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Société Internationale pour l'Étude de la Philosophie Médiévale -
Rencontres de Philosophie Médiévale, 6 -
NÉOPLATONISME ET PHILOSOPHIE MÉDIÉVALE
Actes du Colloque international de Corfou 6-8 octobre 1995 organisé par la Société Internationale pour l'Étude de la Philosophie Médiévale
édités par Linos G. BENAKIS
BREPOLS 1997
@ 1997 BREPOLS Imprimé en Belgique Dépôt légal 3e trimestre 1997 D/1997/0095/46 ISBN 2-503-50606-2
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TABLE DES MATIÈRES
Préface ..................................................................................................... .
Vll
L.G. BENAKIS, Allocution de bienvenue ........................................ .
IX
Éd. JEAUNEAU, Denys l'Aréopagite, promoteur du néoplatonisme en Occident ............................................................................ .
1
B. MOJSISCH, Die neuplatonische Theorie der Selbstverursachlichung (causa sui) in der Philosophie des Mittelalters ....
25
R.M. BERCHMAN, Porphyry and the Patristic Origins of Biblical Criticism ................................................................................... .
35
E.A. MouTSOPOULOS, L'idée de multiplicité croissante dans la Théologie platonicienne de Proclus ................................................. .
59
C. STEEL, Proclus et l'interprétation « logique» du Parménide
67
D. LUSCOMBE, Denis the Pseudo-Areopa gite in the Writings of Nicholas of Cusa, Marsilio Ficino and Pico della Mirandola ................................................................................................ .
93
J. MARENBON, The Platonisms of Peter Abelard ......................... .
109
W. BEIERWALTES, Neuplatonische s bei Bonaventura. Adnotatiunculae zum Itinerarium mentis in Deum, V, 8 ........................ .
131
I.A. AERTSEN, Thomas Aquinas : Aristotelianism versus Platonism ? .............................................................................................. .
147
J.-L. SOLÈRE, Néoplatonisme et rhétorique: Gilles de Rome et la première proposition du De causis .............................................. .
163
Th. KüBUSCH, Heinrich von Gent und die neuplatonische Ideenlehre ............................................................................................... .
197
E.P.Bos, The Theory of Ideas According to Francis of Meyronnes. Commentary on the Sentences ( Conflatus ), I, Dist. 47 ..................................................................................................... .
211
Vl
TABLE DES MATIÈRES
R. W ooo, Richard Rufus and the Classical Tradition: A Medieval Defense of Plato .............................................................
229
V. HEROLD, Neuplatonismus in der Ideenlehre bei Johann Wyclif und an der Prager Universitat ..............................................
253
A.TARABOCHIA CANA VERO, Tra ermetismo e neoplatonismo : l'immagine della natura maga in Marsilio Ficino........................
273
J.P.ANTON, Neoplatonic Elements in Arethas' Scholia on Aristotle and Porphyry .........................................................................
291
H.J. BLUMENTHAL, Sophonias' Commentary on Aristotle's De anima.........................................................................................................
307
L.G. BENAKIS, Nikephoros Choumnos (1250-1327) über die Seele gegen Plotin ....... .. .. .... .. .. .. .. .. .. .. .. .... .. .... .. ...... ..................... ...........
319
N.J. MouTAFAKIS, Psellos' Platonism and Aspects of its Implications .............................................................................................
327
P.M. CLOGAN, Neoplatonic Streak in the Statian Commentary of Fulgentius Planciades ......................................................................
339
Index des manuscrits ............................................................................
351
Index des auteurs anciens et médiévaux .........................................
353
Index des auteurs modernes ...............................................................
359
PRÉFACE Nous sommes heureux de présenter aux membres de la S.I.E.P.M. ainsi qu'à tous les chercheurs spécialisés les actes du colloque de Corfou sur Le néoplatonisme dans la philosophie médiévale. L'intérêt grandissant de la recherche scientifique de ces dernières décennies pour ce courant ultime de la pensée grecque ancienne, qui va de Plotin à ses principaux disciples, s'exprime par le nombre important de monographies, d'articles et d'autres textes de recherche, qui sont en grande partie l' œuvre des participants au colloque de Corfou. En tant qu'organisateur de cette rencontre, nous avons accompli un gros effort pour assurer la participation de spécialistes chevronnés et de jeunes chercheurs. Les textes des communications sont publiés selon l'ordre systématique de présentation lors du colloque: sujets généraux, périodes historiques et penseurs de la tradition philosophique occidentale, de Byzance et de la philosophie arabe. La leçon inaugurale de M.Éd.Jeauneau, spécialiste reconnu dans le domaine, fait l'objet de la première contribution. Il nous a été malheureusement impossible d'inclure dans cette publication le compte rendu des discussions fructueuses qui ont suivi les différentes communications. Nous savons tous que les échanges entre les congressistes, qu'ils soient publics ou privés, contribuent largement à la réussite d'un colloque. Je tiens à rendre hommage et à remercier chaleureusement tous ceux qui ont collaboré à cette édition, en particulier les membres du Secrétariat de la S.I.E.P.M., dirigé par l'inlassable Secrétaire général, Mme Jacqueline Hamesse.
