§ 8.1.5), soit de celles de V avec les palatales. 8.11.2 Neutralisation partielle /i/-/e/ Indépendamment des interrogations suscitées par l’interprétation des signes équivoques CV et VC relativement à la hauteur des voyelles antérieures (§ 4.1.6), les graphies i et e connaissent certaines vacillations, dès la période ancienne : te-es-su-mi-us KBo 17.1+ ii 35 (VH), face à ti-is-sum-mi-us « coupe » KBo 17.3+ ii 16 (acc. pl.) (VH) ; tuh-uh-e-sar KBo 25.36 iii 3 (VH), face à tuh-uh-i-sar à postuler l’existence d’un « phonème » /æ/ dont l’apparition serait contextuellement conditionnée (en l’espèce, par un /j/ antécédent). 57  L’hypothèse d’une alternance apophonique ye- : ya- soutenue par Kloekhorst (2008 : 131, 381-382) au sujet de la flexion de ce verbe est improbable, les situations de flottements ne répondant à aucune structuration morphologique particulière. 58  Voir Donegan Miller 1976 : 151sq. pour une collection de témoignages (non pour l’analyse phonétique). On peut ajouter que dans les manuscrits cyrilliques anciens, les confusions entre les lettres ě (jat’) et ja sont fréquentes (Lépissier 1968 : 10-13), tout comme le sont les variations entre /e/ et /a/ derrière /j/ dans l’évolution des langues slaves (Samilov 1964).

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Relations inter-segmentales

« fumigation » KBo 17.15 Ro 17 (VH). Dans l’histoire de la langue, certaines graphies anciennement écrites i sont représentées par e, et réciproquement, tandis que d’autres témoignages montrent des fluctuations plus ou moins continues dont la direction, s’il y en a une, n’est pas discernable. La documentation vieux-hittite authentique étant considérablement moins étendue que celle des strates ultérieures, il est difficile de mesurer dans quelles proportions, exactement, la variation e ↔ i s’accroît avec l’évolution de la langue plus qu’avec les discordances entre graphies que fait apparaître l’accroissement des témoignages, particulièrement quand on compare des données issues de périodes différentes. La variation e ↔ i constitue un des problèmes les plus ingrats de la phonologie hittite, parce que ses termes mêmes ne se laissent pas nettement circonscrire. (1) Données. – On ne tiendra pas compte ici des témoignages dans lesquels /i/ ou /e/ correspondent à des morphèmes ou à des noyaux de morphèmes : les unités qui se trouvent dans ce cas en étant attestées dans le vocalisme concurrent, tantôt rarement, tantôt massivement, se justifient par l’analogie, comme ⸗s-e → ⸗s-i (conformation envers le -i de la flexion nominale) ; déloc. k-ī, k-ē → k-ē, k-ī (les cas nominatif et accusatif tendent à se confondre dans la flexion animée), ou bien par des usages graphiques (sur le pseudo-changement 1sg. -hhe → -hhi, voir § 4.1.7(4)). Les vacillations voc. -e → -i, dat.-loc. sg. -i → -e, dét. in-i → en-i ; acc. pl. -es → -is (Sidel’cev 2002) ne sont pas justifiables en termes de pressions analogiques, mais bien qu’attestées, elle demeurent rares, voire exceptionnelles. Les témoignages dans lesquels une vacillation i ↔ e n’est pas attribuable à la morphologie mettent en évidence toute les situations logiquement envisageables. Les listes d’exemples que l’on cite ci-dessous, peuvent toutes être allongées ou diminuées, leur effectif étant formé d’unités dont le caractère fortuit ou représentatif est entièrement soumis à l’appréciation, en dernière instance, subjective, de la proportion des variantes e par rapport à celle des variantes i. (a) Les graphies i et e sont stables. – Certains lexèmes sont invariablement écrits soit avec e, soit avec i sans faire varier la hauteur de ce vocalisme : (61) stabilité de i et de e ais-/is- « bouche » idalu- « mauvais inarā- (et dériv.) « fermeté » isiyahh- « pister, espionner » issalli- « salive » iwar « de même » kis- « devenir »

es- « être » ega- « glace » etri- « nourriture » esri- « image, forme » utne- « pays » lē opérateur de négation mema- « parler »

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Chapitre 8

D’autres mots encore ont un vocalisme stable, mais leur témoignage a moins de poids car la voyelle /e/ y constitue un indice de variation apophonique dont le maintien peut répondre au besoin de maintenir l’intégrité d’une relation morphologique : ed-/ad- « manger », eku-/aku- « boire », epp-/app- « saisir », kuen-/kun- « tuer », te-/tar- « parler », etc. De même, on ne tient pas compte de mots où i demeure stable : (a) au voisinage de /j/ dans un rapport de coarticulation imposant un degré de constriction similaire (iyatar- « croissance, fertilité ») ; (b) dans des contextes où l’absence de voyelle serait équivalent à une séquence prohibée à l’initiale du mot (§ 8.10.3), où la graphie i, en concurence avec d’autres vocalismes, reflète une voyelle d’anaptyxe. L’intérêt des données du tableau (61) est de certifier que la vacillation i ↔ e n’atteint pas tous les lexèmes, autrement dit, qu’elle ne traduit pas des propriétés intrinsèques des voyelles e et i, mais bien une interaction entre les voyelles e, i et leur contexte. (b) Les graphies i et e sont constamment instables. – Les graphies i et e varient dans des conditions documentaires qui ne permettent ni de discerner un vocalisme de référence, ni l’éventuelle stratification chronologique d’un changement, si tant est qu’un changement soit véritablement en cause (voir Hoffner & Melchert 2008 : 27-29). Une flexion bien documentée comme celle de ke/issar- « main » fait légèrement dominer i sur e au plan fréquentiel, en reflétant une vacillation i ↔ e à pratiquement tous les cas (Rieken 1999 : 278-281) : (62) variation e : i dans la flexion de ke/issar- « main » nom. ki-is-si-ra-as ke-es-si-ra-as 32.14 Vo 43 (VH/nh) KBo 6.4 i 8 (VH/nh) acc. [ki-i]s-se-ra-an ke-es-si-ra-an KBo 17.45 : 5 (VH) KBo 19.132 Ro 3 (MH/nh) instr. ki-is-sar-ta ke-es-sar-ta KBo 20.8 Ro 11 (MH) iii 16, 17 (MH) abl. ki-is-ra-az ke-es-sa-ra-az IBoT 1.36 iii 57 (MH) KUB 20.73 : 5 (/nh) Une fluctuation similaire s’observe avec de nombreux autres lexèmes sans qu’elle revête partout les mêmes proportions, ni la même ampleur : (63) variation e : i isna- « pâte »

acc. pl. is-sa-na-as e-es-sa-na-as KUB 24.9 iii 6 (VH/nh) KUB 41.1 iii 21 (VH/nh)

Relations inter-segmentales

he/inkan- « peste »

dir. hi-in-kán KUB 14.1+ Ro 2 (MH) dat.-loc. hi-in-ga-ni KUB 4.72 Vo 7 (VH) e/ishahru- « larme » dir. is-ha-ah-ru KUB 36.25 iv 5 (/nh) gén. is-ha-ah-ru-wa-as KUB 31.77 i 7 (NH) iluyanka- « serpent » il-lu-ya-an-ka-as KBo 3.7 iii 7, 26 (VH/nh) pai- « donner » 2pl. prés. pí-is-te-ni KUB 12.63 Vo 33 (VH/mh) 3pl. pí-ya-an-zi KBo 20.5 iii! 7 (VH) 3sg. prét. pí-is-ta KBo 18.28 Ro 11 (NH) 2pl. imp. pí-is-te-en KUB 23.77 : 58 (MH) se/iknu- « manteau » acc. sg. si-ik-nu-un KUB 2.5 v 11 (/nh) dir. si-ik-nu(⸗sse/it) KBo 54.123 iv 10 (/nh)

481 he-en-ka-an KBo 18.151 Ro 12 (VH/mh) hé-en-ga-ni KBo 22.2 Vo 5 (VH/mh) e-es-ha-ah-ru KUB 7.41 Ro 19 (MH/nh) e-es-ha-ah-ru-wa-as KBo 31.121 : 11 (NH) acc. pl. el-li-ya-an-ku-us KUB 24.7 iii 70 (NH) pé-es-te-ni KUB 13.4 i 55 (MH/nh) pé-e-an-zi KBo 22.235 Ro 4 (NH) pé-es-ta KUB 14.8 Ro 22 (NH) pé-es-tén KBo 10.37 ii 33 (VH/nh), se-ek-nu-un KBo 21.85 i 8 (VH/mh) se-ek-nu VBoT 97 ii? 8 (/nh)

Le problème de l’identification d’un vocalisme de référence se pose particulièrement avec les lexèmes peu attestés, en sorte que quand le volume des graphies i n’est pas simplement équivalent à celui des graphies e, une éventuelle situation de « dominance » repose sur un si petit nombre de témoignages qu’elle en devient insignifiante, par exemple we/idai- « apporter » → 1sg. prét. ú-e-da-ah-hu-un KBo 3.6 ii 10, mais 3sg. prét. ú-i-da-a-it KUB 22.70 i 72 (NH dans les deux cas). (c) La graphie i tend à être concurencée par e. – Une graphie qu’il y a lieu d’estimer être majoritairement ou exclusivement i tend à vaciller avec e dans les tablettes des périodes moyenne et tardive, de façon tantôt marginale, tantôt soutenue. Le vocalisme de la syllabe initiale d’un mot attesté par plus d’une centaine d’occurrences comme lingai / linki- « serment » est régulièrement i dans les copies anciennes et moyennes, mais peut être écrit e dans les témoignages tardifs, sans que la nouvelle graphie supplante complètement i : gén. sg.

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Chapitre 8

le-en-ki-ya-as KUB 22.38 i 6 (NH) mais li-in-ga-ya-as KBo 4.4 iv 60, 68 (NH) ; abl. le-en-ki-az KBo 9.146 Vo 18 (NH), face à li-in-ki-az KUB 30.31 i 16 (NH), acc. pl. le-en-ga-us KUB 14.3 ii 52 (NH), face à li-in-ga-a-us KUB 17.21 iv 16 (MH). Parallèlement, le vocalisme de la syllabe post-initiale vacille dès la période ancienne : acc. sg. li-in-ga-en KUB 36.108 Ro 10 (VH), loc. li-in-ga-e KUB 43.58 i 55 (MH). Cette évolution est comparable à celle que reflète un autre lexème fréquent comme le verbe iss(a)- « faire, accomplir » : la forme rencontrée dans les tablettes anciennes et moyennes est toujours avec i initial (3sg. prés. i-is-sa-i KBo 6.2 ii 25, 3pl. prét. i-is-se-er, même tablette iii 15), vocalisme concurencé par e dans les tablettes tardives : e-es-sa-i KUB 55.5 iv 23 (VH/nh). Moins un lexème est fréquent, plus il est délicat d’apprécier ses éventuelles fluctuations graphiques. Le verbe mima- « refuser, repousser » a, dans sa syllabe initiale une graphie i dans les deux témoignages attestés en vieux hittite authentique (3sg. prés. mi-im-ma-i KBo 19.1 ii 20, 25, 3pl. mi-im-ma-an-zi KBo 6.2 iii 18), tandis que les deux douzaines d’occurrences attestées dans les tablettes moyennes et tardives se répartissent à peu près également entre des graphie i et e (par exemple, 3sg. prét. mi-im-ma-as KUB 17.10 i 8, 9 (VH/mh), me-em-ma-as KUB 33.24 i 7 (VH/nh) – voir CHD L-N 263). Un mot documenté par moins de vingt occurrences, comme le verbe tetha« tonner » reflète, à l’inverse, une situation tranchée : l’unique attestation en vieux hittite authentique reflète i (3sg. prés. my. ti-it-ha KBo 17.11 i 9), alors que toutes les autres reflètent e (te-e-et-ha KUB 32.135 i 3 VH/mh). Il est certain que le vocalisme de ce verbe est stabilisé dans chaque tranche chronologique, mais il est impossible de discerner si e a supplanté un i ancien, comme dans les exemples précédents, ou si ti-it-ha n’est qu’une variante isolée, auquel cas, ce verbe relèverait de la catégorie suivante. (d) La graphie e tend à être concurencée par i. – La graphie i peut devenir une alternative à une graphie e, mais, à la différence de la situation précédente, sans prendre une place dominante : la graphie pí-i-ra-an « devant » KBo 25.23 Ro 7 (VH) est attestée une seule fois face à la graphie massivement dominante pé-e-ra-an KUB 29.30 ii 3 (VH), etc. (pé/í-ra-an demeure équivoque) : es-/as« s’asseoir » → 3sg. prés. my. e-sa-ri (VH), mais i-sa-ri KBo 15.25 Ro 30 (MH), 1sg. prét. my. is-ha-ha-at KBo 16.8 ii 10 (NH), etc. (2) Analyse. – Dans un système à quatre voyelles tel que celui du hittite, l’hypothèse d’une neutralisation de la distinction /e/-/i/ au profit de l’un des des deux phonèmes, donc, en supposant l’élimination de l’autre, serait invraisemblable : il est impossible de postuler une élimination de /i/ car une structuration vocalique de type **/a e u/ n’est documentée dans aucune langue (Liljencrantz & Lindblom 1972 ; Schwartz, Boë & Abry 2007), tandis que le postulat d’une élimination de /e/ laisserait entière la question de savoir

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pourquoi les signes d’écriture incluant un e se maintiennent dans le répertoire graphique. La fluctuation e : i ne peut s’expliquer qu’en fonction de processus locaux et non d’après l’élimination d’une de ces unités. Les justifications proposées jusqu’à présent pour rendre compte de ces variations ne dégagent aucun terme commun (voir la discussion bibliographique chez Sidel’cev 2002 : 65sq.) : on a évoqué un changement détaché de signification linguistique causé par un changement de pratique de la part des scribes (ainsi Kimball 1999 : 169), une assimilation intersyllabique traduisant une harmonisation de hauteur avec la voyelle basse de la syllabe suivante (ainsi Melchert 1984a : 154)59 ; une relation de co-articulation VC « in front of s, n, m and clusters involving /H/ (-lh- and -th-) » selon Kloekhorst (2008 : 93) ; ou encore un empilement de règles différentes d’époques différentes dont les causalités originelles ne peuvent plus être discernées (en dernier lieu chez Hoffner & Melchert 2008 : § 1.65). Bien que les bases de l’analyse soient particulièrement glissantes, chacune des interprétations qui viennent d’être mentionnées rencontrant des témoignages contradictoires, la variation i ↔ e met en évidence quatre propriétés dont la coordination doit être prise en considération : (a) la vacillation de e et de i est bi-directionnelle ; un même locuteur comme le scribe de la tablette moyenne HKM 109 peut écrire i pour /e/ dans sunn(a)- « emplir » 1pl. {sunu-weni} → su-nu-mi-ni (lignes 10 et 16), la graphie dominante étant su-un-nu-me-ni KBo 32.15 ii 16 (MH), aussi bien que e pour /i/ dans indéf.-rel. kui- acc. {Kʷin} → ku-en (lignes 2 et 11), la graphie dominante étant ku-in KUB 13.27 Ro 25 (MH). Il s’ensuit que fluctuation de e et de i ne peut être interprétée en terme d’un conditionnement portant sur la hauteur, la cause motivant l’abaissement d’une voyelle ne pouvant être la même que celle qui justifie l’élévation de l’autre60 ; (b) la vacillation de e comme de i reflète un changement dont le cadre n’est pas l’entourage segmental, mais l’unité lexicale. En vieux hittite, on trouve i dans le vocalisme radical de la flexion de witt- « année » → loc. ú-i-it-ti KUB 4.72 Vo 2 (VH), gén. pl. ú-i[(-it-ta-an)] KUB 29.3 : 2 (VH), mais e dans celui du dérivé *wettantādar- → ú-e-et-t[(a-an-da-an-ni)] KBo 3.22 Vo 64 (VH) (comp. Melchert 1984a : 112-113, Rieken 1999 : 25-28) ; le vocalisme initial de eka- « froid, glace » est, invariablement, e (HW² II, 27), alors 59  Un mécanisme similaire est attesté en shona, langue bantoue du sud, à ceci près que c’est la présence de [a] dans une syllabe antérieure qui cause le passage (régularisé) de [e] à [i] ; voir Beckman 1998. 60  La hauteur de i par rapport à e est principalement déterminée par une élévation du F₁ concomitante à l’abaissement solidarisé des F₂ et F₃ (sur les contextes susceptibles de perturber la distinction, voir Delattre 1961 : 414-417).

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celui du dérivé egai- « refroidir » est, le plus souvent, i : 3sg. prét. i-ga-it VBoT 1 : 27 (MH), 3sg.imp./opt. my. i-ga-at-ta-ru KUB 7.58 i 12 (?/nh) / e-ga-at-ta-ru, même tablette, 8, quitte à refléter d’autres variations encore avec 3sg. prés. my. i-ga-e-et-ta, même tablette, ligne 5 / i-ga-it-ta KUB 35.79 i 7 (s.d.). Comme le montre ce type de témoignages, la variation est indépendante de l’entourage linéaire dans lequel se trouvent les voyelles i et e (ce qui récuse l’approche de Kloekhorst) ; (c) la vacillation de e comme de i atteint certains lexèmes, mais non tous. La vacillation de ces voyelles, quand elle se produit, ne traduit pas ce qui serait une propriété intrinsèque des phonèmes ou des sons e ou de i, mais une variable reliée à la production de e et de i. (d) le témoignage de tuekka- « corps, personne » → dat. pl. tu-e-eg-ga-as (MH) [Tu.wḗ.kʰas], face à tu-ú-i-ig-ga-as KUB 7.1 i 31 (VH/nh) [Tu.wī�.́ kʰas], indique que la variation affecte les voyelles allongées aussi bien que les voyelles non allongées61. L’interprétation vers laquelle oriente la conjonction de ces observation est que les voyelles /e/ et de /i/ connaissent, l’une et l’autre, des réalisation pouvant occasionnellement conduire à leur neutralisation. Or, une confusion occasionnelle de timbres vocaliques, indépendante de leur durée, de leur accentuation ou de leur entourage segmental ne peut s’expliquer que par une réduction de leur contraste acoustique, donc par une centralisation. Il existe, fondamentalement, deux motivations à la centralisation/réduction des voyelles : la première est une réduction de l’espace vocalique, au sens strict du terme, généralement suscitée par la position inaccentuée des voyelles envers les syllabes accentuées ; l’autre, est une diminution d’amplitude du mouvement des articulateurs mobiles, particulièrement, mais non exclusivement, observable lors d’un débit rapide et/ou de faible intensité, dite hypoarticulation. Le premier mécanisme dépend de l’organisation du mot (la place de l’accent), le second du contexte pragmatique dans lequel le mot est employé ; le premier est caractérisé par une diminution de la durée des voyelles, ce qui n’est pas le cas du second (sur les deux aspects de la centralisation, et leur éventuelle intrication, voir Lindblom 1989, Moon & Lidblom 1994, van Bergem 1995). En hittite, le caractère irrégulier de l’échange, son expression bidirectionnelle, son caractère indifférent à la durée, son indifférence au contexte segmental, mais pas au contexte lexical, sont autant d’indices qui, considérés isolément, sont peu informatifs, mais dont le cumul semble trouver

61  Kimball 1999 : 68-79, estime que la distinction ī-ē tendrait à s’effacer en hittite tardif.

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une justification dans la réduction hypoarticulatoire62. On estime donc raisonnable de considérer qu’en hittite, une réalisation hypoarticulée de /i/ et de /e/ en direction de [ɪ], voyelle de hauteur intermédiaire entre /i/ et /e/, mais aussi, et, peut-être, surtout, formée dans une zone plus centrale, est la cause principale à la confusion occasionnelle des graphie i et e. Les variables de l’hypoarticulation n’étant guère systématisables, il va de soi que cette justification se borne à produire un cadre explicatif au phénomène, sans rien prédire de son déclenchement63. 8.11.3 La centralisation des voyelles antérieures Dans l’interprétation ici proposée, les tendances à la confusion de e avec i comme de e avec ya, ont des causalités différentes dont les effets se traduisent par un abaissement global du F₂ des antérieures. Les neutralisations que l’on vient d’évoquer ne s’incarnent pas en un changement phonétique assimilant deux sons différents à un troisième, mais dans des processus au terme desquels certaines propriétés formantiques de voyelles proches, mais différentes se rapprochent au point de créer occasionnellement des confusions. Toute chose égale par ailleurs, le recours aux symboles [æ] et [ɪ] ne vise qu’à identifier la direction vers laquelle le changement oriente, non à déterminer une réalisation phonétique précise (comme l’a montré Flemming 2009, la notion même de schwa peut recouvrir des paramètres acoutiques notablement différents, y compris chez un même locuteur). La tendance à la réduction du contraste des écarts formantiques des antérieures justifie le fait que /e/, qui est la seule voyelle de l’effectif hittite à occuper une position positivement moyenne (ni haute, ni basse), puisse confondre avec /i/ aussi bien qu’avec /a/, tout comme le fait que les neutralisations occasionnelles de /e/ avec /a/ ou avec /i/ se traduisent, dans chaque cas, par des confusions bi-directionelles e ↔ a et e ↔ i. Le fait que /u/ ne soit pas partie prenante dans ces mécanismes, sans jamais se confondre avec aucun autre timbre, dérive de ce que cette voyelle est la seule dont la production implique un trait – arrondissement ou postériorité – qu’aucune autre voyelle de l’effectif hittite ne reflète, ce qui la met hors d’atteinte de potentiels mécanismes de réduction susceptibles de conduire à sa confusion avec une autre voyelle. 62  Groddek 1999 : 43, Sidel’cev 2002 : 72, ont déjà évoqué, à ce propos, l’hypothèse d’une réduction, mais en l’attribuant à une inaccentuation des voyelles, conception que réfute le témoignage de tuekka- → dat. pl. tu-e-eg-ga-as :: tu-ú-i-ig-ga-as. 63  Harrington, Kleber & Stevens 2016, estiment que l’hypoarticulation pourrait être lexicalement corrélée à la fréquence discursive : plus un mot est fréquent, plus il serait susceptible de susciter une réalisation réduite.

486 8.12

Chapitre 8

Traitement du hiatus VV

8.12.1 Le hiatus vocalique Pour autant qu’on puisse juger d’après les graphies, toutes les combinaisons hétérosyllabiques /V₁.V₂/ sont possibles, quelles que soient les propriétés respectives des V (§ 5.3). Il est, toutefois, fréquent d’observer, dès le vieux hittite, une réorganisation des séquences /V₁.V₂/ fondée sur l’insertion optionnelle d’une approximante [w j] (et possiblement [h]) : hattalu- « verrou » → gén. {Hatʰalu-as} ha-at-ta-lu-as [Ha.tʰa.lu.as] KBo 17.11+ iv 32 (VH) / ha-at-ta-luwa-as [Ha.tʰa.lu.was] Bo 5478 i 10 (VH) ; harki- « blanc » → gén. {HarKi-as} har-ki-as et har-ki-ya-as, ker-/kart- « coeur » → gén. {KarTi-as} kar-di-as et kardi-ya-as, etc. Certains phonologues estiments que l’apparition de [j w] constitue, de façon générale, un aspect de la réalisation de /i u/ dans certains contextes, en l’espèce, en hiatus ; cette approche est difficile car certaines langues généralisent l’insertion de [w] ou de [j] indépendamment de la voyelle qui précède, tandis que d’autres généralisent [h] ou [ʔ], y compris derrière /i/ et /u/ (Picard 2003). Il semble donc plus simple de tenir que, dans {Harki-as} → har-ki-as et har-ki-ya-as [Har.ki.(j)as], la semi-voyelle représente bien une insertion, dont la réalisation articulatoire est certes conditionnée par la voyelle qui précède, mais qui, en tant que processus, est indépendant de la voyelle elle-même. 8.12.2 Interprétation des graphies La détection des semi-voyelles n’est absolument sûre qu’avec les signes wa, wi₅ et ya. L’interprétation semi-vocalique des signes u/ú et i demeure soumise à des hypothèses sur la syllabation. Les graphies CV₁-V₂… dans lesquelle V₁ = u/ú/i et V₂ ≠ V₁, montrent qu’il n’existe pas d’appréciation mécanique du problème : une graphie telle que arnu- « faire se mouvoir » → 3pl. prés. {arnu-aNʧi} arnu-an-zi (MH) peut a priori restituer [ar.nu.aɲ.ʧi] aussi bien [ar.nwaɲ.ʧi], tandis que la variante ar-nu-wa-an-zi (MH), qui restitue sûrement [ar.nu.waɲ.ʧi], peut se laisser dériver [ar.nu.aɲ.ʧi] par résolution du hiatus ∅ → [w], aussi que de [ar.nwaɲ.ʧi] par diérèse ∅ → [u]. Par ailleurs, le traitement des semi-voyelles [j w] possiblement ou sûrement insérées secondairement au voisinage de /i u/ diffère de celui des phonèmes /j w/ : l’infinitif {-waNʧi} est presque toujours écrit Cu-(u-)wa-an-zi, V-(u-)wa-an-zi, mais il peut, aussi, apparaître sous une graphie Cu-an-zi dans padd(a)- « fouir » → {Patʰ-waNʧi} → [Pa.tʰwaɲ.ʧi] pát-tu-an-zi ; supp- « sommeiller » → su-pu-an-zi [su.p(ʰ)waɲ.ʧi], etc. (sur les séquences labiale + labiale, voir § 8.1). En d’autres termes, un signe Ci ou Cu en contexte Ci-V, Cu-V peuvent s’interpréter aussi bien [i u] que [j w] en restituant, dans ce dernier cas, aussi bien des réalisation de /j w/ que des insertions [i j].

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Relations inter-segmentales

Les seules interprétations phonétiques qui, en la matière, puissent être déduites des graphies ne peuvent s’appuyer que sur un ensemble de variantes d’un même lexèmes et non sur une graphie isolée : passu- « piédestal » → loc. {Passu-i} pa-as-su-i KUB 15.34 iii 48 (MH) représente [Pas.su.i] plus probablement que [Pas.swi], parce que pa-as-su-ú-i KUB 22.25 Ro 15 (NH), pas-su-u-i Bo 6404 iv 20 (NH) représentent sûrement [Pas.su.wi] explicitée, en l’espèce, par pa-as-su-wi₅ KUB 18.56 iii 12 (NH). L’interprétation des signes aptes à représenter des voyelles comme des semi-voyelles en contexte intervocalique est aussi fuyante que dans les autres contextes. 8.12.3 Règles de résolutions du hiatus Mise à part la question du hiatus crée par les formes clitiques dont les normes de résolutions sont spécifiques (§ 9.14), deux règles gouvernent le traitement du hiatus : (i) toute séquence V₁V₂ est phonologiquement et phonétiquement licite, si bien que la rupture d’un hiatus par l’insertion d’une consonne est, par nature, optionnelle ; (ii) l’émergence d’une consonne venant rompre un hiatus V₁V₂, quand elle se produit, repose sur une approximante dont la sélection est gouvernée par les propriétés de hauteur et d’arrondissement de V₁, celles de V₂ étant indifférentes : (64) sélection de l’approximante en hiatus

∅→j ∅→h ∅→w

V₁

V₂

/i/__ /e/__ /u/__

V V V

Une sélection fondée sur des principes similaires se constate dans beaucoup de langues : en vieil-haut-allemand (dialectes franconiens mis à part), le hiatus tend à être résolu par par [j] derrière voyelle haute antérieure, par [h] derrière voyelle non haute, et par [w] derrière voyelle haute postérieure (Szczepaniak 2014 : 170-171). La voyelle /a/ ne suscite pas l’insertion d’une approximante, du moins pas d’insertion laissant nécessairement une trace dans la graphie (§ 4.1.8). Aucun contexte ne semble exclure la possibilité d’une insertion, tandis que certains la généralisent, particulièrement quand des voyelles /i u/ se trouvent

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aux marges d’un morphème ; la flexion de au- / u- « voir », par exemple, réalise systématiquement {u-+-V …} → [u.wV …], 1sg. opt. my. {u-axaru} u-wa-ah-ha-ru [u.wa.xa.ru], sans jamais refléter *wa-ah-ha-ru ou *u-ah-ha-ru, tandis que celle de ye/a- « faire » admet 3pl. i-ya-an-zi (VH), aussi bien que (plus rarement) yaan-zi (VH), de même que celle de ye/a- « aller » admet 3sg. prés. my. i-ya-at-ta (MH) et ya-at-ta (VH). Barber (2013), a montré que les alternances et resyllabations entre /i u/ et /j w/ reposaient sur des mécanismes régulées de façon plus ou moins similaires dans un grand nombre de langues, sans toutefois nettement mettre en évidence un mécanisme universellement prédictible ou une causalité unitaire. Le fait que les divers amendements ou reformulations de la loi de Sievers proposés par Edgerton, Lindeman ou Schindler laissent, sans exception, des résidus contradictoires montre que ce type de variation est intrinsèquement rétif à une régulation stricte (en français, un même locuteur peut produire [lje] ou [li.je] pour lier). 8.12.4 Réalisations de l’insertion ∅ → [w j h] Un [j] étant inscrit dans la réalisation phonétique de /e/ devant /a/ (§§ 4.1.58), la question du traitement du hiatus par insertion approximante est limitée, de fait, aux séquences /ia/, /iu/, /ua/, /ui/ (sur /eu/, voir § 4.1.5). Il s’ensuit que les processus d’insertion de [w j] sont optionnellement utilisés dans des séquences V₁V₂ quand deux conditions sont réunies : – V₁ est non basse (= /i u e/) ; – V₁ et V₂ diffèrent par l’arrondissement ; La sélection de la semi-voyelle résulte de ce qu’elle est formée au moyens des mêmes gestes articulatoires que V₁ : arrondissement labial pour ∅ → [w] / u__, rapprochement de la langue du palais dur pour ∅ → [j] / i__. (1) Insertion de [j]. – On ne semble pas rencontrer de séquence /i.u/ suscitant une réalisation [i.ju] ; les témoignages de réalisations /i.a/ → [i.ja] sont en revanche fréquents : halzai- « appeler » → 3pl. prés. hal-zi-an-zi IBoT 1.36 iii 78 (MH), mais hal-zi-ya-an-zi, même tablette iii 75 ; appa-/appi- « être achevé » → 3pl. prés. {api-aNʧi} a-ap-pí-an-zi (VH), ap-pí-an-zi (VH/nh), ap-pí-ya-an-zi (VH/nh) ; auri- « vigie » → dat.-loc.pl. a-ú-ri-ya-as ; sankun(n)i- « prêtre » → abl. sak-ku-ni-an-za et sa-an-ku-un-ni-ya-an-za (NH) ; hali- « enclos » loc. pl. ha-ali-e-as KBo 6.2+ iii 47 (VH) se lit [Ha.li.jas] (§ 4.1.8), etc. Pour des raisons propres à la dérivation morphologique, quand une séquence /i.-a/ correspond à la fois à une limite syllabique et à une limite morphologique, comme dans la formation de noms abtraits en {-adar-} à partir de thèmes en {… i-}, la première voyelle est effacée par la suivante : hatuka/i« terrifiant » → hatukatar « terreur » ; palhi- « large » → palhatar « largeur » (voir, plus largement, § 8.16.2).

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(2) Insertion de [w]. – Autant les séquences */Vwu/ ou */uwV/ ne sont pas tolérées quand /u/ et /w/ constituent des phonèmes, en imposant régulièrement à /w/ de passer à [m] (§ 8.1.1), autant les séquences /uV/ forment un contexte susceptible d’appeler une réalisation [uwV], laquelle, à la différence de /uwV/, ne déclenche pas la règle. (65) traitement des séquences /uV/ et /uwV/ au-/u- « voir » 3pl. {u-aNʧi} [u.waɲ.ʧi] ú-wa-an-zi arnu- « faire aller » inf. {arnu-waNʧi} [ar.nu.maɲ.ʧi] ar-nu-ma-an-zi Les témoignages de réalisation occasionnelles de ce processus sont nombreux dès le vieux hittite : hattalu- « verrou » → gén. {Hatʰalu-as} ha-at-ta-lu-as (VH) et ha-at-ta-lu-wa-as (VH) ; wappu- « berge » → gén. wa-ap-pu-as et wa-ap-puwa-as ; unu- « orner » 3pl. prés. ú-nu-wa-an-zi (MH/nh) ; pahsanu- « protéger » → 3pl. pa-ah-ha-[as-]sa-nu-an-zi (MH/mh) et pa-ah-sa-nu-wa-an-zi (NH) ; arnu- « mettre en mouvement » → 3pl. prés. ar-nu-an-zi (MH), ar-nu-wa-an-zi (/nh) ; kistanu- « éteindre » → 3pl. prés. ki-is-ta-nu-an-zi (VH/nh) et ki-is-ta-nuwa-an-zi (VH/nh), etc. (3) Insertion de [h]. – L’hypothèse d’une insertion de [h] n’est fondée que sur le témoignage isolé, donc fragile, du verbe {Pe-ude-} → [Pe.hu.de-] pehute« mener, conduire (au loin) » (voir, plus en détail, § 4.12.2). Comme dans les autres cas d’insertion, ce mécanisme est optionnel, les autres témoignages de séquences /e.u/ étant maintenues comme telles : {Tame-uman-} « autre, différent »→ ta-me-e-u-ma-an ; déloc. kā- → acc. pl. ke-e-us KUB 14.8 Vo 18 (NH) (forme analogiquement refaite en remplacement de ku-u-us). 8.12.5 Statut de /a/ en hiatus La voyelle basse présente, en hiatus, un comportement qui la distingue des autres voyelles : – quand elle est en position V₁ dans un hiatus V₁V₂, la voyelle /a/ ne déclenche l’insertion d’une approximante que devant /u/ : pai- « aller » → 1sg. prét. {Paj-un}, forme normalement réalisée [Pā�.un] pa-a-un KBo 17.3 iv 9 (VH) (§ 8.16.2), peut, occasionnellement, susciter l’insertion d’une semi-voyelle [Pā́.wun] pa-a-u-un KUB 23.11 iii 15 (MH/nh) ; en revanche, devant /e/ ou /i/, le hiatus est maintenu tel quel : suhha- « éparpiller, répandre » → 3pl. prét. {suxa-er} su-uh-ha-er [su.xa.er] (VH), ha- « croire » → ha-a-er (VH/nh), la- « détacher » → la-a-er (VH/nh), etc. – quand elle est en position V₂ dans un hiatus V₁V₂ /a/ peut être précédée de [j] comme de [w], selon les propriétés de V₁; – quand elle est en position V₁ et V₂ dans un hiatus, la voyelle /a/ maintient le hiatus quand celui-ci résulte de l’élimination d’un autre segment : pai- /

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pi- → 3pl. {Paj-aNʧi} → pa-a-an-zi [pā�.aɲ.ʧi], a(y)- → {aj-aNT-s} → a-a-anza [ā�.anTs], etc. (§ 6.6.2). On ne saurait naturellement exclure, que le hiatus /a.V/ suscite l’insertion d’une consonne ne suscitant pas d’expression graphique, [h] ou [ʔ], auquel cas on aurait pa-a-an-zi [pa.haɲ.ʧi], [pa.ʔaɲ. ʧi] (sur les paramètres susceptibles de favoriser l’insertion d’une consonne, dans les langues où le hiatus est phonétiquement toléré – accentuation, poids syllabique, morphologie –, voir Casali 2011 : 1436). En revanche, un hiatus résultant de la mise en relation de morphèmes distincts se traduit régulièrement par une coalescence (voir, ci-après). 8.12.6 La coalescence Avec des voyelles de même timbre, la coalescence semble obligatoire quand celles-ci appartiennent à des morphèmes différents : antara- « bleu » → dérivé {antara-ant-} dir. an-ta-ra-an-ta-an ; we-/uwa- « venir » → 3pl. prés. {uwa-aNʧi} ú-wa-an-zi (VH) ; mienu- « doux, charmant » (nom et adj.) → nom. {mienu-s} mi-e-nu-us KUB 17.12 ii 12 (/nh) / acc.pl. {mienu-us} mi-e-nu-us KBo 3.28, 16 (VH/nh) ; parsdu- « feuillage » → nom. {ParsTu-s} pár-as-du-us KUB 33.24 i 14 (VH/nh) / acc. pl. {ParsTu-us} pár-as-du-us KUB 60.144 : 4 (s.d.). Les graphies identiques du nominatif sg. {… Cu-s} et de l’accusatif pl. {… Cu-us} indiquent que la durée de la voyelle n’est pas modifiée par la coalescence. En revanche, des séquences de voyelles identiques au sein d’un même morphème sont préservées dans des thèmes comme suu- {suu-} « plein, intact, complet » (§ 6.6.2). La coalescence apparaît donc gouvernée par une relation simple : les voyelles de même timbre en hiatus intra-morphologique ont une réalisation phonétique indifférenciée /VV/ → [VV], alors que les voyelles en hiatus inter-morphologique fusionnent /V-V/ → [V]. La même règle est valable pour les consonnes continues : le dérivé itératif {ses-sKe-} de ses- « dormir sommeiller » reflète 3pl. [ses.Kaɲ.ʧi] se-es-kán-zi KUB 29.36 + 29.35 iv 6 (VH), alors que rien ne s’opposerait, au plan phonétique, à une gémination de /s/, comme le montre dans 1sg. prét. {sés-un} → [sés.sun] se-es-su-un KUB 52.91 ii 4 (NH). En frontière de clitiques, quand les séquences /n⸗m/ suscitent une assimilation [m⸗m], celle-ci peut, pareillement, tomber sous le coup du même processus pour aboutir à [m] (§ 9.12.3). La norme ne s’applique pas aux séquences /TT/ (§ 8.2). 8.12.7 Tendance à la diérèse ∅ → [u] / __.wV, ∅ → [i] / __.jV En position prévocalique, les semi-voyelles /w j/ peuvent avoir tendance, dès le vieux hittite, à faire émerger, immédiatement devant elle, une voyelle [u i] en position de noyau syllabique. Ce mécanisme est attesté dans tous

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les environnements, à l’intérieur des morphèmes, comme en limite de morphèmes : – /(V.)wV/ → [V.u.wV …] : arawa- « libre, exempt » nom. {arawa-s} → [a.ra.was] a-ra-u-as (VH), face à [a.ra.u.was] a-ra-u-wa-as (VH) ; ewan- (type de céréale) → dir. e-wa-an [e.wan] (VH), face à e-u-wa-an [e.u.wan] (MH/nh) ; watar- « eau » → loc. ú-i-te-e-ni [wi.de.ni] (MH). mais gén. ú-wi₅-te-na-as [u.wi.de.nas] (MH/nh) ; newa- « nouveau » → dir. sg. ne-e-wa-an [nē.wan] KBo 21.22 : 26 (VH/mh), mais ne-e-u-wa-an [nē.u.wan] KUB 20.54 + KBo 13.122 : 6 (VH?/nh) ; – /C.wV/ → [Cu.wV] : has- « ouvrir » 1pl. prés. {Has-weni} → [Has.swe.ni] ha-as-su-e-ni KBo 19.156 Ro 9 (VH), face à [Has.su.we.ni] ha-as-su-ú-e-ni KBo 25.139+ Vo 1 (VH), ar- « venir arriver » → 1pl. e-ru-e-ni [er.we.ni] (NH) et e-ru-u-e-ni [e.ru.we.ni] (NH), wes-/was- « être vêtu » → wa-as-sa-u-e-ni (MH) et wa-as-su-ú-e-ni (NH) ; ak(k)- « disparaître » → 1pl. ak-ku-e-ni [a.kʰwe.ni] (NH) et ak-ku-u-e-ni [a.kʰu.we.ni] (NH) ; pai- « aller » → 1pl. {Paj-wani} pai-wa-ni [Paj.wa.ni] (VH) face à pa-i-ú-wa-ni [Pa.ju.wa.ni] (VH/nh) ; sarnink« compenser » → inf. {sarniNK-waNʧi} → [sar.niŋ.Ku.waɲ.ʧi} sar-ni-in-kuwa-an-zi (NH), sar-ni-in-ku-u-wa-an-zi (NH), etc. L’insertion de [u] semble généralisée quand une séquence /wV/ forme le degré plein d’un morphème apophonique dont le degré zéro est /u/ : huwapp- : hupp- « lancer » → 1sg. prés. hu-wa-ap-pa-ah-hi KUB 7.57 i 7 (VH/nh) face à 3pl. prés. hu-up-pa-an[-zi] KBo 8.68 i 20 (NH) restitue une alternance *{Hwapʰ- : *Hupʰ-} (la fricative est peut-être labialisée ?) → ; de même, huwart- : hurt« maudire », etc. L’émergence de [u] peut mettre /w/ en situation de tomber sous le coup de la règle /w/ → /m/ ; outre 1pl. tu-me-e-ni « nous prenons », cf. ped(a)- « prendre » inf. {Ped-waNʧi} → pé-e-tum-ma-an-zi (MH), pé-e-du-ma-an-zi (NH) ; sunn(a)« emplir » → inf. {sun-waNʧi} su-un-nu-ma-an-zi KUB 21.17 iii 10 (NH) ; ce traitement paraît toutefois optionnel comme le montrent des variantes comme arr- « laver » → nom verbal gén. {ar-was} a-ar-ru-wa-as : a-ar-ru-ma-as ; han« puiser » → inf. {Han-waNʧi} ha-nu-wa-an-zi KUB 39.71 i 24 (/nh) et ha-numa-an-zi KUB 29.4 i 59 (/nh). Comme dans le cas précédent, la séquence /wV/ peut susciter une réalisation [uwV] aboutissant au contexte qui, quand il est phonologique /uwV/, déclenche la règle /w/ → [m] : (66) séquences /uV/ → [uwV] et /uwV/ → [umV] sallanu- « élever » 3pl. prét. my. {sallanu-aNTadi} sal-la-nu-wa-an-ta-ti inf. {sallanu-waNʧi} sal-la-nu-ma-an-zi nom verbal {sallanu-war} sal-la-nu-mar

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Le traitement du thème {T-} du verbe da- « prendre » fléchi par 1pl. {-weni} reflète le même mécanisme avec une réalisation tu-me-e-ni [Tu.mē.ni] supposant *[Tu.we.ni], alors que *[Twe.ni] serait une syllabation a priori acceptable64 ; dans la flexion non alternante de padda- « fouir » l’insertion reste optionnelle : inf. {Patʰ-waNʧi} → *[Pa.tʰu.waɲ.ʧi], d’où [Pa.tʰu.maɲ.ʧi] pát-tuu-ma-an-zi KUB 55.45 ii 4, mais variante [Pa.tʰwaɲ.ʧi] pát-tu-an-zi KUB 42.89 Ro 11, Vo 2 (NH). Une différence de comportement entre, d’une part, un [w] en tant qu’il est un son émergeant au voisinage de /u/, de l’autre, un [w] en tant qu’il réalise un phonème /w/ n’est pas rare dans les langues (Lévi 2008)65 ; elle ne n’impose pas de reconnaître une réalisation phonétiquement différenciée des deux [w], mais ne l’interdit pas non plus. L’insertion d’une voyelle motivée par la semi-voyelle est surtout documentée avec la labio-vélaire, mais le traitement parallèle est également attesté : ye/a- « faire « accomplir » → 3pl. prés. ya-an-zi KBo 25.98 dr. 6 (VH), i-an-zi KUB 32.130 : 24 (MH) [jaɲ.ʧi], face à i-ya-an-zi [i.jaɲ.ʧi] KBo 17.30 ii 6 (VH) ; ye/a- « aller » → 3sg. prés. my. ya-at-ta [ja.tʰa] KUB 36.106 Ro 2 (VH), face à i-ya-at-ta [i.ja.tʰa] KUB 39.54 Ro 13 (NH), etc. En l’absence de morphèmes suffixaux débutant par /j/, l’insertion de [i] n’est véritablement observable qu’à l’initiale où, elle est, par ailleurs, tout comme celle de [u], fréquente puisque la plupart des morphèmes lexicaux en {jV …-} ont une réalisation iyV …, voire une réalisation exclusivement diérétique ({jaNT-} « mouton » est toujours écrit iyant-). On peut soupçonner que la graphie ais« bouche » → dir sg. a-i-is (VH) restitue une réalisation {ajs-} → [a.ijs] ou [a.jis]. Des témoignages comme pai- « donner » → 1pl. pí-ú-en KBo 17.105 iii 30 (MH) face à pí-ya-u-e-en KBo 10.37 iv 15 (VH/nh) reflètent une restructuration du thème pai- → piya- (voir CHD P 40sq.). Autant le traitement est banal quand V = /a/, autant il n’est pas représentable dans l’écriture quand V = /e/ : on a toujours ye/a- « faire » → 3sg. prét. i-e-et (rarement e-et KUB 36.41 i 5 [MH]) [jḗT], face à i-ya-at [i.jaT], mais jamais *i-i-e-et, ce qui ne récuse pas la possibilité d’une syllabation [i.jḗT]. La diérèse est essentiellement fondée sur un décalage de durée aboutissant à scinder une unité syllabique en deux ; l’interrogation que soulèvent ces données est de discerner comment et dans quelle mesure l’accentuation, qui est une des causes les plus fréquentes de restructuration syllabique peut être impliquée, alors que ce processus connaît notoirement une propension à 64  Cf. tuekk- « corps » → abl. du-eg-ga-az ; ed- « manger » → 1pl. prés. a-tu-e-ni. 65  Cette observation réfute la conception de Kloekhorst 2008 : 29, selon qui « in Hittite there is no phonological distinction between /ViV/ and /VuV/ and /VjV/ and /VwV/ ».

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s’affranchir de toute régulation phonologique, y compris chez un même locuteur (en français, louer varie constamment entre [lwe] et [lu.we]). 8.13 L’anaptyxe 8.13.1 La résolution anaptyctique ∅ → [ə] Le développement d’une voyelle d’anaptyxe constitue le mode de résolution le plus fréquemment utilisé dans les situations où existent des conflits de syllabation, quelle que soit leur cause. La voyelle d’anaptyxe est explicitée des signes CV et VC faisant éventuellement alterner librement les timbre a, e ou i (67a), sauf dans l’environnement labial où elle est représentée par u (§ 67b) : (67) graphies des voyelles d’anaptyxe a. hatk- « fermer » itér. {HaTK-sKe-} → [HaT.KVs.Ke-] hink- « s’incliner » itér. {HiNK-sKe-} → [Hiŋ.KVs.Ke-] wak- « frapper » 3 sg. prét. {wakʰ-s} → [wa.kVs] b. nekut- « soir » nom. {neKʷt-s} → [ne.Kʷuts] tarn(a)- « laisser » nom verbal {Tarn-war} → [Tar.nu.mar]

ha-at-ga-as-kán-zi ha-at-ki-is-kán-zi hi-in-ga-as-kán-zi hi-in-ki-is-ki-iz-zi wa-qa-as wa-a-kis ne-ku-za tar-nu-mar

Il n’existe pas de configuration à même de justifier la sélection de e/i plutôt que a, même si la graphie d’un lexème donné tend, généralement, à fixer un timbre au détriment des autres66. Le recours une alternance de timbres vocaliques différents pour représenter une voyelle anaptyctique indique que celle-ci ne s’identifiait à aucune des réalisations naturellement associées à /a e i u/ en particulier, ce qui l’identifie vraisemblablement à [ə], son qui, parmis les voyelles, est le seul dont la production ne sollicite aucun geste ou coordination gestuelle qui lui soit propre (Browman & Goldstein 1992a). Le timbre [u] caractérisant les voyelles

66  Les conclusions de Kavitskaya 2001, selon qui i/e serait sélectionnée pour résoudre les conflits de sonorance, tandis que a serait utilisée dans les cas de syllabation conforme, sont, l’une et l’autre, en discordance avec les données.

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d’anaptyxe au voisinage des labiales labialisée [xʷ gʷ] résulte vraisemblablement d’une assimilation secondaire de [ə]. L’apparition de la voyelle [ə] est générée par des configurations singulières, en conséquence de quoi, ce son n’est opposable à aucune autre voyelle dans le même contexte, ce qui situe [ə] à part de l’effectif des phonèmes. 8.13.2 Anaptyxe et fluctuations graphiques Une voyelle d’anaptyxe est toujours représentée par un signe CV ou VC (plus rarement CVC), jamais par un signe de type V. Une fluctuation des voyelles a et e/i dans un même contexte peut être tenue comme significative d’une anaptyxe si elle se constate dans un contexte où l’absence de voyelle produirait un conflit de syllabation. C’est le cas, par exemple, de kapart- « petit rongeur » → acc. ga-pár-ta-an, ga-pí-ir-ta-an où [Ka.bər.Tan] résout l’impossibilité d’une coda *[br.] comme d’une attaque *[.rT] ; de même, dans sarap- « siroter » → nom verbal gén. sa-ri-pu-wa-as (NH), sa-ra-ap-pu-wa-as (MH/nh), les graphies restituent [sa.rə.pʰu.was] en compensation de la prohibition de *[sa.rpʰu.was] par la sonorance et à celle de *[sar.pʰu.was] par la phonotactique (sur la vacillation p : pp, voir § 8.1.4). En revanche, une fluctuation a :: e/i survenant dans un contexte ne correspondant pas à une contrainte phonétique particulière ne peut être légitimement assimilée à une anaptyxe ; du moment où une séquence [ml], attestée en tant que séquence de consonnes, est conforme à la condition de croissance de sonorance des attaques syllabiques (e.g. sam(a)lu- « pomme » → abl. saam-lu-wa-an-za), une variation comme celle qu’illustre militt-, malitt- « miel » → gén. mi-l[i-i]t-ta-as KUB 25.32 iii 37 + KUB 27.70 iii 3 (NH), face à dat.-loc. ma-li-it-ti Bo 3757 ii 5, peut a priori reposer sur une alternance morphologique / militʰ- : malitʰ-/, aussi bien que sur un thème /mlitʰ-/ faisant usage de voyelles factices en syllabe initiale. La même observation s’applique au cas du verbe samen- « passer, se défiler, disparaître » dont les variantes 3sg. prés. se-me-en-zi KUB 29.29 Ro 7 (VH), sa-me-en-zi KBo 21.68 i 3 (VH) n’ont pas de motivations au plan phonologique. Certaines situations sont peu nettes : la variation dont témoigne kastant- / kistant- « faim » → nom. ka-as-ta-an-za (NH), instr. ki-is-ta-an-ti-it (VH/mh) peut a priori aussi bien représenter une anaptyxe répondant à l’impossibilité d’une attaque *[Kst] qu’une alternance préhistorique, éventuellement une combinaison des deux facteurs. De même, les fluctuations dont témoignent istama/in- « oreille » → nom. is-ta-mi-na-as (NH) ; acc.pl. is-ta-a-ma-nu-us (VH/nh) ; sa/emen- « disparaître » (ci-dessus-) ; hama/enk- « lier » → 3pl. prés.

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ha-mi-in-kán-zi KUB 2.3 ii 24 (VH/nh) / ha-me-in-kán-zi KBo 39.14 i 2, 3 (VH/nh) / ha-ma-an-kán-zi KUB 10.91 ii 4 (VH/nh) sont vraisemblablement significatives d’alternances morphologiques en voie de déstructuration. Le nom de la « corne (instrument de musique et récipient) » présente une flexion déroutante faisant usage de plusieur thèmes : dir. sg. sa-a-ú-i-it-ra-an (VH), sa-ú-watar (MH?/nh), sa-wa-tar (NH), sa-ú-wa-a-tar (NH), pl. sa-ú-i-it-ra (NH), gén. sa-a-wa-a-tar-as (VH), sa-ú-i-it-ra-as (NH) ; voir CHD S 317sq. Des syllabations [saw.dar], [saw.dra] étant a priori correctes, on ne peut assimiler la curieuse fluctuation ī / ā à une réalisation anaptyctique. Enfin, il est des situations où la question d’une anaptyxe peut être posée en l’absence de toute fluctuation graphique. Le flexion de hassikk- « (être) rassasié », par exemple, reflète un thème en apparence /Hasikʰ-/ (3sg. ha-assi-ik-zi, 3pl. prét. ha-as-si-ik-ke-er, 2sg. ha-as-si-ik, etc., voir HW² III, 421sq.), mais la comparaison avec le palaïte has- « étancher sa soif » indique que le verbe hittite est un dérivé en -ske-, en conséquence de quoi, il semble plus probale de voir dans ha-as-si-ik-ke-er la morphologisation d’un thème {Has-isK-+-er} dérivé d’une base {Has-sK-+-er} → [Has.sə.kʰer] (voir ci dessous, § 8.13.4(6)). 8.13.3 Placement de la voyelle d’anaptyxe La seule règle en matière de placement de la voyelle d’anaptyxe est qu’elle prend préférentiellement position à l’endroit où elle assure le différentiel de sonorance le plus élevé entre deux consonnes. Le placement de [ə] semble particulièrement vacillant en contexte /# TsCobstr./ où la recherche d’une sonorance maximale peut être concurrencée par la nécessité de préserver l’intégrité de /sCobstr./ : {TsH-} « rêve » → instr. [Təs.HiT] teshit et [Tsə.HiT] zashit « en rêve » (§ 8.13.5(2)). 8.13.4 Conflits de sonorance La plupart des manifestations anaptyctiques sont suscitées par des conflits de sonorance. Certains conflits sont prévisibles quand certains morphèmes sont mis en relation avec d’autres. (1) Affixes flexionnels ou dérivationnels en -/w …/. – Le /w/ initial caractérisant certains morphèmes (1pl. -wen(i), infinitif -wanzi, nom verbal -war), du fait de son haut niveau de sonorance, crée prévisiblement un conflit de syllabation quand il est précédé de deux consonnes : la voyelle d’anaptyxe [u] que l’on constate dans tarn(a)- « laisser » → 1pl. tar-nu-me-ni, inf. tar-nu-umma-an-zi, nom verbal tar-nu-mar traduit l’impossibilité de *[Tarn.war], d’où [Tar.nu.war].

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(2) Instrumental en {-T}. – Le morphème d’instrumental en {-T} crée nécessairement un conflit de sonorance quand il fléchit un thème en {… CC-}. Cette situation peut être résolue par l’insertion d’une voyelle dans le thème lui-même : ke/isr- « main », instr. {Kisr-T} → ki-is-sar-ta (VH) / ki-is-sar-at (NH) [Ki.sərT] (une syllabation **[KisrT] est impossible) ; sagan- « huile » → sa-gánda [sa.gənT] KBo 22.2 Vo 2 (VH), avec un thème écrit sagan- par opposition au thème sakn- des autres formes obliques : gén. sa-ak-na-a-as, sa-ak-na-as, loc. saak-ni ; watar- « eau », instr. {widn-T} → ú-i-ta-an-ta (VH) / ú-i-te-ni-it (MH/nh) [wi.dənT] / [wi.də.nəT]. Comme le montrent ces dernières variantes, il y a tout lieu d’estimer que la variante -e/it de {-T} repose elle-même sur une anaptyxe morphologisée. (3) Ablatif en {-ʧ}. – Sur la résolution des conflits de sonorance issu de la flexion par {-ʧ} de thèmes en plosive, voir § 8.13.7b. (4) Désinences 3sg. prés. {-ʧi}, 3sg. prét. {-tʰa}. – Le verbe taks- « assembler, donner forme », reposant sur /Takʰs-/ d’après la graphie 1sg. prét. ták-ke-es-suun (NH), est écrit taks- devant -V (3pl. prés. ták-sa-an-zi, 3pl. prét. ták-se-er, VH dans les deux cas) et takVs- devant -C. La présence de cette voyelle est motivée par le conflit prévisible quand {Takʰs-} est fléchi par des morphèmes en {-ʧ…}, comme 3sg.prés. ták-ki-is[-zi] (VH), ou en {tʰ…}, comme 3sg. prét. ták-ki-ista (VH). La voyelle a été analogiquement diffusée dans des contextes où elle n’était pas appelée, par ex. 2sg. prés. ták-ki-is-si (VH/nh), tág-ga-as-si (VH/nh), au point de former un nouveau thème verbal takiss- dont témoigne l’évolution 3pl. prés. ták-sa-an-zi (VH) → ták-ki-is-sa-an-zi (NH). (5) Désinences 3sg. prétérit actif {-s}. – On s’attend à ce qu’un morphème {-s} produise un conflit de sonorance lorsqu’il fléchit des thèmes en obstruantes non sibilante, éventuellement un plateau avec /x/ ou /s/. Or, il s’avère que les traitements reflétés par le morphème {-s} de 3sg. prétérit actif de la flexion verbale (flexion en -he) et du morphème {-s} du nominatif singulier de la flexion nominale sont différents : les contraintes dérivant des relations de sonorances s’appliquent normalement dans le premier cas, mais pas dans le second (type de nahsaratt- « crainte » → nom. [naɣ.sa.ratʰs] na-ah-sara-az, traité ci-dessus, § 8.10.2). Dans la flexion verbale, la résolution des conflits de syllabation … Cs #, issus de ce que C est un segment égal ou inférieur en sonorance à /s/ (donc /x ʧ pʰ tʰ kʰ/) passe par l’insertion d’une voyelle écrite … Cas # plus rarement … Cis # :

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(68) thèmes verbaux en vélaire ou labiale fléchis par {-s} istapp- « bloquer » is-tap-pa-as KUB 33.106 iii 38 (NH) huwapp- « être hostile » hu-u-wa-ap-pí-is KUB 43.75 Ro 19 (VH/nh) karap- « dévorer » ga-ra-pa-as KBo 9.114 : 13 (VH/mh) ka-ri-pa-as (/nh) pipp(a)- « mettre à terre » pí-ip-pa-as (VH/mh) pí-ip-pa-a-as (VH ou MH/nh) ak(k)- « périr » a-ak-ki-is KBo 6.2 iv 3 (VH) a-ki-is KBo 3.34 ii 12 (VH/nh) wak- « frapper » wa-a-kis (NH) wa-qa-as (NH) nini(n)k- « mettre en marche » ni-ni-in-ga-as sali(n)k- « toucher » sa-li-ka-as (MH) hantezziyahh- « faire premier » ha-an-te-ez-zi-ya-ah-ha-as maniyahh- « exposer » ma-ni-ya-ah-hi-is (VH/nh) tatrahh- « inciter » ta-at-ra-ah-ha-as KUB 23.11 iii 6 (MH/nh) watarnahh- « ordonner » wa-tar-na-ah-hi-is KBo 3.38 Ro 23 (VH/nh) Avec les thèmes en plosive coronale, l’existence d’un conflit est net dans des cas comme hurt- « maudire » → 3sg. prét. {HurT-s} hur-ta-as KUB 22.70 Ro 8 (NH), hu-wa-ar-ta-as KUB 22.70 Ro 86 (NH) [Hu(wa)r.tʰəs], mald- « réciter » → ma-al-ta-as KUB 5.6 i 32 (NH) supposant {maltʰ-s} → [mal.tʰəs] (alors que *{mald-s} ferait attendre *ma-al-za). Les autres témoignages sont, à divers titres, moins clairs : – le voisement de certaines plosives coronales semble fluctuant derrière d’autres consonnes, notamment nasales. Le traitement reflété par istarnink- « affliger » → 3sg. is-tar-ni-ik-za (MH) semble indiquer une plosive voisée tandis que ispant- / sip(p)ant- « faire une libation » fait alterner des

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réalisations 3sg. prét. {sPaNT-s} → si-pa-an-da-za KUB 19.37 ii 24 (NH), supposant une coda [Ts], et si-pa-an-da-as KBo 15.10 iii 54, 58 (VH/mh), supposant une syllabe [Təs]. Le caractère fluctutant de ces témoignages peut être justifié en fonction d’un traitement dont il existe d’autres exemples (§ 8.7.4). – Les verbes de cette catégorie font facilement émerger des thèmes secondaire en … a-, ce qui fait peser une incertitude sur l’interprétation de certaines de ces données : ispart- « s’échapper » → is-pár-za-as KUB 23.93 iii 15 (NH) repose sur isparza- (comp. 3pl. prét. is-pár-te-er : is-pár-ze-er) tandis que pí-ip-pa-a-as avec voyelle répliquée suggère la flexion de pippa- plus que de pipp-. Dans cette perspective, il y a lieu d’estimer que 3sg. prét. pé-eta-as KBo 22.2 Ro 4 (VH ? MH ?) est fléchi sur le thème peda- « transporter » (cf. 2pl. imp. pé-e-da-at-te-en) {Peda-s}, et non sur le thème ped- dont la réalisation [Peds] aurait été aurait été écrite *pé-ez(-za). – quand -s fléchit un thème en résonante ou fricative voisée, il n’est pas possible de discerner si des graphies comme sar(ra)- « diviser » → 3sg. prét. sa-a-ar-as Bo 90/732 : 62 (VH), sar-ra-as KUB 23.72 Vo 3 (MH) représentent [sā�rs] ou [sár.rəs] ; de même, tith- « tonner » → te-et-ha-as KUB 43.55 v 13 (NH), etc. Un traitement phonétiquement différencié des coda /plosive + s/ selon le caractère nominal ou verbal du thème fléchi serait phonétiquement peu vraisemblable. Il paraît plus plausible d’admettre que les thèmes verbaux reflètent des nivellements analogiques, ainsi que certains indices tendent à le suggérer : la désinence 3sg. prét. -s représente, en effet, une innovation dans l’évolution anatolienne (Kloekhorst 2008 : 688) ; comme l’a montré Oettinger (1979 : 41), dès le vieux hittite, les verbes à thème en {… s-}, utilisent régulièrement la désinence -tta, et non -s (has- « engendrer » → ha-a-as-ta ; was- « acheter » → wa-a-as-ta, VH). La flexion des thèmes à plosive finale par l’ancienne désinence -tta imposait donc des insertions anaptyctiques lesquelles ont probablement été secondairement intégrées dans les morphèmes thématiques avant le remplacement de -tta par -s. Dans cette hypothèse, par exemple, sali(n)k→ sg. prét. {saliNK-tʰ(V)} → *[sa.li.kətʰ] a été remplacé par [sa.li.kəs], d’où sa-li-ka-as. (6) Dérivation itérative en {-sKe-}. – Quand un thème verbal en {… V-} est dérivé par le morphème d’itératif -ske-, la fricative [s] est automatiquement assigné en coda de la syllabe du thème :

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(69) dérivation par -ske- de thèmes en … Vau- « voir » {u-sKe-} 3pl. prés. us-kán-zi Bo 1291 ii 19 (VH) da- « prendre » {da-sKe-} 1sg. prés. da-as-ki-e-mi KBo 17.3+ iv 10 (VH) nakkē- « être imposant » {nakʰe-sKe-} 3sg. prés. my. na-ak-ke-es-kat-ta-ri KBo 4.14 ii 27 (NH) Le même mécanisme s’applique quand -ske- dérive un thème de forme {… Vs-}, où les deux fricatives en contact entrent en coalescence, et quand il dérive un thème de forme {… VN-}, où la nasale est effacée par [s] (§ 8.7.2) : (70) dérivation par -ske- de thèmes en … Vs/nasas- « asseoir » {asas-ske-} 3sg. prés. a-sa-as-ki-iz-zi → [a.sas.ke-] KBo 17.1+ i 6 (VH) ses- « dormir » {ses-ske-} 3pl. se-es-kán-zi → [ses.ke-] KUB 29.36 + 29.35 iv 6 (VH) kuen- « tuer » {Kʷen-ske-} ku-wa-as-ke-67 → [Kʷas.ke-] KUB 33.66 iii 2 (VH/mh) Par contre, quand un thème verbal dérivé par le morphème -ske- est terminé, soit par une consonne autre que [s] ou [n], soit par une séquence de consonnes, un conflit de sonorance devient prévisible, en motivant l’insertion d’une voyelle écrite aussi bien a que i : (71) dérivation par -ske- de thèmes en conflits de sonorance epp{apʰ-sKe-} 3sg. prés. ap-pí-is-ki-iz-z[i « prendre » → [a.pʰəs.Ke-] KBo 17.35+ iii 17 (VH) hatk{HaTK-sKe-} ha-at-ga-as-ke« fermer » → [HaT.Kəs.Ke-] (MH) ha-at-ki-is-ke(NH) hink{HiNK-sKe-} 3pl. prés. hi-in-ga-as-kán-zi « s’incliner » → [Hiŋ.Kəs.Ke-] KBo 17.36 i 13 (VH) 3sg. hi-in-ki-is-ki-iz-zi KUB 35.54 ii 18 (MH) 67  Sur le possible allongement compensatoire préhistorique reflété par e → a, voir § 8.7.2(2).

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ispand« f. libation » maniyahh« administrer » sanh« chercher » dai- (/ d-) « poser »

{sPaNT-sKe-} → [əs.Pan.Tsə.Ke-] {maniyax-sKe-} → [ma.ni.ya.xəs.Ke-] {saNH-sKe-} → [saŋ.Həs.Ke-] {T-sKe-} → [Tsə.Ke-] → [Tsəs.Ke-]

zahh« battre »

{ʧax-sKe-} → [ʧa.xəs.Ke-]

3pl. [(si-pa-a)]n-za-kán-zi Bo 3752 ii 18 (VH ?/MH ?) 3sg. prés. ma-ni-ah-hi-is-kat-tas KBo 8.42 Vo 12 (VH) 2pl. sa-an-hi-is-kat-te-ni KBo 22.1 Vo 25 (VH) 3sg. zi-ik-ki-iz-zi KBo 17.43 iv 3 (VH) 3sg. za-as-ki-iz-zi KBo 8.74+ iii 15 (VH) 3pl. prés. my. za-ah-hi-is-kán-ta KBo 17.36 ii 16 (VH)

Des formes comme 3sg. za-as-ki-iz-zi face à 3sg. zi-ik-ki-iz-zi indiquent une hésitation sur le placement de la voyelle dont il existe des parallèles (§ 8.13.5(2)). 8.13.5 Autres conflits locaux A côté de situations où l’anaptyxe constitue un procédé régulier de résolution des conflits de sonorance (§ 6.1.2), l’anaptyxe peut répondre à diverses contraintes locales. (1) prévention d’assimilation/dissimilation asa/es- « asseoir » → 3sg. prét. a-sa-as-ta KUB 14.13 i 38 / a-se-es-ta KBo 3.4 ii 20 (NH) ; itér. a-sa-as-ke- (VH) / a-se-es-ke- (MH/nh), indique [a.səs.Ke-] où l’anaptyxe vient prévenir une assimilation *[as(s).Ke-] ; de même, hann(a)« juger » → ha-as-si-ke- KUB 34.84+ i 33 (MH) prévient *[Has(s).Ke-] où la géminée ss dérive de l’élimination de [n], {Han-ske-} → /Has-ske-/. La règle de prévention des séquences de plosives coronales explique, de même, l’anaptyxe dont témoigne da- « prendre » → 2pl. {T-tʰeni} → [Tə.tʰe.ni] da-at-te-e-ni ; tuhhiyatt- « étouffement, suffocation » → instr. {Tuxiatʰ-T} → [Tu.xi.ja.tʰət] tu-uh-hi-ya-at-ti-it KBo 7.14 + KUB 36.100 i 6 (VH). Dans ces derniers cas, le développement du voyelle d’anaptyxe ne répond pas moins à la résolution d’un conflit de syllabation qu’à la nécessité de préserver l’intégrité phonologique des morphèmes. (2) Séquences de trois consonnes Le nom du « rêve » fluctue entre divers thèmes :

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(72) variantes thématiques du nom « rêve »

acc. instr. abl. loc.

tesha-

zashai-

zazshai-

te-es-ha-an te-es-hi-it te-es-ha-az te-es-hi-it

za-as-ha-in za-as-hi-it za-as-hi-ya-za za-as-hi-ya

za-az-hi-i

Le thème zazhai- se déduit de la forme de locatif zazhī KUB 43.50 Ro 8 (MH/ nh), dupliquant KBo 4.2 iii 46 (NH). Tous les dérivés tirés de ce nom sont bâtis sur la variante tesha-. A partir de bases telles que acc. *{TsH-an}, instr. *{TsH-iT} ou loc. *{TsH-i}, une insertion anaptyctique est rendue obligatoire par le caractère triconsonantique de l’attaque (§ 6.2.2). Le voisement de ‘h’ n’étant pas discernable, le placement [Təs.HiT], d’où tesha-, suppose une syllabation [Tə.sɣiT] ou [Təs.xiT], reposant, pour la première sur une séquence sh phonétiquement fragile (§ 8.5.2), pour la seconde, sur un plateau syllabique qui, dans un mot de deux syllabes, représente également une délimitation faible. Le placement [Tsə.sHV …], d’où zashai-, représente la resyllabation d’une des formes précédentes visant à maximiser le contraste de sonorance68. Le témoignage isolé de loc. zazhi [Tsə.TsHi] resulte probablement d’une confusion des deux autres thèmes. (3) phonotactique Les variantes de karap- « dévorer » → 3pl. prés. gi-ri-pa-an-zi (VH/nh), ka-rapa-an-zi (VH/nh), ka-ri-pa-an-zi (NH), indiquent une réalisation [Kər.baɲ.ʧi] ; karett-/karaitt- « flot » → nom. ka-ra-i-iz (VH) gi-re-e-ez-za (VH/nh) suppose [Kə.r(a)itʰs] en reflétant la même contrainte. Une attaque *[KrV] serait valide en termes de sonorance, mais elle est réprouvée par la phonotactique (§ 5.5.2, 5.9.4) ; (4) aérodynamique Certaines attaques syllabiques peuvent être acceptables en termes de sonorance, mais problématiques en termes d’écarts de pression intraorale,

68  Voir, quelque peu différement, Rieken ap. Hoffner & Melchert 2008 : 47 ; sur l’étymologie, voir, à présent, Byrd 2011.

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typiquement les séquences d’occlusives labiales + coronales de type [pn]. Sur la base de lapp-nu- « (faire) briller », le participe dir. sg. la-ap-pa-nu-wa-an KUB 42.69 Ro 14 reflète une voyelle qu’on pourrait tenir comme simplement graphique, si, dans le même contexte, istapp-nu- « bloquer » ne reflétait une autre voyelle → 3pl. prét. is-tap-pí-nu-e[r] KUB 8.52 : 6 (NH) ; d’autre part, l’itératif en -ske- de lapp-nu- reflète inexplicablement la-ap- au lieu de la-appa- dans le supin la-ap-nu-us-ki-u-wa-an KUB 17.1 ii 8. Ces données tendent à indiquer une résolution optionnellement [pʰən] de /pʰn/. (5) autres (?) Certains dérivés causatifs en {-nu-} semblent indiquer une anaptyxe, par ex. de pukk- « être déplaisant », dont le causatif « introduire de la dissension » hésite entre pukkanu- et pukkunu-, alors que [pu.kʰnu-] serait acceptable, 3sg. prés. pu-uk-ka-nu-zi (NH), mais nom verbal pu-uk-ku-nu-mar (NH) ; de même istapp- « bloquer » → istappinu- « fermer » 3pl. prét. is-tap-pí-nu-e[r] KUB 8.52 : 6 (NH) 8.13.6 Anaptyxe optionnelle Dans la flexion de {weɣ-} weh- « (se) tourner », la graphie hésite entre Vh et ha, en imposant normalement ta ou at-ta à la graphie des morphèmes à {-tʰ…} initial : 3sg. prés. my. ú-e-eh-ta-ri KUB 13.4 iii 20 (VH/nh), mais ú-e-ha-at-ta-ri (KUB 33.103 iii 6 (MH/nh) ; 3sg. prét. my. ú-e-eh-ta-at KUB 26.1 iii 18 (NH), mais ú-e-ha-at-ta-at KUB 4.1 i 14 (MH/nh). Les graphies de type ú-e-ha-at-… n’ont, par rapport à ú-e-eh-ta-, n’ont aucune motivation particulière, qu’elle soit graphique ou phonétique, si bien qu’on doit tenir qu’elles restituent une réalisation [we.ɣə.tʰV …] concurrente de ú-e-eh-ta- [weɣ.tʰV …]. On peut possiblement imaginer que l’intensité spécifiquement faible de [ɣ] mettait ce segment en danger devant [tʰ], en sorte que certains locuteurs préservait ce son par l’insertion d’une voyelle. 8.13.7 Phonologisation des voyelles anaptyctiques L’apparition d’une voyelle anaptyctique est déterminée par le contexte, ce qui récuse, par principe, son identification comme phonème. Dans certains cas, il y a cependant lieu d’estimer qu’en fontière d’affixes, la stabilisation des causes motivant l’insertion d’une voyelle peut conduire à la phonologisation de celleci, donc à une modification de l’organisation interne des morphèmes, laquelle génère à son tour des relation d’allomorphies. (1) La variation affectant les morphèmes de la flexion nomino-adjectivale acc. sg. {-an- : -n}, abl. {-aʧ : -ʧ}, instr. {-iT : -T}, peut être dérivée de l’insertion d’une voyelle répondant à l’impossibilité, diversement motivée, de former un

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noyau syllabique avec /n T ʧ/. La distribution des variantes d’accusatif {-an- : -n} est totalement régularisée en mettant en évidence des contextes mutuellement exclusifs ; les deux autres variantes, en revanche, ont une distribution moins tranchée significative de processus en cours. (a) Accusatif singulier. – La distribution des variantes {-n : -an} repose sur une relation d’allomorphie conditionné par la syllabation : la variante -n est sélectionnée par les thèmes nominaux en syllabe ouverte (C)CV (73a), tandis que la variante -an est sélectionnée par les thèmes en syllabe fermée (CC)VC (73b) : (73) distribution des allomorphes acc. sg. {-n : -an} (a) eka- « glace » → /e.ga-N/ e-ka-an (VH/nh) tuzzi- « armée » → /Tu.ʧi-N/ tu-uz-zi-in (VH) wappu- « berge » → /wa.pʰu-N/ wa-ap-pu-un (MH) heu- « pluie » → /Heu-N/ hé-e-un (VH) (b) aniyatt- « travail » → /a.ni.ya.tʰ-aN/ a-ni-ya-at-ta-an (VH/mh) karat- « entrailles » → /Ka.ra.d-aN/ ka-ra-a-ta-an (VH/mh) haran- « aigle » → /Ha.ra.n-aN/ ha-a-ra-na-an (VH) kallar- « défavorable » (adj.) → /Ka.la.r-aN/ kal-la-ra-an (NH) has- « savon, cendre » → /Ha.s-aN/ ha-a-as-sa-an (MH) Certains spécialistes jugent que l’allomorphie {-n : -an} serait gouvernée par les relation entre phonèmes : les thèmes en voyelle finale sélectionneraient -n et les thèmes en consonne, -an (ainsi Melchert 2007 : 757, Kloekhorst 2008 : 591). Un telle approche n’est cependant pas tenable car elle suppose que ce serait le contexte segmental qui conditionnerait la sélection de {-n} et celle de {-an}. Or, non seulement des séquences /V-a-n/, comme des séquences /C-n/ sont normalement formées : zanu- « cuire » → 3pl. za-nu-an-zi KBo 25.24 : 9, (VH) ; hatnu- « faire sécher » → 3sg. prét. ha-at-nu-ut, etc. (un mot comme dir. sg. mar-nu-an « bière » condense les deux possibilités d’associations),

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mais encore les nom et adjectifs dont la flexion repose sur une alternance thématique {… Caj- : … Ci-} forment leur accusatif sur le degré plein {… Caj-} en sélectionnant régulièrement la variante {-n} (sagai-/saki- « signe, oracle » → acc. sagain [sagajn], etc.), alors que /j/ est une consonne. La contrainte mise en évidence par la distribution des variantes d’accusatif est que les consonnes nasales ne peuvent pas occuper une position de noyau syllabique. De la prohibition du schéma */.CN(C)./ dérive le fait que la consonne nasale du morphème d’accusatif doit obligatoirement être en coda, par conséquent que si un noyau syllabique ne fait pas partie du thème fléchi {… V-n}, il doit être généré le morphème lui-même, d’où la variante {… C-an}69. Autant la sélection de {-n} derrière /j/ ne trouve aucune justification au plan segmental, autant le caractère extramétrique de /j w/ en coda rend compte de ce qu’un thème de forme {… Caj-} a le comportement d’une syllabe ouverte (voir § 6.3.2). (b) Ablatif. – Deux signes peuvent représenter le morphème d’ablatif : az, largement dominant à toutes les époques, et za. L’évolution des graphies est déroutante : la fréquence de za est divisée par 4 du vieux au moyen hittite avant de remonter spectaculairement dans la strate la plus tardive où elle est multipliée par 2070. (74) fréquence des signes représentant le cas ablatif

vieux hittite : moyen hittite : néo-hittite :

az

za

26 [93 %] 111 [98,3 %] 173 [65 %]

2 [7 %] 2 [1,7 %] 96 [35 %]

69  La variante -an ne pouvant continuer le morphème d’accusatif indo-européen *-om, dont le réflexe est -un, ainsi que le montrent les flexions des démonstratifs kā-, apā- → acc. sg. ku-u-un, a-pu-u-un, ni continuer la forme -m̥ dont le réflexe est également -un, il y a lieu d’estimer qu’une voyelle anaptyctique a été insérée dans -an après que les nasales soient devenues inaptes à former un noyau syllabique. Benveniste 1962 : 16-18 inverse les données du problème. 70  On réutilise ici les relevés statistiques de Melchert 1977 : 443-445, en excluant du décompte les graphies derrière idéogramme et les témoignages de copies non authentique.

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En fin de mot, l’interprétation phonétique de za ne peut être que [ʧ] (nepis« ciel » → ne-pí-is-za [ne.bisʧ] KUB 43.23 Vo 15, VH), alors que celle de az peut, a priori, correspondre à [ʧ] aussi bien qu’à [aʧ]. Tous les thèmes utilisant za ont une consonne finale, alors que ceux qui ont recours à az peuvent avoir, en finale une consonne aussi bien qu’une voyelle. Un examen des thèmes en consonne utilisant az en vieux hittite indique que cette graphie est régulièrement sélectionnée dans des mots où la syllabation exige une réalisation [aʧ] : ais-/is- « bouche » → [i]s-sa-a-az, is-sa-az KBo 17.1+ i 18 (VH) *[issʧ] → [is.saʧ] ; kusan-/kusn- « salaire » → ku-us-sa-na-az KUB 29.29 Ro 7 (VH), ku-us-na-az (VH/nh) *[Kusɲʧ] → [Ku.snaʧ], kutt- « muraille » → ku-ut-ta-az KBo 17.33 + i 15 (VH) *[Kutʰʧ] → [Ku.tʰaʧ] ; purutt- « sol » → abl. pu-ru-ut-ta-az *[Pu.rutʰʧ] → [Pu.ru.tʰaʧ] Table de bronze i 87 (NH), halmasuitt- « trône » → hal-ma-as-su-it-ta-az KBo 17.1+ ii 39 (VH), happar- « prix » → ha-a-ap-pa-ra-az KBo 6.2 ii 51 (VH) *[Hāpʰrʧ] → [Hā.pʰraʧ] (on déduit la forme du thème {Hápʰr-} d’après la fluctuation, au cas direct, des graphies ha-a-ap-pár KBo 6.2 ii 49 (VH), et ha-ap-pí-ir KUB 4.3 + KBo 12.70 Ro 14 (NH)). Le thèmes à voyelle finale voyelle utilisent, de même régulièrement az : aska- « porte » → a-as-ka-az KBo 25.61 ii 6 (VH), kunna- « droite » → ku-un-na-az KBo 3.32 : 79 (VH), etc. Tous les lexèmes dont la syllabation impose une réalisation [aʧ] ou dans lesquels une syllabation [aʧ] dérive de ce que le thème se termine par une voyelle utilisent régulièrement az, alors que ceux qui ne l’exigent pas (mais qui pourraient tolérer [aʧ]), utilisent za. Il apparaît donc que la sélection des deux signes est gouvernée par la syllabation du mot et non par l’identité du segment en contact avec le morphème, ce que certifie, par ailleurs, la concurrence entre is-sa-az et ne-pí-is-za : une syllabe *[issʧ] serait incorrectement formée, d’où [is.saʧ], alors que [ne.bisʧ] ne crée aucun conflit71. Les variantes {-ʧ} et {-aʧ} du morphème d’ablatif ont donc authentiquement été en distribution complémentaire, même si les conditions sont déjà en place, dès le vieux hittite, pour que le développement de l’anaptyxe < ∅ → [ə] __{-ʧ > génère la morphologisation d’une variante {-aʧ} de {-ʧ}. Le caractère pleinement morphologisé de {-aʧ} s’observe positivement dans le fait que la voyelle peut être allongée sous l’accent comme dans tekan-/takn- « terre » → ták-na-a-az [Ta.gnā́ʧ] KUB 43.23 Vo 17 (VH). Après le vieux hittite, la spécialisation des signes se brouille : le signe za, originellement réservé aux thèmes en 71  Pour une interprétation complètement différente, voir Melchert 1977 : 445, qui, en négligeant la syllabation, estime qu’il n’y a pas de différence de conditionnement entre is-sa-az et ne-pí-is-za.

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consonne dans lesquels l’affixation d’un thème par {-ʧ} ne crée pas de conflits de sonorance devient utilisable par des thèmes en voyelle, en montrant qu’il assume en partie les emplois auparavant réservés à az. La possibilité pour za de représenter [-aʧ], traduit, selon toute vraisemblance une extension de cette variante au détriment de {-ʧ}, en d’autres termes une tendance à la neutralisation de la distinction {-ʧ : -aʧ} au profit de la variante {-aʧ} compatible avec tous les contextes. L’ensemble de ces traitements est, en tout état de cause, postérieur à l’affrication subie par le morphème dont la forme originellement *-Ti, indiquée par louv. -ti, lyc. -di, était équivalente à une syllabe (Melchert & Oettinger 2009 : 57-59). (c) Instrumental. – La variante {-T} est pratiquement limitée aux textes anciens, originaux ou copiés, où elle fléchit exclusivement des thèmes dont la finale est un segment à haut niveau de sonorance, voyelle ou résonnante. Les séquences *mT ou *lT étant, de façon générale, prohibées par la phonotactique, la variante -t n’est attestée qu’avec des thèmes en /V r n/ : genu- « genou » → [g]e-nu-t⸗ KBo 17.17 Ro 12 (VH) ; sakui- « oeil » → sa-a-ku-it KBo 20.31 Ro 18 (VH) ; ke/issar- « main » → ki-is-sar-at KBo 21.90 Ro 24 (VH/mh), ki-is-sarta KBo 32.46 dr. 2 (MH) ; eshar- « sang » → is-ha-an-da KBo 17.4 iii 15 (VH) ; watar- « eau » → ú-i-ta-an-ta (VH), sagan- « huile » → sa-gán-da [sa.gənT] KBo 22.2 Vo 2 (VH), etc. (voir le relevé exhaustif chez Melchert 1977 : 458sq.). Dans les contexte faisant usage de -t, on constate cependant que la variante -it peut aussi être utilisée : sa-ra-am-ni-it KBo 17.29+ ii 10 (VH), [pa]-an-ga-ri-it KBo 3.22 : 5 (VH), en sorte que tous les lexèmes fléchis par {-T} peuvent aussi être fléchis par {-iT} : ki-is-sa-ri-it KBo 11.19+ KBo 14.22 Ro 36 (MH/nh), e-es-hani-it Bo 3696 i 7 (NH), ú-i-te-ni-it KBo 12.112 Vo 18 (MH/nh). Par contraste, les noms dont le thème se termine par une consonne localisée à un niveau de sonorance inférieur, fricatives et plosives, sont, pour leur part, exclusivement fléchis par la variante -it, plus rarement -et (voir Melchert 1977 : 463sq.) : hūmant- « tout » → *[Hū.manT-T] → [Hū.man.TiT] hu-u-ma-anti-it KUB 36.106 : 3 (VH), serha- « serviette » → *[serH-T] → [ser.HiT] se-e-er-hi-it KBo 17.43 i 14 (VH). En d’autres termes, l’emploi de {-iT} tend à se généraliser sans être soumis à une quelconque limitation contextuelle, tandis que celui de {-T} est limité à la flexion de thèmes dont le segment final se situe à niveau de sonorance élévé (voyelle ou résonante). Le caractère de ce conditionnement qui, dès le vieux hittite, ne s’observe plus qu’à l’état de vestige, indique que la concurrence des morphèmes {-T : -i/e T} ne fait que répondre à une contrainte de formation des coda finales : l’insertion d’une voyelle préserve l’intégrité des relations de sonorance, tout

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en évitant les relations d’homophonies (hu-u-ma-an-ti-it), comme les coda de trois consonnes. Dans ces conditions, on est naturellement porté à estimer que la variante {-i/e T} résulte de la phonologisation secondaire de la voyelle d’anaptyxe appelée par {-T} dans certains contextes, et non l’inverse (voir déjà Stefanini 1959 : 5-6, Kloekhorst 2008 : 799). Mais cette explication, bien que fondée, demeure partielle : en effet, du moment où l’on reconnaît que la génération de la voyelle de {-i/e T} évite les conflits de syllabation que produirait l’affixation de {-T}, rien ne justifie de considérer que {-i/e T} soit une formation hittite, les mêmes conflits étant censés se produire dans l’état antérieur où les prototypes respectifs de {-T} et de {-i/e T} devaient déjà être en distribution complémentaire. Le fait que la variante {-VT} soit toujours écrite -it / -et et jamais *-at, en reflétant un timbre inhabituel pour une voyelle d’anaptyxe hittite va dans ce sens (voir plus en détail Melchert 1977 : 471, Melchert & Oettinger 2009 : 61). Autant la motivation anaptyctique de {-i/e T} semble assurée dans son principe, autant rien n’indique que celle-ci doive être appréciée comme un processus d’époque historique. (2) Le morphème de dérivation itérative -ske- est, comme on l’a vu (§ 8.13.4), de ceux dont l’emploi génère prévisiblement des conflits de sonorance quand il fléchit des thèmes terminés par une consonne autre que [s] ou [n] ou par toute séquence de consonnes. Le mode de résolution normal de ces situations est l’insertion d’une voyelle [-əsKe-] écrite -aske-, -iske-, plus rarement -eske-. Or, dès le vieux hittite, on constate que la variantes normalement réservées au contextes suscitant une anaptyxe sont utilisées dans des contextes où la dérivation par -ske- ne crée pas de conflit de sonorance, comme [Tars.Ke-] « parler » ; [Hars.Ke-] « râtisser » ; [ans.Ke-], etc. (75) dérivation par -ske- de thèmes non conflictuels ans- « frotter » a-an-as-kea-an-si-keKBo 21.8 ii 3 (VH/mh) KBo 23.23 : 77 (MH) hars- « râtisser » har-as-kehar-si-is-ke(VH/nh) (NH) kars- « couper » kar-as-kekar-si-ke(MH) kar-si-is-ketar- « parler » tar-as-ketar-si-keVBoT 58 i 9 (VH/nh) tarn(a)- « laisser » tar-as-ketar-si-keKUB 24.9 ii 42 (VH/nh) KBo 22.2 Ro 8 (VH)

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Chapitre 8

Si les relations de sonorance sont hors de cause dans (75), les données de ce type restent susceptibles d’avoir déclenché une anaptyxe préventive en vue de préserver des séquences rs, ns, par ailleurs phonétiquement problématiques en tant que coda (§ 8.7.2). Il reste que la graphie ne distingue pas les situation où l’anaptyxe est vraisemblable, comme ha-at-ga-as-ke- / ha-at-ki-is-ke-, de celles où elle est possiblement fictive, comme har-as-ke- / har-si-is-ke- ; rien ne permet véritablement de discerner si har-as-ke- / har-si-is-ke- reflètent conjointement [Hars.Ke-] ou bien [Ha.rəs.Ke-], [Har.səs.Ke-]. Un autre cas de réfection délicat à apprécier est celui des thèmes verbaux en {… T-}, comme {sPaNT-ske-} « faire une libation » → 3sg. is-pa-an-za-ke-zi KBo 20.34 Vo 6 (VH/ mh) où la voyelle du signe -za- représente sûrement une anaptyxe [əs.Pan.Tsə. Ke.ʧi], puisque, sans elle, la syllabation serait impossible, mais qui connaissent également des variantes comme is-pa-an-za-as-ke-e[z-zi] KBo 20.37 Ro 3 (VH), où -as- restitue vraisemblablement une forme {-VsKe-} du morphème de dérivation [əs.Pan.Tsəs.Ke.ʧi]. La dissociation syllabique de /s/ et de /K/, qu’elle soit phonétique, comme dans zike- « poser placer » [Tsə.Ke-] ou possiblement graphique, comme dans tar-si-ke-, permet que k soit occasionnellement écrite kk : (76) dissociation syllabique de /K/ hatt- « entailler » ha-az-zi-ke- ha-az-zi-ik-kedai- « poser, placer » zi-kezi-ik-ketarn(a)- « laisser » tar-si-ketar-si-ik-keLe fait que la plosive de -ske- ne soit discernable que derrière /s/, c’est-à-dire dans un contexte où la fricative entre en interaction avec l’aspiration (§ 4.6.4) ne permet pas de préciser si kk ([k] ?) est une réalisation de /kʰ/ ou une réalisation de /g/ derrière /s/. Quoi qu’il en soit, il est flagrant que, dès le vieux hittite, le morphème -sketend à être réinterprété -Vske-. Ce processus de nivellement analogique s’étend notablement en hittite tardif sous la forme -Vske-, le plus souvent -e/iske-, à des formes où la présence d’une anaptyxe serait immotivée comme da- « prendre » da-as-ke- [Ta-sKe-] (VH) → da-is-ke- [Ta-iske-] (NH). Dans la strate récente, certains thèmes anciens sont réaffixés par le nouveau morphème comme dai- « poser, placer » za-as-ke- (VH) → ti-is-ke- (NH), kuen- « tuer » ku-wa-as-ke- (VH/mh) → ku-en-ni-es-ke- (NH) ; tarna- « laisser » tar-si-ke- / taras-ke- (avec assimilation de [n] de {Tarn-ske-}) → tar-ni-is-ke- / tar-na-as-ke(NH, dans les deux cas) ; hanna- « juger » ha-as-si-ke- → ha-an-ni-is-ke- KBo 16.42 Vo 5 (MH) / ha-an-na-as-ke- KUB 36.83 i 14 (NH), etc.

Relations inter-segmentales

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8.13.8 Anaptyxe et restructurations analogiques La phonologisation d’une voyelle d’anaptyxe peut modifier certains rapports paradigmatiques. La flexion de wātar- « eau » (données chez Rieken 1999 : 292) met en évidence une dynamique de ce type. La forme phonologique du thème aux cas obliques {wedn-} (écrite wi/edn-) génère un conflit de sonorance quand elle est fléchie par un morphème à consonne initiale (77a) : instr. {wedn-T} → ú-i-ta-an-ta (VH) impose de reconnaître une réalisation [we.dənT] résultant de l’impossibilité à syllaber *[wednT], tout comme ú-i-te-ni-it [we.de.niT] (MH/nh) reflète une autre stratégie de résolution du même conflit (on admet que la variation de signes ta et te recouvre [də]). La flexion de {wedn-} par des morphèmes à voyelles initiale n’entraîne, pour sa part, pas de conflit (loc. {wedn-i} pourrait être normalement syllabé [we.dni]), mais on constate que toutes les formes sont alignées sur le modèle de celles qui exigent une voyelle anaptyctique : (77) formes obliques de watar- « eau » a. instr. {wedn-T} [we.dənT] [we.də.niT] b. gén. {wedn-as} dat.-loc. {wedn-i} all. {wedn-a}

ú-i-ta-an-ta (VH) ú-i-te-ni-it (MH/nh) ú-wi₅-te-na-as (MH/nh) ú-e-te-ni (MH/nh) ú-e-te-na (MH/nh)

Il y a donc lieu d’estimer que la voyelle d’anaptyxe a été généralisée dans l’ensemble du paradigment en acquérant un statut phonologique, confirmé, en l’espèce, par sa stabilisation dans un vocalisme e et son allongement dans la variante loc. ú-i-te-e-ni KUB 31.79 Ro 8 (MH)72. A la suite de cette restructuration, la flexion du nom « eau » s’écarte du modèle « hétéroclitique » fondé sur une alternance {…-r- : … n-} en créant une nouvelle variante {…-r- : … en-}. 8.14

La resyllabation

8.14.1 Conflits d’ambisyllabicité Le principe d’ambisyllabicité des plosives en contact (§§ 6.2.2, 6.4.2) est prévisiblement mis en défaut dans deux cas : (i) quand un thème terminé par une séquence de plosives est fléchi par un morphème constitué d’une consonne ; 72  Schindler 1975 : 4-5, Rieken 1992 : 293, Kloekhorst, sous presse, ne tiennent pas compte des relations de sonorance et de leurs implications.

510

Chapitre 8

(ii) quand un thème en plosive finale est fléchi par un morphème à plosive initiale. Dans ces situations, la stratégie de résolution du hittite passe par l’insertion d’une voyelle paragogique [ə] permettant de détacher C₂ de la coda en la mettant en attaque d’une syllabe subséquente. (78) ∅ → [ə] / C₁C₂__# (C = plosive) A l’instar des autres cas d’insertion vocalique, ce processus vient résoudre un conflit de syllabation, mais à la différence des autres, il n’est pas conditionné par les relations de sonorance, du moins, pas nécessairement. 8.14.2 Thèmes {… CC-} fléchis par nom. {-s} La flexion de ekt- « filet de chasse » présente, à l’accusatif, à côté de la forme attendue e-ek-ta-an KUB 48.76 i 2 (NH), une forme refaite e-ek-za-an KBo 13.101 Vo 6 (MH/nh). Cette dernière ne peut pouvant dériver que d’une réinterprétation analogique du nominatif e-ek-za, ont doit tenir que e-ek-za recouvre une forme bisyllabique {ékʰT-s} → [ekʰ.Tsə] (on pose k = [kʰ] d’après le témoignage de acc. pl. ag-ga-ti-us, avec l’insertion d’un -i-témoignant d’une influence louvite [§ 8.17.5], voire d’une origine louvite). Cette situation semble isolée ; elle s’explique probablement en raison de la séquence de plosives localisées devant /s/ (sur la question des relations /plosive + s/ en coda, voir ci-dessus). 8.14.3 Thèmes {… C-} fléchis par 3sg. prét. {-tʰ} Un conflit d’ambisyllabicité se produit régulièrement quand un thème verbal en plosive est fléchi par la désinence 3sg. {-tʰ} du prétérit actif (dans un moindre mesure, par les formes de 2sg. qui peuvent faire usage de cette marque plutôt que de -s ou -sta)73 : a) derrière /V/ et semi-voyelle, on constate, le plus souvent, … Vt : arnu« faire partir » → ar-nu-ut ; hulle- « détruire » → hu-ul-le-et ; aruwai- « se prosterner » → a-ru-wa-it, etc., plus rarement, … V-ta : pai- « aller » → pa-ait KUB 14.1 Vo 73 (MH), face à pa-a-i-ta KBo 3.7 iii 13 (NH/nh)74 ; piddai« courir » → píd-da-a-it KBo 26.65 ii 8 (MH), face à píd-da-it-ta KBo 23.1 i 20 (NH) (cf. CHD P 353) ;

73  La flexion à l’instrumental {-T} ne reflète pas cette configuation en raison de l’existence de la variante {-iT} (§ 8.13.7c). 74  De même, probablement pa-it-t[… KUB 28.5 Ro 15.

Relations inter-segmentales

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b)

derrière /C/ non labialisée, on trouve (… t-)ta : es- « être » → e-es-ta ; hink« s’incliner » → hi-in-kat-ta, he-en-ik-ta ; hark- « tenir, avoir » → har-ta, har-da ; hassikk- « être rassasié » → [h]a-as-si-kat-ta. La graphie redoublée de hiin-kat-ta, [h]a-as-si-kat-ta, semble indiquer une voyelle finale, mais la variation dont témoigne pa-a-i-ta face à píd-da-it-ta n’est pas conforme à ce qu’on attendrait de la graphie d’une consonne non voisée en contexte intervocalique ; c) derrière /Cʷ/ labialisée, on trouve la même graphie (… t-)ta que derrière les autres consonnes, mais dans un contexte où les relations de sonorance imposent l’émergence d’un [u] : la graphie ar-ku-ut-ta (arku« chanter ») laisse la possibilité de lire [ar.Kʷut] ou bien [ar.Kʷu.tʰa], mais exclut *[arKʷt] et *[ar.Kʷtʰa] ; de même, quoique moins nettement : eku- « boire » → e-ku-ut-ta suppose [e.gʷut] ou [egʷ.tʰa], éventuellement [e.gʷu.tʰa] mais sûrement pas *[egʷt]. Le témoignage de watku- « sauter » → wa-at-ku-ut-ta KBo 25.122 ii 5 (VH) face à wa-at-ku-ut KUB 17.7+ i 17 (NH) reflète une alternance des deux graphies dans un contexte où il n’est pas certain que ku soit labio-vélaire. 8.14.4 Interprétation Derrière V, une lecture [t(ʰ)] (la réalisation non aspirée des non voisées en finale est vraissemblable - § 4.7.4) est certaine (ar-nu-ut) ou possible (pa-a-i-ta), tandis que derrière C, les deux lectures [tʰV] et [t(ʰ)] sont également possibles a priori (e-es-ta). Sur cette base, l’interprétation la moins spéculative consiste à reconnaître que le morphème {-tʰ}, a une réalisation [t(ʰ)] ou [tʰə] conditionnée par la syllabation75. L’hypothèse alternative d’une allomorphie /-tʰ/ : /tʰa/ conditionnée par la ou les propriétés des segments adjacents est, pour sa part, insoutenable : dans la phonologie hittite, rien ne s’oppose à ce qu’une syllabe /VtʰV #/ soit trouvée en fin de mot, comme le montrent sepitt- (céréale) → dir. pl. se-eppí-it-ta ; miumiut- (pâtisserie) → dir. pl. mi-ú-mi-ú-ta, mi-ú-mi-ú-da, tout comme rien ne s’oppose à ce qu’une consonne /T/ soit trouvée en fin de mot derrière C, comme le montrent ke/isr- « main », instr. {Kisr-T} → ki-is-sar-ta (VH) / ki-is-sar-at (NH) [Ki.sərT], sagan- « huile », instr. {sagn-T} → sa-gán-da (VH) [sa.gənT]76.

75  Voir en ce sens Pedersen 1938 : 98, Kronasser 1956 : 31, Yoshida 1991 : 368. 76  Ces données sont négligées par Kloekhorst 2008 : 800, selon qui « we must assume that the postvocalic variant -t represents /-t/, whereas the postconsonantal variant -tta represents /-ta/ ».

512

Chapitre 8

Une graphie (C)V-ta # peut représenter /VT #/ comme /VTV #/, mais l’écriture étant inapte à représenter (C)VC-t #, elle a nécessairement recours à un signe incluant une voyelles factice pour représenter /CT #/. La véritable étrangeté des graphies du prétérit 3sg. est d’avoir recours à (C)V-t # et (V)C-ta #, mais jamais à la graphie *(V)C-at # qui serait une représentation possible de /VT #/ dans l’hypothèse d’une réalisation uniformémenent {-tʰ} → [t(ʰ)]. Ce paradoxe s’éclaire sous considération de ce que des formes comme lapp- « briller » → la-a-ap-ta (VH), ou huek- « abattre » → hu-e-ek-ta (VH), hu-u-e-ek-ta (VH/nh), ne peuvent pas former une syllabe unique parce que ni [pʰt], ni [Kt] ne forment des codas licites ; par suite, la syllabation impose l’insertion d’une voyelle paragogique [ə] : /lapʰ-tʰ/ → *[lapʰtʰ] → [lapʰ.t(ʰ)ə], /Hweg-tʰ/ → *[Hwegt] → [Hweg.t(ʰ)ə]. Le même processus doit être postulé pour istark- « souffrir » → is-tar-ak-ta (NH), epp- « prendre » → e-ep-ta (MH), upp- « se lever, sortir » → u-up-ta (MH/nh), etc. L’insertion de [ə] dans le mot justifie, d’autre part, les graphies (irrégulières) de link- « jurer » → li-ik-ta (VH), mais li-in-kat-ta (NH) ; hassikk- « être rassasié » → [h]a-as-si-kat-ta,, où le redoublement de tt semble indiquer que la consonne se trouve devant une autre voyelle77. Ce n’est donc pas à titre de morphème que la désinence 3sg. prét. /-tʰ/ connaît des variantes, mais parce qu’en fin de mot, une coda /…Ctʰ #/ dans laquelle /C/ est plosive est illicite (voir § 6.3.5), en conséquence de quoi l’émergence d’une voyelle paragogique [ə] à même d’instituer le détachement syllabique de {-tʰ}, d’où […C.t(ʰ)ə #], devient obligatoire. La règle (78) peut être généralisée à l’ensemble des C plosives car derrière coronale, le traitement dissimilatif spécial reflété par hat- « sécher » {Had-tʰ} → ha-a-az-ta impose pareillement l’émergence d’une voyelle [Hā́dð.t(ʰ)ə] (voir § 8.2.4). En revanche, on ne peut discerner si la norme de syllabation propre aux labialisées (§ 4.4.2) l’emportait sur le principe d’hétérosyllabicité des plosives, si bien que eku- « boire » → e-uk-ta (VH), e-ku-ut-ta (VH/nh) ne permet pas de trancher entre [e.gʷut(ʰ)] et [egʷ.t(ʰ)ə]. Derrière consonne non plosive ou derrière voyelle, la réalisation de /-tʰ/ n’appelle aucun traitement paragogique : es- « être » → e-es-ta [est(ʰ)] ; hark- « tenir, avoir » → har-ta, har-da [Hart(ʰ)] ; arnu- « faire partir » → ar-nu-ut [ar.nut(ʰ)]. 77  Comp. Oettinger 1979a : 9 n. 6 : « Die Sprachwirklichkeit des anaptyktischen Vokals hinter der Endung *-t wird durch Schreibungen wie li-in-kat-ta (niemals *li-in-ka-at !) ». Selon Cowgill (ap. Melchert 1994 : 176) « the reality of the vowel is supported by the spelling e-ku-ut-ta for /égwta/ ‘drank’, where **e-ku-ut would have been sufficient to spell a real **/egwt/ » (de même Kimball 1999 : 193-194). Ces observations sont fondées, mais on ne partage les conséquences que ces auteurs en tirent.

513

Relations inter-segmentales

Il semble probale que, selon un processus dont il existe bien des exemples (§ 8.13.7), les réalisations /Har-tʰ/ → [Hart(ʰ)], /lapʰ-tʰ/ → [lapʰ.tʰə] suscitent une réinterprétation conduisant [.tʰə] à être assimilée à une variante libre de /-tʰ/ ; les graphies inattendues, en hittite tardif, pai- « aller » → pa-a-i-ta ; piddai- « courir » → píd-da-it-ta suggèrent un mécanisme de cet ordre. 8.14.5 Les flexion de harkLes flexions des thèmes écrits hark- « (dé)tenir, avoir » et hark- « périr, disparaître » montrent que la consonne finale du thème devant consonne est régulièrement éliminée dans la flexion du premier verbe, mais pas dans celle du second. Dans les autres contextes, devant voyelle ou en fin de mot, les deux verbes ont des graphies identiques : (79) parallélisme flexionnel des verbes hark-

3pl. prés. 3pl. prét. 1sg. prés. 2sg. prés. 3sg. prés. 1pl. prés. 2pl. prés. 3sg. prét. 3sg. imp.

hark- « tenir, avoir »

hark- « périr »

har-kán-zi har-ke-er

har-kán-zi har-ke-er

har-mi har-si, -ti har-za, -zi har-wa-ni har-te-ni har-ta har-du

har-ak-mi har-ak-si, -ti har-ak-zi har-ku-e-ni har-ak-te-ni har-ak-ta har-ak-tu

Dans la flexion de hark- « périr », la variation 1sg. har-ak-zi, face à 1pl. har-kue-ni indique que le signe -ak- ne recouvre pas une voyelle d’anaptyxe, mais une voyelle factice. La seule différence entre les deux flexions est donc que l’une maintient partout la plosive vélaire /K/, alors que l’autre l’élimine devant consonne. Les explications proposées jusqu’à présent pour justifier cette situation sont artificielles : on a postulé une « faiblesse » de /K/ censée dériver de ce que hark- « avoir » peut être auxiliaire dans une relation périphrastique (ainsi Cowgill suivi par Eichner 1975 : 89-90, Oettinger 1979 : 190, Melchert 1994 : 167), une élimination de /k/ motivée tantôt par /t/ (ainsi Puhvel, HED III, 156), tantôt par le contexte /R__C/, élimination préludant à une restauration spontanée dans « périr » (ainsi Kloekhorst 2008 : 305).

514

Chapitre 8

Le point qui, jusqu’à présent, a été négligé est que syllabation d’un thème /HarK-/ diffère selon que la plosive est une non voisée /kʰ/ ou une voisée /g/. La flexion de {Harg-} n’est pas de nature à susciter des réalisation phonétiques particulières puisque aussi bien la forme ancienne 3sg. {Harg-ʧ} que la forme normalisée {Harg-ʧi} font attendre des réalisations naturellement formées [Hargʧ] ou [Harg.ʧi] ([rgʧ] est régulièrement décroissante tandis que [g] est hétérosyllabique par rapport à [r] dans le second cas). La flexion d’un thème de forme {Harkʰ-}, en revanche, est prévisiblement génératrice de conflits de sonorance, puisque la forme ancienne 3sg. *{Harkʰ-ʧ} constitue une monosyllabe incorrectement formée (une coda [rkʰʧ] à sonorance croissante et décroissante est impossible). Dans cette dernière situation, une élimination du segment le moins sonorant [kʰ] constitue la compensation la plus naturelle au conflit, d’une part, parce que la séquence [rkʰ] est homosyllabique, ce qui est un préalable à l’élimination de [kʰ] derrière [r], de l’autre, parce qu’en conséquence de cette élimination, la coda de 3sg. *{Harkʰ-ʧ} rétablit une linéairisation correcte avec [Harʧ]. La comparaison indo-européenne indique, au demeurant, que {Harkʰ-} « détenir » repose bien sur une plosive non voisée *h₂erk- et {Harg-} « périr » sur une voisée *h₃erg- (voir LIV² 273, 301, respectivement). Dans cette perspective, le traitement montré par hark- « (dé)tenir » se résume à un conflit de sonorance traité par l’élimination d’un segment, par ailleurs intrinsèquement faible dans son contexte, plutôt que sur une insertion anaptyctique. Le thème dont témoigne la forme archaïque 3sg. har-za se retrouve dans la forme analogiquement normalisée har-zi KBo 22.1 Ro 23 (VH), alors que rien ne s’opposerait à une syllabation {Harkʰ-ʧi} → [Har.kʰʧi], ce qui montre que, selon un modèle dont il existe maints témoignages, har- a été analogiquement diffusé dans l’ensemble du paradigme devant consonne à partir de la troisième personne antérieurement à la restauration de … i (§ 8.17.2). Cette situation ne permet pas de trancher entre l’hypothèse d’une mise en place relativement tardive de l’assimilation régressive de la DAV qui, s’il avait été ancien, aurait neutralisé la distinction entre [g] et [kʰ] derrière [r] (§ 8.3.1), et celle d’une assimilation de la DAV qui serait limitée au contexte /r__V/. 8.14.6 Résolution analogique de conflits dynamiques Sur la diffusion analogique de -i aux troisièmes personnes de la flexion verbale motivée par la nécessité de mettre en conformité des mots que l’évolution des segments met en marge des règles de formation syllabique, voir § 8.17.2.

Relations inter-segmentales

8.15

515

Faits isolés

8.15.1 Dissimilations Des processus dissimilatifs plus ou moins isolés sont reflétés avec les liquides et les nasales : La flexion de ur- (war-) « brûler » reflète une dissimilation distante r … r → r … n avec 3sg. prés. my. {ur-/war-ari} → ú-ra-a-ni KBo 17.3+ iii 44 (VH), wa-ra-ani KUB 60.73 Vo 17 (MH) ; le mécanisme est totalement régularisé si bien qu’il existe aucune forme * ú-ra-a-r … La dérivation de erman- « maladie » par -(a)nt- indique une autre dissimilation r … n → r … l (ou n … n → l … n ?) avec nom. er-ma-la-an-za KBo 5.9 i 16 (NH) « malade (pourvu de maladie) » ; le témoignage de sarganiya-/sarkaliya« démanteler, démolir » → 3sg. prét. act. sar-ga-an-ni-it KBo 26.65 i 16 (/nh), 2pl. prés. my. sar-ka-li-ya-tu-ma-ri KUB 1.16 ii 49 (VH/nh), reflète un mécanisme similaire dont la motivation est moins nette (base *sargan- ? voyelle factice /sarKlija-/ ?). Une assimilation distante m … n → m … m se contate dans me-ma-ah-ha-anda KBo 24.71 : 15, pour menahhanda. Le participe de tarupp- « joindre, lier » est normalement taruppant-, mais un changement r → l est occasionnellement reflété par ta-lu-up-pa-an-da-an KUB 2.6 iv 8, ta-lu-up-pa-an KBo 11.11 iii 8 (Otten & Siegelová 1970 : 36, Melchert 1994 : 171). La forme du morphème ars- « couler » est stable dans toutes ses formes flexionnelles, mais celle du dérivé arsarsur- « courant, flot » répète la séquence /rs/ en éliminant occasionnellement la rhotique : comp. loc. a-ar-sar-su-ri (NH), acc. pl. ar-sar-su-u-ru-us (VH/mh) avec dir. ar-sa-as-su-u-ur KBo 23.9 i 12 (/nh). 8.15.2 Autres mécanismes isolés nink- « étancher sa soif » → 3sg. prés. ni-ik-zi KUB 13.4 iii 37 (NH), indique banalement [ni(ŋ)K.ʧi] (§ 8.7.3), alors que ni-in-zi KUB 43.58 ii 47 (MH) semble indiquer une élimination de la plosive [niɲ.ʧi] (ou un simple oubli du signe -ik- ?). La fricative /x/ est éliminée dans idalawahh- « maltraiter » → 2sg. prés. {idālawax-tʰi} i-da-la-wa-ah-ti, i-da-a-la-a-u-wa-ah-ti, i-da-la-a-u-wa-ah-ti, mais idālawatti. La variation hapsali-/hassalli- « siège » peut refléter une élimination de p, son émergence (supposant *hamsali-) comme un emprunt mal intégré (comp. Puhvel, HED III, 129, Melchert 1994 : 164).

516

Chapitre 8

Dans le Serment militaire (Oettinger 1976 : 14, 138), zahheli- « mauvaise herbe » → dir. za-ah-hé-li alterne dans le duplicat avec hahhal- « verdure » → loc. ha-ah-ha-li en laissant supposer une variation [ʧ : H] non documentée par ailleurs. La flexion du verbe pars- « briser en morceaux » fait librement alterner deux thèmes pars- et parsiya-, par exemple 3sg. pár-as-zi KUB 17.29 ii 9 (NH), et pár-si-az-zi KBo 24.1 i 39 (MH) ; elle reflète aussi, plus occasionnellement, une forme 3sg. pár-si-zi KUB 17.35 i 21 (NH) qui, morphologiquement, ne se rattache à aucun de ces thèmes. De même, le dérivé parsul- « morceau, fragment (de nourriture) ; type de pâtisserie » montre, face aux formes dir. pár-su-ul-li KBo 25.88 : 11 (VH), NINDApár-su-ul-li KBo 20.68 iv 12 (MH), une variante morphologiquement inexplicable pár-si-ú-ul-li IBoT 2.39 Vo 25 (MH) (cf. Hoffner 1974 : 176). Une explication possible à ces données serait que, derrière /r/, la fricative /s/ peut avoir une réalisation rapprochée de la zone palatale, vers [sʲ ʂ ʃ], en évoquant le processus régularisé en indo-iranien, arménien slave et balte (règle dite ruki). Le verbe arr-« laver » est normalement fléchi 3pl. prés. {arr-aNʧi} → [ar. raɲ.ʧi] ar-ra-an-zi, sauf dans deux cas où cette forme est écrite ar-ru-wa-an-zi KBo 3.5 iv 33 (MH/nh), ar-ru-ma-an-zi KBo 3.5 i 23 (MH/nh). Le nom arra« anus » présente, face au nominatif ar-ri-is KBo 10.37 iii 49 (VH/nh), une forme ar-ru-us KUB 31.71 iii 31 (NH). Ces diverses graphies, dont certaines sont contradictoires puisque l’une applique la règle w → m et pas l’autre, suggèrent l’insertion d’un [u] en contexte [r.r__] dont la justification, s’il y en a une, demeure opaque. 8.16 Morphonologie 8.16.1 Cibles morphonologiques Face à la masse de tendances plus ou moins erratiques et des règles strictement formalisées, on ne constate que relativement peu de processus dont la régulation est soumise à la singularité d’une configuration morphologique donnée. 8.16.2 Règle j → ∅ / … a__}-{V … Une élimination de /j/ est régulière quand le degré plein d’une flexion resposant sur une alternance {… Ci- : … Caj-} est fléchi ou dérivé par un morphème à voyelle ou à semi-voyelle initiale. (1) Données. – La règle est attestée dans les déclinaisons nominoadjectivales fléchies par nom. pl. {-es}, acc. pl. {-us} :

517

Relations inter-segmentales

(80) effacement /j/ → ∅ / … Ca__}-{V  … (flexions nomino-adjectivales)

a. harki-/ hargai« blanc, brillant » kappi- / kappai- « petit » palhi-/palhai- « large » suppi- / suppai- « pur » talugai- « long » tami- / tamai- « autre » b. harsai-/harsi- type de pâtisserie hukmai-/hukmi« conjuration » hurtai-/hurti« malédiction » lingai- / linki« serment » sagai-/saki« signe, oracle »

nom. pl. {-es}

acc. pl. {-us}

har-ga-e-es (NH)

har-ga-us (MH/nh)

pal-ha-a-e-es (VH) su-up-pa-e-es (NH) ta-lu-ga-e-es (VH) ta-ma-e-es (MH) har-sa-e-es (VH)

kap-pa-us (VH/mh) su-up-pa-us (MH) ta-lu-ga-ú-us (VH) ta-ma-a-us (VH) har-sa-ú-us (VH) hu-uk-ma-us (MH)

hur-da-a-e-es (/mh) hur-ta-us (VH/nh) li-in-ga-a-us (MH) sa-ga-a-us (NH)

La flexion de salli-/sallai- « grand, important » reflète, à l’accusatif pluriel, deux formes inattendues : sal-la-mu-u[s] KBo 27.11 Ro 2 (NH), GAL-la-mu-us KBo 12.89 iii 11 (/mh ?) et sal-la-a-i-us KUB 57.73 iv 5 (NH) ; la première suppose un thème {salu- : sálaw-} → tombant normalement sous le coup de la règle w → m (§ 8.1.1), d’où *[sal.la.wus] → sallamus, tandis que la seconde restitue possiblement une influence louvite (§ 8.17.5), mais peut aussi résulter de la tendance à éliminer les alternances apophoniques dans la flexion adjectivale puisque la normalisation d’un thème au détriment d’un autre peuvent aussi mettre en évidence des formes refaites comme kappi- (/ kappai-) « petit » → acc. pl. {Kapʰi-us} → [Ka.pʰi.wus] kap-pí-ú-us {Kapʰi-us} KBo 34.47 ii 8 (MH/) en remplacement de {Kapʰaj-us} → [Ka.pʰa.us] kap-pa-us. Avec les verbes, la règle s’observe quand un thème {… Caj-} est fléchi par les morphèmes 3pl. prés. {-aNʧi}, 1sg. prét. {-un}, 3pl. prét. {-er}, 3pl. imp./opt. {-aNTu} :

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Chapitre 8

(81) effacement /j/ → ∅ / … Ca__}-{V … (flexions nomino-verbales) 3pl. prés. {-aNʧi} arai- « arrêter » aruwai-« se prosterner » halai- « bouger » ishuwai- « répandre » zai- « traverser » pai- « aller »

3pl. prét. {-er}

a-ra-a-an-zi (MH) a-ru-wa-a-an-zi (VH) ha-la-a-an-zi (/nh) is-hu-wa-an-zi (VH/mh) is-hu-wa-a-er (MH) za-an-zi (VH/nh) za-a-er (NH) pa-a-an-zi (VH) pa-a-er (VH)

Voir encore pai- → 3pl. imp. pa-a-an-du (VH/mh), 1 sg. prét. pa-a-un (VH). L’effacement est moins net devant des morphèmes en {-w …} : on a régulièrement zai- « traverser » → nom verbal za-a-u-[ar] (NH), pai- → nom verbal pa-a-waar (NH), mais les formes personnelles 1pl. semblent restaurer /j/ (peut-être par restructuration du thème ?) : 1pl. prés. pa-a-u-e-ni (VH/nh), mais pa-iwa-ni (VH), pa-i-u-e-ni (MH) ; 1pl. prét. pa-a-u-en (MH/nh), mais pa-i-ú-u-en (VH/nh), pa-a-i-ú-en (VH/nh). L’effacement dont témoigne isolément ishuwai« répandre, verser » → 3sg. prét. is-hu-u-wa-as KUB 33.53 : 13 (VH/nh), face à is-hu-wa-is KBo 14.3 iv 35 (NH) n’est pas clair. En revanche, la règle n’opère ni avec les variantes à degré zéro {… Ci-} des flexions alternantes, ni avec les thème invariants de type {… Ci-} : halki- (céréale) → nom. pl. hal-ki-e-es, acc. pl. hal-ki-us (MH), auri- « vigie, veilleur » → nom. pl. a-ú-ri-e-es (MH/nh), acc. pl. a-ú-ri-us (MH/nh), hurki- « roue » → acc. pl. hur-ki-us, sanezzi-, saniezzi- « plaisant » → nom. pl. sa-ni-ez-zi-us (NH), seli« silo, hangar à grain » → nom.pl. se-li-e-es (MH), acc. pl. se-e-li-us (VH/nh), tuzzi- « armée, campement militaire » → acc. pl. tu-uz-zi-us (VH/nh). 8.16.3 Niveau de la règle Le processus d’élimination de /j/ n’apparaît régulé qu’en limite de morphèmes ; le caractère morphologique de ce conditionnement s’impose d’autant plus que la phontactique tolère les séquences [VjV] : utne- « pays » → gén. ut-ne-yaas KBo 3.21 ii 4 (VH/nh), ye/a- « faire » → 3pl. imp./opt. i-ya-an-du (VH/nh), iluyanka- « serpent » → nom. il-lu-ya-an-ka-as KBo 3.7 i 9 (VH/nh) ; karawar« corne »→ dir. ka-ra-a-wa-ar KUB 31.4 + KBo 3.41 Ro 15 (VH/nh). Il s’ensuit que rien ne s’oppose, a priori, à rendre compte des témoignages ci-dessus en fonction d’une règle opérant à un niveau phonologique :

Relations inter-segmentales

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(82) j → ∅ / … a__}-{V … , si /j/ ≡ {… i- ~ … j-} Le degré {… Ci-} des formes {… Caj-} demeure, pour sa part, stable devant {-V …}. 8.16.4 Conséquences interprétatives La règle morphonologique reflète un autre aspect de la contrainte reflétée par l’impossibilité d’introduire une approximante en rupture de hiatus dans les séquences V₁V₂ quand V₁ = /a/ (§ 8.12.5). Non seulement /a/ bloque le développement d’une approximante en hiatus, mais cette voyelle élimine systématiquement /j/ devant un autre voyelle en limite de morphèmes. 8.16.5 /T/ → ∅ / n__}{-∅dir.sg.} Dans la flexion inanimée, le cas direct singulier en {-∅}, impose l’élimination d’un plosive coronale quand celle-ci est précédée d’une nasale (homorganique, par définition : § 4.11) : hūmant- « tout, chacun » → nom. {HumaNT-s} hu-u-ma-an-za (VH), acc. {HumaNT-an} hu-u-ma-an-da-an (VH), mais dir. {HumaNT-∅} → [Human] hu-u-ma-an (VH), hu-ma-an (VH/nh) ; de même, iyatniyant- « croissant, qui augmente » → dat. i-ya-at-ni-ya-an-da-as, mais dir. {ijaTni-(j)aNT-∅} → [i.ja.Tni.jan] i-ya-at-ni-ya-an ; pukkant- « repoussant » → nom. pu-uk-kán-za, mais dir. pu-uk-kán ; dapiant- « tous, chacun » → nom. da-pí-an-za, mais dir. da-pí-an ; warkant- « gras » → nom. wa-ar-kán-za, mais wa-ar-kán, etc78. Tous les noms ou adjectifs dérivés en -(a)nt- et en -(w)antont vocation à tomber sous le coup de cette règle, strictement limitée aux mots fléchis par le morphème {-∅dir.sg.}. Dans des contextes phonologiquement identiques, mais morphologiquement différents, les plosives coronales se maintiennent : sagan- « huile » → instr. {sagN-T} → [sa.gənT] sa-kán-da ; apā- démonstratif → instr. /abeT/ a-péet (VH) et a-pé-e-da-an-da /abedaNT/ (VH), avec insertion analogique d’un élément /edan/ ; Tarhunt- → vocatif {TarHuNT-∅} dIM-ta KUB 33.24+28 iii 78  La flexion du mot pour « bière » suggère un mécanisme similaire, au moins d’après dir. mar-nu-an (VH) et instr. mar-nu-an-te-et (VH/nh), mais les variantes gén. mar-nu-waas (VH) / mar-nu-an-da-as (VH), et d’autres formes comme acc. mar-nu-wa-an-da-an (VH/nh) et instr. mar-nu-it (NH) indiquent, par ailleurs, des réanalyses fondées sur des modèles morphologiques divergents à partir desquels on ne peut plus restituer une forme thématique unitaire ; cf. CHD L-N 193.

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Chapitre 8

13 (VH/nh) ; {WisuriyaNT-∅} d]Ú-i-su-u-ri-ya-an-ta KBo 15.27 : 2 (VH/mh) « ô Wisūriyant ! » (voir Laroche 1969 : 176-177)79. L’élimination de /T/ repose donc, à la fois, sur une condition phonologique, puisque /T/ doit se trouver derrière une nasale, et sur une condition morphologique, puisque /T/ doit être est en contact avec la désinence {-∅dir.sg.} et non pas seulement en fin de mot. Dans une langue où existe une tendance à l’effacement de n devant plosive (§ 8.7.3), et où le comportement des plosives ne traduit pas de faiblesses particulières en fin de mot, la motivation phonétique de ce processus morphonologique remonte manifestement à une strate de développement antérieure aux données historiques. 8.16.6 /d/ → ∅ / {.__n-}obl. Une séquence /dn/ élimine son constituant plosif quand elle attaque la syllabe finale du thème oblique de certains dérivés en {-ádar-}, abstraits et nom verbaux : appatar- « saisie » → gén. */apʰadn-as/ → [a.pʰan.nas] ap-pa-an-na-as ; hattatar « destin » → gén. */Hatʰadn-as/ → [Ha.tʰan.nas] hattannas ; akkatar« mort » → gén. gén. */akʰadn-as/ → [a.kʰan.nas] ag-ga-an-na-as, ak-kán-[na-] as ; adātar « nourriture » → gén. */adadn-as/ → [a.dan.nas] gén. a-da-an-na-as ; akuwātar « boisson » → gén. /agʷadn-as/ → [a.gʷan.nas] a-ku-wa-an-na-as. D’autres formes en -ātar- restent à l’écart de ce processus : hāratar« offense » → dat.-loc. haratni ; kuratar- « dé coupe » → dat.-loc. kuratni ; iyatar « fertilité, croissance » → gén. i-ya-at-na-as. Les dérivés tirés de noms en -ātar- ne mettent pas en évidence de données claires : le paradigme de taksatar « niveau » reflète une élimination de [d] dans gén. /TaKsadn-as/ → [TaK.san. nas] ták-sa-an-na-as, mais pas dans le dénominatif taksatniya- « niveller » → 3pl. imp. my. /TaKsadnija-aNtaru/ → [TaK.sad.ni.jan.ta.ru] ták-sa-at-ni-ya-an-ta-ru KUB 15.34 iii 52 (MH) ; à l’inverse, kattawatar « hostilité, agressivité » généralise l’élimination dans gén. */katʰawadn-as/ → [ka.tʰa.wan.nas] kat-ta-wa-an-naas, comme dans le dérivé kattawannalli- « attaquant » → nom. kat-ta-wa-naal-li-is [ka.tʰa.wan.na.lis]. Dans tous les autres contextes, /d/ demeure stable devant n : hatnu- « (faire) sécher », huitar « faune » → gén. huitnas ; iyatniyant« abondant » ; udnē « pays », tout comme /tʰ/ : tittnu- « installer, placer » → 3pl. prés. ti-it-nu-an-zi [Ti.tʰnu.(w)aɲ.ʧi] KBo 19.150 Ro 5 (VH/nh), 1sg. prét. ti-it-nunu-un KUB 19.27 Ro 4 (NH), 3sg.prét. ti-it-nu-ut KUB 30.10 ii 7 (VH/mh), le plus souvent écrit ti-it-ta-nu-an-zi, ti-it-ta-nu-nu-un, ti-it-ta-nu-ut, etc. 79  En louvite, où toutes les plosives sont éliminées en fin de mot, t/d est normalement éliminé dans dTarhuwant- → voc. dU-an, KUB 35.133 ii 24 (comp. nom. dU-an-za, même tablette, iii 17).

Relations inter-segmentales

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Le changement , quand il se produit, apparaît donc conditionné par la morphologie de la flexion hétéroclitique. Les exceptions que représentent, dans cette perspective dat.-loc. haratni, kuratni, gén. iyatnas peuvent s’expliquer par une restauration analogique (ainsi Hoffner & Melchert 2008 : 42, Kimball 1999 : 298), en laissant, cependant, peu claire, la raison pour laquelle certaines formes et pas d’autres ont été restaurées. Quelle que soit l’explication, il est évident que la motivation phonétique d’origine a été obscurcie par un ou plusieur nivellements paradigmatiques. En définitive, on peut tenir que la séquence /dn/ est phonétiquement stable sauf dans la flexion hétéroclitique où l’alternance {-ádar-∅ : -adn-…} suscite, dans la plupart des cas, un traitement , aboutissant à une alternance {-adar-∅ : -an-…}. 8.16.7 Restes d’alternances /± voix ± aspiration/ (1) Flexions nominales. – La flexion de sepit(t)-, terme désignant une sorte de céréale, met en évidence une alternance fondée sur le voisement, avec, dans la langue ancienne, un thème faisant parfois alterner tt/dd avec t/d au génitif. Dès le vieux hittite, cette variation est en cours de dislocation avant de normaliser le thème sepitt- en moyen hittite (Hoffner 1974 : 77-80, Rieken 1999 : 158-161) : (83) flexion alternante de sepittdir. sg.

se-ep-pí-it (passim)

gén. sg (a) se-ep-pí-da-as KBo 17.39+ iv 5 (VH) [se]-ep-pí-da-as KBo 19.33+ iv 14 (VH) se-ep-pí-ta-as VSNF 12.56 Ro 8 (/nh) (b) se-ep-pí-it-ta-as KBo 25.79 iv 1 (VH) se-ep-pí-id-da-as KUB 20.66 iv 6 (/nh) instr. se-ep-pí-it-ti-it KBo 30.73 iv ? 11 (/nh) dir. pl. se-ep-pí-it-ta HKM 109 : 3, 7 (MH) D’un point de vue descriptif, il n’est plus possible de discerner si, en vieux hittite, la variation doit être appréciée au titre d’une réalisation de /tʰ/ conditionnée par la phonologie supra-segmentale (§ 4.7.2) ou bien en tant qu’alternance entre phonèmes conditionnée par la morphologie du génitif (les deux justifications ne sont d’ailleurs pas exclusives).

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Chapitre 8

Parallèlement au cas de sepit(t)-, on peut mentionner celui de siwat(t)« jour » → loc. si-wa-at-ti (VH/nh) et si-wa-ti (VH/nh), du moins s’il ne s’agit pas d’une erreur de scribe. (2) Flexions verbales. – Une demi-douzaine de verbes à thème en obstruante non sibilante finale ont en commun de refléter des vacillations de voisement plus ou moins désordonnées, les contextes morphologiques dans lesquels certains verbes présentent une voisée étant les mêmes que ceux dans lesquels d’autres verbes ont une non voisée. Les lexèmes en question sont ak(k)- « périr » ; istap(p)- « clore, bloquer » ; nah(h)- « avoir peur » ; sak(k)« connaître » ; wak(k)- « frapper » ; wek(k)- « vouloir, demander » ; zah(h)« frapper, taper » : (84) restes d’alternances impliquant le voisement ‘C’ prés. act.

3sg.

1pl.

3pl.

a-ki (VH) is-ta-a-pí KUB 29.30 ii 17 (VH) na-a-hi KUB 49.3 ii 3 (MH/nh) wa-a-ki (VH) za-a-hi KBo 6.25+ iii 7 (VH/nh) na-a-hu-u-e-ni KUB 52.75 Vo 20 (NH) wa-a-ku-e-en (MH/nh) [s]a-kán-zi (NH) za-ha-an-zi KUB 5.7 i 32, 35 (NH) ú-e-kán-z[i] KUB 17.24 iii 8 (NH)

‘CC’ is-tap-pí KBo 6.26 i 8 (VH/nh)

ak-ku-e-ni KUB 17.1 ii 18 (NH) za-ah-hu-u-e-ni KBo 3.60 ii 17 (VH/nh) ak-kán-zi (VH) is-tap-pa-an-zi KBo 4.2 i 8 (VH/nh) se-ek-kán-zi wa-ak-ka-an-zi IBoT 1.36 i 20 (VH/mh) ú-e-ek-kán-zi KUB 27.66 ii 15 (NH)

523

Relations inter-segmentales

‘C’ prés. my.

3pl.

prét. act.

1sg.

3sg. 3pl.

prét. my.

3pl.

imp. act.

2sg. 3pl.

na-a-hu-un KBo 4.2 iii 42 (NH) sa-qa-hu-u[n] ú-e-ku-un wa-a-kis (NH) a-ker (VH)

‘CC’ is-tap-pa-an-da-ri ABoT 60 Ro 18 (MH) za-ah-ha-an-da KBo 23.92 ii 14 (VH/nh) na-ah-hu-un KUB 33.120 ii 24 (NH) sa-ag-ga-ah-hu-un ú-ek-ku-un a-ak-ki-is (VH) wa-ak-ki-is (MH/nh) is-tap-pé-er KBo 21.6 Ro 5 (NH) za-ah-he-er KUB 17.21 iv 2 (MH) na-ah-ha-an-ta-at 1081/u Vo 4

na-a-hi KUB 30.36 ii 8 (MH/nh) za-ha-an-d[u] ak-kán-du KUB 13.4 iii 39 (VH/nh) is-tap-pa-an-du KUB 13.2 i 7 (MH/nh)

Par hasard ou pour quelque raison, les plosives coronales ne sont pas attestées dans cette situation, limitée, semble-t-il, aux labiales et vélaires (mais voir § 8.18.4). Il est évident que ces témoignages ne reflètent pas un mécanisme structuré, mais leur disposition laisse entrevoir des tendances significatives de ce qui était, probablement, une ancienne norme, notamment le fait que les voyelles répliquées précèdent, le plus souvent, les plosives voisées ‘C’ (is-ta-a-pí, na-ahi, wa-a-ki, za-a-hi, 1pl. wa-a-ku-e-en, 3sg. prét. wa-a-kis) et ne précédent des non voisées ‘CC’ que dans des formes fluctuantes avec ‘C’ (wa-a-kis :: wa-akki-is, ú-e-kán-z[i] :: ú-e-ek-kán-zi), ce qu’on peut justifier en fonction des mécanismes exposés §§ 4.6.3(1b), 4.6.4(3) et 4.7.2. Selon toute vraisemblance, ces données prolongent les interactions préhistoriques entre l’accentuation des syllabes et le voisement, mais cette dernière

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Chapitre 8

propriété étant elle-même intriquée avec l’aspiration, trait qui, à son tour est également sensible à l’accentuation (§ 4.7), il semble difficile, voire impossible, de dégager de variations à l’état de vestiges une causalité unitaire (voir, en dernier lieu Melchert 2012b, avec discussion rétrospective). Le seul enseignement positif qui puisse être tiré de ces témoignages est que les mécanismes sur lesquels ils reposent, quels qu’ils aient été, n’opèrent plus en hittite historique. 8.16.8 ∅ → n / V.}{-__un.} Dans la flexion verbale, le morphème de première personne du prétérit de la flexion en -mi connaît deux variantes : une forme -nun est sélectionnée par les thèmes nominaux qui se terminent par une syllabe ouverte (C)CV (a), et une forme -un est sélectionnée par les thèmes qui forment ou se terminent par une syllabe fermée (CC)VC (b) : (85) distribution des variantes 1sg. prét. {-nun : -un} (a) iya- « faire » → /i.ya.-nuN/ i-ya-nu-un (MH) harknu- « détruire » → /Har.Knu.-nuN/ har-ga-nu-nu-un (MH) hantai- « arranger » → /HaN.Ta.-nuN/ ha-an-ta-a-nu-un (MH/nh) kappuwa- « compter » → /Ka.pʰu.wa.-nuN/ kap-pu-u-wa-nu-un (NH) la- « lâcher » → /la.-nuN/ la-a-nu-un (VH/nh) sai- « être en colère » → /sa.-nuN/ sa-a-nu-un (VH/nh) (b) eku- « boire » → /e.gʷ-uN/ e-ku-un (VH/mh) kuen- « tuer » → /Kʷe.n-uN/ ku-e-nu-un (VH) epp- « saisir » → /e.pʰ-uN/ e-ep-pu-un (VH) es- « être » → /e.s-uN/ e-su-un (VH/nh) ed- « manger » → /e.d-uN/ e-du-un (VH/nh)

Relations inter-segmentales

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On ne saurait valablement reconnaître dans cette distribution un conditionnement de nature segmentale fondé sur la distinction voyelle : consonne (malgré Hoffner & Melchert 2008 : 181, nn. 3-4, Kloekhorst 2008 : 609), puisque rien, dans la phonotactique du hittite, ne s’oppose à la formation de séquences [V+uN] (pai- « aller » → 1sg. prét. pa-a-un KBo 3.22 Vo 73 (VH)), comme à celle de séquences [C+nuN] (arnu- « faire aller » → 1sg. prét ar-nu-nu-un). On ne saurait, non plus, reconnaître un conditionnement syllabique (comme dans la distribution des variantes du morphème d’accusatif {-n : -an}, § 8.13.7a) car, bien que la syllabe finale du thème constitue un critère suffisant pour prédire la distribution des deux formes -un et -nun, il n’existe pas, en hittite, de contrainte interdisant qu’une syllabe fermée soit suivie d’une syllabe CVC (lammar« moment » → gén. lam-na-as [lam.nas] KBo 13.34 iv 2, NH) ou qu’une syllabe ouverte soit suivie d’une syllabe VC (pa-a-un). On est donc conduit à apprécier la variation {-nun : -un} en fonction de la morphologie, les paramètres discriminants étant, à gauche, la forme de la syllabe finale du thème, à droite, la présence du morphème 1sg. prét. {-un}. On prend ici le parti de poser, de façon relativement arbitraire, une règle d’insertion de /n/ dans {-uN} sur thème à syllabe ouverte, mais d’un point de vue descriptif, il ne serait pas moins légitime de postuler une règle d’élimination de /n/ dans {-nuN} sur thème à syllabe fermée80. 8.16.9 /N/ → [m] / __n}De façon exceptionnelle, une nasale labiale /m/ peut être trouvée devant une coronale /n/ (l’inverse est impossible), à la condition que la séquence /mn/ corresponde, comme l’a montré Melchert (1994 : 81), au degré zéro d’un morphème qui, au degré plein, a une forme {… mVn …}. La préservation d’une séquence /mn/ → [mn], quand elle se produit, n’est donc possible que dans un contexte morphologique déterminé où elle est, au demeurant, instable en étant le plus souvent réalisée [mm] ou [m] (voir les données, § 4.11.2(2)).

80  Le morphème 1sg. prét. du hittite repose, historiquement, sur deux variantes conditionnées par le contexte : *… C-m̥ et *… V-m. La justification qui semble la plus simple est que le traitement de *… C-m̥ aboutissait à *… C-un (par ex. *h₁es-m̥ « être » → esun), tandis que celui de *… V-m produisait *… V-n (par ex. *hā- « croire » → *hā-n), avant que, dans un second temps, la variante *-un vienne recaractériser la variante *-n dont l’affixation produit une syllabe fermée aboutissant, en définitive, à -nun, d’où hā-n-un. Pour ce mécanisme (mais non pour l’explication phonétique), l’approche de Kloekhorst 2008 : 609, semble préférable à celle de Melchert 1994 : 181-182, Jasanoff 2003 : 62 et n. 70.

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Chapitre 8

16.10 Variation /e/ : /a/ dans les désinences verbales (1) Données. – Les morphèmes flexionnels des deux premières personnes du pluriel de la flexion du présent reflètent sporadiquement des variations e ↔ a de leur noyau vocalique : (86) variation e : a dans les désinences verbales 1pl. prés. et imp./opt.