Linos G. Benakis Athènes, avril 1997
ALLOCUTION DE BIENVENUE
C'est un grand plaisir pour moi de vous accueillir à Corfou, l'île où je suis né et que je n'ai cessé d'aimer et de choyer. C'est cet amour qui est à l'origine de la proposition faite à la direction de la S.I.E.P.M. de choisir Corfou comme lieu susceptible d'accueillir son symposium en Grèce en 1995; je savais qu'une manifestation de caractère intellectuel trouverait ici un climat «amical ». L'atmosphère intellectuelle est effectivement garantie en ces lieux marqués par une longue tradition scientifique et culturelle. C'est ici qu'en 1824 la première université grecque des temps modernes, la fameuse Académie Ionienne, a ouvert ses portes. J'étais également sûr du soutien moral et pratique qui serait apporté à notre symposium par les Sociétés corfiotes que nous remercions toutes très chaleureusement. Les fondations, les organismes et les soutiens privés, que je remercie officiellement, sont plus nombreux encore. Sans leur compréhension, leur sensibilité et leur disposition marquée pour l'hospitalité, qui est connue même en dehors de Grèce, comment aurais-je pu prendre la responsabilité de ce symposium qui s'inscrit dans une tradition déjà longue à la S.I.E.P.M. pour l'organisation réussie de ces rencontres de spécialistes ? Permettez-moi cependant de souligner un point tout à fait particulier: à l'occasion de ce symposium international, le tout nouveau «Groupe de travail grec pour l'étude de la philosophie byzantine» fait son apparition dans le monde scientifique de mon pays - et cela en tant que co-organisateur du colloque. Je suis véritablement heureux que des donateurs aient fait preuve d'une grande sensibilité à l'égard de notre objet scientifique (et culturel). La culture de Byzance, négligée durant la première moitié de notre siècle, retrouve la place qu'elle mérite, ce qui revêt une importance particulière pour la conscience grecque contemporaine ! Avec le thème choisi, Le néoplatonisme dans la philosophie médiévale, s'ouvre pour nous une perspective extrêmement utile quant à une problématique de notre époque (qui déborde le domaine de la philosophie): la rencontre des civilisations
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L.G. BENAKIS
de l'Orient et de l'Occident, qui constitue une composante de base de la civilisation européenne - et mondiale (le choix du thème servant à illustrer la couverture de notre programme et de notre affiche n'est donc pas dû au hasard). Au terme de ces quelques remarques j'exprime à nouveau ma satisfaction. En effet, six communications seront consacrées à la philosophie byzantine au cours de ce colloque. Ce sera un jalon de plus à la reconnaissance de cette discipline au cours de ces dernières décennies. Je m'acquitte ainsi d'une obligation morale envers la S.I.E.P.M. qui, lors de son Assemblée générale à Louvain-La-Neuve, il y a quinze ans, m'a élu président de la commission pour l'étude de la «Philosophie byzantine». Aujourd'hui, nous comptons finalement parmi nous vingt-sept participants invités de dix pays - six congressistes, dont quatre des États-Unis et du Canada ont été malheureusement empêchés de venir - mais leurs communications seront probablement incluses dans les Actes du colloque. Ils proviennent tous de la grande famille qu'est la «Société internationale pour l'étude de la philosophie médiévale», qui compte actuellement plus de cinq cents membres ordinaires, ainsi que de sa cadette, mais très dynamique «International Society for Neoplatonic Studies », qui a son siège aux États-Unis et qui compte à son actif plusieurs symposiums internationaux, la publication des actes de ces rencontres et, depuis deux ans, l'importante revue semestrielle, le Journal of Neoplatonic Studies. Nous recevons également, à cette occasion, sept membres du Bureau de la S.I.E.P.M. qui a tenu hier à Corfou sa réunion annuelle et qui a notamment décidé d'organiser en juin 1996 le prochain symposium de la Société à Boston, aux États-Unis, sur le thème The Relations between Medieval and Classical Modern European Philosophy. En 1997, se tiendra le congrès international qui a lieu tous les cinq ans ; il se déroulera dans la ville universitaire allemande d'Erfurt, près de Francfort, avec le concours de l'Université de Cologne, sur le thème central Qu'est-ce que la philosophie au Moyen Âge? What is Philosophy in the Middle Ages ? Was ist Philosophie im Mittelalter ? Nous comptons aussi parmi nous plus de quinze participants auditeurs (ne présentant pas de communication, mais ayant le droit de participer aux débats) qui viennent de sept pays voisins ou lointains.