2pl. prés.

-weni / -meni -wani / -mani -uni

-tteni -ttani

Les désinences de prétérit, 1pl. -wen / -men, 2pl. -tten, de forme monosyllabique, ont, pour leur part, un vocalisme absolument stable. (2) Interprétation. – Melchert (1994 : 137-138), développant une suggestion de Cowgill, estime que les morphèmes à vocalisme [e] sont accentués, tandis que les morphèmes à vocalisme [a] ne le sont pas. Il ne fonde pas tant cette conclusion sur l’observation des morphèmes eux-mêmes que sur celle des thèmes fléchis en constatant que les flexion alternantes dans lesquelles les deux premières personnes du pluriel sont formées sur un degré zéro ont [e] alors que celles qui sont formées sur le degré plein ont [a] : au-/u- « voir » → 1pl. pres. ú-me-e-ni (VH), epp- / app- « prendre » → 1pl. prés. ep-pu-u-e-ni KUB 31.44 ii 10 (MH/nh), e-ep-pu-u-e-ni KUB 22.57 Ro 13 (NH), e-ep-pu-u-e[-ni] KBo 9.77 : 11 (NH), 2pl. prés. ap-te-ni KUB 12.63 Ro 15 (VH/mh). L’explication de Melchert a généralement été acceptée (Sidel’cev 2004, Kloekhorst 2014 : 200-212), bien que, d’un point de vue philologique, elle rencontre des objections. Comme le reconnaît lui-même Melchert, les restructurations thématiques et nivellement analogiques auxquels les thèmes alternant ont été soumis brouillent, dans de nombreux cas, la distinction censément originelle : au-/u- « voir » → 1pl.pres. ú-me-e-ni (VH) tend à être remplacé par a-ú-me-n[i] KUB 21.38 Ro 35 (NH), a-ú-um-me-ni KUB 21.27+ ii 4 (NH), a-ú-ummé-e-ni KUB 33.88 : 16 (MH/nh), sans changement de forme de la désinence. Par ailleurs, la distinction apparaît totalement opaque dans certaines flexions comme celles de ed-/ad- « manger » → 1pl. prés. a-tu-e-ni (VH), a-du-e-ni (VH), face à a-du-wa-ni Bo 5709 Ro 10 (NH), e-du-wa-a-ni KUB 29.1 i 15 (VH/nh), ou eku- / aku- « boire » → 1pl. prés. a-ku-e-ni (VH), a-ku-wa-ni Bo 5709 Ro 10 (/nh), e-ku-wa-ni KBo 15.26 : 7 (MH), e-ku-e-ni KBo 37.1 ii 37 (NH). En d’autres termes, l’explication de la variation -weni/-wani oblige à postuler des mécanismes

Relations inter-segmentales

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analogiques, dont les manifestations sont certes flagrantes, mais dont la source précise est invérifiable. Une autre conséquence de ces nivellements est que la fluctuation e ↔ a s’observe dans des contextes similaires dès la strate la plus ancienne, en mettant en cause l’idée même d’un conditionnement, au moins d’un point de vue descriptif : pai- « aller » reflète 1pl. pa-i-wa-ni KBo 17.1+ i 20 (VH), mais 2pl. pa-it-te-ni KBo 22.1 : 24 (VH), etc. L’explication de Cowgill et Melchert est donc vraisemblable à la condition de reconnaître que, dès les plus anciens textes, elle ne correspond qu’à une tendance reflétant la dislocation d’une règle antérieure. Il est vrai que les morphèmes à vocalisme [a] ne fléchissent des thèmes issus d’un degré zéro ou sûrement inaccentués, que dans des copies tardives (typiquement a-duwa-ni), tandis que la variante répliquée -wāni ne s’observe que tardivement (pai- « aller » → 1pl. prés. pa-a-i-wa-a-ni, VH/nh), mais dans les textes anciens, les morphèmes à vocalisme [e] ne fléchissent pas que des thèmes sûrement inaccentués ou issus du degré réduit. Au plan phonologique, Melchert suppose une règle préhistorique stipulant un abaissement de /e/ en syllabe ouverte post-accentuée. Cette formulation est trop large car elle prédit que les morphèmes 1sg. prés. -he, 1pl. prét. -wen / -men, 2pl. prét. -tten pourraient avoir des variantes *-ha, 1pl. *-wan / *-man, 2pl. *-ttan, ce qui n’est jamais le cas. Comme le montrent 1pl. -wen / -men et 2pl. -tten, pour que la voyelle connaisse une variation, elle doit non seulement être en syllabe ouverte, mais aussi être suivie d’une autre syllabe, en l’espèce d’une syllabe dont le noyau est toujours un /i/ inaccentuée (sur le cas isolé de hark- « (dé)tenir » → 2pl. prés. har-te-ni-i KBo 22.1 : 31, VH, voir §§ 6.6.6(2ε), 8.14.5). La variation [a : e] ne dérive donc pas moins de la place de l’accent et du poids des syllabes que du rythme de succession des syllabes accentuées et inaccentuées dans le mot. Pour rendre compte de la variation 1pl. {-weni : -wani}, 2pl. {-tʰeni : -tʰani}, il paraît donc préférable de postuler le mécanisme suivant : (87) *e → *a / σ́ .}-{(C)__.σ Cette formalisation demande, en outre, certaines précisions : – elle est confinée à une configuration morphologique singulière et ne représente pas un traitement généralisé dans la langue ; – elle se réfère à un état de langue préhistorique dans lequel l’inaccentuation des voyelles est à même de motiver un changement de timbre, autrement dit à un type d’interaction entre les voyelles et l’accentuation nécessairement distinct de la computation rythmique constatée dans dans l’état historique où la dislocation des oppositions de quantité permet l’allongement des voyelles accentuées sans changer leur timbre (§ 4.2.2).

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Chapitre 8

Alternativement, l’explication postulée par Cowgill et Melchert ne concerne pas moins la préhistoire de l’accentuation que celle des relation apophoniques ; tout thème radical accentué au degré plein dont les marges ne comportent pas de consonne résonante (*h₁éd- « manger », *dʱeh₁- « poser ») est, par nature, inaccentuable au degré zéro, si bien que l’accent ne peut porter que sur la désinence (*h₁d--́, *dʱh₁--́). Sous cette considération, et en admettant que la variation *-weni / -*wani repose elle même sur une ancienne variation apophonique *-wén(i) / *-wn̥ (i) (la syllabation à sûrement été restructurée, sans quoi une forme -uni ne serait pas attestée), la conjecture de Cowgill et Melchert pourrait être réinterprétée en reconnaissant que, dans un même mot, deux morphèmes soumis à variation apophonique en relation de consécution ne peuvent avoir le même degré : on a ed-/ad- « manger » → 1pl. prés. a-tu-e-ni (*h₁d-wén(i)) parce que *h₁d-wń̥ (i) est impossible, et que le degré d’un morphème thématique, en l’espèce, zéro, prédit celui, en l’espèce, plein, de son affixe flexionnel. Cette dernière explication n’est pas contradictoire avec (87), mais, une fois encore, elle se justifie dans une strate de la chronologie préhistorique nécessairement antérieure au stade à partir duquel les nasales cessent de pouvoir être employées comme noyau syllabique en générant, dans les configurations héritées, une voyelle *n̥ → an (Melchert 1994 : 55, Kimball 1999 : 243-246). Quelle que soit l’approche adoptée, on peut tenir pour certain que les alternances de type -weni : -wani, -tteni : -ttani relèvent de la mophonologie et qu’en hittite historique, elles restituent moins une règle qu’un vestige de règle. 8.17

Nivellements analogiques

8.17.1 Homologies de contiguïté En marge des processus dérivant de la mise en relation d’unités segmentales ou syllabiques, on peut mentionner l’existence de mécanismes analogiques aboutissant à introduire ou réintroduire dans les paradigmes des unités phonologiques n’ayant pas un statut de morphème, mais qui, du fait même de leur diffusion dans les flexions, font l’acquisition d’un rôle morphologique tout en modifiant l’organisation syllabique des mots. 8.17.2 /… i/ / {présent actif 3}__# Une demi-douzaine de verbes font, au présent actif, épisodiquement usage, dans des textes anciens ou moyens, de désinences 3sg. -za /-ʧ/, 3pl. -anza /-aNʧ/, remplacées, dans les copies plus tardives, par les désinences sg. -zi /-ʧi/, pl. -anzi /aNʧi/, régularisées partout ailleurs :

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Relations inter-segmentales

(88) expansion analogique de … i es- « être » 3sg. e-es-za /es-ʧ/ KBo 6.2 iv 54 (VH) istarnink« affliger » hark« tenir, avoir ishai- « lier » sakuwai« observer » sarnink« compenser »

3sg. is-tar-ni-ik-za KBo 40.272 g. 5 (MH) 3sg. har-za KBo 9.73 Ro 12 (VH) 3pl. is-hi-an-za KBo 6.26 i 7 (VH/nh) 3pl. sa-ku-wa-an-za KUB 13.2 iii 16 (MH/nh) 3sg. [sar-ni-ik]-za KBo 6.2 iv 54-55 (VH)

zaluknu« retarder »

za-lu-uk-nu-za KUB 26.17 i 9 (MH)

e-es-zi /es-ʧi/ KBo 6.3 iv 53 (VH/nh) duplicat du précédent is-tar-ni-ik-zi har-zi is-hi-an-zi sa-ku-wa-an-zi sar-ni-ik-zi KBo 6.3 iv 54 (VH/nh) duplicat du précédent za-lu-ga-nu-zi

L’ajout d’un /i/ en finale des désinences de troisième personne correspond à un nivellement analogique pratiquement achevé dès le vieux hittite ; il correspond, historiquement, à la restauration du */i/ final éliminé après qu’il eut provoqué l’affrication des plosives coronales : 3sg. *h₁és-ti « il est » → *és-ʧi → /ésʧ/ → /ésʧi/. L’accord semble général, chez les spécialistes, pour estimer que que la restauration de /i/ est motivée par une harmonisation envers les formes paradigmatiques n’ayant pas éliminé cette voyelle, 1sg. -mi, 2sg. -si (Eichner 1975 : 80, Oettinger 1979 : 191 n. 18, Melchert 1994 : 182-183, Kimball 1999 : 191). Cette justification est, toutefois, douteuse car, dans les cas de nivellements paradigmatiques historiquement contrôlables, les langues mettent en évidence une diffusion fondée sur le modèle formel de la troisième personne, jamais l’inverse (Collinge 1985 : 239-240). En hittite, la principale conséquence de la réutilisation de /i/ est une modification du nombre et de l’organisation des syllabes : la monosyllabe [esʧ] passe à une forme bisyllabique [es.ʧi] (etc.). Or, une restructuration syllabique est non seulement licite, mais obligatoire quand un morphème {-ʧ…} fléchit un thème dont la consonne finale se situe à un niveau de sonorance inférieur, autrement dit, quand le thème se termine par une plosive non voisée /pʰ tʰ kʰ/. Or, telle est exactement la situation constatée en hittite où tous les témoignages de formes fléchies par {-(aN)ʧ} reposent précisément sur des thème verbaux dont la finale se situe invariablement à un degré de sonorance supérieur à /ʧ/.

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Chapitre 8

Les conditions paraissent donc réunies pour reconnaître que la restauration d’un /i/ final aux troisièmes personnes était obligatoire dans les cas des thèmes en plosives non voisées, à la suite de quoi elle a été analogiquement étendue à tous les autres thèmes où elle est demeurée relativement optionnelle jusqu’au vieux hittite. L’évolution phonologique normale d’une forme comme 3sg. prés. *h₁ép-ti « il prend » aboutit à une monosyllabe *[ḗpʰʧ] dont les rapports sont déséquilibrés, puisque la sonorance de /ʧ/ est supérieure à celle de /pʰ/, malformation à laquelle remédie la restauration secondaire du *i déplacant l’affriquée de la position de coda à celle d’attaque : [ḗ.pʰʧi] e-ep-zi (VH) ; à l’inverse, le réflexe attendu de *h₁és-ti « il est » → [esʧ] aboutit à une syllabe correctement formée, laquelle n’exige pas, mais peut admettre une restructuration [es.ʧi] par analogie avec la situation précédente. Il paraît donc que le … i final des troisièmes personnes résulte d’une restructuration syllabique imposée, dans un premier temps, à certains thèmes, avant que d’être généralisée par analogie à tous les autres ; la source de l’analogie est, peut-être, la voyelle finale des désinences 1sg. -mi, 2sg. -si, mais elle peut aussi être celle de la désinence 3sg. *-ti, ou encore reposer sur une réinterprétation perceptuelle des propriétés phonétiques de l’affriquée [ʧ] issue de *-ti (comparer la variante ku-e-ez-zi de l’ablatif {Kʷeʧ} le plus souvent écrit ku-eez – § 4.9.5(4)). 8.17.3 /… K/ / pronoms interlocutifs, cas syntaxiques}__ # La flexion des pronoms interlocutifs aclitiques reflète un certain nombre de singularités, au nombre desquelles une harmonisation par … k de la finale des formes de nominatif et d’accusatif-datif : (89) flexion des pronoms interlocutifs forts

nom. acc.-dat. gén. abl.

1sg.

2sg.

ú-uk am-mu-uk am-me-el am-me-e-da-az

zi-i-ik, zi-ik tu-uk tu-e-el tu-e-da-az

Autant, dans les flexions pronominales, l’existence d’un rapport de supplétion entre le cas nominatif et les autres est pratiquement universelle dans les langues (Baerman, Brown & Corbett 2005), autant rien ne laisse préjuger de ce que les formes des deux pronoms doivent partager un élément phonologique

531

Relations inter-segmentales

commun, en l’espèce, une finale commune /g/ (on admet une voisée sur la foi de la forme dérivé {ʧig-ila} → zi-ki-la « toi seul » KUB 17.10 i 31, VH/mh). L’origine du changement n’est pas discernable en hittite, mais la comparaison indo-européenne indique que le /g/ du hittite trouve sa source dans les formes de nominatif du pronom 1sg. (véd. ahám, gr. egṓ, lat. ego, v. sl. azŭ, got. ik), en dénoncant 1sg. ammuk, 2sg. zik et tuk comme des formes refaites par analogie de proximité. Un mécanisme presque identique à celui du hittite se constate en germanique, où la finale de got. 1sg. acc. mik et de 2sg. acc. þuk est empruntée à celle de 1sg. nom. ik (mais le nominatif 2sg. þu n’est pas atteint)81. Les influences entre les paradigmes des pronoms interlocutifs ont été, au demeurant, mutuelles puisque le timbre /u/ observé dans le nominatif 1sg. ūk /úg/ est, de son côté, absolument unique parmis toutes les langues indoeuropéennes, ce qui suggère qu’il a été emprunté, à nouveau par analogie de proximité, au pronom de deuxième personne *tu (voir à ce propos Melchert 1994 : 7). 8.17.4 /… d(an)…/ {thème pronominal}__{cas obliques} Au nombre des propriétés distinguant la flexion des pronoms de celles des noms et adjectifs, on constate, outre l’usage de morphèmes et d’architectures flexionnels distincts, la présence, aux cas obliques, d’un élément de forme /-d- : -dan-/ qu’on ne peut reconnaître comme un morphème en raison de son absence de signification. Dans la flexion interlocutive, cet élément n’apparaît qu’à l’ablatif : (90) flexion des pronoms interlocutifs

nom. acc.-dat. gén. abl.

1sg.

2sg.

1pl.

2pl.

ú-uk am-mu-uk am-me-el am-me-e-da-az

zi-i-ik, zi-ik tu-uk tu-e-el tu-e-da-az

ú-e-es an-za-a-as an-ze-el an-ze-da-az

su-me-es su-ma-a-as su-me-en-za-an su-me-e-da-az

Dans les flexions délocutives, comptant plus de cas, cet élément apparaît au datif-locatif et à l’instrumental :

81  Kloekhorst 2008 : 113 n. 237, voit étrangement dans le /K/ final des pronoms la consonne intiale du morphème dérivationnel -kil(a).

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Chapitre 8

(91) flexion des pronoms délocutifs anim. nom. acc. gén. dat.-loc. instr. abl.

singulier inan.

anim.

pluriel inan.

a-pa-a-as a-pa-a-at a-pé-e ka-a-as ki-i ke-e a-pu-u-un a-pu-u-us ku-u-un ku-u-us a-pé-e-el a-pé-en-za-an ke-e-el ke-e-en-za-an a-pé-da-ni a-pé-e-da-as ke-e-ti, ke-e-da-ni ke-e-da-as a-pé-et, a-pé-e-da-an-da ke-e-et, ke-e-da, ke-e-da-an-ta a-pé-e-ez ke-e-ez

La même diffusion affecte identiquement les flexions du pronom relatifinterrogatif kui- → dat.-loc. ku-e-da-ni ainsi que celles d’autres lexèmes stipulant une relation d’altérité / définitude, affiliés à la flexion pronominale : sie- « un » → dat.-loc. si-e-da-ni (VH/mh), instr. si-e-et (VH), si-e-et-ta (NH), 1-e-ta-an-da (NH), abl. si-i-e-ez (MH/nh), 1-e-da-az (NH) ; tamai- « autre, second » → dat. ta-me-e-da-ni, abl. ta-me-e-da-az, déterminant défini asi → dat. e-di (VH), e-da-ni (MH), abl. e-di-iz (MH), e-da-za (NH). La pénétration de /-d- : -dan-/ dans les paradigmes apparaît nettement dans le remplacement de instr. /Ke-T/ ke-e-et, ke-e-da par /Ke-dan-T/ ke-e-da-an-ta ou dans celui de dat.-loc. /Ke-d-i/ ke-e-ti par /ke-dan-i/ ke-e-da-ni. Un aspect notable de cette diffusion est qu’elle est restreinte au datif-locatif et à l’instrumental avec des délocutifs alors qu’avec les interlocutifs et autres formes assimilées à la flexion pronominale, elle atteint l’ablatif : (92) diffusion de de /-d- : -dan-/ dans la flexion délocutive dat.-loc. (/abe-T/) /abe-dan-T/ (/Ke-T/) /Ke-dan-T/ instr. /abe-dan-i/ /Ke-d-i/, /Ke-dan-i/ abl. /abe-ʧ/ (*/abe-d(an)-aʧ/) /Ke-ʧ/ (*/Ke-d(an)-aʧ/) L’origine de /-d- : -dan-/ demeure obscure, même si sa forme peut évoquer la désinence d’ablatif *-d mise en évidence par la comparaison des paradigmes

Relations inter-segmentales

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pronominaux de l’indien et du latin (voir, en dernier lieu, Melchert & Oettinger 2009). Le point de départ du processus se situe dans une restructuration des rapports entre les cas ablatif et instrumental dont les sphères d’emploi étaient, selon toute vraisemblance, différentes de ce qu’elle sont à date historique, mais sans qu’il soit cependant possible de restituer la direction précise du mécanisme. Le témoignage de l’adverbe pantalaz « depuis ce moment » s’inscrit dans la même problématique (Melchert 1977 : 259-271, 289, 297) en présentant l’apparence d’un ablatif figé tiré d’un nom (non attesté) *pantala« moment » construit avec un dépendant pronominal fléchi à l’instrumental (CHD P 94). (93) KUB 33.118 i/iv? 24 (NH – Laroche, Mythologie 189) nu api-t pantalaz⸗pat […] conn. dém.-instr. moment-abl.?/nom.?⸗ips. « depuis ce moment précisément […] » Il est possible d’interpréter pantalaz comme un ablatif, mais aussi comme un nominatif /PaNTalaT-s/ employé adverbialement comme nekuz(a) /negʷT-s/ « au soir, à la nuit » (CHD L-N 436). Le démonstratif apparaît soudé à l’adverbe dans ke-et-pa-an-ta-la-az KUB 11.1 iv 5 (VH/nh) et quelques autres passages (références chez Puhvel, HED, IV, 1997 : 202-203). Quoi qu’il en soit, il est certain que la sous-catégorie des cas obliques (datif-locatif, ablatif et instrumental) tend vers une morphologisation autrement organisée que celle des cas syntaxiques, sans pour autant établir une distinction tranchée. La tendance à la diffusion de /-d- : -dan-/ aux cas obliques des flexion pronominales a une expression phonologique une origine certainement morphologique, mais elle illustre surtout la capacité de l’analogie, en tant que processus, à sélectionner et à diffuser des formes, le cas échéant, en toute indépendance de leur statut catégoriel. 8.17.5 /-i-/ / thèmes nominaux}__{cas nucléaires Dans les flexion nominales du louvite, cunéiforme et hiéroglyphique, les noms animés et des adjectifs insèrent souvent – non systématiquement – une voyelle -i- entre le thème et les désinences de nominatif et d’accusatif aux deux nombres. Les noms inanimés et les cas obliques échappent à cette tendance82.

82  Selon les auteurs, ce phénomène est désigné comme comme « motion » ou « mutation » de /i/ ; voir Starke 1990 : 59-90, Oettinger 1987.

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Chapitre 8

(94) flexion de l’adjectif « mauvais » en louvite cunéiforme animés nominatif accusatif ablatif

singulier inanimés

ādduwal-i-s ādduwal-i-n ādduwal-ati

ādduwal-Ø

animés

pluriel

inanimés

ādduwal-i-nzi ādduwal-a ādduwal-i-nz(a)

Une conséquence de l’insertion du -i- est de niveller les alternances thématiques observables en hittite ; comparer la flexion du nom « mère » dans les deux langues, louv. anna/i- face à hitt. anna- : (95) effacement du -a- thématique

nominatif accusatif datif

louvite

hittite

ānni-s ānni-n ānni-i

anna-s anna-n ann-i

L’insertion de -i- en louvite paraît relativement récente car elle se manifeste dans certains dérivés ou composés (ānninniyama/i- « cousine du côté maternel »), mais pas dans d’autres (annalla/i- « maternel », ānnawann(i)- « belle-mère »). La diffusion, en hittite, de mots louvites, combinée avec la relative similarité des flexions dans les deux langues, a conduit, à partir de la période moyenne, à ce que le mécanisme soit reflété en hittite (voir Rieken 1994, 2006). L’insertion de -i- suit en hittite globalement les mêmes principes qu’en louvite, mais de façon plus erratique : elle opère avec les noms animés plutôt qu’avec les inanimés, elle se produit au nominatif et à l’accusatif, sans nécessairement atteindre les deux cas (le pluriel de atta- « père est nom. att-i-es, mais acc. att-us), ni les deux nombres (l’accusatif de ispant- « nuit » est régulièrement sg. ispant-an, mais pl. ispant-i-us est attesté) et tend à se réaliser au pluriel plus souvent qu’au singulier. L’insertion de -i- n’étant qu’une tendance, elle peut facilement coexister avec les formes originelles de la flexion :

535

Relations inter-segmentales

(96) insertion de -i- (acc.pluriel) sans insertion

avec insertion

karat- « entrailles » → ka-ra-a-du-us (VH/nh) ga-ra-a-ti-us (VH/nh) gimra- « steppe » → gi-im-ru-us (MH) gi-im-ri-us (MH/nh) anna- « mère » → an-nu-us (VH) an-ni-us (VH/nh) La motivation du mécanisme reste peu claire ; elle peut s’interpréter comme une thématisation généralisée des cas nucléaires (par rapport aux cas périphériques) autant que comme une uniformisation flexionnelle des animés (par rapport aux inanimés). On ne peut discerner dans quelle mesure son apparition en hittite résulte seulement d’une influence louvite ou si des facteurs endogènes ont facilité son adaptation. 8.18

Observations générales sur les relations entre segments

8.18.1 Les règles On ne constate que relativement peu de processus véritablement standardisés. Tous ceux qui rentrent dans cette catégorie sont motivés par la relation entre un phonème et son entourage, autrement dit par un conditionnement contextuel. Les règles phonologiques du hittite, au sens strict du terme, se limitent à une dizaine de mécanismes : (97) règles phonologiques du hittite transitions entre labiales continues m w transitions entre plosives coronales ∅ aspiration des plosives derrière /r/ C désaspiration au voisinage de /s/ Cʰ assim./dissim. progressive Cʰ assimilation d’antériorité s

→ → → → → → →

homorganicité des nasales élimination de nasales anaptyxe

N N ∅

→ →

anaptyxe





[w] [m] [θ] [Cʰ] [C] [C] [ʃ]

/ V__.w / V.__V (∃V V=u) / T__T / r__ /s / g__ / #__(…). C(alvéo-)palatale / __[lieu] *(__V) ∅ / __{-s [ə] (conflits de syllabation) [u] / Ccoronale__wV

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Chapitre 8

L’ensemble de ces règles se résument à quatre processus : – relations transitionnelles modifiées : relations entre labiales contigües ; relations entre plosives coronales contigües ; – assimilation / dissimilation du mode. Les mécanismes impliqués sont motivés par la DAV ou par un traitement de la DAV : désaspiration des plosives au contatct de /s/ ; aspiration derrière /r/ ; assimilation de voisement / dissimilation d’aspiration ; – assimilation de lieu : relations d’homorganicité des consonnes nasales envers leur environnement ; assimilation du trait d’antériorité par la fricative non antérieure ; – insertion / élimination de segments : anaptyxe générée par divers conflits de syllabation ; élimination des nasales devant fricative. De façon remarquable, ces divers changement s’appuient presque toujours sur les propriétés transitionnelles des segments (y compris l’anaptyxe), presque pas sur leurs propriétés spectrales. Les mécanisme dont le conditionnement est supra-segmental – l’allongement des voyelles et la gémination des consonnes – ont une représentation toujours irrégulière dans la graphie, ce qui ne signifie pas qu’ils constituent des événements phonétiques irréguliers, mais que leur réalisation et leur perception ont des degrés de saillance différents selon les contextes et les locuteurs. 8.18.2 Les tendances Les mécanismes phonétiques trop récurrents pour être considérés comme accidentels, mais que leur absence de systématicité ne permet pas de reconnaître comme réguliers représentent, en volume, le double des régles standardisées. La liste ci-dessous ne tient pas compte des manifestations qui ne sont que marginalement attestées (§ 8.15) : (98) les tendances du hittite assimilation de lieu assimilation de mode (?) rhotacisation nasalisation assimilatrice nasalisation émergente (dé)friction centralisations

s xɣ u V V ɣ↔ɹ H↔K ie ea

→ [h] → [h] → [uɚ] → [Ṽ ] → [Ṽ ] → [ɪ] → [æ]

/ __.H / l(V)__ / __r / __.NCobstr. / Cobstr. non voisée / __. /s / j__

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Relations inter-segmentales

éliminations

insertions

N Cfricat. K s r ∅ ∅ ∅ ∅ ∅ ∅

→∅ →∅ →∅ →∅ →∅ → [T] → [h] → [w] → [j] → [u] → [i]

/__ Cplosive / __N / r__C / r__ʧ / __. / n, r, l__s / e__V (?) / u__V / i__V / __.wV / __.jV

A côté des mécanismes d’insertion/élimination relativement banals, les tendance mettent en évidences processus plus diffus et diversifiés que les règles, notamment des changements dont le conditionnement n’est pas segmental (centralisation des voyelles antérieures, confusion [ɣ] ↔ [ɹ] en coda). Un fait frappant concernant la répartition des tendances est qu’elle ne mettent pas en évidence de réalisation individualisées qui seraient propres à un scribe ou à une origine particulière. Une telle observation s’accorde avec la caractère fondamentalement homogène, d’un point de vue formel, des textes hittites tout en illustrant le fait qu’une normalisation de l’expression, en l’occurrence, celle de la forme phonétique des mots, ne fait pas partie des critères requis par la composition des textes. 8.18.3 La morphonologie Tous les mécanismes morphonologiques ont en commun deux propriétés (abstraction faite de la variation préhistorique /e/ : /a/, § 8.16.10) : – tous impliquent, à un titre ou à un autre, des consonnes coronales, le plus souvent des plosives, jamais des labiales ou des dorsales ; – tous reposent sur des processus d’élimination ou d’insertions de segments, non sur des modification de leurs propriétés. Des coronales peuvent être impliquées dans les mécanismes phonologiques généralisés, mais pas en tant que coronales, sauf lors du traitement des séquences /TT/ qui est, également soumis, de fait, sinon, de droit, à une condition morphologique (§ 8.2.5). 8.18.4 Régulation des paramètres Les coronales suscitent presque toutes des traitements abrupts d’élimination / insertion, quel que soit le type de processus dans lequel elles sont engagées,

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Chapitre 8

alors que les traitements s’appuyant sur une modification graduelles des propriétés des segments s’appliquent soit à des classes modales indifférentes aux lieux, soit à des labiales ou des dorsales (par ex. § 8.16.7). Cette situation est exactement à l’opposé de ce qu’on rencontre dans une langue comme le japonais où les coronales sont hors d’atteinte des processus phonologiques comme l’élimination (Kiparsky 1985 : 97sq.). Hormis les assimilation de lieu et les insertion / élimination de segments, les processus généralisés reposent soit sur des transitions modifiées, soit sur des transferts de traits laryngaux. Par contraste, les tendances et les mécanismes morphonologiques mettent en évidence des processus plus diversifiés. 8.18.5 La question de l’évolution A côté de la domination quantitative des processus sporadiques sur les règles standardisées, une dernière singularité de la phonologie hittite, notamment par rapport à la morphologie, est que ses mécanismes, qu’il s’agisse de règles ou de tendances, donnent l’impression de rester globalement stables à travers les strates chronologiques. Certains processus peuvent éventuellement se raréfier ou gagner en fréquence avec l’évolution, mais le faible volume de la documentation vieux hittite par rapport à celle des strates ultérieures, ne permet pas d’attribuer sûrement ces éventuelles tendances à une évolution plutôt qu’aux aléas de la documentation. Il semble a priori difficile de concevoir que durant les quatre siècles d’histoire documentée de la langue hittite, l’effectif des phonèmes et des processus gouvernant leur utilisation dans la langue seraient restés immuables, notament au vu des divers changements morphologiques qui se sont produit durant cette période. Le point à considérer est que si, dans l’histoire des textes, particulièrement entre le vieux hittite et les strates ultérieures, on constate un certain nombre de changements relatifs à la façon de sélectionner le signes ou de les agencer dans l’écriture d’un mot, on ne constate pratiquement aucun changement interprétable en termes d’adaptation de l’écriture à la parole. C’est, bien plus souvent, par l’emploi devenu incohérent de certains procédés traditionnels que par leur abandon qu’une évolution se laisse discerner (la réplication des voyelles dans les textes tardifs représente sans doute la meilleure illustration de cette tendance). La sédimentation vers laquelle tend naturellement la représentation graphique par rapport à la dynamique de l’évolution linguistique, est renforcée par la pratique, de toute évidence conservatrice des scribes hittites83, en sorte qu’on peut tenir comme hautement probable 83  Comp. Bally 1926 : 69, « la langue écrite […] loin de donner une idée de l’état contemporain d’un idiome, combine, dans un amalgame un peu hétéroclite, les divers états par lesquels il a passé ».

Relations inter-segmentales

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qu’une même graphie ne restitue pas nécessairement les mêmes propriétés phonétiques et, plausiblement, phonologiques, dans les textes les plus anciens et dans les textes les plus récents. Le caractère en apparence statique des témoignages laisse peu de doutes à cet égard, même si les différences dont on peut légitimement supposer l’existence échappent, par nature, à l’observation.

Chapitre 9

Les clitiques 9.1

Les mots clitiques

9.1.1 Entre morphologie et syntaxe Les clitiques forment une catégorie de mots qu’on ne peut positivement caractériser en fonction de traits spécifiques ou opposables à ceux qui identifient d’autres classes de mots, mais seulement d’après des propriétés pour partie similaires à celles des morphèmes, pour partie, à celles des constituants syntaxiques. Comme les affixes, les clitiques ne sont utilisables qu’à la condition d’être formellement rattachés à une base, en l’espèce, à un mot de la proposition, dit hôte ; comme les constituants, ils ne représentent pas, comme tels, une condition a priori nécessaire pour qu’une construction syntaxique soit correctement formée. Dans le même temps, le comportement des clitiques se distingue de celui des affixes en sélectionnant leur base indépendamment de son statut catégoriel ou lexical, tout comme il se différencie de celui des constituants en voyant ses latitudes de positionnement intrinsèquement contraintes1. Les critères en fonction desquels un mot se reconnaît comme clitique sont peu nombreux, mais nettement délimités : (a) une clitique est obligatoirement localisé dans une relation de contiguïté envers un hôte ; (b) un clitique ne peut être séparé de son hôte que par un autre clitique ; (c) quand plusieurs clitiques ont pour hôte un même mot, leur placerment les uns par rapport aux autres suit un ordonancement séquentiel invariant ; (d) la mise en relation d’un clitique avec son hôte ou avec d’autres clitiques peut générer des processus phonétiques et phonologiques idiosyncrasiques.

1  Le statut en quelque sorte intermédiaire des clitiques a alimenté, dans la mouvance générativiste, de nombreux débats méthodologiques tournant autour de la question de savoir si l’existence des clitiques met en cause ou confirme la distinction entre morphologie et syntaxe et à quel point ces niveaux d’analyse doivent être différenciés ; voir Klavans 1982, Miller 1992, Halpern 1995, Anderson 2005, Spencer & Luís 2012. Kloekhorst 2014 : 599, commet un complet contre-sens en définissant les clitiques comme des unités « that syntactically are free ».

© koninklijke brill nv, leiden, 2019 | doi:10.1163/9789004394247_011

Les clitiques

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9.1.2 Mots clitiques, aclitiques et synclitiques Certains linguistes sont portés à voir dans les clitiques une catégorie particulière de morphèmes (ainsi Zwicky 1977, Kloekhorst 2014 : 599). Cette approche est incorrecte s’agissant du hittite où certains clitiques sont, en tant que tels, décomposables en unités plus petites, comme les pronoms délocutifs nom. sg. {nu⸗a-s} → na-as, acc. {nu⸗a-n} → na-an, etc., ou les déterminants possessifs 1sg. nom. {⸗mi-s}, acc. {⸗mi-n}, dir. {⸗mi-T}, etc. (CHD L-N 215-216). En hittite, les clitiques sont, formellement, des mots et non des affixes. Dans l’usage courant, la notion de « mot » se réfère à des niveaux d’analyse linguistique différents dont le cumul, lui-même implicitement variable, peut recouvrir des réalités différentes : le locatif karti et l’ablatif kartaz du nom ker« coeur », le constituant karti⸗smi « dans son coeur » et le composé sallakartātar- « arrogance » sont autant de « mots » différents. Pour éviter de possibles confusions dérivant des utilisations auxquelles se prête ce terme, on a, le cas échéant, recours à la terminologie suivante : – toute unité dont la forme et le comportement reflètent les caractérisations mentionnées ci-dessus (§ 9.1.1) est ici désigné comme mot clitique (⸗smi) ; tous les autres sont aclitiques (karti, kartaz …) ; – toute unité constituée d’au moins un mot clitique (donc, associée avec un autre mot au moins), est ici désignée comme mot synclitique (karti⸗smi). Les critères ici utilisés sont de nature exclusivement comportementale, abstraction faite de toute considération phonologique, lexicologique, ou sémantique. La notion de mot synclitique est équivalente à la notion de mot phonologique, surtout utilisée dans les études portant sur la constituance2. On préfère éviter cette terminologie suggérant, de façon vague, que les mots aclitiques auraient un statut phonologique différent selon qu’il sont cliticisés ou pas, ce qui ne peut pas être vrai dans une langue où des mots synclitiques peuvent être formés de mots clitiques exclusivement (voir ci-dessous, § 9.5.2). La distinction, également traditionnelle, entre mot phonologique et mot grammatical n’est pas moins problématique car un mot synclitique n’est pas plus ou moins « grammatical » que d’autres, de même que l’unité que constitue un mot n’est pas plus ou moins « phonologique » qu’il contienne ou ne contienne pas de clitiques. 9.1.3 Les clitiques et la phonologie Une section particulière dévolue aux clitiques dans un exposé de phonologie est motivée par le fait que les interactions phonologiques qui se produisent 2  Voir, en ce sens, Dixon 2002 : 13-18. Dans d’autres secteurs de l’analyse, « mot phonologique » peut se référer à des notions très différentes selon qu’on se place en phonologie métrique, en phonologie prosodique, en syntaxe minimaliste ou en morphologie (voir Hall 1999).

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entre les clitiques et leurs hôtes ou entre les clitiques eux-mêmes sont typiquement différentes de celles que l’on constate à l’intérieur et entre les morphèmes (Kaisse 1985). En hittite, la disjonction est radicale : aucune des règles phonologiques qui s’appliquent dans l’affixation ne s’applique dans la cliticisation et réciproquement. La syllabe /an/, par exemple, si elle correspond au morphème d’accusatif singulier {-an} de la flexion nominale ne peut pas fléchir un thème à syllabe ouverte, lequel aura recours, par règle, à une forme {-n} (halki- « céréale » → acc. {HalKi-n} hal-ki-in HKM 18 : 25, MH), alors que /an/ est la seule forme possible à l’accusatif singulier du pronom délocutif enclitique {⸗an}, y compris quand il est attaché à un hôte à syllabe finale ouverte (1sg. prés. harganumi « je détruis » + 3sg. acc. {⸗an} → har-ga-nu-mi-an « je le détruis » KUB 52.65 iii 56, NH). Les exemples de ce type peuvent être multipliés. En d’autres termes, dans un même contexte segmental, les mêmes sons peuvent s’avérer compatibles ou incompatibles avec leur entourage selon qu’ils font partie d’un morphème ou d’un mot clitique. 9.1.4 Les clitiques hittites et la typologie Certains spécialistes ont tendance à surestimer l’originalité dont les clitiques du hittite seraient censés faire preuve. Selon Kammenhuber (1969 : 252-235), suivie par Melchert (1994 : 7-8), Watkins (2001 : 54), Beckman (2011 : 529), la formation d’agrégats de « particules » et de pronoms clitiques après le premier mot de la proposition refléterait une propriété unique parmis toutes les langues indo-européennes anciennes. Or, des témoignages de cette configuration sont bien documentées en vieux russe (Zaliznjak 2008 : 87sq.) : (1) Écorce de Smolensk 12 : 4, face interne (DND Б-41 – vers 1150) da⸗že⸗ti⸗mi budete dŭbr[o] conj.⸗emph..⸗intens.⸗1sg.dat. être-futur.3sg. bon[-nom.-acc.nt.] « si ça me conviendra » (‘si ça sera bien pour moi’) Il est vrai que les clitiques forment, en hittite, un effectif plus important que dans d’autres langues indo-européennes, et que leur fréquence discursive, par ailleurs croissante au cours de l’évolution, est élevée, mais ni par leurs propriétés formelles ou sémantiques, ni par leurs comportements syntaxiques, ils ne présentent aucune singularité idiosyncrasique3. 3  En dépit de certains travaux (Aikhenvald 2002), les connaissances typologiques relatives aux clitiques sont encore relativement limitées, la plupart des études en ce domaine se concentrant sur les langues romanes, slaves et germaniques.

Les clitiques

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9.1.5 Plan Les clitiques étant, par définition, sujets à des contraintes de positionnement, les latitudes phonotactiques des phonèmes qui les constituent peuvent connaître des réductions drastiques. Par exemple, les déterminants possessifs au nominatif sont invariablement précédés d’une fricative /s/ car étant en position première dans la matrice positionnelle, ils sont en contact avec un hôte au nominatif, etc. Il paraît donc opportun d’aborder la phonologie des clitiques en débutant par une caractérisation de leurs comportements, ce qui, au plan pratique, revient à traiter de morpho-syntaxe. Plusieurs développements ci-dessous sont sans rapports avec la phonologie, mais on les tient comme nécessaires dans une perspective visant à justifier pourquoi tel enclitique peut, ne peut pas ou doit se trouver dans un contexte donné. On commencera par exposer les caractères généraux des clitiques (§§ 9.2-7) ainsi que leurs propriétés individuelles, sémantiques, comportementales et graphiques (§§ 9.7-11) avant que de se livrer à leur étude proprement phonologique (§§ 9.12-21). 9.2

La classe des clitiques en hittite

9.2.1 Effectif Les mots clitiques du hittite dénotent exclusivement des relations, jamais des notions lexicales ; la plupart relèvent de classes de mots fermées (pronoms, déterminants, connecteurs, conjonctions, connecteurs), d’autres de classes ouvertes (modaliseur, adverbes) : (2) classes de clitiques en vieux hittite pronoms : interlocutifs : 1sg. ⸗mu, 2sg. ⸗tta … (etc.) délocutifs : ⸗as, ⸗at … (etc.) déterminants possessifs : sg. 1 ⸗me/is, 2 ⸗te/is, 3 ⸗se/is … (etc.) conjonctions : ⸗a / ⸗ma, ⸗a / ⸗ya, ⸗(a)k(k)u opérateur modal : ⸗man adverbes locaux : ⸗apa, ⸗an, ⸗asta, ⸗kan, ⸗san opérateurs pragmatiques : identifiant d’ipséité : ⸗pat intensifieur subjectal : ⸗za connecteurs : ta⸗, su⸗, nu⸗ L’effectif clitique diminue notablement au cours du développement de la langue : la conjonction ⸗(a)k(k)u et les connecteurs su⸗ et ta⸗, rarement utilisés en vieux hittite, disparaissent complètement dès le moyen hittite, de même que les déterminants possessifs dans leur ensemble qui tendent à être

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Chapitre 9

remplacés par une construction génitivale ; plus tardivement, la conjonction ⸗ma supplante sa variante ⸗a (laquelle n’est plus employée qu’avec les pronoms aclitiques), tandis que les adverbes ⸗apa, ⸗an, ⸗asta sortent progressivement de l’usage. (3) classes de clitiques en néo-hittite pronoms : interlocutifs : 1sg. ⸗mu, 2sg. ⸗tta … (etc.) délocutifs : ⸗as, ⸗at … (etc.) conjonctions : ⸗ma, ⸗a / ⸗ya opérateur modal : ⸗man adverbes locaux : ⸗kan, ⸗san opérateurs pragmatiques identifiant d’ipséité : ⸗pat intensifieur subjectal : ⸗za connecteur propositionnel : nu⸗ La prédiction évolutive souvent évoquée depuis les années 1970 selon laquelle les clitiques auraient vocation à devenir des affixes (voir Harris & Campbell 1995 : 337, avec bibl.) ne se vérifie pas en hittite où l’élimination de certains clitiques est compensée, soit par un élargissement des emplois qu’assument les clitiques subsistants (conjonctions, connecteurs, adverbes), soit par par l’émergence de constructions nouvelles (possession)4. 9.2.2 Fréquence L’effectif des mots-formes clitiques s’élève, virtuellement, en vieux hittite, à 107 unités : 3 connecteurs, 2 opérateurs pragmatiques, 5 adverbes, 5 conjonctions, 14 mots-formes pronominaux, 78 mots-formes possessifs. Dans l’état de langue le plus avancé, l’élimination des possessifs, de ⸗(a)k(k)u, de la variante ⸗a de ⸗ma, la réduction du nombre des formes pronominales, des connecteurs et celle des adverbes fait descendre ce volume à 20 unités.

4  Dans quelques expressions figées, des déterminants possessifs sont devenus, de fait, des affixes, avec acc. at-ta-as-mi-in (pour attan⸗min) « mon père » KUB 14.11 ii 22 (NH), at-ta-as-tiin (pour attan⸗tin) « ton père KUB 31.66 ii 25 (NH) où le possédé est figé au nominatif tandis que seul le possessif est fléchi (Friedrich 1960 : § 109b) ; ces formes demeurent marginales face à la nouvelle expression de la possession reposant sur tuel attan « le père (acc.) de toi (gén.) ».

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Les clitiques

Parallèlement à la diminution de l’effectif des formes clitiques, on constate un accroissement de leur fréquence dans le discours, laquelle double du vieux hittite aux strates postérieures (relevés effectués d’après le corpus hittite numérisé). (4) fréquence discursive des clitiques dans l’évolution

vieux hittite : moyen hittite : néo-hittite :

clitiques

aclitiques

proportion de clitiques

2 115 3 214 17 977

23 290 16 920 92 492

9 % 19 % 19,5 %

En d’autres termes, après le vieux hittite, le volume de l’effectif diminue de plus 80 % parallèlement à un accroissement des unités qui le fondent de plus de 100 %. 9.2.3 Graphies Un certain nombre de principes généraux dominent la disposition des enclitiques dans la graphie : – les clitiques sont exclusivement écrits en écriture syllabique, jamais par des idéogrammes ; – les clitiques sont soudés à leur hôte dans l’écriture, alors les mots aclitiques sont normalement séparés les uns des autres par un espace ; – les clitiques sont écrits sur la même ligne que celle de leur hôte (namma⸗as|⸗ san KBo 33.167 iv 9-10, NH, constitue une exception isolée) ; – la voyelle (éventuellement) incluse dans un clitique n’est pas écrite en graphie répliquée (voir plus en détail, § 9.3). (1) Enclitiques et hôtes. – Les scribes tendent à écrire les enclitiques sans disjoindre leur graphie de celle de leur hôte, particulièrement quand ce dernier est écrit en graphie composite : le noyau des enclitiques à voyelles initiale, notamment, est généralement écrit conjointement avec la coda finale de l’hôte dans un même signe d’écriture : acc. ERÍN.MEŠ-an « armée » + adv. ⸗an → ERÍN.MEŠ-na-an KBo 17.1+ i 32 (VH), et non *ERÍN.MEŠ-an-an ; acc. GUDun « boeuf » + conj. ⸗a + poss. ⸗smas → GUD-na-as-ma-as KBo 17.1+ i 4 (VH), et non *GUD-un-as-ma-as ; nom. LUGAL-us « roi » + 3sg. acc. ⸗an → LUGALsa-an KBo 17.1+ iii 5 (VH) et non *LUGAL-us-an. Une même observation peut être faite au sujet des graphies intégralement syllabiques : {Kʷel⸗an} (indéf.

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Chapitre 9

gén. + 3sg. acc.) → ku-e-la-an KBo 8.42 Vo 4 (VH) et non *ku-el-an ; {uK⸗an} (pronom 1 sg. + 3sg. acc.) → ú-ga-an KBo 17.1+ ii 31 (VH), et non *ú-uk-an, etc. Cette tendance ne constitue pas une règle en laissant la possibilité de graphies comme GUD-un + adv. ⸗asta → GUD-un-as-ta KUB 30.10 Ro 15 (VH/mh) et non *GUD-u-na-as-ta5. A la suite d’un hôte à coda, un enclitique à consonne initiale est normalement écrit au moyen d’un signe d’écriture différent, sauf quand la coda de l’hôte est identique à l’attaque de l’enclitique, par ex. {Hassus⸗smis} « leur roi » → LUGAL-us-mi-is KBo 22.2 Vo 15 (VH) ; cette dernière tendance connaît également des contre-exemples : {isHas⸗sis⸗an} « son maître » → is-ha-as-si-sa-an ganeszi KBo 6.2 i 43 (VH) Code § 20. (2) Combinaisons équivoques. – Dans quelques situations, l’identification des clitiques ne dépend pas moins de la graphie que de l’interprétation sémantique. Une graphie telle que LÚ.U₁₉.LU-na-az … dai « il prend … la personne » KUB 29.29 ii 13 (VH), Code § 146b, indique, dans ce contexte, un accusatif cliticisé par la conjonction ⸗a (⸗ma) suivie de l’intensifieur ⸗za {anTuHsa-n⸗a⸗ʧ}, mais la même graphie pourrait aussi recouvrir un ablatif {anTuHsan-aʧ}. D’autres situations sont plus obscures : wa-a-t]ar-se-ta akueni KUB 36.110 Vo 6 (VH) « (nous mangeons son pain) et nous buvons son eau » laisserait attendre la présence d’une conjonction de coordination {wadar⸗seT⸗a}, mais en l’absence de la gémination (§ 9.10.3), une lecture {wadar⸗seT} semble plus probable (ainsi CHD S 326). La voyelle finale de certains clitiques est normalement effacée par la voyelle d’un enclitique subséquent à voyelle initiale (§ 9.14) en créant, dans certains cas, des situations équivoques : la graphie ta-ma-i-sa-an KBo 4.2 ii 30 (VH) peut ainsi a priori recouvrir {Tamais⸗a⸗an} aussi bien que {Tamais⸗an} ; en l’espèce, le parallèle ta-ma-i-sa-kán (« autre »-nom.⸗…) du duplicat KUB 29.29 : 12 (VH), impose la première analyse. Dans le contexte mutilé de KUB 8.41 ii 9 (VH), ke-e-as-ta ANA AWAT [… il est, en revanche, impossible de discerner si la graphie recouvre {Ke⸗asTa} plutôt que {Ke⸗ja⸗asTa} (sur la variante ⸗a de ⸗ya, voir ci-dessous § 9.10.3). Dans [nu-u]s-ma-as-sa-an dUTU-ŠI ku-it EGIR-pa maniyahta HKM 58 : 20-21 (MH), il est difficile de choisir entre une interprétation avec pronom anaphorique ⸗an {nu⸗smas⸗an} « sa majesté vous l’a attribué » (ainsi CHD S 155a) et une interprétation avec adverbe ⸗san {nu⸗smas⸗san} « sa majesté vous a attribué » (ainsi Alp, HBM 398, Hoffner 2009 : 208).

5  Pour une autre appréciation, voir Hoffner & Melchert 2008 :§ 1.9.

Les clitiques

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La lecture des consonnes est relativement moins sujette à équivoques, sauf dans le cas des combinaisons /⸗ʧ⸗s …/, occasionnellement sujettes à un traitement phonétique particulier (§ 9.13.1), -za-an pouvant recouvrir aussi bien {⸗ʧ⸗an} que {⸗ʧ⸗san} ; la dernière lecture s’impose dans les textes tardifs où l’adverbe ⸗an est sorti de l’usage, mais l’interprétation demeure incertaine dans les textes plus anciens (par ex. KBo 15.36 iii 5, VH/mh ; KBo 32.13 ii 11, MH ; KUB 18.57 : 27, MH). (3) Voyelles factices. – L’écriture des enclitiques peut avoir recours aux voyelles factices (§ 3.3). De façon générale, derrière consonne, les enclitiques nécessitent des voyelles factices quand ils créent des séquences de trois consonnes : le pronom 2pl. acc.-dat. {⸗smas} écrit Vs-ma-as derrière voyelle est écrit C-sa-ma-as, jamais *C-as-ma-as ; l’intensifieur {⸗ʧ} est le plus souvent écrit Vz derrière voyelle ({ta⸗ʧ} → ta-az, {nu⸗ʧ} → nu-uz KBo 17.36 ii 8 (VH), {nu⸗mu⸗⸗ʧ} → nu-mu-uz), éventuellement V-za ({nu⸗ʧ} → nu-za KBo 17.22 iii 5, VH), tandis que -za est obligatoire derrière consonne : {nu⸗an⸗ʧ} → na-an-za KBo 22.61 i 8 (VH), d’où Vz-za ({nu⸗ʧ} → nu-uz-za KBo 6.2 ii 32, VH) ; la graphie C-az est impossible. Une graphie telle que gén. MUNUS-sa-ma KBo 6.2 i 55 (VH), ne peut inclure ⸗a (qui se trouverait devant ⸗ma), ce qui impose de reconnaître qu’elle recouvre *MUNUS-s⸗ma, en dénoncant la voyelle de -sa- comme factice (voir Hoffner 1997 : 32 n. 52, Meacham 2000 : 40). Sur l’interprétation des graphies du pronom 2sg. ⸗tta, et du possessif 3pl. ⸗sm- : ⸗sam- : ⸗sem-, voir §§ 9.11.4(2), 9.9.2, respectivement. (4) Distinctivité segmentale. – Les règles qui s’imposent dans la représentation du voisement des plosives dans le mot grammatical ne s’appliquent pas en limite de clitiques. Les enclitiques à plosive initiale font facilement fluctuer les graphies CC et C en contexte intervocalique : katti⸗ « sous » + poss. 2sg. {⸗tʰi} → kat-ti-it-ti KUB 20.7 : 13 (VH/nh), face à kat-ti-ti KBo 3.7 i 25 (VH/nh) ; {Ta⸗Kan} → ták-kán IBoT 2.121 Vo 12 (VH), face à ta-kán KBo 17.36 + iii 2 (VH) ; {nu⸗Kan} → nu-uk-kán KBo 17.2+ i 2 (VH), face à nu-kán HKM 1 : 8 (MH), etc. Des vacillation similaires se constatent, de façon générale, avec toutes les obstruantes, qu’elles soient inscrites ou non dans une corrélation de voisement ou non (sur l’intensifieur ⸗za et la conjonction ⸗(a)k(k)u, voir ci-dessous). (5) Distinctivité graphique. – Contrairement à ce que l’on constate dans l’affixation, le signe z n’est jamais utilisé pour représenter les combinaisons /tʰ d/ + /s/ séparées par une frontière clitique : {nu⸗aT⸗san} → na-at-sa-an KBo 25.139 Vo 7 (VH), KUB 29.1 iv 1 (VH/nh), {nu⸗aT⸗se/i} → na-at-si HKM 94 : 10 (MH), {⸗batʰ⸗se/i} → ZU-UP-PA-RU-pát-si KUB 21.11 Vo 7 (NH). Sur ce point comme sur le précédent, la limite de clitique s’assimile, dans la graphie, à une limite entre mots qui ne seraient pas séparés par des espaces.

548 9.3

Chapitre 9

Propriétés prosodiques

9.3.1 L’inaccentuation des clitiques La déficience prosodique fait partie des propriétés généralement reconnues comme typiques des mots clitiques. Cette caractérisation demande toutefois quelques précisions tant elle donne parfois lieu a des simplifications excessives, voire à des contre-sens. Les clitiques sont inaccentués par défaut, ce qui signifie qu’ils n’ont pas d’accent tant que le contexte particulier dans lequel ils sont utilisés ne leur en assigne pas un. Des témoignages de mots clitiques accentués sont attestés dans toutes les langues indo-européennes anciennes et modernes : en védique, dans un vers comme mó [= mā́ u] ṣú ṇaḥ soma mṛtyáve párā dāḥ « et ne nous livre pas à la mort, Soma ! » (ṚV 10.59.4a), le verbe dāḥ et les enclitiques u et 1pl. ṇaḥ sont inaccentués, alors que l’enclitique ṣu est accentué ; chez Homère, dans ḗ nú sé pou déos ískʰei akḗrion ? (…) « ou bien est-ce une lâche crainte qui te retient ? » (Iliade 5.812), les enclitiques nu et se sont accentués, mais pas pou ; en lituanien moderne, l’opérateur de réflexivité s(i) peut être accentué quand il est endoclitique d’un verbe préfixé : reñgti « habiller » / reñgti-s « s’habiller », mais àp-rengiau (vaĩką) « j’ai habillé (l’enfant) » face à ap-sì-rengiau « je me suis habillé » (Geniušienė 1987 : 19, 69-70). Les clitiques accentués peuvent refléter des propriétés phonologiques tantôt identiques à celles des mots accentués, tantôt, spécifiques : dans certaines langues, les clitiques peuvent être, par règle, porteurs d’un accent secondaire (Aikhenval’d 2002 : 47-48) ; en français, la voyelle [ə], qui n’est pas un phonème, ne peut être accentuée que quand elle est incluse dans un clitique (lâchez-le ! [laʃe⸗lə́ ]), tandis que certaines combinaisons formées de mots clitiques peuvent même, à ce titre, générer un accent : gr. {peri + mou} → perí⸗mou, etc. (Vendryes 1904 : § 97, Allen 1973 : 240-244)6. De même que les mots clitiques peuvent être accentués, les mots non clitiques peuvent aussi être inaccentués. Outre que la morphologie de l’affixation comme de la composition peuvent mettre en évidence des déplacement d’accent ou des échos secondaires similaires à ceux que l’on constate, éventuellement, dans la cliticisation (Inkelas 2014 : 316sq.), il est banal que des mots que rien n’identifie à des clitiques perdent tout ou partie de leur 6  L’affirmation de Kloekhorst 2014 : 612, selon qui « a clitic is by definition an inherently unaccented element » est fausse. Sur l’accentuation des clitiques, voir Garde 1968 : 72sq., Klavans 1985 : 141sq., Aikhenvald 2002 : 47-48, Schiering 2006, Nespor & Vogel 2007 : 145sq., Lowe 2014. – Au II ème siècle, Le grammairien Arcadius d’Antioche (Perì tónōn) considérait que les clitiques sont naturellement accentués, mais qu’ils s’écartent des règles d’accentuation communes par le comportement dont ils font preuve.

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autonomie prosodique en fonction du contexte dans lequel ils sont employés. Les adpositions, opérateurs de négation, relateurs syntaxiques ou adverbiaux, et, de façon générale, les formes liées, illustrent typiquement des comportements de ce type, mais sans en avoir l’exclusive : en védique, par exemple, les formes verbales finies, sont, par règle, accentuées dans les propositions dépendantes, mais pas dans les principales (voir l’exemple cité ci-dessus) ; le démonstratif ayám, invariablement accentué au voisinage ou en apposition à un nom-tête, peut, dans tous les autres emplois, devenir prosodiquement déficient (Macdonell 1910 : 108 n. 4) ; le dépendant génitival d’une tête au vocatif est obligatoirement inaccentué s’il n’est pas en tête de pāda (Renou 1952 : 73), etc. Ces mécanismes de déposition prosodique, souvent graduels, peuvent, le cas échéant, aller de pair avec des manifestations segmentales idiosyncrasiques : en russe, la conjonction no « mais » peut déposer son accent (notamment quand elle introduit des propositions incluant un topique), mais sans que cette inaccentuation se traduise par le traitement /o/ → [ʌ] normalement caractéristique de /o/ inaccentué (Garde 1968 : 61-73). La poésie métrique est une source virtuellement inépuisable de témoignages de ce type. L’absence d’accent caractérisant, souvent, les clitiques aussi bien que les formes liées dérive de ce que leur introduction dans la proposition étant soumise à la présence d’autres mots, ils ont propension à former une seule et même unité prosodique avec le mot qui leur sert d’attracteur, du moins tant que cet amalgame n’est pas en conflit avec d’autre(s) norme(s) d’individuation. L’attitude consistant à aborder les clitiques en préjugeant qu’ils seraient, par nature, inaccentués, tout comme les mots aclitiques seraient, par nature, accentués est en discordance avec toutes les données de l’observation. Dans un corpus documentaire où, comme en hittite, la place de l’accent n’est pas stipulée par des indices spécifiques, mais dérive d’hypothèses sur les conséquences de l’accentuation sur les segments, conséquences dont la représentation est, le plus souvent, instable et, bien souvent, équivoque, la question qui se pose est d’apprécier dans quelle mesure la cliticisation met en évidence des propriétés dont l’explication sollicite ou exige des hypothèses sur l’accentuation, non de justifier le comportement ou la forme des clitiques en fonction d’une inaccentuation supposée qui n’a rien de définitoire et qu’il est impossible de contrôler sûrement. 9.3.2 Propriétés prosodiques des clitiques Certains clitiques sont inaccentuables parce qu’ils ne sont pas équivalents à une syllabe : l’absence de noyau vocalique est certaine dans le cas de l’intensifieur {⸗ʧ} (§ 9.11.7) et vraisemblable dans celui de la variante du pronom

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2sg. écrite ⸗tta (voir § 9.11.4(2)) ; en revanche, la conjonction de coordination ⸗(a)k(k)u reflète sûrement une voyelle finale (§ 4.4.2). Tous les autres clitiques sont virtuellement accentuables en ce qu’ils comptent au moins une syllabe, plus rarement, deux (⸗asta, ⸗apa). Or, les procédés que l’on peut tenir comme significatifs de l’accentuation, la réplication des voyelles et la gémination des consonnes, ne sont pas utilisés de la même façon dans l’écriture des mots clitiques et des mots aclitiques. (1) Réplication. – Le noyau vocalique des clitiques n’est jamais représenté en graphie répliquée ; un cas comme abl.-instr. tu-ug-ga-az-se-e-et « de son corps » KUB 17.10 iii 10 (VH/mh), face à ki-is-sar-ra-az-se-et « de sa main » KBo 22.195 ii 8-9 (VH/mh) est exceptionnel. Comme il serait peu vraisemblable d’estimer que chacun des clitiques hittites serait invariablement inaccentué dans la totalité de ses occurrences, et quel que soit son contexte, le plus probable est que l’écriture non répliquée des clitiques constitue une norme orthographique, au même titre que la soudure au mot-hôte ou l’impossibilité de séparer l’hôte et le clitique sur deux lignes. Dans cette perspective, on doit reconnaître que la caractérisation prosodique de chaque clitique est individuellement inaccessible du fait de leur uniformisation graphique en tant que classe de mots. (2) Gémination. – L’écriture des clitiques fait preuve, en matière de gémination, d’une instabilité ou, à l’inverse, d’une tendance à la standardisation qui rendent invraisemblable une interprétation linguistique des variations C : CC. La question de la gémination régularisée devant la variante ⸗a de la conjonction ⸗a/⸗ya mise à part (§ 9.10.3), la gémination des enclitiques à consonne initiale est n’est pas rare derrière un hôte en P1, particulièrement derrière les connecteurs : {nu⸗se} → nu-us-se KUB 36.104 Vo 2 (VH), {Ta⸗se} → ta-as-se KBo 6.2 ii 44 (VH), {nu⸗nas} → nu-un-na-as KBo 8.42 Ro 6 (VH), {nu⸗mu} → nu-um-mu KBo 3.40 Ro 14 (VH/nh), etc. La gémination des clitiques demeure toutefois optionnelle dans ce contexte comme le montrent {nu⸗Kan} → nu-ukkán KBo 17.36+ ii 3 (VH), mais {nu⸗Kan} → nu-kán HLM 1 : 8 (MH), {Ta⸗Kan} → ta-kán KBo 17.33+ iii 7 (VH) ; {nu⸗ʧ} → nu-uz-za KBo 6.2 ii 32 (VH), mais nu-za KBo 22.61 i 15 (VH), {nu⸗mu} → nu-um-mu, mais {nu⸗mu⸗ʧ} → nu-mu-uz KUB 29.3 i 5 (VH), {su⸗mu} → su-mu KBo 3.22 Ro 75 (VH), etc. La propension ou l’absence de propension à la gémination caractérisant l’écriture d’un clitique donné peut être, en outre, complètement différente d’une strate chronologique à l’autre, au sein d’une même strate, selon l’identité lexicologique des clitiques, ou encore, selon le contexte dans lequel un même clitique est employé : en vieux hittite, la vélaire de l’adverbe ⸗kan est instable derrière ta ({Ta⸗Kan} → ta-kán KBo 17.36+ iii 2 (VH), ták-kán KBo 17.1+ iv 17,

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VH), mais pas derrière nu où elle est, presque toujours, géminée : {nu⸗Kan} → nu-uk-kán KBo 17.36+ ii 3 (VH) (nu⸗kán n’apparaît pas avant le moyen-hittite, HKM 1 : 8) ; à l’inverse, toujours en vieux hittite, les graphies usuelles de l’affriquée sont nu-za, nu-uz, alors que la géminée nu-uz-za est exceptionnelle (Neu 1983 : 128). Les graphies de 1sg. dat. /⸗mu/ ne sont strictement jamais géminées en vieux hittite avant de devenir possibles dans les strates plus tardives (CHD L-N 311), par exemple {nu⸗mu} → nu-mu KBo 17.1+ iv 15 (VH), face à nu-ummu KBo 3.40 Ro 14 (VH/nh). Les graphies de 1pl. /⸗nas/ sont, le plus souvent, géminées en vieux hittite (CHD L-N 396-397), alors que celles de 3sg. dat. /⸗se/ ou poss. /⸗seT/ font un usage équivalent des graphies géminées et non géminées (CHD S 321sq.). D’autres enclitiques ont, enfin, une graphie totalement instable : {Tebu⸗se} → te-e-pu-us-se KBo 6.2 iv 47 (VH), face à te-pu-se, même tablette, ligne 43 ; {asu-∅⸗seT⸗ya} → a-as-su-us-se-et-ta KBo 22.61 i 5 (VH), face à {aniyatʰa⸗seT} → a-ni-y]a-[at]-ta-se-et KBo 17.11+ iv 20 (VH) ; {nu⸗war⸗nas} → nu-wa-an-na-as KBo 3.38 Ro 35 (VH/nh), face à nu-wa-na-as-kán KUB 17.4 :5 (MH/nh), etc. Le seul enseignement qu’on puisse positivement tirer de ces témoignages est que la gémination des enclitiques, bien que globalement favorisée par l’enclise à un mot en P1, présente un caractère éclaté où aucune motivation unitaire ne peut être reconnue. Comme l’a bien discerné Melchert (1994 : 1415), la cause d’une vacillation telle que celle de l’adverbe ⸗kan : ⸗kkan impose de reconnaître l’existence de tendances à la conventionnalisation orthographique plus ou moins (in)abouties, variables, selon les époques et les enclitiques7. Une autre observation confirmant le caractère extra-linguistique de ces vacillations est que si la question d’une gémination peut éventuellement être envisagée en présence d’une formation bysillabique telle que {nu⸗Kan} → nu-uk-kán ([nuK.Kan]), ce n’est naturellement pas le cas avec une formation monosyllabique comme nu-uz-za où un allourdissement de la coda {nu⸗ʧ} → **[nutʧ] serait, à tous égards, immotivé. L’écriture des mots clitiques fait donc, des indices graphiques significatifs de l’accentuation un usage, tantôt uniformisé (absence de réplication), tantôt fluctuant (gémination). Le caractère foncièrement contradictoire d’indices suggérant, pour l’un, une déficience prosodique, pour l’autre, exactement le contraire, indique que les particularismes d’écriture des clitiques n’ont pas de 7  Bernabé Pajares 1973 : 448, attribue la gémination à une accentuation supposée des connecteurs, point de vue radicalisé par Kloekhorst 2011 : 161 n. 7, qui, au mépris des données, affirme que « all enclitic particles attached to nu, ta and su have a geminated initial consonant ». La position de Melchert 1994, est moins claire car s’il reconnaît que la vacillation ⸗kan : ⸗kkan traduit une variation graphique (p. 14-15), il attribue pareillement la gémination des enclitiques à segment initial géminable à leur position censément post-tonique (p. 154).

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signification phonétique. Les modes d’écriture différenciés des mots clitiques et aclitiques dérive d’une catégorisation graphique s’appuyant vraisemblablement sur une perception par défaut de la différence entre mots clitiques et aclitiques, non sur une représentation analytique de leurs relations. L’écriture des clitiques met, par des voies différentes, chaque situation individuelle au même niveau d’indistinction. 9.3.3 Propriétés prosodiques de l’entourage clitique Divers travaux ont tenté de montrer que les formes clitiques seraient à même de livrer une information sur la prosodie de leur entourage ou imposeraient des conséquences particulières sur la prosodie de leur hôte ou sur leur entourage. (1) Accentuation de l’hôte. – Melchert (1994 : 106) estime que, dans les textes anciens, la cliticisation pourrait conditionner un déplacement de l’accent de l’hôte vers la syllabe la plus proche du clitique. Il fonde cette conception sur les témoignages de (5) où la syllabe du mot-hôte la plus proche de l’enclitique est écrite en graphie répliquée : (5) a. {KʷiTman} « tant que, jusqu’à ce que » + 3sg. nom. sg. {⸗as} ku-it-ma-a-na-as KBo 6.2 i 18 (VH) b. {Hasa-n} « foyer » acc. sg. + adv. {⸗Kan} ha-a-as-sa-an KBo 25.147 : 6, comp. KBo 17.11+ i 7 (VH) ha-as-sa-a-an-kán KBo 25.31 ii 17 (VH) Il est difficile de retenir ces données comme probantes ; d’une part, elles rencontrent des contre-exemples, respectivement ku-it-ma-na-as KBo 6.3 i 27 (VH/ nh), KBo 6.5 i 7 (VH/nh), et ha-a-as-sa-an-kán KBo 25.31 iii 8 (VH) ; de l’autre, elles reposent sur des formations dont la graphie est notoirement instable : l’adverbe kuitmān est formé, de façon transparente, du relatif-indéfini kuit et de la conjonction mān, dont la graphie abandonne fréquemment la réplication précisément quand elle est cliticisée (voir ci-dessous), tandis que la syllabe répliquée de hassa- vacille de façon constante dès le vieux hittite (voir § 7.6.6). L’hypothèse d’un déplacement de l’accent vers la syllabe la plus proche du clitique est, en outre, contredit par des témoignages comme {Tégas⸗seT} « sa terre » → te-e-ga-as-se-et KBo 17.22 iii 11 (VH), {Péran⸗PaT} « devant » → pé-e-ra-an-pat KBo 17.36+ ii 15 (VH), ainsi que par les cas d’élimination d’une réplication dominante, quand un mot est hôte de clitiques : par ex. l’adposition parā « devant » est presque toujours écrite pa-ra-a, mais pas dans {Para⸗ ma⸗asTa} → pa-ra-ma-as-ta KUB 31.143 ii 2 (VH) ; de même, le cas direct du démonstratif kā- est normalement écrit avec une voyelle répliquée ki-i, ke-e, mais pas dans {Ki⸗ma} → ki-i-ma KUB 8.41 iii 10 (VH) et ki-ma, même tablette,

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iii 7 ; la conjonction ma-a-an « si, quand », est toujours écrite en graphie répliquée, sauf dans des exemples comme {man⸗Kan} → ma-an-kán KUB 30.42 iv 21 (NH) ; l’adverbe sarā « haut » est presque toujours écrit sa-ra-a, sauf quand il est cliticisé, sa-ra-ma[(-wa)] KUB 60.113 :5, sa-ra-am-mu KUB 31.4 Ro 7, etc. (pour d’autres exemples, voir Kammenhuber 1969 : 176-177, Kimball 1999 : 63). L’hypothèse selon laquelle la cliticisation aurait des incidences sur la caractérisation prosodique de l’hôte demeure, cependant, plus invérifiable que véritablement réfutable car tous les exemples pouvant être évoqués à l’appui d’une hypothèse donnée rencontrent invariablement des témoignages contradictoires. L’observation de langues très étudiées sur ce plan, comme le serbo-croate ou l’italien, indique, au demeurant, que les modifications prosodiques induites par la cliticisation se traduisent plus par une diversité d’interactions singulières entre chacun des clitiques et leur hôte, que par l’application de règles uniformes (Monachesi 1999), ce qui invite à beaucoup de prudence dans l’appréciation des données hittites. (2) Intégrité segmentale. – Selon Agbayani & Golston (2012 : 2), le fait que la voyelle finale des connecteurs soit régulièrement effacée devant un clitique à voyelle initiale ({Ta⸗e} → [Te], {nu⸗as} → [nas]) démontrerait que les connecteurs sont inaccentués. Un tel raisonnement ne peut être suivi car on ne saurait estimer que l’effacement d’une voyelle démontrerait l’inaccentation de la syllabe dont elle est le noyau quand on admet, dans le même temps, que la voyelle de la syllabe adjacente censée être responsable de cet effacement est, elle aussi, inaccentuée. La formulation correcte, dans cette perspective, serait qu’un hiatus vocalique entre des syllabes inaccentuées imposerait l’effacement de la première voyelle par celle qui lui fait suite. Or, s’il est vrai que les relations d’effacement de V₁ par V₂ sont caractéristiques des relations entre mots clitiques (comp. huwai- « courir » → 3pl. prét. hu-u-wa-er ; asawar- « enclos » → loc. a-sa-ú-ni – infra, § 9.14), la présomption selon laquelle ce comportement serait dû à l’(in)accentuation est strictement circulaire. La vraisemblance de cette hypothèse est, en outre, mise en cause par le fait que l’élision des voyelles est, dans de nombreuses langues, typique du comportement clitique (Morin 1979), y compris en contexte consonantique (fr. je⸗te⸗le⸗donne [ʃtl̩.dɔn], en débit rapide)8. (3) Conditionnement extérieur au mot synclitique. – Selon Kloekhorst (2011 : 162sq.), le fait que, quand elle est placée en P1, la conjonction mān « quand, si » impose le placement en P2+ de la conjonction adversative-contrastive ⸗a /⸗ma démontrerait que mān est un mot inaccentué De cette présomption, il déduit 8  Les généralisation relatives au hiatus inter-clitique formées par Agbayani & Golston (2012) sont, en outre, incompatibles avec les données (voir § 9.14).

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que le placement en P2 des enclitiques autres que ⸗a /⸗ma dérive de ce que le mot en P1 est accentué (Carruba 1981 : 245, soutient, sur les mêmes bases, le point de vue inverse)9. L’organisation de ce raisonnement est, comme dans le cas précédent, circulaire, mais sa conclusion est réfutable car mān peut occuper d’autres positions que P1 dans la proposition (voir Sidel’cev 2015, et, ci-après, (9a)), en sorte que, dans cette perspective, l’inaccentuation supposée de mān ne représenterait pas une propriété inhérente de ce mot, mais une conséquence de son placement, autrement dit, de sa syntaxe (sur la position P2+, voir § 9.6.4). D’autres témoignages vont pareillement dans le sens d’un placement des enclitiques indépendant de la prosodie : les relateurs pē et u oscillent entre un statut de forme liée, exclusivement rencontrée devant les formes du verbe hark- « (dé)tenir », et un statut de morphèmes dont la préfixation à d’autres formes verbales est complètement achevée en produisant des unités lexicalement différenciées, comme, pehute- « mener, conduire (ailleurs) » / uwate« mener, conduire (ici) », penna- / unna- idem, peda- « prendre, emporter » / uda- « apporter », etc. (voir, plus en détail, Tischler, HEG II, 2001 : 551-553). Or, dans les situation où pē est une forme liée, donc dans une situation où un mot est typiquement censé déposer ses propriétés prosodiques, il demeure apte à servir d’hôte à des enclitiques : comp. 3pl. prés. pé-e har-kán-zi KUB 27.16 i 21 (MH), face à pé-e-pát har-kán-zi KBo 17.65 Ro 48 (MH?), jamais *pé-e har-kánzi-pát ; l’hôte de ⸗pat est, de toute évidence, sélectionné d’après ses propriétés syntaxiques et non prosodiques. (4) Diversité des unités hôtes. – La plupart des mots clitiques sont des enclitiques dont l’hôte est un autre mot, mais il existe aussi des proclitiques (exclusivement connecteurs) dont l’hôte est une proposition (§ 9.5). Or, autant il peut être légitime de s’interroger sur le statut accentuel d’un mot-hôte et sur ses éventuelles interaction prosodiques avec son ou ses enclitiques, autant cette question n’a pas de sens au sujet de propositions entières. 9.3.4 Accentuation et syntaxe Sidel’cev, Molina et Belov (2015 : 165) ont remarqué avec raison que les arguments jusqu’à présent avancés en vue de mettre en évidence, en hittite, l’(in) accentuation supposée d’un clitique ou de son entourage ne reposent que sur des argumentations circulaires débouchant sur des résultats par ailleurs incompatibles entre eux. On peut résumer autrement la situation en reconnaissant que les graphies du hittite ne livrent aucun indice à même de mettre en évidence une quelconque relation prosodique de cause à effet entre les clitiques et leur entourage. 9  Voir encore Sidel’cev, Molina & Belov 2015 : 143-145.

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Il n’existe, en définitive, aucun témoignage indiquant que la cliticisation aurait, en tant que mécanisme, des incidences prosodiques particulières tant sur les mots clitiques eux-même que sur les mots qui leur servent d’hôtes. Il n’existe, de même, aucune donnée suggérant que le caractère possiblement ou sûrement (in)accentué d’un mot aclitique conditionnerait son placement. L’enseignement positif qui se dégage de ces observations est que nulle hypothèse regardant la prosodie n’est nécessaire pour expliquer ou justifier le comportement des clitiques en hittite, qu’il s’agisse de leur placement, de leurs mouvements, de leurs combinaisons ou des interactions phonologiques qu’ils entretiennent entre eux comme avec leurs hôtes. Le seul fait que les proclitiques puissent s’attacher à des propositions et non à des mots démontre au demeurant qu’il ne peut y avoir de sens à rendre compte des clitiques hittites en postulant que leur comportement pourrait être conditionné par des propriétés prosodiques. Cette conclusion ne signifie pas que le hittite fasse nécessairement partie des langues où les clitiques n’ont pas de propriétés prosodiques singularisées10, mais que la sémantique et la syntaxe constituent des paramètres nécessaires et suffisants pour rendre compte des données. 9.4

Syntaxe élémentaire

9.4.1 Domaine Le domaine syntaxique au sein duquel les clitiques hittites trouvent la motivation de leur emploi est la proposition. Cette propriété est mise en évidence lors de la formation des phrases relatives dont l’organisation repose sur le fait qu’une proposition tient, par rapport à l’autre, un rôle de constituant. Dans ces configurations, un clitique indépendant des relations argumentales tel que le relateur ⸗wa(r), stipulant un discours rapporté, vient se placer sur le premier mot de chacune des propositions, non sur le premier mot de la phrase relative elle-même : (6) KUB 5.7 Ro 10 (NH – Tognon, Kaskal 1, 2004 : 61) dKallis⸗wa⸗kan kuedani ANA ḪUR.SAG artari K.-nom.⸗quot.⸗adv. rel.-loc. à montagne se tenir-3sg. nu⸗wa ḪUR.SAG KÙ.[BABBAR GAR.R]A ēsta conn.⸗quot. montagne argent être-3sg.prét. « la montagne sur laquelle se tenait Kallis était une montagne d’argent »

10  Voir les discussions chez Halpern 1995 : 44sq, Progovać 1996 ; le serbo-croate, le macédonien, ou le coréen sont généralement considérés comme relevant de ce type.

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Les normes de placement au sein de la propositions ne diffèrent pas dans (6) et dans des enchaînement de propositions non hiérarchisées entre elles : (7) KUB 14.1 Vo 88 (MH) KUR URUAlasiya⸗wa amm[e]l pays A.⸗quot. 1sg.gén. nu⸗war⸗at Q[AT]AMMA sāk conn.⸗quot.⸗3sg.dir. de même savoir-imp.2sg. « Alasiya est à moi ! Sache-le ! » Les rares exemple de relatives rapportées dont les propositions ne comportent pas ⸗war représentent probablement des erreurs de scribes (Beckman ap. Fortson 1998 : 28-29, n. 24). 9.4.2 Clitiques simples et spéciaux La plupart des clitiques du hittite dénotent des relations n’ayant pas d’autre support formel que clitique (ils sont « simples » dans la terminologie Zwicky 1977). Les seuls clitiques ayant des homologues parmis les mots aclitiques et dits, à ce titre, « spéciaux », sont les pronoms. Les possibilités de concurrence entre les pronoms clitiques et aclitiques se limitent à deux rôles seulement : patient (8) et destinataire-attributaire (9). (8) KBo 6.2 i 16-18 (VH) t⸗an istarnikzi nu apūn saktaizzi conn.⸗3sg.acc. faire souffrir-3sg. conn. dém.-acc.sg. soigner-3sg. (si quelqu’un blesse un homme) « et le (⸗an) rend souffrant, alors il le (apūn) soigne » (9) a. KBo 18.24 i 4 (NH) nu⸗tta mān assul hatrāmi conn.⸗2sg.dat. si bienveillance-dir. écrire-1sg. « si je t’écris avec bienveillance » b. KBo 5.13 iii 4 (NH) mān tuk⸗ma 1-edani hatrāmi si 2sg.dat⸗conj. un-dat. écrire-1sg. « si je t’écris à toi seul … »

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La conception de Zwicky, selon qui les formes clitiques et aclitiques d’une même classe de mots ne différeraient que par l’accentuation est, de façon générale, contestable : en français, par exemple, le pronom clitique te⸗ est accentué dans dans je⸗te⸗le⸗donne ! comme le pronom aclitique toi, dans c’est à toi que je⸗le⸗donne (dans les deux cas, « à toi et à personne d’autre »)11. Dans le cas du hittite, l’information que pourrait représenter l’inaccentuation des pronoms clitiques, si elle était accessible, demeurerait marginale face aux divergences formelles et comportementales caractérisant les deux types de pronoms : (i) les interlocutifs clitiques 1sg. ⸗mu / ⸗m, 2sg. ⸗ddu / ⸗tta ont une forme phonologique contextuellement variable et une morphologie invariante alors que leur homologues non clitiques 1sg. ammuk, 2sg. tuk, ont une forme phonologique invariante et une morphologie flexionnelle variable (gén. ammel, abl. ammedaz, etc.) ; (ii) les pronoms aclitiques sont aptes à tenir un rôle d’agent transitif, alors que leurs homologues clitiques sont prohibés dans cet emploi ; (iii) les pronoms clitiques ont, au plan discursif, une saillance moindre que les pronoms aclitiques (voir Patri 2014). L’hypothèse d’une déficience prosodique des pronoms clitiques « spéciaux » est, en hittite, empiriquement indémontrable et, d’un point de vue descriptif, inutile12. 9.4.3 Localisations dans la proposition Sous considération de leur positionnement par rapport à un hôte, le hittite distingue fondamentalement deux types de clitiques : les proclitiques, localisés devant leur hôte et les enclitiques, localisés à sa suite. Le hittite ne connaît pas d’endoclitiques (ou : mésoclitiques). Les enclitiques se subdivisent, à leur tour, en sous-catégories selon qu’ils prennent pour hôte un mot sélectionné d’après sa position, quelle que soit sa signification (enclitiques monotopiques), d’après sa signification, quelle que soit sa position (enclitiques syntopiques) ou que, selon la portée relationnelle qui leur est assignée, ils fassent alterner les deux modes de placements (enclitiques ditopiques).

11  Pour d’autres critiques des vues de Zwicky sur ce point, voir Anderson 2005 : 78sq. (où les témoignages du français sont incorrectement exploitées), Spencer & Luís 2012 : 44-45. 12  Friedrich 1960 : 62, Luraghi 1997 : 24, Hoffner & Melchert 2008, opposent, en hittite, les « pronoms clitiques » aux « pronoms accentués », mais sans preuves.

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Chapitre 9

(10) types de clitiques en hittite proclitiques connecteurs

9.5

monotopiques pronoms opérateur modal relateur quotatif intensifieur adverbes

enclitiques syntopiques possessifs identifiant d’ipséité

ditopiques conjonctions

La proclise

9.5.1 Les connecteurs Les proclitiques du hittite sont les connecteurs ta⸗, su⸗ et nu⸗. Ces opérateurs articulent les propositions entre elles dans des rapports tels que la consécution (causale ou non), l’implication (conventionnelle ou non), la juxtaposition, la concomitance, l’addition, etc., sans se spécialiser dans un type de laison qui serait sémantiquement indépendant du contexte énonciatif : (11) a. KBo 3.22 : 76-77 (VH), KUB 36.98b Vo 5-6 (VH/nh) mān āppa⸗ma URUNēsa [uwan(un)] # nu LÚ URUPurushanda katti⸗mmi [(pehutenun)] « mais, quand je suis retourné à Nesa, # [nu = concomitance] j’ai ramené avec moi le souverain de Purushanda » b. KBo 6.3 ii 23-24 (VH/nh), Code § 34 ta⸗kku ÌR-is ANA MUNUS-TIM kūsata piddāizzi n⸗an⸗za ANA DAM-ŠU dāi n⸗an⸗kan parā UL kuiski tarnai « si un esclave paie une dot pour une femme # et [nu = consécution] qu’il la prend pour épouse, # alors [nu = implication] personne ne la laisse (personne ne peut la placer sous l’autorité d’un autre maître) » Les critères sémantiques motivant la sélection d’un connecteur plutôt que d’un autre sont difficilement identifiables car ta et su sont en voie d’élimination dès

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le moyen-hittite en laissant nu comme seul connecteur par défaut13. En hittite tardif, particulièrement dans les récits développant un topique, le connecteur nu devient pratiquement équivalent à une ponctuation discursive : (12) KUB 1.1 i 15-22, KUB 1.2 i 13-18 (NH) # nu⸗war⸗an ammuk parā pāi # nu⸗war⸗as⸗mu L[Ú(sa)]nkunnis ēsdu # nu⸗war⸗as TI-anza ## nu⸗m[(u ABU-)]YA DUMU-an sarā dās # nu⸗mu ANA DINGIR-LIM ARAD-anni pesta # nu⸗za ANA DINGIR-LIM LÚsankunniyanza BAL-ahhun # nu⸗za⸗kan ANA ŠU dIŠTAR [(GAŠAN-Y)]A lulu uhhun # nu⸗mu dIŠTAR GAŠAN-YA ŠU-za I[(ṢBA)]T # n⸗as⸗mu⸗kan parā handantesta (la déesse Istar apparaît en rêve au roi Mursili et déclare, au sujet de son héritier Hattusili : ‘Ses années sont comptées …’) « # [nu = cependant] donne le-moi, # [nu = afin] qu’il soit prêtre à mon service, # [nu =en conséquence de quoi] il aura la vie. ## [nu = Alors,] Mon père me prit [lorsque j’étais encore] enfant # [nu = et] me consacra au service de la déesse. # [nu = par la suite] En tant que prêtre, j’ai apporté des offrandes à la déesse # [nu = si bien que] dans la main de Istar, ma dame, j’ai éprouvé le lulu # [nu = ‘:’] Istar, ma dame, m’a pris par la main # [nu = et] a pourvu [mes aspirations] » La proposition par laquelle débute un texte n’est jamais introduite par un connecteur, mais une proposition ouvrant, à l’intérieur d’un récit, un développe­ ment nouveau, explicitement signalé, dans la graphie, par une marque de paragraphe, peut, elle aussi, être introduite par un connecteur : (13) KBo 3.22 : 54-55 (VH), KUB 36.98b Ro 2 ÉRIN.MEŠ-ŠU huettiyati s⸗an URUNēs[(a pēhut)enun]  §———— nu URUNēsi URU.DIDLI uetenun 13  Sur ta, voir Rieken 1999 ; su est systématiquement utilisé avec des enclitiques, ce qui n’est pas le cas de ta et de nu ; d’autre part, selon Weitenberg 1992 : 327-328, su est préféré quand le verbe est au prétérit et ta quand le verbe est au présent. Probert 2006, juge qu’en vieux hittite, la présence conjointe d’une « conjonction » et d’un résompteur serait obligatoire dans les constructions relatives, mais ce jugement est contredit par des témoignages comme KBo 3.22 : 58, KBo 6.2 i 59.

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« (la cité de Salatiwara) a envoyé son armée, [su = mais] je l’ai ramenée (prisonnière) à Nesa. § [nu = par la suite] J’ai bâti des fortifications dans Nesa (etc …) » Il apparaît donc que, formellement, les connecteurs ne sont employables qu’à une double condition : – ils s’appuient sur une proposition ; – ladite proposition doit, elle-même, être précédée d’une autre proposition. Dans certaines descriptions du hittite, les connecteurs sont assimilés à des coordonants, voire à des « conjonctions de coordination » (Agbayani & Golston 2010, considèrent nu⸗ comme une variante de ⸗a/⸗ya autrement placée). Cette appréciation est manifestement incorrecte : outre que ⸗a/⸗ya et ⸗(a) k(k)u sont aptes à coordonner des propositions aussi bien que constituants nominaux, ce qui n’est jamais le cas des connecteurs, la coordination stipule que plusieurs entités de même niveau assument un même rôle dans la construction d’une phrase ou d’un discours. Par exemple, l’article 10 du Code porte qu’en réparation due à une victime par son agresseur : (14) KBo 6.2 i 10 (VH), KBo 6. i 28 (VH/nh) nu⸗sse 6 GÍN KÙ.BABBAR pāi # conn.⸗3sg.dat. 6 monnaie argent donner-3sg. LÚAZU⸗ya kussan apās⸗pat pāi médecin⸗coord. charge-dir. déloc.-nom.sg.⸗ips. donner-3sg. « il lui donne six monnaies d’argent et (⸗ya) il donne (de quoi payer) les émoluments du médecin » Dans ce passage, ⸗ya stipule que deux propositions sont solidairement associés en tant qu’elles forment une seule et même sentence judiciaire ; en revanche, dans un passage tel que « si un esclave paie une dot pour une femme, et (nu) qu’il la prend pour épouse » (exemple 11b, ci-dessus), le connecteur situe la seconde proposition envers la première dans un rapport de consécution événementielle sans instituer, du fait de cette liaison narrative, une quelconque propriété sémantique commune entre les deux14. Bien que la connectivité et la coordination entretiennent d’évidents rapports (par exemple, dans le développement de (12)), elles se situent sur des 14  Les études sur les connecteurs prennent généralement comme point de départ Grice 1975, tout en accusant des divergences de fond concernant les critères d’identification de ces « marqueurs », de leur effectif, et des rôles sémantiques et pragmatiques qui leurs reviennent ; voir les discussion de Carston 1993, Schourup 1999, Blakemore 2002.

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plans différents, tant au plan syntaxique que sémantique ou pragmatique : les coordonants conditionnent une interprétation sémantique différenciée des unités coordonnées par rapport aux constructions phrastiques ou discursives dans lesquelles il n’y a pas de coordonnants, alors que les connecteurs établissent entre les propositions des rapports de saillance discursive en fonction de leur contexte énonciatif. 9.5.2 La classe des proclitiques Les connecteurs reflètent deux propriétés propres aux clitiques : leur emploi repose sur une condition de liaison envers une base, en l’espèce, envers une proposition ; leur positionnement est contraint à l’initiale de cette proposition exclusivement. Les particularités de leur écriture vont également dans le sens d’une identification des connecteurs en tant que clitiques : – la voyelle des connecteurs n’est jamais écrite en graphie répliquée (voir déjà Melchert 1998 : 492 n. 15) ; – un connecteur est obligatoirement suivi, sur la même ligne, d’au moins un autre mot, en sorte qu’il ne figure jamais en fin de ligne ; – dans quelques tablettes anciennes, les connecteurs apparaissent soudés, dans la graphie au mot suivant, alors que les mots aclitiques sont normalement séparés les uns des autres par un espace (quatre exemples dans la tablette d’Anitta, KBo 3.22 : 55, 59, 71, 74). Comme l’ont bien discerné les rédacteurs du CHD L-N 461b, ces observations font considérer les connecteurs comme des proclitiques dont l’hôte est une proposition (pour des parallèles dans d’autres langues, voir Klavans 1995 : 195sq., Kramer 2010). Dans l’exemple cité # s⸗an URUNēsa pēhutenun « je l’ai ramenée à Nesa » (13), le pronom 3sg. acc. ⸗an est est enclise du premier mot su⸗ de la proposition, lui-même proclitique de la proposition qui, sans connecteur, serait # URUNēsa⸗an pēhutenun. Par suite, # s⸗an est un mot synclitique formé d’une combinaison comme il en existe des témoignages dans toutes les langues indo-européennes anciennes et ailleurs (voir Vendryes 1904 : 90sq. sur le grec, Schäufele 1996, sur le védique, Zaliznjak 2008 : 9, sur le vieux russe, et, plus largement, Aikhenval’d 2002 : 51-52). Cinq hypothèses également invérifiables sont possibles au sujet de la prosodies des proclitiques : (i) les connecteurs seraient accentués15, d’où, dans cette perspective, {nú⸗an} → na-an [nán] KBo 3.22 : 28 (VH), ou (ii) {nú⸗án} → [nán], si l’on admet que les enclitiques pronominaux seraient, eux aussi, 15  Pour des parallèles en grec et en védique, voir Devine & Stephens 1994 : 303-304.

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accentués ; les connecteur seraient inaccentués16, auquel cas ils pourraient former (iii) un mot synclitique totalement déficient au plan prosodique {nu⸗an} → [nan] ; (iv) un mot accentué dont la démarcation prosodique serait générée par la combinaison même de clitiques {nu⸗an} → [nán] (comme en grec ancien, § 9.3.1) ; ou encore, (v) recevoir l’accent d’un enclitique en supposant que celui-ci soit accentué (?), d’où {nu⸗án} → na-an [nán]. Aucune de ces conjectures n’est à même de de justifier, ni même de simplement décrire le placement des proclitiques. 9.6 L’enclise 9.6.1 Attracteurs d’enclitiques De même que l’hôte des proclitiques est nécessairement une proposition, l’hôte des enclitiques est nécessairement un mot, à l’exclusion de toute autre entité. (1) Graphies syllabiques. – Quand un constituant est formé de plusieurs mots, les enclitiques viennent se placer sur le premier d’entre eux, non sur le constituant lui-même : (15) a KUB 24.7 iv 45 (NH) kūn⸗za DUMU-an dā dém.-acc.⸗intens. enfant-acc. prendre-impér.2sg. « prends cet enfant ! » (pour toi) b KUB 11.1 iv 19-20 (VH/nh) nu kuit ēshanas⸗pat ishās tezzi conn. indéf.-dir. sang-gén.ips. maître-nom. dire-3sg. « quoi que dise le maître du sang … » Avec les constituants verbaux, le terme sélectionné comme hôte est pareillement le premier mot dans l’ordre séquentiel, quel que soit la dépendance syntaxique dans laquelle se situe ce mot envers la forme verbale17 :

16  Pour des parallèles en vieil irlandais et en vieux russe, voir Vendryes 1908 : 312-313, et Zaliznjak 2008 : 7, 105sq., respectivement. En l’espèce, il serait plus approprié de parler de correspondances, tant sont évidentes les convergences formelles et syntaxiques entre les connecteurs v.r. nŭ : v.irl. no : hitt. nu ; v.r. to / ta : v. irl. to : hitt. ta ; v. irl. se : hitt. su (Watkins 1963, Patri 2003, Kloekhorst 2011 : 161). 17  Voir l’exposé détaillé du CHD P 227sq.

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(16) a. KBo 17.74 iii 19, KBo 30.66 iii 9 (VH/mh) ser⸗pat aruwānzi dessus⸗ips. s’incliner-3pl. (le roi et la reine se lèvent) « et ils s’inclinent (étant) debout » b. KUB 21.38 Vo 13 (NH) UL⸗pat iyanun nég.⸗ips. faire-1sg. « je ne fais rien » (contre mon frère) Les enclitiques polytopiques, en revanche, quand ils coordonnent des constituants se placent sur le dernier des termes coordonnés (22b, infra), plus rarement sur chacun d’entre eux (33, infra). Quand un enclitique voué à se placer en position seconde (§ 9.6.3) apparaît ailleurs que derrière le premier mot de la proposition et que le mot qui le précède est écrit en graphie syllabique (§ 2.4), c’est l’indication de ce que ce dernier constitue une seule et même unité lexicale, même si elle est représentée, dans la graphie, par des mots séparés : (17) KUB 13.4 iv 18-19 (NH) nu taksan sarran mematteni conn. moitié-acc. dire-2pl. taksan sarran⸗ma⸗za⸗kan anda sannatteni moitié-acc.⸗conj.intens.⸗adv. cacher-2pl. « vous déclarez une moitié et vous dissimulez (l’autre) moitié » La combinaison taksan sarra- « moitié », représente, selon toute vraisemblance, un composé « portion (sarra-) combinée (taksan indécl.) »18 ; voir d’autres exemples ci-dessous. Dans tous les cas, la condition de base à l’utilisation d’un enclitique est qu’un mot soit présent à sa gauche, quel que soit le statut de celui-ci. (2) Représentations logographiques. – Dans l’écriture du hittite, les logogrammes sont traités comme des unités représentatives du signifié, non du signifiant. La représentation d’un lexème ou constituant nominal par un logo­ gramme fait que celui-ci n’est pas soumis aux normes de positionnement qui s’appliquent quand un mot est écriture syllabique. Il s’ensuit que quand un constituant fondé sur une relation génitivale est partiellement ou totalement 18  Voir CHD S 229-230, Tischler HED III(8), 1991 : 45.

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représenté dans l’écriture par un logogramme, les enclitiques prennent comme hôte le constituant lui-même, et non son premier mot19 : (18) KUB 36.89 Ro 12 (NH) dU URUNerik⸗wa⸗za⸗kan sait dieu de l’orage N.⸗quot.intens.⸗adv. être-en-colère-3sg. « le dieu de l’orage de Nerik se mit en colère » (*dU⸗wa⸗za⸗kan) (19) KUB 33.36 ii 1 (VH/mh), KUB 33.67 i 29 [(TÚG DINGIR-LIM⸗wa⸗za⸗kan vêtement divinité⸗quot.⸗intens.⸗adv. 2 TUDITTI.ḪI.A)] EGIR-pa paskit 2 broche ajuster-3sg.prét. « elle (la déesse) rattacha son vêtement de divinité avec deux broches » Du strict point de vue de la graphie, les enclitiques ont pour hôte un mot si celui-ci est en graphie syllabique, mais un constituant s’il est en graphie idéographique. Sur les composés āmreḍita du type de UD-at UD-at⸗pát « chaque jour, quotidiennement », voir § 9.9.3(2). 9.6.2 Types de placement et classement des enclitiques Le critère élémentaire gouvernant le placement des enclitiques en hittite est le caractère inhérent ou contextuel des propriétés sémantiques impliquées par la relation qu’ils stipulent. Selon que la relation signifiée par un clitique s’appuie maximalement sur la saillance discursive d’un référent et minimalement sur ses propriétés sémantiques inhérentes, ce qui est, par exemple, le cas de la référence pronominale, ou bien, qu’au contraire, elle porte sur un référent sélectionné en fonction de ses propriétés sémantiques intrinsèques, comme, par exemple, dans la possession, les enclitiques se voient assigner un placement distinct. Dans le premier cas, les enclitiques rejoignent le premier mot de la proposition, dans le second, le mot représentant le signifiant lexical ou relationnel impliqué dans la relation qu’ils dénotent. La dualité est illustrée dans les passages suivants où le pronom 3sg. acc. ⸗an a un positionnement invariant sur le premier mot de la proposition, tandis que le déterminant possessif ⸗si a un positionnement invariant sur le nom possédé, quelle que soit la position de ce dernier – éventuellement en tête de la proposition (21) : 19  Les témoignages de placement séquentiellement « irréguliers » des têtes et dépendants relevés par Francia 2001 dans la relation génitivale impliquent systématiquement des logogrammes.

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(20) KBo 6.2 iv 56-58 (VH), dupl. KBo 6.3 iv 55-58 (VH/nh), KBo 19.5 :1-3 (VH/nh), Code § 99 n⸗an EGIR-pa ishi⸗ssi pianzi conn.⸗3sg.acc. en retour maître-dat.⸗poss.3sg.dat. donner-3pl. (l’esclave …) « on le (⸗an) rend à son (⸗ssi) maître » (21) KBo 6.2 i 16-18 (VH), dupl. KBo 6.3 i 25-27 (VH/nh), Code § 10 pedi⸗ssi⸗ma antuhsan pāi place-loc.⸗poss.3sg.loc.⸗conj. homme-acc. donner-3sg. « (il) donne un homme à sa (⸗ssi) place » Si la plupart des enclitiques ont vocation, à raison de la relation qu’ils dénotent, à rentrer soit dans l’une, soit dans l’autre de ces catégories, donc, à se placer toujours de la même façon, certains autres peuvent porter aussi bien sur un contenu discursif que sur des lexèmes. Cette dernière caractérisation est celle des conjonctions coordonantes ou contrastives qui peuvent se placer sur le premier mot de la proposition quand elles établissent une liaison entre une proposition et la (ou les) précédente(s), aussi bien que sur un nom quand ils établissent une liaison entre un nom et celui (ou ceux) qui le précède20 : (22) a. KBo 3.34 ii 25-26 (VH/nh) apūn ubatiyas⸗sas peran aseser dém.-acc. u.-dat.-loc.⸗poss.3sg. devant asseoir-3pl. prét. apūn⸗na ubatiyas peran aseser dém.-acc.⸗coord. u.-dat.-loc.⸗poss.3sg. devant asseoir-3pl. prét. « [[ils asseyèrent celui-ci devant son ubati] et [ils asseyèrent cet (autre) devant (son) ubati]] » b. HKM 6 : 18-22 (MH) nu⸗wa URUMalazzian URUTaggastan⸗na sapasiyar conn.⸗quot. M.-acc. T.-acc.⸗coord. explorer-3pl.prét. (j’ai envoyé des éclaireurs) « ils ont exploré [[Malazzia] et [Taggasta]] » La nature de la relation instaurée par un clitique identifie donc trois sousclasse d’enclitiques caractérisées par leurs normes de placement différentes :

20  Une variation similaire s’observe en kannada (langue dravidienne) où le clitique interrogatif se place sur les propositions quand il stipule une interrogation polaire et sur un constituant quand l’interrogation porte sur un référent ; voir Sridhar 1990 : 254sq.

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(1) ils stipulent une relation appuyée sur les propriétés sémantiques inhérentes à un constituant, en conséquence de quoi leur hôte est ce constituant, quelle que soit sa position dans la proposition. Rentrent dans cette catégorie les déterminants possessifs 1sq. ⸗mis, 2sg. ⸗ttis (etc.) et l’identifiant d’ipséité ⸗pat ; (2) ils stipulent une relation minimalement appuyée sur les propriétés sémantiques d’un constituant et maximalement sur sa saillance référentielle, en conséquence de quoi leur hôte est un mot sélectionné d’après sa position dans la proposition, quelle que soit sa signification. Rentrent dans cette catégorie les pronoms, l’intensifieur subjectal ⸗za, le relateur quotatif ⸗wa et, dans la langue ancienne, les adverbes ⸗kan (etc.) ; (3) ils stipulent une relation pouvant s’appuyer sur les propriétés inhérentes d’un constituant aussi bien que sur une proposition dans son ensemble, en conséquence de quoi ils ont pour hôte un mot sélectionné d’après sa position par rapport aux autres mots quand ils mettent en relation des propositions, et un mot sélectionné d’après sa signification quand ils mettent en relation des constituants ; rentrent dans cette catégorie les conjonctions exprimant une relation coordonante ⸗a/⸗ya ou adversative ⸗a/⸗ma. Dans ce qui suit, on désigne comme syntopiques les enclitiques du premier type (l’attracteur est identifié d’après sa signification, quelle que soit sa position), comme monotopiques ceux du second type (l’attracteur est identifié d’après sa position, quelle que soit sa signification), et comme polytopiques les enclitiques du dernier type (l’attracteur est identifié tantôt d’après sa position, tantôt d’après sa signification)21. Bien que les clitiques polytopiques aient en commun avec les clitiques syntopiques le fait de prendre, potentiellement ou obligatoirement, pour hôte des mots sélectionnés en fonction de leur signification, leurs comportements respectifs demeurent distincts : les enclitiques polytopiques se placent sur le dernier ou sur tous des termes qu’ils mettent en relation, alors que les syntopiques n’ont qu’un placement possible, sur le terme au sujet duquel ils stipulent un relation.

21  Selon Hale 1987, les clitiques des langues indo-européennes anciennes se répartiraient en trois catégories : « word-level, sentence connectives and sentential ». Cette taxinomie a été adoptée par certains spécialistes (Garrett 1990a : 13-20, Clackson 2007 : 165sq., 169sq., Fortson 2004 : 146-147), alors qu’elle est inapte à rendre compte des données du hittite où les conjonctions de coordination sont aussi bien « sentence connectives » que « word level » (Garrett 1990a : 16, relève l’incohérence, mais n’en tire pas de conséquences).

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9.6.3 La position seconde (P2) Le placement des enclitiques sélectionnant un mot d’après sa signification dépend naturellement de la place assignée à cet hôte dans la proposition. Tous les autres enclitiques, ont un seul et même attracteur qui, comme dans beaucoup de langues, est le mot en première position (P1) dans la proposition. Par suite, la position dans laquelle se trouvent les clitiques de ce type est la position seconde (P2)22. Les notions de P1 et de P2 se réfèrent à des entités syntaxiques, et non phonologiques : quand un clitique est attaché à un hôte, leur combinaison forme un mot synclitique, mais deux unités syntaxiques. En hittite, la position seconde se limite à identifier les clitiques comme enclitiques sans informer a priori sur leur statut puisque tous les enclitiques, sans exception, peuvent être rencontrés dans cette position : certains, comme les enclitiques polytopiques, parce que ce placement identifie le domaine d’une coordination (23a), d’autres, comme les enclitiques monotopiques, parce qu’ils ne peuvent pas être ailleurs (23b), d’autres, enfin, tels les enclitiques syntopiques parce que leur hôte est placé en P1 par l’organisation discursive (23c). (23) a. KBo 6.2 ii 56-57 (VH), Code § 49 kās⸗man kūn ēpz[i dém.-nom.sg.⸗conj. dém.-acc.sg. prendre-3sg. k]ās⸗a⸗man kūn ēpzi dém.-nom.sg.⸗coord.⸗conj. dém.-acc.sg. prendre-3sg. « celui(-ci) prend ceci, tandis que [⸗a] cet (autre) prend cela » b. KBo 17.36 + KBo 20.17+20 + KBo 25.54 + ABoT 1.35 iii 10 (VH) n⸗e hassas katta esanta conn.⸗3pl.nom. autel-gén. bas s’asseoir-3pl.my. (les deux prêtres effectuent le sacrifice) « puis, ils [⸗e] s’assient au bas de l’autel » c. KBo 17.1 + KBo 25.3 i 12-13 (VH) [(erm)]a(n)⸗smas⸗kan dāhhun mal-acc.⸗poss.3sg.dat.⸗adv. prendre-3sg.prét. « j’ai pris ton [⸗smas] mal » Certains linguistes estiment que les contraintes de positionnement des clitiques dériveraient d’un conditionnement fondamentalement prosodique, en considérant que le mot localisé en P1 est accentué par défaut, ou que s’il ne l’est 22  On parle aussi de « position de Wackernagel » en référence au savant qui a mis en évidence cette localisation dans les langues indo-européenes anciennes (Wackernagel 1892).

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pas, il fait l’acquisition d’un accent du seul fait de son placement. Les données du hittite ne contredisent pas cette conception, mais elles ne l’accréditent pas non plus : dans une langue où la localisation en P1 suffit elle seule à identifier l’attracteur des enclitiques monotopiques, la question de sa caractérisation prosodique est superfétatoire. 9.6.4 La position post-seconde (P2+) En vieux hittite, un petit nombre de mots ont la particularité, lorsqu’ils sont en P1, de prohiber l’enclise en P2 des deux conjonctions enclitiques (voir plus en détails, § 9.10.4) ; celles-ci prennent alors comme hôte le premier mot aclitique après le mot en P1, dans une position post-seconde (P2+). La position post-seconde dépend de la présence d’un mot aclitique derrière le mot en P1, sans préjuger du statut (proclitique, aclitique) de ce dernier, ni de l’éventuelle présence d’autres enclitiques sur celui-ci-ci. Par suite, la notion de P2+ n’identifie pas une localisation précise dans la proposition, laquelle peut correspondre au troisième comme au quatrième mot (voir § 9.10.6, pour des exemples). (24) matrice positionnelle des enclitiques en vieux hittite I 1 déterminants possessifs ⸗mis (etc.)

2 opérateur d’ipséité ⸗pat

II 3 conjonctions (coord., adv.) ⸗(a)k(k)u ⸗a / ⸗ya ⸗a / ⸗ma

4 modal

5 quotatif

⸗man

⸗war

(25) matrice positionnelle des enclitiques en néo-hittite I 1 opérateur d’ipséité

II 2 conjonctions (coord., adv.)

⸗pat

⸗a / ⸗ya ⸗ma

3 modal

4 quotatif

5

⸗man

⸗war

1pl. ⸗nas 2/3pl. ⸗smas

P (et/) ou X, pluriel

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9.7 Agrégats clitiques 9.7.1 Séquences de clitiques Un comportement commun aux morphèmes et aux clitiques est, qu’à la différence des constituants, ils se placent les uns par rapport aux autres selon un ordre séquentiel strictement défini et entretiennent les uns par rapport aux autres certaines relations d’exclusion mutuelle (voir, en particulier, Laroche 1958 : 161sq., Friedrich 1960 : § 288, Kammenhuber 1979, Hoffner 1973a, 1986 : 93-94). 9.7.2 Matrice positionnelle La formation d’un agrégat d’enclitiques repose sur un ordre séquentiel invariant au sein duquel chaque unité se voit assigner un rang donné. Un même rang peut être attribué à divers enclitiques, mais la présence d’un enclitique d’un rang donné dans l’agrégat exclue tous les autres enclitiques du même rang. Les matrices (24)-(25) récapitulent, par rapport à un hôte en P1, les rangs respectifs asssignés aux enclitiques.

6

III

7 pronoms P (et/) ou X, pluriel P et/ou U

8

1pl. ⸗nas 2/3pl. ⸗smas

1sg. ⸗m(u) 2sg. ⸗dd(u) 3sg. ⸗se (→ ⸗si)

III 6 pronoms P et/ou U ⸗as ⸗at ⸗an

⸗as ⸗at ⸗an ⸗e ⸗us

P (et/) ou X, singulier

7 P (et/) ou X, singulier 1sg. ⸗m(u) 2sg. ⸗dd(u) 3sg. (⸗se →) ⸗si

9 intensifieur

10 adverbes

⸗za

⸗an ⸗asta ⸗apa ⸗kan ⸗san

8 intensifieur

9 pronoms P

10 adverbes

⸗za

⸗as ⸗at ⸗an

(⸗asta) ⸗kan ⸗san

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Dans l’usage, il ne semble pas qu’un agrégat puisse dépasser plus quatre enclitiques, cumulées, éventuellement, avec un proclitique {nu⸗war⸗as⸗mu⸗Kan} → nu-wa-ra-as-mu-kán BA.UŠ « il est mort contre moi » KBo 5.6 iv 5 (NH, p. 96 Güterbock = p. 90, 120 Del Monte)23. Contrairement à certaines allégations, cette situation n’a, typologiquement, rien d’exceptionnel (gr. eí⸗poú⸗tís⸗tina ídoi ekʰtʰrón heautoû « quand il reconnaissait en quiconque un ennemi », Thcd. IV, 47, 3 ; fr. il⸗ne⸗le⸗lui⸗dira pas). (1) Placement des pronoms. – Les pronoms enclitiques sont inaptes à représenter l’agent24, si bien que dans les constructions transitives dont les arguments sont représentés par des pronoms, si l’un est une forme clitique, l’autre est nécessairement aclitique : zik⸗ma⸗mu hurzakisi « mais tu (zik) me (⸗mu) maudis » KBo 18.24 i 4-8 (NH). Il est en revanche possible que le patient et l’attributaire d’une construction ditransitive soient conjointement représentés par des pronoms enclitiques : {nu⸗aT⸗mu} → nu-at-mu uppi « envoie-les moi » HKM 19 : 3 (MH) ; {nu⸗an⸗mu} → na-an-mu mān apēdani lamnī UL mematti « si tu ne me le rapporte pas sur le champ » KBo 5.3 ii 34-35 (NH) ; {nasma⸗war⸗ nas⸗an} → na-as-ma-wa-an-na-sa-an ussaniyawēn KUB 13.4 iv 73 (NH) « ou bien que nous l’avons vendu pour nous » (à notre profit), tout comme, dans une construction intransitive, le participant unique et un complémenteur attributif, par exemple dans {nu⸗smas⸗aT⸗Kan} → nu-us-ma-sa-at-kán [p]eran halzi[andu] HKM 25 : 24-25 (MH) « qu’il [le présent message] soit lu à voix haute devant vous ! » ; {nu⸗as⸗mu} → na-as-mu GÌR.MEŠ-as kattan haliyattat « elle (⸗as) tomba à mes pieds » (litt. ‘aux pieds à moi [⸗mu]’) » KUB 14.15 iv 28-29 (NH). Le rang des pronoms dans l’agrégat est déterminé par une intrication du nombre et du rôle syntaxique. Sont distingués, d’une part, les pronoms aptes ou spécialisés dans la représentation du destinataire / bénéficiaire (= X), par rapport aux pronoms représentant les rôles syntaxiques nucléaires (en l’espèce, patient d’une construction transitive [= P] et/ou de participant unique d’une construction transitive [= U]) ; d’autre part, les formes au singulier et celles qui sont au pluriel. La règle qui s’applique est que par rapport aux formes spécialisées dans les rôles nucléaires du rang 6, les formes aptes ou spécialisées dans un rôle d’oblique se placent devant (rang 5) si elles sont au pluriel, mais derrière (rang 7) si elles sont au singulier25. 23  Van den Hout 2011 : 12 cite une séquence (artificielle ?) à cinq unités {maxan⸗ma⸗wa⸗tʰu⸗ʧ⸗ Kan} → ma-ah-ha-an-ma-wa-du-za-kán que je n’ai pas retrouvée. 24  Watkins 1963 : 42, Garrett 1990, Patri 2014. 25  Ce point a été établi par Hoffner 1986 : 93-94, révisant Hoffner 1973a : 521, Kammenhuber 1979 : 196, qui avaient tout d’abord estimé que les interlocutifs pluriel 1 ⸗nas et 2 ⸗smas (accusatif et datif) relevaient du même rang que les pronoms singulier 1 ⸗m(u), 2 ⸗dd(u), 3 ⸗se

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(26) placement des pronoms 5 [pluriel] 1 2 délocutifs

⸗nas [P, X] ⸗smas [P, X] ⸗smas [X]

6

⸗as [U sg. anim.] ⸗at [P, U, sg. inan.] ⸗an [P sg. anim.] ⸗e [P pl. inan., U pl.] ⸗us [P pl. anim.]

7 [singulier] ⸗m(u) [P, X] ⸗dd(u) [P, X] ⸗se [X]

Il est, par suite, impossible que les trois rangs soient simultanément remplis : on a soit une forme de 5 et une de 6, soit une forme de 6 et une de 7. L’exemple isolé de {TeT⸗war⸗aT⸗nas} → te-et-wa-ra-at-na-as KUB 12.63 Ro 24 (VH/mh) « dis-le nous ! » représente possiblement une erreur, mais son antériorité chronologique par rapport aux témoignages de l’ordre inverse ne permet pas d’écarter son témoignage26. Dans le placement relatif des pronoms X par rapport aux pronoms P, le nombre constitue, en hittite, un paramètre similaire à celui que représente la relation interlocutif / délocutif en français (Pierre me⸗la⸗donne, te⸗la⸗donne, face à Pierre la⸗lui⸗donne)27. Cette situation indique que le placement des pronoms clitiques peut être indépendant des facteurs dont certains linguistes postulent qu’ils s’appliqueraient universellement, qu’il s’agisse de l’échelle d’animation évoquée par Siewierska (1988), comme de la hiérarchie des arguments postulée par Gerlach (2002). (2) Placement archaïque ? – Dans le texte vieux-hittite du Code, la conjonction de coordination semble précédée par forme pronominale dans la formule figée récurrente dont (27) donne un exemple :

→ ⸗si. La raison pour laquelle van den Hout 2011 : 52, tout en reconnaissant la démonstration de Hoffner, prend le parti de confondre les rangs 6 et 7 en un seul m’échappe. 26  Ce témoignage à l’impératif peut évoquer l’inversion bien connue des langues romanes (déclaratif : tu⸗nous⸗le⸗dis, face à impératif : dis⸗le⸗nous !). 27  Agbayani & Golston 2012 : 8-10, voient dans cette organisation une conséquence de ce que les pronoms du rang 7, correspondent selon eux, à des syllabes ouvertes, jugement réfuté par le fait que dans une combinaison banale comme … ⸗mu⸗za, la syllabe est fermée [… muʧ].

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(27) KBo 6.2 iii 57 (VH), KBo 6.3 iii 61-62, Code § 70 parna⸗se⸗a (pár-na-se-a) suwayezzi maison-allat.⸗3sg.dat.-loc.⸗coord. regarder-3sg. (il [le coupable] doit rendre le double [de ce qu’il a volé]) « et il [la victime] inspecte la maisonnnée [du coupable] pour ça » Voir le relevé exhaustif des attestations chez Hoffner (1997 : 168sq). Une autre formule reflète le même positionnement, à ceci près que la leçon ⸗se⸗ya est concurrencée, dans un autre manuscrit ancien, par ⸗ya⸗se, et dans un troisième, plus tardif, par l’adverbe ⸗apa : (28) a. KUB 29.28 i 10 (VH), Bo 2111 ii 9 (s.d.), Code § 128 anta⸗ya⸗sse apenissan pāi de plus⸗coord.⸗3sg.dat.-loc. ainsi donner-3sg. (si quelqu’un vole des briques,) « il donne de même et autant à ça » (il restitue ce qu’il a volé, plus l’équivalent en guise d’amende) b. KBo 6.11 i 19 (VH/nh), Code § 110 anda⸗se⸗ya apenissuwan pāi || var. andan⸗apa KUB 29.23 : 14 (VH/nh) (si quelqu’un vole de l’argile fine) … L’ancienneté de ces témoignages, le fait qu’ils correspondent à des formules figées relevant de la langue du droit sont autant d’indices suggérant un archaïsme, mais leur caractère limité ne permet pas de discerner si elles reflètent un changement de place de la (des ?) conjonction ou bien du pronom 3sg. datif. La situation est d’autant plus obscure que la forme de la conjonction dans (27) ainsi que son acception dans (28) ne correspondent ni à la distribution, ni aux valeurs liées à la conjonction ⸗a / ⸗ya, tandis que la motivation sémantique au remplacement de ⸗se⸗(y)a : ⸗ya⸗se par un adverbe comme ⸗apa (28b) est peu claire. Dès la période la plus ancienne, l’emploi de ces unité (ou de leur combinaison ?) n’était probablement plus compris. (3) Évolution. – Au cours de l’évolution deux changements se produisent : d’une part, une diminution de l’effectif des mots clitiques, entraînant la disparition du rang entier correspondant aux possessifs, de l’autre, l’émergence, en hittite tardif, d’une construction nouvelle fondée sur la répétition du clitique patientif en deux points de l’agrégat clitique (Hoffner 1986), par exemple dans la copie KBo 6.3 de l’original KBo 6.2 :

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(29) Code, § 23 KBo 6.2 i 53 (VH) : {nu⸗an⸗ʧ} → na-an-za a-pa-a-as-pát da-a-i KBo 6.3 i 62 (VH/nh) : {nu⸗an⸗ʧ⸗an} → na-an-za-an a-pa-a-as-pát [da-]a[-i] (quiconque ramène un esclave fugitif) « il le (⸗an) garde » Le nouveau rang 9 attribué aux pronoms redoublés n’est ouvrable que si le rang 6 a été préalablement rempli28. Il est difficile d’apprécier si, dans une construction fautive telle que {nu⸗war⸗an⸗nas⸗an} → nu-wa-ra-an-na-sa-an anzel ZI-ni piyawen « (et s’il) nous est donné selon notre désir » KUB 13.4 iv 72-73 (NH), c’est ⸗an₁ ou ⸗nas qui est mal placé. Le tableau 25 récapitule la matrice dans l’état de langue le plus avancé. 9.7.3 Incompatibilités mutuelles (1) Connecteurs. – Les proclitiques (connecteurs) ne peuvent servir d’hôtes à la conjonction adversative ⸗a / ⸗ma, à la conjonction de coordination ⸗a / ⸗ya, aux déterminants possessifs et à l’identifiant d’ipséité ⸗pat. L’incompatibilité entre les clitiques syntopiques et des connecteurs discursifs se conçoit aisément, les premiers ciblant une valeur sémantique indépendante du contexe, mais celle des connecteurs et des coordonnants est plus difficile à justifier d’autant que le coordonnant ⸗(a)k(k)u favorise, au contraire, les connecteurs ta⸗ et nu⸗ comme hôtes en P1. (2) Pronoms. – L’hypothèse émise par Garrett (1996), et adoptée par Hoffner & Melchert (2008), selon laquelle la présence comme l’absence de pronoms enclitiques dans le rôle de participant intransitif serait conditionnée par l’identité lexicale du verbe avec lequel il est construit est contredite par les données tout en étant incompatible avec la cohérence descriptive (Patri 2014). 9.7.4 Attractions réciproques Le connecteur su⸗ est invariablement utilisé avec un enclitique, ce qui n’est pas le cas de ta⸗ ou de nu⸗. Le coordonnant ⸗(a)k(k)u, quand il n’a pas pour hôte un nom coordonné, est presque toujours attaché à ta⸗ pour former un opérateur de conditionnel « si », plus rarement à nu⸗ (voir 34b, infra), jamais à su⸗.

28  Voir Hoffner & Melchert 2008 : 411-412, avec bibliographie. Ce mécanisme est différent du redoublement clitique étudié en dernier lieu par Sidel’cev 2011, 2014, consistant en l’introduction d’un pronom clitique co-référé à un constituant de la construction.

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Il existe en outre, certaines affinités, au moins fréquentielles, entre certains mots et certains clitiques : l’adverbe ser « au-dessus », quand il est construit avec des clitiques, n’est attesté qu’avec des possessifs (se-e-er-si-it KBo 6.2 iv 47) ou avec la conjonction (⸗ma /)⸗a (se-e-ra KBo 17.3+ iv 18) ; de même, le connecteur proclitique ta⸗. 9.8

Forme et contexte des proclitiques

Les proclitiques sont la seule catégorie de clitiques dont l’effectif se confond avec une classe de mots, en l’espèce, avec celle des connecteurs. Le comportement des proclitiques / connecteurs n’appelle pas de précisions particulières puisque ceux-ci sont invariablement localisés à l’initiale de la proposition et que tous ont la même forme phonologique /CV/ soumise, comme telle, aux règles concernant les clitiques à voyelle finale (§ 9.14). 9.9

Forme et contexte des enclitiques syntopiques

9.9.1 La dépendance référentielle Les clitiques syntopiques stipulent des relations maximalement appuyées sur les propriétés sémantiques inhérentes au lexème particulier qui, invariablement, leur sert d’hôte ; leur effectif est formé des déterminants possessifs et de l’identifiant d’ipséité ⸗pat. 9.9.2 Les déterminants possessifs L’usage semble installé d’identifier les possessifs de la série ⸗mis « mon », ⸗tis « ton », ⸗sis « son » (etc.), comme des « pronoms possessifs »29. Cette terminologie, empruntée à la description des langues classiques, est manifestement impropre, les enclitiques possessifs du hittite n’étant jamais arguments d’un verbe. Les possessifs hittites sont toujours employés conjointement avec une tête nominale ou adverbiale, ce qui les identifie à des déterminants, et nullement à des pronoms30. 29  Hrozný 1917 : 123, Friedrich 1960 : § 106sq., Kammenhuber 1969 : 210sq., CHD L-N 222, S 324, Francia 1995, 1996, Hoffner & Melchert 2008, chap. 6, van den Hout 2011 : 124. – Pour leur part, Luraghi 1997 : 22, et Garrett 1998b, voient dans les possessifs des « adjectifs ». 30  Le fait que des déterminants possessifs puissent avoir pour hôtes des adverbes est considéré par certains spécialistes comme l’indication de ce que ces derniers seraient d’« anciens noms » (Otten & Souček 1969 : 73, Neu 1974 : 67sq., Kloekhorst 2008 : 745). Cette conception méconnaît que le comportement des adverbes dans la syntaxe est aussi

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L’utilisation des déterminants possessifs constitue un trait de la langue ancienne ; dans le corpus moyen-hittite de Maşat, ils ne subistent plus que combinés avec l’adverbe katti⸗ dans la formule figée « avec moi / toi / lui », tandis que l’expression des relations possessives est assumée par d’autres moyens (Houwink ten Cate 1970 : 22sq., Garrett 1998a, Hoffner 2010 : 116, 131). Dans les documents tardifs, un recours aux déterminants possessifs est un indice de copie d’ancien ou de style délibérément archaïsant (Rieken 2001b : 579-580). Les possessifs co-varient selon la personne et le nombre du possesseur (6 thèmes) et selon le genre et le cas du terme possédé (13 désinences), si bien que leur effectif total s’élève, en principe, à 78 mots-formes variant plus ou moins parallèlement les uns par rapport aux autres (voir le détail des déclinaisons chez Hoffner & Melchert 2008 : 138-139). Leur architecture flexionnelle présente la particularité d’utiliser une forme casuelle en -it / -et cumulant des emplois distingués par des cas différents dans d’autres flexions (voir infra). Au plan segmental, les formes en -it / -et reflètent trois instabilités : (1) Variation e/i. – En vieux hittite, le vocalisme e ou i des morphèmes flexionnels apparaît, selon les cas de la flexion, tantôt fixé dans un vocalisme donné, tantôt plus ou moins fluctuant31 : (30) répartition des vocalismes e/i en vieux hittite 1sg.

2sg.

nom. sg. ⸗mis (4) nom. pl. dir. sg. et pl. ⸗met (8) ⸗tet (1) ⸗mit (6) abl.-instr. dat.-loc. sg. ⸗mi (2)

3sg.

1pl.

2pl.

3pl.

⸗sis (26) ⸗smis (1) ⸗smis (1) ⸗ses (1) ⸗smes (1) ⸗set (28) ⸗summet (1) ⸗smet (15) ⸗sit (2) ⸗smit (1) ⸗set (1) ⸗smet (2) ⸗smit (10) ⸗si (23) ⸗smi (3) ⸗smi (12)

Le vocalisme est stable dans trois situations : au datif-locatif singulier {-i} (⸗mi, ⸗ti, ⸗si, ⸗summi, ⸗smi, jamais *⸗me, etc.) ; le nominatif singulier est toujours {-is} hétérogène que la classe des adverbes elle-même, si bien qu’il est banal que certains d’entre eux reflètent des comportements nominaux sans, pour autant, se confondre avec des noms (par exemple, en français : il protège ses arrières ; on entre par le devant, etc.). 31  Les chiffres entre parenthèse représentent les occurrences de chaque mot-forme ; on reproduit ici, avec des variantes mineures, les décomptes de Otten & Souček 1969 : 72-73, Melchert 1984 : 123, Francia 1996 : 214-215, Hoffner & Melchert 2008 : 140.

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(x 32) par rapport au pluriel toujours {-es} (x 2). Aux cas direct de la flexion inanimée et à l’ablatif-instrumental (indifférent au genre), la situation est moins claire, même si les tendances fréquentielle à la répartition de -it par rapport à -et dans les deux emplois s’inversent : (31) répartition des désinences -Vt des possessifs en vieux hittite

patient et participant unique : complément d’origine et compl. de moyen :

-et

-it

53 2

9 10

Otten & Souček (1969 : 73), suivis par Melchert (1984a : 123) estiment que ces rapports quantitatifs seraient révélateurs de cas différents, ce qui revient à admettre que, dans une occurrence sur cinq, un cas donné serait représenté par une forme non seulement impropre, mais normalement associée à l’autre cas32. La même justification pourrait, au demeurant, être invoquée pour faire valoir le point de vue inverse d’une forme casuelle syncrétisant les emplois du cas direct, du cas ablatif et du cas instrumental dont la forme majoritairement -et (x 55) serait représentée par -it dans un quart des situation (x 19) : cette dernière approche semble plus en accord avec la cohérence paradigmatique, mais elle se heurte à la difficulté que constitue, dans cette perspective, la répartition inégale des variantes en fonction de leur emploi. Si aucune interprétation n’est pleinement satisfaisante, c’est parce qu’il est exceptionnel que, dans une strate chronologique donnée, la graphie e ou i caractérisant le noyau syllabique d’un morphème flexionnel ne soit pas massivement dominante : en vieux hittite, le nominatif pluriel des noms animés est toujours -es, jamais -is ; le datif-locatif est (entre autres choses) -i, très rarement -e ; le nominatif pluriel animé et le direct pluriel inanimé des démonstratifs est toujours kē, apē (il peut ultérieurement être écrit kī) ; les morphèmes de présent sont toujours 1sg. -mi, 2sg. -si, 3 sg. -zi : 1sg -hhe (signe hé), 2sg. -ti ; la forme du délocutif clitique au datif est toujours ⸗se, en s’opposant régulièrement à celle du déterminant possessif 3sg. dat.-loc ⸗si ; elle est toujours ⸗e au nominatif pluriel, etc. Le seul témoignage de morphème flexionnel faisant fluctuer les deux timbres est la désinence de 3sg. prés. écrite le plus souvent -i, parfois -e, 32  Melchert suppose que -et repose sur l’ajout de *-t, à *⸗se (datif) en postulant une réanalyse de la tête cliticisée d’un dépendant génitival en tant qu’entité possédée. Cette conjecture est plausible, mais elle ne semble pas démontrable au plan empirique.

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alors que précisément, ce morphème est, dans la flexion verbale, le seul qui soit équivalent à une voyelle dont le timbre représente, de ce fait, une information non essentielle. Dans la situation présente, quelle que soit l’interprétation adoptée, on est obligé d’admettre une variation certes minoritaire, mais inexplicable, entre les timbres e et i, en laissant sans réponse la question de savoir si sa motivation est phonétique, morphologique (analogique) ou graphique. (2) Variation 3pl. ⸗sm- : ⸗sam- : ⸗sem-. – Dans les textes anciens, les graphies représentant le possessif 3pl. sont, derrière voyelle, normalement Vs-me-et ou Vs-mi-it. Quand il est cliticisé sur un hôte à consonne finale, l’écriture du thème {⸗sm-} impose naturellement l’utilisation d’un signe à lecture vocalique factice : {ser⸗smeT} → se-e-er-sa-me-et KBo 17.1 ii 16, ii 32 (VH), KBo 17.6 ii 10 (VH) ; {Peran⸗smeT} → pé-ra-an-sa-mi-it KBo 25.190 i 27 (MH), etc33. La graphie du pronom 2pl. acc.-dat. ⸗smas est, identiquement, … Vs-ma-as / … C-sa-ma-as (Neu 1983), à ceci près que sa peut alors librement alterner avec se : {ser⸗} → se-e-er-se-me-et KBo 17.6 ii 14 (VH), se-er-se-me-et KBo 17.1 i 31 (VH), {Ker⸗} → ke-er-se-me-et KBo 8.35 ii 21 (MH), y compris avec {asu⸗} → a-as-suus-se-me-et KBo 6.2 ii 4, 8 (VH) (sur ce dernier témoignage, voir, par ailleurs, § 4.12.2). Une variation libre des timbres a et e manifestée par un signe CV correspond généralement à deux situations : une variation apophonique en cours de dislocation ou bien la représentation d’une voyelle d’anaptyxe (§ 8.13.2). L’hypothèse apophonique est retenue par Kloekhorst (2008 : 752), bien qu’elle soit, comme il le reconnaît, dépourvue de parallèles. Il semble plus vraisemblable de postuler une réalisation occasionnelle {ser⸗smeT} → [ser⸗sə.meT] sur la base de la prévention des séquences de trois consonnes constatée dans la morphologie affixale (6.2.2) ; dans cette perspective, la variation [ser⸗smeT] / [ser⸗sə.meT] résulterait d’une reconnaissance hésitante de la frontière de clitique favorisée par le fait que l’adverbe sēr est presque toujours construit avec un enclitique en vieux hittite. (3) Variation a/i. – A l’accusatif singulier, en vieux hittite, la désinence {-an}, bien documentée avec 1sg. ⸗man (x 1), 3sg. ⸗san (x 5), 3pl. ⸗sman (x 1), entre en concurrence avec {-in} dans les textes dans les textes et copies tardives (1sg. ⸗min, etc.), par ex. dSi-ú-su[m(-mi-in)] « notre dieu » KBo 3.22 : 40 (VH), passage restitué d’après la copie néo-hittite KUB 26.71 : 6. Cette diffusion s’explique par analogie avec les autres formes paradigmatiques en {-iC} sans avoir de motivation phonétique. Au plan formel, les possessifs sont les seuls clitiques dont l’emploi prédit que le terme de gauche est un nom ou un adverbe (jamais un autre enclitique) 33  Voir, en ce sens, Hoffner & Melchert 2008 : 138 n. 10.

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et dont la forme repose nécessairement sur la mise en relation d’un thème avec une désinence. 9.9.3 L’identifiant d’ipséité L’identifiant d’ipséité ⸗pat, stipule une emphase pouvant porter sur un état ou processus (verbes), une circonstance (adverbes) ou une entité référentielle (noms, pronoms), quel que soit le rôle syntaxique tenu par cette entité34. L’emploi de ⸗pat diffère, sur ce point, de celui de ⸗za dont la portée est limitée au sujet (§ 9.11.7), même si les deux formes peuvent être conjointement référées à un même constituant : (32) KBo 6.2 i 53 (VH, Code § 23) n⸗an⸗za apās⸗pat dai conn.⸗3sg.acc.⸗intens. 3sg.nom.⸗ips. prendre 3sg. [si un esclave s’enfuit, alors, celui qui le ramène] « ‘il (apās⸗pat) le garde pour lui-même » (1) Graphie. – L’identifiant d’ipséité est invariablement écrit au moyen du signe HZL 13, en offrant le témoignage, fort rare, d’une graphie totalement conventionalisée. La polyphonie particulière de HZL 13 fait que les spécialistes ont longtemps hésité sur la transcription la plus opportune de ce mot avant qu’un consensus se fixe sur pát (voir l’historique de la question chez Hoffner 1973b : 100-104). Le principal argument en faveur de cette lecture est une étymologie dont la morphologie *pVt est sûre, mais dont le vocalisme demeure incertain35, en sorte que si l’hypothèse d’une lecture ⸗pat semble la plus plausible, elle ne réfute pas totalement celle d’une lecture ⸗pit. Comme le signe pát / pít identifie non seulement le lieu, mais aussi le mode articulatoire

34  Voir les études de Hart 1971, Hoffner 1973b et l’exposé détaillé du CHD P 212-230. La conception de Molina 2016, selon qui ⸗pat serait une marque de focalisation (‘всегда маркирует фокус’) n’est pas vraisemblable. Dans un passage tel que « Le roi brise (du pain) pour Ea (ANA dA.A) ; il le dépose devant Ea (PANI dA.A⸗pat) » KBo 11.46 ii 6-7 (NH), on ne peut admettre que, dans la seconde proposition, Ea représenterait une information nouvelle (l’interprétation correcte est « et c’est devant Ea [elle-même] qu’il le dépose »). Il existe, par aileurs, de nombreux témoignages montrant que ⸗pat peut aussi marquer un topique (ainsi KBo 5.8 i 29, NH) et qu’un focus n’est pas obligatoirement marqué par ⸗pat (par exemple KBo 32.14 Vo 50, MH). 35  La relation étymologique de hitt. ⸗pat avec av. -paiti, lat. -pte, lit. -pat, formes faisant porter une emphase identificatrice sur le terme avec lequel elles se combinent, a été établie par Pedersen 1935, et étudiée en détail, au plan sémantique, par Benveniste 1954 = 1966 : 289sq.

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des consonnes (voir § 9.7.1(4)), la lecture de l’enclitique est plus probablement /batʰ/ que /bitʰ/36. (2) Positionnement. – L’identifiant d’ipséité se place dans l’agrégat derrière les déterminants possessifs et devant tous les autres enclitiques. Ce positionnement apparaît quand l’hôte est ailleurs qu’en P1 : {Per⸗seT⸗batʰ} → nu É-er-se-etpát arnuzi « il apporte son propre patrimoine » KBo 6.2 i 38 (VH) ; {TwekʰanTs⸗ sis⸗batʰ} → nu tu-ek-kán-za-si-is-pát sarnikzi « il restitue en personne (litt. ‘son propre corps’) » KBo 6.2 ii 54 (VH) ; {man⸗batʰ⸗wa} → i-ya-mi-ma-an-pát-wa ku-it-ki « je voudrais faire quelque chose moi-même » KUB 23.103 Vo 13 (NH)37. L’ordonancement séquentiel de ⸗pat par rapport aux autre clitique n’est pas différent sur un hôte en P1, à ceci près que la combinaison de possessifs et de l’identifiant d’ipséité ne semble pas attestée dans cette configuration : {# anTa⸗ batʰ⸗Kan} → an-da-pát-kán har-ak-zi KUB 33.8 iii 10 (VH/nh) ; {# amel⸗batʰ⸗ wa⸗ʧ} → am-me-el-pát-wa-za GU₄-un dahhi « je prends mon propre boeuf (le boeuf de moi-même) » KBo 6.3 iii 71 (VH/nh) Code § 74 ; {# ʧiK⸗batʰ⸗ma⸗ʧ} → zi-ik-pát-ma-za is-ha-a-as « mais tu (es) le seul maître » KBo 5.4 Vo 1 (NH) ; {agi⸗ ba[tʰ⸗s]an} → a-ki-pá[t-s]a-an « il périt là » KBo 5.3 iii 31 (NH). L’enclitique ⸗pat n’est jamais en liaison directe avec un connecteur38. A l’instar des autres enclitiques, ⸗pat s’attache au premier mot du constituant sur lequel il porte39 : apēdani⸗pat mēhuni « à ce moment-même » KBo 3.13 Ro 8 (VH/nh) ; nu [sallas⸗pat hassannas] ēshar pangariyattati « le meurtre s’est propagé, même dans la famille royale (litt. ‘de la grande famille’) » KBo 3.1 ii 31 (VH/nh). L’enclitique peut également porter sur des constituants verbaux en permettant, de par son positionnement, d’identifier les relations de dépendance existant notamment entre le verbe et ses modifieurs, opérateur de négation ou préverbes adverbiaux (voir plus en détail Hart 1971 : 103-104, Hoffner 1973b). 36  Une lecture avec plosive initiale voisée ne récuse pas l’étymologie traditionnelle (contrairement à Kloekhorst 2008 : 653) puisque le développement des plosives labiales à l’initiale des clitiques n’est documenté par aucun autre témoignage que celui de ⸗pat et que rien ne certifie que l’évolution phonologique des clitiques serait soumise aux même normes que celle des morphèmes. Le seul autre enclitique débutant par une plosive est ⸗kan dont les graphies sont instables (voir ci-dessus, § 3.2.4, 9.2.3(4)). 37  L’absence d’espace entre le verbe iyami et man ne peut s’expliquer que comme une négligence de scribe. 38  Les raisons pour lesquelle Hoffner 1973b : 104, ainsi que le CHD P 227a, déclarent que « not being a sentence particle, -pat has no fixed position within the chain » m’échappent complètement. 39  Voir déjà Hart 1971 : 102-103 ; la caractérisation retenue dans le CHD P 227, d’après Hoffner, est peu claire : « it will usually attach itself to that modifier which serves to particularize or define the construction to the highest degree ».