ALLOCUTION DE BIENVENUE
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Ajoutons également un message optimiste pour l'avenir des études de philosophie médiévale: nous bénéficions de la participation élevée (numériquement parlant et qualitativement aussi, j'en suis sûr) de jeunes spécialistes Et permettez-moi de souligner que les petits congrès favorisent souvent un travail scientifique de bonne qualité, ainsi que des discussions et des contacts privés, des échanges d'informations et de points de vue entre les participants. L'honneur et la joie que nous ressentons à l'occasion du discours d'ouverture sont immenses puisque celui-ci sera prononcé par l'éminent professeur Édouard Jeauneau, grand spécialiste du domaine qui occupe le centre du thème du colloque. Avant de passer la parole au Président de la S.I.E.P.M., le professeur Albert Zimmermann, j'ai la joie d'inviter pour une très brève allocution de bienvenue, son Éminence l' Archevêque de Corfou Timotheos et le professeur Spyridonakis, représentant de l'Université Ionienne. M. Spyridonakis enseigne l'histoire moderne de la Russie et de l'Europe de l'Est, ainsi que de l'Europe Occidentale de la Renaissance au dix-huitième siècle. Avec mes vœux les meilleurs, ainsi que ceux de mes collaborateurs, pour la réussite de notre symposium - réussite garantie par le soutien incessant, la compréhension et la patience manifestés dès les premiers instants par notre Secrétaire général, Madame Jacqueline Hamesse, l' «âme» de la Société - je donne la parole aux orateurs de cette séance d'ouverture.
Linos G. Benakis, Président du Comité organisateur
ÉDOUARDJEAUNEA U
DENYS L'ARÉOPAGITE PROMOTEUR DU NÉOPLATONISME EN OCCIDENT
Souvent - en vérité, chaque fois que je passe par Athènes - il m'est arrivé de rêver à Proclus. Je l'imagine en sa maison, au flanc sud de l' Acropole, étudiant et priant, enseignant l'amour de cette sagesse qui avait pour lui un visage féminin, celui d'Athéna 1. Je pense à la dévotion qu'il vouait à la Vierge dont l'égide tutélaire l'accompagna toute sa vie, depuis sa naissance à Byzance en 412 jusqu'à sa mort à Athènes en 485. Il me semble l'entendre adresser à Athéna cette prière : «Aie pitié de moi, Salvatrice [ ... ],je souhaite être à toi: TEÜÇ n'xoµm Elvm »2. Je crois entendre aussi la réponse que la déesse fit porter en songe au philosophe: 'H yàq Kuq(a 'A8nvatç [ ... ] naqà ao\, µÉvELv È8ÉÀEL (Notre-Dame d'Athènes veut demeurer chez toi)3. Cette apparition se produisit, pense-t-on, au temps où la statue d'Athéna, chef d' œuvre de Phidias, fut arrachée à son sanctuaire athénien pour être transférée à Constantinople4. Alors, un sentiment de tristesse mêlée de compassion m'envahit. Comment ne pas éprouver de la sympathie pour ce dévot païen, qui voit s'écrouler un monde cher, qui assiste impuissant au triomphe d'une doctrine inconciliable à ses yeux avec la tradition hellénique? En ces temps de détresse, voire de persécution, le philosophe a cependant une consolation, celle de penser qu'Athéna, la déesse de la sagesse, a trouvé refuge dans sa maison. Athéna, et aussi
1 E. MomsorouLos. Parcours de Proclus. Athènes, 1993. 2 PROCLUS, Hymnes, VII, 40-42; éd. E. VOGT, Wiesbaden, 1957, p. 2. Cf. A.J. FESTUGIÈRE, « Proclus et la religion traditionnelle», in Mélanges Piganiol, 1966; reproduit dans A.J. FESTUGIÈRE, Études de philosophie grecque. Paris, 1971, pp. 575-584. 3 MARINOS, Vita Procli, 30; éd. J.F. Bo1ssoNADE. Leipzig, 1814, p. 24; éd. A.N. ÜIKONOMIDES. Chicago, 1977, p. 68, 30-31 ; éd. R. MASULLO. Naples, 1985, p. 87. 4 Le P. Saffrey pense que cet enlèvement eut lieu vers 470: H.D. SAFFREY,
Proclus. Théologie platonicienne, I. Paris, 1968, p. XXIII, n. 1.