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De même, le positionnement de ⸗pat peut être révélateur de ce qu’un hôte constitué de mots séparés dans l”écriture et donc, en apparence, distincts, forme une même unité lexicale, par exemple avec les adverbes UD-at UD-at⸗pát « chaque jour, quotidiennement » KUB 1.13 iii 7 (MH/nh), ITU-mi ITU-mi⸗pát « tous les mois » KUB 22.7 Ro? 3 (NH) ; on est ici en présence de composés de type āmreḍita (comparer, en védique, divé-dive « chaque jour », etc., Klein 2003). 9.10

Forme et contexte des enclitiques polytopiques

9.10.1 Les relations transférables On reconnaît un enclitique comme polytopique à ce qu’il stipule une relations sémantiquement transférable des rapports entre constituants aux rapports entre propositions et réciproquement. L’effectif des enclitiques polytopiques est limité à deux types de conjonctions : celles qui expriment une relation coordonnante ⸗(a)k(k)u et ⸗a / ⸗ya et celle qui exprime une relation adversative-contrastive ⸗a / ⸗ma. La classe des adverbes, réduite à deux unité, semble être en train de rejoindre la classe des enclitiques polytopiques dans la langue tardive. 9.10.2 La conjonction de coordination ⸗(a)k(k)u La conjonction ⸗(a)k(k)u, stipule une coordination lâche généralement traduite par « N₁ comme N₂ ; N₁ ou bien N₂ ; aussi bien N₁ que N₂ »40. Cette forme, dont l’emploi est peu fréquent, est en voie d’élimination dès le vieux hittite. (1) Placement. – Dans la coordination des propositions, ⸗(a)k(k)u apparaît, le plus souvent, derrière le connecteur ta⸗ pour introduire des protases de conditionnelle (34a), mais aussi, quoique beaucoup plus rarement, derrière nu⸗ (§ 34b)41. Dans la coordination des constituants, ⸗(a)k(k)u se place sur chacun des noms coordonnés (33)42 ; les deux emplois peuvent être cumulés (35) : 40  La coordination dite « lâche » ou « faible » fait sémantiquement prévaloir un prédicat donné sur le fait que divers N sont conjointement arguments de ce prédicat (Paul et Virginie arriveront demain ne suppose pas nécessairement qu’ils se connaissent, qu’ils voyageront ensemble, qu’ils viendront au même moment, etc.) ; pour plus de détails, voir Stassen 2003, Wälchli 2005 : 67sq. 41  Voir Patri 2003 ; après l’élimination du connecteur ta⸗ et de la conjonction ⸗(a)k(k)u, une conjonction univerbée takku « si » susbiste marginalement dans les textes tardifs où elle tend à être supplantée par mān. L’opérateur nek(k)u « se pourrait-il que ne … pas » est, selon toute vraisemblance, identiquement formé, à ceci près que *ne n’est pas (ou n’est plus ?) un mot en hittite historique. 42  Hoffner & Melchert 2008 § 29.40, exposent à tort que ⸗a/⸗ya aurait l’exclusive de la coordination des constituants.

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(33) KUB 36.44 iv 8-9 (Laroche 1965 : 82) nu kuwapi dUTU-us mumiezzi conn. où soleil-nom. tomber-3sg. []-i⸗ku happeni⸗kku GIŠ-i⸗kku hahhali⸗kku ?-loc.⸗conj. flamme-loc.⸗conj. arbre-loc.⸗conj. prairie-loc.⸗conj. mumiezzi tomber-3sg. « où que tombe le soleil, qu’il tombe dans […?…] (comme) dans le feu, (comme) dans l’arbre, (comme) dans la prairie » (34) a KBo 3.60 ii 14-15 (VH/nh) ta⸗kku⸗wa⸗ssan kī hazzizi conn.⸗conj.⸗quot.⸗adv. dém.-dir. interpréter-3sg. ta⸗wa DINGIR-LUM conn.⸗quot. dieu « s’il devine ceci # alors il (est) un dieu » b. KBo 12.128 : dr. 6 (?/nh – Beckman, JNES 45, 1986 : 29 n. 64) nu⸗kku (nu-uk-ku) karusten nu istamasten conn.⸗conj. être appaisé-2pl.imp. conn. écouter-2pl.imp. « (et maintenant) soyez tranquiles et écoutez ! » (35) KBo 6.2 i 36-37 (VH), KBo 6.3 i 45-46 (VH/nh) ta⸗kku LÚ.U₁9.LU-an LÚ-ann⸗aku MUNUS-n⸗aku conn.⸗conj. humain-acc. homme-acc. femme-acc. URUHattusaz kuiski LÚ URULuwias tayezzi H.-abl. indéf. homme Louvite-nom. voler-3sg. « si, depuis Hattusa, un homme du pays louvite vole une personne, homme comme femme … » (2) Forme. – L’écriture de la conjonction présente deux instabilités : (i) la plosive labio-vélaire est le plus souvent écrite kku, mais elle est parfois représentée par ku. Bien que le faible volume des attestations fragilise d’emblée toute généralisation, il semble que, suivant le mode de représentation habituel des non-voisées, la graphie ⸗kku soit favorisée derrière voyelle et ⸗ku derrière consonne ; comp. su-me-es-ku KUB 42.107 iii? 11 ; ha-at-tar-ku KUB 42.107 iii? 10 ; zi-na-a-il-ku KUB 42.107 iii? 11, tu-el-ku KUB 33.24 (+) KUB 33.28 i 43 ; face à nu-uk-ku KBo 12.128 : 6 (NH) ; happēni⸗kku GIŠ-i⸗kku hahhali⸗kku KUB 36.44 iv 8-9, etc. (ii) La conjonction présente une consonne initiale, sauf dans l’expression « homme comme femme » à l’accusatif qui, dans le Code, est écrite

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LÚ-an-na-ku, LÚ-na-ku, MUNUS-n⸗aku KBo 6.2 i 36 (VH), en suggérant l’existence d’une variante ⸗aku jamais écrite *⸗akku. Le caractère figé de cette locution (références chez Hoffner 1997 : 268) ne facilite pas son interprétation. Le contexte phonologique n’est pas de nature à susciter une insertion vocalique puisque la finale [ŋKʷu] supposée par *{Pisna-n⸗Kʷu} est attestée par ailleurs ; l’hypothèse d’une voyelle factice (ainsi, Tischler HEG I, 1983 : 601) se heurte à la nasale géminée de la variante LÚ-an-na-ku qui suppose un contexte intervocalique. L’hypothèse d’une réalisation *[Pi.snaŋ.Kʷ] ne modifie pas, sur ce point, l’interprétation du problème. L’existence d’une forme ⸗aku paraît donc vraisemblable, mais la question de son statut et de sa distribution en tant que variante de ⸗k(k)u semble impossible à préciser ; Hoffner & Melchert (2008 : 405), ne prennent pas parti. 9.10.3 La conjonction de coordination ⸗a / ⸗ya La conjonction ⸗a / ⸗ya, avant que de devenir le coordonnant par défaut et d’assumer tous les emplois possibles de la coordination43, stipule, le plus souvent, une coordination neutre. (1) Placement. – De même que ⸗(a)k(k)u, la conjonction ⸗a / ⸗ya se place en P2 quand elle coordonne des propositions (36), mais sur le dernier des constituants en relation quand elle en coordonne plusieurs (37) ; les deux rapports peuvent être illustrés dans une même proposition (38). (36) KBo 17.1 + 25.3 i 12-13 (VH) [(erm)]a(n)⸗smas⸗kan dāhhun mal-acc.⸗poss.3sg.dat.⸗adv. prendre-3sg.prét. kardi⸗smi⸗(y)a⸗at⸗kan dāhhu[n] coeur-loc.⸗poss.3sg.loc.⸗coord.⸗3sg.dir.⸗adv. prendre-3sg.prét. [(hars)]ani⸗smi⸗(y)a⸗at⸗kan dāhhun tête-loc.⸗poss.3sg.loc.⸗coord.⸗3sg.dir.⸗adv. prendre-3sg.prét. « j’ai pris ton mal (je te l’ai ôté) ; et je l’ai pris de ton coeur et de l’ai pris de ta tête »

43  Dès le vieux-hittite, les emplois de cette conjonction dépassent la coordination stricte : ANA [hal]pūti mānhand[a] maldi ke-e⸗a QATAMMA « de même qu’il chante devant les h., # il chante aussi ces (choses) KBo 25.112 ii 14-15 (VH) ; cf. nu kī māhhan wātar dankuis taganzipas katta pasta apāt⸗ta idālu uttar taganzipas katta QATAMMA pasdu « de même que la terre sombre a absorbé cette eau, # [… C⸗Ca] que la terre absorbe cette mauvaise parole ! » KUB 29.7 Vo 54-55 (MH).

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(37) KBo 17.1 iv 11-13 (VH) [m]ān LUGAL-us MUNUS.LUGAL-as⸗sa taranzi quand roi-nom. reine-nom.⸗coord. dire-3pl.prés. « quand le roi et la reine disent :… » (38) KBo 10.45 iv 31-32, comp. KUB 41.8 iv 30-31 (MH/nh – Otten, ZA 54, 1961 :138) kās⸗sa⸗za URU-as parnas⸗sa dém.nom.⸗coord.⸗intens. cité-nom. maison-nom.⸗coord. [(UD)]U.A.LUM DÙ-ru bélier devenir-3(sg./pl. ?)opt.my. (le prêtre dit : le bélier monte la brebis qui devient grosse) « et [… C⸗Ca, P2] que cette ville et [… C⸗Ca, Pₓ] (que cette) maison deviennent un bélier » (et montent la terre noire)44 De même que ⸗(a)k(k)u, la conjonction ⸗a / ⸗ya peut être placée sur chacune des propositions qu’elle coordonne : (39) KBo 22.1 Ro 21 (VH) GIŠ TUKUL apas⸗sa GIŠ TUKUL zik⸗ka⸗wa 2sg.nom.⸗coord.⸗quot. travailleur 3sg.-nom. coord. travailleur « tu (es) un travailleur, et lui (aussi est) un travailleur » En revanche, en vieux hittite une relation de type « N₁ comme N₂, aussi bien N₁ que N₂ » entre des constituants est, en principe, du ressort de ⸗(a)k(k)u, à ceci près que cette dernière étant en train de sortir de l’usage, ses emplois spécifiques sont en partie relayés par ceux de ⸗a / ⸗ya. D’un point de vue syntaxique, la relation sur laquelle repose la coordination des constituants n’est pas entièrement transposable aux relations entre les propositions, ne serait-ce qu’en raison des phénomènes d’ellipse autorisée dans le premier cas (démonstratif dans KBo 10.45 iv 31-32, prédicat dans KBo 5.8 i 28), mais pas dans le second :

44  Contrairement au CHD P 276-277, pár-na-an-za-as-sa ne s’analyse pas comme un mot fléchi au « cas ergatif » (la construction est intransitive), mais comme un dérivé {ParnanT-s⸗ja} → [Par.nanTs.sa] au nominatif, certifié par (i) le fait que la gémination s’appuie sur la fricative /s/ ; (ii) l’existence, dans le duplicat KBo 10.45 iv 31, de la variante pár-na-as, fléchie au nominatif sur une base non dérivée par {-anT-}.

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(40) KBo 5.8 i 28 (NH) nu URUTaggastan URU-an KUR URUTaggasta⸗ya conn. T-acc. cité-acc. pays T.-dir.⸗coord. arha warnunun adv. brûler-1sg.prét. « j’ai brûlé la cité de Taggasta et le pays de Taggasta » La conjonction ⸗a / ⸗ya rejoint P2+ dans les mêmes conditions que ⸗a / ⸗ma quand certains mots sont en P1 (§ 9.6.4). (41) HKM 17 : 22 (MH) mān halkis⸗sa handān ēszi si récolte-nom.sg.⸗coord. convenir-ptcp. être-3sg. [attaquez les environs de Maresta …] « et si la récolte est prête (que la troupe la prenne !) » Quand elle coordonne des propositions, ⸗a / ⸗ya ne peut prendre place dans une phrase débutant un récit. (2) Sélection formelle. – La variante ⸗ya est sélectionnée par les mots à voyelle finale, tandis que les mots à consonne finale effacent /j/, en compensation de quoi la forme de l’enclitique adopte en attaque syllabique la coda du terme cliticisé (voir en détail § 9.16). La forme du mot synclitique cliticisé par {⸗ja} est donc soit [… V⸗.ja], soit [… VCₓ⸗.Cₓa]. Par contraste, la variante ⸗a de de la conjonction adversative ⸗ma, bien qu’étant également sélectionnée par les hôtes en consonne, ne subit, pour sa part, pas de changement en ayant une forme soit [… V⸗.ma], soit [… V.C⸗a] : (42) a. KBo 17.74 i 19 (VH/mh) LUGAL-us MUNUS.LUGAL-as⸗sa sarā tienzi roi-nom. reine-nom.⸗conj. dessus se placer-3pl. « le roi et la reine [… CC⸗a] se tiennent debout » b. même tablette, iii 38 LUGAL-us hūppari sipanti roi-nom. h.-loc. faire une libation-3sg. MUNUS.LUGAL-s⸗a n[a]tta reine-nom.⸗conj. nég. « le roi fait une libation dans un huppari, mais pas la reine [… C⸗a] »

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La gémination affecte aussi bien les hôtes aclitiques directement en contact avec la conjonction que d’autres enclitiques situés devant elle : {ásu-∅⸗seT⸗ja} → a-as-su-us-se-et-ta sarnikzi « et il compense ses biens » KBo 6.2 i 5 (VH), Code § 5 ; {Per-∅⸗miT⸗ja} → utnē É-er-mi-it-ta « mon pays et ma maisonnée » KUB 29.1 i 18 (VH/nh). La gémination d’un /s/ final derrière une autre consonne impose d’avoir recours, dans l’écriture à des voyelles factices : {Pitʰi-anT-s⸗ja} → [Pi.tʰi.janTs⸗.sa] LÚ pít-ti-y]a-an-za-as-sa « (fugitif ou) fuyard » KUB 23.72 Vo 56 (MH), et n. 44 supra. Dans les strates plus tardives, l’élimination des déterminants possessifs, combinée avec le fait que ⸗a / ⸗ya ne s’attache jamais à ⸗pat, fait que la règle de gémination des consonnes finales se limite aux seuls mots aclitiques. Pour d’autres exemples, voir Houwinck ten Cate (1973), HW ² I : 43sq. (3) Graphie. – Pour autant qu’on puisse en juger, devant les clitiques voyelle /a/ initiale, hormis la gémination, rien ne signale la présence de ⸗a dans la graphie : {warHwis⸗ja⸗as} → wa-ar-hu-is-sa-as « (le mont est très haut) et il (est) escarpé » KUB 14.16 iii 9 (NH) ; {amuK⸗ja⸗aT} → am-mu-uq-qa-at KBo 5.9 ii 39 (NH) ; {ʧiK⸗ja⸗an} → zi-ig-ga-an KBo 5.9 i 31 (NH), zi-iq-qa-an KBo 4.3 ii 3 (NH) ; il est difficile de tirer une conclusion nette de ces données car la réplication vocalique est de façon générale prohibée dans l’écriture des enclitiques, ce qui peut être une raison à l’absence de graphies *zi-ig-ga-a-an. (4) Forme. – Derrière voyelle, ⸗ya est le plus souvent écrit au moyen du signe ya, mais elle peut aussi être écrite -e-a : {ápʰa⸗ja} « derrière » → a-ap-pae-a KBo 20.10+ i 6 (VH) ; {abé⸗ja} (dém. nom. pl.) → a-pé-e-a KBo 17.28 : 4 (VH) ; sur l’utilisation du signe e pour représenter une syllabe [ja], voir § 4.1.8. 9.10.4 La conjonction contrastive-adversative a⸗ / ⸗m(a) La conjonction ⸗a / ⸗m(a) exprime la relation contrastive-adversative « mais, alors que, tandis que, ou bien, et » dans laquelle se situe une proposition par rapport à une autre ou un constituant par rapport à un autre ; la conjonction peut aussi être utilisée dans des énumération (par ex. de divinités, KUB 43.30 iii 5-12, VH) dans le sens de « et encore ; de plus »45. (1) Placement. – De même que ⸗(a)k(k)u, et ⸗a / ⸗ya, la conjonction a⸗ / ⸗m(a) est en P2 quand elle met en relation des propositions (43), mais prend pour hôte le constituant auquel au sujet duquel elle établit une relation contrastiveadversative par rapport à un autre constituant, lequel n’est pas nécessairement inclus dans la proposition (44). 45  Voir Meacham 2000, Rieken 2000, Hoffner & Melchert 2008 : 395-399, Melchert 2009, Sidel’cev & Molina 2015.

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(43) KUB 1.1 i 27-28 (NH) nu KUR.UGU!-TI ↓taparha conn. haut-pays gouverner-1sg.prét. perān⸗ma⸗at⸗mu m.dSÎN-dU-as (…) maniyahhiskit avant⸗advers.⸗3sg.dir.⸗1sg.dat. Arma-Tarhunta diriger-3sg.prét. « j’ai gouverné le haut-pays, mais, avant moi, Arma-Tarhunta (…) l’avait dirigé » (44) KUB 14.4 iii 21-22 (NH) DAMI-YA MUNUS.LUGAL idalawahta kuitki épouse-mienne reine offenser-3sg.prét. indéf.-dir. n⸗an tepnutta⸗ma kuitki conn.⸗3sg.acc. amoindrir-3sg.prét.⸗advers. indéf.-dir. « ma femme aurait-elle offensé la reine en quoi que ce soit ? ou l’auraitelle dénigrée en quoi que ce soit ? » Comme avec les autres conjonctions, les deux types d’emplois peuvent se cumuler dans une même proposition : (45) KBo 6.29 ii 4-6 + KUB 21.15 ii 11-13 (NH) nu⸗wa⸗za mān zik DI-esnaza sarazis nu⸗wa tuk sarazziyahhandu mān⸗ma⸗wa⸗za ammuk⸗ma DI-esnaza si⸗advers.⸗quot.⸗intens. 1sg.-nom.⸗advers. jugement-abl. sarazzis supérieur-nom. (portons donc notre conflit à l’appréciation des dieux :) « si, dans la controverse, tu obtiens l’appréciation la plus favorable, qu’ils te déclarent (litt. ‘fassent’) vainqueur ; mais (⸗ma⸗) si [en opposition à ce qui précède], dans la controverse, j’obtiens, moi (ammuk⸗ma) [par opposition à toi], l’appréciation la plus favorable » (nu⸗wa ammuk sarazziahhandu ‘alors, qu’ils me déclarent vainqueur’) En vieux-hittite, le placement de ⸗a / ⸗ma s’effectue en P2+ quand certains mots sont en P1 (§ 9.6.3). (2) Sélection des variantes. – Il existe trois variantes de la conjonction : ⸗m, ⸗ma et ⸗a. Comme l’a bien discerné Melchert (1984b : 30 n. 9, et ap. Rieken 2000) la sélection des variantes de ⸗a / ⸗ma est commandée par le contexte de gauche : les hôtes prennent ⸗ma quand leur finale est une voyelle, ⸗a quand elle est une consonne :

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(46) a. KBo 6.2 iv 15 (VH), Code § 80 a-pa-a-sa KUŠ UDU dāi 3sg.-nom.⸗adv. peau mouton prendre-3sg. « (celui qui a récupéré le mouton prend la viande), tandis qu’il [abās⸗a] (= le berger) prend la peau »

b. KBo 20.26 + 25.34 Ro 16-17 (VH) a-pé-e-ma-as-se QATAMMA⸗pat arkuanzi 3pl.nom.⸗adv.⸗3sg.dat. de-même⸗ips. entonner-3pl. « (les uns entonnent tel chant), tandis que les autres [abē⸗ma⸗se/i] entonnent avec elle »

La règle disparaît au cours du moyen hittite avec l’élimination progressive de ⸗a, remplacé, dans la plupart des contextes, par ⸗ma (voir sur ce point Houwink ten Cate 1973 : 124). La variante ⸗a demeure cependant plus longtemps utilisée avec les pronoms interlocutifs aclitiques 1sg. ammuk, 2sg. zik qu’avec d’autres mots. A la différence du ⸗a coordonnant, le ⸗a adversatif-contrastif ne provoque pas la gémination du terme de gauche, mais peut imposer d’avoir recours, dans l’écriture à des voyelles factices, paticulièrement quand la consonne au contact du clitique est elle-même précédée d’une autre consonne : {irman-anT-s⸗a} → mān ir-ma-la-an-za-sa ēsta « mais si tu avais été malade » KBo 5.9 i 16-17 (NH). La troisième variante ⸗m apparaît quand la conjonction est précédée d’une voyelle et qu’elle est suivie d’un autre enclitique à voyelle initiale : {Tai⸗ma⸗ us⸗ʧ} → ta-a-i-mu-us-za KBo 20.32 ii 9 (VH/nh), {jeNʧi⸗ma⸗us} → i-en-zi-mu-us KBo 16.78 i 10 (MH) (cf. HW ² I, 42a, CHD L-N 92a). (3) Dépendance contextuelle des variantes. – La conjonction se trouve dans la situation unique, parmis les clitiques, de tomber sous le coup de deux règles distributives différentes, l’une commandée par le contexte de gauche (V⸗ma : C⸗a), l’autre, par le contexte de droite (⸗m⸗V : ⸗ma ailleurs). La première règle est comparable à celle qui gouverne la distibution de ⸗a / ⸗ya, mais elle n’est pas identique, alors que l’autre règle, plus générale, ne s’applique qu’avec la variante ⸗ma et non avec la variante ⸗a (§ 9.16). 9.10.5 Les adverbes ⸗kan et ⸗san Les adverbes ⸗kan et ⸗san désignent ou accompagnent une localisation dans le temps ou dans l’espace (position ou déplacement) en faisant valoir le processus prédicatif sur sa localisation, son origine ou sa destination. Il est difficile de distinguer les sphères d’emploi respectives des deux formes qui semblent facilement interchangeables, au moins dans certains contextes (voir CHD S 126-155). Dans les textes tardif, après l’élimination plus ou moins avancée de

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⸗an, ⸗asta et ⸗apa, les adverbes ⸗kan et ⸗san deviennent les seuls représentants de la classe de adverbes enclitiques en récupérant les emplois antérieurement assumés par les autres adverbes46. Comme tous les clitiques adverbiaux, ⸗kan et ⸗san sont normalement monotypiques, mais dans les textes tardifs ou copies tardives de textes anciens, ils peuvent prendre comme hôte le terme stipulant le point auquel ou en direction duquel un processus advient, quelle que soit sa position dans la proposition (voir en particulier Carruba 1969 : 19-23, Neu 1993 : 140, 148-151) : (47) a. KUB 29.9 i 6 (VH/nh), KBo 34.129 : 8 (VH/nh) nu⸗ssi sakuwas peran É-ri⸗kan anda conn.⸗3sg.dat. oeil-dat.pl. devant maison-loc.⸗adv. dedans katkattiyazi trembler-3sg. « ça tremble devant ses yeux (litt. ‘devant aux yeux de lui’) dans la maison » b. KUB 9.16 i 13-14 (VH/nh), KBo 3.25 : 9-10 (VH/nh) nu [har(pus)] ÍD-i⸗ssan peran harpanzi conn. tas-acc.pl. rivière-loc.⸗adv. devant entasser-3pl. « on fait des tas devant la rivière » La nouvelle possiblilité de placement reste cependant optionnelle sans empêcher ⸗san et ⸗kan de prendre normalement place en P2 dans les textes tardifs : (48) KBo 5.8 iii 20 (NH) nu⸗ssan pēdi wahnunun conn.⸗adv. lieu-loc. tourner-1sg.prét. « j’ai tourné autour de l’endroit » La classe des adverbes clitiques dont ⸗san et ⸗kan demeurent les seuls représentants en hittite tardif avec l’élimination plus ou moins poussée de ⸗apa, ⸗an, ⸗asta, se situe donc dans une phase d’évolution intermédiaire entre un emploi qui n’est plus strictement monotopique, mais pas encore complètement polytopique. Les deux formes ⸗san et ⸗kan sont phonologiquement invariantes.

46  Voir Boley 2000, dont les conceptions particulières sur la périodisation obscurcissent quelque peu le propos.

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9.10.6 Refoulement des conjonctions en P2+ En vieux hittite, les conjonctions ta⸗kku « si », mān « quand, si », nasma « ou bien », et le pronom relatif-indéfini kui-, ont la particularité, lorsqu’ils sont en P1, de prohiber l’enclise en P2 des conjonctions ⸗a / ⸗ya et ⸗a / ⸗ma mettant en relation des propositions. L’hôte sur lequel les conjonctions viennent alors se placer est le premier mots aclitique après le mot en P1. La position post-seconde dépend du mot aclitique derrière le mot en P1, sans préjuger du statut de ce dernier, ni de l’éventuelle présence d’autres enclitiques sur celui-ci. Il s’ensuit que la notion de P2+ n’identifie pas une localisation précise, laquelle peut correspondre au troisième comme au quatrième mot de la proposition47. (49) a. KBo 6.2 iv 58 (VH), KBo 6.3 iv 57 (VH/nh) ta⸗kku natta⸗ma (ták-ku na-at-ta-ma) sarnik[(zi)] si nég.⸗advers.. réparer-3sg. « mais s’il (le maître) ne compense pas pour lui (l’esclave) »

b. KBo 6.3 ii 14 ta⸗kku LÚ-s⸗a DUMU.MUNUS si homme-nom.⸗advers. fille dāi prendre-3sg. « mais si l’homme n’a pas encore pris la fille »

nawi pas encore

(50) KBo 17.1+ ii 30 (VH) mān luggatta⸗ma quand luire-3sg.my.⸗advers. « mais quand ça (le jour) luit » (51) KBo 6.2 i 53 (VH) kuis⸗an appa⸗ma uwatezzi indéf.rel.-nom.⸗3sg.acc. en arrière⸗advsers. rapporter-3sg. (si un esclave s’enfuit) « alors, celui qui le ramène » (n⸗an⸗za apās⸗pat dai ‘il le garde pour lui-même’)

47  Le principe de cette incompatibilité a été discerné dès Ungnad 1925 ; voir les précisions et d’autres illustrations CHD, L-N 97-98.

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Dès le moyen hittite, l’incompatibilité tend à s’effacer en permettant des liaisons directes kuis⸗ma⸗wa KUB 31.21 ii 7 (NH) # mān⸗ma, etc. (voir CHD L-N 139sq., 401sq., Meacham 2000 : 123sq.). Le mouvement des conjonctions de P2 à P2+ dans les relations interpropositionnelles peut être simplement décrit en termes syntaxiques ou lexicologiques, mettant en évidence une ou des causes motivant démontrablement ce traitement particulier. L’hypothèse, souvent alléguée, selon laquelle l’accentuation tiendrait un rôle discriminant dans cette distribution est invérifiable et conduit à des impasses : soit on postule que P2+ reflète l’accentuation de ⸗a / ⸗ya et de ⸗a / ⸗ma, auquel cas on ne peut plus expliquer pourquoi ces conjonctions rejoignent normalement P2 quand d’autres mots que ta⸗kku, nasma, kui-, mān, sont en P1 ; soit on postule, au contraire, que P2+ dérive de l’inaccentuation du premier mot de la proposition, donc celle de ta⸗kku, nasma, kui-, mān, auquel cas on ne peut plus expliquer pourquoi ces termes peuvent servir d’hôtes à d’autres enclitiques quand ils sont en P1 ou ailleurs (ku-is⸗mu KBo 16.47 Ro 32, VH, ku-e-el⸗kán KUB 21.29 iii 41, NH). Le fait que ta⸗kku et nasma (nassu⸗ma) soient formés de mots clitiques ne saurait appuyer une interprétation particulière car le pronom relatif-interrogatif kui-s, également prohibiteur, est, pour sa part, constitué de morphèmes exclusivement48. Une causalité unitaire, si tant est qu’elle existe, semble demeurer hors de portée49. 9.11

Forme et contexte des enclitiques monotopiques

9.11.1 Généralités Les clitiques monotopiques, invariablement placés en P2, stipulent des relations maximalement appuyées sur la saillance discursive d’un référent ou 48  Selon Kloekhorst 2011, ces témoignages prouveraient que ta⸗kku, nasma, kuis, mān, sont inaccentués, conception réfutée par Sidel’cev, Molina & Belov 2015. 49  Sidel’cev & Molina 2015, Sidel’cev 2016 : 33, estiment que le placement de ⸗ma serait conditionné par l’existence d’une frontière prosodique dérivant du contraste topical ou focal. Cette hypothèse est difficilement démontrable et n’explique pas pourquoi une frontière se met en place avec certains lexèmes en P1, mais pas avec d’autres ; elle demande, en outre, d’admettre que la partition énonciative pourrait gouverner le placement des mots aclitiques comme celui des clitiques, ce qui constitue une approche problématique en soi. – Dans certaines langues – notamment, en portugais –, les relatifs-interrogatifs, certains complémenteurs, adverbes, ou quantifieurs peuvent forcer les clitiques à changer de position ; le comportement des conjonctions hittites participe vraisemblablement de cette configuration, même si les propriétés communes à ces déclencheurs / prohibiteurs demeurent peu claires.

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d’une opération discursive et, minimalement, sur les propriétés sémantiques inhérentes à un lexème ou à un contenu propositionnel donné ; leur effectif est formé des unités suivantes : (a) l’opérateur modal ⸗man (b) le relateur quotatif ⸗war ; (c) les pronoms ; (d) l’intensifieur subjectal ⸗za ; (e) dans la langue ancienne, les adverbes ⸗apa, ⸗an, ⸗asta, ⸗kan et ⸗san. 9.11.2 L’opérateur modal ⸗man L’opérateur ⸗man confère au prédicat une orientation modale allant de l’expression du souhait (intention se référant à ce qui pourrait advenir) à celle de l’hypothèse (hypothèse sur un état possible indépendamment de toute intention). (52) KBo 3.1 ii 63-64, KUB 11.6 ii 11 (VH/nh) [(asi⸗man⸗wa URU-as a)]mmel kisari dét.⸗mod.⸗quot. ville-nom. 1sg.gén. devenir 3sg. (si un dignitaire vise à capter l’héritage d’un prince en disant) « que cette cité devienne mienne » (il est alors convaincu d’outrage) (53) KUB 31.66 iii 5-7 (NH) ABU-YA⸗man⸗wa⸗kan MUNUS.LUGAL⸗ya lē père-mien⸗mod.⸗quot.⸗adv. reine⸗coord. nég. hannetalwaniēser ammuq⸗qa⸗man⸗wa lē être-adversaire-3pl.prét. 1sg.acc.⸗coord.⸗mod.⸗quot. nég. kuitki ḪUL-wēszi indéf.-dir. faire-mal-3sg. (Urhi-Tessub dit ‘je refuse’) « que mon père et la reine ne s’opposent pas (au tribunal), et que ça (cette situation) ne me cause pas préjudice » (54) KUB 14.1 Ro 12 (MH) man⸗kan (ma-an-kán) mān ANA mAttarsiya huisweten(na) mod.⸗adv. même dat. A. échapper-2pl. kāstit⸗a⸗man (ka-a-as-ti-ta-ma-an) ākten faim-instr.⸗advers.⸗mod. périr-2pl. « même si vous aviez échappé à Attarsiya [le souverain d’Ahhiya], vous seriez morts de faim » L’opérateur ⸗man est le seul clitique se référant à la modalité. Mais il présente surtout l’originalité d’être, en hittite, le seul mot pouvant être à la fois hôte

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d’enclitiques, sous des graphies mān⸗ ou man⸗, et enclitique d’un hôte, dans une graphie exclusivement ⸗man (par exemple, dans (54))50. Hoffner (1982), a montré que la modalité optative recevait un traitement différencié dans la syntaxe, notamment à travers le placement de la négation, selon qu’elle est exprimée par l’énonciateur ou par le sujet syntaxique. Hoffner ne considère pas la question du placement de man51, mais il semble vraisemblable d’estimer, sous réserve d’une étude plus approfondie, qu’elle rentre également dans ce cadre. Dans (54) l’énonciateur n’est pas impliqué dans la première proposition avec man⸗ décrivant une situation hypothétique, alors qu’il asserte que le contenu propositionnel de la seconde, avec ⸗man, en tant que conséquence de la première. La même observation vaut pour (52) et (53) où l’expression de la modalité reflète une intention de l’énonciateur. La distinction caractérisant les constructions déclaratives avec ⸗man peut aussi valoir pour certaines constructions avec man⸗ fondées sur une interrogation ou une négation. La forme ⸗man est phonologiquement invariante. 9.11.3 Le relateur quotatif ⸗wa(r) Le relateur quotatif marque le fait qu’une proposition n’est pas émise par l’énonciateur, le plus souvent parce qu’elle correspond à un discours rapporté, éventuellement à un proverbe ou à une sentence judiciaire52. Le relateur quotatif fait alterner deux formes ⸗war et ⸗wa dont la distribution est, partiellement, conditionnée par le contexte de droite : les variantes ⸗war et ⸗wa peuvent être librement échangés devant un clitique en /a/ initial (Hoffner & Melchert 2008 : § 28.6), mais sont en distribution mutuellement exclusive dans tous les autres contextes : – ⸗war est sélectionné par un clitique subséquent débutant par une voyelle (+ ⸗e, ⸗us, ⸗as / ⸗at / ⸗an) : {nu⸗war⸗aT} → nu-wa-ra-at HKM 7 : 7 (MH) ; {nu⸗war⸗as} → nu-wa-ra-as HKM 86a : 11 (MH) ; – ⸗wa est sélectionné : (i) en fin du mot synclitique : {su⸗war} → su-wa KBo 22.2 Vo 6 (VH?) ; (ii) devant un enclitique subséquent débutant par /ʧ K m tʰ/ (za / ⸗kan / ⸗mu / ⸗tta/ ⸗nas) : {nu⸗war⸗ʧ⸗Kan} → nu-wa-za-kán HKM 6 : 5 (MH) ; (iii) rarement, devant un enclitique subséquent débutant par /a/ : {⸗war⸗as} → -wa-as HKM 6 : 9, (MH) ; {⸗war⸗asTa} → -wa-as-ta KUB 34.53 Ro 2 (MH). 50  Pour des parallèles dans les langues slaves, Franks & King 2000 : 348sq. 51  Le CHD L-N 143, se borne à relever que « The particle is often enclitic, while the conj. ‘if’ is never enclitic ». Il n’existe pas, à ma connaissance de traitement détaillé de la question. Sur ce double statut (qui est celui de du pronom lui en français dans tu⸗le⸗lui⸗donnes et dans lui, il⸗viendra), voir Aikhenvald 2002 : 54 ; 52  Sur les emplois de ⸗war, voir Pecora 1984, Fortson 1988.

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9.11.4 Pronoms interlocutifs Les pronoms enclitiques interlocutifs, à la différence des interlocutifs aclitiques ou des clitiques délocutifs, ne forment pas un paradigme (on ne considère pas ⸗smas « vous » / ⸗nas « nous » comme des formes qui ne se distingueraient de « tu » et de « je » par le nombre seulement) ; leur emploi syncrétise en une seule forme les rôles de patient et de destinataire distingués dans les flexions des pronoms délocutifs et des noms par des cas distincts. Au singulier, les pronoms 1sg. et 2 sg. font alterner des variantes fondées sur une même élimination de la voyelle dans la forme ⸗CV dans des contextes cependant différents : (1) Première personne. – Le pronom 1sg. fait alterner ⸗mu / ⸗m en fonction du contexte de droite : – devant tout enclitique à ⸗V … initiale, en l’espèce : devant ⸗apa et ⸗asta, le pronom est écrit ⸗m : {nu⸗mu⸗asTa} → nu-ma-as-ta KUB 36.75 iii 12 (VH/mh) ; {anTa⸗mu⸗aPa} → an-da-ma-pa KBo 3.7 i 13 (VH/nh) ; – partout ailleurs, en l’espèce : en fin de mot, souvent devant ⸗za ou ⸗kan, plus rarement devant ⸗san, le pronom est écrit ⸗mu. On ne tient pas compte de zik⸗mu⸗ma⸗za KUB 31.127 iii 19, où le scribe a ajouté par erreur ⸗ma⸗za au-dessus de la ligne. Les variantes ⸗mu : ⸗mmu n’ont pas de signification phonétique (§ 9.3.2(2)). (2) Deuxième personne. – Le pronom 2sg. fait alterner ⸗tta avec ⸗ddu. La sélection des variantes est conditionnée par le contexte de droite : – devant l’intensifieur {⸗ʧ} ⸗za et l’adverbe {⸗san}, le pronom est écrit ⸗ddu, plus rarement ⸗ttu ; – partout ailleurs (en l’espèce : devant ⸗kan ou en fin de mot), il est écrit ⸗tta : Vt-ta (-da) derrière voyelle, nu-ut-ta (VH), C-ta (-da) derrière consonne : ma-ah-ha-an⸗ta HKM 14 : 3 (MH), ke-e-ez⸗ta KBo 4.3+ i 17 (NH), etc), plus rarement ⸗dda : (55) a. KUB 7.5 i 19-20 (MH?/nh) nu⸗ddu⸗za paizzi DINGIR-LAM DÙ-zi … conn.⸗2sg.⸗intens. aller-3sg. dieu-sien faire-3sg. nu⸗tta É-er pāi conn.⸗2sg. maison-dir. donner-3sg. « il fera de toi (litt. ‘te fera’) sa divinité personnelle … ; il te donnera un temple » La règle se disloque dès le moyen hittite, par exemple, à quelques lignes de distance, dans l’Hymne à Adad, texte transmis par des tablettes récentes53 : 53  La datation du texte comme de la tablette KBo 3.21 est controversée.

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(56) KBo 3.21 (VH?/nh – Archi, Orientalia 52, 1983 : 24) iii 10 : lissi⸗ma⸗ddu [!] warasnuandu iii 12-13 : lissi⸗ma⸗tta warasnuandu foie-loc.⸗conj.⸗ 2sg.acc.-dat. appaiser-3pl.opt. « qu’ils t’appaisent au foie » Le pronom 2sg. n’est pas susceptible de se trouver devant un enclitique à voyelle initiale (les adverbes ⸗asta, ⸗apa et ⸗an ne semblent pas attestés dans cette configuration). La graphie ⸗tta soulève un problème qui, jusqu’à présent, ne semble pas avoir été pris en considération : l’écriture de cette forme repose, invariablement, sur l’utilisation du signe -ta (-da) en finale, éventuellement précédé d’un signe … t (… d). Or, l’emploi de ce signe en fin de mot, n’indique pas nécessairement la présence d’une voyelle, comme le montre, par exemple, la graphie occasionnellement -se-ta KUB 36.110 Vo 6, du possessif {⸗seT} (sur les voyelles factices, voir § 3.3). La question se pose donc de l’interprétation phonétique de la graphie ⸗tta (⸗dda), autrement dit, du caractère soit qualitatif {⸗tʰu : ⸗tʰa}, soit quantitatif {⸗tʰu : ⸗tʰ} de l’alternance. Une interprétation avocalique des graphies ⸗tta semble accréditée par certains indices : – une prévention de séquences {⸗tʰa⸗ʧ}, {⸗tʰa⸗san} n’aurait pas de motivation phonétique, alors qu’un évitement de *{⸗tʰ⸗ʧ} en coda homosyllabique répond à la règle d’antihomophonie des plosives coronales (§ 8.2) et celle de *{⸗tʰ⸗san} à une prévention de la confusion avec les combinaisons de type {⸗ʧ} + adv. {⸗an} (§ 9.11.8) ou {⸗ʧ} + adv. {⸗san} (§ 9.10.5). La plosive finale de 3sg. inan. ⸗at (dont les propriétés de voisement sont a priori indiscernables) peut, en revanche, être suivie de {⸗ʧ} ou de {⸗se} car la forme VC du clitique écarte toute possibilité de confusion, chacune des deux coronales ayant pour noyau des syllabes différentes ; – la phonotactique du hittite admet une syllabe /tʰu/ en fin de mot (ta« prendre » → 3sg. imp. da-ad-du, NH), de même que d’une syllabe /Kan/ précédée de /u/ (taluk- « long » → acc. sg. ta-lu-kán, NH), alors que des séquences */tʰʧ #/ ou */tʰsan #/ en coda finale ne sont pas attestées : les thèmes nominaux en plosive coronale {… T-} ont systématiquement recours à la variante {-aʧ} du morphème d’ablatif, kutt- « muraille » → ku-utta-az (MH), etc. ; – les enclitiques à /⸗V/ initiale ⸗apa, ⸗an ou ⸗asta sont bien documentés derrière le pronom 1sg. ⸗mu, mais ne sont pas attestés derrière le pronom 2sg ⸗tta. Si l’on considère que l’effacement des voyelles finales par un clitique subséquent à V⸗ initiale aurait comme conséquence de neutraliser la

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distinction entre les deux variantes *{⸗tʰu⸗aba} et *{⸗tʰa⸗aba} au profit d’une réalisation unique *[tʰaba], on peut apprécier la prohibition de 2sg. + ⸗apa ou ⸗asta comme un moyen d’éviter un processus qui conduirait *{⸗tʰu} ou, hypothétiquement, *{⸗tʰa} à être confondus avec une variante [⸗tʰ] neutralisant la distinction des deux variantes ; – le pronom ⸗at est souvent suivi de 1sg. ⸗mu ou de 3sg. ⸗se → ⸗si, mais jamais de 2sg. ⸗tta. La prévention de *{⸗aT⸗tʰ} répond normalement à la règle prohibant la succession de clitiques qui ne seraient pas séparés par une fontière syllabique (§ 9.20.5), alors qu’une prévention de *{⸗aT⸗tʰa} n’aurait aucune explication phonétique, les deux noyaux vocaliques étant à même d’identifier la combinaison des deux enclitiques. A partir du moyen hittite, derrière nu⸗, les séquences ⸗at⸗tta (3sg. U ou P, indiff. au genre + 2sg. dat.) dont on s’attendrait à ce qu’elles fussent écrites *na-at-ta, exactement comme l’opérateur de négation natta, sont écrites ne-et-ta (HKM 64 : 24, MH ; KUB 19.6+ iii 74, NH), avec un pronom ⸗e (3pl. U ou P inan, U anim.) normalement éliminé de l’usage à ce stade d’évolution (voir Hoffner 2010 : § 150) ; – la morphologie des clitiques ne connaît pas d’alternances fondées sur un rapport {u : a}, alors qu’un rapport {u : ∅} est parallèle à celui dont fait preuve le pronom 1sg. ⸗mu : ⸗m (§ 9.11.5). Il paraît donc vraisemblable de tenir que le pronom clitique 2sg. repose sur une alternance {⸗tʰu : ⸗tʰ} plus probablement que sur {⸗tʰu : ⸗tʰa}. On peut certes objecter à cette conception que pour représenter {nu⸗tʰ}, une graphie *nu-ut serait plus simple que nu-ut-ta, mais ce serait négliger que {⸗tʰ} est une variante de {⸗tʰu} (et non l’inverse) et qu’à ce titre, il paraît naturel que la graphie préserve le caractère distinctif de la plosive en position intervocalique, quitte à introduire une voyelle factice. La graphie de watru- « source » → dir. {watʰru-} peut être wa-at-ta-ru KUB 31.143a + VBoT 124 iii 21 (VH), aussi bien que wa-atru KBo 40.34 : 5 (MH). 9.11.5 Pronoms délocutifs au datif (1) Singulier. – En vieux hittite, le vocalisme du pronom délocutif datif singulier (indifférent au genre) est régulièrement /⸗se/ par opposition à celle du déterminant possessif dat.-loc. 3sg. qui est régulièrement /⸗si/ (Otten & Souček 1969 : 56). La distinction se brouille dans les strates ultérieures avec l’élimination des possessifs et l’extension subséquente des graphies /⸗si/ du pronom, notamment dans les copies tardives de textes anciens, par ex. {Peri⸗si⸗si} → É-ri-is-si-is-si KBo 3.1 ii 54 (VH/nh) « contre sa maison à lui ». La domination de la graphie géminée ⸗sse → ⸗ssi sur la graphie simple à toutes les époques est linguistiquement insignifiante.

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(2) Pluriel. – Une même forme ⸗smas sert (1) de datif (indifférent au genre) des pronoms délocutifs pluriel ; (2) de datif-accusatif des pronoms. interlocutifs 2pl. et (3) de datif-locatif aux déterminants possessifs 2/3pl. (sur ce dernier emploi, voir Neu 1983 : 172 n. 517). Hormis leur placement, aucun autre critère formel ne distingue ces formes entre elles. 9.11.6 Pronoms délocutifs aux autres cas Les pronoms ⸗us (patient animé pluriel) et ⸗e (participant intransitif pluriel indifférent au genre ou patient pluriel inanimé) tendent à sortir de l’usage à partir du moyen hittite et voient leurs emplois respectivement relayés par ⸗as, anciennement limité au participant animé singulier, et par ⸗at, anciennement limité au participant intransitif et au patient inanimé singulier. (1) Tout comme 2sg. ⸗tta / ⸗ddu, le pronom ⸗e n’est jamais suivi par un clitique à voyelle initiale ⸗apa, ⸗an, ou ⸗asta. Cette évitement traduit vraisemblablement le déclenchement de la règle d’effacement de la voyelle par un enclitique subséquent à ⸗V initiale qui, en l’espèce, produirait à une élimination complète du mot. Le pronom ⸗e efface la voyelle finale d’un clitique antécédent chaque fois que celle-ci est effacable et n’est jamais écrit *⸗i. (2) Les formes du pronom délocutif ⸗as (nom. sg.), ⸗an (acc. sg.), ⸗at (dir.) sont normalement écrites C⸗V-VC derrière consonne et ⸗VC derrière voyelle : {nu⸗aT⸗se/i⸗aT⸗Kan} na-at-si-at-ká[n] KUB 21.17 ii 20 (NH) ; une graphie telle que {Hasus⸗aT⸗ʧ} → LUGAL-us-at-za Bo 86/299 iv 23 (NH) (*LUGAL-us-sa-atza) est exceptionnelle. 9.11.7 L’intensifieur subjectal ⸗za L’enclitique ⸗za, est un intensifieur stipulant une emphase portée sur le sujet syntaxique (sur les intensifieurs, voir Gast 2006). Comme cette caractérisation n’a pas encore été, sinon reconnue, du moins explicitée dans les études, par ailleurs nombreuses, consacrée à la cette forme54, et qu’elle est cruciale pour justifier le caractère monotypique de ⸗za, donc ses interactions avec d’autres clitiques, on commencera par exposer les raisons qui motivent cette identification. (1) L’intensification du sujet. – La portée que revêt l’utilisation de ⸗za est mise en évidence dans le contraste reflété par les constructions (57) :

54  De tous les clitiques du hittite, ⸗za est celui qui a suscité le plus d’études particulières : Carruba 1969 : 39-46, Hoffner 1969, Boley 1993, Oettinger 1997, Jørgensen 2003, Tischler 2014, Josephson 2003, Cotticelli-Kurras & Rizza 2011.

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(57) a. KBo 5.3 i 38 (NH) nu⸗tta dUTU-ŠI⸗ya assuli pahhashi conn.⸗2sg.acc. souverain-sien⸗coord. avec bonté protéger-1sg.act. (tu ne dois reconnaître aucun autre souverain que moi) « et moi, sa majesté, je te protègerai avec bienveillance » b. KUB 29.1 i 18-19 (VH/nh) nu⸗za LUGAL-us⸗sa utne⸗met conn.⸗intens. roi-nom.⸗coord. pays-dir.⸗poss.1sg. É-ir⸗mit⸗ta pahhasmi maison-dir.⸗poss.1sg.⸗coord. protéger-1sg.act. (les dieux m’ont confié, comme roi, mon pays et ma maisonnée) « et moi, (en tant que) roi, je protègerai mon pays et ma maisonnée » Le nom-sujet dans la construction incluant ⸗za (57b), donne lieu, par comparaison avec la construction similaire formée sans ⸗za (57a), à une emphase que l’on peut paraphraser par « N [sujet] satisfait à la totalité des propriétés sémantiques conventionnellement associées au fait de ‘être-N’ », d’où, par extension évaluative : « N est N par excellence », ou, par inversion des polarités, « N n’est rien d’autre que N »55 : (58) KUB 19.29 iv 16 (NH) zik⸗ma⸗wa⸗za DUMU-as nu⸗wa UL kuitki 2sg.nom⸗advers.⸗quot.⸗intens. enfant-nom. conn.⸗quot. nég. indéf. sakti savoir-2sg. (un souverain hostile écrit à Mursili II :) « mais tu es un enfant et tu ne sais rien » (2) Les constructions réfléchies. – L’appartenance de ⸗za à la catégorie des intensifieurs n’a pas encore été reconnue parce qu’à la suite d’une analyse étymologique (par ailleurs, fautive) remontant à Götze & Pedersen, la question du statut de ⸗za a été engagée et est demeuré enfermée dans une problématique faisant de ce clitique un outil de réflexivité56. L’approche faisant de ⸗za une « particule réfléchie » dérive de ce que l’emploi de cet opérateur va de pair, 55  Sur l’emploi particulièrement fréquent de ⸗za dans les constructions essives impliquant les participants du discours à partir du moyen-hittite, voir Hoffner 1969 (avec une interprétation différente de celle qui est ici proposée). 56  Götze & Pedersen 1934 : 38, Goetze 1938 : 125, Pedersen 1938 : § 60.

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dans certains contextes, avec une interprétation réfléchie de la construction où il figure : (59) KUB 15.36 Ro 18-19 (NH) nu⸗za dUTU-ŠI apiedani UD-ti warapta conn.⸗intens. soleil-mien dém.-loc. jour-loc. baigner-3sg.prét.act. « ce jour-là, sa majesté (‘mon soleil’) s’est baigné » Le recours à ⸗za n’est toutefois pas indispensable à la formation d’une relation réfléchie : de même qu’une construction peut inclure ⸗za sans être réfléchie (57b), une construction peut être réfléchie en l’absence de ⸗za. Le caractère réfléchi ou non réfléchi des constructions du sarra- « diviser, séparer, répartir », par exemple, ne dépend nullement de la présence ou de l’absence de ⸗za, mais de la flexion moyenne (60a) ou active (60b) dans laquelle le verbe est conjugué : (60) a. KBo 5.6 i 22-23 (NH) namma⸗as arha sarrattari ensuite⸗3pl.nom. adv. séparer-3sg.prét.my. (les troupes ennemies arrivèrent à la nuit) « ensuite, elles se séparèrent » b. KBo 3.4 ii 52-53 (NH) DUMU.MEŠ-ŠU[NU]⸗ma⸗za arha sarrandat fils-siens⸗advers.⸗intens. adv. séparer-3pl.prét.my. « mais ses fils se séparèrent » ( : l’un alla à tel endroit, l’autre à tel autre endroit, etc.) (61) a. KUB 27.68 i 10 (NH) n⸗an [DINGIR.MEŠ-as] hazziwias pēdas conn.⸗3sg.acc. [dieu-gén.pl.] culte-gén. lieu-dat.pl. sarrai séparer-3sg.prés.act. (il brise un pain) « et le répartit entre les lieux de culte des dieux » b. KUB 26.43 Ro 4 (NH), KBo 22.55 Ro 5 (NH) [mS]ahurunuwas⸗za GAL NA.GADA ANA S.-nom.⸗intens. chef à DUMU.MEŠ-ŠU É-ŠU kisan sar[r(as)] enfants-siens patrimoine-sien ainsi séparer-3sg.prét.act. « Sahurunuwa, le chef NA.GADA, répartit comme suit son bien entre ses enfants »

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A côté du recours à ⸗za ou à la flexion moyenne, une relation réfléchie peut encore, quoique plus rarement, et seulement à partir des textes de la période moyenne, être formée au moyen d’un pronom co-référé à l’agent dans le rôle de patient : (62) KUB 16.16 Ro 26-27 (NH – van den Hout, Purity 140) warpanzi⸗ma⸗wa⸗smas ŪL laver-3pl.⸗adv.⸗quot.⸗3pl.acc./dat. nég. (les femmes-dammara sont appelées au temple) « mais elles ne se baignent pas » Il existe encore une autre possibilité de construire une relation réfléchie, beaucoup plus rare que les précédentes, consistant à utiliser le nom d’une partie du corps combinée avec un possessif co-référé au sujet dans le rôle de patient d’une construction transitive incluant ⸗za. Le nom harsar- (= SAG[.DU]) « tête » est bien attesté dans ce rôle : (63) KUB 13.9 ii 3-4 (MH/nh) mān eshanas⸗a kuiski sarnikzil piyan quand sang-gén.⸗advers. indéf.nom. compensation donner-ptcp. harzi nu⸗za⸗ta SAG.DU-ZU wasta avoir-3sg. conn.⸗intens.⸗2sg.dat. tête-sienne acheter-3sg.prét. « mais quand quelqu’un a donné la compensation du sang (= payé pour le meurtre commis), et qu’il s’est racheté par devers toi » (litt. ‘il a acheté sa tête à toi’) Ce passage a suscité diverses conjectures avant que Melchert (ap. Westbrook & Woodard 1990 : 644-645) la reconnaisse comme une relation réfléchie « he has puchased himself from you ». La désignation du « coeur » peut aussi être utilisée à la même fin, de même que celle de l’« esprit » : (64) KBo 22.2 Ro 13-14 (VH) nu⸗zza DUMU.NITA.MEŠ karti⸗smi peran conn.⸗intens. enfants coeur-dat.-loc.⸗poss. devant mēmir parler-3pl.prét. « les enfants se dirent à eux-mêmes … » (litt. ‘parlèrent devant leur coeur’) De façon significative, la métaphore corporelle peut, tout comme ⸗za, susciter une emploi intensifieur :

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(65) KBo 3.1 ii 59 (VH/nh) kin[una m]ān DUMU.LUGAL kuiski wastai maitenant si prince indéf.-nom. fauter-3sg. nu SAG.DU-az⸗pat sarnikdu conn. tête-abl.⸗ips. réparer-3sg.opt.act. « maintenant, si un prince commet une faute, qu’il répare lui-même ! » (litt. ‘de sa propre tête’) Le recours aux parties du corps ou à une désignation de la « personne » (comp. KUB 36.12 i 18-19 + KUB 33.113 i 5-6), qui est aussi une acception possible de harsar- « tête » en hittite (Kammenhuber 1964/1965) pour former une emphase aussi bien qu’une relation réfléchie est un procédé largement répandu dans les langues, mais peu fréquent dans les langues indo-européennes anciennes, hormis en indo-iranien (sur les emplois de tanū́- « corps » et de ātmán- « âme, esprit » en sanscrit, voir, en dernier lieu, Kulikov 2007)57. Comme l’indique ce bref récapitulatif, le hittite fait partie des langues dans lesquelles la formation d’une relation réfléchie peut reposer sur divers procédés dont chacun est utilisable en dehors des constructions réfléchies. Il paraît vraisemblable d’estimer qu’en hittite comme dans beaucoup de langues où il n’existe pas de mécanisme morpho-syntaxique spécialisé dans la réflexivité, la sélection d’un procédé plutôt que d’un autre dépend des aptitudes de l’agent à prendre l’initiative d’un procès en fonction du degré d’affectation du patient auquel il s’assimile (voir, sur ce point, König & Vezzosi 2004). Par exemple, un verbe extroverse comme sarra- « diviser » demande un changement de diathèse flexionnelle, alors que les verbes introverses du type de warp« baigner, laver » ou was- « acheter » demandent ⸗za ou ⸗smas sans requérir une variation de diathèse, du moins pas obligatoirement (voir plus en détails, Faltz 1985[1977], Smith 2004). Quoi qu’il en soit, la conclusion qui s’impose est qu’il n’existe, en hittite, aucun procédé exclusivement spécialisé dans la réflexivité, donc aucun indice formel qu’on pourrait qualifier de réfléchi. (3) Conditions de possibilité des relations réfléchies. – L’interprétation réfléchie d’une construction résulte, fondamentalement, de ce que l’agent d’une construction institue envers lui-même une interaction sémantiquement similaire à celle qu’il entretiendrait envers un patient référentiellement disjoint. 57  Les philologues s’en tiennent généralement à une interprétation littérale : »soll er nur mit dem Kopf büßen » (Hoffmann 1984 : 37), « he shall pay with (his) own head » (van den Hout, ap. Hallo & Lawson 1997 : 197) ; voir encore KBo 3.1 ii 51 (VH/nh), KUB 21.19 ii 15 (NH).

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C’est la relation illustrée, par exemple, dans (66) où, dans un processus de purification, le prêtre est assimilé au patient implicite dans la construction intransitive avec ⸗za, mais modifie l’état d’un patient explicite dans une construction transitive sans ⸗za : (66) KUB 17.35 i 17 (MH/nh) LÚSANGA⸗za ŠE+NÁG-zi # DINGIR-LUM ŠE+NÁG-zi prêtre⸗intens. laver-3sg. # divinité-acc. laver-3sg. (lors de la fête, on procède à des lustrations ;) « le prêtre se lave ; # (puis) il lave la divinité » Pour que l’utilisation de ⸗za, celle des affixes de la flexion moyenne, de pronoms co-référés, ou celle du lexème « tête » impose une interprétation réfléchie, il est donc nécessaire qu’une condition sémantique s’amalgame à une condition syntaxique : que, dans l’univers référentiel institué par le verbe prédicatif, les propriétés sémantiques de l’agent soit assimilables à celle d’un patient et que la construction soit, au plan syntaxique, dépourvue de patient explicite (sauf quand « sa tête » est co-référé à l’agent). Quand ces conditions ne sont pas réunies, soit parce que le verbe est intransitif, comme sai- « être en colère, devenir furieux » (67), soit parce son sémantisme ne permet pas d’identifier l’agent à un patient virtuel, comme avec mald« prier, invoquer, réciter » (68), la présence de ⸗za dans une construction intransitive se limite à indiquer une emphase portée sur les propriétés sémanticoréférentielles du constituant sujet : (67) KBo 10.45 i 49 (MH/nh?), KUB 41.8 i 30, 729/t i 15 nu⸗za ser nepis sā[(it)] conn.⸗intens. dessus ciel-nom. être en colère-3sg.prét. « en haut, le Ciel était en colère » (68) KUB 5.6 i 33 (NH) nu⸗za⸗kan karū maltas conn.⸗intens.⸗adv. auparavant prier-3sg.prét. « il (le roi) a déjà prié » L’emploi de ⸗za dans les constructions transitives où toute assimilation référentielle de l’agent à un patient est impossible produit pareillement le même effet intensifieur :

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(69) KBo 3.7 i 11, KUB 36.54 i 2, KBo 12.83 i 7 (VH/nh) MUŠIluyankas dIM-an nu⸗za taruhta conn.⸗intens. I.-nom. dieu de l’orage-acc. vaincre-3sg.prét. « Illuyanka vainquit le dieu le l’orage » De façon significative, les constructions de ce type sont particulièrement fréquentes avec un sujet animé : « le Ciel » (en tant qu’il est Ciel), le roi (en tant qu’il est roi)… », etc. Comme le montrent des constructions identiquement formées au plan syntaxique comme (59) et (66) d’une part, (67) et (68), de l’autre, l’interprétation réfléchie des constructions avec ⸗za dérive des relations conventionnellement présupposées par le sémantisme du verbe, en démontrant que ⸗za ne présente non seulement aucune propriété « réfléchie », mais aucune propriété qui pourrait l’assimiler à un opérateur morpho-syntaxique. (4) Intensification, co-référentialité et réflexivité. – La question d’une délimitation des différents procédés de réflexivation mise à part, il est évident que du moment où ⸗za peut être utilisé dans des constructions qui ne sont pas réfléchies, alors que des construction réfléchies peuvent être formées sans ⸗za, rien ne justifie de reconnaître cet opérateur comme une « particule de réfléchi »58. Pour identifier le rôle dévolu à ⸗za dans les relations réfléchies, on doit, à l’inverse, partir de l’intensification et, plus particulièrement, du fait que cette emphase porte sur le constituant sujet59, à défaut, sur un dépendant possédé dont le possesseur est sujet (sur ce point, voir Hoffner 1973a : 523sq.) : (70) KUB 13.4 iii 25-26 (MH/nh – Miller, Instructions 256) ammuk⸗wa⸗za É.DINGIR-LIM-YA pahhashi 1sg.nom⸗quot.⸗intens. temple-mien protéger-1sg. « je protège(rai) mon temple » (je suis le gardien officiel) Or, il est, de façon générale, banal dans les langues qu’une emphase du sujet impose une relation de co-référentialité (comparer, en français, le rôle de même dans ilₓ pense à lui [‘lui’ = n’importe quel référent, y compris celui auquel

58   L’analyse conduisant Yakubovich 2006, 2009a, chap. 4, à juger que ⸗za serait un « pronom réfléchi » est, à tous égards, confuse. 59  Ce point a été indépendamment établi par Carruba 1969 : 50, et par Hoffner 1969 : 521. – Agbayani & Golston 2012 : 7, pour leur part, voient dans ⸗za un modifieur du « verbe principal » [sic], tout en estimant que cette relation est sémantiquement indiscernable : « The reflexive and local particles are tightly bound to the main verb in Hittite, so much so that it is often not clear exactly what they contribute to the semantics of the clause ».

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se réfère ‘il’] face à ilₓ pense à lui-mêmeₓ [‘lui’ = ‘il’ à l’exclusion de tout autre référent]). Une des conditions de la réflexivité linguistique étant, précisément, l’existence d’une relation de co-référence entre un agent et un patient, l’emphatisation du sujet est le procédé utilisé dans de nombreuses langues pour bâtir une relation réfléchie, laquelle, en retour, peut constituer un procédé spécialisé dans l’emphatisation du sujet60. Telle est la situation du hittite : l’opérateur ⸗za fait porter une emphase sur le sujet / agent quand le contenu prédicatif ou caractère transitif de la construction ne permet aucune identification de l’agent au patient, emphase qui, dans les constructions intransitives, quand le sémantisme du prédicat s’y prête, génère une relation réfléchie du fait de l’assimilation référentielle du sujet / agent au patient/ objet dont la position syntaxique est laissée vide61. La syntaxe d’un verbe ambitransitif bien documenté comme arr- « laver » illustre le mécanisme : dans les construction transitives, le sujet n’est jamais intensifié par ⸗za (71), alors que dans les construction intransitives, il l’est régulièrement en créant systématiquement une relation réfléchie (72) : (71) KBo 17.1 i 15, KBo 17.3 i 10 (VH) LUGAL-us 3-ŠU aīs⸗set ārri roi-nom. 3-fois bouche-dir.⸗1sg.poss. laver-3sg. « le roi lave sa bouche trois fois » (72) KBo 5.2 iii 59 (MH/nh) nu⸗za sihelliyas uitenit ārri conn.⸗intens. purification-gén. eau-instr. laver-3sg. « il se lave avec de l’eau de purification » Il n’existe pas de construction intransitives avec arr- dont le sujet ne serait pas intensifié par ⸗za (voir HW ² I : 224-238, Puhvel HED I : 111-115). Au plan syntaxique, la construction du verbe arr- ne réclame donc pas nécessairement un objet, mais, au plan sémantique, elle exige un patient, ce qui se traduit, dans les contructions intransitives, par une emphatisation systématique du sujet, ce procédé étant la condition pour que le patient trouve un référent : « il lave (x) » face à « ilemphat. lave (x = il) » → « il se lave ». 60  Sur les relations entre l’intensification et la réflexivité, voir Leskosky 1972, Edmondson & Plank 1978 : 407sq., König & Siemund 2000, Ljutikova 2002. 61  La même analyse s’applique aux constructions réciproques de type « A et B conclurent (litt. ‘firent’) un traité (ishiul iēr) » KUB 30.42+ iv 15-18 (NH).

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La seule originalité dont fait preuve la formation du réfléchi hittite est que l’intensifieur subjectal ⸗za est formellement invariant, alors que, le plus souvent, les formes intensificatrices co-varient avec le sujet (comme dans (62), supra). (5) Co-référence agent-destinataire. – Dans les constructions transitives utilisant un verbe trivalent, l’emploi ⸗za met en évidence un mécanisme similaire, à ceci près que le sujet devient co-référable non plus au patient, devenu explicite, mais au destinataire laissé implicite ; le rapport « N agit sur X à l’intention de (x) » devient « N agit sur X à l’intention de (x = N) », ce que montre, par exemple (73), où l’insertion de ⸗za dans une construction « N dissimule X » signifie « N dissimule X au profit de N » : (73) KUB 13.4 iv 18-19 (NH) nu taksan sarran mematteni conn. moitié-dir dire-2pl. taksan sarran⸗ma⸗za⸗kan anda sannatteni moitié-dir.⸗advers.⸗intens.⸗adv. dedans cacher-2pl. (au moment de remplir les silos du dieu avec les récoltes) « vous déclarez une moitié, mais vous dissimulez (l’autre) moitié » (sous-entendu : pour vous) D’un point de vue syntaxique, dans les constructions intransitives avec verbe ambitransitif, ⸗za suscite une interprétation réfléchie dans laquelle le sujet s’assimile à un patient virtuel, tandis que dans les constructions transitives avec verbe trivalent (transitif ou ambitransitif) dépourvues d’attributaire, ⸗za suscite une assimilation du sujet au destinataire non spécifié (pratiquement toutes les disposition du Code énoncant le droit d’un personne lésée à récupérer quelque chose sont formée au moyen de ⸗za da- « pendre pour soi »). (6) Incidences sur le sémantisme verbal. – Quand une interprétation réfléchie des construction incluant ⸗za est impossible, soit parce que le verbe est intransitif (kis- « devenir », ēs- « être assis », etc.), soit parce que, bien qu’ambitransitif, ses arguments ne peuvent être mis en relation équipotente (iya- « accomplir, faire », malt- « réciter », etc.), l’emphase subjectale manifestée par ⸗za suscite une acception sémantiquement différenciée non pas du lexème verbal, mais de la relation prédicative. C’est notamment le cas avec nahh- « avoir peur / prendre peur », kis « se produire / devenir (quelque chose) », etc. Par suite, des verbes dont l’emploi est conventionnellement homosémique avec une emphatisation du sujet, tels que, par exemple, tarh- « vaincre » dans les récits de combats, favorisent l’attraction de ⸗za (voir (69), ci-dessus). Le nombre des arguments syntaxiques n’étant pas modifié selon que ⸗za soit présent ou absent,

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il n’y a aucun rasion d’apprécier ces variations en termes de changements de valence ou de transitivité, ainsi que le font certains spécialistes62. (7) Conclusion. – L’emphatisation des propriétés sémantiques du référent subjectal stipulée par ⸗za justifie que, quand certaines conditions sémantiques et syntaxiques sont réunies, cet opérateur soit utilisé pour manifester une relation de co-référence entre le sujet d’une construction syntaxiquement intransitive et la position d’agent en conduisant, entre autres conséquence, à une interprétation réfléchie de la construction. La digression à laquelle on vient de se livrer est sans rapport avec la phonologie, mais elle est nécessaire pour justifier le fait que ⸗za est un enclitique monotopique, alors que si cet enclitique avait été un opérateur spécialisé dans la réflexivité, il aurait nécessairement été syntopique du terme réflexivisé, donc utilisé dans des contextes phonologiques différents. (8) Forme et graphie. – L’étude de Kühne (1988) a montré que l’écriture de l’intensifieur est, régulièrement, -za ou -Vz (rarement -Vz-za) derrière voyelle et -za derrière consonne (jamais -az). En vieux hittite, par exemple, la représentation de la combinaison fréquente {nu⸗ʧ} (connecteur + intensifieur) est, le plus souvent, nu-za KBo 17.22 iii 5 (VH), moins souvent, nu-uz KBo 25.55 i 10 (VH), rarement nu-uz-za KBo 6.2 ii 32 (VH). (9) Interaction avec le contexte. – L’intensifieur est compatible, dans un même agrégat, avec tous les enclitiques, l’identifiant d’ipséité ⸗pat excepté (mais ⸗za et ⸗pat peuvent être conjointement référés au même sujet d’une construction donnée, comme dans (51), supra). Toutes les consonnes phonologiquement homorganique sont admises devant {⸗ʧ} sans déclencher de mécanismes particuliers : {nu⸗us⸗ʧ} → nu-us-za KBo 17.59 + 25.99 Vo 5 (VH), {⸗nas⸗ʧ} → ku-ú-sa-an-na-as-za KBo 6.2 iii 17 (VH), {nu⸗as⸗ʧ} → na-as-za HKM 63 : 23 (MH). Les séquences phonétiques de type [plosive coronale + affriquée], normalement prohibées dans l’affixation (§ 8.2.1) sont licites dans la cliticisation : {nu⸗aT⸗ʧ} → na-at-za KBo 16.47 Ro 3 (MH) ; {nu⸗aT⸗ʧ⸗san} → na-at-za-an KBo 15.36 iii 4-5 (MH ?), {KʷiT⸗ʧ} → ku-itza KUB 21.38 Vo 13 (NH), {Para⸗batʰ⸗ʧ} → pa-ra-a-pát-za KUB 13.4 ii 39 (NH) ; {ʧiK⸗batʰ⸗ʧ} → [zi]k-pát-za KUB 24.3 i 39 (NH), etc. Les seuls clitiques susceptibles de se trouver à la suite de ⸗za sont : les adverbes {nu⸗ʧ⸗Kan} → nu-za-kán KUB 31.143 ii 8 (VH), {nu⸗ʧ⸗aba} → nu-za-pa

62  La conception de Hoffner 1973a : 524-526, Hoffner & Melchert 2008 : 361, selon qui ⸗za serait une « transitivity toggle » est infondée ; l’unique critère à même de différencier une construction transitive d’une construction intransitive est la présence ou l’absence de patient.