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É.JEAUNEAU
les Muses, filles de Zeus, «qui délivrent les âmes errantes [ ... ] des douleurs de la terre [ ... ] en les initiant aux mystères immaculés tirés des livres qui éveillent l'intellect»5. Jusqu'à la fin de sa vie, Proclus pourra mener à Athènes une existence studieuse et pieuse, les yeux fixés sur le Parthénon sacré, rêvant peut-être du jour où la statue sculptée par Phidias y ferait retour6. C'est le contraire qui arriva: en 529, un édit de l'empereur Justinien fera fermer l'École d'Athènes. Sept maîtres, parmi lesquels Damascius, Simplicius, et Priscien de Lydie, durent s'exiler: ils trouvèrent refuge à la cour de Chosroès 1, roi de Perse. L'exil, il est vrai, ne devait pas durer, puisqu'un accord entre Chosroès et Justinien permit aux philosophes de revenir dans leur patrie?. Mais le coup avait été rude: on aurait pu croire que le néoplatonisme était mort. Or, à la même époque, il allait revivre sous une forme inédite. Par un habile détour, et grâce à un pieux faussaire, la dernière philosophie païenne devait faire irruption dans la pensée chrétienne. Parler de faussaire est probablement inexact. Car qui nous prouve que !'écrivain qui utilisa le pseudonyme de Denys l'Aréopagite pour divulguer ses œuvres (Noms divins, Théologie mystique, Hiérarchie céleste, Hiérarchie ecclésiastique et Lettres) avait l'intention de tromper ses lecteurs? Ils le furent assurément, et jusqu'à l'aube des temps modernes8. Mais qui en est responsable? L'auteur qui aurait produit un faux avec l'intention de tromper, ou les lecteurs qui ont mis en veilleuse leur esprit critique? Dans ma jeunesse, un prêtre catholique, Mgr Loutil, écrivait dans le journal La Croix sous le pseudonyme de Pierre l'Ermite. Aucun de ses lecteurs -et ils étaient nombreux- n'a eu,
5 PROCLUS, Hymnes, III, 1-5; éd. E. VoGT, p. 29; traduction H.D. SAFFREY, in H.J. WESTRA (éd.), FromAthens to Chartres. Leyde, 1992, p. 70. 6 « Later Neoplatonists sometimes seemed hopeful that Christianity was a passing nightmare » (J. R1sT, « Pseudo-Dionysius, N eoplatonism and the Weakness of the Soul», in H.J. WESTRA (éd.), From Athens to ... , p. 145, n. 32). 7 AGATHIAS, Historiae, II, 30-32; éd. R. KEYDELL (CFHB 2). Berlin, 1967, pp. 7883. Cf. A. CAMERON, Agathias. Oxford, 1970, pp. 101-105. 8 D. LuscoMBE, « Denys the Pseudo-Areopagite in the Middle Ages from Hilduin to Lorenzo Valla», in Fiilschungen im Mittelalter. Internationaler Kongress der Monumenta Germaniae Historica, München, 16.-19. September 1986, I (MGH, Schriften, 33, 1). Hannover, 1988, pp. 133-152.
DENYS L'ARÉOPAGITE PROMOTEUR DU NÉOPLATONISME
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que je sache, la tentation d'attribuer les articles de Mgr Loutil, curé de la paroisse Sainte-Odile à Paris, au prédicateur de la première croisade. Quoi qu'il en soit, l'auteur du corpus dionysien ne manquait pas d'àpropos. Désireux de déterminer un point de convergence entre la foi nouvelle et la dernière grande philosophie païenne, il l'a tout naturellement cherché du côté de l'autel qui avait fourni à Paul de Tarse l'exorde de son discours devant l' Aréopage : «Athéniens, à tous égards vous êtes, je le vois, les plus religieux des hommes. Parcourant en effet votre ville et considérant vos monuments sacrés, j'ai trouvé même un autel avec cette inscription: 'Ayvwotq:> 8i:cp (à un dieu inconnu). Eh bien! ce que vous adorez sans le connaître, je viens, moi, vous l'annoncer»9. En vérité, celui que nous appelons le Pseudo-Denys ne pouvait faire meilleur choix, car cet autel, que la piété antique avait érigé à un dieu inconnu, était devenu, sous l'effet de l'habile exégèse paulinienne, l'autel du Dieu inconnu, Dieu unique, créateur du ciel et de la terrelO. Vers la fin du cinquième siècle, alors que le christianisme était devenu la religion officielle de l'empire, il était tout naturel qu'un néoplatonicien convaincu, mais converti au christianisme, présentât son audacieuse théologie négative comme un développement de l'enseignement secret de l' Apôtre des Gentils, missionnaire du Dieu inconnu. Il a si bien réussi, qu'on a parfois attribué à saint Denys l'Aréopagite évêque d'Athènes, voire à saint Grégoire, successivement évêque de Nazianze et de Constantinoplel 1, l' Hymne à la Transcendance de Dieu -on pourrait tout aussi bien l'appeler Hymne au Dieu inconnul2_ que les historiens modernes ont restitué au philosophe païen Proclus13. Denys a non seulement annexé la philosophie de Proclus, il a confisqué sa maison, la maison qui avait été l'ultime refuge d'Athéna dans la cité de Cécrops. Des fouilles archéologiques, menées à Athènes
9 Actes, 17, 22-23. 10 Actes, 17, 24. 11 PG 37, 507-508. 12 « Moüvoç Èwv ayvwotoç, È:rrÜ tÉXEÇ &ma voütm : Seul tu es inconnaissable, puisque tout ce qui est connu vient de toi » (PRocws, Hymnes et prières, traduits du grec et présentés par H.D. SAFFREY. Paris, 1994, pp. 78-79). 13 A. J AHN, Eclogae e Proclo de Philosophia Chaldaica siue de doctrina Oraculorum Chaldaicorum ... Accedit Hymnus in Deum platonicus uulgo S. Gregorio Nazianzeno adscriptus, nunc Proclo platonico uindicatus. Halle, 1891, pp. 49-77.
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É.JEAUNEAU
en 1955, ont permis de découvrir au sud del' Acropole ce qu'on croit être -il s'agit d'une hypothèse bien sûr- la propriété léguée par Plutarque d'Athènes à ses successeurs, donc la maison où vécut Proclus14. Laissons courir notre imagination. Imaginons, comme l'avait fait Platon au dixième livre de la République (614 b) pour Er le Pamphilien, que Proclus revienne sur terre. Supposons-quoi de plus naturel?- qu'il choisisse d'habiter Athènes et qu'il sollicite la faveur de résider à l'endroit même où il a vécu autrefois. Je ne doute point qu'il y ait, dans cette salle même, des personnes assez influentes pour obtenir de M. le maire d'Athènes ou de M. le président de la République hellénique que justice soit faite à si légitime requête. Eh bien! Voici ce que notre philosophe devrait écrire sur sa carte de visite : PROCLUS Diadoque platonicien Rue Denys l'Aréopagite Athènes Bien sûr, on aimerait connaître le vrai nom de l'habile «squatter» qui, s'installant dans la demeure d'Athéna et s'appropriant l'héritage de l'École platonicienne, s'est abrité sous le pseudonyme de Denys l'Aréopagite. Je n'entrerai pas ici, car je n'ai aucune compétence pour le faire, dans la discussion des différentes hypothèses qui ont été avancées pour satisfaire cette curiosité 15. Successivement, les candidats suivants ont été proposés: Sévère d'Antioche (t 538), Basile de Césarée (t 379), Pierre l'Ibérien (411-491), Serge de Reshaina (t 536). On a même pensé que l'auteur du Corpus dionysien pourrait être Damascius. Dans ce cas, au lieu d'un néoplatonicien converti, désireux de présenter la doctrine chrétienne sous une forme qui la rende acceptable à ses anciens coreligionnaires, nous aurions affaire à un philosophe païen, s'efforçant de sauver l'hellénisme en l'affublant d'un manteau chrétien. Je ne crois pas que cette hypothèse ait recueilli beaucoup d'adeptes. Comme l'a dit John Rist,