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KUB 36.110 Vo 9 (VH), ainsi que, dans la langue tardive, les pronoms redoublés {nu⸗an⸗ʧ⸗an} → na-an-za-an KBo 14.3 iv 30 (NH). 9.11.8 Adverbe ⸗an L’emploi de l’adverbe ⸗an, appuyant une localisation dirigée vers l’intérieur, souvent en combinaison avec anda, est propre à la langue ancienne où son emploi est, au demeurant, rare (Otten & Souček 1969 : 81-82, Carruba 1970b, HW² I, 1975 : 69-70, Oshiro 1992). L’adverbe ⸗an est généralement remplacé par ⸗kan ou par ⸗san dans les copies tardives : {nu⸗se⸗an} nu-us-se-an KBo 6.2 iv 10 (VH) est dupliquée par {nu⸗si⸗Kan} nu-us-si-kán KBo 6.3 iv 3 (VH/nh). Derrière voyelle, cet adverbe n’est attesté que dans le passage qui vient d’être mentionné ; derrière consonne, la graphie semble être toujours -an ou … a-an : {nu⸗ʧ⸗an} → nu-za-an KBo 6.2 i 17 (VH) (dupliqué par nu-za-kán), avec, toutefois, une certaine part d’équivoque puisque … za-an peut aussi recouvrir {…⸗ʧ⸗san} (§ 9.10.5). 9.11.9 Adverbe ⸗apa L’emploi de ⸗apa (rarement ⸗aba) appuyant une localisation associant des entités en direction d’un point de référence donné tend, comme ⸗an, à sortir de l’usage dans les textes tardifs (voir HW ² I, 125-130, Rieken 2004). Les scribes de deux tablettes tardives, KBo 3.60 et KUB 15.31, écrivent l’enclitique sans voyelle finale : (74) a. {su⸗us⸗aba} → su-sa-ap KBo 3.60 iii 3 (VH/nh) {su⸗an⸗aba} → sa-na-ap KBo 3.60 ii 3, 5, 18 ; iii 9 b. {nu⸗us⸗aba} → nu-sa-pa KUB 1.16 ii 24 (VH/nh) {nu⸗aT⸗aba} → na-ta-pa KUB 43.36 Vo 5 Voir encore {uliɣies⸗ma⸗aba} → ú-li-hi-es-ma-ap KUB 15.31 i 6 (MH/nh). L’interprétation de ces témoignages est malaisée : les conditions de leur attestation ne permettent pas de supposer que les graphies ⸗apa recouvriraient régulièrement /⸗ab/, mais la sélection de ap plutôt que de pa n’étant pas imputable au hasard ou à une erreur, on peut admettre, sinon une tendance à éliminer le /a/ final, du moins, la possibilité d’une réalisation plus ou moins libre [ab]. Derrière consonne, l’adverbe est normalement écrit … a-pa : cf. {nu⸗ʧ⸗aba} → nu-za-pa KBo 19.92 : 7 ; {nu⸗us⸗aba} → nu-sa-pa KUB 1.16 ii 24 (VH/nh), etc. Derrière le pronom 3sg. dat. ⸗se, la voyelle initiale est effacée : {nu⸗se⸗aba} → nu-us-se-pa KUB 36.110 Vo 11 (VH).

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9.11.10 Adverbe ⸗asta L’adverbe ⸗asta (sur lequel, voir l’article aux dimensions monographique du HW² I, 426-491) désigne ou accompagne des orientations divergentes à partir d’un point de référence, souvent en combinaison avec parā ou arha. Son emploi décroît notablement en hittite tardif, sans toutefois sortir complètement de l’usage comme ⸗an ou ⸗apa. La graphie … s-ta ne se rencontre que derrière la voyelle e/i d’un autre clitique ; partout ailleurs, elle est -as-ta : {nu⸗asTa} (…) {nu⸗ seʲ⸗asTa} → na-asta (…) nu-us-se-es-ta KBo 17.61 Ro 17-18 (MH) ; Derrière consonne, la graphie est normalement … a-as-ta ; cf. {Haranan⸗asTa} → ha-a-ra-na-an-as-ta (VH) ; {P1⸗smiT⸗asTa} → ka-lu-lu-pí-is-mi-ta-as-ta KBo 17.1+ i 19 (VH). 9.12

Mécanismes transcatégoriels en frontière de clitiques

9.12.1 Caractères généraux Les processus segmentaux susceptibles de se produire en jonction de morphèmes comme de clitiques correspondent à une dizaine de mécanismes ayant deux caractéristiques en commun : (i) ils constituent des tendances plus ou moins erratiques, jamais des règles ; (ii) ils n’impliquent jamais des plosives. 9.12.2 Élimination : n → ∅ / __s Les témoignages d’élimination de /n/ devant /s/ sont, à la différence de ceux que l’on constate dans l’affixation (§ 8.7.2), optionnels. Le processus se déclenche aussi bien entre enclitiques qu’entre aclitiques et enclitiques : {nu⸗an⸗ san} → na-as-sa-an KBo 17.1+ ii 7 (VH), ABoT 44 + KUB 36.79 i 47 (VH/nh), mais na-an-sa-an HKM 5 : 4 (MH) ; {nu⸗war⸗an⸗si⸗san} → nu-wa-ra-as-si-is-sa-an KUB 30.24 ii 2 (MH/nh), mais {namma⸗an⸗si⸗Kan} → nam-ma-an-si-kán HKM 24 : 51 (MH) ; {man⸗si} → ma-a-as-si KBo 17.65 Vo 15 (MH), mais maa-an-si KUB 7.5 iv 7 (NH) ; {Peran⸗smas} → pé-ra-as-ma-as KUB 12.63 Ro 5 (VH/mh), mais {Peran⸗smiT} → pé-ra-an-sa-mi-it KBo 25.190 i 27 (MH) ; {Kusan⸗set} → ku-us-sa-as-se-et KUB 29.30 ii 33 (VH), dupliqué par ku-us-saan-se-et KBo 6.3 ii 50 (VH/nh), KUB 13.15 Vo 3, 6 (VH/nh). Dans le passage suivant, tous les noms dans le rôle de patient à l’accusatif en -(a)n cliticisés par le possessif ⸗san éliminent systématiquement la nasale :

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(75) KUB 17.10 iii 11-12 (VH/nh) kar-pí-is-sa-an dāhhun kar-di-mi-ia-at-ta-as-sa-an dāhhun wa-ar-ku-us-sa-an dāhhun « j’ai pris son courroux (karpin⸗san) ; j’ai pris sa colère (kardimiyattan⸗ san) ; j’ai pris son warku- (warkun⸗san) » Pour d’autres exemples, voir Otten & Souček 1969 : 57-58, Hoffner & Melchert 2008 : 43. 9.12.3 Maintien n → n /__m, assimilation n → m /__m et coalescence En frontière de clitiques, une nasale coronale peut être effacée par la nasale labiale d’un enclitique subséquent, généralement par la conjonction ⸗ma ou par une des formes du déterminant possessif 1 sg. ⸗m … : {atʰan⸗man} « mon père » (acc.) → at-ta-ma-an KUB 29.3 i 6 (VH) ; {saxan⸗meT} « mon sahhan » → sa-ahha-me-et KBo 6.2 ii 19 (VH) ; {Pedan⸗miT} → nu pé-e-da-mi-it UL saqahhi « je ne connais pas ma place » KUB 36.75 + 1226/u iii 19-20 (VH/mh) ; {… lan⸗man} → DUMU-la-ma-an « mon fils » KUB 1.16 ii 56-57 (VH/nh). Mais la coronale peut aussi se maintenir : {memian⸗miT} « mon discours » → me-m[i-y]a-an-mi-it KUB 14.14 Ro 7 (NH) ; {mān⸗man⸗as⸗mu} → ma-a-anma-na-as-mu KUB 23.103 Ro 25 (NH) ; {arsinTaran⸗ma} → a-ar-si-in-ta-ra-anma HKM 47 : 38 (MH). La nasale finale de mahhan n’est jamais effacée par ⸗ma dans la fréquente combinaison {maxan⸗ma} « mais quand » → ma-a-ah-haan⸗m[a KBo 25.87 : 7 (VH), etc. (voir CHD L-N 101). Dans une troisième situation, encore, les séquences /n⸗m/ sont restituées par des graphies mm indiquant une assimilation, comme {mān⸗man} → maa-am-ma-an KUB 30.10 Ro 18 (VH/mh), {man⸗man⸗ʧ⸗Kan} → ma-am-ma-anza-kán ABoT 65 Vo 5 (MH), {Peran⸗miT} → pé-e-ra-am-mi-it KBo 3.32 : 79 (VH). Un témoignage comme {tuekkan⸗man} « mon corps » → tu-ek-kam-ma-an KUB 30.10 Ro 14 (MH), est, en revanche, sujet à caution, les signes CVm (kam, dam) étant des représentation possible de /CV/ (§ 4.10.2). A l’intérieur des morphèmes comme en limite de morphèmes, les séquences */nm/ sont, par principe, prohibées (kuen- « tuer » → 1sg. {Kʷen-mi} ku-e-mi (MH, VH/nh)), si bien que les mécanismes ici illustrés doivent moins leur originalité à une possible élimination de /n/ qu’à son maintien. Le traitement des séquences /n⸗m/ ne fait que décliner les diverses conséquences possibles du principe d’homorganicité des nasales envers le lieu d’articulation des segments qui leur font suite (§ 4.11) : dans un premier, cas, le principe n’opère pas, en conservant l’intégrité de la séquence /n⸗m/ → [nm] normalement prohibée au plan phonétique ; dans le second, le principe s’applique en forcant la coronale à assimiler le lieu de la labiale, d’où /n⸗m/

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→ [mm] ; dans le dernier, la séquence de labiales issues de cette assimilation tombe sous le coup de la règle de coalescence inter-morphémique [mm] → [m] (§ 8.12.6). 9.12.4 Élimination : n → ∅ / __w Comme dans le cas précédent, la prohibition des séquences */nw/, régulière à l’intérieur des morphèmes comme en jonction d’affxes (kuen- « tuer » → 1pl. prét. {Kʷen-wen} ku-e-u-en (MH) – voir § 4.11.2), se traduit, en frontière de clitiques, par des vacillations du type de {mān⸗wa} → ma-a-wa- KBo 3.7 i 25 (VH/nh), mais duplicat [m]a-a-an-wa- KUB 12.66 iv 12 (VH/nh). 9.12.5 Élimination : r → ∅ / __.⸗ La distribution des variantes ⸗war et ⸗wa du relateur quotatif est inattendue puisque ⸗war se rencontre exclusivement devant voyelle, contexte dans lequel la forme ⸗wa est également susceptible d’être (rarement) rencontrée, tandis que, partout ailleurs, les deux variantes apparaissent dans des contextes mutuellement exclusifs. Une approche strictement linéaire serait problématique car on ne peut expliquer pourquoi la rhotique se maintient le plus souvent, mais pas toujours, devant voyelle, tandis qu’elle est régulièrement éliminée dans des contexte aussi hétéroclites que devant /tʰ K ʧ m/ et en fin de mot. Il semble donc préférable de reconnaître que /r/ est éliminée obligatoirement quand elle est en coda, position forcée par la situation de ⸗war en fin de mot ou devant consonne, et optionnellement quand elle est ailleurs qu’en coda : (76) traitement de /r/ dans la cliticisation ∅ /__. r ↗ ↘ r, ∅ / ∞ Phonétiquement, ce mécanisme met, en outre, en évidence la réalisation intrinsèquement faible de /r/ puisque, sans cette hypothèse acoustique, le traitement reflété par {⸗war⸗as} → [wa.ras] → [wa.as] -wa-as resterait difficilement justifiable. L’intérêt particulier de ce processus est de refléter comment l’affixation et la cliticisation peuvent élaborer des traitements phonologiques distincts à partir d’une motivation phonétique unitaire : l’élimination de /r/ en coda qui, dans l’affixation, est une tendance limitée à certaines configuration morphologiques, devient, dans la cliticisation, un mécanisme généralisé ; à l’inverse, le maintien de /r/ dans la cliticisation est limité au seul contexte permettant

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à /r/ de devenir attaque syllabique (en se trouvant devant V), alors que dans l’affixation, /r/ est maintenu de façon dominante en coda et presque toujours en attaque. En frontière morphème-clitique, un /r/ en coda se maintient normalement devant clitique, par ex. uwahnuwar⸗ma KBo 3.2 Ro 19 (MH/nh), uddār⸗mu HKM 8 : 3 (MH), arkuwar⸗za KUB 6.45 iv 53 (NH), etc. 9.12.6 Élimination de fricative sibilante Une séquence d’enclitiques {⸗ʧ⸗san} n’est jamais écrite *-za-sa-an, mais seulement -za-an (CHD S 129b) en créant d’éventuelles équivoques par rapport à une séquence {⸗ʧ⸗an} formée avec l’adverbe ⸗an (§ 9.5.3(3)) : {nu⸗ʧ⸗san} → nu-za-an KUB 29.1 iii 45, 49 (VH/nh), KBo 5.3 ii 18 (NH) ; {nu⸗aT⸗ʧ⸗san} → naat-za-an KBo 15.36 iii 4-5 (MH?). Ce type de graphie est attesté à la jonction de mots clitiques comme entre mot aclitiques et clitiques : {isaʧ⸗smiT} « de leur bouche » → is-sa-az-mi-it KBo 17.1+ i 18 (VH), {KarTaʧ⸗smiT} « de leur coeur » → kar-ta-az-mi-it KBo 17.1+ iv 6 (VH). Le problème d’interprétation posé par ces témoignages est que le signe z étant utilisé pour représenter [ʧ] aussi bien que [T+s], le rapport phonétique qui s’établit entre l’appendice [ʃ] de l’affriquée et la consonne [s] demeure opaque. Il est impossible de discerner si la fricative de {⸗san} est éliminée par {⸗ʧ} ou si le constituant fricatif de {⸗ʧ} est éliminé par celui de {⸗san} (Kimball 1999 : 287, postule une élimination de /s/, mais sans justifier cette interprétation). Un second problème est d’apprécier si ce phénomène reflète un processus phonétique généralisé dans la langue ou un processus limité aux clitiques. La question se pose parce que que si les séquences */ʧs/ sont effectivement prohibées au niveau du mot aclitique, il n’existe pas de données reflétant positivement l’élimination d’un de ces segments par l’autre. Le témoignage de ed / ad- « manger » → 2sg. prés. e-ez-si KBo 22.1 Ro 28 (VH) se situe sur un plan différent car cette forme est remaniée par rajout analogique du morphème -si sur le produit attendu *e-ez de l’évolution régulière de *{éd-si}. En définitive, il y a tout lieu d’estimer que {nu⸗ʧ⸗san} → nu-za-an procède bien d’une contrainte globale */ʧs/, mais la nature précise du rapport de dominance sur lequel se fonde l’incompatibilité séquentielle de /ʧ/ + /s/ demeure inaccessible. 9.12.7 Insertion : ∅ → u / __wV Comme dans la phonologie de l’affixation (§ 8.12.7), l’insertion optionnelle d’une voyelle [u] en contexte [V__w] se constate avec l’enclitique ⸗wa(r) (Hoffner 1985 : 339a) : {abas⸗ja⸗war} → # a-pa-as-sa-u-wa amiyanza « et il est petit » KUB 17.10 i 38 (VH/mh) ; {innara⸗war⸗smas} → in-na-ra-u-wa-as-ma-as

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dariyantes KUB 1.1+ iv 21 (NH), dupl. in-na-a-ra-a-u-wa-as-m[a-as] KUB 19.67+ (Nowicki 1985, conjecture toutefois, dans ce dernier passage, un verbe *innarawai- « affermir » → 3sg. prét. innarawas). Le mécanisme est bien attesté dans la combinaison {man⸗war} « si, quand, de même » quand la nasale [n] est elle-même effacée devant [w] en produisant des réalisation [ma⸗war] / [ma⸗u.wa] : ma-a-wa(-)… KBo 3.7 iv 9 (VH/nh) (mais [m]a-a-an-wa-… dans le duplicat KUB 12.66 iv 12, VH/nh), face à ma-a-u-wa KBo 25.151 : 3 + KBo 26.136 Ro 13 (MH?), KBo 21.22 : 56 (/mh) ; ma-wa-an-na-as KUB 7.57 i 5 (s.d.), face à ma-u-wa KBo 13.94 : 1 (/nh), KUB 12.63 Ro 11 (VH/nh). Ces témoignages ont l’intérêt de montrer le caractère strictement phonétique du processus puisque la situation dans laquelle [w] motive l’insertion d’une voyelle [u], dérive elle-même d’une élimination optionnelle du [n] de mān (§ 8.12.7). 9.12.8 Insertion : ∅ → w / u.__V L’insertion optionnelle d’une semi-voyelle venant prévenir un hiatus entre voyelle (§ 8.12.4) n’est que peu attestée en frontière de clitiques. Avec la voyelle arrondie, elle est reflétée par ta⸗kku « si » + ⸗V … : ták-ku-wa-at KBo 6.2 ii 35 (VH) [Ta⸗kʰʷuw⸗aT] (sur la présence d’une voyelle en finale de ta⸗kku, voir § 4.4.2(2)). 9.12.9 Insertion : ∅ → j / i.__V Dans les construction à redoublement clitique du néo-hittite permettant aux pronoms ⸗as, ⸗at de prendre place derrière le pronom 3sg. dat. ⸗si, la séquence /⸗si⸗a …/ peut mettre en évidence la présence optionnelle d’un [j] : {nu⸗aT⸗ si⸗aT} → na-at-si-ya-at KUB 19.67+ i 8 (NH) « (ils) les placèrent devant lui » (les faits de sorcellerie) ; {nu⸗as⸗si⸗as⸗Kan} → na-as-si-ya-as-k[án KUB 19.6 i 6 (NH) ; {⸗as⸗si⸗as⸗Kan} → a-ra-ah-za-as-si-ya-as-kán KUB 21.29 iii 39 (NH). Cette représentation est faculative comme le montrent na-at-si-at KUB 26.12 i 26 (NH) « (celui qui) ne la lui rapporte pas (ne rapporte pas cette information au palais) » ; na-as-si-as-kán KUB 6.1 + 52.65 i 22 (NH). 9.12.10 Insertion : ∅ → T / n__s Le témoignage de {Peran⸗smiT} (adverbe « devant » + possessif) → pé-e-ra-azmi-it KBo 17.4 iii 13 (VH) peut être apprécié soit en fonction d’une l’émergence de [T] en contexte /n__s/, concomitant ou suivie soit, d’une élimination de la nasale [Peran⸗TsmiT] → [Pera⸗TsmiT] (§ 8.7.3), soit d’un alignement analogique de l’adverbe sur le traitement {Peran⸗smiT} → [Pera⸗smiT] pé-e-ra-asmi-it KBo 25.56 i 11 (VH) (ci-dessus). Le contexte ne permet pas de supposer un ablatif (Otten & Souček 1969 : 71-72). Ce témoignage, unique en son genre, ne permet pas de conclusion nette.

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Tendances phonologiques idiosyncrasiques

9.13.1 Élimination : T → ∅/ __⸗s Un seul mécanisme est susceptible de se manifester sporadiquement en frontière de clitiques sans avoir d’équivalents dans l’affixation : une plosive coronale /T/ est occasionnellement éliminée quand elle est en coda d’un clitique suivi par un enclitique débutant par /⸗s …/. Quand un /T/ est en finale est un mot aclitique, le mécanisme ne se déclenche pas. Le mécanisme s’observe principalement dans les textes anciens et moyens, originaux ou copiés, où il demeure peu fréquent. (1) Manifestations. – Les enclitiques susceptibles de causer le changement sont les pronoms 2pl. ⸗smas, 3sg. ⸗se, les adverbes ⸗san et ⸗sta (en tant que variante de ⸗asta) ainsi que, peut-être, les possessifs de troisième personne sg. ⸗s- : pl. ⸗sm-. Les formes susceptibles d’être affectées sont les déterminants possessifs aux cas direct (inanimé) et instrumental, ainsi que le pronom de troisième personne ⸗at au nominatif pluriel animé et au direct inanimé : {Ta⸗aT⸗se} ta-as-se sarnikzi « il le lui donne en réparation » KBo 6.3 ii 7 (VH/nh), mais na-at-za dans le duplicat KBo 6.5 ii 13 (VH/nh) ; {nu⸗war⸗aT⸗asTa} → nu-wara-as-t[a] karsadu « qu’ils les coupent » (les arbres) KBo 22.6 iv 15 (VH?/nh) ; {nu⸗aT⸗si} → na-as-si hinkantat « ils s’inclinèrent devant lui » KUB 33.66 + KBo 40.333 iii 8 (VH?/mh) ; {⸗war⸗aT⸗san} → [tu]h-su-wa-an-zi-wa-ra-as-s[a-an] HKM 37 : 14 (MH) (Hoffner 2010 : 110) ; {nu⸗aT⸗san} → na-as-sa-an KBo 5.2 iv 12 (MH/nh), na-as-sa-an HKM 39 : 4 (MH). Dans un exemple isolé, instr. {Kalúlub-iT⸗smiT⸗asTa} « avec leurs doigts » est écrit ka-lu-u-lu-pí-is-mi-ta-as-ta dans KBo 17.1+ i 19 (VH), mais ka-lu-lu-píiz-mi-da-as-ta dans le duplicat KBo 17.3+ i 14 (VH) (Neu 1983 : 89-90, 171 n. 513), en utilisant le signe z, alors que celui-ci n’est jamais utilisé pour représenter les combinaisons {… T⸗s …} entre clitiques. L’emploi de z étant limité à un exemple avec hôte lexical, on peut estimer que la norme qui s’applique dans la graphie de l’affixation domine les situations où un morphème est en contact avec un clitique, pour autant que la plosive fasse partie d’un morphème et non d’un clitique63. Par hasard ou pour quelque raison, l’identifiant d’ipséité ⸗pat n’est pas documenté dans ces contextes. (2) Analyse. – L’« assimilation » évoquée par Hoffner & Melchert (2008 : 41) est trop elliptique dans sa formulation car le relâchement d’une non continue /T/ ne peut dériver d’un simple contact avec une continue (voir Kirchner 63  Otten & Souček 1969 : 14, voient dans ka-lu-u-lu-pí-is-mi-ta-as-ta une erreur de scribe ayant pris iz pour is ; en l’absence d’autres exemples de confusion entre ces signes (voir le catalogue de Rüster 1988 : 300-302), cette conjecture ne va pas de soi.

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2001, chap. IV). Il semble plus plausible de postuler un relâchement , ensuite suivi d’une assimilation de sibilance . Cette interprétation peut être préférée à un simple effacement car le produit du changement est presque toujours écrit s⸗s et parce que la fin de mot est typiquement une position faible à même de susciter une réalisation relachée des plosives pouvant conduire à une véritable lénition. 9.14

Règles d’élimination par hiatus

9.14.1 Le traitement du hiatus Dès les débuts des études hittites, Ungnad (1920) a remarqué qu’un hiatus inter-clitique V₁⸗V₂ suscitait une élimination de V₁⸗ par ⸗V₂ ; ce mécanisme n’a guère été étudié depuis (voir, les brefs exposés de Friedrich 1960 : 36, Hoffner & Melchert 2008 : 32) bien qu’il mette en évidence certaines propriétés originales. 9.14.2 Mots clitiques et aclitiques L’effacement d’une voyelle par une autre est stictement limité aux configurations dans lesquelles chacune des voyelle en contact est incluse dans un mot clitique ; il ne se produit pas entre morphèmes ou à l’intérieur des morphèmes (§ 8.12), ni quand un mot aclitique est au contact d’un clitique. (77) relations d’effacement impliquant des clitiques proclitique + enclitique : {nu⸗aba} → na-pa KBo 8.74+ ii 9 (VH) proclitique + aclitique : {nu abas} → nu a-pa-as KBo 3.22 : 25 (VH) proclitique + enclitique : {nu⸗as} → na-as KBo 17.36+ ii 20 (VH) aclitique + enclitique : {agi⸗as} → a-ki-as KUB 29.28 : 5 (VH) 9.14.3 Timbres en hiatus Les situations dans lesquelles un hiatus entre clitiques est attendu entre des voyelles … V⸗V … concernent une demi-douzaine de configurations : (78) situations de hiatus clitiques entre voyelles hétérorganiques conn. su⸗, nu⸗ + pron. ⸗as, ⸗at, ⸗an, ⸗e, ⸗us ; adv. ⸗an, ⸗asta, ⸗apa conn. ta⸗ + pron. ⸗e, ⸗us conj. ⸗ma + pron. ⸗us conj. ⸗a/⸗ya, ⸗a/⸗ma + pron. ⸗e, ⸗us pronom dir. pl. ⸗e + adv. ⸗an, ⸗asta, ⸗apa pron. ⸗mu, ⸗ddu, ⸗se + adv. ⸗an, ⸗asta, ⸗apa

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Les situations dans lesquelles un possessif est suivi d’un autre enclitique sont, de façon générale, très rares, et ne semblent pas attestées avec les formes de datif 1sg. ⸗mi (etc.), ou d’allatif ⸗ma (etc.), si bien que des combinaisons telles que poss. sg1 dat. ⸗mi, 2 ⸗ti 3 ⸗si, pl. 1 ⸗summi 2/3 ⸗smi + pron. ⸗as, at, ⸗an, ⸗us, ⸗e ; poss. sg1 dat. ⸗mi, 2 ⸗ti 3 ⸗si, pl. 1 ⸗summi 2/3 ⸗smi + adv. ⸗an, ⸗asta, ⸗apa ; poss. all. ⸗ma, 2 ⸗ta, 3 ⸗sa + pron. ⸗e, ⸗us, restent virtuelles. La voyelle /i/ (datif des possessifs) n’étant pas observable, pratiquement, en … V₁⸗, ni possible, par principe, en ⸗V₂…, seuls les timbres /a e u/ sont susceptibles d’entrer en hiatus, avec une restriction portant sur la combinaison */e⸗u/, dont la formation est impossible en frontière de clitiques. Dans les agrégats clitiques, les seuls enclitiques à voyelle initiale susceptibles de se trouver derrière /e/ ou /u/ débutent obligatoirement par /a/, mais la réciproque n’est pas vraie. 9.14.4 Hiatus V₁⸗ ≠ ⸗V₂ Quand V₁⸗ et ⸗V₂ n’ont pas le même timbre, V₁⸗ est régulièrement effactée par ⸗V₂ : (1) ⸗V₂ = /a/. – Quand ⸗V₂ = /a/ efface une voyelle précédente, celle-ci est nécessairement /u/ : {nu⸗as} → na-as KUB 60.41 ii 12 (VH) ; {nu⸗an} → na-an KBo 17.1+ ii 6 (VH) ; {su⸗as} → sa-as KBo 22.2 Ro 14 (VH) ; {su⸗an} → sa-an KBo 3.22 Ro 46 (VH) ; {nu⸗aba} → na-pa KBo 8.74 + ii 9 (VH) ; {nu⸗mu⸗asTa} → nu-ma-as-ta KUB 36.75 ii 12 (VH/nh) ; {nu⸗mu⸗asTa} → nu-ma-as-ta KUB 36.75 iii 12 (VH/mh) ; {anTa⸗mu⸗aPa} → an-da-ma-pa KBo 3.7 i 13 (VH/nh), etc. Tout comme 2sg. ⸗tta / ⸗ddu, le pronom déloc. dir. pl. ⸗e n’est jamais suivi par un clitique à voyelle initiale ⸗apa, ⸗an, ou ⸗asta. (2) ⸗V₂ = /u/. – Quand ⸗V₂ = /u/ efface une voyelle précédente, celle-ci est nécessairement /a/, aucune combinaison de clitiques ne pouvant produire une séquence */e⸗u/ : {Ta⸗us} → tu-us KBo 17.1+ iii 9 = KBo 17.3+ iii 9 (VH) ; {jeNʧi⸗ma⸗us} → i-en-zi-mu-us KBo 16.78 i 10 (MH) « mais ils les font » ; {Tai⸗ma⸗us⸗ʧ} → ta-a-i-mu-us-za KBo 20.32 ii 9 (VH/nh) « mais elle les prend » ; {lukʰatʰa⸗ma⸗us} → lu-uk-kat-ta-mu-us KBo 27.165 Vo 15 (MH) « mais au matin, ils les emportent »etc. (3) ⸗V₂ = /e/. – Quand ⸗V₂ = /e/ efface une voyelle précédente, celle-ci ne peut peut être que /a/ ou /u/ : {ta⸗e} → te KBo 25.31 ii 6 (VH), {nu⸗e} → ne KBo 17.1+ iv 21 (VH). 9.14.5 Cas particulier de V₁⸗ = /e/ La graphie des clitiques incluant /e/, à savoir, des pronoms délocutifs sg. dat. ⸗se et dir. pl. ⸗e (remplacés par ⸗si et par ⸗at, respectivement, à partir du moyen hittite), reflète, envers la règle de hiatus, un comportement distinct du régime commun puisque quand ⸗V₂ = /a/, la voyelle V₁⸗ = /e/ se maintient en effaçant

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a : {nu⸗e⸗asTa} → ne-es-ta KBo 21.90 Ro 21 (VH/mh) {nu⸗se⸗aba} → nu-us-sepa KUB 36.110 : 11 (VH), {Ta⸗e⸗asta} → [(te-es-ta p)]ānzi KBo 17.9+ iii 24, 33 ; KBo 17.18+ ii 5 (VH) ; {nu⸗e⸗asTa} → ne-es-ta KBo 21.90 Ro 21 (VH/mh) ; {nu⸗ se⸗aba} → nu-us-se-pa KUB 36.110 Vo 11 (VH) ; {nu⸗se⸗asTa} → nu-us-se-es-ta KBo 20.11+ ii 2 (VH), FHG 2 iii 22 (VH/nh), {nu⸗se⸗an} (adv.) → nu-us-se-an « (il) met sur lui (le boeuf) un pièce de cuir » KBo 6.2 iv 10 (VH), Code § 78 (dupliqué par nu⸗ssi⸗kan dans KBo 6.3 iv 3), etc. La cause de cette situation est bien la voyelle /e/ et non celle des adverbes {⸗an, ⸗aba, ⸗asTa} dont la voyelle initiale efface normalement celle des clitiques localisés devant eux ({nu⸗mu⸗asTa} → nu-ma-as-ta KUB 36.75 ii 12 (VH/nh), {anda⸗mu⸗aba} → an-da-ma-pa KBo 3.7 i 13 (VH/nh). Après le vieux hittite, le timbre de ⸗se tend à être supplanté par ⸗si, mais le maintien de la voyelle subséquente perdure : {Katʰa⸗ma⸗si⸗aT} → kat-ta-ma-as-si-at KUB 21.37 Ro 9 (NH), {nu⸗as⸗si⸗as⸗Kan} → na-as-si-as-kán KUB 5.1 + 52.65 i 22 (NH), quitte à favoriser l’émergence d’une semi-voyelle homorganique dans les construction tardives à clitiques dédoublés : {nu⸗aT⸗si⸗aT} → na-at-si-ya-at KUB 19.67+ i 8 (NH) en alternance libre avec na-at-si-at KUB 26.12 i 26 (NH). L’apparente exception que constitue cette situation se justifie en fonction de la réalisation [eʲ] du phonème /e/. Comme on l’a déjà mentionné au sujet de l’affixation (§ 4.1.5), la voyelle écrite e peut, devant voyelle, représenter une combinaison phonétiquement [e + j] ainsi que le montre la flexion de udne« pays » (gén. ut-ne-ya-as KBo 3.21 ii 4 (VH/nh) / KUR-e-as KUB 36.89 Vo 49 (NH), etc.) dont la forme du cas direct {uTnej-∅} est écrite ut-ne-e (VH). Dans le cas des mots clitiques, cette interprétation est appuyée par le fait que la formule du Code écrite une fois pár-na-as-se-ya KUB 29.36 i 9 (VH), est le plus souvent représentée par pár-na-se-a KBo 6.2 iii 57 (VH) (Code, §§ 7, 24, 38, 56, 60, 67, 69, 82, 83), dans un rapport parallèle à celui des graphies équivalentes nee-a et ne-e-ya (§ 4.1.5). Dans cette perspective, on peut donc tenir que l’absence d’effacement constaté dans {nu⸗se⸗an} (adv.) → nu-us-se-an KBo 6.2 iv 10 (VH) dérive de ce qu’en dépit des apparences, il n’y a pas de hiatus, les deux voyelles étant séparées par la semi-voyelle : [nu.se.ʲan]. Cette analyse est, au demeurant, appuyée par l’étymologie puisque la comparaison des formes de datif des enclitiques pronominaux, 1sg. gr. moi = véd. me, restitue une désinence *-ei / *-oi (Pedersen 1938 : 195, Schmidt 1978 : 68sq.). Les combinaisons de se⸗ avec ⸗apa et ⸗asta demandent toutefois un examen particulier puisque, non seulement, la voyelle /e/ n’est pas effacée, mais encore, qu’elle efface la voyelle initiale des adverbes. Au plan phonologique, le mécanisme est simple à décrire : un /e/ inclus dans mot clitique impose l’effacement de la voyelle /a/ d’un mot clitique bisyllabique subsquéquent, d’où {nu⸗se⸗asTa} → nu-us-se-es-ta ; quand le mot n’est pas

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bisyllabique ou que la voyelle n’est pas /e/, le traitement commun s’applique, d’où {nu⸗se⸗an} → nu-us-se-an, {nu⸗mu⸗asTa} → nu-ma-as-ta KUB 36.75 ii 12 (VH/nh). L’interprétation phonétique ne va pas de soi et réclame une interprétation ad hoc : la plus simple serait que la transition [eja], particulièrement instable, ne préserve la scansion bisyllabique [eja] (… e-a …) que quand [a] représente le noyau de la syllabe finale du mot synclitique ({nu⸗se⸗an} → nu-us-se-an), en éliminant (assimilant ?) [ja] à [e] ailleurs (d’où {nu⸗e⸗asTa} → ne-es-ta)64. La question de savoir pourquoi cette réduction s’effectue au profit d’un timbre et pas de l’autre demeure entière. Le traitement différencié des enclitiques monosyllabique {⸗an, ⸗aT, ⸗a} et bisyllabiques {⸗asTa, ⸗aba} derrière les clitiques en /e/ ne semble pas encore avoir remarqué, alors qu’il a l’intérêt de mettre en évidence que, de quelque façon qu’on l’aborde, la question du hiatus entre clitiques revêt une dimension rythmique qu’il est impossible de réduire aux seules relations segmentales (voir plus en détails, §§ 9.14.8, 9.20.5). 9.14.6 Hiatus V₁⸗ = ⸗V₂ Quand V₁⸗ et ⸗V₂ ont le même timbre, situation qui ne concerne que les voyelles /a/ et /u/, il est a priori impossible d’apprécier si on est en présence d’un effacement plutôt que d’une coalescence (§ 8.12.6) : la combinaison connecteur + adverbe {Ta⸗an} est écrite ta-an KBo 17.11+ i 38 (VH), KBo 25.35 iii 4 (VH), comme la combinaison connecteur + pronom {nu⸗us} → nu-us KBo 6.2 iii 19 (VH) ; {su⸗us} → su-us KBo 17.1+ iv 22 (VH), {ta⸗an} ta-an KBo 17.18 ii 8 (VH) ; de même, {ta⸗aba} → ta-pa KBo 25.92 dr. 2 (VH) ; {Ta⸗asta} → ta-as-ta IBoT 2.121 Vo 8 (VH) ; {para⸗ma⸗asTa} → pa-ra-ma-as-ta KUB 31.143 ii 22 (VH), {ʧiK⸗a⸗as} → zi-ga-as « mais toi » KUB 14.1 + KBo 19.38 Vo 35 (MH), etc. La graphie des voyelles en contact dans des combinaisons clitique + clitique ne diffère pas pas, sur ce plan, des combinaisons aclitique + clitique : {natʰa⸗ an} → na-at-ta-an happaraizzi « il ne peut pas le négocier » KBo 6.2 + KBo 19.1 ii 17 (VH, Code § 39). Par simplicité, on admet ici que ces témoignages reflètent le même effacement que celui qui est constaté entre voyelles hétérorganiques, sans perdre de vue qu’il ne s’agit que d’une conjecture.

64  On ne tient pas compte ici de la forme fragmentaire [ne]-en dans [ne]-en kissari⸗smi dāi « et il (le) place dans leur main » KBo 17.1+ i 20 (VH) = -e]n KBo 17.3+ i 15 (VH), dans laquelle Otten & Souček 1969 : 82, suivis par Neu 1983 : 5 n. 17, voient {nu⸗e⸗an} → [nen], restauration quelque peu gratuite que récuse, pour sa part, le HW ² I : 70a.

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9.14.7 Restriction sur le contexte de V₁⸗ Quand un mots clitique est équivalent à une voyelle et une seule, cas du pronom ⸗e et des conjonctions ⸗a, une application de la règle d’effacement supposerait l’élimination complète d’un mot entier. Une réalisation de ce processus est impossible à vérifier, ni ⸗e, ni ⸗a n’étant des éléments requis pour qu’une construction soit correctement formée. Une combinaison a priori génératrice de conflit telle que ne semble pas attestée. La combinaison se situe sur un plan différent car la gémination causée par la conjonction pourrait constituer un signe à même de compenser une éventuelle élimination de ⸗a. Dans cette perspective, Kloekhorst (2008 : 379), estime que su-me-es-su-us KBo 17.3+ ii 7 (VH) recouvrirait {sumes⸗ja⸗us} → *[su.mes⸗.sa⸗.us] → *[su.mes⸗.s⸗us] en jugeant que la gémination de s constituerait, à elle seule, un indice de coordination ; le fait que le contexte soit mutilé ne permet pas d’apprécier la vraisemblance de cette conjecture. En l’absence de témoignages probants, il paraît, de façon générale, peu plausible de postuler qu’à raison d’une incompatibilité phonologique, un mot entier pourrait être éliminé d’une proposition. Il semble plus probable d’estimer ques les situations potentiellement génératrices de conflit sont délibérément évitées. Sous cette considération, la restriction que consitue dans le contexte de gauche de la règle d’élimination revêt un caractère critique. 9.14.8 Relations segmentales et rythmiques Deux témoignages indiquent que les modification susceptibles de se produire à l’occasion de la mise en relation de voyelles incluses dans des mots clitiques sont motivées que par la nature des segments en contact (voyelles, timbres), mais aussi par la rythmicité de l’agrégat formé de clitiques. (1) le mécanisme au terme duquel une voyelle ⸗V₂ efface V₁⸗ prédit la forme syllabique CV du clitique incluant V₁⸗ (connecteur nu⸗, ta⸗, su⸗, variante ⸗ma de la conjonction ⸗a). Les clitiques dont la forme n’est pas CV sont hors du champ d’action de la règle, soit parce qu’ils ont une consonne finale (⸗man, ⸗kan, ⸗as, etc.), soit parce que la position qui leur est assignée dans l’agrégat fait qu’il ne peuvent pas être suivis pas d’autres enclitiques (⸗asta, ⸗apa). (2) le mécanisme au terme duquel un clitique en /e/ efface ou n’efface pas une voyelle subséquente ne dépend pas du timbre de cette dernière, qui est toujours /a/, mais du nombre de syllabes du clitique incluant /a/ (on pourrait dire, de façon équivalente : du fait que /a/ est le noyau d’une rime, comme avec ⸗[an], ou qu’il n’a pas de coda, comme avec ⸗[a.ba]).

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9.14.9 Description et formalisation La nécessité dans laquelle se trouve V₁⸗ d’être précédée d’une attaque consonantique, comme la dualité des traitements reflétés derrière les clitiques en /e/ montrent que le hiatus inter-clitique implique une dimension segmentale aussi bien que rythmique. (1) Phonologie. – Deux règles opérant dans des directions distinctes sont nécessaires pour décrire le hiatus inter-clitique : (i) une voyelle non moyenne incluse dans un mot clitique (= /a u/) attaquée par une consonne est éliminée devant un autre clitique à voyelle initiale, quel que soit le timbre de cette dernière et quel que soit le nombre des syllabes constituant chaque clitique : (79a)

traitement du hiatus interclitique par la droite a u → ∅ / C__⸗}{⸗V

comp. {ta⸗e} → te KBo 25.31 ii 6 (VH), {nu⸗mu⸗asTa} → nu-ma-as-ta KUB 36.75 ii 12 (VH/nh) ; (ii) une voyelle basse (= /a/) incluse dans un mot clitique bisyllabique est éliminée derrière un autre mot clitique à voyelle finale /e/, mais est maintenue si elle est incluse dans un mot clitique monosyllabique : (79b) traitement du hiatus interclitique par la gauche ∅ / e⸗}{⸗__(…).σ} a ↗ ↘ a / e⸗}{⸗__(…).} comp. {nu⸗se⸗asTa} → nu-us-se-es-ta KBo 20.11+ ii 2 (VH), mais {nu⸗se⸗an} (adv.) → nu-us-se-an KBo 6.2 iv 10 (VH). Le caractère discriminant de /e/ se poursuit après que la voyelle du pronom ⸗se tende à passer à ⸗si : {nu⸗aT⸗si⸗aT} → na-atsi-ya-at KUB 19.67+ i 8 (NH) en alternance libre avec na-at-si-at KUB 26.12 i 26 (NH), ce qui montre que les interactions impliquant ce clitique ne se limitent pas à des propriétés segmentales. Le témoignage de {Ta⸗e⸗asta} → [(te-es-ta p)]ānzi KBo 17.9+ iii 24, 33 (VH), résume cette double régulation avec où /e/ élimine de /a/ de /Ta⸗/ en fonction de (79a) et celui de /⸗asTa/ en fonction de (79b). (2) Phonétique. – L’unique conséquence imputable à un hiatus intervocalique se limite, en définitive, à une élimination de V₁⸗ par ⸗V₂ selon (79). Dans tous les autres cas, le maintien de /V₁⸗/ ou l’élimination de /⸗V₂/ dérive de ce qu’il n’y a pas de contact entre voyelles du fait de la présence de [j] (nu-us-se-an)

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ou bien qu’une syllabe [ja] est assimilée à [e] si elle est elle-même suivie d’une autre syllabe (nu-us-se-es-ta). Concrètement, un clitique de forme CV⸗ n’admet pas d’être suivi d’un clitique ⸗V dépourvu d’attaque. La somme de ces observations indique qu’en réalité, le hiatus inter-clitique n’aboutit pas à effacer des voyelles, mais des noyaux syllabiques. Dans cette perspective, la contrainte globale est que, dans un agrégat clitique, deux noyaux doivent être séparés par une marge syllabique, en d’autres termes, que la courbe de sonorance d’un agrégat est obligatoirement sinusoïdale en prohibant strictement les plateaux hétérosyllabiques. 9.15

Autres règles soustractives

9.15.1 La labialité Les deux règles de soustraction portant, à la différence des précédentes, non pas sur des classes de segments, mais sur des phonèmes particuliers impliquent des segments labiaux /m/ et /u/, observation conforme aux restrictions, déjà observées, sur la labialité en limite d’unité significatives, mots ou morphèmes (§§ 5.1.2, 8.1.5). Les unités positivement labiales ne sont pas prohibées en limites de mots, mais leur utilisation est soumise aux configurations contextuelles qui les permettent. 9.15.2 Élimination et maintien de /m/ La distribution des variantes ⸗a / ⸗m(a) de la conjonction adversative-contrastive n’est soumise à une régulation stricte qu’en vieux hittite, car la variante ⸗a tend à être remplacé par ⸗ma dans la plupart des contextes dès la période moyenne. La distribution de ces variantes peut être justifée d’après une règle ad hoc : (80) m → ∅ / C⸗__a L’élaboration de cette règle ne demande pas de spécification relative au rôle sémantique de la conjonction puisque le possessif 1sg. allatif ⸗ma n’est possible que derrière voyelle : {Parna⸗ma} → par-nam-ma « (quand elle va) dans ma maison » KUB 1.16 iii 18 (VH/nh), et que les possessifs 1sg. acc. ⸗man, gén. ⸗mas, ont, par définition, une coda nasale : {atʰas⸗mas} → at-ta-as-ma-as KBo 3.22 : 10 (VH). Comme les autres, cette règle relève spécifiquement du domaine des clitiques car, dans l’affixation, /m/ peut être a priori précédée de n’importe quelle

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consonne, et suivie de n’importe quelle voyelle ; comp. nasma « ou bien, soit » → na-as-ma KBo 6.2 i 7 (VH), face à {abas⸗ma} → a-pa-a-sa « mais lui » KUB 36.106 Ro 3 (VH). 9.15.3 Élimination et maintien de /u/ On ne peut rendre compte de façon unitaire du maintien ou de l’élimination de la voyelle /u/ des pronoms interlocutifs 1sg. ⸗mu et 2 sg. ⸗ttu puisque la fin de mot comme la localisation devant ⸗kan et ⸗san suscitent des comportement opposés : {nu⸗mu} → [nu.mu] nu-mu # KBo 17.1+ iv 15 (VH) mais {nu⸗tʰu} → [nutʰ] nu-ut-ta # KBo 7.14+ KUB 36.100 Ro 5 (VH) ; {nu⸗mu⸗Kan} → [nu.mu.Kan] numu-kán HKM 17 : 29 (MH) face à {nu⸗tʰu⸗Kan} → [nutʰ.Kan] nu-ut-ta-kán KUB 19.6+ iv 42 (NH) ; {nu⸗aT⸗mu⸗san} → na-at-mu-sa-[an KBo 19.73 ii 67 (NH). La comparaison indo-europénne indique, au demeurant, que le /u/ des deux pronoms n’a pas la même origine : la voyelle de 2sg. ⸗ddu est indirectement héritée en ayant été empruntée aux pronoms aclitiques (comparer 2sg. gr. sú, v.sl. ty, lat. tū, got. þu), alors que celle de 1sg. ⸗mu résulte d’une analogie de proximité avec ⸗ddu (les autres langues ont, à l’accusatif, véd. ⸗mā, gr. ⸗me, v. sl. ⸗mę ; au datif, véd. ⸗mē, gr. ⸗moi, v. sl. ⸗mi). Les contraintes à l’origine de l’élimination de /u/ ne se situent donc pas dans la même strate chronologique dans le cas de ⸗ttu et de ⸗mu, facteur qui, combiné avec les propriétés phonologiques différentes des consonnes, justifie, sinon explique, le caractère hétéroclite de leurs conditionnements. (81) traitement de /u/ dans la cliticisation / m__⸗V ∅ / tʰ__⸗C[- coronale] ↗ / tʰ__# u ↘ / m_⸗C[+ obstruante] u / m__# / tʰ__⸗C[+ coronale] Dans l’interprétation ici admise, la voyelle /u/ se maintient dans pronom clitique 2sg. pour prévenir la formation d’une séquence */tʰ⸗Ccoronale/ (la notion de « coronale » se limite ici aux obstruantes /ʧ/ ou /s/, aucun enclitique en /n j/ n’étant susceptible de se trouver derrière le pronom) ; partout ailleurs, en l’espèce, devant vélaire (⸗kan) ou en fin de mot, /u/ est éliminée. Inversement, le /u/ de 1sg. ⸗mu se maintient partout, sauf devant voyelle, suivant en cela la norme comportementale des clitiques de forme ⸗CV. Les règles relatives à /u/ ressortissent spécifiquement à la phonologie des clitiques : dans la phonologie affixale, une voyelle /u/ précédée de /tʰ/

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se maintient en fin de mot : pai- « aller » → 3sg. imp. pa-it-tu (VH), pa-id-du (VH/nh), tout comme elle peut être suivie de n’importe quelle consonne non coronale, sarra- « diviser » → 2pl. prés. my. sar-ra-ad-du-ma (MH). En revanche, la phonologie affixale prohibe une syllabe finale /… mu #/ tandis que les séquences /muV/ suscitent généralement une réalisation [muwV]. Le comportement de ⸗mu ne peut cependant être considéré comme dupliquant celui des affixes car les arrangements possibles entre ces derniers ne reflètent jamais les conditions faisant que ⸗mu élide positivement la voyelle. 9.16

Règle de gémination : C → CC /__⸗j

9.16.1 La coordination La distribution des variantes de la conjonction est conditionnée par le segment final du terme à sa gauche : ⸗a est utilisé derrière consonne et ⸗ya derrière voyelle. Les relations de la conjonction de coordination ⸗a / ⸗ya envers son contexte paraît, de prime abord, paradoxale : depuis Houwink ten Cate (1973), il est généralement admis que la consonne finale du mot-hôte gouverne la sélection de la variante ⸗a et qu’en conséquence de cette dominance, elle subit, en retour, une gémination. Or, il est invraisemblable d’estimer qu’un enclitique déterminerait la forme de son entourage tout en voyant sa propre forme déterminée par ce même entourage. Deux obervations indiquent que la conjonction ne modifie pas son hôte, mais est, en réalité, modifiée par lui : (i) La règle de gémination s’applique indistinctement à toutes les consonnes sans exception, obstruantes comme résonantes, qu’elles soient en finale d’un mot aclitique comme d’un mot clitique : {abáT⸗ja} (dém. dir. sg.) → a-pa-at-ta KBo 17.3+ iv 29 (VH) ; {Kusan⸗seT⸗ja} → ku-us-sa-as-se-et-ta KBo 6.2 iv 5 (VH), Code § 7, {amuK⸗ja} → am-mu-ug-ga KUB 26.35 : 5 (VH) ; {abá-s⸗ja} (dém. nom. sg.) → a-pa-a-as-sa KUB 36.105 : 13 (VH) ; {Patʰar} → pát-ta-ar-ra KBo 17.6 iii 16 (VH) ; {Harsár-∅⸗ja} → (« tête ») → har-sa-a-ar-ra Ibid. i 18 ; {sarTijan⸗⸗san⸗ja} → sar-di-as-sa-an-na KBo 3.22 : 37 (VH) ; {KaruHales⸗smes⸗ja} → LÚ.MEŠka-ru-ha-le-es-me-es-sa KBo 6.2 iii 14 (VH), Code § 54, {nebis-∅ Tegan-∅⸗ja} « ciel et terre » → ne-pí-is te-ekán-na KUB 31.143 ii 21 (VH)65. Il apparaît donc que le processus repose sur une modification de la syllabation du mot synclitique, et non sur un changement des propriétés segmentales de la consonne connaissant la gémination.

65  Il existe quelques exceptions, par exemple, LUGAL-us MUNUS.LUGAL-s⸗a esanda « le roi et la reine s’assient » KBo 17.74 ii 34 (VH/mh).

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(ii) La gémination ne peut être phonologiquement imputée au segment vocalique que constitue la voyelle ⸗a puisque la variante ⸗a de la conjonction adversative-contrastive ⸗ma, n’entraîne pas le même effet géminant que la variante ⸗a de la conjonction de coordination ⸗ya : (82) a. KUB 5.6 iii 18-19 (NH) apās⸗sa alwanzahhanza dém.⸗3sg.nom.⸗coord. ensorceler-ptcp.nom.sg. (le dieu est ensorcelé) « et il (est aussi) ensorcelé » b. KBo 23.106 Vo 15-16 (NH) apās⸗a⸗wa⸗ssan istanani EGIR-pa dém.⸗3sg.nom.⸗advers.⸗quot.adv. autel-dat. à nouveau salikeskizzi atteindre-3sg. (la femme du prêtre de Hullasi est morte l’an dernier,) « mais il atteint à nouveau l’autel » (= il a repris son sacerdoce) La gémination ne dérive pas de la voyelle ⸗a, mais de ce que ⸗a est une variante soit de ⸗ya (82a), soit de ⸗ma (82b). En d’autres termes, la motivation phonologique de la (non-)gémination dans le mot synclitique repose sur les processus faisant que des formes ⸗ya et ⸗ma se réalisent, l’une et l’autre, contextuellement ⸗a, et non l’inverse. La voyelle /a/ est une conséquence de la gémination et non sa cause, laquelle ne repose que sur l’élimination de /j/. En d’autres termes, le changement de syllabation que reflète la gémination doit être tenu comme une propriété de la conjonction elle-même et non de son hôte. La réalisation de {abá-s⸗ja} a-pa-a-as-sa s’analyse [a.bā́s.⸗sa] (de même, {abá-T⸗ja} → [a.bā́T.⸗Ta] a-pa-at-ta, {Patʰar⸗ja} → [Pa. tʰar.⸗ra], etc.). Ni la forme phonétique, ni la forme phonologique du mothôte ne changent, que ce mot soit en état d’isolation {abás-s} → [a.bā́s] ou bien cliticisé {abás-s⸗ja} → [a.bā́s.sa], alors que la forme du clitique varie selon le contexte en étant [⸗ja] derrière toute voyelle [V] et [⸗Cₓa] derrière toute consonne [Cₓ]. Même en faisant abstraction des principes généraux de la cliticisation, une syllabation *[a.bā́ss.a] serait, au demeurant, inacceptable. (83) syllabation du mot cliticisé par ⸗a/⸗ya a. V__ {abé} → [a.bḗ] {abé⸗ja} → [a.bḗ.⸗ja] a-pé-e-ya b. C__ {abá-s} → [a.bā́s] {abá-s⸗ja} → *[a.bā́s.⸗sja] → [a.bā́s.⸗sa] a-pa-a-as-sa

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La cause de la gémination s’identifie en dernière analyse à une propriété phonétique répertoriée de la semi-voyelle dans beaucoup de langues (sur /j/ comme facteur de de gémination, voir Denton 1999, Blevins 2004 : 170sq.). 9.16.2 Formalisation Le comportement de la conjonction ⸗a/⸗ya apparaît donc doublement conditionné par son entourage, d’une part, en voyant ses variantes sélectionnées par le terme de gauche, de l’autre, en voyant la forme de la variante ⸗a modifiée par l’acquisition d’une attaque syllabique dupliquant la coda du terme de gauche. Pour rendre compte de ces mécanismes, on posera donc une règle avec enchaînement : en frontière de clitique, la semi-voyelle de ⸗ya est maintenue derrière voyelle, mais cause, derrière consonne, une gémination, laquelle entraîne l’élimination de la semi-voyelle /j/ : (84) traitement phonologique de ⸗a/⸗ya (a) Cₓ → CₓCₓ / __⸗j (b) j → ∅ / Cₓ⸗Cₓ__  : → j / ∞ L’enchaînement ainsi postulé est identique à un mécanisme connu en ukrainien, avec cette seule différence qu’au contact de /j/, les consonnes subissent, en plus de leur gémination, une palatalisation (Bethin 1992). Ces rapports se résument au transfert d’un trait – en l’espèce, la durée – entre des classes de segments qui ne peuvent pareillement les élaborer66. La relation d’alternance propre à cette conjonction repose sur un rapport {… V⸗ja} : {… Cₓ⸗Cₓa}, si bien qu’une représentation adéquate de la conjonction serait {⸗(C/j)a}, plutôt que ⸗a/⸗ya, même si cette dernière formulation demeure plus aisée dans une transcription continue. La possibilité d’un environnement __⸗j étant limitée à la seule conjonction de coordination clitique, l’enchaînement (84) est, de fait, un mécanisme 66  Dans une perspective comparative, Melchert 1984a : 164-165, suivi par Kloekhorst 2008 : 379, attribue cette alternance à un processus préhistorique d’élimination du */H/ (= h₂ ou h₃) du prototype *⸗Ho qu’il restitue d’après les conjonctions coordonantes pal. ⸗ha, louv. ⸗ha, lyc. ⸗ke (voir Melchert 1984b : 31-32). Dans ce cadre, l’alternance ⸗a : ⸗ya résulterait d’une élimination de *H compensée par l’allongement de la consonne en contexte C__V et par l’émergence d’un [j] en contexte V__V. Cette conjecture est problématique parce que l’élimination des « laryngales » produit, normalement, l’effet exactement inverse, en imposant un allongement compensatoire aux voyelles et à certaines consonnes, sans solliciter l’insertion de semi-voyelles. Il paraît donc plus naturel de partir du prototype indo-européen *yo (voir déjà, en ce sens, Tischler HEG I, 1977 : 2-3, Puhvel HED I, 1984 : 8-9), en reconnaissant que les fricatives de pal. ⸗ha, louv. ⸗ha, reflètent une fricative [h] dérivant, comme en grec, de [j] (Melchert 2004 : 42, lui-même attribue à *h₂y un réflexe fricatif en palaïte).

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propre à la phonologie des clitiques. Il importe cependant de préciser qu’autant la règle est, par nature, intransférable aux relations affixales, autant l’organisation des signes d’écriture ne permet pas de vérifier positivement l’hypothèse d’une contrainte */CₓCₓj/ à l’intérieur des morphèmes, ni celle d’un traitement en limite d’affixes. La vraisemblance de ce dernier traitement pourrait, peut-être, être corroborée, au plan comparatif, par le rapprochement, proposé par Oettinger (1992), entre le morphème de dérivation itérative -anna/i-, toujours écrit avec une géminée, et le morphème véd. -anyá-, d’après un prototype commun *-enyé-67, mais ce processus n’a pas d’autres parallèles dans la langue. En définitive, la différence de comportement phonologique entre la conjonction de coordination {⸗ja} et la conjonction adversative {⸗ma} trouve sa motivation ultime dans le fait que les propriétés de /j/ sont de nature à motiver une gémination des consonnes antécédentes, ce qui n’est pas le cas des nasales. 9.17 Phonotactique 9.17.1 Portée des incompatibilités Une description phonotactique des clitiques est nécessairement brève, l’effectif des mots clitiques étant réduit et leurs contraintes de positionnement diminuant d’autant les latitudes combinatoires des phonèmes qui les composent. Dans un cadre limité se pose le problème du caractère significatif des combinaisons non attestées, autrement dit, de discerner si l’absence de quelque chose résulte d’une contrainte linguistique ou de l’étendue du matériel linguistique observable. Le fait que des séquences comme, par exemple, */mʧ/ ou */mK/ soient prohibées dans la phonologie affixale est positivement significatif d’un certain comportement des nasales (§ 4.11), mais l’inexistence de séquences */m⸗ʧ/ ou */m⸗K/ en fontière de clitique résulte de ce qu’il n’existe pas de clitiques à coda en /m/ susceptible d’être cliticisé (la variante ⸗m du pronom 1sg., a toujours une forme ⸗mu devant consonne). 9.17.2 Codas des clitiques Quand un mot clitique comporte une coda, celle-ci est invariablement une consonne coronale : 67  La reconstruction *-nh₂i- « preceded by the stem vowel » proposée par Jasanoff 2003 : § 73, et adoptée par Melchert 1994 : 79, est fondée sur des rapprochements discutables ; la reconstruction -ann-i- par Kloekhorst 2008 : 176, n’a pas de base comparative.

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(85) coda de mots clitiques /T/  : poss. dir. sg. ⸗met, abl. instr. ⸗mit ; 3sg. dir. ⸗at ; ips. ⸗pat /s/  : poss. nom. sg. ⸗mis, acc. pl. ⸗mus ; 3sg.. nom. ⸗as /ʧ/  : intens. ⸗az, Vz, /n/  : poss. acc. sg./gén.pl. ⸗man ; mod. ⸗man, adv. ⸗san /r/  : quot. ⸗war Cet inventaire ne tient pas compte de la rare variante ⸗ap de l’adverbe ⸗apa (§ 9.11.9). Le caractère exclusivement coronal des consonnes en fin de mot constitue, une propriété spécifique des mots clitiques par rapport aux mots aclitiques (§ 5.1.2). 9.17.3 Attaques des clitiques Quand un mot clitique comporte une attaque, celle-ci ne présente pas limitation particulière de lieu ou de mode : (86) attaques de mots clitiques /P/  : ips. ⸗pat ([batʰ] § 4.4.1(4)) /w/  : quot. ⸗war /m/  : poss. nom. 1sg. ⸗mis, conj. ⸗ma, mod. ⸗man, 1sg. ⸗m(u) /T/  : 2sg. ⸗dd(u) /s/  : poss. nom. 3sg. ⸗sis, ⸗smis, ⸗smas /n/  : 1pl. ⸗nas  : conj. ⸗ya /j/ /K/  : adv. ⸗kan /Kʷ/  : conj. ⸗(a)k(k)u Trois segments n’apparaissent jamais dans les marges syllabiques des clitiques : les fricatives /x ɣ/ ainsi que la latérale /l/, autrement dit les consonnes qui, dans l’effectif hittite, ont un niveau de friction particulièrement faible, voire nul. Cette observation revient à reconnaître que l’attaque des mots clitiques doit phonétiquement correspondre à un certain niveau de bruit. Les mots aclitiques, pour leur part, ignorent cette contrainte. 9.17.4 Combinaisons clitiques Toutes les combinaisons possibles entre la coda finale (donc, coronale) d’un mot clitique et l’attaque d’un autre mot clitique sont attestées, du moins dans les limites définies par la matrice positionnelle (§ 9.7.2). Par suite, toutes les seules incompatibilités ou modification susceptibles de se produire en limite de clitiques concernent les relations entre consonnes et voyelles, autre dit, la

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syllabation. Cette observation converge avec le principe de rythmicité déjà évoqué (§ 9.14.9). 9.17.5 Divergences par rapport à la phonotactique affixale Les séquences de phonèmes consonantiques admises en frontière de clitiques (que l’hôte soit lui-même clitique ou aclitique), mais prohibées ou ou non attestées en frontière de morphèmes concernent une dizaine de configurations (87). Toutes les séquences licites à condition d’être traversées par une fontière de clitique impliquent régulièrement un segment labial : (87) séquences licites en frontiere de clitiques exclusivement ʧP  : 1-e-da-az⸗pát KBo 14.20 ii 14 (NH) TP  : É-er⸗se-et⸗pát KBo 22.61 i 38 (VH) KP  : a]m-mu-uk⸗pát HKM 29.4 (MH) ʧm  : ap-pí-iz-zi-ya-az⸗ma⸗wa HKM 10 : 11 (MH) nw  : is-pa-a-an⸗wa KBo 8.45 Ro 6 (VH) ʧw  : ku-e-ez⸗wa-a(⸗)t-[ta KBo 16.23 i 12 (NH) lm  : am-me-el⸗ma KUB 45.20 ii 9 (MH/nh) Tm  : nu-at⸗mu HKM 19 : 3 (MH) nP  : ki-is-sa-an⸗pát KBo 8.42 i 4 (VH) Ces données confirment que le trait de labialité constitue, en hittite, un paramètre majeur dans la délimitation du mot (§§ 5.1.3, 8.1.1-3). L’observation des combinaisons de consonnes et de voyelles va dans le même sens : la combinaison {nu⸗wa}, fréquente à toutes les époques est toujours écrite nu⸗wa (par ex. KUB 36.49 iv 8, VH), alors que dans l’affixation, il serait impossible que /w/ soit localisé entre des voyelles dont l’une serait /u/. 9.18

Syllabation des agrégats

9.18.1 Observation de la scansion Il est banal que la scansion des associations avec clitiques ou entre mots clitiques soit distincte des associations entre syllabes au sein d’un même mot aclitique. En serbo-croate, par exemple, la proclise de {nad⸗} « dessus » sur ovca « mouton » → acc. [o͂ v.cu] est syllabée [nȁd.ōv.cu], contrairement à la norme qui s’appliquerait si *[nȁ.dōv.cu] était un mot-forme (Franks & King 2000 : 40-41). Dans une langue où l’écriture des clitiques ne met en évidence que les processus impliquant des segments, il va de soi que leur scansion syllabique est particulièrement difficile à discerner. La question de savoir si

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la scansion de {Kʷi-s⸗wa} → ku-is-wa KUB 14.1 + KBo 19.38 Ro 28 (MH) est [Kʷi.swa], ainsi que le demanderait la hiérarchie de sonorance s’il n’y avait pas de frontière clitique, plutôt que [Kʷis.wa], où la fontière clitique coïnciderait avec la frontière syllabique, n’a pas de réponse démontrable, même si certains indices semblent plutôt orienter vers cette dernière hypothèse. 9.18.2 Préservation de la frontière clitique Deux indices suggèrent que les clitiques et leur hôte ou les clitiques entre eux ne forment pas, du point de vue de la syllabation, un seul et même mot, mais préservent l’individualité de chaque unité en prohibant leur fusion supra-segmentale. (1) La localisation nasale. – Dans un mot aclitique, il est impossible qu’une nasale soit suivie d’une plosive hétérorganique (§ 4.11.5). Or, dans la cliticisation, une nasale coronale peut parfaitement être suivie d’une plosive labiale : a-pu-u-un⸗pát KBo 6.2 ii 32 (VH), pé-e-ra-an⸗pát KBo 17.36+ ii 15 (VH), etc. (les graphies du type de [m]a-a-an⸗kán KBo 17.2 i 7 (VH) ne permettent pas de discerner si la nasale est [n] ou [ŋ]). Une relation de cette sorte démontre l’existence d’une scansion dissociée de l’hôte et de son enclitique. (2) Traitement des consonnes doubles. – Les séquence formées de consonnes identiques traversées par une frontière de clitique /Cₓ⸗Cₓ/ reflètent une absence de coalescence /Cₓ⸗Cₓ/ → [Cₓ]. Seules les consonnes /s/ et /n/ sont susceptibles d’être rencontrées dans ce type de situation puisqu’elles seules peuvent être rencontrées en attaque comme en coda de de clitiques. Or, la combinaison d’un mot aclitique et d’un mot clitique ne suscite pas la fusion syllabique de l’aclitique et du clitique : {Kusan⸗nas⸗ʧ} → ku-ú-sa-an-na-as-za KBo 6.2 iii 17 (VH) ; {man⸗nas} → ma-an-na-as HKM 84 : 12 (MH) ; {alKisTás⸗sis} → al-ki-ista-a-as-si-is KBo 17.3+ iv 12 (VH). Des graphies de type *ku-ú-sa-an-as, *ma-anas, *al-ki-is-ta-a-as-is ne sont pas attestées. En revanche, quand une séquence /Cₓ⸗Cₓ/ est elle-même précédée ou suivie d’une autre consonne, donc en formant une séquence de trois consonnes dans le mot synclitique, on observe une fusion syllabique comme dans {KaruHales⸗smes⸗ja} → LÚ.MEŠka-ru-ha-le-es-me-es-sa KBo 6.2 iii 14 (VH), Code § 54 ; {Hassus⸗smis} → LUGAL-us-mi-is KBo 22.2 Vo 15 (VH?). Il demeure cependant difficile de discerner si, dans ce dernier cas, la graphie restitue [Has.sus.mis] ou [Has.su.smis] en évitant [ssm] ou si elle économise un signe contenant une voyelle fictive *LUGAL-us-sa-mi-is. Dans les relations entre mots clitiques, la situation est nécessairement différente, une fusion syllabique supposant nécessairement que la fontière syllabique demeure distincte de la frontière de clitique ; un exemple de cette situation est {TwekʰanTs⸗sis⸗batʰ} → nu tu-ek-kán-za-si-is-pát sarnikzi « il restitue

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en personne (litt. ‘son propre corps’) » KBo 6.2 ii 54 (VH)68, où la séquence ⸗si-is-pát suppose[⸗.si.s⸗batʰ]. Ces observations s’accordent avec celles qui ont déjà été relevées concernant l’immunité segmentale de la fin de mot aclitique envers la cliticisation. La cohésion hôte-clitique, quand elle a une traduction segmentale, s’effectue toujours via un changement de la forme des clitiques, jamais l’inverse. 9.18.3 Situations indiscernables La plupart des situation sont indiscernables, particulièrement où une plosive au moins est impliquée : une combinaison fréquente à toutes les époques comme {nu⸗aT⸗ʧ} → na-at-za KBo 16.47 Ro 3 (VH) peut recouvrir trois interprétations différentes : (i) une monosyllabe [n⸗ad⸗ʧ] si l’on suppose que la plosive de {aT} est voisée, (ii) une monosyllabe [n⸗at(ʰ)⸗ʧ] si l’on admet qu’elle est non voisée et que la hiérarchie de sonorance ne s’applique pas, (iii) un mot bisyllabique [n⸗a.tʰə⸗ʧ] si l’on admet le non voisement de la plosive impose une compensation des rapports de sonorance. De même, {ʧig⸗ʧ} → zi-ik-za HKM 71 : 9 (MH) suppose [ʧig⸗ʧ], [ʧik(ʰ)⸗ʧ], ou [ʧi.kʰə⸗ʧ], etc. Il ne semble pas possible de départager ces solutions. 9.19

Rapports de sonorance

Dans une langue où les règles segmentales susceptibles de s’appliquer entre affixes sont radicalement disjointes de celles qui sont susceptibles de s’appliquer entre clitiques, et où la scansion du mot synclitique intègre la distinction entre mot aclitique et mots clitiques, la vraisemblance pour que la hiérarchie de sonorance ait les mêmes conséquences dans les agrégats de clitiques que dans les relations entre morphèmes représente une hypothèse a priori faible. La question de savoir si les agrégats de clitiques sont soumis aux normes qui s’appliquent dans les relations inter-syllabiques des mots aclitiques ne trouve cependant pas de réponse véritablement démontrable. L’incertitude dérive de

68  Contrairement à Patri 2007 : 60, dans ce passage, tu-ek-kán-za- reflète un dérivé en -antau cas nominatif {Twekʰ-anT-s⸗} et non une forme fléchie au cas ablatif (nasalisé) de l’agent inanimé, car en l’absence de patient, la construction ne saurait être reconnue comme transitive.

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ce que les propriétés de voisement de obstruantes non sibilantes en limite des mots clitiques sont indiscernables (sauf dans le cas de ⸗pat /bat(ʰ)/ : § 4.4.1(4)), mais surtout, de ce que les graphies des combinaisons aclitique + clitique ou clitique + clitique qui, normalement, suscitent l’insertion d’une voyelle d’anaptyxe ne diffèrent pas, de façon générale, des graphies dans lesquelles il n’y a pas de conflit. Dans une séquence comme, par exemple, {P(a)ra⸗batʰ⸗ʧ} → pa-ra-a-pátza KUB 13.4 ii 39 (MH/nh), l’impossibilité d’une coda à sonorance ascendante [tʰʧ] (par ailleurs, phonétiquement proscrite, § 8.2.1) demanderait, dans l’hypothèse d’une fusion syllabique de l’agrégat, une résolution [P(a.)ra.ba.tʰəʧ] ; or, la représentation graphique *-pát-az de cette situation serait en conflit avec la norme othographique voulant que {⸗ʧ} derrière consonne n’est pas écrit -az. L’interprétation inverse n’est pas moins incertaine : dans le cas de {nu⸗ʧ⸗tʰ} → nu-za-ta KUB 13.9 ii 4 (MH/nh) l’hypothèse d’une syllabation conforme aux rapports de sonorance [nuʧtʰ] n’exclue pas la possibilité de [nuʧ.tʰə] ou de [nu.ʧətʰ]. Comme rien ne laisse a priori présumer de ce que la représentation graphique serait conforme à la prononciation ou bien, au contraire, en discordance avec elle, aucune conclusion particulière ne s’impose. Il semble a priori raisonnable d’estimer que les interactions entre clitiques ne sont pas soumises aux règles gouvernant la formation des syllabes au sein d’un même mot car l’absence de toute manifestation graphique particulière dans les situations suscitant normalement des conflits de sonorance suggère plus facilement une absence de conflit plutôt qu’un conflit masqué par la graphie, mais cette présomption, bien que probable, reste du domaine de l’hypothèse. 9.20

Spécificités phonologiques du comportement clitique

9.20.1 Intégrité paramétrique des segments La totalité des processus segmentaux susceptibles de se produire en limite de clitiques, qu’il s’agisse de tendances ou de règles, de consonnes comme de voyelles, reposent sur trois mécanismes seulement (‘φ’ = n’importe quel segment) : (88) mécanismes possibles en frontière de clitiques insertion : ∅ → [φ] élimination : /φ/ → ∅ gémination : /φ/ → [φφ]

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La frontière de clitique s’avère donc être un contexte dans lequel les propriétés individuelles caractérisant un phonème inclus dans un mot clitique sont, en tant que somme de propriétés, inaccessibles à toute modification, ajout ou soustraction : un segment peut être maintenu, éliminé ou ajouté à lui-même, mais son identité paramétrique n’est jamais modifiée. En d’autres termes, les phonèmes en contact dans un contexte clitique entretiennent avec leur entourage des rapports strictement abrupts, jamais des interactions graduées. Une autre façon d’exprimer la même chose consiste à reconnaître que les relations entre clitiques affectent exclusivement le nombre des segments en présence, jamais leur propriétés. 9.20.2 Autonomie de la régulation phonologique Un second principe relatif aux mécanismes segmentaux advenant régulièrement entre clitiques ou entre hôtes et clitiques est qu’ils forment un corpus de règles totalement disjoint de celui de la phonologie affixale. Les données hittites confirment, sur ce point, les conclusions de Kaisse (1985), Inkelas & Zec (1990), reconnaissant que l’organisation morphologique d’un mot aclitique, ainsi que l’identité des morphèmes qui le composent, sont inaccessibles aux règles s’appliquant dans la phonologie clitique (dites « postlexicales »). Mais l’inverse est également vrai puisqu’aucune des règles de la phonologie affixale ne s’applique dans la cliticisation. Il existe de longs débats, dans la mouvance générativiste, portant sur la question de savoir à quel degré les clitiques sont « lexicalement attachés ». En hittite, la réponse est simple : les clitiques reflètent entre eux et par rapport à leur hôte des interactions systématiquement différentes de celles que manifestent les morphèmes. Tous les processus phonétiques susceptibles de se produire entre clitiques aussi bien qu’entre morphèmes, correspondent invariablement à des tendances plus ou moins accusées ou plus uo moins erratiques, mais jamais à des règles. 9.20.3 Indépendance envers la morphologie Une troisième singularité propre à la phonologie des clitiques est que leurs interactions mettent en évidences des rapports fondés sur les relations entre segments ou entre syllabes, sans jamais faire intervenir aucune spécification de niveau morphologique. Les processus phonologiques réguliers advenant entre clitiques et aclitiques ou entre clitiques sont indifférentes à la signification comme au statut catégoriel des mots en présence. Cette observation peut être vue comme un même aspect ou une conséquence de la précédente : de même que les règles de la cliticisation ne s’appliquent pas à celle des morphèmes, celles des morphèmes ne s’appliquent pas à la cliticisation.

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9.20.4 Auto-génération de la variation contextuelle Le caractère le plus spectaculaire des mécanismes induits par la cliticisation est que toute variation segmentale motivée par la présence d’un mot clitique dans un contexte donné affecte la forme du mot clitique lui-même, jamais les unités de son entourage, qu’il s’agisse d’autres mots clitiques ou de mots aclitiques. La question de savoir si ce comportement représente une caractéristique universelle ou si elle ne s’observe que dans la plupart des langues est débattue depuis Zwicky (1977 : 27-28), sans qu’une solution se soit nettement dégagée, tant les contextes créés par la combinaison d’un mot aclitiques et d’un clitique sont difficilement comparables à ceux dans lesquels un mot aclitique manifeste d’éventuelles propriétés particulières. Quoi qu’il en soit, en hittite, cette norme ne connaît aucune exception, y compris dans la cliticisation coordonnante (§ 9.16.2). Les relation entre les clitiques eux-mêmes peuvent toutefois, comme on l’a vu, faire apparaître des relations de dominance, mais celle-ci sont généralement motivées par des paramètres de composition segmentale ou de rhythmicité qui ne doivent rien à l’identité référentielle des mots clitiques. 9.20.5 Syllabation et rythmicité Enfin, une dernière caractéristique des variations conditionnées impliquant des clitiques est d’être invariablement fondées sur un traitement différencié de la syllabation, plus largement de la rhythmicité : (1) La diversité des traitements CV → C, CV → V, VC → C, CVC → CV, se résume soit à ôter une marge syllabique (89a) ou un noyau pour réaffecter l’ancienne marge à une syllabe adjacente (89b), soit à assigner une nouvelle marge en compensation de celle qui a été éliminée (89c). Aucun autre mécanisme n’est documenté : (89) bases syllabiques de l’allomorphie clitique base a. conjonction : advers. ⸗ma relateur quot. ⸗war b. connecteurs : nu⸗, su⸗ Ta⸗ conjonction : ⸗ma pronoms : 1sg. ⸗mu 2sg. ⸗tʰu adverbes : ⸗asTa ⸗aba c. conjonctions coord. ⸗ja

variante conditionnement ⸗a ⸗wa n⸗, s⸗, T⸗ ⸗m ⸗m ⸗tʰ ⸗sTa ⸗ba ⸗Ca

/… C⸗__/ → [C⸗__] __⸗V, __# (__/a/) __⸗V … __⸗V … __⸗V __⸗C[-cor.], __# e/i⸗__ e/i⸗__ /… Cₓ⸗__/ → [Cₓ.⸗Cₓ__]

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(2) les voyelles aussi bien que les consonnes peuvent être identiquement affectées dans un même contexte : la fin de mot justifie l’élimination de la voyelle finale de 2sg. ⸗ttu/⸗ddu ainsi que celle de la consonne finale de ⸗war ; une voyelle efface une voyelle antécédente dans le cas de nu⸗, su⸗, ta⸗, ⸗mu, mais une consonne dans celui de ⸗war. (3) la propension des clitiques à être atteints par l’allomorphie est prédite par leur l’organisation syllabique : tous les clitiques ayant des allomophes ont, au moins une variante à syllabe finale ouverte de forme CV(C) ou VC(C)V, alors que les clitiques en syllabe fermée de forme VC comme les pronoms ⸗as, ⸗at, ⸗an, ⸗us, et l’adverbe ⸗an sont invariants quel que soit le contexte. Parallèlement, tous les clitiques n’ayant aucune variantes sont invariablement des clitiques de forme CVC ou C : opérateur modal ⸗man, adverbes ⸗kan, ⸗san, possessifs ⸗mis, ⸗tis, ⸗sis (etc.), identifiant d’ipséité ⸗pat ; intensifieur ⸗za /⸗ʧ/. Tous les clitiques CVC ne sont pas invariants (quot. ⸗war : wa), mais une condition de l’invariance est qu’un clitique ne soit pas de forme (C)VC. En d’autres termes, la sensitivité à l’allomorphie des clitiques (proclitiques comme enclitiques), apparaît strictement gouvernée par leur aptitude à (ne pas) former une syllabe en fonction du terme – ou de l’absence de terme – immédiatement localisé à leur suite. La règle globale est que, dans l’agrégat, deux noyaux syllabiques ne peuvent se suivre s’ils ne sont pas séparés par une consonne en attaque de la seconde syllabe ; par suite, les clitiques à consonne finale VC et CVC demeurent invariants car leur forme préjuge de la présence d’une consonne en attaque la syllabe post-vocalique, alors que les clitiques de forme CV sont soumis à des variations formelles fondées sur une élimination de la voyelle équivalente à la restauration de la même organisation (C)VC. 9.20.6 Segments et syllabes Autant les relations d’allomorphie entre clitiques prédisent un certain type de syllabation, autant l’inverse n’est pas vrai. Les mécanismes de régulation allomorphiques ne se laissent pas réduire à un seul niveau d’analyse et reposent sur des rapports complexes, superposant des motivations à la fois et rythmiques et articulatoires. La forme ⸗CV de 3sg. dat. ⸗se/i est invariante, ce qui n’est pas le cas de celle de 1sg. ⸗mu, etc., ce qui montre que les propriétés des phonèmes vocaliques jouent également un rôle distinctif.

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9.21

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Récapitulatif et bilan

En hittite, le positionnement des clitiques est strictement conditionné par la syntaxe et par la sémantique, indépendamment de la phonologie prosodique ou segmentale ; les variations formelles qu’ils peuvent connaître, en revanche, sont entièrement conditionnées par la phonétique et la phonologie, indépendamment de leur signification ou de leur rôle syntaxique. Les règles en matière de placement ou de phonologie qui s’appliquent dans la cliticisation sont totalement disjointes des celles qui s’appliquent dans l’affixation, et réciproquement. Toutes les règles phonologiques qui s’appliquent en frontière de clitiques se traduisent invariablement par une modification formelle du mot clitique lui-même, jamais par celle d’un hôte aclitique ; à l’inverse, les manifestation irrégulières ou tendances phonétique susceptibles d’être observées dans les combinaisons affixales commes dans les combinaisons clitiques peuvent se traduire par une modification segmentale de l’hôte. En hittite, la phonologie des mots clitiques est, fondamentalement, autre que celle des mots aclitiques.

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Index thématique On ne mentionne ici que les notions suscitant une observation particulière ; sauf mention, les chiffres renvoient aux pages. accent chap. 7, passim ; 145-149, 201-202, 206-207, 214-217, 324, 332-338, 358-360, 492, 527, 548-555 affriquée  169 n. 49, 231-243, 461 localisation 232-237, 292-293, 439 gémination 232, 356-358 allomorphie 503, 511, 524, 631-632 voir aussi : morpho(-pho)nologie allongement et accentuation 122, 144-149, 192-193, 228-229, 332-338, 356, 360, 364, 505, 509, 527, 536, chap. 7, passim compensatoire 446 analogie 3, 139, 147, 214, 268, 293, 317, 400, 418-419, 445, 496, 508-513, 521, 528-535 alvéolaires 219, 220, 222, 233, 236, 257, 468 anaptyxe 106-108, 114, 119, 153, 162, 199, 225-226, 300, 305, 308-309, 345-346, 371, 391, 417-421, 425, 467, 472-478, 493-514 (non-)antériorité voyelles 477-485 coronales 233-238, 244-245, 416, 437-439 antihomophonie 414-420 antirésonances 276, 449 appendice complexe 169-170 extra-syllabique 470 approximantes 165, 246, 251-272, 330, 447, 486-489, 621-624 arrondissement 150-153, 404-414, 463-465, 487-489, 611 et fricatives 233 voir aussi : labialité articulation secondaire 169-170 aspiration 183-186, 190, 193, 197-217, 227, 278, 340, 413, 420-427, 433-435, 461, 521-522 voir aussi : accentuation ; écartement glottal ; DAV ; désaspiration

assimilation inter-consonantique 200, 230, 245, 253, 346, 358, 410, 417, 422, 428, 500, 536 distante 235, 255, 437, 436-463 perceptuelle 169 n. 49, 205-207, 210 progressive 193, 430-435 attaque (syllabique) 309, 311-313 Barth (loi de __) 412 Bartholomae (loi de __) 200, 426-435 bruit 169 n. 49, 232-233, 239, 278-279, 416, 436, 440, 442, 454, 625 clitiques 232-234, 252, 280-281, chap. 9, passim agrégation de __ 569-574 enclitiques 562-568 proclitiques 558-562 phonologie spécifique 629-633 coalescence 260, 263, 324, 405, 408, 416, 427-428, 490, 608-609, 627 coda 212, 243-246, 254, 305, 310, 313-315 DAV : voir vibration ; voir durée défriction 435, 441-443 désaspiration 200, 201, 205-211, 282, 365, 412, 423-434, 536 dévoisement 209, 220, 283, 421, 422, 425, 447 diphthongue 132-135, 149 dissimilation 200, 207, 257, 260, 407, 410, 424, 432, 439, 500, 512, 515, 536 durée des rimes 122, 135, 144, 150, 186 n. 66, 192, 202-204, 212, 325, 332-339, 358, 364, 368, 370, 374, 492, 623, et chap. 7, passim conditionnée 145-149, 332-339, 340 intrinsèque 146-149, 320, 340 d’attaque vibratoire (DAV) 191, 203-207, 209, 212, 227-228, 340, 422-424, 432, 514, 536

705

Index thématique élargissement glottal 191, 197, 200-201, 205-207, 211, 422, 424, 427 élimination 244, 265, 328-330, 408, 444-449, 462, 466-472, 477, 513-514, 516-521, 529, 537, 607-610, 612-619, 623 émergence de semi-voyelles 258-270, 330-331, 404-415, 487, 490-493, 615 voir aussi : anaptyxe, épenthèse, paragogie  emprunts (phonologie de l’__) 119, 123, 194-196, 203, 222-223, 233, 235, 242-243, 284, 285, 285, chap. 5, passim épenthèse 231, 305, 316, 415, 410, 450-453, 465-466, 468 extramétricité 310-314, 504 formants  127, 247-251, 412, 414, 464, 474, 485 fréquence fondamentale (F0) 279 n. 142, 364 force 299 fortition/lenition (processus) 190 n. 71, 206 n. 91, 215-217 fortis/lenis (consonnes) 187-191 fricatives, friction 217-229, 232, 252, 291-292, 302-303, 316-317, 352, 414-417, 422, 427-429, 431, 435-443, 454, 472-477, 610, 625 arrondissement 233 labiales en hatti et en hourrite 71, 123, 242 voir aussi : défriction, bruit frontière  entre syllabes 138, 199, 302, 304-306, 310, 315-318, 342-343, 351, 452 entre morphèmes 140, 294, 297, 341, 409, 414-417, 429, 452, 514 entre clitiques 140, 158, 239, 244, 352, 406, 490, 547, 607-624, 626 entre mots 345, 445 gémination, géminées 175, 191, 232, 238, 297, 314-315, 339-361, 366-376, 392, 401, 415, 425, 550-552, 617, 621-624 glottal consonnes 159-160, 222, 223 n. 102 élargissement 191, 197-201, 422-424, 443 glottalisation 100 n. 5 Grassman (loi de __) 11-12, 424, 426, 435

hiatus 328-330, 405, 465, 486-493, 553, 613-619 homorganicité 246-251, 275, 331, 465, 466, 478, 536, 605, 608, 615 hypoarticulation 484-485 intonation 279, 324, 377 labial, labialité, labialisation  consonnes labiales 151, 160-165, 224-226, 277-279, 404-414, 425, 429-431, 444, 511, 525, 608, 619, 626 labialisées 151, 160-165, 224-226, 277-279 délabialisation 283 nasales et labiales 242-243 en hourrite 71 laryngal 153, 182, 185, 193, 197, 211, 251-253, 341, 432, 461 latérale 255-256, 258, 289, 312, 350, 353, 440, 625 lenition, lenis voir : fortition, fortis liquides 253-258, 268-269, 289-290 métrique (phonologie __) 366-368, 474, 504 mode articulatoire 66, 100 n. 5, 154-160, 170-217, 222, 228-229, 272-273, 277, 340, 413, 421, 427-435, 536 phonatoire 182-183, 364 n. 4 signes graphiques stipulant un mode  158-159 (pát / pít), 221-222 (Vh) more, moraïque 364-365 morpho(-pho)nologie 4 n. 5, 407, 419, 516-528, 537 muta cum liquida 306-308 nasales, nasalité, nasalisation  voyelles 453-463 consonnes 238-243, 277, 290-291, 310, 317-318, 353-355, 404-410, 444sq., 520, 525, 608, 619, 627 localisation 243-251 et représentation des emprunts 242 comportement singularisé de /m/ 248, 251, 310 nasalisation et voisement 449-450 nasalisation distante 453-455 nasalisation émergente 456-463

706 neutralisation 140, 145, 147, 282, 423, 439, 464, 477-485 noyau (syllabique) 104, 106, 121-122, 146, 160, 239, 490, 504, 545, 549-550, 619, 632, et chap. 6-7, passim obstruantes 173, 215, 238, 276-279, 280-283, 303, 348, 441, 444, 457, 474-477 ordres articulatoires 153, 157-158, 169, 180-183, 195, 204-205, 273-275 palatal, palatales acquisition/formation secondaire de [j] 166, 237, 623 affrication, fricativisation 193, 201 n. 83, 220, 235-236, 238, 357 ordre palatal 153, 166-170, 237, 437-439, 478 paragogie 162, 163, 283, 345, 473, 510, 512 pharyngales, pharyngalisation 182, 184-186, 193, 197, 222, 223 n. 102, 432 phonologisation 127, 166, 279, 409, 416, 425, 452, 502-509 voir aussi : analogie phonotactique chap. 5, passim ; 106, 113, 162, 231-232, 247, 254, 432, 501, 525, 594, 624-626 plateau (syllabique) 315-318, 436, 496, 501, 619 poésie (métrique) 333 n. 20, 376-378, 549 poids (syllabique) 143, 145, 358, 365, 367-372, 401 prothèse 199, 265, 474-477 redondance 132, 142, 233, 325, 358, 362 réduction de la DAV 206-209 des séries 213 du flux aérodynamique 443 de l’espace vocalique 477-485 règle phonologique 535-537, 542, 553, 628, 630, 633 réplication (voyelles) 96, 105, 111, 135, 142-149, 307, 318-339, 366-372, chap. 7, passim résonantes 171, 211, 244, 247-251, 276, 298, 341, 343, 348

Index thématique rhinoglottophilie voir : nasalisation émergente rhotiques 256-258, 283-284, 289, 355, 422-423, 427, 442, 465, 468-472, 609 rhotacisation des voyelles 463-465 rhotacisme louvite 216 rime syllabique 135, 367, 370, et chap. 6, passim rythmicité 14, 298, 527, 617, 631-632 sibilance, sibilantes 104, 110, 170-175, 219-220, 274, 276, 278, 282, 308, 309, 343, 347-349, 415-416, 427, 496, 522, 610-613 semi-voyelles 97, 118-119, 132, 135, 136, 138, 143, 173, 246, 251, 258-272, 288, 328-330, 347, 404, 465 comportement différencié des sons et des phonèmes 260-261, 406-407, 492 émergence 330, 486, 488, 491-492, 611, 615 extramétricité 310-311 élimination 516, 623 niveau de constriction  121 syllabation 114, 122, 311, 313 sonorance hiérarchie, niveau (chap. 6, passim), 106, 111-114, 116-117, 152, 194, 225, 244, 284, 416-417, 472-473, 493-500, 506-511, 514, 530, 619, 627-629 exemption naturelle 299-306, et chap. 6, passim spirantes (Martinet) 447 suprasegmental 4, 66, 97, 347, 359, 521, 627 (chap. 7, passim) svarabhakti 199, 424, 474 syllabe (chap. 6, passim) légère/lourde 143, 145, 358, 365, 367-372, 401 ouverte/fermée 102, 124, 189, 252, 307, 310, 335-336, 368-373, 401, 503504, 524-525, 632 ton, tonalité 364-365 transitions 233, 238, 247-248, 251, 404-420, 436, 444, 454, 463-468, 478, 535-538, 616

Index thématique turbulence 200, 239, 251, 276, 278, 416, 442, 456, 462 uvulaire 222-224 vélaire 153-156, 160-165, 170, 221-229, 273, 275, 277, 279, 292, 348, 411, 428, 435, 439-441, 443, 446 vibration des cordes vocales 183, 204, 209, 212, 279, 340, 422 durée d’attaque vibratoire (DAV) 191, 203-207, 209, 212, 227-228, 340, 422-424, 432, 514, 536 voile du plalais 447, 452, 463

707 voyelles (non-)arrondissement 123 n. 4 (hourrite), 127-128, 142, 150-151, 233, 412, 485, 488 espace vovalique 116, 127, 142, 149-152, 482, 484 hauteur, constriction 14 n. 17, 121, 127, 128-131, 137-141, 151, 319-320, 338, 465, 477-485, 487 voix, (dé)voisement 101, 109-112, 154-159, 164-165, 176-188, 190-191, 191-196, 201-209, 213, 216, 220, 222, 225, 228, 278-279, 281-286, 417, 421, 427-434, 449-450, 514, 521

Index des formes Le présent index compile les mots et morphèmes suscitant un commentaire, non ceux qui sont énumérés dans des listes d’exemples ; il est limité aux formes hittites ordonnées selon l’ordre alphabétique des syllabogrammes au moyen desquels elles sont transcrites (§ 2.1.1), y compris quand un même son est resitué par des signes différents (à l’initiale /j/ et /w/ sont écrits i et u/ú aussi bien que y(a) et w(a, i₅) – § 4.14). Les formes faisant usage des deux types de graphies dans un même paradigme, par exemple, dir. wa-a-tar :: instr. ú-i-ta-an-ta, sont rangées, par défaut, sous le symbole correspondant aux semi-voyelles (en l’espèce : w), tandis que ceux qui n’utilisent que i ou que u/ú sont rangés avec les séries à voyelle initiale (en l’espèce : u/ú), même quand ils représentent seulement /w/ (ainsi, uek(k)- « vouloir, demander »). Les graphies CₓCₓ et V̅ₓ sont rangées au même niveau que les graphies Cₓ et Vₓ. Les formes suscitant une interprétation phonologique sont signalées entre /…/ ou {…}. –a– {-a} (allatif) 56, 267 n. 134, 383-384 ⸗a / ⸗m(a) 544, 585-587, 589, 619 ⸗a / ⸗ya 140, 261, 265, 357, 560, 582-585, 589, 621-624 {⸗a-} pronom déloc.  ⸗as (nom.) 281 ⸗at (dir.) 57, 165, 460 ⸗an (acc. sg.) 542 ā- « être chaud »  3pl. prés. my. a-a-an-ta 143, 239 ptcp. a-a-an-za 325, 328, 329, 489, 490 -ahit- (louv.) 47 aiēss- « devenir chaud » 328 ais-/iss- « bouche »  dir sg. a-i-is 381, 492 is-sa-a-as-ma[… ({isá⸗sma} ? {isás⸗ smas} ?) 381, 385 abl. [i]s-sa-a-az, is-sa-az 505 ak(k)- « périr, disparaître » 522 3sg. prés. a-ki 201-202, 206 1pl. prés. ak-ku-e-ni ~ ak-ku-u-e-ni  491 3pl. prés. ak-kán-zi 201-202, 206 3sg. prét. (a-)ak(-ki)-is ~ ag-ga-as 83, 198, 202, 206, 207 n. 92 2sg. imp. a-ak 336 akkatar- « mort »  gén. ag-ga-an-na-as 520 a-ga-an-ni-is « chaudron » 196, 203 ⸗(a)k(k)u (coord.) : voir ⸗k(k)u ak(k)uske- « boire »  3pl. prés. ak-ku-us-kán-zi 164, 425

akut(t)ara- « échanson »  nom. sg. a-ku-ut-tar-ra[-as] ~ a-ku-ut-tar-as 430 akuwātar « boisson »  gén. a-ku-wa-an-na-as 520 -alla/i- (louv.) 47 Alihhani 222 alpa- « nuage »  nom. al-pa-as 310 alpuess- « être/devenir aigu »  3sg. prés. [a]l-pu-e-es-zi 262 alwanzatar- « sorcellerie, sortilège »  dir. al-wa-an-za-tar ~ al-wa-an-za-ta 312, 447, 468 ammiyant-  nom. a-mi-ya-an-za ~ am-mi-ya-an-za  244 am-mu-uk (1sg. acc.-dat.) 530 ⸗an (adv.) 606 {-aN} (gén.pl.) 57, 383 {-aN : -N} (acc. sg..) : voir {-N : -aN} -anna/i- (itér.) 347, 624 an-da-an « dedans » 321 {-aNTa} ~ {-aNTari} (3pl. prés. my.) 469 an-dur-za 314 {-aNTu} (3pl. opt/imp.) 330 aniur- « rituel »  dir. a-ni-u-ur 264 dat.-loc. a-ni-u-ri 246, 262 gén. a-ni-u-ra-as 262, 264 aniye/a- « faire, travailler »  1sg. prés. a-ni-e-mi ~ a-ni-ya-mi 140, 264 1pl. prés. a-ni-ya-u-e-ni 269 3sg. prét. a-ni-i-e-et 331

Index des formes anna- « mère » 244, 358 n. 38, 392, 534 acc. pl. an-nu-us ~ an-ni-us 535 annalla/i- « maternel » 534 annanu- « entraîner » 354 annanumar- « éducation » 354 ans- « frotter, essuyer »  3sg.prés. a-a-an-si ~ a-an-si 143, 244, 445 2sg. imp. a-an-as  105, 246, 314, 445, 452 sg. imp./opt. a-an-as-du 445 antara- « bleu »  acc. an-ta-ra-an 244 antarant- « bleu » dir. an-ta-ra-an-ta-an 490 antuwahha- « homme  nom. an-tu-u-wa-ah-za ~ an-tu-wa-ah-ha-as 466 abl. UN-az-zi-ya 234 anturiya- « de l’intérieur »  nom. an-dur-ya-as ~ an-tu-ri-ya-as 263 {-aNʧ} ~ {-aNʧi} (3pl. prés.) 321, 378, 528 3pl. prés. -anzi ~ -ānzi 330, 337, 378 a-ap-pa-an « derrière, après » 145 ⸗ap(a) 544, 606 apā- (pronom déloc.)  nom. pl. a-pé-e 375 nom. pl. a-pu-u-us 336 dir. a-pa-a-at ~ a-pa-at-ta ({abáT⸗ja})  336, 348, 375 acc. sg. a-pu-u-un ~ a-pu-ú-un ~ a-pa-a-an  124, 385 gén. sg. a-pé-el, a-pé-el-la ({ab-el⸗ja})  348 gén. pl. a-pé-e-en-za-an 451 abl. a-pé-e-ez 356 instr. a-pé-et ~ a-pé-e-da-an-da 314, 519 apatta « là-bas » 158 appa « derrière, à la suite de »  a-ap-pa- (compos.) ~ a-ap-pa-an 145, 386 appa- « être achevé »  3sg. prés. a-ap-pa-i 265 appananda « derrière » 244 appasiwatt- « futur » 386 appatar- « saisie »  gén. ap-pa-an-na-as 520 appatriye/a- « gager, confisquer »  3sg. ap-pát-ri-ya-zi ~ ap-pa-at-ri-ez-zi  312 appezzi(ya)- « antérieur, dernier »  nom. pl. ap-pé-ez-zi-e-es 146

709 appiske- « saisir »  3sg. prés. ap-pí-is-ki-iz-z[i 499 appuzzi- « graisse »  dir. ap-pu-zi ~ a-pu-zi 357 ar- « se tenir »  2sg. imp. my. (a-)ar-hu-ut 302 arr- « laver »  1sg. prés. ar-ra-ah-hi 346 3sg. prés. a-ar-ri 346, 347 2pl. prés. [ar-]ra-at-te-ni 346 3pl. prés. ar-ru-wa-an-zi ~ ar-ru-ma-an-zi 516 3sg. prét. a-ar-as-ta 346 nom verbal gén. a-ar-ru-wa-as ~ a-ar-ru-ma-as 341, 491 ar-/er- « venir, arriver »  1sg. prés. a-ar-hi 346, 347 3sg. prés. a-ri ~ a-a-ri 346 1pl. prés. e-ru-e-ni ~ er-u-e-ni ~ e-ru-u-eni 258, 491 2pl. prés. ar-te-ni 346 3pl. prés. a-ra-an-zi ~ a-ra-a-an-zi 321, 346 arā- « ami »  acc. a-ra-a-an 359 arra- « anus »  nom. ar-ri-is ~ ar-ru-us 516 acc. ar-ra-an 359 a-ra-ah-za « dehors, ailleurs » 108 arai- « arrêter »  3pl. prés. a-ra-a-an-zi  araske- « venir » 3sg. prés. a-ar-sa-ki-iz-zi ~ a-ar-as-ki-iz-zi  104 arawa- « libre, exempt »  nom. sg. a-ra-u-as ~ a-ra-u-wa-as 269, 270, 491 nom. pl. a-ra-u-e-es 269 arawahh- « libérer »  1sg. prét. a-ra-wa-ah-hu-un 428 arawanni- « libre »  nom. pl. a-ra-wa-ni-es ~ a-ra-wa-an-ni-es 355 a/erh- « ligne, frontière » 394 dir. ar-ha-a-an 385 acc. pl. er-hu-us 224, 385 abl. er-ha-az ~ a-ra-ah-za 108-109 arhai- « délimiter » 3sg. prés. er-ha-zi 447 3pl. prés. ir-ha-an-zi 447

710 ar-kam-mi- « lyre » 240 ar-kam-mi-ya-ya-la- « joueur de lyre » 240 arkiu- « passage (?) » abl. ar-ki-i-ú-az 270 arku- « chanter, entonner »  3sg. prét. ar-ku-ut-ta 162, 511 arkuwatar- « boisson » gén. ar-ku-wa-an-na-as 520 armai- « être enceinte »  ptcp. ar-ma-u-wa-an-za 305 arnu- « faire se mouvoir »  1pl. prés. ar-nu-um-me-en 404 3pl. prés. ar-nu-an-zi ~ ar-nu-wa-anzi 486, 489 1sg. prét. ar-nu-nu-un 525 3sg. prét. ar-nu-ut 510, 512 inf. ar-nu-ma-zi ~ ar-nu-ma-an-zi ~ ar-nu-ma-zi 404, 447, 486, 489 ars- « s’écouler » 515 3sg. prés. ar-as-zi ~a-ar-zi 467 3sg. prés. ar-si-ya-az-zi ~ ar-si-e-ez-zi 140 arsa(r)sur- « flot, courant »  dir. ar-sa-as-su-u-ur 467 n. 48, 515 dir. pl. ar-sa-a-as-su-ú-ri 321, 515 dat.-loc. a-ar-sar-su-ri 467 n. 48 arsana- « auberge, caravansérail ? » loc. ar-sa-na ~ ar-za-na 465 arsnu- « faire couler »  3pl. ar-as-sa-nu-wa-an-zi 345 aruna- « mer »  all. a-ru-na 383 abl. a-ru-na-az 231 aruwai- « s’incliner, se prosterner »  3sg. prés. a-ru-u-wa-iz-zi ~ a-ru-ú-wa-a-iz-zi 329 3pl. prés. a-ru-wa-a-an-zi 329 3sg. prét. a-ru-wa-it 000 3sg. opt. a-ru-wa-a-id-du 329 as- « demeurer, rester »  3sg. prés. a-as-zi 344 3pl. prés. a-as-sa-an-zi ~ a-sa-an-zi  344, 360 3sg. prés. my. a-as-ta-at 344 ptcp. nom. a-as-sa-an-za 344, 360 asa/es- « asseoir, installer »  1sg. prét. a-sa-as-hu-un 317 3sg. prét. a-sa-as-ta ~a-se-es-ta 500 2sg. imp./opt. my a-se-es-hu-ut  ~ a-se-is-hu-ut 138

Index des formes asa/eske- « asseoir, installer » 3sg. prés. a-sa-as-ki-iz-zi 500 asawar- « enclos, pâturage »  dat.-loc. a-sa-ú-ni ~ a-sa-u-ni ~ a-sa-una-i 266, 489 asi- dét. défini 532 asiwant- « pauvre »  dir. sg. dir. a-as-si-wa-an 352 āska- « porte, portail »  loc. pl. a-as-ka-as 231 abl. a-as-ka-az 505 all. a-as-ka 383 asnu- « prendre soin »  1sg. prés. as-nu-mi ~ as-sa-nu-mi 266, 489 ⸗asta 543, 607 āssu- « bon »  dir. pl. a-as-su-u 127, 145, 146-147, 374 dir. sg. (et pl.) a-as-su 145, 374 dir. a-as-su-us-se-me-et (āssu⸗smet)  252 dat.-loc. a-as-sa-u-e 266 as-su-ú-ul « faveur, bien-être » 146 ad- « manger » : voir ed-/ad{-aʧ : -ʧ} (abl.) : voir {-ʧ : -aʧ} {-ádar-} (dériv. abstraits) 216, 520-521 -anna- (oblique de -ātar-) 520-521 atta- « père » 358 n. 38, 415 acc. at-ta-as-mi-in « mon père » 544 n. 4 nom. pl. att-i-es 534 ad-dam-ma-an ({atʰan⸗man}) 240 adātar « nourriture »  gén. a-da-an-na-as 000 au- / u- « voir » 261, 395, 488 1sg. prés. u-uh-hi 122 1pl. prés. um-me-e-ni ~ ú-me-e-ni ~ ú-me-ni 371, 404, 526 2pl. prés. a-ut-te-ni 489 3pl. prés. ú-wa-an-zi 120, 122, 405, 406, 489 1sg. prét. u-uh-hu-un 120, 122, 406 1sg. opt. act. ú-wa-al-lu 406 1sg. opt. my. u-wa-ah-ha-ru ~ ú-wa-ah-haru 123, 124 2sg. imp. a-ú 270, 336 auli- « tube, larynx » 255 auri- « vigie, observateur  gén. a-ú-ri-(ya-)as ~ a-ú-wa-ri-(ya-) as 488, 518 {-ax-} (factitif) 428

Index des formes – e – [voir aussi : i] {-er} (3pl. prét.) 517 {-es} (nom. pl.) 136, 141, 516 ⸗e 596, 614-616 -ezzi- (dériv.) 356 eka- « froid, glace » 483 egai- « refroidir » 484 ekt- « filet de chasse »  nom. e-ek-za 510 acc. sg. e-ek-ta-an ~ e-ek-za-an 510 acc. pl. ag-ga-ti-us 510 eku-/aku- « boire »   2sg. prés. e-uk-si ~ e-ku-us-si 160, 163, 345 3sg. prés. e-ku-zi, e-uk-zi 160 1pl. prés. ak-ku-e-ni ~ ak-ku-u-e-ni 405, 526 1pl. prés. a-ku-e-ni ~ e-ku-wa-ni 526 3pl. prés. a-ku-an-zi ~ ak-ku-us-kán-zi  163, 425 2sg. imp. e-ku 283 2pl. imp. e-ku-ut-te-en ~ e-ku-te-en 193, 430 2pl. prés. e-ku-ut-te-ni ~ e-ku-te-ni 193, 430 3sg. opt. e-ku-ud-du 163, 309 3sg. prét. e-ku-ut-ta ~ e-uk-ta 160, 511, 512 ekuna- « froid » 161 epp- / app- « prendre, saisir » 173, 470 1sg. prés. e-ep-mi 247 3sg. prés. e-ep-zi 530 1pl. prés. ep-pu-u-e-ni ~ [e]p-pu-ú-e-ni  121, 526 1pl. prét. e-ep-pu-en 294 2pl. prés. ap-te-ni 315 3sg. prét. e-ep-ta 512 2sg. imp. e-ep 282 ptcp. ap-pa-an 145 erh- « ligne, frontière » : voir arherhui(t)- « panier »  loc. ir-hu-u-it-i ~ er-u-i-ti 442 ermanant- « malade » 515 nom. er-ma-la-an-za  erman- « maladie »  dir. e-er-ma-an ~ er-ma-a-an 137, 320 abl. er-ma-na-an-za ~ GIG-az 305, 459 es-/as- « être assis, (s’)asseoir »  3sg. prés. my. e-sa-ri ~ e-es-sa-ri ~ i-sa-ri  482

711 es-/as- « être »  1sg. prés. e-es-mi 114 3sg. prés. e-es-za ~ e-es-zi ~ i-es-zi 138, 390, 529 3pl. prés. a-sa-an-zi 360 1sg. imp. e-es-li-it ~ e-es-lu-ut 289 2sg. imp. e-es 336 3sg. prét. e-es-ta 511 3pl. prét. e-se-er ~ e-ser 390 3pl. imp./opt. a-sa-an-tu 172 ptcp. a-san-an-za 360 eshar-/eshan- « sang, meurtre » 391 dir. e-es-har ~ e-es-sar 363, 375, 435 gén. is-ha-a-na-as ~ e-es-ha-na-as ~ e-es-na-as ~ is-ha-na-a-as 316, 363, 375, 384, 435 instr. e-es-ha-ni-it 506 instr. is-ha-an-da 375 abl. e-es-ha-na-za ~ is-ha-na-an-za 458 loc. e-es-ha-ni 363 esharnu- « ensanglanter, rendre rouge »  3sg. prés. e-es-har-nu-zi 382 eshaskant- « couvert de sang » 477 n. 55 esri- « image, statue »  dir. e-es-ri ~ e-es-sa-ri 104 dat.-loc. e-es-ri-ya 266 dat.-loc. e-es-re-e(⸗s-si) 266 ed-/ad- « manger »  1sg. prés. e-et-mi 114, 247, 307 2sg. prés. e-ez-si 293 1pl. prés. a-tu-e-ni 294, 526 2pl. prés. ez-za-at-te-ni ~ e-ez-za-te-ni  419, 431 3pl. prés. a-da-an-zi 114 3sg. prét. e-ez-ta 293 2pl. imp. e-ez-za-at-ten ~ e-ez-za-tén 419, 431 3sg. imp./opt. ez-za-ad-du ~ e-ez-za-du  419 3pl. opt./imp. a-da-an-du ~ e-ez-za-an-du  419 2sg. imp. e-et 136 3sg. opt./imp. ez-za-ad-du ~ e-ez-za-du ~ e-ez-du 418, 419 etri- « nourriture »  dir. e-et-ri 307 etriyant- « rassasié »  e-tar-ya-an-t[a-an] 107 n. 6, 308 etriye/a- « nourrir, engraisser » 307

712 e(u)wan- (sorte de céréale)  dir. e-wa-an  ~ e-u-wa-an 491 eyan- (sorte d’arbre, pin ?) dir. e-ya-an ~ e-a-an 132, 140 – h – ha- « croire »  3pl. prét. ha-a-er 489 hahhal- « verdure » : voir zahheli{-xa(ri)} (1sg. prés. my.) 427 halai-- « bouger »  2pl. prés. ha-la-it-tén 329 3pl. prés. ha-la-a-an-zi 329 halent(i)u- « palais »  loc. ha-le-ti-u-i 448 hali- « enclos »  loc. pl. ha-a-li-ya-as ~ ha-a-li-e-as 140, 488 halina- « argile (?) »  dir. sg. ha-a-li 140 gén. ha-li-i-na-as 143 loc. pl. ha-a-li-e-as 140 halki- (espèce de céréale)  nom. sg. hal-ki-is 373 nom. pl. hal-ki-e-es 136, 518 dat.-loc. hal-ki-i 373 acc. pl. hal-ki-us 518 halmasuitt- « trône »  abl. hal-ma-as-su-it-ta-az 505 haluka- « message, information » 115 halzai- « appeler, crier »  3pl. prés. hal-zi-an-zi ~ hal-zi-ya-an-zi  488 2sg. prés. hal-za-i-it-t[i] 143 halzi- « place forte » 235 hama/enk- « lier »  1sg. prét. ha-ma-an-ku-un 317 3pl. prés. ha-mi-in-kán-zi ~ ha-me-in-kánzi ~ ha-ma-an-kán-zi 494 hamesha- « printemps-été »  gén. ha-me-es-ha-as ~ ha-me-is-ha-as ~ ha-mi-es-ha-a 138 hameshant- « printemps-été »  nom. ha-me-es-ha-an-za ~ ha-mi-is-kánza 223, 443 nom . ha-mi-es-kán-zi 444

Index des formes han- « puiser »  inf. ha-nu-wa-an-zi  ~ ha-nu-ma-an-zi  410, 491 handa(i)s- « chaleur »  loc. ha-an-ta-i-si ~ ha-an-da-is-si 342 handai- « arranger, déterminer »  2sg. imp. ha-an-da-a-i 336 hanessa- (mesure)  nom. sg. ha-ni-is-sa-a-as 371 hanna- « grand-mère » 358 n. 38 hanske- « juger » ha-as-si-ke- 500 hantezziya- « premier »  nom. ha-an-te-ez-zi-i-as ~ ha-an-te-ez-zi-ya-as 119 hanti « à part, séparé » 373 hanzassa- « progéniture, descendance »  444, 446, 451 hapi(ya)- (fonctionnaire du culte)  nom. pl. ha-a-pí-e-es ~ ha-a-pí-es 135 happ- « joindre »  2sg. prés. ha-ap-ti 315 happar- « négoce, tarif »  abl. ha-a-ap-pa-ra-az 505 happinahh- « enrichir »  1sg. prés. ha-ap-pí-na-ah-ha-ah-hi 428 1sg. prét. ha-ap-pí-na-ah-hu-un 428 happu- « clôture »  loc. ha-ap-pu-u-i ~ ha-ap-pu-ú-i 124 hapsali-/hassalli- « siège » 515 hara(n)- « aigle » 388 nom. ha-a-ra-as ~ ha-ra-a-as 320 acc. sg. ha-a-ra-na-an 309 nom. pl. ha-a-ra-ni-e-e[s] ~ ha-ra-ni-ya-as  141 hāratar- « offense » 520 har(k)- « (dé)tenir, avoir »  3sg. prés. har-za → har-zi 513 1pl. prés. har-ú-e-ni ~ har-u-e-ni ~ har-wa-ni 120, 121, 312 2pl. prés. har-te-ni-i ~ har-te-e-ni 337, 377, 527 3sg. prét. har-ta 511 2sg. imp. har-ak 105, 336 hark- « périr, disparaître » 513 3sg. prés. har-ak-zi 194, 467 harka- « destruction » acc. anim. har-ga-an 150

Index des formes harki-/ hargai- « blanc, brillant »  nom. sg. har-ki-is 255 acc. har-ki-in 150 gén. har-ki-as ~ har-ki-ya-as 253, 486 nom. pl. har-ga-e-es 517 acc. pl. har-ga-us 517 harknu- « faire disparaître »  3pl. opt. har-ga-nu-wa-an-du ~ har-kán-nu[-an-du] 355 harna- « verser, répandre »  3sg. prés. har-ni-ya-zi ~ har-ni-e-ez-zi 140 1pl. prés. har-na-u-e-ni 121 harnink- « faire périr »  1sg. prét. har-ni-in-ku-un 245 harnu- / harnau- « siège d’accouchement »  nom. sg. har-na-a-us 313 dir. har-na-a-ú 270 harp- « séparer, disjoindre »  1pl. prés. har-pu-u-e-ni ~ har-ap-pu-u-e-ni  331, 411 n. 9 2pl. imp. har-ap-te-en 295 2pl. imp. my. har-ap-tum-ma-ti ~ har-ap-du-ma-ti 241 3pl. har-ap-pa-an-zi 420 hars- « racler, râtisser »  3sg. prés. har-as-zi 227 harsai-/harsi- sorte de pâtisserie  nom. pl. har-sa-e-es 517 acc. pl. ha]r-s[a]-ú-us ~ har-sa-ú-us 386, 517 harsar-/harsn- « tête »  dir. pl. har-sa-a-ar 375, 380 gén. har-as-sa-na-as ~ har-sa-na-as 105, 312, 342 gén. har-sa-na-as ~ har-as-sa-na-as 312, 342 dat.-loc. har-sa-ni ~ har-as-ni 106 harsiharsi- « temps orageux, menacant »  285 hartakka- « ours »  nom. har-tág-ga-as 316 acc. har-ták-kán 316 gén. har-tág-ga-as 316 LÚ hartakka- « homme-ours »  har-tág-ga-as ~ har-ta-ga-as 198, 316 {-xaru} (1sg. opt. my.) 427 has- « engendrer »  3sg. prés. ha-a-si ~ ha-as-si 360, 444, 451

713 1sg. prét. ha-a-as-hu-un ~ ha-a-su-un  317, 436, 445 3sg. imp./opt. ha-as-du 445 has- « ouvrir » 396 1pl. ha-as-su-e-ni ~ ha-as-su-ú- e-ni  491 3sg. prét. ha-a-as-ta 143 3pl. prét. hé-e-se-er 396 2sg. imp. ha-a-as 336 hass- « cendre, savon »  nom. sg. ha-as-sa-as ~ ha-a-as ~ ha-as-s⸗a 282, 297, 313, 317, 343 acc. sg. ha-a-as-sa-an 360 hassa- « foyer » 400 acc. sg. ha-as-sa-an ~ha-a-as-sa-an ~ ha-as-sa-a-an 552 loc. ha-as-si-i  ~ ha-a-as-si-i ~[ha-] as-sa-a-i 385 all. ha-as-sa-a ~ ha-as-sa 400 hassa- « progéniture, descendant »  nom. pl. ha-a-as-se-es 446 hassatar- « famille, lignée »  gén. ha-as-sa-an-na-as ~ ha-an-sa-an-na-as 446 abl. ha-as-sa-an-na-az ~ ha-as-sa-an-naan-za 454, 458 hassikk- « (être) repu, (se) repaître »  3sg. prés. ha-as-si-ik-zi 495 1sg. imp./opt. ha-as-si-ik-lu  ~ ha-as-si-ig-gal-lu 108 3sg. prét. [h]a-as-si-kat-ta 511, 512 3pl. prét. ha-as-si-ik-ke-er 495 2sg. imp. ha-as-si-ik 495 hasiske- « juger » 500 hastai- « os » dat.-loc. ha-as-ta-i 266 haster- « étoile »  nom. ha-as-te-er-za 305, 473 acc. Ha-as-te-ra-an 466 hasduer- « branche »  dir. ha-as-du-(e-)er 303 hassu- « roi » 46 hassuezzi- « royauté » 293 hat- « sécher »  3sg. prét. ha-a-az-ta ~ ha-a-az-za-asta 414, 417, 418, 419, 512 3pl. prét. ha-a-te-er 175, 414, 419 3sg. imp. ha-az-za-du 418, 419

714 hatt- « entailler, percer »  3sg. prés. act. ha-at-zi ~ ha-az-zi-zi 294, 306, 311, 312 3pl. prés. my. ha-at-ta-an-ta ~0 ha-an-daan-da 453, 455 3pl. ha-at-ta-a-an-zi ~ ha-az-zi-an-zi 419 hattalla- « massue »  dir. pl. ha-at-tal-la 360 hattalu- « verrou »  dir. sg. ha-at-ta-lu 360 gén. ha-at-ta-lu-as ~ ha-at-ta-lu-wa-as  448 hatantiya- « lieu sec »  gén. ha-ta-an-ti-as ~ ha-ta-ti-ya-as 448 hattatar « destinée »  gén. ha-at-ta-an-na-as 469 hattesar- « cavité »  abl. ha-at-te-es-na-az ~ ha-an-te-es-na-az  454-456 Hatti 39, 41, 195, 202 Hattusili 41 n. 24, 222 hatk- « fermer »  3sg. prés. ha-at-ki 295, 316 hatkaske-, hatkiske- « fermer »  3pl. ha-at-ga-as-kán-zi ~ ha-at-ki-is-kán-zi  119 hatku-/hatgau- « serré, contraint »  nom. pl. ha-at-ga-u-e-es 136 hatnu- « faire sécher »  3sg. prét. ha-at-nu-ut ~ ha-da-nu-ut 108, 175, 313, 342, 504, 520 hatrai- « écrire »  3sg. prét. ha-at-ra-et 307 hatuga- « terrifiant » 307 nom. sg. ha-tu-ga-as 307 dir. ha-tu-ú-ga-an 143 acc. pl. ha-tu-ga-us 172 hatukatar- « terreur » 488 hazziya- « entailler »  3sg. prés. ha-az-zi-zi 306 1sg. prét. ha-az-zi-ya-nu-un 419 inf. ha-az-zi-ya-u-wa-an-zi 260 hazziya- « instrument de percussion » 351 {-xe/i} (-hhé, -hhI/E sg. prés.) 337, 427 hengur- « présent, offrande »  dir sg. hé-en-gur 463 dir. pl. hi-in-ku-wa-ri 463 henkan- « maladie, mort »  dat.-loc. hi-in-ga-ni 266

Index des formes abl. hi-in-ga-na-az ~ hi-in-ga-na-an-za  459 He-pát 158 hes- / has- « ouvrir »  1pl. prés. ha-as-su-e-ni ~ ha-as-su-ú-e-ni  262 heu- / heaw- « pluie »  nom. pl. hé-e-a-u-e-es ~ hé-e-ya-u-e-s⸗  133, 263 acc. sg. hé-e-un  ~ hé-ú-un ~ hé-e-u-un ~ hé-i-ú-un 124, 143, 263, 330 acc. pl. (anc.) he-e-a-mu-us ~ hé-ya-mu-us  133, 263, 329, 405 acc. pl. (réc.) hé-e-us, hé-e-ú-s⸗ ~ hé-u-us, hé-e-ú-us ~ he-e-mu-ú-us 134, 263, 329, 405 hiladar- / hiladn- « transition (?) » 451 n. 40 hilamar- / hilamn- « portail » 245, 451 n. 40 himma- « substitut rituel »  acc. pl. hi-im-mu-us 354 hink- « s’incliner »  3sg. prét. hi-in-kat-ta ~ he-en-ik-ta 511 hinga/iske- « s’incliner »  3sg. prés. hi-in-ki-is-ki-iz-zi 493 3pl. prés. hi-in-ga-as-kán-zi 493 he/ista/i- « bâtiment funéraire, mausolée »  47, 385 all. hi-is-ta-a 383 histumna- « desservant de mausolée » 245 hu(i)ttiannai- « tirer »  2sg. imp. hu-et-ti 414 3sg. prés. hu-ut-ti-an-na-a-i 371 hu(wa)pp- « être hostile » 000 hue/is- « vivre » 2sg. imp. hu-e-es 336 hue/isu- « cru, frais »  nom. pl. hu-u-e-sa-u-e-es ~ hu-u-wi₅-sa-u-e-es 121 huek- / huk- « prononcer des incantations »  3sg. prés. hu-e-ek-zi 127, 226 3pl. prés. hu-u-kán-zi 127, 226 3sg. prét. hu-e-ek-ta ~ hu-u-e-ek-ta 512 huett- « tirer »  2sg. prés. my. hu-e-ez-ta 297, 414, 417 2pl. imp. hu-u-e-za-at-tén 417 huinu- « faire courir »  nom verbal hu-u-e-nu-ma-as 410 huiswa- « être/rester vivant » nom verbal hu-is-wa-tar 382

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Index des formes huitar- « faune »  dir. sg. [hu]-i-ta-ar 146 dir. pl. hu-i-ta-a-ar ~ hu-u-i-ta-a-ar 146, 380 gén. hu-u-it-na-as 146 n. 24, 520 hukkiske- « organiser une conjuration » 3pl. prés. hu-uk-ki-is-kán-zi 425 hukmai- « sort »  acc. pl. hu-uk-ma-us 295 hulaliya- « entourer »  1sg. prés. hu-la-a-li-e-mi ~ hu-la-a-li-ya-mi  140, 390 hulhuliya- « lutte, combat »  loc. hu-ul-hu-li₁₂-ya 130 loc. hu-ul-lu-li-ya 130 hulle- « vaincre, écraser »  3sg. prét. hu-ul-le-et 510 1pl. prét. hu-ul-lu-um-me-[en] ~ hu-ul-lu-mi-en 138 hulukani- « voiture »  acc.pl. (capad.) ḫu-lu-ga-ni 115 gén. sg. (capad.) ḫi-lu-ga-ni-im 115  hūmant- « tout, chacun »  nom. sg. hu-u-ma-an-za 305 nom. pl. hu-u-ma-an-te-es 337 dir. sg. hu-u-ma-an  ~hu-ma-an 147-148, 519 dat.-loc. hu-u-ma-an-te ~-ti 266 instr. hu-u-ma-an-ti-it 506 abl. hūmandazzi⸗ya 234 gén. pl. hu-u-ma-an-da-an 519 {-xun} (1sg. prét.) 427 1sg. prét. C-hu-un / Vh-hu-un ~ -(n)un  135 hun- « sucer (?) »  3pl. prés. u-un-ha-an-zi 271 hunink- « frapper, endommager »  3sg. prés. hu-u-ni-ik-zi ~ hu-ú-ni-ik-zi 124, 390 huppai- « empiler »  1sg. prés. hu-u-up-am-mi 411 n. 9 hu-u-up-pa-ra-as « sorte de tissu » 196, 285 hūratiya- « troupe » hu-u-ra-ti-ya 196, 203 hurki- « roue »  acc. pl. hur-ki-us 518 hurtai-/hurti- « malédiction »  acc. hu-ur-ta-in 310

nom. pl. hur-da-a-e-es 517 acc. pl. hur-ta-us 517 hudāk- « immédiatement » hu-da-a-ak ~ hu-u-da-a-ak 225 huwapp- / hupp- « être hostile »  3sg. prét. hu-u-wa-ap-pí-is 295 huwapp- / hupp- « projeter, lancer »  1sg. prés. hu-wa-ap-pa-ah-hi 491 3pl. prés. hu-up-pa-an[-zi] 391 huwart- / hurt- « maudire » 128, 491 3sg. prét. hu-wa-ar-ta-as ~ hur-ta-as 421, 464, 473, 497 – i (= y, devant e, u) – [voir aussi : e] i- « aller »  3pl. prés. ya-an-zi 120, 378 2sg. imp. i-it 150 2sg. imp. e-hu 222 2pl. imp. i-it-te-en 120, 331 {-i/-e} (3sg. prés.) 528-530 {-i} (dat-loc. sg.) 265-268 {⸗(C:j)a} ya : voir ⸗a/⸗ya  ie/a- « aller »  3sg. prés. my. ya-at-ta  ~ i-ya-at-ta 488, 492 3pl. prés. my. i-e-en-ta ~ i-en-ta-ri 120, 469 ie/a- « faire »  1sg. prés. i-ya-mi ~ i-ya-am-mi 373 2sg. prés. i-ya-si ~ i-e-si 478 3sg. prés. i-e-zi ~ i-e-ez-zi 339, 356 3pl. prés. ya-an-zi ~ i-an-zi ~ i-ya-an-zi  264, 378, 488, 492 3sg. prét. i-ya-at ~ i-e-et 000 3sg. opt. i-ya-ad-du ~ i-e-ed-du 478 3pl. opt. i-ya-an-du ~ i-en-du 518 iluyanka- « serpent »  nom. il-lu-ya-an-ka-as 518 imma « en fait, véritablement » 244 imiul- (type de céréale)  dir. im-mi-ú-ul 246 imiye/a- « mélanger »  2sg. prés. im-me-ya-si ~ im-me-at-ti 132 3pl. prés. i-im-mi-an-zi ~ i-mi-ya-an-zi  246 inarahh- « affermir »  1sg. prét. my. in-na-ra-ah-ha-at 428

716 innara « vigoureusement » 354-355 inu- « faire chauffer » 328 irha- « faire des tours »  3sg. prés. ir-ha-a-iz-zi 390 irhai- « tracer une délimitation »  3pl. er-ha-zi ~ ir-ha-an-zi 447 iss- « bouche » : voir ais-/iss-  iss(a)- « faire »  3sg. prés. i-is-sa-i 331, 390, 482 2pl. prés. e-es-sa-at-te-ni ~ i-is-te-e-ni  147, 264, 482 3pl. prét. i-is-se-er ~ i-e-es-ser 331, 390, 482 supin i-is-su-wa-an 371 isha- « maître, seigneur » 393, 475 nom. is-ha-a-as 379 dat.-loc. is-hi-i  ~ is-hi⸗ 385 ishahru- « larme »  dir is-ha-ah-ru 312 ishai- « lier »  3pl. is-hi-an-za ~ is-hi-an-zi 529 3pl. prét. is-hi-i-e-er 292 1sg. prét. is-hE/I-Vh-hu-un 139 part. is-hi-ya-an-t- 288 ishamai- « chanter » 475 ishiul- « lien »  dir. is-hi-ú-ul 264 ishiulahh-  1sg. prét. is-hi-ul-la-ah-hu-un 428 ishuna-/ iskuna- « dégrader, maltraiter »  3pl. is-hu-na-an-zi ~ ptcp. dir. pl. is-ku-na-an-ta 443 ishuwai- « répandre, verser »  3pl. prés. is-hu-wa-an-zi 518 sg. prét. is-hu-u-wa-as ~ is-hu-wa-is 518 3pl. prét. is-hu-wa-a-er 518 iskar- « piquer, percer »  3sg. prés. is-ka-a-ri 309 iskis- « dos »  abl. is-ki-sa-za ~ is-hi-sa-za 443 isna- « pâte »  nom. is-na-a-as 375 ispai- « être comblé » 474 ispant- « nuit »  abl. is-pa-an-da-za ~ GE₆-an-za 459, 462 abl. is-pa-ta-za 448, 462 acc. pl. ispant-i-us 534 ispant-/sip(p)ant- « faire une libation » 199, 475 2pl. prés. si-pa-an-za-as-te-ni 105

Index des formes 3pl. si-ip-pa-an-zi 475 1sg. prét. si-ip-pa-an-da-ah-hu-un ~ si-ip-pa-an-du-un 199 3sg. prét. si-pa-an-da-za ~ si-pa-an-da-as  421, 498 ispanza(s)ke- « faire une libation »  3sg. is-pa-an-za-ke-zi ~ is-pa-an-za-as-kee[z-zi] 105, 508 3pl. [(si-pa-a)]n-za-kán-zi 500 ispar- « répandre, disperser » 474 isparnu- « répandre »  3sg. prés. is-pár-nu-zi 357 ispart- « s’échapper, s’enfuir »  3sg. prés. is-pár-zi-zi ~ is-pár-za-zi 418 3pl. prét. is-pár-te-er ~ is-pár-ze-er 498 3sg. prét. is-pár-za-as 498 [I]š-pu-nu-ma-an 475 istah- « goûter »  3sg. prés. is-ta-ah-hi-es-ki-iz-zi  ~ 3sg. prét. is-ta-an-hi-is-ki-it 456 istama/in- « oreille »  nom. is-ta-mi-na-as 494 acc.pl. is-ta-a-ma-nu-us 494 istamant- 477 istamas- « écouter »  2sg. imp. is-ta-ma-as 336 istanzan- « âme, esprit »  is-ta-za-na-a(s)⸗s-mi-it ~ is-ta-an-za-na-a(s)⸗s-mi-is 447 istap(p)- « clore, bloquer » 522 3sg. prés. is-ta-a-pí ~ is-tap-pí 502 3sg. prét. is-tap-pa-as 473 istappinu- « fermer, bloquer »  3pl. prét. is-tap-pí-nu-e[r] 502, 505 istark- « souffrir, affliger »  3sg. prés. is-tar-ak-ki-ya-zi 420 3sg. prés. is-tar-ak-zi ~ is-tar-zi 466 3sg. prét. my. is-tar-ak-ki-ya-at-ta-at  420 3sg. prét. is-tar-ak-ta 512 istarnink « affliger »  3sg. is-tar-ni-ik-za ~ is-tar-ni-ik-zi 497, 529 2sg. imp. is-tar-ni-ik 336 istuwa- « devenir connu » 474 -it ~ -et (flexions poss. enclitiques) 575-577 idalawahh- « maltraiter »  1sg. prét. i-da-a-la-wa-ah-hu-un 428 2sg. prés. i-da-la-a-u-wa-ah-ti ~ idālawatti 515

Index des formes

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ka(n)k- « suspendre »  1sg. prés. ga-a-an-ga-ah-hé 390 kapart- « petit rongeur »  acc. ga-pár-ta-an ~ ga-pí-ir-ta-an 494 kappi- « mesure de capacité » 196 kappi- / kappai- « petit »  acc. pl. kap-pa-us ~ acc. pl. kap-pí-ú-us  517 kappu(wai)- « compter »  2sg. prés. kap-pu-u-wa-si ~ ka-pu-u-e-si  270 3pl. kap-pu-wa-an-zi ~ kap-pu-u-wa-anzi ~ kap-pu-u-wa-a-an-zi 270, 321 karaitt-/karett- « flot »  – k, q, g – nom. ka-ra-i-iz ~ gi-re-e-ez-za 143, 473, 501 kā- (pronom déloc.) 397, 532 nom. ga-ra-az 473 nom. sg. ka-a-as 325 dat.-loc. ka-ra-it-ti 266 nom. pl. anim. ke-e ~ ki-i 103, 368 karap- « consumer (trans.), dévorer » 174 nom. pl. ke-e ~ ke-e-us 331 3sg. ka-ra-a-pí 107 acc. sg. ku-u-un 385 3pl. prés. gi-ri-pa-an-zi ~ ka-ra-pa-an-zi ~ acc. pl. ke-e-us 489 ka-ri-pa-an-zi 107, 290, 591 acc. pl. ku-u-us ~ ku-u-ú-us 331 3pl. kar-ap-an-zi ~ kar-ap-pa-an-zi 421 gén. sg. ke-e-el 143 3sg. prét. ga-ra-pa-as ~ ka-ri-pa-as 497 abl. ke-e-et ~ ke-e-ez ~ ke-e-ez-zi 234, 356 3pl. imp./opt. ka-ri-ip-pa-an-du ~ dat-loc. pl. ke-e-da-as ~ ki-i-da-as  ka-ri-pa-an-du 421 338-339 karat- « entrailles »  ⸗kan : ⸗kkan adv. 102, 550-551, 587-588 nom. sg. ga-ra-az 473 kaina- « parent »  acc. sg. ka-ra-a-ta-an 230 nom. ga-i-na-as 291 acc. pl. ka-ra-a-du-us ~ ga-ra-a-ti-us 535 galaktar- « calmant (opium ?) » 449 karawar- « corne »  kal(l)is- « appeler, invoquer »  dir. ka-ra-a-wa-ar 518 3pl. prés. ga-li-is-sa-an-zi 396 karimn- « sanctuaire » 245 3sg. prét. kal-li-is-ta 396 kariulli- « protection »  kalank- « appaiser » 449 dir. ka-ri-ul-li 288 kalmara- « rayon » 289, 290 karp(iye)- « saisir, emporter »  kalmi- « (bois de) torche » 289 3sg. prés. kar-ap-zi ~ kar-pa-zi 104 kalmisna- « braise » 289 3sg. prés. kar-ap-pí-ez-zi 420 kalmus- « crosse, crochet » 289, 291 3pl. prés. ka-ra-pa-an-zi ~ ka-ra-ap-pa-ankalulupa- « doigt »  zi 110, 421 ka-lu-lu-pí-iz-mi-da-as-ta ~ ka-lu-u-lu-pí1sg. prét. kar-ap-pu-un 420 is-mi-ta-as-ta ({Kalúlub-iT⸗smiT⸗asTa}  2sg. imp. kar-ap 105 612 karpiya- « être en colère » 48 ganes- « reconnaître, savoir »  ptcp. kar-pí-ya-an-t- ~ (louv.) kar-pí-mi-is  3sg. prés. ga-ne-es-zi ~ ka-ni-is-zi 116 48 3pl. prét. ga-ni-es-ser 116 kars- « blé » (type de__) 105 kanint- « soif »  kars- « couper, séparer »  loc. ka-ni-in-ti ~ ka-a-ni-in-ti 111 3sg. prés. kar-as-zi 227 kanisumnili « à la façon de ceux de Kane/is »  1sg. prét. kar-su-un ~kar-as-su-un 345 41 idālu-/idālaw- « mauvais » 48, 381 nom. pl. i-da-a-la-u-e-es 148 dir. pl. i-da-a-lu 147, 148 dat.-loc. i-da-la-u-e 148 nom. pl. hybride i-da-a-la-u-wa-an-zi 48 iuk « joug »  dir i-ú-uk 120 iyatar « fertilité, croissance » 469 gén. i-ya-at-na-as 520 iyatniyant- « abondant, croissant »  dir. i-ya-at-ni-ya-an 519

718 karsnu- « terminer » 3pl. prét. kar-as-nu-er ~ kar-sa-nu-er 104 kartimiya- « être en colère »  1sg. kar-tim-mi ~kar-di-mi 353 karsi- « rude, rugueux »  dir. kar-si ~ kar-as-si 104-105, 345 ka-ru-ú « anciennement, naguère » 269 karuili- « ancien, antique »  acc. ka-ru-ú-i-li-in 269 karuss(iya)- « être/rester silencieux » 352 Karzis 235 kast-« faim, famine »  nom. ga-a-as-z[a] 473 kastant- / kistant- « faim »  nom. ka-as-ta-an-za 494 instr. ki-is-ta-an-ti-it 494 katta « au bas » 82, 334, 373 kattawannalli- « attaquant »  nom. kat-ta-wa-na-al-li-is 520 kattawatar « hostilité, agressivité »  gén. kat-ta-wa-an-na-as 520 kattera- « du bas, inférieur »  loc. kat-te-ri 355 katterezzi- « inférieur » 356 katti « le long de, avec » 294, 575 ka-a-az-zu-e « coupe à boire » 46 kazzarnul- « vêtement »  dir. ka-az-za-ar-nu-ul ~ ka-za-ar-nu-ul  357 genu-/ganu- « genou »  dir. ge-e-nu 143 acc. ge-nu-un 164 instr. [g]e-nu-t⸗ 506 genzu- « abdomen »  dir. ge-en-zu, ke-e-en-zu ~ ge-em-zu 243, 290 gim- « hivers-automne »  loc. gi-mi ~ gi-im-mi 310 gimmant- « hiver-automne » 244 gimra- « steppe » 334 nom. gi-im-ra-as 246, 250, 313 gén. gi-im-ma-ra-as ~ gi-im-ra-as 246 loc. gi-im-mi ~ gi-mi ~ gi-e-mi 264 acc. pl. gi-im-ru-us ~ gi-im-ri-us 535 loc. pl. gi-im-ma-ra-as ~ gi-im-ra-as 250 ke/issar- « main »  140, 391-392, 480 nom. ki-is-sar-as ~ ki-is-si-ra-as 345 all. ki-is-ra-a 283 instr. ki-is-ri-i-it : ki-is-sa-ri-it 105, 506

Index des formes instr. ki-is-sar-at ~ ki-is-sar-ta 496, 506, 511 dat.-loc. ki-is-sa-ri-i ~ ki-is-sa-ri⸗ 385 dat.-loc. ki-is-sa-ri-i 371 ker-/kart- « coeur »  dir. ke-er  139, 148 n. 30, 338 gén. kar-di-as ~ kar-di-ya-as 116, 486 instr. kar-di-it 116 abl. kar-ta-az 116 loc. kar-di 116 all. kar-ta 116 ketpandalaz ~ ket # pandalaz « depuis tel moment » 294 kēz kēzzi⸗ya « de part et d’autre » 234 ki- « gésir »  3sg. prés. my. ki-it-ta-ri 216 3sg. opt. ki-it-ta-ru 150 Kilushepa 222 n. 101 kinu- « ouvrir, laisser béant »  3pl. ki-nu-an-zi 288 inf. ki-nu-wa-an-zi ~ ki-nu-ma-an-zi 410 kinun « maintenant » ki-nu-nam (Kinun⸗a) 240 kis- « devenir, advenir »  3sg. prét. ki-is-sa-ti 369 kissan « ainsi » 352 kistanu- « éteindre »  3pl. prés. ki-is-ta-nu-an-zi ~ ki-is-ta-nu-wa-an-zi 489 ku(w)aske- « tuer » 2sg prés. ku-ua-as-ki-si 445, 446 1sg. prét. ku-wa-as-ki-nu-un 446 ku-wa-as-ke- → ku-en-ni-es-ke- 508 ku(n)k- « remuer, faire vaciller » 285 kuen-/kun- « tuer » 471 1sg. prés. ku-e-mi 113, 244, 445 2sg. ku-e-si 445 1pl. prés. ku-en-nu-um-me-e-ni ~ ku-en-nu-um-mé-e-ni 244 3sg. prés.act. ku-e-en-zi 244 3pl. ku-na-an-zi 113, 299, 312 1sg. prét. ku-e-nu-un 164, 244, 524 1pl. prét. ku-e-u-en 408 3pl. prét. ku-e-ner 408 2sg. imp. ku-e-ni 471 kuer- « couper » 471 3sg. ku-e-er-zi 135 3sg. prés. ku-er-zi 163 3pl. ku-ra-an-zi 163

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Index des formes kuera- « champ » nom. ku-e-ra-as 284 dat.-loc. ku-e-ri 242 kui- rel.-interr. 589 dir. sg. ku-it-at {KʷiT⸗aT} 176 dir. pl. ku-e 164 acc. ku-in ~ ku-en 483 abl. ku-e-ez ~ ku-e-ez-zi 234, 293, 356, 530 kuitki- (indéf.) 39 kuitmān « quand »  ku-it-ma-an 552 kuk(k)urske- « mutiler »  1sg. ku-wa-ku-wa-ar-‹as-›ki-mi ~ 3pl. ku-uk-kur-as-kán-zi 425 ku-le-e-i « friche, terrain vacant » 133 guls- « graver, inscrire »  3pl. prés. gul-sa-an-zi 162, 440, 466 gulzi- « inscription, tracé »  acc. gul-zi-in 440, 466 nom. pl. gul-zi-es 466 kunna- (adj.) « droit favorable »  abl. ku-un-na-az 505 kuratar- « découpe »  dat.-loc. ku-ra-at-ni 520 kurur- « ennemi, guerre »  loc. sg. ku-u-ru-ri 122 kururiya- « être hostile »  3pl. prét. ku-u-ru-ri-e-er 384 kururiyahh- « faire preuve d’hostilité » 3pl. prét. ku-u-ru-ri-ya-ah-he-er ~ ku-u-ru-ri-ya-ah-er-er 222 kusan- « beau-fils » »  dir. ku-ú-sa-an 122 kussan-/kusn- « salaire »  dat.-loc. ku-us-ni ~ ku-us-sa-ni-i 344 abl. ku-us-sa-na-az 505 kusata- « dot »  ku-ú-sa-a-ta ~ ku-ú-sa-ta 147, 374 kutru(w)e/an- « témoin »  nom. pl. ku-ut-ru-e-es 307 nom. pl. ku-ut-ru-e-ni-es ~ ku-tar-ú-e-ni-es  107, 308 kutt- « muraille »  nom. ku-uz-za ~ ku-ú-uz-za 345, 473 dat.-loc. ku-ut-ti 266 abl. ku-ut-ta-az 505 kuwaraske- « couper, séparer » 165

kuwat  ku-wa-a-at 165 ku-wa-at 165 ku-wa-at-qa 156, 165 – l – la- « lâcher, laisser »  3sg. prés. la-a-iz-zi 256 3pl. prés. la-an-zi 378 3pl. prét. la-a-er 489 2sg. imp. la-a-a ~ la-a 330, 336, 368 nom verbal la-a-u-wa-ar 260 labarna- : voir tabarna lahh- « expédition, campagne militaire »  all. la-a-ah-ha 283 lah(h)anza(na)- « canard »  nom. la-ah-ha-an-za ~ la-ha-an-za 439 acc. pl. la-ah-ha-an-zu-us ~ la-ha-an-zi-us  233 lahhiya(i)- « se mettre en marche contre »  1sg. prés. la-ah-hi-ya-mi ~ la-hi-ya-am-mi  439 lah(h)ura- « table d’ofrande » dat.-loc. la-ah-hu-u-ri ~ la-a-hu-ri-ya  439 lah(h)uwai- « verser, laisser couler »  la-ah-hu-u-wa-i ~ la-hu-u-wa-i 439 lahu- « verser, laisser couler »  3sg. prés. la-a-hu-i 225, 283, 390 1sg. prét. la-a-hu-un 225, 283, 390 2sg. imp. la-a-ah 283 lahhuessar- « coupe à libation » 225 lah(h)urnuzzi- « feuillage »  dir. la-ah-hur-nu-uz-zi ~ la-ah-hu-wa-ar-nu-u[z-z...] 463 dir. la-ah-hu-ur-nu-zi ~ la-hur-nu-zi 463 lahlah(h)ima- « agitation mentale »  acc. la-ah-la-ah-hi-ma-an ~ la-ah-la-hi-ma-an 439 lakkusanzani- « couverture »  la-ak-ku-sa-an-za-ni-en-zi 440 nom. pl. la-ak-ku-sa-an-za-ni-es 440 lakkusanzani- « couverture, courtepointe »  nom. sg. la-ku-sa-an-za-ni-is ~ pl. la-ak-ku-sa-an-za-ni-es 164 lala- « parole » 388

720 lalakuesa- « fourmi »  acc. la-la-ku-e-sa-an ~la-la-ú-e-sa-an 165 lalukkess- « être / devenir brillant »  3sg.prés. la-lu-ki-is-zi 198 3sg. imp. la-lu-kis-du ~ la-lu-uk-ki-is-du  198 laman-/lamn- « nom »  dir. la-a-ma-an 105, 318 gén. la-am-na-as 105 dat.-loc. la-am-ni 105, 318 instr. lam-ni-it 105 lammar- « moment »  gén. lam-na-as 310, 525 lamniya- « appeler »  3pl. prét. lam-ma-ni-er ~ lam-ni-er 318 lapp- « briller, luire »  3sg. prés. la-ap-zi 313 3sg. prét. la-a-ap-ta 512 lappnu- « (faire) briller »  ptcp. dir. la-ap-pa-nu-wa-an ~ la-ap-pa-nu-wa-an 502 supin la-ap-nu-us-ki-u-wa-an 502 lap(p)nuske- « faire briller, reluire »  supin la-ap-nu-us-ki-u-wa-an 247 lapplipa/i(nza)- « sourcil »   acc. pl. la-ap-li-ip-pu-us ~ la-ap-li-pu-us  289, 411 le-e (négation) 325, 368 le/isai- « collecter » 341 n. 29 link- « jurer »  3sg.prés. li-ik-zi 242 2sg. imp. li-i-ik 336 3sg. prét. li-ik-ta ~ li-in-kat-ta 512 lingai-/linki- « serment » 481 nom. sg. li-in-ga-is 313 acc. sg. li-in-ga-en 310 acc. pl. li-in-ga-a-us 482 luessar-/luesn- « encens, fumigation »  dir. lu-e-es-sar ~ lu-u-e-es-sar 269 abl. lu-u-e-es-na-an-za 459 lukk- « être/devenir brillant »  3sg. prés. my. lu-ug-ga-at-ta 177 lukkatt- « aube »  all. lu-uk-kat-ta 383 lūli- « étang, source »  dat.-loc. lu-ú-li ~ lu-ú-li-ya 266 luttai-/ lutti- « fenêtre »  gén. lu-ut-ti-ya-as 193, 294 abl. lu-ut-ti-ia-az ~ lu-ut-ta-an-za 460

Index des formes luzzi- « corvée »  dir. lu-uz-zi ~ lu-u-zi 357 – m – ⸗ma (conj.) : voir ⸗a / ⸗m(a) mahhan (conj.) ma-ah-ha-an ~ ma-a-ah-ha-an 86 mai / mi-- « croître, prospérer »  3sg. prés. act. ma-a-i 240 3sg. opt./imp. act. ma-a-ú 239 makkess- « devenir volumineux »  3sg. prés. ma-ak-ke-es-zi 239 3sg. prét. ma-ak-ke-e-es-ta 239 mak(kiz)ziya- « chambre de purification »  gén. sg. ma-a-ak-ki-iz-zi-ya-as 384 maklant- « maigre »  acc. sg. ma-ak-la-an-ta-an 307 malai- « approuver »  3pl. prés. ma-a-la-an-zi 245, 360, 370 ptcp. nom. ma-la-a-an-za 245 ptcp. dir. ma-la-a-an 369 mal(l)a/i- « moudre, broyer »  3pl. prés. ma-la-an-zi ~ ma-al-la-an-zi  342, 360, 370 ptcp. dir. ma-al-la-an 369 malitt- « miel » : voir milittmalt- «  prier, réciter, invoquer »  1sg. prét. ma-a-al-tah-hu-un 308, 390 3sg. prés. ma-al-di 308, 390 3sg. prét. ma-al-ta-as 497 malzaske- «  prier, réciter, invoquer »  1sg. prés. ma-al-za-ki-mi 230 ⸗man (opér. modal) 591-592 mān « quand, si » 244, 358 mānhhanda ma-a-an-ha-an-da ~ ma-a-ah-ha-an-da  446-447 mān (conj.)  ma-a-am-ma-an (mān⸗man) 358 ma-a-an-wa ~ ma-a-wa ~ ma-a-u-wa (man⸗wa) 244 maniyahh- « attribuer, exposer, gouverner »  3sg. prét. ma-ni-ah-hi-is-kat-tas 500 3sg. prét. ma-ni-ya-ah-hi-is 497 mark- « diviser, distribuer »  3pl. prés. mar-ak-kán-zi 420 ptcp. nom. mar-kán-za 240

721

Index des formes marnuan- « bière »  dir. mar-nu-an 504 marsastarri- « sacrilège, profanation »  nom. mar-sa-as-tar-ri-is ~ mar-za-as-tarri-is 231, 465 dat./loc. mar-sa-as-tar-ri ~ mar-za-as-tar-ri 465 maz- « résister »  3sg. prés. ma-az-za-az-zi ~ ma-an-za-az-zi  456 mehur- « temps, durée » 389 dir. sg. me-e-hur 225 mekki- « grand, nombreux »  nom. sg. me-ek-ki-is 348 nom. pl. me-ek-ke-e-es ~me-e-ek-e-es 147, 173 n. 55, 374, 386 mema- « dire, parler »  1sg. prés. me-e-ma-ah-hé ~ me-e-ma-ah-hi  139, 390 3sg. prés. me-ma-i ~ me-e-ma-i 390 memal- « plat »  me-ma-al ~ me-e-ma-al 322 memiya(n)- « parole »  dat.-loc. me-mi-ya-ni ~ me-mi-e-ni 140 menahhanda (adv.) me-ma-ah-ha-an-da ~ me-e-na-ah-ha-anta 245, 515 mer-/mar- « périr, disparaître »  3sg. prés. my. mar-ta-ri 113 3pl. imp./opt. ma-ra-an-du 113 meu- / meaw- « relatif à ‘quatre’, quatre ? »  acc. pl. mi-e-ú-us 143 {-mi} (1sg. prés.) -mmi 337 ⸗mis (poss.) 574 -me-is 138, 575 mienu- « doux, charmant » (nom et adj.) nom. sg. mi-e-nu-us 490 acc.pl. mi-e-nu-us 490 mi(e)nu- « attendrir »  subst. verb. mi-i-nu-mar « gentillesse » 404 mi/ema- « refuser, repousser »  3sg. me-ma-i ~ me-em-ma-i 97, 339 3sg. prét. mi-im-ma-as ~ me-em-ma-as  482 miēss- « croître »  3sg. prés. mi-i-e-es-zi 265

militt-/malitt- « miel » 104, 312 dir. sg. mi-li-id-du ~ ma-li-id-du  ~ [m] e(?)-li-id-du 312 gén. mi-l[i-i]t-ta-as 104, 494 dat.-loc. ma-li-it-ti 494 milittess- « être/ devenir doux »  3sg. opt. mi-li-it-ti-is-du 198 mitai- « lier avec une laine »  3sg. prés. mi-ta-iz-zi 425 miu- « doux »  dir. sg. mi-ú 263 nom. pl. mi-e-wa-as 134 nom. pl. mi-e-ya-wa-as 134 miumiu(t)- « pâtisserie »  dir. pl. mi-ú-mi-ú-ta 511 dat.-loc. mi-ú-mi-ú-i 288 Mizri « Égypte » 235, 290 miyatar- « abondance » dir. mi-ya-tar ~ mi-i-ya-ta 382, 468 ⸗mu / ⸗m (1sg.)  593-595, 620-621 mugai- « invoquer »  3pl. mu-u-ga-an-zi 425 mulanti- « type de pâtisserie »  acc. mu-u-la-a-an-ti-in ~ mu-u-la-a-ti-in  448 mumiya- « se désagréger »  3sg. prés. mu-mi-e-ez-zi ~ mu-um-mi-i-e-e[z-zi] 354 munnai- « se cacher »  1sg. prés. mu-un-na-a-mi ~ mu-na-a-mi  355 – n – {-N : -aN} (acc. sg.) 379, 503-504 nah(h)- « avoir peur » 522 3sg. prés. na-a-hi 522 2sg.imp. na-(a-)hi 227 1sg. prét. na-ah-hu-un ~ na-a-hu-un 227, 228, 431 ptcp. nom. na-ah-ha-an-za 227 subst. verbal gén. na-ah-hu-u-wa-as 227 nahs/zi- « mesure de poids ou de capacité »  466 nahsaratt- « crainte, peur » nom. na-ah-sa-ra-az 317, 473, 496 acc. na-ah-sa-ra-ad-da-an ~ na-ah-sar-an-ta-an 453

722 nahsariya- « redouter, respecter »  3pl. prés. na-ah-sar-ya-an-zi 312 nai- : voir ne-/nainakkess- « devenir important »  3sg. prés. na-ak-ke-es-zi 239 3sg. prés. my. na-ak-ke-es-kat-ta-ri 499 3sg. prét. na-ak-ke-e-es-ta 239 nakki- « important »  nom. na-ak-ki-i-is 144 nakkussi- « bouc émissaire » nom. sg. na-ku-u-si-is 198 acc. pl. na-ak-us-si-us 198 namma « ensuite, en outre » 353 nasma « ou bien » 589 nassu (conj.) « soit … (soit) » 352, 590 natta (négation) 595 nathi- « lit, couche »  dat.-loc. na-at-hi-ya 266 na(u)wi « pas encore » na-a-wi₅ ~ na-(a-)ú-i 136, 288 /(N)d(aN)/ (élément pronominal) 397 ne-/nai- « tourner »  3sg. prés. act. na-a-i 390 1sg. prét. ne-e-Vh-hu-un 144 3pl. prét. act. na-i-er 132 3sg. prét. my. ne-e-a ~ ne-a ~ ne-e-ya ~ ne-i-ya 132 3sg. opt./imp. act. na-a-ú 239 ptcp. nom. ne-e-a-za ~ ne-e-an-za ~ ne-e-ya-an-za 390, 448 nega- « soeur » 45 acc. sg. ne-ga-an 162 acc. pl. né-e-ku-us 162 negna- frère » 45 nekut- « soir »  nom. ne-ku-za 533 nek(k)u « se pourrait-il que ne… pas » 580 n. 41 nekumant- « nu » nom. ne-ku-ma-an-za ~ ne-kum-ma-an-za  161, 241 nepis- « ciel » 388 dir. ne-pí-is ~ ne-e-pí-is 97, 348, 376 gén. sg. ne-e-pí-sa-as 376, 384 abl. ne-(e-)pí-is-za 314, 388 all. ne-e-pí-sa 383 nesili ~ nisili 41 nesumnili ~ nisumnili 41

Index des formes newa- « nouveau »  dir. sg. ne-e-wa-an ~ ne-e-u-wa-an 491 acc. pl. ne-mu-us 405 newahh- « renouveler »  1sg. prét. ne-wa-ah-hu-un 428 ni(n)k- « boire, se rassasier, être rassasié »  3sg. prés. ni-ik-zi ~ ni-in-zi 515 2sg. imp. ni-i-ik ~ ni-ik ~ ni-in-ga 336, 449 nini(n)k- « mettre en marche »  3sg. prét. ni-ni-in-ga-as 497 1pl. prés. ni-ni-in-ku-u-e-ni 162 nu⸗ 558-562 [ne]-en 616 n. 64 na-at-za {nu⸗aT⸗ʧ} 628 ne-es-ta {nu⸗e⸗asTa} 615-616 [nu-u]s-ma-as-sa-an {nu⸗smas⸗an} ? {nu⸗smas⸗san}? 546 nu-us-se-an {nu⸗se⸗an} 132-134, 606, 615, 616, 618 {-(n)uN} (1sg. prét.) 524 {-nu-} (causatif) 410, 502, 381 nūman  nu-u-ma-(a-)an ~ nu-u-wa-an 409 nuntaras « rapidement »  nu-un-tar-as ~ nu-tar-as 450 nuntariya- « rapide »  nom. nu-ut-ta-ri-ya-as 450 nuntarnu- « précipiter, hâter »  2sg. prés. nu-un-tar-nu-si ~ nu-tar-nu-si  448 subst. verbal nu-un-tar-nu-um-mar 404 mNu-úr-da-ah-hi (Nur-Dagan) 92, 139-140 – p, b – pahs- « protéger »  1sg. prés. my. pa-ah-ha-as-ha 316 3sg. prés. pa-ah-sa 316 1pl. prés. pa-ah-su-e-ni 262 2sg. imp. pa-ah-as-si ~ pa-ah-si 221 pahs(a)nu- « protéger »  1sg. prés. pa-ah-sa-nu-mi 305, 309, 316 pahhi- « hostile »  acc. sg. pa-ah-hi-in 219 pahhur- « feu »  dir. pa-ah-hur ~ pa-ah-hu-wa-ar 465

Index des formes pai-/pi- « aller »   1sg. prés. pa-i-mi 328 1pl. prés. pa-a-u-e-ni ~ pa-i-wa-ni ~ pa-a-i-wa-a-ni ~ pa-a-i-u-e-ni(⸗wa⸗ma)  270, 527 1pl. prés. pa-i-u-wa-ni ~ pa-i-ú-wa-ni 328, 491 2pl. prés. pa-it-te-ni 527 3pl. prés. pa-a-an-zi 328, 378, 489 1sg. prét. pa-a-un ~ pa-a-u-un ~ pa-a-ú-un  124, 238, 518, 525 3sg. prét. pa-a-it ~ pa-a-i-ta-as ({Paj-T⸗as})  281, 510 1pl. prét. pa-a-u-en ~ pa-i-ú-u-en 518 3pl. prét. pa-a-er 328 2sg. imp. pa-i- ~pa-a-i 265 3pl. imp./opt. pa-a-an-du 518 nom verbal pa-a-wa-ar 518 pai-/pi- « donner » 261, 262 1sg. prés. pé-e-eh-hé 228 n. 106 3sg. prés. pa-a-i 240, 260 1pl. prés. pí-i-ú-e-ni ~ pí-ú-e-ni / pí-i-wa-ue-ni ~ pí-wa-u-e-ni 331 1pl. prét. pí-ú-en ~ pí-ya-u-e-en 331, 492 3sg. prét. pa-a-it ~ pa-a-i-ta 510, 511, 513 3pl. prét. pí-i-e-er 384 2sg. imp. pa-i ~ pa-a-i 265 pahhursi- « membre de la maison royale »  nom. pl. pa-ah-hur-si-is ~ pa-ah-hur-zi-e-es 466 acc. sg. pa-ah-hur-si-in ~ nom. pl. pa-ah-hu-wa-ar-se-es 463 pakkus- « écraser » 164 palhatar « largeur » 488 palhi-/palhai- « large »  dir. pl. pal-hi 112, 300 nom. pl. pal-ha-a-e-es 300 palsa- « route » 112 paltana- « épaule » 205 n. 90 palwa- « s’exclamer, (pro)clamer »  3sg. prés. pal-wa-a-ez-zi 312 palweske- « clamer, crier »  3pl. pal-wi₅-is-kán-zi ~ pal-ú-es[-kán-zi] ~ pal-ú-i-is-kán-zi  130, 269, 312 palzasha- « socle, base » nom. pal-za-as-ha-as ~ pal-za-ha-as 436 dat.-loc. pal-za-as-hi ~ pal-za-hi 436 panduha- « organe interne (viscères ?) »  acc. sg. pa-an-tu-ha-an 443

723 pangarit « en nombre » (instr. ?) [pa]-an-ga-ri-it 506 panku-/pangaw- « nombre, totalité »  nom. [p]a-an-gu-us ~pa-an-ku-us 156 dat.-loc. pa-an-ga-u-i ~pa-ga-u-i 449 panku-« assemblée » 112 pantalaz « depuis ce moment » 533 pappars- « répandre »  3sg. pa-ap-pár-as-zi ~ pa-ap-pár-zi 467 pa-bi-li-li « en babylonien (= accadien) » 285 paprahh- « rendre sale, souiller »  1sg. prét. pa-ap-ra-ah-hu-un 428 paprant- « impur »  nom. pl. pa-ap-ra-an-te-es 307 papratar- « saleé, immondice » dir. pa-ap-ra-tar ~ pa-ap-ra-ta 382, 468 abl. pa-ap-ra-an-na-za ~ pa-ap-ra-an-naan-za 245, 458 parā « vers, en direction de, devant, le long de » 117, 257, 338, 368 parai-/pariya- « souffler, gonfler »  3pl. prés. pa-ra-an-zi 220, 285 paranta « le long de » 355 pár-as-za ~ pár-za « en direction de » 467 parh- « chasser, poursuivre » 2sg. prés. pár-ah-si 316 3sg. prés. pár-ah-zi ~ pár-ha-zi / pár-ha-i ~ pár-ah-ha-i 104, 108, 118, 305, 314 3pl. pár-ha-an-zi ~ pár-ah-ha-an-zi 110, 104, 108 inf. pár-hu-wa-an-zi ~ pár-ah-hu-wa-[an-zi] 108 paripara(i)- « souffler »  3sg. prés. pa-ri-ip-pa-ra-a 285 n. 5 pariyan « le long de, face à »  pa-ri-ya-an ~ pa-ri-e-an 140 parkiye- « élever »  1sg. prés. my. pár-ak-ki-ya-ah-ha[-ha-ri]  423 parku- « haut »  dir. pl. pár-ku 147 parkunu- « purifier »  3sg. prés. pár-ku-nu-uz-zi  parn- : voir per-/parnparnant- « maisonnée » nom. pár-na-an-za-as-sa {Parn-anT-s⸗ja}  583 n. 44 pars- « briser en morceaux »  3sg. pár-as-zi ~ pár-si-az-zi 516

724 pars(a)nai- « s’accroupir » 122 parsdu- « feuillage »  acc. pl. pár-as-du-us 261, 490 parsi- « briser » 354 parsnu- « casser »  3sg. prét. act. pár-sa-nu-ut 467 parsuil- « débris »  dir. sg. pár-su-il ~ pa-ah-su-il 442, 516 parsūr « soupe » 381 dir. sg. pár-su-u-ur 381 pas- « avaler »  3sg. prés. pa-a-si 219 3pl. pa-sa-an-zi 220, 257 inf. pa-a-as-su-an-zi 269 pasku- « repousser ignorer »  3sg. prét. pa-as-ku-ut-ta 162 3pl. prés. pa-as-ku-wa-an-zi 162 passandala- « goûteur »  nom. pa-sa-an-da-la-as 352 passila- « pierre (précieuse) » 352 passu- « piédestal »  dat.-loc. pa-as-su-i ~ pa-as-su-ú-i ~ pa-as-su-wi₅ 487 ⸗pat 158, 554, 578-580 pad(a)- « jambe, pied »  gén. pl. pa-ta-a-n⸗ ~ [p]a-a-ta-an 334, 384 dat.-loc. pl. pa-ta-a-as 384 padd(a)- « fouir, creuser » 179 n. 57 1sg. prés. pád-da-ah-hi 158, 177, 285 inf. pát-tu-an-zi ~ pát-tu-u-ma-an-zi 312, 486, 492 ptcp. dir. pád-da-an 171 NA4padda- (petit objet minéral)  dir. sg. pád-da 159, 285 pa/iddai- « apporter, rendre »  3sg. prés. pí-it-ta-iz-zi ~ píd-da-a-iz-zi  158, 159 pattai-/patti- « courir, fuir »  3pl. prés. pát-ti-ya-an-zi 158, 159, 294 pa/ittenu- « faire fuir »  3sg. prés. pá/ít-te-nu-uz-zi 159 pattar- « panier » 179 n. 57 pa-at-tar 112 dat.-loc. [p]át-ta-ni-i ~ pád-da-a-ni 172, 385 pattar- « aile »  dir. pát-ta-ar⸗ 158, 285

Index des formes pe- (forme liée et préfixe) 554 pehute- « enmener, conduire (au loin) »  252 3sg. prés. pé-hu-te-zi 225 peye/a- « envoyer »  3sg. prés. pé-e-ya-zi ~ pé-i-e-ez-zi ~ pé-e-ez-zi 133 3pl. prét. pé-i-e-er 138 penna/i- « conduire (au loin) » 372 1pl. prés. pé-en-ni-ú-e-ni 122 pēran  pé-e-ra-an ~ pí-i-ra-an 137, 334, 482 pé-an (abrév.) 469 per-/parn- « maison »  dat.-loc. pár-ni 266 pessiye- « jetter »  1sg. prés. pé-es-si-ya-mi ~ pé-e s-si-e-mi  141 3sg. pé-es-si-i-e-ez-zi 371 ped(a)- « emporter, prendre »  1pl. prés. pé-e-tu-me-ni 285, 378 n. 20, 404 3sg. prét. pé-e-ta-as 498 2sg. imp. pé-e-da ~ pé-da 336 inf. pé-e-du-ma-an-zi 404, 491 peda- « lieu, endroit » 389 pihaimi- (qualifie le dieu de l’orage) 354 pihassassi- (qualifiant le dieu de l’orage)  354 pipp(a)- « mettre à terre »  3sg. prét. pí-ip-pa-as ~ pí-ip-pa-a-as  498 piske- « donner »  2pl. prés. pí-is-kat-te-ni ~ pí-is-kán-te-ni  149, 456 pisnatar « virilité » 469 piddai- « apporter, délivrer » 3pl. prés. pá/íd-da-a-an-zi 321 piddai- « fuir »  3sg. prét. píd-da-a-it ~ píd-da-it-ta 510 pittalai- « abandonner » 158 n. 39 pittalwa(n)- « vierge, intact » 158 n. 39 pitteyant- « fugitif »  nom. pít-te-an-za ~ pít-te-ya-an-za 133 nom. pít-te-y]a-an-za-as-sa ({Pitʰi-aNT-s⸗ja}) 232 pittinu- « faire courir »  3sg. prés. pít-ti-nu-uz-zi 158, 381

Index des formes pittuliya- « anxiété, tension »  dat.-loc. píd-du-li-ya-i 267 pukk- « être déplaisant, repoussant »  ptcp. dir. pu-uk-kán 519 pukka/unu- « repousser » 3sg. prés. pu-uk-ka-nu-zi 502 nom verbal pu-uk-ku-nu-mar 502 punuss- « questionner »  2pl. prés. pu-nu-us-te-ni 322 3pl. prés. pu-ú-nu-us-sa-an-zi 322 3pl. pu-ú-nu-us-sa-an-zi 378 n. 20 2sg. imp. pu-nu-us 336 pupuwatar- « adultère ? » dir. sg. pu-p[u-w]a-a-tar 382 purutt- « sol »  abl. pu-ru-ut-ta-az 505 Puduhepa 195, 222 pu-wa-at-ti-is « garance (?) » 196 –s– {-s} (nom. sg.) 379, 510 {-s} (2/3sg. prét.) 379 -ss(a)- (itér.) 347 sah- « emplir, combler, bloquer »  3sg. prés. sa-a-hi  219 3sg. prés. my. sa-ha-a-ri 301 3sg. prét. sa-a-i-it ~ sa-a-it 331 2sg. imp. sa-a-ah 336 part. dir. sg. sa-a-ha-an 226 sahhan- « corvée »  dir. sa-ah-ha-an 226 sai- « être / se mettre en colère »  3sg. prés. sa-a-iz-zi 329 3pl. prés. sa-a-an-zi 329 1sg. prét. sa-a-nu-nun 329 3sg. prét. sa-a-i-it ~ sa-a-it 331 sak(k)- / sek(k)- « savoir, reconnaître »  522 1sg. prés. sa-a-ak-hi 201 n. 84, 292 1sg. prét. sa-qa-ah-hi ~ sa-aq-qa-ah-hi  198 2sg. sa-a-ak-ti 201 n. 84 2pl. sa-ak-te-e-ni 395 2sg. imp. sa-a-ak ~ sa-ak 336 3sg. prés. sa-a-ak-ki ~ sa-aq-qa-ah-hi  201 n. 84, 219

725 3pl. [s]a-kán-zi 201 n. 84 ptcp. se-ek-kán 170-171 sagai-/saki- « oracle »  acc. sg. sa-ga-in 310, 504 acc. pl. sa-ga-a-us 517 sagan-/sakn- « huile, graisse »  dir. sa-ga-an 113 gén. sa-ak-na-a-as ~ sa-ak-na-as 375 instr. sa-gán-da ~ Ì-it 246, 496, 506, 511 sakkar « excrément »  dir. sa-ak-kar ~za-ak-kar 437 sak(k)a(n)tat(t)ar- (type d’ornement)  dir pl. sa-kán-ta-ad-da-ra ~ sa-ag-ga-an-ta-at-ta-r[a] 198 saknuwant- « sali, souillé »  nom. sa-ak-nu-an-za 312 saklai- « coutume, loi »  nom. sg. sa-a-ak-la-a-is 307 saktai- « prendre soin, soigner »  3sg. prés. sa-a-ak-ta-a-iz-zi ~ sa-ak-ta-iz-zi  374 sakiya- « révéler » 3sg. prés. sa-ki-ez-zi 425 sak(k)uni- « boue »  acc. sa-ak-ku-ni-in ~ sa-ku-ni-in 198 sak(u)ruwai- « abreuver »  3pl. prés. sa-ak-ru-wa-an-zi ~ sa-ku-ru-uan-z[i] 290, 307-308 sakui-/sakuwa- « oeil »  instr. sa-a-ku-it 506 sakuwai- « observer, voir »  3pl. sa-ku-wa-an-za ~ sa-ku-wa-an-zi 529 sakuwantariyanu- « négliger » (faire / laisser se tarir) 2pl. prés. sa-ku-wa-an-ta-ri-ya-nu-ut-te-ni  304 sallai- « être grand »  3pl. prés. my. sa-li-e-a-an-da 141 sallakarta- « arrogance » 286 sallanna- « tirer » 000 sallanu- « faire croître »  3pl. prét. my. sal-la-nu-wa-an-ta-ti 491 inf. sal-la-nu-ma-an-zi 491 nom verbal sal-la-nu-mar 491 salli-/sallai- « grand, important »  dir. sg. sal-li 226 acc. pl. sal-la-mu-u[s] ~ sal-la-a-i-us 405, 517

726 sali(n)k- « toucher, atteindre »  3sg. prés. my. sa-li-ga ~ sa-a-li-ga ~ sa-li-i-ga 476 3pl. prés. [s]a-li-in-kán-zi ~ [s] a-li-ga-an-zi 453 3sg. prét. sa-li-ka-as 498 salk- « mélanger » 1sg. prés. sal-ga-mi 104 3sg. prés. sa-al-ak-zi 104 sam(a)lu- « pomme, pommier »  abl. sa-am-lu-wa-an-za ~ sa-ma-lu-wa-anza 246, 250, 312, 460, 494 sama(n)kurwant- « barbu »  nom. pl. sa-ma-an-ku-úr-wa-an-te-es  437 sa/e/imen- « disparaître, se retirer, se défiler »  3sg. prés. se-me-en-zi ~ si-me-en-zi ~ sa-me-en-zi 245, 250, 476, 494 3pl. sa-am-na-an-zi 245, 250 saminu- « faire disparaître »  3sg. prés. sa-me-)]nu-uz-zi 382 ⸗san (adv.) 587-588 san- « cacher »  3pl. prés. sa-a-na-an-zi ~ sa-an-na-an-zi  226 sa(n)h- « rechercher, vouloir »  1sg. prés. sa-an-ah-mi ~ sa-ah-mi 245, 446 2pl. prés. sa-an-ha-te-ni ~ sa-an-ha-at-teni 431, 446 3pl. prés. sa-an-ha-an-zi ~ sa-ha-an-zi ~ sa-an-ah-ha-an-zi 431, 446, 450 2sg. imp. sa-an-ah ~sa-an-ha 105, 314, 336, 446 sanhiske- « rechercher, vouloir »  2pl. sa-an-hi-is-kat-te-ni 500 sa(n)hu- « rôtir »  3pl. prés. sa-an-hu-an-[zi] 446 ptcp. sa-an-hu-u-wa-an-ta ~ sa-hu-wa-an  446 sa(n)kuni- « prêtre »  nom. pl. sa-an-ku-un-ni-es ~ sa-ku-ni-es  446 acc. sa-ak-ku-ni-in ~ sa-ku-ni-in 198 abl. sa-an-ku-un-ni-ya-an-za ~ sak-ku-nian-za 450, 459, 488 sa/ippai- « éplucher »  3sg. prés. sa-ap-pa-a-iz-zi 475 sa-pa-an-ta-al-la (dérivé de ispant- ?) 475

Index des formes sa(pa)ra- « ? »  sa-ap-pa-ra-as ~ sa-pa-ra-as 198 sapasiya- « explorer »  3pl. prét. sa-pa-si-ya-ar 141 sa-ap-ta-mi-en-zu « sept fois (?) » 315 sar(ra)- « diviser, répartir »  3pl. prés. sar-ra-an-zi 309 3sg. prét. sa-a-ar-as ~ sar-ra-as 339, 360, 498 sarā (adpos., adv.)  sa-ra-a ~ sa-ra⸗ 553 saraku- « abreuver »  part. nom. pl. sa-ra-ku-wa-an-te-es 425 sarakueske-- « abreuver »  3pl. sa-ra-ak-ku-is-kán-du 425 saram(a)n- « pâtisserie »  instr. sa-ra-am-ni-it 506 sarap(p)- « siroter »  nom verbal gén. sa-ra-ap-pu-wa-as ~ sa-ri-pu-wa-as 411 sarazzi(ya)- « supérieur » 356 sarhuwant- « entrailles, foetus »  abl. sar-wa-an-ta-za ~ sar-hu-wa-an-ta-az 442 sarganiya-/sarkaliya- « démanteler, démolir » 3sg. prét. act. sar-ga-an-ni-it 515 2pl. prés. my. sar-ka-li-ia-tu-ma-ri 515 sarlaimi- « loué, célébré » 354 sarni(n)k- « compenser »  1sg. prés. sar-ni-ik-mi 247 3sg. [sar-ni-ik]-za ~ sar-ni-ik-zi 529 2pl. prés. sar-ni-ik-te-ni 315 inf. sar-ni-in-ku-wa-an-zi ~ sar-ni-in-ku-u-wa-an-zi 491 saru- « butin » loc. sa-a-ru-i 269 sarunta/i- « source »  acc. ↘sa-ru-un-ti-in 476 abl. sa-ru-un-ta-az 476 sasnu- « endormir » 382 sast(a)- « couche, lit »  nom. sa-as-za 68 sau(i)dist- « (veau) né de l’année »  nom. sg. sa-ú-di-is-za ~ sa-a-ú-i-te-es-za ~ sa-a-ú-i-ti-is-za 121, 305, 408 n. 6, 473 sa(u)watar- « corne » 495 dir. sg. sa-a-ú-i-it-ra-an 307, 495 sa-ú-wa-tar ~sa-wa-tar ~sa-ú-wa-a-tar  495

Index des formes ⸗se (déloc. dat. sg.) 132, 136, 479, 595, 614-616 ⸗se-a ~ ⸗se-ya 572 sehur- « urine »  dir. se-e-hur ~ se-e-hu-wa-ar 463 sekan (unité de mesure) 170-171 seli- « silo, hangar à grain »  nom.pl. se-li-e-es 518 acc. pl. se-e-li-us 518 -sepa- (comp. onom.) 452 se/i/apik(k)usta- « stylet »  si-pí-i[k-k]u-us-ta-as ~ se-pí-ik-ku-us-[taas] ~ sa-pí-ik-ku-us-ta-as 475 sepit(t)- (céréale) 521 dir. pl. se-ep-pí-it-ta 511 gén. se-ep-pí-da-as ~ se-ep-pí-it-ta-as 198 ser « au-dessus »  se-e-er ~ se-er 320, 574 serha- « serviette »  instr. se-e-er-hi-it 506 ses-/sas- « sommeiller »  3sg. prés. se-es-zi ~ se-e-es-zi ~ se-is-zi 114 3pl. prés. sa-sa-an-zi 114 1sg. prét. se-e-su-un ~ se-es-su-un 360, 370, 372, 490 1pl. prét. se-es-u-en 291 seske- « sommeiller » 490 3pl. se-es-kán-zi  sesatar- (fruit)  gén. se-e-sa-na-as ~ se-sa-an-na-as 342 sesur- « irrigation »  gén. si-is-su-ú-ra-as ~ se-e-su-ra-as 320 ⸗si (poss. 3sg. dat-loc. sg. 479, 574, 595 si-en-ti-in (outil de boucherie) 437 siessar- « bière »  dir. sg. si-e-es-sar 371 sietti- « coiffure (?) »  nom. si-e-et-ti-is 294 sina- « figure » 351 sip(p)ant- « faire une libation » : voir ispantsippandanna/i- « faire une libation » 347 sish(a)- « ordonner, décréter » 475 sittar(a)- « stylet »  abl. si-it-tar-ra-za ~ si-it-tar-za 314 siu(n)- « dieu » 43, 295 n. 7, 389, 405 n. 2 nom. sg. si-i-us  ~ si-i-ú-us 330 acc. pl. si-mu-us 405 Siwan- 451 siwana- « divin » 451 n. 38 Siwanzanna/i- 451 Siwaskunian 451

727 siwatt- « jour » 386, 389 nom. si-i-wa-az 473 loc. si-wa-at-ti ~ si-wa-ti 216 siwat « aujourd’hui, présentement »  389 n. 23, 580 siwat siwat (UD-at UD-at) « chaque jour, quotidiennement » 564, 580 *siwatar- « divinité » 451 n. 38 siye- « imprimer, ficher »  1sg. prés. si-ya-mi ~ si-am-mi 354 {-sKe- (itér.)} 105, 170, 231, 387, 425-426, 495, 498-500, 507-508 ⸗sm- : ⸗sam- : ⸗sem- (poss. 3pl.) 577 ⸗smas (poss.) ~ ⸗smit⸗ (poss. instr.) 576 su⸗ 543, 558-562, 573 suhh(a)- « toîture »  abl. su-u-uh-za 314 suhha- « éparpiller, répandre »  3pl. prét. su-uh-ha-er 489 suil- « fil »  dir. su-ú-il ~ su-ú-i-il 269 sullatar- « dispute »  dir. sg. su-ul-la]-a-tar 382 sulle- « être (devenir) hautain » 353 sumanzan- « jonc, ligature » 354 sumes- pronom fort 2pl. 531 acc.-dat. 2pl. su-ma-a-as 384 sumumahh- « unifier » 476 sumreske- « être enceinte »  supin sum-re-es-ke-wa-an 246, 310 sunn(a)- « emplir » 372 1pl. prés. su-un-nu-me-ni ~ su-nu-mi-ni  483 inf. su-un-nu-ma-an-zi 491 sunniya- « plonger »  3sg. su-un-ni-ya-zi ~ su-un-ni-ya-an-zi 456 supp- « sommeiller »  inf. su-pu-an-zi 486 nom verbal su-up-pu-u-wa-ar 411 supp(a)l- « bétail, troupeau »  dir. su-up-pa-al 106 dat.-loc. su-up-li-i⸗ 106, 307 gén. pl. su-up-pa-la-an 106 suppi- / suppai- « pur, sacré »  nom. su-up-pí-is 411 dir. sg. su-up-pí 373 dir. pl. su-up-pa ~ su-pa 411 dir. pl. su-up-pa-e-a (__⸗ya) 141 nom. pl. su-up-pa-e-es 517 acc. pl. su-up-pa-us 517

728 Suppiluliuma 195 suppiyahh- « purifier »  1sg. prét. su-up-pí-ya-ah-hu-u-un 428 3sg. prét. my. su-up-pí-a-ah-ha-ti 385 Šu-pu-nu-ma-an 475 suu- « plein, intact, complet » 490 nom. sg. su-u-us 122, 329 dir. su-u-ú ~ su-u 122, 127, 143, 329, 330 acc. su-u-un 122 acc. pl. su-u-wa-mu-us 406 abl. su-u-wa-u-az 329 suwa- « pousser »  3sg. prés. su-wa-ya-az-zi 270, 325 Suwanzipa 452 suwe- « espionner, observer »  3sg. prés. su-ú-ez-zi 329 2pl. imp. su-wa-at-te[-en] 456 3pl. su-u-wa-an-du 456 – t, ṭ, d – /-d- : -dan-/ (flexions pronominales) 519, 531 {-T : -e/iT} (instr.) 379-506 {-tʰ} (3sg. prét. act.) 429, 510 ta⸗ 543, 558-562, 574 -ta  ~ -sta (2sg.) 429 n. 25 ⸗tta / ⸗ddu (pronom 2sg.) 593-595, 620-621 da- « prendre » 394-395 1sg. prés. da-a-ah-hé 114 3sg. prés. da-a-i 242, 395 1pl. prés. tu-me-(e-)ni 114, 404, 491, 492 2pl. prés. da-at-te-e-ni 113 3pl. prés. ta-an-zi ~ da-an-zi 100 n. 5, 114, 172, 378 3sg. prét. da-is ~ ta-i-is ~ da-a-i-is 265 2sg. imp. da-a  336, 368 3sg. imp. da-a-ú 278 dai- / di- « poser, placer »  1sg. prés. te-e-Vh-hé ~ te-Vh-hé 144, 228 n. 106 3pl. prés. ti-an-zi 264 1pl. prét. da-i-ú-en 270 daske- (daiske-) « prendre »  1sg. prés. da-as-ki-e-mi 499 tayazil- « voleur »  gén. ta-ya-zi-la-as ~ ta-i-ez-zi-la-as  325, 358

Index des formes taye/a- « voler »  3sg. prés. ta-i-ez-zi ~ ta-a-i-ez-zi 322 3sg. prés. da-i-e-ez-zi ~ da-a-ya-az-zi  141 taiuga- « de deux ans »  nom. ta-a-i-ú-ga-as ~ da-a-i-ga-as ~ ta-a-ú-ga-as 264, 271 Tahasta (Tahas⸗sta) 352 dakk- « ressembler »  3sg. prés. da-a-ak-ki 219 tagan « à terre, au sol » 333 ta-ga-a-an ~ ta-a-ga-an ~ da-a-ga-a-an  333 Da-ga-an-zi-pa-as ~ Da-ga-zi-pa-as 293, 448, 452 taks- ~ takiss- « accorder, élaborer, donner forme »  1sg. prés. tág-ga-as[-mi] 496 2sg. tág-ga-as-si 496 2sg. prés. ták-ki-is-si 496 3sg.prés. ták-ki-is[-zi] 496 2pl. tág-ga-as-te-ni 106, 496 3pl. prés. act. ták-sa-an-zi 106, 496 3pl. prés. ták-ki-is-sa-an-zi 106, 496 3pl. prés. my. ták-sa-at-ta-ri ~ ta-ah-sa-atta-r[i] 443, 496 1sg. prét. ták-ke-es-su-un 496 3sg. prét. ták-ki-is-ta 496 3pl. prét. ták-se-er 496 3sg. imp./opt. tág-ga-as-du 106 taksan sarra- « moitié » 563 taksatar « niveau »  gén. ták-sa-an-na-as 520 taksatniya- « niveller »  3pl. imp. my. ták-sa-at-ni-ya-an-ta-ru  520 ta⸗kku « si, quand » 573, 589 daluk- « long »  acc. sg. ta-lu-kan 594 nom. pl. ta-lu-ga-e-es 136 acc. pl. ta-lu-ga-ú-us 136, 386 tamass- « oppresser » 352 tame(n)k- « attacher »  3sg. ta-me-ek-zi 449 3pl. prés. ta-me-ni-kán-zi, ta-mi-[n] i-kán-[zi] ~ ta-me-en-kán-zi 449 tamai- / tami- « autre » 532 nom. sg. ta-ma-i-sa-an {Tamais⸗a⸗an}  546

Index des formes nom. pl. ta-ma-e-es 517 acc. pl. ta-ma-a-us 517 abl. ta-me-e-ta-az-zi-ya {Taméd-aʧ⸗ja}  232 tameuman- « autre, différent »  ta-me-e-u-ma-an 253, 489 dampu- « émousssé, arrondi »  dir. dam-pu 444, 250, 278 dampues- « être/devenir rond »  3sg. prés. ta-am-pu-e-es-zi 244, 278 3sg. prét. ta-am-pu-e-es-ta 244 taninu- « installer »  1sg. prés. ta-a-ni-nu-mi ~ ta-ni-nu-um-mi  354 tapariya- « ordre »  nom. ta-pár-ri-as 355 Tabarna- / Labarna- « roi »  acc. Ta-ba-ar-na-an 289 dat.-loc. la-bar-na-i ~ ta-bar-na-i 267, 289 dapi- « tous »  dat.-loc. da-pí-i 266 dapiant- « tous, chacun »  dir. da-pí-an 519 tapus- « côté »  abl. (et adverbe) ta-pu-us-za ~ ta-pu-uz-za  314, 468 tar- « parler » : voir tē-/tartarhu- « vaincre »  3sg. prés. ta-ru-uh-zi ~ tar-hu-uz-zi 224, 225, 338 3pl. prét. tar-uh-he-e-er ~ tar-hu-e-er 224 3sg. opt./imp. tar-uh-du ~ tar-hu-du 224 Tarhunt- 223 voc. dIM-ta 519 tarku- « danser »  3sg. prés. tar-uk-zi ~ tar-ku-zi ~ tar-ú-zi  160, 165, 466 3pl. prés. tar-ku-wa-an-zi 165, 467 nom verbal tar-ku-wa-ar 164 tarn(a)- « laisser » 1pl. prés. tar-nu-me-ni 495 3sg. imp./opt. tar-na-a-ú 278 inf. tar-nu-um-ma-an-zi 495 subst. verb. tar-nu-mar 404, 495 {Tar-sKe-} « laisser » itér. tar-as-ke- ~ tar-si-ke- ~ tar-si-ik-ke-  445, 468, 508

729 tāru- « arbre, bois »  dir. sg. ta-a-ru 381 dat.-loc. ta-ru-ú-i 266 dir. pl. GIŠ-ru.ḪI.A (= taru) 147 tarumaki- « pivert » 405 tarupp- « joindre, lier »  3sg. prés. ta-ru-up-pa-iz-zi ~ da-ru-pa-iz-zi  411 ptcp. ta-lu-up-pa-an-da-an 515 tarwesgala- « danseur, maître de danse »  nom. tar-wi₅-es-ga-la-as 269 dassu- « fort » 352 das(s)uwant- « aveugle »  nom. ta-as-wa-za ~ da-su-wa-an-za 448 tatrahh- « inciter »  3sg. prét. ta-at-ra-ah-ha-as 497 tawannanna- « reine douairière » 46 dat.-loc. ta-wa-na-an-na-i 267 te-/tar- « parler » 470 3sg. prés. te-e-ez-zi 135 1pl. prés. ta-ru-e-ni 270, 309 2pl. prés. tar-te-ni 309 2sg. imp. te-e-et ~ te-et 336 3pl. opt. da-ra-an-du 309 tekan-/takn- « terre » 391 dir. sg. te-e-kán 381 gén. ták-na-as ~ ták-na-a-as 306 n. 6, 313 gén. ták-na-a-as-sa ({Tagn-ás⸗ja}) 348 dat.-loc. ták-ni-i ~ ták-na-i 266, 267 abl. ták-na-a-az 505 all. ta-ak-na-a 383 tek(k)ussiya- « montrer »  3sg. prés. te-ku-us-si-ez-zi ~ te-ek-ku-us-si[ez-zi] 164, 198 {-tʰen : -stʰen} (2pl. prét. ou imp.) 429, 526 {-tʰeni : -stʰeni} (2pl. prés.) 429, 526 … C-te-(e-)ni / … Vt-te-(e-)ni 174 Te-li-bi-nu ~Te-li-pí-nu 157 tepu-/tepaw- « petit » 302 dat.-loc. te-pa-u-e⸗ 266 tepnu- « diminuer, amoindrir »  1sg. prés. te-ep-nu-um-mi 312 3pl. prés. te-ep-nu-zi 302 teri- « trois »  acc. te-ri-in 150 tesha- « rêve » 501 instr. teshit ~ zashit 495

730 Teshob (dieu hourrite) 196 Te-es-ha-ap ~ Te-es-hu-up 123 tessumi- « coupe » acc. pl. te-es-su-mi-us ~ ti-is-sum-mi-us  136, 478 teta(n)- « poitrine, téton »  all. te-e-da 383 teth- « tonner »  3sg. prés. my. ti-it-ha ~ te-e-et-ha 292, 482 3sg. prét. te-et-ha-as 498 tethessar- « orage » 458-459 tethima- « tonerre »  nom. te-et-hi-ma-as 312 tiya/e- « se tenir, se placer »  3sg. ti-e-ez-zi ~ti-ya-zi 141, 390 ⸗tis 574 titta-/ titti- « installer, octroyer » 294 tittnu- « installer, placer »  3pl. prés. ti-it-nu-an-zi ~ ti-it-ta-nu-an-zi  108, 312, 520 1sg. prét. ti-it-nu-nu-un 108, 320 {T-sKe-} « poser-placer »  3sg. prés. zi-ik-ki-iz-zi ~ za-as-ki-iz-zi  426, 495, 500, 501, 508 {-tʰu} (3sg. imp./opt.) 429 (…t)-tu ~ (…d)-du 102-103 tuekk(a)- « personne, corps » 294 gén. sg. tu-ug-ga-as 269, dat. sg. tu-e-ek-ki 312, 331 dat. pl. tu-e-eg-ga-as ~ tu-ú-i-ig-ga-as  269, 312, 331, 484 tuēl : voir zīk tuhkanti- (titre de dignitaire) tu-uh-kán-ti-is 292 tu/ahhi- « encens » 285 tuhhuessar- « fumigation, encens (ou approchant) » dir. túh-hu-es-sar  ~túh-hu-i-sar 136, 339 tuhhiyatt- « étouffement, suffocation »  instr. tu-uh-hi-ya-at-ti-it 500 tuhs- « détacher, être séparé »  3sg. prés. túh-Vh-hu-us-zi ~ túh-hu-us-zi  225 3pl. prés. túh-uh-sa-an-z[i] ~ túh-hu-is-sa[-an-zi] 316 (3pl. prés. ?) túh-sa-an-zi 234 n. 111 tu-uk (pronom fort 2sg. acc.-dat.) 399

Index des formes TUKUL-an-za « au moyen (abl.) d’une arme »  459 tunakkessar-  all. tu-un-na-ki-is-na ~ tu-un-na-an-ak-ki-is-na 454 tunik- (sorte de pâtisserie)  dir. tu-ni-ik ~ tu-ú-ni-ik 122, 127 tuppa(la)nuri- « dignitaire scribe » 195, 202 tuppi- « tablette »  abl. tup-pí-az ~ tup-pí-ya-an-za 460 mDup-pí-dU-up-an 196 turi- « lance »  acc. tu-ú-ri-in 150 turiye- « harnacher »  3sg. prés. tu-u-ri-ez-zi 390 3pl. prés. tu-u-ri-ya-an-zi 390 tuwan « de ce côté »  tu-u-wa-an ~ tu-wa-a-an 122, 127 tuzzi- « armée, campement militaire »  dat.-loc. [t]u-uz-zi-ya 266 acc. pl. tu-uz-zi-us 518 – u, ú (= w, devant e, i) – u- « voir » : voir au-/uu- (préfixe) 126, 554 ue-/uwa- « venir »  3sg. prés. ú-e-ez-zi 269 1sg. prés. ú-wa-mi ~ ú-wa-a-mi ~ ú-wa-ammi 271, 372 3pl. prés. ú-wa-an-zi 490 3pl. prét. ú-e-er 384 ueh-/wah- « (se) tourner »  1sg. prés. ú-e-eh-mi 114 3sg. prés. act. ú-e-eh-zi 387 3sg. prés. my. ú-e-eh-ta-ri ~ ú-e-ha-at-ta-ri  110, 502 3pl. prés. wa-ha-an-zi 114, 441 3sg. prét. my. ú-e-eh-ta-at ~ ú-e-ha-at-ta-at  502 uek(k)- « vouloir, demander » 522 1sg. prés. ú-e-ek-mi 269 2sg. prés. ú-e-ek-ti 315 3sg. ú-e-ek-zi 269, 313 3pl. prés. ú-e-kán-zi ~ ú-e-ek-kán-zi 523 2sg. imp. ú-e-ek 336

Index des formes uellu- « pâturage »  gén. ú-e-el-wa-as ~ ú-el-lu-as ~ ú-e-el-wa-as 342 uemiya- « chercher, atteindre »  3sg.prés. ú-e-mi-ya-az-zi ~ ú-e-mi-ez-zi  141, 234, 269 1pl. prét. ú-e-mi-ya-u-en 120 3pl. prét. ú-e-mi-i-e-er ~ ú-e-mi-ya-ar 141 uen-/uwan- « s’accoupler »  3sg. prés. ú-en-zi 260 ú-e-es (pronom 1pl.) 399, 531 ues-/was- « être habillé » 390 1pl. wa-as-sa-u-e-ni ~ wa-as-su-ú-e-ni 121 3sg. prés. my. ú-e-es-ta 371, 390 3pl. prés. my. ú-e-es-sa-an-da⸗ 372 uesiya- « paître »  3sg. prés. my. ú-si-e-et-ta 291 ue/idai- « apporter »  3sg. prét. ú-i-da-a-it 481 1sg. prét. ú-e-da-ah-hu-un 481 uettandātar- « année » loc. ú-e-et-ta-an-da-an-ni 483 uete- « construire »  3sg. prés. my. ú-e-et 260 2sg. imp. ú-e-te 336 inf. ú-e-du-ma-an-zi 404 ue/izzapant- « vieilli, vieux »  dir. sg. ú-iz-za pa-a-an ~ dir. pl. ú-iz-za-pa-an-ta 292 uiln-/uilin-/uilan- « argile, glaise » gén. ú-il-na-a-as 289 Uiniyant- (divinité)  acc. ú-i-ni-ya-an-ta-an 119, 121 uitt- « année »  389 loc. ú-it-ti ~ ú-i-it-ti 483 gén. pl. ú-i[(-it-ta-an)] 384, 483 uiya- « envoyer »  1sg. prés. u-i-ya-mi 271 3pl. prét. ú-i-e-er 271 d]Ú-i-su-u-ri-ya-an-ta (voc.) 314, 520 ú-uk (pronom 1sg., nom.) 399, 530 ukturi- « ferme, éternel »  nom. pl. uk-tu-u-ri-es ~ uk-tu-u-ri-i-e-es  135, 316 nom. pl. wa-a[k-t]u-u-ri-is 316 ulai- « cacher » 353 unna/i- « envoyer, mener, conduire (ici) »  3pl. opt./imp. ú-ni-an-du ~ u-un-ni-an-du  126

731 unh- « sucer (?) » 3pl. prés. u-un-ha-an-zi 378 n. 20 1sg. prét. u-un-hu-un 446 3sg. prét. u-uh-ta 446 unu- « orner » 3pl. prés. ú-nu-wa-an-zi 489 upp- « se lever, sortir »  3sg. prét. u-up-ta 512 ubati- « domaine/revenu foncier »  ú-pa-ti ~ ú-ba-a-ti 156, 196 uppeske- « se lever, sortir » 3pl. prés. [(up-pí-is-)ká]n-zi ~ u-pí-es-ká[n-zi] 411 ur-/war- « brûler »  3sg. prés. my. ú-ra-a-ni  ~ wa-ra-a-ni 257 3sg. imp./opt. my. ú-ra-a-nu ~ wa-ra-a-nu  464 {-us} (acc. pl.) 516 UŠ.ḪI.EN ~ UŠ.GI.EN « il s’inclina » 443 uske- « voir » 387, 395 3sg. prés. ú-us-ki-iz-zi ~ ú-us-ke-ez-zi 122 3pl. prés. us-kán-zi ~ 3 sg. ú-us-ki-iz-zi  387 2sg. imp. us-ki-i 264 ussiya- « ouvrir, tirer »  3pl. prés. ú-us-si-an-zi 371 usniya- « vendre »  3sg. prés. us-ni-ya-zi ~ us-sa-ni-ya-zi 342 uda- « apporter »  3sg. prés. ú-da-i 126, 285 1pl. prés. ú-du-me-e-ni 285, 390 3pl. prés. ú-da-an-zi 390 udne- « pays » 132, 262, 520 dir. ut-ne-e 134, 265, 278, 313 gén. ut-ne-ya-as ~ KUR-e-as 133, 325, 518 dat.-loc. ut-ne-e 134, 278 dat.-loc. ut-ni-ya 287 abl. KUR-e-ya-az ~ KUR-e-az 287, 325 uttar- « mot, parole » 393 dir. sg. ut-tar 146, 375 dir. pl. ut-ta-a-ar 146, 375, 380 abl. ud-da-na-za ~ ut-ta-na-an-za 458 uwa- « venir » : voir weuwanske- « s’accoupler » 3pl. prés. ú-wa-an-si-kán-zi 252 uwate- « apporter »  3pl. prés. ú-wa-ta-an-zi ~ ú-wa-an-da-an-zi  453

732 – w (= u/ú devant e/i) –

Index des formes

⸗wa(r)  592 {-war : gén. -was} (subst. verbal) 445, 452 war-/ur- « brûler »  wahnu- « faire tourner »  3sg. prés. ú-ra-a-ni 464, 465, 515 1sg. prés. wa-ah-nu-mi  ~ wa-ah-nu-ú-mi  3pl. prés. wa-ah-nu-an-zi 441, 464 311, 312, 318, 381, 387 warr(a)i- « utile, secours » (nom & adj.)  subst. verb. dir. [wa-]ah-nu-wa-u-wa-ar ~ 355 wa-ah-nu-mar 404, 410 warhui- « brousailleux »  wahnu- : voir war-/ur-  nom. wa-ar-hu-is 269, 585 wai-/wi- « crier, grogner »  wariss(a)- « venir en aide »  3sg.prés. wa-a-i 271 3pl. prés. wa-ar-ri-is-sa-an-zi 347 1sg. pres. ú-i-ya-mi 271 warkant- « gras »  3pl. prét. ú-i-e-er 271 nom. wa-ar-kán-za 270, 519 wa(k)k- « frapper » 522 dir. wa-ar-kán 519 3pl. prés. wa-ak-ka-an-zi 201 nom. pl. wa-ar-kán-te-es ~ 3sg. prés. wa-a-ki 201, 270 wa-ag-ga-an-te-es 469 3sg. prét. wa-a-kis ~ wa-ak-ki-is ~ wa-qa-as  warnu- « faire brûler »  198, 523 3pl. prés. wa-ar-nu-an-zi 442 2sg. imp. wa-a-ga ~ wa-ak 110, 336 3pl. prét.wa-ar-nu-ú-e-er 270 inf. wa-kán-na 110 subst. verb. gén. wa-ar-nu-wa-as ~ wakkariya- « se rebeller »  wa-ar-nu-ma-as 410 3sg. prés. wa-ak-ri-ya-zi 307 warp(p)- « laver, baigner »  wagata- (sorte de pâtisserie)  3sg. prés. wa-ar-pa-zi  ~wa-ar-ap-zi 109 dir. wa-ga-ta-as  ~ wa-ga-a-da-as ~ 3pl. prés. wa-ar-pa-an-zi ~ wa-ga-da-a-as 323 wa-ar-ap-pa-an-zi 109-110 walla/i- « louer, honorer »  wars- « récolter, faucher »  1sg. prés. wa-al-la-ah-hi 270 3sg. wa-ar-as-se ~ wa-ar-si 136, 353, walla- « fémur »  385 acc. sg. wa-al-la-an 240 2sg. imp. wa-ar-as 105 walh- « frapper, faire résonner »  warsma- « bois à brûler »  2sg. prés. wa-al-ah-si 316 abl. wa-ar-sa-ma-za ~ wa-ar-sa-am-ma-za  3sg.prés. wa-al-ah-zi 302 354 3pl. prés. wa-al-ah-ha-an-zi ~ wa-al-ha-an{-wasTa} (1pl. my.) 409 zi 226, 310, 314, 316 wastul- « faute, malheur »  2sg. imp. wa-al-ah  105, 278, 336 gén. us-tu-la-as ~ wa-as-túl-la-as 353 inf. wa-al-ah-hu-u-wa-an-zi 314 wātar-/ witen- « eau » 509 nom verbal wa-al-ah-hu-u-wa-ar 314 dir. wa-a-tar ~ wa-tar 334, 372, 375, 376, {-waNT-} (dériv. poss.) 404 496 wannum(m)iya- « voeuve ou orphelin »  dir. pl. ú-i-ta-a-ar ~ ú-e-da-ar 172, 375, 351 376, 380 wanuppastala/i- « étoile filante, météore » instr. ú-i-ta-an-ta ~ ú-i-te-ni-it 496 nom. wa-an-nu-up-pa-as-ta-al-li-is ~ loc. ú-i-te-e-ni ~ ú-wi₅-te-na-as 491, 496, wa-an-nu-pa-as-ta-li-es 411 506, 509 {-waNʧi} (inf.) 447 n. 34 Cu-(u-)wa-an-zi, V-(u-)wa-an-zi ~ Cu-an-zi  watarnahh- « ordonner »  3sg. prét. wa-tar-na-ah-hi-is 497 486 watku- « sauter »  295 wappu- « berge »  3pl. prés. wa-at-ku-an-zi 316 gén. wa-ap-pu-as ~ wa-ap-pu-wa-as 489 3sg. prét. wa-at-ku-ut-ta ~ wa-at-ku-ut  acc. pl. wa-ap-pa-mu-us 261 162, 511 dat.-loc. wa-ap-pu-wa-i 267

Index des formes watru- « source »  dir. sg. wa-at-ru ~ wa-at-ta-ru 307, 373 gén. wa-at-ru-as 373 {-wen} (1pl. prét.) 261, 404, 409, 526 {-weni ~ -wani} (1pl. prés.) 126, 261, 404, 409, 526 -mmen(i)} 404 {-weni ~ -wani} (1pl. prés.)  wiwid- « presser »  3sg. prés. ↘wi₅-ú-i-da-a-i ~ ↘ú-i-wi₅-ta-a-i  121 wiyan- « vin »  nom. 131-ya-na-as (GEŠTIN-, wi₅-) 119, 121 – z – {-ʧ ~ -aʧ ~ -ãʧ} (abl.) …z-za 356, 379, 457 …-zi 234 (…a)-an-za 457 {-ʧ ~ -ʧi} (3sg. prés.) 357, 528-530 ⸗za (intensifieur) 356, 596-606 -za-an {⸗ʧ⸗an} ~ {⸗ʧ⸗san} 547, 610 zah(h)- « frapper » 3sg. prés. za-a-hi 227 3pl. prés. za-ha-an-zi 227 1pl. prés. za-ah-hu-u-e-ni 227 3pl. prét. za-ah-he-er 227 zahhesk-- « frapper, taper »  3pl. prés. my. za-ah-hi-is-kán-ta 500 zahheli- « mauvaise herbe »  dir. za-ah-hé-li ~ (?) ha-ah-ha-li 515 zahhurai- « briser, émietter »  3sg. imp./opt. za-ah-hu-ra-id-du ~ za-ah-hur-ra-id-du 355 zai- « traverser »  3pl. prés. za-an-zi 518 3pl. prét. za-a-er 518 nom verbal za-a-u-[518ar] 

733 zakkar- : voir sakkarzakki- « verrou »  nom. za-ak-ki-is 45 za-ak-ki-ti-i (dat-loc. hourrite) 45 zaluknu- « retarder » 3sg. za-lu-uk-nu-za ~ za-lu-ga-nu-zi  529 zama(n)kur- « barbe » (voir aussi : sama(n) kur-) dir. za-ma-an-kur ~ za-ma-gur 437 zanu- « cuire »  3pl. za-nu-an-zi 504 inf. za-nu-ma-an-zi 404 zapzagi- (sorte de pierre dure) 195 zaske- « poser placer » : voir {T-sKe-} zazhai-/ tesha- « rêve »  instr. zashit → voir teshit  loc. za-az-hi-i 293 zena(nt)- « automne »  nom. zé-na-an-za 305 zeri- « coupe »  all. ze-e-ri-ya 383 zeya- « cuire »  3sg. prés. my. ze-e-ya 134 n. 16 3sg. prés. my. zé-ya-ri ~ zé-e-a-ri 133, 141 ptcp. nom. pl. ze-e-an-te-es 134 n. 16 zi-i-ik, zi-ik (2sg. nom.) 144, 233, 295 n. 7, 399, 530 zi-ki-la « toi seul » 531 gén. tu-e-el 399 Zikkanzipa  zinna/i- « finir » 351 3sg. prés. [zi-i]n-ni-i[z-zi] ~ zi-in-né-z[i]  356 Zippalanda 235 Zithariya 235 zuppa- « bol » acc. zu-u-up-pa-an 196 zuppari- « torche » dir. zu-up-pa-a-ri ~ zu-pa-a-ri 295, 411